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| author | nfenwick <nfenwick@pglaf.org> | 2025-02-08 09:50:21 -0800 |
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Rendu à lui-même après une longue suite +d'égarements, et dans le calme que lui procure l'heureuse privation de +ce qui faisait autrefois l'objet de ses désirs, il sent encore ces +frémissements d'horreur qui laissent dans l'imagination le souvenir des +périls auxquels il est échappé: il ne les sent que pour se féliciter de +la sûreté où il se trouve; ces mouvements lui deviennent des sentiments +chers parce qu'ils servent à lui faire mieux goûter les charmes de la +tranquillité dont il jouit. + +Tel est, cher lecteur, la situation du mien. Quelles grâces n'ai-je pas +à rendre au Tout-Puissant dont la miséricorde m'a retiré de l'abîme du +libertinage où j'étais plongé et me donne aujourd'hui la force d'écrire +mes égarements pour l'édification de mes frères! + +Je suis le fruit de l'incontinence des révérends pères Célestins de la +ville de R... Je dis des révérends pères, parce que tous se vantaient +d'avoir fourni à la composition de mon individu. Mais quel sujet +m'arrête tout à coup? Mon coeur est agité: est-ce par la crainte qu'on +ne me reproche que je révèle ici les mystères de l'Eglise? Ah! +surmontons ce faible remords. Ne sait-on pas que tout homme est homme, +et les moines surtout? Ils ont donc la faculté de travailler à la +propagation de l'espèce. Eh! pourquoi la leur interdirait-on? Ils s'en +acquittent si bien! + +Peut-être, lecteur, vous attendez avec impatience que je vous fasse le +récit détaillé de ma naissance: je suis fâché de ne pouvoir pas sitôt +vous satisfaire sur cet article. Vous allez me voir de plein saut chez +un bonhomme de paysan que j'ai pris longtemps pour mon père. + +Ambroise, c'était le nom du bonhomme, était le jardinier d'une maison de +campagne que les Célestins avaient dans un petit village à quelques +lieues de la ville; sa femme, Toinette, fut choisie pour me servir de +nourrice. Un fils qu'elle avait mis au monde, et qui mourut au moment où +je vis le jour, aida à voiler le mystère de ma naissance. On enterra +secrètement le fils du jardinier et celui des moines fut mis à sa place: +l'argent fait tout. + +Je grandissais insensiblement, toujours cru et me croyant moi-même fils +du jardinier. J'ose dire néanmoins, qu'on me pardonne ce petit trait de +vanité, que mes inclinations décelaient ma naissance. Je ne sais quelle +influence divine opère sur les ouvrages des moines: il semble que la +vertu du froc se communique à tout ce qu'ils touchent. Toinette en était +une preuve. C'était bien la plus fringante femelle que j'aie jamais vue, +et j'en ai vu quelques-unes. Elle était grosse, mais ragoûtante, de +petits yeux noirs, un nez retroussé, vive, amoureuse, plus parée que ne +l'est ordinairement une paysanne. Ç'aurait été un excellent pis aller +pour un honnête homme; jugez pour des moines! + +Quand la coquine paraissait avec son corset des dimanches, qui lui +serrait une gorge que le hâle avait toujours respectée, et laissait voir +deux tétons qui s'échappaient, ah! que je sentais bien dans ce moment +que je n'étais pas son fils, ou que j'aurais volontiers passé sur cette +qualité. + +J'avais les dispositions toutes monacales. Guidé par le seul instinct, +je ne voyais pas une fille que je ne l'embrassasse, que je ne lui +portasse la main partout où elle voulait bien la laisser aller; et +quoique je ne susse pas bien positivement ce que j'aurais fait, mon +coeur me disait que j'en aurais fait plus, si l'on ne m'eût arrêté dans +mes transports. + +Un jour qu'on me croyait à l'école, j'étais resté dans un petit réduit +où je couchais: une simple cloison le séparait de la chambre d'Ambroise, +dont le lit était justement appuyé contre; je dormais; il faisait une +extrême chaleur: c'était dans le coeur de l'été; je fus tout à coup +réveillé par de violentes secousses que j'entendis donner à la cloison. +Je ne savais que penser de ce bruit; il redoublait. En prêtant +l'oreille, j'entendis des sons émus et tremblants, des mots sans suite +et mal articulés. «Ah! doucement, ma chère Toinette, ne va pas si vite! +Ah! coquine! tu me fais mourir de plaisir!... Va vite... Eh! vite... +Ah!... je me meurs!...» + +Surpris d'entendre de pareilles exclamations, dont je ne sentais pas +toute l'énergie, je me rassis; à peine osais-je remuer. Si l'on m'avait +su là , j'avais tout à craindre; je ne savais quoi penser, j'étais tout +ému. L'inquiétude où j'étais fit bientôt place à la curiosité. +J'entendis de nouveau le même bruit, et je crus distinguer qu'un homme +et Toinette répétaient alternativement les mêmes mots que j'avais déjà +entendus. Même attention de ma part. L'envie de savoir ce qui se passait +dans cette chambre devint à la fin si vive qu'elle étouffa toutes mes +craintes. Je résolus de savoir ce qu'il en était. Je serais, je crois, +volontiers entré dans la chambre d'Ambroise pour voir ce qui s'y +passait, au risque de tout ce qui aurait pu arriver. Je ne fus pas à +cette peine. En cherchant doucement avec la main si je ne trouverais pas +quelque trou à la cloison, j'en sentis un qui était couvert par une +grande image. Je la perçai et me fis jour. Quel spectacle! Toinette nue +comme la main, étendue sur son lit, et le père Polycarpe, procureur du +couvent, qui était à la maison depuis quelque temps, nu comme Toinette, +faisant... quoi? ce que faisaient nos premiers parents, quand Dieu leur +eut ordonné de peupler la terre, mais avec des circonstances moins +lubriques. + +Cette vue produisit chez moi une surprise mêlée de joie et d'un +sentiment vif et délicieux qu'il m'aurait été impossible d'exprimer. Je +sentais que j'aurais donné tout mon sang pour être à la place du moine. +Que je lui portais d'envie! que son bonheur me paraissait grand! Un feu +inconnu se glissait dans mes veines; j'avais le visage enflammé, mon +coeur palpitait, je retenais mon haleine, et la pique de Vénus, que je +pris à la main, était d'une force et d'une roideur à abattre la cloison, +si j'avais poussé un peu fort. Le père fournit sa carrière, et en se +retirant de dessus Toinette, il la laissa exposée à toute la vivacité de +mes regards. Elle avait les yeux mourants et le visage couvert du rouge +le plus vif. Elle était hors d'haleine; ses bras étaient pendants, sa +gorge s'élevait et se baissait avec une précipitation étonnante. Elle +serrait de temps en temps le derrière, en se roidissant et en jetant de +grands soupirs. Mes yeux parcouraient avec une rapidité inconcevable +toutes les parties de son corps; il n'y en avait pas une sur laquelle +mon imagination ne collât mille baisers de feu. Je suçais ses tétons, +son ventre; mais l'endroit le plus délicieux, et de dessus lequel mes +yeux ne purent plus s'arracher, quand une fois je les y eus fixés, +c'était... Vous m'entendez. Que cette coquille avait pour moi de +charmes! Ah! l'aimable coloris! Quoique couverte d'une petite écume +blanche, elle ne perdait rien à mes yeux de la vivacité de sa couleur. +Au plaisir que je ressentais, je reconnus le centre de la volupté. Il +était ombragé d'un poil épais, noir et frisé. Toinette avait les jambes +écartées, il semblait que sa paillardise fût d'accord avec ma curiosité +pour ne me rien laisser à désirer! + +Le moine, ayant repris vigueur, vint de nouveau se présenter au combat; +il se remit sur Toinette, avec une nouvelle ardeur; mais ses forces +trahirent son courage, et, fatigué de piquer inutilement sa monture, je +le vis retirer l'instrument de la coquille de Toinette, lâche et +baissant la tête. Toinette, dépitée de sa retraite, le prit et se mit à +le secouer; le moine s'agitait avec fureur et paraissait ne pouvoir plus +supporter le plaisir qu'il ressentait. J'examinais tous leurs mouvements +sans autre guide que la nature, sans autre instruction que l'exemple, +et, curieux de savoir ce qui pouvait occasionner ces mouvements +convulsifs du père, j'en cherchais la cause en moi-même. J'étais surpris +de sentir un plaisir inconnu qui augmentait insensiblement, et devint +enfin si grand que je tombai pâmé sur mon lit. La nature faisait des +efforts incroyables, et toutes les parties de mon corps semblaient +fournir au plaisir de celle que je caressais. Il tomba enfin de cette +liqueur blanche dont j'avais vu une si grande profusion sur les cuisses +de Toinette. Je revins de mon extase, et retournai au trou de la +cloison; il n'était plus temps: le dernier coup était joué, la partie +était finie. Toinette se rhabillait, le père l'était déjà . + +Je restai quelque temps l'esprit et le coeur remplis de l'aventure dont +je venais d'être témoin, et dans cette espèce d'étourdissement +qu'éprouve un homme qui vient d'être frappé par l'éclat d'une lumière +étrangère. J'allais de surprise en surprise; les connaissances que la +nature avait mises dans mon coeur venaient de se développer, les nuages +dont elle les avait couvertes s'étaient dissipés. Je reconnus la cause +des différents sentiments que j'éprouvais tous les jours à la vue des +femmes. Ces passages imperceptibles de la tranquillité aux mouvements +les plus vifs, de l'indifférence aux désirs, n'étaient plus des énigmes +pour moi. Ah! m'écriai-je, qu'ils étaient heureux! la joie les +transportait tous deux. Il faut que le plaisir qu'ils goûtaient soit +bien grand. Ah! qu'ils étaient heureux! qu'ils étaient heureux! L'idée +de ce bonheur m'absorbait; elle m'ôtait pour un moment tout pouvoir d'y +réfléchir. Un silence profond succédait à mes exclamations. Ah! +reprenais-je aussitôt, ne serai-je jamais grand pour en faire autant à +une femme? Je mourrais sur elle de plaisir, puisque je viens d'en avoir +tant. Ce n'est là sans doute qu'une image de celui que le père Polycarpe +goûtait avec ma mère; mais, poursuivais-je je suis bien simple! Est-il +absolument nécessaire d'être grand pour avoir ce plaisir-là ? Pardi! il +me semble que le plaisir ne se mesure pas à la taille: pourvu que l'on +soit l'un sur l'autre, cela doit aller tout seul! + +Sur le champ il me vint dans l'esprit de faire part de mes nouvelles +découvertes à ma soeur Suzon. Elle avait quelques années de plus que +moi: c'était une petite blonde fort jolie, qui portait une de ces +physionomies ouvertes que l'on serait tenté de croire niaises, parce +qu'elles paraissent indolentes. Elle avait de ces beaux yeux bleus, +pleins d'une douce langueur, qu'il semble que l'on tourne sur vous sans +intention, mais dont l'effet n'est pas moins sûr que celui des yeux +brillants d'une brune piquante qui vous lance des regards passionnés. +Pourquoi cela? Je n'en sais rien, car je me suis toujours grossièrement +contenté du sentiment, sans être tenté d'en pénétrer la cause. Ne +serait-ce pas parce qu'une belle blonde, avec ses regards languissants, +semble vous prier de lui donner votre coeur, et que ceux d'une brune +veulent vous enlever de force? La blonde ne demande qu'un peu de +compassion pour sa faiblesse, et cette façon de demander est bien +séduisante; vous croyez ne donner que la compassion, et vous donnez de +l'amour. La brune, au contraire, veut que vous soyez faible, sans vous +promettre qu'elle le sera. Le coeur se gendarme contre celle-ci, +n'est-il pas vrai? Qu'en pensez-vous, lecteur? + +Je l'avoue à ma honte, il ne m'était pas encore venu dans l'esprit de +jeter sur Suzon un regard de concupiscence, chose rare chez moi, qui +convoitais toutes les filles que je voyais. Il est vrai qu'étant la +filleule de la dame du village, qui l'aimait et la faisait élever chez +elle, je ne la voyais pas souvent. Il y avait même un an qu'elle était +au couvent: elle n'en était sortie que depuis huit jours; sa marraine, +qui devait venir passer quelque temps à la campagne, lui avait promis de +venir voir Ambroise. Je me sentis tout d'un coup enflammé du désir +d'endoctriner ma chère soeur et de goûter avec elle les mêmes plaisirs, +que je venais de voir prendre au père Polycarpe avec Toinette. Je ne fus +plus le même pour elle. Mes yeux sourirent à mille charmes que je ne lui +avais pas aperçus. Je lui trouvai une gorge naissante, plus blanche que +le lis, ferme, potelée. Je suçais déjà avec un délice inexprimable ces +deux petites fraises que je voyais au bout de ces tétons; mais surtout +dans la peinture de ses charmes je n'oubliais pas ce centre, cet abîme +de plaisirs dont je me faisais des images si ravissantes. Animé par +l'ardeur vive et brûlante que ces idées répandaient dans tout mon corps, +je sortis, j'allai chercher Suzon. Le soleil venait de se coucher, la +brune s'avançait: je me flattais qu'à la faveur de l'obscurité que la +nuit allait répandre je serais dans un moment au comble de mes désirs, +si je la trouvais. Je l'aperçus de loin qui cueillait des fleurs. Elle +ne pensait pas alors que je méditais de cueillir la fleur la plus +précieuse de son bouquet. Je volai à elle; la voyant livrée toute +entière à une occupation aussi innocente, je balançai dans le moment si +je lui ferais connaître mon dessein. A mesure que j'approchais, je +sentais ralentir la vivacité de ma course. Un tremblement soudain +semblait me reprocher mon intention: je croyais devoir respecter son +innocence; je n'étais retenu que par l'incertitude du succès. Je +l'abordai, mais avec une palpitation qui ne me permettait pas de dire +deux mots sans reprendre haleine.--Que fais-tu donc là , Suzon? lui +dis-je en m'approchant d'elle. Et voulant l'embrasser, elle s'échappa en +riant et me répondit: Comment! ne vois-tu pas que je cueille des +fleurs?--Ah! ah! repris-je, tu cueilles des fleurs?--Eh! vraiment oui, +me répliqua-t-elle; ne sais-tu pas que c'est demain la fête de ma +marraine? Ce nom me fit trembler, comme si j'eusse craint que Suzon ne +m'échappât. Mon coeur s'était déjà fait (si j'ose me servir de ce terme) +une habitude de la regarder comme une conquête sûre; et l'idée de son +éloignement semblait me menacer de la perte d'un plaisir que je +regardais comme certain, quoique je n'en eusse pas encore goûté.--Je ne +te verrai donc plus, Suzon? lui dis-je d'un air triste.--Pourquoi donc, +me répondit-elle, ne viendrais-je pas toujours ici? Mais, allons, +poursuivit-elle d'un air charmant, aide-moi à faire mon bouquet. Je ne +lui répondis qu'en lui jetant quelques fleurs au visage; aussitôt elle +de m'en jeter aussi.--Tiens, Suzon, lui dis-je, si tu m'en jettes +davantage, je te... Tu me le payeras! Pour me faire voir qu'elle bravait +mes menaces, elle m'en jeta une poignée. Dans le moment ma timidité +m'abandonna; je ne craignais pas d'être vu. La brune, qui empêchait +qu'on ne pût voir à une certaine distance, favorisait mon audace. Je me +jette sur Suzon, elle me repousse; je l'embrasse, elle me donne un +soufflet; je la jette sur l'herbe, elle veut se relever, je l'en +empêche; je la tiens étroitement serrée dans mes bras en lui baisant la +gorge, elle se débat; je veux lui fourrer la main sous la jupe; elle +crie comme un petit démon; elle se défend si bien que je crains de n'en +pouvoir venir à bout, et qu'il ne survienne du monde. Je me relevai en +riant, et je crus qu'elle n'y entendait pas plus de malice que je +voulais qu'elle n'y entendît. Que je me trompais!--Allons, lui dis-je, +Suzon, pour te faire voir que je ne voulais pas te faire de mal, je veux +bien t'aider.--Oui, oui, me répondit-elle avec une agitation au moins +égale à la mienne, va, voilà ma mère qui vient, et je...--Ah! Suzon, +repris-je vivement en l'empêchant d'en dire davantage, ma chère Suzon, +ne lui dis rien; je te donnerai... tiens, tout ce que tu voudras! Un +nouveau baiser fut le gage de ma parole; elle en rit; Toinette arriva. +Je craignais que Suzon ne parlât; elle ne dit mot, et nous retournâmes +tous ensemble souper, comme si rien n'était. + +Depuis que le père Polycarpe était à la maison, il avait donné de +nouvelles preuves de la bonté du couvent pour le prétendu fils +d'Ambroise: je venais d'être habillé tout de neuf. En vérité, sa +révérence avait en cela moins consulté la charité monacale, qui a des +bornes fort étroites, que la tendresse paternelle, qui souvent n'en +connaît pas. Le bon père, par une pareille prodigalité, exposait la +légitimité de ma naissance à de violents soupçons. Mais nos manants +étaient de bonnes gens et n'en voyaient pas plus que l'on ne voulait +leur en faire voir. D'ailleurs qui aurait osé porter un oeil critique et +malin sur le motif de la générosité des révérends pères. C'étaient de si +honnêtes gens, de si bonnes gens; on les adorait dans le village: ils +faisaient du bien aux hommes et aimaient l'honneur des femmes; tout le +monde était content. Mais revenons à ma figure, car je vais avoir une +aventure illustre. + +A propos de cette figure-là , j'avais un air espiègle qui ne prévenait +pas contre moi. J'étais mis proprement; des yeux malins, de longs +cheveux noirs me tombaient par boucles sur les épaules, et relevaient à +merveille les couleurs de mon visage, qui, quoiqu'un peu brun, ne +laissait pas de valoir son prix. C'est un témoignage authentique que je +me crois obligé de rendre au jugement de plusieurs très honnêtes et très +vertueuses personnes à qui j'ai rendu mes hommages. + +Suzon, comme je l'ai dit, avait fait un bouquet pour Mme Dinville +(c'était le nom de sa marraine), femme d'un conseiller de la ville +voisine, qui venait à sa terre prendre le lait pour rétablir une +poitrine dérangée par le vin de Champagne et quelques autres causes. + +Suzon s'étant mise dans ses petits atours, qui la rendirent encore plus +aimable à mes yeux, il fut dit que je l'accompagnerais. Nous allâmes au +château. Nous trouvâmes la dame dans un appartement d'été où elle +prenait le frais. Figurez-vous une femme d'une grandeur médiocre, poil +brun, peau blanche, le visage laid en général, enluminé d'un rouge +champenois, les yeux alertes, amoureux, et tétonnière autant que femme +au monde. Ce fut d'abord la première bonne qualité que je lui +remarquais: ç'a toujours été mon faible que ces deux boules-là ! C'est +aussi quelque chose de si joli quand vous tenez cela dans la main, quand +vous... Ah! chacun le sien; qu'on me passe celui-ci! + +Sitôt que la dame nous aperçut, elle jeta sur nous un regard de bonté, +sans changer de situation. Elle était couchée sur un canapé, une jambe +dessus et l'autre sur le parquet; elle n'avait qu'un simple jupon blanc, +assez court pour laisser voir un genou qui n'était pas assez couvert +pour faire penser qu'il serait bien difficile de voir le reste; un petit +corset de la même couleur, un pet-en-l'air de taffetas couleur de rose, +bichonnée d'un petit air négligé, et la main passée sous son jupon, +jugez à quelle intention! Mon imagination fut au fait dans le moment, et +mon coeur la suivit de près; mon sort était de devenir désormais +amoureux de toutes les femmes qui se présenteraient à mes yeux: les +découvertes de la veille avaient fait éclore en moi ces louables +dispositions. + +--Ah! bonjour, ma chère enfant, dit Mme Dinville à Suzon; eh bien, tu +reviens donc me trouver? Ah!... tu m'apportes un bouquet; mais, +vraiment, je te suis bien obligée, ma chère fille; embrasse-moi donc! +Embrassade de la part de Suzon. Mais, continua-t-elle en jetant les yeux +sur moi, quel est donc ce beau gros garçon-là ? Comment petite fille, +vous vous faites accompagner par un garçon? Cela est joli! Je baissai +les yeux; Suzon lui dit que j'étais son frère; révérence de ma part--Ton +frère? reprit Mme Dinville; allons donc! continua-t-elle en me regardant +et en m'adressant la parole, baise-moi, mon fils. Oh! je veux que nous +fassions connaissance. Elle me donne un baiser sur la bouche; je sens +une petite langue se glisser entre mes lèvres et une main qui joue avec +les boucles de mes cheveux. Je ne connaissais pas encore cette manière +de baiser; j'étais tout ému. Je jetai sur elle un regard timide, et je +rencontrai ses yeux brillants et pleins de feu qui attendaient les miens +au passage et qui les firent baisser. Nouveau baiser de même nature +après lequel je fus libre de me remuer, car je ne l'étais guère de la +façon dont elle me tenait embrassé. Je n'en étais pourtant pas fâché: il +me semblait que c'était toujours autant de retranché sur le cérémonial +de la connaissance qu'elle disait vouloir faire avec moi. Je ne fus sans +doute redevable de ma liberté qu'à la réflexion qu'elle fit sur le +mauvais effet que pouvait produire la vivacité de ses caresses +prodiguées avec si peu de ménagement à une première vue; mais ces +réflexions ne furent pas de longue durée; elle reprit la conversation +avec Suzon, et le refrain de chaque période était: Suzon, venez me +baiser. D'abord le respect me faisait tenir écarté.--Eh bien, dit-elle +en m'adressant de nouveau la parole, ce gros garçon-là ne viendra donc +pas aussi me baiser? J'avançai et j'appuyai sur la joue. Je n'osais +encore aller à la bouche: je lui fis un baiser un peu plus hardi que le +premier. Je ne fus en reste avec elle que de quelque chose de plus +passionné qu'elle mit dans le sien. Elle partageait ainsi ses caresses +entre ma soeur et moi, pour me donner le change sur le sujet de celles +qu'elle me faisait. Sa politique me rendait justice: j'étais plus habile +que ma figure ne le promettait. Je me fis insensiblement si bien à ce +petit manège, que je n'attendais pas le refrain pour prendre ma part. +Peu à peu ma soeur se trouva sevrée de la sienne; je m'établis dans le +privilège exclusif de jouir des bontés de la dame; Suzon n'avait plus +que les paroles. + +Nous étions assis sur le canapé; nous babillions, car Mme Dinville était +grande babillarde. Suzon était à sa droite, j'étais à sa gauche. Suzon +regardait dans le jardin et Mme Dinville me regardait; elle s'amusait à +me défriser, à me pincer la joue, à me donner de petits soufflets; moi, +je m'amusais à la regarder, à lui mettre la main, d'abord en tremblant, +sur le col; ses manières aisées, me donnaient beau jeu; j'étais +effronté: la dame ne disait mot, me regardait, riait, et me laissait +faire. Ma main, timide dans les commencements, mais devenue plus hardie +par la facilité qu'elle trouvait à se satisfaire, descendait +insensiblement du col à la gorge, et s'appesantissait avec délices sur +un sein dont la fermeté élastique la faisait tant soit peu rebondir. Mon +coeur nageait dans la joie; déjà je tenais dans la main une de ces +boules charmantes que je maniais à souhait. J'allais y mettre la bouche; +en avançant on arrive au but. J'aurais, je crois, poussé ma bonne +fortune jusqu'où elle pouvait aller, quand un maudit importun, le bailli +du village, vieux singe envoyé par un démon jaloux de mon bonheur, se +fit entendre dans l'antichambre. Mme Dinville, réveillée par le bruit +que fit cet original en arrivant, me dit: Que faites-vous donc, petit +fripon? Je retirai la main précipitamment; mon effronterie ne tint pas +contre un pareil reproche; je rougis, je me croyais perdu. Mme Dinville, +qui voyait mon embarras, me fit sentir, par un petit soufflet qu'elle +accompagna d'un sourire charmant, que sa colère n'était que pour la +forme, et ses regards me confirmèrent que ma hardiesse lui déplaisait +moins que l'arrivée de ce vilain bailli. + +Il entra; l'ennuyeux personnage! Après avoir toussé, craché, éternué, +mouché, il fit sa harangue, plus ennuyeuse encore que sa figure. Si nous +en eussions été quittes pour cela, ce n'aurait été que demi-mal; mais il +semblait que le maraud eût donné le mot à tous les importuns du village, +qui vinrent tour à tour faire un salamalec. J'enrageais. Quand Mme +Dinville eut répondu à bien des sots complimenteurs, elle se tourna de +notre côté et nous dit: Ah çà ! mes chers enfants, vous reviendrez demain +dîner avec moi: nous serons seuls. Il me sembla qu'elle affectait de +jeter sur moi les yeux en disant ces derniers mots. Mon coeur trouvait +son compte dans cette assurance, et je sentis que, sans faire tort à mon +penchant, mon petit amour-propre ne laissait pas d'être flatté.--Vous +viendrez, entendez-vous, Suzon? continua Mme Dinville, et vous amènerez +Saturnin; c'était le nom que portait alors votre serviteur. Adieu, +Saturnin, me dit-elle en m'embrassant. Pour le coup, je ne fus en reste +de rien avec elle. Nous sortîmes. + +Je me sentais dans une disposition qui assurément m'aurait fait honneur +auprès de Mme Dinville, sans la visite imprévue de ces ennuyeux +complimenteurs; mais ce que je sentais pour elle n'étais pas de l'amour, +ce n'était qu'un désir violent de faire avec une femme la même chose que +j'avais vu faire au père Polycarpe avec Toinette. Le délai d'un jour que +Mme Dinville m'avait donné me paraissait immense. J'essayai, chemin +faisant, de remettre Suzon sur les voies, en lui rappelant l'aventure de +la veille.--Que tu es simple, Suzon! lui dis-je. Tu crois donc que je +voulais te faire du mal hier?--Que voulais-tu donc me faire? +répondit-elle.--Bien du plaisir.--Quoi! reprit-elle avec une apparence +de surprise, en me mettant la main sous la jupe tu m'aurais fait bien du +plaisir?--Assurément; si tu veux que je t'en donne la preuve, lui +dis-je, viens avec moi dans quelque endroit écarté. Je l'examinais avec +inquiétude; je cherchais sur son visage quelques marques des effets que +devait produire ce que je lui disais: je n'y voyais pas plus de vivacité +qu'à l'ordinaire. Le veux-tu bien? dis, ma chère Suzon, continuais-je en +la caressant.--Mais, encore, reprit-elle sans faire semblant d'entendre +la proposition que je lui faisais, qu'est-ce donc que ce plaisir dont tu +me fait tant d'éloges?--C'est, lui répondis-je, l'union d'un homme avec +une femme qui s'embrassent, qui se serrent bien fort et qui se pâment en +se tenant étroitement serrés de cette façon. Les yeux toujours fixés sur +le visage de ma soeur, je ne laissais échapper aucun des mouvements qui +l'agitaient; j'y voyais la gradation insensible de ses désirs, sa gorge +bondissait.--Mais, me dit-elle avec une naïveté curieuse qui me +paraissait de bonne augure, mon père m'a quelquefois tenu comme tu le +dis, sans sentir cependant ce plaisir que tu me promets.--C'est, +repartis-je, qu'il ne te faisait pas ce que je voudrais te faire.--Et +que voudrais-tu donc me faire? me demanda-t-elle d'une voix +tremblante.--Je te mettrais, lui répondis-je effrontément, quelque chose +entre les cuisses qu'il n'osait pas te mettre. Elle rougit, et me +laissa, par son trouble, la liberté de continuer en ces termes: Vois-tu, +Suzon, tu as un petit trou ici, lui dis-je en lui montrant l'endroit où +j'avais vu la fente de Toinette.--Eh! qui t'a dit cela? me +demanda-t-elle sans lever les yeux sur moi.--Qui me l'a dit, repris-je +assez embarrassé de sa question, c'est q... c'est que toutes les femmes +en ont autant.--Et les hommes? poursuivit-elle.--Les hommes, lui +répondis-je, ont une machine à l'endroit où vous avez une fente. Cette +machine se met dans cette fente, et c'est là ce qui fait le plaisir +qu'une femme prend avec un homme. Veux-tu que je te fasse voir la +mienne? mais à la condition que tu me laisseras toucher à ta petite +fente: nous nous chatouillerons, et nous serons bien aises. + +Suzon était toute rouge. Les discours que je lui tenais paraissaient la +surprendre; il semblait qu'elle eût peine à m'en croire; elle n'osait me +laisser mettre la main sous sa jupe, dans la crainte, disait-elle, que +je ne voulusse la tromper et que je n'allasse tout déclarer. Je +l'assurai que rien au monde ne serait capable de m'en arracher l'aveu, +et, pour la convaincre de cette différence que je lui disais se trouver +entre nous deux, je voulus lui prendre la main; elle la retira, et nous +continuâmes notre entretien jusqu'à la maison. + +Je voyais bien que la petite friponne prenait goût à mes leçons, et que +si je la trouvais encore une fois cueillant des fleurs, il ne me serait +pas difficile de l'empêcher de crier. Je brûlais d'envie de mettre la +dernière main à mes instructions et d'y joindre l'expérience. + +A peine étions-nous entrés dans la maison que nous vîmes entrer le père +Polycarpe; je démêlai le motif de sa visite: je n'en doutai plus quand +sa révérence eut déclaré d'un air aisé qu'elle venait prendre le dîner +de famille. On croyait Ambroise bien loin; il est vrai qu'il ne les +gênait guère, mais on est toujours bien aise d'être débarrassé de la +présence d'un mari, quelque commode qu'il soit. C'est toujours un animal +de mauvais augure. Je ne doutai pas que je n'eusse après-midi le même +spectacle que j'avais eu la veille, et sur le champ je formai le dessein +d'en faire part à Suzon. Je pensais, avec raison, qu'une pareille vue +serait un excellent moyen pour avancer mes petites affaires avec elle; +je ne lui en parlai pas. Je remis cette épreuve à l'après-dînée, bien +résolu à n'employer ce moyen qu'à l'extrémité, comme un corps de réserve +décisif pour une action. + +Le moine et Toinette ne se gênaient pas en notre présence: ils nous +croyaient des témoins peu dangereux. Je voyais la main gauche du père se +glisser mystérieusement sous la table et agiter les jupes de Toinette, +qui lui souriait et me paraissait écarter les cuisses pour laisser +apparemment le passage plus libres aux doigts libertins du paillard +moine. + +Toinette avait de son côté une main sur la table, mais l'autre était +dessous et rendait vraisemblablement au père ce que le père lui prêtait. +J'étais au fait. Les plus petites choses frappent un esprit prévenu. Le +révérend père chopinait de bonne grâce; Toinette lui répondait sur le +même ton; ses désirs parvinrent bientôt au point d'être gênés par notre +présence: elle nous le fit connaître en nous conseillant, à ma soeur et +à moi, d'aller faire un tour dans le jardin; j'entendis ce qu'elle +voulait nous dire. Nous nous levâmes aussitôt, et leur laissâmes, par +notre départ, la liberté de faire autre chose que glisser les mains sous +la table. Jaloux du bonheur que notre départ allait les mettre en état +de goûter, je voulus encore essayer de venir à bout de Suzon sans le +secours du tableau que je devais offrir à ses regards. Je la conduisis +vers une allée d'arbres dont l'épais feuillage faisait une obscurité qui +promettait beaucoup d'assurances à mes désirs. Elle s'aperçut de mon +dessein, et ne voulut pas m'y suivre.--Tiens, Saturnin, me dit-elle, +ingénument, je vois que tu veux encore m'entretenir de cela; et bien, +parlons-en.--Je te fais donc plaisir, répondis-je, quand j'en parle? +Elle me l'avoua. Juge, lui dis-je, ma chère Suzon, par celui que mes +discours te donnent, de celui que tu aurais... Je ne lui en dis pas +davantage: je la regardais, je tenais sa main, que je pressais contre +mon sein.--Mais, Saturnin, me dit-elle, si... cela allait faire du +mal?--Quel mal veux-tu que cela fasse? lui répondis-je, charmé de +n'avoir plus qu'un aussi faible obstacle à détruire; aucun, ma chère +petite; au contraire.--Aucun, reprit-elle en rougissant et en baissant +la vue, et si j'allais devenir grosse? Cette objection me surprit +étrangement. Je ne croyais pas Suzon si savante, et j'avoue que je +n'étais pas en état de lui donner une réponse satisfaisante.--Comment +donc, grosse? lui dis-je? est-ce que c'est comme cela que les femmes +deviennent grosses, Suzon?--Sans doute, me répondit-elle, d'un ton +d'assurance qui m'effraya.--Et où l'as-tu donc appris? lui demandais-je, +car je sentais bien que c'était à son tour à me donner des leçons. Elle +me répondit qu'elle voulait bien me le dire, mais à condition que je +n'en parlerais de ma vie.--Je te crois discret, Saturnin, ajouta-t-elle, +et si tu étais capable d'ouvrir jamais la bouche sur ce que je vais te +dire, je te haïrais à la mort. Je lui jurai que jamais je n'en +parlerais. Asseyons-nous ici, poursuivit-elle en me montrant un gazon où +l'on n'était à l'aise que pour causer sans être entendus. J'aurais bien +mieux aimé l'allée; nous n'y aurions pas été vus ni entendus. Je la +proposai de nouveau, elle n'y voulu pas venir. + +Nous nous assîmes sur le gazon, à mon grand regret; pour comble de +malheur, je vis arriver Ambroise. N'ayant plus d'espérance pour cette +fois, je pris mon parti. L'agitation où me mit le désir d'apprendre ce +que devait me dire Suzon fit diversion à mon chagrin. + +Avant de commencer, Suzon exigea encore de nouvelles assurances de ma +part: je les lui donnai avec serment. Elle hésitait, elle n'osait +encore; je la pressai si fort qu'elle se détermina.--Voilà qui est fait, +me dit-elle, je t'en crois, Saturnin; écoute, tu vas être étonné de ma +science, je t'en avertis. Tu croyais m'apprendre quelque chose tantôt, +j'en sais plus que toi: tu vas le voir; mais ne crois pas pour cela que +j'aie moins pris de plaisir à ce que tu m'as dit: on aime toujours à +entendre parler de ce qui flatte.--Comment donc! tu parles comme un +oracle; on voit bien que tu as été au couvent. Que cela façonne une +fille!--Oh! vraiment, me répondit-elle, si je n'y avais jamais été, +j'ignorerais bien des choses que je sais.--Eh! dis le-moi donc ce que tu +sais, repris-je vivement; je meurs d'envie de l'apprendre. + +Il n'y a pas longtemps, continua Suzon, que, pendant une nuit fort +obscure, je dormais d'un profond sommeil; je fus réveillée en sentant un +corps tout nu qui se glissait dans mon lit; je voulus crier, mais on me +mit la main sur la bouche, en me disant: Tais-toi; je ne veux pas te +faire de mal; est-ce que tu ne reconnais pas la soeur Monique? Cette +soeur venait, depuis peu, de prendre le voile de novice; c'était ma +meilleure amie.--Jésus, lui dis-je, ma bonne, pourquoi donc venir me +surprendre dans le lit?--C'est que je t'aime! me répondit-elle en +m'embrassant.--Et pourquoi êtes-vous toute nue?--C'est qu'il fait si +chaud que ma chemise même est trop pesante; il tombe une pluie terrible; +j'ai entendu le tonnerre qui grondait: j'en ai bien peur; ne +l'entends-tu pas aussi? Quel bruit il fait! Ah! serre-moi bien fort, mon +petit coeur; mets le drap par dessus notre tête pour ne pas voir ces +vilains éclairs. Là , bon! Ah! ma chère Suzon, que j'ai peur! Moi, qui ne +crains pas le tonnerre, je tâchais de rassurer la soeur, qui, pendant ce +temps-là , me passait sa cuisse droite entre les miennes et sa gauche par +dessous, et, dans cette posture, elle se frottait contre ma cuisse +droite, en me mettant la langue dans la bouche et me donnant de petits +coups sur la fesse avec la main. Après qu'elle se fut un peu remuée de +cette façon-là , je crus sentir qu'elle me mouillait la cuisse. Elle +poussait des soupirs: je m'imaginais que c'était la peur du tonnerre qui +faisait cela. Je la plaignais; mais bientôt elle reprit sa posture +naturelle. Je croyais qu'elle allait s'endormir, et je me préparais à en +faire autant, quand elle me dit: Tu dors donc, Suzon? Je lui répondis +que non, mais que j'allais bientôt le faire.--Tu veux donc, reprit-elle, +me laisser mourir de frayeur? Oui, je mourrai si tu te rendors; +donne-moi la main, ma chère petite: donne. Je me laissai prendre la +main, qu'elle porta aussitôt à sa fente, en me disant de la chatouiller +avec mon doigt dans le haut de cet endroit. Je le fis par amitié pour +elle. J'attendais qu'elle me dît de finir, mais elle ne disait mot, +écartait seulement les jambes et respirait un peu plus vite qu'à +l'ordinaire, en jetant de temps en temps quelques soupirs et en remuant +le derrière. Je crus qu'elle se trouvait mal, et je cessai de faire +aller le doigt.--Ah! Suzon, me dit-elle d'une voix entrecoupée, achève! +Je continuai. Ah! s'écria-t-elle en s'agitant bien fort et en +m'embrassant étroitement, dépêche, ma petite reine, dépêche! Ah! ah! +vite, ah!... je me meurs! Au moment qu'elle disait cela, tout son corps +se roidit et je me sentis de nouveau la main mouillée; enfin, elle +poussa un grand soupir et resta sans mouvement. Je t'assure, Saturnin, +que j'étais bien étonnée de tout ce qu'elle me faisait faire.--Et tu +n'étais pas émue? lui dis-je.--Oh! que si, me répondit-elle; je voyais +bien que tout ce que je venais de lui faire lui avait donné beaucoup de +plaisir, et que si elle voulait m'en faire autant j'en aurais beaucoup +aussi; mais je n'osais le lui proposer. Elle m'avait cependant mise dans +un état bien embarrassant. Je désirais et je n'osais lui dire ce que je +désirais: je remettais avec plaisir la main sur sa fente; je prenais la +sienne, que je portais, que je faisais reposer sur différents endroits +de mon corps, sans oser pourtant la mettre sur le seul où je sentais que +j'en avais besoin. La soeur, qui savait aussi bien que moi ce que je lui +demandais, et qui avait la malice de me laisser faire, eut à la fin +pitié de mon embarras et me dit en m'embrassant: Je vois bien, petite +coquine, ce que tu veux. Aussitôt elle se couche sur moi, je la reçois +dans mes bras.--Ouvre un peu les cuisses, me dit-elle. Je lui obéis. +Elle me coule le doigt où le mien venait de lui faire tant de plaisir: +elle répétait elle-même les leçons qu'elle m'avait données. Je sentais +le plaisir monter par degré et s'accroître à chaque coup de doigt +qu'elle donnait. Je lui rendais en même temps le même service. Elle +avait les mains jointes sous mes fesses; elle m'avait avertie de remuer +un peu le derrière, à mesure qu'elle pousserait. Ah! qu'elle semait de +délices dans ce charmant badinage! Mais elles n'étaient que le prélude +de celles qui devraient suivre. Le ravissement me fit perdre toute +connaissance; je demeurai pâmée dans les bras de ma chère Monique. Elle +était dans le même état: nous étions immobiles. Je revins ensuite de mon +extase. Je me trouvai aussi mouillée que la soeur, et ne sachant à quoi +attribuer un pareil prodige, j'avais la simplicité de croire que c'était +du sang que je venais de verser; mais je n'en étais pas effrayée, au +contraire; il semblait que le prodige que je venais de goûter m'eût mise +en fureur, tant je me sentais envie de recommencer. Je le dis à Monique; +elle me répondit qu'elle était lasse et qu'il fallait attendre un peu. +Je n'en eus pas la patience et je me mis sur elle, comme elle venait de +se mettre sur moi. J'entrelaçai mes cuisses dans ses cuisses, et me +frottant comme elle l'avait fait, je retombais en extase.--Eh bien, me +dit la soeur chargée des témoignages que je lui donnais du plaisir que +je ressentais, es-tu fâchée, Suzon, que je sois venue dans ton lit? Oui, +je gage que tu me veux du mal d'être venue te réveiller.--Ah! lui +répondis-je, que vous savez bien le contraire! Que pourrais-je vous +donner pour une nuit aussi charmante?--Petite coquine, reprit-elle en me +baisant, va, je ne te demande rien: n'ai-je pas eu autant de plaisir que +toi? Ah! que tu viens de m'en faire goûter! Dis-moi, ma chère Suzon, +poursuivit-elle, ne me cache rien: n'avais-tu jamais pensé à ce que nous +venons de faire? Je lui dis que non. Quoi! reprit-elle, tu ne t'étais +jamais mis le doigt dans ton petit conin? Je l'interrompis pour lui +demander ce qu'elle entendait par ce mot. Eh! c'est cette fente, me +répondit-elle, où nous venons de nous chatouiller. Quoi! tu ne savais +pas encore cela? Ah! Suzon, à ton âge, j'en savais plus que +toi.--Vraiment, lui répondis-je, je n'avais garde de goûter de ce +plaisir. Vous connaissez le père Jérôme, notre confesseur: c'est lui qui +m'en a toujours empêchée. Il me fait trembler quand je me confesse; il +ne manque pas de me demander exactement si je ne fais pas d'impuretés +avec mes compagnes, et il me défend surtout d'en faire sur moi-même. +J'ai toujours eu la simplicité de l'en croire; mais je sais à présent à +quoi m'en tenir sur ses défenses.--Et comment, me dit Monique, +t'explique-t-il ces impuretés qu'il te défend de faire sur +toi-même?--Mais, lui répondis-je, il me dit, par exemple, que c'est +quand on se met le doigt où vous savez, quand on se regarde les cuisses, +la gorge. Il me demande si je ne me sers pas de miroir pour m'examiner +autre chose que le visage. Il me fait mille autres questions +semblables.--Ah! le vieux coquin! s'écria Monique; je gage qu'il ne +cesse de t'entretenir de cela.--Vous me faites, dis-je à la soeur, +prendre garde à certaines actions qu'il fait pendant que je suis dans +son confessionnal et que j'ai toujours prises sottement pour des marques +d'amitié. Le vieux scélérat! J'en connais à présent le motif.--Eh! +quelles actions donc? me demanda vivement la soeur.--Ces actions, lui +répondis-je, c'est de me baiser à la bouche, en me disant de m'approcher +pour qu'il entende mieux, de me considérer attentivement la gorge +pendant que je lui parle, de m'y mettre la main dessus, et de me +défendre de la montrer, sous prétexte que c'est un acte de coquetterie; +et malgré ses sermons il ne tire pas sa main, qu'il avance de plus en +plus sur mon sein, et pousse même quelquefois jusqu'à mes tétons. Quand +il l'ôte, c'est pour la porter aussitôt sous sa robe, qu'il remue avec +de petites secousses. Il me presse alors entre ses genoux; il m'approche +avec avec sa main gauche, il soupire, ses yeux s'égarent; il me baise +plus fort qu'à l'ordinaire, ses paroles sont sans suite; il me dit des +douceurs et me fait des remontrances en même temps. + +Je me souviens qu'un jour, en retirant la main de dessous sa robe pour +me donner l'absolution, il me couvrit toute la gorge de quelque chose de +chaud qui se répandit par petites gouttes. Je l'essuyai au plus vite +avec mon mouchoir, dont je n'ai pas pu me servir depuis. Le père, tout +interdit, me dit que c'était de la sueur qui coulait de ses doigts. +Qu'en pensez-vous, ma chère Monique? dis-je à la soeur.--Je te dirai +tout à l'heure ce que c'était, me répondit-elle. Ah! le vieux pécheur! +Mais sais-tu bien, Suzon, continua-t-elle, que tu viens de me conter ce +qui m'est arrivé avec lui?--Comment donc, lui dis-je, vous ferait-il +aussi quelque chose à vous?--Non, assurément, me répondit-elle, car je +le hais à la mort, et je ne vais plus à lui depuis que je suis devenue +plus savante.--Et comment avez-vous donc appris, lui demandais-je, à +connaître ce qu'il vous faisait?--Je consens à te le dire, me répondit +la soeur; mais sois discrète, car tu me perdrais, ma chère Suzon. + +--Je ne sais, Saturnin, poursuivit ma soeur après un moment de silence, +si je dois révéler tout ce qu'elle m'apprit. L'envie de savoir une +histoire dont le prélude me charmait me fournit des expressions pour +vaincre l'irrésolution de Suzon. Je mêlai les caresses aux assurances et +je vins à bout de la persuader. C'est la soeur Monique qui va s'exprimer +par la bouche de Suzon. Quelque emporté que doive paraître le caractère +de cette soeur, je crains que mes expressions ne soient encore +au-dessous de la réalité. Le peu de temps que j'ai passé avec elle m'en +a fait concevoir une idée que je ne saurais rendre bien fidèlement. +Voici comme s'explique cette héroïne: + +Nous ne sommes pas maîtresses des mouvements de notre coeur. Séduites en +naissant par l'attrait du plaisir, c'est à lui que nous en offrons le +premier sentiment. Heureuses celles dont le tempérament ne s'effraye pas +des conseils austères de la raison! Elles y trouvent un secours contre +le penchant de leur coeur. Mais doit-on leur envier leur bonheur? Non. +Qu'elles jouissent du fruit de leur sagesse: elles l'achètent assez +cher, puisqu'elles ne connaissent pas le plaisir. Eh! qu'est-ce que +cette sagesse, après tout, dont on nous étourdit les oreilles: Une +chimère, un mot consacré à exprimer la captivité où l'on retient notre +sexe. Les éloges que l'on fait de cette vertu imaginaire sont pour nous +ce qu'est pour un enfant un hochet qui l'amuse et l'empêche de crier. +Des vieilles que l'âge a rendues insensibles au plaisir, ou plutôt que +la retraite leur interdit, croient se dédommager de l'impuissance de le +goûter par les portraits hideux qu'elles nous en font. Laissons-les +dire, Suzon. Quand on est jeune, on ne doit avoir d'autre maître que son +coeur: ce n'est que lui qu'il faut écouter, ce n'est qu'à ces conseils +qu'il faut se rendre. Tu croiras facilement qu'ayant de pareilles +inclinations, il ne fallait pas moins que la contrainte d'un cloître +pour m'empêcher de m'y livrer; mais c'est dans le lieu même où l'on +voulait étouffer mes désirs que j'ai trouvé le moyen de les satisfaire. + +Toute jeune que j'étais, quand ma mère, après la mort de son quatrième +mari, vint demeurer dans ce couvent en qualité de dame pensionnaire, je +ne laissai pas d'être effrayée de la résolution qu'elle avait prise. +Sans pouvoir distinguer le motif de ma frayeur, je sentais qu'elle +allait me rendre malheureuse. L'âge en me donnant des lumières, +m'éclaira sur la cause de mon aversion pour le cloître. Je sentais qu'il +me manquait quelque chose, la vue d'un homme. Du simple regret d'en être +privée je passai bientôt à réfléchir sur ce qui pouvait me rendre cette +privation si sensible. Qu'est-ce donc qu'un homme? disais-je. Est-ce une +espèce de créature différente de la notre? Quelle est la cause des +mouvements que sa vue excite dans mon coeur? Est-ce un visage plus +aimable qu'un autre? Non; le plus ou le moins de charmes que je trouve +n'excite que plus ou moins d'émotion. L'agitation de mon coeur est +indépendante de ces charmes puisque le père Jérôme lui-même, tout +désagréable qu'il est, m'émeut quand je suis près de lui. Ce n'est donc +que la seule qualité d'homme qui produit ce trouble; mais pourquoi le +produit-elle? J'en sentais la raison dans mon coeur, mais je ne la +connaissais pas; elle faisait des efforts pour irriter les liens où mon +ignorance la réduisait. Efforts inutiles! Je n'acquérais de nouvelles +connaissances que pour tomber dans de nouveaux embarras. + +Quelquefois je m'enfermais dans ma chambre, je me livrais à des +réflexions: elles me tenaient lieu de compagnie où je me plaisais le +plus. Qu'y voyais-je dans ces compagnies? Des femmes; et quand j'étais +seule, je ne pensais qu'aux hommes; je sondais mon coeur, je lui +demandais raison de ce qu'il sentait; je me déshabillais toute nue; je +m'examinais avec un sentiment de volupté; je portais des regards +enflammés sur toutes les parties de mon corps; je brûlais, j'écartais +les cuisses, je soupirais; mon imagination échauffée me présentait un +homme, j'étendais les bras pour l'embrasser, mon conin était dévoré par +un feu prodigieux: je n'avais jamais eu la hardiesse d'y porter le +doigt. Toujours retenue par la crainte de m'y faire mal, j'y souffrais +les plus vives démangeaisons sans oser les apaiser. Quelquefois j'étais +prête à succomber; mais, effrayée de mon dessein, j'y portais le bout du +doigt, et je le retirais avec précipitation; je me le couvrais avec le +creux de la main, je le pressai. Enfin, je me livrai à la passion, +j'enfonçai, je m'étourdis sur la douleur, pour n'être sensible qu'au +plaisir; il fut si grand que je crus que j'allais expirer. Je revins +avec une nouvelle envie de recommencer, et je le fis autant de fois que +mes forces me le permirent. + +J'étais enchantée de la découverte que je venais de faire: elle avait +répandu la lumière dans mon esprit. Je jugeai que, puisque mon doigt +venait de me procurer de si délicieux moments, il fallait que les hommes +fissent avec nous ce que je venais de faire seule, et qu'ils eussent une +espèce de doigt qui leur servît à mettre où j'avais mis le mien, car je +ne doutais pas que ce ne fût là la véritable route du plaisir. Parvenue +à ce degré de lumière, je me sentais agitée du désir violent de voir +dans un homme l'original d'une chose dont la copie m'avait fait tant de +plaisir. + +Instruite par mes propres sentiments de ceux que la vue des femmes fait +réciproquement naître dans le coeur des hommes, je joignis à mes charmes +tous les petits agréments dont l'envie de plaire a inventé l'usage. Se +pincer les lèvres avec grâce, sourire mystérieusement, jeter des regards +curieux, modestes, amoureux, indifférents; affecter de ranger, de +déranger son fichu, pour faire fixer les yeux sur sa gorge; en +précipiter adroitement les mouvements, se baisser, se relever, je +possédais ces petits talents dans le dernier degré de la coquetterie; je +m'y exerçais continuellement: mais, ici, c'était les posséder en pure +perte. Mon coeur soupirait après la présence de quelqu'un qui connût le +prix de mon savoir et qui me fît connaître l'effet qu'il aurait produit +sur lui. + +Continuellement à la grille, j'attendais que mon bonheur m'envoyât ce +que je souhaitais depuis longtemps inutilement: je me faisais l'amie de +toutes les pensionnaires que les frères venaient voir. En demandait-on +quelqu'une, je ne manquais pas de passer sans affectation devant le +parloir: on m'appelait, j'y courais, et j'ose dire que ceux que j'y +trouvais ne me voyaient pas impunément. + +J'y examinais un jour un beau garçon dont les yeux noirs et vifs me +rendaient avec usure mes regards. Un sentiment délicat et piquant, +détaché même du plaisir ordinaire que la présence des hommes me +procurait, fixait agréablement mon attention sur lui. L'opiniâtreté de +mes regards qu'il avait d'abord reçus avec assez d'indifférence, anima +les siens: il ne les détourna pas de dessus moi. Il n'était rien moins +que timide, ou plutôt il était d'une hardiesse qui, soutenue des charmes +de sa figure, lui répondait du succès avec toutes les femmes qu'il +voulait attaquer. Il profitait des moments que sa soeur détournait la +vue pour me faire des signes auxquels je ne comprenais rien, mais que ma +petite vanité voulait que je fisse semblant d'entendre, et que +j'autorisais par des sourires qui l'enhardirent au point de lui faire +faire des gestes que je compris parfaitement bien. Il porta la main +entre ses cuisses: je rougis, et, malgré moi, j'en suivis du coin de +l'oeil le mouvement. Il la tira en faisant signe avec la main gauche, +qu'il appuya au-dessus du poignet de la droite: il ne fallait pas être +bien savante pour sentir qu'il voulait dire que ce qu'il venait de +toucher était de cette longueur. Son action m'avait mise en feu. La +pudeur voulait que je m'éloignasse, mais la pudeur fait une faible +résistance quand le coeur est d'intelligence pour la trahir. L'amour me +faisait rester. Je baissai timidement la vue, mais bientôt je portai sur +Verland (c'était son nom) des yeux que je voulais faire paraître irrités +et que le plaisir rendait languissants. Il le sentit: il vit que je +n'avais pas la force de le désapprouver: il profita de ma faiblesse, et +pour ne me rien laisser à désirer sur l'ardeur dont ses regards me +témoignaient qu'ils étaient animés, il joignit le premier doigt de la +main gauche avec le pouce, et mit dans cette espèce de fente le second +doigt de sa main droite: il le poussait, le retirait et jetait des +soupirs. Le fripon me rappelait par là des circonstances trop charmantes +pour me laisser la force de lui témoigner la colère que méritait ce +nouveau manque de respect. Ah! Suzon, que j'étais contente de lui! et +que je me figurais que je l'aurais été bien davantage, si nous nous +fussions trouvés seuls; mais, quand nous l'aurions été, une grille +impénétrable eût arrêté nos plaisirs. + +Dans le moment on appela ma compagne; elle nous dit qu'elle allait voir +ce qu'on lui voulait et qu'elle ne tarderait pas à revenir. Son frère +profita de cet instant pour s'expliquer plus clairement; il ne me tint +pas de grands discours, mais ils signifiaient beaucoup. Quoique le +compliment ne fût pas absolument poli, il me parut si naturel que je +m'en souviens avec plaisir. Nous autres femmes, nous sommes plus +flattées d'un discours où la nature parle toute seule, quelque peu +mesurées qu'en soient les expressions, que de ces galanteries fades que +le coeur désavoue et que le vent emporte. Revenons au compliment de +Verland; le voici: «Nous n'avons pas de temps à perdre; vous êtes +charmante, je bande comme un carme, je meurs d'envie de vous le mettre; +enseignez-moi un moyen de passer dans votre couvent.» Je fus si étourdie +de ses paroles et de l'action dont il les dit, que je demeurai immobile, +de façon qu'il eut le temps de passer la main au travers de la grille, +de me prendre les tétons, de me les manier, et de me dire encore +d'autres douceurs de la même force avant que je fusse revenue de ma +surprise; et quand j'en revins, je me trouvai si peu en état d'arrêter +ses transports, que sa soeur le surprit dans cette occupation; elle fit +le lutin, me dit des injures, en dit à son frère, et je ne le revis +plus. + +Tout le couvent sut bientôt mon aventure: on chuchotait, on me +regardait, on riait, on parlait, on se raillait. Je m'en inquiétais fort +peu, pourvu que le murmure ne passât pas les pensionnaires. J'étais sûre +de la discrétion des jolies, mais je ne l'étais pas trop de celle des +laides. Celles-ci, qui étaient sûres de n'avoir jamais de pareilles +occasions de pécher, crièrent au scandale, bas d'abord, puis haut, et si +haut que les vieilles le surent. J'en avais ri au commencement; je +tremblai alors, et j'avais bien raison de trembler, car les mères +discrètes assemblèrent le conseil pour délibérer entre elles sur ce que +l'on ferait à une effrontée qui se laissait toucher les tétons, crime +irrémissible aux yeux d'une bande de vieilles momies qui n'avaient plus +que des tétasses à jeter sur l'épaule. On trouva le cas grave: tout +autre que moi eût été renvoyée. Que je l'aurais souhaité! Mais je devais +apporter une bonne dot. Ma mère les les avait assurées que je prendrais +le voile: on me ménagea, et le résultat du conseil fut qu'on me +châtierait. On se mit en devoir de le faire: je l'avais prévu. Je +m'étais cantonnée dans ma chambre: on força ma porte, on m'attaqua. Je +mordis l'une, j'égratignais l'autre, donnai des coups de pied, déchirai +des guimpes, arrachai des bonnets; enfin, je me défendis si bien que mes +ennemies renoncèrent à leur entreprise. Elles n'emportèrent de leur +action que la honte d'avoir fait voir que six mères n'avaient pu réduire +une jeune fille: j'étais une lionne dans ce moment. + +La rage et le soin de ma défense m'avaient jusqu'alors entièrement +occupée. Je ne songeai qu'à donner le démenti aux vieilles, mais je +devins bientôt aussi faible que j'étais hardie et vigoureuse auparavant. +La colère fit place au désespoir. Moins flattée du plaisir de me voir en +sûreté que pénétrée de l'affront qu'on avait voulu me faire, mon visage +était baigné de larmes. Comment reparaître dans le couvent? disais-je; +je vais être moquée: peu me plaindront, toutes me fuiront. Ah! me voilà +couverte de honte! mais je veux aller trouver ma mère, poursuivis-je; +elle pourra me blâmer, mais peut-être me pardonnera-t-elle. Un garçon +m'a... Eh bien, où est donc le grand crime? Y ai-je consenti? C'est +ainsi que je raisonnais. Oui, continuai-je, je vais la trouver. Je me +levai de dessus mon lit à ce dessein, et j'y aurais été, si, en faisant +un pas pour ouvrir la porte, je n'eusse marché sur quelque chose qui +roula et me fit tomber. + +Je voulus voir ce qui pouvait m'avoir fait faire cette chute: je +cherchai, je trouvai. Figure-toi ce que je devins à la vue d'une machine +qui représentait au naturel une chose dont mon imagination m'avait +souvent fait la peinture: un vit!--Un vit! eh! qu'est-ce que cela? +demandai-je à la soeur.--Ah! me dit-elle, il ne tiendra qu'à toi de ne +pas rester longtemps dans cette ignorance. Jolie comme tu es, que +d'aimables cavaliers se trouveront heureux de pouvoir t'instruire! Mais +ils n'en auront pas la gloire: c'est à moi qu'elle est réservée. Un vit, +ma chère Suzon, est le membre d'un homme; on l'appelle le membre par +excellence, parce qu'il est le roi de tous les autres. Ah! qu'il mérite +bien ce nom! Mais si les femmes lui rendaient la justice qu'il mérite, +elles l'appelleraient leur dieu, oui, c'en est un; le con est son +domaine, le plaisir est son élément, il va le chercher dans les replis +les plus cachés; il pénètre, il s'y plonge, il le goûte, il le fait +goûter; il y naît, il y vit, il y meurt et renaît aussitôt pour le +goûter encore. Mais ce n'est pas à lui seul qu'il doit tout son mérite. +Soumis aux lois de l'imagination et de la vue, sans elles il ne peut +rien; il est mou, lâche, petit, et n'ose se montrer; avec elles, fier, +ardent, impétueux, il menace, s'élance, brise, renverse tout ce qui ose +lui faire résistance.--Attendez, dis-je à la soeur en l'interrompant, +vous oubliez que vous parlez à une novice; mes idées se perdent dans +votre éloge; je sens que j'adorerai quelque jour ce dieu dont vous +parlez; mais il est encore étranger pour moi; avant d'aimer il faut +connaître; proportionnez vos expressions à la faiblesse de mes +connaissances; expliquez-moi d'une manière simple tout ce que vous venez +de me dire.--Je le veux bien, me répondit la soeur. Le vit est mou, +lâche et petit quand il est dans l'inaction, c'est-à -dire quand les +hommes ne sont pas excités ou par la vue d'une femme ou par les idées +qui leur en viennent; mais offrons-nous à leurs yeux, découvrons la +gorge, laissons voir nos tétons, montrons-leur une taille fine, une +jambe dégagée,--les grâces d'un joli visage ne sont pas toujours +nécessaires,--un rien les frappe, leur imagination travaille; elle +s'exerce, elle pénètre toutes les parties de notre corps; elle se fait +les plus beaux portraits, donne de la fermeté à des tétons qui souvent +n'en ont guère, se représente un sein appétissant, un ventre blanc et +poli, des cuisses rondes et potelées, fermes, une petite motte rebondie, +un petit conin entouré de tous les charmes de la jeunesse: ils pensent +alors qu'ils goûteraient des délices inexprimables s'ils pouvaient y +mettre leur vit. Dans ce moment le vit devient gros, s'allonge, se +durcit; plus il est gros, plus il est long, plus il est dur plus il fait +de plaisir à une femme parce qu'il remplit davantage, frotte bien plus +fort, entre bien plus avant, procure des délices, des élancements qui +vous ravissent.--Ah! dis-je à Monique, que ne vous dois-je pas! Je sais +à présent le moyen de plaire, et je ne manquerai pas, dans l'occasion, +de me découvrir la gorge, de montrer mes tétons.--Prends-y garde! me dit +la soeur; ce n'est pas le vrai moyen de plaire, il faut plus d'art que +tu ne penses. Les hommes sont bizarres dans leurs désirs; ils seraient +fâchés de devoir à notre facilité des plaisirs qu'ils ne peuvent +pourtant pas goûter sans nous; leur jalousie les indispose contre tout +ce qui ne vient pas d'eux-mêmes; ils veulent qu'on ne leur présente les +objets que couvert d'une gaze légère, qui laisse quelque chose à faire à +leur imagination, et les femmes n'y perdent rien: elles peuvent se +reposer sur l'imagination des hommes du soin de peindre leurs charmes; +libérale pour ce qui la flatte, elle ne les peindra pas à leur +désavantage. Tu ne sais pas que c'est cette peinture que les hommes se +font qui fait naître leurs désirs ou l'amour,--c'est la même chose,--car +quand on dit: Monsieur de... est amoureux de madame..., c'est la même +chose que si l'on disait: Monsieur de... a vu madame...; sa vue a excité +des désirs dans son coeur; il brûle d'envie de lui mettre son vit dans +le con. Voilà véritablement ce que cela veut dire; mais comme la +bienséance exige qu'on ne dise pas ces choses-là on est convenu de dire: +Monsieur de... est amoureux. + +Charmée de tout ce que la soeur me disait, je m'impatientais +de ne pas savoir le reste de son histoire. Je la pressai de +continuer.--Volontiers, me dit-elle; nous nous sommes un peu arrêtées, +mais ce détail était nécessaire pour ton instruction. Revenons à la +surprise que me causa la vue de cette machine ingénieuse que je venais +de ramasser. + +J'avais mille fois ouï parler de godmiché: je savais que c'était avec +cet instrument que nos bonnes mères se consolaient des rigueurs du +célibat. Cette machine imite le vit; elle est destinée à en faire les +fonctions; elle est creuse et s'emplit de lait chaud, pour rendre la +ressemblance plus parfaite, et suppléer par ce lait artificiel à celui +que la nature fait couler du membre d'un homme. Quand celles qui s'en +servent se sont mises, par un frottement réitéré, dans la situation +d'avoir quelque chose de plus, elles lâchent un petit ressort: le lait +part et les inonde. Elles trompent ainsi leurs désirs par une imposture +dont la douceur leur fait oublier celle de la réalité. + +Je jugeai que l'agitation avait fait tomber ce précieux bijou de la +poche de quelqu'une des mères qui m'étaient venues attaquer. Je n'étais +pourtant pas sûre que ce fût véritablement un godmiché; mais mon coeur +me le disait. Cette vue dissipa toute ma douleur: je ne pensai plus qu'à +ce que je tenais dans ma main, et je voulus sur-le-champ en faire +l'essai. Sa grosseur m'effrayait à la vérité, mais elle m'animait. Mes +craintes cédèrent bientôt à l'ardeur que sa vue m'inspirait. Une douce +chaleur, avant-coureur du plaisir que j'allai goûter se répandit par +tout mon corps; il tremblait de l'émotion où j'étais, et je poussais de +longs soupirs. + +Crainte de surprise, je commençai par fermer la porte; et, sans quitter +les yeux de dessus le godmiché, je me déshabillai avec toute l'ardeur +d'une jeune mariée que l'on va mettre dans le lit nuptial. L'idée du +secret qui devait ensevelir les plaisirs dont j'allais m'enivrer leur +donnait une pointe de vivacité qui m'enchantait. Je me jetai sur mon +lit, mon cher godmiché à la main; mais, ma chère Suzon, quelle fut ma +douleur quand je vis que je ne pouvais pas le faire entrer! Je me +désespérai, je fis des efforts capables de déchirer mon pauvre petit +conin. Je l'entr'ouvrais, et, appuyant le godmiché dessus, je me faisais +un mal insupportable. Je ne me rebutais pas. Je crus que si je me +frottais avec de la pommade, cela m'ouvrirait davantage. J'en mis; +j'étais en sang, et ce sang mêlé avec la pommade et ce que la fureur où +j'étais faisait sortir de mon con avec un plaisir qui me transportait, +aurait sans doute ouvert le passage, si l'instrument n'eût été d'une +grosseur prodigieuse. Je voyais le plaisir près de moi, et je n'y +pouvais atteindre. J'étais forcenée, je redoublais mes efforts, mais +inutilement, le godmiché maudit rebondissait et ne me laissait que la +douleur. Ah! m'écriai-je, si Verland était ici, l'eût-il encore plus +gros, je me sens assez de courage pour le souffrir. Oui, je le +souffrirais, je le seconderais, dût-il me déchirer, dussé-je en mourir; +je mourrais contente, pourvu qu'il me le mît. S'il me faisait de la +douleur, reprenais-je, que les plaisirs qu'il me donnerait rendraient +cette douleur bien douce! Je le tiendrais dans mes bras, je le serrerais +étroitement, il me serrerait de même; je collerais sur sa bouche +vermeille des baisers enflammés; je les prodiguerais sur ses yeux, ses +beaux yeux noirs pleins de feux; il me tiendrait dans ses bras; quelle +volupté! Il répondrait à mes transports par des transports aussi vifs; +j'en ferais mon idole! Oui, je l'adorerais: un beau garçon comme lui +mérite de l'être. Nos âmes se confondraient; elles s'uniraient sur nos +lèvres brûlantes. Ah! cher Verland, pourquoi n'es-tu pas ici? Quelles +délices! L'amour en inventerait pour nous, je me livrerais à tout ce que +la passion m'inspirerait. Mais, hélas! reprenais-je, pourquoi m'abuser +par une si douce illusion? Je suis seule, hélas! je suis seule, et, pour +comble de douleur, je tiens dans mes mains une ombre, une apparence de +plaisir, qui ne sert qu'à augmenter mon désespoir, qui m'inspire des +désirs sans pouvoir les satisfaire. Instrument maudit, continuai-je, en +apostrophant le godmiché et en le jetant au milieu de la chambre avec +rage, va faire les délices d'une malheureuse à qui tu peux servir; tu ne +feras jamais les miennes: mon doigt vaut mille fois mieux que toi! J'y +eus aussitôt recours et me donnai tant de plaisir, que j'oubliai la +perte ceux que je m'étais promis d'avoir avec le godmiché. Je tombai +épuisée de lassitude et m'endormis en pensant à Verland. + +Je ne me réveillai le lendemain que fort tard; le sommeil avait amorti +mes transports amoureux; mais n'avait rien changé à la résolution que +j'avais prise de sortir du couvent. Les mêmes raisons qui m'avaient +déterminée à prendre cette résolution me firent encore sentir avec plus +de force la nécessité de l'exécuter. Je me regardai dès lors comme +libre, et le premier usage que je fis de ma liberté fut de tranquilliser +au lit jusqu'à dix heures. La cloche eut beau sonner, je ne parus pas. +Je m'applaudissais du dépit que ma désobéissance devrait causer à nos +vieilles. Je me levai à la fin, je m'habillai; et pour me mettre dans +l'obligation de suivre mon dessein, je commençai par déchirer mon voile +de pensionnaire, que je regardais comme une marque de servitude. Je me +sentis le coeur plus libre: il me semblait que je venais de franchir une +barrière qui jusque-là s'était opposée à ma liberté. Mais comme j'allais +et je venais dans ma chambre, ce maudit godmiché se présente encore à +mes yeux. Cette vue me rend immobile; je m'arrête, je le prends; je vais +m'asseoir sur mon lit, je me mets à considérer l'instrument. Qu'il est +beau! disais-je en le prenant avec complaisance dans la main, qu'il est +long, qu'il est doux! C'est dommage qu'il soit si gros: à peine ma main +peut-elle l'empoigner! Mais il m'est inutile... Non, jamais il ne pourra +me servir, continuai-je en levant ma jupe et en essayant de nouveau de +le faire entrer dans un endroit qui me faisait encore une douleur +cuisante des efforts que j'avais fait la veille. J'y trouvai les mêmes +difficultés, et il fallut encore me contenter de mon doigt. Je +travaillai avec tout le courage que la vue de l'instrument m'inspirait, +et je poussai les choses au point que les forces me manquèrent. Je +demeurai insensible au plaisir même que je me donnais: ma main n'allait +plus que machinalement, et mon coeur ne sentait rien. Ce dégoût +momentané me fit naître une idée qui me flatta beaucoup. Je vais sortir, +me dis-je, je n'ai plus rien à ménager: sortons avec éclat; je veux +porter cet instrument à la mère supérieure: nous verrons comment elle +soutiendra cette vue. + +Je jouissais d'avance, en allant à l'appartement de la supérieure, de la +confusion que j'allais lui causer en lui montrant le godmiché. Je la +trouvai seule; je l'abordai d'un air libre.--Je sais bien, madame, lui +dis-je, qu'après ce qui s'est passé hier et l'affront que vous avez +voulu me faire, je ne peux plus rester avec honneur dans votre couvent. +(Elle me regardait avec surprise et sans me répondre, ce qui me donna la +liberté de continuer.) Mais, madame, sans en venir à de pareilles +extrémités, si j'avais fait une faute, et c'est de quoi je ne conviens +pas, puisque la violence que l'indigne Verland me faisait m'ôtait la +liberté de me défendre, vous auriez pu vous contenter de me faire une +réprimande; quoique je ne l'eusse pas méritée, je l'aurais soufferte et +je me serais bornée à gémir sans me plaindre, puisque les apparences +parlaient contre moi.--Une réprimande, mademoiselle, me répondit-elle +alors sèchement, une réprimande pour une action comme la vôtre! Vous +méritez une punition exemplaire, et sans les égards que nous avons pour +madame votre mère, qui est une sainte dame, vous...--Vous ne punissez +pas toutes les coupables, interrompis-je vivement, et vous en avez dans +le couvent qui font bien autre chose!--Bien autre chose? reprit-elle; +nommez-les moi, je les châtierai.--Je ne vous les nommerai pas, lui +répondis-je, mais je sais qu'il y en avait une parmi celles qui m'ont +traitée hier avec tant d'indignité.--Ah! s'écria-t-elle, c'est pousser +trop loin l'effronterie! c'est pousser la corruption du coeur et le +dérèglement de l'esprit jusqu'où ils peuvent aller! Juste ciel; joindre +la calomnie aux actions les plus criminelles, accuser les plus saintes +de nos mères, des exemples de vertu, de chasteté et de pénitence, quelle +dépravation du coeur! Je lui laissai tranquillement achever son éloge, +et quand je vis qu'elle s'arrêtait, je tirai froidement le godmiché de +ma poche, et le lui présentant: Voilà , lui dis-je du même air, une +preuve de leur sainteté, de leur vertu, de leur chasteté, ou du moins de +l'une d'elles! J'examinais pendant ce temps-là le visage de notre bonne +supérieure. Elle me regardait, rougissait, était interdite: ces +témoignages involontaires ne me laissèrent pas douter que le godmiché ne +fût à elle; j'en fus encore plus convaincue par son ardeur à me le +retirer des mains.--Ah! ma chère enfant, dit-elle (la restitution que je +venais de lui faire m'avait réconciliée avec elle), ah! ma chère fille, +se peut-il que dans une maison où il y a tant d'exemples d'édification, +il se trouve des âmes assez abandonnées de Dieu pour faire usage d'une +pareille infamie? Ah! mon Dieu! j'en suis toute hors de moi. Mais, ma +chère fille, ne dites jamais que vous avez trouvé cela: je serais forcée +d'user de sévérité, de faire des recherches, et je veux prendre le parti +de la douceur. Mais vous, ma chère enfant, pourquoi voulez-vous nous +quitter? Allez, retournez-vous en dans votre chambre, je raccomoderai +tout: je dirai qu'on s'est trompé. Comptez sur mon affection, car je +vous aime beaucoup. Soyez sûre qu'on ne vous verra pas de plus mauvais +oeil, malgré ce qui s'est passé. Je vois bien qu'effectivement nous +avons eu tort de vous traiter comme cela: vous n'étiez pas coupable. Je +parlerai sur le bon ton à Mlle Verland. Jésus, mon Dieu, continua-t-elle +en regardant le godmiché, que le démon est malin. Je crois, le ciel me +pardonne, que c'est un... Ah! la vilaine chose! + +Au moment où la supérieure achevait ces mots, ma mère entra.--Qu'ai-je +donc appris, madame? dit-elle à la supérieure? et sur-le-champ +m'adressant la parole: Et vous, mademoiselle, pourquoi vous trouvez-vous +ici? Il fallait répondre; j'étais déconcertée, je rougissais, je baissai +les yeux; on me pressa, je bégayai. La supérieure parla pour moi; elle +le fit avec esprit. Si elle ne me donna pas tout à fait le tort dans la +conduite qu'on avait tenue avec moi, elle ne me chargea pas assez pour +faire croire que je fusse bien coupable. Ma faute passa pour une +imprudence où le coeur n'avait eu aucune part, pour une violence de la +part d'un jeune téméraire que l'on promit bien de ne plus laisser +revenir à la grille, et on conclut qu'il n'y avait que mademoiselle +Verland de criminelle, puisque c'était elle qui avait fait éclater une +chose qu'elle devait taire si ce n'était pour l'honneur de son frère, du +moins pour le mien, qui pourtant n'en souffrirait point, parce que, dit +la supérieure, elle voulait réparer l'insulte qu'on m'avait faite. Je +n'en pouvais pas souhaiter davantage. Je sortis blanche comme neige +d'une aventure où, sans me faire injure, on pouvait mettre le tort de +mon côté; mais je n'avais garde d'en tomber d'accord. Ma mère me +plaignit et me parla avec une douceur qui me toucha. + +Les âmes zélées pour la gloire de Dieu savent tirer parti de tout. Il +fut arrêté entre la supérieure et ma mère qu'ayant eu le malheur de +scandaliser, quoique involontairement, le prochain, il fallait me +réconcilier avec le Père des miséricordes et m'approcher du sacrement de +la pénitence. On me fit là -dessus bien des exhortations que je passe, +pour ne pas t'ennuyer. + +Ma mère m'avait presque convertie avec ses sermons. Cependant la peine +que je sentais à avouer mes fautes aurait dû me faire douter de ma +conversion, et le père Jérôme m'en arrachait l'aveu plutôt que je ne lui +faisais. Dieu sait quel plaisir il avait, ce vieux pécheur! Je ne lui en +avais jamais tant dit; encore ne sut-il pas tout; car je ne crois pas +que Dieu puisse faire grand crime à une pauvre fille de chercher à se +soulager quand elle est pressée. Elle ne s'est pas faite elle-même; +est-ce sa faute si elle a des désirs, si elle est amoureuse? Est-ce sa +faute si elle n'a pas de mari pour la contenter? Elle cherche à apaiser +ces désirs qui la dévorent, ce feu qui la brûle; elle se sert des moyens +que la nature lui donne: rien de moins criminel. + +Malgré les petits mystères que j'avais faits au père Jérôme, je ne +laissais pas d'être pénétrée. Etait-ce repentir? Non. La véritable cause +était le refus que le père m'avait fait de me donner l'absolution. Je +craignis qu'il ne fournît une nouvelle matière à la médisance; j'en +étais touchée jusqu'aux larmes. Je craignais qu'en allant offrir ma +confusion aux yeux de mes ennemies, je ne leur donnasse un nouveau sujet +de triompher. J'allai me placer sur un prie-Dieu, vis-à -vis de l'autel: +mes pleurs m'assoupirent, je m'endormis. J'eus pendant mon sommeil le +rêve le plus charmant; je songeais que j'étais avec Verland, qu'il me +tenait dans ses bras, qu'il me pressait avec ses cuisses. J'écartais les +miennes et me prêtais à tous ses mouvements. Il me maniait les tétons +avec transport, les serrait, les baisait. L'excès du plaisir me +réveilla. J'étais réellement dans les bras d'un homme. Encore toute +occupée des délices de mon songe, je crus que mon bonheur changeait +l'illusion en réalité. Je crus être avec mon amant: ce n'était pas lui! +On me tenait étroitement embrassée par derrière. Au moment que j'ouvris +les yeux, je les refermai de plaisir et n'eus pas la force de regarder +celui qui me le donnait. Je me sentis inondée d'une liqueur chaude, et +quelque chose de dur et de brûlant que l'on m'enfonçait en jetant des +soupirs. Je soupirai aussi, et dans le moment une liqueur semblable que +je sentais s'échapper de toutes les parties de mon corps, avec des +élancements délicieux, se mêlant avec celle que l'on répandait une +seconde fois, me fit retomber sans mouvement sur mon prie-Dieu. + +Ce plaisir qui, s'il durait toujours, serait plus piquant mille fois que +celui qu'on goûte dans le ciel, hélas! ce plaisir finit trop tôt. Je fus +saisie de frayeur en pensant que j'étais seule pendant la nuit dans le +fond d'une église: avec qui? Je ne le savais pas; je n'osais m'en +éclaircir, je n'osais remuer; je fermais les yeux, je tremblais. Mon +tremblement augmenta encore quand je sentis qu'on pressait ma main, +qu'on la baisait. Le saisissement m'empêcha de la retirer, je n'en avais +pas la hardiesse; mais je me rassurai un peu en entendant dire à mes +oreilles, d'une voix basse: Ne craignez rien; c'est moi! Cette voix, que +je me souvenais confusément d'avoir entendue, me rendit le courage, et +j'eus la force de demander qui c'était, sans avoir celle de +regarder.--Eh! c'est Martin, me répondit-on, le valet du père Jérôme. +Cette déclaration dissipa ma frayeur. Je levai les yeux, je le reconnus. +Martin était un blond, éveillé, joli, amoureux. Ah! qu'il l'était! Il +tremblait à son tour, et attendait ma réponse pour fuir ou me baiser +encore. Je ne lui en fis pas, mais je le regardai d'un air riant, avec +des yeux qui se ressentaient encore du plaisir que je venais de goûter. +Il vit bien que ce n'était pas un signe de colère; il se jeta dans mes +bras avec passion; je le reçus de même, et sans penser que si quelqu'un +s'apercevait que je manquais dans le couvent on pourrait venir et nous +trouver ensemble... Te le dirais-je? L'amour rend tout excusable. Sans +respect pour l'autel, sur les marches duquel nous étions, Martin me +pencha un peu, leva mes jupes, porta sa main partout; aussi passionnée +que lui, je portai la mienne à son vit; j'eus pour la première fois de +ma vie le plaisir d'en manier un! Ah! que le sien était joli! petit, +mais long, tel qu'il me le fallait. Quel feu! Quelle démangeaison +voluptueuse se glissa d'abord par tout mon corps! J'étais muette, je +serrais ce cher vit dans ma main, je le considérais, je le caressais, +l'approchais de mon sein, le portais à ma bouche, le suçais; je l'aurais +avalé! Martin avait le doigt dans mon con, le remuait doucement, le +retirait, le remettait et renouvelait ainsi mes plaisirs à chaque +instant, il me baisait, me suçait le ventre, la motte et les cuisses; il +les quittait pour porter des lèvres brûlantes sur ma gorge. En un moment +je fus couverte de ses baisers. Je ne pus pas tenir contre ces attaques +de plaisir. Je me laissai tomber, l'attirant doucement à moi avec mon +bras droit, dont je le serrai amoureusement; je le baisais à la bouche, +tandis que de la main gauche, tenant l'objet de tous mes voeux, je +tâchais de me l'introduire et de me procurer un plaisir plus solide. Un +égal transport le fit coucher sur moi: il se mit à pousser.--Arrête, lui +dis-je d'une voix entrecoupée par mes soupirs, arrête, mon cher Martin; +ne va pas si vite, restons un moment. Aussitôt, me coulant sous lui et +écartant les cuisses, je joignis mes jambes sur ses reins. Mes cuisses +étaient collées contre ses cuisses, son ventre contre mon ventre, son +sein contre mon sein, sa bouche sur ma bouche: nos langues étaient +unies, nos soupirs se confondaient. Ah! Suzon, quelle charmante posture! +Je ne pensais à rien au monde, pas même au plaisir que j'avais, n'étant +occupée qu'à le sentir. L'impatience m'empêcha de le goûter plus +longtemps. Je fis un mouvement, Martin en fit autant, et notre bonheur +s'évanouit; mais avant de le perdre, nous sentîmes combien il était +grand: il semblait qu'il eût ramassé ses traits les plus vifs et les +plus ravissants pour nous en accabler. Nous restâmes sans sentiment, +n'ouvrant les yeux que pour nous presser de nouveau; le plaisir se +refusait à nos efforts. + +Il est temps, poursuivit Monique, de t'apprendre, Suzon, ce que c'était +que cette eau bénite dont le père Jérôme t'arrosa un jour la gorge en te +donnant l'absolution. + +Ma première action, quand Martin fut retiré de mes bras, fut de porter +la main où j'avais reçu les plus grands coups. Le dedans, le dehors, +tout était couvert de cette liqueur dont l'effusion m'avait fait tant de +plaisir; mais elle avait perdu toute sa chaleur et était froide alors +comme de la glace. C'était du foutre. On appelle ainsi une matière +blanche et épaisse qui sort du vit ou du con quand on décharge. La +décharge est l'action qui suit ce frottement voluptueux par où l'on +prélude.--Comment, dis-je à Monique, c'en était donc que vous répandiez +tout à l'heure?--Oui, vraiment, me dit-elle, et tu m'en as donné aussi, +petite friponne! N'as-tu pas senti ton petit conin tout mouillé? C'en +était. + +Mais, ma chère petite, le plaisir que tu as goûté est bien au-dessous de +celui qu'on goûte avec un homme; car ce qu'il nous donne se mêlant avec +ce que nous lui donnons, y rentre, nous pénètre, nous enflamme, nous +rafraîchit, nous brûle. Quelles délices, Suzon! Ah! ma chère Suzon, +elles sont inexprimables; mais écoute le reste de mon aventure, +poursuivit-elle. + +J'étais bien chiffonnée, comme tu peux croire, après l'exercice amoureux +que je venais de faire; je me remis le mieux qu'il me fut possible, et +demandai à Martin quelle heure il était.--Oh! il n'est pas tard, me +répondit-il: je viens d'entendre la cloche du souper.--Je me passerai +bien d'y aller, repris-je; je vais vite me coucher; mais avant que je te +quitte, apprends-moi, mon cher Martin, par quel hasard tu t'es trouvé +ici, et comment as-tu osé venir?...--Oh! pardi! ce n'est pas la +hardiesse qui me manque. V'là comme ç'a été: j'étais venu pour parer +l'église, car, comme vous savez, c'est demain bonne fête; je vous ai +aperçue. M'est avis, ai-je dit à part moi en vous reluquant, que voilà +une demoiselle qui prie bian le bon Dieu! Pardi! ce me suis-je fait, il +faut qu'alle ait bien la rage de la dévotion pour s'en venir à +c't'heure-ci dans l'église, pendant que tretoutes prennent leurs +becquées! mais ne dormirait-elle pas aussi? ce me suis-je dit, voyant +que vous ne bronchiez ni pied ni patte. Pardi! je le croirais bian. +Voyons un peu ça. Je me suis cependant approché tout fin près de vous, +et j'ai vu que vous dormiais. Je sis resté là un petit bout de temps à +vous lorgner, et pendant ce temps-là , mon coeur faisait tic toc, tic +toc. Le guiable est bian fin; Martin, m'a-t-il corné aux oreilles, alle +est bian jolie au moins: v'là un biau coup à faire, mon enfant; si tu +laisses échapper c't'occasion-là , tu ne la retrouveras pas? avise-toi, +Martin. Pardi! je me sis avisé tout de suite. J'ai levé tout doucement +votre collerette, et ai vu deux petits tétons bian blancs. Pardi! j'ai +mis la main dessus, et pis je les ai baisés aussi tout doucement; et +pis, voyant que vous dormiais comme un sabot, j'ai eu envie de faire +autre chose, et c't'autre chose-là , je l'ai faite en vous troussant +bravement vot' cotillon par derrière; et pis j'ai poussé; et pis, dame, +vous savez le reste. + +Malgré son langage grossier, l'air d'ingénuité avec lequel Martin +s'expliquait me charmait.--Eh bien, lui dis-je, mon cher ami, as-tu bien +eu du plaisir?--Oh! pardi! me répondit-il en m'embrassant, j'en ai tant +eu que j'sis prêt à recommencer, si vous voulez.--Non, pas pour le +présent, lui dis-je; peut-être s'apercevrait-on de quelque chose; mais +tu as la clef de l'église; si tu veux venir demain à minuit, tiens la +porte ouverte, je viendrais te trouver; entends-tu Martin?--Oh! morgué! +me répondit-il; c'est bian dit; nous nous en donnerons à coeur-joie; +nous n'aurons pas d'espions à c't'heure-là . Je l'assurai que je m'y +trouverais. La réflexion me fit résister à mon envie et aux prières de +Martin, qui voulait que nous fissions cela encore une petite fois, +disait-il, avant de nous quitter. Mon refus l'aurait plongé dans la +tristesse si je ne l'eusse consolé par l'espérance du lendemain. Nous +nous embrassâmes, je rentrai dans le couvent et regagnai heureusement ma +chambre sans avoir été aperçue. + +Tu devineras facilement que je mourais d'impatience de me visiter et de +savoir en quel état j'étais après les assauts que je venais d'essuyer. +Je sentais une vive cuisson; à peine pouvais-je marcher. J'avais pris +une lumière au dortoir; je tirai bien mes rideaux pour n'être vue de +personne, et m'étant assise sur ma chaise, une jambe sur mon lit et +l'autre sur le plancher, je fis mon examen. Quelle fut ma surprise +lorsque je trouvai que mes lèvres, qui auparavant étaient si fermes et +si rebondies, étaient devenues toutes molles et comme flétries! Les +poils qui les couvraient, quoiqu'ils se ressentissent encore de +l'humidité, formaient d'espace en espace, mille petites boucles. +L'intérieur était d'un rouge vif, enflammé et d'une extrême sensibilité. +La démangeaison m'y faisait porter le doigt, et sur-le-champ la douleur +me forçait de le retirer. Je me frottais contre les bras de mon fauteuil +et les couvrai des marques de la vigueur de Martin. Le plaisir +combattait contre la fatigue; mais mes yeux s'appesantissaient +insensiblement. Je me couchai et dormis d'un sommeil qui ne fut +interrompu que par d'agréables songes qui me rappelaient les délices que +j'avais goûtées. + +On ne me dit rien le lendemain sur mon absence; on la regarda comme un +reste de ressentiment que je devais avoir du traitement que l'on m'avait +fait. Mon air fier confirma cette pensée. J'assistai comme les autres à +l'office; toutes mes compagnes communiaient, moi je ne communiai pas; et +à te dire vrai, je m'étais mise au-dessus de la honte de ne pas suivre +leur exemple. L'amour dissipe les préjugés. La présence de mon amant, +que je voyais rôder dans l'église, me dédommageait assez. Plus d'une +parmi mes compagnes aurait bien quitté au même prix la nourriture +spirituelle. + +Je jetais sur mon amant plus de regards amoureux que je n'en jetais de +dévotion sur l'autel. Aux yeux d'une femme du monde, Martin n'aurait été +qu'un polisson; aux miens c'était l'amour même: il en avait la jeunesse, +il en avait les grâces. Son mérite caché me faisait passer légèrement +sur sa négligence extérieure. Je m'aperçus pourtant qu'il s'était +accommodé ce jour-là et qu'il tâchait de se donner meilleur air qu'à +l'ordinaire. Je lui sus bon gré de son intention, que j'attribuais +plutôt à l'envie de me plaire qu'au mérite de la fête qu'on célébrait. +Rien n'échappe aux yeux d'une amante. Je le voyais regarder les +pensionnaires pour tâcher de me découvrir. Je ne voulais pas qu'il me +reconnût; j'avais soin de me cacher; mais j'aurais été fâchée qu'il +n'eût pas pris cette peine inutile. Que veux-tu, j'en étais amoureuse à +la rage. J'attendais avec impatience la nuit pour lui tenir la parole +que je lui avais donnée. + +Elle vint enfin, cette nuit si ardemment souhaitée. Minuit sonna. Ah! +que je fus alors troublée! Je ne traversai le corridor qu'en tremblant, +et quoique tout le monde fût endormi, je croyais les yeux de tout le +monde ouverts sur moi. Je n'avais, pour me conduire, d'autre lumière que +celle de mon amour. Ah! disais-je en marchant à tâtons dans l'obscurité, +si Martin m'avait manqué de parole, j'en mourrais de douleur! Il était +au rendez-vous, aussi amoureux, aussi impatient que j'avais été +ponctuelle. J'étais vêtue fort légèrement; il faisait chaud, et je +m'étais aperçue la veille que les jupes, les corps, les mouchoirs de +gorge, tout cela était trop embarrassant. Sitôt que je sentis la porte +ouverte, un tressaillement de joie me coupa la parole. Je ne la +recouvrai que pour appeler mon cher Martin à voix basse: il m'attendait; +il accourut dans mes bras, me baisa; je lui rendis caresse pour caresse. +Nous nous tînmes longtemps étroitement serrés. Revenus des premiers +mouvements de notre joie, nous cherchâmes réciproquement à en exciter de +plus grands. Je portai la main à la source de mes plaisirs; il porta la +sienne où je l'attendais avec impatience. Il fut bientôt en état de la +contenter. Il se déshabilla, me fit un lit de ses habits: je me couchai +dessus. Nos plaisirs se succédèrent pendant deux heures avec rapidité et +des mouvements de vivacité qui ne laissaient pas le temps de les +désirer; nous nous y livrions comme si nous ne les eussions pas encore +goûtés ou que nous ne dussions plus les goûter. Dans le feu du plaisir +on ne songe guère à ménager les moyens de l'entretenir. L'ardeur de +Martin ne répondait plus à la mienne; il fallut s'arracher de ses bras +et se retirer. + +Notre bonheur ne dura guère plus d'un mois, et j'y comprends le temps +que la nécessité faisait donner au repos. Quoiqu'il ne fut pas rempli +par le plaisir de voir mon amant, il l'était par celui de penser à lui +et par les agréables idées qui disposaient mon coeur aux délices que sa +présence ramenait. Ah! que les nuits heureuses, que j'ai passées dans +ses bras ont coulé rapidement, et que les suivantes ont été longues! + +Redouble ton attention, ma chère Suzon, renouvelle-moi tes promesses de +m'être toujours fidèle et de ne jamais révéler un secret que je n'ai +confié qu'à toi. Ah! Suzon, qu'il est dangereux d'écouter un penchant +trop flatteur et de s'y livrer sans réflexion! Si les plaisirs que +j'avais goûtés étaient délicieux, l'inquiétude qui les suivit me les fit +payer bien cher. Que je me repentis d'avoir été trop amoureuse! Les +suites de ma faiblesse se présentèrent à mon imagination avec des +circonstances affreuses. Je pleurai, je gémis.--Que vous arriva-t-il +donc? lui demandai-je.--Je m'aperçus, me dit-elle, que mes règles ne +coulaient plus; huit jours s'étaient passés sans les avoir; je fus +surprise de leur interruption, ayant souvent entendu dire que c'était un +signe de grossesse. J'étais souvent attaquée de maux de coeur, de +faiblesses. Ah! m'écriai-je, il n'est que trop vrai, malheureuse! hélas! +je le suis, il n'en faut plus douter, je suis grosse! Un torrent de +larmes succédait à ces accablantes réflexions.--Vous étiez grosse? +dis-je à la soeur avec étonnement. Ah! ma chère Monique, comment +avez-vous fait pour en dérober la connaissance à des yeux +intéressés.--Je n'eus, me répondit-elle, que la douleur de savoir mon +malheur, et non celle d'en essuyer les suites. Martin l'avait causé, il +m'en délivra. Ma grossesse ne m'empêchait pas de me rendre toujours à +nos rendez-vous; j'étais inquiète, j'étais tremblante, mais j'étais +encore plus amoureuse. Le poids victorieux du plaisir m'entraînait. +Qu'en pouvait-il arriver davantage? Mon malheur était à son comble. Ce +qui me l'avait causé devait servir du moins à m'en consoler. + +Une nuit, après avoir reçu de Martin ces témoignages d'un amour +ordinaire qui ne se ralentissait pas, il s'aperçut que je soupirais +tristement; que ma main, qu'il tenait dans la sienne, était tremblante +(quand ma passion était satisfaite, l'inquiétude reprenait dans mon +coeur la place que l'amour y occupait un moment avant); il me demanda +avec empressement la cause de mon agitation, et se plaignit tendrement +du mystère que je lui faisais de mes peines.--Ah! Martin, lui dis-je, +mon cher Martin, tu m'as perdue! Ne dis pas que mon amour pour toi n'est +plus le même, j'en porte dans mon sein une preuve qui me désespère: je +suis grosse! une pareille nouvelle le surprit. L'étonnement fit place à +une profonde rêverie; je ne savais qu'en penser, Martin était toute mon +espérance dans cette circonstance cruelle; il balançait: que devais-je +croire? Peut-être, disais-je, abattue par son silence, peut-être +médite-t-il sa fuite. Il va m'abandonner à mon désespoir. Ah! qu'il +reste! j'aime mieux perdre la vie en l'aimant que mourir faute de le +haïr! Je versais des larmes, il s'en aperçut. Aussi tendre, aussi fidèle +que je craignais de le voir perfide, tandis que je le croyais occupé du +soin de se dérober à mon amour, il ne l'était que de celui de tarir mes +pleurs en me délivrant de leur cause. Il m'annonça, en m'embrassant avec +tendresse, qu'il en avait trouvé le moyen. La joie que me causa cette +promesse n'égala pas celle de m'être trompée dans mes soupçons: il me +rendait la vie. Charmée des assurances qu'il me donnait, je fus curieuse +de savoir quel était ce moyen qu'il prétendait employer pour me délivrer +de mon fardeau. Il me dit qu'il voulait me donner d'une boisson qui +était dans le cabinet de son maître, et dont la mère Angélique avait +fait l'expérience avant moi. Je voulus savoir ce que le père Jérôme +pouvait avoir de particulier avec cette mère. Je la haïssais +mortellement, parce qu'elle avait paru une des plus animées contre moi +le jour de l'aventure de la grille. Je l'avais toujours prise pour une +vestale; que je me trompais! D'autant plus sévère qu'elle savait mieux +déguiser son caractère vicieux, qu'elle voilait sous les apparences de +la vertu ses inclinations corrompues, elle était en intrigue réglée avec +le père Jérôme. Martin m'en apprit toutes les circonstances. Il me dit +qu'en furetant dans les papiers de son maître, il avait trouvé une +lettre où elle lui marquait qu'elle se trouvait, pour l'avoir trop +écouté, dans le même embarras où je me trouvais pour avoir trop écouté +Martin! que le père lui avait envoyé une petite fiole de cette liqueur +dont je devais user; que la mère, en recevant le présent, avait paru +être transportée de joie, et qu'il avait trouvé une seconde lettre par +laquelle elle marquait à son vieil amant que la liqueur avait fait +merveille; qu'on n'avait plus aucune incommodité, et qu'on était prête à +recommencer.--Ah! mon cher ami, dis-je à Martin, apporte-moi dès demain +de cette liqueur: tu me tireras de toutes mes peines! Et, portant mes +vues plus loin, je crus que par le moyen de ces lettres je pourrais +servir ma vengeance et ma haine contre la mère Angélique; je les +demandai à Martin, qui, ne sentant pas combien cette imprudence nous +coûterait cher, crut me marquer son amour en me les apportant le +lendemain avec ce qu'il m'avait promis. + +J'avais fait réflexion que la lumière pourrait me trahir, si on en +apercevait dans ma chambre à pareille heure. Je modérai l'impatience où +j'étais de lire les lettres de la mère: j'attendis que le jour parût; il +vint: je lus; elles étaient écrites d'un style passionné, et aussi peu +mesuré que la figure et les manières de celle qui les avait écrites +l'étaient beaucoup. Elle y peignait sa fureur amoureuse avec des traits, +des expressions dont je ne l'aurais jamais crue capable; enfin, elle ne +se gênait pas, parce qu'elle comptait que le père Jérôme aurait la +précaution, comme elle le lui marquait, de brûler les lettres. Il avait +eu l'imprudence de n'en rien faire, et je triomphais. Je songeai +longtemps de quelle manière je devais me servir de ces lettres pour +perdre mon ennemie. Les rendre moi-même à la supérieure, c'eût été une +démarche trop dangereuse pour moi: il aurait fallu rendre compte de la +façon dont je les avais eues; les faire rendre par quelqu'un, ç'aurait +été l'exposer à des questions dont il ne serait peut-être pas sorti à +son honneur et qui auraient pu entraîner ma perte. Je choisis un autre +parti: ce fut de les porter moi-même à la porte de la supérieure, au +moment où je saurais qu'elle devait rentrer. Je m'arrêtai à cette idée. +Imprudente que j'étais! J'aurais dû brûler ces lettres. Que de chagrins +je m'apprêtais! je m'enlevais mon amant! Cette réflexion, si elle me fût +venue, aurait éteint mon ressentiment. Quelque douceur que la vengeance +me présentât, eût-elle un moment balancé la douleur de perdre Martin? +Non; il m'était mille fois plus précieux que ce qui me flattait le plus +dans ce moment. Je ne remis l'exécution de mon projet que jusqu'au temps +où je serais hors de danger: je le fus bientôt. J'avais demandé à Martin +une trêve de huit jours; elle n'était pas encore expirée. Je crus +pouvoir exécuter alors le dessein que j'avais formé: il eut tout l'effet +que j'en pouvais attendre. La supérieure trouva les lettres, fit venir +la mère Angélique et la convainquit. Peut-être la réflexion eût-elle +obtenu sa grâce, si un crime plus grand, et que les femmes ne pardonnent +jamais, la rivalité, n'eût rendu sa punition nécessaire pour le repos de +la supérieure; car, quoiqu'elle ne manquât pas, comme je te l'ai dit, de +ces secours capables d'émousser la pointe des aiguillons de la chair, il +est bien difficile, quand on a grand appétit, de s'en tenir à cette +nourriture artificielle qui charme la faim sans la calmer. + +Un godmiché n'est qu'un secret pour endormir le tempérament; son sommeil +n'est pas de longue durée; il se réveille, et, furieux de la tromperie +qu'on lui a faite, il ne s'apaise que par la réalité. + +La supérieure était dans ce cas. Une fille qui a acquis quelques +connaissances dans les mystères de l'amour voit clair dans une injure. +Si les objets lui manquent, l'imagination y supplée; elle s'aigrit des +difficultés qu'on lui oppose, et va quelquefois plus loin que la +réalité; mais avec un homme, une femme du caractère de la supérieure, de +celui du père Jérôme, je craignais moins d'en trop penser que de n'en +pas penser assez. Leur liaison ne me laissait pas douter que le +directeur ne partageât secrètement ses consolations spirituelles entre +elle et la mère Angélique. Le prompt châtiment de celle-ci confirma mes +soupçons; elle expia dans une chambre obscure le crime de m'avoir déplu +et d'avoir enlevé à la supérieure le coeur d'un amant confirmé dans ses +bonnes grâces. + +Je me repentis bientôt de ma sottise; je m'étais toujours flattée que +l'orage ne tomberait que sur la mère Angélique: il alla plus loin. Le +père, outré de se voir enlever sa maîtresse, soupçonna Martin de la +cause de son malheur: il le sacrifia à son ressentiment en le chassant: +je ne l'ai plus revu depuis. + +Voilà mon histoire, ma chère Suzon, poursuivit la soeur Monique; je ne +te recommande pas le secret; tu es intéressée à le garder; te voilà +associée à mes plaisirs! Hélas! je n'ai presque pas joui depuis que j'ai +perdu mon amant. Que n'est-il ici, continuait-elle en me baisant, je le +mangerais de caresses! + +Le souvenir de Martin l'animait: ses discours avaient produit sur moi le +même effet. Nous nous trouvâmes, sans y penser, disposées à ne pas +attendre au lendemain pour célébrer la perte de ce cher amant. Je +rappelais à Monique les plaisirs qu'elle avait autrefois goûtés avec +lui. Trompée par mes caresses, elle oubliait que je n'étais qu'une +fille, me prodiguait les mêmes noms qu'elle lui prodiguait dans ses +transports. J'étais son ange, son dieu! Je n'avais pas encore l'idée +d'un bien plus grand plaisir que celui dont je jouissais: Monique, dans +mes bras, comblait tous mes désirs. L'imagination va toujours plus loin +que ce que l'on possède. Monique songeant au plaisir que lui avait causé +le frottement du poil de Martin, quand elle le sentit contre ses fesses +la nuit de l'aventure du prie-Dieu, m'en promit autant si je voulais le +lui procurer encore. J'y consentis. Elle se coucha sur le ventre, +j'agissais: nous nous animâmes de façon qu'à force de nous chatouiller +nous nous trouvâmes, l'une la tête au chevet du lit, et l'autre la tête +au pied. Dans cette situation, nous nous rapprochâmes; l'une de mes +cuisses était sur le ventre de Monique, l'autre sous ses fesses: mon +ventre et mes fesses étaient de même entre ses cuisses; étroitement +collées l'une contre l'autre, nous nous pressions en soupirant, nous +nous frottions réciproquement, nous répandions à chaque instant. Les +sources de notre plaisir, gonflées par un jaillissement continuel, qui +n'avait d'autre issue que de passer de l'une dans l'autre, étaient comme +deux réservoirs de délices où nous mourrions plongées sans sentiment, où +nous ne ressuscitions que par l'excès du ravissement. L'épuisement seul +mit fin à nos transports. Enchantées l'une de l'autre, nous nous +promîmes de recoucher ensemble le lendemain. Elle y revint et me rendit +encore plus savante à cette seconde entrevue. Ces nuits charmantes n'ont +été interrompues que par ma sortie du couvent pour venir ici. + +Ce que Suzon venait de me raconter avait si fort agi sur mon +imagination, que je n'avais pu refuser à l'énergie de ses discours des +marques de sensibilité relative au sujet. Quoique j'eusse affecté de lui +dérober les larmes qu'elle m'arrachait, le plaisir de les répandre, les +regards passionnés que je jetais sur elle en les répandant, m'avaient +trahi; elle s'était aperçue de mes mouvements; mais, charmée d'avoir +fait sur moi l'impression qu'elle désirait, elle me dissimulait +adroitement sa satisfaction, et, par une politique mal entendue, +combattait encore en elle-même le doux penchant qui devait couronner +l'ardeur qu'elle m'inspirait. Autant ses discours m'avaient étonné, +autant ils me donnèrent d'espoir. Ces peintures si vives et si animées +des situations et des sentiments de la soeur Monique, dans une +circonstance à peu près semblable à celle où nous nous trouvions, ne +pouvaient partir que d'un coeur pénétré. Elle ne m'avait rien caché de +ses actions, pas même sa sensibilité pour les plaisirs de l'amour. Elle +avait dit tous les mots; rien n'avait été fardé. Si nous eussions été +dans l'allée, elle n'aurait pas dit un mot que je n'en eusse profité, et +n'aurait pas fait une peinture que je n'y eusse joint la représentation +au naturel. Son dessein n'avait pas été d'y venir. Que devais-je penser +de cette résistance? Comment l'accorder avec ce que je venais +d'entendre? Ah! si j'avais pu lire dans son coeur, que je me serais +épargné d'inquiétudes! Résolu à suivre mon dessein, mais en garde contre +une précipitation qui aurait pu effaroucher Suzon, je pris autrement mes +mesures. Je cherchai dans le récit même qu'elle venait de me faire des +armes pour la combattre. Je lui demandai d'abord indifféremment si la +soeur Monique était jolie.--Comme un ange, me répondit-elle, et une +fille qui possède ces charmes est toujours sûre de plaire. Sa taille est +fine et bien prise: sa peau est d'une blancheur, d'une douceur +parfaites; elle a la plus belle gorge du monde, le visage un peu pâle, +mais joli et formé de façon que les plus belles couleurs lui +conviendraient moins que cette pâleur; ses yeux sont noirs et bien +fendus; mais, contre l'ordinaire des brunes, elle les a languissants; il +n'y reste qu'assez de feu pour faire juger qu'ils seraient brillants +si elle n'était pas si amoureuse.--Tu me rends compatissant pour +elle, dis-je à Suzon. Sa passion pour les hommes la rendra +malheureuse.--Désabuse-toi, répondit Suzon, ce n'est que depuis peu, +comme je te l'ai dit, qu'elle a pris le voile par complaisance pour sa +mère. Le temps de prononcer ses voeux n'est pas encore venu; son bonheur +dépend de la mort d'un frère, l'idole de sa mère. Il court grand risque +de ne pas vivre plus longtemps que sa soeur ne le souhaite. On l'a déjà +blessé à Paris dans un bordel...--Un bordel! eh! qu'est-ce que cet +endroit? demandai-je à Suzon, par pressentiment sans doute de ce qui +devait m'y arriver un jour.--Je vais te dire, me répondit-elle, ce que +j'en sais de la soeur Monique qui connaît tout ce qui a rapport à ses +inclinations. C'est un lieu où s'assemblent des filles tendres et +faciles, qui reçoivent avec complaisance les hommages des libertins, et +se prêtent à leurs désirs, sous l'espoir de la récompense. Leur penchant +les y mène, le plaisir les y fixe.--Ah! m'écriai-je en l'interrompant, +que je voudrais être dans une ville où il y eût de ces endroits-là ! Et +toi, Suzon? Elle ne dit mot, mais je compris par son silence qu'elle ne +serait pas plus cruelle qu'une autre pour son tempérament, et que ce +plaisir aurait autant d'empire sur son coeur que sur celui de ces filles +tendres que l'empressement des hommes érige en idoles publiques. Je +crois, ajoutai-je, que la soeur Monique irait là aussi volontiers que +son frère.--Assurément, me dit-elle; cette pauvre fille aime les hommes +à la fureur; l'idée seule l'en enchante.--Et toi, petite friponne, tu ne +les aimes donc pas?--Je les aimerais, me répondit-elle, si ce que l'on +fait avec eux n'était pas si dangereux.--Tu le crois! lui dis-je; il ne +l'est pas tant que tu le penses. Pour faire cela avec une femme, elle ne +devient pas toujours grosse. Vois cette dame qui est notre voisine: +mariée depuis longtemps, elle le fait avec son mari, et cependant elle +n'a pas d'enfants. Cet exemple parut l'ébranler. Ecoute, ma chère Suzon, +poursuivis-je, et comme inspiré par une intelligence au-dessus de mon +âge, qui me faisait pénétrer dans les mystères de la nature, la soeur +Monique t'a dit que, quand Martin le lui mettait, elle était toute +remplie de ce qu'il lui donnait: c'était sans doute ce qui lui avait +fait un enfant.--Eh bien, dit Suzon en me regardant et cherchant dans +mes yeux un moyen de satisfaire son envie sans s'exposer aux hasards, +que veux-tu dire par là ?--Ce que je veux dire, repris-je, c'est que si +c'est ce que l'homme répand qui produit cet effet, on peut l'empêcher en +se retirant, quand on sent que cela vient.--Eh! le peut-on faire? +interrompit vivement Suzon. N'as-tu jamais vu deux chiens l'un sur +l'autre? On a beau les battre pour les faire finir, ils crient, se +démènent, voudraient se retirer et ne peuvent pas: ils sont attachés de +façon que cela leur devient impossible. Dis-moi si un homme se trouvait +attaché de même à une femme, que quelqu'un vînt, qu'on les surprît? +Cette objection me démonta, l'exemple était simple; il semblait que +Suzon eût prévu ce que j'allais lui proposer. L'exemple était pour nous; +nous allions nous trouver dans le même cas, si Suzon se rendait. Elle +semblait attendre ma réponse: et si j'avais pu lire dans son âme, +j'aurais vu qu'elle se repentait de m'avoir proposé une difficulté que +j'étais hors d'état de résoudre. D'autant plus intéressé à détruire son +préjugé, je ne doutai pas que mon bonheur ne dépendît de ma réponse, et +je cherchai des raisons pour la convaincre. Je me souvenais parfaitement +que le père Polycarpe n'avait pas eu la veille cette difficulté à se +retirer de dessus Toinette. Je lui aurais cité cet exemple, mais +j'aimais mieux le lui faire voir. Mes raisonnements ne la persuadèrent +pas, mais ses désirs suppléaient à ce qu'ils avaient de défectueux. Elle +affectait d'insister encore, et il lui fallait un exemple contraire pour +la persuader. Dans le moment je vis le bonhomme Ambroise sortir de la +maison et gagner le chemin de la rue. Son départ m'offrit l'occasion la +plus favorable qui pût se présenter. Ne doutant pas que le père et +Toinette ne profitassent de la liberté qu'il leur laissait pour réparer +le temps perdu par sa présence, je dis d'un ton assuré à Suzon: Viens, +je veux te faire voir que tu t'es trompée. Je me levai et j'aidai Suzon +à en faire autant après lui avoir porté sous sa jupe une main qu'elle +repoussa en folâtrant.--Où vas-tu donc me mener? me dit-elle, voyant que +je gagnais la maison. La petite friponne croyait que j'allais la mener +dans l'allée: elle m'y aurait suivi. Que j'aurais bien mieux fait d'y +aller! Mais je n'étais pas assez expérimenté pour voir qu'elle ne +demandait pas mieux. Je craignais quelque nouvelle résistance de sa +part, et mon destin m'entraînait. Je lui répondis que je la menais dans +un lieu où elle verrait quelque chose qui lui ferait plaisir. + +--Où donc? me répondit-elle avec impatience, voyant que j'avançais vers +la maison.--Dans ma chambre, lui répondis-je.--Dans ta chambre? me +dit-elle; oh! non! Tiens, Saturnin, cela est inutile: tu me ferais +quelque chose! Je lui jurai que non, et je connus à l'air dont elle +consentait à y venir qu'elle était moins fâchée de m'y suivre qu'elle ne +l'aurait été si, en lui promettant d'être sage, je ne lui avais pas +donné un prétexte pour s'y laisser conduire. Que je me rappelle avec +plaisir ces traits charmants de mon enfance! l'habitude d'accorder tout +à mes passions et l'usage immodéré des plaisirs n'ont point émoussé ma +sensibilité pour ces précieux instants de ma vie. + +Nous entrâmes dans ma chambre sans avoir été aperçus; je tenais Suzon +par la main, elle tremblait; je marchais sur la pointe des pieds, elle +m'imitait: je lui fis signe de ne point parler, et, la faisant asseoir +sur mon lit, je m'approchai doucement de la cloison: personne n'y était +encore. Je dis d'une voix basse à Suzon que l'on ne tarderait pas à +venir. Mais que veux-tu donc me montrer? me demanda-t-elle, intriguée +par mes façons mystérieuses.--Tu vas le voir, répondis-je: et +sur-le-champ, en avancement du privilège que je comptais que cette vue +allait me donner, je la renversai sur mon lit, en tâchant de lui glisser +la main sur les cuisses. Je n'en étais pas encore à la jarretière, +qu'elle se leva avec action, et dit qu'elle ferait du bruit si j'étais +assez hardi pour la toucher. Elle alla même jusqu'à faire semblant de +vouloir sortir: je pris cette grimace pour une marque de colère, et je +fus assez simple pour m'imaginer qu'elle voulait effectivement se +retirer. J'étais interdit, le coeur me battait, à peine osais-je +répondre; et quoique ce ne fût qu'en bégayant, je persuadai facilement +une fille qui aurait été bien fâchée que mon silence l'eût mise dans la +nécessité de joindre l'effet à la menace: elle consentit à rester. +J'allais désespérer de pouvoir venir à bout de mon entreprise, quand +j'entendis ouvrir la porte de la chambre d'Ambroise. Le coeur me revint, +et j'attendais avec impatience que la curiosité de Suzon fît pour moi ce +que je n'avais pu faire moi-même.--Les voici! lui dis-je en lui faisant +signe de se taire et en la remuant sur le lit; les voici, ma chère +Suzon! Je m'approchai aussitôt de la cloison; j'écartai l'image qui +dérobait à mes regards ce qui se passait dans la chambre, et j'aperçus +le père qui prenait sur la gorge de Toinette des gages peu équivoques de +sa bonne volonté. Immobiles, serrés étroitement l'un contre l'autre et +recueillis en eux-mêmes, il semblait qu'ils voulussent, par une profonde +méditation, se remplir de la grandeur des mystères qu'ils allaient +célébrer. Attentif à leurs mouvements, j'attendais qu'ils les +poussassent un peu plus loin pour faire signe à Suzon d'avancer. +Toinette, ennuyée de la longue méditation, se débarrassa la première des +bras du moine, et, jetant corset, jupe, chemise, tout à bas, parut telle +que la bienséance du mystère l'exigeait. Ah! que j'aimais à la voir dans +cet état! Ma fureur amoureuse, que les combats de Suzon n'avaient fait +qu'irriter, redoubla d'un degré à cette vue. + +Suzon, que mon attention rendait impatiente, avait quitté le lit et +s'était approchée de moi. J'étais si fort occupé que je ne m'en étais +pas aperçu.--Laisse-moi donc voir aussi! me dit-elle en me repoussant un +peu. Je ne demandais pas mieux. Je lui cédai aussitôt mon poste et me +tins à côté d'elle pour examiner sur son visage les impressions qu'y +produirait le spectacle qu'elle allait voir. Je m'aperçus d'abord +qu'elle rougissait; mais je présumai trop de son penchant à l'amour pour +craindre que cette vue ne produisît un effet contraire à celui que j'en +espérais. Elle resta. Curieux alors de savoir si l'exemple opérait, je +commençai par lui couler la main sous la jupe. Je ne trouvai plus qu'une +résistance médiocre; elle se contentait de me repousser seulement la +main, sans l'empêcher de monter jusqu'aux cuisses, qu'elle serrait +étroitement. Ce n'était qu'aux transports des combattants que j'étais +redevable de la facilité que je trouvais à les desserrer insensiblement. +J'aurais calculé le nombre de coups que donnaient ou recevaient la père +et Toinette par celui des pas que ma main, plus ou moins pressée, +faisait sur ses charmantes cuisses. Enfin, je gagnai le but. Suzon +m'abandonna tout, sans pousser plus loin sa résistance; elle écartait +les jambes pour laisser à ma main la facilité de se contenter. J'en +profitai, et portant le doigt à l'endroit sensible, à peine pouvait-il y +entrer. Sentant que l'ennemi s'était emparé de la place, elle +tressaillit, et ses tressaillements se renouvelaient au moindre +mouvement de mon doigt.--Je te tiens, Suzon! lui dis-je alors; et levant +son jupon par derrière, je vis, ah! je vis le plus beau, le plus blanc, +le mieux tourné, le plus ferme, le plus charmant petit cul qu'il soit +possible d'imaginer. Non, aucun de ceux à qui j'ai fait le plus de fête, +aucun n'a jamais approché du cul de ma Suzon. Fesses divines dont +l'aimable coloris l'emportait sur celui du visage; fesses adorables, sur +lesquelles je collai mille baisers amoureux, pardonnez si je ne vous +rendis pas alors l'hommage qui vous était dû. Oui, vous méritiez d'être +adorées; vous méritiez l'encens le plus pur; mais vous aviez un voisin +trop redoutable. Je n'avais pas encore le goût assez épuré pour +connaître votre véritable valeur: je le croyais seul digne de ma +passion. Cul charmant, que mon repentir vous a bien vengé! Oui, je +conserverai toujours votre mémoire! Je vous ai élevé dans mon coeur un +autel où tous les jours de ma vie je pleure mon aveuglement! J'étais à +genoux devant cet adorable petit cul, l'embrassais, le serrais, +l'entr'ouvrais, m'extasiais; mais Suzon avait mille autres beautés qui +piquaient ma curiosité. Je me levai avec transport, fixai mes regards +avides sur deux petits tétons durs, fermes, bien placés, arrondis par +l'amour. Ils se levaient, se baissaient, haletaient et semblaient +demander une main qui fixât leur mouvement. J'y portais la mienne, je +les pressais. Suzon se laissait aller à mes transports. Rien ne pouvait +l'arracher au spectacle qui l'attachait. J'en étais charmé; mais son +attention était bien longue pour mon impatience. Je brûlais d'un feu qui +ne pouvait s'éteindre que par la jouissance. J'aurais voulu voir Suzon +toute nue, pour me rassasier de la vue d'un corps dont je baisais, dont +je maniais de si charmantes parties. Cette vue était capable de +satisfaire mes désirs. Mais bientôt j'éprouvai le contraire en +déshabillant Suzon, sans qu'elle s'y opposât. Nu de mon côté, je +cherchais les moyens d'assouvir ma passion, je n'avais pas assez de +force pour la presser. Mille et mille baisers répétés, les marques les +plus vives de l'amour étaient mille fois au-dessus de ce que je sentais. +Je tâchais de le lui mettre, mais l'attitude était gênante: il fallait +le mettre par derrière. Elle écartait les jambes, les fesses, mais +l'entrée était si petite, que je n'en pouvais venir à bout. J'y mettais +le doigt et l'en retirais couvert d'une liqueur amoureuse. La même cause +produisait sur moi le même effet. Je faisais de nouveaux efforts pour +prendre dans ce charmant endroit la même place que mon doigt venait d'y +occuper, et toujours même impossibilité, malgré les facilités qu'on me +donnait.--Suzon, dis-je, enragé de l'obstacle que son opiniâtre +attention apportait à mon bonheur, laisse-les; viens, ma chère Suzon, +nous pouvons avoir autant de plaisir qu'eux. Elle tourna les yeux sur +moi; ils étaient passionnés. Je la prends amoureusement entre mes bras, +je la porte sur mon lit, je l'y renverse; elle écarte les cuisses, mes +yeux se jettent avec fureur sur une petite rose vermeille qui commence à +s'épanouir. Un poil blond, et placé par petits toupets, commençait à +ombrager une motte dont le pinceau le plus délicat rendrait faiblement +la blancheur vive et animée. Suzon, immobile, attendait avec impatience +des marques de ma passion plus sensibles et plus satisfaisantes. Je +tâchai de les lui donner; je m'y prenais fort mal: trop bas, trop haut, +me consumant en efforts inutiles. Elle me le mit. Ah! Que je sentais +alors qu'il était dans le véritable chemin! Une douleur, que je ne +comptais pas trouver sur une route que je croyais couverte de fleurs, +m'arrêta d'abord. Suzon en ressentit une pareille; mais nous ne nous +rebutâmes pas. Suzon tâchait d'élargir le passage; je m'efforçais, elle +me secondait. Déjà j'avais fait la moitié de ma course. Suzon roulait +sur moi des yeux mourants; son visage était enflammé, ne respirait que +par intervalles, et me renvoyait une chaleur prodigieuse. Je nageais +dans un torrent de délices; j'en espérais encore de plus grandes, je me +hâtais de les goûter. O ciel! des moments si doux devaient-ils être +troublés par le plus cruel des malheurs! Je poussais avec ardeur; mon +lit, ce malheureux lit, témoin de mes transports et de mon bonheur, nous +trahit: il n'était que de sangle; la cheville manqua, il tomba et fit un +bruit affreux. Cette chute m'eût été favorable, puisqu'elle m'avait fait +entrer jusqu'où je pouvais aller, quoique avec une extrême douleur pour +tous les deux. Suzon se faisait violence pour retenir ses cris. +Effrayée, elle voulait s'arracher de mes bras; furieux d'amour et de +désespoir, je ne la serrais que plus étroitement. Mon opiniâtreté me +coûta cher. + +Toinette, avertie par le bruit, accourut, ouvrit et nous vit. Quel +spectacle pour une mère! une fille, un fils! La surprise la rendit +immobile; et comme si elle eût été retenue par quelque chose de plus +puissant que ses efforts, elle ne pouvait avancer. Elle nous regardait +avec des yeux enflammés par la lubricité; ouvrant la bouche pour parler, +la voix expirait sur ses lèvres. + +Suzon était tombée en faiblesse; ses yeux tendres se fermaient, sans +avoir ni le courage, ni la force de se retirer. Je regardais +alternativement Toinette et Suzon, l'une avec rage, l'autre avec +douleur. Enhardi par l'immobilité où l'étonnement semblait retenir +Toinette, je voulus en profiter, je poussai; Suzon donna alors un signe +de vie, jeta un profond soupir, rouvrit les yeux, me serra en donnant un +coup de cul. Suzon goûtait le souverain plaisir; elle déchargeait: ses +ravissements me faisaient plaisir; j'allais les partager, Toinette +s'élança au moment où je sentais les approches du plaisir; elle +m'arracha des bras de ma chère Suzon. Pourquoi n'avais-je pas assez de +force pour me venger? Le désespoir me l'ôta sans doute, puisque je +restai immobile dans les bras de cette marâtre jalouse. + +Le père Polycarpe, aussi curieux que Toinette, accourut dans cet +intervalle, et ne demeura pas moins surpris qu'elle à la vue du +spectacle qui s'offrait à ses yeux, surtout de Suzon nue, couchée sur le +dos, se passant un bras sur les yeux et portant la main de l'autre à +l'endroit coupable, comme si une telle posture eût pu dérober ses +charmes aux regards du moine lascif. Il les porta d'abord sur elle. Les +miens y étaient fixés comme sur leur centre, et ceux de Toinette +l'étaient sur moi. La surprise, la rage, la crainte, rien ne m'avait +fait débander. J'avais le vit décalotté et plus dur que le fer. Toinette +le regardait. Cette vue obtint ma grâce et me réconcilia avec elle. Je +sentais qu'elle m'entraînait doucement hors de la chambre. J'étais +troublé, ne sachant ce que je faisais. Nu comme j'étais, je la suivis +sans y penser, et cela se fit sans bruit. + +Toinette me mena dans sa chambre et en ferma la porte aux verrous. La +crainte me retira alors de mon étourdissement. Je voulus fuir: je +cherchai quelque refuge qui pût me dérober au ressentiment de Toinette. +N'en trouvant pas, je me jetai sous le lit. Toinette reconnut le motif +de ma frayeur et tâcha de me rassurer.--Non, Saturnin, me dit-elle; non, +mon ami, je ne veux pas te faire de mal. Je ne la croyais pas sincère et +je ne sortais pas de ma place. Elle vint elle-même pour m'en tirer; +voyant qu'elle tendait les bras pour m'attraper, je me reculais: mais +j'eus beau faire, elle me prit, par où, par le vit! Il n'y eut plus +moyen de m'en défendre. Je sortis ou plutôt elle m'attira, car elle +n'avait pas lâché prise. + +La confusion de paraître _in naturalibus_ ne m'empêcha pas d'être +surpris de trouver Toinette toute nue, elle qui, un moment avant, +s'était offerte à mes yeux dans un état presque décent. Mon vit +reprenait dans sa main ce que la crainte lui avait fait perdre de sa +force et de sa roideur. Avouerai-je mon faible? En la voyant, je ne +pensai plus à Suzon: Toinette seule m'occupait. Bandant toujours fort, +et mes craintes subordonnées à la passion, j'étais bien en peine. +Toinette me serrait le vit, et moi je regardais son con. Que fait ma +ribaude? elle se couche sur le lit et m'entraîne avec elle.--Viens donc, +petit couillon, mets-le-moi, là , bon! Je ne me fis pas prier davantage, +et, ne trouvant pas de grandes difficultés, je le lui enfonçai jusqu'aux +gardes. Déjà disposé par le prélude que j'avais fait avec Suzon, je +sentis bientôt un flux de délices qui me fit tomber sans mouvement sur +la lubrique Toinette, qui, remuant avec agilité la charnière, reçut les +prémices de ma virilité... C'est ainsi que, pour mon premier coup +d'essai, je fis cocu mon père putatif; mais qu'importe? + +Quelle foule de réflexions pour ces lecteurs dont le tempérament froid +et glacé n'a jamais ressenti les fureurs de l'amour! Faites-les, +messieurs, ces réflexions; donnez carrière à votre morale; je vous +laisse le champ libre, et ne veux vous dire qu'un mot. En bandant aussi +fort que je bandais, vous foutriez, quoi? le diable! + +J'allais répéter un aussi charmant exercice, quand nous fûmes +interrompus par un bruit sourd qui partait de ma chambre. Toinette, qui +comprit de quoi il s'agissait, se leva en criant au père de finir. Elle +se rhabilla aussitôt, me dit de me remettre sous le lit et courut pour +empêcher que les choses ne fussent poussées plus loin. + +A peine eut-elle le dos tourné, que je volai au trou. J'aperçus le moine +qui tenait dans ses bras Suzon qui s'était rhabillée, mais dont le +cotillon et la chemise étaient levés. Le froc du moine l'était aussi, et +je jugeai que le bruit ne venait que de l'extrême grosseur du membre de +sa révérence, qui faisait sans doute des efforts inutiles pour le faire +entrer dans un endroit qui n'était pas fait pour lui. Le débat finit à +l'aspect de Toinette qui fondit sur les combattants, arracha Suzon des +bras de l'incestueux célestin, et lui donna, avec deux ou trois +soufflets, la liberté de sortir. Il semblait que l'action vigoureuse que +Toinette venait de faire l'eût épuisée, et qu'il ne lui restât plus +assez de force pour marquer son mécontentement au père Polycarpe: elle +le regardait tout essoufflée. Un moine ne manque guère d'impudence; +cependant celle du père ne tint pas contre la honte d'avoir été pris en +flagrant délit, peut-être contre la crainte des reproches dont il +croyait que Toinette allait l'accabler, ou plutôt contre l'idée +d'infamie dont il croyait qu'un moine devait être noté, quand il +entreprenait d'exploiter une fille sans en venir à bout. Il rougissait, +il pâlissait, et n'osait presque regarder Toinette qui, de son côté, +paraissait agitée des mêmes mouvements. Moi, de mon trou, je les +examinais attentivement et m'attendais à être bientôt spectateur de +quelque crise violente; je le craignais. Que je les connaissais peu l'un +et l'autre! Le moine paraissait confus, mais il ne débandait pas: un +moine débande-t-il jamais? Toinette paraissait furieuse, mais elle +regardait le vit du moine. Son faible était toujours de sacrifier toute +sa colère à cette vue; mon exemple devait m'avoir préparé à lui voir une +pareille indulgence pour le père. Le raccommodement fut bientôt fait. Le +moine s'approcha d'elle, et j'entendis qu'il lui disait, en lui mettant +en main son joyeux aiguillon: Si je n'ai pas pu foutre la fille, du +moins je foutrai la mère. Oh! pour cette insulte, Toinette était +toujours prête à la lui pardonner; elle s'offrit même de bonne grâce +pour victime à la fureur amoureuse du moine; il la saisit, il +l'embrassa, et, tombant l'un sur l'autre sur les débris de mon lit, ils +scellèrent leur réconciliation par une copieuse décharge; du moins j'eus +lieu de le juger aux transports du père et aux serrements du cul de +Toinette. + +Pendant ce temps-là , allez-vous demander, que faisait ce petit bougre de +Saturnin? Se contentait-il de regarder comme un sot par le trou, sans se +joindre du moins en idée aux caresses des deux champions? Belle demande! +Saturnin était nu, il était encore en feu des caresses que Toinette lui +avait faites; le spectacle qu'il avait devant les yeux l'échauffait +encore: que vouliez-vous qu'il fît? Il se branlait: il enrageait de voir +le moine sur Toinette, sans pouvoir en tirer sa part, et le petit coquin +déchargeait au moment où sa mère serrait le cul et où le père se pâmait. +Vous voilà instruit; revenons à nos gens. + +--Eh bien, dit le moine, trouves-tu que je fasse cela aussi bien que +Saturnin?--Que Saturnin! répondit-elle; moi, j'ai fait quelque chose +avec Saturnin? Bon! le petit fripon n'a-t-il pas été se cacher sous le +lit où il est encore? Mais, patience; laissez venir Ambroise, les +étrivières ne lui manqueront pas; il les aura, et de la bonne façon! +J'écoutais ce colloque: jugez s'il dut me faire plaisir! Redoublant mon +attention, j'entendis le père qui répliquait: Là , là , Toinette, ne nous +fâchons pas; vous savez qu'il ne doit pas toujours demeurer ici; il est +assez grand à présent, n'est-il pas vrai? Je veux l'emmener quand je +partirai.--Mais, reprit Toinette, vous ne songez pas que si ce petit +coquin restait ici, nous ne pourrions plus rien faire? Cela babille, et +je me doute qu'il nous a découverts. Justement! poursuivit-elle en +voyant le trou de la cloison. Ah! mon Dieu! je n'avais pas encore +remarqué ce trou. Il aura tout vu par là , le petit chien! Je jugeai +qu'elle allait venir vérifier son doute, et vite je me refourrai sous le +lit, d'où je ne sortis plus, quelque envie que j'eusse d'entendre le +reste d'une conversation qui m'intéressait si fort. Je me tins coi, et +j'attendis avec impatience le résultat de leurs discours. Je n'attendis +pas longtemps. On vint me tirer de ma prison; je tremblais que ce ne fût +Ambroise. S'il m'avait vu là , quelle scène pour moi! C'était Toinette +qui m'apportait mes habits, et qui me dit de m'habiller au plus tôt. Je +ne la regardais que de travers, après ce que je lui avais ouï dire à mon +sujet. Je me hâtai de faire ce qu'elle me disait en bravant ses menaces. +Elle s'habillait aussi, et se mettait même sur son propre. J'eus bientôt +fait de mon côté, et elle du sien.--Allons, Saturnin, me dit-elle, venez +avec moi. Force me fut de la suivre. Où me mena-t-elle? Chez M. le curé. + +La vue du presbytère me fit trembler. Le pasteur me visitait souvent le +derrière, chose que, par parenthèse, il ne haïssait pas, et je craignais +fort que ce ne fût encore pour lui procurer le même divertissement que +l'on me menait chez lui. Je n'osais pas tout à fait laisser voir mes +craintes à Toinette. Si elle sent que j'ai peur, me disais-je, elle +réveillera le chat qui dort, et ne manquera pas de saisir l'occasion. +Mais pourquoi m'amène-t-elle ici? je n'en sais rien; faisons de +nécessité vertu: entrons toujours. + +J'entrai, et j'en fus quitte pour la peur; car Toinette, en me +présentant au saint homme, le pria de vouloir me garder pendant quelques +jours chez lui. L'expression de quelques jours me rassura. Bon! dis-je +en moi-même, et quand ces quelques jours seront passés, le père +Polycarpe m'emmènera avec lui. Plein de cet espoir, je me familiarisais +plus aisément avec ma retraite, sur le motif de laquelle je n'osais +réfléchir sans être saisi de douleur. Suzon, chère Suzon, je te perdrai +donc pour toujours? m'écriai-je dans un coin de la salle où je m'étais +d'abord retiré par frayeur et où je restais par goût, parce que j'y +rêvais à mon aise. A quoi? A Suzon. L'agitation où j'étais depuis +quelques heures ayant suspendu ce que je sentais pour elle, quand je fus +revenu à moi-même, son idée m'occupa tout entier. Le coeur me saignait +quand je pensais que j'allais la perdre. Mon imagination se repaissait +de tous ses charmes, parcourait les beautés de son corps, ses cuisses, +ses fesses, sa gorge, ses petits tétons blancs et durs, que j'avais +baisés tant de fois. Je me rappelai le plaisir que j'avais eu avec elle, +et, pensant à celui que j'avais pris avec Toinette: Qu'eût-ce donc été, +disais-je, si je l'eusse goûté sur Suzon! Je me suis pâmé sur Toinette, +je serais mort sur Suzon. Ah! je n'aurais pas de regret à la vie, si je +la perdais dans ses bras. Mais que sera-t-elle devenue? Exposée aux +fureurs de Toinette, elle va mourir de chagrin. Peut-être pleure-t-elle +à présent, peut-être me maudit-elle. Suzon pleure, et j'en suis cause; +Suzon me maudit, elle jure de me haïr. Pourrai-je vivre si elle me hait, +moi qui l'adore, moi qui souffrirais tout pour lui épargner le moindre +chagrin? Hélas! elle prévoyait notre malheur et c'est moi qui l'y ai +plongée! Telles étaient les pensées qui m'agitaient alors; j'étais dans +une mélancolie dont je ne sortis qu'au son d'une clochette qui m'avertit +qu'on avait servi le souper; on vint m'appeler. Laissons pour un moment +Suzon; nous la retrouverons toujours; elle joue un rôle assez important +dans ces mémoires. Allons prendre un repas et faisons connaître quelques +bévues des originaux avec qui j'étais; commençons par le curé. + +M. le curé était une de ces figures qu'on ne saurait regarder sans avoir +envie de rire; haut de quatre pieds, le visage large d'un demi et +enluminé d'un rouge foncé qui ne lui venait pas de boire de l'eau; un +nez épaté, surmonté de rubis, de petits yeux noirs et vifs ombragés +d'épais sourcils; un front petit, le poil frisé comme un barbet; +joignez-y un air goguenard et malin, voilà M. le curé. Avec cela le +coquin avait de bonnes fortunes; plus d'une m'en aurait encore dit des +nouvelles dans le village. Il cultivait volontiers la vigne du Seigneur; +il faisait le petit célestin. Ces magots-là sont d'ordinaire de +vigoureux sires à ce jeu, et notre curé ne manquait pas, je crois, de +ces talents, qui valent mieux qu'une belle figure, quand il est permis +de les faire valoir. + +Passons au second cartouche du tableau célestin de la maison du curé, et +disons un mot de sa respectable gouvernante. + +Madame Françoise était une vieille sorcière plus maligne qu'un vieux +singe, plus méchante qu'un vieux diable. Otez cela, c'était la bonté +même. Son visage portait bien cinquante bonnes années. La coquetterie +est de tout pays et de toute condition: la vieille ne s'en donnait pas +trente-cinq. Mais, malgré ses discours, elle était canonique, et si +canonique, que, depuis quinze ans qu'elle était au service de M. le +curé, elle l'avait garanti des retraites incommodes qu'il avait coutume +de faire au séminaire, au moins deux ou trois fois chaque lustre, +disgrâces qui avaient dégoûté le patron de la jeunesse; et quoique la +dame Françoise eût les yeux bordés de rouge, le nez barbouillé de tabac, +la bouche fendue jusqu'aux oreilles, et qu'elle n'eût plus dans cette +bouche que quelques dents mal assurées, M. le curé, par reconnaissance +pour ses services passés, ne démentait en rien son estime et, qui plus +est, ses caresses pour elle. Madame Françoise était surintendante de la +maison; tout passait par ses mains, jusqu'à l'argent des pensionnaires +qui n'en sortait guère. Elle ne parlait jamais du curé qu'en nom +collectif; apportait-on de quoi dire une messe:--Nous vous la dirons! +Donnait-on quelque chose de moins:--A ce prix nous n'en disons pas!--Eh! +Mme Françoise (madame gros comme le bras: elle se serait offensée en +cette honorable qualité), eh! madame Françoise, je n'ai pas +davantage!--Séant; comment donc, vous croyez apparemment qu'on nous +donne cela! il faut du vin, des cierges; et notre peine, la comptez-vous +pour rien? + +A l'ombre de l'union qui régnait entre Françoise et le curé, croissait +une fille, soi-disant nièce du curé, mais qui lui appartenait de plus +près que par la qualité de nièce. C'était une grosse joufflue, un peu +picotée de petite vérole, fort blanche, et une gorge adorable; un nez +tirant sur celui du curé, aux rubis près, qu'elle n'avait pas encore, +mais beaucoup de dispositions pour en avoir un jour; des yeux petits, +mais ardents; il n'aurait tenu qu'à elle de passer pour rousse, si elle +n'avait pas su que cette couleur était proscrite et que le blond est +plus séant pour les belles; comme elle croyait l'être, elle en prenait +les attributs. Ce n'est pas que le blond ou le roux eussent fort +inquiété certain grand coquin d'écolier de philosophie qui venait +quelquefois passer huit ou dix jours au presbytère, moins par amitié +pour le curé que pour sa charmante nièce, que le maraud serrait de près, +et de si près que... Mais il n'est pas encore temps de raconter ce qui +m'arriva à ce sujet. + +Mademoiselle Nicole (c'était le nom de cette aimable personne), telle +que je viens de vous la présenter, était l'objet des tendres voeux de +tous les pensionnaires. Les externes voulaient aussi s'en mêler; les +grands étaient assez bien reçus, les petits fort mal. Je n'étais pas des +plus grands, par malheur pour moi. Ce n'est pas que je n'eusse plusieurs +fois tenté de pousser ma pointe auprès de cette pouponne, mais mon âge +parlait contre moi. Plus je protestais que je n'étais jeune que par la +figure, moins on me croyait; et pour finir de me désespérer, on confiait +mes entreprises amoureuses à Mme Françoise, qui les confiait à M. le +curé, et celui-ci ne me ménageait pas. J'enrageais d'être petit, car je +voyais bien que c'était là la cause de mes malheurs. + +La difficulté de réussir auprès de Nicole m'avait dégoûté. Des rebuts de +la part de la nièce, des étrivières de la part du curé, il n'y avait pas +moyen d'y tenir. Tout cela n'avait pas éteint mes désirs; ils n'étaient +que cachés, la présence de Nicolle les ralluma. Il ne leur manqua plus +qu'une occasion d'éclater; elle ne tarda pas à venir, l'ordre des faits +exige que cette aventure n'aille qu'à son tour, et son tour n'est pas +encore venu: c'est celui de Mme Dinville. + +Je n'avais pas oublié que cette dame m'avait fait promettre d'aller +dîner avec elle le lendemain. Je me couchai, résolu à lui tenir parole, +et on juge bien que le jour ne changea rien à ma résolution. Si on me +demandait si c'était véritablement pour Mme Dinville que je voulais +aller au château, à cela je ne saurais que répondre. En général, je +dirais que l'idée du plaisir m'y conduisait; mais je sentais que ce +plaisir, présenté par Suzon, me serait plus sensible que si je le +recevais de Mme Dinville. L'espoir d'y trouver ma Suzon n'était pas sans +vraisemblance; voici comme je raisonnais: Pourquoi m'a-t-on mis chez M. +le curé? C'est parce que le père Polycarpe s'est douté que Toinette m'a +donné une leçon qui n'est pas de son goût; et c'est dans la crainte que +je m'accoutumasse à ces leçons, qu'il a jugé à propos de me mettre ici. +Toinette a bien vu autre chose de la part du père; elle a donc pour le +moins autant de raisons d'éloigner Suzon du moine, que le moine en a eu +de m'éloigner de Toinette. Si Suzon est au château, il y a de petits +bois dans le jardin: je l'engagerai à y venir. La petite friponne est +amoureuse, elle m'y suivra; je la tiendrai à l'écart, nous serons seuls, +nous n'aurons rien à craindre. Ah! que de plaisirs je vais goûter! Ces +agréables idées me conduisirent jusqu'au château. J'entrai. + +Tout était calme chez Mme Dinville. Je ne trouvai personne sur mon +passage, ce qui me fit traverser plusieurs appartements. Je n'entrais +dans aucun sans sentir mon coeur agité par l'espoir de voir Suzon et la +crainte de ne pas la trouver. Elle sera dans celui-ci, disais-je; Ah! je +vais la voir: personne; dans un autre de même. J'arrivai ainsi jusqu'à +une chambre dont la porte était fermée, mais la clef y était. Je n'étais +pas venu si loin pour reculer, j'ouvris: ma hardiesse fut un peu +déconcertée à la vue d'un lit où je jugeai qu'il devait y avoir +quelqu'un couché. Je me retirais, quand j'entendis une voix de femme +demander qui c'était, et en même temps je reconnus Mme Dinville. Je me +disposais à sortir, mais sa gorge m'en ôta le pouvoir.--Eh! c'est mon +ami Saturnin, s'écria-t-elle; viens donc m'embrasser, mon cher enfant. +Aussi hardi après ces paroles que j'étais timide auparavant, je me +précipitai dans ses bras. J'aime, me dit-elle d'un air de satisfaction, +après m'être acquitté d'un devoir où le coeur avait eu plus de part que +la politesse, j'aime qu'un jeune garçon obéisse ponctuellement. A peine +eut-elle achevé ces mots que je vis sortir d'un cabinet de toilette un +petit homme à figure minaudière qui écorchait d'un ton de fausset l'air +d'une chanson nouvelle alors; il en marquait la cadence par des +pirouettes qui répondaient à merveille aux bizarres accents de sa voix. +A la brusque apparition de cet Amphion moderne,--c'était un abbé,--je +rougis pour Mme Dinville des marques indiscrètes de bienveillance +qu'elle venait de me donner, et, pour mon propre compte, du motif de +celles dont j'avais payé les siennes; mais je me vengeai bientôt du +trouble qu'il venait de me causer par le jugement que je portai sur lui. +La situation où l'on se trouve influe souvent sur la façon de penser. Je +ne doutai pas que mon arrivée imprévue n'eût dérangé une partie qui ne +souffre de tiers qu'à titre d'importun. Pouvais-je, en effet, penser +qu'un homme pût se trouver seul avec une femme sans lui faire ce que +j'aurais fait moi-même? + +Craignant qu'il n'eût pénétré le sujet de ma visite, je n'osais pas le +regarder. Si la curiosité m'excitait à l'envisager, la crainte de +rencontrer sur son visage quelque sourire malin, me faisait baisser la +vue aussitôt. Je n'y trouvai pourtant pas ce que je craignais, et +perdant l'habitude de le regarder comme un témoin redoutable, je ne vis +en lui qu'un importun fait pour gêner les plaisirs dont mon imagination +se repaissait. + +Je l'examinais avec attention, et, réfléchissant sur sa qualité d'abbé, +j'en cherchais dans sa personne des marques justificatives. J'avais sur +le mot abbé des idées extrêmement bornées, m'imaginant que tous les +abbés devaient être faits comme M. le curé ou comme M. le vicaire; et +j'avais peine à concilier l'air bonhomme que je leur connaissais avec +les pétulantes extravagances de celui que j'avais devant moi. + +Ce petit Adonis, nommé l'abbé Fillot, était le receveur des tailles de +la ville voisine, homme fort riche, Dieu sait aux dépens de qui. Il +revenait de Paris, ainsi que la plupart des sots de sa trempe, plus +chargé de fatuité que de doctrine. Il avait accompagné Mme Dinville à sa +campagne, dans l'intention de la réjouir. Écolier, abbé, tout était bon +pour elle. + +La dame sonna, on vint: c'était Suzon. Mon coeur tressaillit à sa vue; +j'étais charmé que mes conjectures se trouvassent aussi heureuses. Elle +ne m'aperçut pas d'abord, parce que j'étais caché par les rideaux du +lit, sur lequel Mme Dinville m'avait fait asseoir, situation que, par +parenthèse, M. l'abbé commençait à ne pas trouver à son gré. Il avait +peine à souffrir la petite liberté que Mme Dinville me donnait, et je +voyais qu'il taxait de mauvais goût la complaisance qu'elle me +témoignait. + +Suzon s'avança, elle me vit. Dans le moment, ses belles joues +s'animèrent des plus vives couleurs; elle baissa les yeux, l'agitation +lui coupa la parole. J'étais dans un état peu différent du sien, excepté +qu'elle baissait les yeux, et que les miens étaient fixés sur elle. Les +charmes de Mme Dinville, dont elle ne me ménageait pas la vue, sa gorge, +ses tétons et les autres parties de son corps, dont un drap jaloux +dérobait, à la vérité le spectacle à mes yeux, mais n'en rendait la +peinture que plus vive à mon imagination, tout cela avait fait dans mon +coeur des impressions qui tournèrent à l'instant au profit de Suzon. +Mais la réflexion corrigea bientôt un sentiment trop précipité et me +ramena, non pas tout à coup, à mon caractère dominant. + +Si j'eusse eu le choix de Suzon ou de Mme Dinville, je n'aurais pas +balancé: Suzon avait la pomme; mais on ne me présentait pas +l'alternative. La possession de Suzon n'était pour moi qu'une espérance +bien incertaine, et la jouissance de Mme Dinville était presque une +certitude, ses regards m'en assuraient. Ses discours, quoique gênée par +la présence du petit abbé, ne détruisaient pas l'espoir que ses yeux me +laissaient concevoir. Suzon, après avoir été chargée d'avertir une femme +de chambre, sortit, et son départ commença à restituer à Mme Dinville +des désirs qui lui appartenaient, puisqu'ils étaient son ouvrage. + +Je restai cependant si troublé, les mouvements de mon coeur, combattus +et détruits alternativement par deux causes qui l'intéressaient +également, l'une par l'idée du plaisir, l'autre par celle de ce même +plaisir, mais accompagné de quelque chose de plus touchant, étaient dans +une si grande confusion, que je ne m'aperçus pas de la brusque +disparition de l'abbé. Mme Dinville l'avait bien vu sortir; mais, +s'imaginant que je l'avais vu aussi, elle ne croyait pas qu'il fût +besoin de m'en faire souvenir. Elle se pencha sur mon coussin, et, me +regardant avec une douce langueur qui me disait inutilement qu'il ne +tenait qu'à moi de devenir heureux, elle me prenait tendrement la main +qu'elle me pressait dans la sienne, en la laissant de temps en temps +tomber d'un air indifférent sur ses cuisses, qu'elle serrait et +desserrait avec un mouvement lascif. Ses regards accusaient ma timidité, +et semblaient me reprocher que je n'étais pas le même que la veille. +Toujours préoccupé de la pensée que l'abbé nous examinait, je restai +dans une défiance niaise qui l'impatienta.--Tu dors, Saturnin? me +dit-elle. Un galant de profession aurait profité de l'occasion pour +débiter une tirade d'impertinences. Je ne l'étais pas, je n'en dis +qu'une: Non, madame, je ne dors pas. Quoique cette réponse innocente +diminuât de beaucoup l'idée que mon effronterie de la veille avait pu +lui donner de mon savoir, elle ne fit pas de tort à sa bonne volonté +pour moi: elle fit un effet tout contraire; elle me donna un nouveau +titre à ses yeux, me fit regarder comme un novice, morceau délicat pour +une femme galante dont l'imagination est voluptueusement flattée par +l'idée d'un plaisir qui doit augmenter la vivacité des transports +qu'elle ressent. C'est ainsi que pensait Mme Dinville, c'est ainsi que +pensent toutes les femmes. Mon indifférence lui fit connaître que sa +façon d'attaquer glissait sur moi, et qu'il fallait quelque chose de +plus frappant pour m'émouvoir. Elle me lâcha la main, et, étendant les +bras avec un mouvement étudié, elle m'étala une partie de ses charmes. +Leur aspect me tira de mon engourdissement; je me réveillai, la vivacité +reparut sur mon visage, l'idée de Suzon se dissipa: mes yeux, mes +regards, mon impatience, tout fut pour Mme Dinville; s'apercevant de +l'effet de sa ruse, et pour exciter mes feux, elle me demanda ce +qu'était devenu l'abbé. J'eus beau regarder, je ne le voyais pas; je +sentis ma sottise.--Il est sorti, reprit-elle; et, affectant de jeter un +peu son drap, en se plaignant de la chaleur, elle me découvrit une +cuisse extrêmement blanche, sur le haut de laquelle un bout de chemise +paraissait mis exprès pour empêcher mes regards d'aller plus loin, ou +plutôt à dessein d'exciter ma curiosité. J'entrevis pourtant quelque +chose de vermeil qui me mit dans un trouble dont elle reconnut le motif. +Elle recouvrit adroitement l'endroit qui avait fait tout l'effet qu'elle +espérait. Je lui pris la main, qu'elle m'abandonna sans résistance; je +la baisai avec transport; mes yeux étaient enflammés, les siens +brillants et animés. Les choses se disposaient à merveille; mais il +était écrit que, malgré les plus belles occasions, je ne serais pas +heureux. Une maudite femme de chambre arriva dans le temps qu'on n'avait +pas besoin d'elle. Je lâchai vite la main, la soubrette entra en riant +comme une folle; elle se tint un moment à la porte, pour se dédommager, +par l'abondance de ses éclats, de la gêne que la présence de sa +maîtresse allait lui faire.--Qu'avez-vous donc? lui dit Mme Dinville +d'un air sec.--Ah! madame, répondit-elle, monsieur l'abbé...--Eh bien, +qu'a-t-il fait? reprit sa maîtresse. Dans le moment rentre l'abbé en se +cachant le visage avec son mouchoir. Les ris de la suivante augmentèrent +à sa vue.--Qu'avez-vous donc? lui demanda Mme Dinville.--Regardez mon +visage, répondit-il, et jugez de l'ouvrage de Mlle Suzon.--De Suzon? +reprit Mme Dinville en éclatant à son tour.--Voilà ce que coûte un +baiser, poursuivit-il froidement; ce n'est pas l'acheter trop cher, +comme vous voyez. L'air aisé avec lequel l'abbé nous parlait de son +malheur me fit rire comme les autres. Il soutint sur le même ton les +railleries peu ménagées de Mme Dinville. Elle s'habilla: l'abbé, malgré +le mauvais état de son visage, fit le coquet à la toilette, contrôla la +coiffure et divertit madame, qui riait de ses balivernes. La suivante +pestait contre ses corrections, et moi je riais de la figure du petit +homme. Allons dîner. + +Nous étions quatre à table, Mme Dinville, Suzon, l'abbé et moi. Qui fit +une sotte figure? Ce fut moi, quand je me trouvai vis-à -vis de Suzon; +l'abbé, qui était à son côté, faisait bonne mine à mauvais jeu, et +voulait persuader à madame Dinville que ses traits railleurs n'étaient +pas capables de le déconcerter. Suzon n'était guère moins confuse. Je +voyais pourtant dans ses regards furtifs qu'elle aurait voulu que nous +eussions été seuls. Sa vue m'avait encore rendu infidèle à Mme Dinville, +et je désirais sortir de table pour essayer de nous dérober. Le dîner +fini, je fis signe à Suzon: elle m'entendit, et sortit. J'allais la +suivre; Mme Dinville m'arrêta, en m'annonçant que je lui servirais +d'écuyer à la promenade. Se promener à quatre heures après midi dans +l'été, cela parut extravagant à l'abbé; mais ce n'était pas pour lui +plaire qu'elle le faisait. Elle ne voulait pas exposer le teint de +l'abbé à l'ardeur du soleil; aussi prit-il le parti de rester. J'aurais +bien voulu ne pas suivre Mme Dinville, pour courir vers Suzon; mais je +me crus obligé de sacrifier mon envie à la déférence dont je devais +payer l'honneur qu'on me faisait. + +Suivis des yeux par l'abbé, qui se pâmait de rire, nous marchions avec +une gravité concertée au milieu des parterres, sur lesquels le soleil +dardait ses rayons. Mme Dinville ne leur opposait qu'un simple éventail, +et moi l'habitude. Nous fîmes plusieurs tours avec une indifférence qui +désespérait l'abbé. Je ne pénétrais pas encore le dessein de la dame, et +je ne concevais pas comment elle pouvait résister à une chaleur que je +trouvais insupportable. Ma qualité d'écuyer me pesait, et j'y aurais +volontiers renoncé: mais j'ignorais les fonctions de cet emploi, et on +m'en réservait une qui devait me consoler de l'ennui de la première. + +L'abbé s'étant retiré, nous nous trouvâmes au bout de l'allée. Mme +Dinville gagna un petit bosquet dont la fraîcheur nous promettait une +promenade charmante, si nous y restions. Je le lui dis.--Soit, me +répondit-elle, en cherchant à pénétrer dans mes yeux si je n'étais pas +au fait du motif de sa promenade. Elle n'y vit rien. Je ne m'attendais +pas au bonheur qui m'était préparé. Elle me serrait affectueusement; et, +penchant sa tête près de mon épaule, approchait son visage si près du +mien que j'aurais été un sot si je n'y eusse pris un baiser, on me +laissa faire, je réitérai; même facilité, j'ouvris les yeux. Oh! pour le +coup, dis-je, c'est une affaire faite; nous n'aurons pas ici +d'importuns. Ayant pénétré ma pensée, nous nous engageâmes dans un +labyrinthe dont l'obscurité nous dérobait aux yeux des plus +clairvoyants. Elle s'assit à l'abri d'une charmille; j'en fis autant, et +me mis à côté d'elle. Elle me regarda, me serra la main et se coucha. Je +crus que l'heure du berger allait sonner, et déjà je préparais +l'aiguille, quand tout à coup elle s'endormit. Je crus d'abord que ce +n'était qu'un assoupissement qu'il me serait facile de dissiper; mais +voyant qu'il augmentait, je me désespérais d'un sommeil qui me devenait +suspect. Encore, disais-je, si elle avait satisfait mes désirs, je lui +pardonnerais! Mais s'endormir au moment du triomphe, je ne pouvais m'en +consoler. Je l'examinais avec douleur: elle avait les mêmes habits que +la veille; sa gorge était découverte, elle y avait mis son éventail, +qui, suivant les mouvements du sein, se soulevait assez pour m'en +laisser voir la blancheur et la régularité. Pressé par mes désirs je +voulais la réveiller: mais je craignais de l'indisposer et de perdre +l'espoir dont son réveil me flattait encore. Je cédai à la démangeaison +de porter la main sur sa gorge. Elle dort trop pour se réveiller, +disais-je. Quand elle se réveillerait, mettons les choses au pis, elle +me grondera, voilà tout! Essayons. Je portai une main tremblante sur un +téton, tandis que je regardais son visage, prêt à finir au moindre signe +qu'elle ferait; elle n'en fit pas, je continuai. Ma main ne frisait pour +ainsi dire que la superficie de son sein, comme une hirondelle qui rase +l'eau en y trempant ses ailes. Bientôt j'ôtai l'éventail, je pris un +baiser: rien ne la réveilla. Devenu plus hardi, je changeai de posture, +et mes yeux, animés par la vue des tétons, voulurent descendre plus bas. +Je mis la tête aux pieds de la dame, et, le visage contre terre, je +cherchai à pénétrer dans le pays de l'amour; mais je ne vis rien. Ses +jambes croisées et sa cuisse droite collée sur sa gauche mettaient mes +regards en défaut. Ne pouvant voir, je voulus toucher. Je coulai la main +sur la cuisse et j'avançai jusqu'au pied du mont. Déjà je touchais à +l'entrée de la grotte, et je croyais y borner mes désirs. Parvenu à ce +point, je ne m'en trouvai que plus malheureux. J'aurais voulu rendre mes +yeux participants des plaisirs de ma main; je la retirai, et je me mis à +ma place pour examiner de nouveau le visage de ma dormeuse. Il n'était +point altéré; le sommeil semblait avoir versé sur elle ses pavots les +plus assoupissants. J'entrevoyais cependant un oeil dont le clignotement +m'inquiétait. Je m'en défiais, et si dans l'instant il se fût fermé, +peut-être me serais-je contenté de ce que j'avais fait; mais +l'immobilité de cet oeil suspect me rendit la confiance. Je retournai à +mon poste inférieur, et commençai à lever doucement le jupon. Elle fit +un mouvement, je la crus réveillée. Je me retirai précipitamment, et, le +coeur saisi de frayeur, je me remis à ma place sans oser la regarder; +mais cette contrainte ne fut pas longue; mes yeux retournèrent sur elle; +je reconnus avec plaisir que le mouvement qu'elle avait fait ne venait +pas de son réveil, et je remerciai la fortune de mon heureuse situation. +Ses jambes étaient décroisées, son genou droit élevé, et le jupon tombé +sur son ventre, et je vis ses cuisses, ses jambes, sa motte, son con! Ce +spectacle me charma. Un bas, proprement tiré, noué, sur le genou, avec +une jarretière feu et argent, une jambe faite au tour, un petit pied +mignon, une mule, la plus jolie du monde, des cuisses, ah! des cuisses +dont la blancheur éblouissait, rondes, douces, fermes, un con d'un rouge +de carmin entouré de petits poils plus noirs que le jais, et d'où +sortait une odeur plus douce que celle des parfums les plus délicieux! +J'y mis le doigt, je le chatouillai un peu; le mouvement qu'elle avait +fait ayant écarté ses jambes, j'y portai aussitôt la bouche en tâchant +d'y enfoncer la langue. Je bandais d'une extrême force. Ah! les +comparaisons l'exprimeraient mal! Rien ne put alors m'arrêter: crainte, +respect, tout disparut. En proie aux désirs les plus violents, j'aurais +foutu la sultane favorite en présence de mille eunuques, le cimeterre +nu, et prêts à laver mes plaisirs dans mon sang. J'enconnai Mme Dinville +sans m'appuyer sur elle, crainte de la réveiller. Appuyé sur mes deux +mains, je ne la touchais qu'avec mon vit; un mouvement doux et réglé me +faisait avaler à longs traits le plaisir: je n'en prenais que la fleur. + +Les yeux fixés sur ceux de ma dormeuse, je collai de temps à autre ma +bouche sur la sienne: La précaution que j'avais prise de m'appuyer sur +mes mains ne tint pas contre mon ravissement. Plus d'attention, je me +laissai tomber sur elle; il ne fut plus en mon pouvoir de faire autre +chose que la serrer et la baiser avec fureur. La fin du plaisir me +rendit l'usage de mes yeux, que le commencement m'avait ôté; elle me +rendit le sentiment que j'avais perdu: je ne le recouvrai que pour avoir +des transports de Mme Dinville que je n'étais plus en état de partager. +Elle venait de croiser les mains sur mes fesses, et, élevant le +derrière, qu'elle remuait avec vivacité, m'attirait sur elle de toute sa +force. J'étais immobile, et je lui baisais encore la bouche avec un +reste de feu que le sien commençait à rallumer.--Cher ami, me dit-elle à +demi-voix, pousse encore un peu, ah! ne me laisse pas en chemin. Je me +remis au travail avec une ardeur qui surpassa la sienne, car, à peine +eus-je donné cinq ou six coups, qu'elle perdit connaissance. Plus animé +que jamais, je doublai le pas, et, tombant sans mouvement dans ses bras, +nous confondîmes nos plaisirs dans nos embrassements. Revenus de notre +extase, quand je me retirai, ce ne fut pas sans confusion. Je baissais +la vue, la dame avait les yeux tournés sur moi et m'examinait. J'étais +sur mon séant; elle me passa une main sur le col, me fit recoucher sur +l'herbe, et porta l'autre main à mon vit: elle se mit à le baiser.--Que +veux-tu donc faire, grand innocent? me dit-elle; as-tu peur de me +montrer un vit dont tu te sers si bien? Te cachai-je quelque chose, moi? +Tiens, vois mes tétons, baise-les; mets cette main-là dans mon sein, +bon; et celle-ci, porte-la à mon con, à merveille! Ah! fripon, que tu me +fais de plaisir! Animé par ses caresses, j'y répondais avec ardeur; mon +doigt s'acquittait bien de sa fonction: elle roulait des yeux passionnés +et soupirait beaucoup; ma cuisse droite était passée dans les siennes; +elle la serrait avec tant de plaisir que, se laissant tomber sur moi, +elle m'en donna des preuves parlantes. + +Mon vit avait repris toute sa roideur, mes désirs renaissaient avec une +nouvelle vivacité. Je me mis à mon tour à l'embrasser, à la serrer dans +mes bras. Elle ne me répondait que par des baisers. J'avais toujours le +doigt dans son con; je lui écartai les jambes en regardant ce charmant +endroit avec complaisance. Ces approches du plaisir sont plus piquantes +que le plaisir même. Est-il possible d'imaginer quelque chose de plus +délicieux que de manier, que de considérer une femme qui se prête à +toutes les postures que notre lubricité peut inventer? On se perd, on +s'abîme, on s'anéantit dans l'examen d'un joli con, on voudrait n'être +qu'un vit pour pouvoir s'y engloutir. Pourquoi n'a-t-on pas la prudence +de s'en tenir à ce charmant badinage? L'homme, insatiable dans ses +désirs, en forme de nouveaux dans le sein des plaisirs mêmes; plus les +plaisirs qu'il goûte sont vifs, plus les degrés qu'ils font naître sont +violents. Découvrez une partie de votre gorge à votre amant, il veut la +voir tout entière; montrez-lui un petit téton blanc et dur, il veut le +toucher: c'est un hydropique dont la soif s'accroît en buvant; +laissez-le lui toucher, il voudra le baiser; laissez-lui porter la main +plus bas, il voudra y porter son vit: son esprit ingénieux à forger de +nouvelles chimères, ne lui laissera pas de repos qu'il ne vous l'ait +mis. S'il vous le met, qu'arrive-t-il? Semblable au chien de la fable, +il lâche l'os pour prendre l'ombre, il perd tout en voulant tout avoir. +Tout cela est excellent, mais, après tout, il en faut toujours revenir +au proverbe: _Vit bandant n'a point d'arrêt_; et moi-même qui prêche ici +comme un docteur, hélas! si le ciel l'avait voulu, je serais le premier +à faire le contraire de ce que je dis. S'il se présentait une femme dans +l'attitude où j'avais mis madame Dinville, les jambes écartées, me +montrant un con rouge et vermeil, où il ne tiendrait qu'à moi de me +plonger dans la source des plaisirs, m'amuserai-je à lanterner, à +baisoter, à chatouiller, à la foutaise, enfin? Non, parbleu! je la +foutrais _sonica_. Jugez, si je fus longtemps à coniller autour de ma +fouteuse. Je l'enconnai vigoureusement; elle, vive et infatigable, +m'embrassa en répondant avec un mouvement égal aux coups que je lui +donnais. J'avais les mains croisées sous ses fesses; elle avait les +siennes croisées sur les miennes; je la serrais avec transport, elle me +serrait de même; nos bouches étaient collées l'une sur l'autre; elles +étaient deux cons, nos langues se foutaient; nos soupirs poussés et +confondus l'un dans l'autre, nous causaient une douce langueur qui fut +bientôt couronnée par une extase qui nous enleva, qui nous anéantit. + +On a raison de dire que la vigueur est un présent du ciel. Libéral +envers ses fidèles serviteurs, il consent que leurs rejetons participent +à cette libéralité, et que la force génitale soit héréditaire, et passe +des moines à leurs enfants: c'est le seul patrimoine qu'ils laissent. +Hélas! je l'ai promptement dissipé ce patrimoine! Mais n'anticipons pas +sur les événements; retarder le récit de son malheur, c'est en adoucir +le sentiment. + +Toute l'étendue du don du ciel m'était nécessaire pour sortir à mon +honneur de l'aventure où j'étais engagé. Si j'avais à faire à forte +partie je pouvais sans vanité m'appliquer les paroles du Cid: + + Je suis jeune, il est vrai, mais aux âmes bien nées + La valeur n'attend pas le nombre des années. + +J'en avais jusqu'alors donné les marques les plus vigoureuses à Mme +Dinville; mais il semblait que son courage s'accrût avec ma résistance, +et elle s'aperçut bientôt que je ne battais plus qu'en retraite, elle +m'excitait, elle m'animait à lui porter de nouveaux coups; elle s'y +présentait, et contribuait par ses caresses à me procurer une nouvelle +victoire. Je recommençais à la regarder avec langueur; je retrouvais du +plaisir à lui baiser la gorge: je lui grattais le con avec plus de +vitesse, je soupirais. Elle s'aperçut de l'heureuse disposition où ses +caresses m'avaient mis. Ah! fripon! me dit-elle en me baisant les yeux, +tu bandes; qu'il est gros! qu'il est long! Coquin! tu feras fortune avec +un tel vit. Eh bien, veux-tu recommencer, dis! Je ne lui répondis qu'en +la renversant. Attends donc, reprit-elle, attends, mon ami, je veux te +donner un plaisir nouveau, je veux te foutre à mon tour: couche-toi +comme je l'étais tout à l'heure. Je me couchai aussitôt sur le dos; elle +monta sur moi, me prit elle-même le vit, me le plaça, et se mit à +pousser. Je ne remuais pas; elle faisait tout, et je recevais le +plaisir. Je la contemplais, elle interrompit son ouvrage pour m'accabler +de baisers; ses tétons cédaient au mouvement de son corps et venaient se +reposer sur ma bouche. Une sensation voluptueuse m'avertit de l'approche +du plaisir. Je joignis mes élancements à ceux de ma fouteuse, et nous +nageâmes bientôt dans le foutre. Brisé par les assauts que j'avais reçus +et livrés depuis près de deux heures, le sommeil me gagna. Mme Dinville +me plaça elle-même la tête sur son sein, et voulut que je goûtasse les +douceurs du sommeil dans un endroit où je venais de goûter celles de +l'amour.--Dors, me dit-elle, mon cher amour; dors tranquillement; je me +contenterai de te voir. Je dormis d'un profond sommeil, et le soleil +s'approchait de l'horizon quand je me réveillai. Je n'ouvris les yeux +que pour envisager Mme Dinville, qui me regardait d'un air riant. Elle +s'était occupée à faire des noeuds pendant mon sommeil. Elle interrompit +son ouvrage pour me glisser la langue dans la bouche, elle le laissa +bientôt, dans l'espérance que j'allais l'occuper à faire des noeuds +d'une autre espèce. Elle ne me cacha point ses désirs et me pressa de +les satisfaire. J'étais d'une nonchalance qui irritait son impatience. +Je n'avais pourtant ni dégoût, ni envie; je sentais que s'il eût dépendu +de moi, j'aurais préféré le repos à l'action. Ce n'était pas là le +dessein de la dame, qui m'accablait en vain de caresses brûlantes et +voulait réveiller en moi des désirs que je n'avais plus. Elle s'y prit +d'une autre façon pour animer ma chaleur éteinte. Elle se coucha sur le +dos, et se troussa. Elle connaissait combien une semblable vue avait de +pouvoir sur moi, et, me prenant le vit, elle me branlait avec plus ou +moins de vitesse, proportionnément aux degrés de volupté qu'elle sentait +naître. Elle en vint enfin à son honneur: je bandai, elle triomphait. Le +retour de ma virilité la réjouit beaucoup. Charmé moi-même de l'effet de +ses caresses, je lui donnai des marques de reconnaissance qu'elle reçut +avec fureur. Elle me serrait, s'élançait avec des mouvements si +passionnés que je déchargeai soudain, et avec tant de plaisir que je +voulus du mal à mon vit de l'obstacle qu'il avait apporté par sa lenteur +à la jouissance. Afin de tromper la vigilance des curieux, nous +quittâmes le gazon où nous venions de nous livrer aux plaisirs de +l'amour; nous fîmes quelques tours dans le jardin, et ces tours ne se +firent pas sans causer.--Que je suis contente de toi, mon cher Saturnin, +me disait Mme Dinville, et toi?--Moi, lui répondis-je, je suis enchanté +des plaisirs que vous venez de me faire goûter!--Oui, reprit-elle, mais +je ne suis guère sage de m'être ainsi livrée à tes désirs; sauras-tu +être discret, Saturnin?--Ah! vous ne m'aimez guère, lui dis-je, puisque +vous me croyez capable d'abuser de vos bontés. Contente de ma réponse un +tendre baiser en aurait été le prix si nous n'avions pas été aperçus. +Elle me serra la main contre son coeur, et me regarda d'un air de +langueur qui me charma. + +Nous allions vite; la conversation était tombée, et je m'aperçus que Mme +Dinville jetait un oeil inquiet de côté et d'autre. Je n'avais garde +d'en pénétrer la cause, ne la soupçonnant pas; vous ne l'auriez pas +soupçonnée vous-même, et vous ne vous seriez pas attendu qu'après avoir +travaillé comme nous l'avions fait, la dame ne fût pas contente de sa +journée. L'envie de la couronner avec honneur la rendait attentive à +examiner si quelque indiscret ne viendrait pas y mettre obstacle. Mais, +direz-vous, elle avait donc le diable au cul? D'accord; elle venait de +sucer ce pauvre petit bougre; il n'en pouvait plus; il était rendu, cela +est vrai; mais comment a-t-elle fait pour le faire bander? Oh! c'est ce +que je vais vous démontrer. + +En garçon qui commençait à savoir son monde, puisque je venais d'y faire +une entrée assez brillante, j'aurais manqué à mon devoir si je n'avais +pas conduit Mme Dinville dans son appartement. Je me préparais à lui +tirer ma révérence, à l'embrasser pour la dernière fois de la journée, +quand elle me dit: Tu veux t'en aller, mon ami? il n'est pas huit +heures: va, reste, je ferai la paix avec ton curé. (Je lui avais dit que +j'étais un des pensionnaires de M. le curé.) L'idée du presbytère me +chagrinait, et je n'étais pas fâché que Mme Dinville m'épargnât une +heure de dégoût. Nous nous assîmes sur son canapé, et, après avoir fermé +sa porte, elle me prit une main qu'elle pressa dans les siennes et me +regarda fixement, sans mot dire. Ne sachant que penser de ce silence, +elle le rompit en me disant: tu ne te sens donc plus d'envie? Mon +impuissance me rendait muet; je rougissais de ma faiblesse. Nous sommes +seuls, Saturnin, reprit-elle en redoublant ses caresses; personne ne +nous voit: déshabillons-nous et couchons-nous sur mon lit. Viens, mon +fouteur, que je te fasse bander! Elle me porta sur son lit, m'aida à me +déshabiller, et me vit bientôt dans l'état qu'elle me désirait, nu comme +la main. Je la laissais faire, plutôt par complaisance que par l'idée du +plaisir. Elle me renverse, me couvre de baisers, me suce le vit, et +aurait voulu le faire entrer jusqu'aux couilles dans sa bouche. Elle +semblait extasiée dans cette posture, me couvrait d'une salive semblable +à de l'écume; mais elle employait en vain toute la chaleur de ses +caresses pour ranimer un corps glacé par l'épuisement. A peine mon vit +se redressait-il, et c'était si faiblement, que, n'en pouvant tirer +aucun service, elle courut d'abord chercher dans une cassette une petite +fiole de liqueur blanchâtre qu'elle versa dans le creux de sa main, et +m'en frotta les couilles et le vit à plusieurs reprises. Va, me dit-elle +alors avec satisfaction, nos plaisirs ne sont pas encore passés: tu m'en +diras tout à l'heure des nouvelles. Sa prédiction s'accomplit; je sentis +bientôt des picotements dans les couilles qui commencèrent à me faire +entrevoir la possibilité de la réussite de son secret. Pour lui donner +le temps d'opérer, elle se déshabilla à son tour. A peine se fut-elle +montrée nue à mes yeux qu'une chaleur prodigieuse m'enflamma le sang, +mon vit banda, mais d'une force inexprimable. Je devins enragé et, +m'élançant sur elle, à peine lui donnai-je le temps de se mettre en +posture. Je la dévorais; je ne voyais plus, ne connaissais plus rien: +toutes mes idées étaient concentrées dans son con. Arrête, mon amour! +s'écria-t-elle en s'arrachant de mes bras; ne nous pressons pas si fort; +ménageons nos plaisirs, et, puisqu'ils ne durent qu'un instant, +rendons-les vifs et délicieux. Mets ta tête à mes pieds, et tes pieds à +la mienne. Je le fis. Mets ta langue dans mon con, ajouta-t-elle, et moi +je vais mettre ton vit dans ma bouche. Nous y voilà ! Cher ami, que tu me +fais de plaisir! Dieux! qu'elle m'en faisait aussi! Mon corps étendu sur +son corps nageait dans une mer de délices; je lui dardais ma langue le +plus avant que je pouvais; j'aurais voulu y mettre la tête, m'y mettre +tout entier! Je suçais son clitoris; j'allais chercher un nectar +rafraîchissant jusqu'au fond de son con, plus délicieux mille fois que +l'imagination des poètes faisait servir sur la table des dieux par la +déesse de la jeunesse, à moins que ce ne fût le même et que la charmante +Hébé ne leur donnât son conin à sucer. Si cela est, tous les éloges +qu'ils ont donnés à cette boisson divine sont bien au-dessous de la +réalité. Quelque critique de mauvaise humeur m'arrêtera ici tout court +et me dira: Que buvaient donc les déesses? Elles suçaient le vit de +Ganimède! Mme Dinville me tenait le derrière serré et je pressais ses +fesses: elle me branlait avec la langue et avec les lèvres, je lui en +faisais autant; elle m'avertissait, par de petites secousses et en +écartant les cuisses, du plaisir qu'elle ressentait, et les mêmes signes +qui m'échappaient lui faisaient connaître celui que j'avais. Modérant ou +augmentant la vivacité de nos caresses, nous plongions ou nous avancions +celui qui devait y mettre le comble; il vint insensiblement; alors, nous +roidissant, nous serrant avec plus de force, il semblait que nous +eussions ramassé toutes les facultés de l'âme pour ne nous occuper que +des délices que nous allions goûter. + + Loin d'ici, fouteurs à la glace, + Dont le vit, effrayé d'aller jusqu'à deux coups, + Mollit au premier choc et déserte la place; + Loin d'ici: mes transports ne sont plus faits pour vous. + +Nous déchargeâmes en même temps; je pressai dans ce moment, je couvris +avec mes lèvres tout le con de ma fouteuse; je reçus dans ma bouche tout +le foutre qui en sortait: je l'avalai; elle en fit autant de celui qui +sortait de mon vit. Le charme se dissipa; je ne gardai du plaisir que je +venais d'avoir qu'une légère idée qui s'évanouit comme l'ombre. Tels +sont les plaisirs. + +Retombé dans le même état de dégoût et d'affaiblissement dont le secret +de Mme Dinville m'avait retiré, je la pressai d'y recourir encore.--Non, +mon cher Saturnin; je t'aime trop pour vouloir te donner la mort. Sois +content de ce que nous avons fait. Je n'étais pas pressé de mourir, et +un plaisir qu'il me fallait acheter aux dépens de ma vie n'était plus de +mon goût. Nous nous rhabillâmes. + +J'étais trop content de ma journée pour négliger de prendre des +assurances d'en passer encore de semblables. Mme Dinville, qui n'était +pas plus mal satisfaite que moi, me prévint: Quand reviendras-tu? me +demanda-t-elle en m'embrassant.--Le plus tôt que je pourrai, lui +répondis-je, mais jamais assez tôt pour mon impatience; demain, par +exemple?--Non, me dit-elle en souriant, je te donne deux jours: reviens +le troisième, et le jour que tu viendras, continua-t-elle en rouvrant la +cassette d'où elle avait tiré l'eau admirable dont j'avais éprouvé la +vertu, et en me donnant quelques pastilles qu'elle y prit, tu auras soin +de manger cela. Surtout, Saturnin, sois discret; ne parle à personne de +tout ce que nous avons fait. Je l'assurai du secret et l'embrassai pour +la dernière fois, la laissant bien persuadée qu'elle venait de recevoir +mon pucelage. + +Mme Dinville était restée dans son appartement. Elle m'avait averti de +faire en sorte que l'on ne m'aperçût pas: l'obscurité me favorisait. Je +traversais une antichambre, quand je me vis arrêté, par qui: par Suzon. +Sa vue me rendit immobile: il semblait que sa présence me reprochât les +plaisirs que je venais de goûter. Mon imagination, d'intelligence avec +mon coeur pour m'accabler, la rendait témoin de tout ce que je venais de +faire. Elle me prit la main, et demeura sans parler. La confusion me +faisait baisser la vue. Inquiet cependant de son silence, je ne confiai +qu'à mes yeux le soin de lui en demander la cause; je les levai sur +elle, je m'aperçus qu'elle versait des larmes. Ce spectacle me perça le +coeur. Suzon y reprit dans le moment l'empire que les caresses de Mme +Dinville lui avaient enlevé. Je ne pouvais concevoir que sa maîtresse +eût fasciné mes yeux et mon coeur au point de ne voir qu'elle, de n'être +sensible qu'au plaisir d'être avec elle, et j'avais la simplicité de +regarder comme l'effet de quelque sortilège ce qui n'était que l'effet +de mon tempérament et de l'attrait des plaisirs.--Suzon, dis-je à ma +soeur d'un ton pénétré, tu pleures, ma chère Suzon; tes yeux se couvrent +de larmes quand tu me vois; est-ce moi qui les fais couler?--Oui, c'est +toi, me répondit-elle; je rougis de te l'avouer, cruel Saturnin, oui, +c'est toi qui me les arraches; c'est toi qui me désespères et qui vas me +faire mourir de douleur.--Moi, m'écriai-je; juste ciel! Suzon, oses-tu +me faire de pareils reproches? Les ai-je mérités, moi qui t'aime?--Tu +m'aimes, reprit-elle: ah, je serais trop heureuse si tu disais vrai! +Mais peut-être viens-tu de jurer la même chose à Mme Dinville. Si tu +m'aimais, l'aurais-tu suivie? N'aurais-tu pas imaginé un prétexte pour +venir me trouver quand je suis sortie? Vaut-elle mieux que moi? Qu'as-tu +fait avec elle toute l'après-dînée? Qu'as-tu dit? Pensais-tu à Suzon qui +t'aime plus que sa vie? Oui. Saturnin, je t'aime; tu m'as inspiré une si +forte passion, que je mourrais de douleur si tu n'y répondais pas. Tu te +tais? poursuivit-elle; ah! je le vois, ton coeur ne se faisait pas de +violence pour suivre une rivale que je vais haïr à la mort. Elle t'aime, +je n'en saurai douter; tu l'aimes aussi: tu n'étais occupé que du +plaisir qu'elle te promettait, tu ne songeais guère à la douleur que tu +m'allais causer. Attendri par ses reproches, je ne pus dissimuler à +Suzon qu'ils déchiraient mon coeur.--Cesse tes plaintes, lui dis-je; +n'accable plus ton malheureux frère; tes larmes le désespèrent; je +t'aime plus que moi-même, plus que je ne peux te dire!--Ah! reprit-elle, +tu me rends la vie, et je consens à oublier ton injure si tu me promets +de ne plus voir Mme Dinville. As-tu assez d'amour pour ta Suzon pour la +lui sacrifier:--Oui, lui répondis-je, je te la sacrifie; tous ses +charmes ne valent pas un seul de tes baisers. En lui disant cela, je +l'embrassais, et elle ne rebutait pas mes caresses.--Saturnin, +reprit-elle en me serrant tendrement la main, sois sincère: Mme Dinville +aura exigé de toi que tu reviennes la voir: quand t'a-t-elle dit de +revenir?--Dans trois jours, lui répondis-je.--Et tu viendras, Saturnin? +me dit-elle tristement.--Que dois-je faire? lui répliquai-je. Si je +viens, ce sera pour la désespérer par mon indifférence; si je ne viens +pas, qu'il en coûtera à mon coeur de ne pas voir Suzon!--Je veux que tu +reviennes, reprit-elle, mais il ne faudra pas qu'elle te voie; je ferai +semblant d'être malade; je resterai au lit, nous passerons la journée +ensemble; mais, ajouta-t-elle, tu ne sais pas où est ma chambre? +Suis-moi: je vais t'y conduire. Je me laissai mener; j'étais tremblant, +je pressentais le malheur qui m'allait arriver.--Voici, me dit Suzon, +mon appartement. Regretterais-tu d'y passer la journée avec moi? Ah! +Suzon, lui répondis-je, quelles délices tu me promets! Nous serons +seuls, nous nous abandonnerons à nos amours! Suzon, conçois-tu ce +bonheur comme moi? Elle se taisait et paraissait rêver profondément; je +la pressai de s'expliquer.--Je t'entends, me dit-elle d'un ton +d'indignation; tandis que nous serons seuls, que nous nous livrerons à +l'amour, ah! Saturnin, que tu parles de ce jour avec indifférence, et +que les plaisirs qu'il te promet te touchent peu, si tu as la force de +les attendre deux jours! + +Je sentis son reproche: l'impossibilité de lui en prouver l'injustice me +désespérait, je maudissais les plaisirs que je venais de goûter avec Mme +Dinville. Ciel! m'écriai-je, je suis avec Suzon, j'aurais donné mon sang +pour jouir de ce bonheur! J'y suis, et je n'ai pas la force de former un +désir! Au milieu de cette confusion de pensées, je me ressouvins des +pastilles que Mme Dinville m'avait données. Je jugeai que l'effet devait +en être semblable à celui de son eau. Ne doutant pas qu'il ne fût aussi +prompt, j'en avalai quelques-unes. L'espoir de désabuser bientôt Suzon +me la fit embrasser avec une ardeur qui nous trompa tous deux. Suzon la +prit pour un témoignage de mon amour, et moi, comme une marque de retour +de ma vigueur. Suzon abusée par l'idée du plaisir, tomba sur son lit à +demi pâmée. Quoique je me défiasse encore de moi-même, j'aurais cru +l'accabler de douleur si je ne m'étais pas mis en état de justifier son +espérance. Je me couchai sur elle, et collant ma bouche sur la sienne, +je lui mis mon vit dans la main. Il était encore mou, mais je crus que +son secours hâterait l'effet des pastilles. Elle le serrait, le remuait, +le branlait; rien n'avançait: un froid mortel m'avait glacé le corps! +C'est Suzon, disais-je, que j'embrasse, et je ne bande pas! Je baise ses +tétons que j'idolâtrais hier; ne sont-ils plus les mêmes aujourd'hui? +ils n'ont rien perdu de leur rondeur, de leur dureté, de leur blancheur. +Sa peau est aussi douce, ses cuisses aussi brûlantes. Elle les écarte, +j'ai le doigt dans son con, hélas! et je ne puis y mettre que le doigt! +Suzon soupirait de ma faiblesse; je maudissais le présent de Mme +Dinville. Je m'imaginais qu'elle avait prévu ce qui devait m'arriver en +sortant de chez elle, et avait voulu achever avec ses pastilles +l'épuisement où j'étais. L'opiniâtreté de ma froideur confirma si bien +cette pensée, que j'allais avouer mon impuissance à Suzon, quand je +sortis d'embarras d'une manière inattendue. On va penser que l'amour fit +d'abord un miracle, que je bandai et que je foutis: point du tout; une +main invisible ouvrant avec fracas les rideaux du lit, vint m'appliquer +un soufflet. Effrayé de cet accident, je n'eus pas la force de crier; je +m'enfuis, et laissai Suzon exposée à la fureur du spectre, ne doutant +pas que ce n'en fût un. Je sortis du château en diligence, et tremblais +encore dans mon lit, où je m'étais mis en arrivant chez le curé, à qui +je fis le détail d'un spectacle que je n'avais pas vu et que mon trouble +croyait véritable. Je n'en imposai au curé que sur le lieu de la scène, +que je ne mis pas dans la chambre de Suzon. La frayeur et l'épuisement +me procurèrent un sommeil profond. Je me réveillai avec le même +accablement, et dans l'impossibilité de me lever. Surpris d'une +lassitude que je n'attribuais qu'au plaisir, je connus combien il est +nécessaire de se ménager, et ce que coûte trop de complaisance pour les +désirs de ces sirènes voluptueuses qui vous sucent, qui vous rongent et +qui ne vous lâcheraient qu'après avoir bu votre sang, si leur intérêt +soutenu de l'espérance de vous attirer encore par leurs caresses, ne les +retenait. Pourquoi ne fait-on ces réflexions qu'après coup? C'est qu'en +amour la raison n'éclaire que le repentir. + +Le repos avait effacé de mon esprit ces idées lugubres tracées par la +frayeur. Devenu tranquille sur mon compte, mon coeur ne sentait que les +inquiétudes que lui causait l'incertitude du sort de Suzon. Je me +représentais avec horreur l'état où je l'avais laissée. Elle sera morte, +disais-je tristement; timide comme je la connais, il n'en fallait pas +tant pour la faire mourir. Elle n'est donc plus! continuais-je, accablé +par cette réflexion cruelle. Suzon n'est plus! ah! ciel! Mon coeur, que +ces tristes pensées avaient serré d'abord, s'ouvrit bientôt à un torrent +de larmes; j'en versais encore quand Toinette entra. Sa vue m'épouvanta; +je tremblais qu'elle ne vînt me confirmer un malheur que je craignais, +et je mourais d'envie de l'entendre. Il n'en fut pas question. Son +silence à ce sujet, joint à celui de tout le monde, me fit croire que ma +douleur était sans fondement. Je pensai que Suzon en avait été quitte +comme moi de la frayeur. Le chagrin que j'avais ressenti de sa mort fit +place à la curiosité de savoir ce qui s'était passé dans la chambre +après mon départ; mais c'était une curiosité que je ne pouvais +satisfaire qu'après mon rétablissement. + +Les deux jours de repos que Mme Dinville m'avait accordés étaient +expirés; nous étions au troisième, et quoique je commençasse à me sentir +mieux, je ne fus point tenté d'aller chercher de l'exercice au château. +Je ne songeais cependant qu'avec chagrin à l'obstacle que cette funeste +aventure avait mis au plaisir que je m'étais promis d'avoir avec Suzon. +Cette réflexion me fit penser aux pastilles de Mme Dinville: je mangeai +ce qu'il m'en restait. Je ne dirai pas si leur effet fut vif ou lent; +mais, après avoir profondément dormi, je fus réveillé par la force de +l'érection que je sentais. J'en étais effrayé, et j'aurais craint pour +mes nerfs si la même chose ne me fût pas arrivée chez Mme Dinville. +Qu'on rie de mon embarras; qu'on dise si l'on veut: Eh quoi! brave +Saturnin, n'aviez-vous pas vos quatre doigts et le pouce pour vous +soulager? Comment font ces cafards de prêtres, ces hypocrites dont le +coeur est corrompu? On ne trouve pas toujours un bordel, une dévote sous +la main; mais on a toujours un vit: on s'en sert, on se branle. Je le +savais, mais il n'y avait pas longtemps que, pour m'en être trop donné, +je me trouvais brisé, moulu. En garde contre la tentation, je me +branlotais et faisais venir le plaisir jusqu'à ma portée. Quoiqu'il ne +soit pas si grand que quand on fait le cas, on a toujours la faculté de +le répéter autant de fois qu'on le juge à propos. L'imagination se joue, +voltige sur les objets qui nous charment les yeux. Avec un coup de +poignet, on fout la brune, la blonde, la petite, la grande; les désirs +ne connaissent pas l'intervalle des conditions; ils vont jusque sur le +trône, et les beautés les plus fières, forcées de céder, accordent ce +qu'on leur demande. Du trône on descend à la grisette; on se représente +une fille timide, neuve sur les plaisirs de l'amour et qui ne connaît la +nature des désirs que par ceux qu'elle ressent. On lui donne un baiser; +elle rougit; on lève un mouchoir qui cache une gorge naissante; on +descend plus bas: on y trouve un petit conin chaud, brûlant; on lui fait +faire une résistance que le plaisir augmente, diminue, fait évanouir à +son gré. Le plaisir est vif et pétillant. Semblable à ces feux qui +sortent de la terre, il se montre et s'échappe? l'avez-vous vu? Non; la +sensation qu'il a excitée dans votre âme a été si vive, si rapide, +qu'anéantie par la force de son impulsion elle n'a pu le connaître. Le +vrai moyen de le fixer, c'est de badiner avec lui, de le laisser +échapper, de le retrouver enfin, en vous livrant tout entier à ses +transports. + +J'étais dans cette occupation, la nuit était déjà fort avancée, j'allais +finir mon badinage pour m'abandonner au sommeil, quand j'entrevis +quelqu'un paraître au pied de mon lit et disparaître à l'instant. Je fus +moins effrayé que réveillé par une pareille vision. Je crus que c'était +l'abbé dont je vous ai parlé dans le portrait de mademoiselle Nicole. +C'est lui, disais-je, oui; où va ce bougre-là ? Foutre Nicole? Ira-t-il +seul? Non, parbleu! car je vais le suivre. Je me lève; j'étais en habit +de combat, c'est-à -dire en chemise: je savais les êtres. Je gagnai le +corridor où était la chambre de la belle. J'entrai dans une chambre dont +la porte n'était pas fermée; je la repoussai et m'approchai avec +circonspection du lit où je croyais nos amants occupés à prendre leurs +ébats. J'écoutais, j'attendais que des soupirs m'apprissent si mon tour +viendrait bientôt. Quelqu'un respirait; mais ce quelqu'un paraissait +être seul. Ne serait-il pas venu? dis-je alors bien étonné. Non, +assurément il n'y est pas. Oh! parbleu, monsieur l'abbé, vous n'en +tâterez, ma foi! que d'une dent. Dans l'instant, je coulai ma main entre +les jambes de la belle dormeuse, et je lui donnai un baiser sur la +bouche.--Ah! me dit-on d'une voix basse, que vous vous êtes fait +attendre! Je dormais; montez donc. Ma foi! Je montai dans le lit, et +bientôt sur ma Vénus, qui me reçut assez froidement dans ses bras. Je +fus sensible à cette marque d'indifférence qu'elle croyait donner à son +amant, et je m'applaudis du succès que la fortune me donnait, en me +procurant une vengeance aussi douce des mépris de ma tigresse. Je la +baisais à la bouche, lui pressais les yeux avec les lèvres, me livrais à +des transports d'autant plus vifs qu'on leur avait toujours refusé la +liberté d'éclater. Je lui maniais les tétons, qui étaient bien séparés, +bien formés, bien durs. Je nageais dans un fleuve de délices; je fis +enfin ce que j'avais souhaité tant de fois de faire avec divinité. +Assurément, elle ne s'attendait pas à être si bien régalée. A peine +eus-je fini ma carrière, que, me sentant encore plus animé que jamais, +je repris du champ, et je donnai une nouvelle matière à ses éloges. Je +l'avais mise en goût et jugeai par ses caresses qu'elle n'attendait plus +que cette troisième preuve de valeur pour mettre cette nuit au-dessus de +toutes celles qu'elle disait que nous avions passées ensemble. Quoique +je fusse capable de lui donner encore cette nouvelle satisfaction, la +crainte d'être surpris par l'abbé amortit un peu mon courage. Je ne +savais à quoi attribuer sa lenteur. Je ne pouvais en accuser qu'un +changement de résolution. Sur cette pensée, je crus que je pouvais +reprendre haleine et ne pas précipiter mes coups ainsi que je l'avais +fait. + +Deux décharges abattent un peu les fumées de l'amour; l'illusion se +dissipe, l'esprit rentre dans ses fonctions; les nuages s'évanouissent, +les objets cessent d'être ce qu'ils étaient. Les belles y gagnent, les +laides y perdent: tant pis pour elles. Je voudrais en passant donner un +conseil à celles-ci: Laides, quand vous accordez des faveurs à +quelqu'un, ménagez-le, ne l'en accablez pas: quand on n'a plus rien à +désirer, on ne désire plus; la passion s'éteint par une jouissance trop +complète. Prenez-y garde: vous n'avez pas les ressources d'une belle à +qui les charmes promettent le retour de ces désirs qu'elle vient +d'assouvir et que le moindre désir rallume. + +La réflexion que je viens de faire cadre le mieux du monde avec ce que +j'éprouvai. Je m'amusais à parcourir avec la main les beautés de ma +nymphe; j'étais surpris de trouver une différence dans les choses que +j'avais maniées un instant auparavant. Ses cuisses, qui m'avaient paru +douces, fermes, remplies, unies, étaient devenues ridées, molles, +sèches; son con n'était plus qu'une conasse, ses tétons que des +tétasses; ainsi du reste. Je ne pouvais concevoir un pareil prodige; +j'accusais mon imagination de s'être refroidie, je voulais du mal à ma +main du rapport trop fidèle qu'elle lui faisait. Ce n'est pas que ces +témoignages incertains m'eussent empêché de livrer un troisième assaut; +j'allais m'y présenter, et on se préparait à le recevoir, quand nous +entendîmes un charivari dans la chambre voisine, que je prenais pour +celle de la dame Françoise, notre vénérable gouvernante. Ah! le chien! +criait une voix enrouée; Ah! la misérable! ah! la... A ces mots ma +mignonne, que j'allais enconner, me dit: ah! mon Dieu, que fait-on à +notre fille; est-ce qu'on la tue? Allez donc voir. Je ne répondis rien. +Frappé de ce discours, je ne savais où j'en étais: Notre fille, +disais-je; Nicole aurait-elle une fille? Le bruit continuait, et l'on me +pressait d'aller au secours. Je ne m'en remuais pas davantage. On +s'impatiente, on court au fusil, on allume de la chandelle, et à sa +faveur je reconnais la dame Françoise, cette vieille... Je demeurai +pétrifié à la vue de ce fantôme; je vis bien que je m'étais trompé de +porte, et j'étais enragé de me voir la dupe de ce misérable abbé, ou +plutôt de mon impatience qui ne m'avait pas permis de faire attention à +la disposition des lieux. Je jugeai que M. le curé, s'étant trouvé en +humeur de s'ébaudir cette nuit-là avec sa chambrière, l'avait avertie de +se tenir prête pour la danse, et que, me prenant pour le pasteur, elle +m'avait reproché ma lenteur à me rendre à mon poste; que le saint prêtre +pour éviter le scandale, avait attendu que la nuit fût avancée pour +tenir parole à sa beauté; qu'ayant trouvé la porte de la chambre de sa +nièce ouverte, la tendresse l'avait fait courir à son lit, où il l'avait +trouvée en flagrant délit; que, frappé de l'idée d'infamie dont elle +couvrait son front, il avait donné aux combattants des témoignages de sa +colère plus forts que jeu. Mais le bruit redouble, on s'étrangle: eh! +vite, dame Françoise, volez sur le champ de bataille: l'honneur, +l'amour, la tendresse, tout vous en fait une loi; allez séparer des +ennemis dont la mort vous affligerait; mais, au nom de Dieu, laissez la +porte ouverte pour que je me sauve. Oh! la chienne! elle la ferme à +double tour. Malheureux Saturnin, comment vas-tu t'échapper? La dame +Françoise va s'apercevoir que ce n'est pas avec le curé qu'elle a eu +affaire, il va venir, il va te trouver, tu es perdu, tu payeras pour les +autres. Telles étaient les pensées qui m'agitaient tandis qu'on se +chamaillait dans la chambre voisine. Inutilement j'avais essayé de +sortir; réduit à pleurer mon triste malheur, je m'y abandonnais. Insensé +que j'étais, comme si je n'eusse pas déjà éprouvé qu'au sein du malheur +même on ne doit pas désespérer de sa félicité; qu'au moment où l'on se +croit accablé par les coups redoublés du sort nous devons au hasard les +jours les plus fortunés. Divine Providence, c'est par tes décrets que +ces merveilles s'opèrent. + +Au moment où je me livrais au désespoir, la fortune tournait sa roue. Le +bruit avait augmenté à la vue de Françoise, à qui le chandelier tomba +des mains à l'aspect du curé qu'elle prit pour un spectre. Qu'on se +peigne cette scène. Si j'en avais été témoin, j'en épargnerais la peine, +mais la connaissance des parties me met en état de fournir des idées +pour la perfection du tableau. Qu'on se figure M. le curé, nu, en +caleçon, un bonnet gras sur la tête, ses petits yeux étincelants, sa +grande bouche écumante, frappant comme un sourd sur l'abbé et sur la +nièce. Qu'on se représente ces deux amants, la belle tremblante et +s'enfonçant dans son lit, l'abbé se cachant sous la couverture et n'en +sortant que pour allonger de temps en temps des coups de poing sur le +visage du pasteur. Qu'on se trace la figure d'une mégère en chemise, +qui, la chandelle à la main, s'approche, veut crier, demeure interdite, +et tombe de frayeur sur une chaise. + +L'abbé, autant que j'en fus juge par le silence qui régna tout à coup, +craignant d'être découvert, gagna le large. Le curé l'avait suivi. On +ouvrit dans le moment ma porte, et on la referma sur-le-champ. Je +tremblais, on se coucha; nouvelle frayeur. Je crus que c'était +Françoise, et que le curé allait venir. Tout était pourtant calme, et +cette Françoise qui était dans le lit, pleurait et soupirait. J'étais +confus. Que penser de ces pleurs? Pourquoi soupire-t-elle? pourquoi +est-elle revenue? Le curé reviendra-t-il ou non? Ah! que l'incertitude +est une peine cruelle! Je voulais sortir, mais je n'osais: enfin, +j'allais m'évader quand le diable m'arrêta. Mon coeur me disait: Tu vas +te coucher, nigaud, et tu bandes encore! Tu abandonnes Françoise à son +chagrin: crains-tu de la consoler? c'est bien la moindre chose que tu +lui doives; elle t'a comblé de caresses, refuseras-tu d'essuyer ses +larmes? Elle est vieille, d'accord; laide, soit; mais n'a-t-elle pas un +con, nigaud? Ma foi? seigneur Diable, vous avez raison. + + Un con n'est jamais qu'un con; + Quand on bande tout est bon. + +Va, va, continua la voix intérieure, l'orage est passé; il n'y a plus +rien à craindre, remets-toi dans le lit. Je succombai à la tentation, je +m'y remis. Je commençai à me coucher, avec beaucoup de discrétion, sur +le bord; mais toute ma politesse ne put arrêter un cri de frayeur qui +partit et fut dans l'instant étouffé par la crainte d'être entendu. Je +sentis qu'on se retirait dans le coin du lit. Une pareille façon d'agir +augmentait ma surprise. Je crus que je la ferais bientôt cesser, en +expliquant mes intentions, et cette explication fut de porter la main +entre les cuisses de ma vieille: elles étaient redevenues tout ce qu'on +pouvait les souhaiter et pour exciter les plus vives émotions, plus +douces et plus fermes qu'elles ne m'avaient encore paru. Ma main ne s'y +arrêta pas longtemps, quelque plaisir qu'elle y sentît: elle passa au +conin. La motte, le ventre, les tétons, tout était aussi doux, aussi uni +qu'à une jeune fille. Je maniais, je baisais, je suçais, on me laissait +faire, et mon feu ranimant celui de ma belle, elle cessa de soupirer, se +rapprocha de moi et moi d'elle. De la tristesse je la fis passer à +l'amour; je l'enconnai.--Ah! me dit-elle alors, cher abbé, qui t'a +conduit ici? Que ton amour me va coûter de larmes! Quoique attendri par +ce discours, mes transports redoublèrent: je serrai tendrement ma +nymphe, confondis mes soupirs avec les siens, et scellai, par des +élancements de volupté, les délices qui les avaient précédés. L'extase +finie, je me rappelai les paroles qu'on venait de m'adresser. Où +suis-je? me dis-je alors. Est-ce avec Françoise? Quelle différence de +plaisirs! Mais elle me prend pour l'abbé; elle dit que mon amour va lui +faire verser des larmes: partagerait-elle avec Nicole les hommages de ce +faquin-là ? Elle est apparemment jalouse, la bonne dame; elle croyait +posséder toute seule le coeur de son mignon. Pourquoi est-elle vieille? +Pourquoi est-elle laide? Malgré sa laideur, j'eus encore assez de +hardiesse pour m'exposer au désagrément de l'examen dont je m'étais si +mal trouvé après les premiers coups. Ma main impatiente brûlait de +retourner sur son corps sec et décharné; et quoique je sentisse que le +dégoût serait le prix de mon imprudence, et que si je voulais courir +encore une poste, le meilleur parti était d'attendre le retour de ma +vigueur, sans la précipiter par un badinage qui pourrait bien au +contraire l'éloigner, je hasardai de porter la main; mais, ô surprise! +partout la même fermeté, le même embonpoint, la même chaleur, la même +douceur! Que veut dire ceci? repris-je alors. Est-ce Françoise? ne +l'est-ce pas? Non assurément, ce ne peut être que Nicole. O ciel! c'est +Nicole! J'en ai pour garants le plaisir qu'elle m'a donné et la +continuation de ce plaisir que je ressens encore à la toucher. Elle se +sera échappée de son lit, aura profité de la faiblesse de Françoise pour +venir se réfugier ici: elle s'imagine que son amant est venu aussi s'y +cacher! Je retrouvais dans cette explication toute naturelle des paroles +qu'elle m'avait adressées. Rempli de cette pensée, je sentis les désirs +qu'elle m'avait autrefois inspirés renaître avec plus de force. Le +croirait-on? J'eus regret aux plaisirs que je croyais n'avoir eus +qu'avec Françoise, parce que c'était autant de diminué sur ceux que +j'allais goûter avec Nicole. Je me mis en état de récompenser le temps +perdu.--Ma chère Nicole, lui dis-je en la baisant tendrement et en +tâchant de contrefaire la voix de l'abbé, de quoi t'occupes-tu? Peux-tu +te laisser aller à la tristesse, quand l'heureux hasard qui nous +rassemble veut que nous nous livrions à notre amour? Foutons, ma chère +enfant; noyons notre malheur dans le foutre!--Que tu me fais de plaisir, +me répliqua-t-elle en répondant à mes caresses! Ta douleur augmentait la +mienne. Oui, profitons du seul moyen que nous ayons de nous consoler. +Arrive tout ce qui pourra, tant que j'aurai cela dans la main, +continua-t-elle en me prenant le vit, je ne craindrai pas la mort même. +N'appréhende pas qu'on vienne nous interrompre, j'ai retiré la clef; ils +ne peuvent entrer qu'en jetant la porte en dedans. Charmé de cette +heureuse précaution inspirée par l'amour, je la caressais avec un +nouveau plaisir; mon vit, qu'elle tenait toujours dans sa main, était +toujours d'une raideur qui l'enchantait. Vite, lui dis-je, mets-le dans +ton cher conin; Nicole, que tu me fais languir! Elle ne se pressait pas, +continuait de serrer mon vit, et paraissait surprise de sa grosseur, +qu'elle prenait pour l'effet de ses caresses. Je voulus le mettre +moi-même.--Attends, mon cher ami, me répondit-elle en me pressant dans +ses bras; laisse-le venir encore plus gros et plus long. Ah! je ne l'ai +jamais vu plus beau: est-il augmenté cette nuit! l'abbé n'était pas +apparemment si bien partagé que moi des dons de la nature. J'aurais ri +de cette pensée de Nicole, si je n'avais pas été en humeur de faire +autre chose.--Ah! que je vais avoir de plaisir! reprit-elle en se le +mettant. Pousse, cher ami, pousse! Il n'était pas besoin de me le dire: +j'enfonçai, et, m'appesantissant sur sa gorge, sur son sein, je les +couvrais de baisers de feu, je restais immobile, j'y mourais.--Fais +donc! me dit Nicole, en se remuant avec des transports qui me tirèrent +de mon assoupissement extatique; fais donc! Je me mis aussitôt à lui +allonger des coups de cul, des coups de vit, qui lui allaient, +disait-elle, jusqu'au coeur. Ah! ceux qu'elle me rendait allaient bien +plus loin! Ils portaient le feu, ils me lançaient des torrents de +délices jusqu'aux parties les plus reculées de mon corps. O décharge! tu +es un rayon de la Divinité, ou plutôt n'es-tu pas la Divinité même? +Pourquoi ne meurt-on pas dans les transports? La mère du dieu des +buveurs ne mourut-elle pas quand Jupiter, cédant à ses instances, la +foutit en dieu? car ne vous y méprenez pas, messieurs les mythologistes, +ce n'est pas l'appareil, l'éclat, ni la majesté du souverain des cieux, +qui ravirent le jour à Sémélé: c'est le foutre embrasé qui sortait de +son vit. Mahomet, j'observe ta loi, je suis ton plus fidèle croyant; +mais tiens-moi parole; fais-moi jouir pendant mille ans des +embrassements continuels du plaisir toujours renaissant de la décharge +délicieuse que tu promets à tes fidèles avec tes houris rouges, +blanches, vertes, jaunes: la couleur n'y fait rien, que je décharge, +c'est tout ce qu'il me faut. + +Nicole était enchantée de moi, j'étais enchanté de Nicole. Quelle +différence entre une vieille et une jeune! Une jeune le fait par amour, +une vieille par habitude. Vieillards, laissez la fouterie à la jeunesse; +c'est un travail pour vous, c'est un plaisir pour elle. + +Mon vit, plus dur qu'il ne l'était avant l'action, restait dans son étui +sans s'amollir. Nicole me serrait avec plus de feu, et le même feu qui +m'animait me la faisait serrer avec plus de roideur encore, elle ne +m'aurait pas lâché pour un trône; je ne l'aurais pas quittée pour +l'empire de l'univers. Bientôt un mouvement nous fit recourir après ce +que nous venions de perdre. L'imprudence est le partage de l'amour; le +bonheur éblouit, on est trop occupé pour penser qu'il puisse s'évanouir. +Nous nous trahîmes par nos transports; le lit était appuyé contre la +cloison de la chambre voisine; nous ne songions pas que Françoise était +dans cette chambre, qu'elle pouvait se réveiller au bruit que nous +faisions par les secousses indiscrètes que nous donnions au lit, qui, +frappant contre cette cloison, l'eût bientôt mise au fait de ce qui se +passait dans la chambre. Plus vite que l'éclair, elle accourt à la +porte; point de clef: comment faire? Appeler Nicole; elle le fit. A +cette voix terrible nous fûmes glacés d'effroi; nous nous arrêtâmes tout +court, et la vieille cessa de crier; mais nous cessâmes bientôt d'être +sages. Trop animés pour rester longtemps dans notre inaction gênante, +nous reprîmes notre ouvrage; mais quoique nous le fissions avec toute la +discrétion possible, la vieille, qui avait l'oreille au guet, ne prit +pas le change. Elle démêla, dans le bruit sourd de nos soupirs et des +mots interrompus qui nous échappaient, le motif de notre silence. +Nouveau tapage. Nicole, criait-elle en frappant contre la cloison, +misérable Nicole, finiras-tu? Nouvelles alarmes de notre part; mais me +mettant bientôt au-dessus de la crainte, je dis à Nicole que, puisque +nous étions découvert, il était inutile de nous gêner. Elle approuva par +son silence cette résolution courageuse, et, me donnant elle-même le +premier coup de cul, en me remettant sa langue dans la bouche, elle me +piqua d'honneur; et tels que des généreux guerriers qui, bravant dans +les lignes le feu d'une artillerie meurtrière braquée contre eux sur un +rempart, continuent tranquillement leur ouvrage et rient du bruit +impuissant du canon qui gronde sur leur tête, nous travaillâmes +intrépidement au bruit des coups que Françoise donnait contre la +cloison. Nous achevâmes; et, soit que l'interruption, soit que le bruit +que la vieille faisait encore eût donné une pointe de vivacité à nos +plaisirs, nous nous avouâmes réciproquement que nous n'en avions pas +encore goûté d'aussi vifs. + +Le faire cinq fois en fort peu de temps, ce n'était pas mal s'en tirer +pour un convalescent, convalescent encore de quelle maladie! Je sentais +cependant que je n'étais pas tout-à -fait hors de combat; il fallait +avoir de la sagesse pour ne pas se laisser aller; je l'eus, cette +sagesse; je triomphai de mon envie. Il faut pourtant convenir que la +réflexion eut bonne part dans ma modération. La dame Françoise pourrait +à la fin s'impatienter de ce petit manège, des honnêtes remontrances +passer aux cris, des cris, que sais-je? sonner le tocsin sur nous, ou +peut-être venir faire sentinelle à notre porte. S'exposer aux risques +d'être arrêtés au passage; mauvaise affaire; rester dans la chambre, +assiégés jusqu'au jour, au bout du compte il en aurait fallu sortir; +Comment? Nus; cela n'aurait pas été honnête, un jeune homme, une jeune +fille dans cet équipage. Le parti le plus sûr était de faire une prompte +retraite; je la fis; mais avant que de gagner mon lit je jugeai +prudemment que je ne serais qu'un sot si je laissais subsister dans +l'esprit de Nicole l'opinion trop avantageuse que j'y avais fait naître +sur le compte de l'abbé. Il en aurait trop coûté à mon amour-propre de +faire à ce maroufle le sacrifice de la gloire que je venais d'acquérir +sous son nom. De la vanité, à moi, cela vous fait rire, lecteur, +n'est-il pas vrai? J'aurais voulu vous voir à ma place. Je vous suppose +rival comme je l'étais et sensible au plaisir de vous venger, je gage +que vous auriez été aussi fat que moi, et que vous auriez dit, ainsi que +je le fis: ma belle Nicole, vous ne devez pas être mécontente de moi? +Là -dessus elle vous aurait assuré que son coeur était charmé. N'est-il +pas vrai, auriez-vous repris, que vous n'en attendiez pas tant du petit +drôle que vous avez toujours méprisé? Vous aviez tort, et il ne méritait +pas le traitement que vous lui avez fait; car vous voyez que les petits +valent bien les grands. Adieu, ma chère Nicole; je me nomme Saturnin, +pour vous servir. Vous l'auriez embrassée, et puis vous l'auriez laissée +là , bien étourdie de votre compliment; vous auriez gagné la porte, vous +l'auriez ouverte (on avait laissé la clef dans la serrure), et vous +auriez été vous recoucher tranquillement dans votre lit. Dieu veuille +que vous eussiez été capable de le faire aussi bien et aussi +heureusement que moi. + +Frappé de la bizarrerie des aventures qui venaient de m'arriver, +j'attendis avec impatience que le jour vînt m'apprendre qu'elles +seraient les suites d'une nuit aussi singulière. J'étais charmé du +désastre de l'abbé et de ma bonne fortune. Comme personne (excepté Mlle +Nicole, sur la discrétion de laquelle je pouvais compter) ne me +soupçonnait de rien, je me faisais d'avance une comédie de la figure que +je verrais faire à nos acteurs nocturnes, et je me promettais d'autant +plus de plaisir, que je serais le seul à qui elle devait être +indifférente. M. le curé, disais-je, aura un air sombre, taciturne, sera +de mauvaise humeur, fessera; qu'il fesse, ce ne sera pas moi, ou je +jouerai de malheur. Françoise examinera tous les écoliers, l'un après +l'autre, avec des yeux dont la fureur rendra l'écarlate plus vive et +plus brillante. Elle cherchera, parmi les grands, celui sur qui elle +doit se venger, non des plaisirs qu'elle a eus, mais de ceux qu'il a +donnés à sa fille. Si elle me reconnaît, elle sera bien fine. Nicole +n'osera se montrer; si elle se montre, elle rougira, sera honteuse, me +fera la mine, peut-être les yeux doux; que sait-on? Elle est friande, +ferai-je le cruel? Peut-être l'abbé sera-t-il cassé aux gages; oh! pour +lui, il n'en sera que plus impudent. + +J'étais si fort occupé de toutes ces pensées, que je ne songeais pas à +dormir; et l'Aurore aux doigts de rose avait déjà ouvert les portes de +l'Orient, que je n'avais pas encore fermé l'oeil. J'avais pourtant +besoin de repos. Le sommeil, qui semblait avoir respecté mes réflexions, +vint aussitôt qu'elles furent cessées, et ce ne fut pas sans peine qu'on +vint à bout de le faire rompre au milieu du jour. Que devins-je à la vue +de Toinette, qui, placée aux pieds de mon lit, paraissait attendre mon +réveil? Je pâlis, je rougis, je tremblai. Je crus que mon procès était +fait et parfait; qu'on avait découvert que j'avais eu part aux désordres +de la nuit et que j'allais le payer. Cette pensée accablante me fit +retomber sans force sur mon lit.--Eh bien, Saturnin, me dit Toinette, +es-tu encore malade? Pas de réponse. Le révérend père Polycarpe va donc +partir sans toi, continua-t-elle; il comptait pourtant t'emmener avec +lui. A ce mot de départ, ma tristesse se dissipa.--Il part! dis-je à +Toinette avec vivacité. Eh! vraiment, je me porte à merveille. Dans le +moment je m'élançai hors du lit, et je fus habillé avant que Toinette +songeât à faire attention au passage subit de la tristesse à la joie que +je venais d'éprouver en si peu de temps; je la suivis. + +J'étais trop agréablement occupé de la nouvelle que Toinette venait de +m'apprendre pour quitter avec regret la maison du pasteur. Je ne pensai +pas même que je ne reverrais plus Suzon. Je trouvai le père Polycarpe +qui m'attendait: il fut charmé de me revoir. Je passe sous silence les +caresses d'Ambroise, les baisers, les larmes de Toinette: elle en +répandit, j'en jetai moi-même. Me voilà en croupe sur le cheval du valet +de sa révérence. Adieu, père Ambroise. Adieu, Mme Toinette, serviteur. +Je pars, nous marchons, nous arrivons, nous voilà au couvent. + + +FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE + + + + +SECONDE PARTIE + + +J'entre dans une nouvelle carrière. Destiné par mon état à grossir le +nombre des pourceaux sacrés que la piété des fidèles nourrit dans +l'aisance, la nature m'avait donné les plus belles dispositions pour cet +état, et l'expérience avait déjà commencé à perfectionner ses présents. + +La sincérité n'a plus besoin de faire son éloge pour persuader. Il se +trouve pourtant des faits hors de la règle ordinaire: tels sont ceux que +je vais rapporter. Si la vraisemblance n'y est pas ménagée, c'est que ce +ne sont pas ici de ces jeux de l'imagination que l'on compasse, que l'on +manie avec adresse pour ménager la crédulité du lecteur, mais qu'ils +sont vrais, et que la vraisemblance ne porte pas toujours le caractère +de la vérité. Dois-je craindre, après tout, que l'on trouve étrange de +voir des moines scélérats, débauchés, corrompus, qui croient qu'on est +assez honnête homme quand on n'est pas reconnu pour fripon; qui, sous le +masque de la religion dont ils se jouent, rient de la crédulité du +peuple, et font de tout ce qu'elle condamne l'objet de leurs +occupations? Non, c'est l'usage. Les cordeliers, les carmes, les +minimes, me justifient assez. On en sait mille histoires, sans celles +que nous ignorons. + +Qu'on me permette de réfléchir un peu sur la vie que nous menions, et de +démontrer à quel point les moines sont corrompus. Quelles raisons assez +puissantes ont pu rassembler dans le cloître tant de caractères +différents? La paresse, la paillardise, le mensonge, la lâcheté, la +perte des biens et de l'honneur. + +Pauvres gens, qui croyez que c'est la religion qui peuple les cloîtres, +que ne pouvez-vous en pénétrer l'intérieur? Indignés de leur iniquité, +vous en rougiriez et vous apprendriez à les mépriser; Levons le bandeau +qui vous couvrait les yeux. Dites-moi, vous qui avez connu le père +Chérubin, cet homme qui ne respire que le plaisir, vous, dis-je, qui +l'avez connu avant qu'il fût moine, comment vivait-il? Il ne se couchait +pas qu'il n'eût sablé dix bouteilles du meilleur vin, et souvent le jour +le trouvait enterré sous la table parmi les débris du souper. Il a +quitté le monde, Dieu l'a illuminé de sa grâce; il lui a montré le bon +chemin. Je n'examine pas si c'est le ciel ou ses créanciers qui ont fait +ce miracle; mais sachez que le père Chérubin tiendrait encore tête aux +plus intrépides buveurs; il boirait et mangerait le revenu du couvent. + +Voilà le père Chérubin: tel vous l'avez connu, tel il est encore. Et le +père Modeste, que vous avez vu parmi vous tout bouffi d'arrogance et +d'amour-propre, son caractère est-il refondu depuis qu'il a le corps +ceint d'un triple cordon? Vous le croyez! Moi qui le connais, je vous +garantis le contraire. S'il parle, Bourdaloue près de lui ne fait que +bégayer. Plus subtil que saint Thomas, il perce, raisonne, entend, +pénètre. A son avis, le père Modeste est un phénix; au vôtre, c'est un +sot; au mien, c'en est un encore. Voyez-vous le père Boniface, ce madré +furet, qui penche dévotement la tête, qui tourne vers la terre des yeux +mortifiés, qui semble, en marchant, composer avec le ciel? Évitez-le, +c'est un serpent qui se glisse; il monte chez vous: veillez votre femme, +serrez les filles, éloignez les garçons. Bougre, bardache, fouteur; il +est entré, il est sorti; tâtez-vous le front: tout est foutu, tout est +enculé. Vous avez fait connaissance avec le père Hilaire, serrez bien +les cordons de votre bourse, vous avez affaire à un fripon. Bientôt aux +conversations consolantes il fera succéder des peintures énergiques des +besoins du couvent. Nous manquons de tout, vous dira-t-il, nous sommes +nourris, couchés comme des chiens; notre maison tombe en ruines. Vous +vous laissez attendrir, votre bourse s'ouvre; puisez père Hilaire vous +avez trouvé votre dupe; pillez, volez, c'est l'esprit de l'Église. + +Que de caractères odieux n'aurais-je pas à tracer, si je peignais ceux +de tous les moines! Change-t-on d'inclinations pour changer d'habits? +Non; le buveur est toujours ivrogne, le voleur est toujours impudent, et +le fouteur est toujours un fouteur. Je dis plus: les passions s'irritent +sous le froc; on les porte dans le coeur, l'oisiveté, les renouvelle, +l'occasion les augmente. J'ose le dire, les moines sont autant d'ennemis +de la société: on pourrait les comparer à ces armées de peuples barbares +qui sortirent de leurs marais pour inonder l'Europe. Réunis par +l'intérêt, ils se détestent en particulier. Rien n'est mieux ordonné que +leur armée; rien ne l'est moins que l'intérieur. Faut-il élire un +général, que de factions, que de complots! On crie, on court, on +s'agite. S'agit-il de faire quelque incursion dans le monde, d'attenter +à la bourse des fidèles, d'inventer quelques nouvelles pratiques de +superstition, le même esprit les anime, tous concourent au but général. +Dociles aux ordres de leurs supérieurs, ils se rangent sous leurs +drapeaux, montent en chaire, prient, exhortent. J'ajouterai à cet éloge +des vers dictés par le bon sens et justifiés par une longue expérience: + + Tolle autem lucrum, superos et sacra negabunt: + Ergo sibi, non coelestis, hæc turbat ministrat. + Utilitas facit esse deos, qua nempe remota, + Templa ruent, nec erunt aræ, nec Jupiter ullus. + +Sur tout ce que j'avais vu faire aux révérends, étant chez Ambroise, et +en dernier lieu sur les galanteries du père Polycarpe et de Toinette, +j'avais conçu les idées les plus riantes de l'état monacal. Je croyais +que le froc était l'habit sous lequel on eût le plus libre accès dans le +temple du plaisir. Mon imagination s'enivrait des chimères agréables +qu'on se forgeait. Elle ne s'arrêtait pas dans les bras de Toinette, +elle me représentait les plus aimables femmes des lieux où mon sort me +conduisit, se disputant la conquête du père Saturnin, prévenant ses +désirs par l'attention la plus tendre, et payant ses bontés par les +transports les plus vifs et les plus délicieux. On croira facilement +qu'étant dans de pareilles dispositions je reçus avec joie l'habit de +l'ordre, dont le père prieur (qui s'attacha d'abord à moi avec une +affection vraiment paternelle) m'honora dès le lendemain de mon arrivée. + +J'avais appris assez de latin de mon curé, qui pourtant n'en savait +guère, pour figurer avec honneur dans le noviciat. On me louait de +quelques dispositions assez heureuses; en ai-je profité? Hélas! non. A +quoi m'ont-elles servi? A être portier; belle avance! + +En écrivain fidèle, je me croirais obligé de mener mon lecteur, année +par année, jusqu'en théologie; on me verrait novice, puis profès, enfin +un vénérable père. J'aurais mille belles choses à lui dire; mais les +belles choses ne nous plaisent qu'autant qu'elles nous intéressent. Eh! +quel intérêt prendrait-on à voir un penaillon disputer envers et contre +tous, mettre le bon sens et la raison à la gêne dans des arguments en +_baroco_, dans des distinctions subtiles que lui-même n'entendrait pas? +J'en fais grâce. + +Je sens pourtant que je ne saurais passer crûment sur un si long espace +de temps sans parler de quelques bagatelles. Mon séjour dans le couvent +avait éclairé mes idées: j'y avais appris, malgré moi, que si le plaisir +était fait pour les moines, il ne l'était pas pour les moinillons. Me +repentant d'avoir fait voeu, et désirant en même temps arriver à la +prêtrise, que je regardais comme le terme de mes peines, je me laissais +endormir par le prieur, qui me vengeait du mépris que l'on affectait +pour moi, parce que j'étais le fils d'un jardinier et que je surpassais +les autres par mes études. + +L'on m'avait tant de fois reproché ma naissance que j'en étais honteux. +Toinette était devenue pour moi un fruit défendu; toujours entourée par +les supérieurs, pouvait-elle être accessible à un novice? D'ailleurs, je +ne trouvais plus Suzon; elle avait disparu de chez Mme Dinville, après +mon entrée chez les célestins. On n'avait appris aucune de ses +nouvelles. Sa perte m'avait plongé dans la douleur; je l'aimais, un je +ne sais quoi, plus fort que son tempérament, m'attachait à elle. Les +lieux où je l'avais vue, où nos coeurs avaient fait le premier essai de +l'amour, tout m'attristait. Souvenirs agréables, combien je payais cher +votre absence! Devenu sans objet, ces idées ne m'occupaient plus sans +douleur. + +Mais voilà un garçon bien désoeuvré, dira-t-on; à quoi vous +occupiez-vous, pauvre Saturnin? Hélas! je me branlais: c'était ainsi que +j'oubliais mes peines. + +Écarté un jour dans un lieu solitaire, où je me croyais sans témoin, je +me dulcifiais avec une indolence voluptueuse. Un coquin de moine +m'observait: il n'était pas de mes amis; il parut si brusquement, que +les bras me tombèrent de surprise. Je restai dans cet état exposé à la +malignité de ses regards. Je me crus perdu; je crus qu'il allait publier +mon aventure, et sa façon de m'aborder me donna lieu de craindre.--Ah! +ah! frère Saturnin, me dit-il, je ne vous croyais pas capable de faire +de pareilles choses. Vous, le modèle du couvent! vous, l'aigle de la +théologie! vous...--Eh! morbleu! interrompis-je brusquement, finissons +ces éloges ironiques; vous m'avez vu me branler, faites-en fête à tout +le couvent, continuai-je; amenez qui vous voudrez, je vous attends à la +dixième décharge!--Frère Saturnin, reprit-il de sang-froid, c'est pour +votre bien que je vous parle: pourquoi vous branler? Nous avons tant de +novices! c'est un amusement d'honnête homme.--Vous vous rangez sans +doute dans cette classe, lui dis-je. Tenez, père André, vos discours +m'impatientent ainsi que vos éloges. Décampez, ou je vous... La vivacité +avec laquelle je parlai lui fit rompre son sérieux. Il éclata de rire, +et, me tendant la main: Va, me dit-il, touche là , frère; je ne te +croyais pas si bon vivant; ne te branle plus: tu es digne d'un meilleur +sort; laisse cette viande creuse, je veux te faire part de quelque chose +de plus solide. Sa franchise excita la mienne, je lui tendis la main à +mon tour. Je ne suis pas défiant, lui dis-je, quand on agit ainsi; +j'accepte vos offres.--Allons, reprit-il, parole d'honneur, tantôt je +vous prends à minuit dans votre chambre. Boutonnez votre culotte, ne +tirez plus votre poudre aux moineaux; vous en aurez besoin. Je vous +quitte: ne sortez qu'après moi; il ne faut pas qu'on nous voie ensemble: +cela pourrait nous nuire; à tantôt. + +Je demeurai surpris après le départ du moine. Il n'était plus question +de se branler; occupé de sa promesse, j'y rêvais sans la comprendre. Que +veut-il dire par cette viande dont il veut me régaler! Si c'est quelque +novice, je n'en veux pas. Je raisonnais en sot, je n'en avais pas goûté. +Lecteur, êtes-vous plus habile que je ne l'étais alors? Oui, dites-vous; +n'est-il pas vrai que ce n'est pas un si mauvais morceau? Le préjugé est +un animal qu'il faut envoyer paître. Le goût fait tout. Est-il rien de +plus charmant qu'un joli giton, blancheur de peau, épaules bien faites, +belle chute de reins, fesses dures, rondes, un cul d'un ovale parfait, +étroit, serré, propre, sans poil? Ce n'est pas là de ces conasses, de +ces gouffres où on entre tout botté. Je te vois, censeur atrabilaire, tu +me reproches mon inconstance, en ce que je loue tantôt le con, tantôt le +cul. Apprends, nigaud, que j'ai pour moi l'expérience, que j'enfile une +femme, quand elle se présente, et que je prends mes ébats avec un beau +garçon. Allez à l'école des sages de la Grèce, allez à celle des +honnêtes gens de notre temps, vous apprendrez à vivre. Mais mon moine va +venir, minuit sonne; on frappe, c'est lui: Bon, marchons, père, je vous +suis. Mais où diable me menez-vous?--A l'église.--Vous vous moquez: pour +prier Dieu? Serviteur! je vais dormir.--Suivez-moi, morbleu! ne +voyez-vous pas que je monte dans les orgues? Nous y voilà ! + +Savez-vous bien ce que j'y trouvai? une table bien garnie, de bon vin, +trois moines, trois novices et une belle fille de vingt ans, jolie comme +un ange. Je suivais mon conducteur. Le père Casimir était le chef de la +bande joyeuse. Il me reçut bien.--Père Saturnin, me dit-il, soyez le +bienvenu. Le père André m'a fait votre éloge: sa protection le justifie. +Foutre, manger, rire et boire, telle est ici notre occupation; êtes-vous +disposé à en faire autant?--Parbleu! oui, lui répondis-je; s'il ne faut +que soutenir l'honneur du corps, je m'en tirerai aussi bien qu'un autre; +soit dit, continuai-je, en me tournant du côté de l'assemblée, sans +diminuer le mérite de vos révérences.--Vous êtes de nos gens, reprit le +père Casimir: placez-vous ici entre cette charmante enfant et moi; çà ! +décoiffons une bouteille en l'honneur du père: à vous, tope! Et nous +voilà à flûter. Et vous, lecteur, que ferez-vous pendant que nous +viderons nos bouteilles? Tenez! amusez-vous à lire ce rogaton. + +Le père Casimir était d'une taille médiocre, brun de visage, d'un ventre +de prélat. Il avait des yeux qui vous enculaient de cent pas, et qui ne +s'attendrissaient qu'à la vue d'un joli garçon. Alors le bougre, en rut, +hennissait. Sa passion pour l'antiphysique était si bien établie, que +les Savoyards le redoutaient. Aisément l'on tombait dans ses filets; il +était auteur et bel esprit à la mode; censeur caustique, écrivain sec, +plaisant sans légèreté, ironique sans délicatesse. Il s'était fait un +nom par des écrits qui n'avaient d'autre mérite que celui de la +méchanceté. Le succès de ses satires le consolait des coups de bâton +dont on le régalait quelquefois. Il faut pourtant convenir qu'on avait +tort de le maltraiter ainsi; car, quoique les satires parussent sous son +nom, le pauvre père n'y avait souvent d'autre part que le soin qu'il +s'était donné de rédiger les écrits de ceux qui travaillaient sous ses +yeux. Il cultivait les petits talents qu'il leur connaissait, leur +distribuait sa matière, revoyait leur ouvrage, le faisait imprimer, et +en recueillait souvent des fruits bien amers. Il n'en était pas moins +hardi; et tel que l'avare qui se console des huées du peuple en ouvrant +son coffre-fort, les ris qu'il excitait dans le public aux dépens des +auteurs essuyaient les larmes que ceux-ci lui faisaient verser dans le +particulier. + +Au sein de la littérature, il goûtait le plaisir de se satisfaire sans +sortir de son cabinet. Les culs de ses myrmidons remplissaient ses +désirs. Pour prix de leur complaisance, il leur abandonnait sa nièce, et +la nièce acquittait les dettes de l'oncle. Le portier du couvent étant à +la dévotion du père, tout entrait aisément: vin, viande, fille, rien +n'était excepté. On avait préféré les orgues pour de semblables orgies, +parce qu'on ne pouvait pas soupçonner qu'on passât la nuit dans +l'église. Une autre raison, c'est qu'on était à portée d'assister aux +offices, et cette exactitude empêchait de babiller. + +Malgré le soin que prenait le père Casimir pour conserver ses élèves, il +en perdait toujours quelqu'un; j'en dirai la raison: quelquefois +l'ingratitude est le prix de l'obligation. Ces déserteurs se servaient +contre le père des traits qu'il leur avait appris à aiguiser contre les +autres. Un d'eux fit sur lui le sonnet qui suit: + + Un jour dom Happecon, plus arrogant qu'un coq, + Las de sentir son vit aussi droit qu'une quille, + Sortit de son couvent, enfoncé dans son froc, + Et fut chez la Dupré demander une fille. + + Le bougre qui jamais ne foutait qu'en escroc, + Pour qui cinq ou six coups n'étaient qu'une vétille, + Crut qu'il ne s'agissait que d'essayer le choc, + Et tira son engin de dessous sa mantille. + + --Tout beau, dit la putain, rengaîne l'instrument; + On commence d'abord par payer largement: + De foutre on vit ici, comme au palais, d'épices. + + Le pater étonné de ce foutu cartel, + Quitta, faute d'argent, ce pilier de bordel, + Et fut, de désespoir, enculer deux novices. + +Je ne saurais mieux finir; je quitte le pinceau, de nouveaux coups +affaibliraient ma peinture. La nièce du père Casimir était brune, vive +et petite. Si elle perdait au premier coup d'oeil, l'examen la vengeait; +ménageant avec adresse sa gorge, qui n'était plus absolument belle, elle +en tirait le meilleur parti. Ses yeux petits, mais noirs, promenaient +sur vous ses regards enjoués conduits par la coquetterie la plus +raffinée. Elle enchantait par la vivacité et le sel de ses +polissonneries. En un mot, c'était tout ce qu'on pouvait souhaiter de +plus charmant pour attraper le jour, sans s'apercevoir qu'on a passé la +nuit. + +Aussitôt que je me vis placé à côté de cette aimable fille, je sentis +renouveler ces mouvements confus que j'avais autrefois éprouvés quand le +hasard m'avait fait découvrir Toinette et le père Polycarpe. La longue +privation du plaisir m'avait formé pour ainsi dire une seconde nature, +susceptible d'impressions aussi vives et aussi piquantes; je recommençai +à vivre, parce que je crus que j'allais revivre pour le plaisir. Je +regardais ma voisine, dont l'air riant et docile me faisait connaître +que mes désirs ne languiraient qu'autant de temps que j'aurais la +simplicité de ne pas les expliquer. Je sentis bien que ce n'était pas +l'envie de faire la vestale qui la faisait trouver au milieu d'une bande +de moines: mais le bonheur qu'elle semblait m'offrir me paraissait si +grand, que j'avais peine à le concevoir; j'étais tremblant, et, dans la +crainte qu'elle m'échappât, à peine aurais-je pu former le dessein de le +demander. J'avais la main sur sa cuisse, que je pressais contre la +mienne; je sentis qu'elle me la prenait et la passait par l'ouverture de +son jupon; je connus son dessein, je portai bientôt le doigt où elle le +désirait. Le toucher d'un endroit qui m'était interdit depuis longtemps +me causa un frémissement de joie qui fut aperçu de la bande, qui me +cria: Courage, père Saturnin, vous y voilà . Peut-être me serais-je +déconcerté de cette exclamation, si Marianne (c'était le nom de notre +déesse) ne m'eût sur-le-champ donné un baiser et déboutonné ma culotte +d'une main, tandis qu'elle passait l'autre bras autour de mon cou, et, +empoignant mon vit: Ah! pères, s'écria-t-elle en le leur montrant, en +avez-vous de cette beauté-là ? Il se fit un brouhaha d'admiration, et +chacun la félicita sur son bonheur prochain. Elle en était enchantée. +Alors le père Casimir, imposant silence à la troupe, m'adressa la +parole.--Père Saturnin, me dit-il, disposez de Marianne; vous la voyez, +dispensez-moi de faire son éloge. Elle est accomplie, elle va vous +donner tous les plaisirs imaginables; mais ces plaisirs sont à une +condition.--Quelle est-elle, cette condition? lui répondis-je; faut-il +vous donner mon sang?--Non.--Quoi donc?--Votre cul.--Mon cul? eh! que +diable en feriez-vous?--Oh! c'est mon affaire, répondit-il. L'envie de +baiser Marianne fit que je n'insistai pas. Je me mis en devoir de +l'enconner, et mon bougre de m'enculer. Un banc nous servit de siège: je +m'étendis sur elle, le père sur moi. Quoique Casimir me déchirât le cul, +le plaisir que je goûtais avec sa nièce faisait diversion à la douleur. +Nous nageâmes bientôt dans les délices. Si quelquefois le plaisir +m'arrêtait au milieu du travail, Casimir, réveillant ma valeur, +m'animait à faire aussi bien que lui. Ainsi poussé et poussant, les +coups de l'oncle allaient retentir dans le con de la nièce, qui, tantôt +mourant et ressuscitant, surprenait l'assemblée. Il y avait longtemps +déjà que nous avions laissé derrière nous le père Casimir, qui, surpris +de l'opiniâtreté du combat, joignit son admiration à celle de la +compagnie, qui en attendait l'issue. J'étais surpris que Marianne me +tînt tête, à moi qui croyais avoir rassemblé dans ce moment toutes les +forces acquises pendant un si long temps. Elle était enragée de ma +valeur, elle qui avait désarçonné les plus vigoureux, le foutre et le +sang ruisselaient. Déjà nous avions déchargé quatre fois, quand +Marianne, fermant l'oeil, baissant la tête, attendait sans mouvement +que, par une cinquième décharge, je lui donnasse le coup de grâce; elle +le reçut, et, après l'avoir savouré pendant quelques minutes, s'échappa +de mes mains et me dit qu'elle se rendait. Fier de ma victoire, je lui +versai une rasade, j'en pris autant, et nous scellâmes dans le vin notre +réconciliation. + +Ce combat fini, chacun se mit à sa place, et Casimir entama l'éloge de +la bougrerie. Possédant à fond cette matière, il s'en acquitta bien, il +passa en revue tous les bougres célèbres: il y trouva des philosophes, +des papes, des empereurs, des cardinaux. Il remonta à l'aventure de +Sodome, soutint qu'on avait falsifié, par jalousie, ce mémorable +événement, et, cédant tout à coup à son enthousiasme, il finit son éloge +par ces vers: + + Taisez-vous, censeurs indociles, + Etourdissez les sots de vos voix imbéciles, + Mais n'allez pas fouiller dans l'histoire des temps. + Vous osez, ignorants reptiles, + Des écrivains les plus habiles + Altérer les beautés et corrompre les sens. + Sodome, ce n'est point par un souffle funeste + Que furent consumés tes heureux habitants; + C'est par un feu divin, c'est par un feu céleste: + Sodome, que n'étais-je alors de tes enfants! + +Le discours du père reçut les applaudissements qu'il méritait et qu'il +était sûr de recevoir des assistants, en traitant un sujet qui leur +était si agréable. On foutit encore, tant en cul qu'en con; on but, on +rit et on se sépara, avec promesse de se retrouver à huitaine, car ces +banquets ne se faisaient pas tous les jours: les revenus du père +Casimir, qui régalait ordinairement, n'y auraient pas suffi. Nous nous +séparâmes les meilleurs amis du monde, Marianne et moi. La pauvre enfant +ne tarda guère à s'apercevoir qu'il était dangereux de jouer avec moi; +sa ceinture devint bientôt trop courte: on m'en donna la gloire. Le père +Casimir prit soin de conduire les choses secrètement; il était juste +qu'il prît sur lui les risques du hasard auquel il exposait sa chère +nièce. Elle en sortit à son honneur, et tout aurait été le mieux du +monde, si cette grossesse inattendue n'avait pas mis le désordre dans +nos assemblées nocturnes. J'essayai le remède de Casimir, et, sur ses +traces, je me rendis bientôt redoutable au cul de tous nos novices; mais +je retombai peu de temps après dans mes anciennes erreurs, et les +plaisirs du con m'enlevèrent à ceux du cul. + +Un beau jour, après avoir chanté ma première messe, le prieur me fit +avertir d'aller dîner dans sa chambre. J'y fus, et je trouvai avec lui +quelques anciens qui me reçurent, ainsi que le prieur, avec de vives +accolades que je ne savais à quoi attribuer. Nous nous mîmes à table, et +nous fîmes une chère de prieur: c'est tout dire. Quand le vin, que sa +révérence avait soin de ne pas choisir dans le plus mauvais cru, eut +répandu la gaieté dans la conversation, je fus surpris d'entendre mes +doyens, donnant l'essor à leur langue, lâcher les b... et les f... avec +une aisance que je n'aurais pas attendue de gens que j'avais toujours +vus sous le masque de la réserve. Le prieur, voyant mon étonnement, me +dit: Père Saturnin, nous ne nous gênons plus avec vous, parce qu'il est +temps que vous ne vous gêniez plus avec nous, oui, mon fils, ce temps +est arrivé. Vous avez reçu le saint ordre de prêtrise, cette qualité +vous rend aujourd'hui notre égal et me met dans l'obligation de vous +révéler des secrets importants qui vous ont été cachés jusqu'à présent +et qu'il serait dangereux de confier à des jeunes gens qui pourraient +nous échapper et divulguer des mystères qui doivent être ensevelis dans +un silence éternel; c'est pour m'acquitter de cette obligation que je +vous ai fait venir ici. + +Cet exorde imposant me fit écouter avec attention le prieur, qui dit: +Vous n'êtes pas de ces esprits faibles que la fouterie effarouche: +l'action de foutre est naturelle à l'homme. Nous sommes moines, mais on +ne compte ni le vit ni les couilles, quand nous faisons voeu. Pourquoi +nous interdire cette fonction toute naturelle? Faut-il, pour exciter la +compassion des fidèles, aller nous branler dans les rues? Non, il faut +garder un milieu entre l'austérité et la nature. Ce milieu est de donner +tout à celle-ci dans nos cloîtres, et le plus que nous pouvons à +l'austérité dans le monde. Pour cet effet, dans les couvents bien +réglés, on a quelques femmes avec qui l'on jouit; on oublie dans leurs +bras les déboires de la pénitence.--Vous me surprenez, lui dis-je, mon +révérend; ah! pourquoi faut-il qu'une si belle police n'étende pas sa +sagesse sur nous? Nos convives rirent, et le prieur me répondit: Nous ne +sommes pas plus dupes que les autres; nous avons ici un endroit où nous +ne manquons pas de femmes.--Ici! repris-je, et vous ne craignez pas que +l'on vous découvre?--Non, dit-il, cela est impossible; le continent de +notre maison est trop vaste pour qu'on s'aperçoive de cet endroit.--Ah! +m'écriai-je, quand me sera-t-il permis d'aller consoler ces aimables +recluses?--Les consolations ne leur manquent pas, me répondit-il en +riant, et votre qualité de prêtre vous donne le droit d'y aller quand +vous voudrez.--Quand je voudrai? Ah! mon père, je vous somme dès à +présent de tenir votre parole.--Il n'est pas encore temps; on n'entre +que sur le soir dans notre piscine, qui est l'appartement de nos soeurs. +Personne n'en a la clef; il n'y en a que deux, l'une entre les mains du +père dépensier, l'autre entre les miennes. + +Ce n'est pas tout, père Saturnin, continua le prieur; lorsque vous +saurez que vous n'êtes pas le fils d'Ambroise, vous serez doublement +étonné. (Je fus effectivement si interdit, que je n'eus pas la force +d'ouvrir la bouche.) Vous n'êtes pas le fils d'Ambroise, poursuivit le +prieur, ni celui de Toinette; votre naissance est plus relevée. Notre +piscine vous a vu naître: une de nos soeurs vous a donné le jour.--S'il +en est ainsi, m'écriai-je, revenu de ma surprise, pourquoi m'avez-vous +toujours envié la douce satisfaction d'embrasser ma mère, si elle vit +encore?--Père Saturnin, me dit le prieur attendri, vos reproches sont +justes; mais croyez que ce n'est pas par défaut de tendresse qu'on vous +a interdit notre piscine. L'amour que nous avons pour vous a longtemps +combattu contre nos règles; mais il faut de l'ordre, et le temps nous +met aujourd'hui en état de faire cesser vos plaintes. Dès tantôt vous +aurez le plaisir que vous souhaitez, vous embrasserez votre mère.--Que +je suis impatient, m'écriai-je, de me voir dans ses bras!--Modérez-vous, +le sacrifice ne sera pas long. Déjà la nuit s'avance, et l'heure viendra +sans y penser. Nous souperons à la piscine, on vous y attend. Ne +paraissez au réfectoire que pour le décorum; vous viendrez nous +retrouver ici. + +Le plaisir de voir ma mère y entrait pour quelque chose, mais +l'espérance de me livrer à l'amour offrait à mon coeur une immensité de +désirs que tous les efforts de mon imagination ne me rendaient que +faiblement. Le voilà donc arrivé, me disais-je, ce temps si souhaité! +Heureux Saturnin, plains-toi de ton sort! Dans quel état de la vie +aurais-tu trouvé ce que l'on vient de t'annoncer aujourd'hui. + +L'heure vint; je retournai chez le prieur, où je trouvai cinq ou six +moines. Nous partîmes dans un profond silence. Nous marchâmes jusqu'à +ces antiques chapelles qui servaient de rempart à la piscine d'un côté; +nous descendîmes sans lumière dans un caveau dont l'horreur semblait +être ménagée pour préparer un nouveau charme au plaisir qui devait le +suivre. Ce caveau, que nous traversâmes à l'aide d'une corde attachée +contre le mur, nous conduisit à un escalier éclairé par une lampe. Le +prieur ouvrit la porte qui fermait cet escalier. Nous entrâmes, par un +petit détour, dans une salle galamment meublée, autour de laquelle +étaient quelques lits commodes pour les combats de Vénus. Nous y vîmes +les apprêts d'un magnifique repas. Personne n'arrivait encore; mais au +bruit d'une sonnette que le prieur tira, une vieille cuisinière parut, +suivie de six soeurs qui me semblèrent charmantes. Chacune choisit son +chacun; je restai seul témoin de leurs transports, piqué de +l'indifférence qu'on semblait me témoigner; mais j'eus bientôt mon tour, +et je fus dédommagé avec usure. + +Le maigre n'était pas plus observé à la piscine qu'au repas du père +Casimir. Les viandes les plus exquises furent servies avec toute la +propreté possible: chacun, à côté de sa belle, mangeait, buvait, +patinait, parlait foutaise. On me faisait la guerre sur mon peu +d'appétit; je me défendais mal, uniquement occupé du désir de retrouver +ma mère, ou plutôt celui de m'escrimer avec quelqu'une de nos soeurs. Je +cherchais des yeux celle qui m'avait donné l'être: l'air de fraîcheur et +de jeunesse qu'elles avaient toutes ne me dénotait pas qu'aucune fût ma +mère. Quoique occupées avec les pères, elles me lançaient des regards +qui renversaient mes conjectures. Je m'imaginais sottement que je +reconnaîtrais ma mère au respect, à la tendresse que j'avais pour elle; +mais mon coeur parlait pour toutes, et je bandais en l'honneur de +chacune d'elles. + +Mon inquiétude divertissait la compagnie. Quand on eut assez mangé, il +fut question de foutre. Le feu brillait dans les yeux de nos adorables, +et, comme nouveau venu, je commençai la danse.--Allons, père Saturnin, +me dit le prieur, il faut faire assaut avec la soeur Gabrielle, ta +voisine. J'avais déjà préludé avec elle par des baisers donnés et reçus; +sa main avait même été jusqu'à ma culotte, et quoiqu'elle fût la moins +jeune de la compagnie, je lui trouvais assez de charmes pour ne pas +envier le sort des autres. C'était une grosse blonde qui n'avait d'autre +défaut que son embonpoint. Sa peau était d'une blancheur éblouissante, +la plus belle tête du monde, des yeux grands et bien fendus. La passion +les rendaient tendres et mourants, mais ils étaient vifs et brillants +pour le plaisir. + +L'exhortation du prieur n'avait pas prévenu mes désirs; Gabrielle les +avait excités, elle se prêta galamment à les satisfaire.--Viens, mon +roi, me dit-elle, je veux avoir ton pucelage; viens le perdre dans un +endroit où tu as reçu la vie! Je tremblai à ce mot. Sans avoir plus de +vertu, j'avais acquis chez les moines des connaissances qui ne me +permettaient pas d'être avec Gabrielle ce que j'avais été avec Toinette. +J'allais l'enfiler, un reste de honte m'arrêta; je reculai.--Ah! ciel, +dit Gabrielle, est-il possible que ce soit là mon fils? Ai-je pu mettre +au monde un tel lâche? Foutre sa mère lui fait peur.--Ma chère +Gabrielle, lui dis-je en l'embrassant, contentez-vous de mon amour; si +vous n'étiez pas ma mère, je ferais mon bonheur de vous posséder; +respectez une faiblesse que je ne puis vaincre. + +L'apparence même de la vertu est respectable aux coeurs les plus +corrompus. Mon action fut louée des moines; ils convinrent de leur tort; +il n'y en eut qu'un qui voulut entreprendre de me convertir.--Pauvre +sot, me dit-il, pourquoi t'effrayer d'une action indifférente? La +fouterie n'est-elle pas la conjonction de l'homme et de la femme? Cette +conjonction est ou naturelle ou défendue par la nature. Elle est +naturelle, puisque leur penchant invincible les entraîne l'un vers +l'autre. Si ce penchant est dans leur coeur, l'intention de la nature +est donc qu'on le satisfasse indistinctement. Si Dieu a dit à nos +premiers pères de croître et de multiplier, comment entendait-il que la +multiplication se fît? Adam avait des filles, il les foutait. Ève avait +des fils qui faisaient avec elle ce que leur père faisait avec leurs +soeurs. Descendons au déluge. Il ne restait dans le monde que la famille +de Noé; il fallait nécessairement que le frère couchât avec la soeur, le +fils avec sa mère, le père avec sa fille, pour repeupler la terre. +Allons plus loin: Loth fuit de Sodome; ses filles qui avaient devant les +yeux l'intention du Créateur, et qui venaient de voir leur bonne femme +de mère changée en statue pour avoir été trop curieuse, s'écrièrent dans +l'amertume de leur coeur: Hélas! le monde va donc finir? Elles auraient +été coupables aux yeux de Dieu si elles n'avaient pas rétabli ce qu'il +venait de détruire; et Loth, pénétré de cette vérité, y contribua de +tout son pouvoir. Voilà la nature dans sa première simplicité. Les +hommes, soumis à ses lois, se faisaient un devoir de les suivre; mais +bientôt corrompus par les passions, ils oublièrent la volonté de cette +tendre mère; ils ne voulurent pas rester dans l'état heureux où elle les +avait placés; ils renversèrent tout, se forgèrent des chimères qu'ils +qualifièrent de vertus et de vices, inventèrent des lois qui, au lieu de +faire naître la vertu, engendrèrent le vice. Ces lois ont fait les +préjugés, et ces préjugés, adoptés par les sots et sifflés par les +sages, se sont fortifiés d'âge en âge. Il fallut donc que ces +impertinents législateurs, en renversant les lois de la nature, +refondissent les coeurs qu'elle nous avait donnés; il fallut qu'ils +réglassent nos désirs, qu'ils y missent des bornes. La nature, au fond +de notre coeur, réclame contre l'injustice de leurs lois; en un mot, la +fouterie sans distinction est d'institution divine, et la fouterie +distincte est d'institution humaine. L'une est aussi élevée au-dessus de +l'autre que le ciel l'est au-dessus de la terre. Peut-on, sans se rendre +criminel, écouter l'homme préférablement à Dieu? Non, non, et saint +Paul, interprète sacré des volontés du ciel, a dit: Plutôt que de +brûler, foutez, mes enfants, foutez! Il est vrai que, pour ne pas +choquer la faiblesse des petits génies, il met un correctif à sa pensée +et se sert de l'expression: Mariez-vous; mais, au fond, c'est la même +chose: on ne se marie que pour foutre. Ah! que j'en dirais bien plus si +je ne me sentais pressé de suivre le conseil de saint Paul. + +On rit de la saillie du père; déjà le ribaud se levait et, le braquemart +à la main, menaçait tous les cons de la salle.--Attendez! dit une soeur +nommée Madelon; pour punir Saturnin, il me vient une idée.--Quelle +est-elle? lui demanda-t-on,--C'est, répondit-elle, de le faire coucher +sur un lit; Gabrielle s'étendra sur son dos, et le père qui vient de +parler comme un oracle exploitera Gabrielle! Les ris redoublèrent; j'en +ris moi-même, et dis que j'y consentais, à condition que pendant que le +père foutrait sur mon dos, je foutrais, moi, avec la donneuse +d'avis.--J'y consens, reprit-elle, pour la rareté du fait. Chacun +applaudit, nous nous mîmes en posture. Figurez-vous quel spectacle ce +devait être! Le père ne poussait aucun coup à ma mère qu'elle ne le lui +rendît sur-le-champ au triple, et son cul, en retombant sur le mien, me +faisait enfoncer dans le con de Madelon, ce qui faisait un ricochet de +fouterie tout à fait divertissant; non pas pour nous, car nous étions +trop occupés pour nous amuser à rire. Il n'eût tenu qu'à moi de me +venger de Madelon, en laissant tomber le poids de trois corps sur le +sien; mais elle était trop amoureuse, travaillait de trop bon coeur pour +me laisser concevoir une telle pensée. Je la soulageais de mon mieux; +elle en eut pourtant la peine; mais ce fut plutôt un surcroît de volupté +pour elle, car ayant senti les délices de la décharge avant nos fouteurs +d'en haut, le plaisir me rendit immobile. Gabrielle le sentit, et ses +coups de cul, avec vivacité, faisaient pour moi ce que je n'étais plus +en état de faire, et, en m'agitant, allaient donner de nouveaux +ébranlements de plaisir à Madelon, qui déchargeait aussi. Nos fouteurs +finirent et joignirent leur extase à la nôtre. Nos quatre corps n'en +firent plus qu'un; nous mourions, nous nous confondions l'un dans +l'autre. + +Notre éloge sur cette façon de goûter les plaisirs excita les moines et +les soeurs. Ils se mirent en devoir de foutre en quatrain,--c'est le nom +que nous donnâmes à cette posture,--et nous à leur donner l'exemple. +C'est ainsi que les plus belles découvertes qu'on ait faites dans la +nature sont dues au hasard. + +Gabrielle était si charmée de cette invention, qu'elle avoua qu'elle +avait eu autant de plaisir qu'elle en avait goûté en me faisant. Curieux +de savoir comment la chose s'était passée, nous la priâmes de la +raconter.--J'y consens, nous dit-elle, et d'autant plus volontiers que +Saturnin ne connaît encore que sa mère, sans savoir d'où elle vient ni +comment elle s'est trouvée ici. Permettez-moi, mes révérends, de l'en +instruire, et de remonter un peu plus haut que le jour que vous +souhaitez que je vous rappelle. Mon ami, continua-t-elle en m'adressant +la parole, tu ne te vanteras pas d'une longue suite d'aïeux illustres: +je n'en ai jamais connu. Je suis fille d'une loueuse de chaises de ce +couvent, et sans doute de quelqu'un des pères qui vivaient alors, car +elle était trop vive et trop amie du couvent pour que je puisse penser +que je dois le jour à son bonhomme de mari. + +A dix ans je ne démentais pas mon sang; je connaissais l'amour avant de +me connaître; les pères cultivaient mes heureuses inclinations. Un jeune +profès me donna des leçons si sensibles que j'aurais cru payer les +autres d'ingratitude si je ne leur avais fait connaître que j'étais en +état de leur en donner moi-même. Je m'étais déjà acquittée de mon devoir +envers chacun d'eux, quand ils me firent la proposition de me mettre +dans un endroit où je renouvellerais mes payements aussi souvent que je +le voudrais. Je n'avais pu le faire jusqu'alors qu'à la sourdine: tantôt +derrière l'autel, tantôt devant, tantôt dans un confessionnal, rarement +dans les chambres. L'idée de la liberté me flatta; j'acceptai les +offres, j'entrai ici. + +En y entrant, j'étais parée comme une jeune fille qu'on mène à l'autel. +L'idée de mon bonheur répandait un air de sérénité sur mon visage qui +charmait tous les pères. Tous brûlaient de me voir, et chacun briguait +la gloire de me le mettre. Je vis le moment où le festin de ma noce +allait finir comme celui des Lapithes.--Mes révérends, leur dis-je, +votre nombre ne m'épouvante pas; mais je présume peut-être trop de mes +forces: je succomberais, vous êtes vingt; la partie n'est pas égale; Je +vais vous proposer un accommodement. Il faut nous mettre nus! (Et, pour +leur en donner l'exemple, je commençai la première. Robe, corset, +chemise, tout partit dans la minute. Je les vis tous dans le même état +que moi; mes soeurs étaient aussi nues. Mes yeux savourèrent un moment +le charmant spectacle de vingt vits roides, gros, longs, durs comme fer, +et qui se présentaient fièrement au combat.) Allons, repris-je, il est +temps de commencer. Je vais me coucher sur ce lit; j'écarterai assez les +cuisses pour qu'en accourant sur moi le vit à la main, vous m'enfiliez +l'un après l'autre, car il faut que le sort règle le pas; les maladroits +n'auront pas à se plaindre, puisqu'en me manquant ils trouveront des +cons tout prêts sur qui ils pourront décharger leur colère. Voilà , +messieurs, ce que j'avais à vous proposer. Ils applaudirent tous à cet +heureux essor de mon imagination. On tire au sort, je tends la bague, on +court: un, deux, trois passent sans m'enfiler, et vont tomber sur mes +soeurs, qui leur font oublier leur malheur par toutes sortes de +plaisirs. Un quatrième vient, c'était vous, père prieur. Ah! je payai +votre adresse par les transports les plus vifs; et si le plaisir qu'on +goûte par une décharge mutuelle fait concevoir, vous partagez la gloire +d'avoir fait Saturnin avec quatre ou cinq de ceux qui vous suivirent. +Oui, mon ami, continua-t-elle eu s'adressant à moi, tu as l'avantage +d'être au-dessus des autres hommes, qui peuvent bien dire le jour de +leur naissance, mais non pas celui où ils ont été faits. + +Telles étaient nos conversations dans la piscine, tels étaient les +plaisirs que nous y goûtions. Je ne m'y rendais pas le dernier. Toutes +les nuits j'allais chez le prieur ou chez le dépensier: J'étais +infatigable; je conduisais toujours la bande joyeuse. Bref, j'étais +l'âme et les délices de la piscine; tout, jusqu'aux vieilles, tout tâta +de mon vit. La réflexion cependant perçait quelquefois au milieu de mes +plaisirs; toutes nos soeurs me paraissaient charmées de leur sort. Je ne +pouvais concevoir que des femmes, dont le naturel est vif et dissipé, +eussent pu, sans frayeur, concevoir le dessein de passer leur vie dans +une pareille retraite, y vivre sans dégoût et être sensibles à des +plaisirs achetés par un esclavage éternel. Elles riaient de mon +étonnement, et ne pouvaient elles-mêmes concevoir que je pusse avoir de +pareilles idées.--Tu connais bien peu notre tempérament, me disait un +jour une d'entre elles extrêmement jolie, et que le libertinage, fruit +trompeur d'une éducation cultivée, avait fait jeter dans les bras de nos +moines; n'est-il pas vrai, me disait-elle, qu'il est plus naturel d'être +sensible au bien qu'au mal? J'en convenais. Ferais-tu difficulté, +reprenait-elle, de sacrifier une heure du jour à la douleur, si l'on +t'assurait que l'heure suivante se passerait dans une extrême +joie?--Non, assurément, lui disais-je.--Eh bien, poursuivit-elle, au +lieu d'une heure mets un jour; de deux, l'un sera pour le chagrin et +l'autre pour le plaisir; je te crois trop sage pour refuser un pareil +parti si l'on te l'offrait. Je dis plus: l'homme le plus indifférent ne +le refuserait pas, et la raison en est toute naturelle. Le plaisir est +le premier mobile de toutes les actions des hommes; il est déguisé sous +mille noms différents, suivant les différents caractères. Les femmes ont +de commun avec vous tous les caractères possibles; mais elles ont +au-dessus l'impression victorieuse du plaisir de l'amour; leurs actions +les plus indifférentes, leurs pensées les plus sérieuses naissent toutes +dans cette source et portent toujours, quoique déguisées, la marque du +fond d'où elles sortent. La nature nous a donnés des désirs bien plus +vifs, et par conséquent bien plus difficiles à satisfaire que les +vôtres. Quelques coups suffisent pour abattre un homme, et ne font que +nous animer, mettons-en six; une femme ne recule pas après douze. Le +sentiment du plaisir est donc au moins une fois aussi vif dans une femme +qu'il l'est dans un homme, et si tu te croyais heureux de payer un jour +de joie par un jour de chagrin, trouverais-tu étrange que j'en donnasse +deux? Serais-tu surpris que je passasse les deux tiers de ma vie dans la +peine pour passer l'autre tiers dans le plaisir? J'ai mis les choses +égales entre nous: quand tu nous vois continuellement occupées de ce qui +fait le souverain bonheur des femmes, quand nous sommes continuellement +dans vos bras, dis-moi, crois-tu que nous puissions songer à la peine, +qu'elle ait quelque empire sur nous? Ne trouveras-tu pas notre condition +mille et mille fois plus heureuse que celle de ces filles imprudentes +qui, nées avec des inclinations aussi violentes que celles des autres +femmes, viennent porter dans la solitude des désirs qui ne seront jamais +apaisés par les embrassements d'un homme? Qu'ils seraient plus vifs, ces +désirs, s'il était possible de nous refroidir! Nous ne regrettons rien +ici. Libres des inquiétudes de la vie, nous n'en connaissons que les +charmes; nous ne prenons de l'amour que les agréments et nous ne +remarquons la différence des jours que par la diversité des plaisirs +qu'ils nous procurent. Désabuse-toi, père Saturnin, si tu nous crois +malheureuses. + +Je ne m'attendais pas à trouver des pensées aussi justes dans une fille +que je ne croyais capable que de sentir le plaisir. Né pour le goûter, +je profitai de l'heureux penchant qui me la livrait, et nous satisfîmes +à loisir nos transports. + +L'homme n'est pas né pour être toujours heureux; je devins rêveur. +J'étais en fouterie ce qu'Alexandre était en ambition: je désirais de +foutre toute la terre, et après elle un nouveau monde. Depuis six mois +j'avais toujours remporté le prix dans les combats amoureux, et du plus +brave que j'étais je devins bientôt le plus lâche. L'habitude du plaisir +en avait émoussé la pointe, et j'étais avec nos six soeurs ce qu'un mari +est avec sa femme. Le mal de mon esprit influa bientôt sur mon corps; on +m'en fit des reproches qui ne glissèrent que sur mon coeur, et il ne +fallait pas moins que toute la tendresse du prieur pour me faire aller à +la piscine. Il engagea nos soeurs à travailler à ma guérison: elles ne +négligèrent rien pour y réussir; non seulement elles employèrent tous +leurs charmes naturels, mais elles y joignirent encore ce que l'art le +plus consommé peut suggérer à une vieille coquette fouteuse. Tantôt se +rangeant en cercle autour de moi, elles offraient à ma vue les tableaux +les plus lascifs: l'une, mollement appuyée sur un lit, laissait voir +négligemment la moitié de sa gorge; une petite jambe faite au tour, des +cuisses plus blanches que la neige me promettaient le plus beau con du +monde; l'autre dans l'attitude d'une femme qui se prépare au combat, +marquait l'ardeur qui la consumait; d'autres, dans des postures +différentes, en se chatouillant le con, exprimaient par leurs soupirs +les plaisirs qu'elles ressentaient. Tantôt elles se mettaient nues, et +me présentaient la volupté dans tout son jour. Celle-ci, appuyée sur un +canapé, me montrait le revers de la médaille, et, passant la main sous +son ventre, elle écartait les cuisses et se branlait, de manière qu'à +chaque mouvement que faisait son doigt je voyais l'intérieur de cette +partie qui m'avait autrefois causé de si vives émotions. Une autre, +couchée sur un lit de satin noir, me présentait la même image que +l'autre ne me présentait qu'à l'envers; une troisième me faisait coucher +par terre entre deux chaises, et, mettant ensuite un pied sur l'une et +un pied sur l'autre, elle s'accroupissait, et son con se trouvait +perpendiculairement sur mes yeux. Dans cette situation, je la voyais +travailler avec un godmiché, tandis qu'une autre foutait devant moi de +toutes ses forces avec un moine, nu comme elle. Enfin, on offrit à ma +vue les images les plus lubriques, tantôt à la fois, tantôt +successivement. + +Quelquefois on me couchait tout nu sur un banc; une soeur se mettait à +califourchon sur ma gorge, de sorte que mon menton était enveloppé dans +le poil de sa motte; une autre se mettait sur mon ventre; une troisième, +qui était sur mes cuisses, tâchait de s'introduire mon vit dans le con; +deux autres s'étaient placées à mes côtés, de façon que je tenais un con +de chaque main; une autre enfin,--celle qui avait la plus belle +gorge,--était à ma tête, et, s'inclinant, elle me pressait le visage +entre ses tétons; toutes étaient nues, toutes se grattaient, toutes +déchargeaient: mes mains, mes cuisses, mon ventre, ma gorge, mon vit, +tout était inondé, je nageais dans le foutre et le mien refusait de s'y +joindre. Cette dernière cérémonie appelée par excellence la _question +extraordinaire_, fut aussi inutile que les précédentes: on me tint pour +un homme confisqué, et l'on abandonna la nature à elle-même. + +Tel était mon état, quand, en me promenant un jour dans le jardin, seul, +rêvant au malheur de ma destinée, je rencontrai le père Siméon, homme +profond, qui avait blanchi dans les travaux de Vénus et de la table, et, +tel que le vieux Nestor, avait vu plusieurs fois renouveler le couvent. +Il vint à moi, et, m'embrassant tendrement, me dit: O mon fils! votre +douleur est grande, mais ne vous alarmez pas, je veux vous guérir. La +trop grande dissipation, mon ami, a causé votre mal: il faut réveiller +votre appétit malade par quelques mets succulents, et c'est une dévote +qu'il vous faut. Le flegme du père me fit rire. Vous riez, me dit-il, je +vous parle sérieusement. Vous ne connaissez pas les dévotes, vous +ignorez leurs ressources pour rallumer les feux éteints. Je l'ai éprouvé +moi-même. Temps heureux où je faisais retentir les voûtes du couvent en +frappant avec mon vit, hélas! qu'êtes-vous devenu? On ne parle plus du +vigoureux père Siméon; ce n'est plus qu'un vieillard cassé; son sang est +glacé dans ses veines, ses couilles sont sèches, son vit est disparu: +tout meurt! J'avais toutes les envies d'éclater, mais la crainte de +l'indisposer me retint. O mon fils, poursuivit-il, profitez de votre +jeunesse. Le seul moyen de vous tirer de votre léthargie, c'est de vous +mettre au régime, d'avoir recours à une dévote; mais, pour cet effet, il +faut avoir la liberté de confesser, et je me charge de vous l'obtenir +auprès de Monseigneur. Je remerciai le père, et, sans avoir grande foi +en son secret, je le priai de s'y employer; il me le promit. Ce n'est +pas tout, continua-t-il, il vous faut un guide avant d'entrer dans cette +carrière, et je veux vous en servir. + +Vous savez, mon fils, que la confession vient de nos ancêtres, +c'est-à -dire des prêtres et des moines. J'ai toujours admiré le génie +profond de ces hommes célèbres qui établirent la confession. Depuis ce +temps tout a changé de face; les biens ont fondu sur nous; nos richesses +ont grossi à l'ombre de ce tribunal auguste. Béni soit Dieu! _Amen!_ + +Je ne vous parlerai pas de l'excellence du poste de confesseur: ayez +seulement de la discrétion, de la douceur et de la condescendance pour +les faiblesses humaines, et les femmes vous adoreront. Je ne dirai point +quel parti vous devrez tirer de leurs heureuses dispositions par rapport +à votre fortune, cela vous regarde; je vous conseille de plumer +impitoyablement ces vieilles bigotes qui viennent à votre confessionnal +moins pour se réconcilier avec Dieu que pour voir un beau moine. Faites +grâce aux jolies, parce que je la leur ai faite: elles me payaient +différemment. + +Une jeune fille, par exemple, ne peut faire de présents; mais elle peut +donner son précieux pucelage. Il faut user d'adresse pour lui ravir ce +bijou. Fixez-vous à ces jeunes dévotes: elles pourront vous guérir; ne +vous livrez pourtant pas sans ménagement à la vivacité que pourrait vous +inspirer l'espoir de votre guérison. Il y a moins de risque à se +déclarer à une femme aguerrie qu'à une jeune personne chez qui la +passion n'a pas encore triomphé des préjugés de l'éducation. Une femme +vous entend à demi-mot; son coeur a déjà fait la moitié du chemin avant +de vous être expliqué: il n'en est pas de même d'une jeune fille; mais +s'il est difficile de la vaincre, la victoire en est plus douce. Je vais +vous en tracer la route. Dans toutes, vous trouverez un penchant à +l'amour. Le grand art est de savoir manier ce penchant. Telle qui paraît +modeste, les yeux baissés et la démarche composée, couve un feu sous la +cendre, prêt à s'allumer au vent de l'amour. Parlez, elle n'opposera +qu'une faible résistance à vos premières attaques; pressez, votre +victoire est certaine. + +D'autres, dont le tempérament est moins vif, moins impétueux, donneront +plus d'exercice à votre adresse. Avec celles-ci, mêlez les caresses de +l'amant aux remontrances du directeur; échauffez leur naturel par des +discours débités avec art; informez-vous adroitement des progrès +qu'elles ont faits dans la science de se procurer du plaisir; levez le +voile qui leur cachait des voluptés inconnues; découvrez-leur tous les +mystères de l'amour; faites-leur-en des peintures riantes qui échauffent +leur sensualité; montrez-leur le plaisir dans les attitudes les plus +séduisantes pour exciter leurs désirs. Vous objecterez peut-être qu'il +est difficile de réussir dans un art aussi dangereux; point du tout, il +ne faut que de l'adresse. Je conviens qu'il serait dangereux d'encenser +leurs désirs; mais n'est-il pas mille moyens de concilier leur coeur et +leur raison? Que les portraits que vous leur ferez des plaisirs +paraissent faits moins pour les engager à s'y livrer que dans la vue de +les en détourner; insistez sur les plaisirs; soyez court sur les +conséquences: la raison s'opposera vainement aux impressions que vos +discours feront dans leur coeur. Rassurez-les du côté du ciel; détruisez +leurs préjugés du côté du monde; faites-leur envisager qu'il est +dangereux de garder trop longtemps une fleur qui se fane; qu'il est si +doux de la laisser cueillir, que sa perte est idéale. Ajoutez qu'il est +mille secrets pour empêcher la grossesse. Examinez alors leur visage, +vous le verrez enflammé. Laissez tomber votre main sur leurs tétons; +pressez-les, et bientôt vous entendrez leurs soupirs, fidèles +interprètes des sentiments de leur coeur. Joignez vos soupirs aux leurs, +appliquez un baiser sur leur bouche, offrez-vous pour consolateur de +leurs peines. L'aveu de ce qui se passe dans le coeur établit la +confiance, on ne rougit plus d'être faible avec des faibles, on se +console réciproquement. + +Le discours du père Simon m'avait échauffé l'imagination; il m'avait si +fort ému, que je ne doutai plus de la possibilité d'une chose que +j'avais prise pour un badinage. Je réitérai mes instances auprès du +père, qui obtint bientôt ce que je demandais. + +Il me tardait de me voir érigé en médiateur entre les pécheurs et le +Père des miséricordes. Je me réjouissais d'avance de l'aveu que pourrait +me faire une fille timide d'avoir donné à son tempérament la +satisfaction qu'il demandait. Je fus au confessionnal prendre possession +de mon poste. + +On dit qu'un grand philosophe avait la faiblesse de rentrer chez lui et +d'y rester tout le jour, quand, en sortant le matin, une vieille était +la première personne qu'il rencontrât. Si l'exemple de ce philosophe +avait été une règle pour moi, j'aurais sur-le-champ déserté le +confessionnal; mais je tins bon, et je m'armai de courage contre l'ennui +que devait me causer la confession d'une vieille qui se présenta. + +J'essuyai patiemment un déluge de balivernes que je payai par des +maximes de morale si consolantes, que ma vieille, charmée, m'aurait +d'abord donné des marques de satisfaction, si le grillage ne se fût pas +trouvé entre nous. Pour me dédommager, elle me voua un attachement à +l'épreuve de toutes les tentatives que les autres directeurs pourraient +faire pour me l'enlever. Je lui passai son transport en faveur du profit +que j'en pourrais tirer. _Bon pour plumer_, me dis-je en moi-même; mais +pour cela il fallait sonder le terrain. Elle était babillarde; je la mis +sur le chapitre de sa famille. Grandes invectives d'abord contre un +traître de mari, qui portait ailleurs ce qui lui appartenait: elle était +blessée dans l'endroit le plus sensible; autres invectives contre son +fils, qui suivait l'exemple du père; elle ne louait que sa fille, une +fille dont l'occupation et le plaisir étaient le travail et la +prière.--Ah! ma chère soeur, m'écriai-je alors d'un ton de tartufe, que +vous devez être charmée de vous voir revivre dans une pareille fille! +Mais cette sainte âme vient-elle à notre église? Que je serais édifié de +la voir!--Vous la voyez tous les jours ici, me répondit la vieille; elle +est aussi belle qu'elle est dévote; mais dois-je parler de beauté devant +vous, qui êtes des saints? Vous méprisez cela.--Ma chère soeur, +repris-je, nous croyez-vous assez injustes pour refuser d'admirer les +beaux ouvrages du Créateur, surtout quand ce qu'ils ont de mondain se +trouve réparé par tant de vertus célestes? Ma vieille, enthousiasmée du +tour que j'avais donné à ma curiosité, me dépeignit sa sainte, que je +reconnus pour une brune piquante qui venait à nos offices. Père Siméon, +me dis-je alors, voilà de nos dévotes; ménageons celle-ci: elle pourrait +bien vous rendre prophète. Crainte d'effaroucher la mère, je remis à une +seconde séance d'engager sa fille à se ranger au nombre de mes +pénitentes, et je lui donnai l'absolution, tant pour le passé que pour +le présent. Je l'aurais même donnée pour l'avenir si elle avait voulu: +cela ne coûte rien. Je l'engageai cependant à venir se rafraîchir +souvent dans les eaux de la pénitence. Ainsi finit ma première +expédition. + +Il me semble que je vous entends crier: Allons, dom Saturnin, vous voilà +dans le bon chemin; vous êtes en train de vous guérir, à ce qu'il +paraît. Oui, lecteur, oui, la sainteté du caractère dont je viens d'être +revêtu commence à opérer; Dieu soit loué! Que la grâce est puissante! Je +bande déjà assez pour me faire croire que je banderai bientôt davantage. + +Je ne manquai pas le lendemain d'aller à l'office: on s'imagine bien à +quelle intention. Je vis ma brune qui priait Dieu de tout son coeur. La +voilà , me dis-je, cette charmante enfant, ce modèle de toutes les +vertus! Ah! quel plaisir de croquer un morceau aussi délicat! Quel +ravissement de donner à cela la première leçon du plaisir amoureux! +_Vivat!_ je suis guéri, je bande comme un carme: pourquoi ne pas dire +comme un célestin? valent-ils moins que les autres? Mais ma dévote me +regarde: sa mère lui aurait-elle parlé de moi? Ah! vite, apaisons le feu +que sa vue m'inspire: branlons-nous! Le roulement d'yeux que me causait +le plaisir fut pris pour un excès de dévotion. Le plaisir que j'avais en +me branlant à l'intention de ma dévote m'était un sûr garant de celui +que j'aurais si j'en pouvais faire davantage. J'attendais de mon adresse +un bonheur que le hasard me procura quelques jours après. + +J'étais un jour sorti du couvent. Le portier, quand je rentrai, me dit, +en m'ouvrant la porte, qu'une jeune dame m'attendait et voulait me +parler. Je courus au parloir; mais, ô surprise! je reconnus ma dévote. +Me voyant, elle se jeta à mes pieds.--Ayez pitié de moi! me dit-elle en +pleurant.--Qu'avez-vous donc? lui demandai-je en la relevant. Parlez, le +Seigneur est bon, il voit vos larmes, ouvrez votre coeur à son ministre. +En voulant parler, elle tomba évanouie dans mes bras, Que faire? +J'allais crier au secours, quand la réflexion me dit: Où vas-tu? +attends-tu une plus belle occasion? Je m'approche de ma dévote, la +délace, lui découvre la gorge. Jamais plus beau sein ne s'offrit à ma +vue. En écartant sa robe et sa chemise, je crus ouvrir le paradis. Je +fixai mes yeux sur deux globes blancs et fermes comme le marbre; je les +baisais, je les pressais; je collais ma bouche sur la sienne: je +réchauffais son souffle. Enfin, je prends ma dévote amoureusement. Une +palpitation subite me saisit. Je la quitte et reste tremblant à la +considérer; tout à coup soufflant la lumière, je la reprends dans mes +bras et gagne ma chambre avec ce cher fardeau. Dieux! qu'il était léger! +Je la mets sur mon lit, rallume ma bougie et la considère de nouveau. Je +découvre sa gorge, lève ses jupes, écarte ses cuisses; j'examine, +j'admire. Quel spectacle! l'amour, les grâces embellissaient son corps. +Blancheur, embonpoint, fermeté, tout charmait la vue. Las d'admirer sans +jouir, je portai la bouche et les mains sur ce que je venais de voir; +mais à peine y eus-je touché, que ma dévote soupira et porta sa main où +elle sentait la mienne. Je la baise sur la bouche, elle veut se +débarrasser; inquiète, elle cherche à pénétrer où elle est. Mon ardeur +produit sur moi le même effet; je ne la quitte pas. Elle veut s'arracher +de mes bras, je résiste, je la renverse; furieuse, elle se relève, veut +me déchirer le visage, mord, frappe: rien ne m'arrête. J'appuie ma +poitrine sur la sienne, mon ventre sur le sien, et laisse à ses mains +tout ce que la fureur leur inspire, employant les miennes à lui écarter +les cuisses; elle les serre, je désespère de triompher; la rage augmente +ses forces, la passion diminue les miennes; m'excitant, je les réunis, +j'écarte ses cuisses, je lâche mon vit; je l'approche du con, je pousse, +il entre. Alors la fureur de ma dévote s'évanouit, elle me serre, me +baise, ferme les yeux et se pâme. Je ne me connais plus, je pousse, je +repousse, et j'inonde le fond de son con d'un torrent de foutre. Elle +redécharge, nous restons sans connaissance, tous deux absorbés par le +plaisir. + +Mon aimable compagne ne revint à elle-même que pour m'inviter par ses +caresses à la replonger dans le délire. Ses yeux sont languissants, se +troublent, s'égarent; son con est une fournaise, mon vit brûle. Ah! me +dit-elle, le plaisir me suffoque; je meurs! Ses membres se roidissent, +elle donne un coup de cul, j'en rends deux; nous déchargeons encore. + +Après avoir épuisé le plaisir, j'allai chercher à la cuisine de quoi +réparer les forces d'un malade; je dis que je l'étais. Je rentrai chez +moi, j'y trouvai ma dévote dans la tristesse; je la dissipai par mes +caresses, et j'attendis que nous eussions mangé pour m'informer de son +chagrin. Nous soupâmes sans faire beaucoup de bruit, crainte d'être +découverts et qu'on ne confisquât mon trésor au profit de la piscine, +suivant les règles de l'ordre. + +Comme nous étions tous deux extrêmement fatigués, nous songeâmes plutôt +à nous reposer qu'à causer. Quand nous eûmes fini notre repas, nous nous +mîmes au lit; mais aussitôt que nous nous vîmes nus, le repos s'enfuit +loin de nous; je portai la main au con de ma dévote, elle porta la +sienne à mon vit, et, admirant sa grosseur, sa fermeté: Ah! me dit-elle, +je ne suis plus surprise que tu m'aies réconciliée avec le plaisir que +j'avais résolu de haïr! Je songeai moins à lui demander la cause qu'à +lui prouver, en le lui faisant goûter de nouveau, qu'elle avait eu tort +de former une pareille résolution. Elle me reçut dans ses bras avec une +vivacité inexprimable. Étroitement serrés, à peine pouvions-nous +respirer: le lit ne pouvant plus soutenir nos secousses, il suivait +l'impression de nos corps, il craquait effroyablement. Une douce ivresse +succéda bientôt à nos efforts, et nous nous endormîmes couchés l'un sur +l'autre, étroitement serrés, langue en bouche, vit au con. + +L'aurore nous trouva endormis dans cette posture, et, soit que +l'imagination eût fait distiller cette eau délicieuse qui annonce le feu +intérieur, soit que nous eussions déchargé machinalement, nous nous +réveillâmes tout trempés. Bientôt nous renouvelâmes nos plaisirs, et +j'eus assez de force pour m'en acquitter monacalement. Je ne dirai pas +combien de fois je n'eus pas la peine d'enconner. Je passe rapidement à +vous informer du sujet qui avait jeté ma dévote dans mes bras. + +Je lui voyais un air d'inquiétude et de tristesse qui me pénétrait. Je +la priai tendrement de s'expliquer et d'être persuadée que je +remédierais à sa douleur, à quelque prix que ce fût.--Perdrai-je ton +coeur, cher Saturnin, me dit-elle en me regardant languissamment, quand +je t'avouerai que tu n'es pas le premier qui m'ait fait goûter les +plaisirs de l'amour? Rassure mon coeur contre une crainte dont on ne +peut se défendre, et qui vient, malgré moi, de répandre sur mon visage +une tristesse que je n'ai pu te cacher. Oui, c'est cette seule crainte +qui m'inquiète à présent; celle de mon sort ne m'occupe plus, puisque je +suis avec toi.--Oses-tu, lui répondis-je, te défier des charmes que tu +étales à mes yeux? Que tu en connais peu le prix, si tu doutes de leur +effet! Oui, l'ardeur qu'ils m'inspirent est trop forte pour ne pas +s'indigner d'une pareille crainte. Que tu me connais peu! Si un préjugé +ridicule a mis une différence entre une fille foutue et une fille à +foutre, ce préjugé n'est pas ma règle. La beauté, pour en avoir charmé +d'autres, doit-elle perdre le droit de nous charmer? Quand tu l'aurais +fait avec toute la terre, n'es-tu pas toujours la même, n'es-tu pas +toujours une fille adorable, en serais-tu moins précieuse à mes yeux? +Les plaisirs que tu as donnés à d'autres ont-ils altéré la vivacité de +ceux que tu viens de me donner?--Tu m'enlèves, me répondit-elle; je ne +fais plus de difficulté de t'apprendre des infortunes que tu viens de +faire cesser. + +Elle me raconta ce qui suit: + +Mon malheur a sa source dans mon coeur. Un penchant invincible pour le +plaisir ne me fait respirer que pour lui. Une mère injuste et cruelle +m'avait confinée dans un cloître. Trop timide pour opposer mon dégoût à +ses ordres, je ne fis parler que mes larmes; elles ne l'attendrirent +pas, je pris le voile. Le moment fatal de prononcer l'arrêt de ma mort +approchait: je frémis à la vue du serment que j'allais faire. L'horreur +de ma prison, le désespoir d'être privée de mon unique bien, me +plongèrent dans une maladie qui aurait terminé mes peines, si ma mère, +touchée de mon état, ne s'était reproché sa dureté. Elle était +pensionnaire dans le couvent où elle voulait que je prisse l'habit. Un +projet de retraite l'y avait amenée; mais la réflexion l'en retira. Les +femmes ne renoncent pas au plaisir, ne vieillissent pas sans chagrin; +c'est un sentiment naturel que leurs efforts peuvent bien dissimuler, +mais qu'ils n'arracheront jamais de leur coeur. Ma mère, jugeant de mon +tempérament par le sien, me tira de mon cachot, et reparut dans le monde +sur le pied d'une dame qui se consolerait aisément de la perte du défunt +dans les bras d'un cinquième mari. + +Connaissant le génie de ma mère, je jugeai qu'il serait dangereux de me +trouver en rivalité avec elle, certaine qu'un amant qui se présenterait +me préférerait à elle. Je compris que les plaisirs de l'amour goûtés +dans le mystère en étaient plus piquants, que la retraite me les +procurait ainsi que le grand monde. J'agis d'après ce système, et je +passai bientôt pour une dévote. Charmée du progrès de mon stratagème, je +ne songeai qu'à nouer quelque intrigue secrète à l'ombre de cette haute +réputation de vertu factice. Cette réputation parut équivoque à un jeune +homme que j'avais vu autrefois à la grille, et avec qui il m'était +arrivé une aventure... + +J'interrompis alors ma dévote. Me rappelant ce que Suzon m'avait +autrefois appris de la soeur Monique, son aversion pour le couvent, sa +passion pour l'amour, la scène qu'elle avait eue avec Verland, son +caractère, le séjour que sa mère avait fait dans le couvent, je +confrontais le portrait de cette soeur avec le charmant minois que +j'avais devant moi. J'allai plus loin; je me ressouvins que Suzon +m'avait dit que la soeur Monique avait le clitoris un peu long. Dans +l'espoir de trouver à ma dévote ce dernier signe qui devait confirmer +mes soupçons, je la fis coucher sur le dos, et, lui examinant le con +avec une attention que la passion ne m'avait pas encore permise, j'y +trouvai ce que je cherchais, un clitoris vermeil un peu plus long que +les femmes ne l'ont ordinairement, et qui semblait n'être placé là que +pour le plaisir. + +Ne doutant plus que ce ne fût elle, je l'embrassai avec un nouveau +transport.--Chère Monique, lui dis-je, est-ce toi que le ciel m'envoie? +Elle se débarrasse de mes bras, me fixe avec surprise, et me demande qui +m'avait appris le nom qu'elle portait au couvent. Une fille, lui dis-je, +dont je pleure la perte, et la confidente de tes secrets.--Ah! +s'écria-t-elle, c'est Suzon: elle m'a trahie!--Oui, c'est elle, lui +répondis-je; mais c'est un secret qu'elle n'a confié qu'à moi, et ce +n'est qu'à mes importunités que je le dois.--Comment, reprit Monique, tu +es le frère de Suzon? Ah! je ne me plains plus d'elle: si je le faisais, +je me mettrais dans la nécessité de la défendre contre les plaintes que +tu en ferais à ton tour, car elle ne m'a pas caché ce qui lui était +arrivé avec toi. + +Nous nous attendrîmes sur le sort de Suzon et la soeur Monique continua +ainsi: + +Puisqu'elle t'a conté mon aventure avec Verland, c'est de ce dernier que +je vais te parler. Ma métamorphose l'avait surpris; il m'avait vue à la +grille vive, coquette: une longue absence ne m'avait pas effacée de son +souvenir. A son retour le bruit de ma dévotion éclatant, il ne voulut en +croire que ses yeux. Il me vit à l'église, et l'amour l'y suivit. + +En parcourant des yeux tous ceux qui m'environnaient, j'aperçus Verland; +je rougis à la vue d'un homme qui avait autrefois été témoin de ma +faiblesse, et je rougis encore plus de ne pouvoir lui cacher les +dispositions où mon coeur était de retomber dans les mêmes fautes. +L'âge, en tempérant sa vivacité, avait rendu ses grâces plus mâles et +plus touchantes. Sa présence ralluma mes désirs; ils m'entraînaient tous +les jours au même endroit, et tous les jours je l'y voyais aussi +attentif à me regarder et aussi tendre dans ses regards. Mes yeux lui +firent sentir combien j'étais mécontente de sa lenteur à m'apprendre de +bouche les mouvements de son coeur; il me comprit, et, m'abordant d'un +air timide, me dit: Un homme qui, pour la première fois qu'il a eu le +bonheur de vous voir, a mérité votre colère, peut-il aujourd'hui se +présenter à vos yeux? Si le repentir le plus vif peut faire oublier ma +faute, vous devez me voir sans indignation. Sa voix était tremblante. Je +lui répondis que le galant homme faisait oublier l'imprudence du jeune +homme.--Vous ne connaissez pas toutes mes fautes, reprit-il; votre bonté +vient de me pardonner un crime: j'ai plus besoin que jamais de cette +même bonté. Il se tut après ces mots, et, quoique je l'entendisse, je +lui répondis que je ne connaissais pas la nouvelle offense dont il +voulait me parler.--Celle de vous adorer, me dit-il en collant un baiser +sur ma main. Il comprit par mon silence que ce crime était excusable; et +dans la crainte de m'ouvrir trop, je le quittai charmée de mon amour. + +J'étais persuadée que, si Verland était sincère, il trouverait occasion +de me le prouver; il pénétra le motif de ma retraite, et me laissa +partir en souriant. J'entendis ses soupirs, les miens y répondaient au +fond du coeur. Que te dirais-je? Une seconde entrevue lui valut l'aveu +de ma tendresse et la permission de me demander à ma mère en mariage. +Elle le refusa: j'en fus au désespoir. Son refus irrita notre amour, +Verland en était accablé. Cette imprudente démarche nous ôtait tout +espoir; et, pour comble d'horreur, ma mère était ma rivale. Les éloges +prodigués à Verland la trahirent. Triste victime de la dévotion et de +l'amour, je n'osais demander à ma mère la cause du refus d'un homme +qu'elle croyait parfait. Je ne pus résister à la douleur; j'étais +furieuse contre ma mère et contre moi-même: mon amour était au comble. +Je voyais Verland tous les jours; nous étions inséparables. Croirais-tu +que jusqu'alors je n'avais point cédé à ses instances, le seul moyen de +mettre ma mère à la raison? Mais, attendrie par les larmes de mon amant, +pressée par son amour, vaincue par mon penchant, je prêtai l'oreille à +sa proposition de m'enlever: nous convînmes du jour, de l'heure et des +moyens. + +Je ne voyais dans mon amour que le plaisir que j'allais goûter avec +Verland. Le lieu le plus affreux me paraissait un paradis, pourvu qu'il +fût avec moi. Le jour du départ arriva: j'allais sortir, une main +invisible m'arrêta. Arrivée sur le bord du précipice, j'en mesurai la +profondeur; effrayée, je reculai. Surprise de ma faiblesse, je voulus +étouffer ma raison; elle triompha; je rentrai, mes larmes coulèrent. +Indignée de ma lâcheté, je m'encourageais et m'effrayais. L'heure +pourtant avançait quel parti prendre? Hélas! je ne savais que penser. Un +rayon de lumière vint m'éclairer, et je fus tranquille: je vis un moyen +d'être à mon amant et de me venger de ma mère. Hélas! à quoi m'a servi +tant de prudence? A me plonger dans l'abîme! Peut-être aurais-je été +plus heureuse dans un pays inconnu: tout à moi-même, n'écoutant que mon +amour pour un mari qui m'aurait adorée, je n'aurais pas été esclave de +ces apparences qui m'ont perdue? Mais pourquoi m'abuser? J'aurais porté +dans un climat étranger le même coeur, la même fureur pour l'amour, et +ce caractère m'y aurait perdue comme il l'a fait ici. + +Je fis à Verland le signe dont nous étions convenus, en cas +d'inexécution du projet: je remis au lendemain à l'informer de mes +raisons. Nous nous trouvâmes à l'église, il m'aborda sans dire mot; son +visage exprimait la douleur; je fus effrayée.--M'aimez-vous? lui +dis-je.--Si je vous aime! me répondit-il avec un transport de désespoir +qui l'empêcha d'en dire davantage.--Verland, repris-je, je lis votre +douleur dans vos yeux, mon coeur en est déchiré; plaignez-moi, +plaignez-vous d'un défaut de courage qui nous arracherait à notre +passion, si le désespoir ne m'avait pas suggéré le moyen de nous +conserver l'un à l'autre. Je ne doute pas de votre tendre amour, mais +j'en veux une preuve, puisqu'une mère cruelle s'oppose à nos désirs. Ah! +Verland, le rouge qui me couvre le visage ne vous dit-il pas quel est le +moyen que je veux employer?--Chère Monique, me dit-il en me serrant la +main, ton amour te fait il sentir la nécessité d'une chose que je t'ai +en vain souvent proposée?--Oui, lui répondis-je, vous ne vous plaindrez +plus; mais pour vous rendre heureux, je ne veux qu'un mot de votre +bouche.--Parlez; que faut-il faire?--Épouser ma mère, lui dis-je. La +surprise lui coupa la parole; il me regardait avec des yeux +égarés.--Épouser votre mère, Monique! que me proposez-vous?--Une chose, +lui répondis-je, dont je me repens. Votre froideur me dénote votre +amour, et votre indifférence m'éclaire sur ma passion. Ciel! ai-je pu +penser à un homme aussi lâche?--Monique, reprit-il tristement, à quoi +veux-tu réduire ton amant?--Ingrat, lui répondis-je, quand je surmonte +l'horreur de te voir dans les bras de ma rivale; quand, pour me livrer à +toi, pour jouir du plaisir de te voir, pour recevoir enfin tes caresses, +je sacrifie ma gloire, j'immole à ton bonheur ce que j'ai de plus cher, +tu trembles! Ai-je plus de force que toi? Non; mais tu n'as pas tant +d'amour.--C'en est fait, me dit-il alors, tu triomphes; j'ai honte de +moi-même, et nos coeurs doivent être sans remords. Charmée de son +courage, je promis de l'en récompenser le jour de ses noces; peut-être +n'aurais-je pas eu la force de l'attendre, si l'impatience de ma mère +n'eût pas été aussi vive que la mienne. Verland lui avait offert ses +voeux. Ravie d'une conquête qu'elle s'imaginait devoir à ses charmes, +elle se hâta d'en recueillir le fruit; il n'était pas fait pour elle. Le +mariage se célébra; la joie que j'en témoignai m'attira de ma mère mille +caresses que je payai par d'autres qui étaient moins sincères. Mon coeur +s'enivrait d'avance du plaisir de l'amour et de la vengeance. Verland +parut: il était adorable; mille grâces nouvelles animaient toutes ses +actions; le moindre sourire m'enchantait; les paroles les plus +indifférentes m'enflammaient; à peine pouvais-je contenir mes désirs. Au +milieu du tumulte, il trouva moyen de s'approcher de moi et de me dire: +J'ai tout fait pour l'amour, ne fera-t-il rien pour moi? Un coup d'oeil +fut ma réponse. Je sors, il s'échappe; j'entre dans ma chambre, il m'y +suit; je m'élance sur mon lit, il se précipite sur moi. Dispense-moi de +faire ici le récit des plaisirs que je goûtai, un seul mot te suffit +pour te les faire connaître: toi seul, cher père, toi seul as été plus +loin. O ma mère! m'écriai-je, au milieu de nos transports, que ton +injustice va te coûter cher. + +Mon amant était un prodige; nous restâmes ensemble une heure qui ne vit +pas un moment d'intervalle. En vain les forces lui manquaient; semblable +à Antée, qui, luttant avec Hercule, ne faisait que toucher la terre pour +réparer les siennes, mon amant me touchait et revenait à la charge avec +plus de vigueur. + +On nous cherchait partout; on avait même frappé à ma porte. Nous nous +séparâmes, crainte d'être suspectés. Verland gagna le jardin, où on le +trouva, comme il l'avait prévu. On le railla, on lui fit la guerre. Un +feint étourdissement vint à son secours, disant que, pour ne pas +troubler les plaisirs, il s'était retiré sans parler. Son air abattu, +occasionné par la fatigue qu'il venait d'avoir, aidait à faire croire ce +qu'il disait. + +Ne doutant pas qu'on ne vînt encore me chercher dans ma chambre, je +dérangeai la portière qui bouchait le trou de la serrure et me mis à +demi prosternée devant un crucifix. Cela me réussit: on crut que les +plaisirs n'avaient pu me déranger de mes pieux exercices; de là une +nouvelle estime, une espèce de vénération pour moi. Remise enfin de mon +travail amoureux, je rejoignis la compagnie pour ne donner aucun +soupçon, en affectant de me prêter par complaisance à des +divertissements dont le plus doux avait déjà été pour moi. + +Après le dessein formé de marier ma mère avec mon amant, je disposai +tout pour faciliter le moyen de nous voir, pour prévenir toute surprise +étant ensemble; j'affectai plus de dévotion, ne voulant pas être +interrompue dans mes prières; j'accoutumai le monde à ne point frapper +chez moi, la clef n'y étant pas. Verland, de son côté, accoutuma ma mère +à son absence, prétextant des affaires et se coulant dans mes bras. +Quoique contraints, nous n'étions pas dégoûtés de nos plaisirs: je les +croyais éternels, un moment me détrompa. Je rencontrai un jour une jeune +personne que j'avais connue autrefois; je lui demandai ce qu'elle +faisait en cette ville; elle me dit qu'elle n'y était attachée à +personne: je la pris pour ma femme de chambre. Mais, cher père, est-ce +avec toi que je dois feindre? Cette prétendue femme de chambre n'était +autre que Martin, dont ta soeur a dû te parler en te contant mon +histoire. Je ne l'avais pas vu depuis notre séparation. Il était encore +aussi joli, aussi aimable; son menton était à peine couvert de quelques +poils follets, blonds, que je lui coupais exactement. Martin était une +jolie fille aux yeux de tout le monde; il était pour moi d'un prix +inestimable. + +J'avais instruit Martin de mon intrigue avec Verland. Heureux de me +posséder, il n'en était pas jaloux; j'étais charmée de sa docilité, je +l'étais encore plus de sa vigueur. J'avais arrangé sagement mes +plaisirs: Verland avait le jour; Martin, la nuit. Le jour ne +disparaissait que pour faire place à une nuit voluptueuse. Jamais +mortelle n'a joui d'une félicité plus parfaite: mais le plaisir est de +peu de durée; sa mesure est celle du tourment dont sa perte nous +accable. + +Martin pouvait passer pour une fille jolie sous cet habillement. +L'ingrat Verland, hélas! pourquoi le traiter d'ingrat? n'étais-je pas +coupable, et mon coeur criminel? Verland trouva des charmes à ma +prétendue femme de chambre, et négligea sa maîtresse. Dédommagée par les +plaisirs de la nuit, je ne m'étais pas encore aperçue de l'indifférence +de Verland; il possédait si bien l'art de me persuader, que tous les +motifs de son absence me paraissaient justes. Si je le grondais, un +sourire, un baiser, apaisaient ma colère. Un jour de repos me le rendait +plus vigoureux. Il en vint jusqu'à me faire croire que l'intérêt de +notre plaisir rendait ces absences nécessaires: j'y consentis: Martin +suppléait au relâche. + +Hier, jour infortuné et dont je ne dois me souvenir que pour le +détester, hier était un jour de repos pour Verland. Renfermée seule avec +Martin, et n'ayant pour témoin que l'amour, nous n'écoutions que ses +conseils. J'étais couchée sur mon lit; la gorge nue, les jupes levées et +les cuisses écartées, j'attendais que Martin reprît ses forces. Il était +nu, et, passant ma cuisse droite entre ses cuisses, me tenait d'une main +les tétons, et de l'autre caressait ma cuisse gauche. Tandis que ses +yeux et sa bouche cherchaient à rallumer son ardeur, Verland, que nous +n'attendions pas, entra et nous surprit dans cette attitude. Il eut le +temps de fermer la porte et d'accourir à nous avant que la frayeur nous +eût permis de changer de posture.--Monique, me dit-il, je ne blâme pas +tes plaisirs, mais tu dois avoir la même complaisance pour moi: j'aime +Javotte (c'est le nom que Martin avait pris), je me sens des forces +suffisantes pour vous contenter toutes deux. Dans le moment il veut +embrasser Martin, il le tire de mes bras, il porte la main et trouve... +Quelle surprise! Sans lâcher Martin, il me jette un regard +d'indignation; il n'ose faire éclater contre moi sa colère; mais tout le +poids en retombe sur la cause innocente. Son amour s'était tourné en +rage; il frappait impitoyablement le malheureux Martin, et c'était moi +qu'il frappait dans l'endroit le plus sensible. + +Je me jette entre ces deux rivaux.--Arrêtez, dis-je à Verland en +l'embrassant; respectez sa jeunesse au nom de nos transports, au nom de +notre amour, Verland, ayez pitié de sa faiblesse, soyez sensible à mes +larmes. Il s'arrête, mais Martin, qui avait eu le temps de se +reconnaître, était devenu furieux à son tour. Il prend l'épée de +Verland, s'élance sur lui. Je fuis à cette vue, me sauve par un escalier +dérobé, j'accours ici, tu sais le reste. + +Monique ne put achever sans verser des larmes.--Hélas! s'écria-t-elle, à +quel sort dois-je m'attendre?--Au plus heureux, lui dis-je; rassure-toi, +chère Monique; ce qui fait couler tes pleurs est peut-être sans objet. +Si c'est la perte de tes plaisirs, de plus grands la répareront bientôt. +Il m'était impossible de la garder encore dans ma chambre sans être +découvert, et je crus que le meilleur parti était de la présenter à la +piscine. Je ne craignais pas de lui promettre trop, en l'assurant que +les plaisirs dont elle avait joui jusqu'alors n'étaient qu'une faible +image de ceux qui lui étaient réservés. La piscine devait être un séjour +divin pour un tempérament tel que le sien.--Cher ami, dit-elle en +m'embrassant, ne m'abandonne pas; puis-je rester avec toi! Ton +consentement ou ton refus décidera de mon sort; si je te perds, je serai +malheureuse. Je l'assurai que nous ne nous quitterions jamais.--Je n'ai +plus, reprit-elle, qu'une inquiétude: pardonne ce dernier effort à un +amour dont tu vas devenir l'unique objet. Je sentis ce qu'elle n'osait +m'avouer. Je lui offris d'aller m'instruire du sort de ses amants et de +l'effet de sa fuite. Elle m'en remercia. Je la laissai seule, et je +sortis avec promesse de revenir bientôt. + +Je m'informai dans la ville de ce qu'il y avait de nouveau. J'allai dans +le voisinage de Verland; rien n'avait transpiré, et je jugeai que tout +le désordre s'était borné à la fuite de Monique. Je revenais au couvent +quand j'aperçus le domestique, qui accourut à moi et me dit que le +révérend père André l'avait chargé de me donner une lettre, et un sac +d'argent de cent pistoles. Je crus d'abord que le père me chargeait de +quelques commissions. J'ouvris la lettre et j'y trouvai ces mots: + + «Vous vous êtes trahi par vos précautions; on a ouvert votre chambre, + et on y a trouvé le trésor que vous ne vouliez pas faire voir à vos + frères; on s'en est saisi: on a mis cette personne à la piscine. Vous + connaissez le génie des moines: fuyez, père Saturnin; fuyez, + dérobez-vous aux horreurs d'une prison qui ne finirait peut-être + qu'avec votre vie. + + «P. ANDRÉ.» + +Je fus frappé comme d'un coup de foudre à la lecture de cette lettre. Un +accablement mortel m'ôta le sentiment. O ciel! m'écriai-je, que devenir? +Dois-je m'exposer à la vengeance monacale? Fuirai-je? Malheureux, +n'hésite point; ah! fuyons! Mais où fuir, où me sauver? La maison +d'Ambroise s'offrit à mon esprit éperdu comme l'asile le plus sûr contre +la crainte présente. Je pris une résolution courageuse, trop heureux que +la générosité du père André me dérobât au ressentiment monacal. + +Ce ne fut pas sans douleur que je m'exilai d'un lieu où je laissais mon +plaisir et mon bonheur. Déchiré par mes remords, abattu par mon +désespoir, j'arrivai chez Ambroise. Toinette était seule; mon malheur +l'attendrit. Elle me secourut de son mieux et me couvrit d'un habit +d'Ambroise. Je partis le lendemain pour Paris, dans l'espérance d'y +trouver un état qui pût me dédommager de celui que je venais de quitter. + +Je partis, après avoir secoué, comme les apôtres, la poussière de mes +souliers sur mon ingrate patrie; et, marchant à pied, un bâton blanc à +la main, j'arrivai à Paris. Je crus pouvoir braver alors la fureur +monacale. L'argent du père André et les secours de Toinette pouvaient me +conduire pendant quelque temps. Mon dessein était de chercher d'abord un +poste de précepteur, en attendant que la fortune voulût m'en trouver un +meilleur. Quelques connaissances que j'avais à Paris auraient pu me +servir, s'il n'eût été dangereux de les employer. Moyennant un retour +raisonnable, j'avais troqué mon habit de paysan contre un plus honnête. +Heureux si, en quittant le froc, j'en avais quitté les inclinations! Le +noir chagrin qui me dévorait me faisait croire que j'étais venu à bout +de déraciner cette mauvaise tige, ou que j'en triompherais aisément. Je +l'avais même juré: je voulais m'enchaîner par un serment, moi que les +liens les plus respectables n'avaient pu retenir. Que l'homme est +faible! + + Aujourd'hui sous un casque et demain sous un froc, + Il tourne au moindre vent et tombe au moindre choc. + +Je tombai; le choc ne fut pas violent, puisque ce ne fut qu'un coup de +coude qu'une coquine me donna en me disant: Monsieur l'abbé, voulez-vous +me payer une salade?--Plutôt deux, répondis-je, emporté par un mouvement +naturel. La réflexion vint aussitôt à mon secours, mais trop tard; +j'étais trop engagé pour reculer. Nous entrâmes dans une allée obscure +et étroite. Je pensai mille fois me rompre le cou dans un escalier +tortueux, dont les marches glissantes et inégales me faisaient trébucher +à chaque pas. Ma donzelle me tenait par la main. J'avouerai que, ne +m'étant jamais trouvé en pareil cas, je ne pouvais me défendre d'un +certain effroi qui parut de bon augure à ma conductrice: elle en aurait +ri si elle eût connu ma qualité. Nous arrivâmes enfin avec bien de la +peine à la porte du temple. Nous frappâmes; une vieille, plus vieille +que la sibylle de Cumes, vint ouvrir en entrebâillant la porte.--Mon +petit roi, me dit-elle, il y a du monde; attends un moment; monte plus +haut. Monter plus haut était bien difficile, à moins que de vouloir +monter au ciel. Une porte se présenta sous ma main qui s'ouvrit +d'elle-même. J'allai me retirer, crainte de trouver quelqu'un et de +faire soupçonner ma probité. L'odeur me rassura; c'était... Vous me +devinez. + +Abandonné à moi-même, dans un endroit affreux, au bout du monde, dans un +pays perdu, avec des gens inconnus, je me sentis saisi d'une terreur +subite. Le danger que je courais s'offrit à mes yeux. Profitons, dis-je +en moi-même, de ce moment de clarté, sauvons-nous. Quelque chose de plus +puissant que la réflexion m'arrêta; il semblait qu'une mer immense se +présentât à mes yeux et m'empêchât de gagner le rivage: je m'élançais et +je me retenais aussitôt. Le ciel a-t-il gravé dans nos coeurs des +pressentiments de ce qui doit nous arriver? Oui, sans doute, et je +l'éprouvais. Dans le moment on ouvre la porte fatale, on m'appelle, je +descends; infortuné, je courais à ma perte, mais quelle joie délicieuse +devait la précéder! + +J'entre d'un air timide à la lueur tremblante d'une lampe; je vais +m'asseoir sans parler; j'appuie le coude sur une table mal assurée; je +me couvre les yeux avec la main, comme si j'eusse voulu me dérober aux +réflexions qui venaient m'assaillir. Une quêteuse infernale s'avance: Je +me montre généreux, elle me remercie. Mon maintien triste surprenant les +prêtresses du temple, la vieille sibylle s'approche pour m'en demander +le sujet. Je la repousse brutalement: elle s'en plaint.--Laissez, +madame, lui dit la plus jeune, on peut avoir du chagrin. + +Ce son de voix qui ne m'était pas inconnu, frappa mon coeur. Je +tremblai, et, craignant de porter les yeux vers l'endroit d'où venait de +partir cette voix, je les ferme et ne veux m'occuper que des mouvements +qu'elle vient de réveiller en moi; mais bientôt, me reprochant mon +indifférence, je veux m'éclaircir: je rouvre les yeux, me lève et +m'approche. Cieux! c'était Suzon! Ses traits, quoique changés par l'âge, +étaient trop gravés dans mon coeur pour les méconnaître. Je tombe dans +ses bras, mes yeux se remplissent de larmes, mon âme est sur mes +lèvres.--Chère soeur, lui dis-je d'une voix altérée, tu ne reconnais +plus ton frère? Elle jette un cri, et tombe évanouie. + +La vieille, étonnée, accourt et veut secourir Suzon; je la repousse, +colle mes lèvres sur les lèvres de ma chère soeur, et ne veux que le feu +de mes baisers pour lui rendre la chaleur. Je la presse contre mon sein, +arrose son visage de mes larmes; elle ouvre des yeux humides de pleurs: +Laisse-moi, Saturnin, me dit-elle, laisse une malheureuse!--Chère soeur! +m'écriai-je, la vue de Saturnin t'inspire-t-elle de l'horreur? Tu lui +refuses tes baisers, tu lui refuses tes caresses. Sensible à mes +reproches, elle me donna les marques les plus vives de sa joie. La +gaieté reparut sur son visage; elle se répandit jusque sur la vieille, à +qui je donnai de l'argent pour nous apprêter à souper. J'aurais donné +tout: je retrouvais Suzon, n'étais-je pas assez riche? + +On préparait le souper; je tenais toujours Suzon dans mes bras. Nous +n'avions pas encore eu la force d'ouvrir la bouche pour nous demander +quelles aventures pouvaient nous rassembler si loin de notre patrie; +nous nous regardions, nos yeux étaient les seuls interprètes de nos +âmes; ils versaient des larmes de joie et de tristesse; nous n'étions +occupés que de ces deux passions. Notre coeur était si rempli, notre +esprit si occupé, que notre langue était comme liée; nous soupirions; si +nous ouvrions quelquefois la bouche, nous ne prononcions que des paroles +sans suite; tout nous ramenait à la réflexion du bonheur d'être +ensemble. + +Je rompis enfin le silence.--Suzon, m'écriai-je, ma chère Suzon! c'est +toi que je retrouve! Par quel heureux hasard m'es-tu rendue? Mais dans +quel lieu, ah! ciel!--Tu vois, me répondit-elle avec un visage accablé, +une fille malheureuse qui a éprouvé toutes les alternatives de la +fortune, presque toujours l'objet de sa fureur, et forcée de vivre dans +un libertinage que sa raison condamne, que son coeur déteste, mais que +la nécessité lui rend indispensable. Ton impatience, je le vois, attend +après le récit de mes malheurs; puis-je donner un autre nom à la vie que +j'ai menée depuis que je t'ai perdu? Moins sensible à la honte de te +révéler mes dérèglements qu'au plaisir de répandre ma douleur dans ton +sein, je vais te faire un aveu sincère de mes peines. Te le dirai-je, +c'est toi qui les as causées; mais mon coeur était de moitié, lui seul a +tout fait, il a creusé l'abîme où je suis plongée. Te souviens-tu de ces +temps heureux où tu me faisais une peinture naïve de ta passion +naissante? Je t'adorais dès ce temps-là . En te racontant les aventures +de Monique, en te découvrant nos mystères les plus cachés, je voulais +t'enflammer, je voulais t'instruire; je voyais avec plaisir l'effet de +mes discours. J'ai été témoin de tes transports avec Mme Dinville, et +tes caresses étaient autant de coups de poignard pour moi. Quand je +t'entraînai dans ma chambre, j'étais dévorée par un feu que tu ne +pouvais plus éteindre. C'est ici l'époque de mes infortunes. Tu as +toujours ignoré la cause de ce bruit affreux que nous entendîmes: +c'était l'abbé Fillot, ce scélérat vomi par les enfers et né pour le +supplice de mes jours. Il avait conçu pour moi un amour qu'il voulait +satisfaire à quel prix que ce fût; il avait choisi la nuit pour +l'exécution de son dessein; il s'était caché dans la ruelle du lit, et +profita de ta fuite pour venir se mettre à ta place. Hélas! il eut bon +temps d'une malheureuse que la frayeur avait fait évanouir; il fit ce +qu'il voulut. Ranimée par le plaisir et trompée par ma passion, je crus +le recevoir de mon cher Saturnin. Je comblai de plaisirs un monstre que +j'accablai de reproches quand je le reconnus. Il voulut m'apaiser par +ses caresses, je le repoussai avec horreur; il me menaça de révéler à +Mme Dinville ce que j'avais fait avec toi. L'indigne employait contre +moi les armes dont je pouvais me servir contre lui. Il obtint par ses +menaces ce que j'avais refusé à ses transports. Ainsi, j'accordais tout +à un homme que je détestais, et le sort m'arrachait des bras de celui +que j'aimais. + +Bientôt je sentis les fruits amers de mon imprudence. Je cachai ma honte +le plus que je pus; mais je me serais trahie par un silence trop +obstiné. J'avais chassé l'abbé Fillot; il se consolait dans les bras de +Mme Dinville. La nécessité me le fit rappeler. Je lui découvris mon +état; il feignit d'y être sensible, m'offrit de m'emmener avec lui à +Paris, en m'y promettant le sort le plus heureux; il ajouta qu'il ne +demandait, pour prix de ses services, que de vouloir souffrir qu'il me +les rendît. Je ne voulais qu'être en un lieu où je pusse me délivrer de +mon fardeau, comptant bien ne me servir ensuite de son crédit que pour +me placer auprès de quelque dame. Je me laissai gagner par ses +promesses; je consentis à le suivre et partis avec lui, déguisée en +abbé. + +Il eut pour moi mille attentions dans la route; mais que le traître +cachait bien la scélératesse de son coeur sous des apparences +trompeuses! Les secousses du carrosse avaient trompé mon calcul: je mis +au monde, à une lieue de Paris, le gage odieux de l'amour d'un +misérable. Tout le monde criait au prodige et riait. Mon indigne +compagnon de voyage disparut, me laissa à ma douleur et à ma misère. Une +dame charitable eut pitié de mon état, prit un carrosse, m'amena à Paris +et de là à l'Hôtel-Dieu. Elle ne me tira des bras de la mort que pour me +laisser dans ceux de l'indigence. Je ne l'aurais sentie que trop tôt, si +le hasard ne m'eût fait rencontrer une fille perdue. La misère entraîna +le penchant. + +N'en exige pas davantage. La vie de Suzon n'a été qu'un enchaînement +continuel de plaisirs et de chagrin. Si le plaisir s'est fait +quelquefois sentir à mon coeur, il n'a fait que colorer le fond de +tristesse qui le rongeait. Cessera-t-elle, cette tristesse? Ah! puisque +je te retrouve, je ne dois plus me plaindre. Mais, toi, cher frère, ne +me fais pas languir: es-tu sorti de ton couvent? Quel hasard t'a conduit +à Paris?--Un malheur semblable au tien, lui répondis-je, que m'a causé +ta meilleure amie.--Ma meilleure amie! reprit-elle en soupirant. En +ai-je encore dans le monde? Ah! ça ne peut être que la soeur +Monique.--Elle-même, repris-je: ce récit exige trop de temps: soupons. + +Je fis à côté de Suzon le repas le plus délicieux de ma vie. L'envie de +me voir seul avec elle et, de son côté, celle d'apprendre mes aventures, +nous firent quitter promptement la table. Nous nous retirâmes dans sa +chambre, où, sans témoins, sur un lit, digne meuble de l'endroit où nous +étions, et qui n'avait jamais servi à deux amants aussi tendres, tenant +Suzon sur mes genoux, et mon visage collé sur le sien je lui racontai +mes aventures depuis ma sortie de chez Ambroise. + +--Je ne suis donc plus ta soeur? s'écria-t-elle quand j'eus fini.--Ne +regrette pas, lui dis-je, une qualité que le sang donne, et rarement le +coeur; si tu n'es plus ma soeur, tu es toujours l'idole de mon coeur. +Chère âme, continuai-je en la pressant tendrement dans mes bras, +oublions nos malheurs, et commençons à compter notre vie du jour qui +nous a rassemblés. En lui disant ces mots, je baisai sa gorge; j'avais +déjà ma main entre ses cuisses:--Arrête, me dit-elle en s'échappant de +mes bras, arrête!--Cruelle! m'écriai-je, quelles grâces aurais-je donc à +rendre à la fortune si tu rebutes les témoignages de mon +amour?--Etouffe, me répondit-elle, des désirs que je ne pourrais écouter +sans être criminelle; fais un effort sur ta passion: je t'en donne +l'exemple.--Ah! Suzon, lui répliquai-je, tu n'as guère d'amour si tu +peux me conseiller d'étouffer le mien! Et dans quelles circonstances? +Quand rien ne s'oppose à notre bonheur!--Rien ne s'oppose à notre +bonheur? reprit-elle; ah! que ne dis-tu vrai? Dans le moment je la vis +en pleurs: je la pressai de m'en expliquer la cause.--Voudrais-tu, me +dit-elle, partager avec moi le triste prix de mon libertinage? Quand tu +le voudrais, aurais-je la cruauté d'y consentir?--Tu crois, lui +répondis-je, m'arrêter par une raison aussi faible? Je partagerais la +mort avec ma Suzon, et je craindrais de partager ses malheurs? +Sur-le-champ je la renverse sur le lit et veux lui prouver que je ne +crains pas le danger.--Ah! cher Saturnin, s'écria-t-elle, tu vas te +perdre!--Je me perdrai, lui dis-je, transporté d'amour, mais ce sera +dans tes bras! Elle cède, je pousse... Qu'on me permette d'imiter ici ce +sage Grec qui, peignant le sacrifice d'Iphigénie, après avoir épuisé sur +le visage des assistants tous les traits qui caractérisaient la douleur +la plus profonde, couvrit celui d'Agamemnon d'un voile, laissant +habilement aux spectateurs le plaisir d'imaginer quels traits pouvaient +caractériser le désespoir d'un père tendre qui voit répandre son sang, +qui voit immoler sa fille. Je vous laisse, cher lecteur, le plaisir +d'imaginer; mais c'est à vous que je m'adresse, vous qui avez éprouvé +les traverses de l'amour, et qui, après un long temps, avez vu votre +passion couronnée par la jouissance de l'objet aimé. Rappelez-vous vos +plaisirs, poussez votre imagination encore plus loin s'il est possible, +elle sera toujours au-dessous de mes délices. Mais quel démon jaloux de +ma tranquillité me présente sans cesse un souvenir que j'arrose de +larmes de sang? Ah! finissons, je succombe à ma douleur. + +Le jour vint avant que nous nous fussions aperçus que la nuit avait +disparu. J'avais oublié mes chagrins, l'univers entier, dans les bras de +Suzon.--Ne nous quittons jamais, mon cher frère, me disait-elle; où +trouveras-tu une fille plus tendre? où trouverais-je un amant plus +passionné? Je lui jurais de vivre toujours avec elle; je le lui jurais, +hélas! et nous allions nous quitter pour ne nous jamais revoir. L'orage +grondait sur nos têtes, le charme de l'illusion le dérobait à nos +yeux.--Sauvez-vous, Suzon, vint nous dire une fille épouvantée, +sauvez-vous, fuyez par l'escalier dérobé! Surpris, nous voulûmes nous +lever: il n'était plus temps; un archer féroce entrait au moment où nous +nous levions. Suzon, éperdue, se jette dans mes bras: il l'en arrache +malgré mes efforts, il l'entraîne. Cette vue me rend furieux; la rage me +prête des forces, le désespoir me rend invincible. Un chenet, dont je me +saisis, devient dans mes mains une arme mortelle. Je m'élance sur +l'archer. Arrête, malheureux Saturnin! Il n'est plus temps, le coup est +porté, le ravisseur de Suzon tombe à mes pieds. On se jette sur moi, je +me défends, je succombe, je suis pris. On me lie; à peine me laisse-t-on +la liberté de prendre la moitié de mes habits.--Adieu, Suzon, +m'écriai-je en lui tendant les bras; adieu, ma chère soeur, adieu! On me +traînait inhumainement sur l'escalier; la douleur que me causaient les +coups des marches sur lesquelles ma tête frappait me fit bientôt perdre +connaissance. + +Dois-je finir ici le récit de mes malheurs? Ah! lecteur, si votre coeur +est sensible, suspendez votre curiosité, contentez-vous de me plaindre; +mais quoi! le sentiment de ma douleur prévaudra-t-il toujours sur celui +de ma félicité? N'ai-je pas assez versé de pleurs? Je touche au port et +je regrette encore les dangers du naufrage. Lisez, et vous allez voir +les tristes suites du libertinage, heureux si vous ne le payez pas plus +cher que moi. + +Je ne revins de ma faiblesse que pour me voir dans un misérable lit, au +milieu d'un hôpital. Je demandai où j'étais. A Bicêtre, me dit-on. A +Bicêtre! m'écriai-je; ciel! à Bicêtre! La douleur me pétrifia, la fièvre +me saisit, je n'en revins que pour tomber dans une maladie plus cruelle, +la vérole! Je reçus sans murmurer ce nouveau châtiment du ciel. Suzon, +me dis-je, je ne me plaindrais pas de mon sort, si tu ne souffrais pas +le même malheur. + +Mon mal devint insensiblement si violent que, pour le chasser, on eut +recours aux plus violents remèdes: on m'annonça qu'il fallait me +résoudre à subir une petite opération. Il faut vous épargner ce +spectacle de douleur. Que puis-je vous dire? Je tombai dans une +faiblesse que l'on prit pour le dernier moment de ma vie. Que ne +l'était-il? J'aurais été trop heureux! La douleur qui avait causé mon +évanouissement m'en retira. Je portai la main où je sentais la douleur +la plus vive. Ah! je ne suis plus un homme! Je poussai un cri qui fut +entendu jusqu'aux extrémités de la maison. Mais bientôt revenant à +moi-même, et, tel que Job sur son fumier, pénétré de douleur et soumis +aux ordres du ciel, je m'écriai dans l'amertume de mon coeur: _Deus +dederat, Deus abstulit._ + +Je ne souhaitais plus que la mort. J'avais perdu le pouvoir de jouir de +la vie; l'anéantissement était le but de tous mes désirs; j'aurais voulu +me cacher éternellement ce que j'avais été, je ne pouvais penser sans +horreur à ce que j'étais. Le voilà donc, disais-je au fond de mon coeur, +le voilà , cet infortuné père Saturnin, cet homme si chéri des femmes, il +n'est plus; un coup cruel vient de lui enlever la meilleure partie de +lui-même; j'étais un héros, et je ne suis plus qu'un... Meurs, +malheureux, meurs; peux-tu survivre à cette perte? Tu n'es plus qu'un +eunuque! + +La mort fut sourde à mes cris; ma santé revint, je me rétablis; mais ma +débilité fit juger qu'on ne tirerait pas de moi les services qu'on en +avait attendus et auxquels on m'avait destiné; on me déclara que j'étais +libre.--Je suis libre, répondis-je au supérieur qui me l'annonçait; +hélas! à quoi va me servir cette liberté que vous me donnez? Dans l'état +cruel où je suis, c'est le présent le plus funeste que vous puissiez me +faire. Mais, monsieur, oserais-je vous demander le sort d'une jeune +personne que l'on doit avoir amenée ici le même jour que moi?--Il est +plus heureux que le vôtre, me répondit-il brusquement; elle est morte +dans les remèdes.--Elle est morte, repris-je, accablé de ce dernier +coup; Suzon est morte! Ah ciel? et je vis encore! J'aurais dans le +moment terminé mes jours si l'on n'avait arrêté l'effet de mon +désespoir. On me sauva de ma propre fureur, et l'on me mit dans le +chemin de profiter de la permission que l'on venait de me donner, +c'est-à -dire à la porte. + +Je restai un moment anéanti; mes yeux seuls, en répandant un torrent de +larmes, témoignaient que je vivais encore; j'étais au dernier degré du +désespoir et de la rage. Couvert d'un malheureux habit, ayant à peine de +quoi vivre un jour et ne sachant où aller, je m'abandonnai dans les bras +de la Providence. Je prenais le chemin de Paris, j'aperçus les murs des +Chartreux; la profonde solitude qui y règne fit briller à mon esprit un +trait de lumière. Heureux mortels! m'écriai-je, qui vivez dans cette +retraite à l'abri des fureurs et des revers de la fortune, vos coeurs +purs et innocents ne connaissent pas les horreurs qui déchirent le mien. +L'idée de leur félicité m'inspira le désir de la partager. J'allai me +jeter aux pieds du supérieur; je lui contai mes infortunes. O mon fils, +me dit-il en m'embrassant avec bonté, louez Dieu: il vous réservait ce +port après tant de naufrages. Vivez-y, et vivez-y heureux, s'il est +possible. + +Je restai pendant quelque temps sans emploi, mais bientôt on m'en donna. +Je montai par degrés au poste de portier, et c'est sous ce titre qu'on +m'a connu. + +C'est ici que mon coeur se fortifie dans la haine qu'il a conçue pour le +monde; j'y attends la mort sans la craindre ni la désirer, et je +prétends que, quand elle m'aura tiré du nombre des vivants, on grave en +lettres d'or sur mon tombeau: + + _Hic situs est dom Saturnin, + Fututus, Futuit._ + + +FIN + + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Le portier des chartreux, ou mémoires +de Saturnin écrits par lui-même, by Jean Charles Gervaise de La Touche + +*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 57870 *** diff --git a/57870-8.txt b/57870-8.txt deleted file mode 100644 index dd36272..0000000 --- a/57870-8.txt +++ /dev/null @@ -1,5112 +0,0 @@ -The Project Gutenberg EBook of Le portier des chartreux, ou mémoires de -Saturnin écrits par lui-même, by Jean Charles Gervaise de La Touche - -This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most -other parts of the world at no cost and with almost no restrictions -whatsoever. 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If you are not located in the United States, you'll have -to check the laws of the country where you are located before using this ebook. - -Title: Le portier des chartreux, ou mémoires de Saturnin écrits par lui-même - -Author: Jean Charles Gervaise de La Touche - -Release Date: September 8, 2018 [EBook #57870] - -Language: French - -Character set encoding: ISO-8859-1 - -*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE PORTIER DES CHARTREUX *** - - - - -Produced by René Galluvot (This file was produced from -images generously made available by The Internet -Archive/Canadian Libraries) - - - - - - - - - - -LE PORTIER - -DES CHARTREUX - -OU - -MÉMOIRES DE SATURNIN - -ÉCRITS PAR LUI-MÊME - -AMSTERDAM - -1889 - - - - -LE PORTIER - -DES CHARTREUX - - -PREMIÈRE PARTIE - - -Que c'est une douce satisfaction pour un coeur d'être désabusé des vains -plaisirs, des amusements frivoles et des voluptés dangereuses qui -l'attachaient au monde! Rendu à lui-même après une longue suite -d'égarements, et dans le calme que lui procure l'heureuse privation de -ce qui faisait autrefois l'objet de ses désirs, il sent encore ces -frémissements d'horreur qui laissent dans l'imagination le souvenir des -périls auxquels il est échappé: il ne les sent que pour se féliciter de -la sûreté où il se trouve; ces mouvements lui deviennent des sentiments -chers parce qu'ils servent à lui faire mieux goûter les charmes de la -tranquillité dont il jouit. - -Tel est, cher lecteur, la situation du mien. Quelles grâces n'ai-je pas -à rendre au Tout-Puissant dont la miséricorde m'a retiré de l'abîme du -libertinage où j'étais plongé et me donne aujourd'hui la force d'écrire -mes égarements pour l'édification de mes frères! - -Je suis le fruit de l'incontinence des révérends pères Célestins de la -ville de R... Je dis des révérends pères, parce que tous se vantaient -d'avoir fourni à la composition de mon individu. Mais quel sujet -m'arrête tout à coup? Mon coeur est agité: est-ce par la crainte qu'on -ne me reproche que je révèle ici les mystères de l'Eglise? Ah! -surmontons ce faible remords. Ne sait-on pas que tout homme est homme, -et les moines surtout? Ils ont donc la faculté de travailler à la -propagation de l'espèce. Eh! pourquoi la leur interdirait-on? Ils s'en -acquittent si bien! - -Peut-être, lecteur, vous attendez avec impatience que je vous fasse le -récit détaillé de ma naissance: je suis fâché de ne pouvoir pas sitôt -vous satisfaire sur cet article. Vous allez me voir de plein saut chez -un bonhomme de paysan que j'ai pris longtemps pour mon père. - -Ambroise, c'était le nom du bonhomme, était le jardinier d'une maison de -campagne que les Célestins avaient dans un petit village à quelques -lieues de la ville; sa femme, Toinette, fut choisie pour me servir de -nourrice. Un fils qu'elle avait mis au monde, et qui mourut au moment où -je vis le jour, aida à voiler le mystère de ma naissance. On enterra -secrètement le fils du jardinier et celui des moines fut mis à sa place: -l'argent fait tout. - -Je grandissais insensiblement, toujours cru et me croyant moi-même fils -du jardinier. J'ose dire néanmoins, qu'on me pardonne ce petit trait de -vanité, que mes inclinations décelaient ma naissance. Je ne sais quelle -influence divine opère sur les ouvrages des moines: il semble que la -vertu du froc se communique à tout ce qu'ils touchent. Toinette en était -une preuve. C'était bien la plus fringante femelle que j'aie jamais vue, -et j'en ai vu quelques-unes. Elle était grosse, mais ragoûtante, de -petits yeux noirs, un nez retroussé, vive, amoureuse, plus parée que ne -l'est ordinairement une paysanne. Ç'aurait été un excellent pis aller -pour un honnête homme; jugez pour des moines! - -Quand la coquine paraissait avec son corset des dimanches, qui lui -serrait une gorge que le hâle avait toujours respectée, et laissait voir -deux tétons qui s'échappaient, ah! que je sentais bien dans ce moment -que je n'étais pas son fils, ou que j'aurais volontiers passé sur cette -qualité. - -J'avais les dispositions toutes monacales. Guidé par le seul instinct, -je ne voyais pas une fille que je ne l'embrassasse, que je ne lui -portasse la main partout où elle voulait bien la laisser aller; et -quoique je ne susse pas bien positivement ce que j'aurais fait, mon -coeur me disait que j'en aurais fait plus, si l'on ne m'eût arrêté dans -mes transports. - -Un jour qu'on me croyait à l'école, j'étais resté dans un petit réduit -où je couchais: une simple cloison le séparait de la chambre d'Ambroise, -dont le lit était justement appuyé contre; je dormais; il faisait une -extrême chaleur: c'était dans le coeur de l'été; je fus tout à coup -réveillé par de violentes secousses que j'entendis donner à la cloison. -Je ne savais que penser de ce bruit; il redoublait. En prêtant -l'oreille, j'entendis des sons émus et tremblants, des mots sans suite -et mal articulés. «Ah! doucement, ma chère Toinette, ne va pas si vite! -Ah! coquine! tu me fais mourir de plaisir!... Va vite... Eh! vite... -Ah!... je me meurs!...» - -Surpris d'entendre de pareilles exclamations, dont je ne sentais pas -toute l'énergie, je me rassis; à peine osais-je remuer. Si l'on m'avait -su là, j'avais tout à craindre; je ne savais quoi penser, j'étais tout -ému. L'inquiétude où j'étais fit bientôt place à la curiosité. -J'entendis de nouveau le même bruit, et je crus distinguer qu'un homme -et Toinette répétaient alternativement les mêmes mots que j'avais déjà -entendus. Même attention de ma part. L'envie de savoir ce qui se passait -dans cette chambre devint à la fin si vive qu'elle étouffa toutes mes -craintes. Je résolus de savoir ce qu'il en était. Je serais, je crois, -volontiers entré dans la chambre d'Ambroise pour voir ce qui s'y -passait, au risque de tout ce qui aurait pu arriver. Je ne fus pas à -cette peine. En cherchant doucement avec la main si je ne trouverais pas -quelque trou à la cloison, j'en sentis un qui était couvert par une -grande image. Je la perçai et me fis jour. Quel spectacle! Toinette nue -comme la main, étendue sur son lit, et le père Polycarpe, procureur du -couvent, qui était à la maison depuis quelque temps, nu comme Toinette, -faisant... quoi? ce que faisaient nos premiers parents, quand Dieu leur -eut ordonné de peupler la terre, mais avec des circonstances moins -lubriques. - -Cette vue produisit chez moi une surprise mêlée de joie et d'un -sentiment vif et délicieux qu'il m'aurait été impossible d'exprimer. Je -sentais que j'aurais donné tout mon sang pour être à la place du moine. -Que je lui portais d'envie! que son bonheur me paraissait grand! Un feu -inconnu se glissait dans mes veines; j'avais le visage enflammé, mon -coeur palpitait, je retenais mon haleine, et la pique de Vénus, que je -pris à la main, était d'une force et d'une roideur à abattre la cloison, -si j'avais poussé un peu fort. Le père fournit sa carrière, et en se -retirant de dessus Toinette, il la laissa exposée à toute la vivacité de -mes regards. Elle avait les yeux mourants et le visage couvert du rouge -le plus vif. Elle était hors d'haleine; ses bras étaient pendants, sa -gorge s'élevait et se baissait avec une précipitation étonnante. Elle -serrait de temps en temps le derrière, en se roidissant et en jetant de -grands soupirs. Mes yeux parcouraient avec une rapidité inconcevable -toutes les parties de son corps; il n'y en avait pas une sur laquelle -mon imagination ne collât mille baisers de feu. Je suçais ses tétons, -son ventre; mais l'endroit le plus délicieux, et de dessus lequel mes -yeux ne purent plus s'arracher, quand une fois je les y eus fixés, -c'était... Vous m'entendez. Que cette coquille avait pour moi de -charmes! Ah! l'aimable coloris! Quoique couverte d'une petite écume -blanche, elle ne perdait rien à mes yeux de la vivacité de sa couleur. -Au plaisir que je ressentais, je reconnus le centre de la volupté. Il -était ombragé d'un poil épais, noir et frisé. Toinette avait les jambes -écartées, il semblait que sa paillardise fût d'accord avec ma curiosité -pour ne me rien laisser à désirer! - -Le moine, ayant repris vigueur, vint de nouveau se présenter au combat; -il se remit sur Toinette, avec une nouvelle ardeur; mais ses forces -trahirent son courage, et, fatigué de piquer inutilement sa monture, je -le vis retirer l'instrument de la coquille de Toinette, lâche et -baissant la tête. Toinette, dépitée de sa retraite, le prit et se mit à -le secouer; le moine s'agitait avec fureur et paraissait ne pouvoir plus -supporter le plaisir qu'il ressentait. J'examinais tous leurs mouvements -sans autre guide que la nature, sans autre instruction que l'exemple, -et, curieux de savoir ce qui pouvait occasionner ces mouvements -convulsifs du père, j'en cherchais la cause en moi-même. J'étais surpris -de sentir un plaisir inconnu qui augmentait insensiblement, et devint -enfin si grand que je tombai pâmé sur mon lit. La nature faisait des -efforts incroyables, et toutes les parties de mon corps semblaient -fournir au plaisir de celle que je caressais. Il tomba enfin de cette -liqueur blanche dont j'avais vu une si grande profusion sur les cuisses -de Toinette. Je revins de mon extase, et retournai au trou de la -cloison; il n'était plus temps: le dernier coup était joué, la partie -était finie. Toinette se rhabillait, le père l'était déjà. - -Je restai quelque temps l'esprit et le coeur remplis de l'aventure dont -je venais d'être témoin, et dans cette espèce d'étourdissement -qu'éprouve un homme qui vient d'être frappé par l'éclat d'une lumière -étrangère. J'allais de surprise en surprise; les connaissances que la -nature avait mises dans mon coeur venaient de se développer, les nuages -dont elle les avait couvertes s'étaient dissipés. Je reconnus la cause -des différents sentiments que j'éprouvais tous les jours à la vue des -femmes. Ces passages imperceptibles de la tranquillité aux mouvements -les plus vifs, de l'indifférence aux désirs, n'étaient plus des énigmes -pour moi. Ah! m'écriai-je, qu'ils étaient heureux! la joie les -transportait tous deux. Il faut que le plaisir qu'ils goûtaient soit -bien grand. Ah! qu'ils étaient heureux! qu'ils étaient heureux! L'idée -de ce bonheur m'absorbait; elle m'ôtait pour un moment tout pouvoir d'y -réfléchir. Un silence profond succédait à mes exclamations. Ah! -reprenais-je aussitôt, ne serai-je jamais grand pour en faire autant à -une femme? Je mourrais sur elle de plaisir, puisque je viens d'en avoir -tant. Ce n'est là sans doute qu'une image de celui que le père Polycarpe -goûtait avec ma mère; mais, poursuivais-je je suis bien simple! Est-il -absolument nécessaire d'être grand pour avoir ce plaisir-là? Pardi! il -me semble que le plaisir ne se mesure pas à la taille: pourvu que l'on -soit l'un sur l'autre, cela doit aller tout seul! - -Sur le champ il me vint dans l'esprit de faire part de mes nouvelles -découvertes à ma soeur Suzon. Elle avait quelques années de plus que -moi: c'était une petite blonde fort jolie, qui portait une de ces -physionomies ouvertes que l'on serait tenté de croire niaises, parce -qu'elles paraissent indolentes. Elle avait de ces beaux yeux bleus, -pleins d'une douce langueur, qu'il semble que l'on tourne sur vous sans -intention, mais dont l'effet n'est pas moins sûr que celui des yeux -brillants d'une brune piquante qui vous lance des regards passionnés. -Pourquoi cela? Je n'en sais rien, car je me suis toujours grossièrement -contenté du sentiment, sans être tenté d'en pénétrer la cause. Ne -serait-ce pas parce qu'une belle blonde, avec ses regards languissants, -semble vous prier de lui donner votre coeur, et que ceux d'une brune -veulent vous enlever de force? La blonde ne demande qu'un peu de -compassion pour sa faiblesse, et cette façon de demander est bien -séduisante; vous croyez ne donner que la compassion, et vous donnez de -l'amour. La brune, au contraire, veut que vous soyez faible, sans vous -promettre qu'elle le sera. Le coeur se gendarme contre celle-ci, -n'est-il pas vrai? Qu'en pensez-vous, lecteur? - -Je l'avoue à ma honte, il ne m'était pas encore venu dans l'esprit de -jeter sur Suzon un regard de concupiscence, chose rare chez moi, qui -convoitais toutes les filles que je voyais. Il est vrai qu'étant la -filleule de la dame du village, qui l'aimait et la faisait élever chez -elle, je ne la voyais pas souvent. Il y avait même un an qu'elle était -au couvent: elle n'en était sortie que depuis huit jours; sa marraine, -qui devait venir passer quelque temps à la campagne, lui avait promis de -venir voir Ambroise. Je me sentis tout d'un coup enflammé du désir -d'endoctriner ma chère soeur et de goûter avec elle les mêmes plaisirs, -que je venais de voir prendre au père Polycarpe avec Toinette. Je ne fus -plus le même pour elle. Mes yeux sourirent à mille charmes que je ne lui -avais pas aperçus. Je lui trouvai une gorge naissante, plus blanche que -le lis, ferme, potelée. Je suçais déjà avec un délice inexprimable ces -deux petites fraises que je voyais au bout de ces tétons; mais surtout -dans la peinture de ses charmes je n'oubliais pas ce centre, cet abîme -de plaisirs dont je me faisais des images si ravissantes. Animé par -l'ardeur vive et brûlante que ces idées répandaient dans tout mon corps, -je sortis, j'allai chercher Suzon. Le soleil venait de se coucher, la -brune s'avançait: je me flattais qu'à la faveur de l'obscurité que la -nuit allait répandre je serais dans un moment au comble de mes désirs, -si je la trouvais. Je l'aperçus de loin qui cueillait des fleurs. Elle -ne pensait pas alors que je méditais de cueillir la fleur la plus -précieuse de son bouquet. Je volai à elle; la voyant livrée toute -entière à une occupation aussi innocente, je balançai dans le moment si -je lui ferais connaître mon dessein. A mesure que j'approchais, je -sentais ralentir la vivacité de ma course. Un tremblement soudain -semblait me reprocher mon intention: je croyais devoir respecter son -innocence; je n'étais retenu que par l'incertitude du succès. Je -l'abordai, mais avec une palpitation qui ne me permettait pas de dire -deux mots sans reprendre haleine.--Que fais-tu donc là, Suzon? lui -dis-je en m'approchant d'elle. Et voulant l'embrasser, elle s'échappa en -riant et me répondit: Comment! ne vois-tu pas que je cueille des -fleurs?--Ah! ah! repris-je, tu cueilles des fleurs?--Eh! vraiment oui, -me répliqua-t-elle; ne sais-tu pas que c'est demain la fête de ma -marraine? Ce nom me fit trembler, comme si j'eusse craint que Suzon ne -m'échappât. Mon coeur s'était déjà fait (si j'ose me servir de ce terme) -une habitude de la regarder comme une conquête sûre; et l'idée de son -éloignement semblait me menacer de la perte d'un plaisir que je -regardais comme certain, quoique je n'en eusse pas encore goûté.--Je ne -te verrai donc plus, Suzon? lui dis-je d'un air triste.--Pourquoi donc, -me répondit-elle, ne viendrais-je pas toujours ici? Mais, allons, -poursuivit-elle d'un air charmant, aide-moi à faire mon bouquet. Je ne -lui répondis qu'en lui jetant quelques fleurs au visage; aussitôt elle -de m'en jeter aussi.--Tiens, Suzon, lui dis-je, si tu m'en jettes -davantage, je te... Tu me le payeras! Pour me faire voir qu'elle bravait -mes menaces, elle m'en jeta une poignée. Dans le moment ma timidité -m'abandonna; je ne craignais pas d'être vu. La brune, qui empêchait -qu'on ne pût voir à une certaine distance, favorisait mon audace. Je me -jette sur Suzon, elle me repousse; je l'embrasse, elle me donne un -soufflet; je la jette sur l'herbe, elle veut se relever, je l'en -empêche; je la tiens étroitement serrée dans mes bras en lui baisant la -gorge, elle se débat; je veux lui fourrer la main sous la jupe; elle -crie comme un petit démon; elle se défend si bien que je crains de n'en -pouvoir venir à bout, et qu'il ne survienne du monde. Je me relevai en -riant, et je crus qu'elle n'y entendait pas plus de malice que je -voulais qu'elle n'y entendît. Que je me trompais!--Allons, lui dis-je, -Suzon, pour te faire voir que je ne voulais pas te faire de mal, je veux -bien t'aider.--Oui, oui, me répondit-elle avec une agitation au moins -égale à la mienne, va, voilà ma mère qui vient, et je...--Ah! Suzon, -repris-je vivement en l'empêchant d'en dire davantage, ma chère Suzon, -ne lui dis rien; je te donnerai... tiens, tout ce que tu voudras! Un -nouveau baiser fut le gage de ma parole; elle en rit; Toinette arriva. -Je craignais que Suzon ne parlât; elle ne dit mot, et nous retournâmes -tous ensemble souper, comme si rien n'était. - -Depuis que le père Polycarpe était à la maison, il avait donné de -nouvelles preuves de la bonté du couvent pour le prétendu fils -d'Ambroise: je venais d'être habillé tout de neuf. En vérité, sa -révérence avait en cela moins consulté la charité monacale, qui a des -bornes fort étroites, que la tendresse paternelle, qui souvent n'en -connaît pas. Le bon père, par une pareille prodigalité, exposait la -légitimité de ma naissance à de violents soupçons. Mais nos manants -étaient de bonnes gens et n'en voyaient pas plus que l'on ne voulait -leur en faire voir. D'ailleurs qui aurait osé porter un oeil critique et -malin sur le motif de la générosité des révérends pères. C'étaient de si -honnêtes gens, de si bonnes gens; on les adorait dans le village: ils -faisaient du bien aux hommes et aimaient l'honneur des femmes; tout le -monde était content. Mais revenons à ma figure, car je vais avoir une -aventure illustre. - -A propos de cette figure-là, j'avais un air espiègle qui ne prévenait -pas contre moi. J'étais mis proprement; des yeux malins, de longs -cheveux noirs me tombaient par boucles sur les épaules, et relevaient à -merveille les couleurs de mon visage, qui, quoiqu'un peu brun, ne -laissait pas de valoir son prix. C'est un témoignage authentique que je -me crois obligé de rendre au jugement de plusieurs très honnêtes et très -vertueuses personnes à qui j'ai rendu mes hommages. - -Suzon, comme je l'ai dit, avait fait un bouquet pour Mme Dinville -(c'était le nom de sa marraine), femme d'un conseiller de la ville -voisine, qui venait à sa terre prendre le lait pour rétablir une -poitrine dérangée par le vin de Champagne et quelques autres causes. - -Suzon s'étant mise dans ses petits atours, qui la rendirent encore plus -aimable à mes yeux, il fut dit que je l'accompagnerais. Nous allâmes au -château. Nous trouvâmes la dame dans un appartement d'été où elle -prenait le frais. Figurez-vous une femme d'une grandeur médiocre, poil -brun, peau blanche, le visage laid en général, enluminé d'un rouge -champenois, les yeux alertes, amoureux, et tétonnière autant que femme -au monde. Ce fut d'abord la première bonne qualité que je lui -remarquais: ç'a toujours été mon faible que ces deux boules-là! C'est -aussi quelque chose de si joli quand vous tenez cela dans la main, quand -vous... Ah! chacun le sien; qu'on me passe celui-ci! - -Sitôt que la dame nous aperçut, elle jeta sur nous un regard de bonté, -sans changer de situation. Elle était couchée sur un canapé, une jambe -dessus et l'autre sur le parquet; elle n'avait qu'un simple jupon blanc, -assez court pour laisser voir un genou qui n'était pas assez couvert -pour faire penser qu'il serait bien difficile de voir le reste; un petit -corset de la même couleur, un pet-en-l'air de taffetas couleur de rose, -bichonnée d'un petit air négligé, et la main passée sous son jupon, -jugez à quelle intention! Mon imagination fut au fait dans le moment, et -mon coeur la suivit de près; mon sort était de devenir désormais -amoureux de toutes les femmes qui se présenteraient à mes yeux: les -découvertes de la veille avaient fait éclore en moi ces louables -dispositions. - ---Ah! bonjour, ma chère enfant, dit Mme Dinville à Suzon; eh bien, tu -reviens donc me trouver? Ah!... tu m'apportes un bouquet; mais, -vraiment, je te suis bien obligée, ma chère fille; embrasse-moi donc! -Embrassade de la part de Suzon. Mais, continua-t-elle en jetant les yeux -sur moi, quel est donc ce beau gros garçon-là? Comment petite fille, -vous vous faites accompagner par un garçon? Cela est joli! Je baissai -les yeux; Suzon lui dit que j'étais son frère; révérence de ma part--Ton -frère? reprit Mme Dinville; allons donc! continua-t-elle en me regardant -et en m'adressant la parole, baise-moi, mon fils. Oh! je veux que nous -fassions connaissance. Elle me donne un baiser sur la bouche; je sens -une petite langue se glisser entre mes lèvres et une main qui joue avec -les boucles de mes cheveux. Je ne connaissais pas encore cette manière -de baiser; j'étais tout ému. Je jetai sur elle un regard timide, et je -rencontrai ses yeux brillants et pleins de feu qui attendaient les miens -au passage et qui les firent baisser. Nouveau baiser de même nature -après lequel je fus libre de me remuer, car je ne l'étais guère de la -façon dont elle me tenait embrassé. Je n'en étais pourtant pas fâché: il -me semblait que c'était toujours autant de retranché sur le cérémonial -de la connaissance qu'elle disait vouloir faire avec moi. Je ne fus sans -doute redevable de ma liberté qu'à la réflexion qu'elle fit sur le -mauvais effet que pouvait produire la vivacité de ses caresses -prodiguées avec si peu de ménagement à une première vue; mais ces -réflexions ne furent pas de longue durée; elle reprit la conversation -avec Suzon, et le refrain de chaque période était: Suzon, venez me -baiser. D'abord le respect me faisait tenir écarté.--Eh bien, dit-elle -en m'adressant de nouveau la parole, ce gros garçon-là ne viendra donc -pas aussi me baiser? J'avançai et j'appuyai sur la joue. Je n'osais -encore aller à la bouche: je lui fis un baiser un peu plus hardi que le -premier. Je ne fus en reste avec elle que de quelque chose de plus -passionné qu'elle mit dans le sien. Elle partageait ainsi ses caresses -entre ma soeur et moi, pour me donner le change sur le sujet de celles -qu'elle me faisait. Sa politique me rendait justice: j'étais plus habile -que ma figure ne le promettait. Je me fis insensiblement si bien à ce -petit manège, que je n'attendais pas le refrain pour prendre ma part. -Peu à peu ma soeur se trouva sevrée de la sienne; je m'établis dans le -privilège exclusif de jouir des bontés de la dame; Suzon n'avait plus -que les paroles. - -Nous étions assis sur le canapé; nous babillions, car Mme Dinville était -grande babillarde. Suzon était à sa droite, j'étais à sa gauche. Suzon -regardait dans le jardin et Mme Dinville me regardait; elle s'amusait à -me défriser, à me pincer la joue, à me donner de petits soufflets; moi, -je m'amusais à la regarder, à lui mettre la main, d'abord en tremblant, -sur le col; ses manières aisées, me donnaient beau jeu; j'étais -effronté: la dame ne disait mot, me regardait, riait, et me laissait -faire. Ma main, timide dans les commencements, mais devenue plus hardie -par la facilité qu'elle trouvait à se satisfaire, descendait -insensiblement du col à la gorge, et s'appesantissait avec délices sur -un sein dont la fermeté élastique la faisait tant soit peu rebondir. Mon -coeur nageait dans la joie; déjà je tenais dans la main une de ces -boules charmantes que je maniais à souhait. J'allais y mettre la bouche; -en avançant on arrive au but. J'aurais, je crois, poussé ma bonne -fortune jusqu'où elle pouvait aller, quand un maudit importun, le bailli -du village, vieux singe envoyé par un démon jaloux de mon bonheur, se -fit entendre dans l'antichambre. Mme Dinville, réveillée par le bruit -que fit cet original en arrivant, me dit: Que faites-vous donc, petit -fripon? Je retirai la main précipitamment; mon effronterie ne tint pas -contre un pareil reproche; je rougis, je me croyais perdu. Mme Dinville, -qui voyait mon embarras, me fit sentir, par un petit soufflet qu'elle -accompagna d'un sourire charmant, que sa colère n'était que pour la -forme, et ses regards me confirmèrent que ma hardiesse lui déplaisait -moins que l'arrivée de ce vilain bailli. - -Il entra; l'ennuyeux personnage! Après avoir toussé, craché, éternué, -mouché, il fit sa harangue, plus ennuyeuse encore que sa figure. Si nous -en eussions été quittes pour cela, ce n'aurait été que demi-mal; mais il -semblait que le maraud eût donné le mot à tous les importuns du village, -qui vinrent tour à tour faire un salamalec. J'enrageais. Quand Mme -Dinville eut répondu à bien des sots complimenteurs, elle se tourna de -notre côté et nous dit: Ah çà! mes chers enfants, vous reviendrez demain -dîner avec moi: nous serons seuls. Il me sembla qu'elle affectait de -jeter sur moi les yeux en disant ces derniers mots. Mon coeur trouvait -son compte dans cette assurance, et je sentis que, sans faire tort à mon -penchant, mon petit amour-propre ne laissait pas d'être flatté.--Vous -viendrez, entendez-vous, Suzon? continua Mme Dinville, et vous amènerez -Saturnin; c'était le nom que portait alors votre serviteur. Adieu, -Saturnin, me dit-elle en m'embrassant. Pour le coup, je ne fus en reste -de rien avec elle. Nous sortîmes. - -Je me sentais dans une disposition qui assurément m'aurait fait honneur -auprès de Mme Dinville, sans la visite imprévue de ces ennuyeux -complimenteurs; mais ce que je sentais pour elle n'étais pas de l'amour, -ce n'était qu'un désir violent de faire avec une femme la même chose que -j'avais vu faire au père Polycarpe avec Toinette. Le délai d'un jour que -Mme Dinville m'avait donné me paraissait immense. J'essayai, chemin -faisant, de remettre Suzon sur les voies, en lui rappelant l'aventure de -la veille.--Que tu es simple, Suzon! lui dis-je. Tu crois donc que je -voulais te faire du mal hier?--Que voulais-tu donc me faire? -répondit-elle.--Bien du plaisir.--Quoi! reprit-elle avec une apparence -de surprise, en me mettant la main sous la jupe tu m'aurais fait bien du -plaisir?--Assurément; si tu veux que je t'en donne la preuve, lui -dis-je, viens avec moi dans quelque endroit écarté. Je l'examinais avec -inquiétude; je cherchais sur son visage quelques marques des effets que -devait produire ce que je lui disais: je n'y voyais pas plus de vivacité -qu'à l'ordinaire. Le veux-tu bien? dis, ma chère Suzon, continuais-je en -la caressant.--Mais, encore, reprit-elle sans faire semblant d'entendre -la proposition que je lui faisais, qu'est-ce donc que ce plaisir dont tu -me fait tant d'éloges?--C'est, lui répondis-je, l'union d'un homme avec -une femme qui s'embrassent, qui se serrent bien fort et qui se pâment en -se tenant étroitement serrés de cette façon. Les yeux toujours fixés sur -le visage de ma soeur, je ne laissais échapper aucun des mouvements qui -l'agitaient; j'y voyais la gradation insensible de ses désirs, sa gorge -bondissait.--Mais, me dit-elle avec une naïveté curieuse qui me -paraissait de bonne augure, mon père m'a quelquefois tenu comme tu le -dis, sans sentir cependant ce plaisir que tu me promets.--C'est, -repartis-je, qu'il ne te faisait pas ce que je voudrais te faire.--Et -que voudrais-tu donc me faire? me demanda-t-elle d'une voix -tremblante.--Je te mettrais, lui répondis-je effrontément, quelque chose -entre les cuisses qu'il n'osait pas te mettre. Elle rougit, et me -laissa, par son trouble, la liberté de continuer en ces termes: Vois-tu, -Suzon, tu as un petit trou ici, lui dis-je en lui montrant l'endroit où -j'avais vu la fente de Toinette.--Eh! qui t'a dit cela? me -demanda-t-elle sans lever les yeux sur moi.--Qui me l'a dit, repris-je -assez embarrassé de sa question, c'est q... c'est que toutes les femmes -en ont autant.--Et les hommes? poursuivit-elle.--Les hommes, lui -répondis-je, ont une machine à l'endroit où vous avez une fente. Cette -machine se met dans cette fente, et c'est là ce qui fait le plaisir -qu'une femme prend avec un homme. Veux-tu que je te fasse voir la -mienne? mais à la condition que tu me laisseras toucher à ta petite -fente: nous nous chatouillerons, et nous serons bien aises. - -Suzon était toute rouge. Les discours que je lui tenais paraissaient la -surprendre; il semblait qu'elle eût peine à m'en croire; elle n'osait me -laisser mettre la main sous sa jupe, dans la crainte, disait-elle, que -je ne voulusse la tromper et que je n'allasse tout déclarer. Je -l'assurai que rien au monde ne serait capable de m'en arracher l'aveu, -et, pour la convaincre de cette différence que je lui disais se trouver -entre nous deux, je voulus lui prendre la main; elle la retira, et nous -continuâmes notre entretien jusqu'à la maison. - -Je voyais bien que la petite friponne prenait goût à mes leçons, et que -si je la trouvais encore une fois cueillant des fleurs, il ne me serait -pas difficile de l'empêcher de crier. Je brûlais d'envie de mettre la -dernière main à mes instructions et d'y joindre l'expérience. - -A peine étions-nous entrés dans la maison que nous vîmes entrer le père -Polycarpe; je démêlai le motif de sa visite: je n'en doutai plus quand -sa révérence eut déclaré d'un air aisé qu'elle venait prendre le dîner -de famille. On croyait Ambroise bien loin; il est vrai qu'il ne les -gênait guère, mais on est toujours bien aise d'être débarrassé de la -présence d'un mari, quelque commode qu'il soit. C'est toujours un animal -de mauvais augure. Je ne doutai pas que je n'eusse après-midi le même -spectacle que j'avais eu la veille, et sur le champ je formai le dessein -d'en faire part à Suzon. Je pensais, avec raison, qu'une pareille vue -serait un excellent moyen pour avancer mes petites affaires avec elle; -je ne lui en parlai pas. Je remis cette épreuve à l'après-dînée, bien -résolu à n'employer ce moyen qu'à l'extrémité, comme un corps de réserve -décisif pour une action. - -Le moine et Toinette ne se gênaient pas en notre présence: ils nous -croyaient des témoins peu dangereux. Je voyais la main gauche du père se -glisser mystérieusement sous la table et agiter les jupes de Toinette, -qui lui souriait et me paraissait écarter les cuisses pour laisser -apparemment le passage plus libres aux doigts libertins du paillard -moine. - -Toinette avait de son côté une main sur la table, mais l'autre était -dessous et rendait vraisemblablement au père ce que le père lui prêtait. -J'étais au fait. Les plus petites choses frappent un esprit prévenu. Le -révérend père chopinait de bonne grâce; Toinette lui répondait sur le -même ton; ses désirs parvinrent bientôt au point d'être gênés par notre -présence: elle nous le fit connaître en nous conseillant, à ma soeur et -à moi, d'aller faire un tour dans le jardin; j'entendis ce qu'elle -voulait nous dire. Nous nous levâmes aussitôt, et leur laissâmes, par -notre départ, la liberté de faire autre chose que glisser les mains sous -la table. Jaloux du bonheur que notre départ allait les mettre en état -de goûter, je voulus encore essayer de venir à bout de Suzon sans le -secours du tableau que je devais offrir à ses regards. Je la conduisis -vers une allée d'arbres dont l'épais feuillage faisait une obscurité qui -promettait beaucoup d'assurances à mes désirs. Elle s'aperçut de mon -dessein, et ne voulut pas m'y suivre.--Tiens, Saturnin, me dit-elle, -ingénument, je vois que tu veux encore m'entretenir de cela; et bien, -parlons-en.--Je te fais donc plaisir, répondis-je, quand j'en parle? -Elle me l'avoua. Juge, lui dis-je, ma chère Suzon, par celui que mes -discours te donnent, de celui que tu aurais... Je ne lui en dis pas -davantage: je la regardais, je tenais sa main, que je pressais contre -mon sein.--Mais, Saturnin, me dit-elle, si... cela allait faire du -mal?--Quel mal veux-tu que cela fasse? lui répondis-je, charmé de -n'avoir plus qu'un aussi faible obstacle à détruire; aucun, ma chère -petite; au contraire.--Aucun, reprit-elle en rougissant et en baissant -la vue, et si j'allais devenir grosse? Cette objection me surprit -étrangement. Je ne croyais pas Suzon si savante, et j'avoue que je -n'étais pas en état de lui donner une réponse satisfaisante.--Comment -donc, grosse? lui dis-je? est-ce que c'est comme cela que les femmes -deviennent grosses, Suzon?--Sans doute, me répondit-elle, d'un ton -d'assurance qui m'effraya.--Et où l'as-tu donc appris? lui demandais-je, -car je sentais bien que c'était à son tour à me donner des leçons. Elle -me répondit qu'elle voulait bien me le dire, mais à condition que je -n'en parlerais de ma vie.--Je te crois discret, Saturnin, ajouta-t-elle, -et si tu étais capable d'ouvrir jamais la bouche sur ce que je vais te -dire, je te haïrais à la mort. Je lui jurai que jamais je n'en -parlerais. Asseyons-nous ici, poursuivit-elle en me montrant un gazon où -l'on n'était à l'aise que pour causer sans être entendus. J'aurais bien -mieux aimé l'allée; nous n'y aurions pas été vus ni entendus. Je la -proposai de nouveau, elle n'y voulu pas venir. - -Nous nous assîmes sur le gazon, à mon grand regret; pour comble de -malheur, je vis arriver Ambroise. N'ayant plus d'espérance pour cette -fois, je pris mon parti. L'agitation où me mit le désir d'apprendre ce -que devait me dire Suzon fit diversion à mon chagrin. - -Avant de commencer, Suzon exigea encore de nouvelles assurances de ma -part: je les lui donnai avec serment. Elle hésitait, elle n'osait -encore; je la pressai si fort qu'elle se détermina.--Voilà qui est fait, -me dit-elle, je t'en crois, Saturnin; écoute, tu vas être étonné de ma -science, je t'en avertis. Tu croyais m'apprendre quelque chose tantôt, -j'en sais plus que toi: tu vas le voir; mais ne crois pas pour cela que -j'aie moins pris de plaisir à ce que tu m'as dit: on aime toujours à -entendre parler de ce qui flatte.--Comment donc! tu parles comme un -oracle; on voit bien que tu as été au couvent. Que cela façonne une -fille!--Oh! vraiment, me répondit-elle, si je n'y avais jamais été, -j'ignorerais bien des choses que je sais.--Eh! dis le-moi donc ce que tu -sais, repris-je vivement; je meurs d'envie de l'apprendre. - -Il n'y a pas longtemps, continua Suzon, que, pendant une nuit fort -obscure, je dormais d'un profond sommeil; je fus réveillée en sentant un -corps tout nu qui se glissait dans mon lit; je voulus crier, mais on me -mit la main sur la bouche, en me disant: Tais-toi; je ne veux pas te -faire de mal; est-ce que tu ne reconnais pas la soeur Monique? Cette -soeur venait, depuis peu, de prendre le voile de novice; c'était ma -meilleure amie.--Jésus, lui dis-je, ma bonne, pourquoi donc venir me -surprendre dans le lit?--C'est que je t'aime! me répondit-elle en -m'embrassant.--Et pourquoi êtes-vous toute nue?--C'est qu'il fait si -chaud que ma chemise même est trop pesante; il tombe une pluie terrible; -j'ai entendu le tonnerre qui grondait: j'en ai bien peur; ne -l'entends-tu pas aussi? Quel bruit il fait! Ah! serre-moi bien fort, mon -petit coeur; mets le drap par dessus notre tête pour ne pas voir ces -vilains éclairs. Là, bon! Ah! ma chère Suzon, que j'ai peur! Moi, qui ne -crains pas le tonnerre, je tâchais de rassurer la soeur, qui, pendant ce -temps-là, me passait sa cuisse droite entre les miennes et sa gauche par -dessous, et, dans cette posture, elle se frottait contre ma cuisse -droite, en me mettant la langue dans la bouche et me donnant de petits -coups sur la fesse avec la main. Après qu'elle se fut un peu remuée de -cette façon-là, je crus sentir qu'elle me mouillait la cuisse. Elle -poussait des soupirs: je m'imaginais que c'était la peur du tonnerre qui -faisait cela. Je la plaignais; mais bientôt elle reprit sa posture -naturelle. Je croyais qu'elle allait s'endormir, et je me préparais à en -faire autant, quand elle me dit: Tu dors donc, Suzon? Je lui répondis -que non, mais que j'allais bientôt le faire.--Tu veux donc, reprit-elle, -me laisser mourir de frayeur? Oui, je mourrai si tu te rendors; -donne-moi la main, ma chère petite: donne. Je me laissai prendre la -main, qu'elle porta aussitôt à sa fente, en me disant de la chatouiller -avec mon doigt dans le haut de cet endroit. Je le fis par amitié pour -elle. J'attendais qu'elle me dît de finir, mais elle ne disait mot, -écartait seulement les jambes et respirait un peu plus vite qu'à -l'ordinaire, en jetant de temps en temps quelques soupirs et en remuant -le derrière. Je crus qu'elle se trouvait mal, et je cessai de faire -aller le doigt.--Ah! Suzon, me dit-elle d'une voix entrecoupée, achève! -Je continuai. Ah! s'écria-t-elle en s'agitant bien fort et en -m'embrassant étroitement, dépêche, ma petite reine, dépêche! Ah! ah! -vite, ah!... je me meurs! Au moment qu'elle disait cela, tout son corps -se roidit et je me sentis de nouveau la main mouillée; enfin, elle -poussa un grand soupir et resta sans mouvement. Je t'assure, Saturnin, -que j'étais bien étonnée de tout ce qu'elle me faisait faire.--Et tu -n'étais pas émue? lui dis-je.--Oh! que si, me répondit-elle; je voyais -bien que tout ce que je venais de lui faire lui avait donné beaucoup de -plaisir, et que si elle voulait m'en faire autant j'en aurais beaucoup -aussi; mais je n'osais le lui proposer. Elle m'avait cependant mise dans -un état bien embarrassant. Je désirais et je n'osais lui dire ce que je -désirais: je remettais avec plaisir la main sur sa fente; je prenais la -sienne, que je portais, que je faisais reposer sur différents endroits -de mon corps, sans oser pourtant la mettre sur le seul où je sentais que -j'en avais besoin. La soeur, qui savait aussi bien que moi ce que je lui -demandais, et qui avait la malice de me laisser faire, eut à la fin -pitié de mon embarras et me dit en m'embrassant: Je vois bien, petite -coquine, ce que tu veux. Aussitôt elle se couche sur moi, je la reçois -dans mes bras.--Ouvre un peu les cuisses, me dit-elle. Je lui obéis. -Elle me coule le doigt où le mien venait de lui faire tant de plaisir: -elle répétait elle-même les leçons qu'elle m'avait données. Je sentais -le plaisir monter par degré et s'accroître à chaque coup de doigt -qu'elle donnait. Je lui rendais en même temps le même service. Elle -avait les mains jointes sous mes fesses; elle m'avait avertie de remuer -un peu le derrière, à mesure qu'elle pousserait. Ah! qu'elle semait de -délices dans ce charmant badinage! Mais elles n'étaient que le prélude -de celles qui devraient suivre. Le ravissement me fit perdre toute -connaissance; je demeurai pâmée dans les bras de ma chère Monique. Elle -était dans le même état: nous étions immobiles. Je revins ensuite de mon -extase. Je me trouvai aussi mouillée que la soeur, et ne sachant à quoi -attribuer un pareil prodige, j'avais la simplicité de croire que c'était -du sang que je venais de verser; mais je n'en étais pas effrayée, au -contraire; il semblait que le prodige que je venais de goûter m'eût mise -en fureur, tant je me sentais envie de recommencer. Je le dis à Monique; -elle me répondit qu'elle était lasse et qu'il fallait attendre un peu. -Je n'en eus pas la patience et je me mis sur elle, comme elle venait de -se mettre sur moi. J'entrelaçai mes cuisses dans ses cuisses, et me -frottant comme elle l'avait fait, je retombais en extase.--Eh bien, me -dit la soeur chargée des témoignages que je lui donnais du plaisir que -je ressentais, es-tu fâchée, Suzon, que je sois venue dans ton lit? Oui, -je gage que tu me veux du mal d'être venue te réveiller.--Ah! lui -répondis-je, que vous savez bien le contraire! Que pourrais-je vous -donner pour une nuit aussi charmante?--Petite coquine, reprit-elle en me -baisant, va, je ne te demande rien: n'ai-je pas eu autant de plaisir que -toi? Ah! que tu viens de m'en faire goûter! Dis-moi, ma chère Suzon, -poursuivit-elle, ne me cache rien: n'avais-tu jamais pensé à ce que nous -venons de faire? Je lui dis que non. Quoi! reprit-elle, tu ne t'étais -jamais mis le doigt dans ton petit conin? Je l'interrompis pour lui -demander ce qu'elle entendait par ce mot. Eh! c'est cette fente, me -répondit-elle, où nous venons de nous chatouiller. Quoi! tu ne savais -pas encore cela? Ah! Suzon, à ton âge, j'en savais plus que -toi.--Vraiment, lui répondis-je, je n'avais garde de goûter de ce -plaisir. Vous connaissez le père Jérôme, notre confesseur: c'est lui qui -m'en a toujours empêchée. Il me fait trembler quand je me confesse; il -ne manque pas de me demander exactement si je ne fais pas d'impuretés -avec mes compagnes, et il me défend surtout d'en faire sur moi-même. -J'ai toujours eu la simplicité de l'en croire; mais je sais à présent à -quoi m'en tenir sur ses défenses.--Et comment, me dit Monique, -t'explique-t-il ces impuretés qu'il te défend de faire sur -toi-même?--Mais, lui répondis-je, il me dit, par exemple, que c'est -quand on se met le doigt où vous savez, quand on se regarde les cuisses, -la gorge. Il me demande si je ne me sers pas de miroir pour m'examiner -autre chose que le visage. Il me fait mille autres questions -semblables.--Ah! le vieux coquin! s'écria Monique; je gage qu'il ne -cesse de t'entretenir de cela.--Vous me faites, dis-je à la soeur, -prendre garde à certaines actions qu'il fait pendant que je suis dans -son confessionnal et que j'ai toujours prises sottement pour des marques -d'amitié. Le vieux scélérat! J'en connais à présent le motif.--Eh! -quelles actions donc? me demanda vivement la soeur.--Ces actions, lui -répondis-je, c'est de me baiser à la bouche, en me disant de m'approcher -pour qu'il entende mieux, de me considérer attentivement la gorge -pendant que je lui parle, de m'y mettre la main dessus, et de me -défendre de la montrer, sous prétexte que c'est un acte de coquetterie; -et malgré ses sermons il ne tire pas sa main, qu'il avance de plus en -plus sur mon sein, et pousse même quelquefois jusqu'à mes tétons. Quand -il l'ôte, c'est pour la porter aussitôt sous sa robe, qu'il remue avec -de petites secousses. Il me presse alors entre ses genoux; il m'approche -avec avec sa main gauche, il soupire, ses yeux s'égarent; il me baise -plus fort qu'à l'ordinaire, ses paroles sont sans suite; il me dit des -douceurs et me fait des remontrances en même temps. - -Je me souviens qu'un jour, en retirant la main de dessous sa robe pour -me donner l'absolution, il me couvrit toute la gorge de quelque chose de -chaud qui se répandit par petites gouttes. Je l'essuyai au plus vite -avec mon mouchoir, dont je n'ai pas pu me servir depuis. Le père, tout -interdit, me dit que c'était de la sueur qui coulait de ses doigts. -Qu'en pensez-vous, ma chère Monique? dis-je à la soeur.--Je te dirai -tout à l'heure ce que c'était, me répondit-elle. Ah! le vieux pécheur! -Mais sais-tu bien, Suzon, continua-t-elle, que tu viens de me conter ce -qui m'est arrivé avec lui?--Comment donc, lui dis-je, vous ferait-il -aussi quelque chose à vous?--Non, assurément, me répondit-elle, car je -le hais à la mort, et je ne vais plus à lui depuis que je suis devenue -plus savante.--Et comment avez-vous donc appris, lui demandais-je, à -connaître ce qu'il vous faisait?--Je consens à te le dire, me répondit -la soeur; mais sois discrète, car tu me perdrais, ma chère Suzon. - ---Je ne sais, Saturnin, poursuivit ma soeur après un moment de silence, -si je dois révéler tout ce qu'elle m'apprit. L'envie de savoir une -histoire dont le prélude me charmait me fournit des expressions pour -vaincre l'irrésolution de Suzon. Je mêlai les caresses aux assurances et -je vins à bout de la persuader. C'est la soeur Monique qui va s'exprimer -par la bouche de Suzon. Quelque emporté que doive paraître le caractère -de cette soeur, je crains que mes expressions ne soient encore -au-dessous de la réalité. Le peu de temps que j'ai passé avec elle m'en -a fait concevoir une idée que je ne saurais rendre bien fidèlement. -Voici comme s'explique cette héroïne: - -Nous ne sommes pas maîtresses des mouvements de notre coeur. Séduites en -naissant par l'attrait du plaisir, c'est à lui que nous en offrons le -premier sentiment. Heureuses celles dont le tempérament ne s'effraye pas -des conseils austères de la raison! Elles y trouvent un secours contre -le penchant de leur coeur. Mais doit-on leur envier leur bonheur? Non. -Qu'elles jouissent du fruit de leur sagesse: elles l'achètent assez -cher, puisqu'elles ne connaissent pas le plaisir. Eh! qu'est-ce que -cette sagesse, après tout, dont on nous étourdit les oreilles: Une -chimère, un mot consacré à exprimer la captivité où l'on retient notre -sexe. Les éloges que l'on fait de cette vertu imaginaire sont pour nous -ce qu'est pour un enfant un hochet qui l'amuse et l'empêche de crier. -Des vieilles que l'âge a rendues insensibles au plaisir, ou plutôt que -la retraite leur interdit, croient se dédommager de l'impuissance de le -goûter par les portraits hideux qu'elles nous en font. Laissons-les -dire, Suzon. Quand on est jeune, on ne doit avoir d'autre maître que son -coeur: ce n'est que lui qu'il faut écouter, ce n'est qu'à ces conseils -qu'il faut se rendre. Tu croiras facilement qu'ayant de pareilles -inclinations, il ne fallait pas moins que la contrainte d'un cloître -pour m'empêcher de m'y livrer; mais c'est dans le lieu même où l'on -voulait étouffer mes désirs que j'ai trouvé le moyen de les satisfaire. - -Toute jeune que j'étais, quand ma mère, après la mort de son quatrième -mari, vint demeurer dans ce couvent en qualité de dame pensionnaire, je -ne laissai pas d'être effrayée de la résolution qu'elle avait prise. -Sans pouvoir distinguer le motif de ma frayeur, je sentais qu'elle -allait me rendre malheureuse. L'âge en me donnant des lumières, -m'éclaira sur la cause de mon aversion pour le cloître. Je sentais qu'il -me manquait quelque chose, la vue d'un homme. Du simple regret d'en être -privée je passai bientôt à réfléchir sur ce qui pouvait me rendre cette -privation si sensible. Qu'est-ce donc qu'un homme? disais-je. Est-ce une -espèce de créature différente de la notre? Quelle est la cause des -mouvements que sa vue excite dans mon coeur? Est-ce un visage plus -aimable qu'un autre? Non; le plus ou le moins de charmes que je trouve -n'excite que plus ou moins d'émotion. L'agitation de mon coeur est -indépendante de ces charmes puisque le père Jérôme lui-même, tout -désagréable qu'il est, m'émeut quand je suis près de lui. Ce n'est donc -que la seule qualité d'homme qui produit ce trouble; mais pourquoi le -produit-elle? J'en sentais la raison dans mon coeur, mais je ne la -connaissais pas; elle faisait des efforts pour irriter les liens où mon -ignorance la réduisait. Efforts inutiles! Je n'acquérais de nouvelles -connaissances que pour tomber dans de nouveaux embarras. - -Quelquefois je m'enfermais dans ma chambre, je me livrais à des -réflexions: elles me tenaient lieu de compagnie où je me plaisais le -plus. Qu'y voyais-je dans ces compagnies? Des femmes; et quand j'étais -seule, je ne pensais qu'aux hommes; je sondais mon coeur, je lui -demandais raison de ce qu'il sentait; je me déshabillais toute nue; je -m'examinais avec un sentiment de volupté; je portais des regards -enflammés sur toutes les parties de mon corps; je brûlais, j'écartais -les cuisses, je soupirais; mon imagination échauffée me présentait un -homme, j'étendais les bras pour l'embrasser, mon conin était dévoré par -un feu prodigieux: je n'avais jamais eu la hardiesse d'y porter le -doigt. Toujours retenue par la crainte de m'y faire mal, j'y souffrais -les plus vives démangeaisons sans oser les apaiser. Quelquefois j'étais -prête à succomber; mais, effrayée de mon dessein, j'y portais le bout du -doigt, et je le retirais avec précipitation; je me le couvrais avec le -creux de la main, je le pressai. Enfin, je me livrai à la passion, -j'enfonçai, je m'étourdis sur la douleur, pour n'être sensible qu'au -plaisir; il fut si grand que je crus que j'allais expirer. Je revins -avec une nouvelle envie de recommencer, et je le fis autant de fois que -mes forces me le permirent. - -J'étais enchantée de la découverte que je venais de faire: elle avait -répandu la lumière dans mon esprit. Je jugeai que, puisque mon doigt -venait de me procurer de si délicieux moments, il fallait que les hommes -fissent avec nous ce que je venais de faire seule, et qu'ils eussent une -espèce de doigt qui leur servît à mettre où j'avais mis le mien, car je -ne doutais pas que ce ne fût là la véritable route du plaisir. Parvenue -à ce degré de lumière, je me sentais agitée du désir violent de voir -dans un homme l'original d'une chose dont la copie m'avait fait tant de -plaisir. - -Instruite par mes propres sentiments de ceux que la vue des femmes fait -réciproquement naître dans le coeur des hommes, je joignis à mes charmes -tous les petits agréments dont l'envie de plaire a inventé l'usage. Se -pincer les lèvres avec grâce, sourire mystérieusement, jeter des regards -curieux, modestes, amoureux, indifférents; affecter de ranger, de -déranger son fichu, pour faire fixer les yeux sur sa gorge; en -précipiter adroitement les mouvements, se baisser, se relever, je -possédais ces petits talents dans le dernier degré de la coquetterie; je -m'y exerçais continuellement: mais, ici, c'était les posséder en pure -perte. Mon coeur soupirait après la présence de quelqu'un qui connût le -prix de mon savoir et qui me fît connaître l'effet qu'il aurait produit -sur lui. - -Continuellement à la grille, j'attendais que mon bonheur m'envoyât ce -que je souhaitais depuis longtemps inutilement: je me faisais l'amie de -toutes les pensionnaires que les frères venaient voir. En demandait-on -quelqu'une, je ne manquais pas de passer sans affectation devant le -parloir: on m'appelait, j'y courais, et j'ose dire que ceux que j'y -trouvais ne me voyaient pas impunément. - -J'y examinais un jour un beau garçon dont les yeux noirs et vifs me -rendaient avec usure mes regards. Un sentiment délicat et piquant, -détaché même du plaisir ordinaire que la présence des hommes me -procurait, fixait agréablement mon attention sur lui. L'opiniâtreté de -mes regards qu'il avait d'abord reçus avec assez d'indifférence, anima -les siens: il ne les détourna pas de dessus moi. Il n'était rien moins -que timide, ou plutôt il était d'une hardiesse qui, soutenue des charmes -de sa figure, lui répondait du succès avec toutes les femmes qu'il -voulait attaquer. Il profitait des moments que sa soeur détournait la -vue pour me faire des signes auxquels je ne comprenais rien, mais que ma -petite vanité voulait que je fisse semblant d'entendre, et que -j'autorisais par des sourires qui l'enhardirent au point de lui faire -faire des gestes que je compris parfaitement bien. Il porta la main -entre ses cuisses: je rougis, et, malgré moi, j'en suivis du coin de -l'oeil le mouvement. Il la tira en faisant signe avec la main gauche, -qu'il appuya au-dessus du poignet de la droite: il ne fallait pas être -bien savante pour sentir qu'il voulait dire que ce qu'il venait de -toucher était de cette longueur. Son action m'avait mise en feu. La -pudeur voulait que je m'éloignasse, mais la pudeur fait une faible -résistance quand le coeur est d'intelligence pour la trahir. L'amour me -faisait rester. Je baissai timidement la vue, mais bientôt je portai sur -Verland (c'était son nom) des yeux que je voulais faire paraître irrités -et que le plaisir rendait languissants. Il le sentit: il vit que je -n'avais pas la force de le désapprouver: il profita de ma faiblesse, et -pour ne me rien laisser à désirer sur l'ardeur dont ses regards me -témoignaient qu'ils étaient animés, il joignit le premier doigt de la -main gauche avec le pouce, et mit dans cette espèce de fente le second -doigt de sa main droite: il le poussait, le retirait et jetait des -soupirs. Le fripon me rappelait par là des circonstances trop charmantes -pour me laisser la force de lui témoigner la colère que méritait ce -nouveau manque de respect. Ah! Suzon, que j'étais contente de lui! et -que je me figurais que je l'aurais été bien davantage, si nous nous -fussions trouvés seuls; mais, quand nous l'aurions été, une grille -impénétrable eût arrêté nos plaisirs. - -Dans le moment on appela ma compagne; elle nous dit qu'elle allait voir -ce qu'on lui voulait et qu'elle ne tarderait pas à revenir. Son frère -profita de cet instant pour s'expliquer plus clairement; il ne me tint -pas de grands discours, mais ils signifiaient beaucoup. Quoique le -compliment ne fût pas absolument poli, il me parut si naturel que je -m'en souviens avec plaisir. Nous autres femmes, nous sommes plus -flattées d'un discours où la nature parle toute seule, quelque peu -mesurées qu'en soient les expressions, que de ces galanteries fades que -le coeur désavoue et que le vent emporte. Revenons au compliment de -Verland; le voici: «Nous n'avons pas de temps à perdre; vous êtes -charmante, je bande comme un carme, je meurs d'envie de vous le mettre; -enseignez-moi un moyen de passer dans votre couvent.» Je fus si étourdie -de ses paroles et de l'action dont il les dit, que je demeurai immobile, -de façon qu'il eut le temps de passer la main au travers de la grille, -de me prendre les tétons, de me les manier, et de me dire encore -d'autres douceurs de la même force avant que je fusse revenue de ma -surprise; et quand j'en revins, je me trouvai si peu en état d'arrêter -ses transports, que sa soeur le surprit dans cette occupation; elle fit -le lutin, me dit des injures, en dit à son frère, et je ne le revis -plus. - -Tout le couvent sut bientôt mon aventure: on chuchotait, on me -regardait, on riait, on parlait, on se raillait. Je m'en inquiétais fort -peu, pourvu que le murmure ne passât pas les pensionnaires. J'étais sûre -de la discrétion des jolies, mais je ne l'étais pas trop de celle des -laides. Celles-ci, qui étaient sûres de n'avoir jamais de pareilles -occasions de pécher, crièrent au scandale, bas d'abord, puis haut, et si -haut que les vieilles le surent. J'en avais ri au commencement; je -tremblai alors, et j'avais bien raison de trembler, car les mères -discrètes assemblèrent le conseil pour délibérer entre elles sur ce que -l'on ferait à une effrontée qui se laissait toucher les tétons, crime -irrémissible aux yeux d'une bande de vieilles momies qui n'avaient plus -que des tétasses à jeter sur l'épaule. On trouva le cas grave: tout -autre que moi eût été renvoyée. Que je l'aurais souhaité! Mais je devais -apporter une bonne dot. Ma mère les les avait assurées que je prendrais -le voile: on me ménagea, et le résultat du conseil fut qu'on me -châtierait. On se mit en devoir de le faire: je l'avais prévu. Je -m'étais cantonnée dans ma chambre: on força ma porte, on m'attaqua. Je -mordis l'une, j'égratignais l'autre, donnai des coups de pied, déchirai -des guimpes, arrachai des bonnets; enfin, je me défendis si bien que mes -ennemies renoncèrent à leur entreprise. Elles n'emportèrent de leur -action que la honte d'avoir fait voir que six mères n'avaient pu réduire -une jeune fille: j'étais une lionne dans ce moment. - -La rage et le soin de ma défense m'avaient jusqu'alors entièrement -occupée. Je ne songeai qu'à donner le démenti aux vieilles, mais je -devins bientôt aussi faible que j'étais hardie et vigoureuse auparavant. -La colère fit place au désespoir. Moins flattée du plaisir de me voir en -sûreté que pénétrée de l'affront qu'on avait voulu me faire, mon visage -était baigné de larmes. Comment reparaître dans le couvent? disais-je; -je vais être moquée: peu me plaindront, toutes me fuiront. Ah! me voilà -couverte de honte! mais je veux aller trouver ma mère, poursuivis-je; -elle pourra me blâmer, mais peut-être me pardonnera-t-elle. Un garçon -m'a... Eh bien, où est donc le grand crime? Y ai-je consenti? C'est -ainsi que je raisonnais. Oui, continuai-je, je vais la trouver. Je me -levai de dessus mon lit à ce dessein, et j'y aurais été, si, en faisant -un pas pour ouvrir la porte, je n'eusse marché sur quelque chose qui -roula et me fit tomber. - -Je voulus voir ce qui pouvait m'avoir fait faire cette chute: je -cherchai, je trouvai. Figure-toi ce que je devins à la vue d'une machine -qui représentait au naturel une chose dont mon imagination m'avait -souvent fait la peinture: un vit!--Un vit! eh! qu'est-ce que cela? -demandai-je à la soeur.--Ah! me dit-elle, il ne tiendra qu'à toi de ne -pas rester longtemps dans cette ignorance. Jolie comme tu es, que -d'aimables cavaliers se trouveront heureux de pouvoir t'instruire! Mais -ils n'en auront pas la gloire: c'est à moi qu'elle est réservée. Un vit, -ma chère Suzon, est le membre d'un homme; on l'appelle le membre par -excellence, parce qu'il est le roi de tous les autres. Ah! qu'il mérite -bien ce nom! Mais si les femmes lui rendaient la justice qu'il mérite, -elles l'appelleraient leur dieu, oui, c'en est un; le con est son -domaine, le plaisir est son élément, il va le chercher dans les replis -les plus cachés; il pénètre, il s'y plonge, il le goûte, il le fait -goûter; il y naît, il y vit, il y meurt et renaît aussitôt pour le -goûter encore. Mais ce n'est pas à lui seul qu'il doit tout son mérite. -Soumis aux lois de l'imagination et de la vue, sans elles il ne peut -rien; il est mou, lâche, petit, et n'ose se montrer; avec elles, fier, -ardent, impétueux, il menace, s'élance, brise, renverse tout ce qui ose -lui faire résistance.--Attendez, dis-je à la soeur en l'interrompant, -vous oubliez que vous parlez à une novice; mes idées se perdent dans -votre éloge; je sens que j'adorerai quelque jour ce dieu dont vous -parlez; mais il est encore étranger pour moi; avant d'aimer il faut -connaître; proportionnez vos expressions à la faiblesse de mes -connaissances; expliquez-moi d'une manière simple tout ce que vous venez -de me dire.--Je le veux bien, me répondit la soeur. Le vit est mou, -lâche et petit quand il est dans l'inaction, c'est-à-dire quand les -hommes ne sont pas excités ou par la vue d'une femme ou par les idées -qui leur en viennent; mais offrons-nous à leurs yeux, découvrons la -gorge, laissons voir nos tétons, montrons-leur une taille fine, une -jambe dégagée,--les grâces d'un joli visage ne sont pas toujours -nécessaires,--un rien les frappe, leur imagination travaille; elle -s'exerce, elle pénètre toutes les parties de notre corps; elle se fait -les plus beaux portraits, donne de la fermeté à des tétons qui souvent -n'en ont guère, se représente un sein appétissant, un ventre blanc et -poli, des cuisses rondes et potelées, fermes, une petite motte rebondie, -un petit conin entouré de tous les charmes de la jeunesse: ils pensent -alors qu'ils goûteraient des délices inexprimables s'ils pouvaient y -mettre leur vit. Dans ce moment le vit devient gros, s'allonge, se -durcit; plus il est gros, plus il est long, plus il est dur plus il fait -de plaisir à une femme parce qu'il remplit davantage, frotte bien plus -fort, entre bien plus avant, procure des délices, des élancements qui -vous ravissent.--Ah! dis-je à Monique, que ne vous dois-je pas! Je sais -à présent le moyen de plaire, et je ne manquerai pas, dans l'occasion, -de me découvrir la gorge, de montrer mes tétons.--Prends-y garde! me dit -la soeur; ce n'est pas le vrai moyen de plaire, il faut plus d'art que -tu ne penses. Les hommes sont bizarres dans leurs désirs; ils seraient -fâchés de devoir à notre facilité des plaisirs qu'ils ne peuvent -pourtant pas goûter sans nous; leur jalousie les indispose contre tout -ce qui ne vient pas d'eux-mêmes; ils veulent qu'on ne leur présente les -objets que couvert d'une gaze légère, qui laisse quelque chose à faire à -leur imagination, et les femmes n'y perdent rien: elles peuvent se -reposer sur l'imagination des hommes du soin de peindre leurs charmes; -libérale pour ce qui la flatte, elle ne les peindra pas à leur -désavantage. Tu ne sais pas que c'est cette peinture que les hommes se -font qui fait naître leurs désirs ou l'amour,--c'est la même chose,--car -quand on dit: Monsieur de... est amoureux de madame..., c'est la même -chose que si l'on disait: Monsieur de... a vu madame...; sa vue a excité -des désirs dans son coeur; il brûle d'envie de lui mettre son vit dans -le con. Voilà véritablement ce que cela veut dire; mais comme la -bienséance exige qu'on ne dise pas ces choses-là on est convenu de dire: -Monsieur de... est amoureux. - -Charmée de tout ce que la soeur me disait, je m'impatientais -de ne pas savoir le reste de son histoire. Je la pressai de -continuer.--Volontiers, me dit-elle; nous nous sommes un peu arrêtées, -mais ce détail était nécessaire pour ton instruction. Revenons à la -surprise que me causa la vue de cette machine ingénieuse que je venais -de ramasser. - -J'avais mille fois ouï parler de godmiché: je savais que c'était avec -cet instrument que nos bonnes mères se consolaient des rigueurs du -célibat. Cette machine imite le vit; elle est destinée à en faire les -fonctions; elle est creuse et s'emplit de lait chaud, pour rendre la -ressemblance plus parfaite, et suppléer par ce lait artificiel à celui -que la nature fait couler du membre d'un homme. Quand celles qui s'en -servent se sont mises, par un frottement réitéré, dans la situation -d'avoir quelque chose de plus, elles lâchent un petit ressort: le lait -part et les inonde. Elles trompent ainsi leurs désirs par une imposture -dont la douceur leur fait oublier celle de la réalité. - -Je jugeai que l'agitation avait fait tomber ce précieux bijou de la -poche de quelqu'une des mères qui m'étaient venues attaquer. Je n'étais -pourtant pas sûre que ce fût véritablement un godmiché; mais mon coeur -me le disait. Cette vue dissipa toute ma douleur: je ne pensai plus qu'à -ce que je tenais dans ma main, et je voulus sur-le-champ en faire -l'essai. Sa grosseur m'effrayait à la vérité, mais elle m'animait. Mes -craintes cédèrent bientôt à l'ardeur que sa vue m'inspirait. Une douce -chaleur, avant-coureur du plaisir que j'allai goûter se répandit par -tout mon corps; il tremblait de l'émotion où j'étais, et je poussais de -longs soupirs. - -Crainte de surprise, je commençai par fermer la porte; et, sans quitter -les yeux de dessus le godmiché, je me déshabillai avec toute l'ardeur -d'une jeune mariée que l'on va mettre dans le lit nuptial. L'idée du -secret qui devait ensevelir les plaisirs dont j'allais m'enivrer leur -donnait une pointe de vivacité qui m'enchantait. Je me jetai sur mon -lit, mon cher godmiché à la main; mais, ma chère Suzon, quelle fut ma -douleur quand je vis que je ne pouvais pas le faire entrer! Je me -désespérai, je fis des efforts capables de déchirer mon pauvre petit -conin. Je l'entr'ouvrais, et, appuyant le godmiché dessus, je me faisais -un mal insupportable. Je ne me rebutais pas. Je crus que si je me -frottais avec de la pommade, cela m'ouvrirait davantage. J'en mis; -j'étais en sang, et ce sang mêlé avec la pommade et ce que la fureur où -j'étais faisait sortir de mon con avec un plaisir qui me transportait, -aurait sans doute ouvert le passage, si l'instrument n'eût été d'une -grosseur prodigieuse. Je voyais le plaisir près de moi, et je n'y -pouvais atteindre. J'étais forcenée, je redoublais mes efforts, mais -inutilement, le godmiché maudit rebondissait et ne me laissait que la -douleur. Ah! m'écriai-je, si Verland était ici, l'eût-il encore plus -gros, je me sens assez de courage pour le souffrir. Oui, je le -souffrirais, je le seconderais, dût-il me déchirer, dussé-je en mourir; -je mourrais contente, pourvu qu'il me le mît. S'il me faisait de la -douleur, reprenais-je, que les plaisirs qu'il me donnerait rendraient -cette douleur bien douce! Je le tiendrais dans mes bras, je le serrerais -étroitement, il me serrerait de même; je collerais sur sa bouche -vermeille des baisers enflammés; je les prodiguerais sur ses yeux, ses -beaux yeux noirs pleins de feux; il me tiendrait dans ses bras; quelle -volupté! Il répondrait à mes transports par des transports aussi vifs; -j'en ferais mon idole! Oui, je l'adorerais: un beau garçon comme lui -mérite de l'être. Nos âmes se confondraient; elles s'uniraient sur nos -lèvres brûlantes. Ah! cher Verland, pourquoi n'es-tu pas ici? Quelles -délices! L'amour en inventerait pour nous, je me livrerais à tout ce que -la passion m'inspirerait. Mais, hélas! reprenais-je, pourquoi m'abuser -par une si douce illusion? Je suis seule, hélas! je suis seule, et, pour -comble de douleur, je tiens dans mes mains une ombre, une apparence de -plaisir, qui ne sert qu'à augmenter mon désespoir, qui m'inspire des -désirs sans pouvoir les satisfaire. Instrument maudit, continuai-je, en -apostrophant le godmiché et en le jetant au milieu de la chambre avec -rage, va faire les délices d'une malheureuse à qui tu peux servir; tu ne -feras jamais les miennes: mon doigt vaut mille fois mieux que toi! J'y -eus aussitôt recours et me donnai tant de plaisir, que j'oubliai la -perte ceux que je m'étais promis d'avoir avec le godmiché. Je tombai -épuisée de lassitude et m'endormis en pensant à Verland. - -Je ne me réveillai le lendemain que fort tard; le sommeil avait amorti -mes transports amoureux; mais n'avait rien changé à la résolution que -j'avais prise de sortir du couvent. Les mêmes raisons qui m'avaient -déterminée à prendre cette résolution me firent encore sentir avec plus -de force la nécessité de l'exécuter. Je me regardai dès lors comme -libre, et le premier usage que je fis de ma liberté fut de tranquilliser -au lit jusqu'à dix heures. La cloche eut beau sonner, je ne parus pas. -Je m'applaudissais du dépit que ma désobéissance devrait causer à nos -vieilles. Je me levai à la fin, je m'habillai; et pour me mettre dans -l'obligation de suivre mon dessein, je commençai par déchirer mon voile -de pensionnaire, que je regardais comme une marque de servitude. Je me -sentis le coeur plus libre: il me semblait que je venais de franchir une -barrière qui jusque-là s'était opposée à ma liberté. Mais comme j'allais -et je venais dans ma chambre, ce maudit godmiché se présente encore à -mes yeux. Cette vue me rend immobile; je m'arrête, je le prends; je vais -m'asseoir sur mon lit, je me mets à considérer l'instrument. Qu'il est -beau! disais-je en le prenant avec complaisance dans la main, qu'il est -long, qu'il est doux! C'est dommage qu'il soit si gros: à peine ma main -peut-elle l'empoigner! Mais il m'est inutile... Non, jamais il ne pourra -me servir, continuai-je en levant ma jupe et en essayant de nouveau de -le faire entrer dans un endroit qui me faisait encore une douleur -cuisante des efforts que j'avais fait la veille. J'y trouvai les mêmes -difficultés, et il fallut encore me contenter de mon doigt. Je -travaillai avec tout le courage que la vue de l'instrument m'inspirait, -et je poussai les choses au point que les forces me manquèrent. Je -demeurai insensible au plaisir même que je me donnais: ma main n'allait -plus que machinalement, et mon coeur ne sentait rien. Ce dégoût -momentané me fit naître une idée qui me flatta beaucoup. Je vais sortir, -me dis-je, je n'ai plus rien à ménager: sortons avec éclat; je veux -porter cet instrument à la mère supérieure: nous verrons comment elle -soutiendra cette vue. - -Je jouissais d'avance, en allant à l'appartement de la supérieure, de la -confusion que j'allais lui causer en lui montrant le godmiché. Je la -trouvai seule; je l'abordai d'un air libre.--Je sais bien, madame, lui -dis-je, qu'après ce qui s'est passé hier et l'affront que vous avez -voulu me faire, je ne peux plus rester avec honneur dans votre couvent. -(Elle me regardait avec surprise et sans me répondre, ce qui me donna la -liberté de continuer.) Mais, madame, sans en venir à de pareilles -extrémités, si j'avais fait une faute, et c'est de quoi je ne conviens -pas, puisque la violence que l'indigne Verland me faisait m'ôtait la -liberté de me défendre, vous auriez pu vous contenter de me faire une -réprimande; quoique je ne l'eusse pas méritée, je l'aurais soufferte et -je me serais bornée à gémir sans me plaindre, puisque les apparences -parlaient contre moi.--Une réprimande, mademoiselle, me répondit-elle -alors sèchement, une réprimande pour une action comme la vôtre! Vous -méritez une punition exemplaire, et sans les égards que nous avons pour -madame votre mère, qui est une sainte dame, vous...--Vous ne punissez -pas toutes les coupables, interrompis-je vivement, et vous en avez dans -le couvent qui font bien autre chose!--Bien autre chose? reprit-elle; -nommez-les moi, je les châtierai.--Je ne vous les nommerai pas, lui -répondis-je, mais je sais qu'il y en avait une parmi celles qui m'ont -traitée hier avec tant d'indignité.--Ah! s'écria-t-elle, c'est pousser -trop loin l'effronterie! c'est pousser la corruption du coeur et le -dérèglement de l'esprit jusqu'où ils peuvent aller! Juste ciel; joindre -la calomnie aux actions les plus criminelles, accuser les plus saintes -de nos mères, des exemples de vertu, de chasteté et de pénitence, quelle -dépravation du coeur! Je lui laissai tranquillement achever son éloge, -et quand je vis qu'elle s'arrêtait, je tirai froidement le godmiché de -ma poche, et le lui présentant: Voilà, lui dis-je du même air, une -preuve de leur sainteté, de leur vertu, de leur chasteté, ou du moins de -l'une d'elles! J'examinais pendant ce temps-là le visage de notre bonne -supérieure. Elle me regardait, rougissait, était interdite: ces -témoignages involontaires ne me laissèrent pas douter que le godmiché ne -fût à elle; j'en fus encore plus convaincue par son ardeur à me le -retirer des mains.--Ah! ma chère enfant, dit-elle (la restitution que je -venais de lui faire m'avait réconciliée avec elle), ah! ma chère fille, -se peut-il que dans une maison où il y a tant d'exemples d'édification, -il se trouve des âmes assez abandonnées de Dieu pour faire usage d'une -pareille infamie? Ah! mon Dieu! j'en suis toute hors de moi. Mais, ma -chère fille, ne dites jamais que vous avez trouvé cela: je serais forcée -d'user de sévérité, de faire des recherches, et je veux prendre le parti -de la douceur. Mais vous, ma chère enfant, pourquoi voulez-vous nous -quitter? Allez, retournez-vous en dans votre chambre, je raccomoderai -tout: je dirai qu'on s'est trompé. Comptez sur mon affection, car je -vous aime beaucoup. Soyez sûre qu'on ne vous verra pas de plus mauvais -oeil, malgré ce qui s'est passé. Je vois bien qu'effectivement nous -avons eu tort de vous traiter comme cela: vous n'étiez pas coupable. Je -parlerai sur le bon ton à Mlle Verland. Jésus, mon Dieu, continua-t-elle -en regardant le godmiché, que le démon est malin. Je crois, le ciel me -pardonne, que c'est un... Ah! la vilaine chose! - -Au moment où la supérieure achevait ces mots, ma mère entra.--Qu'ai-je -donc appris, madame? dit-elle à la supérieure? et sur-le-champ -m'adressant la parole: Et vous, mademoiselle, pourquoi vous trouvez-vous -ici? Il fallait répondre; j'étais déconcertée, je rougissais, je baissai -les yeux; on me pressa, je bégayai. La supérieure parla pour moi; elle -le fit avec esprit. Si elle ne me donna pas tout à fait le tort dans la -conduite qu'on avait tenue avec moi, elle ne me chargea pas assez pour -faire croire que je fusse bien coupable. Ma faute passa pour une -imprudence où le coeur n'avait eu aucune part, pour une violence de la -part d'un jeune téméraire que l'on promit bien de ne plus laisser -revenir à la grille, et on conclut qu'il n'y avait que mademoiselle -Verland de criminelle, puisque c'était elle qui avait fait éclater une -chose qu'elle devait taire si ce n'était pour l'honneur de son frère, du -moins pour le mien, qui pourtant n'en souffrirait point, parce que, dit -la supérieure, elle voulait réparer l'insulte qu'on m'avait faite. Je -n'en pouvais pas souhaiter davantage. Je sortis blanche comme neige -d'une aventure où, sans me faire injure, on pouvait mettre le tort de -mon côté; mais je n'avais garde d'en tomber d'accord. Ma mère me -plaignit et me parla avec une douceur qui me toucha. - -Les âmes zélées pour la gloire de Dieu savent tirer parti de tout. Il -fut arrêté entre la supérieure et ma mère qu'ayant eu le malheur de -scandaliser, quoique involontairement, le prochain, il fallait me -réconcilier avec le Père des miséricordes et m'approcher du sacrement de -la pénitence. On me fit là-dessus bien des exhortations que je passe, -pour ne pas t'ennuyer. - -Ma mère m'avait presque convertie avec ses sermons. Cependant la peine -que je sentais à avouer mes fautes aurait dû me faire douter de ma -conversion, et le père Jérôme m'en arrachait l'aveu plutôt que je ne lui -faisais. Dieu sait quel plaisir il avait, ce vieux pécheur! Je ne lui en -avais jamais tant dit; encore ne sut-il pas tout; car je ne crois pas -que Dieu puisse faire grand crime à une pauvre fille de chercher à se -soulager quand elle est pressée. Elle ne s'est pas faite elle-même; -est-ce sa faute si elle a des désirs, si elle est amoureuse? Est-ce sa -faute si elle n'a pas de mari pour la contenter? Elle cherche à apaiser -ces désirs qui la dévorent, ce feu qui la brûle; elle se sert des moyens -que la nature lui donne: rien de moins criminel. - -Malgré les petits mystères que j'avais faits au père Jérôme, je ne -laissais pas d'être pénétrée. Etait-ce repentir? Non. La véritable cause -était le refus que le père m'avait fait de me donner l'absolution. Je -craignis qu'il ne fournît une nouvelle matière à la médisance; j'en -étais touchée jusqu'aux larmes. Je craignais qu'en allant offrir ma -confusion aux yeux de mes ennemies, je ne leur donnasse un nouveau sujet -de triompher. J'allai me placer sur un prie-Dieu, vis-à-vis de l'autel: -mes pleurs m'assoupirent, je m'endormis. J'eus pendant mon sommeil le -rêve le plus charmant; je songeais que j'étais avec Verland, qu'il me -tenait dans ses bras, qu'il me pressait avec ses cuisses. J'écartais les -miennes et me prêtais à tous ses mouvements. Il me maniait les tétons -avec transport, les serrait, les baisait. L'excès du plaisir me -réveilla. J'étais réellement dans les bras d'un homme. Encore toute -occupée des délices de mon songe, je crus que mon bonheur changeait -l'illusion en réalité. Je crus être avec mon amant: ce n'était pas lui! -On me tenait étroitement embrassée par derrière. Au moment que j'ouvris -les yeux, je les refermai de plaisir et n'eus pas la force de regarder -celui qui me le donnait. Je me sentis inondée d'une liqueur chaude, et -quelque chose de dur et de brûlant que l'on m'enfonçait en jetant des -soupirs. Je soupirai aussi, et dans le moment une liqueur semblable que -je sentais s'échapper de toutes les parties de mon corps, avec des -élancements délicieux, se mêlant avec celle que l'on répandait une -seconde fois, me fit retomber sans mouvement sur mon prie-Dieu. - -Ce plaisir qui, s'il durait toujours, serait plus piquant mille fois que -celui qu'on goûte dans le ciel, hélas! ce plaisir finit trop tôt. Je fus -saisie de frayeur en pensant que j'étais seule pendant la nuit dans le -fond d'une église: avec qui? Je ne le savais pas; je n'osais m'en -éclaircir, je n'osais remuer; je fermais les yeux, je tremblais. Mon -tremblement augmenta encore quand je sentis qu'on pressait ma main, -qu'on la baisait. Le saisissement m'empêcha de la retirer, je n'en avais -pas la hardiesse; mais je me rassurai un peu en entendant dire à mes -oreilles, d'une voix basse: Ne craignez rien; c'est moi! Cette voix, que -je me souvenais confusément d'avoir entendue, me rendit le courage, et -j'eus la force de demander qui c'était, sans avoir celle de -regarder.--Eh! c'est Martin, me répondit-on, le valet du père Jérôme. -Cette déclaration dissipa ma frayeur. Je levai les yeux, je le reconnus. -Martin était un blond, éveillé, joli, amoureux. Ah! qu'il l'était! Il -tremblait à son tour, et attendait ma réponse pour fuir ou me baiser -encore. Je ne lui en fis pas, mais je le regardai d'un air riant, avec -des yeux qui se ressentaient encore du plaisir que je venais de goûter. -Il vit bien que ce n'était pas un signe de colère; il se jeta dans mes -bras avec passion; je le reçus de même, et sans penser que si quelqu'un -s'apercevait que je manquais dans le couvent on pourrait venir et nous -trouver ensemble... Te le dirais-je? L'amour rend tout excusable. Sans -respect pour l'autel, sur les marches duquel nous étions, Martin me -pencha un peu, leva mes jupes, porta sa main partout; aussi passionnée -que lui, je portai la mienne à son vit; j'eus pour la première fois de -ma vie le plaisir d'en manier un! Ah! que le sien était joli! petit, -mais long, tel qu'il me le fallait. Quel feu! Quelle démangeaison -voluptueuse se glissa d'abord par tout mon corps! J'étais muette, je -serrais ce cher vit dans ma main, je le considérais, je le caressais, -l'approchais de mon sein, le portais à ma bouche, le suçais; je l'aurais -avalé! Martin avait le doigt dans mon con, le remuait doucement, le -retirait, le remettait et renouvelait ainsi mes plaisirs à chaque -instant, il me baisait, me suçait le ventre, la motte et les cuisses; il -les quittait pour porter des lèvres brûlantes sur ma gorge. En un moment -je fus couverte de ses baisers. Je ne pus pas tenir contre ces attaques -de plaisir. Je me laissai tomber, l'attirant doucement à moi avec mon -bras droit, dont je le serrai amoureusement; je le baisais à la bouche, -tandis que de la main gauche, tenant l'objet de tous mes voeux, je -tâchais de me l'introduire et de me procurer un plaisir plus solide. Un -égal transport le fit coucher sur moi: il se mit à pousser.--Arrête, lui -dis-je d'une voix entrecoupée par mes soupirs, arrête, mon cher Martin; -ne va pas si vite, restons un moment. Aussitôt, me coulant sous lui et -écartant les cuisses, je joignis mes jambes sur ses reins. Mes cuisses -étaient collées contre ses cuisses, son ventre contre mon ventre, son -sein contre mon sein, sa bouche sur ma bouche: nos langues étaient -unies, nos soupirs se confondaient. Ah! Suzon, quelle charmante posture! -Je ne pensais à rien au monde, pas même au plaisir que j'avais, n'étant -occupée qu'à le sentir. L'impatience m'empêcha de le goûter plus -longtemps. Je fis un mouvement, Martin en fit autant, et notre bonheur -s'évanouit; mais avant de le perdre, nous sentîmes combien il était -grand: il semblait qu'il eût ramassé ses traits les plus vifs et les -plus ravissants pour nous en accabler. Nous restâmes sans sentiment, -n'ouvrant les yeux que pour nous presser de nouveau; le plaisir se -refusait à nos efforts. - -Il est temps, poursuivit Monique, de t'apprendre, Suzon, ce que c'était -que cette eau bénite dont le père Jérôme t'arrosa un jour la gorge en te -donnant l'absolution. - -Ma première action, quand Martin fut retiré de mes bras, fut de porter -la main où j'avais reçu les plus grands coups. Le dedans, le dehors, -tout était couvert de cette liqueur dont l'effusion m'avait fait tant de -plaisir; mais elle avait perdu toute sa chaleur et était froide alors -comme de la glace. C'était du foutre. On appelle ainsi une matière -blanche et épaisse qui sort du vit ou du con quand on décharge. La -décharge est l'action qui suit ce frottement voluptueux par où l'on -prélude.--Comment, dis-je à Monique, c'en était donc que vous répandiez -tout à l'heure?--Oui, vraiment, me dit-elle, et tu m'en as donné aussi, -petite friponne! N'as-tu pas senti ton petit conin tout mouillé? C'en -était. - -Mais, ma chère petite, le plaisir que tu as goûté est bien au-dessous de -celui qu'on goûte avec un homme; car ce qu'il nous donne se mêlant avec -ce que nous lui donnons, y rentre, nous pénètre, nous enflamme, nous -rafraîchit, nous brûle. Quelles délices, Suzon! Ah! ma chère Suzon, -elles sont inexprimables; mais écoute le reste de mon aventure, -poursuivit-elle. - -J'étais bien chiffonnée, comme tu peux croire, après l'exercice amoureux -que je venais de faire; je me remis le mieux qu'il me fut possible, et -demandai à Martin quelle heure il était.--Oh! il n'est pas tard, me -répondit-il: je viens d'entendre la cloche du souper.--Je me passerai -bien d'y aller, repris-je; je vais vite me coucher; mais avant que je te -quitte, apprends-moi, mon cher Martin, par quel hasard tu t'es trouvé -ici, et comment as-tu osé venir?...--Oh! pardi! ce n'est pas la -hardiesse qui me manque. V'là comme ç'a été: j'étais venu pour parer -l'église, car, comme vous savez, c'est demain bonne fête; je vous ai -aperçue. M'est avis, ai-je dit à part moi en vous reluquant, que voilà -une demoiselle qui prie bian le bon Dieu! Pardi! ce me suis-je fait, il -faut qu'alle ait bien la rage de la dévotion pour s'en venir à -c't'heure-ci dans l'église, pendant que tretoutes prennent leurs -becquées! mais ne dormirait-elle pas aussi? ce me suis-je dit, voyant -que vous ne bronchiez ni pied ni patte. Pardi! je le croirais bian. -Voyons un peu ça. Je me suis cependant approché tout fin près de vous, -et j'ai vu que vous dormiais. Je sis resté là un petit bout de temps à -vous lorgner, et pendant ce temps-là, mon coeur faisait tic toc, tic -toc. Le guiable est bian fin; Martin, m'a-t-il corné aux oreilles, alle -est bian jolie au moins: v'là un biau coup à faire, mon enfant; si tu -laisses échapper c't'occasion-là, tu ne la retrouveras pas? avise-toi, -Martin. Pardi! je me sis avisé tout de suite. J'ai levé tout doucement -votre collerette, et ai vu deux petits tétons bian blancs. Pardi! j'ai -mis la main dessus, et pis je les ai baisés aussi tout doucement; et -pis, voyant que vous dormiais comme un sabot, j'ai eu envie de faire -autre chose, et c't'autre chose-là, je l'ai faite en vous troussant -bravement vot' cotillon par derrière; et pis j'ai poussé; et pis, dame, -vous savez le reste. - -Malgré son langage grossier, l'air d'ingénuité avec lequel Martin -s'expliquait me charmait.--Eh bien, lui dis-je, mon cher ami, as-tu bien -eu du plaisir?--Oh! pardi! me répondit-il en m'embrassant, j'en ai tant -eu que j'sis prêt à recommencer, si vous voulez.--Non, pas pour le -présent, lui dis-je; peut-être s'apercevrait-on de quelque chose; mais -tu as la clef de l'église; si tu veux venir demain à minuit, tiens la -porte ouverte, je viendrais te trouver; entends-tu Martin?--Oh! morgué! -me répondit-il; c'est bian dit; nous nous en donnerons à coeur-joie; -nous n'aurons pas d'espions à c't'heure-là. Je l'assurai que je m'y -trouverais. La réflexion me fit résister à mon envie et aux prières de -Martin, qui voulait que nous fissions cela encore une petite fois, -disait-il, avant de nous quitter. Mon refus l'aurait plongé dans la -tristesse si je ne l'eusse consolé par l'espérance du lendemain. Nous -nous embrassâmes, je rentrai dans le couvent et regagnai heureusement ma -chambre sans avoir été aperçue. - -Tu devineras facilement que je mourais d'impatience de me visiter et de -savoir en quel état j'étais après les assauts que je venais d'essuyer. -Je sentais une vive cuisson; à peine pouvais-je marcher. J'avais pris -une lumière au dortoir; je tirai bien mes rideaux pour n'être vue de -personne, et m'étant assise sur ma chaise, une jambe sur mon lit et -l'autre sur le plancher, je fis mon examen. Quelle fut ma surprise -lorsque je trouvai que mes lèvres, qui auparavant étaient si fermes et -si rebondies, étaient devenues toutes molles et comme flétries! Les -poils qui les couvraient, quoiqu'ils se ressentissent encore de -l'humidité, formaient d'espace en espace, mille petites boucles. -L'intérieur était d'un rouge vif, enflammé et d'une extrême sensibilité. -La démangeaison m'y faisait porter le doigt, et sur-le-champ la douleur -me forçait de le retirer. Je me frottais contre les bras de mon fauteuil -et les couvrai des marques de la vigueur de Martin. Le plaisir -combattait contre la fatigue; mais mes yeux s'appesantissaient -insensiblement. Je me couchai et dormis d'un sommeil qui ne fut -interrompu que par d'agréables songes qui me rappelaient les délices que -j'avais goûtées. - -On ne me dit rien le lendemain sur mon absence; on la regarda comme un -reste de ressentiment que je devais avoir du traitement que l'on m'avait -fait. Mon air fier confirma cette pensée. J'assistai comme les autres à -l'office; toutes mes compagnes communiaient, moi je ne communiai pas; et -à te dire vrai, je m'étais mise au-dessus de la honte de ne pas suivre -leur exemple. L'amour dissipe les préjugés. La présence de mon amant, -que je voyais rôder dans l'église, me dédommageait assez. Plus d'une -parmi mes compagnes aurait bien quitté au même prix la nourriture -spirituelle. - -Je jetais sur mon amant plus de regards amoureux que je n'en jetais de -dévotion sur l'autel. Aux yeux d'une femme du monde, Martin n'aurait été -qu'un polisson; aux miens c'était l'amour même: il en avait la jeunesse, -il en avait les grâces. Son mérite caché me faisait passer légèrement -sur sa négligence extérieure. Je m'aperçus pourtant qu'il s'était -accommodé ce jour-là et qu'il tâchait de se donner meilleur air qu'à -l'ordinaire. Je lui sus bon gré de son intention, que j'attribuais -plutôt à l'envie de me plaire qu'au mérite de la fête qu'on célébrait. -Rien n'échappe aux yeux d'une amante. Je le voyais regarder les -pensionnaires pour tâcher de me découvrir. Je ne voulais pas qu'il me -reconnût; j'avais soin de me cacher; mais j'aurais été fâchée qu'il -n'eût pas pris cette peine inutile. Que veux-tu, j'en étais amoureuse à -la rage. J'attendais avec impatience la nuit pour lui tenir la parole -que je lui avais donnée. - -Elle vint enfin, cette nuit si ardemment souhaitée. Minuit sonna. Ah! -que je fus alors troublée! Je ne traversai le corridor qu'en tremblant, -et quoique tout le monde fût endormi, je croyais les yeux de tout le -monde ouverts sur moi. Je n'avais, pour me conduire, d'autre lumière que -celle de mon amour. Ah! disais-je en marchant à tâtons dans l'obscurité, -si Martin m'avait manqué de parole, j'en mourrais de douleur! Il était -au rendez-vous, aussi amoureux, aussi impatient que j'avais été -ponctuelle. J'étais vêtue fort légèrement; il faisait chaud, et je -m'étais aperçue la veille que les jupes, les corps, les mouchoirs de -gorge, tout cela était trop embarrassant. Sitôt que je sentis la porte -ouverte, un tressaillement de joie me coupa la parole. Je ne la -recouvrai que pour appeler mon cher Martin à voix basse: il m'attendait; -il accourut dans mes bras, me baisa; je lui rendis caresse pour caresse. -Nous nous tînmes longtemps étroitement serrés. Revenus des premiers -mouvements de notre joie, nous cherchâmes réciproquement à en exciter de -plus grands. Je portai la main à la source de mes plaisirs; il porta la -sienne où je l'attendais avec impatience. Il fut bientôt en état de la -contenter. Il se déshabilla, me fit un lit de ses habits: je me couchai -dessus. Nos plaisirs se succédèrent pendant deux heures avec rapidité et -des mouvements de vivacité qui ne laissaient pas le temps de les -désirer; nous nous y livrions comme si nous ne les eussions pas encore -goûtés ou que nous ne dussions plus les goûter. Dans le feu du plaisir -on ne songe guère à ménager les moyens de l'entretenir. L'ardeur de -Martin ne répondait plus à la mienne; il fallut s'arracher de ses bras -et se retirer. - -Notre bonheur ne dura guère plus d'un mois, et j'y comprends le temps -que la nécessité faisait donner au repos. Quoiqu'il ne fut pas rempli -par le plaisir de voir mon amant, il l'était par celui de penser à lui -et par les agréables idées qui disposaient mon coeur aux délices que sa -présence ramenait. Ah! que les nuits heureuses, que j'ai passées dans -ses bras ont coulé rapidement, et que les suivantes ont été longues! - -Redouble ton attention, ma chère Suzon, renouvelle-moi tes promesses de -m'être toujours fidèle et de ne jamais révéler un secret que je n'ai -confié qu'à toi. Ah! Suzon, qu'il est dangereux d'écouter un penchant -trop flatteur et de s'y livrer sans réflexion! Si les plaisirs que -j'avais goûtés étaient délicieux, l'inquiétude qui les suivit me les fit -payer bien cher. Que je me repentis d'avoir été trop amoureuse! Les -suites de ma faiblesse se présentèrent à mon imagination avec des -circonstances affreuses. Je pleurai, je gémis.--Que vous arriva-t-il -donc? lui demandai-je.--Je m'aperçus, me dit-elle, que mes règles ne -coulaient plus; huit jours s'étaient passés sans les avoir; je fus -surprise de leur interruption, ayant souvent entendu dire que c'était un -signe de grossesse. J'étais souvent attaquée de maux de coeur, de -faiblesses. Ah! m'écriai-je, il n'est que trop vrai, malheureuse! hélas! -je le suis, il n'en faut plus douter, je suis grosse! Un torrent de -larmes succédait à ces accablantes réflexions.--Vous étiez grosse? -dis-je à la soeur avec étonnement. Ah! ma chère Monique, comment -avez-vous fait pour en dérober la connaissance à des yeux -intéressés.--Je n'eus, me répondit-elle, que la douleur de savoir mon -malheur, et non celle d'en essuyer les suites. Martin l'avait causé, il -m'en délivra. Ma grossesse ne m'empêchait pas de me rendre toujours à -nos rendez-vous; j'étais inquiète, j'étais tremblante, mais j'étais -encore plus amoureuse. Le poids victorieux du plaisir m'entraînait. -Qu'en pouvait-il arriver davantage? Mon malheur était à son comble. Ce -qui me l'avait causé devait servir du moins à m'en consoler. - -Une nuit, après avoir reçu de Martin ces témoignages d'un amour -ordinaire qui ne se ralentissait pas, il s'aperçut que je soupirais -tristement; que ma main, qu'il tenait dans la sienne, était tremblante -(quand ma passion était satisfaite, l'inquiétude reprenait dans mon -coeur la place que l'amour y occupait un moment avant); il me demanda -avec empressement la cause de mon agitation, et se plaignit tendrement -du mystère que je lui faisais de mes peines.--Ah! Martin, lui dis-je, -mon cher Martin, tu m'as perdue! Ne dis pas que mon amour pour toi n'est -plus le même, j'en porte dans mon sein une preuve qui me désespère: je -suis grosse! une pareille nouvelle le surprit. L'étonnement fit place à -une profonde rêverie; je ne savais qu'en penser, Martin était toute mon -espérance dans cette circonstance cruelle; il balançait: que devais-je -croire? Peut-être, disais-je, abattue par son silence, peut-être -médite-t-il sa fuite. Il va m'abandonner à mon désespoir. Ah! qu'il -reste! j'aime mieux perdre la vie en l'aimant que mourir faute de le -haïr! Je versais des larmes, il s'en aperçut. Aussi tendre, aussi fidèle -que je craignais de le voir perfide, tandis que je le croyais occupé du -soin de se dérober à mon amour, il ne l'était que de celui de tarir mes -pleurs en me délivrant de leur cause. Il m'annonça, en m'embrassant avec -tendresse, qu'il en avait trouvé le moyen. La joie que me causa cette -promesse n'égala pas celle de m'être trompée dans mes soupçons: il me -rendait la vie. Charmée des assurances qu'il me donnait, je fus curieuse -de savoir quel était ce moyen qu'il prétendait employer pour me délivrer -de mon fardeau. Il me dit qu'il voulait me donner d'une boisson qui -était dans le cabinet de son maître, et dont la mère Angélique avait -fait l'expérience avant moi. Je voulus savoir ce que le père Jérôme -pouvait avoir de particulier avec cette mère. Je la haïssais -mortellement, parce qu'elle avait paru une des plus animées contre moi -le jour de l'aventure de la grille. Je l'avais toujours prise pour une -vestale; que je me trompais! D'autant plus sévère qu'elle savait mieux -déguiser son caractère vicieux, qu'elle voilait sous les apparences de -la vertu ses inclinations corrompues, elle était en intrigue réglée avec -le père Jérôme. Martin m'en apprit toutes les circonstances. Il me dit -qu'en furetant dans les papiers de son maître, il avait trouvé une -lettre où elle lui marquait qu'elle se trouvait, pour l'avoir trop -écouté, dans le même embarras où je me trouvais pour avoir trop écouté -Martin! que le père lui avait envoyé une petite fiole de cette liqueur -dont je devais user; que la mère, en recevant le présent, avait paru -être transportée de joie, et qu'il avait trouvé une seconde lettre par -laquelle elle marquait à son vieil amant que la liqueur avait fait -merveille; qu'on n'avait plus aucune incommodité, et qu'on était prête à -recommencer.--Ah! mon cher ami, dis-je à Martin, apporte-moi dès demain -de cette liqueur: tu me tireras de toutes mes peines! Et, portant mes -vues plus loin, je crus que par le moyen de ces lettres je pourrais -servir ma vengeance et ma haine contre la mère Angélique; je les -demandai à Martin, qui, ne sentant pas combien cette imprudence nous -coûterait cher, crut me marquer son amour en me les apportant le -lendemain avec ce qu'il m'avait promis. - -J'avais fait réflexion que la lumière pourrait me trahir, si on en -apercevait dans ma chambre à pareille heure. Je modérai l'impatience où -j'étais de lire les lettres de la mère: j'attendis que le jour parût; il -vint: je lus; elles étaient écrites d'un style passionné, et aussi peu -mesuré que la figure et les manières de celle qui les avait écrites -l'étaient beaucoup. Elle y peignait sa fureur amoureuse avec des traits, -des expressions dont je ne l'aurais jamais crue capable; enfin, elle ne -se gênait pas, parce qu'elle comptait que le père Jérôme aurait la -précaution, comme elle le lui marquait, de brûler les lettres. Il avait -eu l'imprudence de n'en rien faire, et je triomphais. Je songeai -longtemps de quelle manière je devais me servir de ces lettres pour -perdre mon ennemie. Les rendre moi-même à la supérieure, c'eût été une -démarche trop dangereuse pour moi: il aurait fallu rendre compte de la -façon dont je les avais eues; les faire rendre par quelqu'un, ç'aurait -été l'exposer à des questions dont il ne serait peut-être pas sorti à -son honneur et qui auraient pu entraîner ma perte. Je choisis un autre -parti: ce fut de les porter moi-même à la porte de la supérieure, au -moment où je saurais qu'elle devait rentrer. Je m'arrêtai à cette idée. -Imprudente que j'étais! J'aurais dû brûler ces lettres. Que de chagrins -je m'apprêtais! je m'enlevais mon amant! Cette réflexion, si elle me fût -venue, aurait éteint mon ressentiment. Quelque douceur que la vengeance -me présentât, eût-elle un moment balancé la douleur de perdre Martin? -Non; il m'était mille fois plus précieux que ce qui me flattait le plus -dans ce moment. Je ne remis l'exécution de mon projet que jusqu'au temps -où je serais hors de danger: je le fus bientôt. J'avais demandé à Martin -une trêve de huit jours; elle n'était pas encore expirée. Je crus -pouvoir exécuter alors le dessein que j'avais formé: il eut tout l'effet -que j'en pouvais attendre. La supérieure trouva les lettres, fit venir -la mère Angélique et la convainquit. Peut-être la réflexion eût-elle -obtenu sa grâce, si un crime plus grand, et que les femmes ne pardonnent -jamais, la rivalité, n'eût rendu sa punition nécessaire pour le repos de -la supérieure; car, quoiqu'elle ne manquât pas, comme je te l'ai dit, de -ces secours capables d'émousser la pointe des aiguillons de la chair, il -est bien difficile, quand on a grand appétit, de s'en tenir à cette -nourriture artificielle qui charme la faim sans la calmer. - -Un godmiché n'est qu'un secret pour endormir le tempérament; son sommeil -n'est pas de longue durée; il se réveille, et, furieux de la tromperie -qu'on lui a faite, il ne s'apaise que par la réalité. - -La supérieure était dans ce cas. Une fille qui a acquis quelques -connaissances dans les mystères de l'amour voit clair dans une injure. -Si les objets lui manquent, l'imagination y supplée; elle s'aigrit des -difficultés qu'on lui oppose, et va quelquefois plus loin que la -réalité; mais avec un homme, une femme du caractère de la supérieure, de -celui du père Jérôme, je craignais moins d'en trop penser que de n'en -pas penser assez. Leur liaison ne me laissait pas douter que le -directeur ne partageât secrètement ses consolations spirituelles entre -elle et la mère Angélique. Le prompt châtiment de celle-ci confirma mes -soupçons; elle expia dans une chambre obscure le crime de m'avoir déplu -et d'avoir enlevé à la supérieure le coeur d'un amant confirmé dans ses -bonnes grâces. - -Je me repentis bientôt de ma sottise; je m'étais toujours flattée que -l'orage ne tomberait que sur la mère Angélique: il alla plus loin. Le -père, outré de se voir enlever sa maîtresse, soupçonna Martin de la -cause de son malheur: il le sacrifia à son ressentiment en le chassant: -je ne l'ai plus revu depuis. - -Voilà mon histoire, ma chère Suzon, poursuivit la soeur Monique; je ne -te recommande pas le secret; tu es intéressée à le garder; te voilà -associée à mes plaisirs! Hélas! je n'ai presque pas joui depuis que j'ai -perdu mon amant. Que n'est-il ici, continuait-elle en me baisant, je le -mangerais de caresses! - -Le souvenir de Martin l'animait: ses discours avaient produit sur moi le -même effet. Nous nous trouvâmes, sans y penser, disposées à ne pas -attendre au lendemain pour célébrer la perte de ce cher amant. Je -rappelais à Monique les plaisirs qu'elle avait autrefois goûtés avec -lui. Trompée par mes caresses, elle oubliait que je n'étais qu'une -fille, me prodiguait les mêmes noms qu'elle lui prodiguait dans ses -transports. J'étais son ange, son dieu! Je n'avais pas encore l'idée -d'un bien plus grand plaisir que celui dont je jouissais: Monique, dans -mes bras, comblait tous mes désirs. L'imagination va toujours plus loin -que ce que l'on possède. Monique songeant au plaisir que lui avait causé -le frottement du poil de Martin, quand elle le sentit contre ses fesses -la nuit de l'aventure du prie-Dieu, m'en promit autant si je voulais le -lui procurer encore. J'y consentis. Elle se coucha sur le ventre, -j'agissais: nous nous animâmes de façon qu'à force de nous chatouiller -nous nous trouvâmes, l'une la tête au chevet du lit, et l'autre la tête -au pied. Dans cette situation, nous nous rapprochâmes; l'une de mes -cuisses était sur le ventre de Monique, l'autre sous ses fesses: mon -ventre et mes fesses étaient de même entre ses cuisses; étroitement -collées l'une contre l'autre, nous nous pressions en soupirant, nous -nous frottions réciproquement, nous répandions à chaque instant. Les -sources de notre plaisir, gonflées par un jaillissement continuel, qui -n'avait d'autre issue que de passer de l'une dans l'autre, étaient comme -deux réservoirs de délices où nous mourrions plongées sans sentiment, où -nous ne ressuscitions que par l'excès du ravissement. L'épuisement seul -mit fin à nos transports. Enchantées l'une de l'autre, nous nous -promîmes de recoucher ensemble le lendemain. Elle y revint et me rendit -encore plus savante à cette seconde entrevue. Ces nuits charmantes n'ont -été interrompues que par ma sortie du couvent pour venir ici. - -Ce que Suzon venait de me raconter avait si fort agi sur mon -imagination, que je n'avais pu refuser à l'énergie de ses discours des -marques de sensibilité relative au sujet. Quoique j'eusse affecté de lui -dérober les larmes qu'elle m'arrachait, le plaisir de les répandre, les -regards passionnés que je jetais sur elle en les répandant, m'avaient -trahi; elle s'était aperçue de mes mouvements; mais, charmée d'avoir -fait sur moi l'impression qu'elle désirait, elle me dissimulait -adroitement sa satisfaction, et, par une politique mal entendue, -combattait encore en elle-même le doux penchant qui devait couronner -l'ardeur qu'elle m'inspirait. Autant ses discours m'avaient étonné, -autant ils me donnèrent d'espoir. Ces peintures si vives et si animées -des situations et des sentiments de la soeur Monique, dans une -circonstance à peu près semblable à celle où nous nous trouvions, ne -pouvaient partir que d'un coeur pénétré. Elle ne m'avait rien caché de -ses actions, pas même sa sensibilité pour les plaisirs de l'amour. Elle -avait dit tous les mots; rien n'avait été fardé. Si nous eussions été -dans l'allée, elle n'aurait pas dit un mot que je n'en eusse profité, et -n'aurait pas fait une peinture que je n'y eusse joint la représentation -au naturel. Son dessein n'avait pas été d'y venir. Que devais-je penser -de cette résistance? Comment l'accorder avec ce que je venais -d'entendre? Ah! si j'avais pu lire dans son coeur, que je me serais -épargné d'inquiétudes! Résolu à suivre mon dessein, mais en garde contre -une précipitation qui aurait pu effaroucher Suzon, je pris autrement mes -mesures. Je cherchai dans le récit même qu'elle venait de me faire des -armes pour la combattre. Je lui demandai d'abord indifféremment si la -soeur Monique était jolie.--Comme un ange, me répondit-elle, et une -fille qui possède ces charmes est toujours sûre de plaire. Sa taille est -fine et bien prise: sa peau est d'une blancheur, d'une douceur -parfaites; elle a la plus belle gorge du monde, le visage un peu pâle, -mais joli et formé de façon que les plus belles couleurs lui -conviendraient moins que cette pâleur; ses yeux sont noirs et bien -fendus; mais, contre l'ordinaire des brunes, elle les a languissants; il -n'y reste qu'assez de feu pour faire juger qu'ils seraient brillants -si elle n'était pas si amoureuse.--Tu me rends compatissant pour -elle, dis-je à Suzon. Sa passion pour les hommes la rendra -malheureuse.--Désabuse-toi, répondit Suzon, ce n'est que depuis peu, -comme je te l'ai dit, qu'elle a pris le voile par complaisance pour sa -mère. Le temps de prononcer ses voeux n'est pas encore venu; son bonheur -dépend de la mort d'un frère, l'idole de sa mère. Il court grand risque -de ne pas vivre plus longtemps que sa soeur ne le souhaite. On l'a déjà -blessé à Paris dans un bordel...--Un bordel! eh! qu'est-ce que cet -endroit? demandai-je à Suzon, par pressentiment sans doute de ce qui -devait m'y arriver un jour.--Je vais te dire, me répondit-elle, ce que -j'en sais de la soeur Monique qui connaît tout ce qui a rapport à ses -inclinations. C'est un lieu où s'assemblent des filles tendres et -faciles, qui reçoivent avec complaisance les hommages des libertins, et -se prêtent à leurs désirs, sous l'espoir de la récompense. Leur penchant -les y mène, le plaisir les y fixe.--Ah! m'écriai-je en l'interrompant, -que je voudrais être dans une ville où il y eût de ces endroits-là! Et -toi, Suzon? Elle ne dit mot, mais je compris par son silence qu'elle ne -serait pas plus cruelle qu'une autre pour son tempérament, et que ce -plaisir aurait autant d'empire sur son coeur que sur celui de ces filles -tendres que l'empressement des hommes érige en idoles publiques. Je -crois, ajoutai-je, que la soeur Monique irait là aussi volontiers que -son frère.--Assurément, me dit-elle; cette pauvre fille aime les hommes -à la fureur; l'idée seule l'en enchante.--Et toi, petite friponne, tu ne -les aimes donc pas?--Je les aimerais, me répondit-elle, si ce que l'on -fait avec eux n'était pas si dangereux.--Tu le crois! lui dis-je; il ne -l'est pas tant que tu le penses. Pour faire cela avec une femme, elle ne -devient pas toujours grosse. Vois cette dame qui est notre voisine: -mariée depuis longtemps, elle le fait avec son mari, et cependant elle -n'a pas d'enfants. Cet exemple parut l'ébranler. Ecoute, ma chère Suzon, -poursuivis-je, et comme inspiré par une intelligence au-dessus de mon -âge, qui me faisait pénétrer dans les mystères de la nature, la soeur -Monique t'a dit que, quand Martin le lui mettait, elle était toute -remplie de ce qu'il lui donnait: c'était sans doute ce qui lui avait -fait un enfant.--Eh bien, dit Suzon en me regardant et cherchant dans -mes yeux un moyen de satisfaire son envie sans s'exposer aux hasards, -que veux-tu dire par là?--Ce que je veux dire, repris-je, c'est que si -c'est ce que l'homme répand qui produit cet effet, on peut l'empêcher en -se retirant, quand on sent que cela vient.--Eh! le peut-on faire? -interrompit vivement Suzon. N'as-tu jamais vu deux chiens l'un sur -l'autre? On a beau les battre pour les faire finir, ils crient, se -démènent, voudraient se retirer et ne peuvent pas: ils sont attachés de -façon que cela leur devient impossible. Dis-moi si un homme se trouvait -attaché de même à une femme, que quelqu'un vînt, qu'on les surprît? -Cette objection me démonta, l'exemple était simple; il semblait que -Suzon eût prévu ce que j'allais lui proposer. L'exemple était pour nous; -nous allions nous trouver dans le même cas, si Suzon se rendait. Elle -semblait attendre ma réponse: et si j'avais pu lire dans son âme, -j'aurais vu qu'elle se repentait de m'avoir proposé une difficulté que -j'étais hors d'état de résoudre. D'autant plus intéressé à détruire son -préjugé, je ne doutai pas que mon bonheur ne dépendît de ma réponse, et -je cherchai des raisons pour la convaincre. Je me souvenais parfaitement -que le père Polycarpe n'avait pas eu la veille cette difficulté à se -retirer de dessus Toinette. Je lui aurais cité cet exemple, mais -j'aimais mieux le lui faire voir. Mes raisonnements ne la persuadèrent -pas, mais ses désirs suppléaient à ce qu'ils avaient de défectueux. Elle -affectait d'insister encore, et il lui fallait un exemple contraire pour -la persuader. Dans le moment je vis le bonhomme Ambroise sortir de la -maison et gagner le chemin de la rue. Son départ m'offrit l'occasion la -plus favorable qui pût se présenter. Ne doutant pas que le père et -Toinette ne profitassent de la liberté qu'il leur laissait pour réparer -le temps perdu par sa présence, je dis d'un ton assuré à Suzon: Viens, -je veux te faire voir que tu t'es trompée. Je me levai et j'aidai Suzon -à en faire autant après lui avoir porté sous sa jupe une main qu'elle -repoussa en folâtrant.--Où vas-tu donc me mener? me dit-elle, voyant que -je gagnais la maison. La petite friponne croyait que j'allais la mener -dans l'allée: elle m'y aurait suivi. Que j'aurais bien mieux fait d'y -aller! Mais je n'étais pas assez expérimenté pour voir qu'elle ne -demandait pas mieux. Je craignais quelque nouvelle résistance de sa -part, et mon destin m'entraînait. Je lui répondis que je la menais dans -un lieu où elle verrait quelque chose qui lui ferait plaisir. - ---Où donc? me répondit-elle avec impatience, voyant que j'avançais vers -la maison.--Dans ma chambre, lui répondis-je.--Dans ta chambre? me -dit-elle; oh! non! Tiens, Saturnin, cela est inutile: tu me ferais -quelque chose! Je lui jurai que non, et je connus à l'air dont elle -consentait à y venir qu'elle était moins fâchée de m'y suivre qu'elle ne -l'aurait été si, en lui promettant d'être sage, je ne lui avais pas -donné un prétexte pour s'y laisser conduire. Que je me rappelle avec -plaisir ces traits charmants de mon enfance! l'habitude d'accorder tout -à mes passions et l'usage immodéré des plaisirs n'ont point émoussé ma -sensibilité pour ces précieux instants de ma vie. - -Nous entrâmes dans ma chambre sans avoir été aperçus; je tenais Suzon -par la main, elle tremblait; je marchais sur la pointe des pieds, elle -m'imitait: je lui fis signe de ne point parler, et, la faisant asseoir -sur mon lit, je m'approchai doucement de la cloison: personne n'y était -encore. Je dis d'une voix basse à Suzon que l'on ne tarderait pas à -venir. Mais que veux-tu donc me montrer? me demanda-t-elle, intriguée -par mes façons mystérieuses.--Tu vas le voir, répondis-je: et -sur-le-champ, en avancement du privilège que je comptais que cette vue -allait me donner, je la renversai sur mon lit, en tâchant de lui glisser -la main sur les cuisses. Je n'en étais pas encore à la jarretière, -qu'elle se leva avec action, et dit qu'elle ferait du bruit si j'étais -assez hardi pour la toucher. Elle alla même jusqu'à faire semblant de -vouloir sortir: je pris cette grimace pour une marque de colère, et je -fus assez simple pour m'imaginer qu'elle voulait effectivement se -retirer. J'étais interdit, le coeur me battait, à peine osais-je -répondre; et quoique ce ne fût qu'en bégayant, je persuadai facilement -une fille qui aurait été bien fâchée que mon silence l'eût mise dans la -nécessité de joindre l'effet à la menace: elle consentit à rester. -J'allais désespérer de pouvoir venir à bout de mon entreprise, quand -j'entendis ouvrir la porte de la chambre d'Ambroise. Le coeur me revint, -et j'attendais avec impatience que la curiosité de Suzon fît pour moi ce -que je n'avais pu faire moi-même.--Les voici! lui dis-je en lui faisant -signe de se taire et en la remuant sur le lit; les voici, ma chère -Suzon! Je m'approchai aussitôt de la cloison; j'écartai l'image qui -dérobait à mes regards ce qui se passait dans la chambre, et j'aperçus -le père qui prenait sur la gorge de Toinette des gages peu équivoques de -sa bonne volonté. Immobiles, serrés étroitement l'un contre l'autre et -recueillis en eux-mêmes, il semblait qu'ils voulussent, par une profonde -méditation, se remplir de la grandeur des mystères qu'ils allaient -célébrer. Attentif à leurs mouvements, j'attendais qu'ils les -poussassent un peu plus loin pour faire signe à Suzon d'avancer. -Toinette, ennuyée de la longue méditation, se débarrassa la première des -bras du moine, et, jetant corset, jupe, chemise, tout à bas, parut telle -que la bienséance du mystère l'exigeait. Ah! que j'aimais à la voir dans -cet état! Ma fureur amoureuse, que les combats de Suzon n'avaient fait -qu'irriter, redoubla d'un degré à cette vue. - -Suzon, que mon attention rendait impatiente, avait quitté le lit et -s'était approchée de moi. J'étais si fort occupé que je ne m'en étais -pas aperçu.--Laisse-moi donc voir aussi! me dit-elle en me repoussant un -peu. Je ne demandais pas mieux. Je lui cédai aussitôt mon poste et me -tins à côté d'elle pour examiner sur son visage les impressions qu'y -produirait le spectacle qu'elle allait voir. Je m'aperçus d'abord -qu'elle rougissait; mais je présumai trop de son penchant à l'amour pour -craindre que cette vue ne produisît un effet contraire à celui que j'en -espérais. Elle resta. Curieux alors de savoir si l'exemple opérait, je -commençai par lui couler la main sous la jupe. Je ne trouvai plus qu'une -résistance médiocre; elle se contentait de me repousser seulement la -main, sans l'empêcher de monter jusqu'aux cuisses, qu'elle serrait -étroitement. Ce n'était qu'aux transports des combattants que j'étais -redevable de la facilité que je trouvais à les desserrer insensiblement. -J'aurais calculé le nombre de coups que donnaient ou recevaient la père -et Toinette par celui des pas que ma main, plus ou moins pressée, -faisait sur ses charmantes cuisses. Enfin, je gagnai le but. Suzon -m'abandonna tout, sans pousser plus loin sa résistance; elle écartait -les jambes pour laisser à ma main la facilité de se contenter. J'en -profitai, et portant le doigt à l'endroit sensible, à peine pouvait-il y -entrer. Sentant que l'ennemi s'était emparé de la place, elle -tressaillit, et ses tressaillements se renouvelaient au moindre -mouvement de mon doigt.--Je te tiens, Suzon! lui dis-je alors; et levant -son jupon par derrière, je vis, ah! je vis le plus beau, le plus blanc, -le mieux tourné, le plus ferme, le plus charmant petit cul qu'il soit -possible d'imaginer. Non, aucun de ceux à qui j'ai fait le plus de fête, -aucun n'a jamais approché du cul de ma Suzon. Fesses divines dont -l'aimable coloris l'emportait sur celui du visage; fesses adorables, sur -lesquelles je collai mille baisers amoureux, pardonnez si je ne vous -rendis pas alors l'hommage qui vous était dû. Oui, vous méritiez d'être -adorées; vous méritiez l'encens le plus pur; mais vous aviez un voisin -trop redoutable. Je n'avais pas encore le goût assez épuré pour -connaître votre véritable valeur: je le croyais seul digne de ma -passion. Cul charmant, que mon repentir vous a bien vengé! Oui, je -conserverai toujours votre mémoire! Je vous ai élevé dans mon coeur un -autel où tous les jours de ma vie je pleure mon aveuglement! J'étais à -genoux devant cet adorable petit cul, l'embrassais, le serrais, -l'entr'ouvrais, m'extasiais; mais Suzon avait mille autres beautés qui -piquaient ma curiosité. Je me levai avec transport, fixai mes regards -avides sur deux petits tétons durs, fermes, bien placés, arrondis par -l'amour. Ils se levaient, se baissaient, haletaient et semblaient -demander une main qui fixât leur mouvement. J'y portais la mienne, je -les pressais. Suzon se laissait aller à mes transports. Rien ne pouvait -l'arracher au spectacle qui l'attachait. J'en étais charmé; mais son -attention était bien longue pour mon impatience. Je brûlais d'un feu qui -ne pouvait s'éteindre que par la jouissance. J'aurais voulu voir Suzon -toute nue, pour me rassasier de la vue d'un corps dont je baisais, dont -je maniais de si charmantes parties. Cette vue était capable de -satisfaire mes désirs. Mais bientôt j'éprouvai le contraire en -déshabillant Suzon, sans qu'elle s'y opposât. Nu de mon côté, je -cherchais les moyens d'assouvir ma passion, je n'avais pas assez de -force pour la presser. Mille et mille baisers répétés, les marques les -plus vives de l'amour étaient mille fois au-dessus de ce que je sentais. -Je tâchais de le lui mettre, mais l'attitude était gênante: il fallait -le mettre par derrière. Elle écartait les jambes, les fesses, mais -l'entrée était si petite, que je n'en pouvais venir à bout. J'y mettais -le doigt et l'en retirais couvert d'une liqueur amoureuse. La même cause -produisait sur moi le même effet. Je faisais de nouveaux efforts pour -prendre dans ce charmant endroit la même place que mon doigt venait d'y -occuper, et toujours même impossibilité, malgré les facilités qu'on me -donnait.--Suzon, dis-je, enragé de l'obstacle que son opiniâtre -attention apportait à mon bonheur, laisse-les; viens, ma chère Suzon, -nous pouvons avoir autant de plaisir qu'eux. Elle tourna les yeux sur -moi; ils étaient passionnés. Je la prends amoureusement entre mes bras, -je la porte sur mon lit, je l'y renverse; elle écarte les cuisses, mes -yeux se jettent avec fureur sur une petite rose vermeille qui commence à -s'épanouir. Un poil blond, et placé par petits toupets, commençait à -ombrager une motte dont le pinceau le plus délicat rendrait faiblement -la blancheur vive et animée. Suzon, immobile, attendait avec impatience -des marques de ma passion plus sensibles et plus satisfaisantes. Je -tâchai de les lui donner; je m'y prenais fort mal: trop bas, trop haut, -me consumant en efforts inutiles. Elle me le mit. Ah! Que je sentais -alors qu'il était dans le véritable chemin! Une douleur, que je ne -comptais pas trouver sur une route que je croyais couverte de fleurs, -m'arrêta d'abord. Suzon en ressentit une pareille; mais nous ne nous -rebutâmes pas. Suzon tâchait d'élargir le passage; je m'efforçais, elle -me secondait. Déjà j'avais fait la moitié de ma course. Suzon roulait -sur moi des yeux mourants; son visage était enflammé, ne respirait que -par intervalles, et me renvoyait une chaleur prodigieuse. Je nageais -dans un torrent de délices; j'en espérais encore de plus grandes, je me -hâtais de les goûter. O ciel! des moments si doux devaient-ils être -troublés par le plus cruel des malheurs! Je poussais avec ardeur; mon -lit, ce malheureux lit, témoin de mes transports et de mon bonheur, nous -trahit: il n'était que de sangle; la cheville manqua, il tomba et fit un -bruit affreux. Cette chute m'eût été favorable, puisqu'elle m'avait fait -entrer jusqu'où je pouvais aller, quoique avec une extrême douleur pour -tous les deux. Suzon se faisait violence pour retenir ses cris. -Effrayée, elle voulait s'arracher de mes bras; furieux d'amour et de -désespoir, je ne la serrais que plus étroitement. Mon opiniâtreté me -coûta cher. - -Toinette, avertie par le bruit, accourut, ouvrit et nous vit. Quel -spectacle pour une mère! une fille, un fils! La surprise la rendit -immobile; et comme si elle eût été retenue par quelque chose de plus -puissant que ses efforts, elle ne pouvait avancer. Elle nous regardait -avec des yeux enflammés par la lubricité; ouvrant la bouche pour parler, -la voix expirait sur ses lèvres. - -Suzon était tombée en faiblesse; ses yeux tendres se fermaient, sans -avoir ni le courage, ni la force de se retirer. Je regardais -alternativement Toinette et Suzon, l'une avec rage, l'autre avec -douleur. Enhardi par l'immobilité où l'étonnement semblait retenir -Toinette, je voulus en profiter, je poussai; Suzon donna alors un signe -de vie, jeta un profond soupir, rouvrit les yeux, me serra en donnant un -coup de cul. Suzon goûtait le souverain plaisir; elle déchargeait: ses -ravissements me faisaient plaisir; j'allais les partager, Toinette -s'élança au moment où je sentais les approches du plaisir; elle -m'arracha des bras de ma chère Suzon. Pourquoi n'avais-je pas assez de -force pour me venger? Le désespoir me l'ôta sans doute, puisque je -restai immobile dans les bras de cette marâtre jalouse. - -Le père Polycarpe, aussi curieux que Toinette, accourut dans cet -intervalle, et ne demeura pas moins surpris qu'elle à la vue du -spectacle qui s'offrait à ses yeux, surtout de Suzon nue, couchée sur le -dos, se passant un bras sur les yeux et portant la main de l'autre à -l'endroit coupable, comme si une telle posture eût pu dérober ses -charmes aux regards du moine lascif. Il les porta d'abord sur elle. Les -miens y étaient fixés comme sur leur centre, et ceux de Toinette -l'étaient sur moi. La surprise, la rage, la crainte, rien ne m'avait -fait débander. J'avais le vit décalotté et plus dur que le fer. Toinette -le regardait. Cette vue obtint ma grâce et me réconcilia avec elle. Je -sentais qu'elle m'entraînait doucement hors de la chambre. J'étais -troublé, ne sachant ce que je faisais. Nu comme j'étais, je la suivis -sans y penser, et cela se fit sans bruit. - -Toinette me mena dans sa chambre et en ferma la porte aux verrous. La -crainte me retira alors de mon étourdissement. Je voulus fuir: je -cherchai quelque refuge qui pût me dérober au ressentiment de Toinette. -N'en trouvant pas, je me jetai sous le lit. Toinette reconnut le motif -de ma frayeur et tâcha de me rassurer.--Non, Saturnin, me dit-elle; non, -mon ami, je ne veux pas te faire de mal. Je ne la croyais pas sincère et -je ne sortais pas de ma place. Elle vint elle-même pour m'en tirer; -voyant qu'elle tendait les bras pour m'attraper, je me reculais: mais -j'eus beau faire, elle me prit, par où, par le vit! Il n'y eut plus -moyen de m'en défendre. Je sortis ou plutôt elle m'attira, car elle -n'avait pas lâché prise. - -La confusion de paraître _in naturalibus_ ne m'empêcha pas d'être -surpris de trouver Toinette toute nue, elle qui, un moment avant, -s'était offerte à mes yeux dans un état presque décent. Mon vit -reprenait dans sa main ce que la crainte lui avait fait perdre de sa -force et de sa roideur. Avouerai-je mon faible? En la voyant, je ne -pensai plus à Suzon: Toinette seule m'occupait. Bandant toujours fort, -et mes craintes subordonnées à la passion, j'étais bien en peine. -Toinette me serrait le vit, et moi je regardais son con. Que fait ma -ribaude? elle se couche sur le lit et m'entraîne avec elle.--Viens donc, -petit couillon, mets-le-moi, là, bon! Je ne me fis pas prier davantage, -et, ne trouvant pas de grandes difficultés, je le lui enfonçai jusqu'aux -gardes. Déjà disposé par le prélude que j'avais fait avec Suzon, je -sentis bientôt un flux de délices qui me fit tomber sans mouvement sur -la lubrique Toinette, qui, remuant avec agilité la charnière, reçut les -prémices de ma virilité... C'est ainsi que, pour mon premier coup -d'essai, je fis cocu mon père putatif; mais qu'importe? - -Quelle foule de réflexions pour ces lecteurs dont le tempérament froid -et glacé n'a jamais ressenti les fureurs de l'amour! Faites-les, -messieurs, ces réflexions; donnez carrière à votre morale; je vous -laisse le champ libre, et ne veux vous dire qu'un mot. En bandant aussi -fort que je bandais, vous foutriez, quoi? le diable! - -J'allais répéter un aussi charmant exercice, quand nous fûmes -interrompus par un bruit sourd qui partait de ma chambre. Toinette, qui -comprit de quoi il s'agissait, se leva en criant au père de finir. Elle -se rhabilla aussitôt, me dit de me remettre sous le lit et courut pour -empêcher que les choses ne fussent poussées plus loin. - -A peine eut-elle le dos tourné, que je volai au trou. J'aperçus le moine -qui tenait dans ses bras Suzon qui s'était rhabillée, mais dont le -cotillon et la chemise étaient levés. Le froc du moine l'était aussi, et -je jugeai que le bruit ne venait que de l'extrême grosseur du membre de -sa révérence, qui faisait sans doute des efforts inutiles pour le faire -entrer dans un endroit qui n'était pas fait pour lui. Le débat finit à -l'aspect de Toinette qui fondit sur les combattants, arracha Suzon des -bras de l'incestueux célestin, et lui donna, avec deux ou trois -soufflets, la liberté de sortir. Il semblait que l'action vigoureuse que -Toinette venait de faire l'eût épuisée, et qu'il ne lui restât plus -assez de force pour marquer son mécontentement au père Polycarpe: elle -le regardait tout essoufflée. Un moine ne manque guère d'impudence; -cependant celle du père ne tint pas contre la honte d'avoir été pris en -flagrant délit, peut-être contre la crainte des reproches dont il -croyait que Toinette allait l'accabler, ou plutôt contre l'idée -d'infamie dont il croyait qu'un moine devait être noté, quand il -entreprenait d'exploiter une fille sans en venir à bout. Il rougissait, -il pâlissait, et n'osait presque regarder Toinette qui, de son côté, -paraissait agitée des mêmes mouvements. Moi, de mon trou, je les -examinais attentivement et m'attendais à être bientôt spectateur de -quelque crise violente; je le craignais. Que je les connaissais peu l'un -et l'autre! Le moine paraissait confus, mais il ne débandait pas: un -moine débande-t-il jamais? Toinette paraissait furieuse, mais elle -regardait le vit du moine. Son faible était toujours de sacrifier toute -sa colère à cette vue; mon exemple devait m'avoir préparé à lui voir une -pareille indulgence pour le père. Le raccommodement fut bientôt fait. Le -moine s'approcha d'elle, et j'entendis qu'il lui disait, en lui mettant -en main son joyeux aiguillon: Si je n'ai pas pu foutre la fille, du -moins je foutrai la mère. Oh! pour cette insulte, Toinette était -toujours prête à la lui pardonner; elle s'offrit même de bonne grâce -pour victime à la fureur amoureuse du moine; il la saisit, il -l'embrassa, et, tombant l'un sur l'autre sur les débris de mon lit, ils -scellèrent leur réconciliation par une copieuse décharge; du moins j'eus -lieu de le juger aux transports du père et aux serrements du cul de -Toinette. - -Pendant ce temps-là, allez-vous demander, que faisait ce petit bougre de -Saturnin? Se contentait-il de regarder comme un sot par le trou, sans se -joindre du moins en idée aux caresses des deux champions? Belle demande! -Saturnin était nu, il était encore en feu des caresses que Toinette lui -avait faites; le spectacle qu'il avait devant les yeux l'échauffait -encore: que vouliez-vous qu'il fît? Il se branlait: il enrageait de voir -le moine sur Toinette, sans pouvoir en tirer sa part, et le petit coquin -déchargeait au moment où sa mère serrait le cul et où le père se pâmait. -Vous voilà instruit; revenons à nos gens. - ---Eh bien, dit le moine, trouves-tu que je fasse cela aussi bien que -Saturnin?--Que Saturnin! répondit-elle; moi, j'ai fait quelque chose -avec Saturnin? Bon! le petit fripon n'a-t-il pas été se cacher sous le -lit où il est encore? Mais, patience; laissez venir Ambroise, les -étrivières ne lui manqueront pas; il les aura, et de la bonne façon! -J'écoutais ce colloque: jugez s'il dut me faire plaisir! Redoublant mon -attention, j'entendis le père qui répliquait: Là, là, Toinette, ne nous -fâchons pas; vous savez qu'il ne doit pas toujours demeurer ici; il est -assez grand à présent, n'est-il pas vrai? Je veux l'emmener quand je -partirai.--Mais, reprit Toinette, vous ne songez pas que si ce petit -coquin restait ici, nous ne pourrions plus rien faire? Cela babille, et -je me doute qu'il nous a découverts. Justement! poursuivit-elle en -voyant le trou de la cloison. Ah! mon Dieu! je n'avais pas encore -remarqué ce trou. Il aura tout vu par là, le petit chien! Je jugeai -qu'elle allait venir vérifier son doute, et vite je me refourrai sous le -lit, d'où je ne sortis plus, quelque envie que j'eusse d'entendre le -reste d'une conversation qui m'intéressait si fort. Je me tins coi, et -j'attendis avec impatience le résultat de leurs discours. Je n'attendis -pas longtemps. On vint me tirer de ma prison; je tremblais que ce ne fût -Ambroise. S'il m'avait vu là, quelle scène pour moi! C'était Toinette -qui m'apportait mes habits, et qui me dit de m'habiller au plus tôt. Je -ne la regardais que de travers, après ce que je lui avais ouï dire à mon -sujet. Je me hâtai de faire ce qu'elle me disait en bravant ses menaces. -Elle s'habillait aussi, et se mettait même sur son propre. J'eus bientôt -fait de mon côté, et elle du sien.--Allons, Saturnin, me dit-elle, venez -avec moi. Force me fut de la suivre. Où me mena-t-elle? Chez M. le curé. - -La vue du presbytère me fit trembler. Le pasteur me visitait souvent le -derrière, chose que, par parenthèse, il ne haïssait pas, et je craignais -fort que ce ne fût encore pour lui procurer le même divertissement que -l'on me menait chez lui. Je n'osais pas tout à fait laisser voir mes -craintes à Toinette. Si elle sent que j'ai peur, me disais-je, elle -réveillera le chat qui dort, et ne manquera pas de saisir l'occasion. -Mais pourquoi m'amène-t-elle ici? je n'en sais rien; faisons de -nécessité vertu: entrons toujours. - -J'entrai, et j'en fus quitte pour la peur; car Toinette, en me -présentant au saint homme, le pria de vouloir me garder pendant quelques -jours chez lui. L'expression de quelques jours me rassura. Bon! dis-je -en moi-même, et quand ces quelques jours seront passés, le père -Polycarpe m'emmènera avec lui. Plein de cet espoir, je me familiarisais -plus aisément avec ma retraite, sur le motif de laquelle je n'osais -réfléchir sans être saisi de douleur. Suzon, chère Suzon, je te perdrai -donc pour toujours? m'écriai-je dans un coin de la salle où je m'étais -d'abord retiré par frayeur et où je restais par goût, parce que j'y -rêvais à mon aise. A quoi? A Suzon. L'agitation où j'étais depuis -quelques heures ayant suspendu ce que je sentais pour elle, quand je fus -revenu à moi-même, son idée m'occupa tout entier. Le coeur me saignait -quand je pensais que j'allais la perdre. Mon imagination se repaissait -de tous ses charmes, parcourait les beautés de son corps, ses cuisses, -ses fesses, sa gorge, ses petits tétons blancs et durs, que j'avais -baisés tant de fois. Je me rappelai le plaisir que j'avais eu avec elle, -et, pensant à celui que j'avais pris avec Toinette: Qu'eût-ce donc été, -disais-je, si je l'eusse goûté sur Suzon! Je me suis pâmé sur Toinette, -je serais mort sur Suzon. Ah! je n'aurais pas de regret à la vie, si je -la perdais dans ses bras. Mais que sera-t-elle devenue? Exposée aux -fureurs de Toinette, elle va mourir de chagrin. Peut-être pleure-t-elle -à présent, peut-être me maudit-elle. Suzon pleure, et j'en suis cause; -Suzon me maudit, elle jure de me haïr. Pourrai-je vivre si elle me hait, -moi qui l'adore, moi qui souffrirais tout pour lui épargner le moindre -chagrin? Hélas! elle prévoyait notre malheur et c'est moi qui l'y ai -plongée! Telles étaient les pensées qui m'agitaient alors; j'étais dans -une mélancolie dont je ne sortis qu'au son d'une clochette qui m'avertit -qu'on avait servi le souper; on vint m'appeler. Laissons pour un moment -Suzon; nous la retrouverons toujours; elle joue un rôle assez important -dans ces mémoires. Allons prendre un repas et faisons connaître quelques -bévues des originaux avec qui j'étais; commençons par le curé. - -M. le curé était une de ces figures qu'on ne saurait regarder sans avoir -envie de rire; haut de quatre pieds, le visage large d'un demi et -enluminé d'un rouge foncé qui ne lui venait pas de boire de l'eau; un -nez épaté, surmonté de rubis, de petits yeux noirs et vifs ombragés -d'épais sourcils; un front petit, le poil frisé comme un barbet; -joignez-y un air goguenard et malin, voilà M. le curé. Avec cela le -coquin avait de bonnes fortunes; plus d'une m'en aurait encore dit des -nouvelles dans le village. Il cultivait volontiers la vigne du Seigneur; -il faisait le petit célestin. Ces magots-là sont d'ordinaire de -vigoureux sires à ce jeu, et notre curé ne manquait pas, je crois, de -ces talents, qui valent mieux qu'une belle figure, quand il est permis -de les faire valoir. - -Passons au second cartouche du tableau célestin de la maison du curé, et -disons un mot de sa respectable gouvernante. - -Madame Françoise était une vieille sorcière plus maligne qu'un vieux -singe, plus méchante qu'un vieux diable. Otez cela, c'était la bonté -même. Son visage portait bien cinquante bonnes années. La coquetterie -est de tout pays et de toute condition: la vieille ne s'en donnait pas -trente-cinq. Mais, malgré ses discours, elle était canonique, et si -canonique, que, depuis quinze ans qu'elle était au service de M. le -curé, elle l'avait garanti des retraites incommodes qu'il avait coutume -de faire au séminaire, au moins deux ou trois fois chaque lustre, -disgrâces qui avaient dégoûté le patron de la jeunesse; et quoique la -dame Françoise eût les yeux bordés de rouge, le nez barbouillé de tabac, -la bouche fendue jusqu'aux oreilles, et qu'elle n'eût plus dans cette -bouche que quelques dents mal assurées, M. le curé, par reconnaissance -pour ses services passés, ne démentait en rien son estime et, qui plus -est, ses caresses pour elle. Madame Françoise était surintendante de la -maison; tout passait par ses mains, jusqu'à l'argent des pensionnaires -qui n'en sortait guère. Elle ne parlait jamais du curé qu'en nom -collectif; apportait-on de quoi dire une messe:--Nous vous la dirons! -Donnait-on quelque chose de moins:--A ce prix nous n'en disons pas!--Eh! -Mme Françoise (madame gros comme le bras: elle se serait offensée en -cette honorable qualité), eh! madame Françoise, je n'ai pas -davantage!--Séant; comment donc, vous croyez apparemment qu'on nous -donne cela! il faut du vin, des cierges; et notre peine, la comptez-vous -pour rien? - -A l'ombre de l'union qui régnait entre Françoise et le curé, croissait -une fille, soi-disant nièce du curé, mais qui lui appartenait de plus -près que par la qualité de nièce. C'était une grosse joufflue, un peu -picotée de petite vérole, fort blanche, et une gorge adorable; un nez -tirant sur celui du curé, aux rubis près, qu'elle n'avait pas encore, -mais beaucoup de dispositions pour en avoir un jour; des yeux petits, -mais ardents; il n'aurait tenu qu'à elle de passer pour rousse, si elle -n'avait pas su que cette couleur était proscrite et que le blond est -plus séant pour les belles; comme elle croyait l'être, elle en prenait -les attributs. Ce n'est pas que le blond ou le roux eussent fort -inquiété certain grand coquin d'écolier de philosophie qui venait -quelquefois passer huit ou dix jours au presbytère, moins par amitié -pour le curé que pour sa charmante nièce, que le maraud serrait de près, -et de si près que... Mais il n'est pas encore temps de raconter ce qui -m'arriva à ce sujet. - -Mademoiselle Nicole (c'était le nom de cette aimable personne), telle -que je viens de vous la présenter, était l'objet des tendres voeux de -tous les pensionnaires. Les externes voulaient aussi s'en mêler; les -grands étaient assez bien reçus, les petits fort mal. Je n'étais pas des -plus grands, par malheur pour moi. Ce n'est pas que je n'eusse plusieurs -fois tenté de pousser ma pointe auprès de cette pouponne, mais mon âge -parlait contre moi. Plus je protestais que je n'étais jeune que par la -figure, moins on me croyait; et pour finir de me désespérer, on confiait -mes entreprises amoureuses à Mme Françoise, qui les confiait à M. le -curé, et celui-ci ne me ménageait pas. J'enrageais d'être petit, car je -voyais bien que c'était là la cause de mes malheurs. - -La difficulté de réussir auprès de Nicole m'avait dégoûté. Des rebuts de -la part de la nièce, des étrivières de la part du curé, il n'y avait pas -moyen d'y tenir. Tout cela n'avait pas éteint mes désirs; ils n'étaient -que cachés, la présence de Nicolle les ralluma. Il ne leur manqua plus -qu'une occasion d'éclater; elle ne tarda pas à venir, l'ordre des faits -exige que cette aventure n'aille qu'à son tour, et son tour n'est pas -encore venu: c'est celui de Mme Dinville. - -Je n'avais pas oublié que cette dame m'avait fait promettre d'aller -dîner avec elle le lendemain. Je me couchai, résolu à lui tenir parole, -et on juge bien que le jour ne changea rien à ma résolution. Si on me -demandait si c'était véritablement pour Mme Dinville que je voulais -aller au château, à cela je ne saurais que répondre. En général, je -dirais que l'idée du plaisir m'y conduisait; mais je sentais que ce -plaisir, présenté par Suzon, me serait plus sensible que si je le -recevais de Mme Dinville. L'espoir d'y trouver ma Suzon n'était pas sans -vraisemblance; voici comme je raisonnais: Pourquoi m'a-t-on mis chez M. -le curé? C'est parce que le père Polycarpe s'est douté que Toinette m'a -donné une leçon qui n'est pas de son goût; et c'est dans la crainte que -je m'accoutumasse à ces leçons, qu'il a jugé à propos de me mettre ici. -Toinette a bien vu autre chose de la part du père; elle a donc pour le -moins autant de raisons d'éloigner Suzon du moine, que le moine en a eu -de m'éloigner de Toinette. Si Suzon est au château, il y a de petits -bois dans le jardin: je l'engagerai à y venir. La petite friponne est -amoureuse, elle m'y suivra; je la tiendrai à l'écart, nous serons seuls, -nous n'aurons rien à craindre. Ah! que de plaisirs je vais goûter! Ces -agréables idées me conduisirent jusqu'au château. J'entrai. - -Tout était calme chez Mme Dinville. Je ne trouvai personne sur mon -passage, ce qui me fit traverser plusieurs appartements. Je n'entrais -dans aucun sans sentir mon coeur agité par l'espoir de voir Suzon et la -crainte de ne pas la trouver. Elle sera dans celui-ci, disais-je; Ah! je -vais la voir: personne; dans un autre de même. J'arrivai ainsi jusqu'à -une chambre dont la porte était fermée, mais la clef y était. Je n'étais -pas venu si loin pour reculer, j'ouvris: ma hardiesse fut un peu -déconcertée à la vue d'un lit où je jugeai qu'il devait y avoir -quelqu'un couché. Je me retirais, quand j'entendis une voix de femme -demander qui c'était, et en même temps je reconnus Mme Dinville. Je me -disposais à sortir, mais sa gorge m'en ôta le pouvoir.--Eh! c'est mon -ami Saturnin, s'écria-t-elle; viens donc m'embrasser, mon cher enfant. -Aussi hardi après ces paroles que j'étais timide auparavant, je me -précipitai dans ses bras. J'aime, me dit-elle d'un air de satisfaction, -après m'être acquitté d'un devoir où le coeur avait eu plus de part que -la politesse, j'aime qu'un jeune garçon obéisse ponctuellement. A peine -eut-elle achevé ces mots que je vis sortir d'un cabinet de toilette un -petit homme à figure minaudière qui écorchait d'un ton de fausset l'air -d'une chanson nouvelle alors; il en marquait la cadence par des -pirouettes qui répondaient à merveille aux bizarres accents de sa voix. -A la brusque apparition de cet Amphion moderne,--c'était un abbé,--je -rougis pour Mme Dinville des marques indiscrètes de bienveillance -qu'elle venait de me donner, et, pour mon propre compte, du motif de -celles dont j'avais payé les siennes; mais je me vengeai bientôt du -trouble qu'il venait de me causer par le jugement que je portai sur lui. -La situation où l'on se trouve influe souvent sur la façon de penser. Je -ne doutai pas que mon arrivée imprévue n'eût dérangé une partie qui ne -souffre de tiers qu'à titre d'importun. Pouvais-je, en effet, penser -qu'un homme pût se trouver seul avec une femme sans lui faire ce que -j'aurais fait moi-même? - -Craignant qu'il n'eût pénétré le sujet de ma visite, je n'osais pas le -regarder. Si la curiosité m'excitait à l'envisager, la crainte de -rencontrer sur son visage quelque sourire malin, me faisait baisser la -vue aussitôt. Je n'y trouvai pourtant pas ce que je craignais, et -perdant l'habitude de le regarder comme un témoin redoutable, je ne vis -en lui qu'un importun fait pour gêner les plaisirs dont mon imagination -se repaissait. - -Je l'examinais avec attention, et, réfléchissant sur sa qualité d'abbé, -j'en cherchais dans sa personne des marques justificatives. J'avais sur -le mot abbé des idées extrêmement bornées, m'imaginant que tous les -abbés devaient être faits comme M. le curé ou comme M. le vicaire; et -j'avais peine à concilier l'air bonhomme que je leur connaissais avec -les pétulantes extravagances de celui que j'avais devant moi. - -Ce petit Adonis, nommé l'abbé Fillot, était le receveur des tailles de -la ville voisine, homme fort riche, Dieu sait aux dépens de qui. Il -revenait de Paris, ainsi que la plupart des sots de sa trempe, plus -chargé de fatuité que de doctrine. Il avait accompagné Mme Dinville à sa -campagne, dans l'intention de la réjouir. Écolier, abbé, tout était bon -pour elle. - -La dame sonna, on vint: c'était Suzon. Mon coeur tressaillit à sa vue; -j'étais charmé que mes conjectures se trouvassent aussi heureuses. Elle -ne m'aperçut pas d'abord, parce que j'étais caché par les rideaux du -lit, sur lequel Mme Dinville m'avait fait asseoir, situation que, par -parenthèse, M. l'abbé commençait à ne pas trouver à son gré. Il avait -peine à souffrir la petite liberté que Mme Dinville me donnait, et je -voyais qu'il taxait de mauvais goût la complaisance qu'elle me -témoignait. - -Suzon s'avança, elle me vit. Dans le moment, ses belles joues -s'animèrent des plus vives couleurs; elle baissa les yeux, l'agitation -lui coupa la parole. J'étais dans un état peu différent du sien, excepté -qu'elle baissait les yeux, et que les miens étaient fixés sur elle. Les -charmes de Mme Dinville, dont elle ne me ménageait pas la vue, sa gorge, -ses tétons et les autres parties de son corps, dont un drap jaloux -dérobait, à la vérité le spectacle à mes yeux, mais n'en rendait la -peinture que plus vive à mon imagination, tout cela avait fait dans mon -coeur des impressions qui tournèrent à l'instant au profit de Suzon. -Mais la réflexion corrigea bientôt un sentiment trop précipité et me -ramena, non pas tout à coup, à mon caractère dominant. - -Si j'eusse eu le choix de Suzon ou de Mme Dinville, je n'aurais pas -balancé: Suzon avait la pomme; mais on ne me présentait pas -l'alternative. La possession de Suzon n'était pour moi qu'une espérance -bien incertaine, et la jouissance de Mme Dinville était presque une -certitude, ses regards m'en assuraient. Ses discours, quoique gênée par -la présence du petit abbé, ne détruisaient pas l'espoir que ses yeux me -laissaient concevoir. Suzon, après avoir été chargée d'avertir une femme -de chambre, sortit, et son départ commença à restituer à Mme Dinville -des désirs qui lui appartenaient, puisqu'ils étaient son ouvrage. - -Je restai cependant si troublé, les mouvements de mon coeur, combattus -et détruits alternativement par deux causes qui l'intéressaient -également, l'une par l'idée du plaisir, l'autre par celle de ce même -plaisir, mais accompagné de quelque chose de plus touchant, étaient dans -une si grande confusion, que je ne m'aperçus pas de la brusque -disparition de l'abbé. Mme Dinville l'avait bien vu sortir; mais, -s'imaginant que je l'avais vu aussi, elle ne croyait pas qu'il fût -besoin de m'en faire souvenir. Elle se pencha sur mon coussin, et, me -regardant avec une douce langueur qui me disait inutilement qu'il ne -tenait qu'à moi de devenir heureux, elle me prenait tendrement la main -qu'elle me pressait dans la sienne, en la laissant de temps en temps -tomber d'un air indifférent sur ses cuisses, qu'elle serrait et -desserrait avec un mouvement lascif. Ses regards accusaient ma timidité, -et semblaient me reprocher que je n'étais pas le même que la veille. -Toujours préoccupé de la pensée que l'abbé nous examinait, je restai -dans une défiance niaise qui l'impatienta.--Tu dors, Saturnin? me -dit-elle. Un galant de profession aurait profité de l'occasion pour -débiter une tirade d'impertinences. Je ne l'étais pas, je n'en dis -qu'une: Non, madame, je ne dors pas. Quoique cette réponse innocente -diminuât de beaucoup l'idée que mon effronterie de la veille avait pu -lui donner de mon savoir, elle ne fit pas de tort à sa bonne volonté -pour moi: elle fit un effet tout contraire; elle me donna un nouveau -titre à ses yeux, me fit regarder comme un novice, morceau délicat pour -une femme galante dont l'imagination est voluptueusement flattée par -l'idée d'un plaisir qui doit augmenter la vivacité des transports -qu'elle ressent. C'est ainsi que pensait Mme Dinville, c'est ainsi que -pensent toutes les femmes. Mon indifférence lui fit connaître que sa -façon d'attaquer glissait sur moi, et qu'il fallait quelque chose de -plus frappant pour m'émouvoir. Elle me lâcha la main, et, étendant les -bras avec un mouvement étudié, elle m'étala une partie de ses charmes. -Leur aspect me tira de mon engourdissement; je me réveillai, la vivacité -reparut sur mon visage, l'idée de Suzon se dissipa: mes yeux, mes -regards, mon impatience, tout fut pour Mme Dinville; s'apercevant de -l'effet de sa ruse, et pour exciter mes feux, elle me demanda ce -qu'était devenu l'abbé. J'eus beau regarder, je ne le voyais pas; je -sentis ma sottise.--Il est sorti, reprit-elle; et, affectant de jeter un -peu son drap, en se plaignant de la chaleur, elle me découvrit une -cuisse extrêmement blanche, sur le haut de laquelle un bout de chemise -paraissait mis exprès pour empêcher mes regards d'aller plus loin, ou -plutôt à dessein d'exciter ma curiosité. J'entrevis pourtant quelque -chose de vermeil qui me mit dans un trouble dont elle reconnut le motif. -Elle recouvrit adroitement l'endroit qui avait fait tout l'effet qu'elle -espérait. Je lui pris la main, qu'elle m'abandonna sans résistance; je -la baisai avec transport; mes yeux étaient enflammés, les siens -brillants et animés. Les choses se disposaient à merveille; mais il -était écrit que, malgré les plus belles occasions, je ne serais pas -heureux. Une maudite femme de chambre arriva dans le temps qu'on n'avait -pas besoin d'elle. Je lâchai vite la main, la soubrette entra en riant -comme une folle; elle se tint un moment à la porte, pour se dédommager, -par l'abondance de ses éclats, de la gêne que la présence de sa -maîtresse allait lui faire.--Qu'avez-vous donc? lui dit Mme Dinville -d'un air sec.--Ah! madame, répondit-elle, monsieur l'abbé...--Eh bien, -qu'a-t-il fait? reprit sa maîtresse. Dans le moment rentre l'abbé en se -cachant le visage avec son mouchoir. Les ris de la suivante augmentèrent -à sa vue.--Qu'avez-vous donc? lui demanda Mme Dinville.--Regardez mon -visage, répondit-il, et jugez de l'ouvrage de Mlle Suzon.--De Suzon? -reprit Mme Dinville en éclatant à son tour.--Voilà ce que coûte un -baiser, poursuivit-il froidement; ce n'est pas l'acheter trop cher, -comme vous voyez. L'air aisé avec lequel l'abbé nous parlait de son -malheur me fit rire comme les autres. Il soutint sur le même ton les -railleries peu ménagées de Mme Dinville. Elle s'habilla: l'abbé, malgré -le mauvais état de son visage, fit le coquet à la toilette, contrôla la -coiffure et divertit madame, qui riait de ses balivernes. La suivante -pestait contre ses corrections, et moi je riais de la figure du petit -homme. Allons dîner. - -Nous étions quatre à table, Mme Dinville, Suzon, l'abbé et moi. Qui fit -une sotte figure? Ce fut moi, quand je me trouvai vis-à-vis de Suzon; -l'abbé, qui était à son côté, faisait bonne mine à mauvais jeu, et -voulait persuader à madame Dinville que ses traits railleurs n'étaient -pas capables de le déconcerter. Suzon n'était guère moins confuse. Je -voyais pourtant dans ses regards furtifs qu'elle aurait voulu que nous -eussions été seuls. Sa vue m'avait encore rendu infidèle à Mme Dinville, -et je désirais sortir de table pour essayer de nous dérober. Le dîner -fini, je fis signe à Suzon: elle m'entendit, et sortit. J'allais la -suivre; Mme Dinville m'arrêta, en m'annonçant que je lui servirais -d'écuyer à la promenade. Se promener à quatre heures après midi dans -l'été, cela parut extravagant à l'abbé; mais ce n'était pas pour lui -plaire qu'elle le faisait. Elle ne voulait pas exposer le teint de -l'abbé à l'ardeur du soleil; aussi prit-il le parti de rester. J'aurais -bien voulu ne pas suivre Mme Dinville, pour courir vers Suzon; mais je -me crus obligé de sacrifier mon envie à la déférence dont je devais -payer l'honneur qu'on me faisait. - -Suivis des yeux par l'abbé, qui se pâmait de rire, nous marchions avec -une gravité concertée au milieu des parterres, sur lesquels le soleil -dardait ses rayons. Mme Dinville ne leur opposait qu'un simple éventail, -et moi l'habitude. Nous fîmes plusieurs tours avec une indifférence qui -désespérait l'abbé. Je ne pénétrais pas encore le dessein de la dame, et -je ne concevais pas comment elle pouvait résister à une chaleur que je -trouvais insupportable. Ma qualité d'écuyer me pesait, et j'y aurais -volontiers renoncé: mais j'ignorais les fonctions de cet emploi, et on -m'en réservait une qui devait me consoler de l'ennui de la première. - -L'abbé s'étant retiré, nous nous trouvâmes au bout de l'allée. Mme -Dinville gagna un petit bosquet dont la fraîcheur nous promettait une -promenade charmante, si nous y restions. Je le lui dis.--Soit, me -répondit-elle, en cherchant à pénétrer dans mes yeux si je n'étais pas -au fait du motif de sa promenade. Elle n'y vit rien. Je ne m'attendais -pas au bonheur qui m'était préparé. Elle me serrait affectueusement; et, -penchant sa tête près de mon épaule, approchait son visage si près du -mien que j'aurais été un sot si je n'y eusse pris un baiser, on me -laissa faire, je réitérai; même facilité, j'ouvris les yeux. Oh! pour le -coup, dis-je, c'est une affaire faite; nous n'aurons pas ici -d'importuns. Ayant pénétré ma pensée, nous nous engageâmes dans un -labyrinthe dont l'obscurité nous dérobait aux yeux des plus -clairvoyants. Elle s'assit à l'abri d'une charmille; j'en fis autant, et -me mis à côté d'elle. Elle me regarda, me serra la main et se coucha. Je -crus que l'heure du berger allait sonner, et déjà je préparais -l'aiguille, quand tout à coup elle s'endormit. Je crus d'abord que ce -n'était qu'un assoupissement qu'il me serait facile de dissiper; mais -voyant qu'il augmentait, je me désespérais d'un sommeil qui me devenait -suspect. Encore, disais-je, si elle avait satisfait mes désirs, je lui -pardonnerais! Mais s'endormir au moment du triomphe, je ne pouvais m'en -consoler. Je l'examinais avec douleur: elle avait les mêmes habits que -la veille; sa gorge était découverte, elle y avait mis son éventail, -qui, suivant les mouvements du sein, se soulevait assez pour m'en -laisser voir la blancheur et la régularité. Pressé par mes désirs je -voulais la réveiller: mais je craignais de l'indisposer et de perdre -l'espoir dont son réveil me flattait encore. Je cédai à la démangeaison -de porter la main sur sa gorge. Elle dort trop pour se réveiller, -disais-je. Quand elle se réveillerait, mettons les choses au pis, elle -me grondera, voilà tout! Essayons. Je portai une main tremblante sur un -téton, tandis que je regardais son visage, prêt à finir au moindre signe -qu'elle ferait; elle n'en fit pas, je continuai. Ma main ne frisait pour -ainsi dire que la superficie de son sein, comme une hirondelle qui rase -l'eau en y trempant ses ailes. Bientôt j'ôtai l'éventail, je pris un -baiser: rien ne la réveilla. Devenu plus hardi, je changeai de posture, -et mes yeux, animés par la vue des tétons, voulurent descendre plus bas. -Je mis la tête aux pieds de la dame, et, le visage contre terre, je -cherchai à pénétrer dans le pays de l'amour; mais je ne vis rien. Ses -jambes croisées et sa cuisse droite collée sur sa gauche mettaient mes -regards en défaut. Ne pouvant voir, je voulus toucher. Je coulai la main -sur la cuisse et j'avançai jusqu'au pied du mont. Déjà je touchais à -l'entrée de la grotte, et je croyais y borner mes désirs. Parvenu à ce -point, je ne m'en trouvai que plus malheureux. J'aurais voulu rendre mes -yeux participants des plaisirs de ma main; je la retirai, et je me mis à -ma place pour examiner de nouveau le visage de ma dormeuse. Il n'était -point altéré; le sommeil semblait avoir versé sur elle ses pavots les -plus assoupissants. J'entrevoyais cependant un oeil dont le clignotement -m'inquiétait. Je m'en défiais, et si dans l'instant il se fût fermé, -peut-être me serais-je contenté de ce que j'avais fait; mais -l'immobilité de cet oeil suspect me rendit la confiance. Je retournai à -mon poste inférieur, et commençai à lever doucement le jupon. Elle fit -un mouvement, je la crus réveillée. Je me retirai précipitamment, et, le -coeur saisi de frayeur, je me remis à ma place sans oser la regarder; -mais cette contrainte ne fut pas longue; mes yeux retournèrent sur elle; -je reconnus avec plaisir que le mouvement qu'elle avait fait ne venait -pas de son réveil, et je remerciai la fortune de mon heureuse situation. -Ses jambes étaient décroisées, son genou droit élevé, et le jupon tombé -sur son ventre, et je vis ses cuisses, ses jambes, sa motte, son con! Ce -spectacle me charma. Un bas, proprement tiré, noué, sur le genou, avec -une jarretière feu et argent, une jambe faite au tour, un petit pied -mignon, une mule, la plus jolie du monde, des cuisses, ah! des cuisses -dont la blancheur éblouissait, rondes, douces, fermes, un con d'un rouge -de carmin entouré de petits poils plus noirs que le jais, et d'où -sortait une odeur plus douce que celle des parfums les plus délicieux! -J'y mis le doigt, je le chatouillai un peu; le mouvement qu'elle avait -fait ayant écarté ses jambes, j'y portai aussitôt la bouche en tâchant -d'y enfoncer la langue. Je bandais d'une extrême force. Ah! les -comparaisons l'exprimeraient mal! Rien ne put alors m'arrêter: crainte, -respect, tout disparut. En proie aux désirs les plus violents, j'aurais -foutu la sultane favorite en présence de mille eunuques, le cimeterre -nu, et prêts à laver mes plaisirs dans mon sang. J'enconnai Mme Dinville -sans m'appuyer sur elle, crainte de la réveiller. Appuyé sur mes deux -mains, je ne la touchais qu'avec mon vit; un mouvement doux et réglé me -faisait avaler à longs traits le plaisir: je n'en prenais que la fleur. - -Les yeux fixés sur ceux de ma dormeuse, je collai de temps à autre ma -bouche sur la sienne: La précaution que j'avais prise de m'appuyer sur -mes mains ne tint pas contre mon ravissement. Plus d'attention, je me -laissai tomber sur elle; il ne fut plus en mon pouvoir de faire autre -chose que la serrer et la baiser avec fureur. La fin du plaisir me -rendit l'usage de mes yeux, que le commencement m'avait ôté; elle me -rendit le sentiment que j'avais perdu: je ne le recouvrai que pour avoir -des transports de Mme Dinville que je n'étais plus en état de partager. -Elle venait de croiser les mains sur mes fesses, et, élevant le -derrière, qu'elle remuait avec vivacité, m'attirait sur elle de toute sa -force. J'étais immobile, et je lui baisais encore la bouche avec un -reste de feu que le sien commençait à rallumer.--Cher ami, me dit-elle à -demi-voix, pousse encore un peu, ah! ne me laisse pas en chemin. Je me -remis au travail avec une ardeur qui surpassa la sienne, car, à peine -eus-je donné cinq ou six coups, qu'elle perdit connaissance. Plus animé -que jamais, je doublai le pas, et, tombant sans mouvement dans ses bras, -nous confondîmes nos plaisirs dans nos embrassements. Revenus de notre -extase, quand je me retirai, ce ne fut pas sans confusion. Je baissais -la vue, la dame avait les yeux tournés sur moi et m'examinait. J'étais -sur mon séant; elle me passa une main sur le col, me fit recoucher sur -l'herbe, et porta l'autre main à mon vit: elle se mit à le baiser.--Que -veux-tu donc faire, grand innocent? me dit-elle; as-tu peur de me -montrer un vit dont tu te sers si bien? Te cachai-je quelque chose, moi? -Tiens, vois mes tétons, baise-les; mets cette main-là dans mon sein, -bon; et celle-ci, porte-la à mon con, à merveille! Ah! fripon, que tu me -fais de plaisir! Animé par ses caresses, j'y répondais avec ardeur; mon -doigt s'acquittait bien de sa fonction: elle roulait des yeux passionnés -et soupirait beaucoup; ma cuisse droite était passée dans les siennes; -elle la serrait avec tant de plaisir que, se laissant tomber sur moi, -elle m'en donna des preuves parlantes. - -Mon vit avait repris toute sa roideur, mes désirs renaissaient avec une -nouvelle vivacité. Je me mis à mon tour à l'embrasser, à la serrer dans -mes bras. Elle ne me répondait que par des baisers. J'avais toujours le -doigt dans son con; je lui écartai les jambes en regardant ce charmant -endroit avec complaisance. Ces approches du plaisir sont plus piquantes -que le plaisir même. Est-il possible d'imaginer quelque chose de plus -délicieux que de manier, que de considérer une femme qui se prête à -toutes les postures que notre lubricité peut inventer? On se perd, on -s'abîme, on s'anéantit dans l'examen d'un joli con, on voudrait n'être -qu'un vit pour pouvoir s'y engloutir. Pourquoi n'a-t-on pas la prudence -de s'en tenir à ce charmant badinage? L'homme, insatiable dans ses -désirs, en forme de nouveaux dans le sein des plaisirs mêmes; plus les -plaisirs qu'il goûte sont vifs, plus les degrés qu'ils font naître sont -violents. Découvrez une partie de votre gorge à votre amant, il veut la -voir tout entière; montrez-lui un petit téton blanc et dur, il veut le -toucher: c'est un hydropique dont la soif s'accroît en buvant; -laissez-le lui toucher, il voudra le baiser; laissez-lui porter la main -plus bas, il voudra y porter son vit: son esprit ingénieux à forger de -nouvelles chimères, ne lui laissera pas de repos qu'il ne vous l'ait -mis. S'il vous le met, qu'arrive-t-il? Semblable au chien de la fable, -il lâche l'os pour prendre l'ombre, il perd tout en voulant tout avoir. -Tout cela est excellent, mais, après tout, il en faut toujours revenir -au proverbe: _Vit bandant n'a point d'arrêt_; et moi-même qui prêche ici -comme un docteur, hélas! si le ciel l'avait voulu, je serais le premier -à faire le contraire de ce que je dis. S'il se présentait une femme dans -l'attitude où j'avais mis madame Dinville, les jambes écartées, me -montrant un con rouge et vermeil, où il ne tiendrait qu'à moi de me -plonger dans la source des plaisirs, m'amuserai-je à lanterner, à -baisoter, à chatouiller, à la foutaise, enfin? Non, parbleu! je la -foutrais _sonica_. Jugez, si je fus longtemps à coniller autour de ma -fouteuse. Je l'enconnai vigoureusement; elle, vive et infatigable, -m'embrassa en répondant avec un mouvement égal aux coups que je lui -donnais. J'avais les mains croisées sous ses fesses; elle avait les -siennes croisées sur les miennes; je la serrais avec transport, elle me -serrait de même; nos bouches étaient collées l'une sur l'autre; elles -étaient deux cons, nos langues se foutaient; nos soupirs poussés et -confondus l'un dans l'autre, nous causaient une douce langueur qui fut -bientôt couronnée par une extase qui nous enleva, qui nous anéantit. - -On a raison de dire que la vigueur est un présent du ciel. Libéral -envers ses fidèles serviteurs, il consent que leurs rejetons participent -à cette libéralité, et que la force génitale soit héréditaire, et passe -des moines à leurs enfants: c'est le seul patrimoine qu'ils laissent. -Hélas! je l'ai promptement dissipé ce patrimoine! Mais n'anticipons pas -sur les événements; retarder le récit de son malheur, c'est en adoucir -le sentiment. - -Toute l'étendue du don du ciel m'était nécessaire pour sortir à mon -honneur de l'aventure où j'étais engagé. Si j'avais à faire à forte -partie je pouvais sans vanité m'appliquer les paroles du Cid: - - Je suis jeune, il est vrai, mais aux âmes bien nées - La valeur n'attend pas le nombre des années. - -J'en avais jusqu'alors donné les marques les plus vigoureuses à Mme -Dinville; mais il semblait que son courage s'accrût avec ma résistance, -et elle s'aperçut bientôt que je ne battais plus qu'en retraite, elle -m'excitait, elle m'animait à lui porter de nouveaux coups; elle s'y -présentait, et contribuait par ses caresses à me procurer une nouvelle -victoire. Je recommençais à la regarder avec langueur; je retrouvais du -plaisir à lui baiser la gorge: je lui grattais le con avec plus de -vitesse, je soupirais. Elle s'aperçut de l'heureuse disposition où ses -caresses m'avaient mis. Ah! fripon! me dit-elle en me baisant les yeux, -tu bandes; qu'il est gros! qu'il est long! Coquin! tu feras fortune avec -un tel vit. Eh bien, veux-tu recommencer, dis! Je ne lui répondis qu'en -la renversant. Attends donc, reprit-elle, attends, mon ami, je veux te -donner un plaisir nouveau, je veux te foutre à mon tour: couche-toi -comme je l'étais tout à l'heure. Je me couchai aussitôt sur le dos; elle -monta sur moi, me prit elle-même le vit, me le plaça, et se mit à -pousser. Je ne remuais pas; elle faisait tout, et je recevais le -plaisir. Je la contemplais, elle interrompit son ouvrage pour m'accabler -de baisers; ses tétons cédaient au mouvement de son corps et venaient se -reposer sur ma bouche. Une sensation voluptueuse m'avertit de l'approche -du plaisir. Je joignis mes élancements à ceux de ma fouteuse, et nous -nageâmes bientôt dans le foutre. Brisé par les assauts que j'avais reçus -et livrés depuis près de deux heures, le sommeil me gagna. Mme Dinville -me plaça elle-même la tête sur son sein, et voulut que je goûtasse les -douceurs du sommeil dans un endroit où je venais de goûter celles de -l'amour.--Dors, me dit-elle, mon cher amour; dors tranquillement; je me -contenterai de te voir. Je dormis d'un profond sommeil, et le soleil -s'approchait de l'horizon quand je me réveillai. Je n'ouvris les yeux -que pour envisager Mme Dinville, qui me regardait d'un air riant. Elle -s'était occupée à faire des noeuds pendant mon sommeil. Elle interrompit -son ouvrage pour me glisser la langue dans la bouche, elle le laissa -bientôt, dans l'espérance que j'allais l'occuper à faire des noeuds -d'une autre espèce. Elle ne me cacha point ses désirs et me pressa de -les satisfaire. J'étais d'une nonchalance qui irritait son impatience. -Je n'avais pourtant ni dégoût, ni envie; je sentais que s'il eût dépendu -de moi, j'aurais préféré le repos à l'action. Ce n'était pas là le -dessein de la dame, qui m'accablait en vain de caresses brûlantes et -voulait réveiller en moi des désirs que je n'avais plus. Elle s'y prit -d'une autre façon pour animer ma chaleur éteinte. Elle se coucha sur le -dos, et se troussa. Elle connaissait combien une semblable vue avait de -pouvoir sur moi, et, me prenant le vit, elle me branlait avec plus ou -moins de vitesse, proportionnément aux degrés de volupté qu'elle sentait -naître. Elle en vint enfin à son honneur: je bandai, elle triomphait. Le -retour de ma virilité la réjouit beaucoup. Charmé moi-même de l'effet de -ses caresses, je lui donnai des marques de reconnaissance qu'elle reçut -avec fureur. Elle me serrait, s'élançait avec des mouvements si -passionnés que je déchargeai soudain, et avec tant de plaisir que je -voulus du mal à mon vit de l'obstacle qu'il avait apporté par sa lenteur -à la jouissance. Afin de tromper la vigilance des curieux, nous -quittâmes le gazon où nous venions de nous livrer aux plaisirs de -l'amour; nous fîmes quelques tours dans le jardin, et ces tours ne se -firent pas sans causer.--Que je suis contente de toi, mon cher Saturnin, -me disait Mme Dinville, et toi?--Moi, lui répondis-je, je suis enchanté -des plaisirs que vous venez de me faire goûter!--Oui, reprit-elle, mais -je ne suis guère sage de m'être ainsi livrée à tes désirs; sauras-tu -être discret, Saturnin?--Ah! vous ne m'aimez guère, lui dis-je, puisque -vous me croyez capable d'abuser de vos bontés. Contente de ma réponse un -tendre baiser en aurait été le prix si nous n'avions pas été aperçus. -Elle me serra la main contre son coeur, et me regarda d'un air de -langueur qui me charma. - -Nous allions vite; la conversation était tombée, et je m'aperçus que Mme -Dinville jetait un oeil inquiet de côté et d'autre. Je n'avais garde -d'en pénétrer la cause, ne la soupçonnant pas; vous ne l'auriez pas -soupçonnée vous-même, et vous ne vous seriez pas attendu qu'après avoir -travaillé comme nous l'avions fait, la dame ne fût pas contente de sa -journée. L'envie de la couronner avec honneur la rendait attentive à -examiner si quelque indiscret ne viendrait pas y mettre obstacle. Mais, -direz-vous, elle avait donc le diable au cul? D'accord; elle venait de -sucer ce pauvre petit bougre; il n'en pouvait plus; il était rendu, cela -est vrai; mais comment a-t-elle fait pour le faire bander? Oh! c'est ce -que je vais vous démontrer. - -En garçon qui commençait à savoir son monde, puisque je venais d'y faire -une entrée assez brillante, j'aurais manqué à mon devoir si je n'avais -pas conduit Mme Dinville dans son appartement. Je me préparais à lui -tirer ma révérence, à l'embrasser pour la dernière fois de la journée, -quand elle me dit: Tu veux t'en aller, mon ami? il n'est pas huit -heures: va, reste, je ferai la paix avec ton curé. (Je lui avais dit que -j'étais un des pensionnaires de M. le curé.) L'idée du presbytère me -chagrinait, et je n'étais pas fâché que Mme Dinville m'épargnât une -heure de dégoût. Nous nous assîmes sur son canapé, et, après avoir fermé -sa porte, elle me prit une main qu'elle pressa dans les siennes et me -regarda fixement, sans mot dire. Ne sachant que penser de ce silence, -elle le rompit en me disant: tu ne te sens donc plus d'envie? Mon -impuissance me rendait muet; je rougissais de ma faiblesse. Nous sommes -seuls, Saturnin, reprit-elle en redoublant ses caresses; personne ne -nous voit: déshabillons-nous et couchons-nous sur mon lit. Viens, mon -fouteur, que je te fasse bander! Elle me porta sur son lit, m'aida à me -déshabiller, et me vit bientôt dans l'état qu'elle me désirait, nu comme -la main. Je la laissais faire, plutôt par complaisance que par l'idée du -plaisir. Elle me renverse, me couvre de baisers, me suce le vit, et -aurait voulu le faire entrer jusqu'aux couilles dans sa bouche. Elle -semblait extasiée dans cette posture, me couvrait d'une salive semblable -à de l'écume; mais elle employait en vain toute la chaleur de ses -caresses pour ranimer un corps glacé par l'épuisement. A peine mon vit -se redressait-il, et c'était si faiblement, que, n'en pouvant tirer -aucun service, elle courut d'abord chercher dans une cassette une petite -fiole de liqueur blanchâtre qu'elle versa dans le creux de sa main, et -m'en frotta les couilles et le vit à plusieurs reprises. Va, me dit-elle -alors avec satisfaction, nos plaisirs ne sont pas encore passés: tu m'en -diras tout à l'heure des nouvelles. Sa prédiction s'accomplit; je sentis -bientôt des picotements dans les couilles qui commencèrent à me faire -entrevoir la possibilité de la réussite de son secret. Pour lui donner -le temps d'opérer, elle se déshabilla à son tour. A peine se fut-elle -montrée nue à mes yeux qu'une chaleur prodigieuse m'enflamma le sang, -mon vit banda, mais d'une force inexprimable. Je devins enragé et, -m'élançant sur elle, à peine lui donnai-je le temps de se mettre en -posture. Je la dévorais; je ne voyais plus, ne connaissais plus rien: -toutes mes idées étaient concentrées dans son con. Arrête, mon amour! -s'écria-t-elle en s'arrachant de mes bras; ne nous pressons pas si fort; -ménageons nos plaisirs, et, puisqu'ils ne durent qu'un instant, -rendons-les vifs et délicieux. Mets ta tête à mes pieds, et tes pieds à -la mienne. Je le fis. Mets ta langue dans mon con, ajouta-t-elle, et moi -je vais mettre ton vit dans ma bouche. Nous y voilà! Cher ami, que tu me -fais de plaisir! Dieux! qu'elle m'en faisait aussi! Mon corps étendu sur -son corps nageait dans une mer de délices; je lui dardais ma langue le -plus avant que je pouvais; j'aurais voulu y mettre la tête, m'y mettre -tout entier! Je suçais son clitoris; j'allais chercher un nectar -rafraîchissant jusqu'au fond de son con, plus délicieux mille fois que -l'imagination des poètes faisait servir sur la table des dieux par la -déesse de la jeunesse, à moins que ce ne fût le même et que la charmante -Hébé ne leur donnât son conin à sucer. Si cela est, tous les éloges -qu'ils ont donnés à cette boisson divine sont bien au-dessous de la -réalité. Quelque critique de mauvaise humeur m'arrêtera ici tout court -et me dira: Que buvaient donc les déesses? Elles suçaient le vit de -Ganimède! Mme Dinville me tenait le derrière serré et je pressais ses -fesses: elle me branlait avec la langue et avec les lèvres, je lui en -faisais autant; elle m'avertissait, par de petites secousses et en -écartant les cuisses, du plaisir qu'elle ressentait, et les mêmes signes -qui m'échappaient lui faisaient connaître celui que j'avais. Modérant ou -augmentant la vivacité de nos caresses, nous plongions ou nous avancions -celui qui devait y mettre le comble; il vint insensiblement; alors, nous -roidissant, nous serrant avec plus de force, il semblait que nous -eussions ramassé toutes les facultés de l'âme pour ne nous occuper que -des délices que nous allions goûter. - - Loin d'ici, fouteurs à la glace, - Dont le vit, effrayé d'aller jusqu'à deux coups, - Mollit au premier choc et déserte la place; - Loin d'ici: mes transports ne sont plus faits pour vous. - -Nous déchargeâmes en même temps; je pressai dans ce moment, je couvris -avec mes lèvres tout le con de ma fouteuse; je reçus dans ma bouche tout -le foutre qui en sortait: je l'avalai; elle en fit autant de celui qui -sortait de mon vit. Le charme se dissipa; je ne gardai du plaisir que je -venais d'avoir qu'une légère idée qui s'évanouit comme l'ombre. Tels -sont les plaisirs. - -Retombé dans le même état de dégoût et d'affaiblissement dont le secret -de Mme Dinville m'avait retiré, je la pressai d'y recourir encore.--Non, -mon cher Saturnin; je t'aime trop pour vouloir te donner la mort. Sois -content de ce que nous avons fait. Je n'étais pas pressé de mourir, et -un plaisir qu'il me fallait acheter aux dépens de ma vie n'était plus de -mon goût. Nous nous rhabillâmes. - -J'étais trop content de ma journée pour négliger de prendre des -assurances d'en passer encore de semblables. Mme Dinville, qui n'était -pas plus mal satisfaite que moi, me prévint: Quand reviendras-tu? me -demanda-t-elle en m'embrassant.--Le plus tôt que je pourrai, lui -répondis-je, mais jamais assez tôt pour mon impatience; demain, par -exemple?--Non, me dit-elle en souriant, je te donne deux jours: reviens -le troisième, et le jour que tu viendras, continua-t-elle en rouvrant la -cassette d'où elle avait tiré l'eau admirable dont j'avais éprouvé la -vertu, et en me donnant quelques pastilles qu'elle y prit, tu auras soin -de manger cela. Surtout, Saturnin, sois discret; ne parle à personne de -tout ce que nous avons fait. Je l'assurai du secret et l'embrassai pour -la dernière fois, la laissant bien persuadée qu'elle venait de recevoir -mon pucelage. - -Mme Dinville était restée dans son appartement. Elle m'avait averti de -faire en sorte que l'on ne m'aperçût pas: l'obscurité me favorisait. Je -traversais une antichambre, quand je me vis arrêté, par qui: par Suzon. -Sa vue me rendit immobile: il semblait que sa présence me reprochât les -plaisirs que je venais de goûter. Mon imagination, d'intelligence avec -mon coeur pour m'accabler, la rendait témoin de tout ce que je venais de -faire. Elle me prit la main, et demeura sans parler. La confusion me -faisait baisser la vue. Inquiet cependant de son silence, je ne confiai -qu'à mes yeux le soin de lui en demander la cause; je les levai sur -elle, je m'aperçus qu'elle versait des larmes. Ce spectacle me perça le -coeur. Suzon y reprit dans le moment l'empire que les caresses de Mme -Dinville lui avaient enlevé. Je ne pouvais concevoir que sa maîtresse -eût fasciné mes yeux et mon coeur au point de ne voir qu'elle, de n'être -sensible qu'au plaisir d'être avec elle, et j'avais la simplicité de -regarder comme l'effet de quelque sortilège ce qui n'était que l'effet -de mon tempérament et de l'attrait des plaisirs.--Suzon, dis-je à ma -soeur d'un ton pénétré, tu pleures, ma chère Suzon; tes yeux se couvrent -de larmes quand tu me vois; est-ce moi qui les fais couler?--Oui, c'est -toi, me répondit-elle; je rougis de te l'avouer, cruel Saturnin, oui, -c'est toi qui me les arraches; c'est toi qui me désespères et qui vas me -faire mourir de douleur.--Moi, m'écriai-je; juste ciel! Suzon, oses-tu -me faire de pareils reproches? Les ai-je mérités, moi qui t'aime?--Tu -m'aimes, reprit-elle: ah, je serais trop heureuse si tu disais vrai! -Mais peut-être viens-tu de jurer la même chose à Mme Dinville. Si tu -m'aimais, l'aurais-tu suivie? N'aurais-tu pas imaginé un prétexte pour -venir me trouver quand je suis sortie? Vaut-elle mieux que moi? Qu'as-tu -fait avec elle toute l'après-dînée? Qu'as-tu dit? Pensais-tu à Suzon qui -t'aime plus que sa vie? Oui. Saturnin, je t'aime; tu m'as inspiré une si -forte passion, que je mourrais de douleur si tu n'y répondais pas. Tu te -tais? poursuivit-elle; ah! je le vois, ton coeur ne se faisait pas de -violence pour suivre une rivale que je vais haïr à la mort. Elle t'aime, -je n'en saurai douter; tu l'aimes aussi: tu n'étais occupé que du -plaisir qu'elle te promettait, tu ne songeais guère à la douleur que tu -m'allais causer. Attendri par ses reproches, je ne pus dissimuler à -Suzon qu'ils déchiraient mon coeur.--Cesse tes plaintes, lui dis-je; -n'accable plus ton malheureux frère; tes larmes le désespèrent; je -t'aime plus que moi-même, plus que je ne peux te dire!--Ah! reprit-elle, -tu me rends la vie, et je consens à oublier ton injure si tu me promets -de ne plus voir Mme Dinville. As-tu assez d'amour pour ta Suzon pour la -lui sacrifier:--Oui, lui répondis-je, je te la sacrifie; tous ses -charmes ne valent pas un seul de tes baisers. En lui disant cela, je -l'embrassais, et elle ne rebutait pas mes caresses.--Saturnin, -reprit-elle en me serrant tendrement la main, sois sincère: Mme Dinville -aura exigé de toi que tu reviennes la voir: quand t'a-t-elle dit de -revenir?--Dans trois jours, lui répondis-je.--Et tu viendras, Saturnin? -me dit-elle tristement.--Que dois-je faire? lui répliquai-je. Si je -viens, ce sera pour la désespérer par mon indifférence; si je ne viens -pas, qu'il en coûtera à mon coeur de ne pas voir Suzon!--Je veux que tu -reviennes, reprit-elle, mais il ne faudra pas qu'elle te voie; je ferai -semblant d'être malade; je resterai au lit, nous passerons la journée -ensemble; mais, ajouta-t-elle, tu ne sais pas où est ma chambre? -Suis-moi: je vais t'y conduire. Je me laissai mener; j'étais tremblant, -je pressentais le malheur qui m'allait arriver.--Voici, me dit Suzon, -mon appartement. Regretterais-tu d'y passer la journée avec moi? Ah! -Suzon, lui répondis-je, quelles délices tu me promets! Nous serons -seuls, nous nous abandonnerons à nos amours! Suzon, conçois-tu ce -bonheur comme moi? Elle se taisait et paraissait rêver profondément; je -la pressai de s'expliquer.--Je t'entends, me dit-elle d'un ton -d'indignation; tandis que nous serons seuls, que nous nous livrerons à -l'amour, ah! Saturnin, que tu parles de ce jour avec indifférence, et -que les plaisirs qu'il te promet te touchent peu, si tu as la force de -les attendre deux jours! - -Je sentis son reproche: l'impossibilité de lui en prouver l'injustice me -désespérait, je maudissais les plaisirs que je venais de goûter avec Mme -Dinville. Ciel! m'écriai-je, je suis avec Suzon, j'aurais donné mon sang -pour jouir de ce bonheur! J'y suis, et je n'ai pas la force de former un -désir! Au milieu de cette confusion de pensées, je me ressouvins des -pastilles que Mme Dinville m'avait données. Je jugeai que l'effet devait -en être semblable à celui de son eau. Ne doutant pas qu'il ne fût aussi -prompt, j'en avalai quelques-unes. L'espoir de désabuser bientôt Suzon -me la fit embrasser avec une ardeur qui nous trompa tous deux. Suzon la -prit pour un témoignage de mon amour, et moi, comme une marque de retour -de ma vigueur. Suzon abusée par l'idée du plaisir, tomba sur son lit à -demi pâmée. Quoique je me défiasse encore de moi-même, j'aurais cru -l'accabler de douleur si je ne m'étais pas mis en état de justifier son -espérance. Je me couchai sur elle, et collant ma bouche sur la sienne, -je lui mis mon vit dans la main. Il était encore mou, mais je crus que -son secours hâterait l'effet des pastilles. Elle le serrait, le remuait, -le branlait; rien n'avançait: un froid mortel m'avait glacé le corps! -C'est Suzon, disais-je, que j'embrasse, et je ne bande pas! Je baise ses -tétons que j'idolâtrais hier; ne sont-ils plus les mêmes aujourd'hui? -ils n'ont rien perdu de leur rondeur, de leur dureté, de leur blancheur. -Sa peau est aussi douce, ses cuisses aussi brûlantes. Elle les écarte, -j'ai le doigt dans son con, hélas! et je ne puis y mettre que le doigt! -Suzon soupirait de ma faiblesse; je maudissais le présent de Mme -Dinville. Je m'imaginais qu'elle avait prévu ce qui devait m'arriver en -sortant de chez elle, et avait voulu achever avec ses pastilles -l'épuisement où j'étais. L'opiniâtreté de ma froideur confirma si bien -cette pensée, que j'allais avouer mon impuissance à Suzon, quand je -sortis d'embarras d'une manière inattendue. On va penser que l'amour fit -d'abord un miracle, que je bandai et que je foutis: point du tout; une -main invisible ouvrant avec fracas les rideaux du lit, vint m'appliquer -un soufflet. Effrayé de cet accident, je n'eus pas la force de crier; je -m'enfuis, et laissai Suzon exposée à la fureur du spectre, ne doutant -pas que ce n'en fût un. Je sortis du château en diligence, et tremblais -encore dans mon lit, où je m'étais mis en arrivant chez le curé, à qui -je fis le détail d'un spectacle que je n'avais pas vu et que mon trouble -croyait véritable. Je n'en imposai au curé que sur le lieu de la scène, -que je ne mis pas dans la chambre de Suzon. La frayeur et l'épuisement -me procurèrent un sommeil profond. Je me réveillai avec le même -accablement, et dans l'impossibilité de me lever. Surpris d'une -lassitude que je n'attribuais qu'au plaisir, je connus combien il est -nécessaire de se ménager, et ce que coûte trop de complaisance pour les -désirs de ces sirènes voluptueuses qui vous sucent, qui vous rongent et -qui ne vous lâcheraient qu'après avoir bu votre sang, si leur intérêt -soutenu de l'espérance de vous attirer encore par leurs caresses, ne les -retenait. Pourquoi ne fait-on ces réflexions qu'après coup? C'est qu'en -amour la raison n'éclaire que le repentir. - -Le repos avait effacé de mon esprit ces idées lugubres tracées par la -frayeur. Devenu tranquille sur mon compte, mon coeur ne sentait que les -inquiétudes que lui causait l'incertitude du sort de Suzon. Je me -représentais avec horreur l'état où je l'avais laissée. Elle sera morte, -disais-je tristement; timide comme je la connais, il n'en fallait pas -tant pour la faire mourir. Elle n'est donc plus! continuais-je, accablé -par cette réflexion cruelle. Suzon n'est plus! ah! ciel! Mon coeur, que -ces tristes pensées avaient serré d'abord, s'ouvrit bientôt à un torrent -de larmes; j'en versais encore quand Toinette entra. Sa vue m'épouvanta; -je tremblais qu'elle ne vînt me confirmer un malheur que je craignais, -et je mourais d'envie de l'entendre. Il n'en fut pas question. Son -silence à ce sujet, joint à celui de tout le monde, me fit croire que ma -douleur était sans fondement. Je pensai que Suzon en avait été quitte -comme moi de la frayeur. Le chagrin que j'avais ressenti de sa mort fit -place à la curiosité de savoir ce qui s'était passé dans la chambre -après mon départ; mais c'était une curiosité que je ne pouvais -satisfaire qu'après mon rétablissement. - -Les deux jours de repos que Mme Dinville m'avait accordés étaient -expirés; nous étions au troisième, et quoique je commençasse à me sentir -mieux, je ne fus point tenté d'aller chercher de l'exercice au château. -Je ne songeais cependant qu'avec chagrin à l'obstacle que cette funeste -aventure avait mis au plaisir que je m'étais promis d'avoir avec Suzon. -Cette réflexion me fit penser aux pastilles de Mme Dinville: je mangeai -ce qu'il m'en restait. Je ne dirai pas si leur effet fut vif ou lent; -mais, après avoir profondément dormi, je fus réveillé par la force de -l'érection que je sentais. J'en étais effrayé, et j'aurais craint pour -mes nerfs si la même chose ne me fût pas arrivée chez Mme Dinville. -Qu'on rie de mon embarras; qu'on dise si l'on veut: Eh quoi! brave -Saturnin, n'aviez-vous pas vos quatre doigts et le pouce pour vous -soulager? Comment font ces cafards de prêtres, ces hypocrites dont le -coeur est corrompu? On ne trouve pas toujours un bordel, une dévote sous -la main; mais on a toujours un vit: on s'en sert, on se branle. Je le -savais, mais il n'y avait pas longtemps que, pour m'en être trop donné, -je me trouvais brisé, moulu. En garde contre la tentation, je me -branlotais et faisais venir le plaisir jusqu'à ma portée. Quoiqu'il ne -soit pas si grand que quand on fait le cas, on a toujours la faculté de -le répéter autant de fois qu'on le juge à propos. L'imagination se joue, -voltige sur les objets qui nous charment les yeux. Avec un coup de -poignet, on fout la brune, la blonde, la petite, la grande; les désirs -ne connaissent pas l'intervalle des conditions; ils vont jusque sur le -trône, et les beautés les plus fières, forcées de céder, accordent ce -qu'on leur demande. Du trône on descend à la grisette; on se représente -une fille timide, neuve sur les plaisirs de l'amour et qui ne connaît la -nature des désirs que par ceux qu'elle ressent. On lui donne un baiser; -elle rougit; on lève un mouchoir qui cache une gorge naissante; on -descend plus bas: on y trouve un petit conin chaud, brûlant; on lui fait -faire une résistance que le plaisir augmente, diminue, fait évanouir à -son gré. Le plaisir est vif et pétillant. Semblable à ces feux qui -sortent de la terre, il se montre et s'échappe? l'avez-vous vu? Non; la -sensation qu'il a excitée dans votre âme a été si vive, si rapide, -qu'anéantie par la force de son impulsion elle n'a pu le connaître. Le -vrai moyen de le fixer, c'est de badiner avec lui, de le laisser -échapper, de le retrouver enfin, en vous livrant tout entier à ses -transports. - -J'étais dans cette occupation, la nuit était déjà fort avancée, j'allais -finir mon badinage pour m'abandonner au sommeil, quand j'entrevis -quelqu'un paraître au pied de mon lit et disparaître à l'instant. Je fus -moins effrayé que réveillé par une pareille vision. Je crus que c'était -l'abbé dont je vous ai parlé dans le portrait de mademoiselle Nicole. -C'est lui, disais-je, oui; où va ce bougre-là? Foutre Nicole? Ira-t-il -seul? Non, parbleu! car je vais le suivre. Je me lève; j'étais en habit -de combat, c'est-à-dire en chemise: je savais les êtres. Je gagnai le -corridor où était la chambre de la belle. J'entrai dans une chambre dont -la porte n'était pas fermée; je la repoussai et m'approchai avec -circonspection du lit où je croyais nos amants occupés à prendre leurs -ébats. J'écoutais, j'attendais que des soupirs m'apprissent si mon tour -viendrait bientôt. Quelqu'un respirait; mais ce quelqu'un paraissait -être seul. Ne serait-il pas venu? dis-je alors bien étonné. Non, -assurément il n'y est pas. Oh! parbleu, monsieur l'abbé, vous n'en -tâterez, ma foi! que d'une dent. Dans l'instant, je coulai ma main entre -les jambes de la belle dormeuse, et je lui donnai un baiser sur la -bouche.--Ah! me dit-on d'une voix basse, que vous vous êtes fait -attendre! Je dormais; montez donc. Ma foi! Je montai dans le lit, et -bientôt sur ma Vénus, qui me reçut assez froidement dans ses bras. Je -fus sensible à cette marque d'indifférence qu'elle croyait donner à son -amant, et je m'applaudis du succès que la fortune me donnait, en me -procurant une vengeance aussi douce des mépris de ma tigresse. Je la -baisais à la bouche, lui pressais les yeux avec les lèvres, me livrais à -des transports d'autant plus vifs qu'on leur avait toujours refusé la -liberté d'éclater. Je lui maniais les tétons, qui étaient bien séparés, -bien formés, bien durs. Je nageais dans un fleuve de délices; je fis -enfin ce que j'avais souhaité tant de fois de faire avec divinité. -Assurément, elle ne s'attendait pas à être si bien régalée. A peine -eus-je fini ma carrière, que, me sentant encore plus animé que jamais, -je repris du champ, et je donnai une nouvelle matière à ses éloges. Je -l'avais mise en goût et jugeai par ses caresses qu'elle n'attendait plus -que cette troisième preuve de valeur pour mettre cette nuit au-dessus de -toutes celles qu'elle disait que nous avions passées ensemble. Quoique -je fusse capable de lui donner encore cette nouvelle satisfaction, la -crainte d'être surpris par l'abbé amortit un peu mon courage. Je ne -savais à quoi attribuer sa lenteur. Je ne pouvais en accuser qu'un -changement de résolution. Sur cette pensée, je crus que je pouvais -reprendre haleine et ne pas précipiter mes coups ainsi que je l'avais -fait. - -Deux décharges abattent un peu les fumées de l'amour; l'illusion se -dissipe, l'esprit rentre dans ses fonctions; les nuages s'évanouissent, -les objets cessent d'être ce qu'ils étaient. Les belles y gagnent, les -laides y perdent: tant pis pour elles. Je voudrais en passant donner un -conseil à celles-ci: Laides, quand vous accordez des faveurs à -quelqu'un, ménagez-le, ne l'en accablez pas: quand on n'a plus rien à -désirer, on ne désire plus; la passion s'éteint par une jouissance trop -complète. Prenez-y garde: vous n'avez pas les ressources d'une belle à -qui les charmes promettent le retour de ces désirs qu'elle vient -d'assouvir et que le moindre désir rallume. - -La réflexion que je viens de faire cadre le mieux du monde avec ce que -j'éprouvai. Je m'amusais à parcourir avec la main les beautés de ma -nymphe; j'étais surpris de trouver une différence dans les choses que -j'avais maniées un instant auparavant. Ses cuisses, qui m'avaient paru -douces, fermes, remplies, unies, étaient devenues ridées, molles, -sèches; son con n'était plus qu'une conasse, ses tétons que des -tétasses; ainsi du reste. Je ne pouvais concevoir un pareil prodige; -j'accusais mon imagination de s'être refroidie, je voulais du mal à ma -main du rapport trop fidèle qu'elle lui faisait. Ce n'est pas que ces -témoignages incertains m'eussent empêché de livrer un troisième assaut; -j'allais m'y présenter, et on se préparait à le recevoir, quand nous -entendîmes un charivari dans la chambre voisine, que je prenais pour -celle de la dame Françoise, notre vénérable gouvernante. Ah! le chien! -criait une voix enrouée; Ah! la misérable! ah! la... A ces mots ma -mignonne, que j'allais enconner, me dit: ah! mon Dieu, que fait-on à -notre fille; est-ce qu'on la tue? Allez donc voir. Je ne répondis rien. -Frappé de ce discours, je ne savais où j'en étais: Notre fille, -disais-je; Nicole aurait-elle une fille? Le bruit continuait, et l'on me -pressait d'aller au secours. Je ne m'en remuais pas davantage. On -s'impatiente, on court au fusil, on allume de la chandelle, et à sa -faveur je reconnais la dame Françoise, cette vieille... Je demeurai -pétrifié à la vue de ce fantôme; je vis bien que je m'étais trompé de -porte, et j'étais enragé de me voir la dupe de ce misérable abbé, ou -plutôt de mon impatience qui ne m'avait pas permis de faire attention à -la disposition des lieux. Je jugeai que M. le curé, s'étant trouvé en -humeur de s'ébaudir cette nuit-là avec sa chambrière, l'avait avertie de -se tenir prête pour la danse, et que, me prenant pour le pasteur, elle -m'avait reproché ma lenteur à me rendre à mon poste; que le saint prêtre -pour éviter le scandale, avait attendu que la nuit fût avancée pour -tenir parole à sa beauté; qu'ayant trouvé la porte de la chambre de sa -nièce ouverte, la tendresse l'avait fait courir à son lit, où il l'avait -trouvée en flagrant délit; que, frappé de l'idée d'infamie dont elle -couvrait son front, il avait donné aux combattants des témoignages de sa -colère plus forts que jeu. Mais le bruit redouble, on s'étrangle: eh! -vite, dame Françoise, volez sur le champ de bataille: l'honneur, -l'amour, la tendresse, tout vous en fait une loi; allez séparer des -ennemis dont la mort vous affligerait; mais, au nom de Dieu, laissez la -porte ouverte pour que je me sauve. Oh! la chienne! elle la ferme à -double tour. Malheureux Saturnin, comment vas-tu t'échapper? La dame -Françoise va s'apercevoir que ce n'est pas avec le curé qu'elle a eu -affaire, il va venir, il va te trouver, tu es perdu, tu payeras pour les -autres. Telles étaient les pensées qui m'agitaient tandis qu'on se -chamaillait dans la chambre voisine. Inutilement j'avais essayé de -sortir; réduit à pleurer mon triste malheur, je m'y abandonnais. Insensé -que j'étais, comme si je n'eusse pas déjà éprouvé qu'au sein du malheur -même on ne doit pas désespérer de sa félicité; qu'au moment où l'on se -croit accablé par les coups redoublés du sort nous devons au hasard les -jours les plus fortunés. Divine Providence, c'est par tes décrets que -ces merveilles s'opèrent. - -Au moment où je me livrais au désespoir, la fortune tournait sa roue. Le -bruit avait augmenté à la vue de Françoise, à qui le chandelier tomba -des mains à l'aspect du curé qu'elle prit pour un spectre. Qu'on se -peigne cette scène. Si j'en avais été témoin, j'en épargnerais la peine, -mais la connaissance des parties me met en état de fournir des idées -pour la perfection du tableau. Qu'on se figure M. le curé, nu, en -caleçon, un bonnet gras sur la tête, ses petits yeux étincelants, sa -grande bouche écumante, frappant comme un sourd sur l'abbé et sur la -nièce. Qu'on se représente ces deux amants, la belle tremblante et -s'enfonçant dans son lit, l'abbé se cachant sous la couverture et n'en -sortant que pour allonger de temps en temps des coups de poing sur le -visage du pasteur. Qu'on se trace la figure d'une mégère en chemise, -qui, la chandelle à la main, s'approche, veut crier, demeure interdite, -et tombe de frayeur sur une chaise. - -L'abbé, autant que j'en fus juge par le silence qui régna tout à coup, -craignant d'être découvert, gagna le large. Le curé l'avait suivi. On -ouvrit dans le moment ma porte, et on la referma sur-le-champ. Je -tremblais, on se coucha; nouvelle frayeur. Je crus que c'était -Françoise, et que le curé allait venir. Tout était pourtant calme, et -cette Françoise qui était dans le lit, pleurait et soupirait. J'étais -confus. Que penser de ces pleurs? Pourquoi soupire-t-elle? pourquoi -est-elle revenue? Le curé reviendra-t-il ou non? Ah! que l'incertitude -est une peine cruelle! Je voulais sortir, mais je n'osais: enfin, -j'allais m'évader quand le diable m'arrêta. Mon coeur me disait: Tu vas -te coucher, nigaud, et tu bandes encore! Tu abandonnes Françoise à son -chagrin: crains-tu de la consoler? c'est bien la moindre chose que tu -lui doives; elle t'a comblé de caresses, refuseras-tu d'essuyer ses -larmes? Elle est vieille, d'accord; laide, soit; mais n'a-t-elle pas un -con, nigaud? Ma foi? seigneur Diable, vous avez raison. - - Un con n'est jamais qu'un con; - Quand on bande tout est bon. - -Va, va, continua la voix intérieure, l'orage est passé; il n'y a plus -rien à craindre, remets-toi dans le lit. Je succombai à la tentation, je -m'y remis. Je commençai à me coucher, avec beaucoup de discrétion, sur -le bord; mais toute ma politesse ne put arrêter un cri de frayeur qui -partit et fut dans l'instant étouffé par la crainte d'être entendu. Je -sentis qu'on se retirait dans le coin du lit. Une pareille façon d'agir -augmentait ma surprise. Je crus que je la ferais bientôt cesser, en -expliquant mes intentions, et cette explication fut de porter la main -entre les cuisses de ma vieille: elles étaient redevenues tout ce qu'on -pouvait les souhaiter et pour exciter les plus vives émotions, plus -douces et plus fermes qu'elles ne m'avaient encore paru. Ma main ne s'y -arrêta pas longtemps, quelque plaisir qu'elle y sentît: elle passa au -conin. La motte, le ventre, les tétons, tout était aussi doux, aussi uni -qu'à une jeune fille. Je maniais, je baisais, je suçais, on me laissait -faire, et mon feu ranimant celui de ma belle, elle cessa de soupirer, se -rapprocha de moi et moi d'elle. De la tristesse je la fis passer à -l'amour; je l'enconnai.--Ah! me dit-elle alors, cher abbé, qui t'a -conduit ici? Que ton amour me va coûter de larmes! Quoique attendri par -ce discours, mes transports redoublèrent: je serrai tendrement ma -nymphe, confondis mes soupirs avec les siens, et scellai, par des -élancements de volupté, les délices qui les avaient précédés. L'extase -finie, je me rappelai les paroles qu'on venait de m'adresser. Où -suis-je? me dis-je alors. Est-ce avec Françoise? Quelle différence de -plaisirs! Mais elle me prend pour l'abbé; elle dit que mon amour va lui -faire verser des larmes: partagerait-elle avec Nicole les hommages de ce -faquin-là? Elle est apparemment jalouse, la bonne dame; elle croyait -posséder toute seule le coeur de son mignon. Pourquoi est-elle vieille? -Pourquoi est-elle laide? Malgré sa laideur, j'eus encore assez de -hardiesse pour m'exposer au désagrément de l'examen dont je m'étais si -mal trouvé après les premiers coups. Ma main impatiente brûlait de -retourner sur son corps sec et décharné; et quoique je sentisse que le -dégoût serait le prix de mon imprudence, et que si je voulais courir -encore une poste, le meilleur parti était d'attendre le retour de ma -vigueur, sans la précipiter par un badinage qui pourrait bien au -contraire l'éloigner, je hasardai de porter la main; mais, ô surprise! -partout la même fermeté, le même embonpoint, la même chaleur, la même -douceur! Que veut dire ceci? repris-je alors. Est-ce Françoise? ne -l'est-ce pas? Non assurément, ce ne peut être que Nicole. O ciel! c'est -Nicole! J'en ai pour garants le plaisir qu'elle m'a donné et la -continuation de ce plaisir que je ressens encore à la toucher. Elle se -sera échappée de son lit, aura profité de la faiblesse de Françoise pour -venir se réfugier ici: elle s'imagine que son amant est venu aussi s'y -cacher! Je retrouvais dans cette explication toute naturelle des paroles -qu'elle m'avait adressées. Rempli de cette pensée, je sentis les désirs -qu'elle m'avait autrefois inspirés renaître avec plus de force. Le -croirait-on? J'eus regret aux plaisirs que je croyais n'avoir eus -qu'avec Françoise, parce que c'était autant de diminué sur ceux que -j'allais goûter avec Nicole. Je me mis en état de récompenser le temps -perdu.--Ma chère Nicole, lui dis-je en la baisant tendrement et en -tâchant de contrefaire la voix de l'abbé, de quoi t'occupes-tu? Peux-tu -te laisser aller à la tristesse, quand l'heureux hasard qui nous -rassemble veut que nous nous livrions à notre amour? Foutons, ma chère -enfant; noyons notre malheur dans le foutre!--Que tu me fais de plaisir, -me répliqua-t-elle en répondant à mes caresses! Ta douleur augmentait la -mienne. Oui, profitons du seul moyen que nous ayons de nous consoler. -Arrive tout ce qui pourra, tant que j'aurai cela dans la main, -continua-t-elle en me prenant le vit, je ne craindrai pas la mort même. -N'appréhende pas qu'on vienne nous interrompre, j'ai retiré la clef; ils -ne peuvent entrer qu'en jetant la porte en dedans. Charmé de cette -heureuse précaution inspirée par l'amour, je la caressais avec un -nouveau plaisir; mon vit, qu'elle tenait toujours dans sa main, était -toujours d'une raideur qui l'enchantait. Vite, lui dis-je, mets-le dans -ton cher conin; Nicole, que tu me fais languir! Elle ne se pressait pas, -continuait de serrer mon vit, et paraissait surprise de sa grosseur, -qu'elle prenait pour l'effet de ses caresses. Je voulus le mettre -moi-même.--Attends, mon cher ami, me répondit-elle en me pressant dans -ses bras; laisse-le venir encore plus gros et plus long. Ah! je ne l'ai -jamais vu plus beau: est-il augmenté cette nuit! l'abbé n'était pas -apparemment si bien partagé que moi des dons de la nature. J'aurais ri -de cette pensée de Nicole, si je n'avais pas été en humeur de faire -autre chose.--Ah! que je vais avoir de plaisir! reprit-elle en se le -mettant. Pousse, cher ami, pousse! Il n'était pas besoin de me le dire: -j'enfonçai, et, m'appesantissant sur sa gorge, sur son sein, je les -couvrais de baisers de feu, je restais immobile, j'y mourais.--Fais -donc! me dit Nicole, en se remuant avec des transports qui me tirèrent -de mon assoupissement extatique; fais donc! Je me mis aussitôt à lui -allonger des coups de cul, des coups de vit, qui lui allaient, -disait-elle, jusqu'au coeur. Ah! ceux qu'elle me rendait allaient bien -plus loin! Ils portaient le feu, ils me lançaient des torrents de -délices jusqu'aux parties les plus reculées de mon corps. O décharge! tu -es un rayon de la Divinité, ou plutôt n'es-tu pas la Divinité même? -Pourquoi ne meurt-on pas dans les transports? La mère du dieu des -buveurs ne mourut-elle pas quand Jupiter, cédant à ses instances, la -foutit en dieu? car ne vous y méprenez pas, messieurs les mythologistes, -ce n'est pas l'appareil, l'éclat, ni la majesté du souverain des cieux, -qui ravirent le jour à Sémélé: c'est le foutre embrasé qui sortait de -son vit. Mahomet, j'observe ta loi, je suis ton plus fidèle croyant; -mais tiens-moi parole; fais-moi jouir pendant mille ans des -embrassements continuels du plaisir toujours renaissant de la décharge -délicieuse que tu promets à tes fidèles avec tes houris rouges, -blanches, vertes, jaunes: la couleur n'y fait rien, que je décharge, -c'est tout ce qu'il me faut. - -Nicole était enchantée de moi, j'étais enchanté de Nicole. Quelle -différence entre une vieille et une jeune! Une jeune le fait par amour, -une vieille par habitude. Vieillards, laissez la fouterie à la jeunesse; -c'est un travail pour vous, c'est un plaisir pour elle. - -Mon vit, plus dur qu'il ne l'était avant l'action, restait dans son étui -sans s'amollir. Nicole me serrait avec plus de feu, et le même feu qui -m'animait me la faisait serrer avec plus de roideur encore, elle ne -m'aurait pas lâché pour un trône; je ne l'aurais pas quittée pour -l'empire de l'univers. Bientôt un mouvement nous fit recourir après ce -que nous venions de perdre. L'imprudence est le partage de l'amour; le -bonheur éblouit, on est trop occupé pour penser qu'il puisse s'évanouir. -Nous nous trahîmes par nos transports; le lit était appuyé contre la -cloison de la chambre voisine; nous ne songions pas que Françoise était -dans cette chambre, qu'elle pouvait se réveiller au bruit que nous -faisions par les secousses indiscrètes que nous donnions au lit, qui, -frappant contre cette cloison, l'eût bientôt mise au fait de ce qui se -passait dans la chambre. Plus vite que l'éclair, elle accourt à la -porte; point de clef: comment faire? Appeler Nicole; elle le fit. A -cette voix terrible nous fûmes glacés d'effroi; nous nous arrêtâmes tout -court, et la vieille cessa de crier; mais nous cessâmes bientôt d'être -sages. Trop animés pour rester longtemps dans notre inaction gênante, -nous reprîmes notre ouvrage; mais quoique nous le fissions avec toute la -discrétion possible, la vieille, qui avait l'oreille au guet, ne prit -pas le change. Elle démêla, dans le bruit sourd de nos soupirs et des -mots interrompus qui nous échappaient, le motif de notre silence. -Nouveau tapage. Nicole, criait-elle en frappant contre la cloison, -misérable Nicole, finiras-tu? Nouvelles alarmes de notre part; mais me -mettant bientôt au-dessus de la crainte, je dis à Nicole que, puisque -nous étions découvert, il était inutile de nous gêner. Elle approuva par -son silence cette résolution courageuse, et, me donnant elle-même le -premier coup de cul, en me remettant sa langue dans la bouche, elle me -piqua d'honneur; et tels que des généreux guerriers qui, bravant dans -les lignes le feu d'une artillerie meurtrière braquée contre eux sur un -rempart, continuent tranquillement leur ouvrage et rient du bruit -impuissant du canon qui gronde sur leur tête, nous travaillâmes -intrépidement au bruit des coups que Françoise donnait contre la -cloison. Nous achevâmes; et, soit que l'interruption, soit que le bruit -que la vieille faisait encore eût donné une pointe de vivacité à nos -plaisirs, nous nous avouâmes réciproquement que nous n'en avions pas -encore goûté d'aussi vifs. - -Le faire cinq fois en fort peu de temps, ce n'était pas mal s'en tirer -pour un convalescent, convalescent encore de quelle maladie! Je sentais -cependant que je n'étais pas tout-à-fait hors de combat; il fallait -avoir de la sagesse pour ne pas se laisser aller; je l'eus, cette -sagesse; je triomphai de mon envie. Il faut pourtant convenir que la -réflexion eut bonne part dans ma modération. La dame Françoise pourrait -à la fin s'impatienter de ce petit manège, des honnêtes remontrances -passer aux cris, des cris, que sais-je? sonner le tocsin sur nous, ou -peut-être venir faire sentinelle à notre porte. S'exposer aux risques -d'être arrêtés au passage; mauvaise affaire; rester dans la chambre, -assiégés jusqu'au jour, au bout du compte il en aurait fallu sortir; -Comment? Nus; cela n'aurait pas été honnête, un jeune homme, une jeune -fille dans cet équipage. Le parti le plus sûr était de faire une prompte -retraite; je la fis; mais avant que de gagner mon lit je jugeai -prudemment que je ne serais qu'un sot si je laissais subsister dans -l'esprit de Nicole l'opinion trop avantageuse que j'y avais fait naître -sur le compte de l'abbé. Il en aurait trop coûté à mon amour-propre de -faire à ce maroufle le sacrifice de la gloire que je venais d'acquérir -sous son nom. De la vanité, à moi, cela vous fait rire, lecteur, -n'est-il pas vrai? J'aurais voulu vous voir à ma place. Je vous suppose -rival comme je l'étais et sensible au plaisir de vous venger, je gage -que vous auriez été aussi fat que moi, et que vous auriez dit, ainsi que -je le fis: ma belle Nicole, vous ne devez pas être mécontente de moi? -Là-dessus elle vous aurait assuré que son coeur était charmé. N'est-il -pas vrai, auriez-vous repris, que vous n'en attendiez pas tant du petit -drôle que vous avez toujours méprisé? Vous aviez tort, et il ne méritait -pas le traitement que vous lui avez fait; car vous voyez que les petits -valent bien les grands. Adieu, ma chère Nicole; je me nomme Saturnin, -pour vous servir. Vous l'auriez embrassée, et puis vous l'auriez laissée -là, bien étourdie de votre compliment; vous auriez gagné la porte, vous -l'auriez ouverte (on avait laissé la clef dans la serrure), et vous -auriez été vous recoucher tranquillement dans votre lit. Dieu veuille -que vous eussiez été capable de le faire aussi bien et aussi -heureusement que moi. - -Frappé de la bizarrerie des aventures qui venaient de m'arriver, -j'attendis avec impatience que le jour vînt m'apprendre qu'elles -seraient les suites d'une nuit aussi singulière. J'étais charmé du -désastre de l'abbé et de ma bonne fortune. Comme personne (excepté Mlle -Nicole, sur la discrétion de laquelle je pouvais compter) ne me -soupçonnait de rien, je me faisais d'avance une comédie de la figure que -je verrais faire à nos acteurs nocturnes, et je me promettais d'autant -plus de plaisir, que je serais le seul à qui elle devait être -indifférente. M. le curé, disais-je, aura un air sombre, taciturne, sera -de mauvaise humeur, fessera; qu'il fesse, ce ne sera pas moi, ou je -jouerai de malheur. Françoise examinera tous les écoliers, l'un après -l'autre, avec des yeux dont la fureur rendra l'écarlate plus vive et -plus brillante. Elle cherchera, parmi les grands, celui sur qui elle -doit se venger, non des plaisirs qu'elle a eus, mais de ceux qu'il a -donnés à sa fille. Si elle me reconnaît, elle sera bien fine. Nicole -n'osera se montrer; si elle se montre, elle rougira, sera honteuse, me -fera la mine, peut-être les yeux doux; que sait-on? Elle est friande, -ferai-je le cruel? Peut-être l'abbé sera-t-il cassé aux gages; oh! pour -lui, il n'en sera que plus impudent. - -J'étais si fort occupé de toutes ces pensées, que je ne songeais pas à -dormir; et l'Aurore aux doigts de rose avait déjà ouvert les portes de -l'Orient, que je n'avais pas encore fermé l'oeil. J'avais pourtant -besoin de repos. Le sommeil, qui semblait avoir respecté mes réflexions, -vint aussitôt qu'elles furent cessées, et ce ne fut pas sans peine qu'on -vint à bout de le faire rompre au milieu du jour. Que devins-je à la vue -de Toinette, qui, placée aux pieds de mon lit, paraissait attendre mon -réveil? Je pâlis, je rougis, je tremblai. Je crus que mon procès était -fait et parfait; qu'on avait découvert que j'avais eu part aux désordres -de la nuit et que j'allais le payer. Cette pensée accablante me fit -retomber sans force sur mon lit.--Eh bien, Saturnin, me dit Toinette, -es-tu encore malade? Pas de réponse. Le révérend père Polycarpe va donc -partir sans toi, continua-t-elle; il comptait pourtant t'emmener avec -lui. A ce mot de départ, ma tristesse se dissipa.--Il part! dis-je à -Toinette avec vivacité. Eh! vraiment, je me porte à merveille. Dans le -moment je m'élançai hors du lit, et je fus habillé avant que Toinette -songeât à faire attention au passage subit de la tristesse à la joie que -je venais d'éprouver en si peu de temps; je la suivis. - -J'étais trop agréablement occupé de la nouvelle que Toinette venait de -m'apprendre pour quitter avec regret la maison du pasteur. Je ne pensai -pas même que je ne reverrais plus Suzon. Je trouvai le père Polycarpe -qui m'attendait: il fut charmé de me revoir. Je passe sous silence les -caresses d'Ambroise, les baisers, les larmes de Toinette: elle en -répandit, j'en jetai moi-même. Me voilà en croupe sur le cheval du valet -de sa révérence. Adieu, père Ambroise. Adieu, Mme Toinette, serviteur. -Je pars, nous marchons, nous arrivons, nous voilà au couvent. - - -FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE - - - - -SECONDE PARTIE - - -J'entre dans une nouvelle carrière. Destiné par mon état à grossir le -nombre des pourceaux sacrés que la piété des fidèles nourrit dans -l'aisance, la nature m'avait donné les plus belles dispositions pour cet -état, et l'expérience avait déjà commencé à perfectionner ses présents. - -La sincérité n'a plus besoin de faire son éloge pour persuader. Il se -trouve pourtant des faits hors de la règle ordinaire: tels sont ceux que -je vais rapporter. Si la vraisemblance n'y est pas ménagée, c'est que ce -ne sont pas ici de ces jeux de l'imagination que l'on compasse, que l'on -manie avec adresse pour ménager la crédulité du lecteur, mais qu'ils -sont vrais, et que la vraisemblance ne porte pas toujours le caractère -de la vérité. Dois-je craindre, après tout, que l'on trouve étrange de -voir des moines scélérats, débauchés, corrompus, qui croient qu'on est -assez honnête homme quand on n'est pas reconnu pour fripon; qui, sous le -masque de la religion dont ils se jouent, rient de la crédulité du -peuple, et font de tout ce qu'elle condamne l'objet de leurs -occupations? Non, c'est l'usage. Les cordeliers, les carmes, les -minimes, me justifient assez. On en sait mille histoires, sans celles -que nous ignorons. - -Qu'on me permette de réfléchir un peu sur la vie que nous menions, et de -démontrer à quel point les moines sont corrompus. Quelles raisons assez -puissantes ont pu rassembler dans le cloître tant de caractères -différents? La paresse, la paillardise, le mensonge, la lâcheté, la -perte des biens et de l'honneur. - -Pauvres gens, qui croyez que c'est la religion qui peuple les cloîtres, -que ne pouvez-vous en pénétrer l'intérieur? Indignés de leur iniquité, -vous en rougiriez et vous apprendriez à les mépriser; Levons le bandeau -qui vous couvrait les yeux. Dites-moi, vous qui avez connu le père -Chérubin, cet homme qui ne respire que le plaisir, vous, dis-je, qui -l'avez connu avant qu'il fût moine, comment vivait-il? Il ne se couchait -pas qu'il n'eût sablé dix bouteilles du meilleur vin, et souvent le jour -le trouvait enterré sous la table parmi les débris du souper. Il a -quitté le monde, Dieu l'a illuminé de sa grâce; il lui a montré le bon -chemin. Je n'examine pas si c'est le ciel ou ses créanciers qui ont fait -ce miracle; mais sachez que le père Chérubin tiendrait encore tête aux -plus intrépides buveurs; il boirait et mangerait le revenu du couvent. - -Voilà le père Chérubin: tel vous l'avez connu, tel il est encore. Et le -père Modeste, que vous avez vu parmi vous tout bouffi d'arrogance et -d'amour-propre, son caractère est-il refondu depuis qu'il a le corps -ceint d'un triple cordon? Vous le croyez! Moi qui le connais, je vous -garantis le contraire. S'il parle, Bourdaloue près de lui ne fait que -bégayer. Plus subtil que saint Thomas, il perce, raisonne, entend, -pénètre. A son avis, le père Modeste est un phénix; au vôtre, c'est un -sot; au mien, c'en est un encore. Voyez-vous le père Boniface, ce madré -furet, qui penche dévotement la tête, qui tourne vers la terre des yeux -mortifiés, qui semble, en marchant, composer avec le ciel? Évitez-le, -c'est un serpent qui se glisse; il monte chez vous: veillez votre femme, -serrez les filles, éloignez les garçons. Bougre, bardache, fouteur; il -est entré, il est sorti; tâtez-vous le front: tout est foutu, tout est -enculé. Vous avez fait connaissance avec le père Hilaire, serrez bien -les cordons de votre bourse, vous avez affaire à un fripon. Bientôt aux -conversations consolantes il fera succéder des peintures énergiques des -besoins du couvent. Nous manquons de tout, vous dira-t-il, nous sommes -nourris, couchés comme des chiens; notre maison tombe en ruines. Vous -vous laissez attendrir, votre bourse s'ouvre; puisez père Hilaire vous -avez trouvé votre dupe; pillez, volez, c'est l'esprit de l'Église. - -Que de caractères odieux n'aurais-je pas à tracer, si je peignais ceux -de tous les moines! Change-t-on d'inclinations pour changer d'habits? -Non; le buveur est toujours ivrogne, le voleur est toujours impudent, et -le fouteur est toujours un fouteur. Je dis plus: les passions s'irritent -sous le froc; on les porte dans le coeur, l'oisiveté, les renouvelle, -l'occasion les augmente. J'ose le dire, les moines sont autant d'ennemis -de la société: on pourrait les comparer à ces armées de peuples barbares -qui sortirent de leurs marais pour inonder l'Europe. Réunis par -l'intérêt, ils se détestent en particulier. Rien n'est mieux ordonné que -leur armée; rien ne l'est moins que l'intérieur. Faut-il élire un -général, que de factions, que de complots! On crie, on court, on -s'agite. S'agit-il de faire quelque incursion dans le monde, d'attenter -à la bourse des fidèles, d'inventer quelques nouvelles pratiques de -superstition, le même esprit les anime, tous concourent au but général. -Dociles aux ordres de leurs supérieurs, ils se rangent sous leurs -drapeaux, montent en chaire, prient, exhortent. J'ajouterai à cet éloge -des vers dictés par le bon sens et justifiés par une longue expérience: - - Tolle autem lucrum, superos et sacra negabunt: - Ergo sibi, non coelestis, hæc turbat ministrat. - Utilitas facit esse deos, qua nempe remota, - Templa ruent, nec erunt aræ, nec Jupiter ullus. - -Sur tout ce que j'avais vu faire aux révérends, étant chez Ambroise, et -en dernier lieu sur les galanteries du père Polycarpe et de Toinette, -j'avais conçu les idées les plus riantes de l'état monacal. Je croyais -que le froc était l'habit sous lequel on eût le plus libre accès dans le -temple du plaisir. Mon imagination s'enivrait des chimères agréables -qu'on se forgeait. Elle ne s'arrêtait pas dans les bras de Toinette, -elle me représentait les plus aimables femmes des lieux où mon sort me -conduisit, se disputant la conquête du père Saturnin, prévenant ses -désirs par l'attention la plus tendre, et payant ses bontés par les -transports les plus vifs et les plus délicieux. On croira facilement -qu'étant dans de pareilles dispositions je reçus avec joie l'habit de -l'ordre, dont le père prieur (qui s'attacha d'abord à moi avec une -affection vraiment paternelle) m'honora dès le lendemain de mon arrivée. - -J'avais appris assez de latin de mon curé, qui pourtant n'en savait -guère, pour figurer avec honneur dans le noviciat. On me louait de -quelques dispositions assez heureuses; en ai-je profité? Hélas! non. A -quoi m'ont-elles servi? A être portier; belle avance! - -En écrivain fidèle, je me croirais obligé de mener mon lecteur, année -par année, jusqu'en théologie; on me verrait novice, puis profès, enfin -un vénérable père. J'aurais mille belles choses à lui dire; mais les -belles choses ne nous plaisent qu'autant qu'elles nous intéressent. Eh! -quel intérêt prendrait-on à voir un penaillon disputer envers et contre -tous, mettre le bon sens et la raison à la gêne dans des arguments en -_baroco_, dans des distinctions subtiles que lui-même n'entendrait pas? -J'en fais grâce. - -Je sens pourtant que je ne saurais passer crûment sur un si long espace -de temps sans parler de quelques bagatelles. Mon séjour dans le couvent -avait éclairé mes idées: j'y avais appris, malgré moi, que si le plaisir -était fait pour les moines, il ne l'était pas pour les moinillons. Me -repentant d'avoir fait voeu, et désirant en même temps arriver à la -prêtrise, que je regardais comme le terme de mes peines, je me laissais -endormir par le prieur, qui me vengeait du mépris que l'on affectait -pour moi, parce que j'étais le fils d'un jardinier et que je surpassais -les autres par mes études. - -L'on m'avait tant de fois reproché ma naissance que j'en étais honteux. -Toinette était devenue pour moi un fruit défendu; toujours entourée par -les supérieurs, pouvait-elle être accessible à un novice? D'ailleurs, je -ne trouvais plus Suzon; elle avait disparu de chez Mme Dinville, après -mon entrée chez les célestins. On n'avait appris aucune de ses -nouvelles. Sa perte m'avait plongé dans la douleur; je l'aimais, un je -ne sais quoi, plus fort que son tempérament, m'attachait à elle. Les -lieux où je l'avais vue, où nos coeurs avaient fait le premier essai de -l'amour, tout m'attristait. Souvenirs agréables, combien je payais cher -votre absence! Devenu sans objet, ces idées ne m'occupaient plus sans -douleur. - -Mais voilà un garçon bien désoeuvré, dira-t-on; à quoi vous -occupiez-vous, pauvre Saturnin? Hélas! je me branlais: c'était ainsi que -j'oubliais mes peines. - -Écarté un jour dans un lieu solitaire, où je me croyais sans témoin, je -me dulcifiais avec une indolence voluptueuse. Un coquin de moine -m'observait: il n'était pas de mes amis; il parut si brusquement, que -les bras me tombèrent de surprise. Je restai dans cet état exposé à la -malignité de ses regards. Je me crus perdu; je crus qu'il allait publier -mon aventure, et sa façon de m'aborder me donna lieu de craindre.--Ah! -ah! frère Saturnin, me dit-il, je ne vous croyais pas capable de faire -de pareilles choses. Vous, le modèle du couvent! vous, l'aigle de la -théologie! vous...--Eh! morbleu! interrompis-je brusquement, finissons -ces éloges ironiques; vous m'avez vu me branler, faites-en fête à tout -le couvent, continuai-je; amenez qui vous voudrez, je vous attends à la -dixième décharge!--Frère Saturnin, reprit-il de sang-froid, c'est pour -votre bien que je vous parle: pourquoi vous branler? Nous avons tant de -novices! c'est un amusement d'honnête homme.--Vous vous rangez sans -doute dans cette classe, lui dis-je. Tenez, père André, vos discours -m'impatientent ainsi que vos éloges. Décampez, ou je vous... La vivacité -avec laquelle je parlai lui fit rompre son sérieux. Il éclata de rire, -et, me tendant la main: Va, me dit-il, touche là, frère; je ne te -croyais pas si bon vivant; ne te branle plus: tu es digne d'un meilleur -sort; laisse cette viande creuse, je veux te faire part de quelque chose -de plus solide. Sa franchise excita la mienne, je lui tendis la main à -mon tour. Je ne suis pas défiant, lui dis-je, quand on agit ainsi; -j'accepte vos offres.--Allons, reprit-il, parole d'honneur, tantôt je -vous prends à minuit dans votre chambre. Boutonnez votre culotte, ne -tirez plus votre poudre aux moineaux; vous en aurez besoin. Je vous -quitte: ne sortez qu'après moi; il ne faut pas qu'on nous voie ensemble: -cela pourrait nous nuire; à tantôt. - -Je demeurai surpris après le départ du moine. Il n'était plus question -de se branler; occupé de sa promesse, j'y rêvais sans la comprendre. Que -veut-il dire par cette viande dont il veut me régaler! Si c'est quelque -novice, je n'en veux pas. Je raisonnais en sot, je n'en avais pas goûté. -Lecteur, êtes-vous plus habile que je ne l'étais alors? Oui, dites-vous; -n'est-il pas vrai que ce n'est pas un si mauvais morceau? Le préjugé est -un animal qu'il faut envoyer paître. Le goût fait tout. Est-il rien de -plus charmant qu'un joli giton, blancheur de peau, épaules bien faites, -belle chute de reins, fesses dures, rondes, un cul d'un ovale parfait, -étroit, serré, propre, sans poil? Ce n'est pas là de ces conasses, de -ces gouffres où on entre tout botté. Je te vois, censeur atrabilaire, tu -me reproches mon inconstance, en ce que je loue tantôt le con, tantôt le -cul. Apprends, nigaud, que j'ai pour moi l'expérience, que j'enfile une -femme, quand elle se présente, et que je prends mes ébats avec un beau -garçon. Allez à l'école des sages de la Grèce, allez à celle des -honnêtes gens de notre temps, vous apprendrez à vivre. Mais mon moine va -venir, minuit sonne; on frappe, c'est lui: Bon, marchons, père, je vous -suis. Mais où diable me menez-vous?--A l'église.--Vous vous moquez: pour -prier Dieu? Serviteur! je vais dormir.--Suivez-moi, morbleu! ne -voyez-vous pas que je monte dans les orgues? Nous y voilà! - -Savez-vous bien ce que j'y trouvai? une table bien garnie, de bon vin, -trois moines, trois novices et une belle fille de vingt ans, jolie comme -un ange. Je suivais mon conducteur. Le père Casimir était le chef de la -bande joyeuse. Il me reçut bien.--Père Saturnin, me dit-il, soyez le -bienvenu. Le père André m'a fait votre éloge: sa protection le justifie. -Foutre, manger, rire et boire, telle est ici notre occupation; êtes-vous -disposé à en faire autant?--Parbleu! oui, lui répondis-je; s'il ne faut -que soutenir l'honneur du corps, je m'en tirerai aussi bien qu'un autre; -soit dit, continuai-je, en me tournant du côté de l'assemblée, sans -diminuer le mérite de vos révérences.--Vous êtes de nos gens, reprit le -père Casimir: placez-vous ici entre cette charmante enfant et moi; çà! -décoiffons une bouteille en l'honneur du père: à vous, tope! Et nous -voilà à flûter. Et vous, lecteur, que ferez-vous pendant que nous -viderons nos bouteilles? Tenez! amusez-vous à lire ce rogaton. - -Le père Casimir était d'une taille médiocre, brun de visage, d'un ventre -de prélat. Il avait des yeux qui vous enculaient de cent pas, et qui ne -s'attendrissaient qu'à la vue d'un joli garçon. Alors le bougre, en rut, -hennissait. Sa passion pour l'antiphysique était si bien établie, que -les Savoyards le redoutaient. Aisément l'on tombait dans ses filets; il -était auteur et bel esprit à la mode; censeur caustique, écrivain sec, -plaisant sans légèreté, ironique sans délicatesse. Il s'était fait un -nom par des écrits qui n'avaient d'autre mérite que celui de la -méchanceté. Le succès de ses satires le consolait des coups de bâton -dont on le régalait quelquefois. Il faut pourtant convenir qu'on avait -tort de le maltraiter ainsi; car, quoique les satires parussent sous son -nom, le pauvre père n'y avait souvent d'autre part que le soin qu'il -s'était donné de rédiger les écrits de ceux qui travaillaient sous ses -yeux. Il cultivait les petits talents qu'il leur connaissait, leur -distribuait sa matière, revoyait leur ouvrage, le faisait imprimer, et -en recueillait souvent des fruits bien amers. Il n'en était pas moins -hardi; et tel que l'avare qui se console des huées du peuple en ouvrant -son coffre-fort, les ris qu'il excitait dans le public aux dépens des -auteurs essuyaient les larmes que ceux-ci lui faisaient verser dans le -particulier. - -Au sein de la littérature, il goûtait le plaisir de se satisfaire sans -sortir de son cabinet. Les culs de ses myrmidons remplissaient ses -désirs. Pour prix de leur complaisance, il leur abandonnait sa nièce, et -la nièce acquittait les dettes de l'oncle. Le portier du couvent étant à -la dévotion du père, tout entrait aisément: vin, viande, fille, rien -n'était excepté. On avait préféré les orgues pour de semblables orgies, -parce qu'on ne pouvait pas soupçonner qu'on passât la nuit dans -l'église. Une autre raison, c'est qu'on était à portée d'assister aux -offices, et cette exactitude empêchait de babiller. - -Malgré le soin que prenait le père Casimir pour conserver ses élèves, il -en perdait toujours quelqu'un; j'en dirai la raison: quelquefois -l'ingratitude est le prix de l'obligation. Ces déserteurs se servaient -contre le père des traits qu'il leur avait appris à aiguiser contre les -autres. Un d'eux fit sur lui le sonnet qui suit: - - Un jour dom Happecon, plus arrogant qu'un coq, - Las de sentir son vit aussi droit qu'une quille, - Sortit de son couvent, enfoncé dans son froc, - Et fut chez la Dupré demander une fille. - - Le bougre qui jamais ne foutait qu'en escroc, - Pour qui cinq ou six coups n'étaient qu'une vétille, - Crut qu'il ne s'agissait que d'essayer le choc, - Et tira son engin de dessous sa mantille. - - --Tout beau, dit la putain, rengaîne l'instrument; - On commence d'abord par payer largement: - De foutre on vit ici, comme au palais, d'épices. - - Le pater étonné de ce foutu cartel, - Quitta, faute d'argent, ce pilier de bordel, - Et fut, de désespoir, enculer deux novices. - -Je ne saurais mieux finir; je quitte le pinceau, de nouveaux coups -affaibliraient ma peinture. La nièce du père Casimir était brune, vive -et petite. Si elle perdait au premier coup d'oeil, l'examen la vengeait; -ménageant avec adresse sa gorge, qui n'était plus absolument belle, elle -en tirait le meilleur parti. Ses yeux petits, mais noirs, promenaient -sur vous ses regards enjoués conduits par la coquetterie la plus -raffinée. Elle enchantait par la vivacité et le sel de ses -polissonneries. En un mot, c'était tout ce qu'on pouvait souhaiter de -plus charmant pour attraper le jour, sans s'apercevoir qu'on a passé la -nuit. - -Aussitôt que je me vis placé à côté de cette aimable fille, je sentis -renouveler ces mouvements confus que j'avais autrefois éprouvés quand le -hasard m'avait fait découvrir Toinette et le père Polycarpe. La longue -privation du plaisir m'avait formé pour ainsi dire une seconde nature, -susceptible d'impressions aussi vives et aussi piquantes; je recommençai -à vivre, parce que je crus que j'allais revivre pour le plaisir. Je -regardais ma voisine, dont l'air riant et docile me faisait connaître -que mes désirs ne languiraient qu'autant de temps que j'aurais la -simplicité de ne pas les expliquer. Je sentis bien que ce n'était pas -l'envie de faire la vestale qui la faisait trouver au milieu d'une bande -de moines: mais le bonheur qu'elle semblait m'offrir me paraissait si -grand, que j'avais peine à le concevoir; j'étais tremblant, et, dans la -crainte qu'elle m'échappât, à peine aurais-je pu former le dessein de le -demander. J'avais la main sur sa cuisse, que je pressais contre la -mienne; je sentis qu'elle me la prenait et la passait par l'ouverture de -son jupon; je connus son dessein, je portai bientôt le doigt où elle le -désirait. Le toucher d'un endroit qui m'était interdit depuis longtemps -me causa un frémissement de joie qui fut aperçu de la bande, qui me -cria: Courage, père Saturnin, vous y voilà. Peut-être me serais-je -déconcerté de cette exclamation, si Marianne (c'était le nom de notre -déesse) ne m'eût sur-le-champ donné un baiser et déboutonné ma culotte -d'une main, tandis qu'elle passait l'autre bras autour de mon cou, et, -empoignant mon vit: Ah! pères, s'écria-t-elle en le leur montrant, en -avez-vous de cette beauté-là? Il se fit un brouhaha d'admiration, et -chacun la félicita sur son bonheur prochain. Elle en était enchantée. -Alors le père Casimir, imposant silence à la troupe, m'adressa la -parole.--Père Saturnin, me dit-il, disposez de Marianne; vous la voyez, -dispensez-moi de faire son éloge. Elle est accomplie, elle va vous -donner tous les plaisirs imaginables; mais ces plaisirs sont à une -condition.--Quelle est-elle, cette condition? lui répondis-je; faut-il -vous donner mon sang?--Non.--Quoi donc?--Votre cul.--Mon cul? eh! que -diable en feriez-vous?--Oh! c'est mon affaire, répondit-il. L'envie de -baiser Marianne fit que je n'insistai pas. Je me mis en devoir de -l'enconner, et mon bougre de m'enculer. Un banc nous servit de siège: je -m'étendis sur elle, le père sur moi. Quoique Casimir me déchirât le cul, -le plaisir que je goûtais avec sa nièce faisait diversion à la douleur. -Nous nageâmes bientôt dans les délices. Si quelquefois le plaisir -m'arrêtait au milieu du travail, Casimir, réveillant ma valeur, -m'animait à faire aussi bien que lui. Ainsi poussé et poussant, les -coups de l'oncle allaient retentir dans le con de la nièce, qui, tantôt -mourant et ressuscitant, surprenait l'assemblée. Il y avait longtemps -déjà que nous avions laissé derrière nous le père Casimir, qui, surpris -de l'opiniâtreté du combat, joignit son admiration à celle de la -compagnie, qui en attendait l'issue. J'étais surpris que Marianne me -tînt tête, à moi qui croyais avoir rassemblé dans ce moment toutes les -forces acquises pendant un si long temps. Elle était enragée de ma -valeur, elle qui avait désarçonné les plus vigoureux, le foutre et le -sang ruisselaient. Déjà nous avions déchargé quatre fois, quand -Marianne, fermant l'oeil, baissant la tête, attendait sans mouvement -que, par une cinquième décharge, je lui donnasse le coup de grâce; elle -le reçut, et, après l'avoir savouré pendant quelques minutes, s'échappa -de mes mains et me dit qu'elle se rendait. Fier de ma victoire, je lui -versai une rasade, j'en pris autant, et nous scellâmes dans le vin notre -réconciliation. - -Ce combat fini, chacun se mit à sa place, et Casimir entama l'éloge de -la bougrerie. Possédant à fond cette matière, il s'en acquitta bien, il -passa en revue tous les bougres célèbres: il y trouva des philosophes, -des papes, des empereurs, des cardinaux. Il remonta à l'aventure de -Sodome, soutint qu'on avait falsifié, par jalousie, ce mémorable -événement, et, cédant tout à coup à son enthousiasme, il finit son éloge -par ces vers: - - Taisez-vous, censeurs indociles, - Etourdissez les sots de vos voix imbéciles, - Mais n'allez pas fouiller dans l'histoire des temps. - Vous osez, ignorants reptiles, - Des écrivains les plus habiles - Altérer les beautés et corrompre les sens. - Sodome, ce n'est point par un souffle funeste - Que furent consumés tes heureux habitants; - C'est par un feu divin, c'est par un feu céleste: - Sodome, que n'étais-je alors de tes enfants! - -Le discours du père reçut les applaudissements qu'il méritait et qu'il -était sûr de recevoir des assistants, en traitant un sujet qui leur -était si agréable. On foutit encore, tant en cul qu'en con; on but, on -rit et on se sépara, avec promesse de se retrouver à huitaine, car ces -banquets ne se faisaient pas tous les jours: les revenus du père -Casimir, qui régalait ordinairement, n'y auraient pas suffi. Nous nous -séparâmes les meilleurs amis du monde, Marianne et moi. La pauvre enfant -ne tarda guère à s'apercevoir qu'il était dangereux de jouer avec moi; -sa ceinture devint bientôt trop courte: on m'en donna la gloire. Le père -Casimir prit soin de conduire les choses secrètement; il était juste -qu'il prît sur lui les risques du hasard auquel il exposait sa chère -nièce. Elle en sortit à son honneur, et tout aurait été le mieux du -monde, si cette grossesse inattendue n'avait pas mis le désordre dans -nos assemblées nocturnes. J'essayai le remède de Casimir, et, sur ses -traces, je me rendis bientôt redoutable au cul de tous nos novices; mais -je retombai peu de temps après dans mes anciennes erreurs, et les -plaisirs du con m'enlevèrent à ceux du cul. - -Un beau jour, après avoir chanté ma première messe, le prieur me fit -avertir d'aller dîner dans sa chambre. J'y fus, et je trouvai avec lui -quelques anciens qui me reçurent, ainsi que le prieur, avec de vives -accolades que je ne savais à quoi attribuer. Nous nous mîmes à table, et -nous fîmes une chère de prieur: c'est tout dire. Quand le vin, que sa -révérence avait soin de ne pas choisir dans le plus mauvais cru, eut -répandu la gaieté dans la conversation, je fus surpris d'entendre mes -doyens, donnant l'essor à leur langue, lâcher les b... et les f... avec -une aisance que je n'aurais pas attendue de gens que j'avais toujours -vus sous le masque de la réserve. Le prieur, voyant mon étonnement, me -dit: Père Saturnin, nous ne nous gênons plus avec vous, parce qu'il est -temps que vous ne vous gêniez plus avec nous, oui, mon fils, ce temps -est arrivé. Vous avez reçu le saint ordre de prêtrise, cette qualité -vous rend aujourd'hui notre égal et me met dans l'obligation de vous -révéler des secrets importants qui vous ont été cachés jusqu'à présent -et qu'il serait dangereux de confier à des jeunes gens qui pourraient -nous échapper et divulguer des mystères qui doivent être ensevelis dans -un silence éternel; c'est pour m'acquitter de cette obligation que je -vous ai fait venir ici. - -Cet exorde imposant me fit écouter avec attention le prieur, qui dit: -Vous n'êtes pas de ces esprits faibles que la fouterie effarouche: -l'action de foutre est naturelle à l'homme. Nous sommes moines, mais on -ne compte ni le vit ni les couilles, quand nous faisons voeu. Pourquoi -nous interdire cette fonction toute naturelle? Faut-il, pour exciter la -compassion des fidèles, aller nous branler dans les rues? Non, il faut -garder un milieu entre l'austérité et la nature. Ce milieu est de donner -tout à celle-ci dans nos cloîtres, et le plus que nous pouvons à -l'austérité dans le monde. Pour cet effet, dans les couvents bien -réglés, on a quelques femmes avec qui l'on jouit; on oublie dans leurs -bras les déboires de la pénitence.--Vous me surprenez, lui dis-je, mon -révérend; ah! pourquoi faut-il qu'une si belle police n'étende pas sa -sagesse sur nous? Nos convives rirent, et le prieur me répondit: Nous ne -sommes pas plus dupes que les autres; nous avons ici un endroit où nous -ne manquons pas de femmes.--Ici! repris-je, et vous ne craignez pas que -l'on vous découvre?--Non, dit-il, cela est impossible; le continent de -notre maison est trop vaste pour qu'on s'aperçoive de cet endroit.--Ah! -m'écriai-je, quand me sera-t-il permis d'aller consoler ces aimables -recluses?--Les consolations ne leur manquent pas, me répondit-il en -riant, et votre qualité de prêtre vous donne le droit d'y aller quand -vous voudrez.--Quand je voudrai? Ah! mon père, je vous somme dès à -présent de tenir votre parole.--Il n'est pas encore temps; on n'entre -que sur le soir dans notre piscine, qui est l'appartement de nos soeurs. -Personne n'en a la clef; il n'y en a que deux, l'une entre les mains du -père dépensier, l'autre entre les miennes. - -Ce n'est pas tout, père Saturnin, continua le prieur; lorsque vous -saurez que vous n'êtes pas le fils d'Ambroise, vous serez doublement -étonné. (Je fus effectivement si interdit, que je n'eus pas la force -d'ouvrir la bouche.) Vous n'êtes pas le fils d'Ambroise, poursuivit le -prieur, ni celui de Toinette; votre naissance est plus relevée. Notre -piscine vous a vu naître: une de nos soeurs vous a donné le jour.--S'il -en est ainsi, m'écriai-je, revenu de ma surprise, pourquoi m'avez-vous -toujours envié la douce satisfaction d'embrasser ma mère, si elle vit -encore?--Père Saturnin, me dit le prieur attendri, vos reproches sont -justes; mais croyez que ce n'est pas par défaut de tendresse qu'on vous -a interdit notre piscine. L'amour que nous avons pour vous a longtemps -combattu contre nos règles; mais il faut de l'ordre, et le temps nous -met aujourd'hui en état de faire cesser vos plaintes. Dès tantôt vous -aurez le plaisir que vous souhaitez, vous embrasserez votre mère.--Que -je suis impatient, m'écriai-je, de me voir dans ses bras!--Modérez-vous, -le sacrifice ne sera pas long. Déjà la nuit s'avance, et l'heure viendra -sans y penser. Nous souperons à la piscine, on vous y attend. Ne -paraissez au réfectoire que pour le décorum; vous viendrez nous -retrouver ici. - -Le plaisir de voir ma mère y entrait pour quelque chose, mais -l'espérance de me livrer à l'amour offrait à mon coeur une immensité de -désirs que tous les efforts de mon imagination ne me rendaient que -faiblement. Le voilà donc arrivé, me disais-je, ce temps si souhaité! -Heureux Saturnin, plains-toi de ton sort! Dans quel état de la vie -aurais-tu trouvé ce que l'on vient de t'annoncer aujourd'hui. - -L'heure vint; je retournai chez le prieur, où je trouvai cinq ou six -moines. Nous partîmes dans un profond silence. Nous marchâmes jusqu'à -ces antiques chapelles qui servaient de rempart à la piscine d'un côté; -nous descendîmes sans lumière dans un caveau dont l'horreur semblait -être ménagée pour préparer un nouveau charme au plaisir qui devait le -suivre. Ce caveau, que nous traversâmes à l'aide d'une corde attachée -contre le mur, nous conduisit à un escalier éclairé par une lampe. Le -prieur ouvrit la porte qui fermait cet escalier. Nous entrâmes, par un -petit détour, dans une salle galamment meublée, autour de laquelle -étaient quelques lits commodes pour les combats de Vénus. Nous y vîmes -les apprêts d'un magnifique repas. Personne n'arrivait encore; mais au -bruit d'une sonnette que le prieur tira, une vieille cuisinière parut, -suivie de six soeurs qui me semblèrent charmantes. Chacune choisit son -chacun; je restai seul témoin de leurs transports, piqué de -l'indifférence qu'on semblait me témoigner; mais j'eus bientôt mon tour, -et je fus dédommagé avec usure. - -Le maigre n'était pas plus observé à la piscine qu'au repas du père -Casimir. Les viandes les plus exquises furent servies avec toute la -propreté possible: chacun, à côté de sa belle, mangeait, buvait, -patinait, parlait foutaise. On me faisait la guerre sur mon peu -d'appétit; je me défendais mal, uniquement occupé du désir de retrouver -ma mère, ou plutôt celui de m'escrimer avec quelqu'une de nos soeurs. Je -cherchais des yeux celle qui m'avait donné l'être: l'air de fraîcheur et -de jeunesse qu'elles avaient toutes ne me dénotait pas qu'aucune fût ma -mère. Quoique occupées avec les pères, elles me lançaient des regards -qui renversaient mes conjectures. Je m'imaginais sottement que je -reconnaîtrais ma mère au respect, à la tendresse que j'avais pour elle; -mais mon coeur parlait pour toutes, et je bandais en l'honneur de -chacune d'elles. - -Mon inquiétude divertissait la compagnie. Quand on eut assez mangé, il -fut question de foutre. Le feu brillait dans les yeux de nos adorables, -et, comme nouveau venu, je commençai la danse.--Allons, père Saturnin, -me dit le prieur, il faut faire assaut avec la soeur Gabrielle, ta -voisine. J'avais déjà préludé avec elle par des baisers donnés et reçus; -sa main avait même été jusqu'à ma culotte, et quoiqu'elle fût la moins -jeune de la compagnie, je lui trouvais assez de charmes pour ne pas -envier le sort des autres. C'était une grosse blonde qui n'avait d'autre -défaut que son embonpoint. Sa peau était d'une blancheur éblouissante, -la plus belle tête du monde, des yeux grands et bien fendus. La passion -les rendaient tendres et mourants, mais ils étaient vifs et brillants -pour le plaisir. - -L'exhortation du prieur n'avait pas prévenu mes désirs; Gabrielle les -avait excités, elle se prêta galamment à les satisfaire.--Viens, mon -roi, me dit-elle, je veux avoir ton pucelage; viens le perdre dans un -endroit où tu as reçu la vie! Je tremblai à ce mot. Sans avoir plus de -vertu, j'avais acquis chez les moines des connaissances qui ne me -permettaient pas d'être avec Gabrielle ce que j'avais été avec Toinette. -J'allais l'enfiler, un reste de honte m'arrêta; je reculai.--Ah! ciel, -dit Gabrielle, est-il possible que ce soit là mon fils? Ai-je pu mettre -au monde un tel lâche? Foutre sa mère lui fait peur.--Ma chère -Gabrielle, lui dis-je en l'embrassant, contentez-vous de mon amour; si -vous n'étiez pas ma mère, je ferais mon bonheur de vous posséder; -respectez une faiblesse que je ne puis vaincre. - -L'apparence même de la vertu est respectable aux coeurs les plus -corrompus. Mon action fut louée des moines; ils convinrent de leur tort; -il n'y en eut qu'un qui voulut entreprendre de me convertir.--Pauvre -sot, me dit-il, pourquoi t'effrayer d'une action indifférente? La -fouterie n'est-elle pas la conjonction de l'homme et de la femme? Cette -conjonction est ou naturelle ou défendue par la nature. Elle est -naturelle, puisque leur penchant invincible les entraîne l'un vers -l'autre. Si ce penchant est dans leur coeur, l'intention de la nature -est donc qu'on le satisfasse indistinctement. Si Dieu a dit à nos -premiers pères de croître et de multiplier, comment entendait-il que la -multiplication se fît? Adam avait des filles, il les foutait. Ève avait -des fils qui faisaient avec elle ce que leur père faisait avec leurs -soeurs. Descendons au déluge. Il ne restait dans le monde que la famille -de Noé; il fallait nécessairement que le frère couchât avec la soeur, le -fils avec sa mère, le père avec sa fille, pour repeupler la terre. -Allons plus loin: Loth fuit de Sodome; ses filles qui avaient devant les -yeux l'intention du Créateur, et qui venaient de voir leur bonne femme -de mère changée en statue pour avoir été trop curieuse, s'écrièrent dans -l'amertume de leur coeur: Hélas! le monde va donc finir? Elles auraient -été coupables aux yeux de Dieu si elles n'avaient pas rétabli ce qu'il -venait de détruire; et Loth, pénétré de cette vérité, y contribua de -tout son pouvoir. Voilà la nature dans sa première simplicité. Les -hommes, soumis à ses lois, se faisaient un devoir de les suivre; mais -bientôt corrompus par les passions, ils oublièrent la volonté de cette -tendre mère; ils ne voulurent pas rester dans l'état heureux où elle les -avait placés; ils renversèrent tout, se forgèrent des chimères qu'ils -qualifièrent de vertus et de vices, inventèrent des lois qui, au lieu de -faire naître la vertu, engendrèrent le vice. Ces lois ont fait les -préjugés, et ces préjugés, adoptés par les sots et sifflés par les -sages, se sont fortifiés d'âge en âge. Il fallut donc que ces -impertinents législateurs, en renversant les lois de la nature, -refondissent les coeurs qu'elle nous avait donnés; il fallut qu'ils -réglassent nos désirs, qu'ils y missent des bornes. La nature, au fond -de notre coeur, réclame contre l'injustice de leurs lois; en un mot, la -fouterie sans distinction est d'institution divine, et la fouterie -distincte est d'institution humaine. L'une est aussi élevée au-dessus de -l'autre que le ciel l'est au-dessus de la terre. Peut-on, sans se rendre -criminel, écouter l'homme préférablement à Dieu? Non, non, et saint -Paul, interprète sacré des volontés du ciel, a dit: Plutôt que de -brûler, foutez, mes enfants, foutez! Il est vrai que, pour ne pas -choquer la faiblesse des petits génies, il met un correctif à sa pensée -et se sert de l'expression: Mariez-vous; mais, au fond, c'est la même -chose: on ne se marie que pour foutre. Ah! que j'en dirais bien plus si -je ne me sentais pressé de suivre le conseil de saint Paul. - -On rit de la saillie du père; déjà le ribaud se levait et, le braquemart -à la main, menaçait tous les cons de la salle.--Attendez! dit une soeur -nommée Madelon; pour punir Saturnin, il me vient une idée.--Quelle -est-elle? lui demanda-t-on,--C'est, répondit-elle, de le faire coucher -sur un lit; Gabrielle s'étendra sur son dos, et le père qui vient de -parler comme un oracle exploitera Gabrielle! Les ris redoublèrent; j'en -ris moi-même, et dis que j'y consentais, à condition que pendant que le -père foutrait sur mon dos, je foutrais, moi, avec la donneuse -d'avis.--J'y consens, reprit-elle, pour la rareté du fait. Chacun -applaudit, nous nous mîmes en posture. Figurez-vous quel spectacle ce -devait être! Le père ne poussait aucun coup à ma mère qu'elle ne le lui -rendît sur-le-champ au triple, et son cul, en retombant sur le mien, me -faisait enfoncer dans le con de Madelon, ce qui faisait un ricochet de -fouterie tout à fait divertissant; non pas pour nous, car nous étions -trop occupés pour nous amuser à rire. Il n'eût tenu qu'à moi de me -venger de Madelon, en laissant tomber le poids de trois corps sur le -sien; mais elle était trop amoureuse, travaillait de trop bon coeur pour -me laisser concevoir une telle pensée. Je la soulageais de mon mieux; -elle en eut pourtant la peine; mais ce fut plutôt un surcroît de volupté -pour elle, car ayant senti les délices de la décharge avant nos fouteurs -d'en haut, le plaisir me rendit immobile. Gabrielle le sentit, et ses -coups de cul, avec vivacité, faisaient pour moi ce que je n'étais plus -en état de faire, et, en m'agitant, allaient donner de nouveaux -ébranlements de plaisir à Madelon, qui déchargeait aussi. Nos fouteurs -finirent et joignirent leur extase à la nôtre. Nos quatre corps n'en -firent plus qu'un; nous mourions, nous nous confondions l'un dans -l'autre. - -Notre éloge sur cette façon de goûter les plaisirs excita les moines et -les soeurs. Ils se mirent en devoir de foutre en quatrain,--c'est le nom -que nous donnâmes à cette posture,--et nous à leur donner l'exemple. -C'est ainsi que les plus belles découvertes qu'on ait faites dans la -nature sont dues au hasard. - -Gabrielle était si charmée de cette invention, qu'elle avoua qu'elle -avait eu autant de plaisir qu'elle en avait goûté en me faisant. Curieux -de savoir comment la chose s'était passée, nous la priâmes de la -raconter.--J'y consens, nous dit-elle, et d'autant plus volontiers que -Saturnin ne connaît encore que sa mère, sans savoir d'où elle vient ni -comment elle s'est trouvée ici. Permettez-moi, mes révérends, de l'en -instruire, et de remonter un peu plus haut que le jour que vous -souhaitez que je vous rappelle. Mon ami, continua-t-elle en m'adressant -la parole, tu ne te vanteras pas d'une longue suite d'aïeux illustres: -je n'en ai jamais connu. Je suis fille d'une loueuse de chaises de ce -couvent, et sans doute de quelqu'un des pères qui vivaient alors, car -elle était trop vive et trop amie du couvent pour que je puisse penser -que je dois le jour à son bonhomme de mari. - -A dix ans je ne démentais pas mon sang; je connaissais l'amour avant de -me connaître; les pères cultivaient mes heureuses inclinations. Un jeune -profès me donna des leçons si sensibles que j'aurais cru payer les -autres d'ingratitude si je ne leur avais fait connaître que j'étais en -état de leur en donner moi-même. Je m'étais déjà acquittée de mon devoir -envers chacun d'eux, quand ils me firent la proposition de me mettre -dans un endroit où je renouvellerais mes payements aussi souvent que je -le voudrais. Je n'avais pu le faire jusqu'alors qu'à la sourdine: tantôt -derrière l'autel, tantôt devant, tantôt dans un confessionnal, rarement -dans les chambres. L'idée de la liberté me flatta; j'acceptai les -offres, j'entrai ici. - -En y entrant, j'étais parée comme une jeune fille qu'on mène à l'autel. -L'idée de mon bonheur répandait un air de sérénité sur mon visage qui -charmait tous les pères. Tous brûlaient de me voir, et chacun briguait -la gloire de me le mettre. Je vis le moment où le festin de ma noce -allait finir comme celui des Lapithes.--Mes révérends, leur dis-je, -votre nombre ne m'épouvante pas; mais je présume peut-être trop de mes -forces: je succomberais, vous êtes vingt; la partie n'est pas égale; Je -vais vous proposer un accommodement. Il faut nous mettre nus! (Et, pour -leur en donner l'exemple, je commençai la première. Robe, corset, -chemise, tout partit dans la minute. Je les vis tous dans le même état -que moi; mes soeurs étaient aussi nues. Mes yeux savourèrent un moment -le charmant spectacle de vingt vits roides, gros, longs, durs comme fer, -et qui se présentaient fièrement au combat.) Allons, repris-je, il est -temps de commencer. Je vais me coucher sur ce lit; j'écarterai assez les -cuisses pour qu'en accourant sur moi le vit à la main, vous m'enfiliez -l'un après l'autre, car il faut que le sort règle le pas; les maladroits -n'auront pas à se plaindre, puisqu'en me manquant ils trouveront des -cons tout prêts sur qui ils pourront décharger leur colère. Voilà, -messieurs, ce que j'avais à vous proposer. Ils applaudirent tous à cet -heureux essor de mon imagination. On tire au sort, je tends la bague, on -court: un, deux, trois passent sans m'enfiler, et vont tomber sur mes -soeurs, qui leur font oublier leur malheur par toutes sortes de -plaisirs. Un quatrième vient, c'était vous, père prieur. Ah! je payai -votre adresse par les transports les plus vifs; et si le plaisir qu'on -goûte par une décharge mutuelle fait concevoir, vous partagez la gloire -d'avoir fait Saturnin avec quatre ou cinq de ceux qui vous suivirent. -Oui, mon ami, continua-t-elle eu s'adressant à moi, tu as l'avantage -d'être au-dessus des autres hommes, qui peuvent bien dire le jour de -leur naissance, mais non pas celui où ils ont été faits. - -Telles étaient nos conversations dans la piscine, tels étaient les -plaisirs que nous y goûtions. Je ne m'y rendais pas le dernier. Toutes -les nuits j'allais chez le prieur ou chez le dépensier: J'étais -infatigable; je conduisais toujours la bande joyeuse. Bref, j'étais -l'âme et les délices de la piscine; tout, jusqu'aux vieilles, tout tâta -de mon vit. La réflexion cependant perçait quelquefois au milieu de mes -plaisirs; toutes nos soeurs me paraissaient charmées de leur sort. Je ne -pouvais concevoir que des femmes, dont le naturel est vif et dissipé, -eussent pu, sans frayeur, concevoir le dessein de passer leur vie dans -une pareille retraite, y vivre sans dégoût et être sensibles à des -plaisirs achetés par un esclavage éternel. Elles riaient de mon -étonnement, et ne pouvaient elles-mêmes concevoir que je pusse avoir de -pareilles idées.--Tu connais bien peu notre tempérament, me disait un -jour une d'entre elles extrêmement jolie, et que le libertinage, fruit -trompeur d'une éducation cultivée, avait fait jeter dans les bras de nos -moines; n'est-il pas vrai, me disait-elle, qu'il est plus naturel d'être -sensible au bien qu'au mal? J'en convenais. Ferais-tu difficulté, -reprenait-elle, de sacrifier une heure du jour à la douleur, si l'on -t'assurait que l'heure suivante se passerait dans une extrême -joie?--Non, assurément, lui disais-je.--Eh bien, poursuivit-elle, au -lieu d'une heure mets un jour; de deux, l'un sera pour le chagrin et -l'autre pour le plaisir; je te crois trop sage pour refuser un pareil -parti si l'on te l'offrait. Je dis plus: l'homme le plus indifférent ne -le refuserait pas, et la raison en est toute naturelle. Le plaisir est -le premier mobile de toutes les actions des hommes; il est déguisé sous -mille noms différents, suivant les différents caractères. Les femmes ont -de commun avec vous tous les caractères possibles; mais elles ont -au-dessus l'impression victorieuse du plaisir de l'amour; leurs actions -les plus indifférentes, leurs pensées les plus sérieuses naissent toutes -dans cette source et portent toujours, quoique déguisées, la marque du -fond d'où elles sortent. La nature nous a donnés des désirs bien plus -vifs, et par conséquent bien plus difficiles à satisfaire que les -vôtres. Quelques coups suffisent pour abattre un homme, et ne font que -nous animer, mettons-en six; une femme ne recule pas après douze. Le -sentiment du plaisir est donc au moins une fois aussi vif dans une femme -qu'il l'est dans un homme, et si tu te croyais heureux de payer un jour -de joie par un jour de chagrin, trouverais-tu étrange que j'en donnasse -deux? Serais-tu surpris que je passasse les deux tiers de ma vie dans la -peine pour passer l'autre tiers dans le plaisir? J'ai mis les choses -égales entre nous: quand tu nous vois continuellement occupées de ce qui -fait le souverain bonheur des femmes, quand nous sommes continuellement -dans vos bras, dis-moi, crois-tu que nous puissions songer à la peine, -qu'elle ait quelque empire sur nous? Ne trouveras-tu pas notre condition -mille et mille fois plus heureuse que celle de ces filles imprudentes -qui, nées avec des inclinations aussi violentes que celles des autres -femmes, viennent porter dans la solitude des désirs qui ne seront jamais -apaisés par les embrassements d'un homme? Qu'ils seraient plus vifs, ces -désirs, s'il était possible de nous refroidir! Nous ne regrettons rien -ici. Libres des inquiétudes de la vie, nous n'en connaissons que les -charmes; nous ne prenons de l'amour que les agréments et nous ne -remarquons la différence des jours que par la diversité des plaisirs -qu'ils nous procurent. Désabuse-toi, père Saturnin, si tu nous crois -malheureuses. - -Je ne m'attendais pas à trouver des pensées aussi justes dans une fille -que je ne croyais capable que de sentir le plaisir. Né pour le goûter, -je profitai de l'heureux penchant qui me la livrait, et nous satisfîmes -à loisir nos transports. - -L'homme n'est pas né pour être toujours heureux; je devins rêveur. -J'étais en fouterie ce qu'Alexandre était en ambition: je désirais de -foutre toute la terre, et après elle un nouveau monde. Depuis six mois -j'avais toujours remporté le prix dans les combats amoureux, et du plus -brave que j'étais je devins bientôt le plus lâche. L'habitude du plaisir -en avait émoussé la pointe, et j'étais avec nos six soeurs ce qu'un mari -est avec sa femme. Le mal de mon esprit influa bientôt sur mon corps; on -m'en fit des reproches qui ne glissèrent que sur mon coeur, et il ne -fallait pas moins que toute la tendresse du prieur pour me faire aller à -la piscine. Il engagea nos soeurs à travailler à ma guérison: elles ne -négligèrent rien pour y réussir; non seulement elles employèrent tous -leurs charmes naturels, mais elles y joignirent encore ce que l'art le -plus consommé peut suggérer à une vieille coquette fouteuse. Tantôt se -rangeant en cercle autour de moi, elles offraient à ma vue les tableaux -les plus lascifs: l'une, mollement appuyée sur un lit, laissait voir -négligemment la moitié de sa gorge; une petite jambe faite au tour, des -cuisses plus blanches que la neige me promettaient le plus beau con du -monde; l'autre dans l'attitude d'une femme qui se prépare au combat, -marquait l'ardeur qui la consumait; d'autres, dans des postures -différentes, en se chatouillant le con, exprimaient par leurs soupirs -les plaisirs qu'elles ressentaient. Tantôt elles se mettaient nues, et -me présentaient la volupté dans tout son jour. Celle-ci, appuyée sur un -canapé, me montrait le revers de la médaille, et, passant la main sous -son ventre, elle écartait les cuisses et se branlait, de manière qu'à -chaque mouvement que faisait son doigt je voyais l'intérieur de cette -partie qui m'avait autrefois causé de si vives émotions. Une autre, -couchée sur un lit de satin noir, me présentait la même image que -l'autre ne me présentait qu'à l'envers; une troisième me faisait coucher -par terre entre deux chaises, et, mettant ensuite un pied sur l'une et -un pied sur l'autre, elle s'accroupissait, et son con se trouvait -perpendiculairement sur mes yeux. Dans cette situation, je la voyais -travailler avec un godmiché, tandis qu'une autre foutait devant moi de -toutes ses forces avec un moine, nu comme elle. Enfin, on offrit à ma -vue les images les plus lubriques, tantôt à la fois, tantôt -successivement. - -Quelquefois on me couchait tout nu sur un banc; une soeur se mettait à -califourchon sur ma gorge, de sorte que mon menton était enveloppé dans -le poil de sa motte; une autre se mettait sur mon ventre; une troisième, -qui était sur mes cuisses, tâchait de s'introduire mon vit dans le con; -deux autres s'étaient placées à mes côtés, de façon que je tenais un con -de chaque main; une autre enfin,--celle qui avait la plus belle -gorge,--était à ma tête, et, s'inclinant, elle me pressait le visage -entre ses tétons; toutes étaient nues, toutes se grattaient, toutes -déchargeaient: mes mains, mes cuisses, mon ventre, ma gorge, mon vit, -tout était inondé, je nageais dans le foutre et le mien refusait de s'y -joindre. Cette dernière cérémonie appelée par excellence la _question -extraordinaire_, fut aussi inutile que les précédentes: on me tint pour -un homme confisqué, et l'on abandonna la nature à elle-même. - -Tel était mon état, quand, en me promenant un jour dans le jardin, seul, -rêvant au malheur de ma destinée, je rencontrai le père Siméon, homme -profond, qui avait blanchi dans les travaux de Vénus et de la table, et, -tel que le vieux Nestor, avait vu plusieurs fois renouveler le couvent. -Il vint à moi, et, m'embrassant tendrement, me dit: O mon fils! votre -douleur est grande, mais ne vous alarmez pas, je veux vous guérir. La -trop grande dissipation, mon ami, a causé votre mal: il faut réveiller -votre appétit malade par quelques mets succulents, et c'est une dévote -qu'il vous faut. Le flegme du père me fit rire. Vous riez, me dit-il, je -vous parle sérieusement. Vous ne connaissez pas les dévotes, vous -ignorez leurs ressources pour rallumer les feux éteints. Je l'ai éprouvé -moi-même. Temps heureux où je faisais retentir les voûtes du couvent en -frappant avec mon vit, hélas! qu'êtes-vous devenu? On ne parle plus du -vigoureux père Siméon; ce n'est plus qu'un vieillard cassé; son sang est -glacé dans ses veines, ses couilles sont sèches, son vit est disparu: -tout meurt! J'avais toutes les envies d'éclater, mais la crainte de -l'indisposer me retint. O mon fils, poursuivit-il, profitez de votre -jeunesse. Le seul moyen de vous tirer de votre léthargie, c'est de vous -mettre au régime, d'avoir recours à une dévote; mais, pour cet effet, il -faut avoir la liberté de confesser, et je me charge de vous l'obtenir -auprès de Monseigneur. Je remerciai le père, et, sans avoir grande foi -en son secret, je le priai de s'y employer; il me le promit. Ce n'est -pas tout, continua-t-il, il vous faut un guide avant d'entrer dans cette -carrière, et je veux vous en servir. - -Vous savez, mon fils, que la confession vient de nos ancêtres, -c'est-à-dire des prêtres et des moines. J'ai toujours admiré le génie -profond de ces hommes célèbres qui établirent la confession. Depuis ce -temps tout a changé de face; les biens ont fondu sur nous; nos richesses -ont grossi à l'ombre de ce tribunal auguste. Béni soit Dieu! _Amen!_ - -Je ne vous parlerai pas de l'excellence du poste de confesseur: ayez -seulement de la discrétion, de la douceur et de la condescendance pour -les faiblesses humaines, et les femmes vous adoreront. Je ne dirai point -quel parti vous devrez tirer de leurs heureuses dispositions par rapport -à votre fortune, cela vous regarde; je vous conseille de plumer -impitoyablement ces vieilles bigotes qui viennent à votre confessionnal -moins pour se réconcilier avec Dieu que pour voir un beau moine. Faites -grâce aux jolies, parce que je la leur ai faite: elles me payaient -différemment. - -Une jeune fille, par exemple, ne peut faire de présents; mais elle peut -donner son précieux pucelage. Il faut user d'adresse pour lui ravir ce -bijou. Fixez-vous à ces jeunes dévotes: elles pourront vous guérir; ne -vous livrez pourtant pas sans ménagement à la vivacité que pourrait vous -inspirer l'espoir de votre guérison. Il y a moins de risque à se -déclarer à une femme aguerrie qu'à une jeune personne chez qui la -passion n'a pas encore triomphé des préjugés de l'éducation. Une femme -vous entend à demi-mot; son coeur a déjà fait la moitié du chemin avant -de vous être expliqué: il n'en est pas de même d'une jeune fille; mais -s'il est difficile de la vaincre, la victoire en est plus douce. Je vais -vous en tracer la route. Dans toutes, vous trouverez un penchant à -l'amour. Le grand art est de savoir manier ce penchant. Telle qui paraît -modeste, les yeux baissés et la démarche composée, couve un feu sous la -cendre, prêt à s'allumer au vent de l'amour. Parlez, elle n'opposera -qu'une faible résistance à vos premières attaques; pressez, votre -victoire est certaine. - -D'autres, dont le tempérament est moins vif, moins impétueux, donneront -plus d'exercice à votre adresse. Avec celles-ci, mêlez les caresses de -l'amant aux remontrances du directeur; échauffez leur naturel par des -discours débités avec art; informez-vous adroitement des progrès -qu'elles ont faits dans la science de se procurer du plaisir; levez le -voile qui leur cachait des voluptés inconnues; découvrez-leur tous les -mystères de l'amour; faites-leur-en des peintures riantes qui échauffent -leur sensualité; montrez-leur le plaisir dans les attitudes les plus -séduisantes pour exciter leurs désirs. Vous objecterez peut-être qu'il -est difficile de réussir dans un art aussi dangereux; point du tout, il -ne faut que de l'adresse. Je conviens qu'il serait dangereux d'encenser -leurs désirs; mais n'est-il pas mille moyens de concilier leur coeur et -leur raison? Que les portraits que vous leur ferez des plaisirs -paraissent faits moins pour les engager à s'y livrer que dans la vue de -les en détourner; insistez sur les plaisirs; soyez court sur les -conséquences: la raison s'opposera vainement aux impressions que vos -discours feront dans leur coeur. Rassurez-les du côté du ciel; détruisez -leurs préjugés du côté du monde; faites-leur envisager qu'il est -dangereux de garder trop longtemps une fleur qui se fane; qu'il est si -doux de la laisser cueillir, que sa perte est idéale. Ajoutez qu'il est -mille secrets pour empêcher la grossesse. Examinez alors leur visage, -vous le verrez enflammé. Laissez tomber votre main sur leurs tétons; -pressez-les, et bientôt vous entendrez leurs soupirs, fidèles -interprètes des sentiments de leur coeur. Joignez vos soupirs aux leurs, -appliquez un baiser sur leur bouche, offrez-vous pour consolateur de -leurs peines. L'aveu de ce qui se passe dans le coeur établit la -confiance, on ne rougit plus d'être faible avec des faibles, on se -console réciproquement. - -Le discours du père Simon m'avait échauffé l'imagination; il m'avait si -fort ému, que je ne doutai plus de la possibilité d'une chose que -j'avais prise pour un badinage. Je réitérai mes instances auprès du -père, qui obtint bientôt ce que je demandais. - -Il me tardait de me voir érigé en médiateur entre les pécheurs et le -Père des miséricordes. Je me réjouissais d'avance de l'aveu que pourrait -me faire une fille timide d'avoir donné à son tempérament la -satisfaction qu'il demandait. Je fus au confessionnal prendre possession -de mon poste. - -On dit qu'un grand philosophe avait la faiblesse de rentrer chez lui et -d'y rester tout le jour, quand, en sortant le matin, une vieille était -la première personne qu'il rencontrât. Si l'exemple de ce philosophe -avait été une règle pour moi, j'aurais sur-le-champ déserté le -confessionnal; mais je tins bon, et je m'armai de courage contre l'ennui -que devait me causer la confession d'une vieille qui se présenta. - -J'essuyai patiemment un déluge de balivernes que je payai par des -maximes de morale si consolantes, que ma vieille, charmée, m'aurait -d'abord donné des marques de satisfaction, si le grillage ne se fût pas -trouvé entre nous. Pour me dédommager, elle me voua un attachement à -l'épreuve de toutes les tentatives que les autres directeurs pourraient -faire pour me l'enlever. Je lui passai son transport en faveur du profit -que j'en pourrais tirer. _Bon pour plumer_, me dis-je en moi-même; mais -pour cela il fallait sonder le terrain. Elle était babillarde; je la mis -sur le chapitre de sa famille. Grandes invectives d'abord contre un -traître de mari, qui portait ailleurs ce qui lui appartenait: elle était -blessée dans l'endroit le plus sensible; autres invectives contre son -fils, qui suivait l'exemple du père; elle ne louait que sa fille, une -fille dont l'occupation et le plaisir étaient le travail et la -prière.--Ah! ma chère soeur, m'écriai-je alors d'un ton de tartufe, que -vous devez être charmée de vous voir revivre dans une pareille fille! -Mais cette sainte âme vient-elle à notre église? Que je serais édifié de -la voir!--Vous la voyez tous les jours ici, me répondit la vieille; elle -est aussi belle qu'elle est dévote; mais dois-je parler de beauté devant -vous, qui êtes des saints? Vous méprisez cela.--Ma chère soeur, -repris-je, nous croyez-vous assez injustes pour refuser d'admirer les -beaux ouvrages du Créateur, surtout quand ce qu'ils ont de mondain se -trouve réparé par tant de vertus célestes? Ma vieille, enthousiasmée du -tour que j'avais donné à ma curiosité, me dépeignit sa sainte, que je -reconnus pour une brune piquante qui venait à nos offices. Père Siméon, -me dis-je alors, voilà de nos dévotes; ménageons celle-ci: elle pourrait -bien vous rendre prophète. Crainte d'effaroucher la mère, je remis à une -seconde séance d'engager sa fille à se ranger au nombre de mes -pénitentes, et je lui donnai l'absolution, tant pour le passé que pour -le présent. Je l'aurais même donnée pour l'avenir si elle avait voulu: -cela ne coûte rien. Je l'engageai cependant à venir se rafraîchir -souvent dans les eaux de la pénitence. Ainsi finit ma première -expédition. - -Il me semble que je vous entends crier: Allons, dom Saturnin, vous voilà -dans le bon chemin; vous êtes en train de vous guérir, à ce qu'il -paraît. Oui, lecteur, oui, la sainteté du caractère dont je viens d'être -revêtu commence à opérer; Dieu soit loué! Que la grâce est puissante! Je -bande déjà assez pour me faire croire que je banderai bientôt davantage. - -Je ne manquai pas le lendemain d'aller à l'office: on s'imagine bien à -quelle intention. Je vis ma brune qui priait Dieu de tout son coeur. La -voilà, me dis-je, cette charmante enfant, ce modèle de toutes les -vertus! Ah! quel plaisir de croquer un morceau aussi délicat! Quel -ravissement de donner à cela la première leçon du plaisir amoureux! -_Vivat!_ je suis guéri, je bande comme un carme: pourquoi ne pas dire -comme un célestin? valent-ils moins que les autres? Mais ma dévote me -regarde: sa mère lui aurait-elle parlé de moi? Ah! vite, apaisons le feu -que sa vue m'inspire: branlons-nous! Le roulement d'yeux que me causait -le plaisir fut pris pour un excès de dévotion. Le plaisir que j'avais en -me branlant à l'intention de ma dévote m'était un sûr garant de celui -que j'aurais si j'en pouvais faire davantage. J'attendais de mon adresse -un bonheur que le hasard me procura quelques jours après. - -J'étais un jour sorti du couvent. Le portier, quand je rentrai, me dit, -en m'ouvrant la porte, qu'une jeune dame m'attendait et voulait me -parler. Je courus au parloir; mais, ô surprise! je reconnus ma dévote. -Me voyant, elle se jeta à mes pieds.--Ayez pitié de moi! me dit-elle en -pleurant.--Qu'avez-vous donc? lui demandai-je en la relevant. Parlez, le -Seigneur est bon, il voit vos larmes, ouvrez votre coeur à son ministre. -En voulant parler, elle tomba évanouie dans mes bras, Que faire? -J'allais crier au secours, quand la réflexion me dit: Où vas-tu? -attends-tu une plus belle occasion? Je m'approche de ma dévote, la -délace, lui découvre la gorge. Jamais plus beau sein ne s'offrit à ma -vue. En écartant sa robe et sa chemise, je crus ouvrir le paradis. Je -fixai mes yeux sur deux globes blancs et fermes comme le marbre; je les -baisais, je les pressais; je collais ma bouche sur la sienne: je -réchauffais son souffle. Enfin, je prends ma dévote amoureusement. Une -palpitation subite me saisit. Je la quitte et reste tremblant à la -considérer; tout à coup soufflant la lumière, je la reprends dans mes -bras et gagne ma chambre avec ce cher fardeau. Dieux! qu'il était léger! -Je la mets sur mon lit, rallume ma bougie et la considère de nouveau. Je -découvre sa gorge, lève ses jupes, écarte ses cuisses; j'examine, -j'admire. Quel spectacle! l'amour, les grâces embellissaient son corps. -Blancheur, embonpoint, fermeté, tout charmait la vue. Las d'admirer sans -jouir, je portai la bouche et les mains sur ce que je venais de voir; -mais à peine y eus-je touché, que ma dévote soupira et porta sa main où -elle sentait la mienne. Je la baise sur la bouche, elle veut se -débarrasser; inquiète, elle cherche à pénétrer où elle est. Mon ardeur -produit sur moi le même effet; je ne la quitte pas. Elle veut s'arracher -de mes bras, je résiste, je la renverse; furieuse, elle se relève, veut -me déchirer le visage, mord, frappe: rien ne m'arrête. J'appuie ma -poitrine sur la sienne, mon ventre sur le sien, et laisse à ses mains -tout ce que la fureur leur inspire, employant les miennes à lui écarter -les cuisses; elle les serre, je désespère de triompher; la rage augmente -ses forces, la passion diminue les miennes; m'excitant, je les réunis, -j'écarte ses cuisses, je lâche mon vit; je l'approche du con, je pousse, -il entre. Alors la fureur de ma dévote s'évanouit, elle me serre, me -baise, ferme les yeux et se pâme. Je ne me connais plus, je pousse, je -repousse, et j'inonde le fond de son con d'un torrent de foutre. Elle -redécharge, nous restons sans connaissance, tous deux absorbés par le -plaisir. - -Mon aimable compagne ne revint à elle-même que pour m'inviter par ses -caresses à la replonger dans le délire. Ses yeux sont languissants, se -troublent, s'égarent; son con est une fournaise, mon vit brûle. Ah! me -dit-elle, le plaisir me suffoque; je meurs! Ses membres se roidissent, -elle donne un coup de cul, j'en rends deux; nous déchargeons encore. - -Après avoir épuisé le plaisir, j'allai chercher à la cuisine de quoi -réparer les forces d'un malade; je dis que je l'étais. Je rentrai chez -moi, j'y trouvai ma dévote dans la tristesse; je la dissipai par mes -caresses, et j'attendis que nous eussions mangé pour m'informer de son -chagrin. Nous soupâmes sans faire beaucoup de bruit, crainte d'être -découverts et qu'on ne confisquât mon trésor au profit de la piscine, -suivant les règles de l'ordre. - -Comme nous étions tous deux extrêmement fatigués, nous songeâmes plutôt -à nous reposer qu'à causer. Quand nous eûmes fini notre repas, nous nous -mîmes au lit; mais aussitôt que nous nous vîmes nus, le repos s'enfuit -loin de nous; je portai la main au con de ma dévote, elle porta la -sienne à mon vit, et, admirant sa grosseur, sa fermeté: Ah! me dit-elle, -je ne suis plus surprise que tu m'aies réconciliée avec le plaisir que -j'avais résolu de haïr! Je songeai moins à lui demander la cause qu'à -lui prouver, en le lui faisant goûter de nouveau, qu'elle avait eu tort -de former une pareille résolution. Elle me reçut dans ses bras avec une -vivacité inexprimable. Étroitement serrés, à peine pouvions-nous -respirer: le lit ne pouvant plus soutenir nos secousses, il suivait -l'impression de nos corps, il craquait effroyablement. Une douce ivresse -succéda bientôt à nos efforts, et nous nous endormîmes couchés l'un sur -l'autre, étroitement serrés, langue en bouche, vit au con. - -L'aurore nous trouva endormis dans cette posture, et, soit que -l'imagination eût fait distiller cette eau délicieuse qui annonce le feu -intérieur, soit que nous eussions déchargé machinalement, nous nous -réveillâmes tout trempés. Bientôt nous renouvelâmes nos plaisirs, et -j'eus assez de force pour m'en acquitter monacalement. Je ne dirai pas -combien de fois je n'eus pas la peine d'enconner. Je passe rapidement à -vous informer du sujet qui avait jeté ma dévote dans mes bras. - -Je lui voyais un air d'inquiétude et de tristesse qui me pénétrait. Je -la priai tendrement de s'expliquer et d'être persuadée que je -remédierais à sa douleur, à quelque prix que ce fût.--Perdrai-je ton -coeur, cher Saturnin, me dit-elle en me regardant languissamment, quand -je t'avouerai que tu n'es pas le premier qui m'ait fait goûter les -plaisirs de l'amour? Rassure mon coeur contre une crainte dont on ne -peut se défendre, et qui vient, malgré moi, de répandre sur mon visage -une tristesse que je n'ai pu te cacher. Oui, c'est cette seule crainte -qui m'inquiète à présent; celle de mon sort ne m'occupe plus, puisque je -suis avec toi.--Oses-tu, lui répondis-je, te défier des charmes que tu -étales à mes yeux? Que tu en connais peu le prix, si tu doutes de leur -effet! Oui, l'ardeur qu'ils m'inspirent est trop forte pour ne pas -s'indigner d'une pareille crainte. Que tu me connais peu! Si un préjugé -ridicule a mis une différence entre une fille foutue et une fille à -foutre, ce préjugé n'est pas ma règle. La beauté, pour en avoir charmé -d'autres, doit-elle perdre le droit de nous charmer? Quand tu l'aurais -fait avec toute la terre, n'es-tu pas toujours la même, n'es-tu pas -toujours une fille adorable, en serais-tu moins précieuse à mes yeux? -Les plaisirs que tu as donnés à d'autres ont-ils altéré la vivacité de -ceux que tu viens de me donner?--Tu m'enlèves, me répondit-elle; je ne -fais plus de difficulté de t'apprendre des infortunes que tu viens de -faire cesser. - -Elle me raconta ce qui suit: - -Mon malheur a sa source dans mon coeur. Un penchant invincible pour le -plaisir ne me fait respirer que pour lui. Une mère injuste et cruelle -m'avait confinée dans un cloître. Trop timide pour opposer mon dégoût à -ses ordres, je ne fis parler que mes larmes; elles ne l'attendrirent -pas, je pris le voile. Le moment fatal de prononcer l'arrêt de ma mort -approchait: je frémis à la vue du serment que j'allais faire. L'horreur -de ma prison, le désespoir d'être privée de mon unique bien, me -plongèrent dans une maladie qui aurait terminé mes peines, si ma mère, -touchée de mon état, ne s'était reproché sa dureté. Elle était -pensionnaire dans le couvent où elle voulait que je prisse l'habit. Un -projet de retraite l'y avait amenée; mais la réflexion l'en retira. Les -femmes ne renoncent pas au plaisir, ne vieillissent pas sans chagrin; -c'est un sentiment naturel que leurs efforts peuvent bien dissimuler, -mais qu'ils n'arracheront jamais de leur coeur. Ma mère, jugeant de mon -tempérament par le sien, me tira de mon cachot, et reparut dans le monde -sur le pied d'une dame qui se consolerait aisément de la perte du défunt -dans les bras d'un cinquième mari. - -Connaissant le génie de ma mère, je jugeai qu'il serait dangereux de me -trouver en rivalité avec elle, certaine qu'un amant qui se présenterait -me préférerait à elle. Je compris que les plaisirs de l'amour goûtés -dans le mystère en étaient plus piquants, que la retraite me les -procurait ainsi que le grand monde. J'agis d'après ce système, et je -passai bientôt pour une dévote. Charmée du progrès de mon stratagème, je -ne songeai qu'à nouer quelque intrigue secrète à l'ombre de cette haute -réputation de vertu factice. Cette réputation parut équivoque à un jeune -homme que j'avais vu autrefois à la grille, et avec qui il m'était -arrivé une aventure... - -J'interrompis alors ma dévote. Me rappelant ce que Suzon m'avait -autrefois appris de la soeur Monique, son aversion pour le couvent, sa -passion pour l'amour, la scène qu'elle avait eue avec Verland, son -caractère, le séjour que sa mère avait fait dans le couvent, je -confrontais le portrait de cette soeur avec le charmant minois que -j'avais devant moi. J'allai plus loin; je me ressouvins que Suzon -m'avait dit que la soeur Monique avait le clitoris un peu long. Dans -l'espoir de trouver à ma dévote ce dernier signe qui devait confirmer -mes soupçons, je la fis coucher sur le dos, et, lui examinant le con -avec une attention que la passion ne m'avait pas encore permise, j'y -trouvai ce que je cherchais, un clitoris vermeil un peu plus long que -les femmes ne l'ont ordinairement, et qui semblait n'être placé là que -pour le plaisir. - -Ne doutant plus que ce ne fût elle, je l'embrassai avec un nouveau -transport.--Chère Monique, lui dis-je, est-ce toi que le ciel m'envoie? -Elle se débarrasse de mes bras, me fixe avec surprise, et me demande qui -m'avait appris le nom qu'elle portait au couvent. Une fille, lui dis-je, -dont je pleure la perte, et la confidente de tes secrets.--Ah! -s'écria-t-elle, c'est Suzon: elle m'a trahie!--Oui, c'est elle, lui -répondis-je; mais c'est un secret qu'elle n'a confié qu'à moi, et ce -n'est qu'à mes importunités que je le dois.--Comment, reprit Monique, tu -es le frère de Suzon? Ah! je ne me plains plus d'elle: si je le faisais, -je me mettrais dans la nécessité de la défendre contre les plaintes que -tu en ferais à ton tour, car elle ne m'a pas caché ce qui lui était -arrivé avec toi. - -Nous nous attendrîmes sur le sort de Suzon et la soeur Monique continua -ainsi: - -Puisqu'elle t'a conté mon aventure avec Verland, c'est de ce dernier que -je vais te parler. Ma métamorphose l'avait surpris; il m'avait vue à la -grille vive, coquette: une longue absence ne m'avait pas effacée de son -souvenir. A son retour le bruit de ma dévotion éclatant, il ne voulut en -croire que ses yeux. Il me vit à l'église, et l'amour l'y suivit. - -En parcourant des yeux tous ceux qui m'environnaient, j'aperçus Verland; -je rougis à la vue d'un homme qui avait autrefois été témoin de ma -faiblesse, et je rougis encore plus de ne pouvoir lui cacher les -dispositions où mon coeur était de retomber dans les mêmes fautes. -L'âge, en tempérant sa vivacité, avait rendu ses grâces plus mâles et -plus touchantes. Sa présence ralluma mes désirs; ils m'entraînaient tous -les jours au même endroit, et tous les jours je l'y voyais aussi -attentif à me regarder et aussi tendre dans ses regards. Mes yeux lui -firent sentir combien j'étais mécontente de sa lenteur à m'apprendre de -bouche les mouvements de son coeur; il me comprit, et, m'abordant d'un -air timide, me dit: Un homme qui, pour la première fois qu'il a eu le -bonheur de vous voir, a mérité votre colère, peut-il aujourd'hui se -présenter à vos yeux? Si le repentir le plus vif peut faire oublier ma -faute, vous devez me voir sans indignation. Sa voix était tremblante. Je -lui répondis que le galant homme faisait oublier l'imprudence du jeune -homme.--Vous ne connaissez pas toutes mes fautes, reprit-il; votre bonté -vient de me pardonner un crime: j'ai plus besoin que jamais de cette -même bonté. Il se tut après ces mots, et, quoique je l'entendisse, je -lui répondis que je ne connaissais pas la nouvelle offense dont il -voulait me parler.--Celle de vous adorer, me dit-il en collant un baiser -sur ma main. Il comprit par mon silence que ce crime était excusable; et -dans la crainte de m'ouvrir trop, je le quittai charmée de mon amour. - -J'étais persuadée que, si Verland était sincère, il trouverait occasion -de me le prouver; il pénétra le motif de ma retraite, et me laissa -partir en souriant. J'entendis ses soupirs, les miens y répondaient au -fond du coeur. Que te dirais-je? Une seconde entrevue lui valut l'aveu -de ma tendresse et la permission de me demander à ma mère en mariage. -Elle le refusa: j'en fus au désespoir. Son refus irrita notre amour, -Verland en était accablé. Cette imprudente démarche nous ôtait tout -espoir; et, pour comble d'horreur, ma mère était ma rivale. Les éloges -prodigués à Verland la trahirent. Triste victime de la dévotion et de -l'amour, je n'osais demander à ma mère la cause du refus d'un homme -qu'elle croyait parfait. Je ne pus résister à la douleur; j'étais -furieuse contre ma mère et contre moi-même: mon amour était au comble. -Je voyais Verland tous les jours; nous étions inséparables. Croirais-tu -que jusqu'alors je n'avais point cédé à ses instances, le seul moyen de -mettre ma mère à la raison? Mais, attendrie par les larmes de mon amant, -pressée par son amour, vaincue par mon penchant, je prêtai l'oreille à -sa proposition de m'enlever: nous convînmes du jour, de l'heure et des -moyens. - -Je ne voyais dans mon amour que le plaisir que j'allais goûter avec -Verland. Le lieu le plus affreux me paraissait un paradis, pourvu qu'il -fût avec moi. Le jour du départ arriva: j'allais sortir, une main -invisible m'arrêta. Arrivée sur le bord du précipice, j'en mesurai la -profondeur; effrayée, je reculai. Surprise de ma faiblesse, je voulus -étouffer ma raison; elle triompha; je rentrai, mes larmes coulèrent. -Indignée de ma lâcheté, je m'encourageais et m'effrayais. L'heure -pourtant avançait quel parti prendre? Hélas! je ne savais que penser. Un -rayon de lumière vint m'éclairer, et je fus tranquille: je vis un moyen -d'être à mon amant et de me venger de ma mère. Hélas! à quoi m'a servi -tant de prudence? A me plonger dans l'abîme! Peut-être aurais-je été -plus heureuse dans un pays inconnu: tout à moi-même, n'écoutant que mon -amour pour un mari qui m'aurait adorée, je n'aurais pas été esclave de -ces apparences qui m'ont perdue? Mais pourquoi m'abuser? J'aurais porté -dans un climat étranger le même coeur, la même fureur pour l'amour, et -ce caractère m'y aurait perdue comme il l'a fait ici. - -Je fis à Verland le signe dont nous étions convenus, en cas -d'inexécution du projet: je remis au lendemain à l'informer de mes -raisons. Nous nous trouvâmes à l'église, il m'aborda sans dire mot; son -visage exprimait la douleur; je fus effrayée.--M'aimez-vous? lui -dis-je.--Si je vous aime! me répondit-il avec un transport de désespoir -qui l'empêcha d'en dire davantage.--Verland, repris-je, je lis votre -douleur dans vos yeux, mon coeur en est déchiré; plaignez-moi, -plaignez-vous d'un défaut de courage qui nous arracherait à notre -passion, si le désespoir ne m'avait pas suggéré le moyen de nous -conserver l'un à l'autre. Je ne doute pas de votre tendre amour, mais -j'en veux une preuve, puisqu'une mère cruelle s'oppose à nos désirs. Ah! -Verland, le rouge qui me couvre le visage ne vous dit-il pas quel est le -moyen que je veux employer?--Chère Monique, me dit-il en me serrant la -main, ton amour te fait il sentir la nécessité d'une chose que je t'ai -en vain souvent proposée?--Oui, lui répondis-je, vous ne vous plaindrez -plus; mais pour vous rendre heureux, je ne veux qu'un mot de votre -bouche.--Parlez; que faut-il faire?--Épouser ma mère, lui dis-je. La -surprise lui coupa la parole; il me regardait avec des yeux -égarés.--Épouser votre mère, Monique! que me proposez-vous?--Une chose, -lui répondis-je, dont je me repens. Votre froideur me dénote votre -amour, et votre indifférence m'éclaire sur ma passion. Ciel! ai-je pu -penser à un homme aussi lâche?--Monique, reprit-il tristement, à quoi -veux-tu réduire ton amant?--Ingrat, lui répondis-je, quand je surmonte -l'horreur de te voir dans les bras de ma rivale; quand, pour me livrer à -toi, pour jouir du plaisir de te voir, pour recevoir enfin tes caresses, -je sacrifie ma gloire, j'immole à ton bonheur ce que j'ai de plus cher, -tu trembles! Ai-je plus de force que toi? Non; mais tu n'as pas tant -d'amour.--C'en est fait, me dit-il alors, tu triomphes; j'ai honte de -moi-même, et nos coeurs doivent être sans remords. Charmée de son -courage, je promis de l'en récompenser le jour de ses noces; peut-être -n'aurais-je pas eu la force de l'attendre, si l'impatience de ma mère -n'eût pas été aussi vive que la mienne. Verland lui avait offert ses -voeux. Ravie d'une conquête qu'elle s'imaginait devoir à ses charmes, -elle se hâta d'en recueillir le fruit; il n'était pas fait pour elle. Le -mariage se célébra; la joie que j'en témoignai m'attira de ma mère mille -caresses que je payai par d'autres qui étaient moins sincères. Mon coeur -s'enivrait d'avance du plaisir de l'amour et de la vengeance. Verland -parut: il était adorable; mille grâces nouvelles animaient toutes ses -actions; le moindre sourire m'enchantait; les paroles les plus -indifférentes m'enflammaient; à peine pouvais-je contenir mes désirs. Au -milieu du tumulte, il trouva moyen de s'approcher de moi et de me dire: -J'ai tout fait pour l'amour, ne fera-t-il rien pour moi? Un coup d'oeil -fut ma réponse. Je sors, il s'échappe; j'entre dans ma chambre, il m'y -suit; je m'élance sur mon lit, il se précipite sur moi. Dispense-moi de -faire ici le récit des plaisirs que je goûtai, un seul mot te suffit -pour te les faire connaître: toi seul, cher père, toi seul as été plus -loin. O ma mère! m'écriai-je, au milieu de nos transports, que ton -injustice va te coûter cher. - -Mon amant était un prodige; nous restâmes ensemble une heure qui ne vit -pas un moment d'intervalle. En vain les forces lui manquaient; semblable -à Antée, qui, luttant avec Hercule, ne faisait que toucher la terre pour -réparer les siennes, mon amant me touchait et revenait à la charge avec -plus de vigueur. - -On nous cherchait partout; on avait même frappé à ma porte. Nous nous -séparâmes, crainte d'être suspectés. Verland gagna le jardin, où on le -trouva, comme il l'avait prévu. On le railla, on lui fit la guerre. Un -feint étourdissement vint à son secours, disant que, pour ne pas -troubler les plaisirs, il s'était retiré sans parler. Son air abattu, -occasionné par la fatigue qu'il venait d'avoir, aidait à faire croire ce -qu'il disait. - -Ne doutant pas qu'on ne vînt encore me chercher dans ma chambre, je -dérangeai la portière qui bouchait le trou de la serrure et me mis à -demi prosternée devant un crucifix. Cela me réussit: on crut que les -plaisirs n'avaient pu me déranger de mes pieux exercices; de là une -nouvelle estime, une espèce de vénération pour moi. Remise enfin de mon -travail amoureux, je rejoignis la compagnie pour ne donner aucun -soupçon, en affectant de me prêter par complaisance à des -divertissements dont le plus doux avait déjà été pour moi. - -Après le dessein formé de marier ma mère avec mon amant, je disposai -tout pour faciliter le moyen de nous voir, pour prévenir toute surprise -étant ensemble; j'affectai plus de dévotion, ne voulant pas être -interrompue dans mes prières; j'accoutumai le monde à ne point frapper -chez moi, la clef n'y étant pas. Verland, de son côté, accoutuma ma mère -à son absence, prétextant des affaires et se coulant dans mes bras. -Quoique contraints, nous n'étions pas dégoûtés de nos plaisirs: je les -croyais éternels, un moment me détrompa. Je rencontrai un jour une jeune -personne que j'avais connue autrefois; je lui demandai ce qu'elle -faisait en cette ville; elle me dit qu'elle n'y était attachée à -personne: je la pris pour ma femme de chambre. Mais, cher père, est-ce -avec toi que je dois feindre? Cette prétendue femme de chambre n'était -autre que Martin, dont ta soeur a dû te parler en te contant mon -histoire. Je ne l'avais pas vu depuis notre séparation. Il était encore -aussi joli, aussi aimable; son menton était à peine couvert de quelques -poils follets, blonds, que je lui coupais exactement. Martin était une -jolie fille aux yeux de tout le monde; il était pour moi d'un prix -inestimable. - -J'avais instruit Martin de mon intrigue avec Verland. Heureux de me -posséder, il n'en était pas jaloux; j'étais charmée de sa docilité, je -l'étais encore plus de sa vigueur. J'avais arrangé sagement mes -plaisirs: Verland avait le jour; Martin, la nuit. Le jour ne -disparaissait que pour faire place à une nuit voluptueuse. Jamais -mortelle n'a joui d'une félicité plus parfaite: mais le plaisir est de -peu de durée; sa mesure est celle du tourment dont sa perte nous -accable. - -Martin pouvait passer pour une fille jolie sous cet habillement. -L'ingrat Verland, hélas! pourquoi le traiter d'ingrat? n'étais-je pas -coupable, et mon coeur criminel? Verland trouva des charmes à ma -prétendue femme de chambre, et négligea sa maîtresse. Dédommagée par les -plaisirs de la nuit, je ne m'étais pas encore aperçue de l'indifférence -de Verland; il possédait si bien l'art de me persuader, que tous les -motifs de son absence me paraissaient justes. Si je le grondais, un -sourire, un baiser, apaisaient ma colère. Un jour de repos me le rendait -plus vigoureux. Il en vint jusqu'à me faire croire que l'intérêt de -notre plaisir rendait ces absences nécessaires: j'y consentis: Martin -suppléait au relâche. - -Hier, jour infortuné et dont je ne dois me souvenir que pour le -détester, hier était un jour de repos pour Verland. Renfermée seule avec -Martin, et n'ayant pour témoin que l'amour, nous n'écoutions que ses -conseils. J'étais couchée sur mon lit; la gorge nue, les jupes levées et -les cuisses écartées, j'attendais que Martin reprît ses forces. Il était -nu, et, passant ma cuisse droite entre ses cuisses, me tenait d'une main -les tétons, et de l'autre caressait ma cuisse gauche. Tandis que ses -yeux et sa bouche cherchaient à rallumer son ardeur, Verland, que nous -n'attendions pas, entra et nous surprit dans cette attitude. Il eut le -temps de fermer la porte et d'accourir à nous avant que la frayeur nous -eût permis de changer de posture.--Monique, me dit-il, je ne blâme pas -tes plaisirs, mais tu dois avoir la même complaisance pour moi: j'aime -Javotte (c'est le nom que Martin avait pris), je me sens des forces -suffisantes pour vous contenter toutes deux. Dans le moment il veut -embrasser Martin, il le tire de mes bras, il porte la main et trouve... -Quelle surprise! Sans lâcher Martin, il me jette un regard -d'indignation; il n'ose faire éclater contre moi sa colère; mais tout le -poids en retombe sur la cause innocente. Son amour s'était tourné en -rage; il frappait impitoyablement le malheureux Martin, et c'était moi -qu'il frappait dans l'endroit le plus sensible. - -Je me jette entre ces deux rivaux.--Arrêtez, dis-je à Verland en -l'embrassant; respectez sa jeunesse au nom de nos transports, au nom de -notre amour, Verland, ayez pitié de sa faiblesse, soyez sensible à mes -larmes. Il s'arrête, mais Martin, qui avait eu le temps de se -reconnaître, était devenu furieux à son tour. Il prend l'épée de -Verland, s'élance sur lui. Je fuis à cette vue, me sauve par un escalier -dérobé, j'accours ici, tu sais le reste. - -Monique ne put achever sans verser des larmes.--Hélas! s'écria-t-elle, à -quel sort dois-je m'attendre?--Au plus heureux, lui dis-je; rassure-toi, -chère Monique; ce qui fait couler tes pleurs est peut-être sans objet. -Si c'est la perte de tes plaisirs, de plus grands la répareront bientôt. -Il m'était impossible de la garder encore dans ma chambre sans être -découvert, et je crus que le meilleur parti était de la présenter à la -piscine. Je ne craignais pas de lui promettre trop, en l'assurant que -les plaisirs dont elle avait joui jusqu'alors n'étaient qu'une faible -image de ceux qui lui étaient réservés. La piscine devait être un séjour -divin pour un tempérament tel que le sien.--Cher ami, dit-elle en -m'embrassant, ne m'abandonne pas; puis-je rester avec toi! Ton -consentement ou ton refus décidera de mon sort; si je te perds, je serai -malheureuse. Je l'assurai que nous ne nous quitterions jamais.--Je n'ai -plus, reprit-elle, qu'une inquiétude: pardonne ce dernier effort à un -amour dont tu vas devenir l'unique objet. Je sentis ce qu'elle n'osait -m'avouer. Je lui offris d'aller m'instruire du sort de ses amants et de -l'effet de sa fuite. Elle m'en remercia. Je la laissai seule, et je -sortis avec promesse de revenir bientôt. - -Je m'informai dans la ville de ce qu'il y avait de nouveau. J'allai dans -le voisinage de Verland; rien n'avait transpiré, et je jugeai que tout -le désordre s'était borné à la fuite de Monique. Je revenais au couvent -quand j'aperçus le domestique, qui accourut à moi et me dit que le -révérend père André l'avait chargé de me donner une lettre, et un sac -d'argent de cent pistoles. Je crus d'abord que le père me chargeait de -quelques commissions. J'ouvris la lettre et j'y trouvai ces mots: - - «Vous vous êtes trahi par vos précautions; on a ouvert votre chambre, - et on y a trouvé le trésor que vous ne vouliez pas faire voir à vos - frères; on s'en est saisi: on a mis cette personne à la piscine. Vous - connaissez le génie des moines: fuyez, père Saturnin; fuyez, - dérobez-vous aux horreurs d'une prison qui ne finirait peut-être - qu'avec votre vie. - - «P. ANDRÉ.» - -Je fus frappé comme d'un coup de foudre à la lecture de cette lettre. Un -accablement mortel m'ôta le sentiment. O ciel! m'écriai-je, que devenir? -Dois-je m'exposer à la vengeance monacale? Fuirai-je? Malheureux, -n'hésite point; ah! fuyons! Mais où fuir, où me sauver? La maison -d'Ambroise s'offrit à mon esprit éperdu comme l'asile le plus sûr contre -la crainte présente. Je pris une résolution courageuse, trop heureux que -la générosité du père André me dérobât au ressentiment monacal. - -Ce ne fut pas sans douleur que je m'exilai d'un lieu où je laissais mon -plaisir et mon bonheur. Déchiré par mes remords, abattu par mon -désespoir, j'arrivai chez Ambroise. Toinette était seule; mon malheur -l'attendrit. Elle me secourut de son mieux et me couvrit d'un habit -d'Ambroise. Je partis le lendemain pour Paris, dans l'espérance d'y -trouver un état qui pût me dédommager de celui que je venais de quitter. - -Je partis, après avoir secoué, comme les apôtres, la poussière de mes -souliers sur mon ingrate patrie; et, marchant à pied, un bâton blanc à -la main, j'arrivai à Paris. Je crus pouvoir braver alors la fureur -monacale. L'argent du père André et les secours de Toinette pouvaient me -conduire pendant quelque temps. Mon dessein était de chercher d'abord un -poste de précepteur, en attendant que la fortune voulût m'en trouver un -meilleur. Quelques connaissances que j'avais à Paris auraient pu me -servir, s'il n'eût été dangereux de les employer. Moyennant un retour -raisonnable, j'avais troqué mon habit de paysan contre un plus honnête. -Heureux si, en quittant le froc, j'en avais quitté les inclinations! Le -noir chagrin qui me dévorait me faisait croire que j'étais venu à bout -de déraciner cette mauvaise tige, ou que j'en triompherais aisément. Je -l'avais même juré: je voulais m'enchaîner par un serment, moi que les -liens les plus respectables n'avaient pu retenir. Que l'homme est -faible! - - Aujourd'hui sous un casque et demain sous un froc, - Il tourne au moindre vent et tombe au moindre choc. - -Je tombai; le choc ne fut pas violent, puisque ce ne fut qu'un coup de -coude qu'une coquine me donna en me disant: Monsieur l'abbé, voulez-vous -me payer une salade?--Plutôt deux, répondis-je, emporté par un mouvement -naturel. La réflexion vint aussitôt à mon secours, mais trop tard; -j'étais trop engagé pour reculer. Nous entrâmes dans une allée obscure -et étroite. Je pensai mille fois me rompre le cou dans un escalier -tortueux, dont les marches glissantes et inégales me faisaient trébucher -à chaque pas. Ma donzelle me tenait par la main. J'avouerai que, ne -m'étant jamais trouvé en pareil cas, je ne pouvais me défendre d'un -certain effroi qui parut de bon augure à ma conductrice: elle en aurait -ri si elle eût connu ma qualité. Nous arrivâmes enfin avec bien de la -peine à la porte du temple. Nous frappâmes; une vieille, plus vieille -que la sibylle de Cumes, vint ouvrir en entrebâillant la porte.--Mon -petit roi, me dit-elle, il y a du monde; attends un moment; monte plus -haut. Monter plus haut était bien difficile, à moins que de vouloir -monter au ciel. Une porte se présenta sous ma main qui s'ouvrit -d'elle-même. J'allai me retirer, crainte de trouver quelqu'un et de -faire soupçonner ma probité. L'odeur me rassura; c'était... Vous me -devinez. - -Abandonné à moi-même, dans un endroit affreux, au bout du monde, dans un -pays perdu, avec des gens inconnus, je me sentis saisi d'une terreur -subite. Le danger que je courais s'offrit à mes yeux. Profitons, dis-je -en moi-même, de ce moment de clarté, sauvons-nous. Quelque chose de plus -puissant que la réflexion m'arrêta; il semblait qu'une mer immense se -présentât à mes yeux et m'empêchât de gagner le rivage: je m'élançais et -je me retenais aussitôt. Le ciel a-t-il gravé dans nos coeurs des -pressentiments de ce qui doit nous arriver? Oui, sans doute, et je -l'éprouvais. Dans le moment on ouvre la porte fatale, on m'appelle, je -descends; infortuné, je courais à ma perte, mais quelle joie délicieuse -devait la précéder! - -J'entre d'un air timide à la lueur tremblante d'une lampe; je vais -m'asseoir sans parler; j'appuie le coude sur une table mal assurée; je -me couvre les yeux avec la main, comme si j'eusse voulu me dérober aux -réflexions qui venaient m'assaillir. Une quêteuse infernale s'avance: Je -me montre généreux, elle me remercie. Mon maintien triste surprenant les -prêtresses du temple, la vieille sibylle s'approche pour m'en demander -le sujet. Je la repousse brutalement: elle s'en plaint.--Laissez, -madame, lui dit la plus jeune, on peut avoir du chagrin. - -Ce son de voix qui ne m'était pas inconnu, frappa mon coeur. Je -tremblai, et, craignant de porter les yeux vers l'endroit d'où venait de -partir cette voix, je les ferme et ne veux m'occuper que des mouvements -qu'elle vient de réveiller en moi; mais bientôt, me reprochant mon -indifférence, je veux m'éclaircir: je rouvre les yeux, me lève et -m'approche. Cieux! c'était Suzon! Ses traits, quoique changés par l'âge, -étaient trop gravés dans mon coeur pour les méconnaître. Je tombe dans -ses bras, mes yeux se remplissent de larmes, mon âme est sur mes -lèvres.--Chère soeur, lui dis-je d'une voix altérée, tu ne reconnais -plus ton frère? Elle jette un cri, et tombe évanouie. - -La vieille, étonnée, accourt et veut secourir Suzon; je la repousse, -colle mes lèvres sur les lèvres de ma chère soeur, et ne veux que le feu -de mes baisers pour lui rendre la chaleur. Je la presse contre mon sein, -arrose son visage de mes larmes; elle ouvre des yeux humides de pleurs: -Laisse-moi, Saturnin, me dit-elle, laisse une malheureuse!--Chère soeur! -m'écriai-je, la vue de Saturnin t'inspire-t-elle de l'horreur? Tu lui -refuses tes baisers, tu lui refuses tes caresses. Sensible à mes -reproches, elle me donna les marques les plus vives de sa joie. La -gaieté reparut sur son visage; elle se répandit jusque sur la vieille, à -qui je donnai de l'argent pour nous apprêter à souper. J'aurais donné -tout: je retrouvais Suzon, n'étais-je pas assez riche? - -On préparait le souper; je tenais toujours Suzon dans mes bras. Nous -n'avions pas encore eu la force d'ouvrir la bouche pour nous demander -quelles aventures pouvaient nous rassembler si loin de notre patrie; -nous nous regardions, nos yeux étaient les seuls interprètes de nos -âmes; ils versaient des larmes de joie et de tristesse; nous n'étions -occupés que de ces deux passions. Notre coeur était si rempli, notre -esprit si occupé, que notre langue était comme liée; nous soupirions; si -nous ouvrions quelquefois la bouche, nous ne prononcions que des paroles -sans suite; tout nous ramenait à la réflexion du bonheur d'être -ensemble. - -Je rompis enfin le silence.--Suzon, m'écriai-je, ma chère Suzon! c'est -toi que je retrouve! Par quel heureux hasard m'es-tu rendue? Mais dans -quel lieu, ah! ciel!--Tu vois, me répondit-elle avec un visage accablé, -une fille malheureuse qui a éprouvé toutes les alternatives de la -fortune, presque toujours l'objet de sa fureur, et forcée de vivre dans -un libertinage que sa raison condamne, que son coeur déteste, mais que -la nécessité lui rend indispensable. Ton impatience, je le vois, attend -après le récit de mes malheurs; puis-je donner un autre nom à la vie que -j'ai menée depuis que je t'ai perdu? Moins sensible à la honte de te -révéler mes dérèglements qu'au plaisir de répandre ma douleur dans ton -sein, je vais te faire un aveu sincère de mes peines. Te le dirai-je, -c'est toi qui les as causées; mais mon coeur était de moitié, lui seul a -tout fait, il a creusé l'abîme où je suis plongée. Te souviens-tu de ces -temps heureux où tu me faisais une peinture naïve de ta passion -naissante? Je t'adorais dès ce temps-là. En te racontant les aventures -de Monique, en te découvrant nos mystères les plus cachés, je voulais -t'enflammer, je voulais t'instruire; je voyais avec plaisir l'effet de -mes discours. J'ai été témoin de tes transports avec Mme Dinville, et -tes caresses étaient autant de coups de poignard pour moi. Quand je -t'entraînai dans ma chambre, j'étais dévorée par un feu que tu ne -pouvais plus éteindre. C'est ici l'époque de mes infortunes. Tu as -toujours ignoré la cause de ce bruit affreux que nous entendîmes: -c'était l'abbé Fillot, ce scélérat vomi par les enfers et né pour le -supplice de mes jours. Il avait conçu pour moi un amour qu'il voulait -satisfaire à quel prix que ce fût; il avait choisi la nuit pour -l'exécution de son dessein; il s'était caché dans la ruelle du lit, et -profita de ta fuite pour venir se mettre à ta place. Hélas! il eut bon -temps d'une malheureuse que la frayeur avait fait évanouir; il fit ce -qu'il voulut. Ranimée par le plaisir et trompée par ma passion, je crus -le recevoir de mon cher Saturnin. Je comblai de plaisirs un monstre que -j'accablai de reproches quand je le reconnus. Il voulut m'apaiser par -ses caresses, je le repoussai avec horreur; il me menaça de révéler à -Mme Dinville ce que j'avais fait avec toi. L'indigne employait contre -moi les armes dont je pouvais me servir contre lui. Il obtint par ses -menaces ce que j'avais refusé à ses transports. Ainsi, j'accordais tout -à un homme que je détestais, et le sort m'arrachait des bras de celui -que j'aimais. - -Bientôt je sentis les fruits amers de mon imprudence. Je cachai ma honte -le plus que je pus; mais je me serais trahie par un silence trop -obstiné. J'avais chassé l'abbé Fillot; il se consolait dans les bras de -Mme Dinville. La nécessité me le fit rappeler. Je lui découvris mon -état; il feignit d'y être sensible, m'offrit de m'emmener avec lui à -Paris, en m'y promettant le sort le plus heureux; il ajouta qu'il ne -demandait, pour prix de ses services, que de vouloir souffrir qu'il me -les rendît. Je ne voulais qu'être en un lieu où je pusse me délivrer de -mon fardeau, comptant bien ne me servir ensuite de son crédit que pour -me placer auprès de quelque dame. Je me laissai gagner par ses -promesses; je consentis à le suivre et partis avec lui, déguisée en -abbé. - -Il eut pour moi mille attentions dans la route; mais que le traître -cachait bien la scélératesse de son coeur sous des apparences -trompeuses! Les secousses du carrosse avaient trompé mon calcul: je mis -au monde, à une lieue de Paris, le gage odieux de l'amour d'un -misérable. Tout le monde criait au prodige et riait. Mon indigne -compagnon de voyage disparut, me laissa à ma douleur et à ma misère. Une -dame charitable eut pitié de mon état, prit un carrosse, m'amena à Paris -et de là à l'Hôtel-Dieu. Elle ne me tira des bras de la mort que pour me -laisser dans ceux de l'indigence. Je ne l'aurais sentie que trop tôt, si -le hasard ne m'eût fait rencontrer une fille perdue. La misère entraîna -le penchant. - -N'en exige pas davantage. La vie de Suzon n'a été qu'un enchaînement -continuel de plaisirs et de chagrin. Si le plaisir s'est fait -quelquefois sentir à mon coeur, il n'a fait que colorer le fond de -tristesse qui le rongeait. Cessera-t-elle, cette tristesse? Ah! puisque -je te retrouve, je ne dois plus me plaindre. Mais, toi, cher frère, ne -me fais pas languir: es-tu sorti de ton couvent? Quel hasard t'a conduit -à Paris?--Un malheur semblable au tien, lui répondis-je, que m'a causé -ta meilleure amie.--Ma meilleure amie! reprit-elle en soupirant. En -ai-je encore dans le monde? Ah! ça ne peut être que la soeur -Monique.--Elle-même, repris-je: ce récit exige trop de temps: soupons. - -Je fis à côté de Suzon le repas le plus délicieux de ma vie. L'envie de -me voir seul avec elle et, de son côté, celle d'apprendre mes aventures, -nous firent quitter promptement la table. Nous nous retirâmes dans sa -chambre, où, sans témoins, sur un lit, digne meuble de l'endroit où nous -étions, et qui n'avait jamais servi à deux amants aussi tendres, tenant -Suzon sur mes genoux, et mon visage collé sur le sien je lui racontai -mes aventures depuis ma sortie de chez Ambroise. - ---Je ne suis donc plus ta soeur? s'écria-t-elle quand j'eus fini.--Ne -regrette pas, lui dis-je, une qualité que le sang donne, et rarement le -coeur; si tu n'es plus ma soeur, tu es toujours l'idole de mon coeur. -Chère âme, continuai-je en la pressant tendrement dans mes bras, -oublions nos malheurs, et commençons à compter notre vie du jour qui -nous a rassemblés. En lui disant ces mots, je baisai sa gorge; j'avais -déjà ma main entre ses cuisses:--Arrête, me dit-elle en s'échappant de -mes bras, arrête!--Cruelle! m'écriai-je, quelles grâces aurais-je donc à -rendre à la fortune si tu rebutes les témoignages de mon -amour?--Etouffe, me répondit-elle, des désirs que je ne pourrais écouter -sans être criminelle; fais un effort sur ta passion: je t'en donne -l'exemple.--Ah! Suzon, lui répliquai-je, tu n'as guère d'amour si tu -peux me conseiller d'étouffer le mien! Et dans quelles circonstances? -Quand rien ne s'oppose à notre bonheur!--Rien ne s'oppose à notre -bonheur? reprit-elle; ah! que ne dis-tu vrai? Dans le moment je la vis -en pleurs: je la pressai de m'en expliquer la cause.--Voudrais-tu, me -dit-elle, partager avec moi le triste prix de mon libertinage? Quand tu -le voudrais, aurais-je la cruauté d'y consentir?--Tu crois, lui -répondis-je, m'arrêter par une raison aussi faible? Je partagerais la -mort avec ma Suzon, et je craindrais de partager ses malheurs? -Sur-le-champ je la renverse sur le lit et veux lui prouver que je ne -crains pas le danger.--Ah! cher Saturnin, s'écria-t-elle, tu vas te -perdre!--Je me perdrai, lui dis-je, transporté d'amour, mais ce sera -dans tes bras! Elle cède, je pousse... Qu'on me permette d'imiter ici ce -sage Grec qui, peignant le sacrifice d'Iphigénie, après avoir épuisé sur -le visage des assistants tous les traits qui caractérisaient la douleur -la plus profonde, couvrit celui d'Agamemnon d'un voile, laissant -habilement aux spectateurs le plaisir d'imaginer quels traits pouvaient -caractériser le désespoir d'un père tendre qui voit répandre son sang, -qui voit immoler sa fille. Je vous laisse, cher lecteur, le plaisir -d'imaginer; mais c'est à vous que je m'adresse, vous qui avez éprouvé -les traverses de l'amour, et qui, après un long temps, avez vu votre -passion couronnée par la jouissance de l'objet aimé. Rappelez-vous vos -plaisirs, poussez votre imagination encore plus loin s'il est possible, -elle sera toujours au-dessous de mes délices. Mais quel démon jaloux de -ma tranquillité me présente sans cesse un souvenir que j'arrose de -larmes de sang? Ah! finissons, je succombe à ma douleur. - -Le jour vint avant que nous nous fussions aperçus que la nuit avait -disparu. J'avais oublié mes chagrins, l'univers entier, dans les bras de -Suzon.--Ne nous quittons jamais, mon cher frère, me disait-elle; où -trouveras-tu une fille plus tendre? où trouverais-je un amant plus -passionné? Je lui jurais de vivre toujours avec elle; je le lui jurais, -hélas! et nous allions nous quitter pour ne nous jamais revoir. L'orage -grondait sur nos têtes, le charme de l'illusion le dérobait à nos -yeux.--Sauvez-vous, Suzon, vint nous dire une fille épouvantée, -sauvez-vous, fuyez par l'escalier dérobé! Surpris, nous voulûmes nous -lever: il n'était plus temps; un archer féroce entrait au moment où nous -nous levions. Suzon, éperdue, se jette dans mes bras: il l'en arrache -malgré mes efforts, il l'entraîne. Cette vue me rend furieux; la rage me -prête des forces, le désespoir me rend invincible. Un chenet, dont je me -saisis, devient dans mes mains une arme mortelle. Je m'élance sur -l'archer. Arrête, malheureux Saturnin! Il n'est plus temps, le coup est -porté, le ravisseur de Suzon tombe à mes pieds. On se jette sur moi, je -me défends, je succombe, je suis pris. On me lie; à peine me laisse-t-on -la liberté de prendre la moitié de mes habits.--Adieu, Suzon, -m'écriai-je en lui tendant les bras; adieu, ma chère soeur, adieu! On me -traînait inhumainement sur l'escalier; la douleur que me causaient les -coups des marches sur lesquelles ma tête frappait me fit bientôt perdre -connaissance. - -Dois-je finir ici le récit de mes malheurs? Ah! lecteur, si votre coeur -est sensible, suspendez votre curiosité, contentez-vous de me plaindre; -mais quoi! le sentiment de ma douleur prévaudra-t-il toujours sur celui -de ma félicité? N'ai-je pas assez versé de pleurs? Je touche au port et -je regrette encore les dangers du naufrage. Lisez, et vous allez voir -les tristes suites du libertinage, heureux si vous ne le payez pas plus -cher que moi. - -Je ne revins de ma faiblesse que pour me voir dans un misérable lit, au -milieu d'un hôpital. Je demandai où j'étais. A Bicêtre, me dit-on. A -Bicêtre! m'écriai-je; ciel! à Bicêtre! La douleur me pétrifia, la fièvre -me saisit, je n'en revins que pour tomber dans une maladie plus cruelle, -la vérole! Je reçus sans murmurer ce nouveau châtiment du ciel. Suzon, -me dis-je, je ne me plaindrais pas de mon sort, si tu ne souffrais pas -le même malheur. - -Mon mal devint insensiblement si violent que, pour le chasser, on eut -recours aux plus violents remèdes: on m'annonça qu'il fallait me -résoudre à subir une petite opération. Il faut vous épargner ce -spectacle de douleur. Que puis-je vous dire? Je tombai dans une -faiblesse que l'on prit pour le dernier moment de ma vie. Que ne -l'était-il? J'aurais été trop heureux! La douleur qui avait causé mon -évanouissement m'en retira. Je portai la main où je sentais la douleur -la plus vive. Ah! je ne suis plus un homme! Je poussai un cri qui fut -entendu jusqu'aux extrémités de la maison. Mais bientôt revenant à -moi-même, et, tel que Job sur son fumier, pénétré de douleur et soumis -aux ordres du ciel, je m'écriai dans l'amertume de mon coeur: _Deus -dederat, Deus abstulit._ - -Je ne souhaitais plus que la mort. J'avais perdu le pouvoir de jouir de -la vie; l'anéantissement était le but de tous mes désirs; j'aurais voulu -me cacher éternellement ce que j'avais été, je ne pouvais penser sans -horreur à ce que j'étais. Le voilà donc, disais-je au fond de mon coeur, -le voilà, cet infortuné père Saturnin, cet homme si chéri des femmes, il -n'est plus; un coup cruel vient de lui enlever la meilleure partie de -lui-même; j'étais un héros, et je ne suis plus qu'un... Meurs, -malheureux, meurs; peux-tu survivre à cette perte? Tu n'es plus qu'un -eunuque! - -La mort fut sourde à mes cris; ma santé revint, je me rétablis; mais ma -débilité fit juger qu'on ne tirerait pas de moi les services qu'on en -avait attendus et auxquels on m'avait destiné; on me déclara que j'étais -libre.--Je suis libre, répondis-je au supérieur qui me l'annonçait; -hélas! à quoi va me servir cette liberté que vous me donnez? Dans l'état -cruel où je suis, c'est le présent le plus funeste que vous puissiez me -faire. Mais, monsieur, oserais-je vous demander le sort d'une jeune -personne que l'on doit avoir amenée ici le même jour que moi?--Il est -plus heureux que le vôtre, me répondit-il brusquement; elle est morte -dans les remèdes.--Elle est morte, repris-je, accablé de ce dernier -coup; Suzon est morte! Ah ciel? et je vis encore! J'aurais dans le -moment terminé mes jours si l'on n'avait arrêté l'effet de mon -désespoir. On me sauva de ma propre fureur, et l'on me mit dans le -chemin de profiter de la permission que l'on venait de me donner, -c'est-à-dire à la porte. - -Je restai un moment anéanti; mes yeux seuls, en répandant un torrent de -larmes, témoignaient que je vivais encore; j'étais au dernier degré du -désespoir et de la rage. Couvert d'un malheureux habit, ayant à peine de -quoi vivre un jour et ne sachant où aller, je m'abandonnai dans les bras -de la Providence. Je prenais le chemin de Paris, j'aperçus les murs des -Chartreux; la profonde solitude qui y règne fit briller à mon esprit un -trait de lumière. Heureux mortels! m'écriai-je, qui vivez dans cette -retraite à l'abri des fureurs et des revers de la fortune, vos coeurs -purs et innocents ne connaissent pas les horreurs qui déchirent le mien. -L'idée de leur félicité m'inspira le désir de la partager. J'allai me -jeter aux pieds du supérieur; je lui contai mes infortunes. O mon fils, -me dit-il en m'embrassant avec bonté, louez Dieu: il vous réservait ce -port après tant de naufrages. Vivez-y, et vivez-y heureux, s'il est -possible. - -Je restai pendant quelque temps sans emploi, mais bientôt on m'en donna. -Je montai par degrés au poste de portier, et c'est sous ce titre qu'on -m'a connu. - -C'est ici que mon coeur se fortifie dans la haine qu'il a conçue pour le -monde; j'y attends la mort sans la craindre ni la désirer, et je -prétends que, quand elle m'aura tiré du nombre des vivants, on grave en -lettres d'or sur mon tombeau: - - _Hic situs est dom Saturnin, - Fututus, Futuit._ - - -FIN - - - - - - -End of the Project Gutenberg EBook of Le portier des chartreux, ou mémoires -de Saturnin écrits par lui-même, by Jean Charles Gervaise de La Touche - -*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE PORTIER DES CHARTREUX *** - -***** This file should be named 57870-8.txt or 57870-8.zip ***** -This and all associated files of various formats will be found in: - http://www.gutenberg.org/5/7/8/7/57870/ - -Produced by René Galluvot (This file was produced from -images generously made available by The Internet -Archive/Canadian Libraries) - -Updated editions will replace the previous one--the old editions will -be renamed. - -Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright -law means that no one owns a United States copyright in these works, -so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United -States without permission and without paying copyright -royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part -of this license, apply to copying and distributing Project -Gutenberg-tm electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG-tm -concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark, -and may not be used if you charge for the eBooks, unless you receive -specific permission. If you do not charge anything for copies of this -eBook, complying with the rules is very easy. You may use this eBook -for nearly any purpose such as creation of derivative works, reports, -performances and research. They may be modified and printed and given -away--you may do practically ANYTHING in the United States with eBooks -not protected by U.S. copyright law. Redistribution is subject to the -trademark license, especially commercial redistribution. - -START: FULL LICENSE - -THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE -PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK - -To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free -distribution of electronic works, by using or distributing this work -(or any other work associated in any way with the phrase "Project -Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full -Project Gutenberg-tm License available with this file or online at -www.gutenberg.org/license. - -Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project -Gutenberg-tm electronic works - -1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm -electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to -and accept all the terms of this license and intellectual property -(trademark/copyright) agreement. 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If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted -with the permission of the copyright holder, your use and distribution -must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any -additional terms imposed by the copyright holder. Additional terms -will be linked to the Project Gutenberg-tm License for all works -posted with the permission of the copyright holder found at the -beginning of this work. - -1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm -License terms from this work, or any files containing a part of this -work or any other work associated with Project Gutenberg-tm. - -1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this -electronic work, or any part of this electronic work, without -prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with -active links or immediate access to the full terms of the Project -Gutenberg-tm License. - -1.E.6. 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Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation - -The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit -501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the -state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal -Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification -number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by -U.S. federal laws and your state's laws. - -The Foundation's principal office is in Fairbanks, Alaska, with the -mailing address: PO Box 750175, Fairbanks, AK 99775, but its -volunteers and employees are scattered throughout numerous -locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt -Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. 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Thus, we do not -necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper -edition. - -Most people start at our Web site which has the main PG search -facility: www.gutenberg.org - -This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, -including how to make donations to the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to -subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. - diff --git a/57870-h/57870-h.htm b/57870-h/57870-h.htm index a2c89f5..f932058 100644 --- a/57870-h/57870-h.htm +++ b/57870-h/57870-h.htm @@ -33,43 +33,7 @@ p { margin: .3em 0; text-align: justify; text-indent: 1.5em; } <body> -<pre> - -The Project Gutenberg EBook of Le portier des chartreux, ou mémoires de -Saturnin écrits par lui-même, by Jean Charles Gervaise de La Touche - -This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most -other parts of the world at no cost and with almost no restrictions -whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of -the Project Gutenberg License included with this eBook or online at -www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have -to check the laws of the country where you are located before using this ebook. - -Title: Le portier des chartreux, ou mémoires de Saturnin écrits par lui-même - -Author: Jean Charles Gervaise de La Touche - -Release Date: September 8, 2018 [EBook #57870] - -Language: French - -Character set encoding: ISO-8859-1 - -*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE PORTIER DES CHARTREUX *** - - - - -Produced by René Galluvot (This file was produced from -images generously made available by The Internet -Archive/Canadian Libraries) - - - - - - -</pre> +<div>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 57870 ***</div> <h1><span class="small">LE PORTIER</span><br/> DES CHARTREUX</h1> @@ -4921,381 +4885,7 @@ Fututus, Futuit.</i></p> -<pre> - - - - - -End of the Project Gutenberg EBook of Le portier des chartreux, ou mémoires -de Saturnin écrits par lui-même, by Jean Charles Gervaise de La Touche - -*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE PORTIER DES CHARTREUX *** - -***** This file should be named 57870-h.htm or 57870-h.zip ***** -This and all associated files of various formats will be found in: - http://www.gutenberg.org/5/7/8/7/57870/ - -Produced by René Galluvot (This file was produced from -images generously made available by The Internet -Archive/Canadian Libraries) - -Updated editions will replace the previous one--the old editions will -be renamed. - -Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright -law means that no one owns a United States copyright in these works, -so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United -States without permission and without paying copyright -royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part -of this license, apply to copying and distributing Project -Gutenberg-tm electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG-tm -concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark, -and may not be used if you charge for the eBooks, unless you receive -specific permission. If you do not charge anything for copies of this -eBook, complying with the rules is very easy. You may use this eBook -for nearly any purpose such as creation of derivative works, reports, -performances and research. They may be modified and printed and given -away--you may do practically ANYTHING in the United States with eBooks -not protected by U.S. copyright law. Redistribution is subject to the -trademark license, especially commercial redistribution. - -START: FULL LICENSE - -THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE -PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK - -To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free -distribution of electronic works, by using or distributing this work -(or any other work associated in any way with the phrase "Project -Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full -Project Gutenberg-tm License available with this file or online at -www.gutenberg.org/license. - -Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project -Gutenberg-tm electronic works - -1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm -electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to -and accept all the terms of this license and intellectual property -(trademark/copyright) agreement. 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