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authornfenwick <nfenwick@pglaf.org>2025-02-08 09:50:21 -0800
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+*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 57870 ***
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+LE PORTIER
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+DES CHARTREUX
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+OU
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+MÉMOIRES DE SATURNIN
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+ÉCRITS PAR LUI-MÊME
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+AMSTERDAM
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+1889
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+LE PORTIER
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+DES CHARTREUX
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+PREMIÈRE PARTIE
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+Que c'est une douce satisfaction pour un coeur d'être désabusé des vains
+plaisirs, des amusements frivoles et des voluptés dangereuses qui
+l'attachaient au monde! Rendu à lui-même après une longue suite
+d'égarements, et dans le calme que lui procure l'heureuse privation de
+ce qui faisait autrefois l'objet de ses désirs, il sent encore ces
+frémissements d'horreur qui laissent dans l'imagination le souvenir des
+périls auxquels il est échappé: il ne les sent que pour se féliciter de
+la sûreté où il se trouve; ces mouvements lui deviennent des sentiments
+chers parce qu'ils servent à lui faire mieux goûter les charmes de la
+tranquillité dont il jouit.
+
+Tel est, cher lecteur, la situation du mien. Quelles grâces n'ai-je pas
+à rendre au Tout-Puissant dont la miséricorde m'a retiré de l'abîme du
+libertinage où j'étais plongé et me donne aujourd'hui la force d'écrire
+mes égarements pour l'édification de mes frères!
+
+Je suis le fruit de l'incontinence des révérends pères Célestins de la
+ville de R... Je dis des révérends pères, parce que tous se vantaient
+d'avoir fourni à la composition de mon individu. Mais quel sujet
+m'arrête tout à coup? Mon coeur est agité: est-ce par la crainte qu'on
+ne me reproche que je révèle ici les mystères de l'Eglise? Ah!
+surmontons ce faible remords. Ne sait-on pas que tout homme est homme,
+et les moines surtout? Ils ont donc la faculté de travailler à la
+propagation de l'espèce. Eh! pourquoi la leur interdirait-on? Ils s'en
+acquittent si bien!
+
+Peut-être, lecteur, vous attendez avec impatience que je vous fasse le
+récit détaillé de ma naissance: je suis fâché de ne pouvoir pas sitôt
+vous satisfaire sur cet article. Vous allez me voir de plein saut chez
+un bonhomme de paysan que j'ai pris longtemps pour mon père.
+
+Ambroise, c'était le nom du bonhomme, était le jardinier d'une maison de
+campagne que les Célestins avaient dans un petit village à quelques
+lieues de la ville; sa femme, Toinette, fut choisie pour me servir de
+nourrice. Un fils qu'elle avait mis au monde, et qui mourut au moment où
+je vis le jour, aida à voiler le mystère de ma naissance. On enterra
+secrètement le fils du jardinier et celui des moines fut mis à sa place:
+l'argent fait tout.
+
+Je grandissais insensiblement, toujours cru et me croyant moi-même fils
+du jardinier. J'ose dire néanmoins, qu'on me pardonne ce petit trait de
+vanité, que mes inclinations décelaient ma naissance. Je ne sais quelle
+influence divine opère sur les ouvrages des moines: il semble que la
+vertu du froc se communique à tout ce qu'ils touchent. Toinette en était
+une preuve. C'était bien la plus fringante femelle que j'aie jamais vue,
+et j'en ai vu quelques-unes. Elle était grosse, mais ragoûtante, de
+petits yeux noirs, un nez retroussé, vive, amoureuse, plus parée que ne
+l'est ordinairement une paysanne. Ç'aurait été un excellent pis aller
+pour un honnête homme; jugez pour des moines!
+
+Quand la coquine paraissait avec son corset des dimanches, qui lui
+serrait une gorge que le hâle avait toujours respectée, et laissait voir
+deux tétons qui s'échappaient, ah! que je sentais bien dans ce moment
+que je n'étais pas son fils, ou que j'aurais volontiers passé sur cette
+qualité.
+
+J'avais les dispositions toutes monacales. Guidé par le seul instinct,
+je ne voyais pas une fille que je ne l'embrassasse, que je ne lui
+portasse la main partout où elle voulait bien la laisser aller; et
+quoique je ne susse pas bien positivement ce que j'aurais fait, mon
+coeur me disait que j'en aurais fait plus, si l'on ne m'eût arrêté dans
+mes transports.
+
+Un jour qu'on me croyait à l'école, j'étais resté dans un petit réduit
+où je couchais: une simple cloison le séparait de la chambre d'Ambroise,
+dont le lit était justement appuyé contre; je dormais; il faisait une
+extrême chaleur: c'était dans le coeur de l'été; je fus tout à coup
+réveillé par de violentes secousses que j'entendis donner à la cloison.
+Je ne savais que penser de ce bruit; il redoublait. En prêtant
+l'oreille, j'entendis des sons émus et tremblants, des mots sans suite
+et mal articulés. «Ah! doucement, ma chère Toinette, ne va pas si vite!
+Ah! coquine! tu me fais mourir de plaisir!... Va vite... Eh! vite...
+Ah!... je me meurs!...»
+
+Surpris d'entendre de pareilles exclamations, dont je ne sentais pas
+toute l'énergie, je me rassis; à peine osais-je remuer. Si l'on m'avait
+su là, j'avais tout à craindre; je ne savais quoi penser, j'étais tout
+ému. L'inquiétude où j'étais fit bientôt place à la curiosité.
+J'entendis de nouveau le même bruit, et je crus distinguer qu'un homme
+et Toinette répétaient alternativement les mêmes mots que j'avais déjà
+entendus. Même attention de ma part. L'envie de savoir ce qui se passait
+dans cette chambre devint à la fin si vive qu'elle étouffa toutes mes
+craintes. Je résolus de savoir ce qu'il en était. Je serais, je crois,
+volontiers entré dans la chambre d'Ambroise pour voir ce qui s'y
+passait, au risque de tout ce qui aurait pu arriver. Je ne fus pas à
+cette peine. En cherchant doucement avec la main si je ne trouverais pas
+quelque trou à la cloison, j'en sentis un qui était couvert par une
+grande image. Je la perçai et me fis jour. Quel spectacle! Toinette nue
+comme la main, étendue sur son lit, et le père Polycarpe, procureur du
+couvent, qui était à la maison depuis quelque temps, nu comme Toinette,
+faisant... quoi? ce que faisaient nos premiers parents, quand Dieu leur
+eut ordonné de peupler la terre, mais avec des circonstances moins
+lubriques.
+
+Cette vue produisit chez moi une surprise mêlée de joie et d'un
+sentiment vif et délicieux qu'il m'aurait été impossible d'exprimer. Je
+sentais que j'aurais donné tout mon sang pour être à la place du moine.
+Que je lui portais d'envie! que son bonheur me paraissait grand! Un feu
+inconnu se glissait dans mes veines; j'avais le visage enflammé, mon
+coeur palpitait, je retenais mon haleine, et la pique de Vénus, que je
+pris à la main, était d'une force et d'une roideur à abattre la cloison,
+si j'avais poussé un peu fort. Le père fournit sa carrière, et en se
+retirant de dessus Toinette, il la laissa exposée à toute la vivacité de
+mes regards. Elle avait les yeux mourants et le visage couvert du rouge
+le plus vif. Elle était hors d'haleine; ses bras étaient pendants, sa
+gorge s'élevait et se baissait avec une précipitation étonnante. Elle
+serrait de temps en temps le derrière, en se roidissant et en jetant de
+grands soupirs. Mes yeux parcouraient avec une rapidité inconcevable
+toutes les parties de son corps; il n'y en avait pas une sur laquelle
+mon imagination ne collât mille baisers de feu. Je suçais ses tétons,
+son ventre; mais l'endroit le plus délicieux, et de dessus lequel mes
+yeux ne purent plus s'arracher, quand une fois je les y eus fixés,
+c'était... Vous m'entendez. Que cette coquille avait pour moi de
+charmes! Ah! l'aimable coloris! Quoique couverte d'une petite écume
+blanche, elle ne perdait rien à mes yeux de la vivacité de sa couleur.
+Au plaisir que je ressentais, je reconnus le centre de la volupté. Il
+était ombragé d'un poil épais, noir et frisé. Toinette avait les jambes
+écartées, il semblait que sa paillardise fût d'accord avec ma curiosité
+pour ne me rien laisser à désirer!
+
+Le moine, ayant repris vigueur, vint de nouveau se présenter au combat;
+il se remit sur Toinette, avec une nouvelle ardeur; mais ses forces
+trahirent son courage, et, fatigué de piquer inutilement sa monture, je
+le vis retirer l'instrument de la coquille de Toinette, lâche et
+baissant la tête. Toinette, dépitée de sa retraite, le prit et se mit à
+le secouer; le moine s'agitait avec fureur et paraissait ne pouvoir plus
+supporter le plaisir qu'il ressentait. J'examinais tous leurs mouvements
+sans autre guide que la nature, sans autre instruction que l'exemple,
+et, curieux de savoir ce qui pouvait occasionner ces mouvements
+convulsifs du père, j'en cherchais la cause en moi-même. J'étais surpris
+de sentir un plaisir inconnu qui augmentait insensiblement, et devint
+enfin si grand que je tombai pâmé sur mon lit. La nature faisait des
+efforts incroyables, et toutes les parties de mon corps semblaient
+fournir au plaisir de celle que je caressais. Il tomba enfin de cette
+liqueur blanche dont j'avais vu une si grande profusion sur les cuisses
+de Toinette. Je revins de mon extase, et retournai au trou de la
+cloison; il n'était plus temps: le dernier coup était joué, la partie
+était finie. Toinette se rhabillait, le père l'était déjà.
+
+Je restai quelque temps l'esprit et le coeur remplis de l'aventure dont
+je venais d'être témoin, et dans cette espèce d'étourdissement
+qu'éprouve un homme qui vient d'être frappé par l'éclat d'une lumière
+étrangère. J'allais de surprise en surprise; les connaissances que la
+nature avait mises dans mon coeur venaient de se développer, les nuages
+dont elle les avait couvertes s'étaient dissipés. Je reconnus la cause
+des différents sentiments que j'éprouvais tous les jours à la vue des
+femmes. Ces passages imperceptibles de la tranquillité aux mouvements
+les plus vifs, de l'indifférence aux désirs, n'étaient plus des énigmes
+pour moi. Ah! m'écriai-je, qu'ils étaient heureux! la joie les
+transportait tous deux. Il faut que le plaisir qu'ils goûtaient soit
+bien grand. Ah! qu'ils étaient heureux! qu'ils étaient heureux! L'idée
+de ce bonheur m'absorbait; elle m'ôtait pour un moment tout pouvoir d'y
+réfléchir. Un silence profond succédait à mes exclamations. Ah!
+reprenais-je aussitôt, ne serai-je jamais grand pour en faire autant à
+une femme? Je mourrais sur elle de plaisir, puisque je viens d'en avoir
+tant. Ce n'est là sans doute qu'une image de celui que le père Polycarpe
+goûtait avec ma mère; mais, poursuivais-je je suis bien simple! Est-il
+absolument nécessaire d'être grand pour avoir ce plaisir-là? Pardi! il
+me semble que le plaisir ne se mesure pas à la taille: pourvu que l'on
+soit l'un sur l'autre, cela doit aller tout seul!
+
+Sur le champ il me vint dans l'esprit de faire part de mes nouvelles
+découvertes à ma soeur Suzon. Elle avait quelques années de plus que
+moi: c'était une petite blonde fort jolie, qui portait une de ces
+physionomies ouvertes que l'on serait tenté de croire niaises, parce
+qu'elles paraissent indolentes. Elle avait de ces beaux yeux bleus,
+pleins d'une douce langueur, qu'il semble que l'on tourne sur vous sans
+intention, mais dont l'effet n'est pas moins sûr que celui des yeux
+brillants d'une brune piquante qui vous lance des regards passionnés.
+Pourquoi cela? Je n'en sais rien, car je me suis toujours grossièrement
+contenté du sentiment, sans être tenté d'en pénétrer la cause. Ne
+serait-ce pas parce qu'une belle blonde, avec ses regards languissants,
+semble vous prier de lui donner votre coeur, et que ceux d'une brune
+veulent vous enlever de force? La blonde ne demande qu'un peu de
+compassion pour sa faiblesse, et cette façon de demander est bien
+séduisante; vous croyez ne donner que la compassion, et vous donnez de
+l'amour. La brune, au contraire, veut que vous soyez faible, sans vous
+promettre qu'elle le sera. Le coeur se gendarme contre celle-ci,
+n'est-il pas vrai? Qu'en pensez-vous, lecteur?
+
+Je l'avoue à ma honte, il ne m'était pas encore venu dans l'esprit de
+jeter sur Suzon un regard de concupiscence, chose rare chez moi, qui
+convoitais toutes les filles que je voyais. Il est vrai qu'étant la
+filleule de la dame du village, qui l'aimait et la faisait élever chez
+elle, je ne la voyais pas souvent. Il y avait même un an qu'elle était
+au couvent: elle n'en était sortie que depuis huit jours; sa marraine,
+qui devait venir passer quelque temps à la campagne, lui avait promis de
+venir voir Ambroise. Je me sentis tout d'un coup enflammé du désir
+d'endoctriner ma chère soeur et de goûter avec elle les mêmes plaisirs,
+que je venais de voir prendre au père Polycarpe avec Toinette. Je ne fus
+plus le même pour elle. Mes yeux sourirent à mille charmes que je ne lui
+avais pas aperçus. Je lui trouvai une gorge naissante, plus blanche que
+le lis, ferme, potelée. Je suçais déjà avec un délice inexprimable ces
+deux petites fraises que je voyais au bout de ces tétons; mais surtout
+dans la peinture de ses charmes je n'oubliais pas ce centre, cet abîme
+de plaisirs dont je me faisais des images si ravissantes. Animé par
+l'ardeur vive et brûlante que ces idées répandaient dans tout mon corps,
+je sortis, j'allai chercher Suzon. Le soleil venait de se coucher, la
+brune s'avançait: je me flattais qu'à la faveur de l'obscurité que la
+nuit allait répandre je serais dans un moment au comble de mes désirs,
+si je la trouvais. Je l'aperçus de loin qui cueillait des fleurs. Elle
+ne pensait pas alors que je méditais de cueillir la fleur la plus
+précieuse de son bouquet. Je volai à elle; la voyant livrée toute
+entière à une occupation aussi innocente, je balançai dans le moment si
+je lui ferais connaître mon dessein. A mesure que j'approchais, je
+sentais ralentir la vivacité de ma course. Un tremblement soudain
+semblait me reprocher mon intention: je croyais devoir respecter son
+innocence; je n'étais retenu que par l'incertitude du succès. Je
+l'abordai, mais avec une palpitation qui ne me permettait pas de dire
+deux mots sans reprendre haleine.--Que fais-tu donc là, Suzon? lui
+dis-je en m'approchant d'elle. Et voulant l'embrasser, elle s'échappa en
+riant et me répondit: Comment! ne vois-tu pas que je cueille des
+fleurs?--Ah! ah! repris-je, tu cueilles des fleurs?--Eh! vraiment oui,
+me répliqua-t-elle; ne sais-tu pas que c'est demain la fête de ma
+marraine? Ce nom me fit trembler, comme si j'eusse craint que Suzon ne
+m'échappât. Mon coeur s'était déjà fait (si j'ose me servir de ce terme)
+une habitude de la regarder comme une conquête sûre; et l'idée de son
+éloignement semblait me menacer de la perte d'un plaisir que je
+regardais comme certain, quoique je n'en eusse pas encore goûté.--Je ne
+te verrai donc plus, Suzon? lui dis-je d'un air triste.--Pourquoi donc,
+me répondit-elle, ne viendrais-je pas toujours ici? Mais, allons,
+poursuivit-elle d'un air charmant, aide-moi à faire mon bouquet. Je ne
+lui répondis qu'en lui jetant quelques fleurs au visage; aussitôt elle
+de m'en jeter aussi.--Tiens, Suzon, lui dis-je, si tu m'en jettes
+davantage, je te... Tu me le payeras! Pour me faire voir qu'elle bravait
+mes menaces, elle m'en jeta une poignée. Dans le moment ma timidité
+m'abandonna; je ne craignais pas d'être vu. La brune, qui empêchait
+qu'on ne pût voir à une certaine distance, favorisait mon audace. Je me
+jette sur Suzon, elle me repousse; je l'embrasse, elle me donne un
+soufflet; je la jette sur l'herbe, elle veut se relever, je l'en
+empêche; je la tiens étroitement serrée dans mes bras en lui baisant la
+gorge, elle se débat; je veux lui fourrer la main sous la jupe; elle
+crie comme un petit démon; elle se défend si bien que je crains de n'en
+pouvoir venir à bout, et qu'il ne survienne du monde. Je me relevai en
+riant, et je crus qu'elle n'y entendait pas plus de malice que je
+voulais qu'elle n'y entendît. Que je me trompais!--Allons, lui dis-je,
+Suzon, pour te faire voir que je ne voulais pas te faire de mal, je veux
+bien t'aider.--Oui, oui, me répondit-elle avec une agitation au moins
+égale à la mienne, va, voilà ma mère qui vient, et je...--Ah! Suzon,
+repris-je vivement en l'empêchant d'en dire davantage, ma chère Suzon,
+ne lui dis rien; je te donnerai... tiens, tout ce que tu voudras! Un
+nouveau baiser fut le gage de ma parole; elle en rit; Toinette arriva.
+Je craignais que Suzon ne parlât; elle ne dit mot, et nous retournâmes
+tous ensemble souper, comme si rien n'était.
+
+Depuis que le père Polycarpe était à la maison, il avait donné de
+nouvelles preuves de la bonté du couvent pour le prétendu fils
+d'Ambroise: je venais d'être habillé tout de neuf. En vérité, sa
+révérence avait en cela moins consulté la charité monacale, qui a des
+bornes fort étroites, que la tendresse paternelle, qui souvent n'en
+connaît pas. Le bon père, par une pareille prodigalité, exposait la
+légitimité de ma naissance à de violents soupçons. Mais nos manants
+étaient de bonnes gens et n'en voyaient pas plus que l'on ne voulait
+leur en faire voir. D'ailleurs qui aurait osé porter un oeil critique et
+malin sur le motif de la générosité des révérends pères. C'étaient de si
+honnêtes gens, de si bonnes gens; on les adorait dans le village: ils
+faisaient du bien aux hommes et aimaient l'honneur des femmes; tout le
+monde était content. Mais revenons à ma figure, car je vais avoir une
+aventure illustre.
+
+A propos de cette figure-là, j'avais un air espiègle qui ne prévenait
+pas contre moi. J'étais mis proprement; des yeux malins, de longs
+cheveux noirs me tombaient par boucles sur les épaules, et relevaient à
+merveille les couleurs de mon visage, qui, quoiqu'un peu brun, ne
+laissait pas de valoir son prix. C'est un témoignage authentique que je
+me crois obligé de rendre au jugement de plusieurs très honnêtes et très
+vertueuses personnes à qui j'ai rendu mes hommages.
+
+Suzon, comme je l'ai dit, avait fait un bouquet pour Mme Dinville
+(c'était le nom de sa marraine), femme d'un conseiller de la ville
+voisine, qui venait à sa terre prendre le lait pour rétablir une
+poitrine dérangée par le vin de Champagne et quelques autres causes.
+
+Suzon s'étant mise dans ses petits atours, qui la rendirent encore plus
+aimable à mes yeux, il fut dit que je l'accompagnerais. Nous allâmes au
+château. Nous trouvâmes la dame dans un appartement d'été où elle
+prenait le frais. Figurez-vous une femme d'une grandeur médiocre, poil
+brun, peau blanche, le visage laid en général, enluminé d'un rouge
+champenois, les yeux alertes, amoureux, et tétonnière autant que femme
+au monde. Ce fut d'abord la première bonne qualité que je lui
+remarquais: ç'a toujours été mon faible que ces deux boules-là! C'est
+aussi quelque chose de si joli quand vous tenez cela dans la main, quand
+vous... Ah! chacun le sien; qu'on me passe celui-ci!
+
+Sitôt que la dame nous aperçut, elle jeta sur nous un regard de bonté,
+sans changer de situation. Elle était couchée sur un canapé, une jambe
+dessus et l'autre sur le parquet; elle n'avait qu'un simple jupon blanc,
+assez court pour laisser voir un genou qui n'était pas assez couvert
+pour faire penser qu'il serait bien difficile de voir le reste; un petit
+corset de la même couleur, un pet-en-l'air de taffetas couleur de rose,
+bichonnée d'un petit air négligé, et la main passée sous son jupon,
+jugez à quelle intention! Mon imagination fut au fait dans le moment, et
+mon coeur la suivit de près; mon sort était de devenir désormais
+amoureux de toutes les femmes qui se présenteraient à mes yeux: les
+découvertes de la veille avaient fait éclore en moi ces louables
+dispositions.
+
+--Ah! bonjour, ma chère enfant, dit Mme Dinville à Suzon; eh bien, tu
+reviens donc me trouver? Ah!... tu m'apportes un bouquet; mais,
+vraiment, je te suis bien obligée, ma chère fille; embrasse-moi donc!
+Embrassade de la part de Suzon. Mais, continua-t-elle en jetant les yeux
+sur moi, quel est donc ce beau gros garçon-là? Comment petite fille,
+vous vous faites accompagner par un garçon? Cela est joli! Je baissai
+les yeux; Suzon lui dit que j'étais son frère; révérence de ma part--Ton
+frère? reprit Mme Dinville; allons donc! continua-t-elle en me regardant
+et en m'adressant la parole, baise-moi, mon fils. Oh! je veux que nous
+fassions connaissance. Elle me donne un baiser sur la bouche; je sens
+une petite langue se glisser entre mes lèvres et une main qui joue avec
+les boucles de mes cheveux. Je ne connaissais pas encore cette manière
+de baiser; j'étais tout ému. Je jetai sur elle un regard timide, et je
+rencontrai ses yeux brillants et pleins de feu qui attendaient les miens
+au passage et qui les firent baisser. Nouveau baiser de même nature
+après lequel je fus libre de me remuer, car je ne l'étais guère de la
+façon dont elle me tenait embrassé. Je n'en étais pourtant pas fâché: il
+me semblait que c'était toujours autant de retranché sur le cérémonial
+de la connaissance qu'elle disait vouloir faire avec moi. Je ne fus sans
+doute redevable de ma liberté qu'à la réflexion qu'elle fit sur le
+mauvais effet que pouvait produire la vivacité de ses caresses
+prodiguées avec si peu de ménagement à une première vue; mais ces
+réflexions ne furent pas de longue durée; elle reprit la conversation
+avec Suzon, et le refrain de chaque période était: Suzon, venez me
+baiser. D'abord le respect me faisait tenir écarté.--Eh bien, dit-elle
+en m'adressant de nouveau la parole, ce gros garçon-là ne viendra donc
+pas aussi me baiser? J'avançai et j'appuyai sur la joue. Je n'osais
+encore aller à la bouche: je lui fis un baiser un peu plus hardi que le
+premier. Je ne fus en reste avec elle que de quelque chose de plus
+passionné qu'elle mit dans le sien. Elle partageait ainsi ses caresses
+entre ma soeur et moi, pour me donner le change sur le sujet de celles
+qu'elle me faisait. Sa politique me rendait justice: j'étais plus habile
+que ma figure ne le promettait. Je me fis insensiblement si bien à ce
+petit manège, que je n'attendais pas le refrain pour prendre ma part.
+Peu à peu ma soeur se trouva sevrée de la sienne; je m'établis dans le
+privilège exclusif de jouir des bontés de la dame; Suzon n'avait plus
+que les paroles.
+
+Nous étions assis sur le canapé; nous babillions, car Mme Dinville était
+grande babillarde. Suzon était à sa droite, j'étais à sa gauche. Suzon
+regardait dans le jardin et Mme Dinville me regardait; elle s'amusait à
+me défriser, à me pincer la joue, à me donner de petits soufflets; moi,
+je m'amusais à la regarder, à lui mettre la main, d'abord en tremblant,
+sur le col; ses manières aisées, me donnaient beau jeu; j'étais
+effronté: la dame ne disait mot, me regardait, riait, et me laissait
+faire. Ma main, timide dans les commencements, mais devenue plus hardie
+par la facilité qu'elle trouvait à se satisfaire, descendait
+insensiblement du col à la gorge, et s'appesantissait avec délices sur
+un sein dont la fermeté élastique la faisait tant soit peu rebondir. Mon
+coeur nageait dans la joie; déjà je tenais dans la main une de ces
+boules charmantes que je maniais à souhait. J'allais y mettre la bouche;
+en avançant on arrive au but. J'aurais, je crois, poussé ma bonne
+fortune jusqu'où elle pouvait aller, quand un maudit importun, le bailli
+du village, vieux singe envoyé par un démon jaloux de mon bonheur, se
+fit entendre dans l'antichambre. Mme Dinville, réveillée par le bruit
+que fit cet original en arrivant, me dit: Que faites-vous donc, petit
+fripon? Je retirai la main précipitamment; mon effronterie ne tint pas
+contre un pareil reproche; je rougis, je me croyais perdu. Mme Dinville,
+qui voyait mon embarras, me fit sentir, par un petit soufflet qu'elle
+accompagna d'un sourire charmant, que sa colère n'était que pour la
+forme, et ses regards me confirmèrent que ma hardiesse lui déplaisait
+moins que l'arrivée de ce vilain bailli.
+
+Il entra; l'ennuyeux personnage! Après avoir toussé, craché, éternué,
+mouché, il fit sa harangue, plus ennuyeuse encore que sa figure. Si nous
+en eussions été quittes pour cela, ce n'aurait été que demi-mal; mais il
+semblait que le maraud eût donné le mot à tous les importuns du village,
+qui vinrent tour à tour faire un salamalec. J'enrageais. Quand Mme
+Dinville eut répondu à bien des sots complimenteurs, elle se tourna de
+notre côté et nous dit: Ah çà! mes chers enfants, vous reviendrez demain
+dîner avec moi: nous serons seuls. Il me sembla qu'elle affectait de
+jeter sur moi les yeux en disant ces derniers mots. Mon coeur trouvait
+son compte dans cette assurance, et je sentis que, sans faire tort à mon
+penchant, mon petit amour-propre ne laissait pas d'être flatté.--Vous
+viendrez, entendez-vous, Suzon? continua Mme Dinville, et vous amènerez
+Saturnin; c'était le nom que portait alors votre serviteur. Adieu,
+Saturnin, me dit-elle en m'embrassant. Pour le coup, je ne fus en reste
+de rien avec elle. Nous sortîmes.
+
+Je me sentais dans une disposition qui assurément m'aurait fait honneur
+auprès de Mme Dinville, sans la visite imprévue de ces ennuyeux
+complimenteurs; mais ce que je sentais pour elle n'étais pas de l'amour,
+ce n'était qu'un désir violent de faire avec une femme la même chose que
+j'avais vu faire au père Polycarpe avec Toinette. Le délai d'un jour que
+Mme Dinville m'avait donné me paraissait immense. J'essayai, chemin
+faisant, de remettre Suzon sur les voies, en lui rappelant l'aventure de
+la veille.--Que tu es simple, Suzon! lui dis-je. Tu crois donc que je
+voulais te faire du mal hier?--Que voulais-tu donc me faire?
+répondit-elle.--Bien du plaisir.--Quoi! reprit-elle avec une apparence
+de surprise, en me mettant la main sous la jupe tu m'aurais fait bien du
+plaisir?--Assurément; si tu veux que je t'en donne la preuve, lui
+dis-je, viens avec moi dans quelque endroit écarté. Je l'examinais avec
+inquiétude; je cherchais sur son visage quelques marques des effets que
+devait produire ce que je lui disais: je n'y voyais pas plus de vivacité
+qu'à l'ordinaire. Le veux-tu bien? dis, ma chère Suzon, continuais-je en
+la caressant.--Mais, encore, reprit-elle sans faire semblant d'entendre
+la proposition que je lui faisais, qu'est-ce donc que ce plaisir dont tu
+me fait tant d'éloges?--C'est, lui répondis-je, l'union d'un homme avec
+une femme qui s'embrassent, qui se serrent bien fort et qui se pâment en
+se tenant étroitement serrés de cette façon. Les yeux toujours fixés sur
+le visage de ma soeur, je ne laissais échapper aucun des mouvements qui
+l'agitaient; j'y voyais la gradation insensible de ses désirs, sa gorge
+bondissait.--Mais, me dit-elle avec une naïveté curieuse qui me
+paraissait de bonne augure, mon père m'a quelquefois tenu comme tu le
+dis, sans sentir cependant ce plaisir que tu me promets.--C'est,
+repartis-je, qu'il ne te faisait pas ce que je voudrais te faire.--Et
+que voudrais-tu donc me faire? me demanda-t-elle d'une voix
+tremblante.--Je te mettrais, lui répondis-je effrontément, quelque chose
+entre les cuisses qu'il n'osait pas te mettre. Elle rougit, et me
+laissa, par son trouble, la liberté de continuer en ces termes: Vois-tu,
+Suzon, tu as un petit trou ici, lui dis-je en lui montrant l'endroit où
+j'avais vu la fente de Toinette.--Eh! qui t'a dit cela? me
+demanda-t-elle sans lever les yeux sur moi.--Qui me l'a dit, repris-je
+assez embarrassé de sa question, c'est q... c'est que toutes les femmes
+en ont autant.--Et les hommes? poursuivit-elle.--Les hommes, lui
+répondis-je, ont une machine à l'endroit où vous avez une fente. Cette
+machine se met dans cette fente, et c'est là ce qui fait le plaisir
+qu'une femme prend avec un homme. Veux-tu que je te fasse voir la
+mienne? mais à la condition que tu me laisseras toucher à ta petite
+fente: nous nous chatouillerons, et nous serons bien aises.
+
+Suzon était toute rouge. Les discours que je lui tenais paraissaient la
+surprendre; il semblait qu'elle eût peine à m'en croire; elle n'osait me
+laisser mettre la main sous sa jupe, dans la crainte, disait-elle, que
+je ne voulusse la tromper et que je n'allasse tout déclarer. Je
+l'assurai que rien au monde ne serait capable de m'en arracher l'aveu,
+et, pour la convaincre de cette différence que je lui disais se trouver
+entre nous deux, je voulus lui prendre la main; elle la retira, et nous
+continuâmes notre entretien jusqu'à la maison.
+
+Je voyais bien que la petite friponne prenait goût à mes leçons, et que
+si je la trouvais encore une fois cueillant des fleurs, il ne me serait
+pas difficile de l'empêcher de crier. Je brûlais d'envie de mettre la
+dernière main à mes instructions et d'y joindre l'expérience.
+
+A peine étions-nous entrés dans la maison que nous vîmes entrer le père
+Polycarpe; je démêlai le motif de sa visite: je n'en doutai plus quand
+sa révérence eut déclaré d'un air aisé qu'elle venait prendre le dîner
+de famille. On croyait Ambroise bien loin; il est vrai qu'il ne les
+gênait guère, mais on est toujours bien aise d'être débarrassé de la
+présence d'un mari, quelque commode qu'il soit. C'est toujours un animal
+de mauvais augure. Je ne doutai pas que je n'eusse après-midi le même
+spectacle que j'avais eu la veille, et sur le champ je formai le dessein
+d'en faire part à Suzon. Je pensais, avec raison, qu'une pareille vue
+serait un excellent moyen pour avancer mes petites affaires avec elle;
+je ne lui en parlai pas. Je remis cette épreuve à l'après-dînée, bien
+résolu à n'employer ce moyen qu'à l'extrémité, comme un corps de réserve
+décisif pour une action.
+
+Le moine et Toinette ne se gênaient pas en notre présence: ils nous
+croyaient des témoins peu dangereux. Je voyais la main gauche du père se
+glisser mystérieusement sous la table et agiter les jupes de Toinette,
+qui lui souriait et me paraissait écarter les cuisses pour laisser
+apparemment le passage plus libres aux doigts libertins du paillard
+moine.
+
+Toinette avait de son côté une main sur la table, mais l'autre était
+dessous et rendait vraisemblablement au père ce que le père lui prêtait.
+J'étais au fait. Les plus petites choses frappent un esprit prévenu. Le
+révérend père chopinait de bonne grâce; Toinette lui répondait sur le
+même ton; ses désirs parvinrent bientôt au point d'être gênés par notre
+présence: elle nous le fit connaître en nous conseillant, à ma soeur et
+à moi, d'aller faire un tour dans le jardin; j'entendis ce qu'elle
+voulait nous dire. Nous nous levâmes aussitôt, et leur laissâmes, par
+notre départ, la liberté de faire autre chose que glisser les mains sous
+la table. Jaloux du bonheur que notre départ allait les mettre en état
+de goûter, je voulus encore essayer de venir à bout de Suzon sans le
+secours du tableau que je devais offrir à ses regards. Je la conduisis
+vers une allée d'arbres dont l'épais feuillage faisait une obscurité qui
+promettait beaucoup d'assurances à mes désirs. Elle s'aperçut de mon
+dessein, et ne voulut pas m'y suivre.--Tiens, Saturnin, me dit-elle,
+ingénument, je vois que tu veux encore m'entretenir de cela; et bien,
+parlons-en.--Je te fais donc plaisir, répondis-je, quand j'en parle?
+Elle me l'avoua. Juge, lui dis-je, ma chère Suzon, par celui que mes
+discours te donnent, de celui que tu aurais... Je ne lui en dis pas
+davantage: je la regardais, je tenais sa main, que je pressais contre
+mon sein.--Mais, Saturnin, me dit-elle, si... cela allait faire du
+mal?--Quel mal veux-tu que cela fasse? lui répondis-je, charmé de
+n'avoir plus qu'un aussi faible obstacle à détruire; aucun, ma chère
+petite; au contraire.--Aucun, reprit-elle en rougissant et en baissant
+la vue, et si j'allais devenir grosse? Cette objection me surprit
+étrangement. Je ne croyais pas Suzon si savante, et j'avoue que je
+n'étais pas en état de lui donner une réponse satisfaisante.--Comment
+donc, grosse? lui dis-je? est-ce que c'est comme cela que les femmes
+deviennent grosses, Suzon?--Sans doute, me répondit-elle, d'un ton
+d'assurance qui m'effraya.--Et où l'as-tu donc appris? lui demandais-je,
+car je sentais bien que c'était à son tour à me donner des leçons. Elle
+me répondit qu'elle voulait bien me le dire, mais à condition que je
+n'en parlerais de ma vie.--Je te crois discret, Saturnin, ajouta-t-elle,
+et si tu étais capable d'ouvrir jamais la bouche sur ce que je vais te
+dire, je te haïrais à la mort. Je lui jurai que jamais je n'en
+parlerais. Asseyons-nous ici, poursuivit-elle en me montrant un gazon où
+l'on n'était à l'aise que pour causer sans être entendus. J'aurais bien
+mieux aimé l'allée; nous n'y aurions pas été vus ni entendus. Je la
+proposai de nouveau, elle n'y voulu pas venir.
+
+Nous nous assîmes sur le gazon, à mon grand regret; pour comble de
+malheur, je vis arriver Ambroise. N'ayant plus d'espérance pour cette
+fois, je pris mon parti. L'agitation où me mit le désir d'apprendre ce
+que devait me dire Suzon fit diversion à mon chagrin.
+
+Avant de commencer, Suzon exigea encore de nouvelles assurances de ma
+part: je les lui donnai avec serment. Elle hésitait, elle n'osait
+encore; je la pressai si fort qu'elle se détermina.--Voilà qui est fait,
+me dit-elle, je t'en crois, Saturnin; écoute, tu vas être étonné de ma
+science, je t'en avertis. Tu croyais m'apprendre quelque chose tantôt,
+j'en sais plus que toi: tu vas le voir; mais ne crois pas pour cela que
+j'aie moins pris de plaisir à ce que tu m'as dit: on aime toujours à
+entendre parler de ce qui flatte.--Comment donc! tu parles comme un
+oracle; on voit bien que tu as été au couvent. Que cela façonne une
+fille!--Oh! vraiment, me répondit-elle, si je n'y avais jamais été,
+j'ignorerais bien des choses que je sais.--Eh! dis le-moi donc ce que tu
+sais, repris-je vivement; je meurs d'envie de l'apprendre.
+
+Il n'y a pas longtemps, continua Suzon, que, pendant une nuit fort
+obscure, je dormais d'un profond sommeil; je fus réveillée en sentant un
+corps tout nu qui se glissait dans mon lit; je voulus crier, mais on me
+mit la main sur la bouche, en me disant: Tais-toi; je ne veux pas te
+faire de mal; est-ce que tu ne reconnais pas la soeur Monique? Cette
+soeur venait, depuis peu, de prendre le voile de novice; c'était ma
+meilleure amie.--Jésus, lui dis-je, ma bonne, pourquoi donc venir me
+surprendre dans le lit?--C'est que je t'aime! me répondit-elle en
+m'embrassant.--Et pourquoi êtes-vous toute nue?--C'est qu'il fait si
+chaud que ma chemise même est trop pesante; il tombe une pluie terrible;
+j'ai entendu le tonnerre qui grondait: j'en ai bien peur; ne
+l'entends-tu pas aussi? Quel bruit il fait! Ah! serre-moi bien fort, mon
+petit coeur; mets le drap par dessus notre tête pour ne pas voir ces
+vilains éclairs. Là, bon! Ah! ma chère Suzon, que j'ai peur! Moi, qui ne
+crains pas le tonnerre, je tâchais de rassurer la soeur, qui, pendant ce
+temps-là, me passait sa cuisse droite entre les miennes et sa gauche par
+dessous, et, dans cette posture, elle se frottait contre ma cuisse
+droite, en me mettant la langue dans la bouche et me donnant de petits
+coups sur la fesse avec la main. Après qu'elle se fut un peu remuée de
+cette façon-là, je crus sentir qu'elle me mouillait la cuisse. Elle
+poussait des soupirs: je m'imaginais que c'était la peur du tonnerre qui
+faisait cela. Je la plaignais; mais bientôt elle reprit sa posture
+naturelle. Je croyais qu'elle allait s'endormir, et je me préparais à en
+faire autant, quand elle me dit: Tu dors donc, Suzon? Je lui répondis
+que non, mais que j'allais bientôt le faire.--Tu veux donc, reprit-elle,
+me laisser mourir de frayeur? Oui, je mourrai si tu te rendors;
+donne-moi la main, ma chère petite: donne. Je me laissai prendre la
+main, qu'elle porta aussitôt à sa fente, en me disant de la chatouiller
+avec mon doigt dans le haut de cet endroit. Je le fis par amitié pour
+elle. J'attendais qu'elle me dît de finir, mais elle ne disait mot,
+écartait seulement les jambes et respirait un peu plus vite qu'à
+l'ordinaire, en jetant de temps en temps quelques soupirs et en remuant
+le derrière. Je crus qu'elle se trouvait mal, et je cessai de faire
+aller le doigt.--Ah! Suzon, me dit-elle d'une voix entrecoupée, achève!
+Je continuai. Ah! s'écria-t-elle en s'agitant bien fort et en
+m'embrassant étroitement, dépêche, ma petite reine, dépêche! Ah! ah!
+vite, ah!... je me meurs! Au moment qu'elle disait cela, tout son corps
+se roidit et je me sentis de nouveau la main mouillée; enfin, elle
+poussa un grand soupir et resta sans mouvement. Je t'assure, Saturnin,
+que j'étais bien étonnée de tout ce qu'elle me faisait faire.--Et tu
+n'étais pas émue? lui dis-je.--Oh! que si, me répondit-elle; je voyais
+bien que tout ce que je venais de lui faire lui avait donné beaucoup de
+plaisir, et que si elle voulait m'en faire autant j'en aurais beaucoup
+aussi; mais je n'osais le lui proposer. Elle m'avait cependant mise dans
+un état bien embarrassant. Je désirais et je n'osais lui dire ce que je
+désirais: je remettais avec plaisir la main sur sa fente; je prenais la
+sienne, que je portais, que je faisais reposer sur différents endroits
+de mon corps, sans oser pourtant la mettre sur le seul où je sentais que
+j'en avais besoin. La soeur, qui savait aussi bien que moi ce que je lui
+demandais, et qui avait la malice de me laisser faire, eut à la fin
+pitié de mon embarras et me dit en m'embrassant: Je vois bien, petite
+coquine, ce que tu veux. Aussitôt elle se couche sur moi, je la reçois
+dans mes bras.--Ouvre un peu les cuisses, me dit-elle. Je lui obéis.
+Elle me coule le doigt où le mien venait de lui faire tant de plaisir:
+elle répétait elle-même les leçons qu'elle m'avait données. Je sentais
+le plaisir monter par degré et s'accroître à chaque coup de doigt
+qu'elle donnait. Je lui rendais en même temps le même service. Elle
+avait les mains jointes sous mes fesses; elle m'avait avertie de remuer
+un peu le derrière, à mesure qu'elle pousserait. Ah! qu'elle semait de
+délices dans ce charmant badinage! Mais elles n'étaient que le prélude
+de celles qui devraient suivre. Le ravissement me fit perdre toute
+connaissance; je demeurai pâmée dans les bras de ma chère Monique. Elle
+était dans le même état: nous étions immobiles. Je revins ensuite de mon
+extase. Je me trouvai aussi mouillée que la soeur, et ne sachant à quoi
+attribuer un pareil prodige, j'avais la simplicité de croire que c'était
+du sang que je venais de verser; mais je n'en étais pas effrayée, au
+contraire; il semblait que le prodige que je venais de goûter m'eût mise
+en fureur, tant je me sentais envie de recommencer. Je le dis à Monique;
+elle me répondit qu'elle était lasse et qu'il fallait attendre un peu.
+Je n'en eus pas la patience et je me mis sur elle, comme elle venait de
+se mettre sur moi. J'entrelaçai mes cuisses dans ses cuisses, et me
+frottant comme elle l'avait fait, je retombais en extase.--Eh bien, me
+dit la soeur chargée des témoignages que je lui donnais du plaisir que
+je ressentais, es-tu fâchée, Suzon, que je sois venue dans ton lit? Oui,
+je gage que tu me veux du mal d'être venue te réveiller.--Ah! lui
+répondis-je, que vous savez bien le contraire! Que pourrais-je vous
+donner pour une nuit aussi charmante?--Petite coquine, reprit-elle en me
+baisant, va, je ne te demande rien: n'ai-je pas eu autant de plaisir que
+toi? Ah! que tu viens de m'en faire goûter! Dis-moi, ma chère Suzon,
+poursuivit-elle, ne me cache rien: n'avais-tu jamais pensé à ce que nous
+venons de faire? Je lui dis que non. Quoi! reprit-elle, tu ne t'étais
+jamais mis le doigt dans ton petit conin? Je l'interrompis pour lui
+demander ce qu'elle entendait par ce mot. Eh! c'est cette fente, me
+répondit-elle, où nous venons de nous chatouiller. Quoi! tu ne savais
+pas encore cela? Ah! Suzon, à ton âge, j'en savais plus que
+toi.--Vraiment, lui répondis-je, je n'avais garde de goûter de ce
+plaisir. Vous connaissez le père Jérôme, notre confesseur: c'est lui qui
+m'en a toujours empêchée. Il me fait trembler quand je me confesse; il
+ne manque pas de me demander exactement si je ne fais pas d'impuretés
+avec mes compagnes, et il me défend surtout d'en faire sur moi-même.
+J'ai toujours eu la simplicité de l'en croire; mais je sais à présent à
+quoi m'en tenir sur ses défenses.--Et comment, me dit Monique,
+t'explique-t-il ces impuretés qu'il te défend de faire sur
+toi-même?--Mais, lui répondis-je, il me dit, par exemple, que c'est
+quand on se met le doigt où vous savez, quand on se regarde les cuisses,
+la gorge. Il me demande si je ne me sers pas de miroir pour m'examiner
+autre chose que le visage. Il me fait mille autres questions
+semblables.--Ah! le vieux coquin! s'écria Monique; je gage qu'il ne
+cesse de t'entretenir de cela.--Vous me faites, dis-je à la soeur,
+prendre garde à certaines actions qu'il fait pendant que je suis dans
+son confessionnal et que j'ai toujours prises sottement pour des marques
+d'amitié. Le vieux scélérat! J'en connais à présent le motif.--Eh!
+quelles actions donc? me demanda vivement la soeur.--Ces actions, lui
+répondis-je, c'est de me baiser à la bouche, en me disant de m'approcher
+pour qu'il entende mieux, de me considérer attentivement la gorge
+pendant que je lui parle, de m'y mettre la main dessus, et de me
+défendre de la montrer, sous prétexte que c'est un acte de coquetterie;
+et malgré ses sermons il ne tire pas sa main, qu'il avance de plus en
+plus sur mon sein, et pousse même quelquefois jusqu'à mes tétons. Quand
+il l'ôte, c'est pour la porter aussitôt sous sa robe, qu'il remue avec
+de petites secousses. Il me presse alors entre ses genoux; il m'approche
+avec avec sa main gauche, il soupire, ses yeux s'égarent; il me baise
+plus fort qu'à l'ordinaire, ses paroles sont sans suite; il me dit des
+douceurs et me fait des remontrances en même temps.
+
+Je me souviens qu'un jour, en retirant la main de dessous sa robe pour
+me donner l'absolution, il me couvrit toute la gorge de quelque chose de
+chaud qui se répandit par petites gouttes. Je l'essuyai au plus vite
+avec mon mouchoir, dont je n'ai pas pu me servir depuis. Le père, tout
+interdit, me dit que c'était de la sueur qui coulait de ses doigts.
+Qu'en pensez-vous, ma chère Monique? dis-je à la soeur.--Je te dirai
+tout à l'heure ce que c'était, me répondit-elle. Ah! le vieux pécheur!
+Mais sais-tu bien, Suzon, continua-t-elle, que tu viens de me conter ce
+qui m'est arrivé avec lui?--Comment donc, lui dis-je, vous ferait-il
+aussi quelque chose à vous?--Non, assurément, me répondit-elle, car je
+le hais à la mort, et je ne vais plus à lui depuis que je suis devenue
+plus savante.--Et comment avez-vous donc appris, lui demandais-je, à
+connaître ce qu'il vous faisait?--Je consens à te le dire, me répondit
+la soeur; mais sois discrète, car tu me perdrais, ma chère Suzon.
+
+--Je ne sais, Saturnin, poursuivit ma soeur après un moment de silence,
+si je dois révéler tout ce qu'elle m'apprit. L'envie de savoir une
+histoire dont le prélude me charmait me fournit des expressions pour
+vaincre l'irrésolution de Suzon. Je mêlai les caresses aux assurances et
+je vins à bout de la persuader. C'est la soeur Monique qui va s'exprimer
+par la bouche de Suzon. Quelque emporté que doive paraître le caractère
+de cette soeur, je crains que mes expressions ne soient encore
+au-dessous de la réalité. Le peu de temps que j'ai passé avec elle m'en
+a fait concevoir une idée que je ne saurais rendre bien fidèlement.
+Voici comme s'explique cette héroïne:
+
+Nous ne sommes pas maîtresses des mouvements de notre coeur. Séduites en
+naissant par l'attrait du plaisir, c'est à lui que nous en offrons le
+premier sentiment. Heureuses celles dont le tempérament ne s'effraye pas
+des conseils austères de la raison! Elles y trouvent un secours contre
+le penchant de leur coeur. Mais doit-on leur envier leur bonheur? Non.
+Qu'elles jouissent du fruit de leur sagesse: elles l'achètent assez
+cher, puisqu'elles ne connaissent pas le plaisir. Eh! qu'est-ce que
+cette sagesse, après tout, dont on nous étourdit les oreilles: Une
+chimère, un mot consacré à exprimer la captivité où l'on retient notre
+sexe. Les éloges que l'on fait de cette vertu imaginaire sont pour nous
+ce qu'est pour un enfant un hochet qui l'amuse et l'empêche de crier.
+Des vieilles que l'âge a rendues insensibles au plaisir, ou plutôt que
+la retraite leur interdit, croient se dédommager de l'impuissance de le
+goûter par les portraits hideux qu'elles nous en font. Laissons-les
+dire, Suzon. Quand on est jeune, on ne doit avoir d'autre maître que son
+coeur: ce n'est que lui qu'il faut écouter, ce n'est qu'à ces conseils
+qu'il faut se rendre. Tu croiras facilement qu'ayant de pareilles
+inclinations, il ne fallait pas moins que la contrainte d'un cloître
+pour m'empêcher de m'y livrer; mais c'est dans le lieu même où l'on
+voulait étouffer mes désirs que j'ai trouvé le moyen de les satisfaire.
+
+Toute jeune que j'étais, quand ma mère, après la mort de son quatrième
+mari, vint demeurer dans ce couvent en qualité de dame pensionnaire, je
+ne laissai pas d'être effrayée de la résolution qu'elle avait prise.
+Sans pouvoir distinguer le motif de ma frayeur, je sentais qu'elle
+allait me rendre malheureuse. L'âge en me donnant des lumières,
+m'éclaira sur la cause de mon aversion pour le cloître. Je sentais qu'il
+me manquait quelque chose, la vue d'un homme. Du simple regret d'en être
+privée je passai bientôt à réfléchir sur ce qui pouvait me rendre cette
+privation si sensible. Qu'est-ce donc qu'un homme? disais-je. Est-ce une
+espèce de créature différente de la notre? Quelle est la cause des
+mouvements que sa vue excite dans mon coeur? Est-ce un visage plus
+aimable qu'un autre? Non; le plus ou le moins de charmes que je trouve
+n'excite que plus ou moins d'émotion. L'agitation de mon coeur est
+indépendante de ces charmes puisque le père Jérôme lui-même, tout
+désagréable qu'il est, m'émeut quand je suis près de lui. Ce n'est donc
+que la seule qualité d'homme qui produit ce trouble; mais pourquoi le
+produit-elle? J'en sentais la raison dans mon coeur, mais je ne la
+connaissais pas; elle faisait des efforts pour irriter les liens où mon
+ignorance la réduisait. Efforts inutiles! Je n'acquérais de nouvelles
+connaissances que pour tomber dans de nouveaux embarras.
+
+Quelquefois je m'enfermais dans ma chambre, je me livrais à des
+réflexions: elles me tenaient lieu de compagnie où je me plaisais le
+plus. Qu'y voyais-je dans ces compagnies? Des femmes; et quand j'étais
+seule, je ne pensais qu'aux hommes; je sondais mon coeur, je lui
+demandais raison de ce qu'il sentait; je me déshabillais toute nue; je
+m'examinais avec un sentiment de volupté; je portais des regards
+enflammés sur toutes les parties de mon corps; je brûlais, j'écartais
+les cuisses, je soupirais; mon imagination échauffée me présentait un
+homme, j'étendais les bras pour l'embrasser, mon conin était dévoré par
+un feu prodigieux: je n'avais jamais eu la hardiesse d'y porter le
+doigt. Toujours retenue par la crainte de m'y faire mal, j'y souffrais
+les plus vives démangeaisons sans oser les apaiser. Quelquefois j'étais
+prête à succomber; mais, effrayée de mon dessein, j'y portais le bout du
+doigt, et je le retirais avec précipitation; je me le couvrais avec le
+creux de la main, je le pressai. Enfin, je me livrai à la passion,
+j'enfonçai, je m'étourdis sur la douleur, pour n'être sensible qu'au
+plaisir; il fut si grand que je crus que j'allais expirer. Je revins
+avec une nouvelle envie de recommencer, et je le fis autant de fois que
+mes forces me le permirent.
+
+J'étais enchantée de la découverte que je venais de faire: elle avait
+répandu la lumière dans mon esprit. Je jugeai que, puisque mon doigt
+venait de me procurer de si délicieux moments, il fallait que les hommes
+fissent avec nous ce que je venais de faire seule, et qu'ils eussent une
+espèce de doigt qui leur servît à mettre où j'avais mis le mien, car je
+ne doutais pas que ce ne fût là la véritable route du plaisir. Parvenue
+à ce degré de lumière, je me sentais agitée du désir violent de voir
+dans un homme l'original d'une chose dont la copie m'avait fait tant de
+plaisir.
+
+Instruite par mes propres sentiments de ceux que la vue des femmes fait
+réciproquement naître dans le coeur des hommes, je joignis à mes charmes
+tous les petits agréments dont l'envie de plaire a inventé l'usage. Se
+pincer les lèvres avec grâce, sourire mystérieusement, jeter des regards
+curieux, modestes, amoureux, indifférents; affecter de ranger, de
+déranger son fichu, pour faire fixer les yeux sur sa gorge; en
+précipiter adroitement les mouvements, se baisser, se relever, je
+possédais ces petits talents dans le dernier degré de la coquetterie; je
+m'y exerçais continuellement: mais, ici, c'était les posséder en pure
+perte. Mon coeur soupirait après la présence de quelqu'un qui connût le
+prix de mon savoir et qui me fît connaître l'effet qu'il aurait produit
+sur lui.
+
+Continuellement à la grille, j'attendais que mon bonheur m'envoyât ce
+que je souhaitais depuis longtemps inutilement: je me faisais l'amie de
+toutes les pensionnaires que les frères venaient voir. En demandait-on
+quelqu'une, je ne manquais pas de passer sans affectation devant le
+parloir: on m'appelait, j'y courais, et j'ose dire que ceux que j'y
+trouvais ne me voyaient pas impunément.
+
+J'y examinais un jour un beau garçon dont les yeux noirs et vifs me
+rendaient avec usure mes regards. Un sentiment délicat et piquant,
+détaché même du plaisir ordinaire que la présence des hommes me
+procurait, fixait agréablement mon attention sur lui. L'opiniâtreté de
+mes regards qu'il avait d'abord reçus avec assez d'indifférence, anima
+les siens: il ne les détourna pas de dessus moi. Il n'était rien moins
+que timide, ou plutôt il était d'une hardiesse qui, soutenue des charmes
+de sa figure, lui répondait du succès avec toutes les femmes qu'il
+voulait attaquer. Il profitait des moments que sa soeur détournait la
+vue pour me faire des signes auxquels je ne comprenais rien, mais que ma
+petite vanité voulait que je fisse semblant d'entendre, et que
+j'autorisais par des sourires qui l'enhardirent au point de lui faire
+faire des gestes que je compris parfaitement bien. Il porta la main
+entre ses cuisses: je rougis, et, malgré moi, j'en suivis du coin de
+l'oeil le mouvement. Il la tira en faisant signe avec la main gauche,
+qu'il appuya au-dessus du poignet de la droite: il ne fallait pas être
+bien savante pour sentir qu'il voulait dire que ce qu'il venait de
+toucher était de cette longueur. Son action m'avait mise en feu. La
+pudeur voulait que je m'éloignasse, mais la pudeur fait une faible
+résistance quand le coeur est d'intelligence pour la trahir. L'amour me
+faisait rester. Je baissai timidement la vue, mais bientôt je portai sur
+Verland (c'était son nom) des yeux que je voulais faire paraître irrités
+et que le plaisir rendait languissants. Il le sentit: il vit que je
+n'avais pas la force de le désapprouver: il profita de ma faiblesse, et
+pour ne me rien laisser à désirer sur l'ardeur dont ses regards me
+témoignaient qu'ils étaient animés, il joignit le premier doigt de la
+main gauche avec le pouce, et mit dans cette espèce de fente le second
+doigt de sa main droite: il le poussait, le retirait et jetait des
+soupirs. Le fripon me rappelait par là des circonstances trop charmantes
+pour me laisser la force de lui témoigner la colère que méritait ce
+nouveau manque de respect. Ah! Suzon, que j'étais contente de lui! et
+que je me figurais que je l'aurais été bien davantage, si nous nous
+fussions trouvés seuls; mais, quand nous l'aurions été, une grille
+impénétrable eût arrêté nos plaisirs.
+
+Dans le moment on appela ma compagne; elle nous dit qu'elle allait voir
+ce qu'on lui voulait et qu'elle ne tarderait pas à revenir. Son frère
+profita de cet instant pour s'expliquer plus clairement; il ne me tint
+pas de grands discours, mais ils signifiaient beaucoup. Quoique le
+compliment ne fût pas absolument poli, il me parut si naturel que je
+m'en souviens avec plaisir. Nous autres femmes, nous sommes plus
+flattées d'un discours où la nature parle toute seule, quelque peu
+mesurées qu'en soient les expressions, que de ces galanteries fades que
+le coeur désavoue et que le vent emporte. Revenons au compliment de
+Verland; le voici: «Nous n'avons pas de temps à perdre; vous êtes
+charmante, je bande comme un carme, je meurs d'envie de vous le mettre;
+enseignez-moi un moyen de passer dans votre couvent.» Je fus si étourdie
+de ses paroles et de l'action dont il les dit, que je demeurai immobile,
+de façon qu'il eut le temps de passer la main au travers de la grille,
+de me prendre les tétons, de me les manier, et de me dire encore
+d'autres douceurs de la même force avant que je fusse revenue de ma
+surprise; et quand j'en revins, je me trouvai si peu en état d'arrêter
+ses transports, que sa soeur le surprit dans cette occupation; elle fit
+le lutin, me dit des injures, en dit à son frère, et je ne le revis
+plus.
+
+Tout le couvent sut bientôt mon aventure: on chuchotait, on me
+regardait, on riait, on parlait, on se raillait. Je m'en inquiétais fort
+peu, pourvu que le murmure ne passât pas les pensionnaires. J'étais sûre
+de la discrétion des jolies, mais je ne l'étais pas trop de celle des
+laides. Celles-ci, qui étaient sûres de n'avoir jamais de pareilles
+occasions de pécher, crièrent au scandale, bas d'abord, puis haut, et si
+haut que les vieilles le surent. J'en avais ri au commencement; je
+tremblai alors, et j'avais bien raison de trembler, car les mères
+discrètes assemblèrent le conseil pour délibérer entre elles sur ce que
+l'on ferait à une effrontée qui se laissait toucher les tétons, crime
+irrémissible aux yeux d'une bande de vieilles momies qui n'avaient plus
+que des tétasses à jeter sur l'épaule. On trouva le cas grave: tout
+autre que moi eût été renvoyée. Que je l'aurais souhaité! Mais je devais
+apporter une bonne dot. Ma mère les les avait assurées que je prendrais
+le voile: on me ménagea, et le résultat du conseil fut qu'on me
+châtierait. On se mit en devoir de le faire: je l'avais prévu. Je
+m'étais cantonnée dans ma chambre: on força ma porte, on m'attaqua. Je
+mordis l'une, j'égratignais l'autre, donnai des coups de pied, déchirai
+des guimpes, arrachai des bonnets; enfin, je me défendis si bien que mes
+ennemies renoncèrent à leur entreprise. Elles n'emportèrent de leur
+action que la honte d'avoir fait voir que six mères n'avaient pu réduire
+une jeune fille: j'étais une lionne dans ce moment.
+
+La rage et le soin de ma défense m'avaient jusqu'alors entièrement
+occupée. Je ne songeai qu'à donner le démenti aux vieilles, mais je
+devins bientôt aussi faible que j'étais hardie et vigoureuse auparavant.
+La colère fit place au désespoir. Moins flattée du plaisir de me voir en
+sûreté que pénétrée de l'affront qu'on avait voulu me faire, mon visage
+était baigné de larmes. Comment reparaître dans le couvent? disais-je;
+je vais être moquée: peu me plaindront, toutes me fuiront. Ah! me voilà
+couverte de honte! mais je veux aller trouver ma mère, poursuivis-je;
+elle pourra me blâmer, mais peut-être me pardonnera-t-elle. Un garçon
+m'a... Eh bien, où est donc le grand crime? Y ai-je consenti? C'est
+ainsi que je raisonnais. Oui, continuai-je, je vais la trouver. Je me
+levai de dessus mon lit à ce dessein, et j'y aurais été, si, en faisant
+un pas pour ouvrir la porte, je n'eusse marché sur quelque chose qui
+roula et me fit tomber.
+
+Je voulus voir ce qui pouvait m'avoir fait faire cette chute: je
+cherchai, je trouvai. Figure-toi ce que je devins à la vue d'une machine
+qui représentait au naturel une chose dont mon imagination m'avait
+souvent fait la peinture: un vit!--Un vit! eh! qu'est-ce que cela?
+demandai-je à la soeur.--Ah! me dit-elle, il ne tiendra qu'à toi de ne
+pas rester longtemps dans cette ignorance. Jolie comme tu es, que
+d'aimables cavaliers se trouveront heureux de pouvoir t'instruire! Mais
+ils n'en auront pas la gloire: c'est à moi qu'elle est réservée. Un vit,
+ma chère Suzon, est le membre d'un homme; on l'appelle le membre par
+excellence, parce qu'il est le roi de tous les autres. Ah! qu'il mérite
+bien ce nom! Mais si les femmes lui rendaient la justice qu'il mérite,
+elles l'appelleraient leur dieu, oui, c'en est un; le con est son
+domaine, le plaisir est son élément, il va le chercher dans les replis
+les plus cachés; il pénètre, il s'y plonge, il le goûte, il le fait
+goûter; il y naît, il y vit, il y meurt et renaît aussitôt pour le
+goûter encore. Mais ce n'est pas à lui seul qu'il doit tout son mérite.
+Soumis aux lois de l'imagination et de la vue, sans elles il ne peut
+rien; il est mou, lâche, petit, et n'ose se montrer; avec elles, fier,
+ardent, impétueux, il menace, s'élance, brise, renverse tout ce qui ose
+lui faire résistance.--Attendez, dis-je à la soeur en l'interrompant,
+vous oubliez que vous parlez à une novice; mes idées se perdent dans
+votre éloge; je sens que j'adorerai quelque jour ce dieu dont vous
+parlez; mais il est encore étranger pour moi; avant d'aimer il faut
+connaître; proportionnez vos expressions à la faiblesse de mes
+connaissances; expliquez-moi d'une manière simple tout ce que vous venez
+de me dire.--Je le veux bien, me répondit la soeur. Le vit est mou,
+lâche et petit quand il est dans l'inaction, c'est-à-dire quand les
+hommes ne sont pas excités ou par la vue d'une femme ou par les idées
+qui leur en viennent; mais offrons-nous à leurs yeux, découvrons la
+gorge, laissons voir nos tétons, montrons-leur une taille fine, une
+jambe dégagée,--les grâces d'un joli visage ne sont pas toujours
+nécessaires,--un rien les frappe, leur imagination travaille; elle
+s'exerce, elle pénètre toutes les parties de notre corps; elle se fait
+les plus beaux portraits, donne de la fermeté à des tétons qui souvent
+n'en ont guère, se représente un sein appétissant, un ventre blanc et
+poli, des cuisses rondes et potelées, fermes, une petite motte rebondie,
+un petit conin entouré de tous les charmes de la jeunesse: ils pensent
+alors qu'ils goûteraient des délices inexprimables s'ils pouvaient y
+mettre leur vit. Dans ce moment le vit devient gros, s'allonge, se
+durcit; plus il est gros, plus il est long, plus il est dur plus il fait
+de plaisir à une femme parce qu'il remplit davantage, frotte bien plus
+fort, entre bien plus avant, procure des délices, des élancements qui
+vous ravissent.--Ah! dis-je à Monique, que ne vous dois-je pas! Je sais
+à présent le moyen de plaire, et je ne manquerai pas, dans l'occasion,
+de me découvrir la gorge, de montrer mes tétons.--Prends-y garde! me dit
+la soeur; ce n'est pas le vrai moyen de plaire, il faut plus d'art que
+tu ne penses. Les hommes sont bizarres dans leurs désirs; ils seraient
+fâchés de devoir à notre facilité des plaisirs qu'ils ne peuvent
+pourtant pas goûter sans nous; leur jalousie les indispose contre tout
+ce qui ne vient pas d'eux-mêmes; ils veulent qu'on ne leur présente les
+objets que couvert d'une gaze légère, qui laisse quelque chose à faire à
+leur imagination, et les femmes n'y perdent rien: elles peuvent se
+reposer sur l'imagination des hommes du soin de peindre leurs charmes;
+libérale pour ce qui la flatte, elle ne les peindra pas à leur
+désavantage. Tu ne sais pas que c'est cette peinture que les hommes se
+font qui fait naître leurs désirs ou l'amour,--c'est la même chose,--car
+quand on dit: Monsieur de... est amoureux de madame..., c'est la même
+chose que si l'on disait: Monsieur de... a vu madame...; sa vue a excité
+des désirs dans son coeur; il brûle d'envie de lui mettre son vit dans
+le con. Voilà véritablement ce que cela veut dire; mais comme la
+bienséance exige qu'on ne dise pas ces choses-là on est convenu de dire:
+Monsieur de... est amoureux.
+
+Charmée de tout ce que la soeur me disait, je m'impatientais
+de ne pas savoir le reste de son histoire. Je la pressai de
+continuer.--Volontiers, me dit-elle; nous nous sommes un peu arrêtées,
+mais ce détail était nécessaire pour ton instruction. Revenons à la
+surprise que me causa la vue de cette machine ingénieuse que je venais
+de ramasser.
+
+J'avais mille fois ouï parler de godmiché: je savais que c'était avec
+cet instrument que nos bonnes mères se consolaient des rigueurs du
+célibat. Cette machine imite le vit; elle est destinée à en faire les
+fonctions; elle est creuse et s'emplit de lait chaud, pour rendre la
+ressemblance plus parfaite, et suppléer par ce lait artificiel à celui
+que la nature fait couler du membre d'un homme. Quand celles qui s'en
+servent se sont mises, par un frottement réitéré, dans la situation
+d'avoir quelque chose de plus, elles lâchent un petit ressort: le lait
+part et les inonde. Elles trompent ainsi leurs désirs par une imposture
+dont la douceur leur fait oublier celle de la réalité.
+
+Je jugeai que l'agitation avait fait tomber ce précieux bijou de la
+poche de quelqu'une des mères qui m'étaient venues attaquer. Je n'étais
+pourtant pas sûre que ce fût véritablement un godmiché; mais mon coeur
+me le disait. Cette vue dissipa toute ma douleur: je ne pensai plus qu'à
+ce que je tenais dans ma main, et je voulus sur-le-champ en faire
+l'essai. Sa grosseur m'effrayait à la vérité, mais elle m'animait. Mes
+craintes cédèrent bientôt à l'ardeur que sa vue m'inspirait. Une douce
+chaleur, avant-coureur du plaisir que j'allai goûter se répandit par
+tout mon corps; il tremblait de l'émotion où j'étais, et je poussais de
+longs soupirs.
+
+Crainte de surprise, je commençai par fermer la porte; et, sans quitter
+les yeux de dessus le godmiché, je me déshabillai avec toute l'ardeur
+d'une jeune mariée que l'on va mettre dans le lit nuptial. L'idée du
+secret qui devait ensevelir les plaisirs dont j'allais m'enivrer leur
+donnait une pointe de vivacité qui m'enchantait. Je me jetai sur mon
+lit, mon cher godmiché à la main; mais, ma chère Suzon, quelle fut ma
+douleur quand je vis que je ne pouvais pas le faire entrer! Je me
+désespérai, je fis des efforts capables de déchirer mon pauvre petit
+conin. Je l'entr'ouvrais, et, appuyant le godmiché dessus, je me faisais
+un mal insupportable. Je ne me rebutais pas. Je crus que si je me
+frottais avec de la pommade, cela m'ouvrirait davantage. J'en mis;
+j'étais en sang, et ce sang mêlé avec la pommade et ce que la fureur où
+j'étais faisait sortir de mon con avec un plaisir qui me transportait,
+aurait sans doute ouvert le passage, si l'instrument n'eût été d'une
+grosseur prodigieuse. Je voyais le plaisir près de moi, et je n'y
+pouvais atteindre. J'étais forcenée, je redoublais mes efforts, mais
+inutilement, le godmiché maudit rebondissait et ne me laissait que la
+douleur. Ah! m'écriai-je, si Verland était ici, l'eût-il encore plus
+gros, je me sens assez de courage pour le souffrir. Oui, je le
+souffrirais, je le seconderais, dût-il me déchirer, dussé-je en mourir;
+je mourrais contente, pourvu qu'il me le mît. S'il me faisait de la
+douleur, reprenais-je, que les plaisirs qu'il me donnerait rendraient
+cette douleur bien douce! Je le tiendrais dans mes bras, je le serrerais
+étroitement, il me serrerait de même; je collerais sur sa bouche
+vermeille des baisers enflammés; je les prodiguerais sur ses yeux, ses
+beaux yeux noirs pleins de feux; il me tiendrait dans ses bras; quelle
+volupté! Il répondrait à mes transports par des transports aussi vifs;
+j'en ferais mon idole! Oui, je l'adorerais: un beau garçon comme lui
+mérite de l'être. Nos âmes se confondraient; elles s'uniraient sur nos
+lèvres brûlantes. Ah! cher Verland, pourquoi n'es-tu pas ici? Quelles
+délices! L'amour en inventerait pour nous, je me livrerais à tout ce que
+la passion m'inspirerait. Mais, hélas! reprenais-je, pourquoi m'abuser
+par une si douce illusion? Je suis seule, hélas! je suis seule, et, pour
+comble de douleur, je tiens dans mes mains une ombre, une apparence de
+plaisir, qui ne sert qu'à augmenter mon désespoir, qui m'inspire des
+désirs sans pouvoir les satisfaire. Instrument maudit, continuai-je, en
+apostrophant le godmiché et en le jetant au milieu de la chambre avec
+rage, va faire les délices d'une malheureuse à qui tu peux servir; tu ne
+feras jamais les miennes: mon doigt vaut mille fois mieux que toi! J'y
+eus aussitôt recours et me donnai tant de plaisir, que j'oubliai la
+perte ceux que je m'étais promis d'avoir avec le godmiché. Je tombai
+épuisée de lassitude et m'endormis en pensant à Verland.
+
+Je ne me réveillai le lendemain que fort tard; le sommeil avait amorti
+mes transports amoureux; mais n'avait rien changé à la résolution que
+j'avais prise de sortir du couvent. Les mêmes raisons qui m'avaient
+déterminée à prendre cette résolution me firent encore sentir avec plus
+de force la nécessité de l'exécuter. Je me regardai dès lors comme
+libre, et le premier usage que je fis de ma liberté fut de tranquilliser
+au lit jusqu'à dix heures. La cloche eut beau sonner, je ne parus pas.
+Je m'applaudissais du dépit que ma désobéissance devrait causer à nos
+vieilles. Je me levai à la fin, je m'habillai; et pour me mettre dans
+l'obligation de suivre mon dessein, je commençai par déchirer mon voile
+de pensionnaire, que je regardais comme une marque de servitude. Je me
+sentis le coeur plus libre: il me semblait que je venais de franchir une
+barrière qui jusque-là s'était opposée à ma liberté. Mais comme j'allais
+et je venais dans ma chambre, ce maudit godmiché se présente encore à
+mes yeux. Cette vue me rend immobile; je m'arrête, je le prends; je vais
+m'asseoir sur mon lit, je me mets à considérer l'instrument. Qu'il est
+beau! disais-je en le prenant avec complaisance dans la main, qu'il est
+long, qu'il est doux! C'est dommage qu'il soit si gros: à peine ma main
+peut-elle l'empoigner! Mais il m'est inutile... Non, jamais il ne pourra
+me servir, continuai-je en levant ma jupe et en essayant de nouveau de
+le faire entrer dans un endroit qui me faisait encore une douleur
+cuisante des efforts que j'avais fait la veille. J'y trouvai les mêmes
+difficultés, et il fallut encore me contenter de mon doigt. Je
+travaillai avec tout le courage que la vue de l'instrument m'inspirait,
+et je poussai les choses au point que les forces me manquèrent. Je
+demeurai insensible au plaisir même que je me donnais: ma main n'allait
+plus que machinalement, et mon coeur ne sentait rien. Ce dégoût
+momentané me fit naître une idée qui me flatta beaucoup. Je vais sortir,
+me dis-je, je n'ai plus rien à ménager: sortons avec éclat; je veux
+porter cet instrument à la mère supérieure: nous verrons comment elle
+soutiendra cette vue.
+
+Je jouissais d'avance, en allant à l'appartement de la supérieure, de la
+confusion que j'allais lui causer en lui montrant le godmiché. Je la
+trouvai seule; je l'abordai d'un air libre.--Je sais bien, madame, lui
+dis-je, qu'après ce qui s'est passé hier et l'affront que vous avez
+voulu me faire, je ne peux plus rester avec honneur dans votre couvent.
+(Elle me regardait avec surprise et sans me répondre, ce qui me donna la
+liberté de continuer.) Mais, madame, sans en venir à de pareilles
+extrémités, si j'avais fait une faute, et c'est de quoi je ne conviens
+pas, puisque la violence que l'indigne Verland me faisait m'ôtait la
+liberté de me défendre, vous auriez pu vous contenter de me faire une
+réprimande; quoique je ne l'eusse pas méritée, je l'aurais soufferte et
+je me serais bornée à gémir sans me plaindre, puisque les apparences
+parlaient contre moi.--Une réprimande, mademoiselle, me répondit-elle
+alors sèchement, une réprimande pour une action comme la vôtre! Vous
+méritez une punition exemplaire, et sans les égards que nous avons pour
+madame votre mère, qui est une sainte dame, vous...--Vous ne punissez
+pas toutes les coupables, interrompis-je vivement, et vous en avez dans
+le couvent qui font bien autre chose!--Bien autre chose? reprit-elle;
+nommez-les moi, je les châtierai.--Je ne vous les nommerai pas, lui
+répondis-je, mais je sais qu'il y en avait une parmi celles qui m'ont
+traitée hier avec tant d'indignité.--Ah! s'écria-t-elle, c'est pousser
+trop loin l'effronterie! c'est pousser la corruption du coeur et le
+dérèglement de l'esprit jusqu'où ils peuvent aller! Juste ciel; joindre
+la calomnie aux actions les plus criminelles, accuser les plus saintes
+de nos mères, des exemples de vertu, de chasteté et de pénitence, quelle
+dépravation du coeur! Je lui laissai tranquillement achever son éloge,
+et quand je vis qu'elle s'arrêtait, je tirai froidement le godmiché de
+ma poche, et le lui présentant: Voilà, lui dis-je du même air, une
+preuve de leur sainteté, de leur vertu, de leur chasteté, ou du moins de
+l'une d'elles! J'examinais pendant ce temps-là le visage de notre bonne
+supérieure. Elle me regardait, rougissait, était interdite: ces
+témoignages involontaires ne me laissèrent pas douter que le godmiché ne
+fût à elle; j'en fus encore plus convaincue par son ardeur à me le
+retirer des mains.--Ah! ma chère enfant, dit-elle (la restitution que je
+venais de lui faire m'avait réconciliée avec elle), ah! ma chère fille,
+se peut-il que dans une maison où il y a tant d'exemples d'édification,
+il se trouve des âmes assez abandonnées de Dieu pour faire usage d'une
+pareille infamie? Ah! mon Dieu! j'en suis toute hors de moi. Mais, ma
+chère fille, ne dites jamais que vous avez trouvé cela: je serais forcée
+d'user de sévérité, de faire des recherches, et je veux prendre le parti
+de la douceur. Mais vous, ma chère enfant, pourquoi voulez-vous nous
+quitter? Allez, retournez-vous en dans votre chambre, je raccomoderai
+tout: je dirai qu'on s'est trompé. Comptez sur mon affection, car je
+vous aime beaucoup. Soyez sûre qu'on ne vous verra pas de plus mauvais
+oeil, malgré ce qui s'est passé. Je vois bien qu'effectivement nous
+avons eu tort de vous traiter comme cela: vous n'étiez pas coupable. Je
+parlerai sur le bon ton à Mlle Verland. Jésus, mon Dieu, continua-t-elle
+en regardant le godmiché, que le démon est malin. Je crois, le ciel me
+pardonne, que c'est un... Ah! la vilaine chose!
+
+Au moment où la supérieure achevait ces mots, ma mère entra.--Qu'ai-je
+donc appris, madame? dit-elle à la supérieure? et sur-le-champ
+m'adressant la parole: Et vous, mademoiselle, pourquoi vous trouvez-vous
+ici? Il fallait répondre; j'étais déconcertée, je rougissais, je baissai
+les yeux; on me pressa, je bégayai. La supérieure parla pour moi; elle
+le fit avec esprit. Si elle ne me donna pas tout à fait le tort dans la
+conduite qu'on avait tenue avec moi, elle ne me chargea pas assez pour
+faire croire que je fusse bien coupable. Ma faute passa pour une
+imprudence où le coeur n'avait eu aucune part, pour une violence de la
+part d'un jeune téméraire que l'on promit bien de ne plus laisser
+revenir à la grille, et on conclut qu'il n'y avait que mademoiselle
+Verland de criminelle, puisque c'était elle qui avait fait éclater une
+chose qu'elle devait taire si ce n'était pour l'honneur de son frère, du
+moins pour le mien, qui pourtant n'en souffrirait point, parce que, dit
+la supérieure, elle voulait réparer l'insulte qu'on m'avait faite. Je
+n'en pouvais pas souhaiter davantage. Je sortis blanche comme neige
+d'une aventure où, sans me faire injure, on pouvait mettre le tort de
+mon côté; mais je n'avais garde d'en tomber d'accord. Ma mère me
+plaignit et me parla avec une douceur qui me toucha.
+
+Les âmes zélées pour la gloire de Dieu savent tirer parti de tout. Il
+fut arrêté entre la supérieure et ma mère qu'ayant eu le malheur de
+scandaliser, quoique involontairement, le prochain, il fallait me
+réconcilier avec le Père des miséricordes et m'approcher du sacrement de
+la pénitence. On me fit là-dessus bien des exhortations que je passe,
+pour ne pas t'ennuyer.
+
+Ma mère m'avait presque convertie avec ses sermons. Cependant la peine
+que je sentais à avouer mes fautes aurait dû me faire douter de ma
+conversion, et le père Jérôme m'en arrachait l'aveu plutôt que je ne lui
+faisais. Dieu sait quel plaisir il avait, ce vieux pécheur! Je ne lui en
+avais jamais tant dit; encore ne sut-il pas tout; car je ne crois pas
+que Dieu puisse faire grand crime à une pauvre fille de chercher à se
+soulager quand elle est pressée. Elle ne s'est pas faite elle-même;
+est-ce sa faute si elle a des désirs, si elle est amoureuse? Est-ce sa
+faute si elle n'a pas de mari pour la contenter? Elle cherche à apaiser
+ces désirs qui la dévorent, ce feu qui la brûle; elle se sert des moyens
+que la nature lui donne: rien de moins criminel.
+
+Malgré les petits mystères que j'avais faits au père Jérôme, je ne
+laissais pas d'être pénétrée. Etait-ce repentir? Non. La véritable cause
+était le refus que le père m'avait fait de me donner l'absolution. Je
+craignis qu'il ne fournît une nouvelle matière à la médisance; j'en
+étais touchée jusqu'aux larmes. Je craignais qu'en allant offrir ma
+confusion aux yeux de mes ennemies, je ne leur donnasse un nouveau sujet
+de triompher. J'allai me placer sur un prie-Dieu, vis-à-vis de l'autel:
+mes pleurs m'assoupirent, je m'endormis. J'eus pendant mon sommeil le
+rêve le plus charmant; je songeais que j'étais avec Verland, qu'il me
+tenait dans ses bras, qu'il me pressait avec ses cuisses. J'écartais les
+miennes et me prêtais à tous ses mouvements. Il me maniait les tétons
+avec transport, les serrait, les baisait. L'excès du plaisir me
+réveilla. J'étais réellement dans les bras d'un homme. Encore toute
+occupée des délices de mon songe, je crus que mon bonheur changeait
+l'illusion en réalité. Je crus être avec mon amant: ce n'était pas lui!
+On me tenait étroitement embrassée par derrière. Au moment que j'ouvris
+les yeux, je les refermai de plaisir et n'eus pas la force de regarder
+celui qui me le donnait. Je me sentis inondée d'une liqueur chaude, et
+quelque chose de dur et de brûlant que l'on m'enfonçait en jetant des
+soupirs. Je soupirai aussi, et dans le moment une liqueur semblable que
+je sentais s'échapper de toutes les parties de mon corps, avec des
+élancements délicieux, se mêlant avec celle que l'on répandait une
+seconde fois, me fit retomber sans mouvement sur mon prie-Dieu.
+
+Ce plaisir qui, s'il durait toujours, serait plus piquant mille fois que
+celui qu'on goûte dans le ciel, hélas! ce plaisir finit trop tôt. Je fus
+saisie de frayeur en pensant que j'étais seule pendant la nuit dans le
+fond d'une église: avec qui? Je ne le savais pas; je n'osais m'en
+éclaircir, je n'osais remuer; je fermais les yeux, je tremblais. Mon
+tremblement augmenta encore quand je sentis qu'on pressait ma main,
+qu'on la baisait. Le saisissement m'empêcha de la retirer, je n'en avais
+pas la hardiesse; mais je me rassurai un peu en entendant dire à mes
+oreilles, d'une voix basse: Ne craignez rien; c'est moi! Cette voix, que
+je me souvenais confusément d'avoir entendue, me rendit le courage, et
+j'eus la force de demander qui c'était, sans avoir celle de
+regarder.--Eh! c'est Martin, me répondit-on, le valet du père Jérôme.
+Cette déclaration dissipa ma frayeur. Je levai les yeux, je le reconnus.
+Martin était un blond, éveillé, joli, amoureux. Ah! qu'il l'était! Il
+tremblait à son tour, et attendait ma réponse pour fuir ou me baiser
+encore. Je ne lui en fis pas, mais je le regardai d'un air riant, avec
+des yeux qui se ressentaient encore du plaisir que je venais de goûter.
+Il vit bien que ce n'était pas un signe de colère; il se jeta dans mes
+bras avec passion; je le reçus de même, et sans penser que si quelqu'un
+s'apercevait que je manquais dans le couvent on pourrait venir et nous
+trouver ensemble... Te le dirais-je? L'amour rend tout excusable. Sans
+respect pour l'autel, sur les marches duquel nous étions, Martin me
+pencha un peu, leva mes jupes, porta sa main partout; aussi passionnée
+que lui, je portai la mienne à son vit; j'eus pour la première fois de
+ma vie le plaisir d'en manier un! Ah! que le sien était joli! petit,
+mais long, tel qu'il me le fallait. Quel feu! Quelle démangeaison
+voluptueuse se glissa d'abord par tout mon corps! J'étais muette, je
+serrais ce cher vit dans ma main, je le considérais, je le caressais,
+l'approchais de mon sein, le portais à ma bouche, le suçais; je l'aurais
+avalé! Martin avait le doigt dans mon con, le remuait doucement, le
+retirait, le remettait et renouvelait ainsi mes plaisirs à chaque
+instant, il me baisait, me suçait le ventre, la motte et les cuisses; il
+les quittait pour porter des lèvres brûlantes sur ma gorge. En un moment
+je fus couverte de ses baisers. Je ne pus pas tenir contre ces attaques
+de plaisir. Je me laissai tomber, l'attirant doucement à moi avec mon
+bras droit, dont je le serrai amoureusement; je le baisais à la bouche,
+tandis que de la main gauche, tenant l'objet de tous mes voeux, je
+tâchais de me l'introduire et de me procurer un plaisir plus solide. Un
+égal transport le fit coucher sur moi: il se mit à pousser.--Arrête, lui
+dis-je d'une voix entrecoupée par mes soupirs, arrête, mon cher Martin;
+ne va pas si vite, restons un moment. Aussitôt, me coulant sous lui et
+écartant les cuisses, je joignis mes jambes sur ses reins. Mes cuisses
+étaient collées contre ses cuisses, son ventre contre mon ventre, son
+sein contre mon sein, sa bouche sur ma bouche: nos langues étaient
+unies, nos soupirs se confondaient. Ah! Suzon, quelle charmante posture!
+Je ne pensais à rien au monde, pas même au plaisir que j'avais, n'étant
+occupée qu'à le sentir. L'impatience m'empêcha de le goûter plus
+longtemps. Je fis un mouvement, Martin en fit autant, et notre bonheur
+s'évanouit; mais avant de le perdre, nous sentîmes combien il était
+grand: il semblait qu'il eût ramassé ses traits les plus vifs et les
+plus ravissants pour nous en accabler. Nous restâmes sans sentiment,
+n'ouvrant les yeux que pour nous presser de nouveau; le plaisir se
+refusait à nos efforts.
+
+Il est temps, poursuivit Monique, de t'apprendre, Suzon, ce que c'était
+que cette eau bénite dont le père Jérôme t'arrosa un jour la gorge en te
+donnant l'absolution.
+
+Ma première action, quand Martin fut retiré de mes bras, fut de porter
+la main où j'avais reçu les plus grands coups. Le dedans, le dehors,
+tout était couvert de cette liqueur dont l'effusion m'avait fait tant de
+plaisir; mais elle avait perdu toute sa chaleur et était froide alors
+comme de la glace. C'était du foutre. On appelle ainsi une matière
+blanche et épaisse qui sort du vit ou du con quand on décharge. La
+décharge est l'action qui suit ce frottement voluptueux par où l'on
+prélude.--Comment, dis-je à Monique, c'en était donc que vous répandiez
+tout à l'heure?--Oui, vraiment, me dit-elle, et tu m'en as donné aussi,
+petite friponne! N'as-tu pas senti ton petit conin tout mouillé? C'en
+était.
+
+Mais, ma chère petite, le plaisir que tu as goûté est bien au-dessous de
+celui qu'on goûte avec un homme; car ce qu'il nous donne se mêlant avec
+ce que nous lui donnons, y rentre, nous pénètre, nous enflamme, nous
+rafraîchit, nous brûle. Quelles délices, Suzon! Ah! ma chère Suzon,
+elles sont inexprimables; mais écoute le reste de mon aventure,
+poursuivit-elle.
+
+J'étais bien chiffonnée, comme tu peux croire, après l'exercice amoureux
+que je venais de faire; je me remis le mieux qu'il me fut possible, et
+demandai à Martin quelle heure il était.--Oh! il n'est pas tard, me
+répondit-il: je viens d'entendre la cloche du souper.--Je me passerai
+bien d'y aller, repris-je; je vais vite me coucher; mais avant que je te
+quitte, apprends-moi, mon cher Martin, par quel hasard tu t'es trouvé
+ici, et comment as-tu osé venir?...--Oh! pardi! ce n'est pas la
+hardiesse qui me manque. V'là comme ç'a été: j'étais venu pour parer
+l'église, car, comme vous savez, c'est demain bonne fête; je vous ai
+aperçue. M'est avis, ai-je dit à part moi en vous reluquant, que voilà
+une demoiselle qui prie bian le bon Dieu! Pardi! ce me suis-je fait, il
+faut qu'alle ait bien la rage de la dévotion pour s'en venir à
+c't'heure-ci dans l'église, pendant que tretoutes prennent leurs
+becquées! mais ne dormirait-elle pas aussi? ce me suis-je dit, voyant
+que vous ne bronchiez ni pied ni patte. Pardi! je le croirais bian.
+Voyons un peu ça. Je me suis cependant approché tout fin près de vous,
+et j'ai vu que vous dormiais. Je sis resté là un petit bout de temps à
+vous lorgner, et pendant ce temps-là, mon coeur faisait tic toc, tic
+toc. Le guiable est bian fin; Martin, m'a-t-il corné aux oreilles, alle
+est bian jolie au moins: v'là un biau coup à faire, mon enfant; si tu
+laisses échapper c't'occasion-là, tu ne la retrouveras pas? avise-toi,
+Martin. Pardi! je me sis avisé tout de suite. J'ai levé tout doucement
+votre collerette, et ai vu deux petits tétons bian blancs. Pardi! j'ai
+mis la main dessus, et pis je les ai baisés aussi tout doucement; et
+pis, voyant que vous dormiais comme un sabot, j'ai eu envie de faire
+autre chose, et c't'autre chose-là, je l'ai faite en vous troussant
+bravement vot' cotillon par derrière; et pis j'ai poussé; et pis, dame,
+vous savez le reste.
+
+Malgré son langage grossier, l'air d'ingénuité avec lequel Martin
+s'expliquait me charmait.--Eh bien, lui dis-je, mon cher ami, as-tu bien
+eu du plaisir?--Oh! pardi! me répondit-il en m'embrassant, j'en ai tant
+eu que j'sis prêt à recommencer, si vous voulez.--Non, pas pour le
+présent, lui dis-je; peut-être s'apercevrait-on de quelque chose; mais
+tu as la clef de l'église; si tu veux venir demain à minuit, tiens la
+porte ouverte, je viendrais te trouver; entends-tu Martin?--Oh! morgué!
+me répondit-il; c'est bian dit; nous nous en donnerons à coeur-joie;
+nous n'aurons pas d'espions à c't'heure-là. Je l'assurai que je m'y
+trouverais. La réflexion me fit résister à mon envie et aux prières de
+Martin, qui voulait que nous fissions cela encore une petite fois,
+disait-il, avant de nous quitter. Mon refus l'aurait plongé dans la
+tristesse si je ne l'eusse consolé par l'espérance du lendemain. Nous
+nous embrassâmes, je rentrai dans le couvent et regagnai heureusement ma
+chambre sans avoir été aperçue.
+
+Tu devineras facilement que je mourais d'impatience de me visiter et de
+savoir en quel état j'étais après les assauts que je venais d'essuyer.
+Je sentais une vive cuisson; à peine pouvais-je marcher. J'avais pris
+une lumière au dortoir; je tirai bien mes rideaux pour n'être vue de
+personne, et m'étant assise sur ma chaise, une jambe sur mon lit et
+l'autre sur le plancher, je fis mon examen. Quelle fut ma surprise
+lorsque je trouvai que mes lèvres, qui auparavant étaient si fermes et
+si rebondies, étaient devenues toutes molles et comme flétries! Les
+poils qui les couvraient, quoiqu'ils se ressentissent encore de
+l'humidité, formaient d'espace en espace, mille petites boucles.
+L'intérieur était d'un rouge vif, enflammé et d'une extrême sensibilité.
+La démangeaison m'y faisait porter le doigt, et sur-le-champ la douleur
+me forçait de le retirer. Je me frottais contre les bras de mon fauteuil
+et les couvrai des marques de la vigueur de Martin. Le plaisir
+combattait contre la fatigue; mais mes yeux s'appesantissaient
+insensiblement. Je me couchai et dormis d'un sommeil qui ne fut
+interrompu que par d'agréables songes qui me rappelaient les délices que
+j'avais goûtées.
+
+On ne me dit rien le lendemain sur mon absence; on la regarda comme un
+reste de ressentiment que je devais avoir du traitement que l'on m'avait
+fait. Mon air fier confirma cette pensée. J'assistai comme les autres à
+l'office; toutes mes compagnes communiaient, moi je ne communiai pas; et
+à te dire vrai, je m'étais mise au-dessus de la honte de ne pas suivre
+leur exemple. L'amour dissipe les préjugés. La présence de mon amant,
+que je voyais rôder dans l'église, me dédommageait assez. Plus d'une
+parmi mes compagnes aurait bien quitté au même prix la nourriture
+spirituelle.
+
+Je jetais sur mon amant plus de regards amoureux que je n'en jetais de
+dévotion sur l'autel. Aux yeux d'une femme du monde, Martin n'aurait été
+qu'un polisson; aux miens c'était l'amour même: il en avait la jeunesse,
+il en avait les grâces. Son mérite caché me faisait passer légèrement
+sur sa négligence extérieure. Je m'aperçus pourtant qu'il s'était
+accommodé ce jour-là et qu'il tâchait de se donner meilleur air qu'à
+l'ordinaire. Je lui sus bon gré de son intention, que j'attribuais
+plutôt à l'envie de me plaire qu'au mérite de la fête qu'on célébrait.
+Rien n'échappe aux yeux d'une amante. Je le voyais regarder les
+pensionnaires pour tâcher de me découvrir. Je ne voulais pas qu'il me
+reconnût; j'avais soin de me cacher; mais j'aurais été fâchée qu'il
+n'eût pas pris cette peine inutile. Que veux-tu, j'en étais amoureuse à
+la rage. J'attendais avec impatience la nuit pour lui tenir la parole
+que je lui avais donnée.
+
+Elle vint enfin, cette nuit si ardemment souhaitée. Minuit sonna. Ah!
+que je fus alors troublée! Je ne traversai le corridor qu'en tremblant,
+et quoique tout le monde fût endormi, je croyais les yeux de tout le
+monde ouverts sur moi. Je n'avais, pour me conduire, d'autre lumière que
+celle de mon amour. Ah! disais-je en marchant à tâtons dans l'obscurité,
+si Martin m'avait manqué de parole, j'en mourrais de douleur! Il était
+au rendez-vous, aussi amoureux, aussi impatient que j'avais été
+ponctuelle. J'étais vêtue fort légèrement; il faisait chaud, et je
+m'étais aperçue la veille que les jupes, les corps, les mouchoirs de
+gorge, tout cela était trop embarrassant. Sitôt que je sentis la porte
+ouverte, un tressaillement de joie me coupa la parole. Je ne la
+recouvrai que pour appeler mon cher Martin à voix basse: il m'attendait;
+il accourut dans mes bras, me baisa; je lui rendis caresse pour caresse.
+Nous nous tînmes longtemps étroitement serrés. Revenus des premiers
+mouvements de notre joie, nous cherchâmes réciproquement à en exciter de
+plus grands. Je portai la main à la source de mes plaisirs; il porta la
+sienne où je l'attendais avec impatience. Il fut bientôt en état de la
+contenter. Il se déshabilla, me fit un lit de ses habits: je me couchai
+dessus. Nos plaisirs se succédèrent pendant deux heures avec rapidité et
+des mouvements de vivacité qui ne laissaient pas le temps de les
+désirer; nous nous y livrions comme si nous ne les eussions pas encore
+goûtés ou que nous ne dussions plus les goûter. Dans le feu du plaisir
+on ne songe guère à ménager les moyens de l'entretenir. L'ardeur de
+Martin ne répondait plus à la mienne; il fallut s'arracher de ses bras
+et se retirer.
+
+Notre bonheur ne dura guère plus d'un mois, et j'y comprends le temps
+que la nécessité faisait donner au repos. Quoiqu'il ne fut pas rempli
+par le plaisir de voir mon amant, il l'était par celui de penser à lui
+et par les agréables idées qui disposaient mon coeur aux délices que sa
+présence ramenait. Ah! que les nuits heureuses, que j'ai passées dans
+ses bras ont coulé rapidement, et que les suivantes ont été longues!
+
+Redouble ton attention, ma chère Suzon, renouvelle-moi tes promesses de
+m'être toujours fidèle et de ne jamais révéler un secret que je n'ai
+confié qu'à toi. Ah! Suzon, qu'il est dangereux d'écouter un penchant
+trop flatteur et de s'y livrer sans réflexion! Si les plaisirs que
+j'avais goûtés étaient délicieux, l'inquiétude qui les suivit me les fit
+payer bien cher. Que je me repentis d'avoir été trop amoureuse! Les
+suites de ma faiblesse se présentèrent à mon imagination avec des
+circonstances affreuses. Je pleurai, je gémis.--Que vous arriva-t-il
+donc? lui demandai-je.--Je m'aperçus, me dit-elle, que mes règles ne
+coulaient plus; huit jours s'étaient passés sans les avoir; je fus
+surprise de leur interruption, ayant souvent entendu dire que c'était un
+signe de grossesse. J'étais souvent attaquée de maux de coeur, de
+faiblesses. Ah! m'écriai-je, il n'est que trop vrai, malheureuse! hélas!
+je le suis, il n'en faut plus douter, je suis grosse! Un torrent de
+larmes succédait à ces accablantes réflexions.--Vous étiez grosse?
+dis-je à la soeur avec étonnement. Ah! ma chère Monique, comment
+avez-vous fait pour en dérober la connaissance à des yeux
+intéressés.--Je n'eus, me répondit-elle, que la douleur de savoir mon
+malheur, et non celle d'en essuyer les suites. Martin l'avait causé, il
+m'en délivra. Ma grossesse ne m'empêchait pas de me rendre toujours à
+nos rendez-vous; j'étais inquiète, j'étais tremblante, mais j'étais
+encore plus amoureuse. Le poids victorieux du plaisir m'entraînait.
+Qu'en pouvait-il arriver davantage? Mon malheur était à son comble. Ce
+qui me l'avait causé devait servir du moins à m'en consoler.
+
+Une nuit, après avoir reçu de Martin ces témoignages d'un amour
+ordinaire qui ne se ralentissait pas, il s'aperçut que je soupirais
+tristement; que ma main, qu'il tenait dans la sienne, était tremblante
+(quand ma passion était satisfaite, l'inquiétude reprenait dans mon
+coeur la place que l'amour y occupait un moment avant); il me demanda
+avec empressement la cause de mon agitation, et se plaignit tendrement
+du mystère que je lui faisais de mes peines.--Ah! Martin, lui dis-je,
+mon cher Martin, tu m'as perdue! Ne dis pas que mon amour pour toi n'est
+plus le même, j'en porte dans mon sein une preuve qui me désespère: je
+suis grosse! une pareille nouvelle le surprit. L'étonnement fit place à
+une profonde rêverie; je ne savais qu'en penser, Martin était toute mon
+espérance dans cette circonstance cruelle; il balançait: que devais-je
+croire? Peut-être, disais-je, abattue par son silence, peut-être
+médite-t-il sa fuite. Il va m'abandonner à mon désespoir. Ah! qu'il
+reste! j'aime mieux perdre la vie en l'aimant que mourir faute de le
+haïr! Je versais des larmes, il s'en aperçut. Aussi tendre, aussi fidèle
+que je craignais de le voir perfide, tandis que je le croyais occupé du
+soin de se dérober à mon amour, il ne l'était que de celui de tarir mes
+pleurs en me délivrant de leur cause. Il m'annonça, en m'embrassant avec
+tendresse, qu'il en avait trouvé le moyen. La joie que me causa cette
+promesse n'égala pas celle de m'être trompée dans mes soupçons: il me
+rendait la vie. Charmée des assurances qu'il me donnait, je fus curieuse
+de savoir quel était ce moyen qu'il prétendait employer pour me délivrer
+de mon fardeau. Il me dit qu'il voulait me donner d'une boisson qui
+était dans le cabinet de son maître, et dont la mère Angélique avait
+fait l'expérience avant moi. Je voulus savoir ce que le père Jérôme
+pouvait avoir de particulier avec cette mère. Je la haïssais
+mortellement, parce qu'elle avait paru une des plus animées contre moi
+le jour de l'aventure de la grille. Je l'avais toujours prise pour une
+vestale; que je me trompais! D'autant plus sévère qu'elle savait mieux
+déguiser son caractère vicieux, qu'elle voilait sous les apparences de
+la vertu ses inclinations corrompues, elle était en intrigue réglée avec
+le père Jérôme. Martin m'en apprit toutes les circonstances. Il me dit
+qu'en furetant dans les papiers de son maître, il avait trouvé une
+lettre où elle lui marquait qu'elle se trouvait, pour l'avoir trop
+écouté, dans le même embarras où je me trouvais pour avoir trop écouté
+Martin! que le père lui avait envoyé une petite fiole de cette liqueur
+dont je devais user; que la mère, en recevant le présent, avait paru
+être transportée de joie, et qu'il avait trouvé une seconde lettre par
+laquelle elle marquait à son vieil amant que la liqueur avait fait
+merveille; qu'on n'avait plus aucune incommodité, et qu'on était prête à
+recommencer.--Ah! mon cher ami, dis-je à Martin, apporte-moi dès demain
+de cette liqueur: tu me tireras de toutes mes peines! Et, portant mes
+vues plus loin, je crus que par le moyen de ces lettres je pourrais
+servir ma vengeance et ma haine contre la mère Angélique; je les
+demandai à Martin, qui, ne sentant pas combien cette imprudence nous
+coûterait cher, crut me marquer son amour en me les apportant le
+lendemain avec ce qu'il m'avait promis.
+
+J'avais fait réflexion que la lumière pourrait me trahir, si on en
+apercevait dans ma chambre à pareille heure. Je modérai l'impatience où
+j'étais de lire les lettres de la mère: j'attendis que le jour parût; il
+vint: je lus; elles étaient écrites d'un style passionné, et aussi peu
+mesuré que la figure et les manières de celle qui les avait écrites
+l'étaient beaucoup. Elle y peignait sa fureur amoureuse avec des traits,
+des expressions dont je ne l'aurais jamais crue capable; enfin, elle ne
+se gênait pas, parce qu'elle comptait que le père Jérôme aurait la
+précaution, comme elle le lui marquait, de brûler les lettres. Il avait
+eu l'imprudence de n'en rien faire, et je triomphais. Je songeai
+longtemps de quelle manière je devais me servir de ces lettres pour
+perdre mon ennemie. Les rendre moi-même à la supérieure, c'eût été une
+démarche trop dangereuse pour moi: il aurait fallu rendre compte de la
+façon dont je les avais eues; les faire rendre par quelqu'un, ç'aurait
+été l'exposer à des questions dont il ne serait peut-être pas sorti à
+son honneur et qui auraient pu entraîner ma perte. Je choisis un autre
+parti: ce fut de les porter moi-même à la porte de la supérieure, au
+moment où je saurais qu'elle devait rentrer. Je m'arrêtai à cette idée.
+Imprudente que j'étais! J'aurais dû brûler ces lettres. Que de chagrins
+je m'apprêtais! je m'enlevais mon amant! Cette réflexion, si elle me fût
+venue, aurait éteint mon ressentiment. Quelque douceur que la vengeance
+me présentât, eût-elle un moment balancé la douleur de perdre Martin?
+Non; il m'était mille fois plus précieux que ce qui me flattait le plus
+dans ce moment. Je ne remis l'exécution de mon projet que jusqu'au temps
+où je serais hors de danger: je le fus bientôt. J'avais demandé à Martin
+une trêve de huit jours; elle n'était pas encore expirée. Je crus
+pouvoir exécuter alors le dessein que j'avais formé: il eut tout l'effet
+que j'en pouvais attendre. La supérieure trouva les lettres, fit venir
+la mère Angélique et la convainquit. Peut-être la réflexion eût-elle
+obtenu sa grâce, si un crime plus grand, et que les femmes ne pardonnent
+jamais, la rivalité, n'eût rendu sa punition nécessaire pour le repos de
+la supérieure; car, quoiqu'elle ne manquât pas, comme je te l'ai dit, de
+ces secours capables d'émousser la pointe des aiguillons de la chair, il
+est bien difficile, quand on a grand appétit, de s'en tenir à cette
+nourriture artificielle qui charme la faim sans la calmer.
+
+Un godmiché n'est qu'un secret pour endormir le tempérament; son sommeil
+n'est pas de longue durée; il se réveille, et, furieux de la tromperie
+qu'on lui a faite, il ne s'apaise que par la réalité.
+
+La supérieure était dans ce cas. Une fille qui a acquis quelques
+connaissances dans les mystères de l'amour voit clair dans une injure.
+Si les objets lui manquent, l'imagination y supplée; elle s'aigrit des
+difficultés qu'on lui oppose, et va quelquefois plus loin que la
+réalité; mais avec un homme, une femme du caractère de la supérieure, de
+celui du père Jérôme, je craignais moins d'en trop penser que de n'en
+pas penser assez. Leur liaison ne me laissait pas douter que le
+directeur ne partageât secrètement ses consolations spirituelles entre
+elle et la mère Angélique. Le prompt châtiment de celle-ci confirma mes
+soupçons; elle expia dans une chambre obscure le crime de m'avoir déplu
+et d'avoir enlevé à la supérieure le coeur d'un amant confirmé dans ses
+bonnes grâces.
+
+Je me repentis bientôt de ma sottise; je m'étais toujours flattée que
+l'orage ne tomberait que sur la mère Angélique: il alla plus loin. Le
+père, outré de se voir enlever sa maîtresse, soupçonna Martin de la
+cause de son malheur: il le sacrifia à son ressentiment en le chassant:
+je ne l'ai plus revu depuis.
+
+Voilà mon histoire, ma chère Suzon, poursuivit la soeur Monique; je ne
+te recommande pas le secret; tu es intéressée à le garder; te voilà
+associée à mes plaisirs! Hélas! je n'ai presque pas joui depuis que j'ai
+perdu mon amant. Que n'est-il ici, continuait-elle en me baisant, je le
+mangerais de caresses!
+
+Le souvenir de Martin l'animait: ses discours avaient produit sur moi le
+même effet. Nous nous trouvâmes, sans y penser, disposées à ne pas
+attendre au lendemain pour célébrer la perte de ce cher amant. Je
+rappelais à Monique les plaisirs qu'elle avait autrefois goûtés avec
+lui. Trompée par mes caresses, elle oubliait que je n'étais qu'une
+fille, me prodiguait les mêmes noms qu'elle lui prodiguait dans ses
+transports. J'étais son ange, son dieu! Je n'avais pas encore l'idée
+d'un bien plus grand plaisir que celui dont je jouissais: Monique, dans
+mes bras, comblait tous mes désirs. L'imagination va toujours plus loin
+que ce que l'on possède. Monique songeant au plaisir que lui avait causé
+le frottement du poil de Martin, quand elle le sentit contre ses fesses
+la nuit de l'aventure du prie-Dieu, m'en promit autant si je voulais le
+lui procurer encore. J'y consentis. Elle se coucha sur le ventre,
+j'agissais: nous nous animâmes de façon qu'à force de nous chatouiller
+nous nous trouvâmes, l'une la tête au chevet du lit, et l'autre la tête
+au pied. Dans cette situation, nous nous rapprochâmes; l'une de mes
+cuisses était sur le ventre de Monique, l'autre sous ses fesses: mon
+ventre et mes fesses étaient de même entre ses cuisses; étroitement
+collées l'une contre l'autre, nous nous pressions en soupirant, nous
+nous frottions réciproquement, nous répandions à chaque instant. Les
+sources de notre plaisir, gonflées par un jaillissement continuel, qui
+n'avait d'autre issue que de passer de l'une dans l'autre, étaient comme
+deux réservoirs de délices où nous mourrions plongées sans sentiment, où
+nous ne ressuscitions que par l'excès du ravissement. L'épuisement seul
+mit fin à nos transports. Enchantées l'une de l'autre, nous nous
+promîmes de recoucher ensemble le lendemain. Elle y revint et me rendit
+encore plus savante à cette seconde entrevue. Ces nuits charmantes n'ont
+été interrompues que par ma sortie du couvent pour venir ici.
+
+Ce que Suzon venait de me raconter avait si fort agi sur mon
+imagination, que je n'avais pu refuser à l'énergie de ses discours des
+marques de sensibilité relative au sujet. Quoique j'eusse affecté de lui
+dérober les larmes qu'elle m'arrachait, le plaisir de les répandre, les
+regards passionnés que je jetais sur elle en les répandant, m'avaient
+trahi; elle s'était aperçue de mes mouvements; mais, charmée d'avoir
+fait sur moi l'impression qu'elle désirait, elle me dissimulait
+adroitement sa satisfaction, et, par une politique mal entendue,
+combattait encore en elle-même le doux penchant qui devait couronner
+l'ardeur qu'elle m'inspirait. Autant ses discours m'avaient étonné,
+autant ils me donnèrent d'espoir. Ces peintures si vives et si animées
+des situations et des sentiments de la soeur Monique, dans une
+circonstance à peu près semblable à celle où nous nous trouvions, ne
+pouvaient partir que d'un coeur pénétré. Elle ne m'avait rien caché de
+ses actions, pas même sa sensibilité pour les plaisirs de l'amour. Elle
+avait dit tous les mots; rien n'avait été fardé. Si nous eussions été
+dans l'allée, elle n'aurait pas dit un mot que je n'en eusse profité, et
+n'aurait pas fait une peinture que je n'y eusse joint la représentation
+au naturel. Son dessein n'avait pas été d'y venir. Que devais-je penser
+de cette résistance? Comment l'accorder avec ce que je venais
+d'entendre? Ah! si j'avais pu lire dans son coeur, que je me serais
+épargné d'inquiétudes! Résolu à suivre mon dessein, mais en garde contre
+une précipitation qui aurait pu effaroucher Suzon, je pris autrement mes
+mesures. Je cherchai dans le récit même qu'elle venait de me faire des
+armes pour la combattre. Je lui demandai d'abord indifféremment si la
+soeur Monique était jolie.--Comme un ange, me répondit-elle, et une
+fille qui possède ces charmes est toujours sûre de plaire. Sa taille est
+fine et bien prise: sa peau est d'une blancheur, d'une douceur
+parfaites; elle a la plus belle gorge du monde, le visage un peu pâle,
+mais joli et formé de façon que les plus belles couleurs lui
+conviendraient moins que cette pâleur; ses yeux sont noirs et bien
+fendus; mais, contre l'ordinaire des brunes, elle les a languissants; il
+n'y reste qu'assez de feu pour faire juger qu'ils seraient brillants
+si elle n'était pas si amoureuse.--Tu me rends compatissant pour
+elle, dis-je à Suzon. Sa passion pour les hommes la rendra
+malheureuse.--Désabuse-toi, répondit Suzon, ce n'est que depuis peu,
+comme je te l'ai dit, qu'elle a pris le voile par complaisance pour sa
+mère. Le temps de prononcer ses voeux n'est pas encore venu; son bonheur
+dépend de la mort d'un frère, l'idole de sa mère. Il court grand risque
+de ne pas vivre plus longtemps que sa soeur ne le souhaite. On l'a déjà
+blessé à Paris dans un bordel...--Un bordel! eh! qu'est-ce que cet
+endroit? demandai-je à Suzon, par pressentiment sans doute de ce qui
+devait m'y arriver un jour.--Je vais te dire, me répondit-elle, ce que
+j'en sais de la soeur Monique qui connaît tout ce qui a rapport à ses
+inclinations. C'est un lieu où s'assemblent des filles tendres et
+faciles, qui reçoivent avec complaisance les hommages des libertins, et
+se prêtent à leurs désirs, sous l'espoir de la récompense. Leur penchant
+les y mène, le plaisir les y fixe.--Ah! m'écriai-je en l'interrompant,
+que je voudrais être dans une ville où il y eût de ces endroits-là! Et
+toi, Suzon? Elle ne dit mot, mais je compris par son silence qu'elle ne
+serait pas plus cruelle qu'une autre pour son tempérament, et que ce
+plaisir aurait autant d'empire sur son coeur que sur celui de ces filles
+tendres que l'empressement des hommes érige en idoles publiques. Je
+crois, ajoutai-je, que la soeur Monique irait là aussi volontiers que
+son frère.--Assurément, me dit-elle; cette pauvre fille aime les hommes
+à la fureur; l'idée seule l'en enchante.--Et toi, petite friponne, tu ne
+les aimes donc pas?--Je les aimerais, me répondit-elle, si ce que l'on
+fait avec eux n'était pas si dangereux.--Tu le crois! lui dis-je; il ne
+l'est pas tant que tu le penses. Pour faire cela avec une femme, elle ne
+devient pas toujours grosse. Vois cette dame qui est notre voisine:
+mariée depuis longtemps, elle le fait avec son mari, et cependant elle
+n'a pas d'enfants. Cet exemple parut l'ébranler. Ecoute, ma chère Suzon,
+poursuivis-je, et comme inspiré par une intelligence au-dessus de mon
+âge, qui me faisait pénétrer dans les mystères de la nature, la soeur
+Monique t'a dit que, quand Martin le lui mettait, elle était toute
+remplie de ce qu'il lui donnait: c'était sans doute ce qui lui avait
+fait un enfant.--Eh bien, dit Suzon en me regardant et cherchant dans
+mes yeux un moyen de satisfaire son envie sans s'exposer aux hasards,
+que veux-tu dire par là?--Ce que je veux dire, repris-je, c'est que si
+c'est ce que l'homme répand qui produit cet effet, on peut l'empêcher en
+se retirant, quand on sent que cela vient.--Eh! le peut-on faire?
+interrompit vivement Suzon. N'as-tu jamais vu deux chiens l'un sur
+l'autre? On a beau les battre pour les faire finir, ils crient, se
+démènent, voudraient se retirer et ne peuvent pas: ils sont attachés de
+façon que cela leur devient impossible. Dis-moi si un homme se trouvait
+attaché de même à une femme, que quelqu'un vînt, qu'on les surprît?
+Cette objection me démonta, l'exemple était simple; il semblait que
+Suzon eût prévu ce que j'allais lui proposer. L'exemple était pour nous;
+nous allions nous trouver dans le même cas, si Suzon se rendait. Elle
+semblait attendre ma réponse: et si j'avais pu lire dans son âme,
+j'aurais vu qu'elle se repentait de m'avoir proposé une difficulté que
+j'étais hors d'état de résoudre. D'autant plus intéressé à détruire son
+préjugé, je ne doutai pas que mon bonheur ne dépendît de ma réponse, et
+je cherchai des raisons pour la convaincre. Je me souvenais parfaitement
+que le père Polycarpe n'avait pas eu la veille cette difficulté à se
+retirer de dessus Toinette. Je lui aurais cité cet exemple, mais
+j'aimais mieux le lui faire voir. Mes raisonnements ne la persuadèrent
+pas, mais ses désirs suppléaient à ce qu'ils avaient de défectueux. Elle
+affectait d'insister encore, et il lui fallait un exemple contraire pour
+la persuader. Dans le moment je vis le bonhomme Ambroise sortir de la
+maison et gagner le chemin de la rue. Son départ m'offrit l'occasion la
+plus favorable qui pût se présenter. Ne doutant pas que le père et
+Toinette ne profitassent de la liberté qu'il leur laissait pour réparer
+le temps perdu par sa présence, je dis d'un ton assuré à Suzon: Viens,
+je veux te faire voir que tu t'es trompée. Je me levai et j'aidai Suzon
+à en faire autant après lui avoir porté sous sa jupe une main qu'elle
+repoussa en folâtrant.--Où vas-tu donc me mener? me dit-elle, voyant que
+je gagnais la maison. La petite friponne croyait que j'allais la mener
+dans l'allée: elle m'y aurait suivi. Que j'aurais bien mieux fait d'y
+aller! Mais je n'étais pas assez expérimenté pour voir qu'elle ne
+demandait pas mieux. Je craignais quelque nouvelle résistance de sa
+part, et mon destin m'entraînait. Je lui répondis que je la menais dans
+un lieu où elle verrait quelque chose qui lui ferait plaisir.
+
+--Où donc? me répondit-elle avec impatience, voyant que j'avançais vers
+la maison.--Dans ma chambre, lui répondis-je.--Dans ta chambre? me
+dit-elle; oh! non! Tiens, Saturnin, cela est inutile: tu me ferais
+quelque chose! Je lui jurai que non, et je connus à l'air dont elle
+consentait à y venir qu'elle était moins fâchée de m'y suivre qu'elle ne
+l'aurait été si, en lui promettant d'être sage, je ne lui avais pas
+donné un prétexte pour s'y laisser conduire. Que je me rappelle avec
+plaisir ces traits charmants de mon enfance! l'habitude d'accorder tout
+à mes passions et l'usage immodéré des plaisirs n'ont point émoussé ma
+sensibilité pour ces précieux instants de ma vie.
+
+Nous entrâmes dans ma chambre sans avoir été aperçus; je tenais Suzon
+par la main, elle tremblait; je marchais sur la pointe des pieds, elle
+m'imitait: je lui fis signe de ne point parler, et, la faisant asseoir
+sur mon lit, je m'approchai doucement de la cloison: personne n'y était
+encore. Je dis d'une voix basse à Suzon que l'on ne tarderait pas à
+venir. Mais que veux-tu donc me montrer? me demanda-t-elle, intriguée
+par mes façons mystérieuses.--Tu vas le voir, répondis-je: et
+sur-le-champ, en avancement du privilège que je comptais que cette vue
+allait me donner, je la renversai sur mon lit, en tâchant de lui glisser
+la main sur les cuisses. Je n'en étais pas encore à la jarretière,
+qu'elle se leva avec action, et dit qu'elle ferait du bruit si j'étais
+assez hardi pour la toucher. Elle alla même jusqu'à faire semblant de
+vouloir sortir: je pris cette grimace pour une marque de colère, et je
+fus assez simple pour m'imaginer qu'elle voulait effectivement se
+retirer. J'étais interdit, le coeur me battait, à peine osais-je
+répondre; et quoique ce ne fût qu'en bégayant, je persuadai facilement
+une fille qui aurait été bien fâchée que mon silence l'eût mise dans la
+nécessité de joindre l'effet à la menace: elle consentit à rester.
+J'allais désespérer de pouvoir venir à bout de mon entreprise, quand
+j'entendis ouvrir la porte de la chambre d'Ambroise. Le coeur me revint,
+et j'attendais avec impatience que la curiosité de Suzon fît pour moi ce
+que je n'avais pu faire moi-même.--Les voici! lui dis-je en lui faisant
+signe de se taire et en la remuant sur le lit; les voici, ma chère
+Suzon! Je m'approchai aussitôt de la cloison; j'écartai l'image qui
+dérobait à mes regards ce qui se passait dans la chambre, et j'aperçus
+le père qui prenait sur la gorge de Toinette des gages peu équivoques de
+sa bonne volonté. Immobiles, serrés étroitement l'un contre l'autre et
+recueillis en eux-mêmes, il semblait qu'ils voulussent, par une profonde
+méditation, se remplir de la grandeur des mystères qu'ils allaient
+célébrer. Attentif à leurs mouvements, j'attendais qu'ils les
+poussassent un peu plus loin pour faire signe à Suzon d'avancer.
+Toinette, ennuyée de la longue méditation, se débarrassa la première des
+bras du moine, et, jetant corset, jupe, chemise, tout à bas, parut telle
+que la bienséance du mystère l'exigeait. Ah! que j'aimais à la voir dans
+cet état! Ma fureur amoureuse, que les combats de Suzon n'avaient fait
+qu'irriter, redoubla d'un degré à cette vue.
+
+Suzon, que mon attention rendait impatiente, avait quitté le lit et
+s'était approchée de moi. J'étais si fort occupé que je ne m'en étais
+pas aperçu.--Laisse-moi donc voir aussi! me dit-elle en me repoussant un
+peu. Je ne demandais pas mieux. Je lui cédai aussitôt mon poste et me
+tins à côté d'elle pour examiner sur son visage les impressions qu'y
+produirait le spectacle qu'elle allait voir. Je m'aperçus d'abord
+qu'elle rougissait; mais je présumai trop de son penchant à l'amour pour
+craindre que cette vue ne produisît un effet contraire à celui que j'en
+espérais. Elle resta. Curieux alors de savoir si l'exemple opérait, je
+commençai par lui couler la main sous la jupe. Je ne trouvai plus qu'une
+résistance médiocre; elle se contentait de me repousser seulement la
+main, sans l'empêcher de monter jusqu'aux cuisses, qu'elle serrait
+étroitement. Ce n'était qu'aux transports des combattants que j'étais
+redevable de la facilité que je trouvais à les desserrer insensiblement.
+J'aurais calculé le nombre de coups que donnaient ou recevaient la père
+et Toinette par celui des pas que ma main, plus ou moins pressée,
+faisait sur ses charmantes cuisses. Enfin, je gagnai le but. Suzon
+m'abandonna tout, sans pousser plus loin sa résistance; elle écartait
+les jambes pour laisser à ma main la facilité de se contenter. J'en
+profitai, et portant le doigt à l'endroit sensible, à peine pouvait-il y
+entrer. Sentant que l'ennemi s'était emparé de la place, elle
+tressaillit, et ses tressaillements se renouvelaient au moindre
+mouvement de mon doigt.--Je te tiens, Suzon! lui dis-je alors; et levant
+son jupon par derrière, je vis, ah! je vis le plus beau, le plus blanc,
+le mieux tourné, le plus ferme, le plus charmant petit cul qu'il soit
+possible d'imaginer. Non, aucun de ceux à qui j'ai fait le plus de fête,
+aucun n'a jamais approché du cul de ma Suzon. Fesses divines dont
+l'aimable coloris l'emportait sur celui du visage; fesses adorables, sur
+lesquelles je collai mille baisers amoureux, pardonnez si je ne vous
+rendis pas alors l'hommage qui vous était dû. Oui, vous méritiez d'être
+adorées; vous méritiez l'encens le plus pur; mais vous aviez un voisin
+trop redoutable. Je n'avais pas encore le goût assez épuré pour
+connaître votre véritable valeur: je le croyais seul digne de ma
+passion. Cul charmant, que mon repentir vous a bien vengé! Oui, je
+conserverai toujours votre mémoire! Je vous ai élevé dans mon coeur un
+autel où tous les jours de ma vie je pleure mon aveuglement! J'étais à
+genoux devant cet adorable petit cul, l'embrassais, le serrais,
+l'entr'ouvrais, m'extasiais; mais Suzon avait mille autres beautés qui
+piquaient ma curiosité. Je me levai avec transport, fixai mes regards
+avides sur deux petits tétons durs, fermes, bien placés, arrondis par
+l'amour. Ils se levaient, se baissaient, haletaient et semblaient
+demander une main qui fixât leur mouvement. J'y portais la mienne, je
+les pressais. Suzon se laissait aller à mes transports. Rien ne pouvait
+l'arracher au spectacle qui l'attachait. J'en étais charmé; mais son
+attention était bien longue pour mon impatience. Je brûlais d'un feu qui
+ne pouvait s'éteindre que par la jouissance. J'aurais voulu voir Suzon
+toute nue, pour me rassasier de la vue d'un corps dont je baisais, dont
+je maniais de si charmantes parties. Cette vue était capable de
+satisfaire mes désirs. Mais bientôt j'éprouvai le contraire en
+déshabillant Suzon, sans qu'elle s'y opposât. Nu de mon côté, je
+cherchais les moyens d'assouvir ma passion, je n'avais pas assez de
+force pour la presser. Mille et mille baisers répétés, les marques les
+plus vives de l'amour étaient mille fois au-dessus de ce que je sentais.
+Je tâchais de le lui mettre, mais l'attitude était gênante: il fallait
+le mettre par derrière. Elle écartait les jambes, les fesses, mais
+l'entrée était si petite, que je n'en pouvais venir à bout. J'y mettais
+le doigt et l'en retirais couvert d'une liqueur amoureuse. La même cause
+produisait sur moi le même effet. Je faisais de nouveaux efforts pour
+prendre dans ce charmant endroit la même place que mon doigt venait d'y
+occuper, et toujours même impossibilité, malgré les facilités qu'on me
+donnait.--Suzon, dis-je, enragé de l'obstacle que son opiniâtre
+attention apportait à mon bonheur, laisse-les; viens, ma chère Suzon,
+nous pouvons avoir autant de plaisir qu'eux. Elle tourna les yeux sur
+moi; ils étaient passionnés. Je la prends amoureusement entre mes bras,
+je la porte sur mon lit, je l'y renverse; elle écarte les cuisses, mes
+yeux se jettent avec fureur sur une petite rose vermeille qui commence à
+s'épanouir. Un poil blond, et placé par petits toupets, commençait à
+ombrager une motte dont le pinceau le plus délicat rendrait faiblement
+la blancheur vive et animée. Suzon, immobile, attendait avec impatience
+des marques de ma passion plus sensibles et plus satisfaisantes. Je
+tâchai de les lui donner; je m'y prenais fort mal: trop bas, trop haut,
+me consumant en efforts inutiles. Elle me le mit. Ah! Que je sentais
+alors qu'il était dans le véritable chemin! Une douleur, que je ne
+comptais pas trouver sur une route que je croyais couverte de fleurs,
+m'arrêta d'abord. Suzon en ressentit une pareille; mais nous ne nous
+rebutâmes pas. Suzon tâchait d'élargir le passage; je m'efforçais, elle
+me secondait. Déjà j'avais fait la moitié de ma course. Suzon roulait
+sur moi des yeux mourants; son visage était enflammé, ne respirait que
+par intervalles, et me renvoyait une chaleur prodigieuse. Je nageais
+dans un torrent de délices; j'en espérais encore de plus grandes, je me
+hâtais de les goûter. O ciel! des moments si doux devaient-ils être
+troublés par le plus cruel des malheurs! Je poussais avec ardeur; mon
+lit, ce malheureux lit, témoin de mes transports et de mon bonheur, nous
+trahit: il n'était que de sangle; la cheville manqua, il tomba et fit un
+bruit affreux. Cette chute m'eût été favorable, puisqu'elle m'avait fait
+entrer jusqu'où je pouvais aller, quoique avec une extrême douleur pour
+tous les deux. Suzon se faisait violence pour retenir ses cris.
+Effrayée, elle voulait s'arracher de mes bras; furieux d'amour et de
+désespoir, je ne la serrais que plus étroitement. Mon opiniâtreté me
+coûta cher.
+
+Toinette, avertie par le bruit, accourut, ouvrit et nous vit. Quel
+spectacle pour une mère! une fille, un fils! La surprise la rendit
+immobile; et comme si elle eût été retenue par quelque chose de plus
+puissant que ses efforts, elle ne pouvait avancer. Elle nous regardait
+avec des yeux enflammés par la lubricité; ouvrant la bouche pour parler,
+la voix expirait sur ses lèvres.
+
+Suzon était tombée en faiblesse; ses yeux tendres se fermaient, sans
+avoir ni le courage, ni la force de se retirer. Je regardais
+alternativement Toinette et Suzon, l'une avec rage, l'autre avec
+douleur. Enhardi par l'immobilité où l'étonnement semblait retenir
+Toinette, je voulus en profiter, je poussai; Suzon donna alors un signe
+de vie, jeta un profond soupir, rouvrit les yeux, me serra en donnant un
+coup de cul. Suzon goûtait le souverain plaisir; elle déchargeait: ses
+ravissements me faisaient plaisir; j'allais les partager, Toinette
+s'élança au moment où je sentais les approches du plaisir; elle
+m'arracha des bras de ma chère Suzon. Pourquoi n'avais-je pas assez de
+force pour me venger? Le désespoir me l'ôta sans doute, puisque je
+restai immobile dans les bras de cette marâtre jalouse.
+
+Le père Polycarpe, aussi curieux que Toinette, accourut dans cet
+intervalle, et ne demeura pas moins surpris qu'elle à la vue du
+spectacle qui s'offrait à ses yeux, surtout de Suzon nue, couchée sur le
+dos, se passant un bras sur les yeux et portant la main de l'autre à
+l'endroit coupable, comme si une telle posture eût pu dérober ses
+charmes aux regards du moine lascif. Il les porta d'abord sur elle. Les
+miens y étaient fixés comme sur leur centre, et ceux de Toinette
+l'étaient sur moi. La surprise, la rage, la crainte, rien ne m'avait
+fait débander. J'avais le vit décalotté et plus dur que le fer. Toinette
+le regardait. Cette vue obtint ma grâce et me réconcilia avec elle. Je
+sentais qu'elle m'entraînait doucement hors de la chambre. J'étais
+troublé, ne sachant ce que je faisais. Nu comme j'étais, je la suivis
+sans y penser, et cela se fit sans bruit.
+
+Toinette me mena dans sa chambre et en ferma la porte aux verrous. La
+crainte me retira alors de mon étourdissement. Je voulus fuir: je
+cherchai quelque refuge qui pût me dérober au ressentiment de Toinette.
+N'en trouvant pas, je me jetai sous le lit. Toinette reconnut le motif
+de ma frayeur et tâcha de me rassurer.--Non, Saturnin, me dit-elle; non,
+mon ami, je ne veux pas te faire de mal. Je ne la croyais pas sincère et
+je ne sortais pas de ma place. Elle vint elle-même pour m'en tirer;
+voyant qu'elle tendait les bras pour m'attraper, je me reculais: mais
+j'eus beau faire, elle me prit, par où, par le vit! Il n'y eut plus
+moyen de m'en défendre. Je sortis ou plutôt elle m'attira, car elle
+n'avait pas lâché prise.
+
+La confusion de paraître _in naturalibus_ ne m'empêcha pas d'être
+surpris de trouver Toinette toute nue, elle qui, un moment avant,
+s'était offerte à mes yeux dans un état presque décent. Mon vit
+reprenait dans sa main ce que la crainte lui avait fait perdre de sa
+force et de sa roideur. Avouerai-je mon faible? En la voyant, je ne
+pensai plus à Suzon: Toinette seule m'occupait. Bandant toujours fort,
+et mes craintes subordonnées à la passion, j'étais bien en peine.
+Toinette me serrait le vit, et moi je regardais son con. Que fait ma
+ribaude? elle se couche sur le lit et m'entraîne avec elle.--Viens donc,
+petit couillon, mets-le-moi, là, bon! Je ne me fis pas prier davantage,
+et, ne trouvant pas de grandes difficultés, je le lui enfonçai jusqu'aux
+gardes. Déjà disposé par le prélude que j'avais fait avec Suzon, je
+sentis bientôt un flux de délices qui me fit tomber sans mouvement sur
+la lubrique Toinette, qui, remuant avec agilité la charnière, reçut les
+prémices de ma virilité... C'est ainsi que, pour mon premier coup
+d'essai, je fis cocu mon père putatif; mais qu'importe?
+
+Quelle foule de réflexions pour ces lecteurs dont le tempérament froid
+et glacé n'a jamais ressenti les fureurs de l'amour! Faites-les,
+messieurs, ces réflexions; donnez carrière à votre morale; je vous
+laisse le champ libre, et ne veux vous dire qu'un mot. En bandant aussi
+fort que je bandais, vous foutriez, quoi? le diable!
+
+J'allais répéter un aussi charmant exercice, quand nous fûmes
+interrompus par un bruit sourd qui partait de ma chambre. Toinette, qui
+comprit de quoi il s'agissait, se leva en criant au père de finir. Elle
+se rhabilla aussitôt, me dit de me remettre sous le lit et courut pour
+empêcher que les choses ne fussent poussées plus loin.
+
+A peine eut-elle le dos tourné, que je volai au trou. J'aperçus le moine
+qui tenait dans ses bras Suzon qui s'était rhabillée, mais dont le
+cotillon et la chemise étaient levés. Le froc du moine l'était aussi, et
+je jugeai que le bruit ne venait que de l'extrême grosseur du membre de
+sa révérence, qui faisait sans doute des efforts inutiles pour le faire
+entrer dans un endroit qui n'était pas fait pour lui. Le débat finit à
+l'aspect de Toinette qui fondit sur les combattants, arracha Suzon des
+bras de l'incestueux célestin, et lui donna, avec deux ou trois
+soufflets, la liberté de sortir. Il semblait que l'action vigoureuse que
+Toinette venait de faire l'eût épuisée, et qu'il ne lui restât plus
+assez de force pour marquer son mécontentement au père Polycarpe: elle
+le regardait tout essoufflée. Un moine ne manque guère d'impudence;
+cependant celle du père ne tint pas contre la honte d'avoir été pris en
+flagrant délit, peut-être contre la crainte des reproches dont il
+croyait que Toinette allait l'accabler, ou plutôt contre l'idée
+d'infamie dont il croyait qu'un moine devait être noté, quand il
+entreprenait d'exploiter une fille sans en venir à bout. Il rougissait,
+il pâlissait, et n'osait presque regarder Toinette qui, de son côté,
+paraissait agitée des mêmes mouvements. Moi, de mon trou, je les
+examinais attentivement et m'attendais à être bientôt spectateur de
+quelque crise violente; je le craignais. Que je les connaissais peu l'un
+et l'autre! Le moine paraissait confus, mais il ne débandait pas: un
+moine débande-t-il jamais? Toinette paraissait furieuse, mais elle
+regardait le vit du moine. Son faible était toujours de sacrifier toute
+sa colère à cette vue; mon exemple devait m'avoir préparé à lui voir une
+pareille indulgence pour le père. Le raccommodement fut bientôt fait. Le
+moine s'approcha d'elle, et j'entendis qu'il lui disait, en lui mettant
+en main son joyeux aiguillon: Si je n'ai pas pu foutre la fille, du
+moins je foutrai la mère. Oh! pour cette insulte, Toinette était
+toujours prête à la lui pardonner; elle s'offrit même de bonne grâce
+pour victime à la fureur amoureuse du moine; il la saisit, il
+l'embrassa, et, tombant l'un sur l'autre sur les débris de mon lit, ils
+scellèrent leur réconciliation par une copieuse décharge; du moins j'eus
+lieu de le juger aux transports du père et aux serrements du cul de
+Toinette.
+
+Pendant ce temps-là, allez-vous demander, que faisait ce petit bougre de
+Saturnin? Se contentait-il de regarder comme un sot par le trou, sans se
+joindre du moins en idée aux caresses des deux champions? Belle demande!
+Saturnin était nu, il était encore en feu des caresses que Toinette lui
+avait faites; le spectacle qu'il avait devant les yeux l'échauffait
+encore: que vouliez-vous qu'il fît? Il se branlait: il enrageait de voir
+le moine sur Toinette, sans pouvoir en tirer sa part, et le petit coquin
+déchargeait au moment où sa mère serrait le cul et où le père se pâmait.
+Vous voilà instruit; revenons à nos gens.
+
+--Eh bien, dit le moine, trouves-tu que je fasse cela aussi bien que
+Saturnin?--Que Saturnin! répondit-elle; moi, j'ai fait quelque chose
+avec Saturnin? Bon! le petit fripon n'a-t-il pas été se cacher sous le
+lit où il est encore? Mais, patience; laissez venir Ambroise, les
+étrivières ne lui manqueront pas; il les aura, et de la bonne façon!
+J'écoutais ce colloque: jugez s'il dut me faire plaisir! Redoublant mon
+attention, j'entendis le père qui répliquait: Là, là, Toinette, ne nous
+fâchons pas; vous savez qu'il ne doit pas toujours demeurer ici; il est
+assez grand à présent, n'est-il pas vrai? Je veux l'emmener quand je
+partirai.--Mais, reprit Toinette, vous ne songez pas que si ce petit
+coquin restait ici, nous ne pourrions plus rien faire? Cela babille, et
+je me doute qu'il nous a découverts. Justement! poursuivit-elle en
+voyant le trou de la cloison. Ah! mon Dieu! je n'avais pas encore
+remarqué ce trou. Il aura tout vu par là, le petit chien! Je jugeai
+qu'elle allait venir vérifier son doute, et vite je me refourrai sous le
+lit, d'où je ne sortis plus, quelque envie que j'eusse d'entendre le
+reste d'une conversation qui m'intéressait si fort. Je me tins coi, et
+j'attendis avec impatience le résultat de leurs discours. Je n'attendis
+pas longtemps. On vint me tirer de ma prison; je tremblais que ce ne fût
+Ambroise. S'il m'avait vu là, quelle scène pour moi! C'était Toinette
+qui m'apportait mes habits, et qui me dit de m'habiller au plus tôt. Je
+ne la regardais que de travers, après ce que je lui avais ouï dire à mon
+sujet. Je me hâtai de faire ce qu'elle me disait en bravant ses menaces.
+Elle s'habillait aussi, et se mettait même sur son propre. J'eus bientôt
+fait de mon côté, et elle du sien.--Allons, Saturnin, me dit-elle, venez
+avec moi. Force me fut de la suivre. Où me mena-t-elle? Chez M. le curé.
+
+La vue du presbytère me fit trembler. Le pasteur me visitait souvent le
+derrière, chose que, par parenthèse, il ne haïssait pas, et je craignais
+fort que ce ne fût encore pour lui procurer le même divertissement que
+l'on me menait chez lui. Je n'osais pas tout à fait laisser voir mes
+craintes à Toinette. Si elle sent que j'ai peur, me disais-je, elle
+réveillera le chat qui dort, et ne manquera pas de saisir l'occasion.
+Mais pourquoi m'amène-t-elle ici? je n'en sais rien; faisons de
+nécessité vertu: entrons toujours.
+
+J'entrai, et j'en fus quitte pour la peur; car Toinette, en me
+présentant au saint homme, le pria de vouloir me garder pendant quelques
+jours chez lui. L'expression de quelques jours me rassura. Bon! dis-je
+en moi-même, et quand ces quelques jours seront passés, le père
+Polycarpe m'emmènera avec lui. Plein de cet espoir, je me familiarisais
+plus aisément avec ma retraite, sur le motif de laquelle je n'osais
+réfléchir sans être saisi de douleur. Suzon, chère Suzon, je te perdrai
+donc pour toujours? m'écriai-je dans un coin de la salle où je m'étais
+d'abord retiré par frayeur et où je restais par goût, parce que j'y
+rêvais à mon aise. A quoi? A Suzon. L'agitation où j'étais depuis
+quelques heures ayant suspendu ce que je sentais pour elle, quand je fus
+revenu à moi-même, son idée m'occupa tout entier. Le coeur me saignait
+quand je pensais que j'allais la perdre. Mon imagination se repaissait
+de tous ses charmes, parcourait les beautés de son corps, ses cuisses,
+ses fesses, sa gorge, ses petits tétons blancs et durs, que j'avais
+baisés tant de fois. Je me rappelai le plaisir que j'avais eu avec elle,
+et, pensant à celui que j'avais pris avec Toinette: Qu'eût-ce donc été,
+disais-je, si je l'eusse goûté sur Suzon! Je me suis pâmé sur Toinette,
+je serais mort sur Suzon. Ah! je n'aurais pas de regret à la vie, si je
+la perdais dans ses bras. Mais que sera-t-elle devenue? Exposée aux
+fureurs de Toinette, elle va mourir de chagrin. Peut-être pleure-t-elle
+à présent, peut-être me maudit-elle. Suzon pleure, et j'en suis cause;
+Suzon me maudit, elle jure de me haïr. Pourrai-je vivre si elle me hait,
+moi qui l'adore, moi qui souffrirais tout pour lui épargner le moindre
+chagrin? Hélas! elle prévoyait notre malheur et c'est moi qui l'y ai
+plongée! Telles étaient les pensées qui m'agitaient alors; j'étais dans
+une mélancolie dont je ne sortis qu'au son d'une clochette qui m'avertit
+qu'on avait servi le souper; on vint m'appeler. Laissons pour un moment
+Suzon; nous la retrouverons toujours; elle joue un rôle assez important
+dans ces mémoires. Allons prendre un repas et faisons connaître quelques
+bévues des originaux avec qui j'étais; commençons par le curé.
+
+M. le curé était une de ces figures qu'on ne saurait regarder sans avoir
+envie de rire; haut de quatre pieds, le visage large d'un demi et
+enluminé d'un rouge foncé qui ne lui venait pas de boire de l'eau; un
+nez épaté, surmonté de rubis, de petits yeux noirs et vifs ombragés
+d'épais sourcils; un front petit, le poil frisé comme un barbet;
+joignez-y un air goguenard et malin, voilà M. le curé. Avec cela le
+coquin avait de bonnes fortunes; plus d'une m'en aurait encore dit des
+nouvelles dans le village. Il cultivait volontiers la vigne du Seigneur;
+il faisait le petit célestin. Ces magots-là sont d'ordinaire de
+vigoureux sires à ce jeu, et notre curé ne manquait pas, je crois, de
+ces talents, qui valent mieux qu'une belle figure, quand il est permis
+de les faire valoir.
+
+Passons au second cartouche du tableau célestin de la maison du curé, et
+disons un mot de sa respectable gouvernante.
+
+Madame Françoise était une vieille sorcière plus maligne qu'un vieux
+singe, plus méchante qu'un vieux diable. Otez cela, c'était la bonté
+même. Son visage portait bien cinquante bonnes années. La coquetterie
+est de tout pays et de toute condition: la vieille ne s'en donnait pas
+trente-cinq. Mais, malgré ses discours, elle était canonique, et si
+canonique, que, depuis quinze ans qu'elle était au service de M. le
+curé, elle l'avait garanti des retraites incommodes qu'il avait coutume
+de faire au séminaire, au moins deux ou trois fois chaque lustre,
+disgrâces qui avaient dégoûté le patron de la jeunesse; et quoique la
+dame Françoise eût les yeux bordés de rouge, le nez barbouillé de tabac,
+la bouche fendue jusqu'aux oreilles, et qu'elle n'eût plus dans cette
+bouche que quelques dents mal assurées, M. le curé, par reconnaissance
+pour ses services passés, ne démentait en rien son estime et, qui plus
+est, ses caresses pour elle. Madame Françoise était surintendante de la
+maison; tout passait par ses mains, jusqu'à l'argent des pensionnaires
+qui n'en sortait guère. Elle ne parlait jamais du curé qu'en nom
+collectif; apportait-on de quoi dire une messe:--Nous vous la dirons!
+Donnait-on quelque chose de moins:--A ce prix nous n'en disons pas!--Eh!
+Mme Françoise (madame gros comme le bras: elle se serait offensée en
+cette honorable qualité), eh! madame Françoise, je n'ai pas
+davantage!--Séant; comment donc, vous croyez apparemment qu'on nous
+donne cela! il faut du vin, des cierges; et notre peine, la comptez-vous
+pour rien?
+
+A l'ombre de l'union qui régnait entre Françoise et le curé, croissait
+une fille, soi-disant nièce du curé, mais qui lui appartenait de plus
+près que par la qualité de nièce. C'était une grosse joufflue, un peu
+picotée de petite vérole, fort blanche, et une gorge adorable; un nez
+tirant sur celui du curé, aux rubis près, qu'elle n'avait pas encore,
+mais beaucoup de dispositions pour en avoir un jour; des yeux petits,
+mais ardents; il n'aurait tenu qu'à elle de passer pour rousse, si elle
+n'avait pas su que cette couleur était proscrite et que le blond est
+plus séant pour les belles; comme elle croyait l'être, elle en prenait
+les attributs. Ce n'est pas que le blond ou le roux eussent fort
+inquiété certain grand coquin d'écolier de philosophie qui venait
+quelquefois passer huit ou dix jours au presbytère, moins par amitié
+pour le curé que pour sa charmante nièce, que le maraud serrait de près,
+et de si près que... Mais il n'est pas encore temps de raconter ce qui
+m'arriva à ce sujet.
+
+Mademoiselle Nicole (c'était le nom de cette aimable personne), telle
+que je viens de vous la présenter, était l'objet des tendres voeux de
+tous les pensionnaires. Les externes voulaient aussi s'en mêler; les
+grands étaient assez bien reçus, les petits fort mal. Je n'étais pas des
+plus grands, par malheur pour moi. Ce n'est pas que je n'eusse plusieurs
+fois tenté de pousser ma pointe auprès de cette pouponne, mais mon âge
+parlait contre moi. Plus je protestais que je n'étais jeune que par la
+figure, moins on me croyait; et pour finir de me désespérer, on confiait
+mes entreprises amoureuses à Mme Françoise, qui les confiait à M. le
+curé, et celui-ci ne me ménageait pas. J'enrageais d'être petit, car je
+voyais bien que c'était là la cause de mes malheurs.
+
+La difficulté de réussir auprès de Nicole m'avait dégoûté. Des rebuts de
+la part de la nièce, des étrivières de la part du curé, il n'y avait pas
+moyen d'y tenir. Tout cela n'avait pas éteint mes désirs; ils n'étaient
+que cachés, la présence de Nicolle les ralluma. Il ne leur manqua plus
+qu'une occasion d'éclater; elle ne tarda pas à venir, l'ordre des faits
+exige que cette aventure n'aille qu'à son tour, et son tour n'est pas
+encore venu: c'est celui de Mme Dinville.
+
+Je n'avais pas oublié que cette dame m'avait fait promettre d'aller
+dîner avec elle le lendemain. Je me couchai, résolu à lui tenir parole,
+et on juge bien que le jour ne changea rien à ma résolution. Si on me
+demandait si c'était véritablement pour Mme Dinville que je voulais
+aller au château, à cela je ne saurais que répondre. En général, je
+dirais que l'idée du plaisir m'y conduisait; mais je sentais que ce
+plaisir, présenté par Suzon, me serait plus sensible que si je le
+recevais de Mme Dinville. L'espoir d'y trouver ma Suzon n'était pas sans
+vraisemblance; voici comme je raisonnais: Pourquoi m'a-t-on mis chez M.
+le curé? C'est parce que le père Polycarpe s'est douté que Toinette m'a
+donné une leçon qui n'est pas de son goût; et c'est dans la crainte que
+je m'accoutumasse à ces leçons, qu'il a jugé à propos de me mettre ici.
+Toinette a bien vu autre chose de la part du père; elle a donc pour le
+moins autant de raisons d'éloigner Suzon du moine, que le moine en a eu
+de m'éloigner de Toinette. Si Suzon est au château, il y a de petits
+bois dans le jardin: je l'engagerai à y venir. La petite friponne est
+amoureuse, elle m'y suivra; je la tiendrai à l'écart, nous serons seuls,
+nous n'aurons rien à craindre. Ah! que de plaisirs je vais goûter! Ces
+agréables idées me conduisirent jusqu'au château. J'entrai.
+
+Tout était calme chez Mme Dinville. Je ne trouvai personne sur mon
+passage, ce qui me fit traverser plusieurs appartements. Je n'entrais
+dans aucun sans sentir mon coeur agité par l'espoir de voir Suzon et la
+crainte de ne pas la trouver. Elle sera dans celui-ci, disais-je; Ah! je
+vais la voir: personne; dans un autre de même. J'arrivai ainsi jusqu'à
+une chambre dont la porte était fermée, mais la clef y était. Je n'étais
+pas venu si loin pour reculer, j'ouvris: ma hardiesse fut un peu
+déconcertée à la vue d'un lit où je jugeai qu'il devait y avoir
+quelqu'un couché. Je me retirais, quand j'entendis une voix de femme
+demander qui c'était, et en même temps je reconnus Mme Dinville. Je me
+disposais à sortir, mais sa gorge m'en ôta le pouvoir.--Eh! c'est mon
+ami Saturnin, s'écria-t-elle; viens donc m'embrasser, mon cher enfant.
+Aussi hardi après ces paroles que j'étais timide auparavant, je me
+précipitai dans ses bras. J'aime, me dit-elle d'un air de satisfaction,
+après m'être acquitté d'un devoir où le coeur avait eu plus de part que
+la politesse, j'aime qu'un jeune garçon obéisse ponctuellement. A peine
+eut-elle achevé ces mots que je vis sortir d'un cabinet de toilette un
+petit homme à figure minaudière qui écorchait d'un ton de fausset l'air
+d'une chanson nouvelle alors; il en marquait la cadence par des
+pirouettes qui répondaient à merveille aux bizarres accents de sa voix.
+A la brusque apparition de cet Amphion moderne,--c'était un abbé,--je
+rougis pour Mme Dinville des marques indiscrètes de bienveillance
+qu'elle venait de me donner, et, pour mon propre compte, du motif de
+celles dont j'avais payé les siennes; mais je me vengeai bientôt du
+trouble qu'il venait de me causer par le jugement que je portai sur lui.
+La situation où l'on se trouve influe souvent sur la façon de penser. Je
+ne doutai pas que mon arrivée imprévue n'eût dérangé une partie qui ne
+souffre de tiers qu'à titre d'importun. Pouvais-je, en effet, penser
+qu'un homme pût se trouver seul avec une femme sans lui faire ce que
+j'aurais fait moi-même?
+
+Craignant qu'il n'eût pénétré le sujet de ma visite, je n'osais pas le
+regarder. Si la curiosité m'excitait à l'envisager, la crainte de
+rencontrer sur son visage quelque sourire malin, me faisait baisser la
+vue aussitôt. Je n'y trouvai pourtant pas ce que je craignais, et
+perdant l'habitude de le regarder comme un témoin redoutable, je ne vis
+en lui qu'un importun fait pour gêner les plaisirs dont mon imagination
+se repaissait.
+
+Je l'examinais avec attention, et, réfléchissant sur sa qualité d'abbé,
+j'en cherchais dans sa personne des marques justificatives. J'avais sur
+le mot abbé des idées extrêmement bornées, m'imaginant que tous les
+abbés devaient être faits comme M. le curé ou comme M. le vicaire; et
+j'avais peine à concilier l'air bonhomme que je leur connaissais avec
+les pétulantes extravagances de celui que j'avais devant moi.
+
+Ce petit Adonis, nommé l'abbé Fillot, était le receveur des tailles de
+la ville voisine, homme fort riche, Dieu sait aux dépens de qui. Il
+revenait de Paris, ainsi que la plupart des sots de sa trempe, plus
+chargé de fatuité que de doctrine. Il avait accompagné Mme Dinville à sa
+campagne, dans l'intention de la réjouir. Écolier, abbé, tout était bon
+pour elle.
+
+La dame sonna, on vint: c'était Suzon. Mon coeur tressaillit à sa vue;
+j'étais charmé que mes conjectures se trouvassent aussi heureuses. Elle
+ne m'aperçut pas d'abord, parce que j'étais caché par les rideaux du
+lit, sur lequel Mme Dinville m'avait fait asseoir, situation que, par
+parenthèse, M. l'abbé commençait à ne pas trouver à son gré. Il avait
+peine à souffrir la petite liberté que Mme Dinville me donnait, et je
+voyais qu'il taxait de mauvais goût la complaisance qu'elle me
+témoignait.
+
+Suzon s'avança, elle me vit. Dans le moment, ses belles joues
+s'animèrent des plus vives couleurs; elle baissa les yeux, l'agitation
+lui coupa la parole. J'étais dans un état peu différent du sien, excepté
+qu'elle baissait les yeux, et que les miens étaient fixés sur elle. Les
+charmes de Mme Dinville, dont elle ne me ménageait pas la vue, sa gorge,
+ses tétons et les autres parties de son corps, dont un drap jaloux
+dérobait, à la vérité le spectacle à mes yeux, mais n'en rendait la
+peinture que plus vive à mon imagination, tout cela avait fait dans mon
+coeur des impressions qui tournèrent à l'instant au profit de Suzon.
+Mais la réflexion corrigea bientôt un sentiment trop précipité et me
+ramena, non pas tout à coup, à mon caractère dominant.
+
+Si j'eusse eu le choix de Suzon ou de Mme Dinville, je n'aurais pas
+balancé: Suzon avait la pomme; mais on ne me présentait pas
+l'alternative. La possession de Suzon n'était pour moi qu'une espérance
+bien incertaine, et la jouissance de Mme Dinville était presque une
+certitude, ses regards m'en assuraient. Ses discours, quoique gênée par
+la présence du petit abbé, ne détruisaient pas l'espoir que ses yeux me
+laissaient concevoir. Suzon, après avoir été chargée d'avertir une femme
+de chambre, sortit, et son départ commença à restituer à Mme Dinville
+des désirs qui lui appartenaient, puisqu'ils étaient son ouvrage.
+
+Je restai cependant si troublé, les mouvements de mon coeur, combattus
+et détruits alternativement par deux causes qui l'intéressaient
+également, l'une par l'idée du plaisir, l'autre par celle de ce même
+plaisir, mais accompagné de quelque chose de plus touchant, étaient dans
+une si grande confusion, que je ne m'aperçus pas de la brusque
+disparition de l'abbé. Mme Dinville l'avait bien vu sortir; mais,
+s'imaginant que je l'avais vu aussi, elle ne croyait pas qu'il fût
+besoin de m'en faire souvenir. Elle se pencha sur mon coussin, et, me
+regardant avec une douce langueur qui me disait inutilement qu'il ne
+tenait qu'à moi de devenir heureux, elle me prenait tendrement la main
+qu'elle me pressait dans la sienne, en la laissant de temps en temps
+tomber d'un air indifférent sur ses cuisses, qu'elle serrait et
+desserrait avec un mouvement lascif. Ses regards accusaient ma timidité,
+et semblaient me reprocher que je n'étais pas le même que la veille.
+Toujours préoccupé de la pensée que l'abbé nous examinait, je restai
+dans une défiance niaise qui l'impatienta.--Tu dors, Saturnin? me
+dit-elle. Un galant de profession aurait profité de l'occasion pour
+débiter une tirade d'impertinences. Je ne l'étais pas, je n'en dis
+qu'une: Non, madame, je ne dors pas. Quoique cette réponse innocente
+diminuât de beaucoup l'idée que mon effronterie de la veille avait pu
+lui donner de mon savoir, elle ne fit pas de tort à sa bonne volonté
+pour moi: elle fit un effet tout contraire; elle me donna un nouveau
+titre à ses yeux, me fit regarder comme un novice, morceau délicat pour
+une femme galante dont l'imagination est voluptueusement flattée par
+l'idée d'un plaisir qui doit augmenter la vivacité des transports
+qu'elle ressent. C'est ainsi que pensait Mme Dinville, c'est ainsi que
+pensent toutes les femmes. Mon indifférence lui fit connaître que sa
+façon d'attaquer glissait sur moi, et qu'il fallait quelque chose de
+plus frappant pour m'émouvoir. Elle me lâcha la main, et, étendant les
+bras avec un mouvement étudié, elle m'étala une partie de ses charmes.
+Leur aspect me tira de mon engourdissement; je me réveillai, la vivacité
+reparut sur mon visage, l'idée de Suzon se dissipa: mes yeux, mes
+regards, mon impatience, tout fut pour Mme Dinville; s'apercevant de
+l'effet de sa ruse, et pour exciter mes feux, elle me demanda ce
+qu'était devenu l'abbé. J'eus beau regarder, je ne le voyais pas; je
+sentis ma sottise.--Il est sorti, reprit-elle; et, affectant de jeter un
+peu son drap, en se plaignant de la chaleur, elle me découvrit une
+cuisse extrêmement blanche, sur le haut de laquelle un bout de chemise
+paraissait mis exprès pour empêcher mes regards d'aller plus loin, ou
+plutôt à dessein d'exciter ma curiosité. J'entrevis pourtant quelque
+chose de vermeil qui me mit dans un trouble dont elle reconnut le motif.
+Elle recouvrit adroitement l'endroit qui avait fait tout l'effet qu'elle
+espérait. Je lui pris la main, qu'elle m'abandonna sans résistance; je
+la baisai avec transport; mes yeux étaient enflammés, les siens
+brillants et animés. Les choses se disposaient à merveille; mais il
+était écrit que, malgré les plus belles occasions, je ne serais pas
+heureux. Une maudite femme de chambre arriva dans le temps qu'on n'avait
+pas besoin d'elle. Je lâchai vite la main, la soubrette entra en riant
+comme une folle; elle se tint un moment à la porte, pour se dédommager,
+par l'abondance de ses éclats, de la gêne que la présence de sa
+maîtresse allait lui faire.--Qu'avez-vous donc? lui dit Mme Dinville
+d'un air sec.--Ah! madame, répondit-elle, monsieur l'abbé...--Eh bien,
+qu'a-t-il fait? reprit sa maîtresse. Dans le moment rentre l'abbé en se
+cachant le visage avec son mouchoir. Les ris de la suivante augmentèrent
+à sa vue.--Qu'avez-vous donc? lui demanda Mme Dinville.--Regardez mon
+visage, répondit-il, et jugez de l'ouvrage de Mlle Suzon.--De Suzon?
+reprit Mme Dinville en éclatant à son tour.--Voilà ce que coûte un
+baiser, poursuivit-il froidement; ce n'est pas l'acheter trop cher,
+comme vous voyez. L'air aisé avec lequel l'abbé nous parlait de son
+malheur me fit rire comme les autres. Il soutint sur le même ton les
+railleries peu ménagées de Mme Dinville. Elle s'habilla: l'abbé, malgré
+le mauvais état de son visage, fit le coquet à la toilette, contrôla la
+coiffure et divertit madame, qui riait de ses balivernes. La suivante
+pestait contre ses corrections, et moi je riais de la figure du petit
+homme. Allons dîner.
+
+Nous étions quatre à table, Mme Dinville, Suzon, l'abbé et moi. Qui fit
+une sotte figure? Ce fut moi, quand je me trouvai vis-à-vis de Suzon;
+l'abbé, qui était à son côté, faisait bonne mine à mauvais jeu, et
+voulait persuader à madame Dinville que ses traits railleurs n'étaient
+pas capables de le déconcerter. Suzon n'était guère moins confuse. Je
+voyais pourtant dans ses regards furtifs qu'elle aurait voulu que nous
+eussions été seuls. Sa vue m'avait encore rendu infidèle à Mme Dinville,
+et je désirais sortir de table pour essayer de nous dérober. Le dîner
+fini, je fis signe à Suzon: elle m'entendit, et sortit. J'allais la
+suivre; Mme Dinville m'arrêta, en m'annonçant que je lui servirais
+d'écuyer à la promenade. Se promener à quatre heures après midi dans
+l'été, cela parut extravagant à l'abbé; mais ce n'était pas pour lui
+plaire qu'elle le faisait. Elle ne voulait pas exposer le teint de
+l'abbé à l'ardeur du soleil; aussi prit-il le parti de rester. J'aurais
+bien voulu ne pas suivre Mme Dinville, pour courir vers Suzon; mais je
+me crus obligé de sacrifier mon envie à la déférence dont je devais
+payer l'honneur qu'on me faisait.
+
+Suivis des yeux par l'abbé, qui se pâmait de rire, nous marchions avec
+une gravité concertée au milieu des parterres, sur lesquels le soleil
+dardait ses rayons. Mme Dinville ne leur opposait qu'un simple éventail,
+et moi l'habitude. Nous fîmes plusieurs tours avec une indifférence qui
+désespérait l'abbé. Je ne pénétrais pas encore le dessein de la dame, et
+je ne concevais pas comment elle pouvait résister à une chaleur que je
+trouvais insupportable. Ma qualité d'écuyer me pesait, et j'y aurais
+volontiers renoncé: mais j'ignorais les fonctions de cet emploi, et on
+m'en réservait une qui devait me consoler de l'ennui de la première.
+
+L'abbé s'étant retiré, nous nous trouvâmes au bout de l'allée. Mme
+Dinville gagna un petit bosquet dont la fraîcheur nous promettait une
+promenade charmante, si nous y restions. Je le lui dis.--Soit, me
+répondit-elle, en cherchant à pénétrer dans mes yeux si je n'étais pas
+au fait du motif de sa promenade. Elle n'y vit rien. Je ne m'attendais
+pas au bonheur qui m'était préparé. Elle me serrait affectueusement; et,
+penchant sa tête près de mon épaule, approchait son visage si près du
+mien que j'aurais été un sot si je n'y eusse pris un baiser, on me
+laissa faire, je réitérai; même facilité, j'ouvris les yeux. Oh! pour le
+coup, dis-je, c'est une affaire faite; nous n'aurons pas ici
+d'importuns. Ayant pénétré ma pensée, nous nous engageâmes dans un
+labyrinthe dont l'obscurité nous dérobait aux yeux des plus
+clairvoyants. Elle s'assit à l'abri d'une charmille; j'en fis autant, et
+me mis à côté d'elle. Elle me regarda, me serra la main et se coucha. Je
+crus que l'heure du berger allait sonner, et déjà je préparais
+l'aiguille, quand tout à coup elle s'endormit. Je crus d'abord que ce
+n'était qu'un assoupissement qu'il me serait facile de dissiper; mais
+voyant qu'il augmentait, je me désespérais d'un sommeil qui me devenait
+suspect. Encore, disais-je, si elle avait satisfait mes désirs, je lui
+pardonnerais! Mais s'endormir au moment du triomphe, je ne pouvais m'en
+consoler. Je l'examinais avec douleur: elle avait les mêmes habits que
+la veille; sa gorge était découverte, elle y avait mis son éventail,
+qui, suivant les mouvements du sein, se soulevait assez pour m'en
+laisser voir la blancheur et la régularité. Pressé par mes désirs je
+voulais la réveiller: mais je craignais de l'indisposer et de perdre
+l'espoir dont son réveil me flattait encore. Je cédai à la démangeaison
+de porter la main sur sa gorge. Elle dort trop pour se réveiller,
+disais-je. Quand elle se réveillerait, mettons les choses au pis, elle
+me grondera, voilà tout! Essayons. Je portai une main tremblante sur un
+téton, tandis que je regardais son visage, prêt à finir au moindre signe
+qu'elle ferait; elle n'en fit pas, je continuai. Ma main ne frisait pour
+ainsi dire que la superficie de son sein, comme une hirondelle qui rase
+l'eau en y trempant ses ailes. Bientôt j'ôtai l'éventail, je pris un
+baiser: rien ne la réveilla. Devenu plus hardi, je changeai de posture,
+et mes yeux, animés par la vue des tétons, voulurent descendre plus bas.
+Je mis la tête aux pieds de la dame, et, le visage contre terre, je
+cherchai à pénétrer dans le pays de l'amour; mais je ne vis rien. Ses
+jambes croisées et sa cuisse droite collée sur sa gauche mettaient mes
+regards en défaut. Ne pouvant voir, je voulus toucher. Je coulai la main
+sur la cuisse et j'avançai jusqu'au pied du mont. Déjà je touchais à
+l'entrée de la grotte, et je croyais y borner mes désirs. Parvenu à ce
+point, je ne m'en trouvai que plus malheureux. J'aurais voulu rendre mes
+yeux participants des plaisirs de ma main; je la retirai, et je me mis à
+ma place pour examiner de nouveau le visage de ma dormeuse. Il n'était
+point altéré; le sommeil semblait avoir versé sur elle ses pavots les
+plus assoupissants. J'entrevoyais cependant un oeil dont le clignotement
+m'inquiétait. Je m'en défiais, et si dans l'instant il se fût fermé,
+peut-être me serais-je contenté de ce que j'avais fait; mais
+l'immobilité de cet oeil suspect me rendit la confiance. Je retournai à
+mon poste inférieur, et commençai à lever doucement le jupon. Elle fit
+un mouvement, je la crus réveillée. Je me retirai précipitamment, et, le
+coeur saisi de frayeur, je me remis à ma place sans oser la regarder;
+mais cette contrainte ne fut pas longue; mes yeux retournèrent sur elle;
+je reconnus avec plaisir que le mouvement qu'elle avait fait ne venait
+pas de son réveil, et je remerciai la fortune de mon heureuse situation.
+Ses jambes étaient décroisées, son genou droit élevé, et le jupon tombé
+sur son ventre, et je vis ses cuisses, ses jambes, sa motte, son con! Ce
+spectacle me charma. Un bas, proprement tiré, noué, sur le genou, avec
+une jarretière feu et argent, une jambe faite au tour, un petit pied
+mignon, une mule, la plus jolie du monde, des cuisses, ah! des cuisses
+dont la blancheur éblouissait, rondes, douces, fermes, un con d'un rouge
+de carmin entouré de petits poils plus noirs que le jais, et d'où
+sortait une odeur plus douce que celle des parfums les plus délicieux!
+J'y mis le doigt, je le chatouillai un peu; le mouvement qu'elle avait
+fait ayant écarté ses jambes, j'y portai aussitôt la bouche en tâchant
+d'y enfoncer la langue. Je bandais d'une extrême force. Ah! les
+comparaisons l'exprimeraient mal! Rien ne put alors m'arrêter: crainte,
+respect, tout disparut. En proie aux désirs les plus violents, j'aurais
+foutu la sultane favorite en présence de mille eunuques, le cimeterre
+nu, et prêts à laver mes plaisirs dans mon sang. J'enconnai Mme Dinville
+sans m'appuyer sur elle, crainte de la réveiller. Appuyé sur mes deux
+mains, je ne la touchais qu'avec mon vit; un mouvement doux et réglé me
+faisait avaler à longs traits le plaisir: je n'en prenais que la fleur.
+
+Les yeux fixés sur ceux de ma dormeuse, je collai de temps à autre ma
+bouche sur la sienne: La précaution que j'avais prise de m'appuyer sur
+mes mains ne tint pas contre mon ravissement. Plus d'attention, je me
+laissai tomber sur elle; il ne fut plus en mon pouvoir de faire autre
+chose que la serrer et la baiser avec fureur. La fin du plaisir me
+rendit l'usage de mes yeux, que le commencement m'avait ôté; elle me
+rendit le sentiment que j'avais perdu: je ne le recouvrai que pour avoir
+des transports de Mme Dinville que je n'étais plus en état de partager.
+Elle venait de croiser les mains sur mes fesses, et, élevant le
+derrière, qu'elle remuait avec vivacité, m'attirait sur elle de toute sa
+force. J'étais immobile, et je lui baisais encore la bouche avec un
+reste de feu que le sien commençait à rallumer.--Cher ami, me dit-elle à
+demi-voix, pousse encore un peu, ah! ne me laisse pas en chemin. Je me
+remis au travail avec une ardeur qui surpassa la sienne, car, à peine
+eus-je donné cinq ou six coups, qu'elle perdit connaissance. Plus animé
+que jamais, je doublai le pas, et, tombant sans mouvement dans ses bras,
+nous confondîmes nos plaisirs dans nos embrassements. Revenus de notre
+extase, quand je me retirai, ce ne fut pas sans confusion. Je baissais
+la vue, la dame avait les yeux tournés sur moi et m'examinait. J'étais
+sur mon séant; elle me passa une main sur le col, me fit recoucher sur
+l'herbe, et porta l'autre main à mon vit: elle se mit à le baiser.--Que
+veux-tu donc faire, grand innocent? me dit-elle; as-tu peur de me
+montrer un vit dont tu te sers si bien? Te cachai-je quelque chose, moi?
+Tiens, vois mes tétons, baise-les; mets cette main-là dans mon sein,
+bon; et celle-ci, porte-la à mon con, à merveille! Ah! fripon, que tu me
+fais de plaisir! Animé par ses caresses, j'y répondais avec ardeur; mon
+doigt s'acquittait bien de sa fonction: elle roulait des yeux passionnés
+et soupirait beaucoup; ma cuisse droite était passée dans les siennes;
+elle la serrait avec tant de plaisir que, se laissant tomber sur moi,
+elle m'en donna des preuves parlantes.
+
+Mon vit avait repris toute sa roideur, mes désirs renaissaient avec une
+nouvelle vivacité. Je me mis à mon tour à l'embrasser, à la serrer dans
+mes bras. Elle ne me répondait que par des baisers. J'avais toujours le
+doigt dans son con; je lui écartai les jambes en regardant ce charmant
+endroit avec complaisance. Ces approches du plaisir sont plus piquantes
+que le plaisir même. Est-il possible d'imaginer quelque chose de plus
+délicieux que de manier, que de considérer une femme qui se prête à
+toutes les postures que notre lubricité peut inventer? On se perd, on
+s'abîme, on s'anéantit dans l'examen d'un joli con, on voudrait n'être
+qu'un vit pour pouvoir s'y engloutir. Pourquoi n'a-t-on pas la prudence
+de s'en tenir à ce charmant badinage? L'homme, insatiable dans ses
+désirs, en forme de nouveaux dans le sein des plaisirs mêmes; plus les
+plaisirs qu'il goûte sont vifs, plus les degrés qu'ils font naître sont
+violents. Découvrez une partie de votre gorge à votre amant, il veut la
+voir tout entière; montrez-lui un petit téton blanc et dur, il veut le
+toucher: c'est un hydropique dont la soif s'accroît en buvant;
+laissez-le lui toucher, il voudra le baiser; laissez-lui porter la main
+plus bas, il voudra y porter son vit: son esprit ingénieux à forger de
+nouvelles chimères, ne lui laissera pas de repos qu'il ne vous l'ait
+mis. S'il vous le met, qu'arrive-t-il? Semblable au chien de la fable,
+il lâche l'os pour prendre l'ombre, il perd tout en voulant tout avoir.
+Tout cela est excellent, mais, après tout, il en faut toujours revenir
+au proverbe: _Vit bandant n'a point d'arrêt_; et moi-même qui prêche ici
+comme un docteur, hélas! si le ciel l'avait voulu, je serais le premier
+à faire le contraire de ce que je dis. S'il se présentait une femme dans
+l'attitude où j'avais mis madame Dinville, les jambes écartées, me
+montrant un con rouge et vermeil, où il ne tiendrait qu'à moi de me
+plonger dans la source des plaisirs, m'amuserai-je à lanterner, à
+baisoter, à chatouiller, à la foutaise, enfin? Non, parbleu! je la
+foutrais _sonica_. Jugez, si je fus longtemps à coniller autour de ma
+fouteuse. Je l'enconnai vigoureusement; elle, vive et infatigable,
+m'embrassa en répondant avec un mouvement égal aux coups que je lui
+donnais. J'avais les mains croisées sous ses fesses; elle avait les
+siennes croisées sur les miennes; je la serrais avec transport, elle me
+serrait de même; nos bouches étaient collées l'une sur l'autre; elles
+étaient deux cons, nos langues se foutaient; nos soupirs poussés et
+confondus l'un dans l'autre, nous causaient une douce langueur qui fut
+bientôt couronnée par une extase qui nous enleva, qui nous anéantit.
+
+On a raison de dire que la vigueur est un présent du ciel. Libéral
+envers ses fidèles serviteurs, il consent que leurs rejetons participent
+à cette libéralité, et que la force génitale soit héréditaire, et passe
+des moines à leurs enfants: c'est le seul patrimoine qu'ils laissent.
+Hélas! je l'ai promptement dissipé ce patrimoine! Mais n'anticipons pas
+sur les événements; retarder le récit de son malheur, c'est en adoucir
+le sentiment.
+
+Toute l'étendue du don du ciel m'était nécessaire pour sortir à mon
+honneur de l'aventure où j'étais engagé. Si j'avais à faire à forte
+partie je pouvais sans vanité m'appliquer les paroles du Cid:
+
+ Je suis jeune, il est vrai, mais aux âmes bien nées
+ La valeur n'attend pas le nombre des années.
+
+J'en avais jusqu'alors donné les marques les plus vigoureuses à Mme
+Dinville; mais il semblait que son courage s'accrût avec ma résistance,
+et elle s'aperçut bientôt que je ne battais plus qu'en retraite, elle
+m'excitait, elle m'animait à lui porter de nouveaux coups; elle s'y
+présentait, et contribuait par ses caresses à me procurer une nouvelle
+victoire. Je recommençais à la regarder avec langueur; je retrouvais du
+plaisir à lui baiser la gorge: je lui grattais le con avec plus de
+vitesse, je soupirais. Elle s'aperçut de l'heureuse disposition où ses
+caresses m'avaient mis. Ah! fripon! me dit-elle en me baisant les yeux,
+tu bandes; qu'il est gros! qu'il est long! Coquin! tu feras fortune avec
+un tel vit. Eh bien, veux-tu recommencer, dis! Je ne lui répondis qu'en
+la renversant. Attends donc, reprit-elle, attends, mon ami, je veux te
+donner un plaisir nouveau, je veux te foutre à mon tour: couche-toi
+comme je l'étais tout à l'heure. Je me couchai aussitôt sur le dos; elle
+monta sur moi, me prit elle-même le vit, me le plaça, et se mit à
+pousser. Je ne remuais pas; elle faisait tout, et je recevais le
+plaisir. Je la contemplais, elle interrompit son ouvrage pour m'accabler
+de baisers; ses tétons cédaient au mouvement de son corps et venaient se
+reposer sur ma bouche. Une sensation voluptueuse m'avertit de l'approche
+du plaisir. Je joignis mes élancements à ceux de ma fouteuse, et nous
+nageâmes bientôt dans le foutre. Brisé par les assauts que j'avais reçus
+et livrés depuis près de deux heures, le sommeil me gagna. Mme Dinville
+me plaça elle-même la tête sur son sein, et voulut que je goûtasse les
+douceurs du sommeil dans un endroit où je venais de goûter celles de
+l'amour.--Dors, me dit-elle, mon cher amour; dors tranquillement; je me
+contenterai de te voir. Je dormis d'un profond sommeil, et le soleil
+s'approchait de l'horizon quand je me réveillai. Je n'ouvris les yeux
+que pour envisager Mme Dinville, qui me regardait d'un air riant. Elle
+s'était occupée à faire des noeuds pendant mon sommeil. Elle interrompit
+son ouvrage pour me glisser la langue dans la bouche, elle le laissa
+bientôt, dans l'espérance que j'allais l'occuper à faire des noeuds
+d'une autre espèce. Elle ne me cacha point ses désirs et me pressa de
+les satisfaire. J'étais d'une nonchalance qui irritait son impatience.
+Je n'avais pourtant ni dégoût, ni envie; je sentais que s'il eût dépendu
+de moi, j'aurais préféré le repos à l'action. Ce n'était pas là le
+dessein de la dame, qui m'accablait en vain de caresses brûlantes et
+voulait réveiller en moi des désirs que je n'avais plus. Elle s'y prit
+d'une autre façon pour animer ma chaleur éteinte. Elle se coucha sur le
+dos, et se troussa. Elle connaissait combien une semblable vue avait de
+pouvoir sur moi, et, me prenant le vit, elle me branlait avec plus ou
+moins de vitesse, proportionnément aux degrés de volupté qu'elle sentait
+naître. Elle en vint enfin à son honneur: je bandai, elle triomphait. Le
+retour de ma virilité la réjouit beaucoup. Charmé moi-même de l'effet de
+ses caresses, je lui donnai des marques de reconnaissance qu'elle reçut
+avec fureur. Elle me serrait, s'élançait avec des mouvements si
+passionnés que je déchargeai soudain, et avec tant de plaisir que je
+voulus du mal à mon vit de l'obstacle qu'il avait apporté par sa lenteur
+à la jouissance. Afin de tromper la vigilance des curieux, nous
+quittâmes le gazon où nous venions de nous livrer aux plaisirs de
+l'amour; nous fîmes quelques tours dans le jardin, et ces tours ne se
+firent pas sans causer.--Que je suis contente de toi, mon cher Saturnin,
+me disait Mme Dinville, et toi?--Moi, lui répondis-je, je suis enchanté
+des plaisirs que vous venez de me faire goûter!--Oui, reprit-elle, mais
+je ne suis guère sage de m'être ainsi livrée à tes désirs; sauras-tu
+être discret, Saturnin?--Ah! vous ne m'aimez guère, lui dis-je, puisque
+vous me croyez capable d'abuser de vos bontés. Contente de ma réponse un
+tendre baiser en aurait été le prix si nous n'avions pas été aperçus.
+Elle me serra la main contre son coeur, et me regarda d'un air de
+langueur qui me charma.
+
+Nous allions vite; la conversation était tombée, et je m'aperçus que Mme
+Dinville jetait un oeil inquiet de côté et d'autre. Je n'avais garde
+d'en pénétrer la cause, ne la soupçonnant pas; vous ne l'auriez pas
+soupçonnée vous-même, et vous ne vous seriez pas attendu qu'après avoir
+travaillé comme nous l'avions fait, la dame ne fût pas contente de sa
+journée. L'envie de la couronner avec honneur la rendait attentive à
+examiner si quelque indiscret ne viendrait pas y mettre obstacle. Mais,
+direz-vous, elle avait donc le diable au cul? D'accord; elle venait de
+sucer ce pauvre petit bougre; il n'en pouvait plus; il était rendu, cela
+est vrai; mais comment a-t-elle fait pour le faire bander? Oh! c'est ce
+que je vais vous démontrer.
+
+En garçon qui commençait à savoir son monde, puisque je venais d'y faire
+une entrée assez brillante, j'aurais manqué à mon devoir si je n'avais
+pas conduit Mme Dinville dans son appartement. Je me préparais à lui
+tirer ma révérence, à l'embrasser pour la dernière fois de la journée,
+quand elle me dit: Tu veux t'en aller, mon ami? il n'est pas huit
+heures: va, reste, je ferai la paix avec ton curé. (Je lui avais dit que
+j'étais un des pensionnaires de M. le curé.) L'idée du presbytère me
+chagrinait, et je n'étais pas fâché que Mme Dinville m'épargnât une
+heure de dégoût. Nous nous assîmes sur son canapé, et, après avoir fermé
+sa porte, elle me prit une main qu'elle pressa dans les siennes et me
+regarda fixement, sans mot dire. Ne sachant que penser de ce silence,
+elle le rompit en me disant: tu ne te sens donc plus d'envie? Mon
+impuissance me rendait muet; je rougissais de ma faiblesse. Nous sommes
+seuls, Saturnin, reprit-elle en redoublant ses caresses; personne ne
+nous voit: déshabillons-nous et couchons-nous sur mon lit. Viens, mon
+fouteur, que je te fasse bander! Elle me porta sur son lit, m'aida à me
+déshabiller, et me vit bientôt dans l'état qu'elle me désirait, nu comme
+la main. Je la laissais faire, plutôt par complaisance que par l'idée du
+plaisir. Elle me renverse, me couvre de baisers, me suce le vit, et
+aurait voulu le faire entrer jusqu'aux couilles dans sa bouche. Elle
+semblait extasiée dans cette posture, me couvrait d'une salive semblable
+à de l'écume; mais elle employait en vain toute la chaleur de ses
+caresses pour ranimer un corps glacé par l'épuisement. A peine mon vit
+se redressait-il, et c'était si faiblement, que, n'en pouvant tirer
+aucun service, elle courut d'abord chercher dans une cassette une petite
+fiole de liqueur blanchâtre qu'elle versa dans le creux de sa main, et
+m'en frotta les couilles et le vit à plusieurs reprises. Va, me dit-elle
+alors avec satisfaction, nos plaisirs ne sont pas encore passés: tu m'en
+diras tout à l'heure des nouvelles. Sa prédiction s'accomplit; je sentis
+bientôt des picotements dans les couilles qui commencèrent à me faire
+entrevoir la possibilité de la réussite de son secret. Pour lui donner
+le temps d'opérer, elle se déshabilla à son tour. A peine se fut-elle
+montrée nue à mes yeux qu'une chaleur prodigieuse m'enflamma le sang,
+mon vit banda, mais d'une force inexprimable. Je devins enragé et,
+m'élançant sur elle, à peine lui donnai-je le temps de se mettre en
+posture. Je la dévorais; je ne voyais plus, ne connaissais plus rien:
+toutes mes idées étaient concentrées dans son con. Arrête, mon amour!
+s'écria-t-elle en s'arrachant de mes bras; ne nous pressons pas si fort;
+ménageons nos plaisirs, et, puisqu'ils ne durent qu'un instant,
+rendons-les vifs et délicieux. Mets ta tête à mes pieds, et tes pieds à
+la mienne. Je le fis. Mets ta langue dans mon con, ajouta-t-elle, et moi
+je vais mettre ton vit dans ma bouche. Nous y voilà! Cher ami, que tu me
+fais de plaisir! Dieux! qu'elle m'en faisait aussi! Mon corps étendu sur
+son corps nageait dans une mer de délices; je lui dardais ma langue le
+plus avant que je pouvais; j'aurais voulu y mettre la tête, m'y mettre
+tout entier! Je suçais son clitoris; j'allais chercher un nectar
+rafraîchissant jusqu'au fond de son con, plus délicieux mille fois que
+l'imagination des poètes faisait servir sur la table des dieux par la
+déesse de la jeunesse, à moins que ce ne fût le même et que la charmante
+Hébé ne leur donnât son conin à sucer. Si cela est, tous les éloges
+qu'ils ont donnés à cette boisson divine sont bien au-dessous de la
+réalité. Quelque critique de mauvaise humeur m'arrêtera ici tout court
+et me dira: Que buvaient donc les déesses? Elles suçaient le vit de
+Ganimède! Mme Dinville me tenait le derrière serré et je pressais ses
+fesses: elle me branlait avec la langue et avec les lèvres, je lui en
+faisais autant; elle m'avertissait, par de petites secousses et en
+écartant les cuisses, du plaisir qu'elle ressentait, et les mêmes signes
+qui m'échappaient lui faisaient connaître celui que j'avais. Modérant ou
+augmentant la vivacité de nos caresses, nous plongions ou nous avancions
+celui qui devait y mettre le comble; il vint insensiblement; alors, nous
+roidissant, nous serrant avec plus de force, il semblait que nous
+eussions ramassé toutes les facultés de l'âme pour ne nous occuper que
+des délices que nous allions goûter.
+
+ Loin d'ici, fouteurs à la glace,
+ Dont le vit, effrayé d'aller jusqu'à deux coups,
+ Mollit au premier choc et déserte la place;
+ Loin d'ici: mes transports ne sont plus faits pour vous.
+
+Nous déchargeâmes en même temps; je pressai dans ce moment, je couvris
+avec mes lèvres tout le con de ma fouteuse; je reçus dans ma bouche tout
+le foutre qui en sortait: je l'avalai; elle en fit autant de celui qui
+sortait de mon vit. Le charme se dissipa; je ne gardai du plaisir que je
+venais d'avoir qu'une légère idée qui s'évanouit comme l'ombre. Tels
+sont les plaisirs.
+
+Retombé dans le même état de dégoût et d'affaiblissement dont le secret
+de Mme Dinville m'avait retiré, je la pressai d'y recourir encore.--Non,
+mon cher Saturnin; je t'aime trop pour vouloir te donner la mort. Sois
+content de ce que nous avons fait. Je n'étais pas pressé de mourir, et
+un plaisir qu'il me fallait acheter aux dépens de ma vie n'était plus de
+mon goût. Nous nous rhabillâmes.
+
+J'étais trop content de ma journée pour négliger de prendre des
+assurances d'en passer encore de semblables. Mme Dinville, qui n'était
+pas plus mal satisfaite que moi, me prévint: Quand reviendras-tu? me
+demanda-t-elle en m'embrassant.--Le plus tôt que je pourrai, lui
+répondis-je, mais jamais assez tôt pour mon impatience; demain, par
+exemple?--Non, me dit-elle en souriant, je te donne deux jours: reviens
+le troisième, et le jour que tu viendras, continua-t-elle en rouvrant la
+cassette d'où elle avait tiré l'eau admirable dont j'avais éprouvé la
+vertu, et en me donnant quelques pastilles qu'elle y prit, tu auras soin
+de manger cela. Surtout, Saturnin, sois discret; ne parle à personne de
+tout ce que nous avons fait. Je l'assurai du secret et l'embrassai pour
+la dernière fois, la laissant bien persuadée qu'elle venait de recevoir
+mon pucelage.
+
+Mme Dinville était restée dans son appartement. Elle m'avait averti de
+faire en sorte que l'on ne m'aperçût pas: l'obscurité me favorisait. Je
+traversais une antichambre, quand je me vis arrêté, par qui: par Suzon.
+Sa vue me rendit immobile: il semblait que sa présence me reprochât les
+plaisirs que je venais de goûter. Mon imagination, d'intelligence avec
+mon coeur pour m'accabler, la rendait témoin de tout ce que je venais de
+faire. Elle me prit la main, et demeura sans parler. La confusion me
+faisait baisser la vue. Inquiet cependant de son silence, je ne confiai
+qu'à mes yeux le soin de lui en demander la cause; je les levai sur
+elle, je m'aperçus qu'elle versait des larmes. Ce spectacle me perça le
+coeur. Suzon y reprit dans le moment l'empire que les caresses de Mme
+Dinville lui avaient enlevé. Je ne pouvais concevoir que sa maîtresse
+eût fasciné mes yeux et mon coeur au point de ne voir qu'elle, de n'être
+sensible qu'au plaisir d'être avec elle, et j'avais la simplicité de
+regarder comme l'effet de quelque sortilège ce qui n'était que l'effet
+de mon tempérament et de l'attrait des plaisirs.--Suzon, dis-je à ma
+soeur d'un ton pénétré, tu pleures, ma chère Suzon; tes yeux se couvrent
+de larmes quand tu me vois; est-ce moi qui les fais couler?--Oui, c'est
+toi, me répondit-elle; je rougis de te l'avouer, cruel Saturnin, oui,
+c'est toi qui me les arraches; c'est toi qui me désespères et qui vas me
+faire mourir de douleur.--Moi, m'écriai-je; juste ciel! Suzon, oses-tu
+me faire de pareils reproches? Les ai-je mérités, moi qui t'aime?--Tu
+m'aimes, reprit-elle: ah, je serais trop heureuse si tu disais vrai!
+Mais peut-être viens-tu de jurer la même chose à Mme Dinville. Si tu
+m'aimais, l'aurais-tu suivie? N'aurais-tu pas imaginé un prétexte pour
+venir me trouver quand je suis sortie? Vaut-elle mieux que moi? Qu'as-tu
+fait avec elle toute l'après-dînée? Qu'as-tu dit? Pensais-tu à Suzon qui
+t'aime plus que sa vie? Oui. Saturnin, je t'aime; tu m'as inspiré une si
+forte passion, que je mourrais de douleur si tu n'y répondais pas. Tu te
+tais? poursuivit-elle; ah! je le vois, ton coeur ne se faisait pas de
+violence pour suivre une rivale que je vais haïr à la mort. Elle t'aime,
+je n'en saurai douter; tu l'aimes aussi: tu n'étais occupé que du
+plaisir qu'elle te promettait, tu ne songeais guère à la douleur que tu
+m'allais causer. Attendri par ses reproches, je ne pus dissimuler à
+Suzon qu'ils déchiraient mon coeur.--Cesse tes plaintes, lui dis-je;
+n'accable plus ton malheureux frère; tes larmes le désespèrent; je
+t'aime plus que moi-même, plus que je ne peux te dire!--Ah! reprit-elle,
+tu me rends la vie, et je consens à oublier ton injure si tu me promets
+de ne plus voir Mme Dinville. As-tu assez d'amour pour ta Suzon pour la
+lui sacrifier:--Oui, lui répondis-je, je te la sacrifie; tous ses
+charmes ne valent pas un seul de tes baisers. En lui disant cela, je
+l'embrassais, et elle ne rebutait pas mes caresses.--Saturnin,
+reprit-elle en me serrant tendrement la main, sois sincère: Mme Dinville
+aura exigé de toi que tu reviennes la voir: quand t'a-t-elle dit de
+revenir?--Dans trois jours, lui répondis-je.--Et tu viendras, Saturnin?
+me dit-elle tristement.--Que dois-je faire? lui répliquai-je. Si je
+viens, ce sera pour la désespérer par mon indifférence; si je ne viens
+pas, qu'il en coûtera à mon coeur de ne pas voir Suzon!--Je veux que tu
+reviennes, reprit-elle, mais il ne faudra pas qu'elle te voie; je ferai
+semblant d'être malade; je resterai au lit, nous passerons la journée
+ensemble; mais, ajouta-t-elle, tu ne sais pas où est ma chambre?
+Suis-moi: je vais t'y conduire. Je me laissai mener; j'étais tremblant,
+je pressentais le malheur qui m'allait arriver.--Voici, me dit Suzon,
+mon appartement. Regretterais-tu d'y passer la journée avec moi? Ah!
+Suzon, lui répondis-je, quelles délices tu me promets! Nous serons
+seuls, nous nous abandonnerons à nos amours! Suzon, conçois-tu ce
+bonheur comme moi? Elle se taisait et paraissait rêver profondément; je
+la pressai de s'expliquer.--Je t'entends, me dit-elle d'un ton
+d'indignation; tandis que nous serons seuls, que nous nous livrerons à
+l'amour, ah! Saturnin, que tu parles de ce jour avec indifférence, et
+que les plaisirs qu'il te promet te touchent peu, si tu as la force de
+les attendre deux jours!
+
+Je sentis son reproche: l'impossibilité de lui en prouver l'injustice me
+désespérait, je maudissais les plaisirs que je venais de goûter avec Mme
+Dinville. Ciel! m'écriai-je, je suis avec Suzon, j'aurais donné mon sang
+pour jouir de ce bonheur! J'y suis, et je n'ai pas la force de former un
+désir! Au milieu de cette confusion de pensées, je me ressouvins des
+pastilles que Mme Dinville m'avait données. Je jugeai que l'effet devait
+en être semblable à celui de son eau. Ne doutant pas qu'il ne fût aussi
+prompt, j'en avalai quelques-unes. L'espoir de désabuser bientôt Suzon
+me la fit embrasser avec une ardeur qui nous trompa tous deux. Suzon la
+prit pour un témoignage de mon amour, et moi, comme une marque de retour
+de ma vigueur. Suzon abusée par l'idée du plaisir, tomba sur son lit à
+demi pâmée. Quoique je me défiasse encore de moi-même, j'aurais cru
+l'accabler de douleur si je ne m'étais pas mis en état de justifier son
+espérance. Je me couchai sur elle, et collant ma bouche sur la sienne,
+je lui mis mon vit dans la main. Il était encore mou, mais je crus que
+son secours hâterait l'effet des pastilles. Elle le serrait, le remuait,
+le branlait; rien n'avançait: un froid mortel m'avait glacé le corps!
+C'est Suzon, disais-je, que j'embrasse, et je ne bande pas! Je baise ses
+tétons que j'idolâtrais hier; ne sont-ils plus les mêmes aujourd'hui?
+ils n'ont rien perdu de leur rondeur, de leur dureté, de leur blancheur.
+Sa peau est aussi douce, ses cuisses aussi brûlantes. Elle les écarte,
+j'ai le doigt dans son con, hélas! et je ne puis y mettre que le doigt!
+Suzon soupirait de ma faiblesse; je maudissais le présent de Mme
+Dinville. Je m'imaginais qu'elle avait prévu ce qui devait m'arriver en
+sortant de chez elle, et avait voulu achever avec ses pastilles
+l'épuisement où j'étais. L'opiniâtreté de ma froideur confirma si bien
+cette pensée, que j'allais avouer mon impuissance à Suzon, quand je
+sortis d'embarras d'une manière inattendue. On va penser que l'amour fit
+d'abord un miracle, que je bandai et que je foutis: point du tout; une
+main invisible ouvrant avec fracas les rideaux du lit, vint m'appliquer
+un soufflet. Effrayé de cet accident, je n'eus pas la force de crier; je
+m'enfuis, et laissai Suzon exposée à la fureur du spectre, ne doutant
+pas que ce n'en fût un. Je sortis du château en diligence, et tremblais
+encore dans mon lit, où je m'étais mis en arrivant chez le curé, à qui
+je fis le détail d'un spectacle que je n'avais pas vu et que mon trouble
+croyait véritable. Je n'en imposai au curé que sur le lieu de la scène,
+que je ne mis pas dans la chambre de Suzon. La frayeur et l'épuisement
+me procurèrent un sommeil profond. Je me réveillai avec le même
+accablement, et dans l'impossibilité de me lever. Surpris d'une
+lassitude que je n'attribuais qu'au plaisir, je connus combien il est
+nécessaire de se ménager, et ce que coûte trop de complaisance pour les
+désirs de ces sirènes voluptueuses qui vous sucent, qui vous rongent et
+qui ne vous lâcheraient qu'après avoir bu votre sang, si leur intérêt
+soutenu de l'espérance de vous attirer encore par leurs caresses, ne les
+retenait. Pourquoi ne fait-on ces réflexions qu'après coup? C'est qu'en
+amour la raison n'éclaire que le repentir.
+
+Le repos avait effacé de mon esprit ces idées lugubres tracées par la
+frayeur. Devenu tranquille sur mon compte, mon coeur ne sentait que les
+inquiétudes que lui causait l'incertitude du sort de Suzon. Je me
+représentais avec horreur l'état où je l'avais laissée. Elle sera morte,
+disais-je tristement; timide comme je la connais, il n'en fallait pas
+tant pour la faire mourir. Elle n'est donc plus! continuais-je, accablé
+par cette réflexion cruelle. Suzon n'est plus! ah! ciel! Mon coeur, que
+ces tristes pensées avaient serré d'abord, s'ouvrit bientôt à un torrent
+de larmes; j'en versais encore quand Toinette entra. Sa vue m'épouvanta;
+je tremblais qu'elle ne vînt me confirmer un malheur que je craignais,
+et je mourais d'envie de l'entendre. Il n'en fut pas question. Son
+silence à ce sujet, joint à celui de tout le monde, me fit croire que ma
+douleur était sans fondement. Je pensai que Suzon en avait été quitte
+comme moi de la frayeur. Le chagrin que j'avais ressenti de sa mort fit
+place à la curiosité de savoir ce qui s'était passé dans la chambre
+après mon départ; mais c'était une curiosité que je ne pouvais
+satisfaire qu'après mon rétablissement.
+
+Les deux jours de repos que Mme Dinville m'avait accordés étaient
+expirés; nous étions au troisième, et quoique je commençasse à me sentir
+mieux, je ne fus point tenté d'aller chercher de l'exercice au château.
+Je ne songeais cependant qu'avec chagrin à l'obstacle que cette funeste
+aventure avait mis au plaisir que je m'étais promis d'avoir avec Suzon.
+Cette réflexion me fit penser aux pastilles de Mme Dinville: je mangeai
+ce qu'il m'en restait. Je ne dirai pas si leur effet fut vif ou lent;
+mais, après avoir profondément dormi, je fus réveillé par la force de
+l'érection que je sentais. J'en étais effrayé, et j'aurais craint pour
+mes nerfs si la même chose ne me fût pas arrivée chez Mme Dinville.
+Qu'on rie de mon embarras; qu'on dise si l'on veut: Eh quoi! brave
+Saturnin, n'aviez-vous pas vos quatre doigts et le pouce pour vous
+soulager? Comment font ces cafards de prêtres, ces hypocrites dont le
+coeur est corrompu? On ne trouve pas toujours un bordel, une dévote sous
+la main; mais on a toujours un vit: on s'en sert, on se branle. Je le
+savais, mais il n'y avait pas longtemps que, pour m'en être trop donné,
+je me trouvais brisé, moulu. En garde contre la tentation, je me
+branlotais et faisais venir le plaisir jusqu'à ma portée. Quoiqu'il ne
+soit pas si grand que quand on fait le cas, on a toujours la faculté de
+le répéter autant de fois qu'on le juge à propos. L'imagination se joue,
+voltige sur les objets qui nous charment les yeux. Avec un coup de
+poignet, on fout la brune, la blonde, la petite, la grande; les désirs
+ne connaissent pas l'intervalle des conditions; ils vont jusque sur le
+trône, et les beautés les plus fières, forcées de céder, accordent ce
+qu'on leur demande. Du trône on descend à la grisette; on se représente
+une fille timide, neuve sur les plaisirs de l'amour et qui ne connaît la
+nature des désirs que par ceux qu'elle ressent. On lui donne un baiser;
+elle rougit; on lève un mouchoir qui cache une gorge naissante; on
+descend plus bas: on y trouve un petit conin chaud, brûlant; on lui fait
+faire une résistance que le plaisir augmente, diminue, fait évanouir à
+son gré. Le plaisir est vif et pétillant. Semblable à ces feux qui
+sortent de la terre, il se montre et s'échappe? l'avez-vous vu? Non; la
+sensation qu'il a excitée dans votre âme a été si vive, si rapide,
+qu'anéantie par la force de son impulsion elle n'a pu le connaître. Le
+vrai moyen de le fixer, c'est de badiner avec lui, de le laisser
+échapper, de le retrouver enfin, en vous livrant tout entier à ses
+transports.
+
+J'étais dans cette occupation, la nuit était déjà fort avancée, j'allais
+finir mon badinage pour m'abandonner au sommeil, quand j'entrevis
+quelqu'un paraître au pied de mon lit et disparaître à l'instant. Je fus
+moins effrayé que réveillé par une pareille vision. Je crus que c'était
+l'abbé dont je vous ai parlé dans le portrait de mademoiselle Nicole.
+C'est lui, disais-je, oui; où va ce bougre-là? Foutre Nicole? Ira-t-il
+seul? Non, parbleu! car je vais le suivre. Je me lève; j'étais en habit
+de combat, c'est-à-dire en chemise: je savais les êtres. Je gagnai le
+corridor où était la chambre de la belle. J'entrai dans une chambre dont
+la porte n'était pas fermée; je la repoussai et m'approchai avec
+circonspection du lit où je croyais nos amants occupés à prendre leurs
+ébats. J'écoutais, j'attendais que des soupirs m'apprissent si mon tour
+viendrait bientôt. Quelqu'un respirait; mais ce quelqu'un paraissait
+être seul. Ne serait-il pas venu? dis-je alors bien étonné. Non,
+assurément il n'y est pas. Oh! parbleu, monsieur l'abbé, vous n'en
+tâterez, ma foi! que d'une dent. Dans l'instant, je coulai ma main entre
+les jambes de la belle dormeuse, et je lui donnai un baiser sur la
+bouche.--Ah! me dit-on d'une voix basse, que vous vous êtes fait
+attendre! Je dormais; montez donc. Ma foi! Je montai dans le lit, et
+bientôt sur ma Vénus, qui me reçut assez froidement dans ses bras. Je
+fus sensible à cette marque d'indifférence qu'elle croyait donner à son
+amant, et je m'applaudis du succès que la fortune me donnait, en me
+procurant une vengeance aussi douce des mépris de ma tigresse. Je la
+baisais à la bouche, lui pressais les yeux avec les lèvres, me livrais à
+des transports d'autant plus vifs qu'on leur avait toujours refusé la
+liberté d'éclater. Je lui maniais les tétons, qui étaient bien séparés,
+bien formés, bien durs. Je nageais dans un fleuve de délices; je fis
+enfin ce que j'avais souhaité tant de fois de faire avec divinité.
+Assurément, elle ne s'attendait pas à être si bien régalée. A peine
+eus-je fini ma carrière, que, me sentant encore plus animé que jamais,
+je repris du champ, et je donnai une nouvelle matière à ses éloges. Je
+l'avais mise en goût et jugeai par ses caresses qu'elle n'attendait plus
+que cette troisième preuve de valeur pour mettre cette nuit au-dessus de
+toutes celles qu'elle disait que nous avions passées ensemble. Quoique
+je fusse capable de lui donner encore cette nouvelle satisfaction, la
+crainte d'être surpris par l'abbé amortit un peu mon courage. Je ne
+savais à quoi attribuer sa lenteur. Je ne pouvais en accuser qu'un
+changement de résolution. Sur cette pensée, je crus que je pouvais
+reprendre haleine et ne pas précipiter mes coups ainsi que je l'avais
+fait.
+
+Deux décharges abattent un peu les fumées de l'amour; l'illusion se
+dissipe, l'esprit rentre dans ses fonctions; les nuages s'évanouissent,
+les objets cessent d'être ce qu'ils étaient. Les belles y gagnent, les
+laides y perdent: tant pis pour elles. Je voudrais en passant donner un
+conseil à celles-ci: Laides, quand vous accordez des faveurs à
+quelqu'un, ménagez-le, ne l'en accablez pas: quand on n'a plus rien à
+désirer, on ne désire plus; la passion s'éteint par une jouissance trop
+complète. Prenez-y garde: vous n'avez pas les ressources d'une belle à
+qui les charmes promettent le retour de ces désirs qu'elle vient
+d'assouvir et que le moindre désir rallume.
+
+La réflexion que je viens de faire cadre le mieux du monde avec ce que
+j'éprouvai. Je m'amusais à parcourir avec la main les beautés de ma
+nymphe; j'étais surpris de trouver une différence dans les choses que
+j'avais maniées un instant auparavant. Ses cuisses, qui m'avaient paru
+douces, fermes, remplies, unies, étaient devenues ridées, molles,
+sèches; son con n'était plus qu'une conasse, ses tétons que des
+tétasses; ainsi du reste. Je ne pouvais concevoir un pareil prodige;
+j'accusais mon imagination de s'être refroidie, je voulais du mal à ma
+main du rapport trop fidèle qu'elle lui faisait. Ce n'est pas que ces
+témoignages incertains m'eussent empêché de livrer un troisième assaut;
+j'allais m'y présenter, et on se préparait à le recevoir, quand nous
+entendîmes un charivari dans la chambre voisine, que je prenais pour
+celle de la dame Françoise, notre vénérable gouvernante. Ah! le chien!
+criait une voix enrouée; Ah! la misérable! ah! la... A ces mots ma
+mignonne, que j'allais enconner, me dit: ah! mon Dieu, que fait-on à
+notre fille; est-ce qu'on la tue? Allez donc voir. Je ne répondis rien.
+Frappé de ce discours, je ne savais où j'en étais: Notre fille,
+disais-je; Nicole aurait-elle une fille? Le bruit continuait, et l'on me
+pressait d'aller au secours. Je ne m'en remuais pas davantage. On
+s'impatiente, on court au fusil, on allume de la chandelle, et à sa
+faveur je reconnais la dame Françoise, cette vieille... Je demeurai
+pétrifié à la vue de ce fantôme; je vis bien que je m'étais trompé de
+porte, et j'étais enragé de me voir la dupe de ce misérable abbé, ou
+plutôt de mon impatience qui ne m'avait pas permis de faire attention à
+la disposition des lieux. Je jugeai que M. le curé, s'étant trouvé en
+humeur de s'ébaudir cette nuit-là avec sa chambrière, l'avait avertie de
+se tenir prête pour la danse, et que, me prenant pour le pasteur, elle
+m'avait reproché ma lenteur à me rendre à mon poste; que le saint prêtre
+pour éviter le scandale, avait attendu que la nuit fût avancée pour
+tenir parole à sa beauté; qu'ayant trouvé la porte de la chambre de sa
+nièce ouverte, la tendresse l'avait fait courir à son lit, où il l'avait
+trouvée en flagrant délit; que, frappé de l'idée d'infamie dont elle
+couvrait son front, il avait donné aux combattants des témoignages de sa
+colère plus forts que jeu. Mais le bruit redouble, on s'étrangle: eh!
+vite, dame Françoise, volez sur le champ de bataille: l'honneur,
+l'amour, la tendresse, tout vous en fait une loi; allez séparer des
+ennemis dont la mort vous affligerait; mais, au nom de Dieu, laissez la
+porte ouverte pour que je me sauve. Oh! la chienne! elle la ferme à
+double tour. Malheureux Saturnin, comment vas-tu t'échapper? La dame
+Françoise va s'apercevoir que ce n'est pas avec le curé qu'elle a eu
+affaire, il va venir, il va te trouver, tu es perdu, tu payeras pour les
+autres. Telles étaient les pensées qui m'agitaient tandis qu'on se
+chamaillait dans la chambre voisine. Inutilement j'avais essayé de
+sortir; réduit à pleurer mon triste malheur, je m'y abandonnais. Insensé
+que j'étais, comme si je n'eusse pas déjà éprouvé qu'au sein du malheur
+même on ne doit pas désespérer de sa félicité; qu'au moment où l'on se
+croit accablé par les coups redoublés du sort nous devons au hasard les
+jours les plus fortunés. Divine Providence, c'est par tes décrets que
+ces merveilles s'opèrent.
+
+Au moment où je me livrais au désespoir, la fortune tournait sa roue. Le
+bruit avait augmenté à la vue de Françoise, à qui le chandelier tomba
+des mains à l'aspect du curé qu'elle prit pour un spectre. Qu'on se
+peigne cette scène. Si j'en avais été témoin, j'en épargnerais la peine,
+mais la connaissance des parties me met en état de fournir des idées
+pour la perfection du tableau. Qu'on se figure M. le curé, nu, en
+caleçon, un bonnet gras sur la tête, ses petits yeux étincelants, sa
+grande bouche écumante, frappant comme un sourd sur l'abbé et sur la
+nièce. Qu'on se représente ces deux amants, la belle tremblante et
+s'enfonçant dans son lit, l'abbé se cachant sous la couverture et n'en
+sortant que pour allonger de temps en temps des coups de poing sur le
+visage du pasteur. Qu'on se trace la figure d'une mégère en chemise,
+qui, la chandelle à la main, s'approche, veut crier, demeure interdite,
+et tombe de frayeur sur une chaise.
+
+L'abbé, autant que j'en fus juge par le silence qui régna tout à coup,
+craignant d'être découvert, gagna le large. Le curé l'avait suivi. On
+ouvrit dans le moment ma porte, et on la referma sur-le-champ. Je
+tremblais, on se coucha; nouvelle frayeur. Je crus que c'était
+Françoise, et que le curé allait venir. Tout était pourtant calme, et
+cette Françoise qui était dans le lit, pleurait et soupirait. J'étais
+confus. Que penser de ces pleurs? Pourquoi soupire-t-elle? pourquoi
+est-elle revenue? Le curé reviendra-t-il ou non? Ah! que l'incertitude
+est une peine cruelle! Je voulais sortir, mais je n'osais: enfin,
+j'allais m'évader quand le diable m'arrêta. Mon coeur me disait: Tu vas
+te coucher, nigaud, et tu bandes encore! Tu abandonnes Françoise à son
+chagrin: crains-tu de la consoler? c'est bien la moindre chose que tu
+lui doives; elle t'a comblé de caresses, refuseras-tu d'essuyer ses
+larmes? Elle est vieille, d'accord; laide, soit; mais n'a-t-elle pas un
+con, nigaud? Ma foi? seigneur Diable, vous avez raison.
+
+ Un con n'est jamais qu'un con;
+ Quand on bande tout est bon.
+
+Va, va, continua la voix intérieure, l'orage est passé; il n'y a plus
+rien à craindre, remets-toi dans le lit. Je succombai à la tentation, je
+m'y remis. Je commençai à me coucher, avec beaucoup de discrétion, sur
+le bord; mais toute ma politesse ne put arrêter un cri de frayeur qui
+partit et fut dans l'instant étouffé par la crainte d'être entendu. Je
+sentis qu'on se retirait dans le coin du lit. Une pareille façon d'agir
+augmentait ma surprise. Je crus que je la ferais bientôt cesser, en
+expliquant mes intentions, et cette explication fut de porter la main
+entre les cuisses de ma vieille: elles étaient redevenues tout ce qu'on
+pouvait les souhaiter et pour exciter les plus vives émotions, plus
+douces et plus fermes qu'elles ne m'avaient encore paru. Ma main ne s'y
+arrêta pas longtemps, quelque plaisir qu'elle y sentît: elle passa au
+conin. La motte, le ventre, les tétons, tout était aussi doux, aussi uni
+qu'à une jeune fille. Je maniais, je baisais, je suçais, on me laissait
+faire, et mon feu ranimant celui de ma belle, elle cessa de soupirer, se
+rapprocha de moi et moi d'elle. De la tristesse je la fis passer à
+l'amour; je l'enconnai.--Ah! me dit-elle alors, cher abbé, qui t'a
+conduit ici? Que ton amour me va coûter de larmes! Quoique attendri par
+ce discours, mes transports redoublèrent: je serrai tendrement ma
+nymphe, confondis mes soupirs avec les siens, et scellai, par des
+élancements de volupté, les délices qui les avaient précédés. L'extase
+finie, je me rappelai les paroles qu'on venait de m'adresser. Où
+suis-je? me dis-je alors. Est-ce avec Françoise? Quelle différence de
+plaisirs! Mais elle me prend pour l'abbé; elle dit que mon amour va lui
+faire verser des larmes: partagerait-elle avec Nicole les hommages de ce
+faquin-là? Elle est apparemment jalouse, la bonne dame; elle croyait
+posséder toute seule le coeur de son mignon. Pourquoi est-elle vieille?
+Pourquoi est-elle laide? Malgré sa laideur, j'eus encore assez de
+hardiesse pour m'exposer au désagrément de l'examen dont je m'étais si
+mal trouvé après les premiers coups. Ma main impatiente brûlait de
+retourner sur son corps sec et décharné; et quoique je sentisse que le
+dégoût serait le prix de mon imprudence, et que si je voulais courir
+encore une poste, le meilleur parti était d'attendre le retour de ma
+vigueur, sans la précipiter par un badinage qui pourrait bien au
+contraire l'éloigner, je hasardai de porter la main; mais, ô surprise!
+partout la même fermeté, le même embonpoint, la même chaleur, la même
+douceur! Que veut dire ceci? repris-je alors. Est-ce Françoise? ne
+l'est-ce pas? Non assurément, ce ne peut être que Nicole. O ciel! c'est
+Nicole! J'en ai pour garants le plaisir qu'elle m'a donné et la
+continuation de ce plaisir que je ressens encore à la toucher. Elle se
+sera échappée de son lit, aura profité de la faiblesse de Françoise pour
+venir se réfugier ici: elle s'imagine que son amant est venu aussi s'y
+cacher! Je retrouvais dans cette explication toute naturelle des paroles
+qu'elle m'avait adressées. Rempli de cette pensée, je sentis les désirs
+qu'elle m'avait autrefois inspirés renaître avec plus de force. Le
+croirait-on? J'eus regret aux plaisirs que je croyais n'avoir eus
+qu'avec Françoise, parce que c'était autant de diminué sur ceux que
+j'allais goûter avec Nicole. Je me mis en état de récompenser le temps
+perdu.--Ma chère Nicole, lui dis-je en la baisant tendrement et en
+tâchant de contrefaire la voix de l'abbé, de quoi t'occupes-tu? Peux-tu
+te laisser aller à la tristesse, quand l'heureux hasard qui nous
+rassemble veut que nous nous livrions à notre amour? Foutons, ma chère
+enfant; noyons notre malheur dans le foutre!--Que tu me fais de plaisir,
+me répliqua-t-elle en répondant à mes caresses! Ta douleur augmentait la
+mienne. Oui, profitons du seul moyen que nous ayons de nous consoler.
+Arrive tout ce qui pourra, tant que j'aurai cela dans la main,
+continua-t-elle en me prenant le vit, je ne craindrai pas la mort même.
+N'appréhende pas qu'on vienne nous interrompre, j'ai retiré la clef; ils
+ne peuvent entrer qu'en jetant la porte en dedans. Charmé de cette
+heureuse précaution inspirée par l'amour, je la caressais avec un
+nouveau plaisir; mon vit, qu'elle tenait toujours dans sa main, était
+toujours d'une raideur qui l'enchantait. Vite, lui dis-je, mets-le dans
+ton cher conin; Nicole, que tu me fais languir! Elle ne se pressait pas,
+continuait de serrer mon vit, et paraissait surprise de sa grosseur,
+qu'elle prenait pour l'effet de ses caresses. Je voulus le mettre
+moi-même.--Attends, mon cher ami, me répondit-elle en me pressant dans
+ses bras; laisse-le venir encore plus gros et plus long. Ah! je ne l'ai
+jamais vu plus beau: est-il augmenté cette nuit! l'abbé n'était pas
+apparemment si bien partagé que moi des dons de la nature. J'aurais ri
+de cette pensée de Nicole, si je n'avais pas été en humeur de faire
+autre chose.--Ah! que je vais avoir de plaisir! reprit-elle en se le
+mettant. Pousse, cher ami, pousse! Il n'était pas besoin de me le dire:
+j'enfonçai, et, m'appesantissant sur sa gorge, sur son sein, je les
+couvrais de baisers de feu, je restais immobile, j'y mourais.--Fais
+donc! me dit Nicole, en se remuant avec des transports qui me tirèrent
+de mon assoupissement extatique; fais donc! Je me mis aussitôt à lui
+allonger des coups de cul, des coups de vit, qui lui allaient,
+disait-elle, jusqu'au coeur. Ah! ceux qu'elle me rendait allaient bien
+plus loin! Ils portaient le feu, ils me lançaient des torrents de
+délices jusqu'aux parties les plus reculées de mon corps. O décharge! tu
+es un rayon de la Divinité, ou plutôt n'es-tu pas la Divinité même?
+Pourquoi ne meurt-on pas dans les transports? La mère du dieu des
+buveurs ne mourut-elle pas quand Jupiter, cédant à ses instances, la
+foutit en dieu? car ne vous y méprenez pas, messieurs les mythologistes,
+ce n'est pas l'appareil, l'éclat, ni la majesté du souverain des cieux,
+qui ravirent le jour à Sémélé: c'est le foutre embrasé qui sortait de
+son vit. Mahomet, j'observe ta loi, je suis ton plus fidèle croyant;
+mais tiens-moi parole; fais-moi jouir pendant mille ans des
+embrassements continuels du plaisir toujours renaissant de la décharge
+délicieuse que tu promets à tes fidèles avec tes houris rouges,
+blanches, vertes, jaunes: la couleur n'y fait rien, que je décharge,
+c'est tout ce qu'il me faut.
+
+Nicole était enchantée de moi, j'étais enchanté de Nicole. Quelle
+différence entre une vieille et une jeune! Une jeune le fait par amour,
+une vieille par habitude. Vieillards, laissez la fouterie à la jeunesse;
+c'est un travail pour vous, c'est un plaisir pour elle.
+
+Mon vit, plus dur qu'il ne l'était avant l'action, restait dans son étui
+sans s'amollir. Nicole me serrait avec plus de feu, et le même feu qui
+m'animait me la faisait serrer avec plus de roideur encore, elle ne
+m'aurait pas lâché pour un trône; je ne l'aurais pas quittée pour
+l'empire de l'univers. Bientôt un mouvement nous fit recourir après ce
+que nous venions de perdre. L'imprudence est le partage de l'amour; le
+bonheur éblouit, on est trop occupé pour penser qu'il puisse s'évanouir.
+Nous nous trahîmes par nos transports; le lit était appuyé contre la
+cloison de la chambre voisine; nous ne songions pas que Françoise était
+dans cette chambre, qu'elle pouvait se réveiller au bruit que nous
+faisions par les secousses indiscrètes que nous donnions au lit, qui,
+frappant contre cette cloison, l'eût bientôt mise au fait de ce qui se
+passait dans la chambre. Plus vite que l'éclair, elle accourt à la
+porte; point de clef: comment faire? Appeler Nicole; elle le fit. A
+cette voix terrible nous fûmes glacés d'effroi; nous nous arrêtâmes tout
+court, et la vieille cessa de crier; mais nous cessâmes bientôt d'être
+sages. Trop animés pour rester longtemps dans notre inaction gênante,
+nous reprîmes notre ouvrage; mais quoique nous le fissions avec toute la
+discrétion possible, la vieille, qui avait l'oreille au guet, ne prit
+pas le change. Elle démêla, dans le bruit sourd de nos soupirs et des
+mots interrompus qui nous échappaient, le motif de notre silence.
+Nouveau tapage. Nicole, criait-elle en frappant contre la cloison,
+misérable Nicole, finiras-tu? Nouvelles alarmes de notre part; mais me
+mettant bientôt au-dessus de la crainte, je dis à Nicole que, puisque
+nous étions découvert, il était inutile de nous gêner. Elle approuva par
+son silence cette résolution courageuse, et, me donnant elle-même le
+premier coup de cul, en me remettant sa langue dans la bouche, elle me
+piqua d'honneur; et tels que des généreux guerriers qui, bravant dans
+les lignes le feu d'une artillerie meurtrière braquée contre eux sur un
+rempart, continuent tranquillement leur ouvrage et rient du bruit
+impuissant du canon qui gronde sur leur tête, nous travaillâmes
+intrépidement au bruit des coups que Françoise donnait contre la
+cloison. Nous achevâmes; et, soit que l'interruption, soit que le bruit
+que la vieille faisait encore eût donné une pointe de vivacité à nos
+plaisirs, nous nous avouâmes réciproquement que nous n'en avions pas
+encore goûté d'aussi vifs.
+
+Le faire cinq fois en fort peu de temps, ce n'était pas mal s'en tirer
+pour un convalescent, convalescent encore de quelle maladie! Je sentais
+cependant que je n'étais pas tout-à-fait hors de combat; il fallait
+avoir de la sagesse pour ne pas se laisser aller; je l'eus, cette
+sagesse; je triomphai de mon envie. Il faut pourtant convenir que la
+réflexion eut bonne part dans ma modération. La dame Françoise pourrait
+à la fin s'impatienter de ce petit manège, des honnêtes remontrances
+passer aux cris, des cris, que sais-je? sonner le tocsin sur nous, ou
+peut-être venir faire sentinelle à notre porte. S'exposer aux risques
+d'être arrêtés au passage; mauvaise affaire; rester dans la chambre,
+assiégés jusqu'au jour, au bout du compte il en aurait fallu sortir;
+Comment? Nus; cela n'aurait pas été honnête, un jeune homme, une jeune
+fille dans cet équipage. Le parti le plus sûr était de faire une prompte
+retraite; je la fis; mais avant que de gagner mon lit je jugeai
+prudemment que je ne serais qu'un sot si je laissais subsister dans
+l'esprit de Nicole l'opinion trop avantageuse que j'y avais fait naître
+sur le compte de l'abbé. Il en aurait trop coûté à mon amour-propre de
+faire à ce maroufle le sacrifice de la gloire que je venais d'acquérir
+sous son nom. De la vanité, à moi, cela vous fait rire, lecteur,
+n'est-il pas vrai? J'aurais voulu vous voir à ma place. Je vous suppose
+rival comme je l'étais et sensible au plaisir de vous venger, je gage
+que vous auriez été aussi fat que moi, et que vous auriez dit, ainsi que
+je le fis: ma belle Nicole, vous ne devez pas être mécontente de moi?
+Là-dessus elle vous aurait assuré que son coeur était charmé. N'est-il
+pas vrai, auriez-vous repris, que vous n'en attendiez pas tant du petit
+drôle que vous avez toujours méprisé? Vous aviez tort, et il ne méritait
+pas le traitement que vous lui avez fait; car vous voyez que les petits
+valent bien les grands. Adieu, ma chère Nicole; je me nomme Saturnin,
+pour vous servir. Vous l'auriez embrassée, et puis vous l'auriez laissée
+là, bien étourdie de votre compliment; vous auriez gagné la porte, vous
+l'auriez ouverte (on avait laissé la clef dans la serrure), et vous
+auriez été vous recoucher tranquillement dans votre lit. Dieu veuille
+que vous eussiez été capable de le faire aussi bien et aussi
+heureusement que moi.
+
+Frappé de la bizarrerie des aventures qui venaient de m'arriver,
+j'attendis avec impatience que le jour vînt m'apprendre qu'elles
+seraient les suites d'une nuit aussi singulière. J'étais charmé du
+désastre de l'abbé et de ma bonne fortune. Comme personne (excepté Mlle
+Nicole, sur la discrétion de laquelle je pouvais compter) ne me
+soupçonnait de rien, je me faisais d'avance une comédie de la figure que
+je verrais faire à nos acteurs nocturnes, et je me promettais d'autant
+plus de plaisir, que je serais le seul à qui elle devait être
+indifférente. M. le curé, disais-je, aura un air sombre, taciturne, sera
+de mauvaise humeur, fessera; qu'il fesse, ce ne sera pas moi, ou je
+jouerai de malheur. Françoise examinera tous les écoliers, l'un après
+l'autre, avec des yeux dont la fureur rendra l'écarlate plus vive et
+plus brillante. Elle cherchera, parmi les grands, celui sur qui elle
+doit se venger, non des plaisirs qu'elle a eus, mais de ceux qu'il a
+donnés à sa fille. Si elle me reconnaît, elle sera bien fine. Nicole
+n'osera se montrer; si elle se montre, elle rougira, sera honteuse, me
+fera la mine, peut-être les yeux doux; que sait-on? Elle est friande,
+ferai-je le cruel? Peut-être l'abbé sera-t-il cassé aux gages; oh! pour
+lui, il n'en sera que plus impudent.
+
+J'étais si fort occupé de toutes ces pensées, que je ne songeais pas à
+dormir; et l'Aurore aux doigts de rose avait déjà ouvert les portes de
+l'Orient, que je n'avais pas encore fermé l'oeil. J'avais pourtant
+besoin de repos. Le sommeil, qui semblait avoir respecté mes réflexions,
+vint aussitôt qu'elles furent cessées, et ce ne fut pas sans peine qu'on
+vint à bout de le faire rompre au milieu du jour. Que devins-je à la vue
+de Toinette, qui, placée aux pieds de mon lit, paraissait attendre mon
+réveil? Je pâlis, je rougis, je tremblai. Je crus que mon procès était
+fait et parfait; qu'on avait découvert que j'avais eu part aux désordres
+de la nuit et que j'allais le payer. Cette pensée accablante me fit
+retomber sans force sur mon lit.--Eh bien, Saturnin, me dit Toinette,
+es-tu encore malade? Pas de réponse. Le révérend père Polycarpe va donc
+partir sans toi, continua-t-elle; il comptait pourtant t'emmener avec
+lui. A ce mot de départ, ma tristesse se dissipa.--Il part! dis-je à
+Toinette avec vivacité. Eh! vraiment, je me porte à merveille. Dans le
+moment je m'élançai hors du lit, et je fus habillé avant que Toinette
+songeât à faire attention au passage subit de la tristesse à la joie que
+je venais d'éprouver en si peu de temps; je la suivis.
+
+J'étais trop agréablement occupé de la nouvelle que Toinette venait de
+m'apprendre pour quitter avec regret la maison du pasteur. Je ne pensai
+pas même que je ne reverrais plus Suzon. Je trouvai le père Polycarpe
+qui m'attendait: il fut charmé de me revoir. Je passe sous silence les
+caresses d'Ambroise, les baisers, les larmes de Toinette: elle en
+répandit, j'en jetai moi-même. Me voilà en croupe sur le cheval du valet
+de sa révérence. Adieu, père Ambroise. Adieu, Mme Toinette, serviteur.
+Je pars, nous marchons, nous arrivons, nous voilà au couvent.
+
+
+FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE
+
+
+
+
+SECONDE PARTIE
+
+
+J'entre dans une nouvelle carrière. Destiné par mon état à grossir le
+nombre des pourceaux sacrés que la piété des fidèles nourrit dans
+l'aisance, la nature m'avait donné les plus belles dispositions pour cet
+état, et l'expérience avait déjà commencé à perfectionner ses présents.
+
+La sincérité n'a plus besoin de faire son éloge pour persuader. Il se
+trouve pourtant des faits hors de la règle ordinaire: tels sont ceux que
+je vais rapporter. Si la vraisemblance n'y est pas ménagée, c'est que ce
+ne sont pas ici de ces jeux de l'imagination que l'on compasse, que l'on
+manie avec adresse pour ménager la crédulité du lecteur, mais qu'ils
+sont vrais, et que la vraisemblance ne porte pas toujours le caractère
+de la vérité. Dois-je craindre, après tout, que l'on trouve étrange de
+voir des moines scélérats, débauchés, corrompus, qui croient qu'on est
+assez honnête homme quand on n'est pas reconnu pour fripon; qui, sous le
+masque de la religion dont ils se jouent, rient de la crédulité du
+peuple, et font de tout ce qu'elle condamne l'objet de leurs
+occupations? Non, c'est l'usage. Les cordeliers, les carmes, les
+minimes, me justifient assez. On en sait mille histoires, sans celles
+que nous ignorons.
+
+Qu'on me permette de réfléchir un peu sur la vie que nous menions, et de
+démontrer à quel point les moines sont corrompus. Quelles raisons assez
+puissantes ont pu rassembler dans le cloître tant de caractères
+différents? La paresse, la paillardise, le mensonge, la lâcheté, la
+perte des biens et de l'honneur.
+
+Pauvres gens, qui croyez que c'est la religion qui peuple les cloîtres,
+que ne pouvez-vous en pénétrer l'intérieur? Indignés de leur iniquité,
+vous en rougiriez et vous apprendriez à les mépriser; Levons le bandeau
+qui vous couvrait les yeux. Dites-moi, vous qui avez connu le père
+Chérubin, cet homme qui ne respire que le plaisir, vous, dis-je, qui
+l'avez connu avant qu'il fût moine, comment vivait-il? Il ne se couchait
+pas qu'il n'eût sablé dix bouteilles du meilleur vin, et souvent le jour
+le trouvait enterré sous la table parmi les débris du souper. Il a
+quitté le monde, Dieu l'a illuminé de sa grâce; il lui a montré le bon
+chemin. Je n'examine pas si c'est le ciel ou ses créanciers qui ont fait
+ce miracle; mais sachez que le père Chérubin tiendrait encore tête aux
+plus intrépides buveurs; il boirait et mangerait le revenu du couvent.
+
+Voilà le père Chérubin: tel vous l'avez connu, tel il est encore. Et le
+père Modeste, que vous avez vu parmi vous tout bouffi d'arrogance et
+d'amour-propre, son caractère est-il refondu depuis qu'il a le corps
+ceint d'un triple cordon? Vous le croyez! Moi qui le connais, je vous
+garantis le contraire. S'il parle, Bourdaloue près de lui ne fait que
+bégayer. Plus subtil que saint Thomas, il perce, raisonne, entend,
+pénètre. A son avis, le père Modeste est un phénix; au vôtre, c'est un
+sot; au mien, c'en est un encore. Voyez-vous le père Boniface, ce madré
+furet, qui penche dévotement la tête, qui tourne vers la terre des yeux
+mortifiés, qui semble, en marchant, composer avec le ciel? Évitez-le,
+c'est un serpent qui se glisse; il monte chez vous: veillez votre femme,
+serrez les filles, éloignez les garçons. Bougre, bardache, fouteur; il
+est entré, il est sorti; tâtez-vous le front: tout est foutu, tout est
+enculé. Vous avez fait connaissance avec le père Hilaire, serrez bien
+les cordons de votre bourse, vous avez affaire à un fripon. Bientôt aux
+conversations consolantes il fera succéder des peintures énergiques des
+besoins du couvent. Nous manquons de tout, vous dira-t-il, nous sommes
+nourris, couchés comme des chiens; notre maison tombe en ruines. Vous
+vous laissez attendrir, votre bourse s'ouvre; puisez père Hilaire vous
+avez trouvé votre dupe; pillez, volez, c'est l'esprit de l'Église.
+
+Que de caractères odieux n'aurais-je pas à tracer, si je peignais ceux
+de tous les moines! Change-t-on d'inclinations pour changer d'habits?
+Non; le buveur est toujours ivrogne, le voleur est toujours impudent, et
+le fouteur est toujours un fouteur. Je dis plus: les passions s'irritent
+sous le froc; on les porte dans le coeur, l'oisiveté, les renouvelle,
+l'occasion les augmente. J'ose le dire, les moines sont autant d'ennemis
+de la société: on pourrait les comparer à ces armées de peuples barbares
+qui sortirent de leurs marais pour inonder l'Europe. Réunis par
+l'intérêt, ils se détestent en particulier. Rien n'est mieux ordonné que
+leur armée; rien ne l'est moins que l'intérieur. Faut-il élire un
+général, que de factions, que de complots! On crie, on court, on
+s'agite. S'agit-il de faire quelque incursion dans le monde, d'attenter
+à la bourse des fidèles, d'inventer quelques nouvelles pratiques de
+superstition, le même esprit les anime, tous concourent au but général.
+Dociles aux ordres de leurs supérieurs, ils se rangent sous leurs
+drapeaux, montent en chaire, prient, exhortent. J'ajouterai à cet éloge
+des vers dictés par le bon sens et justifiés par une longue expérience:
+
+ Tolle autem lucrum, superos et sacra negabunt:
+ Ergo sibi, non coelestis, hæc turbat ministrat.
+ Utilitas facit esse deos, qua nempe remota,
+ Templa ruent, nec erunt aræ, nec Jupiter ullus.
+
+Sur tout ce que j'avais vu faire aux révérends, étant chez Ambroise, et
+en dernier lieu sur les galanteries du père Polycarpe et de Toinette,
+j'avais conçu les idées les plus riantes de l'état monacal. Je croyais
+que le froc était l'habit sous lequel on eût le plus libre accès dans le
+temple du plaisir. Mon imagination s'enivrait des chimères agréables
+qu'on se forgeait. Elle ne s'arrêtait pas dans les bras de Toinette,
+elle me représentait les plus aimables femmes des lieux où mon sort me
+conduisit, se disputant la conquête du père Saturnin, prévenant ses
+désirs par l'attention la plus tendre, et payant ses bontés par les
+transports les plus vifs et les plus délicieux. On croira facilement
+qu'étant dans de pareilles dispositions je reçus avec joie l'habit de
+l'ordre, dont le père prieur (qui s'attacha d'abord à moi avec une
+affection vraiment paternelle) m'honora dès le lendemain de mon arrivée.
+
+J'avais appris assez de latin de mon curé, qui pourtant n'en savait
+guère, pour figurer avec honneur dans le noviciat. On me louait de
+quelques dispositions assez heureuses; en ai-je profité? Hélas! non. A
+quoi m'ont-elles servi? A être portier; belle avance!
+
+En écrivain fidèle, je me croirais obligé de mener mon lecteur, année
+par année, jusqu'en théologie; on me verrait novice, puis profès, enfin
+un vénérable père. J'aurais mille belles choses à lui dire; mais les
+belles choses ne nous plaisent qu'autant qu'elles nous intéressent. Eh!
+quel intérêt prendrait-on à voir un penaillon disputer envers et contre
+tous, mettre le bon sens et la raison à la gêne dans des arguments en
+_baroco_, dans des distinctions subtiles que lui-même n'entendrait pas?
+J'en fais grâce.
+
+Je sens pourtant que je ne saurais passer crûment sur un si long espace
+de temps sans parler de quelques bagatelles. Mon séjour dans le couvent
+avait éclairé mes idées: j'y avais appris, malgré moi, que si le plaisir
+était fait pour les moines, il ne l'était pas pour les moinillons. Me
+repentant d'avoir fait voeu, et désirant en même temps arriver à la
+prêtrise, que je regardais comme le terme de mes peines, je me laissais
+endormir par le prieur, qui me vengeait du mépris que l'on affectait
+pour moi, parce que j'étais le fils d'un jardinier et que je surpassais
+les autres par mes études.
+
+L'on m'avait tant de fois reproché ma naissance que j'en étais honteux.
+Toinette était devenue pour moi un fruit défendu; toujours entourée par
+les supérieurs, pouvait-elle être accessible à un novice? D'ailleurs, je
+ne trouvais plus Suzon; elle avait disparu de chez Mme Dinville, après
+mon entrée chez les célestins. On n'avait appris aucune de ses
+nouvelles. Sa perte m'avait plongé dans la douleur; je l'aimais, un je
+ne sais quoi, plus fort que son tempérament, m'attachait à elle. Les
+lieux où je l'avais vue, où nos coeurs avaient fait le premier essai de
+l'amour, tout m'attristait. Souvenirs agréables, combien je payais cher
+votre absence! Devenu sans objet, ces idées ne m'occupaient plus sans
+douleur.
+
+Mais voilà un garçon bien désoeuvré, dira-t-on; à quoi vous
+occupiez-vous, pauvre Saturnin? Hélas! je me branlais: c'était ainsi que
+j'oubliais mes peines.
+
+Écarté un jour dans un lieu solitaire, où je me croyais sans témoin, je
+me dulcifiais avec une indolence voluptueuse. Un coquin de moine
+m'observait: il n'était pas de mes amis; il parut si brusquement, que
+les bras me tombèrent de surprise. Je restai dans cet état exposé à la
+malignité de ses regards. Je me crus perdu; je crus qu'il allait publier
+mon aventure, et sa façon de m'aborder me donna lieu de craindre.--Ah!
+ah! frère Saturnin, me dit-il, je ne vous croyais pas capable de faire
+de pareilles choses. Vous, le modèle du couvent! vous, l'aigle de la
+théologie! vous...--Eh! morbleu! interrompis-je brusquement, finissons
+ces éloges ironiques; vous m'avez vu me branler, faites-en fête à tout
+le couvent, continuai-je; amenez qui vous voudrez, je vous attends à la
+dixième décharge!--Frère Saturnin, reprit-il de sang-froid, c'est pour
+votre bien que je vous parle: pourquoi vous branler? Nous avons tant de
+novices! c'est un amusement d'honnête homme.--Vous vous rangez sans
+doute dans cette classe, lui dis-je. Tenez, père André, vos discours
+m'impatientent ainsi que vos éloges. Décampez, ou je vous... La vivacité
+avec laquelle je parlai lui fit rompre son sérieux. Il éclata de rire,
+et, me tendant la main: Va, me dit-il, touche là, frère; je ne te
+croyais pas si bon vivant; ne te branle plus: tu es digne d'un meilleur
+sort; laisse cette viande creuse, je veux te faire part de quelque chose
+de plus solide. Sa franchise excita la mienne, je lui tendis la main à
+mon tour. Je ne suis pas défiant, lui dis-je, quand on agit ainsi;
+j'accepte vos offres.--Allons, reprit-il, parole d'honneur, tantôt je
+vous prends à minuit dans votre chambre. Boutonnez votre culotte, ne
+tirez plus votre poudre aux moineaux; vous en aurez besoin. Je vous
+quitte: ne sortez qu'après moi; il ne faut pas qu'on nous voie ensemble:
+cela pourrait nous nuire; à tantôt.
+
+Je demeurai surpris après le départ du moine. Il n'était plus question
+de se branler; occupé de sa promesse, j'y rêvais sans la comprendre. Que
+veut-il dire par cette viande dont il veut me régaler! Si c'est quelque
+novice, je n'en veux pas. Je raisonnais en sot, je n'en avais pas goûté.
+Lecteur, êtes-vous plus habile que je ne l'étais alors? Oui, dites-vous;
+n'est-il pas vrai que ce n'est pas un si mauvais morceau? Le préjugé est
+un animal qu'il faut envoyer paître. Le goût fait tout. Est-il rien de
+plus charmant qu'un joli giton, blancheur de peau, épaules bien faites,
+belle chute de reins, fesses dures, rondes, un cul d'un ovale parfait,
+étroit, serré, propre, sans poil? Ce n'est pas là de ces conasses, de
+ces gouffres où on entre tout botté. Je te vois, censeur atrabilaire, tu
+me reproches mon inconstance, en ce que je loue tantôt le con, tantôt le
+cul. Apprends, nigaud, que j'ai pour moi l'expérience, que j'enfile une
+femme, quand elle se présente, et que je prends mes ébats avec un beau
+garçon. Allez à l'école des sages de la Grèce, allez à celle des
+honnêtes gens de notre temps, vous apprendrez à vivre. Mais mon moine va
+venir, minuit sonne; on frappe, c'est lui: Bon, marchons, père, je vous
+suis. Mais où diable me menez-vous?--A l'église.--Vous vous moquez: pour
+prier Dieu? Serviteur! je vais dormir.--Suivez-moi, morbleu! ne
+voyez-vous pas que je monte dans les orgues? Nous y voilà!
+
+Savez-vous bien ce que j'y trouvai? une table bien garnie, de bon vin,
+trois moines, trois novices et une belle fille de vingt ans, jolie comme
+un ange. Je suivais mon conducteur. Le père Casimir était le chef de la
+bande joyeuse. Il me reçut bien.--Père Saturnin, me dit-il, soyez le
+bienvenu. Le père André m'a fait votre éloge: sa protection le justifie.
+Foutre, manger, rire et boire, telle est ici notre occupation; êtes-vous
+disposé à en faire autant?--Parbleu! oui, lui répondis-je; s'il ne faut
+que soutenir l'honneur du corps, je m'en tirerai aussi bien qu'un autre;
+soit dit, continuai-je, en me tournant du côté de l'assemblée, sans
+diminuer le mérite de vos révérences.--Vous êtes de nos gens, reprit le
+père Casimir: placez-vous ici entre cette charmante enfant et moi; çà!
+décoiffons une bouteille en l'honneur du père: à vous, tope! Et nous
+voilà à flûter. Et vous, lecteur, que ferez-vous pendant que nous
+viderons nos bouteilles? Tenez! amusez-vous à lire ce rogaton.
+
+Le père Casimir était d'une taille médiocre, brun de visage, d'un ventre
+de prélat. Il avait des yeux qui vous enculaient de cent pas, et qui ne
+s'attendrissaient qu'à la vue d'un joli garçon. Alors le bougre, en rut,
+hennissait. Sa passion pour l'antiphysique était si bien établie, que
+les Savoyards le redoutaient. Aisément l'on tombait dans ses filets; il
+était auteur et bel esprit à la mode; censeur caustique, écrivain sec,
+plaisant sans légèreté, ironique sans délicatesse. Il s'était fait un
+nom par des écrits qui n'avaient d'autre mérite que celui de la
+méchanceté. Le succès de ses satires le consolait des coups de bâton
+dont on le régalait quelquefois. Il faut pourtant convenir qu'on avait
+tort de le maltraiter ainsi; car, quoique les satires parussent sous son
+nom, le pauvre père n'y avait souvent d'autre part que le soin qu'il
+s'était donné de rédiger les écrits de ceux qui travaillaient sous ses
+yeux. Il cultivait les petits talents qu'il leur connaissait, leur
+distribuait sa matière, revoyait leur ouvrage, le faisait imprimer, et
+en recueillait souvent des fruits bien amers. Il n'en était pas moins
+hardi; et tel que l'avare qui se console des huées du peuple en ouvrant
+son coffre-fort, les ris qu'il excitait dans le public aux dépens des
+auteurs essuyaient les larmes que ceux-ci lui faisaient verser dans le
+particulier.
+
+Au sein de la littérature, il goûtait le plaisir de se satisfaire sans
+sortir de son cabinet. Les culs de ses myrmidons remplissaient ses
+désirs. Pour prix de leur complaisance, il leur abandonnait sa nièce, et
+la nièce acquittait les dettes de l'oncle. Le portier du couvent étant à
+la dévotion du père, tout entrait aisément: vin, viande, fille, rien
+n'était excepté. On avait préféré les orgues pour de semblables orgies,
+parce qu'on ne pouvait pas soupçonner qu'on passât la nuit dans
+l'église. Une autre raison, c'est qu'on était à portée d'assister aux
+offices, et cette exactitude empêchait de babiller.
+
+Malgré le soin que prenait le père Casimir pour conserver ses élèves, il
+en perdait toujours quelqu'un; j'en dirai la raison: quelquefois
+l'ingratitude est le prix de l'obligation. Ces déserteurs se servaient
+contre le père des traits qu'il leur avait appris à aiguiser contre les
+autres. Un d'eux fit sur lui le sonnet qui suit:
+
+ Un jour dom Happecon, plus arrogant qu'un coq,
+ Las de sentir son vit aussi droit qu'une quille,
+ Sortit de son couvent, enfoncé dans son froc,
+ Et fut chez la Dupré demander une fille.
+
+ Le bougre qui jamais ne foutait qu'en escroc,
+ Pour qui cinq ou six coups n'étaient qu'une vétille,
+ Crut qu'il ne s'agissait que d'essayer le choc,
+ Et tira son engin de dessous sa mantille.
+
+ --Tout beau, dit la putain, rengaîne l'instrument;
+ On commence d'abord par payer largement:
+ De foutre on vit ici, comme au palais, d'épices.
+
+ Le pater étonné de ce foutu cartel,
+ Quitta, faute d'argent, ce pilier de bordel,
+ Et fut, de désespoir, enculer deux novices.
+
+Je ne saurais mieux finir; je quitte le pinceau, de nouveaux coups
+affaibliraient ma peinture. La nièce du père Casimir était brune, vive
+et petite. Si elle perdait au premier coup d'oeil, l'examen la vengeait;
+ménageant avec adresse sa gorge, qui n'était plus absolument belle, elle
+en tirait le meilleur parti. Ses yeux petits, mais noirs, promenaient
+sur vous ses regards enjoués conduits par la coquetterie la plus
+raffinée. Elle enchantait par la vivacité et le sel de ses
+polissonneries. En un mot, c'était tout ce qu'on pouvait souhaiter de
+plus charmant pour attraper le jour, sans s'apercevoir qu'on a passé la
+nuit.
+
+Aussitôt que je me vis placé à côté de cette aimable fille, je sentis
+renouveler ces mouvements confus que j'avais autrefois éprouvés quand le
+hasard m'avait fait découvrir Toinette et le père Polycarpe. La longue
+privation du plaisir m'avait formé pour ainsi dire une seconde nature,
+susceptible d'impressions aussi vives et aussi piquantes; je recommençai
+à vivre, parce que je crus que j'allais revivre pour le plaisir. Je
+regardais ma voisine, dont l'air riant et docile me faisait connaître
+que mes désirs ne languiraient qu'autant de temps que j'aurais la
+simplicité de ne pas les expliquer. Je sentis bien que ce n'était pas
+l'envie de faire la vestale qui la faisait trouver au milieu d'une bande
+de moines: mais le bonheur qu'elle semblait m'offrir me paraissait si
+grand, que j'avais peine à le concevoir; j'étais tremblant, et, dans la
+crainte qu'elle m'échappât, à peine aurais-je pu former le dessein de le
+demander. J'avais la main sur sa cuisse, que je pressais contre la
+mienne; je sentis qu'elle me la prenait et la passait par l'ouverture de
+son jupon; je connus son dessein, je portai bientôt le doigt où elle le
+désirait. Le toucher d'un endroit qui m'était interdit depuis longtemps
+me causa un frémissement de joie qui fut aperçu de la bande, qui me
+cria: Courage, père Saturnin, vous y voilà. Peut-être me serais-je
+déconcerté de cette exclamation, si Marianne (c'était le nom de notre
+déesse) ne m'eût sur-le-champ donné un baiser et déboutonné ma culotte
+d'une main, tandis qu'elle passait l'autre bras autour de mon cou, et,
+empoignant mon vit: Ah! pères, s'écria-t-elle en le leur montrant, en
+avez-vous de cette beauté-là? Il se fit un brouhaha d'admiration, et
+chacun la félicita sur son bonheur prochain. Elle en était enchantée.
+Alors le père Casimir, imposant silence à la troupe, m'adressa la
+parole.--Père Saturnin, me dit-il, disposez de Marianne; vous la voyez,
+dispensez-moi de faire son éloge. Elle est accomplie, elle va vous
+donner tous les plaisirs imaginables; mais ces plaisirs sont à une
+condition.--Quelle est-elle, cette condition? lui répondis-je; faut-il
+vous donner mon sang?--Non.--Quoi donc?--Votre cul.--Mon cul? eh! que
+diable en feriez-vous?--Oh! c'est mon affaire, répondit-il. L'envie de
+baiser Marianne fit que je n'insistai pas. Je me mis en devoir de
+l'enconner, et mon bougre de m'enculer. Un banc nous servit de siège: je
+m'étendis sur elle, le père sur moi. Quoique Casimir me déchirât le cul,
+le plaisir que je goûtais avec sa nièce faisait diversion à la douleur.
+Nous nageâmes bientôt dans les délices. Si quelquefois le plaisir
+m'arrêtait au milieu du travail, Casimir, réveillant ma valeur,
+m'animait à faire aussi bien que lui. Ainsi poussé et poussant, les
+coups de l'oncle allaient retentir dans le con de la nièce, qui, tantôt
+mourant et ressuscitant, surprenait l'assemblée. Il y avait longtemps
+déjà que nous avions laissé derrière nous le père Casimir, qui, surpris
+de l'opiniâtreté du combat, joignit son admiration à celle de la
+compagnie, qui en attendait l'issue. J'étais surpris que Marianne me
+tînt tête, à moi qui croyais avoir rassemblé dans ce moment toutes les
+forces acquises pendant un si long temps. Elle était enragée de ma
+valeur, elle qui avait désarçonné les plus vigoureux, le foutre et le
+sang ruisselaient. Déjà nous avions déchargé quatre fois, quand
+Marianne, fermant l'oeil, baissant la tête, attendait sans mouvement
+que, par une cinquième décharge, je lui donnasse le coup de grâce; elle
+le reçut, et, après l'avoir savouré pendant quelques minutes, s'échappa
+de mes mains et me dit qu'elle se rendait. Fier de ma victoire, je lui
+versai une rasade, j'en pris autant, et nous scellâmes dans le vin notre
+réconciliation.
+
+Ce combat fini, chacun se mit à sa place, et Casimir entama l'éloge de
+la bougrerie. Possédant à fond cette matière, il s'en acquitta bien, il
+passa en revue tous les bougres célèbres: il y trouva des philosophes,
+des papes, des empereurs, des cardinaux. Il remonta à l'aventure de
+Sodome, soutint qu'on avait falsifié, par jalousie, ce mémorable
+événement, et, cédant tout à coup à son enthousiasme, il finit son éloge
+par ces vers:
+
+ Taisez-vous, censeurs indociles,
+ Etourdissez les sots de vos voix imbéciles,
+ Mais n'allez pas fouiller dans l'histoire des temps.
+ Vous osez, ignorants reptiles,
+ Des écrivains les plus habiles
+ Altérer les beautés et corrompre les sens.
+ Sodome, ce n'est point par un souffle funeste
+ Que furent consumés tes heureux habitants;
+ C'est par un feu divin, c'est par un feu céleste:
+ Sodome, que n'étais-je alors de tes enfants!
+
+Le discours du père reçut les applaudissements qu'il méritait et qu'il
+était sûr de recevoir des assistants, en traitant un sujet qui leur
+était si agréable. On foutit encore, tant en cul qu'en con; on but, on
+rit et on se sépara, avec promesse de se retrouver à huitaine, car ces
+banquets ne se faisaient pas tous les jours: les revenus du père
+Casimir, qui régalait ordinairement, n'y auraient pas suffi. Nous nous
+séparâmes les meilleurs amis du monde, Marianne et moi. La pauvre enfant
+ne tarda guère à s'apercevoir qu'il était dangereux de jouer avec moi;
+sa ceinture devint bientôt trop courte: on m'en donna la gloire. Le père
+Casimir prit soin de conduire les choses secrètement; il était juste
+qu'il prît sur lui les risques du hasard auquel il exposait sa chère
+nièce. Elle en sortit à son honneur, et tout aurait été le mieux du
+monde, si cette grossesse inattendue n'avait pas mis le désordre dans
+nos assemblées nocturnes. J'essayai le remède de Casimir, et, sur ses
+traces, je me rendis bientôt redoutable au cul de tous nos novices; mais
+je retombai peu de temps après dans mes anciennes erreurs, et les
+plaisirs du con m'enlevèrent à ceux du cul.
+
+Un beau jour, après avoir chanté ma première messe, le prieur me fit
+avertir d'aller dîner dans sa chambre. J'y fus, et je trouvai avec lui
+quelques anciens qui me reçurent, ainsi que le prieur, avec de vives
+accolades que je ne savais à quoi attribuer. Nous nous mîmes à table, et
+nous fîmes une chère de prieur: c'est tout dire. Quand le vin, que sa
+révérence avait soin de ne pas choisir dans le plus mauvais cru, eut
+répandu la gaieté dans la conversation, je fus surpris d'entendre mes
+doyens, donnant l'essor à leur langue, lâcher les b... et les f... avec
+une aisance que je n'aurais pas attendue de gens que j'avais toujours
+vus sous le masque de la réserve. Le prieur, voyant mon étonnement, me
+dit: Père Saturnin, nous ne nous gênons plus avec vous, parce qu'il est
+temps que vous ne vous gêniez plus avec nous, oui, mon fils, ce temps
+est arrivé. Vous avez reçu le saint ordre de prêtrise, cette qualité
+vous rend aujourd'hui notre égal et me met dans l'obligation de vous
+révéler des secrets importants qui vous ont été cachés jusqu'à présent
+et qu'il serait dangereux de confier à des jeunes gens qui pourraient
+nous échapper et divulguer des mystères qui doivent être ensevelis dans
+un silence éternel; c'est pour m'acquitter de cette obligation que je
+vous ai fait venir ici.
+
+Cet exorde imposant me fit écouter avec attention le prieur, qui dit:
+Vous n'êtes pas de ces esprits faibles que la fouterie effarouche:
+l'action de foutre est naturelle à l'homme. Nous sommes moines, mais on
+ne compte ni le vit ni les couilles, quand nous faisons voeu. Pourquoi
+nous interdire cette fonction toute naturelle? Faut-il, pour exciter la
+compassion des fidèles, aller nous branler dans les rues? Non, il faut
+garder un milieu entre l'austérité et la nature. Ce milieu est de donner
+tout à celle-ci dans nos cloîtres, et le plus que nous pouvons à
+l'austérité dans le monde. Pour cet effet, dans les couvents bien
+réglés, on a quelques femmes avec qui l'on jouit; on oublie dans leurs
+bras les déboires de la pénitence.--Vous me surprenez, lui dis-je, mon
+révérend; ah! pourquoi faut-il qu'une si belle police n'étende pas sa
+sagesse sur nous? Nos convives rirent, et le prieur me répondit: Nous ne
+sommes pas plus dupes que les autres; nous avons ici un endroit où nous
+ne manquons pas de femmes.--Ici! repris-je, et vous ne craignez pas que
+l'on vous découvre?--Non, dit-il, cela est impossible; le continent de
+notre maison est trop vaste pour qu'on s'aperçoive de cet endroit.--Ah!
+m'écriai-je, quand me sera-t-il permis d'aller consoler ces aimables
+recluses?--Les consolations ne leur manquent pas, me répondit-il en
+riant, et votre qualité de prêtre vous donne le droit d'y aller quand
+vous voudrez.--Quand je voudrai? Ah! mon père, je vous somme dès à
+présent de tenir votre parole.--Il n'est pas encore temps; on n'entre
+que sur le soir dans notre piscine, qui est l'appartement de nos soeurs.
+Personne n'en a la clef; il n'y en a que deux, l'une entre les mains du
+père dépensier, l'autre entre les miennes.
+
+Ce n'est pas tout, père Saturnin, continua le prieur; lorsque vous
+saurez que vous n'êtes pas le fils d'Ambroise, vous serez doublement
+étonné. (Je fus effectivement si interdit, que je n'eus pas la force
+d'ouvrir la bouche.) Vous n'êtes pas le fils d'Ambroise, poursuivit le
+prieur, ni celui de Toinette; votre naissance est plus relevée. Notre
+piscine vous a vu naître: une de nos soeurs vous a donné le jour.--S'il
+en est ainsi, m'écriai-je, revenu de ma surprise, pourquoi m'avez-vous
+toujours envié la douce satisfaction d'embrasser ma mère, si elle vit
+encore?--Père Saturnin, me dit le prieur attendri, vos reproches sont
+justes; mais croyez que ce n'est pas par défaut de tendresse qu'on vous
+a interdit notre piscine. L'amour que nous avons pour vous a longtemps
+combattu contre nos règles; mais il faut de l'ordre, et le temps nous
+met aujourd'hui en état de faire cesser vos plaintes. Dès tantôt vous
+aurez le plaisir que vous souhaitez, vous embrasserez votre mère.--Que
+je suis impatient, m'écriai-je, de me voir dans ses bras!--Modérez-vous,
+le sacrifice ne sera pas long. Déjà la nuit s'avance, et l'heure viendra
+sans y penser. Nous souperons à la piscine, on vous y attend. Ne
+paraissez au réfectoire que pour le décorum; vous viendrez nous
+retrouver ici.
+
+Le plaisir de voir ma mère y entrait pour quelque chose, mais
+l'espérance de me livrer à l'amour offrait à mon coeur une immensité de
+désirs que tous les efforts de mon imagination ne me rendaient que
+faiblement. Le voilà donc arrivé, me disais-je, ce temps si souhaité!
+Heureux Saturnin, plains-toi de ton sort! Dans quel état de la vie
+aurais-tu trouvé ce que l'on vient de t'annoncer aujourd'hui.
+
+L'heure vint; je retournai chez le prieur, où je trouvai cinq ou six
+moines. Nous partîmes dans un profond silence. Nous marchâmes jusqu'à
+ces antiques chapelles qui servaient de rempart à la piscine d'un côté;
+nous descendîmes sans lumière dans un caveau dont l'horreur semblait
+être ménagée pour préparer un nouveau charme au plaisir qui devait le
+suivre. Ce caveau, que nous traversâmes à l'aide d'une corde attachée
+contre le mur, nous conduisit à un escalier éclairé par une lampe. Le
+prieur ouvrit la porte qui fermait cet escalier. Nous entrâmes, par un
+petit détour, dans une salle galamment meublée, autour de laquelle
+étaient quelques lits commodes pour les combats de Vénus. Nous y vîmes
+les apprêts d'un magnifique repas. Personne n'arrivait encore; mais au
+bruit d'une sonnette que le prieur tira, une vieille cuisinière parut,
+suivie de six soeurs qui me semblèrent charmantes. Chacune choisit son
+chacun; je restai seul témoin de leurs transports, piqué de
+l'indifférence qu'on semblait me témoigner; mais j'eus bientôt mon tour,
+et je fus dédommagé avec usure.
+
+Le maigre n'était pas plus observé à la piscine qu'au repas du père
+Casimir. Les viandes les plus exquises furent servies avec toute la
+propreté possible: chacun, à côté de sa belle, mangeait, buvait,
+patinait, parlait foutaise. On me faisait la guerre sur mon peu
+d'appétit; je me défendais mal, uniquement occupé du désir de retrouver
+ma mère, ou plutôt celui de m'escrimer avec quelqu'une de nos soeurs. Je
+cherchais des yeux celle qui m'avait donné l'être: l'air de fraîcheur et
+de jeunesse qu'elles avaient toutes ne me dénotait pas qu'aucune fût ma
+mère. Quoique occupées avec les pères, elles me lançaient des regards
+qui renversaient mes conjectures. Je m'imaginais sottement que je
+reconnaîtrais ma mère au respect, à la tendresse que j'avais pour elle;
+mais mon coeur parlait pour toutes, et je bandais en l'honneur de
+chacune d'elles.
+
+Mon inquiétude divertissait la compagnie. Quand on eut assez mangé, il
+fut question de foutre. Le feu brillait dans les yeux de nos adorables,
+et, comme nouveau venu, je commençai la danse.--Allons, père Saturnin,
+me dit le prieur, il faut faire assaut avec la soeur Gabrielle, ta
+voisine. J'avais déjà préludé avec elle par des baisers donnés et reçus;
+sa main avait même été jusqu'à ma culotte, et quoiqu'elle fût la moins
+jeune de la compagnie, je lui trouvais assez de charmes pour ne pas
+envier le sort des autres. C'était une grosse blonde qui n'avait d'autre
+défaut que son embonpoint. Sa peau était d'une blancheur éblouissante,
+la plus belle tête du monde, des yeux grands et bien fendus. La passion
+les rendaient tendres et mourants, mais ils étaient vifs et brillants
+pour le plaisir.
+
+L'exhortation du prieur n'avait pas prévenu mes désirs; Gabrielle les
+avait excités, elle se prêta galamment à les satisfaire.--Viens, mon
+roi, me dit-elle, je veux avoir ton pucelage; viens le perdre dans un
+endroit où tu as reçu la vie! Je tremblai à ce mot. Sans avoir plus de
+vertu, j'avais acquis chez les moines des connaissances qui ne me
+permettaient pas d'être avec Gabrielle ce que j'avais été avec Toinette.
+J'allais l'enfiler, un reste de honte m'arrêta; je reculai.--Ah! ciel,
+dit Gabrielle, est-il possible que ce soit là mon fils? Ai-je pu mettre
+au monde un tel lâche? Foutre sa mère lui fait peur.--Ma chère
+Gabrielle, lui dis-je en l'embrassant, contentez-vous de mon amour; si
+vous n'étiez pas ma mère, je ferais mon bonheur de vous posséder;
+respectez une faiblesse que je ne puis vaincre.
+
+L'apparence même de la vertu est respectable aux coeurs les plus
+corrompus. Mon action fut louée des moines; ils convinrent de leur tort;
+il n'y en eut qu'un qui voulut entreprendre de me convertir.--Pauvre
+sot, me dit-il, pourquoi t'effrayer d'une action indifférente? La
+fouterie n'est-elle pas la conjonction de l'homme et de la femme? Cette
+conjonction est ou naturelle ou défendue par la nature. Elle est
+naturelle, puisque leur penchant invincible les entraîne l'un vers
+l'autre. Si ce penchant est dans leur coeur, l'intention de la nature
+est donc qu'on le satisfasse indistinctement. Si Dieu a dit à nos
+premiers pères de croître et de multiplier, comment entendait-il que la
+multiplication se fît? Adam avait des filles, il les foutait. Ève avait
+des fils qui faisaient avec elle ce que leur père faisait avec leurs
+soeurs. Descendons au déluge. Il ne restait dans le monde que la famille
+de Noé; il fallait nécessairement que le frère couchât avec la soeur, le
+fils avec sa mère, le père avec sa fille, pour repeupler la terre.
+Allons plus loin: Loth fuit de Sodome; ses filles qui avaient devant les
+yeux l'intention du Créateur, et qui venaient de voir leur bonne femme
+de mère changée en statue pour avoir été trop curieuse, s'écrièrent dans
+l'amertume de leur coeur: Hélas! le monde va donc finir? Elles auraient
+été coupables aux yeux de Dieu si elles n'avaient pas rétabli ce qu'il
+venait de détruire; et Loth, pénétré de cette vérité, y contribua de
+tout son pouvoir. Voilà la nature dans sa première simplicité. Les
+hommes, soumis à ses lois, se faisaient un devoir de les suivre; mais
+bientôt corrompus par les passions, ils oublièrent la volonté de cette
+tendre mère; ils ne voulurent pas rester dans l'état heureux où elle les
+avait placés; ils renversèrent tout, se forgèrent des chimères qu'ils
+qualifièrent de vertus et de vices, inventèrent des lois qui, au lieu de
+faire naître la vertu, engendrèrent le vice. Ces lois ont fait les
+préjugés, et ces préjugés, adoptés par les sots et sifflés par les
+sages, se sont fortifiés d'âge en âge. Il fallut donc que ces
+impertinents législateurs, en renversant les lois de la nature,
+refondissent les coeurs qu'elle nous avait donnés; il fallut qu'ils
+réglassent nos désirs, qu'ils y missent des bornes. La nature, au fond
+de notre coeur, réclame contre l'injustice de leurs lois; en un mot, la
+fouterie sans distinction est d'institution divine, et la fouterie
+distincte est d'institution humaine. L'une est aussi élevée au-dessus de
+l'autre que le ciel l'est au-dessus de la terre. Peut-on, sans se rendre
+criminel, écouter l'homme préférablement à Dieu? Non, non, et saint
+Paul, interprète sacré des volontés du ciel, a dit: Plutôt que de
+brûler, foutez, mes enfants, foutez! Il est vrai que, pour ne pas
+choquer la faiblesse des petits génies, il met un correctif à sa pensée
+et se sert de l'expression: Mariez-vous; mais, au fond, c'est la même
+chose: on ne se marie que pour foutre. Ah! que j'en dirais bien plus si
+je ne me sentais pressé de suivre le conseil de saint Paul.
+
+On rit de la saillie du père; déjà le ribaud se levait et, le braquemart
+à la main, menaçait tous les cons de la salle.--Attendez! dit une soeur
+nommée Madelon; pour punir Saturnin, il me vient une idée.--Quelle
+est-elle? lui demanda-t-on,--C'est, répondit-elle, de le faire coucher
+sur un lit; Gabrielle s'étendra sur son dos, et le père qui vient de
+parler comme un oracle exploitera Gabrielle! Les ris redoublèrent; j'en
+ris moi-même, et dis que j'y consentais, à condition que pendant que le
+père foutrait sur mon dos, je foutrais, moi, avec la donneuse
+d'avis.--J'y consens, reprit-elle, pour la rareté du fait. Chacun
+applaudit, nous nous mîmes en posture. Figurez-vous quel spectacle ce
+devait être! Le père ne poussait aucun coup à ma mère qu'elle ne le lui
+rendît sur-le-champ au triple, et son cul, en retombant sur le mien, me
+faisait enfoncer dans le con de Madelon, ce qui faisait un ricochet de
+fouterie tout à fait divertissant; non pas pour nous, car nous étions
+trop occupés pour nous amuser à rire. Il n'eût tenu qu'à moi de me
+venger de Madelon, en laissant tomber le poids de trois corps sur le
+sien; mais elle était trop amoureuse, travaillait de trop bon coeur pour
+me laisser concevoir une telle pensée. Je la soulageais de mon mieux;
+elle en eut pourtant la peine; mais ce fut plutôt un surcroît de volupté
+pour elle, car ayant senti les délices de la décharge avant nos fouteurs
+d'en haut, le plaisir me rendit immobile. Gabrielle le sentit, et ses
+coups de cul, avec vivacité, faisaient pour moi ce que je n'étais plus
+en état de faire, et, en m'agitant, allaient donner de nouveaux
+ébranlements de plaisir à Madelon, qui déchargeait aussi. Nos fouteurs
+finirent et joignirent leur extase à la nôtre. Nos quatre corps n'en
+firent plus qu'un; nous mourions, nous nous confondions l'un dans
+l'autre.
+
+Notre éloge sur cette façon de goûter les plaisirs excita les moines et
+les soeurs. Ils se mirent en devoir de foutre en quatrain,--c'est le nom
+que nous donnâmes à cette posture,--et nous à leur donner l'exemple.
+C'est ainsi que les plus belles découvertes qu'on ait faites dans la
+nature sont dues au hasard.
+
+Gabrielle était si charmée de cette invention, qu'elle avoua qu'elle
+avait eu autant de plaisir qu'elle en avait goûté en me faisant. Curieux
+de savoir comment la chose s'était passée, nous la priâmes de la
+raconter.--J'y consens, nous dit-elle, et d'autant plus volontiers que
+Saturnin ne connaît encore que sa mère, sans savoir d'où elle vient ni
+comment elle s'est trouvée ici. Permettez-moi, mes révérends, de l'en
+instruire, et de remonter un peu plus haut que le jour que vous
+souhaitez que je vous rappelle. Mon ami, continua-t-elle en m'adressant
+la parole, tu ne te vanteras pas d'une longue suite d'aïeux illustres:
+je n'en ai jamais connu. Je suis fille d'une loueuse de chaises de ce
+couvent, et sans doute de quelqu'un des pères qui vivaient alors, car
+elle était trop vive et trop amie du couvent pour que je puisse penser
+que je dois le jour à son bonhomme de mari.
+
+A dix ans je ne démentais pas mon sang; je connaissais l'amour avant de
+me connaître; les pères cultivaient mes heureuses inclinations. Un jeune
+profès me donna des leçons si sensibles que j'aurais cru payer les
+autres d'ingratitude si je ne leur avais fait connaître que j'étais en
+état de leur en donner moi-même. Je m'étais déjà acquittée de mon devoir
+envers chacun d'eux, quand ils me firent la proposition de me mettre
+dans un endroit où je renouvellerais mes payements aussi souvent que je
+le voudrais. Je n'avais pu le faire jusqu'alors qu'à la sourdine: tantôt
+derrière l'autel, tantôt devant, tantôt dans un confessionnal, rarement
+dans les chambres. L'idée de la liberté me flatta; j'acceptai les
+offres, j'entrai ici.
+
+En y entrant, j'étais parée comme une jeune fille qu'on mène à l'autel.
+L'idée de mon bonheur répandait un air de sérénité sur mon visage qui
+charmait tous les pères. Tous brûlaient de me voir, et chacun briguait
+la gloire de me le mettre. Je vis le moment où le festin de ma noce
+allait finir comme celui des Lapithes.--Mes révérends, leur dis-je,
+votre nombre ne m'épouvante pas; mais je présume peut-être trop de mes
+forces: je succomberais, vous êtes vingt; la partie n'est pas égale; Je
+vais vous proposer un accommodement. Il faut nous mettre nus! (Et, pour
+leur en donner l'exemple, je commençai la première. Robe, corset,
+chemise, tout partit dans la minute. Je les vis tous dans le même état
+que moi; mes soeurs étaient aussi nues. Mes yeux savourèrent un moment
+le charmant spectacle de vingt vits roides, gros, longs, durs comme fer,
+et qui se présentaient fièrement au combat.) Allons, repris-je, il est
+temps de commencer. Je vais me coucher sur ce lit; j'écarterai assez les
+cuisses pour qu'en accourant sur moi le vit à la main, vous m'enfiliez
+l'un après l'autre, car il faut que le sort règle le pas; les maladroits
+n'auront pas à se plaindre, puisqu'en me manquant ils trouveront des
+cons tout prêts sur qui ils pourront décharger leur colère. Voilà,
+messieurs, ce que j'avais à vous proposer. Ils applaudirent tous à cet
+heureux essor de mon imagination. On tire au sort, je tends la bague, on
+court: un, deux, trois passent sans m'enfiler, et vont tomber sur mes
+soeurs, qui leur font oublier leur malheur par toutes sortes de
+plaisirs. Un quatrième vient, c'était vous, père prieur. Ah! je payai
+votre adresse par les transports les plus vifs; et si le plaisir qu'on
+goûte par une décharge mutuelle fait concevoir, vous partagez la gloire
+d'avoir fait Saturnin avec quatre ou cinq de ceux qui vous suivirent.
+Oui, mon ami, continua-t-elle eu s'adressant à moi, tu as l'avantage
+d'être au-dessus des autres hommes, qui peuvent bien dire le jour de
+leur naissance, mais non pas celui où ils ont été faits.
+
+Telles étaient nos conversations dans la piscine, tels étaient les
+plaisirs que nous y goûtions. Je ne m'y rendais pas le dernier. Toutes
+les nuits j'allais chez le prieur ou chez le dépensier: J'étais
+infatigable; je conduisais toujours la bande joyeuse. Bref, j'étais
+l'âme et les délices de la piscine; tout, jusqu'aux vieilles, tout tâta
+de mon vit. La réflexion cependant perçait quelquefois au milieu de mes
+plaisirs; toutes nos soeurs me paraissaient charmées de leur sort. Je ne
+pouvais concevoir que des femmes, dont le naturel est vif et dissipé,
+eussent pu, sans frayeur, concevoir le dessein de passer leur vie dans
+une pareille retraite, y vivre sans dégoût et être sensibles à des
+plaisirs achetés par un esclavage éternel. Elles riaient de mon
+étonnement, et ne pouvaient elles-mêmes concevoir que je pusse avoir de
+pareilles idées.--Tu connais bien peu notre tempérament, me disait un
+jour une d'entre elles extrêmement jolie, et que le libertinage, fruit
+trompeur d'une éducation cultivée, avait fait jeter dans les bras de nos
+moines; n'est-il pas vrai, me disait-elle, qu'il est plus naturel d'être
+sensible au bien qu'au mal? J'en convenais. Ferais-tu difficulté,
+reprenait-elle, de sacrifier une heure du jour à la douleur, si l'on
+t'assurait que l'heure suivante se passerait dans une extrême
+joie?--Non, assurément, lui disais-je.--Eh bien, poursuivit-elle, au
+lieu d'une heure mets un jour; de deux, l'un sera pour le chagrin et
+l'autre pour le plaisir; je te crois trop sage pour refuser un pareil
+parti si l'on te l'offrait. Je dis plus: l'homme le plus indifférent ne
+le refuserait pas, et la raison en est toute naturelle. Le plaisir est
+le premier mobile de toutes les actions des hommes; il est déguisé sous
+mille noms différents, suivant les différents caractères. Les femmes ont
+de commun avec vous tous les caractères possibles; mais elles ont
+au-dessus l'impression victorieuse du plaisir de l'amour; leurs actions
+les plus indifférentes, leurs pensées les plus sérieuses naissent toutes
+dans cette source et portent toujours, quoique déguisées, la marque du
+fond d'où elles sortent. La nature nous a donnés des désirs bien plus
+vifs, et par conséquent bien plus difficiles à satisfaire que les
+vôtres. Quelques coups suffisent pour abattre un homme, et ne font que
+nous animer, mettons-en six; une femme ne recule pas après douze. Le
+sentiment du plaisir est donc au moins une fois aussi vif dans une femme
+qu'il l'est dans un homme, et si tu te croyais heureux de payer un jour
+de joie par un jour de chagrin, trouverais-tu étrange que j'en donnasse
+deux? Serais-tu surpris que je passasse les deux tiers de ma vie dans la
+peine pour passer l'autre tiers dans le plaisir? J'ai mis les choses
+égales entre nous: quand tu nous vois continuellement occupées de ce qui
+fait le souverain bonheur des femmes, quand nous sommes continuellement
+dans vos bras, dis-moi, crois-tu que nous puissions songer à la peine,
+qu'elle ait quelque empire sur nous? Ne trouveras-tu pas notre condition
+mille et mille fois plus heureuse que celle de ces filles imprudentes
+qui, nées avec des inclinations aussi violentes que celles des autres
+femmes, viennent porter dans la solitude des désirs qui ne seront jamais
+apaisés par les embrassements d'un homme? Qu'ils seraient plus vifs, ces
+désirs, s'il était possible de nous refroidir! Nous ne regrettons rien
+ici. Libres des inquiétudes de la vie, nous n'en connaissons que les
+charmes; nous ne prenons de l'amour que les agréments et nous ne
+remarquons la différence des jours que par la diversité des plaisirs
+qu'ils nous procurent. Désabuse-toi, père Saturnin, si tu nous crois
+malheureuses.
+
+Je ne m'attendais pas à trouver des pensées aussi justes dans une fille
+que je ne croyais capable que de sentir le plaisir. Né pour le goûter,
+je profitai de l'heureux penchant qui me la livrait, et nous satisfîmes
+à loisir nos transports.
+
+L'homme n'est pas né pour être toujours heureux; je devins rêveur.
+J'étais en fouterie ce qu'Alexandre était en ambition: je désirais de
+foutre toute la terre, et après elle un nouveau monde. Depuis six mois
+j'avais toujours remporté le prix dans les combats amoureux, et du plus
+brave que j'étais je devins bientôt le plus lâche. L'habitude du plaisir
+en avait émoussé la pointe, et j'étais avec nos six soeurs ce qu'un mari
+est avec sa femme. Le mal de mon esprit influa bientôt sur mon corps; on
+m'en fit des reproches qui ne glissèrent que sur mon coeur, et il ne
+fallait pas moins que toute la tendresse du prieur pour me faire aller à
+la piscine. Il engagea nos soeurs à travailler à ma guérison: elles ne
+négligèrent rien pour y réussir; non seulement elles employèrent tous
+leurs charmes naturels, mais elles y joignirent encore ce que l'art le
+plus consommé peut suggérer à une vieille coquette fouteuse. Tantôt se
+rangeant en cercle autour de moi, elles offraient à ma vue les tableaux
+les plus lascifs: l'une, mollement appuyée sur un lit, laissait voir
+négligemment la moitié de sa gorge; une petite jambe faite au tour, des
+cuisses plus blanches que la neige me promettaient le plus beau con du
+monde; l'autre dans l'attitude d'une femme qui se prépare au combat,
+marquait l'ardeur qui la consumait; d'autres, dans des postures
+différentes, en se chatouillant le con, exprimaient par leurs soupirs
+les plaisirs qu'elles ressentaient. Tantôt elles se mettaient nues, et
+me présentaient la volupté dans tout son jour. Celle-ci, appuyée sur un
+canapé, me montrait le revers de la médaille, et, passant la main sous
+son ventre, elle écartait les cuisses et se branlait, de manière qu'à
+chaque mouvement que faisait son doigt je voyais l'intérieur de cette
+partie qui m'avait autrefois causé de si vives émotions. Une autre,
+couchée sur un lit de satin noir, me présentait la même image que
+l'autre ne me présentait qu'à l'envers; une troisième me faisait coucher
+par terre entre deux chaises, et, mettant ensuite un pied sur l'une et
+un pied sur l'autre, elle s'accroupissait, et son con se trouvait
+perpendiculairement sur mes yeux. Dans cette situation, je la voyais
+travailler avec un godmiché, tandis qu'une autre foutait devant moi de
+toutes ses forces avec un moine, nu comme elle. Enfin, on offrit à ma
+vue les images les plus lubriques, tantôt à la fois, tantôt
+successivement.
+
+Quelquefois on me couchait tout nu sur un banc; une soeur se mettait à
+califourchon sur ma gorge, de sorte que mon menton était enveloppé dans
+le poil de sa motte; une autre se mettait sur mon ventre; une troisième,
+qui était sur mes cuisses, tâchait de s'introduire mon vit dans le con;
+deux autres s'étaient placées à mes côtés, de façon que je tenais un con
+de chaque main; une autre enfin,--celle qui avait la plus belle
+gorge,--était à ma tête, et, s'inclinant, elle me pressait le visage
+entre ses tétons; toutes étaient nues, toutes se grattaient, toutes
+déchargeaient: mes mains, mes cuisses, mon ventre, ma gorge, mon vit,
+tout était inondé, je nageais dans le foutre et le mien refusait de s'y
+joindre. Cette dernière cérémonie appelée par excellence la _question
+extraordinaire_, fut aussi inutile que les précédentes: on me tint pour
+un homme confisqué, et l'on abandonna la nature à elle-même.
+
+Tel était mon état, quand, en me promenant un jour dans le jardin, seul,
+rêvant au malheur de ma destinée, je rencontrai le père Siméon, homme
+profond, qui avait blanchi dans les travaux de Vénus et de la table, et,
+tel que le vieux Nestor, avait vu plusieurs fois renouveler le couvent.
+Il vint à moi, et, m'embrassant tendrement, me dit: O mon fils! votre
+douleur est grande, mais ne vous alarmez pas, je veux vous guérir. La
+trop grande dissipation, mon ami, a causé votre mal: il faut réveiller
+votre appétit malade par quelques mets succulents, et c'est une dévote
+qu'il vous faut. Le flegme du père me fit rire. Vous riez, me dit-il, je
+vous parle sérieusement. Vous ne connaissez pas les dévotes, vous
+ignorez leurs ressources pour rallumer les feux éteints. Je l'ai éprouvé
+moi-même. Temps heureux où je faisais retentir les voûtes du couvent en
+frappant avec mon vit, hélas! qu'êtes-vous devenu? On ne parle plus du
+vigoureux père Siméon; ce n'est plus qu'un vieillard cassé; son sang est
+glacé dans ses veines, ses couilles sont sèches, son vit est disparu:
+tout meurt! J'avais toutes les envies d'éclater, mais la crainte de
+l'indisposer me retint. O mon fils, poursuivit-il, profitez de votre
+jeunesse. Le seul moyen de vous tirer de votre léthargie, c'est de vous
+mettre au régime, d'avoir recours à une dévote; mais, pour cet effet, il
+faut avoir la liberté de confesser, et je me charge de vous l'obtenir
+auprès de Monseigneur. Je remerciai le père, et, sans avoir grande foi
+en son secret, je le priai de s'y employer; il me le promit. Ce n'est
+pas tout, continua-t-il, il vous faut un guide avant d'entrer dans cette
+carrière, et je veux vous en servir.
+
+Vous savez, mon fils, que la confession vient de nos ancêtres,
+c'est-à-dire des prêtres et des moines. J'ai toujours admiré le génie
+profond de ces hommes célèbres qui établirent la confession. Depuis ce
+temps tout a changé de face; les biens ont fondu sur nous; nos richesses
+ont grossi à l'ombre de ce tribunal auguste. Béni soit Dieu! _Amen!_
+
+Je ne vous parlerai pas de l'excellence du poste de confesseur: ayez
+seulement de la discrétion, de la douceur et de la condescendance pour
+les faiblesses humaines, et les femmes vous adoreront. Je ne dirai point
+quel parti vous devrez tirer de leurs heureuses dispositions par rapport
+à votre fortune, cela vous regarde; je vous conseille de plumer
+impitoyablement ces vieilles bigotes qui viennent à votre confessionnal
+moins pour se réconcilier avec Dieu que pour voir un beau moine. Faites
+grâce aux jolies, parce que je la leur ai faite: elles me payaient
+différemment.
+
+Une jeune fille, par exemple, ne peut faire de présents; mais elle peut
+donner son précieux pucelage. Il faut user d'adresse pour lui ravir ce
+bijou. Fixez-vous à ces jeunes dévotes: elles pourront vous guérir; ne
+vous livrez pourtant pas sans ménagement à la vivacité que pourrait vous
+inspirer l'espoir de votre guérison. Il y a moins de risque à se
+déclarer à une femme aguerrie qu'à une jeune personne chez qui la
+passion n'a pas encore triomphé des préjugés de l'éducation. Une femme
+vous entend à demi-mot; son coeur a déjà fait la moitié du chemin avant
+de vous être expliqué: il n'en est pas de même d'une jeune fille; mais
+s'il est difficile de la vaincre, la victoire en est plus douce. Je vais
+vous en tracer la route. Dans toutes, vous trouverez un penchant à
+l'amour. Le grand art est de savoir manier ce penchant. Telle qui paraît
+modeste, les yeux baissés et la démarche composée, couve un feu sous la
+cendre, prêt à s'allumer au vent de l'amour. Parlez, elle n'opposera
+qu'une faible résistance à vos premières attaques; pressez, votre
+victoire est certaine.
+
+D'autres, dont le tempérament est moins vif, moins impétueux, donneront
+plus d'exercice à votre adresse. Avec celles-ci, mêlez les caresses de
+l'amant aux remontrances du directeur; échauffez leur naturel par des
+discours débités avec art; informez-vous adroitement des progrès
+qu'elles ont faits dans la science de se procurer du plaisir; levez le
+voile qui leur cachait des voluptés inconnues; découvrez-leur tous les
+mystères de l'amour; faites-leur-en des peintures riantes qui échauffent
+leur sensualité; montrez-leur le plaisir dans les attitudes les plus
+séduisantes pour exciter leurs désirs. Vous objecterez peut-être qu'il
+est difficile de réussir dans un art aussi dangereux; point du tout, il
+ne faut que de l'adresse. Je conviens qu'il serait dangereux d'encenser
+leurs désirs; mais n'est-il pas mille moyens de concilier leur coeur et
+leur raison? Que les portraits que vous leur ferez des plaisirs
+paraissent faits moins pour les engager à s'y livrer que dans la vue de
+les en détourner; insistez sur les plaisirs; soyez court sur les
+conséquences: la raison s'opposera vainement aux impressions que vos
+discours feront dans leur coeur. Rassurez-les du côté du ciel; détruisez
+leurs préjugés du côté du monde; faites-leur envisager qu'il est
+dangereux de garder trop longtemps une fleur qui se fane; qu'il est si
+doux de la laisser cueillir, que sa perte est idéale. Ajoutez qu'il est
+mille secrets pour empêcher la grossesse. Examinez alors leur visage,
+vous le verrez enflammé. Laissez tomber votre main sur leurs tétons;
+pressez-les, et bientôt vous entendrez leurs soupirs, fidèles
+interprètes des sentiments de leur coeur. Joignez vos soupirs aux leurs,
+appliquez un baiser sur leur bouche, offrez-vous pour consolateur de
+leurs peines. L'aveu de ce qui se passe dans le coeur établit la
+confiance, on ne rougit plus d'être faible avec des faibles, on se
+console réciproquement.
+
+Le discours du père Simon m'avait échauffé l'imagination; il m'avait si
+fort ému, que je ne doutai plus de la possibilité d'une chose que
+j'avais prise pour un badinage. Je réitérai mes instances auprès du
+père, qui obtint bientôt ce que je demandais.
+
+Il me tardait de me voir érigé en médiateur entre les pécheurs et le
+Père des miséricordes. Je me réjouissais d'avance de l'aveu que pourrait
+me faire une fille timide d'avoir donné à son tempérament la
+satisfaction qu'il demandait. Je fus au confessionnal prendre possession
+de mon poste.
+
+On dit qu'un grand philosophe avait la faiblesse de rentrer chez lui et
+d'y rester tout le jour, quand, en sortant le matin, une vieille était
+la première personne qu'il rencontrât. Si l'exemple de ce philosophe
+avait été une règle pour moi, j'aurais sur-le-champ déserté le
+confessionnal; mais je tins bon, et je m'armai de courage contre l'ennui
+que devait me causer la confession d'une vieille qui se présenta.
+
+J'essuyai patiemment un déluge de balivernes que je payai par des
+maximes de morale si consolantes, que ma vieille, charmée, m'aurait
+d'abord donné des marques de satisfaction, si le grillage ne se fût pas
+trouvé entre nous. Pour me dédommager, elle me voua un attachement à
+l'épreuve de toutes les tentatives que les autres directeurs pourraient
+faire pour me l'enlever. Je lui passai son transport en faveur du profit
+que j'en pourrais tirer. _Bon pour plumer_, me dis-je en moi-même; mais
+pour cela il fallait sonder le terrain. Elle était babillarde; je la mis
+sur le chapitre de sa famille. Grandes invectives d'abord contre un
+traître de mari, qui portait ailleurs ce qui lui appartenait: elle était
+blessée dans l'endroit le plus sensible; autres invectives contre son
+fils, qui suivait l'exemple du père; elle ne louait que sa fille, une
+fille dont l'occupation et le plaisir étaient le travail et la
+prière.--Ah! ma chère soeur, m'écriai-je alors d'un ton de tartufe, que
+vous devez être charmée de vous voir revivre dans une pareille fille!
+Mais cette sainte âme vient-elle à notre église? Que je serais édifié de
+la voir!--Vous la voyez tous les jours ici, me répondit la vieille; elle
+est aussi belle qu'elle est dévote; mais dois-je parler de beauté devant
+vous, qui êtes des saints? Vous méprisez cela.--Ma chère soeur,
+repris-je, nous croyez-vous assez injustes pour refuser d'admirer les
+beaux ouvrages du Créateur, surtout quand ce qu'ils ont de mondain se
+trouve réparé par tant de vertus célestes? Ma vieille, enthousiasmée du
+tour que j'avais donné à ma curiosité, me dépeignit sa sainte, que je
+reconnus pour une brune piquante qui venait à nos offices. Père Siméon,
+me dis-je alors, voilà de nos dévotes; ménageons celle-ci: elle pourrait
+bien vous rendre prophète. Crainte d'effaroucher la mère, je remis à une
+seconde séance d'engager sa fille à se ranger au nombre de mes
+pénitentes, et je lui donnai l'absolution, tant pour le passé que pour
+le présent. Je l'aurais même donnée pour l'avenir si elle avait voulu:
+cela ne coûte rien. Je l'engageai cependant à venir se rafraîchir
+souvent dans les eaux de la pénitence. Ainsi finit ma première
+expédition.
+
+Il me semble que je vous entends crier: Allons, dom Saturnin, vous voilà
+dans le bon chemin; vous êtes en train de vous guérir, à ce qu'il
+paraît. Oui, lecteur, oui, la sainteté du caractère dont je viens d'être
+revêtu commence à opérer; Dieu soit loué! Que la grâce est puissante! Je
+bande déjà assez pour me faire croire que je banderai bientôt davantage.
+
+Je ne manquai pas le lendemain d'aller à l'office: on s'imagine bien à
+quelle intention. Je vis ma brune qui priait Dieu de tout son coeur. La
+voilà, me dis-je, cette charmante enfant, ce modèle de toutes les
+vertus! Ah! quel plaisir de croquer un morceau aussi délicat! Quel
+ravissement de donner à cela la première leçon du plaisir amoureux!
+_Vivat!_ je suis guéri, je bande comme un carme: pourquoi ne pas dire
+comme un célestin? valent-ils moins que les autres? Mais ma dévote me
+regarde: sa mère lui aurait-elle parlé de moi? Ah! vite, apaisons le feu
+que sa vue m'inspire: branlons-nous! Le roulement d'yeux que me causait
+le plaisir fut pris pour un excès de dévotion. Le plaisir que j'avais en
+me branlant à l'intention de ma dévote m'était un sûr garant de celui
+que j'aurais si j'en pouvais faire davantage. J'attendais de mon adresse
+un bonheur que le hasard me procura quelques jours après.
+
+J'étais un jour sorti du couvent. Le portier, quand je rentrai, me dit,
+en m'ouvrant la porte, qu'une jeune dame m'attendait et voulait me
+parler. Je courus au parloir; mais, ô surprise! je reconnus ma dévote.
+Me voyant, elle se jeta à mes pieds.--Ayez pitié de moi! me dit-elle en
+pleurant.--Qu'avez-vous donc? lui demandai-je en la relevant. Parlez, le
+Seigneur est bon, il voit vos larmes, ouvrez votre coeur à son ministre.
+En voulant parler, elle tomba évanouie dans mes bras, Que faire?
+J'allais crier au secours, quand la réflexion me dit: Où vas-tu?
+attends-tu une plus belle occasion? Je m'approche de ma dévote, la
+délace, lui découvre la gorge. Jamais plus beau sein ne s'offrit à ma
+vue. En écartant sa robe et sa chemise, je crus ouvrir le paradis. Je
+fixai mes yeux sur deux globes blancs et fermes comme le marbre; je les
+baisais, je les pressais; je collais ma bouche sur la sienne: je
+réchauffais son souffle. Enfin, je prends ma dévote amoureusement. Une
+palpitation subite me saisit. Je la quitte et reste tremblant à la
+considérer; tout à coup soufflant la lumière, je la reprends dans mes
+bras et gagne ma chambre avec ce cher fardeau. Dieux! qu'il était léger!
+Je la mets sur mon lit, rallume ma bougie et la considère de nouveau. Je
+découvre sa gorge, lève ses jupes, écarte ses cuisses; j'examine,
+j'admire. Quel spectacle! l'amour, les grâces embellissaient son corps.
+Blancheur, embonpoint, fermeté, tout charmait la vue. Las d'admirer sans
+jouir, je portai la bouche et les mains sur ce que je venais de voir;
+mais à peine y eus-je touché, que ma dévote soupira et porta sa main où
+elle sentait la mienne. Je la baise sur la bouche, elle veut se
+débarrasser; inquiète, elle cherche à pénétrer où elle est. Mon ardeur
+produit sur moi le même effet; je ne la quitte pas. Elle veut s'arracher
+de mes bras, je résiste, je la renverse; furieuse, elle se relève, veut
+me déchirer le visage, mord, frappe: rien ne m'arrête. J'appuie ma
+poitrine sur la sienne, mon ventre sur le sien, et laisse à ses mains
+tout ce que la fureur leur inspire, employant les miennes à lui écarter
+les cuisses; elle les serre, je désespère de triompher; la rage augmente
+ses forces, la passion diminue les miennes; m'excitant, je les réunis,
+j'écarte ses cuisses, je lâche mon vit; je l'approche du con, je pousse,
+il entre. Alors la fureur de ma dévote s'évanouit, elle me serre, me
+baise, ferme les yeux et se pâme. Je ne me connais plus, je pousse, je
+repousse, et j'inonde le fond de son con d'un torrent de foutre. Elle
+redécharge, nous restons sans connaissance, tous deux absorbés par le
+plaisir.
+
+Mon aimable compagne ne revint à elle-même que pour m'inviter par ses
+caresses à la replonger dans le délire. Ses yeux sont languissants, se
+troublent, s'égarent; son con est une fournaise, mon vit brûle. Ah! me
+dit-elle, le plaisir me suffoque; je meurs! Ses membres se roidissent,
+elle donne un coup de cul, j'en rends deux; nous déchargeons encore.
+
+Après avoir épuisé le plaisir, j'allai chercher à la cuisine de quoi
+réparer les forces d'un malade; je dis que je l'étais. Je rentrai chez
+moi, j'y trouvai ma dévote dans la tristesse; je la dissipai par mes
+caresses, et j'attendis que nous eussions mangé pour m'informer de son
+chagrin. Nous soupâmes sans faire beaucoup de bruit, crainte d'être
+découverts et qu'on ne confisquât mon trésor au profit de la piscine,
+suivant les règles de l'ordre.
+
+Comme nous étions tous deux extrêmement fatigués, nous songeâmes plutôt
+à nous reposer qu'à causer. Quand nous eûmes fini notre repas, nous nous
+mîmes au lit; mais aussitôt que nous nous vîmes nus, le repos s'enfuit
+loin de nous; je portai la main au con de ma dévote, elle porta la
+sienne à mon vit, et, admirant sa grosseur, sa fermeté: Ah! me dit-elle,
+je ne suis plus surprise que tu m'aies réconciliée avec le plaisir que
+j'avais résolu de haïr! Je songeai moins à lui demander la cause qu'à
+lui prouver, en le lui faisant goûter de nouveau, qu'elle avait eu tort
+de former une pareille résolution. Elle me reçut dans ses bras avec une
+vivacité inexprimable. Étroitement serrés, à peine pouvions-nous
+respirer: le lit ne pouvant plus soutenir nos secousses, il suivait
+l'impression de nos corps, il craquait effroyablement. Une douce ivresse
+succéda bientôt à nos efforts, et nous nous endormîmes couchés l'un sur
+l'autre, étroitement serrés, langue en bouche, vit au con.
+
+L'aurore nous trouva endormis dans cette posture, et, soit que
+l'imagination eût fait distiller cette eau délicieuse qui annonce le feu
+intérieur, soit que nous eussions déchargé machinalement, nous nous
+réveillâmes tout trempés. Bientôt nous renouvelâmes nos plaisirs, et
+j'eus assez de force pour m'en acquitter monacalement. Je ne dirai pas
+combien de fois je n'eus pas la peine d'enconner. Je passe rapidement à
+vous informer du sujet qui avait jeté ma dévote dans mes bras.
+
+Je lui voyais un air d'inquiétude et de tristesse qui me pénétrait. Je
+la priai tendrement de s'expliquer et d'être persuadée que je
+remédierais à sa douleur, à quelque prix que ce fût.--Perdrai-je ton
+coeur, cher Saturnin, me dit-elle en me regardant languissamment, quand
+je t'avouerai que tu n'es pas le premier qui m'ait fait goûter les
+plaisirs de l'amour? Rassure mon coeur contre une crainte dont on ne
+peut se défendre, et qui vient, malgré moi, de répandre sur mon visage
+une tristesse que je n'ai pu te cacher. Oui, c'est cette seule crainte
+qui m'inquiète à présent; celle de mon sort ne m'occupe plus, puisque je
+suis avec toi.--Oses-tu, lui répondis-je, te défier des charmes que tu
+étales à mes yeux? Que tu en connais peu le prix, si tu doutes de leur
+effet! Oui, l'ardeur qu'ils m'inspirent est trop forte pour ne pas
+s'indigner d'une pareille crainte. Que tu me connais peu! Si un préjugé
+ridicule a mis une différence entre une fille foutue et une fille à
+foutre, ce préjugé n'est pas ma règle. La beauté, pour en avoir charmé
+d'autres, doit-elle perdre le droit de nous charmer? Quand tu l'aurais
+fait avec toute la terre, n'es-tu pas toujours la même, n'es-tu pas
+toujours une fille adorable, en serais-tu moins précieuse à mes yeux?
+Les plaisirs que tu as donnés à d'autres ont-ils altéré la vivacité de
+ceux que tu viens de me donner?--Tu m'enlèves, me répondit-elle; je ne
+fais plus de difficulté de t'apprendre des infortunes que tu viens de
+faire cesser.
+
+Elle me raconta ce qui suit:
+
+Mon malheur a sa source dans mon coeur. Un penchant invincible pour le
+plaisir ne me fait respirer que pour lui. Une mère injuste et cruelle
+m'avait confinée dans un cloître. Trop timide pour opposer mon dégoût à
+ses ordres, je ne fis parler que mes larmes; elles ne l'attendrirent
+pas, je pris le voile. Le moment fatal de prononcer l'arrêt de ma mort
+approchait: je frémis à la vue du serment que j'allais faire. L'horreur
+de ma prison, le désespoir d'être privée de mon unique bien, me
+plongèrent dans une maladie qui aurait terminé mes peines, si ma mère,
+touchée de mon état, ne s'était reproché sa dureté. Elle était
+pensionnaire dans le couvent où elle voulait que je prisse l'habit. Un
+projet de retraite l'y avait amenée; mais la réflexion l'en retira. Les
+femmes ne renoncent pas au plaisir, ne vieillissent pas sans chagrin;
+c'est un sentiment naturel que leurs efforts peuvent bien dissimuler,
+mais qu'ils n'arracheront jamais de leur coeur. Ma mère, jugeant de mon
+tempérament par le sien, me tira de mon cachot, et reparut dans le monde
+sur le pied d'une dame qui se consolerait aisément de la perte du défunt
+dans les bras d'un cinquième mari.
+
+Connaissant le génie de ma mère, je jugeai qu'il serait dangereux de me
+trouver en rivalité avec elle, certaine qu'un amant qui se présenterait
+me préférerait à elle. Je compris que les plaisirs de l'amour goûtés
+dans le mystère en étaient plus piquants, que la retraite me les
+procurait ainsi que le grand monde. J'agis d'après ce système, et je
+passai bientôt pour une dévote. Charmée du progrès de mon stratagème, je
+ne songeai qu'à nouer quelque intrigue secrète à l'ombre de cette haute
+réputation de vertu factice. Cette réputation parut équivoque à un jeune
+homme que j'avais vu autrefois à la grille, et avec qui il m'était
+arrivé une aventure...
+
+J'interrompis alors ma dévote. Me rappelant ce que Suzon m'avait
+autrefois appris de la soeur Monique, son aversion pour le couvent, sa
+passion pour l'amour, la scène qu'elle avait eue avec Verland, son
+caractère, le séjour que sa mère avait fait dans le couvent, je
+confrontais le portrait de cette soeur avec le charmant minois que
+j'avais devant moi. J'allai plus loin; je me ressouvins que Suzon
+m'avait dit que la soeur Monique avait le clitoris un peu long. Dans
+l'espoir de trouver à ma dévote ce dernier signe qui devait confirmer
+mes soupçons, je la fis coucher sur le dos, et, lui examinant le con
+avec une attention que la passion ne m'avait pas encore permise, j'y
+trouvai ce que je cherchais, un clitoris vermeil un peu plus long que
+les femmes ne l'ont ordinairement, et qui semblait n'être placé là que
+pour le plaisir.
+
+Ne doutant plus que ce ne fût elle, je l'embrassai avec un nouveau
+transport.--Chère Monique, lui dis-je, est-ce toi que le ciel m'envoie?
+Elle se débarrasse de mes bras, me fixe avec surprise, et me demande qui
+m'avait appris le nom qu'elle portait au couvent. Une fille, lui dis-je,
+dont je pleure la perte, et la confidente de tes secrets.--Ah!
+s'écria-t-elle, c'est Suzon: elle m'a trahie!--Oui, c'est elle, lui
+répondis-je; mais c'est un secret qu'elle n'a confié qu'à moi, et ce
+n'est qu'à mes importunités que je le dois.--Comment, reprit Monique, tu
+es le frère de Suzon? Ah! je ne me plains plus d'elle: si je le faisais,
+je me mettrais dans la nécessité de la défendre contre les plaintes que
+tu en ferais à ton tour, car elle ne m'a pas caché ce qui lui était
+arrivé avec toi.
+
+Nous nous attendrîmes sur le sort de Suzon et la soeur Monique continua
+ainsi:
+
+Puisqu'elle t'a conté mon aventure avec Verland, c'est de ce dernier que
+je vais te parler. Ma métamorphose l'avait surpris; il m'avait vue à la
+grille vive, coquette: une longue absence ne m'avait pas effacée de son
+souvenir. A son retour le bruit de ma dévotion éclatant, il ne voulut en
+croire que ses yeux. Il me vit à l'église, et l'amour l'y suivit.
+
+En parcourant des yeux tous ceux qui m'environnaient, j'aperçus Verland;
+je rougis à la vue d'un homme qui avait autrefois été témoin de ma
+faiblesse, et je rougis encore plus de ne pouvoir lui cacher les
+dispositions où mon coeur était de retomber dans les mêmes fautes.
+L'âge, en tempérant sa vivacité, avait rendu ses grâces plus mâles et
+plus touchantes. Sa présence ralluma mes désirs; ils m'entraînaient tous
+les jours au même endroit, et tous les jours je l'y voyais aussi
+attentif à me regarder et aussi tendre dans ses regards. Mes yeux lui
+firent sentir combien j'étais mécontente de sa lenteur à m'apprendre de
+bouche les mouvements de son coeur; il me comprit, et, m'abordant d'un
+air timide, me dit: Un homme qui, pour la première fois qu'il a eu le
+bonheur de vous voir, a mérité votre colère, peut-il aujourd'hui se
+présenter à vos yeux? Si le repentir le plus vif peut faire oublier ma
+faute, vous devez me voir sans indignation. Sa voix était tremblante. Je
+lui répondis que le galant homme faisait oublier l'imprudence du jeune
+homme.--Vous ne connaissez pas toutes mes fautes, reprit-il; votre bonté
+vient de me pardonner un crime: j'ai plus besoin que jamais de cette
+même bonté. Il se tut après ces mots, et, quoique je l'entendisse, je
+lui répondis que je ne connaissais pas la nouvelle offense dont il
+voulait me parler.--Celle de vous adorer, me dit-il en collant un baiser
+sur ma main. Il comprit par mon silence que ce crime était excusable; et
+dans la crainte de m'ouvrir trop, je le quittai charmée de mon amour.
+
+J'étais persuadée que, si Verland était sincère, il trouverait occasion
+de me le prouver; il pénétra le motif de ma retraite, et me laissa
+partir en souriant. J'entendis ses soupirs, les miens y répondaient au
+fond du coeur. Que te dirais-je? Une seconde entrevue lui valut l'aveu
+de ma tendresse et la permission de me demander à ma mère en mariage.
+Elle le refusa: j'en fus au désespoir. Son refus irrita notre amour,
+Verland en était accablé. Cette imprudente démarche nous ôtait tout
+espoir; et, pour comble d'horreur, ma mère était ma rivale. Les éloges
+prodigués à Verland la trahirent. Triste victime de la dévotion et de
+l'amour, je n'osais demander à ma mère la cause du refus d'un homme
+qu'elle croyait parfait. Je ne pus résister à la douleur; j'étais
+furieuse contre ma mère et contre moi-même: mon amour était au comble.
+Je voyais Verland tous les jours; nous étions inséparables. Croirais-tu
+que jusqu'alors je n'avais point cédé à ses instances, le seul moyen de
+mettre ma mère à la raison? Mais, attendrie par les larmes de mon amant,
+pressée par son amour, vaincue par mon penchant, je prêtai l'oreille à
+sa proposition de m'enlever: nous convînmes du jour, de l'heure et des
+moyens.
+
+Je ne voyais dans mon amour que le plaisir que j'allais goûter avec
+Verland. Le lieu le plus affreux me paraissait un paradis, pourvu qu'il
+fût avec moi. Le jour du départ arriva: j'allais sortir, une main
+invisible m'arrêta. Arrivée sur le bord du précipice, j'en mesurai la
+profondeur; effrayée, je reculai. Surprise de ma faiblesse, je voulus
+étouffer ma raison; elle triompha; je rentrai, mes larmes coulèrent.
+Indignée de ma lâcheté, je m'encourageais et m'effrayais. L'heure
+pourtant avançait quel parti prendre? Hélas! je ne savais que penser. Un
+rayon de lumière vint m'éclairer, et je fus tranquille: je vis un moyen
+d'être à mon amant et de me venger de ma mère. Hélas! à quoi m'a servi
+tant de prudence? A me plonger dans l'abîme! Peut-être aurais-je été
+plus heureuse dans un pays inconnu: tout à moi-même, n'écoutant que mon
+amour pour un mari qui m'aurait adorée, je n'aurais pas été esclave de
+ces apparences qui m'ont perdue? Mais pourquoi m'abuser? J'aurais porté
+dans un climat étranger le même coeur, la même fureur pour l'amour, et
+ce caractère m'y aurait perdue comme il l'a fait ici.
+
+Je fis à Verland le signe dont nous étions convenus, en cas
+d'inexécution du projet: je remis au lendemain à l'informer de mes
+raisons. Nous nous trouvâmes à l'église, il m'aborda sans dire mot; son
+visage exprimait la douleur; je fus effrayée.--M'aimez-vous? lui
+dis-je.--Si je vous aime! me répondit-il avec un transport de désespoir
+qui l'empêcha d'en dire davantage.--Verland, repris-je, je lis votre
+douleur dans vos yeux, mon coeur en est déchiré; plaignez-moi,
+plaignez-vous d'un défaut de courage qui nous arracherait à notre
+passion, si le désespoir ne m'avait pas suggéré le moyen de nous
+conserver l'un à l'autre. Je ne doute pas de votre tendre amour, mais
+j'en veux une preuve, puisqu'une mère cruelle s'oppose à nos désirs. Ah!
+Verland, le rouge qui me couvre le visage ne vous dit-il pas quel est le
+moyen que je veux employer?--Chère Monique, me dit-il en me serrant la
+main, ton amour te fait il sentir la nécessité d'une chose que je t'ai
+en vain souvent proposée?--Oui, lui répondis-je, vous ne vous plaindrez
+plus; mais pour vous rendre heureux, je ne veux qu'un mot de votre
+bouche.--Parlez; que faut-il faire?--Épouser ma mère, lui dis-je. La
+surprise lui coupa la parole; il me regardait avec des yeux
+égarés.--Épouser votre mère, Monique! que me proposez-vous?--Une chose,
+lui répondis-je, dont je me repens. Votre froideur me dénote votre
+amour, et votre indifférence m'éclaire sur ma passion. Ciel! ai-je pu
+penser à un homme aussi lâche?--Monique, reprit-il tristement, à quoi
+veux-tu réduire ton amant?--Ingrat, lui répondis-je, quand je surmonte
+l'horreur de te voir dans les bras de ma rivale; quand, pour me livrer à
+toi, pour jouir du plaisir de te voir, pour recevoir enfin tes caresses,
+je sacrifie ma gloire, j'immole à ton bonheur ce que j'ai de plus cher,
+tu trembles! Ai-je plus de force que toi? Non; mais tu n'as pas tant
+d'amour.--C'en est fait, me dit-il alors, tu triomphes; j'ai honte de
+moi-même, et nos coeurs doivent être sans remords. Charmée de son
+courage, je promis de l'en récompenser le jour de ses noces; peut-être
+n'aurais-je pas eu la force de l'attendre, si l'impatience de ma mère
+n'eût pas été aussi vive que la mienne. Verland lui avait offert ses
+voeux. Ravie d'une conquête qu'elle s'imaginait devoir à ses charmes,
+elle se hâta d'en recueillir le fruit; il n'était pas fait pour elle. Le
+mariage se célébra; la joie que j'en témoignai m'attira de ma mère mille
+caresses que je payai par d'autres qui étaient moins sincères. Mon coeur
+s'enivrait d'avance du plaisir de l'amour et de la vengeance. Verland
+parut: il était adorable; mille grâces nouvelles animaient toutes ses
+actions; le moindre sourire m'enchantait; les paroles les plus
+indifférentes m'enflammaient; à peine pouvais-je contenir mes désirs. Au
+milieu du tumulte, il trouva moyen de s'approcher de moi et de me dire:
+J'ai tout fait pour l'amour, ne fera-t-il rien pour moi? Un coup d'oeil
+fut ma réponse. Je sors, il s'échappe; j'entre dans ma chambre, il m'y
+suit; je m'élance sur mon lit, il se précipite sur moi. Dispense-moi de
+faire ici le récit des plaisirs que je goûtai, un seul mot te suffit
+pour te les faire connaître: toi seul, cher père, toi seul as été plus
+loin. O ma mère! m'écriai-je, au milieu de nos transports, que ton
+injustice va te coûter cher.
+
+Mon amant était un prodige; nous restâmes ensemble une heure qui ne vit
+pas un moment d'intervalle. En vain les forces lui manquaient; semblable
+à Antée, qui, luttant avec Hercule, ne faisait que toucher la terre pour
+réparer les siennes, mon amant me touchait et revenait à la charge avec
+plus de vigueur.
+
+On nous cherchait partout; on avait même frappé à ma porte. Nous nous
+séparâmes, crainte d'être suspectés. Verland gagna le jardin, où on le
+trouva, comme il l'avait prévu. On le railla, on lui fit la guerre. Un
+feint étourdissement vint à son secours, disant que, pour ne pas
+troubler les plaisirs, il s'était retiré sans parler. Son air abattu,
+occasionné par la fatigue qu'il venait d'avoir, aidait à faire croire ce
+qu'il disait.
+
+Ne doutant pas qu'on ne vînt encore me chercher dans ma chambre, je
+dérangeai la portière qui bouchait le trou de la serrure et me mis à
+demi prosternée devant un crucifix. Cela me réussit: on crut que les
+plaisirs n'avaient pu me déranger de mes pieux exercices; de là une
+nouvelle estime, une espèce de vénération pour moi. Remise enfin de mon
+travail amoureux, je rejoignis la compagnie pour ne donner aucun
+soupçon, en affectant de me prêter par complaisance à des
+divertissements dont le plus doux avait déjà été pour moi.
+
+Après le dessein formé de marier ma mère avec mon amant, je disposai
+tout pour faciliter le moyen de nous voir, pour prévenir toute surprise
+étant ensemble; j'affectai plus de dévotion, ne voulant pas être
+interrompue dans mes prières; j'accoutumai le monde à ne point frapper
+chez moi, la clef n'y étant pas. Verland, de son côté, accoutuma ma mère
+à son absence, prétextant des affaires et se coulant dans mes bras.
+Quoique contraints, nous n'étions pas dégoûtés de nos plaisirs: je les
+croyais éternels, un moment me détrompa. Je rencontrai un jour une jeune
+personne que j'avais connue autrefois; je lui demandai ce qu'elle
+faisait en cette ville; elle me dit qu'elle n'y était attachée à
+personne: je la pris pour ma femme de chambre. Mais, cher père, est-ce
+avec toi que je dois feindre? Cette prétendue femme de chambre n'était
+autre que Martin, dont ta soeur a dû te parler en te contant mon
+histoire. Je ne l'avais pas vu depuis notre séparation. Il était encore
+aussi joli, aussi aimable; son menton était à peine couvert de quelques
+poils follets, blonds, que je lui coupais exactement. Martin était une
+jolie fille aux yeux de tout le monde; il était pour moi d'un prix
+inestimable.
+
+J'avais instruit Martin de mon intrigue avec Verland. Heureux de me
+posséder, il n'en était pas jaloux; j'étais charmée de sa docilité, je
+l'étais encore plus de sa vigueur. J'avais arrangé sagement mes
+plaisirs: Verland avait le jour; Martin, la nuit. Le jour ne
+disparaissait que pour faire place à une nuit voluptueuse. Jamais
+mortelle n'a joui d'une félicité plus parfaite: mais le plaisir est de
+peu de durée; sa mesure est celle du tourment dont sa perte nous
+accable.
+
+Martin pouvait passer pour une fille jolie sous cet habillement.
+L'ingrat Verland, hélas! pourquoi le traiter d'ingrat? n'étais-je pas
+coupable, et mon coeur criminel? Verland trouva des charmes à ma
+prétendue femme de chambre, et négligea sa maîtresse. Dédommagée par les
+plaisirs de la nuit, je ne m'étais pas encore aperçue de l'indifférence
+de Verland; il possédait si bien l'art de me persuader, que tous les
+motifs de son absence me paraissaient justes. Si je le grondais, un
+sourire, un baiser, apaisaient ma colère. Un jour de repos me le rendait
+plus vigoureux. Il en vint jusqu'à me faire croire que l'intérêt de
+notre plaisir rendait ces absences nécessaires: j'y consentis: Martin
+suppléait au relâche.
+
+Hier, jour infortuné et dont je ne dois me souvenir que pour le
+détester, hier était un jour de repos pour Verland. Renfermée seule avec
+Martin, et n'ayant pour témoin que l'amour, nous n'écoutions que ses
+conseils. J'étais couchée sur mon lit; la gorge nue, les jupes levées et
+les cuisses écartées, j'attendais que Martin reprît ses forces. Il était
+nu, et, passant ma cuisse droite entre ses cuisses, me tenait d'une main
+les tétons, et de l'autre caressait ma cuisse gauche. Tandis que ses
+yeux et sa bouche cherchaient à rallumer son ardeur, Verland, que nous
+n'attendions pas, entra et nous surprit dans cette attitude. Il eut le
+temps de fermer la porte et d'accourir à nous avant que la frayeur nous
+eût permis de changer de posture.--Monique, me dit-il, je ne blâme pas
+tes plaisirs, mais tu dois avoir la même complaisance pour moi: j'aime
+Javotte (c'est le nom que Martin avait pris), je me sens des forces
+suffisantes pour vous contenter toutes deux. Dans le moment il veut
+embrasser Martin, il le tire de mes bras, il porte la main et trouve...
+Quelle surprise! Sans lâcher Martin, il me jette un regard
+d'indignation; il n'ose faire éclater contre moi sa colère; mais tout le
+poids en retombe sur la cause innocente. Son amour s'était tourné en
+rage; il frappait impitoyablement le malheureux Martin, et c'était moi
+qu'il frappait dans l'endroit le plus sensible.
+
+Je me jette entre ces deux rivaux.--Arrêtez, dis-je à Verland en
+l'embrassant; respectez sa jeunesse au nom de nos transports, au nom de
+notre amour, Verland, ayez pitié de sa faiblesse, soyez sensible à mes
+larmes. Il s'arrête, mais Martin, qui avait eu le temps de se
+reconnaître, était devenu furieux à son tour. Il prend l'épée de
+Verland, s'élance sur lui. Je fuis à cette vue, me sauve par un escalier
+dérobé, j'accours ici, tu sais le reste.
+
+Monique ne put achever sans verser des larmes.--Hélas! s'écria-t-elle, à
+quel sort dois-je m'attendre?--Au plus heureux, lui dis-je; rassure-toi,
+chère Monique; ce qui fait couler tes pleurs est peut-être sans objet.
+Si c'est la perte de tes plaisirs, de plus grands la répareront bientôt.
+Il m'était impossible de la garder encore dans ma chambre sans être
+découvert, et je crus que le meilleur parti était de la présenter à la
+piscine. Je ne craignais pas de lui promettre trop, en l'assurant que
+les plaisirs dont elle avait joui jusqu'alors n'étaient qu'une faible
+image de ceux qui lui étaient réservés. La piscine devait être un séjour
+divin pour un tempérament tel que le sien.--Cher ami, dit-elle en
+m'embrassant, ne m'abandonne pas; puis-je rester avec toi! Ton
+consentement ou ton refus décidera de mon sort; si je te perds, je serai
+malheureuse. Je l'assurai que nous ne nous quitterions jamais.--Je n'ai
+plus, reprit-elle, qu'une inquiétude: pardonne ce dernier effort à un
+amour dont tu vas devenir l'unique objet. Je sentis ce qu'elle n'osait
+m'avouer. Je lui offris d'aller m'instruire du sort de ses amants et de
+l'effet de sa fuite. Elle m'en remercia. Je la laissai seule, et je
+sortis avec promesse de revenir bientôt.
+
+Je m'informai dans la ville de ce qu'il y avait de nouveau. J'allai dans
+le voisinage de Verland; rien n'avait transpiré, et je jugeai que tout
+le désordre s'était borné à la fuite de Monique. Je revenais au couvent
+quand j'aperçus le domestique, qui accourut à moi et me dit que le
+révérend père André l'avait chargé de me donner une lettre, et un sac
+d'argent de cent pistoles. Je crus d'abord que le père me chargeait de
+quelques commissions. J'ouvris la lettre et j'y trouvai ces mots:
+
+ «Vous vous êtes trahi par vos précautions; on a ouvert votre chambre,
+ et on y a trouvé le trésor que vous ne vouliez pas faire voir à vos
+ frères; on s'en est saisi: on a mis cette personne à la piscine. Vous
+ connaissez le génie des moines: fuyez, père Saturnin; fuyez,
+ dérobez-vous aux horreurs d'une prison qui ne finirait peut-être
+ qu'avec votre vie.
+
+ «P. ANDRÉ.»
+
+Je fus frappé comme d'un coup de foudre à la lecture de cette lettre. Un
+accablement mortel m'ôta le sentiment. O ciel! m'écriai-je, que devenir?
+Dois-je m'exposer à la vengeance monacale? Fuirai-je? Malheureux,
+n'hésite point; ah! fuyons! Mais où fuir, où me sauver? La maison
+d'Ambroise s'offrit à mon esprit éperdu comme l'asile le plus sûr contre
+la crainte présente. Je pris une résolution courageuse, trop heureux que
+la générosité du père André me dérobât au ressentiment monacal.
+
+Ce ne fut pas sans douleur que je m'exilai d'un lieu où je laissais mon
+plaisir et mon bonheur. Déchiré par mes remords, abattu par mon
+désespoir, j'arrivai chez Ambroise. Toinette était seule; mon malheur
+l'attendrit. Elle me secourut de son mieux et me couvrit d'un habit
+d'Ambroise. Je partis le lendemain pour Paris, dans l'espérance d'y
+trouver un état qui pût me dédommager de celui que je venais de quitter.
+
+Je partis, après avoir secoué, comme les apôtres, la poussière de mes
+souliers sur mon ingrate patrie; et, marchant à pied, un bâton blanc à
+la main, j'arrivai à Paris. Je crus pouvoir braver alors la fureur
+monacale. L'argent du père André et les secours de Toinette pouvaient me
+conduire pendant quelque temps. Mon dessein était de chercher d'abord un
+poste de précepteur, en attendant que la fortune voulût m'en trouver un
+meilleur. Quelques connaissances que j'avais à Paris auraient pu me
+servir, s'il n'eût été dangereux de les employer. Moyennant un retour
+raisonnable, j'avais troqué mon habit de paysan contre un plus honnête.
+Heureux si, en quittant le froc, j'en avais quitté les inclinations! Le
+noir chagrin qui me dévorait me faisait croire que j'étais venu à bout
+de déraciner cette mauvaise tige, ou que j'en triompherais aisément. Je
+l'avais même juré: je voulais m'enchaîner par un serment, moi que les
+liens les plus respectables n'avaient pu retenir. Que l'homme est
+faible!
+
+ Aujourd'hui sous un casque et demain sous un froc,
+ Il tourne au moindre vent et tombe au moindre choc.
+
+Je tombai; le choc ne fut pas violent, puisque ce ne fut qu'un coup de
+coude qu'une coquine me donna en me disant: Monsieur l'abbé, voulez-vous
+me payer une salade?--Plutôt deux, répondis-je, emporté par un mouvement
+naturel. La réflexion vint aussitôt à mon secours, mais trop tard;
+j'étais trop engagé pour reculer. Nous entrâmes dans une allée obscure
+et étroite. Je pensai mille fois me rompre le cou dans un escalier
+tortueux, dont les marches glissantes et inégales me faisaient trébucher
+à chaque pas. Ma donzelle me tenait par la main. J'avouerai que, ne
+m'étant jamais trouvé en pareil cas, je ne pouvais me défendre d'un
+certain effroi qui parut de bon augure à ma conductrice: elle en aurait
+ri si elle eût connu ma qualité. Nous arrivâmes enfin avec bien de la
+peine à la porte du temple. Nous frappâmes; une vieille, plus vieille
+que la sibylle de Cumes, vint ouvrir en entrebâillant la porte.--Mon
+petit roi, me dit-elle, il y a du monde; attends un moment; monte plus
+haut. Monter plus haut était bien difficile, à moins que de vouloir
+monter au ciel. Une porte se présenta sous ma main qui s'ouvrit
+d'elle-même. J'allai me retirer, crainte de trouver quelqu'un et de
+faire soupçonner ma probité. L'odeur me rassura; c'était... Vous me
+devinez.
+
+Abandonné à moi-même, dans un endroit affreux, au bout du monde, dans un
+pays perdu, avec des gens inconnus, je me sentis saisi d'une terreur
+subite. Le danger que je courais s'offrit à mes yeux. Profitons, dis-je
+en moi-même, de ce moment de clarté, sauvons-nous. Quelque chose de plus
+puissant que la réflexion m'arrêta; il semblait qu'une mer immense se
+présentât à mes yeux et m'empêchât de gagner le rivage: je m'élançais et
+je me retenais aussitôt. Le ciel a-t-il gravé dans nos coeurs des
+pressentiments de ce qui doit nous arriver? Oui, sans doute, et je
+l'éprouvais. Dans le moment on ouvre la porte fatale, on m'appelle, je
+descends; infortuné, je courais à ma perte, mais quelle joie délicieuse
+devait la précéder!
+
+J'entre d'un air timide à la lueur tremblante d'une lampe; je vais
+m'asseoir sans parler; j'appuie le coude sur une table mal assurée; je
+me couvre les yeux avec la main, comme si j'eusse voulu me dérober aux
+réflexions qui venaient m'assaillir. Une quêteuse infernale s'avance: Je
+me montre généreux, elle me remercie. Mon maintien triste surprenant les
+prêtresses du temple, la vieille sibylle s'approche pour m'en demander
+le sujet. Je la repousse brutalement: elle s'en plaint.--Laissez,
+madame, lui dit la plus jeune, on peut avoir du chagrin.
+
+Ce son de voix qui ne m'était pas inconnu, frappa mon coeur. Je
+tremblai, et, craignant de porter les yeux vers l'endroit d'où venait de
+partir cette voix, je les ferme et ne veux m'occuper que des mouvements
+qu'elle vient de réveiller en moi; mais bientôt, me reprochant mon
+indifférence, je veux m'éclaircir: je rouvre les yeux, me lève et
+m'approche. Cieux! c'était Suzon! Ses traits, quoique changés par l'âge,
+étaient trop gravés dans mon coeur pour les méconnaître. Je tombe dans
+ses bras, mes yeux se remplissent de larmes, mon âme est sur mes
+lèvres.--Chère soeur, lui dis-je d'une voix altérée, tu ne reconnais
+plus ton frère? Elle jette un cri, et tombe évanouie.
+
+La vieille, étonnée, accourt et veut secourir Suzon; je la repousse,
+colle mes lèvres sur les lèvres de ma chère soeur, et ne veux que le feu
+de mes baisers pour lui rendre la chaleur. Je la presse contre mon sein,
+arrose son visage de mes larmes; elle ouvre des yeux humides de pleurs:
+Laisse-moi, Saturnin, me dit-elle, laisse une malheureuse!--Chère soeur!
+m'écriai-je, la vue de Saturnin t'inspire-t-elle de l'horreur? Tu lui
+refuses tes baisers, tu lui refuses tes caresses. Sensible à mes
+reproches, elle me donna les marques les plus vives de sa joie. La
+gaieté reparut sur son visage; elle se répandit jusque sur la vieille, à
+qui je donnai de l'argent pour nous apprêter à souper. J'aurais donné
+tout: je retrouvais Suzon, n'étais-je pas assez riche?
+
+On préparait le souper; je tenais toujours Suzon dans mes bras. Nous
+n'avions pas encore eu la force d'ouvrir la bouche pour nous demander
+quelles aventures pouvaient nous rassembler si loin de notre patrie;
+nous nous regardions, nos yeux étaient les seuls interprètes de nos
+âmes; ils versaient des larmes de joie et de tristesse; nous n'étions
+occupés que de ces deux passions. Notre coeur était si rempli, notre
+esprit si occupé, que notre langue était comme liée; nous soupirions; si
+nous ouvrions quelquefois la bouche, nous ne prononcions que des paroles
+sans suite; tout nous ramenait à la réflexion du bonheur d'être
+ensemble.
+
+Je rompis enfin le silence.--Suzon, m'écriai-je, ma chère Suzon! c'est
+toi que je retrouve! Par quel heureux hasard m'es-tu rendue? Mais dans
+quel lieu, ah! ciel!--Tu vois, me répondit-elle avec un visage accablé,
+une fille malheureuse qui a éprouvé toutes les alternatives de la
+fortune, presque toujours l'objet de sa fureur, et forcée de vivre dans
+un libertinage que sa raison condamne, que son coeur déteste, mais que
+la nécessité lui rend indispensable. Ton impatience, je le vois, attend
+après le récit de mes malheurs; puis-je donner un autre nom à la vie que
+j'ai menée depuis que je t'ai perdu? Moins sensible à la honte de te
+révéler mes dérèglements qu'au plaisir de répandre ma douleur dans ton
+sein, je vais te faire un aveu sincère de mes peines. Te le dirai-je,
+c'est toi qui les as causées; mais mon coeur était de moitié, lui seul a
+tout fait, il a creusé l'abîme où je suis plongée. Te souviens-tu de ces
+temps heureux où tu me faisais une peinture naïve de ta passion
+naissante? Je t'adorais dès ce temps-là. En te racontant les aventures
+de Monique, en te découvrant nos mystères les plus cachés, je voulais
+t'enflammer, je voulais t'instruire; je voyais avec plaisir l'effet de
+mes discours. J'ai été témoin de tes transports avec Mme Dinville, et
+tes caresses étaient autant de coups de poignard pour moi. Quand je
+t'entraînai dans ma chambre, j'étais dévorée par un feu que tu ne
+pouvais plus éteindre. C'est ici l'époque de mes infortunes. Tu as
+toujours ignoré la cause de ce bruit affreux que nous entendîmes:
+c'était l'abbé Fillot, ce scélérat vomi par les enfers et né pour le
+supplice de mes jours. Il avait conçu pour moi un amour qu'il voulait
+satisfaire à quel prix que ce fût; il avait choisi la nuit pour
+l'exécution de son dessein; il s'était caché dans la ruelle du lit, et
+profita de ta fuite pour venir se mettre à ta place. Hélas! il eut bon
+temps d'une malheureuse que la frayeur avait fait évanouir; il fit ce
+qu'il voulut. Ranimée par le plaisir et trompée par ma passion, je crus
+le recevoir de mon cher Saturnin. Je comblai de plaisirs un monstre que
+j'accablai de reproches quand je le reconnus. Il voulut m'apaiser par
+ses caresses, je le repoussai avec horreur; il me menaça de révéler à
+Mme Dinville ce que j'avais fait avec toi. L'indigne employait contre
+moi les armes dont je pouvais me servir contre lui. Il obtint par ses
+menaces ce que j'avais refusé à ses transports. Ainsi, j'accordais tout
+à un homme que je détestais, et le sort m'arrachait des bras de celui
+que j'aimais.
+
+Bientôt je sentis les fruits amers de mon imprudence. Je cachai ma honte
+le plus que je pus; mais je me serais trahie par un silence trop
+obstiné. J'avais chassé l'abbé Fillot; il se consolait dans les bras de
+Mme Dinville. La nécessité me le fit rappeler. Je lui découvris mon
+état; il feignit d'y être sensible, m'offrit de m'emmener avec lui à
+Paris, en m'y promettant le sort le plus heureux; il ajouta qu'il ne
+demandait, pour prix de ses services, que de vouloir souffrir qu'il me
+les rendît. Je ne voulais qu'être en un lieu où je pusse me délivrer de
+mon fardeau, comptant bien ne me servir ensuite de son crédit que pour
+me placer auprès de quelque dame. Je me laissai gagner par ses
+promesses; je consentis à le suivre et partis avec lui, déguisée en
+abbé.
+
+Il eut pour moi mille attentions dans la route; mais que le traître
+cachait bien la scélératesse de son coeur sous des apparences
+trompeuses! Les secousses du carrosse avaient trompé mon calcul: je mis
+au monde, à une lieue de Paris, le gage odieux de l'amour d'un
+misérable. Tout le monde criait au prodige et riait. Mon indigne
+compagnon de voyage disparut, me laissa à ma douleur et à ma misère. Une
+dame charitable eut pitié de mon état, prit un carrosse, m'amena à Paris
+et de là à l'Hôtel-Dieu. Elle ne me tira des bras de la mort que pour me
+laisser dans ceux de l'indigence. Je ne l'aurais sentie que trop tôt, si
+le hasard ne m'eût fait rencontrer une fille perdue. La misère entraîna
+le penchant.
+
+N'en exige pas davantage. La vie de Suzon n'a été qu'un enchaînement
+continuel de plaisirs et de chagrin. Si le plaisir s'est fait
+quelquefois sentir à mon coeur, il n'a fait que colorer le fond de
+tristesse qui le rongeait. Cessera-t-elle, cette tristesse? Ah! puisque
+je te retrouve, je ne dois plus me plaindre. Mais, toi, cher frère, ne
+me fais pas languir: es-tu sorti de ton couvent? Quel hasard t'a conduit
+à Paris?--Un malheur semblable au tien, lui répondis-je, que m'a causé
+ta meilleure amie.--Ma meilleure amie! reprit-elle en soupirant. En
+ai-je encore dans le monde? Ah! ça ne peut être que la soeur
+Monique.--Elle-même, repris-je: ce récit exige trop de temps: soupons.
+
+Je fis à côté de Suzon le repas le plus délicieux de ma vie. L'envie de
+me voir seul avec elle et, de son côté, celle d'apprendre mes aventures,
+nous firent quitter promptement la table. Nous nous retirâmes dans sa
+chambre, où, sans témoins, sur un lit, digne meuble de l'endroit où nous
+étions, et qui n'avait jamais servi à deux amants aussi tendres, tenant
+Suzon sur mes genoux, et mon visage collé sur le sien je lui racontai
+mes aventures depuis ma sortie de chez Ambroise.
+
+--Je ne suis donc plus ta soeur? s'écria-t-elle quand j'eus fini.--Ne
+regrette pas, lui dis-je, une qualité que le sang donne, et rarement le
+coeur; si tu n'es plus ma soeur, tu es toujours l'idole de mon coeur.
+Chère âme, continuai-je en la pressant tendrement dans mes bras,
+oublions nos malheurs, et commençons à compter notre vie du jour qui
+nous a rassemblés. En lui disant ces mots, je baisai sa gorge; j'avais
+déjà ma main entre ses cuisses:--Arrête, me dit-elle en s'échappant de
+mes bras, arrête!--Cruelle! m'écriai-je, quelles grâces aurais-je donc à
+rendre à la fortune si tu rebutes les témoignages de mon
+amour?--Etouffe, me répondit-elle, des désirs que je ne pourrais écouter
+sans être criminelle; fais un effort sur ta passion: je t'en donne
+l'exemple.--Ah! Suzon, lui répliquai-je, tu n'as guère d'amour si tu
+peux me conseiller d'étouffer le mien! Et dans quelles circonstances?
+Quand rien ne s'oppose à notre bonheur!--Rien ne s'oppose à notre
+bonheur? reprit-elle; ah! que ne dis-tu vrai? Dans le moment je la vis
+en pleurs: je la pressai de m'en expliquer la cause.--Voudrais-tu, me
+dit-elle, partager avec moi le triste prix de mon libertinage? Quand tu
+le voudrais, aurais-je la cruauté d'y consentir?--Tu crois, lui
+répondis-je, m'arrêter par une raison aussi faible? Je partagerais la
+mort avec ma Suzon, et je craindrais de partager ses malheurs?
+Sur-le-champ je la renverse sur le lit et veux lui prouver que je ne
+crains pas le danger.--Ah! cher Saturnin, s'écria-t-elle, tu vas te
+perdre!--Je me perdrai, lui dis-je, transporté d'amour, mais ce sera
+dans tes bras! Elle cède, je pousse... Qu'on me permette d'imiter ici ce
+sage Grec qui, peignant le sacrifice d'Iphigénie, après avoir épuisé sur
+le visage des assistants tous les traits qui caractérisaient la douleur
+la plus profonde, couvrit celui d'Agamemnon d'un voile, laissant
+habilement aux spectateurs le plaisir d'imaginer quels traits pouvaient
+caractériser le désespoir d'un père tendre qui voit répandre son sang,
+qui voit immoler sa fille. Je vous laisse, cher lecteur, le plaisir
+d'imaginer; mais c'est à vous que je m'adresse, vous qui avez éprouvé
+les traverses de l'amour, et qui, après un long temps, avez vu votre
+passion couronnée par la jouissance de l'objet aimé. Rappelez-vous vos
+plaisirs, poussez votre imagination encore plus loin s'il est possible,
+elle sera toujours au-dessous de mes délices. Mais quel démon jaloux de
+ma tranquillité me présente sans cesse un souvenir que j'arrose de
+larmes de sang? Ah! finissons, je succombe à ma douleur.
+
+Le jour vint avant que nous nous fussions aperçus que la nuit avait
+disparu. J'avais oublié mes chagrins, l'univers entier, dans les bras de
+Suzon.--Ne nous quittons jamais, mon cher frère, me disait-elle; où
+trouveras-tu une fille plus tendre? où trouverais-je un amant plus
+passionné? Je lui jurais de vivre toujours avec elle; je le lui jurais,
+hélas! et nous allions nous quitter pour ne nous jamais revoir. L'orage
+grondait sur nos têtes, le charme de l'illusion le dérobait à nos
+yeux.--Sauvez-vous, Suzon, vint nous dire une fille épouvantée,
+sauvez-vous, fuyez par l'escalier dérobé! Surpris, nous voulûmes nous
+lever: il n'était plus temps; un archer féroce entrait au moment où nous
+nous levions. Suzon, éperdue, se jette dans mes bras: il l'en arrache
+malgré mes efforts, il l'entraîne. Cette vue me rend furieux; la rage me
+prête des forces, le désespoir me rend invincible. Un chenet, dont je me
+saisis, devient dans mes mains une arme mortelle. Je m'élance sur
+l'archer. Arrête, malheureux Saturnin! Il n'est plus temps, le coup est
+porté, le ravisseur de Suzon tombe à mes pieds. On se jette sur moi, je
+me défends, je succombe, je suis pris. On me lie; à peine me laisse-t-on
+la liberté de prendre la moitié de mes habits.--Adieu, Suzon,
+m'écriai-je en lui tendant les bras; adieu, ma chère soeur, adieu! On me
+traînait inhumainement sur l'escalier; la douleur que me causaient les
+coups des marches sur lesquelles ma tête frappait me fit bientôt perdre
+connaissance.
+
+Dois-je finir ici le récit de mes malheurs? Ah! lecteur, si votre coeur
+est sensible, suspendez votre curiosité, contentez-vous de me plaindre;
+mais quoi! le sentiment de ma douleur prévaudra-t-il toujours sur celui
+de ma félicité? N'ai-je pas assez versé de pleurs? Je touche au port et
+je regrette encore les dangers du naufrage. Lisez, et vous allez voir
+les tristes suites du libertinage, heureux si vous ne le payez pas plus
+cher que moi.
+
+Je ne revins de ma faiblesse que pour me voir dans un misérable lit, au
+milieu d'un hôpital. Je demandai où j'étais. A Bicêtre, me dit-on. A
+Bicêtre! m'écriai-je; ciel! à Bicêtre! La douleur me pétrifia, la fièvre
+me saisit, je n'en revins que pour tomber dans une maladie plus cruelle,
+la vérole! Je reçus sans murmurer ce nouveau châtiment du ciel. Suzon,
+me dis-je, je ne me plaindrais pas de mon sort, si tu ne souffrais pas
+le même malheur.
+
+Mon mal devint insensiblement si violent que, pour le chasser, on eut
+recours aux plus violents remèdes: on m'annonça qu'il fallait me
+résoudre à subir une petite opération. Il faut vous épargner ce
+spectacle de douleur. Que puis-je vous dire? Je tombai dans une
+faiblesse que l'on prit pour le dernier moment de ma vie. Que ne
+l'était-il? J'aurais été trop heureux! La douleur qui avait causé mon
+évanouissement m'en retira. Je portai la main où je sentais la douleur
+la plus vive. Ah! je ne suis plus un homme! Je poussai un cri qui fut
+entendu jusqu'aux extrémités de la maison. Mais bientôt revenant à
+moi-même, et, tel que Job sur son fumier, pénétré de douleur et soumis
+aux ordres du ciel, je m'écriai dans l'amertume de mon coeur: _Deus
+dederat, Deus abstulit._
+
+Je ne souhaitais plus que la mort. J'avais perdu le pouvoir de jouir de
+la vie; l'anéantissement était le but de tous mes désirs; j'aurais voulu
+me cacher éternellement ce que j'avais été, je ne pouvais penser sans
+horreur à ce que j'étais. Le voilà donc, disais-je au fond de mon coeur,
+le voilà, cet infortuné père Saturnin, cet homme si chéri des femmes, il
+n'est plus; un coup cruel vient de lui enlever la meilleure partie de
+lui-même; j'étais un héros, et je ne suis plus qu'un... Meurs,
+malheureux, meurs; peux-tu survivre à cette perte? Tu n'es plus qu'un
+eunuque!
+
+La mort fut sourde à mes cris; ma santé revint, je me rétablis; mais ma
+débilité fit juger qu'on ne tirerait pas de moi les services qu'on en
+avait attendus et auxquels on m'avait destiné; on me déclara que j'étais
+libre.--Je suis libre, répondis-je au supérieur qui me l'annonçait;
+hélas! à quoi va me servir cette liberté que vous me donnez? Dans l'état
+cruel où je suis, c'est le présent le plus funeste que vous puissiez me
+faire. Mais, monsieur, oserais-je vous demander le sort d'une jeune
+personne que l'on doit avoir amenée ici le même jour que moi?--Il est
+plus heureux que le vôtre, me répondit-il brusquement; elle est morte
+dans les remèdes.--Elle est morte, repris-je, accablé de ce dernier
+coup; Suzon est morte! Ah ciel? et je vis encore! J'aurais dans le
+moment terminé mes jours si l'on n'avait arrêté l'effet de mon
+désespoir. On me sauva de ma propre fureur, et l'on me mit dans le
+chemin de profiter de la permission que l'on venait de me donner,
+c'est-à-dire à la porte.
+
+Je restai un moment anéanti; mes yeux seuls, en répandant un torrent de
+larmes, témoignaient que je vivais encore; j'étais au dernier degré du
+désespoir et de la rage. Couvert d'un malheureux habit, ayant à peine de
+quoi vivre un jour et ne sachant où aller, je m'abandonnai dans les bras
+de la Providence. Je prenais le chemin de Paris, j'aperçus les murs des
+Chartreux; la profonde solitude qui y règne fit briller à mon esprit un
+trait de lumière. Heureux mortels! m'écriai-je, qui vivez dans cette
+retraite à l'abri des fureurs et des revers de la fortune, vos coeurs
+purs et innocents ne connaissent pas les horreurs qui déchirent le mien.
+L'idée de leur félicité m'inspira le désir de la partager. J'allai me
+jeter aux pieds du supérieur; je lui contai mes infortunes. O mon fils,
+me dit-il en m'embrassant avec bonté, louez Dieu: il vous réservait ce
+port après tant de naufrages. Vivez-y, et vivez-y heureux, s'il est
+possible.
+
+Je restai pendant quelque temps sans emploi, mais bientôt on m'en donna.
+Je montai par degrés au poste de portier, et c'est sous ce titre qu'on
+m'a connu.
+
+C'est ici que mon coeur se fortifie dans la haine qu'il a conçue pour le
+monde; j'y attends la mort sans la craindre ni la désirer, et je
+prétends que, quand elle m'aura tiré du nombre des vivants, on grave en
+lettres d'or sur mon tombeau:
+
+ _Hic situs est dom Saturnin,
+ Fututus, Futuit._
+
+
+FIN
+
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Le portier des chartreux, ou mémoires
+de Saturnin écrits par lui-même, by Jean Charles Gervaise de La Touche
+
+*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 57870 ***
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--- a/57870-8.txt
+++ /dev/null
@@ -1,5112 +0,0 @@
-The Project Gutenberg EBook of Le portier des chartreux, ou mémoires de
-Saturnin écrits par lui-même, by Jean Charles Gervaise de La Touche
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-
-Title: Le portier des chartreux, ou mémoires de Saturnin écrits par lui-même
-
-Author: Jean Charles Gervaise de La Touche
-
-Release Date: September 8, 2018 [EBook #57870]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: ISO-8859-1
-
-*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE PORTIER DES CHARTREUX ***
-
-
-
-
-Produced by René Galluvot (This file was produced from
-images generously made available by The Internet
-Archive/Canadian Libraries)
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-LE PORTIER
-
-DES CHARTREUX
-
-OU
-
-MÉMOIRES DE SATURNIN
-
-ÉCRITS PAR LUI-MÊME
-
-AMSTERDAM
-
-1889
-
-
-
-
-LE PORTIER
-
-DES CHARTREUX
-
-
-PREMIÈRE PARTIE
-
-
-Que c'est une douce satisfaction pour un coeur d'être désabusé des vains
-plaisirs, des amusements frivoles et des voluptés dangereuses qui
-l'attachaient au monde! Rendu à lui-même après une longue suite
-d'égarements, et dans le calme que lui procure l'heureuse privation de
-ce qui faisait autrefois l'objet de ses désirs, il sent encore ces
-frémissements d'horreur qui laissent dans l'imagination le souvenir des
-périls auxquels il est échappé: il ne les sent que pour se féliciter de
-la sûreté où il se trouve; ces mouvements lui deviennent des sentiments
-chers parce qu'ils servent à lui faire mieux goûter les charmes de la
-tranquillité dont il jouit.
-
-Tel est, cher lecteur, la situation du mien. Quelles grâces n'ai-je pas
-à rendre au Tout-Puissant dont la miséricorde m'a retiré de l'abîme du
-libertinage où j'étais plongé et me donne aujourd'hui la force d'écrire
-mes égarements pour l'édification de mes frères!
-
-Je suis le fruit de l'incontinence des révérends pères Célestins de la
-ville de R... Je dis des révérends pères, parce que tous se vantaient
-d'avoir fourni à la composition de mon individu. Mais quel sujet
-m'arrête tout à coup? Mon coeur est agité: est-ce par la crainte qu'on
-ne me reproche que je révèle ici les mystères de l'Eglise? Ah!
-surmontons ce faible remords. Ne sait-on pas que tout homme est homme,
-et les moines surtout? Ils ont donc la faculté de travailler à la
-propagation de l'espèce. Eh! pourquoi la leur interdirait-on? Ils s'en
-acquittent si bien!
-
-Peut-être, lecteur, vous attendez avec impatience que je vous fasse le
-récit détaillé de ma naissance: je suis fâché de ne pouvoir pas sitôt
-vous satisfaire sur cet article. Vous allez me voir de plein saut chez
-un bonhomme de paysan que j'ai pris longtemps pour mon père.
-
-Ambroise, c'était le nom du bonhomme, était le jardinier d'une maison de
-campagne que les Célestins avaient dans un petit village à quelques
-lieues de la ville; sa femme, Toinette, fut choisie pour me servir de
-nourrice. Un fils qu'elle avait mis au monde, et qui mourut au moment où
-je vis le jour, aida à voiler le mystère de ma naissance. On enterra
-secrètement le fils du jardinier et celui des moines fut mis à sa place:
-l'argent fait tout.
-
-Je grandissais insensiblement, toujours cru et me croyant moi-même fils
-du jardinier. J'ose dire néanmoins, qu'on me pardonne ce petit trait de
-vanité, que mes inclinations décelaient ma naissance. Je ne sais quelle
-influence divine opère sur les ouvrages des moines: il semble que la
-vertu du froc se communique à tout ce qu'ils touchent. Toinette en était
-une preuve. C'était bien la plus fringante femelle que j'aie jamais vue,
-et j'en ai vu quelques-unes. Elle était grosse, mais ragoûtante, de
-petits yeux noirs, un nez retroussé, vive, amoureuse, plus parée que ne
-l'est ordinairement une paysanne. Ç'aurait été un excellent pis aller
-pour un honnête homme; jugez pour des moines!
-
-Quand la coquine paraissait avec son corset des dimanches, qui lui
-serrait une gorge que le hâle avait toujours respectée, et laissait voir
-deux tétons qui s'échappaient, ah! que je sentais bien dans ce moment
-que je n'étais pas son fils, ou que j'aurais volontiers passé sur cette
-qualité.
-
-J'avais les dispositions toutes monacales. Guidé par le seul instinct,
-je ne voyais pas une fille que je ne l'embrassasse, que je ne lui
-portasse la main partout où elle voulait bien la laisser aller; et
-quoique je ne susse pas bien positivement ce que j'aurais fait, mon
-coeur me disait que j'en aurais fait plus, si l'on ne m'eût arrêté dans
-mes transports.
-
-Un jour qu'on me croyait à l'école, j'étais resté dans un petit réduit
-où je couchais: une simple cloison le séparait de la chambre d'Ambroise,
-dont le lit était justement appuyé contre; je dormais; il faisait une
-extrême chaleur: c'était dans le coeur de l'été; je fus tout à coup
-réveillé par de violentes secousses que j'entendis donner à la cloison.
-Je ne savais que penser de ce bruit; il redoublait. En prêtant
-l'oreille, j'entendis des sons émus et tremblants, des mots sans suite
-et mal articulés. «Ah! doucement, ma chère Toinette, ne va pas si vite!
-Ah! coquine! tu me fais mourir de plaisir!... Va vite... Eh! vite...
-Ah!... je me meurs!...»
-
-Surpris d'entendre de pareilles exclamations, dont je ne sentais pas
-toute l'énergie, je me rassis; à peine osais-je remuer. Si l'on m'avait
-su là, j'avais tout à craindre; je ne savais quoi penser, j'étais tout
-ému. L'inquiétude où j'étais fit bientôt place à la curiosité.
-J'entendis de nouveau le même bruit, et je crus distinguer qu'un homme
-et Toinette répétaient alternativement les mêmes mots que j'avais déjà
-entendus. Même attention de ma part. L'envie de savoir ce qui se passait
-dans cette chambre devint à la fin si vive qu'elle étouffa toutes mes
-craintes. Je résolus de savoir ce qu'il en était. Je serais, je crois,
-volontiers entré dans la chambre d'Ambroise pour voir ce qui s'y
-passait, au risque de tout ce qui aurait pu arriver. Je ne fus pas à
-cette peine. En cherchant doucement avec la main si je ne trouverais pas
-quelque trou à la cloison, j'en sentis un qui était couvert par une
-grande image. Je la perçai et me fis jour. Quel spectacle! Toinette nue
-comme la main, étendue sur son lit, et le père Polycarpe, procureur du
-couvent, qui était à la maison depuis quelque temps, nu comme Toinette,
-faisant... quoi? ce que faisaient nos premiers parents, quand Dieu leur
-eut ordonné de peupler la terre, mais avec des circonstances moins
-lubriques.
-
-Cette vue produisit chez moi une surprise mêlée de joie et d'un
-sentiment vif et délicieux qu'il m'aurait été impossible d'exprimer. Je
-sentais que j'aurais donné tout mon sang pour être à la place du moine.
-Que je lui portais d'envie! que son bonheur me paraissait grand! Un feu
-inconnu se glissait dans mes veines; j'avais le visage enflammé, mon
-coeur palpitait, je retenais mon haleine, et la pique de Vénus, que je
-pris à la main, était d'une force et d'une roideur à abattre la cloison,
-si j'avais poussé un peu fort. Le père fournit sa carrière, et en se
-retirant de dessus Toinette, il la laissa exposée à toute la vivacité de
-mes regards. Elle avait les yeux mourants et le visage couvert du rouge
-le plus vif. Elle était hors d'haleine; ses bras étaient pendants, sa
-gorge s'élevait et se baissait avec une précipitation étonnante. Elle
-serrait de temps en temps le derrière, en se roidissant et en jetant de
-grands soupirs. Mes yeux parcouraient avec une rapidité inconcevable
-toutes les parties de son corps; il n'y en avait pas une sur laquelle
-mon imagination ne collât mille baisers de feu. Je suçais ses tétons,
-son ventre; mais l'endroit le plus délicieux, et de dessus lequel mes
-yeux ne purent plus s'arracher, quand une fois je les y eus fixés,
-c'était... Vous m'entendez. Que cette coquille avait pour moi de
-charmes! Ah! l'aimable coloris! Quoique couverte d'une petite écume
-blanche, elle ne perdait rien à mes yeux de la vivacité de sa couleur.
-Au plaisir que je ressentais, je reconnus le centre de la volupté. Il
-était ombragé d'un poil épais, noir et frisé. Toinette avait les jambes
-écartées, il semblait que sa paillardise fût d'accord avec ma curiosité
-pour ne me rien laisser à désirer!
-
-Le moine, ayant repris vigueur, vint de nouveau se présenter au combat;
-il se remit sur Toinette, avec une nouvelle ardeur; mais ses forces
-trahirent son courage, et, fatigué de piquer inutilement sa monture, je
-le vis retirer l'instrument de la coquille de Toinette, lâche et
-baissant la tête. Toinette, dépitée de sa retraite, le prit et se mit à
-le secouer; le moine s'agitait avec fureur et paraissait ne pouvoir plus
-supporter le plaisir qu'il ressentait. J'examinais tous leurs mouvements
-sans autre guide que la nature, sans autre instruction que l'exemple,
-et, curieux de savoir ce qui pouvait occasionner ces mouvements
-convulsifs du père, j'en cherchais la cause en moi-même. J'étais surpris
-de sentir un plaisir inconnu qui augmentait insensiblement, et devint
-enfin si grand que je tombai pâmé sur mon lit. La nature faisait des
-efforts incroyables, et toutes les parties de mon corps semblaient
-fournir au plaisir de celle que je caressais. Il tomba enfin de cette
-liqueur blanche dont j'avais vu une si grande profusion sur les cuisses
-de Toinette. Je revins de mon extase, et retournai au trou de la
-cloison; il n'était plus temps: le dernier coup était joué, la partie
-était finie. Toinette se rhabillait, le père l'était déjà.
-
-Je restai quelque temps l'esprit et le coeur remplis de l'aventure dont
-je venais d'être témoin, et dans cette espèce d'étourdissement
-qu'éprouve un homme qui vient d'être frappé par l'éclat d'une lumière
-étrangère. J'allais de surprise en surprise; les connaissances que la
-nature avait mises dans mon coeur venaient de se développer, les nuages
-dont elle les avait couvertes s'étaient dissipés. Je reconnus la cause
-des différents sentiments que j'éprouvais tous les jours à la vue des
-femmes. Ces passages imperceptibles de la tranquillité aux mouvements
-les plus vifs, de l'indifférence aux désirs, n'étaient plus des énigmes
-pour moi. Ah! m'écriai-je, qu'ils étaient heureux! la joie les
-transportait tous deux. Il faut que le plaisir qu'ils goûtaient soit
-bien grand. Ah! qu'ils étaient heureux! qu'ils étaient heureux! L'idée
-de ce bonheur m'absorbait; elle m'ôtait pour un moment tout pouvoir d'y
-réfléchir. Un silence profond succédait à mes exclamations. Ah!
-reprenais-je aussitôt, ne serai-je jamais grand pour en faire autant à
-une femme? Je mourrais sur elle de plaisir, puisque je viens d'en avoir
-tant. Ce n'est là sans doute qu'une image de celui que le père Polycarpe
-goûtait avec ma mère; mais, poursuivais-je je suis bien simple! Est-il
-absolument nécessaire d'être grand pour avoir ce plaisir-là? Pardi! il
-me semble que le plaisir ne se mesure pas à la taille: pourvu que l'on
-soit l'un sur l'autre, cela doit aller tout seul!
-
-Sur le champ il me vint dans l'esprit de faire part de mes nouvelles
-découvertes à ma soeur Suzon. Elle avait quelques années de plus que
-moi: c'était une petite blonde fort jolie, qui portait une de ces
-physionomies ouvertes que l'on serait tenté de croire niaises, parce
-qu'elles paraissent indolentes. Elle avait de ces beaux yeux bleus,
-pleins d'une douce langueur, qu'il semble que l'on tourne sur vous sans
-intention, mais dont l'effet n'est pas moins sûr que celui des yeux
-brillants d'une brune piquante qui vous lance des regards passionnés.
-Pourquoi cela? Je n'en sais rien, car je me suis toujours grossièrement
-contenté du sentiment, sans être tenté d'en pénétrer la cause. Ne
-serait-ce pas parce qu'une belle blonde, avec ses regards languissants,
-semble vous prier de lui donner votre coeur, et que ceux d'une brune
-veulent vous enlever de force? La blonde ne demande qu'un peu de
-compassion pour sa faiblesse, et cette façon de demander est bien
-séduisante; vous croyez ne donner que la compassion, et vous donnez de
-l'amour. La brune, au contraire, veut que vous soyez faible, sans vous
-promettre qu'elle le sera. Le coeur se gendarme contre celle-ci,
-n'est-il pas vrai? Qu'en pensez-vous, lecteur?
-
-Je l'avoue à ma honte, il ne m'était pas encore venu dans l'esprit de
-jeter sur Suzon un regard de concupiscence, chose rare chez moi, qui
-convoitais toutes les filles que je voyais. Il est vrai qu'étant la
-filleule de la dame du village, qui l'aimait et la faisait élever chez
-elle, je ne la voyais pas souvent. Il y avait même un an qu'elle était
-au couvent: elle n'en était sortie que depuis huit jours; sa marraine,
-qui devait venir passer quelque temps à la campagne, lui avait promis de
-venir voir Ambroise. Je me sentis tout d'un coup enflammé du désir
-d'endoctriner ma chère soeur et de goûter avec elle les mêmes plaisirs,
-que je venais de voir prendre au père Polycarpe avec Toinette. Je ne fus
-plus le même pour elle. Mes yeux sourirent à mille charmes que je ne lui
-avais pas aperçus. Je lui trouvai une gorge naissante, plus blanche que
-le lis, ferme, potelée. Je suçais déjà avec un délice inexprimable ces
-deux petites fraises que je voyais au bout de ces tétons; mais surtout
-dans la peinture de ses charmes je n'oubliais pas ce centre, cet abîme
-de plaisirs dont je me faisais des images si ravissantes. Animé par
-l'ardeur vive et brûlante que ces idées répandaient dans tout mon corps,
-je sortis, j'allai chercher Suzon. Le soleil venait de se coucher, la
-brune s'avançait: je me flattais qu'à la faveur de l'obscurité que la
-nuit allait répandre je serais dans un moment au comble de mes désirs,
-si je la trouvais. Je l'aperçus de loin qui cueillait des fleurs. Elle
-ne pensait pas alors que je méditais de cueillir la fleur la plus
-précieuse de son bouquet. Je volai à elle; la voyant livrée toute
-entière à une occupation aussi innocente, je balançai dans le moment si
-je lui ferais connaître mon dessein. A mesure que j'approchais, je
-sentais ralentir la vivacité de ma course. Un tremblement soudain
-semblait me reprocher mon intention: je croyais devoir respecter son
-innocence; je n'étais retenu que par l'incertitude du succès. Je
-l'abordai, mais avec une palpitation qui ne me permettait pas de dire
-deux mots sans reprendre haleine.--Que fais-tu donc là, Suzon? lui
-dis-je en m'approchant d'elle. Et voulant l'embrasser, elle s'échappa en
-riant et me répondit: Comment! ne vois-tu pas que je cueille des
-fleurs?--Ah! ah! repris-je, tu cueilles des fleurs?--Eh! vraiment oui,
-me répliqua-t-elle; ne sais-tu pas que c'est demain la fête de ma
-marraine? Ce nom me fit trembler, comme si j'eusse craint que Suzon ne
-m'échappât. Mon coeur s'était déjà fait (si j'ose me servir de ce terme)
-une habitude de la regarder comme une conquête sûre; et l'idée de son
-éloignement semblait me menacer de la perte d'un plaisir que je
-regardais comme certain, quoique je n'en eusse pas encore goûté.--Je ne
-te verrai donc plus, Suzon? lui dis-je d'un air triste.--Pourquoi donc,
-me répondit-elle, ne viendrais-je pas toujours ici? Mais, allons,
-poursuivit-elle d'un air charmant, aide-moi à faire mon bouquet. Je ne
-lui répondis qu'en lui jetant quelques fleurs au visage; aussitôt elle
-de m'en jeter aussi.--Tiens, Suzon, lui dis-je, si tu m'en jettes
-davantage, je te... Tu me le payeras! Pour me faire voir qu'elle bravait
-mes menaces, elle m'en jeta une poignée. Dans le moment ma timidité
-m'abandonna; je ne craignais pas d'être vu. La brune, qui empêchait
-qu'on ne pût voir à une certaine distance, favorisait mon audace. Je me
-jette sur Suzon, elle me repousse; je l'embrasse, elle me donne un
-soufflet; je la jette sur l'herbe, elle veut se relever, je l'en
-empêche; je la tiens étroitement serrée dans mes bras en lui baisant la
-gorge, elle se débat; je veux lui fourrer la main sous la jupe; elle
-crie comme un petit démon; elle se défend si bien que je crains de n'en
-pouvoir venir à bout, et qu'il ne survienne du monde. Je me relevai en
-riant, et je crus qu'elle n'y entendait pas plus de malice que je
-voulais qu'elle n'y entendît. Que je me trompais!--Allons, lui dis-je,
-Suzon, pour te faire voir que je ne voulais pas te faire de mal, je veux
-bien t'aider.--Oui, oui, me répondit-elle avec une agitation au moins
-égale à la mienne, va, voilà ma mère qui vient, et je...--Ah! Suzon,
-repris-je vivement en l'empêchant d'en dire davantage, ma chère Suzon,
-ne lui dis rien; je te donnerai... tiens, tout ce que tu voudras! Un
-nouveau baiser fut le gage de ma parole; elle en rit; Toinette arriva.
-Je craignais que Suzon ne parlât; elle ne dit mot, et nous retournâmes
-tous ensemble souper, comme si rien n'était.
-
-Depuis que le père Polycarpe était à la maison, il avait donné de
-nouvelles preuves de la bonté du couvent pour le prétendu fils
-d'Ambroise: je venais d'être habillé tout de neuf. En vérité, sa
-révérence avait en cela moins consulté la charité monacale, qui a des
-bornes fort étroites, que la tendresse paternelle, qui souvent n'en
-connaît pas. Le bon père, par une pareille prodigalité, exposait la
-légitimité de ma naissance à de violents soupçons. Mais nos manants
-étaient de bonnes gens et n'en voyaient pas plus que l'on ne voulait
-leur en faire voir. D'ailleurs qui aurait osé porter un oeil critique et
-malin sur le motif de la générosité des révérends pères. C'étaient de si
-honnêtes gens, de si bonnes gens; on les adorait dans le village: ils
-faisaient du bien aux hommes et aimaient l'honneur des femmes; tout le
-monde était content. Mais revenons à ma figure, car je vais avoir une
-aventure illustre.
-
-A propos de cette figure-là, j'avais un air espiègle qui ne prévenait
-pas contre moi. J'étais mis proprement; des yeux malins, de longs
-cheveux noirs me tombaient par boucles sur les épaules, et relevaient à
-merveille les couleurs de mon visage, qui, quoiqu'un peu brun, ne
-laissait pas de valoir son prix. C'est un témoignage authentique que je
-me crois obligé de rendre au jugement de plusieurs très honnêtes et très
-vertueuses personnes à qui j'ai rendu mes hommages.
-
-Suzon, comme je l'ai dit, avait fait un bouquet pour Mme Dinville
-(c'était le nom de sa marraine), femme d'un conseiller de la ville
-voisine, qui venait à sa terre prendre le lait pour rétablir une
-poitrine dérangée par le vin de Champagne et quelques autres causes.
-
-Suzon s'étant mise dans ses petits atours, qui la rendirent encore plus
-aimable à mes yeux, il fut dit que je l'accompagnerais. Nous allâmes au
-château. Nous trouvâmes la dame dans un appartement d'été où elle
-prenait le frais. Figurez-vous une femme d'une grandeur médiocre, poil
-brun, peau blanche, le visage laid en général, enluminé d'un rouge
-champenois, les yeux alertes, amoureux, et tétonnière autant que femme
-au monde. Ce fut d'abord la première bonne qualité que je lui
-remarquais: ç'a toujours été mon faible que ces deux boules-là! C'est
-aussi quelque chose de si joli quand vous tenez cela dans la main, quand
-vous... Ah! chacun le sien; qu'on me passe celui-ci!
-
-Sitôt que la dame nous aperçut, elle jeta sur nous un regard de bonté,
-sans changer de situation. Elle était couchée sur un canapé, une jambe
-dessus et l'autre sur le parquet; elle n'avait qu'un simple jupon blanc,
-assez court pour laisser voir un genou qui n'était pas assez couvert
-pour faire penser qu'il serait bien difficile de voir le reste; un petit
-corset de la même couleur, un pet-en-l'air de taffetas couleur de rose,
-bichonnée d'un petit air négligé, et la main passée sous son jupon,
-jugez à quelle intention! Mon imagination fut au fait dans le moment, et
-mon coeur la suivit de près; mon sort était de devenir désormais
-amoureux de toutes les femmes qui se présenteraient à mes yeux: les
-découvertes de la veille avaient fait éclore en moi ces louables
-dispositions.
-
---Ah! bonjour, ma chère enfant, dit Mme Dinville à Suzon; eh bien, tu
-reviens donc me trouver? Ah!... tu m'apportes un bouquet; mais,
-vraiment, je te suis bien obligée, ma chère fille; embrasse-moi donc!
-Embrassade de la part de Suzon. Mais, continua-t-elle en jetant les yeux
-sur moi, quel est donc ce beau gros garçon-là? Comment petite fille,
-vous vous faites accompagner par un garçon? Cela est joli! Je baissai
-les yeux; Suzon lui dit que j'étais son frère; révérence de ma part--Ton
-frère? reprit Mme Dinville; allons donc! continua-t-elle en me regardant
-et en m'adressant la parole, baise-moi, mon fils. Oh! je veux que nous
-fassions connaissance. Elle me donne un baiser sur la bouche; je sens
-une petite langue se glisser entre mes lèvres et une main qui joue avec
-les boucles de mes cheveux. Je ne connaissais pas encore cette manière
-de baiser; j'étais tout ému. Je jetai sur elle un regard timide, et je
-rencontrai ses yeux brillants et pleins de feu qui attendaient les miens
-au passage et qui les firent baisser. Nouveau baiser de même nature
-après lequel je fus libre de me remuer, car je ne l'étais guère de la
-façon dont elle me tenait embrassé. Je n'en étais pourtant pas fâché: il
-me semblait que c'était toujours autant de retranché sur le cérémonial
-de la connaissance qu'elle disait vouloir faire avec moi. Je ne fus sans
-doute redevable de ma liberté qu'à la réflexion qu'elle fit sur le
-mauvais effet que pouvait produire la vivacité de ses caresses
-prodiguées avec si peu de ménagement à une première vue; mais ces
-réflexions ne furent pas de longue durée; elle reprit la conversation
-avec Suzon, et le refrain de chaque période était: Suzon, venez me
-baiser. D'abord le respect me faisait tenir écarté.--Eh bien, dit-elle
-en m'adressant de nouveau la parole, ce gros garçon-là ne viendra donc
-pas aussi me baiser? J'avançai et j'appuyai sur la joue. Je n'osais
-encore aller à la bouche: je lui fis un baiser un peu plus hardi que le
-premier. Je ne fus en reste avec elle que de quelque chose de plus
-passionné qu'elle mit dans le sien. Elle partageait ainsi ses caresses
-entre ma soeur et moi, pour me donner le change sur le sujet de celles
-qu'elle me faisait. Sa politique me rendait justice: j'étais plus habile
-que ma figure ne le promettait. Je me fis insensiblement si bien à ce
-petit manège, que je n'attendais pas le refrain pour prendre ma part.
-Peu à peu ma soeur se trouva sevrée de la sienne; je m'établis dans le
-privilège exclusif de jouir des bontés de la dame; Suzon n'avait plus
-que les paroles.
-
-Nous étions assis sur le canapé; nous babillions, car Mme Dinville était
-grande babillarde. Suzon était à sa droite, j'étais à sa gauche. Suzon
-regardait dans le jardin et Mme Dinville me regardait; elle s'amusait à
-me défriser, à me pincer la joue, à me donner de petits soufflets; moi,
-je m'amusais à la regarder, à lui mettre la main, d'abord en tremblant,
-sur le col; ses manières aisées, me donnaient beau jeu; j'étais
-effronté: la dame ne disait mot, me regardait, riait, et me laissait
-faire. Ma main, timide dans les commencements, mais devenue plus hardie
-par la facilité qu'elle trouvait à se satisfaire, descendait
-insensiblement du col à la gorge, et s'appesantissait avec délices sur
-un sein dont la fermeté élastique la faisait tant soit peu rebondir. Mon
-coeur nageait dans la joie; déjà je tenais dans la main une de ces
-boules charmantes que je maniais à souhait. J'allais y mettre la bouche;
-en avançant on arrive au but. J'aurais, je crois, poussé ma bonne
-fortune jusqu'où elle pouvait aller, quand un maudit importun, le bailli
-du village, vieux singe envoyé par un démon jaloux de mon bonheur, se
-fit entendre dans l'antichambre. Mme Dinville, réveillée par le bruit
-que fit cet original en arrivant, me dit: Que faites-vous donc, petit
-fripon? Je retirai la main précipitamment; mon effronterie ne tint pas
-contre un pareil reproche; je rougis, je me croyais perdu. Mme Dinville,
-qui voyait mon embarras, me fit sentir, par un petit soufflet qu'elle
-accompagna d'un sourire charmant, que sa colère n'était que pour la
-forme, et ses regards me confirmèrent que ma hardiesse lui déplaisait
-moins que l'arrivée de ce vilain bailli.
-
-Il entra; l'ennuyeux personnage! Après avoir toussé, craché, éternué,
-mouché, il fit sa harangue, plus ennuyeuse encore que sa figure. Si nous
-en eussions été quittes pour cela, ce n'aurait été que demi-mal; mais il
-semblait que le maraud eût donné le mot à tous les importuns du village,
-qui vinrent tour à tour faire un salamalec. J'enrageais. Quand Mme
-Dinville eut répondu à bien des sots complimenteurs, elle se tourna de
-notre côté et nous dit: Ah çà! mes chers enfants, vous reviendrez demain
-dîner avec moi: nous serons seuls. Il me sembla qu'elle affectait de
-jeter sur moi les yeux en disant ces derniers mots. Mon coeur trouvait
-son compte dans cette assurance, et je sentis que, sans faire tort à mon
-penchant, mon petit amour-propre ne laissait pas d'être flatté.--Vous
-viendrez, entendez-vous, Suzon? continua Mme Dinville, et vous amènerez
-Saturnin; c'était le nom que portait alors votre serviteur. Adieu,
-Saturnin, me dit-elle en m'embrassant. Pour le coup, je ne fus en reste
-de rien avec elle. Nous sortîmes.
-
-Je me sentais dans une disposition qui assurément m'aurait fait honneur
-auprès de Mme Dinville, sans la visite imprévue de ces ennuyeux
-complimenteurs; mais ce que je sentais pour elle n'étais pas de l'amour,
-ce n'était qu'un désir violent de faire avec une femme la même chose que
-j'avais vu faire au père Polycarpe avec Toinette. Le délai d'un jour que
-Mme Dinville m'avait donné me paraissait immense. J'essayai, chemin
-faisant, de remettre Suzon sur les voies, en lui rappelant l'aventure de
-la veille.--Que tu es simple, Suzon! lui dis-je. Tu crois donc que je
-voulais te faire du mal hier?--Que voulais-tu donc me faire?
-répondit-elle.--Bien du plaisir.--Quoi! reprit-elle avec une apparence
-de surprise, en me mettant la main sous la jupe tu m'aurais fait bien du
-plaisir?--Assurément; si tu veux que je t'en donne la preuve, lui
-dis-je, viens avec moi dans quelque endroit écarté. Je l'examinais avec
-inquiétude; je cherchais sur son visage quelques marques des effets que
-devait produire ce que je lui disais: je n'y voyais pas plus de vivacité
-qu'à l'ordinaire. Le veux-tu bien? dis, ma chère Suzon, continuais-je en
-la caressant.--Mais, encore, reprit-elle sans faire semblant d'entendre
-la proposition que je lui faisais, qu'est-ce donc que ce plaisir dont tu
-me fait tant d'éloges?--C'est, lui répondis-je, l'union d'un homme avec
-une femme qui s'embrassent, qui se serrent bien fort et qui se pâment en
-se tenant étroitement serrés de cette façon. Les yeux toujours fixés sur
-le visage de ma soeur, je ne laissais échapper aucun des mouvements qui
-l'agitaient; j'y voyais la gradation insensible de ses désirs, sa gorge
-bondissait.--Mais, me dit-elle avec une naïveté curieuse qui me
-paraissait de bonne augure, mon père m'a quelquefois tenu comme tu le
-dis, sans sentir cependant ce plaisir que tu me promets.--C'est,
-repartis-je, qu'il ne te faisait pas ce que je voudrais te faire.--Et
-que voudrais-tu donc me faire? me demanda-t-elle d'une voix
-tremblante.--Je te mettrais, lui répondis-je effrontément, quelque chose
-entre les cuisses qu'il n'osait pas te mettre. Elle rougit, et me
-laissa, par son trouble, la liberté de continuer en ces termes: Vois-tu,
-Suzon, tu as un petit trou ici, lui dis-je en lui montrant l'endroit où
-j'avais vu la fente de Toinette.--Eh! qui t'a dit cela? me
-demanda-t-elle sans lever les yeux sur moi.--Qui me l'a dit, repris-je
-assez embarrassé de sa question, c'est q... c'est que toutes les femmes
-en ont autant.--Et les hommes? poursuivit-elle.--Les hommes, lui
-répondis-je, ont une machine à l'endroit où vous avez une fente. Cette
-machine se met dans cette fente, et c'est là ce qui fait le plaisir
-qu'une femme prend avec un homme. Veux-tu que je te fasse voir la
-mienne? mais à la condition que tu me laisseras toucher à ta petite
-fente: nous nous chatouillerons, et nous serons bien aises.
-
-Suzon était toute rouge. Les discours que je lui tenais paraissaient la
-surprendre; il semblait qu'elle eût peine à m'en croire; elle n'osait me
-laisser mettre la main sous sa jupe, dans la crainte, disait-elle, que
-je ne voulusse la tromper et que je n'allasse tout déclarer. Je
-l'assurai que rien au monde ne serait capable de m'en arracher l'aveu,
-et, pour la convaincre de cette différence que je lui disais se trouver
-entre nous deux, je voulus lui prendre la main; elle la retira, et nous
-continuâmes notre entretien jusqu'à la maison.
-
-Je voyais bien que la petite friponne prenait goût à mes leçons, et que
-si je la trouvais encore une fois cueillant des fleurs, il ne me serait
-pas difficile de l'empêcher de crier. Je brûlais d'envie de mettre la
-dernière main à mes instructions et d'y joindre l'expérience.
-
-A peine étions-nous entrés dans la maison que nous vîmes entrer le père
-Polycarpe; je démêlai le motif de sa visite: je n'en doutai plus quand
-sa révérence eut déclaré d'un air aisé qu'elle venait prendre le dîner
-de famille. On croyait Ambroise bien loin; il est vrai qu'il ne les
-gênait guère, mais on est toujours bien aise d'être débarrassé de la
-présence d'un mari, quelque commode qu'il soit. C'est toujours un animal
-de mauvais augure. Je ne doutai pas que je n'eusse après-midi le même
-spectacle que j'avais eu la veille, et sur le champ je formai le dessein
-d'en faire part à Suzon. Je pensais, avec raison, qu'une pareille vue
-serait un excellent moyen pour avancer mes petites affaires avec elle;
-je ne lui en parlai pas. Je remis cette épreuve à l'après-dînée, bien
-résolu à n'employer ce moyen qu'à l'extrémité, comme un corps de réserve
-décisif pour une action.
-
-Le moine et Toinette ne se gênaient pas en notre présence: ils nous
-croyaient des témoins peu dangereux. Je voyais la main gauche du père se
-glisser mystérieusement sous la table et agiter les jupes de Toinette,
-qui lui souriait et me paraissait écarter les cuisses pour laisser
-apparemment le passage plus libres aux doigts libertins du paillard
-moine.
-
-Toinette avait de son côté une main sur la table, mais l'autre était
-dessous et rendait vraisemblablement au père ce que le père lui prêtait.
-J'étais au fait. Les plus petites choses frappent un esprit prévenu. Le
-révérend père chopinait de bonne grâce; Toinette lui répondait sur le
-même ton; ses désirs parvinrent bientôt au point d'être gênés par notre
-présence: elle nous le fit connaître en nous conseillant, à ma soeur et
-à moi, d'aller faire un tour dans le jardin; j'entendis ce qu'elle
-voulait nous dire. Nous nous levâmes aussitôt, et leur laissâmes, par
-notre départ, la liberté de faire autre chose que glisser les mains sous
-la table. Jaloux du bonheur que notre départ allait les mettre en état
-de goûter, je voulus encore essayer de venir à bout de Suzon sans le
-secours du tableau que je devais offrir à ses regards. Je la conduisis
-vers une allée d'arbres dont l'épais feuillage faisait une obscurité qui
-promettait beaucoup d'assurances à mes désirs. Elle s'aperçut de mon
-dessein, et ne voulut pas m'y suivre.--Tiens, Saturnin, me dit-elle,
-ingénument, je vois que tu veux encore m'entretenir de cela; et bien,
-parlons-en.--Je te fais donc plaisir, répondis-je, quand j'en parle?
-Elle me l'avoua. Juge, lui dis-je, ma chère Suzon, par celui que mes
-discours te donnent, de celui que tu aurais... Je ne lui en dis pas
-davantage: je la regardais, je tenais sa main, que je pressais contre
-mon sein.--Mais, Saturnin, me dit-elle, si... cela allait faire du
-mal?--Quel mal veux-tu que cela fasse? lui répondis-je, charmé de
-n'avoir plus qu'un aussi faible obstacle à détruire; aucun, ma chère
-petite; au contraire.--Aucun, reprit-elle en rougissant et en baissant
-la vue, et si j'allais devenir grosse? Cette objection me surprit
-étrangement. Je ne croyais pas Suzon si savante, et j'avoue que je
-n'étais pas en état de lui donner une réponse satisfaisante.--Comment
-donc, grosse? lui dis-je? est-ce que c'est comme cela que les femmes
-deviennent grosses, Suzon?--Sans doute, me répondit-elle, d'un ton
-d'assurance qui m'effraya.--Et où l'as-tu donc appris? lui demandais-je,
-car je sentais bien que c'était à son tour à me donner des leçons. Elle
-me répondit qu'elle voulait bien me le dire, mais à condition que je
-n'en parlerais de ma vie.--Je te crois discret, Saturnin, ajouta-t-elle,
-et si tu étais capable d'ouvrir jamais la bouche sur ce que je vais te
-dire, je te haïrais à la mort. Je lui jurai que jamais je n'en
-parlerais. Asseyons-nous ici, poursuivit-elle en me montrant un gazon où
-l'on n'était à l'aise que pour causer sans être entendus. J'aurais bien
-mieux aimé l'allée; nous n'y aurions pas été vus ni entendus. Je la
-proposai de nouveau, elle n'y voulu pas venir.
-
-Nous nous assîmes sur le gazon, à mon grand regret; pour comble de
-malheur, je vis arriver Ambroise. N'ayant plus d'espérance pour cette
-fois, je pris mon parti. L'agitation où me mit le désir d'apprendre ce
-que devait me dire Suzon fit diversion à mon chagrin.
-
-Avant de commencer, Suzon exigea encore de nouvelles assurances de ma
-part: je les lui donnai avec serment. Elle hésitait, elle n'osait
-encore; je la pressai si fort qu'elle se détermina.--Voilà qui est fait,
-me dit-elle, je t'en crois, Saturnin; écoute, tu vas être étonné de ma
-science, je t'en avertis. Tu croyais m'apprendre quelque chose tantôt,
-j'en sais plus que toi: tu vas le voir; mais ne crois pas pour cela que
-j'aie moins pris de plaisir à ce que tu m'as dit: on aime toujours à
-entendre parler de ce qui flatte.--Comment donc! tu parles comme un
-oracle; on voit bien que tu as été au couvent. Que cela façonne une
-fille!--Oh! vraiment, me répondit-elle, si je n'y avais jamais été,
-j'ignorerais bien des choses que je sais.--Eh! dis le-moi donc ce que tu
-sais, repris-je vivement; je meurs d'envie de l'apprendre.
-
-Il n'y a pas longtemps, continua Suzon, que, pendant une nuit fort
-obscure, je dormais d'un profond sommeil; je fus réveillée en sentant un
-corps tout nu qui se glissait dans mon lit; je voulus crier, mais on me
-mit la main sur la bouche, en me disant: Tais-toi; je ne veux pas te
-faire de mal; est-ce que tu ne reconnais pas la soeur Monique? Cette
-soeur venait, depuis peu, de prendre le voile de novice; c'était ma
-meilleure amie.--Jésus, lui dis-je, ma bonne, pourquoi donc venir me
-surprendre dans le lit?--C'est que je t'aime! me répondit-elle en
-m'embrassant.--Et pourquoi êtes-vous toute nue?--C'est qu'il fait si
-chaud que ma chemise même est trop pesante; il tombe une pluie terrible;
-j'ai entendu le tonnerre qui grondait: j'en ai bien peur; ne
-l'entends-tu pas aussi? Quel bruit il fait! Ah! serre-moi bien fort, mon
-petit coeur; mets le drap par dessus notre tête pour ne pas voir ces
-vilains éclairs. Là, bon! Ah! ma chère Suzon, que j'ai peur! Moi, qui ne
-crains pas le tonnerre, je tâchais de rassurer la soeur, qui, pendant ce
-temps-là, me passait sa cuisse droite entre les miennes et sa gauche par
-dessous, et, dans cette posture, elle se frottait contre ma cuisse
-droite, en me mettant la langue dans la bouche et me donnant de petits
-coups sur la fesse avec la main. Après qu'elle se fut un peu remuée de
-cette façon-là, je crus sentir qu'elle me mouillait la cuisse. Elle
-poussait des soupirs: je m'imaginais que c'était la peur du tonnerre qui
-faisait cela. Je la plaignais; mais bientôt elle reprit sa posture
-naturelle. Je croyais qu'elle allait s'endormir, et je me préparais à en
-faire autant, quand elle me dit: Tu dors donc, Suzon? Je lui répondis
-que non, mais que j'allais bientôt le faire.--Tu veux donc, reprit-elle,
-me laisser mourir de frayeur? Oui, je mourrai si tu te rendors;
-donne-moi la main, ma chère petite: donne. Je me laissai prendre la
-main, qu'elle porta aussitôt à sa fente, en me disant de la chatouiller
-avec mon doigt dans le haut de cet endroit. Je le fis par amitié pour
-elle. J'attendais qu'elle me dît de finir, mais elle ne disait mot,
-écartait seulement les jambes et respirait un peu plus vite qu'à
-l'ordinaire, en jetant de temps en temps quelques soupirs et en remuant
-le derrière. Je crus qu'elle se trouvait mal, et je cessai de faire
-aller le doigt.--Ah! Suzon, me dit-elle d'une voix entrecoupée, achève!
-Je continuai. Ah! s'écria-t-elle en s'agitant bien fort et en
-m'embrassant étroitement, dépêche, ma petite reine, dépêche! Ah! ah!
-vite, ah!... je me meurs! Au moment qu'elle disait cela, tout son corps
-se roidit et je me sentis de nouveau la main mouillée; enfin, elle
-poussa un grand soupir et resta sans mouvement. Je t'assure, Saturnin,
-que j'étais bien étonnée de tout ce qu'elle me faisait faire.--Et tu
-n'étais pas émue? lui dis-je.--Oh! que si, me répondit-elle; je voyais
-bien que tout ce que je venais de lui faire lui avait donné beaucoup de
-plaisir, et que si elle voulait m'en faire autant j'en aurais beaucoup
-aussi; mais je n'osais le lui proposer. Elle m'avait cependant mise dans
-un état bien embarrassant. Je désirais et je n'osais lui dire ce que je
-désirais: je remettais avec plaisir la main sur sa fente; je prenais la
-sienne, que je portais, que je faisais reposer sur différents endroits
-de mon corps, sans oser pourtant la mettre sur le seul où je sentais que
-j'en avais besoin. La soeur, qui savait aussi bien que moi ce que je lui
-demandais, et qui avait la malice de me laisser faire, eut à la fin
-pitié de mon embarras et me dit en m'embrassant: Je vois bien, petite
-coquine, ce que tu veux. Aussitôt elle se couche sur moi, je la reçois
-dans mes bras.--Ouvre un peu les cuisses, me dit-elle. Je lui obéis.
-Elle me coule le doigt où le mien venait de lui faire tant de plaisir:
-elle répétait elle-même les leçons qu'elle m'avait données. Je sentais
-le plaisir monter par degré et s'accroître à chaque coup de doigt
-qu'elle donnait. Je lui rendais en même temps le même service. Elle
-avait les mains jointes sous mes fesses; elle m'avait avertie de remuer
-un peu le derrière, à mesure qu'elle pousserait. Ah! qu'elle semait de
-délices dans ce charmant badinage! Mais elles n'étaient que le prélude
-de celles qui devraient suivre. Le ravissement me fit perdre toute
-connaissance; je demeurai pâmée dans les bras de ma chère Monique. Elle
-était dans le même état: nous étions immobiles. Je revins ensuite de mon
-extase. Je me trouvai aussi mouillée que la soeur, et ne sachant à quoi
-attribuer un pareil prodige, j'avais la simplicité de croire que c'était
-du sang que je venais de verser; mais je n'en étais pas effrayée, au
-contraire; il semblait que le prodige que je venais de goûter m'eût mise
-en fureur, tant je me sentais envie de recommencer. Je le dis à Monique;
-elle me répondit qu'elle était lasse et qu'il fallait attendre un peu.
-Je n'en eus pas la patience et je me mis sur elle, comme elle venait de
-se mettre sur moi. J'entrelaçai mes cuisses dans ses cuisses, et me
-frottant comme elle l'avait fait, je retombais en extase.--Eh bien, me
-dit la soeur chargée des témoignages que je lui donnais du plaisir que
-je ressentais, es-tu fâchée, Suzon, que je sois venue dans ton lit? Oui,
-je gage que tu me veux du mal d'être venue te réveiller.--Ah! lui
-répondis-je, que vous savez bien le contraire! Que pourrais-je vous
-donner pour une nuit aussi charmante?--Petite coquine, reprit-elle en me
-baisant, va, je ne te demande rien: n'ai-je pas eu autant de plaisir que
-toi? Ah! que tu viens de m'en faire goûter! Dis-moi, ma chère Suzon,
-poursuivit-elle, ne me cache rien: n'avais-tu jamais pensé à ce que nous
-venons de faire? Je lui dis que non. Quoi! reprit-elle, tu ne t'étais
-jamais mis le doigt dans ton petit conin? Je l'interrompis pour lui
-demander ce qu'elle entendait par ce mot. Eh! c'est cette fente, me
-répondit-elle, où nous venons de nous chatouiller. Quoi! tu ne savais
-pas encore cela? Ah! Suzon, à ton âge, j'en savais plus que
-toi.--Vraiment, lui répondis-je, je n'avais garde de goûter de ce
-plaisir. Vous connaissez le père Jérôme, notre confesseur: c'est lui qui
-m'en a toujours empêchée. Il me fait trembler quand je me confesse; il
-ne manque pas de me demander exactement si je ne fais pas d'impuretés
-avec mes compagnes, et il me défend surtout d'en faire sur moi-même.
-J'ai toujours eu la simplicité de l'en croire; mais je sais à présent à
-quoi m'en tenir sur ses défenses.--Et comment, me dit Monique,
-t'explique-t-il ces impuretés qu'il te défend de faire sur
-toi-même?--Mais, lui répondis-je, il me dit, par exemple, que c'est
-quand on se met le doigt où vous savez, quand on se regarde les cuisses,
-la gorge. Il me demande si je ne me sers pas de miroir pour m'examiner
-autre chose que le visage. Il me fait mille autres questions
-semblables.--Ah! le vieux coquin! s'écria Monique; je gage qu'il ne
-cesse de t'entretenir de cela.--Vous me faites, dis-je à la soeur,
-prendre garde à certaines actions qu'il fait pendant que je suis dans
-son confessionnal et que j'ai toujours prises sottement pour des marques
-d'amitié. Le vieux scélérat! J'en connais à présent le motif.--Eh!
-quelles actions donc? me demanda vivement la soeur.--Ces actions, lui
-répondis-je, c'est de me baiser à la bouche, en me disant de m'approcher
-pour qu'il entende mieux, de me considérer attentivement la gorge
-pendant que je lui parle, de m'y mettre la main dessus, et de me
-défendre de la montrer, sous prétexte que c'est un acte de coquetterie;
-et malgré ses sermons il ne tire pas sa main, qu'il avance de plus en
-plus sur mon sein, et pousse même quelquefois jusqu'à mes tétons. Quand
-il l'ôte, c'est pour la porter aussitôt sous sa robe, qu'il remue avec
-de petites secousses. Il me presse alors entre ses genoux; il m'approche
-avec avec sa main gauche, il soupire, ses yeux s'égarent; il me baise
-plus fort qu'à l'ordinaire, ses paroles sont sans suite; il me dit des
-douceurs et me fait des remontrances en même temps.
-
-Je me souviens qu'un jour, en retirant la main de dessous sa robe pour
-me donner l'absolution, il me couvrit toute la gorge de quelque chose de
-chaud qui se répandit par petites gouttes. Je l'essuyai au plus vite
-avec mon mouchoir, dont je n'ai pas pu me servir depuis. Le père, tout
-interdit, me dit que c'était de la sueur qui coulait de ses doigts.
-Qu'en pensez-vous, ma chère Monique? dis-je à la soeur.--Je te dirai
-tout à l'heure ce que c'était, me répondit-elle. Ah! le vieux pécheur!
-Mais sais-tu bien, Suzon, continua-t-elle, que tu viens de me conter ce
-qui m'est arrivé avec lui?--Comment donc, lui dis-je, vous ferait-il
-aussi quelque chose à vous?--Non, assurément, me répondit-elle, car je
-le hais à la mort, et je ne vais plus à lui depuis que je suis devenue
-plus savante.--Et comment avez-vous donc appris, lui demandais-je, à
-connaître ce qu'il vous faisait?--Je consens à te le dire, me répondit
-la soeur; mais sois discrète, car tu me perdrais, ma chère Suzon.
-
---Je ne sais, Saturnin, poursuivit ma soeur après un moment de silence,
-si je dois révéler tout ce qu'elle m'apprit. L'envie de savoir une
-histoire dont le prélude me charmait me fournit des expressions pour
-vaincre l'irrésolution de Suzon. Je mêlai les caresses aux assurances et
-je vins à bout de la persuader. C'est la soeur Monique qui va s'exprimer
-par la bouche de Suzon. Quelque emporté que doive paraître le caractère
-de cette soeur, je crains que mes expressions ne soient encore
-au-dessous de la réalité. Le peu de temps que j'ai passé avec elle m'en
-a fait concevoir une idée que je ne saurais rendre bien fidèlement.
-Voici comme s'explique cette héroïne:
-
-Nous ne sommes pas maîtresses des mouvements de notre coeur. Séduites en
-naissant par l'attrait du plaisir, c'est à lui que nous en offrons le
-premier sentiment. Heureuses celles dont le tempérament ne s'effraye pas
-des conseils austères de la raison! Elles y trouvent un secours contre
-le penchant de leur coeur. Mais doit-on leur envier leur bonheur? Non.
-Qu'elles jouissent du fruit de leur sagesse: elles l'achètent assez
-cher, puisqu'elles ne connaissent pas le plaisir. Eh! qu'est-ce que
-cette sagesse, après tout, dont on nous étourdit les oreilles: Une
-chimère, un mot consacré à exprimer la captivité où l'on retient notre
-sexe. Les éloges que l'on fait de cette vertu imaginaire sont pour nous
-ce qu'est pour un enfant un hochet qui l'amuse et l'empêche de crier.
-Des vieilles que l'âge a rendues insensibles au plaisir, ou plutôt que
-la retraite leur interdit, croient se dédommager de l'impuissance de le
-goûter par les portraits hideux qu'elles nous en font. Laissons-les
-dire, Suzon. Quand on est jeune, on ne doit avoir d'autre maître que son
-coeur: ce n'est que lui qu'il faut écouter, ce n'est qu'à ces conseils
-qu'il faut se rendre. Tu croiras facilement qu'ayant de pareilles
-inclinations, il ne fallait pas moins que la contrainte d'un cloître
-pour m'empêcher de m'y livrer; mais c'est dans le lieu même où l'on
-voulait étouffer mes désirs que j'ai trouvé le moyen de les satisfaire.
-
-Toute jeune que j'étais, quand ma mère, après la mort de son quatrième
-mari, vint demeurer dans ce couvent en qualité de dame pensionnaire, je
-ne laissai pas d'être effrayée de la résolution qu'elle avait prise.
-Sans pouvoir distinguer le motif de ma frayeur, je sentais qu'elle
-allait me rendre malheureuse. L'âge en me donnant des lumières,
-m'éclaira sur la cause de mon aversion pour le cloître. Je sentais qu'il
-me manquait quelque chose, la vue d'un homme. Du simple regret d'en être
-privée je passai bientôt à réfléchir sur ce qui pouvait me rendre cette
-privation si sensible. Qu'est-ce donc qu'un homme? disais-je. Est-ce une
-espèce de créature différente de la notre? Quelle est la cause des
-mouvements que sa vue excite dans mon coeur? Est-ce un visage plus
-aimable qu'un autre? Non; le plus ou le moins de charmes que je trouve
-n'excite que plus ou moins d'émotion. L'agitation de mon coeur est
-indépendante de ces charmes puisque le père Jérôme lui-même, tout
-désagréable qu'il est, m'émeut quand je suis près de lui. Ce n'est donc
-que la seule qualité d'homme qui produit ce trouble; mais pourquoi le
-produit-elle? J'en sentais la raison dans mon coeur, mais je ne la
-connaissais pas; elle faisait des efforts pour irriter les liens où mon
-ignorance la réduisait. Efforts inutiles! Je n'acquérais de nouvelles
-connaissances que pour tomber dans de nouveaux embarras.
-
-Quelquefois je m'enfermais dans ma chambre, je me livrais à des
-réflexions: elles me tenaient lieu de compagnie où je me plaisais le
-plus. Qu'y voyais-je dans ces compagnies? Des femmes; et quand j'étais
-seule, je ne pensais qu'aux hommes; je sondais mon coeur, je lui
-demandais raison de ce qu'il sentait; je me déshabillais toute nue; je
-m'examinais avec un sentiment de volupté; je portais des regards
-enflammés sur toutes les parties de mon corps; je brûlais, j'écartais
-les cuisses, je soupirais; mon imagination échauffée me présentait un
-homme, j'étendais les bras pour l'embrasser, mon conin était dévoré par
-un feu prodigieux: je n'avais jamais eu la hardiesse d'y porter le
-doigt. Toujours retenue par la crainte de m'y faire mal, j'y souffrais
-les plus vives démangeaisons sans oser les apaiser. Quelquefois j'étais
-prête à succomber; mais, effrayée de mon dessein, j'y portais le bout du
-doigt, et je le retirais avec précipitation; je me le couvrais avec le
-creux de la main, je le pressai. Enfin, je me livrai à la passion,
-j'enfonçai, je m'étourdis sur la douleur, pour n'être sensible qu'au
-plaisir; il fut si grand que je crus que j'allais expirer. Je revins
-avec une nouvelle envie de recommencer, et je le fis autant de fois que
-mes forces me le permirent.
-
-J'étais enchantée de la découverte que je venais de faire: elle avait
-répandu la lumière dans mon esprit. Je jugeai que, puisque mon doigt
-venait de me procurer de si délicieux moments, il fallait que les hommes
-fissent avec nous ce que je venais de faire seule, et qu'ils eussent une
-espèce de doigt qui leur servît à mettre où j'avais mis le mien, car je
-ne doutais pas que ce ne fût là la véritable route du plaisir. Parvenue
-à ce degré de lumière, je me sentais agitée du désir violent de voir
-dans un homme l'original d'une chose dont la copie m'avait fait tant de
-plaisir.
-
-Instruite par mes propres sentiments de ceux que la vue des femmes fait
-réciproquement naître dans le coeur des hommes, je joignis à mes charmes
-tous les petits agréments dont l'envie de plaire a inventé l'usage. Se
-pincer les lèvres avec grâce, sourire mystérieusement, jeter des regards
-curieux, modestes, amoureux, indifférents; affecter de ranger, de
-déranger son fichu, pour faire fixer les yeux sur sa gorge; en
-précipiter adroitement les mouvements, se baisser, se relever, je
-possédais ces petits talents dans le dernier degré de la coquetterie; je
-m'y exerçais continuellement: mais, ici, c'était les posséder en pure
-perte. Mon coeur soupirait après la présence de quelqu'un qui connût le
-prix de mon savoir et qui me fît connaître l'effet qu'il aurait produit
-sur lui.
-
-Continuellement à la grille, j'attendais que mon bonheur m'envoyât ce
-que je souhaitais depuis longtemps inutilement: je me faisais l'amie de
-toutes les pensionnaires que les frères venaient voir. En demandait-on
-quelqu'une, je ne manquais pas de passer sans affectation devant le
-parloir: on m'appelait, j'y courais, et j'ose dire que ceux que j'y
-trouvais ne me voyaient pas impunément.
-
-J'y examinais un jour un beau garçon dont les yeux noirs et vifs me
-rendaient avec usure mes regards. Un sentiment délicat et piquant,
-détaché même du plaisir ordinaire que la présence des hommes me
-procurait, fixait agréablement mon attention sur lui. L'opiniâtreté de
-mes regards qu'il avait d'abord reçus avec assez d'indifférence, anima
-les siens: il ne les détourna pas de dessus moi. Il n'était rien moins
-que timide, ou plutôt il était d'une hardiesse qui, soutenue des charmes
-de sa figure, lui répondait du succès avec toutes les femmes qu'il
-voulait attaquer. Il profitait des moments que sa soeur détournait la
-vue pour me faire des signes auxquels je ne comprenais rien, mais que ma
-petite vanité voulait que je fisse semblant d'entendre, et que
-j'autorisais par des sourires qui l'enhardirent au point de lui faire
-faire des gestes que je compris parfaitement bien. Il porta la main
-entre ses cuisses: je rougis, et, malgré moi, j'en suivis du coin de
-l'oeil le mouvement. Il la tira en faisant signe avec la main gauche,
-qu'il appuya au-dessus du poignet de la droite: il ne fallait pas être
-bien savante pour sentir qu'il voulait dire que ce qu'il venait de
-toucher était de cette longueur. Son action m'avait mise en feu. La
-pudeur voulait que je m'éloignasse, mais la pudeur fait une faible
-résistance quand le coeur est d'intelligence pour la trahir. L'amour me
-faisait rester. Je baissai timidement la vue, mais bientôt je portai sur
-Verland (c'était son nom) des yeux que je voulais faire paraître irrités
-et que le plaisir rendait languissants. Il le sentit: il vit que je
-n'avais pas la force de le désapprouver: il profita de ma faiblesse, et
-pour ne me rien laisser à désirer sur l'ardeur dont ses regards me
-témoignaient qu'ils étaient animés, il joignit le premier doigt de la
-main gauche avec le pouce, et mit dans cette espèce de fente le second
-doigt de sa main droite: il le poussait, le retirait et jetait des
-soupirs. Le fripon me rappelait par là des circonstances trop charmantes
-pour me laisser la force de lui témoigner la colère que méritait ce
-nouveau manque de respect. Ah! Suzon, que j'étais contente de lui! et
-que je me figurais que je l'aurais été bien davantage, si nous nous
-fussions trouvés seuls; mais, quand nous l'aurions été, une grille
-impénétrable eût arrêté nos plaisirs.
-
-Dans le moment on appela ma compagne; elle nous dit qu'elle allait voir
-ce qu'on lui voulait et qu'elle ne tarderait pas à revenir. Son frère
-profita de cet instant pour s'expliquer plus clairement; il ne me tint
-pas de grands discours, mais ils signifiaient beaucoup. Quoique le
-compliment ne fût pas absolument poli, il me parut si naturel que je
-m'en souviens avec plaisir. Nous autres femmes, nous sommes plus
-flattées d'un discours où la nature parle toute seule, quelque peu
-mesurées qu'en soient les expressions, que de ces galanteries fades que
-le coeur désavoue et que le vent emporte. Revenons au compliment de
-Verland; le voici: «Nous n'avons pas de temps à perdre; vous êtes
-charmante, je bande comme un carme, je meurs d'envie de vous le mettre;
-enseignez-moi un moyen de passer dans votre couvent.» Je fus si étourdie
-de ses paroles et de l'action dont il les dit, que je demeurai immobile,
-de façon qu'il eut le temps de passer la main au travers de la grille,
-de me prendre les tétons, de me les manier, et de me dire encore
-d'autres douceurs de la même force avant que je fusse revenue de ma
-surprise; et quand j'en revins, je me trouvai si peu en état d'arrêter
-ses transports, que sa soeur le surprit dans cette occupation; elle fit
-le lutin, me dit des injures, en dit à son frère, et je ne le revis
-plus.
-
-Tout le couvent sut bientôt mon aventure: on chuchotait, on me
-regardait, on riait, on parlait, on se raillait. Je m'en inquiétais fort
-peu, pourvu que le murmure ne passât pas les pensionnaires. J'étais sûre
-de la discrétion des jolies, mais je ne l'étais pas trop de celle des
-laides. Celles-ci, qui étaient sûres de n'avoir jamais de pareilles
-occasions de pécher, crièrent au scandale, bas d'abord, puis haut, et si
-haut que les vieilles le surent. J'en avais ri au commencement; je
-tremblai alors, et j'avais bien raison de trembler, car les mères
-discrètes assemblèrent le conseil pour délibérer entre elles sur ce que
-l'on ferait à une effrontée qui se laissait toucher les tétons, crime
-irrémissible aux yeux d'une bande de vieilles momies qui n'avaient plus
-que des tétasses à jeter sur l'épaule. On trouva le cas grave: tout
-autre que moi eût été renvoyée. Que je l'aurais souhaité! Mais je devais
-apporter une bonne dot. Ma mère les les avait assurées que je prendrais
-le voile: on me ménagea, et le résultat du conseil fut qu'on me
-châtierait. On se mit en devoir de le faire: je l'avais prévu. Je
-m'étais cantonnée dans ma chambre: on força ma porte, on m'attaqua. Je
-mordis l'une, j'égratignais l'autre, donnai des coups de pied, déchirai
-des guimpes, arrachai des bonnets; enfin, je me défendis si bien que mes
-ennemies renoncèrent à leur entreprise. Elles n'emportèrent de leur
-action que la honte d'avoir fait voir que six mères n'avaient pu réduire
-une jeune fille: j'étais une lionne dans ce moment.
-
-La rage et le soin de ma défense m'avaient jusqu'alors entièrement
-occupée. Je ne songeai qu'à donner le démenti aux vieilles, mais je
-devins bientôt aussi faible que j'étais hardie et vigoureuse auparavant.
-La colère fit place au désespoir. Moins flattée du plaisir de me voir en
-sûreté que pénétrée de l'affront qu'on avait voulu me faire, mon visage
-était baigné de larmes. Comment reparaître dans le couvent? disais-je;
-je vais être moquée: peu me plaindront, toutes me fuiront. Ah! me voilà
-couverte de honte! mais je veux aller trouver ma mère, poursuivis-je;
-elle pourra me blâmer, mais peut-être me pardonnera-t-elle. Un garçon
-m'a... Eh bien, où est donc le grand crime? Y ai-je consenti? C'est
-ainsi que je raisonnais. Oui, continuai-je, je vais la trouver. Je me
-levai de dessus mon lit à ce dessein, et j'y aurais été, si, en faisant
-un pas pour ouvrir la porte, je n'eusse marché sur quelque chose qui
-roula et me fit tomber.
-
-Je voulus voir ce qui pouvait m'avoir fait faire cette chute: je
-cherchai, je trouvai. Figure-toi ce que je devins à la vue d'une machine
-qui représentait au naturel une chose dont mon imagination m'avait
-souvent fait la peinture: un vit!--Un vit! eh! qu'est-ce que cela?
-demandai-je à la soeur.--Ah! me dit-elle, il ne tiendra qu'à toi de ne
-pas rester longtemps dans cette ignorance. Jolie comme tu es, que
-d'aimables cavaliers se trouveront heureux de pouvoir t'instruire! Mais
-ils n'en auront pas la gloire: c'est à moi qu'elle est réservée. Un vit,
-ma chère Suzon, est le membre d'un homme; on l'appelle le membre par
-excellence, parce qu'il est le roi de tous les autres. Ah! qu'il mérite
-bien ce nom! Mais si les femmes lui rendaient la justice qu'il mérite,
-elles l'appelleraient leur dieu, oui, c'en est un; le con est son
-domaine, le plaisir est son élément, il va le chercher dans les replis
-les plus cachés; il pénètre, il s'y plonge, il le goûte, il le fait
-goûter; il y naît, il y vit, il y meurt et renaît aussitôt pour le
-goûter encore. Mais ce n'est pas à lui seul qu'il doit tout son mérite.
-Soumis aux lois de l'imagination et de la vue, sans elles il ne peut
-rien; il est mou, lâche, petit, et n'ose se montrer; avec elles, fier,
-ardent, impétueux, il menace, s'élance, brise, renverse tout ce qui ose
-lui faire résistance.--Attendez, dis-je à la soeur en l'interrompant,
-vous oubliez que vous parlez à une novice; mes idées se perdent dans
-votre éloge; je sens que j'adorerai quelque jour ce dieu dont vous
-parlez; mais il est encore étranger pour moi; avant d'aimer il faut
-connaître; proportionnez vos expressions à la faiblesse de mes
-connaissances; expliquez-moi d'une manière simple tout ce que vous venez
-de me dire.--Je le veux bien, me répondit la soeur. Le vit est mou,
-lâche et petit quand il est dans l'inaction, c'est-à-dire quand les
-hommes ne sont pas excités ou par la vue d'une femme ou par les idées
-qui leur en viennent; mais offrons-nous à leurs yeux, découvrons la
-gorge, laissons voir nos tétons, montrons-leur une taille fine, une
-jambe dégagée,--les grâces d'un joli visage ne sont pas toujours
-nécessaires,--un rien les frappe, leur imagination travaille; elle
-s'exerce, elle pénètre toutes les parties de notre corps; elle se fait
-les plus beaux portraits, donne de la fermeté à des tétons qui souvent
-n'en ont guère, se représente un sein appétissant, un ventre blanc et
-poli, des cuisses rondes et potelées, fermes, une petite motte rebondie,
-un petit conin entouré de tous les charmes de la jeunesse: ils pensent
-alors qu'ils goûteraient des délices inexprimables s'ils pouvaient y
-mettre leur vit. Dans ce moment le vit devient gros, s'allonge, se
-durcit; plus il est gros, plus il est long, plus il est dur plus il fait
-de plaisir à une femme parce qu'il remplit davantage, frotte bien plus
-fort, entre bien plus avant, procure des délices, des élancements qui
-vous ravissent.--Ah! dis-je à Monique, que ne vous dois-je pas! Je sais
-à présent le moyen de plaire, et je ne manquerai pas, dans l'occasion,
-de me découvrir la gorge, de montrer mes tétons.--Prends-y garde! me dit
-la soeur; ce n'est pas le vrai moyen de plaire, il faut plus d'art que
-tu ne penses. Les hommes sont bizarres dans leurs désirs; ils seraient
-fâchés de devoir à notre facilité des plaisirs qu'ils ne peuvent
-pourtant pas goûter sans nous; leur jalousie les indispose contre tout
-ce qui ne vient pas d'eux-mêmes; ils veulent qu'on ne leur présente les
-objets que couvert d'une gaze légère, qui laisse quelque chose à faire à
-leur imagination, et les femmes n'y perdent rien: elles peuvent se
-reposer sur l'imagination des hommes du soin de peindre leurs charmes;
-libérale pour ce qui la flatte, elle ne les peindra pas à leur
-désavantage. Tu ne sais pas que c'est cette peinture que les hommes se
-font qui fait naître leurs désirs ou l'amour,--c'est la même chose,--car
-quand on dit: Monsieur de... est amoureux de madame..., c'est la même
-chose que si l'on disait: Monsieur de... a vu madame...; sa vue a excité
-des désirs dans son coeur; il brûle d'envie de lui mettre son vit dans
-le con. Voilà véritablement ce que cela veut dire; mais comme la
-bienséance exige qu'on ne dise pas ces choses-là on est convenu de dire:
-Monsieur de... est amoureux.
-
-Charmée de tout ce que la soeur me disait, je m'impatientais
-de ne pas savoir le reste de son histoire. Je la pressai de
-continuer.--Volontiers, me dit-elle; nous nous sommes un peu arrêtées,
-mais ce détail était nécessaire pour ton instruction. Revenons à la
-surprise que me causa la vue de cette machine ingénieuse que je venais
-de ramasser.
-
-J'avais mille fois ouï parler de godmiché: je savais que c'était avec
-cet instrument que nos bonnes mères se consolaient des rigueurs du
-célibat. Cette machine imite le vit; elle est destinée à en faire les
-fonctions; elle est creuse et s'emplit de lait chaud, pour rendre la
-ressemblance plus parfaite, et suppléer par ce lait artificiel à celui
-que la nature fait couler du membre d'un homme. Quand celles qui s'en
-servent se sont mises, par un frottement réitéré, dans la situation
-d'avoir quelque chose de plus, elles lâchent un petit ressort: le lait
-part et les inonde. Elles trompent ainsi leurs désirs par une imposture
-dont la douceur leur fait oublier celle de la réalité.
-
-Je jugeai que l'agitation avait fait tomber ce précieux bijou de la
-poche de quelqu'une des mères qui m'étaient venues attaquer. Je n'étais
-pourtant pas sûre que ce fût véritablement un godmiché; mais mon coeur
-me le disait. Cette vue dissipa toute ma douleur: je ne pensai plus qu'à
-ce que je tenais dans ma main, et je voulus sur-le-champ en faire
-l'essai. Sa grosseur m'effrayait à la vérité, mais elle m'animait. Mes
-craintes cédèrent bientôt à l'ardeur que sa vue m'inspirait. Une douce
-chaleur, avant-coureur du plaisir que j'allai goûter se répandit par
-tout mon corps; il tremblait de l'émotion où j'étais, et je poussais de
-longs soupirs.
-
-Crainte de surprise, je commençai par fermer la porte; et, sans quitter
-les yeux de dessus le godmiché, je me déshabillai avec toute l'ardeur
-d'une jeune mariée que l'on va mettre dans le lit nuptial. L'idée du
-secret qui devait ensevelir les plaisirs dont j'allais m'enivrer leur
-donnait une pointe de vivacité qui m'enchantait. Je me jetai sur mon
-lit, mon cher godmiché à la main; mais, ma chère Suzon, quelle fut ma
-douleur quand je vis que je ne pouvais pas le faire entrer! Je me
-désespérai, je fis des efforts capables de déchirer mon pauvre petit
-conin. Je l'entr'ouvrais, et, appuyant le godmiché dessus, je me faisais
-un mal insupportable. Je ne me rebutais pas. Je crus que si je me
-frottais avec de la pommade, cela m'ouvrirait davantage. J'en mis;
-j'étais en sang, et ce sang mêlé avec la pommade et ce que la fureur où
-j'étais faisait sortir de mon con avec un plaisir qui me transportait,
-aurait sans doute ouvert le passage, si l'instrument n'eût été d'une
-grosseur prodigieuse. Je voyais le plaisir près de moi, et je n'y
-pouvais atteindre. J'étais forcenée, je redoublais mes efforts, mais
-inutilement, le godmiché maudit rebondissait et ne me laissait que la
-douleur. Ah! m'écriai-je, si Verland était ici, l'eût-il encore plus
-gros, je me sens assez de courage pour le souffrir. Oui, je le
-souffrirais, je le seconderais, dût-il me déchirer, dussé-je en mourir;
-je mourrais contente, pourvu qu'il me le mît. S'il me faisait de la
-douleur, reprenais-je, que les plaisirs qu'il me donnerait rendraient
-cette douleur bien douce! Je le tiendrais dans mes bras, je le serrerais
-étroitement, il me serrerait de même; je collerais sur sa bouche
-vermeille des baisers enflammés; je les prodiguerais sur ses yeux, ses
-beaux yeux noirs pleins de feux; il me tiendrait dans ses bras; quelle
-volupté! Il répondrait à mes transports par des transports aussi vifs;
-j'en ferais mon idole! Oui, je l'adorerais: un beau garçon comme lui
-mérite de l'être. Nos âmes se confondraient; elles s'uniraient sur nos
-lèvres brûlantes. Ah! cher Verland, pourquoi n'es-tu pas ici? Quelles
-délices! L'amour en inventerait pour nous, je me livrerais à tout ce que
-la passion m'inspirerait. Mais, hélas! reprenais-je, pourquoi m'abuser
-par une si douce illusion? Je suis seule, hélas! je suis seule, et, pour
-comble de douleur, je tiens dans mes mains une ombre, une apparence de
-plaisir, qui ne sert qu'à augmenter mon désespoir, qui m'inspire des
-désirs sans pouvoir les satisfaire. Instrument maudit, continuai-je, en
-apostrophant le godmiché et en le jetant au milieu de la chambre avec
-rage, va faire les délices d'une malheureuse à qui tu peux servir; tu ne
-feras jamais les miennes: mon doigt vaut mille fois mieux que toi! J'y
-eus aussitôt recours et me donnai tant de plaisir, que j'oubliai la
-perte ceux que je m'étais promis d'avoir avec le godmiché. Je tombai
-épuisée de lassitude et m'endormis en pensant à Verland.
-
-Je ne me réveillai le lendemain que fort tard; le sommeil avait amorti
-mes transports amoureux; mais n'avait rien changé à la résolution que
-j'avais prise de sortir du couvent. Les mêmes raisons qui m'avaient
-déterminée à prendre cette résolution me firent encore sentir avec plus
-de force la nécessité de l'exécuter. Je me regardai dès lors comme
-libre, et le premier usage que je fis de ma liberté fut de tranquilliser
-au lit jusqu'à dix heures. La cloche eut beau sonner, je ne parus pas.
-Je m'applaudissais du dépit que ma désobéissance devrait causer à nos
-vieilles. Je me levai à la fin, je m'habillai; et pour me mettre dans
-l'obligation de suivre mon dessein, je commençai par déchirer mon voile
-de pensionnaire, que je regardais comme une marque de servitude. Je me
-sentis le coeur plus libre: il me semblait que je venais de franchir une
-barrière qui jusque-là s'était opposée à ma liberté. Mais comme j'allais
-et je venais dans ma chambre, ce maudit godmiché se présente encore à
-mes yeux. Cette vue me rend immobile; je m'arrête, je le prends; je vais
-m'asseoir sur mon lit, je me mets à considérer l'instrument. Qu'il est
-beau! disais-je en le prenant avec complaisance dans la main, qu'il est
-long, qu'il est doux! C'est dommage qu'il soit si gros: à peine ma main
-peut-elle l'empoigner! Mais il m'est inutile... Non, jamais il ne pourra
-me servir, continuai-je en levant ma jupe et en essayant de nouveau de
-le faire entrer dans un endroit qui me faisait encore une douleur
-cuisante des efforts que j'avais fait la veille. J'y trouvai les mêmes
-difficultés, et il fallut encore me contenter de mon doigt. Je
-travaillai avec tout le courage que la vue de l'instrument m'inspirait,
-et je poussai les choses au point que les forces me manquèrent. Je
-demeurai insensible au plaisir même que je me donnais: ma main n'allait
-plus que machinalement, et mon coeur ne sentait rien. Ce dégoût
-momentané me fit naître une idée qui me flatta beaucoup. Je vais sortir,
-me dis-je, je n'ai plus rien à ménager: sortons avec éclat; je veux
-porter cet instrument à la mère supérieure: nous verrons comment elle
-soutiendra cette vue.
-
-Je jouissais d'avance, en allant à l'appartement de la supérieure, de la
-confusion que j'allais lui causer en lui montrant le godmiché. Je la
-trouvai seule; je l'abordai d'un air libre.--Je sais bien, madame, lui
-dis-je, qu'après ce qui s'est passé hier et l'affront que vous avez
-voulu me faire, je ne peux plus rester avec honneur dans votre couvent.
-(Elle me regardait avec surprise et sans me répondre, ce qui me donna la
-liberté de continuer.) Mais, madame, sans en venir à de pareilles
-extrémités, si j'avais fait une faute, et c'est de quoi je ne conviens
-pas, puisque la violence que l'indigne Verland me faisait m'ôtait la
-liberté de me défendre, vous auriez pu vous contenter de me faire une
-réprimande; quoique je ne l'eusse pas méritée, je l'aurais soufferte et
-je me serais bornée à gémir sans me plaindre, puisque les apparences
-parlaient contre moi.--Une réprimande, mademoiselle, me répondit-elle
-alors sèchement, une réprimande pour une action comme la vôtre! Vous
-méritez une punition exemplaire, et sans les égards que nous avons pour
-madame votre mère, qui est une sainte dame, vous...--Vous ne punissez
-pas toutes les coupables, interrompis-je vivement, et vous en avez dans
-le couvent qui font bien autre chose!--Bien autre chose? reprit-elle;
-nommez-les moi, je les châtierai.--Je ne vous les nommerai pas, lui
-répondis-je, mais je sais qu'il y en avait une parmi celles qui m'ont
-traitée hier avec tant d'indignité.--Ah! s'écria-t-elle, c'est pousser
-trop loin l'effronterie! c'est pousser la corruption du coeur et le
-dérèglement de l'esprit jusqu'où ils peuvent aller! Juste ciel; joindre
-la calomnie aux actions les plus criminelles, accuser les plus saintes
-de nos mères, des exemples de vertu, de chasteté et de pénitence, quelle
-dépravation du coeur! Je lui laissai tranquillement achever son éloge,
-et quand je vis qu'elle s'arrêtait, je tirai froidement le godmiché de
-ma poche, et le lui présentant: Voilà, lui dis-je du même air, une
-preuve de leur sainteté, de leur vertu, de leur chasteté, ou du moins de
-l'une d'elles! J'examinais pendant ce temps-là le visage de notre bonne
-supérieure. Elle me regardait, rougissait, était interdite: ces
-témoignages involontaires ne me laissèrent pas douter que le godmiché ne
-fût à elle; j'en fus encore plus convaincue par son ardeur à me le
-retirer des mains.--Ah! ma chère enfant, dit-elle (la restitution que je
-venais de lui faire m'avait réconciliée avec elle), ah! ma chère fille,
-se peut-il que dans une maison où il y a tant d'exemples d'édification,
-il se trouve des âmes assez abandonnées de Dieu pour faire usage d'une
-pareille infamie? Ah! mon Dieu! j'en suis toute hors de moi. Mais, ma
-chère fille, ne dites jamais que vous avez trouvé cela: je serais forcée
-d'user de sévérité, de faire des recherches, et je veux prendre le parti
-de la douceur. Mais vous, ma chère enfant, pourquoi voulez-vous nous
-quitter? Allez, retournez-vous en dans votre chambre, je raccomoderai
-tout: je dirai qu'on s'est trompé. Comptez sur mon affection, car je
-vous aime beaucoup. Soyez sûre qu'on ne vous verra pas de plus mauvais
-oeil, malgré ce qui s'est passé. Je vois bien qu'effectivement nous
-avons eu tort de vous traiter comme cela: vous n'étiez pas coupable. Je
-parlerai sur le bon ton à Mlle Verland. Jésus, mon Dieu, continua-t-elle
-en regardant le godmiché, que le démon est malin. Je crois, le ciel me
-pardonne, que c'est un... Ah! la vilaine chose!
-
-Au moment où la supérieure achevait ces mots, ma mère entra.--Qu'ai-je
-donc appris, madame? dit-elle à la supérieure? et sur-le-champ
-m'adressant la parole: Et vous, mademoiselle, pourquoi vous trouvez-vous
-ici? Il fallait répondre; j'étais déconcertée, je rougissais, je baissai
-les yeux; on me pressa, je bégayai. La supérieure parla pour moi; elle
-le fit avec esprit. Si elle ne me donna pas tout à fait le tort dans la
-conduite qu'on avait tenue avec moi, elle ne me chargea pas assez pour
-faire croire que je fusse bien coupable. Ma faute passa pour une
-imprudence où le coeur n'avait eu aucune part, pour une violence de la
-part d'un jeune téméraire que l'on promit bien de ne plus laisser
-revenir à la grille, et on conclut qu'il n'y avait que mademoiselle
-Verland de criminelle, puisque c'était elle qui avait fait éclater une
-chose qu'elle devait taire si ce n'était pour l'honneur de son frère, du
-moins pour le mien, qui pourtant n'en souffrirait point, parce que, dit
-la supérieure, elle voulait réparer l'insulte qu'on m'avait faite. Je
-n'en pouvais pas souhaiter davantage. Je sortis blanche comme neige
-d'une aventure où, sans me faire injure, on pouvait mettre le tort de
-mon côté; mais je n'avais garde d'en tomber d'accord. Ma mère me
-plaignit et me parla avec une douceur qui me toucha.
-
-Les âmes zélées pour la gloire de Dieu savent tirer parti de tout. Il
-fut arrêté entre la supérieure et ma mère qu'ayant eu le malheur de
-scandaliser, quoique involontairement, le prochain, il fallait me
-réconcilier avec le Père des miséricordes et m'approcher du sacrement de
-la pénitence. On me fit là-dessus bien des exhortations que je passe,
-pour ne pas t'ennuyer.
-
-Ma mère m'avait presque convertie avec ses sermons. Cependant la peine
-que je sentais à avouer mes fautes aurait dû me faire douter de ma
-conversion, et le père Jérôme m'en arrachait l'aveu plutôt que je ne lui
-faisais. Dieu sait quel plaisir il avait, ce vieux pécheur! Je ne lui en
-avais jamais tant dit; encore ne sut-il pas tout; car je ne crois pas
-que Dieu puisse faire grand crime à une pauvre fille de chercher à se
-soulager quand elle est pressée. Elle ne s'est pas faite elle-même;
-est-ce sa faute si elle a des désirs, si elle est amoureuse? Est-ce sa
-faute si elle n'a pas de mari pour la contenter? Elle cherche à apaiser
-ces désirs qui la dévorent, ce feu qui la brûle; elle se sert des moyens
-que la nature lui donne: rien de moins criminel.
-
-Malgré les petits mystères que j'avais faits au père Jérôme, je ne
-laissais pas d'être pénétrée. Etait-ce repentir? Non. La véritable cause
-était le refus que le père m'avait fait de me donner l'absolution. Je
-craignis qu'il ne fournît une nouvelle matière à la médisance; j'en
-étais touchée jusqu'aux larmes. Je craignais qu'en allant offrir ma
-confusion aux yeux de mes ennemies, je ne leur donnasse un nouveau sujet
-de triompher. J'allai me placer sur un prie-Dieu, vis-à-vis de l'autel:
-mes pleurs m'assoupirent, je m'endormis. J'eus pendant mon sommeil le
-rêve le plus charmant; je songeais que j'étais avec Verland, qu'il me
-tenait dans ses bras, qu'il me pressait avec ses cuisses. J'écartais les
-miennes et me prêtais à tous ses mouvements. Il me maniait les tétons
-avec transport, les serrait, les baisait. L'excès du plaisir me
-réveilla. J'étais réellement dans les bras d'un homme. Encore toute
-occupée des délices de mon songe, je crus que mon bonheur changeait
-l'illusion en réalité. Je crus être avec mon amant: ce n'était pas lui!
-On me tenait étroitement embrassée par derrière. Au moment que j'ouvris
-les yeux, je les refermai de plaisir et n'eus pas la force de regarder
-celui qui me le donnait. Je me sentis inondée d'une liqueur chaude, et
-quelque chose de dur et de brûlant que l'on m'enfonçait en jetant des
-soupirs. Je soupirai aussi, et dans le moment une liqueur semblable que
-je sentais s'échapper de toutes les parties de mon corps, avec des
-élancements délicieux, se mêlant avec celle que l'on répandait une
-seconde fois, me fit retomber sans mouvement sur mon prie-Dieu.
-
-Ce plaisir qui, s'il durait toujours, serait plus piquant mille fois que
-celui qu'on goûte dans le ciel, hélas! ce plaisir finit trop tôt. Je fus
-saisie de frayeur en pensant que j'étais seule pendant la nuit dans le
-fond d'une église: avec qui? Je ne le savais pas; je n'osais m'en
-éclaircir, je n'osais remuer; je fermais les yeux, je tremblais. Mon
-tremblement augmenta encore quand je sentis qu'on pressait ma main,
-qu'on la baisait. Le saisissement m'empêcha de la retirer, je n'en avais
-pas la hardiesse; mais je me rassurai un peu en entendant dire à mes
-oreilles, d'une voix basse: Ne craignez rien; c'est moi! Cette voix, que
-je me souvenais confusément d'avoir entendue, me rendit le courage, et
-j'eus la force de demander qui c'était, sans avoir celle de
-regarder.--Eh! c'est Martin, me répondit-on, le valet du père Jérôme.
-Cette déclaration dissipa ma frayeur. Je levai les yeux, je le reconnus.
-Martin était un blond, éveillé, joli, amoureux. Ah! qu'il l'était! Il
-tremblait à son tour, et attendait ma réponse pour fuir ou me baiser
-encore. Je ne lui en fis pas, mais je le regardai d'un air riant, avec
-des yeux qui se ressentaient encore du plaisir que je venais de goûter.
-Il vit bien que ce n'était pas un signe de colère; il se jeta dans mes
-bras avec passion; je le reçus de même, et sans penser que si quelqu'un
-s'apercevait que je manquais dans le couvent on pourrait venir et nous
-trouver ensemble... Te le dirais-je? L'amour rend tout excusable. Sans
-respect pour l'autel, sur les marches duquel nous étions, Martin me
-pencha un peu, leva mes jupes, porta sa main partout; aussi passionnée
-que lui, je portai la mienne à son vit; j'eus pour la première fois de
-ma vie le plaisir d'en manier un! Ah! que le sien était joli! petit,
-mais long, tel qu'il me le fallait. Quel feu! Quelle démangeaison
-voluptueuse se glissa d'abord par tout mon corps! J'étais muette, je
-serrais ce cher vit dans ma main, je le considérais, je le caressais,
-l'approchais de mon sein, le portais à ma bouche, le suçais; je l'aurais
-avalé! Martin avait le doigt dans mon con, le remuait doucement, le
-retirait, le remettait et renouvelait ainsi mes plaisirs à chaque
-instant, il me baisait, me suçait le ventre, la motte et les cuisses; il
-les quittait pour porter des lèvres brûlantes sur ma gorge. En un moment
-je fus couverte de ses baisers. Je ne pus pas tenir contre ces attaques
-de plaisir. Je me laissai tomber, l'attirant doucement à moi avec mon
-bras droit, dont je le serrai amoureusement; je le baisais à la bouche,
-tandis que de la main gauche, tenant l'objet de tous mes voeux, je
-tâchais de me l'introduire et de me procurer un plaisir plus solide. Un
-égal transport le fit coucher sur moi: il se mit à pousser.--Arrête, lui
-dis-je d'une voix entrecoupée par mes soupirs, arrête, mon cher Martin;
-ne va pas si vite, restons un moment. Aussitôt, me coulant sous lui et
-écartant les cuisses, je joignis mes jambes sur ses reins. Mes cuisses
-étaient collées contre ses cuisses, son ventre contre mon ventre, son
-sein contre mon sein, sa bouche sur ma bouche: nos langues étaient
-unies, nos soupirs se confondaient. Ah! Suzon, quelle charmante posture!
-Je ne pensais à rien au monde, pas même au plaisir que j'avais, n'étant
-occupée qu'à le sentir. L'impatience m'empêcha de le goûter plus
-longtemps. Je fis un mouvement, Martin en fit autant, et notre bonheur
-s'évanouit; mais avant de le perdre, nous sentîmes combien il était
-grand: il semblait qu'il eût ramassé ses traits les plus vifs et les
-plus ravissants pour nous en accabler. Nous restâmes sans sentiment,
-n'ouvrant les yeux que pour nous presser de nouveau; le plaisir se
-refusait à nos efforts.
-
-Il est temps, poursuivit Monique, de t'apprendre, Suzon, ce que c'était
-que cette eau bénite dont le père Jérôme t'arrosa un jour la gorge en te
-donnant l'absolution.
-
-Ma première action, quand Martin fut retiré de mes bras, fut de porter
-la main où j'avais reçu les plus grands coups. Le dedans, le dehors,
-tout était couvert de cette liqueur dont l'effusion m'avait fait tant de
-plaisir; mais elle avait perdu toute sa chaleur et était froide alors
-comme de la glace. C'était du foutre. On appelle ainsi une matière
-blanche et épaisse qui sort du vit ou du con quand on décharge. La
-décharge est l'action qui suit ce frottement voluptueux par où l'on
-prélude.--Comment, dis-je à Monique, c'en était donc que vous répandiez
-tout à l'heure?--Oui, vraiment, me dit-elle, et tu m'en as donné aussi,
-petite friponne! N'as-tu pas senti ton petit conin tout mouillé? C'en
-était.
-
-Mais, ma chère petite, le plaisir que tu as goûté est bien au-dessous de
-celui qu'on goûte avec un homme; car ce qu'il nous donne se mêlant avec
-ce que nous lui donnons, y rentre, nous pénètre, nous enflamme, nous
-rafraîchit, nous brûle. Quelles délices, Suzon! Ah! ma chère Suzon,
-elles sont inexprimables; mais écoute le reste de mon aventure,
-poursuivit-elle.
-
-J'étais bien chiffonnée, comme tu peux croire, après l'exercice amoureux
-que je venais de faire; je me remis le mieux qu'il me fut possible, et
-demandai à Martin quelle heure il était.--Oh! il n'est pas tard, me
-répondit-il: je viens d'entendre la cloche du souper.--Je me passerai
-bien d'y aller, repris-je; je vais vite me coucher; mais avant que je te
-quitte, apprends-moi, mon cher Martin, par quel hasard tu t'es trouvé
-ici, et comment as-tu osé venir?...--Oh! pardi! ce n'est pas la
-hardiesse qui me manque. V'là comme ç'a été: j'étais venu pour parer
-l'église, car, comme vous savez, c'est demain bonne fête; je vous ai
-aperçue. M'est avis, ai-je dit à part moi en vous reluquant, que voilà
-une demoiselle qui prie bian le bon Dieu! Pardi! ce me suis-je fait, il
-faut qu'alle ait bien la rage de la dévotion pour s'en venir à
-c't'heure-ci dans l'église, pendant que tretoutes prennent leurs
-becquées! mais ne dormirait-elle pas aussi? ce me suis-je dit, voyant
-que vous ne bronchiez ni pied ni patte. Pardi! je le croirais bian.
-Voyons un peu ça. Je me suis cependant approché tout fin près de vous,
-et j'ai vu que vous dormiais. Je sis resté là un petit bout de temps à
-vous lorgner, et pendant ce temps-là, mon coeur faisait tic toc, tic
-toc. Le guiable est bian fin; Martin, m'a-t-il corné aux oreilles, alle
-est bian jolie au moins: v'là un biau coup à faire, mon enfant; si tu
-laisses échapper c't'occasion-là, tu ne la retrouveras pas? avise-toi,
-Martin. Pardi! je me sis avisé tout de suite. J'ai levé tout doucement
-votre collerette, et ai vu deux petits tétons bian blancs. Pardi! j'ai
-mis la main dessus, et pis je les ai baisés aussi tout doucement; et
-pis, voyant que vous dormiais comme un sabot, j'ai eu envie de faire
-autre chose, et c't'autre chose-là, je l'ai faite en vous troussant
-bravement vot' cotillon par derrière; et pis j'ai poussé; et pis, dame,
-vous savez le reste.
-
-Malgré son langage grossier, l'air d'ingénuité avec lequel Martin
-s'expliquait me charmait.--Eh bien, lui dis-je, mon cher ami, as-tu bien
-eu du plaisir?--Oh! pardi! me répondit-il en m'embrassant, j'en ai tant
-eu que j'sis prêt à recommencer, si vous voulez.--Non, pas pour le
-présent, lui dis-je; peut-être s'apercevrait-on de quelque chose; mais
-tu as la clef de l'église; si tu veux venir demain à minuit, tiens la
-porte ouverte, je viendrais te trouver; entends-tu Martin?--Oh! morgué!
-me répondit-il; c'est bian dit; nous nous en donnerons à coeur-joie;
-nous n'aurons pas d'espions à c't'heure-là. Je l'assurai que je m'y
-trouverais. La réflexion me fit résister à mon envie et aux prières de
-Martin, qui voulait que nous fissions cela encore une petite fois,
-disait-il, avant de nous quitter. Mon refus l'aurait plongé dans la
-tristesse si je ne l'eusse consolé par l'espérance du lendemain. Nous
-nous embrassâmes, je rentrai dans le couvent et regagnai heureusement ma
-chambre sans avoir été aperçue.
-
-Tu devineras facilement que je mourais d'impatience de me visiter et de
-savoir en quel état j'étais après les assauts que je venais d'essuyer.
-Je sentais une vive cuisson; à peine pouvais-je marcher. J'avais pris
-une lumière au dortoir; je tirai bien mes rideaux pour n'être vue de
-personne, et m'étant assise sur ma chaise, une jambe sur mon lit et
-l'autre sur le plancher, je fis mon examen. Quelle fut ma surprise
-lorsque je trouvai que mes lèvres, qui auparavant étaient si fermes et
-si rebondies, étaient devenues toutes molles et comme flétries! Les
-poils qui les couvraient, quoiqu'ils se ressentissent encore de
-l'humidité, formaient d'espace en espace, mille petites boucles.
-L'intérieur était d'un rouge vif, enflammé et d'une extrême sensibilité.
-La démangeaison m'y faisait porter le doigt, et sur-le-champ la douleur
-me forçait de le retirer. Je me frottais contre les bras de mon fauteuil
-et les couvrai des marques de la vigueur de Martin. Le plaisir
-combattait contre la fatigue; mais mes yeux s'appesantissaient
-insensiblement. Je me couchai et dormis d'un sommeil qui ne fut
-interrompu que par d'agréables songes qui me rappelaient les délices que
-j'avais goûtées.
-
-On ne me dit rien le lendemain sur mon absence; on la regarda comme un
-reste de ressentiment que je devais avoir du traitement que l'on m'avait
-fait. Mon air fier confirma cette pensée. J'assistai comme les autres à
-l'office; toutes mes compagnes communiaient, moi je ne communiai pas; et
-à te dire vrai, je m'étais mise au-dessus de la honte de ne pas suivre
-leur exemple. L'amour dissipe les préjugés. La présence de mon amant,
-que je voyais rôder dans l'église, me dédommageait assez. Plus d'une
-parmi mes compagnes aurait bien quitté au même prix la nourriture
-spirituelle.
-
-Je jetais sur mon amant plus de regards amoureux que je n'en jetais de
-dévotion sur l'autel. Aux yeux d'une femme du monde, Martin n'aurait été
-qu'un polisson; aux miens c'était l'amour même: il en avait la jeunesse,
-il en avait les grâces. Son mérite caché me faisait passer légèrement
-sur sa négligence extérieure. Je m'aperçus pourtant qu'il s'était
-accommodé ce jour-là et qu'il tâchait de se donner meilleur air qu'à
-l'ordinaire. Je lui sus bon gré de son intention, que j'attribuais
-plutôt à l'envie de me plaire qu'au mérite de la fête qu'on célébrait.
-Rien n'échappe aux yeux d'une amante. Je le voyais regarder les
-pensionnaires pour tâcher de me découvrir. Je ne voulais pas qu'il me
-reconnût; j'avais soin de me cacher; mais j'aurais été fâchée qu'il
-n'eût pas pris cette peine inutile. Que veux-tu, j'en étais amoureuse à
-la rage. J'attendais avec impatience la nuit pour lui tenir la parole
-que je lui avais donnée.
-
-Elle vint enfin, cette nuit si ardemment souhaitée. Minuit sonna. Ah!
-que je fus alors troublée! Je ne traversai le corridor qu'en tremblant,
-et quoique tout le monde fût endormi, je croyais les yeux de tout le
-monde ouverts sur moi. Je n'avais, pour me conduire, d'autre lumière que
-celle de mon amour. Ah! disais-je en marchant à tâtons dans l'obscurité,
-si Martin m'avait manqué de parole, j'en mourrais de douleur! Il était
-au rendez-vous, aussi amoureux, aussi impatient que j'avais été
-ponctuelle. J'étais vêtue fort légèrement; il faisait chaud, et je
-m'étais aperçue la veille que les jupes, les corps, les mouchoirs de
-gorge, tout cela était trop embarrassant. Sitôt que je sentis la porte
-ouverte, un tressaillement de joie me coupa la parole. Je ne la
-recouvrai que pour appeler mon cher Martin à voix basse: il m'attendait;
-il accourut dans mes bras, me baisa; je lui rendis caresse pour caresse.
-Nous nous tînmes longtemps étroitement serrés. Revenus des premiers
-mouvements de notre joie, nous cherchâmes réciproquement à en exciter de
-plus grands. Je portai la main à la source de mes plaisirs; il porta la
-sienne où je l'attendais avec impatience. Il fut bientôt en état de la
-contenter. Il se déshabilla, me fit un lit de ses habits: je me couchai
-dessus. Nos plaisirs se succédèrent pendant deux heures avec rapidité et
-des mouvements de vivacité qui ne laissaient pas le temps de les
-désirer; nous nous y livrions comme si nous ne les eussions pas encore
-goûtés ou que nous ne dussions plus les goûter. Dans le feu du plaisir
-on ne songe guère à ménager les moyens de l'entretenir. L'ardeur de
-Martin ne répondait plus à la mienne; il fallut s'arracher de ses bras
-et se retirer.
-
-Notre bonheur ne dura guère plus d'un mois, et j'y comprends le temps
-que la nécessité faisait donner au repos. Quoiqu'il ne fut pas rempli
-par le plaisir de voir mon amant, il l'était par celui de penser à lui
-et par les agréables idées qui disposaient mon coeur aux délices que sa
-présence ramenait. Ah! que les nuits heureuses, que j'ai passées dans
-ses bras ont coulé rapidement, et que les suivantes ont été longues!
-
-Redouble ton attention, ma chère Suzon, renouvelle-moi tes promesses de
-m'être toujours fidèle et de ne jamais révéler un secret que je n'ai
-confié qu'à toi. Ah! Suzon, qu'il est dangereux d'écouter un penchant
-trop flatteur et de s'y livrer sans réflexion! Si les plaisirs que
-j'avais goûtés étaient délicieux, l'inquiétude qui les suivit me les fit
-payer bien cher. Que je me repentis d'avoir été trop amoureuse! Les
-suites de ma faiblesse se présentèrent à mon imagination avec des
-circonstances affreuses. Je pleurai, je gémis.--Que vous arriva-t-il
-donc? lui demandai-je.--Je m'aperçus, me dit-elle, que mes règles ne
-coulaient plus; huit jours s'étaient passés sans les avoir; je fus
-surprise de leur interruption, ayant souvent entendu dire que c'était un
-signe de grossesse. J'étais souvent attaquée de maux de coeur, de
-faiblesses. Ah! m'écriai-je, il n'est que trop vrai, malheureuse! hélas!
-je le suis, il n'en faut plus douter, je suis grosse! Un torrent de
-larmes succédait à ces accablantes réflexions.--Vous étiez grosse?
-dis-je à la soeur avec étonnement. Ah! ma chère Monique, comment
-avez-vous fait pour en dérober la connaissance à des yeux
-intéressés.--Je n'eus, me répondit-elle, que la douleur de savoir mon
-malheur, et non celle d'en essuyer les suites. Martin l'avait causé, il
-m'en délivra. Ma grossesse ne m'empêchait pas de me rendre toujours à
-nos rendez-vous; j'étais inquiète, j'étais tremblante, mais j'étais
-encore plus amoureuse. Le poids victorieux du plaisir m'entraînait.
-Qu'en pouvait-il arriver davantage? Mon malheur était à son comble. Ce
-qui me l'avait causé devait servir du moins à m'en consoler.
-
-Une nuit, après avoir reçu de Martin ces témoignages d'un amour
-ordinaire qui ne se ralentissait pas, il s'aperçut que je soupirais
-tristement; que ma main, qu'il tenait dans la sienne, était tremblante
-(quand ma passion était satisfaite, l'inquiétude reprenait dans mon
-coeur la place que l'amour y occupait un moment avant); il me demanda
-avec empressement la cause de mon agitation, et se plaignit tendrement
-du mystère que je lui faisais de mes peines.--Ah! Martin, lui dis-je,
-mon cher Martin, tu m'as perdue! Ne dis pas que mon amour pour toi n'est
-plus le même, j'en porte dans mon sein une preuve qui me désespère: je
-suis grosse! une pareille nouvelle le surprit. L'étonnement fit place à
-une profonde rêverie; je ne savais qu'en penser, Martin était toute mon
-espérance dans cette circonstance cruelle; il balançait: que devais-je
-croire? Peut-être, disais-je, abattue par son silence, peut-être
-médite-t-il sa fuite. Il va m'abandonner à mon désespoir. Ah! qu'il
-reste! j'aime mieux perdre la vie en l'aimant que mourir faute de le
-haïr! Je versais des larmes, il s'en aperçut. Aussi tendre, aussi fidèle
-que je craignais de le voir perfide, tandis que je le croyais occupé du
-soin de se dérober à mon amour, il ne l'était que de celui de tarir mes
-pleurs en me délivrant de leur cause. Il m'annonça, en m'embrassant avec
-tendresse, qu'il en avait trouvé le moyen. La joie que me causa cette
-promesse n'égala pas celle de m'être trompée dans mes soupçons: il me
-rendait la vie. Charmée des assurances qu'il me donnait, je fus curieuse
-de savoir quel était ce moyen qu'il prétendait employer pour me délivrer
-de mon fardeau. Il me dit qu'il voulait me donner d'une boisson qui
-était dans le cabinet de son maître, et dont la mère Angélique avait
-fait l'expérience avant moi. Je voulus savoir ce que le père Jérôme
-pouvait avoir de particulier avec cette mère. Je la haïssais
-mortellement, parce qu'elle avait paru une des plus animées contre moi
-le jour de l'aventure de la grille. Je l'avais toujours prise pour une
-vestale; que je me trompais! D'autant plus sévère qu'elle savait mieux
-déguiser son caractère vicieux, qu'elle voilait sous les apparences de
-la vertu ses inclinations corrompues, elle était en intrigue réglée avec
-le père Jérôme. Martin m'en apprit toutes les circonstances. Il me dit
-qu'en furetant dans les papiers de son maître, il avait trouvé une
-lettre où elle lui marquait qu'elle se trouvait, pour l'avoir trop
-écouté, dans le même embarras où je me trouvais pour avoir trop écouté
-Martin! que le père lui avait envoyé une petite fiole de cette liqueur
-dont je devais user; que la mère, en recevant le présent, avait paru
-être transportée de joie, et qu'il avait trouvé une seconde lettre par
-laquelle elle marquait à son vieil amant que la liqueur avait fait
-merveille; qu'on n'avait plus aucune incommodité, et qu'on était prête à
-recommencer.--Ah! mon cher ami, dis-je à Martin, apporte-moi dès demain
-de cette liqueur: tu me tireras de toutes mes peines! Et, portant mes
-vues plus loin, je crus que par le moyen de ces lettres je pourrais
-servir ma vengeance et ma haine contre la mère Angélique; je les
-demandai à Martin, qui, ne sentant pas combien cette imprudence nous
-coûterait cher, crut me marquer son amour en me les apportant le
-lendemain avec ce qu'il m'avait promis.
-
-J'avais fait réflexion que la lumière pourrait me trahir, si on en
-apercevait dans ma chambre à pareille heure. Je modérai l'impatience où
-j'étais de lire les lettres de la mère: j'attendis que le jour parût; il
-vint: je lus; elles étaient écrites d'un style passionné, et aussi peu
-mesuré que la figure et les manières de celle qui les avait écrites
-l'étaient beaucoup. Elle y peignait sa fureur amoureuse avec des traits,
-des expressions dont je ne l'aurais jamais crue capable; enfin, elle ne
-se gênait pas, parce qu'elle comptait que le père Jérôme aurait la
-précaution, comme elle le lui marquait, de brûler les lettres. Il avait
-eu l'imprudence de n'en rien faire, et je triomphais. Je songeai
-longtemps de quelle manière je devais me servir de ces lettres pour
-perdre mon ennemie. Les rendre moi-même à la supérieure, c'eût été une
-démarche trop dangereuse pour moi: il aurait fallu rendre compte de la
-façon dont je les avais eues; les faire rendre par quelqu'un, ç'aurait
-été l'exposer à des questions dont il ne serait peut-être pas sorti à
-son honneur et qui auraient pu entraîner ma perte. Je choisis un autre
-parti: ce fut de les porter moi-même à la porte de la supérieure, au
-moment où je saurais qu'elle devait rentrer. Je m'arrêtai à cette idée.
-Imprudente que j'étais! J'aurais dû brûler ces lettres. Que de chagrins
-je m'apprêtais! je m'enlevais mon amant! Cette réflexion, si elle me fût
-venue, aurait éteint mon ressentiment. Quelque douceur que la vengeance
-me présentât, eût-elle un moment balancé la douleur de perdre Martin?
-Non; il m'était mille fois plus précieux que ce qui me flattait le plus
-dans ce moment. Je ne remis l'exécution de mon projet que jusqu'au temps
-où je serais hors de danger: je le fus bientôt. J'avais demandé à Martin
-une trêve de huit jours; elle n'était pas encore expirée. Je crus
-pouvoir exécuter alors le dessein que j'avais formé: il eut tout l'effet
-que j'en pouvais attendre. La supérieure trouva les lettres, fit venir
-la mère Angélique et la convainquit. Peut-être la réflexion eût-elle
-obtenu sa grâce, si un crime plus grand, et que les femmes ne pardonnent
-jamais, la rivalité, n'eût rendu sa punition nécessaire pour le repos de
-la supérieure; car, quoiqu'elle ne manquât pas, comme je te l'ai dit, de
-ces secours capables d'émousser la pointe des aiguillons de la chair, il
-est bien difficile, quand on a grand appétit, de s'en tenir à cette
-nourriture artificielle qui charme la faim sans la calmer.
-
-Un godmiché n'est qu'un secret pour endormir le tempérament; son sommeil
-n'est pas de longue durée; il se réveille, et, furieux de la tromperie
-qu'on lui a faite, il ne s'apaise que par la réalité.
-
-La supérieure était dans ce cas. Une fille qui a acquis quelques
-connaissances dans les mystères de l'amour voit clair dans une injure.
-Si les objets lui manquent, l'imagination y supplée; elle s'aigrit des
-difficultés qu'on lui oppose, et va quelquefois plus loin que la
-réalité; mais avec un homme, une femme du caractère de la supérieure, de
-celui du père Jérôme, je craignais moins d'en trop penser que de n'en
-pas penser assez. Leur liaison ne me laissait pas douter que le
-directeur ne partageât secrètement ses consolations spirituelles entre
-elle et la mère Angélique. Le prompt châtiment de celle-ci confirma mes
-soupçons; elle expia dans une chambre obscure le crime de m'avoir déplu
-et d'avoir enlevé à la supérieure le coeur d'un amant confirmé dans ses
-bonnes grâces.
-
-Je me repentis bientôt de ma sottise; je m'étais toujours flattée que
-l'orage ne tomberait que sur la mère Angélique: il alla plus loin. Le
-père, outré de se voir enlever sa maîtresse, soupçonna Martin de la
-cause de son malheur: il le sacrifia à son ressentiment en le chassant:
-je ne l'ai plus revu depuis.
-
-Voilà mon histoire, ma chère Suzon, poursuivit la soeur Monique; je ne
-te recommande pas le secret; tu es intéressée à le garder; te voilà
-associée à mes plaisirs! Hélas! je n'ai presque pas joui depuis que j'ai
-perdu mon amant. Que n'est-il ici, continuait-elle en me baisant, je le
-mangerais de caresses!
-
-Le souvenir de Martin l'animait: ses discours avaient produit sur moi le
-même effet. Nous nous trouvâmes, sans y penser, disposées à ne pas
-attendre au lendemain pour célébrer la perte de ce cher amant. Je
-rappelais à Monique les plaisirs qu'elle avait autrefois goûtés avec
-lui. Trompée par mes caresses, elle oubliait que je n'étais qu'une
-fille, me prodiguait les mêmes noms qu'elle lui prodiguait dans ses
-transports. J'étais son ange, son dieu! Je n'avais pas encore l'idée
-d'un bien plus grand plaisir que celui dont je jouissais: Monique, dans
-mes bras, comblait tous mes désirs. L'imagination va toujours plus loin
-que ce que l'on possède. Monique songeant au plaisir que lui avait causé
-le frottement du poil de Martin, quand elle le sentit contre ses fesses
-la nuit de l'aventure du prie-Dieu, m'en promit autant si je voulais le
-lui procurer encore. J'y consentis. Elle se coucha sur le ventre,
-j'agissais: nous nous animâmes de façon qu'à force de nous chatouiller
-nous nous trouvâmes, l'une la tête au chevet du lit, et l'autre la tête
-au pied. Dans cette situation, nous nous rapprochâmes; l'une de mes
-cuisses était sur le ventre de Monique, l'autre sous ses fesses: mon
-ventre et mes fesses étaient de même entre ses cuisses; étroitement
-collées l'une contre l'autre, nous nous pressions en soupirant, nous
-nous frottions réciproquement, nous répandions à chaque instant. Les
-sources de notre plaisir, gonflées par un jaillissement continuel, qui
-n'avait d'autre issue que de passer de l'une dans l'autre, étaient comme
-deux réservoirs de délices où nous mourrions plongées sans sentiment, où
-nous ne ressuscitions que par l'excès du ravissement. L'épuisement seul
-mit fin à nos transports. Enchantées l'une de l'autre, nous nous
-promîmes de recoucher ensemble le lendemain. Elle y revint et me rendit
-encore plus savante à cette seconde entrevue. Ces nuits charmantes n'ont
-été interrompues que par ma sortie du couvent pour venir ici.
-
-Ce que Suzon venait de me raconter avait si fort agi sur mon
-imagination, que je n'avais pu refuser à l'énergie de ses discours des
-marques de sensibilité relative au sujet. Quoique j'eusse affecté de lui
-dérober les larmes qu'elle m'arrachait, le plaisir de les répandre, les
-regards passionnés que je jetais sur elle en les répandant, m'avaient
-trahi; elle s'était aperçue de mes mouvements; mais, charmée d'avoir
-fait sur moi l'impression qu'elle désirait, elle me dissimulait
-adroitement sa satisfaction, et, par une politique mal entendue,
-combattait encore en elle-même le doux penchant qui devait couronner
-l'ardeur qu'elle m'inspirait. Autant ses discours m'avaient étonné,
-autant ils me donnèrent d'espoir. Ces peintures si vives et si animées
-des situations et des sentiments de la soeur Monique, dans une
-circonstance à peu près semblable à celle où nous nous trouvions, ne
-pouvaient partir que d'un coeur pénétré. Elle ne m'avait rien caché de
-ses actions, pas même sa sensibilité pour les plaisirs de l'amour. Elle
-avait dit tous les mots; rien n'avait été fardé. Si nous eussions été
-dans l'allée, elle n'aurait pas dit un mot que je n'en eusse profité, et
-n'aurait pas fait une peinture que je n'y eusse joint la représentation
-au naturel. Son dessein n'avait pas été d'y venir. Que devais-je penser
-de cette résistance? Comment l'accorder avec ce que je venais
-d'entendre? Ah! si j'avais pu lire dans son coeur, que je me serais
-épargné d'inquiétudes! Résolu à suivre mon dessein, mais en garde contre
-une précipitation qui aurait pu effaroucher Suzon, je pris autrement mes
-mesures. Je cherchai dans le récit même qu'elle venait de me faire des
-armes pour la combattre. Je lui demandai d'abord indifféremment si la
-soeur Monique était jolie.--Comme un ange, me répondit-elle, et une
-fille qui possède ces charmes est toujours sûre de plaire. Sa taille est
-fine et bien prise: sa peau est d'une blancheur, d'une douceur
-parfaites; elle a la plus belle gorge du monde, le visage un peu pâle,
-mais joli et formé de façon que les plus belles couleurs lui
-conviendraient moins que cette pâleur; ses yeux sont noirs et bien
-fendus; mais, contre l'ordinaire des brunes, elle les a languissants; il
-n'y reste qu'assez de feu pour faire juger qu'ils seraient brillants
-si elle n'était pas si amoureuse.--Tu me rends compatissant pour
-elle, dis-je à Suzon. Sa passion pour les hommes la rendra
-malheureuse.--Désabuse-toi, répondit Suzon, ce n'est que depuis peu,
-comme je te l'ai dit, qu'elle a pris le voile par complaisance pour sa
-mère. Le temps de prononcer ses voeux n'est pas encore venu; son bonheur
-dépend de la mort d'un frère, l'idole de sa mère. Il court grand risque
-de ne pas vivre plus longtemps que sa soeur ne le souhaite. On l'a déjà
-blessé à Paris dans un bordel...--Un bordel! eh! qu'est-ce que cet
-endroit? demandai-je à Suzon, par pressentiment sans doute de ce qui
-devait m'y arriver un jour.--Je vais te dire, me répondit-elle, ce que
-j'en sais de la soeur Monique qui connaît tout ce qui a rapport à ses
-inclinations. C'est un lieu où s'assemblent des filles tendres et
-faciles, qui reçoivent avec complaisance les hommages des libertins, et
-se prêtent à leurs désirs, sous l'espoir de la récompense. Leur penchant
-les y mène, le plaisir les y fixe.--Ah! m'écriai-je en l'interrompant,
-que je voudrais être dans une ville où il y eût de ces endroits-là! Et
-toi, Suzon? Elle ne dit mot, mais je compris par son silence qu'elle ne
-serait pas plus cruelle qu'une autre pour son tempérament, et que ce
-plaisir aurait autant d'empire sur son coeur que sur celui de ces filles
-tendres que l'empressement des hommes érige en idoles publiques. Je
-crois, ajoutai-je, que la soeur Monique irait là aussi volontiers que
-son frère.--Assurément, me dit-elle; cette pauvre fille aime les hommes
-à la fureur; l'idée seule l'en enchante.--Et toi, petite friponne, tu ne
-les aimes donc pas?--Je les aimerais, me répondit-elle, si ce que l'on
-fait avec eux n'était pas si dangereux.--Tu le crois! lui dis-je; il ne
-l'est pas tant que tu le penses. Pour faire cela avec une femme, elle ne
-devient pas toujours grosse. Vois cette dame qui est notre voisine:
-mariée depuis longtemps, elle le fait avec son mari, et cependant elle
-n'a pas d'enfants. Cet exemple parut l'ébranler. Ecoute, ma chère Suzon,
-poursuivis-je, et comme inspiré par une intelligence au-dessus de mon
-âge, qui me faisait pénétrer dans les mystères de la nature, la soeur
-Monique t'a dit que, quand Martin le lui mettait, elle était toute
-remplie de ce qu'il lui donnait: c'était sans doute ce qui lui avait
-fait un enfant.--Eh bien, dit Suzon en me regardant et cherchant dans
-mes yeux un moyen de satisfaire son envie sans s'exposer aux hasards,
-que veux-tu dire par là?--Ce que je veux dire, repris-je, c'est que si
-c'est ce que l'homme répand qui produit cet effet, on peut l'empêcher en
-se retirant, quand on sent que cela vient.--Eh! le peut-on faire?
-interrompit vivement Suzon. N'as-tu jamais vu deux chiens l'un sur
-l'autre? On a beau les battre pour les faire finir, ils crient, se
-démènent, voudraient se retirer et ne peuvent pas: ils sont attachés de
-façon que cela leur devient impossible. Dis-moi si un homme se trouvait
-attaché de même à une femme, que quelqu'un vînt, qu'on les surprît?
-Cette objection me démonta, l'exemple était simple; il semblait que
-Suzon eût prévu ce que j'allais lui proposer. L'exemple était pour nous;
-nous allions nous trouver dans le même cas, si Suzon se rendait. Elle
-semblait attendre ma réponse: et si j'avais pu lire dans son âme,
-j'aurais vu qu'elle se repentait de m'avoir proposé une difficulté que
-j'étais hors d'état de résoudre. D'autant plus intéressé à détruire son
-préjugé, je ne doutai pas que mon bonheur ne dépendît de ma réponse, et
-je cherchai des raisons pour la convaincre. Je me souvenais parfaitement
-que le père Polycarpe n'avait pas eu la veille cette difficulté à se
-retirer de dessus Toinette. Je lui aurais cité cet exemple, mais
-j'aimais mieux le lui faire voir. Mes raisonnements ne la persuadèrent
-pas, mais ses désirs suppléaient à ce qu'ils avaient de défectueux. Elle
-affectait d'insister encore, et il lui fallait un exemple contraire pour
-la persuader. Dans le moment je vis le bonhomme Ambroise sortir de la
-maison et gagner le chemin de la rue. Son départ m'offrit l'occasion la
-plus favorable qui pût se présenter. Ne doutant pas que le père et
-Toinette ne profitassent de la liberté qu'il leur laissait pour réparer
-le temps perdu par sa présence, je dis d'un ton assuré à Suzon: Viens,
-je veux te faire voir que tu t'es trompée. Je me levai et j'aidai Suzon
-à en faire autant après lui avoir porté sous sa jupe une main qu'elle
-repoussa en folâtrant.--Où vas-tu donc me mener? me dit-elle, voyant que
-je gagnais la maison. La petite friponne croyait que j'allais la mener
-dans l'allée: elle m'y aurait suivi. Que j'aurais bien mieux fait d'y
-aller! Mais je n'étais pas assez expérimenté pour voir qu'elle ne
-demandait pas mieux. Je craignais quelque nouvelle résistance de sa
-part, et mon destin m'entraînait. Je lui répondis que je la menais dans
-un lieu où elle verrait quelque chose qui lui ferait plaisir.
-
---Où donc? me répondit-elle avec impatience, voyant que j'avançais vers
-la maison.--Dans ma chambre, lui répondis-je.--Dans ta chambre? me
-dit-elle; oh! non! Tiens, Saturnin, cela est inutile: tu me ferais
-quelque chose! Je lui jurai que non, et je connus à l'air dont elle
-consentait à y venir qu'elle était moins fâchée de m'y suivre qu'elle ne
-l'aurait été si, en lui promettant d'être sage, je ne lui avais pas
-donné un prétexte pour s'y laisser conduire. Que je me rappelle avec
-plaisir ces traits charmants de mon enfance! l'habitude d'accorder tout
-à mes passions et l'usage immodéré des plaisirs n'ont point émoussé ma
-sensibilité pour ces précieux instants de ma vie.
-
-Nous entrâmes dans ma chambre sans avoir été aperçus; je tenais Suzon
-par la main, elle tremblait; je marchais sur la pointe des pieds, elle
-m'imitait: je lui fis signe de ne point parler, et, la faisant asseoir
-sur mon lit, je m'approchai doucement de la cloison: personne n'y était
-encore. Je dis d'une voix basse à Suzon que l'on ne tarderait pas à
-venir. Mais que veux-tu donc me montrer? me demanda-t-elle, intriguée
-par mes façons mystérieuses.--Tu vas le voir, répondis-je: et
-sur-le-champ, en avancement du privilège que je comptais que cette vue
-allait me donner, je la renversai sur mon lit, en tâchant de lui glisser
-la main sur les cuisses. Je n'en étais pas encore à la jarretière,
-qu'elle se leva avec action, et dit qu'elle ferait du bruit si j'étais
-assez hardi pour la toucher. Elle alla même jusqu'à faire semblant de
-vouloir sortir: je pris cette grimace pour une marque de colère, et je
-fus assez simple pour m'imaginer qu'elle voulait effectivement se
-retirer. J'étais interdit, le coeur me battait, à peine osais-je
-répondre; et quoique ce ne fût qu'en bégayant, je persuadai facilement
-une fille qui aurait été bien fâchée que mon silence l'eût mise dans la
-nécessité de joindre l'effet à la menace: elle consentit à rester.
-J'allais désespérer de pouvoir venir à bout de mon entreprise, quand
-j'entendis ouvrir la porte de la chambre d'Ambroise. Le coeur me revint,
-et j'attendais avec impatience que la curiosité de Suzon fît pour moi ce
-que je n'avais pu faire moi-même.--Les voici! lui dis-je en lui faisant
-signe de se taire et en la remuant sur le lit; les voici, ma chère
-Suzon! Je m'approchai aussitôt de la cloison; j'écartai l'image qui
-dérobait à mes regards ce qui se passait dans la chambre, et j'aperçus
-le père qui prenait sur la gorge de Toinette des gages peu équivoques de
-sa bonne volonté. Immobiles, serrés étroitement l'un contre l'autre et
-recueillis en eux-mêmes, il semblait qu'ils voulussent, par une profonde
-méditation, se remplir de la grandeur des mystères qu'ils allaient
-célébrer. Attentif à leurs mouvements, j'attendais qu'ils les
-poussassent un peu plus loin pour faire signe à Suzon d'avancer.
-Toinette, ennuyée de la longue méditation, se débarrassa la première des
-bras du moine, et, jetant corset, jupe, chemise, tout à bas, parut telle
-que la bienséance du mystère l'exigeait. Ah! que j'aimais à la voir dans
-cet état! Ma fureur amoureuse, que les combats de Suzon n'avaient fait
-qu'irriter, redoubla d'un degré à cette vue.
-
-Suzon, que mon attention rendait impatiente, avait quitté le lit et
-s'était approchée de moi. J'étais si fort occupé que je ne m'en étais
-pas aperçu.--Laisse-moi donc voir aussi! me dit-elle en me repoussant un
-peu. Je ne demandais pas mieux. Je lui cédai aussitôt mon poste et me
-tins à côté d'elle pour examiner sur son visage les impressions qu'y
-produirait le spectacle qu'elle allait voir. Je m'aperçus d'abord
-qu'elle rougissait; mais je présumai trop de son penchant à l'amour pour
-craindre que cette vue ne produisît un effet contraire à celui que j'en
-espérais. Elle resta. Curieux alors de savoir si l'exemple opérait, je
-commençai par lui couler la main sous la jupe. Je ne trouvai plus qu'une
-résistance médiocre; elle se contentait de me repousser seulement la
-main, sans l'empêcher de monter jusqu'aux cuisses, qu'elle serrait
-étroitement. Ce n'était qu'aux transports des combattants que j'étais
-redevable de la facilité que je trouvais à les desserrer insensiblement.
-J'aurais calculé le nombre de coups que donnaient ou recevaient la père
-et Toinette par celui des pas que ma main, plus ou moins pressée,
-faisait sur ses charmantes cuisses. Enfin, je gagnai le but. Suzon
-m'abandonna tout, sans pousser plus loin sa résistance; elle écartait
-les jambes pour laisser à ma main la facilité de se contenter. J'en
-profitai, et portant le doigt à l'endroit sensible, à peine pouvait-il y
-entrer. Sentant que l'ennemi s'était emparé de la place, elle
-tressaillit, et ses tressaillements se renouvelaient au moindre
-mouvement de mon doigt.--Je te tiens, Suzon! lui dis-je alors; et levant
-son jupon par derrière, je vis, ah! je vis le plus beau, le plus blanc,
-le mieux tourné, le plus ferme, le plus charmant petit cul qu'il soit
-possible d'imaginer. Non, aucun de ceux à qui j'ai fait le plus de fête,
-aucun n'a jamais approché du cul de ma Suzon. Fesses divines dont
-l'aimable coloris l'emportait sur celui du visage; fesses adorables, sur
-lesquelles je collai mille baisers amoureux, pardonnez si je ne vous
-rendis pas alors l'hommage qui vous était dû. Oui, vous méritiez d'être
-adorées; vous méritiez l'encens le plus pur; mais vous aviez un voisin
-trop redoutable. Je n'avais pas encore le goût assez épuré pour
-connaître votre véritable valeur: je le croyais seul digne de ma
-passion. Cul charmant, que mon repentir vous a bien vengé! Oui, je
-conserverai toujours votre mémoire! Je vous ai élevé dans mon coeur un
-autel où tous les jours de ma vie je pleure mon aveuglement! J'étais à
-genoux devant cet adorable petit cul, l'embrassais, le serrais,
-l'entr'ouvrais, m'extasiais; mais Suzon avait mille autres beautés qui
-piquaient ma curiosité. Je me levai avec transport, fixai mes regards
-avides sur deux petits tétons durs, fermes, bien placés, arrondis par
-l'amour. Ils se levaient, se baissaient, haletaient et semblaient
-demander une main qui fixât leur mouvement. J'y portais la mienne, je
-les pressais. Suzon se laissait aller à mes transports. Rien ne pouvait
-l'arracher au spectacle qui l'attachait. J'en étais charmé; mais son
-attention était bien longue pour mon impatience. Je brûlais d'un feu qui
-ne pouvait s'éteindre que par la jouissance. J'aurais voulu voir Suzon
-toute nue, pour me rassasier de la vue d'un corps dont je baisais, dont
-je maniais de si charmantes parties. Cette vue était capable de
-satisfaire mes désirs. Mais bientôt j'éprouvai le contraire en
-déshabillant Suzon, sans qu'elle s'y opposât. Nu de mon côté, je
-cherchais les moyens d'assouvir ma passion, je n'avais pas assez de
-force pour la presser. Mille et mille baisers répétés, les marques les
-plus vives de l'amour étaient mille fois au-dessus de ce que je sentais.
-Je tâchais de le lui mettre, mais l'attitude était gênante: il fallait
-le mettre par derrière. Elle écartait les jambes, les fesses, mais
-l'entrée était si petite, que je n'en pouvais venir à bout. J'y mettais
-le doigt et l'en retirais couvert d'une liqueur amoureuse. La même cause
-produisait sur moi le même effet. Je faisais de nouveaux efforts pour
-prendre dans ce charmant endroit la même place que mon doigt venait d'y
-occuper, et toujours même impossibilité, malgré les facilités qu'on me
-donnait.--Suzon, dis-je, enragé de l'obstacle que son opiniâtre
-attention apportait à mon bonheur, laisse-les; viens, ma chère Suzon,
-nous pouvons avoir autant de plaisir qu'eux. Elle tourna les yeux sur
-moi; ils étaient passionnés. Je la prends amoureusement entre mes bras,
-je la porte sur mon lit, je l'y renverse; elle écarte les cuisses, mes
-yeux se jettent avec fureur sur une petite rose vermeille qui commence à
-s'épanouir. Un poil blond, et placé par petits toupets, commençait à
-ombrager une motte dont le pinceau le plus délicat rendrait faiblement
-la blancheur vive et animée. Suzon, immobile, attendait avec impatience
-des marques de ma passion plus sensibles et plus satisfaisantes. Je
-tâchai de les lui donner; je m'y prenais fort mal: trop bas, trop haut,
-me consumant en efforts inutiles. Elle me le mit. Ah! Que je sentais
-alors qu'il était dans le véritable chemin! Une douleur, que je ne
-comptais pas trouver sur une route que je croyais couverte de fleurs,
-m'arrêta d'abord. Suzon en ressentit une pareille; mais nous ne nous
-rebutâmes pas. Suzon tâchait d'élargir le passage; je m'efforçais, elle
-me secondait. Déjà j'avais fait la moitié de ma course. Suzon roulait
-sur moi des yeux mourants; son visage était enflammé, ne respirait que
-par intervalles, et me renvoyait une chaleur prodigieuse. Je nageais
-dans un torrent de délices; j'en espérais encore de plus grandes, je me
-hâtais de les goûter. O ciel! des moments si doux devaient-ils être
-troublés par le plus cruel des malheurs! Je poussais avec ardeur; mon
-lit, ce malheureux lit, témoin de mes transports et de mon bonheur, nous
-trahit: il n'était que de sangle; la cheville manqua, il tomba et fit un
-bruit affreux. Cette chute m'eût été favorable, puisqu'elle m'avait fait
-entrer jusqu'où je pouvais aller, quoique avec une extrême douleur pour
-tous les deux. Suzon se faisait violence pour retenir ses cris.
-Effrayée, elle voulait s'arracher de mes bras; furieux d'amour et de
-désespoir, je ne la serrais que plus étroitement. Mon opiniâtreté me
-coûta cher.
-
-Toinette, avertie par le bruit, accourut, ouvrit et nous vit. Quel
-spectacle pour une mère! une fille, un fils! La surprise la rendit
-immobile; et comme si elle eût été retenue par quelque chose de plus
-puissant que ses efforts, elle ne pouvait avancer. Elle nous regardait
-avec des yeux enflammés par la lubricité; ouvrant la bouche pour parler,
-la voix expirait sur ses lèvres.
-
-Suzon était tombée en faiblesse; ses yeux tendres se fermaient, sans
-avoir ni le courage, ni la force de se retirer. Je regardais
-alternativement Toinette et Suzon, l'une avec rage, l'autre avec
-douleur. Enhardi par l'immobilité où l'étonnement semblait retenir
-Toinette, je voulus en profiter, je poussai; Suzon donna alors un signe
-de vie, jeta un profond soupir, rouvrit les yeux, me serra en donnant un
-coup de cul. Suzon goûtait le souverain plaisir; elle déchargeait: ses
-ravissements me faisaient plaisir; j'allais les partager, Toinette
-s'élança au moment où je sentais les approches du plaisir; elle
-m'arracha des bras de ma chère Suzon. Pourquoi n'avais-je pas assez de
-force pour me venger? Le désespoir me l'ôta sans doute, puisque je
-restai immobile dans les bras de cette marâtre jalouse.
-
-Le père Polycarpe, aussi curieux que Toinette, accourut dans cet
-intervalle, et ne demeura pas moins surpris qu'elle à la vue du
-spectacle qui s'offrait à ses yeux, surtout de Suzon nue, couchée sur le
-dos, se passant un bras sur les yeux et portant la main de l'autre à
-l'endroit coupable, comme si une telle posture eût pu dérober ses
-charmes aux regards du moine lascif. Il les porta d'abord sur elle. Les
-miens y étaient fixés comme sur leur centre, et ceux de Toinette
-l'étaient sur moi. La surprise, la rage, la crainte, rien ne m'avait
-fait débander. J'avais le vit décalotté et plus dur que le fer. Toinette
-le regardait. Cette vue obtint ma grâce et me réconcilia avec elle. Je
-sentais qu'elle m'entraînait doucement hors de la chambre. J'étais
-troublé, ne sachant ce que je faisais. Nu comme j'étais, je la suivis
-sans y penser, et cela se fit sans bruit.
-
-Toinette me mena dans sa chambre et en ferma la porte aux verrous. La
-crainte me retira alors de mon étourdissement. Je voulus fuir: je
-cherchai quelque refuge qui pût me dérober au ressentiment de Toinette.
-N'en trouvant pas, je me jetai sous le lit. Toinette reconnut le motif
-de ma frayeur et tâcha de me rassurer.--Non, Saturnin, me dit-elle; non,
-mon ami, je ne veux pas te faire de mal. Je ne la croyais pas sincère et
-je ne sortais pas de ma place. Elle vint elle-même pour m'en tirer;
-voyant qu'elle tendait les bras pour m'attraper, je me reculais: mais
-j'eus beau faire, elle me prit, par où, par le vit! Il n'y eut plus
-moyen de m'en défendre. Je sortis ou plutôt elle m'attira, car elle
-n'avait pas lâché prise.
-
-La confusion de paraître _in naturalibus_ ne m'empêcha pas d'être
-surpris de trouver Toinette toute nue, elle qui, un moment avant,
-s'était offerte à mes yeux dans un état presque décent. Mon vit
-reprenait dans sa main ce que la crainte lui avait fait perdre de sa
-force et de sa roideur. Avouerai-je mon faible? En la voyant, je ne
-pensai plus à Suzon: Toinette seule m'occupait. Bandant toujours fort,
-et mes craintes subordonnées à la passion, j'étais bien en peine.
-Toinette me serrait le vit, et moi je regardais son con. Que fait ma
-ribaude? elle se couche sur le lit et m'entraîne avec elle.--Viens donc,
-petit couillon, mets-le-moi, là, bon! Je ne me fis pas prier davantage,
-et, ne trouvant pas de grandes difficultés, je le lui enfonçai jusqu'aux
-gardes. Déjà disposé par le prélude que j'avais fait avec Suzon, je
-sentis bientôt un flux de délices qui me fit tomber sans mouvement sur
-la lubrique Toinette, qui, remuant avec agilité la charnière, reçut les
-prémices de ma virilité... C'est ainsi que, pour mon premier coup
-d'essai, je fis cocu mon père putatif; mais qu'importe?
-
-Quelle foule de réflexions pour ces lecteurs dont le tempérament froid
-et glacé n'a jamais ressenti les fureurs de l'amour! Faites-les,
-messieurs, ces réflexions; donnez carrière à votre morale; je vous
-laisse le champ libre, et ne veux vous dire qu'un mot. En bandant aussi
-fort que je bandais, vous foutriez, quoi? le diable!
-
-J'allais répéter un aussi charmant exercice, quand nous fûmes
-interrompus par un bruit sourd qui partait de ma chambre. Toinette, qui
-comprit de quoi il s'agissait, se leva en criant au père de finir. Elle
-se rhabilla aussitôt, me dit de me remettre sous le lit et courut pour
-empêcher que les choses ne fussent poussées plus loin.
-
-A peine eut-elle le dos tourné, que je volai au trou. J'aperçus le moine
-qui tenait dans ses bras Suzon qui s'était rhabillée, mais dont le
-cotillon et la chemise étaient levés. Le froc du moine l'était aussi, et
-je jugeai que le bruit ne venait que de l'extrême grosseur du membre de
-sa révérence, qui faisait sans doute des efforts inutiles pour le faire
-entrer dans un endroit qui n'était pas fait pour lui. Le débat finit à
-l'aspect de Toinette qui fondit sur les combattants, arracha Suzon des
-bras de l'incestueux célestin, et lui donna, avec deux ou trois
-soufflets, la liberté de sortir. Il semblait que l'action vigoureuse que
-Toinette venait de faire l'eût épuisée, et qu'il ne lui restât plus
-assez de force pour marquer son mécontentement au père Polycarpe: elle
-le regardait tout essoufflée. Un moine ne manque guère d'impudence;
-cependant celle du père ne tint pas contre la honte d'avoir été pris en
-flagrant délit, peut-être contre la crainte des reproches dont il
-croyait que Toinette allait l'accabler, ou plutôt contre l'idée
-d'infamie dont il croyait qu'un moine devait être noté, quand il
-entreprenait d'exploiter une fille sans en venir à bout. Il rougissait,
-il pâlissait, et n'osait presque regarder Toinette qui, de son côté,
-paraissait agitée des mêmes mouvements. Moi, de mon trou, je les
-examinais attentivement et m'attendais à être bientôt spectateur de
-quelque crise violente; je le craignais. Que je les connaissais peu l'un
-et l'autre! Le moine paraissait confus, mais il ne débandait pas: un
-moine débande-t-il jamais? Toinette paraissait furieuse, mais elle
-regardait le vit du moine. Son faible était toujours de sacrifier toute
-sa colère à cette vue; mon exemple devait m'avoir préparé à lui voir une
-pareille indulgence pour le père. Le raccommodement fut bientôt fait. Le
-moine s'approcha d'elle, et j'entendis qu'il lui disait, en lui mettant
-en main son joyeux aiguillon: Si je n'ai pas pu foutre la fille, du
-moins je foutrai la mère. Oh! pour cette insulte, Toinette était
-toujours prête à la lui pardonner; elle s'offrit même de bonne grâce
-pour victime à la fureur amoureuse du moine; il la saisit, il
-l'embrassa, et, tombant l'un sur l'autre sur les débris de mon lit, ils
-scellèrent leur réconciliation par une copieuse décharge; du moins j'eus
-lieu de le juger aux transports du père et aux serrements du cul de
-Toinette.
-
-Pendant ce temps-là, allez-vous demander, que faisait ce petit bougre de
-Saturnin? Se contentait-il de regarder comme un sot par le trou, sans se
-joindre du moins en idée aux caresses des deux champions? Belle demande!
-Saturnin était nu, il était encore en feu des caresses que Toinette lui
-avait faites; le spectacle qu'il avait devant les yeux l'échauffait
-encore: que vouliez-vous qu'il fît? Il se branlait: il enrageait de voir
-le moine sur Toinette, sans pouvoir en tirer sa part, et le petit coquin
-déchargeait au moment où sa mère serrait le cul et où le père se pâmait.
-Vous voilà instruit; revenons à nos gens.
-
---Eh bien, dit le moine, trouves-tu que je fasse cela aussi bien que
-Saturnin?--Que Saturnin! répondit-elle; moi, j'ai fait quelque chose
-avec Saturnin? Bon! le petit fripon n'a-t-il pas été se cacher sous le
-lit où il est encore? Mais, patience; laissez venir Ambroise, les
-étrivières ne lui manqueront pas; il les aura, et de la bonne façon!
-J'écoutais ce colloque: jugez s'il dut me faire plaisir! Redoublant mon
-attention, j'entendis le père qui répliquait: Là, là, Toinette, ne nous
-fâchons pas; vous savez qu'il ne doit pas toujours demeurer ici; il est
-assez grand à présent, n'est-il pas vrai? Je veux l'emmener quand je
-partirai.--Mais, reprit Toinette, vous ne songez pas que si ce petit
-coquin restait ici, nous ne pourrions plus rien faire? Cela babille, et
-je me doute qu'il nous a découverts. Justement! poursuivit-elle en
-voyant le trou de la cloison. Ah! mon Dieu! je n'avais pas encore
-remarqué ce trou. Il aura tout vu par là, le petit chien! Je jugeai
-qu'elle allait venir vérifier son doute, et vite je me refourrai sous le
-lit, d'où je ne sortis plus, quelque envie que j'eusse d'entendre le
-reste d'une conversation qui m'intéressait si fort. Je me tins coi, et
-j'attendis avec impatience le résultat de leurs discours. Je n'attendis
-pas longtemps. On vint me tirer de ma prison; je tremblais que ce ne fût
-Ambroise. S'il m'avait vu là, quelle scène pour moi! C'était Toinette
-qui m'apportait mes habits, et qui me dit de m'habiller au plus tôt. Je
-ne la regardais que de travers, après ce que je lui avais ouï dire à mon
-sujet. Je me hâtai de faire ce qu'elle me disait en bravant ses menaces.
-Elle s'habillait aussi, et se mettait même sur son propre. J'eus bientôt
-fait de mon côté, et elle du sien.--Allons, Saturnin, me dit-elle, venez
-avec moi. Force me fut de la suivre. Où me mena-t-elle? Chez M. le curé.
-
-La vue du presbytère me fit trembler. Le pasteur me visitait souvent le
-derrière, chose que, par parenthèse, il ne haïssait pas, et je craignais
-fort que ce ne fût encore pour lui procurer le même divertissement que
-l'on me menait chez lui. Je n'osais pas tout à fait laisser voir mes
-craintes à Toinette. Si elle sent que j'ai peur, me disais-je, elle
-réveillera le chat qui dort, et ne manquera pas de saisir l'occasion.
-Mais pourquoi m'amène-t-elle ici? je n'en sais rien; faisons de
-nécessité vertu: entrons toujours.
-
-J'entrai, et j'en fus quitte pour la peur; car Toinette, en me
-présentant au saint homme, le pria de vouloir me garder pendant quelques
-jours chez lui. L'expression de quelques jours me rassura. Bon! dis-je
-en moi-même, et quand ces quelques jours seront passés, le père
-Polycarpe m'emmènera avec lui. Plein de cet espoir, je me familiarisais
-plus aisément avec ma retraite, sur le motif de laquelle je n'osais
-réfléchir sans être saisi de douleur. Suzon, chère Suzon, je te perdrai
-donc pour toujours? m'écriai-je dans un coin de la salle où je m'étais
-d'abord retiré par frayeur et où je restais par goût, parce que j'y
-rêvais à mon aise. A quoi? A Suzon. L'agitation où j'étais depuis
-quelques heures ayant suspendu ce que je sentais pour elle, quand je fus
-revenu à moi-même, son idée m'occupa tout entier. Le coeur me saignait
-quand je pensais que j'allais la perdre. Mon imagination se repaissait
-de tous ses charmes, parcourait les beautés de son corps, ses cuisses,
-ses fesses, sa gorge, ses petits tétons blancs et durs, que j'avais
-baisés tant de fois. Je me rappelai le plaisir que j'avais eu avec elle,
-et, pensant à celui que j'avais pris avec Toinette: Qu'eût-ce donc été,
-disais-je, si je l'eusse goûté sur Suzon! Je me suis pâmé sur Toinette,
-je serais mort sur Suzon. Ah! je n'aurais pas de regret à la vie, si je
-la perdais dans ses bras. Mais que sera-t-elle devenue? Exposée aux
-fureurs de Toinette, elle va mourir de chagrin. Peut-être pleure-t-elle
-à présent, peut-être me maudit-elle. Suzon pleure, et j'en suis cause;
-Suzon me maudit, elle jure de me haïr. Pourrai-je vivre si elle me hait,
-moi qui l'adore, moi qui souffrirais tout pour lui épargner le moindre
-chagrin? Hélas! elle prévoyait notre malheur et c'est moi qui l'y ai
-plongée! Telles étaient les pensées qui m'agitaient alors; j'étais dans
-une mélancolie dont je ne sortis qu'au son d'une clochette qui m'avertit
-qu'on avait servi le souper; on vint m'appeler. Laissons pour un moment
-Suzon; nous la retrouverons toujours; elle joue un rôle assez important
-dans ces mémoires. Allons prendre un repas et faisons connaître quelques
-bévues des originaux avec qui j'étais; commençons par le curé.
-
-M. le curé était une de ces figures qu'on ne saurait regarder sans avoir
-envie de rire; haut de quatre pieds, le visage large d'un demi et
-enluminé d'un rouge foncé qui ne lui venait pas de boire de l'eau; un
-nez épaté, surmonté de rubis, de petits yeux noirs et vifs ombragés
-d'épais sourcils; un front petit, le poil frisé comme un barbet;
-joignez-y un air goguenard et malin, voilà M. le curé. Avec cela le
-coquin avait de bonnes fortunes; plus d'une m'en aurait encore dit des
-nouvelles dans le village. Il cultivait volontiers la vigne du Seigneur;
-il faisait le petit célestin. Ces magots-là sont d'ordinaire de
-vigoureux sires à ce jeu, et notre curé ne manquait pas, je crois, de
-ces talents, qui valent mieux qu'une belle figure, quand il est permis
-de les faire valoir.
-
-Passons au second cartouche du tableau célestin de la maison du curé, et
-disons un mot de sa respectable gouvernante.
-
-Madame Françoise était une vieille sorcière plus maligne qu'un vieux
-singe, plus méchante qu'un vieux diable. Otez cela, c'était la bonté
-même. Son visage portait bien cinquante bonnes années. La coquetterie
-est de tout pays et de toute condition: la vieille ne s'en donnait pas
-trente-cinq. Mais, malgré ses discours, elle était canonique, et si
-canonique, que, depuis quinze ans qu'elle était au service de M. le
-curé, elle l'avait garanti des retraites incommodes qu'il avait coutume
-de faire au séminaire, au moins deux ou trois fois chaque lustre,
-disgrâces qui avaient dégoûté le patron de la jeunesse; et quoique la
-dame Françoise eût les yeux bordés de rouge, le nez barbouillé de tabac,
-la bouche fendue jusqu'aux oreilles, et qu'elle n'eût plus dans cette
-bouche que quelques dents mal assurées, M. le curé, par reconnaissance
-pour ses services passés, ne démentait en rien son estime et, qui plus
-est, ses caresses pour elle. Madame Françoise était surintendante de la
-maison; tout passait par ses mains, jusqu'à l'argent des pensionnaires
-qui n'en sortait guère. Elle ne parlait jamais du curé qu'en nom
-collectif; apportait-on de quoi dire une messe:--Nous vous la dirons!
-Donnait-on quelque chose de moins:--A ce prix nous n'en disons pas!--Eh!
-Mme Françoise (madame gros comme le bras: elle se serait offensée en
-cette honorable qualité), eh! madame Françoise, je n'ai pas
-davantage!--Séant; comment donc, vous croyez apparemment qu'on nous
-donne cela! il faut du vin, des cierges; et notre peine, la comptez-vous
-pour rien?
-
-A l'ombre de l'union qui régnait entre Françoise et le curé, croissait
-une fille, soi-disant nièce du curé, mais qui lui appartenait de plus
-près que par la qualité de nièce. C'était une grosse joufflue, un peu
-picotée de petite vérole, fort blanche, et une gorge adorable; un nez
-tirant sur celui du curé, aux rubis près, qu'elle n'avait pas encore,
-mais beaucoup de dispositions pour en avoir un jour; des yeux petits,
-mais ardents; il n'aurait tenu qu'à elle de passer pour rousse, si elle
-n'avait pas su que cette couleur était proscrite et que le blond est
-plus séant pour les belles; comme elle croyait l'être, elle en prenait
-les attributs. Ce n'est pas que le blond ou le roux eussent fort
-inquiété certain grand coquin d'écolier de philosophie qui venait
-quelquefois passer huit ou dix jours au presbytère, moins par amitié
-pour le curé que pour sa charmante nièce, que le maraud serrait de près,
-et de si près que... Mais il n'est pas encore temps de raconter ce qui
-m'arriva à ce sujet.
-
-Mademoiselle Nicole (c'était le nom de cette aimable personne), telle
-que je viens de vous la présenter, était l'objet des tendres voeux de
-tous les pensionnaires. Les externes voulaient aussi s'en mêler; les
-grands étaient assez bien reçus, les petits fort mal. Je n'étais pas des
-plus grands, par malheur pour moi. Ce n'est pas que je n'eusse plusieurs
-fois tenté de pousser ma pointe auprès de cette pouponne, mais mon âge
-parlait contre moi. Plus je protestais que je n'étais jeune que par la
-figure, moins on me croyait; et pour finir de me désespérer, on confiait
-mes entreprises amoureuses à Mme Françoise, qui les confiait à M. le
-curé, et celui-ci ne me ménageait pas. J'enrageais d'être petit, car je
-voyais bien que c'était là la cause de mes malheurs.
-
-La difficulté de réussir auprès de Nicole m'avait dégoûté. Des rebuts de
-la part de la nièce, des étrivières de la part du curé, il n'y avait pas
-moyen d'y tenir. Tout cela n'avait pas éteint mes désirs; ils n'étaient
-que cachés, la présence de Nicolle les ralluma. Il ne leur manqua plus
-qu'une occasion d'éclater; elle ne tarda pas à venir, l'ordre des faits
-exige que cette aventure n'aille qu'à son tour, et son tour n'est pas
-encore venu: c'est celui de Mme Dinville.
-
-Je n'avais pas oublié que cette dame m'avait fait promettre d'aller
-dîner avec elle le lendemain. Je me couchai, résolu à lui tenir parole,
-et on juge bien que le jour ne changea rien à ma résolution. Si on me
-demandait si c'était véritablement pour Mme Dinville que je voulais
-aller au château, à cela je ne saurais que répondre. En général, je
-dirais que l'idée du plaisir m'y conduisait; mais je sentais que ce
-plaisir, présenté par Suzon, me serait plus sensible que si je le
-recevais de Mme Dinville. L'espoir d'y trouver ma Suzon n'était pas sans
-vraisemblance; voici comme je raisonnais: Pourquoi m'a-t-on mis chez M.
-le curé? C'est parce que le père Polycarpe s'est douté que Toinette m'a
-donné une leçon qui n'est pas de son goût; et c'est dans la crainte que
-je m'accoutumasse à ces leçons, qu'il a jugé à propos de me mettre ici.
-Toinette a bien vu autre chose de la part du père; elle a donc pour le
-moins autant de raisons d'éloigner Suzon du moine, que le moine en a eu
-de m'éloigner de Toinette. Si Suzon est au château, il y a de petits
-bois dans le jardin: je l'engagerai à y venir. La petite friponne est
-amoureuse, elle m'y suivra; je la tiendrai à l'écart, nous serons seuls,
-nous n'aurons rien à craindre. Ah! que de plaisirs je vais goûter! Ces
-agréables idées me conduisirent jusqu'au château. J'entrai.
-
-Tout était calme chez Mme Dinville. Je ne trouvai personne sur mon
-passage, ce qui me fit traverser plusieurs appartements. Je n'entrais
-dans aucun sans sentir mon coeur agité par l'espoir de voir Suzon et la
-crainte de ne pas la trouver. Elle sera dans celui-ci, disais-je; Ah! je
-vais la voir: personne; dans un autre de même. J'arrivai ainsi jusqu'à
-une chambre dont la porte était fermée, mais la clef y était. Je n'étais
-pas venu si loin pour reculer, j'ouvris: ma hardiesse fut un peu
-déconcertée à la vue d'un lit où je jugeai qu'il devait y avoir
-quelqu'un couché. Je me retirais, quand j'entendis une voix de femme
-demander qui c'était, et en même temps je reconnus Mme Dinville. Je me
-disposais à sortir, mais sa gorge m'en ôta le pouvoir.--Eh! c'est mon
-ami Saturnin, s'écria-t-elle; viens donc m'embrasser, mon cher enfant.
-Aussi hardi après ces paroles que j'étais timide auparavant, je me
-précipitai dans ses bras. J'aime, me dit-elle d'un air de satisfaction,
-après m'être acquitté d'un devoir où le coeur avait eu plus de part que
-la politesse, j'aime qu'un jeune garçon obéisse ponctuellement. A peine
-eut-elle achevé ces mots que je vis sortir d'un cabinet de toilette un
-petit homme à figure minaudière qui écorchait d'un ton de fausset l'air
-d'une chanson nouvelle alors; il en marquait la cadence par des
-pirouettes qui répondaient à merveille aux bizarres accents de sa voix.
-A la brusque apparition de cet Amphion moderne,--c'était un abbé,--je
-rougis pour Mme Dinville des marques indiscrètes de bienveillance
-qu'elle venait de me donner, et, pour mon propre compte, du motif de
-celles dont j'avais payé les siennes; mais je me vengeai bientôt du
-trouble qu'il venait de me causer par le jugement que je portai sur lui.
-La situation où l'on se trouve influe souvent sur la façon de penser. Je
-ne doutai pas que mon arrivée imprévue n'eût dérangé une partie qui ne
-souffre de tiers qu'à titre d'importun. Pouvais-je, en effet, penser
-qu'un homme pût se trouver seul avec une femme sans lui faire ce que
-j'aurais fait moi-même?
-
-Craignant qu'il n'eût pénétré le sujet de ma visite, je n'osais pas le
-regarder. Si la curiosité m'excitait à l'envisager, la crainte de
-rencontrer sur son visage quelque sourire malin, me faisait baisser la
-vue aussitôt. Je n'y trouvai pourtant pas ce que je craignais, et
-perdant l'habitude de le regarder comme un témoin redoutable, je ne vis
-en lui qu'un importun fait pour gêner les plaisirs dont mon imagination
-se repaissait.
-
-Je l'examinais avec attention, et, réfléchissant sur sa qualité d'abbé,
-j'en cherchais dans sa personne des marques justificatives. J'avais sur
-le mot abbé des idées extrêmement bornées, m'imaginant que tous les
-abbés devaient être faits comme M. le curé ou comme M. le vicaire; et
-j'avais peine à concilier l'air bonhomme que je leur connaissais avec
-les pétulantes extravagances de celui que j'avais devant moi.
-
-Ce petit Adonis, nommé l'abbé Fillot, était le receveur des tailles de
-la ville voisine, homme fort riche, Dieu sait aux dépens de qui. Il
-revenait de Paris, ainsi que la plupart des sots de sa trempe, plus
-chargé de fatuité que de doctrine. Il avait accompagné Mme Dinville à sa
-campagne, dans l'intention de la réjouir. Écolier, abbé, tout était bon
-pour elle.
-
-La dame sonna, on vint: c'était Suzon. Mon coeur tressaillit à sa vue;
-j'étais charmé que mes conjectures se trouvassent aussi heureuses. Elle
-ne m'aperçut pas d'abord, parce que j'étais caché par les rideaux du
-lit, sur lequel Mme Dinville m'avait fait asseoir, situation que, par
-parenthèse, M. l'abbé commençait à ne pas trouver à son gré. Il avait
-peine à souffrir la petite liberté que Mme Dinville me donnait, et je
-voyais qu'il taxait de mauvais goût la complaisance qu'elle me
-témoignait.
-
-Suzon s'avança, elle me vit. Dans le moment, ses belles joues
-s'animèrent des plus vives couleurs; elle baissa les yeux, l'agitation
-lui coupa la parole. J'étais dans un état peu différent du sien, excepté
-qu'elle baissait les yeux, et que les miens étaient fixés sur elle. Les
-charmes de Mme Dinville, dont elle ne me ménageait pas la vue, sa gorge,
-ses tétons et les autres parties de son corps, dont un drap jaloux
-dérobait, à la vérité le spectacle à mes yeux, mais n'en rendait la
-peinture que plus vive à mon imagination, tout cela avait fait dans mon
-coeur des impressions qui tournèrent à l'instant au profit de Suzon.
-Mais la réflexion corrigea bientôt un sentiment trop précipité et me
-ramena, non pas tout à coup, à mon caractère dominant.
-
-Si j'eusse eu le choix de Suzon ou de Mme Dinville, je n'aurais pas
-balancé: Suzon avait la pomme; mais on ne me présentait pas
-l'alternative. La possession de Suzon n'était pour moi qu'une espérance
-bien incertaine, et la jouissance de Mme Dinville était presque une
-certitude, ses regards m'en assuraient. Ses discours, quoique gênée par
-la présence du petit abbé, ne détruisaient pas l'espoir que ses yeux me
-laissaient concevoir. Suzon, après avoir été chargée d'avertir une femme
-de chambre, sortit, et son départ commença à restituer à Mme Dinville
-des désirs qui lui appartenaient, puisqu'ils étaient son ouvrage.
-
-Je restai cependant si troublé, les mouvements de mon coeur, combattus
-et détruits alternativement par deux causes qui l'intéressaient
-également, l'une par l'idée du plaisir, l'autre par celle de ce même
-plaisir, mais accompagné de quelque chose de plus touchant, étaient dans
-une si grande confusion, que je ne m'aperçus pas de la brusque
-disparition de l'abbé. Mme Dinville l'avait bien vu sortir; mais,
-s'imaginant que je l'avais vu aussi, elle ne croyait pas qu'il fût
-besoin de m'en faire souvenir. Elle se pencha sur mon coussin, et, me
-regardant avec une douce langueur qui me disait inutilement qu'il ne
-tenait qu'à moi de devenir heureux, elle me prenait tendrement la main
-qu'elle me pressait dans la sienne, en la laissant de temps en temps
-tomber d'un air indifférent sur ses cuisses, qu'elle serrait et
-desserrait avec un mouvement lascif. Ses regards accusaient ma timidité,
-et semblaient me reprocher que je n'étais pas le même que la veille.
-Toujours préoccupé de la pensée que l'abbé nous examinait, je restai
-dans une défiance niaise qui l'impatienta.--Tu dors, Saturnin? me
-dit-elle. Un galant de profession aurait profité de l'occasion pour
-débiter une tirade d'impertinences. Je ne l'étais pas, je n'en dis
-qu'une: Non, madame, je ne dors pas. Quoique cette réponse innocente
-diminuât de beaucoup l'idée que mon effronterie de la veille avait pu
-lui donner de mon savoir, elle ne fit pas de tort à sa bonne volonté
-pour moi: elle fit un effet tout contraire; elle me donna un nouveau
-titre à ses yeux, me fit regarder comme un novice, morceau délicat pour
-une femme galante dont l'imagination est voluptueusement flattée par
-l'idée d'un plaisir qui doit augmenter la vivacité des transports
-qu'elle ressent. C'est ainsi que pensait Mme Dinville, c'est ainsi que
-pensent toutes les femmes. Mon indifférence lui fit connaître que sa
-façon d'attaquer glissait sur moi, et qu'il fallait quelque chose de
-plus frappant pour m'émouvoir. Elle me lâcha la main, et, étendant les
-bras avec un mouvement étudié, elle m'étala une partie de ses charmes.
-Leur aspect me tira de mon engourdissement; je me réveillai, la vivacité
-reparut sur mon visage, l'idée de Suzon se dissipa: mes yeux, mes
-regards, mon impatience, tout fut pour Mme Dinville; s'apercevant de
-l'effet de sa ruse, et pour exciter mes feux, elle me demanda ce
-qu'était devenu l'abbé. J'eus beau regarder, je ne le voyais pas; je
-sentis ma sottise.--Il est sorti, reprit-elle; et, affectant de jeter un
-peu son drap, en se plaignant de la chaleur, elle me découvrit une
-cuisse extrêmement blanche, sur le haut de laquelle un bout de chemise
-paraissait mis exprès pour empêcher mes regards d'aller plus loin, ou
-plutôt à dessein d'exciter ma curiosité. J'entrevis pourtant quelque
-chose de vermeil qui me mit dans un trouble dont elle reconnut le motif.
-Elle recouvrit adroitement l'endroit qui avait fait tout l'effet qu'elle
-espérait. Je lui pris la main, qu'elle m'abandonna sans résistance; je
-la baisai avec transport; mes yeux étaient enflammés, les siens
-brillants et animés. Les choses se disposaient à merveille; mais il
-était écrit que, malgré les plus belles occasions, je ne serais pas
-heureux. Une maudite femme de chambre arriva dans le temps qu'on n'avait
-pas besoin d'elle. Je lâchai vite la main, la soubrette entra en riant
-comme une folle; elle se tint un moment à la porte, pour se dédommager,
-par l'abondance de ses éclats, de la gêne que la présence de sa
-maîtresse allait lui faire.--Qu'avez-vous donc? lui dit Mme Dinville
-d'un air sec.--Ah! madame, répondit-elle, monsieur l'abbé...--Eh bien,
-qu'a-t-il fait? reprit sa maîtresse. Dans le moment rentre l'abbé en se
-cachant le visage avec son mouchoir. Les ris de la suivante augmentèrent
-à sa vue.--Qu'avez-vous donc? lui demanda Mme Dinville.--Regardez mon
-visage, répondit-il, et jugez de l'ouvrage de Mlle Suzon.--De Suzon?
-reprit Mme Dinville en éclatant à son tour.--Voilà ce que coûte un
-baiser, poursuivit-il froidement; ce n'est pas l'acheter trop cher,
-comme vous voyez. L'air aisé avec lequel l'abbé nous parlait de son
-malheur me fit rire comme les autres. Il soutint sur le même ton les
-railleries peu ménagées de Mme Dinville. Elle s'habilla: l'abbé, malgré
-le mauvais état de son visage, fit le coquet à la toilette, contrôla la
-coiffure et divertit madame, qui riait de ses balivernes. La suivante
-pestait contre ses corrections, et moi je riais de la figure du petit
-homme. Allons dîner.
-
-Nous étions quatre à table, Mme Dinville, Suzon, l'abbé et moi. Qui fit
-une sotte figure? Ce fut moi, quand je me trouvai vis-à-vis de Suzon;
-l'abbé, qui était à son côté, faisait bonne mine à mauvais jeu, et
-voulait persuader à madame Dinville que ses traits railleurs n'étaient
-pas capables de le déconcerter. Suzon n'était guère moins confuse. Je
-voyais pourtant dans ses regards furtifs qu'elle aurait voulu que nous
-eussions été seuls. Sa vue m'avait encore rendu infidèle à Mme Dinville,
-et je désirais sortir de table pour essayer de nous dérober. Le dîner
-fini, je fis signe à Suzon: elle m'entendit, et sortit. J'allais la
-suivre; Mme Dinville m'arrêta, en m'annonçant que je lui servirais
-d'écuyer à la promenade. Se promener à quatre heures après midi dans
-l'été, cela parut extravagant à l'abbé; mais ce n'était pas pour lui
-plaire qu'elle le faisait. Elle ne voulait pas exposer le teint de
-l'abbé à l'ardeur du soleil; aussi prit-il le parti de rester. J'aurais
-bien voulu ne pas suivre Mme Dinville, pour courir vers Suzon; mais je
-me crus obligé de sacrifier mon envie à la déférence dont je devais
-payer l'honneur qu'on me faisait.
-
-Suivis des yeux par l'abbé, qui se pâmait de rire, nous marchions avec
-une gravité concertée au milieu des parterres, sur lesquels le soleil
-dardait ses rayons. Mme Dinville ne leur opposait qu'un simple éventail,
-et moi l'habitude. Nous fîmes plusieurs tours avec une indifférence qui
-désespérait l'abbé. Je ne pénétrais pas encore le dessein de la dame, et
-je ne concevais pas comment elle pouvait résister à une chaleur que je
-trouvais insupportable. Ma qualité d'écuyer me pesait, et j'y aurais
-volontiers renoncé: mais j'ignorais les fonctions de cet emploi, et on
-m'en réservait une qui devait me consoler de l'ennui de la première.
-
-L'abbé s'étant retiré, nous nous trouvâmes au bout de l'allée. Mme
-Dinville gagna un petit bosquet dont la fraîcheur nous promettait une
-promenade charmante, si nous y restions. Je le lui dis.--Soit, me
-répondit-elle, en cherchant à pénétrer dans mes yeux si je n'étais pas
-au fait du motif de sa promenade. Elle n'y vit rien. Je ne m'attendais
-pas au bonheur qui m'était préparé. Elle me serrait affectueusement; et,
-penchant sa tête près de mon épaule, approchait son visage si près du
-mien que j'aurais été un sot si je n'y eusse pris un baiser, on me
-laissa faire, je réitérai; même facilité, j'ouvris les yeux. Oh! pour le
-coup, dis-je, c'est une affaire faite; nous n'aurons pas ici
-d'importuns. Ayant pénétré ma pensée, nous nous engageâmes dans un
-labyrinthe dont l'obscurité nous dérobait aux yeux des plus
-clairvoyants. Elle s'assit à l'abri d'une charmille; j'en fis autant, et
-me mis à côté d'elle. Elle me regarda, me serra la main et se coucha. Je
-crus que l'heure du berger allait sonner, et déjà je préparais
-l'aiguille, quand tout à coup elle s'endormit. Je crus d'abord que ce
-n'était qu'un assoupissement qu'il me serait facile de dissiper; mais
-voyant qu'il augmentait, je me désespérais d'un sommeil qui me devenait
-suspect. Encore, disais-je, si elle avait satisfait mes désirs, je lui
-pardonnerais! Mais s'endormir au moment du triomphe, je ne pouvais m'en
-consoler. Je l'examinais avec douleur: elle avait les mêmes habits que
-la veille; sa gorge était découverte, elle y avait mis son éventail,
-qui, suivant les mouvements du sein, se soulevait assez pour m'en
-laisser voir la blancheur et la régularité. Pressé par mes désirs je
-voulais la réveiller: mais je craignais de l'indisposer et de perdre
-l'espoir dont son réveil me flattait encore. Je cédai à la démangeaison
-de porter la main sur sa gorge. Elle dort trop pour se réveiller,
-disais-je. Quand elle se réveillerait, mettons les choses au pis, elle
-me grondera, voilà tout! Essayons. Je portai une main tremblante sur un
-téton, tandis que je regardais son visage, prêt à finir au moindre signe
-qu'elle ferait; elle n'en fit pas, je continuai. Ma main ne frisait pour
-ainsi dire que la superficie de son sein, comme une hirondelle qui rase
-l'eau en y trempant ses ailes. Bientôt j'ôtai l'éventail, je pris un
-baiser: rien ne la réveilla. Devenu plus hardi, je changeai de posture,
-et mes yeux, animés par la vue des tétons, voulurent descendre plus bas.
-Je mis la tête aux pieds de la dame, et, le visage contre terre, je
-cherchai à pénétrer dans le pays de l'amour; mais je ne vis rien. Ses
-jambes croisées et sa cuisse droite collée sur sa gauche mettaient mes
-regards en défaut. Ne pouvant voir, je voulus toucher. Je coulai la main
-sur la cuisse et j'avançai jusqu'au pied du mont. Déjà je touchais à
-l'entrée de la grotte, et je croyais y borner mes désirs. Parvenu à ce
-point, je ne m'en trouvai que plus malheureux. J'aurais voulu rendre mes
-yeux participants des plaisirs de ma main; je la retirai, et je me mis à
-ma place pour examiner de nouveau le visage de ma dormeuse. Il n'était
-point altéré; le sommeil semblait avoir versé sur elle ses pavots les
-plus assoupissants. J'entrevoyais cependant un oeil dont le clignotement
-m'inquiétait. Je m'en défiais, et si dans l'instant il se fût fermé,
-peut-être me serais-je contenté de ce que j'avais fait; mais
-l'immobilité de cet oeil suspect me rendit la confiance. Je retournai à
-mon poste inférieur, et commençai à lever doucement le jupon. Elle fit
-un mouvement, je la crus réveillée. Je me retirai précipitamment, et, le
-coeur saisi de frayeur, je me remis à ma place sans oser la regarder;
-mais cette contrainte ne fut pas longue; mes yeux retournèrent sur elle;
-je reconnus avec plaisir que le mouvement qu'elle avait fait ne venait
-pas de son réveil, et je remerciai la fortune de mon heureuse situation.
-Ses jambes étaient décroisées, son genou droit élevé, et le jupon tombé
-sur son ventre, et je vis ses cuisses, ses jambes, sa motte, son con! Ce
-spectacle me charma. Un bas, proprement tiré, noué, sur le genou, avec
-une jarretière feu et argent, une jambe faite au tour, un petit pied
-mignon, une mule, la plus jolie du monde, des cuisses, ah! des cuisses
-dont la blancheur éblouissait, rondes, douces, fermes, un con d'un rouge
-de carmin entouré de petits poils plus noirs que le jais, et d'où
-sortait une odeur plus douce que celle des parfums les plus délicieux!
-J'y mis le doigt, je le chatouillai un peu; le mouvement qu'elle avait
-fait ayant écarté ses jambes, j'y portai aussitôt la bouche en tâchant
-d'y enfoncer la langue. Je bandais d'une extrême force. Ah! les
-comparaisons l'exprimeraient mal! Rien ne put alors m'arrêter: crainte,
-respect, tout disparut. En proie aux désirs les plus violents, j'aurais
-foutu la sultane favorite en présence de mille eunuques, le cimeterre
-nu, et prêts à laver mes plaisirs dans mon sang. J'enconnai Mme Dinville
-sans m'appuyer sur elle, crainte de la réveiller. Appuyé sur mes deux
-mains, je ne la touchais qu'avec mon vit; un mouvement doux et réglé me
-faisait avaler à longs traits le plaisir: je n'en prenais que la fleur.
-
-Les yeux fixés sur ceux de ma dormeuse, je collai de temps à autre ma
-bouche sur la sienne: La précaution que j'avais prise de m'appuyer sur
-mes mains ne tint pas contre mon ravissement. Plus d'attention, je me
-laissai tomber sur elle; il ne fut plus en mon pouvoir de faire autre
-chose que la serrer et la baiser avec fureur. La fin du plaisir me
-rendit l'usage de mes yeux, que le commencement m'avait ôté; elle me
-rendit le sentiment que j'avais perdu: je ne le recouvrai que pour avoir
-des transports de Mme Dinville que je n'étais plus en état de partager.
-Elle venait de croiser les mains sur mes fesses, et, élevant le
-derrière, qu'elle remuait avec vivacité, m'attirait sur elle de toute sa
-force. J'étais immobile, et je lui baisais encore la bouche avec un
-reste de feu que le sien commençait à rallumer.--Cher ami, me dit-elle à
-demi-voix, pousse encore un peu, ah! ne me laisse pas en chemin. Je me
-remis au travail avec une ardeur qui surpassa la sienne, car, à peine
-eus-je donné cinq ou six coups, qu'elle perdit connaissance. Plus animé
-que jamais, je doublai le pas, et, tombant sans mouvement dans ses bras,
-nous confondîmes nos plaisirs dans nos embrassements. Revenus de notre
-extase, quand je me retirai, ce ne fut pas sans confusion. Je baissais
-la vue, la dame avait les yeux tournés sur moi et m'examinait. J'étais
-sur mon séant; elle me passa une main sur le col, me fit recoucher sur
-l'herbe, et porta l'autre main à mon vit: elle se mit à le baiser.--Que
-veux-tu donc faire, grand innocent? me dit-elle; as-tu peur de me
-montrer un vit dont tu te sers si bien? Te cachai-je quelque chose, moi?
-Tiens, vois mes tétons, baise-les; mets cette main-là dans mon sein,
-bon; et celle-ci, porte-la à mon con, à merveille! Ah! fripon, que tu me
-fais de plaisir! Animé par ses caresses, j'y répondais avec ardeur; mon
-doigt s'acquittait bien de sa fonction: elle roulait des yeux passionnés
-et soupirait beaucoup; ma cuisse droite était passée dans les siennes;
-elle la serrait avec tant de plaisir que, se laissant tomber sur moi,
-elle m'en donna des preuves parlantes.
-
-Mon vit avait repris toute sa roideur, mes désirs renaissaient avec une
-nouvelle vivacité. Je me mis à mon tour à l'embrasser, à la serrer dans
-mes bras. Elle ne me répondait que par des baisers. J'avais toujours le
-doigt dans son con; je lui écartai les jambes en regardant ce charmant
-endroit avec complaisance. Ces approches du plaisir sont plus piquantes
-que le plaisir même. Est-il possible d'imaginer quelque chose de plus
-délicieux que de manier, que de considérer une femme qui se prête à
-toutes les postures que notre lubricité peut inventer? On se perd, on
-s'abîme, on s'anéantit dans l'examen d'un joli con, on voudrait n'être
-qu'un vit pour pouvoir s'y engloutir. Pourquoi n'a-t-on pas la prudence
-de s'en tenir à ce charmant badinage? L'homme, insatiable dans ses
-désirs, en forme de nouveaux dans le sein des plaisirs mêmes; plus les
-plaisirs qu'il goûte sont vifs, plus les degrés qu'ils font naître sont
-violents. Découvrez une partie de votre gorge à votre amant, il veut la
-voir tout entière; montrez-lui un petit téton blanc et dur, il veut le
-toucher: c'est un hydropique dont la soif s'accroît en buvant;
-laissez-le lui toucher, il voudra le baiser; laissez-lui porter la main
-plus bas, il voudra y porter son vit: son esprit ingénieux à forger de
-nouvelles chimères, ne lui laissera pas de repos qu'il ne vous l'ait
-mis. S'il vous le met, qu'arrive-t-il? Semblable au chien de la fable,
-il lâche l'os pour prendre l'ombre, il perd tout en voulant tout avoir.
-Tout cela est excellent, mais, après tout, il en faut toujours revenir
-au proverbe: _Vit bandant n'a point d'arrêt_; et moi-même qui prêche ici
-comme un docteur, hélas! si le ciel l'avait voulu, je serais le premier
-à faire le contraire de ce que je dis. S'il se présentait une femme dans
-l'attitude où j'avais mis madame Dinville, les jambes écartées, me
-montrant un con rouge et vermeil, où il ne tiendrait qu'à moi de me
-plonger dans la source des plaisirs, m'amuserai-je à lanterner, à
-baisoter, à chatouiller, à la foutaise, enfin? Non, parbleu! je la
-foutrais _sonica_. Jugez, si je fus longtemps à coniller autour de ma
-fouteuse. Je l'enconnai vigoureusement; elle, vive et infatigable,
-m'embrassa en répondant avec un mouvement égal aux coups que je lui
-donnais. J'avais les mains croisées sous ses fesses; elle avait les
-siennes croisées sur les miennes; je la serrais avec transport, elle me
-serrait de même; nos bouches étaient collées l'une sur l'autre; elles
-étaient deux cons, nos langues se foutaient; nos soupirs poussés et
-confondus l'un dans l'autre, nous causaient une douce langueur qui fut
-bientôt couronnée par une extase qui nous enleva, qui nous anéantit.
-
-On a raison de dire que la vigueur est un présent du ciel. Libéral
-envers ses fidèles serviteurs, il consent que leurs rejetons participent
-à cette libéralité, et que la force génitale soit héréditaire, et passe
-des moines à leurs enfants: c'est le seul patrimoine qu'ils laissent.
-Hélas! je l'ai promptement dissipé ce patrimoine! Mais n'anticipons pas
-sur les événements; retarder le récit de son malheur, c'est en adoucir
-le sentiment.
-
-Toute l'étendue du don du ciel m'était nécessaire pour sortir à mon
-honneur de l'aventure où j'étais engagé. Si j'avais à faire à forte
-partie je pouvais sans vanité m'appliquer les paroles du Cid:
-
- Je suis jeune, il est vrai, mais aux âmes bien nées
- La valeur n'attend pas le nombre des années.
-
-J'en avais jusqu'alors donné les marques les plus vigoureuses à Mme
-Dinville; mais il semblait que son courage s'accrût avec ma résistance,
-et elle s'aperçut bientôt que je ne battais plus qu'en retraite, elle
-m'excitait, elle m'animait à lui porter de nouveaux coups; elle s'y
-présentait, et contribuait par ses caresses à me procurer une nouvelle
-victoire. Je recommençais à la regarder avec langueur; je retrouvais du
-plaisir à lui baiser la gorge: je lui grattais le con avec plus de
-vitesse, je soupirais. Elle s'aperçut de l'heureuse disposition où ses
-caresses m'avaient mis. Ah! fripon! me dit-elle en me baisant les yeux,
-tu bandes; qu'il est gros! qu'il est long! Coquin! tu feras fortune avec
-un tel vit. Eh bien, veux-tu recommencer, dis! Je ne lui répondis qu'en
-la renversant. Attends donc, reprit-elle, attends, mon ami, je veux te
-donner un plaisir nouveau, je veux te foutre à mon tour: couche-toi
-comme je l'étais tout à l'heure. Je me couchai aussitôt sur le dos; elle
-monta sur moi, me prit elle-même le vit, me le plaça, et se mit à
-pousser. Je ne remuais pas; elle faisait tout, et je recevais le
-plaisir. Je la contemplais, elle interrompit son ouvrage pour m'accabler
-de baisers; ses tétons cédaient au mouvement de son corps et venaient se
-reposer sur ma bouche. Une sensation voluptueuse m'avertit de l'approche
-du plaisir. Je joignis mes élancements à ceux de ma fouteuse, et nous
-nageâmes bientôt dans le foutre. Brisé par les assauts que j'avais reçus
-et livrés depuis près de deux heures, le sommeil me gagna. Mme Dinville
-me plaça elle-même la tête sur son sein, et voulut que je goûtasse les
-douceurs du sommeil dans un endroit où je venais de goûter celles de
-l'amour.--Dors, me dit-elle, mon cher amour; dors tranquillement; je me
-contenterai de te voir. Je dormis d'un profond sommeil, et le soleil
-s'approchait de l'horizon quand je me réveillai. Je n'ouvris les yeux
-que pour envisager Mme Dinville, qui me regardait d'un air riant. Elle
-s'était occupée à faire des noeuds pendant mon sommeil. Elle interrompit
-son ouvrage pour me glisser la langue dans la bouche, elle le laissa
-bientôt, dans l'espérance que j'allais l'occuper à faire des noeuds
-d'une autre espèce. Elle ne me cacha point ses désirs et me pressa de
-les satisfaire. J'étais d'une nonchalance qui irritait son impatience.
-Je n'avais pourtant ni dégoût, ni envie; je sentais que s'il eût dépendu
-de moi, j'aurais préféré le repos à l'action. Ce n'était pas là le
-dessein de la dame, qui m'accablait en vain de caresses brûlantes et
-voulait réveiller en moi des désirs que je n'avais plus. Elle s'y prit
-d'une autre façon pour animer ma chaleur éteinte. Elle se coucha sur le
-dos, et se troussa. Elle connaissait combien une semblable vue avait de
-pouvoir sur moi, et, me prenant le vit, elle me branlait avec plus ou
-moins de vitesse, proportionnément aux degrés de volupté qu'elle sentait
-naître. Elle en vint enfin à son honneur: je bandai, elle triomphait. Le
-retour de ma virilité la réjouit beaucoup. Charmé moi-même de l'effet de
-ses caresses, je lui donnai des marques de reconnaissance qu'elle reçut
-avec fureur. Elle me serrait, s'élançait avec des mouvements si
-passionnés que je déchargeai soudain, et avec tant de plaisir que je
-voulus du mal à mon vit de l'obstacle qu'il avait apporté par sa lenteur
-à la jouissance. Afin de tromper la vigilance des curieux, nous
-quittâmes le gazon où nous venions de nous livrer aux plaisirs de
-l'amour; nous fîmes quelques tours dans le jardin, et ces tours ne se
-firent pas sans causer.--Que je suis contente de toi, mon cher Saturnin,
-me disait Mme Dinville, et toi?--Moi, lui répondis-je, je suis enchanté
-des plaisirs que vous venez de me faire goûter!--Oui, reprit-elle, mais
-je ne suis guère sage de m'être ainsi livrée à tes désirs; sauras-tu
-être discret, Saturnin?--Ah! vous ne m'aimez guère, lui dis-je, puisque
-vous me croyez capable d'abuser de vos bontés. Contente de ma réponse un
-tendre baiser en aurait été le prix si nous n'avions pas été aperçus.
-Elle me serra la main contre son coeur, et me regarda d'un air de
-langueur qui me charma.
-
-Nous allions vite; la conversation était tombée, et je m'aperçus que Mme
-Dinville jetait un oeil inquiet de côté et d'autre. Je n'avais garde
-d'en pénétrer la cause, ne la soupçonnant pas; vous ne l'auriez pas
-soupçonnée vous-même, et vous ne vous seriez pas attendu qu'après avoir
-travaillé comme nous l'avions fait, la dame ne fût pas contente de sa
-journée. L'envie de la couronner avec honneur la rendait attentive à
-examiner si quelque indiscret ne viendrait pas y mettre obstacle. Mais,
-direz-vous, elle avait donc le diable au cul? D'accord; elle venait de
-sucer ce pauvre petit bougre; il n'en pouvait plus; il était rendu, cela
-est vrai; mais comment a-t-elle fait pour le faire bander? Oh! c'est ce
-que je vais vous démontrer.
-
-En garçon qui commençait à savoir son monde, puisque je venais d'y faire
-une entrée assez brillante, j'aurais manqué à mon devoir si je n'avais
-pas conduit Mme Dinville dans son appartement. Je me préparais à lui
-tirer ma révérence, à l'embrasser pour la dernière fois de la journée,
-quand elle me dit: Tu veux t'en aller, mon ami? il n'est pas huit
-heures: va, reste, je ferai la paix avec ton curé. (Je lui avais dit que
-j'étais un des pensionnaires de M. le curé.) L'idée du presbytère me
-chagrinait, et je n'étais pas fâché que Mme Dinville m'épargnât une
-heure de dégoût. Nous nous assîmes sur son canapé, et, après avoir fermé
-sa porte, elle me prit une main qu'elle pressa dans les siennes et me
-regarda fixement, sans mot dire. Ne sachant que penser de ce silence,
-elle le rompit en me disant: tu ne te sens donc plus d'envie? Mon
-impuissance me rendait muet; je rougissais de ma faiblesse. Nous sommes
-seuls, Saturnin, reprit-elle en redoublant ses caresses; personne ne
-nous voit: déshabillons-nous et couchons-nous sur mon lit. Viens, mon
-fouteur, que je te fasse bander! Elle me porta sur son lit, m'aida à me
-déshabiller, et me vit bientôt dans l'état qu'elle me désirait, nu comme
-la main. Je la laissais faire, plutôt par complaisance que par l'idée du
-plaisir. Elle me renverse, me couvre de baisers, me suce le vit, et
-aurait voulu le faire entrer jusqu'aux couilles dans sa bouche. Elle
-semblait extasiée dans cette posture, me couvrait d'une salive semblable
-à de l'écume; mais elle employait en vain toute la chaleur de ses
-caresses pour ranimer un corps glacé par l'épuisement. A peine mon vit
-se redressait-il, et c'était si faiblement, que, n'en pouvant tirer
-aucun service, elle courut d'abord chercher dans une cassette une petite
-fiole de liqueur blanchâtre qu'elle versa dans le creux de sa main, et
-m'en frotta les couilles et le vit à plusieurs reprises. Va, me dit-elle
-alors avec satisfaction, nos plaisirs ne sont pas encore passés: tu m'en
-diras tout à l'heure des nouvelles. Sa prédiction s'accomplit; je sentis
-bientôt des picotements dans les couilles qui commencèrent à me faire
-entrevoir la possibilité de la réussite de son secret. Pour lui donner
-le temps d'opérer, elle se déshabilla à son tour. A peine se fut-elle
-montrée nue à mes yeux qu'une chaleur prodigieuse m'enflamma le sang,
-mon vit banda, mais d'une force inexprimable. Je devins enragé et,
-m'élançant sur elle, à peine lui donnai-je le temps de se mettre en
-posture. Je la dévorais; je ne voyais plus, ne connaissais plus rien:
-toutes mes idées étaient concentrées dans son con. Arrête, mon amour!
-s'écria-t-elle en s'arrachant de mes bras; ne nous pressons pas si fort;
-ménageons nos plaisirs, et, puisqu'ils ne durent qu'un instant,
-rendons-les vifs et délicieux. Mets ta tête à mes pieds, et tes pieds à
-la mienne. Je le fis. Mets ta langue dans mon con, ajouta-t-elle, et moi
-je vais mettre ton vit dans ma bouche. Nous y voilà! Cher ami, que tu me
-fais de plaisir! Dieux! qu'elle m'en faisait aussi! Mon corps étendu sur
-son corps nageait dans une mer de délices; je lui dardais ma langue le
-plus avant que je pouvais; j'aurais voulu y mettre la tête, m'y mettre
-tout entier! Je suçais son clitoris; j'allais chercher un nectar
-rafraîchissant jusqu'au fond de son con, plus délicieux mille fois que
-l'imagination des poètes faisait servir sur la table des dieux par la
-déesse de la jeunesse, à moins que ce ne fût le même et que la charmante
-Hébé ne leur donnât son conin à sucer. Si cela est, tous les éloges
-qu'ils ont donnés à cette boisson divine sont bien au-dessous de la
-réalité. Quelque critique de mauvaise humeur m'arrêtera ici tout court
-et me dira: Que buvaient donc les déesses? Elles suçaient le vit de
-Ganimède! Mme Dinville me tenait le derrière serré et je pressais ses
-fesses: elle me branlait avec la langue et avec les lèvres, je lui en
-faisais autant; elle m'avertissait, par de petites secousses et en
-écartant les cuisses, du plaisir qu'elle ressentait, et les mêmes signes
-qui m'échappaient lui faisaient connaître celui que j'avais. Modérant ou
-augmentant la vivacité de nos caresses, nous plongions ou nous avancions
-celui qui devait y mettre le comble; il vint insensiblement; alors, nous
-roidissant, nous serrant avec plus de force, il semblait que nous
-eussions ramassé toutes les facultés de l'âme pour ne nous occuper que
-des délices que nous allions goûter.
-
- Loin d'ici, fouteurs à la glace,
- Dont le vit, effrayé d'aller jusqu'à deux coups,
- Mollit au premier choc et déserte la place;
- Loin d'ici: mes transports ne sont plus faits pour vous.
-
-Nous déchargeâmes en même temps; je pressai dans ce moment, je couvris
-avec mes lèvres tout le con de ma fouteuse; je reçus dans ma bouche tout
-le foutre qui en sortait: je l'avalai; elle en fit autant de celui qui
-sortait de mon vit. Le charme se dissipa; je ne gardai du plaisir que je
-venais d'avoir qu'une légère idée qui s'évanouit comme l'ombre. Tels
-sont les plaisirs.
-
-Retombé dans le même état de dégoût et d'affaiblissement dont le secret
-de Mme Dinville m'avait retiré, je la pressai d'y recourir encore.--Non,
-mon cher Saturnin; je t'aime trop pour vouloir te donner la mort. Sois
-content de ce que nous avons fait. Je n'étais pas pressé de mourir, et
-un plaisir qu'il me fallait acheter aux dépens de ma vie n'était plus de
-mon goût. Nous nous rhabillâmes.
-
-J'étais trop content de ma journée pour négliger de prendre des
-assurances d'en passer encore de semblables. Mme Dinville, qui n'était
-pas plus mal satisfaite que moi, me prévint: Quand reviendras-tu? me
-demanda-t-elle en m'embrassant.--Le plus tôt que je pourrai, lui
-répondis-je, mais jamais assez tôt pour mon impatience; demain, par
-exemple?--Non, me dit-elle en souriant, je te donne deux jours: reviens
-le troisième, et le jour que tu viendras, continua-t-elle en rouvrant la
-cassette d'où elle avait tiré l'eau admirable dont j'avais éprouvé la
-vertu, et en me donnant quelques pastilles qu'elle y prit, tu auras soin
-de manger cela. Surtout, Saturnin, sois discret; ne parle à personne de
-tout ce que nous avons fait. Je l'assurai du secret et l'embrassai pour
-la dernière fois, la laissant bien persuadée qu'elle venait de recevoir
-mon pucelage.
-
-Mme Dinville était restée dans son appartement. Elle m'avait averti de
-faire en sorte que l'on ne m'aperçût pas: l'obscurité me favorisait. Je
-traversais une antichambre, quand je me vis arrêté, par qui: par Suzon.
-Sa vue me rendit immobile: il semblait que sa présence me reprochât les
-plaisirs que je venais de goûter. Mon imagination, d'intelligence avec
-mon coeur pour m'accabler, la rendait témoin de tout ce que je venais de
-faire. Elle me prit la main, et demeura sans parler. La confusion me
-faisait baisser la vue. Inquiet cependant de son silence, je ne confiai
-qu'à mes yeux le soin de lui en demander la cause; je les levai sur
-elle, je m'aperçus qu'elle versait des larmes. Ce spectacle me perça le
-coeur. Suzon y reprit dans le moment l'empire que les caresses de Mme
-Dinville lui avaient enlevé. Je ne pouvais concevoir que sa maîtresse
-eût fasciné mes yeux et mon coeur au point de ne voir qu'elle, de n'être
-sensible qu'au plaisir d'être avec elle, et j'avais la simplicité de
-regarder comme l'effet de quelque sortilège ce qui n'était que l'effet
-de mon tempérament et de l'attrait des plaisirs.--Suzon, dis-je à ma
-soeur d'un ton pénétré, tu pleures, ma chère Suzon; tes yeux se couvrent
-de larmes quand tu me vois; est-ce moi qui les fais couler?--Oui, c'est
-toi, me répondit-elle; je rougis de te l'avouer, cruel Saturnin, oui,
-c'est toi qui me les arraches; c'est toi qui me désespères et qui vas me
-faire mourir de douleur.--Moi, m'écriai-je; juste ciel! Suzon, oses-tu
-me faire de pareils reproches? Les ai-je mérités, moi qui t'aime?--Tu
-m'aimes, reprit-elle: ah, je serais trop heureuse si tu disais vrai!
-Mais peut-être viens-tu de jurer la même chose à Mme Dinville. Si tu
-m'aimais, l'aurais-tu suivie? N'aurais-tu pas imaginé un prétexte pour
-venir me trouver quand je suis sortie? Vaut-elle mieux que moi? Qu'as-tu
-fait avec elle toute l'après-dînée? Qu'as-tu dit? Pensais-tu à Suzon qui
-t'aime plus que sa vie? Oui. Saturnin, je t'aime; tu m'as inspiré une si
-forte passion, que je mourrais de douleur si tu n'y répondais pas. Tu te
-tais? poursuivit-elle; ah! je le vois, ton coeur ne se faisait pas de
-violence pour suivre une rivale que je vais haïr à la mort. Elle t'aime,
-je n'en saurai douter; tu l'aimes aussi: tu n'étais occupé que du
-plaisir qu'elle te promettait, tu ne songeais guère à la douleur que tu
-m'allais causer. Attendri par ses reproches, je ne pus dissimuler à
-Suzon qu'ils déchiraient mon coeur.--Cesse tes plaintes, lui dis-je;
-n'accable plus ton malheureux frère; tes larmes le désespèrent; je
-t'aime plus que moi-même, plus que je ne peux te dire!--Ah! reprit-elle,
-tu me rends la vie, et je consens à oublier ton injure si tu me promets
-de ne plus voir Mme Dinville. As-tu assez d'amour pour ta Suzon pour la
-lui sacrifier:--Oui, lui répondis-je, je te la sacrifie; tous ses
-charmes ne valent pas un seul de tes baisers. En lui disant cela, je
-l'embrassais, et elle ne rebutait pas mes caresses.--Saturnin,
-reprit-elle en me serrant tendrement la main, sois sincère: Mme Dinville
-aura exigé de toi que tu reviennes la voir: quand t'a-t-elle dit de
-revenir?--Dans trois jours, lui répondis-je.--Et tu viendras, Saturnin?
-me dit-elle tristement.--Que dois-je faire? lui répliquai-je. Si je
-viens, ce sera pour la désespérer par mon indifférence; si je ne viens
-pas, qu'il en coûtera à mon coeur de ne pas voir Suzon!--Je veux que tu
-reviennes, reprit-elle, mais il ne faudra pas qu'elle te voie; je ferai
-semblant d'être malade; je resterai au lit, nous passerons la journée
-ensemble; mais, ajouta-t-elle, tu ne sais pas où est ma chambre?
-Suis-moi: je vais t'y conduire. Je me laissai mener; j'étais tremblant,
-je pressentais le malheur qui m'allait arriver.--Voici, me dit Suzon,
-mon appartement. Regretterais-tu d'y passer la journée avec moi? Ah!
-Suzon, lui répondis-je, quelles délices tu me promets! Nous serons
-seuls, nous nous abandonnerons à nos amours! Suzon, conçois-tu ce
-bonheur comme moi? Elle se taisait et paraissait rêver profondément; je
-la pressai de s'expliquer.--Je t'entends, me dit-elle d'un ton
-d'indignation; tandis que nous serons seuls, que nous nous livrerons à
-l'amour, ah! Saturnin, que tu parles de ce jour avec indifférence, et
-que les plaisirs qu'il te promet te touchent peu, si tu as la force de
-les attendre deux jours!
-
-Je sentis son reproche: l'impossibilité de lui en prouver l'injustice me
-désespérait, je maudissais les plaisirs que je venais de goûter avec Mme
-Dinville. Ciel! m'écriai-je, je suis avec Suzon, j'aurais donné mon sang
-pour jouir de ce bonheur! J'y suis, et je n'ai pas la force de former un
-désir! Au milieu de cette confusion de pensées, je me ressouvins des
-pastilles que Mme Dinville m'avait données. Je jugeai que l'effet devait
-en être semblable à celui de son eau. Ne doutant pas qu'il ne fût aussi
-prompt, j'en avalai quelques-unes. L'espoir de désabuser bientôt Suzon
-me la fit embrasser avec une ardeur qui nous trompa tous deux. Suzon la
-prit pour un témoignage de mon amour, et moi, comme une marque de retour
-de ma vigueur. Suzon abusée par l'idée du plaisir, tomba sur son lit à
-demi pâmée. Quoique je me défiasse encore de moi-même, j'aurais cru
-l'accabler de douleur si je ne m'étais pas mis en état de justifier son
-espérance. Je me couchai sur elle, et collant ma bouche sur la sienne,
-je lui mis mon vit dans la main. Il était encore mou, mais je crus que
-son secours hâterait l'effet des pastilles. Elle le serrait, le remuait,
-le branlait; rien n'avançait: un froid mortel m'avait glacé le corps!
-C'est Suzon, disais-je, que j'embrasse, et je ne bande pas! Je baise ses
-tétons que j'idolâtrais hier; ne sont-ils plus les mêmes aujourd'hui?
-ils n'ont rien perdu de leur rondeur, de leur dureté, de leur blancheur.
-Sa peau est aussi douce, ses cuisses aussi brûlantes. Elle les écarte,
-j'ai le doigt dans son con, hélas! et je ne puis y mettre que le doigt!
-Suzon soupirait de ma faiblesse; je maudissais le présent de Mme
-Dinville. Je m'imaginais qu'elle avait prévu ce qui devait m'arriver en
-sortant de chez elle, et avait voulu achever avec ses pastilles
-l'épuisement où j'étais. L'opiniâtreté de ma froideur confirma si bien
-cette pensée, que j'allais avouer mon impuissance à Suzon, quand je
-sortis d'embarras d'une manière inattendue. On va penser que l'amour fit
-d'abord un miracle, que je bandai et que je foutis: point du tout; une
-main invisible ouvrant avec fracas les rideaux du lit, vint m'appliquer
-un soufflet. Effrayé de cet accident, je n'eus pas la force de crier; je
-m'enfuis, et laissai Suzon exposée à la fureur du spectre, ne doutant
-pas que ce n'en fût un. Je sortis du château en diligence, et tremblais
-encore dans mon lit, où je m'étais mis en arrivant chez le curé, à qui
-je fis le détail d'un spectacle que je n'avais pas vu et que mon trouble
-croyait véritable. Je n'en imposai au curé que sur le lieu de la scène,
-que je ne mis pas dans la chambre de Suzon. La frayeur et l'épuisement
-me procurèrent un sommeil profond. Je me réveillai avec le même
-accablement, et dans l'impossibilité de me lever. Surpris d'une
-lassitude que je n'attribuais qu'au plaisir, je connus combien il est
-nécessaire de se ménager, et ce que coûte trop de complaisance pour les
-désirs de ces sirènes voluptueuses qui vous sucent, qui vous rongent et
-qui ne vous lâcheraient qu'après avoir bu votre sang, si leur intérêt
-soutenu de l'espérance de vous attirer encore par leurs caresses, ne les
-retenait. Pourquoi ne fait-on ces réflexions qu'après coup? C'est qu'en
-amour la raison n'éclaire que le repentir.
-
-Le repos avait effacé de mon esprit ces idées lugubres tracées par la
-frayeur. Devenu tranquille sur mon compte, mon coeur ne sentait que les
-inquiétudes que lui causait l'incertitude du sort de Suzon. Je me
-représentais avec horreur l'état où je l'avais laissée. Elle sera morte,
-disais-je tristement; timide comme je la connais, il n'en fallait pas
-tant pour la faire mourir. Elle n'est donc plus! continuais-je, accablé
-par cette réflexion cruelle. Suzon n'est plus! ah! ciel! Mon coeur, que
-ces tristes pensées avaient serré d'abord, s'ouvrit bientôt à un torrent
-de larmes; j'en versais encore quand Toinette entra. Sa vue m'épouvanta;
-je tremblais qu'elle ne vînt me confirmer un malheur que je craignais,
-et je mourais d'envie de l'entendre. Il n'en fut pas question. Son
-silence à ce sujet, joint à celui de tout le monde, me fit croire que ma
-douleur était sans fondement. Je pensai que Suzon en avait été quitte
-comme moi de la frayeur. Le chagrin que j'avais ressenti de sa mort fit
-place à la curiosité de savoir ce qui s'était passé dans la chambre
-après mon départ; mais c'était une curiosité que je ne pouvais
-satisfaire qu'après mon rétablissement.
-
-Les deux jours de repos que Mme Dinville m'avait accordés étaient
-expirés; nous étions au troisième, et quoique je commençasse à me sentir
-mieux, je ne fus point tenté d'aller chercher de l'exercice au château.
-Je ne songeais cependant qu'avec chagrin à l'obstacle que cette funeste
-aventure avait mis au plaisir que je m'étais promis d'avoir avec Suzon.
-Cette réflexion me fit penser aux pastilles de Mme Dinville: je mangeai
-ce qu'il m'en restait. Je ne dirai pas si leur effet fut vif ou lent;
-mais, après avoir profondément dormi, je fus réveillé par la force de
-l'érection que je sentais. J'en étais effrayé, et j'aurais craint pour
-mes nerfs si la même chose ne me fût pas arrivée chez Mme Dinville.
-Qu'on rie de mon embarras; qu'on dise si l'on veut: Eh quoi! brave
-Saturnin, n'aviez-vous pas vos quatre doigts et le pouce pour vous
-soulager? Comment font ces cafards de prêtres, ces hypocrites dont le
-coeur est corrompu? On ne trouve pas toujours un bordel, une dévote sous
-la main; mais on a toujours un vit: on s'en sert, on se branle. Je le
-savais, mais il n'y avait pas longtemps que, pour m'en être trop donné,
-je me trouvais brisé, moulu. En garde contre la tentation, je me
-branlotais et faisais venir le plaisir jusqu'à ma portée. Quoiqu'il ne
-soit pas si grand que quand on fait le cas, on a toujours la faculté de
-le répéter autant de fois qu'on le juge à propos. L'imagination se joue,
-voltige sur les objets qui nous charment les yeux. Avec un coup de
-poignet, on fout la brune, la blonde, la petite, la grande; les désirs
-ne connaissent pas l'intervalle des conditions; ils vont jusque sur le
-trône, et les beautés les plus fières, forcées de céder, accordent ce
-qu'on leur demande. Du trône on descend à la grisette; on se représente
-une fille timide, neuve sur les plaisirs de l'amour et qui ne connaît la
-nature des désirs que par ceux qu'elle ressent. On lui donne un baiser;
-elle rougit; on lève un mouchoir qui cache une gorge naissante; on
-descend plus bas: on y trouve un petit conin chaud, brûlant; on lui fait
-faire une résistance que le plaisir augmente, diminue, fait évanouir à
-son gré. Le plaisir est vif et pétillant. Semblable à ces feux qui
-sortent de la terre, il se montre et s'échappe? l'avez-vous vu? Non; la
-sensation qu'il a excitée dans votre âme a été si vive, si rapide,
-qu'anéantie par la force de son impulsion elle n'a pu le connaître. Le
-vrai moyen de le fixer, c'est de badiner avec lui, de le laisser
-échapper, de le retrouver enfin, en vous livrant tout entier à ses
-transports.
-
-J'étais dans cette occupation, la nuit était déjà fort avancée, j'allais
-finir mon badinage pour m'abandonner au sommeil, quand j'entrevis
-quelqu'un paraître au pied de mon lit et disparaître à l'instant. Je fus
-moins effrayé que réveillé par une pareille vision. Je crus que c'était
-l'abbé dont je vous ai parlé dans le portrait de mademoiselle Nicole.
-C'est lui, disais-je, oui; où va ce bougre-là? Foutre Nicole? Ira-t-il
-seul? Non, parbleu! car je vais le suivre. Je me lève; j'étais en habit
-de combat, c'est-à-dire en chemise: je savais les êtres. Je gagnai le
-corridor où était la chambre de la belle. J'entrai dans une chambre dont
-la porte n'était pas fermée; je la repoussai et m'approchai avec
-circonspection du lit où je croyais nos amants occupés à prendre leurs
-ébats. J'écoutais, j'attendais que des soupirs m'apprissent si mon tour
-viendrait bientôt. Quelqu'un respirait; mais ce quelqu'un paraissait
-être seul. Ne serait-il pas venu? dis-je alors bien étonné. Non,
-assurément il n'y est pas. Oh! parbleu, monsieur l'abbé, vous n'en
-tâterez, ma foi! que d'une dent. Dans l'instant, je coulai ma main entre
-les jambes de la belle dormeuse, et je lui donnai un baiser sur la
-bouche.--Ah! me dit-on d'une voix basse, que vous vous êtes fait
-attendre! Je dormais; montez donc. Ma foi! Je montai dans le lit, et
-bientôt sur ma Vénus, qui me reçut assez froidement dans ses bras. Je
-fus sensible à cette marque d'indifférence qu'elle croyait donner à son
-amant, et je m'applaudis du succès que la fortune me donnait, en me
-procurant une vengeance aussi douce des mépris de ma tigresse. Je la
-baisais à la bouche, lui pressais les yeux avec les lèvres, me livrais à
-des transports d'autant plus vifs qu'on leur avait toujours refusé la
-liberté d'éclater. Je lui maniais les tétons, qui étaient bien séparés,
-bien formés, bien durs. Je nageais dans un fleuve de délices; je fis
-enfin ce que j'avais souhaité tant de fois de faire avec divinité.
-Assurément, elle ne s'attendait pas à être si bien régalée. A peine
-eus-je fini ma carrière, que, me sentant encore plus animé que jamais,
-je repris du champ, et je donnai une nouvelle matière à ses éloges. Je
-l'avais mise en goût et jugeai par ses caresses qu'elle n'attendait plus
-que cette troisième preuve de valeur pour mettre cette nuit au-dessus de
-toutes celles qu'elle disait que nous avions passées ensemble. Quoique
-je fusse capable de lui donner encore cette nouvelle satisfaction, la
-crainte d'être surpris par l'abbé amortit un peu mon courage. Je ne
-savais à quoi attribuer sa lenteur. Je ne pouvais en accuser qu'un
-changement de résolution. Sur cette pensée, je crus que je pouvais
-reprendre haleine et ne pas précipiter mes coups ainsi que je l'avais
-fait.
-
-Deux décharges abattent un peu les fumées de l'amour; l'illusion se
-dissipe, l'esprit rentre dans ses fonctions; les nuages s'évanouissent,
-les objets cessent d'être ce qu'ils étaient. Les belles y gagnent, les
-laides y perdent: tant pis pour elles. Je voudrais en passant donner un
-conseil à celles-ci: Laides, quand vous accordez des faveurs à
-quelqu'un, ménagez-le, ne l'en accablez pas: quand on n'a plus rien à
-désirer, on ne désire plus; la passion s'éteint par une jouissance trop
-complète. Prenez-y garde: vous n'avez pas les ressources d'une belle à
-qui les charmes promettent le retour de ces désirs qu'elle vient
-d'assouvir et que le moindre désir rallume.
-
-La réflexion que je viens de faire cadre le mieux du monde avec ce que
-j'éprouvai. Je m'amusais à parcourir avec la main les beautés de ma
-nymphe; j'étais surpris de trouver une différence dans les choses que
-j'avais maniées un instant auparavant. Ses cuisses, qui m'avaient paru
-douces, fermes, remplies, unies, étaient devenues ridées, molles,
-sèches; son con n'était plus qu'une conasse, ses tétons que des
-tétasses; ainsi du reste. Je ne pouvais concevoir un pareil prodige;
-j'accusais mon imagination de s'être refroidie, je voulais du mal à ma
-main du rapport trop fidèle qu'elle lui faisait. Ce n'est pas que ces
-témoignages incertains m'eussent empêché de livrer un troisième assaut;
-j'allais m'y présenter, et on se préparait à le recevoir, quand nous
-entendîmes un charivari dans la chambre voisine, que je prenais pour
-celle de la dame Françoise, notre vénérable gouvernante. Ah! le chien!
-criait une voix enrouée; Ah! la misérable! ah! la... A ces mots ma
-mignonne, que j'allais enconner, me dit: ah! mon Dieu, que fait-on à
-notre fille; est-ce qu'on la tue? Allez donc voir. Je ne répondis rien.
-Frappé de ce discours, je ne savais où j'en étais: Notre fille,
-disais-je; Nicole aurait-elle une fille? Le bruit continuait, et l'on me
-pressait d'aller au secours. Je ne m'en remuais pas davantage. On
-s'impatiente, on court au fusil, on allume de la chandelle, et à sa
-faveur je reconnais la dame Françoise, cette vieille... Je demeurai
-pétrifié à la vue de ce fantôme; je vis bien que je m'étais trompé de
-porte, et j'étais enragé de me voir la dupe de ce misérable abbé, ou
-plutôt de mon impatience qui ne m'avait pas permis de faire attention à
-la disposition des lieux. Je jugeai que M. le curé, s'étant trouvé en
-humeur de s'ébaudir cette nuit-là avec sa chambrière, l'avait avertie de
-se tenir prête pour la danse, et que, me prenant pour le pasteur, elle
-m'avait reproché ma lenteur à me rendre à mon poste; que le saint prêtre
-pour éviter le scandale, avait attendu que la nuit fût avancée pour
-tenir parole à sa beauté; qu'ayant trouvé la porte de la chambre de sa
-nièce ouverte, la tendresse l'avait fait courir à son lit, où il l'avait
-trouvée en flagrant délit; que, frappé de l'idée d'infamie dont elle
-couvrait son front, il avait donné aux combattants des témoignages de sa
-colère plus forts que jeu. Mais le bruit redouble, on s'étrangle: eh!
-vite, dame Françoise, volez sur le champ de bataille: l'honneur,
-l'amour, la tendresse, tout vous en fait une loi; allez séparer des
-ennemis dont la mort vous affligerait; mais, au nom de Dieu, laissez la
-porte ouverte pour que je me sauve. Oh! la chienne! elle la ferme à
-double tour. Malheureux Saturnin, comment vas-tu t'échapper? La dame
-Françoise va s'apercevoir que ce n'est pas avec le curé qu'elle a eu
-affaire, il va venir, il va te trouver, tu es perdu, tu payeras pour les
-autres. Telles étaient les pensées qui m'agitaient tandis qu'on se
-chamaillait dans la chambre voisine. Inutilement j'avais essayé de
-sortir; réduit à pleurer mon triste malheur, je m'y abandonnais. Insensé
-que j'étais, comme si je n'eusse pas déjà éprouvé qu'au sein du malheur
-même on ne doit pas désespérer de sa félicité; qu'au moment où l'on se
-croit accablé par les coups redoublés du sort nous devons au hasard les
-jours les plus fortunés. Divine Providence, c'est par tes décrets que
-ces merveilles s'opèrent.
-
-Au moment où je me livrais au désespoir, la fortune tournait sa roue. Le
-bruit avait augmenté à la vue de Françoise, à qui le chandelier tomba
-des mains à l'aspect du curé qu'elle prit pour un spectre. Qu'on se
-peigne cette scène. Si j'en avais été témoin, j'en épargnerais la peine,
-mais la connaissance des parties me met en état de fournir des idées
-pour la perfection du tableau. Qu'on se figure M. le curé, nu, en
-caleçon, un bonnet gras sur la tête, ses petits yeux étincelants, sa
-grande bouche écumante, frappant comme un sourd sur l'abbé et sur la
-nièce. Qu'on se représente ces deux amants, la belle tremblante et
-s'enfonçant dans son lit, l'abbé se cachant sous la couverture et n'en
-sortant que pour allonger de temps en temps des coups de poing sur le
-visage du pasteur. Qu'on se trace la figure d'une mégère en chemise,
-qui, la chandelle à la main, s'approche, veut crier, demeure interdite,
-et tombe de frayeur sur une chaise.
-
-L'abbé, autant que j'en fus juge par le silence qui régna tout à coup,
-craignant d'être découvert, gagna le large. Le curé l'avait suivi. On
-ouvrit dans le moment ma porte, et on la referma sur-le-champ. Je
-tremblais, on se coucha; nouvelle frayeur. Je crus que c'était
-Françoise, et que le curé allait venir. Tout était pourtant calme, et
-cette Françoise qui était dans le lit, pleurait et soupirait. J'étais
-confus. Que penser de ces pleurs? Pourquoi soupire-t-elle? pourquoi
-est-elle revenue? Le curé reviendra-t-il ou non? Ah! que l'incertitude
-est une peine cruelle! Je voulais sortir, mais je n'osais: enfin,
-j'allais m'évader quand le diable m'arrêta. Mon coeur me disait: Tu vas
-te coucher, nigaud, et tu bandes encore! Tu abandonnes Françoise à son
-chagrin: crains-tu de la consoler? c'est bien la moindre chose que tu
-lui doives; elle t'a comblé de caresses, refuseras-tu d'essuyer ses
-larmes? Elle est vieille, d'accord; laide, soit; mais n'a-t-elle pas un
-con, nigaud? Ma foi? seigneur Diable, vous avez raison.
-
- Un con n'est jamais qu'un con;
- Quand on bande tout est bon.
-
-Va, va, continua la voix intérieure, l'orage est passé; il n'y a plus
-rien à craindre, remets-toi dans le lit. Je succombai à la tentation, je
-m'y remis. Je commençai à me coucher, avec beaucoup de discrétion, sur
-le bord; mais toute ma politesse ne put arrêter un cri de frayeur qui
-partit et fut dans l'instant étouffé par la crainte d'être entendu. Je
-sentis qu'on se retirait dans le coin du lit. Une pareille façon d'agir
-augmentait ma surprise. Je crus que je la ferais bientôt cesser, en
-expliquant mes intentions, et cette explication fut de porter la main
-entre les cuisses de ma vieille: elles étaient redevenues tout ce qu'on
-pouvait les souhaiter et pour exciter les plus vives émotions, plus
-douces et plus fermes qu'elles ne m'avaient encore paru. Ma main ne s'y
-arrêta pas longtemps, quelque plaisir qu'elle y sentît: elle passa au
-conin. La motte, le ventre, les tétons, tout était aussi doux, aussi uni
-qu'à une jeune fille. Je maniais, je baisais, je suçais, on me laissait
-faire, et mon feu ranimant celui de ma belle, elle cessa de soupirer, se
-rapprocha de moi et moi d'elle. De la tristesse je la fis passer à
-l'amour; je l'enconnai.--Ah! me dit-elle alors, cher abbé, qui t'a
-conduit ici? Que ton amour me va coûter de larmes! Quoique attendri par
-ce discours, mes transports redoublèrent: je serrai tendrement ma
-nymphe, confondis mes soupirs avec les siens, et scellai, par des
-élancements de volupté, les délices qui les avaient précédés. L'extase
-finie, je me rappelai les paroles qu'on venait de m'adresser. Où
-suis-je? me dis-je alors. Est-ce avec Françoise? Quelle différence de
-plaisirs! Mais elle me prend pour l'abbé; elle dit que mon amour va lui
-faire verser des larmes: partagerait-elle avec Nicole les hommages de ce
-faquin-là? Elle est apparemment jalouse, la bonne dame; elle croyait
-posséder toute seule le coeur de son mignon. Pourquoi est-elle vieille?
-Pourquoi est-elle laide? Malgré sa laideur, j'eus encore assez de
-hardiesse pour m'exposer au désagrément de l'examen dont je m'étais si
-mal trouvé après les premiers coups. Ma main impatiente brûlait de
-retourner sur son corps sec et décharné; et quoique je sentisse que le
-dégoût serait le prix de mon imprudence, et que si je voulais courir
-encore une poste, le meilleur parti était d'attendre le retour de ma
-vigueur, sans la précipiter par un badinage qui pourrait bien au
-contraire l'éloigner, je hasardai de porter la main; mais, ô surprise!
-partout la même fermeté, le même embonpoint, la même chaleur, la même
-douceur! Que veut dire ceci? repris-je alors. Est-ce Françoise? ne
-l'est-ce pas? Non assurément, ce ne peut être que Nicole. O ciel! c'est
-Nicole! J'en ai pour garants le plaisir qu'elle m'a donné et la
-continuation de ce plaisir que je ressens encore à la toucher. Elle se
-sera échappée de son lit, aura profité de la faiblesse de Françoise pour
-venir se réfugier ici: elle s'imagine que son amant est venu aussi s'y
-cacher! Je retrouvais dans cette explication toute naturelle des paroles
-qu'elle m'avait adressées. Rempli de cette pensée, je sentis les désirs
-qu'elle m'avait autrefois inspirés renaître avec plus de force. Le
-croirait-on? J'eus regret aux plaisirs que je croyais n'avoir eus
-qu'avec Françoise, parce que c'était autant de diminué sur ceux que
-j'allais goûter avec Nicole. Je me mis en état de récompenser le temps
-perdu.--Ma chère Nicole, lui dis-je en la baisant tendrement et en
-tâchant de contrefaire la voix de l'abbé, de quoi t'occupes-tu? Peux-tu
-te laisser aller à la tristesse, quand l'heureux hasard qui nous
-rassemble veut que nous nous livrions à notre amour? Foutons, ma chère
-enfant; noyons notre malheur dans le foutre!--Que tu me fais de plaisir,
-me répliqua-t-elle en répondant à mes caresses! Ta douleur augmentait la
-mienne. Oui, profitons du seul moyen que nous ayons de nous consoler.
-Arrive tout ce qui pourra, tant que j'aurai cela dans la main,
-continua-t-elle en me prenant le vit, je ne craindrai pas la mort même.
-N'appréhende pas qu'on vienne nous interrompre, j'ai retiré la clef; ils
-ne peuvent entrer qu'en jetant la porte en dedans. Charmé de cette
-heureuse précaution inspirée par l'amour, je la caressais avec un
-nouveau plaisir; mon vit, qu'elle tenait toujours dans sa main, était
-toujours d'une raideur qui l'enchantait. Vite, lui dis-je, mets-le dans
-ton cher conin; Nicole, que tu me fais languir! Elle ne se pressait pas,
-continuait de serrer mon vit, et paraissait surprise de sa grosseur,
-qu'elle prenait pour l'effet de ses caresses. Je voulus le mettre
-moi-même.--Attends, mon cher ami, me répondit-elle en me pressant dans
-ses bras; laisse-le venir encore plus gros et plus long. Ah! je ne l'ai
-jamais vu plus beau: est-il augmenté cette nuit! l'abbé n'était pas
-apparemment si bien partagé que moi des dons de la nature. J'aurais ri
-de cette pensée de Nicole, si je n'avais pas été en humeur de faire
-autre chose.--Ah! que je vais avoir de plaisir! reprit-elle en se le
-mettant. Pousse, cher ami, pousse! Il n'était pas besoin de me le dire:
-j'enfonçai, et, m'appesantissant sur sa gorge, sur son sein, je les
-couvrais de baisers de feu, je restais immobile, j'y mourais.--Fais
-donc! me dit Nicole, en se remuant avec des transports qui me tirèrent
-de mon assoupissement extatique; fais donc! Je me mis aussitôt à lui
-allonger des coups de cul, des coups de vit, qui lui allaient,
-disait-elle, jusqu'au coeur. Ah! ceux qu'elle me rendait allaient bien
-plus loin! Ils portaient le feu, ils me lançaient des torrents de
-délices jusqu'aux parties les plus reculées de mon corps. O décharge! tu
-es un rayon de la Divinité, ou plutôt n'es-tu pas la Divinité même?
-Pourquoi ne meurt-on pas dans les transports? La mère du dieu des
-buveurs ne mourut-elle pas quand Jupiter, cédant à ses instances, la
-foutit en dieu? car ne vous y méprenez pas, messieurs les mythologistes,
-ce n'est pas l'appareil, l'éclat, ni la majesté du souverain des cieux,
-qui ravirent le jour à Sémélé: c'est le foutre embrasé qui sortait de
-son vit. Mahomet, j'observe ta loi, je suis ton plus fidèle croyant;
-mais tiens-moi parole; fais-moi jouir pendant mille ans des
-embrassements continuels du plaisir toujours renaissant de la décharge
-délicieuse que tu promets à tes fidèles avec tes houris rouges,
-blanches, vertes, jaunes: la couleur n'y fait rien, que je décharge,
-c'est tout ce qu'il me faut.
-
-Nicole était enchantée de moi, j'étais enchanté de Nicole. Quelle
-différence entre une vieille et une jeune! Une jeune le fait par amour,
-une vieille par habitude. Vieillards, laissez la fouterie à la jeunesse;
-c'est un travail pour vous, c'est un plaisir pour elle.
-
-Mon vit, plus dur qu'il ne l'était avant l'action, restait dans son étui
-sans s'amollir. Nicole me serrait avec plus de feu, et le même feu qui
-m'animait me la faisait serrer avec plus de roideur encore, elle ne
-m'aurait pas lâché pour un trône; je ne l'aurais pas quittée pour
-l'empire de l'univers. Bientôt un mouvement nous fit recourir après ce
-que nous venions de perdre. L'imprudence est le partage de l'amour; le
-bonheur éblouit, on est trop occupé pour penser qu'il puisse s'évanouir.
-Nous nous trahîmes par nos transports; le lit était appuyé contre la
-cloison de la chambre voisine; nous ne songions pas que Françoise était
-dans cette chambre, qu'elle pouvait se réveiller au bruit que nous
-faisions par les secousses indiscrètes que nous donnions au lit, qui,
-frappant contre cette cloison, l'eût bientôt mise au fait de ce qui se
-passait dans la chambre. Plus vite que l'éclair, elle accourt à la
-porte; point de clef: comment faire? Appeler Nicole; elle le fit. A
-cette voix terrible nous fûmes glacés d'effroi; nous nous arrêtâmes tout
-court, et la vieille cessa de crier; mais nous cessâmes bientôt d'être
-sages. Trop animés pour rester longtemps dans notre inaction gênante,
-nous reprîmes notre ouvrage; mais quoique nous le fissions avec toute la
-discrétion possible, la vieille, qui avait l'oreille au guet, ne prit
-pas le change. Elle démêla, dans le bruit sourd de nos soupirs et des
-mots interrompus qui nous échappaient, le motif de notre silence.
-Nouveau tapage. Nicole, criait-elle en frappant contre la cloison,
-misérable Nicole, finiras-tu? Nouvelles alarmes de notre part; mais me
-mettant bientôt au-dessus de la crainte, je dis à Nicole que, puisque
-nous étions découvert, il était inutile de nous gêner. Elle approuva par
-son silence cette résolution courageuse, et, me donnant elle-même le
-premier coup de cul, en me remettant sa langue dans la bouche, elle me
-piqua d'honneur; et tels que des généreux guerriers qui, bravant dans
-les lignes le feu d'une artillerie meurtrière braquée contre eux sur un
-rempart, continuent tranquillement leur ouvrage et rient du bruit
-impuissant du canon qui gronde sur leur tête, nous travaillâmes
-intrépidement au bruit des coups que Françoise donnait contre la
-cloison. Nous achevâmes; et, soit que l'interruption, soit que le bruit
-que la vieille faisait encore eût donné une pointe de vivacité à nos
-plaisirs, nous nous avouâmes réciproquement que nous n'en avions pas
-encore goûté d'aussi vifs.
-
-Le faire cinq fois en fort peu de temps, ce n'était pas mal s'en tirer
-pour un convalescent, convalescent encore de quelle maladie! Je sentais
-cependant que je n'étais pas tout-à-fait hors de combat; il fallait
-avoir de la sagesse pour ne pas se laisser aller; je l'eus, cette
-sagesse; je triomphai de mon envie. Il faut pourtant convenir que la
-réflexion eut bonne part dans ma modération. La dame Françoise pourrait
-à la fin s'impatienter de ce petit manège, des honnêtes remontrances
-passer aux cris, des cris, que sais-je? sonner le tocsin sur nous, ou
-peut-être venir faire sentinelle à notre porte. S'exposer aux risques
-d'être arrêtés au passage; mauvaise affaire; rester dans la chambre,
-assiégés jusqu'au jour, au bout du compte il en aurait fallu sortir;
-Comment? Nus; cela n'aurait pas été honnête, un jeune homme, une jeune
-fille dans cet équipage. Le parti le plus sûr était de faire une prompte
-retraite; je la fis; mais avant que de gagner mon lit je jugeai
-prudemment que je ne serais qu'un sot si je laissais subsister dans
-l'esprit de Nicole l'opinion trop avantageuse que j'y avais fait naître
-sur le compte de l'abbé. Il en aurait trop coûté à mon amour-propre de
-faire à ce maroufle le sacrifice de la gloire que je venais d'acquérir
-sous son nom. De la vanité, à moi, cela vous fait rire, lecteur,
-n'est-il pas vrai? J'aurais voulu vous voir à ma place. Je vous suppose
-rival comme je l'étais et sensible au plaisir de vous venger, je gage
-que vous auriez été aussi fat que moi, et que vous auriez dit, ainsi que
-je le fis: ma belle Nicole, vous ne devez pas être mécontente de moi?
-Là-dessus elle vous aurait assuré que son coeur était charmé. N'est-il
-pas vrai, auriez-vous repris, que vous n'en attendiez pas tant du petit
-drôle que vous avez toujours méprisé? Vous aviez tort, et il ne méritait
-pas le traitement que vous lui avez fait; car vous voyez que les petits
-valent bien les grands. Adieu, ma chère Nicole; je me nomme Saturnin,
-pour vous servir. Vous l'auriez embrassée, et puis vous l'auriez laissée
-là, bien étourdie de votre compliment; vous auriez gagné la porte, vous
-l'auriez ouverte (on avait laissé la clef dans la serrure), et vous
-auriez été vous recoucher tranquillement dans votre lit. Dieu veuille
-que vous eussiez été capable de le faire aussi bien et aussi
-heureusement que moi.
-
-Frappé de la bizarrerie des aventures qui venaient de m'arriver,
-j'attendis avec impatience que le jour vînt m'apprendre qu'elles
-seraient les suites d'une nuit aussi singulière. J'étais charmé du
-désastre de l'abbé et de ma bonne fortune. Comme personne (excepté Mlle
-Nicole, sur la discrétion de laquelle je pouvais compter) ne me
-soupçonnait de rien, je me faisais d'avance une comédie de la figure que
-je verrais faire à nos acteurs nocturnes, et je me promettais d'autant
-plus de plaisir, que je serais le seul à qui elle devait être
-indifférente. M. le curé, disais-je, aura un air sombre, taciturne, sera
-de mauvaise humeur, fessera; qu'il fesse, ce ne sera pas moi, ou je
-jouerai de malheur. Françoise examinera tous les écoliers, l'un après
-l'autre, avec des yeux dont la fureur rendra l'écarlate plus vive et
-plus brillante. Elle cherchera, parmi les grands, celui sur qui elle
-doit se venger, non des plaisirs qu'elle a eus, mais de ceux qu'il a
-donnés à sa fille. Si elle me reconnaît, elle sera bien fine. Nicole
-n'osera se montrer; si elle se montre, elle rougira, sera honteuse, me
-fera la mine, peut-être les yeux doux; que sait-on? Elle est friande,
-ferai-je le cruel? Peut-être l'abbé sera-t-il cassé aux gages; oh! pour
-lui, il n'en sera que plus impudent.
-
-J'étais si fort occupé de toutes ces pensées, que je ne songeais pas à
-dormir; et l'Aurore aux doigts de rose avait déjà ouvert les portes de
-l'Orient, que je n'avais pas encore fermé l'oeil. J'avais pourtant
-besoin de repos. Le sommeil, qui semblait avoir respecté mes réflexions,
-vint aussitôt qu'elles furent cessées, et ce ne fut pas sans peine qu'on
-vint à bout de le faire rompre au milieu du jour. Que devins-je à la vue
-de Toinette, qui, placée aux pieds de mon lit, paraissait attendre mon
-réveil? Je pâlis, je rougis, je tremblai. Je crus que mon procès était
-fait et parfait; qu'on avait découvert que j'avais eu part aux désordres
-de la nuit et que j'allais le payer. Cette pensée accablante me fit
-retomber sans force sur mon lit.--Eh bien, Saturnin, me dit Toinette,
-es-tu encore malade? Pas de réponse. Le révérend père Polycarpe va donc
-partir sans toi, continua-t-elle; il comptait pourtant t'emmener avec
-lui. A ce mot de départ, ma tristesse se dissipa.--Il part! dis-je à
-Toinette avec vivacité. Eh! vraiment, je me porte à merveille. Dans le
-moment je m'élançai hors du lit, et je fus habillé avant que Toinette
-songeât à faire attention au passage subit de la tristesse à la joie que
-je venais d'éprouver en si peu de temps; je la suivis.
-
-J'étais trop agréablement occupé de la nouvelle que Toinette venait de
-m'apprendre pour quitter avec regret la maison du pasteur. Je ne pensai
-pas même que je ne reverrais plus Suzon. Je trouvai le père Polycarpe
-qui m'attendait: il fut charmé de me revoir. Je passe sous silence les
-caresses d'Ambroise, les baisers, les larmes de Toinette: elle en
-répandit, j'en jetai moi-même. Me voilà en croupe sur le cheval du valet
-de sa révérence. Adieu, père Ambroise. Adieu, Mme Toinette, serviteur.
-Je pars, nous marchons, nous arrivons, nous voilà au couvent.
-
-
-FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE
-
-
-
-
-SECONDE PARTIE
-
-
-J'entre dans une nouvelle carrière. Destiné par mon état à grossir le
-nombre des pourceaux sacrés que la piété des fidèles nourrit dans
-l'aisance, la nature m'avait donné les plus belles dispositions pour cet
-état, et l'expérience avait déjà commencé à perfectionner ses présents.
-
-La sincérité n'a plus besoin de faire son éloge pour persuader. Il se
-trouve pourtant des faits hors de la règle ordinaire: tels sont ceux que
-je vais rapporter. Si la vraisemblance n'y est pas ménagée, c'est que ce
-ne sont pas ici de ces jeux de l'imagination que l'on compasse, que l'on
-manie avec adresse pour ménager la crédulité du lecteur, mais qu'ils
-sont vrais, et que la vraisemblance ne porte pas toujours le caractère
-de la vérité. Dois-je craindre, après tout, que l'on trouve étrange de
-voir des moines scélérats, débauchés, corrompus, qui croient qu'on est
-assez honnête homme quand on n'est pas reconnu pour fripon; qui, sous le
-masque de la religion dont ils se jouent, rient de la crédulité du
-peuple, et font de tout ce qu'elle condamne l'objet de leurs
-occupations? Non, c'est l'usage. Les cordeliers, les carmes, les
-minimes, me justifient assez. On en sait mille histoires, sans celles
-que nous ignorons.
-
-Qu'on me permette de réfléchir un peu sur la vie que nous menions, et de
-démontrer à quel point les moines sont corrompus. Quelles raisons assez
-puissantes ont pu rassembler dans le cloître tant de caractères
-différents? La paresse, la paillardise, le mensonge, la lâcheté, la
-perte des biens et de l'honneur.
-
-Pauvres gens, qui croyez que c'est la religion qui peuple les cloîtres,
-que ne pouvez-vous en pénétrer l'intérieur? Indignés de leur iniquité,
-vous en rougiriez et vous apprendriez à les mépriser; Levons le bandeau
-qui vous couvrait les yeux. Dites-moi, vous qui avez connu le père
-Chérubin, cet homme qui ne respire que le plaisir, vous, dis-je, qui
-l'avez connu avant qu'il fût moine, comment vivait-il? Il ne se couchait
-pas qu'il n'eût sablé dix bouteilles du meilleur vin, et souvent le jour
-le trouvait enterré sous la table parmi les débris du souper. Il a
-quitté le monde, Dieu l'a illuminé de sa grâce; il lui a montré le bon
-chemin. Je n'examine pas si c'est le ciel ou ses créanciers qui ont fait
-ce miracle; mais sachez que le père Chérubin tiendrait encore tête aux
-plus intrépides buveurs; il boirait et mangerait le revenu du couvent.
-
-Voilà le père Chérubin: tel vous l'avez connu, tel il est encore. Et le
-père Modeste, que vous avez vu parmi vous tout bouffi d'arrogance et
-d'amour-propre, son caractère est-il refondu depuis qu'il a le corps
-ceint d'un triple cordon? Vous le croyez! Moi qui le connais, je vous
-garantis le contraire. S'il parle, Bourdaloue près de lui ne fait que
-bégayer. Plus subtil que saint Thomas, il perce, raisonne, entend,
-pénètre. A son avis, le père Modeste est un phénix; au vôtre, c'est un
-sot; au mien, c'en est un encore. Voyez-vous le père Boniface, ce madré
-furet, qui penche dévotement la tête, qui tourne vers la terre des yeux
-mortifiés, qui semble, en marchant, composer avec le ciel? Évitez-le,
-c'est un serpent qui se glisse; il monte chez vous: veillez votre femme,
-serrez les filles, éloignez les garçons. Bougre, bardache, fouteur; il
-est entré, il est sorti; tâtez-vous le front: tout est foutu, tout est
-enculé. Vous avez fait connaissance avec le père Hilaire, serrez bien
-les cordons de votre bourse, vous avez affaire à un fripon. Bientôt aux
-conversations consolantes il fera succéder des peintures énergiques des
-besoins du couvent. Nous manquons de tout, vous dira-t-il, nous sommes
-nourris, couchés comme des chiens; notre maison tombe en ruines. Vous
-vous laissez attendrir, votre bourse s'ouvre; puisez père Hilaire vous
-avez trouvé votre dupe; pillez, volez, c'est l'esprit de l'Église.
-
-Que de caractères odieux n'aurais-je pas à tracer, si je peignais ceux
-de tous les moines! Change-t-on d'inclinations pour changer d'habits?
-Non; le buveur est toujours ivrogne, le voleur est toujours impudent, et
-le fouteur est toujours un fouteur. Je dis plus: les passions s'irritent
-sous le froc; on les porte dans le coeur, l'oisiveté, les renouvelle,
-l'occasion les augmente. J'ose le dire, les moines sont autant d'ennemis
-de la société: on pourrait les comparer à ces armées de peuples barbares
-qui sortirent de leurs marais pour inonder l'Europe. Réunis par
-l'intérêt, ils se détestent en particulier. Rien n'est mieux ordonné que
-leur armée; rien ne l'est moins que l'intérieur. Faut-il élire un
-général, que de factions, que de complots! On crie, on court, on
-s'agite. S'agit-il de faire quelque incursion dans le monde, d'attenter
-à la bourse des fidèles, d'inventer quelques nouvelles pratiques de
-superstition, le même esprit les anime, tous concourent au but général.
-Dociles aux ordres de leurs supérieurs, ils se rangent sous leurs
-drapeaux, montent en chaire, prient, exhortent. J'ajouterai à cet éloge
-des vers dictés par le bon sens et justifiés par une longue expérience:
-
- Tolle autem lucrum, superos et sacra negabunt:
- Ergo sibi, non coelestis, hæc turbat ministrat.
- Utilitas facit esse deos, qua nempe remota,
- Templa ruent, nec erunt aræ, nec Jupiter ullus.
-
-Sur tout ce que j'avais vu faire aux révérends, étant chez Ambroise, et
-en dernier lieu sur les galanteries du père Polycarpe et de Toinette,
-j'avais conçu les idées les plus riantes de l'état monacal. Je croyais
-que le froc était l'habit sous lequel on eût le plus libre accès dans le
-temple du plaisir. Mon imagination s'enivrait des chimères agréables
-qu'on se forgeait. Elle ne s'arrêtait pas dans les bras de Toinette,
-elle me représentait les plus aimables femmes des lieux où mon sort me
-conduisit, se disputant la conquête du père Saturnin, prévenant ses
-désirs par l'attention la plus tendre, et payant ses bontés par les
-transports les plus vifs et les plus délicieux. On croira facilement
-qu'étant dans de pareilles dispositions je reçus avec joie l'habit de
-l'ordre, dont le père prieur (qui s'attacha d'abord à moi avec une
-affection vraiment paternelle) m'honora dès le lendemain de mon arrivée.
-
-J'avais appris assez de latin de mon curé, qui pourtant n'en savait
-guère, pour figurer avec honneur dans le noviciat. On me louait de
-quelques dispositions assez heureuses; en ai-je profité? Hélas! non. A
-quoi m'ont-elles servi? A être portier; belle avance!
-
-En écrivain fidèle, je me croirais obligé de mener mon lecteur, année
-par année, jusqu'en théologie; on me verrait novice, puis profès, enfin
-un vénérable père. J'aurais mille belles choses à lui dire; mais les
-belles choses ne nous plaisent qu'autant qu'elles nous intéressent. Eh!
-quel intérêt prendrait-on à voir un penaillon disputer envers et contre
-tous, mettre le bon sens et la raison à la gêne dans des arguments en
-_baroco_, dans des distinctions subtiles que lui-même n'entendrait pas?
-J'en fais grâce.
-
-Je sens pourtant que je ne saurais passer crûment sur un si long espace
-de temps sans parler de quelques bagatelles. Mon séjour dans le couvent
-avait éclairé mes idées: j'y avais appris, malgré moi, que si le plaisir
-était fait pour les moines, il ne l'était pas pour les moinillons. Me
-repentant d'avoir fait voeu, et désirant en même temps arriver à la
-prêtrise, que je regardais comme le terme de mes peines, je me laissais
-endormir par le prieur, qui me vengeait du mépris que l'on affectait
-pour moi, parce que j'étais le fils d'un jardinier et que je surpassais
-les autres par mes études.
-
-L'on m'avait tant de fois reproché ma naissance que j'en étais honteux.
-Toinette était devenue pour moi un fruit défendu; toujours entourée par
-les supérieurs, pouvait-elle être accessible à un novice? D'ailleurs, je
-ne trouvais plus Suzon; elle avait disparu de chez Mme Dinville, après
-mon entrée chez les célestins. On n'avait appris aucune de ses
-nouvelles. Sa perte m'avait plongé dans la douleur; je l'aimais, un je
-ne sais quoi, plus fort que son tempérament, m'attachait à elle. Les
-lieux où je l'avais vue, où nos coeurs avaient fait le premier essai de
-l'amour, tout m'attristait. Souvenirs agréables, combien je payais cher
-votre absence! Devenu sans objet, ces idées ne m'occupaient plus sans
-douleur.
-
-Mais voilà un garçon bien désoeuvré, dira-t-on; à quoi vous
-occupiez-vous, pauvre Saturnin? Hélas! je me branlais: c'était ainsi que
-j'oubliais mes peines.
-
-Écarté un jour dans un lieu solitaire, où je me croyais sans témoin, je
-me dulcifiais avec une indolence voluptueuse. Un coquin de moine
-m'observait: il n'était pas de mes amis; il parut si brusquement, que
-les bras me tombèrent de surprise. Je restai dans cet état exposé à la
-malignité de ses regards. Je me crus perdu; je crus qu'il allait publier
-mon aventure, et sa façon de m'aborder me donna lieu de craindre.--Ah!
-ah! frère Saturnin, me dit-il, je ne vous croyais pas capable de faire
-de pareilles choses. Vous, le modèle du couvent! vous, l'aigle de la
-théologie! vous...--Eh! morbleu! interrompis-je brusquement, finissons
-ces éloges ironiques; vous m'avez vu me branler, faites-en fête à tout
-le couvent, continuai-je; amenez qui vous voudrez, je vous attends à la
-dixième décharge!--Frère Saturnin, reprit-il de sang-froid, c'est pour
-votre bien que je vous parle: pourquoi vous branler? Nous avons tant de
-novices! c'est un amusement d'honnête homme.--Vous vous rangez sans
-doute dans cette classe, lui dis-je. Tenez, père André, vos discours
-m'impatientent ainsi que vos éloges. Décampez, ou je vous... La vivacité
-avec laquelle je parlai lui fit rompre son sérieux. Il éclata de rire,
-et, me tendant la main: Va, me dit-il, touche là, frère; je ne te
-croyais pas si bon vivant; ne te branle plus: tu es digne d'un meilleur
-sort; laisse cette viande creuse, je veux te faire part de quelque chose
-de plus solide. Sa franchise excita la mienne, je lui tendis la main à
-mon tour. Je ne suis pas défiant, lui dis-je, quand on agit ainsi;
-j'accepte vos offres.--Allons, reprit-il, parole d'honneur, tantôt je
-vous prends à minuit dans votre chambre. Boutonnez votre culotte, ne
-tirez plus votre poudre aux moineaux; vous en aurez besoin. Je vous
-quitte: ne sortez qu'après moi; il ne faut pas qu'on nous voie ensemble:
-cela pourrait nous nuire; à tantôt.
-
-Je demeurai surpris après le départ du moine. Il n'était plus question
-de se branler; occupé de sa promesse, j'y rêvais sans la comprendre. Que
-veut-il dire par cette viande dont il veut me régaler! Si c'est quelque
-novice, je n'en veux pas. Je raisonnais en sot, je n'en avais pas goûté.
-Lecteur, êtes-vous plus habile que je ne l'étais alors? Oui, dites-vous;
-n'est-il pas vrai que ce n'est pas un si mauvais morceau? Le préjugé est
-un animal qu'il faut envoyer paître. Le goût fait tout. Est-il rien de
-plus charmant qu'un joli giton, blancheur de peau, épaules bien faites,
-belle chute de reins, fesses dures, rondes, un cul d'un ovale parfait,
-étroit, serré, propre, sans poil? Ce n'est pas là de ces conasses, de
-ces gouffres où on entre tout botté. Je te vois, censeur atrabilaire, tu
-me reproches mon inconstance, en ce que je loue tantôt le con, tantôt le
-cul. Apprends, nigaud, que j'ai pour moi l'expérience, que j'enfile une
-femme, quand elle se présente, et que je prends mes ébats avec un beau
-garçon. Allez à l'école des sages de la Grèce, allez à celle des
-honnêtes gens de notre temps, vous apprendrez à vivre. Mais mon moine va
-venir, minuit sonne; on frappe, c'est lui: Bon, marchons, père, je vous
-suis. Mais où diable me menez-vous?--A l'église.--Vous vous moquez: pour
-prier Dieu? Serviteur! je vais dormir.--Suivez-moi, morbleu! ne
-voyez-vous pas que je monte dans les orgues? Nous y voilà!
-
-Savez-vous bien ce que j'y trouvai? une table bien garnie, de bon vin,
-trois moines, trois novices et une belle fille de vingt ans, jolie comme
-un ange. Je suivais mon conducteur. Le père Casimir était le chef de la
-bande joyeuse. Il me reçut bien.--Père Saturnin, me dit-il, soyez le
-bienvenu. Le père André m'a fait votre éloge: sa protection le justifie.
-Foutre, manger, rire et boire, telle est ici notre occupation; êtes-vous
-disposé à en faire autant?--Parbleu! oui, lui répondis-je; s'il ne faut
-que soutenir l'honneur du corps, je m'en tirerai aussi bien qu'un autre;
-soit dit, continuai-je, en me tournant du côté de l'assemblée, sans
-diminuer le mérite de vos révérences.--Vous êtes de nos gens, reprit le
-père Casimir: placez-vous ici entre cette charmante enfant et moi; çà!
-décoiffons une bouteille en l'honneur du père: à vous, tope! Et nous
-voilà à flûter. Et vous, lecteur, que ferez-vous pendant que nous
-viderons nos bouteilles? Tenez! amusez-vous à lire ce rogaton.
-
-Le père Casimir était d'une taille médiocre, brun de visage, d'un ventre
-de prélat. Il avait des yeux qui vous enculaient de cent pas, et qui ne
-s'attendrissaient qu'à la vue d'un joli garçon. Alors le bougre, en rut,
-hennissait. Sa passion pour l'antiphysique était si bien établie, que
-les Savoyards le redoutaient. Aisément l'on tombait dans ses filets; il
-était auteur et bel esprit à la mode; censeur caustique, écrivain sec,
-plaisant sans légèreté, ironique sans délicatesse. Il s'était fait un
-nom par des écrits qui n'avaient d'autre mérite que celui de la
-méchanceté. Le succès de ses satires le consolait des coups de bâton
-dont on le régalait quelquefois. Il faut pourtant convenir qu'on avait
-tort de le maltraiter ainsi; car, quoique les satires parussent sous son
-nom, le pauvre père n'y avait souvent d'autre part que le soin qu'il
-s'était donné de rédiger les écrits de ceux qui travaillaient sous ses
-yeux. Il cultivait les petits talents qu'il leur connaissait, leur
-distribuait sa matière, revoyait leur ouvrage, le faisait imprimer, et
-en recueillait souvent des fruits bien amers. Il n'en était pas moins
-hardi; et tel que l'avare qui se console des huées du peuple en ouvrant
-son coffre-fort, les ris qu'il excitait dans le public aux dépens des
-auteurs essuyaient les larmes que ceux-ci lui faisaient verser dans le
-particulier.
-
-Au sein de la littérature, il goûtait le plaisir de se satisfaire sans
-sortir de son cabinet. Les culs de ses myrmidons remplissaient ses
-désirs. Pour prix de leur complaisance, il leur abandonnait sa nièce, et
-la nièce acquittait les dettes de l'oncle. Le portier du couvent étant à
-la dévotion du père, tout entrait aisément: vin, viande, fille, rien
-n'était excepté. On avait préféré les orgues pour de semblables orgies,
-parce qu'on ne pouvait pas soupçonner qu'on passât la nuit dans
-l'église. Une autre raison, c'est qu'on était à portée d'assister aux
-offices, et cette exactitude empêchait de babiller.
-
-Malgré le soin que prenait le père Casimir pour conserver ses élèves, il
-en perdait toujours quelqu'un; j'en dirai la raison: quelquefois
-l'ingratitude est le prix de l'obligation. Ces déserteurs se servaient
-contre le père des traits qu'il leur avait appris à aiguiser contre les
-autres. Un d'eux fit sur lui le sonnet qui suit:
-
- Un jour dom Happecon, plus arrogant qu'un coq,
- Las de sentir son vit aussi droit qu'une quille,
- Sortit de son couvent, enfoncé dans son froc,
- Et fut chez la Dupré demander une fille.
-
- Le bougre qui jamais ne foutait qu'en escroc,
- Pour qui cinq ou six coups n'étaient qu'une vétille,
- Crut qu'il ne s'agissait que d'essayer le choc,
- Et tira son engin de dessous sa mantille.
-
- --Tout beau, dit la putain, rengaîne l'instrument;
- On commence d'abord par payer largement:
- De foutre on vit ici, comme au palais, d'épices.
-
- Le pater étonné de ce foutu cartel,
- Quitta, faute d'argent, ce pilier de bordel,
- Et fut, de désespoir, enculer deux novices.
-
-Je ne saurais mieux finir; je quitte le pinceau, de nouveaux coups
-affaibliraient ma peinture. La nièce du père Casimir était brune, vive
-et petite. Si elle perdait au premier coup d'oeil, l'examen la vengeait;
-ménageant avec adresse sa gorge, qui n'était plus absolument belle, elle
-en tirait le meilleur parti. Ses yeux petits, mais noirs, promenaient
-sur vous ses regards enjoués conduits par la coquetterie la plus
-raffinée. Elle enchantait par la vivacité et le sel de ses
-polissonneries. En un mot, c'était tout ce qu'on pouvait souhaiter de
-plus charmant pour attraper le jour, sans s'apercevoir qu'on a passé la
-nuit.
-
-Aussitôt que je me vis placé à côté de cette aimable fille, je sentis
-renouveler ces mouvements confus que j'avais autrefois éprouvés quand le
-hasard m'avait fait découvrir Toinette et le père Polycarpe. La longue
-privation du plaisir m'avait formé pour ainsi dire une seconde nature,
-susceptible d'impressions aussi vives et aussi piquantes; je recommençai
-à vivre, parce que je crus que j'allais revivre pour le plaisir. Je
-regardais ma voisine, dont l'air riant et docile me faisait connaître
-que mes désirs ne languiraient qu'autant de temps que j'aurais la
-simplicité de ne pas les expliquer. Je sentis bien que ce n'était pas
-l'envie de faire la vestale qui la faisait trouver au milieu d'une bande
-de moines: mais le bonheur qu'elle semblait m'offrir me paraissait si
-grand, que j'avais peine à le concevoir; j'étais tremblant, et, dans la
-crainte qu'elle m'échappât, à peine aurais-je pu former le dessein de le
-demander. J'avais la main sur sa cuisse, que je pressais contre la
-mienne; je sentis qu'elle me la prenait et la passait par l'ouverture de
-son jupon; je connus son dessein, je portai bientôt le doigt où elle le
-désirait. Le toucher d'un endroit qui m'était interdit depuis longtemps
-me causa un frémissement de joie qui fut aperçu de la bande, qui me
-cria: Courage, père Saturnin, vous y voilà. Peut-être me serais-je
-déconcerté de cette exclamation, si Marianne (c'était le nom de notre
-déesse) ne m'eût sur-le-champ donné un baiser et déboutonné ma culotte
-d'une main, tandis qu'elle passait l'autre bras autour de mon cou, et,
-empoignant mon vit: Ah! pères, s'écria-t-elle en le leur montrant, en
-avez-vous de cette beauté-là? Il se fit un brouhaha d'admiration, et
-chacun la félicita sur son bonheur prochain. Elle en était enchantée.
-Alors le père Casimir, imposant silence à la troupe, m'adressa la
-parole.--Père Saturnin, me dit-il, disposez de Marianne; vous la voyez,
-dispensez-moi de faire son éloge. Elle est accomplie, elle va vous
-donner tous les plaisirs imaginables; mais ces plaisirs sont à une
-condition.--Quelle est-elle, cette condition? lui répondis-je; faut-il
-vous donner mon sang?--Non.--Quoi donc?--Votre cul.--Mon cul? eh! que
-diable en feriez-vous?--Oh! c'est mon affaire, répondit-il. L'envie de
-baiser Marianne fit que je n'insistai pas. Je me mis en devoir de
-l'enconner, et mon bougre de m'enculer. Un banc nous servit de siège: je
-m'étendis sur elle, le père sur moi. Quoique Casimir me déchirât le cul,
-le plaisir que je goûtais avec sa nièce faisait diversion à la douleur.
-Nous nageâmes bientôt dans les délices. Si quelquefois le plaisir
-m'arrêtait au milieu du travail, Casimir, réveillant ma valeur,
-m'animait à faire aussi bien que lui. Ainsi poussé et poussant, les
-coups de l'oncle allaient retentir dans le con de la nièce, qui, tantôt
-mourant et ressuscitant, surprenait l'assemblée. Il y avait longtemps
-déjà que nous avions laissé derrière nous le père Casimir, qui, surpris
-de l'opiniâtreté du combat, joignit son admiration à celle de la
-compagnie, qui en attendait l'issue. J'étais surpris que Marianne me
-tînt tête, à moi qui croyais avoir rassemblé dans ce moment toutes les
-forces acquises pendant un si long temps. Elle était enragée de ma
-valeur, elle qui avait désarçonné les plus vigoureux, le foutre et le
-sang ruisselaient. Déjà nous avions déchargé quatre fois, quand
-Marianne, fermant l'oeil, baissant la tête, attendait sans mouvement
-que, par une cinquième décharge, je lui donnasse le coup de grâce; elle
-le reçut, et, après l'avoir savouré pendant quelques minutes, s'échappa
-de mes mains et me dit qu'elle se rendait. Fier de ma victoire, je lui
-versai une rasade, j'en pris autant, et nous scellâmes dans le vin notre
-réconciliation.
-
-Ce combat fini, chacun se mit à sa place, et Casimir entama l'éloge de
-la bougrerie. Possédant à fond cette matière, il s'en acquitta bien, il
-passa en revue tous les bougres célèbres: il y trouva des philosophes,
-des papes, des empereurs, des cardinaux. Il remonta à l'aventure de
-Sodome, soutint qu'on avait falsifié, par jalousie, ce mémorable
-événement, et, cédant tout à coup à son enthousiasme, il finit son éloge
-par ces vers:
-
- Taisez-vous, censeurs indociles,
- Etourdissez les sots de vos voix imbéciles,
- Mais n'allez pas fouiller dans l'histoire des temps.
- Vous osez, ignorants reptiles,
- Des écrivains les plus habiles
- Altérer les beautés et corrompre les sens.
- Sodome, ce n'est point par un souffle funeste
- Que furent consumés tes heureux habitants;
- C'est par un feu divin, c'est par un feu céleste:
- Sodome, que n'étais-je alors de tes enfants!
-
-Le discours du père reçut les applaudissements qu'il méritait et qu'il
-était sûr de recevoir des assistants, en traitant un sujet qui leur
-était si agréable. On foutit encore, tant en cul qu'en con; on but, on
-rit et on se sépara, avec promesse de se retrouver à huitaine, car ces
-banquets ne se faisaient pas tous les jours: les revenus du père
-Casimir, qui régalait ordinairement, n'y auraient pas suffi. Nous nous
-séparâmes les meilleurs amis du monde, Marianne et moi. La pauvre enfant
-ne tarda guère à s'apercevoir qu'il était dangereux de jouer avec moi;
-sa ceinture devint bientôt trop courte: on m'en donna la gloire. Le père
-Casimir prit soin de conduire les choses secrètement; il était juste
-qu'il prît sur lui les risques du hasard auquel il exposait sa chère
-nièce. Elle en sortit à son honneur, et tout aurait été le mieux du
-monde, si cette grossesse inattendue n'avait pas mis le désordre dans
-nos assemblées nocturnes. J'essayai le remède de Casimir, et, sur ses
-traces, je me rendis bientôt redoutable au cul de tous nos novices; mais
-je retombai peu de temps après dans mes anciennes erreurs, et les
-plaisirs du con m'enlevèrent à ceux du cul.
-
-Un beau jour, après avoir chanté ma première messe, le prieur me fit
-avertir d'aller dîner dans sa chambre. J'y fus, et je trouvai avec lui
-quelques anciens qui me reçurent, ainsi que le prieur, avec de vives
-accolades que je ne savais à quoi attribuer. Nous nous mîmes à table, et
-nous fîmes une chère de prieur: c'est tout dire. Quand le vin, que sa
-révérence avait soin de ne pas choisir dans le plus mauvais cru, eut
-répandu la gaieté dans la conversation, je fus surpris d'entendre mes
-doyens, donnant l'essor à leur langue, lâcher les b... et les f... avec
-une aisance que je n'aurais pas attendue de gens que j'avais toujours
-vus sous le masque de la réserve. Le prieur, voyant mon étonnement, me
-dit: Père Saturnin, nous ne nous gênons plus avec vous, parce qu'il est
-temps que vous ne vous gêniez plus avec nous, oui, mon fils, ce temps
-est arrivé. Vous avez reçu le saint ordre de prêtrise, cette qualité
-vous rend aujourd'hui notre égal et me met dans l'obligation de vous
-révéler des secrets importants qui vous ont été cachés jusqu'à présent
-et qu'il serait dangereux de confier à des jeunes gens qui pourraient
-nous échapper et divulguer des mystères qui doivent être ensevelis dans
-un silence éternel; c'est pour m'acquitter de cette obligation que je
-vous ai fait venir ici.
-
-Cet exorde imposant me fit écouter avec attention le prieur, qui dit:
-Vous n'êtes pas de ces esprits faibles que la fouterie effarouche:
-l'action de foutre est naturelle à l'homme. Nous sommes moines, mais on
-ne compte ni le vit ni les couilles, quand nous faisons voeu. Pourquoi
-nous interdire cette fonction toute naturelle? Faut-il, pour exciter la
-compassion des fidèles, aller nous branler dans les rues? Non, il faut
-garder un milieu entre l'austérité et la nature. Ce milieu est de donner
-tout à celle-ci dans nos cloîtres, et le plus que nous pouvons à
-l'austérité dans le monde. Pour cet effet, dans les couvents bien
-réglés, on a quelques femmes avec qui l'on jouit; on oublie dans leurs
-bras les déboires de la pénitence.--Vous me surprenez, lui dis-je, mon
-révérend; ah! pourquoi faut-il qu'une si belle police n'étende pas sa
-sagesse sur nous? Nos convives rirent, et le prieur me répondit: Nous ne
-sommes pas plus dupes que les autres; nous avons ici un endroit où nous
-ne manquons pas de femmes.--Ici! repris-je, et vous ne craignez pas que
-l'on vous découvre?--Non, dit-il, cela est impossible; le continent de
-notre maison est trop vaste pour qu'on s'aperçoive de cet endroit.--Ah!
-m'écriai-je, quand me sera-t-il permis d'aller consoler ces aimables
-recluses?--Les consolations ne leur manquent pas, me répondit-il en
-riant, et votre qualité de prêtre vous donne le droit d'y aller quand
-vous voudrez.--Quand je voudrai? Ah! mon père, je vous somme dès à
-présent de tenir votre parole.--Il n'est pas encore temps; on n'entre
-que sur le soir dans notre piscine, qui est l'appartement de nos soeurs.
-Personne n'en a la clef; il n'y en a que deux, l'une entre les mains du
-père dépensier, l'autre entre les miennes.
-
-Ce n'est pas tout, père Saturnin, continua le prieur; lorsque vous
-saurez que vous n'êtes pas le fils d'Ambroise, vous serez doublement
-étonné. (Je fus effectivement si interdit, que je n'eus pas la force
-d'ouvrir la bouche.) Vous n'êtes pas le fils d'Ambroise, poursuivit le
-prieur, ni celui de Toinette; votre naissance est plus relevée. Notre
-piscine vous a vu naître: une de nos soeurs vous a donné le jour.--S'il
-en est ainsi, m'écriai-je, revenu de ma surprise, pourquoi m'avez-vous
-toujours envié la douce satisfaction d'embrasser ma mère, si elle vit
-encore?--Père Saturnin, me dit le prieur attendri, vos reproches sont
-justes; mais croyez que ce n'est pas par défaut de tendresse qu'on vous
-a interdit notre piscine. L'amour que nous avons pour vous a longtemps
-combattu contre nos règles; mais il faut de l'ordre, et le temps nous
-met aujourd'hui en état de faire cesser vos plaintes. Dès tantôt vous
-aurez le plaisir que vous souhaitez, vous embrasserez votre mère.--Que
-je suis impatient, m'écriai-je, de me voir dans ses bras!--Modérez-vous,
-le sacrifice ne sera pas long. Déjà la nuit s'avance, et l'heure viendra
-sans y penser. Nous souperons à la piscine, on vous y attend. Ne
-paraissez au réfectoire que pour le décorum; vous viendrez nous
-retrouver ici.
-
-Le plaisir de voir ma mère y entrait pour quelque chose, mais
-l'espérance de me livrer à l'amour offrait à mon coeur une immensité de
-désirs que tous les efforts de mon imagination ne me rendaient que
-faiblement. Le voilà donc arrivé, me disais-je, ce temps si souhaité!
-Heureux Saturnin, plains-toi de ton sort! Dans quel état de la vie
-aurais-tu trouvé ce que l'on vient de t'annoncer aujourd'hui.
-
-L'heure vint; je retournai chez le prieur, où je trouvai cinq ou six
-moines. Nous partîmes dans un profond silence. Nous marchâmes jusqu'à
-ces antiques chapelles qui servaient de rempart à la piscine d'un côté;
-nous descendîmes sans lumière dans un caveau dont l'horreur semblait
-être ménagée pour préparer un nouveau charme au plaisir qui devait le
-suivre. Ce caveau, que nous traversâmes à l'aide d'une corde attachée
-contre le mur, nous conduisit à un escalier éclairé par une lampe. Le
-prieur ouvrit la porte qui fermait cet escalier. Nous entrâmes, par un
-petit détour, dans une salle galamment meublée, autour de laquelle
-étaient quelques lits commodes pour les combats de Vénus. Nous y vîmes
-les apprêts d'un magnifique repas. Personne n'arrivait encore; mais au
-bruit d'une sonnette que le prieur tira, une vieille cuisinière parut,
-suivie de six soeurs qui me semblèrent charmantes. Chacune choisit son
-chacun; je restai seul témoin de leurs transports, piqué de
-l'indifférence qu'on semblait me témoigner; mais j'eus bientôt mon tour,
-et je fus dédommagé avec usure.
-
-Le maigre n'était pas plus observé à la piscine qu'au repas du père
-Casimir. Les viandes les plus exquises furent servies avec toute la
-propreté possible: chacun, à côté de sa belle, mangeait, buvait,
-patinait, parlait foutaise. On me faisait la guerre sur mon peu
-d'appétit; je me défendais mal, uniquement occupé du désir de retrouver
-ma mère, ou plutôt celui de m'escrimer avec quelqu'une de nos soeurs. Je
-cherchais des yeux celle qui m'avait donné l'être: l'air de fraîcheur et
-de jeunesse qu'elles avaient toutes ne me dénotait pas qu'aucune fût ma
-mère. Quoique occupées avec les pères, elles me lançaient des regards
-qui renversaient mes conjectures. Je m'imaginais sottement que je
-reconnaîtrais ma mère au respect, à la tendresse que j'avais pour elle;
-mais mon coeur parlait pour toutes, et je bandais en l'honneur de
-chacune d'elles.
-
-Mon inquiétude divertissait la compagnie. Quand on eut assez mangé, il
-fut question de foutre. Le feu brillait dans les yeux de nos adorables,
-et, comme nouveau venu, je commençai la danse.--Allons, père Saturnin,
-me dit le prieur, il faut faire assaut avec la soeur Gabrielle, ta
-voisine. J'avais déjà préludé avec elle par des baisers donnés et reçus;
-sa main avait même été jusqu'à ma culotte, et quoiqu'elle fût la moins
-jeune de la compagnie, je lui trouvais assez de charmes pour ne pas
-envier le sort des autres. C'était une grosse blonde qui n'avait d'autre
-défaut que son embonpoint. Sa peau était d'une blancheur éblouissante,
-la plus belle tête du monde, des yeux grands et bien fendus. La passion
-les rendaient tendres et mourants, mais ils étaient vifs et brillants
-pour le plaisir.
-
-L'exhortation du prieur n'avait pas prévenu mes désirs; Gabrielle les
-avait excités, elle se prêta galamment à les satisfaire.--Viens, mon
-roi, me dit-elle, je veux avoir ton pucelage; viens le perdre dans un
-endroit où tu as reçu la vie! Je tremblai à ce mot. Sans avoir plus de
-vertu, j'avais acquis chez les moines des connaissances qui ne me
-permettaient pas d'être avec Gabrielle ce que j'avais été avec Toinette.
-J'allais l'enfiler, un reste de honte m'arrêta; je reculai.--Ah! ciel,
-dit Gabrielle, est-il possible que ce soit là mon fils? Ai-je pu mettre
-au monde un tel lâche? Foutre sa mère lui fait peur.--Ma chère
-Gabrielle, lui dis-je en l'embrassant, contentez-vous de mon amour; si
-vous n'étiez pas ma mère, je ferais mon bonheur de vous posséder;
-respectez une faiblesse que je ne puis vaincre.
-
-L'apparence même de la vertu est respectable aux coeurs les plus
-corrompus. Mon action fut louée des moines; ils convinrent de leur tort;
-il n'y en eut qu'un qui voulut entreprendre de me convertir.--Pauvre
-sot, me dit-il, pourquoi t'effrayer d'une action indifférente? La
-fouterie n'est-elle pas la conjonction de l'homme et de la femme? Cette
-conjonction est ou naturelle ou défendue par la nature. Elle est
-naturelle, puisque leur penchant invincible les entraîne l'un vers
-l'autre. Si ce penchant est dans leur coeur, l'intention de la nature
-est donc qu'on le satisfasse indistinctement. Si Dieu a dit à nos
-premiers pères de croître et de multiplier, comment entendait-il que la
-multiplication se fît? Adam avait des filles, il les foutait. Ève avait
-des fils qui faisaient avec elle ce que leur père faisait avec leurs
-soeurs. Descendons au déluge. Il ne restait dans le monde que la famille
-de Noé; il fallait nécessairement que le frère couchât avec la soeur, le
-fils avec sa mère, le père avec sa fille, pour repeupler la terre.
-Allons plus loin: Loth fuit de Sodome; ses filles qui avaient devant les
-yeux l'intention du Créateur, et qui venaient de voir leur bonne femme
-de mère changée en statue pour avoir été trop curieuse, s'écrièrent dans
-l'amertume de leur coeur: Hélas! le monde va donc finir? Elles auraient
-été coupables aux yeux de Dieu si elles n'avaient pas rétabli ce qu'il
-venait de détruire; et Loth, pénétré de cette vérité, y contribua de
-tout son pouvoir. Voilà la nature dans sa première simplicité. Les
-hommes, soumis à ses lois, se faisaient un devoir de les suivre; mais
-bientôt corrompus par les passions, ils oublièrent la volonté de cette
-tendre mère; ils ne voulurent pas rester dans l'état heureux où elle les
-avait placés; ils renversèrent tout, se forgèrent des chimères qu'ils
-qualifièrent de vertus et de vices, inventèrent des lois qui, au lieu de
-faire naître la vertu, engendrèrent le vice. Ces lois ont fait les
-préjugés, et ces préjugés, adoptés par les sots et sifflés par les
-sages, se sont fortifiés d'âge en âge. Il fallut donc que ces
-impertinents législateurs, en renversant les lois de la nature,
-refondissent les coeurs qu'elle nous avait donnés; il fallut qu'ils
-réglassent nos désirs, qu'ils y missent des bornes. La nature, au fond
-de notre coeur, réclame contre l'injustice de leurs lois; en un mot, la
-fouterie sans distinction est d'institution divine, et la fouterie
-distincte est d'institution humaine. L'une est aussi élevée au-dessus de
-l'autre que le ciel l'est au-dessus de la terre. Peut-on, sans se rendre
-criminel, écouter l'homme préférablement à Dieu? Non, non, et saint
-Paul, interprète sacré des volontés du ciel, a dit: Plutôt que de
-brûler, foutez, mes enfants, foutez! Il est vrai que, pour ne pas
-choquer la faiblesse des petits génies, il met un correctif à sa pensée
-et se sert de l'expression: Mariez-vous; mais, au fond, c'est la même
-chose: on ne se marie que pour foutre. Ah! que j'en dirais bien plus si
-je ne me sentais pressé de suivre le conseil de saint Paul.
-
-On rit de la saillie du père; déjà le ribaud se levait et, le braquemart
-à la main, menaçait tous les cons de la salle.--Attendez! dit une soeur
-nommée Madelon; pour punir Saturnin, il me vient une idée.--Quelle
-est-elle? lui demanda-t-on,--C'est, répondit-elle, de le faire coucher
-sur un lit; Gabrielle s'étendra sur son dos, et le père qui vient de
-parler comme un oracle exploitera Gabrielle! Les ris redoublèrent; j'en
-ris moi-même, et dis que j'y consentais, à condition que pendant que le
-père foutrait sur mon dos, je foutrais, moi, avec la donneuse
-d'avis.--J'y consens, reprit-elle, pour la rareté du fait. Chacun
-applaudit, nous nous mîmes en posture. Figurez-vous quel spectacle ce
-devait être! Le père ne poussait aucun coup à ma mère qu'elle ne le lui
-rendît sur-le-champ au triple, et son cul, en retombant sur le mien, me
-faisait enfoncer dans le con de Madelon, ce qui faisait un ricochet de
-fouterie tout à fait divertissant; non pas pour nous, car nous étions
-trop occupés pour nous amuser à rire. Il n'eût tenu qu'à moi de me
-venger de Madelon, en laissant tomber le poids de trois corps sur le
-sien; mais elle était trop amoureuse, travaillait de trop bon coeur pour
-me laisser concevoir une telle pensée. Je la soulageais de mon mieux;
-elle en eut pourtant la peine; mais ce fut plutôt un surcroît de volupté
-pour elle, car ayant senti les délices de la décharge avant nos fouteurs
-d'en haut, le plaisir me rendit immobile. Gabrielle le sentit, et ses
-coups de cul, avec vivacité, faisaient pour moi ce que je n'étais plus
-en état de faire, et, en m'agitant, allaient donner de nouveaux
-ébranlements de plaisir à Madelon, qui déchargeait aussi. Nos fouteurs
-finirent et joignirent leur extase à la nôtre. Nos quatre corps n'en
-firent plus qu'un; nous mourions, nous nous confondions l'un dans
-l'autre.
-
-Notre éloge sur cette façon de goûter les plaisirs excita les moines et
-les soeurs. Ils se mirent en devoir de foutre en quatrain,--c'est le nom
-que nous donnâmes à cette posture,--et nous à leur donner l'exemple.
-C'est ainsi que les plus belles découvertes qu'on ait faites dans la
-nature sont dues au hasard.
-
-Gabrielle était si charmée de cette invention, qu'elle avoua qu'elle
-avait eu autant de plaisir qu'elle en avait goûté en me faisant. Curieux
-de savoir comment la chose s'était passée, nous la priâmes de la
-raconter.--J'y consens, nous dit-elle, et d'autant plus volontiers que
-Saturnin ne connaît encore que sa mère, sans savoir d'où elle vient ni
-comment elle s'est trouvée ici. Permettez-moi, mes révérends, de l'en
-instruire, et de remonter un peu plus haut que le jour que vous
-souhaitez que je vous rappelle. Mon ami, continua-t-elle en m'adressant
-la parole, tu ne te vanteras pas d'une longue suite d'aïeux illustres:
-je n'en ai jamais connu. Je suis fille d'une loueuse de chaises de ce
-couvent, et sans doute de quelqu'un des pères qui vivaient alors, car
-elle était trop vive et trop amie du couvent pour que je puisse penser
-que je dois le jour à son bonhomme de mari.
-
-A dix ans je ne démentais pas mon sang; je connaissais l'amour avant de
-me connaître; les pères cultivaient mes heureuses inclinations. Un jeune
-profès me donna des leçons si sensibles que j'aurais cru payer les
-autres d'ingratitude si je ne leur avais fait connaître que j'étais en
-état de leur en donner moi-même. Je m'étais déjà acquittée de mon devoir
-envers chacun d'eux, quand ils me firent la proposition de me mettre
-dans un endroit où je renouvellerais mes payements aussi souvent que je
-le voudrais. Je n'avais pu le faire jusqu'alors qu'à la sourdine: tantôt
-derrière l'autel, tantôt devant, tantôt dans un confessionnal, rarement
-dans les chambres. L'idée de la liberté me flatta; j'acceptai les
-offres, j'entrai ici.
-
-En y entrant, j'étais parée comme une jeune fille qu'on mène à l'autel.
-L'idée de mon bonheur répandait un air de sérénité sur mon visage qui
-charmait tous les pères. Tous brûlaient de me voir, et chacun briguait
-la gloire de me le mettre. Je vis le moment où le festin de ma noce
-allait finir comme celui des Lapithes.--Mes révérends, leur dis-je,
-votre nombre ne m'épouvante pas; mais je présume peut-être trop de mes
-forces: je succomberais, vous êtes vingt; la partie n'est pas égale; Je
-vais vous proposer un accommodement. Il faut nous mettre nus! (Et, pour
-leur en donner l'exemple, je commençai la première. Robe, corset,
-chemise, tout partit dans la minute. Je les vis tous dans le même état
-que moi; mes soeurs étaient aussi nues. Mes yeux savourèrent un moment
-le charmant spectacle de vingt vits roides, gros, longs, durs comme fer,
-et qui se présentaient fièrement au combat.) Allons, repris-je, il est
-temps de commencer. Je vais me coucher sur ce lit; j'écarterai assez les
-cuisses pour qu'en accourant sur moi le vit à la main, vous m'enfiliez
-l'un après l'autre, car il faut que le sort règle le pas; les maladroits
-n'auront pas à se plaindre, puisqu'en me manquant ils trouveront des
-cons tout prêts sur qui ils pourront décharger leur colère. Voilà,
-messieurs, ce que j'avais à vous proposer. Ils applaudirent tous à cet
-heureux essor de mon imagination. On tire au sort, je tends la bague, on
-court: un, deux, trois passent sans m'enfiler, et vont tomber sur mes
-soeurs, qui leur font oublier leur malheur par toutes sortes de
-plaisirs. Un quatrième vient, c'était vous, père prieur. Ah! je payai
-votre adresse par les transports les plus vifs; et si le plaisir qu'on
-goûte par une décharge mutuelle fait concevoir, vous partagez la gloire
-d'avoir fait Saturnin avec quatre ou cinq de ceux qui vous suivirent.
-Oui, mon ami, continua-t-elle eu s'adressant à moi, tu as l'avantage
-d'être au-dessus des autres hommes, qui peuvent bien dire le jour de
-leur naissance, mais non pas celui où ils ont été faits.
-
-Telles étaient nos conversations dans la piscine, tels étaient les
-plaisirs que nous y goûtions. Je ne m'y rendais pas le dernier. Toutes
-les nuits j'allais chez le prieur ou chez le dépensier: J'étais
-infatigable; je conduisais toujours la bande joyeuse. Bref, j'étais
-l'âme et les délices de la piscine; tout, jusqu'aux vieilles, tout tâta
-de mon vit. La réflexion cependant perçait quelquefois au milieu de mes
-plaisirs; toutes nos soeurs me paraissaient charmées de leur sort. Je ne
-pouvais concevoir que des femmes, dont le naturel est vif et dissipé,
-eussent pu, sans frayeur, concevoir le dessein de passer leur vie dans
-une pareille retraite, y vivre sans dégoût et être sensibles à des
-plaisirs achetés par un esclavage éternel. Elles riaient de mon
-étonnement, et ne pouvaient elles-mêmes concevoir que je pusse avoir de
-pareilles idées.--Tu connais bien peu notre tempérament, me disait un
-jour une d'entre elles extrêmement jolie, et que le libertinage, fruit
-trompeur d'une éducation cultivée, avait fait jeter dans les bras de nos
-moines; n'est-il pas vrai, me disait-elle, qu'il est plus naturel d'être
-sensible au bien qu'au mal? J'en convenais. Ferais-tu difficulté,
-reprenait-elle, de sacrifier une heure du jour à la douleur, si l'on
-t'assurait que l'heure suivante se passerait dans une extrême
-joie?--Non, assurément, lui disais-je.--Eh bien, poursuivit-elle, au
-lieu d'une heure mets un jour; de deux, l'un sera pour le chagrin et
-l'autre pour le plaisir; je te crois trop sage pour refuser un pareil
-parti si l'on te l'offrait. Je dis plus: l'homme le plus indifférent ne
-le refuserait pas, et la raison en est toute naturelle. Le plaisir est
-le premier mobile de toutes les actions des hommes; il est déguisé sous
-mille noms différents, suivant les différents caractères. Les femmes ont
-de commun avec vous tous les caractères possibles; mais elles ont
-au-dessus l'impression victorieuse du plaisir de l'amour; leurs actions
-les plus indifférentes, leurs pensées les plus sérieuses naissent toutes
-dans cette source et portent toujours, quoique déguisées, la marque du
-fond d'où elles sortent. La nature nous a donnés des désirs bien plus
-vifs, et par conséquent bien plus difficiles à satisfaire que les
-vôtres. Quelques coups suffisent pour abattre un homme, et ne font que
-nous animer, mettons-en six; une femme ne recule pas après douze. Le
-sentiment du plaisir est donc au moins une fois aussi vif dans une femme
-qu'il l'est dans un homme, et si tu te croyais heureux de payer un jour
-de joie par un jour de chagrin, trouverais-tu étrange que j'en donnasse
-deux? Serais-tu surpris que je passasse les deux tiers de ma vie dans la
-peine pour passer l'autre tiers dans le plaisir? J'ai mis les choses
-égales entre nous: quand tu nous vois continuellement occupées de ce qui
-fait le souverain bonheur des femmes, quand nous sommes continuellement
-dans vos bras, dis-moi, crois-tu que nous puissions songer à la peine,
-qu'elle ait quelque empire sur nous? Ne trouveras-tu pas notre condition
-mille et mille fois plus heureuse que celle de ces filles imprudentes
-qui, nées avec des inclinations aussi violentes que celles des autres
-femmes, viennent porter dans la solitude des désirs qui ne seront jamais
-apaisés par les embrassements d'un homme? Qu'ils seraient plus vifs, ces
-désirs, s'il était possible de nous refroidir! Nous ne regrettons rien
-ici. Libres des inquiétudes de la vie, nous n'en connaissons que les
-charmes; nous ne prenons de l'amour que les agréments et nous ne
-remarquons la différence des jours que par la diversité des plaisirs
-qu'ils nous procurent. Désabuse-toi, père Saturnin, si tu nous crois
-malheureuses.
-
-Je ne m'attendais pas à trouver des pensées aussi justes dans une fille
-que je ne croyais capable que de sentir le plaisir. Né pour le goûter,
-je profitai de l'heureux penchant qui me la livrait, et nous satisfîmes
-à loisir nos transports.
-
-L'homme n'est pas né pour être toujours heureux; je devins rêveur.
-J'étais en fouterie ce qu'Alexandre était en ambition: je désirais de
-foutre toute la terre, et après elle un nouveau monde. Depuis six mois
-j'avais toujours remporté le prix dans les combats amoureux, et du plus
-brave que j'étais je devins bientôt le plus lâche. L'habitude du plaisir
-en avait émoussé la pointe, et j'étais avec nos six soeurs ce qu'un mari
-est avec sa femme. Le mal de mon esprit influa bientôt sur mon corps; on
-m'en fit des reproches qui ne glissèrent que sur mon coeur, et il ne
-fallait pas moins que toute la tendresse du prieur pour me faire aller à
-la piscine. Il engagea nos soeurs à travailler à ma guérison: elles ne
-négligèrent rien pour y réussir; non seulement elles employèrent tous
-leurs charmes naturels, mais elles y joignirent encore ce que l'art le
-plus consommé peut suggérer à une vieille coquette fouteuse. Tantôt se
-rangeant en cercle autour de moi, elles offraient à ma vue les tableaux
-les plus lascifs: l'une, mollement appuyée sur un lit, laissait voir
-négligemment la moitié de sa gorge; une petite jambe faite au tour, des
-cuisses plus blanches que la neige me promettaient le plus beau con du
-monde; l'autre dans l'attitude d'une femme qui se prépare au combat,
-marquait l'ardeur qui la consumait; d'autres, dans des postures
-différentes, en se chatouillant le con, exprimaient par leurs soupirs
-les plaisirs qu'elles ressentaient. Tantôt elles se mettaient nues, et
-me présentaient la volupté dans tout son jour. Celle-ci, appuyée sur un
-canapé, me montrait le revers de la médaille, et, passant la main sous
-son ventre, elle écartait les cuisses et se branlait, de manière qu'à
-chaque mouvement que faisait son doigt je voyais l'intérieur de cette
-partie qui m'avait autrefois causé de si vives émotions. Une autre,
-couchée sur un lit de satin noir, me présentait la même image que
-l'autre ne me présentait qu'à l'envers; une troisième me faisait coucher
-par terre entre deux chaises, et, mettant ensuite un pied sur l'une et
-un pied sur l'autre, elle s'accroupissait, et son con se trouvait
-perpendiculairement sur mes yeux. Dans cette situation, je la voyais
-travailler avec un godmiché, tandis qu'une autre foutait devant moi de
-toutes ses forces avec un moine, nu comme elle. Enfin, on offrit à ma
-vue les images les plus lubriques, tantôt à la fois, tantôt
-successivement.
-
-Quelquefois on me couchait tout nu sur un banc; une soeur se mettait à
-califourchon sur ma gorge, de sorte que mon menton était enveloppé dans
-le poil de sa motte; une autre se mettait sur mon ventre; une troisième,
-qui était sur mes cuisses, tâchait de s'introduire mon vit dans le con;
-deux autres s'étaient placées à mes côtés, de façon que je tenais un con
-de chaque main; une autre enfin,--celle qui avait la plus belle
-gorge,--était à ma tête, et, s'inclinant, elle me pressait le visage
-entre ses tétons; toutes étaient nues, toutes se grattaient, toutes
-déchargeaient: mes mains, mes cuisses, mon ventre, ma gorge, mon vit,
-tout était inondé, je nageais dans le foutre et le mien refusait de s'y
-joindre. Cette dernière cérémonie appelée par excellence la _question
-extraordinaire_, fut aussi inutile que les précédentes: on me tint pour
-un homme confisqué, et l'on abandonna la nature à elle-même.
-
-Tel était mon état, quand, en me promenant un jour dans le jardin, seul,
-rêvant au malheur de ma destinée, je rencontrai le père Siméon, homme
-profond, qui avait blanchi dans les travaux de Vénus et de la table, et,
-tel que le vieux Nestor, avait vu plusieurs fois renouveler le couvent.
-Il vint à moi, et, m'embrassant tendrement, me dit: O mon fils! votre
-douleur est grande, mais ne vous alarmez pas, je veux vous guérir. La
-trop grande dissipation, mon ami, a causé votre mal: il faut réveiller
-votre appétit malade par quelques mets succulents, et c'est une dévote
-qu'il vous faut. Le flegme du père me fit rire. Vous riez, me dit-il, je
-vous parle sérieusement. Vous ne connaissez pas les dévotes, vous
-ignorez leurs ressources pour rallumer les feux éteints. Je l'ai éprouvé
-moi-même. Temps heureux où je faisais retentir les voûtes du couvent en
-frappant avec mon vit, hélas! qu'êtes-vous devenu? On ne parle plus du
-vigoureux père Siméon; ce n'est plus qu'un vieillard cassé; son sang est
-glacé dans ses veines, ses couilles sont sèches, son vit est disparu:
-tout meurt! J'avais toutes les envies d'éclater, mais la crainte de
-l'indisposer me retint. O mon fils, poursuivit-il, profitez de votre
-jeunesse. Le seul moyen de vous tirer de votre léthargie, c'est de vous
-mettre au régime, d'avoir recours à une dévote; mais, pour cet effet, il
-faut avoir la liberté de confesser, et je me charge de vous l'obtenir
-auprès de Monseigneur. Je remerciai le père, et, sans avoir grande foi
-en son secret, je le priai de s'y employer; il me le promit. Ce n'est
-pas tout, continua-t-il, il vous faut un guide avant d'entrer dans cette
-carrière, et je veux vous en servir.
-
-Vous savez, mon fils, que la confession vient de nos ancêtres,
-c'est-à-dire des prêtres et des moines. J'ai toujours admiré le génie
-profond de ces hommes célèbres qui établirent la confession. Depuis ce
-temps tout a changé de face; les biens ont fondu sur nous; nos richesses
-ont grossi à l'ombre de ce tribunal auguste. Béni soit Dieu! _Amen!_
-
-Je ne vous parlerai pas de l'excellence du poste de confesseur: ayez
-seulement de la discrétion, de la douceur et de la condescendance pour
-les faiblesses humaines, et les femmes vous adoreront. Je ne dirai point
-quel parti vous devrez tirer de leurs heureuses dispositions par rapport
-à votre fortune, cela vous regarde; je vous conseille de plumer
-impitoyablement ces vieilles bigotes qui viennent à votre confessionnal
-moins pour se réconcilier avec Dieu que pour voir un beau moine. Faites
-grâce aux jolies, parce que je la leur ai faite: elles me payaient
-différemment.
-
-Une jeune fille, par exemple, ne peut faire de présents; mais elle peut
-donner son précieux pucelage. Il faut user d'adresse pour lui ravir ce
-bijou. Fixez-vous à ces jeunes dévotes: elles pourront vous guérir; ne
-vous livrez pourtant pas sans ménagement à la vivacité que pourrait vous
-inspirer l'espoir de votre guérison. Il y a moins de risque à se
-déclarer à une femme aguerrie qu'à une jeune personne chez qui la
-passion n'a pas encore triomphé des préjugés de l'éducation. Une femme
-vous entend à demi-mot; son coeur a déjà fait la moitié du chemin avant
-de vous être expliqué: il n'en est pas de même d'une jeune fille; mais
-s'il est difficile de la vaincre, la victoire en est plus douce. Je vais
-vous en tracer la route. Dans toutes, vous trouverez un penchant à
-l'amour. Le grand art est de savoir manier ce penchant. Telle qui paraît
-modeste, les yeux baissés et la démarche composée, couve un feu sous la
-cendre, prêt à s'allumer au vent de l'amour. Parlez, elle n'opposera
-qu'une faible résistance à vos premières attaques; pressez, votre
-victoire est certaine.
-
-D'autres, dont le tempérament est moins vif, moins impétueux, donneront
-plus d'exercice à votre adresse. Avec celles-ci, mêlez les caresses de
-l'amant aux remontrances du directeur; échauffez leur naturel par des
-discours débités avec art; informez-vous adroitement des progrès
-qu'elles ont faits dans la science de se procurer du plaisir; levez le
-voile qui leur cachait des voluptés inconnues; découvrez-leur tous les
-mystères de l'amour; faites-leur-en des peintures riantes qui échauffent
-leur sensualité; montrez-leur le plaisir dans les attitudes les plus
-séduisantes pour exciter leurs désirs. Vous objecterez peut-être qu'il
-est difficile de réussir dans un art aussi dangereux; point du tout, il
-ne faut que de l'adresse. Je conviens qu'il serait dangereux d'encenser
-leurs désirs; mais n'est-il pas mille moyens de concilier leur coeur et
-leur raison? Que les portraits que vous leur ferez des plaisirs
-paraissent faits moins pour les engager à s'y livrer que dans la vue de
-les en détourner; insistez sur les plaisirs; soyez court sur les
-conséquences: la raison s'opposera vainement aux impressions que vos
-discours feront dans leur coeur. Rassurez-les du côté du ciel; détruisez
-leurs préjugés du côté du monde; faites-leur envisager qu'il est
-dangereux de garder trop longtemps une fleur qui se fane; qu'il est si
-doux de la laisser cueillir, que sa perte est idéale. Ajoutez qu'il est
-mille secrets pour empêcher la grossesse. Examinez alors leur visage,
-vous le verrez enflammé. Laissez tomber votre main sur leurs tétons;
-pressez-les, et bientôt vous entendrez leurs soupirs, fidèles
-interprètes des sentiments de leur coeur. Joignez vos soupirs aux leurs,
-appliquez un baiser sur leur bouche, offrez-vous pour consolateur de
-leurs peines. L'aveu de ce qui se passe dans le coeur établit la
-confiance, on ne rougit plus d'être faible avec des faibles, on se
-console réciproquement.
-
-Le discours du père Simon m'avait échauffé l'imagination; il m'avait si
-fort ému, que je ne doutai plus de la possibilité d'une chose que
-j'avais prise pour un badinage. Je réitérai mes instances auprès du
-père, qui obtint bientôt ce que je demandais.
-
-Il me tardait de me voir érigé en médiateur entre les pécheurs et le
-Père des miséricordes. Je me réjouissais d'avance de l'aveu que pourrait
-me faire une fille timide d'avoir donné à son tempérament la
-satisfaction qu'il demandait. Je fus au confessionnal prendre possession
-de mon poste.
-
-On dit qu'un grand philosophe avait la faiblesse de rentrer chez lui et
-d'y rester tout le jour, quand, en sortant le matin, une vieille était
-la première personne qu'il rencontrât. Si l'exemple de ce philosophe
-avait été une règle pour moi, j'aurais sur-le-champ déserté le
-confessionnal; mais je tins bon, et je m'armai de courage contre l'ennui
-que devait me causer la confession d'une vieille qui se présenta.
-
-J'essuyai patiemment un déluge de balivernes que je payai par des
-maximes de morale si consolantes, que ma vieille, charmée, m'aurait
-d'abord donné des marques de satisfaction, si le grillage ne se fût pas
-trouvé entre nous. Pour me dédommager, elle me voua un attachement à
-l'épreuve de toutes les tentatives que les autres directeurs pourraient
-faire pour me l'enlever. Je lui passai son transport en faveur du profit
-que j'en pourrais tirer. _Bon pour plumer_, me dis-je en moi-même; mais
-pour cela il fallait sonder le terrain. Elle était babillarde; je la mis
-sur le chapitre de sa famille. Grandes invectives d'abord contre un
-traître de mari, qui portait ailleurs ce qui lui appartenait: elle était
-blessée dans l'endroit le plus sensible; autres invectives contre son
-fils, qui suivait l'exemple du père; elle ne louait que sa fille, une
-fille dont l'occupation et le plaisir étaient le travail et la
-prière.--Ah! ma chère soeur, m'écriai-je alors d'un ton de tartufe, que
-vous devez être charmée de vous voir revivre dans une pareille fille!
-Mais cette sainte âme vient-elle à notre église? Que je serais édifié de
-la voir!--Vous la voyez tous les jours ici, me répondit la vieille; elle
-est aussi belle qu'elle est dévote; mais dois-je parler de beauté devant
-vous, qui êtes des saints? Vous méprisez cela.--Ma chère soeur,
-repris-je, nous croyez-vous assez injustes pour refuser d'admirer les
-beaux ouvrages du Créateur, surtout quand ce qu'ils ont de mondain se
-trouve réparé par tant de vertus célestes? Ma vieille, enthousiasmée du
-tour que j'avais donné à ma curiosité, me dépeignit sa sainte, que je
-reconnus pour une brune piquante qui venait à nos offices. Père Siméon,
-me dis-je alors, voilà de nos dévotes; ménageons celle-ci: elle pourrait
-bien vous rendre prophète. Crainte d'effaroucher la mère, je remis à une
-seconde séance d'engager sa fille à se ranger au nombre de mes
-pénitentes, et je lui donnai l'absolution, tant pour le passé que pour
-le présent. Je l'aurais même donnée pour l'avenir si elle avait voulu:
-cela ne coûte rien. Je l'engageai cependant à venir se rafraîchir
-souvent dans les eaux de la pénitence. Ainsi finit ma première
-expédition.
-
-Il me semble que je vous entends crier: Allons, dom Saturnin, vous voilà
-dans le bon chemin; vous êtes en train de vous guérir, à ce qu'il
-paraît. Oui, lecteur, oui, la sainteté du caractère dont je viens d'être
-revêtu commence à opérer; Dieu soit loué! Que la grâce est puissante! Je
-bande déjà assez pour me faire croire que je banderai bientôt davantage.
-
-Je ne manquai pas le lendemain d'aller à l'office: on s'imagine bien à
-quelle intention. Je vis ma brune qui priait Dieu de tout son coeur. La
-voilà, me dis-je, cette charmante enfant, ce modèle de toutes les
-vertus! Ah! quel plaisir de croquer un morceau aussi délicat! Quel
-ravissement de donner à cela la première leçon du plaisir amoureux!
-_Vivat!_ je suis guéri, je bande comme un carme: pourquoi ne pas dire
-comme un célestin? valent-ils moins que les autres? Mais ma dévote me
-regarde: sa mère lui aurait-elle parlé de moi? Ah! vite, apaisons le feu
-que sa vue m'inspire: branlons-nous! Le roulement d'yeux que me causait
-le plaisir fut pris pour un excès de dévotion. Le plaisir que j'avais en
-me branlant à l'intention de ma dévote m'était un sûr garant de celui
-que j'aurais si j'en pouvais faire davantage. J'attendais de mon adresse
-un bonheur que le hasard me procura quelques jours après.
-
-J'étais un jour sorti du couvent. Le portier, quand je rentrai, me dit,
-en m'ouvrant la porte, qu'une jeune dame m'attendait et voulait me
-parler. Je courus au parloir; mais, ô surprise! je reconnus ma dévote.
-Me voyant, elle se jeta à mes pieds.--Ayez pitié de moi! me dit-elle en
-pleurant.--Qu'avez-vous donc? lui demandai-je en la relevant. Parlez, le
-Seigneur est bon, il voit vos larmes, ouvrez votre coeur à son ministre.
-En voulant parler, elle tomba évanouie dans mes bras, Que faire?
-J'allais crier au secours, quand la réflexion me dit: Où vas-tu?
-attends-tu une plus belle occasion? Je m'approche de ma dévote, la
-délace, lui découvre la gorge. Jamais plus beau sein ne s'offrit à ma
-vue. En écartant sa robe et sa chemise, je crus ouvrir le paradis. Je
-fixai mes yeux sur deux globes blancs et fermes comme le marbre; je les
-baisais, je les pressais; je collais ma bouche sur la sienne: je
-réchauffais son souffle. Enfin, je prends ma dévote amoureusement. Une
-palpitation subite me saisit. Je la quitte et reste tremblant à la
-considérer; tout à coup soufflant la lumière, je la reprends dans mes
-bras et gagne ma chambre avec ce cher fardeau. Dieux! qu'il était léger!
-Je la mets sur mon lit, rallume ma bougie et la considère de nouveau. Je
-découvre sa gorge, lève ses jupes, écarte ses cuisses; j'examine,
-j'admire. Quel spectacle! l'amour, les grâces embellissaient son corps.
-Blancheur, embonpoint, fermeté, tout charmait la vue. Las d'admirer sans
-jouir, je portai la bouche et les mains sur ce que je venais de voir;
-mais à peine y eus-je touché, que ma dévote soupira et porta sa main où
-elle sentait la mienne. Je la baise sur la bouche, elle veut se
-débarrasser; inquiète, elle cherche à pénétrer où elle est. Mon ardeur
-produit sur moi le même effet; je ne la quitte pas. Elle veut s'arracher
-de mes bras, je résiste, je la renverse; furieuse, elle se relève, veut
-me déchirer le visage, mord, frappe: rien ne m'arrête. J'appuie ma
-poitrine sur la sienne, mon ventre sur le sien, et laisse à ses mains
-tout ce que la fureur leur inspire, employant les miennes à lui écarter
-les cuisses; elle les serre, je désespère de triompher; la rage augmente
-ses forces, la passion diminue les miennes; m'excitant, je les réunis,
-j'écarte ses cuisses, je lâche mon vit; je l'approche du con, je pousse,
-il entre. Alors la fureur de ma dévote s'évanouit, elle me serre, me
-baise, ferme les yeux et se pâme. Je ne me connais plus, je pousse, je
-repousse, et j'inonde le fond de son con d'un torrent de foutre. Elle
-redécharge, nous restons sans connaissance, tous deux absorbés par le
-plaisir.
-
-Mon aimable compagne ne revint à elle-même que pour m'inviter par ses
-caresses à la replonger dans le délire. Ses yeux sont languissants, se
-troublent, s'égarent; son con est une fournaise, mon vit brûle. Ah! me
-dit-elle, le plaisir me suffoque; je meurs! Ses membres se roidissent,
-elle donne un coup de cul, j'en rends deux; nous déchargeons encore.
-
-Après avoir épuisé le plaisir, j'allai chercher à la cuisine de quoi
-réparer les forces d'un malade; je dis que je l'étais. Je rentrai chez
-moi, j'y trouvai ma dévote dans la tristesse; je la dissipai par mes
-caresses, et j'attendis que nous eussions mangé pour m'informer de son
-chagrin. Nous soupâmes sans faire beaucoup de bruit, crainte d'être
-découverts et qu'on ne confisquât mon trésor au profit de la piscine,
-suivant les règles de l'ordre.
-
-Comme nous étions tous deux extrêmement fatigués, nous songeâmes plutôt
-à nous reposer qu'à causer. Quand nous eûmes fini notre repas, nous nous
-mîmes au lit; mais aussitôt que nous nous vîmes nus, le repos s'enfuit
-loin de nous; je portai la main au con de ma dévote, elle porta la
-sienne à mon vit, et, admirant sa grosseur, sa fermeté: Ah! me dit-elle,
-je ne suis plus surprise que tu m'aies réconciliée avec le plaisir que
-j'avais résolu de haïr! Je songeai moins à lui demander la cause qu'à
-lui prouver, en le lui faisant goûter de nouveau, qu'elle avait eu tort
-de former une pareille résolution. Elle me reçut dans ses bras avec une
-vivacité inexprimable. Étroitement serrés, à peine pouvions-nous
-respirer: le lit ne pouvant plus soutenir nos secousses, il suivait
-l'impression de nos corps, il craquait effroyablement. Une douce ivresse
-succéda bientôt à nos efforts, et nous nous endormîmes couchés l'un sur
-l'autre, étroitement serrés, langue en bouche, vit au con.
-
-L'aurore nous trouva endormis dans cette posture, et, soit que
-l'imagination eût fait distiller cette eau délicieuse qui annonce le feu
-intérieur, soit que nous eussions déchargé machinalement, nous nous
-réveillâmes tout trempés. Bientôt nous renouvelâmes nos plaisirs, et
-j'eus assez de force pour m'en acquitter monacalement. Je ne dirai pas
-combien de fois je n'eus pas la peine d'enconner. Je passe rapidement à
-vous informer du sujet qui avait jeté ma dévote dans mes bras.
-
-Je lui voyais un air d'inquiétude et de tristesse qui me pénétrait. Je
-la priai tendrement de s'expliquer et d'être persuadée que je
-remédierais à sa douleur, à quelque prix que ce fût.--Perdrai-je ton
-coeur, cher Saturnin, me dit-elle en me regardant languissamment, quand
-je t'avouerai que tu n'es pas le premier qui m'ait fait goûter les
-plaisirs de l'amour? Rassure mon coeur contre une crainte dont on ne
-peut se défendre, et qui vient, malgré moi, de répandre sur mon visage
-une tristesse que je n'ai pu te cacher. Oui, c'est cette seule crainte
-qui m'inquiète à présent; celle de mon sort ne m'occupe plus, puisque je
-suis avec toi.--Oses-tu, lui répondis-je, te défier des charmes que tu
-étales à mes yeux? Que tu en connais peu le prix, si tu doutes de leur
-effet! Oui, l'ardeur qu'ils m'inspirent est trop forte pour ne pas
-s'indigner d'une pareille crainte. Que tu me connais peu! Si un préjugé
-ridicule a mis une différence entre une fille foutue et une fille à
-foutre, ce préjugé n'est pas ma règle. La beauté, pour en avoir charmé
-d'autres, doit-elle perdre le droit de nous charmer? Quand tu l'aurais
-fait avec toute la terre, n'es-tu pas toujours la même, n'es-tu pas
-toujours une fille adorable, en serais-tu moins précieuse à mes yeux?
-Les plaisirs que tu as donnés à d'autres ont-ils altéré la vivacité de
-ceux que tu viens de me donner?--Tu m'enlèves, me répondit-elle; je ne
-fais plus de difficulté de t'apprendre des infortunes que tu viens de
-faire cesser.
-
-Elle me raconta ce qui suit:
-
-Mon malheur a sa source dans mon coeur. Un penchant invincible pour le
-plaisir ne me fait respirer que pour lui. Une mère injuste et cruelle
-m'avait confinée dans un cloître. Trop timide pour opposer mon dégoût à
-ses ordres, je ne fis parler que mes larmes; elles ne l'attendrirent
-pas, je pris le voile. Le moment fatal de prononcer l'arrêt de ma mort
-approchait: je frémis à la vue du serment que j'allais faire. L'horreur
-de ma prison, le désespoir d'être privée de mon unique bien, me
-plongèrent dans une maladie qui aurait terminé mes peines, si ma mère,
-touchée de mon état, ne s'était reproché sa dureté. Elle était
-pensionnaire dans le couvent où elle voulait que je prisse l'habit. Un
-projet de retraite l'y avait amenée; mais la réflexion l'en retira. Les
-femmes ne renoncent pas au plaisir, ne vieillissent pas sans chagrin;
-c'est un sentiment naturel que leurs efforts peuvent bien dissimuler,
-mais qu'ils n'arracheront jamais de leur coeur. Ma mère, jugeant de mon
-tempérament par le sien, me tira de mon cachot, et reparut dans le monde
-sur le pied d'une dame qui se consolerait aisément de la perte du défunt
-dans les bras d'un cinquième mari.
-
-Connaissant le génie de ma mère, je jugeai qu'il serait dangereux de me
-trouver en rivalité avec elle, certaine qu'un amant qui se présenterait
-me préférerait à elle. Je compris que les plaisirs de l'amour goûtés
-dans le mystère en étaient plus piquants, que la retraite me les
-procurait ainsi que le grand monde. J'agis d'après ce système, et je
-passai bientôt pour une dévote. Charmée du progrès de mon stratagème, je
-ne songeai qu'à nouer quelque intrigue secrète à l'ombre de cette haute
-réputation de vertu factice. Cette réputation parut équivoque à un jeune
-homme que j'avais vu autrefois à la grille, et avec qui il m'était
-arrivé une aventure...
-
-J'interrompis alors ma dévote. Me rappelant ce que Suzon m'avait
-autrefois appris de la soeur Monique, son aversion pour le couvent, sa
-passion pour l'amour, la scène qu'elle avait eue avec Verland, son
-caractère, le séjour que sa mère avait fait dans le couvent, je
-confrontais le portrait de cette soeur avec le charmant minois que
-j'avais devant moi. J'allai plus loin; je me ressouvins que Suzon
-m'avait dit que la soeur Monique avait le clitoris un peu long. Dans
-l'espoir de trouver à ma dévote ce dernier signe qui devait confirmer
-mes soupçons, je la fis coucher sur le dos, et, lui examinant le con
-avec une attention que la passion ne m'avait pas encore permise, j'y
-trouvai ce que je cherchais, un clitoris vermeil un peu plus long que
-les femmes ne l'ont ordinairement, et qui semblait n'être placé là que
-pour le plaisir.
-
-Ne doutant plus que ce ne fût elle, je l'embrassai avec un nouveau
-transport.--Chère Monique, lui dis-je, est-ce toi que le ciel m'envoie?
-Elle se débarrasse de mes bras, me fixe avec surprise, et me demande qui
-m'avait appris le nom qu'elle portait au couvent. Une fille, lui dis-je,
-dont je pleure la perte, et la confidente de tes secrets.--Ah!
-s'écria-t-elle, c'est Suzon: elle m'a trahie!--Oui, c'est elle, lui
-répondis-je; mais c'est un secret qu'elle n'a confié qu'à moi, et ce
-n'est qu'à mes importunités que je le dois.--Comment, reprit Monique, tu
-es le frère de Suzon? Ah! je ne me plains plus d'elle: si je le faisais,
-je me mettrais dans la nécessité de la défendre contre les plaintes que
-tu en ferais à ton tour, car elle ne m'a pas caché ce qui lui était
-arrivé avec toi.
-
-Nous nous attendrîmes sur le sort de Suzon et la soeur Monique continua
-ainsi:
-
-Puisqu'elle t'a conté mon aventure avec Verland, c'est de ce dernier que
-je vais te parler. Ma métamorphose l'avait surpris; il m'avait vue à la
-grille vive, coquette: une longue absence ne m'avait pas effacée de son
-souvenir. A son retour le bruit de ma dévotion éclatant, il ne voulut en
-croire que ses yeux. Il me vit à l'église, et l'amour l'y suivit.
-
-En parcourant des yeux tous ceux qui m'environnaient, j'aperçus Verland;
-je rougis à la vue d'un homme qui avait autrefois été témoin de ma
-faiblesse, et je rougis encore plus de ne pouvoir lui cacher les
-dispositions où mon coeur était de retomber dans les mêmes fautes.
-L'âge, en tempérant sa vivacité, avait rendu ses grâces plus mâles et
-plus touchantes. Sa présence ralluma mes désirs; ils m'entraînaient tous
-les jours au même endroit, et tous les jours je l'y voyais aussi
-attentif à me regarder et aussi tendre dans ses regards. Mes yeux lui
-firent sentir combien j'étais mécontente de sa lenteur à m'apprendre de
-bouche les mouvements de son coeur; il me comprit, et, m'abordant d'un
-air timide, me dit: Un homme qui, pour la première fois qu'il a eu le
-bonheur de vous voir, a mérité votre colère, peut-il aujourd'hui se
-présenter à vos yeux? Si le repentir le plus vif peut faire oublier ma
-faute, vous devez me voir sans indignation. Sa voix était tremblante. Je
-lui répondis que le galant homme faisait oublier l'imprudence du jeune
-homme.--Vous ne connaissez pas toutes mes fautes, reprit-il; votre bonté
-vient de me pardonner un crime: j'ai plus besoin que jamais de cette
-même bonté. Il se tut après ces mots, et, quoique je l'entendisse, je
-lui répondis que je ne connaissais pas la nouvelle offense dont il
-voulait me parler.--Celle de vous adorer, me dit-il en collant un baiser
-sur ma main. Il comprit par mon silence que ce crime était excusable; et
-dans la crainte de m'ouvrir trop, je le quittai charmée de mon amour.
-
-J'étais persuadée que, si Verland était sincère, il trouverait occasion
-de me le prouver; il pénétra le motif de ma retraite, et me laissa
-partir en souriant. J'entendis ses soupirs, les miens y répondaient au
-fond du coeur. Que te dirais-je? Une seconde entrevue lui valut l'aveu
-de ma tendresse et la permission de me demander à ma mère en mariage.
-Elle le refusa: j'en fus au désespoir. Son refus irrita notre amour,
-Verland en était accablé. Cette imprudente démarche nous ôtait tout
-espoir; et, pour comble d'horreur, ma mère était ma rivale. Les éloges
-prodigués à Verland la trahirent. Triste victime de la dévotion et de
-l'amour, je n'osais demander à ma mère la cause du refus d'un homme
-qu'elle croyait parfait. Je ne pus résister à la douleur; j'étais
-furieuse contre ma mère et contre moi-même: mon amour était au comble.
-Je voyais Verland tous les jours; nous étions inséparables. Croirais-tu
-que jusqu'alors je n'avais point cédé à ses instances, le seul moyen de
-mettre ma mère à la raison? Mais, attendrie par les larmes de mon amant,
-pressée par son amour, vaincue par mon penchant, je prêtai l'oreille à
-sa proposition de m'enlever: nous convînmes du jour, de l'heure et des
-moyens.
-
-Je ne voyais dans mon amour que le plaisir que j'allais goûter avec
-Verland. Le lieu le plus affreux me paraissait un paradis, pourvu qu'il
-fût avec moi. Le jour du départ arriva: j'allais sortir, une main
-invisible m'arrêta. Arrivée sur le bord du précipice, j'en mesurai la
-profondeur; effrayée, je reculai. Surprise de ma faiblesse, je voulus
-étouffer ma raison; elle triompha; je rentrai, mes larmes coulèrent.
-Indignée de ma lâcheté, je m'encourageais et m'effrayais. L'heure
-pourtant avançait quel parti prendre? Hélas! je ne savais que penser. Un
-rayon de lumière vint m'éclairer, et je fus tranquille: je vis un moyen
-d'être à mon amant et de me venger de ma mère. Hélas! à quoi m'a servi
-tant de prudence? A me plonger dans l'abîme! Peut-être aurais-je été
-plus heureuse dans un pays inconnu: tout à moi-même, n'écoutant que mon
-amour pour un mari qui m'aurait adorée, je n'aurais pas été esclave de
-ces apparences qui m'ont perdue? Mais pourquoi m'abuser? J'aurais porté
-dans un climat étranger le même coeur, la même fureur pour l'amour, et
-ce caractère m'y aurait perdue comme il l'a fait ici.
-
-Je fis à Verland le signe dont nous étions convenus, en cas
-d'inexécution du projet: je remis au lendemain à l'informer de mes
-raisons. Nous nous trouvâmes à l'église, il m'aborda sans dire mot; son
-visage exprimait la douleur; je fus effrayée.--M'aimez-vous? lui
-dis-je.--Si je vous aime! me répondit-il avec un transport de désespoir
-qui l'empêcha d'en dire davantage.--Verland, repris-je, je lis votre
-douleur dans vos yeux, mon coeur en est déchiré; plaignez-moi,
-plaignez-vous d'un défaut de courage qui nous arracherait à notre
-passion, si le désespoir ne m'avait pas suggéré le moyen de nous
-conserver l'un à l'autre. Je ne doute pas de votre tendre amour, mais
-j'en veux une preuve, puisqu'une mère cruelle s'oppose à nos désirs. Ah!
-Verland, le rouge qui me couvre le visage ne vous dit-il pas quel est le
-moyen que je veux employer?--Chère Monique, me dit-il en me serrant la
-main, ton amour te fait il sentir la nécessité d'une chose que je t'ai
-en vain souvent proposée?--Oui, lui répondis-je, vous ne vous plaindrez
-plus; mais pour vous rendre heureux, je ne veux qu'un mot de votre
-bouche.--Parlez; que faut-il faire?--Épouser ma mère, lui dis-je. La
-surprise lui coupa la parole; il me regardait avec des yeux
-égarés.--Épouser votre mère, Monique! que me proposez-vous?--Une chose,
-lui répondis-je, dont je me repens. Votre froideur me dénote votre
-amour, et votre indifférence m'éclaire sur ma passion. Ciel! ai-je pu
-penser à un homme aussi lâche?--Monique, reprit-il tristement, à quoi
-veux-tu réduire ton amant?--Ingrat, lui répondis-je, quand je surmonte
-l'horreur de te voir dans les bras de ma rivale; quand, pour me livrer à
-toi, pour jouir du plaisir de te voir, pour recevoir enfin tes caresses,
-je sacrifie ma gloire, j'immole à ton bonheur ce que j'ai de plus cher,
-tu trembles! Ai-je plus de force que toi? Non; mais tu n'as pas tant
-d'amour.--C'en est fait, me dit-il alors, tu triomphes; j'ai honte de
-moi-même, et nos coeurs doivent être sans remords. Charmée de son
-courage, je promis de l'en récompenser le jour de ses noces; peut-être
-n'aurais-je pas eu la force de l'attendre, si l'impatience de ma mère
-n'eût pas été aussi vive que la mienne. Verland lui avait offert ses
-voeux. Ravie d'une conquête qu'elle s'imaginait devoir à ses charmes,
-elle se hâta d'en recueillir le fruit; il n'était pas fait pour elle. Le
-mariage se célébra; la joie que j'en témoignai m'attira de ma mère mille
-caresses que je payai par d'autres qui étaient moins sincères. Mon coeur
-s'enivrait d'avance du plaisir de l'amour et de la vengeance. Verland
-parut: il était adorable; mille grâces nouvelles animaient toutes ses
-actions; le moindre sourire m'enchantait; les paroles les plus
-indifférentes m'enflammaient; à peine pouvais-je contenir mes désirs. Au
-milieu du tumulte, il trouva moyen de s'approcher de moi et de me dire:
-J'ai tout fait pour l'amour, ne fera-t-il rien pour moi? Un coup d'oeil
-fut ma réponse. Je sors, il s'échappe; j'entre dans ma chambre, il m'y
-suit; je m'élance sur mon lit, il se précipite sur moi. Dispense-moi de
-faire ici le récit des plaisirs que je goûtai, un seul mot te suffit
-pour te les faire connaître: toi seul, cher père, toi seul as été plus
-loin. O ma mère! m'écriai-je, au milieu de nos transports, que ton
-injustice va te coûter cher.
-
-Mon amant était un prodige; nous restâmes ensemble une heure qui ne vit
-pas un moment d'intervalle. En vain les forces lui manquaient; semblable
-à Antée, qui, luttant avec Hercule, ne faisait que toucher la terre pour
-réparer les siennes, mon amant me touchait et revenait à la charge avec
-plus de vigueur.
-
-On nous cherchait partout; on avait même frappé à ma porte. Nous nous
-séparâmes, crainte d'être suspectés. Verland gagna le jardin, où on le
-trouva, comme il l'avait prévu. On le railla, on lui fit la guerre. Un
-feint étourdissement vint à son secours, disant que, pour ne pas
-troubler les plaisirs, il s'était retiré sans parler. Son air abattu,
-occasionné par la fatigue qu'il venait d'avoir, aidait à faire croire ce
-qu'il disait.
-
-Ne doutant pas qu'on ne vînt encore me chercher dans ma chambre, je
-dérangeai la portière qui bouchait le trou de la serrure et me mis à
-demi prosternée devant un crucifix. Cela me réussit: on crut que les
-plaisirs n'avaient pu me déranger de mes pieux exercices; de là une
-nouvelle estime, une espèce de vénération pour moi. Remise enfin de mon
-travail amoureux, je rejoignis la compagnie pour ne donner aucun
-soupçon, en affectant de me prêter par complaisance à des
-divertissements dont le plus doux avait déjà été pour moi.
-
-Après le dessein formé de marier ma mère avec mon amant, je disposai
-tout pour faciliter le moyen de nous voir, pour prévenir toute surprise
-étant ensemble; j'affectai plus de dévotion, ne voulant pas être
-interrompue dans mes prières; j'accoutumai le monde à ne point frapper
-chez moi, la clef n'y étant pas. Verland, de son côté, accoutuma ma mère
-à son absence, prétextant des affaires et se coulant dans mes bras.
-Quoique contraints, nous n'étions pas dégoûtés de nos plaisirs: je les
-croyais éternels, un moment me détrompa. Je rencontrai un jour une jeune
-personne que j'avais connue autrefois; je lui demandai ce qu'elle
-faisait en cette ville; elle me dit qu'elle n'y était attachée à
-personne: je la pris pour ma femme de chambre. Mais, cher père, est-ce
-avec toi que je dois feindre? Cette prétendue femme de chambre n'était
-autre que Martin, dont ta soeur a dû te parler en te contant mon
-histoire. Je ne l'avais pas vu depuis notre séparation. Il était encore
-aussi joli, aussi aimable; son menton était à peine couvert de quelques
-poils follets, blonds, que je lui coupais exactement. Martin était une
-jolie fille aux yeux de tout le monde; il était pour moi d'un prix
-inestimable.
-
-J'avais instruit Martin de mon intrigue avec Verland. Heureux de me
-posséder, il n'en était pas jaloux; j'étais charmée de sa docilité, je
-l'étais encore plus de sa vigueur. J'avais arrangé sagement mes
-plaisirs: Verland avait le jour; Martin, la nuit. Le jour ne
-disparaissait que pour faire place à une nuit voluptueuse. Jamais
-mortelle n'a joui d'une félicité plus parfaite: mais le plaisir est de
-peu de durée; sa mesure est celle du tourment dont sa perte nous
-accable.
-
-Martin pouvait passer pour une fille jolie sous cet habillement.
-L'ingrat Verland, hélas! pourquoi le traiter d'ingrat? n'étais-je pas
-coupable, et mon coeur criminel? Verland trouva des charmes à ma
-prétendue femme de chambre, et négligea sa maîtresse. Dédommagée par les
-plaisirs de la nuit, je ne m'étais pas encore aperçue de l'indifférence
-de Verland; il possédait si bien l'art de me persuader, que tous les
-motifs de son absence me paraissaient justes. Si je le grondais, un
-sourire, un baiser, apaisaient ma colère. Un jour de repos me le rendait
-plus vigoureux. Il en vint jusqu'à me faire croire que l'intérêt de
-notre plaisir rendait ces absences nécessaires: j'y consentis: Martin
-suppléait au relâche.
-
-Hier, jour infortuné et dont je ne dois me souvenir que pour le
-détester, hier était un jour de repos pour Verland. Renfermée seule avec
-Martin, et n'ayant pour témoin que l'amour, nous n'écoutions que ses
-conseils. J'étais couchée sur mon lit; la gorge nue, les jupes levées et
-les cuisses écartées, j'attendais que Martin reprît ses forces. Il était
-nu, et, passant ma cuisse droite entre ses cuisses, me tenait d'une main
-les tétons, et de l'autre caressait ma cuisse gauche. Tandis que ses
-yeux et sa bouche cherchaient à rallumer son ardeur, Verland, que nous
-n'attendions pas, entra et nous surprit dans cette attitude. Il eut le
-temps de fermer la porte et d'accourir à nous avant que la frayeur nous
-eût permis de changer de posture.--Monique, me dit-il, je ne blâme pas
-tes plaisirs, mais tu dois avoir la même complaisance pour moi: j'aime
-Javotte (c'est le nom que Martin avait pris), je me sens des forces
-suffisantes pour vous contenter toutes deux. Dans le moment il veut
-embrasser Martin, il le tire de mes bras, il porte la main et trouve...
-Quelle surprise! Sans lâcher Martin, il me jette un regard
-d'indignation; il n'ose faire éclater contre moi sa colère; mais tout le
-poids en retombe sur la cause innocente. Son amour s'était tourné en
-rage; il frappait impitoyablement le malheureux Martin, et c'était moi
-qu'il frappait dans l'endroit le plus sensible.
-
-Je me jette entre ces deux rivaux.--Arrêtez, dis-je à Verland en
-l'embrassant; respectez sa jeunesse au nom de nos transports, au nom de
-notre amour, Verland, ayez pitié de sa faiblesse, soyez sensible à mes
-larmes. Il s'arrête, mais Martin, qui avait eu le temps de se
-reconnaître, était devenu furieux à son tour. Il prend l'épée de
-Verland, s'élance sur lui. Je fuis à cette vue, me sauve par un escalier
-dérobé, j'accours ici, tu sais le reste.
-
-Monique ne put achever sans verser des larmes.--Hélas! s'écria-t-elle, à
-quel sort dois-je m'attendre?--Au plus heureux, lui dis-je; rassure-toi,
-chère Monique; ce qui fait couler tes pleurs est peut-être sans objet.
-Si c'est la perte de tes plaisirs, de plus grands la répareront bientôt.
-Il m'était impossible de la garder encore dans ma chambre sans être
-découvert, et je crus que le meilleur parti était de la présenter à la
-piscine. Je ne craignais pas de lui promettre trop, en l'assurant que
-les plaisirs dont elle avait joui jusqu'alors n'étaient qu'une faible
-image de ceux qui lui étaient réservés. La piscine devait être un séjour
-divin pour un tempérament tel que le sien.--Cher ami, dit-elle en
-m'embrassant, ne m'abandonne pas; puis-je rester avec toi! Ton
-consentement ou ton refus décidera de mon sort; si je te perds, je serai
-malheureuse. Je l'assurai que nous ne nous quitterions jamais.--Je n'ai
-plus, reprit-elle, qu'une inquiétude: pardonne ce dernier effort à un
-amour dont tu vas devenir l'unique objet. Je sentis ce qu'elle n'osait
-m'avouer. Je lui offris d'aller m'instruire du sort de ses amants et de
-l'effet de sa fuite. Elle m'en remercia. Je la laissai seule, et je
-sortis avec promesse de revenir bientôt.
-
-Je m'informai dans la ville de ce qu'il y avait de nouveau. J'allai dans
-le voisinage de Verland; rien n'avait transpiré, et je jugeai que tout
-le désordre s'était borné à la fuite de Monique. Je revenais au couvent
-quand j'aperçus le domestique, qui accourut à moi et me dit que le
-révérend père André l'avait chargé de me donner une lettre, et un sac
-d'argent de cent pistoles. Je crus d'abord que le père me chargeait de
-quelques commissions. J'ouvris la lettre et j'y trouvai ces mots:
-
- «Vous vous êtes trahi par vos précautions; on a ouvert votre chambre,
- et on y a trouvé le trésor que vous ne vouliez pas faire voir à vos
- frères; on s'en est saisi: on a mis cette personne à la piscine. Vous
- connaissez le génie des moines: fuyez, père Saturnin; fuyez,
- dérobez-vous aux horreurs d'une prison qui ne finirait peut-être
- qu'avec votre vie.
-
- «P. ANDRÉ.»
-
-Je fus frappé comme d'un coup de foudre à la lecture de cette lettre. Un
-accablement mortel m'ôta le sentiment. O ciel! m'écriai-je, que devenir?
-Dois-je m'exposer à la vengeance monacale? Fuirai-je? Malheureux,
-n'hésite point; ah! fuyons! Mais où fuir, où me sauver? La maison
-d'Ambroise s'offrit à mon esprit éperdu comme l'asile le plus sûr contre
-la crainte présente. Je pris une résolution courageuse, trop heureux que
-la générosité du père André me dérobât au ressentiment monacal.
-
-Ce ne fut pas sans douleur que je m'exilai d'un lieu où je laissais mon
-plaisir et mon bonheur. Déchiré par mes remords, abattu par mon
-désespoir, j'arrivai chez Ambroise. Toinette était seule; mon malheur
-l'attendrit. Elle me secourut de son mieux et me couvrit d'un habit
-d'Ambroise. Je partis le lendemain pour Paris, dans l'espérance d'y
-trouver un état qui pût me dédommager de celui que je venais de quitter.
-
-Je partis, après avoir secoué, comme les apôtres, la poussière de mes
-souliers sur mon ingrate patrie; et, marchant à pied, un bâton blanc à
-la main, j'arrivai à Paris. Je crus pouvoir braver alors la fureur
-monacale. L'argent du père André et les secours de Toinette pouvaient me
-conduire pendant quelque temps. Mon dessein était de chercher d'abord un
-poste de précepteur, en attendant que la fortune voulût m'en trouver un
-meilleur. Quelques connaissances que j'avais à Paris auraient pu me
-servir, s'il n'eût été dangereux de les employer. Moyennant un retour
-raisonnable, j'avais troqué mon habit de paysan contre un plus honnête.
-Heureux si, en quittant le froc, j'en avais quitté les inclinations! Le
-noir chagrin qui me dévorait me faisait croire que j'étais venu à bout
-de déraciner cette mauvaise tige, ou que j'en triompherais aisément. Je
-l'avais même juré: je voulais m'enchaîner par un serment, moi que les
-liens les plus respectables n'avaient pu retenir. Que l'homme est
-faible!
-
- Aujourd'hui sous un casque et demain sous un froc,
- Il tourne au moindre vent et tombe au moindre choc.
-
-Je tombai; le choc ne fut pas violent, puisque ce ne fut qu'un coup de
-coude qu'une coquine me donna en me disant: Monsieur l'abbé, voulez-vous
-me payer une salade?--Plutôt deux, répondis-je, emporté par un mouvement
-naturel. La réflexion vint aussitôt à mon secours, mais trop tard;
-j'étais trop engagé pour reculer. Nous entrâmes dans une allée obscure
-et étroite. Je pensai mille fois me rompre le cou dans un escalier
-tortueux, dont les marches glissantes et inégales me faisaient trébucher
-à chaque pas. Ma donzelle me tenait par la main. J'avouerai que, ne
-m'étant jamais trouvé en pareil cas, je ne pouvais me défendre d'un
-certain effroi qui parut de bon augure à ma conductrice: elle en aurait
-ri si elle eût connu ma qualité. Nous arrivâmes enfin avec bien de la
-peine à la porte du temple. Nous frappâmes; une vieille, plus vieille
-que la sibylle de Cumes, vint ouvrir en entrebâillant la porte.--Mon
-petit roi, me dit-elle, il y a du monde; attends un moment; monte plus
-haut. Monter plus haut était bien difficile, à moins que de vouloir
-monter au ciel. Une porte se présenta sous ma main qui s'ouvrit
-d'elle-même. J'allai me retirer, crainte de trouver quelqu'un et de
-faire soupçonner ma probité. L'odeur me rassura; c'était... Vous me
-devinez.
-
-Abandonné à moi-même, dans un endroit affreux, au bout du monde, dans un
-pays perdu, avec des gens inconnus, je me sentis saisi d'une terreur
-subite. Le danger que je courais s'offrit à mes yeux. Profitons, dis-je
-en moi-même, de ce moment de clarté, sauvons-nous. Quelque chose de plus
-puissant que la réflexion m'arrêta; il semblait qu'une mer immense se
-présentât à mes yeux et m'empêchât de gagner le rivage: je m'élançais et
-je me retenais aussitôt. Le ciel a-t-il gravé dans nos coeurs des
-pressentiments de ce qui doit nous arriver? Oui, sans doute, et je
-l'éprouvais. Dans le moment on ouvre la porte fatale, on m'appelle, je
-descends; infortuné, je courais à ma perte, mais quelle joie délicieuse
-devait la précéder!
-
-J'entre d'un air timide à la lueur tremblante d'une lampe; je vais
-m'asseoir sans parler; j'appuie le coude sur une table mal assurée; je
-me couvre les yeux avec la main, comme si j'eusse voulu me dérober aux
-réflexions qui venaient m'assaillir. Une quêteuse infernale s'avance: Je
-me montre généreux, elle me remercie. Mon maintien triste surprenant les
-prêtresses du temple, la vieille sibylle s'approche pour m'en demander
-le sujet. Je la repousse brutalement: elle s'en plaint.--Laissez,
-madame, lui dit la plus jeune, on peut avoir du chagrin.
-
-Ce son de voix qui ne m'était pas inconnu, frappa mon coeur. Je
-tremblai, et, craignant de porter les yeux vers l'endroit d'où venait de
-partir cette voix, je les ferme et ne veux m'occuper que des mouvements
-qu'elle vient de réveiller en moi; mais bientôt, me reprochant mon
-indifférence, je veux m'éclaircir: je rouvre les yeux, me lève et
-m'approche. Cieux! c'était Suzon! Ses traits, quoique changés par l'âge,
-étaient trop gravés dans mon coeur pour les méconnaître. Je tombe dans
-ses bras, mes yeux se remplissent de larmes, mon âme est sur mes
-lèvres.--Chère soeur, lui dis-je d'une voix altérée, tu ne reconnais
-plus ton frère? Elle jette un cri, et tombe évanouie.
-
-La vieille, étonnée, accourt et veut secourir Suzon; je la repousse,
-colle mes lèvres sur les lèvres de ma chère soeur, et ne veux que le feu
-de mes baisers pour lui rendre la chaleur. Je la presse contre mon sein,
-arrose son visage de mes larmes; elle ouvre des yeux humides de pleurs:
-Laisse-moi, Saturnin, me dit-elle, laisse une malheureuse!--Chère soeur!
-m'écriai-je, la vue de Saturnin t'inspire-t-elle de l'horreur? Tu lui
-refuses tes baisers, tu lui refuses tes caresses. Sensible à mes
-reproches, elle me donna les marques les plus vives de sa joie. La
-gaieté reparut sur son visage; elle se répandit jusque sur la vieille, à
-qui je donnai de l'argent pour nous apprêter à souper. J'aurais donné
-tout: je retrouvais Suzon, n'étais-je pas assez riche?
-
-On préparait le souper; je tenais toujours Suzon dans mes bras. Nous
-n'avions pas encore eu la force d'ouvrir la bouche pour nous demander
-quelles aventures pouvaient nous rassembler si loin de notre patrie;
-nous nous regardions, nos yeux étaient les seuls interprètes de nos
-âmes; ils versaient des larmes de joie et de tristesse; nous n'étions
-occupés que de ces deux passions. Notre coeur était si rempli, notre
-esprit si occupé, que notre langue était comme liée; nous soupirions; si
-nous ouvrions quelquefois la bouche, nous ne prononcions que des paroles
-sans suite; tout nous ramenait à la réflexion du bonheur d'être
-ensemble.
-
-Je rompis enfin le silence.--Suzon, m'écriai-je, ma chère Suzon! c'est
-toi que je retrouve! Par quel heureux hasard m'es-tu rendue? Mais dans
-quel lieu, ah! ciel!--Tu vois, me répondit-elle avec un visage accablé,
-une fille malheureuse qui a éprouvé toutes les alternatives de la
-fortune, presque toujours l'objet de sa fureur, et forcée de vivre dans
-un libertinage que sa raison condamne, que son coeur déteste, mais que
-la nécessité lui rend indispensable. Ton impatience, je le vois, attend
-après le récit de mes malheurs; puis-je donner un autre nom à la vie que
-j'ai menée depuis que je t'ai perdu? Moins sensible à la honte de te
-révéler mes dérèglements qu'au plaisir de répandre ma douleur dans ton
-sein, je vais te faire un aveu sincère de mes peines. Te le dirai-je,
-c'est toi qui les as causées; mais mon coeur était de moitié, lui seul a
-tout fait, il a creusé l'abîme où je suis plongée. Te souviens-tu de ces
-temps heureux où tu me faisais une peinture naïve de ta passion
-naissante? Je t'adorais dès ce temps-là. En te racontant les aventures
-de Monique, en te découvrant nos mystères les plus cachés, je voulais
-t'enflammer, je voulais t'instruire; je voyais avec plaisir l'effet de
-mes discours. J'ai été témoin de tes transports avec Mme Dinville, et
-tes caresses étaient autant de coups de poignard pour moi. Quand je
-t'entraînai dans ma chambre, j'étais dévorée par un feu que tu ne
-pouvais plus éteindre. C'est ici l'époque de mes infortunes. Tu as
-toujours ignoré la cause de ce bruit affreux que nous entendîmes:
-c'était l'abbé Fillot, ce scélérat vomi par les enfers et né pour le
-supplice de mes jours. Il avait conçu pour moi un amour qu'il voulait
-satisfaire à quel prix que ce fût; il avait choisi la nuit pour
-l'exécution de son dessein; il s'était caché dans la ruelle du lit, et
-profita de ta fuite pour venir se mettre à ta place. Hélas! il eut bon
-temps d'une malheureuse que la frayeur avait fait évanouir; il fit ce
-qu'il voulut. Ranimée par le plaisir et trompée par ma passion, je crus
-le recevoir de mon cher Saturnin. Je comblai de plaisirs un monstre que
-j'accablai de reproches quand je le reconnus. Il voulut m'apaiser par
-ses caresses, je le repoussai avec horreur; il me menaça de révéler à
-Mme Dinville ce que j'avais fait avec toi. L'indigne employait contre
-moi les armes dont je pouvais me servir contre lui. Il obtint par ses
-menaces ce que j'avais refusé à ses transports. Ainsi, j'accordais tout
-à un homme que je détestais, et le sort m'arrachait des bras de celui
-que j'aimais.
-
-Bientôt je sentis les fruits amers de mon imprudence. Je cachai ma honte
-le plus que je pus; mais je me serais trahie par un silence trop
-obstiné. J'avais chassé l'abbé Fillot; il se consolait dans les bras de
-Mme Dinville. La nécessité me le fit rappeler. Je lui découvris mon
-état; il feignit d'y être sensible, m'offrit de m'emmener avec lui à
-Paris, en m'y promettant le sort le plus heureux; il ajouta qu'il ne
-demandait, pour prix de ses services, que de vouloir souffrir qu'il me
-les rendît. Je ne voulais qu'être en un lieu où je pusse me délivrer de
-mon fardeau, comptant bien ne me servir ensuite de son crédit que pour
-me placer auprès de quelque dame. Je me laissai gagner par ses
-promesses; je consentis à le suivre et partis avec lui, déguisée en
-abbé.
-
-Il eut pour moi mille attentions dans la route; mais que le traître
-cachait bien la scélératesse de son coeur sous des apparences
-trompeuses! Les secousses du carrosse avaient trompé mon calcul: je mis
-au monde, à une lieue de Paris, le gage odieux de l'amour d'un
-misérable. Tout le monde criait au prodige et riait. Mon indigne
-compagnon de voyage disparut, me laissa à ma douleur et à ma misère. Une
-dame charitable eut pitié de mon état, prit un carrosse, m'amena à Paris
-et de là à l'Hôtel-Dieu. Elle ne me tira des bras de la mort que pour me
-laisser dans ceux de l'indigence. Je ne l'aurais sentie que trop tôt, si
-le hasard ne m'eût fait rencontrer une fille perdue. La misère entraîna
-le penchant.
-
-N'en exige pas davantage. La vie de Suzon n'a été qu'un enchaînement
-continuel de plaisirs et de chagrin. Si le plaisir s'est fait
-quelquefois sentir à mon coeur, il n'a fait que colorer le fond de
-tristesse qui le rongeait. Cessera-t-elle, cette tristesse? Ah! puisque
-je te retrouve, je ne dois plus me plaindre. Mais, toi, cher frère, ne
-me fais pas languir: es-tu sorti de ton couvent? Quel hasard t'a conduit
-à Paris?--Un malheur semblable au tien, lui répondis-je, que m'a causé
-ta meilleure amie.--Ma meilleure amie! reprit-elle en soupirant. En
-ai-je encore dans le monde? Ah! ça ne peut être que la soeur
-Monique.--Elle-même, repris-je: ce récit exige trop de temps: soupons.
-
-Je fis à côté de Suzon le repas le plus délicieux de ma vie. L'envie de
-me voir seul avec elle et, de son côté, celle d'apprendre mes aventures,
-nous firent quitter promptement la table. Nous nous retirâmes dans sa
-chambre, où, sans témoins, sur un lit, digne meuble de l'endroit où nous
-étions, et qui n'avait jamais servi à deux amants aussi tendres, tenant
-Suzon sur mes genoux, et mon visage collé sur le sien je lui racontai
-mes aventures depuis ma sortie de chez Ambroise.
-
---Je ne suis donc plus ta soeur? s'écria-t-elle quand j'eus fini.--Ne
-regrette pas, lui dis-je, une qualité que le sang donne, et rarement le
-coeur; si tu n'es plus ma soeur, tu es toujours l'idole de mon coeur.
-Chère âme, continuai-je en la pressant tendrement dans mes bras,
-oublions nos malheurs, et commençons à compter notre vie du jour qui
-nous a rassemblés. En lui disant ces mots, je baisai sa gorge; j'avais
-déjà ma main entre ses cuisses:--Arrête, me dit-elle en s'échappant de
-mes bras, arrête!--Cruelle! m'écriai-je, quelles grâces aurais-je donc à
-rendre à la fortune si tu rebutes les témoignages de mon
-amour?--Etouffe, me répondit-elle, des désirs que je ne pourrais écouter
-sans être criminelle; fais un effort sur ta passion: je t'en donne
-l'exemple.--Ah! Suzon, lui répliquai-je, tu n'as guère d'amour si tu
-peux me conseiller d'étouffer le mien! Et dans quelles circonstances?
-Quand rien ne s'oppose à notre bonheur!--Rien ne s'oppose à notre
-bonheur? reprit-elle; ah! que ne dis-tu vrai? Dans le moment je la vis
-en pleurs: je la pressai de m'en expliquer la cause.--Voudrais-tu, me
-dit-elle, partager avec moi le triste prix de mon libertinage? Quand tu
-le voudrais, aurais-je la cruauté d'y consentir?--Tu crois, lui
-répondis-je, m'arrêter par une raison aussi faible? Je partagerais la
-mort avec ma Suzon, et je craindrais de partager ses malheurs?
-Sur-le-champ je la renverse sur le lit et veux lui prouver que je ne
-crains pas le danger.--Ah! cher Saturnin, s'écria-t-elle, tu vas te
-perdre!--Je me perdrai, lui dis-je, transporté d'amour, mais ce sera
-dans tes bras! Elle cède, je pousse... Qu'on me permette d'imiter ici ce
-sage Grec qui, peignant le sacrifice d'Iphigénie, après avoir épuisé sur
-le visage des assistants tous les traits qui caractérisaient la douleur
-la plus profonde, couvrit celui d'Agamemnon d'un voile, laissant
-habilement aux spectateurs le plaisir d'imaginer quels traits pouvaient
-caractériser le désespoir d'un père tendre qui voit répandre son sang,
-qui voit immoler sa fille. Je vous laisse, cher lecteur, le plaisir
-d'imaginer; mais c'est à vous que je m'adresse, vous qui avez éprouvé
-les traverses de l'amour, et qui, après un long temps, avez vu votre
-passion couronnée par la jouissance de l'objet aimé. Rappelez-vous vos
-plaisirs, poussez votre imagination encore plus loin s'il est possible,
-elle sera toujours au-dessous de mes délices. Mais quel démon jaloux de
-ma tranquillité me présente sans cesse un souvenir que j'arrose de
-larmes de sang? Ah! finissons, je succombe à ma douleur.
-
-Le jour vint avant que nous nous fussions aperçus que la nuit avait
-disparu. J'avais oublié mes chagrins, l'univers entier, dans les bras de
-Suzon.--Ne nous quittons jamais, mon cher frère, me disait-elle; où
-trouveras-tu une fille plus tendre? où trouverais-je un amant plus
-passionné? Je lui jurais de vivre toujours avec elle; je le lui jurais,
-hélas! et nous allions nous quitter pour ne nous jamais revoir. L'orage
-grondait sur nos têtes, le charme de l'illusion le dérobait à nos
-yeux.--Sauvez-vous, Suzon, vint nous dire une fille épouvantée,
-sauvez-vous, fuyez par l'escalier dérobé! Surpris, nous voulûmes nous
-lever: il n'était plus temps; un archer féroce entrait au moment où nous
-nous levions. Suzon, éperdue, se jette dans mes bras: il l'en arrache
-malgré mes efforts, il l'entraîne. Cette vue me rend furieux; la rage me
-prête des forces, le désespoir me rend invincible. Un chenet, dont je me
-saisis, devient dans mes mains une arme mortelle. Je m'élance sur
-l'archer. Arrête, malheureux Saturnin! Il n'est plus temps, le coup est
-porté, le ravisseur de Suzon tombe à mes pieds. On se jette sur moi, je
-me défends, je succombe, je suis pris. On me lie; à peine me laisse-t-on
-la liberté de prendre la moitié de mes habits.--Adieu, Suzon,
-m'écriai-je en lui tendant les bras; adieu, ma chère soeur, adieu! On me
-traînait inhumainement sur l'escalier; la douleur que me causaient les
-coups des marches sur lesquelles ma tête frappait me fit bientôt perdre
-connaissance.
-
-Dois-je finir ici le récit de mes malheurs? Ah! lecteur, si votre coeur
-est sensible, suspendez votre curiosité, contentez-vous de me plaindre;
-mais quoi! le sentiment de ma douleur prévaudra-t-il toujours sur celui
-de ma félicité? N'ai-je pas assez versé de pleurs? Je touche au port et
-je regrette encore les dangers du naufrage. Lisez, et vous allez voir
-les tristes suites du libertinage, heureux si vous ne le payez pas plus
-cher que moi.
-
-Je ne revins de ma faiblesse que pour me voir dans un misérable lit, au
-milieu d'un hôpital. Je demandai où j'étais. A Bicêtre, me dit-on. A
-Bicêtre! m'écriai-je; ciel! à Bicêtre! La douleur me pétrifia, la fièvre
-me saisit, je n'en revins que pour tomber dans une maladie plus cruelle,
-la vérole! Je reçus sans murmurer ce nouveau châtiment du ciel. Suzon,
-me dis-je, je ne me plaindrais pas de mon sort, si tu ne souffrais pas
-le même malheur.
-
-Mon mal devint insensiblement si violent que, pour le chasser, on eut
-recours aux plus violents remèdes: on m'annonça qu'il fallait me
-résoudre à subir une petite opération. Il faut vous épargner ce
-spectacle de douleur. Que puis-je vous dire? Je tombai dans une
-faiblesse que l'on prit pour le dernier moment de ma vie. Que ne
-l'était-il? J'aurais été trop heureux! La douleur qui avait causé mon
-évanouissement m'en retira. Je portai la main où je sentais la douleur
-la plus vive. Ah! je ne suis plus un homme! Je poussai un cri qui fut
-entendu jusqu'aux extrémités de la maison. Mais bientôt revenant à
-moi-même, et, tel que Job sur son fumier, pénétré de douleur et soumis
-aux ordres du ciel, je m'écriai dans l'amertume de mon coeur: _Deus
-dederat, Deus abstulit._
-
-Je ne souhaitais plus que la mort. J'avais perdu le pouvoir de jouir de
-la vie; l'anéantissement était le but de tous mes désirs; j'aurais voulu
-me cacher éternellement ce que j'avais été, je ne pouvais penser sans
-horreur à ce que j'étais. Le voilà donc, disais-je au fond de mon coeur,
-le voilà, cet infortuné père Saturnin, cet homme si chéri des femmes, il
-n'est plus; un coup cruel vient de lui enlever la meilleure partie de
-lui-même; j'étais un héros, et je ne suis plus qu'un... Meurs,
-malheureux, meurs; peux-tu survivre à cette perte? Tu n'es plus qu'un
-eunuque!
-
-La mort fut sourde à mes cris; ma santé revint, je me rétablis; mais ma
-débilité fit juger qu'on ne tirerait pas de moi les services qu'on en
-avait attendus et auxquels on m'avait destiné; on me déclara que j'étais
-libre.--Je suis libre, répondis-je au supérieur qui me l'annonçait;
-hélas! à quoi va me servir cette liberté que vous me donnez? Dans l'état
-cruel où je suis, c'est le présent le plus funeste que vous puissiez me
-faire. Mais, monsieur, oserais-je vous demander le sort d'une jeune
-personne que l'on doit avoir amenée ici le même jour que moi?--Il est
-plus heureux que le vôtre, me répondit-il brusquement; elle est morte
-dans les remèdes.--Elle est morte, repris-je, accablé de ce dernier
-coup; Suzon est morte! Ah ciel? et je vis encore! J'aurais dans le
-moment terminé mes jours si l'on n'avait arrêté l'effet de mon
-désespoir. On me sauva de ma propre fureur, et l'on me mit dans le
-chemin de profiter de la permission que l'on venait de me donner,
-c'est-à-dire à la porte.
-
-Je restai un moment anéanti; mes yeux seuls, en répandant un torrent de
-larmes, témoignaient que je vivais encore; j'étais au dernier degré du
-désespoir et de la rage. Couvert d'un malheureux habit, ayant à peine de
-quoi vivre un jour et ne sachant où aller, je m'abandonnai dans les bras
-de la Providence. Je prenais le chemin de Paris, j'aperçus les murs des
-Chartreux; la profonde solitude qui y règne fit briller à mon esprit un
-trait de lumière. Heureux mortels! m'écriai-je, qui vivez dans cette
-retraite à l'abri des fureurs et des revers de la fortune, vos coeurs
-purs et innocents ne connaissent pas les horreurs qui déchirent le mien.
-L'idée de leur félicité m'inspira le désir de la partager. J'allai me
-jeter aux pieds du supérieur; je lui contai mes infortunes. O mon fils,
-me dit-il en m'embrassant avec bonté, louez Dieu: il vous réservait ce
-port après tant de naufrages. Vivez-y, et vivez-y heureux, s'il est
-possible.
-
-Je restai pendant quelque temps sans emploi, mais bientôt on m'en donna.
-Je montai par degrés au poste de portier, et c'est sous ce titre qu'on
-m'a connu.
-
-C'est ici que mon coeur se fortifie dans la haine qu'il a conçue pour le
-monde; j'y attends la mort sans la craindre ni la désirer, et je
-prétends que, quand elle m'aura tiré du nombre des vivants, on grave en
-lettres d'or sur mon tombeau:
-
- _Hic situs est dom Saturnin,
- Fututus, Futuit._
-
-
-FIN
-
-
-
-
-
-
-End of the Project Gutenberg EBook of Le portier des chartreux, ou mémoires
-de Saturnin écrits par lui-même, by Jean Charles Gervaise de La Touche
-
-*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE PORTIER DES CHARTREUX ***
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-electronic works, and the medium on which they may be stored, may
-contain "Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate
-or corrupt data, transcription errors, a copyright or other
-intellectual property infringement, a defective or damaged disk or
-other medium, a computer virus, or computer codes that damage or
-cannot be read by your equipment.
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-1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right
-of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project
-Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project
-Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project
-Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all
-liability to you for damages, costs and expenses, including legal
-fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT
-LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE
-PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE
-TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE
-LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR
-INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
-DAMAGE.
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-1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a
-defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can
-receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a
-written explanation to the person you received the work from. If you
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-with your written explanation. The person or entity that provided you
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-lieu of a refund. If you received the work electronically, the person
-or entity providing it to you may choose to give you a second
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-the second copy is also defective, you may demand a refund in writing
-without further opportunities to fix the problem.
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-1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth
-in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS', WITH NO
-OTHER WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT
-LIMITED TO WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
-
-1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
-warranties or the exclusion or limitation of certain types of
-damages. If any disclaimer or limitation set forth in this agreement
-violates the law of the state applicable to this agreement, the
-agreement shall be interpreted to make the maximum disclaimer or
-limitation permitted by the applicable state law. The invalidity or
-unenforceability of any provision of this agreement shall not void the
-remaining provisions.
-
-1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
-trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
-providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in
-accordance with this agreement, and any volunteers associated with the
-production, promotion and distribution of Project Gutenberg-tm
-electronic works, harmless from all liability, costs and expenses,
-including legal fees, that arise directly or indirectly from any of
-the following which you do or cause to occur: (a) distribution of this
-or any Project Gutenberg-tm work, (b) alteration, modification, or
-additions or deletions to any Project Gutenberg-tm work, and (c) any
-Defect you cause.
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-Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
-
-Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
-electronic works in formats readable by the widest variety of
-computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It
-exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations
-from people in all walks of life.
-
-Volunteers and financial support to provide volunteers with the
-assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
-goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
-remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
-Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
-and permanent future for Project Gutenberg-tm and future
-generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
-Sections 3 and 4 and the Foundation information page at
-www.gutenberg.org
-
-
-
-Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
-
-The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
-501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
-state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
-Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
-number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
-U.S. federal laws and your state's laws.
-
-The Foundation's principal office is in Fairbanks, Alaska, with the
-mailing address: PO Box 750175, Fairbanks, AK 99775, but its
-volunteers and employees are scattered throughout numerous
-locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt
-Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to
-date contact information can be found at the Foundation's web site and
-official page at www.gutenberg.org/contact
-
-For additional contact information:
-
- Dr. Gregory B. Newby
- Chief Executive and Director
- gbnewby@pglaf.org
-
-Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
-Literary Archive Foundation
-
-Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
-spread public support and donations to carry out its mission of
-increasing the number of public domain and licensed works that can be
-freely distributed in machine readable form accessible by the widest
-array of equipment including outdated equipment. Many small donations
-($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
-status with the IRS.
-
-The Foundation is committed to complying with the laws regulating
-charities and charitable donations in all 50 states of the United
-States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
-considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
-with these requirements. We do not solicit donations in locations
-where we have not received written confirmation of compliance. To SEND
-DONATIONS or determine the status of compliance for any particular
-state visit www.gutenberg.org/donate
-
-While we cannot and do not solicit contributions from states where we
-have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
-against accepting unsolicited donations from donors in such states who
-approach us with offers to donate.
-
-International donations are gratefully accepted, but we cannot make
-any statements concerning tax treatment of donations received from
-outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
-
-Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
-methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
-ways including checks, online payments and credit card donations. To
-donate, please visit: www.gutenberg.org/donate
-
-Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works.
-
-Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
-Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be
-freely shared with anyone. For forty years, he produced and
-distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of
-volunteer support.
-
-Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
-editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in
-the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not
-necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper
-edition.
-
-Most people start at our Web site which has the main PG search
-facility: www.gutenberg.org
-
-This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
-including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
-subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
-
diff --git a/57870-h/57870-h.htm b/57870-h/57870-h.htm
index a2c89f5..f932058 100644
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<body>
-<pre>
-
-The Project Gutenberg EBook of Le portier des chartreux, ou mémoires de
-Saturnin écrits par lui-même, by Jean Charles Gervaise de La Touche
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most
-other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of
-the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
-www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have
-to check the laws of the country where you are located before using this ebook.
-
-Title: Le portier des chartreux, ou mémoires de Saturnin écrits par lui-même
-
-Author: Jean Charles Gervaise de La Touche
-
-Release Date: September 8, 2018 [EBook #57870]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: ISO-8859-1
-
-*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE PORTIER DES CHARTREUX ***
-
-
-
-
-Produced by René Galluvot (This file was produced from
-images generously made available by The Internet
-Archive/Canadian Libraries)
-
-
-
-
-
-
-</pre>
+<div>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 57870 ***</div>
<h1><span class="small">LE PORTIER</span><br/>
DES CHARTREUX</h1>
@@ -4921,381 +4885,7 @@ Fututus, Futuit.</i></p>
-<pre>
-
-
-
-
-
-End of the Project Gutenberg EBook of Le portier des chartreux, ou mémoires
-de Saturnin écrits par lui-même, by Jean Charles Gervaise de La Touche
-
-*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE PORTIER DES CHARTREUX ***
-
-***** This file should be named 57870-h.htm or 57870-h.zip *****
-This and all associated files of various formats will be found in:
- http://www.gutenberg.org/5/7/8/7/57870/
-
-Produced by René Galluvot (This file was produced from
-images generously made available by The Internet
-Archive/Canadian Libraries)
-
-Updated editions will replace the previous one--the old editions will
-be renamed.
-
-Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright
-law means that no one owns a United States copyright in these works,
-so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United
-States without permission and without paying copyright
-royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part
-of this license, apply to copying and distributing Project
-Gutenberg-tm electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG-tm
-concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark,
-and may not be used if you charge for the eBooks, unless you receive
-specific permission. If you do not charge anything for copies of this
-eBook, complying with the rules is very easy. You may use this eBook
-for nearly any purpose such as creation of derivative works, reports,
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-away--you may do practically ANYTHING in the United States with eBooks
-not protected by U.S. copyright law. Redistribution is subject to the
-trademark license, especially commercial redistribution.
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-START: FULL LICENSE
-
-THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE
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-works in the collection are in the public domain in the United
-States. If an individual work is unprotected by copyright law in the
-United States and you are located in the United States, we do not
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-displaying or creating derivative works based on the work as long as
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-in a constant state of change. If you are outside the United States,
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-on which the phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the
-phrase "Project Gutenberg" is associated) is accessed, displayed,
-performed, viewed, copied or distributed:
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- This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
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-contain a notice indicating that it is posted with permission of the
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-additional terms imposed by the copyright holder. Additional terms
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-posted with the permission of the copyright holder found at the
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-work or any other work associated with Project Gutenberg-tm.
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-electronic work, or any part of this electronic work, without
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-active links or immediate access to the full terms of the Project
-Gutenberg-tm License.
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-compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including
-any word processing or hypertext form. However, if you provide access
-to or distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format
-other than "Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official
-version posted on the official Project Gutenberg-tm web site
-(www.gutenberg.org), you must, at no additional cost, fee or expense
-to the user, provide a copy, a means of exporting a copy, or a means
-of obtaining a copy upon request, of the work in its original "Plain
-Vanilla ASCII" or other form. Any alternate format must include the
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-1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying,
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-unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9.
-
-1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing
-access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works
-provided that
-
-* You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from
- the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method
- you already use to calculate your applicable taxes. The fee is owed
- to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he has
- agreed to donate royalties under this paragraph to the Project
- Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments must be paid
- within 60 days following each date on which you prepare (or are
- legally required to prepare) your periodic tax returns. Royalty
- payments should be clearly marked as such and sent to the Project
- Gutenberg Literary Archive Foundation at the address specified in
- Section 4, "Information about donations to the Project Gutenberg
- Literary Archive Foundation."
-
-* You provide a full refund of any money paid by a user who notifies
- you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
- does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm
- License. You must require such a user to return or destroy all
- copies of the works possessed in a physical medium and discontinue
- all use of and all access to other copies of Project Gutenberg-tm
- works.
-
-* You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of
- any money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
- electronic work is discovered and reported to you within 90 days of
- receipt of the work.
-
-* You comply with all other terms of this agreement for free
- distribution of Project Gutenberg-tm works.
-
-1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project
-Gutenberg-tm electronic work or group of works on different terms than
-are set forth in this agreement, you must obtain permission in writing
-from both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and The
-Project Gutenberg Trademark LLC, the owner of the Project Gutenberg-tm
-trademark. Contact the Foundation as set forth in Section 3 below.
-
-1.F.
-
-1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable
-effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
-works not protected by U.S. copyright law in creating the Project
-Gutenberg-tm collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm
-electronic works, and the medium on which they may be stored, may
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-LIMITED TO WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
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-warranties or the exclusion or limitation of certain types of
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-violates the law of the state applicable to this agreement, the
-agreement shall be interpreted to make the maximum disclaimer or
-limitation permitted by the applicable state law. The invalidity or
-unenforceability of any provision of this agreement shall not void the
-remaining provisions.
-
-1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
-trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
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-production, promotion and distribution of Project Gutenberg-tm
-electronic works, harmless from all liability, costs and expenses,
-including legal fees, that arise directly or indirectly from any of
-the following which you do or cause to occur: (a) distribution of this
-or any Project Gutenberg-tm work, (b) alteration, modification, or
-additions or deletions to any Project Gutenberg-tm work, and (c) any
-Defect you cause.
-
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-computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It
-exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations
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-
-Volunteers and financial support to provide volunteers with the
-assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
-goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
-remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
-Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
-and permanent future for Project Gutenberg-tm and future
-generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
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-locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt
-Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to
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-
-The Foundation is committed to complying with the laws regulating
-charities and charitable donations in all 50 states of the United
-States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
-considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
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-
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+<div>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 57870 ***</div>
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