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-The Project Gutenberg EBook of Eureka, by Edgar Allan Poe
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most
-other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of
-the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
-www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have
-to check the laws of the country where you are located before using this ebook.
-
-Title: Eureka
-
-Author: Edgar Allan Poe
-
-Translator: Charles Baudelaire
-
-Release Date: July 23, 2017 [EBook #55175]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: UTF-8
-
-*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK EUREKA ***
-
-
-
-
-Produced by Marc D'Hooghe at Free Literature (online soon
-in an extended version, also linking to free sources for
-education worldwide ... MOOC's, educational materials,...)
-Images generously made available by Gallica, Bibliothèque
-nationale de France.)
-
-
-
-
-
-EUREKA
-
-PAR
-
-EDGAR POE
-
-Traduit par
-
-CHARLES BAUDELAIRE
-
-
-PARIS
-
-MICHEL LÉVY, FRÈRES, LIBRAIRES ÉDITEUR
-
-RUE VIVIENNE, 2 BIS, ET BOULEVARD DES ITALIENS, 15
-
-A LA LIBRAIRIE NOUVELLE
-
-1864
-
-
-
-
-EXTRAIT DE LA BIOGRAPHIE
-
-D'EDGAR POE
-
-PAR RUFUS GRISWOLD.
-
-
-Pendant près d'un an, M. Poe ne se manifesta que rarement au public;
-mais il était peut-être plus actif qu'il n'avait été en aucun temps;
-et, au commencement de 1848, il fit annoncer son intention de donner
-quelques _lectures,_ dans le but de gagner une somme d'argent
-suffisante pour fonder ce fameux _magazine_ mensuel qu'il rêvait depuis
-si longtemps. Sa première _lecture,_ qui fut aussi la seule qu'il
-donna à cette époque, eut lieu à la _Society Library,_ à New-York, le
-9 février, et avait pour sujet la Cosmogonie Universelle; elle fut
-écoutée par un auditoire éminemment intellectuel, et occupa environ
-deux heures et demie. C'était ce qu'il publia plus tard sous ce titre:
-_Eureka, poëme en prose._
-
-Il avait employé dans la composition de cet ouvrage ses plus subtiles
-et ses plus hautes facultés, dans leur plus parfait développement.
-Commençant par nier que les arcanes de l'univers puissent être explorés
-par la pure induction, mais armant son imagination des divers résultats
-de la science, il entra avec une hardiesse imperturbée,--quoique sans
-aucun autre guide que l'instinct divin, que ce sens de beauté où notre
-grand Edwards prétend retrouver l'épanouissement de toute vérité,--dans
-l'océan de la spéculation, et il y bâtit, avec les lois concordantes et
-leurs phénomènes, sa théorie de la Nature, comme sous l'influence d'une
-inspiration scientifique. Je n'entreprendrai pas la tâche difficile
-de condenser ici ses propositions. «La Loi,--dit-il,--que nous nommons
-_Gravitation,_ existe en raison de ce que la Matière a été, à son
-origine, irradiée atomiquement, dans une sphère _limitée_ d'espace,
-d'une Particule Propre, unique, individuelle, inconditionnelle,
-indépendante et absolue, selon le seul mode qui pouvait satisfaire à la
-fois aux deux conditions d'irradiation et de distribution généralement
-égales à travers la sphère,--c'est-à-dire par une force variant en
-proportion directe des carrés des distances comprises entre chacun des
-atomes irradiés et le centre spécial d'Irradiation.»
-
-Poe était entièrement persuadé qu'il avait découvert le grand secret;
-que les propositions _d'Eureka_ étaient vraies; il avait coutume
-de parler de ce sujet avec un enthousiasme sublime et électrisant,
-que n'ont pu oublier ceux qui étaient liés avec lui à l'époque de
-sa publication. Il sentait qu'un auteur, connu seulement par ses
-aventures dans la littérature légère, jetant le gant aux docteurs de
-la science, ne pouvait s'attendre à une complète équité, et [qu'il]
-n'avait d'espoir que dans des discussions présidées par la sagesse
-et la bonne foi. Comme il me rencontrait, il me dit: «Avez-vous lu
-_Eureka_?» Je lui répondis: «Pas encore; tout à l'heure je jetais
-un coup d'œil sur le compte rendu qu'en a fait Willis, qui pense
-que l'ouvrage ne contient pas plus de réalité que d'imagination,
-et je vois avec peine,--si la chose est vraie,--qu'il insinue
-qu'_Eureka_ ressemble par le ton à ce ramas de prétendues et surannées
-hypothèses, à l'adresse des rêveurs novices, qui s'appelle _les
-Vestiges de la Création;_ et notre excellent et sage ami Bush, que
-vous reconnaîtrez sans doute, parmi tous les professeurs, pour
-l'esprit le plus habituellement équitable, pense que, bien que vous
-ayez en effet conjecturé avec beaucoup de sagacité, il ne serait
-cependant pas malaisé d'entraver par maintes difficultés la marche
-de votre doctrine.»--«Il n'est pas du tout généreux,--me répliqua
-Poe,--d'insinuer qu'il y a des difficultés et de ne pas expliquer de
-quelles difficultés il s'agit. Je réclame moi-même une vérification de
-toutes les propositions du livre. Je nie qu'il y ait une difficulté
-quelconque au-devant de laquelle je ne sois pas allé et que je n'aie
-surmontée.
-
-On me fait outrage par l'application du mot _conjecturer. Rien_ n'a été
-gratuitement supposé par moi, et _tout_ a été prouvé.»
-
-Dans sa préface, il disait: «A ceux-là, si rares, qui m'aiment et que
-j'aime; à ceux qui sentent plutôt qu'à ceux qui pensent; aux rêveurs
-et à ceux qui ont mis leur foi dans les rêves comme dans les seules
-réalités, j'offre ce livre de Vérités, non pas seulement pour son
-caractère Véridique, mais à cause de la Beauté qui abonde dans sa
-Vérité, et qui confirme son caractère véridique. A ceux-là je présente
-cette composition simplement comme un objet d'art;--disons: comme un
-Roman; ou, si ma prétention n'est pas jugée trop haute, comme un Poëme.
-Ce que j'avance ici est vrai; donc, cela ne peut pas mourir; ou si, par
-quelque accident, cela se trouve, aujourd'hui, écrasé au point d'en
-mourir, cela ressuscitera dans la vie éternelle.»
-
-Quand je lis _Eureka,_ je ne puis m'empêcher de considérer cet
-ouvrage comme immensément supérieur aux _Vestiges de la Création_ et
-comme révélant un bien autre génie; et de même que j'admire le poëme
-(en exceptant toutefois cette malheureuse tentative de gouaillerie
-humouristique incluse dans ce que l'auteur nous donne comme une lettre
-trouvée dans une bouteille flottant sur le _Mare tenebrarum_), de même
-aussi j'y vois avec chagrin le panthéisme dominant, lequel, d'ailleurs,
-n'était pas nécessaire à son dessein principal. A quelques-unes des
-critiques faites sur le livre, il répondit en ces termes, dans une
-lettre adressée à M. C. F. Hoffman, alors éditeur du _Literary World._
-
-«Cher monsieur, dans votre numéro du 29 juillet, je trouve quelques
-commentaires sur _Eureka,_ un livre récent de moi; et je vous connais
-trop bien pour vous supposer un seul instant capable de me dénier
-le privilège d'une brève réponse. Je sens même que je pourrais à
-coup sûr réclamer de M. Hoffman le droit que possède tout auteur de
-répliquer à son critique _ton pour ton,_--c'est-à-dire de renvoyer à
-votre correspondant plaisanterie pour plaisanterie et raillerie pour
-raillerie; mais, en premier lieu, je ne désire pas faire honte au
-_Literary World,_ et, ensuite, je sens que si, dans le cas présent,
-je commençais à railler, je n'en finirais jamais. Lamartine blâme
-Voltaire pour l'usage que celui-ci fit souvent do la supercherie
-et de la calomnie dans ses attaques contre les prêtres; mais nos
-jeunes étudiants en théologie ne semblent pas se douter que, quand
-ils entreprennent la défense ou ce qu'ils croient être la défense
-du christianisme, il y ait une sorte de péché dans certaines
-légèretés mondaines, comme celle, par exemple, qui consiste à altérer
-délibérément le texte d'un auteur,--pour ne rien dire ici de
-l'inconvenance moindre de rendre compte d'un livre sans l'avoir lu et
-sans avoir le plus léger soupçon des questions qui y sont agitées.
-
-«Vous comprenez que c'est simplement aux _falsifications_ de la
-critique en question que j'ai la prétention de répondre, les opinions
-de l'auteur ne pouvant avoir, en elles-mêmes, aucune importance
-pour moi, et n'en pouvant avoir, j'imagine, qu'une très-petite pour
-lui-même,--si toutefois il se connaît personnellement aussi bien
-que j'ai, moi, l'honneur de le connaître. La première altération
-est contenue dans cette phrase: «Cette lettre est une sanglante
-bouffonnerie contre les méthodes préconisées par Aristote et
-Bacon pour reconnaître la Vérité; l'auteur les ridiculise et les
-méprise également, et il se lance, en proie à une sorte d'extase
-divagante, dans la glorification d'un troisième mode, le noble art de
-_conjecturer.»_ Voici, en réalité, ce que j'ai dit: «Il n'existe pas de
-certitude absolue, pas plus dans la méthode d'Aristote que dans celle
-de Bacon; donc, aucune des deux philosophies n'est si profonde qu'elle
-se l'imagine, et aucune n'a le droit de se moquer de ce procédé _en
-apparence_ imaginatif qu'on appelle Intuition (par lequel procédé le
-grand Kepler a trouvé ses fameuses lois), puisque l'Intuition n'est, en
-somme, que la conviction naissant d'inductions ou de déductions dont
-la marche a été assez mystérieuse pour échapper à notre conscience, se
-soustraire à notre raison, ou défier notre puissance d'expression.»
-
-«La seconde altération est formulée en ces termes: «Le développement
-de l'électricité et la formation des étoiles et des soleils, lumineux
-et non lumineux, lunes et planètes, avec leurs anneaux, etc., _est_
-déduit, en presque complète accordance avec la théorie cosmogonique
-de Laplace, du principe proposé précédemment.» Or, l'étudiant en
-théologie veut évidemment ici frapper l'esprit du lecteur de cette
-idée, que ma théorie, si parfaite en soi qu'elle puisse être, ne
-contient rien de plus que celle de Laplace, sauf quelques modifications
-que lui, l'étudiant en théologie, considère comme insignifiantes.
-Je dirai simplement qu'aucun homme d'honneur ne peut m'accuser de
-la mauvaise foi dont on me suppose ici capable; d'autant que, ayant
-d'abord marché, appuyé sur ma seule théorie, jusqu'au point où elle
-se rencontre avec celle de Laplace, _je reproduis alors complètement
-la théorie de Laplace,_ en exprimant ma ferme conviction qu'elle est
-absolument vraie _en tous points._ L'espace embrassé par le grand
-astronome français est à celui embrassé par ma théorie, comme une
-bulle est à l'océan sur lequel elle flotte, et il ne fait pas, lui,
-Laplace, la plus légère allusion au _principe proposé précédemment,_
-c'est-à-dire au principe de l'Unité pris comme source de tous les
-êtres,--le principe de la Gravitation n'étant que la Réaction de l'Acte
-Divin par lequel tous les êtres ont été irradiés de l'Unité. En somme,
-Laplace n'a pas même fait allusion à un seul des points de ma théorie.
-
-«Je ne crois pas nécessaire de parler ici du savoir astronomique
-manifesté par l'étudiant en théologie dans ces seuls mots: «des étoiles
-et des soleils,» ni d'insinuer qu'il eût été plus grammatical de
-dire: «le développement et la formation _sont ..._» au lieu de: «de
-développement et fa formation _est_...»
-
-«La troisième falsification se trouve dans une note au bas d'une page,
-où le critique dit: «Bien mieux encore, M. Poe prétend qu'il peut
-rendre compte de l'existence de tous les êtres organisés, y compris
-l'homme, simplement par les mêmes principes qui servent à expliquer
-l'origine et l'apparence actuelle des soleils et des mondes; mais cette
-prétention doit être rejetée comme une pure et plate assertion, sans
-une parcelle d'évidence. C'est, en d'autres termes, ce que nous pouvons
-appeler _une franche blague._» Ici la falsification gît dans une
-fausse application volontaire du mot _principe._ Je dis: volontaire,
-parce que, à la page 67, j'ai pris un soin particulier d'établir
-une distinction entre les principes proprement dits, Attraction et
-Répulsion, et ces sous-principes, purs résultats des premiers, qui
-régissent l'univers dans le détail. C'est à ces sous-principes,
-agissant sous l'influence spirituelle immédiate de la Divinité, que
-j'attribue, sans examen, _tout ce_ dont, selon la très-leste assertion
-de l'étudiant en théologie, j'expliquerais l'existence par les
-principes qui expliquent la constitution des soleils, etc.
-
-«Dans la troisième colonne de son article, le critique dit: «Il
-affirme que chaque âme est son propre Dieu, son propre Créateur.» Ce
-que j'affirme, c'est que chaque âme est, _partiellement,_ son propre
-Dieu, son propre Créateur.» Un peu plus loin le critique dit: «Après
-toutes ces propositions contradictoires relatives à Dieu, nous lui
-rappellerions volontiers ce qu'il a établi lui-même à la page 33:
-«Relativement à cette Divinité, considérée en elle-même, celui-là seul
-n'est pas un imbécile, celui-là seul n'est pas un impie, qui n'affirme
-absolument _rien._» Un homme qui se déclare lui-même, d'une manière si
-décisive, coupable d'imbécillité et d'impiété, n'a pas droit à une plus
-longue réfutation.»
-
-«Or, la phrase, comme je l'ai écrite, et comme je la trouve imprimée
-à cette même page invoquée par le critique, et _qu'il devait avoir_
-sous les yeux, pendant qu'il citait mes paroles, se présente ainsi:
-«Relativement à cette Divinité, considérée _en elle-même,_ celui-là
-seul n'est pas un imbécile, etc., qui n'affirme absolument rien.»
-Par l'emploi des italiques, comme le critique le sait parfaitement,
-j'ai l'intention de distinguer les deux possibilités,--celle d'une
-connaissance de Dieu par ses ouvrages et celle d'une connaissance
-de Dieu dans _sa nature essentielle._ La Divinité, _en elle-même,_
-est distinguée de la Divinité observée _dans ses effets._ Mais notre
-critique est possédé de zèle. De plus, comme il est théologien, il
-est honnête, candide. Il est de son devoir de pervertir le sens de
-ma phrase, en omettant mes italiques,--juste comme dans la phrase
-citée plus haut il considérait comme étant son devoir de chrétien de
-falsifier mon argument en supprimant le mot: _partiellement,_ dont
-dépend toute la force et même toute l'intelligibilité de ma proposition.
-
-«Si ces _altérations_(est-ce bien le mot dont il faut les nommer?)
-étaient faites dans un but moins sérieux que de flétrir mon livre
-comme _impie,_ et de me flétrir moi-même comme _panthéiste,
-polythéiste, païen,_ ou Dieu sait quoi encore (et, en vérité, je ne
-m'en inquiète guère, pourvu que ce ne soit pas comme _étudiant en
-théologie),_ j'aurais laissé passer cette déloyauté sans réclamations,
-par pur mépris pour la puérilité et la janoterie qui la caractérisent;
-mais, dans le cas actuel, vous me pardonnerez, M. l'éditeur, d'avoir,
-contraint comme je l'étais, fait justice d'un critique qui, retranché
-dans sa courageuse _anonymosité,_ profite de mon absence de cette ville
-pour me calomnier et me vilipender _nominativement._
-
-«Edgar A. POE.
-
-«Fordham, _20_ septembre 1848.»
-
-
-_A ceux-là, si rares, qui m'aiment et que j'aime;_--_à ceux qui sentent
-plutôt qu'à ceux qui pensent;--aux rêveurs et à ceux qui ont mis leur
-foi dans les rêves comme dans les seules réalités,--j'offre ce Livre
-de Vérités, non pas spécialement pour son caractère Véridique, mais
-à cause de la Beauté qui abonde dans sa Vérité, et qui confirme_
-son _caractère véridique. A ceux-là je présente cette composition
-simplement comme un objet d'Art,--disons comme un Roman, ou, si ma
-prétention n'est pas jugée trop haute, comme un Poëme._
-
-Ce que j'avance ici est vrai;--_donc cela ne peut pas mourir;--ou, si
-par quelque accident cela se trouve, aujourd'hui, écrasé au point d'en
-mourir, cela_ ressuscitera dans la Vie Éternelle.
-
-_Néanmoins c'est simplement comme Poëme que je désire que cet ouvrage
-soit jugé, alors que je ne serai plus._
-
-_E. P._
-
-
-
-
-EUREKA
-
-ou
-
-ESSAI SUR L'UNIVERS
-
-MATÉRIEL ET SPIRITUEL
-
-
-
-I
-
-
-C'est avec une humilité non affectée,--c'est même avec un sentiment
-d'effroi,--que j'écris la phrase d'ouverture de cet ouvrage; car de
-tous les sujets imaginables, celui que j'offre au lecteur est le plus
-solennel, le plus vaste, le plus difficile, le plus auguste.
-
-Quels termes saurai-je trouver, suffisamment simples dans leur
-sublimité,--suffisamment sublimes dans leur simplicité,--pour la simple
-énonciation de mon thème?
-
-Je me suis imposé la tâche de parler de _l'Univers Physique,
-Métaphysique et Mathématique,--Matériel et Spirituel:--de son
-Essence, de son Origine, de sa Création, de sa Condition présente et
-de sa Destinée._ Je serai, de plus, assez hardi pour contredire les
-conclusions et conséquemment pour mettre en doute la sagacité des
-hommes les plus grands et les plus justement respectés.
-
-Qu'il me soit permis, en commençant, d'annoncer, non pas le théorème
-que j'espère démontrer (car, quoi que puissent affirmer les
-mathématiciens, la _chose_ qu'on appelle _démonstration_ n'existe pas,
-en ce monde du moins), mais l'idée dominante que, dans le cours de cet
-ouvrage, je m'efforcerai sans cesse de suggérer.
-
-Donc, ma proposition générale est celle-ci: _Dans l'Unité Originelle
-de l'Être Premier est contenue la Cause Secondaire de Tous les Êtres,
-ainsi que le Game de leur inévitable Destruction._
-
-Pour élucider cette idée, je me propose d'embrasser l'Univers dans un
-seul coup d'œil, de telle sorte que l'esprit puisse en recevoir et en
-percevoir une impression condensée, comme d'un simple individu.
-
-Celui qui du sommet de l'Etna promène à loisir ses yeux autour de lui,
-est principalement affecté par _l'étendue_ et par la _diversité_ du
-tableau. Ce ne serait qu'en pirouettant rapidement sur son talon qu'il
-pourrait se flatter de saisir le panorama dans sa sublime _unité._
-Mais comme, sur le sommet de l'Etna, aucun homme ne s'est avisé de
-pirouetter sur son talon, aucun homme non plus n'a jamais absorbé dans
-son cerveau la parfaite unité de cette perspective, et conséquemment
-toutes les considérations qui peuvent être impliquées dans cette unité
-n'ont pas d'existence positive pour l'humanité.
-
-Je ne connais pas un seul traité qui nous donne cette levée du plan de
-l'_Univers_ (je me sers de ce terme dans son acception la plus large
-et la seule légitime); et c'est ici l'occasion de remarquer que par
-le mot _Univers,_ toutes les fois qu'il sera employé dans cet essai
-sans qualificatif, j'entends désigner _la quantité d'espace la plus
-vaste que l'esprit puisse concevoir, avec tous les êtres, spirituels et
-matériels, qu'il peut imagina existant dans les limites de cet espace._
-Pour désigner ce qui est _ordinairement_ impliqué dans l'expression
-_univers,_ je me servirai d'une phrase qui en limite le sens:
-l'_Univers astral._ On verra par la suite pourquoi je considère cette
-distinction comme nécessaire.
-
-Mais, même parmi les traités qui ont pour objet l'Univers des étoiles,
-réellement limité, bien qu'il soit toujours considéré comme illimité,
-je n'en connais pas un seul dans lequel un aperçu s'offre de telle
-façon que les déductions en soient garanties par l'_individualité_
-même de cet Univers limité. La tentative qui se rapproche le plus d'un
-pareil ouvrage a été faite dans le _Cosmos_ d'Alexander von Humboldt.
-Il présente le sujet, toutefois, non dans son individualité, mais
-dans sa généralité. Son thème, en résultat final, c'est la loi de
-_chaque_ partie de l'Univers purement physique, selon que cette loi
-est apparentée avec les lois de _toute autre_ partie de cet Univers
-purement physique. Son dessein est simplement synérétique. En un mot,
-il analyse l'universalité des rapports matériels, et dévoile aux yeux
-de la Philosophie toutes les conséquences qui étaient restées, jusqu'à
-présent, cachées derrière cette universalité. Mais quelque admirable
-que soit la brièveté avec laquelle il a traité chaque point particulier
-de son sujet, la multiplicité de ces points suffit pour créer une masse
-de détails et, nécessairement, une complication d'idées qui exclut
-toute impression d'_individualité._
-
-Il me semble que, pour obtenir l'effet en question, ainsi que les
-conséquences, les conclusions, les suggestions, les spéculations,
-ou, pour mettre les choses au pire, les simples conjectures qui en
-peuvent résulter, nous aurions besoin d'opérer une espèce de pirouette
-mentale sur le talon. Il faut que tous les êtres exécutent autour du
-point de vue central une révolution assez rapide pour que les détails
-s'évanouissent absolument et que les objets même plus importants se
-fondent en un seul. Parmi les détails annihilés dans une contemplation
-de cette nature doivent se trouver toutes les matières exclusivement
-terrestres. La Terre ne pourrait être considérée que dans ses rapports
-planétaires. De ce point de vue, un homme devient l'humanité; et
-l'humanité, un membre de la famille cosmique des Intelligences.
-
-
-
-II
-
-
-Et maintenant, avant d'entrer positivement dans notre sujet, qu'il me
-soit permis d'appeler l'attention du lecteur sur un ou deux extraits
-d'une lettre passablement curieuse, qu'on dit avoir été trouvée
-dans une bouteille bouchée, pendant qu'elle flottait sur le _Mare
-Tenebrarum,--_océan fort bien décrit par Ptolémée Héphestion, le
-géographe nubien, mais bien peu fréquenté dans les temps modernes,
-si ce n'est par les transcendantalistes et autres chercheurs d'idées
-creuses.
-
-La date de cette lettre me cause, je l'avoue, encore plus de surprise
-que son contenu; car elle semble avoir été écrite en l'an _deux_ mil
-huit cent quarante-huit. Quant aux passages que je vais transcrire, je
-présume qu'ils parleront suffisamment par eux-mêmes:
-
-«Savez-vous, mon cher ami,» dit l'écrivain, s'adressant évidemment à
-un de ses contemporains, «savez-vous qu'il n'y a guère plus de huit ou
-neuf cents ans que les métaphysiciens ont consenti pour la première
-fois à délivrer le peuple de cette étrange idée: _qu'il n'existait que
-deux routes praticables conduisant à la Vérité?_ Croyez cela, si vous
-le pouvez! Il paraît cependant que dans un temps ancien, très-ancien,
-au fond de la nuit du temps, vivait un philosophe turc nommé Aries
-et surnommé Tottle.» (Peut-être bien l'auteur de la lettre veut-il
-dire Aristote, les meilleurs noms, au bout de deux ou trois mille
-ans, sont déplorablement altérés.) «La réputation de ce grand homme
-reposait principalement sur l'autorité avec laquelle il démontrait que
-l'éternument était une prévoyance de la nature, au moyen de laquelle
-les penseurs trop profonds pouvaient chasser par le nez le superflu
-de leurs idées; mais il obtint une célébrité presque aussi grande
-comme fondateur, ou tout au moins comme principal vulgarisateur de
-ce qu'on nommait philosophie déductive ou à _priori._ Il partait
-de ce qu'il affirmait être des axiomes, ou vérités évidentes par
-elles-mêmes;--et ce fait, maintenant bien constaté qu'il n'y a pas
-de vérités évidentes _par elles-mêmes_ n'infirme en aucune façon ses
-spéculations; il suffisait pour son dessein que les vérités en question
-fussent, en quelque façon, évidentes. De ces axiomes il descendait,
-logiquement, aux conséquences. Ses plus célèbres disciples furent un
-certain Tuclide, géomètre» (il veut dire Euclide), «et un nommé Kant,
-un Allemand, inventeur de cette espèce de transcendantalisme qui
-aujourd'hui porte encore son nom, sauf la substitution du C au K[1].
-
-«Or, Aries Tottle prospéra sans rival jusqu'à l'apparition d'un
-certain Hog[2], surnommé _le berger d'Ettrich,_ qui prêcha un
-système entièrement différent, qu'il appelait méthode inductive ou
-_à posteriori._ Son plan se rapportait entièrement à la sensation.
-Il procédait par l'observation, analysant et classant des faits
-(_instantiæ Naturæ,_ comme on les désignait assez pédantesquement),
-et les transformant en lois générales. En un mot, pendant que la
-méthode d'Aries reposait sur les _noumena,_ celle de Hog dépendait
-des _phainomena;_ et l'admiration excitée par ce dernier système
-fut si grande que, dès sa première apparition, Aries tomba dans un
-discrédit général. A la fin cependant, il reconquit du terrain, et
-il lui fut permis de partager l'empire de la philosophie avec son
-moderne rival;--les savants se contentant de proscrire tous autres
-compétiteurs, passés, présents et à venir, et mettant fin à toute
-controverse sur ce sujet par la promulgation d'une loi médique, en
-vertu de laquelle les routes Aristotélienne et Baconienne étaient, et
-de plein droit devaient être les seules voies possibles pour atteindre
-la connaissance.--Baconnienne, il faut que vous sachiez cela, mon cher
-ami,--ajoute ici l'auteur de la lettre,--était un adjectif inventé
-comme équivalent à Hoguienne, et considéré en même temps comme plus
-noble et plus euphonique.
-
-«Maintenant, je vous affirme très-positivement,--continue
-l'épître,--que je vous expose les choses d'une manière véridique;
-et vous pouvez comprendre sans peine combien des restrictions aussi
-impudemment absurdes ont dû nuire, dans ces époques, au progrès de
-la véritable Science, laquelle ne fait ses plus importantes étapes
-que par bonds, et ne procède, comme nous le montre toute l'Histoire,
-que par une apparente intuition. Les idées anciennes condamnaient
-l'investigateur à se traîner; et je n'ai pas besoin de vous faire
-observer que ce genre de marche, parmi les modes variés de locomotion,
-est certainement en lui-même très-estimable; mais parce que la tortue
-a le pied sûr, est-ce une raison pour couper les ailes de l'aigle?
-Pendant plusieurs siècles, l'engouement fut si grand, particulièrement
-pour Hog, qu'un empêchement invincible s'opposa à tout ce qui peut
-proprement s'appeler la pensée. Aucun homme n'osait proférer une
-vérité, s'il sentait qu'il ne la devait qu'à la seule puissance de
-son âme. Il importait fort peu que la vérité fût philosophiquement
-vraie; car les philosophes dogmatiseurs de cette époque s'inquiétaient
-seulement de _la route_ avouée qui avait été suivie pour y atteindre.
-Le résultat, pour eux, était un point sans aucun intérêt. «Les
-moyens!--vociféraient-ils,--voyons les moyens!»--et si, par l'examen
-desdits moyens, on découvrait qu'ils ne rentraient ni dans la
-catégorie Hog, ni dans la catégorie Aries (qui veut dire bélier), oh!
-alors les savants ne voulaient pas aller plus loin, mais, traitant le
-penseur de fou et le stigmatisant du nom de théoricien, refusaient à
-tout jamais d'avoir affaire avec lui ou avec sa vérité.
-
-«Or, mon cher ami,--continue l'auteur de la lettre,--il est
-inadmissible que par la méthode rampante, exclusivement pratiquée,
-les hommes eussent pu atteindre au maximum de vérité, même après une
-série indéfinie de temps; car la répression de l'imagination était un
-vice que n'aurait même pas compensé l'_absolue_ certitude de cette
-marche de colimaçon. Mais cette certitude était bien loin d'être
-absolue. L'erreur de nos ancêtres était tout à fait analogue à celle du
-faux sage qui croit qu'il verra un objet d'autant plus distinctement
-qu'il le tiendra plus près de ses yeux. Ainsi ils s'aveuglaient
-eux-mêmes avec l'impalpable et titillante poudre du _détail,_ comme
-avec du tabac à priser; et conséquemment les _faits_ si vantés de ces
-braves Hoguiens n'étaient pas toujours des faits; point qui ne tire
-son importance que de cette supposition, qui les faisait _toujours_
-accepter comme tels. Quoi qu'il en soit, l'infection principale du
-Baconianisme, sa plus déplorable source d'erreurs, consistait dans
-cette tendance à jeter le pouvoir et la considération entre les mains
-des hommes de pure perception,--animalcules de la science, savants
-microscopiques,--fouilleurs et colporteurs de petits _faits,_ tirés
-pour la plupart des sciences physiques, faits qu'ils vendaient tous en
-détail et au même prix sur la voie publique; leur valeur dépendant,
-à ce qu'il paraît, _de ce simple fait que c'étaient des faits,_ et
-nullement de leur parenté ou de leur non-parenté avec le développement
-de ces faits primitifs, les seuls légitimes, qui s'appellent la Loi.
-«Il n'exista jamais sur la face de la terre,--continue l'audacieuse
-lettre,--une plus intolérante, une plus intolérable classe de
-fanatiques et de tyrans que ces individus, élevés soudainement
-par la philosophie de Hog à un rang pour lequel ils n'étaient pas
-faits, transportés ainsi de la cuisine dans le salon de la Science,
-et de l'office dans la chaire. Leur credo, leur texte, leur sermon
-consistaient en un seul mot: _les faits!_ Mais la plupart d'entre eux,
-de ce mot unique ne connaissaient même pas le sens. Quant à ceux qui
-s'avisaient de _déranger_ leurs faits dans le but de les mettre en
-ordre et d'en tirer utilité, les disciples de Hog les traitaient sans
-merci. Tous les essais de généralisation étaient accueillis par les
-mots: «Théorique! Théorie! Théoricien!» Toute pensée, en un mot, était
-ressentie par eux comme un outrage personnel. Cultivant les sciences
-naturelles, à l'exclusion de la métaphysique, des mathématiques et de
-la logique, beaucoup de ces philosophes, d'engeance baconienne, avec
-leur idée unique, leur parti pris unique et leur marche de boiteux,
-étaient plus misérablement impuissants, plus tristement ignorants, en
-face de tous les objets compréhensibles de connaissance, que le plus
-illettré des rustres qui, en avouant qu'il ne sait absolument rien,
-prouve qu'il sait au moins quelque chose.
-
-«Nos ancêtres n'avaient pas plus qualité pour parler de _certitude,_
-quand ils suivaient, avec une confiance aveugle, la route _à priori_
-des axiomes, celle du Bélier. En des points innombrables, cette route
-n'était guère plus droite qu'une corne de bélier. La vérité pure est
-que les Aristotéliens élevaient leurs châteaux sur une base aussi peu
-solide que l'air; _car ces choses qu'on appelle axiomes n'ont jamais
-existé et ne peuvent pas exister._ Il faut qu'ils aient été bien
-aveugles pour ne pas voir cela, ou du moins pour ne pas le soupçonner;
-car, même de leur temps, plusieurs de leurs axiomes de vieille date
-avaient été abandonnés: _Ex nihilo nihil fit,_ par exemple, et: _Un
-être ne peut pas agir là où il n'est pas,_ et: _Il ne peut pas exister
-d'antipodes,_ et: _Les ténèbres ne peuvent pas venir de la lumière._
-Ces propositions et autres semblables, primitivement acceptées comme
-axiomes, ou vérités incontestables, étaient, même à l'époque dont je
-parle, considérées comme absolument insoutenables; combien ces gens
-étaient donc absurdes de vouloir toujours s'appuyer sur une base, dite
-immuable, dont l'instabilité s'était si fréquemment manifestée!
-
-«Mais, même par le témoignage qu'ils apportent contre eux-mêmes, il est
-aisé de convaincre ces raisonneurs _à priori_ de l'énorme déraison,--il
-est aisé de leur montrer la futilité, l'impalpabilité générale de leurs
-axiomes. J'ai maintenant sous les yeux», observez que c'est toujours la
-lettre qui parle, «j'ai maintenant sous les yeux un livre imprimé il y
-a environ mille ans. Pundit m'assure que c'est positivement le meilleur
-des ouvrages anciens traitant de la matière, qui est la Logique.
-L'auteur, qui fut très-estimé dans son temps, était un certain Miller
-ou Mill; et l'histoire nous apprend, comme chose digne de mémoire,
-qu'il montait habituellement un cheval de manège auquel il donnait le
-nom de Jérémie Bentham;--mais jetons un coup d'œil sur le livre.
-
-«Ah! voilà: _La faculté de comprendre ou l'impossibilité de
-comprendre,_ dit fort judicieusement M. Mill, _ne peut, dans aucun cas,
-être considérée comme un critérium de Vérité axiomatique._ Or, que
-ceci soit une vérité banale, aucun homme, jouissant de son bon sens,
-ne sera tenté de le nier. Ne pas admettre la proposition équivaudrait
-à porter une accusation d'inconstance contre la Vérité elle-même, dont
-le nom seul est synonyme d'immutabilité. Si l'aptitude à comprendre
-était prise pour critérium de la Vérité, ce qui est vérité pour
-_David_ Hume serait très-rarement vérité pour _Joe;_ et sur la terre
-il serait facile de démontrer la fausseté des quatre-vingt-dix-neuf
-centièmes de ce qui est certitude dans le ciel. La proposition de M.
-Mill est donc appuyée. Je n'accorde pas que ce soit un axiome, et
-cela simplement parce que je suis en train de montrer qu'il n'existe
-pas d'axiomes; mais, usant d'une distinction subtile qui ne pourrait
-pas être contestée par M. Mill lui-même, je suis prêt à reconnaître
-que, si jamais axiome exista, la proposition que je cite a tous les
-droits d'être considérée comme telle,--qu'il n'y a pas d'axiome _plus
-absolu,_--et, conséquemment, que toute proposition ultérieure qui
-entrera en conflit avec celle-là, primitivement émise, doit être
-une fausseté, c'est-à-dire le contraire d'un axiome, ou, s'il faut
-l'admettre comme axiomatique, devra du même coup s'annihiler elle-même
-et détruire sa devancière.
-
-«Et maintenant, par la logique même de l'auteur de la proposition,
-cherchons à vérifier n'importe quel axiome proposé. Faisons beau jeu à
-M. Mill. Nous dédaignons un résultat trop facile et trop vulgaire. Nous
-ne choisirons pas pour notre vérification un axiome banal, un axiome de
-cette classe qu'il définit, avec une autorité et un sans-gêne absurdes,
-classe secondaire d'axiomes, comme si une vérité définie positive
-pouvait être diminuée et devenir, à volonté, plus ou moins positive;
-nous ne choisirons pas, dis-je, un axiome d'une certitude passablement
-contestable, comme on en peut trouver dans Euclide. Nous ne parlerons
-pas, par exemple, de propositions comme celle-ci: Deux lignes droites
-ne peuvent pas limiter un espace,--ou celle-ci: Le tout est plus grand
-qu'une de ses parties quelconques. Nous donnerons à notre logicien tous
-les avantages. Nous irons tout droit à une proposition qu'il regarde
-comme l'apogée de la certitude, comme la quintessence de l'irrécusable
-axiomatique. La voici: «Deux contradictoires ne peuvent être vraies à
-la fois, c'est-à-dire ne peuvent coexister dans la nature.»--M. Mill
-veut dire ici, pour prendre un exemple,--et je choisis l'exemple le
-plus vigoureux et le plus intelligible,--qu'un arbre doit être un arbre
-ou ne pas l'être; qu'il ne peut pas, en même temps, être un arbre et
-ne pas l'être;--cela est parfaitement raisonnable en soi et remplit
-fort bien les conditions d'un axiome, tant que nous ne le confronterons
-pas avec l'axiome proclamé antérieurement; en d'autres termes, termes
-dont nous nous sommes déjà servis, tant que nous ne le vérifierons
-pas par la logique même de l'auteur de la proposition. Il faut qu'un
-arbre, affirme M. Mill, soit ou ne soit pas un arbre. Fort bien; et
-maintenant qu'il me soit permis de lui demander _pourquoi._ A cette
-petite question il n'a qu'une réponse à faire; je défie tout homme
-vivant d'en inventer une autre. Cette seule réponse possible, c'est:
-Parce que nous sentons qu'il est _impossible de comprendre_ qu'un arbre
-puisse être autre chose qu'un arbre ou un non-arbre. Voilà donc, je le
-répète, la seule réponse de M. Mill; il ne prétendra pas en inventer
-une autre; et cependant, d'après sa propre démonstration, sa réponse
-évidemment n'est pas une réponse; car ne nous a-t-il pas déjà sommés
-d'admettre, comme un axiome, que _la possibilité ou l'impossibilité
-de comprendre ne doit, en aucun cas, être considérée comme critérium
-de vérité axiomatique?_ Ainsi son argumentation tout entière fait
-naufrage. Qu'on ne prétende pas qu'une exception à la règle générale
-puisse avoir lieu dans des cas où _l'impossibilité de comprendre_ est
-aussi manifeste qu'en celui-ci, où nous sommes invités à concevoir un
-arbre qui soit et ne soit pas un arbre. Qu'on n'essaye pas, dis-je,
-d'avancer une pareille stupidité; car, d'abord, il n'y a pas de degrés
-dans l'impossibilité, et une conception impossible ne peut pas être
-plus particulièrement impossible que toute autre conception impossible;
-ensuite, M. Mill lui-même, sans doute après mûre délibération, a,
-très-distinctement et très-rationnellement, exclu toute opportunité
-d'exception par l'énergie de sa proposition, à savoir que, _dans aucun
-cas,_ la possibilité ou l'impossibilité de comprendre ne doit être
-prise comme critérium de vérité axiomatique; troisièmement, même en
-supposant quelques exceptions admissibles, il resterait à montrer
-comment ce peut être _ici_ le cas d'en admettre une. Qu'un arbre puisse
-être et n'être pas un arbre, c'est là une idée que les anges ou les
-démons pourraient peut-être concevoir; mais sur la terre il n'y a que
-les habitants de Bedlam ou les transcendantalistes qui réussissent à la
-comprendre.
-
-«Or, si je cherche querelle à ces anciens,--continue l'auteur de
-la lettre,--ce n'est pas tant à cause de l'inconsistance et de la
-frivolité de leur logique, qui, pour parler net, était sans fondement,
-sans valeur et absolument fantastique, qu'à cause de cette tyrannique
-et orgueilleuse interdiction de toutes les routes qui peuvent conduire
-à la Vérité, toutes, excepté les deux étroites et tortues, celle où
-il faut se traîner et celle où il faut ramper, dans lesquelles leur
-ignorante perversité avait osé confiner l'Ame,--l'Ame qui n'aime rien
-tant que planer dans ces régions de l'illimitable intuition où ce qu'on
-appelle une _route_ est chose absolument, inconnue.
-
-«Par parenthèse, mon cher ami, ne voyez-vous pas une preuve de la
-servitude spirituelle imposée à ces pauvres fanatiques par leurs Hogs
-et leurs Rams[3], dans ce fait qu'aucun d'eux n'a jamais,--en dépit de
-l'éternel radotage de leurs savants sur les routes qui conduisent à la
-Vérité,--découvert, même par accident, ce qui nous apparaît maintenant
-comme la plus large, la plus droite et la plus commode de toutes
-les _routes,_ la grande avenue, la majestueuse route royale de la
-_Consistance?_ N'est-il pas surprenant qu'ils n'aient pas su tirer des
-ouvrages de Dieu cette considération d'une importance vitale, qu'une
-_parfaite consistance ne peut être qu'une vérité absolue?_ Combien,
-depuis l'avènement de cette proposition, notre progrès fut facile,
-combien il fut rapide! Grâce à elle, la fonction de la recherche a été
-arrachée à ces taupes, et confiée, comme un devoir plutôt que comme une
-tâche, aux vrais, aux seuls vrais penseurs, aux hommes d'une éducation
-générale et d'une imagination ardente. Ces derniers, nos Kepler et
-nos Laplace, s'adonnent à la spéculation et à fa théorie; c'est le
-mot; vous imaginez-vous avec quelle risée ce mot serait accueilli
-par nos ancêtres s'ils pouvaient, par-dessus mon épaule, regarder ce
-que j'écris? Les Kepler, je le répète, pensent spéculativement et
-théoriquement; et leurs théories sont simplement corrigées, tamisées,
-clarifiées, débarrassées peu à peu de toutes les pailles et matières
-étrangères qui nuisent à leur cohésion, jusqu'à ce qu'enfin apparaisse,
-dans sa solidité et sa pureté, la parfaite _consistance,_ consistance
-que les plus stupides sont forcés d'admettre, parce qu'elle est la
-consistance, c'est-à-dire une absolue et incontestable _vérité._
-
-«J'ai souvent pensé, mon ami, que c'eût été chose bien embarrassante
-pour ces dogmatiseurs des siècles passés de déterminer par laquelle
-de leurs deux fameuses routes le cryptographe arrive à la solution
-des chiffres les plus compliqués, ou par laquelle Champollion a
-conduit l'humanité vers ces importantes et innombrables vérités qui
-sont restées enfouies pendant tant de siècles dans les hiéroglyphes
-phonétiques de l'Égypte. Ces fanatiques n'auraient-ils pas eu surtout
-quelque peine à déterminer par laquelle de leurs deux routes avait
-été atteinte la plus importante et la plus sublime de toutes leurs
-vérités, c'est-à-dire le fait de la gravitation? Cette vérité, Newton
-l'avait tirée des lois de Kepler. Ces lois dont l'étude découvrit au
-plus grand des astronomes anglais ce principe qui est la base de tout
-principe physique actuellement existant, et au delà duquel nous entrons
-tout de suite dans le royaume ténébreux de la métaphysique, Kepler
-reconnaissait qu'il les avait _devinées._ Oui! ces lois vitales, Kepler
-les a _devinées;_ disons même qu'il les a _imaginées._ S'il avait été
-prié d'indiquer par quelle voie, d'induction ou de déduction, il était
-parvenu à cette découverte, il aurait pu répondre: «Je ne sais rien de
-vos routes, mais je connais la machine de l'Univers. Telle elle est. Je
-m'en suis emparé avec _mon âme;_ je l'ai obtenue par la simple force
-de _l'intuition._ Hélas! pauvre vieil ignorant! Quelque métaphysicien
-lui aurait peut-être répondu que ce qu'il appelait intuition n'était
-que la certitude résultant de déductions ou d'inductions dont le
-développement avait été assez obscur pour échapper à sa conscience,
-pour se soustraire aux yeux de sa raison ou pour défier sa puissance
-d'expression. Quel malheur que quelque professeur de philosophie ne
-l'ait pas éclairé sur toutes ces choses! Comme cela l'eût réconforté
-sur son lit de mort, d'apprendre que, loin d'avoir marché intuitivement
-et scandaleusement, il avait, en réalité, cheminé suivant la méthode
-honnête et légitime, c'est-à-dire à la manière du Hog, ou au moins
-à la manière du Ram, vers le mystérieux palais où gisent, confinés,
-étincelants dans l'ombre, non gardés, purs encore de tout regard
-mortel, vierges de tout attouchement humain, les impérissables et
-inappréciables secrets de l'Univers!
-
-«Oui, Kepler était essentiellement théoricien; mais ce titre,
-qui comporte aujourd'hui quelque chose de sacré, était dans ces
-temps anciens une épithète d'un suprême mépris. C'est aujourd'hui
-seulement que les hommes commencent à apprécier le vieux homme divin,
-à sympathiser avec l'inspiration poétique et prophétique de ses
-indestructibles paroles. Pour ma part,--continue le correspondant
-inconnu,--il me suffit d'y penser pour que je brûle d'un feu sacré,
-et je sens que je ne serai jamais fatigué de les entendre répéter;
-en terminant cette lettre, permettez-moi de jouir du plaisir de les
-transcrire une fois encore:
-
-«_Il m'importe peu que mon ouvrage soit lu maintenant ou par la
-postérité. Je puis bien attendre un siècle pour trouver quelques
-lecteurs, puisque Dieu lui-même a attendu un observateur six mille
-ans. Je triomphe! J'ai volé le secret d'or des Égyptiens! Je veux
-m'abandonner à mon ivresse sacrée!_»
-
-Je termine ici mes citations de cette épître si étrange et même
-passablement impertinente; peut-être y aurait-il folie à commenter
-d'une façon quelconque les imaginations chimériques, pour ne pas dire
-révolutionnaires, de son auteur, quel qu'il puisse être,--imaginations
-qui contredisent si radicalement les opinions les plus considérées
-et les mieux établies de ce siècle. Retournons donc à notre thèse
-légitime: l'_Univers._
-
-
-[Footnote 1: Cant.]
-
-[Footnote 2: Pourceau.]
-
-[Footnote 3: Aries, Ram, bélier.]
-
-
-
-III
-
-
-Cette thèse admet deux modes de discussion entre lesquels nous avons
-à choisir. Nous pouvons monter ou descendre. Prenant pour point de
-départ notre point de vue, c'est-à-dire la Terre où nous sommes,
-nous pouvons de là nous diriger vers les autres planètes de notre
-système, de là vers le Soleil, de là vers notre système considéré
-collectivement; de là enfin nous pouvons nous élancer vers d'autres
-systèmes, indéfiniment et de plus en plus au large. Ou bien, commençant
-par un point distant, aussi défini que nous le pouvons concevoir,
-nous descendrons graduellement vers l'habitation de l'Homme. Dans les
-essais ordinaires sur l'Astronomie, la première de ces méthodes est,
-sauf quelques réserves, généralement adoptée, et cela pour cette raison
-évidente que les faits et les causes astronomiques étant l'unique but
-de ces recherches, ce but est infiniment plus facile à atteindre en
-s'avançant graduellement du connu, qui est auprès de nous, vers le
-point où toute certitude se perd dans l'éloignement. Toutefois, pour
-mon dessein actuel, qui est de donnera l'esprit le moyen de saisir,
-comme de loin et d'un seul coup d'œil, une conception de l'Univers
-considéré comme _individu,_ il est clair que descendre du grand vers
-le petit, du centre, si nous pouvons établir un centre, vers les
-extrémités, du commencement, si nous pouvons concevoir un commencement,
-vers la fin, serait la marche préférable, si ce n'était la difficulté,
-pour ne pas dire l'impossibilité, de présenter ainsi aux personnes qui
-ne sont pas astronomes un tableau intelligible relativement à tout ce
-qui est impliqué dans l'idée _quantité,_ c'est-à-dire relativement au
-nombre, à la grandeur et à la distance.
-
-Or, la clarté, l'intelligibilité est, à tous égards, un des caractères
-essentiels de mon plan général. Il est des points importants sur
-lesquels il vaut mieux se montrer trop prolixe que même légèrement
-obscur. Mais la qualité abstruse n'est pas une qualité qui, par
-elle-même, appartienne à aucun sujet. Toutes choses sont également
-faciles à comprendre pour celui qui s'en approche à pas convenablement
-gradués. Si le calcul différentiel n'est pas une chose absolument aussi
-simple qu'un sonnet de M. Solomon Seesaw, c'est uniquement parce que
-dans cette route ardue quelque marchepied ou quelque échelon a été, çà
-et là, étourdiment oublié.
-
-Donc, pour détruire toute chance de malentendu, je juge convenable
-de procéder comme si les faits les plus évidents de l'Astronomie
-étaient inconnus au lecteur. En combinant les deux modes de discussion
-que j'ai indiqué; je pourrai profiter des avantages particuliers de
-chacun d'eux, spécialement de la _réitération en détail_ qui sera
-la conséquence inévitable du plan. Je commence par descendre, et je
-réserve pour mon retour ascensionnel ces considérations indispensables
-de _quantité_ dont j'ai déjà fait mention.
-
-Commençons donc tout de suite par le mot le plus simple, l'_Infini._
-Le mot _infini,_ comme les mots _Dieu, esprit_ et quelques autres
-expressions, dont les équivalents existent dans toutes les langues,
-est, non pas l'expression d'une idée, mais l'expression d'un effort
-vers une idée. Il représente une tentative possible vers une conception
-impossible. L'homme avait besoin d'un terme pour marquer la _direction_
-de cet effort, le nuage derrière lequel est situé, à jamais invisible,
-_l'objet de cet effort._ Un mot enfin était nécessaire, au moyen duquel
-un être humain pût se mettre tout d'abord en rapport avec un autre être
-humain et avec une certaine _tendance_ de l'intelligence humaine. De
-cette nécessité est résulté le mot _Infini,_ qui ne représente ainsi
-que _la pensée d'une pensée._
-
-Relativement à cet infini dont nous nous occupons actuellement,
-l'infini de l'espace, nous avons entendu dire souvent que «si
-l'esprit admettait cette idée, acquiesçait à cette idée, la voulait
-concevoir, c'était surtout à cause de la difficulté encore plus grande
-qui s'oppose à la conception d'une limite quelconque.» Mais ceci est
-simplement une de ces _phrases_ par lesquelles les penseurs, même
-profonds, prennent plaisir, depuis un temps immémorial, à se tromper
-eux-mêmes. C'est dans le mot _difficulté_ que se cache l'argutie.
-L'esprit, nous dit-on, accepte l'idée d'un espace _illimité_ à cause de
-la difficulté plus grande qu'il trouve à concevoir celle d'un espace
-limité. Or, si la proposition était posée loyalement, l'absurdité en
-deviendrait immédiatement évidente. Pour parler net, dans le cas en
-question, il n'y a pas simplement _difficulté._ L'assertion proposée,
-si elle était présentée sous des termes conformes à l'intention, et
-sans sophistiquerie, serait exprimée ainsi: «L'esprit admet l'idée d'un
-espace illimité à cause de _l'impossibilité plus grande_ de concevoir
-celle d'un espace limité.»
-
-On voit au premier coup d'œil qu'il n'est pas ici question d'établir
-un parallèle entre deux crédibilités, entre deux arguments, sur la
-validité respective desquels la raison est appelée à décider; il
-s'agit de deux conceptions, directement contradictoires, toutes deux
-d'une impossibilité avouée, dont l'une, nous dit-on, peut cependant
-être acceptée par l'intelligence, en raison de la plus grande
-_impossibilité_ qui empêche d'accepter la seconde. L'alternative n'est
-pas entre deux difficultés; on suppose simplement que nous choisissons
-entre deux impossibilités. Or, la première admet des degrés; mais la
-seconde n'en admet aucun; c'est justement le cas suggéré par l'auteur
-de l'impertinente épître que nous avons citée. Une tâche est plus ou
-moins difficile; mais elle ne peut être que possible ou impossible; il
-n'y a pas de milieu. Il serait peut-être plus _difficile_ de renverser
-la chaîne des Andes qu'une fourmilière; mais il est tout aussi
-_impossible_ d'anéantir la matière de l'une que la matière de l'autre.
-Un homme peut sauter dix pieds moins difficilement que vingt; mais il
-tombe sous le sens que pour lui l'impossibilité de sauter jusqu'à la
-Lune n'est pas moindre que de sauter jusqu'à l'étoile du Chien.
-
-Puisque tout ceci est irréfutable, puisque le choix permis à l'esprit
-ne peut avoir lieu qu'entre deux conceptions impossibles, puisqu'une
-impossibilité ne peut pas être plus grande qu'une autre, et ne peut
-conséquemment lui être préférée, les philosophes qui non-seulement
-affirment, en se basant sur le raisonnement précité, l'idée humaine
-de l'infini, mais aussi, en se basant sur cette idée hypothétique,
-l'Infini lui-même, s'engagent évidemment à prouver qu'une chose
-impossible devient possible quand on peut montrer qu'une autre chose,
-elle aussi, est impossible. Ceci, dira-t-on, est un non-sens; peut-être
-bien; je crois vraiment que c'est un parfait non-sens, mais je n'ai
-nullement la prétention de le réclamer comme étant de mon fait.
-
-Toutefois, la méthode la plus prompte pour montrer la fausseté de
-l'argument philosophique en question est simplement de considérer
-un fait qui jusqu'à présent a été négligé, à savoir que l'argument
-énoncé contient à la fois sa preuve et sa négation. «L'esprit, disent
-les théologiens et autres, est induit à admettre une _cause première_
-par la difficulté plus grande qu'il éprouve à concevoir une série
-infinie de causes.» L'argutie gît, comme précédemment, dans le mot
-_difficulté;_ mais ici à quelle fin est employé ce mot? A soutenir
-l'idée de Cause Première. Et qu'est-ce qu'une Cause Première? C'est
-une limite extrême de toutes les causes. Et qu'est-ce qu'une limite
-extrême de toutes les causes? C'est le Fini. Ainsi, la même argutie,
-dans les deux cas, est employée,--par combien de philosophes, Dieu
-le sait!--pour soutenir tantôt le Fini et tantôt l'Infini; ne
-pourrait-elle pas être utilisée pour soutenir encore quelque autre
-chose? Quant aux arguties, elles sont généralement, de leur nature,
-insoutenables; mais, en les jetant de côté, constatons que ce qu'elles
-prouvent dans un cas est identique à ce qu'elles démontrent dans un
-autre, c'est-à-dire à rien.
-
-Personne, évidemment, ne supposera que je lutte ici pour établir
-l'absolue impossibilité de ce que nous essayons de faire entendre par
-le mot _Infini._ Mon but est seulement de montrer quelle folie c'est de
-vouloir prouver l'Infini, ou même notre conception de l'Infini, par un
-raisonnement aussi maladroit que celui qui est généralement employé.
-
-Néanmoins il m'est permis, en tant qu'individu, de dire que je ne puis
-pas concevoir l'Infini, et que je suis convaincu qu'aucun être humain
-ne le peut davantage. Un esprit, qui n'a pas une entière conscience
-de lui-même, qui n'est pas habitué à faire une analyse intérieure de
-ses propres opérations, pourra, il est vrai, devenir souvent sa propre
-dupe et croire qu'il a conçu l'idée dont je parle. Dans nos efforts
-pour la concevoir, nous procédons pas à pas; nous imaginons toujours
-un degré derrière un degré; et aussi longtemps que nous continuons
-l'effort, on peut dire avec raison que nous tendons vers la conception
-de l'idée en vue; mais la force de l'impression que nous parvenons, ou
-que nous sommes parvenus à créer, est en raison de la période de temps
-durant lequel nous maintenons cet effort intellectuel. Or, c'est par
-le fait de l'interruption de l'effort,--c'est en parachevant (nous le
-croyons du moins) l'idée postulée,--c'est en donnant, comme nous nous
-le figurons, la touche finale à la conception,--que nous anéantissons
-d'un seul coup toute cette fabrique de notre imagination;--bref, il
-faut que nous nous reposions sur quelque point suprême et conséquemment
-défini. Toutefois, si nous n'apercevons pas ce fait, c'est en raison
-de l'absolue coïncidence entre cette pause définitive et la cessation
-de notre pensée. En essayant, d'autre part, de former en nous l'idée
-d'un espace limité, nous inversons simplement le procédé, impliquant
-toujours la même impossibilité.
-
-Nous _croyons_ à un Dieu. Nous pouvons ou nous ne pouvons pas _croire_
-à un espace fini ou infini; mais notre croyance, en de pareils cas,
-est plus proprement appelée _foi,_ et elle est une chose tout à
-fait distincte de cette croyance particulière, de cette croyance
-_intellectuelle,_ qui présuppose une conception mentale.
-
-Le fait est que, sur la simple énonciation d'un de ces termes à la
-classe desquels appartient le mot _Infini,_ classe qui représente des
-_pensées de pensées,_ celui qui a le droit de se dire un peu penseur se
-sent appelé, non pas à former une conception, mais simplement à diriger
-sa vision mentale vers un point donné du firmament intellectuel,
-vers une nébuleuse qui ne sera jamais résolue. Il ne fait, pour la
-résoudre, aucun effort; car avec un instinct rapide il comprend, non
-pas seulement l'impossibilité, mais, en ce qui concerne l'intérêt
-humain, le caractère essentiellement étranger de cette solution. Il
-comprend que la Divinité n'a pas marqué ce mystère pour être résolu.
-Il voit tout de suite que cette solution est située _hors_ du cerveau
-de l'homme, et même _comment,_ si ce n'est exactement _pourquoi,_
-elle gît hors de lui. Il y a des gens, je le sais, qui, s'employant
-en vains efforts pour atteindre l'impossible, acquièrent aisément,
-grâce à leur seul jargon, une sorte de réputation de profondeur parmi
-leurs complices les pseudo-penseurs, pour qui obscurité et profondeur
-sont synonymes. Mais la plus belle qualité de la pensée est d'avoir
-conscience d'elle-même, et l'on peut dire, sans faire une métaphore
-paradoxale, qu'il n'y a pas de brouillard d'esprit plus épais que celui
-qui, s'étendant jusqu'aux limites du domaine intellectuel, dérobe ces
-frontières elles-mêmes à la vue de l'intelligence.
-
-Maintenant on comprendra que, quand je me sers de ce terme, l'_Infini
-de l'Espace,_ je ne veux pas contraindre le lecteur à former la
-conception impossible d'un infini _absolu._ Je prétends simplement
-faire entendre _la plus grande étendue concevable_ d'espace,--domaine
-ténébreux et élastique, tantôt se rétrécissant, tantôt s'agrandissant,
-selon la force irrégulière de l'imagination.
-
-Jusqu'à présent, l'Univers sidéral a été considéré comme coïncidant
-avec l'Univers proprement dit, tel que je l'ai défini au commencement
-de ce discours. On a toujours, directement ou indirectement, admis,--au
-moins depuis la première aube de l'Astronomie intelligible,--que,
-s'il nous était possible d'atteindre un point donné quelconque de
-l'espace, nous trouverions toujours, de tous côtés, autour de nous,
-une interminable succession d'étoiles. C'était l'idée insoutenable
-de Pascal, quand il faisait l'effort, le plus heureux peut-être qui
-ait jamais été fait, pour périphraser la conception que nous essayons
-d'exprimer par le mot _Univers._ «C'est une sphère, dit-il, dont le
-centre est partout, et la circonférence nulle part.» Mais, bien que
-cette intention de définition ne définisse pas du tout, en fait,
-l'Univers sidéral, nous pouvons l'accepter, avec quelque réserve
-mentale, comme une définition (suffisamment rigoureuse pour l'utilité
-pratique) de l'Univers proprement dit, c'est-à-dire de l'Univers
-considéré comme espace. Ce dernier, prenons-le donc pour _une sphère
-dont le centre est partout, et la circonférence nulle part._ Dans le
-fait, s'il nous est impossible de nous figurer une fin de l'espace,
-nous n'éprouvons aucune difficulté à imaginer un commencement
-quelconque parmi une série infinie de commencements.
-
-
-
-IV
-
-
-Comme point de départ, adoptons donc la _Divinité._ Relativement à
-cette Divinité, considérée en _elle-même,_ celui-là seul n'est pas un
-imbécile, celui-là seul n'est pas un impie, qui n'affirme absolument
-rien. «Nous ne connaissons rien, dit le baron de Bielfeld, nous ne
-connaissons rien de la nature ou de l'essence de Dieu;--pour savoir ce
-qu'il est, il faut être Dieu même.»
-
-_Il faut être Dieu même!_ Malgré cette phrase effrayante, vibrant
-encore dans mon oreille, j'ose toutefois demander si notre ignorance
-actuelle de la Divinité est une ignorance à laquelle l'âme est
-_éternellement_ condamnée.
-
-Enfin, contentons-nous aujourd'hui de supposer que c'est Lui,--Lui,
-l'Incompréhensible (pour le présent du moins),--Lui, que nous
-considérerons comme _Esprit,_ c'est-à-dire comme _non-Matière_
-(distinction qui, pour tout ce que nous voulons atteindre, suppléera
-parfaitement à une définition),--Lui, existant comme Esprit, qui
-nous a _créés,_ ou faits de Rien, par la force de sa Volonté,--dans
-un certain point de l'Espace que nous prendrons comme centre, à une
-certaine époque dont nous n'avons pas la prétention de nous enquérir,
-mais en tout cas immensément éloignée;--supposons, dis-je,'que c'est
-lui qui nous a faits,--mais faits ... _quoi?_ Ceci est, dans nos
-considérations, un point d'une importance vitale. _Qu_'étions-nous,
-_que_ pouvons-nous supposer légitimement avoir été, quand nous fûmes
-_créés,_ nous, univers, primitivement et individuellement?
-
-Nous sommes arrivés à un point où l'Intuition seule peut venir à
-notre aide. Mais qu'il me soit permis de rappeler l'idée que j'ai
-déjà suggérée comme la seule qui puisse convenablement définir
-l'intuition. Elle n'est que _la conviction naissant de certaines
-inductions ou déductions dont la marche a été assez secrète pour
-échapper à notre conscience, éluder notre raison, ou défier notre
-puissance d'expression._ Ceci étant entendu, j'affirme qu'une intuition
-absolument irrésistible, quoique indéfinissable, me pousse à conclure
-que [ce que] Dieu a originairement créé,--que cette Matière qu'il a,
-par la force de sa Volonté, tirée de son Esprit, ou de Rien, ne peut
-avoir été autre chose que la Matière dans son état le plus pur, le plus
-parfait, de ... de quoi?--de _Simplicité._
-
-Ce sera là la seule _supposition_ absolue dans mon discours. Je me sers
-du mot supposition dans son sens ordinaire; cependant je maintiens que
-ma proposition primordiale, ainsi formulée, est loin, bien loin d'être
-une pure supposition. Rien n'a été, en effet, plus régulièrement, plus
-rigoureusement _déduit_;--aucune conclusion humaine n'a été, en effet,
-plus régulièrement, plus rigoureusement _déduite_;--mais, hélas! le
-procédé de cette déduction échappe à l'analyse humaine;--en tout cas,
-il se dérobe à la puissance expressive de toute langue humaine.
-
-Efforçons-nous maintenant de concevoir ce qu'a pu et ce qu'a dû être
-la Matière dans sa condition absolue de _simplicité._ Ici, la Raison
-vole d'un seul coup vers l'Imparticularité,--vers une particule,--une
-particule _unique,_--une particule _une_ dans son espèce,--_une_
-dans son caractère,--_une_ dans sa nature,--_une_ par son volume,--
-_une_ par sa forme,--une particule qui soit particule à tous égards,
-donc, une particule amorphe et idéale,--particule absolument
-unique, individuelle, non divisée, mais _non pas indivisible,_
-simplement parce que Celui qui la créa par la force de sa Volonté
-peut très-naturellement la diviser par un exercice infiniment moins
-énergique de la même Volonté.
-
-Donc, l'_Unité_ est tout ce que j'affirme de la Matière originairement
-créée; mais je me propose de démontrer que _cette Unité est un principe
-largement suffisant pour expliquer la constitution, les phénomènes
-actuels et l'anéantissement absolument inévitable au moins de l'Univers
-matériel._
-
-Le Vouloir spontané, ayant pris corps dans la particule primordiale, a
-complété l'acte, ou, plus proprement, la _conception_ de la Création.
-Nous nous dirigerons maintenant vers le but final pour lequel nous
-supposons que cette particule a été créée;--quand je dis but final,
-je veux dire tout ce que nos considérations jusqu'ici nous permettent
-d'en saisir,--à savoir, la constitution de l'Univers tirée de cette
-Particule unique.
-
-Cette constitution s'est effectuée par la transformation _forcée de_
-l'Unité, originelle et normale, en Pluralité, condition anormale. Une
-action de cette nature implique réaction. Une diffusion de l'Unité n'a
-lieu que conditionnellement, c'est-à-dire qu'elle implique une tendance
-au retour vers l'Unité,--tendance indestructible jusqu'à parfaite
-satisfaction. Mais je m'étendrai par la suite plus amplement sur ce
-sujet.
-
-La supposition de l'Unité absolue dans la Particule primordiale
-renferme celle de la divisibilité infinie. Concevons donc simplement
-la Particule comme non absolument épuisée par sa diffusion à travers
-l'Espace. De cette Particule considérée comme centre, supposons,
-irradié sphériquement, dans toutes les directions, à des distances non
-mesurables, mais cependant définies, dans l'espace vide jusqu'alors, un
-certain nombre innombrable, quoique limité, d'atomes inconcevablement
-mais non infiniment petits.
-
-Or, de ces atomes, ainsi éparpillés ou à l'état de diffusion, que nous
-est-il permis, non pas de supposer, mais de conclure, en considérant la
-source d'où ils émanent et le but apparent de leur diffusion? L'Unité
-étant leur source, et _la différence d'avec l'Unité_ le caractère du
-but manifesté par leur diffusion, nous avons tout droit de supposer
-que ce caractère persiste _généralement_ dans toute l'étendue du
-plan et forme une partie du plan lui-même;--c'est-à-dire que nous
-avons tout droit de concevoir des différences continues, sur tous
-les points, d'avec l'unité et la simplicité du point originel. Mais,
-pour ces raisons, sommes-nous autorisés à imaginer les atomes comme
-hétérogènes, dissemblables, inégaux et inégalement distants? Pour
-parler plus explicitement, devons-nous croire qu'il n'y a pas eu, au
-moment de leur diffusion, deux atomes de même nature, de même forme
-ou de même grosseur? et que, leur diffusion étant opérée à travers
-l'Espace, ils doivent être tous, sans exception, inégalement distants
-l'un de l'autre? Un pareil arrangement, dans de telles conditions,
-nous permet de concevoir aisément, immédiatement, le procédé
-d'opération le plus exécutable pour un dessein tel que celui dont j'ai
-parlé,--le dessein de tirer la variété de l'unité,--la diversité de
-la similarité,--l'hétérogénéité de l'homogénéité,--la complexité de
-la simplicité,--en un mot, la plus grande multiplicité possible de
-_rapports_ de _l'Unité_ expressément absolue. Incontestablement nous
-aurions le droit de supposer tout ce que j'ai dit, si nous n'étions pas
-arrêtés par deux réflexions:--la première, c'est que la superfluité
-et la surérogation ne sont jamais admissibles dans l'Action Divine;
-et la seconde, c'est que le but poursuivi apparaît comme tout aussi
-facile à atteindre quand quelques-unes des conditions requises sont
-obtenues dans le principe, que quand toutes existent visiblement et
-immédiatement. Je veux dire que celles-ci sont contenues dans les
-autres, ou qu'elles en sont une conséquence si instantanée, que la
-distinction devient inappréciable. La différence de grosseur, par
-exemple, sera tout de suite créée par la tendance d'un atome vers un
-second atome, de préférence à un troisième, en raison d'une inégalité
-particulière de distance; _inégalité particulière de distance entre des
-centres de quantité, dans des atomes voisins de différente forme,--_
-phénomène qui ne contredit en rien la distribution généralement
-égale des atomes. La différence _d'espèce,_ nous la concevons aussi
-très-aisément comme résultant de différences dans la grosseur et dans
-la forme, supposées plus ou moins conjointes;--en effet, puisque
-l'_Unité_ de la Particule proprement dite implique homogénéité
-absolue, nous ne pouvons pas supposer que les atomes, au moment de
-leur diffusion, diffèrent en espèce, sans imaginer en même temps une
-opération spéciale de la Volonté Divine, agissant à l'émission de
-chaque atome, dans le but d'effectuer en chacun une transformation de
-sa nature essentielle;--et nous devons d'autant plus repousser une
-idée aussi fantastique, que l'objet en vue peut parfaitement bien
-être atteint sans une aussi minutieuse et laborieuse intervention.
-Nous comprenons donc, avant tout, qu'il eût été surérogatoire, et
-conséquemment anti-philosophique, d'attribuer aux atomes, en vue de
-leurs destinations respectives, autre chose qu'une _différence de
-forme_ au moment de leur dispersion, et postérieurement une inégalité
-particulière de distance,--toutes les autres différences naissant
-ensemble des premières, dès les premiers pas que la masse a faits vers
-sa constitution. Nous établissons donc l'Univers sur une base purement
-_géométrique._ Il va sans dire qu'il n'est pas du tout nécessaire de
-supposer une absolue différence, même de forme, entre _tous_ les atomes
-irradiés;--nous nous contentons de supposer une inégalité générale de
-distance de l'un à l'autre. Nous sommes tenus simplement d'admettre
-qu'il n'y a pas d'atomes _voisins_ de forme similaire,--qu'il n'y a
-pas d'atomes qui puissent jamais se rapprocher, excepté lors de leur
-inévitable réunion finale.
-
-Quoique la _tendance,_ immédiate et perpétuelle, des atomes dispersés
-à retourner vers leur Unité normale soit impliquée, comme je l'ai dit,
-dans leur diffusion anormale, toutefois il est clair que cette tendance
-doit être sans résultat,--qu'elle doit rester une tendance et rien de
-plus,--jusqu'à ce que la force d'expansion, cessant d'opérer, donne
-à cette tendance toute liberté de se satisfaire. L'Action Divine,
-toutefois, étant considérée comme déterminée, et interrompue après
-l'opération primitive de la diffusion, nous concevons tout de suite
-une _réaction,_--en d'autres termes une tendance, _qui pourra être
-satisfaite,_ de tous les atomes désunis à retourner vers l'_Unité._
-
-Mais la force de diffusion étant retirée, et la réaction ayant commencé
-pour favoriser le dessein final,--_celui de créer la plus grande somme
-de rapports possible,_--ce dessein est maintenant en danger d'être
-frustré dans le détail, par suite de cette tendance rétroactive qui
-a pour but son accomplissement total. La _multiplicité_ est l'objet;
-mais rien n'empêche les atomes voisins de se précipiter _tout de suite_
-l'un vers l'autre,--grâce à leur tendance maintenant libre, avant
-l'accomplissement de tous les buts multiples,--et de se fondre tous en
-une unité compacte; rien ne fait obstacle à l'aggrégation de diverses
-masses, isolées jusque-là, sur différents points de l'espace;--en
-d'autres termes, rien ne s'oppose à l'accumulation de diverses masses,
-chacune faisant une Unité absolue.
-
-
-
-V
-
-
-Pour l'accomplissement efficace et complet du plan général, nous
-devinons maintenant la nécessité d'une force répulsive limitée,--de
-_quelque chose_ qui serve à séparer, et qui, lors de la cessation de
-la Volition diffusive, puisse en même temps permettre le rapprochement
-et empêcher la jonction des atomes; qui leur permette de se rapprocher
-infiniment, et leur défende de se mettre en contact positif; quelque
-chose, en un mot, qui ait puissance, _jusqu'à une certaine époque,_ de
-prévenir leur fusion, mais non de contredire à aucun égard ni à aucun
-degré leur tendance à se réunir. La force répulsive, déjà considérée
-comme si particulièrement limitée à d'autres égards, peut, je le
-répète, être prise comme une puissance destinée à empêcher l'absolue
-cohésion, _seulement jusqu'à une certaine époque._ A moins que nous
-ne concevions l'appétition des atomes pour l'Unité comme condamnée
-à n'être _jamais_ satisfaite,--à moins que nous n'admettions que ce
-qui a eu un commencement ne doive pas avoir de fin,--idée qui est
-réellement inadmissible, quelque nombreux que soient ceux d'entre
-nous qui rêvent et bavardent sur ce thème,--nous sommes forcés de
-conclure que l'influence répulsive supposée devra finalement,--sous la
-pression de l'_Unitendance_ agissant _collectivement,_ mais agissant
-seulement alors que, pour l'accomplissement des plans de la Divinité,
-cette action collective devra se faire naturellement,--céder à une
-force qui, à cette époque finale, sera la force supérieure, poussée
-juste au degré nécessaire, et permettre ainsi le tassement universel
-des choses en _Unité,_ unité inévitable parce qu'elle est originelle
-et conséquemment normale. Il est en vérité fort difficile de concilier
-toutes ces conditions;--nous ne pouvons même pas comprendre la
-possibilité de cette conciliation;--néanmoins cette impossibilité
-apparente est féconde en suggestions brillantes.
-
-Que cette répulsion existe positivement, _nous le voyons._ L'homme
-n'emploie et ne connaît aucune force suffisante pour fondre deux atomes
-en un. Je n'avance ici que la thèse bien reconnue de l'impénétrabilité
-de la matière. Toute l'Expérience la prouve,--toute la Philosophie
-l'admet. J'ai essayé de démontrer le _but_ de la répulsion et la
-nécessité de son existence; mais je me suis religieusement abstenu de
-toute tentative pour en pénétrer la nature; et cela, à cause d'une
-conviction intuitive qui me dit que le principe en question est
-strictement spirituel,--gît dans une profondeur impénétrable à notre
-intelligence présente,--est impliqué dans une considération relative à
-ce qui maintenant, dans notre condition humaine, ne peut être l'objet
-d'aucun examen,--dans une considération de l'_Esprit en lui-même._ Je
-sens, en un mot, qu'ici, et ici seulement, Dieu s'est interposé, parce
-qu'ici, et seulement ici, le nœud demandait l'interposition de Dieu.
-
-Dans le fait, pendant que dans cette tendance des atomes vers l'Unité
-on reconnaîtra tout d'abord le principe de la Gravitation Newtonienne,
-ce que j'ai dit d'une force répulsive, servant à mettre des limites à
-la satisfaction immédiate, peut être entendu de _ce que_ nous avons
-jusqu'à présent désigné tantôt comme chaleur, tantôt comme magnétisme,
-tantôt comme _électricité;_ montrant ainsi, dans les vacillations de
-la phraséologie par laquelle nous essayons de _le_ définir, l'ignorance
-où nous sommes de son caractère mystérieux et terrible.
-
-Le nommant donc, pour le présent seulement, électricité, nous savons
-que toute analyse expérimentale de l'électricité a donné, pour résultat
-final, le principe, réel ou apparent, de _l'hétérogénéité. Seulement
-là_ où les choses diffèrent, l'électricité se manifeste; et il est
-présumable qu'elles ne diffèrent jamais là où l'électricité n'est pas
-développée, sinon apparente. Or, ce résultat est dans le plus parfait
-accord avec celui où je suis parvenu par une autre voie que par
-l'expérience. J'ai affirmé que l'utilité de la force répulsive était
-d'empêcher les atomes disséminés de retourner à l'Unité immédiate;
-et ces atomes sont représentés comme différant les uns des autres.
-La _différence_ est leur caractère,--leur essentialité,--juste comme
-la _non-différence_ était le caractère essentiel de leur mouvement.
-Donc, quand nous disons qu'une tentative pour mettre en contact deux
-de ces atomes doit amener un effort de l'influence répulsive pour
-empêcher cette union, nous pouvons aussi bien nous servir d'une
-phrase absolument équivalente, à savoir, qu'une tentative pour mettre
-en contact deux différences amènera comme résultat un développement
-d'électricité. Tous les corps existants sont composés de ces atomes
-en contact immédiat, et peuvent conséquemment être considérés comme
-de simples assemblages de différences plus ou moins nombreuses; et la
-résistance faite par l'esprit de répulsion, si nous mettions en contact
-deux de ces assemblages quelconques, serait en raison des deux sommes
-de différences contenues dans chacun;--expression qui peut être réduite
-à celle-ci, équivalente:
-
-_La somme d'électricité développée par le contact de deux corps est
-proportionnée à la différence entre les sommes respectives d'atomes
-dont les corps sont composés._
-
-Qu'il n'existe pas deux corps absolument semblables, c'est un
-simple corollaire qui résulte de tout ce que nous avons dit. Donc
-l'électricité, toujours existante, se _développe_ par le contact de
-corps quelconques, mais ne se _manifeste_ que par le contact de corps
-d'une différence appréciable.
-
-A l'électricité,--pour nous servir encore de cette désignation,--nous
-pouvons à bon droit rapporter les divers phénomènes physiques de
-lumière, de chaleur et de magnétisme; mais nous sommes bien mieux
-autorisés encore à attribuer à ce principe strictement spirituel les
-phénomènes plus importants de vitalité, de conscience et de _Pensée._
-A ce sujet, toutefois, qu'il me soit permis de faire une pause et de
-noter que ces phénomènes, observés dans leur généralité ou dans leurs
-détails, semblent procéder _au moins en raison de l'hétérogénéité._
-
-Écartons maintenant les deux termes équivoques, _gravitation_ et
-_électricité,_ et adoptons les expressions plus définies _d'attraction_
-et de _répulsion._ La première, c'est le corps; la seconde, c'est
-l'âme; l'une est le principe matériel, l'autre le principe spirituel
-de l'Univers. _Il n'existe pas d'autres principes. Tous_ les
-phénomènes doivent être attribués à l'un ou à l'autre, ou à tous les
-deux combinés. Il est si rigoureusement vrai, il est si parfaitement
-rationnel que l'attraction et la répulsion sont les _seules_ propriétés
-par lesquelles nous percevons l'Univers,--en d'autres termes, par
-lesquelles la Matière se manifeste à l'Esprit,--que nous avons
-pleinement le droit de supposer que la matière _n'existe_ que comme
-attraction et répulsion,--que l'attraction et la répulsion _sont_
-matière,--nous servant de cette hypothèse comme d'un moyen de faciliter
-l'argumentation;--car il est impossible de concevoir un cas où
-nous ne puissions employer à notre gré le mot matière et les termes
-attraction et répulsion, pris ensemble, comme expressions de logique
-équivalentes et convertibles.
-
-
-
-VI
-
-
-Je disais tout à l'heure que ce que j'ai nommé la tendance des atomes
-disséminés à retourner à leur unité originelle devait être pris pour
-le principe de la foi newtonienne de la gravitation; et en effet on
-n'aura pas grande peine à entendre la chose ainsi, si l'on considère
-la _gravitation newtonienne_ sous un aspect purement général, comme
-une force qui pousse la matière à chercher la matière; c'est-à-dire
-si nous voulons ne pas attacher notre attention au _modus operandi_
-connu de la force newtonienne. La coïncidence générale nous satisfait;
-mais, en regardant de plus près, nous voyons dans le détail beaucoup
-de choses qui paraissent non-coïncidentes, et beaucoup d'autres où la
-coïncidence ne paraît pas du moins suffisamment établie. Un exemple:
-la gravitation newtonienne, si nous la considérons dans certains
-modes, ne nous apparaît pas du tout comme une tendance vers _Y
-Unité;_ elle nous semble plutôt une tendance de tous les corps dans
-toutes les directions, phrase qui semble exprimer la tendance à la
-diffusion. Ici donc il y a non-coïncidence. Un autre exemple: quand
-nous réfléchissons sur la loi mathématique qui gouverne la tendance
-newtonienne, nous voyons clairement que nous ne pouvons pas obtenir la
-coïncidence,--relativement, du moins, au _modus operandi,_--entre la
-gravitation, telle que nous la connaissons, et cette tendance, simple
-et directe en apparence, que j'ai supposée.
-
-En effet, je suis arrivé à un point où il serait bon de renforcer ma
-position en inversant mon procédé. Jusqu'à présent, nous avons procédé
-_à priori,_ d'une considération abstraite de la _Simplicité,_ prise
-comme la qualité qui a dû le plus vraisemblablement caractériser
-l'action originelle de Dieu. Voyons maintenant si les faits établis
-de la Gravitation newtonienne peuvent nous fournir, à _posteriori,_
-quelques inductions légitimes.
-
-Que déclare la loi newtonienne? que tous les corps s'attirent l'un
-l'autre avec des forces proportionnées [à leurs quantités de matière
-et inversement proportionnées] aux carrés de leurs distances.
-C'est à dessein que je donne d'abord la version vulgaire de la
-loi; et je confesse que dans celle-ci, comme dans la plupart des
-traductions vulgaires de grandes vérités, je ne trouve pas une qualité
-très-suggestive. Adoptons donc une phraséologie plus philosophique
---_Chaque atome de chaque corps attire chaque autre atome, soit
-appartenant au même corps, soit appartenant à chaque autre corps, avec
-une force variant en raison inverse des carrés des distarices entre
-l'atome attirant et l'atome attiré._ Ici, pour le coup, un flot de
-suggestions jaillit aux yeux de l'esprit.
-
-Mais voyons distinctement la chose que Newton a _prouvée,--_selon la
-définition grossièrement irrationnelle de _h preuve_ prescrite par les
-écoles de métaphysique. Il fut obligé de se contenter de montrer que
-les mouvements d'un Univers imaginaire, composé d'atomes attirants et
-attirés obéissant à la loi qu'il annonçait, coïncidaient parfaitement
-avec les mouvements de l'Univers existant réellement, autant du
-moins qu'il tombe sous notre observation. Telle fut la somme de sa
-_démonstration,_ selon le jargon conventionnel des philosophies. Les
-succès qui la confirmèrent ajoutèrent preuve sur preuve,--des preuves
-telles que les admet toute intelligence saine,--mais la _démonstration_
-de la loi-elle-même, selon les métaphysiciens, n'avait été confirmée
-en aucune façon. Cependant la preuve _oculaire, physique,_ de
-l'attraction, ici même, sur cette Terre, fut enfin trouvée, en parfait
-accord avec la théorie newtonienne, et à la grande satisfaction de
-quelques-uns de ces reptiles intellectuels. Cette preuve jaillit,
-indirectement et incidemment (comme jaillirent presque toutes les
-vérités importantes), d'une tentative faite pour mesurer la densité
-moyenne de la Terre. Dans les fameuses expériences que Maskelyne,
-Cavendish et Bailly firent dans ce but, il fut découvert, vérifié et
-mathématiquement démontré que l'attraction de la masse d'une montagne
-était en accord exact avec l'immortelle théorie de l'astronome anglais.
-
-Mais, en dépit de cette confirmation d'une vérité qui n'en avait aucun
-besoin,--en dépit de la prétendue corroboration de la _théorie_ par la
-prétendue _preuve oculaire et physique,--_en dépit du caractère de
-cette corroboration,--les idées que les vrais philosophes eux-mêmes
-ne peuvent s'empêcher d'accepter relativement à la gravitation, et
-particulièrement les idées acceptées et complaisamment maintenues
-par les hommes vulgaires, ont été évidemment tirées, pour la plus
-grande partie, d'une considération du principe, tel qu'ils le trouvent
-simplement développé _sur la planète à laquelle ils sont attachés._
-
-Or, où tend une considération aussi amoindrie? A quelle espèce d'erreur
-donne-t-elle naissance? Sur la Terre nous voyons, nous sentons
-simplement que la gravitation chasse tous les corps vers le centre de
-la Terre. Aucun homme, dans le domaine ordinaire de la vie, ne peut
-voir ni sentir autrement,--ne peut s'empêcher de percevoir que toute
-chose, partout, a une tendance gravitante, perpétuelle vers le centre
-de la Terre, et pas ailleurs; cependant (sauf une exception qui sera
-spécifiée postérieurement) il est certain que chaque chose terrestre
-(pour ne pas parler maintenant de toutes les choses célestes) a une
-tendance non-seulement vers le centre de la Terre, mais en outre vers
-toute espèce de direction possible.
-
-Or, quoique les hommes de philosophie ne puissent pas être accusés
-de se tromper avec le vulgaire dans cette matière, ils se laissent
-toutefois influencer, à leur insu, par l'idée vulgaire agissant
-comme sentiment.--_Quoique personne n'ait foi dans les fables du
-Paganisme,--_dit Bryant dans sa très-savante _Mythologie,--cependant
-nous nous oublions sans cesse au point d'en tirer des inductions comme
-de réalités existantes.--_Je veux dire que la perception purement
-_sensitive_ de la gravitation, telle que nous la connaissons sur
-la Terre, induit l'humanité en fantaisie et la fait croire à une
-_concentralisation,_ à une sorte de spécialité terrestre;--qu'elle a
-toujours incliné vers cette fantaisie les intelligences même les plus
-puissantes,--les détournant perpétuellement, quoique imperceptiblement,
-de la caractéristique réelle du principe; les ayant empêchées jusqu'à
-l'époque présente de saisir même un aperçu de cette vérité vitale
-qui se trouve dans une direction diamétralement opposée,--derrière
-les caractéristiques _essentielles_ du principe, qui sont, non pas
-la concentralisation ou la spécialité, mais l'_universalité_ et la
-_diffusion._ Cette vérité vitale est l'Unité, prise comme source du
-phénomène.
-
-Permettez-moi de répéter la définition de la gravitation: _Chaque
-atome, dans chaque corps, attire chaque autre atome, appartenant au
-même corps ou appartenant à tout autre corps,_ avec une force qui varie
-en raison inverse des carrés des distances de l'atome attirant et de
-l'atome attiré.
-
-Que le lecteur s'arrête ici un moment avec moi pour contempler la
-miraculeuse, ineffable et absolument inimaginable complexité de
-rapports impliquée dans ce fait, que _chaque atome attire chaque autre
-atome,--_impliquée seulement dans ce fait de l'attraction, étant
-écartée la question de la loi ou du mode suivant lesquels l'attraction
-se manifeste,--impliquée dans ce fait unique que chaque atome attire
-plus ou moins chaque autre atome, dans une immensité d'atomes telle,
-que toutes les étoiles qui entrent dans la constitution de l'Univers
-peuvent être à peu près comparées pour le nombre aux atomes qui entrent
-dans la composition d'un boulet de canon.
-
-Eussions-nous simplement découvert que chaque atome tendait vers un
-point favori, vers quelque atome particulièrement attractif, nous
-serions encore tombés sur une découverte qui, en elle-même, aurait
-suffi pour accabler notre esprit;--mais quelle est cette vérité que
-nous sommes actuellement appelés à comprendre? C'est que chaque
-atome attire chaque autre atome, sympathise avec ses plus délicats
-mouvements, avec chaque atome et avec tous, toujours, incessamment,
-suivant une loi déterminée dont la complexité, même considérée
-seulement en elle-même, dépasse absolument les forces de l'imagination
-humaine. Si je me propose de mesurer l'influence d'un seul atome sur
-l'atome son voisin dans un rayon solaire, je ne puis pas accomplir mon
-dessein sans d'abord compter et peser tous les atomes de l'Univers et
-définir la position précise de chacun à un moment particulier de la
-durée. Si je m'avise de déplacer, ne fût-ce que de la trillionième
-partie d'un pouce, le grain microscopique de poussière posé maintenant
-sur le bout de mon doigt, quel est le caractère de l'action que j'ai eu
-la hardiesse de commettre? J'ai accompli un acte qui ébranle la Lune
-dans sa marche, qui contraint le Soleil à n'être plus le soleil, et qui
-altère pour toujours la destinée des innombrables myriades d'étoiles
-qui roulent et flamboient devant la majesté de leur Créateur.
-
-De telles idées, de telles conceptions,--pensées monstrueuses qui ne
-sont plus des pensées, rêveries de l'âme plutôt que raisonnements ou
-même considérations de l'intellect,--de telles idées, je le répète,
-sont les seules que nous puissions réussir à créer en nous dans tous
-nos efforts pour saisir le grand principe de _l'Attraction._
-
-Mais maintenant, avec de telles idées, avec une telle vision,
-franchement acceptée, de la merveilleuse complexité de l'Attraction,
-que toute personne, capable de réfléchir sur de pareilles matières,
-s'applique à imaginer un principe adaptable aux phénomènes
-observés,--ou la condition qui leur a donné naissance.
-
-Une si évidente fraternité des atomes n'indique-t-elle pas une
-extraction commune? Une sympathie si victorieuse, si indestructible,
-si absolument indépendante, ne suggère-t-elle pas l'idée d'une source,
-d'une paternité commune? Un extrême ne pousse-t-il pas la raison vers
-l'extrême son contraire? L'infini dans la division ne se rapporte-t-il
-pas à l'absolu dans l'individualité? Le superlatif de la complexité ne
-fait-il pas deviner la perfection dans la simplicité? Je veux dire,
-non pas seulement que les atomes, comme nous les voyons, sont divisés
-ou qu'ils sont complexes dans leurs rapports, mais surtout qu'ils
-sont inconcevablement divisés et inexprimablement complexes; c'est de
-l'extrême des conditions que je veux parler maintenant, plutôt que des
-conditions elles-mêmes. En un mot, n'est-ce pas parce que les atomes
-étaient, à une certaine époque très-ancienne, _quelque chose de plus
-même qu'un assemblage,--_n'est-ce pas parce que, originellement, donc
-normalement, ils étaient _Un,_ que maintenant en toutes circonstances,
-sur tous les points, dans toutes les directions, par tous les modes
-de rapprochement, dans tous les rapports et à travers toutes les
-conditions, ils s'efforcent de _retourner_ vers cette _unité_ absolue,
-indépendante et inconditionnelle?
-
-Ici, quelqu'un demandera peut-être: «Pourquoi, puisque c'est vers
-l'Unité que ces atomes s'efforcent de retourner, ne jugeons-nous pas
-et ne définissons-nous pas l'Attraction _une simple tendance générale
-vers un centre?_--Pourquoi, particulièrement, _vos_ atomes, les
-atomes que vous nous donnez comme ayant été irradiés d'un centre, ne
-retournent-ils pas tous à la fois, en ligne droite, vers le point
-central de leur origine?»
-
-Je réponds qu'ils le font, ainsi que je le montrerai clairement;
-mais que la cause qui les y pousse est tout à fait indépendante du
-centre considéré _comme tel._ Ils tendent tous en ligne droite vers
-un centre, à cause de la sphéricité selon laquelle ils ont été lancés
-dans l'espace. Chaque atome, formant une partie d'un globe généralement
-uniforme d'atomes, trouve naturellement plus d'atomes dans la direction
-du centre que dans toute autre direction; c'est donc dans ce sens
-qu'il est poussé, mais il n'y est pas poussé parce que le centre est
-_le point de son origine._ Il n'est pas de _point_ auquel les atomes
-se rallient. Il n'est pas de _lieu,_ soit dans le concret, soit dans
-l'abstrait, auquel je les suppose attachés. Rien de ce qui peut
-s'appeler _localité_ ne doit être conçu comme étant leur origine. Leur
-source est dans le principe Unité. C'est là le père qu'ils ont perdu.
-C'est là ce _qu'ils cherchent_ toujours, immédiatement, dans toutes
-les directions, partout où ils peuvent le trouver, même partiellement;
-apaisant ainsi, dans une certaine mesure, leur indestructible tendance,
-tout en faisant route vers leur absolue satisfaction finale.
-
-Il suit de tout ceci que tout principe qui sera suffisant
-pour expliquer en général la _loi,_ ou _modus operandi,_ de
-la force attractive, devra aussi expliquer cette loi dans le
-particulier;--c'est-à-dire que tout principe qui montrera pourquoi les
-atomes doivent tendre vers leur _centre général d'irradiation,_ avec
-des forces variant en proportion inverse des carrés des distances,
-expliquera d'une manière satisfaisante la tendance, conforme à la même
-loi, qui pousse l'atome vers l'atome;--_car_ la tendance vers le centre
-_est_ simplement la tendance de chacun vers chacun, et non pas une
-tendance vers un centre considéré _comme tel._
-
-On voit en même temps que l'établissement de mes propositions
-n'implique aucune nécessité de modifier les termes de la définition
-newtonienne de la Gravitation, laquelle déclare que chaque atome
-attire chaque autre atome, dans une infinie réciprocité, et ne déclare
-que cela; mais (en supposant toutefois que ce que je propose sera
-finalement admis) il me semble évident que, dans les futures opérations
-de la Science, on pourrait éviter quelque erreur occasionnelle, si
-l'on adoptait une phraséologie plus ample, telle que celle-ci:--Chaque
-atome tend vers chaque autre atome, etc., avec une force, etc.; _le
-résultat général étant une tendance de tous les atomes, avec une force
-semblable, vers un centre général._
-
-En reprenant notre route à l'inverse, nous sommes arrivés à un
-résultat identique; mais, dans l'un des cas, _Y Intuition_ était le
-point de départ, dans l'autre, elle était le but. En commençant mon
-premier voyage, je pouvais dire seulement que je _sentais,_ par une
-irrésistible intuition, que la Simplicité avait été la caractéristique
-de l'action originelle de Dieu;--en finissant mon second voyage, je
-puis seulement déclarer que je perçois, par une irrésistible intuition,
-que l'Unité a été la source des phénomènes de la Gravitation
-newtonienne observés jusqu'à présent. Ainsi, selon les écoles, je ne
-_prouve_ rien. Soit. Je n'ai pas d'autre ambition que de suggérer,--et
-de _convaincre_ par la suggestion. J'ai l'orgueilleuse conviction
-qu'il existe des intelligences humaines profondes, douées d'un prudent
-discernement, qui ne pourront pas _s'empêcher_ d'être largement
-satisfaites de mes simples suggestions. Pour ces intelligences,--comme
-pour la mienne,--il n'est pas de démonstration mathématique qui puisse
-apporter la moindre _vraie preuve_ additionnelle à la grande _Vérité_
-que j'ai avancée, à savoir que l'_Unité Originelle est la source, le
-principe des Phénomènes Universels._ Pour ma part, je ne suis pas aussi
-sûr que je parle et que je vois;--je ne suis pas aussi sûr que mon
-cœur bat et que mon âme vit;--que le soleil se lèvera demain matin,
-probabilité qui gît encore dans le Futur,--je ne prétends pas du tout
-en être aussi sûr que je le suis de ce _Fait_ irréparablement passé,
-que tous les Êtres et Toutes les Pensées des Êtres, avec toute leur
-ineffable Multiplicité de Rapports, ont jailli à la fois à l'existence
-de la primordiale et indépendante _Unité._
-
-Relativement à la Gravitation newtonienne, le Docteur Nichol,
-l'éloquent auteur de l'_Architecture des deux,_ dit: «En vérité, nous
-n'avons aucune raison de supposer que cette grande Loi, telle qu'elle
-nous est aujourd'hui connue, soit la formule suprême ou la plus
-simple, conséquemment universelle et omnicompréhensible, d'une grande
-Ordonnance. Le mode suivant lequel son intensité diminue avec l'élément
-de la distance n'a pas l'aspect d'un _principe_ suprême, lequel
-principe comporte toujours la simplicité de ces axiomes, évidents par
-eux-mêmes, qui constituent la base de la Géométrie.»
-
-Il est absolument vrai que les _principes suprêmes,_ selon le sens
-usuel des termes, comportent toujours la simplicité des axiomes
-géométriques (quant aux choses _évidentes par elles-mêmes,_ il n'en
-existe pas);--mais ces principes ne sont pas clairement _suprêmes;_
-en d'autres termes, les choses que nous avons l'habitude de qualifier
-_principes_ ne sont pas, à proprement parler, des principes,--puisqu'il
-ne peut exister qu'un principe, qui est la Volition Divine. Nous
-n'avons donc aucun droit de supposer, d'après ce que nous observons
-dans les règles qu'il nous plaît follement d'appeler _principes,_ quoi
-que ce soit qui ressemble aux caractéristiques d'un principe proprement
-dit. Les principes _suprêmes,_ dont le Docteur Nichol parle comme
-comportant la simplicité géométrique, peuvent avoir et ont en effet
-cet aspect géométrique, puisqu'ils sont une partie intégrante d'un
-vaste système géométrique, c'est-à-dire d'un système de simplicité,
-dans lequel toutefois le principe vraiment suprême est, _comme nous le
-savons,_ le maximum du complexe, autrement dit, de l'inintelligible;
---car n'est-ce pas la Capacité Spirituelle de Dieu?
-
-Cependant j'ai cité la remarque du Docteur Nichol, non pas tant pour
-infirmer sa philosophie que pour attirer l'attention sur ce fait, que,
-malgré que tous les hommes aient admis un _certain_ principe comme
-existant au delà de la loi de la Gravitation, aucune tentative n'a été
-faite pour définir ce qu'est particulièrement ce principe;--si nous
-exceptons peut-être quelques visées fantastiques qui le transportent
-dans le Magnétisme, dans le Mesmérisme, dans le Swedenborgianisme,
-ou dans le Transcendantalisme, ou dans tout autre délicieux isme de
-la même espèce, invariablement favorisé par une seule et même espèce
-de gens. Le grand esprit de Newton, tout en saisissant hardiment la
-Loi elle-même, a reculé devant le principe de la Loi. Plus active,
-plus compréhensible au moins, sinon plus patiente et plus profonde,
-la sagacité de Laplace n'eut pas le courage de s'y attaquer. Mais
-l'hésitation de la part de ces astronomes n'est pas si difficile
-à comprendre. Eux aussi, comme d'ailleurs tous les mathématiciens
-de la première classe, ils étaient _purement_ mathématiciens; leur
-intelligence du moins était marquée d'un caractère mathématico-physique
-vigoureusement prononcé. Tout ce qui n'était pas distinctement situé
-dans le domaine de la Physique ou des Mathématiques leur apparaissait
-comme des Non-Entités ou des Ombres. Néanmoins, nous pouvons bien
-nous étonner que Leibnitz, qui fut une exception remarquable à cette
-règle générale, et dont le tempérament spirituel était un singulier
-mélange du mathématique avec le physico-métaphysique, n'ait pas d'abord
-recherché et défini le point en litige. Newton et Laplace, cherchant
-un principe, et n'en découvrant aucun _physique,_ devaient humblement
-et tranquillement s'arrêter à cette conclusion, qu'il n'en existait
-absolument aucun; mais il est presque impossible de concevoir que
-Leibnitz, ayant épuisé dans ses recherches les domaines de la physique,
-n'ait pas marché droit, plein de hardiesse et de confiance, à travers
-ce vieux labyrinthe du royaume de la Métaphysique qui lui était si
-familier. Il est évident qu'il a dû s'aventurer à la recherche du
-trésor;--s'il ne l'a pas trouvé, c'est peut-être, après tout, parce que
-sa merveilleuse conductrice, son Imagination, n'était pas suffisamment
-adulte ou assez bien éduquée pour le diriger dans la bonne route.
-
-J'observais tout à l'heure qu'il avait été fait de vagues tentatives
-pour attribuer la Gravitation à de certaines forces très-douteuses,
-dont le nom affecte la désinence _isme._ Mais ces tentatives, quoique
-considérées très-justement comme hardies, n'ont pas visé plus loin qu'à
-la généralité, à la pure généralité de la Loi newtonienne.
-
-Aucun effort d'explication, aucun effort heureux, à ma connaissance,
-n'a été fait relativement à son _modus operandi._ C'est donc avec
-une crainte bien légitime d'être pris pour un fou, dès le début, et
-avant d'avoir pu porter mes propositions sous l'œil de ceux-là qui
-seuls sont compétents pour décider sur leur valeur, que je déclare
-ici que le _modus operandi_ de la Loi de la Gravitation est une chose
-excessivement simple et parfaitement appréciable, à la condition que
-nous nous approchions du problème selon une juste gradation et dans
-la bonne route,--c'est-à-dire si nous le considérons du point de vue
-convenable.
-
-
-
-VII
-
-
-Soit que nous arrivions à l'idée d'absolue _Unité,_ source présumée de
-Tous les Êtres, par une considération de la Simplicité prise pour la
-caractéristique la plus probable de l'action originelle de Dieu;--soit
-que nous y parvenions par l'examen de l'universalité de rapports dans
-les phénomènes de la gravitation;--ou soit enfin que nous aboutissions
-à cette idée comme au résultat de la corroboration réciproque des
-deux procédés,--toujours est-il que l'idée, une fois acceptée, est
-inséparablement connexe d'une autre idée, celle de la condition de
-l'Univers sidéral, tel que nous le voyons maintenant, c'est-à-dire
-d'une incommensurable _diffusion_ à travers l'espace. Or, une connexion
-entre ces idées,--unité et diffusion,--ne peut pas être admissible sans
-une troisième idée, celle de _l'irradiation._ L'Unité Absolue étant
-prise comme centre, l'Univers sidéral existant est le résultat d'une
-_irradiation_ partant de ce centre.
-
-Or, les lois de l'irradiation sont _connues._ Elles sont partie
-intégrante de la _sphère._ Elles appartiennent à la classe des
-_propriétés géométriques incontestables._ Nous disons d'elles: elles
-sont vraies, elles sont évidentes. Demander _pourquoi_ elles sont
-vraies, ce serait demander pourquoi sont vrais les axiomes sur lesquels
-s'appuie la démonstration de ces lois. Il n'y a _rien_ de démontrable,
-pour parler strictement; mais s'il y a quelque chose de démontrable,
-les propriétés et les lois en question sont démontrées.
-
-Mais ces lois, que déclarent-elles? Comment, par quels degrés
-l'irradiation procède-t-elle du centre vers l'espace?
-
-D'un centre lumineux la Lumière émane par irradiation, et les quantités
-de lumière reçues par un plan quelconque, que nous supposerons
-changeant de position, de manière à se trouver tantôt plus près,
-tantôt plus loin du centre, diminueront dans la même proportion que
-s'accroîtront les carrés des distances entre le plan et le corps
-lumineux, et s'accroîtront dans la même proportion que diminueront les
-carrés.
-
-L'expression de la loi peut être ainsi généralisée:--Le nombre
-de molécules lumineuses, ou, si l'on préfère d'autres termes, le
-nombre d'impressions lumineuses, reçues par le plan mobile, sera en
-proportion _inverse_ des carrés des distances où sera situé le plan.
-Et pour généraliser encore, nous pouvons dire que la diffusion,
-l'éparpillement, l'irradiation, en un mot, est en proportion _directe_
-des carrés des distances.
-
-Par exemple: à la distance B, du centre lumineux A, un certain nombre
-de particules est éparpillé, de manière à occuper la surface B. Donc
-à la distance double, c'est-à-dire à C, ces particules se trouveront
-d'autant plus éparpillées qu'elles occuperont quatre surfaces
-semblables; à la distance triple, ou à D, elles seront d'autant plus
-séparées les unes des autres qu'elles occuperont neuf surfaces
-semblables; à une distance quadruple, ou à E, elles seront tellement
-diffuses qu'elles s'étendront sur seize surfaces semblables;--et ainsi
-de suite à l'infini.
-
-[Illustration]
-
-Généralement, en disant que l'irradiation procède en raison
-proportionnelle directe des carrés des distances, nous nous servons du
-terme irradiation pour exprimer _le degré de diffusion_ à mesure que
-nous nous éloignons du centre. Inversant la proposition, et employant
-le mot _concentralisation_ pour exprimer _le degré d'attraction
-générale_ à mesure que nous nous rapprochons du centre, nous pouvons
-dire que la concentralisation procède en raison inverse des carrés
-des distances. En d'autres termes, nous sommes arrivés à cette
-conclusion, que, dans l'hypothèse que la matière ait été originellement
-irradiée d'un centre, et soit maintenant en train d'y retourner, la
-concentralisation, ou action de retour, procède _exactement comme nous
-savons que procède la force de gravitation._
-
-Or, s'il nous était permis de supposer que la concentralisation
-représente exactement la _force de la tendance vers le centre,--_ que
-l'une est en exacte proportion avec l'autre, et que les deux procèdent
-simultanément, nous aurions démontré tout ce qui était à démontrer. La
-seule difficulté ici consiste donc à établir une proportion directe
-entre la concentralisation et la _force_ de concentralisation; et
-nous pouvons considérer la chose comme faite si nous établissons une
-proportion semblable entre l'irradiation et la _force_ d'irradiation.
-
-Une rapide inspection des Cieux suffit pour nous montrer que les
-étoiles sont distribuées avec une certaine uniformité générale et à une
-certaine égalité de distance à travers la région de l'espace où elles
-sont groupées, affectant dans leur ensemble une forme approximativement
-sphérique;--cette espèce d'égalité, générale plutôt qu'absolue, ne
-contredisant en rien ma déduction sur l'inégalité de distances, dans
-de certaines limites, entre les atomes originellement irradiés, et
-représentant un corollaire du système évident d'infinie complexité de
-rapports tirée de l'unité absolue. Je suis parti, on se le rappelle, de
-l'idée d'une distribution généralement uniforme, mais particulièrement
-inégale, des atomes;--idée confirmée, je le répète, par une inspection
-des étoiles, telles qu'elles existent actuellement.
-
-Mais même dans l'égalité générale de distribution, en ce qui regarde
-les atomes, apparaît une difficulté qui, sans aucun doute, s'est
-déjà présentée à ceux de mes lecteurs qui croient que je suppose
-cette égalité de distribution effectuée par l'_irradiation partant
-d'un centre._ Au premier coup d'œil, l'idée de l'_irradiation_ nous
-force à accepter cette autre idée, jusqu'à présent non séparée et en
-apparence inséparable, d'une agglomération autour d'un centre, et d'une
-dispersion à mesure qu'on s'en éloigne,--l'idée, en un mot, d'inégalité
-de distribution relativement à la matière irradiée.
-
-Or, j'ai fait observer ailleurs[1] que si la Raison, à la recherche du
-Vrai, peut jamais trouver sa route, c'est par des difficultés telles
-que celle actuellement en question, par une telle inégalité, par de
-telles particularités, par de telles saillies sur le plan ordinaire des
-choses. Grâce à la difficulté, à la _particularité_ qui se présente
-ici, je bondis d'un seul coup vers le secret,--secret que je n'aurais
-jamais pu atteindre sans la particularité et les inductions qu'elle me
-fournit _par son pur caractère de particularité._
-
-La marche de ma pensée, arrivée à ce point, peut être grossièrement
-dessinée de la manière suivante:--Je me dis: «L'Unité, comme je l'ai
-expliquée, est une vérité;--je le sens. La Diffusion est une vérité;
-je le vois. L'Irradiation, par laquelle seule ces deux vérités sont
-conciliées, est conséquemment une vérité; je le perçois. _L'égalité_
-de diffusion, d'abord déduite à _priori_ et ensuite confirmée par
-l'inspection des phénomènes, est aussi une vérité;--je l'admets
-pleinement. Jusqu'ici tout est clair autour de moi;--il n'y a pas de
-nuages derrière lesquels puisse se cacher le secret, le grand secret
-du _modus operandi_ de la gravitation;--mais ce secret est quelque
-part aux environs, très-certainement, et n'y eût-il qu'un seul nuage
-en vue, je serais tenu de soupçonner ce nuage.» Et justement, comme je
-me dis cela, voilà qu'un nuage apparaît. Ce nuage est l'impossibilité
-apparente de concilier ma vérité, _irradiation_ avec mon autre vérité,
-_égalité de diffusion._ Je me dis alors: «Derrière cette impossibilité
-_apparente_ doit se trouver ce que je cherche.» Je ne dis pas:
-impossibilité _réelle;_ car une invincible foi dans mes vérités me
-confirme qu'il n'y a là, après tout, qu'une simple difficulté; mais
-je vais jusqu'à dire, avec une confiance opiniâtre, que, quand cette
-difficulté sera résolue, nous trouverons, _enveloppée dans le procédé
-de solution,_ la clef du secret que nous cherchons. De plus, je
-_sens_ que nous ne découvrirons _qu'une seule_ solution possible de
-la difficulté, et cela, pour cette raison que, s'il y en avait deux,
-l'une des deux serait superflue, sans utilité, vide, ne contenant
-aucune clef, puisqu'il n'est pas besoin d'une double clef pour ouvrir
-un secret quelconque de la nature.
-
-Et maintenant examinons:--les notions ordinaires, les notions
-distinctes que nous pouvons avoir de l'irradiation, sont tirées du
-mode tel que nous le voyons appliqué dans le cas de la Lumière. Là
-nous trouvons une effusion _continue de courants lumineux, avec une
-force que nous n'avons aucun droit de supposer variable._ Or, dans
-n'importe quelle irradiation de cette nature, continue et d'une force
-invariable, les régions voisines du centre doivent être inévitablement
-plus remplies que les régions éloignées. Mais je n'ai supposé aucune
-irradiation telle que celle-là. Je n'ai pas supposé une irradiation
-_continue;_ par la simple raison qu'une telle supposition impliquerait
-d'abord la nécessité d'adopter une conception que l'homme, ainsi que
-je l'ai montré, ne peut pas adopter, et que l'examen du firmament
-réfute, ainsi que je le démontrerai plus amplement,--la conception
-d'un Univers sidéral absolument infini,--et impliquerait, en second
-lieu, l'impossibilité de comprendre une réaction, c'est-à-dire la
-gravitation, telle qu'elle existe maintenant, puisque, tant qu'une
-action se continue, aucune réaction, naturellement, ne peut avoir
-lieu. Donc, ma supposition, ou plutôt l'inévitable déduction tirée des
-justes prémisses, était celle d'une irradiation _déterminée,_ d'une
-irradiation finalement discontinuée.
-
-Qu'il me soit permis maintenant de décrire le seul mode possible
-selon lequel nous pouvons comprendre que la matière ait été répandue
-à travers l'espace, de manière à remplir à la fois les conditions
-d'irradiation et de distribution généralement égale.
-
-Par commodité d'illustration, imaginons d'abord une sphère creuse, de
-verre ou d'autre matière, occupant l'espace à travers lequel la matière
-universelle a été également éparpillée, par le moyen de l'irradiation,
-de la particule absolue, indépendante, inconditionnelle, placée au
-centre de la sphère.
-
-Un certain effort de la puissance expansive (que nous présumons
-être la Volonté Divine),--en d'autres termes, une certaine _force,_
-dont la mesure est la quantité de matière, c'est-à-dire le nombre
-des atomes,--a émis, émet, par irradiation, ce nombre d'atomes, les
-chassant hors du centre dans toutes les directions, leur proximité
-réciproque diminuant à mesure qu'ils s'éloignent de ce centre, jusqu'à
-ce que finalement ils se trouvent éparpillés sur la surface intérieure
-de la sphère.
-
-Quand les atomes ont atteint cette position, ou pendant qu'ils
-tendaient à l'atteindre, un second exercice inférieur de la même
-force,--une seconde force inférieure de la même nature,--émet de la
-même manière, par irradiation, une seconde couche d'atomes qui va se
-déposer sur la première; le nombre d'atomes, dans ce cas comme dans
-le premier, étant la mesure de la force qui les a émis,--en d'autres
-termes, la force étant précisément appropriée au dessein qu'elle
-accomplit,--la force et le nombre d'atomes envoyés par cette force
-étant directement proportionnels.
-
-Quand cette seconde couche a atteint sa destination ou pendant qu'elle
-s'en approche, un troisième exercice inférieur de la même force, ou une
-troisième force inférieure de même nature,--le nombre des atomes émis
-étant dans tous les cas la mesure de la force,--dépose une troisième
-couche sur la seconde,--et ainsi de suite, jusqu'à ce que ces couches
-concentriques, devenant de moins en moins vastes, atteignent finalement
-le point central; et alors la matière diffusible, en même temps que la
-force diffusive, se trouve épuisée.
-
-Notre sphère est maintenant remplie, par le moyen de l'irradiation,
-d'atomes également répartis. Les deux conditions nécessaires,
-celles de l'irradiation et d'une diffusion égale, sont accomplies
-par le _seul_ mode qui permette de concevoir la possibilité de leur
-accomplissement simultané. C'est pour cette raison que j'ai l'espérance
-de trouver maintenant, caché dans la condition présente des atomes
-ainsi distribués à travers la sphère, le secret dont je suis en quête,
-le principe si important du _modus operandi_ de la loi newtonienne.
-Examinons donc la condition actuelle des atomes.
-
-Ils sont placés dans une série de couches concentriques. Ils sont
-également distribués à travers la sphère. Ils ont été irradiés vers ces
-positions.
-
-Les atomes étant également distribués, plus est grande la superficie
-d'une de ces couches concentriques quelconques, plus grand sera le
-nombre d'atomes distribués dans cette couche. En d'autres termes,
-le nombre d'atomes situés sur la surface d'une de ces couches
-concentriques quelconque est en proportion directe de l'étendue de
-cette surface.
-
-_Mais, dans toute série de sphères concentriques, les surfaces sont en
-proportion directe des carrés des distances à partir du centre,_ ou,
-plus brièvement, les surfaces des sphères sont entre elles comme les
-carrés de leurs rayons.
-
-Conséquemment, le nombre d'atomes, dans une couche quelconque, est en
-proportion directe du carré de la distance qui sépare cette couche du
-centre.
-
-Mais le nombre des atomes dans une couche quelconque est la mesure
-de la force qui a émis cette couche, c'est-à-dire qu'elle est en
-proportion directe de la force.
-
-Donc la force qui a irradié chaque couche est en proportion directe
-du carré de la distance entre cette couche et le centre, ou, pour
-généraliser, _la force de l'irradiation a eu lieu en proportion directe
-des carrés des distances._
-
-Or, la Réaction, autant que nous en pouvons connaître, c'est l'Action
-inversée. Le principe général de la Gravitation étant, en premier lieu,
-entendu comme la réaction d'un acte, comme l'expression d'un désir de
-la part de la Matière, existant à l'état de diffusion, de retourner à
-l'Unité d'où elle est issue, et en second lieu, l'esprit étant obligé
-de déterminer le _caractère_ de ce désir, la manière selon laquelle il
-doit naturellement se manifester,--étant, en d'autres termes, obligé
-de concevoir une loi probable, ou _modus operandi,_ pour l'action
-de retour, ne peut pas ne pas arriver à cette conclusion que la loi
-de retour doit être précisément la réciproque de la loi d'émission.
-Chacun du moins aura parfaitement le droit de considérer la chose
-comme démontrée, jusqu'à ce que quelqu'un donne une raison plausible
-qui affirme le contraire, jusqu'à ce qu'une autre loi de retour soit
-imaginée que l'intelligence puisse adopter comme préférable.
-
-Donc, la matière irradiée dans l'espace, avec une force qui varie
-comme les carrés des distances, pourrait à _priori_ être supposée
-retourner vers son centre d'irradiation avec une force variant _en
-raison inverse_ des carrés des distances; et j'ai déjà montré que
-tout principe qui expliquera pourquoi les atomes tendent, en raison
-d'une loi quelconque, vers le centre général, doit être admis comme
-expliquant en même temps, d'une manière suffisante, pourquoi, en
-raison de la même loi, ils tendent l'un vers l'autre. Car, en fait, la
-tendance vers le centre général n'est pas une tendance vers un centre
-positif; elle a lieu vers ce point, seulement parce que chaque atome,
-en se dirigeant vers un tel point, s'achemine directement vers son
-centre réel et essentiel, qui est l'Unité,--l'Union absolue et finale
-de toutes choses.
-
-Cette considération ne présente à mon esprit aucune difficulté; mais
-cela ne m'aveugle pas sur son obscurité possible pour les esprits moins
-habitués à manier des abstractions, et en somme il serait peut-être bon
-de considérer la proposition d'un ou deux autres points de vue.
-
-La molécule absolue, indépendante, originellement créée par la Volition
-Divine, doit avoir été dans une condition de _normalité_ positive ou
-de perfection;--car toute imperfection implique rapport. Le bien est
-positif; le mal est négatif; il n'est que la négation du bien, comme le
-froid est la négation de la chaleur, l'obscurité, de la lumière. Pour
-qu'une chose soit mauvaise, il faut qu'il y ait quelque autre chose
-qui soit _comparable_ à ce qui est mauvais;--une condition à laquelle
-cette chose mauvaise ne satisfait pas; une loi qu'elle viole; un être
-qu'elle offense. Si cet être, cette loi, cette condition, relativement
-auxquels la chose est mauvaise, n'existent pas, ou si, pour parler
-plus strictement, il n'existe ni êtres, ni lois, ni conditions, alors
-la chose ne peut pas être mauvaise et devra conséquemment être bonne.
-Toute déviation de la normalité implique une tendance au retour. Une
-différence d'avec ce qui est normal, droit, juste, ne peut avoir été
-créée que parla nécessité de vaincre une difficulté. Et si la force
-qui surmonte cette difficulté n'est pas infiniment continuée, la
-tendance indestructible à ce retour pourra à la longue agir dans le
-sens de sa satisfaction. La force retirée, la tendance agit. C'est
-le principe de réaction, comme conséquence inévitable d'une action
-finie. Pour employer une phraséologie dont on pardonnera l'affectation
-apparente à cause de son énergie, nous pouvons dire que la Réaction est
-le retour de _ce qui est et ne devrait pas être_ vers _ce qui était
-originellement, et conséquemment devrait être;--_et j'ajoute que l'on
-trouverait toujours la force _absolue_ de la Réaction en proportion
-directe avec la réalité, la vérité, l'absolu du principe _originel,_
-s'il était possible de mesurer celui-ci;--et conséquemment la plus
-grande de toutes les réactions concevables doit être celle produite par
-la tendance dont il est question ici,--la tendance à retourner vers
-_l'absolu originel,_ vers le _suprême primitif._ La gravitation _doit
-donc être la plus énergique de toutes les forces,--_idée obtenue _à
-priori_ et largement confirmée par l'induction. Quel usage je ferai de
-cette idée, on le verra par la suite.
-
-Les atomes, ayant été répandus hors de leur condition normale d'Unité,
-cherchent à retourner--vers quoi? Non pas, certainement, vers aucun
-_point_ particulier; car il est clair que si, au moment de la
-diffusion, tout l'Univers matériel avait été projeté collectivement à
-une certaine distance du point d'irradiation, la tendance atomique vers
-le centre de la sphère n'aurait pas été troublée le moins du monde;
-les atomes n'auraient pas cherché le point de _l'espace absolu_ dont
-ils étaient originairement issus. C'est simplement la _condition,_ et
-non le point ou le lieu où cette condition a pris naissance, que les
-atonies cherchent à rétablir;--ce qu'ils désirent, c'est simplement
-_cette condition qui est leur normalité._ «Mais ils cherchent un
-centre,--dira-t-on,--et un centre est un point.» C'est vrai; mais ils
-cherchent ce point, non dans son caractère de point (car si toute la
-sphère changeait de position, ils chercheraient également le centre, et
-le centre serait alors un autre point), mais parce que, en raison de la
-forme dans laquelle ils existent collectivement (qui est celle de la
-sphère), c'est seulement par le point en question, qui est le centre
-de la sphère, qu'ils peuvent atteindre leur véritable but, l'Unité.
-Dans la direction du centre, chaque atome perçoit plus d'atomes que
-dans toute autre direction. Chaque atome est poussé vers le centre,
-parce que sur la ligne droite, qui s'étend de lui au centre et qui
-continue au delà jusqu'à la circonférence, se trouve un plus grand
-nombre d'atomes que sur toute autre ligne droite,--un plus grand nombre
-d'objets qui le cherchent, lui, atome individuel,--un plus grand nombre
-de satisfactions pour sa propre tendance à l'Unité,--en un mot, parce
-que dans la direction du centre se trouve la plus grande possibilité
-de satisfaction générale pour son appétit individuel. Pour parler
-brièvement, la condition de l'Unité est en réalité ce que cherchent les
-atomes, et s'ils _semblent_ chercher le centre de la sphère, ce n'est
-qu'implicitement, parce que le centre implique, contient, enveloppe le
-seul centre essentiel, l'Unité. Mais, en raison de ce caractère double
-et implicite, il est impossible de séparer pratiquement la tendance
-vers l'Unité abstraite de la tendance vers le centre concret. Ainsi la
-tendance des atomes vers le centre général est, à tous égards, pratique
-et logique, la tendance de chacun vers chacun, et cette tendance
-réciproque universelle est la tendance vers le centre; l'une peut être
-prise pour l'autre; tout ce qui s'applique à l'une doit s'appliquer à
-l'autre, et enfin tout principe qui expliquera suffisamment l'une est
-une explication indubitable de l'autre.
-
-Je regarde soigneusement autour de moi pour trouver une objection
-rationnelle contre ce que j'ai avancé, et je n'en puis découvrir
-aucune; mais parmi cette classe d'objections généralement présentées
-par les douteurs de profession, les amoureux du Doute, j'en aperçois
-très-aisément trois, et je vais les examiner successivement.
-
-On dira peut-être d'abord: «La preuve que la force d'irradiation (dans
-le cas en question) est en proportion directe des carrés des distances
-repose sur cette supposition gratuite que le nombre des atomes dans
-chaque couche est la mesure de la force par laquelle ils ont été émis.»
-
-Je réponds que non-seulement j'ai parfaitement le droit de faire
-une telle supposition, mais que je n'aurais aucun droit d'en faire
-une autre. Ce que je suppose est simplement qu'un effet sert de
-mesure à la cause qui le produit,--que tout exercice de la Volonté
-Divine sera proportionnel au but qui réclame cet exercice,--et que
-les moyens de l'Omnipotence, ou de l'Omniscience, seront exactement
-appropriés à ses desseins. Le déficit ou l'excès dans la cause ne
-peuvent engendrer aucun effet. Si la force qui a irradié chaque couche
-dans la position qu'elle occupe avait été moins ou plus grande qu'il
-n'était nécessaire, c'est-à-dire, si elle n'avait pas été en proportion
-directe avec le but, alors cette couche n'aurait pas pu être irradiée
-à sa juste position. Si la force qui, en vue d'une égalité générale
-de distribution, a émis le nombre juste d'atomes pour chaque couche,
-n'avait pas été en proportion directe avec le nombre, alors ce nombre
-n'aurait pas été le nombre demandé pour une égale distribution.
-
-La seconde objection supposable a de meilleurs droits à une réponse.
-
-C'est un principe admis en dynamique que tout corps, recevant une
-impulsion, une disposition à se mouvoir, se meut en ligne droite
-dans la direction donnée par la force impulsive, jusqu'à ce qu'il
-soit détourné ou arrêté par quelque autre force. Comment donc,
-demandera-t-on peut-être, ma première couche, la couche extérieure
-d'atomes peut-elle arrêter son mouvement à la surface de la sphère
-de verre imaginaire, quand une seconde force, d'un caractère non
-imaginaire, ne se manifeste pas, pour expliquer cette interruption dans
-le mouvement?
-
-Je réponds que l'objection prend naissance ici dans une supposition
-tout à fait gratuite de la part du critique,--la supposition d'un
-principe dynamique à une époque où il n'existait pas de principes, en
-quoi que ce soit;--je me sers naturellement du mot _principe_ dans le
-sens même que le critique attribue à ce mot.
-
-_Au commencement des choses,_ nous ne pouvons admettre, nous ne pouvons
-comprendre qu'une Première Cause, le Principe vraiment suprême, la
-Volonté de Dieu. _L'action_ primitive, c'est-à-dire l'Irradiation de
-l'Unité, doit avoir été indépendante de tout ce que le monde appelle
-_principe,_ parce que ce que nous désignons sous ce terme n'est qu'une
-conséquence de la réaction de cette action primitive;--je dis action
-_primitive;_ car la création de la molécule matérielle absolue doit
-être considérée comme une _conception_ plutôt que comme une _action_
-dans le sens ordinaire du mot. Ainsi nous regarderons l'action
-primitive comme une action tendant à l'établissement de ce que nous
-appelons maintenant _principes._ Mais cette action primitive elle-même
-doit être entendue comme une _Volition continue._ La Pensée de Dieu
-doit être comprise comme donnant naissance à la Diffusion, comme
-l'accompagnant, comme la régularisant, et finalement comme se retirant
-d'elle après son accomplissement. Alors commence la Réaction, et par
-la Réaction, le _principe,_ dans le sens où nous employons le mot. Il
-serait prudent, toutefois, de limiter l'application de ce mot aux deux
-résultats immédiats de la cessation de la Volition Divine, c'est-à-dire
-aux deux agents, _Attraction_ et _Répulsion._ Chaque autre agent
-naturel dérive, plus ou moins immédiatement, de ces deux-là et serait
-en conséquence plus convenablement désigné sous le nom de sous-principe.
-
-On peut objecter en troisième lieu que le mode particulier de
-distribution des atomes que j'ai exposé est _une hypothèse et rien de
-plus._
-
-Or, je sais que le mot hypothèse est une lourde massue, empoignée
-immédiatement, sinon soulevée, par tous les petits penseurs, à la
-première apparence d'une proposition portant, plus ou moins, le costume
-d'une _théorie._ Mais il n'y a ici aucune bonne raison pour jouer de ce
-terrible marteau de l'hypothèse, même pour ceux qui sont capables de le
-soulever, géants ou mirmidons.
-
-Je maintiens d'abord que le mode tel que je l'ai décrit est _le seul_
-par lequel nous puissions concevoir que la Matière ait été répandue de
-manière à satisfaire à la fois aux deux conditions d'irradiation et de
-distribution généralement égale. J'affirme ensuite que ces conditions
-elles-mêmes se sont imposées à ma pensée comme résultats inévitables
-d'un raisonnement _aussi logique que celui sur lequel repose n'importe
-quelle démonstration d'Euclide;_ et j'affirme, en troisième lieu, que,
-quand même l'accusation d'hypothèse serait aussi bien appuyée qu'elle
-est, en fait, vaine et insoutenable, la validité et l'infaillibilité
-de mon résultat n'en serait cependant pas infirmée, même dans le plus
-petit détail.
-
-Je m'explique:--la Gravitation newtonienne, loi de la Nature, loi dont
-l'existence ne peut être mise en question qu'à Bedlam, loi qui, une
-fois admise, nous donne le moyen d'expliquer les neuf dixièmes des
-phénomènes de l'Univers,--loi que nous sommes, à cause de cela même,
-et sans en référer à aucune autre considération, disposés à admettre
-et que nous ne pouvons nous empêcher de reconnaître comme loi,--mais
-loi dont ni le principe ni le _modus operandi_ du principe n'ont été
-jusqu'à présent décalqués par l'analyse humaine,--loi enfin qui n'a
-été trouvée susceptible d'aucune explication, ni dans son détail, ni
-dans sa généralité,--se montre décidément explicable et expliquée sur
-tous les points, pourvu seulement que nous donnions notre assentiment
-à ... à quoi? A une hypothèse? Mais si une hypothèse,--si la plus pure
-hypothèse, une hypothèse à l'appui de laquelle, comme dans le cas de la
-Loi newtonienne, pure hypothèse elle-même, ne se présente pas l'ombre
-d'une raison _à priori,--_si une hypothèse, même aussi absolue que
-tout ce que celle-ci comporte, nous permet d'assigner un principe à
-la Loi newtonienne,--nous permet de considérer comme remplies des
-conditions si miraculeusement, si ineffablement complexes et en
-apparence inconciliables, comme celles impliquées dans les rapports
-que nous révèle la Gravitation,--quel être rationnel poussera la
-sottise jusqu'à appeler plus longtemps «hypothèse», même cette absolue
-hypothèse,--à moins qu'il ne persiste ainsi en sous-entendant que c'est
-simplement par pur amour pour l'irrévocabilité _des mots_?
-
-Mais quel est actuellement le véritable état de la question? Quel est
-_le fait?_ Non-seulement ce n'est pas une hypothèse que nous sommes
-priés d'adopter, pour expliquer le principe en question, mais c'est une
-conclusion logique que nous sommes invités, non pas à adopter si nous
-pouvons nous en dispenser, mais simplement à _nier si cela nous est
-possible;--_une conclusion d'une logique si exacte que la discuter,
-douter de sa validité, serait un effort au-dessus de nos forces;--une
-conclusion à laquelle nous ne voyons pas le moyen d'échapper, de
-quelque côté que nous nous tournions; un résultat que nous trouvons
-toujours en face de nous, soit que l'_induction_ nous ait promenés
-à travers les phénomènes de ladite Loi, soit que nous redescendions,
-avec la _déduction,_ de la plus rigoureusement simple de toutes les
-suppositions,--en un mot de _la supposition de la Simplicité elle-même._
-
-Et si maintenant, par pur amour de la chicane, on objecte que, bien
-que mon point de départ soit, comme je l'affirme, la supposition de
-l'absolue Simplicité, cependant la Simplicité, considérée en elle-même,
-n'est point un axiome, et que les déductions tirées des axiomes sont
-les seules incontestables, alors je répondrai:
-
-Toute autre science que la Logique est une science de certains rapports
-concrets. L'Arithmétique, par exemple, est la science des rapports
-de nombre,--la Géométrie, des rapports de forme,--les Mathématiques
-en général, des rapports de quantité en général, de tout ce qui peut
-être augmenté ou diminué. Mais la Logique est la science du Rapport
-dans l'abstrait, du Rapport absolu, du Rapport considéré en lui-même.
-Ainsi, dans toute science autre que la Logique, un axiome est une
-proposition proclamant certains rapports concrets qui semblent trop
-évidents pour être discutés, comme quand nous disons, par exemple,
-que le tout est plus grand que sa partie;--et le principe de l'axiome
-Logique à son tour, ou dans d'autres termes, le principe d'un axiome
-dans l'abstrait, est simplement _l'évidence de rapport._ Or, il est
-clair, d'abord, que ce qui est évident pour un esprit peut n'être pas
-évident pour un autre; ensuite, que ce qui est évident pour un esprit à
-une époque peut n'être pas du tout évident à une autre époque pour le
-même esprit. Il est clair, de plus, que ce qui est évident aujourd'hui
-pour la majorité de l'humanité ou pour la majorité des meilleurs
-esprits humains, peut demain, pour ces mêmes majorités, être plus ou
-moins évident, ou même n'être plus évident du tout. On voit donc que
-le _principe axiomatique_ lui-même est susceptible de variation, et que
-naturellement les axiomes sont susceptibles d'un semblable changement.
-Puisqu'ils sont variables, les _vérités,_ auxquelles ils donnent
-naissance, sont aussi nécessairement variables, ou, en d'autres termes,
-sont telles, qu'il ne faut jamais s'y fier absolument,--puisque la
-Vérité et l'Immutabilité ne font qu'un.
-
-Or, il est facile de comprendre qu'aucune idée axiomatique, aucune
-idée fondée sur le principe flottant de l'évidence de rapport, ne
-peut fournir, pour une construction quelconque de la Raison, une base
-aussi sûre, aussi solide, que _cette_ idée (quelle qu'elle soit,
-n'importe où nous la puissions trouver, et si toutefois il est possible
-de la trouver quelque part), qui sera absolument indépendante, qui
-non-seulement ne présentera à l'esprit aucune _évidence de rapport,_
-grande ou petite, mais encore lui imposera la nécessité de n'en voir
-aucune. Si une telle idée n'est pas ce que nous appelons étourdiment
-un axiome, elle est au moins préférable, comme base logique, à tout
-axiome qui ait jamais été avancé, ou à tous les axiomes imaginables
-réunis;--et telle est précisément l'idée par laquelle commence mon
-procédé de déduction, que l'induction corrobore si parfaitement. Ma
-_particule propre_ n'est que l'_absolue Indépendance._ Pour résumer
-ce que j'ai avancé, je suis parti de ce point que j'ai considéré
-comme-évident, à savoir que le Commencement n'avait rien derrière lui
-ni devant lui,--qu'il y avait eu en fait un Commencement,--que c'était
-un commencement et rien autre chose qu'un commencement,--bref que ce
-Commencement était ... _ce qu'il était._ Si l'on veut que ce soit là
-une _pure supposition,_ j'y consens.
-
-Pour finir cette partie de mon sujet, je suis pleinement autorisé à
-déclarer que _la Loi, que nous nommons habituellement Gravitation,
-existe en raison de ce que la Matière a été, à son origine, irradiée
-atomiquement, dans une sphère limitée_[2] _d'Espace, d'une Particule
-Propre, unique, individuelle, inconditionnelle, indépendante et
-absolue, selon le seul mode qui pouvait satisfaire à la fois aux deux
-conditions d'irradiation et de distribution généralement égale à
-travers la sphère,--c'est-à-dire par une force variant en proportion
-directe des carrés des distances comprises entre chacun des atomes
-irradiés et le centre spécial d'Irradiation._
-
-J'ai déjà dit pour quelles raisons je présumais que la Matière avait
-été éparpillée par une force déterminée, plutôt que par une force
-continue ou infiniment continuée. D'abord, en supposant une force
-continue, nous ne pourrions comprendre aucune espèce de réaction; et
-ensuite nous serions obligés d'accepter l'idée inadmissible d'une
-extension infinie de Matière. Sans nous appesantir sur l'impossibilité
-de cette conception, remarquons que l'extension infinie de la Matière
-est une idée qui, si elle n'est pas positivement contredite, du moins
-n'est pas du tout confirmée par les observations télescopiques;--c'est
-un point à éclaircir plus tard; et cette raison empirique qui nous fait
-croire que la Matière est originellement finie se trouve confirmée
-d'une manière non empirique. Ainsi, par exemple, en admettant, pour le
-moment, la possibilité de comprendre l'Espace _rempli_ par les atomes
-irradiés, c'est-à-dire en admettant, autant que nous le pouvons, que la
-succession des atomes irradiés n'ait absolument pas _de fin,_ il est
-suffisamment clair que, même après que la Volonté Divine s'est retirée
-d'eux et que la tendance à retourner vers l'Unité a eu, d'une manière
-abstraite, permission de se satisfaire, cette permission aurait été
-futile et inefficace, sans valeur pratique et sans effet quelconque.
-Aucune Réaction n'aurait pu avoir lieu; aucun mouvement vers l'Unité
-n'aurait pu se faire; aucune loi de gravitation n'aurait pu s'établir.
-
-Expliquons mieux la chose. Accordez que la tendance abstraite d'un
-atome quelconque vers un autre atome quelconque est le résultat
-inévitable de la diffusion de l'Unité normale, ou ce qui est la même
-chose, admettez qu'un atome donné quelconque _se propose_ de se mouvoir
-dans une direction donnée quelconque, il est clair que, s'il y a une
-_infinité_ d'atomes de tous les côtés de l'atome qui se propose de se
-mouvoir, il ne pourra jamais se mouvoir, dans la direction donnée, vers
-la satisfaction de sa tendance, en raison d'une tendance précisément
-égale et contre-balançante dans la direction diamétralement opposée.
-En d'autres termes, il y a exactement autant de tendances derrière que
-devant l'atome hésitant; car c'est une pure sottise de dire qu'une
-ligne infinie est plus longue ou plus courte qu'une autre ligne
-infinie, ou qu'un nombre infini est plus gros ou plus petit qu'un autre
-nombre infini. Ainsi l'atome en question doit rester stationnaire à
-jamais. Dans les conditions impossibles que nous nous sommes efforcés
-de concevoir, simplement pour l'amour de la discussion, il n'y aurait
-eu aucune aggrégation de Matière,--ni étoiles, ni mondes,--rien qu'un
-Univers éternellement atomique et illogique. En effet, de quelque façon
-que vous considériez la chose, l'idée d'une Matière illimitée est
-non-seulement insoutenable, mais impossible et perturbatrice de tout
-ordre.
-
-En nous figurant les atomes compris dans une _sphère,_ nous concevons
-tout de suite une satisfaction possible pour la tendance à la réunion.
-Le résultat général de la tendance de chacun vers chacun étant une
-tendance de tous vers le centre, la marche générale de la condensation,
-ou le rapprochement, commence immédiatement, par un mouvement
-commun et simultané, avec la retraite de la Volition Divine; les
-rapprochements individuels ou coalescences--non pas fusions--d'atome
-à atome étant sujets à des variations presque infinies dans le temps,
-le degré et la condition, en raison de l'excessive multiplicité de
-rapports produite par les différences de forme qui caractérisaient les
-atomes au moment où ils se séparaient de la Particule Propre; produite
-également par l'inégalité particulière et subséquente de distance de
-chacun à chacun.
-
-Ce que je désire faire entrer dans l'esprit du lecteur, c'est la
-certitude que, tout d'abord (la force diffusive ou Volition Divine
-s'étant retirée), de la condition des atomes telle que je l'ai
-décrite, ont dû, sur d'innombrables points à travers la sphère
-Universelle, naître d'innombrables agglomérations, caractérisées par
-d'innombrables différences spécifiques de forme, de grosseur, de
-nature essentielle, et de distance réciproque. Le développement de la
-Répulsion (Electricité) doit naturellement avoir commencé avec les
-premiers efforts particuliers vers l'Unité, et avoir marché constamment
-en raison de la Coalescence,--c'est-à-dire de la Condensation, ou,
-conséquemment, de l'Hétérogénéité.
-
-Ainsi les deux Principes proprement dits, l'Attraction et la Répulsion,
-le Matériel et le Spirituel, s'accompagnent l'un l'autre dans la plus
-étroite confraternité. Ainsi _le Corps et l'Ame marchent de concert._
-
-
-
-[Footnote 1: _Double Assassinat dans la rue Morgue._--HISTOIRES
-EXTRAORDINAIRES.]
-
-[Footnote 2: Une sphère est _nécessairement_ limitée; mais je préfère
-la tautologie au danger de n'être pas compris E. P.]
-
-
-
-
-VIII
-
-
-Si maintenant, en imagination, nous choisissons, à travers la sphère
-Universelle, _une quelconque_ de ces agglomérations considérées dans
-leurs phases primaires, et si nous supposons que cette agglomération
-commençante a eu lieu sur ce point où existe le centre de notre
-Soleil, ou plutôt où il existait originellement (car le Soleil change
-perpétuellement de position), nous nous rencontrerons infailliblement
-avec la plus magnifique des théories, et, pendant un certain temps au
-moins, nous avancerons avec elle,--je veux dire avec la Cosmogonie
-de Laplace;--quoique _Cosmogonie_ soit un terme trop compréhensif
-pour l'objet dont l'auteur traite en réalité, qui est seulement la
-constitution de notre système solaire, c'est-à-dire d'un système parmi
-la myriade de systèmes analogues qui composent l'Univers proprement
-dit,--cette sphère Universelle, cet omni-compréhensif et absolu
-_Kosmos_ qui forme le sujet de mon présent discours.
-
-Laplace, se confinant dans une région _évidemment limitée,_ celle de
-notre système solaire, avec son entourage comparativement immédiat,
-et supposant _purement,_ c'est-à-dire sans établir aucune base
-quelconque, par induction ou par déduction, une grande partie de ce que
-j'essayais tout à l'heure de fixer sur une base plus solide qu'une pure
-hypothèse;--supposant, par exemple, la matière répandue (sans prétendre
-expliquer cette diffusion) à travers l'espace occupé par notre système,
-et même un peu au delà; répandue à l'état de nébulosité hétérogène
-et obéissant à la loi toute-puissante de la Gravitation, dont il ne
-s'avise pas de conjecturer le principe;--supposant toutes ces choses
-(qui sont parfaitement vraies, bien qu'il n'eût pas logiquement le
-droit de les supposer), Laplace, dis-je, a montré, dynamiquement et
-mathématiquement, que les résultats naissant forcément de telles
-circonstances sont ceux, et ceux-là seuls, que nous voyons manifestés
-dans la condition actuelle du système solaire.
-
-Je m'explique.--Supposons que cette agglomération particulière dont
-nous avons parlé, celle qui a eu lieu au point marqué par le centre
-de notre Soleil, ait continué jusqu'à ce qu'une vaste quantité de
-matière nébuleuse y ait pris une forme à peu près sphérique; son
-centre coïncidant évidemment avec le centre actuel ou plutôt le centre
-originel de notre Soleil, et sa périphérie s'étendant au delà de
-l'orbite de Neptune, la plus éloignée de nos planètes;--en d'autres
-termes, supposons que le diamètre de cette sphère grossière ait été
-d'environ six mille millions de milles. Pendant des siècles, cette
-masse de matière a été se condensant, tant qu'à la longue elle a été
-réduite au volume que nous imaginons, ayant procédé graduellement
-depuis son état atomique et imperceptible jusqu'à ce que nous entendons
-par une _nébulosité_ visible, palpable, ou appréciable d'une manière
-quelconque.
-
-Or, la condition de cette masse implique une rotation autour d'un axe
-imaginaire,--rotation, qui, commençant avec les premiers symptômes
-d'aggrégation, a depuis lors toujours acquis de la vélocité. Les
-deux premiers atomes qui se sont rencontrés, partant de points non
-diamétralement opposés, ont dû, se précipitant un peu au delà l'un
-de l'autre, former un noyau pour le mouvement rotatoire en question.
-Comment ce mouvement a augmenté en vélocité, on le voit aisément. Les
-deux atomes sont rejoints par d'autres;--une aggrégation est formée.
-La masse continue à tourner tout en se condensant. Mais tout atome
-situé à la circonférence subit naturellement un mouvement plus rapide
-qu'un atome placé plus près du centre. Néanmoins l'atome éloigné,
-avec sa vélocité supérieure, se rapproche du centre, portant avec lui
-cette vélocité supérieure à mesure qu'il avance. Ainsi chaque atome
-marchant vers le centre, et s'attachant finalement au centre de la
-condensation, ajoute quelque chose à la vélocité originelle de ce
-centre, c'est-à-dire accroît le mouvement rotatoire de la masse.
-
-Supposons maintenant cette masse condensée à ce point qu'elle occupe
-précisément l'espace circonscrit par l'orbite de Neptune, et que la
-vélocité avec laquelle se meut, dans la rotation générale, la surface
-de la masse, soit précisément celle avec laquelle Neptune accomplit
-maintenant sa révolution autour du Soleil. A cette époque déterminée,
-nous comprenons que la force centrifuge constamment croissante,
-l'emportant sur la force centripète non croissante, a dû faire se
-dégager et se séparer les couches extérieures les moins condensées, à
-l'équateur de la sphère, là où prédominait la vélocité tangentielle;
-de sorte que ces couches ont formé autour du corps principal un anneau
-indépendant circonvenant les régions équatoriales;--juste comme la
-partie extérieure d'une meule, chassée par une excessive vélocité de
-rotation, formerait un anneau autour de la meule, si la solidité de
-la superficie n'y faisait obstacle; mais si cette matière était du
-caoutchouc, ou toute autre d'une consistance à peu près semblable, le
-phénomène en question se manifesterait infailliblement.
-
-L'anneau, chassé ainsi par la masse nébuleuse, a dû naturellement
-accomplir sa révolution, comme anneau _individuel,_ juste avec la même
-vélocité qui le faisait tourner comme _surface de la masse._ En même
-temps, la condensation continuant toujours, l'intervalle entre l'anneau
-projeté et le corps principal a dû s'accroître sans cesse, tant qu'à la
-fin le premier s'est trouvé à une vaste distance du dernier.
-
-Or, en admettant que l'anneau ait possédé, par quelque arrangement en
-apparence accidentel de ses éléments hétérogènes, une constitution
-presque uniforme, cet anneau, dans ces conditions, n'aurait jamais
-cessé de tourner autour du corps principal; mais, comme on pouvait s'y
-attendre, if paraît qu'il y a eu dans la disposition de ses éléments
-assez d'irrégularité pour les faire se grouper autour de centres d'une
-solidité supérieure; et ainsi la forme annulaire a été détruite[1].
-Sans aucun doute, la bande a été bientôt rompue en plusieurs morceaux,
-et l'un de ces morceaux, d'un volume plus considérable, a absorbé les
-autres en lui; le tout s'est tassé, sphériquement, en une planète.
-Que ce dernier corps ait continue, comme planète, le mouvement de
-révolution qui le caractérisait quand il était anneau, cela est
-suffisamment évident; et l'on voit aussi facilement qu'il a dû, de sa
-nouvelle condition de sphère, tirer un mouvement additionnel. Si nous
-considérons l'anneau comme n'étant pas encore rompu, nous voyons que
-sa partie extérieure, pendant que la totalité tourne autour du corps
-générateur, se meut avec plus de rapidité que sa partie intérieure.
-Donc, quand la rupture s'est faite, une partie dans chaque fragment
-a dû se mouvoir avec plus de vélocité que les autres. Le mouvement
-supérieur prédominant a dû faire tourner chaque fragment sur lui-même,
-c'est-à-dire lui imprimer une rotation; et le sens de cette rotation
-a été naturellement le sens de la révolution d'où elle avait pris
-naissance. Tous les fragments ayant subi ladite rotation l'ont, en
-se réunissant, forcément communiquée à la planète formée par leur
-cohésion. Cette planète fut Neptune. Ses éléments continuant à se
-condenser, et la force centrifuge produite dans sa rotation l'emportant
-à la longue sur la force centripète, comme nous l'avons vu dans le
-cas du globe générateur, un anneau a été également projeté de la
-surface équatoriale de cette planète; cet anneau, [non] uniforme dans
-sa constitution, a été rompu, et ses divers fragments, absorbés par le
-plus massif de tous, ont été collectivement sphérifiés en une lune. Le
-phénomène répété une seconde fois a donné pour résultat une seconde
-lune. Ainsi nous trouvons expliquée la planète Neptune avec les deux
-satellites qui l'accompagnent.
-
-En projetant de son équateur un anneau, le Soleil avait rétabli
-entre ses deux forces, centripète et centrifuge, l'équilibre
-rompu par le progrès de la condensation; mais cette condensation
-continuant toujours, l'équilibre fut de nouveau troublé par suite de
-l'accroissement de la rotation. Pendant que la masse s'était rétrécie
-au point de n'occuper que juste l'espace sphérique circonscrit par
-l'orbite d'Uranus, la force centrifuge, cela se comprend, avait pris
-une influence assez grande pour nécessiter un nouveau soulagement.
-Conséquemment, une seconde bande équatoriale fut lancée, qui, n'étant
-pas d'une constitution uniforme, a été brisée, comme dans le cas
-précédent de Neptune; les fragments tassés sont devenus la planète
-Uranus; et la vélocité de sa révolution actuelle autour du Soleil
-nous donne évidemment la mesure de la vitesse rotatoire de la surface
-équatoriale du Soleil au moment de la séparation. Uranus, tirant sa
-rotation des rotations combinées des fragments auxquels il devait sa
-naissance, comme nous l'avons expliqué pour le cas précédent, projeta
-alors successivement des anneaux, dont chacun, se brisant, se modela en
-lune. Trois lunes, à différentes époques, furent formées de cette façon
-par la rupture et la sphérification d'autant d'anneaux distincts non
-uniformes dans leur constitution.
-
-Pendant que le Soleil se réduisait à n'occuper que juste l'espace
-circonscrit par l'orbite de Saturne, nous devons supposer que la
-balance entre ses deux forces, centripète et centrifuge, avait été
-dérangée par l'accroissement de la vitesse rotatoire, résultat de
-la condensation, au point de nécessiter un troisième effort vers
-l'équilibre, et qu'une bande annulaire, comme dans les deux cas
-précédents, fut conséquemment lancée, qui, bientôt rompue par la
-non-uniformité de ses parties, se consolida pour devenir la planète
-Saturne. Cette dernière projeta d'abord sept bandes, qui, après s'être
-rompues, se sphérifièrent en autant de lunes; mais elle paraît s'être
-subséquemment déchargée, à trois époques distinctes et peu éloignées
-l'une de l'autre, de trois anneaux dont la constitution se trouva, par
-un accident apparent, assez uniforme et assez solide pour ne fournir
-aucune occasion de rupture; aussi ils continuent à tourner sous la
-forme d'anneaux. Je dis _accident apparent;_ car pour un accident
-dans le sens ordinaire, il n'y en eut évidemment aucun; le terme ici
-s'applique simplement au résultat d'une _loi_ indiscernable ou que nous
-ne pouvons pas immédiatement étudier.
-
-Se réduisant toujours de plus en plus, jusqu'à n'occuper que l'espace
-circonscrit par l'orbite de Jupiter, le Soleil éprouva bientôt le
-besoin d'un nouvel effort pour restaurer l'équilibre de ses deux
-forces, perpétuellement dérangé par l'accroissement continu de la
-vitesse de rotation. En conséquence Jupiter fut lancé hors du Soleil,
-passant de la condition annulaire à l'état planétaire, et, arrivé à ce
-second état, projeta à son tour, à quatre époques différentes, quatre
-anneaux, qui finalement se transformèrent en autant de lunes.
-
-Se rétrécissant toujours, jusqu'à ce que sa sphère n'occupât que juste
-l'espace défini par l'orbite des Astéroïdes, le Soleil se déchargea
-d'un anneau qui paraît avoir eu _huit_ centres de solidité supérieure,
-et en se brisant, avoir produit huit fragments, dont pas un ne
-possédait une masse assez considérable pour absorber les autres. Tous
-conséquemment, comme planètes distinctes, mais comparativement petites,
-se mirent à tourner dans des orbites dont les distances respectives
-peuvent être, jusqu'à un certain point, considérées comme la mesure de
-la force qui les a séparés;--toutes les orbites néanmoins se trouvant
-assez rapprochées pour nous permettre de les considérer comme _une,_ en
-comparaison des autres orbites planétaires.
-
-Le Soleil, se réduisant toujours et ne remplissant plus que juste
-l'orbite de Mars, se déchargea alors de cette planète par le mode
-déjà si souvent décrit. Toutefois, puisqu'il n'a pas de lune, Mars
-n'a pas pu engendrer d'anneau. En fait, une phase se produisait
-dans la carrière du corps générateur, centre de tout le système. La
-décroissance de sa nébulosité, qui était en même temps l'accroissement
-de sa [densité et encore la décroissance de sa] condensation dont
-résultait la constante rupture de l'équilibre, a dû, à partir de cette
-époque, atteindre un point où les efforts pour le rétablissement de cet
-équilibre ont été de plus en plus inefficaces, juste à mesure qu'ils
-étaient moins fréquemment nécessaires. Ainsi les phénomènes dont nous
-avons parlé ont dû donner partout des signes d'épuisement,--dans les
-planètes d'abord, et ensuite dans la masse génératrice. Ne tombons pas
-dans cette erreur qui suppose que le décroissement d'intervalle observé
-entre les planètes, à mesure qu'elles se rapprochent du Soleil, est
-en quelque sorte un indice de fréquence croissante dans les crises
-qui leur ont donné naissance. C'est justement l'inverse qui doit être
-supposé. Le plus long intervalle de temps a dû séparer les émissions
-des deux planètes intérieures, et le plus court la naissance des deux
-extérieures. Mais la diminution d'espace est la mesure de la densité
-du Soleil, et en même temps elle est en raison inverse de son aptitude
-à la condensation dans tout le cours des phénomènes dont nous avons
-fait l'histoire.
-
-Cependant, s'étant réduit jusqu'à ne plus remplir que l'orbite de
-notre Terre, la sphère-mère a chassé hors d'elle-même encore un autre
-corps,--la Terre,--dans une condition de nébulosité qui a permis à ce
-corps de se décharger à son tour d'un autre corps qui est notre Lune.
-Mais là se sont arrêtées les formations lunaires.
-
-Finalement, se confinant aux orbites, d'abord de Vénus et ensuite de
-Mercure, le Soleil a lancé ces deux planètes intérieures; ni l'une ni
-l'autre n'a engendré de lune.
-
-Ainsi, de son volume originel, ou, pour parler plus exactement, de la
-condition sous laquelle nous l'avons d'abord considéré, c'est-à-dire
-d'une masse nébuleuse à peu près sphérique possédant _certainement_ un
-diamètre de plus de cinq mille six cents millions de milles, le grand
-astre central, origine de notre système solaire-planétaire-lunaire,
-s'est graduellement réduit, obéissant à la loi de la Gravitation, à
-un globe d'un diamètre de huit cent quatre-vingt-deux mille milles
-seulement; mais il ne s'ensuit pas du tout que sa condensation soit
-absolument complète, ou qu'il ne possède plus la puissance de projeter
-encore une planète.
-
-
-[Footnote 1: Laplace a supposé sa nébulosité hétérogène, simplement
-parce que cela lui permettait d'expliquer le morcellement des anneaux;
-car si la nébulosité avait été homogène, ils ne se seraient pas brisés.
-J'arrive au même résultat (hétérogénéité des masses secondaires
-résultant immédiatement des atomes) simplement par une considération à
-_priori_ de leur but général, qui est _le Relatif._ E. P.]
-
-
-
-IX
-
-
-Je viens de donner, avec son contour général seulement, mais aussi
-avec tout le détail nécessaire pour l'intelligence, un tableau de la
-Théorie cosmogonique de Laplace telle que son auteur lui-même l'a
-conçue. De quelque point de vue que nous la considérions, nous la
-trouvons _magnifiquement vraie._ Elle est immensément trop belle pour
-ne pas contenir la Vérité comme caractère essentiel;--et en disant
-cela je suis profondément sérieux. Dans la révolution des satellites
-d'Uranus apparaît quelque chose qui semble contredire les hypothèses
-de Laplace; mais que cette _unique_ inconsistance puisse infirmer une
-théorie construite avec un million de consistances intimement reliées
-entre elles, c'est là une idée qui n'est bonne que pour les esprits
-fantasques. En prophétisant audacieusement que l'anomalie apparente
-dont je parle deviendra, tôt ou tard, une des confirmations les plus
-fortes possibles de l'hypothèse générale, je ne prétends à aucun don
-spécial de divination; car, au contraire, ce qui serait vraiment
-difficile, ce serait de ne pas pressentir cette découverte.[1]
-
-Les corps projetés par le mode en question ont dû, comme on l'a vu,
-transformer la _rotation_ superficielle des globes, d'où ils tiraient
-leur origine, en une _révolution_ d'une vélocité égale autour de ces
-globes devenus centres distants; et la révolution ainsi engendrée
-continuera tant que la force centripète, qui est celle par laquelle le
-corps projeté gravite vers son générateur, ne sera ni plus ni moins
-grande que la force par laquelle il a été projeté, c'est-à-dire la
-vélocité centrifuge, ou, plus proprement, tangentielle. Cependant, par
-l'unité d'origine de ces deux forces, nous pouvions deviner ce qu'elles
-sont en effet,--l'une contre-balançant exactement l'autre. En réalité,
-n'avons-nous pas démontré que le fait de la projection du corps n'avait
-eu lieu que pour la conservation de l'équilibre?
-
-Toutefois, après avoir rapporté la force centripète à la loi
-toute-puissante de la Gravitation, il a été d'usage, dans les traités
-astronomiques, de chercher au delà des limites de la pure Nature,
-c'est-à-dire au delà d'une cause _Secondaire,_ l'explication du
-phénomène de la vélocité tangentielle. On attribue directement cette
-dernière à une Cause _Première,_ à Dieu lui-même. La force qui emporte
-un corps stellaire autour de la planète principale tire, nous dit-on,
-son origine d'une impulsion donnée immédiatement par le doigt de la
-Divinité elle-même; car telle est la phraséologie enfantine usitée
-dans ce cas. A ce point de vue, les planètes, parfaitement formées,
-ont été lancées par la main de Dieu, vers une position voisine des
-soleils, avec une force mathématiquement proportionnée à la masse ou
-puissance attractive des soleils eux-mêmes. Une idée si grossière,
-si anti-philosophique, et pourtant si tranquillement adoptée, n'a pu
-naître que de la difficulté de rendre autrement compte de la proportion
-exacte qui existe entre deux forces en apparence indépendantes l'une de
-l'autre, la force centripète et la force centrifuge. Mais on devrait se
-rappeler que pendant un long temps la coïncidence de la rotation de la
-Lune avec sa révolution sidérale, deux choses en apparence bien plus
-indépendantes l'une de l'autre que celles maintenant en question, a été
-considérée comme un un fait positivement miraculeux; et qu'il y avait,
-même parmi les astronomes, une singulière disposition à attribuer
-cette merveille à l'agence directe et continue de Dieu, qui dans ce
-cas, disait-on, avait jugé nécessaire d'intercaler, à travers ses lois
-générales, une série de règles subsidiaires, dans le but de cacher à
-tout jamais aux yeux des mortels la splendeur, ou peut-être l'horreur
-de l'autre côté de la Lune,--de ce mystérieux hémisphère qui a toujours
-évité et doit toujours éviter la curiosité télescopique de l'homme. Les
-progrès de la Science, toutefois, ont bientôt démontré,--ce qui pour
-l'instinct philosophique n'avait pas besoin de démonstration,--que
-l'un des deux mouvements n'est qu'une partie de l'autre,--ce qui est
-mieux encore qu'une conséquence.
-
-Pour ma part, je me sens irrité par des conceptions à la fois aussi
-timides, aussi vaines et aussi fantasques. Elles viennent d'une absolue
-couardise de pensée. Que la Nature et que le Dieu de la Nature soient
-distincts, aucun être pensant n'en peut longtemps douter. Par la Nature
-nous entendons simplement les lois de Dieu. Mais dans l'idée de Dieu,
-avec son omnipotence et son omniscience, nous faisons entrer aussi
-l'idée de _l'infaillibilité_ de ses lois. Pour Lui, il n'y a ni Passé
-ni futur; pour Lui, tout est _Présent;_ donc, ne l'insultons-nous pas
-en supposant que ses lois puissent n'être pas faites en prévision de
-toutes les contingences possibles? Ou plutôt, quelle idée pouvons-nous
-avoir d'une contingence possible _quelconque,_ qui ne soit à la fois le
-résultat et la manifestation de ses lois? Celui qui, se dépouillant de
-tout préjugé, aura le rare courage de penser absolument par lui-même ne
-pourra pas ne pas arriver à la finale condensation des _lois_ en une
-_Loi,--_ne pourra pas ne pas aboutir à cette conclusion: que _chaque
-loi de la Nature dépend en tous points de toutes les autres lois,_ et
-que toutes ne sont que les conséquences d'un exercice primitif de la
-Volonté Divine. Tel est le principe de la Cosmogonie que j'essaye, avec
-toute la déférence nécessaire, de suggérer et de soutenir ici.
-
-D'après ce point de vue, chassant, comme frivole et même comme impie,
-cette idée, que la force tangentielle a pu être communiquée directement
-aux planètes par _le doigt de Dieu,_ je considère cette force comme
-naissant de la rotation des astres;--cette rotation comme amenée par
-l'impétuosité des atomes primitifs se précipitant vers leurs centres
-respectifs d'aggrégation;--cette impétuosité comme la conséquence de
-la loi de la Gravitation;--cette loi comme le mode par lequel devait
-nécessairement se manifester la tendance des atomes à retourner à
-la non-particularité;--cette tendance au retour comme la réaction
-inévitable de l'Acte premier, le plus sublime de tous, celui par lequel
-un Dieu, existant par lui-même et existant seul, est devenu, par la
-force de sa volonté, tous les êtres à la fois, pendant que tous les
-êtres devenaient ainsi une partie de Dieu.
-
-Les hypothèses fondamentales de ce traité impliquent nécessairement
-certaines modifications importantes de la Théorie telle qu'elle nous
-est présentée par Laplace. J'ai considéré la force répulsive comme
-ayant pour but de prévenir le contact entre les atomes, et comme se
-produisant en raison du rapprochement, c'est-à-dire en raison de la
-condensation. En d'autres termes, _Y Electricité,_ avec ses phénomènes
-compliqués, chaleur, lumière et magnétisme, doit procéder comme procède
-la condensation, et, naturellement, en raison inverse de la [densité],
-c'est-à-dire la _cessation de la condensation._ Ainsi le Soleil, dans
-le cours de son aggrégation, a dû, la répulsion se développant, devenir
-excessivement chaud,--incandescent peut-être; et nous comprenons
-comment l'émission de ses anneaux a dû être matériellement facilitée
-par la légère incrustation de sa surface, résultat du refroidissement.
-Mainte expérience vulgaire nous montre comme une croûte analogue
-se détache facilement, par suite de l'hétérogénéité, de la masse
-intérieure. Mais, à chaque émission successive de surface durcie,
-la nouvelle surface apparaîtrait incandescente comme auparavant;
-et l'époque où elle se serait de nouveau suffisamment durcie pour
-se détacher et s'éloigner facilement, peut être considérée comme
-coïncidant exactement avec celle où la masse entière aurait besoin d'un
-nouvel effort pour rétablir l'équilibre de ses deux forces, dérangé
-par la condensation. En d'autres termes, quand l'influence électrique
-(la Répulsion) a définitivement préparé la surface à se détacher,
-l'influence de la Gravitation (l'Attraction) s'est trouvée prête à
-la rejeter. Ici donc, comme toujours, comme partout, nous voyons que
-_le Corps et l'Ame marchent de concert,_ Ces idées sont confirmées en
-tous points par l'expérience. Puisque la condensation ne peut jamais,
-dans aucun corps, être considérée comme absolument finie, nous pouvons
-prévoir que toutes les fois qu'il nous sera permis de vérifier le
-cas, nous trouverons des indices de luminosité dans tous les corps
-stellaires, dans les lunes et les planètes aussi bien que dans les
-soleils. Que notre Lune soit fortement lumineuse par elle-même, nous
-le voyons à chaque éclipse totale, alors qu'elle devrait disparaître
-s'il n'en était pas ainsi. Sur la partie sombre du satellite nous
-observons aussi, pendant ses phases, des traînées de lumière comme
-nos propres Aurores; et il est évident que celles-ci, avec tous nos
-phénomènes divers proprement dits électriques, sans parler d'aucune
-clarté plus constante, doivent donner à notre Terre, pour un habitant
-de la Lune, une certaine apparence de luminosité. En réalité, nous
-devons considérer tous les phénomènes en question comme de simples
-manifestations, différentes en modes et en degrés, d'une condensation
-de la Terre faiblement continuée.
-
-Si mes vues sont justes, attendons-nous à trouver les planètes plus
-récentes,--c'est-à-dire celles qui sont plus près du Soleil,--plus
-lumineuses que celles qui sont plus éloignées et d'une origine plus
-ancienne. L'éclat excessif de Vénus (qui, durant ses phases, laisse
-voir sur ses parties sombres de fréquentes Aurores) ne semble pas
-suffisamment expliqué par sa proximité de l'astre central. Cette
-planète est, sans doute, vivement lumineuse par elle-même, bien qu'elle
-le soit moins que Mercure, pendant que la luminosité de Neptune se
-trouve comparativement réduite à rien.
-
-Mes idées étant admises, il est clair que du moment où le Soleil
-s'est déchargé d'un anneau, il a dû subir une diminution continue
-de lumière et de chaleur en raison de l'incrustation continue de sa
-surface; et qu'une époque a dû venir, époque précédant immédiatement
-une nouvelle décharge, où la diminution de la lumière et de la chaleur
-a été matériellement très-sensible. Or nous savons qu'il est resté
-de ces changements des traces faciles à reconnaître. Sur les îles
-Melville, pour ne prendre qu'un exemple entre cent, nous trouvons
-des témoignages d'une végétation plus que tropicale, des traces de
-plantes qui n'auraient jamais pu fleurir sans une chaleur et une
-lumière immensément plus grandes que celles que notre Soleil peut
-actuellement donner à aucune partie de la Terre. Devons-nous rapporter
-cette végétation à l'époque qui a suivi immédiatement l'émission de la
-planète Vénus? A cette époque a dû se produire pour nous la plus grande
-somme d'influence solaire, et cette influence a dû, dans le fait,
-atteindre alors son maximum; naturellement nous négligeons la période
-de l'émission de la Terre, qui fut sa période de simple organisation.
-
-D'autre part, nous savons qu'il existe des _soleils non lumineux,_
-c'est-à-dire des soleils dont nous déterminons l'existence par les
-mouvements des autres, mais dont la luminosité n'est pas suffisante
-pour agir sur nous. Ces soleils sont-ils invisibles simplement à cause
-de la longueur de temps écoulé depuis qu'ils ont produit une planète?
-Et en revanche, ne pouvons-nous pas, au moins dans de certains cas,
-expliquer les apparitions soudaines de soleils sur des points où nous
-n'en avions pas jusqu'à présent soupçonné l'existence, en supposant
-qu'ayant tourné avec des surfaces durcies pendant les quelques
-milliers d'années qui composent notre histoire astronomique, ils ont
-pu enfin, après avoir produit un nouvel astre secondaire, déployer les
-splendeurs de leur partie intérieure toujours incandescente? Quant
-au fait bien certain de l'accroissement proportionnel de chaleur à
-mesure que nous pénétrons dans l'intérieur de la Terre, il suffit de
-le rappeler en passant, et il sert à corroborer aussi fortement que
-possible tout ce que j'ai dit sur le sujet actuellement en question.
-
-En parlant de l'influence répulsive ou électrique, je faisais observer
-tout à l'heure que les phénomènes importants de vitalité, de conscience
-et de pensée, étudiés soit dans leur généralité, soit dans leur détail,
-semblaient procéder en raison de l'hétérogénéité. Je disais aussi que
-je reviendrais sur cette idée; et c'est ici, je crois, le moment de le
-faire. Si nous regardons d'abord la chose dans le détail, nous voyons
-que ce n'est pas seulement la manifestation de la vitalité, mais aussi
-son importance, ses conséquences et l'élévation de son caractère,
-qui sont en parfait accord avec l'hétérogénéité, ou complexité, de
-la structure animale. Si nous examinons maintenant la question dans
-sa généralité, et si nous en référons aux premiers mouvements des
-atomes vers une constitution massive, nous voyons que l'hétérogénéité
-est toujours en proportion de la condensation, par qui elle a été
-directement amenée. Nous arrivons ainsi à cette proposition, que
-_l'importance du développement de la vitalité terrestre procède en
-raison égale de la condensation terrestre._
-
-Or, ceci est en accord précis avec ce que nous savons de la succession
-des animaux sur la Terre. A mesure que celle-ci s'est condensée, des
-races de plus en plus perfectionnées ont apparu. Est-il impossible que
-les révolutions géologiques successives qui ont accompagné, si elles
-ne les ont pas immédiatement causées, ces élévations successives
-du caractère de vitalité,--est-il improbable que ces révolutions
-elles-mêmes aient été produites par les décharges planétaires
-successives du Soleil,--en d'autres termes, par les variations
-successives de l'influence du Soleil sur la Terre? Si cette idée paraît
-juste, if n'est pas déraisonnable de supposer que la décharge d'une
-nouvelle planète, plus proche du centre que Mercure, puisse amener
-une nouvelle modification de la surface terrestre,--modification d'où
-tirerait sa naissance une race matériellement et spirituellement
-supérieure à l'Homme. Ces pensées me frappent avec toute la force de la
-vérité, mais je ne les émets ici qu'en tant que pures suggestions.
-
-La Théorie de Laplace a reçu récemment, par les mains du philosophe
-Comte, une confirmation plus forte encore qu'if n'était nécessaire.
-Ainsi ces deux savants ensemble ont montré,--non pas, certainement, que
-la Matière ait positivement existé, à une époque quelconque, à l'état
-de diffusion nébuleuse, tel que nous l'avons décrit,--mais que, si l'on
-veut bien admettre qu'elle ait ainsi existé dans tout l'espace et bien
-au delà de l'espace occupé maintenant par notre système solaire, _et
-qu'elle ait commencé un mouvement vers un centre,--_ils ont démontré,
-dis-je, que dans ce cas elle a dû adopter les formes variées et les
-mouvements que nous voyons maintenant se développer dans ce système.
-Une démonstration telle que celle-ci, dynamique et mathématique,
-aussi complète qu'une démonstration peut l'être, incontestable et
-incontestée, excepté peut-être par la secte impuissante et pitoyable
-des douteurs de profession, simples fous qui nient la loi newtonienne
-de la Gravitation, sur laquelle sont basés les résultats des
-mathématiciens français,--une démonstration telle que celle-là doit,
-pour beaucoup d'intelligences (et pour la mienne il en est ainsi),
-confirmer l'hypothèse cosmique sur laquelle elle s'appuie.
-
-Que la démonstration ne prouve pas l'hypothèse, selon le sens ordinaire
-attribué au mot _preuve,_ naturellement je l'admets. Montrer que
-certains résultats existants, que certains faits reconnus peuvent être,
-même mathématiquement, expliqués par une certaine hypothèse, ce n'est
-pas établir l'hypothèse elle-même. En d'autres termes, montrer que
-certaines données ont _pu_ et même ont _dû_ engendrer certain résultat
-existant, n'est pas suffisant pour prouver que ce résultat _est_ la
-conséquence des données en question; il faut encore démontrer qu'il
-n'existe pas et qu'il ne _peut pas exister_ d'autres données capables
-de donner naissance au même résultat. Mais dans le cas actuellement en
-discussion, bien que tout le monde doive reconnaître l'absence de ce
-que nous avons l'habitude d'appeler _preuve,_ il y a cependant beaucoup
-d'esprits, et ceux-là de l'ordre le plus élevé, pour qui aucune preuve
-n'ajouterait un iota de certitude. Sans entrer dans des détails qui
-touchent au domaine nuageux de la métaphysique, je puis faire observer
-que dans des cas semblables la force de conviction sera toujours, pour
-les véritables penseurs, proportionnée à la somme de _complexité_
-comprise entre l'hypothèse et le résultat. Soyons moins abstrait:--la
-quantité de complexité reconnue dans les conditions cosmiques, en
-augmentant proportionnellement la difficulté d'expliquer toutes ces
-conditions, fortifie en même temps, et dans la même proportion, notre
-confiance dans l'hypothèse qui nous sert à nous en rendre compte
-d'une manière satisfaisante;--et comme on ne peut pas concevoir une
-complexité plus grande que celle des conditions astronomiques, de même
-il ne peut pas exister de conviction plus forte, pour mon esprit du
-moins, que celle fournie par une hypothèse qui, non-seulement concilie
-ces conditions avec une exactitude mathématique et les réduit en un
-tout consistant et intelligible, mais encore se trouve être la _seule_
-hypothèse au moyen de laquelle l'esprit humain ait jamais pu s'en
-rendre compte.
-
-Une opinion très-mal fondée a récemment pris cours dans le monde et
-même dans les cercles scientifiques, à savoir que ladite Théorie
-Cosmogonique avait été renversée. Cette imagination est née du compte
-rendu de certaines observations récentes faites, à l'aide du grand
-télescope de Cincinnati et du célèbre instrument de lord Rosse, dans
-ces parties du ciel qui ont été jusqu'à ce jour appelées _nébuleuses._
-Certaines taches du firmament, qui présentaient, même dans les plus
-puissants de nos vieux télescopes, une apparence de nébulosité ou de
-brume, avaient été regardées pendant longtemps comme une confirmation
-de la théorie de Laplace. On les prenait pour des étoiles subissant
-cette condensation dont j'ai essayé de décrire les modes. Ainsi on
-supposait que nous possédions la _preuve oculaire_ de la vérité de
-l'hypothèse,--preuve qui, pour le dire en passant, s'est toujours
-trouvée sujette à controverse; et quoique, de temps à autre, certains
-perfectionnements télescopiques nous permissent de voir qu'une tache,
-çà et là, que nous avions classée parmi les nébuleuses, n'était
-en réalité qu'un groupe d'étoiles tirant simplement son caractère
-nébuleux de l'immensité de la distance, toutefois on ne pensait pas
-qu'un doute pût exister relativement à la nébulosité positive d'autres
-masses nombreuses, véritables places-fortes des nébulistes, qui
-semblaient défier tout effort de ségrégation. De ces dernières, la plus
-intéressante était la grande nébuleuse dans la constellation d'Orion;
-mais celle-ci, examinée à travers les magnifiques télescopes modernes,
-se trouva résolue en une simple collection d'étoiles. Or, ce fait fut
-généralement accepté comme concluant contre l'Hypothèse Cosmique de
-Laplace; et à l'annonce des découvertes en question, le défenseur le
-plus enthousiaste, le vulgarisateur le plus éloquent de la théorie, le
-docteur Nichol, alla jusqu'à _admettre la nécessité d'abandonner_ une
-idée qui avait fait la matière de son plus honorable livre.[2]
-
-Plusieurs de mes lecteurs seront sans doute portés à dire que le
-résultat de ces nouvelles investigations a au moins une forte
-_tendance_ à renverser l'hypothèse, tandis que d'autres, plus
-réfléchis, insinueront seulement que, bien que la théorie ne soit
-nullement détruite par la ségrégation desdites nébuleuses, cependant
-l'impossibilité d'opérer cette ségrégation, même avec de si puissants
-instruments, aurait servi à corroborer triomphalement la théorie;
-et ces derniers seront peut-être surpris de m'entendre dire que je
-n'adopte même pas leur opinion. Si les propositions de ce discours ont
-été bien comprises, on verra qu'à mon point de vue l'impossibilité
-d'opérer la ségrégation aurait servi à réfuter plutôt qu'à confirmer
-l'Hypothèse Cosmique.
-
-Je m'explique:--Nous pouvons considérer comme démontrée la Loi
-newtonienne de la Gravitation. Cette loi, on s'en souvient, je l'ai
-attribuée à la réaction du premier Acte Divin,--à une réaction dans
-l'exercice de la Volition Divine, ayant à surmonter temporairement
-une difficulté. Cette difficulté, c'était de transformer forcément
-le normal en anormal,--de contraindre ce qui, dans sa condition
-originelle et légitime, était _Un,_ à se soumettre à la condition
-vicieuse de _Pluralité._ C'est seulement en supposant la difficulté
-_temporairement_ vaincue que nous pouvons comprendre une réaction. Il
-n'y aurait eu aucune réaction, si l'acte avait été infiniment continué.
-Tant que l'acte a duré, aucune réaction, évidemment, n'a pu commencer;
-en d'autres termes, aucune gravitation n'a pu avoir lieu;--car nous
-avons admis que l'une n'était que la manifestation de l'autre. Mais
-la gravitation a eu lieu; donc l'acte de la Création avait cessé; et,
-la gravitation s'étant manifestée depuis un long temps, il faut en
-conclure que l'acte de la Création a cessé aussi depuis un long temps.
-Nous ne pouvons donc pas espérer l'occasion d'observer les procédés
-primitifs de la Création; et la condition de nébulosité, comme nous
-l'avons expliqué, fait partie de ces procédés primitifs.
-
-De ce que nous savons de la marche de la lumière nous tirons la
-preuve directe que les étoiles les plus éloignées existent, sous leur
-forme actuellement visible, depuis un nombre inconcevable d'années.
-Il faut donc remonter dans le passé an _moins_ jusqu'à la période
-où ces étoiles subirent la condensation, pour marquer l'époque où
-commença l'opération qui a constitué les masses. Si, d'un côté, nous
-concevons cette opération comme continuant encore dans le cas de
-certaines nébuleuses, de l'autre, nous voyons qu'en beaucoup d'autres
-cas elle est complètement finie, et c'est ce qui nous jette forcément
-dans des hypothèses pour lesquelles aucune base réelle ne nous est
-offerte;--nous sommes obligés d'imposer à la Raison révoltée l'idée
-blasphématoire d'une interposition spéciale;--de supposer que,
-dans les cas particuliers de ces nébuleuses, un Dieu infaillible a
-jugé nécessaire d'introduire certains règlements supplémentaires,
-certains perfectionnements de la loi générale, certaines retouches et
-corrections, en un mot, qui ont eu pour effet de reculer l'achèvement
-de ces étoiles particulières, pendant des siècles innombrables, au delà
-de l'ère qui avait suffi non-seulement pour parfaire la constitution
-des autres corps stellaires, mais même pour les doter d'une vieillesse
-chenue et déjà inexprimable.
-
-Sans doute on peut objecter immédiatement que, puisque la lumière
-grâce à laquelle nous percevons ces nébuleuses est simplement celle
-qui s'est détachée de leur surface depuis un nombre immense d'années,
-les progrès de création observés actuellement, ou que nous supposons
-observés actuellement, ne sont pas en réalité des progrès actuels, mais
-les fantômes des progrès accomplis dans un passé déjà lointain;--ce
-qui est un raisonnement absolument semblable à celui que j'ai affirmé
-relativement à tous les progrès tendant à la constitution des autres
-masses.
-
-A ceci je réponds-que la condition actuellement observée des corps
-condensés n'est pas non plus leur condition actuelle, mais une déjà
-obtenue dans le passé; de sorte que mon argument tiré de la condition
-_relative_ des étoiles et des nébuleuses n'est en aucune manière
-infirmé. En outre, ceux qui affirment l'existence des nébuleuses ne
-placent pas la nébulosité à une extrême distance; ils déclarent que
-c'est une nébulosité réelle et non pas perspective. Si nous concevons
-qu'une masse nébuleuse puisse être, en quelque façon, visible, nous
-devons la concevoir comme placée _très-près de nous,_ en comparaison
-des étoiles solidifiées que les télescopes modernes présentent à
-notre vue. Affirmer que les apparences en question sont de réelles
-nébuleuses, c'est affirmer, pour notre point de vue, leur proximité
-relative. Donc leur condition, telle qu'elle se montre maintenant
-à nous, doit être rapportée à une époque _bien moins éloignée_ que
-celle à laquelle nous rapportons la condition actuellement observée
-de la majorité au moins des étoiles.--Pour finir en un mot, si
-l'Astronomie pouvait démontrer l'existence d'une _nébuleuse,_ dans le
-sens qu'on donne présentement à ce terme, je considérerais la Théorie
-Cosmogonique, non pas comme fortifiée par cette démonstration, mais
-comme irréparablement renversée.
-
-Cependant, pour ne rendre à César que _juste_ ce qui appartient à
-César, qu'il me soit permis de faire observer que l'hypothèse qui
-a conduit Laplace à un si glorieux résultat semble lui avoir été,
-en grande partie, suggérée par une fausse conception,--par cette
-même fausse conception dont nous venons de parler,--par la méprise
-générale relative au caractère des prétendues nébuleuses. Lui aussi, il
-supposait qu'elles étaient en réalité ce qu'implique leur désignation.
-Le fait est que ce grand homme avait, très-justement, une foi médiocre
-dans ses propres facultés de perception. Ainsi, relativement à
-l'existence positive des nébuleuses, existence si présomptueusement
-affirmée par les astronomes ses contemporains, il s'appuyait bien moins
-sur ce qu'il voyait que sur ce qu'il entendait dire.
-
-On verra que les seules objections valables qu'on puisse opposer à
-sa théorie sont celles faites à l'hypothèse prise en elle-même, à ce
-qui l'a suggérée et non à ce qu'elle suggère, aux propositions qui
-l'accompagnent plutôt qu'à ses résultats. La supposition la moins
-justifiée de Laplace consiste à donner aux atomes un mouvement vers un
-centre, malgré qu'il comprenne évidemment les atomes comme s'étendant,
-dans une succession illimitée, à travers l'espace universel. J'ai déjà
-montré qu'avec de telles données aucun mouvement n'aurait pu avoir
-lieu; ainsi Laplace pour supposer un mouvement, se place sur une base
-aussi peu philosophique qu'elle est inutile pour établir ce qu'il
-voulait établir.
-
-Son idée originale semble avoir été un composé des vrais atomes
-d'Épicure et des pseudo-nébuleuses de ses contemporains; et ainsi sa
-théorie se présente à nous avec la singulière anomalie d'une vérité
-absolue, déduite, comme résultat mathématique, d'une création hybride
-de l'imagination antique mariée au sens obtus moderne. La force réelle
-de Laplace consistait, en somme, dans un instinct mathématique presque
-miraculeux; c'était là-dessus qu'il s'appuyait; jamais cet instinct ne
-lui a manqué; jamais il ne l'a trompé. Dans le cas de la Cosmogonie, il
-l'a conduit, les yeux bandés, à travers un labyrinthe d'Erreur, vers un
-des plus lumineux et des plus prodigieux temples de Vérité.
-
-
-[Footnote 1: Je suis prêt à démontrer que la révolution anormale des
-satellites d'Uranus est simplement une anomalie perspective provenant
-de l'inclinaison de l'axe de la planète. E. P.]
-
-[Footnote 2: _Tableau de l'Architecture des deux.--_Une lettre
-attribuée au Docteur Nichol, écrivant à un ami d'Amérique, a fait
-le tour de nos journaux, il y a environ deux ans, qui admettait
-la _nécessité_ à laquelle je fais allusion. Dans une _lecture_
-postérieure, M. Nichol semble toutefois avoir triomphé en quelque
-sorte de la _nécessité,_ et ne renonce pas absolument à la théorie,
-bien qu'il ait l'air de s'en moquer un peu comme d'une _pure
-hypothèse._ Avant les expériences de Maskelyne, qu'était donc la Loi de
-Gravitation? Une hypothèse. Et qui mettait en question cette loi, même
-alors?]
-
-
-
-X
-
-
-Imaginons, pour le moment, que l'anneau projeté le premier par le
-Soleil, c'est-à-dire l'anneau qui, en se brisant, a constitué Neptune,
-ne se soit brisé que lors de la projection de l'anneau qui a donné
-naissance à Uranus; que ce dernier anneau, de son côté, soit resté
-intact jusqu'à l'émission de celui dont est né Saturne; que ce dernier,
-à son tour, ait gardé sa forme entière jusqu'à l'émission de celui qui
-a été l'origine de Jupiter, et ainsi de suite. Imaginons, en un mot,
-qu'aucune rupture n'ait eu lieu parmi les anneaux jusqu'à la projection
-finale de celui qui a donné naissance à Mercure. Nous créons ainsi
-pour l'œil de l'esprit une série de cercles concentriques coexistants,
-et les considérant en eux-mêmes aussi bien que dans le mode suivant
-lequel, selon l'hypothèse de Laplace, ils ont été engendrés, nous
-apercevons tout d'abord une très singulière analogie entre les couches
-atomiques et le mode d'irradiation originelle tel que je l'ai décrit.
-Est-il impossible, en mesurant les forces respectives qui ont projeté
-successivement chaque cercle planétaire, c'est-à-dire en mesurant
-la force excédante successive de rotation par rapport à la force de
-gravitation, laquelle a occasionné les éruptions successives, de
-trouver l'analogie en question plus décidément confirmée? _Est-il
-improbable que nous découvrions que ces forces ont varié,--comme dans
-l'irradiation originelle,--proportionnellement avec les carrés des
-distances?_
-
-Notre système solaire, consistant principalement en un Soleil, avec
-seize planètes à coup sûr, et peut-être un peu plus, qui roulent autour
-de lui à des distances variées, et qui sont accompagnées certainement
-de dix-sept lunes, mais très-probablement de quelques autres, doit
-être maintenant considéré comme un des types de ces agglomérations
-innombrables qui ont commencé à se produire à travers la Sphère
-Universelle, lorsque s'est retirée la Volonté Divine. Je veux dire
-que nous avons à considérer notre système solaire comme fournissant
-un cas générique de ces agglomérations, ou, plus correctement, des
-conditions ultérieures auxquelles elles sont parvenues. Si nous fixons
-notre attention sur l'idée qui a présidé au dessein du Tout-Puissant,
-à savoir _la plus grande somme possible de rapports_ et la précaution
-prise pour atteindre le but avec la différence de formes dans les
-atomes originels et l'inégalité particulière de distance, nous verrons
-qu'il est impossible de supposer même une minute que deux seulement de
-ces agglomérations commençantes soient arrivées à la fin précisément
-au même résultat. Nous serons plutôt inclinés à penser qu'il n'y a
-pas dans tout l'Univers deux corps stellaires, soleils, planètes ou
-lunes, qui soient semblables dans le particulier, malgré que tous le
-soient dans le général. Encore moins pouvons-nous imaginer que deux
-assemblages de tels corps, deux systèmes quelconques, puissent avoir
-une ressemblance plus que générale[1] M. Nos télescopes, sur ce point,
-confirment parfaitement nos déductions. Prenant donc notre système
-solaire comme type approchant ou général de tous les autres, nous
-sommes arrivés assez avant dans notre thème pour considérer l'Univers
-sous l'aspect d'un espace sphérique à travers lequel, disséminée avec
-une égalité purement générale, existe une certaine quantité de systèmes
-ayant entre eux une ressemblance purement générale.
-
-Élargissant maintenant nos conceptions, regardons chacun de ces
-systèmes comme étant en lui-même un atome, ce qu'il est en réalité,
-quand nous ne le considérons que comme une des innombrables myriades
-de systèmes qui constituent l'Univers. Les prenant donc tous pour des
-atomes colossaux, chacun étant doué de la même indestructible tendance
-à l'Unité qui caractérise les atomes réels dont il est composé, nous
-entrons tout de suite dans un ordre nouveau d'aggrégations. Les plus
-petits systèmes, placés dans le voisinage d'un plus grand, devront
-inévitablement s'en rapprocher de plus en plus. Ici il s'en rassemblera
-un millier, là un million; ici peut-être un trillion,--laissant
-ainsi autour d'eux d'incommensurables vides dans l'espace. Et si
-maintenant on demande pourquoi, dans le cas de ces systèmes, de ces
-véritables atomes titaniques (je parle simplement d'un assemblage,
-et non, comme dans le cas des atomes positifs, d'une agglomération
-plus ou moins consolidée), si on demande pourquoi je ne pousse pas ma
-suggestion jusqu'à sa conclusion légitime, pourquoi je ne décris pas
-ces assemblages de systèmes-atomes se précipitant et se consolidant
-en sphères, se condensant chacun en un magnifique soleil, je réponds
-que ce sont là de simples _mellonta,_ et que je ne fais que m'arrêter
-un instant sur le seuil terrifiant du Futur. Pour le présent, nous
-appelons ces assemblages des _groupes,_ et nous les voyons dans leur
-état commençant de consolidation. Leur consolidation absolue est encore
-à venir.
-
-Nous voici arrivés à un point d'où nous contemplons l'Univers comme
-un espace sphérique, parsemé inégalement de _groupes._ Observez
-que je préfère ici l'adverbe _inégalement_ à cette phrase déjà
-employée: «avec une égalité purement générale.» Il est évident en
-fait que l'égalité de distribution diminuera en raison du progrès de
-l'agglomération, c'est-à-dire à mesure que les choses diminueront en
-nombre. Ainsi l'accroissement de l'inégalité, accroissement qui devra
-continuer jusqu'à une époque plus ou moins lointaine, où la plus grosse
-agglomération absorbera toutes les autres, ne peut être considéré que
-comme un symptôme confirmatif de la _tendance à l'Unité._
-
-Enfin ici il peut paraître bon de s'enquérir si les faits acquis de
-l'Astronomie confirment l'arrangement général que j'ai, par déduction,
-imposé aux mondes célestes. Or, cela est confirmé, et entièrement.
-L'observation télescopique, guidée par les lois de la perspective, nous
-permet de voir que l'Univers perceptible existe comme _un groupe de
-groupes irrégulièrement disposés._
-
-
-[Footnote 1: Il n'est pas impossible que quelque perfectionnement
-imprévu d'optique nous révèle, parmi les innombrables variétés de
-systèmes, un soleil lumineux, entouré d'anneaux lumineux et non
-lumineux, en dedans, en dehors desquels, et entre lesquels roulent des
-planètes lumineuses et non lumineuses, accompagnées de lunes ayant
-leurs lunes, et même ces dernières possédant également leurs lunes
-particulières.]
-
-
-
-XI
-
-
-Les groupes dont est composé cet universel _groupe de groupes_ sont
-simplement ce que nous avons coutume de nommer _nébuleuses,_ et parmi
-ces nébuleuses il en est une qui est pour l'humanité d'un intérêt
-suprême. Je veux parler de la Galaxie ou Voie Lactée. Elle nous
-intéresse, d'abord et évidemment, en raison de sa grande supériorité,
-par son volume apparent, non-seulement sur tout autre groupe du
-firmament, mais même sur tous les autres groupes pris ensemble. Le
-plus grand de ces derniers n'occupe comparativement qu'un point dans
-l'espace et ne se laisse voir distinctement qu'à l'aide du télescope.
-La Galaxie traverse tout le ciel et se montre brillante à l'œil
-nu. Mais elle intéresse l'homme particulièrement, quoique moins
-immédiatement, en ce qu'elle fait partie de fa région où il est situé,
-de la région de fa Terre sur laquelle il vit, de la région du Soleil
-autour duquel tourne cette Terre, de la région de tout le système
-d'astres dont le « Soleil est le centre et l'astre principal, fa Terre,
-un des seize secondaires ou une des planètes, la Lune, un des dix-sept
-tertiaires ou satellites. La Galaxie, je le répète, n'est qu'un des
-groupes dont j'ai parlé, une de ces prétendues nébuleuses, qui ne se
-révèlent à nous quelquefois qu'à l'aide du télescope, et comme de
-faibles taches brumeuses dans différentes parties du ciel. Nous n'avons
-aucune raison de supposer que la Voie Lactée soit en réalité plus vaste
-que la moindre de ces nébuleuses. Sa grande supériorité de volume n'est
-qu'apparente, et vient de sa position relativement à nous, c'est-à-dire
-de notre position à nous qui en occupons le milieu. Quelque étrange que
-cette assertion puisse paraître tout d'abord à ceux qui ne sont pas
-versés dans l'Astronomie, l'astronome, lui, n'hésite pas à affirmer
-que nous sommes placés au milieu de cette inconcevable multitude
-d'étoiles, de soleils, de systèmes qui constituent la Galaxie. En
-outre, non-seulement nous avons, non-seulement notre Soleil a le droit
-de revendiquer la Galaxie comme étant son groupe spécial; mais on peut
-dire, avec une légère réserve, que toutes les étoiles distinctement
-visibles du firmament, toutes les étoiles visibles à l'œil nu, ont le
-droit de s'en réclamer également.
-
-Une idée bien fausse a été conçue relativement à la forme de la
-Galaxie, de laquelle il est dit, dans presque tous nos traités
-astronomiques, qu'elle ressemble à celle d'un Y capital. En réalité, le
-groupe en question a une certaine ressemblance générale, très-générale,
-avec la planète Saturne, enfermée dans son triple anneau. Au lieu du
-globe solide de cette planète, nous devons toutefois nous figurer une
-île stellaire ou collection lenticulaire d'étoiles; notre Soleil étant
-placé excentriquement, près du bord de l'île, du côté qui est le plus
-rapproché de la constellation de la Croix et le plus éloigné de celle
-de Cassiopée. L'anneau qui l'entoure, dans la partie qui avoisine notre
-position, est marqué d'une entaille longitudinale qui, en effet, lui
-donne, aperçu de notre région, l'apparence vague d'un Y capital.
-
-Cependant il ne faut pas que nous tombions dans cette erreur, de
-concevoir cette ceinture, peu définie d'ailleurs, comme tout à fait
-séparée, comparativement parlant, du groupe lenticulaire également
-indéfini qu'elle entoure; et ainsi, pour rendre notre explication
-plus claire, nous pouvons dire de notre Soleil qu'il est positivement
-situé sur le point de l'Y où se rencontrent les trois lignes qui le
-composent, et, nous figurant cette lettre comme douée d'une certaine
-solidité, d'une certaine épaisseur, très-minime en comparaison de sa
-longueur, nous pouvons dire que notre position est dans le milieu de
-cette épaisseur. En nous figurant que nous sommes placés ainsi, nous
-n'éprouverons plus aucune peine à nous rendre compte des phénomènes
-en question, qui sont uniquement des phénomènes de perspective. Quand
-nous regardons en haut ou en bas, c'est-à-dire quand nous jetons
-les yeux dans le sens de _Y épaisseur_ de la lettre, notre regard
-rencontre un moins grand nombre d'étoiles que lorsque nous jetons les
-yeux dans le sens de sa _longueur,_ ou le long d'une des trois lignes
-qui la composent. Naturellement, les étoiles, dans le premier cas,
-apparaissent comme éparpillées, et, dans le second, comme accumulées.
-Renversons, s'il vous plaît, l'explication: un habitant de la Terre
-qui regarde la Galaxie, comme nous disons ordinairement, la considère
-alors dans un des sens de sa longueur;--il regarde le long des lignes
-de l'Y; mais quand, regardant dans le Ciel général, il détourne ses
-yeux de la Galaxie, il la voit alors dans le sens de l'épaisseur de la
-lettre; et c'est pour cela que les étoiles lui semblent clair-semées,
-quoique, en réalité, elles soient aussi rapprochées, en moyenne, que
-dans la partie massive du groupe. Il n'y a pas de considération qui
-soit mieux faite pour donner une idée de l'effrayante étendue de ce
-groupe.
-
-Si, avec un télescope d'une profonde puissance, nous examinons
-soigneusement le firmament, nous découvrirons _une ceinture de
-groupes,_ faite de ce que nous avons jusqu'à présent nommé des
-nébuleuses,--une _bande,_ d'une largeur variable, s'étendant d'un
-horizon à l'autre, et coupant à angle droit la direction générale de
-la Voie Lactée. Cette bande est le dernier _groupe de groupes._ Cette
-ceinture est l'_Univers._ Notre Galaxie n'est qu'un des groupes, un des
-moindres peut-être, qui entrent dans la composition de cette suprême
-_bande_ ou _ceinture_ universelle. L'aspect de bande ou de ceinture,
-que prend à nos yeux ce groupe de groupes, n'est qu'un phénomène de
-perspective, analogue à celui qui nous fait aussi voir notre propre
-groupe grossièrement sphérique, la Galaxie, sous la forme d'une
-ceinture traversant les Cieux et coupant le groupe universel à angles
-droits. Naturellement la forme du groupe qui enferme tous les autres
-est, en général, celle de chaque groupe individuel qui y est contenu.
-De même que les étoiles clair-semées que nous voyons dans le Ciel
-général, quand nous détournons nos regards de la Galaxie, ne sont,
-en réalité, qu'une partie de la Galaxie elle-même, aussi intimement
-mêlées à elle qu'en aucun autre point où le télescope nous les montre
-à l'état le plus dense,--de même les nébuleuses éparpillées, que nous
-apercevons sur tous les points du firmament quand nous détournons
-nos yeux de la ceinture Universelle, doivent être considérées comme
-éparpillées seulement par la perspective et comme faisant partie
-intégrante de l'unique _Sphère_ suprême et Universelle.
-
-Il n'y a pas d'erreur astronomique plus insoutenable, et il n'y
-en a pas qui ait obtenu une plus opiniâtre adhésion que celle qui
-consiste à se figurer l'Univers sidéral comme absolument illimité.
-Il me semble que les raisons qui nous le font croire limité, telles
-que je les ai énoncées à _priori,_ sont irréfutables; mais, pour
-n'en plus parler, l'observation seule nous montre qu'il y a, dans de
-nombreuses directions autour de nous, si ce n'est dans toutes, une
-limite positive; ou, tout au moins, elle ne nous fournit aucun motif
-pour penser autrement. Si la succession des étoiles était illimitée,
-l'arrière-plan du ciel nous offrirait une luminosité uniforme, comme
-celle déployée par la Galaxie, _puisqu'il n'y aurait absolument aucun
-point, dans tout cet arrière-plan, où n'existât une étoile._ Donc, dans
-de telles conditions, la seule manière de rendre compte des _vides_ que
-trouvent nos télescopes dans d'innombrables directions est de supposer
-cet arrière-plan invisible placé à une distance si prodigieuse qu'aucun
-rayon n'ait jamais pu parvenir jusqu'à nous. Qu'il en _puisse_ être
-ainsi, qui oserait s'aviser de le nier? Je maintiens simplement que
-nous n'avons pas même l'ombre d'une raison pour croire qu'il en _est_
-ainsi.
-
-En parlant de la propension vulgaire à considérer tous les corps
-de la Terre comme tendant seulement vers le centre de la Terre, je
-faisais observer que «sauf certaines exceptions dont il serait fait
-mention plus tard, chaque corps de la Terre tendait, non-seulement
-vers le centre de la Terre, mais encore vers toute autre direction
-concevable.» Le mot _exceptions_ avait trait à ces vides fréquents
-dans le Ciel, où l'examen le plus minutieux non-seulement ne découvre
-pas de corps stellaires, mais ne trouve même pas d'indices quelconques
-de leur existence. Là, des gouffres béants, plus noirs que l'Erèbe,
-nous apparaissent comme des échappées ouvertes, à travers les murs
-limitrophes de l'Univers Sidéral, sur l'Univers illimité du Vide. Or,
-tout corps existant sur la Terre est exposé, soit par son mouvement
-propre, soit par celui de la Terre, à traverser ou à longer un de ces
-vides ou abîmes cosmiques, et il est évident qu'en ce moment il cesse
-d'être attiré dans la _direction du Vide_ et qu'il est conséquemment
-_plus lourd_ qu'à aucune autre époque, soit avant, soit après.
-Indépendamment, toutefois, de la considération de ces vides, et ne nous
-occupant que de la distribution généralement inégale des étoiles, nous
-voyons, que la tendance absolue des corps de la Terre vers le centre de
-la Terre est dans un état de variation perpétuelle.
-
-Nous comprenons donc l'_insulation_ de notre Univers. Nous percevons
-l'isolement de l'Univers, c'est-à-dire de _tout_ ce que nos sens
-peuvent saisir. Nous savons qu'il existe un _groupe de groupes,_
-une agglomération autour de laquelle, de tous côtés, s'étend un
-incommensurable Espace désert fermé à toute perception humaine.
-Mais, parce que nous sommes obligés de nous arrêter sur les confins
-de cet Univers Sidéral, nos sens ne pouvant plus nous fournir de
-témoignage, est-il juste de conclure qu'en réalité il n'existe pas de
-point matériel au delà de celui qu'il nous a été permis d'atteindre?
-Avons-nous, ou n'avons-nous pas le droit analogique d'inférer que cet
-Univers sensible, que ce groupe de groupes, n'est qu'un morceau d'une
-_série_ de groupes de groupes, dont les autres nous restent invisibles
-à cause de la distance,--soit parce que la diffusion de leur lumière,
-avant qu'elle parvienne jusqu'à nous, est si excessive qu'elle ne peut
-produire sur notre rétine aucune impression lumineuse, soit parce
-qu'il n'existe aucune espèce d'émanation lumineuse dans ces mondes
-inexprimablement distants, ou enfin parce que l'intervalle qui nous en
-sépare est si vaste que, depuis des myriades d'années écoulées, leurs
-effluves électriques n'ont pas encore pu le franchir?
-
-Avons-nous quelques droits à faire de telles suppositions, avons-nous
-quelque motif pour accepter de telles visions? Si nous avons ce droit
-à un degré quelconque, nous avons aussi le droit de leur donner une
-extension infinie.
-
-Le cerveau humain a évidemment un penchant vers l'_Infini_ et caresse
-volontiers ce fantôme d'idée. Il semble aspirer vers cette conception
-impossible avec une ferveur passionnée, avec l'espérance d'y croire
-intellectuellement aussitôt qu'il l'a conçue. Ce qui est général
-parmi toute la race humaine, aucun individu n'a sans doute le droit
-de le considérer comme anormal; néanmoins, il peut exister une classe
-d'intelligences supérieures pour qui ce tour d'esprit populaire porte
-tout le caractère d'une monomanie.
-
-Ma question, cependant, n'a pas encore trouvé sa réponse--Avons-nous
-le droit de supposer, ou plutôt d'imaginer une succession interminable
-de _groupes de groupes_ ou _d'Univers_ plus ou moins semblables?
-
-Je réponds que le _droit,_ dans un cas tel que celui-ci, dépend
-absolument de la hardiesse de l'imagination qui s'avise d'y prétendre.
-Qu'il me soit permis seulement de déclarer que je me sens, pour
-mon compte personnel, porté à _imaginer_ (je n'ose pas me servir
-d'un terme plus affirmatif) qu'il existe réellement une succession
-illimitée d'Univers, plus ou moins semblables à celui dont nous
-avons connaissance, à celui-là _seul_ dont nous aurons jamais
-connaissance,--du moins jusqu'au moment où notre Univers particulier
-rentrera dans l'Unité. Cependant, si de tels groupes de groupes
-existent,--et ils existent,--il est suffisamment clair que, n'ayant
-pas de participation dans notre origine, ils ne participent pas à
-nos lois. Ils ne nous attirent pas et nous ne les attirons pas. Leur
-matière, leur esprit ne sont pas les nôtres, ne sont pas ce qui
-agit, influe dans une partie quelconque de notre Univers. Ils ne
-pourraient impressionner ni nos sens ni nos âmes. Entre eux et nous,
-les considérant tous pour un moment collectivement, il n'y a pas
-d'influences communes. Chacun existe, à part et indépendant, _dans le
-sein de son Dieu propre et particulier._
-
-
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-XII
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-Dans la conduite de ce Discours, je vise moins à l'ordre physique qu'au
-métaphysique. La clarté avec laquelle les phénomènes, même matériels,
-sont présentés à l'intelligence dépend très-peu, il y a longtemps que
-j'en ai acquis l'expérience, d'un arrangement purement naturel, et
-naît presque entièrement de l'arrangement moral. Si donc j'ai l'air
-de m'abandonner à des digressions et de sauter trop vite d'un point
-à un autre de mon sujet, qu'il me soit permis de dire qu'en faisant
-ainsi j'ai l'espoir de mieux conserver, sans la rompre, cette chaîne
-d'impressions graduées, par laquelle seule l'intelligence de l'Homme
-peut embrasser les grandeurs dont je parle et les comprendre dans leur
-majestueuse totalité.
-
-Jusqu'à présent, notre attention s'est dirigée presque exclusivement
-vers un groupement général et relatif des corps stellaires dans
-l'espace. De spécification, nous n'en avons fait que très-peu; et les
-quelques idées relatives à la _quantité,_ c'est-à-dire au nombre, à
-la grandeur et à la distance, que nous avons émises, ont été amenées
-accessoirement et en manière de préparation pour des conceptions plus
-définitives. Essayons maintenant d'atteindre à ces dernières.
-
-Notre système solaire, comme nous l'avons déjà dit, consiste
-principalement en un soleil et seize planètes au moins, auxquelles,
-très-probablement, s'ajoutent quelques autres, qui tournent autour de
-lui comme centre, accompagnées de dix-sept lunes connues et peut-être
-de quelques autres que nous ne connaissons pas encore. Ces divers corps
-ne sont pas de véritables sphères, mais des sphéroïdes aplatis, des
-sphères comprimées dans la région des pôles de l'axe imaginaire autour
-duquel elles tournent, l'aplatissement étant une conséquence de la
-rotation. Le Soleil n'est pas absolument le centre du système; carie
-Soleil lui-même, avec toutes les planètes, roule autour d'un point
-de l'espace perpétuellement variable, qui est le centre général de
-gravité du système. Nous ne devons pas non plus considérer les lignes
-sur lesquelles se meuvent ces différents sphéroïdes,--les lunes autour
-des planâtes, les planètes autour du Soleil, ou le Soleil autour du
-centre commun,--comme des cercles dans le sens exact du mot. Ce sont,
-en réalité, des _ellipses, l'un des foyers étant le point autour
-duquel se fait la révolution._ Une ellipse est une courbe retournant
-sur elle-même, qui a un de ses diamètres plus long que l'autre. Sur le
-diamètre le plus long sont deux points, également distants du milieu
-de la ligne, et, d'ailleurs, situés de telle façon que si, à partir
-de chacun d'eux, on tire une ligne droite vers un point quelconque de
-la courbe, la somme des deux lignes réunies sera égale au plus grand
-des diamètres. Concevons donc une ellipse de cette nature. A l'un des
-points en question, qui sont les _foyers,_ fixons une orange. Par un
-fil élastique unissons cette orange à un pois, et plaçons ce dernier
-sur la circonférence de l'ellipse. Le fil élastique, naturellement,
-varie en longueur à mesure que nous faisons mouvoir le pois, et forme
-ce que nous appelons en géométrie un _radius vector._ Or, si l'orange
-est prise pour le Soleil et le pois pour une planète tournant autour
-de lui, la révolution devra se faire avec une vitesse variable plus
-ou moins grande, mais telle que le _radius vector_ franchira des
-aires _égales en temps égaux._ La marche du pois _sera_ donc ou, en
-d'autres termes, la marche de la planète _est_ lente à proportion
-de son éloignement du Soleil, rapide à proportion de sa proximité.
-Ces planètes, en outre, se meuvent d'autant plus lentement qu'elles
-sont situées plus loin du Soleil, _les carrés de leurs périodes de
-révolution étant entre eux dans la même proportion que les cubes de
-leurs distances moyennes du Soleil._
-
-On comprend que les lois terriblement complexes de révolution que
-nous décrivons ici ne règnent pas seulement dans notre système.
-Elles dominent partout où domine l'Attraction. Elles régissent
-l'Univers. Chaque point brillant du firmament est sans doute un Soleil
-lumineux, ressemblant au nôtre, au moins dans son caractère général,
-et accompagné d'une plus ou moins grande quantité de planètes plus
-ou moins grosses, dont la luminosité encore attardée ne peut pas se
-manifester à nous à une si grande distance, mais qui, néanmoins,
-roulent, escortées de leurs lunes, autour de leurs centres sidéraux,
-obéissant aux principes que nous avons constatés, obéissant aux trois
-lois absolues de révolution, aux trois immortelles lois devinées par
-l'esprit imaginatif de Kepler et subséquemment expliquées et démontrées
-par l'esprit patient et mathématique de Newton. Dans une certaine
-tribu de philosophes, qui font vanité de ne s'appuyer que sur les
-faits positifs, il est beaucoup trop à la mode de se moquer de toute
-spéculation et de la flétrir de la vague et élastique appellation
-_d'œuvre conjecturale._ La valeur de celui qui conjecture, tel est
-le point à examiner. En conjecturant de temps à autre avec Platon,
-nous dépenserons notre temps avec plus d'utilité qu'en écoutant une
-démonstration d'Alcmæon.
-
-Dans maint ouvrage d'astronomie, je vois qu'il est nettement établi que
-les lois de Kepler sont la _base_ du grand principe de la Gravitation.
-Cette idée a dû naître de ce fait, que la divination de ces lois par
-Kepler et sa démonstration postérieure de leur existence positive ont
-poussé Newton à les expliquer par l'hypothèse de la Gravitation et,
-finalement, à les démontrer à _priori,_ comme conséquences nécessaires
-du principe hypothétique. Ainsi, bien loin d'être la base de la
-Gravitation, les lois de Kepler ont la Gravitation pour base, et il en
-est de même, d'ailleurs, de toutes les lois de l'Univers matériel qui
-ne se rapportent pas uniquement à la Répulsion.
-
-La distance moyenne de la Terre à la Lune, c'est-à-dire la distance qui
-nous sépare du corps céleste le plus voisin de nous, est de 237,000
-milles. Mercure, la planète la plus proche du Soleil, est éloignée de
-lui de 37 millions de milles. Vénus, qui vient après, tourne à une
-distance de 68 millions de milles; la Terre, à son tour, à une distance
-de 95 millions; Mars, à la distance de 144 millions. Puis viennent
-les huit astéroïdes (Cérès, Junon, Vesta, Pallas, Astrée, Flore,
-Iris et Hébé), à une distance moyenne d'environ 250 millions. Puis
-nous trouvons Jupiter, distant de 490 millions; puis Saturne, de 900
-millions; puis Uranus, de I,900 millions; finalement Neptune, récemment
-découvert et tournant à une distance de 2,800 millions. Laissant
-Neptune de côté, sur qui nous n'avons pas jusqu'à présent des documents
-très-exacts, et qui est peut-être une planète appartenant à un système
-d'Astéroïdes, on peut voir que, dans de certaines limites, il existe
-entre les planètes un ordre d'intervalles. Pour parler d'une manière
-approximative, nous pouvons dire que chaque planète est, relativement
-au Soleil, située à une distance double de celle qui la précède.
-_L'ordre_ en question, que nous exposons ici,--_la loi de Bode_,--ne
-pourrait-il pas être déduit de l'examen de l'analogie existant, ainsi
-que je l'ai suggéré, entre la décharge solaire des anneaux et le mode
-de l'irradiation atomique?
-
-Quant aux nombres cités à la hâte dans cette table sommaire des
-distances, il y aurait folie à essayer de les comprendre, excepté
-au-point de vue des faits arithmétiques abstraits. Ces nombres ne
-sont pas pratiquement appréciables, lis ne comportent pas d'idées
-précises. J'ai dit que Neptune, la planète la plus éloignée, tournait
-autour du Soleil ù une distance de 2,800 millions de milles. Jusqu'ici
-rien de mieux; j'ai établi un fait mathématique; et, sans comprendre
-ce fait le moins du monde, nous pouvons le poser pour nous en servir
-mathématiquement. Mais même en indiquant que la Lune tourne autour de
-la Terre à la distance comparativement mesquine de 237,000 milles, je
-n'ai nullement l'espérance de faire comprendre à qui que ce soit,--de
-lui faire apprécier,--de lui faire sentir à quelle distance U Lune se
-trouve positivement de la Terre. 237,000 milles! Parmi mes lecteurs, il
-y en a peut-être bien peu qui n'aient pas traversé l'Océan Atlantique;
-et, cependant, combien d'entre eux ont une idée distincte même des
-3,000 milles qui séparent les deux rivages? Je doute, en vérité, qu'il
-existe un homme qui puisse faire entrer dans son cerveau la plus vague
-conception de l'intervalle compris entre une borne milliaire et sa
-plus proche voisine. Cependant, nous trouvons quelque facilité pour
-apprécier la distance en combinant l'idée de l'espace avec l'idée de
-vélocité qui la suit naturellement. Le son parcourt un espace de I,100
-pieds en une seconde. Or, s'il était possible à un habitant de la Terre
-de voir l'éclair d'un coup de canon tiré dans la Lune et d'en entendre
-la détonation, il lui faudrait attendre treize jours entiers, à partir
-du moment où il aurait aperçu le premier, pour recevoir un indice de la
-seconde.
-
-Quelque faible que soit l'appréciation obtenue par ce moyen de la
-réelle distance de la Lune à la Terre, elle aura néanmoins cette
-utilité de nous faire mieux comprendre la folie de vouloir saisir par
-la pensée des distances telles que les 2,800 millions de milles qui
-séparent Neptune de notre Soleil; ou même les 95 millions de milles
-compris entre le Soleil et la Terre que nous habitons. Un boulet de
-canon, se mouvant avec la rapidité la plus grande qui ait jamais
-été communiquée à un boulet, ne pourrait pas traverser ce dernier
-intervalle en moins de 20 ans; pour le premier espace, il faudrait 590
-ans.
-
-Le diamètre réel de notre Lune est de 2,160 milles; cependant, elle
-est un objet comparativement si petit qu'il faudrait environ cinquante
-globes semblables pour en composer un aussi gros que la Terre.
-
-Le diamètre de notre propre globe est de 7,912 milles;--mais de
-renonciation de ces nombres quelle idée positive prétendons-nous tirer?
-
-Si nous montons au sommet d'une montagne ordinaire et si nous regardons
-autour de nous, nous apercevons un paysage qui s'étend à 40 milles dans
-toutes les directions, formant un cercle de 250 milles de circonférence
-et enfermant un espace de 5,000 milles carrés. Mais comme les portions
-d'une semblable perspective ne se présentent nécessairement à notre
-vue que l'une après l'autre, nous n'en pouvons apprécier l'étendue
-que faiblement et partiellement; cependant le panorama tout entier
-ne représente que la quarante millième partie de la surface de notre
-globe. Si à ce panorama succédait, au bout d'une heure, un autre
-panorama d'égale étendue; à ce second, au bout d'une heure, un
-troisième; à ce troisième, au bout d'une heure, un quatrième, et ainsi
-de suite, jusqu'à ce que tous les décors de la Terre fussent épuisés,
-et si nous étions invités à examiner ces divers panoramas pendant
-douze heures par jour, il ne nous faudrait pas moins de neuf ans et
-quarante-huit jours pour achever l'examen de la collection.
-
-Mais si la simple surface de la Terre se refuse à l'étreinte de notre
-imagination, que penserons-nous de sa contenance évaluée par cubes?
-Elle embrasse une masse de matière équivalente au moins à un poids de
-deux undécillions et deux cents nonillions de tonnes. Supposons cette
-masse à l'état de repos, et essayons de concevoir une force mécanique
-suffisante pour la mettre en mouvement! La force de toutes les myriades
-d'êtres dont notre imagination peut peupler les mondes planétaires
-de notre système, la force physique combinée de tous ces êtres, même
-en les supposant plus puissants que l'homme, ne pourrait réussir à
-déplacer d'un seul pouce cette masse prodigieuse.
-
-Que devons-nous donc penser de la force nécessaire, dans de semblables
-conditions, pour remuer la plus grosse de nos planètes, Jupiter?
-Elle a un diamètre de 86,000 milles, et pourrait contenir dans sa
-périphérie plus de mille globes de la grandeur du nôtre. Cependant ce
-corps monstrueux vole positivement autour du Soleil avec une vitesse
-de 29,000 milles par heure, c'est-à-dire avec une rapidité quarante
-fois plus grande que celle d'un boulet de canon! On ne peut même pas
-dire que l'idée d'un tel phénomène fait tressaillir l'esprit, elle
-l'épouvante, elle le paralyse. Nous avons plus d'une fois occupé notre
-imagination à nous peindre les facultés d'un ange. Figurons-nous,
-à une distance d'environ 100 milles de Jupiter, un pareil être,
-assistant ainsi, témoin oculaire très rapproché, à la révolution
-annuelle de cette planète. Or, pouvons-nous, je le demande, nous faire
-une idée assez haute, assez immense de la puissance spirituelle de
-cet être idéal pour concevoir qu'à la vue de cette incommensurable
-masse, pirouettant juste sous ses yeux avec une vélocité tellement
-inexprimable, l'ange lui-même, si angélique qu'il soit, puisse ne pas
-être écrasé, anéanti?
-
-Ici, toutefois, il me paraît bon de faire observer qu'en réalité nous
-n'avons encore parlé que d'objets comparativement insignifiants. Notre
-Soleil, l'astre central et dirigeant du système auquel appartient
-Jupiter, est non-seulement plus gros que Jupiter, mais aussi beaucoup
-plus gros que toutes les planètes du système prises ensemble. Ce fait
-est vraiment une condition essentielle de la stabilité du système
-lui-même. Le diamètre de Jupiter est, avons-nous dit, de 86,000 milles!
-Celui du Soleil est de 882,000 milles. Un habitant de ce dernier,
-parcourant 90 milles par jour, mettrait plus de 80 ans à faire le
-tour de sa plus grande circonférence. Il occupe un espace cubique de
-681 septillions et 472 quintillions de milles. La Lune, ainsi qu'il
-a été établi, tourne autour de la Terre, à une distance de 237,000
-milles, sur une orbite qui est conséquemment de près d'un million et
-demi de milles. Or, si le Soleil était placé sur la Terre, les deux
-centres coïncidant, le volume du Soleil s'étendrait, en tout sens,
-non-seulement jusqu'à l'orbite de la Lune, mais encore à une distance
-de 200,000 milles au delà.
-
-Et ici, une fois encore, observons que nous n'avons, jusqu'à présent,
-parlé que de bagatelles. On a évalué la distance qui sépare Neptune
-du Soleil; elle est de 2,800 millions de milles; la circonférence
-de son orbite est donc de 17 trillions environ. Gardons d'oublier
-cela quand nous portons nos regards sur quelqu'une des étoiles les
-plus brillantes. Entre cette étoile et l'astre central de notre
-système, le Soleil, il y a un gouffre d'espace tel que, pour en donner
-l'idée, il faudrait la langue d'un archange. Donc, l'étoile que nous
-regardons est un être aussi séparé que possible de _notre_ système,
-de _notre_ Soleil, ou, si l'on veut, de _notre_ étoile; cependant,
-supposons-la un moment placée sur notre Soleil, le centre de l'une
-coïncidant avec celui de l'autre, de même que nous avons supposé le
-Soleil lui-même placé sur la Terre. Figurons-nous maintenant l'étoile
-particulière que nous avons choisie s'étendant, dans tous les sens,
-au delà de l'orbite de Mercure,--de Vénus,--de la Terre,--et puis
-au delà de l'orbite de Mars,--de Jupiter,--d'Uranus, jusqu'à ce que,
-finalement, notre imagination ait rempli le cercle de 17 trillions
-de milles de circonférence, que décrit dans sa révolution la planète
-de Leverrier. En admettant que nous soyons parvenus à concevoir tant
-d'énormité, nous n'aurions pas créé une idée extravagante. Nous avons
-les meilleures raisons pour croire qu'il y a bien des étoiles beaucoup
-plus grosses que celle que nous avons supposée. Je veux dire que pour
-une telle croyance nous possédons la meilleure base expérimentale; et
-qu'en reportant notre regard vers la disposition atomique originelle,
-ayant pour but la _diversité,_ que nous avons considérée comme étant
-une partie du plan divin dans la constitution de l'Univers, il nous
-deviendra facile de comprendre et d'admettre des disproportions, dans
-la grosseur des corps célestes, infiniment plus vastes qu'aucune de
-celles dont j'ai parlé jusqu'à présent. Naturellement nous devons nous
-attendre à trouver les corps les plus gros roulant à travers les vides
-les plus grands de l'Espace.
-
-Je disais tout à l'heure que, pour nous donner une idée juste de
-l'intervalle qui sépare notre Soleil d'une quelconque des autres
-étoiles, il faudrait l'éloquence d'un archange. En parlant ainsi, je ne
-puis pas être accusé d'exagération; car c'est la vérité pure qu'en de
-certains sujets il n'est pas possible d'exagérer. Mais tâchons de poser
-la matière plus distinctement sous les yeux de l'esprit.
-
-D'abord nous pouvons atteindre une conception générale, _relative,_
-de l'intervalle en question, en le comparant avec les espaces
-interplanétaires connus. Supposons, par exemple, que la Terre qui est,
-en réalité, à 95 millions de milles du Soleil, ne soit distante de ce
-flambeau que _d'un pied_ seulement; Neptune se trouverait alors à une
-distance de _quarante_ pieds; et l'étoile Alpha Lyrse à une distance de
-_cent cinquante-neuf_ au moins.
-
-Or, je présume que peu de mes lecteurs ont remarqué, dans la conclusion
-de ma dernière phrase, quelque chose de spécialement inadmissible, de
-particulièrement faux. J'ai dit que la distance de la Terre au Soleil
-étant supposée d'un _pied,_ la distance de Neptune serait de quarante
-pieds, et celle d'Alpha Lyrse de cent cinquante-neuf. La proportion
-entre un pied et cent cinquante-neuf a peut-être semblé suffisante
-pour donner une impression distincte de la proportion entre les deux
-distances, celle de la Terre au Soleil et celle d'Alpha Lyrse au même
-astre. Mais mon calcul, en réalité, aurait dû se formuler ainsi: En
-supposant que la distance de la Terre au Soleil soit d'un pied, la
-distance de Neptune serait de quarante pieds, et celle d'Alpha Lyrse
-de cent cinquante-neuf... _milles;_ c'est-à-dire que, dans mon premier
-calcul, je n'ai assigné à Alpha Lyrse que la cinq mille deux cent
-quatre-vingtième partie de la distance qui est la plus petite possible
-où cette étoile puisse être réellement située.
-
-Poursuivons.--A quelque distance que soit une simple _planète,_
-cependant, quand nous l'examinons à travers un télescope, nous la
-voyons sous une certaine forme, nous la trouvons d'une certaine
-grosseur appréciable. Or, j'ai déjà dit quelques mots de la grosseur
-probable de plusieurs étoiles; néanmoins, quand nous en examinons une
-quelconque, même à travers le télescope le plus puissant, elle se
-présente à nous sans aucune forme, et, conséquemment, sans aucune
-dimension. Nous la voyons comme un point, et rien de plus.
-
-Maintenant, supposons que nous voyagions la nuit, sur une grande route.
-Dans un champ, d'un des côtés de la route, se trouve une file de vastes
-objets de toute dimension, d'arbres, par exemple, dont la figure se
-détache distinctement sur le fond du ciel. Cette ligne s'étend à angle
-droit de la route jusqu'à l'horizon. Or, à mesure que nous avançons
-le long de la route, nous voyons ces arbres changer leurs positions
-respectives relativement à un certain point fixe dans cette partie
-du firmament qui forme le fond du tableau. Supposons que ce point
-fixe,--suffisamment fixe pour notre démonstration,--soit la lune
-qui se lève. Nous voyons tout d'abord que, pendant que l'arbre le
-plus proche de nous change de position relativement à la lune, et si
-fortement qu'il a l'air de fuir derrière nous, l'arbre qui est à la
-distance extrême n'a pour ainsi dire pas bougé de la place qu'il occupe
-relativement au satellite. Nous continuons à observer que plus les
-objets sont éloignés de nous, moins ils s'éloignent de leur position,
-et réciproquement. Nous commençons alors, à notre insu, à apprécier la
-distance de chaque arbre par la plus ou moins grande altération de sa
-position relative. Finalement nous arrivons à comprendre comment on
-pourrait vérifier la distance positive d'un arbre quelconque de cette
-rangée en se servant de la quantité d'altération relative comme d'une
-base dans un simple problème géométrique. Or, cette altération relative
-est ce que nous appelons parallaxe; et c'est par la parallaxe que nous
-calculons les distances des corps célestes. Appliquant le principe aux
-arbres en question, nous serions naturellement fort embarrassés pour
-calculer la distance _d'un_ arbre, qui, si loin que nous nous avancions
-sur la route ne nous donnerait aucune parallaxe. Ceci, dans l'exemple
-que nous avons supposé, est une chose impossible; impossible simplement
-parce que toutes les distances sur notre Terre sont véritablement
-insignifiantes; si nous les comparons avec les vastes quantités
-cosmiques, nous pouvons dire qu'elles se réduisent absolument à néant.
-
-Or, supposons que l'étoile Alpha Lyræ soit juste au-dessus de nos
-têtes et imaginons qu'au lieu d'être sur la Terre, nous soyons placés à
-l'un des bouts d'une ligne droite s'étendant à travers l'espace jusqu'à
-une distance égale au diamètre de l'orbite de la Terre, c'est-à-dire
-une distance de cent quatre-vingt-dix millions de milles. Ayant
-observé, au moyen des instruments micrométriques les plus délicats, la
-position exacte de l'étoile, marchons le long de cette inconcevable
-route, jusqu'à ce que nous ayons atteint l'autre extrémité. Ici,
-examinons une seconde fois l'étoile. Elle est précisément où nous
-l'avons laissée. Nos instruments, si délicats qu'ils soient, nous
-affirment que sa position relative est absolument, identiquement la
-même qu'au commencement de notre incommensurable voyage. Nous n'avons
-trouvé aucune parallaxe, absolument aucune.
-
-Le fait est que, relativement à la distance des étoiles fixes, d'un
-quelconque de ces innombrables soleils qui scintillent de l'autre
-côté de ce terrible abîme par lequel notre système est séparé des
-systèmes ses frères, dans le groupe auquel il appartient, la science
-astronomique jusqu'à ces derniers temps n'a pu parler qu'avec une
-certitude négative. Considérant les plus brillantes comme les plus
-rapprochées, nous pouvions seulement dire, même de celles-là, que la
-limite en dedans de laquelle elles ne peuvent pas être situées, est à
-une certaine distance incommensurable;--à quelle distance au delà de
-cette limite sont-elles situées, nous n'avions jamais pu le calculer.
-Nous comprenions, par exemple, qu'Alpha Lyræ ne peut pas être à une
-distance moindre de dix-neuf quintillions et deux cents trillions de
-milles; mais, de tout ce que nous savions et de tout ce que nous savons
-maintenant, nous pouvons induire qu'il est peut-être à la distance
-représentée par le carré, le cube, ou toute autre puissance du nombre
-précité. Cependant, au moyen d'observations singulièrement sagaces
-et minutieuses, continuées avec des instruments nouveaux pendant
-plusieurs laborieuses années, Bessel, qui est mort récemment, avait
-dans les derniers temps réussi à déterminer la distance de six ou
-sept étoiles; entre autres celle qui est désignée par le chiffre 61
-dans la constellation du Cygne. La distance calculée dans ce dernier
-cas est six cent soixante-dix mille fois plus grande que celle du
-Soleil; laquelle, il est bon de le rappeler, est de quatre-vingt-quinze
-millions de milles. L'étoile 61 du Cygne est donc éloignée de nous de
-presque soixante-quatre quintillions de milles, ou de plus de trois
-fois la distance la plus petite possible attribuée à Alpha Lyræ.
-
-Si nous essayons d'apprécier cette distance à l'aide de considérations
-tirées de la vitesse, comme nous avons fait pour apprécier la distance
-de la Lune, il nous faut perdre absolument de vue des vitesses aussi
-insignifiantes que celles du boulet de canon ou du son. La lumière,
-toutefois, suivant les derniers calculs de Struve, marche avec une
-vitesse de cent soixante-sept mille milles par seconde. La pensée
-elle-même ne pourrait pas franchir cet intervalle plus rapidement, en
-supposant que la pensée puisse même le parcourir. Or, malgré cette
-inconcevable vélocité, la lumière, pour venir de l'étoile 61 du Cygne
-jusqu'à nous, a besoin de plus de _dix ans;_ et conséquemment, si cette
-étoile était en ce moment effacée de l'Univers, elle continuerait
-encore pendant dix ans à briller pour nous et à verser à nos yeux sa
-gloire paradoxale.
-
-Tout en gardant présente à l'esprit la conception, si faible qu'elle
-soit, que nous avons pu nous faire de l'intervalle qui sépare
-notre Soleil de l'étoile 61 du Cygne, souvenons-nous aussi que cet
-intervalle, quoique inexprimablement vaste, peut être considéré
-comme la simple distance _moyenne_ entre les innombrables multitudes
-d'étoiles composant le groupe, ou nébuleuse, auquel appartient notre
-système, ainsi que l'étoile 61 du Cygne. En vérité, j'établis le
-calcul avec une grande modération; nous avons d'excellentes raisons
-pour croire que l'étoile 61 du Cygne est l'une des étoiles les plus
-rapprochées, et pour en conclure que sa distance, relativement à
-nous, est moindre que la distance moyenne d'étoile à étoile dans le
-magnifique groupe de la Voie Lactée.
-
-Et ici, une fois encore et définitivement, il me semble bon d'observer
-que jusqu'à présent nous n'avons parlé que de quantités insignifiantes.
-Cessons de nous émerveiller de l'espace qui sépare les étoiles dans
-notre propre groupe ou dans tout autre groupe particulier; tournons
-plutôt nos pensées vers les espaces qui séparent les groupes eux-mêmes
-dans le groupe omnicompréhensif de l'Univers.
-
-J'ai déjà dit que la lumière marche avec une vitesse de cent
-soixante-sept mille milles par seconde, c'est-à-dire de dix millions
-de milles par minute, ou d'environ six cent millions de milles
-par heure;--et cependant il est des nébuleuses qui sont tellement
-éloignées de nous que la lumière de ces mystérieuses régions, quoique
-marchant avec une telle vélocité, ne peut pas arriver jusqu'ici en
-moins de _trois millions d'années._ Ce calcul, d'ailleurs, a été fait
-par Herschell l'aîné, et n'a trait qu'à ces groupes comparativement
-rapprochés qui se trouvaient à la portée de son propre télescope. Mais
-il y a des nébuleuses, qui, par le tube magique de lord Rosse, nous
-communiquent en cet instant même l'écho des secrets qui datent _d'un
-million de siècles._ En un mot les phénomènes que nous contemplons en
-ce moment, dans ces mondes lointains, sont les mêmes phénomènes qui
-intéressaient leurs habitants il y a _dix fois cent mille siècles._
-Dans des intervalles, dans des distances, tels que cette suggestion
-en impose à notre _âme,--_plutôt qu'à notre esprit,--nous trouvons
-enfin une échelle convenable où toutes nos mesquines considérations
-antérieures de _quantité_ peuvent figurer comme de simples degrés.
-
-
-
-XIII
-
-
-L'imagination ainsi pleine de distances cosmiques, profitons de
-l'occasion pour parler de la difficulté que nous avons si souvent
-éprouvée, quand nous poursuivions le _chemin battu_ de la pensée
-astronomique, à rendre compte de ces vides incommensurables,--à
-expliquer pourquoi des gouffres, si totalement inoccupés et si
-inutiles en apparence, se sont produits entre les étoiles,--entre
-les groupes,--bref, à trouver une raison suffisante de l'échelle
-titanique, sur laquelle, quant à l'espace seulement, l'Univers paraît
-avoir été construit. J'affirme que l'Astronomie a fait visiblement
-défaut dans cette question et n'a pas su attribuer à ce phénomène
-une cause rationnelle;--mais les considérations qui, dans cet Essai,
-nous ont conduit pas à pas, nous permettent de comprendre clairement
-et immédiatement que _l'Espace et la Durée ne sont qu'un._ Pour que
-l'Univers pût durer pendant une ère proportionnée à la grandeur
-de ses parties matérielles constitutives et à la haute majesté de
-ses destinées spirituelles, il était nécessaire que la diffusion
-atomique originelle se fît dans une étendue aussi prodigieusement
-vaste qu'elle pouvait l'être sans être infinie. Il fallait, en un
-mot, que les étoiles passassent de l'état de nébulosité invisible à
-l'état de solidité visible, et vieillissent en donnant successivement
-la naissance et la mort à des variétés inexprimablement nombreuses et
-complexes du développement de la vitalité;--il fallait que les étoiles
-accomplissent tout cela, trouvassent le temps suffisant pour accomplir
-toutes ces intentions divines, _durant la période_ dans laquelle toutes
-choses vont effectuant leur retour vers l'Unité avec une vélocité
-qui progresse en raison inverse des carrés des distances, au bout
-desquelles est placé l'inévitable But.
-
-Grâce à toutes ces considérations, nous n'avons aucune peine à
-comprendre l'absolue exactitude de _l'appropriation_ divine. La densité
-respective des étoiles augmente, naturellement, à mesure que leur
-condensation diminue: la condensation et l'hétérogénéité marchent
-de pair; et par cette dernière, qui est l'indice de la première,
-nous pouvons estimer le développement vital et spirituel. Ainsi, par
-la densité des globes, nous obtenons la mesure dans laquelle leurs
-destinées sont remplies. A mesure qu'augmente la densité et que
-s'accomplissent les intentions divines, à mesure que diminue ce qui
-reste à accomplir, nous voyons augmenter, dans la même proportion,
-la vitesse qui précipite les choses vers la Fin. Et ainsi l'esprit
-philosophique comprendra sans peine que les intentions divines,
-dans la constitution des étoiles, avancent mathématiquement vers
-leur accomplissement;--il comprendra plus encore; il donnera à ce
-progrès une expression mathématique; il affirmera que ce progrès est
-en proportion inverse des carrés des distances où toutes les choses
-créées se trouvent relativement à ce qui est à la fois le point de
-départ et le but de leur création.
-
-Non-seulement cette appropriation de Dieu est mathématiquement exacte,
-mais il y a en elle une estampille divine, qui la distingue de tous
-les ouvrages de construction purement humaine. Je veux parler de la
-complète _réciprocité_ d'appropriation. Ainsi dans les constructions
-humaines une cause particulière engendre un effet particulier; une
-intention particulière amène un résultat particulier; mais c'est
-tout; nous ne voyons pas de réciprocité. L'effet ne réagit pas sur la
-cause; l'intention ne change pas son rapport avec l'objet. Dans les
-combinaisons de Dieu, l'objet est tour à tour dessein ou objet, selon
-la façon dont il nous plaît de le regarder, et nous pouvons prendre
-en tout temps une cause pour un effet, et réciproquement, de sorte
-que nous ne pouvons jamais, d'une manière absolue, distinguer l'un de
-l'autre.
-
-Prenons un exemple. Dans les climats polaires, la machine humaine, pour
-maintenir sa chaleur animale, et pour la combustion dans le système
-capillaire, réclame une abondante provision de nourriture fortement
-azotée, telle que l'huile de poisson. D'autre part, nous voyons que
-dans les climats polaires l'huile des nombreux phoques et baleines
-est presque la seule nourriture que la nature fournisse à l'homme. Et
-maintenant dirons-nous que l'huile est mise à la portée de l'homme
-parce qu'elle est impérieusement réclamée, ou dirons-nous qu'elle
-est la seule chose réclamée parce qu'elle est la seule qu'il puisse
-obtenir? Il est impossible de décider la question. Il y a là une
-absolue _réciprocité d'appropriation._
-
-Le plaisir que nous tirons de toute manifestation du génie humain
-est en raison du plus ou moins de _ressemblance_ avec cette espèce
-de réciprocité. Ainsi, dans la construction du plan d'une fiction
-littéraire, nous devrions nous efforcer d'arranger les incidents de
-telle façon qu'il fût impossible de déterminer si un quelconque d'entre
-eux dépend d'un autre quelconque ou lui sert d'appui. Prise dans ce
-sens, _la perfection du plan_ est, dans la réalité, dans la pratique,
-impossible à atteindre, simplement parce que la construction dont il
-s'agit est l'œuvre d'une intelligence finie. Les plans de Dieu sont
-parfaits. L'Univers est un plan de Dieu.
-
-Nous sommes maintenant arrivés à un point où l'intelligence est forcée
-de lutter contre sa propension à la déduction analogique, contre cette
-monomanie qui la pousse à vouloir saisir l'infini. Nous avons vu les
-lunes tourner autour des planètes; les planètes autour des étoiles;
-et l'instinct poétique de l'humanité,--son instinct de la symétrie,
-en tant que la symétrie ne soit qu'une symétrie de surface,--cet
-instinct, que l'Ame non-seulement de l'Homme mais de tous les êtres
-créés, a tiré au commencement de la base géométrique de l'irradiation
-universelle,--nous pousse à imaginer une extension sans fin de ce
-système de cycles. Fermant également nos yeux à la déduction et à
-l'induction, nous nous obstinons à concevoir une révolution de tous
-les corps qui composent lu Galaxie autour de quelque globe gigantesque
-que nous intitulons pivot central du tout. On se figure chaque groupe,
-dans le grand groupe de groupes, pourvu et construit d'une manière
-similaire; et en même temps, pour que l'analogie soit complète et
-ne fasse défaut en aucun point, on va jusqu'à concevoir tous ces
-groupes eux-mêmes comme tournant autour de quelque sphère encore
-plus auguste;--cette dernière à son tour, avec tous les groupes qui
-lui forment une ceinture, on croit qu'elle n'est qu'un des membres
-d'une série encore plus magnifique d'agglomérations, évoluant autour
-d'un autre globe qui lui sert de centre,--quelque globe encore plus
-ineffablement sublime, quelque globe, disons mieux, d'une infinie
-sublimité, incessamment multipliée par l'infiniment sublime. Telles
-sont les conditions, continuées à perpétuité, que la tyrannie d'une
-fausse analogie impose à l'Imagination et que la Raison est invitée
-à contempler, sans se montrer, s'il est possible, trop mécontente du
-tableau. Tel est, en général, le système d'interminables révolutions
-s'engendrant les unes les autres, que la Philosophie nous a habitués à
-comprendre et à expliquer, en s'y prenant du moins aussi adroitement
-qu'elle a pu. De temps à autre cependant, un véritable philosophe, dont
-la frénésie prend un tour très-déterminé, dont le génie, pour parler
-plus honnêtement, a, comme les blanchisseuses, l'habitude fortement
-prononcée de ne couler les choses qu'à la douzaine, nous fait voir
-le point précis, qui avait été perdu de vue, où s'arrête et où doit
-nécessairement s'arrêter cette série de révolutions.
-
-Les rêveries de Fourier ne valent peut-être pas la peine que nous nous
-en moquions;--mais on a beaucoup parlé, dans ces derniers temps, de
-l'hypothèse de Madler,--à savoir qu'il existe, au centre de la Galaxie,
-un globe prodigieux, autour duquel tournent tous les systèmes du
-groupe. La période de révolution pour notre propre système a même été
-évaluée à 117 millions d'années.
-
-On a longtemps soupçonné que notre Soleil opérait un mouvement dans
-l'espace, indépendamment de sa rotation, et une révolution autour du
-centre de gravité du système. Ce mouvement, en admettant qu'il existe,
-devrait se manifester par la perspective. Les étoiles, dans cette
-partie du firmament que nous sommes censés avoir laissée derrière
-nous, devraient, pendant une longue série d'années, s'accumuler en
-foule; celles comprises dans le côté opposé devraient avoir l'air de
-s'éparpiller. Or, par l'histoire de l'Astronomie, nous apprenons d'une
-manière vague que quelques-uns de ces phénomènes se sont manifestés.
-A ce sujet on a déclaré que notre système se mouvait vers un point
-du ciel diamétralement opposé à l'étoile Zêta Herculis;--mais c'est
-là peut-être le maximum de ce que nous avons logiquement le droit de
-conclure en cette matière. Madler, néanmoins, est allé jusqu'à désigner
-une étoile particulière,--Alcyone, l'une des Pléiades,--comme marquant
-juste, ou à peu de chose près, le point autour duquel s'accomplirait
-une révolution générale.
-
-Or, puisque c'est _l'analogie_ qui nous a tout d'abord entraînés vers
-ces rêves, il est naturel et convenable de nous servir de la même
-analogie pour en poursuivre le développement; et cette analogie qui
-nous a suggéré l'idée de révolution nous suggère en même temps l'idée
-d'un vaste globe central autour duquel elle devrait s'accomplir;
---jusque-là le raisonnement de l'astronome est logique. Dynamiquement,
-il faudrait toutefois que cet astre central fût plus gros que tous
-les astres réunis qui l'entourent. Or, ils sont au nombre de 100
-millions environ. «Pourquoi donc», a-t-on demandé très-naturellement,
-«ne voyons-nous pas ce vaste soleil central, au moins égal par sa
-masse à 100 millions de soleils semblables au notre? Pourquoi ne le
-voyons-nous pas, _nous_ particulièrement, qui occupons la région
-moyenne du groupe,--le lieu même près duquel, en tout cas, doit être
-situé cet astre incomparable?» On répondit prestement: «Il faut qu'il
-soit non lumineux comme sont nos planètes.» Ici, pour s'accommoder
-au but, l'analogie se laissait torturer. On pouvait dire: «Nous
-savons qu'il existe positivement des soleils non lumineux, mais non
-pas dans de telles conditions.» Il est vrai que nous avons quelque
-raison d'en supposer de tels, mais nous n'avons certainement aucune
-raison pour supposer qu'il y a des soleils non lumineux entourés
-de soleils lumineux, ces derniers étant à leur tour environnés de
-planètes non lumineuses; tout cela est précisément ce dont Madler est
-sommé de trouver l'analogue dans les cieux; car il imagine tout cela
-justement à propos de la Galaxie. En admettant que la chose soit telle
-qu'il le dit, nous ne pouvons nous empêcher de penser combien cette
-question: «Pourquoi les choses sont-elles ainsi?» serait cruellement
-embarrassante pour les philosophes _à priori._
-
-Mais si, en dépit de l'analogie et de toute autre raison, nous
-reconnaissons la non-luminosité de ce grand astre central, nous
-pouvons toujours demander comment ce globe si énorme n'est pas rendu
-visible, grâce à cette effusion de lumière versée sur lui par les
-100 millions de splendides soleils qui brillent dans tous les sens
-autour de lui. Devant cette embarrassante question, l'idée d'un soleil
-central positivement solide semble avoir été jusqu'à un certain point
-abandonnée; et l'esprit spéculatif s'est contenté d'affirmer que les
-systèmes du groupe accomplissaient leurs révolutions autour d'un
-centre immatériel de gravité qui leur était commun à tous. Ici encore,
-l'analogie a fait fausse route, pour se prêter à une théorie. Les
-planètes de notre système tournent, il est vrai, autour d'un centre
-commun de gravité; mais elles agissent ainsi conjointement avec un
-soleil matériel qui les entraîne, et dont la masse fait plus que
-contre-balancer le reste du système.
-
-La circonférence mathématique est une courbe composée d'une infinité de
-lignes droites. Mais cette idée de la circonférence, idée qui, au point
-de vue de toute la géométrie ordinaire, n'en est que l'idée purement
-mathématique, mise en opposition de l'idée pratique, est aussi, en
-stricte réalité, la seule conception pratique que nous puissions
-façonner à notre usage pour l'intelligence de cette circonférence
-majestueuse à laquelle nous avons affaire, au moins en imagination,
-quand nous supposons notre système tournant autour d'un point situé
-au centre de la Galaxie. Que l'imagination la plus vigoureuse essaye
-seulement de faire un pas, un seul, vers la compréhension d'une courbe
-aussi inexprimable! Sans commettre un paradoxe, on pourrait dire
-qu'un éclair même, qui suivrait éternellement la circonférence de cet
-inexprimable cercle, ne ferait que parcourir éternellement une ligne
-droite. Qu'en décrivant une telle orbite, notre Soleil pût selon une
-appréciation humaine, dévier de la ligne droite à un degré quelconque,
-si petit qu'on le suppose, c'est là une idée inadmissible; cependant
-nous sommes priés de croire qu'une courbure est devenue apparente
-pendant la très-courte période de notre histoire astronomique, durant
-ce simple point, durant ce parfait néant de deux ou trois mille ans.
-
-On pourrait dire que Madler a réellement vérifié une courbure dans
-le sens de la marche, maintenant bien tracée, de notre système à
-travers l'Espace. Admettant, s'il le faut, que ce fait soit réel, je
-maintiens qu'il n'y a dans ce cas, qu'un seul fait démontré, c'est
-la réalité d'une courbure. Pour l'_entière_ vérification du fait,
-il faudrait des siècles, et quand même elle serait faite, elle ne
-servirait qu'à indiquer un rapport binaire ou tout autre rapport
-multiple quelconque entre notre Soleil et une ou plusieurs des étoiles
-les plus rapprochées. Quoi qu'il en soit, je ne hasarde rien en
-prédisant qu'après une période de plusieurs siècles, tous les efforts
-pour déterminer la marche de notre Soleil à travers l'Espace seront
-abandonnés comme vains et inutiles. Cela est facile à concevoir quand
-nous considérons l'infinité de perturbations que cette marche doit
-subir, par suite du changement perpétuel des rapports du Soleil avec
-les autres astres, pendant ce rapprochement simultané de tous vers le
-noyau de la Galaxie.
-
-Mais, en examinant d'autres nébuleuses que la Voie Lactée, en
-considérant dans leur généralité les groupes dont est parsemé le
-firmament, trouvons-nous, oui ou non, une confirmation de l'hypothèse
-de Madler? _Nous ne la trouvons pas._ Les formes des groupes sont
-excessivement variées quand on les regarde accidentellement; mais par
-un examen plus minutieux, à travers de puissants télescopes, nous
-reconnaissons très-distinctement que la sphère est la forme dont ils se
-rapprochent le plus,--leur constitution étant en général en désaccord
-avec l'idée d'une révolution autour d'un centre commun.
-
-«Il est difficile, dit sir John Herschell,--de former une conception
-quelconque de l'état dynamique de tels systèmes. D'un côté, sans un
-mouvement rotatoire et une force centrifuge, il est presque impossible
-de ne pas les considérer comme soumis à une condition de _rapprochement
-progressif;_ d'un autre côté, en admettant un tel mouvement et une
-telle force, nous ne trouvons pas moins difficile de concilier leurs
-formes avec la rotation de tout le système (il veut dire groupe) autour
-d'un seul axe, sans lequel une collision intérieure nous apparaît comme
-chose inévitable.»
-
-Quelques observations sur les _nébuleuses,_ récemment faites par le
-Docteur Nichol, quoique faites à un point de vue cosmique absolument
-différent de tous ceux adoptés dans le présent Discours, s'appliquent
-d'une manière très-particulière au point qui est actuellement en
-question. Il dit:
-
-«Quand nous dirigeons sur les nébuleuses nos plus grands télescopes,
-nous voyons que celles que nous avions d'abord considérées comme
-irrégulières ne le sont réellement pas; elles se rapprochent plutôt
-de la forme d'un globe. Il y en a une qui semblait ovale; mais le
-télescope de lord Rosse l'a transformée pour nous en un cercle...
-Or, il se présente une très-remarquable circonstance relativement à
-ces masses circulaires de nébuleuses qui semblent, par comparaison,
-douées de mouvement. Nous découvrons qu'elles ne sont pas absolument
-circulaires, mais que, bien au contraire, tout autour d'elles et de
-tous côtés, il y a des colonnes d'étoiles, _qui semblent s'étendre au
-loin comme si elles se précipitaient vers une grande masse centrale en
-vertu de quelque énorme puissance_[1].»
-
-Si j'avais à décrire, à ma guise, la condition actuelle nécessaire
-des nébuleuses, dans l'hypothèse, suggérée par moi, que toute matière
-s'achemine vers l'Unité originelle, je copierais simplement, et presque
-mot à mot, le langage qu'a employé le Docteur Nichol sans soupçonner le
-moins du monde cette prodigieuse vérité, qui est la clef de tous les
-phénomènes relatifs aux nébuleuses.
-
-Et qu'il me soit permis ici de fortifier ma position par le témoignage
-de quelqu'un qui est plus grand que Madler,--de quelqu'un pour
-qui toutes les données de Madler étaient depuis longtemps choses
-familières, soigneusement et entièrement examinées. Relativement aux
-calculs minutieux d'Argelander, lesquels forment la base de l'idée de
-Madler, Humboldt, dont la faculté généralisatrice n'a peut-être jamais
-été égalée, fait l'observation suivante:
-
-«Quand nous considérons le mouvement propre, réel et non perspectif
-des étoiles, _nous voyons plusieurs groupes marchant dans des
-directions opposées;_ et les données que nous avons acquises jusqu'à
-présent ne nous forcent pas à imaginer que les systèmes composant
-la Voie Lactée, ou les groupes composant généralement l'Univers,
-tournent autour de quelque centre inconnu, lumineux ou non lumineux.
-Ce n'est que le désir propre à l'Homme de posséder une Cause Première
-fondamentale, qui persuade à son intelligence et à son imagination
-d'adopter une telle hypothèse.»
-
-Le phénomène dont il est ici question, c'est-à-dire de _plusieurs
-groupes se dirigeant dans des sens opposés,_ est tout à fait
-inexplicable dans l'hypothèse de Madler, mais surgit comme conséquence
-nécessaire de l'idée qui forme la base de ce Discours. En même temps
-que la direction purement générale de chaque atome, de chaque lune,
-planète, étoile ou groupe, serait, dans mon hypothèse, absolument
-rectiligne; en même temps que la route générale suivie par tous
-les corps serait une ligne droite conduisant au centre de tout, il
-est clair que cette direction rectiligne serait composée de ce que
-nous pouvons appeler, sans exagération, une infinité de courbes
-particulières, résultat des différences continuelles de position
-relative parmi ces masses innombrables, à mesure que chacune progresse
-dans son pèlerinage vers l'Unité finale.
-
-Je citais tout à l'heure le passage suivant de sir John Herschell,
-appliqué aux groupes: «D'un côté, sans un mouvement rotatoire et une
-force centrifuge, il est presque impossible de ne pas les considérer
-comme soumis à une condition de _rapprochement progressif.»_ Le fait
-est qu'en examinant les nébuleuses avec un télescope très-puissant,
-il est absolument impossible, quand une fois on a conçu cette idée de
-rapprochement, de ne pas ramasser de tous les côtés des témoignages
-qui la confirment. Il y a toujours un noyau apparent dans la direction
-duquel les étoiles semblent se précipiter, et ces noyaux ne peuvent pas
-être pris pour de purs phénomènes de perspective;--les groupes sont
-réellement plus denses vers le centre, plus clairs vers les régions
-extrêmes. En un mot, nous voyons toutes choses comme nous les verrions
-si un rapprochement universel avait lieu; mais, en général, je crois
-que s'il est naturel, quand nous examinons ces groupes, d'accueillir
-_l'idée d'un mouvement orbitaire autour d'un centre,_ ce n'est qu'à
-la condition d'admettre l'existence _possible,_ dans les domaines
-lointains de l'espace, de lois dynamiques qui nous seraient totalement
-inconnues.
-
-De la part d'Herschell, il y a évidemment répugnance à supposer que les
-nébuleuses soient dans un état de rapprochement progressif. Mais si les
-faits, si même les apparences justifient cette supposition, pourquoi,
-demandera-t-on peut-être, répugne-t-il à l'admettre? Simplement à cause
-d'un préjugé; simplement parce que cette supposition contredit une idée
-préconçue et absolument sans base,--celle de l'étendue infinie et de
-l'éternelle stabilité de l'Univers.
-
-
-[Footnote 1: On doit comprendre que ce que je nie spécialement dans
-l'Hypothèse de Madler, c'est la partie qui concerne le mouvement
-circulaire. S'il n'existe pas _maintenant_ dans notre groupe un grand
-globe central, naturellement il en existera un plus tard. Dans quelque
-temps qu'il existe, il sera simplement le _noyau_ de la consolidation.]
-
-
-
-XIV
-
-
-Si les propositions de ce Discours sont logiquement déduites, cette
-_condition de rapprochement progressif_ est précisément la seule dans
-laquelle nous puissions légitimement considérer toutes les choses de
-la création; et je confesse ici, avec une parfaite humilité, que,
-pour ma part, il m'est impossible de comprendre comment toute autre
-interprétation de la condition actuelle des choses a jamais pu se
-glisser dans un cerveau humain. _La tendance au rapprochement_ et
-_l'attraction de la gravitation_ sont deux termes réciproquement
-convertibles. En nous servant de l'un ou de l'autre, nous voulons
-parler de la réaction de l'Acte primordial. 11 ne fut jamais rien
-de si inutile que de supposer la Matière pénétrée d'une qualité
-indestructible faisant partie de son essence,--qualité ou instinct à
-jamais inséparable d'elle, principe inaliénable en vertu duquel chaque
-atome est perpétuellement poussé à rechercher l'atome son semblable.
-Jamais il n'y eut rien de moins nécessaire que d'adopter cette idée
-anti-philosophique. Allant au delà de la pensée vulgaire, il faut que
-nous comprenions, métaphysiquement, que le principe de la gravitation
-n'appartient à la matière que _temporairement,_ pendant qu'elle est
-éparpillée;--pendant qu'elle existe sous la forme de la Pluralité au
-lieu d'exister sous celle de l'Unité;--lui appartient seulement en
-vertu de son état d'irradiation;--appartient, en un mot, non pas à la
-Matière elle-même le moins du monde, mais uniquement à la _condition_
-actuelle où elle se trouve. D'après cette idée, quand l'irradiation
-sera retournée vers sa source,--quand la réaction sera devenue
-complète,--le principe de la gravitation aura cessé d'exister. Et, en
-fait, bien que les astronomes ne soient jamais arrivés à l'idée que
-nous émettons ici, il semble toutefois qu'ils s'en soient rapprochés
-en affirmant que _s'il n'y avait qu'un seul corps dans l'Univers, il
-serait impossible de comprendre comment le principe de la gravitation
-pourrait s'établir;_ c'est-à-dire qu'en considérant la matière telle
-qu'elle se présente à leurs yeux, ils en tirent la conclusion à
-laquelle je suis arrivé par voie de déduction. Qu'une suggestion aussi
-féconde soit restée si longtemps sans porter ses fruits, c'est là un
-mystère que je ne saurais approfondir.
-
-C'est peut-être, en grande partie, notre tendance naturelle vers
-l'idée de perpétuité, vers l'analogie; et plus particulièrement, dans
-le cas présent, vers la symétrie, qui nous a entraînés dans une fausse
-route. En réalité, le sentiment de la symétrie est un instinct qui
-repose sur une confiance presque aveugle. C'est l'essence poétique de
-l'Univers, de cet Univers qui, dans la perfection de sa symétrie, est
-simplement le plus sublime des poëmes. Or, symétrie et consistance sont
-des termes réciproquement convertibles; ainsi la Poésie et la Vérité ne
-font qu'un. Une chose est consistante en raison de sa vérité,--vraie
-en raison de sa consistance. _Une parfaite consistance, je le répète,
-ne peut être qu'une absolue vérité._ Nous admettrons donc que l'Homme
-ne peut pas rester longtemps dans l'erreur, ni se tromper de beaucoup,
-s'il se laisse guider par son instinct poétique, instinct de symétrie,
-et conséquemment véridique, comme je l'ai affirmé. Cependant il doit
-prendre garde qu'en poursuivant à l'étourdie une symétrie superficielle
-de formes et de mouvements, il ne perde de vue la réelle et essentielle
-symétrie des principes qui les déterminent et les gouvernent.
-
-Que tous les corps stellaires doivent finalement se fondre en un
-seul, que toutes choses doivent enfin grossir la substance _d'un
-prodigieux globe central déjà existant,--_c'est là une idée qui,
-depuis quelque temps déjà, semble d'une manière vague, indéterminée,
-avoir pris possession de l'imagination humaine. De fait, cette idée
-appartient à la classe des choses _excessivement évidentes._ Elle naît
-instantanément de l'observation, même superficielle, des mouvements
-circulaires et en apparence _giratoires_ ou _tourbillonnants_ de
-ces portions de l'Univers qui, très-rapprochées de nous, s'offrent
-immédiatement à notre attention. Il n'existe peut-être pas un seul
-homme, d'une éducation ordinaire et d'une faculté de méditation
-moyenne, à qui, dans une certaine mesure, l'idée en question ne
-se soit présentée, comme spontanée, instinctive, et portant tout
-le caractère d'une conception profonde et originale. Toutefois,
-cette conception, si généralement répandue, n'est jamais née, à ma
-connaissance, du moins, d'une série de considérations abstraites. Au
-contraire, elle a toujours été suggérée, comme je l'ai dit, par les
-mouvements tourbillonnant autour des centres, et c'est dans le même
-ordre de faits, c'est-à-dire dans ces mêmes mouvements circulaires, que
-naturellement on a cherché une raison qui expliquât cette idée, une
-_cause_ qui pût amener cette agglomération de tous les globes en un
-seul, _lequel était déjà supposé existant._
-
-Ainsi quand on proclama la diminution, progressive et régulière,
-observée dans l'orbite de la comète d'Encke, à chacune de ses
-révolutions autour de notre Soleil, les astronomes furent presque
-unanimes pour dire que la cause en question était trouvée,--qu'un
-principe était découvert, suffisant pour expliquer, physiquement,
-cette finale et universelle agglomération, à laquelle, déterminé par
-son instinct analogique, symétrique ou poétique, l'homme avait donné
-créance plus qu'à une simple hypothèse.
-
-On affirma que cette cause, cette raison suffisante de l'agglomération
-finale, existait dans un agent intermédiaire, excessivement rare,
-mais cependant matériel, qui pénétrait tout l'espace; lequel, en
-retardant la marche de la comète, affaiblissait perpétuellement sa
-force tangentielle et augmentait en même temps la force centripète, qui
-naturellement rapprochait davantage la comète à chaque révolution et
-devait finalement la précipiter sur le Soleil.
-
-Tout cela était strictement logique, une fois qu'on avait admis ce
-médium ou cet éther; mais il n'y avait aucune raison d'admettre
-l'éther, si ce n'est qu'on n'avait pu découvrir aucun autre moyen
-d'expliquer la diminution observée dans l'orbite de la comète;--comme
-si de l'impossibilité de trouver un autre mode d'explication il
-s'ensuivait qu'il n'en existât réellement pas d'autre. Il est clair
-que d'innombrables causes combinées pouvaient amener la diminution
-de l'orbite, sans que nous pussions même en découvrir une seule.
-D'ailleurs, on n'avait jamais bien démontré pourquoi le retard
-occasionné par les bords extrêmes de l'atmosphère du Soleil, à travers
-lesquels la comète passe à son périhélie, ne suffît pas pour expliquer
-le phénomène. Que la comète d'Encke sera absorbée par le Soleil, c'est
-probable; que toutes les comètes du système seront absorbées, c'est
-plus que possible; mais, dans un tel cas, le principe de l'absorption
-doit être cherché dans l'excentricité de l'orbite des comètes et dans
-leur rapprochement extrême du Soleil à leur périhélie; et ce n'est pas
-un principe qui puisse affecter les lourdes et solides _sphères_ qui
-doivent être considérées comme les vrais matériaux constituants de
-l'Univers. Relativement aux comètes en général, permettez-moi de dire
-en passant que nous avons le droit de les considérer comme les _éclairs
-du Ciel cosmique._
-
-L'idée d'un éther ralentissant et servant à amener l'agglomération
-finale de toutes choses nous a semblé une seule fois confirmée par
-une diminution positive observée dans l'orbite de la lune. Si nous en
-référons aux éclipses enregistrées il y a 2,500 ans, nous voyons que
-la vélocité de la révolution du satellite était alors bien moindre
-qu'elle n'est aujourd'hui et que, en supposant que son mouvement dans
-son orbite soit en accord constant avec la loi de Kepler, et ait été
-alors, il y a 2,500 ans, soigneusement déterminé, elle est aujourd'hui,
-relativement à la position qu'elle devrait occuper, en avance de 9,000
-milles environ. L'accroissement de vélocité prouvait, naturellement,
-une diminution de l'orbite, et les astronomes inclinaient fortement à
-croire à l'existence d'un éther, quand Lagrange vint à la rescousse.
-Il démontra que, grâce à la configuration des sphéroïdes, le petit axe
-de leur ellipse est sujet à varier de longueur, tandis que le grand
-axe reste le même, et que cette variation est continue et vibratoire,
-de sorte que chaque orbite est dans un état de transition, soit du
-cercle à l'ellipse, soit de l'ellipse au cercle. Le petit axe de la
-lune étant dans sa période de décroissance, l'orbite passe du cercle
-à l'ellipse et, conséquemment, décroît aussi; mais, après une longue
-série de siècles, l'excentricité extrême sera atteinte; alors le petit
-axe commencera à augmenter jusqu'à ce que l'orbite se transforme en un
-cercle; puis la période de raccourcissement aura lieu de nouveau,--et
-ainsi de suite à tour de rôle. Dans le cas de la Terre, l'orbite va
-se transformant d'ellipse en cercle. Les faits ainsi démontrés ont
-naturellement détruit la prétendue nécessité de supposer un éther et
-toute appréhension relative à l'instabilité du système, laquelle était
-attribuée à l'éther.
-
-On se souvient que j'ai moi-même supposé quelque chose d'analogue et
-que nous pouvons appeler un éther. J'ai parlé d'une _influence_ subtile
-accompagnant partout la matière, bien qu'elle ne se manifeste que par
-l'hétérogénéité de la matière. A cette _influence,_ dont je ne veux
-ni ne puis en aucune façon définir la mystérieuse et terrible nature,
-j'ai attribué les phénomènes variés d'électricité, de chaleur, de
-magnétisme, et même de vitalité, de conscience et de pensée,--en un
-mot, de spiritualité. On voit tout de suite que l'éther, compris de
-cette façon, est radicalement distinct de l'éther des astronomes; le
-leur est _matière_ et le mien ne l'est pas.
-
-L'abolition de l'éther matériel semble impliquer aussi la disparition
-absolue de cette idée d'agglomération universelle, si longtemps
-préconçue par l'imagination poétique de l'humanité;--agglomération à
-laquelle une sage Philosophie aurait pu légitimement prêter créance,
-au moins jusqu'à un certain point, si elle avait été préconçue
-uniquement par cette imagination poétique, sans aucune autre raison
-déterminante. Mais, jusqu'à présent, l'Astronomie et la Physique n'ont
-rien su trouver qui permette d'assigner une fin à l'Univers. Quand même
-on eût pu, par une cause aussi accessoire et indirecte que l'éther,
-démontrer cette fin, l'instinct qui révèle à l'Homme la Puissance
-Divine d'adaptation se serait révolté contre cette démonstration.
-Nous eussions été forcés de regarder l'Univers avec ce sentiment
-d'insatisfaction que nous éprouvons en contemplant un ouvrage d'art
-humain inutilement compliqué. La création nous aurait affectés comme
-un plan imparfait dans un roman, où le dénouement est gauchement
-amené par l'interposition d'incidents externes et étrangers au sujet
-principal, au lieu de jaillir du fond même du thème,--du cœur de
-l'idée dominante;--au lieu de naître comme résultat de la proposition
-première, comme partie intégrante, inséparable et inévitable, de la
-conception fondamentale du livre.
-
-On comprendra maintenant plus clairement ce que j'entends par symétrie
-purement superficielle. C'est simplement la séduction de cette symétrie
-qui nous a induits à accepter cette idée générale dont l'hypothèse de
-Madler n'est qu'une partie,--l'idée de l'attraction tourbillonnante
-des globes. Si nous écartons cette conception trop crûment physique,
-la véritable symétrie de principe nous fait voir la fin de toutes
-choses métaphysiquement impliquée dans l'idée d'un commencement,
-nous fait chercher et trouver dans cette origine de toutes choses
-les _rudiments_ de cette fin, et enfin concevoir l'impiété qu'il y
-aurait à supposer que cette fin pût être amenée moins simplement,
-moins directement, moins clairement, moins artistiquement que par _la
-réaction de l'Acte originel et créateur._
-
-
-
-XV
-
-
-Remontons donc vers une de nos suggestions antécédentes et concevons
-les systèmes, concevons chaque soleil, avec ses planètes-satellites,
-comme un simple atome titanique existant dans l'espace avec la
-même inclination vers l'Unité, qui caractérisait, au commencement,
-les véritables atomes après leur irradiation à travers la Sphère
-universelle. De même que ces atomes originels se précipitaient
-l'un vers l'autre selon des lignes généralement droites, de même
-nous pouvons concevoir comme généralement rectilignes les chemins
-qui conduisent les systèmes-atomes vers leurs centres respectifs
-d'aggrégation;--et dans cette attraction directe, qui rassemble les
-systèmes en groupes, et dans celle, analogue et simultanée, qui
-rassemble les groupes eux-mêmes, à mesure que s'opère la consolidation,
-nous trouvons enfin le grand Maintenant,--le terrible Présent,--la
-condition actuellement existante de l'Univers.
-
-Une analogie rationnelle peut nous aider à former une hypothèse
-relativement à l'Avenir, encore plus effrayant. L'équilibre entre
-les forces, centripète et centrifuge, de chaque système, étant
-nécessairement détruit quand il arrive à se rapprocher, jusqu'à un
-certain point, du noyau du groupe auquel il appartient, il en doit
-résulter, un jour, une précipitation chaotique, ou telle en apparence,
-des lunes sur les planètes, des planètes sur les soleils, et des
-soleils sur les noyaux; et le résultat général de cette précipitation
-doit être l'agglomération des myriades d'étoiles, existant actuellement
-dans le firmament, en un nombre presque infiniment moindre de sphères
-presque infiniment plus vastes. En devenant immensément moins nombreux,
-les mondes de cette époque seront devenus immensément plus gros que
-ceux de la notre. Alors, parmi d'incommensurables abîmes, brilleront
-des soleils inimaginables. Mais tout cela ne sera qu'une magnificence
-climatérique présageant la grande Fin. La nouvelle genèse indiquée ne
-peut être qu'une des étapes vers cette Fin, un des ajournements encore
-nombreux. Par ce travail d'agglomération, les groupes eux-mêmes, avec
-une vitesse effroyablement croissante, se sont précipités vers leur
-centre général,--et bientôt, avec une vélocité mille fois plus grande,
-une vélocité électrique, proportionnée à leur grosseur matérielle et à
-la véhémence spirituelle de leur appétit pour l'Unité, les majestueux
-survivants de la race des Étoiles s'élancent enfin dans un commun
-embrassement. Nous touchons enfin à la catastrophe inévitable.
-
-Mais cette catastrophe, quelle peut-elle être? Nous avons vu
-s'accomplir la conglomération, la moisson des mondes. Désormais,
-devrons-nous considérer ce _globe des globes,_ ce _globe matériel
-unique,_ comme constituant et remplissant l'Univers? Une telle idée
-serait en contradiction complète avec toutes les propositions émises
-dans ce Discours.
-
-J'ai déjà parlé de cette absolue _réciprocité d'adaptation_ qui est
-la grande caractéristique de l'Art divin,--qui est la signature
-divine. Arrivé à ce point de nos réflexions, nous avons regardé
-l'influence électrique comme une force répulsive qui seule rendait
-la Matière capable d'exister dans cet état de diffusion nécessaire
-à l'accomplissement de ses destinées;--là, en un mot, nous avons
-considéré l'influence en question comme instituée pour le salut
-de la Matière, pour sauvegarder les buts de toute matérialité.
-Réciproquement, il nous est permis de considérer la Matière comme
-créée seulement _pour le salut de cette influence,_ uniquement pour
-sauvegarder le but et l'objet de cet Éther spirituel. Par le moyen,
-par l'intermédiaire, par l'agence de la Matière et par la force de
-son hétérogénéité, cet Éther a pu se manifester,--l'Esprit a été
-_individualisé._ C'est uniquement dans le développement de cet Éther,
-par l'hétérogénéité, que des masses particulières de Matière sont
-devenues animées, sensibles, et en proportion de leur hétérogénéité;
-quelques-unes atteignant un degré de sensibilité qui implique ce
-que nous appelons _Pensée,_ et montant ainsi jusqu'à l'Intelligence
-Consciente.
-
-A ce point de vue, nous pouvons regarder la Matière comme un Moyen,
-et non comme une Fin. Son utilité et son but étaient compris dans sa
-diffusion, et, avec le retour vers l'Unité, sa destinée est accomplie.
-Ce globe des globes absolument consolidé serait sans but et sans objet;
-conséquemment il ne pourrait continuer à exister un seul instant. La
-Matière, créée dans un but, ne peut incontestablement, ce but étant
-rempli, être plus longtemps Matière. Efforçons-nous de comprendre
-qu'elle aspire à disparaître, et que Dieu seul doit rester tout entier,
-unique et complet.
-
-Chaque œuvre née de la conception Divine doit coexister et coexpirer
-avec le but qui lui est assigné; cela me semble évident, et je ne
-doute pas que la plupart de mes lecteurs, en voyant l'_inutilité_ de
-ce dernier globe de globes, acceptent ma conclusion: «Donc, il ne peut
-pas continuer d'exister.» Cependant, comme l'idée saisissante de sa
-disparition instantanée est de nature à ne pas être agréée facilement,
-présentée d'une manière aussi radicalement abstraite, par l'esprit
-même le plus vigoureux, appliquons-nous à la considérer d'un autre
-point de vue un peu plus ordinaire;--examinons comment elle peut être
-entièrement et magnifiquement corroborée par une considération _à
-posteriori_ de la Matière, telle que nous la voyons actuellement.
-
-J'ai déjà dit que, «l'Attraction et la Répulsion étant
-incontestablement les seules propriétés par lesquelles la Matière se
-manifeste à l'Esprit, nous avons le droit de supposer que la Matière
-n'existe que comme Attraction et Répulsion;--en d'autres termes, que
-l'Attraction et la Répulsion sont Matière; puisqu'il n'existe pas de
-cas où nous ne puissions employer, ou le terme Matière, ou, ensemble,
-les termes Attraction et Répulsion, comme expressions de logique
-équivalentes et conséquemment convertibles.»
-
-Or, la définition même de l'Attraction implique la particularité,
---l'existence de parties, de particules, d'atomes; car nous la
-définissons ainsi: tendance de chaque atome vers chaque autre atome,
-selon une certaine loi. Évidemment, là où il n'y a pas de parties, là
-est l'absolue Unité; là où la tendance vers l'Unité est satisfaite, il
-ne peut plus exister d'Attraction;--ceci a été parfaitement démontré,
-et toute la Philosophie l'admet. Donc, quand, son but accompli, la
-Matière sera revenue à sa condition première d'Unité,--condition
-qui présuppose l'expulsion de l'Éther séparatif, dont la fonction
-consiste simplement à maintenir les atomes à part les uns des autres
-jusqu'au grand jour où, cet éther n'étant plus nécessaire, la pression
-victorieuse de la collective et finale Attraction viendra prédominer
-dans la mesure voulue pour l'expulser;--quand, dis-je, la Matière,
-excluant l'Éther, sera retournée à l'Unité absolue, la Matière (pour
-parler d'une manière paradoxale) existera alors sans Attraction et sans
-Répulsion; en d'autres termes, la Matière sans la Matière, ou l'absence
-de Matière. En plongeant dans l'Unité, elle plongera en même temps dans
-ce _Non-Être_ qui, pour toute Perception Finie, doit être identique à
-l'Unité,--dans ce Néant Matériel du fond duquel nous savons qu'elle a
-été évoquée,--avec lequel seul elle a été _créée_ par la Volition de
-Dieu.
-
-Je répète donc: Efforçons-nous de comprendre que ce dernier globe,
-fait de tous les globes, disparaîtra instantanément, et que Dieu seul
-restera, tout entier, suprême résidu des choses.
-
-
-
-XVI
-
-
-Mais devons-nous nous arrêter ici? Non pas. De cette universelle
-agglomération et de cette dissolution peut résulter, nous le
-concevons aisément, une nouvelle série, toute différente peut-être,
-de conditions,--une autre création,--une autre irradiation retournant
-aussi sur elle-même,--une autre action, avec réaction, de la Volonté
-Divine. Soumettons notre imagination à la loi suprême, à la loi des
-lois, la loi de périodicité; et nous sommes plus qu'autorisés à
-accepter cette croyance, disons plus, à nous complaire dans cette
-espérance, que les phénomènes progressifs que nous avons osé contempler
-seront renouvelés encore, encore, et éternellement; qu'un nouvel
-Univers fera explosion dans l'existence, et s'abîmera à son tour dans
-le non-être, à chaque soupir du Cœur de la Divinité.
-
-Et maintenant, ce Cœur Divin,--quel est-il? _C'est notre propre cœur._
-
-Que l'irrévérence apparente de cette idée n'effarouche pas nos âmes
-et ne les détourne pas du froid exercice de la conscience,--de cette
-profonde tranquillité dans l'analyse de soi-même,--par lesquels
-seulement nous pouvons espérer d'arriver jusqu'à la plus sublime des
-vérités, et la contempler à loisir, face à face.
-
-Les phénomènes dont dépendent, à partir de ce point, nos conclusions,
-sont des ombres purement spirituelles, mais qui n'en sont pas moins
-entièrement substantielles.
-
-Nous marchons, à travers les destinées de notre existence mondaine,
-environnés de Souvenirs, obscurcis mais toujours présents, d'une
-Destinée plus vaste,--qui remonte loin, bien loin dans le passé, et qui
-est infiniment imposante.
-
-La Jeunesse que nous vivons est particulièrement hantée par de tels
-rêves,--que cependant nous ne prenons jamais pour des rêves. Nous les
-_reconnaissons_ comme Souvenirs. Pendant notre jeunesse, nous faisons
-trop clairement la distinction pour nous méprendre un seul instant.
-
-Tant que dure cette Jeunesse, _ce sentiment de notre existence
-personnelle_ est le plus naturel de tous les sentiments. Nous le
-sentons très-pleinement, entièrement. Qu'il y ait eu une époque _où
-nous n'existions pas,--_ou qu'il puisse se faire que nous n'ayons
-jamais existé, ce sont là des considérations que, _pendant cette
-jeunesse,_ nous ne comprenons que très-difficilement. Pourquoi
-nous pouvions ne pas exister, c'est là, _jusqu'à l'époque de notre
-Virilité,_ de toutes les questions, celle à laquelle il nous serait
-le plus impossible de répondre. L'existence, l'existence personnelle,
-l'existence de tout Temps et pour toute l'Éternité, nous semble,
-jusqu'à l'époque de notre Virilité, une condition normale et
-incontestable;--_cela nous semble, parce que cela est._
-
-Mais vient une période pendant laquelle la Raison conventionnelle du
-monde nous éveille pour l'erreur et nous arrache à la vérité de nos
-rêves. Le Doute, la Surprise et l'Incompréhensibilité arrivent au même
-moment. Ils disent: «Vous vivez, et il fut un temps où vous ne viviez
-pas. Vous avez été créé. Il existe une Intelligence plus grande que la
-vôtre, et c'est seulement grâce à cette Intelligence que vous vivez
-tant soit peu.» Nous nous efforçons de comprendre ces choses et nous
-ne le pouvons pas;'--nous _ne le pouvons pas,_ parce que ces choses,
-n'étant pas vraies, sont nécessairement incompréhensibles.
-
-Il n'existe pas un être pensant, qui, à un certain point lumineux de
-sa vie intellectuelle, ne se soit senti perdu dans un chaos de vains
-efforts pour comprendre ou pour croire qu'il existe quelque chose _de
-plus grand que son âme personnelle._ L'absolue impossibilité pour une
-âme de se sentir inférieure à une autre; l'intense, l'insupportable
-malaise et la rébellion qui sont le résultat d'une pareille idée, et
-puis les irrépressibles aspirations vers la perfection, ne sont que
-les efforts spirituels, coïncidant avec les matériels, pour retourner
-à l'Unité primitive,--et constituent, pour mon esprit du moins, une
-espèce de preuve, dépassant de beaucoup ce que l'Homme appelle une
-démonstration, qu'il n'y a pas d'âme inférieure à une autre,--que rien
-n'est et ne peut être supérieur à une âme quelconque,--que chaque
-âme est, partiellement, son propre Dieu, son propre Créateur;--en un
-mot, que Dieu, le Dieu matériel et spirituel, n'existe maintenant
-que dans la Matière diffuse et l'Esprit diffus de l'Univers; et que
-la concentration de cette Matière et de cet Esprit pourra seule
-reconstituer le Dieu _purement_ Spirituel et Individuel.
-
-De ce point de vue, et de celui-là seulement, il nous est donné de
-comprendre les énigmes de l'Injustice Divine,--de l'Inexorable Destin.
-De ce point de vue seul, l'existence du Mal devient intelligible,
-mais de ce point de vue, il devient mieux qu'intelligible, il devient
-tolerable. Nos âmes ne peuvent plus se révolter contre une _Douleur_
-que nous nous sommes imposée nous-mêmes, pour l'accomplissement de
-nos propres desseins,--dans le but, quelquefois futile, d'agrandir le
-cercle de notre propre _Joie_.
-
-J'ai parlé de _Souvenirs_ qui nous hantaient pendant notre jeunesse.
-Ils nous poursuivent quelquefois même dans notre Virilité;--ils
-prennent graduellement des formes de moins en moins vagues;--de temps à
-autre, ils nous parlent à voix basse, et disent:
-
-«Il fut une époque dans la Nuit du Temps où existait un Être
-éternel,--composé d'un nombre absolument infini d'Êtres semblables
-qui peuplent l'infini domaine de l'espace infini. Il n'était pas et
-il n'est pas au pouvoir de cet Être,--pas plus qu'en ton pouvoir
-propre,-d'étendre et d'accroître, d'une quantité positive, la joie
-de son Existence; mais, de même qu'il est en ta puissance d'étendre
-ou de concentrer tes plaisirs (la somme absolue de bonheur restant
-toujours la même), ainsi une faculté analogue a appartenu et appartient
-à cet Être Divin, qui ainsi passe son Éternité dans une perpétuelle
-alternation du Moi concentré à une Diffusion presque infinie de
-Soi-même. Ce que tu appelles l'Univers n'est que l'expansion présente
-de son existence. Il sent maintenant sa propre vie par une infinité
-de plaisirs imparfaits,--les plaisirs partiels et entremêlés de peine
-de ces êtres prodigieusement nombreux que tu nommes ses créatures,
-mais qui ne sont réellement que d'innombrables individualisations
-de Lui-même. Toutes ces créatures, _toutes,_ celles que tu déclares
-sensibles, aussi bien que celles dont tu nies la vie pour la simple
-raison que tu ne surprends pas cette vie dans ses opérations,--_toutes_
-ces créatures ont, à un degré plus ou moins vif, la faculté d'éprouver
-le plaisir ou la peine;--mais _la somme générale de leurs sensations
-est juste le total du Bonheur qui appartient de droit à l'Être Divin
-quand il est concentré en Lui-même._ Toutes ces créatures sont aussi
-des Intelligences plus ou moins conscientes; conscientes, d'abord,
-de leur propre identité; conscientes ensuite, par faibles éclairs,
-de leur identité avec l'Être Divin dont nous parlons,--de leur
-identité avec Dieu. De ces deux espèces de consciences, suppose que la
-première s'affaiblisse graduellement, et que la seconde se fortifie,
-pendant la longue succession des siècles qui doivent s'écouler avant
-que ces myriades d'Intelligences individuelles s'effacent et se
-confondent,--en même temps que les brillantes étoiles,--en Une seule
-suprême. Imagine que le sens de l'identité individuelle se noie peu à
-peu dans la conscience générale,--que l'Homme, par exemple, cessant,
-par gradations imperceptibles, de se sentir Homme, atteigne à la longue
-cette triomphante et imposante époque où il reconnaîtra dans sa propre
-existence celle de Jéhovah. En même temps, souviens-toi que tout est
-Vie,--que tout est la Vie,--la Vie dans la Vie,--la moindre dans la
-plus grande, et toutes dans l'Esprit de Dieu.»
-
-
-
-NOTE DU TRADUCTEUR
-
-
-_Les dernières pages du livre indiquent au lecteur le sens qu'il doit
-attribuer au mot_ Vie Éternelle, _qui est employé dans les dernières
-lignes de la préface._
-
-_Le mot est pris dans un sens panthéistique, et non pas dans le sens
-religieux qu'il comporte généralement. La_ Vie éternelle _signife donc
-ici:_ la série indéterminée des existences de Dieu, soit à l'état de
-concentration, soit à l'état de dissémination.
-
-
-
-
-
-
-
-End of the Project Gutenberg EBook of Eureka, by Edgar Allan Poe
-
-*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK EUREKA ***
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- The Project Gutenberg eBook of Eureka, by Edgar Allan Poe.
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-<pre>
-
-The Project Gutenberg EBook of Eureka, by Edgar Allan Poe
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most
-other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of
-the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
-www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have
-to check the laws of the country where you are located before using this ebook.
-
-Title: Eureka
-
-Author: Edgar Allan Poe
-
-Translator: Charles Baudelaire
-
-Release Date: July 23, 2017 [EBook #55175]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: UTF-8
-
-*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK EUREKA ***
-
-
-
-
-Produced by Marc D'Hooghe at Free Literature (online soon
-in an extended version, also linking to free sources for
-education worldwide ... MOOC's, educational materials,...)
-Images generously made available by Gallica, Bibliothèque
-nationale de France.)
-
-
-
-
-
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-</div>
-
-<h1>EUREKA</h1>
-
-<h3>PAR</h3>
-
-<h2>EDGAR POE</h2>
-
-<h4>Traduit par</h4>
-
-<h4>CHARLES BAUDELAIRE</h4>
-
-<h5>PARIS</h5>
-
-<h5>MICHEL LÉVY, FRÈRES, LIBRAIRES ÉDITEUR</h5>
-
-<h5>RUE VIVIENNE, 2 BIS, ET BOULEVARD DES ITALIENS, 15</h5>
-
-<h5>A LA LIBRAIRIE NOUVELLE</h5>
-
-<h5>1864</h5>
-
-<hr class="full" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_1" id="Page_1">[p. 1]</a></span></p>
-
-<p><a href="#TABLE">Table</a></p>
-
-
-<h5><a name="EXTRAIT_DE_LA_BIOGRAPHIE" id="EXTRAIT_DE_LA_BIOGRAPHIE">EXTRAIT DE LA BIOGRAPHIE</a></h5>
-
-<h4>D'EDGAR POE</h4>
-
-<h5>PAR RUFUS GRISWOLD.</h5>
-
-<p>......................................</p>
-
-<p>Pendant près d'un an, M. Poe ne se manifesta que rarement au public;
-mais il était peut-être plus actif qu'il n'avait été en aucun temps;
-et, au commencement de 1848, il fit annoncer son intention de donner
-quelques <i>lectures,</i> dans le but de gagner une somme d'argent
-suffisante pour fonder ce fameux <i>magazine</i> mensuel qu'il rêvait depuis
-si longtemps. Sa première <i>lecture,</i> qui fut aussi la seule qu'il
-donna à cette époque, eut lieu à la <i>Society Library,</i> à New-York, le
-9 février, et avait pour sujet la Cosmogonie Universelle; elle fut
-écoutée par un auditoire éminemment intellectuel, et occupa environ
-deux heures et demie. C'était ce qu'il publia plus tard sous ce titre:
-<i>Eureka, poëme en prose.</i></p>
-
-<p>Il avait employé dans la composition de cet ouvrage ses plus subtiles
-et ses plus hautes facultés, dans leur plus parfait développement.
-Commençant par nier que les arcanes de l'univers puissent être explorés
-par la pure induction, mais armant son imagination des divers résultats
-de la science, il entra avec une hardiesse imperturbée,&mdash;quoique sans
-aucun autre guide que l'instinct divin, que ce sens de beauté où notre
-grand Edwards prétend retrouver l'épanouissement de toute vérité,&mdash;dans
-l'océan de la spéculation, et il y bâtit, avec les lois concordantes et
-leurs phénomènes, sa théorie de la Nature, comme sous l'influence d'une
-inspiration scientifique. Je n'entreprendrai pas la<span class="pagenum"><a name="Page_2" id="Page_2">[p. 2]</a></span> tâche difficile
-de condenser ici ses propositions. «La Loi,&mdash;dit-il,&mdash;que nous nommons
-<i>Gravitation,</i> existe en raison de ce que la Matière a été, à son
-origine, irradiée atomiquement, dans une sphère <i>limitée</i> d'espace,
-d'une Particule Propre, unique, individuelle, inconditionnelle,
-indépendante et absolue, selon le seul mode qui pouvait satisfaire à la
-fois aux deux conditions d'irradiation et de distribution généralement
-égales à travers la sphère,&mdash;c'est-à-dire par une force variant en
-proportion directe des carrés des distances comprises entre chacun des
-atomes irradiés et le centre spécial d'Irradiation.»</p>
-
-<p>Poe était entièrement persuadé qu'il avait découvert le grand secret;
-que les propositions <i>d'Eureka</i> étaient vraies; il avait coutume
-de parler de ce sujet avec un enthousiasme sublime et électrisant,
-que n'ont pu oublier ceux qui étaient liés avec lui à l'époque de
-sa publication. Il sentait qu'un auteur, connu seulement par ses
-aventures dans la littérature légère, jetant le gant aux docteurs de
-la science, ne pouvait s'attendre à une complète équité, et [qu'il]
-n'avait d'espoir que dans des discussions présidées par la sagesse
-et la bonne foi. Comme il me rencontrait, il me dit: «Avez-vous lu
-<i>Eureka</i>?» Je lui répondis: «Pas encore; tout à l'heure je jetais
-un coup d'œil sur le compte rendu qu'en a fait Willis, qui pense
-que l'ouvrage ne contient pas plus de réalité que d'imagination,
-et je vois avec peine,&mdash;si la chose est vraie,&mdash;qu'il insinue
-qu'<i>Eureka</i> ressemble par le ton à ce ramas de prétendues et surannées
-hypothèses, à l'adresse des rêveurs novices, qui s'appelle <i>les
-Vestiges de la Création;</i> et notre excellent et sage ami Bush, que
-vous reconnaîtrez sans doute, parmi tous les professeurs, pour
-l'esprit le plus habituellement équitable, pense que, bien que vous
-ayez en effet conjecturé avec beaucoup de sagacité, il ne serait
-cependant pas malaisé d'entraver par maintes difficultés la marche
-de votre doctrine.»&mdash;«Il n'est pas du tout généreux,&mdash;me répliqua
-Poe,&mdash;d'insinuer qu'il y a des difficultés et de ne pas expliquer de
-quelles difficultés il s'agit. Je réclame moi-même une vérification de
-toutes les propositions du livre. Je nie qu'il y ait une difficulté
-quelconque au-devant de laquelle je ne sois pas allé et que je n'aie
-surmontée.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_3" id="Page_3">[p. 3]</a></span></p>
-
-<p>On me fait outrage par l'application du mot <i>conjecturer. Rien</i> n'a été
-gratuitement supposé par moi, et <i>tout</i> a été prouvé.»</p>
-
-<p>Dans sa préface, il disait: «A ceux-là, si rares, qui m'aiment et que
-j'aime; à ceux qui sentent plutôt qu'à ceux qui pensent; aux rêveurs
-et à ceux qui ont mis leur foi dans les rêves comme dans les seules
-réalités, j'offre ce livre de Vérités, non pas seulement pour son
-caractère Véridique, mais à cause de la Beauté qui abonde dans sa
-Vérité, et qui confirme son caractère véridique. A ceux-là je présente
-cette composition simplement comme un objet d'art;&mdash;disons: comme un
-Roman; ou, si ma prétention n'est pas jugée trop haute, comme un Poëme.
-Ce que j'avance ici est vrai; donc, cela ne peut pas mourir; ou si, par
-quelque accident, cela se trouve, aujourd'hui, écrasé au point d'en
-mourir, cela ressuscitera dans la vie éternelle.»</p>
-
-<p>Quand je lis <i>Eureka,</i> je ne puis m'empêcher de considérer cet
-ouvrage comme immensément supérieur aux <i>Vestiges de la Création</i> et
-comme révélant un bien autre génie; et de même que j'admire le poëme
-(en exceptant toutefois cette malheureuse tentative de gouaillerie
-humouristique incluse dans ce que l'auteur nous donne comme une lettre
-trouvée dans une bouteille flottant sur le <i>Mare tenebrarum</i>), de même
-aussi j'y vois avec chagrin le panthéisme dominant, lequel, d'ailleurs,
-n'était pas nécessaire à son dessein principal. A quelques-unes des
-critiques faites sur le livre, il répondit en ces termes, dans une
-lettre adressée à M. C. F. Hoffman, alors éditeur du <i>Literary World.</i></p>
-
-<p>«Cher monsieur, dans votre numéro du 29 juillet, je trouve quelques
-commentaires sur <i>Eureka,</i> un livre récent de moi; et je vous connais
-trop bien pour vous supposer un seul instant capable de me dénier
-le privilège d'une brève réponse. Je sens même que je pourrais à
-coup sûr réclamer de M. Hoffman le droit que possède tout auteur de
-répliquer à son critique <i>ton pour ton,</i>&mdash;c'est-à-dire de renvoyer à
-votre correspondant plaisanterie pour plaisanterie et raillerie pour
-raillerie; mais, en premier lieu, je ne désire pas faire honte au
-<i>Literary World,</i> et, ensuite, je sens que si, dans le cas présent,
-je commençais à railler, je n'en finirais jamais. Lamartine blâme
-Voltaire pour l'usage que celui-ci fit souvent do<span class="pagenum"><a name="Page_4" id="Page_4">[p. 4]</a></span> la supercherie
-et de la calomnie dans ses attaques contre les prêtres; mais nos
-jeunes étudiants en théologie ne semblent pas se douter que, quand
-ils entreprennent la défense ou ce qu'ils croient être la défense
-du christianisme, il y ait une sorte de péché dans certaines
-légèretés mondaines, comme celle, par exemple, qui consiste à altérer
-délibérément le texte d'un auteur,&mdash;pour ne rien dire ici de
-l'inconvenance moindre de rendre compte d'un livre sans l'avoir lu et
-sans avoir le plus léger soupçon des questions qui y sont agitées.</p>
-
-<p>«Vous comprenez que c'est simplement aux <i>falsifications</i> de la
-critique en question que j'ai la prétention de répondre, les opinions
-de l'auteur ne pouvant avoir, en elles-mêmes, aucune importance
-pour moi, et n'en pouvant avoir, j'imagine, qu'une très-petite pour
-lui-même,&mdash;si toutefois il se connaît personnellement aussi bien
-que j'ai, moi, l'honneur de le connaître. La première altération
-est contenue dans cette phrase: «Cette lettre est une sanglante
-bouffonnerie contre les méthodes préconisées par Aristote et
-Bacon pour reconnaître la Vérité; l'auteur les ridiculise et les
-méprise également, et il se lance, en proie à une sorte d'extase
-divagante, dans la glorification d'un troisième mode, le noble art de
-<i>conjecturer.»</i> Voici, en réalité, ce que j'ai dit: «Il n'existe pas de
-certitude absolue, pas plus dans la méthode d'Aristote que dans celle
-de Bacon; donc, aucune des deux philosophies n'est si profonde qu'elle
-se l'imagine, et aucune n'a le droit de se moquer de ce procédé <i>en
-apparence</i> imaginatif qu'on appelle Intuition (par lequel procédé le
-grand Kepler a trouvé ses fameuses lois), puisque l'Intuition n'est, en
-somme, que la conviction naissant d'inductions ou de déductions dont
-la marche a été assez mystérieuse pour échapper à notre conscience, se
-soustraire à notre raison, ou défier notre puissance d'expression.»</p>
-
-<p>«La seconde altération est formulée en ces termes: «Le développement
-de l'électricité et la formation des étoiles et des soleils, lumineux
-et non lumineux, lunes et planètes, avec leurs anneaux, etc., <i>est</i>
-déduit, en presque complète accordance avec la théorie cosmogonique
-de Laplace, du principe proposé précédemment.»<span class="pagenum"><a name="Page_5" id="Page_5">[p. 5]</a></span> Or, l'étudiant en
-théologie veut évidemment ici frapper l'esprit du lecteur de cette
-idée, que ma théorie, si parfaite en soi qu'elle puisse être, ne
-contient rien de plus que celle de Laplace, sauf quelques modifications
-que lui, l'étudiant en théologie, considère comme insignifiantes.
-Je dirai simplement qu'aucun homme d'honneur ne peut m'accuser de
-la mauvaise foi dont on me suppose ici capable; d'autant que, ayant
-d'abord marché, appuyé sur ma seule théorie, jusqu'au point où elle
-se rencontre avec celle de Laplace, <i>je reproduis alors complètement
-la théorie de Laplace,</i> en exprimant ma ferme conviction qu'elle est
-absolument vraie <i>en tous points.</i> L'espace embrassé par le grand
-astronome français est à celui embrassé par ma théorie, comme une
-bulle est à l'océan sur lequel elle flotte, et il ne fait pas, lui,
-Laplace, la plus légère allusion au <i>principe proposé précédemment,</i>
-c'est-à-dire au principe de l'Unité pris comme source de tous les
-êtres,&mdash;le principe de la Gravitation n'étant que la Réaction de l'Acte
-Divin par lequel tous les êtres ont été irradiés de l'Unité. En somme,
-Laplace n'a pas même fait allusion à un seul des points de ma théorie.</p>
-
-<p>«Je ne crois pas nécessaire de parler ici du savoir astronomique
-manifesté par l'étudiant en théologie dans ces seuls mots: «des étoiles
-et des soleils,» ni d'insinuer qu'il eût été plus grammatical de
-dire: «le développement et la formation <i>sont ...</i>» au lieu de: «de
-développement et fa formation <i>est</i>...»</p>
-
-<p>«La troisième falsification se trouve dans une note au bas d'une page,
-où le critique dit: «Bien mieux encore, M. Poe prétend qu'il peut
-rendre compte de l'existence de tous les êtres organisés, y compris
-l'homme, simplement par les mêmes principes qui servent à expliquer
-l'origine et l'apparence actuelle des soleils et des mondes; mais cette
-prétention doit être rejetée comme une pure et plate assertion, sans
-une parcelle d'évidence. C'est, en d'autres termes, ce que nous pouvons
-appeler <i>une franche blague.</i>» Ici la falsification gît dans une
-fausse application volontaire du mot <i>principe.</i> Je dis: volontaire,
-parce que, à la page 67, j'ai pris un soin particulier d'établir
-une distinction entre les principes proprement dits, Attraction et
-Répulsion, et<span class="pagenum"><a name="Page_6" id="Page_6">[p. 6]</a></span> ces sous-principes, purs résultats des premiers, qui
-régissent l'univers dans le détail. C'est à ces sous-principes,
-agissant sous l'influence spirituelle immédiate de la Divinité, que
-j'attribue, sans examen, <i>tout ce</i> dont, selon la très-leste assertion
-de l'étudiant en théologie, j'expliquerais l'existence par les
-principes qui expliquent la constitution des soleils, etc.</p>
-
-<p>«Dans la troisième colonne de son article, le critique dit: «Il
-affirme que chaque âme est son propre Dieu, son propre Créateur.» Ce
-que j'affirme, c'est que chaque âme est, <i>partiellement,</i> son propre
-Dieu, son propre Créateur.» Un peu plus loin le critique dit: «Après
-toutes ces propositions contradictoires relatives à Dieu, nous lui
-rappellerions volontiers ce qu'il a établi lui-même à la page 33:
-«Relativement à cette Divinité, considérée en elle-même, celui-là seul
-n'est pas un imbécile, celui-là seul n'est pas un impie, qui n'affirme
-absolument <i>rien.</i>» Un homme qui se déclare lui-même, d'une manière si
-décisive, coupable d'imbécillité et d'impiété, n'a pas droit à une plus
-longue réfutation.»</p>
-
-<p>«Or, la phrase, comme je l'ai écrite, et comme je la trouve imprimée
-à cette même page invoquée par le critique, et <i>qu'il devait avoir</i>
-sous les yeux, pendant qu'il citait mes paroles, se présente ainsi:
-«Relativement à cette Divinité, considérée <i>en elle-même,</i> celui-là
-seul n'est pas un imbécile, etc., qui n'affirme absolument rien.»
-Par l'emploi des italiques, comme le critique le sait parfaitement,
-j'ai l'intention de distinguer les deux possibilités,&mdash;celle d'une
-connaissance de Dieu par ses ouvrages et celle d'une connaissance
-de Dieu dans <i>sa nature essentielle.</i> La Divinité, <i>en elle-même,</i>
-est distinguée de la Divinité observée <i>dans ses effets.</i> Mais notre
-critique est possédé de zèle. De plus, comme il est théologien, il
-est honnête, candide. Il est de son devoir de pervertir le sens de
-ma phrase, en omettant mes italiques,&mdash;juste comme dans la phrase
-citée plus haut il considérait comme étant son devoir de chrétien de
-falsifier mon argument en supprimant le mot: <i>partiellement,</i> dont
-dépend toute la force et même toute l'intelligibilité de ma proposition.</p>
-
-<p>«Si ces <i>altérations</i>(est-ce bien le mot dont il faut les nommer?)
-étaient faites dans un but moins sérieux que de flétrir mon livre<span class="pagenum"><a name="Page_7" id="Page_7">[p. 7]</a></span>
-comme <i>impie,</i> et de me flétrir moi-même comme <i>panthéiste,
-polythéiste, païen,</i> ou Dieu sait quoi encore (et, en vérité, je ne
-m'en inquiète guère, pourvu que ce ne soit pas comme <i>étudiant en
-théologie),</i> j'aurais laissé passer cette déloyauté sans réclamations,
-par pur mépris pour la puérilité et la janoterie qui la caractérisent;
-mais, dans le cas actuel, vous me pardonnerez, M. l'éditeur, d'avoir,
-contraint comme je l'étais, fait justice d'un critique qui, retranché
-dans sa courageuse <i>anonymosité,</i> profite de mon absence de cette ville
-pour me calomnier et me vilipender <i>nominativement.</i></p>
-
-<p style="text-align: right;">«<span class="smcap">Edgar A. Poe</span>.</p>
-
-<p style="text-align: right;">«Fordham, 20 septembre 1848.»</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_9" id="Page_9">[p. 9]</a></span></p>
-
-<hr />
-<p><i>A ceux-là, si rares, qui m'aiment et que j'aime;</i>&mdash;<i>à ceux qui sentent
-plutôt qu'à ceux qui pensent;&mdash;aux rêveurs et à ceux qui ont mis leur
-foi dans les rêves comme dans les seules réalités,&mdash;j'offre ce Livre
-de Vérités, non pas spécialement pour son caractère Véridique, mais
-à cause de la Beauté qui abonde dans sa Vérité, et qui confirme</i>
-son <i>caractère véridique. A ceux-là je présente cette composition
-simplement comme un objet d'Art,&mdash;disons comme un Roman, ou, si ma
-prétention n'est pas jugée trop haute, comme un Poëme.</i></p>
-
-<p>Ce que j'avance ici est vrai;&mdash;<i>donc cela ne peut pas mourir;&mdash;ou, si
-par quelque accident cela se trouve, aujourd'hui, écrasé au point d'en
-mourir, cela</i> ressuscitera dans la Vie Éternelle.</p>
-
-<p><i>Néanmoins c'est simplement comme Poëme que je désire que cet ouvrage
-soit jugé, alors que je ne serai plus.</i></p>
-
-<p style="font-size: 0.9em; text-align: right;"><i>E. P.</i></p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_11" id="Page_11">[p. 11]</a></span></p>
-
-
-
-
-<h3><a id="EUREKA"></a>EUREKA</h3>
-
-<h5>ou</h5>
-
-<h4>ESSAI SUR L'UNIVERS</h4>
-
-<h5>MATÉRIEL ET SPIRITUEL</h5>
-
-
-
-<h4>I</h4>
-
-
-<p>C'est avec une humilité non affectée,&mdash;c'est même avec un sentiment
-d'effroi,&mdash;que j'écris la phrase d'ouverture de cet ouvrage; car de
-tous les sujets imaginables, celui que j'offre au lecteur est le plus
-solennel, le plus vaste, le plus difficile, le plus auguste.</p>
-
-<p>Quels termes saurai-je trouver, suffisamment simples dans leur
-sublimité,&mdash;suffisamment sublimes dans leur simplicité,&mdash;pour la simple
-énonciation de mon thème?</p>
-
-<p>Je me suis imposé la tâche de parler de <i>l'Univers Physique,
-Métaphysique et Mathématique,&mdash;Matériel et Spirituel:&mdash;de son
-Essence, de son Origine, de sa Création, de sa Condition présente et
-de sa Destinée.</i> Je serai, de plus, assez hardi pour contredire les
-conclusions et conséquemment pour mettre en doute la sagacité des
-hommes les plus grands et les plus justement respectés.</p>
-
-<p>Qu'il me soit permis, en commençant, d'annoncer, non pas le théorème
-que j'espère démontrer (car, quoi que puissent affirmer les
-mathématiciens, la <i>chose</i> qu'on appelle <i>démonstration</i> n'existe pas,
-en ce monde du moins), mais l'idée dominante que, dans le cours de cet
-ouvrage, je m'efforcerai sans cesse de suggérer.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_12" id="Page_12">[p. 12]</a></span></p>
-
-<p>Donc, ma proposition générale est celle-ci: <i>Dans l'Unité Originelle
-de l'Être Premier est contenue la Cause Secondaire de Tous les Êtres,
-ainsi que le Game de leur inévitable Destruction.</i></p>
-
-<p>Pour élucider cette idée, je me propose d'embrasser l'Univers dans un
-seul coup d'œil, de telle sorte que l'esprit puisse en recevoir et en
-percevoir une impression condensée, comme d'un simple individu.</p>
-
-<p>Celui qui du sommet de l'Etna promène à loisir ses yeux autour de lui,
-est principalement affecté par <i>l'étendue</i> et par la <i>diversité</i> du
-tableau. Ce ne serait qu'en pirouettant rapidement sur son talon qu'il
-pourrait se flatter de saisir le panorama dans sa sublime <i>unité.</i>
-Mais comme, sur le sommet de l'Etna, aucun homme ne s'est avisé de
-pirouetter sur son talon, aucun homme non plus n'a jamais absorbé dans
-son cerveau la parfaite unité de cette perspective, et conséquemment
-toutes les considérations qui peuvent être impliquées dans cette unité
-n'ont pas d'existence positive pour l'humanité.</p>
-
-<p>Je ne connais pas un seul traité qui nous donne cette levée du plan de
-l'<i>Univers</i> (je me sers de ce terme dans son acception la plus large
-et la seule légitime); et c'est ici l'occasion de remarquer que par
-le mot <i>Univers,</i> toutes les fois qu'il sera employé dans cet essai
-sans qualificatif, j'entends désigner <i>la quantité d'espace la plus
-vaste que l'esprit puisse concevoir, avec tous les êtres, spirituels et
-matériels, qu'il peut imagina existant dans les limites de cet espace.</i>
-Pour désigner ce qui est <i>ordinairement</i> impliqué dans l'expression
-<i>univers,</i> je me servirai d'une phrase qui en limite le sens:
-l'<i>Univers astral.</i> On verra par la suite pourquoi je considère cette
-distinction comme nécessaire.</p>
-
-<p>Mais, même parmi les traités qui ont pour objet l'Univers des étoiles,
-réellement limité, bien qu'il soit toujours considéré comme illimité,
-je n'en connais pas un seul dans<span class="pagenum"><a name="Page_13" id="Page_13">[p. 13]</a></span> lequel un aperçu s'offre de telle
-façon que les déductions en soient garanties par l'<i>individualité</i>
-même de cet Univers limité. La tentative qui se rapproche le plus d'un
-pareil ouvrage a été faite dans le <i>Cosmos</i> d'Alexander von Humboldt.
-Il présente le sujet, toutefois, non dans son individualité, mais
-dans sa généralité. Son thème, en résultat final, c'est la loi de
-<i>chaque</i> partie de l'Univers purement physique, selon que cette loi
-est apparentée avec les lois de <i>toute autre</i> partie de cet Univers
-purement physique. Son dessein est simplement synérétique. En un mot,
-il analyse l'universalité des rapports matériels, et dévoile aux yeux
-de la Philosophie toutes les conséquences qui étaient restées, jusqu'à
-présent, cachées derrière cette universalité. Mais quelque admirable
-que soit la brièveté avec laquelle il a traité chaque point particulier
-de son sujet, la multiplicité de ces points suffit pour créer une masse
-de détails et, nécessairement, une complication d'idées qui exclut
-toute impression d'<i>individualité.</i></p>
-
-<p>Il me semble que, pour obtenir l'effet en question, ainsi que les
-conséquences, les conclusions, les suggestions, les spéculations,
-ou, pour mettre les choses au pire, les simples conjectures qui en
-peuvent résulter, nous aurions besoin d'opérer une espèce de pirouette
-mentale sur le talon. Il faut que tous les êtres exécutent autour du
-point de vue central une révolution assez rapide pour que les détails
-s'évanouissent absolument et que les objets même plus importants se
-fondent en un seul. Parmi les détails annihilés dans une contemplation
-de cette nature doivent se trouver toutes les matières exclusivement
-terrestres. La Terre ne pourrait être considérée que dans ses rapports
-planétaires. De ce point de vue, un homme devient l'humanité; et
-l'humanité, un membre de la famille cosmique des Intelligences.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_14" id="Page_14">[p. 14]</a></span></p>
-
-<hr />
-
-<h4>II</h4>
-
-
-<p>Et maintenant, avant d'entrer positivement dans notre sujet, qu'il me
-soit permis d'appeler l'attention du lecteur sur un ou deux extraits
-d'une lettre passablement curieuse, qu'on dit avoir été trouvée
-dans une bouteille bouchée, pendant qu'elle flottait sur le <i>Mare
-Tenebrarum,&mdash;</i>océan fort bien décrit par Ptolémée Héphestion, le
-géographe nubien, mais bien peu fréquenté dans les temps modernes,
-si ce n'est par les transcendantalistes et autres chercheurs d'idées
-creuses.</p>
-
-<p>La date de cette lettre me cause, je l'avoue, encore plus de surprise
-que son contenu; car elle semble avoir été écrite en l'an <i>deux</i> mil
-huit cent quarante-huit. Quant aux passages que je vais transcrire, je
-présume qu'ils parleront suffisamment par eux-mêmes:</p>
-
-<p>«Savez-vous, mon cher ami,» dit l'écrivain, s'adressant évidemment à
-un de ses contemporains, «savez-vous qu'il n'y a guère plus de huit ou
-neuf cents ans que les métaphysiciens ont consenti pour la première
-fois à délivrer le peuple de cette étrange idée: <i>qu'il n'existait que
-deux routes praticables conduisant à la Vérité?</i> Croyez cela, si vous
-le pouvez! Il paraît cependant que dans un temps ancien, très-ancien,
-au fond de la nuit du temps, vivait un philosophe turc nommé Aries
-et surnommé Tottle.» (Peut-être bien l'auteur de la lettre veut-il
-dire Aristote, les meilleurs noms, au bout de deux ou trois mille
-ans, sont déplorablement altérés.) «La réputation de ce grand homme
-reposait principalement sur l'autorité avec laquelle il démontrait que
-l'éternument était une prévoyance de la nature, au moyen de laquelle
-les penseurs trop profonds pouvaient<span class="pagenum"><a name="Page_15" id="Page_15">[p. 15]</a></span> chasser par le nez le superflu
-de leurs idées; mais il obtint une célébrité presque aussi grande
-comme fondateur, ou tout au moins comme principal vulgarisateur de
-ce qu'on nommait philosophie déductive ou à <i>priori.</i> Il partait
-de ce qu'il affirmait être des axiomes, ou vérités évidentes par
-elles-mêmes;&mdash;et ce fait, maintenant bien constaté qu'il n'y a pas
-de vérités évidentes <i>par elles-mêmes</i> n'infirme en aucune façon ses
-spéculations; il suffisait pour son dessein que les vérités en question
-fussent, en quelque façon, évidentes. De ces axiomes il descendait,
-logiquement, aux conséquences. Ses plus célèbres disciples furent un
-certain Tuclide, géomètre» (il veut dire Euclide), «et un nommé Kant,
-un Allemand, inventeur de cette espèce de transcendantalisme qui
-aujourd'hui porte encore son nom, sauf la substitution du C au K<a name="NoteRef_1_1" id="NoteRef_1_1"></a><a href="#Note_1_1" class="fnanchor">[1]</a>.</p>
-
-<p>«Or, Aries Tottle prospéra sans rival jusqu'à l'apparition d'un
-certain Hog<a name="NoteRef_2_2" id="NoteRef_2_2"></a><a href="#Note_2_2" class="fnanchor">[2]</a>, surnommé <i>le berger d'Ettrich,</i> qui prêcha un
-système entièrement différent, qu'il appelait méthode inductive ou
-<i>à posteriori.</i> Son plan se rapportait entièrement à la sensation.
-Il procédait par l'observation, analysant et classant des faits
-(<i>instantiæ Naturæ,</i> comme on les désignait assez pédantesquement),
-et les transformant en lois générales. En un mot, pendant que la
-méthode d'Aries reposait sur les <i>noumena,</i> celle de Hog dépendait
-des <i>phainomena;</i> et l'admiration excitée par ce dernier système
-fut si grande que, dès sa première apparition, Aries tomba dans un
-discrédit général. A la fin cependant, il reconquit du terrain, et
-il lui fut permis de partager l'empire de la philosophie avec son
-moderne rival;&mdash;les savants se contentant de proscrire tous autres
-compétiteurs, passés, présents et à venir, et mettant fin à toute
-controverse sur ce sujet par<span class="pagenum"><a name="Page_16" id="Page_16">[p. 16]</a></span> la promulgation d'une loi médique, en
-vertu de laquelle les routes Aristotélienne et Baconienne étaient, et
-de plein droit devaient être les seules voies possibles pour atteindre
-la connaissance.&mdash;Baconnienne, il faut que vous sachiez cela, mon cher
-ami,&mdash;ajoute ici l'auteur de la lettre,&mdash;était un adjectif inventé
-comme équivalent à Hoguienne, et considéré en même temps comme plus
-noble et plus euphonique.</p>
-
-<p>«Maintenant, je vous affirme très-positivement,&mdash;continue
-l'épître,&mdash;que je vous expose les choses d'une manière véridique;
-et vous pouvez comprendre sans peine combien des restrictions aussi
-impudemment absurdes ont dû nuire, dans ces époques, au progrès de
-la véritable Science, laquelle ne fait ses plus importantes étapes
-que par bonds, et ne procède, comme nous le montre toute l'Histoire,
-que par une apparente intuition. Les idées anciennes condamnaient
-l'investigateur à se traîner; et je n'ai pas besoin de vous faire
-observer que ce genre de marche, parmi les modes variés de locomotion,
-est certainement en lui-même très-estimable; mais parce que la tortue
-a le pied sûr, est-ce une raison pour couper les ailes de l'aigle?
-Pendant plusieurs siècles, l'engouement fut si grand, particulièrement
-pour Hog, qu'un empêchement invincible s'opposa à tout ce qui peut
-proprement s'appeler la pensée. Aucun homme n'osait proférer une
-vérité, s'il sentait qu'il ne la devait qu'à la seule puissance de
-son âme. Il importait fort peu que la vérité fût philosophiquement
-vraie; car les philosophes dogmatiseurs de cette époque s'inquiétaient
-seulement de <i>la route</i> avouée qui avait été suivie pour y atteindre.
-Le résultat, pour eux, était un point sans aucun intérêt. «Les
-moyens!&mdash;vociféraient-ils,&mdash;voyons les moyens!»&mdash;et si, par l'examen
-desdits moyens, on découvrait qu'ils ne rentraient ni<span class="pagenum"><a name="Page_17" id="Page_17">[p. 17]</a></span> dans la
-catégorie Hog, ni dans la catégorie Aries (qui veut dire bélier), oh!
-alors les savants ne voulaient pas aller plus loin, mais, traitant le
-penseur de fou et le stigmatisant du nom de théoricien, refusaient à
-tout jamais d'avoir affaire avec lui ou avec sa vérité.</p>
-
-<p>«Or, mon cher ami,&mdash;continue l'auteur de la lettre,&mdash;il est
-inadmissible que par la méthode rampante, exclusivement pratiquée,
-les hommes eussent pu atteindre au maximum de vérité, même après une
-série indéfinie de temps; car la répression de l'imagination était un
-vice que n'aurait même pas compensé l'<i>absolue</i> certitude de cette
-marche de colimaçon. Mais cette certitude était bien loin d'être
-absolue. L'erreur de nos ancêtres était tout à fait analogue à celle du
-faux sage qui croit qu'il verra un objet d'autant plus distinctement
-qu'il le tiendra plus près de ses yeux. Ainsi ils s'aveuglaient
-eux-mêmes avec l'impalpable et titillante poudre du <i>détail,</i> comme
-avec du tabac à priser; et conséquemment les <i>faits</i> si vantés de ces
-braves Hoguiens n'étaient pas toujours des faits; point qui ne tire
-son importance que de cette supposition, qui les faisait <i>toujours</i>
-accepter comme tels. Quoi qu'il en soit, l'infection principale du
-Baconianisme, sa plus déplorable source d'erreurs, consistait dans
-cette tendance à jeter le pouvoir et la considération entre les mains
-des hommes de pure perception,&mdash;animalcules de la science, savants
-microscopiques,&mdash;fouilleurs et colporteurs de petits <i>faits,</i> tirés
-pour la plupart des sciences physiques, faits qu'ils vendaient tous en
-détail et au même prix sur la voie publique; leur valeur dépendant,
-à ce qu'il paraît, <i>de ce simple fait que c'étaient des faits,</i> et
-nullement de leur parenté ou de leur non-parenté avec le développement
-de ces faits primitifs, les seuls légitimes, qui s'appellent la Loi.
-«Il n'exista jamais sur la face de la terre,&mdash;continue<span class="pagenum"><a name="Page_18" id="Page_18">[p. 18]</a></span> l'audacieuse
-lettre,&mdash;une plus intolérante, une plus intolérable classe de
-fanatiques et de tyrans que ces individus, élevés soudainement
-par la philosophie de Hog à un rang pour lequel ils n'étaient pas
-faits, transportés ainsi de la cuisine dans le salon de la Science,
-et de l'office dans la chaire. Leur credo, leur texte, leur sermon
-consistaient en un seul mot: <i>les faits!</i> Mais la plupart d'entre eux,
-de ce mot unique ne connaissaient même pas le sens. Quant à ceux qui
-s'avisaient de <i>déranger</i> leurs faits dans le but de les mettre en
-ordre et d'en tirer utilité, les disciples de Hog les traitaient sans
-merci. Tous les essais de généralisation étaient accueillis par les
-mots: «Théorique! Théorie! Théoricien!» Toute pensée, en un mot, était
-ressentie par eux comme un outrage personnel. Cultivant les sciences
-naturelles, à l'exclusion de la métaphysique, des mathématiques et de
-la logique, beaucoup de ces philosophes, d'engeance baconienne, avec
-leur idée unique, leur parti pris unique et leur marche de boiteux,
-étaient plus misérablement impuissants, plus tristement ignorants, en
-face de tous les objets compréhensibles de connaissance, que le plus
-illettré des rustres qui, en avouant qu'il ne sait absolument rien,
-prouve qu'il sait au moins quelque chose.</p>
-
-<p>«Nos ancêtres n'avaient pas plus qualité pour parler de <i>certitude,</i>
-quand ils suivaient, avec une confiance aveugle, la route <i>à priori</i>
-des axiomes, celle du Bélier. En des points innombrables, cette route
-n'était guère plus droite qu'une corne de bélier. La vérité pure est
-que les Aristotéliens élevaient leurs châteaux sur une base aussi peu
-solide que l'air; <i>car ces choses qu'on appelle axiomes n'ont jamais
-existé et ne peuvent pas exister.</i> Il faut qu'ils aient été bien
-aveugles pour ne pas voir cela, ou du moins pour ne pas le soupçonner;
-car, même de leur temps, plusieurs de leurs axiomes de<span class="pagenum"><a name="Page_19" id="Page_19">[p. 19]</a></span> vieille date
-avaient été abandonnés: <i>Ex nihilo nihil fit,</i> par exemple, et: <i>Un
-être ne peut pas agir là où il n'est pas,</i> et: <i>Il ne peut pas exister
-d'antipodes,</i> et: <i>Les ténèbres ne peuvent pas venir de la lumière.</i>
-Ces propositions et autres semblables, primitivement acceptées comme
-axiomes, ou vérités incontestables, étaient, même à l'époque dont je
-parle, considérées comme absolument insoutenables; combien ces gens
-étaient donc absurdes de vouloir toujours s'appuyer sur une base, dite
-immuable, dont l'instabilité s'était si fréquemment manifestée!</p>
-
-<p>«Mais, même par le témoignage qu'ils apportent contre eux-mêmes, il est
-aisé de convaincre ces raisonneurs <i>à priori</i> de l'énorme déraison,&mdash;il
-est aisé de leur montrer la futilité, l'impalpabilité générale de leurs
-axiomes. J'ai maintenant sous les yeux», observez que c'est toujours la
-lettre qui parle, «j'ai maintenant sous les yeux un livre imprimé il y
-a environ mille ans. Pundit m'assure que c'est positivement le meilleur
-des ouvrages anciens traitant de la matière, qui est la Logique.
-L'auteur, qui fut très-estimé dans son temps, était un certain Miller
-ou Mill; et l'histoire nous apprend, comme chose digne de mémoire,
-qu'il montait habituellement un cheval de manège auquel il donnait le
-nom de Jérémie Bentham;&mdash;mais jetons un coup d'œil sur le livre.</p>
-
-<p>«Ah! voilà: <i>La faculté de comprendre ou l'impossibilité de
-comprendre,</i> dit fort judicieusement M. Mill, <i>ne peut, dans aucun cas,
-être considérée comme un critérium de Vérité axiomatique.</i> Or, que
-ceci soit une vérité banale, aucun homme, jouissant de son bon sens,
-ne sera tenté de le nier. Ne pas admettre la proposition équivaudrait
-à porter une accusation d'inconstance contre la Vérité elle-même, dont
-le nom seul est synonyme d'immutabilité. Si l'aptitude à comprendre
-était prise pour critérium de la Vérité, ce qui<span class="pagenum"><a name="Page_20" id="Page_20">[p. 20]</a></span> est vérité pour
-<i>David</i> Hume serait très-rarement vérité pour <i>Joe;</i> et sur la terre
-il serait facile de démontrer la fausseté des quatre-vingt-dix-neuf
-centièmes de ce qui est certitude dans le ciel. La proposition de M.
-Mill est donc appuyée. Je n'accorde pas que ce soit un axiome, et
-cela simplement parce que je suis en train de montrer qu'il n'existe
-pas d'axiomes; mais, usant d'une distinction subtile qui ne pourrait
-pas être contestée par M. Mill lui-même, je suis prêt à reconnaître
-que, si jamais axiome exista, la proposition que je cite a tous les
-droits d'être considérée comme telle,&mdash;qu'il n'y a pas d'axiome <i>plus
-absolu,</i>&mdash;et, conséquemment, que toute proposition ultérieure qui
-entrera en conflit avec celle-là, primitivement émise, doit être
-une fausseté, c'est-à-dire le contraire d'un axiome, ou, s'il faut
-l'admettre comme axiomatique, devra du même coup s'annihiler elle-même
-et détruire sa devancière.</p>
-
-<p>«Et maintenant, par la logique même de l'auteur de la proposition,
-cherchons à vérifier n'importe quel axiome proposé. Faisons beau jeu à
-M. Mill. Nous dédaignons un résultat trop facile et trop vulgaire. Nous
-ne choisirons pas pour notre vérification un axiome banal, un axiome de
-cette classe qu'il définit, avec une autorité et un sans-gêne absurdes,
-classe secondaire d'axiomes, comme si une vérité définie positive
-pouvait être diminuée et devenir, à volonté, plus ou moins positive;
-nous ne choisirons pas, dis-je, un axiome d'une certitude passablement
-contestable, comme on en peut trouver dans Euclide. Nous ne parlerons
-pas, par exemple, de propositions comme celle-ci: Deux lignes droites
-ne peuvent pas limiter un espace,&mdash;ou celle-ci: Le tout est plus grand
-qu'une de ses parties quelconques. Nous donnerons à notre logicien tous
-les avantages. Nous irons tout droit à une proposition qu'il<span class="pagenum"><a name="Page_21" id="Page_21">[p. 21]</a></span> regarde
-comme l'apogée de la certitude, comme la quintessence de l'irrécusable
-axiomatique. La voici: «Deux contradictoires ne peuvent être vraies à
-la fois, c'est-à-dire ne peuvent coexister dans la nature.»&mdash;M. Mill
-veut dire ici, pour prendre un exemple,&mdash;et je choisis l'exemple le
-plus vigoureux et le plus intelligible,&mdash;qu'un arbre doit être un arbre
-ou ne pas l'être; qu'il ne peut pas, en même temps, être un arbre et
-ne pas l'être;&mdash;cela est parfaitement raisonnable en soi et remplit
-fort bien les conditions d'un axiome, tant que nous ne le confronterons
-pas avec l'axiome proclamé antérieurement; en d'autres termes, termes
-dont nous nous sommes déjà servis, tant que nous ne le vérifierons
-pas par la logique même de l'auteur de la proposition. Il faut qu'un
-arbre, affirme M. Mill, soit ou ne soit pas un arbre. Fort bien; et
-maintenant qu'il me soit permis de lui demander <i>pourquoi.</i> A cette
-petite question il n'a qu'une réponse à faire; je défie tout homme
-vivant d'en inventer une autre. Cette seule réponse possible, c'est:
-Parce que nous sentons qu'il est <i>impossible de comprendre</i> qu'un arbre
-puisse être autre chose qu'un arbre ou un non-arbre. Voilà donc, je le
-répète, la seule réponse de M. Mill; il ne prétendra pas en inventer
-une autre; et cependant, d'après sa propre démonstration, sa réponse
-évidemment n'est pas une réponse; car ne nous a-t-il pas déjà sommés
-d'admettre, comme un axiome, que <i>la possibilité ou l'impossibilité
-de comprendre ne doit, en aucun cas, être considérée comme critérium
-de vérité axiomatique?</i> Ainsi son argumentation tout entière fait
-naufrage. Qu'on ne prétende pas qu'une exception à la règle générale
-puisse avoir lieu dans des cas où <i>l'impossibilité de comprendre</i> est
-aussi manifeste qu'en celui-ci, où nous sommes invités à concevoir un
-arbre qui soit et ne soit pas un arbre. Qu'on n'essaye pas, dis-je,
-d'avancer une pareille stupidité; car,<span class="pagenum"><a name="Page_22" id="Page_22">[p. 22]</a></span> d'abord, il n'y a pas de degrés
-dans l'impossibilité, et une conception impossible ne peut pas être
-plus particulièrement impossible que toute autre conception impossible;
-ensuite, M. Mill lui-même, sans doute après mûre délibération, a,
-très-distinctement et très-rationnellement, exclu toute opportunité
-d'exception par l'énergie de sa proposition, à savoir que, <i>dans aucun
-cas,</i> la possibilité ou l'impossibilité de comprendre ne doit être
-prise comme critérium de vérité axiomatique; troisièmement, même en
-supposant quelques exceptions admissibles, il resterait à montrer
-comment ce peut être <i>ici</i> le cas d'en admettre une. Qu'un arbre puisse
-être et n'être pas un arbre, c'est là une idée que les anges ou les
-démons pourraient peut-être concevoir; mais sur la terre il n'y a que
-les habitants de Bedlam ou les transcendantalistes qui réussissent à la
-comprendre.</p>
-
-<p>«Or, si je cherche querelle à ces anciens,&mdash;continue l'auteur de
-la lettre,&mdash;ce n'est pas tant à cause de l'inconsistance et de la
-frivolité de leur logique, qui, pour parler net, était sans fondement,
-sans valeur et absolument fantastique, qu'à cause de cette tyrannique
-et orgueilleuse interdiction de toutes les routes qui peuvent conduire
-à la Vérité, toutes, excepté les deux étroites et tortues, celle où
-il faut se traîner et celle où il faut ramper, dans lesquelles leur
-ignorante perversité avait osé confiner l'Ame,&mdash;l'Ame qui n'aime rien
-tant que planer dans ces régions de l'illimitable intuition où ce qu'on
-appelle une <i>route</i> est chose absolument, inconnue.</p>
-
-<p>«Par parenthèse, mon cher ami, ne voyez-vous pas une preuve de la
-servitude spirituelle imposée à ces pauvres fanatiques par leurs Hogs
-et leurs Rams<a name="NoteRef_3_3" id="NoteRef_3_3"></a><a href="#Note_3_3" class="fnanchor">[3]</a>, dans ce fait<span class="pagenum"><a name="Page_23" id="Page_23">[p. 23]</a></span> qu'aucun d'eux n'a jamais,&mdash;en dépit de
-l'éternel radotage de leurs savants sur les routes qui conduisent à la
-Vérité,&mdash;découvert, même par accident, ce qui nous apparaît maintenant
-comme la plus large, la plus droite et la plus commode de toutes
-les <i>routes,</i> la grande avenue, la majestueuse route royale de la
-<i>Consistance?</i> N'est-il pas surprenant qu'ils n'aient pas su tirer des
-ouvrages de Dieu cette considération d'une importance vitale, qu'une
-<i>parfaite consistance ne peut être qu'une vérité absolue?</i> Combien,
-depuis l'avènement de cette proposition, notre progrès fut facile,
-combien il fut rapide! Grâce à elle, la fonction de la recherche a été
-arrachée à ces taupes, et confiée, comme un devoir plutôt que comme une
-tâche, aux vrais, aux seuls vrais penseurs, aux hommes d'une éducation
-générale et d'une imagination ardente. Ces derniers, nos Kepler et
-nos Laplace, s'adonnent à la spéculation et à fa théorie; c'est le
-mot; vous imaginez-vous avec quelle risée ce mot serait accueilli
-par nos ancêtres s'ils pouvaient, par-dessus mon épaule, regarder ce
-que j'écris? Les Kepler, je le répète, pensent spéculativement et
-théoriquement; et leurs théories sont simplement corrigées, tamisées,
-clarifiées, débarrassées peu à peu de toutes les pailles et matières
-étrangères qui nuisent à leur cohésion, jusqu'à ce qu'enfin apparaisse,
-dans sa solidité et sa pureté, la parfaite <i>consistance,</i> consistance
-que les plus stupides sont forcés d'admettre, parce qu'elle est la
-consistance, c'est-à-dire une absolue et incontestable <i>vérité.</i></p>
-
-<p>«J'ai souvent pensé, mon ami, que c'eût été chose bien embarrassante
-pour ces dogmatiseurs des siècles passés de déterminer par laquelle
-de leurs deux fameuses routes le cryptographe arrive à la solution
-des chiffres les plus compliqués, ou par laquelle Champollion a
-conduit l'humanité vers ces importantes et innombrables vérités qui<span class="pagenum"><a name="Page_24" id="Page_24">[p. 24]</a></span>
-sont restées enfouies pendant tant de siècles dans les hiéroglyphes
-phonétiques de l'Égypte. Ces fanatiques n'auraient-ils pas eu surtout
-quelque peine à déterminer par laquelle de leurs deux routes avait
-été atteinte la plus importante et la plus sublime de toutes leurs
-vérités, c'est-à-dire le fait de la gravitation? Cette vérité, Newton
-l'avait tirée des lois de Kepler. Ces lois dont l'étude découvrit au
-plus grand des astronomes anglais ce principe qui est la base de tout
-principe physique actuellement existant, et au delà duquel nous entrons
-tout de suite dans le royaume ténébreux de la métaphysique, Kepler
-reconnaissait qu'il les avait <i>devinées.</i> Oui! ces lois vitales, Kepler
-les a <i>devinées;</i> disons même qu'il les a <i>imaginées.</i> S'il avait été
-prié d'indiquer par quelle voie, d'induction ou de déduction, il était
-parvenu à cette découverte, il aurait pu répondre: «Je ne sais rien de
-vos routes, mais je connais la machine de l'Univers. Telle elle est. Je
-m'en suis emparé avec <i>mon âme;</i> je l'ai obtenue par la simple force
-de <i>l'intuition.</i> Hélas! pauvre vieil ignorant! Quelque métaphysicien
-lui aurait peut-être répondu que ce qu'il appelait intuition n'était
-que la certitude résultant de déductions ou d'inductions dont le
-développement avait été assez obscur pour échapper à sa conscience,
-pour se soustraire aux yeux de sa raison ou pour défier sa puissance
-d'expression. Quel malheur que quelque professeur de philosophie ne
-l'ait pas éclairé sur toutes ces choses! Comme cela l'eût réconforté
-sur son lit de mort, d'apprendre que, loin d'avoir marché intuitivement
-et scandaleusement, il avait, en réalité, cheminé suivant la méthode
-honnête et légitime, c'est-à-dire à la manière du Hog, ou au moins
-à la manière du Ram, vers le mystérieux palais où gisent, confinés,
-étincelants dans l'ombre, non gardés, purs encore de tout regard
-mortel, vierges de tout attouchement<span class="pagenum"><a name="Page_25" id="Page_25">[p. 25]</a></span> humain, les impérissables et
-inappréciables secrets de l'Univers!</p>
-
-<p>«Oui, Kepler était essentiellement théoricien; mais ce titre,
-qui comporte aujourd'hui quelque chose de sacré, était dans ces
-temps anciens une épithète d'un suprême mépris. C'est aujourd'hui
-seulement que les hommes commencent à apprécier le vieux homme divin,
-à sympathiser avec l'inspiration poétique et prophétique de ses
-indestructibles paroles. Pour ma part,&mdash;continue le correspondant
-inconnu,&mdash;il me suffit d'y penser pour que je brûle d'un feu sacré,
-et je sens que je ne serai jamais fatigué de les entendre répéter;
-en terminant cette lettre, permettez-moi de jouir du plaisir de les
-transcrire une fois encore:</p>
-
-<p>«<i>Il m'importe peu que mon ouvrage soit lu maintenant ou par la
-postérité. Je puis bien attendre un siècle pour trouver quelques
-lecteurs, puisque Dieu lui-même a attendu un observateur six mille
-ans. Je triomphe! J'ai volé le secret d'or des Égyptiens! Je veux
-m'abandonner à mon ivresse sacrée!</i>»</p>
-
-<p>Je termine ici mes citations de cette épître si étrange et même
-passablement impertinente; peut-être y aurait-il folie à commenter
-d'une façon quelconque les imaginations chimériques, pour ne pas dire
-révolutionnaires, de son auteur, quel qu'il puisse être,&mdash;imaginations
-qui contredisent si radicalement les opinions les plus considérées
-et les mieux établies de ce siècle. Retournons donc à notre thèse
-légitime: l'<i>Univers.</i></p>
-<hr class="r5" />
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_1_1" id="Note_1_1"></a><a href="#NoteRef_1_1"><span class="label">[1]</span></a> Cant.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_2_2" id="Note_2_2"></a><a href="#NoteRef_2_2"><span class="label">[2]</span></a> Pourceau.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_3_3" id="Note_3_3"></a><a href="#NoteRef_3_3"><span class="label">[3]</span></a> Aries, Ram, bélier.</p></div>
-
-
-<hr />
-<h4>III</h4>
-
-
-<p>Cette thèse admet deux modes de discussion entre lesquels nous avons
-à choisir. Nous pouvons monter ou<span class="pagenum"><a name="Page_26" id="Page_26">[p. 26]</a></span> descendre. Prenant pour point de
-départ notre point de vue, c'est-à-dire la Terre où nous sommes,
-nous pouvons de là nous diriger vers les autres planètes de notre
-système, de là vers le Soleil, de là vers notre système considéré
-collectivement; de là enfin nous pouvons nous élancer vers d'autres
-systèmes, indéfiniment et de plus en plus au large. Ou bien, commençant
-par un point distant, aussi défini que nous le pouvons concevoir,
-nous descendrons graduellement vers l'habitation de l'Homme. Dans les
-essais ordinaires sur l'Astronomie, la première de ces méthodes est,
-sauf quelques réserves, généralement adoptée, et cela pour cette raison
-évidente que les faits et les causes astronomiques étant l'unique but
-de ces recherches, ce but est infiniment plus facile à atteindre en
-s'avançant graduellement du connu, qui est auprès de nous, vers le
-point où toute certitude se perd dans l'éloignement. Toutefois, pour
-mon dessein actuel, qui est de donnera l'esprit le moyen de saisir,
-comme de loin et d'un seul coup d'œil, une conception de l'Univers
-considéré comme <i>individu,</i> il est clair que descendre du grand vers
-le petit, du centre, si nous pouvons établir un centre, vers les
-extrémités, du commencement, si nous pouvons concevoir un commencement,
-vers la fin, serait la marche préférable, si ce n'était la difficulté,
-pour ne pas dire l'impossibilité, de présenter ainsi aux personnes qui
-ne sont pas astronomes un tableau intelligible relativement à tout ce
-qui est impliqué dans l'idée <i>quantité,</i> c'est-à-dire relativement au
-nombre, à la grandeur et à la distance.</p>
-
-<p>Or, la clarté, l'intelligibilité est, à tous égards, un des caractères
-essentiels de mon plan général. Il est des points importants sur
-lesquels il vaut mieux se montrer trop prolixe que même légèrement
-obscur. Mais la qualité abstruse n'est pas une qualité qui, par
-elle-même, appartienne<span class="pagenum"><a name="Page_27" id="Page_27">[p. 27]</a></span> à aucun sujet. Toutes choses sont également
-faciles à comprendre pour celui qui s'en approche à pas convenablement
-gradués. Si le calcul différentiel n'est pas une chose absolument aussi
-simple qu'un sonnet de M. Solomon Seesaw, c'est uniquement parce que
-dans cette route ardue quelque marchepied ou quelque échelon a été, çà
-et là, étourdiment oublié.</p>
-
-<p>Donc, pour détruire toute chance de malentendu, je juge convenable
-de procéder comme si les faits les plus évidents de l'Astronomie
-étaient inconnus au lecteur. En combinant les deux modes de discussion
-que j'ai indiqué; je pourrai profiter des avantages particuliers de
-chacun d'eux, spécialement de la <i>réitération en détail</i> qui sera
-la conséquence inévitable du plan. Je commence par descendre, et je
-réserve pour mon retour ascensionnel ces considérations indispensables
-de <i>quantité</i> dont j'ai déjà fait mention.</p>
-
-<p>Commençons donc tout de suite par le mot le plus simple, l'<i>Infini.</i>
-Le mot <i>infini,</i> comme les mots <i>Dieu, esprit</i> et quelques autres
-expressions, dont les équivalents existent dans toutes les langues,
-est, non pas l'expression d'une idée, mais l'expression d'un effort
-vers une idée. Il représente une tentative possible vers une conception
-impossible. L'homme avait besoin d'un terme pour marquer la <i>direction</i>
-de cet effort, le nuage derrière lequel est situé, à jamais invisible,
-<i>l'objet de cet effort.</i> Un mot enfin était nécessaire, au moyen duquel
-un être humain pût se mettre tout d'abord en rapport avec un autre être
-humain et avec une certaine <i>tendance</i> de l'intelligence humaine. De
-cette nécessité est résulté le mot <i>Infini,</i> qui ne représente ainsi
-que <i>la pensée d'une pensée.</i></p>
-
-<p>Relativement à cet infini dont nous nous occupons actuellement,
-l'infini de l'espace, nous avons entendu dire<span class="pagenum"><a name="Page_28" id="Page_28">[p. 28]</a></span> souvent que «si
-l'esprit admettait cette idée, acquiesçait à cette idée, la voulait
-concevoir, c'était surtout à cause de la difficulté encore plus grande
-qui s'oppose à la conception d'une limite quelconque.» Mais ceci est
-simplement une de ces <i>phrases</i> par lesquelles les penseurs, même
-profonds, prennent plaisir, depuis un temps immémorial, à se tromper
-eux-mêmes. C'est dans le mot <i>difficulté</i> que se cache l'argutie.
-L'esprit, nous dit-on, accepte l'idée d'un espace <i>illimité</i> à cause de
-la difficulté plus grande qu'il trouve à concevoir celle d'un espace
-limité. Or, si la proposition était posée loyalement, l'absurdité en
-deviendrait immédiatement évidente. Pour parler net, dans le cas en
-question, il n'y a pas simplement <i>difficulté.</i> L'assertion proposée,
-si elle était présentée sous des termes conformes à l'intention, et
-sans sophistiquerie, serait exprimée ainsi: «L'esprit admet l'idée d'un
-espace illimité à cause de <i>l'impossibilité plus grande</i> de concevoir
-celle d'un espace limité.»</p>
-
-<p>On voit au premier coup d'œil qu'il n'est pas ici question d'établir
-un parallèle entre deux crédibilités, entre deux arguments, sur la
-validité respective desquels la raison est appelée à décider; il
-s'agit de deux conceptions, directement contradictoires, toutes deux
-d'une impossibilité avouée, dont l'une, nous dit-on, peut cependant
-être acceptée par l'intelligence, en raison de la plus grande
-<i>impossibilité</i> qui empêche d'accepter la seconde. L'alternative n'est
-pas entre deux difficultés; on suppose simplement que nous choisissons
-entre deux impossibilités. Or, la première admet des degrés; mais la
-seconde n'en admet aucun; c'est justement le cas suggéré par l'auteur
-de l'impertinente épître que nous avons citée. Une tâche est plus ou
-moins difficile; mais elle ne peut être que possible ou impossible; il
-n'y a pas de milieu. Il serait peut-être plus<span class="pagenum"><a name="Page_29" id="Page_29">[p. 29]</a></span> <i>difficile</i> de renverser
-la chaîne des Andes qu'une fourmilière; mais il est tout aussi
-<i>impossible</i> d'anéantir la matière de l'une que la matière de l'autre.
-Un homme peut sauter dix pieds moins difficilement que vingt; mais il
-tombe sous le sens que pour lui l'impossibilité de sauter jusqu'à la
-Lune n'est pas moindre que de sauter jusqu'à l'étoile du Chien.</p>
-
-<p>Puisque tout ceci est irréfutable, puisque le choix permis à l'esprit
-ne peut avoir lieu qu'entre deux conceptions impossibles, puisqu'une
-impossibilité ne peut pas être plus grande qu'une autre, et ne peut
-conséquemment lui être préférée, les philosophes qui non-seulement
-affirment, en se basant sur le raisonnement précité, l'idée humaine
-de l'infini, mais aussi, en se basant sur cette idée hypothétique,
-l'Infini lui-même, s'engagent évidemment à prouver qu'une chose
-impossible devient possible quand on peut montrer qu'une autre chose,
-elle aussi, est impossible. Ceci, dira-t-on, est un non-sens; peut-être
-bien; je crois vraiment que c'est un parfait non-sens, mais je n'ai
-nullement la prétention de le réclamer comme étant de mon fait.</p>
-
-<p>Toutefois, la méthode la plus prompte pour montrer la fausseté de
-l'argument philosophique en question est simplement de considérer
-un fait qui jusqu'à présent a été négligé, à savoir que l'argument
-énoncé contient à la fois sa preuve et sa négation. «L'esprit, disent
-les théologiens et autres, est induit à admettre une <i>cause première</i>
-par la difficulté plus grande qu'il éprouve à concevoir une série
-infinie de causes.» L'argutie gît, comme précédemment, dans le mot
-<i>difficulté;</i> mais ici à quelle fin est employé ce mot? A soutenir
-l'idée de Cause Première. Et qu'est-ce qu'une Cause Première? C'est
-une limite extrême de toutes les causes. Et qu'est-ce qu'une limite
-extrême<span class="pagenum"><a name="Page_30" id="Page_30">[p. 30]</a></span> de toutes les causes? C'est le Fini. Ainsi, la même argutie,
-dans les deux cas, est employée,&mdash;par combien de philosophes, Dieu
-le sait!&mdash;pour soutenir tantôt le Fini et tantôt l'Infini; ne
-pourrait-elle pas être utilisée pour soutenir encore quelque autre
-chose? Quant aux arguties, elles sont généralement, de leur nature,
-insoutenables; mais, en les jetant de côté, constatons que ce qu'elles
-prouvent dans un cas est identique à ce qu'elles démontrent dans un
-autre, c'est-à-dire à rien.</p>
-
-<p>Personne, évidemment, ne supposera que je lutte ici pour établir
-l'absolue impossibilité de ce que nous essayons de faire entendre par
-le mot <i>Infini.</i> Mon but est seulement de montrer quelle folie c'est de
-vouloir prouver l'Infini, ou même notre conception de l'Infini, par un
-raisonnement aussi maladroit que celui qui est généralement employé.</p>
-
-<p>Néanmoins il m'est permis, en tant qu'individu, de dire que je ne puis
-pas concevoir l'Infini, et que je suis convaincu qu'aucun être humain
-ne le peut davantage. Un esprit, qui n'a pas une entière conscience
-de lui-même, qui n'est pas habitué à faire une analyse intérieure de
-ses propres opérations, pourra, il est vrai, devenir souvent sa propre
-dupe et croire qu'il a conçu l'idée dont je parle. Dans nos efforts
-pour la concevoir, nous procédons pas à pas; nous imaginons toujours
-un degré derrière un degré; et aussi longtemps que nous continuons
-l'effort, on peut dire avec raison que nous tendons vers la conception
-de l'idée en vue; mais la force de l'impression que nous parvenons, ou
-que nous sommes parvenus à créer, est en raison de la période de temps
-durant lequel nous maintenons cet effort intellectuel. Or, c'est par
-le fait de l'interruption de l'effort,&mdash;c'est en parachevant (nous le
-croyons du moins) l'idée postulée,&mdash;c'est en donnant, comme nous nous
-le figurons, la touche finale à la<span class="pagenum"><a name="Page_31" id="Page_31">[p. 31]</a></span> conception,&mdash;que nous anéantissons
-d'un seul coup toute cette fabrique de notre imagination;&mdash;bref, il
-faut que nous nous reposions sur quelque point suprême et conséquemment
-défini. Toutefois, si nous n'apercevons pas ce fait, c'est en raison
-de l'absolue coïncidence entre cette pause définitive et la cessation
-de notre pensée. En essayant, d'autre part, de former en nous l'idée
-d'un espace limité, nous inversons simplement le procédé, impliquant
-toujours la même impossibilité.</p>
-
-<p>Nous <i>croyons</i> à un Dieu. Nous pouvons ou nous ne pouvons pas <i>croire</i>
-à un espace fini ou infini; mais notre croyance, en de pareils cas,
-est plus proprement appelée <i>foi,</i> et elle est une chose tout à
-fait distincte de cette croyance particulière, de cette croyance
-<i>intellectuelle,</i> qui présuppose une conception mentale.</p>
-
-<p>Le fait est que, sur la simple énonciation d'un de ces termes à la
-classe desquels appartient le mot <i>Infini,</i> classe qui représente des
-<i>pensées de pensées,</i> celui qui a le droit de se dire un peu penseur se
-sent appelé, non pas à former une conception, mais simplement à diriger
-sa vision mentale vers un point donné du firmament intellectuel,
-vers une nébuleuse qui ne sera jamais résolue. Il ne fait, pour la
-résoudre, aucun effort; car avec un instinct rapide il comprend, non
-pas seulement l'impossibilité, mais, en ce qui concerne l'intérêt
-humain, le caractère essentiellement étranger de cette solution. Il
-comprend que la Divinité n'a pas marqué ce mystère pour être résolu.
-Il voit tout de suite que cette solution est située <i>hors</i> du cerveau
-de l'homme, et même <i>comment,</i> si ce n'est exactement <i>pourquoi,</i>
-elle gît hors de lui. Il y a des gens, je le sais, qui, s'employant
-en vains efforts pour atteindre l'impossible, acquièrent aisément,
-grâce à leur seul jargon, une sorte de réputation de profondeur parmi
-leurs complices les<span class="pagenum"><a name="Page_32" id="Page_32">[p. 32]</a></span> pseudo-penseurs, pour qui obscurité et profondeur
-sont synonymes. Mais la plus belle qualité de la pensée est d'avoir
-conscience d'elle-même, et l'on peut dire, sans faire une métaphore
-paradoxale, qu'il n'y a pas de brouillard d'esprit plus épais que celui
-qui, s'étendant jusqu'aux limites du domaine intellectuel, dérobe ces
-frontières elles-mêmes à la vue de l'intelligence.</p>
-
-<p>Maintenant on comprendra que, quand je me sers de ce terme, l'<i>Infini
-de l'Espace,</i> je ne veux pas contraindre le lecteur à former la
-conception impossible d'un infini <i>absolu.</i> Je prétends simplement
-faire entendre <i>la plus grande étendue concevable</i> d'espace,&mdash;domaine
-ténébreux et élastique, tantôt se rétrécissant, tantôt s'agrandissant,
-selon la force irrégulière de l'imagination.</p>
-
-<p>Jusqu'à présent, l'Univers sidéral a été considéré comme coïncidant
-avec l'Univers proprement dit, tel que je l'ai défini au commencement
-de ce discours. On a toujours, directement ou indirectement, admis,&mdash;au
-moins depuis la première aube de l'Astronomie intelligible,&mdash;que,
-s'il nous était possible d'atteindre un point donné quelconque de
-l'espace, nous trouverions toujours, de tous côtés, autour de nous,
-une interminable succession d'étoiles. C'était l'idée insoutenable
-de Pascal, quand il faisait l'effort, le plus heureux peut-être qui
-ait jamais été fait, pour périphraser la conception que nous essayons
-d'exprimer par le mot <i>Univers.</i> «C'est une sphère, dit-il, dont le
-centre est partout, et la circonférence nulle part.» Mais, bien que
-cette intention de définition ne définisse pas du tout, en fait,
-l'Univers sidéral, nous pouvons l'accepter, avec quelque réserve
-mentale, comme une définition (suffisamment rigoureuse pour l'utilité
-pratique) de l'Univers proprement dit, c'est-à-dire de l'Univers
-considéré comme espace. Ce dernier, prenons-le donc pour<span class="pagenum"><a name="Page_33" id="Page_33">[p. 33]</a></span> <i>une sphère
-dont le centre est partout, et la circonférence nulle part.</i> Dans le
-fait, s'il nous est impossible de nous figurer une fin de l'espace,
-nous n'éprouvons aucune difficulté à imaginer un commencement
-quelconque parmi une série infinie de commencements.</p>
-
-
-<hr />
-<h4>IV</h4>
-
-
-<p>Comme point de départ, adoptons donc la <i>Divinité.</i> Relativement à
-cette Divinité, considérée en <i>elle-même,</i> celui-là seul n'est pas un
-imbécile, celui-là seul n'est pas un impie, qui n'affirme absolument
-rien. «Nous ne connaissons rien, dit le baron de Bielfeld, nous ne
-connaissons rien de la nature ou de l'essence de Dieu;&mdash;pour savoir ce
-qu'il est, il faut être Dieu même.»</p>
-
-<p><i>Il faut être Dieu même!</i> Malgré cette phrase effrayante, vibrant
-encore dans mon oreille, j'ose toutefois demander si notre ignorance
-actuelle de la Divinité est une ignorance à laquelle l'âme est
-<i>éternellement</i> condamnée.</p>
-
-<p>Enfin, contentons-nous aujourd'hui de supposer que c'est Lui,&mdash;Lui,
-l'Incompréhensible (pour le présent du moins),&mdash;Lui, que nous
-considérerons comme <i>Esprit,</i> c'est-à-dire comme <i>non-Matière</i>
-(distinction qui, pour tout ce que nous voulons atteindre, suppléera
-parfaitement à une définition),&mdash;Lui, existant comme Esprit, qui
-nous a <i>créés,</i> ou faits de Rien, par la force de sa Volonté,&mdash;dans
-un certain point de l'Espace que nous prendrons comme centre, à une
-certaine époque dont nous n'avons pas la prétention de nous enquérir,
-mais en tout cas immensément éloignée;&mdash;supposons, dis-je,'que c'est
-lui qui nous a faits,&mdash;mais faits ... <i>quoi?</i> Ceci est, dans nos
-considérations, un point d'une importance vitale.<span class="pagenum"><a name="Page_34" id="Page_34">[p. 34]</a></span> <i>Qu</i>'étions-nous,
-<i>que</i> pouvons-nous supposer légitimement avoir été, quand nous fûmes
-<i>créés,</i> nous, univers, primitivement et individuellement?</p>
-
-<p>Nous sommes arrivés à un point où l'Intuition seule peut venir à
-notre aide. Mais qu'il me soit permis de rappeler l'idée que j'ai
-déjà suggérée comme la seule qui puisse convenablement définir
-l'intuition. Elle n'est que <i>la conviction naissant de certaines
-inductions ou déductions dont la marche a été assez secrète pour
-échapper à notre conscience, éluder notre raison, ou défier notre
-puissance d'expression.</i> Ceci étant entendu, j'affirme qu'une intuition
-absolument irrésistible, quoique indéfinissable, me pousse à conclure
-que [ce que] Dieu a originairement créé,&mdash;que cette Matière qu'il a,
-par la force de sa Volonté, tirée de son Esprit, ou de Rien, ne peut
-avoir été autre chose que la Matière dans son état le plus pur, le plus
-parfait, de ... de quoi?&mdash;de <i>Simplicité.</i></p>
-
-<p>Ce sera là la seule <i>supposition</i> absolue dans mon discours. Je me sers
-du mot supposition dans son sens ordinaire; cependant je maintiens que
-ma proposition primordiale, ainsi formulée, est loin, bien loin d'être
-une pure supposition. Rien n'a été, en effet, plus régulièrement, plus
-rigoureusement <i>déduit</i>;&mdash;aucune conclusion humaine n'a été, en effet,
-plus régulièrement, plus rigoureusement <i>déduite</i>;&mdash;mais, hélas! le
-procédé de cette déduction échappe à l'analyse humaine;&mdash;en tout cas,
-il se dérobe à la puissance expressive de toute langue humaine.</p>
-
-<p>Efforçons-nous maintenant de concevoir ce qu'a pu et ce qu'a dû être
-la Matière dans sa condition absolue de <i>simplicité.</i> Ici, la Raison
-vole d'un seul coup vers l'Imparticularité,&mdash;vers une particule,&mdash;une
-particule <i>unique,</i>&mdash;une particule <i>une</i> dans son espèce,&mdash;<i>une</i>
-dans son caractère,&mdash;<i>une</i> dans sa nature,&mdash;<i>une</i> par son volume,&mdash;<span class="pagenum"><a name="Page_35" id="Page_35">[p. 35]</a></span>
-<i>une</i> par sa forme,&mdash;une particule qui soit particule à tous égards,
-donc, une particule amorphe et idéale,&mdash;particule absolument
-unique, individuelle, non divisée, mais <i>non pas indivisible,</i>
-simplement parce que Celui qui la créa par la force de sa Volonté
-peut très-naturellement la diviser par un exercice infiniment moins
-énergique de la même Volonté.</p>
-
-<p>Donc, l'<i>Unité</i> est tout ce que j'affirme de la Matière originairement
-créée; mais je me propose de démontrer que <i>cette Unité est un principe
-largement suffisant pour expliquer la constitution, les phénomènes
-actuels et l'anéantissement absolument inévitable au moins de l'Univers
-matériel.</i></p>
-
-<p>Le Vouloir spontané, ayant pris corps dans la particule primordiale, a
-complété l'acte, ou, plus proprement, la <i>conception</i> de la Création.
-Nous nous dirigerons maintenant vers le but final pour lequel nous
-supposons que cette particule a été créée;&mdash;quand je dis but final,
-je veux dire tout ce que nos considérations jusqu'ici nous permettent
-d'en saisir,&mdash;à savoir, la constitution de l'Univers tirée de cette
-Particule unique.</p>
-
-<p>Cette constitution s'est effectuée par la transformation <i>forcée de</i>
-l'Unité, originelle et normale, en Pluralité, condition anormale. Une
-action de cette nature implique réaction. Une diffusion de l'Unité n'a
-lieu que conditionnellement, c'est-à-dire qu'elle implique une tendance
-au retour vers l'Unité,&mdash;tendance indestructible jusqu'à parfaite
-satisfaction. Mais je m'étendrai par la suite plus amplement sur ce
-sujet.</p>
-
-<p>La supposition de l'Unité absolue dans la Particule primordiale
-renferme celle de la divisibilité infinie. Concevons donc simplement
-la Particule comme non absolument épuisée par sa diffusion à travers
-l'Espace. De cette Particule considérée comme centre, supposons,
-irradié sphériquement,<span class="pagenum"><a name="Page_36" id="Page_36">[p. 36]</a></span> dans toutes les directions, à des distances non
-mesurables, mais cependant définies, dans l'espace vide jusqu'alors, un
-certain nombre innombrable, quoique limité, d'atomes inconcevablement
-mais non infiniment petits.</p>
-
-<p>Or, de ces atomes, ainsi éparpillés ou à l'état de diffusion, que nous
-est-il permis, non pas de supposer, mais de conclure, en considérant la
-source d'où ils émanent et le but apparent de leur diffusion? L'Unité
-étant leur source, et <i>la différence d'avec l'Unité</i> le caractère du
-but manifesté par leur diffusion, nous avons tout droit de supposer
-que ce caractère persiste <i>généralement</i> dans toute l'étendue du
-plan et forme une partie du plan lui-même;&mdash;c'est-à-dire que nous
-avons tout droit de concevoir des différences continues, sur tous
-les points, d'avec l'unité et la simplicité du point originel. Mais,
-pour ces raisons, sommes-nous autorisés à imaginer les atomes comme
-hétérogènes, dissemblables, inégaux et inégalement distants? Pour
-parler plus explicitement, devons-nous croire qu'il n'y a pas eu, au
-moment de leur diffusion, deux atomes de même nature, de même forme
-ou de même grosseur? et que, leur diffusion étant opérée à travers
-l'Espace, ils doivent être tous, sans exception, inégalement distants
-l'un de l'autre? Un pareil arrangement, dans de telles conditions,
-nous permet de concevoir aisément, immédiatement, le procédé
-d'opération le plus exécutable pour un dessein tel que celui dont j'ai
-parlé,&mdash;le dessein de tirer la variété de l'unité,&mdash;la diversité de
-la similarité,&mdash;l'hétérogénéité de l'homogénéité,&mdash;la complexité de
-la simplicité,&mdash;en un mot, la plus grande multiplicité possible de
-<i>rapports</i> de <i>l'Unité</i> expressément absolue. Incontestablement nous
-aurions le droit de supposer tout ce que j'ai dit, si nous n'étions pas
-arrêtés par deux<span class="pagenum"><a name="Page_37" id="Page_37">[p. 37]</a></span> réflexions:&mdash;la première, c'est que la superfluité
-et la surérogation ne sont jamais admissibles dans l'Action Divine;
-et la seconde, c'est que le but poursuivi apparaît comme tout aussi
-facile à atteindre quand quelques-unes des conditions requises sont
-obtenues dans le principe, que quand toutes existent visiblement et
-immédiatement. Je veux dire que celles-ci sont contenues dans les
-autres, ou qu'elles en sont une conséquence si instantanée, que la
-distinction devient inappréciable. La différence de grosseur, par
-exemple, sera tout de suite créée par la tendance d'un atome vers un
-second atome, de préférence à un troisième, en raison d'une inégalité
-particulière de distance; <i>inégalité particulière de distance entre des
-centres de quantité, dans des atomes voisins de différente forme,&mdash;</i>
-phénomène qui ne contredit en rien la distribution généralement
-égale des atomes. La différence <i>d'espèce,</i> nous la concevons aussi
-très-aisément comme résultant de différences dans la grosseur et dans
-la forme, supposées plus ou moins conjointes;&mdash;en effet, puisque
-l'<i>Unité</i> de la Particule proprement dite implique homogénéité
-absolue, nous ne pouvons pas supposer que les atomes, au moment de
-leur diffusion, diffèrent en espèce, sans imaginer en même temps une
-opération spéciale de la Volonté Divine, agissant à l'émission de
-chaque atome, dans le but d'effectuer en chacun une transformation de
-sa nature essentielle;&mdash;et nous devons d'autant plus repousser une
-idée aussi fantastique, que l'objet en vue peut parfaitement bien
-être atteint sans une aussi minutieuse et laborieuse intervention.
-Nous comprenons donc, avant tout, qu'il eût été surérogatoire, et
-conséquemment anti-philosophique, d'attribuer aux atomes, en vue de
-leurs destinations respectives, autre chose qu'une <i>différence de
-forme</i> au moment de leur dispersion, et postérieurement une inégalité
-particulière de<span class="pagenum"><a name="Page_38" id="Page_38">[p. 38]</a></span> distance,&mdash;toutes les autres différences naissant
-ensemble des premières, dès les premiers pas que la masse a faits vers
-sa constitution. Nous établissons donc l'Univers sur une base purement
-<i>géométrique.</i> Il va sans dire qu'il n'est pas du tout nécessaire de
-supposer une absolue différence, même de forme, entre <i>tous</i> les atomes
-irradiés;&mdash;nous nous contentons de supposer une inégalité générale de
-distance de l'un à l'autre. Nous sommes tenus simplement d'admettre
-qu'il n'y a pas d'atomes <i>voisins</i> de forme similaire,&mdash;qu'il n'y a
-pas d'atomes qui puissent jamais se rapprocher, excepté lors de leur
-inévitable réunion finale.</p>
-
-<p>Quoique la <i>tendance,</i> immédiate et perpétuelle, des atomes dispersés
-à retourner vers leur Unité normale soit impliquée, comme je l'ai dit,
-dans leur diffusion anormale, toutefois il est clair que cette tendance
-doit être sans résultat,&mdash;qu'elle doit rester une tendance et rien de
-plus,&mdash;jusqu'à ce que la force d'expansion, cessant d'opérer, donne
-à cette tendance toute liberté de se satisfaire. L'Action Divine,
-toutefois, étant considérée comme déterminée, et interrompue après
-l'opération primitive de la diffusion, nous concevons tout de suite
-une <i>réaction,</i>&mdash;en d'autres termes une tendance, <i>qui pourra être
-satisfaite,</i> de tous les atomes désunis à retourner vers l'<i>Unité.</i></p>
-
-<p>Mais la force de diffusion étant retirée, et la réaction ayant commencé
-pour favoriser le dessein final,&mdash;<i>celui de créer la plus grande somme
-de rapports possible,</i>&mdash;ce dessein est maintenant en danger d'être
-frustré dans le détail, par suite de cette tendance rétroactive qui
-a pour but son accomplissement total. La <i>multiplicité</i> est l'objet;
-mais rien n'empêche les atomes voisins de se précipiter <i>tout de suite</i>
-l'un vers l'autre,&mdash;grâce à leur tendance maintenant libre, avant
-l'accomplissement de tous les buts multiples,&mdash;et de se fondre tous en
-une unité compacte; rien ne<span class="pagenum"><a name="Page_39" id="Page_39">[p. 39]</a></span> fait obstacle à l'aggrégation de diverses
-masses, isolées jusque-là, sur différents points de l'espace;&mdash;en
-d'autres termes, rien ne s'oppose à l'accumulation de diverses masses,
-chacune faisant une Unité absolue.</p>
-
-
-<hr />
-<h4>V</h4>
-
-
-<p>Pour l'accomplissement efficace et complet du plan général, nous
-devinons maintenant la nécessité d'une force répulsive limitée,&mdash;de
-<i>quelque chose</i> qui serve à séparer, et qui, lors de la cessation de
-la Volition diffusive, puisse en même temps permettre le rapprochement
-et empêcher la jonction des atomes; qui leur permette de se rapprocher
-infiniment, et leur défende de se mettre en contact positif; quelque
-chose, en un mot, qui ait puissance, <i>jusqu'à une certaine époque,</i> de
-prévenir leur fusion, mais non de contredire à aucun égard ni à aucun
-degré leur tendance à se réunir. La force répulsive, déjà considérée
-comme si particulièrement limitée à d'autres égards, peut, je le
-répète, être prise comme une puissance destinée à empêcher l'absolue
-cohésion, <i>seulement jusqu'à une certaine époque.</i> A moins que nous
-ne concevions l'appétition des atomes pour l'Unité comme condamnée
-à n'être <i>jamais</i> satisfaite,&mdash;à moins que nous n'admettions que ce
-qui a eu un commencement ne doive pas avoir de fin,&mdash;idée qui est
-réellement inadmissible, quelque nombreux que soient ceux d'entre
-nous qui rêvent et bavardent sur ce thème,&mdash;nous sommes forcés de
-conclure que l'influence répulsive supposée devra finalement,&mdash;sous la
-pression de l'<i>Unitendance</i> agissant <i>collectivement,</i> mais agissant
-seulement alors que, pour l'accomplissement des plans de la Divinité,
-cette action collective devra se faire naturellement,<span class="pagenum"><a name="Page_40" id="Page_40">[p. 40]</a></span>&mdash;céder à une
-force qui, à cette époque finale, sera la force supérieure, poussée
-juste au degré nécessaire, et permettre ainsi le tassement universel
-des choses en <i>Unité,</i> unité inévitable parce qu'elle est originelle
-et conséquemment normale. Il est en vérité fort difficile de concilier
-toutes ces conditions;&mdash;nous ne pouvons même pas comprendre la
-possibilité de cette conciliation;&mdash;néanmoins cette impossibilité
-apparente est féconde en suggestions brillantes.</p>
-
-<p>Que cette répulsion existe positivement, <i>nous le voyons.</i> L'homme
-n'emploie et ne connaît aucune force suffisante pour fondre deux atomes
-en un. Je n'avance ici que la thèse bien reconnue de l'impénétrabilité
-de la matière. Toute l'Expérience la prouve,&mdash;toute la Philosophie
-l'admet. J'ai essayé de démontrer le <i>but</i> de la répulsion et la
-nécessité de son existence; mais je me suis religieusement abstenu de
-toute tentative pour en pénétrer la nature; et cela, à cause d'une
-conviction intuitive qui me dit que le principe en question est
-strictement spirituel,&mdash;gît dans une profondeur impénétrable à notre
-intelligence présente,&mdash;est impliqué dans une considération relative à
-ce qui maintenant, dans notre condition humaine, ne peut être l'objet
-d'aucun examen,&mdash;dans une considération de l'<i>Esprit en lui-même.</i> Je
-sens, en un mot, qu'ici, et ici seulement, Dieu s'est interposé, parce
-qu'ici, et seulement ici, le nœud demandait l'interposition de Dieu.</p>
-
-<p>Dans le fait, pendant que dans cette tendance des atomes vers l'Unité
-on reconnaîtra tout d'abord le principe de la Gravitation Newtonienne,
-ce que j'ai dit d'une force répulsive, servant à mettre des limites à
-la satisfaction immédiate, peut être entendu de <i>ce que</i> nous avons
-jusqu'à présent désigné tantôt comme chaleur, tantôt comme magnétisme,
-tantôt comme <i>électricité;</i> montrant ainsi,<span class="pagenum"><a name="Page_41" id="Page_41">[p. 41]</a></span> dans les vacillations de
-la phraséologie par laquelle nous essayons de <i>le</i> définir, l'ignorance
-où nous sommes de son caractère mystérieux et terrible.</p>
-
-<p>Le nommant donc, pour le présent seulement, électricité, nous savons
-que toute analyse expérimentale de l'électricité a donné, pour résultat
-final, le principe, réel ou apparent, de <i>l'hétérogénéité. Seulement
-là</i> où les choses diffèrent, l'électricité se manifeste; et il est
-présumable qu'elles ne diffèrent jamais là où l'électricité n'est pas
-développée, sinon apparente. Or, ce résultat est dans le plus parfait
-accord avec celui où je suis parvenu par une autre voie que par
-l'expérience. J'ai affirmé que l'utilité de la force répulsive était
-d'empêcher les atomes disséminés de retourner à l'Unité immédiate;
-et ces atomes sont représentés comme différant les uns des autres.
-La <i>différence</i> est leur caractère,&mdash;leur essentialité,&mdash;juste comme
-la <i>non-différence</i> était le caractère essentiel de leur mouvement.
-Donc, quand nous disons qu'une tentative pour mettre en contact deux
-de ces atomes doit amener un effort de l'influence répulsive pour
-empêcher cette union, nous pouvons aussi bien nous servir d'une
-phrase absolument équivalente, à savoir, qu'une tentative pour mettre
-en contact deux différences amènera comme résultat un développement
-d'électricité. Tous les corps existants sont composés de ces atomes
-en contact immédiat, et peuvent conséquemment être considérés comme
-de simples assemblages de différences plus ou moins nombreuses; et la
-résistance faite par l'esprit de répulsion, si nous mettions en contact
-deux de ces assemblages quelconques, serait en raison des deux sommes
-de différences contenues dans chacun;&mdash;expression qui peut être réduite
-à celle-ci, équivalente:</p>
-
-<p><i>La somme d'électricité développée par le contact de deux corps est<span class="pagenum"><a name="Page_42" id="Page_42">[p. 42]</a></span>
-proportionnée à la différence entre les sommes respectives d'atomes
-dont les corps sont composés.</i></p>
-
-<p>Qu'il n'existe pas deux corps absolument semblables, c'est un
-simple corollaire qui résulte de tout ce que nous avons dit. Donc
-l'électricité, toujours existante, se <i>développe</i> par le contact de
-corps quelconques, mais ne se <i>manifeste</i> que par le contact de corps
-d'une différence appréciable.</p>
-
-<p>A l'électricité,&mdash;pour nous servir encore de cette désignation,&mdash;nous
-pouvons à bon droit rapporter les divers phénomènes physiques de
-lumière, de chaleur et de magnétisme; mais nous sommes bien mieux
-autorisés encore à attribuer à ce principe strictement spirituel les
-phénomènes plus importants de vitalité, de conscience et de <i>Pensée.</i>
-A ce sujet, toutefois, qu'il me soit permis de faire une pause et de
-noter que ces phénomènes, observés dans leur généralité ou dans leurs
-détails, semblent procéder <i>au moins en raison de l'hétérogénéité.</i></p>
-
-<p>Écartons maintenant les deux termes équivoques, <i>gravitation</i> et
-<i>électricité,</i> et adoptons les expressions plus définies <i>d'attraction</i>
-et de <i>répulsion.</i> La première, c'est le corps; la seconde, c'est
-l'âme; l'une est le principe matériel, l'autre le principe spirituel
-de l'Univers. <i>Il n'existe pas d'autres principes. Tous</i> les
-phénomènes doivent être attribués à l'un ou à l'autre, ou à tous les
-deux combinés. Il est si rigoureusement vrai, il est si parfaitement
-rationnel que l'attraction et la répulsion sont les <i>seules</i> propriétés
-par lesquelles nous percevons l'Univers,&mdash;en d'autres termes, par
-lesquelles la Matière se manifeste à l'Esprit,&mdash;que nous avons
-pleinement le droit de supposer que la matière <i>n'existe</i> que comme
-attraction et répulsion,&mdash;que l'attraction et la répulsion <i>sont</i>
-matière,&mdash;nous servant de cette hypothèse comme d'un moyen de faciliter
-l'argumentation;<span class="pagenum"><a name="Page_43" id="Page_43">[p. 43]</a></span>&mdash;car il est impossible de concevoir un cas où
-nous ne puissions employer à notre gré le mot matière et les termes
-attraction et répulsion, pris ensemble, comme expressions de logique
-équivalentes et convertibles.</p>
-
-
-<hr />
-<h4>VI</h4>
-
-
-<p>Je disais tout à l'heure que ce que j'ai nommé la tendance des atomes
-disséminés à retourner à leur unité originelle devait être pris pour
-le principe de la foi newtonienne de la gravitation; et en effet on
-n'aura pas grande peine à entendre la chose ainsi, si l'on considère
-la <i>gravitation newtonienne</i> sous un aspect purement général, comme
-une force qui pousse la matière à chercher la matière; c'est-à-dire
-si nous voulons ne pas attacher notre attention au <i>modus operandi</i>
-connu de la force newtonienne. La coïncidence générale nous satisfait;
-mais, en regardant de plus près, nous voyons dans le détail beaucoup
-de choses qui paraissent non-coïncidentes, et beaucoup d'autres où la
-coïncidence ne paraît pas du moins suffisamment établie. Un exemple:
-la gravitation newtonienne, si nous la considérons dans certains
-modes, ne nous apparaît pas du tout comme une tendance vers <i>Y
-Unité;</i> elle nous semble plutôt une tendance de tous les corps dans
-toutes les directions, phrase qui semble exprimer la tendance à la
-diffusion. Ici donc il y a non-coïncidence. Un autre exemple: quand
-nous réfléchissons sur la loi mathématique qui gouverne la tendance
-newtonienne, nous voyons clairement que nous ne pouvons pas obtenir la
-coïncidence,&mdash;relativement, du moins, au <i>modus operandi,</i>&mdash;entre la
-gravitation, telle que nous la connaissons, et cette tendance, simple
-et directe en apparence, que j'ai supposée.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_44" id="Page_44">[p. 44]</a></span></p>
-
-<p>En effet, je suis arrivé à un point où il serait bon de renforcer ma
-position en inversant mon procédé. Jusqu'à présent, nous avons procédé
-<i>à priori,</i> d'une considération abstraite de la <i>Simplicité,</i> prise
-comme la qualité qui a dû le plus vraisemblablement caractériser
-l'action originelle de Dieu. Voyons maintenant si les faits établis
-de la Gravitation newtonienne peuvent nous fournir, à <i>posteriori,</i>
-quelques inductions légitimes.</p>
-
-<p>Que déclare la loi newtonienne? que tous les corps s'attirent l'un
-l'autre avec des forces proportionnées [à leurs quantités de matière
-et inversement proportionnées] aux carrés de leurs distances.
-C'est à dessein que je donne d'abord la version vulgaire de la
-loi; et je confesse que dans celle-ci, comme dans la plupart des
-traductions vulgaires de grandes vérités, je ne trouve pas une qualité
-très-suggestive. Adoptons donc une phraséologie plus philosophique
-&mdash;<i>Chaque atome de chaque corps attire chaque autre atome, soit
-appartenant au même corps, soit appartenant à chaque autre corps, avec
-une force variant en raison inverse des carrés des distarices entre
-l'atome attirant et l'atome attiré.</i> Ici, pour le coup, un flot de
-suggestions jaillit aux yeux de l'esprit.</p>
-
-<p>Mais voyons distinctement la chose que Newton a <i>prouvée,&mdash;</i>selon la
-définition grossièrement irrationnelle de <i>h preuve</i> prescrite par les
-écoles de métaphysique. Il fut obligé de se contenter de montrer que
-les mouvements d'un Univers imaginaire, composé d'atomes attirants et
-attirés obéissant à la loi qu'il annonçait, coïncidaient parfaitement
-avec les mouvements de l'Univers existant réellement, autant du
-moins qu'il tombe sous notre observation. Telle fut la somme de sa
-<i>démonstration,</i> selon le jargon conventionnel des philosophies. Les
-succès qui la confirmèrent ajoutèrent preuve sur preuve,&mdash;des preuves<span class="pagenum"><a name="Page_45" id="Page_45">[p. 45]</a></span>
-telles que les admet toute intelligence saine,&mdash;mais la <i>démonstration</i>
-de la loi-elle-même, selon les métaphysiciens, n'avait été confirmée
-en aucune façon. Cependant la preuve <i>oculaire, physique,</i> de
-l'attraction, ici même, sur cette Terre, fut enfin trouvée, en parfait
-accord avec la théorie newtonienne, et à la grande satisfaction de
-quelques-uns de ces reptiles intellectuels. Cette preuve jaillit,
-indirectement et incidemment (comme jaillirent presque toutes les
-vérités importantes), d'une tentative faite pour mesurer la densité
-moyenne de la Terre. Dans les fameuses expériences que Maskelyne,
-Cavendish et Bailly firent dans ce but, il fut découvert, vérifié et
-mathématiquement démontré que l'attraction de la masse d'une montagne
-était en accord exact avec l'immortelle théorie de l'astronome anglais.</p>
-
-<p>Mais, en dépit de cette confirmation d'une vérité qui n'en avait aucun
-besoin,&mdash;en dépit de la prétendue corroboration de la <i>théorie</i> par la
-prétendue <i>preuve oculaire et physique,&mdash;</i>en dépit du caractère de
-cette corroboration,&mdash;les idées que les vrais philosophes eux-mêmes
-ne peuvent s'empêcher d'accepter relativement à la gravitation, et
-particulièrement les idées acceptées et complaisamment maintenues
-par les hommes vulgaires, ont été évidemment tirées, pour la plus
-grande partie, d'une considération du principe, tel qu'ils le trouvent
-simplement développé <i>sur la planète à laquelle ils sont attachés.</i></p>
-
-<p>Or, où tend une considération aussi amoindrie? A quelle espèce d'erreur
-donne-t-elle naissance? Sur la Terre nous voyons, nous sentons
-simplement que la gravitation chasse tous les corps vers le centre de
-la Terre. Aucun homme, dans le domaine ordinaire de la vie, ne peut
-voir ni sentir autrement,&mdash;ne peut s'empêcher de percevoir que toute
-chose, partout, a une tendance gravitante, perpétuelle<span class="pagenum"><a name="Page_46" id="Page_46">[p. 46]</a></span> vers le centre
-de la Terre, et pas ailleurs; cependant (sauf une exception qui sera
-spécifiée postérieurement) il est certain que chaque chose terrestre
-(pour ne pas parler maintenant de toutes les choses célestes) a une
-tendance non-seulement vers le centre de la Terre, mais en outre vers
-toute espèce de direction possible.</p>
-
-<p>Or, quoique les hommes de philosophie ne puissent pas être accusés
-de se tromper avec le vulgaire dans cette matière, ils se laissent
-toutefois influencer, à leur insu, par l'idée vulgaire agissant
-comme sentiment.&mdash;<i>Quoique personne n'ait foi dans les fables du
-Paganisme,&mdash;</i>dit Bryant dans sa très-savante <i>Mythologie,&mdash;cependant
-nous nous oublions sans cesse au point d'en tirer des inductions comme
-de réalités existantes.&mdash;</i>Je veux dire que la perception purement
-<i>sensitive</i> de la gravitation, telle que nous la connaissons sur
-la Terre, induit l'humanité en fantaisie et la fait croire à une
-<i>concentralisation,</i> à une sorte de spécialité terrestre;&mdash;qu'elle a
-toujours incliné vers cette fantaisie les intelligences même les plus
-puissantes,&mdash;les détournant perpétuellement, quoique imperceptiblement,
-de la caractéristique réelle du principe; les ayant empêchées jusqu'à
-l'époque présente de saisir même un aperçu de cette vérité vitale
-qui se trouve dans une direction diamétralement opposée,&mdash;derrière
-les caractéristiques <i>essentielles</i> du principe, qui sont, non pas
-la concentralisation ou la spécialité, mais l'<i>universalité</i> et la
-<i>diffusion.</i> Cette vérité vitale est l'Unité, prise comme source du
-phénomène.</p>
-
-<p>Permettez-moi de répéter la définition de la gravitation: <i>Chaque
-atome, dans chaque corps, attire chaque autre atome, appartenant au
-même corps ou appartenant à tout autre corps,</i> avec une force qui varie
-en raison inverse des carrés des distances de l'atome attirant et de
-l'atome attiré.</p>
-
-<p>Que le lecteur s'arrête ici un moment avec moi pour<span class="pagenum"><a name="Page_47" id="Page_47">[p. 47]</a></span> contempler la
-miraculeuse, ineffable et absolument inimaginable complexité de
-rapports impliquée dans ce fait, que <i>chaque atome attire chaque autre
-atome,&mdash;</i>impliquée seulement dans ce fait de l'attraction, étant
-écartée la question de la loi ou du mode suivant lesquels l'attraction
-se manifeste,&mdash;impliquée dans ce fait unique que chaque atome attire
-plus ou moins chaque autre atome, dans une immensité d'atomes telle,
-que toutes les étoiles qui entrent dans la constitution de l'Univers
-peuvent être à peu près comparées pour le nombre aux atomes qui entrent
-dans la composition d'un boulet de canon.</p>
-
-<p>Eussions-nous simplement découvert que chaque atome tendait vers un
-point favori, vers quelque atome particulièrement attractif, nous
-serions encore tombés sur une découverte qui, en elle-même, aurait
-suffi pour accabler notre esprit;&mdash;mais quelle est cette vérité que
-nous sommes actuellement appelés à comprendre? C'est que chaque
-atome attire chaque autre atome, sympathise avec ses plus délicats
-mouvements, avec chaque atome et avec tous, toujours, incessamment,
-suivant une loi déterminée dont la complexité, même considérée
-seulement en elle-même, dépasse absolument les forces de l'imagination
-humaine. Si je me propose de mesurer l'influence d'un seul atome sur
-l'atome son voisin dans un rayon solaire, je ne puis pas accomplir mon
-dessein sans d'abord compter et peser tous les atomes de l'Univers et
-définir la position précise de chacun à un moment particulier de la
-durée. Si je m'avise de déplacer, ne fût-ce que de la trillionième
-partie d'un pouce, le grain microscopique de poussière posé maintenant
-sur le bout de mon doigt, quel est le caractère de l'action que j'ai eu
-la hardiesse de commettre? J'ai accompli un acte qui ébranle la Lune
-dans sa marche, qui contraint le Soleil à n'être plus le soleil, et qui
-altère<span class="pagenum"><a name="Page_48" id="Page_48">[p. 48]</a></span> pour toujours la destinée des innombrables myriades d'étoiles
-qui roulent et flamboient devant la majesté de leur Créateur.</p>
-
-<p>De telles idées, de telles conceptions,&mdash;pensées monstrueuses qui ne
-sont plus des pensées, rêveries de l'âme plutôt que raisonnements ou
-même considérations de l'intellect,&mdash;de telles idées, je le répète,
-sont les seules que nous puissions réussir à créer en nous dans tous
-nos efforts pour saisir le grand principe de <i>l'Attraction.</i></p>
-
-<p>Mais maintenant, avec de telles idées, avec une telle vision,
-franchement acceptée, de la merveilleuse complexité de l'Attraction,
-que toute personne, capable de réfléchir sur de pareilles matières,
-s'applique à imaginer un principe adaptable aux phénomènes
-observés,&mdash;ou la condition qui leur a donné naissance.</p>
-
-<p>Une si évidente fraternité des atomes n'indique-t-elle pas une
-extraction commune? Une sympathie si victorieuse, si indestructible,
-si absolument indépendante, ne suggère-t-elle pas l'idée d'une source,
-d'une paternité commune? Un extrême ne pousse-t-il pas la raison vers
-l'extrême son contraire? L'infini dans la division ne se rapporte-t-il
-pas à l'absolu dans l'individualité? Le superlatif de la complexité ne
-fait-il pas deviner la perfection dans la simplicité? Je veux dire,
-non pas seulement que les atomes, comme nous les voyons, sont divisés
-ou qu'ils sont complexes dans leurs rapports, mais surtout qu'ils
-sont inconcevablement divisés et inexprimablement complexes; c'est de
-l'extrême des conditions que je veux parler maintenant, plutôt que des
-conditions elles-mêmes. En un mot, n'est-ce pas parce que les atomes
-étaient, à une certaine époque très-ancienne, <i>quelque chose de plus
-même qu'un assemblage,&mdash;</i>n'est-ce pas parce que, originellement, donc
-normalement, ils étaient <i>Un,</i> que maintenant en<span class="pagenum"><a name="Page_49" id="Page_49">[p. 49]</a></span> toutes circonstances,
-sur tous les points, dans toutes les directions, par tous les modes
-de rapprochement, dans tous les rapports et à travers toutes les
-conditions, ils s'efforcent de <i>retourner</i> vers cette <i>unité</i> absolue,
-indépendante et inconditionnelle?</p>
-
-<p>Ici, quelqu'un demandera peut-être: «Pourquoi, puisque c'est vers
-l'Unité que ces atomes s'efforcent de retourner, ne jugeons-nous pas
-et ne définissons-nous pas l'Attraction <i>une simple tendance générale
-vers un centre?</i>&mdash;Pourquoi, particulièrement, <i>vos</i> atomes, les
-atomes que vous nous donnez comme ayant été irradiés d'un centre, ne
-retournent-ils pas tous à la fois, en ligne droite, vers le point
-central de leur origine?»</p>
-
-<p>Je réponds qu'ils le font, ainsi que je le montrerai clairement;
-mais que la cause qui les y pousse est tout à fait indépendante du
-centre considéré <i>comme tel.</i> Ils tendent tous en ligne droite vers
-un centre, à cause de la sphéricité selon laquelle ils ont été lancés
-dans l'espace. Chaque atome, formant une partie d'un globe généralement
-uniforme d'atomes, trouve naturellement plus d'atomes dans la direction
-du centre que dans toute autre direction; c'est donc dans ce sens
-qu'il est poussé, mais il n'y est pas poussé parce que le centre est
-<i>le point de son origine.</i> Il n'est pas de <i>point</i> auquel les atomes
-se rallient. Il n'est pas de <i>lieu,</i> soit dans le concret, soit dans
-l'abstrait, auquel je les suppose attachés. Rien de ce qui peut
-s'appeler <i>localité</i> ne doit être conçu comme étant leur origine. Leur
-source est dans le principe Unité. C'est là le père qu'ils ont perdu.
-C'est là ce <i>qu'ils cherchent</i> toujours, immédiatement, dans toutes
-les directions, partout où ils peuvent le trouver, même partiellement;
-apaisant ainsi, dans une certaine mesure, leur indestructible tendance,
-tout en faisant route vers leur absolue satisfaction finale.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_50" id="Page_50">[p. 50]</a></span></p>
-
-<p>Il suit de tout ceci que tout principe qui sera suffisant
-pour expliquer en général la <i>loi,</i> ou <i>modus operandi,</i> de
-la force attractive, devra aussi expliquer cette loi dans le
-particulier;&mdash;c'est-à-dire que tout principe qui montrera pourquoi les
-atomes doivent tendre vers leur <i>centre général d'irradiation,</i> avec
-des forces variant en proportion inverse des carrés des distances,
-expliquera d'une manière satisfaisante la tendance, conforme à la même
-loi, qui pousse l'atome vers l'atome;&mdash;<i>car</i> la tendance vers le centre
-<i>est</i> simplement la tendance de chacun vers chacun, et non pas une
-tendance vers un centre considéré <i>comme tel.</i></p>
-
-<p>On voit en même temps que l'établissement de mes propositions
-n'implique aucune nécessité de modifier les termes de la définition
-newtonienne de la Gravitation, laquelle déclare que chaque atome
-attire chaque autre atome, dans une infinie réciprocité, et ne déclare
-que cela; mais (en supposant toutefois que ce que je propose sera
-finalement admis) il me semble évident que, dans les futures opérations
-de la Science, on pourrait éviter quelque erreur occasionnelle, si
-l'on adoptait une phraséologie plus ample, telle que celle-ci:&mdash;Chaque
-atome tend vers chaque autre atome, etc., avec une force, etc.; <i>le
-résultat général étant une tendance de tous les atomes, avec une force
-semblable, vers un centre général.</i></p>
-
-<p>En reprenant notre route à l'inverse, nous sommes arrivés à un
-résultat identique; mais, dans l'un des cas, <i>Y Intuition</i> était le
-point de départ, dans l'autre, elle était le but. En commençant mon
-premier voyage, je pouvais dire seulement que je <i>sentais,</i> par une
-irrésistible intuition, que la Simplicité avait été la caractéristique
-de l'action originelle de Dieu;&mdash;en finissant mon second voyage, je
-puis seulement déclarer que je perçois, par une irrésistible intuition,
-que l'Unité a été la source des phénomènes de<span class="pagenum"><a name="Page_51" id="Page_51">[p. 51]</a></span> la Gravitation
-newtonienne observés jusqu'à présent. Ainsi, selon les écoles, je ne
-<i>prouve</i> rien. Soit. Je n'ai pas d'autre ambition que de suggérer,&mdash;et
-de <i>convaincre</i> par la suggestion. J'ai l'orgueilleuse conviction
-qu'il existe des intelligences humaines profondes, douées d'un prudent
-discernement, qui ne pourront pas <i>s'empêcher</i> d'être largement
-satisfaites de mes simples suggestions. Pour ces intelligences,&mdash;comme
-pour la mienne,&mdash;il n'est pas de démonstration mathématique qui puisse
-apporter la moindre <i>vraie preuve</i> additionnelle à la grande <i>Vérité</i>
-que j'ai avancée, à savoir que l'<i>Unité Originelle est la source, le
-principe des Phénomènes Universels.</i> Pour ma part, je ne suis pas aussi
-sûr que je parle et que je vois;&mdash;je ne suis pas aussi sûr que mon
-cœur bat et que mon âme vit;&mdash;que le soleil se lèvera demain matin,
-probabilité qui gît encore dans le Futur,&mdash;je ne prétends pas du tout
-en être aussi sûr que je le suis de ce <i>Fait</i> irréparablement passé,
-que tous les Êtres et Toutes les Pensées des Êtres, avec toute leur
-ineffable Multiplicité de Rapports, ont jailli à la fois à l'existence
-de la primordiale et indépendante <i>Unité.</i></p>
-
-<p>Relativement à la Gravitation newtonienne, le Docteur Nichol,
-l'éloquent auteur de l'<i>Architecture des deux,</i> dit: «En vérité, nous
-n'avons aucune raison de supposer que cette grande Loi, telle qu'elle
-nous est aujourd'hui connue, soit la formule suprême ou la plus
-simple, conséquemment universelle et omnicompréhensible, d'une grande
-Ordonnance. Le mode suivant lequel son intensité diminue avec l'élément
-de la distance n'a pas l'aspect d'un <i>principe</i> suprême, lequel
-principe comporte toujours la simplicité de ces axiomes, évidents par
-eux-mêmes, qui constituent la base de la Géométrie.»</p>
-
-<p>Il est absolument vrai que les <i>principes suprêmes,</i> selon le sens
-usuel des termes, comportent toujours la simplicité<span class="pagenum"><a name="Page_52" id="Page_52">[p. 52]</a></span> des axiomes
-géométriques (quant aux choses <i>évidentes par elles-mêmes,</i> il n'en
-existe pas);&mdash;mais ces principes ne sont pas clairement <i>suprêmes;</i>
-en d'autres termes, les choses que nous avons l'habitude de qualifier
-<i>principes</i> ne sont pas, à proprement parler, des principes,&mdash;puisqu'il
-ne peut exister qu'un principe, qui est la Volition Divine. Nous
-n'avons donc aucun droit de supposer, d'après ce que nous observons
-dans les règles qu'il nous plaît follement d'appeler <i>principes,</i> quoi
-que ce soit qui ressemble aux caractéristiques d'un principe proprement
-dit. Les principes <i>suprêmes,</i> dont le Docteur Nichol parle comme
-comportant la simplicité géométrique, peuvent avoir et ont en effet
-cet aspect géométrique, puisqu'ils sont une partie intégrante d'un
-vaste système géométrique, c'est-à-dire d'un système de simplicité,
-dans lequel toutefois le principe vraiment suprême est, <i>comme nous le
-savons,</i> le maximum du complexe, autrement dit, de l'inintelligible;
-&mdash;car n'est-ce pas la Capacité Spirituelle de Dieu?</p>
-
-<p>Cependant j'ai cité la remarque du Docteur Nichol, non pas tant pour
-infirmer sa philosophie que pour attirer l'attention sur ce fait, que,
-malgré que tous les hommes aient admis un <i>certain</i> principe comme
-existant au delà de la loi de la Gravitation, aucune tentative n'a été
-faite pour définir ce qu'est particulièrement ce principe;&mdash;si nous
-exceptons peut-être quelques visées fantastiques qui le transportent
-dans le Magnétisme, dans le Mesmérisme, dans le Swedenborgianisme,
-ou dans le Transcendantalisme, ou dans tout autre délicieux isme de
-la même espèce, invariablement favorisé par une seule et même espèce
-de gens. Le grand esprit de Newton, tout en saisissant hardiment la
-Loi elle-même, a reculé devant le principe de la Loi. Plus active,
-plus compréhensible au moins, sinon plus patiente et plus profonde,
-la sagacité<span class="pagenum"><a name="Page_53" id="Page_53">[p. 53]</a></span> de Laplace n'eut pas le courage de s'y attaquer. Mais
-l'hésitation de la part de ces astronomes n'est pas si difficile
-à comprendre. Eux aussi, comme d'ailleurs tous les mathématiciens
-de la première classe, ils étaient <i>purement</i> mathématiciens; leur
-intelligence du moins était marquée d'un caractère mathématico-physique
-vigoureusement prononcé. Tout ce qui n'était pas distinctement situé
-dans le domaine de la Physique ou des Mathématiques leur apparaissait
-comme des Non-Entités ou des Ombres. Néanmoins, nous pouvons bien
-nous étonner que Leibnitz, qui fut une exception remarquable à cette
-règle générale, et dont le tempérament spirituel était un singulier
-mélange du mathématique avec le physico-métaphysique, n'ait pas d'abord
-recherché et défini le point en litige. Newton et Laplace, cherchant
-un principe, et n'en découvrant aucun <i>physique,</i> devaient humblement
-et tranquillement s'arrêter à cette conclusion, qu'il n'en existait
-absolument aucun; mais il est presque impossible de concevoir que
-Leibnitz, ayant épuisé dans ses recherches les domaines de la physique,
-n'ait pas marché droit, plein de hardiesse et de confiance, à travers
-ce vieux labyrinthe du royaume de la Métaphysique qui lui était si
-familier. Il est évident qu'il a dû s'aventurer à la recherche du
-trésor;&mdash;s'il ne l'a pas trouvé, c'est peut-être, après tout, parce que
-sa merveilleuse conductrice, son Imagination, n'était pas suffisamment
-adulte ou assez bien éduquée pour le diriger dans la bonne route.</p>
-
-<p>J'observais tout à l'heure qu'il avait été fait de vagues tentatives
-pour attribuer la Gravitation à de certaines forces très-douteuses,
-dont le nom affecte la désinence <i>isme.</i> Mais ces tentatives, quoique
-considérées très-justement comme hardies, n'ont pas visé plus loin qu'à
-la généralité, à la pure généralité de la Loi newtonienne.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_54" id="Page_54">[p. 54]</a></span></p>
-
-<p>Aucun effort d'explication, aucun effort heureux, à ma connaissance,
-n'a été fait relativement à son <i>modus operandi.</i> C'est donc avec
-une crainte bien légitime d'être pris pour un fou, dès le début, et
-avant d'avoir pu porter mes propositions sous l'œil de ceux-là qui
-seuls sont compétents pour décider sur leur valeur, que je déclare
-ici que le <i>modus operandi</i> de la Loi de la Gravitation est une chose
-excessivement simple et parfaitement appréciable, à la condition que
-nous nous approchions du problème selon une juste gradation et dans
-la bonne route,&mdash;c'est-à-dire si nous le considérons du point de vue
-convenable.</p>
-
-
-<hr />
-<h4>VII</h4>
-
-
-<p>Soit que nous arrivions à l'idée d'absolue <i>Unité,</i> source présumée de
-Tous les Êtres, par une considération de la Simplicité prise pour la
-caractéristique la plus probable de l'action originelle de Dieu;&mdash;soit
-que nous y parvenions par l'examen de l'universalité de rapports dans
-les phénomènes de la gravitation;&mdash;ou soit enfin que nous aboutissions
-à cette idée comme au résultat de la corroboration réciproque des
-deux procédés,&mdash;toujours est-il que l'idée, une fois acceptée, est
-inséparablement connexe d'une autre idée, celle de la condition de
-l'Univers sidéral, tel que nous le voyons maintenant, c'est-à-dire
-d'une incommensurable <i>diffusion</i> à travers l'espace. Or, une connexion
-entre ces idées,&mdash;unité et diffusion,&mdash;ne peut pas être admissible sans
-une troisième idée, celle de <i>l'irradiation.</i> L'Unité Absolue étant
-prise comme centre, l'Univers sidéral existant est le résultat d'une
-<i>irradiation</i> partant de ce centre.</p>
-
-<p>Or, les lois de l'irradiation sont <i>connues.</i> Elles sont partie<span class="pagenum"><a name="Page_55" id="Page_55">[p. 55]</a></span>
-intégrante de la <i>sphère.</i> Elles appartiennent à la classe des
-<i>propriétés géométriques incontestables.</i> Nous disons d'elles: elles
-sont vraies, elles sont évidentes. Demander <i>pourquoi</i> elles sont
-vraies, ce serait demander pourquoi sont vrais les axiomes sur lesquels
-s'appuie la démonstration de ces lois. Il n'y a <i>rien</i> de démontrable,
-pour parler strictement; mais s'il y a quelque chose de démontrable,
-les propriétés et les lois en question sont démontrées.</p>
-
-<p>Mais ces lois, que déclarent-elles? Comment, par quels degrés
-l'irradiation procède-t-elle du centre vers l'espace?</p>
-
-<p>D'un centre lumineux la Lumière émane par irradiation, et les quantités
-de lumière reçues par un plan quelconque, que nous supposerons
-changeant de position, de manière à se trouver tantôt plus près,
-tantôt plus loin du centre, diminueront dans la même proportion que
-s'accroîtront les carrés des distances entre le plan et le corps
-lumineux, et s'accroîtront dans la même proportion que diminueront les
-carrés.</p>
-
-<p>L'expression de la loi peut être ainsi généralisée:&mdash;Le nombre
-de molécules lumineuses, ou, si l'on préfère d'autres termes, le
-nombre d'impressions lumineuses, reçues par le plan mobile, sera en
-proportion <i>inverse</i> des carrés des distances où sera situé le plan.
-Et pour généraliser encore, nous pouvons dire que la diffusion,
-l'éparpillement, l'irradiation, en un mot, est en proportion <i>directe</i>
-des carrés des distances.</p>
-
-<p>Par exemple: à la distance B, du centre lumineux A, un certain nombre
-de particules est éparpillé, de manière à occuper la surface B. Donc
-à la distance double, c'est-à-dire à C, ces particules se trouveront
-d'autant plus éparpillées qu'elles occuperont quatre surfaces
-semblables; à la distance triple, ou à D, elles seront d'autant plus
-séparées les unes des autres qu'elles occuperont neuf surfaces<span class="pagenum"><a name="Page_56" id="Page_56">[p. 56]</a></span>
-semblables; à une distance quadruple, ou à E, elles seront tellement
-diffuses qu'elles s'étendront sur seize surfaces semblables;&mdash;et ainsi
-de suite à l'infini.</p>
-
-<div class="figcenter" style="width: 350px;">
-<img src="images/fig056.jpg" width="350" alt="" />
-</div>
-
-<p>Généralement, en disant que l'irradiation procède en raison
-proportionnelle directe des carrés des distances, nous nous servons du
-terme irradiation pour exprimer <i>le degré de diffusion</i> à mesure que
-nous nous éloignons du centre. Inversant la proposition, et employant
-le mot <i>concentralisation</i> pour exprimer <i>le degré d'attraction
-générale</i> à mesure que nous nous rapprochons du centre, nous pouvons
-dire que la concentralisation procède en raison inverse des carrés
-des distances. En d'autres termes, nous sommes arrivés à cette
-conclusion, que, dans l'hypothèse que la matière ait été originellement
-irradiée d'un centre, et soit maintenant en train d'y retourner, la
-concentralisation, ou action de retour, procède <i>exactement comme nous
-savons que procède la force de gravitation.</i></p>
-
-<p>Or, s'il nous était permis de supposer que la concentralisation
-représente exactement la <i>force de la tendance vers le centre,&mdash;</i> que
-l'une est en exacte proportion avec l'autre, et que les deux procèdent
-simultanément, nous aurions démontré tout ce qui était à démontrer. La
-seule difficulté ici consiste donc à établir une proportion directe
-entre la concentralisation et la <i>force</i> de concentralisation; et
-nous<span class="pagenum"><a name="Page_57" id="Page_57">[p. 57]</a></span> pouvons considérer la chose comme faite si nous établissons une
-proportion semblable entre l'irradiation et la <i>force</i> d'irradiation.</p>
-
-<p>Une rapide inspection des Cieux suffit pour nous montrer que les
-étoiles sont distribuées avec une certaine uniformité générale et à une
-certaine égalité de distance à travers la région de l'espace où elles
-sont groupées, affectant dans leur ensemble une forme approximativement
-sphérique;&mdash;cette espèce d'égalité, générale plutôt qu'absolue, ne
-contredisant en rien ma déduction sur l'inégalité de distances, dans
-de certaines limites, entre les atomes originellement irradiés, et
-représentant un corollaire du système évident d'infinie complexité de
-rapports tirée de l'unité absolue. Je suis parti, on se le rappelle, de
-l'idée d'une distribution généralement uniforme, mais particulièrement
-inégale, des atomes;&mdash;idée confirmée, je le répète, par une inspection
-des étoiles, telles qu'elles existent actuellement.</p>
-
-<p>Mais même dans l'égalité générale de distribution, en ce qui regarde
-les atomes, apparaît une difficulté qui, sans aucun doute, s'est
-déjà présentée à ceux de mes lecteurs qui croient que je suppose
-cette égalité de distribution effectuée par l'<i>irradiation partant
-d'un centre.</i> Au premier coup d'œil, l'idée de l'<i>irradiation</i> nous
-force à accepter cette autre idée, jusqu'à présent non séparée et en
-apparence inséparable, d'une agglomération autour d'un centre, et d'une
-dispersion à mesure qu'on s'en éloigne,&mdash;l'idée, en un mot, d'inégalité
-de distribution relativement à la matière irradiée.</p>
-
-<p>Or, j'ai fait observer ailleurs<a name="NoteRef_1_4" id="NoteRef_1_4"></a><a href="#Note_1_4" class="fnanchor">[1]</a> que si la Raison, à la recherche du
-Vrai, peut jamais trouver sa route, c'est par<span class="pagenum"><a name="Page_58" id="Page_58">[p. 58]</a></span> des difficultés telles
-que celle actuellement en question, par une telle inégalité, par de
-telles particularités, par de telles saillies sur le plan ordinaire des
-choses. Grâce à la difficulté, à la <i>particularité</i> qui se présente
-ici, je bondis d'un seul coup vers le secret,&mdash;secret que je n'aurais
-jamais pu atteindre sans la particularité et les inductions qu'elle me
-fournit <i>par son pur caractère de particularité.</i></p>
-
-<p>La marche de ma pensée, arrivée à ce point, peut être grossièrement
-dessinée de la manière suivante:&mdash;Je me dis: «L'Unité, comme je l'ai
-expliquée, est une vérité;&mdash;je le sens. La Diffusion est une vérité;
-je le vois. L'Irradiation, par laquelle seule ces deux vérités sont
-conciliées, est conséquemment une vérité; je le perçois. <i>L'égalité</i>
-de diffusion, d'abord déduite à <i>priori</i> et ensuite confirmée par
-l'inspection des phénomènes, est aussi une vérité;&mdash;je l'admets
-pleinement. Jusqu'ici tout est clair autour de moi;&mdash;il n'y a pas de
-nuages derrière lesquels puisse se cacher le secret, le grand secret
-du <i>modus operandi</i> de la gravitation;&mdash;mais ce secret est quelque
-part aux environs, très-certainement, et n'y eût-il qu'un seul nuage
-en vue, je serais tenu de soupçonner ce nuage.» Et justement, comme je
-me dis cela, voilà qu'un nuage apparaît. Ce nuage est l'impossibilité
-apparente de concilier ma vérité, <i>irradiation</i> avec mon autre vérité,
-<i>égalité de diffusion.</i> Je me dis alors: «Derrière cette impossibilité
-<i>apparente</i> doit se trouver ce que je cherche.» Je ne dis pas:
-impossibilité <i>réelle;</i> car une invincible foi dans mes vérités me
-confirme qu'il n'y a là, après tout, qu'une simple difficulté; mais
-je vais jusqu'à dire, avec une confiance opiniâtre, que, quand cette
-difficulté sera résolue, nous trouverons, <i>enveloppée dans le procédé
-de solution,</i> la clef du secret que nous cherchons. De plus, je
-<i>sens</i> que nous ne découvrirons <i>qu'une seule</i> solution possible de
-la difficulté, et<span class="pagenum"><a name="Page_59" id="Page_59">[p. 59]</a></span> cela, pour cette raison que, s'il y en avait deux,
-l'une des deux serait superflue, sans utilité, vide, ne contenant
-aucune clef, puisqu'il n'est pas besoin d'une double clef pour ouvrir
-un secret quelconque de la nature.</p>
-
-<p>Et maintenant examinons:&mdash;les notions ordinaires, les notions
-distinctes que nous pouvons avoir de l'irradiation, sont tirées du
-mode tel que nous le voyons appliqué dans le cas de la Lumière. Là
-nous trouvons une effusion <i>continue de courants lumineux, avec une
-force que nous n'avons aucun droit de supposer variable.</i> Or, dans
-n'importe quelle irradiation de cette nature, continue et d'une force
-invariable, les régions voisines du centre doivent être inévitablement
-plus remplies que les régions éloignées. Mais je n'ai supposé aucune
-irradiation telle que celle-là. Je n'ai pas supposé une irradiation
-<i>continue;</i> par la simple raison qu'une telle supposition impliquerait
-d'abord la nécessité d'adopter une conception que l'homme, ainsi que
-je l'ai montré, ne peut pas adopter, et que l'examen du firmament
-réfute, ainsi que je le démontrerai plus amplement,&mdash;la conception
-d'un Univers sidéral absolument infini,&mdash;et impliquerait, en second
-lieu, l'impossibilité de comprendre une réaction, c'est-à-dire la
-gravitation, telle qu'elle existe maintenant, puisque, tant qu'une
-action se continue, aucune réaction, naturellement, ne peut avoir
-lieu. Donc, ma supposition, ou plutôt l'inévitable déduction tirée des
-justes prémisses, était celle d'une irradiation <i>déterminée,</i> d'une
-irradiation finalement discontinuée.</p>
-
-<p>Qu'il me soit permis maintenant de décrire le seul mode possible
-selon lequel nous pouvons comprendre que la matière ait été répandue
-à travers l'espace, de manière à remplir à la fois les conditions
-d'irradiation et de distribution généralement égale.</p>
-
-<p>Par commodité d'illustration, imaginons d'abord une<span class="pagenum"><a name="Page_60" id="Page_60">[p. 60]</a></span> sphère creuse, de
-verre ou d'autre matière, occupant l'espace à travers lequel la matière
-universelle a été également éparpillée, par le moyen de l'irradiation,
-de la particule absolue, indépendante, inconditionnelle, placée au
-centre de la sphère.</p>
-
-<p>Un certain effort de la puissance expansive (que nous présumons
-être la Volonté Divine),&mdash;en d'autres termes, une certaine <i>force,</i>
-dont la mesure est la quantité de matière, c'est-à-dire le nombre
-des atomes,&mdash;a émis, émet, par irradiation, ce nombre d'atomes, les
-chassant hors du centre dans toutes les directions, leur proximité
-réciproque diminuant à mesure qu'ils s'éloignent de ce centre, jusqu'à
-ce que finalement ils se trouvent éparpillés sur la surface intérieure
-de la sphère.</p>
-
-<p>Quand les atomes ont atteint cette position, ou pendant qu'ils
-tendaient à l'atteindre, un second exercice inférieur de la même
-force,&mdash;une seconde force inférieure de la même nature,&mdash;émet de la
-même manière, par irradiation, une seconde couche d'atomes qui va se
-déposer sur la première; le nombre d'atomes, dans ce cas comme dans
-le premier, étant la mesure de la force qui les a émis,&mdash;en d'autres
-termes, la force étant précisément appropriée au dessein qu'elle
-accomplit,&mdash;la force et le nombre d'atomes envoyés par cette force
-étant directement proportionnels.</p>
-
-<p>Quand cette seconde couche a atteint sa destination ou pendant qu'elle
-s'en approche, un troisième exercice inférieur de la même force, ou une
-troisième force inférieure de même nature,&mdash;le nombre des atomes émis
-étant dans tous les cas la mesure de la force,&mdash;dépose une troisième
-couche sur la seconde,&mdash;et ainsi de suite, jusqu'à ce que ces couches
-concentriques, devenant de moins en moins vastes, atteignent finalement
-le point central; et alors la<span class="pagenum"><a name="Page_61" id="Page_61">[p. 61]</a></span> matière diffusible, en même temps que la
-force diffusive, se trouve épuisée.</p>
-
-<p>Notre sphère est maintenant remplie, par le moyen de l'irradiation,
-d'atomes également répartis. Les deux conditions nécessaires,
-celles de l'irradiation et d'une diffusion égale, sont accomplies
-par le <i>seul</i> mode qui permette de concevoir la possibilité de leur
-accomplissement simultané. C'est pour cette raison que j'ai l'espérance
-de trouver maintenant, caché dans la condition présente des atomes
-ainsi distribués à travers la sphère, le secret dont je suis en quête,
-le principe si important du <i>modus operandi</i> de la loi newtonienne.
-Examinons donc la condition actuelle des atomes.</p>
-
-<p>Ils sont placés dans une série de couches concentriques. Ils sont
-également distribués à travers la sphère. Ils ont été irradiés vers ces
-positions.</p>
-
-<p>Les atomes étant également distribués, plus est grande la superficie
-d'une de ces couches concentriques quelconques, plus grand sera le
-nombre d'atomes distribués dans cette couche. En d'autres termes,
-le nombre d'atomes situés sur la surface d'une de ces couches
-concentriques quelconque est en proportion directe de l'étendue de
-cette surface.</p>
-
-<p><i>Mais, dans toute série de sphères concentriques, les surfaces sont en
-proportion directe des carrés des distances à partir du centre,</i> ou,
-plus brièvement, les surfaces des sphères sont entre elles comme les
-carrés de leurs rayons.</p>
-
-<p>Conséquemment, le nombre d'atomes, dans une couche quelconque, est en
-proportion directe du carré de la distance qui sépare cette couche du
-centre.</p>
-
-<p>Mais le nombre des atomes dans une couche quelconque est la mesure
-de la force qui a émis cette couche, c'est-à-dire qu'elle est en
-proportion directe de la force.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_62" id="Page_62">[p. 62]</a></span></p>
-
-<p>Donc la force qui a irradié chaque couche est en proportion directe
-du carré de la distance entre cette couche et le centre, ou, pour
-généraliser, <i>la force de l'irradiation a eu lieu en proportion directe
-des carrés des distances.</i></p>
-
-<p>Or, la Réaction, autant que nous en pouvons connaître, c'est l'Action
-inversée. Le principe général de la Gravitation étant, en premier lieu,
-entendu comme la réaction d'un acte, comme l'expression d'un désir de
-la part de la Matière, existant à l'état de diffusion, de retourner à
-l'Unité d'où elle est issue, et en second lieu, l'esprit étant obligé
-de déterminer le <i>caractère</i> de ce désir, la manière selon laquelle il
-doit naturellement se manifester,&mdash;étant, en d'autres termes, obligé
-de concevoir une loi probable, ou <i>modus operandi,</i> pour l'action
-de retour, ne peut pas ne pas arriver à cette conclusion que la loi
-de retour doit être précisément la réciproque de la loi d'émission.
-Chacun du moins aura parfaitement le droit de considérer la chose
-comme démontrée, jusqu'à ce que quelqu'un donne une raison plausible
-qui affirme le contraire, jusqu'à ce qu'une autre loi de retour soit
-imaginée que l'intelligence puisse adopter comme préférable.</p>
-
-<p>Donc, la matière irradiée dans l'espace, avec une force qui varie
-comme les carrés des distances, pourrait à <i>priori</i> être supposée
-retourner vers son centre d'irradiation avec une force variant <i>en
-raison inverse</i> des carrés des distances; et j'ai déjà montré que
-tout principe qui expliquera pourquoi les atomes tendent, en raison
-d'une loi quelconque, vers le centre général, doit être admis comme
-expliquant en même temps, d'une manière suffisante, pourquoi, en
-raison de la même loi, ils tendent l'un vers l'autre. Car, en fait, la
-tendance vers le centre général n'est pas une tendance vers un centre
-positif; elle a lieu vers ce point, seulement parce que chaque atome,
-en se dirigeant vers<span class="pagenum"><a name="Page_63" id="Page_63">[p. 63]</a></span> un tel point, s'achemine directement vers son
-centre réel et essentiel, qui est l'Unité,&mdash;l'Union absolue et finale
-de toutes choses.</p>
-
-<p>Cette considération ne présente à mon esprit aucune difficulté; mais
-cela ne m'aveugle pas sur son obscurité possible pour les esprits moins
-habitués à manier des abstractions, et en somme il serait peut-être bon
-de considérer la proposition d'un ou deux autres points de vue.</p>
-
-<p>La molécule absolue, indépendante, originellement créée par la Volition
-Divine, doit avoir été dans une condition de <i>normalité</i> positive ou
-de perfection;&mdash;car toute imperfection implique rapport. Le bien est
-positif; le mal est négatif; il n'est que la négation du bien, comme le
-froid est la négation de la chaleur, l'obscurité, de la lumière. Pour
-qu'une chose soit mauvaise, il faut qu'il y ait quelque autre chose
-qui soit <i>comparable</i> à ce qui est mauvais;&mdash;une condition à laquelle
-cette chose mauvaise ne satisfait pas; une loi qu'elle viole; un être
-qu'elle offense. Si cet être, cette loi, cette condition, relativement
-auxquels la chose est mauvaise, n'existent pas, ou si, pour parler
-plus strictement, il n'existe ni êtres, ni lois, ni conditions, alors
-la chose ne peut pas être mauvaise et devra conséquemment être bonne.
-Toute déviation de la normalité implique une tendance au retour. Une
-différence d'avec ce qui est normal, droit, juste, ne peut avoir été
-créée que parla nécessité de vaincre une difficulté. Et si la force
-qui surmonte cette difficulté n'est pas infiniment continuée, la
-tendance indestructible à ce retour pourra à la longue agir dans le
-sens de sa satisfaction. La force retirée, la tendance agit. C'est
-le principe de réaction, comme conséquence inévitable d'une action
-finie. Pour employer une phraséologie dont on pardonnera l'affectation<span class="pagenum"><a name="Page_64" id="Page_64">[p. 64]</a></span>
-apparente à cause de son énergie, nous pouvons dire que la Réaction est
-le retour de <i>ce qui est et ne devrait pas être</i> vers <i>ce qui était
-originellement, et conséquemment devrait être;&mdash;</i>et j'ajoute que l'on
-trouverait toujours la force <i>absolue</i> de la Réaction en proportion
-directe avec la réalité, la vérité, l'absolu du principe <i>originel,</i>
-s'il était possible de mesurer celui-ci;&mdash;et conséquemment la plus
-grande de toutes les réactions concevables doit être celle produite par
-la tendance dont il est question ici,&mdash;la tendance à retourner vers
-<i>l'absolu originel,</i> vers le <i>suprême primitif.</i> La gravitation <i>doit
-donc être la plus énergique de toutes les forces,&mdash;</i>idée obtenue <i>à
-priori</i> et largement confirmée par l'induction. Quel usage je ferai de
-cette idée, on le verra par la suite.</p>
-
-<p>Les atomes, ayant été répandus hors de leur condition normale d'Unité,
-cherchent à retourner&mdash;vers quoi? Non pas, certainement, vers aucun
-<i>point</i> particulier; car il est clair que si, au moment de la
-diffusion, tout l'Univers matériel avait été projeté collectivement à
-une certaine distance du point d'irradiation, la tendance atomique vers
-le centre de la sphère n'aurait pas été troublée le moins du monde;
-les atomes n'auraient pas cherché le point de <i>l'espace absolu</i> dont
-ils étaient originairement issus. C'est simplement la <i>condition,</i> et
-non le point ou le lieu où cette condition a pris naissance, que les
-atonies cherchent à rétablir;&mdash;ce qu'ils désirent, c'est simplement
-<i>cette condition qui est leur normalité.</i> «Mais ils cherchent un
-centre,&mdash;dira-t-on,&mdash;et un centre est un point.» C'est vrai; mais ils
-cherchent ce point, non dans son caractère de point (car si toute la
-sphère changeait de position, ils chercheraient également le centre, et
-le centre serait alors un autre point), mais parce que, en raison de la
-forme dans laquelle ils existent collectivement (qui est celle de la
-sphère), c'est seulement par le point en question, qui est<span class="pagenum"><a name="Page_65" id="Page_65">[p. 65]</a></span> le centre
-de la sphère, qu'ils peuvent atteindre leur véritable but, l'Unité.
-Dans la direction du centre, chaque atome perçoit plus d'atomes que
-dans toute autre direction. Chaque atome est poussé vers le centre,
-parce que sur la ligne droite, qui s'étend de lui au centre et qui
-continue au delà jusqu'à la circonférence, se trouve un plus grand
-nombre d'atomes que sur toute autre ligne droite,&mdash;un plus grand nombre
-d'objets qui le cherchent, lui, atome individuel,&mdash;un plus grand nombre
-de satisfactions pour sa propre tendance à l'Unité,&mdash;en un mot, parce
-que dans la direction du centre se trouve la plus grande possibilité
-de satisfaction générale pour son appétit individuel. Pour parler
-brièvement, la condition de l'Unité est en réalité ce que cherchent les
-atomes, et s'ils <i>semblent</i> chercher le centre de la sphère, ce n'est
-qu'implicitement, parce que le centre implique, contient, enveloppe le
-seul centre essentiel, l'Unité. Mais, en raison de ce caractère double
-et implicite, il est impossible de séparer pratiquement la tendance
-vers l'Unité abstraite de la tendance vers le centre concret. Ainsi la
-tendance des atomes vers le centre général est, à tous égards, pratique
-et logique, la tendance de chacun vers chacun, et cette tendance
-réciproque universelle est la tendance vers le centre; l'une peut être
-prise pour l'autre; tout ce qui s'applique à l'une doit s'appliquer à
-l'autre, et enfin tout principe qui expliquera suffisamment l'une est
-une explication indubitable de l'autre.</p>
-
-<p>Je regarde soigneusement autour de moi pour trouver une objection
-rationnelle contre ce que j'ai avancé, et je n'en puis découvrir
-aucune; mais parmi cette classe d'objections généralement présentées
-par les douteurs de profession, les amoureux du Doute, j'en aperçois
-très-aisément trois, et je vais les examiner successivement.</p>
-
-<hr />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_66" id="Page_66">[p. 66]</a></span></p>
-
-<p>On dira peut-être d'abord: «La preuve que la force d'irradiation (dans
-le cas en question) est en proportion directe des carrés des distances
-repose sur cette supposition gratuite que le nombre des atomes dans
-chaque couche est la mesure de la force par laquelle ils ont été émis.»</p>
-
-<p>Je réponds que non-seulement j'ai parfaitement le droit de faire
-une telle supposition, mais que je n'aurais aucun droit d'en faire
-une autre. Ce que je suppose est simplement qu'un effet sert de
-mesure à la cause qui le produit,&mdash;que tout exercice de la Volonté
-Divine sera proportionnel au but qui réclame cet exercice,&mdash;et que
-les moyens de l'Omnipotence, ou de l'Omniscience, seront exactement
-appropriés à ses desseins. Le déficit ou l'excès dans la cause ne
-peuvent engendrer aucun effet. Si la force qui a irradié chaque couche
-dans la position qu'elle occupe avait été moins ou plus grande qu'il
-n'était nécessaire, c'est-à-dire, si elle n'avait pas été en proportion
-directe avec le but, alors cette couche n'aurait pas pu être irradiée
-à sa juste position. Si la force qui, en vue d'une égalité générale
-de distribution, a émis le nombre juste d'atomes pour chaque couche,
-n'avait pas été en proportion directe avec le nombre, alors ce nombre
-n'aurait pas été le nombre demandé pour une égale distribution.</p>
-
-<p>La seconde objection supposable a de meilleurs droits à une réponse.</p>
-
-<p>C'est un principe admis en dynamique que tout corps, recevant une
-impulsion, une disposition à se mouvoir, se meut en ligne droite
-dans la direction donnée par la force impulsive, jusqu'à ce qu'il
-soit détourné ou arrêté par quelque autre force. Comment donc,
-demandera-t-on peut-être, ma première couche, la couche extérieure
-d'atomes peut-elle arrêter son mouvement à la surface de<span class="pagenum"><a name="Page_67" id="Page_67">[p. 67]</a></span> la sphère
-de verre imaginaire, quand une seconde force, d'un caractère non
-imaginaire, ne se manifeste pas, pour expliquer cette interruption dans
-le mouvement?</p>
-
-<p>Je réponds que l'objection prend naissance ici dans une supposition
-tout à fait gratuite de la part du critique,&mdash;la supposition d'un
-principe dynamique à une époque où il n'existait pas de principes, en
-quoi que ce soit;&mdash;je me sers naturellement du mot <i>principe</i> dans le
-sens même que le critique attribue à ce mot.</p>
-
-<p><i>Au commencement des choses,</i> nous ne pouvons admettre, nous ne pouvons
-comprendre qu'une Première Cause, le Principe vraiment suprême, la
-Volonté de Dieu. <i>L'action</i> primitive, c'est-à-dire l'Irradiation de
-l'Unité, doit avoir été indépendante de tout ce que le monde appelle
-<i>principe,</i> parce que ce que nous désignons sous ce terme n'est qu'une
-conséquence de la réaction de cette action primitive;&mdash;je dis action
-<i>primitive;</i> car la création de la molécule matérielle absolue doit
-être considérée comme une <i>conception</i> plutôt que comme une <i>action</i>
-dans le sens ordinaire du mot. Ainsi nous regarderons l'action
-primitive comme une action tendant à l'établissement de ce que nous
-appelons maintenant <i>principes.</i> Mais cette action primitive elle-même
-doit être entendue comme une <i>Volition continue.</i> La Pensée de Dieu
-doit être comprise comme donnant naissance à la Diffusion, comme
-l'accompagnant, comme la régularisant, et finalement comme se retirant
-d'elle après son accomplissement. Alors commence la Réaction, et par
-la Réaction, le <i>principe,</i> dans le sens où nous employons le mot. Il
-serait prudent, toutefois, de limiter l'application de ce mot aux deux
-résultats immédiats de la cessation de la Volition Divine, c'est-à-dire
-aux deux agents, <i>Attraction</i> et <i>Répulsion.</i> Chaque autre agent
-naturel dérive, plus ou moins immédiatement, de ces deux-là et<span class="pagenum"><a name="Page_68" id="Page_68">[p. 68]</a></span> serait
-en conséquence plus convenablement désigné sous le nom de sous-principe.</p>
-
-<p>On peut objecter en troisième lieu que le mode particulier de
-distribution des atomes que j'ai exposé est <i>une hypothèse et rien de
-plus.</i></p>
-
-<p>Or, je sais que le mot hypothèse est une lourde massue, empoignée
-immédiatement, sinon soulevée, par tous les petits penseurs, à la
-première apparence d'une proposition portant, plus ou moins, le costume
-d'une <i>théorie.</i> Mais il n'y a ici aucune bonne raison pour jouer de ce
-terrible marteau de l'hypothèse, même pour ceux qui sont capables de le
-soulever, géants ou mirmidons.</p>
-
-<p>Je maintiens d'abord que le mode tel que je l'ai décrit est <i>le seul</i>
-par lequel nous puissions concevoir que la Matière ait été répandue de
-manière à satisfaire à la fois aux deux conditions d'irradiation et de
-distribution généralement égale. J'affirme ensuite que ces conditions
-elles-mêmes se sont imposées à ma pensée comme résultats inévitables
-d'un raisonnement <i>aussi logique que celui sur lequel repose n'importe
-quelle démonstration d'Euclide;</i> et j'affirme, en troisième lieu, que,
-quand même l'accusation d'hypothèse serait aussi bien appuyée qu'elle
-est, en fait, vaine et insoutenable, la validité et l'infaillibilité
-de mon résultat n'en serait cependant pas infirmée, même dans le plus
-petit détail.</p>
-
-<p>Je m'explique:&mdash;la Gravitation newtonienne, loi de la Nature, loi dont
-l'existence ne peut être mise en question qu'à Bedlam, loi qui, une
-fois admise, nous donne le moyen d'expliquer les neuf dixièmes des
-phénomènes de l'Univers,&mdash;loi que nous sommes, à cause de cela même,
-et sans en référer à aucune autre considération, disposés à admettre
-et que nous ne pouvons nous empêcher de reconnaître comme loi,&mdash;mais
-loi dont ni le<span class="pagenum"><a name="Page_69" id="Page_69">[p. 69]</a></span> principe ni le <i>modus operandi</i> du principe n'ont été
-jusqu'à présent décalqués par l'analyse humaine,&mdash;loi enfin qui n'a
-été trouvée susceptible d'aucune explication, ni dans son détail, ni
-dans sa généralité,&mdash;se montre décidément explicable et expliquée sur
-tous les points, pourvu seulement que nous donnions notre assentiment
-à ... à quoi? A une hypothèse? Mais si une hypothèse,&mdash;si la plus pure
-hypothèse, une hypothèse à l'appui de laquelle, comme dans le cas de la
-Loi newtonienne, pure hypothèse elle-même, ne se présente pas l'ombre
-d'une raison <i>à priori,&mdash;</i>si une hypothèse, même aussi absolue que
-tout ce que celle-ci comporte, nous permet d'assigner un principe à
-la Loi newtonienne,&mdash;nous permet de considérer comme remplies des
-conditions si miraculeusement, si ineffablement complexes et en
-apparence inconciliables, comme celles impliquées dans les rapports
-que nous révèle la Gravitation,&mdash;quel être rationnel poussera la
-sottise jusqu'à appeler plus longtemps «hypothèse», même cette absolue
-hypothèse,&mdash;à moins qu'il ne persiste ainsi en sous-entendant que c'est
-simplement par pur amour pour l'irrévocabilité <i>des mots</i>?</p>
-
-<p>Mais quel est actuellement le véritable état de la question? Quel est
-<i>le fait?</i> Non-seulement ce n'est pas une hypothèse que nous sommes
-priés d'adopter, pour expliquer le principe en question, mais c'est une
-conclusion logique que nous sommes invités, non pas à adopter si nous
-pouvons nous en dispenser, mais simplement à <i>nier si cela nous est
-possible;&mdash;</i>une conclusion d'une logique si exacte que la discuter,
-douter de sa validité, serait un effort au-dessus de nos forces;&mdash;une
-conclusion à laquelle nous ne voyons pas le moyen d'échapper, de
-quelque côté que nous nous tournions; un résultat que nous trouvons
-toujours en face de nous, soit que l'<i>induction</i> nous ait<span class="pagenum"><a name="Page_70" id="Page_70">[p. 70]</a></span> promenés
-à travers les phénomènes de ladite Loi, soit que nous redescendions,
-avec la <i>déduction,</i> de la plus rigoureusement simple de toutes les
-suppositions,&mdash;en un mot de <i>la supposition de la Simplicité elle-même.</i></p>
-
-<p>Et si maintenant, par pur amour de la chicane, on objecte que, bien
-que mon point de départ soit, comme je l'affirme, la supposition de
-l'absolue Simplicité, cependant la Simplicité, considérée en elle-même,
-n'est point un axiome, et que les déductions tirées des axiomes sont
-les seules incontestables, alors je répondrai:</p>
-
-<p>Toute autre science que la Logique est une science de certains rapports
-concrets. L'Arithmétique, par exemple, est la science des rapports
-de nombre,&mdash;la Géométrie, des rapports de forme,&mdash;les Mathématiques
-en général, des rapports de quantité en général, de tout ce qui peut
-être augmenté ou diminué. Mais la Logique est la science du Rapport
-dans l'abstrait, du Rapport absolu, du Rapport considéré en lui-même.
-Ainsi, dans toute science autre que la Logique, un axiome est une
-proposition proclamant certains rapports concrets qui semblent trop
-évidents pour être discutés, comme quand nous disons, par exemple,
-que le tout est plus grand que sa partie;&mdash;et le principe de l'axiome
-Logique à son tour, ou dans d'autres termes, le principe d'un axiome
-dans l'abstrait, est simplement <i>l'évidence de rapport.</i> Or, il est
-clair, d'abord, que ce qui est évident pour un esprit peut n'être pas
-évident pour un autre; ensuite, que ce qui est évident pour un esprit à
-une époque peut n'être pas du tout évident à une autre époque pour le
-même esprit. Il est clair, de plus, que ce qui est évident aujourd'hui
-pour la majorité de l'humanité ou pour la majorité des meilleurs
-esprits humains, peut demain, pour ces mêmes majorités, être plus ou
-moins évident, ou même n'être plus évident du tout. On<span class="pagenum"><a name="Page_71" id="Page_71">[p. 71]</a></span> voit donc que
-le <i>principe axiomatique</i> lui-même est susceptible de variation, et que
-naturellement les axiomes sont susceptibles d'un semblable changement.
-Puisqu'ils sont variables, les <i>vérités,</i> auxquelles ils donnent
-naissance, sont aussi nécessairement variables, ou, en d'autres termes,
-sont telles, qu'il ne faut jamais s'y fier absolument,&mdash;puisque la
-Vérité et l'Immutabilité ne font qu'un.</p>
-
-<p>Or, il est facile de comprendre qu'aucune idée axiomatique, aucune
-idée fondée sur le principe flottant de l'évidence de rapport, ne
-peut fournir, pour une construction quelconque de la Raison, une base
-aussi sûre, aussi solide, que <i>cette</i> idée (quelle qu'elle soit,
-n'importe où nous la puissions trouver, et si toutefois il est possible
-de la trouver quelque part), qui sera absolument indépendante, qui
-non-seulement ne présentera à l'esprit aucune <i>évidence de rapport,</i>
-grande ou petite, mais encore lui imposera la nécessité de n'en voir
-aucune. Si une telle idée n'est pas ce que nous appelons étourdiment
-un axiome, elle est au moins préférable, comme base logique, à tout
-axiome qui ait jamais été avancé, ou à tous les axiomes imaginables
-réunis;&mdash;et telle est précisément l'idée par laquelle commence mon
-procédé de déduction, que l'induction corrobore si parfaitement. Ma
-<i>particule propre</i> n'est que l'<i>absolue Indépendance.</i> Pour résumer
-ce que j'ai avancé, je suis parti de ce point que j'ai considéré
-comme-évident, à savoir que le Commencement n'avait rien derrière lui
-ni devant lui,&mdash;qu'il y avait eu en fait un Commencement,&mdash;que c'était
-un commencement et rien autre chose qu'un commencement,&mdash;bref que ce
-Commencement était ... <i>ce qu'il était.</i> Si l'on veut que ce soit là
-une <i>pure supposition,</i> j'y consens.</p>
-
-<p>Pour finir cette partie de mon sujet, je suis pleinement autorisé à
-déclarer que <i>la Loi, que nous nommons habituellement<span class="pagenum"><a name="Page_72" id="Page_72">[p. 72]</a></span> Gravitation,
-existe en raison de ce que la Matière a été, à son origine, irradiée
-atomiquement, dans une sphère limitée</i><a name="NoteRef_2_5" id="NoteRef_2_5"></a><a href="#Note_2_5" class="fnanchor">[2]</a> <i>d'Espace, d'une Particule
-Propre, unique, individuelle, inconditionnelle, indépendante et
-absolue, selon le seul mode qui pouvait satisfaire à la fois aux deux
-conditions d'irradiation et de distribution généralement égale à
-travers la sphère,&mdash;c'est-à-dire par une force variant en proportion
-directe des carrés des distances comprises entre chacun des atomes
-irradiés et le centre spécial d'Irradiation.</i></p>
-
-<p>J'ai déjà dit pour quelles raisons je présumais que la Matière avait
-été éparpillée par une force déterminée, plutôt que par une force
-continue ou infiniment continuée. D'abord, en supposant une force
-continue, nous ne pourrions comprendre aucune espèce de réaction; et
-ensuite nous serions obligés d'accepter l'idée inadmissible d'une
-extension infinie de Matière. Sans nous appesantir sur l'impossibilité
-de cette conception, remarquons que l'extension infinie de la Matière
-est une idée qui, si elle n'est pas positivement contredite, du moins
-n'est pas du tout confirmée par les observations télescopiques;&mdash;c'est
-un point à éclaircir plus tard; et cette raison empirique qui nous fait
-croire que la Matière est originellement finie se trouve confirmée
-d'une manière non empirique. Ainsi, par exemple, en admettant, pour le
-moment, la possibilité de comprendre l'Espace <i>rempli</i> par les atomes
-irradiés, c'est-à-dire en admettant, autant que nous le pouvons, que la
-succession des atomes irradiés n'ait absolument pas <i>de fin,</i> il est
-suffisamment clair que, même après que la Volonté Divine s'est retirée
-d'eux et que la tendance à retourner vers l'Unité a eu, d'une manière
-abstraite, permission de se satisfaire, cette permission aurait été
-futile et inefficace, sans valeur pratique et sans effet quelconque.<span class="pagenum"><a name="Page_73" id="Page_73">[p. 73]</a></span>
-Aucune Réaction n'aurait pu avoir lieu; aucun mouvement vers l'Unité
-n'aurait pu se faire; aucune loi de gravitation n'aurait pu s'établir.</p>
-
-<p>Expliquons mieux la chose. Accordez que la tendance abstraite d'un
-atome quelconque vers un autre atome quelconque est le résultat
-inévitable de la diffusion de l'Unité normale, ou ce qui est la même
-chose, admettez qu'un atome donné quelconque <i>se propose</i> de se mouvoir
-dans une direction donnée quelconque, il est clair que, s'il y a une
-<i>infinité</i> d'atomes de tous les côtés de l'atome qui se propose de se
-mouvoir, il ne pourra jamais se mouvoir, dans la direction donnée, vers
-la satisfaction de sa tendance, en raison d'une tendance précisément
-égale et contre-balançante dans la direction diamétralement opposée.
-En d'autres termes, il y a exactement autant de tendances derrière que
-devant l'atome hésitant; car c'est une pure sottise de dire qu'une
-ligne infinie est plus longue ou plus courte qu'une autre ligne
-infinie, ou qu'un nombre infini est plus gros ou plus petit qu'un autre
-nombre infini. Ainsi l'atome en question doit rester stationnaire à
-jamais. Dans les conditions impossibles que nous nous sommes efforcés
-de concevoir, simplement pour l'amour de la discussion, il n'y aurait
-eu aucune aggrégation de Matière,&mdash;ni étoiles, ni mondes,&mdash;rien qu'un
-Univers éternellement atomique et illogique. En effet, de quelque façon
-que vous considériez la chose, l'idée d'une Matière illimitée est
-non-seulement insoutenable, mais impossible et perturbatrice de tout
-ordre.</p>
-
-<p>En nous figurant les atomes compris dans une <i>sphère,</i> nous concevons
-tout de suite une satisfaction possible pour la tendance à la réunion.
-Le résultat général de la tendance de chacun vers chacun étant une
-tendance de tous vers le centre, la marche générale de la condensation,
-ou<span class="pagenum"><a name="Page_74" id="Page_74">[p. 74]</a></span> le rapprochement, commence immédiatement, par un mouvement
-commun et simultané, avec la retraite de la Volition Divine; les
-rapprochements individuels ou coalescences&mdash;non pas fusions&mdash;d'atome
-à atome étant sujets à des variations presque infinies dans le temps,
-le degré et la condition, en raison de l'excessive multiplicité de
-rapports produite par les différences de forme qui caractérisaient les
-atomes au moment où ils se séparaient de la Particule Propre; produite
-également par l'inégalité particulière et subséquente de distance de
-chacun à chacun.</p>
-
-<p>Ce que je désire faire entrer dans l'esprit du lecteur, c'est la
-certitude que, tout d'abord (la force diffusive ou Volition Divine
-s'étant retirée), de la condition des atomes telle que je l'ai
-décrite, ont dû, sur d'innombrables points à travers la sphère
-Universelle, naître d'innombrables agglomérations, caractérisées par
-d'innombrables différences spécifiques de forme, de grosseur, de
-nature essentielle, et de distance réciproque. Le développement de la
-Répulsion (Electricité) doit naturellement avoir commencé avec les
-premiers efforts particuliers vers l'Unité, et avoir marché constamment
-en raison de la Coalescence,&mdash;c'est-à-dire de la Condensation, ou,
-conséquemment, de l'Hétérogénéité.</p>
-
-<p>Ainsi les deux Principes proprement dits, l'Attraction et la Répulsion,
-le Matériel et le Spirituel, s'accompagnent l'un l'autre dans la plus
-étroite confraternité. Ainsi <i>le Corps et l'Ame marchent de concert.</i></p>
-
-<hr class="r5" />
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_1_4" id="Note_1_4"></a><a href="#NoteRef_1_4"><span class="label">[1]</span></a> <i>Double Assassinat dans la rue Morgue.</i>&mdash;<span style="font-size: 0.8em;">HISTOIRES
-EXTRAORDINAIRES</span>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_2_5" id="Note_2_5"></a><a href="#NoteRef_2_5"><span class="label">[2]</span></a> Une sphère est <i>nécessairement</i> limitée; mais je préfère
-la tautologie au danger de n'être pas compris E. P.</p></div>
-
-
-<hr />
-
-<h4>VIII</h4>
-
-
-<p>Si maintenant, en imagination, nous choisissons, à travers la sphère
-Universelle, <i>une quelconque</i> de ces agglomérations considérées dans
-leurs phases primaires, et si nous<span class="pagenum"><a name="Page_75" id="Page_75">[p. 75]</a></span> supposons que cette agglomération
-commençante a eu lieu sur ce point où existe le centre de notre
-Soleil, ou plutôt où il existait originellement (car le Soleil change
-perpétuellement de position), nous nous rencontrerons infailliblement
-avec la plus magnifique des théories, et, pendant un certain temps au
-moins, nous avancerons avec elle,&mdash;je veux dire avec la Cosmogonie
-de Laplace;&mdash;quoique <i>Cosmogonie</i> soit un terme trop compréhensif
-pour l'objet dont l'auteur traite en réalité, qui est seulement la
-constitution de notre système solaire, c'est-à-dire d'un système parmi
-la myriade de systèmes analogues qui composent l'Univers proprement
-dit,&mdash;cette sphère Universelle, cet omni-compréhensif et absolu
-<i>Kosmos</i> qui forme le sujet de mon présent discours.</p>
-
-<p>Laplace, se confinant dans une région <i>évidemment limitée,</i> celle de
-notre système solaire, avec son entourage comparativement immédiat,
-et supposant <i>purement,</i> c'est-à-dire sans établir aucune base
-quelconque, par induction ou par déduction, une grande partie de ce que
-j'essayais tout à l'heure de fixer sur une base plus solide qu'une pure
-hypothèse;&mdash;supposant, par exemple, la matière répandue (sans prétendre
-expliquer cette diffusion) à travers l'espace occupé par notre système,
-et même un peu au delà; répandue à l'état de nébulosité hétérogène
-et obéissant à la loi toute-puissante de la Gravitation, dont il ne
-s'avise pas de conjecturer le principe;&mdash;supposant toutes ces choses
-(qui sont parfaitement vraies, bien qu'il n'eût pas logiquement le
-droit de les supposer), Laplace, dis-je, a montré, dynamiquement et
-mathématiquement, que les résultats naissant forcément de telles
-circonstances sont ceux, et ceux-là seuls, que nous voyons manifestés
-dans la condition actuelle du système solaire.</p>
-
-<p>Je m'explique.&mdash;Supposons que cette agglomération<span class="pagenum"><a name="Page_76" id="Page_76">[p. 76]</a></span> particulière dont
-nous avons parlé, celle qui a eu lieu au point marqué par le centre
-de notre Soleil, ait continué jusqu'à ce qu'une vaste quantité de
-matière nébuleuse y ait pris une forme à peu près sphérique; son
-centre coïncidant évidemment avec le centre actuel ou plutôt le centre
-originel de notre Soleil, et sa périphérie s'étendant au delà de
-l'orbite de Neptune, la plus éloignée de nos planètes;&mdash;en d'autres
-termes, supposons que le diamètre de cette sphère grossière ait été
-d'environ six mille millions de milles. Pendant des siècles, cette
-masse de matière a été se condensant, tant qu'à la longue elle a été
-réduite au volume que nous imaginons, ayant procédé graduellement
-depuis son état atomique et imperceptible jusqu'à ce que nous entendons
-par une <i>nébulosité</i> visible, palpable, ou appréciable d'une manière
-quelconque.</p>
-
-<p>Or, la condition de cette masse implique une rotation autour d'un axe
-imaginaire,&mdash;rotation, qui, commençant avec les premiers symptômes
-d'aggrégation, a depuis lors toujours acquis de la vélocité. Les
-deux premiers atomes qui se sont rencontrés, partant de points non
-diamétralement opposés, ont dû, se précipitant un peu au delà l'un
-de l'autre, former un noyau pour le mouvement rotatoire en question.
-Comment ce mouvement a augmenté en vélocité, on le voit aisément. Les
-deux atomes sont rejoints par d'autres;&mdash;une aggrégation est formée.
-La masse continue à tourner tout en se condensant. Mais tout atome
-situé à la circonférence subit naturellement un mouvement plus rapide
-qu'un atome placé plus près du centre. Néanmoins l'atome éloigné,
-avec sa vélocité supérieure, se rapproche du centre, portant avec lui
-cette vélocité supérieure à mesure qu'il avance. Ainsi chaque atome
-marchant vers le centre, et s'attachant finalement au centre de la
-condensation, ajoute quelque chose à la<span class="pagenum"><a name="Page_77" id="Page_77">[p. 77]</a></span> vélocité originelle de ce
-centre, c'est-à-dire accroît le mouvement rotatoire de la masse.</p>
-
-<p>Supposons maintenant cette masse condensée à ce point qu'elle occupe
-précisément l'espace circonscrit par l'orbite de Neptune, et que la
-vélocité avec laquelle se meut, dans la rotation générale, la surface
-de la masse, soit précisément celle avec laquelle Neptune accomplit
-maintenant sa révolution autour du Soleil. A cette époque déterminée,
-nous comprenons que la force centrifuge constamment croissante,
-l'emportant sur la force centripète non croissante, a dû faire se
-dégager et se séparer les couches extérieures les moins condensées, à
-l'équateur de la sphère, là où prédominait la vélocité tangentielle;
-de sorte que ces couches ont formé autour du corps principal un anneau
-indépendant circonvenant les régions équatoriales;&mdash;juste comme la
-partie extérieure d'une meule, chassée par une excessive vélocité de
-rotation, formerait un anneau autour de la meule, si la solidité de
-la superficie n'y faisait obstacle; mais si cette matière était du
-caoutchouc, ou toute autre d'une consistance à peu près semblable, le
-phénomène en question se manifesterait infailliblement.</p>
-
-<p>L'anneau, chassé ainsi par la masse nébuleuse, a dû naturellement
-accomplir sa révolution, comme anneau <i>individuel,</i> juste avec la même
-vélocité qui le faisait tourner comme <i>surface de la masse.</i> En même
-temps, la condensation continuant toujours, l'intervalle entre l'anneau
-projeté et le corps principal a dû s'accroître sans cesse, tant qu'à la
-fin le premier s'est trouvé à une vaste distance du dernier.</p>
-
-<p>Or, en admettant que l'anneau ait possédé, par quelque arrangement en
-apparence accidentel de ses éléments hétérogènes, une constitution
-presque uniforme, cet anneau, dans ces conditions, n'aurait jamais
-cessé de tourner<span class="pagenum"><a name="Page_78" id="Page_78">[p. 78]</a></span> autour du corps principal; mais, comme on pouvait s'y
-attendre, if paraît qu'il y a eu dans la disposition de ses éléments
-assez d'irrégularité pour les faire se grouper autour de centres d'une
-solidité supérieure; et ainsi la forme annulaire a été détruite<a name="NoteRef_1_6" id="NoteRef_1_6"></a><a href="#Note_1_6" class="fnanchor">[1]</a>.
-Sans aucun doute, la bande a été bientôt rompue en plusieurs morceaux,
-et l'un de ces morceaux, d'un volume plus considérable, a absorbé les
-autres en lui; le tout s'est tassé, sphériquement, en une planète.
-Que ce dernier corps ait continue, comme planète, le mouvement de
-révolution qui le caractérisait quand il était anneau, cela est
-suffisamment évident; et l'on voit aussi facilement qu'il a dû, de sa
-nouvelle condition de sphère, tirer un mouvement additionnel. Si nous
-considérons l'anneau comme n'étant pas encore rompu, nous voyons que
-sa partie extérieure, pendant que la totalité tourne autour du corps
-générateur, se meut avec plus de rapidité que sa partie intérieure.
-Donc, quand la rupture s'est faite, une partie dans chaque fragment
-a dû se mouvoir avec plus de vélocité que les autres. Le mouvement
-supérieur prédominant a dû faire tourner chaque fragment sur lui-même,
-c'est-à-dire lui imprimer une rotation; et le sens de cette rotation
-a été naturellement le sens de la révolution d'où elle avait pris
-naissance. Tous les fragments ayant subi ladite rotation l'ont, en
-se réunissant, forcément communiquée à la planète formée par leur
-cohésion. Cette planète fut Neptune. Ses éléments continuant à se
-condenser, et la force centrifuge produite dans sa rotation l'emportant
-à la longue sur la force centripète, comme<span class="pagenum"><a name="Page_79" id="Page_79">[p. 79]</a></span> nous l'avons vu dans le
-cas du globe générateur, un anneau a été également projeté de la
-surface équatoriale de cette planète; cet anneau, [non] uniforme dans
-sa constitution, a été rompu, et ses divers fragments, absorbés par le
-plus massif de tous, ont été collectivement sphérifiés en une lune. Le
-phénomène répété une seconde fois a donné pour résultat une seconde
-lune. Ainsi nous trouvons expliquée la planète Neptune avec les deux
-satellites qui l'accompagnent.</p>
-
-<p>En projetant de son équateur un anneau, le Soleil avait rétabli
-entre ses deux forces, centripète et centrifuge, l'équilibre
-rompu par le progrès de la condensation; mais cette condensation
-continuant toujours, l'équilibre fut de nouveau troublé par suite de
-l'accroissement de la rotation. Pendant que la masse s'était rétrécie
-au point de n'occuper que juste l'espace sphérique circonscrit par
-l'orbite d'Uranus, la force centrifuge, cela se comprend, avait pris
-une influence assez grande pour nécessiter un nouveau soulagement.
-Conséquemment, une seconde bande équatoriale fut lancée, qui, n'étant
-pas d'une constitution uniforme, a été brisée, comme dans le cas
-précédent de Neptune; les fragments tassés sont devenus la planète
-Uranus; et la vélocité de sa révolution actuelle autour du Soleil
-nous donne évidemment la mesure de la vitesse rotatoire de la surface
-équatoriale du Soleil au moment de la séparation. Uranus, tirant sa
-rotation des rotations combinées des fragments auxquels il devait sa
-naissance, comme nous l'avons expliqué pour le cas précédent, projeta
-alors successivement des anneaux, dont chacun, se brisant, se modela en
-lune. Trois lunes, à différentes époques, furent formées de cette façon
-par la rupture et la sphérification d'autant d'anneaux distincts non
-uniformes dans leur constitution.</p>
-
-<p>Pendant que le Soleil se réduisait à n'occuper que juste<span class="pagenum"><a name="Page_80" id="Page_80">[p. 80]</a></span> l'espace
-circonscrit par l'orbite de Saturne, nous devons supposer que la
-balance entre ses deux forces, centripète et centrifuge, avait été
-dérangée par l'accroissement de la vitesse rotatoire, résultat de
-la condensation, au point de nécessiter un troisième effort vers
-l'équilibre, et qu'une bande annulaire, comme dans les deux cas
-précédents, fut conséquemment lancée, qui, bientôt rompue par la
-non-uniformité de ses parties, se consolida pour devenir la planète
-Saturne. Cette dernière projeta d'abord sept bandes, qui, après s'être
-rompues, se sphérifièrent en autant de lunes; mais elle paraît s'être
-subséquemment déchargée, à trois époques distinctes et peu éloignées
-l'une de l'autre, de trois anneaux dont la constitution se trouva, par
-un accident apparent, assez uniforme et assez solide pour ne fournir
-aucune occasion de rupture; aussi ils continuent à tourner sous la
-forme d'anneaux. Je dis <i>accident apparent;</i> car pour un accident
-dans le sens ordinaire, il n'y en eut évidemment aucun; le terme ici
-s'applique simplement au résultat d'une <i>loi</i> indiscernable ou que nous
-ne pouvons pas immédiatement étudier.</p>
-
-<p>Se réduisant toujours de plus en plus, jusqu'à n'occuper que l'espace
-circonscrit par l'orbite de Jupiter, le Soleil éprouva bientôt le
-besoin d'un nouvel effort pour restaurer l'équilibre de ses deux
-forces, perpétuellement dérangé par l'accroissement continu de la
-vitesse de rotation. En conséquence Jupiter fut lancé hors du Soleil,
-passant de la condition annulaire à l'état planétaire, et, arrivé à ce
-second état, projeta à son tour, à quatre époques différentes, quatre
-anneaux, qui finalement se transformèrent en autant de lunes.</p>
-
-<p>Se rétrécissant toujours, jusqu'à ce que sa sphère n'occupât que juste
-l'espace défini par l'orbite des Astéroïdes, le Soleil se déchargea
-d'un anneau qui paraît avoir eu <i>huit<span class="pagenum"><a name="Page_81" id="Page_81">[p. 81]</a></span></i> centres de solidité supérieure,
-et en se brisant, avoir produit huit fragments, dont pas un ne
-possédait une masse assez considérable pour absorber les autres. Tous
-conséquemment, comme planètes distinctes, mais comparativement petites,
-se mirent à tourner dans des orbites dont les distances respectives
-peuvent être, jusqu'à un certain point, considérées comme la mesure de
-la force qui les a séparés;&mdash;toutes les orbites néanmoins se trouvant
-assez rapprochées pour nous permettre de les considérer comme <i>une,</i> en
-comparaison des autres orbites planétaires.</p>
-
-<p>Le Soleil, se réduisant toujours et ne remplissant plus que juste
-l'orbite de Mars, se déchargea alors de cette planète par le mode
-déjà si souvent décrit. Toutefois, puisqu'il n'a pas de lune, Mars
-n'a pas pu engendrer d'anneau. En fait, une phase se produisait
-dans la carrière du corps générateur, centre de tout le système. La
-décroissance de sa nébulosité, qui était en même temps l'accroissement
-de sa [densité et encore la décroissance de sa] condensation dont
-résultait la constante rupture de l'équilibre, a dû, à partir de cette
-époque, atteindre un point où les efforts pour le rétablissement de cet
-équilibre ont été de plus en plus inefficaces, juste à mesure qu'ils
-étaient moins fréquemment nécessaires. Ainsi les phénomènes dont nous
-avons parlé ont dû donner partout des signes d'épuisement,&mdash;dans les
-planètes d'abord, et ensuite dans la masse génératrice. Ne tombons pas
-dans cette erreur qui suppose que le décroissement d'intervalle observé
-entre les planètes, à mesure qu'elles se rapprochent du Soleil, est
-en quelque sorte un indice de fréquence croissante dans les crises
-qui leur ont donné naissance. C'est justement l'inverse qui doit être
-supposé. Le plus long intervalle de temps a dû séparer les émissions
-des deux planètes intérieures, et le plus court la naissance des deux
-extérieures. Mais la<span class="pagenum"><a name="Page_82" id="Page_82">[p. 82]</a></span> diminution d'espace est la mesure de la densité
-du Soleil, et en même temps elle est en raison inverse de son aptitude
-à la condensation dans tout le cours des phénomènes dont nous avons
-fait l'histoire.</p>
-
-<p>Cependant, s'étant réduit jusqu'à ne plus remplir que l'orbite de
-notre Terre, la sphère-mère a chassé hors d'elle-même encore un autre
-corps,&mdash;la Terre,&mdash;dans une condition de nébulosité qui a permis à ce
-corps de se décharger à son tour d'un autre corps qui est notre Lune.
-Mais là se sont arrêtées les formations lunaires.</p>
-
-<p>Finalement, se confinant aux orbites, d'abord de Vénus et ensuite de
-Mercure, le Soleil a lancé ces deux planètes intérieures; ni l'une ni
-l'autre n'a engendré de lune.</p>
-
-<p>Ainsi, de son volume originel, ou, pour parler plus exactement, de la
-condition sous laquelle nous l'avons d'abord considéré, c'est-à-dire
-d'une masse nébuleuse à peu près sphérique possédant <i>certainement</i> un
-diamètre de plus de cinq mille six cents millions de milles, le grand
-astre central, origine de notre système solaire-planétaire-lunaire,
-s'est graduellement réduit, obéissant à la loi de la Gravitation, à
-un globe d'un diamètre de huit cent quatre-vingt-deux mille milles
-seulement; mais il ne s'ensuit pas du tout que sa condensation soit
-absolument complète, ou qu'il ne possède plus la puissance de projeter
-encore une planète.</p>
-
-<hr class="r5" />
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_1_6" id="Note_1_6"></a><a href="#NoteRef_1_6"><span class="label">[1]</span></a> Laplace a supposé sa nébulosité hétérogène, simplement
-parce que cela lui permettait d'expliquer le morcellement des anneaux;
-car si la nébulosité avait été homogène, ils ne se seraient pas brisés.
-J'arrive au même résultat (hétérogénéité des masses secondaires
-résultant immédiatement des atomes) simplement par une considération à
-<i>priori</i> de leur but général, qui est <i>le Relatif.</i> E. P.</p></div>
-
-
-<hr />
-<h4>IX</h4>
-
-
-<p>Je viens de donner, avec son contour général seulement, mais aussi
-avec tout le détail nécessaire pour l'intelligence, un tableau de la
-Théorie cosmogonique de Laplace telle que son auteur lui-même l'a
-conçue. De quelque point de vue que nous la considérions, nous la
-trouvons <i>magnifiquement<span class="pagenum"><a name="Page_83" id="Page_83">[p. 83]</a></span> vraie.</i> Elle est immensément trop belle pour
-ne pas contenir la Vérité comme caractère essentiel;&mdash;et en disant
-cela je suis profondément sérieux. Dans la révolution des satellites
-d'Uranus apparaît quelque chose qui semble contredire les hypothèses
-de Laplace; mais que cette <i>unique</i> inconsistance puisse infirmer une
-théorie construite avec un million de consistances intimement reliées
-entre elles, c'est là une idée qui n'est bonne que pour les esprits
-fantasques. En prophétisant audacieusement que l'anomalie apparente
-dont je parle deviendra, tôt ou tard, une des confirmations les plus
-fortes possibles de l'hypothèse générale, je ne prétends à aucun don
-spécial de divination; car, au contraire, ce qui serait vraiment
-difficile, ce serait de ne pas pressentir cette découverte.<a name="NoteRef_1_7" id="NoteRef_1_7"></a><a href="#Note_1_7" class="fnanchor">[1]</a></p>
-
-<p>Les corps projetés par le mode en question ont dû, comme on l'a vu,
-transformer la <i>rotation</i> superficielle des globes, d'où ils tiraient
-leur origine, en une <i>révolution</i> d'une vélocité égale autour de ces
-globes devenus centres distants; et la révolution ainsi engendrée
-continuera tant que la force centripète, qui est celle par laquelle le
-corps projeté gravite vers son générateur, ne sera ni plus ni moins
-grande que la force par laquelle il a été projeté, c'est-à-dire la
-vélocité centrifuge, ou, plus proprement, tangentielle. Cependant, par
-l'unité d'origine de ces deux forces, nous pouvions deviner ce qu'elles
-sont en effet,&mdash;l'une contre-balançant exactement l'autre. En réalité,
-n'avons-nous pas démontré que le fait de la projection du corps n'avait
-eu lieu que pour la conservation de l'équilibre?</p>
-
-<p>Toutefois, après avoir rapporté la force centripète à la loi
-toute-puissante de la Gravitation, il a été d'usage, dans<span class="pagenum"><a name="Page_84" id="Page_84">[p. 84]</a></span> les traités
-astronomiques, de chercher au delà des limites de la pure Nature,
-c'est-à-dire au delà d'une cause <i>Secondaire,</i> l'explication du
-phénomène de la vélocité tangentielle. On attribue directement cette
-dernière à une Cause <i>Première,</i> à Dieu lui-même. La force qui emporte
-un corps stellaire autour de la planète principale tire, nous dit-on,
-son origine d'une impulsion donnée immédiatement par le doigt de la
-Divinité elle-même; car telle est la phraséologie enfantine usitée
-dans ce cas. A ce point de vue, les planètes, parfaitement formées,
-ont été lancées par la main de Dieu, vers une position voisine des
-soleils, avec une force mathématiquement proportionnée à la masse ou
-puissance attractive des soleils eux-mêmes. Une idée si grossière,
-si anti-philosophique, et pourtant si tranquillement adoptée, n'a pu
-naître que de la difficulté de rendre autrement compte de la proportion
-exacte qui existe entre deux forces en apparence indépendantes l'une de
-l'autre, la force centripète et la force centrifuge. Mais on devrait se
-rappeler que pendant un long temps la coïncidence de la rotation de la
-Lune avec sa révolution sidérale, deux choses en apparence bien plus
-indépendantes l'une de l'autre que celles maintenant en question, a été
-considérée comme un un fait positivement miraculeux; et qu'il y avait,
-même parmi les astronomes, une singulière disposition à attribuer
-cette merveille à l'agence directe et continue de Dieu, qui dans ce
-cas, disait-on, avait jugé nécessaire d'intercaler, à travers ses lois
-générales, une série de règles subsidiaires, dans le but de cacher à
-tout jamais aux yeux des mortels la splendeur, ou peut-être l'horreur
-de l'autre côté de la Lune,&mdash;de ce mystérieux hémisphère qui a toujours
-évité et doit toujours éviter la curiosité télescopique de l'homme. Les
-progrès de la Science, toutefois, ont bientôt démontré,&mdash;ce qui pour
-l'instinct philosophique n'avait pas besoin<span class="pagenum"><a name="Page_85" id="Page_85">[p. 85]</a></span> de démonstration,&mdash;que
-l'un des deux mouvements n'est qu'une partie de l'autre,&mdash;ce qui est
-mieux encore qu'une conséquence.</p>
-
-<p>Pour ma part, je me sens irrité par des conceptions à la fois aussi
-timides, aussi vaines et aussi fantasques. Elles viennent d'une absolue
-couardise de pensée. Que la Nature et que le Dieu de la Nature soient
-distincts, aucun être pensant n'en peut longtemps douter. Par la Nature
-nous entendons simplement les lois de Dieu. Mais dans l'idée de Dieu,
-avec son omnipotence et son omniscience, nous faisons entrer aussi
-l'idée de <i>l'infaillibilité</i> de ses lois. Pour Lui, il n'y a ni Passé
-ni futur; pour Lui, tout est <i>Présent;</i> donc, ne l'insultons-nous pas
-en supposant que ses lois puissent n'être pas faites en prévision de
-toutes les contingences possibles? Ou plutôt, quelle idée pouvons-nous
-avoir d'une contingence possible <i>quelconque,</i> qui ne soit à la fois le
-résultat et la manifestation de ses lois? Celui qui, se dépouillant de
-tout préjugé, aura le rare courage de penser absolument par lui-même ne
-pourra pas ne pas arriver à la finale condensation des <i>lois</i> en une
-<i>Loi,&mdash;</i>ne pourra pas ne pas aboutir à cette conclusion: que <i>chaque
-loi de la Nature dépend en tous points de toutes les autres lois,</i> et
-que toutes ne sont que les conséquences d'un exercice primitif de la
-Volonté Divine. Tel est le principe de la Cosmogonie que j'essaye, avec
-toute la déférence nécessaire, de suggérer et de soutenir ici.</p>
-
-<p>D'après ce point de vue, chassant, comme frivole et même comme impie,
-cette idée, que la force tangentielle a pu être communiquée directement
-aux planètes par <i>le doigt de Dieu,</i> je considère cette force comme
-naissant de la rotation des astres;&mdash;cette rotation comme amenée par
-l'impétuosité des atomes primitifs se précipitant vers leurs centres
-respectifs d'aggrégation;&mdash;cette impétuosité comme<span class="pagenum"><a name="Page_86" id="Page_86">[p. 86]</a></span> la conséquence de
-la loi de la Gravitation;&mdash;cette loi comme le mode par lequel devait
-nécessairement se manifester la tendance des atomes à retourner à
-la non-particularité;&mdash;cette tendance au retour comme la réaction
-inévitable de l'Acte premier, le plus sublime de tous, celui par lequel
-un Dieu, existant par lui-même et existant seul, est devenu, par la
-force de sa volonté, tous les êtres à la fois, pendant que tous les
-êtres devenaient ainsi une partie de Dieu.</p>
-
-<p>Les hypothèses fondamentales de ce traité impliquent nécessairement
-certaines modifications importantes de la Théorie telle qu'elle nous
-est présentée par Laplace. J'ai considéré la force répulsive comme
-ayant pour but de prévenir le contact entre les atomes, et comme se
-produisant en raison du rapprochement, c'est-à-dire en raison de la
-condensation. En d'autres termes, <i>Y Electricité,</i> avec ses phénomènes
-compliqués, chaleur, lumière et magnétisme, doit procéder comme procède
-la condensation, et, naturellement, en raison inverse de la [densité],
-c'est-à-dire la <i>cessation de la condensation.</i> Ainsi le Soleil, dans
-le cours de son aggrégation, a dû, la répulsion se développant, devenir
-excessivement chaud,&mdash;incandescent peut-être; et nous comprenons
-comment l'émission de ses anneaux a dû être matériellement facilitée
-par la légère incrustation de sa surface, résultat du refroidissement.
-Mainte expérience vulgaire nous montre comme une croûte analogue
-se détache facilement, par suite de l'hétérogénéité, de la masse
-intérieure. Mais, à chaque émission successive de surface durcie,
-la nouvelle surface apparaîtrait incandescente comme auparavant;
-et l'époque où elle se serait de nouveau suffisamment durcie pour
-se détacher et s'éloigner facilement, peut être considérée comme
-coïncidant exactement avec celle où la masse entière aurait besoin d'un
-nouvel effort pour rétablir l'équilibre de ses deux forces, dérangé
-par la<span class="pagenum"><a name="Page_87" id="Page_87">[p. 87]</a></span> condensation. En d'autres termes, quand l'influence électrique
-(la Répulsion) a définitivement préparé la surface à se détacher,
-l'influence de la Gravitation (l'Attraction) s'est trouvée prête à
-la rejeter. Ici donc, comme toujours, comme partout, nous voyons que
-<i>le Corps et l'Ame marchent de concert,</i> Ces idées sont confirmées en
-tous points par l'expérience. Puisque la condensation ne peut jamais,
-dans aucun corps, être considérée comme absolument finie, nous pouvons
-prévoir que toutes les fois qu'il nous sera permis de vérifier le
-cas, nous trouverons des indices de luminosité dans tous les corps
-stellaires, dans les lunes et les planètes aussi bien que dans les
-soleils. Que notre Lune soit fortement lumineuse par elle-même, nous
-le voyons à chaque éclipse totale, alors qu'elle devrait disparaître
-s'il n'en était pas ainsi. Sur la partie sombre du satellite nous
-observons aussi, pendant ses phases, des traînées de lumière comme
-nos propres Aurores; et il est évident que celles-ci, avec tous nos
-phénomènes divers proprement dits électriques, sans parler d'aucune
-clarté plus constante, doivent donner à notre Terre, pour un habitant
-de la Lune, une certaine apparence de luminosité. En réalité, nous
-devons considérer tous les phénomènes en question comme de simples
-manifestations, différentes en modes et en degrés, d'une condensation
-de la Terre faiblement continuée.</p>
-
-<p>Si mes vues sont justes, attendons-nous à trouver les planètes plus
-récentes,&mdash;c'est-à-dire celles qui sont plus près du Soleil,&mdash;plus
-lumineuses que celles qui sont plus éloignées et d'une origine plus
-ancienne. L'éclat excessif de Vénus (qui, durant ses phases, laisse
-voir sur ses parties sombres de fréquentes Aurores) ne semble pas
-suffisamment expliqué par sa proximité de l'astre central. Cette
-planète est, sans doute, vivement lumineuse par elle-même, bien qu'elle
-le soit moins que Mercure, pendant que la<span class="pagenum"><a name="Page_88" id="Page_88">[p. 88]</a></span> luminosité de Neptune se
-trouve comparativement réduite à rien.</p>
-
-<p>Mes idées étant admises, il est clair que du moment où le Soleil
-s'est déchargé d'un anneau, il a dû subir une diminution continue
-de lumière et de chaleur en raison de l'incrustation continue de sa
-surface; et qu'une époque a dû venir, époque précédant immédiatement
-une nouvelle décharge, où la diminution de la lumière et de la chaleur
-a été matériellement très-sensible. Or nous savons qu'il est resté
-de ces changements des traces faciles à reconnaître. Sur les îles
-Melville, pour ne prendre qu'un exemple entre cent, nous trouvons
-des témoignages d'une végétation plus que tropicale, des traces de
-plantes qui n'auraient jamais pu fleurir sans une chaleur et une
-lumière immensément plus grandes que celles que notre Soleil peut
-actuellement donner à aucune partie de la Terre. Devons-nous rapporter
-cette végétation à l'époque qui a suivi immédiatement l'émission de la
-planète Vénus? A cette époque a dû se produire pour nous la plus grande
-somme d'influence solaire, et cette influence a dû, dans le fait,
-atteindre alors son maximum; naturellement nous négligeons la période
-de l'émission de la Terre, qui fut sa période de simple organisation.</p>
-
-<p>D'autre part, nous savons qu'il existe des <i>soleils non lumineux,</i>
-c'est-à-dire des soleils dont nous déterminons l'existence par les
-mouvements des autres, mais dont la luminosité n'est pas suffisante
-pour agir sur nous. Ces soleils sont-ils invisibles simplement à cause
-de la longueur de temps écoulé depuis qu'ils ont produit une planète?
-Et en revanche, ne pouvons-nous pas, au moins dans de certains cas,
-expliquer les apparitions soudaines de soleils sur des points où nous
-n'en avions pas jusqu'à présent soupçonné l'existence, en supposant
-qu'ayant tourné avec des<span class="pagenum"><a name="Page_89" id="Page_89">[p. 89]</a></span> surfaces durcies pendant les quelques
-milliers d'années qui composent notre histoire astronomique, ils ont
-pu enfin, après avoir produit un nouvel astre secondaire, déployer les
-splendeurs de leur partie intérieure toujours incandescente? Quant
-au fait bien certain de l'accroissement proportionnel de chaleur à
-mesure que nous pénétrons dans l'intérieur de la Terre, il suffit de
-le rappeler en passant, et il sert à corroborer aussi fortement que
-possible tout ce que j'ai dit sur le sujet actuellement en question.</p>
-
-<p>En parlant de l'influence répulsive ou électrique, je faisais observer
-tout à l'heure que les phénomènes importants de vitalité, de conscience
-et de pensée, étudiés soit dans leur généralité, soit dans leur détail,
-semblaient procéder en raison de l'hétérogénéité. Je disais aussi que
-je reviendrais sur cette idée; et c'est ici, je crois, le moment de le
-faire. Si nous regardons d'abord la chose dans le détail, nous voyons
-que ce n'est pas seulement la manifestation de la vitalité, mais aussi
-son importance, ses conséquences et l'élévation de son caractère,
-qui sont en parfait accord avec l'hétérogénéité, ou complexité, de
-la structure animale. Si nous examinons maintenant la question dans
-sa généralité, et si nous en référons aux premiers mouvements des
-atomes vers une constitution massive, nous voyons que l'hétérogénéité
-est toujours en proportion de la condensation, par qui elle a été
-directement amenée. Nous arrivons ainsi à cette proposition, que
-<i>l'importance du développement de la vitalité terrestre procède en
-raison égale de la condensation terrestre.</i></p>
-
-<p>Or, ceci est en accord précis avec ce que nous savons de la succession
-des animaux sur la Terre. A mesure que celle-ci s'est condensée, des
-races de plus en plus perfectionnées ont apparu. Est-il impossible que
-les révolutions géologiques successives qui ont accompagné, si elles
-ne les<span class="pagenum"><a name="Page_90" id="Page_90">[p. 90]</a></span> ont pas immédiatement causées, ces élévations successives
-du caractère de vitalité,&mdash;est-il improbable que ces révolutions
-elles-mêmes aient été produites par les décharges planétaires
-successives du Soleil,&mdash;en d'autres termes, par les variations
-successives de l'influence du Soleil sur la Terre? Si cette idée paraît
-juste, if n'est pas déraisonnable de supposer que la décharge d'une
-nouvelle planète, plus proche du centre que Mercure, puisse amener
-une nouvelle modification de la surface terrestre,&mdash;modification d'où
-tirerait sa naissance une race matériellement et spirituellement
-supérieure à l'Homme. Ces pensées me frappent avec toute la force de la
-vérité, mais je ne les émets ici qu'en tant que pures suggestions.</p>
-
-<p>La Théorie de Laplace a reçu récemment, par les mains du philosophe
-Comte, une confirmation plus forte encore qu'if n'était nécessaire.
-Ainsi ces deux savants ensemble ont montré,&mdash;non pas, certainement, que
-la Matière ait positivement existé, à une époque quelconque, à l'état
-de diffusion nébuleuse, tel que nous l'avons décrit,&mdash;mais que, si l'on
-veut bien admettre qu'elle ait ainsi existé dans tout l'espace et bien
-au delà de l'espace occupé maintenant par notre système solaire, <i>et
-qu'elle ait commencé un mouvement vers un centre,&mdash;</i>ils ont démontré,
-dis-je, que dans ce cas elle a dû adopter les formes variées et les
-mouvements que nous voyons maintenant se développer dans ce système.
-Une démonstration telle que celle-ci, dynamique et mathématique,
-aussi complète qu'une démonstration peut l'être, incontestable et
-incontestée, excepté peut-être par la secte impuissante et pitoyable
-des douteurs de profession, simples fous qui nient la loi newtonienne
-de la Gravitation, sur laquelle sont basés les résultats des
-mathématiciens français,&mdash;une démonstration telle que celle-là doit,
-pour beaucoup d'intelligences (et pour la mienne il<span class="pagenum"><a name="Page_91" id="Page_91">[p. 91]</a></span> en est ainsi),
-confirmer l'hypothèse cosmique sur laquelle elle s'appuie.</p>
-
-<p>Que la démonstration ne prouve pas l'hypothèse, selon le sens ordinaire
-attribué au mot <i>preuve,</i> naturellement je l'admets. Montrer que
-certains résultats existants, que certains faits reconnus peuvent être,
-même mathématiquement, expliqués par une certaine hypothèse, ce n'est
-pas établir l'hypothèse elle-même. En d'autres termes, montrer que
-certaines données ont <i>pu</i> et même ont <i>dû</i> engendrer certain résultat
-existant, n'est pas suffisant pour prouver que ce résultat <i>est</i> la
-conséquence des données en question; il faut encore démontrer qu'il
-n'existe pas et qu'il ne <i>peut pas exister</i> d'autres données capables
-de donner naissance au même résultat. Mais dans le cas actuellement en
-discussion, bien que tout le monde doive reconnaître l'absence de ce
-que nous avons l'habitude d'appeler <i>preuve,</i> il y a cependant beaucoup
-d'esprits, et ceux-là de l'ordre le plus élevé, pour qui aucune preuve
-n'ajouterait un iota de certitude. Sans entrer dans des détails qui
-touchent au domaine nuageux de la métaphysique, je puis faire observer
-que dans des cas semblables la force de conviction sera toujours, pour
-les véritables penseurs, proportionnée à la somme de <i>complexité</i>
-comprise entre l'hypothèse et le résultat. Soyons moins abstrait:&mdash;la
-quantité de complexité reconnue dans les conditions cosmiques, en
-augmentant proportionnellement la difficulté d'expliquer toutes ces
-conditions, fortifie en même temps, et dans la même proportion, notre
-confiance dans l'hypothèse qui nous sert à nous en rendre compte
-d'une manière satisfaisante;&mdash;et comme on ne peut pas concevoir une
-complexité plus grande que celle des conditions astronomiques, de même
-il ne peut pas exister de conviction plus forte, pour mon esprit du
-moins, que celle fournie par une hypothèse qui, non-seulement<span class="pagenum"><a name="Page_92" id="Page_92">[p. 92]</a></span> concilie
-ces conditions avec une exactitude mathématique et les réduit en un
-tout consistant et intelligible, mais encore se trouve être la <i>seule</i>
-hypothèse au moyen de laquelle l'esprit humain ait jamais pu s'en
-rendre compte.</p>
-
-<p>Une opinion très-mal fondée a récemment pris cours dans le monde et
-même dans les cercles scientifiques, à savoir que ladite Théorie
-Cosmogonique avait été renversée. Cette imagination est née du compte
-rendu de certaines observations récentes faites, à l'aide du grand
-télescope de Cincinnati et du célèbre instrument de lord Rosse, dans
-ces parties du ciel qui ont été jusqu'à ce jour appelées <i>nébuleuses.</i>
-Certaines taches du firmament, qui présentaient, même dans les plus
-puissants de nos vieux télescopes, une apparence de nébulosité ou de
-brume, avaient été regardées pendant longtemps comme une confirmation
-de la théorie de Laplace. On les prenait pour des étoiles subissant
-cette condensation dont j'ai essayé de décrire les modes. Ainsi on
-supposait que nous possédions la <i>preuve oculaire</i> de la vérité de
-l'hypothèse,&mdash;preuve qui, pour le dire en passant, s'est toujours
-trouvée sujette à controverse; et quoique, de temps à autre, certains
-perfectionnements télescopiques nous permissent de voir qu'une tache,
-çà et là, que nous avions classée parmi les nébuleuses, n'était
-en réalité qu'un groupe d'étoiles tirant simplement son caractère
-nébuleux de l'immensité de la distance, toutefois on ne pensait pas
-qu'un doute pût exister relativement à la nébulosité positive d'autres
-masses nombreuses, véritables places-fortes des nébulistes, qui
-semblaient défier tout effort de ségrégation. De ces dernières, la plus
-intéressante était la grande nébuleuse dans la constellation d'Orion;
-mais celle-ci, examinée à travers les magnifiques télescopes modernes,
-se trouva résolue en une simple collection d'étoiles. Or, ce fait fut
-généralement accepté comme<span class="pagenum"><a name="Page_93" id="Page_93">[p. 93]</a></span> concluant contre l'Hypothèse Cosmique de
-Laplace; et à l'annonce des découvertes en question, le défenseur le
-plus enthousiaste, le vulgarisateur le plus éloquent de la théorie, le
-docteur Nichol, alla jusqu'à <i>admettre la nécessité d'abandonner</i> une
-idée qui avait fait la matière de son plus honorable livre.<a name="NoteRef_2_8" id="NoteRef_2_8"></a><a href="#Note_2_8" class="fnanchor">[2]</a></p>
-
-<p>Plusieurs de mes lecteurs seront sans doute portés à dire que le
-résultat de ces nouvelles investigations a au moins une forte
-<i>tendance</i> à renverser l'hypothèse, tandis que d'autres, plus
-réfléchis, insinueront seulement que, bien que la théorie ne soit
-nullement détruite par la ségrégation desdites nébuleuses, cependant
-l'impossibilité d'opérer cette ségrégation, même avec de si puissants
-instruments, aurait servi à corroborer triomphalement la théorie;
-et ces derniers seront peut-être surpris de m'entendre dire que je
-n'adopte même pas leur opinion. Si les propositions de ce discours ont
-été bien comprises, on verra qu'à mon point de vue l'impossibilité
-d'opérer la ségrégation aurait servi à réfuter plutôt qu'à confirmer
-l'Hypothèse Cosmique.</p>
-
-<p>Je m'explique:&mdash;Nous pouvons considérer comme démontrée la Loi
-newtonienne de la Gravitation. Cette loi, on s'en souvient, je l'ai
-attribuée à la réaction du premier Acte Divin,&mdash;à une réaction dans
-l'exercice de la Volition Divine, ayant à surmonter temporairement
-une difficulté. Cette difficulté, c'était de transformer forcément
-le normal en anormal,&mdash;de contraindre ce qui, dans sa<span class="pagenum"><a name="Page_94" id="Page_94">[p. 94]</a></span> condition
-originelle et légitime, était <i>Un,</i> à se soumettre à la condition
-vicieuse de <i>Pluralité.</i> C'est seulement en supposant la difficulté
-<i>temporairement</i> vaincue que nous pouvons comprendre une réaction. Il
-n'y aurait eu aucune réaction, si l'acte avait été infiniment continué.
-Tant que l'acte a duré, aucune réaction, évidemment, n'a pu commencer;
-en d'autres termes, aucune gravitation n'a pu avoir lieu;&mdash;car nous
-avons admis que l'une n'était que la manifestation de l'autre. Mais
-la gravitation a eu lieu; donc l'acte de la Création avait cessé; et,
-la gravitation s'étant manifestée depuis un long temps, il faut en
-conclure que l'acte de la Création a cessé aussi depuis un long temps.
-Nous ne pouvons donc pas espérer l'occasion d'observer les procédés
-primitifs de la Création; et la condition de nébulosité, comme nous
-l'avons expliqué, fait partie de ces procédés primitifs.</p>
-
-<p>De ce que nous savons de la marche de la lumière nous tirons la
-preuve directe que les étoiles les plus éloignées existent, sous leur
-forme actuellement visible, depuis un nombre inconcevable d'années.
-Il faut donc remonter dans le passé an <i>moins</i> jusqu'à la période
-où ces étoiles subirent la condensation, pour marquer l'époque où
-commença l'opération qui a constitué les masses. Si, d'un côté, nous
-concevons cette opération comme continuant encore dans le cas de
-certaines nébuleuses, de l'autre, nous voyons qu'en beaucoup d'autres
-cas elle est complètement finie, et c'est ce qui nous jette forcément
-dans des hypothèses pour lesquelles aucune base réelle ne nous est
-offerte;&mdash;nous sommes obligés d'imposer à la Raison révoltée l'idée
-blasphématoire d'une interposition spéciale;&mdash;de supposer que,
-dans les cas particuliers de ces nébuleuses, un Dieu infaillible a
-jugé nécessaire d'introduire certains règlements supplémentaires,
-certains perfectionnements de<span class="pagenum"><a name="Page_95" id="Page_95">[p. 95]</a></span> la loi générale, certaines retouches et
-corrections, en un mot, qui ont eu pour effet de reculer l'achèvement
-de ces étoiles particulières, pendant des siècles innombrables, au delà
-de l'ère qui avait suffi non-seulement pour parfaire la constitution
-des autres corps stellaires, mais même pour les doter d'une vieillesse
-chenue et déjà inexprimable.</p>
-
-<p>Sans doute on peut objecter immédiatement que, puisque la lumière
-grâce à laquelle nous percevons ces nébuleuses est simplement celle
-qui s'est détachée de leur surface depuis un nombre immense d'années,
-les progrès de création observés actuellement, ou que nous supposons
-observés actuellement, ne sont pas en réalité des progrès actuels, mais
-les fantômes des progrès accomplis dans un passé déjà lointain;&mdash;ce
-qui est un raisonnement absolument semblable à celui que j'ai affirmé
-relativement à tous les progrès tendant à la constitution des autres
-masses.</p>
-
-<p>A ceci je réponds-que la condition actuellement observée des corps
-condensés n'est pas non plus leur condition actuelle, mais une déjà
-obtenue dans le passé; de sorte que mon argument tiré de la condition
-<i>relative</i> des étoiles et des nébuleuses n'est en aucune manière
-infirmé. En outre, ceux qui affirment l'existence des nébuleuses ne
-placent pas la nébulosité à une extrême distance; ils déclarent que
-c'est une nébulosité réelle et non pas perspective. Si nous concevons
-qu'une masse nébuleuse puisse être, en quelque façon, visible, nous
-devons la concevoir comme placée <i>très-près de nous,</i> en comparaison
-des étoiles solidifiées que les télescopes modernes présentent à
-notre vue. Affirmer que les apparences en question sont de réelles
-nébuleuses, c'est affirmer, pour notre point de vue, leur proximité
-relative. Donc leur condition, telle qu'elle se montre maintenant
-à nous, doit être rapportée à une époque <i>bien moins éloignée</i> que
-celle à laquelle nous<span class="pagenum"><a name="Page_96" id="Page_96">[p. 96]</a></span> rapportons la condition actuellement observée
-de la majorité au moins des étoiles.&mdash;Pour finir en un mot, si
-l'Astronomie pouvait démontrer l'existence d'une <i>nébuleuse,</i> dans le
-sens qu'on donne présentement à ce terme, je considérerais la Théorie
-Cosmogonique, non pas comme fortifiée par cette démonstration, mais
-comme irréparablement renversée.</p>
-
-<p>Cependant, pour ne rendre à César que <i>juste</i> ce qui appartient à
-César, qu'il me soit permis de faire observer que l'hypothèse qui
-a conduit Laplace à un si glorieux résultat semble lui avoir été,
-en grande partie, suggérée par une fausse conception,&mdash;par cette
-même fausse conception dont nous venons de parler,&mdash;par la méprise
-générale relative au caractère des prétendues nébuleuses. Lui aussi, il
-supposait qu'elles étaient en réalité ce qu'implique leur désignation.
-Le fait est que ce grand homme avait, très-justement, une foi médiocre
-dans ses propres facultés de perception. Ainsi, relativement à
-l'existence positive des nébuleuses, existence si présomptueusement
-affirmée par les astronomes ses contemporains, il s'appuyait bien moins
-sur ce qu'il voyait que sur ce qu'il entendait dire.</p>
-
-<p>On verra que les seules objections valables qu'on puisse opposer à
-sa théorie sont celles faites à l'hypothèse prise en elle-même, à ce
-qui l'a suggérée et non à ce qu'elle suggère, aux propositions qui
-l'accompagnent plutôt qu'à ses résultats. La supposition la moins
-justifiée de Laplace consiste à donner aux atomes un mouvement vers un
-centre, malgré qu'il comprenne évidemment les atomes comme s'étendant,
-dans une succession illimitée, à travers l'espace universel. J'ai déjà
-montré qu'avec de telles données aucun mouvement n'aurait pu avoir
-lieu; ainsi Laplace pour supposer un mouvement, se place sur une<span class="pagenum"><a name="Page_97" id="Page_97">[p. 97]</a></span> base
-aussi peu philosophique qu'elle est inutile pour établir ce qu'il
-voulait établir.</p>
-
-<p>Son idée originale semble avoir été un composé des vrais atomes
-d'Épicure et des pseudo-nébuleuses de ses contemporains; et ainsi sa
-théorie se présente à nous avec la singulière anomalie d'une vérité
-absolue, déduite, comme résultat mathématique, d'une création hybride
-de l'imagination antique mariée au sens obtus moderne. La force réelle
-de Laplace consistait, en somme, dans un instinct mathématique presque
-miraculeux; c'était là-dessus qu'il s'appuyait; jamais cet instinct ne
-lui a manqué; jamais il ne l'a trompé. Dans le cas de la Cosmogonie, il
-l'a conduit, les yeux bandés, à travers un labyrinthe d'Erreur, vers un
-des plus lumineux et des plus prodigieux temples de Vérité.</p>
-
-<hr class="r5" />
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_1_7" id="Note_1_7"></a><a href="#NoteRef_1_7"><span class="label">[1]</span></a> Je suis prêt à démontrer que la révolution anormale des
-satellites d'Uranus est simplement une anomalie perspective provenant
-de l'inclinaison de l'axe de la planète. E. P.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_2_8" id="Note_2_8"></a><a href="#NoteRef_2_8"><span class="label">[2]</span></a> <i>Tableau de l'Architecture des deux.&mdash;</i>Une lettre
-attribuée au Docteur Nichol, écrivant à un ami d'Amérique, a fait
-le tour de nos journaux, il y a environ deux ans, qui admettait
-la <i>nécessité</i> à laquelle je fais allusion. Dans une <i>lecture</i>
-postérieure, M. Nichol semble toutefois avoir triomphé en quelque
-sorte de la <i>nécessité,</i> et ne renonce pas absolument à la théorie,
-bien qu'il ait l'air de s'en moquer un peu comme d'une <i>pure
-hypothèse.</i> Avant les expériences de Maskelyne, qu'était donc la Loi de
-Gravitation? Une hypothèse. Et qui mettait en question cette loi, même
-alors?</p></div>
-
-
-<hr />
-<h4>X</h4>
-
-
-<p>Imaginons, pour le moment, que l'anneau projeté le premier par le
-Soleil, c'est-à-dire l'anneau qui, en se brisant, a constitué Neptune,
-ne se soit brisé que lors de la projection de l'anneau qui a donné
-naissance à Uranus; que ce dernier anneau, de son côté, soit resté
-intact jusqu'à l'émission de celui dont est né Saturne; que ce dernier,
-à son tour, ait gardé sa forme entière jusqu'à l'émission de celui qui
-a été l'origine de Jupiter, et ainsi de suite. Imaginons, en un mot,
-qu'aucune rupture n'ait eu lieu parmi les anneaux jusqu'à la projection
-finale de celui qui a donné naissance à Mercure. Nous créons ainsi
-pour l'œil de l'esprit une série de cercles concentriques coexistants,
-et les considérant en eux-mêmes aussi bien que dans le mode suivant
-lequel, selon l'hypothèse de Laplace, ils ont<span class="pagenum"><a name="Page_98" id="Page_98">[p. 98]</a></span> été engendrés, nous
-apercevons tout d'abord une très singulière analogie entre les couches
-atomiques et le mode d'irradiation originelle tel que je l'ai décrit.
-Est-il impossible, en mesurant les forces respectives qui ont projeté
-successivement chaque cercle planétaire, c'est-à-dire en mesurant
-la force excédante successive de rotation par rapport à la force de
-gravitation, laquelle a occasionné les éruptions successives, de
-trouver l'analogie en question plus décidément confirmée? <i>Est-il
-improbable que nous découvrions que ces forces ont varié,&mdash;comme dans
-l'irradiation originelle,&mdash;proportionnellement avec les carrés des
-distances?</i></p>
-
-<p>Notre système solaire, consistant principalement en un Soleil, avec
-seize planètes à coup sûr, et peut-être un peu plus, qui roulent autour
-de lui à des distances variées, et qui sont accompagnées certainement
-de dix-sept lunes, mais très-probablement de quelques autres, doit
-être maintenant considéré comme un des types de ces agglomérations
-innombrables qui ont commencé à se produire à travers la Sphère
-Universelle, lorsque s'est retirée la Volonté Divine. Je veux dire
-que nous avons à considérer notre système solaire comme fournissant
-un cas générique de ces agglomérations, ou, plus correctement, des
-conditions ultérieures auxquelles elles sont parvenues. Si nous fixons
-notre attention sur l'idée qui a présidé au dessein du Tout-Puissant,
-à savoir <i>la plus grande somme possible de rapports</i> et la précaution
-prise pour atteindre le but avec la différence de formes dans les
-atomes originels et l'inégalité particulière de distance, nous verrons
-qu'il est impossible de supposer même une minute que deux seulement de
-ces agglomérations commençantes soient arrivées à la fin précisément
-au même résultat. Nous serons plutôt inclinés à penser qu'il n'y a
-pas dans tout l'Univers deux corps stellaires, soleils, planètes ou
-lunes, qui soient<span class="pagenum"><a name="Page_99" id="Page_99">[p. 99]</a></span> semblables dans le particulier, malgré que tous le
-soient dans le général. Encore moins pouvons-nous imaginer que deux
-assemblages de tels corps, deux systèmes quelconques, puissent avoir
-une ressemblance plus que générale<a name="NoteRef_1_9" id="NoteRef_1_9"></a><a href="#Note_1_9" class="fnanchor">[1]</a> M. Nos télescopes, sur ce point,
-confirment parfaitement nos déductions. Prenant donc notre système
-solaire comme type approchant ou général de tous les autres, nous
-sommes arrivés assez avant dans notre thème pour considérer l'Univers
-sous l'aspect d'un espace sphérique à travers lequel, disséminée avec
-une égalité purement générale, existe une certaine quantité de systèmes
-ayant entre eux une ressemblance purement générale.</p>
-
-<p>Élargissant maintenant nos conceptions, regardons chacun de ces
-systèmes comme étant en lui-même un atome, ce qu'il est en réalité,
-quand nous ne le considérons que comme une des innombrables myriades
-de systèmes qui constituent l'Univers. Les prenant donc tous pour des
-atomes colossaux, chacun étant doué de la même indestructible tendance
-à l'Unité qui caractérise les atomes réels dont il est composé, nous
-entrons tout de suite dans un ordre nouveau d'aggrégations. Les plus
-petits systèmes, placés dans le voisinage d'un plus grand, devront
-inévitablement s'en rapprocher de plus en plus. Ici il s'en rassemblera
-un millier, là un million; ici peut-être un trillion,&mdash;laissant
-ainsi autour d'eux d'incommensurables vides dans l'espace. Et si
-maintenant on demande pourquoi, dans le cas de ces systèmes, de ces
-véritables atomes<span class="pagenum"><a name="Page_100" id="Page_100">[p. 100]</a></span> titaniques (je parle simplement d'un assemblage,
-et non, comme dans le cas des atomes positifs, d'une agglomération
-plus ou moins consolidée), si on demande pourquoi je ne pousse pas ma
-suggestion jusqu'à sa conclusion légitime, pourquoi je ne décris pas
-ces assemblages de systèmes-atomes se précipitant et se consolidant
-en sphères, se condensant chacun en un magnifique soleil, je réponds
-que ce sont là de simples <i>mellonta,</i> et que je ne fais que m'arrêter
-un instant sur le seuil terrifiant du Futur. Pour le présent, nous
-appelons ces assemblages des <i>groupes,</i> et nous les voyons dans leur
-état commençant de consolidation. Leur consolidation absolue est encore
-à venir.</p>
-
-<p>Nous voici arrivés à un point d'où nous contemplons l'Univers comme
-un espace sphérique, parsemé inégalement de <i>groupes.</i> Observez
-que je préfère ici l'adverbe <i>inégalement</i> à cette phrase déjà
-employée: «avec une égalité purement générale.» Il est évident en
-fait que l'égalité de distribution diminuera en raison du progrès de
-l'agglomération, c'est-à-dire à mesure que les choses diminueront en
-nombre. Ainsi l'accroissement de l'inégalité, accroissement qui devra
-continuer jusqu'à une époque plus ou moins lointaine, où la plus grosse
-agglomération absorbera toutes les autres, ne peut être considéré que
-comme un symptôme confirmatif de la <i>tendance à l'Unité.</i></p>
-
-<p>Enfin ici il peut paraître bon de s'enquérir si les faits acquis de
-l'Astronomie confirment l'arrangement général que j'ai, par déduction,
-imposé aux mondes célestes. Or, cela est confirmé, et entièrement.
-L'observation télescopique, guidée par les lois de la perspective, nous
-permet de voir que l'Univers perceptible existe comme <i>un groupe de
-groupes irrégulièrement disposés.</i></p>
-<hr class="r5" />
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_1_9" id="Note_1_9"></a><a href="#NoteRef_1_9"><span class="label">[1]</span></a> Il n'est pas impossible que quelque perfectionnement
-imprévu d'optique nous révèle, parmi les innombrables variétés de
-systèmes, un soleil lumineux, entouré d'anneaux lumineux et non
-lumineux, en dedans, en dehors desquels, et entre lesquels roulent des
-planètes lumineuses et non lumineuses, accompagnées de lunes ayant
-leurs lunes, et même ces dernières possédant également leurs lunes
-particulières.</p>
-
-
-<hr />
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_101" id="Page_101">[p. 101]</a></span></p></div>
-
-
-
-<h4>XI</h4>
-
-
-<p>Les groupes dont est composé cet universel <i>groupe de groupes</i> sont
-simplement ce que nous avons coutume de nommer <i>nébuleuses,</i> et parmi
-ces nébuleuses il en est une qui est pour l'humanité d'un intérêt
-suprême. Je veux parler de la Galaxie ou Voie Lactée. Elle nous
-intéresse, d'abord et évidemment, en raison de sa grande supériorité,
-par son volume apparent, non-seulement sur tout autre groupe du
-firmament, mais même sur tous les autres groupes pris ensemble. Le
-plus grand de ces derniers n'occupe comparativement qu'un point dans
-l'espace et ne se laisse voir distinctement qu'à l'aide du télescope.
-La Galaxie traverse tout le ciel et se montre brillante à l'œil
-nu. Mais elle intéresse l'homme particulièrement, quoique moins
-immédiatement, en ce qu'elle fait partie de fa région où il est situé,
-de la région de fa Terre sur laquelle il vit, de la région du Soleil
-autour duquel tourne cette Terre, de la région de tout le système
-d'astres dont le « Soleil est le centre et l'astre principal, fa Terre,
-un des seize secondaires ou une des planètes, la Lune, un des dix-sept
-tertiaires ou satellites. La Galaxie, je le répète, n'est qu'un des
-groupes dont j'ai parlé, une de ces prétendues nébuleuses, qui ne se
-révèlent à nous quelquefois qu'à l'aide du télescope, et comme de
-faibles taches brumeuses dans différentes parties du ciel. Nous n'avons
-aucune raison de supposer que la Voie Lactée soit en réalité plus vaste
-que la moindre de ces nébuleuses. Sa grande supériorité de volume n'est
-qu'apparente, et vient de sa position relativement à nous, c'est-à-dire
-de notre position à nous qui en occupons le milieu. Quelque étrange que
-cette<span class="pagenum"><a name="Page_102" id="Page_102">[p. 102]</a></span> assertion puisse paraître tout d'abord à ceux qui ne sont pas
-versés dans l'Astronomie, l'astronome, lui, n'hésite pas à affirmer
-que nous sommes placés au milieu de cette inconcevable multitude
-d'étoiles, de soleils, de systèmes qui constituent la Galaxie. En
-outre, non-seulement nous avons, non-seulement notre Soleil a le droit
-de revendiquer la Galaxie comme étant son groupe spécial; mais on peut
-dire, avec une légère réserve, que toutes les étoiles distinctement
-visibles du firmament, toutes les étoiles visibles à l'œil nu, ont le
-droit de s'en réclamer également.</p>
-
-<p>Une idée bien fausse a été conçue relativement à la forme de la
-Galaxie, de laquelle il est dit, dans presque tous nos traités
-astronomiques, qu'elle ressemble à celle d'un Y capital. En réalité, le
-groupe en question a une certaine ressemblance générale, très-générale,
-avec la planète Saturne, enfermée dans son triple anneau. Au lieu du
-globe solide de cette planète, nous devons toutefois nous figurer une
-île stellaire ou collection lenticulaire d'étoiles; notre Soleil étant
-placé excentriquement, près du bord de l'île, du côté qui est le plus
-rapproché de la constellation de la Croix et le plus éloigné de celle
-de Cassiopée. L'anneau qui l'entoure, dans la partie qui avoisine notre
-position, est marqué d'une entaille longitudinale qui, en effet, lui
-donne, aperçu de notre région, l'apparence vague d'un Y capital.</p>
-
-<p>Cependant il ne faut pas que nous tombions dans cette erreur, de
-concevoir cette ceinture, peu définie d'ailleurs, comme tout à fait
-séparée, comparativement parlant, du groupe lenticulaire également
-indéfini qu'elle entoure; et ainsi, pour rendre notre explication
-plus claire, nous pouvons dire de notre Soleil qu'il est positivement
-situé sur le point de l'Y où se rencontrent les trois lignes qui le<span class="pagenum"><a name="Page_103" id="Page_103">[p. 103]</a></span>
-composent, et, nous figurant cette lettre comme douée d'une certaine
-solidité, d'une certaine épaisseur, très-minime en comparaison de sa
-longueur, nous pouvons dire que notre position est dans le milieu de
-cette épaisseur. En nous figurant que nous sommes placés ainsi, nous
-n'éprouverons plus aucune peine à nous rendre compte des phénomènes
-en question, qui sont uniquement des phénomènes de perspective. Quand
-nous regardons en haut ou en bas, c'est-à-dire quand nous jetons
-les yeux dans le sens de <i>Y épaisseur</i> de la lettre, notre regard
-rencontre un moins grand nombre d'étoiles que lorsque nous jetons les
-yeux dans le sens de sa <i>longueur,</i> ou le long d'une des trois lignes
-qui la composent. Naturellement, les étoiles, dans le premier cas,
-apparaissent comme éparpillées, et, dans le second, comme accumulées.
-Renversons, s'il vous plaît, l'explication: un habitant de la Terre
-qui regarde la Galaxie, comme nous disons ordinairement, la considère
-alors dans un des sens de sa longueur;&mdash;il regarde le long des lignes
-de l'Y; mais quand, regardant dans le Ciel général, il détourne ses
-yeux de la Galaxie, il la voit alors dans le sens de l'épaisseur de la
-lettre; et c'est pour cela que les étoiles lui semblent clair-semées,
-quoique, en réalité, elles soient aussi rapprochées, en moyenne, que
-dans la partie massive du groupe. Il n'y a pas de considération qui
-soit mieux faite pour donner une idée de l'effrayante étendue de ce
-groupe.</p>
-
-<p>Si, avec un télescope d'une profonde puissance, nous examinons
-soigneusement le firmament, nous découvrirons <i>une ceinture de
-groupes,</i> faite de ce que nous avons jusqu'à présent nommé des
-nébuleuses,&mdash;une <i>bande,</i> d'une largeur variable, s'étendant d'un
-horizon à l'autre, et coupant à angle droit la direction générale de
-la Voie Lactée. Cette bande est le dernier <i>groupe de groupes.</i> Cette<span class="pagenum"><a name="Page_104" id="Page_104">[p. 104]</a></span>
-ceinture est l'<i>Univers.</i> Notre Galaxie n'est qu'un des groupes, un des
-moindres peut-être, qui entrent dans la composition de cette suprême
-<i>bande</i> ou <i>ceinture</i> universelle. L'aspect de bande ou de ceinture,
-que prend à nos yeux ce groupe de groupes, n'est qu'un phénomène de
-perspective, analogue à celui qui nous fait aussi voir notre propre
-groupe grossièrement sphérique, la Galaxie, sous la forme d'une
-ceinture traversant les Cieux et coupant le groupe universel à angles
-droits. Naturellement la forme du groupe qui enferme tous les autres
-est, en général, celle de chaque groupe individuel qui y est contenu.
-De même que les étoiles clair-semées que nous voyons dans le Ciel
-général, quand nous détournons nos regards de la Galaxie, ne sont,
-en réalité, qu'une partie de la Galaxie elle-même, aussi intimement
-mêlées à elle qu'en aucun autre point où le télescope nous les montre
-à l'état le plus dense,&mdash;de même les nébuleuses éparpillées, que nous
-apercevons sur tous les points du firmament quand nous détournons
-nos yeux de la ceinture Universelle, doivent être considérées comme
-éparpillées seulement par la perspective et comme faisant partie
-intégrante de l'unique <i>Sphère</i> suprême et Universelle.</p>
-
-<p>Il n'y a pas d'erreur astronomique plus insoutenable, et il n'y
-en a pas qui ait obtenu une plus opiniâtre adhésion que celle qui
-consiste à se figurer l'Univers sidéral comme absolument illimité.
-Il me semble que les raisons qui nous le font croire limité, telles
-que je les ai énoncées à <i>priori,</i> sont irréfutables; mais, pour
-n'en plus parler, l'observation seule nous montre qu'il y a, dans de
-nombreuses directions autour de nous, si ce n'est dans toutes, une
-limite positive; ou, tout au moins, elle ne nous fournit aucun motif
-pour penser autrement. Si la succession des étoiles était illimitée,
-l'arrière-plan du ciel nous offrirait<span class="pagenum"><a name="Page_105" id="Page_105">[p. 105]</a></span> une luminosité uniforme, comme
-celle déployée par la Galaxie, <i>puisqu'il n'y aurait absolument aucun
-point, dans tout cet arrière-plan, où n'existât une étoile.</i> Donc, dans
-de telles conditions, la seule manière de rendre compte des <i>vides</i> que
-trouvent nos télescopes dans d'innombrables directions est de supposer
-cet arrière-plan invisible placé à une distance si prodigieuse qu'aucun
-rayon n'ait jamais pu parvenir jusqu'à nous. Qu'il en <i>puisse</i> être
-ainsi, qui oserait s'aviser de le nier? Je maintiens simplement que
-nous n'avons pas même l'ombre d'une raison pour croire qu'il en <i>est</i>
-ainsi.</p>
-
-<p>En parlant de la propension vulgaire à considérer tous les corps
-de la Terre comme tendant seulement vers le centre de la Terre, je
-faisais observer que «sauf certaines exceptions dont il serait fait
-mention plus tard, chaque corps de la Terre tendait, non-seulement
-vers le centre de la Terre, mais encore vers toute autre direction
-concevable.» Le mot <i>exceptions</i> avait trait à ces vides fréquents
-dans le Ciel, où l'examen le plus minutieux non-seulement ne découvre
-pas de corps stellaires, mais ne trouve même pas d'indices quelconques
-de leur existence. Là, des gouffres béants, plus noirs que l'Erèbe,
-nous apparaissent comme des échappées ouvertes, à travers les murs
-limitrophes de l'Univers Sidéral, sur l'Univers illimité du Vide. Or,
-tout corps existant sur la Terre est exposé, soit par son mouvement
-propre, soit par celui de la Terre, à traverser ou à longer un de ces
-vides ou abîmes cosmiques, et il est évident qu'en ce moment il cesse
-d'être attiré dans la <i>direction du Vide</i> et qu'il est conséquemment
-<i>plus lourd</i> qu'à aucune autre époque, soit avant, soit après.
-Indépendamment, toutefois, de la considération de ces vides, et ne nous
-occupant que de la distribution généralement inégale des étoiles, nous
-voyons, que la tendance absolue des<span class="pagenum"><a name="Page_106" id="Page_106">[p. 106]</a></span> corps de la Terre vers le centre de
-la Terre est dans un état de variation perpétuelle.</p>
-
-<p>Nous comprenons donc l'<i>insulation</i> de notre Univers. Nous percevons
-l'isolement de l'Univers, c'est-à-dire de <i>tout</i> ce que nos sens
-peuvent saisir. Nous savons qu'il existe un <i>groupe de groupes,</i>
-une agglomération autour de laquelle, de tous côtés, s'étend un
-incommensurable Espace désert fermé à toute perception humaine.
-Mais, parce que nous sommes obligés de nous arrêter sur les confins
-de cet Univers Sidéral, nos sens ne pouvant plus nous fournir de
-témoignage, est-il juste de conclure qu'en réalité il n'existe pas de
-point matériel au delà de celui qu'il nous a été permis d'atteindre?
-Avons-nous, ou n'avons-nous pas le droit analogique d'inférer que cet
-Univers sensible, que ce groupe de groupes, n'est qu'un morceau d'une
-<i>série</i> de groupes de groupes, dont les autres nous restent invisibles
-à cause de la distance,&mdash;soit parce que la diffusion de leur lumière,
-avant qu'elle parvienne jusqu'à nous, est si excessive qu'elle ne peut
-produire sur notre rétine aucune impression lumineuse, soit parce
-qu'il n'existe aucune espèce d'émanation lumineuse dans ces mondes
-inexprimablement distants, ou enfin parce que l'intervalle qui nous en
-sépare est si vaste que, depuis des myriades d'années écoulées, leurs
-effluves électriques n'ont pas encore pu le franchir?</p>
-
-<p>Avons-nous quelques droits à faire de telles suppositions, avons-nous
-quelque motif pour accepter de telles visions? Si nous avons ce droit
-à un degré quelconque, nous avons aussi le droit de leur donner une
-extension infinie.</p>
-
-<p>Le cerveau humain a évidemment un penchant vers l'<i>Infini</i> et caresse
-volontiers ce fantôme d'idée. Il semble aspirer vers cette conception
-impossible avec une ferveur<span class="pagenum"><a name="Page_107" id="Page_107">[p. 107]</a></span> passionnée, avec l'espérance d'y croire
-intellectuellement aussitôt qu'il l'a conçue. Ce qui est général
-parmi toute la race humaine, aucun individu n'a sans doute le droit
-de le considérer comme anormal; néanmoins, il peut exister une classe
-d'intelligences supérieures pour qui ce tour d'esprit populaire porte
-tout le caractère d'une monomanie.</p>
-
-<p>Ma question, cependant, n'a pas encore trouvé sa réponse&mdash;Avons-nous
-le droit de supposer, ou plutôt d'imaginer une succession interminable
-de <i>groupes de groupes</i> ou <i>d'Univers</i> plus ou moins semblables?</p>
-
-<p>Je réponds que le <i>droit,</i> dans un cas tel que celui-ci, dépend
-absolument de la hardiesse de l'imagination qui s'avise d'y prétendre.
-Qu'il me soit permis seulement de déclarer que je me sens, pour
-mon compte personnel, porté à <i>imaginer</i> (je n'ose pas me servir
-d'un terme plus affirmatif) qu'il existe réellement une succession
-illimitée d'Univers, plus ou moins semblables à celui dont nous
-avons connaissance, à celui-là <i>seul</i> dont nous aurons jamais
-connaissance,&mdash;du moins jusqu'au moment où notre Univers particulier
-rentrera dans l'Unité. Cependant, si de tels groupes de groupes
-existent,&mdash;et ils existent,&mdash;il est suffisamment clair que, n'ayant
-pas de participation dans notre origine, ils ne participent pas à
-nos lois. Ils ne nous attirent pas et nous ne les attirons pas. Leur
-matière, leur esprit ne sont pas les nôtres, ne sont pas ce qui
-agit, influe dans une partie quelconque de notre Univers. Ils ne
-pourraient impressionner ni nos sens ni nos âmes. Entre eux et nous,
-les considérant tous pour un moment collectivement, il n'y a pas
-d'influences communes. Chacun existe, à part et indépendant, <i>dans le
-sein de son Dieu propre et particulier.</i></p>
-
-
-<hr />
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_108" id="Page_108">[p. 108]</a></span></p>
-
-
-
-<h4>XII</h4>
-
-
-<p>Dans la conduite de ce Discours, je vise moins à l'ordre physique qu'au
-métaphysique. La clarté avec laquelle les phénomènes, même matériels,
-sont présentés à l'intelligence dépend très-peu, il y a longtemps que
-j'en ai acquis l'expérience, d'un arrangement purement naturel, et
-naît presque entièrement de l'arrangement moral. Si donc j'ai l'air
-de m'abandonner à des digressions et de sauter trop vite d'un point
-à un autre de mon sujet, qu'il me soit permis de dire qu'en faisant
-ainsi j'ai l'espoir de mieux conserver, sans la rompre, cette chaîne
-d'impressions graduées, par laquelle seule l'intelligence de l'Homme
-peut embrasser les grandeurs dont je parle et les comprendre dans leur
-majestueuse totalité.</p>
-
-<p>Jusqu'à présent, notre attention s'est dirigée presque exclusivement
-vers un groupement général et relatif des corps stellaires dans
-l'espace. De spécification, nous n'en avons fait que très-peu; et les
-quelques idées relatives à la <i>quantité,</i> c'est-à-dire au nombre, à
-la grandeur et à la distance, que nous avons émises, ont été amenées
-accessoirement et en manière de préparation pour des conceptions plus
-définitives. Essayons maintenant d'atteindre à ces dernières.</p>
-
-<p>Notre système solaire, comme nous l'avons déjà dit, consiste
-principalement en un soleil et seize planètes au moins, auxquelles,
-très-probablement, s'ajoutent quelques autres, qui tournent autour de
-lui comme centre, accompagnées de dix-sept lunes connues et peut-être
-de quelques autres que nous ne connaissons pas encore. Ces divers corps
-ne sont pas de véritables sphères, mais des<span class="pagenum"><a name="Page_109" id="Page_109">[p. 109]</a></span> sphéroïdes aplatis, des
-sphères comprimées dans la région des pôles de l'axe imaginaire autour
-duquel elles tournent, l'aplatissement étant une conséquence de la
-rotation. Le Soleil n'est pas absolument le centre du système; carie
-Soleil lui-même, avec toutes les planètes, roule autour d'un point
-de l'espace perpétuellement variable, qui est le centre général de
-gravité du système. Nous ne devons pas non plus considérer les lignes
-sur lesquelles se meuvent ces différents sphéroïdes,&mdash;les lunes autour
-des planâtes, les planètes autour du Soleil, ou le Soleil autour du
-centre commun,&mdash;comme des cercles dans le sens exact du mot. Ce sont,
-en réalité, des <i>ellipses, l'un des foyers étant le point autour
-duquel se fait la révolution.</i> Une ellipse est une courbe retournant
-sur elle-même, qui a un de ses diamètres plus long que l'autre. Sur le
-diamètre le plus long sont deux points, également distants du milieu
-de la ligne, et, d'ailleurs, situés de telle façon que si, à partir
-de chacun d'eux, on tire une ligne droite vers un point quelconque de
-la courbe, la somme des deux lignes réunies sera égale au plus grand
-des diamètres. Concevons donc une ellipse de cette nature. A l'un des
-points en question, qui sont les <i>foyers,</i> fixons une orange. Par un
-fil élastique unissons cette orange à un pois, et plaçons ce dernier
-sur la circonférence de l'ellipse. Le fil élastique, naturellement,
-varie en longueur à mesure que nous faisons mouvoir le pois, et forme
-ce que nous appelons en géométrie un <i>radius vector.</i> Or, si l'orange
-est prise pour le Soleil et le pois pour une planète tournant autour
-de lui, la révolution devra se faire avec une vitesse variable plus
-ou moins grande, mais telle que le <i>radius vector</i> franchira des
-aires <i>égales en temps égaux.</i> La marche du pois <i>sera</i> donc ou, en
-d'autres termes, la marche de la planète <i>est</i> lente à proportion
-de son éloignement du Soleil, rapide à proportion de sa<span class="pagenum"><a name="Page_110" id="Page_110">[p. 110]</a></span> proximité.
-Ces planètes, en outre, se meuvent d'autant plus lentement qu'elles
-sont situées plus loin du Soleil, <i>les carrés de leurs périodes de
-révolution étant entre eux dans la même proportion que les cubes de
-leurs distances moyennes du Soleil.</i></p>
-
-<p>On comprend que les lois terriblement complexes de révolution que
-nous décrivons ici ne règnent pas seulement dans notre système.
-Elles dominent partout où domine l'Attraction. Elles régissent
-l'Univers. Chaque point brillant du firmament est sans doute un Soleil
-lumineux, ressemblant au nôtre, au moins dans son caractère général,
-et accompagné d'une plus ou moins grande quantité de planètes plus
-ou moins grosses, dont la luminosité encore attardée ne peut pas se
-manifester à nous à une si grande distance, mais qui, néanmoins,
-roulent, escortées de leurs lunes, autour de leurs centres sidéraux,
-obéissant aux principes que nous avons constatés, obéissant aux trois
-lois absolues de révolution, aux trois immortelles lois devinées par
-l'esprit imaginatif de Kepler et subséquemment expliquées et démontrées
-par l'esprit patient et mathématique de Newton. Dans une certaine
-tribu de philosophes, qui font vanité de ne s'appuyer que sur les
-faits positifs, il est beaucoup trop à la mode de se moquer de toute
-spéculation et de la flétrir de la vague et élastique appellation
-<i>d'œuvre conjecturale.</i> La valeur de celui qui conjecture, tel est
-le point à examiner. En conjecturant de temps à autre avec Platon,
-nous dépenserons notre temps avec plus d'utilité qu'en écoutant une
-démonstration d'Alcmæon.</p>
-
-<p>Dans maint ouvrage d'astronomie, je vois qu'il est nettement établi que
-les lois de Kepler sont la <i>base</i> du grand principe de la Gravitation.
-Cette idée a dû naître de ce fait, que la divination de ces lois par
-Kepler et sa démonstration postérieure de leur existence positive ont<span class="pagenum"><a name="Page_111" id="Page_111">[p. 111]</a></span>
-poussé Newton à les expliquer par l'hypothèse de la Gravitation et,
-finalement, à les démontrer à <i>priori,</i> comme conséquences nécessaires
-du principe hypothétique. Ainsi, bien loin d'être la base de la
-Gravitation, les lois de Kepler ont la Gravitation pour base, et il en
-est de même, d'ailleurs, de toutes les lois de l'Univers matériel qui
-ne se rapportent pas uniquement à la Répulsion.</p>
-
-<p>La distance moyenne de la Terre à la Lune, c'est-à-dire la distance qui
-nous sépare du corps céleste le plus voisin de nous, est de 237,000
-milles. Mercure, la planète la plus proche du Soleil, est éloignée de
-lui de 37 millions de milles. Vénus, qui vient après, tourne à une
-distance de 68 millions de milles; la Terre, à son tour, à une distance
-de 95 millions; Mars, à la distance de 144 millions. Puis viennent
-les huit astéroïdes (Cérès, Junon, Vesta, Pallas, Astrée, Flore,
-Iris et Hébé), à une distance moyenne d'environ 250 millions. Puis
-nous trouvons Jupiter, distant de 490 millions; puis Saturne, de 900
-millions; puis Uranus, de 1,900 millions; finalement Neptune, récemment
-découvert et tournant à une distance de 2,800 millions. Laissant
-Neptune de côté, sur qui nous n'avons pas jusqu'à présent des documents
-très-exacts, et qui est peut-être une planète appartenant à un système
-d'Astéroïdes, on peut voir que, dans de certaines limites, il existe
-entre les planètes un ordre d'intervalles. Pour parler d'une manière
-approximative, nous pouvons dire que chaque planète est, relativement
-au Soleil, située à une distance double de celle qui la précède.
-<i>L'ordre</i> en question, que nous exposons ici,&mdash;<i>la loi de Bode</i>,&mdash;ne
-pourrait-il pas être déduit de l'examen de l'analogie existant, ainsi
-que je l'ai suggéré, entre la décharge solaire des anneaux et le mode
-de l'irradiation atomique?</p>
-
-<p>Quant aux nombres cités à la hâte dans cette table sommaire des
-distances, il y aurait folie à essayer de les<span class="pagenum"><a name="Page_112" id="Page_112">[p. 112]</a></span> comprendre, excepté
-au-point de vue des faits arithmétiques abstraits. Ces nombres ne
-sont pas pratiquement appréciables, lis ne comportent pas d'idées
-précises. J'ai dit que Neptune, la planète la plus éloignée, tournait
-autour du Soleil ù une distance de 2,800 millions de milles. Jusqu'ici
-rien de mieux; j'ai établi un fait mathématique; et, sans comprendre
-ce fait le moins du monde, nous pouvons le poser pour nous en servir
-mathématiquement. Mais même en indiquant que la Lune tourne autour de
-la Terre à la distance comparativement mesquine de 237,000 milles, je
-n'ai nullement l'espérance de faire comprendre à qui que ce soit,&mdash;de
-lui faire apprécier,&mdash;de lui faire sentir à quelle distance U Lune se
-trouve positivement de la Terre. 237,000 milles! Parmi mes lecteurs, il
-y en a peut-être bien peu qui n'aient pas traversé l'Océan Atlantique;
-et, cependant, combien d'entre eux ont une idée distincte même des
-3,000 milles qui séparent les deux rivages? Je doute, en vérité, qu'il
-existe un homme qui puisse faire entrer dans son cerveau la plus vague
-conception de l'intervalle compris entre une borne milliaire et sa
-plus proche voisine. Cependant, nous trouvons quelque facilité pour
-apprécier la distance en combinant l'idée de l'espace avec l'idée de
-vélocité qui la suit naturellement. Le son parcourt un espace de I,100
-pieds en une seconde. Or, s'il était possible à un habitant de la Terre
-de voir l'éclair d'un coup de canon tiré dans la Lune et d'en entendre
-la détonation, il lui faudrait attendre treize jours entiers, à partir
-du moment où il aurait aperçu le premier, pour recevoir un indice de la
-seconde.</p>
-
-<p>Quelque faible que soit l'appréciation obtenue par ce moyen de la
-réelle distance de la Lune à la Terre, elle aura néanmoins cette
-utilité de nous faire mieux comprendre la folie de vouloir saisir par
-la pensée des distances telles que<span class="pagenum"><a name="Page_113" id="Page_113">[p. 113]</a></span> les 2,800 millions de milles qui
-séparent Neptune de notre Soleil; ou même les 95 millions de milles
-compris entre le Soleil et la Terre que nous habitons. Un boulet de
-canon, se mouvant avec la rapidité la plus grande qui ait jamais
-été communiquée à un boulet, ne pourrait pas traverser ce dernier
-intervalle en moins de 20 ans; pour le premier espace, il faudrait 590
-ans.</p>
-
-<p>Le diamètre réel de notre Lune est de 2,160 milles; cependant, elle
-est un objet comparativement si petit qu'il faudrait environ cinquante
-globes semblables pour en composer un aussi gros que la Terre.</p>
-
-<p>Le diamètre de notre propre globe est de 7,912 milles;&mdash;mais de
-renonciation de ces nombres quelle idée positive prétendons-nous tirer?</p>
-
-<p>Si nous montons au sommet d'une montagne ordinaire et si nous regardons
-autour de nous, nous apercevons un paysage qui s'étend à 40 milles dans
-toutes les directions, formant un cercle de 250 milles de circonférence
-et enfermant un espace de 5,000 milles carrés. Mais comme les portions
-d'une semblable perspective ne se présentent nécessairement à notre
-vue que l'une après l'autre, nous n'en pouvons apprécier l'étendue
-que faiblement et partiellement; cependant le panorama tout entier
-ne représente que la quarante millième partie de la surface de notre
-globe. Si à ce panorama succédait, au bout d'une heure, un autre
-panorama d'égale étendue; à ce second, au bout d'une heure, un
-troisième; à ce troisième, au bout d'une heure, un quatrième, et ainsi
-de suite, jusqu'à ce que tous les décors de la Terre fussent épuisés,
-et si nous étions invités à examiner ces divers panoramas pendant
-douze heures par jour, il ne nous faudrait pas moins de neuf ans et
-quarante-huit jours pour achever l'examen de la collection.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_114" id="Page_114">[p. 114]</a></span></p>
-
-<p>Mais si la simple surface de la Terre se refuse à l'étreinte de notre
-imagination, que penserons-nous de sa contenance évaluée par cubes?
-Elle embrasse une masse de matière équivalente au moins à un poids de
-deux undécillions et deux cents nonillions de tonnes. Supposons cette
-masse à l'état de repos, et essayons de concevoir une force mécanique
-suffisante pour la mettre en mouvement! La force de toutes les myriades
-d'êtres dont notre imagination peut peupler les mondes planétaires
-de notre système, la force physique combinée de tous ces êtres, même
-en les supposant plus puissants que l'homme, ne pourrait réussir à
-déplacer d'un seul pouce cette masse prodigieuse.</p>
-
-<p>Que devons-nous donc penser de la force nécessaire, dans de semblables
-conditions, pour remuer la plus grosse de nos planètes, Jupiter?
-Elle a un diamètre de 86,000 milles, et pourrait contenir dans sa
-périphérie plus de mille globes de la grandeur du nôtre. Cependant ce
-corps monstrueux vole positivement autour du Soleil avec une vitesse
-de 29,000 milles par heure, c'est-à-dire avec une rapidité quarante
-fois plus grande que celle d'un boulet de canon! On ne peut même pas
-dire que l'idée d'un tel phénomène fait tressaillir l'esprit, elle
-l'épouvante, elle le paralyse. Nous avons plus d'une fois occupé notre
-imagination à nous peindre les facultés d'un ange. Figurons-nous,
-à une distance d'environ 100 milles de Jupiter, un pareil être,
-assistant ainsi, témoin oculaire très rapproché, à la révolution
-annuelle de cette planète. Or, pouvons-nous, je le demande, nous faire
-une idée assez haute, assez immense de la puissance spirituelle de
-cet être idéal pour concevoir qu'à la vue de cette incommensurable
-masse, pirouettant juste sous ses yeux avec une vélocité tellement
-inexprimable, l'ange lui-même, si angélique qu'il soit, puisse ne pas
-être écrasé, anéanti?</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_115" id="Page_115">[p. 115]</a></span></p>
-
-<p>Ici, toutefois, il me paraît bon de faire observer qu'en réalité nous
-n'avons encore parlé que d'objets comparativement insignifiants. Notre
-Soleil, l'astre central et dirigeant du système auquel appartient
-Jupiter, est non-seulement plus gros que Jupiter, mais aussi beaucoup
-plus gros que toutes les planètes du système prises ensemble. Ce fait
-est vraiment une condition essentielle de la stabilité du système
-lui-même. Le diamètre de Jupiter est, avons-nous dit, de 86,000 milles!
-Celui du Soleil est de 882,000 milles. Un habitant de ce dernier,
-parcourant 90 milles par jour, mettrait plus de 80 ans à faire le
-tour de sa plus grande circonférence. Il occupe un espace cubique de
-681 septillions et 472 quintillions de milles. La Lune, ainsi qu'il
-a été établi, tourne autour de la Terre, à une distance de 237,000
-milles, sur une orbite qui est conséquemment de près d'un million et
-demi de milles. Or, si le Soleil était placé sur la Terre, les deux
-centres coïncidant, le volume du Soleil s'étendrait, en tout sens,
-non-seulement jusqu'à l'orbite de la Lune, mais encore à une distance
-de 200,000 milles au delà.</p>
-
-<p>Et ici, une fois encore, observons que nous n'avons, jusqu'à présent,
-parlé que de bagatelles. On a évalué la distance qui sépare Neptune
-du Soleil; elle est de 2,800 millions de milles; la circonférence
-de son orbite est donc de 17 trillions environ. Gardons d'oublier
-cela quand nous portons nos regards sur quelqu'une des étoiles les
-plus brillantes. Entre cette étoile et l'astre central de notre
-système, le Soleil, il y a un gouffre d'espace tel que, pour en donner
-l'idée, il faudrait la langue d'un archange. Donc, l'étoile que nous
-regardons est un être aussi séparé que possible de <i>notre</i> système,
-de <i>notre</i> Soleil, ou, si l'on veut, de <i>notre</i> étoile; cependant,
-supposons-la un moment placée sur notre Soleil, le centre de l'une
-coïncidant avec celui de<span class="pagenum"><a name="Page_116" id="Page_116">[p. 116]</a></span> l'autre, de même que nous avons supposé le
-Soleil lui-même placé sur la Terre. Figurons-nous maintenant l'étoile
-particulière que nous avons choisie s'étendant, dans tous les sens,
-au delà de l'orbite de Mercure,&mdash;de Vénus,&mdash;de la Terre,&mdash;et puis
-au delà de l'orbite de Mars,&mdash;de Jupiter,&mdash;d'Uranus, jusqu'à ce que,
-finalement, notre imagination ait rempli le cercle de 17 trillions
-de milles de circonférence, que décrit dans sa révolution la planète
-de Leverrier. En admettant que nous soyons parvenus à concevoir tant
-d'énormité, nous n'aurions pas créé une idée extravagante. Nous avons
-les meilleures raisons pour croire qu'il y a bien des étoiles beaucoup
-plus grosses que celle que nous avons supposée. Je veux dire que pour
-une telle croyance nous possédons la meilleure base expérimentale; et
-qu'en reportant notre regard vers la disposition atomique originelle,
-ayant pour but la <i>diversité,</i> que nous avons considérée comme étant
-une partie du plan divin dans la constitution de l'Univers, il nous
-deviendra facile de comprendre et d'admettre des disproportions, dans
-la grosseur des corps célestes, infiniment plus vastes qu'aucune de
-celles dont j'ai parlé jusqu'à présent. Naturellement nous devons nous
-attendre à trouver les corps les plus gros roulant à travers les vides
-les plus grands de l'Espace.</p>
-
-<p>Je disais tout à l'heure que, pour nous donner une idée juste de
-l'intervalle qui sépare notre Soleil d'une quelconque des autres
-étoiles, il faudrait l'éloquence d'un archange. En parlant ainsi, je ne
-puis pas être accusé d'exagération; car c'est la vérité pure qu'en de
-certains sujets il n'est pas possible d'exagérer. Mais tâchons de poser
-la matière plus distinctement sous les yeux de l'esprit.</p>
-
-<p>D'abord nous pouvons atteindre une conception générale,<span class="pagenum"><a name="Page_117" id="Page_117">[p. 117]</a></span> <i>relative,</i>
-de l'intervalle en question, en le comparant avec les espaces
-interplanétaires connus. Supposons, par exemple, que la Terre qui est,
-en réalité, à 95 millions de milles du Soleil, ne soit distante de ce
-flambeau que <i>d'un pied</i> seulement; Neptune se trouverait alors à une
-distance de <i>quarante</i> pieds; et l'étoile Alpha Lyrse à une distance de
-<i>cent cinquante-neuf</i> au moins.</p>
-
-<p>Or, je présume que peu de mes lecteurs ont remarqué, dans la conclusion
-de ma dernière phrase, quelque chose de spécialement inadmissible, de
-particulièrement faux. J'ai dit que la distance de la Terre au Soleil
-étant supposée d'un <i>pied,</i> la distance de Neptune serait de quarante
-pieds, et celle d'Alpha Lyrse de cent cinquante-neuf. La proportion
-entre un pied et cent cinquante-neuf a peut-être semblé suffisante
-pour donner une impression distincte de la proportion entre les deux
-distances, celle de la Terre au Soleil et celle d'Alpha Lyrse au même
-astre. Mais mon calcul, en réalité, aurait dû se formuler ainsi: En
-supposant que la distance de la Terre au Soleil soit d'un pied, la
-distance de Neptune serait de quarante pieds, et celle d'Alpha Lyrse
-de cent cinquante-neuf... <i>milles;</i> c'est-à-dire que, dans mon premier
-calcul, je n'ai assigné à Alpha Lyrse que la cinq mille deux cent
-quatre-vingtième partie de la distance qui est la plus petite possible
-où cette étoile puisse être réellement située.</p>
-
-<p>Poursuivons.&mdash;A quelque distance que soit une simple <i>planète,</i>
-cependant, quand nous l'examinons à travers un télescope, nous la
-voyons sous une certaine forme, nous la trouvons d'une certaine
-grosseur appréciable. Or, j'ai déjà dit quelques mots de la grosseur
-probable de plusieurs étoiles; néanmoins, quand nous en examinons une
-quelconque, même à travers le télescope le plus puissant, elle se
-présente à nous sans aucune forme, et, conséquem<span class="pagenum"><a name="Page_118" id="Page_118">[p. 118]</a></span>ment, sans aucune
-dimension. Nous la voyons comme un point, et rien de plus.</p>
-
-<p>Maintenant, supposons que nous voyagions la nuit, sur une grande route.
-Dans un champ, d'un des côtés de la route, se trouve une file de vastes
-objets de toute dimension, d'arbres, par exemple, dont la figure se
-détache distinctement sur le fond du ciel. Cette ligne s'étend à angle
-droit de la route jusqu'à l'horizon. Or, à mesure que nous avançons
-le long de la route, nous voyons ces arbres changer leurs positions
-respectives relativement à un certain point fixe dans cette partie
-du firmament qui forme le fond du tableau. Supposons que ce point
-fixe,&mdash;suffisamment fixe pour notre démonstration,&mdash;soit la lune
-qui se lève. Nous voyons tout d'abord que, pendant que l'arbre le
-plus proche de nous change de position relativement à la lune, et si
-fortement qu'il a l'air de fuir derrière nous, l'arbre qui est à la
-distance extrême n'a pour ainsi dire pas bougé de la place qu'il occupe
-relativement au satellite. Nous continuons à observer que plus les
-objets sont éloignés de nous, moins ils s'éloignent de leur position,
-et réciproquement. Nous commençons alors, à notre insu, à apprécier la
-distance de chaque arbre par la plus ou moins grande altération de sa
-position relative. Finalement nous arrivons à comprendre comment on
-pourrait vérifier la distance positive d'un arbre quelconque de cette
-rangée en se servant de la quantité d'altération relative comme d'une
-base dans un simple problème géométrique. Or, cette altération relative
-est ce que nous appelons parallaxe; et c'est par la parallaxe que nous
-calculons les distances des corps célestes. Appliquant le principe aux
-arbres en question, nous serions naturellement fort embarrassés pour
-calculer la distance <i>d'un</i> arbre, qui, si loin que nous nous avancions
-sur la route ne nous donnerait aucune parallaxe.<span class="pagenum"><a name="Page_119" id="Page_119">[p. 119]</a></span> Ceci, dans l'exemple
-que nous avons supposé, est une chose impossible; impossible simplement
-parce que toutes les distances sur notre Terre sont véritablement
-insignifiantes; si nous les comparons avec les vastes quantités
-cosmiques, nous pouvons dire qu'elles se réduisent absolument à néant.</p>
-
-<p>Or, supposons que l'étoile Alpha Lyræ soit juste au-dessus de nos
-têtes et imaginons qu'au lieu d'être sur la Terre, nous soyons placés à
-l'un des bouts d'une ligne droite s'étendant à travers l'espace jusqu'à
-une distance égale au diamètre de l'orbite de la Terre, c'est-à-dire
-une distance de cent quatre-vingt-dix millions de milles. Ayant
-observé, au moyen des instruments micrométriques les plus délicats, la
-position exacte de l'étoile, marchons le long de cette inconcevable
-route, jusqu'à ce que nous ayons atteint l'autre extrémité. Ici,
-examinons une seconde fois l'étoile. Elle est précisément où nous
-l'avons laissée. Nos instruments, si délicats qu'ils soient, nous
-affirment que sa position relative est absolument, identiquement la
-même qu'au commencement de notre incommensurable voyage. Nous n'avons
-trouvé aucune parallaxe, absolument aucune.</p>
-
-<p>Le fait est que, relativement à la distance des étoiles fixes, d'un
-quelconque de ces innombrables soleils qui scintillent de l'autre
-côté de ce terrible abîme par lequel notre système est séparé des
-systèmes ses frères, dans le groupe auquel il appartient, la science
-astronomique jusqu'à ces derniers temps n'a pu parler qu'avec une
-certitude négative. Considérant les plus brillantes comme les plus
-rapprochées, nous pouvions seulement dire, même de celles-là, que la
-limite en dedans de laquelle elles ne peuvent pas être situées, est à
-une certaine distance incommensurable;&mdash;à quelle distance au delà de
-cette limite<span class="pagenum"><a name="Page_120" id="Page_120">[p. 120]</a></span> sont-elles situées, nous n'avions jamais pu le calculer.
-Nous comprenions, par exemple, qu'Alpha Lyræ ne peut pas être à une
-distance moindre de dix-neuf quintillions et deux cents trillions de
-milles; mais, de tout ce que nous savions et de tout ce que nous savons
-maintenant, nous pouvons induire qu'il est peut-être à la distance
-représentée par le carré, le cube, ou toute autre puissance du nombre
-précité. Cependant, au moyen d'observations singulièrement sagaces
-et minutieuses, continuées avec des instruments nouveaux pendant
-plusieurs laborieuses années, Bessel, qui est mort récemment, avait
-dans les derniers temps réussi à déterminer la distance de six ou
-sept étoiles; entre autres celle qui est désignée par le chiffre 61
-dans la constellation du Cygne. La distance calculée dans ce dernier
-cas est six cent soixante-dix mille fois plus grande que celle du
-Soleil; laquelle, il est bon de le rappeler, est de quatre-vingt-quinze
-millions de milles. L'étoile 61 du Cygne est donc éloignée de nous de
-presque soixante-quatre quintillions de milles, ou de plus de trois
-fois la distance la plus petite possible attribuée à Alpha Lyræ.</p>
-
-<p>Si nous essayons d'apprécier cette distance à l'aide de considérations
-tirées de la vitesse, comme nous avons fait pour apprécier la distance
-de la Lune, il nous faut perdre absolument de vue des vitesses aussi
-insignifiantes que celles du boulet de canon ou du son. La lumière,
-toutefois, suivant les derniers calculs de Struve, marche avec une
-vitesse de cent soixante-sept mille milles par seconde. La pensée
-elle-même ne pourrait pas franchir cet intervalle plus rapidement, en
-supposant que la pensée puisse même le parcourir. Or, malgré cette
-inconcevable vélocité, la lumière, pour venir de l'étoile 61 du Cygne
-jusqu'à nous, a besoin de plus de <i>dix ans;</i> et conséquemment, si cette
-étoile était en ce moment effacée de l'Univers, elle continuerait
-encore<span class="pagenum"><a name="Page_121" id="Page_121">[p. 121]</a></span> pendant dix ans à briller pour nous et à verser à nos yeux sa
-gloire paradoxale.</p>
-
-<p>Tout en gardant présente à l'esprit la conception, si faible qu'elle
-soit, que nous avons pu nous faire de l'intervalle qui sépare
-notre Soleil de l'étoile 61 du Cygne, souvenons-nous aussi que cet
-intervalle, quoique inexprimablement vaste, peut être considéré
-comme la simple distance <i>moyenne</i> entre les innombrables multitudes
-d'étoiles composant le groupe, ou nébuleuse, auquel appartient notre
-système, ainsi que l'étoile 61 du Cygne. En vérité, j'établis le
-calcul avec une grande modération; nous avons d'excellentes raisons
-pour croire que l'étoile 61 du Cygne est l'une des étoiles les plus
-rapprochées, et pour en conclure que sa distance, relativement à
-nous, est moindre que la distance moyenne d'étoile à étoile dans le
-magnifique groupe de la Voie Lactée.</p>
-
-<p>Et ici, une fois encore et définitivement, il me semble bon d'observer
-que jusqu'à présent nous n'avons parlé que de quantités insignifiantes.
-Cessons de nous émerveiller de l'espace qui sépare les étoiles dans
-notre propre groupe ou dans tout autre groupe particulier; tournons
-plutôt nos pensées vers les espaces qui séparent les groupes eux-mêmes
-dans le groupe omnicompréhensif de l'Univers.</p>
-
-<p>J'ai déjà dit que la lumière marche avec une vitesse de cent
-soixante-sept mille milles par seconde, c'est-à-dire de dix millions
-de milles par minute, ou d'environ six cent millions de milles
-par heure;&mdash;et cependant il est des nébuleuses qui sont tellement
-éloignées de nous que la lumière de ces mystérieuses régions, quoique
-marchant avec une telle vélocité, ne peut pas arriver jusqu'ici en
-moins de <i>trois millions d'années.</i> Ce calcul, d'ailleurs, a été fait
-par Herschell l'aîné, et n'a trait qu'à ces groupes comparativement
-rapprochés qui se trouvaient à la portée<span class="pagenum"><a name="Page_122" id="Page_122">[p. 122]</a></span> de son propre télescope. Mais
-il y a des nébuleuses, qui, par le tube magique de lord Rosse, nous
-communiquent en cet instant même l'écho des secrets qui datent <i>d'un
-million de siècles.</i> En un mot les phénomènes que nous contemplons en
-ce moment, dans ces mondes lointains, sont les mêmes phénomènes qui
-intéressaient leurs habitants il y a <i>dix fois cent mille siècles.</i>
-Dans des intervalles, dans des distances, tels que cette suggestion
-en impose à notre <i>âme,&mdash;</i>plutôt qu'à notre esprit,&mdash;nous trouvons
-enfin une échelle convenable où toutes nos mesquines considérations
-antérieures de <i>quantité</i> peuvent figurer comme de simples degrés.</p>
-
-
-<hr />
-<h4>XIII</h4>
-
-
-<p>L'imagination ainsi pleine de distances cosmiques, profitons de
-l'occasion pour parler de la difficulté que nous avons si souvent
-éprouvée, quand nous poursuivions le <i>chemin battu</i> de la pensée
-astronomique, à rendre compte de ces vides incommensurables,&mdash;à
-expliquer pourquoi des gouffres, si totalement inoccupés et si
-inutiles en apparence, se sont produits entre les étoiles,&mdash;entre
-les groupes,&mdash;bref, à trouver une raison suffisante de l'échelle
-titanique, sur laquelle, quant à l'espace seulement, l'Univers paraît
-avoir été construit. J'affirme que l'Astronomie a fait visiblement
-défaut dans cette question et n'a pas su attribuer à ce phénomène
-une cause rationnelle;&mdash;mais les considérations qui, dans cet Essai,
-nous ont conduit pas à pas, nous permettent de comprendre clairement
-et immédiatement que <i>l'Espace et la Durée ne sont qu'un.</i> Pour que
-l'Univers pût durer pendant une ère proportionnée à la grandeur
-de ses parties matérielles constitutives et à la haute majesté de
-ses destinées spirituelles,<span class="pagenum"><a name="Page_123" id="Page_123">[p. 123]</a></span> il était nécessaire que la diffusion
-atomique originelle se fît dans une étendue aussi prodigieusement
-vaste qu'elle pouvait l'être sans être infinie. Il fallait, en un
-mot, que les étoiles passassent de l'état de nébulosité invisible à
-l'état de solidité visible, et vieillissent en donnant successivement
-la naissance et la mort à des variétés inexprimablement nombreuses et
-complexes du développement de la vitalité;&mdash;il fallait que les étoiles
-accomplissent tout cela, trouvassent le temps suffisant pour accomplir
-toutes ces intentions divines, <i>durant la période</i> dans laquelle toutes
-choses vont effectuant leur retour vers l'Unité avec une vélocité
-qui progresse en raison inverse des carrés des distances, au bout
-desquelles est placé l'inévitable But.</p>
-
-<p>Grâce à toutes ces considérations, nous n'avons aucune peine à
-comprendre l'absolue exactitude de <i>l'appropriation</i> divine. La densité
-respective des étoiles augmente, naturellement, à mesure que leur
-condensation diminue: la condensation et l'hétérogénéité marchent
-de pair; et par cette dernière, qui est l'indice de la première,
-nous pouvons estimer le développement vital et spirituel. Ainsi, par
-la densité des globes, nous obtenons la mesure dans laquelle leurs
-destinées sont remplies. A mesure qu'augmente la densité et que
-s'accomplissent les intentions divines, à mesure que diminue ce qui
-reste à accomplir, nous voyons augmenter, dans la même proportion,
-la vitesse qui précipite les choses vers la Fin. Et ainsi l'esprit
-philosophique comprendra sans peine que les intentions divines,
-dans la constitution des étoiles, avancent mathématiquement vers
-leur accomplissement;&mdash;il comprendra plus encore; il donnera à ce
-progrès une expression mathématique; il affirmera que ce progrès est
-en proportion inverse des carrés des distances où toutes les choses
-créées<span class="pagenum"><a name="Page_124" id="Page_124">[p. 124]</a></span> se trouvent relativement à ce qui est à la fois le point de
-départ et le but de leur création.</p>
-
-<p>Non-seulement cette appropriation de Dieu est mathématiquement exacte,
-mais il y a en elle une estampille divine, qui la distingue de tous
-les ouvrages de construction purement humaine. Je veux parler de la
-complète <i>réciprocité</i> d'appropriation. Ainsi dans les constructions
-humaines une cause particulière engendre un effet particulier; une
-intention particulière amène un résultat particulier; mais c'est
-tout; nous ne voyons pas de réciprocité. L'effet ne réagit pas sur la
-cause; l'intention ne change pas son rapport avec l'objet. Dans les
-combinaisons de Dieu, l'objet est tour à tour dessein ou objet, selon
-la façon dont il nous plaît de le regarder, et nous pouvons prendre
-en tout temps une cause pour un effet, et réciproquement, de sorte
-que nous ne pouvons jamais, d'une manière absolue, distinguer l'un de
-l'autre.</p>
-
-<p>Prenons un exemple. Dans les climats polaires, la machine humaine, pour
-maintenir sa chaleur animale, et pour la combustion dans le système
-capillaire, réclame une abondante provision de nourriture fortement
-azotée, telle que l'huile de poisson. D'autre part, nous voyons que
-dans les climats polaires l'huile des nombreux phoques et baleines
-est presque la seule nourriture que la nature fournisse à l'homme. Et
-maintenant dirons-nous que l'huile est mise à la portée de l'homme
-parce qu'elle est impérieusement réclamée, ou dirons-nous qu'elle
-est la seule chose réclamée parce qu'elle est la seule qu'il puisse
-obtenir? Il est impossible de décider la question. Il y a là une
-absolue <i>réciprocité d'appropriation.</i></p>
-
-<p>Le plaisir que nous tirons de toute manifestation du génie humain
-est en raison du plus ou moins de <i>ressemblance</i> avec cette espèce
-de réciprocité. Ainsi, dans la<span class="pagenum"><a name="Page_125" id="Page_125">[p. 125]</a></span> construction du plan d'une fiction
-littéraire, nous devrions nous efforcer d'arranger les incidents de
-telle façon qu'il fût impossible de déterminer si un quelconque d'entre
-eux dépend d'un autre quelconque ou lui sert d'appui. Prise dans ce
-sens, <i>la perfection du plan</i> est, dans la réalité, dans la pratique,
-impossible à atteindre, simplement parce que la construction dont il
-s'agit est l'œuvre d'une intelligence finie. Les plans de Dieu sont
-parfaits. L'Univers est un plan de Dieu.</p>
-
-<p>Nous sommes maintenant arrivés à un point où l'intelligence est forcée
-de lutter contre sa propension à la déduction analogique, contre cette
-monomanie qui la pousse à vouloir saisir l'infini. Nous avons vu les
-lunes tourner autour des planètes; les planètes autour des étoiles;
-et l'instinct poétique de l'humanité,&mdash;son instinct de la symétrie,
-en tant que la symétrie ne soit qu'une symétrie de surface,&mdash;cet
-instinct, que l'Ame non-seulement de l'Homme mais de tous les êtres
-créés, a tiré au commencement de la base géométrique de l'irradiation
-universelle,&mdash;nous pousse à imaginer une extension sans fin de ce
-système de cycles. Fermant également nos yeux à la déduction et à
-l'induction, nous nous obstinons à concevoir une révolution de tous
-les corps qui composent lu Galaxie autour de quelque globe gigantesque
-que nous intitulons pivot central du tout. On se figure chaque groupe,
-dans le grand groupe de groupes, pourvu et construit d'une manière
-similaire; et en même temps, pour que l'analogie soit complète et
-ne fasse défaut en aucun point, on va jusqu'à concevoir tous ces
-groupes eux-mêmes comme tournant autour de quelque sphère encore
-plus auguste;&mdash;cette dernière à son tour, avec tous les groupes qui
-lui forment une ceinture, on croit qu'elle n'est qu'un des membres
-d'une série encore plus magnifique<span class="pagenum"><a name="Page_126" id="Page_126">[p. 126]</a></span> d'agglomérations, évoluant autour
-d'un autre globe qui lui sert de centre,&mdash;quelque globe encore plus
-ineffablement sublime, quelque globe, disons mieux, d'une infinie
-sublimité, incessamment multipliée par l'infiniment sublime. Telles
-sont les conditions, continuées à perpétuité, que la tyrannie d'une
-fausse analogie impose à l'Imagination et que la Raison est invitée
-à contempler, sans se montrer, s'il est possible, trop mécontente du
-tableau. Tel est, en général, le système d'interminables révolutions
-s'engendrant les unes les autres, que la Philosophie nous a habitués à
-comprendre et à expliquer, en s'y prenant du moins aussi adroitement
-qu'elle a pu. De temps à autre cependant, un véritable philosophe, dont
-la frénésie prend un tour très-déterminé, dont le génie, pour parler
-plus honnêtement, a, comme les blanchisseuses, l'habitude fortement
-prononcée de ne couler les choses qu'à la douzaine, nous fait voir
-le point précis, qui avait été perdu de vue, où s'arrête et où doit
-nécessairement s'arrêter cette série de révolutions.</p>
-
-<p>Les rêveries de Fourier ne valent peut-être pas la peine que nous nous
-en moquions;&mdash;mais on a beaucoup parlé, dans ces derniers temps, de
-l'hypothèse de Madler,&mdash;à savoir qu'il existe, au centre de la Galaxie,
-un globe prodigieux, autour duquel tournent tous les systèmes du
-groupe. La période de révolution pour notre propre système a même été
-évaluée à 117 millions d'années.</p>
-
-<p>On a longtemps soupçonné que notre Soleil opérait un mouvement dans
-l'espace, indépendamment de sa rotation, et une révolution autour du
-centre de gravité du système. Ce mouvement, en admettant qu'il existe,
-devrait se manifester par la perspective. Les étoiles, dans cette
-partie du firmament que nous sommes censés avoir laissée derrière
-nous, devraient, pendant une longue série d'années, s'accumuler en
-foule; celles comprises dans le côté opposé<span class="pagenum"><a name="Page_127" id="Page_127">[p. 127]</a></span> devraient avoir l'air de
-s'éparpiller. Or, par l'histoire de l'Astronomie, nous apprenons d'une
-manière vague que quelques-uns de ces phénomènes se sont manifestés.
-A ce sujet on a déclaré que notre système se mouvait vers un point
-du ciel diamétralement opposé à l'étoile Zêta Herculis;&mdash;mais c'est
-là peut-être le maximum de ce que nous avons logiquement le droit de
-conclure en cette matière. Madler, néanmoins, est allé jusqu'à désigner
-une étoile particulière,&mdash;Alcyone, l'une des Pléiades,&mdash;comme marquant
-juste, ou à peu de chose près, le point autour duquel s'accomplirait
-une révolution générale.</p>
-
-<p>Or, puisque c'est <i>l'analogie</i> qui nous a tout d'abord entraînés vers
-ces rêves, il est naturel et convenable de nous servir de la même
-analogie pour en poursuivre le développement; et cette analogie qui
-nous a suggéré l'idée de révolution nous suggère en même temps l'idée
-d'un vaste globe central autour duquel elle devrait s'accomplir;
-&mdash;jusque-là le raisonnement de l'astronome est logique. Dynamiquement,
-il faudrait toutefois que cet astre central fût plus gros que tous
-les astres réunis qui l'entourent. Or, ils sont au nombre de 100
-millions environ. «Pourquoi donc», a-t-on demandé très-naturellement,
-«ne voyons-nous pas ce vaste soleil central, au moins égal par sa
-masse à 100 millions de soleils semblables au notre? Pourquoi ne le
-voyons-nous pas, <i>nous</i> particulièrement, qui occupons la région
-moyenne du groupe,&mdash;le lieu même près duquel, en tout cas, doit être
-situé cet astre incomparable?» On répondit prestement: «Il faut qu'il
-soit non lumineux comme sont nos planètes.» Ici, pour s'accommoder
-au but, l'analogie se laissait torturer. On pouvait dire: «Nous
-savons qu'il existe positivement des soleils non lumineux, mais non
-pas dans de telles conditions.» Il est vrai que nous avons quelque
-raison d'en supposer de<span class="pagenum"><a name="Page_128" id="Page_128">[p. 128]</a></span> tels, mais nous n'avons certainement aucune
-raison pour supposer qu'il y a des soleils non lumineux entourés
-de soleils lumineux, ces derniers étant à leur tour environnés de
-planètes non lumineuses; tout cela est précisément ce dont Madler est
-sommé de trouver l'analogue dans les cieux; car il imagine tout cela
-justement à propos de la Galaxie. En admettant que la chose soit telle
-qu'il le dit, nous ne pouvons nous empêcher de penser combien cette
-question: «Pourquoi les choses sont-elles ainsi?» serait cruellement
-embarrassante pour les philosophes <i>à priori.</i></p>
-
-<p>Mais si, en dépit de l'analogie et de toute autre raison, nous
-reconnaissons la non-luminosité de ce grand astre central, nous
-pouvons toujours demander comment ce globe si énorme n'est pas rendu
-visible, grâce à cette effusion de lumière versée sur lui par les
-100 millions de splendides soleils qui brillent dans tous les sens
-autour de lui. Devant cette embarrassante question, l'idée d'un soleil
-central positivement solide semble avoir été jusqu'à un certain point
-abandonnée; et l'esprit spéculatif s'est contenté d'affirmer que les
-systèmes du groupe accomplissaient leurs révolutions autour d'un
-centre immatériel de gravité qui leur était commun à tous. Ici encore,
-l'analogie a fait fausse route, pour se prêter à une théorie. Les
-planètes de notre système tournent, il est vrai, autour d'un centre
-commun de gravité; mais elles agissent ainsi conjointement avec un
-soleil matériel qui les entraîne, et dont la masse fait plus que
-contre-balancer le reste du système.</p>
-
-<p>La circonférence mathématique est une courbe composée d'une infinité de
-lignes droites. Mais cette idée de la circonférence, idée qui, au point
-de vue de toute la géométrie ordinaire, n'en est que l'idée purement
-mathématique, mise en opposition de l'idée pratique, est aussi, en
-stricte réalité, la seule conception pratique que nous<span class="pagenum"><a name="Page_129" id="Page_129">[p. 129]</a></span> puissions
-façonner à notre usage pour l'intelligence de cette circonférence
-majestueuse à laquelle nous avons affaire, au moins en imagination,
-quand nous supposons notre système tournant autour d'un point situé
-au centre de la Galaxie. Que l'imagination la plus vigoureuse essaye
-seulement de faire un pas, un seul, vers la compréhension d'une courbe
-aussi inexprimable! Sans commettre un paradoxe, on pourrait dire
-qu'un éclair même, qui suivrait éternellement la circonférence de cet
-inexprimable cercle, ne ferait que parcourir éternellement une ligne
-droite. Qu'en décrivant une telle orbite, notre Soleil pût selon une
-appréciation humaine, dévier de la ligne droite à un degré quelconque,
-si petit qu'on le suppose, c'est là une idée inadmissible; cependant
-nous sommes priés de croire qu'une courbure est devenue apparente
-pendant la très-courte période de notre histoire astronomique, durant
-ce simple point, durant ce parfait néant de deux ou trois mille ans.</p>
-
-<p>On pourrait dire que Madler a réellement vérifié une courbure dans
-le sens de la marche, maintenant bien tracée, de notre système à
-travers l'Espace. Admettant, s'il le faut, que ce fait soit réel, je
-maintiens qu'il n'y a dans ce cas, qu'un seul fait démontré, c'est
-la réalité d'une courbure. Pour l'<i>entière</i> vérification du fait,
-il faudrait des siècles, et quand même elle serait faite, elle ne
-servirait qu'à indiquer un rapport binaire ou tout autre rapport
-multiple quelconque entre notre Soleil et une ou plusieurs des étoiles
-les plus rapprochées. Quoi qu'il en soit, je ne hasarde rien en
-prédisant qu'après une période de plusieurs siècles, tous les efforts
-pour déterminer la marche de notre Soleil à travers l'Espace seront
-abandonnés comme vains et inutiles. Cela est facile à concevoir quand
-nous considérons l'infinité de perturbations que cette marche<span class="pagenum"><a name="Page_130" id="Page_130">[p. 130]</a></span> doit
-subir, par suite du changement perpétuel des rapports du Soleil avec
-les autres astres, pendant ce rapprochement simultané de tous vers le
-noyau de la Galaxie.</p>
-
-<p>Mais, en examinant d'autres nébuleuses que la Voie Lactée, en
-considérant dans leur généralité les groupes dont est parsemé le
-firmament, trouvons-nous, oui ou non, une confirmation de l'hypothèse
-de Madler? <i>Nous ne la trouvons pas.</i> Les formes des groupes sont
-excessivement variées quand on les regarde accidentellement; mais par
-un examen plus minutieux, à travers de puissants télescopes, nous
-reconnaissons très-distinctement que la sphère est la forme dont ils se
-rapprochent le plus,&mdash;leur constitution étant en général en désaccord
-avec l'idée d'une révolution autour d'un centre commun.</p>
-
-<p>«Il est difficile, dit sir John Herschell,&mdash;de former une conception
-quelconque de l'état dynamique de tels systèmes. D'un côté, sans un
-mouvement rotatoire et une force centrifuge, il est presque impossible
-de ne pas les considérer comme soumis à une condition de <i>rapprochement
-progressif;</i> d'un autre côté, en admettant un tel mouvement et une
-telle force, nous ne trouvons pas moins difficile de concilier leurs
-formes avec la rotation de tout le système (il veut dire groupe) autour
-d'un seul axe, sans lequel une collision intérieure nous apparaît comme
-chose inévitable.»</p>
-
-<p>Quelques observations sur les <i>nébuleuses,</i> récemment faites par le
-Docteur Nichol, quoique faites à un point de vue cosmique absolument
-différent de tous ceux adoptés dans le présent Discours, s'appliquent
-d'une manière très-particulière au point qui est actuellement en
-question. Il dit:</p>
-
-<p>«Quand nous dirigeons sur les nébuleuses nos plus grands télescopes,
-nous voyons que celles que nous avions<span class="pagenum"><a name="Page_131" id="Page_131">[p. 131]</a></span> d'abord considérées comme
-irrégulières ne le sont réellement pas; elles se rapprochent plutôt
-de la forme d'un globe. Il y en a une qui semblait ovale; mais le
-télescope de lord Rosse l'a transformée pour nous en un cercle...
-Or, il se présente une très-remarquable circonstance relativement à
-ces masses circulaires de nébuleuses qui semblent, par comparaison,
-douées de mouvement. Nous découvrons qu'elles ne sont pas absolument
-circulaires, mais que, bien au contraire, tout autour d'elles et de
-tous côtés, il y a des colonnes d'étoiles, <i>qui semblent s'étendre au
-loin comme si elles se précipitaient vers une grande masse centrale en
-vertu de quelque énorme puissance</i><a name="NoteRef_1_10" id="NoteRef_1_10"></a><a href="#Note_1_10" class="fnanchor">[1]</a>.»</p>
-
-<p>Si j'avais à décrire, à ma guise, la condition actuelle nécessaire
-des nébuleuses, dans l'hypothèse, suggérée par moi, que toute matière
-s'achemine vers l'Unité originelle, je copierais simplement, et presque
-mot à mot, le langage qu'a employé le Docteur Nichol sans soupçonner le
-moins du monde cette prodigieuse vérité, qui est la clef de tous les
-phénomènes relatifs aux nébuleuses.</p>
-
-<p>Et qu'il me soit permis ici de fortifier ma position par le témoignage
-de quelqu'un qui est plus grand que Madler,&mdash;de quelqu'un pour
-qui toutes les données de Madler étaient depuis longtemps choses
-familières, soigneusement et entièrement examinées. Relativement aux
-calculs minutieux d'Argelander, lesquels forment la base de l'idée de
-Madler, Humboldt, dont la faculté généralisatrice n'a peut-être jamais
-été égalée, fait l'observation suivante:</p>
-
-<p>«Quand nous considérons le mouvement propre, réel<span class="pagenum"><a name="Page_132" id="Page_132">[p. 132]</a></span> et non perspectif
-des étoiles, <i>nous voyons plusieurs groupes marchant dans des
-directions opposées;</i> et les données que nous avons acquises jusqu'à
-présent ne nous forcent pas à imaginer que les systèmes composant
-la Voie Lactée, ou les groupes composant généralement l'Univers,
-tournent autour de quelque centre inconnu, lumineux ou non lumineux.
-Ce n'est que le désir propre à l'Homme de posséder une Cause Première
-fondamentale, qui persuade à son intelligence et à son imagination
-d'adopter une telle hypothèse.»</p>
-
-<p>Le phénomène dont il est ici question, c'est-à-dire de <i>plusieurs
-groupes se dirigeant dans des sens opposés,</i> est tout à fait
-inexplicable dans l'hypothèse de Madler, mais surgit comme conséquence
-nécessaire de l'idée qui forme la base de ce Discours. En même temps
-que la direction purement générale de chaque atome, de chaque lune,
-planète, étoile ou groupe, serait, dans mon hypothèse, absolument
-rectiligne; en même temps que la route générale suivie par tous
-les corps serait une ligne droite conduisant au centre de tout, il
-est clair que cette direction rectiligne serait composée de ce que
-nous pouvons appeler, sans exagération, une infinité de courbes
-particulières, résultat des différences continuelles de position
-relative parmi ces masses innombrables, à mesure que chacune progresse
-dans son pèlerinage vers l'Unité finale.</p>
-
-<p>Je citais tout à l'heure le passage suivant de sir John Herschell,
-appliqué aux groupes: «D'un côté, sans un mouvement rotatoire et une
-force centrifuge, il est presque impossible de ne pas les considérer
-comme soumis à une condition de <i>rapprochement progressif.»</i> Le fait
-est qu'en examinant les nébuleuses avec un télescope très-puissant,
-il est absolument impossible, quand une fois on a conçu cette idée de
-rapprochement, de ne pas ramasser de tous les<span class="pagenum"><a name="Page_133" id="Page_133">[p. 133]</a></span> côtés des témoignages
-qui la confirment. Il y a toujours un noyau apparent dans la direction
-duquel les étoiles semblent se précipiter, et ces noyaux ne peuvent pas
-être pris pour de purs phénomènes de perspective;&mdash;les groupes sont
-réellement plus denses vers le centre, plus clairs vers les régions
-extrêmes. En un mot, nous voyons toutes choses comme nous les verrions
-si un rapprochement universel avait lieu; mais, en général, je crois
-que s'il est naturel, quand nous examinons ces groupes, d'accueillir
-<i>l'idée d'un mouvement orbitaire autour d'un centre,</i> ce n'est qu'à
-la condition d'admettre l'existence <i>possible,</i> dans les domaines
-lointains de l'espace, de lois dynamiques qui nous seraient totalement
-inconnues.</p>
-
-<p>De la part d'Herschell, il y a évidemment répugnance à supposer que les
-nébuleuses soient dans un état de rapprochement progressif. Mais si les
-faits, si même les apparences justifient cette supposition, pourquoi,
-demandera-t-on peut-être, répugne-t-il à l'admettre? Simplement à cause
-d'un préjugé; simplement parce que cette supposition contredit une idée
-préconçue et absolument sans base,&mdash;celle de l'étendue infinie et de
-l'éternelle stabilité de l'Univers.</p>
-<hr class="r5" />
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_1_10" id="Note_1_10"></a><a href="#NoteRef_1_10"><span class="label">[1]</span></a> On doit comprendre que ce que je nie spécialement dans
-l'Hypothèse de Madler, c'est la partie qui concerne le mouvement
-circulaire. S'il n'existe pas <i>maintenant</i> dans notre groupe un grand
-globe central, naturellement il en existera un plus tard. Dans quelque
-temps qu'il existe, il sera simplement le <i>noyau</i> de la consolidation.</p></div>
-
-
-<hr />
-<h4>XIV</h4>
-
-
-<p>Si les propositions de ce Discours sont logiquement déduites, cette
-<i>condition de rapprochement progressif</i> est précisément la seule dans
-laquelle nous puissions légitimement considérer toutes les choses de
-la création; et je confesse ici, avec une parfaite humilité, que,
-pour ma part, il m'est impossible de comprendre comment toute autre
-interprétation de la condition actuelle des choses a jamais pu se
-glisser dans un cerveau humain. <i>La tendance au<span class="pagenum"><a name="Page_134" id="Page_134">[p. 134]</a></span> rapprochement</i> et
-<i>l'attraction de la gravitation</i> sont deux termes réciproquement
-convertibles. En nous servant de l'un ou de l'autre, nous voulons
-parler de la réaction de l'Acte primordial. 11 ne fut jamais rien
-de si inutile que de supposer la Matière pénétrée d'une qualité
-indestructible faisant partie de son essence,&mdash;qualité ou instinct à
-jamais inséparable d'elle, principe inaliénable en vertu duquel chaque
-atome est perpétuellement poussé à rechercher l'atome son semblable.
-Jamais il n'y eut rien de moins nécessaire que d'adopter cette idée
-anti-philosophique. Allant au delà de la pensée vulgaire, il faut que
-nous comprenions, métaphysiquement, que le principe de la gravitation
-n'appartient à la matière que <i>temporairement,</i> pendant qu'elle est
-éparpillée;&mdash;pendant qu'elle existe sous la forme de la Pluralité au
-lieu d'exister sous celle de l'Unité;&mdash;lui appartient seulement en
-vertu de son état d'irradiation;&mdash;appartient, en un mot, non pas à la
-Matière elle-même le moins du monde, mais uniquement à la <i>condition</i>
-actuelle où elle se trouve. D'après cette idée, quand l'irradiation
-sera retournée vers sa source,&mdash;quand la réaction sera devenue
-complète,&mdash;le principe de la gravitation aura cessé d'exister. Et, en
-fait, bien que les astronomes ne soient jamais arrivés à l'idée que
-nous émettons ici, il semble toutefois qu'ils s'en soient rapprochés
-en affirmant que <i>s'il n'y avait qu'un seul corps dans l'Univers, il
-serait impossible de comprendre comment le principe de la gravitation
-pourrait s'établir;</i> c'est-à-dire qu'en considérant la matière telle
-qu'elle se présente à leurs yeux, ils en tirent la conclusion à
-laquelle je suis arrivé par voie de déduction. Qu'une suggestion aussi
-féconde soit restée si longtemps sans porter ses fruits, c'est là un
-mystère que je ne saurais approfondir.</p>
-
-<p>C'est peut-être, en grande partie, notre tendance<span class="pagenum"><a name="Page_135" id="Page_135">[p. 135]</a></span> naturelle vers
-l'idée de perpétuité, vers l'analogie; et plus particulièrement, dans
-le cas présent, vers la symétrie, qui nous a entraînés dans une fausse
-route. En réalité, le sentiment de la symétrie est un instinct qui
-repose sur une confiance presque aveugle. C'est l'essence poétique de
-l'Univers, de cet Univers qui, dans la perfection de sa symétrie, est
-simplement le plus sublime des poëmes. Or, symétrie et consistance sont
-des termes réciproquement convertibles; ainsi la Poésie et la Vérité ne
-font qu'un. Une chose est consistante en raison de sa vérité,&mdash;vraie
-en raison de sa consistance. <i>Une parfaite consistance, je le répète,
-ne peut être qu'une absolue vérité.</i> Nous admettrons donc que l'Homme
-ne peut pas rester longtemps dans l'erreur, ni se tromper de beaucoup,
-s'il se laisse guider par son instinct poétique, instinct de symétrie,
-et conséquemment véridique, comme je l'ai affirmé. Cependant il doit
-prendre garde qu'en poursuivant à l'étourdie une symétrie superficielle
-de formes et de mouvements, il ne perde de vue la réelle et essentielle
-symétrie des principes qui les déterminent et les gouvernent.</p>
-
-<p>Que tous les corps stellaires doivent finalement se fondre en un
-seul, que toutes choses doivent enfin grossir la substance <i>d'un
-prodigieux globe central déjà existant,&mdash;</i>c'est là une idée qui,
-depuis quelque temps déjà, semble d'une manière vague, indéterminée,
-avoir pris possession de l'imagination humaine. De fait, cette idée
-appartient à la classe des choses <i>excessivement évidentes.</i> Elle naît
-instantanément de l'observation, même superficielle, des mouvements
-circulaires et en apparence <i>giratoires</i> ou <i>tourbillonnants</i> de
-ces portions de l'Univers qui, très-rapprochées de nous, s'offrent
-immédiatement à notre attention. Il n'existe peut-être pas un seul
-homme, d'une éducation ordinaire et d'une faculté de méditation
-moyenne, à qui, dans une<span class="pagenum"><a name="Page_136" id="Page_136">[p. 136]</a></span> certaine mesure, l'idée en question ne
-se soit présentée, comme spontanée, instinctive, et portant tout
-le caractère d'une conception profonde et originale. Toutefois,
-cette conception, si généralement répandue, n'est jamais née, à ma
-connaissance, du moins, d'une série de considérations abstraites. Au
-contraire, elle a toujours été suggérée, comme je l'ai dit, par les
-mouvements tourbillonnant autour des centres, et c'est dans le même
-ordre de faits, c'est-à-dire dans ces mêmes mouvements circulaires, que
-naturellement on a cherché une raison qui expliquât cette idée, une
-<i>cause</i> qui pût amener cette agglomération de tous les globes en un
-seul, <i>lequel était déjà supposé existant.</i></p>
-
-<p>Ainsi quand on proclama la diminution, progressive et régulière,
-observée dans l'orbite de la comète d'Encke, à chacune de ses
-révolutions autour de notre Soleil, les astronomes furent presque
-unanimes pour dire que la cause en question était trouvée,&mdash;qu'un
-principe était découvert, suffisant pour expliquer, physiquement,
-cette finale et universelle agglomération, à laquelle, déterminé par
-son instinct analogique, symétrique ou poétique, l'homme avait donné
-créance plus qu'à une simple hypothèse.</p>
-
-<p>On affirma que cette cause, cette raison suffisante de l'agglomération
-finale, existait dans un agent intermédiaire, excessivement rare,
-mais cependant matériel, qui pénétrait tout l'espace; lequel, en
-retardant la marche de la comète, affaiblissait perpétuellement sa
-force tangentielle et augmentait en même temps la force centripète, qui
-naturellement rapprochait davantage la comète à chaque révolution et
-devait finalement la précipiter sur le Soleil.</p>
-
-<p>Tout cela était strictement logique, une fois qu'on avait admis ce
-médium ou cet éther; mais il n'y avait aucune raison d'admettre
-l'éther, si ce n'est qu'on n'avait pu<span class="pagenum"><a name="Page_137" id="Page_137">[p. 137]</a></span> découvrir aucun autre moyen
-d'expliquer la diminution observée dans l'orbite de la comète;&mdash;comme
-si de l'impossibilité de trouver un autre mode d'explication il
-s'ensuivait qu'il n'en existât réellement pas d'autre. Il est clair
-que d'innombrables causes combinées pouvaient amener la diminution
-de l'orbite, sans que nous pussions même en découvrir une seule.
-D'ailleurs, on n'avait jamais bien démontré pourquoi le retard
-occasionné par les bords extrêmes de l'atmosphère du Soleil, à travers
-lesquels la comète passe à son périhélie, ne suffît pas pour expliquer
-le phénomène. Que la comète d'Encke sera absorbée par le Soleil, c'est
-probable; que toutes les comètes du système seront absorbées, c'est
-plus que possible; mais, dans un tel cas, le principe de l'absorption
-doit être cherché dans l'excentricité de l'orbite des comètes et dans
-leur rapprochement extrême du Soleil à leur périhélie; et ce n'est pas
-un principe qui puisse affecter les lourdes et solides <i>sphères</i> qui
-doivent être considérées comme les vrais matériaux constituants de
-l'Univers. Relativement aux comètes en général, permettez-moi de dire
-en passant que nous avons le droit de les considérer comme les <i>éclairs
-du Ciel cosmique.</i></p>
-
-<p>L'idée d'un éther ralentissant et servant à amener l'agglomération
-finale de toutes choses nous a semblé une seule fois confirmée par
-une diminution positive observée dans l'orbite de la lune. Si nous en
-référons aux éclipses enregistrées il y a 2,500 ans, nous voyons que
-la vélocité de la révolution du satellite était alors bien moindre
-qu'elle n'est aujourd'hui et que, en supposant que son mouvement dans
-son orbite soit en accord constant avec la loi de Kepler, et ait été
-alors, il y a 2,500 ans, soigneusement déterminé, elle est aujourd'hui,
-relativement à la position qu'elle devrait occuper, en avance de 9,000
-milles<span class="pagenum"><a name="Page_138" id="Page_138">[p. 138]</a></span> environ. L'accroissement de vélocité prouvait, naturellement,
-une diminution de l'orbite, et les astronomes inclinaient fortement à
-croire à l'existence d'un éther, quand Lagrange vint à la rescousse.
-Il démontra que, grâce à la configuration des sphéroïdes, le petit axe
-de leur ellipse est sujet à varier de longueur, tandis que le grand
-axe reste le même, et que cette variation est continue et vibratoire,
-de sorte que chaque orbite est dans un état de transition, soit du
-cercle à l'ellipse, soit de l'ellipse au cercle. Le petit axe de la
-lune étant dans sa période de décroissance, l'orbite passe du cercle
-à l'ellipse et, conséquemment, décroît aussi; mais, après une longue
-série de siècles, l'excentricité extrême sera atteinte; alors le petit
-axe commencera à augmenter jusqu'à ce que l'orbite se transforme en un
-cercle; puis la période de raccourcissement aura lieu de nouveau,&mdash;et
-ainsi de suite à tour de rôle. Dans le cas de la Terre, l'orbite va
-se transformant d'ellipse en cercle. Les faits ainsi démontrés ont
-naturellement détruit la prétendue nécessité de supposer un éther et
-toute appréhension relative à l'instabilité du système, laquelle était
-attribuée à l'éther.</p>
-
-<p>On se souvient que j'ai moi-même supposé quelque chose d'analogue et
-que nous pouvons appeler un éther. J'ai parlé d'une <i>influence</i> subtile
-accompagnant partout la matière, bien qu'elle ne se manifeste que par
-l'hétérogénéité de la matière. A cette <i>influence,</i> dont je ne veux
-ni ne puis en aucune façon définir la mystérieuse et terrible nature,
-j'ai attribué les phénomènes variés d'électricité, de chaleur, de
-magnétisme, et même de vitalité, de conscience et de pensée,&mdash;en un
-mot, de spiritualité. On voit tout de suite que l'éther, compris de
-cette façon, est radicalement distinct de l'éther des astronomes; le
-leur est <i>matière</i> et le mien ne l'est pas.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_139" id="Page_139">[p. 139]</a></span></p>
-
-<p>L'abolition de l'éther matériel semble impliquer aussi la disparition
-absolue de cette idée d'agglomération universelle, si longtemps
-préconçue par l'imagination poétique de l'humanité;&mdash;agglomération à
-laquelle une sage Philosophie aurait pu légitimement prêter créance,
-au moins jusqu'à un certain point, si elle avait été préconçue
-uniquement par cette imagination poétique, sans aucune autre raison
-déterminante. Mais, jusqu'à présent, l'Astronomie et la Physique n'ont
-rien su trouver qui permette d'assigner une fin à l'Univers. Quand même
-on eût pu, par une cause aussi accessoire et indirecte que l'éther,
-démontrer cette fin, l'instinct qui révèle à l'Homme la Puissance
-Divine d'adaptation se serait révolté contre cette démonstration.
-Nous eussions été forcés de regarder l'Univers avec ce sentiment
-d'insatisfaction que nous éprouvons en contemplant un ouvrage d'art
-humain inutilement compliqué. La création nous aurait affectés comme
-un plan imparfait dans un roman, où le dénouement est gauchement
-amené par l'interposition d'incidents externes et étrangers au sujet
-principal, au lieu de jaillir du fond même du thème,&mdash;du cœur de
-l'idée dominante;&mdash;au lieu de naître comme résultat de la proposition
-première, comme partie intégrante, inséparable et inévitable, de la
-conception fondamentale du livre.</p>
-
-<p>On comprendra maintenant plus clairement ce que j'entends par symétrie
-purement superficielle. C'est simplement la séduction de cette symétrie
-qui nous a induits à accepter cette idée générale dont l'hypothèse de
-Madler n'est qu'une partie,&mdash;l'idée de l'attraction tourbillonnante
-des globes. Si nous écartons cette conception trop crûment physique,
-la véritable symétrie de principe nous fait voir la fin de toutes
-choses métaphysiquement impliquée dans l'idée d'un commencement,
-nous fait chercher et trouver<span class="pagenum"><a name="Page_140" id="Page_140">[p. 140]</a></span> dans cette origine de toutes choses
-les <i>rudiments</i> de cette fin, et enfin concevoir l'impiété qu'il y
-aurait à supposer que cette fin pût être amenée moins simplement,
-moins directement, moins clairement, moins artistiquement que par <i>la
-réaction de l'Acte originel et créateur.</i></p>
-
-
-<hr />
-<h4>XV</h4>
-
-
-<p>Remontons donc vers une de nos suggestions antécédentes et concevons
-les systèmes, concevons chaque soleil, avec ses planètes-satellites,
-comme un simple atome titanique existant dans l'espace avec la
-même inclination vers l'Unité, qui caractérisait, au commencement,
-les véritables atomes après leur irradiation à travers la Sphère
-universelle. De même que ces atomes originels se précipitaient
-l'un vers l'autre selon des lignes généralement droites, de même
-nous pouvons concevoir comme généralement rectilignes les chemins
-qui conduisent les systèmes-atomes vers leurs centres respectifs
-d'aggrégation;&mdash;et dans cette attraction directe, qui rassemble les
-systèmes en groupes, et dans celle, analogue et simultanée, qui
-rassemble les groupes eux-mêmes, à mesure que s'opère la consolidation,
-nous trouvons enfin le grand Maintenant,&mdash;le terrible Présent,&mdash;la
-condition actuellement existante de l'Univers.</p>
-
-<p>Une analogie rationnelle peut nous aider à former une hypothèse
-relativement à l'Avenir, encore plus effrayant. L'équilibre entre
-les forces, centripète et centrifuge, de chaque système, étant
-nécessairement détruit quand il arrive à se rapprocher, jusqu'à un
-certain point, du noyau du groupe auquel il appartient, il en doit
-résulter, un jour, une précipitation chaotique, ou telle en apparence,
-des<span class="pagenum"><a name="Page_141" id="Page_141">[p. 141]</a></span> lunes sur les planètes, des planètes sur les soleils, et des
-soleils sur les noyaux; et le résultat général de cette précipitation
-doit être l'agglomération des myriades d'étoiles, existant actuellement
-dans le firmament, en un nombre presque infiniment moindre de sphères
-presque infiniment plus vastes. En devenant immensément moins nombreux,
-les mondes de cette époque seront devenus immensément plus gros que
-ceux de la notre. Alors, parmi d'incommensurables abîmes, brilleront
-des soleils inimaginables. Mais tout cela ne sera qu'une magnificence
-climatérique présageant la grande Fin. La nouvelle genèse indiquée ne
-peut être qu'une des étapes vers cette Fin, un des ajournements encore
-nombreux. Par ce travail d'agglomération, les groupes eux-mêmes, avec
-une vitesse effroyablement croissante, se sont précipités vers leur
-centre général,&mdash;et bientôt, avec une vélocité mille fois plus grande,
-une vélocité électrique, proportionnée à leur grosseur matérielle et à
-la véhémence spirituelle de leur appétit pour l'Unité, les majestueux
-survivants de la race des Étoiles s'élancent enfin dans un commun
-embrassement. Nous touchons enfin à la catastrophe inévitable.</p>
-
-<p>Mais cette catastrophe, quelle peut-elle être? Nous avons vu
-s'accomplir la conglomération, la moisson des mondes. Désormais,
-devrons-nous considérer ce <i>globe des globes,</i> ce <i>globe matériel
-unique,</i> comme constituant et remplissant l'Univers? Une telle idée
-serait en contradiction complète avec toutes les propositions émises
-dans ce Discours.</p>
-
-<p>J'ai déjà parlé de cette absolue <i>réciprocité d'adaptation</i> qui est
-la grande caractéristique de l'Art divin,&mdash;qui est la signature
-divine. Arrivé à ce point de nos réflexions, nous avons regardé
-l'influence électrique comme une force répulsive qui seule rendait
-la Matière capable d'exister<span class="pagenum"><a name="Page_142" id="Page_142">[p. 142]</a></span> dans cet état de diffusion nécessaire
-à l'accomplissement de ses destinées;&mdash;là, en un mot, nous avons
-considéré l'influence en question comme instituée pour le salut
-de la Matière, pour sauvegarder les buts de toute matérialité.
-Réciproquement, il nous est permis de considérer la Matière comme
-créée seulement <i>pour le salut de cette influence,</i> uniquement pour
-sauvegarder le but et l'objet de cet Éther spirituel. Par le moyen,
-par l'intermédiaire, par l'agence de la Matière et par la force de
-son hétérogénéité, cet Éther a pu se manifester,&mdash;l'Esprit a été
-<i>individualisé.</i> C'est uniquement dans le développement de cet Éther,
-par l'hétérogénéité, que des masses particulières de Matière sont
-devenues animées, sensibles, et en proportion de leur hétérogénéité;
-quelques-unes atteignant un degré de sensibilité qui implique ce
-que nous appelons <i>Pensée,</i> et montant ainsi jusqu'à l'Intelligence
-Consciente.</p>
-
-<p>A ce point de vue, nous pouvons regarder la Matière comme un Moyen,
-et non comme une Fin. Son utilité et son but étaient compris dans sa
-diffusion, et, avec le retour vers l'Unité, sa destinée est accomplie.
-Ce globe des globes absolument consolidé serait sans but et sans objet;
-conséquemment il ne pourrait continuer à exister un seul instant. La
-Matière, créée dans un but, ne peut incontestablement, ce but étant
-rempli, être plus longtemps Matière. Efforçons-nous de comprendre
-qu'elle aspire à disparaître, et que Dieu seul doit rester tout entier,
-unique et complet.</p>
-
-<p>Chaque œuvre née de la conception Divine doit coexister et coexpirer
-avec le but qui lui est assigné; cela me semble évident, et je ne
-doute pas que la plupart de mes lecteurs, en voyant l'<i>inutilité</i> de
-ce dernier globe de globes, acceptent ma conclusion: «Donc, il ne peut
-pas continuer d'exister.» Cependant, comme l'idée saisissante de sa<span class="pagenum"><a name="Page_143" id="Page_143">[p. 143]</a></span>
-disparition instantanée est de nature à ne pas être agréée facilement,
-présentée d'une manière aussi radicalement abstraite, par l'esprit
-même le plus vigoureux, appliquons-nous à la considérer d'un autre
-point de vue un peu plus ordinaire;&mdash;examinons comment elle peut être
-entièrement et magnifiquement corroborée par une considération <i>à
-posteriori</i> de la Matière, telle que nous la voyons actuellement.</p>
-
-<p>J'ai déjà dit que, «l'Attraction et la Répulsion étant
-incontestablement les seules propriétés par lesquelles la Matière se
-manifeste à l'Esprit, nous avons le droit de supposer que la Matière
-n'existe que comme Attraction et Répulsion;&mdash;en d'autres termes, que
-l'Attraction et la Répulsion sont Matière; puisqu'il n'existe pas de
-cas où nous ne puissions employer, ou le terme Matière, ou, ensemble,
-les termes Attraction et Répulsion, comme expressions de logique
-équivalentes et conséquemment convertibles.»</p>
-
-<p>Or, la définition même de l'Attraction implique la particularité,
-&mdash;l'existence de parties, de particules, d'atomes; car nous la
-définissons ainsi: tendance de chaque atome vers chaque autre atome,
-selon une certaine loi. Évidemment, là où il n'y a pas de parties, là
-est l'absolue Unité; là où la tendance vers l'Unité est satisfaite, il
-ne peut plus exister d'Attraction;&mdash;ceci a été parfaitement démontré,
-et toute la Philosophie l'admet. Donc, quand, son but accompli, la
-Matière sera revenue à sa condition première d'Unité,&mdash;condition
-qui présuppose l'expulsion de l'Éther séparatif, dont la fonction
-consiste simplement à maintenir les atomes à part les uns des autres
-jusqu'au grand jour où, cet éther n'étant plus nécessaire, la pression
-victorieuse de la collective et finale Attraction viendra prédominer
-dans la mesure voulue pour l'expulser;<span class="pagenum"><a name="Page_144" id="Page_144">[p. 144]</a></span>&mdash;quand, dis-je, la Matière,
-excluant l'Éther, sera retournée à l'Unité absolue, la Matière (pour
-parler d'une manière paradoxale) existera alors sans Attraction et sans
-Répulsion; en d'autres termes, la Matière sans la Matière, ou l'absence
-de Matière. En plongeant dans l'Unité, elle plongera en même temps dans
-ce <i>Non-Être</i> qui, pour toute Perception Finie, doit être identique à
-l'Unité,&mdash;dans ce Néant Matériel du fond duquel nous savons qu'elle a
-été évoquée,&mdash;avec lequel seul elle a été <i>créée</i> par la Volition de
-Dieu.</p>
-
-<p>Je répète donc: Efforçons-nous de comprendre que ce dernier globe,
-fait de tous les globes, disparaîtra instantanément, et que Dieu seul
-restera, tout entier, suprême résidu des choses.</p>
-
-
-<hr />
-<h4>XVI</h4>
-
-
-<p>Mais devons-nous nous arrêter ici? Non pas. De cette universelle
-agglomération et de cette dissolution peut résulter, nous le
-concevons aisément, une nouvelle série, toute différente peut-être,
-de conditions,&mdash;une autre création,&mdash;une autre irradiation retournant
-aussi sur elle-même,&mdash;une autre action, avec réaction, de la Volonté
-Divine. Soumettons notre imagination à la loi suprême, à la loi des
-lois, la loi de périodicité; et nous sommes plus qu'autorisés à
-accepter cette croyance, disons plus, à nous complaire dans cette
-espérance, que les phénomènes progressifs que nous avons osé contempler
-seront renouvelés encore, encore, et éternellement; qu'un nouvel
-Univers fera explosion dans l'existence, et s'abîmera à son tour dans
-le non-être, à chaque soupir du Cœur de la Divinité.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_145" id="Page_145">[p. 145]</a></span></p>
-
-<p>Et maintenant, ce Cœur Divin,&mdash;quel est-il? <i>C'est notre propre cœur.</i></p>
-
-<p>Que l'irrévérence apparente de cette idée n'effarouche pas nos âmes
-et ne les détourne pas du froid exercice de la conscience,&mdash;de cette
-profonde tranquillité dans l'analyse de soi-même,&mdash;par lesquels
-seulement nous pouvons espérer d'arriver jusqu'à la plus sublime des
-vérités, et la contempler à loisir, face à face.</p>
-
-<p>Les phénomènes dont dépendent, à partir de ce point, nos conclusions,
-sont des ombres purement spirituelles, mais qui n'en sont pas moins
-entièrement substantielles.</p>
-
-<p>Nous marchons, à travers les destinées de notre existence mondaine,
-environnés de Souvenirs, obscurcis mais toujours présents, d'une
-Destinée plus vaste,&mdash;qui remonte loin, bien loin dans le passé, et qui
-est infiniment imposante.</p>
-
-<p>La Jeunesse que nous vivons est particulièrement hantée par de tels
-rêves,&mdash;que cependant nous ne prenons jamais pour des rêves. Nous les
-<i>reconnaissons</i> comme Souvenirs. Pendant notre jeunesse, nous faisons
-trop clairement la distinction pour nous méprendre un seul instant.</p>
-
-<p>Tant que dure cette Jeunesse, <i>ce sentiment de notre existence
-personnelle</i> est le plus naturel de tous les sentiments. Nous le
-sentons très-pleinement, entièrement. Qu'il y ait eu une époque <i>où
-nous n'existions pas,&mdash;</i>ou qu'il puisse se faire que nous n'ayons
-jamais existé, ce sont là des considérations que, <i>pendant cette
-jeunesse,</i> nous ne comprenons que très-difficilement. Pourquoi
-nous pouvions ne pas exister, c'est là, <i>jusqu'à l'époque de notre
-Virilité,</i> de toutes les questions, celle à laquelle il nous serait
-le plus impossible de répondre. L'existence, l'existence personnelle,
-l'existence de tout Temps et pour toute l'Éternité, nous semble,<span class="pagenum"><a name="Page_146" id="Page_146">[p. 146]</a></span>
-jusqu'à l'époque de notre Virilité, une condition normale et
-incontestable;&mdash;<i>cela nous semble, parce que cela est.</i></p>
-
-<p>Mais vient une période pendant laquelle la Raison conventionnelle du
-monde nous éveille pour l'erreur et nous arrache à la vérité de nos
-rêves. Le Doute, la Surprise et l'Incompréhensibilité arrivent au même
-moment. Ils disent: «Vous vivez, et il fut un temps où vous ne viviez
-pas. Vous avez été créé. Il existe une Intelligence plus grande que la
-vôtre, et c'est seulement grâce à cette Intelligence que vous vivez
-tant soit peu.» Nous nous efforçons de comprendre ces choses et nous
-ne le pouvons pas;'&mdash;nous <i>ne le pouvons pas,</i> parce que ces choses,
-n'étant pas vraies, sont nécessairement incompréhensibles.</p>
-
-<p>Il n'existe pas un être pensant, qui, à un certain point lumineux de
-sa vie intellectuelle, ne se soit senti perdu dans un chaos de vains
-efforts pour comprendre ou pour croire qu'il existe quelque chose <i>de
-plus grand que son âme personnelle.</i> L'absolue impossibilité pour une
-âme de se sentir inférieure à une autre; l'intense, l'insupportable
-malaise et la rébellion qui sont le résultat d'une pareille idée, et
-puis les irrépressibles aspirations vers la perfection, ne sont que
-les efforts spirituels, coïncidant avec les matériels, pour retourner
-à l'Unité primitive,&mdash;et constituent, pour mon esprit du moins, une
-espèce de preuve, dépassant de beaucoup ce que l'Homme appelle une
-démonstration, qu'il n'y a pas d'âme inférieure à une autre,&mdash;que rien
-n'est et ne peut être supérieur à une âme quelconque,&mdash;que chaque
-âme est, partiellement, son propre Dieu, son propre Créateur;&mdash;en un
-mot, que Dieu, le Dieu matériel et spirituel, n'existe maintenant
-que dans la Matière diffuse et l'Esprit diffus de l'Univers; et que
-la concentration de cette Matière et de cet<span class="pagenum"><a name="Page_147" id="Page_147">[p. 147]</a></span> Esprit pourra seule
-reconstituer le Dieu <i>purement</i> Spirituel et Individuel.</p>
-
-<p>De ce point de vue, et de celui-là seulement, il nous est donné de
-comprendre les énigmes de l'Injustice Divine,&mdash;de l'Inexorable Destin.
-De ce point de vue seul, l'existence du Mal devient intelligible,
-mais de ce point de vue, il devient mieux qu'intelligible, il devient
-tolerable. Nos âmes ne peuvent plus se révolter contre une <i>Douleur</i>
-que nous nous sommes imposée nous-mêmes, pour l'accomplissement de
-nos propres desseins,&mdash;dans le but, quelquefois futile, d'agrandir le
-cercle de notre propre <i>Joie</i>.</p>
-
-<p>J'ai parlé de <i>Souvenirs</i> qui nous hantaient pendant notre jeunesse.
-Ils nous poursuivent quelquefois même dans notre Virilité;&mdash;ils
-prennent graduellement des formes de moins en moins vagues;&mdash;de temps à
-autre, ils nous parlent à voix basse, et disent:</p>
-
-<p>«Il fut une époque dans la Nuit du Temps où existait un Être
-éternel,&mdash;composé d'un nombre absolument infini d'Êtres semblables
-qui peuplent l'infini domaine de l'espace infini. Il n'était pas et
-il n'est pas au pouvoir de cet Être,&mdash;pas plus qu'en ton pouvoir
-propre,-d'étendre et d'accroître, d'une quantité positive, la joie
-de son Existence; mais, de même qu'il est en ta puissance d'étendre
-ou de concentrer tes plaisirs (la somme absolue de bonheur restant
-toujours la même), ainsi une faculté analogue a appartenu et appartient
-à cet Être Divin, qui ainsi passe son Éternité dans une perpétuelle
-alternation du Moi concentré à une Diffusion presque infinie de
-Soi-même. Ce que tu appelles l'Univers n'est que l'expansion présente
-de son existence. Il sent maintenant sa propre vie par une infinité
-de plaisirs imparfaits,&mdash;les plaisirs partiels et entremêlés de peine
-de ces êtres prodigieusement<span class="pagenum"><a name="Page_148" id="Page_148">[p. 148]</a></span> nombreux que tu nommes ses créatures,
-mais qui ne sont réellement que d'innombrables individualisations
-de Lui-même. Toutes ces créatures, <i>toutes,</i> celles que tu déclares
-sensibles, aussi bien que celles dont tu nies la vie pour la simple
-raison que tu ne surprends pas cette vie dans ses opérations,&mdash;<i>toutes</i>
-ces créatures ont, à un degré plus ou moins vif, la faculté d'éprouver
-le plaisir ou la peine;&mdash;mais <i>la somme générale de leurs sensations
-est juste le total du Bonheur qui appartient de droit à l'Être Divin
-quand il est concentré en Lui-même.</i> Toutes ces créatures sont aussi
-des Intelligences plus ou moins conscientes; conscientes, d'abord,
-de leur propre identité; conscientes ensuite, par faibles éclairs,
-de leur identité avec l'Être Divin dont nous parlons,&mdash;de leur
-identité avec Dieu. De ces deux espèces de consciences, suppose que la
-première s'affaiblisse graduellement, et que la seconde se fortifie,
-pendant la longue succession des siècles qui doivent s'écouler avant
-que ces myriades d'Intelligences individuelles s'effacent et se
-confondent,&mdash;en même temps que les brillantes étoiles,&mdash;en Une seule
-suprême. Imagine que le sens de l'identité individuelle se noie peu à
-peu dans la conscience générale,&mdash;que l'Homme, par exemple, cessant,
-par gradations imperceptibles, de se sentir Homme, atteigne à la longue
-cette triomphante et imposante époque où il reconnaîtra dans sa propre
-existence celle de Jéhovah. En même temps, souviens-toi que tout est
-Vie,&mdash;que tout est la Vie,&mdash;la Vie dans la Vie,&mdash;la moindre dans la
-plus grande, et toutes dans l'Esprit de Dieu.»</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_149" id="Page_149">[p. 149]</a></span></p>
-
-
-
-<h5>NOTE DU TRADUCTEUR</h5>
-
-
-<p><i>Les dernières pages du livre indiquent au lecteur le sens qu'il doit
-attribuer au mot</i> Vie Éternelle, <i>qui est employé dans les dernières
-lignes de la préface.</i></p>
-
-<p><i>Le mot est pris dans un sens panthéistique, et non pas dans le sens
-religieux qu'il comporte généralement. La</i> Vie éternelle <i>signife donc
-ici:</i> la série indéterminée des existences de Dieu, soit à l'état de
-concentration, soit à l'état de dissémination.</p>
-
-
-<hr class="full" />
-<p><a id="TABLE"></a>TABLE</p>
-
-<p style="font-size: 0.8em;">EXTRAIT DE LA BIOGRAPHIE D'EDGAR POE, PAR RUFUS GRISWOLD<br />
-<a href="#Page_9">PRÉFACE</a><br />
-<a href="#EUREKA">EUREKA</a><br />
-<a href="#Page_149">NOTE DU TRADUCTEUR</a>
-</p>
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-<pre>
-
-
-
-
-
-End of the Project Gutenberg EBook of Eureka, by Edgar Allan Poe
-
-*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK EUREKA ***
-
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