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Auguste Marc, +directeur-gérant. + + + +[Illustration: LA PROROGATION.--Les curieux attendant l'arrivée du train +parlementaire sur le pont de l'Europe, dans la nuit du 18-19 novembre.] + + + +SOMMAIRE + +_Texte_: Histoire de la semaine.--Courrier de Paris, par M. Philibert +Audebrand.--La Soeur perdue, une histoire du Gran Chaco (suite), par M. +Mayne Reid.--Nos gravures.--Un voyage en Espagne pendant l'insurrection +carliste (V).--Les Théâtres.--Revue comique du mois, par +Bertall.--Bulletin bibliographique.--_La Guerre de_ 1870-71, par A. +Wachter. + +_Gravures_: La prorogation, les curieux attendant l'arrivée du train +parlementaire sur le pont de l'Europe, dans la nuit du 18-19 novembre. +--Procès du maréchal Bazaine: les témoins (9 gravures).--Le service des +pigeons voyageurs de la Presse, à Versailles (2 gravures).--_L'Espagne_, +par M. le baron Davilier (8 gravures).--Les événements de Cuba: vue +générale, de la Havane;--L'île de Cuba: vue prise près de la côte de +Candela.--Revue comique du mois, par Bertall (13 sujets).--Les fuyards +à la pot te de Balan, gravure extraite de la _Guerre_ de 1870-71, par M. +A. Wachter.--Rébus. + + + +HISTOIRE DE LA SEMAINE + +FRANCE + +Après le vote de la loi de prorogation, il était permis de penser que la +majorité, qui s'était ralliée autour de la haute personnalité du +maréchal de Mac-Mahon, pourrait bien s'affaiblir ou même disparaître +quand le débat viendrait à se poser non plus sur le terrain national et +gouvernemental, mais sur le terrain purement ministériel; bon nombre de +journaux affirmaient avec confiance que le cabinet serait moins heureux +que le président lorsqu'il se présenterait pour son propre compte à la +barre de l'Assemblée, et lorsque M. Léon Say vint à la tribune +développer son interpellation sur la politique suivie pendant les +vacances et sur le retard apporté à la convocation des collèges +électoraux, il crut pouvoir affirmer que la dernière heure du ministère +du 24 mai était sur le point de sonner. Ces prévisions ne se sont pas +réalisées; le cabinet a remporté une victoire moins éclatante, il est +vrai, que le maréchal-président, mais qui s'est soldée par la majorité +importante de 50 voix; ainsi qu'il s'y était engagé, il a remis avant +même l'ouverture du débat, sa démission collective entre les mains du +chef de l'État, mais pour se reconstituer sur les mêmes bases, sauf +quelques changements de personnes et d'attributions qui n'impliquent pas +de changement fondamental de tendances ni de principes. + +M. de Broglie garde le titre et les fonctions de vice-président du +conseil des ministres et prend le portefeuille de l'intérieur. MM, +Batbie, Ernoul, Beule et de la Bouillerie sortent du cabinet pour faire +place à MM. le duc Decazes, nommé ministre des affaires étrangères; +Depeyre, ministre de la justice; de Fourtou, ministre de l'instruction +publique et des cultes, et de Larcy, ministre des travaux publics, M. +Deseilligny passe à l'agriculture et au commerce en remplacement de M. +de la Bouillerie; enfin les portefeuilles des finances, de la guerre et +de la marine restent confiés, comme précédemment, à MM. Magne, du Barail +et Dompierre d'Hormoy. + +Quant au vote de la loi de prorogation, les commentaires qu'il a +suscités dans la presse sont importants à noter si l'on veut chercher à +se rendre compte de ce que sera notre régime politique dans la phase +nouvelle dont cette loi est le point de départ. Ainsi qu'il fallait s'y +attendre, les journaux bonapartistes et républicains se sont montrés +fort désappointés d'une défaite à laquelle ils s'attendaient en grande +partie, mais sans penser qu'elle serait aussi complète; toutefois; ces +derniers font contre mauvaise fortune bon coeur, et cherchent à se +consoler en répétant qu'après tout la République subsiste en fait et que +rien n'est perdu par conséquent; constatons en outre que la presse +républicaine paraît pour le moment corrigée des intempérances de langage +qui ont plus d'une fois compromis sa cause, et que ses appréciations +sont en général empreintes d'une modération à laquelle on ne peut +s'empêcher de rendre justice. Seuls, les journaux du centre droit +triomphent avec une joie parfois insuffisamment contenue: «Nous tenons +le loup par les oreilles, s'écriait dernièrement l'un d'eux; il faut les +lui couper; s'il cherche à mordre, muselons la bête fauve.» + +Les feuilles légitimistes, au contraire, n'augurent rien de bon du +nouvel état de choses, et s'expriment, sur les manoeuvres de stratégie +parlementaire qui l'ont amené, avec une amertume dont l'heure n'est pas +encore venue de connaître tous les secrets motifs. Dès le lendemain de +la séance du 19, l'_Union_, l'_Univers_ et le _Monde_ publiaient une +déclaration des députés de l'extrême droite qui s'étaient abstenus dans +le vote; en même temps, ces mêmes journaux dénonçaient avec indignation +les habiletés de ceux qui, disaient-ils, avaient fait échouer la fusion +et voulaient maintenant se donner le temps d'attendre la mort du roi +légitime. + +Il est incontestable que la campagne fusionniste n'a pas dit son dernier +mot; bien des mystères enveloppent encore l'histoire des négociations +auxquelles elle a donné lieu; bien des événements inattendus peuvent +encore surgir, qui n'en seront que les conséquences. Une brochure qui +vient de paraître, et qu'il serait trop long d'analyser ici, contient à +cet égard plus d'une révélation curieuse. D'autre part, il est avéré que +le comte de Chambord est constamment en butte à des démarches dont +l'objet précis n'est pas livré au public, mais dont on n'a pu empêcher +le secret de transpirer. Le chef de la maison de Bourbon était venu à +Versailles au moment de la discussion de la loi de prorogation; la +nouvelle de ce voyage avait d'abord été démentie avec insistance; +l'_Union_ l'a, depuis, confirmée officiellement par une note où l'on a +beaucoup remarqué le passage suivant: + +«Le moment n'est pas venu de révéler ce que M. le comte de Chambord a +tenté pour ramener au port le navire en détresse, mais quand aura sonné +l'heure de Dieu, et cette heure n'est pas loin, la France apprendra avec +admiration tout ce qu'il y a de désintéressement, de simplicité, de +dévouement, dans ce coeur de roi et de père qui n'a point de parti et +qui sait accomplir si noblement son devoir. Elle s'étonnera d'avoir pu +méconnaître si longtemps tant d'abnégation et de vraie grandeur.» + +L'apparition de cette note a coïncidé avec le bruit, répandu depuis +quelques jours, de l'abdication du comte de Chambord. Y avait-il quelque +chose de fondé dans ce bruit?--C'est ce que l'avenir nous apprendra. + +ESPAGNE. + +Les nouvelles venues des États-Unis pendant la semaine tendent à +présenter sous un jour plus rassurant le différend survenu entre +l'Amérique et l'Espagne au sujet de la prise du _Virginius_ et du +massacre des flibustiers qui le montaient. Rappelons d'abord que le +_Virginius_ était notoirement au service de l'insurrection cubaine, +qu'il venait ouvertement s'approvisionner de contrebande de guerre, à +destination de Cuba, dans le port de New-York, et qu'il en était à sa +quatrième expédition de ce genre quand il fut pris par le _Tornado_ dans +les eaux de Santiago; que l'exaspération des Espagnols était, par +conséquent, assez compréhensible, et que le cas de ce flibustier +présente de frappantes analogies avec celui de l'_Alabama_ au sujet +duquel les États-Unis ont eux-mêmes eu maille à partir avec +l'Angleterre. Ajoutons que, dans un intérêt de parti, les politiciens +américains ont cherché à exploiter les exécutions de Santiago en +excitant l'indignation publique pour s'en faire une arme contre le +gouvernement du général Grant, disposé à voir les choses plus froidement +et à n'agir qu'en connaissance de cause. Quoi qu'il en soit, d'après les +dernières dépêches transmises par le câble transatlantique, le cabinet +de Washington a décidé que le _Virginius_ naviguait légalement avec un +registre américain. Le général Sickles a reçu substantiellement pour +instructions d'exiger de l'Espagne la restitution du _Virginius_, ainsi +que les survivants de l'équipage et des passagers de ce navire; une +excuse pour l'insulte faite aux États-Unis; une indemnité en faveur des +parents des victimes; le châtiment des exécuteurs ou leur remise au +gouvernement américain pour être par lui punis, et enfin la mise en +vigueur immédiate des décrets portant restitution des biens et +propriétés confisqués aux citoyens américains. Le ministre est également +chargé de faire part au gouvernement de Madrid du vif désir du +gouvernement américain de voir abolir l'esclavage. + +L'opinion généralement établie dans les régions officielles est que la +diplomatie parviendra à régler le différend; mais la situation, telle +qu'elle est aujourd'hui, n'en est pas moins critique. Le sentiment +public n'est pas précisément belliqueux, bien que certains journaux +fassent des efforts suprêmes pour créer l'agitation. Les préparatifs +militaires continuent. Une flotte de quarante-trois navires, portant un +matériel de six cent quarante-trois pièces d'artillerie, a reçu l'ordre +de se tenir prête au premier signal. + +PAYS-BAS + +Les préparatifs des Hollandais pour la deuxième expédition contre Atchin +sont très activement poursuivis aux Indes; cette expédition doit partir +dans le courant de ce mois de Batavia pour sa destination. Il est arrivé +dernièrement dans le port de cette ville un nouveau navire à vapeur qui +n'a pas apporté moins de 2833 caisses remplies de matériel de guerre, +avec vingt-cinq canons, ainsi que deux petits bateaux à vapeur démontés +et prêts à être remontés à Batavia. + +On fait, en outre, à Samarang, des essais avec des radeaux de +débarquement susceptibles de porter un poids de 16,000 à 17,000 +kilogrammes, et qui seront reconduits en place par des remorqueurs à +vapeur. Ces engins se composent chacun de cinq grands cylindres creux en +fer, solidement reliés ensemble et couverts d'un simple plancher. + +SUISSE + +Le Conseil fédéral suisse vient d'adresser à notre ministre des affaires +étrangères une note relative à la question monétaire. Nous la +reproduisons plus loin. Justement préoccupé de l'introduction de +l'étalon d'or dans plusieurs États et des variations qu'a subies le +rapport des monnaies d'or et d'argent, principalement depuis la +convention conclue en 1865 entre la France, l'Italie, la Suisse et la +Belgique, le gouvernement helvétique, s'autorisant de l'article 2 de +ladite convention, a exprimé le voeu qu'une conférence des quatre États +signataires fût convoquée le plus tôt possible pour aviser aux mesures +propres à garantir les intérêts économiques engagés dans cette question. +Faut-il maintenir le double étalon, sur lequel repose la convention de +1865? Doit-on lui substituer l'étalon unique? Ne convient il pas de +faire cette substitution graduellement, pour éviter une perturbation +immédiate et nuisible? Quels seraient les moyens d'empêcher la +dépréciation croissante de l'argent, produite par l'exportation de l'or +des États de l'union monétaire? Telles sont les questions que la note du +Conseil fédéral propose de soumettre à la conférence dont il sollicite +la convocation. + + + +COURRIER DE PARIS + +Il nous est venu des lions, en compagnie de leur dompteur. On va les +voir aux bougies, salle des Folies-Bergères, S'il faut le dire, ce +spectacle n'a plus d'imprévu pour nous. Il y a beau temps que les +Parisiens sont blasés là -dessus. Qui ne se rappelle tour à tour quatre +ou cinq Androclès en spencer rouge? Van Amburgh jouait avec une panthère +de Java comme une petite dame avec son manchon, Carter s'en prenait à +une lionne toujours insurgée. Il nous semble le voir encore la frappant +d'une baguette de coudrier comme un valet de bonne maison bat une +descente de lit afin d'en faire tomber la poussière. Hermann n'avait pas +moins d'audace; il agaçait un ours blanc. C'était à l'Hippodrome. +Arnault, le directeur, nous disait: «Il m'a bien semblé, l'autre soir, +qu'Hermann allait servir de dîner à son ours.» En réalité, Crockett +était celui dont la vue nous causait le plus d'émotion. Celui-là avait +affaire à de vrais lions, à des lions de Barca. Le public pressentait +qu'il finirait par être mangé. Il l'a été, en effet, non à Paris, mais à +New-York, je crois. Crockett, croqué! Les faiseurs de jeux de mots ne +pouvaient manquer cette assonance. C'était, du reste, un argument de +plus pour démontrer la fatalité des noms. + +Celui qui vient d'arriver s'appelle Delmonico un beau nom de dompteur, à +mêler à un roman ou à un mélodrame. Il y a des lions et des lionnes +dans une cage de fer, où il se montre, en homme résolu, n'ayant à la +main qu'une cravache. On prétend qu'il cache sous sa tunique un revolver +pour le cas où il aurait à soutenir avec ses pensionnaires une polémique +un peu trop vive. Je dois constater que cette arme est révoquée en doute +par plus d'un spectateur. A quoi pourrait servir un pistolet dont la +balle ne ferait que transpercer la peau d'un des monstres et qui, par +conséquent, n'aurait d'autre résultat que de lui causer un surcroît +d'irritation? Pour Delmonico comme pour tous ses devanciers, le préjugé +veut que la puissance magnétique du coup d'oeil suffisse.--Une houssine +et un oeil qui fascine, dit-on: il ne faut rien de plus. + +Vous rappelez-vous un jeune Américain du nom de Batty? Lui aussi passait +pour n'avoir pas besoin d'un autre prestige que le feu de son regard +pour subjuguer les lions. Un jour, la foule même étant là , il fut abattu +d'un seul coup de griffe et broyé d'un coup de mâchoire. «C'est qu'il +n'a pas su maintenir la rétine de l'oeil au beau fixe», disaient les +_petits crevés_ d'alors. Messieurs les _gommeux_, leurs successeurs, +professent naturellement l'opinion qu'il n'y a rien à craindre tant +qu'on regarde fixement. On change le lion en agneau rien qu'en le +lorgnant. + +Au fait, la chose serait possible, si ce qu'on raconte à ce sujet est +exact. Ces lions qu'on exhibe seraient assouplis dès l'âge le plus +tendre par un système d'éducation assez raffiné. On leur fait suivre des +cours. Pris tout petits en Afrique, on les enverrait dans un pensionnat +où tout est disposé pour les préparer à faire une entrée convenable dans +le monde. Saviez-vous donc qu'il existât des maisons pour l'instruction +des individus de la race léonine? Le plus renommé de ces établissements +est, paraît-il, situé à Madrid, ville d'une température toujours tiède +(les jeunes élèves, brusquement arrivés d'Afrique, s'enrhumeraient dans +une ville du Nord). A Madrid, d'ailleurs, on a toujours la viande +saignante à bon marché, à raison des corridas ou courses de taureaux. +Voilà pourquoi on amène de préférence les lionceaux dans la capitale des +Espagnes; là , on leur enseigne la civilité puérile et honnête; on leur +apprend surtout l'art de frémir à un froncement de sourcil, et, comme +corollaire, la sobriété, qui consiste à ne dévorer son gardien que le +moins possible. Faire des collégiens avec des lions, telle est la marche +du progrès, comme vous voyez. + +Les sujets de Delmonico ont-ils fait leurs classes à Madrid? Le dompteur +le nie, et cela se conçoit. Encore neuf dans le métier, il y va +rondement, comme un vieux routier. On raconte qu'il a fait avec un +amateur un pari d'une allure assez originale. Il se serait engagé à +entrer dans la cage cent jours de suite sans recevoir la moindre +égratignure. En vertu de ce contrat, il ne devrait atteindre son chiffre +que le 18 janvier prochain. Ce jour-là , s'il est indemne, tranchons le +mot, s'il n'a pas été mangé, il recevra en bloc la somme de 120,000 +francs. Delmonico est un philosophe. Au cas où il gagnerait la gageure, +il s'est promis de liquider ses lions sans le moindre retard. Il placera +ses fonds en 3 pour 100 et vivra honorablement de ses rentes, n'ayant +pour tout animal à ses trousses qu'un griffon de la Havane à peu près +gros comme le poing fermé de son maître.--Pas si bête pour un dompteur! + +J'ai parlé des lettres posthumes de Prosper Mérimée, qu'on imprime en ce +moment. On assure que cette correspondance ressemblera beaucoup à des +mémoires intimes, méthode de Diderot. L'auteur de _Colomba_ y raconte +les principaux épisodes de sa vie. Mais combien de traits qui, par +malheur, n'y trouveront pas place! Je doute, par exemple, qu'on y lise +un fait-anecdote assez curieux et tout à fait inédit qui s'est passé +sous Louis-Philippe, à trois cents kilomètres de Paris. + +C'était en 1840. + +Prosper Mérimée traversait le Berry en qualité d'inspecteur des +monuments historiques. Il s'était arrêté à Saint-Amand-Mont-Rond, jolie +petite ville aux environs de laquelle on veut que César ait établi son +camp, à l'époque où il se mit à la poursuite de Vercingétorix; c'est, en +effet, sur la route de Bourges à Clermont, ou, si vous voulez, +d'Avaricum à Gergovia. Des camps de César, où n'en signale-t-on pas? Il +y avait dans l'endroit un vénérable archéologue, zélateur des poteries +de l'antiquité. Dans l'intérêt de la science, ce brave homme avait +obtenu de faire pratiquer des fouilles au lieu même où l'on assurait que +les fils de la Louve avaient campé. Et justement, ce matin-là , il +accourait, effaré, plein de joie, afin de révéler un grand secret à +l'auteur du _Théâtre de Clara Gazul_. + +--Que se passe-t-il donc, cher monsieur? demanda Mérimée. + +--Monsieur l'inspecteur général, un fait de la plus haute importance. Je +viens de trouver un dieu. + +--Un vrai dieu? + +--Un Bacchus antique, couvert de la peau de tigre et ayant un thyrse à +la main. Venez donc voir ça avec moi. + +Il y avait à peu près une heure de chemin. On monta dans une berline et +l'on partit. + +Pendant la route, l'archéologue parlait de ses découvertes. + +--J'avais déjà mis la main sur bien des fragments de vases antiques, +disait-il; c'était un commencement de preuve. Mais un Bacchus, de +hauteur d'homme, en métal romain! Un dieu, probablement fondu sous le +septième consulat de Marius et apporté chez nous par les légions de +Jules César! Voilà un témoignage, monsieur! Tout le monde savant va +tressaillir à cette nouvelle. + +Hélas! tandis qu'il tenait ce langage, il se passait du nouveau auprès +des terrassiers. + +Après avoir jeté leur dieu de côté, ceux-ci reprenaient leur travail +lorsqu'un cri, populaire dans la contrée, leur fit tout à coup lever la +tête; c'était un de ces industriels ambulants qui courent à travers les +campagnes pour y refaire les batteries de cuisine. + +--Rétameur! voici le rétameur! + +Un des pionniers l'appela; l'homme accourut. + +--Voilà un bloc de métal qui s'est trouvé sous notre pioche, dit le +travailleur. Ce vieux fou de savant dit que c'est un dieu; il a dansé de +joie tout autour. Si on le laisse faire, il l'emportera comme il emporte +tous les tessons de vieilles bouteilles qu'il rencontre par ici. +Qu'est-ce que c'est que ça au juste? + +--De l'étain d'assez bonne qualité. + +--A quoi ça pourrait-il servir? + +--A faire des cuillers à soupe. + +Des cuillers! Sur un signe qu'ils firent, le nomade se mit à la besogne; +il fixa son réchaud en terre, fondit le Bacchus et en fit des cuillers. + +Il en était à la dernière lorsque la berline arriva. + +Exprimer la douleur du savant serait impossible. L'archéologue avait +encore trois cheveux sur la tête; il se les arracha. Il pleurait de +rage. Il interpellait Mérimée et, en levant les mains au ciel: + +--O Jupiter! s'écriait-il, on voit bien que tu n'es plus rien là -haut! +Sans quoi tu n'aurais jamais permis une telle profanation à l'endroit de +celui de tes fils que tu as gardé trois mois dans une de tes cuisses! + +Mario de Candia est revenu à Paris, où il amène les deux filles qu'il a +eues de son mariage avec Giulia Grisi. Le temps a eu beau marcher, rien +n'efface la pieuse tristesse que le ténor a ressentie en voyant mourir +la célèbre et belle cantatrice dont il avait fait sa femme. Mario, +dit-on, éprouve un âpre plaisir à reparaître aux lieux où sa jeunesse a +été tant fêtée, il y a trente-cinq ans. Peu importe que tout y ait +changé de face. A la vieille cité de pierre a succédé une ville de +marbre et d'or. Il n'y avait guère que quinze cents _dilettanti_; on en +énumère cent mille aujourd'hui, mais cent mille qui aiment à se griser +de musique de cuivre, cent mille qui portent les oreilles d'âne que +Voltaire montrait jadis à Grétry. Mario, renaissant, délicat, studieux, +soigneux, peu bruyant, serait-il compris de ce public nouveau? On peut +en douter. Mais que vous dire? Il se rappelle sans doute ce que disait +Paganini: «Un artiste de talent sera toujours bien venu partout; il ne +peut vivre qu'à Paris.» Pour le revenant, il y a d'ailleurs le charme +irrésistible qui s'attache aux souvenirs d'une époque sans pareille et +qui ne sera pas recommencée. + +Beaucoup se rappellent encore les premiers jours de sa venue. C'était +dans un temps où l'on ne s'occupait déjà plus de politique. La mode +était d'être tout entier à l'art, à la science, au théâtre, à la +peinture, à la musique, aux beaux vers. Victor Hugo faisait jouer _Ruy +Blas_ par Frédérick-Lemaitre, encore jeune; Alfred de Musset venait +d'écrire les _Deux Maîtresses_, Stendhal, la _Chartreuse de Parme_; M. +de Balzac, _Un grand homme de province à Paris_; Gérard de Nerval, les +_Amours de Vienne_. On touchait de la veille au duel lyrique engagé +entre Duprez et Adolphe Nourrit, duel funeste, puisqu'il a fini par le +suicide de ce dernier; Mlle Rachel quittait le Gymnase pour s'acheminer +en triomphatrice du côté du Théâtre-Français; Eugène Delacroix avait +exposé la _Médée_ au dernier Salon; Decamps continuait ses études +d'Orient; David (d'Angers) plaçait le Philopémen dans le jardin des +Tuileries. Un opéra, un roman, un tableau, une statue, c'était le pain +quotidien d'alors. L'Athènes de Périclès n'a jamais été plus ensoleillée +de vraie gloire. On n'aurait jamais pu s'imaginer qu'un jour viendrait +où Paris courrait voir un Russe qui a du poil de chien sur la figure, un +noir qui fouette des lions dans une cage ou une mulâtresse à deux têtes, +des monstres. Et il n'y avait pas encore de Petite Bourse sur les +boulevards. + +En ce temps-là , le docteur Véron, si habile, gouvernait l'Opéra en +autocrate; c'était pour le mieux, puisqu'il donnait sans cesse l'éveil à +un chef-d'oeuvre inédit ou à quelque grand artiste inconnu. Voilà qu'on +apprit tout à coup l'arrivée d'un ténor. A la suite d'une escapade, un +jeune officier du roi de Sardaigne, s'étant sauvé en France, avait brisé +son épée pour monter sur les planches. Un chevalier! un comte! +l'aventure était piquante. + +Mario de Candia,--c'était lui,--fut essayé; il avait déjà une jolie voix +de salon, mais il fallait développer cet organe si précieux. + +--Un ténor, la coqueluche de Paris! N'épargnez rien pour en avoir un, +disait à M. Véron le ministre de l'intérieur. + +Quand on constatait un grand succès au théâtre, Paris et la France +n'avaient plus rien à dire. La machine gouvernementale fonctionnait à +l'aise. On votait le budget sans débat; on dénouait les conflits +diplomatiques en se jouant; les élections se faisaient presque en +chantant. + +--N'épargnez rien, répétait le ministre; jetez, s'il le faut, l'argent à +pleines mains. + +Les naturalistes nous ont appris combien il faut de soins pour élever un +rossignol. Pour un ténor de ce cycle étrange, c'était bien autre chose. +Que de blandices à l'adresse du nouveau venu! Non-seulement on +prodiguait autour de lui les professeurs, un maître de français, un +maître d'armes, un maître de danse, un maître d'équitation, un maître de +natation, un maître de piano, un maître de chant, mais encore il avait +sans cesse à ses trousses un médecin en renom, chargé de veiller sur sa +personne avec une vigilance de dragon mythologique. + +--A-t-il bien dormi? Il ne faut pas trop d'exercice! Qu'on prenne garde +aux courants d'air! Ah! s'il allait attraper un rhume! + +On ne lui permettait pas de sortir par les temps de pluie, ni le soir, à +l'heure du serein. À table, on ne lui servait que les meilleurs +morceaux, les plus légers, de la cervelle, des crêtes de coq, du blanc +de poulet, précipités, de préférence, par du bordeaux, du haut-brion ou +du léoville. Pourtant il n'en fallait pas en quantité qui pût allumer +trop son coeur. Pas d'amour. L'amour était sévèrement défendu, vu qu'il +porte atteinte, disait-on, aux cordes tendres de la voix. Un ténor, je +le répète, on faisait de l'existence d'un tel artiste une question de +cabinet.--M. Thiers se flattait d'avoir fait plus de ténors que M. +Guizot. + +Pour en revenir au jeune et brillant chevalier sarde, au bout de neuf +mois d'attente, il fut en état de se montrer sur le théâtre. Quelle +salle d'élite pour le voir et pour l'entendre! Il chanta et, dès les +premières notes qui sortirent de son gosier, le comte Duchâtel, ministre +de l'intérieur, présent à ses débuts, s'écria: + +--Allons, il a une voix charmante! La monarchie et le ministère sont +sauvés! + +Tout ce qu'on avait fait pour Mario a été renouvelé depuis pour +Poultier, le tonnelier de Rouen. + +PHILIBERT AUDEBRAND. + + + +PROCÈS DU MARÉCHAL BAZAINE LES TÉMOINS + +[Illustration: Marchal.] + +[Illustration: D'Abzac.] + +[Illustration: Cruzem.] + +[Illustration: Bonzella, marin de l'_Inflexible_.] + +[Illustration: Camut.] + +[Illustration: Quatre-Boeuf, quartier-maître.] + +[Illustration: Flahaut.] + +[Illustration: Régnier.] + +[Illustration: Arnous-Rivière.] + +D'après les photographies de M. Appert. + + + +[Illustration: LE LACHER DU PIGEON PORTEUR DES DERNIÈRES NOUVELLES.] + +[Illustration: Mode d'attache de la dépêche.] + +LE SERVICE DES PIGEONS VOYAGEURS DE LA PRESSE, A VERSAILLES. + + + +LA SOEUR PERDUE + +Une histoire du Gran Chaco + +(Suite) + +«Il n'y a peut-être pas consenti, répliquait Cypriano. Je crois qu'il ne +l'eut pas permis, il peut même l'avoir ignoré et l'ignorer encore, mais +nous savons qu'en plus d'une circonstance les vieillards de la tribu ont +eu à faire justice de crimes du même genre commis à leur insu par des +gens de la tribu. Il y a de mauvais drôles parmi les sauvages tout comme +parmi nous. Les jeunes guerriers de la tribu ont plus d'une fois +épouvanté la contrée par leurs attentats contre la vie des rares +voyageurs qui s'étaient hasardés à parcourir la contrée. Quelque chose +me crie que tous nos malheurs ont pour cause ces Indiens maudits et que +le fils du chef lui-même, Aguara, est à leur tête. Je l'ai soupçonné de +méditer le projet qu'il vient d'accomplir et, quand mon oncle est parti +pour cette malheureuse excursion avec Francesca, ce n'est qu'une fausse +honte qui m'a retenu de lui faire part de mes inquiétudes. Je dois +convenir pourtant que le misérable a dépassé dans l'exécution de son +crime mes prévisions sur un point. Je ne l'aurais pas cru capable +d'aller jusqu'au meurtre de l'ami même de son père pour faire réussir +son dessein.» + +Ludwig ramené subitement à la pensée de son double malheur demeura +quelque temps sans répondre. La scène du retour de son père se +représentait tout entière à son esprit. Il entendait encore le cri +désespéré de sa mère à la vue de son mari inanimé. Plongé dans ce +souvenir, il semblait ne pouvoir en sortir. Mais faisant enfin un effort +pour s'arracher à la contemplation de ce lugubre passé, sa pensée se +reporta plus vivement sur le présent et l'avenir. + +«Cypriano, dit-il, il vaut mieux peut-être que les choses se soient +passées comme vous le supposez. + +--Mieux! pourquoi donc, Ludwig? + +--Nous avons du moins une espérance, celle de retrouver Francesca. Si le +vieux chef est innocent, il ne manquera pas de nous la faire rendre, +quand bien même le coupable serait son propre fils. + +--J'en doute, repartit tristement son cousin. + +--C'est pourtant notre seul espoir, continua Ludwig. Si ce forfait a été +commis par quelque autre tribu ennemie de nous autres blancs, et vous +savez que toutes celles du Chaco sont dans ce cas, quelle chance +avons-nous de leur reprendre ma soeur? L'enlever de force serait +impossible, il y aurait folie d'y songer. Nous n'aurions d'autre +alternative en le tentant que d'y perdre la vie, ou, et ce serait pis, +la liberté sans profit pour elle. + +--C'est vrai, dit Cypriano, je reconnais que sans l'aide de Naraguana, +notre expédition est désespérée. Mais nous aurions plus de chance de +succès si nous devions requérir son aide contre d'autres tribus que la +sienne. Contre des Guaycurus, par exemple, ou des Mbayas, ou des +Anguites, le chef Tovas pourra prendre en main notre cause. Quoique les +tribus du Chaco se liguent volontiers toutes ensemble lorsqu'il s'agit +d'une expédition contre les blancs, elles ont souvent de mortelles +haines les unes contre les autres. Mon espoir se fonde plutôt sur cette +supposition que sur toute autre chose qu'il soit en notre pouvoir +d'accomplir. Si, au contraire, nous avons affaire aux Tovas!... + +--Ce sont les Tovas!» interrompit Gaspardo qui, tout en chevauchant et +tout en ne perdant pas de l'oeil la piste de l'ennemi, n'avait pourtant +pas cessé d'écouter la conversation. + +Au même instant, il arrêtait brusquement sa monture et désignait quelque +chose sur le sol, tout à côté de son cheval. + +«Regardez, s'écria-t-il, voilà la preuve de la culpabilité des Tovas!» + +Ludwig et Cypriano s'avancèrent pour examiner ce qu'il leur désignait +ainsi. + +C'était un objet sphérique à peu près de la dimension d'une orange, et +d'une couleur brune foncée. Tous deux reconnurent une _bola_, pierre +ronde, couverte de cuir cru, et semblable à l'une de celles qui +pendaient aux arçons de leurs propres selles. + +«Quelle preuve trouvez-vous là , Gaspardo, dit Cypriano? C'est une bola +que quelqu'un a laissé tomber et dont la courroie s'est brisée. Mais +qu'est-ce que cela prouve? Tous les Indiens Chaco ne portent-ils pas des +bolas? + +--Oui, mais pas de pareilles à celle-ci. Examinez-la,» dit-il en se +penchant sur sa selle et ramassant la bola sans quitter les étriers; «y +voyez-vous le moindre signe de rupture? Non, elle n'a jamais été +attachée à une courroie. Caramba! senores, c'est une _bola perdida_ +(1)!» + +Les deux jeunes gens se passèrent l'objet et n'y découvrirent rien qui +pût laisser supposer qu'il appartenait à un couple de bolas. C'était une +lourde pierre, entourée d'une enveloppe de peau de vache, avec laquelle +on l'a recouverte quand elle était encore humide, et qui, en séchant, +s'était resserrée sans laisser un seul pli. Il n'y avait aucune +apparence de courroie, on ne voyait que la couture qui la fermait. +Quelle que pût être son utilité, la bola était complète en elle-même. + +--Une _bola perdida!_ Je n'ai jamais entendu parler de cela, dit Ludwig. + +--Ni moi non plus, ajoute Cypriano. + +--J'en ai entendu parler, moi, dit le gaucho, et j'ai vu aussi ses +effets. C'est une arme dont les Indiens se servent avec une adresse qui +vous surprendrait. Ils la lancent à plus de 30 mètres et en frappent la +tête d'un ennemi avec autant de sûreté que si elle sortait du canon +d'une carabine. _Maldita!_ J'ai vu des crânes écrasés par un pareil +coup, mieux que s'ils avaient été écrasés par un bâton de _quebracho_ +(2). La _bola perdida_, senores! ce n'est pas un jouet d'enfant, je vous +l'assure. + + [Note 1: Littéralement «boule perdue», la signification spéciale + de ces mots résultera de l'explication du gaucho.] + + [Note 2: Nom donné à une espèce d'arbre de la famille des acacias, + à cause de la dureté de son bois. Quebracho, ou casseur, signifie + qu'il briserait la hache avec laquelle on voudrait l'abattre.] + +--Mais quelle preuve avez-vous qu'elle ait été lancée par des Tovas?» + +Cette question était faite par Ludwig. + +«Ils sont les seuls Indiens qui puissent l'avoir laissée tomber, car eux +seuls se servent de cette arme. Aucune autre tribu ne l'emploie. N'en +doutez pas, mes enfants, elle a été perdue par un traître Tovas.» + +Les deux jeunes gens firent un signe d'assentiment, et dès ce moment ils +surent que la piste qu'ils suivaient alors était certainement la piste +des Tovas. + +Cette connaissance acquise d'une façon si inattendue affecta les +voyageurs bien différemment. A Ludwig elle donna, sinon de la joie, du +moins un rayon d'espérance de retrouver sa soeur, tandis que chez +Cypriano elle ne produisit qu'un désespoir plus sombre encore. + +«Au-dessus des Tovas, au-dessus du misérable assassin, dit-il à ses deux +compagnons, il est un plus grand coupable, à qui remonte la première +responsabilité de tous nos malheurs. + +--Oui, répondit Ludwig, l'infâme Francia. + +--Lui-même, et je ne vivrai jamais tranquille tant qu'il n'en aura pas +aussi subi le châtiment. + +--Dieu se chargera de le lui infliger. Quant à nous, cher cousin, que +pouvons-nous contre cet homme? + +--Rien pour le moment sans doute; mais plus tard nous nous verrons.» + +De nouveaux incidents vinrent faire diversion à leurs pensées. +L'atmosphère, après s'être graduellement assombrie, s'était épaissie +presque subitement autour d'eux, au point de faire succéder presque +instantanément la nuit au jour. + +«Vite, vite! cria Gaspardo en mettant son cheval au grand galop; si nous +n'atteignons pas la grotte, nous sommes perdus. Courez, si vous tenez à +la vie!» + +Les deux jeunes gens lancèrent comme lui leurs chevaux à toute vitesse. + +«Nous arrivons à temps! Grâce à la Mère de Dieu, nous arrivons à temps!» + +Cette exclamation sortit des lèvres de Gaspardo au moment où, suivi de +ses jeunes compagnons, il faisait passer son cheval par l'ouverture +d'une caverne. + +Cette caverne se trouvait dans un rocher à pic, s'élevant au-dessus d'un +arroyo (3) qui, un peu plus bas, se jetait dans le Pilcomayo. Son entrée +donnait sur le bord du ruisseau à quelques pieds de distance seulement +de l'eau courante. + + [Note 3: Vautour-dindon du l'Amérique Espagnole, nommé _Jofilote_ + au Mexique. Dans les autres portions du continent de l'Amérique du + Sud, ou l'appelle _urubu_ ou _gallinazo_. Certains voyageurs ont + cru que le _turkey buzzard_ des États-Unis et le _Gallinazo_ + Sud-Américain étaient un même oiseau. Ils sont cependant + entièrement distincts; ce dernier est beaucoup plus beau que son + congénère du Nord. Son plumage est plus brillant, tandis que sa + tête chauve, son cou et ses pattes, au lieu d'être d'un blanc + grisâtre, sont d'une couleur rouge vif. Il existe au moins quatre + espèces distinctes de ces petits vautours noirs sur le continent + de l'Amérique.] + +«Oui, nous arrivons au bon moment», ajouta le gaucho en exhalant un +soupir de soulagement. «Caramba! entendez-vous? voyez-vous? Regardez +dehors!» + +Il parlait encore quand un éclat de tonnerre étouffa sa voix. C'était la +tempête. C'était la tormenta! dont les grondements répercutés soudain +par les échos du ravin, prirent en un instant une effroyable intensité. +Des nuages de poussière tourbillonnaient dans la plaine et semblaient +vouloir accourir sur eux. + +«Dépêchons, descendez de cheval», cria Gaspardo à ses deux compagnons, +en leur donnant l'exemple. «Prenons nos ponchos, mes enfants, +attachons-les ensemble, et si nous ne voulons pas être étouffés dans cet +antre, bouchons-en l'entrée le mieux et le plus vite que nous pourrons.» + +Les jeunes gens n'avaient pas besoin d'être mis en demeure de ne pas +perdre un instant. Ce n'était pas la première fois qu'ils assistaient à +une tormenta; chez eux, à Asuncion, ils en avaient vu plus d'une et en +avaient remarqué les terribles effets. Ils avaient entendu les cailloux +brisant les fenêtres, faisant trembler les portes sur leurs gonds; ils +avaient vu la poussière passer à travers les fentes et les trous des +serrures comme l'haleine furieuse de l'ouragan, ils avaient vu les +arbres déracinés, brisés comme paille, les bêtes et les gens culbutés, +roulés à terre par son irrésistible violence. Aussi, avant que le gaucho +eût pu prononcer un autre mot, ils étaient sur pied et l'aidaient à +disposer à l'intérieur leurs chevaux pour qu'ils lussent un premier +obstacle, et à fermer l'ouverture de la caverne, à l'aide de leurs +ponchos solidement liés ensemble et fixés dans les interstices des +rochers au moyen de leurs couteaux. Ils furent à moitié aveuglés par la +poussière et presque renversés par le vent avant d'avoir pu terminer +cette opération. + +«Maintenant, dit Gaspardo, dès qu'ils eurent achevé leur besogne, nous +pouvons nous regarder comme en sûreté, et je ne vois pas de raison pour +ne pas nous installer dans ce trou aussi confortablement que le +permettent les circonstances. Nous serons peut-être retenus longtemps +ici, trois ou quatre heures, sinon toute la nuit. Quant à moi je suis +affamé comme un gallinazo(4). Cette rude course m'a fait oublier mon +déjeuner, de sorte que je propose d'achever ce qui nous reste de guariba +rôti. La salle à manger est sombre et nous aurons peine à faire bouillir +notre théière. Cependant j'espère pouvoir faire assez de lumière pour +éclairer notre repas.» + +En prononçant ces mots, le gaucho se dirigea vers son cheval, et +fouillant un moment sous son recado, il réussit à trouver un briquet. + +Mayne Reid. + +(_La suite prochainement._) + + [Note 4: L'arroyo est un ruisseau coulant entre deux berges + élevées et à pic.] + + + +NOS GRAVURES + +La loi de prorogation et le public + +Chaque fois qu'il y a eu à l'Assemblée nationale de Versailles +quelqu'une de ces grandes discussions qui mettent le pouvoir en +question, le contre-coup s'en est vivement fait sentir à Paris. Alors +que M. Thiers était président de la République, cela s'est produit non +pas une fois seulement. On n'a pas oublié encore l'émotion qui s'était +emparée de la capitale, le 24 mai: la foule agitée s'arrachant les +journaux du soir sur les boulevards, assiégeant la gare Saint-Lazare +pour attendre l'arrivée des trains, quêtant et commentant les nouvelles, +dans un état de surexcitation difficile à décrire. Le même phénomène ne +pouvait donc manquer de se reproduire le 19 septembre dernier, jour où +l'on discutait à Versailles la loi de prorogation des pouvoirs de M. le +maréchal de Mac-Mahon. En effet, dès la première journée de cette +discussion, qui ne s'est terminée, comme on sait, que le lendemain dans +une séance de nuit, la grande ville était soudainement reprise de son +accès de fièvre. Dans la soirée, même émotion sur les boulevards, mêmes +inquiétudes, même curiosité impatiente de savoir, même encombrement à la +gare, où, comme les sergents de ville, les patrouilles étaient +impuissantes à faire circuler la foule. Pour en avoir raison on crut +faire merveille en la trompant, en faisant arrêter les trains avant +l'entrée en gare, et l'on réussit un instant à la dérouter. Mais +quelqu'un éventa la mèche, et les curieux aussitôt de se porter sur le +pont de l'Europe. Il fallut bien en prendre son parti, et laisser suivre +son cours normal à cette fièvre qui finalement se calma d'elle-même, +sans s'être compliquée du plus léger accident. + +Quelques portraits de témoins dans le procès Bazaine + +Le procès du maréchal Bazaine avance. Bientôt la parole sera à +l'accusation et à la défense, car la liste des témoins ne tardera pas à +être épuisée. Avant qu'elle le soit tout à fait, nous croyons être +agréables à nos lecteurs en mettant sous leurs yeux les traits de +quelques-uns de ces témoins qui ont appelé le plus vivement sur eux +l'attention par le rôle qu'il ont joué dans le grand drame de la +capitulation de Metz et de l'armée du Rhin. + +Les neuf personnages dont nous donnons aujourd'hui les portraits, pour +commencer, se rattachent à trois catégories de faits différents: +communications entre les maréchaux Bazaine et Mac-Mahon avant le +désastre de Sedan, communications entre le maréchal Bazaine et le +gouvernement du 4 septembre, enfin communications entre le maréchal +Bazaine et l'ennemi. Les témoins Flahaut, Marchal et M. le colonel +d'Abzac se rapportent à la première catégorie. Commençons par celle-ci. + +Flahaut et Marchal sont deux agents de police qui servirent plusieurs +fois d'émissaires entre Metz et Thionville. Le 20 août, Flahaut se +trouvait à Metz lorsque le maréchal Bazaine le fit appeler et lui remit, +pour les porter à Thionville, les trois fameuses dépêches adressées, +après la bataille de Saint-Privat: 1º à l'empereur, 2º au ministre de la +guerre, 3º au maréchal de Mac-Mahon, dépêches dont les deux premières +différaient si essentiellement de la troisième. + +Celle-ci, en effet, portait seule cette restriction: «Je suivrai +très-probablement pour vous rejoindre la ligne des places du Nord, et +_vous préviendrai de ma marche, si toutefois je puis l'entreprendre sans +compromettre l'armée._» Ajoutons que, seule aussi, cette dépêche qui +aurait sans doute arrêté la marche du maréchal de Mac-Mahon vers l'est, +ne parvint point à son destinataire. Cependant elle était parvenue en +double, comme les autres, au colonel Turnier, à Thionville, apportée +d'une part par Flahaut, et de l'autre par Mme Louise Imbert. Le colonel +Turnier le fit passer toutes les trois au colonel Massaroli, commandant +la place de Longwy, par l'intermédiaire du commissaire de police +cantonal à Longwy, Guyard. Le colonel Turnier remit en même temps une +expédition de ces dépêches à M. de Bazelaire, élève de l'École +polytechnique, qui allait à Paris, et qui les fit partir le 22 par la +station télégraphique de Givet. De son côté le colonel Massaroli expédia +la dépêche à l'empereur, et celle destinée au ministre. Quant à la +dépêche adressée au maréchal de Mac-Mahon, il la remit à deux agents de +la police de sûreté de Paris qui avaient été demandés à M. Piétri par le +colonel Stoffel, chef de la section des renseignements à l'état-major du +maréchal de Mac-Mahon, et qui devaient chercher à pénétrer jusqu'au +maréchal Bazaine et recevoir ses dépêchées. Ces agents, les sieurs +Rabasse et Miès, adressèrent télégraphiquement cette dépêche, le 22, au +colonel Stoffel, ils lui en remirent entre les mains, le 26, l'original; +le colonel avait dû également en recevoir l'expédition par M. de +Bazelaire, et cependant, comme il est dit ci-dessus, elle ne parvint pas +au maréchal de Mac-Mahon. Le colonel a nié l'avoir jamais reçue, ce qui +a amené à l'audience du conseil de guerre un incident émouvant. Le +commissaire du gouvernement, le général Pourcet, à la suite de ces +dénégations, se leva et prit des conclusions contre le colonel, à +l'effet de le poursuivre pour soustraction de dépêche. Revenons à +Flahaut. + +Après avoir heureusement accompli la mission dont nous avons parlé plus +haut, il fut renvoyé à Metz par le colonel Turnier, avec une dépêche +chiffrée. + +Cette fois il voyagea de compagnie avec un de ses collègues, Marchal, +qui avait été chargé, de la même dépêche. L'odyssée de ces deux agents +abonde en détails dramatiques. Ils sont arrêtés trois fois par les +Prussiens et autant de fois repoussés, sous peine d'être fusillés. +Arrivés à Augny, dans une quatrième tentative, ils se cachent d'abord +dans la cave du maître d'école, puis chez le curé, qui leur donne à +souper et à coucher. Enfin, le lendemain ils réussissent en ayant +recours à la ruse. Arrêtés aux avant-postes ennemis et interrogés par un +officier: + +--Nous venions voir, répondent-ils, si vous avez des pommes de terre; +voici l'hiver, et si vous n'en avez pas nous pourrons vous en vendre. + +L'ennemi les croit et les laisse libres de circuler aux avant-postes. +Une occasion favorable se présente et ils filent. La dépêche avait passé +avec eux. Bien malin eût été le Prussien qui l'eût découverte. Chacun +d'eux avait avalé la sienne, après avoir eu soin de l'envelopper +préalablement de caoutchouc. Plus tard, le 5 et le 15 septembre, puis +dans le courant d'octobre, Marchal et Flahaut essayèrent de retourner à +Thionville, mais ils n'y purent parvenir. + +Disons, pour en finir avec cet ordre de faits, que le colonel d'Abzac, +dont il a été question plus haut, était attaché au cabinet du maréchal +de Mac-Mahon. Il a déclaré n'avoir pas eu connaissance de la dépêche du +20 août rapportée à Rhetel par les témoins Miès et Rabasse, et remise +par eux, selon leur dire, au colonel Stoffel. + +Les témoignages de Cruzem, de Camus, de Quatreboeuf et de Donzella se +rapportent aux communications entre le maréchal Bazaine et le +gouvernement du 4 septembre. Le maréchal prétend que ces communications +étaient alors devenues pour ainsi dire impossibles. Cependant le témoin +Crusem est sorti trois fois de Metz, passant à travers les lignes +prussiennes, d'abord dans la direction de Corny, puis par le bois de +Grigy, enfin par Saint-Remy: et, dans ces diverses excursions, il a +parcouru, dit-il, les environs de Metz et poussé, dans la dernière, +jusqu'à Luxembourg. Les trois témoins qui suivent, MM. Camus, +Quatreboeuf et Donzella étaient des émissaires du gouvernement du 4 +septembre qui, préoccupé de la situation de l'armée de Metz, avait fait +arriver à Longwy et à Thionville plusieurs convois de vivres pour la +ravitailler. C'est cette nouvelle qu'il s'agissait de porter à la +connaissance du maréchal Bazaine. M. Camus est un homme de quarante-huit +ans, garde-forestier, connaissant bien le pays. Il fit plusieurs +tentatives infructueuses pour passer et rentra à Longwy. M. Quatreboeuf, +sergent-fourrier des équipages de la flotte, paraît avoir mieux réussi. +C'est un jeune homme de trente-deux ans, alerte et énergique. Enfin M. +Donzella, autre marin, du même âge que le dernier et non moins +déterminé, envoyé par la délégation de Tours dans le même but, parvint à +entrer dans Thionville, qui était alors investi, et à remettre au +colonel Turnier, chargé de la faire parvenir, la dépêche dont il était +porteur. Donzella, pour passer, avait été obligé de se déguiser en +marchand d'osier. Il a raconté avec beaucoup de verve son entrevue avec +le colonel: «Il me chargea de dire bien des choses à sa famille et +voulait me donner une lettre pour elle, mais je refusai de la recevoir +en disant: + +«--Je veux bien me charger de nouvelles orales, mais je ne veux pas +m'exposer à me faire fusiller par les Prussiens uniquement pour dire à +votre famille comment vous vous portez.» + +Selon toute vraisemblance, la nouvelle de ce qu'avait fait le +gouvernement pour ravitailler l'armée de Metz est donc parvenue au +maréchal Bazaine, qui cependant affirme le contraire. Mais il affirme +également n'avoir pas reçu une dépêche postérieure, contenant les mêmes +détail et à lui apportée et remise par le garde mobile Risse. Cependant +l'entrée à Metz de Risse ne peut être contestée, puisqu'il s'y est +engagé dans le 44e de ligne. Sa déposition est très-précise. Elle est +d'ailleurs confirmée par les deux témoins Marchal et Flahaut, dont il a +été déjà parlé. + +Avec M. Arnous-Rivière, nous passons aux communications avec l'ennemi, +dont il a été le principal ouvrier. + +M. Arnous-Rivière, âgé de quarante-sept ans, est un ancien officier +démissionnaire, qui avait été chargé par le maréchal Bazaine d'organiser +une compagnie d'éclaireurs. Il avait été d'abord attaché au grand +quartier général, puis il fut investi à la fin d'août du commandement +des avant-postes à Moulins. C'est par son intermédiaire que se faisait +l'échange des correspondances entre les généraux en chef, +correspondances, qui, pour la plupart, n'ont pas laissé de traces dans +le dossier; c'est lui qui recevait les parlementaires et les conduisait +en voiture de Moulins au grand quartier général. C'est ainsi que, le 23 +septembre, il amena Régnier, à la tombée de la nuit, d'abord à +Longeville, au quartier général du général Cissey, puis au ban +Saint-Martin chez le maréchal. «Vous annoncerez l'envoyé d'Hastings», +lui dit Régnier; parole faite pour surprendre, car alors on ignorait +absolument à Metz que l'impératrice eut choisi cette résidence. +Terminons par ce triste personnage. + +Régnier est un homme d'une cinquantaine d'années. C'est, d'après le +rapport du général Rivière, un homme fin et audacieux, aux manières +vulgaires, très-vaniteux et se croyant un profond politique. Il a reçu +quelque instruction et joué, en 1848, un certain rôle dans les +événements du temps. Puis il se lança dans l'industrie, et épousa en +Angleterre une femme qui lui apporta une certaine aisance. Après le 4 +septembre, on le retrouve dans ce pays, où il cherche à se faufiler chez +l'impératrice, qui s'était retirée à Hastings. Il finit par y obtenir, à +force d'importunités, une photographie portant la signature du prince +impérial, sorte de passe qui va lui servir, ainsi qu'une vue de +Wilhemshoe, où était détenu l'empereur, et qu'il s'était procurée je ne +sais comment, à accréditer ses menées. Ainsi nanti, il se rend à +Ferrières auprès du prince de Bismarck, à la solde duquel il semble se +mettre et qui l'emploie sous prétexte d'armistice à tromper le maréchal +Bazaine, en faisant miroiter à ses yeux on sait quelles espérances +ambitieuses, et à lui tirer l'état exact de la situation de son armée +sous Metz et de ses ressources en vivres. En quittant le maréchal, il +emmenait avec lui le général Bourbaki qui devait se rendre à Londres +auprès de l'impératrice, et qui en y arrivant, fut fort surpris +d'apprendre que celle-ci ne savait pas le premier mot de l'intrigue qui +l'avait fait sortir de Metz. Mais le tour était joué, M. de Bismarck +savait à huit jours près combien de temps le maréchal pouvait tenir, +c'est tout ce qu'on voulait, et Régnier ne reparut plus. + +On sait qu'il ne s'est pas présenté à l'appel de son nom à l'audience du +conseil de guerre où il devait faire sa déposition. On s'y attendait, +car il avait déjà déclaré, dans une lettre rendue publique, qu'il ne +comparaîtrait pas, si M. le président du conseil refusait de lui +accorder certaines garanties pour sa sûreté. Aussi, a-t-il été condamné +à 100 francs d'amende comme défaillant, à la requête du commissaire du +gouvernement, qui a également demandé au conseil l'autorisation de le +poursuivre comme ayant entretenu des intelligences avec l'ennemi et lui +ayant procuré des renseignements pouvant compromettre la sûreté de la +place de Metz et de l'armée française. + +Louis Clodion. + + + +Les pigeons de la presse de Paris + +Si la capitale politique de la France parlementaire était Tours et +surtout Bordeaux, jamais la _Liberté_ n'aurait imaginé d'employer des +pigeons au service de la dernière heure. Mais Versailles est si +rapproché de Paris que l'électricité, à cause des formalités qu'exige +son emploi, ne peut lutter contre l'aile du pigeon, qui est, lui, +toujours prêt à partir dès qu'on ouvre la porte de son panier. + +L'intelligente initiative prise par la _Liberté_ ne pouvait tarder à +être imitée. Quelques jours à peine s'étaient écoulés depuis l'ouverture +de la session d'hiver qu'une industrie nouvelle était créée. + +Un colombophile imaginait de mettre au service des divers journaux +politiques de Paris des pigeons parfaitement dressés. Il faisait de son +colombier le centre des nouvelles les plus fraîches du maréchal Bazaine +et de l'Assemblée nationale. Le _Temps_, la _Presse_, l'_Opinion_, la +_Patrie_, etc., etc., et même l'Agence Havas sont devenus l'un après +l'autre tributaires de ce service de dépêches. Le directeur de la poste +aérienne loue ses oiseaux à peu près aussi cher que l'on eût fait payer +un cheval au temps du grand roi pour revenir de l'OEil de Boeuf à Paris. +Il est vrai que les pigeons n'ont pas besoin de postillons qui les +ramènent à l'écurie. + +Ce commerce va si bien qu'on lâche quelquefois trente ou quarante +pigeons dans la même journée, surtout si le temps est clair et si les +événements politiques sont assez palpitants. + + + +[Illustration: Aveugles à la porte de la cathédrale de Valence.] + +[Illustration: La ligature des palmiers.] + +[Illustration: Laboureurs Valençais.] + +[Illustration: Le pesage du charbon à Madrid.] + +[Illustration: Pose de banderillas.] + +[Illustration: La navaja.] + + + +[Illustration: Un enterrement à Barcelone.] + +[Illustration: Contrebandiers de la Serriana de Ronda.] + +--Gravures extraites de l'_Espagne_, par le baron Ch. +Daviller.--Illustrations de Gustave Doré. (Hachette et Cie, éditeurs.) + + + +Le lancer a lieu au fur et à mesure des demandes qui affluent +principalement de deux heures et demie à trois heures, moment du coup de +feu et de la clôture définitive du bureau. Car il n'y a pigeon qui +tienne, il faut que le journal paraisse, et paraisse de bonne heure, s +il ne veut pas qu'un rival plus diligent le prévienne et tire profit de +ses retards. + +L'opérateur qui lance les pigeons se place sur la porte d'un petit +cabaret borgne placé en face de la cour du Maroc. Les reporters n'ont +qu'un saut à faire pour franchir la rue et y apporter les nouvelles +écrites au vol, apportées au galop. + +C'est un homme de haute taille, à longue barbe et à larges épaules; nous +l'avons représenté au moment où il jette en l'air, l'un après l'autre, +un couple d'oiseaux. Pour éviter les pertes de temps, il en tient un +dans chaque main. Les pigeons, profitant de l'élan qu'ils ont reçu, +fuient rapidement dans la direction de Paris. Une foule très-mélangée et +à laquelle quelques représentants ne dédaignent point de se mêler, +assiste à ce spectacle, qui n'est pas un des moins curieux ni des moins +instructifs que Versailles offre en ce moment. + +Cette entreprise publique n'est pas la seule; il existe en outre une +organisation particulière établie par le _National_ pour les besoins de +sa publicité. Son lanceur opère également dans le cabaret de la rue des +Réservoirs, que nous avons représenté encombré de cages à pigeons. Le +colombophile du _National_ est occupé à enfiler le petit tube des +dépêches autour d'une des rectrices de la queue. L'opération demande +beaucoup d'habitude et de dextérité. L'oiseau, quand on le prend +convenablement, se laisse faire avec beaucoup de docilité; mais il ne +faut pas croire qu'il ne s'aperçoive pas de ce qui vient de se passer. +Non-seulement ce corps étranger gêne la manoeuvre de son gouvernail, +mais il l'agace et l'inquiète; de sorte que, finalement, son vol se +trouve notablement diminué de rapidité. + +La preuve, c'est que, si les nouvelles faisant défaut, quelques-uns des +dix pigeons du _National_ sont lancés et reviennent sans dépêches, bien +que partis les derniers, presque toujours ils arrivent les premiers à +Paris. + +Comme l'oiseau se guide uniquement par la vue, il faut que le ciel soit +assez pur, surtout au déclin du soleil, pour que les pigeons de la +Presse de Paris puissent trouver leur chemin. La saison difficile va +commencer, car les jours deviennent de plus en plus courts et nos petits +courriers politiques ont à percer des brumes qui vont singulièrement en +s'épaississant. + +Quant aux pigeons de nuit, ils sont encore à inventer. C'est à peine si, +par un beau clair de lune, quelques lauréats des grands concours partant +à faible distance pourraient regagner leur colombier. + +W. de Fonvielle. + + + +L'Espagne + +PAR M. LE BARON DAVILLER + +Les événements qui se passent en Espagne ont plus que jamais fixé +l'attention publique sur ce pays, qui parle déjà tant à l'imagination. +Aussi est-ce avec le plus vif intérêt que l'on arrête ses regards sur +tout ce qui sert à faire connaître les moeurs de ce peuple curieux, rude +et poli, passionné, superstitieux, brutal, avide de distinction, +très-chatouilleux sur le point d'honneur, et avec cela aussi généreux +que digne. A ce titre, les dessins que nous donnons ci-contre ne peuvent +donc manquer de plaire à nos lecteurs. + +Un d'eux représente un cimetière à Barcelone. C'est une série de longues +allées que bordent de hautes murailles percées d'une multitude de +casiers. Chaque casier doit loger un cercueil, après quoi il est muré. +Une dalle en pierre ou en marbre, plus ou moins richement ornée, suivant +la fortune du défunt, et portant son nom, ferme l'ouverture du casier. +Rien de triste comme une promenade à travers les rues mornes de cette +ville des trépassés. + +Passons dans la province voisine, celle de Valence, qui entre toutes, a +conservé un caractère moresque nettement tranché. Le costume des +habitants a à peine varié depuis plusieurs siècles, celui des paysans +surtout. Coiffés d'un mouchoir aux couleurs éclatantes, roulé autour de +la tête et s'élevant en pointe, réminiscence du turban, qu'ils +recouvrent parfois d'un sombrero à larges bords, ils portent une chemise +attachée au cou par un bouton double, un très-large caleçon de toile +blanche, retenu par une ceinture, des bas sans pied quand ils en +portent, et des alpargatas ou espardines. Ajoutons la mante, qui ne les +quitte jamais, et voilà au complet le costume d'un Valençais du peuple, +d'un _labradore_ ou laboureur, qui ne se fait beau et n'endosse le gilet +de velours aux boutons d'argent que les jours de fête. La fertilité des +environs de Valence est proverbiale, ce qui n'implique pas qu'il n'y ait +point de pauvres. Comme chez nous, les pinceurs de guitare ne manquent +pas, mais c'est dans la capitale de la province qu'on les trouve. Les +infirmes hantent les portes des églises. Un de nos dessins représente +deux aveugles chantant des litanies à la porte de la cathédrale. + +Comme toutes les grandes villes de la péninsule, Valence a sa _plaza de +toros_, où ont lieu les combats cruels si chers aux Espagnols. Ces +combats se terminent toujours par la mort d'un certain nombre de +taureaux et de chevaux. Le sang humain y coule souvent aussi, mêlé à +celui des animaux. Nous ne décrirons pas par le menu ce dramatique sport +où torreros, picadores, banderilleros ont leur place marquée et jouent à +l'envi le jeu le plus périlleux. Quelques mots cependant sont +nécessaires pour expliquer un de nos dessins: _Pose de banderillas_. Ces +banderillas sont des sortes de flèches dont le bois est entouré de +papier de différentes couleurs, frisé et découpé. A l'une de ses +extrémités est un hameçon. Les banderilleros ont pour mission de piquer +dans les épaules du taureau ces engins qui ne peuvent plus s'en +détacher, et ont pour effet d'augmenter la fureur de l'animal C'est à +Madrid que ces spectacles se donnent avec le plus d'apparat et de +somptuosité. Si l'on n'y déploie pas à Valence un pareil luxe, en +revanche on s'y porte avec un empressement à nul autre pareil. Le +Valençais est passionné pour ce divertissement. Cela tient sans doute à +sa nature. S'il est gai, il est cruel. La colère le transporte +facilement. C'est alors qu'il joue du couteau, de cette terrible +_navaja_, qui se fabrique à Albacète, et dont la lame, très-allongée et +pointue, porte toujours quelque inscription, qui indique à quel usage +elle n'est que trop souvent employée, «Si cette vipère te pique, il n'y +a pas de remède à la pharmacie.» + + Si esta vivora te pica + No hay remedio en la botica. + +Devise qui le plus souvent employée, a valu à certains _navajas_ le nom +lugubrement plaisant de _navajas de santolio_, couteaux de +l'extrême-onction. + +Mais il est temps de nous arrêter. Quelques-uns des détails que l'on +vient de lire et qui expliquent les dessins que nous donnons, ont été +par nous empruntés au magnifique ouvrage que vient de publier la +librairie Hachette: l'_Espagne_, par le baron Ch. Daviller. C'est un +splendide volume in-4º de 800 pages, très-intéressant, très-bien écrit, +et illustré de 300 gravures dessinées sur bois par M. Gustave Doré. + +L. C. + + + +L'Insurrection de Cuba(5) + +Dans l'histoire de la semaine nous disons où en est l'affaire du +_Virginius_, qui est venue si inopinément compliquer, vis-à -vis des +États-Unis d'Amérique, la situation déjà si critique de la malheureuse +Espagne. Nous n'avons pas à y revenir ici. On sait qu'à la première +nouvelle de l'exécution des flibustiers américains, il y eut comme une +explosion d'indignation aux États-Unis. On ne parlait que d'armer et +d'entrer en campagne sur l'heure. + +Cette indignation était-elle bien réelle? J'en doute. + +On sait que depuis longtemps les États-Unis convoitent la possession de +l'île de Cuba; et, si les richesses et la merveilleuse situation de la +perle des Antilles n'excusent pas ces convoitises, au moins les +expliquent-elles. La fertilité de l'île de Cuba est très-grande en +effet, sa végétation magnifique. On y trouve de vastes forêts de +palmiers, de cèdres, de cocotiers, de chênes, de pins; on y cultive la +canne à sucre, le tabac, le caféier, le cotonnier, l'indigotier, le riz, +le maïs, qui sont pour le planteur une source intarissable de richesses, +et rien n'égale la beauté de son port de la Havane que défendent de +vastes fortifications. Les vues que nous donnons de ce port et de +l'intérieur de l'île prouveront au lecteur que nous n'exagérons en rien. + +Cuba forme, avec les autres Antilles espagnoles, un gouvernement dont la +Havane est le chef-lieu. Civilement, elle est divisée en deux provinces: +la Havane et Santiago; militairement, en trois départements: l'Est, le +Centre, et l'Ouest; financièrement en trois intendances: la Havane, +Puerto-Principe et Santiago; au point de vue maritime enfin, en cinq +provinces: La Havane, Trinitad, Remedios, Nuevitas et Santiago. Elle +renferme une population de 1,449,462 habitants, dont 564,698 blancs, +16,176 hommes libres de couleur et 662,087 esclaves qui seront libérés +après la pacification de l'île d'après la loi récemment votée par les +cortès espagnoles. En attendant l'esclavage y règne toujours, et bien +que la traite soit interdite, plusieurs milliers d'esclaves y sont +encore introduits chaque année. La révolte de ces esclaves l'a +ensanglantée plusieurs fois dans le cours de ce siècle et l'ensanglante +encore aujourd'hui. Espérons que c'est pour la dernière fois et que ces +révoltes cesseront avec la cause qui les a fait naître. + +L'Espagne attache le plus grand prix, et cela se comprend, à cette +colonie que les États-Unis, nous l'avons dit, voudraient bien aussi +s'annexer. En 1845, ils ont offert de l'acheter, et peut-être l'Espagne +a-t-elle eu tort de ne pas la vendre. Finiront-ils par s'en emparer +d'une façon ou de l'autre? Selon toutes les probabilités, oui. + + [Note 5: Les deux gravures qui accompagnent cet article sont + extraites du _Tour du Monde_, nouveau journal des voyages, publié + par la maison Hachette et Cie.] + + + +UN VOYAGE EN ESPAGNE +PENDANT L'INSURRECTION CARLISTE + +V + +Abdication du roi Amédée et proclamation de la République.--Agissements +de la Junte carliste établie à Bayonne.--Don Carlos séjournant à la +frontière.--Conseil particulier du prétendant.--Nomination de nouveaux +chefs carlistes. + +Lorsque l'abdication du roi Amédée fut portée aux Cortès et que +celles-ci, en dépit du ministre Zorilla, proclamèrent la République, +j'étais à Vitoria, capitale de la province de l'Alava. De ces deux +nouvelles, la première était prévue depuis longtemps, le jeune prince +italien, malgré ses qualités personnelles incontestables, étant +profondément détesté par tous les Espagnols, sans distinction de partis, +devait en arriver forcément à cet acte d'abdication. Aussi +n'étonna-t-elle personne. + +Il n'en fut pas de même de la proclamation de la République par une +Chambre qui passait pour être foncièrement monarchique. La population ne +voulut pas d'abord croire à la réalité de cette nouvelle. Mais lorsqu'il +fallut bien se rendre à l'évidence, elle protesta énergiquement contre +cette forme de gouvernement subitement improvisée. Je ne crois pas me +tromper en affirmant qu'à Vitoria, ville d'environ vingt mille âmes, il +ne s'y trouvait pas, en avril dernier, _cent républicains_. La +désorganisation s'introduisit dans l'administration des affaires +publiques. Le gouverneur de la province, les membres de +l'_ayuntamiento_, tous les principaux employés du pouvoir central +donnèrent leur démission en masse, si bien qu'en deux ou trois jours, la +ville et toutes les localités de la province furent livrées à la plus +complète anarchie. + +Le même désordre se reproduisit dans les autres provinces qui, comme +celle de Vitoria, furent plongées dans la stupeur à l'annonce seule du +mot de République, qui a été toujours, depuis la Révolution de 1793, un +horrible épouvantail dans l'esprit des populations basques, au point +qu'elles nous ont regardé, pendant longtemps, nous Français, comme des +monstres et des buveurs de sang. + +Dans toutes les excursions que je fis à Pampelune, Tolosa, Bilbao, +Saint-Sébastien, etc., je constatai le même désarroi dans toutes les +administrations et une égale répugnance, de la part des populations, à +vouloir accepter la nouvelle forme de gouvernement. Alors se produisit +une espèce d'anarchie dont profita habilement le parti carliste. +Jusqu'alors, l'insurrection avait été assez mollement conduite, soit que +les chefs n'eussent pas une entière confiance en son succès, soit +qu'elle manquât d'argent et d'armes; ce dernier fait était vrai, j'en ai +eu la certitude. + +Mais à partir du jour où commença la désorganisation du pouvoir central, +la junte de guerre, établie à Bayonne depuis le mois de mars, fonctionna +avec plus d'activité. Elle se composait de membres moitié Espagnols, +moitié Français, dont la mission consistait à procurer des armes, de +l'argent et des hommes à l'insurrection. Jusqu'alors elle lui en avait +bien fourni, mais dans une mesure bien restreinte. C'est du moins ce +dont se plaignaient les _cabecillas_ qui se trouvaient à la tête des +bandes. Elle trouva pour la seconder, attendu les circonstances +politiques du moment, les fournisseurs et les banquiers auxquels elle +s'était adressée, dès le début de la campagne, dans de meilleures +dispositions. Les premiers, toujours craintifs et n'ayant pas une foi +bien robuste dans le succès de l'insurrection, n'exécutaient que d'une +manière bien irrégulière les marchés passés pour fournitures d'armes de +munitions et d'équipements militaires.--Les seconds se montraient +très-difficiles pour accepter les traites souscrites par les agents de +don Carlos et laissaient sortir du sein de leurs caisses, pour les +besoins de la guerre, que le moins d'argent possible. Ce qui explique le +peu de progrès que faisait l'insurrection. + +Mais à dater du mois d'avril et du commencement de mai, fournisseurs et +banquiers furent plus accommodants et pleins de zèle pour seconder les +vues et les projets du parti carliste, avec lequel ils avaient pris des +engagements sérieux par l'intermédiaire de la junte de Bayonne. Les +armes et les munitions passèrent alors plus régulièrement et en plus +grande quantité la frontière qu'auparavant, malgré les difficultés bien +plus nombreuses qu'on opposait à leur passage, du côté de France, où +venait d'être établi sur la frontière un cordon sanitaire de troupes. On +en expédia même de l'Angleterre. + +J'ai assisté à un débarquement d'armes expédiées de Birmingham. Vers le +milieu du mois de mai, un bateau à vapeur vint en plein jour (il était +sept heures du matin) s'arrêter dans le petit port de Fontarabie, en +face le débarcadère des pêcheurs, À son apparition, des barques allèrent +l'aborder, et en moins d'une heure elles transportèrent quatre cents +caisses qu'elles déposèrent sur la berge, rendant l'opération du +débarquement, une bande de quinze cents hommes environ, commandée par le +colonel Martinez, et dont les trois quarts étaient sans armes, +s'emparèrent des colis qui renfermaient des fusils et des munitions, les +ouvrirent et s'armèrent séance tenante. Les caisses restées sans être +ouvertes furent déposées sur des charrettes et transportées, sous bonne +escorte, au camp d'_Achulégui_. Ce débarquement s'opéra sans qu'il +trouvât là moindre opposition de la part des troupes et des volontaires +de la République casernés à Irun, c'est-à -dire à deux kilomètres au plus +du port de Fontarabie. Et ce qui me parut plus étrange encore, c'est que +la bande carliste et les caisses chargées sur des charrettes traînées +par des boeufs, passèrent tranquillement devant les portes de la ville. + +A cette expédition, dont je fus spectateur, j'eus l'occasion de revoir +mon ami, le colonel Martinez, qui commandait l'escorte du convoi et qui +paraissait tout radieux. + +--Vous n'êtes pas encore à Madrid, mon cher colonel, lui dis-je, en lui +rappelant son dernier adieu à Vera, mais vous y êtes sur le chemin, à ce +qu'il me paraît. + +--Dix débarquements comme celui-ci, me répondit-il, et notre cause est +gagnée! + +--Vous ne craignez pas d'être surpris sur votre route par les troupes +républicaines? + +--Toutes mes précautions sont prises et je suis certain d'avance que les +hommes de Loma n'oseront as venir nous barrer la route. Voyez, j'ai +quinze cents hommes avec moi! + +Le colonel avait dit vrai. Pas un seul homme de la garnison d'Irun, qui +se composait d'environ six cents hommes, soit volontaires, soit soldats +de la ligne, n'osèrent sortir de la ville. + +J'ai assisté à trois autres débarquements du même genre, sans qu'ils +fussent autrement contrariés, tant les frontières étaient mal gardées du +côté de l'Espagne. + +D'un autre côté, don Carlos, que les journaux espagnols et étrangers +avaient fait mourir plusieurs fois et voyager tantôt en Angleterre, +tantôt en Suisse, vint s'installer d'abord dans un hôtel de Pau et +ensuite au château de Peyrolhade, où il a résidé jusqu'à son entrée en +Espagne. Voulant m'assurer par moi-même si le fait était exact, je fis, +au mois de juin, une excursion dans les Basses-Pyrénées, et je me rendis +à ce château, situé presque sur les limites qui séparent la France de +l'Espagne. Ce n'était pas sans de grandes difficultés que je pus arriver +jusqu'à cette demeure seigneuriale, malgré les titres et les +recommandations dont j'étais porteur, tant on avait pris de précautions +pour la rendre inabordable. + +Lorsqu'un inconnu venant de France ou d'Espagne apparaissait dans le +lointain, se dirigeant vers le château bâti sur une élévation qui domine +les alentours à une distance de quatre kilomètres, des vedettes placées +de loin en loin, depuis le sommet des montagnes jusqu'au village de +Peyrolhade, qui lui-même est éloigné de la résidence royale d'environ +une lieue, s'empressaient d'en informer le commandant du palais. +Celui-ci envoyait immédiatement des gardes à sa rencontre pour le +reconnaître. S'ils avaient les moindres soupçons sur l'individu, on le +prévenait poliment qu'il se trompait de chemin en lui indiquant le moyen +d'en prendre un autre; et ils s'éloignaient. Si, au contraire, c'était +un ami ou une personne dont on n'avait pas à se méfier, on le conduisait +au château. + +C'est ainsi que sur la présentation d'une lettre du président de la +junte carliste, je fus admis auprès de la personne du prince, qui voulut +bien me recevoir lui-même. Don Carlos est âgé de vingt-neuf à trente ans +environ. Sa taille est élevée, sa figure pleine de noblesse; un air de +grandeur et de majesté rayonne sur sa physionomie franche et +sympathique. Tout en lui, jusqu'à sa parole claire, douce et concise, +prévient en sa faveur. L'audience qu'il m'accorda ne fut pas longue, +mais elle répondit au but que je m'étais proposé d'atteindre. + +Il ne faudrait pas croire pourtant que le prétendant se montrât +très-facile à accorder des audiences particulières. Il est arrivé, à ce +sujet, aux visiteurs étrangers, de curieuses méprises. Milord D..., +désirant s'entretenir avec don Carlos, s'était rendu à cheval de Pau au +château de Peyrolhade. Arrivé à la résidence princière, il fut reçu par +le général Ellio, auquel il demanda de le présenter au _roi_. Le vieux +général s'empressa de le conduire dans le salon bleu, aux tentures +fleurdelisées, où se trouvaient trois personnages, la tête couverte de +bérets blancs (_boinas_) agrémentés de passementeries d'or. Milord D..., +qui ne connaissait le prince que par ses portraits, croyant voir don +Carlos dans le personnage placé au milieu des deux autres, lui offre ses +hommages et entre avec lui dans une très-longue conversation sur la +situation troublée de l'Espagne. Après une demi-heure d'entretien, les +deux interlocuteurs se quittèrent enchantés l'un de l'autre. La vérité +est que le noble visiteur avait pris le major Arjona, secrétaire du +prince, pour don Carlos lui-même. Celui-ci, resté dans son cabinet, +n'était pas encore descendu au salon. + +Je dois ajouter que cette résidence étant journellement visitée par des +émigrés de tous les pays qui venaient offrir _au roi_, les uns le +secours de leur épée, les autres solliciter des grades et des faveurs, +le général Ellio avait organisé un service rigoureux de police autour du +prince, afin de prévenir toute tentative d'espionnage ou d'attaque +personnelle contre l'hôte illustre du château. Je dois reconnaître que +cette surveillance pouvait ne pas être inutile, au milieu de ce coin +isolé des montagnes que cherchaient à découvrir les émissaires du +gouvernement de Madrid et dont l'inutilité de leurs recherches a fait +toujours leur désespoir. + +Ce fut pendant le court espace de temps que je passai au château de +Peyrolhade que je pus me renseigner sur le personnel dont se composait +la maison du prince et qu'il n'y a pas, je crois, indiscrétion de faire +connaître. Elle comprenait le général Ellio, président du conseil de +guerre, cinq chefs carlistes qui en étaient les membres et dont le +marquis de Valdespina faisait partie, et du major Arjona, secrétaire +particulier de don Carlos. + +Les opérations du conseil de guerre consistaient dans la direction à +donner aux opérations militaires dont le plan était tracé d'avance: dans +la nomination des _cabecillas_ et leur envoi aux divers postes qu'ils +devaient occuper; enfin, dans le contrôle de tous les actes qui +concernaient l'organisation des bandes, leur armement et leur +équipement. + +Malgré le mystère dont on entourait le château de Peyrolhade, cette +retraite soi-disant introuvable de don Carlos, était le centre d'un +va-et-vient de gens qui, des deux côtés des Pyrénées, s'y rendaient pour +les affaires de l'insurrection. C'étaient les membres de la junte qui +venaient, les uns ou les autres, prendre les ordres du conseil de +guerre, lui communiquer les résultats de ses opérations et s'entendre +avec lui sur les difficultés qui pouvaient se présenter: et ces +difficultés étaient nombreuses, surtout dès le début de la campagne; +c'étaient des agents secrets qu'on avait établis sur la frontière et +jusque dans les centres des provinces, qui venaient faire leurs rapports +sur tout ce qui se passait d'hostile ou de favorable au parti; +c'étaient, enfin, les envoyés des _cabecillas_ en campagne, qui +apportaient au château tout ce qui concernait la situation bonne ou +mauvaise des bandes qu'ils commandaient. + +Lorsque je repassai la frontière, j'appris la nomination de nouveaux +chefs carlistes, dont quelques-uns étaient déjà au château de +Peyrolhade, au moment de mon départ de cette résidence. Au nombre de ces +chefs qui devaient donner à l'insurrection une nouvelle impulsion, +étaient le général Ellio, qui reprenait un service actif, le marquis de +Valdespina, Dorregaray et Lizarraga. Ces quatre généraux, que j'ai vus +plusieurs fois sur les champs de bataille, méritent d'être connus, à +cause des commandements qu'ils occupent à la tête des bandes et des +services qu'ils rendent à la cause carliste. C'est ce que je me propose +de faire, après avoir dit quelques mots sur l'emprunt que le parti +contracta à Londres. C'est, au reste, avec l'argent qu'il produisit que +la guerre civile put prendre plus d'extension et de développements, +ainsi que je vais le constater. + + + +LES THÉÂTRES + +Porte-Saint-Martin. _Libres!_ drame en huit tableaux, par M. Edmond +Gondinet.--Ambigu-Comique. _La falaise de Penmarck_, drame en cinq actes, +de M. Crisafulli.--Odéon. _Le docteur Bourguibus_. comédie en un acte et +en vers, de M. Edmond Cottinet.--Gymnase. _Monsieur Adolphe_, pièce en +trois actes, de M. Alexandre Dumas fils. + +La pièce de M. Gondinet, _Libres!_ m'a beaucoup plu. Je sais que les +dilettanti du genre, les raffinés du mélodrame y trouveront à redire, +car elle n'est pas construite et charpentée selon les règles, elle ne +vous saisit pas à la gorge à un moment donné pour vous laisser pantelant +et lui crier merci dans quelques scènes pleines d'émotion ou de terreur. +Son scénario ne s'avance pas progressivement pour marcher à travers des +péripéties les plus sombres pour arriver aux catastrophes finales; mais +qu'importe que le drame échappe à l'analyse par sa trame un peu légère, +qu'importe que faction un peu mince tienne en quelques lignes, si +l'impression d'ensemble est allée droit à l'effet voulu, et si au sortir +du théâtre le drame a laissé dans l'esprit du spectateur un souvenir, et +que l'âme s'en sente encore agitée par delà la représentation. C'est ce +qui arrive. + +C'est peu de chose en effet que cette histoire dramatique facilement +imaginée et qui se déroule autour de Lambros, le polémarque de la +Selléide, avec cet amour de sa fiancée Chryseis, avec cette trahison du +traître Andronicos livrant par jalousie et par haine son pays à Aly, +pacha de Janina. Cette rivalité est le thème obligé de tous les +mélodrames. Quelques scènes plus ou moins heureuses ajoutées à cette +nomenclature du crime des traîtres ne font rien à l'affaire. Le drame +n'aurait rien perdu assurément à plus de nouveauté dans cette fable +romanesque. Il eût été meilleur, à coup sûr, en se privant de ce groupe +de comiques propres à jeter de la gaieté, comme cela se passe dans toute +pièce du boulevard. Je n'en disconviens pas; mais je le répète, le drame +de M. Gondinet m'a plu par sa composition générale, par son mouvement, +par cette grande histoire de liberté qu'il met en scène, par ce récit de +l'affranchissement d'un peuple. Tout cela est animé, vivant, tout cela +s'écoute d'un bout à l'autre avec la plus vive curiosité, au milieu de +nombreux épisodes et à travers tout ce pays de la Grèce. + +Il semble que M. Gondinet, qui est un esprit fin et qui a bien sa +jeunesse et sa poésie, ait lu cette histoire de l'indépendance +hellénique dans les livres de Fouqueville et de Fauriel, qu'il ait lu +avec ardeur ces chants recueillis par M. de Marcellus, et que se +souvenant de cet enthousiasme qui enflamma vers 1825 nos poètes de +France et d'Angleterre pour la cause de ce peuple, il ait voulu rendre +dans un drame toute cette vie d'un passé qui passionna si profondément +l'Europe aux temps où elle avait plus de sympathie et plus de larmes +pour les opprimés et les vaincus. + +A ce drame de l'indépendance d'un pays qui eut pour alliés les poètes, +M. Gondinet a laissé son caractère poétique. C'est là son côté original +et piquant. Il se dégage des conventions scéniques par un souffle +heureux. Il a pour lui, et que le lecteur me pardonne cette phrase du +temps, il a pour lui les Muses de la patrie et de la liberté. Comme aux +jours de ses premiers fils, la Grèce est encore le pays des vers. Elle +chante aux noces des fiancés, aux berceaux des fils, sur la tombe des +soldats, elle a des épithalames et des nénîes; ses poètes populaires +sont de toutes ses fêtes. M. Gondinet les a parfois reproduits avec un +rare bonheur: + + Le klepte est tombé sous les halles, + Chantons les marches triomphales, + Que son nom résonne partout. + Creusez sa tombe haute et grande + Pour que son bras armé s'étende + Et pour qu'il s'y tienne debout. + Faites à la pierre une entaille + Pour que dans les jours de bataille + Il entende les combattants. + Plantez devant un laurier-rose + Pour que l'hirondelle s'y pose + Et l'avertisse du printemps. + +Ainsi parle sur le cadavre du polémarque Lambros, le héros de la pièce, +D'autres chantent les hymnes de liberté, et le drame s'écoule toujours +soutenu par un sentiment fin et délicat qui le vivifie dans un cadre +poétique, C'est la Grèce avec ses aspirations de liberté, avec ses +glorieux révoltés, c'est elle avec ses kleptes, ses chkipetars, ses +costumes brillants; nous la retrouvions dans sa gracieuse et pittoresque +beauté, avec ce décor qui nous transporte sur la place de Variadès, au +fond duquel se dessine dans le lointain les hautes montagnes et les +gracieux villages attachés à leurs flancs. Nous nous sommes cru un +instant sur la côte du Péloponèse, au tableau qui représente la falaise +couverte d'arbres et dominant les flots bleus de la mer. C'est un +chef-d'oeuvre que ce décor qui représente le Grand-Souli, avec ses +maisons blanches, ses cactus en fleurs, ses vignes qui grimpent jusques +aux toits en tuiles rouges, avec son pont jeté sur un torrent. Il semble +que M. Rubé, qui en est l'auteur, l'ait composé d'après une vue +photographique rapportée du pays de Messène ou d'Argos. Cet art du +décorateur, qui, je crois, n'a jamais été poussé aussi loin dans la +vérité des tableaux, nous a rendu la Grèce avec la plus grande fidélité. +Et c'est là un attrait de plus pour le drame de M. Gondinet, que le +public a accueilli avec le plus vif succès. + +L'interprétation de la pièce est excellente. M. Dumaine joue avec une +sincère conviction et une réelle autorité ce rôle de Lambros, qui domine +tout le drame. Taillade, c'est Aly, le pacha de Janina, un tyran bizarre +et cruel qui tourne parfois à la ganache. Larcy, Charly, font retentir +leurs voix vibrantes, et Laurent égaye la pièce par sa bonne humeur. +Quant à Mme Dica-Petit, fort belle sous ses magnifiques costumes de +femme souliote, elle a donné au personnage de Chryseis un véritable +caractère de passion et de noblesse. + +J'aime ce bon mélodrame du temps passé, avec tous ses trucs, ses +épouvantails, ses tours, ses prisons, ses rochers, ses falaises, tout +son attirail de crimes et d'horreurs, mais encore faut-il que ces +horreurs soient possibles à raconter. M. Crisafulli a poussé dans la +_Falaise de Penmarck_ ce genre tellement au noir que pour ma part je ne +m'y reconnais plus. Voilà une aventure, par exemple! Le commandant +Pierre Lecourbe se marie; le jour même de ses noces il reçoit l'ordre de +rallier l'escadre en partance! Ainsi le veut l'amiral qui ne transige +pas avec la consigne. Le commandant a un frère, un ivrogne, lequel après +les libations les plus regrettables, croyant entrer chez sa fiancée, se +trompe de porte et pénètre chez sa belle-soeur, la femme du commandant. + +Vingt ans après ce bel exploit, le commandant Lecourbe vit auprès de sa +femme et entre deux filles, qu'il aime, sans soupçonner que sa fille +aînée doit le jour à un horrible crime. L'affection du commandant pour +cette enfant semble même plus grande que pour l'autre, à ce point qu'il +dépouille sa fille cadette au bénéfice de sa soeur. La mère révoltée +d'une telle injustice révèle à moitié ce terrible secret à son mari. Ce +que le commandant ignore c'est le nom du coupable. Il va donc à son +frère, Pierre Lecourbe, et lui confie le soin de sa vengeance en lui +faisant jurer que cet homme mourra et, par le fait, il tient son +serment, car honteux de lui, il se précipite du haut de la falaise de +Penmarck, qui n'est là que pour fournir un titre pittoresque à la pièce. +C'est à l'aide de cette fable dramatique que M. Crisafulli a obtenu une +scène des plus saisissantes. Celle des deux frères, dont l'un demande +vengeance à l'autre pour son honneur outragé, pour son nom souillé. Mais +vraiment ces fortunes-là coûtent bien cher puisque c'est au prix de +telles situations qu'on les obtient. Si ce drame nous demande au début +de grands crédits pour faire marcher sa petite industrie, je suis prêt +pour ma part à les lui refuser. Qu'il s'arrange, n'a-t-il pas la +trahison, le meurtre, l'assassinat. S'il lui faut plus encore, il est +trop exigeant; qu'il meure faute d'appui, je n'y vois pas +d'inconvénient. + +J'ai donc hâte de sortir de cette _Falaise de Penmarck_ pour entrer dans +une joyeuse comédie, pleine de belle humeur, d'esprit et de gaieté, et +qui a pour titre le _Docteur Bourguibus_: elle est née de la fantaisie +d'un poète, et de la première à la dernière scène elle s'en va +lestement, joyeuse de ses bonnes trouvailles comiques, de ses vers +plutôt improvisés qu'écrits, étincelants de saillies. Ce docteur +Bourguibus qui a pour parents tous les héros de la comédie bergamasque a +une _toquade_. Pardon du mot: aux XVIIIe siècle on aurait dit du docteur +qu'il avait le timbre fêlé. Le brave homme qui a la monomanie de la +pitié, s'attache particulièrement aux gredins. Que lui parlez-vous +d'honnêtes gens! la belle affaire! ils ont leur conscience pour eux et +le paradis au bout. Mais un criminel, un assassin, par exemple, un +meurtrier que la justice, l'infâme justice a frappé, voilà ce qui tente +l'âme du docteur Bourguibus. C'est une cure à faire. S'occupe-t-on des +gens bien portants? Non; on soigne les malades; qu'est-ce qu'un +criminel? un malade: le tout est de le guérir. Grâce à ce raisonnement, +le docteur cueille au haut d'un gibet un gibier de potence qu'il arrache +à main armée aux mains des valets du bourreau. Cet exploit a coûté la +vie à cinq honnêtes gens: c'est pour rien. Et voilà Spalâtre installé +dans le logis de docteur. On va voir ce qu'on peut obtenir avec des +soins d'un gredin qu'on a dépendu. Tout est pour lui, les bons morceaux, +les complaisances des domestiques, et jusqu'à la main de la nièce du +docteur. Seulement il veut conduire sagement l'homme à complète +guérison. Il dort, silence; il va se réveiller, qu'il ouvre les yeux aux +sons d'une musique réjouissante: un murmure de menuet et le docteur et +sa nièce effleurent sur la mandoline et le violon l'adorable morceau de +Boccherini. Là -dessus Spalâtre qui entr'ouvre les yeux rêve de voyageur +égaré et d'assassinat au coin d'un bois. Elle est charmante cette scène +du bandit que la musique ramène à ses premières inclinations, le +meurtre. La cure a si bien opéré que Spalâtre, non content de voler pour +son propre compte, fait de la propagande et entraîne les domestiques du +docteur à voler avec lui, si bien que le pauvre Bourguibus paye ses +théories humanitaires de ses meubles, de sa bourse et de sa montre. Bien +en a pris à l'amoureux de la nièce de se déguiser en bourreau et de +venir demander Spalâtre au docteur qui le retient contre la loi, car à +la vue de l'homme noir, Spalâtre s'est enfui maudissant cet imbécile de +docteur qui l'expose à retomber dans les mains de la justice. Tout +s'arrange; le docteur se guérit de son faible pour les gredins et de sa +haine pour les gens de police, et le public applaudit chaleureusement à +l'auteur et aux interprètes de cette comédie des plus originales et des +plus amusantes. + +Le théâtre au Gymnase a remporté hier, mercredi, un éclatant succès avec +_Monsieur Adolphe_. Je reviendrai la semaine prochaine sur cette oeuvre +exquise de M. Alexandre Dumas. Je ne puis que signaler aujourd'hui +l'accueil chaleureux que le public tout entier a fait à sa pièce. C'est +là une des plus grandes fêtes du théâtre au Gymnase. Depuis vingt ans, +depuis ces jours du _Demi-monde_, je ne crois pas qu'il eût été témoin +d'une semblable ovation. La salle passait du rire aux larmes, de +l'émotion à la gaieté. Elle a acclamé l'auteur, saluant dans son oeuvre +cette sûreté de talent, cette élévation dans la pensée, cette explosion +de l'esprit qui font de M. Dumas fils un maître. Tout son public lui +était revenu, heureux d'oublier les quelques moments de froideur qui +s'était faite entre lui et l'auteur de la _Femme de Claude_, et comme +regrettant ses sévérités passagères, on se sentait comme reconnaissant +envers M. Dumas de lui rendre l'auteur aimé des jours passés. + +Les interprètes de _Monsieur Adolphe_ ont été couverts +d'applaudissements, et Pujol, et Achard, et Mlle Alphonsine, cette +transfuge des théâtres de féerie, qui s'est montrée merveilleuse +comédienne dans le rôle de Mme Guichard. + +Je donne avec plaisir une bonne nouvelle à mes lecteurs: Les concerts de +M. Daubé vont reprendre leur cours, non plus au _Grand-Hôtel_ où on les +suivait autrefois, mais à la salle que M. Henri Herz a mise +gracieusement à la disposition de M. Daubé. + +M. Savigny. + + + +[Illustration: LES ÉVÉNEMENTS DE CUBA.--Vue générale de la Havane.] + +[Illustration: L'ILE DE CUBA.--Vue prise près de la côte de Candela.] + + + +REVUE COMIQUE DU MOIS, PAR BERTALL + +[Illustration: LES LIONS DE M. SARI, AUX FOLIES-BERGÈRES.. Voyez trois +bocks au 71.--Bouuummm!] + +[Illustration:--Eh bien, et le _Rappel?_--Eh bien, et l'appel?--Ce +n'est pas pour toi que le four chauffe.--C'est l'appel qui se moque du +fourgon!] + +[Illustration:--Allons, mon petit, faut rentrer dans ta boîte.--Bah! +sept ans, ce n'est pas une affaire!--C'est un congé.] + +[Illustration: L'EXPOSITION DES ENFANTS AUX CHAMPS-ÉLYSÉES.--Études sur +les manières les plus pratiques et les plus commodes pour exposer les +enfants, depuis la suppression des tours.] + +[Illustration: MM. LES COLLÉGIENS.--Ah! ah! ah! voilà déjà le régime du +sabre qui commence. On veut nous infliger une sortie. Eh bien! ma bonne, +va dire à ton maître que je suis comme M. Trochu, je ne sortirai pas, +j'ai mon plan.] + +[Illustration: LA QUENOUILLE DE VERRE.--Ma petite Judic, vous avez +chanté ça Judic-ieusement.--Dites délicieusement!--Comme si ce n'était +pas la même chose!] + +[Illustration:--Ah! si la Femme à deux têtes voulait épouser +l'Homme-Chien! quel avenir pour leur famille!] + +[Illustration:--Mon bon M. Halanzier, ce sont les Italiens qui sont là , +si vous voulez je vais en délivrer le territoire, et ça ne sera pas +long.--Je ne demanderais pas mieux, mais tu vois bien que les Italiens +sont des Russes.] + +[Illustration:--M. Strakosch traite à l'amiable et consent à recevoir +M. Halanzier, à condition que tous les abonnés ne se présenteront au +contrôle que porteurs d'une voie d'eau.] + +[Illustration:--Les jours d'Opéra, les baignoires deviendront une +réalité, les abonnés et leurs familles n'y seront reçus qu'en costumes +de bain.] + +[Illustration:--Au premier signe de H. Strakosch, les baignoires seront +remplies d'eau, ce qui écartera toute crainte d'incendie.] + +[Illustration:--Pour finir, l'auteur demande à l'ami lecteur, dont il +est connu depuis si longtemps, la permission de lui présenter ses +civilités sous la forme d'un gros livre qu'il vient de terminer à +l'instant.] + + + +Toujours: _Peau de satin! Fraises au champagne! Lèvres de Feu!!_ valses +de J. Klein. Il n'y a donc pas autre chose? + + + +BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE + +_Histoire de l'Astronomie_, par Ferd. Hoefer.--La science profonde et +l'érudition encyclopédique du docteur Hoefer sont trop connues et trop +appréciées pour qu'il soit utile de présenter à nos lecteurs l'auteur de +la nouvelle _Histoire de l'Astronomie_. Chacun sait que pour écrire une +histoire compétente de quelque science que ce soit, il faut être du +métier et connaître la pratique du sujet dont on se fait le rapporteur. +Or M. Hoefer a écrit une histoire de la _chimie_, qui est devenue +classique, une histoire de la _physique_ estimée de tous les savants, +une histoire de la _botanique_, une histoire de la _zoologie_, aussi +complètes l'une que l'autre; et voici une histoire de l'_astronomie_, +que je viens de lire avec la plus vive attention, et que nul astronome +de profession n'aurait certainement mieux écrite. Elle est complète sans +être trop étendue, s'adresse aux gens du monde aussi bien qu'aux +savants, et présente un tableau exact et intéressant des progrès inouïs +de cette science admirable, depuis les Hindous, les Chinois, les +Chaldéens, les Égyptiens, jusqu'aux découvertes sublimes de notre +époque, illustrée depuis moins de trois siècles par les Galilée, les +Kepler, les Newton, les Laplace; par des scrutateurs des mystères +célestes qui laisseront dans l'histoire des noms comme ceux de Cassini, +Halley, Huygens, Roemer, Dalembert, Herschell, Bessel, Struve, Arago, +etc. + +L'histoire de l'astronomie présente plus que nulle autre le tableau des +véritables progrès de l'esprit humain. Celle des peuples, des dynasties, +des religions, offre des alternatives de lumière et de ténèbres, des +grandeurs et des décadences, des guerres et des trêves, et souvent, +hélas, du sang et des ruines. Mais les progrès de la science du ciel, au +contraire, offrent une continuité lente, mais permanente, du travail de +la pensée humaine, depuis l'ignorance primitive jusqu'à l'époque où nous +sommes, pendant laquelle nous osons mesurer les distances qui nous +séparent des étoiles, et analyser les substances qui brûlent dans le +soleil. Aujourd'hui, nous voyons les mondes rouler sous nos pieds; nous +sentons la terre courir et nous emporter à travers l'espace infini, et +déjà nous avons les premiers éléments nécessaires pour deviner la _vie +inconnue_ qui rayonne à la surface des autres terres du ciel! C'est la +science sans patrie et sans dogmes, sans chaînes et sans larmes, qui, +toujours pure, s'élève et s'épanouit dans la divine lumière du ciel; +c'est celle qui fait le plus d'honneur à l'esprit humain, qui met en +évidence les plus nobles facultés de l'homme; c'est celle qui nous a +_affranchis._ Les plus grands révolutionnaires ne s'appellent pas +Cromwell, Washington, Mirabeau ou Robespierre; ils s'appellent Copernic, +Galilée. Kepler, Newton. + +On lira avec plaisir et profit le nouveau livre du docteur Hoefer. Dans +son ouvrage publié l'année dernière, et intitulé: l'_Homme devant ses +oeuvres_, l'auteur avait montré par quels principes il juge l'humanité; +et il n'est certes pas inutile, à notre époque où tout court si vite, de +s'arrêter un instant sur le chemin de la vie, comme le Dante avant de +pénétrer au sombre royaume, et de réfléchir un instant sur les faits et +gestes de notre race soi-disant raisonnable. L'histoire de l'astronomie +est écrite avec la même netteté de vues, moins sévère que celle de +Delambre, lequel en est souvent ridicule, et plus juste pour les +anciens, qui méritent tout notre respect, attendu qu'il faut à toutes +les sciences un commencement. Celui qui renaîtrait dans trois siècles +seulement serait bien étonné de notre état scientifique, social et +religieux de 1873, et, s'il n'était juste, nous traiterait d'ignares et +d'imbéciles. C'est ce qu'a fait l'astronome Delambre, trop souvent. M. +Hoefer n'est pas tombé dans ce travers, et nous l'en félicitons. + +_Les Merveilles de la photographie_, par G. Tissandier.--Voici un +nouveau volume de la _Bibliothèque des merveilles_, et qui fait honneur +à la collection. Qu'y a-t-il de plus merveilleux que la photographie, +dont les travaux nous laissent pourtant déjà indifférents? La terre +tourne si vite que l'on oublie le lendemain la situation de la veille, +et il semble que nos pensées se multiplient et s'envolent beaucoup plus +vite depuis que nous connaissons la rapidité des mouvements célestes. En +fait, il n'y a que quarante-sept ans que le premier traité entre Niepce +et Daguerre a été signé, et aujourd'hui les photographes pullulent dans +toutes les villes d'Europe, et les photographies sont tombées dans le +domaine public, et l'on n'accorde plus aux meilleures d'entre elles +qu'une attention momentanée. Mais tandis que pour la masse du public la +photographie est encore toute entière dans la reproduction plus ou moins +durable d'un visage, d'un monument ou d'un paysage, l'art s'est agrandi, +s'est développé comme toutes les connaissances humaines, et déjà rend +d'immédiats services à la plupart d'entre elles. La photomicrographie +fixe aujourd'hui l'image centuplée de l'insecte, invisible à l'oeil nu, +dessine l'agencement moléculaire minéral, végétal ou animal, nous montre +les cristaux du sang ou l'épiderme délicat d'une pauvre chenille. A +l'opposé, toute l'Assemblée nationale est reproduite sur un carré de +collodion du diamètre d'une tête d'épingle, sans rien perdre de ses +proportions ni de sa grandeur réelle. Si nous passons maintenant du +petit au grand, nous trouvons la photographie appliquée au soleil, à la +lune, aux planètes et même aux étoiles, et nous avons déjà des sériés de +plusieurs années de portraits du soleil, faits chaque jour, et montrant +la variation incessante de son aspect et de ses taches. Des +photographies directes de la lune sont si excellentes que l'on se +promène facilement dans les vallées et les paysages lunaires ainsi +reproduits. Appliqué à la météorologie, le même art remplace maintenant +l'observateur en enregistrant automatiquement l'état du ciel, la marche +du baromètre, du thermomètre, du vent, de l'aiguille aimantée, etc., ce +qui permettra d'avoir un bien plus grand nombre de constatations +simultanées et permanentes et de donner à la météorologie la base qui +lui manque encore. Il y a plus: la photographie _imprime_ maintenant +elle-même, et le livre de M. Tissandier nous offre un spécimen de +photoglyphe à l'encre de Chine gélatinée, qui montre au premier coup +d'oeil toute la valeur artistique et toute l'importance pratique du +nouveau procédé. On le voit, le jeune et savant directeur du journal _la +Nature_ a su réunir dans son nouveau livre toutes les richesses de l'art +dont il voulait raconter les merveilles. + +Camille Flammarion. + + + +_Une courtisane vierge_, par M. Amédée de Céséna.--L'auteur fut un +journaliste grave, un personnage politique, un polémiste. Il n'est qu'un +conteur qui spécule sur de certaines curiosités malsaines. Je pense +qu'il suffit de citer le titre du livre pour montrer tout ce que M. de +Céséna a voulu lui donner d'alléchant. Le romancier se défend, +d'ailleurs, dans sa préface, d'être un corrupteur. Il prétend au titre +de _moraliste_. Ce n'est donc pas un moraliste homeopathique: il fait de +la morale par les contraires. + +_Les Femmes au coeur d'or_, par M. Eugène Moret. (1 vol. Dentu.)--Il y +a, dans le roman-feuilleton, des auteurs dont la réputation n'égale pas +le talent, et M. Eugène Moret est de ce nombre. Il a des succès, et +très-grands, dans le public des journaux populaires, des livraisons à +dix centimes, et il mérite ces succès-là . Ses livres sont moraux, +honnêtes et intéressants. Il a publié sur les _Femmes de la Révolution +et de la Terreur_ des feuilletons absolument amusants et qui, réunis en +volume, ont beaucoup plu aux lecteurs. Ces _Femmes au coeur d'or_ auront +certainement le même sort et méritent le même accueil. C'est là un roman +qui vaut dix fois mieux, à coup sur, que bien des romans célèbres, et +qui fait honneur au talent très-loyal, sans fracas, sans charlatanisme, +de M. Eugène Moret. + +_La comtesse de Nancey_, par M. Xavier de Montépin. (3 volumes in-18. +Chez Sartorius.)--M. Xavier de Montépin est, en librairie, le +triomphateur de la saison. Il a publié trois ou quatre volumes, épisodes +détachés d'un même roman, qui en sont à leur huitième ou dixième +édition. _La comtesse de Nancey, l'Amant d'Alice, le Mari de +Marguerite_, ont amusé tout un public, le public des romans d'Arsène +Houssaye, celui qui aime l'impossibilité en pleine vie réelle, les +aventures improbables placées dans le milieu parisien. M. de Montépin, +jusqu'ici, n'avait point connu pareille vogue, pas même il y a seize ou +dix-huit ans, lorsqu'il écrivait les _Viveurs de Paris_ et les _Filles +de plâtre_. Je crois même nie rappeler que les _Filles de plâtre_ lui +valurent une assignation devant la police correctionnelle. Aujourd'hui, +en ce temps d'_ordre_ et de _moralité_, les romans de M. de Montépin +montent aux nues. L'auteur est un aimable homme qui n'a d'autre tort que +de vouloir, de temps à autre, dire son mot dans la politique courante. +Quand il conte ces aventures extraordinaires, il amuse et il entraîne. +Au fond, cela lui suffit. Le public le suit, il est satisfait. Il ne +_politique_ que par aventure. Son rôle est d'inventer: il invente. Les +folles amours, les coups de couteau, les scandales à Bade, les espions +prussiens, les batailles de la Commune, les propos de boudoirs, tout se +coudoie dans la trilogie que M. de Montépin appela tout d'abord le _Mari +de Marguerite_. Je n'analyserai point ces pages. Leur succès a été +absolu, et si l'on n'avait abusé du mot, je dirais volontiers que c'est +un des signes du temps. Mais ne faut-il pas des rêves à tout le monde? +Pâture à liseurs, disait Petrus Corel en parlant de ses livres. Chacun +choisit le mets qui lui convient,--et cela n'empêche pas de rééditer +Corneille. + +_La Célestine_, de Fernando de Rojas, traduite par M. Germond de Lavigne. +(Nouvelle collection Jannet.)--M. E. Picard continue avec succès la +publication de ses petits chefs-d'oeuvre littéraires faisant suite à la +collection Jannet. Les bibliophiles se disputeront également la +_collection rouge_, qui est l'ancienne, et la _collection bleue_, qui +est la nouvelle. Sous cette dernière forme, les oeuvres de Rabelais vont +être tantôt achevées, et M. André Lefèvre vient de donner une édition +des _Lettres persanes_, de Montesquieu, qui pourrait bien être +définitive. Aujourd'hui, M. Germond de Lavigne, si compétent en ce qui +touche la littérature espagnole, publie, dans cette même collection, une +traduction de la Célestine, ce roman dialogué d'un intérêt si puissant +et d'un charme si particulier qui date, s'il vous plaît, du XVe +siècle,--de 1492,--et qui semble comme la source où Calderon et Pope +puisèrent leurs drames ensoleillés et entraînants. + +Moratin avait raison d'appeler _la Célestine_ une _nouvelle dramatique_. +Ce n'est que cela, en effet; mais cette nouvelle est inimitable. Il y a +de tout, dans ce conte, de la morale et de la poésie, des aventures +d'amour, des leçons tragiques, des séductions et des drames. Le type du +prodigue Calixte est peint de main de maître, et le profil de la +Célestine, une proche parente de la Macette de Régnier, est inoubliable. +L'homme qui écrivit cette sorte de drame, Fernando de Rojas, était un de +ces artistes rares et puissants que les littérateurs nomment d'un grand +nom, les précurseurs. + +M. Germond de Lavigne a traduit la Célestine avec ce talent qui lui +valut, il y a quelques années, les éloges de Charles Nodier. Il n'a pas +essayé, dit-il, de reforger les endroits scandaleux qui pouvaient +offenser les religieuses oreilles, et il a bien fait. Sa traduction y +gagne d'être une oeuvre d'art à travers laquelle on saisit toute la +couleur, tout l'éclat du style castillan. + +Jules Claretie. + + + +[Illustration: LES FUYARDS A LA PORTE DE BALAN. Gravure extraite de la +_Guerre de_ 1870-71, par A. Wachter. (E. Lachaud, éditeur.)] + +LA GUERRE DE 1870-71 +Histoire politique et militaire +PAR A. WACHTER + + + +Au moment où les débats du procès Bazaine remettent en lumière les +tristes péripéties de la dernière guerre et les causes de nos désastres, +nous croyons devoir appeler l'attention de nos lecteurs sur un ouvrage +que nous avons déjà signalé lors de son apparition: nous voulons parler +de l'_Histoire de la guerre de_ 1870-71 de M. Wachter, éditée par la +librairie Lachaud. Parmi les innombrables publications qui se sont +succédé sur ce sujet depuis trois ans, celle-ci est l'une des plus +complètes, des plus intéressantes et des mieux à la portée du public. +Les connaissances spéciales de M. Wachter ont fait de lui, depuis +longtemps, un de nos écrivains militaires les plus justement estimés; +une étude approfondie des opérations stratégiques qu'il a suivies sur le +terrain même et une lecture attentive des documents allemands qu'il a +consultés dans leur texte original, ont permis à M. Wachter de réunir +dans les deux volumes qui composent son travail, les renseignements les +plus exacts, les plus authentiques, et de les présenter d'une manière +plus méthodique et plus claire que dans la plupart des ouvrages du même +genre; ajoutons que le livre est richement illustré de dessins de M. +Darjou, l'habile artiste dont nos lecteurs connaissent trop bien le +talent, pour que nous ayons besoin d'en faire l'éloge. Les deux gravures +que nous avons publiées la semaine dernière sur la bataille de +Rezonville et les carrières du Caveau étaient extraites du beau livre de +MM. Wachter et Darjou; celle que nous reproduisons aujourd'hui un +nouveau spécimen de ces illustrations, qui sont le vivant commentaire du +texte de M. Wachter. + +L'Exposition universelle de Vienne a fourni à l'_Illustration_ +l'occasion d'affirmer une fois de plus cette supériorité hors ligne +qu'elle a depuis longtemps acquise sur toutes les publications +analogues. Comme en 1867, l'_Illustration_ avait exposé, outre ses +volumes et ses collections, une série de spécimens permettant de suivre +pas à pas les opérations si compliquées de la gravure et ces procédés +grâce auxquels nous arrivons à donner au public la représentation des +faits d'actualité presque aussi vite que la presse quotidienne où donne +le récit. Cette exposition a particulièrement attiré l'attention du jury +international, qui a décerné à l'_Illustration_ une _médaille de +mérite_, la plus haute récompense après la grande médaille d'honneur. + +Cette distinction est, croyons-nous, la seule du même genre qui ait été +obtenue par un journal illustré; nous sommes heureux d'en faire part à +nos lecteurs; ils y verront une preuve nouvelle des efforts-incessants +qui a valu à l'_Illustration_ la légitime réputation dont elle jouit +dans le monde entier. + + + +[Illustration: nouveau rébus.] + +EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS: + +Même en 999, à l'approche de l'an mille, on ne vit point aller autant en +pèlerinage. + + + + + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of L'Illustration, No. 1605, 29 novembre +1873, by Various + +*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44357 *** diff --git a/44357-h/44357-h.htm b/44357-h/44357-h.htm new file mode 100644 index 0000000..d9018d2 --- /dev/null +++ b/44357-h/44357-h.htm @@ -0,0 +1,2020 @@ +<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD HTML 4.01 Transitional//EN"> +<html> +<head> + <meta http-equiv="content-type" content="text/html; charset=UTF-8"> + <title>The Project Gutenberg eBook of L'illustration, No. 1605, 29 novembre 1873 by Various</title> + +<link rel="coverpage" href="images/cover.jpg"> + +<style type="text/css"> + + +body {margin-left: 10%; margin-right: 10%} + +h1,h2,h3,h4,h5,h6 {text-align: center;} +p {text-align: justify; font-size: 12pt} +blockquote {text-align: justify} + +hr {width: 50%; text-align: center} +hr.full {width: 100%} +hr.short {width: 10%; text-align: center} + +.note {font-size: 0.8em; margin-left: 10%; margin-right: 10%} +.footnote {font-size: 0.8em; margin-left: 10%; margin-right: 10%} +.side {padding-left: 10px; font-weight: bold; font-size: 75%; + float: right; margin-left: 10px; border-left: thin dashed; + width: 80px; text-indent: 0px; font-style: italic; text-align: left} + +.sc {font-variant: small-caps} +.lef {float: left} +.mid {text-align: center} +.rig {float: right} +.sml {font-size: 10pt} +.large {font-size: 16pt; font-family: sans-serif;} +.overl {font-size: 10pt; text-decoration: overline; text-align: center} +.cont {width: 650px} +.somm {float: left; width: 300px; font-size: 10pt; padding: 1em} +.suppl {color: #5A5047; background-color: #EEE2CA } + + +span.pagenum {font-size: 70%; left: 91%; right: 1%; position: absolute} +span.linenum {font-size: 70%; right: 91%; left: 1%; position: absolute} + +.poem {margin-bottom: 1em; margin-left: 10%; margin-right: 10%; + text-align: left} +.poem .stanza {margin: 1em 0em} +.poem .stanza.i {margin: 1em 0em; font-style: italic;} +.poem p {padding-left: 3em; margin: 0px; text-indent: -3em} +.poem p.i2 {margin-left: 1em} +.poem p.i4 {margin-left: 2em} +.poem p.i6 {margin-left: 3em} +.poem p.i8 {margin-left: 4em} +.poem p.i10 {margin-left: 5em} +.poem p.i12 {margin-left: 6em} +.poem p.i14 {margin-left: 7em} +.poem p.i16 {margin-left: 8em} +.poem p.i18 {margin-left: 9em} +.poem p.i20 {margin-left: 10em} +.poem p.i30 {margin-left: 15em} + + + +</style> +</head> +<body> +<div>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44357 ***</div> + +<br><br> + +<div class="cont"> + + + + +<p class="mid"><img alt="" src="images/001.png"></p> + + + <table cellpadding="2" cellspacing="2" border="1" + style="width: 100%; text-align: center;" summary="nil"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 33%;"> +<p class="mid"><span class="sml">REDACTION, ADMINISTRATION, BUREAUX D'ABONNEMENTS<br> +<i>22, rue de Verneuil, Paris.</i></span></p> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 34%;"> + <p class="mid"><span class="sml">31e Année. VOL. LXII. Nº 1605</span><br>SAMEDI 29 NOVEMBRE 1873</p> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 33%;"> + <p class="mid"><span class="sml">SUCCURSALE POUR LA VENTE AU DÉTAIL<br> +60, rue de Richelieu, Paris</span></p> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + + + +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="1" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="nil"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 50%;"> + <p class="mid"><span class="sml"><b>Prix du numéro: 75 centimes</b><br> +La collection mensuelle, 3 fr; le vol. semestriel, broché,<br>18 fr.; relié +et doré sur tranches, 28 fr.</span></p> + + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 50%;"> + <p class="mid"><span class="sml"><b>Abonnements</b><br> +Paris et départements: 3 mois, 9 fr.;--6 mois, 18 fr.;<br>un an, 36 fr.; +Étranger, le port en sus.</span></p> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + +<p class="mid"><span class="sml"><i>Les demandes d'abonnements doivent être accompagnées d'un mandat-poste<br> +ou dune valeur à vue sur Paris à l'ordre de M. Auguste Marc, +directeur-gérant.</i></span></p> + + + +<p class="mid"><img alt="" src="images/001a.png"><br><b>LA PROROGATION.--Les curieux attendant l'arrivée du train parlementaire +sur le pont de l'Europe, dans la nuit du 18-19 novembre.</b></p> + +<div class="somm"> + <h3>SOMMAIRE</h3> + + <p class="sml"><i>Texte</i>: Histoire de la semaine. -- Courrier de Paris, par M. Philibert +Audebrand. -- La Sœur perdue, une histoire du Gran Chaco (suite), par M. +Mayne Reid. -- Nos gravures. -- Un voyage en Espagne pendant l'insurrection +carliste (V). -- Les Théâtres. -- Revue comique du mois, par +Bertall. -- Bulletin bibliographique. -- <i>La Guerre de</i> 1870-71, par A. +Wachter.</p> + + <p class="sml"><i>Gravures</i>: La prorogation, les curieux attendant l'arrivée du train +parlementaire sur le pont de l'Europe, dans la nuit du 18-19 novembre. +-- Procès du maréchal Bazaine: les témoins (9 gravures). -- Le service des +pigeons voyageurs de la Presse, à Versailles (2 gravures). -- <i>L'Espagne</i>, +par M. le baron Davilier (8 gravures). -- Les événements de Cuba: vue +générale, de la Havane; -- L'île de Cuba: vue prise près de la côte de +Candela. -- Revue comique du mois, par Bertall (13 sujets). -- Les fuyards +à la pot te de Balan, gravure extraite de la <i>Guerre</i> de 1870-71, par M. +A. Wachter. -- Rébus.</p> +</div> +<br> + + <h3>HISTOIRE DE LA SEMAINE</h3> + + <h4>FRANCE</h4> + + <p>Après le vote de la loi de prorogation, il était permis de penser que la +majorité, qui s'était ralliée autour de la haute personnalité du +maréchal de Mac-Mahon, pourrait bien s'affaiblir ou même disparaître +quand le débat viendrait à se poser non plus sur le terrain national et +gouvernemental, mais sur le terrain purement ministériel; bon nombre de +journaux affirmaient avec confiance que le cabinet serait moins heureux +que le président lorsqu'il se présenterait pour son propre compte à la +barre de l'Assemblée, et lorsque M. Léon Say vint à la tribune +développer son interpellation sur la politique suivie pendant les +vacances et sur le retard apporté à la convocation des collèges +électoraux, il crut pouvoir affirmer que la dernière heure du ministère +du 24 mai était sur le point de sonner. Ces prévisions ne se sont pas +réalisées; le cabinet a remporté une victoire moins éclatante, il est +vrai, que le maréchal-président, mais qui s'est soldée par la majorité +importante de 50 voix; ainsi qu'il s'y était engagé, il a remis avant +même l'ouverture du débat, sa démission collective entre les mains du +chef de l'État, mais pour se reconstituer sur les mêmes bases, sauf +quelques changements de personnes et d'attributions qui n'impliquent pas +de changement fondamental de tendances ni de principes.</p> + + <p>M. de Broglie garde le titre et les fonctions de vice-président du +conseil des ministres et prend le portefeuille de l'intérieur. MM, +Batbie, Ernoul, Beule et de la Bouillerie sortent du cabinet pour faire +place à MM. le duc Decazes, nommé ministre des affaires étrangères; +Depeyre, ministre de la justice; de Fourtou, ministre de l'instruction +publique et des cultes, et de Larcy, ministre des travaux publics, M. +Deseilligny passe à l'agriculture et au commerce en remplacement de M. +de la Bouillerie; enfin les portefeuilles des finances, de la guerre et +de la marine restent confiés, comme précédemment, à MM. Magne, du Barail +et Dompierre d'Hormoy.</p> + + <p>Quant au vote de la loi de prorogation, les commentaires qu'il a +suscités dans la presse sont importants à noter si l'on veut chercher à +se rendre compte de ce que sera notre régime politique dans la phase +nouvelle dont cette loi est le point de départ. Ainsi qu'il fallait s'y +attendre, les journaux bonapartistes et républicains se sont montrés +fort désappointés d'une défaite à laquelle ils s'attendaient en grande +partie, mais sans penser qu'elle serait aussi complète; toutefois; ces +derniers font contre mauvaise fortune bon cœur, et cherchent à se +consoler en répétant qu'après tout la République subsiste en fait et que +rien n'est perdu par conséquent; constatons en outre que la presse +républicaine paraît pour le moment corrigée des intempérances de langage +qui ont plus d'une fois compromis sa cause, et que ses appréciations +sont en général empreintes d'une modération à laquelle on ne peut +s'empêcher de rendre justice. Seuls, les journaux du centre droit +triomphent avec une joie parfois insuffisamment contenue: «Nous tenons +le loup par les oreilles, s'écriait dernièrement l'un d'eux; il faut les +lui couper; s'il cherche à mordre, muselons la bête fauve.»</p> + + <p>Les feuilles légitimistes, au contraire, n'augurent rien de bon du +nouvel état de choses, et s'expriment, sur les manœuvres de stratégie +parlementaire qui l'ont amené, avec une amertume dont l'heure n'est pas +encore venue de connaître tous les secrets motifs. Dès le lendemain de +la séance du 19, l'<i>Union</i>, l'<i>Univers</i> et le <i>Monde</i> publiaient une +déclaration des députés de l'extrême droite qui s'étaient abstenus dans +le vote; en même temps, ces mêmes journaux dénonçaient avec indignation +les habiletés de ceux qui, disaient-ils, avaient fait échouer la fusion +et voulaient maintenant se donner le temps d'attendre la mort du roi +légitime.</p> + + <p>Il est incontestable que la campagne fusionniste n'a pas dit son dernier +mot; bien des mystères enveloppent encore l'histoire des négociations +auxquelles elle a donné lieu; bien des événements inattendus peuvent +encore surgir, qui n'en seront que les conséquences. Une brochure qui +vient de paraître, et qu'il serait trop long d'analyser ici, contient à +cet égard plus d'une révélation curieuse. D'autre part, il est avéré que +le comte de Chambord est constamment en butte à des démarches dont +l'objet précis n'est pas livré au public, mais dont on n'a pu empêcher +le secret de transpirer. Le chef de la maison de Bourbon était venu à +Versailles au moment de la discussion de la loi de prorogation; la +nouvelle de ce voyage avait d'abord été démentie avec insistance; +l'<i>Union</i> l'a, depuis, confirmée officiellement par une note où l'on a +beaucoup remarqué le passage suivant:</p> + + <p>«Le moment n'est pas venu de révéler ce que M. le comte de Chambord a +tenté pour ramener au port le navire en détresse, mais quand aura sonné +l'heure de Dieu, et cette heure n'est pas loin, la France apprendra avec +admiration tout ce qu'il y a de désintéressement, de simplicité, de +dévouement, dans ce cœur de roi et de père qui n'a point de parti et +qui sait accomplir si noblement son devoir. Elle s'étonnera d'avoir pu +méconnaître si longtemps tant d'abnégation et de vraie grandeur.»</p> + + <p>L'apparition de cette note a coïncidé avec le bruit, répandu depuis +quelques jours, de l'abdication du comte de Chambord. Y avait-il quelque +chose de fondé dans ce bruit?--C'est ce que l'avenir nous apprendra.</p> + + <h4>ESPAGNE.</h4> + + <p>Les nouvelles venues des États-Unis pendant la semaine tendent à +présenter sous un jour plus rassurant le différend survenu entre +l'Amérique et l'Espagne au sujet de la prise du <i>Virginius</i> et du +massacre des flibustiers qui le montaient. Rappelons d'abord que le +<i>Virginius</i> était notoirement au service de l'insurrection cubaine, +qu'il venait ouvertement s'approvisionner de contrebande de guerre, à +destination de Cuba, dans le port de New-York, et qu'il en était à sa +quatrième expédition de ce genre quand il fut pris par le <i>Tornado</i> dans +les eaux de Santiago; que l'exaspération des Espagnols était, par +conséquent, assez compréhensible, et que le cas de ce flibustier +présente de frappantes analogies avec celui de l'<i>Alabama</i> au sujet +duquel les États-Unis ont eux-mêmes eu maille à partir avec +l'Angleterre. Ajoutons que, dans un intérêt de parti, les politiciens +américains ont cherché à exploiter les exécutions de Santiago en +excitant l'indignation publique pour s'en faire une arme contre le +gouvernement du général Grant, disposé à voir les choses plus froidement +et à n'agir qu'en connaissance de cause. Quoi qu'il en soit, d'après les +dernières dépêches transmises par le câble transatlantique, le cabinet +de Washington a décidé que le <i>Virginius</i> naviguait légalement avec un +registre américain. Le général Sickles a reçu substantiellement pour +instructions d'exiger de l'Espagne la restitution du <i>Virginius</i>, ainsi +que les survivants de l'équipage et des passagers de ce navire; une +excuse pour l'insulte faite aux États-Unis; une indemnité en faveur des +parents des victimes; le châtiment des exécuteurs ou leur remise au +gouvernement américain pour être par lui punis, et enfin la mise en +vigueur immédiate des décrets portant restitution des biens et +propriétés confisqués aux citoyens américains. Le ministre est également +chargé de faire part au gouvernement de Madrid du vif désir du +gouvernement américain de voir abolir l'esclavage.</p> + + <p>L'opinion généralement établie dans les régions officielles est que la +diplomatie parviendra à régler le différend; mais la situation, telle +qu'elle est aujourd'hui, n'en est pas moins critique. Le sentiment +public n'est pas précisément belliqueux, bien que certains journaux +fassent des efforts suprêmes pour créer l'agitation. Les préparatifs +militaires continuent. Une flotte de quarante-trois navires, portant un +matériel de six cent quarante-trois pièces d'artillerie, a reçu l'ordre +de se tenir prête au premier signal.</p> + + <h4>PAYS-BAS</h4> + + <p>Les préparatifs des Hollandais pour la deuxième expédition contre Atchin +sont très activement poursuivis aux Indes; cette expédition doit partir +dans le courant de ce mois de Batavia pour sa destination. Il est arrivé +dernièrement dans le port de cette ville un nouveau navire à vapeur qui +n'a pas apporté moins de 2833 caisses remplies de matériel de guerre, +avec vingt-cinq canons, ainsi que deux petits bateaux à vapeur démontés +et prêts à être remontés à Batavia.</p> + + <p>On fait, en outre, à Samarang, des essais avec des radeaux de +débarquement susceptibles de porter un poids de 16,000 à 17,000 +kilogrammes, et qui seront reconduits en place par des remorqueurs à +vapeur. Ces engins se composent chacun de cinq grands cylindres creux en +fer, solidement reliés ensemble et couverts d'un simple plancher.</p> + + <h4>SUISSE</h4> + + <p>Le Conseil fédéral suisse vient d'adresser à notre ministre des affaires +étrangères une note relative à la question monétaire. Nous la +reproduisons plus loin. Justement préoccupé de l'introduction de +l'étalon d'or dans plusieurs États et des variations qu'a subies le +rapport des monnaies d'or et d'argent, principalement depuis la +convention conclue en 1865 entre la France, l'Italie, la Suisse et la +Belgique, le gouvernement helvétique, s'autorisant de l'article 2 de +ladite convention, a exprimé le vœu qu'une conférence des quatre États +signataires fût convoquée le plus tôt possible pour aviser aux mesures +propres à garantir les intérêts économiques engagés dans cette question. +Faut-il maintenir le double étalon, sur lequel repose la convention de +1865? Doit-on lui substituer l'étalon unique? Ne convient il pas de +faire cette substitution graduellement, pour éviter une perturbation +immédiate et nuisible? Quels seraient les moyens d'empêcher la +dépréciation croissante de l'argent, produite par l'exportation de l'or +des États de l'union monétaire? Telles sont les questions que la note du +Conseil fédéral propose de soumettre à la conférence dont il sollicite +la convocation.</p> +<br><br> + + <h3>COURRIER DE PARIS</h3> + + <p>Il nous est venu des lions, en compagnie de leur dompteur. On va les +voir aux bougies, salle des Folies-Bergères, S'il faut le dire, ce +spectacle n'a plus d'imprévu pour nous. Il y a beau temps que les +Parisiens sont blasés là -dessus. Qui ne se rappelle tour à tour quatre +ou cinq Androclès en spencer rouge? Van Amburgh jouait avec une panthère +de Java comme une petite dame avec son manchon, Carter s'en prenait à +une lionne toujours insurgée. Il nous semble le voir encore la frappant +d'une baguette de coudrier comme un valet de bonne maison bat une +descente de lit afin d'en faire tomber la poussière. Hermann n'avait pas +moins d'audace; il agaçait un ours blanc. C'était à l'Hippodrome. +Arnault, le directeur, nous disait: «Il m'a bien semblé, l'autre soir, +qu'Hermann allait servir de dîner à son ours.» En réalité, Crockett +était celui dont la vue nous causait le plus d'émotion. Celui-là avait +affaire à de vrais lions, à des lions de Barca. Le public pressentait +qu'il finirait par être mangé. Il l'a été, en effet, non à Paris, mais à +New-York, je crois. Crockett, croqué! Les faiseurs de jeux de mots ne +pouvaient manquer cette assonance. C'était, du reste, un argument de +plus pour démontrer la fatalité des noms.</p> + + <p>Celui qui vient d'arriver s'appelle Delmonico un beau nom de dompteur, à +mêler à un roman ou à un mélodrame. Il y a des lions et des lionnes +dans une cage de fer, où il se montre, en homme résolu, n'ayant à la +main qu'une cravache. On prétend qu'il cache sous sa tunique un revolver +pour le cas où il aurait à soutenir avec ses pensionnaires une polémique +un peu trop vive. Je dois constater que cette arme est révoquée en doute +par plus d'un spectateur. A quoi pourrait servir un pistolet dont la +balle ne ferait que transpercer la peau d'un des monstres et qui, par +conséquent, n'aurait d'autre résultat que de lui causer un surcroît +d'irritation? Pour Delmonico comme pour tous ses devanciers, le préjugé +veut que la puissance magnétique du coup d'œil suffisse.--Une houssine +et un œil qui fascine, dit-on: il ne faut rien de plus.</p> + + <p>Vous rappelez-vous un jeune Américain du nom de Batty? Lui aussi passait +pour n'avoir pas besoin d'un autre prestige que le feu de son regard +pour subjuguer les lions. Un jour, la foule même étant là , il fut abattu +d'un seul coup de griffe et broyé d'un coup de mâchoire. «C'est qu'il +n'a pas su maintenir la rétine de l'œil au beau fixe», disaient les +<i>petits crevés</i> d'alors. Messieurs les <i>gommeux</i>, leurs successeurs, +professent naturellement l'opinion qu'il n'y a rien à craindre tant +qu'on regarde fixement. On change le lion en agneau rien qu'en le +lorgnant.</p> + + <p>Au fait, la chose serait possible, si ce qu'on raconte à ce sujet est +exact. Ces lions qu'on exhibe seraient assouplis dès l'âge le plus +tendre par un système d'éducation assez raffiné. On leur fait suivre des +cours. Pris tout petits en Afrique, on les enverrait dans un pensionnat +où tout est disposé pour les préparer à faire une entrée convenable dans +le monde. Saviez-vous donc qu'il existât des maisons pour l'instruction +des individus de la race léonine? Le plus renommé de ces établissements +est, paraît-il, situé à Madrid, ville d'une température toujours tiède +(les jeunes élèves, brusquement arrivés d'Afrique, s'enrhumeraient dans +une ville du Nord). A Madrid, d'ailleurs, on a toujours la viande +saignante à bon marché, à raison des corridas ou courses de taureaux. +Voilà pourquoi on amène de préférence les lionceaux dans la capitale des +Espagnes; là , on leur enseigne la civilité puérile et honnête; on leur +apprend surtout l'art de frémir à un froncement de sourcil, et, comme +corollaire, la sobriété, qui consiste à ne dévorer son gardien que le +moins possible. Faire des collégiens avec des lions, telle est la marche +du progrès, comme vous voyez.</p> + + <p>Les sujets de Delmonico ont-ils fait leurs classes à Madrid? Le dompteur +le nie, et cela se conçoit. Encore neuf dans le métier, il y va +rondement, comme un vieux routier. On raconte qu'il a fait avec un +amateur un pari d'une allure assez originale. Il se serait engagé à +entrer dans la cage cent jours de suite sans recevoir la moindre +égratignure. En vertu de ce contrat, il ne devrait atteindre son chiffre +que le 18 janvier prochain. Ce jour-là , s'il est indemne, tranchons le +mot, s'il n'a pas été mangé, il recevra en bloc la somme de 120,000 +francs. Delmonico est un philosophe. Au cas où il gagnerait la gageure, +il s'est promis de liquider ses lions sans le moindre retard. Il placera +ses fonds en 3 pour 100 et vivra honorablement de ses rentes, n'ayant +pour tout animal à ses trousses qu'un griffon de la Havane à peu près +gros comme le poing fermé de son maître. --Pas si bête pour un dompteur!</p> + + <p>J'ai parlé des lettres posthumes de Prosper Mérimée, qu'on imprime en ce +moment. On assure que cette correspondance ressemblera beaucoup à des +mémoires intimes, méthode de Diderot. L'auteur de <i>Colomba</i> y raconte +les principaux épisodes de sa vie. Mais combien de traits qui, par +malheur, n'y trouveront pas place! Je doute, par exemple, qu'on y lise +un fait-anecdote assez curieux et tout à fait inédit qui s'est passé +sous Louis-Philippe, à trois cents kilomètres de Paris.</p> + + <p>C'était en 1840.</p> + + <p>Prosper Mérimée traversait le Berry en qualité d'inspecteur des +monuments historiques. Il s'était arrêté à Saint-Amand-Mont-Rond, jolie +petite ville aux environs de laquelle on veut que César ait établi son +camp, à l'époque où il se mit à la poursuite de Vercingétorix; c'est, en +effet, sur la route de Bourges à Clermont, ou, si vous voulez, +d'Avaricum à Gergovia. Des camps de César, où n'en signale-t-on pas? Il +y avait dans l'endroit un vénérable archéologue, zélateur des poteries +de l'antiquité. Dans l'intérêt de la science, ce brave homme avait +obtenu de faire pratiquer des fouilles au lieu même où l'on assurait que +les fils de la Louve avaient campé. Et justement, ce matin-là , il +accourait, effaré, plein de joie, afin de révéler un grand secret à +l'auteur du <i>Théâtre de Clara Gazul</i>.</p> + + <p>--Que se passe-t-il donc, cher monsieur? demanda Mérimée.</p> + + <p>--Monsieur l'inspecteur général, un fait de la plus haute importance. Je +viens de trouver un dieu.</p> + + <p>--Un vrai dieu?</p> + + <p>--Un Bacchus antique, couvert de la peau de tigre et ayant un thyrse à +la main. Venez donc voir ça avec moi.</p> + + <p>Il y avait à peu près une heure de chemin. On monta dans une berline et +l'on partit.</p> + + <p>Pendant la route, l'archéologue parlait de ses découvertes.</p> + + <p>--J'avais déjà mis la main sur bien des fragments de vases antiques, +disait-il; c'était un commencement de preuve. Mais un Bacchus, de +hauteur d'homme, en métal romain! Un dieu, probablement fondu sous le +septième consulat de Marius et apporté chez nous par les légions de +Jules César! Voilà un témoignage, monsieur! Tout le monde savant va +tressaillir à cette nouvelle.</p> + + <p>Hélas! tandis qu'il tenait ce langage, il se passait du nouveau auprès +des terrassiers.</p> + + <p>Après avoir jeté leur dieu de côté, ceux-ci reprenaient leur travail +lorsqu'un cri, populaire dans la contrée, leur fit tout à coup lever la +tête; c'était un de ces industriels ambulants qui courent à travers les +campagnes pour y refaire les batteries de cuisine.</p> + + <p>--Rétameur! voici le rétameur!</p> + + <p>Un des pionniers l'appela; l'homme accourut.</p> + + <p>--Voilà un bloc de métal qui s'est trouvé sous notre pioche, dit le +travailleur. Ce vieux fou de savant dit que c'est un dieu; il a dansé de +joie tout autour. Si on le laisse faire, il l'emportera comme il emporte +tous les tessons de vieilles bouteilles qu'il rencontre par ici. +Qu'est-ce que c'est que ça au juste?</p> + + <p>--De l'étain d'assez bonne qualité.</p> + + <p>--A quoi ça pourrait-il servir?</p> + + <p>--A faire des cuillers à soupe.</p> + + <p>Des cuillers! Sur un signe qu'ils firent, le nomade se mit à la besogne; +il fixa son réchaud en terre, fondit le Bacchus et en fit des cuillers.</p> + + <p>Il en était à la dernière lorsque la berline arriva.</p> + + <p>Exprimer la douleur du savant serait impossible. L'archéologue avait +encore trois cheveux sur la tête; il se les arracha. Il pleurait de +rage. Il interpellait Mérimée et, en levant les mains au ciel:</p> + + <p>--O Jupiter! s'écriait-il, on voit bien que tu n'es plus rien là -haut! +Sans quoi tu n'aurais jamais permis une telle profanation à l'endroit de +celui de tes fils que tu as gardé trois mois dans une de tes cuisses!</p> + + <p>Mario de Candia est revenu à Paris, où il amène les deux filles qu'il a +eues de son mariage avec Giulia Grisi. Le temps a eu beau marcher, rien +n'efface la pieuse tristesse que le ténor a ressentie en voyant mourir +la célèbre et belle cantatrice dont il avait fait sa femme. Mario, +dit-on, éprouve un âpre plaisir à reparaître aux lieux où sa jeunesse a +été tant fêtée, il y a trente-cinq ans. Peu importe que tout y ait +changé de face. A la vieille cité de pierre a succédé une ville de +marbre et d'or. Il n'y avait guère que quinze cents <i>dilettanti</i>; on en +énumère cent mille aujourd'hui, mais cent mille qui aiment à se griser +de musique de cuivre, cent mille qui portent les oreilles d'âne que +Voltaire montrait jadis à Grétry. Mario, renaissant, délicat, studieux, +soigneux, peu bruyant, serait-il compris de ce public nouveau? On peut +en douter. Mais que vous dire? Il se rappelle sans doute ce que disait +Paganini: «Un artiste de talent sera toujours bien venu partout; il ne +peut vivre qu'à Paris.» Pour le revenant, il y a d'ailleurs le charme +irrésistible qui s'attache aux souvenirs d'une époque sans pareille et +qui ne sera pas recommencée.</p> + + <p>Beaucoup se rappellent encore les premiers jours de sa venue. C'était +dans un temps où l'on ne s'occupait déjà plus de politique. La mode +était d'être tout entier à l'art, à la science, au théâtre, à la +peinture, à la musique, aux beaux vers. Victor Hugo faisait jouer <i>Ruy +Blas</i> par Frédérick-Lemaitre, encore jeune; Alfred de Musset venait +d'écrire les <i>Deux Maîtresses</i>, Stendhal, la <i>Chartreuse de Parme</i>; M. +de Balzac, <i>Un grand homme de province à Paris</i>; Gérard de Nerval, les +<i>Amours de Vienne</i>. On touchait de la veille au duel lyrique engagé +entre Duprez et Adolphe Nourrit, duel funeste, puisqu'il a fini par le +suicide de ce dernier; Mlle Rachel quittait le Gymnase pour s'acheminer +en triomphatrice du côté du Théâtre-Français; Eugène Delacroix avait +exposé la <i>Médée</i> au dernier Salon; Decamps continuait ses études +d'Orient; David (d'Angers) plaçait le Philopémen dans le jardin des +Tuileries. Un opéra, un roman, un tableau, une statue, c'était le pain +quotidien d'alors. L'Athènes de Périclès n'a jamais été plus ensoleillée +de vraie gloire. On n'aurait jamais pu s'imaginer qu'un jour viendrait +où Paris courrait voir un Russe qui a du poil de chien sur la figure, un +noir qui fouette des lions dans une cage ou une mulâtresse à deux têtes, +des monstres. Et il n'y avait pas encore de Petite Bourse sur les +boulevards.</p> + + <p>En ce temps-là , le docteur Véron, si habile, gouvernait l'Opéra en +autocrate; c'était pour le mieux, puisqu'il donnait sans cesse l'éveil à +un chef-d'œuvre inédit ou à quelque grand artiste inconnu. Voilà qu'on +apprit tout à coup l'arrivée d'un ténor. A la suite d'une escapade, un +jeune officier du roi de Sardaigne, s'étant sauvé en France, avait brisé +son épée pour monter sur les planches. Un chevalier! un comte! +l'aventure était piquante.</p> + + <p>Mario de Candia,--c'était lui,--fut essayé; il avait déjà une jolie voix +de salon, mais il fallait développer cet organe si précieux.</p> + + <p>--Un ténor, la coqueluche de Paris! N'épargnez rien pour en avoir un, +disait à M. Véron le ministre de l'intérieur.</p> + + <p>Quand on constatait un grand succès au théâtre, Paris et la France +n'avaient plus rien à dire. La machine gouvernementale fonctionnait à +l'aise. On votait le budget sans débat; on dénouait les conflits +diplomatiques en se jouant; les élections se faisaient presque en +chantant.</p> + + <p>--N'épargnez rien, répétait le ministre; jetez, s'il le faut, l'argent à +pleines mains.</p> + + <p>Les naturalistes nous ont appris combien il faut de soins pour élever un +rossignol. Pour un ténor de ce cycle étrange, c'était bien autre chose. +Que de blandices à l'adresse du nouveau venu! Non-seulement on +prodiguait autour de lui les professeurs, un maître de français, un +maître d'armes, un maître de danse, un maître d'équitation, un maître de +natation, un maître de piano, un maître de chant, mais encore il avait +sans cesse à ses trousses un médecin en renom, chargé de veiller sur sa +personne avec une vigilance de dragon mythologique.</p> + + <p>--A-t-il bien dormi? Il ne faut pas trop d'exercice! Qu'on prenne garde +aux courants d'air! Ah! s'il allait attraper un rhume!</p> + + <p>On ne lui permettait pas de sortir par les temps de pluie, ni le soir, à +l'heure du serein. À table, on ne lui servait que les meilleurs +morceaux, les plus légers, de la cervelle, des crêtes de coq, du blanc +de poulet, précipités, de préférence, par du bordeaux, du haut-brion ou +du léoville. Pourtant il n'en fallait pas en quantité qui pût allumer +trop son cœur. Pas d'amour. L'amour était sévèrement défendu, vu qu'il +porte atteinte, disait-on, aux cordes tendres de la voix. Un ténor, je +le répète, on faisait de l'existence d'un tel artiste une question de +cabinet.--M. Thiers se flattait d'avoir fait plus de ténors que M. +Guizot.</p> + + <p>Pour en revenir au jeune et brillant chevalier sarde, au bout de neuf +mois d'attente, il fut en état de se montrer sur le théâtre. Quelle +salle d'élite pour le voir et pour l'entendre! Il chanta et, dès les +premières notes qui sortirent de son gosier, le comte Duchâtel, ministre +de l'intérieur, présent à ses débuts, s'écria:</p> + + <p>--Allons, il a une voix charmante! La monarchie et le ministère sont +sauvés!</p> + + <p>Tout ce qu'on avait fait pour Mario a été renouvelé depuis pour +Poultier, le tonnelier de Rouen.</p> + + <p>PHILIBERT AUDEBRAND.</p> + + <br><br> + + <h3>PROCÈS DU MARÉCHAL BAZAINE<br><br> + LES TÉMOINS</h3> + + <p class="mid"><img alt="" src="images/002a.png"><br><b> +Marchal. +D'Abzac. +Cruzem.</b></p> + + <p class="mid"><img alt="" src="images/002b.png"><br><b> +Bonzella, marin de l'<i>Inflexible</i>. +Camut. +Quatre-Bœuf, quartier-maître.</b></p> + + <p class="mid"><img alt="" src="images/002c.png"><br><b> +Flahaut. +Régnier. +Arnous-Rivière.</b></p> + +<p class="mid">D'après les photographies de M. Appert.</p> + + <br><br> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/002d.png"><br><b>LE LACHER DU PIGEON PORTEUR DES DERNIÈRES NOUVELLES.</b></p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/002e.png"><br><b>Mode d'attache de la dépêche.<br> + +LE SERVICE DES PIGEONS VOYAGEURS DE LA PRESSE, A VERSAILLES.</b></p> + +<br><br> + + <h3>LA SŒUR PERDUE</h3> + + <h3>Une histoire du Gran Chaco</h3> + + <p class="mid">(Suite)</p> + + <p>«Il n'y a peut-être pas consenti, répliquait Cypriano. Je crois qu'il ne +l'eut pas permis, il peut même l'avoir ignoré et l'ignorer encore, mais +nous savons qu'en plus d'une circonstance les vieillards de la tribu ont +eu à faire justice de crimes du même genre commis à leur insu par des +gens de la tribu. Il y a de mauvais drôles parmi les sauvages tout comme +parmi nous. Les jeunes guerriers de la tribu ont plus d'une fois +épouvanté la contrée par leurs attentats contre la vie des rares +voyageurs qui s'étaient hasardés à parcourir la contrée. Quelque chose +me crie que tous nos malheurs ont pour cause ces Indiens maudits et que +le fils du chef lui-même, Aguara, est à leur tête. Je l'ai soupçonné de +méditer le projet qu'il vient d'accomplir et, quand mon oncle est parti +pour cette malheureuse excursion avec Francesca, ce n'est qu'une fausse +honte qui m'a retenu de lui faire part de mes inquiétudes. Je dois +convenir pourtant que le misérable a dépassé dans l'exécution de son +crime mes prévisions sur un point. Je ne l'aurais pas cru capable +d'aller jusqu'au meurtre de l'ami même de son père pour faire réussir +son dessein.»</p> + + <p>Ludwig ramené subitement à la pensée de son double malheur demeura +quelque temps sans répondre. La scène du retour de son père se +représentait tout entière à son esprit. Il entendait encore le cri +désespéré de sa mère à la vue de son mari inanimé. Plongé dans ce +souvenir, il semblait ne pouvoir en sortir. Mais faisant enfin un effort +pour s'arracher à la contemplation de ce lugubre passé, sa pensée se +reporta plus vivement sur le présent et l'avenir.</p> + + <p>«Cypriano, dit-il, il vaut mieux peut-être que les choses se soient +passées comme vous le supposez.</p> + + <p>--Mieux! pourquoi donc, Ludwig?</p> + + <p>--Nous avons du moins une espérance, celle de retrouver Francesca. Si le +vieux chef est innocent, il ne manquera pas de nous la faire rendre, +quand bien même le coupable serait son propre fils.</p> + + <p>--J'en doute, repartit tristement son cousin.</p> + + <p>--C'est pourtant notre seul espoir, continua Ludwig. Si ce forfait a été +commis par quelque autre tribu ennemie de nous autres blancs, et vous +savez que toutes celles du Chaco sont dans ce cas, quelle chance +avons-nous de leur reprendre ma sœur? L'enlever de force serait +impossible, il y aurait folie d'y songer. Nous n'aurions d'autre +alternative en le tentant que d'y perdre la vie, ou, et ce serait pis, +la liberté sans profit pour elle.</p> + + <p>--C'est vrai, dit Cypriano, je reconnais que sans l'aide de Naraguana, +notre expédition est désespérée. Mais nous aurions plus de chance de +succès si nous devions requérir son aide contre d'autres tribus que la +sienne. Contre des Guaycurus, par exemple, ou des Mbayas, ou des +Anguites, le chef Tovas pourra prendre en main notre cause. Quoique les +tribus du Chaco se liguent volontiers toutes ensemble lorsqu'il s'agit +d'une expédition contre les blancs, elles ont souvent de mortelles +haines les unes contre les autres. Mon espoir se fonde plutôt sur cette +supposition que sur toute autre chose qu'il soit en notre pouvoir +d'accomplir. Si, au contraire, nous avons affaire aux Tovas!...</p> + + <p>--Ce sont les Tovas!» interrompit Gaspardo qui, tout en chevauchant et +tout en ne perdant pas de l'œil la piste de l'ennemi, n'avait pourtant +pas cessé d'écouter la conversation.</p> + + <p>Au même instant, il arrêtait brusquement sa monture et désignait quelque +chose sur le sol, tout à côté de son cheval.</p> + + <p>«Regardez, s'écria-t-il, voilà la preuve de la culpabilité des Tovas!»</p> + + <p>Ludwig et Cypriano s'avancèrent pour examiner ce qu'il leur désignait +ainsi.</p> + + <p>C'était un objet sphérique à peu près de la dimension d'une orange, et +d'une couleur brune foncée. Tous deux reconnurent une <i>bola</i>, pierre +ronde, couverte de cuir cru, et semblable à l'une de celles qui +pendaient aux arçons de leurs propres selles.</p> + + <p>«Quelle preuve trouvez-vous là , Gaspardo, dit Cypriano? C'est une bola +que quelqu'un a laissé tomber et dont la courroie s'est brisée. Mais +qu'est-ce que cela prouve? Tous les Indiens Chaco ne portent-ils pas des +bolas?</p> + + <p>--Oui, mais pas de pareilles à celle-ci. Examinez-la,» dit-il en se +penchant sur sa selle et ramassant la bola sans quitter les étriers; «y +voyez-vous le moindre signe de rupture? Non, elle n'a jamais été +attachée à une courroie. Caramba! senores, c'est une <i>bola perdida</i> +(1)!»</p> + + <p>Les deux jeunes gens se passèrent l'objet et n'y découvrirent rien qui +pût laisser supposer qu'il appartenait à un couple de bolas. C'était une +lourde pierre, entourée d'une enveloppe de peau de vache, avec laquelle +on l'a recouverte quand elle était encore humide, et qui, en séchant, +s'était resserrée sans laisser un seul pli. Il n'y avait aucune +apparence de courroie, on ne voyait que la couture qui la fermait. +Quelle que pût être son utilité, la bola était complète en elle-même.</p> + + <p>--Une <i>bola perdida!</i> Je n'ai jamais entendu parler de cela, dit Ludwig.</p> + + <p>--Ni moi non plus, ajoute Cypriano.</p> + + <p>--J'en ai entendu parler, moi, dit le gaucho, et j'ai vu aussi ses +effets. C'est une arme dont les Indiens se servent avec une adresse qui +vous surprendrait. Ils la lancent à plus de 30 mètres et en frappent la +tête d'un ennemi avec autant de sûreté que si elle sortait du canon +d'une carabine. <i>Maldita!</i> J'ai vu des crânes écrasés par un pareil +coup, mieux que s'ils avaient été écrasés par un bâton de <i>quebracho</i> +(2). La <i>bola perdida</i>, senores! ce n'est pas un jouet d'enfant, je vous +l'assure.</p> + + <blockquote><b>Note 1:</b> Littéralement «boule perdue», la signification spéciale de ces +mots résultera de l'explication du gaucho.</blockquote> + + <blockquote><b>Note 2:</b> Nom donné à une espèce d'arbre de la famille des acacias, à +cause de la dureté de son bois. Quebracho, ou casseur, signifie qu'il +briserait la hache avec laquelle on voudrait l'abattre.</blockquote> + + <p>--Mais quelle preuve avez-vous qu'elle ait été lancée par des Tovas?»</p> + + <p>Cette question était faite par Ludwig.</p> + + <p>«Ils sont les seuls Indiens qui puissent l'avoir laissée tomber, car eux +seuls se servent de cette arme. Aucune autre tribu ne l'emploie. N'en +doutez pas, mes enfants, elle a été perdue par un traître Tovas.»</p> + + <p>Les deux jeunes gens firent un signe d'assentiment, et dès ce moment ils +surent que la piste qu'ils suivaient alors était certainement la piste +des Tovas.</p> + + <p>Cette connaissance acquise d'une façon si inattendue affecta les +voyageurs bien différemment. A Ludwig elle donna, sinon de la joie, du +moins un rayon d'espérance de retrouver sa sœur, tandis que chez +Cypriano elle ne produisit qu'un désespoir plus sombre encore.</p> + + <p>«Au-dessus des Tovas, au-dessus du misérable assassin, dit-il à ses deux +compagnons, il est un plus grand coupable, à qui remonte la première +responsabilité de tous nos malheurs.</p> + + <p>--Oui, répondit Ludwig, l'infâme Francia.</p> + + <p>--Lui-même, et je ne vivrai jamais tranquille tant qu'il n'en aura pas +aussi subi le châtiment.</p> + + <p>--Dieu se chargera de le lui infliger. Quant à nous, cher cousin, que +pouvons-nous contre cet homme?</p> + + <p>--Rien pour le moment sans doute; mais plus tard nous nous verrons.»</p> + + <p>De nouveaux incidents vinrent faire diversion à leurs pensées. +L'atmosphère, après s'être graduellement assombrie, s'était épaissie +presque subitement autour d'eux, au point de faire succéder presque +instantanément la nuit au jour.</p> + + <p>«Vite, vite! cria Gaspardo en mettant son cheval au grand galop; si nous +n'atteignons pas la grotte, nous sommes perdus. Courez, si vous tenez à +la vie!»</p> + + <p>Les deux jeunes gens lancèrent comme lui leurs chevaux à toute vitesse.</p> + + <p>«Nous arrivons à temps! Grâce à la Mère de Dieu, nous arrivons à temps!»</p> + + <p>Cette exclamation sortit des lèvres de Gaspardo au moment où, suivi de +ses jeunes compagnons, il faisait passer son cheval par l'ouverture +d'une caverne.</p> + + <p>Cette caverne se trouvait dans un rocher à pic, s'élevant au-dessus d'un +arroyo (3) qui, un peu plus bas, se jetait dans le Pilcomayo. Son entrée +donnait sur le bord du ruisseau à quelques pieds de distance seulement +de l'eau courante.</p> + + <p>«Oui, nous arrivons au bon moment», ajouta le gaucho en exhalant un +soupir de soulagement. «Caramba! entendez-vous? voyez-vous? Regardez +dehors!»</p> + + <p>Il parlait encore quand un éclat de tonnerre étouffa sa voix. C'était la +tempête. C'était la tormenta! dont les grondements répercutés soudain +par les échos du ravin, prirent en un instant une effroyable intensité. +Des nuages de poussière tourbillonnaient dans la plaine et semblaient +vouloir accourir sur eux.</p> + + <p>«Dépêchons, descendez de cheval», cria Gaspardo à ses deux compagnons, +en leur donnant l'exemple. «Prenons nos ponchos, mes enfants, +attachons-les ensemble, et si nous ne voulons pas être étouffés dans cet +antre, bouchons-en l'entrée le mieux et le plus vite que nous pourrons.»</p> + + <p>Les jeunes gens n'avaient pas besoin d'être mis en demeure de ne pas +perdre un instant. Ce n'était pas la première fois qu'ils assistaient à +une tormenta; chez eux, à Asuncion, ils en avaient vu plus d'une et en +avaient remarqué les terribles effets. Ils avaient entendu les cailloux +brisant les fenêtres, faisant trembler les portes sur leurs gonds; ils +avaient vu la poussière passer à travers les fentes et les trous des +serrures comme l'haleine furieuse de l'ouragan, ils avaient vu les +arbres déracinés, brisés comme paille, les bêtes et les gens culbutés, +roulés à terre par son irrésistible violence. Aussi, avant que le gaucho +eût pu prononcer un autre mot, ils étaient sur pied et l'aidaient à +disposer à l'intérieur leurs chevaux pour qu'ils lussent un premier +obstacle, et à fermer l'ouverture de la caverne, à l'aide de leurs +ponchos solidement liés ensemble et fixés dans les interstices des +rochers au moyen de leurs couteaux. Ils furent à moitié aveuglés par la +poussière et presque renversés par le vent avant d'avoir pu terminer +cette opération.</p> + + <p>«Maintenant, dit Gaspardo, dès qu'ils eurent achevé leur besogne, nous +pouvons nous regarder comme en sûreté, et je ne vois pas de raison pour +ne pas nous installer dans ce trou aussi confortablement que le +permettent les circonstances. Nous serons peut-être retenus longtemps +ici, trois ou quatre heures, sinon toute la nuit. Quant à moi je suis +affamé comme un gallinazo(4). Cette rude course m'a fait oublier mon +déjeuner, de sorte que je propose d'achever ce qui nous reste de guariba +rôti. La salle à manger est sombre et nous aurons peine à faire bouillir +notre théière. Cependant j'espère pouvoir faire assez de lumière pour +éclairer notre repas.»</p> + + <p>En prononçant ces mots, le gaucho se dirigea vers son cheval, et +fouillant un moment sous son recado, il réussit à trouver un briquet.</p> + + <p>Mayne Reid.</p> + + <p>(<i>La suite prochainement.</i>)</p> + + <blockquote><b>Note 3:</b> Vautour-dindon du l'Amérique Espagnole, nommé <i>Jofilote</i> au +Mexique. Dans les autres portions du continent de l'Amérique du Sud, ou +l'appelle <i>urubu</i> ou <i>gallinazo</i>. Certains voyageurs ont cru que le +<i>turkey buzzard</i> des États-Unis et le <i>Gallinazo</i> Sud-Américain étaient +un même oiseau. Ils sont cependant entièrement distincts; ce dernier est +beaucoup plus beau que son congénère du Nord. Son plumage est plus +brillant, tandis que sa tête chauve, son cou et ses pattes, au lieu +d'être d'un blanc grisâtre, sont d'une couleur rouge vif. Il existe au +moins quatre espèces distinctes de ces petits vautours noirs sur le +continent de l'Amérique.</blockquote> + + <blockquote><b>Note 4:</b> L'arroyo est un ruisseau coulant entre deux berges élevées et à +pic.</blockquote> + +<br><br> + + <h3>NOS GRAVURES</h3> + + <h3>La loi de prorogation et le public</h3> + + <p>Chaque fois qu'il y a eu à l'Assemblée nationale de Versailles +quelqu'une de ces grandes discussions qui mettent le pouvoir en +question, le contre-coup s'en est vivement fait sentir à Paris. Alors +que M. Thiers était président de la République, cela s'est produit non +pas une fois seulement. On n'a pas oublié encore l'émotion qui s'était +emparée de la capitale, le 24 mai: la foule agitée s'arrachant les +journaux du soir sur les boulevards, assiégeant la gare Saint-Lazare +pour attendre l'arrivée des trains, quêtant et commentant les nouvelles, +dans un état de surexcitation difficile à décrire. Le même phénomène ne +pouvait donc manquer de se reproduire le 19 septembre dernier, jour où +l'on discutait à Versailles la loi de prorogation des pouvoirs de M. le +maréchal de Mac-Mahon. En effet, dès la première journée de cette +discussion, qui ne s'est terminée, comme on sait, que le lendemain dans +une séance de nuit, la grande ville était soudainement reprise de son +accès de fièvre. Dans la soirée, même émotion sur les boulevards, mêmes +inquiétudes, même curiosité impatiente de savoir, même encombrement à la +gare, où, comme les sergents de ville, les patrouilles étaient +impuissantes à faire circuler la foule. Pour en avoir raison on crut +faire merveille en la trompant, en faisant arrêter les trains avant +l'entrée en gare, et l'on réussit un instant à la dérouter. Mais +quelqu'un éventa la mèche, et les curieux aussitôt de se porter sur le +pont de l'Europe. Il fallut bien en prendre son parti, et laisser suivre +son cours normal à cette fièvre qui finalement se calma d'elle-même, +sans s'être compliquée du plus léger accident.</p> + + <h3>Quelques portraits de témoins dans le procès Bazaine</h3> + + <p>Le procès du maréchal Bazaine avance. Bientôt la parole sera à +l'accusation et à la défense, car la liste des témoins ne tardera pas à +être épuisée. Avant qu'elle le soit tout à fait, nous croyons être +agréables à nos lecteurs en mettant sous leurs yeux les traits de +quelques-uns de ces témoins qui ont appelé le plus vivement sur eux +l'attention par le rôle qu'il ont joué dans le grand drame de la +capitulation de Metz et de l'armée du Rhin.</p> + + <p>Les neuf personnages dont nous donnons aujourd'hui les portraits, pour +commencer, se rattachent à trois catégories de faits différents: +communications entre les maréchaux Bazaine et Mac-Mahon avant le +désastre de Sedan, communications entre le maréchal Bazaine et le +gouvernement du 4 septembre, enfin communications entre le maréchal +Bazaine et l'ennemi. Les témoins Flahaut, Marchal et M. le colonel +d'Abzac se rapportent à la première catégorie. Commençons par celle-ci.</p> + + <p>Flahaut et Marchal sont deux agents de police qui servirent plusieurs +fois d'émissaires entre Metz et Thionville. Le 20 août, Flahaut se +trouvait à Metz lorsque le maréchal Bazaine le fit appeler et lui remit, +pour les porter à Thionville, les trois fameuses dépêches adressées, +après la bataille de Saint-Privat: 1º à l'empereur, 2º au ministre de la +guerre, 3º au maréchal de Mac-Mahon, dépêches dont les deux premières +différaient si essentiellement de la troisième.</p> + + <p>Celle-ci, en effet, portait seule cette restriction: «Je suivrai +très-probablement pour vous rejoindre la ligne des places du Nord, et +<i>vous préviendrai de ma marche, si toutefois je puis l'entreprendre sans +compromettre l'armée.</i>» Ajoutons que, seule aussi, cette dépêche qui +aurait sans doute arrêté la marche du maréchal de Mac-Mahon vers l'est, +ne parvint point à son destinataire. Cependant elle était parvenue en +double, comme les autres, au colonel Turnier, à Thionville, apportée +d'une part par Flahaut, et de l'autre par Mme Louise Imbert. Le colonel +Turnier le fit passer toutes les trois au colonel Massaroli, commandant +la place de Longwy, par l'intermédiaire du commissaire de police +cantonal à Longwy, Guyard. Le colonel Turnier remit en même temps une +expédition de ces dépêches à M. de Bazelaire, élève de l'École +polytechnique, qui allait à Paris, et qui les fit partir le 22 par la +station télégraphique de Givet. De son côté le colonel Massaroli expédia +la dépêche à l'empereur, et celle destinée au ministre. Quant à la +dépêche adressée au maréchal de Mac-Mahon, il la remit à deux agents de +la police de sûreté de Paris qui avaient été demandés à M. Piétri par le +colonel Stoffel, chef de la section des renseignements à l'état-major du +maréchal de Mac-Mahon, et qui devaient chercher à pénétrer jusqu'au +maréchal Bazaine et recevoir ses dépêchées. Ces agents, les sieurs +Rabasse et Miès, adressèrent télégraphiquement cette dépêche, le 22, au +colonel Stoffel, ils lui en remirent entre les mains, le 26, l'original; +le colonel avait dû également en recevoir l'expédition par M. de +Bazelaire, et cependant, comme il est dit ci-dessus, elle ne parvint pas +au maréchal de Mac-Mahon. Le colonel a nié l'avoir jamais reçue, ce qui +a amené à l'audience du conseil de guerre un incident émouvant. Le +commissaire du gouvernement, le général Pourcet, à la suite de ces +dénégations, se leva et prit des conclusions contre le colonel, à +l'effet de le poursuivre pour soustraction de dépêche. Revenons à +Flahaut.</p> + + <p>Après avoir heureusement accompli la mission dont nous avons parlé plus +haut, il fut renvoyé à Metz par le colonel Turnier, avec une dépêche +chiffrée.</p> + + <p>Cette fois il voyagea de compagnie avec un de ses collègues, Marchal, +qui avait été chargé, de la même dépêche. L'odyssée de ces deux agents +abonde en détails dramatiques. Ils sont arrêtés trois fois par les +Prussiens et autant de fois repoussés, sous peine d'être fusillés. +Arrivés à Augny, dans une quatrième tentative, ils se cachent d'abord +dans la cave du maître d'école, puis chez le curé, qui leur donne à +souper et à coucher. Enfin, le lendemain ils réussissent en ayant +recours à la ruse. Arrêtés aux avant-postes ennemis et interrogés par un +officier:</p> + + <p>--Nous venions voir, répondent-ils, si vous avez des pommes de terre; +voici l'hiver, et si vous n'en avez pas nous pourrons vous en vendre.</p> + + <p>L'ennemi les croit et les laisse libres de circuler aux avant-postes. +Une occasion favorable se présente et ils filent. La dépêche avait passé +avec eux. Bien malin eût été le Prussien qui l'eût découverte. Chacun +d'eux avait avalé la sienne, après avoir eu soin de l'envelopper +préalablement de caoutchouc. Plus tard, le 5 et le 15 septembre, puis +dans le courant d'octobre, Marchal et Flahaut essayèrent de retourner à +Thionville, mais ils n'y purent parvenir.</p> + + <p>Disons, pour en finir avec cet ordre de faits, que le colonel d'Abzac, +dont il a été question plus haut, était attaché au cabinet du maréchal +de Mac-Mahon. Il a déclaré n'avoir pas eu connaissance de la dépêche du +20 août rapportée à Rhetel par les témoins Miès et Rabasse, et remise +par eux, selon leur dire, au colonel Stoffel.</p> + + <p>Les témoignages de Cruzem, de Camus, de Quatrebœuf et de Donzella se +rapportent aux communications entre le maréchal Bazaine et le +gouvernement du 4 septembre. Le maréchal prétend que ces communications +étaient alors devenues pour ainsi dire impossibles. Cependant le témoin +Crusem est sorti trois fois de Metz, passant à travers les lignes +prussiennes, d'abord dans la direction de Corny, puis par le bois de +Grigy, enfin par Saint-Remy: et, dans ces diverses excursions, il a +parcouru, dit-il, les environs de Metz et poussé, dans la dernière, +jusqu'à Luxembourg. Les trois témoins qui suivent, MM. Camus, +Quatrebœuf et Donzella étaient des émissaires du gouvernement du 4 +septembre qui, préoccupé de la situation de l'armée de Metz, avait fait +arriver à Longwy et à Thionville plusieurs convois de vivres pour la +ravitailler. C'est cette nouvelle qu'il s'agissait de porter à la +connaissance du maréchal Bazaine. M. Camus est un homme de quarante-huit +ans, garde-forestier, connaissant bien le pays. Il fit plusieurs +tentatives infructueuses pour passer et rentra à Longwy. M. Quatrebœuf, +sergent-fourrier des équipages de la flotte, paraît avoir mieux réussi. +C'est un jeune homme de trente-deux ans, alerte et énergique. Enfin M. +Donzella, autre marin, du même âge que le dernier et non moins +déterminé, envoyé par la délégation de Tours dans le même but, parvint à +entrer dans Thionville, qui était alors investi, et à remettre au +colonel Turnier, chargé de la faire parvenir, la dépêche dont il était +porteur. Donzella, pour passer, avait été obligé de se déguiser en +marchand d'osier. Il a raconté avec beaucoup de verve son entrevue avec +le colonel: «Il me chargea de dire bien des choses à sa famille et +voulait me donner une lettre pour elle, mais je refusai de la recevoir +en disant:</p> + + <p>«--Je veux bien me charger de nouvelles orales, mais je ne veux pas +m'exposer à me faire fusiller par les Prussiens uniquement pour dire à +votre famille comment vous vous portez.»</p> + + <p>Selon toute vraisemblance, la nouvelle de ce qu'avait fait le +gouvernement pour ravitailler l'armée de Metz est donc parvenue au +maréchal Bazaine, qui cependant affirme le contraire. Mais il affirme +également n'avoir pas reçu une dépêche postérieure, contenant les mêmes +détail et à lui apportée et remise par le garde mobile Risse. Cependant +l'entrée à Metz de Risse ne peut être contestée, puisqu'il s'y est +engagé dans le 44e de ligne. Sa déposition est très-précise. Elle est +d'ailleurs confirmée par les deux témoins Marchal et Flahaut, dont il a +été déjà parlé.</p> + + <p>Avec M. Arnous-Rivière, nous passons aux communications avec l'ennemi, +dont il a été le principal ouvrier.</p> + + <p>M. Arnous-Rivière, âgé de quarante-sept ans, est un ancien officier +démissionnaire, qui avait été chargé par le maréchal Bazaine d'organiser +une compagnie d'éclaireurs. Il avait été d'abord attaché au grand +quartier général, puis il fut investi à la fin d'août du commandement +des avant-postes à Moulins. C'est par son intermédiaire que se faisait +l'échange des correspondances entre les généraux en chef, +correspondances, qui, pour la plupart, n'ont pas laissé de traces dans +le dossier; c'est lui qui recevait les parlementaires et les conduisait +en voiture de Moulins au grand quartier général. C'est ainsi que, le 23 +septembre, il amena Régnier, à la tombée de la nuit, d'abord à +Longeville, au quartier général du général Cissey, puis au ban +Saint-Martin chez le maréchal. «Vous annoncerez l'envoyé d'Hastings», +lui dit Régnier; parole faite pour surprendre, car alors on ignorait +absolument à Metz que l'impératrice eut choisi cette résidence. +Terminons par ce triste personnage.</p> + + <p>Régnier est un homme d'une cinquantaine d'années. C'est, d'après le +rapport du général Rivière, un homme fin et audacieux, aux manières +vulgaires, très-vaniteux et se croyant un profond politique. Il a reçu +quelque instruction et joué, en 1848, un certain rôle dans les +événements du temps. Puis il se lança dans l'industrie, et épousa en +Angleterre une femme qui lui apporta une certaine aisance. Après le 4 +septembre, on le retrouve dans ce pays, où il cherche à se faufiler chez +l'impératrice, qui s'était retirée à Hastings. Il finit par y obtenir, à +force d'importunités, une photographie portant la signature du prince +impérial, sorte de passe qui va lui servir, ainsi qu'une vue de +Wilhemshoe, où était détenu l'empereur, et qu'il s'était procurée je ne +sais comment, à accréditer ses menées. Ainsi nanti, il se rend à +Ferrières auprès du prince de Bismarck, à la solde duquel il semble se +mettre et qui l'emploie sous prétexte d'armistice à tromper le maréchal +Bazaine, en faisant miroiter à ses yeux on sait quelles espérances +ambitieuses, et à lui tirer l'état exact de la situation de son armée +sous Metz et de ses ressources en vivres. En quittant le maréchal, il +emmenait avec lui le général Bourbaki qui devait se rendre à Londres +auprès de l'impératrice, et qui en y arrivant, fut fort surpris +d'apprendre que celle-ci ne savait pas le premier mot de l'intrigue qui +l'avait fait sortir de Metz. Mais le tour était joué, M. de Bismarck +savait à huit jours près combien de temps le maréchal pouvait tenir, +c'est tout ce qu'on voulait, et Régnier ne reparut plus.</p> + + <p>On sait qu'il ne s'est pas présenté à l'appel de son nom à l'audience du +conseil de guerre où il devait faire sa déposition. On s'y attendait, +car il avait déjà déclaré, dans une lettre rendue publique, qu'il ne +comparaîtrait pas, si M. le président du conseil refusait de lui +accorder certaines garanties pour sa sûreté. Aussi, a-t-il été condamné +à 100 francs d'amende comme défaillant, à la requête du commissaire du +gouvernement, qui a également demandé au conseil l'autorisation de le +poursuivre comme ayant entretenu des intelligences avec l'ennemi et lui +ayant procuré des renseignements pouvant compromettre la sûreté de la +place de Metz et de l'armée française.</p> + + <p>Louis Clodion.</p> + + <h3>Les pigeons de la presse de Paris</h3> + + <p>Si la capitale politique de la France parlementaire était Tours et +surtout Bordeaux, jamais la <i>Liberté</i> n'aurait imaginé d'employer des +pigeons au service de la dernière heure. Mais Versailles est si +rapproché de Paris que l'électricité, à cause des formalités qu'exige +son emploi, ne peut lutter contre l'aile du pigeon, qui est, lui, +toujours prêt à partir dès qu'on ouvre la porte de son panier.</p> + + <p>L'intelligente initiative prise par la <i>Liberté</i> ne pouvait tarder à +être imitée. Quelques jours à peine s'étaient écoulés depuis l'ouverture +de la session d'hiver qu'une industrie nouvelle était créée.</p> + + <p>Un colombophile imaginait de mettre au service des divers journaux +politiques de Paris des pigeons parfaitement dressés. Il faisait de son +colombier le centre des nouvelles les plus fraîches du maréchal Bazaine +et de l'Assemblée nationale. Le <i>Temps</i>, la <i>Presse</i>, l'<i>Opinion</i>, la +<i>Patrie</i>, etc., etc., et même l'Agence Havas sont devenus l'un après +l'autre tributaires de ce service de dépêches. Le directeur de la poste +aérienne loue ses oiseaux à peu près aussi cher que l'on eût fait payer +un cheval au temps du grand roi pour revenir de l'Œil de Bœuf à Paris. +Il est vrai que les pigeons n'ont pas besoin de postillons qui les +ramènent à l'écurie.</p> + + <p>Ce commerce va si bien qu'on lâche quelquefois trente ou quarante +pigeons dans la même journée, surtout si le temps est clair et si les +événements politiques sont assez palpitants.</p> + +<p>(<i>Suite plus bas.</i>)</p> + +<br><br> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/003a.png"><br><b>Aveugles à la porte de la cathédrale de Valence.</b></p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/003b.png"><br><b>La ligature des palmiers.</b></p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/003c.png"><br><b>Laboureurs Valençais.</b></p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/003e.png"><br><b>Le pesage du charbon à Madrid.</b></p> + + +<p class="mid"><img alt="" src="images/003e.png"><br><b>Pose de banderillas.</b></p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/003f.png"><br><b>La navaja.</b></p> + + + <p class="mid"><img alt="" src="images/004a.png"><br><b>Un enterrement à Barcelone.</b></p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/004b.png"><br><b>Contrebandiers de la Serriana de Ronda.</b></p> + + + <p>--Gravures extraites de l'<i>Espagne</i>, par le baron Ch. +Daviller.--Illustrations de Gustave Doré. (Hachette et Cie, éditeurs.)</p> + + <br><br> + <p>(<i>Suite.</i>)</p> + + <p>Le lancer a lieu au fur et à mesure des demandes qui affluent +principalement de deux heures et demie à trois heures, moment du coup de +feu et de la clôture définitive du bureau. Car il n'y a pigeon qui +tienne, il faut que le journal paraisse, et paraisse de bonne heure, s +il ne veut pas qu'un rival plus diligent le prévienne et tire profit de +ses retards.</p> + + <p>L'opérateur qui lance les pigeons se place sur la porte d'un petit +cabaret borgne placé en face de la cour du Maroc. Les reporters n'ont +qu'un saut à faire pour franchir la rue et y apporter les nouvelles +écrites au vol, apportées au galop.</p> + + <p>C'est un homme de haute taille, à longue barbe et à larges épaules; nous +l'avons représenté au moment où il jette en l'air, l'un après l'autre, +un couple d'oiseaux. Pour éviter les pertes de temps, il en tient un +dans chaque main. Les pigeons, profitant de l'élan qu'ils ont reçu, +fuient rapidement dans la direction de Paris. Une foule très-mélangée et +à laquelle quelques représentants ne dédaignent point de se mêler, +assiste à ce spectacle, qui n'est pas un des moins curieux ni des moins +instructifs que Versailles offre en ce moment.</p> + + <p>Cette entreprise publique n'est pas la seule; il existe en outre une +organisation particulière établie par le <i>National</i> pour les besoins de +sa publicité. Son lanceur opère également dans le cabaret de la rue des +Réservoirs, que nous avons représenté encombré de cages à pigeons. Le +colombophile du <i>National</i> est occupé à enfiler le petit tube des +dépêches autour d'une des rectrices de la queue. L'opération demande +beaucoup d'habitude et de dextérité. L'oiseau, quand on le prend +convenablement, se laisse faire avec beaucoup de docilité; mais il ne +faut pas croire qu'il ne s'aperçoive pas de ce qui vient de se passer. +Non-seulement ce corps étranger gêne la manœuvre de son gouvernail, +mais il l'agace et l'inquiète; de sorte que, finalement, son vol se +trouve notablement diminué de rapidité.</p> + + <p>La preuve, c'est que, si les nouvelles faisant défaut, quelques-uns des +dix pigeons du <i>National</i> sont lancés et reviennent sans dépêches, bien +que partis les derniers, presque toujours ils arrivent les premiers à +Paris.</p> + + <p>Comme l'oiseau se guide uniquement par la vue, il faut que le ciel soit +assez pur, surtout au déclin du soleil, pour que les pigeons de la +Presse de Paris puissent trouver leur chemin. La saison difficile va +commencer, car les jours deviennent de plus en plus courts et nos petits +courriers politiques ont à percer des brumes qui vont singulièrement en +s'épaississant.</p> + + <p>Quant aux pigeons de nuit, ils sont encore à inventer. C'est à peine si, +par un beau clair de lune, quelques lauréats des grands concours partant +à faible distance pourraient regagner leur colombier.</p> + + <p>W. de Fonvielle.</p> + + <br><br> + + <h2>L'Espagne</h2> + + <h3>PAR M. LE BARON DAVILLER</h3> + + <p>Les événements qui se passent en Espagne ont plus que jamais fixé +l'attention publique sur ce pays, qui parle déjà tant à l'imagination. +Aussi est-ce avec le plus vif intérêt que l'on arrête ses regards sur +tout ce qui sert à faire connaître les mœurs de ce peuple curieux, rude +et poli, passionné, superstitieux, brutal, avide de distinction, +très-chatouilleux sur le point d'honneur, et avec cela aussi généreux +que digne. A ce titre, les dessins que nous donnons ci-contre ne peuvent +donc manquer de plaire à nos lecteurs.</p> + + <p>Un d'eux représente un cimetière à Barcelone. C'est une série de longues +allées que bordent de hautes murailles percées d'une multitude de +casiers. Chaque casier doit loger un cercueil, après quoi il est muré. +Une dalle en pierre ou en marbre, plus ou moins richement ornée, suivant +la fortune du défunt, et portant son nom, ferme l'ouverture du casier. +Rien de triste comme une promenade à travers les rues mornes de cette +ville des trépassés.</p> + + <p>Passons dans la province voisine, celle de Valence, qui entre toutes, a +conservé un caractère moresque nettement tranché. Le costume des +habitants a à peine varié depuis plusieurs siècles, celui des paysans +surtout. Coiffés d'un mouchoir aux couleurs éclatantes, roulé autour de +la tête et s'élevant en pointe, réminiscence du turban, qu'ils +recouvrent parfois d'un sombrero à larges bords, ils portent une chemise +attachée au cou par un bouton double, un très-large caleçon de toile +blanche, retenu par une ceinture, des bas sans pied quand ils en +portent, et des alpargatas ou espardines. Ajoutons la mante, qui ne les +quitte jamais, et voilà au complet le costume d'un Valençais du peuple, +d'un <i>labradore</i> ou laboureur, qui ne se fait beau et n'endosse le gilet +de velours aux boutons d'argent que les jours de fête. La fertilité des +environs de Valence est proverbiale, ce qui n'implique pas qu'il n'y ait +point de pauvres. Comme chez nous, les pinceurs de guitare ne manquent +pas, mais c'est dans la capitale de la province qu'on les trouve. Les +infirmes hantent les portes des églises. Un de nos dessins représente +deux aveugles chantant des litanies à la porte de la cathédrale.</p> + + <p>Comme toutes les grandes villes de la péninsule, Valence a sa <i>plaza de +toros</i>, où ont lieu les combats cruels si chers aux Espagnols. Ces +combats se terminent toujours par la mort d'un certain nombre de +taureaux et de chevaux. Le sang humain y coule souvent aussi, mêlé à +celui des animaux. Nous ne décrirons pas par le menu ce dramatique sport +où torreros, picadores, banderilleros ont leur place marquée et jouent à +l'envi le jeu le plus périlleux. Quelques mots cependant sont +nécessaires pour expliquer un de nos dessins: <i>Pose de banderillas</i>. Ces +banderillas sont des sortes de flèches dont le bois est entouré de +papier de différentes couleurs, frisé et découpé. A l'une de ses +extrémités est un hameçon. Les banderilleros ont pour mission de piquer +dans les épaules du taureau ces engins qui ne peuvent plus s'en +détacher, et ont pour effet d'augmenter la fureur de l'animal C'est à +Madrid que ces spectacles se donnent avec le plus d'apparat et de +somptuosité. Si l'on n'y déploie pas à Valence un pareil luxe, en +revanche on s'y porte avec un empressement à nul autre pareil. Le +Valençais est passionné pour ce divertissement. Cela tient sans doute à +sa nature. S'il est gai, il est cruel. La colère le transporte +facilement. C'est alors qu'il joue du couteau, de cette terrible +<i>navaja</i>, qui se fabrique à Albacète, et dont la lame, très-allongée et +pointue, porte toujours quelque inscription, qui indique à quel usage +elle n'est que trop souvent employée, «Si cette vipère te pique, il n'y +a pas de remède à la pharmacie.»</p> + +<div class="poem"><div class="stanza"> +<p class="i14"> Si esta vivora te pica</p> +<p class="i14"> No hay remedio en la botica.</p> +</div></div> + + <p>Devise qui le plus souvent employée, a valu à certains <i>navajas</i> le nom +lugubrement plaisant de <i>navajas de santolio</i>, couteaux de +l'extrême-onction.</p> + + <p>Mais il est temps de nous arrêter. Quelques-uns des détails que l'on +vient de lire et qui expliquent les dessins que nous donnons, ont été +par nous empruntés au magnifique ouvrage que vient de publier la +librairie Hachette: l'<i>Espagne</i>, par le baron Ch. Daviller. C'est un +splendide volume in-4º de 800 pages, très-intéressant, très-bien écrit, +et illustré de 300 gravures dessinées sur bois par M. Gustave Doré.</p> + + <p>L. C.</p> + + <br><br> + + <h2>L'Insurrection de Cuba(5)</h2> + + <blockquote><b>Note 5:</b> Les deux gravures qui accompagnent cet article sont extraites +du <i>Tour du Monde</i>, nouveau journal des voyages, publié par la maison +Hachette et Cie.</blockquote> + + <p>Dans l'histoire de la semaine nous disons où en est l'affaire du +<i>Virginius</i>, qui est venue si inopinément compliquer, vis-à -vis des +États-Unis d'Amérique, la situation déjà si critique de la malheureuse +Espagne. Nous n'avons pas à y revenir ici. On sait qu'à la première +nouvelle de l'exécution des flibustiers américains, il y eut comme une +explosion d'indignation aux États-Unis. On ne parlait que d'armer et +d'entrer en campagne sur l'heure.</p> + + <p>Cette indignation était-elle bien réelle? J'en doute.</p> + + <p>On sait que depuis longtemps les États-Unis convoitent la possession de +l'île de Cuba; et, si les richesses et la merveilleuse situation de la +perle des Antilles n'excusent pas ces convoitises, au moins les +expliquent-elles. La fertilité de l'île de Cuba est très-grande en +effet, sa végétation magnifique. On y trouve de vastes forêts de +palmiers, de cèdres, de cocotiers, de chênes, de pins; on y cultive la +canne à sucre, le tabac, le caféier, le cotonnier, l'indigotier, le riz, +le maïs, qui sont pour le planteur une source intarissable de richesses, +et rien n'égale la beauté de son port de la Havane que défendent de +vastes fortifications. Les vues que nous donnons de ce port et de +l'intérieur de l'île prouveront au lecteur que nous n'exagérons en rien.</p> + + <p>Cuba forme, avec les autres Antilles espagnoles, un gouvernement dont la +Havane est le chef-lieu. Civilement, elle est divisée en deux provinces: +la Havane et Santiago; militairement, en trois départements: l'Est, le +Centre, et l'Ouest; financièrement en trois intendances: la Havane, +Puerto-Principe et Santiago; au point de vue maritime enfin, en cinq +provinces: La Havane, Trinitad, Remedios, Nuevitas et Santiago. Elle +renferme une population de 1,449,462 habitants, dont 564,698 blancs, +16,176 hommes libres de couleur et 662,087 esclaves qui seront libérés +après la pacification de l'île d'après la loi récemment votée par les +cortès espagnoles. En attendant l'esclavage y règne toujours, et bien +que la traite soit interdite, plusieurs milliers d'esclaves y sont +encore introduits chaque année. La révolte de ces esclaves l'a +ensanglantée plusieurs fois dans le cours de ce siècle et l'ensanglante +encore aujourd'hui. Espérons que c'est pour la dernière fois et que ces +révoltes cesseront avec la cause qui les a fait naître.</p> + + <p>L'Espagne attache le plus grand prix, et cela se comprend, à cette +colonie que les États-Unis, nous l'avons dit, voudraient bien aussi +s'annexer. En 1845, ils ont offert de l'acheter, et peut-être l'Espagne +a-t-elle eu tort de ne pas la vendre. Finiront-ils par s'en emparer +d'une façon ou de l'autre? Selon toutes les probabilités, oui.</p> + +<br><br> + + <h3>UN VOYAGE EN ESPAGNE<br> + +PENDANT L'INSURRECTION CARLISTE</h3> + + <h4>V</h4> + + <p>Abdication du roi Amédée et proclamation de la République.--Agissements +de la Junte carliste établie à Bayonne.--Don Carlos séjournant à la +frontière.--Conseil particulier du prétendant.--Nomination de nouveaux +chefs carlistes.</p> + + <p>Lorsque l'abdication du roi Amédée fut portée aux Cortès et que +celles-ci, en dépit du ministre Zorilla, proclamèrent la République, +j'étais à Vitoria, capitale de la province de l'Alava. De ces deux +nouvelles, la première était prévue depuis longtemps, le jeune prince +italien, malgré ses qualités personnelles incontestables, étant +profondément détesté par tous les Espagnols, sans distinction de partis, +devait en arriver forcément à cet acte d'abdication. Aussi +n'étonna-t-elle personne.</p> + + <p>Il n'en fut pas de même de la proclamation de la République par une +Chambre qui passait pour être foncièrement monarchique. La population ne +voulut pas d'abord croire à la réalité de cette nouvelle. Mais lorsqu'il +fallut bien se rendre à l'évidence, elle protesta énergiquement contre +cette forme de gouvernement subitement improvisée. Je ne crois pas me +tromper en affirmant qu'à Vitoria, ville d'environ vingt mille âmes, il +ne s'y trouvait pas, en avril dernier, <i>cent républicains</i>. La +désorganisation s'introduisit dans l'administration des affaires +publiques. Le gouverneur de la province, les membres de +l'<i>ayuntamiento</i>, tous les principaux employés du pouvoir central +donnèrent leur démission en masse, si bien qu'en deux ou trois jours, la +ville et toutes les localités de la province furent livrées à la plus +complète anarchie.</p> + + <p>Le même désordre se reproduisit dans les autres provinces qui, comme +celle de Vitoria, furent plongées dans la stupeur à l'annonce seule du +mot de République, qui a été toujours, depuis la Révolution de 1793, un +horrible épouvantail dans l'esprit des populations basques, au point +qu'elles nous ont regardé, pendant longtemps, nous Français, comme des +monstres et des buveurs de sang.</p> + + <p>Dans toutes les excursions que je fis à Pampelune, Tolosa, Bilbao, +Saint-Sébastien, etc., je constatai le même désarroi dans toutes les +administrations et une égale répugnance, de la part des populations, à +vouloir accepter la nouvelle forme de gouvernement. Alors se produisit +une espèce d'anarchie dont profita habilement le parti carliste. +Jusqu'alors, l'insurrection avait été assez mollement conduite, soit que +les chefs n'eussent pas une entière confiance en son succès, soit +qu'elle manquât d'argent et d'armes; ce dernier fait était vrai, j'en ai +eu la certitude.</p> + + <p>Mais à partir du jour où commença la désorganisation du pouvoir central, +la junte de guerre, établie à Bayonne depuis le mois de mars, fonctionna +avec plus d'activité. Elle se composait de membres moitié Espagnols, +moitié Français, dont la mission consistait à procurer des armes, de +l'argent et des hommes à l'insurrection. Jusqu'alors elle lui en avait +bien fourni, mais dans une mesure bien restreinte. C'est du moins ce +dont se plaignaient les <i>cabecillas</i> qui se trouvaient à la tête des +bandes. Elle trouva pour la seconder, attendu les circonstances +politiques du moment, les fournisseurs et les banquiers auxquels elle +s'était adressée, dès le début de la campagne, dans de meilleures +dispositions. Les premiers, toujours craintifs et n'ayant pas une foi +bien robuste dans le succès de l'insurrection, n'exécutaient que d'une +manière bien irrégulière les marchés passés pour fournitures d'armes de +munitions et d'équipements militaires.--Les seconds se montraient +très-difficiles pour accepter les traites souscrites par les agents de +don Carlos et laissaient sortir du sein de leurs caisses, pour les +besoins de la guerre, que le moins d'argent possible. Ce qui explique le +peu de progrès que faisait l'insurrection.</p> + + <p>Mais à dater du mois d'avril et du commencement de mai, fournisseurs et +banquiers furent plus accommodants et pleins de zèle pour seconder les +vues et les projets du parti carliste, avec lequel ils avaient pris des +engagements sérieux par l'intermédiaire de la junte de Bayonne. Les +armes et les munitions passèrent alors plus régulièrement et en plus +grande quantité la frontière qu'auparavant, malgré les difficultés bien +plus nombreuses qu'on opposait à leur passage, du côté de France, où +venait d'être établi sur la frontière un cordon sanitaire de troupes. On +en expédia même de l'Angleterre.</p> + + <p>J'ai assisté à un débarquement d'armes expédiées de Birmingham. Vers le +milieu du mois de mai, un bateau à vapeur vint en plein jour (il était +sept heures du matin) s'arrêter dans le petit port de Fontarabie, en +face le débarcadère des pêcheurs, À son apparition, des barques allèrent +l'aborder, et en moins d'une heure elles transportèrent quatre cents +caisses qu'elles déposèrent sur la berge, rendant l'opération du +débarquement, une bande de quinze cents hommes environ, commandée par le +colonel Martinez, et dont les trois quarts étaient sans armes, +s'emparèrent des colis qui renfermaient des fusils et des munitions, les +ouvrirent et s'armèrent séance tenante. Les caisses restées sans être +ouvertes furent déposées sur des charrettes et transportées, sous bonne +escorte, au camp d'<i>Achulégui</i>. Ce débarquement s'opéra sans qu'il +trouvât là moindre opposition de la part des troupes et des volontaires +de la République casernés à Irun, c'est-à -dire à deux kilomètres au plus +du port de Fontarabie. Et ce qui me parut plus étrange encore, c'est que +la bande carliste et les caisses chargées sur des charrettes traînées +par des bœufs, passèrent tranquillement devant les portes de la ville.</p> + + <p>A cette expédition, dont je fus spectateur, j'eus l'occasion de revoir +mon ami, le colonel Martinez, qui commandait l'escorte du convoi et qui +paraissait tout radieux.</p> + + <p>--Vous n'êtes pas encore à Madrid, mon cher colonel, lui dis-je, en lui +rappelant son dernier adieu à Vera, mais vous y êtes sur le chemin, à ce +qu'il me paraît.</p> + + <p>--Dix débarquements comme celui-ci, me répondit-il, et notre cause est +gagnée!</p> + + <p>--Vous ne craignez pas d'être surpris sur votre route par les troupes +républicaines?</p> + + <p>--Toutes mes précautions sont prises et je suis certain d'avance que les +hommes de Loma n'oseront as venir nous barrer la route. Voyez, j'ai +quinze cents hommes avec moi!</p> + + <p>Le colonel avait dit vrai. Pas un seul homme de la garnison d'Irun, qui +se composait d'environ six cents hommes, soit volontaires, soit soldats +de la ligne, n'osèrent sortir de la ville.</p> + + <p>J'ai assisté à trois autres débarquements du même genre, sans qu'ils +fussent autrement contrariés, tant les frontières étaient mal gardées du +côté de l'Espagne.</p> + + <p>D'un autre côté, don Carlos, que les journaux espagnols et étrangers +avaient fait mourir plusieurs fois et voyager tantôt en Angleterre, +tantôt en Suisse, vint s'installer d'abord dans un hôtel de Pau et +ensuite au château de Peyrolhade, où il a résidé jusqu'à son entrée en +Espagne. Voulant m'assurer par moi-même si le fait était exact, je fis, +au mois de juin, une excursion dans les Basses-Pyrénées, et je me rendis +à ce château, situé presque sur les limites qui séparent la France de +l'Espagne. Ce n'était pas sans de grandes difficultés que je pus arriver +jusqu'à cette demeure seigneuriale, malgré les titres et les +recommandations dont j'étais porteur, tant on avait pris de précautions +pour la rendre inabordable.</p> + + <p>Lorsqu'un inconnu venant de France ou d'Espagne apparaissait dans le +lointain, se dirigeant vers le château bâti sur une élévation qui domine +les alentours à une distance de quatre kilomètres, des vedettes placées +de loin en loin, depuis le sommet des montagnes jusqu'au village de +Peyrolhade, qui lui-même est éloigné de la résidence royale d'environ +une lieue, s'empressaient d'en informer le commandant du palais. +Celui-ci envoyait immédiatement des gardes à sa rencontre pour le +reconnaître. S'ils avaient les moindres soupçons sur l'individu, on le +prévenait poliment qu'il se trompait de chemin en lui indiquant le moyen +d'en prendre un autre; et ils s'éloignaient. Si, au contraire, c'était +un ami ou une personne dont on n'avait pas à se méfier, on le conduisait +au château.</p> + + <p>C'est ainsi que sur la présentation d'une lettre du président de la +junte carliste, je fus admis auprès de la personne du prince, qui voulut +bien me recevoir lui-même. Don Carlos est âgé de vingt-neuf à trente ans +environ. Sa taille est élevée, sa figure pleine de noblesse; un air de +grandeur et de majesté rayonne sur sa physionomie franche et +sympathique. Tout en lui, jusqu'à sa parole claire, douce et concise, +prévient en sa faveur. L'audience qu'il m'accorda ne fut pas longue, +mais elle répondit au but que je m'étais proposé d'atteindre.</p> + + <p>Il ne faudrait pas croire pourtant que le prétendant se montrât +très-facile à accorder des audiences particulières. Il est arrivé, à ce +sujet, aux visiteurs étrangers, de curieuses méprises. Milord D..., +désirant s'entretenir avec don Carlos, s'était rendu à cheval de Pau au +château de Peyrolhade. Arrivé à la résidence princière, il fut reçu par +le général Ellio, auquel il demanda de le présenter au <i>roi</i>. Le vieux +général s'empressa de le conduire dans le salon bleu, aux tentures +fleurdelisées, où se trouvaient trois personnages, la tête couverte de +bérets blancs (<i>boinas</i>) agrémentés de passementeries d'or. Milord D..., +qui ne connaissait le prince que par ses portraits, croyant voir don +Carlos dans le personnage placé au milieu des deux autres, lui offre ses +hommages et entre avec lui dans une très-longue conversation sur la +situation troublée de l'Espagne. Après une demi-heure d'entretien, les +deux interlocuteurs se quittèrent enchantés l'un de l'autre. La vérité +est que le noble visiteur avait pris le major Arjona, secrétaire du +prince, pour don Carlos lui-même. Celui-ci, resté dans son cabinet, +n'était pas encore descendu au salon.</p> + + <p>Je dois ajouter que cette résidence étant journellement visitée par des +émigrés de tous les pays qui venaient offrir <i>au roi</i>, les uns le +secours de leur épée, les autres solliciter des grades et des faveurs, +le général Ellio avait organisé un service rigoureux de police autour du +prince, afin de prévenir toute tentative d'espionnage ou d'attaque +personnelle contre l'hôte illustre du château. Je dois reconnaître que +cette surveillance pouvait ne pas être inutile, au milieu de ce coin +isolé des montagnes que cherchaient à découvrir les émissaires du +gouvernement de Madrid et dont l'inutilité de leurs recherches a fait +toujours leur désespoir.</p> + + <p>Ce fut pendant le court espace de temps que je passai au château de +Peyrolhade que je pus me renseigner sur le personnel dont se composait +la maison du prince et qu'il n'y a pas, je crois, indiscrétion de faire +connaître. Elle comprenait le général Ellio, président du conseil de +guerre, cinq chefs carlistes qui en étaient les membres et dont le +marquis de Valdespina faisait partie, et du major Arjona, secrétaire +particulier de don Carlos.</p> + + <p>Les opérations du conseil de guerre consistaient dans la direction à +donner aux opérations militaires dont le plan était tracé d'avance: dans +la nomination des <i>cabecillas</i> et leur envoi aux divers postes qu'ils +devaient occuper; enfin, dans le contrôle de tous les actes qui +concernaient l'organisation des bandes, leur armement et leur +équipement.</p> + + <p>Malgré le mystère dont on entourait le château de Peyrolhade, cette +retraite soi-disant introuvable de don Carlos, était le centre d'un +va-et-vient de gens qui, des deux côtés des Pyrénées, s'y rendaient pour +les affaires de l'insurrection. C'étaient les membres de la junte qui +venaient, les uns ou les autres, prendre les ordres du conseil de +guerre, lui communiquer les résultats de ses opérations et s'entendre +avec lui sur les difficultés qui pouvaient se présenter: et ces +difficultés étaient nombreuses, surtout dès le début de la campagne; +c'étaient des agents secrets qu'on avait établis sur la frontière et +jusque dans les centres des provinces, qui venaient faire leurs rapports +sur tout ce qui se passait d'hostile ou de favorable au parti; +c'étaient, enfin, les envoyés des <i>cabecillas</i> en campagne, qui +apportaient au château tout ce qui concernait la situation bonne ou +mauvaise des bandes qu'ils commandaient.</p> + + <p>Lorsque je repassai la frontière, j'appris la nomination de nouveaux +chefs carlistes, dont quelques-uns étaient déjà au château de +Peyrolhade, au moment de mon départ de cette résidence. Au nombre de ces +chefs qui devaient donner à l'insurrection une nouvelle impulsion, +étaient le général Ellio, qui reprenait un service actif, le marquis de +Valdespina, Dorregaray et Lizarraga. Ces quatre généraux, que j'ai vus +plusieurs fois sur les champs de bataille, méritent d'être connus, à +cause des commandements qu'ils occupent à la tête des bandes et des +services qu'ils rendent à la cause carliste. C'est ce que je me propose +de faire, après avoir dit quelques mots sur l'emprunt que le parti +contracta à Londres. C'est, au reste, avec l'argent qu'il produisit que +la guerre civile put prendre plus d'extension et de développements, +ainsi que je vais le constater.</p> + +<br><br> + + <h3>LES THÉÂTRES</h3> + + <p>Porte-Saint-Martin. <i>Libres!</i> drame en huit tableaux, par M. Edmond +Gondinet.--Ambigu-Comique. <i>La falaise de Penmarck</i>, drame en cinq actes, +de M. Crisafulli.--Odéon. <i>Le docteur Bourguibus</i>. comédie en un acte et +en vers, de M. Edmond Cottinet. --Gymnase. <i>Monsieur Adolphe</i>, pièce en +trois actes, de M. Alexandre Dumas fils.</p> + + <p>La pièce de M. Gondinet, <i>Libres!</i> m'a beaucoup plu. Je sais que les +dilettanti du genre, les raffinés du mélodrame y trouveront à redire, +car elle n'est pas construite et charpentée selon les règles, elle ne +vous saisit pas à la gorge à un moment donné pour vous laisser pantelant +et lui crier merci dans quelques scènes pleines d'émotion ou de terreur. +Son scénario ne s'avance pas progressivement pour marcher à travers des +péripéties les plus sombres pour arriver aux catastrophes finales; mais +qu'importe que le drame échappe à l'analyse par sa trame un peu légère, +qu'importe que faction un peu mince tienne en quelques lignes, si +l'impression d'ensemble est allée droit à l'effet voulu, et si au sortir +du théâtre le drame a laissé dans l'esprit du spectateur un souvenir, et +que l'âme s'en sente encore agitée par delà la représentation. C'est ce +qui arrive.</p> + + <p>C'est peu de chose en effet que cette histoire dramatique facilement +imaginée et qui se déroule autour de Lambros, le polémarque de la +Selléide, avec cet amour de sa fiancée Chryseis, avec cette trahison du +traître Andronicos livrant par jalousie et par haine son pays à Aly, +pacha de Janina. Cette rivalité est le thème obligé de tous les +mélodrames. Quelques scènes plus ou moins heureuses ajoutées à cette +nomenclature du crime des traîtres ne font rien à l'affaire. Le drame +n'aurait rien perdu assurément à plus de nouveauté dans cette fable +romanesque. Il eût été meilleur, à coup sûr, en se privant de ce groupe +de comiques propres à jeter de la gaieté, comme cela se passe dans toute +pièce du boulevard. Je n'en disconviens pas; mais je le répète, le drame +de M. Gondinet m'a plu par sa composition générale, par son mouvement, +par cette grande histoire de liberté qu'il met en scène, par ce récit de +l'affranchissement d'un peuple. Tout cela est animé, vivant, tout cela +s'écoute d'un bout à l'autre avec la plus vive curiosité, au milieu de +nombreux épisodes et à travers tout ce pays de la Grèce.</p> + + <p>Il semble que M. Gondinet, qui est un esprit fin et qui a bien sa +jeunesse et sa poésie, ait lu cette histoire de l'indépendance +hellénique dans les livres de Fouqueville et de Fauriel, qu'il ait lu +avec ardeur ces chants recueillis par M. de Marcellus, et que se +souvenant de cet enthousiasme qui enflamma vers 1825 nos poètes de +France et d'Angleterre pour la cause de ce peuple, il ait voulu rendre +dans un drame toute cette vie d'un passé qui passionna si profondément +l'Europe aux temps où elle avait plus de sympathie et plus de larmes +pour les opprimés et les vaincus.</p> + + <p>A ce drame de l'indépendance d'un pays qui eut pour alliés les poètes, +M. Gondinet a laissé son caractère poétique. C'est là son côté original +et piquant. Il se dégage des conventions scéniques par un souffle +heureux. Il a pour lui, et que le lecteur me pardonne cette phrase du +temps, il a pour lui les Muses de la patrie et de la liberté. Comme aux +jours de ses premiers fils, la Grèce est encore le pays des vers. Elle +chante aux noces des fiancés, aux berceaux des fils, sur la tombe des +soldats, elle a des épithalames et des nénîes; ses poètes populaires +sont de toutes ses fêtes. M. Gondinet les a parfois reproduits avec un +rare bonheur:</p> + +<div class="poem"><div class="stanza"> +<p class="i14"> Le klepte est tombé sous les halles,</p> +<p class="i14"> Chantons les marches triomphales,</p> +<p class="i14"> Que son nom résonne partout.</p> +<p class="i14"> Creusez sa tombe haute et grande</p> +<p class="i14"> Pour que son bras armé s'étende</p> +<p class="i14"> Et pour qu'il s'y tienne debout.</p> +<p class="i14"> Faites à la pierre une entaille</p> +<p class="i14"> Pour que dans les jours de bataille</p> +<p class="i14"> Il entende les combattants.</p> +<p class="i14"> Plantez devant un laurier-rose</p> +<p class="i14"> Pour que l'hirondelle s'y pose</p> +<p class="i14"> Et l'avertisse du printemps.</p> +</div></div> + + <p>Ainsi parle sur le cadavre du polémarque Lambros, le héros de la pièce, +D'autres chantent les hymnes de liberté, et le drame s'écoule toujours +soutenu par un sentiment fin et délicat qui le vivifie dans un cadre +poétique, C'est la Grèce avec ses aspirations de liberté, avec ses +glorieux révoltés, c'est elle avec ses kleptes, ses chkipetars, ses +costumes brillants; nous la retrouvions dans sa gracieuse et pittoresque +beauté, avec ce décor qui nous transporte sur la place de Variadès, au +fond duquel se dessine dans le lointain les hautes montagnes et les +gracieux villages attachés à leurs flancs. Nous nous sommes cru un +instant sur la côte du Péloponèse, au tableau qui représente la falaise +couverte d'arbres et dominant les flots bleus de la mer. C'est un +chef-d'œuvre que ce décor qui représente le Grand-Souli, avec ses +maisons blanches, ses cactus en fleurs, ses vignes qui grimpent jusques +aux toits en tuiles rouges, avec son pont jeté sur un torrent. Il semble +que M. Rubé, qui en est l'auteur, l'ait composé d'après une vue +photographique rapportée du pays de Messène ou d'Argos. Cet art du +décorateur, qui, je crois, n'a jamais été poussé aussi loin dans la +vérité des tableaux, nous a rendu la Grèce avec la plus grande fidélité. +Et c'est là un attrait de plus pour le drame de M. Gondinet, que le +public a accueilli avec le plus vif succès.</p> + + <p>L'interprétation de la pièce est excellente. M. Dumaine joue avec une +sincère conviction et une réelle autorité ce rôle de Lambros, qui domine +tout le drame. Taillade, c'est Aly, le pacha de Janina, un tyran bizarre +et cruel qui tourne parfois à la ganache. Larcy, Charly, font retentir +leurs voix vibrantes, et Laurent égaye la pièce par sa bonne humeur. +Quant à Mme Dica-Petit, fort belle sous ses magnifiques costumes de +femme souliote, elle a donné au personnage de Chryseis un véritable +caractère de passion et de noblesse.</p> + + <p>J'aime ce bon mélodrame du temps passé, avec tous ses trucs, ses +épouvantails, ses tours, ses prisons, ses rochers, ses falaises, tout +son attirail de crimes et d'horreurs, mais encore faut-il que ces +horreurs soient possibles à raconter. M. Crisafulli a poussé dans la +<i>Falaise de Penmarck</i> ce genre tellement au noir que pour ma part je ne +m'y reconnais plus. Voilà une aventure, par exemple! Le commandant +Pierre Lecourbe se marie; le jour même de ses noces il reçoit l'ordre de +rallier l'escadre en partance! Ainsi le veut l'amiral qui ne transige +pas avec la consigne. Le commandant a un frère, un ivrogne, lequel après +les libations les plus regrettables, croyant entrer chez sa fiancée, se +trompe de porte et pénètre chez sa belle-sœur, la femme du commandant.</p> + + <p>Vingt ans après ce bel exploit, le commandant Lecourbe vit auprès de sa +femme et entre deux filles, qu'il aime, sans soupçonner que sa fille +aînée doit le jour à un horrible crime. L'affection du commandant pour +cette enfant semble même plus grande que pour l'autre, à ce point qu'il +dépouille sa fille cadette au bénéfice de sa sœur. La mère révoltée +d'une telle injustice révèle à moitié ce terrible secret à son mari. Ce +que le commandant ignore c'est le nom du coupable. Il va donc à son +frère, Pierre Lecourbe, et lui confie le soin de sa vengeance en lui +faisant jurer que cet homme mourra et, par le fait, il tient son +serment, car honteux de lui, il se précipite du haut de la falaise de +Penmarck, qui n'est là que pour fournir un titre pittoresque à la pièce. +C'est à l'aide de cette fable dramatique que M. Crisafulli a obtenu une +scène des plus saisissantes. Celle des deux frères, dont l'un demande +vengeance à l'autre pour son honneur outragé, pour son nom souillé. Mais +vraiment ces fortunes-là coûtent bien cher puisque c'est au prix de +telles situations qu'on les obtient. Si ce drame nous demande au début +de grands crédits pour faire marcher sa petite industrie, je suis prêt +pour ma part à les lui refuser. Qu'il s'arrange, n'a-t-il pas la +trahison, le meurtre, l'assassinat. S'il lui faut plus encore, il est +trop exigeant; qu'il meure faute d'appui, je n'y vois pas +d'inconvénient.</p> + + <p>J'ai donc hâte de sortir de cette <i>Falaise de Penmarck</i> pour entrer dans +une joyeuse comédie, pleine de belle humeur, d'esprit et de gaieté, et +qui a pour titre le <i>Docteur Bourguibus</i>: elle est née de la fantaisie +d'un poète, et de la première à la dernière scène elle s'en va +lestement, joyeuse de ses bonnes trouvailles comiques, de ses vers +plutôt improvisés qu'écrits, étincelants de saillies. Ce docteur +Bourguibus qui a pour parents tous les héros de la comédie bergamasque a +une <i>toquade</i>. Pardon du mot: aux XVIIIe siècle on aurait dit du docteur +qu'il avait le timbre fêlé. Le brave homme qui a la monomanie de la +pitié, s'attache particulièrement aux gredins. Que lui parlez-vous +d'honnêtes gens! la belle affaire! ils ont leur conscience pour eux et +le paradis au bout. Mais un criminel, un assassin, par exemple, un +meurtrier que la justice, l'infâme justice a frappé, voilà ce qui tente +l'âme du docteur Bourguibus. C'est une cure à faire. S'occupe-t-on des +gens bien portants? Non; on soigne les malades; qu'est-ce qu'un +criminel? un malade: le tout est de le guérir. Grâce à ce raisonnement, +le docteur cueille au haut d'un gibet un gibier de potence qu'il arrache +à main armée aux mains des valets du bourreau. Cet exploit a coûté la +vie à cinq honnêtes gens: c'est pour rien. Et voilà Spalâtre installé +dans le logis de docteur. On va voir ce qu'on peut obtenir avec des +soins d'un gredin qu'on a dépendu. Tout est pour lui, les bons morceaux, +les complaisances des domestiques, et jusqu'à la main de la nièce du +docteur. Seulement il veut conduire sagement l'homme à complète +guérison. Il dort, silence; il va se réveiller, qu'il ouvre les yeux aux +sons d'une musique réjouissante: un murmure de menuet et le docteur et +sa nièce effleurent sur la mandoline et le violon l'adorable morceau de +Boccherini. Là -dessus Spalâtre qui entr'ouvre les yeux rêve de voyageur +égaré et d'assassinat au coin d'un bois. Elle est charmante cette scène +du bandit que la musique ramène à ses premières inclinations, le +meurtre. La cure a si bien opéré que Spalâtre, non content de voler pour +son propre compte, fait de la propagande et entraîne les domestiques du +docteur à voler avec lui, si bien que le pauvre Bourguibus paye ses +théories humanitaires de ses meubles, de sa bourse et de sa montre. Bien +en a pris à l'amoureux de la nièce de se déguiser en bourreau et de +venir demander Spalâtre au docteur qui le retient contre la loi, car à +la vue de l'homme noir, Spalâtre s'est enfui maudissant cet imbécile de +docteur qui l'expose à retomber dans les mains de la justice. Tout +s'arrange; le docteur se guérit de son faible pour les gredins et de sa +haine pour les gens de police, et le public applaudit chaleureusement à +l'auteur et aux interprètes de cette comédie des plus originales et des +plus amusantes.</p> + + <p>Le théâtre au Gymnase a remporté hier, mercredi, un éclatant succès avec +<i>Monsieur Adolphe</i>. Je reviendrai la semaine prochaine sur cette œuvre +exquise de M. Alexandre Dumas. Je ne puis que signaler aujourd'hui +l'accueil chaleureux que le public tout entier a fait à sa pièce. C'est +là une des plus grandes fêtes du théâtre au Gymnase. Depuis vingt ans, +depuis ces jours du <i>Demi-monde</i>, je ne crois pas qu'il eût été témoin +d'une semblable ovation. La salle passait du rire aux larmes, de +l'émotion à la gaieté. Elle a acclamé l'auteur, saluant dans son œuvre +cette sûreté de talent, cette élévation dans la pensée, cette explosion +de l'esprit qui font de M. Dumas fils un maître. Tout son public lui +était revenu, heureux d'oublier les quelques moments de froideur qui +s'était faite entre lui et l'auteur de la <i>Femme de Claude</i>, et comme +regrettant ses sévérités passagères, on se sentait comme reconnaissant +envers M. Dumas de lui rendre l'auteur aimé des jours passés.</p> + + <p>Les interprètes de <i>Monsieur Adolphe</i> ont été couverts +d'applaudissements, et Pujol, et Achard, et Mlle Alphonsine, cette +transfuge des théâtres de féerie, qui s'est montrée merveilleuse +comédienne dans le rôle de Mme Guichard.</p> + + <p>Je donne avec plaisir une bonne nouvelle à mes lecteurs: Les concerts de +M. Daubé vont reprendre leur cours, non plus au <i>Grand-Hôtel</i> où on les +suivait autrefois, mais à la salle que M. Henri Herz a mise +gracieusement à la disposition de M. Daubé.</p> + + <p>M. Savigny.</p> + + <br><br> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/005a.png"><br><b>LES ÉVÉNEMENTS DE CUBA.--Vue générale de la Havane.</b></p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/005b.png"><br><b>L'ILE DE CUBA.--Vue prise près de la côte de Candela.</b></p> +<br><br> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/006_small.png"><br><a href="images/006_large.png">(Agrandissement)</a></p> + +<br><br> + + + + <p>Toujours: <i>Peau de satin! Fraises au champagne! Lèvres de Feu!!</i> valses +de J. Klein. Il n'y a donc pas autre chose?</p> + +<br><br> + + <h3>BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE</h3> + + <p><i>Histoire de l'Astronomie</i>, par Ferd. Hœfer.--La science profonde et +l'érudition encyclopédique du docteur Hœfer sont trop connues et trop +appréciées pour qu'il soit utile de présenter à nos lecteurs l'auteur de +la nouvelle <i>Histoire de l'Astronomie</i>. Chacun sait que pour écrire une +histoire compétente de quelque science que ce soit, il faut être du +métier et connaître la pratique du sujet dont on se fait le rapporteur. +Or M. Hœfer a écrit une histoire de la <i>chimie</i>, qui est devenue +classique, une histoire de la <i>physique</i> estimée de tous les savants, +une histoire de la <i>botanique</i>, une histoire de la <i>zoologie</i>, aussi +complètes l'une que l'autre; et voici une histoire de l'<i>astronomie</i>, +que je viens de lire avec la plus vive attention, et que nul astronome +de profession n'aurait certainement mieux écrite. Elle est complète sans +être trop étendue, s'adresse aux gens du monde aussi bien qu'aux +savants, et présente un tableau exact et intéressant des progrès inouïs +de cette science admirable, depuis les Hindous, les Chinois, les +Chaldéens, les Égyptiens, jusqu'aux découvertes sublimes de notre +époque, illustrée depuis moins de trois siècles par les Galilée, les +Kepler, les Newton, les Laplace; par des scrutateurs des mystères +célestes qui laisseront dans l'histoire des noms comme ceux de Cassini, +Halley, Huygens, Rœmer, Dalembert, Herschell, Bessel, Struve, Arago, +etc.</p> + + <p>L'histoire de l'astronomie présente plus que nulle autre le tableau des +véritables progrès de l'esprit humain. Celle des peuples, des dynasties, +des religions, offre des alternatives de lumière et de ténèbres, des +grandeurs et des décadences, des guerres et des trêves, et souvent, +hélas, du sang et des ruines. Mais les progrès de la science du ciel, au +contraire, offrent une continuité lente, mais permanente, du travail de +la pensée humaine, depuis l'ignorance primitive jusqu'à l'époque où nous +sommes, pendant laquelle nous osons mesurer les distances qui nous +séparent des étoiles, et analyser les substances qui brûlent dans le +soleil. Aujourd'hui, nous voyons les mondes rouler sous nos pieds; nous +sentons la terre courir et nous emporter à travers l'espace infini, et +déjà nous avons les premiers éléments nécessaires pour deviner la <i>vie +inconnue</i> qui rayonne à la surface des autres terres du ciel! C'est la +science sans patrie et sans dogmes, sans chaînes et sans larmes, qui, +toujours pure, s'élève et s'épanouit dans la divine lumière du ciel; +c'est celle qui fait le plus d'honneur à l'esprit humain, qui met en +évidence les plus nobles facultés de l'homme; c'est celle qui nous a +<i>affranchis.</i> Les plus grands révolutionnaires ne s'appellent pas +Cromwell, Washington, Mirabeau ou Robespierre; ils s'appellent Copernic, +Galilée. Kepler, Newton.</p> + + <p>On lira avec plaisir et profit le nouveau livre du docteur Hœfer. Dans +son ouvrage publié l'année dernière, et intitulé: l'<i>Homme devant ses +œuvres</i>, l'auteur avait montré par quels principes il juge l'humanité; +et il n'est certes pas inutile, à notre époque où tout court si vite, de +s'arrêter un instant sur le chemin de la vie, comme le Dante avant de +pénétrer au sombre royaume, et de réfléchir un instant sur les faits et +gestes de notre race soi-disant raisonnable. L'histoire de l'astronomie +est écrite avec la même netteté de vues, moins sévère que celle de +Delambre, lequel en est souvent ridicule, et plus juste pour les +anciens, qui méritent tout notre respect, attendu qu'il faut à toutes +les sciences un commencement. Celui qui renaîtrait dans trois siècles +seulement serait bien étonné de notre état scientifique, social et +religieux de 1873, et, s'il n'était juste, nous traiterait d'ignares et +d'imbéciles. C'est ce qu'a fait l'astronome Delambre, trop souvent. M. +Hœfer n'est pas tombé dans ce travers, et nous l'en félicitons.</p> + + <p><i>Les Merveilles de la photographie</i>, par G. Tissandier.--Voici un +nouveau volume de la <i>Bibliothèque des merveilles</i>, et qui fait honneur +à la collection. Qu'y a-t-il de plus merveilleux que la photographie, +dont les travaux nous laissent pourtant déjà indifférents? La terre +tourne si vite que l'on oublie le lendemain la situation de la veille, +et il semble que nos pensées se multiplient et s'envolent beaucoup plus +vite depuis que nous connaissons la rapidité des mouvements célestes. En +fait, il n'y a que quarante-sept ans que le premier traité entre Niepce +et Daguerre a été signé, et aujourd'hui les photographes pullulent dans +toutes les villes d'Europe, et les photographies sont tombées dans le +domaine public, et l'on n'accorde plus aux meilleures d'entre elles +qu'une attention momentanée. Mais tandis que pour la masse du public la +photographie est encore toute entière dans la reproduction plus ou moins +durable d'un visage, d'un monument ou d'un paysage, l'art s'est agrandi, +s'est développé comme toutes les connaissances humaines, et déjà rend +d'immédiats services à la plupart d'entre elles. La photomicrographie +fixe aujourd'hui l'image centuplée de l'insecte, invisible à l'œil nu, +dessine l'agencement moléculaire minéral, végétal ou animal, nous montre +les cristaux du sang ou l'épiderme délicat d'une pauvre chenille. A +l'opposé, toute l'Assemblée nationale est reproduite sur un carré de +collodion du diamètre d'une tête d'épingle, sans rien perdre de ses +proportions ni de sa grandeur réelle. Si nous passons maintenant du +petit au grand, nous trouvons la photographie appliquée au soleil, à la +lune, aux planètes et même aux étoiles, et nous avons déjà des sériés de +plusieurs années de portraits du soleil, faits chaque jour, et montrant +la variation incessante de son aspect et de ses taches. Des +photographies directes de la lune sont si excellentes que l'on se +promène facilement dans les vallées et les paysages lunaires ainsi +reproduits. Appliqué à la météorologie, le même art remplace maintenant +l'observateur en enregistrant automatiquement l'état du ciel, la marche +du baromètre, du thermomètre, du vent, de l'aiguille aimantée, etc., ce +qui permettra d'avoir un bien plus grand nombre de constatations +simultanées et permanentes et de donner à la météorologie la base qui +lui manque encore. Il y a plus: la photographie <i>imprime</i> maintenant +elle-même, et le livre de M. Tissandier nous offre un spécimen de +photoglyphe à l'encre de Chine gélatinée, qui montre au premier coup +d'œil toute la valeur artistique et toute l'importance pratique du +nouveau procédé. On le voit, le jeune et savant directeur du journal <i>la +Nature</i> a su réunir dans son nouveau livre toutes les richesses de l'art +dont il voulait raconter les merveilles.</p> + + <p>Camille Flammarion.</p> + + <p><i>Une courtisane vierge</i>, par M. Amédée de Céséna.--L'auteur fut un +journaliste grave, un personnage politique, un polémiste. Il n'est qu'un +conteur qui spécule sur de certaines curiosités malsaines. Je pense +qu'il suffit de citer le titre du livre pour montrer tout ce que M. de +Céséna a voulu lui donner d'alléchant. Le romancier se défend, +d'ailleurs, dans sa préface, d'être un corrupteur. Il prétend au titre +de <i>moraliste</i>. Ce n'est donc pas un moraliste homeopathique: il fait de +la morale par les contraires.</p> + + <p><i>Les Femmes au cœur d'or</i>, par M. Eugène Moret. (1 vol. Dentu.)--Il y +a, dans le roman-feuilleton, des auteurs dont la réputation n'égale pas +le talent, et M. Eugène Moret est de ce nombre. Il a des succès, et +très-grands, dans le public des journaux populaires, des livraisons à +dix centimes, et il mérite ces succès-là . Ses livres sont moraux, +honnêtes et intéressants. Il a publié sur les <i>Femmes de la Révolution +et de la Terreur</i> des feuilletons absolument amusants et qui, réunis en +volume, ont beaucoup plu aux lecteurs. Ces <i>Femmes au cœur d'or</i> auront +certainement le même sort et méritent le même accueil. C'est là un roman +qui vaut dix fois mieux, à coup sur, que bien des romans célèbres, et +qui fait honneur au talent très-loyal, sans fracas, sans charlatanisme, +de M. Eugène Moret.</p> + + <p><i>La comtesse de Nancey</i>, par M. Xavier de Montépin. (3 volumes in-18. +Chez Sartorius.)--M. Xavier de Montépin est, en librairie, le +triomphateur de la saison. Il a publié trois ou quatre volumes, épisodes +détachés d'un même roman, qui en sont à leur huitième ou dixième +édition. <i>La comtesse de Nancey, l'Amant d'Alice, le Mari de +Marguerite</i>, ont amusé tout un public, le public des romans d'Arsène +Houssaye, celui qui aime l'impossibilité en pleine vie réelle, les +aventures improbables placées dans le milieu parisien. M. de Montépin, +jusqu'ici, n'avait point connu pareille vogue, pas même il y a seize ou +dix-huit ans, lorsqu'il écrivait les <i>Viveurs de Paris</i> et les <i>Filles +de plâtre</i>. Je crois même nie rappeler que les <i>Filles de plâtre</i> lui +valurent une assignation devant la police correctionnelle. Aujourd'hui, +en ce temps d'<i>ordre</i> et de <i>moralité</i>, les romans de M. de Montépin +montent aux nues. L'auteur est un aimable homme qui n'a d'autre tort que +de vouloir, de temps à autre, dire son mot dans la politique courante. +Quand il conte ces aventures extraordinaires, il amuse et il entraîne. +Au fond, cela lui suffit. Le public le suit, il est satisfait. Il ne +<i>politique</i> que par aventure. Son rôle est d'inventer: il invente. Les +folles amours, les coups de couteau, les scandales à Bade, les espions +prussiens, les batailles de la Commune, les propos de boudoirs, tout se +coudoie dans la trilogie que M. de Montépin appela tout d'abord le <i>Mari +de Marguerite</i>. Je n'analyserai point ces pages. Leur succès a été +absolu, et si l'on n'avait abusé du mot, je dirais volontiers que c'est +un des signes du temps. Mais ne faut-il pas des rêves à tout le monde? +Pâture à liseurs, disait Petrus Corel en parlant de ses livres. Chacun +choisit le mets qui lui convient,--et cela n'empêche pas de rééditer +Corneille.</p> + + <p><i>La Célestine</i>, de Fernando de Rojas, traduite par M. Germond de Lavigne. +(Nouvelle collection Jannet.)--M. E. Picard continue avec succès la +publication de ses petits chefs-d'œuvre littéraires faisant suite à la +collection Jannet. Les bibliophiles se disputeront également la +<i>collection rouge</i>, qui est l'ancienne, et la <i>collection bleue</i>, qui +est la nouvelle. Sous cette dernière forme, les œuvres de Rabelais vont +être tantôt achevées, et M. André Lefèvre vient de donner une édition +des <i>Lettres persanes</i>, de Montesquieu, qui pourrait bien être +définitive. Aujourd'hui, M. Germond de Lavigne, si compétent en ce qui +touche la littérature espagnole, publie, dans cette même collection, une +traduction de la Célestine, ce roman dialogué d'un intérêt si puissant +et d'un charme si particulier qui date, s'il vous plaît, du XVe +siècle,--de 1492,--et qui semble comme la source où Calderon et Pope +puisèrent leurs drames ensoleillés et entraînants.</p> + + <p>Moratin avait raison d'appeler <i>la Célestine</i> une <i>nouvelle dramatique</i>. +Ce n'est que cela, en effet; mais cette nouvelle est inimitable. Il y a +de tout, dans ce conte, de la morale et de la poésie, des aventures +d'amour, des leçons tragiques, des séductions et des drames. Le type du +prodigue Calixte est peint de main de maître, et le profil de la +Célestine, une proche parente de la Macette de Régnier, est inoubliable. +L'homme qui écrivit cette sorte de drame, Fernando de Rojas, était un de +ces artistes rares et puissants que les littérateurs nomment d'un grand +nom, les précurseurs.</p> + + <p>M. Germond de Lavigne a traduit la Célestine avec ce talent qui lui +valut, il y a quelques années, les éloges de Charles Nodier. Il n'a pas +essayé, dit-il, de reforger les endroits scandaleux qui pouvaient +offenser les religieuses oreilles, et il a bien fait. Sa traduction y +gagne d'être une œuvre d'art à travers laquelle on saisit toute la +couleur, tout l'éclat du style castillan.</p> + + <p>Jules Claretie.</p> + + <br><br> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/007a.png"><br><b>LES FUYARDS A LA PORTE DE BALAN. Gravure extraite de la<br> +<i>Guerre de</i> 1870-71, par A. Wachter. (E. Lachaud, éditeur.)</b></p> + + <h3>LA GUERRE DE 1870-71</h3> + + <h3>Histoire politique et militaire</h3> + + <h4>PAR A. WACHTER</h4> + + <p>Au moment où les débats du procès Bazaine remettent en lumière les +tristes péripéties de la dernière guerre et les causes de nos désastres, +nous croyons devoir appeler l'attention de nos lecteurs sur un ouvrage +que nous avons déjà signalé lors de son apparition: nous voulons parler +de l'<i>Histoire de la guerre de</i> 1870-71 de M. Wachter, éditée par la +librairie Lachaud. Parmi les innombrables publications qui se sont +succédé sur ce sujet depuis trois ans, celle-ci est l'une des plus +complètes, des plus intéressantes et des mieux à la portée du public. +Les connaissances spéciales de M. Wachter ont fait de lui, depuis +longtemps, un de nos écrivains militaires les plus justement estimés; +une étude approfondie des opérations stratégiques qu'il a suivies sur le +terrain même et une lecture attentive des documents allemands qu'il a +consultés dans leur texte original, ont permis à M. Wachter de réunir +dans les deux volumes qui composent son travail, les renseignements les +plus exacts, les plus authentiques, et de les présenter d'une manière +plus méthodique et plus claire que dans la plupart des ouvrages du même +genre; ajoutons que le livre est richement illustré de dessins de M. +Darjou, l'habile artiste dont nos lecteurs connaissent trop bien le +talent, pour que nous ayons besoin d'en faire l'éloge. Les deux gravures +que nous avons publiées la semaine dernière sur la bataille de +Rezonville et les carrières du Caveau étaient extraites du beau livre de +MM. Wachter et Darjou; celle que nous reproduisons aujourd'hui un +nouveau spécimen de ces illustrations, qui sont le vivant commentaire du +texte de M. Wachter.</p> + + <p>L'Exposition universelle de Vienne a fourni à l'<i>Illustration</i> +l'occasion d'affirmer une fois de plus cette supériorité hors ligne +qu'elle a depuis longtemps acquise sur toutes les publications +analogues. Comme en 1867, l'<i>Illustration</i> avait exposé, outre ses +volumes et ses collections, une série de spécimens permettant de suivre +pas à pas les opérations si compliquées de la gravure et ces procédés +grâce auxquels nous arrivons à donner au public la représentation des +faits d'actualité presque aussi vite que la presse quotidienne où donne +le récit. Cette exposition a particulièrement attiré l'attention du jury +international, qui a décerné à l'<i>Illustration</i> une <i>médaille de +mérite</i>, la plus haute récompense après la grande médaille d'honneur.</p> + + <p>Cette distinction est, croyons-nous, la seule du même genre qui ait été +obtenue par un journal illustré; nous sommes heureux d'en faire part à +nos lecteurs; ils y verront une preuve nouvelle des efforts-incessants +qui a valu à l'<i>Illustration</i> la légitime réputation dont elle jouit +dans le monde entier.</p> + +<br><br> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/007b.png"><br></p> + + <p class="mid">EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS:</p> + + <p class="mid">Même en 999, à l'approche de l'an mille, on ne vit point aller autant en +pèlerinage.</p> + + +<br><br> +</div> + +<div>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44357 ***</div> +</body> +</html> diff --git a/44357-h/images/001.png b/44357-h/images/001.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..6934f3a 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LXII,--1605 +SAMEDI 29 NOVEMBRE 1873 + +SUCCURSALE POUR LA VENTE AU DÉTAIL +60, rue de Richelieu, Paris + +Prix du numéro: 75 centimes +La collection mensuelle, 3 fr.; le vol. semestriel, broché, 18 fr.; +relié et doré sur tranches, 23 fr. + +Abonnements +Paris et départements: 3 mois, 3 fr.;--6 mois, 18 fr.;--un an, 36; +Étranger, le port en sus. + +Les demandes d'abonnements doivent être accompagnées d'un mandat-poste +ou d'une valeur à vue sur Paris à l'ordre de M. Auguste Marc, +directeur-gérant. + + + +[Illustration: LA PROROGATION.--Les curieux attendant l'arrivée du train +parlementaire sur le pont de l'Europe, dans la nuit du 18-19 novembre.] + + + +SOMMAIRE + +_Texte_: Histoire de la semaine.--Courrier de Paris, par M. Philibert +Audebrand.--La Soeur perdue, une histoire du Gran Chaco (suite), par M. +Mayne Reid.--Nos gravures.--Un voyage en Espagne pendant l'insurrection +carliste (V).--Les Théâtres.--Revue comique du mois, par +Bertall.--Bulletin bibliographique.--_La Guerre de_ 1870-71, par A. +Wachter. + +_Gravures_: La prorogation, les curieux attendant l'arrivée du train +parlementaire sur le pont de l'Europe, dans la nuit du 18-19 novembre. +--Procès du maréchal Bazaine: les témoins (9 gravures).--Le service des +pigeons voyageurs de la Presse, à Versailles (2 gravures).--_L'Espagne_, +par M. le baron Davilier (8 gravures).--Les événements de Cuba: vue +générale, de la Havane;--L'île de Cuba: vue prise près de la côte de +Candela.--Revue comique du mois, par Bertall (13 sujets).--Les fuyards +à la pot te de Balan, gravure extraite de la _Guerre_ de 1870-71, par M. +A. Wachter.--Rébus. + + + +HISTOIRE DE LA SEMAINE + +FRANCE + +Après le vote de la loi de prorogation, il était permis de penser que la +majorité, qui s'était ralliée autour de la haute personnalité du +maréchal de Mac-Mahon, pourrait bien s'affaiblir ou même disparaître +quand le débat viendrait à se poser non plus sur le terrain national et +gouvernemental, mais sur le terrain purement ministériel; bon nombre de +journaux affirmaient avec confiance que le cabinet serait moins heureux +que le président lorsqu'il se présenterait pour son propre compte à la +barre de l'Assemblée, et lorsque M. Léon Say vint à la tribune +développer son interpellation sur la politique suivie pendant les +vacances et sur le retard apporté à la convocation des collèges +électoraux, il crut pouvoir affirmer que la dernière heure du ministère +du 24 mai était sur le point de sonner. Ces prévisions ne se sont pas +réalisées; le cabinet a remporté une victoire moins éclatante, il est +vrai, que le maréchal-président, mais qui s'est soldée par la majorité +importante de 50 voix; ainsi qu'il s'y était engagé, il a remis avant +même l'ouverture du débat, sa démission collective entre les mains du +chef de l'État, mais pour se reconstituer sur les mêmes bases, sauf +quelques changements de personnes et d'attributions qui n'impliquent pas +de changement fondamental de tendances ni de principes. + +M. de Broglie garde le titre et les fonctions de vice-président du +conseil des ministres et prend le portefeuille de l'intérieur. MM, +Batbie, Ernoul, Beule et de la Bouillerie sortent du cabinet pour faire +place à MM. le duc Decazes, nommé ministre des affaires étrangères; +Depeyre, ministre de la justice; de Fourtou, ministre de l'instruction +publique et des cultes, et de Larcy, ministre des travaux publics, M. +Deseilligny passe à l'agriculture et au commerce en remplacement de M. +de la Bouillerie; enfin les portefeuilles des finances, de la guerre et +de la marine restent confiés, comme précédemment, à MM. Magne, du Barail +et Dompierre d'Hormoy. + +Quant au vote de la loi de prorogation, les commentaires qu'il a +suscités dans la presse sont importants à noter si l'on veut chercher à +se rendre compte de ce que sera notre régime politique dans la phase +nouvelle dont cette loi est le point de départ. Ainsi qu'il fallait s'y +attendre, les journaux bonapartistes et républicains se sont montrés +fort désappointés d'une défaite à laquelle ils s'attendaient en grande +partie, mais sans penser qu'elle serait aussi complète; toutefois; ces +derniers font contre mauvaise fortune bon coeur, et cherchent à se +consoler en répétant qu'après tout la République subsiste en fait et que +rien n'est perdu par conséquent; constatons en outre que la presse +républicaine paraît pour le moment corrigée des intempérances de langage +qui ont plus d'une fois compromis sa cause, et que ses appréciations +sont en général empreintes d'une modération à laquelle on ne peut +s'empêcher de rendre justice. Seuls, les journaux du centre droit +triomphent avec une joie parfois insuffisamment contenue: «Nous tenons +le loup par les oreilles, s'écriait dernièrement l'un d'eux; il faut les +lui couper; s'il cherche à mordre, muselons la bête fauve.» + +Les feuilles légitimistes, au contraire, n'augurent rien de bon du +nouvel état de choses, et s'expriment, sur les manoeuvres de stratégie +parlementaire qui l'ont amené, avec une amertume dont l'heure n'est pas +encore venue de connaître tous les secrets motifs. Dès le lendemain de +la séance du 19, l'_Union_, l'_Univers_ et le _Monde_ publiaient une +déclaration des députés de l'extrême droite qui s'étaient abstenus dans +le vote; en même temps, ces mêmes journaux dénonçaient avec indignation +les habiletés de ceux qui, disaient-ils, avaient fait échouer la fusion +et voulaient maintenant se donner le temps d'attendre la mort du roi +légitime. + +Il est incontestable que la campagne fusionniste n'a pas dit son dernier +mot; bien des mystères enveloppent encore l'histoire des négociations +auxquelles elle a donné lieu; bien des événements inattendus peuvent +encore surgir, qui n'en seront que les conséquences. Une brochure qui +vient de paraître, et qu'il serait trop long d'analyser ici, contient à +cet égard plus d'une révélation curieuse. D'autre part, il est avéré que +le comte de Chambord est constamment en butte à des démarches dont +l'objet précis n'est pas livré au public, mais dont on n'a pu empêcher +le secret de transpirer. Le chef de la maison de Bourbon était venu à +Versailles au moment de la discussion de la loi de prorogation; la +nouvelle de ce voyage avait d'abord été démentie avec insistance; +l'_Union_ l'a, depuis, confirmée officiellement par une note où l'on a +beaucoup remarqué le passage suivant: + +«Le moment n'est pas venu de révéler ce que M. le comte de Chambord a +tenté pour ramener au port le navire en détresse, mais quand aura sonné +l'heure de Dieu, et cette heure n'est pas loin, la France apprendra avec +admiration tout ce qu'il y a de désintéressement, de simplicité, de +dévouement, dans ce coeur de roi et de père qui n'a point de parti et +qui sait accomplir si noblement son devoir. Elle s'étonnera d'avoir pu +méconnaître si longtemps tant d'abnégation et de vraie grandeur.» + +L'apparition de cette note a coïncidé avec le bruit, répandu depuis +quelques jours, de l'abdication du comte de Chambord. Y avait-il quelque +chose de fondé dans ce bruit?--C'est ce que l'avenir nous apprendra. + +ESPAGNE. + +Les nouvelles venues des États-Unis pendant la semaine tendent à +présenter sous un jour plus rassurant le différend survenu entre +l'Amérique et l'Espagne au sujet de la prise du _Virginius_ et du +massacre des flibustiers qui le montaient. Rappelons d'abord que le +_Virginius_ était notoirement au service de l'insurrection cubaine, +qu'il venait ouvertement s'approvisionner de contrebande de guerre, à +destination de Cuba, dans le port de New-York, et qu'il en était à sa +quatrième expédition de ce genre quand il fut pris par le _Tornado_ dans +les eaux de Santiago; que l'exaspération des Espagnols était, par +conséquent, assez compréhensible, et que le cas de ce flibustier +présente de frappantes analogies avec celui de l'_Alabama_ au sujet +duquel les États-Unis ont eux-mêmes eu maille à partir avec +l'Angleterre. Ajoutons que, dans un intérêt de parti, les politiciens +américains ont cherché à exploiter les exécutions de Santiago en +excitant l'indignation publique pour s'en faire une arme contre le +gouvernement du général Grant, disposé à voir les choses plus froidement +et à n'agir qu'en connaissance de cause. Quoi qu'il en soit, d'après les +dernières dépêches transmises par le câble transatlantique, le cabinet +de Washington a décidé que le _Virginius_ naviguait légalement avec un +registre américain. Le général Sickles a reçu substantiellement pour +instructions d'exiger de l'Espagne la restitution du _Virginius_, ainsi +que les survivants de l'équipage et des passagers de ce navire; une +excuse pour l'insulte faite aux États-Unis; une indemnité en faveur des +parents des victimes; le châtiment des exécuteurs ou leur remise au +gouvernement américain pour être par lui punis, et enfin la mise en +vigueur immédiate des décrets portant restitution des biens et +propriétés confisqués aux citoyens américains. Le ministre est également +chargé de faire part au gouvernement de Madrid du vif désir du +gouvernement américain de voir abolir l'esclavage. + +L'opinion généralement établie dans les régions officielles est que la +diplomatie parviendra à régler le différend; mais la situation, telle +qu'elle est aujourd'hui, n'en est pas moins critique. Le sentiment +public n'est pas précisément belliqueux, bien que certains journaux +fassent des efforts suprêmes pour créer l'agitation. Les préparatifs +militaires continuent. Une flotte de quarante-trois navires, portant un +matériel de six cent quarante-trois pièces d'artillerie, a reçu l'ordre +de se tenir prête au premier signal. + +PAYS-BAS + +Les préparatifs des Hollandais pour la deuxième expédition contre Atchin +sont très activement poursuivis aux Indes; cette expédition doit partir +dans le courant de ce mois de Batavia pour sa destination. Il est arrivé +dernièrement dans le port de cette ville un nouveau navire à vapeur qui +n'a pas apporté moins de 2833 caisses remplies de matériel de guerre, +avec vingt-cinq canons, ainsi que deux petits bateaux à vapeur démontés +et prêts à être remontés à Batavia. + +On fait, en outre, à Samarang, des essais avec des radeaux de +débarquement susceptibles de porter un poids de 16,000 à 17,000 +kilogrammes, et qui seront reconduits en place par des remorqueurs à +vapeur. Ces engins se composent chacun de cinq grands cylindres creux en +fer, solidement reliés ensemble et couverts d'un simple plancher. + +SUISSE + +Le Conseil fédéral suisse vient d'adresser à notre ministre des affaires +étrangères une note relative à la question monétaire. Nous la +reproduisons plus loin. Justement préoccupé de l'introduction de +l'étalon d'or dans plusieurs États et des variations qu'a subies le +rapport des monnaies d'or et d'argent, principalement depuis la +convention conclue en 1865 entre la France, l'Italie, la Suisse et la +Belgique, le gouvernement helvétique, s'autorisant de l'article 2 de +ladite convention, a exprimé le voeu qu'une conférence des quatre États +signataires fût convoquée le plus tôt possible pour aviser aux mesures +propres à garantir les intérêts économiques engagés dans cette question. +Faut-il maintenir le double étalon, sur lequel repose la convention de +1865? Doit-on lui substituer l'étalon unique? Ne convient il pas de +faire cette substitution graduellement, pour éviter une perturbation +immédiate et nuisible? Quels seraient les moyens d'empêcher la +dépréciation croissante de l'argent, produite par l'exportation de l'or +des États de l'union monétaire? Telles sont les questions que la note du +Conseil fédéral propose de soumettre à la conférence dont il sollicite +la convocation. + + + +COURRIER DE PARIS + +Il nous est venu des lions, en compagnie de leur dompteur. On va les +voir aux bougies, salle des Folies-Bergères, S'il faut le dire, ce +spectacle n'a plus d'imprévu pour nous. Il y a beau temps que les +Parisiens sont blasés là-dessus. Qui ne se rappelle tour à tour quatre +ou cinq Androclès en spencer rouge? Van Amburgh jouait avec une panthère +de Java comme une petite dame avec son manchon, Carter s'en prenait à +une lionne toujours insurgée. Il nous semble le voir encore la frappant +d'une baguette de coudrier comme un valet de bonne maison bat une +descente de lit afin d'en faire tomber la poussière. Hermann n'avait pas +moins d'audace; il agaçait un ours blanc. C'était à l'Hippodrome. +Arnault, le directeur, nous disait: «Il m'a bien semblé, l'autre soir, +qu'Hermann allait servir de dîner à son ours.» En réalité, Crockett +était celui dont la vue nous causait le plus d'émotion. Celui-là avait +affaire à de vrais lions, à des lions de Barca. Le public pressentait +qu'il finirait par être mangé. Il l'a été, en effet, non à Paris, mais à +New-York, je crois. Crockett, croqué! Les faiseurs de jeux de mots ne +pouvaient manquer cette assonance. C'était, du reste, un argument de +plus pour démontrer la fatalité des noms. + +Celui qui vient d'arriver s'appelle Delmonico un beau nom de dompteur, à +mêler à un roman ou à un mélodrame. Il y a des lions et des lionnes +dans une cage de fer, où il se montre, en homme résolu, n'ayant à la +main qu'une cravache. On prétend qu'il cache sous sa tunique un revolver +pour le cas où il aurait à soutenir avec ses pensionnaires une polémique +un peu trop vive. Je dois constater que cette arme est révoquée en doute +par plus d'un spectateur. A quoi pourrait servir un pistolet dont la +balle ne ferait que transpercer la peau d'un des monstres et qui, par +conséquent, n'aurait d'autre résultat que de lui causer un surcroît +d'irritation? Pour Delmonico comme pour tous ses devanciers, le préjugé +veut que la puissance magnétique du coup d'oeil suffisse.--Une houssine +et un oeil qui fascine, dit-on: il ne faut rien de plus. + +Vous rappelez-vous un jeune Américain du nom de Batty? Lui aussi passait +pour n'avoir pas besoin d'un autre prestige que le feu de son regard +pour subjuguer les lions. Un jour, la foule même étant là, il fut abattu +d'un seul coup de griffe et broyé d'un coup de mâchoire. «C'est qu'il +n'a pas su maintenir la rétine de l'oeil au beau fixe», disaient les +_petits crevés_ d'alors. Messieurs les _gommeux_, leurs successeurs, +professent naturellement l'opinion qu'il n'y a rien à craindre tant +qu'on regarde fixement. On change le lion en agneau rien qu'en le +lorgnant. + +Au fait, la chose serait possible, si ce qu'on raconte à ce sujet est +exact. Ces lions qu'on exhibe seraient assouplis dès l'âge le plus +tendre par un système d'éducation assez raffiné. On leur fait suivre des +cours. Pris tout petits en Afrique, on les enverrait dans un pensionnat +où tout est disposé pour les préparer à faire une entrée convenable dans +le monde. Saviez-vous donc qu'il existât des maisons pour l'instruction +des individus de la race léonine? Le plus renommé de ces établissements +est, paraît-il, situé à Madrid, ville d'une température toujours tiède +(les jeunes élèves, brusquement arrivés d'Afrique, s'enrhumeraient dans +une ville du Nord). A Madrid, d'ailleurs, on a toujours la viande +saignante à bon marché, à raison des corridas ou courses de taureaux. +Voilà pourquoi on amène de préférence les lionceaux dans la capitale des +Espagnes; là, on leur enseigne la civilité puérile et honnête; on leur +apprend surtout l'art de frémir à un froncement de sourcil, et, comme +corollaire, la sobriété, qui consiste à ne dévorer son gardien que le +moins possible. Faire des collégiens avec des lions, telle est la marche +du progrès, comme vous voyez. + +Les sujets de Delmonico ont-ils fait leurs classes à Madrid? Le dompteur +le nie, et cela se conçoit. Encore neuf dans le métier, il y va +rondement, comme un vieux routier. On raconte qu'il a fait avec un +amateur un pari d'une allure assez originale. Il se serait engagé à +entrer dans la cage cent jours de suite sans recevoir la moindre +égratignure. En vertu de ce contrat, il ne devrait atteindre son chiffre +que le 18 janvier prochain. Ce jour-là, s'il est indemne, tranchons le +mot, s'il n'a pas été mangé, il recevra en bloc la somme de 120,000 +francs. Delmonico est un philosophe. Au cas où il gagnerait la gageure, +il s'est promis de liquider ses lions sans le moindre retard. Il placera +ses fonds en 3 pour 100 et vivra honorablement de ses rentes, n'ayant +pour tout animal à ses trousses qu'un griffon de la Havane à peu près +gros comme le poing fermé de son maître.--Pas si bête pour un dompteur! + +J'ai parlé des lettres posthumes de Prosper Mérimée, qu'on imprime en ce +moment. On assure que cette correspondance ressemblera beaucoup à des +mémoires intimes, méthode de Diderot. L'auteur de _Colomba_ y raconte +les principaux épisodes de sa vie. Mais combien de traits qui, par +malheur, n'y trouveront pas place! Je doute, par exemple, qu'on y lise +un fait-anecdote assez curieux et tout à fait inédit qui s'est passé +sous Louis-Philippe, à trois cents kilomètres de Paris. + +C'était en 1840. + +Prosper Mérimée traversait le Berry en qualité d'inspecteur des +monuments historiques. Il s'était arrêté à Saint-Amand-Mont-Rond, jolie +petite ville aux environs de laquelle on veut que César ait établi son +camp, à l'époque où il se mit à la poursuite de Vercingétorix; c'est, en +effet, sur la route de Bourges à Clermont, ou, si vous voulez, +d'Avaricum à Gergovia. Des camps de César, où n'en signale-t-on pas? Il +y avait dans l'endroit un vénérable archéologue, zélateur des poteries +de l'antiquité. Dans l'intérêt de la science, ce brave homme avait +obtenu de faire pratiquer des fouilles au lieu même où l'on assurait que +les fils de la Louve avaient campé. Et justement, ce matin-là, il +accourait, effaré, plein de joie, afin de révéler un grand secret à +l'auteur du _Théâtre de Clara Gazul_. + +--Que se passe-t-il donc, cher monsieur? demanda Mérimée. + +--Monsieur l'inspecteur général, un fait de la plus haute importance. Je +viens de trouver un dieu. + +--Un vrai dieu? + +--Un Bacchus antique, couvert de la peau de tigre et ayant un thyrse à +la main. Venez donc voir ça avec moi. + +Il y avait à peu près une heure de chemin. On monta dans une berline et +l'on partit. + +Pendant la route, l'archéologue parlait de ses découvertes. + +--J'avais déjà mis la main sur bien des fragments de vases antiques, +disait-il; c'était un commencement de preuve. Mais un Bacchus, de +hauteur d'homme, en métal romain! Un dieu, probablement fondu sous le +septième consulat de Marius et apporté chez nous par les légions de +Jules César! Voilà un témoignage, monsieur! Tout le monde savant va +tressaillir à cette nouvelle. + +Hélas! tandis qu'il tenait ce langage, il se passait du nouveau auprès +des terrassiers. + +Après avoir jeté leur dieu de côté, ceux-ci reprenaient leur travail +lorsqu'un cri, populaire dans la contrée, leur fit tout à coup lever la +tête; c'était un de ces industriels ambulants qui courent à travers les +campagnes pour y refaire les batteries de cuisine. + +--Rétameur! voici le rétameur! + +Un des pionniers l'appela; l'homme accourut. + +--Voilà un bloc de métal qui s'est trouvé sous notre pioche, dit le +travailleur. Ce vieux fou de savant dit que c'est un dieu; il a dansé de +joie tout autour. Si on le laisse faire, il l'emportera comme il emporte +tous les tessons de vieilles bouteilles qu'il rencontre par ici. +Qu'est-ce que c'est que ça au juste? + +--De l'étain d'assez bonne qualité. + +--A quoi ça pourrait-il servir? + +--A faire des cuillers à soupe. + +Des cuillers! Sur un signe qu'ils firent, le nomade se mit à la besogne; +il fixa son réchaud en terre, fondit le Bacchus et en fit des cuillers. + +Il en était à la dernière lorsque la berline arriva. + +Exprimer la douleur du savant serait impossible. L'archéologue avait +encore trois cheveux sur la tête; il se les arracha. Il pleurait de +rage. Il interpellait Mérimée et, en levant les mains au ciel: + +--O Jupiter! s'écriait-il, on voit bien que tu n'es plus rien là-haut! +Sans quoi tu n'aurais jamais permis une telle profanation à l'endroit de +celui de tes fils que tu as gardé trois mois dans une de tes cuisses! + +Mario de Candia est revenu à Paris, où il amène les deux filles qu'il a +eues de son mariage avec Giulia Grisi. Le temps a eu beau marcher, rien +n'efface la pieuse tristesse que le ténor a ressentie en voyant mourir +la célèbre et belle cantatrice dont il avait fait sa femme. Mario, +dit-on, éprouve un âpre plaisir à reparaître aux lieux où sa jeunesse a +été tant fêtée, il y a trente-cinq ans. Peu importe que tout y ait +changé de face. A la vieille cité de pierre a succédé une ville de +marbre et d'or. Il n'y avait guère que quinze cents _dilettanti_; on en +énumère cent mille aujourd'hui, mais cent mille qui aiment à se griser +de musique de cuivre, cent mille qui portent les oreilles d'âne que +Voltaire montrait jadis à Grétry. Mario, renaissant, délicat, studieux, +soigneux, peu bruyant, serait-il compris de ce public nouveau? On peut +en douter. Mais que vous dire? Il se rappelle sans doute ce que disait +Paganini: «Un artiste de talent sera toujours bien venu partout; il ne +peut vivre qu'à Paris.» Pour le revenant, il y a d'ailleurs le charme +irrésistible qui s'attache aux souvenirs d'une époque sans pareille et +qui ne sera pas recommencée. + +Beaucoup se rappellent encore les premiers jours de sa venue. C'était +dans un temps où l'on ne s'occupait déjà plus de politique. La mode +était d'être tout entier à l'art, à la science, au théâtre, à la +peinture, à la musique, aux beaux vers. Victor Hugo faisait jouer _Ruy +Blas_ par Frédérick-Lemaitre, encore jeune; Alfred de Musset venait +d'écrire les _Deux Maîtresses_, Stendhal, la _Chartreuse de Parme_; M. +de Balzac, _Un grand homme de province à Paris_; Gérard de Nerval, les +_Amours de Vienne_. On touchait de la veille au duel lyrique engagé +entre Duprez et Adolphe Nourrit, duel funeste, puisqu'il a fini par le +suicide de ce dernier; Mlle Rachel quittait le Gymnase pour s'acheminer +en triomphatrice du côté du Théâtre-Français; Eugène Delacroix avait +exposé la _Médée_ au dernier Salon; Decamps continuait ses études +d'Orient; David (d'Angers) plaçait le Philopémen dans le jardin des +Tuileries. Un opéra, un roman, un tableau, une statue, c'était le pain +quotidien d'alors. L'Athènes de Périclès n'a jamais été plus ensoleillée +de vraie gloire. On n'aurait jamais pu s'imaginer qu'un jour viendrait +où Paris courrait voir un Russe qui a du poil de chien sur la figure, un +noir qui fouette des lions dans une cage ou une mulâtresse à deux têtes, +des monstres. Et il n'y avait pas encore de Petite Bourse sur les +boulevards. + +En ce temps-là, le docteur Véron, si habile, gouvernait l'Opéra en +autocrate; c'était pour le mieux, puisqu'il donnait sans cesse l'éveil à +un chef-d'oeuvre inédit ou à quelque grand artiste inconnu. Voilà qu'on +apprit tout à coup l'arrivée d'un ténor. A la suite d'une escapade, un +jeune officier du roi de Sardaigne, s'étant sauvé en France, avait brisé +son épée pour monter sur les planches. Un chevalier! un comte! +l'aventure était piquante. + +Mario de Candia,--c'était lui,--fut essayé; il avait déjà une jolie voix +de salon, mais il fallait développer cet organe si précieux. + +--Un ténor, la coqueluche de Paris! N'épargnez rien pour en avoir un, +disait à M. Véron le ministre de l'intérieur. + +Quand on constatait un grand succès au théâtre, Paris et la France +n'avaient plus rien à dire. La machine gouvernementale fonctionnait à +l'aise. On votait le budget sans débat; on dénouait les conflits +diplomatiques en se jouant; les élections se faisaient presque en +chantant. + +--N'épargnez rien, répétait le ministre; jetez, s'il le faut, l'argent à +pleines mains. + +Les naturalistes nous ont appris combien il faut de soins pour élever un +rossignol. Pour un ténor de ce cycle étrange, c'était bien autre chose. +Que de blandices à l'adresse du nouveau venu! Non-seulement on +prodiguait autour de lui les professeurs, un maître de français, un +maître d'armes, un maître de danse, un maître d'équitation, un maître de +natation, un maître de piano, un maître de chant, mais encore il avait +sans cesse à ses trousses un médecin en renom, chargé de veiller sur sa +personne avec une vigilance de dragon mythologique. + +--A-t-il bien dormi? Il ne faut pas trop d'exercice! Qu'on prenne garde +aux courants d'air! Ah! s'il allait attraper un rhume! + +On ne lui permettait pas de sortir par les temps de pluie, ni le soir, à +l'heure du serein. À table, on ne lui servait que les meilleurs +morceaux, les plus légers, de la cervelle, des crêtes de coq, du blanc +de poulet, précipités, de préférence, par du bordeaux, du haut-brion ou +du léoville. Pourtant il n'en fallait pas en quantité qui pût allumer +trop son coeur. Pas d'amour. L'amour était sévèrement défendu, vu qu'il +porte atteinte, disait-on, aux cordes tendres de la voix. Un ténor, je +le répète, on faisait de l'existence d'un tel artiste une question de +cabinet.--M. Thiers se flattait d'avoir fait plus de ténors que M. +Guizot. + +Pour en revenir au jeune et brillant chevalier sarde, au bout de neuf +mois d'attente, il fut en état de se montrer sur le théâtre. Quelle +salle d'élite pour le voir et pour l'entendre! Il chanta et, dès les +premières notes qui sortirent de son gosier, le comte Duchâtel, ministre +de l'intérieur, présent à ses débuts, s'écria: + +--Allons, il a une voix charmante! La monarchie et le ministère sont +sauvés! + +Tout ce qu'on avait fait pour Mario a été renouvelé depuis pour +Poultier, le tonnelier de Rouen. + +PHILIBERT AUDEBRAND. + + + +PROCÈS DU MARÉCHAL BAZAINE LES TÉMOINS + +[Illustration: Marchal.] + +[Illustration: D'Abzac.] + +[Illustration: Cruzem.] + +[Illustration: Bonzella, marin de l'_Inflexible_.] + +[Illustration: Camut.] + +[Illustration: Quatre-Boeuf, quartier-maître.] + +[Illustration: Flahaut.] + +[Illustration: Régnier.] + +[Illustration: Arnous-Rivière.] + +D'après les photographies de M. Appert. + + + +[Illustration: LE LACHER DU PIGEON PORTEUR DES DERNIÈRES NOUVELLES.] + +[Illustration: Mode d'attache de la dépêche.] + +LE SERVICE DES PIGEONS VOYAGEURS DE LA PRESSE, A VERSAILLES. + + + +LA SOEUR PERDUE + +Une histoire du Gran Chaco + +(Suite) + +«Il n'y a peut-être pas consenti, répliquait Cypriano. Je crois qu'il ne +l'eut pas permis, il peut même l'avoir ignoré et l'ignorer encore, mais +nous savons qu'en plus d'une circonstance les vieillards de la tribu ont +eu à faire justice de crimes du même genre commis à leur insu par des +gens de la tribu. Il y a de mauvais drôles parmi les sauvages tout comme +parmi nous. Les jeunes guerriers de la tribu ont plus d'une fois +épouvanté la contrée par leurs attentats contre la vie des rares +voyageurs qui s'étaient hasardés à parcourir la contrée. Quelque chose +me crie que tous nos malheurs ont pour cause ces Indiens maudits et que +le fils du chef lui-même, Aguara, est à leur tête. Je l'ai soupçonné de +méditer le projet qu'il vient d'accomplir et, quand mon oncle est parti +pour cette malheureuse excursion avec Francesca, ce n'est qu'une fausse +honte qui m'a retenu de lui faire part de mes inquiétudes. Je dois +convenir pourtant que le misérable a dépassé dans l'exécution de son +crime mes prévisions sur un point. Je ne l'aurais pas cru capable +d'aller jusqu'au meurtre de l'ami même de son père pour faire réussir +son dessein.» + +Ludwig ramené subitement à la pensée de son double malheur demeura +quelque temps sans répondre. La scène du retour de son père se +représentait tout entière à son esprit. Il entendait encore le cri +désespéré de sa mère à la vue de son mari inanimé. Plongé dans ce +souvenir, il semblait ne pouvoir en sortir. Mais faisant enfin un effort +pour s'arracher à la contemplation de ce lugubre passé, sa pensée se +reporta plus vivement sur le présent et l'avenir. + +«Cypriano, dit-il, il vaut mieux peut-être que les choses se soient +passées comme vous le supposez. + +--Mieux! pourquoi donc, Ludwig? + +--Nous avons du moins une espérance, celle de retrouver Francesca. Si le +vieux chef est innocent, il ne manquera pas de nous la faire rendre, +quand bien même le coupable serait son propre fils. + +--J'en doute, repartit tristement son cousin. + +--C'est pourtant notre seul espoir, continua Ludwig. Si ce forfait a été +commis par quelque autre tribu ennemie de nous autres blancs, et vous +savez que toutes celles du Chaco sont dans ce cas, quelle chance +avons-nous de leur reprendre ma soeur? L'enlever de force serait +impossible, il y aurait folie d'y songer. Nous n'aurions d'autre +alternative en le tentant que d'y perdre la vie, ou, et ce serait pis, +la liberté sans profit pour elle. + +--C'est vrai, dit Cypriano, je reconnais que sans l'aide de Naraguana, +notre expédition est désespérée. Mais nous aurions plus de chance de +succès si nous devions requérir son aide contre d'autres tribus que la +sienne. Contre des Guaycurus, par exemple, ou des Mbayas, ou des +Anguites, le chef Tovas pourra prendre en main notre cause. Quoique les +tribus du Chaco se liguent volontiers toutes ensemble lorsqu'il s'agit +d'une expédition contre les blancs, elles ont souvent de mortelles +haines les unes contre les autres. Mon espoir se fonde plutôt sur cette +supposition que sur toute autre chose qu'il soit en notre pouvoir +d'accomplir. Si, au contraire, nous avons affaire aux Tovas!... + +--Ce sont les Tovas!» interrompit Gaspardo qui, tout en chevauchant et +tout en ne perdant pas de l'oeil la piste de l'ennemi, n'avait pourtant +pas cessé d'écouter la conversation. + +Au même instant, il arrêtait brusquement sa monture et désignait quelque +chose sur le sol, tout à côté de son cheval. + +«Regardez, s'écria-t-il, voilà la preuve de la culpabilité des Tovas!» + +Ludwig et Cypriano s'avancèrent pour examiner ce qu'il leur désignait +ainsi. + +C'était un objet sphérique à peu près de la dimension d'une orange, et +d'une couleur brune foncée. Tous deux reconnurent une _bola_, pierre +ronde, couverte de cuir cru, et semblable à l'une de celles qui +pendaient aux arçons de leurs propres selles. + +«Quelle preuve trouvez-vous là, Gaspardo, dit Cypriano? C'est une bola +que quelqu'un a laissé tomber et dont la courroie s'est brisée. Mais +qu'est-ce que cela prouve? Tous les Indiens Chaco ne portent-ils pas des +bolas? + +--Oui, mais pas de pareilles à celle-ci. Examinez-la,» dit-il en se +penchant sur sa selle et ramassant la bola sans quitter les étriers; «y +voyez-vous le moindre signe de rupture? Non, elle n'a jamais été +attachée à une courroie. Caramba! senores, c'est une _bola perdida_ +(1)!» + +Les deux jeunes gens se passèrent l'objet et n'y découvrirent rien qui +pût laisser supposer qu'il appartenait à un couple de bolas. C'était une +lourde pierre, entourée d'une enveloppe de peau de vache, avec laquelle +on l'a recouverte quand elle était encore humide, et qui, en séchant, +s'était resserrée sans laisser un seul pli. Il n'y avait aucune +apparence de courroie, on ne voyait que la couture qui la fermait. +Quelle que pût être son utilité, la bola était complète en elle-même. + +--Une _bola perdida!_ Je n'ai jamais entendu parler de cela, dit Ludwig. + +--Ni moi non plus, ajoute Cypriano. + +--J'en ai entendu parler, moi, dit le gaucho, et j'ai vu aussi ses +effets. C'est une arme dont les Indiens se servent avec une adresse qui +vous surprendrait. Ils la lancent à plus de 30 mètres et en frappent la +tête d'un ennemi avec autant de sûreté que si elle sortait du canon +d'une carabine. _Maldita!_ J'ai vu des crânes écrasés par un pareil +coup, mieux que s'ils avaient été écrasés par un bâton de _quebracho_ +(2). La _bola perdida_, senores! ce n'est pas un jouet d'enfant, je vous +l'assure. + + [Note 1: Littéralement «boule perdue», la signification spéciale + de ces mots résultera de l'explication du gaucho.] + + [Note 2: Nom donné à une espèce d'arbre de la famille des acacias, + à cause de la dureté de son bois. Quebracho, ou casseur, signifie + qu'il briserait la hache avec laquelle on voudrait l'abattre.] + +--Mais quelle preuve avez-vous qu'elle ait été lancée par des Tovas?» + +Cette question était faite par Ludwig. + +«Ils sont les seuls Indiens qui puissent l'avoir laissée tomber, car eux +seuls se servent de cette arme. Aucune autre tribu ne l'emploie. N'en +doutez pas, mes enfants, elle a été perdue par un traître Tovas.» + +Les deux jeunes gens firent un signe d'assentiment, et dès ce moment ils +surent que la piste qu'ils suivaient alors était certainement la piste +des Tovas. + +Cette connaissance acquise d'une façon si inattendue affecta les +voyageurs bien différemment. A Ludwig elle donna, sinon de la joie, du +moins un rayon d'espérance de retrouver sa soeur, tandis que chez +Cypriano elle ne produisit qu'un désespoir plus sombre encore. + +«Au-dessus des Tovas, au-dessus du misérable assassin, dit-il à ses deux +compagnons, il est un plus grand coupable, à qui remonte la première +responsabilité de tous nos malheurs. + +--Oui, répondit Ludwig, l'infâme Francia. + +--Lui-même, et je ne vivrai jamais tranquille tant qu'il n'en aura pas +aussi subi le châtiment. + +--Dieu se chargera de le lui infliger. Quant à nous, cher cousin, que +pouvons-nous contre cet homme? + +--Rien pour le moment sans doute; mais plus tard nous nous verrons.» + +De nouveaux incidents vinrent faire diversion à leurs pensées. +L'atmosphère, après s'être graduellement assombrie, s'était épaissie +presque subitement autour d'eux, au point de faire succéder presque +instantanément la nuit au jour. + +«Vite, vite! cria Gaspardo en mettant son cheval au grand galop; si nous +n'atteignons pas la grotte, nous sommes perdus. Courez, si vous tenez à +la vie!» + +Les deux jeunes gens lancèrent comme lui leurs chevaux à toute vitesse. + +«Nous arrivons à temps! Grâce à la Mère de Dieu, nous arrivons à temps!» + +Cette exclamation sortit des lèvres de Gaspardo au moment où, suivi de +ses jeunes compagnons, il faisait passer son cheval par l'ouverture +d'une caverne. + +Cette caverne se trouvait dans un rocher à pic, s'élevant au-dessus d'un +arroyo (3) qui, un peu plus bas, se jetait dans le Pilcomayo. Son entrée +donnait sur le bord du ruisseau à quelques pieds de distance seulement +de l'eau courante. + + [Note 3: Vautour-dindon du l'Amérique Espagnole, nommé _Jofilote_ + au Mexique. Dans les autres portions du continent de l'Amérique du + Sud, ou l'appelle _urubu_ ou _gallinazo_. Certains voyageurs ont + cru que le _turkey buzzard_ des États-Unis et le _Gallinazo_ + Sud-Américain étaient un même oiseau. Ils sont cependant + entièrement distincts; ce dernier est beaucoup plus beau que son + congénère du Nord. Son plumage est plus brillant, tandis que sa + tête chauve, son cou et ses pattes, au lieu d'être d'un blanc + grisâtre, sont d'une couleur rouge vif. Il existe au moins quatre + espèces distinctes de ces petits vautours noirs sur le continent + de l'Amérique.] + +«Oui, nous arrivons au bon moment», ajouta le gaucho en exhalant un +soupir de soulagement. «Caramba! entendez-vous? voyez-vous? Regardez +dehors!» + +Il parlait encore quand un éclat de tonnerre étouffa sa voix. C'était la +tempête. C'était la tormenta! dont les grondements répercutés soudain +par les échos du ravin, prirent en un instant une effroyable intensité. +Des nuages de poussière tourbillonnaient dans la plaine et semblaient +vouloir accourir sur eux. + +«Dépêchons, descendez de cheval», cria Gaspardo à ses deux compagnons, +en leur donnant l'exemple. «Prenons nos ponchos, mes enfants, +attachons-les ensemble, et si nous ne voulons pas être étouffés dans cet +antre, bouchons-en l'entrée le mieux et le plus vite que nous pourrons.» + +Les jeunes gens n'avaient pas besoin d'être mis en demeure de ne pas +perdre un instant. Ce n'était pas la première fois qu'ils assistaient à +une tormenta; chez eux, à Asuncion, ils en avaient vu plus d'une et en +avaient remarqué les terribles effets. Ils avaient entendu les cailloux +brisant les fenêtres, faisant trembler les portes sur leurs gonds; ils +avaient vu la poussière passer à travers les fentes et les trous des +serrures comme l'haleine furieuse de l'ouragan, ils avaient vu les +arbres déracinés, brisés comme paille, les bêtes et les gens culbutés, +roulés à terre par son irrésistible violence. Aussi, avant que le gaucho +eût pu prononcer un autre mot, ils étaient sur pied et l'aidaient à +disposer à l'intérieur leurs chevaux pour qu'ils lussent un premier +obstacle, et à fermer l'ouverture de la caverne, à l'aide de leurs +ponchos solidement liés ensemble et fixés dans les interstices des +rochers au moyen de leurs couteaux. Ils furent à moitié aveuglés par la +poussière et presque renversés par le vent avant d'avoir pu terminer +cette opération. + +«Maintenant, dit Gaspardo, dès qu'ils eurent achevé leur besogne, nous +pouvons nous regarder comme en sûreté, et je ne vois pas de raison pour +ne pas nous installer dans ce trou aussi confortablement que le +permettent les circonstances. Nous serons peut-être retenus longtemps +ici, trois ou quatre heures, sinon toute la nuit. Quant à moi je suis +affamé comme un gallinazo(4). Cette rude course m'a fait oublier mon +déjeuner, de sorte que je propose d'achever ce qui nous reste de guariba +rôti. La salle à manger est sombre et nous aurons peine à faire bouillir +notre théière. Cependant j'espère pouvoir faire assez de lumière pour +éclairer notre repas.» + +En prononçant ces mots, le gaucho se dirigea vers son cheval, et +fouillant un moment sous son recado, il réussit à trouver un briquet. + +Mayne Reid. + +(_La suite prochainement._) + + [Note 4: L'arroyo est un ruisseau coulant entre deux berges + élevées et à pic.] + + + +NOS GRAVURES + +La loi de prorogation et le public + +Chaque fois qu'il y a eu à l'Assemblée nationale de Versailles +quelqu'une de ces grandes discussions qui mettent le pouvoir en +question, le contre-coup s'en est vivement fait sentir à Paris. Alors +que M. Thiers était président de la République, cela s'est produit non +pas une fois seulement. On n'a pas oublié encore l'émotion qui s'était +emparée de la capitale, le 24 mai: la foule agitée s'arrachant les +journaux du soir sur les boulevards, assiégeant la gare Saint-Lazare +pour attendre l'arrivée des trains, quêtant et commentant les nouvelles, +dans un état de surexcitation difficile à décrire. Le même phénomène ne +pouvait donc manquer de se reproduire le 19 septembre dernier, jour où +l'on discutait à Versailles la loi de prorogation des pouvoirs de M. le +maréchal de Mac-Mahon. En effet, dès la première journée de cette +discussion, qui ne s'est terminée, comme on sait, que le lendemain dans +une séance de nuit, la grande ville était soudainement reprise de son +accès de fièvre. Dans la soirée, même émotion sur les boulevards, mêmes +inquiétudes, même curiosité impatiente de savoir, même encombrement à la +gare, où, comme les sergents de ville, les patrouilles étaient +impuissantes à faire circuler la foule. Pour en avoir raison on crut +faire merveille en la trompant, en faisant arrêter les trains avant +l'entrée en gare, et l'on réussit un instant à la dérouter. Mais +quelqu'un éventa la mèche, et les curieux aussitôt de se porter sur le +pont de l'Europe. Il fallut bien en prendre son parti, et laisser suivre +son cours normal à cette fièvre qui finalement se calma d'elle-même, +sans s'être compliquée du plus léger accident. + +Quelques portraits de témoins dans le procès Bazaine + +Le procès du maréchal Bazaine avance. Bientôt la parole sera à +l'accusation et à la défense, car la liste des témoins ne tardera pas à +être épuisée. Avant qu'elle le soit tout à fait, nous croyons être +agréables à nos lecteurs en mettant sous leurs yeux les traits de +quelques-uns de ces témoins qui ont appelé le plus vivement sur eux +l'attention par le rôle qu'il ont joué dans le grand drame de la +capitulation de Metz et de l'armée du Rhin. + +Les neuf personnages dont nous donnons aujourd'hui les portraits, pour +commencer, se rattachent à trois catégories de faits différents: +communications entre les maréchaux Bazaine et Mac-Mahon avant le +désastre de Sedan, communications entre le maréchal Bazaine et le +gouvernement du 4 septembre, enfin communications entre le maréchal +Bazaine et l'ennemi. Les témoins Flahaut, Marchal et M. le colonel +d'Abzac se rapportent à la première catégorie. Commençons par celle-ci. + +Flahaut et Marchal sont deux agents de police qui servirent plusieurs +fois d'émissaires entre Metz et Thionville. Le 20 août, Flahaut se +trouvait à Metz lorsque le maréchal Bazaine le fit appeler et lui remit, +pour les porter à Thionville, les trois fameuses dépêches adressées, +après la bataille de Saint-Privat: 1º à l'empereur, 2º au ministre de la +guerre, 3º au maréchal de Mac-Mahon, dépêches dont les deux premières +différaient si essentiellement de la troisième. + +Celle-ci, en effet, portait seule cette restriction: «Je suivrai +très-probablement pour vous rejoindre la ligne des places du Nord, et +_vous préviendrai de ma marche, si toutefois je puis l'entreprendre sans +compromettre l'armée._» Ajoutons que, seule aussi, cette dépêche qui +aurait sans doute arrêté la marche du maréchal de Mac-Mahon vers l'est, +ne parvint point à son destinataire. Cependant elle était parvenue en +double, comme les autres, au colonel Turnier, à Thionville, apportée +d'une part par Flahaut, et de l'autre par Mme Louise Imbert. Le colonel +Turnier le fit passer toutes les trois au colonel Massaroli, commandant +la place de Longwy, par l'intermédiaire du commissaire de police +cantonal à Longwy, Guyard. Le colonel Turnier remit en même temps une +expédition de ces dépêches à M. de Bazelaire, élève de l'École +polytechnique, qui allait à Paris, et qui les fit partir le 22 par la +station télégraphique de Givet. De son côté le colonel Massaroli expédia +la dépêche à l'empereur, et celle destinée au ministre. Quant à la +dépêche adressée au maréchal de Mac-Mahon, il la remit à deux agents de +la police de sûreté de Paris qui avaient été demandés à M. Piétri par le +colonel Stoffel, chef de la section des renseignements à l'état-major du +maréchal de Mac-Mahon, et qui devaient chercher à pénétrer jusqu'au +maréchal Bazaine et recevoir ses dépêchées. Ces agents, les sieurs +Rabasse et Miès, adressèrent télégraphiquement cette dépêche, le 22, au +colonel Stoffel, ils lui en remirent entre les mains, le 26, l'original; +le colonel avait dû également en recevoir l'expédition par M. de +Bazelaire, et cependant, comme il est dit ci-dessus, elle ne parvint pas +au maréchal de Mac-Mahon. Le colonel a nié l'avoir jamais reçue, ce qui +a amené à l'audience du conseil de guerre un incident émouvant. Le +commissaire du gouvernement, le général Pourcet, à la suite de ces +dénégations, se leva et prit des conclusions contre le colonel, à +l'effet de le poursuivre pour soustraction de dépêche. Revenons à +Flahaut. + +Après avoir heureusement accompli la mission dont nous avons parlé plus +haut, il fut renvoyé à Metz par le colonel Turnier, avec une dépêche +chiffrée. + +Cette fois il voyagea de compagnie avec un de ses collègues, Marchal, +qui avait été chargé, de la même dépêche. L'odyssée de ces deux agents +abonde en détails dramatiques. Ils sont arrêtés trois fois par les +Prussiens et autant de fois repoussés, sous peine d'être fusillés. +Arrivés à Augny, dans une quatrième tentative, ils se cachent d'abord +dans la cave du maître d'école, puis chez le curé, qui leur donne à +souper et à coucher. Enfin, le lendemain ils réussissent en ayant +recours à la ruse. Arrêtés aux avant-postes ennemis et interrogés par un +officier: + +--Nous venions voir, répondent-ils, si vous avez des pommes de terre; +voici l'hiver, et si vous n'en avez pas nous pourrons vous en vendre. + +L'ennemi les croit et les laisse libres de circuler aux avant-postes. +Une occasion favorable se présente et ils filent. La dépêche avait passé +avec eux. Bien malin eût été le Prussien qui l'eût découverte. Chacun +d'eux avait avalé la sienne, après avoir eu soin de l'envelopper +préalablement de caoutchouc. Plus tard, le 5 et le 15 septembre, puis +dans le courant d'octobre, Marchal et Flahaut essayèrent de retourner à +Thionville, mais ils n'y purent parvenir. + +Disons, pour en finir avec cet ordre de faits, que le colonel d'Abzac, +dont il a été question plus haut, était attaché au cabinet du maréchal +de Mac-Mahon. Il a déclaré n'avoir pas eu connaissance de la dépêche du +20 août rapportée à Rhetel par les témoins Miès et Rabasse, et remise +par eux, selon leur dire, au colonel Stoffel. + +Les témoignages de Cruzem, de Camus, de Quatreboeuf et de Donzella se +rapportent aux communications entre le maréchal Bazaine et le +gouvernement du 4 septembre. Le maréchal prétend que ces communications +étaient alors devenues pour ainsi dire impossibles. Cependant le témoin +Crusem est sorti trois fois de Metz, passant à travers les lignes +prussiennes, d'abord dans la direction de Corny, puis par le bois de +Grigy, enfin par Saint-Remy: et, dans ces diverses excursions, il a +parcouru, dit-il, les environs de Metz et poussé, dans la dernière, +jusqu'à Luxembourg. Les trois témoins qui suivent, MM. Camus, +Quatreboeuf et Donzella étaient des émissaires du gouvernement du 4 +septembre qui, préoccupé de la situation de l'armée de Metz, avait fait +arriver à Longwy et à Thionville plusieurs convois de vivres pour la +ravitailler. C'est cette nouvelle qu'il s'agissait de porter à la +connaissance du maréchal Bazaine. M. Camus est un homme de quarante-huit +ans, garde-forestier, connaissant bien le pays. Il fit plusieurs +tentatives infructueuses pour passer et rentra à Longwy. M. Quatreboeuf, +sergent-fourrier des équipages de la flotte, paraît avoir mieux réussi. +C'est un jeune homme de trente-deux ans, alerte et énergique. Enfin M. +Donzella, autre marin, du même âge que le dernier et non moins +déterminé, envoyé par la délégation de Tours dans le même but, parvint à +entrer dans Thionville, qui était alors investi, et à remettre au +colonel Turnier, chargé de la faire parvenir, la dépêche dont il était +porteur. Donzella, pour passer, avait été obligé de se déguiser en +marchand d'osier. Il a raconté avec beaucoup de verve son entrevue avec +le colonel: «Il me chargea de dire bien des choses à sa famille et +voulait me donner une lettre pour elle, mais je refusai de la recevoir +en disant: + +«--Je veux bien me charger de nouvelles orales, mais je ne veux pas +m'exposer à me faire fusiller par les Prussiens uniquement pour dire à +votre famille comment vous vous portez.» + +Selon toute vraisemblance, la nouvelle de ce qu'avait fait le +gouvernement pour ravitailler l'armée de Metz est donc parvenue au +maréchal Bazaine, qui cependant affirme le contraire. Mais il affirme +également n'avoir pas reçu une dépêche postérieure, contenant les mêmes +détail et à lui apportée et remise par le garde mobile Risse. Cependant +l'entrée à Metz de Risse ne peut être contestée, puisqu'il s'y est +engagé dans le 44e de ligne. Sa déposition est très-précise. Elle est +d'ailleurs confirmée par les deux témoins Marchal et Flahaut, dont il a +été déjà parlé. + +Avec M. Arnous-Rivière, nous passons aux communications avec l'ennemi, +dont il a été le principal ouvrier. + +M. Arnous-Rivière, âgé de quarante-sept ans, est un ancien officier +démissionnaire, qui avait été chargé par le maréchal Bazaine d'organiser +une compagnie d'éclaireurs. Il avait été d'abord attaché au grand +quartier général, puis il fut investi à la fin d'août du commandement +des avant-postes à Moulins. C'est par son intermédiaire que se faisait +l'échange des correspondances entre les généraux en chef, +correspondances, qui, pour la plupart, n'ont pas laissé de traces dans +le dossier; c'est lui qui recevait les parlementaires et les conduisait +en voiture de Moulins au grand quartier général. C'est ainsi que, le 23 +septembre, il amena Régnier, à la tombée de la nuit, d'abord à +Longeville, au quartier général du général Cissey, puis au ban +Saint-Martin chez le maréchal. «Vous annoncerez l'envoyé d'Hastings», +lui dit Régnier; parole faite pour surprendre, car alors on ignorait +absolument à Metz que l'impératrice eut choisi cette résidence. +Terminons par ce triste personnage. + +Régnier est un homme d'une cinquantaine d'années. C'est, d'après le +rapport du général Rivière, un homme fin et audacieux, aux manières +vulgaires, très-vaniteux et se croyant un profond politique. Il a reçu +quelque instruction et joué, en 1848, un certain rôle dans les +événements du temps. Puis il se lança dans l'industrie, et épousa en +Angleterre une femme qui lui apporta une certaine aisance. Après le 4 +septembre, on le retrouve dans ce pays, où il cherche à se faufiler chez +l'impératrice, qui s'était retirée à Hastings. Il finit par y obtenir, à +force d'importunités, une photographie portant la signature du prince +impérial, sorte de passe qui va lui servir, ainsi qu'une vue de +Wilhemshoe, où était détenu l'empereur, et qu'il s'était procurée je ne +sais comment, à accréditer ses menées. Ainsi nanti, il se rend à +Ferrières auprès du prince de Bismarck, à la solde duquel il semble se +mettre et qui l'emploie sous prétexte d'armistice à tromper le maréchal +Bazaine, en faisant miroiter à ses yeux on sait quelles espérances +ambitieuses, et à lui tirer l'état exact de la situation de son armée +sous Metz et de ses ressources en vivres. En quittant le maréchal, il +emmenait avec lui le général Bourbaki qui devait se rendre à Londres +auprès de l'impératrice, et qui en y arrivant, fut fort surpris +d'apprendre que celle-ci ne savait pas le premier mot de l'intrigue qui +l'avait fait sortir de Metz. Mais le tour était joué, M. de Bismarck +savait à huit jours près combien de temps le maréchal pouvait tenir, +c'est tout ce qu'on voulait, et Régnier ne reparut plus. + +On sait qu'il ne s'est pas présenté à l'appel de son nom à l'audience du +conseil de guerre où il devait faire sa déposition. On s'y attendait, +car il avait déjà déclaré, dans une lettre rendue publique, qu'il ne +comparaîtrait pas, si M. le président du conseil refusait de lui +accorder certaines garanties pour sa sûreté. Aussi, a-t-il été condamné +à 100 francs d'amende comme défaillant, à la requête du commissaire du +gouvernement, qui a également demandé au conseil l'autorisation de le +poursuivre comme ayant entretenu des intelligences avec l'ennemi et lui +ayant procuré des renseignements pouvant compromettre la sûreté de la +place de Metz et de l'armée française. + +Louis Clodion. + + + +Les pigeons de la presse de Paris + +Si la capitale politique de la France parlementaire était Tours et +surtout Bordeaux, jamais la _Liberté_ n'aurait imaginé d'employer des +pigeons au service de la dernière heure. Mais Versailles est si +rapproché de Paris que l'électricité, à cause des formalités qu'exige +son emploi, ne peut lutter contre l'aile du pigeon, qui est, lui, +toujours prêt à partir dès qu'on ouvre la porte de son panier. + +L'intelligente initiative prise par la _Liberté_ ne pouvait tarder à +être imitée. Quelques jours à peine s'étaient écoulés depuis l'ouverture +de la session d'hiver qu'une industrie nouvelle était créée. + +Un colombophile imaginait de mettre au service des divers journaux +politiques de Paris des pigeons parfaitement dressés. Il faisait de son +colombier le centre des nouvelles les plus fraîches du maréchal Bazaine +et de l'Assemblée nationale. Le _Temps_, la _Presse_, l'_Opinion_, la +_Patrie_, etc., etc., et même l'Agence Havas sont devenus l'un après +l'autre tributaires de ce service de dépêches. Le directeur de la poste +aérienne loue ses oiseaux à peu près aussi cher que l'on eût fait payer +un cheval au temps du grand roi pour revenir de l'OEil de Boeuf à Paris. +Il est vrai que les pigeons n'ont pas besoin de postillons qui les +ramènent à l'écurie. + +Ce commerce va si bien qu'on lâche quelquefois trente ou quarante +pigeons dans la même journée, surtout si le temps est clair et si les +événements politiques sont assez palpitants. + + + +[Illustration: Aveugles à la porte de la cathédrale de Valence.] + +[Illustration: La ligature des palmiers.] + +[Illustration: Laboureurs Valençais.] + +[Illustration: Le pesage du charbon à Madrid.] + +[Illustration: Pose de banderillas.] + +[Illustration: La navaja.] + + + +[Illustration: Un enterrement à Barcelone.] + +[Illustration: Contrebandiers de la Serriana de Ronda.] + +--Gravures extraites de l'_Espagne_, par le baron Ch. +Daviller.--Illustrations de Gustave Doré. (Hachette et Cie, éditeurs.) + + + +Le lancer a lieu au fur et à mesure des demandes qui affluent +principalement de deux heures et demie à trois heures, moment du coup de +feu et de la clôture définitive du bureau. Car il n'y a pigeon qui +tienne, il faut que le journal paraisse, et paraisse de bonne heure, s +il ne veut pas qu'un rival plus diligent le prévienne et tire profit de +ses retards. + +L'opérateur qui lance les pigeons se place sur la porte d'un petit +cabaret borgne placé en face de la cour du Maroc. Les reporters n'ont +qu'un saut à faire pour franchir la rue et y apporter les nouvelles +écrites au vol, apportées au galop. + +C'est un homme de haute taille, à longue barbe et à larges épaules; nous +l'avons représenté au moment où il jette en l'air, l'un après l'autre, +un couple d'oiseaux. Pour éviter les pertes de temps, il en tient un +dans chaque main. Les pigeons, profitant de l'élan qu'ils ont reçu, +fuient rapidement dans la direction de Paris. Une foule très-mélangée et +à laquelle quelques représentants ne dédaignent point de se mêler, +assiste à ce spectacle, qui n'est pas un des moins curieux ni des moins +instructifs que Versailles offre en ce moment. + +Cette entreprise publique n'est pas la seule; il existe en outre une +organisation particulière établie par le _National_ pour les besoins de +sa publicité. Son lanceur opère également dans le cabaret de la rue des +Réservoirs, que nous avons représenté encombré de cages à pigeons. Le +colombophile du _National_ est occupé à enfiler le petit tube des +dépêches autour d'une des rectrices de la queue. L'opération demande +beaucoup d'habitude et de dextérité. L'oiseau, quand on le prend +convenablement, se laisse faire avec beaucoup de docilité; mais il ne +faut pas croire qu'il ne s'aperçoive pas de ce qui vient de se passer. +Non-seulement ce corps étranger gêne la manoeuvre de son gouvernail, +mais il l'agace et l'inquiète; de sorte que, finalement, son vol se +trouve notablement diminué de rapidité. + +La preuve, c'est que, si les nouvelles faisant défaut, quelques-uns des +dix pigeons du _National_ sont lancés et reviennent sans dépêches, bien +que partis les derniers, presque toujours ils arrivent les premiers à +Paris. + +Comme l'oiseau se guide uniquement par la vue, il faut que le ciel soit +assez pur, surtout au déclin du soleil, pour que les pigeons de la +Presse de Paris puissent trouver leur chemin. La saison difficile va +commencer, car les jours deviennent de plus en plus courts et nos petits +courriers politiques ont à percer des brumes qui vont singulièrement en +s'épaississant. + +Quant aux pigeons de nuit, ils sont encore à inventer. C'est à peine si, +par un beau clair de lune, quelques lauréats des grands concours partant +à faible distance pourraient regagner leur colombier. + +W. de Fonvielle. + + + +L'Espagne + +PAR M. LE BARON DAVILLER + +Les événements qui se passent en Espagne ont plus que jamais fixé +l'attention publique sur ce pays, qui parle déjà tant à l'imagination. +Aussi est-ce avec le plus vif intérêt que l'on arrête ses regards sur +tout ce qui sert à faire connaître les moeurs de ce peuple curieux, rude +et poli, passionné, superstitieux, brutal, avide de distinction, +très-chatouilleux sur le point d'honneur, et avec cela aussi généreux +que digne. A ce titre, les dessins que nous donnons ci-contre ne peuvent +donc manquer de plaire à nos lecteurs. + +Un d'eux représente un cimetière à Barcelone. C'est une série de longues +allées que bordent de hautes murailles percées d'une multitude de +casiers. Chaque casier doit loger un cercueil, après quoi il est muré. +Une dalle en pierre ou en marbre, plus ou moins richement ornée, suivant +la fortune du défunt, et portant son nom, ferme l'ouverture du casier. +Rien de triste comme une promenade à travers les rues mornes de cette +ville des trépassés. + +Passons dans la province voisine, celle de Valence, qui entre toutes, a +conservé un caractère moresque nettement tranché. Le costume des +habitants a à peine varié depuis plusieurs siècles, celui des paysans +surtout. Coiffés d'un mouchoir aux couleurs éclatantes, roulé autour de +la tête et s'élevant en pointe, réminiscence du turban, qu'ils +recouvrent parfois d'un sombrero à larges bords, ils portent une chemise +attachée au cou par un bouton double, un très-large caleçon de toile +blanche, retenu par une ceinture, des bas sans pied quand ils en +portent, et des alpargatas ou espardines. Ajoutons la mante, qui ne les +quitte jamais, et voilà au complet le costume d'un Valençais du peuple, +d'un _labradore_ ou laboureur, qui ne se fait beau et n'endosse le gilet +de velours aux boutons d'argent que les jours de fête. La fertilité des +environs de Valence est proverbiale, ce qui n'implique pas qu'il n'y ait +point de pauvres. Comme chez nous, les pinceurs de guitare ne manquent +pas, mais c'est dans la capitale de la province qu'on les trouve. Les +infirmes hantent les portes des églises. Un de nos dessins représente +deux aveugles chantant des litanies à la porte de la cathédrale. + +Comme toutes les grandes villes de la péninsule, Valence a sa _plaza de +toros_, où ont lieu les combats cruels si chers aux Espagnols. Ces +combats se terminent toujours par la mort d'un certain nombre de +taureaux et de chevaux. Le sang humain y coule souvent aussi, mêlé à +celui des animaux. Nous ne décrirons pas par le menu ce dramatique sport +où torreros, picadores, banderilleros ont leur place marquée et jouent à +l'envi le jeu le plus périlleux. Quelques mots cependant sont +nécessaires pour expliquer un de nos dessins: _Pose de banderillas_. Ces +banderillas sont des sortes de flèches dont le bois est entouré de +papier de différentes couleurs, frisé et découpé. A l'une de ses +extrémités est un hameçon. Les banderilleros ont pour mission de piquer +dans les épaules du taureau ces engins qui ne peuvent plus s'en +détacher, et ont pour effet d'augmenter la fureur de l'animal C'est à +Madrid que ces spectacles se donnent avec le plus d'apparat et de +somptuosité. Si l'on n'y déploie pas à Valence un pareil luxe, en +revanche on s'y porte avec un empressement à nul autre pareil. Le +Valençais est passionné pour ce divertissement. Cela tient sans doute à +sa nature. S'il est gai, il est cruel. La colère le transporte +facilement. C'est alors qu'il joue du couteau, de cette terrible +_navaja_, qui se fabrique à Albacète, et dont la lame, très-allongée et +pointue, porte toujours quelque inscription, qui indique à quel usage +elle n'est que trop souvent employée, «Si cette vipère te pique, il n'y +a pas de remède à la pharmacie.» + + Si esta vivora te pica + No hay remedio en la botica. + +Devise qui le plus souvent employée, a valu à certains _navajas_ le nom +lugubrement plaisant de _navajas de santolio_, couteaux de +l'extrême-onction. + +Mais il est temps de nous arrêter. Quelques-uns des détails que l'on +vient de lire et qui expliquent les dessins que nous donnons, ont été +par nous empruntés au magnifique ouvrage que vient de publier la +librairie Hachette: l'_Espagne_, par le baron Ch. Daviller. C'est un +splendide volume in-4º de 800 pages, très-intéressant, très-bien écrit, +et illustré de 300 gravures dessinées sur bois par M. Gustave Doré. + +L. C. + + + +L'Insurrection de Cuba(5) + +Dans l'histoire de la semaine nous disons où en est l'affaire du +_Virginius_, qui est venue si inopinément compliquer, vis-à-vis des +États-Unis d'Amérique, la situation déjà si critique de la malheureuse +Espagne. Nous n'avons pas à y revenir ici. On sait qu'à la première +nouvelle de l'exécution des flibustiers américains, il y eut comme une +explosion d'indignation aux États-Unis. On ne parlait que d'armer et +d'entrer en campagne sur l'heure. + +Cette indignation était-elle bien réelle? J'en doute. + +On sait que depuis longtemps les États-Unis convoitent la possession de +l'île de Cuba; et, si les richesses et la merveilleuse situation de la +perle des Antilles n'excusent pas ces convoitises, au moins les +expliquent-elles. La fertilité de l'île de Cuba est très-grande en +effet, sa végétation magnifique. On y trouve de vastes forêts de +palmiers, de cèdres, de cocotiers, de chênes, de pins; on y cultive la +canne à sucre, le tabac, le caféier, le cotonnier, l'indigotier, le riz, +le maïs, qui sont pour le planteur une source intarissable de richesses, +et rien n'égale la beauté de son port de la Havane que défendent de +vastes fortifications. Les vues que nous donnons de ce port et de +l'intérieur de l'île prouveront au lecteur que nous n'exagérons en rien. + +Cuba forme, avec les autres Antilles espagnoles, un gouvernement dont la +Havane est le chef-lieu. Civilement, elle est divisée en deux provinces: +la Havane et Santiago; militairement, en trois départements: l'Est, le +Centre, et l'Ouest; financièrement en trois intendances: la Havane, +Puerto-Principe et Santiago; au point de vue maritime enfin, en cinq +provinces: La Havane, Trinitad, Remedios, Nuevitas et Santiago. Elle +renferme une population de 1,449,462 habitants, dont 564,698 blancs, +16,176 hommes libres de couleur et 662,087 esclaves qui seront libérés +après la pacification de l'île d'après la loi récemment votée par les +cortès espagnoles. En attendant l'esclavage y règne toujours, et bien +que la traite soit interdite, plusieurs milliers d'esclaves y sont +encore introduits chaque année. La révolte de ces esclaves l'a +ensanglantée plusieurs fois dans le cours de ce siècle et l'ensanglante +encore aujourd'hui. Espérons que c'est pour la dernière fois et que ces +révoltes cesseront avec la cause qui les a fait naître. + +L'Espagne attache le plus grand prix, et cela se comprend, à cette +colonie que les États-Unis, nous l'avons dit, voudraient bien aussi +s'annexer. En 1845, ils ont offert de l'acheter, et peut-être l'Espagne +a-t-elle eu tort de ne pas la vendre. Finiront-ils par s'en emparer +d'une façon ou de l'autre? Selon toutes les probabilités, oui. + + [Note 5: Les deux gravures qui accompagnent cet article sont + extraites du _Tour du Monde_, nouveau journal des voyages, publié + par la maison Hachette et Cie.] + + + +UN VOYAGE EN ESPAGNE +PENDANT L'INSURRECTION CARLISTE + +V + +Abdication du roi Amédée et proclamation de la République.--Agissements +de la Junte carliste établie à Bayonne.--Don Carlos séjournant à la +frontière.--Conseil particulier du prétendant.--Nomination de nouveaux +chefs carlistes. + +Lorsque l'abdication du roi Amédée fut portée aux Cortès et que +celles-ci, en dépit du ministre Zorilla, proclamèrent la République, +j'étais à Vitoria, capitale de la province de l'Alava. De ces deux +nouvelles, la première était prévue depuis longtemps, le jeune prince +italien, malgré ses qualités personnelles incontestables, étant +profondément détesté par tous les Espagnols, sans distinction de partis, +devait en arriver forcément à cet acte d'abdication. Aussi +n'étonna-t-elle personne. + +Il n'en fut pas de même de la proclamation de la République par une +Chambre qui passait pour être foncièrement monarchique. La population ne +voulut pas d'abord croire à la réalité de cette nouvelle. Mais lorsqu'il +fallut bien se rendre à l'évidence, elle protesta énergiquement contre +cette forme de gouvernement subitement improvisée. Je ne crois pas me +tromper en affirmant qu'à Vitoria, ville d'environ vingt mille âmes, il +ne s'y trouvait pas, en avril dernier, _cent républicains_. La +désorganisation s'introduisit dans l'administration des affaires +publiques. Le gouverneur de la province, les membres de +l'_ayuntamiento_, tous les principaux employés du pouvoir central +donnèrent leur démission en masse, si bien qu'en deux ou trois jours, la +ville et toutes les localités de la province furent livrées à la plus +complète anarchie. + +Le même désordre se reproduisit dans les autres provinces qui, comme +celle de Vitoria, furent plongées dans la stupeur à l'annonce seule du +mot de République, qui a été toujours, depuis la Révolution de 1793, un +horrible épouvantail dans l'esprit des populations basques, au point +qu'elles nous ont regardé, pendant longtemps, nous Français, comme des +monstres et des buveurs de sang. + +Dans toutes les excursions que je fis à Pampelune, Tolosa, Bilbao, +Saint-Sébastien, etc., je constatai le même désarroi dans toutes les +administrations et une égale répugnance, de la part des populations, à +vouloir accepter la nouvelle forme de gouvernement. Alors se produisit +une espèce d'anarchie dont profita habilement le parti carliste. +Jusqu'alors, l'insurrection avait été assez mollement conduite, soit que +les chefs n'eussent pas une entière confiance en son succès, soit +qu'elle manquât d'argent et d'armes; ce dernier fait était vrai, j'en ai +eu la certitude. + +Mais à partir du jour où commença la désorganisation du pouvoir central, +la junte de guerre, établie à Bayonne depuis le mois de mars, fonctionna +avec plus d'activité. Elle se composait de membres moitié Espagnols, +moitié Français, dont la mission consistait à procurer des armes, de +l'argent et des hommes à l'insurrection. Jusqu'alors elle lui en avait +bien fourni, mais dans une mesure bien restreinte. C'est du moins ce +dont se plaignaient les _cabecillas_ qui se trouvaient à la tête des +bandes. Elle trouva pour la seconder, attendu les circonstances +politiques du moment, les fournisseurs et les banquiers auxquels elle +s'était adressée, dès le début de la campagne, dans de meilleures +dispositions. Les premiers, toujours craintifs et n'ayant pas une foi +bien robuste dans le succès de l'insurrection, n'exécutaient que d'une +manière bien irrégulière les marchés passés pour fournitures d'armes de +munitions et d'équipements militaires.--Les seconds se montraient +très-difficiles pour accepter les traites souscrites par les agents de +don Carlos et laissaient sortir du sein de leurs caisses, pour les +besoins de la guerre, que le moins d'argent possible. Ce qui explique le +peu de progrès que faisait l'insurrection. + +Mais à dater du mois d'avril et du commencement de mai, fournisseurs et +banquiers furent plus accommodants et pleins de zèle pour seconder les +vues et les projets du parti carliste, avec lequel ils avaient pris des +engagements sérieux par l'intermédiaire de la junte de Bayonne. Les +armes et les munitions passèrent alors plus régulièrement et en plus +grande quantité la frontière qu'auparavant, malgré les difficultés bien +plus nombreuses qu'on opposait à leur passage, du côté de France, où +venait d'être établi sur la frontière un cordon sanitaire de troupes. On +en expédia même de l'Angleterre. + +J'ai assisté à un débarquement d'armes expédiées de Birmingham. Vers le +milieu du mois de mai, un bateau à vapeur vint en plein jour (il était +sept heures du matin) s'arrêter dans le petit port de Fontarabie, en +face le débarcadère des pêcheurs, À son apparition, des barques allèrent +l'aborder, et en moins d'une heure elles transportèrent quatre cents +caisses qu'elles déposèrent sur la berge, rendant l'opération du +débarquement, une bande de quinze cents hommes environ, commandée par le +colonel Martinez, et dont les trois quarts étaient sans armes, +s'emparèrent des colis qui renfermaient des fusils et des munitions, les +ouvrirent et s'armèrent séance tenante. Les caisses restées sans être +ouvertes furent déposées sur des charrettes et transportées, sous bonne +escorte, au camp d'_Achulégui_. Ce débarquement s'opéra sans qu'il +trouvât là moindre opposition de la part des troupes et des volontaires +de la République casernés à Irun, c'est-à-dire à deux kilomètres au plus +du port de Fontarabie. Et ce qui me parut plus étrange encore, c'est que +la bande carliste et les caisses chargées sur des charrettes traînées +par des boeufs, passèrent tranquillement devant les portes de la ville. + +A cette expédition, dont je fus spectateur, j'eus l'occasion de revoir +mon ami, le colonel Martinez, qui commandait l'escorte du convoi et qui +paraissait tout radieux. + +--Vous n'êtes pas encore à Madrid, mon cher colonel, lui dis-je, en lui +rappelant son dernier adieu à Vera, mais vous y êtes sur le chemin, à ce +qu'il me paraît. + +--Dix débarquements comme celui-ci, me répondit-il, et notre cause est +gagnée! + +--Vous ne craignez pas d'être surpris sur votre route par les troupes +républicaines? + +--Toutes mes précautions sont prises et je suis certain d'avance que les +hommes de Loma n'oseront as venir nous barrer la route. Voyez, j'ai +quinze cents hommes avec moi! + +Le colonel avait dit vrai. Pas un seul homme de la garnison d'Irun, qui +se composait d'environ six cents hommes, soit volontaires, soit soldats +de la ligne, n'osèrent sortir de la ville. + +J'ai assisté à trois autres débarquements du même genre, sans qu'ils +fussent autrement contrariés, tant les frontières étaient mal gardées du +côté de l'Espagne. + +D'un autre côté, don Carlos, que les journaux espagnols et étrangers +avaient fait mourir plusieurs fois et voyager tantôt en Angleterre, +tantôt en Suisse, vint s'installer d'abord dans un hôtel de Pau et +ensuite au château de Peyrolhade, où il a résidé jusqu'à son entrée en +Espagne. Voulant m'assurer par moi-même si le fait était exact, je fis, +au mois de juin, une excursion dans les Basses-Pyrénées, et je me rendis +à ce château, situé presque sur les limites qui séparent la France de +l'Espagne. Ce n'était pas sans de grandes difficultés que je pus arriver +jusqu'à cette demeure seigneuriale, malgré les titres et les +recommandations dont j'étais porteur, tant on avait pris de précautions +pour la rendre inabordable. + +Lorsqu'un inconnu venant de France ou d'Espagne apparaissait dans le +lointain, se dirigeant vers le château bâti sur une élévation qui domine +les alentours à une distance de quatre kilomètres, des vedettes placées +de loin en loin, depuis le sommet des montagnes jusqu'au village de +Peyrolhade, qui lui-même est éloigné de la résidence royale d'environ +une lieue, s'empressaient d'en informer le commandant du palais. +Celui-ci envoyait immédiatement des gardes à sa rencontre pour le +reconnaître. S'ils avaient les moindres soupçons sur l'individu, on le +prévenait poliment qu'il se trompait de chemin en lui indiquant le moyen +d'en prendre un autre; et ils s'éloignaient. Si, au contraire, c'était +un ami ou une personne dont on n'avait pas à se méfier, on le conduisait +au château. + +C'est ainsi que sur la présentation d'une lettre du président de la +junte carliste, je fus admis auprès de la personne du prince, qui voulut +bien me recevoir lui-même. Don Carlos est âgé de vingt-neuf à trente ans +environ. Sa taille est élevée, sa figure pleine de noblesse; un air de +grandeur et de majesté rayonne sur sa physionomie franche et +sympathique. Tout en lui, jusqu'à sa parole claire, douce et concise, +prévient en sa faveur. L'audience qu'il m'accorda ne fut pas longue, +mais elle répondit au but que je m'étais proposé d'atteindre. + +Il ne faudrait pas croire pourtant que le prétendant se montrât +très-facile à accorder des audiences particulières. Il est arrivé, à ce +sujet, aux visiteurs étrangers, de curieuses méprises. Milord D..., +désirant s'entretenir avec don Carlos, s'était rendu à cheval de Pau au +château de Peyrolhade. Arrivé à la résidence princière, il fut reçu par +le général Ellio, auquel il demanda de le présenter au _roi_. Le vieux +général s'empressa de le conduire dans le salon bleu, aux tentures +fleurdelisées, où se trouvaient trois personnages, la tête couverte de +bérets blancs (_boinas_) agrémentés de passementeries d'or. Milord D..., +qui ne connaissait le prince que par ses portraits, croyant voir don +Carlos dans le personnage placé au milieu des deux autres, lui offre ses +hommages et entre avec lui dans une très-longue conversation sur la +situation troublée de l'Espagne. Après une demi-heure d'entretien, les +deux interlocuteurs se quittèrent enchantés l'un de l'autre. La vérité +est que le noble visiteur avait pris le major Arjona, secrétaire du +prince, pour don Carlos lui-même. Celui-ci, resté dans son cabinet, +n'était pas encore descendu au salon. + +Je dois ajouter que cette résidence étant journellement visitée par des +émigrés de tous les pays qui venaient offrir _au roi_, les uns le +secours de leur épée, les autres solliciter des grades et des faveurs, +le général Ellio avait organisé un service rigoureux de police autour du +prince, afin de prévenir toute tentative d'espionnage ou d'attaque +personnelle contre l'hôte illustre du château. Je dois reconnaître que +cette surveillance pouvait ne pas être inutile, au milieu de ce coin +isolé des montagnes que cherchaient à découvrir les émissaires du +gouvernement de Madrid et dont l'inutilité de leurs recherches a fait +toujours leur désespoir. + +Ce fut pendant le court espace de temps que je passai au château de +Peyrolhade que je pus me renseigner sur le personnel dont se composait +la maison du prince et qu'il n'y a pas, je crois, indiscrétion de faire +connaître. Elle comprenait le général Ellio, président du conseil de +guerre, cinq chefs carlistes qui en étaient les membres et dont le +marquis de Valdespina faisait partie, et du major Arjona, secrétaire +particulier de don Carlos. + +Les opérations du conseil de guerre consistaient dans la direction à +donner aux opérations militaires dont le plan était tracé d'avance: dans +la nomination des _cabecillas_ et leur envoi aux divers postes qu'ils +devaient occuper; enfin, dans le contrôle de tous les actes qui +concernaient l'organisation des bandes, leur armement et leur +équipement. + +Malgré le mystère dont on entourait le château de Peyrolhade, cette +retraite soi-disant introuvable de don Carlos, était le centre d'un +va-et-vient de gens qui, des deux côtés des Pyrénées, s'y rendaient pour +les affaires de l'insurrection. C'étaient les membres de la junte qui +venaient, les uns ou les autres, prendre les ordres du conseil de +guerre, lui communiquer les résultats de ses opérations et s'entendre +avec lui sur les difficultés qui pouvaient se présenter: et ces +difficultés étaient nombreuses, surtout dès le début de la campagne; +c'étaient des agents secrets qu'on avait établis sur la frontière et +jusque dans les centres des provinces, qui venaient faire leurs rapports +sur tout ce qui se passait d'hostile ou de favorable au parti; +c'étaient, enfin, les envoyés des _cabecillas_ en campagne, qui +apportaient au château tout ce qui concernait la situation bonne ou +mauvaise des bandes qu'ils commandaient. + +Lorsque je repassai la frontière, j'appris la nomination de nouveaux +chefs carlistes, dont quelques-uns étaient déjà au château de +Peyrolhade, au moment de mon départ de cette résidence. Au nombre de ces +chefs qui devaient donner à l'insurrection une nouvelle impulsion, +étaient le général Ellio, qui reprenait un service actif, le marquis de +Valdespina, Dorregaray et Lizarraga. Ces quatre généraux, que j'ai vus +plusieurs fois sur les champs de bataille, méritent d'être connus, à +cause des commandements qu'ils occupent à la tête des bandes et des +services qu'ils rendent à la cause carliste. C'est ce que je me propose +de faire, après avoir dit quelques mots sur l'emprunt que le parti +contracta à Londres. C'est, au reste, avec l'argent qu'il produisit que +la guerre civile put prendre plus d'extension et de développements, +ainsi que je vais le constater. + + + +LES THÉÂTRES + +Porte-Saint-Martin. _Libres!_ drame en huit tableaux, par M. Edmond +Gondinet.--Ambigu-Comique. _La falaise de Penmarck_, drame en cinq actes, +de M. Crisafulli.--Odéon. _Le docteur Bourguibus_. comédie en un acte et +en vers, de M. Edmond Cottinet.--Gymnase. _Monsieur Adolphe_, pièce en +trois actes, de M. Alexandre Dumas fils. + +La pièce de M. Gondinet, _Libres!_ m'a beaucoup plu. Je sais que les +dilettanti du genre, les raffinés du mélodrame y trouveront à redire, +car elle n'est pas construite et charpentée selon les règles, elle ne +vous saisit pas à la gorge à un moment donné pour vous laisser pantelant +et lui crier merci dans quelques scènes pleines d'émotion ou de terreur. +Son scénario ne s'avance pas progressivement pour marcher à travers des +péripéties les plus sombres pour arriver aux catastrophes finales; mais +qu'importe que le drame échappe à l'analyse par sa trame un peu légère, +qu'importe que faction un peu mince tienne en quelques lignes, si +l'impression d'ensemble est allée droit à l'effet voulu, et si au sortir +du théâtre le drame a laissé dans l'esprit du spectateur un souvenir, et +que l'âme s'en sente encore agitée par delà la représentation. C'est ce +qui arrive. + +C'est peu de chose en effet que cette histoire dramatique facilement +imaginée et qui se déroule autour de Lambros, le polémarque de la +Selléide, avec cet amour de sa fiancée Chryseis, avec cette trahison du +traître Andronicos livrant par jalousie et par haine son pays à Aly, +pacha de Janina. Cette rivalité est le thème obligé de tous les +mélodrames. Quelques scènes plus ou moins heureuses ajoutées à cette +nomenclature du crime des traîtres ne font rien à l'affaire. Le drame +n'aurait rien perdu assurément à plus de nouveauté dans cette fable +romanesque. Il eût été meilleur, à coup sûr, en se privant de ce groupe +de comiques propres à jeter de la gaieté, comme cela se passe dans toute +pièce du boulevard. Je n'en disconviens pas; mais je le répète, le drame +de M. Gondinet m'a plu par sa composition générale, par son mouvement, +par cette grande histoire de liberté qu'il met en scène, par ce récit de +l'affranchissement d'un peuple. Tout cela est animé, vivant, tout cela +s'écoute d'un bout à l'autre avec la plus vive curiosité, au milieu de +nombreux épisodes et à travers tout ce pays de la Grèce. + +Il semble que M. Gondinet, qui est un esprit fin et qui a bien sa +jeunesse et sa poésie, ait lu cette histoire de l'indépendance +hellénique dans les livres de Fouqueville et de Fauriel, qu'il ait lu +avec ardeur ces chants recueillis par M. de Marcellus, et que se +souvenant de cet enthousiasme qui enflamma vers 1825 nos poètes de +France et d'Angleterre pour la cause de ce peuple, il ait voulu rendre +dans un drame toute cette vie d'un passé qui passionna si profondément +l'Europe aux temps où elle avait plus de sympathie et plus de larmes +pour les opprimés et les vaincus. + +A ce drame de l'indépendance d'un pays qui eut pour alliés les poètes, +M. Gondinet a laissé son caractère poétique. C'est là son côté original +et piquant. Il se dégage des conventions scéniques par un souffle +heureux. Il a pour lui, et que le lecteur me pardonne cette phrase du +temps, il a pour lui les Muses de la patrie et de la liberté. Comme aux +jours de ses premiers fils, la Grèce est encore le pays des vers. Elle +chante aux noces des fiancés, aux berceaux des fils, sur la tombe des +soldats, elle a des épithalames et des nénîes; ses poètes populaires +sont de toutes ses fêtes. M. Gondinet les a parfois reproduits avec un +rare bonheur: + + Le klepte est tombé sous les halles, + Chantons les marches triomphales, + Que son nom résonne partout. + Creusez sa tombe haute et grande + Pour que son bras armé s'étende + Et pour qu'il s'y tienne debout. + Faites à la pierre une entaille + Pour que dans les jours de bataille + Il entende les combattants. + Plantez devant un laurier-rose + Pour que l'hirondelle s'y pose + Et l'avertisse du printemps. + +Ainsi parle sur le cadavre du polémarque Lambros, le héros de la pièce, +D'autres chantent les hymnes de liberté, et le drame s'écoule toujours +soutenu par un sentiment fin et délicat qui le vivifie dans un cadre +poétique, C'est la Grèce avec ses aspirations de liberté, avec ses +glorieux révoltés, c'est elle avec ses kleptes, ses chkipetars, ses +costumes brillants; nous la retrouvions dans sa gracieuse et pittoresque +beauté, avec ce décor qui nous transporte sur la place de Variadès, au +fond duquel se dessine dans le lointain les hautes montagnes et les +gracieux villages attachés à leurs flancs. Nous nous sommes cru un +instant sur la côte du Péloponèse, au tableau qui représente la falaise +couverte d'arbres et dominant les flots bleus de la mer. C'est un +chef-d'oeuvre que ce décor qui représente le Grand-Souli, avec ses +maisons blanches, ses cactus en fleurs, ses vignes qui grimpent jusques +aux toits en tuiles rouges, avec son pont jeté sur un torrent. Il semble +que M. Rubé, qui en est l'auteur, l'ait composé d'après une vue +photographique rapportée du pays de Messène ou d'Argos. Cet art du +décorateur, qui, je crois, n'a jamais été poussé aussi loin dans la +vérité des tableaux, nous a rendu la Grèce avec la plus grande fidélité. +Et c'est là un attrait de plus pour le drame de M. Gondinet, que le +public a accueilli avec le plus vif succès. + +L'interprétation de la pièce est excellente. M. Dumaine joue avec une +sincère conviction et une réelle autorité ce rôle de Lambros, qui domine +tout le drame. Taillade, c'est Aly, le pacha de Janina, un tyran bizarre +et cruel qui tourne parfois à la ganache. Larcy, Charly, font retentir +leurs voix vibrantes, et Laurent égaye la pièce par sa bonne humeur. +Quant à Mme Dica-Petit, fort belle sous ses magnifiques costumes de +femme souliote, elle a donné au personnage de Chryseis un véritable +caractère de passion et de noblesse. + +J'aime ce bon mélodrame du temps passé, avec tous ses trucs, ses +épouvantails, ses tours, ses prisons, ses rochers, ses falaises, tout +son attirail de crimes et d'horreurs, mais encore faut-il que ces +horreurs soient possibles à raconter. M. Crisafulli a poussé dans la +_Falaise de Penmarck_ ce genre tellement au noir que pour ma part je ne +m'y reconnais plus. Voilà une aventure, par exemple! Le commandant +Pierre Lecourbe se marie; le jour même de ses noces il reçoit l'ordre de +rallier l'escadre en partance! Ainsi le veut l'amiral qui ne transige +pas avec la consigne. Le commandant a un frère, un ivrogne, lequel après +les libations les plus regrettables, croyant entrer chez sa fiancée, se +trompe de porte et pénètre chez sa belle-soeur, la femme du commandant. + +Vingt ans après ce bel exploit, le commandant Lecourbe vit auprès de sa +femme et entre deux filles, qu'il aime, sans soupçonner que sa fille +aînée doit le jour à un horrible crime. L'affection du commandant pour +cette enfant semble même plus grande que pour l'autre, à ce point qu'il +dépouille sa fille cadette au bénéfice de sa soeur. La mère révoltée +d'une telle injustice révèle à moitié ce terrible secret à son mari. Ce +que le commandant ignore c'est le nom du coupable. Il va donc à son +frère, Pierre Lecourbe, et lui confie le soin de sa vengeance en lui +faisant jurer que cet homme mourra et, par le fait, il tient son +serment, car honteux de lui, il se précipite du haut de la falaise de +Penmarck, qui n'est là que pour fournir un titre pittoresque à la pièce. +C'est à l'aide de cette fable dramatique que M. Crisafulli a obtenu une +scène des plus saisissantes. Celle des deux frères, dont l'un demande +vengeance à l'autre pour son honneur outragé, pour son nom souillé. Mais +vraiment ces fortunes-là coûtent bien cher puisque c'est au prix de +telles situations qu'on les obtient. Si ce drame nous demande au début +de grands crédits pour faire marcher sa petite industrie, je suis prêt +pour ma part à les lui refuser. Qu'il s'arrange, n'a-t-il pas la +trahison, le meurtre, l'assassinat. S'il lui faut plus encore, il est +trop exigeant; qu'il meure faute d'appui, je n'y vois pas +d'inconvénient. + +J'ai donc hâte de sortir de cette _Falaise de Penmarck_ pour entrer dans +une joyeuse comédie, pleine de belle humeur, d'esprit et de gaieté, et +qui a pour titre le _Docteur Bourguibus_: elle est née de la fantaisie +d'un poète, et de la première à la dernière scène elle s'en va +lestement, joyeuse de ses bonnes trouvailles comiques, de ses vers +plutôt improvisés qu'écrits, étincelants de saillies. Ce docteur +Bourguibus qui a pour parents tous les héros de la comédie bergamasque a +une _toquade_. Pardon du mot: aux XVIIIe siècle on aurait dit du docteur +qu'il avait le timbre fêlé. Le brave homme qui a la monomanie de la +pitié, s'attache particulièrement aux gredins. Que lui parlez-vous +d'honnêtes gens! la belle affaire! ils ont leur conscience pour eux et +le paradis au bout. Mais un criminel, un assassin, par exemple, un +meurtrier que la justice, l'infâme justice a frappé, voilà ce qui tente +l'âme du docteur Bourguibus. C'est une cure à faire. S'occupe-t-on des +gens bien portants? Non; on soigne les malades; qu'est-ce qu'un +criminel? un malade: le tout est de le guérir. Grâce à ce raisonnement, +le docteur cueille au haut d'un gibet un gibier de potence qu'il arrache +à main armée aux mains des valets du bourreau. Cet exploit a coûté la +vie à cinq honnêtes gens: c'est pour rien. Et voilà Spalâtre installé +dans le logis de docteur. On va voir ce qu'on peut obtenir avec des +soins d'un gredin qu'on a dépendu. Tout est pour lui, les bons morceaux, +les complaisances des domestiques, et jusqu'à la main de la nièce du +docteur. Seulement il veut conduire sagement l'homme à complète +guérison. Il dort, silence; il va se réveiller, qu'il ouvre les yeux aux +sons d'une musique réjouissante: un murmure de menuet et le docteur et +sa nièce effleurent sur la mandoline et le violon l'adorable morceau de +Boccherini. Là-dessus Spalâtre qui entr'ouvre les yeux rêve de voyageur +égaré et d'assassinat au coin d'un bois. Elle est charmante cette scène +du bandit que la musique ramène à ses premières inclinations, le +meurtre. La cure a si bien opéré que Spalâtre, non content de voler pour +son propre compte, fait de la propagande et entraîne les domestiques du +docteur à voler avec lui, si bien que le pauvre Bourguibus paye ses +théories humanitaires de ses meubles, de sa bourse et de sa montre. Bien +en a pris à l'amoureux de la nièce de se déguiser en bourreau et de +venir demander Spalâtre au docteur qui le retient contre la loi, car à +la vue de l'homme noir, Spalâtre s'est enfui maudissant cet imbécile de +docteur qui l'expose à retomber dans les mains de la justice. Tout +s'arrange; le docteur se guérit de son faible pour les gredins et de sa +haine pour les gens de police, et le public applaudit chaleureusement à +l'auteur et aux interprètes de cette comédie des plus originales et des +plus amusantes. + +Le théâtre au Gymnase a remporté hier, mercredi, un éclatant succès avec +_Monsieur Adolphe_. Je reviendrai la semaine prochaine sur cette oeuvre +exquise de M. Alexandre Dumas. Je ne puis que signaler aujourd'hui +l'accueil chaleureux que le public tout entier a fait à sa pièce. C'est +là une des plus grandes fêtes du théâtre au Gymnase. Depuis vingt ans, +depuis ces jours du _Demi-monde_, je ne crois pas qu'il eût été témoin +d'une semblable ovation. La salle passait du rire aux larmes, de +l'émotion à la gaieté. Elle a acclamé l'auteur, saluant dans son oeuvre +cette sûreté de talent, cette élévation dans la pensée, cette explosion +de l'esprit qui font de M. Dumas fils un maître. Tout son public lui +était revenu, heureux d'oublier les quelques moments de froideur qui +s'était faite entre lui et l'auteur de la _Femme de Claude_, et comme +regrettant ses sévérités passagères, on se sentait comme reconnaissant +envers M. Dumas de lui rendre l'auteur aimé des jours passés. + +Les interprètes de _Monsieur Adolphe_ ont été couverts +d'applaudissements, et Pujol, et Achard, et Mlle Alphonsine, cette +transfuge des théâtres de féerie, qui s'est montrée merveilleuse +comédienne dans le rôle de Mme Guichard. + +Je donne avec plaisir une bonne nouvelle à mes lecteurs: Les concerts de +M. Daubé vont reprendre leur cours, non plus au _Grand-Hôtel_ où on les +suivait autrefois, mais à la salle que M. Henri Herz a mise +gracieusement à la disposition de M. Daubé. + +M. Savigny. + + + +[Illustration: LES ÉVÉNEMENTS DE CUBA.--Vue générale de la Havane.] + +[Illustration: L'ILE DE CUBA.--Vue prise près de la côte de Candela.] + + + +REVUE COMIQUE DU MOIS, PAR BERTALL + +[Illustration: LES LIONS DE M. SARI, AUX FOLIES-BERGÈRES.. Voyez trois +bocks au 71.--Bouuummm!] + +[Illustration:--Eh bien, et le _Rappel?_--Eh bien, et l'appel?--Ce +n'est pas pour toi que le four chauffe.--C'est l'appel qui se moque du +fourgon!] + +[Illustration:--Allons, mon petit, faut rentrer dans ta boîte.--Bah! +sept ans, ce n'est pas une affaire!--C'est un congé.] + +[Illustration: L'EXPOSITION DES ENFANTS AUX CHAMPS-ÉLYSÉES.--Études sur +les manières les plus pratiques et les plus commodes pour exposer les +enfants, depuis la suppression des tours.] + +[Illustration: MM. LES COLLÉGIENS.--Ah! ah! ah! voilà déjà le régime du +sabre qui commence. On veut nous infliger une sortie. Eh bien! ma bonne, +va dire à ton maître que je suis comme M. Trochu, je ne sortirai pas, +j'ai mon plan.] + +[Illustration: LA QUENOUILLE DE VERRE.--Ma petite Judic, vous avez +chanté ça Judic-ieusement.--Dites délicieusement!--Comme si ce n'était +pas la même chose!] + +[Illustration:--Ah! si la Femme à deux têtes voulait épouser +l'Homme-Chien! quel avenir pour leur famille!] + +[Illustration:--Mon bon M. Halanzier, ce sont les Italiens qui sont là, +si vous voulez je vais en délivrer le territoire, et ça ne sera pas +long.--Je ne demanderais pas mieux, mais tu vois bien que les Italiens +sont des Russes.] + +[Illustration:--M. Strakosch traite à l'amiable et consent à recevoir +M. Halanzier, à condition que tous les abonnés ne se présenteront au +contrôle que porteurs d'une voie d'eau.] + +[Illustration:--Les jours d'Opéra, les baignoires deviendront une +réalité, les abonnés et leurs familles n'y seront reçus qu'en costumes +de bain.] + +[Illustration:--Au premier signe de H. Strakosch, les baignoires seront +remplies d'eau, ce qui écartera toute crainte d'incendie.] + +[Illustration:--Pour finir, l'auteur demande à l'ami lecteur, dont il +est connu depuis si longtemps, la permission de lui présenter ses +civilités sous la forme d'un gros livre qu'il vient de terminer à +l'instant.] + + + +Toujours: _Peau de satin! Fraises au champagne! Lèvres de Feu!!_ valses +de J. Klein. Il n'y a donc pas autre chose? + + + +BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE + +_Histoire de l'Astronomie_, par Ferd. Hoefer.--La science profonde et +l'érudition encyclopédique du docteur Hoefer sont trop connues et trop +appréciées pour qu'il soit utile de présenter à nos lecteurs l'auteur de +la nouvelle _Histoire de l'Astronomie_. Chacun sait que pour écrire une +histoire compétente de quelque science que ce soit, il faut être du +métier et connaître la pratique du sujet dont on se fait le rapporteur. +Or M. Hoefer a écrit une histoire de la _chimie_, qui est devenue +classique, une histoire de la _physique_ estimée de tous les savants, +une histoire de la _botanique_, une histoire de la _zoologie_, aussi +complètes l'une que l'autre; et voici une histoire de l'_astronomie_, +que je viens de lire avec la plus vive attention, et que nul astronome +de profession n'aurait certainement mieux écrite. Elle est complète sans +être trop étendue, s'adresse aux gens du monde aussi bien qu'aux +savants, et présente un tableau exact et intéressant des progrès inouïs +de cette science admirable, depuis les Hindous, les Chinois, les +Chaldéens, les Égyptiens, jusqu'aux découvertes sublimes de notre +époque, illustrée depuis moins de trois siècles par les Galilée, les +Kepler, les Newton, les Laplace; par des scrutateurs des mystères +célestes qui laisseront dans l'histoire des noms comme ceux de Cassini, +Halley, Huygens, Roemer, Dalembert, Herschell, Bessel, Struve, Arago, +etc. + +L'histoire de l'astronomie présente plus que nulle autre le tableau des +véritables progrès de l'esprit humain. Celle des peuples, des dynasties, +des religions, offre des alternatives de lumière et de ténèbres, des +grandeurs et des décadences, des guerres et des trêves, et souvent, +hélas, du sang et des ruines. Mais les progrès de la science du ciel, au +contraire, offrent une continuité lente, mais permanente, du travail de +la pensée humaine, depuis l'ignorance primitive jusqu'à l'époque où nous +sommes, pendant laquelle nous osons mesurer les distances qui nous +séparent des étoiles, et analyser les substances qui brûlent dans le +soleil. Aujourd'hui, nous voyons les mondes rouler sous nos pieds; nous +sentons la terre courir et nous emporter à travers l'espace infini, et +déjà nous avons les premiers éléments nécessaires pour deviner la _vie +inconnue_ qui rayonne à la surface des autres terres du ciel! C'est la +science sans patrie et sans dogmes, sans chaînes et sans larmes, qui, +toujours pure, s'élève et s'épanouit dans la divine lumière du ciel; +c'est celle qui fait le plus d'honneur à l'esprit humain, qui met en +évidence les plus nobles facultés de l'homme; c'est celle qui nous a +_affranchis._ Les plus grands révolutionnaires ne s'appellent pas +Cromwell, Washington, Mirabeau ou Robespierre; ils s'appellent Copernic, +Galilée. Kepler, Newton. + +On lira avec plaisir et profit le nouveau livre du docteur Hoefer. Dans +son ouvrage publié l'année dernière, et intitulé: l'_Homme devant ses +oeuvres_, l'auteur avait montré par quels principes il juge l'humanité; +et il n'est certes pas inutile, à notre époque où tout court si vite, de +s'arrêter un instant sur le chemin de la vie, comme le Dante avant de +pénétrer au sombre royaume, et de réfléchir un instant sur les faits et +gestes de notre race soi-disant raisonnable. L'histoire de l'astronomie +est écrite avec la même netteté de vues, moins sévère que celle de +Delambre, lequel en est souvent ridicule, et plus juste pour les +anciens, qui méritent tout notre respect, attendu qu'il faut à toutes +les sciences un commencement. Celui qui renaîtrait dans trois siècles +seulement serait bien étonné de notre état scientifique, social et +religieux de 1873, et, s'il n'était juste, nous traiterait d'ignares et +d'imbéciles. C'est ce qu'a fait l'astronome Delambre, trop souvent. M. +Hoefer n'est pas tombé dans ce travers, et nous l'en félicitons. + +_Les Merveilles de la photographie_, par G. Tissandier.--Voici un +nouveau volume de la _Bibliothèque des merveilles_, et qui fait honneur +à la collection. Qu'y a-t-il de plus merveilleux que la photographie, +dont les travaux nous laissent pourtant déjà indifférents? La terre +tourne si vite que l'on oublie le lendemain la situation de la veille, +et il semble que nos pensées se multiplient et s'envolent beaucoup plus +vite depuis que nous connaissons la rapidité des mouvements célestes. En +fait, il n'y a que quarante-sept ans que le premier traité entre Niepce +et Daguerre a été signé, et aujourd'hui les photographes pullulent dans +toutes les villes d'Europe, et les photographies sont tombées dans le +domaine public, et l'on n'accorde plus aux meilleures d'entre elles +qu'une attention momentanée. Mais tandis que pour la masse du public la +photographie est encore toute entière dans la reproduction plus ou moins +durable d'un visage, d'un monument ou d'un paysage, l'art s'est agrandi, +s'est développé comme toutes les connaissances humaines, et déjà rend +d'immédiats services à la plupart d'entre elles. La photomicrographie +fixe aujourd'hui l'image centuplée de l'insecte, invisible à l'oeil nu, +dessine l'agencement moléculaire minéral, végétal ou animal, nous montre +les cristaux du sang ou l'épiderme délicat d'une pauvre chenille. A +l'opposé, toute l'Assemblée nationale est reproduite sur un carré de +collodion du diamètre d'une tête d'épingle, sans rien perdre de ses +proportions ni de sa grandeur réelle. Si nous passons maintenant du +petit au grand, nous trouvons la photographie appliquée au soleil, à la +lune, aux planètes et même aux étoiles, et nous avons déjà des sériés de +plusieurs années de portraits du soleil, faits chaque jour, et montrant +la variation incessante de son aspect et de ses taches. Des +photographies directes de la lune sont si excellentes que l'on se +promène facilement dans les vallées et les paysages lunaires ainsi +reproduits. Appliqué à la météorologie, le même art remplace maintenant +l'observateur en enregistrant automatiquement l'état du ciel, la marche +du baromètre, du thermomètre, du vent, de l'aiguille aimantée, etc., ce +qui permettra d'avoir un bien plus grand nombre de constatations +simultanées et permanentes et de donner à la météorologie la base qui +lui manque encore. Il y a plus: la photographie _imprime_ maintenant +elle-même, et le livre de M. Tissandier nous offre un spécimen de +photoglyphe à l'encre de Chine gélatinée, qui montre au premier coup +d'oeil toute la valeur artistique et toute l'importance pratique du +nouveau procédé. On le voit, le jeune et savant directeur du journal _la +Nature_ a su réunir dans son nouveau livre toutes les richesses de l'art +dont il voulait raconter les merveilles. + +Camille Flammarion. + + + +_Une courtisane vierge_, par M. Amédée de Céséna.--L'auteur fut un +journaliste grave, un personnage politique, un polémiste. Il n'est qu'un +conteur qui spécule sur de certaines curiosités malsaines. Je pense +qu'il suffit de citer le titre du livre pour montrer tout ce que M. de +Céséna a voulu lui donner d'alléchant. Le romancier se défend, +d'ailleurs, dans sa préface, d'être un corrupteur. Il prétend au titre +de _moraliste_. Ce n'est donc pas un moraliste homeopathique: il fait de +la morale par les contraires. + +_Les Femmes au coeur d'or_, par M. Eugène Moret. (1 vol. Dentu.)--Il y +a, dans le roman-feuilleton, des auteurs dont la réputation n'égale pas +le talent, et M. Eugène Moret est de ce nombre. Il a des succès, et +très-grands, dans le public des journaux populaires, des livraisons à +dix centimes, et il mérite ces succès-là. Ses livres sont moraux, +honnêtes et intéressants. Il a publié sur les _Femmes de la Révolution +et de la Terreur_ des feuilletons absolument amusants et qui, réunis en +volume, ont beaucoup plu aux lecteurs. Ces _Femmes au coeur d'or_ auront +certainement le même sort et méritent le même accueil. C'est là un roman +qui vaut dix fois mieux, à coup sur, que bien des romans célèbres, et +qui fait honneur au talent très-loyal, sans fracas, sans charlatanisme, +de M. Eugène Moret. + +_La comtesse de Nancey_, par M. Xavier de Montépin. (3 volumes in-18. +Chez Sartorius.)--M. Xavier de Montépin est, en librairie, le +triomphateur de la saison. Il a publié trois ou quatre volumes, épisodes +détachés d'un même roman, qui en sont à leur huitième ou dixième +édition. _La comtesse de Nancey, l'Amant d'Alice, le Mari de +Marguerite_, ont amusé tout un public, le public des romans d'Arsène +Houssaye, celui qui aime l'impossibilité en pleine vie réelle, les +aventures improbables placées dans le milieu parisien. M. de Montépin, +jusqu'ici, n'avait point connu pareille vogue, pas même il y a seize ou +dix-huit ans, lorsqu'il écrivait les _Viveurs de Paris_ et les _Filles +de plâtre_. Je crois même nie rappeler que les _Filles de plâtre_ lui +valurent une assignation devant la police correctionnelle. Aujourd'hui, +en ce temps d'_ordre_ et de _moralité_, les romans de M. de Montépin +montent aux nues. L'auteur est un aimable homme qui n'a d'autre tort que +de vouloir, de temps à autre, dire son mot dans la politique courante. +Quand il conte ces aventures extraordinaires, il amuse et il entraîne. +Au fond, cela lui suffit. Le public le suit, il est satisfait. Il ne +_politique_ que par aventure. Son rôle est d'inventer: il invente. Les +folles amours, les coups de couteau, les scandales à Bade, les espions +prussiens, les batailles de la Commune, les propos de boudoirs, tout se +coudoie dans la trilogie que M. de Montépin appela tout d'abord le _Mari +de Marguerite_. Je n'analyserai point ces pages. Leur succès a été +absolu, et si l'on n'avait abusé du mot, je dirais volontiers que c'est +un des signes du temps. Mais ne faut-il pas des rêves à tout le monde? +Pâture à liseurs, disait Petrus Corel en parlant de ses livres. Chacun +choisit le mets qui lui convient,--et cela n'empêche pas de rééditer +Corneille. + +_La Célestine_, de Fernando de Rojas, traduite par M. Germond de Lavigne. +(Nouvelle collection Jannet.)--M. E. Picard continue avec succès la +publication de ses petits chefs-d'oeuvre littéraires faisant suite à la +collection Jannet. Les bibliophiles se disputeront également la +_collection rouge_, qui est l'ancienne, et la _collection bleue_, qui +est la nouvelle. Sous cette dernière forme, les oeuvres de Rabelais vont +être tantôt achevées, et M. André Lefèvre vient de donner une édition +des _Lettres persanes_, de Montesquieu, qui pourrait bien être +définitive. Aujourd'hui, M. Germond de Lavigne, si compétent en ce qui +touche la littérature espagnole, publie, dans cette même collection, une +traduction de la Célestine, ce roman dialogué d'un intérêt si puissant +et d'un charme si particulier qui date, s'il vous plaît, du XVe +siècle,--de 1492,--et qui semble comme la source où Calderon et Pope +puisèrent leurs drames ensoleillés et entraînants. + +Moratin avait raison d'appeler _la Célestine_ une _nouvelle dramatique_. +Ce n'est que cela, en effet; mais cette nouvelle est inimitable. Il y a +de tout, dans ce conte, de la morale et de la poésie, des aventures +d'amour, des leçons tragiques, des séductions et des drames. Le type du +prodigue Calixte est peint de main de maître, et le profil de la +Célestine, une proche parente de la Macette de Régnier, est inoubliable. +L'homme qui écrivit cette sorte de drame, Fernando de Rojas, était un de +ces artistes rares et puissants que les littérateurs nomment d'un grand +nom, les précurseurs. + +M. Germond de Lavigne a traduit la Célestine avec ce talent qui lui +valut, il y a quelques années, les éloges de Charles Nodier. Il n'a pas +essayé, dit-il, de reforger les endroits scandaleux qui pouvaient +offenser les religieuses oreilles, et il a bien fait. Sa traduction y +gagne d'être une oeuvre d'art à travers laquelle on saisit toute la +couleur, tout l'éclat du style castillan. + +Jules Claretie. + + + +[Illustration: LES FUYARDS A LA PORTE DE BALAN. Gravure extraite de la +_Guerre de_ 1870-71, par A. Wachter. (E. Lachaud, éditeur.)] + +LA GUERRE DE 1870-71 +Histoire politique et militaire +PAR A. WACHTER + + + +Au moment où les débats du procès Bazaine remettent en lumière les +tristes péripéties de la dernière guerre et les causes de nos désastres, +nous croyons devoir appeler l'attention de nos lecteurs sur un ouvrage +que nous avons déjà signalé lors de son apparition: nous voulons parler +de l'_Histoire de la guerre de_ 1870-71 de M. Wachter, éditée par la +librairie Lachaud. Parmi les innombrables publications qui se sont +succédé sur ce sujet depuis trois ans, celle-ci est l'une des plus +complètes, des plus intéressantes et des mieux à la portée du public. +Les connaissances spéciales de M. Wachter ont fait de lui, depuis +longtemps, un de nos écrivains militaires les plus justement estimés; +une étude approfondie des opérations stratégiques qu'il a suivies sur le +terrain même et une lecture attentive des documents allemands qu'il a +consultés dans leur texte original, ont permis à M. Wachter de réunir +dans les deux volumes qui composent son travail, les renseignements les +plus exacts, les plus authentiques, et de les présenter d'une manière +plus méthodique et plus claire que dans la plupart des ouvrages du même +genre; ajoutons que le livre est richement illustré de dessins de M. +Darjou, l'habile artiste dont nos lecteurs connaissent trop bien le +talent, pour que nous ayons besoin d'en faire l'éloge. Les deux gravures +que nous avons publiées la semaine dernière sur la bataille de +Rezonville et les carrières du Caveau étaient extraites du beau livre de +MM. Wachter et Darjou; celle que nous reproduisons aujourd'hui un +nouveau spécimen de ces illustrations, qui sont le vivant commentaire du +texte de M. Wachter. + +L'Exposition universelle de Vienne a fourni à l'_Illustration_ +l'occasion d'affirmer une fois de plus cette supériorité hors ligne +qu'elle a depuis longtemps acquise sur toutes les publications +analogues. Comme en 1867, l'_Illustration_ avait exposé, outre ses +volumes et ses collections, une série de spécimens permettant de suivre +pas à pas les opérations si compliquées de la gravure et ces procédés +grâce auxquels nous arrivons à donner au public la représentation des +faits d'actualité presque aussi vite que la presse quotidienne où donne +le récit. Cette exposition a particulièrement attiré l'attention du jury +international, qui a décerné à l'_Illustration_ une _médaille de +mérite_, la plus haute récompense après la grande médaille d'honneur. + +Cette distinction est, croyons-nous, la seule du même genre qui ait été +obtenue par un journal illustré; nous sommes heureux d'en faire part à +nos lecteurs; ils y verront une preuve nouvelle des efforts-incessants +qui a valu à l'_Illustration_ la légitime réputation dont elle jouit +dans le monde entier. + + + +[Illustration: nouveau rébus.] + +EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS: + +Même en 999, à l'approche de l'an mille, on ne vit point aller autant en +pèlerinage. + + + + + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of L'Illustration, No. 1605, 29 novembre +1873, by Various + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 1605, 29 *** + +***** This file should be named 44357-8.txt or 44357-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/4/4/3/5/44357/ + +Produced by Rénald Lévesque + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: L'Illustration, No. 1605, 29 novembre 1873 + +Author: Various + +Release Date: December 5, 2013 [EBook #44357] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 1605, 29 *** + + + + +Produced by Rénald Lévesque + + + + + +</pre> + + + + +<br><br> + +<div class="cont"> + + + + +<p class="mid"><img alt="" src="images/001.png"></p> + + + <table cellpadding="2" cellspacing="2" border="1" + style="width: 100%; text-align: center;" summary="nil"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 33%;"> +<p class="mid"><span class="sml">REDACTION, ADMINISTRATION, BUREAUX D'ABONNEMENTS<br> +<i>22, rue de Verneuil, Paris.</i></span></p> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 34%;"> + <p class="mid"><span class="sml">31e Année. VOL. LXII. Nº 1605</span><br>SAMEDI 29 NOVEMBRE 1873</p> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 33%;"> + <p class="mid"><span class="sml">SUCCURSALE POUR LA VENTE AU DÉTAIL<br> +60, rue de Richelieu, Paris</span></p> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + + + +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="1" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="nil"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 50%;"> + <p class="mid"><span class="sml"><b>Prix du numéro: 75 centimes</b><br> +La collection mensuelle, 3 fr; le vol. semestriel, broché,<br>18 fr.; relié +et doré sur tranches, 28 fr.</span></p> + + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 50%;"> + <p class="mid"><span class="sml"><b>Abonnements</b><br> +Paris et départements: 3 mois, 9 fr.;--6 mois, 18 fr.;<br>un an, 36 fr.; +Étranger, le port en sus.</span></p> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + +<p class="mid"><span class="sml"><i>Les demandes d'abonnements doivent être accompagnées d'un mandat-poste<br> +ou dune valeur à vue sur Paris à l'ordre de M. Auguste Marc, +directeur-gérant.</i></span></p> + + + +<p class="mid"><img alt="" src="images/001a.png"><br><b>LA PROROGATION.--Les curieux attendant l'arrivée du train parlementaire +sur le pont de l'Europe, dans la nuit du 18-19 novembre.</b></p> + +<div class="somm"> + <h3>SOMMAIRE</h3> + + <p class="sml"><i>Texte</i>: Histoire de la semaine. -- Courrier de Paris, par M. Philibert +Audebrand. -- La Sœur perdue, une histoire du Gran Chaco (suite), par M. +Mayne Reid. -- Nos gravures. -- Un voyage en Espagne pendant l'insurrection +carliste (V). -- Les Théâtres. -- Revue comique du mois, par +Bertall. -- Bulletin bibliographique. -- <i>La Guerre de</i> 1870-71, par A. +Wachter.</p> + + <p class="sml"><i>Gravures</i>: La prorogation, les curieux attendant l'arrivée du train +parlementaire sur le pont de l'Europe, dans la nuit du 18-19 novembre. +-- Procès du maréchal Bazaine: les témoins (9 gravures). -- Le service des +pigeons voyageurs de la Presse, à Versailles (2 gravures). -- <i>L'Espagne</i>, +par M. le baron Davilier (8 gravures). -- Les événements de Cuba: vue +générale, de la Havane; -- L'île de Cuba: vue prise près de la côte de +Candela. -- Revue comique du mois, par Bertall (13 sujets). -- Les fuyards +à la pot te de Balan, gravure extraite de la <i>Guerre</i> de 1870-71, par M. +A. Wachter. -- Rébus.</p> +</div> +<br> + + <h3>HISTOIRE DE LA SEMAINE</h3> + + <h4>FRANCE</h4> + + <p>Après le vote de la loi de prorogation, il était permis de penser que la +majorité, qui s'était ralliée autour de la haute personnalité du +maréchal de Mac-Mahon, pourrait bien s'affaiblir ou même disparaître +quand le débat viendrait à se poser non plus sur le terrain national et +gouvernemental, mais sur le terrain purement ministériel; bon nombre de +journaux affirmaient avec confiance que le cabinet serait moins heureux +que le président lorsqu'il se présenterait pour son propre compte à la +barre de l'Assemblée, et lorsque M. Léon Say vint à la tribune +développer son interpellation sur la politique suivie pendant les +vacances et sur le retard apporté à la convocation des collèges +électoraux, il crut pouvoir affirmer que la dernière heure du ministère +du 24 mai était sur le point de sonner. Ces prévisions ne se sont pas +réalisées; le cabinet a remporté une victoire moins éclatante, il est +vrai, que le maréchal-président, mais qui s'est soldée par la majorité +importante de 50 voix; ainsi qu'il s'y était engagé, il a remis avant +même l'ouverture du débat, sa démission collective entre les mains du +chef de l'État, mais pour se reconstituer sur les mêmes bases, sauf +quelques changements de personnes et d'attributions qui n'impliquent pas +de changement fondamental de tendances ni de principes.</p> + + <p>M. de Broglie garde le titre et les fonctions de vice-président du +conseil des ministres et prend le portefeuille de l'intérieur. MM, +Batbie, Ernoul, Beule et de la Bouillerie sortent du cabinet pour faire +place à MM. le duc Decazes, nommé ministre des affaires étrangères; +Depeyre, ministre de la justice; de Fourtou, ministre de l'instruction +publique et des cultes, et de Larcy, ministre des travaux publics, M. +Deseilligny passe à l'agriculture et au commerce en remplacement de M. +de la Bouillerie; enfin les portefeuilles des finances, de la guerre et +de la marine restent confiés, comme précédemment, à MM. Magne, du Barail +et Dompierre d'Hormoy.</p> + + <p>Quant au vote de la loi de prorogation, les commentaires qu'il a +suscités dans la presse sont importants à noter si l'on veut chercher à +se rendre compte de ce que sera notre régime politique dans la phase +nouvelle dont cette loi est le point de départ. Ainsi qu'il fallait s'y +attendre, les journaux bonapartistes et républicains se sont montrés +fort désappointés d'une défaite à laquelle ils s'attendaient en grande +partie, mais sans penser qu'elle serait aussi complète; toutefois; ces +derniers font contre mauvaise fortune bon cœur, et cherchent à se +consoler en répétant qu'après tout la République subsiste en fait et que +rien n'est perdu par conséquent; constatons en outre que la presse +républicaine paraît pour le moment corrigée des intempérances de langage +qui ont plus d'une fois compromis sa cause, et que ses appréciations +sont en général empreintes d'une modération à laquelle on ne peut +s'empêcher de rendre justice. Seuls, les journaux du centre droit +triomphent avec une joie parfois insuffisamment contenue: «Nous tenons +le loup par les oreilles, s'écriait dernièrement l'un d'eux; il faut les +lui couper; s'il cherche à mordre, muselons la bête fauve.»</p> + + <p>Les feuilles légitimistes, au contraire, n'augurent rien de bon du +nouvel état de choses, et s'expriment, sur les manœuvres de stratégie +parlementaire qui l'ont amené, avec une amertume dont l'heure n'est pas +encore venue de connaître tous les secrets motifs. Dès le lendemain de +la séance du 19, l'<i>Union</i>, l'<i>Univers</i> et le <i>Monde</i> publiaient une +déclaration des députés de l'extrême droite qui s'étaient abstenus dans +le vote; en même temps, ces mêmes journaux dénonçaient avec indignation +les habiletés de ceux qui, disaient-ils, avaient fait échouer la fusion +et voulaient maintenant se donner le temps d'attendre la mort du roi +légitime.</p> + + <p>Il est incontestable que la campagne fusionniste n'a pas dit son dernier +mot; bien des mystères enveloppent encore l'histoire des négociations +auxquelles elle a donné lieu; bien des événements inattendus peuvent +encore surgir, qui n'en seront que les conséquences. Une brochure qui +vient de paraître, et qu'il serait trop long d'analyser ici, contient à +cet égard plus d'une révélation curieuse. D'autre part, il est avéré que +le comte de Chambord est constamment en butte à des démarches dont +l'objet précis n'est pas livré au public, mais dont on n'a pu empêcher +le secret de transpirer. Le chef de la maison de Bourbon était venu à +Versailles au moment de la discussion de la loi de prorogation; la +nouvelle de ce voyage avait d'abord été démentie avec insistance; +l'<i>Union</i> l'a, depuis, confirmée officiellement par une note où l'on a +beaucoup remarqué le passage suivant:</p> + + <p>«Le moment n'est pas venu de révéler ce que M. le comte de Chambord a +tenté pour ramener au port le navire en détresse, mais quand aura sonné +l'heure de Dieu, et cette heure n'est pas loin, la France apprendra avec +admiration tout ce qu'il y a de désintéressement, de simplicité, de +dévouement, dans ce cœur de roi et de père qui n'a point de parti et +qui sait accomplir si noblement son devoir. Elle s'étonnera d'avoir pu +méconnaître si longtemps tant d'abnégation et de vraie grandeur.»</p> + + <p>L'apparition de cette note a coïncidé avec le bruit, répandu depuis +quelques jours, de l'abdication du comte de Chambord. Y avait-il quelque +chose de fondé dans ce bruit?--C'est ce que l'avenir nous apprendra.</p> + + <h4>ESPAGNE.</h4> + + <p>Les nouvelles venues des États-Unis pendant la semaine tendent à +présenter sous un jour plus rassurant le différend survenu entre +l'Amérique et l'Espagne au sujet de la prise du <i>Virginius</i> et du +massacre des flibustiers qui le montaient. Rappelons d'abord que le +<i>Virginius</i> était notoirement au service de l'insurrection cubaine, +qu'il venait ouvertement s'approvisionner de contrebande de guerre, à +destination de Cuba, dans le port de New-York, et qu'il en était à sa +quatrième expédition de ce genre quand il fut pris par le <i>Tornado</i> dans +les eaux de Santiago; que l'exaspération des Espagnols était, par +conséquent, assez compréhensible, et que le cas de ce flibustier +présente de frappantes analogies avec celui de l'<i>Alabama</i> au sujet +duquel les États-Unis ont eux-mêmes eu maille à partir avec +l'Angleterre. Ajoutons que, dans un intérêt de parti, les politiciens +américains ont cherché à exploiter les exécutions de Santiago en +excitant l'indignation publique pour s'en faire une arme contre le +gouvernement du général Grant, disposé à voir les choses plus froidement +et à n'agir qu'en connaissance de cause. Quoi qu'il en soit, d'après les +dernières dépêches transmises par le câble transatlantique, le cabinet +de Washington a décidé que le <i>Virginius</i> naviguait légalement avec un +registre américain. Le général Sickles a reçu substantiellement pour +instructions d'exiger de l'Espagne la restitution du <i>Virginius</i>, ainsi +que les survivants de l'équipage et des passagers de ce navire; une +excuse pour l'insulte faite aux États-Unis; une indemnité en faveur des +parents des victimes; le châtiment des exécuteurs ou leur remise au +gouvernement américain pour être par lui punis, et enfin la mise en +vigueur immédiate des décrets portant restitution des biens et +propriétés confisqués aux citoyens américains. Le ministre est également +chargé de faire part au gouvernement de Madrid du vif désir du +gouvernement américain de voir abolir l'esclavage.</p> + + <p>L'opinion généralement établie dans les régions officielles est que la +diplomatie parviendra à régler le différend; mais la situation, telle +qu'elle est aujourd'hui, n'en est pas moins critique. Le sentiment +public n'est pas précisément belliqueux, bien que certains journaux +fassent des efforts suprêmes pour créer l'agitation. Les préparatifs +militaires continuent. Une flotte de quarante-trois navires, portant un +matériel de six cent quarante-trois pièces d'artillerie, a reçu l'ordre +de se tenir prête au premier signal.</p> + + <h4>PAYS-BAS</h4> + + <p>Les préparatifs des Hollandais pour la deuxième expédition contre Atchin +sont très activement poursuivis aux Indes; cette expédition doit partir +dans le courant de ce mois de Batavia pour sa destination. Il est arrivé +dernièrement dans le port de cette ville un nouveau navire à vapeur qui +n'a pas apporté moins de 2833 caisses remplies de matériel de guerre, +avec vingt-cinq canons, ainsi que deux petits bateaux à vapeur démontés +et prêts à être remontés à Batavia.</p> + + <p>On fait, en outre, à Samarang, des essais avec des radeaux de +débarquement susceptibles de porter un poids de 16,000 à 17,000 +kilogrammes, et qui seront reconduits en place par des remorqueurs à +vapeur. Ces engins se composent chacun de cinq grands cylindres creux en +fer, solidement reliés ensemble et couverts d'un simple plancher.</p> + + <h4>SUISSE</h4> + + <p>Le Conseil fédéral suisse vient d'adresser à notre ministre des affaires +étrangères une note relative à la question monétaire. Nous la +reproduisons plus loin. Justement préoccupé de l'introduction de +l'étalon d'or dans plusieurs États et des variations qu'a subies le +rapport des monnaies d'or et d'argent, principalement depuis la +convention conclue en 1865 entre la France, l'Italie, la Suisse et la +Belgique, le gouvernement helvétique, s'autorisant de l'article 2 de +ladite convention, a exprimé le vœu qu'une conférence des quatre États +signataires fût convoquée le plus tôt possible pour aviser aux mesures +propres à garantir les intérêts économiques engagés dans cette question. +Faut-il maintenir le double étalon, sur lequel repose la convention de +1865? Doit-on lui substituer l'étalon unique? Ne convient il pas de +faire cette substitution graduellement, pour éviter une perturbation +immédiate et nuisible? Quels seraient les moyens d'empêcher la +dépréciation croissante de l'argent, produite par l'exportation de l'or +des États de l'union monétaire? Telles sont les questions que la note du +Conseil fédéral propose de soumettre à la conférence dont il sollicite +la convocation.</p> +<br><br> + + <h3>COURRIER DE PARIS</h3> + + <p>Il nous est venu des lions, en compagnie de leur dompteur. On va les +voir aux bougies, salle des Folies-Bergères, S'il faut le dire, ce +spectacle n'a plus d'imprévu pour nous. Il y a beau temps que les +Parisiens sont blasés là-dessus. Qui ne se rappelle tour à tour quatre +ou cinq Androclès en spencer rouge? Van Amburgh jouait avec une panthère +de Java comme une petite dame avec son manchon, Carter s'en prenait à +une lionne toujours insurgée. Il nous semble le voir encore la frappant +d'une baguette de coudrier comme un valet de bonne maison bat une +descente de lit afin d'en faire tomber la poussière. Hermann n'avait pas +moins d'audace; il agaçait un ours blanc. C'était à l'Hippodrome. +Arnault, le directeur, nous disait: «Il m'a bien semblé, l'autre soir, +qu'Hermann allait servir de dîner à son ours.» En réalité, Crockett +était celui dont la vue nous causait le plus d'émotion. Celui-là avait +affaire à de vrais lions, à des lions de Barca. Le public pressentait +qu'il finirait par être mangé. Il l'a été, en effet, non à Paris, mais à +New-York, je crois. Crockett, croqué! Les faiseurs de jeux de mots ne +pouvaient manquer cette assonance. C'était, du reste, un argument de +plus pour démontrer la fatalité des noms.</p> + + <p>Celui qui vient d'arriver s'appelle Delmonico un beau nom de dompteur, à +mêler à un roman ou à un mélodrame. Il y a des lions et des lionnes +dans une cage de fer, où il se montre, en homme résolu, n'ayant à la +main qu'une cravache. On prétend qu'il cache sous sa tunique un revolver +pour le cas où il aurait à soutenir avec ses pensionnaires une polémique +un peu trop vive. Je dois constater que cette arme est révoquée en doute +par plus d'un spectateur. A quoi pourrait servir un pistolet dont la +balle ne ferait que transpercer la peau d'un des monstres et qui, par +conséquent, n'aurait d'autre résultat que de lui causer un surcroît +d'irritation? Pour Delmonico comme pour tous ses devanciers, le préjugé +veut que la puissance magnétique du coup d'œil suffisse.--Une houssine +et un œil qui fascine, dit-on: il ne faut rien de plus.</p> + + <p>Vous rappelez-vous un jeune Américain du nom de Batty? Lui aussi passait +pour n'avoir pas besoin d'un autre prestige que le feu de son regard +pour subjuguer les lions. Un jour, la foule même étant là, il fut abattu +d'un seul coup de griffe et broyé d'un coup de mâchoire. «C'est qu'il +n'a pas su maintenir la rétine de l'œil au beau fixe», disaient les +<i>petits crevés</i> d'alors. Messieurs les <i>gommeux</i>, leurs successeurs, +professent naturellement l'opinion qu'il n'y a rien à craindre tant +qu'on regarde fixement. On change le lion en agneau rien qu'en le +lorgnant.</p> + + <p>Au fait, la chose serait possible, si ce qu'on raconte à ce sujet est +exact. Ces lions qu'on exhibe seraient assouplis dès l'âge le plus +tendre par un système d'éducation assez raffiné. On leur fait suivre des +cours. Pris tout petits en Afrique, on les enverrait dans un pensionnat +où tout est disposé pour les préparer à faire une entrée convenable dans +le monde. Saviez-vous donc qu'il existât des maisons pour l'instruction +des individus de la race léonine? Le plus renommé de ces établissements +est, paraît-il, situé à Madrid, ville d'une température toujours tiède +(les jeunes élèves, brusquement arrivés d'Afrique, s'enrhumeraient dans +une ville du Nord). A Madrid, d'ailleurs, on a toujours la viande +saignante à bon marché, à raison des corridas ou courses de taureaux. +Voilà pourquoi on amène de préférence les lionceaux dans la capitale des +Espagnes; là, on leur enseigne la civilité puérile et honnête; on leur +apprend surtout l'art de frémir à un froncement de sourcil, et, comme +corollaire, la sobriété, qui consiste à ne dévorer son gardien que le +moins possible. Faire des collégiens avec des lions, telle est la marche +du progrès, comme vous voyez.</p> + + <p>Les sujets de Delmonico ont-ils fait leurs classes à Madrid? Le dompteur +le nie, et cela se conçoit. Encore neuf dans le métier, il y va +rondement, comme un vieux routier. On raconte qu'il a fait avec un +amateur un pari d'une allure assez originale. Il se serait engagé à +entrer dans la cage cent jours de suite sans recevoir la moindre +égratignure. En vertu de ce contrat, il ne devrait atteindre son chiffre +que le 18 janvier prochain. Ce jour-là, s'il est indemne, tranchons le +mot, s'il n'a pas été mangé, il recevra en bloc la somme de 120,000 +francs. Delmonico est un philosophe. Au cas où il gagnerait la gageure, +il s'est promis de liquider ses lions sans le moindre retard. Il placera +ses fonds en 3 pour 100 et vivra honorablement de ses rentes, n'ayant +pour tout animal à ses trousses qu'un griffon de la Havane à peu près +gros comme le poing fermé de son maître. --Pas si bête pour un dompteur!</p> + + <p>J'ai parlé des lettres posthumes de Prosper Mérimée, qu'on imprime en ce +moment. On assure que cette correspondance ressemblera beaucoup à des +mémoires intimes, méthode de Diderot. L'auteur de <i>Colomba</i> y raconte +les principaux épisodes de sa vie. Mais combien de traits qui, par +malheur, n'y trouveront pas place! Je doute, par exemple, qu'on y lise +un fait-anecdote assez curieux et tout à fait inédit qui s'est passé +sous Louis-Philippe, à trois cents kilomètres de Paris.</p> + + <p>C'était en 1840.</p> + + <p>Prosper Mérimée traversait le Berry en qualité d'inspecteur des +monuments historiques. Il s'était arrêté à Saint-Amand-Mont-Rond, jolie +petite ville aux environs de laquelle on veut que César ait établi son +camp, à l'époque où il se mit à la poursuite de Vercingétorix; c'est, en +effet, sur la route de Bourges à Clermont, ou, si vous voulez, +d'Avaricum à Gergovia. Des camps de César, où n'en signale-t-on pas? Il +y avait dans l'endroit un vénérable archéologue, zélateur des poteries +de l'antiquité. Dans l'intérêt de la science, ce brave homme avait +obtenu de faire pratiquer des fouilles au lieu même où l'on assurait que +les fils de la Louve avaient campé. Et justement, ce matin-là, il +accourait, effaré, plein de joie, afin de révéler un grand secret à +l'auteur du <i>Théâtre de Clara Gazul</i>.</p> + + <p>--Que se passe-t-il donc, cher monsieur? demanda Mérimée.</p> + + <p>--Monsieur l'inspecteur général, un fait de la plus haute importance. Je +viens de trouver un dieu.</p> + + <p>--Un vrai dieu?</p> + + <p>--Un Bacchus antique, couvert de la peau de tigre et ayant un thyrse à +la main. Venez donc voir ça avec moi.</p> + + <p>Il y avait à peu près une heure de chemin. On monta dans une berline et +l'on partit.</p> + + <p>Pendant la route, l'archéologue parlait de ses découvertes.</p> + + <p>--J'avais déjà mis la main sur bien des fragments de vases antiques, +disait-il; c'était un commencement de preuve. Mais un Bacchus, de +hauteur d'homme, en métal romain! Un dieu, probablement fondu sous le +septième consulat de Marius et apporté chez nous par les légions de +Jules César! Voilà un témoignage, monsieur! Tout le monde savant va +tressaillir à cette nouvelle.</p> + + <p>Hélas! tandis qu'il tenait ce langage, il se passait du nouveau auprès +des terrassiers.</p> + + <p>Après avoir jeté leur dieu de côté, ceux-ci reprenaient leur travail +lorsqu'un cri, populaire dans la contrée, leur fit tout à coup lever la +tête; c'était un de ces industriels ambulants qui courent à travers les +campagnes pour y refaire les batteries de cuisine.</p> + + <p>--Rétameur! voici le rétameur!</p> + + <p>Un des pionniers l'appela; l'homme accourut.</p> + + <p>--Voilà un bloc de métal qui s'est trouvé sous notre pioche, dit le +travailleur. Ce vieux fou de savant dit que c'est un dieu; il a dansé de +joie tout autour. Si on le laisse faire, il l'emportera comme il emporte +tous les tessons de vieilles bouteilles qu'il rencontre par ici. +Qu'est-ce que c'est que ça au juste?</p> + + <p>--De l'étain d'assez bonne qualité.</p> + + <p>--A quoi ça pourrait-il servir?</p> + + <p>--A faire des cuillers à soupe.</p> + + <p>Des cuillers! Sur un signe qu'ils firent, le nomade se mit à la besogne; +il fixa son réchaud en terre, fondit le Bacchus et en fit des cuillers.</p> + + <p>Il en était à la dernière lorsque la berline arriva.</p> + + <p>Exprimer la douleur du savant serait impossible. L'archéologue avait +encore trois cheveux sur la tête; il se les arracha. Il pleurait de +rage. Il interpellait Mérimée et, en levant les mains au ciel:</p> + + <p>--O Jupiter! s'écriait-il, on voit bien que tu n'es plus rien là-haut! +Sans quoi tu n'aurais jamais permis une telle profanation à l'endroit de +celui de tes fils que tu as gardé trois mois dans une de tes cuisses!</p> + + <p>Mario de Candia est revenu à Paris, où il amène les deux filles qu'il a +eues de son mariage avec Giulia Grisi. Le temps a eu beau marcher, rien +n'efface la pieuse tristesse que le ténor a ressentie en voyant mourir +la célèbre et belle cantatrice dont il avait fait sa femme. Mario, +dit-on, éprouve un âpre plaisir à reparaître aux lieux où sa jeunesse a +été tant fêtée, il y a trente-cinq ans. Peu importe que tout y ait +changé de face. A la vieille cité de pierre a succédé une ville de +marbre et d'or. Il n'y avait guère que quinze cents <i>dilettanti</i>; on en +énumère cent mille aujourd'hui, mais cent mille qui aiment à se griser +de musique de cuivre, cent mille qui portent les oreilles d'âne que +Voltaire montrait jadis à Grétry. Mario, renaissant, délicat, studieux, +soigneux, peu bruyant, serait-il compris de ce public nouveau? On peut +en douter. Mais que vous dire? Il se rappelle sans doute ce que disait +Paganini: «Un artiste de talent sera toujours bien venu partout; il ne +peut vivre qu'à Paris.» Pour le revenant, il y a d'ailleurs le charme +irrésistible qui s'attache aux souvenirs d'une époque sans pareille et +qui ne sera pas recommencée.</p> + + <p>Beaucoup se rappellent encore les premiers jours de sa venue. C'était +dans un temps où l'on ne s'occupait déjà plus de politique. La mode +était d'être tout entier à l'art, à la science, au théâtre, à la +peinture, à la musique, aux beaux vers. Victor Hugo faisait jouer <i>Ruy +Blas</i> par Frédérick-Lemaitre, encore jeune; Alfred de Musset venait +d'écrire les <i>Deux Maîtresses</i>, Stendhal, la <i>Chartreuse de Parme</i>; M. +de Balzac, <i>Un grand homme de province à Paris</i>; Gérard de Nerval, les +<i>Amours de Vienne</i>. On touchait de la veille au duel lyrique engagé +entre Duprez et Adolphe Nourrit, duel funeste, puisqu'il a fini par le +suicide de ce dernier; Mlle Rachel quittait le Gymnase pour s'acheminer +en triomphatrice du côté du Théâtre-Français; Eugène Delacroix avait +exposé la <i>Médée</i> au dernier Salon; Decamps continuait ses études +d'Orient; David (d'Angers) plaçait le Philopémen dans le jardin des +Tuileries. Un opéra, un roman, un tableau, une statue, c'était le pain +quotidien d'alors. L'Athènes de Périclès n'a jamais été plus ensoleillée +de vraie gloire. On n'aurait jamais pu s'imaginer qu'un jour viendrait +où Paris courrait voir un Russe qui a du poil de chien sur la figure, un +noir qui fouette des lions dans une cage ou une mulâtresse à deux têtes, +des monstres. Et il n'y avait pas encore de Petite Bourse sur les +boulevards.</p> + + <p>En ce temps-là, le docteur Véron, si habile, gouvernait l'Opéra en +autocrate; c'était pour le mieux, puisqu'il donnait sans cesse l'éveil à +un chef-d'œuvre inédit ou à quelque grand artiste inconnu. Voilà qu'on +apprit tout à coup l'arrivée d'un ténor. A la suite d'une escapade, un +jeune officier du roi de Sardaigne, s'étant sauvé en France, avait brisé +son épée pour monter sur les planches. Un chevalier! un comte! +l'aventure était piquante.</p> + + <p>Mario de Candia,--c'était lui,--fut essayé; il avait déjà une jolie voix +de salon, mais il fallait développer cet organe si précieux.</p> + + <p>--Un ténor, la coqueluche de Paris! N'épargnez rien pour en avoir un, +disait à M. Véron le ministre de l'intérieur.</p> + + <p>Quand on constatait un grand succès au théâtre, Paris et la France +n'avaient plus rien à dire. La machine gouvernementale fonctionnait à +l'aise. On votait le budget sans débat; on dénouait les conflits +diplomatiques en se jouant; les élections se faisaient presque en +chantant.</p> + + <p>--N'épargnez rien, répétait le ministre; jetez, s'il le faut, l'argent à +pleines mains.</p> + + <p>Les naturalistes nous ont appris combien il faut de soins pour élever un +rossignol. Pour un ténor de ce cycle étrange, c'était bien autre chose. +Que de blandices à l'adresse du nouveau venu! Non-seulement on +prodiguait autour de lui les professeurs, un maître de français, un +maître d'armes, un maître de danse, un maître d'équitation, un maître de +natation, un maître de piano, un maître de chant, mais encore il avait +sans cesse à ses trousses un médecin en renom, chargé de veiller sur sa +personne avec une vigilance de dragon mythologique.</p> + + <p>--A-t-il bien dormi? Il ne faut pas trop d'exercice! Qu'on prenne garde +aux courants d'air! Ah! s'il allait attraper un rhume!</p> + + <p>On ne lui permettait pas de sortir par les temps de pluie, ni le soir, à +l'heure du serein. À table, on ne lui servait que les meilleurs +morceaux, les plus légers, de la cervelle, des crêtes de coq, du blanc +de poulet, précipités, de préférence, par du bordeaux, du haut-brion ou +du léoville. Pourtant il n'en fallait pas en quantité qui pût allumer +trop son cœur. Pas d'amour. L'amour était sévèrement défendu, vu qu'il +porte atteinte, disait-on, aux cordes tendres de la voix. Un ténor, je +le répète, on faisait de l'existence d'un tel artiste une question de +cabinet.--M. Thiers se flattait d'avoir fait plus de ténors que M. +Guizot.</p> + + <p>Pour en revenir au jeune et brillant chevalier sarde, au bout de neuf +mois d'attente, il fut en état de se montrer sur le théâtre. Quelle +salle d'élite pour le voir et pour l'entendre! Il chanta et, dès les +premières notes qui sortirent de son gosier, le comte Duchâtel, ministre +de l'intérieur, présent à ses débuts, s'écria:</p> + + <p>--Allons, il a une voix charmante! La monarchie et le ministère sont +sauvés!</p> + + <p>Tout ce qu'on avait fait pour Mario a été renouvelé depuis pour +Poultier, le tonnelier de Rouen.</p> + + <p>PHILIBERT AUDEBRAND.</p> + + <br><br> + + <h3>PROCÈS DU MARÉCHAL BAZAINE<br><br> + LES TÉMOINS</h3> + + <p class="mid"><img alt="" src="images/002a.png"><br><b> +Marchal. +D'Abzac. +Cruzem.</b></p> + + <p class="mid"><img alt="" src="images/002b.png"><br><b> +Bonzella, marin de l'<i>Inflexible</i>. +Camut. +Quatre-Bœuf, quartier-maître.</b></p> + + <p class="mid"><img alt="" src="images/002c.png"><br><b> +Flahaut. +Régnier. +Arnous-Rivière.</b></p> + +<p class="mid">D'après les photographies de M. Appert.</p> + + <br><br> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/002d.png"><br><b>LE LACHER DU PIGEON PORTEUR DES DERNIÈRES NOUVELLES.</b></p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/002e.png"><br><b>Mode d'attache de la dépêche.<br> + +LE SERVICE DES PIGEONS VOYAGEURS DE LA PRESSE, A VERSAILLES.</b></p> + +<br><br> + + <h3>LA SŒUR PERDUE</h3> + + <h3>Une histoire du Gran Chaco</h3> + + <p class="mid">(Suite)</p> + + <p>«Il n'y a peut-être pas consenti, répliquait Cypriano. Je crois qu'il ne +l'eut pas permis, il peut même l'avoir ignoré et l'ignorer encore, mais +nous savons qu'en plus d'une circonstance les vieillards de la tribu ont +eu à faire justice de crimes du même genre commis à leur insu par des +gens de la tribu. Il y a de mauvais drôles parmi les sauvages tout comme +parmi nous. Les jeunes guerriers de la tribu ont plus d'une fois +épouvanté la contrée par leurs attentats contre la vie des rares +voyageurs qui s'étaient hasardés à parcourir la contrée. Quelque chose +me crie que tous nos malheurs ont pour cause ces Indiens maudits et que +le fils du chef lui-même, Aguara, est à leur tête. Je l'ai soupçonné de +méditer le projet qu'il vient d'accomplir et, quand mon oncle est parti +pour cette malheureuse excursion avec Francesca, ce n'est qu'une fausse +honte qui m'a retenu de lui faire part de mes inquiétudes. Je dois +convenir pourtant que le misérable a dépassé dans l'exécution de son +crime mes prévisions sur un point. Je ne l'aurais pas cru capable +d'aller jusqu'au meurtre de l'ami même de son père pour faire réussir +son dessein.»</p> + + <p>Ludwig ramené subitement à la pensée de son double malheur demeura +quelque temps sans répondre. La scène du retour de son père se +représentait tout entière à son esprit. Il entendait encore le cri +désespéré de sa mère à la vue de son mari inanimé. Plongé dans ce +souvenir, il semblait ne pouvoir en sortir. Mais faisant enfin un effort +pour s'arracher à la contemplation de ce lugubre passé, sa pensée se +reporta plus vivement sur le présent et l'avenir.</p> + + <p>«Cypriano, dit-il, il vaut mieux peut-être que les choses se soient +passées comme vous le supposez.</p> + + <p>--Mieux! pourquoi donc, Ludwig?</p> + + <p>--Nous avons du moins une espérance, celle de retrouver Francesca. Si le +vieux chef est innocent, il ne manquera pas de nous la faire rendre, +quand bien même le coupable serait son propre fils.</p> + + <p>--J'en doute, repartit tristement son cousin.</p> + + <p>--C'est pourtant notre seul espoir, continua Ludwig. Si ce forfait a été +commis par quelque autre tribu ennemie de nous autres blancs, et vous +savez que toutes celles du Chaco sont dans ce cas, quelle chance +avons-nous de leur reprendre ma sœur? L'enlever de force serait +impossible, il y aurait folie d'y songer. Nous n'aurions d'autre +alternative en le tentant que d'y perdre la vie, ou, et ce serait pis, +la liberté sans profit pour elle.</p> + + <p>--C'est vrai, dit Cypriano, je reconnais que sans l'aide de Naraguana, +notre expédition est désespérée. Mais nous aurions plus de chance de +succès si nous devions requérir son aide contre d'autres tribus que la +sienne. Contre des Guaycurus, par exemple, ou des Mbayas, ou des +Anguites, le chef Tovas pourra prendre en main notre cause. Quoique les +tribus du Chaco se liguent volontiers toutes ensemble lorsqu'il s'agit +d'une expédition contre les blancs, elles ont souvent de mortelles +haines les unes contre les autres. Mon espoir se fonde plutôt sur cette +supposition que sur toute autre chose qu'il soit en notre pouvoir +d'accomplir. Si, au contraire, nous avons affaire aux Tovas!...</p> + + <p>--Ce sont les Tovas!» interrompit Gaspardo qui, tout en chevauchant et +tout en ne perdant pas de l'œil la piste de l'ennemi, n'avait pourtant +pas cessé d'écouter la conversation.</p> + + <p>Au même instant, il arrêtait brusquement sa monture et désignait quelque +chose sur le sol, tout à côté de son cheval.</p> + + <p>«Regardez, s'écria-t-il, voilà la preuve de la culpabilité des Tovas!»</p> + + <p>Ludwig et Cypriano s'avancèrent pour examiner ce qu'il leur désignait +ainsi.</p> + + <p>C'était un objet sphérique à peu près de la dimension d'une orange, et +d'une couleur brune foncée. Tous deux reconnurent une <i>bola</i>, pierre +ronde, couverte de cuir cru, et semblable à l'une de celles qui +pendaient aux arçons de leurs propres selles.</p> + + <p>«Quelle preuve trouvez-vous là, Gaspardo, dit Cypriano? C'est une bola +que quelqu'un a laissé tomber et dont la courroie s'est brisée. Mais +qu'est-ce que cela prouve? Tous les Indiens Chaco ne portent-ils pas des +bolas?</p> + + <p>--Oui, mais pas de pareilles à celle-ci. Examinez-la,» dit-il en se +penchant sur sa selle et ramassant la bola sans quitter les étriers; «y +voyez-vous le moindre signe de rupture? Non, elle n'a jamais été +attachée à une courroie. Caramba! senores, c'est une <i>bola perdida</i> +(1)!»</p> + + <p>Les deux jeunes gens se passèrent l'objet et n'y découvrirent rien qui +pût laisser supposer qu'il appartenait à un couple de bolas. C'était une +lourde pierre, entourée d'une enveloppe de peau de vache, avec laquelle +on l'a recouverte quand elle était encore humide, et qui, en séchant, +s'était resserrée sans laisser un seul pli. Il n'y avait aucune +apparence de courroie, on ne voyait que la couture qui la fermait. +Quelle que pût être son utilité, la bola était complète en elle-même.</p> + + <p>--Une <i>bola perdida!</i> Je n'ai jamais entendu parler de cela, dit Ludwig.</p> + + <p>--Ni moi non plus, ajoute Cypriano.</p> + + <p>--J'en ai entendu parler, moi, dit le gaucho, et j'ai vu aussi ses +effets. C'est une arme dont les Indiens se servent avec une adresse qui +vous surprendrait. Ils la lancent à plus de 30 mètres et en frappent la +tête d'un ennemi avec autant de sûreté que si elle sortait du canon +d'une carabine. <i>Maldita!</i> J'ai vu des crânes écrasés par un pareil +coup, mieux que s'ils avaient été écrasés par un bâton de <i>quebracho</i> +(2). La <i>bola perdida</i>, senores! ce n'est pas un jouet d'enfant, je vous +l'assure.</p> + + <blockquote><b>Note 1:</b> Littéralement «boule perdue», la signification spéciale de ces +mots résultera de l'explication du gaucho.</blockquote> + + <blockquote><b>Note 2:</b> Nom donné à une espèce d'arbre de la famille des acacias, à +cause de la dureté de son bois. Quebracho, ou casseur, signifie qu'il +briserait la hache avec laquelle on voudrait l'abattre.</blockquote> + + <p>--Mais quelle preuve avez-vous qu'elle ait été lancée par des Tovas?»</p> + + <p>Cette question était faite par Ludwig.</p> + + <p>«Ils sont les seuls Indiens qui puissent l'avoir laissée tomber, car eux +seuls se servent de cette arme. Aucune autre tribu ne l'emploie. N'en +doutez pas, mes enfants, elle a été perdue par un traître Tovas.»</p> + + <p>Les deux jeunes gens firent un signe d'assentiment, et dès ce moment ils +surent que la piste qu'ils suivaient alors était certainement la piste +des Tovas.</p> + + <p>Cette connaissance acquise d'une façon si inattendue affecta les +voyageurs bien différemment. A Ludwig elle donna, sinon de la joie, du +moins un rayon d'espérance de retrouver sa sœur, tandis que chez +Cypriano elle ne produisit qu'un désespoir plus sombre encore.</p> + + <p>«Au-dessus des Tovas, au-dessus du misérable assassin, dit-il à ses deux +compagnons, il est un plus grand coupable, à qui remonte la première +responsabilité de tous nos malheurs.</p> + + <p>--Oui, répondit Ludwig, l'infâme Francia.</p> + + <p>--Lui-même, et je ne vivrai jamais tranquille tant qu'il n'en aura pas +aussi subi le châtiment.</p> + + <p>--Dieu se chargera de le lui infliger. Quant à nous, cher cousin, que +pouvons-nous contre cet homme?</p> + + <p>--Rien pour le moment sans doute; mais plus tard nous nous verrons.»</p> + + <p>De nouveaux incidents vinrent faire diversion à leurs pensées. +L'atmosphère, après s'être graduellement assombrie, s'était épaissie +presque subitement autour d'eux, au point de faire succéder presque +instantanément la nuit au jour.</p> + + <p>«Vite, vite! cria Gaspardo en mettant son cheval au grand galop; si nous +n'atteignons pas la grotte, nous sommes perdus. Courez, si vous tenez à +la vie!»</p> + + <p>Les deux jeunes gens lancèrent comme lui leurs chevaux à toute vitesse.</p> + + <p>«Nous arrivons à temps! Grâce à la Mère de Dieu, nous arrivons à temps!»</p> + + <p>Cette exclamation sortit des lèvres de Gaspardo au moment où, suivi de +ses jeunes compagnons, il faisait passer son cheval par l'ouverture +d'une caverne.</p> + + <p>Cette caverne se trouvait dans un rocher à pic, s'élevant au-dessus d'un +arroyo (3) qui, un peu plus bas, se jetait dans le Pilcomayo. Son entrée +donnait sur le bord du ruisseau à quelques pieds de distance seulement +de l'eau courante.</p> + + <p>«Oui, nous arrivons au bon moment», ajouta le gaucho en exhalant un +soupir de soulagement. «Caramba! entendez-vous? voyez-vous? Regardez +dehors!»</p> + + <p>Il parlait encore quand un éclat de tonnerre étouffa sa voix. C'était la +tempête. C'était la tormenta! dont les grondements répercutés soudain +par les échos du ravin, prirent en un instant une effroyable intensité. +Des nuages de poussière tourbillonnaient dans la plaine et semblaient +vouloir accourir sur eux.</p> + + <p>«Dépêchons, descendez de cheval», cria Gaspardo à ses deux compagnons, +en leur donnant l'exemple. «Prenons nos ponchos, mes enfants, +attachons-les ensemble, et si nous ne voulons pas être étouffés dans cet +antre, bouchons-en l'entrée le mieux et le plus vite que nous pourrons.»</p> + + <p>Les jeunes gens n'avaient pas besoin d'être mis en demeure de ne pas +perdre un instant. Ce n'était pas la première fois qu'ils assistaient à +une tormenta; chez eux, à Asuncion, ils en avaient vu plus d'une et en +avaient remarqué les terribles effets. Ils avaient entendu les cailloux +brisant les fenêtres, faisant trembler les portes sur leurs gonds; ils +avaient vu la poussière passer à travers les fentes et les trous des +serrures comme l'haleine furieuse de l'ouragan, ils avaient vu les +arbres déracinés, brisés comme paille, les bêtes et les gens culbutés, +roulés à terre par son irrésistible violence. Aussi, avant que le gaucho +eût pu prononcer un autre mot, ils étaient sur pied et l'aidaient à +disposer à l'intérieur leurs chevaux pour qu'ils lussent un premier +obstacle, et à fermer l'ouverture de la caverne, à l'aide de leurs +ponchos solidement liés ensemble et fixés dans les interstices des +rochers au moyen de leurs couteaux. Ils furent à moitié aveuglés par la +poussière et presque renversés par le vent avant d'avoir pu terminer +cette opération.</p> + + <p>«Maintenant, dit Gaspardo, dès qu'ils eurent achevé leur besogne, nous +pouvons nous regarder comme en sûreté, et je ne vois pas de raison pour +ne pas nous installer dans ce trou aussi confortablement que le +permettent les circonstances. Nous serons peut-être retenus longtemps +ici, trois ou quatre heures, sinon toute la nuit. Quant à moi je suis +affamé comme un gallinazo(4). Cette rude course m'a fait oublier mon +déjeuner, de sorte que je propose d'achever ce qui nous reste de guariba +rôti. La salle à manger est sombre et nous aurons peine à faire bouillir +notre théière. Cependant j'espère pouvoir faire assez de lumière pour +éclairer notre repas.»</p> + + <p>En prononçant ces mots, le gaucho se dirigea vers son cheval, et +fouillant un moment sous son recado, il réussit à trouver un briquet.</p> + + <p>Mayne Reid.</p> + + <p>(<i>La suite prochainement.</i>)</p> + + <blockquote><b>Note 3:</b> Vautour-dindon du l'Amérique Espagnole, nommé <i>Jofilote</i> au +Mexique. Dans les autres portions du continent de l'Amérique du Sud, ou +l'appelle <i>urubu</i> ou <i>gallinazo</i>. Certains voyageurs ont cru que le +<i>turkey buzzard</i> des États-Unis et le <i>Gallinazo</i> Sud-Américain étaient +un même oiseau. Ils sont cependant entièrement distincts; ce dernier est +beaucoup plus beau que son congénère du Nord. Son plumage est plus +brillant, tandis que sa tête chauve, son cou et ses pattes, au lieu +d'être d'un blanc grisâtre, sont d'une couleur rouge vif. Il existe au +moins quatre espèces distinctes de ces petits vautours noirs sur le +continent de l'Amérique.</blockquote> + + <blockquote><b>Note 4:</b> L'arroyo est un ruisseau coulant entre deux berges élevées et à +pic.</blockquote> + +<br><br> + + <h3>NOS GRAVURES</h3> + + <h3>La loi de prorogation et le public</h3> + + <p>Chaque fois qu'il y a eu à l'Assemblée nationale de Versailles +quelqu'une de ces grandes discussions qui mettent le pouvoir en +question, le contre-coup s'en est vivement fait sentir à Paris. Alors +que M. Thiers était président de la République, cela s'est produit non +pas une fois seulement. On n'a pas oublié encore l'émotion qui s'était +emparée de la capitale, le 24 mai: la foule agitée s'arrachant les +journaux du soir sur les boulevards, assiégeant la gare Saint-Lazare +pour attendre l'arrivée des trains, quêtant et commentant les nouvelles, +dans un état de surexcitation difficile à décrire. Le même phénomène ne +pouvait donc manquer de se reproduire le 19 septembre dernier, jour où +l'on discutait à Versailles la loi de prorogation des pouvoirs de M. le +maréchal de Mac-Mahon. En effet, dès la première journée de cette +discussion, qui ne s'est terminée, comme on sait, que le lendemain dans +une séance de nuit, la grande ville était soudainement reprise de son +accès de fièvre. Dans la soirée, même émotion sur les boulevards, mêmes +inquiétudes, même curiosité impatiente de savoir, même encombrement à la +gare, où, comme les sergents de ville, les patrouilles étaient +impuissantes à faire circuler la foule. Pour en avoir raison on crut +faire merveille en la trompant, en faisant arrêter les trains avant +l'entrée en gare, et l'on réussit un instant à la dérouter. Mais +quelqu'un éventa la mèche, et les curieux aussitôt de se porter sur le +pont de l'Europe. Il fallut bien en prendre son parti, et laisser suivre +son cours normal à cette fièvre qui finalement se calma d'elle-même, +sans s'être compliquée du plus léger accident.</p> + + <h3>Quelques portraits de témoins dans le procès Bazaine</h3> + + <p>Le procès du maréchal Bazaine avance. Bientôt la parole sera à +l'accusation et à la défense, car la liste des témoins ne tardera pas à +être épuisée. Avant qu'elle le soit tout à fait, nous croyons être +agréables à nos lecteurs en mettant sous leurs yeux les traits de +quelques-uns de ces témoins qui ont appelé le plus vivement sur eux +l'attention par le rôle qu'il ont joué dans le grand drame de la +capitulation de Metz et de l'armée du Rhin.</p> + + <p>Les neuf personnages dont nous donnons aujourd'hui les portraits, pour +commencer, se rattachent à trois catégories de faits différents: +communications entre les maréchaux Bazaine et Mac-Mahon avant le +désastre de Sedan, communications entre le maréchal Bazaine et le +gouvernement du 4 septembre, enfin communications entre le maréchal +Bazaine et l'ennemi. Les témoins Flahaut, Marchal et M. le colonel +d'Abzac se rapportent à la première catégorie. Commençons par celle-ci.</p> + + <p>Flahaut et Marchal sont deux agents de police qui servirent plusieurs +fois d'émissaires entre Metz et Thionville. Le 20 août, Flahaut se +trouvait à Metz lorsque le maréchal Bazaine le fit appeler et lui remit, +pour les porter à Thionville, les trois fameuses dépêches adressées, +après la bataille de Saint-Privat: 1º à l'empereur, 2º au ministre de la +guerre, 3º au maréchal de Mac-Mahon, dépêches dont les deux premières +différaient si essentiellement de la troisième.</p> + + <p>Celle-ci, en effet, portait seule cette restriction: «Je suivrai +très-probablement pour vous rejoindre la ligne des places du Nord, et +<i>vous préviendrai de ma marche, si toutefois je puis l'entreprendre sans +compromettre l'armée.</i>» Ajoutons que, seule aussi, cette dépêche qui +aurait sans doute arrêté la marche du maréchal de Mac-Mahon vers l'est, +ne parvint point à son destinataire. Cependant elle était parvenue en +double, comme les autres, au colonel Turnier, à Thionville, apportée +d'une part par Flahaut, et de l'autre par Mme Louise Imbert. Le colonel +Turnier le fit passer toutes les trois au colonel Massaroli, commandant +la place de Longwy, par l'intermédiaire du commissaire de police +cantonal à Longwy, Guyard. Le colonel Turnier remit en même temps une +expédition de ces dépêches à M. de Bazelaire, élève de l'École +polytechnique, qui allait à Paris, et qui les fit partir le 22 par la +station télégraphique de Givet. De son côté le colonel Massaroli expédia +la dépêche à l'empereur, et celle destinée au ministre. Quant à la +dépêche adressée au maréchal de Mac-Mahon, il la remit à deux agents de +la police de sûreté de Paris qui avaient été demandés à M. Piétri par le +colonel Stoffel, chef de la section des renseignements à l'état-major du +maréchal de Mac-Mahon, et qui devaient chercher à pénétrer jusqu'au +maréchal Bazaine et recevoir ses dépêchées. Ces agents, les sieurs +Rabasse et Miès, adressèrent télégraphiquement cette dépêche, le 22, au +colonel Stoffel, ils lui en remirent entre les mains, le 26, l'original; +le colonel avait dû également en recevoir l'expédition par M. de +Bazelaire, et cependant, comme il est dit ci-dessus, elle ne parvint pas +au maréchal de Mac-Mahon. Le colonel a nié l'avoir jamais reçue, ce qui +a amené à l'audience du conseil de guerre un incident émouvant. Le +commissaire du gouvernement, le général Pourcet, à la suite de ces +dénégations, se leva et prit des conclusions contre le colonel, à +l'effet de le poursuivre pour soustraction de dépêche. Revenons à +Flahaut.</p> + + <p>Après avoir heureusement accompli la mission dont nous avons parlé plus +haut, il fut renvoyé à Metz par le colonel Turnier, avec une dépêche +chiffrée.</p> + + <p>Cette fois il voyagea de compagnie avec un de ses collègues, Marchal, +qui avait été chargé, de la même dépêche. L'odyssée de ces deux agents +abonde en détails dramatiques. Ils sont arrêtés trois fois par les +Prussiens et autant de fois repoussés, sous peine d'être fusillés. +Arrivés à Augny, dans une quatrième tentative, ils se cachent d'abord +dans la cave du maître d'école, puis chez le curé, qui leur donne à +souper et à coucher. Enfin, le lendemain ils réussissent en ayant +recours à la ruse. Arrêtés aux avant-postes ennemis et interrogés par un +officier:</p> + + <p>--Nous venions voir, répondent-ils, si vous avez des pommes de terre; +voici l'hiver, et si vous n'en avez pas nous pourrons vous en vendre.</p> + + <p>L'ennemi les croit et les laisse libres de circuler aux avant-postes. +Une occasion favorable se présente et ils filent. La dépêche avait passé +avec eux. Bien malin eût été le Prussien qui l'eût découverte. Chacun +d'eux avait avalé la sienne, après avoir eu soin de l'envelopper +préalablement de caoutchouc. Plus tard, le 5 et le 15 septembre, puis +dans le courant d'octobre, Marchal et Flahaut essayèrent de retourner à +Thionville, mais ils n'y purent parvenir.</p> + + <p>Disons, pour en finir avec cet ordre de faits, que le colonel d'Abzac, +dont il a été question plus haut, était attaché au cabinet du maréchal +de Mac-Mahon. Il a déclaré n'avoir pas eu connaissance de la dépêche du +20 août rapportée à Rhetel par les témoins Miès et Rabasse, et remise +par eux, selon leur dire, au colonel Stoffel.</p> + + <p>Les témoignages de Cruzem, de Camus, de Quatrebœuf et de Donzella se +rapportent aux communications entre le maréchal Bazaine et le +gouvernement du 4 septembre. Le maréchal prétend que ces communications +étaient alors devenues pour ainsi dire impossibles. Cependant le témoin +Crusem est sorti trois fois de Metz, passant à travers les lignes +prussiennes, d'abord dans la direction de Corny, puis par le bois de +Grigy, enfin par Saint-Remy: et, dans ces diverses excursions, il a +parcouru, dit-il, les environs de Metz et poussé, dans la dernière, +jusqu'à Luxembourg. Les trois témoins qui suivent, MM. Camus, +Quatrebœuf et Donzella étaient des émissaires du gouvernement du 4 +septembre qui, préoccupé de la situation de l'armée de Metz, avait fait +arriver à Longwy et à Thionville plusieurs convois de vivres pour la +ravitailler. C'est cette nouvelle qu'il s'agissait de porter à la +connaissance du maréchal Bazaine. M. Camus est un homme de quarante-huit +ans, garde-forestier, connaissant bien le pays. Il fit plusieurs +tentatives infructueuses pour passer et rentra à Longwy. M. Quatrebœuf, +sergent-fourrier des équipages de la flotte, paraît avoir mieux réussi. +C'est un jeune homme de trente-deux ans, alerte et énergique. Enfin M. +Donzella, autre marin, du même âge que le dernier et non moins +déterminé, envoyé par la délégation de Tours dans le même but, parvint à +entrer dans Thionville, qui était alors investi, et à remettre au +colonel Turnier, chargé de la faire parvenir, la dépêche dont il était +porteur. Donzella, pour passer, avait été obligé de se déguiser en +marchand d'osier. Il a raconté avec beaucoup de verve son entrevue avec +le colonel: «Il me chargea de dire bien des choses à sa famille et +voulait me donner une lettre pour elle, mais je refusai de la recevoir +en disant:</p> + + <p>«--Je veux bien me charger de nouvelles orales, mais je ne veux pas +m'exposer à me faire fusiller par les Prussiens uniquement pour dire à +votre famille comment vous vous portez.»</p> + + <p>Selon toute vraisemblance, la nouvelle de ce qu'avait fait le +gouvernement pour ravitailler l'armée de Metz est donc parvenue au +maréchal Bazaine, qui cependant affirme le contraire. Mais il affirme +également n'avoir pas reçu une dépêche postérieure, contenant les mêmes +détail et à lui apportée et remise par le garde mobile Risse. Cependant +l'entrée à Metz de Risse ne peut être contestée, puisqu'il s'y est +engagé dans le 44e de ligne. Sa déposition est très-précise. Elle est +d'ailleurs confirmée par les deux témoins Marchal et Flahaut, dont il a +été déjà parlé.</p> + + <p>Avec M. Arnous-Rivière, nous passons aux communications avec l'ennemi, +dont il a été le principal ouvrier.</p> + + <p>M. Arnous-Rivière, âgé de quarante-sept ans, est un ancien officier +démissionnaire, qui avait été chargé par le maréchal Bazaine d'organiser +une compagnie d'éclaireurs. Il avait été d'abord attaché au grand +quartier général, puis il fut investi à la fin d'août du commandement +des avant-postes à Moulins. C'est par son intermédiaire que se faisait +l'échange des correspondances entre les généraux en chef, +correspondances, qui, pour la plupart, n'ont pas laissé de traces dans +le dossier; c'est lui qui recevait les parlementaires et les conduisait +en voiture de Moulins au grand quartier général. C'est ainsi que, le 23 +septembre, il amena Régnier, à la tombée de la nuit, d'abord à +Longeville, au quartier général du général Cissey, puis au ban +Saint-Martin chez le maréchal. «Vous annoncerez l'envoyé d'Hastings», +lui dit Régnier; parole faite pour surprendre, car alors on ignorait +absolument à Metz que l'impératrice eut choisi cette résidence. +Terminons par ce triste personnage.</p> + + <p>Régnier est un homme d'une cinquantaine d'années. C'est, d'après le +rapport du général Rivière, un homme fin et audacieux, aux manières +vulgaires, très-vaniteux et se croyant un profond politique. Il a reçu +quelque instruction et joué, en 1848, un certain rôle dans les +événements du temps. Puis il se lança dans l'industrie, et épousa en +Angleterre une femme qui lui apporta une certaine aisance. Après le 4 +septembre, on le retrouve dans ce pays, où il cherche à se faufiler chez +l'impératrice, qui s'était retirée à Hastings. Il finit par y obtenir, à +force d'importunités, une photographie portant la signature du prince +impérial, sorte de passe qui va lui servir, ainsi qu'une vue de +Wilhemshoe, où était détenu l'empereur, et qu'il s'était procurée je ne +sais comment, à accréditer ses menées. Ainsi nanti, il se rend à +Ferrières auprès du prince de Bismarck, à la solde duquel il semble se +mettre et qui l'emploie sous prétexte d'armistice à tromper le maréchal +Bazaine, en faisant miroiter à ses yeux on sait quelles espérances +ambitieuses, et à lui tirer l'état exact de la situation de son armée +sous Metz et de ses ressources en vivres. En quittant le maréchal, il +emmenait avec lui le général Bourbaki qui devait se rendre à Londres +auprès de l'impératrice, et qui en y arrivant, fut fort surpris +d'apprendre que celle-ci ne savait pas le premier mot de l'intrigue qui +l'avait fait sortir de Metz. Mais le tour était joué, M. de Bismarck +savait à huit jours près combien de temps le maréchal pouvait tenir, +c'est tout ce qu'on voulait, et Régnier ne reparut plus.</p> + + <p>On sait qu'il ne s'est pas présenté à l'appel de son nom à l'audience du +conseil de guerre où il devait faire sa déposition. On s'y attendait, +car il avait déjà déclaré, dans une lettre rendue publique, qu'il ne +comparaîtrait pas, si M. le président du conseil refusait de lui +accorder certaines garanties pour sa sûreté. Aussi, a-t-il été condamné +à 100 francs d'amende comme défaillant, à la requête du commissaire du +gouvernement, qui a également demandé au conseil l'autorisation de le +poursuivre comme ayant entretenu des intelligences avec l'ennemi et lui +ayant procuré des renseignements pouvant compromettre la sûreté de la +place de Metz et de l'armée française.</p> + + <p>Louis Clodion.</p> + + <h3>Les pigeons de la presse de Paris</h3> + + <p>Si la capitale politique de la France parlementaire était Tours et +surtout Bordeaux, jamais la <i>Liberté</i> n'aurait imaginé d'employer des +pigeons au service de la dernière heure. Mais Versailles est si +rapproché de Paris que l'électricité, à cause des formalités qu'exige +son emploi, ne peut lutter contre l'aile du pigeon, qui est, lui, +toujours prêt à partir dès qu'on ouvre la porte de son panier.</p> + + <p>L'intelligente initiative prise par la <i>Liberté</i> ne pouvait tarder à +être imitée. Quelques jours à peine s'étaient écoulés depuis l'ouverture +de la session d'hiver qu'une industrie nouvelle était créée.</p> + + <p>Un colombophile imaginait de mettre au service des divers journaux +politiques de Paris des pigeons parfaitement dressés. Il faisait de son +colombier le centre des nouvelles les plus fraîches du maréchal Bazaine +et de l'Assemblée nationale. Le <i>Temps</i>, la <i>Presse</i>, l'<i>Opinion</i>, la +<i>Patrie</i>, etc., etc., et même l'Agence Havas sont devenus l'un après +l'autre tributaires de ce service de dépêches. Le directeur de la poste +aérienne loue ses oiseaux à peu près aussi cher que l'on eût fait payer +un cheval au temps du grand roi pour revenir de l'Œil de Bœuf à Paris. +Il est vrai que les pigeons n'ont pas besoin de postillons qui les +ramènent à l'écurie.</p> + + <p>Ce commerce va si bien qu'on lâche quelquefois trente ou quarante +pigeons dans la même journée, surtout si le temps est clair et si les +événements politiques sont assez palpitants.</p> + +<p>(<i>Suite plus bas.</i>)</p> + +<br><br> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/003a.png"><br><b>Aveugles à la porte de la cathédrale de Valence.</b></p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/003b.png"><br><b>La ligature des palmiers.</b></p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/003c.png"><br><b>Laboureurs Valençais.</b></p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/003e.png"><br><b>Le pesage du charbon à Madrid.</b></p> + + +<p class="mid"><img alt="" src="images/003e.png"><br><b>Pose de banderillas.</b></p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/003f.png"><br><b>La navaja.</b></p> + + + <p class="mid"><img alt="" src="images/004a.png"><br><b>Un enterrement à Barcelone.</b></p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/004b.png"><br><b>Contrebandiers de la Serriana de Ronda.</b></p> + + + <p>--Gravures extraites de l'<i>Espagne</i>, par le baron Ch. +Daviller.--Illustrations de Gustave Doré. (Hachette et Cie, éditeurs.)</p> + + <br><br> + <p>(<i>Suite.</i>)</p> + + <p>Le lancer a lieu au fur et à mesure des demandes qui affluent +principalement de deux heures et demie à trois heures, moment du coup de +feu et de la clôture définitive du bureau. Car il n'y a pigeon qui +tienne, il faut que le journal paraisse, et paraisse de bonne heure, s +il ne veut pas qu'un rival plus diligent le prévienne et tire profit de +ses retards.</p> + + <p>L'opérateur qui lance les pigeons se place sur la porte d'un petit +cabaret borgne placé en face de la cour du Maroc. Les reporters n'ont +qu'un saut à faire pour franchir la rue et y apporter les nouvelles +écrites au vol, apportées au galop.</p> + + <p>C'est un homme de haute taille, à longue barbe et à larges épaules; nous +l'avons représenté au moment où il jette en l'air, l'un après l'autre, +un couple d'oiseaux. Pour éviter les pertes de temps, il en tient un +dans chaque main. Les pigeons, profitant de l'élan qu'ils ont reçu, +fuient rapidement dans la direction de Paris. Une foule très-mélangée et +à laquelle quelques représentants ne dédaignent point de se mêler, +assiste à ce spectacle, qui n'est pas un des moins curieux ni des moins +instructifs que Versailles offre en ce moment.</p> + + <p>Cette entreprise publique n'est pas la seule; il existe en outre une +organisation particulière établie par le <i>National</i> pour les besoins de +sa publicité. Son lanceur opère également dans le cabaret de la rue des +Réservoirs, que nous avons représenté encombré de cages à pigeons. Le +colombophile du <i>National</i> est occupé à enfiler le petit tube des +dépêches autour d'une des rectrices de la queue. L'opération demande +beaucoup d'habitude et de dextérité. L'oiseau, quand on le prend +convenablement, se laisse faire avec beaucoup de docilité; mais il ne +faut pas croire qu'il ne s'aperçoive pas de ce qui vient de se passer. +Non-seulement ce corps étranger gêne la manœuvre de son gouvernail, +mais il l'agace et l'inquiète; de sorte que, finalement, son vol se +trouve notablement diminué de rapidité.</p> + + <p>La preuve, c'est que, si les nouvelles faisant défaut, quelques-uns des +dix pigeons du <i>National</i> sont lancés et reviennent sans dépêches, bien +que partis les derniers, presque toujours ils arrivent les premiers à +Paris.</p> + + <p>Comme l'oiseau se guide uniquement par la vue, il faut que le ciel soit +assez pur, surtout au déclin du soleil, pour que les pigeons de la +Presse de Paris puissent trouver leur chemin. La saison difficile va +commencer, car les jours deviennent de plus en plus courts et nos petits +courriers politiques ont à percer des brumes qui vont singulièrement en +s'épaississant.</p> + + <p>Quant aux pigeons de nuit, ils sont encore à inventer. C'est à peine si, +par un beau clair de lune, quelques lauréats des grands concours partant +à faible distance pourraient regagner leur colombier.</p> + + <p>W. de Fonvielle.</p> + + <br><br> + + <h2>L'Espagne</h2> + + <h3>PAR M. LE BARON DAVILLER</h3> + + <p>Les événements qui se passent en Espagne ont plus que jamais fixé +l'attention publique sur ce pays, qui parle déjà tant à l'imagination. +Aussi est-ce avec le plus vif intérêt que l'on arrête ses regards sur +tout ce qui sert à faire connaître les mœurs de ce peuple curieux, rude +et poli, passionné, superstitieux, brutal, avide de distinction, +très-chatouilleux sur le point d'honneur, et avec cela aussi généreux +que digne. A ce titre, les dessins que nous donnons ci-contre ne peuvent +donc manquer de plaire à nos lecteurs.</p> + + <p>Un d'eux représente un cimetière à Barcelone. C'est une série de longues +allées que bordent de hautes murailles percées d'une multitude de +casiers. Chaque casier doit loger un cercueil, après quoi il est muré. +Une dalle en pierre ou en marbre, plus ou moins richement ornée, suivant +la fortune du défunt, et portant son nom, ferme l'ouverture du casier. +Rien de triste comme une promenade à travers les rues mornes de cette +ville des trépassés.</p> + + <p>Passons dans la province voisine, celle de Valence, qui entre toutes, a +conservé un caractère moresque nettement tranché. Le costume des +habitants a à peine varié depuis plusieurs siècles, celui des paysans +surtout. Coiffés d'un mouchoir aux couleurs éclatantes, roulé autour de +la tête et s'élevant en pointe, réminiscence du turban, qu'ils +recouvrent parfois d'un sombrero à larges bords, ils portent une chemise +attachée au cou par un bouton double, un très-large caleçon de toile +blanche, retenu par une ceinture, des bas sans pied quand ils en +portent, et des alpargatas ou espardines. Ajoutons la mante, qui ne les +quitte jamais, et voilà au complet le costume d'un Valençais du peuple, +d'un <i>labradore</i> ou laboureur, qui ne se fait beau et n'endosse le gilet +de velours aux boutons d'argent que les jours de fête. La fertilité des +environs de Valence est proverbiale, ce qui n'implique pas qu'il n'y ait +point de pauvres. Comme chez nous, les pinceurs de guitare ne manquent +pas, mais c'est dans la capitale de la province qu'on les trouve. Les +infirmes hantent les portes des églises. Un de nos dessins représente +deux aveugles chantant des litanies à la porte de la cathédrale.</p> + + <p>Comme toutes les grandes villes de la péninsule, Valence a sa <i>plaza de +toros</i>, où ont lieu les combats cruels si chers aux Espagnols. Ces +combats se terminent toujours par la mort d'un certain nombre de +taureaux et de chevaux. Le sang humain y coule souvent aussi, mêlé à +celui des animaux. Nous ne décrirons pas par le menu ce dramatique sport +où torreros, picadores, banderilleros ont leur place marquée et jouent à +l'envi le jeu le plus périlleux. Quelques mots cependant sont +nécessaires pour expliquer un de nos dessins: <i>Pose de banderillas</i>. Ces +banderillas sont des sortes de flèches dont le bois est entouré de +papier de différentes couleurs, frisé et découpé. A l'une de ses +extrémités est un hameçon. Les banderilleros ont pour mission de piquer +dans les épaules du taureau ces engins qui ne peuvent plus s'en +détacher, et ont pour effet d'augmenter la fureur de l'animal C'est à +Madrid que ces spectacles se donnent avec le plus d'apparat et de +somptuosité. Si l'on n'y déploie pas à Valence un pareil luxe, en +revanche on s'y porte avec un empressement à nul autre pareil. Le +Valençais est passionné pour ce divertissement. Cela tient sans doute à +sa nature. S'il est gai, il est cruel. La colère le transporte +facilement. C'est alors qu'il joue du couteau, de cette terrible +<i>navaja</i>, qui se fabrique à Albacète, et dont la lame, très-allongée et +pointue, porte toujours quelque inscription, qui indique à quel usage +elle n'est que trop souvent employée, «Si cette vipère te pique, il n'y +a pas de remède à la pharmacie.»</p> + +<div class="poem"><div class="stanza"> +<p class="i14"> Si esta vivora te pica</p> +<p class="i14"> No hay remedio en la botica.</p> +</div></div> + + <p>Devise qui le plus souvent employée, a valu à certains <i>navajas</i> le nom +lugubrement plaisant de <i>navajas de santolio</i>, couteaux de +l'extrême-onction.</p> + + <p>Mais il est temps de nous arrêter. Quelques-uns des détails que l'on +vient de lire et qui expliquent les dessins que nous donnons, ont été +par nous empruntés au magnifique ouvrage que vient de publier la +librairie Hachette: l'<i>Espagne</i>, par le baron Ch. Daviller. C'est un +splendide volume in-4º de 800 pages, très-intéressant, très-bien écrit, +et illustré de 300 gravures dessinées sur bois par M. Gustave Doré.</p> + + <p>L. C.</p> + + <br><br> + + <h2>L'Insurrection de Cuba(5)</h2> + + <blockquote><b>Note 5:</b> Les deux gravures qui accompagnent cet article sont extraites +du <i>Tour du Monde</i>, nouveau journal des voyages, publié par la maison +Hachette et Cie.</blockquote> + + <p>Dans l'histoire de la semaine nous disons où en est l'affaire du +<i>Virginius</i>, qui est venue si inopinément compliquer, vis-à-vis des +États-Unis d'Amérique, la situation déjà si critique de la malheureuse +Espagne. Nous n'avons pas à y revenir ici. On sait qu'à la première +nouvelle de l'exécution des flibustiers américains, il y eut comme une +explosion d'indignation aux États-Unis. On ne parlait que d'armer et +d'entrer en campagne sur l'heure.</p> + + <p>Cette indignation était-elle bien réelle? J'en doute.</p> + + <p>On sait que depuis longtemps les États-Unis convoitent la possession de +l'île de Cuba; et, si les richesses et la merveilleuse situation de la +perle des Antilles n'excusent pas ces convoitises, au moins les +expliquent-elles. La fertilité de l'île de Cuba est très-grande en +effet, sa végétation magnifique. On y trouve de vastes forêts de +palmiers, de cèdres, de cocotiers, de chênes, de pins; on y cultive la +canne à sucre, le tabac, le caféier, le cotonnier, l'indigotier, le riz, +le maïs, qui sont pour le planteur une source intarissable de richesses, +et rien n'égale la beauté de son port de la Havane que défendent de +vastes fortifications. Les vues que nous donnons de ce port et de +l'intérieur de l'île prouveront au lecteur que nous n'exagérons en rien.</p> + + <p>Cuba forme, avec les autres Antilles espagnoles, un gouvernement dont la +Havane est le chef-lieu. Civilement, elle est divisée en deux provinces: +la Havane et Santiago; militairement, en trois départements: l'Est, le +Centre, et l'Ouest; financièrement en trois intendances: la Havane, +Puerto-Principe et Santiago; au point de vue maritime enfin, en cinq +provinces: La Havane, Trinitad, Remedios, Nuevitas et Santiago. Elle +renferme une population de 1,449,462 habitants, dont 564,698 blancs, +16,176 hommes libres de couleur et 662,087 esclaves qui seront libérés +après la pacification de l'île d'après la loi récemment votée par les +cortès espagnoles. En attendant l'esclavage y règne toujours, et bien +que la traite soit interdite, plusieurs milliers d'esclaves y sont +encore introduits chaque année. La révolte de ces esclaves l'a +ensanglantée plusieurs fois dans le cours de ce siècle et l'ensanglante +encore aujourd'hui. Espérons que c'est pour la dernière fois et que ces +révoltes cesseront avec la cause qui les a fait naître.</p> + + <p>L'Espagne attache le plus grand prix, et cela se comprend, à cette +colonie que les États-Unis, nous l'avons dit, voudraient bien aussi +s'annexer. En 1845, ils ont offert de l'acheter, et peut-être l'Espagne +a-t-elle eu tort de ne pas la vendre. Finiront-ils par s'en emparer +d'une façon ou de l'autre? Selon toutes les probabilités, oui.</p> + +<br><br> + + <h3>UN VOYAGE EN ESPAGNE<br> + +PENDANT L'INSURRECTION CARLISTE</h3> + + <h4>V</h4> + + <p>Abdication du roi Amédée et proclamation de la République.--Agissements +de la Junte carliste établie à Bayonne.--Don Carlos séjournant à la +frontière.--Conseil particulier du prétendant.--Nomination de nouveaux +chefs carlistes.</p> + + <p>Lorsque l'abdication du roi Amédée fut portée aux Cortès et que +celles-ci, en dépit du ministre Zorilla, proclamèrent la République, +j'étais à Vitoria, capitale de la province de l'Alava. De ces deux +nouvelles, la première était prévue depuis longtemps, le jeune prince +italien, malgré ses qualités personnelles incontestables, étant +profondément détesté par tous les Espagnols, sans distinction de partis, +devait en arriver forcément à cet acte d'abdication. Aussi +n'étonna-t-elle personne.</p> + + <p>Il n'en fut pas de même de la proclamation de la République par une +Chambre qui passait pour être foncièrement monarchique. La population ne +voulut pas d'abord croire à la réalité de cette nouvelle. Mais lorsqu'il +fallut bien se rendre à l'évidence, elle protesta énergiquement contre +cette forme de gouvernement subitement improvisée. Je ne crois pas me +tromper en affirmant qu'à Vitoria, ville d'environ vingt mille âmes, il +ne s'y trouvait pas, en avril dernier, <i>cent républicains</i>. La +désorganisation s'introduisit dans l'administration des affaires +publiques. Le gouverneur de la province, les membres de +l'<i>ayuntamiento</i>, tous les principaux employés du pouvoir central +donnèrent leur démission en masse, si bien qu'en deux ou trois jours, la +ville et toutes les localités de la province furent livrées à la plus +complète anarchie.</p> + + <p>Le même désordre se reproduisit dans les autres provinces qui, comme +celle de Vitoria, furent plongées dans la stupeur à l'annonce seule du +mot de République, qui a été toujours, depuis la Révolution de 1793, un +horrible épouvantail dans l'esprit des populations basques, au point +qu'elles nous ont regardé, pendant longtemps, nous Français, comme des +monstres et des buveurs de sang.</p> + + <p>Dans toutes les excursions que je fis à Pampelune, Tolosa, Bilbao, +Saint-Sébastien, etc., je constatai le même désarroi dans toutes les +administrations et une égale répugnance, de la part des populations, à +vouloir accepter la nouvelle forme de gouvernement. Alors se produisit +une espèce d'anarchie dont profita habilement le parti carliste. +Jusqu'alors, l'insurrection avait été assez mollement conduite, soit que +les chefs n'eussent pas une entière confiance en son succès, soit +qu'elle manquât d'argent et d'armes; ce dernier fait était vrai, j'en ai +eu la certitude.</p> + + <p>Mais à partir du jour où commença la désorganisation du pouvoir central, +la junte de guerre, établie à Bayonne depuis le mois de mars, fonctionna +avec plus d'activité. Elle se composait de membres moitié Espagnols, +moitié Français, dont la mission consistait à procurer des armes, de +l'argent et des hommes à l'insurrection. Jusqu'alors elle lui en avait +bien fourni, mais dans une mesure bien restreinte. C'est du moins ce +dont se plaignaient les <i>cabecillas</i> qui se trouvaient à la tête des +bandes. Elle trouva pour la seconder, attendu les circonstances +politiques du moment, les fournisseurs et les banquiers auxquels elle +s'était adressée, dès le début de la campagne, dans de meilleures +dispositions. Les premiers, toujours craintifs et n'ayant pas une foi +bien robuste dans le succès de l'insurrection, n'exécutaient que d'une +manière bien irrégulière les marchés passés pour fournitures d'armes de +munitions et d'équipements militaires.--Les seconds se montraient +très-difficiles pour accepter les traites souscrites par les agents de +don Carlos et laissaient sortir du sein de leurs caisses, pour les +besoins de la guerre, que le moins d'argent possible. Ce qui explique le +peu de progrès que faisait l'insurrection.</p> + + <p>Mais à dater du mois d'avril et du commencement de mai, fournisseurs et +banquiers furent plus accommodants et pleins de zèle pour seconder les +vues et les projets du parti carliste, avec lequel ils avaient pris des +engagements sérieux par l'intermédiaire de la junte de Bayonne. Les +armes et les munitions passèrent alors plus régulièrement et en plus +grande quantité la frontière qu'auparavant, malgré les difficultés bien +plus nombreuses qu'on opposait à leur passage, du côté de France, où +venait d'être établi sur la frontière un cordon sanitaire de troupes. On +en expédia même de l'Angleterre.</p> + + <p>J'ai assisté à un débarquement d'armes expédiées de Birmingham. Vers le +milieu du mois de mai, un bateau à vapeur vint en plein jour (il était +sept heures du matin) s'arrêter dans le petit port de Fontarabie, en +face le débarcadère des pêcheurs, À son apparition, des barques allèrent +l'aborder, et en moins d'une heure elles transportèrent quatre cents +caisses qu'elles déposèrent sur la berge, rendant l'opération du +débarquement, une bande de quinze cents hommes environ, commandée par le +colonel Martinez, et dont les trois quarts étaient sans armes, +s'emparèrent des colis qui renfermaient des fusils et des munitions, les +ouvrirent et s'armèrent séance tenante. Les caisses restées sans être +ouvertes furent déposées sur des charrettes et transportées, sous bonne +escorte, au camp d'<i>Achulégui</i>. Ce débarquement s'opéra sans qu'il +trouvât là moindre opposition de la part des troupes et des volontaires +de la République casernés à Irun, c'est-à-dire à deux kilomètres au plus +du port de Fontarabie. Et ce qui me parut plus étrange encore, c'est que +la bande carliste et les caisses chargées sur des charrettes traînées +par des bœufs, passèrent tranquillement devant les portes de la ville.</p> + + <p>A cette expédition, dont je fus spectateur, j'eus l'occasion de revoir +mon ami, le colonel Martinez, qui commandait l'escorte du convoi et qui +paraissait tout radieux.</p> + + <p>--Vous n'êtes pas encore à Madrid, mon cher colonel, lui dis-je, en lui +rappelant son dernier adieu à Vera, mais vous y êtes sur le chemin, à ce +qu'il me paraît.</p> + + <p>--Dix débarquements comme celui-ci, me répondit-il, et notre cause est +gagnée!</p> + + <p>--Vous ne craignez pas d'être surpris sur votre route par les troupes +républicaines?</p> + + <p>--Toutes mes précautions sont prises et je suis certain d'avance que les +hommes de Loma n'oseront as venir nous barrer la route. Voyez, j'ai +quinze cents hommes avec moi!</p> + + <p>Le colonel avait dit vrai. Pas un seul homme de la garnison d'Irun, qui +se composait d'environ six cents hommes, soit volontaires, soit soldats +de la ligne, n'osèrent sortir de la ville.</p> + + <p>J'ai assisté à trois autres débarquements du même genre, sans qu'ils +fussent autrement contrariés, tant les frontières étaient mal gardées du +côté de l'Espagne.</p> + + <p>D'un autre côté, don Carlos, que les journaux espagnols et étrangers +avaient fait mourir plusieurs fois et voyager tantôt en Angleterre, +tantôt en Suisse, vint s'installer d'abord dans un hôtel de Pau et +ensuite au château de Peyrolhade, où il a résidé jusqu'à son entrée en +Espagne. Voulant m'assurer par moi-même si le fait était exact, je fis, +au mois de juin, une excursion dans les Basses-Pyrénées, et je me rendis +à ce château, situé presque sur les limites qui séparent la France de +l'Espagne. Ce n'était pas sans de grandes difficultés que je pus arriver +jusqu'à cette demeure seigneuriale, malgré les titres et les +recommandations dont j'étais porteur, tant on avait pris de précautions +pour la rendre inabordable.</p> + + <p>Lorsqu'un inconnu venant de France ou d'Espagne apparaissait dans le +lointain, se dirigeant vers le château bâti sur une élévation qui domine +les alentours à une distance de quatre kilomètres, des vedettes placées +de loin en loin, depuis le sommet des montagnes jusqu'au village de +Peyrolhade, qui lui-même est éloigné de la résidence royale d'environ +une lieue, s'empressaient d'en informer le commandant du palais. +Celui-ci envoyait immédiatement des gardes à sa rencontre pour le +reconnaître. S'ils avaient les moindres soupçons sur l'individu, on le +prévenait poliment qu'il se trompait de chemin en lui indiquant le moyen +d'en prendre un autre; et ils s'éloignaient. Si, au contraire, c'était +un ami ou une personne dont on n'avait pas à se méfier, on le conduisait +au château.</p> + + <p>C'est ainsi que sur la présentation d'une lettre du président de la +junte carliste, je fus admis auprès de la personne du prince, qui voulut +bien me recevoir lui-même. Don Carlos est âgé de vingt-neuf à trente ans +environ. Sa taille est élevée, sa figure pleine de noblesse; un air de +grandeur et de majesté rayonne sur sa physionomie franche et +sympathique. Tout en lui, jusqu'à sa parole claire, douce et concise, +prévient en sa faveur. L'audience qu'il m'accorda ne fut pas longue, +mais elle répondit au but que je m'étais proposé d'atteindre.</p> + + <p>Il ne faudrait pas croire pourtant que le prétendant se montrât +très-facile à accorder des audiences particulières. Il est arrivé, à ce +sujet, aux visiteurs étrangers, de curieuses méprises. Milord D..., +désirant s'entretenir avec don Carlos, s'était rendu à cheval de Pau au +château de Peyrolhade. Arrivé à la résidence princière, il fut reçu par +le général Ellio, auquel il demanda de le présenter au <i>roi</i>. Le vieux +général s'empressa de le conduire dans le salon bleu, aux tentures +fleurdelisées, où se trouvaient trois personnages, la tête couverte de +bérets blancs (<i>boinas</i>) agrémentés de passementeries d'or. Milord D..., +qui ne connaissait le prince que par ses portraits, croyant voir don +Carlos dans le personnage placé au milieu des deux autres, lui offre ses +hommages et entre avec lui dans une très-longue conversation sur la +situation troublée de l'Espagne. Après une demi-heure d'entretien, les +deux interlocuteurs se quittèrent enchantés l'un de l'autre. La vérité +est que le noble visiteur avait pris le major Arjona, secrétaire du +prince, pour don Carlos lui-même. Celui-ci, resté dans son cabinet, +n'était pas encore descendu au salon.</p> + + <p>Je dois ajouter que cette résidence étant journellement visitée par des +émigrés de tous les pays qui venaient offrir <i>au roi</i>, les uns le +secours de leur épée, les autres solliciter des grades et des faveurs, +le général Ellio avait organisé un service rigoureux de police autour du +prince, afin de prévenir toute tentative d'espionnage ou d'attaque +personnelle contre l'hôte illustre du château. Je dois reconnaître que +cette surveillance pouvait ne pas être inutile, au milieu de ce coin +isolé des montagnes que cherchaient à découvrir les émissaires du +gouvernement de Madrid et dont l'inutilité de leurs recherches a fait +toujours leur désespoir.</p> + + <p>Ce fut pendant le court espace de temps que je passai au château de +Peyrolhade que je pus me renseigner sur le personnel dont se composait +la maison du prince et qu'il n'y a pas, je crois, indiscrétion de faire +connaître. Elle comprenait le général Ellio, président du conseil de +guerre, cinq chefs carlistes qui en étaient les membres et dont le +marquis de Valdespina faisait partie, et du major Arjona, secrétaire +particulier de don Carlos.</p> + + <p>Les opérations du conseil de guerre consistaient dans la direction à +donner aux opérations militaires dont le plan était tracé d'avance: dans +la nomination des <i>cabecillas</i> et leur envoi aux divers postes qu'ils +devaient occuper; enfin, dans le contrôle de tous les actes qui +concernaient l'organisation des bandes, leur armement et leur +équipement.</p> + + <p>Malgré le mystère dont on entourait le château de Peyrolhade, cette +retraite soi-disant introuvable de don Carlos, était le centre d'un +va-et-vient de gens qui, des deux côtés des Pyrénées, s'y rendaient pour +les affaires de l'insurrection. C'étaient les membres de la junte qui +venaient, les uns ou les autres, prendre les ordres du conseil de +guerre, lui communiquer les résultats de ses opérations et s'entendre +avec lui sur les difficultés qui pouvaient se présenter: et ces +difficultés étaient nombreuses, surtout dès le début de la campagne; +c'étaient des agents secrets qu'on avait établis sur la frontière et +jusque dans les centres des provinces, qui venaient faire leurs rapports +sur tout ce qui se passait d'hostile ou de favorable au parti; +c'étaient, enfin, les envoyés des <i>cabecillas</i> en campagne, qui +apportaient au château tout ce qui concernait la situation bonne ou +mauvaise des bandes qu'ils commandaient.</p> + + <p>Lorsque je repassai la frontière, j'appris la nomination de nouveaux +chefs carlistes, dont quelques-uns étaient déjà au château de +Peyrolhade, au moment de mon départ de cette résidence. Au nombre de ces +chefs qui devaient donner à l'insurrection une nouvelle impulsion, +étaient le général Ellio, qui reprenait un service actif, le marquis de +Valdespina, Dorregaray et Lizarraga. Ces quatre généraux, que j'ai vus +plusieurs fois sur les champs de bataille, méritent d'être connus, à +cause des commandements qu'ils occupent à la tête des bandes et des +services qu'ils rendent à la cause carliste. C'est ce que je me propose +de faire, après avoir dit quelques mots sur l'emprunt que le parti +contracta à Londres. C'est, au reste, avec l'argent qu'il produisit que +la guerre civile put prendre plus d'extension et de développements, +ainsi que je vais le constater.</p> + +<br><br> + + <h3>LES THÉÂTRES</h3> + + <p>Porte-Saint-Martin. <i>Libres!</i> drame en huit tableaux, par M. Edmond +Gondinet.--Ambigu-Comique. <i>La falaise de Penmarck</i>, drame en cinq actes, +de M. Crisafulli.--Odéon. <i>Le docteur Bourguibus</i>. comédie en un acte et +en vers, de M. Edmond Cottinet. --Gymnase. <i>Monsieur Adolphe</i>, pièce en +trois actes, de M. Alexandre Dumas fils.</p> + + <p>La pièce de M. Gondinet, <i>Libres!</i> m'a beaucoup plu. Je sais que les +dilettanti du genre, les raffinés du mélodrame y trouveront à redire, +car elle n'est pas construite et charpentée selon les règles, elle ne +vous saisit pas à la gorge à un moment donné pour vous laisser pantelant +et lui crier merci dans quelques scènes pleines d'émotion ou de terreur. +Son scénario ne s'avance pas progressivement pour marcher à travers des +péripéties les plus sombres pour arriver aux catastrophes finales; mais +qu'importe que le drame échappe à l'analyse par sa trame un peu légère, +qu'importe que faction un peu mince tienne en quelques lignes, si +l'impression d'ensemble est allée droit à l'effet voulu, et si au sortir +du théâtre le drame a laissé dans l'esprit du spectateur un souvenir, et +que l'âme s'en sente encore agitée par delà la représentation. C'est ce +qui arrive.</p> + + <p>C'est peu de chose en effet que cette histoire dramatique facilement +imaginée et qui se déroule autour de Lambros, le polémarque de la +Selléide, avec cet amour de sa fiancée Chryseis, avec cette trahison du +traître Andronicos livrant par jalousie et par haine son pays à Aly, +pacha de Janina. Cette rivalité est le thème obligé de tous les +mélodrames. Quelques scènes plus ou moins heureuses ajoutées à cette +nomenclature du crime des traîtres ne font rien à l'affaire. Le drame +n'aurait rien perdu assurément à plus de nouveauté dans cette fable +romanesque. Il eût été meilleur, à coup sûr, en se privant de ce groupe +de comiques propres à jeter de la gaieté, comme cela se passe dans toute +pièce du boulevard. Je n'en disconviens pas; mais je le répète, le drame +de M. Gondinet m'a plu par sa composition générale, par son mouvement, +par cette grande histoire de liberté qu'il met en scène, par ce récit de +l'affranchissement d'un peuple. Tout cela est animé, vivant, tout cela +s'écoute d'un bout à l'autre avec la plus vive curiosité, au milieu de +nombreux épisodes et à travers tout ce pays de la Grèce.</p> + + <p>Il semble que M. Gondinet, qui est un esprit fin et qui a bien sa +jeunesse et sa poésie, ait lu cette histoire de l'indépendance +hellénique dans les livres de Fouqueville et de Fauriel, qu'il ait lu +avec ardeur ces chants recueillis par M. de Marcellus, et que se +souvenant de cet enthousiasme qui enflamma vers 1825 nos poètes de +France et d'Angleterre pour la cause de ce peuple, il ait voulu rendre +dans un drame toute cette vie d'un passé qui passionna si profondément +l'Europe aux temps où elle avait plus de sympathie et plus de larmes +pour les opprimés et les vaincus.</p> + + <p>A ce drame de l'indépendance d'un pays qui eut pour alliés les poètes, +M. Gondinet a laissé son caractère poétique. C'est là son côté original +et piquant. Il se dégage des conventions scéniques par un souffle +heureux. Il a pour lui, et que le lecteur me pardonne cette phrase du +temps, il a pour lui les Muses de la patrie et de la liberté. Comme aux +jours de ses premiers fils, la Grèce est encore le pays des vers. Elle +chante aux noces des fiancés, aux berceaux des fils, sur la tombe des +soldats, elle a des épithalames et des nénîes; ses poètes populaires +sont de toutes ses fêtes. M. Gondinet les a parfois reproduits avec un +rare bonheur:</p> + +<div class="poem"><div class="stanza"> +<p class="i14"> Le klepte est tombé sous les halles,</p> +<p class="i14"> Chantons les marches triomphales,</p> +<p class="i14"> Que son nom résonne partout.</p> +<p class="i14"> Creusez sa tombe haute et grande</p> +<p class="i14"> Pour que son bras armé s'étende</p> +<p class="i14"> Et pour qu'il s'y tienne debout.</p> +<p class="i14"> Faites à la pierre une entaille</p> +<p class="i14"> Pour que dans les jours de bataille</p> +<p class="i14"> Il entende les combattants.</p> +<p class="i14"> Plantez devant un laurier-rose</p> +<p class="i14"> Pour que l'hirondelle s'y pose</p> +<p class="i14"> Et l'avertisse du printemps.</p> +</div></div> + + <p>Ainsi parle sur le cadavre du polémarque Lambros, le héros de la pièce, +D'autres chantent les hymnes de liberté, et le drame s'écoule toujours +soutenu par un sentiment fin et délicat qui le vivifie dans un cadre +poétique, C'est la Grèce avec ses aspirations de liberté, avec ses +glorieux révoltés, c'est elle avec ses kleptes, ses chkipetars, ses +costumes brillants; nous la retrouvions dans sa gracieuse et pittoresque +beauté, avec ce décor qui nous transporte sur la place de Variadès, au +fond duquel se dessine dans le lointain les hautes montagnes et les +gracieux villages attachés à leurs flancs. Nous nous sommes cru un +instant sur la côte du Péloponèse, au tableau qui représente la falaise +couverte d'arbres et dominant les flots bleus de la mer. C'est un +chef-d'œuvre que ce décor qui représente le Grand-Souli, avec ses +maisons blanches, ses cactus en fleurs, ses vignes qui grimpent jusques +aux toits en tuiles rouges, avec son pont jeté sur un torrent. Il semble +que M. Rubé, qui en est l'auteur, l'ait composé d'après une vue +photographique rapportée du pays de Messène ou d'Argos. Cet art du +décorateur, qui, je crois, n'a jamais été poussé aussi loin dans la +vérité des tableaux, nous a rendu la Grèce avec la plus grande fidélité. +Et c'est là un attrait de plus pour le drame de M. Gondinet, que le +public a accueilli avec le plus vif succès.</p> + + <p>L'interprétation de la pièce est excellente. M. Dumaine joue avec une +sincère conviction et une réelle autorité ce rôle de Lambros, qui domine +tout le drame. Taillade, c'est Aly, le pacha de Janina, un tyran bizarre +et cruel qui tourne parfois à la ganache. Larcy, Charly, font retentir +leurs voix vibrantes, et Laurent égaye la pièce par sa bonne humeur. +Quant à Mme Dica-Petit, fort belle sous ses magnifiques costumes de +femme souliote, elle a donné au personnage de Chryseis un véritable +caractère de passion et de noblesse.</p> + + <p>J'aime ce bon mélodrame du temps passé, avec tous ses trucs, ses +épouvantails, ses tours, ses prisons, ses rochers, ses falaises, tout +son attirail de crimes et d'horreurs, mais encore faut-il que ces +horreurs soient possibles à raconter. M. Crisafulli a poussé dans la +<i>Falaise de Penmarck</i> ce genre tellement au noir que pour ma part je ne +m'y reconnais plus. Voilà une aventure, par exemple! Le commandant +Pierre Lecourbe se marie; le jour même de ses noces il reçoit l'ordre de +rallier l'escadre en partance! Ainsi le veut l'amiral qui ne transige +pas avec la consigne. Le commandant a un frère, un ivrogne, lequel après +les libations les plus regrettables, croyant entrer chez sa fiancée, se +trompe de porte et pénètre chez sa belle-sœur, la femme du commandant.</p> + + <p>Vingt ans après ce bel exploit, le commandant Lecourbe vit auprès de sa +femme et entre deux filles, qu'il aime, sans soupçonner que sa fille +aînée doit le jour à un horrible crime. L'affection du commandant pour +cette enfant semble même plus grande que pour l'autre, à ce point qu'il +dépouille sa fille cadette au bénéfice de sa sœur. La mère révoltée +d'une telle injustice révèle à moitié ce terrible secret à son mari. Ce +que le commandant ignore c'est le nom du coupable. Il va donc à son +frère, Pierre Lecourbe, et lui confie le soin de sa vengeance en lui +faisant jurer que cet homme mourra et, par le fait, il tient son +serment, car honteux de lui, il se précipite du haut de la falaise de +Penmarck, qui n'est là que pour fournir un titre pittoresque à la pièce. +C'est à l'aide de cette fable dramatique que M. Crisafulli a obtenu une +scène des plus saisissantes. Celle des deux frères, dont l'un demande +vengeance à l'autre pour son honneur outragé, pour son nom souillé. Mais +vraiment ces fortunes-là coûtent bien cher puisque c'est au prix de +telles situations qu'on les obtient. Si ce drame nous demande au début +de grands crédits pour faire marcher sa petite industrie, je suis prêt +pour ma part à les lui refuser. Qu'il s'arrange, n'a-t-il pas la +trahison, le meurtre, l'assassinat. S'il lui faut plus encore, il est +trop exigeant; qu'il meure faute d'appui, je n'y vois pas +d'inconvénient.</p> + + <p>J'ai donc hâte de sortir de cette <i>Falaise de Penmarck</i> pour entrer dans +une joyeuse comédie, pleine de belle humeur, d'esprit et de gaieté, et +qui a pour titre le <i>Docteur Bourguibus</i>: elle est née de la fantaisie +d'un poète, et de la première à la dernière scène elle s'en va +lestement, joyeuse de ses bonnes trouvailles comiques, de ses vers +plutôt improvisés qu'écrits, étincelants de saillies. Ce docteur +Bourguibus qui a pour parents tous les héros de la comédie bergamasque a +une <i>toquade</i>. Pardon du mot: aux XVIIIe siècle on aurait dit du docteur +qu'il avait le timbre fêlé. Le brave homme qui a la monomanie de la +pitié, s'attache particulièrement aux gredins. Que lui parlez-vous +d'honnêtes gens! la belle affaire! ils ont leur conscience pour eux et +le paradis au bout. Mais un criminel, un assassin, par exemple, un +meurtrier que la justice, l'infâme justice a frappé, voilà ce qui tente +l'âme du docteur Bourguibus. C'est une cure à faire. S'occupe-t-on des +gens bien portants? Non; on soigne les malades; qu'est-ce qu'un +criminel? un malade: le tout est de le guérir. Grâce à ce raisonnement, +le docteur cueille au haut d'un gibet un gibier de potence qu'il arrache +à main armée aux mains des valets du bourreau. Cet exploit a coûté la +vie à cinq honnêtes gens: c'est pour rien. Et voilà Spalâtre installé +dans le logis de docteur. On va voir ce qu'on peut obtenir avec des +soins d'un gredin qu'on a dépendu. Tout est pour lui, les bons morceaux, +les complaisances des domestiques, et jusqu'à la main de la nièce du +docteur. Seulement il veut conduire sagement l'homme à complète +guérison. Il dort, silence; il va se réveiller, qu'il ouvre les yeux aux +sons d'une musique réjouissante: un murmure de menuet et le docteur et +sa nièce effleurent sur la mandoline et le violon l'adorable morceau de +Boccherini. Là-dessus Spalâtre qui entr'ouvre les yeux rêve de voyageur +égaré et d'assassinat au coin d'un bois. Elle est charmante cette scène +du bandit que la musique ramène à ses premières inclinations, le +meurtre. La cure a si bien opéré que Spalâtre, non content de voler pour +son propre compte, fait de la propagande et entraîne les domestiques du +docteur à voler avec lui, si bien que le pauvre Bourguibus paye ses +théories humanitaires de ses meubles, de sa bourse et de sa montre. Bien +en a pris à l'amoureux de la nièce de se déguiser en bourreau et de +venir demander Spalâtre au docteur qui le retient contre la loi, car à +la vue de l'homme noir, Spalâtre s'est enfui maudissant cet imbécile de +docteur qui l'expose à retomber dans les mains de la justice. Tout +s'arrange; le docteur se guérit de son faible pour les gredins et de sa +haine pour les gens de police, et le public applaudit chaleureusement à +l'auteur et aux interprètes de cette comédie des plus originales et des +plus amusantes.</p> + + <p>Le théâtre au Gymnase a remporté hier, mercredi, un éclatant succès avec +<i>Monsieur Adolphe</i>. Je reviendrai la semaine prochaine sur cette œuvre +exquise de M. Alexandre Dumas. Je ne puis que signaler aujourd'hui +l'accueil chaleureux que le public tout entier a fait à sa pièce. C'est +là une des plus grandes fêtes du théâtre au Gymnase. Depuis vingt ans, +depuis ces jours du <i>Demi-monde</i>, je ne crois pas qu'il eût été témoin +d'une semblable ovation. La salle passait du rire aux larmes, de +l'émotion à la gaieté. Elle a acclamé l'auteur, saluant dans son œuvre +cette sûreté de talent, cette élévation dans la pensée, cette explosion +de l'esprit qui font de M. Dumas fils un maître. Tout son public lui +était revenu, heureux d'oublier les quelques moments de froideur qui +s'était faite entre lui et l'auteur de la <i>Femme de Claude</i>, et comme +regrettant ses sévérités passagères, on se sentait comme reconnaissant +envers M. Dumas de lui rendre l'auteur aimé des jours passés.</p> + + <p>Les interprètes de <i>Monsieur Adolphe</i> ont été couverts +d'applaudissements, et Pujol, et Achard, et Mlle Alphonsine, cette +transfuge des théâtres de féerie, qui s'est montrée merveilleuse +comédienne dans le rôle de Mme Guichard.</p> + + <p>Je donne avec plaisir une bonne nouvelle à mes lecteurs: Les concerts de +M. Daubé vont reprendre leur cours, non plus au <i>Grand-Hôtel</i> où on les +suivait autrefois, mais à la salle que M. Henri Herz a mise +gracieusement à la disposition de M. Daubé.</p> + + <p>M. Savigny.</p> + + <br><br> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/005a.png"><br><b>LES ÉVÉNEMENTS DE CUBA.--Vue générale de la Havane.</b></p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/005b.png"><br><b>L'ILE DE CUBA.--Vue prise près de la côte de Candela.</b></p> +<br><br> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/006_small.png"><br><a href="images/006_large.png">(Agrandissement)</a></p> + +<br><br> + + + + <p>Toujours: <i>Peau de satin! Fraises au champagne! Lèvres de Feu!!</i> valses +de J. Klein. Il n'y a donc pas autre chose?</p> + +<br><br> + + <h3>BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE</h3> + + <p><i>Histoire de l'Astronomie</i>, par Ferd. Hœfer.--La science profonde et +l'érudition encyclopédique du docteur Hœfer sont trop connues et trop +appréciées pour qu'il soit utile de présenter à nos lecteurs l'auteur de +la nouvelle <i>Histoire de l'Astronomie</i>. Chacun sait que pour écrire une +histoire compétente de quelque science que ce soit, il faut être du +métier et connaître la pratique du sujet dont on se fait le rapporteur. +Or M. Hœfer a écrit une histoire de la <i>chimie</i>, qui est devenue +classique, une histoire de la <i>physique</i> estimée de tous les savants, +une histoire de la <i>botanique</i>, une histoire de la <i>zoologie</i>, aussi +complètes l'une que l'autre; et voici une histoire de l'<i>astronomie</i>, +que je viens de lire avec la plus vive attention, et que nul astronome +de profession n'aurait certainement mieux écrite. Elle est complète sans +être trop étendue, s'adresse aux gens du monde aussi bien qu'aux +savants, et présente un tableau exact et intéressant des progrès inouïs +de cette science admirable, depuis les Hindous, les Chinois, les +Chaldéens, les Égyptiens, jusqu'aux découvertes sublimes de notre +époque, illustrée depuis moins de trois siècles par les Galilée, les +Kepler, les Newton, les Laplace; par des scrutateurs des mystères +célestes qui laisseront dans l'histoire des noms comme ceux de Cassini, +Halley, Huygens, Rœmer, Dalembert, Herschell, Bessel, Struve, Arago, +etc.</p> + + <p>L'histoire de l'astronomie présente plus que nulle autre le tableau des +véritables progrès de l'esprit humain. Celle des peuples, des dynasties, +des religions, offre des alternatives de lumière et de ténèbres, des +grandeurs et des décadences, des guerres et des trêves, et souvent, +hélas, du sang et des ruines. Mais les progrès de la science du ciel, au +contraire, offrent une continuité lente, mais permanente, du travail de +la pensée humaine, depuis l'ignorance primitive jusqu'à l'époque où nous +sommes, pendant laquelle nous osons mesurer les distances qui nous +séparent des étoiles, et analyser les substances qui brûlent dans le +soleil. Aujourd'hui, nous voyons les mondes rouler sous nos pieds; nous +sentons la terre courir et nous emporter à travers l'espace infini, et +déjà nous avons les premiers éléments nécessaires pour deviner la <i>vie +inconnue</i> qui rayonne à la surface des autres terres du ciel! C'est la +science sans patrie et sans dogmes, sans chaînes et sans larmes, qui, +toujours pure, s'élève et s'épanouit dans la divine lumière du ciel; +c'est celle qui fait le plus d'honneur à l'esprit humain, qui met en +évidence les plus nobles facultés de l'homme; c'est celle qui nous a +<i>affranchis.</i> Les plus grands révolutionnaires ne s'appellent pas +Cromwell, Washington, Mirabeau ou Robespierre; ils s'appellent Copernic, +Galilée. Kepler, Newton.</p> + + <p>On lira avec plaisir et profit le nouveau livre du docteur Hœfer. Dans +son ouvrage publié l'année dernière, et intitulé: l'<i>Homme devant ses +œuvres</i>, l'auteur avait montré par quels principes il juge l'humanité; +et il n'est certes pas inutile, à notre époque où tout court si vite, de +s'arrêter un instant sur le chemin de la vie, comme le Dante avant de +pénétrer au sombre royaume, et de réfléchir un instant sur les faits et +gestes de notre race soi-disant raisonnable. L'histoire de l'astronomie +est écrite avec la même netteté de vues, moins sévère que celle de +Delambre, lequel en est souvent ridicule, et plus juste pour les +anciens, qui méritent tout notre respect, attendu qu'il faut à toutes +les sciences un commencement. Celui qui renaîtrait dans trois siècles +seulement serait bien étonné de notre état scientifique, social et +religieux de 1873, et, s'il n'était juste, nous traiterait d'ignares et +d'imbéciles. C'est ce qu'a fait l'astronome Delambre, trop souvent. M. +Hœfer n'est pas tombé dans ce travers, et nous l'en félicitons.</p> + + <p><i>Les Merveilles de la photographie</i>, par G. Tissandier.--Voici un +nouveau volume de la <i>Bibliothèque des merveilles</i>, et qui fait honneur +à la collection. Qu'y a-t-il de plus merveilleux que la photographie, +dont les travaux nous laissent pourtant déjà indifférents? La terre +tourne si vite que l'on oublie le lendemain la situation de la veille, +et il semble que nos pensées se multiplient et s'envolent beaucoup plus +vite depuis que nous connaissons la rapidité des mouvements célestes. En +fait, il n'y a que quarante-sept ans que le premier traité entre Niepce +et Daguerre a été signé, et aujourd'hui les photographes pullulent dans +toutes les villes d'Europe, et les photographies sont tombées dans le +domaine public, et l'on n'accorde plus aux meilleures d'entre elles +qu'une attention momentanée. Mais tandis que pour la masse du public la +photographie est encore toute entière dans la reproduction plus ou moins +durable d'un visage, d'un monument ou d'un paysage, l'art s'est agrandi, +s'est développé comme toutes les connaissances humaines, et déjà rend +d'immédiats services à la plupart d'entre elles. La photomicrographie +fixe aujourd'hui l'image centuplée de l'insecte, invisible à l'œil nu, +dessine l'agencement moléculaire minéral, végétal ou animal, nous montre +les cristaux du sang ou l'épiderme délicat d'une pauvre chenille. A +l'opposé, toute l'Assemblée nationale est reproduite sur un carré de +collodion du diamètre d'une tête d'épingle, sans rien perdre de ses +proportions ni de sa grandeur réelle. Si nous passons maintenant du +petit au grand, nous trouvons la photographie appliquée au soleil, à la +lune, aux planètes et même aux étoiles, et nous avons déjà des sériés de +plusieurs années de portraits du soleil, faits chaque jour, et montrant +la variation incessante de son aspect et de ses taches. Des +photographies directes de la lune sont si excellentes que l'on se +promène facilement dans les vallées et les paysages lunaires ainsi +reproduits. Appliqué à la météorologie, le même art remplace maintenant +l'observateur en enregistrant automatiquement l'état du ciel, la marche +du baromètre, du thermomètre, du vent, de l'aiguille aimantée, etc., ce +qui permettra d'avoir un bien plus grand nombre de constatations +simultanées et permanentes et de donner à la météorologie la base qui +lui manque encore. Il y a plus: la photographie <i>imprime</i> maintenant +elle-même, et le livre de M. Tissandier nous offre un spécimen de +photoglyphe à l'encre de Chine gélatinée, qui montre au premier coup +d'œil toute la valeur artistique et toute l'importance pratique du +nouveau procédé. On le voit, le jeune et savant directeur du journal <i>la +Nature</i> a su réunir dans son nouveau livre toutes les richesses de l'art +dont il voulait raconter les merveilles.</p> + + <p>Camille Flammarion.</p> + + <p><i>Une courtisane vierge</i>, par M. Amédée de Céséna.--L'auteur fut un +journaliste grave, un personnage politique, un polémiste. Il n'est qu'un +conteur qui spécule sur de certaines curiosités malsaines. Je pense +qu'il suffit de citer le titre du livre pour montrer tout ce que M. de +Céséna a voulu lui donner d'alléchant. Le romancier se défend, +d'ailleurs, dans sa préface, d'être un corrupteur. Il prétend au titre +de <i>moraliste</i>. Ce n'est donc pas un moraliste homeopathique: il fait de +la morale par les contraires.</p> + + <p><i>Les Femmes au cœur d'or</i>, par M. Eugène Moret. (1 vol. Dentu.)--Il y +a, dans le roman-feuilleton, des auteurs dont la réputation n'égale pas +le talent, et M. Eugène Moret est de ce nombre. Il a des succès, et +très-grands, dans le public des journaux populaires, des livraisons à +dix centimes, et il mérite ces succès-là. Ses livres sont moraux, +honnêtes et intéressants. Il a publié sur les <i>Femmes de la Révolution +et de la Terreur</i> des feuilletons absolument amusants et qui, réunis en +volume, ont beaucoup plu aux lecteurs. Ces <i>Femmes au cœur d'or</i> auront +certainement le même sort et méritent le même accueil. C'est là un roman +qui vaut dix fois mieux, à coup sur, que bien des romans célèbres, et +qui fait honneur au talent très-loyal, sans fracas, sans charlatanisme, +de M. Eugène Moret.</p> + + <p><i>La comtesse de Nancey</i>, par M. Xavier de Montépin. (3 volumes in-18. +Chez Sartorius.)--M. Xavier de Montépin est, en librairie, le +triomphateur de la saison. Il a publié trois ou quatre volumes, épisodes +détachés d'un même roman, qui en sont à leur huitième ou dixième +édition. <i>La comtesse de Nancey, l'Amant d'Alice, le Mari de +Marguerite</i>, ont amusé tout un public, le public des romans d'Arsène +Houssaye, celui qui aime l'impossibilité en pleine vie réelle, les +aventures improbables placées dans le milieu parisien. M. de Montépin, +jusqu'ici, n'avait point connu pareille vogue, pas même il y a seize ou +dix-huit ans, lorsqu'il écrivait les <i>Viveurs de Paris</i> et les <i>Filles +de plâtre</i>. Je crois même nie rappeler que les <i>Filles de plâtre</i> lui +valurent une assignation devant la police correctionnelle. Aujourd'hui, +en ce temps d'<i>ordre</i> et de <i>moralité</i>, les romans de M. de Montépin +montent aux nues. L'auteur est un aimable homme qui n'a d'autre tort que +de vouloir, de temps à autre, dire son mot dans la politique courante. +Quand il conte ces aventures extraordinaires, il amuse et il entraîne. +Au fond, cela lui suffit. Le public le suit, il est satisfait. Il ne +<i>politique</i> que par aventure. Son rôle est d'inventer: il invente. Les +folles amours, les coups de couteau, les scandales à Bade, les espions +prussiens, les batailles de la Commune, les propos de boudoirs, tout se +coudoie dans la trilogie que M. de Montépin appela tout d'abord le <i>Mari +de Marguerite</i>. Je n'analyserai point ces pages. Leur succès a été +absolu, et si l'on n'avait abusé du mot, je dirais volontiers que c'est +un des signes du temps. Mais ne faut-il pas des rêves à tout le monde? +Pâture à liseurs, disait Petrus Corel en parlant de ses livres. Chacun +choisit le mets qui lui convient,--et cela n'empêche pas de rééditer +Corneille.</p> + + <p><i>La Célestine</i>, de Fernando de Rojas, traduite par M. Germond de Lavigne. +(Nouvelle collection Jannet.)--M. E. Picard continue avec succès la +publication de ses petits chefs-d'œuvre littéraires faisant suite à la +collection Jannet. Les bibliophiles se disputeront également la +<i>collection rouge</i>, qui est l'ancienne, et la <i>collection bleue</i>, qui +est la nouvelle. Sous cette dernière forme, les œuvres de Rabelais vont +être tantôt achevées, et M. André Lefèvre vient de donner une édition +des <i>Lettres persanes</i>, de Montesquieu, qui pourrait bien être +définitive. Aujourd'hui, M. Germond de Lavigne, si compétent en ce qui +touche la littérature espagnole, publie, dans cette même collection, une +traduction de la Célestine, ce roman dialogué d'un intérêt si puissant +et d'un charme si particulier qui date, s'il vous plaît, du XVe +siècle,--de 1492,--et qui semble comme la source où Calderon et Pope +puisèrent leurs drames ensoleillés et entraînants.</p> + + <p>Moratin avait raison d'appeler <i>la Célestine</i> une <i>nouvelle dramatique</i>. +Ce n'est que cela, en effet; mais cette nouvelle est inimitable. Il y a +de tout, dans ce conte, de la morale et de la poésie, des aventures +d'amour, des leçons tragiques, des séductions et des drames. Le type du +prodigue Calixte est peint de main de maître, et le profil de la +Célestine, une proche parente de la Macette de Régnier, est inoubliable. +L'homme qui écrivit cette sorte de drame, Fernando de Rojas, était un de +ces artistes rares et puissants que les littérateurs nomment d'un grand +nom, les précurseurs.</p> + + <p>M. Germond de Lavigne a traduit la Célestine avec ce talent qui lui +valut, il y a quelques années, les éloges de Charles Nodier. Il n'a pas +essayé, dit-il, de reforger les endroits scandaleux qui pouvaient +offenser les religieuses oreilles, et il a bien fait. Sa traduction y +gagne d'être une œuvre d'art à travers laquelle on saisit toute la +couleur, tout l'éclat du style castillan.</p> + + <p>Jules Claretie.</p> + + <br><br> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/007a.png"><br><b>LES FUYARDS A LA PORTE DE BALAN. Gravure extraite de la<br> +<i>Guerre de</i> 1870-71, par A. Wachter. (E. Lachaud, éditeur.)</b></p> + + <h3>LA GUERRE DE 1870-71</h3> + + <h3>Histoire politique et militaire</h3> + + <h4>PAR A. WACHTER</h4> + + <p>Au moment où les débats du procès Bazaine remettent en lumière les +tristes péripéties de la dernière guerre et les causes de nos désastres, +nous croyons devoir appeler l'attention de nos lecteurs sur un ouvrage +que nous avons déjà signalé lors de son apparition: nous voulons parler +de l'<i>Histoire de la guerre de</i> 1870-71 de M. Wachter, éditée par la +librairie Lachaud. Parmi les innombrables publications qui se sont +succédé sur ce sujet depuis trois ans, celle-ci est l'une des plus +complètes, des plus intéressantes et des mieux à la portée du public. +Les connaissances spéciales de M. Wachter ont fait de lui, depuis +longtemps, un de nos écrivains militaires les plus justement estimés; +une étude approfondie des opérations stratégiques qu'il a suivies sur le +terrain même et une lecture attentive des documents allemands qu'il a +consultés dans leur texte original, ont permis à M. Wachter de réunir +dans les deux volumes qui composent son travail, les renseignements les +plus exacts, les plus authentiques, et de les présenter d'une manière +plus méthodique et plus claire que dans la plupart des ouvrages du même +genre; ajoutons que le livre est richement illustré de dessins de M. +Darjou, l'habile artiste dont nos lecteurs connaissent trop bien le +talent, pour que nous ayons besoin d'en faire l'éloge. Les deux gravures +que nous avons publiées la semaine dernière sur la bataille de +Rezonville et les carrières du Caveau étaient extraites du beau livre de +MM. Wachter et Darjou; celle que nous reproduisons aujourd'hui un +nouveau spécimen de ces illustrations, qui sont le vivant commentaire du +texte de M. Wachter.</p> + + <p>L'Exposition universelle de Vienne a fourni à l'<i>Illustration</i> +l'occasion d'affirmer une fois de plus cette supériorité hors ligne +qu'elle a depuis longtemps acquise sur toutes les publications +analogues. Comme en 1867, l'<i>Illustration</i> avait exposé, outre ses +volumes et ses collections, une série de spécimens permettant de suivre +pas à pas les opérations si compliquées de la gravure et ces procédés +grâce auxquels nous arrivons à donner au public la représentation des +faits d'actualité presque aussi vite que la presse quotidienne où donne +le récit. Cette exposition a particulièrement attiré l'attention du jury +international, qui a décerné à l'<i>Illustration</i> une <i>médaille de +mérite</i>, la plus haute récompense après la grande médaille d'honneur.</p> + + <p>Cette distinction est, croyons-nous, la seule du même genre qui ait été +obtenue par un journal illustré; nous sommes heureux d'en faire part à +nos lecteurs; ils y verront une preuve nouvelle des efforts-incessants +qui a valu à l'<i>Illustration</i> la légitime réputation dont elle jouit +dans le monde entier.</p> + +<br><br> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/007b.png"><br></p> + + <p class="mid">EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS:</p> + + <p class="mid">Même en 999, à l'approche de l'an mille, on ne vit point aller autant en +pèlerinage.</p> + + +<br><br> +</div> + + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of L'Illustration, No. 1605, 29 novembre +1873, by Various + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 1605, 29 *** + +***** This file should be named 44357-h.htm or 44357-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/4/4/3/5/44357/ + +Produced by Rénald Lévesque + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm +concept of a library of electronic works that could be freely shared +with anyone. For forty years, he produced and distributed Project +Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. + +Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed +editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. +unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. + + + +</pre> + +</body> +</html> diff --git a/old/44357-h/images/001.png b/old/44357-h/images/001.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..6934f3a --- /dev/null +++ b/old/44357-h/images/001.png diff --git a/old/44357-h/images/001a.png b/old/44357-h/images/001a.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..11de71e --- /dev/null +++ b/old/44357-h/images/001a.png diff --git a/old/44357-h/images/002a.png b/old/44357-h/images/002a.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..2de8019 --- /dev/null +++ b/old/44357-h/images/002a.png diff --git a/old/44357-h/images/002b.png b/old/44357-h/images/002b.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..ad6aa41 --- /dev/null +++ b/old/44357-h/images/002b.png diff --git a/old/44357-h/images/002c.png b/old/44357-h/images/002c.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..dad9954 --- /dev/null +++ b/old/44357-h/images/002c.png diff --git a/old/44357-h/images/002d.png b/old/44357-h/images/002d.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..bd57a5e --- /dev/null +++ b/old/44357-h/images/002d.png diff --git a/old/44357-h/images/002e.png b/old/44357-h/images/002e.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..266f200 --- /dev/null +++ b/old/44357-h/images/002e.png diff --git a/old/44357-h/images/003a.png b/old/44357-h/images/003a.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..3ca7c9c --- /dev/null +++ b/old/44357-h/images/003a.png diff --git a/old/44357-h/images/003b.png b/old/44357-h/images/003b.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..af656f9 --- /dev/null +++ b/old/44357-h/images/003b.png diff --git a/old/44357-h/images/003c.png b/old/44357-h/images/003c.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..951e115 --- /dev/null +++ b/old/44357-h/images/003c.png diff --git a/old/44357-h/images/003d.png b/old/44357-h/images/003d.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..100670d --- /dev/null +++ b/old/44357-h/images/003d.png diff --git a/old/44357-h/images/003e.png b/old/44357-h/images/003e.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..903e405 --- /dev/null +++ b/old/44357-h/images/003e.png diff --git a/old/44357-h/images/003f.png b/old/44357-h/images/003f.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..b911c8b --- /dev/null +++ b/old/44357-h/images/003f.png diff --git a/old/44357-h/images/004a.png b/old/44357-h/images/004a.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..0fca2a5 --- /dev/null +++ b/old/44357-h/images/004a.png diff --git a/old/44357-h/images/004b.png b/old/44357-h/images/004b.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..3545bca --- /dev/null +++ b/old/44357-h/images/004b.png diff --git a/old/44357-h/images/005a.png b/old/44357-h/images/005a.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..8a11da2 --- /dev/null +++ b/old/44357-h/images/005a.png diff --git a/old/44357-h/images/005b.png b/old/44357-h/images/005b.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..c593f97 --- /dev/null +++ b/old/44357-h/images/005b.png diff --git a/old/44357-h/images/006_large.png b/old/44357-h/images/006_large.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..9927e62 --- /dev/null +++ b/old/44357-h/images/006_large.png diff --git a/old/44357-h/images/006_small.png b/old/44357-h/images/006_small.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..f2e0d67 --- /dev/null +++ b/old/44357-h/images/006_small.png diff --git a/old/44357-h/images/007a.png b/old/44357-h/images/007a.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..8e5c0f6 --- /dev/null +++ b/old/44357-h/images/007a.png diff --git a/old/44357-h/images/007b.png b/old/44357-h/images/007b.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..75263f1 --- /dev/null +++ b/old/44357-h/images/007b.png diff --git a/old/44357-h/images/cover.jpg b/old/44357-h/images/cover.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..49ac192 --- /dev/null +++ b/old/44357-h/images/cover.jpg |
