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+*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44357 ***
+
+L'ILLUSTRATION
+JOURNAL UNIVERSEL
+
+REDACTION, ADMINISTRATION, BUREAUX D'ABONNEMENTS
+23, rue de Verneuil, Paris
+
+31e Année.--VOL. LXII,--1605
+SAMEDI 29 NOVEMBRE 1873
+
+SUCCURSALE POUR LA VENTE AU DÉTAIL
+60, rue de Richelieu, Paris
+
+Prix du numéro: 75 centimes
+La collection mensuelle, 3 fr.; le vol. semestriel, broché, 18 fr.;
+relié et doré sur tranches, 23 fr.
+
+Abonnements
+Paris et départements: 3 mois, 3 fr.;--6 mois, 18 fr.;--un an, 36;
+Étranger, le port en sus.
+
+Les demandes d'abonnements doivent être accompagnées d'un mandat-poste
+ou d'une valeur à vue sur Paris à l'ordre de M. Auguste Marc,
+directeur-gérant.
+
+
+
+[Illustration: LA PROROGATION.--Les curieux attendant l'arrivée du train
+parlementaire sur le pont de l'Europe, dans la nuit du 18-19 novembre.]
+
+
+
+SOMMAIRE
+
+_Texte_: Histoire de la semaine.--Courrier de Paris, par M. Philibert
+Audebrand.--La Soeur perdue, une histoire du Gran Chaco (suite), par M.
+Mayne Reid.--Nos gravures.--Un voyage en Espagne pendant l'insurrection
+carliste (V).--Les Théâtres.--Revue comique du mois, par
+Bertall.--Bulletin bibliographique.--_La Guerre de_ 1870-71, par A.
+Wachter.
+
+_Gravures_: La prorogation, les curieux attendant l'arrivée du train
+parlementaire sur le pont de l'Europe, dans la nuit du 18-19 novembre.
+--Procès du maréchal Bazaine: les témoins (9 gravures).--Le service des
+pigeons voyageurs de la Presse, à Versailles (2 gravures).--_L'Espagne_,
+par M. le baron Davilier (8 gravures).--Les événements de Cuba: vue
+générale, de la Havane;--L'île de Cuba: vue prise près de la côte de
+Candela.--Revue comique du mois, par Bertall (13 sujets).--Les fuyards
+à la pot te de Balan, gravure extraite de la _Guerre_ de 1870-71, par M.
+A. Wachter.--Rébus.
+
+
+
+HISTOIRE DE LA SEMAINE
+
+FRANCE
+
+Après le vote de la loi de prorogation, il était permis de penser que la
+majorité, qui s'était ralliée autour de la haute personnalité du
+maréchal de Mac-Mahon, pourrait bien s'affaiblir ou même disparaître
+quand le débat viendrait à se poser non plus sur le terrain national et
+gouvernemental, mais sur le terrain purement ministériel; bon nombre de
+journaux affirmaient avec confiance que le cabinet serait moins heureux
+que le président lorsqu'il se présenterait pour son propre compte à la
+barre de l'Assemblée, et lorsque M. Léon Say vint à la tribune
+développer son interpellation sur la politique suivie pendant les
+vacances et sur le retard apporté à la convocation des collèges
+électoraux, il crut pouvoir affirmer que la dernière heure du ministère
+du 24 mai était sur le point de sonner. Ces prévisions ne se sont pas
+réalisées; le cabinet a remporté une victoire moins éclatante, il est
+vrai, que le maréchal-président, mais qui s'est soldée par la majorité
+importante de 50 voix; ainsi qu'il s'y était engagé, il a remis avant
+même l'ouverture du débat, sa démission collective entre les mains du
+chef de l'État, mais pour se reconstituer sur les mêmes bases, sauf
+quelques changements de personnes et d'attributions qui n'impliquent pas
+de changement fondamental de tendances ni de principes.
+
+M. de Broglie garde le titre et les fonctions de vice-président du
+conseil des ministres et prend le portefeuille de l'intérieur. MM,
+Batbie, Ernoul, Beule et de la Bouillerie sortent du cabinet pour faire
+place à MM. le duc Decazes, nommé ministre des affaires étrangères;
+Depeyre, ministre de la justice; de Fourtou, ministre de l'instruction
+publique et des cultes, et de Larcy, ministre des travaux publics, M.
+Deseilligny passe à l'agriculture et au commerce en remplacement de M.
+de la Bouillerie; enfin les portefeuilles des finances, de la guerre et
+de la marine restent confiés, comme précédemment, à MM. Magne, du Barail
+et Dompierre d'Hormoy.
+
+Quant au vote de la loi de prorogation, les commentaires qu'il a
+suscités dans la presse sont importants à noter si l'on veut chercher à
+se rendre compte de ce que sera notre régime politique dans la phase
+nouvelle dont cette loi est le point de départ. Ainsi qu'il fallait s'y
+attendre, les journaux bonapartistes et républicains se sont montrés
+fort désappointés d'une défaite à laquelle ils s'attendaient en grande
+partie, mais sans penser qu'elle serait aussi complète; toutefois; ces
+derniers font contre mauvaise fortune bon coeur, et cherchent à se
+consoler en répétant qu'après tout la République subsiste en fait et que
+rien n'est perdu par conséquent; constatons en outre que la presse
+républicaine paraît pour le moment corrigée des intempérances de langage
+qui ont plus d'une fois compromis sa cause, et que ses appréciations
+sont en général empreintes d'une modération à laquelle on ne peut
+s'empêcher de rendre justice. Seuls, les journaux du centre droit
+triomphent avec une joie parfois insuffisamment contenue: «Nous tenons
+le loup par les oreilles, s'écriait dernièrement l'un d'eux; il faut les
+lui couper; s'il cherche à mordre, muselons la bête fauve.»
+
+Les feuilles légitimistes, au contraire, n'augurent rien de bon du
+nouvel état de choses, et s'expriment, sur les manoeuvres de stratégie
+parlementaire qui l'ont amené, avec une amertume dont l'heure n'est pas
+encore venue de connaître tous les secrets motifs. Dès le lendemain de
+la séance du 19, l'_Union_, l'_Univers_ et le _Monde_ publiaient une
+déclaration des députés de l'extrême droite qui s'étaient abstenus dans
+le vote; en même temps, ces mêmes journaux dénonçaient avec indignation
+les habiletés de ceux qui, disaient-ils, avaient fait échouer la fusion
+et voulaient maintenant se donner le temps d'attendre la mort du roi
+légitime.
+
+Il est incontestable que la campagne fusionniste n'a pas dit son dernier
+mot; bien des mystères enveloppent encore l'histoire des négociations
+auxquelles elle a donné lieu; bien des événements inattendus peuvent
+encore surgir, qui n'en seront que les conséquences. Une brochure qui
+vient de paraître, et qu'il serait trop long d'analyser ici, contient à
+cet égard plus d'une révélation curieuse. D'autre part, il est avéré que
+le comte de Chambord est constamment en butte à des démarches dont
+l'objet précis n'est pas livré au public, mais dont on n'a pu empêcher
+le secret de transpirer. Le chef de la maison de Bourbon était venu à
+Versailles au moment de la discussion de la loi de prorogation; la
+nouvelle de ce voyage avait d'abord été démentie avec insistance;
+l'_Union_ l'a, depuis, confirmée officiellement par une note où l'on a
+beaucoup remarqué le passage suivant:
+
+«Le moment n'est pas venu de révéler ce que M. le comte de Chambord a
+tenté pour ramener au port le navire en détresse, mais quand aura sonné
+l'heure de Dieu, et cette heure n'est pas loin, la France apprendra avec
+admiration tout ce qu'il y a de désintéressement, de simplicité, de
+dévouement, dans ce coeur de roi et de père qui n'a point de parti et
+qui sait accomplir si noblement son devoir. Elle s'étonnera d'avoir pu
+méconnaître si longtemps tant d'abnégation et de vraie grandeur.»
+
+L'apparition de cette note a coïncidé avec le bruit, répandu depuis
+quelques jours, de l'abdication du comte de Chambord. Y avait-il quelque
+chose de fondé dans ce bruit?--C'est ce que l'avenir nous apprendra.
+
+ESPAGNE.
+
+Les nouvelles venues des États-Unis pendant la semaine tendent à
+présenter sous un jour plus rassurant le différend survenu entre
+l'Amérique et l'Espagne au sujet de la prise du _Virginius_ et du
+massacre des flibustiers qui le montaient. Rappelons d'abord que le
+_Virginius_ était notoirement au service de l'insurrection cubaine,
+qu'il venait ouvertement s'approvisionner de contrebande de guerre, à
+destination de Cuba, dans le port de New-York, et qu'il en était à sa
+quatrième expédition de ce genre quand il fut pris par le _Tornado_ dans
+les eaux de Santiago; que l'exaspération des Espagnols était, par
+conséquent, assez compréhensible, et que le cas de ce flibustier
+présente de frappantes analogies avec celui de l'_Alabama_ au sujet
+duquel les États-Unis ont eux-mêmes eu maille à partir avec
+l'Angleterre. Ajoutons que, dans un intérêt de parti, les politiciens
+américains ont cherché à exploiter les exécutions de Santiago en
+excitant l'indignation publique pour s'en faire une arme contre le
+gouvernement du général Grant, disposé à voir les choses plus froidement
+et à n'agir qu'en connaissance de cause. Quoi qu'il en soit, d'après les
+dernières dépêches transmises par le câble transatlantique, le cabinet
+de Washington a décidé que le _Virginius_ naviguait légalement avec un
+registre américain. Le général Sickles a reçu substantiellement pour
+instructions d'exiger de l'Espagne la restitution du _Virginius_, ainsi
+que les survivants de l'équipage et des passagers de ce navire; une
+excuse pour l'insulte faite aux États-Unis; une indemnité en faveur des
+parents des victimes; le châtiment des exécuteurs ou leur remise au
+gouvernement américain pour être par lui punis, et enfin la mise en
+vigueur immédiate des décrets portant restitution des biens et
+propriétés confisqués aux citoyens américains. Le ministre est également
+chargé de faire part au gouvernement de Madrid du vif désir du
+gouvernement américain de voir abolir l'esclavage.
+
+L'opinion généralement établie dans les régions officielles est que la
+diplomatie parviendra à régler le différend; mais la situation, telle
+qu'elle est aujourd'hui, n'en est pas moins critique. Le sentiment
+public n'est pas précisément belliqueux, bien que certains journaux
+fassent des efforts suprêmes pour créer l'agitation. Les préparatifs
+militaires continuent. Une flotte de quarante-trois navires, portant un
+matériel de six cent quarante-trois pièces d'artillerie, a reçu l'ordre
+de se tenir prête au premier signal.
+
+PAYS-BAS
+
+Les préparatifs des Hollandais pour la deuxième expédition contre Atchin
+sont très activement poursuivis aux Indes; cette expédition doit partir
+dans le courant de ce mois de Batavia pour sa destination. Il est arrivé
+dernièrement dans le port de cette ville un nouveau navire à vapeur qui
+n'a pas apporté moins de 2833 caisses remplies de matériel de guerre,
+avec vingt-cinq canons, ainsi que deux petits bateaux à vapeur démontés
+et prêts à être remontés à Batavia.
+
+On fait, en outre, à Samarang, des essais avec des radeaux de
+débarquement susceptibles de porter un poids de 16,000 à 17,000
+kilogrammes, et qui seront reconduits en place par des remorqueurs à
+vapeur. Ces engins se composent chacun de cinq grands cylindres creux en
+fer, solidement reliés ensemble et couverts d'un simple plancher.
+
+SUISSE
+
+Le Conseil fédéral suisse vient d'adresser à notre ministre des affaires
+étrangères une note relative à la question monétaire. Nous la
+reproduisons plus loin. Justement préoccupé de l'introduction de
+l'étalon d'or dans plusieurs États et des variations qu'a subies le
+rapport des monnaies d'or et d'argent, principalement depuis la
+convention conclue en 1865 entre la France, l'Italie, la Suisse et la
+Belgique, le gouvernement helvétique, s'autorisant de l'article 2 de
+ladite convention, a exprimé le voeu qu'une conférence des quatre États
+signataires fût convoquée le plus tôt possible pour aviser aux mesures
+propres à garantir les intérêts économiques engagés dans cette question.
+Faut-il maintenir le double étalon, sur lequel repose la convention de
+1865? Doit-on lui substituer l'étalon unique? Ne convient il pas de
+faire cette substitution graduellement, pour éviter une perturbation
+immédiate et nuisible? Quels seraient les moyens d'empêcher la
+dépréciation croissante de l'argent, produite par l'exportation de l'or
+des États de l'union monétaire? Telles sont les questions que la note du
+Conseil fédéral propose de soumettre à la conférence dont il sollicite
+la convocation.
+
+
+
+COURRIER DE PARIS
+
+Il nous est venu des lions, en compagnie de leur dompteur. On va les
+voir aux bougies, salle des Folies-Bergères, S'il faut le dire, ce
+spectacle n'a plus d'imprévu pour nous. Il y a beau temps que les
+Parisiens sont blasés là-dessus. Qui ne se rappelle tour à tour quatre
+ou cinq Androclès en spencer rouge? Van Amburgh jouait avec une panthère
+de Java comme une petite dame avec son manchon, Carter s'en prenait à
+une lionne toujours insurgée. Il nous semble le voir encore la frappant
+d'une baguette de coudrier comme un valet de bonne maison bat une
+descente de lit afin d'en faire tomber la poussière. Hermann n'avait pas
+moins d'audace; il agaçait un ours blanc. C'était à l'Hippodrome.
+Arnault, le directeur, nous disait: «Il m'a bien semblé, l'autre soir,
+qu'Hermann allait servir de dîner à son ours.» En réalité, Crockett
+était celui dont la vue nous causait le plus d'émotion. Celui-là avait
+affaire à de vrais lions, à des lions de Barca. Le public pressentait
+qu'il finirait par être mangé. Il l'a été, en effet, non à Paris, mais à
+New-York, je crois. Crockett, croqué! Les faiseurs de jeux de mots ne
+pouvaient manquer cette assonance. C'était, du reste, un argument de
+plus pour démontrer la fatalité des noms.
+
+Celui qui vient d'arriver s'appelle Delmonico un beau nom de dompteur, à
+mêler à un roman ou à un mélodrame. Il y a des lions et des lionnes
+dans une cage de fer, où il se montre, en homme résolu, n'ayant à la
+main qu'une cravache. On prétend qu'il cache sous sa tunique un revolver
+pour le cas où il aurait à soutenir avec ses pensionnaires une polémique
+un peu trop vive. Je dois constater que cette arme est révoquée en doute
+par plus d'un spectateur. A quoi pourrait servir un pistolet dont la
+balle ne ferait que transpercer la peau d'un des monstres et qui, par
+conséquent, n'aurait d'autre résultat que de lui causer un surcroît
+d'irritation? Pour Delmonico comme pour tous ses devanciers, le préjugé
+veut que la puissance magnétique du coup d'oeil suffisse.--Une houssine
+et un oeil qui fascine, dit-on: il ne faut rien de plus.
+
+Vous rappelez-vous un jeune Américain du nom de Batty? Lui aussi passait
+pour n'avoir pas besoin d'un autre prestige que le feu de son regard
+pour subjuguer les lions. Un jour, la foule même étant là, il fut abattu
+d'un seul coup de griffe et broyé d'un coup de mâchoire. «C'est qu'il
+n'a pas su maintenir la rétine de l'oeil au beau fixe», disaient les
+_petits crevés_ d'alors. Messieurs les _gommeux_, leurs successeurs,
+professent naturellement l'opinion qu'il n'y a rien à craindre tant
+qu'on regarde fixement. On change le lion en agneau rien qu'en le
+lorgnant.
+
+Au fait, la chose serait possible, si ce qu'on raconte à ce sujet est
+exact. Ces lions qu'on exhibe seraient assouplis dès l'âge le plus
+tendre par un système d'éducation assez raffiné. On leur fait suivre des
+cours. Pris tout petits en Afrique, on les enverrait dans un pensionnat
+où tout est disposé pour les préparer à faire une entrée convenable dans
+le monde. Saviez-vous donc qu'il existât des maisons pour l'instruction
+des individus de la race léonine? Le plus renommé de ces établissements
+est, paraît-il, situé à Madrid, ville d'une température toujours tiède
+(les jeunes élèves, brusquement arrivés d'Afrique, s'enrhumeraient dans
+une ville du Nord). A Madrid, d'ailleurs, on a toujours la viande
+saignante à bon marché, à raison des corridas ou courses de taureaux.
+Voilà pourquoi on amène de préférence les lionceaux dans la capitale des
+Espagnes; là, on leur enseigne la civilité puérile et honnête; on leur
+apprend surtout l'art de frémir à un froncement de sourcil, et, comme
+corollaire, la sobriété, qui consiste à ne dévorer son gardien que le
+moins possible. Faire des collégiens avec des lions, telle est la marche
+du progrès, comme vous voyez.
+
+Les sujets de Delmonico ont-ils fait leurs classes à Madrid? Le dompteur
+le nie, et cela se conçoit. Encore neuf dans le métier, il y va
+rondement, comme un vieux routier. On raconte qu'il a fait avec un
+amateur un pari d'une allure assez originale. Il se serait engagé à
+entrer dans la cage cent jours de suite sans recevoir la moindre
+égratignure. En vertu de ce contrat, il ne devrait atteindre son chiffre
+que le 18 janvier prochain. Ce jour-là, s'il est indemne, tranchons le
+mot, s'il n'a pas été mangé, il recevra en bloc la somme de 120,000
+francs. Delmonico est un philosophe. Au cas où il gagnerait la gageure,
+il s'est promis de liquider ses lions sans le moindre retard. Il placera
+ses fonds en 3 pour 100 et vivra honorablement de ses rentes, n'ayant
+pour tout animal à ses trousses qu'un griffon de la Havane à peu près
+gros comme le poing fermé de son maître.--Pas si bête pour un dompteur!
+
+J'ai parlé des lettres posthumes de Prosper Mérimée, qu'on imprime en ce
+moment. On assure que cette correspondance ressemblera beaucoup à des
+mémoires intimes, méthode de Diderot. L'auteur de _Colomba_ y raconte
+les principaux épisodes de sa vie. Mais combien de traits qui, par
+malheur, n'y trouveront pas place! Je doute, par exemple, qu'on y lise
+un fait-anecdote assez curieux et tout à fait inédit qui s'est passé
+sous Louis-Philippe, à trois cents kilomètres de Paris.
+
+C'était en 1840.
+
+Prosper Mérimée traversait le Berry en qualité d'inspecteur des
+monuments historiques. Il s'était arrêté à Saint-Amand-Mont-Rond, jolie
+petite ville aux environs de laquelle on veut que César ait établi son
+camp, à l'époque où il se mit à la poursuite de Vercingétorix; c'est, en
+effet, sur la route de Bourges à Clermont, ou, si vous voulez,
+d'Avaricum à Gergovia. Des camps de César, où n'en signale-t-on pas? Il
+y avait dans l'endroit un vénérable archéologue, zélateur des poteries
+de l'antiquité. Dans l'intérêt de la science, ce brave homme avait
+obtenu de faire pratiquer des fouilles au lieu même où l'on assurait que
+les fils de la Louve avaient campé. Et justement, ce matin-là, il
+accourait, effaré, plein de joie, afin de révéler un grand secret à
+l'auteur du _Théâtre de Clara Gazul_.
+
+--Que se passe-t-il donc, cher monsieur? demanda Mérimée.
+
+--Monsieur l'inspecteur général, un fait de la plus haute importance. Je
+viens de trouver un dieu.
+
+--Un vrai dieu?
+
+--Un Bacchus antique, couvert de la peau de tigre et ayant un thyrse à
+la main. Venez donc voir ça avec moi.
+
+Il y avait à peu près une heure de chemin. On monta dans une berline et
+l'on partit.
+
+Pendant la route, l'archéologue parlait de ses découvertes.
+
+--J'avais déjà mis la main sur bien des fragments de vases antiques,
+disait-il; c'était un commencement de preuve. Mais un Bacchus, de
+hauteur d'homme, en métal romain! Un dieu, probablement fondu sous le
+septième consulat de Marius et apporté chez nous par les légions de
+Jules César! Voilà un témoignage, monsieur! Tout le monde savant va
+tressaillir à cette nouvelle.
+
+Hélas! tandis qu'il tenait ce langage, il se passait du nouveau auprès
+des terrassiers.
+
+Après avoir jeté leur dieu de côté, ceux-ci reprenaient leur travail
+lorsqu'un cri, populaire dans la contrée, leur fit tout à coup lever la
+tête; c'était un de ces industriels ambulants qui courent à travers les
+campagnes pour y refaire les batteries de cuisine.
+
+--Rétameur! voici le rétameur!
+
+Un des pionniers l'appela; l'homme accourut.
+
+--Voilà un bloc de métal qui s'est trouvé sous notre pioche, dit le
+travailleur. Ce vieux fou de savant dit que c'est un dieu; il a dansé de
+joie tout autour. Si on le laisse faire, il l'emportera comme il emporte
+tous les tessons de vieilles bouteilles qu'il rencontre par ici.
+Qu'est-ce que c'est que ça au juste?
+
+--De l'étain d'assez bonne qualité.
+
+--A quoi ça pourrait-il servir?
+
+--A faire des cuillers à soupe.
+
+Des cuillers! Sur un signe qu'ils firent, le nomade se mit à la besogne;
+il fixa son réchaud en terre, fondit le Bacchus et en fit des cuillers.
+
+Il en était à la dernière lorsque la berline arriva.
+
+Exprimer la douleur du savant serait impossible. L'archéologue avait
+encore trois cheveux sur la tête; il se les arracha. Il pleurait de
+rage. Il interpellait Mérimée et, en levant les mains au ciel:
+
+--O Jupiter! s'écriait-il, on voit bien que tu n'es plus rien là-haut!
+Sans quoi tu n'aurais jamais permis une telle profanation à l'endroit de
+celui de tes fils que tu as gardé trois mois dans une de tes cuisses!
+
+Mario de Candia est revenu à Paris, où il amène les deux filles qu'il a
+eues de son mariage avec Giulia Grisi. Le temps a eu beau marcher, rien
+n'efface la pieuse tristesse que le ténor a ressentie en voyant mourir
+la célèbre et belle cantatrice dont il avait fait sa femme. Mario,
+dit-on, éprouve un âpre plaisir à reparaître aux lieux où sa jeunesse a
+été tant fêtée, il y a trente-cinq ans. Peu importe que tout y ait
+changé de face. A la vieille cité de pierre a succédé une ville de
+marbre et d'or. Il n'y avait guère que quinze cents _dilettanti_; on en
+énumère cent mille aujourd'hui, mais cent mille qui aiment à se griser
+de musique de cuivre, cent mille qui portent les oreilles d'âne que
+Voltaire montrait jadis à Grétry. Mario, renaissant, délicat, studieux,
+soigneux, peu bruyant, serait-il compris de ce public nouveau? On peut
+en douter. Mais que vous dire? Il se rappelle sans doute ce que disait
+Paganini: «Un artiste de talent sera toujours bien venu partout; il ne
+peut vivre qu'à Paris.» Pour le revenant, il y a d'ailleurs le charme
+irrésistible qui s'attache aux souvenirs d'une époque sans pareille et
+qui ne sera pas recommencée.
+
+Beaucoup se rappellent encore les premiers jours de sa venue. C'était
+dans un temps où l'on ne s'occupait déjà plus de politique. La mode
+était d'être tout entier à l'art, à la science, au théâtre, à la
+peinture, à la musique, aux beaux vers. Victor Hugo faisait jouer _Ruy
+Blas_ par Frédérick-Lemaitre, encore jeune; Alfred de Musset venait
+d'écrire les _Deux Maîtresses_, Stendhal, la _Chartreuse de Parme_; M.
+de Balzac, _Un grand homme de province à Paris_; Gérard de Nerval, les
+_Amours de Vienne_. On touchait de la veille au duel lyrique engagé
+entre Duprez et Adolphe Nourrit, duel funeste, puisqu'il a fini par le
+suicide de ce dernier; Mlle Rachel quittait le Gymnase pour s'acheminer
+en triomphatrice du côté du Théâtre-Français; Eugène Delacroix avait
+exposé la _Médée_ au dernier Salon; Decamps continuait ses études
+d'Orient; David (d'Angers) plaçait le Philopémen dans le jardin des
+Tuileries. Un opéra, un roman, un tableau, une statue, c'était le pain
+quotidien d'alors. L'Athènes de Périclès n'a jamais été plus ensoleillée
+de vraie gloire. On n'aurait jamais pu s'imaginer qu'un jour viendrait
+où Paris courrait voir un Russe qui a du poil de chien sur la figure, un
+noir qui fouette des lions dans une cage ou une mulâtresse à deux têtes,
+des monstres. Et il n'y avait pas encore de Petite Bourse sur les
+boulevards.
+
+En ce temps-là, le docteur Véron, si habile, gouvernait l'Opéra en
+autocrate; c'était pour le mieux, puisqu'il donnait sans cesse l'éveil à
+un chef-d'oeuvre inédit ou à quelque grand artiste inconnu. Voilà qu'on
+apprit tout à coup l'arrivée d'un ténor. A la suite d'une escapade, un
+jeune officier du roi de Sardaigne, s'étant sauvé en France, avait brisé
+son épée pour monter sur les planches. Un chevalier! un comte!
+l'aventure était piquante.
+
+Mario de Candia,--c'était lui,--fut essayé; il avait déjà une jolie voix
+de salon, mais il fallait développer cet organe si précieux.
+
+--Un ténor, la coqueluche de Paris! N'épargnez rien pour en avoir un,
+disait à M. Véron le ministre de l'intérieur.
+
+Quand on constatait un grand succès au théâtre, Paris et la France
+n'avaient plus rien à dire. La machine gouvernementale fonctionnait à
+l'aise. On votait le budget sans débat; on dénouait les conflits
+diplomatiques en se jouant; les élections se faisaient presque en
+chantant.
+
+--N'épargnez rien, répétait le ministre; jetez, s'il le faut, l'argent à
+pleines mains.
+
+Les naturalistes nous ont appris combien il faut de soins pour élever un
+rossignol. Pour un ténor de ce cycle étrange, c'était bien autre chose.
+Que de blandices à l'adresse du nouveau venu! Non-seulement on
+prodiguait autour de lui les professeurs, un maître de français, un
+maître d'armes, un maître de danse, un maître d'équitation, un maître de
+natation, un maître de piano, un maître de chant, mais encore il avait
+sans cesse à ses trousses un médecin en renom, chargé de veiller sur sa
+personne avec une vigilance de dragon mythologique.
+
+--A-t-il bien dormi? Il ne faut pas trop d'exercice! Qu'on prenne garde
+aux courants d'air! Ah! s'il allait attraper un rhume!
+
+On ne lui permettait pas de sortir par les temps de pluie, ni le soir, à
+l'heure du serein. À table, on ne lui servait que les meilleurs
+morceaux, les plus légers, de la cervelle, des crêtes de coq, du blanc
+de poulet, précipités, de préférence, par du bordeaux, du haut-brion ou
+du léoville. Pourtant il n'en fallait pas en quantité qui pût allumer
+trop son coeur. Pas d'amour. L'amour était sévèrement défendu, vu qu'il
+porte atteinte, disait-on, aux cordes tendres de la voix. Un ténor, je
+le répète, on faisait de l'existence d'un tel artiste une question de
+cabinet.--M. Thiers se flattait d'avoir fait plus de ténors que M.
+Guizot.
+
+Pour en revenir au jeune et brillant chevalier sarde, au bout de neuf
+mois d'attente, il fut en état de se montrer sur le théâtre. Quelle
+salle d'élite pour le voir et pour l'entendre! Il chanta et, dès les
+premières notes qui sortirent de son gosier, le comte Duchâtel, ministre
+de l'intérieur, présent à ses débuts, s'écria:
+
+--Allons, il a une voix charmante! La monarchie et le ministère sont
+sauvés!
+
+Tout ce qu'on avait fait pour Mario a été renouvelé depuis pour
+Poultier, le tonnelier de Rouen.
+
+PHILIBERT AUDEBRAND.
+
+
+
+PROCÈS DU MARÉCHAL BAZAINE LES TÉMOINS
+
+[Illustration: Marchal.]
+
+[Illustration: D'Abzac.]
+
+[Illustration: Cruzem.]
+
+[Illustration: Bonzella, marin de l'_Inflexible_.]
+
+[Illustration: Camut.]
+
+[Illustration: Quatre-Boeuf, quartier-maître.]
+
+[Illustration: Flahaut.]
+
+[Illustration: Régnier.]
+
+[Illustration: Arnous-Rivière.]
+
+D'après les photographies de M. Appert.
+
+
+
+[Illustration: LE LACHER DU PIGEON PORTEUR DES DERNIÈRES NOUVELLES.]
+
+[Illustration: Mode d'attache de la dépêche.]
+
+LE SERVICE DES PIGEONS VOYAGEURS DE LA PRESSE, A VERSAILLES.
+
+
+
+LA SOEUR PERDUE
+
+Une histoire du Gran Chaco
+
+(Suite)
+
+«Il n'y a peut-être pas consenti, répliquait Cypriano. Je crois qu'il ne
+l'eut pas permis, il peut même l'avoir ignoré et l'ignorer encore, mais
+nous savons qu'en plus d'une circonstance les vieillards de la tribu ont
+eu à faire justice de crimes du même genre commis à leur insu par des
+gens de la tribu. Il y a de mauvais drôles parmi les sauvages tout comme
+parmi nous. Les jeunes guerriers de la tribu ont plus d'une fois
+épouvanté la contrée par leurs attentats contre la vie des rares
+voyageurs qui s'étaient hasardés à parcourir la contrée. Quelque chose
+me crie que tous nos malheurs ont pour cause ces Indiens maudits et que
+le fils du chef lui-même, Aguara, est à leur tête. Je l'ai soupçonné de
+méditer le projet qu'il vient d'accomplir et, quand mon oncle est parti
+pour cette malheureuse excursion avec Francesca, ce n'est qu'une fausse
+honte qui m'a retenu de lui faire part de mes inquiétudes. Je dois
+convenir pourtant que le misérable a dépassé dans l'exécution de son
+crime mes prévisions sur un point. Je ne l'aurais pas cru capable
+d'aller jusqu'au meurtre de l'ami même de son père pour faire réussir
+son dessein.»
+
+Ludwig ramené subitement à la pensée de son double malheur demeura
+quelque temps sans répondre. La scène du retour de son père se
+représentait tout entière à son esprit. Il entendait encore le cri
+désespéré de sa mère à la vue de son mari inanimé. Plongé dans ce
+souvenir, il semblait ne pouvoir en sortir. Mais faisant enfin un effort
+pour s'arracher à la contemplation de ce lugubre passé, sa pensée se
+reporta plus vivement sur le présent et l'avenir.
+
+«Cypriano, dit-il, il vaut mieux peut-être que les choses se soient
+passées comme vous le supposez.
+
+--Mieux! pourquoi donc, Ludwig?
+
+--Nous avons du moins une espérance, celle de retrouver Francesca. Si le
+vieux chef est innocent, il ne manquera pas de nous la faire rendre,
+quand bien même le coupable serait son propre fils.
+
+--J'en doute, repartit tristement son cousin.
+
+--C'est pourtant notre seul espoir, continua Ludwig. Si ce forfait a été
+commis par quelque autre tribu ennemie de nous autres blancs, et vous
+savez que toutes celles du Chaco sont dans ce cas, quelle chance
+avons-nous de leur reprendre ma soeur? L'enlever de force serait
+impossible, il y aurait folie d'y songer. Nous n'aurions d'autre
+alternative en le tentant que d'y perdre la vie, ou, et ce serait pis,
+la liberté sans profit pour elle.
+
+--C'est vrai, dit Cypriano, je reconnais que sans l'aide de Naraguana,
+notre expédition est désespérée. Mais nous aurions plus de chance de
+succès si nous devions requérir son aide contre d'autres tribus que la
+sienne. Contre des Guaycurus, par exemple, ou des Mbayas, ou des
+Anguites, le chef Tovas pourra prendre en main notre cause. Quoique les
+tribus du Chaco se liguent volontiers toutes ensemble lorsqu'il s'agit
+d'une expédition contre les blancs, elles ont souvent de mortelles
+haines les unes contre les autres. Mon espoir se fonde plutôt sur cette
+supposition que sur toute autre chose qu'il soit en notre pouvoir
+d'accomplir. Si, au contraire, nous avons affaire aux Tovas!...
+
+--Ce sont les Tovas!» interrompit Gaspardo qui, tout en chevauchant et
+tout en ne perdant pas de l'oeil la piste de l'ennemi, n'avait pourtant
+pas cessé d'écouter la conversation.
+
+Au même instant, il arrêtait brusquement sa monture et désignait quelque
+chose sur le sol, tout à côté de son cheval.
+
+«Regardez, s'écria-t-il, voilà la preuve de la culpabilité des Tovas!»
+
+Ludwig et Cypriano s'avancèrent pour examiner ce qu'il leur désignait
+ainsi.
+
+C'était un objet sphérique à peu près de la dimension d'une orange, et
+d'une couleur brune foncée. Tous deux reconnurent une _bola_, pierre
+ronde, couverte de cuir cru, et semblable à l'une de celles qui
+pendaient aux arçons de leurs propres selles.
+
+«Quelle preuve trouvez-vous là, Gaspardo, dit Cypriano? C'est une bola
+que quelqu'un a laissé tomber et dont la courroie s'est brisée. Mais
+qu'est-ce que cela prouve? Tous les Indiens Chaco ne portent-ils pas des
+bolas?
+
+--Oui, mais pas de pareilles à celle-ci. Examinez-la,» dit-il en se
+penchant sur sa selle et ramassant la bola sans quitter les étriers; «y
+voyez-vous le moindre signe de rupture? Non, elle n'a jamais été
+attachée à une courroie. Caramba! senores, c'est une _bola perdida_
+(1)!»
+
+Les deux jeunes gens se passèrent l'objet et n'y découvrirent rien qui
+pût laisser supposer qu'il appartenait à un couple de bolas. C'était une
+lourde pierre, entourée d'une enveloppe de peau de vache, avec laquelle
+on l'a recouverte quand elle était encore humide, et qui, en séchant,
+s'était resserrée sans laisser un seul pli. Il n'y avait aucune
+apparence de courroie, on ne voyait que la couture qui la fermait.
+Quelle que pût être son utilité, la bola était complète en elle-même.
+
+--Une _bola perdida!_ Je n'ai jamais entendu parler de cela, dit Ludwig.
+
+--Ni moi non plus, ajoute Cypriano.
+
+--J'en ai entendu parler, moi, dit le gaucho, et j'ai vu aussi ses
+effets. C'est une arme dont les Indiens se servent avec une adresse qui
+vous surprendrait. Ils la lancent à plus de 30 mètres et en frappent la
+tête d'un ennemi avec autant de sûreté que si elle sortait du canon
+d'une carabine. _Maldita!_ J'ai vu des crânes écrasés par un pareil
+coup, mieux que s'ils avaient été écrasés par un bâton de _quebracho_
+(2). La _bola perdida_, senores! ce n'est pas un jouet d'enfant, je vous
+l'assure.
+
+ [Note 1: Littéralement «boule perdue», la signification spéciale
+ de ces mots résultera de l'explication du gaucho.]
+
+ [Note 2: Nom donné à une espèce d'arbre de la famille des acacias,
+ à cause de la dureté de son bois. Quebracho, ou casseur, signifie
+ qu'il briserait la hache avec laquelle on voudrait l'abattre.]
+
+--Mais quelle preuve avez-vous qu'elle ait été lancée par des Tovas?»
+
+Cette question était faite par Ludwig.
+
+«Ils sont les seuls Indiens qui puissent l'avoir laissée tomber, car eux
+seuls se servent de cette arme. Aucune autre tribu ne l'emploie. N'en
+doutez pas, mes enfants, elle a été perdue par un traître Tovas.»
+
+Les deux jeunes gens firent un signe d'assentiment, et dès ce moment ils
+surent que la piste qu'ils suivaient alors était certainement la piste
+des Tovas.
+
+Cette connaissance acquise d'une façon si inattendue affecta les
+voyageurs bien différemment. A Ludwig elle donna, sinon de la joie, du
+moins un rayon d'espérance de retrouver sa soeur, tandis que chez
+Cypriano elle ne produisit qu'un désespoir plus sombre encore.
+
+«Au-dessus des Tovas, au-dessus du misérable assassin, dit-il à ses deux
+compagnons, il est un plus grand coupable, à qui remonte la première
+responsabilité de tous nos malheurs.
+
+--Oui, répondit Ludwig, l'infâme Francia.
+
+--Lui-même, et je ne vivrai jamais tranquille tant qu'il n'en aura pas
+aussi subi le châtiment.
+
+--Dieu se chargera de le lui infliger. Quant à nous, cher cousin, que
+pouvons-nous contre cet homme?
+
+--Rien pour le moment sans doute; mais plus tard nous nous verrons.»
+
+De nouveaux incidents vinrent faire diversion à leurs pensées.
+L'atmosphère, après s'être graduellement assombrie, s'était épaissie
+presque subitement autour d'eux, au point de faire succéder presque
+instantanément la nuit au jour.
+
+«Vite, vite! cria Gaspardo en mettant son cheval au grand galop; si nous
+n'atteignons pas la grotte, nous sommes perdus. Courez, si vous tenez à
+la vie!»
+
+Les deux jeunes gens lancèrent comme lui leurs chevaux à toute vitesse.
+
+«Nous arrivons à temps! Grâce à la Mère de Dieu, nous arrivons à temps!»
+
+Cette exclamation sortit des lèvres de Gaspardo au moment où, suivi de
+ses jeunes compagnons, il faisait passer son cheval par l'ouverture
+d'une caverne.
+
+Cette caverne se trouvait dans un rocher à pic, s'élevant au-dessus d'un
+arroyo (3) qui, un peu plus bas, se jetait dans le Pilcomayo. Son entrée
+donnait sur le bord du ruisseau à quelques pieds de distance seulement
+de l'eau courante.
+
+ [Note 3: Vautour-dindon du l'Amérique Espagnole, nommé _Jofilote_
+ au Mexique. Dans les autres portions du continent de l'Amérique du
+ Sud, ou l'appelle _urubu_ ou _gallinazo_. Certains voyageurs ont
+ cru que le _turkey buzzard_ des États-Unis et le _Gallinazo_
+ Sud-Américain étaient un même oiseau. Ils sont cependant
+ entièrement distincts; ce dernier est beaucoup plus beau que son
+ congénère du Nord. Son plumage est plus brillant, tandis que sa
+ tête chauve, son cou et ses pattes, au lieu d'être d'un blanc
+ grisâtre, sont d'une couleur rouge vif. Il existe au moins quatre
+ espèces distinctes de ces petits vautours noirs sur le continent
+ de l'Amérique.]
+
+«Oui, nous arrivons au bon moment», ajouta le gaucho en exhalant un
+soupir de soulagement. «Caramba! entendez-vous? voyez-vous? Regardez
+dehors!»
+
+Il parlait encore quand un éclat de tonnerre étouffa sa voix. C'était la
+tempête. C'était la tormenta! dont les grondements répercutés soudain
+par les échos du ravin, prirent en un instant une effroyable intensité.
+Des nuages de poussière tourbillonnaient dans la plaine et semblaient
+vouloir accourir sur eux.
+
+«Dépêchons, descendez de cheval», cria Gaspardo à ses deux compagnons,
+en leur donnant l'exemple. «Prenons nos ponchos, mes enfants,
+attachons-les ensemble, et si nous ne voulons pas être étouffés dans cet
+antre, bouchons-en l'entrée le mieux et le plus vite que nous pourrons.»
+
+Les jeunes gens n'avaient pas besoin d'être mis en demeure de ne pas
+perdre un instant. Ce n'était pas la première fois qu'ils assistaient à
+une tormenta; chez eux, à Asuncion, ils en avaient vu plus d'une et en
+avaient remarqué les terribles effets. Ils avaient entendu les cailloux
+brisant les fenêtres, faisant trembler les portes sur leurs gonds; ils
+avaient vu la poussière passer à travers les fentes et les trous des
+serrures comme l'haleine furieuse de l'ouragan, ils avaient vu les
+arbres déracinés, brisés comme paille, les bêtes et les gens culbutés,
+roulés à terre par son irrésistible violence. Aussi, avant que le gaucho
+eût pu prononcer un autre mot, ils étaient sur pied et l'aidaient à
+disposer à l'intérieur leurs chevaux pour qu'ils lussent un premier
+obstacle, et à fermer l'ouverture de la caverne, à l'aide de leurs
+ponchos solidement liés ensemble et fixés dans les interstices des
+rochers au moyen de leurs couteaux. Ils furent à moitié aveuglés par la
+poussière et presque renversés par le vent avant d'avoir pu terminer
+cette opération.
+
+«Maintenant, dit Gaspardo, dès qu'ils eurent achevé leur besogne, nous
+pouvons nous regarder comme en sûreté, et je ne vois pas de raison pour
+ne pas nous installer dans ce trou aussi confortablement que le
+permettent les circonstances. Nous serons peut-être retenus longtemps
+ici, trois ou quatre heures, sinon toute la nuit. Quant à moi je suis
+affamé comme un gallinazo(4). Cette rude course m'a fait oublier mon
+déjeuner, de sorte que je propose d'achever ce qui nous reste de guariba
+rôti. La salle à manger est sombre et nous aurons peine à faire bouillir
+notre théière. Cependant j'espère pouvoir faire assez de lumière pour
+éclairer notre repas.»
+
+En prononçant ces mots, le gaucho se dirigea vers son cheval, et
+fouillant un moment sous son recado, il réussit à trouver un briquet.
+
+Mayne Reid.
+
+(_La suite prochainement._)
+
+ [Note 4: L'arroyo est un ruisseau coulant entre deux berges
+ élevées et à pic.]
+
+
+
+NOS GRAVURES
+
+La loi de prorogation et le public
+
+Chaque fois qu'il y a eu à l'Assemblée nationale de Versailles
+quelqu'une de ces grandes discussions qui mettent le pouvoir en
+question, le contre-coup s'en est vivement fait sentir à Paris. Alors
+que M. Thiers était président de la République, cela s'est produit non
+pas une fois seulement. On n'a pas oublié encore l'émotion qui s'était
+emparée de la capitale, le 24 mai: la foule agitée s'arrachant les
+journaux du soir sur les boulevards, assiégeant la gare Saint-Lazare
+pour attendre l'arrivée des trains, quêtant et commentant les nouvelles,
+dans un état de surexcitation difficile à décrire. Le même phénomène ne
+pouvait donc manquer de se reproduire le 19 septembre dernier, jour où
+l'on discutait à Versailles la loi de prorogation des pouvoirs de M. le
+maréchal de Mac-Mahon. En effet, dès la première journée de cette
+discussion, qui ne s'est terminée, comme on sait, que le lendemain dans
+une séance de nuit, la grande ville était soudainement reprise de son
+accès de fièvre. Dans la soirée, même émotion sur les boulevards, mêmes
+inquiétudes, même curiosité impatiente de savoir, même encombrement à la
+gare, où, comme les sergents de ville, les patrouilles étaient
+impuissantes à faire circuler la foule. Pour en avoir raison on crut
+faire merveille en la trompant, en faisant arrêter les trains avant
+l'entrée en gare, et l'on réussit un instant à la dérouter. Mais
+quelqu'un éventa la mèche, et les curieux aussitôt de se porter sur le
+pont de l'Europe. Il fallut bien en prendre son parti, et laisser suivre
+son cours normal à cette fièvre qui finalement se calma d'elle-même,
+sans s'être compliquée du plus léger accident.
+
+Quelques portraits de témoins dans le procès Bazaine
+
+Le procès du maréchal Bazaine avance. Bientôt la parole sera à
+l'accusation et à la défense, car la liste des témoins ne tardera pas à
+être épuisée. Avant qu'elle le soit tout à fait, nous croyons être
+agréables à nos lecteurs en mettant sous leurs yeux les traits de
+quelques-uns de ces témoins qui ont appelé le plus vivement sur eux
+l'attention par le rôle qu'il ont joué dans le grand drame de la
+capitulation de Metz et de l'armée du Rhin.
+
+Les neuf personnages dont nous donnons aujourd'hui les portraits, pour
+commencer, se rattachent à trois catégories de faits différents:
+communications entre les maréchaux Bazaine et Mac-Mahon avant le
+désastre de Sedan, communications entre le maréchal Bazaine et le
+gouvernement du 4 septembre, enfin communications entre le maréchal
+Bazaine et l'ennemi. Les témoins Flahaut, Marchal et M. le colonel
+d'Abzac se rapportent à la première catégorie. Commençons par celle-ci.
+
+Flahaut et Marchal sont deux agents de police qui servirent plusieurs
+fois d'émissaires entre Metz et Thionville. Le 20 août, Flahaut se
+trouvait à Metz lorsque le maréchal Bazaine le fit appeler et lui remit,
+pour les porter à Thionville, les trois fameuses dépêches adressées,
+après la bataille de Saint-Privat: 1º à l'empereur, 2º au ministre de la
+guerre, 3º au maréchal de Mac-Mahon, dépêches dont les deux premières
+différaient si essentiellement de la troisième.
+
+Celle-ci, en effet, portait seule cette restriction: «Je suivrai
+très-probablement pour vous rejoindre la ligne des places du Nord, et
+_vous préviendrai de ma marche, si toutefois je puis l'entreprendre sans
+compromettre l'armée._» Ajoutons que, seule aussi, cette dépêche qui
+aurait sans doute arrêté la marche du maréchal de Mac-Mahon vers l'est,
+ne parvint point à son destinataire. Cependant elle était parvenue en
+double, comme les autres, au colonel Turnier, à Thionville, apportée
+d'une part par Flahaut, et de l'autre par Mme Louise Imbert. Le colonel
+Turnier le fit passer toutes les trois au colonel Massaroli, commandant
+la place de Longwy, par l'intermédiaire du commissaire de police
+cantonal à Longwy, Guyard. Le colonel Turnier remit en même temps une
+expédition de ces dépêches à M. de Bazelaire, élève de l'École
+polytechnique, qui allait à Paris, et qui les fit partir le 22 par la
+station télégraphique de Givet. De son côté le colonel Massaroli expédia
+la dépêche à l'empereur, et celle destinée au ministre. Quant à la
+dépêche adressée au maréchal de Mac-Mahon, il la remit à deux agents de
+la police de sûreté de Paris qui avaient été demandés à M. Piétri par le
+colonel Stoffel, chef de la section des renseignements à l'état-major du
+maréchal de Mac-Mahon, et qui devaient chercher à pénétrer jusqu'au
+maréchal Bazaine et recevoir ses dépêchées. Ces agents, les sieurs
+Rabasse et Miès, adressèrent télégraphiquement cette dépêche, le 22, au
+colonel Stoffel, ils lui en remirent entre les mains, le 26, l'original;
+le colonel avait dû également en recevoir l'expédition par M. de
+Bazelaire, et cependant, comme il est dit ci-dessus, elle ne parvint pas
+au maréchal de Mac-Mahon. Le colonel a nié l'avoir jamais reçue, ce qui
+a amené à l'audience du conseil de guerre un incident émouvant. Le
+commissaire du gouvernement, le général Pourcet, à la suite de ces
+dénégations, se leva et prit des conclusions contre le colonel, à
+l'effet de le poursuivre pour soustraction de dépêche. Revenons à
+Flahaut.
+
+Après avoir heureusement accompli la mission dont nous avons parlé plus
+haut, il fut renvoyé à Metz par le colonel Turnier, avec une dépêche
+chiffrée.
+
+Cette fois il voyagea de compagnie avec un de ses collègues, Marchal,
+qui avait été chargé, de la même dépêche. L'odyssée de ces deux agents
+abonde en détails dramatiques. Ils sont arrêtés trois fois par les
+Prussiens et autant de fois repoussés, sous peine d'être fusillés.
+Arrivés à Augny, dans une quatrième tentative, ils se cachent d'abord
+dans la cave du maître d'école, puis chez le curé, qui leur donne à
+souper et à coucher. Enfin, le lendemain ils réussissent en ayant
+recours à la ruse. Arrêtés aux avant-postes ennemis et interrogés par un
+officier:
+
+--Nous venions voir, répondent-ils, si vous avez des pommes de terre;
+voici l'hiver, et si vous n'en avez pas nous pourrons vous en vendre.
+
+L'ennemi les croit et les laisse libres de circuler aux avant-postes.
+Une occasion favorable se présente et ils filent. La dépêche avait passé
+avec eux. Bien malin eût été le Prussien qui l'eût découverte. Chacun
+d'eux avait avalé la sienne, après avoir eu soin de l'envelopper
+préalablement de caoutchouc. Plus tard, le 5 et le 15 septembre, puis
+dans le courant d'octobre, Marchal et Flahaut essayèrent de retourner à
+Thionville, mais ils n'y purent parvenir.
+
+Disons, pour en finir avec cet ordre de faits, que le colonel d'Abzac,
+dont il a été question plus haut, était attaché au cabinet du maréchal
+de Mac-Mahon. Il a déclaré n'avoir pas eu connaissance de la dépêche du
+20 août rapportée à Rhetel par les témoins Miès et Rabasse, et remise
+par eux, selon leur dire, au colonel Stoffel.
+
+Les témoignages de Cruzem, de Camus, de Quatreboeuf et de Donzella se
+rapportent aux communications entre le maréchal Bazaine et le
+gouvernement du 4 septembre. Le maréchal prétend que ces communications
+étaient alors devenues pour ainsi dire impossibles. Cependant le témoin
+Crusem est sorti trois fois de Metz, passant à travers les lignes
+prussiennes, d'abord dans la direction de Corny, puis par le bois de
+Grigy, enfin par Saint-Remy: et, dans ces diverses excursions, il a
+parcouru, dit-il, les environs de Metz et poussé, dans la dernière,
+jusqu'à Luxembourg. Les trois témoins qui suivent, MM. Camus,
+Quatreboeuf et Donzella étaient des émissaires du gouvernement du 4
+septembre qui, préoccupé de la situation de l'armée de Metz, avait fait
+arriver à Longwy et à Thionville plusieurs convois de vivres pour la
+ravitailler. C'est cette nouvelle qu'il s'agissait de porter à la
+connaissance du maréchal Bazaine. M. Camus est un homme de quarante-huit
+ans, garde-forestier, connaissant bien le pays. Il fit plusieurs
+tentatives infructueuses pour passer et rentra à Longwy. M. Quatreboeuf,
+sergent-fourrier des équipages de la flotte, paraît avoir mieux réussi.
+C'est un jeune homme de trente-deux ans, alerte et énergique. Enfin M.
+Donzella, autre marin, du même âge que le dernier et non moins
+déterminé, envoyé par la délégation de Tours dans le même but, parvint à
+entrer dans Thionville, qui était alors investi, et à remettre au
+colonel Turnier, chargé de la faire parvenir, la dépêche dont il était
+porteur. Donzella, pour passer, avait été obligé de se déguiser en
+marchand d'osier. Il a raconté avec beaucoup de verve son entrevue avec
+le colonel: «Il me chargea de dire bien des choses à sa famille et
+voulait me donner une lettre pour elle, mais je refusai de la recevoir
+en disant:
+
+«--Je veux bien me charger de nouvelles orales, mais je ne veux pas
+m'exposer à me faire fusiller par les Prussiens uniquement pour dire à
+votre famille comment vous vous portez.»
+
+Selon toute vraisemblance, la nouvelle de ce qu'avait fait le
+gouvernement pour ravitailler l'armée de Metz est donc parvenue au
+maréchal Bazaine, qui cependant affirme le contraire. Mais il affirme
+également n'avoir pas reçu une dépêche postérieure, contenant les mêmes
+détail et à lui apportée et remise par le garde mobile Risse. Cependant
+l'entrée à Metz de Risse ne peut être contestée, puisqu'il s'y est
+engagé dans le 44e de ligne. Sa déposition est très-précise. Elle est
+d'ailleurs confirmée par les deux témoins Marchal et Flahaut, dont il a
+été déjà parlé.
+
+Avec M. Arnous-Rivière, nous passons aux communications avec l'ennemi,
+dont il a été le principal ouvrier.
+
+M. Arnous-Rivière, âgé de quarante-sept ans, est un ancien officier
+démissionnaire, qui avait été chargé par le maréchal Bazaine d'organiser
+une compagnie d'éclaireurs. Il avait été d'abord attaché au grand
+quartier général, puis il fut investi à la fin d'août du commandement
+des avant-postes à Moulins. C'est par son intermédiaire que se faisait
+l'échange des correspondances entre les généraux en chef,
+correspondances, qui, pour la plupart, n'ont pas laissé de traces dans
+le dossier; c'est lui qui recevait les parlementaires et les conduisait
+en voiture de Moulins au grand quartier général. C'est ainsi que, le 23
+septembre, il amena Régnier, à la tombée de la nuit, d'abord à
+Longeville, au quartier général du général Cissey, puis au ban
+Saint-Martin chez le maréchal. «Vous annoncerez l'envoyé d'Hastings»,
+lui dit Régnier; parole faite pour surprendre, car alors on ignorait
+absolument à Metz que l'impératrice eut choisi cette résidence.
+Terminons par ce triste personnage.
+
+Régnier est un homme d'une cinquantaine d'années. C'est, d'après le
+rapport du général Rivière, un homme fin et audacieux, aux manières
+vulgaires, très-vaniteux et se croyant un profond politique. Il a reçu
+quelque instruction et joué, en 1848, un certain rôle dans les
+événements du temps. Puis il se lança dans l'industrie, et épousa en
+Angleterre une femme qui lui apporta une certaine aisance. Après le 4
+septembre, on le retrouve dans ce pays, où il cherche à se faufiler chez
+l'impératrice, qui s'était retirée à Hastings. Il finit par y obtenir, à
+force d'importunités, une photographie portant la signature du prince
+impérial, sorte de passe qui va lui servir, ainsi qu'une vue de
+Wilhemshoe, où était détenu l'empereur, et qu'il s'était procurée je ne
+sais comment, à accréditer ses menées. Ainsi nanti, il se rend à
+Ferrières auprès du prince de Bismarck, à la solde duquel il semble se
+mettre et qui l'emploie sous prétexte d'armistice à tromper le maréchal
+Bazaine, en faisant miroiter à ses yeux on sait quelles espérances
+ambitieuses, et à lui tirer l'état exact de la situation de son armée
+sous Metz et de ses ressources en vivres. En quittant le maréchal, il
+emmenait avec lui le général Bourbaki qui devait se rendre à Londres
+auprès de l'impératrice, et qui en y arrivant, fut fort surpris
+d'apprendre que celle-ci ne savait pas le premier mot de l'intrigue qui
+l'avait fait sortir de Metz. Mais le tour était joué, M. de Bismarck
+savait à huit jours près combien de temps le maréchal pouvait tenir,
+c'est tout ce qu'on voulait, et Régnier ne reparut plus.
+
+On sait qu'il ne s'est pas présenté à l'appel de son nom à l'audience du
+conseil de guerre où il devait faire sa déposition. On s'y attendait,
+car il avait déjà déclaré, dans une lettre rendue publique, qu'il ne
+comparaîtrait pas, si M. le président du conseil refusait de lui
+accorder certaines garanties pour sa sûreté. Aussi, a-t-il été condamné
+à 100 francs d'amende comme défaillant, à la requête du commissaire du
+gouvernement, qui a également demandé au conseil l'autorisation de le
+poursuivre comme ayant entretenu des intelligences avec l'ennemi et lui
+ayant procuré des renseignements pouvant compromettre la sûreté de la
+place de Metz et de l'armée française.
+
+Louis Clodion.
+
+
+
+Les pigeons de la presse de Paris
+
+Si la capitale politique de la France parlementaire était Tours et
+surtout Bordeaux, jamais la _Liberté_ n'aurait imaginé d'employer des
+pigeons au service de la dernière heure. Mais Versailles est si
+rapproché de Paris que l'électricité, à cause des formalités qu'exige
+son emploi, ne peut lutter contre l'aile du pigeon, qui est, lui,
+toujours prêt à partir dès qu'on ouvre la porte de son panier.
+
+L'intelligente initiative prise par la _Liberté_ ne pouvait tarder à
+être imitée. Quelques jours à peine s'étaient écoulés depuis l'ouverture
+de la session d'hiver qu'une industrie nouvelle était créée.
+
+Un colombophile imaginait de mettre au service des divers journaux
+politiques de Paris des pigeons parfaitement dressés. Il faisait de son
+colombier le centre des nouvelles les plus fraîches du maréchal Bazaine
+et de l'Assemblée nationale. Le _Temps_, la _Presse_, l'_Opinion_, la
+_Patrie_, etc., etc., et même l'Agence Havas sont devenus l'un après
+l'autre tributaires de ce service de dépêches. Le directeur de la poste
+aérienne loue ses oiseaux à peu près aussi cher que l'on eût fait payer
+un cheval au temps du grand roi pour revenir de l'OEil de Boeuf à Paris.
+Il est vrai que les pigeons n'ont pas besoin de postillons qui les
+ramènent à l'écurie.
+
+Ce commerce va si bien qu'on lâche quelquefois trente ou quarante
+pigeons dans la même journée, surtout si le temps est clair et si les
+événements politiques sont assez palpitants.
+
+
+
+[Illustration: Aveugles à la porte de la cathédrale de Valence.]
+
+[Illustration: La ligature des palmiers.]
+
+[Illustration: Laboureurs Valençais.]
+
+[Illustration: Le pesage du charbon à Madrid.]
+
+[Illustration: Pose de banderillas.]
+
+[Illustration: La navaja.]
+
+
+
+[Illustration: Un enterrement à Barcelone.]
+
+[Illustration: Contrebandiers de la Serriana de Ronda.]
+
+--Gravures extraites de l'_Espagne_, par le baron Ch.
+Daviller.--Illustrations de Gustave Doré. (Hachette et Cie, éditeurs.)
+
+
+
+Le lancer a lieu au fur et à mesure des demandes qui affluent
+principalement de deux heures et demie à trois heures, moment du coup de
+feu et de la clôture définitive du bureau. Car il n'y a pigeon qui
+tienne, il faut que le journal paraisse, et paraisse de bonne heure, s
+il ne veut pas qu'un rival plus diligent le prévienne et tire profit de
+ses retards.
+
+L'opérateur qui lance les pigeons se place sur la porte d'un petit
+cabaret borgne placé en face de la cour du Maroc. Les reporters n'ont
+qu'un saut à faire pour franchir la rue et y apporter les nouvelles
+écrites au vol, apportées au galop.
+
+C'est un homme de haute taille, à longue barbe et à larges épaules; nous
+l'avons représenté au moment où il jette en l'air, l'un après l'autre,
+un couple d'oiseaux. Pour éviter les pertes de temps, il en tient un
+dans chaque main. Les pigeons, profitant de l'élan qu'ils ont reçu,
+fuient rapidement dans la direction de Paris. Une foule très-mélangée et
+à laquelle quelques représentants ne dédaignent point de se mêler,
+assiste à ce spectacle, qui n'est pas un des moins curieux ni des moins
+instructifs que Versailles offre en ce moment.
+
+Cette entreprise publique n'est pas la seule; il existe en outre une
+organisation particulière établie par le _National_ pour les besoins de
+sa publicité. Son lanceur opère également dans le cabaret de la rue des
+Réservoirs, que nous avons représenté encombré de cages à pigeons. Le
+colombophile du _National_ est occupé à enfiler le petit tube des
+dépêches autour d'une des rectrices de la queue. L'opération demande
+beaucoup d'habitude et de dextérité. L'oiseau, quand on le prend
+convenablement, se laisse faire avec beaucoup de docilité; mais il ne
+faut pas croire qu'il ne s'aperçoive pas de ce qui vient de se passer.
+Non-seulement ce corps étranger gêne la manoeuvre de son gouvernail,
+mais il l'agace et l'inquiète; de sorte que, finalement, son vol se
+trouve notablement diminué de rapidité.
+
+La preuve, c'est que, si les nouvelles faisant défaut, quelques-uns des
+dix pigeons du _National_ sont lancés et reviennent sans dépêches, bien
+que partis les derniers, presque toujours ils arrivent les premiers à
+Paris.
+
+Comme l'oiseau se guide uniquement par la vue, il faut que le ciel soit
+assez pur, surtout au déclin du soleil, pour que les pigeons de la
+Presse de Paris puissent trouver leur chemin. La saison difficile va
+commencer, car les jours deviennent de plus en plus courts et nos petits
+courriers politiques ont à percer des brumes qui vont singulièrement en
+s'épaississant.
+
+Quant aux pigeons de nuit, ils sont encore à inventer. C'est à peine si,
+par un beau clair de lune, quelques lauréats des grands concours partant
+à faible distance pourraient regagner leur colombier.
+
+W. de Fonvielle.
+
+
+
+L'Espagne
+
+PAR M. LE BARON DAVILLER
+
+Les événements qui se passent en Espagne ont plus que jamais fixé
+l'attention publique sur ce pays, qui parle déjà tant à l'imagination.
+Aussi est-ce avec le plus vif intérêt que l'on arrête ses regards sur
+tout ce qui sert à faire connaître les moeurs de ce peuple curieux, rude
+et poli, passionné, superstitieux, brutal, avide de distinction,
+très-chatouilleux sur le point d'honneur, et avec cela aussi généreux
+que digne. A ce titre, les dessins que nous donnons ci-contre ne peuvent
+donc manquer de plaire à nos lecteurs.
+
+Un d'eux représente un cimetière à Barcelone. C'est une série de longues
+allées que bordent de hautes murailles percées d'une multitude de
+casiers. Chaque casier doit loger un cercueil, après quoi il est muré.
+Une dalle en pierre ou en marbre, plus ou moins richement ornée, suivant
+la fortune du défunt, et portant son nom, ferme l'ouverture du casier.
+Rien de triste comme une promenade à travers les rues mornes de cette
+ville des trépassés.
+
+Passons dans la province voisine, celle de Valence, qui entre toutes, a
+conservé un caractère moresque nettement tranché. Le costume des
+habitants a à peine varié depuis plusieurs siècles, celui des paysans
+surtout. Coiffés d'un mouchoir aux couleurs éclatantes, roulé autour de
+la tête et s'élevant en pointe, réminiscence du turban, qu'ils
+recouvrent parfois d'un sombrero à larges bords, ils portent une chemise
+attachée au cou par un bouton double, un très-large caleçon de toile
+blanche, retenu par une ceinture, des bas sans pied quand ils en
+portent, et des alpargatas ou espardines. Ajoutons la mante, qui ne les
+quitte jamais, et voilà au complet le costume d'un Valençais du peuple,
+d'un _labradore_ ou laboureur, qui ne se fait beau et n'endosse le gilet
+de velours aux boutons d'argent que les jours de fête. La fertilité des
+environs de Valence est proverbiale, ce qui n'implique pas qu'il n'y ait
+point de pauvres. Comme chez nous, les pinceurs de guitare ne manquent
+pas, mais c'est dans la capitale de la province qu'on les trouve. Les
+infirmes hantent les portes des églises. Un de nos dessins représente
+deux aveugles chantant des litanies à la porte de la cathédrale.
+
+Comme toutes les grandes villes de la péninsule, Valence a sa _plaza de
+toros_, où ont lieu les combats cruels si chers aux Espagnols. Ces
+combats se terminent toujours par la mort d'un certain nombre de
+taureaux et de chevaux. Le sang humain y coule souvent aussi, mêlé à
+celui des animaux. Nous ne décrirons pas par le menu ce dramatique sport
+où torreros, picadores, banderilleros ont leur place marquée et jouent à
+l'envi le jeu le plus périlleux. Quelques mots cependant sont
+nécessaires pour expliquer un de nos dessins: _Pose de banderillas_. Ces
+banderillas sont des sortes de flèches dont le bois est entouré de
+papier de différentes couleurs, frisé et découpé. A l'une de ses
+extrémités est un hameçon. Les banderilleros ont pour mission de piquer
+dans les épaules du taureau ces engins qui ne peuvent plus s'en
+détacher, et ont pour effet d'augmenter la fureur de l'animal C'est à
+Madrid que ces spectacles se donnent avec le plus d'apparat et de
+somptuosité. Si l'on n'y déploie pas à Valence un pareil luxe, en
+revanche on s'y porte avec un empressement à nul autre pareil. Le
+Valençais est passionné pour ce divertissement. Cela tient sans doute à
+sa nature. S'il est gai, il est cruel. La colère le transporte
+facilement. C'est alors qu'il joue du couteau, de cette terrible
+_navaja_, qui se fabrique à Albacète, et dont la lame, très-allongée et
+pointue, porte toujours quelque inscription, qui indique à quel usage
+elle n'est que trop souvent employée, «Si cette vipère te pique, il n'y
+a pas de remède à la pharmacie.»
+
+ Si esta vivora te pica
+ No hay remedio en la botica.
+
+Devise qui le plus souvent employée, a valu à certains _navajas_ le nom
+lugubrement plaisant de _navajas de santolio_, couteaux de
+l'extrême-onction.
+
+Mais il est temps de nous arrêter. Quelques-uns des détails que l'on
+vient de lire et qui expliquent les dessins que nous donnons, ont été
+par nous empruntés au magnifique ouvrage que vient de publier la
+librairie Hachette: l'_Espagne_, par le baron Ch. Daviller. C'est un
+splendide volume in-4º de 800 pages, très-intéressant, très-bien écrit,
+et illustré de 300 gravures dessinées sur bois par M. Gustave Doré.
+
+L. C.
+
+
+
+L'Insurrection de Cuba(5)
+
+Dans l'histoire de la semaine nous disons où en est l'affaire du
+_Virginius_, qui est venue si inopinément compliquer, vis-à-vis des
+États-Unis d'Amérique, la situation déjà si critique de la malheureuse
+Espagne. Nous n'avons pas à y revenir ici. On sait qu'à la première
+nouvelle de l'exécution des flibustiers américains, il y eut comme une
+explosion d'indignation aux États-Unis. On ne parlait que d'armer et
+d'entrer en campagne sur l'heure.
+
+Cette indignation était-elle bien réelle? J'en doute.
+
+On sait que depuis longtemps les États-Unis convoitent la possession de
+l'île de Cuba; et, si les richesses et la merveilleuse situation de la
+perle des Antilles n'excusent pas ces convoitises, au moins les
+expliquent-elles. La fertilité de l'île de Cuba est très-grande en
+effet, sa végétation magnifique. On y trouve de vastes forêts de
+palmiers, de cèdres, de cocotiers, de chênes, de pins; on y cultive la
+canne à sucre, le tabac, le caféier, le cotonnier, l'indigotier, le riz,
+le maïs, qui sont pour le planteur une source intarissable de richesses,
+et rien n'égale la beauté de son port de la Havane que défendent de
+vastes fortifications. Les vues que nous donnons de ce port et de
+l'intérieur de l'île prouveront au lecteur que nous n'exagérons en rien.
+
+Cuba forme, avec les autres Antilles espagnoles, un gouvernement dont la
+Havane est le chef-lieu. Civilement, elle est divisée en deux provinces:
+la Havane et Santiago; militairement, en trois départements: l'Est, le
+Centre, et l'Ouest; financièrement en trois intendances: la Havane,
+Puerto-Principe et Santiago; au point de vue maritime enfin, en cinq
+provinces: La Havane, Trinitad, Remedios, Nuevitas et Santiago. Elle
+renferme une population de 1,449,462 habitants, dont 564,698 blancs,
+16,176 hommes libres de couleur et 662,087 esclaves qui seront libérés
+après la pacification de l'île d'après la loi récemment votée par les
+cortès espagnoles. En attendant l'esclavage y règne toujours, et bien
+que la traite soit interdite, plusieurs milliers d'esclaves y sont
+encore introduits chaque année. La révolte de ces esclaves l'a
+ensanglantée plusieurs fois dans le cours de ce siècle et l'ensanglante
+encore aujourd'hui. Espérons que c'est pour la dernière fois et que ces
+révoltes cesseront avec la cause qui les a fait naître.
+
+L'Espagne attache le plus grand prix, et cela se comprend, à cette
+colonie que les États-Unis, nous l'avons dit, voudraient bien aussi
+s'annexer. En 1845, ils ont offert de l'acheter, et peut-être l'Espagne
+a-t-elle eu tort de ne pas la vendre. Finiront-ils par s'en emparer
+d'une façon ou de l'autre? Selon toutes les probabilités, oui.
+
+ [Note 5: Les deux gravures qui accompagnent cet article sont
+ extraites du _Tour du Monde_, nouveau journal des voyages, publié
+ par la maison Hachette et Cie.]
+
+
+
+UN VOYAGE EN ESPAGNE
+PENDANT L'INSURRECTION CARLISTE
+
+V
+
+Abdication du roi Amédée et proclamation de la République.--Agissements
+de la Junte carliste établie à Bayonne.--Don Carlos séjournant à la
+frontière.--Conseil particulier du prétendant.--Nomination de nouveaux
+chefs carlistes.
+
+Lorsque l'abdication du roi Amédée fut portée aux Cortès et que
+celles-ci, en dépit du ministre Zorilla, proclamèrent la République,
+j'étais à Vitoria, capitale de la province de l'Alava. De ces deux
+nouvelles, la première était prévue depuis longtemps, le jeune prince
+italien, malgré ses qualités personnelles incontestables, étant
+profondément détesté par tous les Espagnols, sans distinction de partis,
+devait en arriver forcément à cet acte d'abdication. Aussi
+n'étonna-t-elle personne.
+
+Il n'en fut pas de même de la proclamation de la République par une
+Chambre qui passait pour être foncièrement monarchique. La population ne
+voulut pas d'abord croire à la réalité de cette nouvelle. Mais lorsqu'il
+fallut bien se rendre à l'évidence, elle protesta énergiquement contre
+cette forme de gouvernement subitement improvisée. Je ne crois pas me
+tromper en affirmant qu'à Vitoria, ville d'environ vingt mille âmes, il
+ne s'y trouvait pas, en avril dernier, _cent républicains_. La
+désorganisation s'introduisit dans l'administration des affaires
+publiques. Le gouverneur de la province, les membres de
+l'_ayuntamiento_, tous les principaux employés du pouvoir central
+donnèrent leur démission en masse, si bien qu'en deux ou trois jours, la
+ville et toutes les localités de la province furent livrées à la plus
+complète anarchie.
+
+Le même désordre se reproduisit dans les autres provinces qui, comme
+celle de Vitoria, furent plongées dans la stupeur à l'annonce seule du
+mot de République, qui a été toujours, depuis la Révolution de 1793, un
+horrible épouvantail dans l'esprit des populations basques, au point
+qu'elles nous ont regardé, pendant longtemps, nous Français, comme des
+monstres et des buveurs de sang.
+
+Dans toutes les excursions que je fis à Pampelune, Tolosa, Bilbao,
+Saint-Sébastien, etc., je constatai le même désarroi dans toutes les
+administrations et une égale répugnance, de la part des populations, à
+vouloir accepter la nouvelle forme de gouvernement. Alors se produisit
+une espèce d'anarchie dont profita habilement le parti carliste.
+Jusqu'alors, l'insurrection avait été assez mollement conduite, soit que
+les chefs n'eussent pas une entière confiance en son succès, soit
+qu'elle manquât d'argent et d'armes; ce dernier fait était vrai, j'en ai
+eu la certitude.
+
+Mais à partir du jour où commença la désorganisation du pouvoir central,
+la junte de guerre, établie à Bayonne depuis le mois de mars, fonctionna
+avec plus d'activité. Elle se composait de membres moitié Espagnols,
+moitié Français, dont la mission consistait à procurer des armes, de
+l'argent et des hommes à l'insurrection. Jusqu'alors elle lui en avait
+bien fourni, mais dans une mesure bien restreinte. C'est du moins ce
+dont se plaignaient les _cabecillas_ qui se trouvaient à la tête des
+bandes. Elle trouva pour la seconder, attendu les circonstances
+politiques du moment, les fournisseurs et les banquiers auxquels elle
+s'était adressée, dès le début de la campagne, dans de meilleures
+dispositions. Les premiers, toujours craintifs et n'ayant pas une foi
+bien robuste dans le succès de l'insurrection, n'exécutaient que d'une
+manière bien irrégulière les marchés passés pour fournitures d'armes de
+munitions et d'équipements militaires.--Les seconds se montraient
+très-difficiles pour accepter les traites souscrites par les agents de
+don Carlos et laissaient sortir du sein de leurs caisses, pour les
+besoins de la guerre, que le moins d'argent possible. Ce qui explique le
+peu de progrès que faisait l'insurrection.
+
+Mais à dater du mois d'avril et du commencement de mai, fournisseurs et
+banquiers furent plus accommodants et pleins de zèle pour seconder les
+vues et les projets du parti carliste, avec lequel ils avaient pris des
+engagements sérieux par l'intermédiaire de la junte de Bayonne. Les
+armes et les munitions passèrent alors plus régulièrement et en plus
+grande quantité la frontière qu'auparavant, malgré les difficultés bien
+plus nombreuses qu'on opposait à leur passage, du côté de France, où
+venait d'être établi sur la frontière un cordon sanitaire de troupes. On
+en expédia même de l'Angleterre.
+
+J'ai assisté à un débarquement d'armes expédiées de Birmingham. Vers le
+milieu du mois de mai, un bateau à vapeur vint en plein jour (il était
+sept heures du matin) s'arrêter dans le petit port de Fontarabie, en
+face le débarcadère des pêcheurs, À son apparition, des barques allèrent
+l'aborder, et en moins d'une heure elles transportèrent quatre cents
+caisses qu'elles déposèrent sur la berge, rendant l'opération du
+débarquement, une bande de quinze cents hommes environ, commandée par le
+colonel Martinez, et dont les trois quarts étaient sans armes,
+s'emparèrent des colis qui renfermaient des fusils et des munitions, les
+ouvrirent et s'armèrent séance tenante. Les caisses restées sans être
+ouvertes furent déposées sur des charrettes et transportées, sous bonne
+escorte, au camp d'_Achulégui_. Ce débarquement s'opéra sans qu'il
+trouvât là moindre opposition de la part des troupes et des volontaires
+de la République casernés à Irun, c'est-à-dire à deux kilomètres au plus
+du port de Fontarabie. Et ce qui me parut plus étrange encore, c'est que
+la bande carliste et les caisses chargées sur des charrettes traînées
+par des boeufs, passèrent tranquillement devant les portes de la ville.
+
+A cette expédition, dont je fus spectateur, j'eus l'occasion de revoir
+mon ami, le colonel Martinez, qui commandait l'escorte du convoi et qui
+paraissait tout radieux.
+
+--Vous n'êtes pas encore à Madrid, mon cher colonel, lui dis-je, en lui
+rappelant son dernier adieu à Vera, mais vous y êtes sur le chemin, à ce
+qu'il me paraît.
+
+--Dix débarquements comme celui-ci, me répondit-il, et notre cause est
+gagnée!
+
+--Vous ne craignez pas d'être surpris sur votre route par les troupes
+républicaines?
+
+--Toutes mes précautions sont prises et je suis certain d'avance que les
+hommes de Loma n'oseront as venir nous barrer la route. Voyez, j'ai
+quinze cents hommes avec moi!
+
+Le colonel avait dit vrai. Pas un seul homme de la garnison d'Irun, qui
+se composait d'environ six cents hommes, soit volontaires, soit soldats
+de la ligne, n'osèrent sortir de la ville.
+
+J'ai assisté à trois autres débarquements du même genre, sans qu'ils
+fussent autrement contrariés, tant les frontières étaient mal gardées du
+côté de l'Espagne.
+
+D'un autre côté, don Carlos, que les journaux espagnols et étrangers
+avaient fait mourir plusieurs fois et voyager tantôt en Angleterre,
+tantôt en Suisse, vint s'installer d'abord dans un hôtel de Pau et
+ensuite au château de Peyrolhade, où il a résidé jusqu'à son entrée en
+Espagne. Voulant m'assurer par moi-même si le fait était exact, je fis,
+au mois de juin, une excursion dans les Basses-Pyrénées, et je me rendis
+à ce château, situé presque sur les limites qui séparent la France de
+l'Espagne. Ce n'était pas sans de grandes difficultés que je pus arriver
+jusqu'à cette demeure seigneuriale, malgré les titres et les
+recommandations dont j'étais porteur, tant on avait pris de précautions
+pour la rendre inabordable.
+
+Lorsqu'un inconnu venant de France ou d'Espagne apparaissait dans le
+lointain, se dirigeant vers le château bâti sur une élévation qui domine
+les alentours à une distance de quatre kilomètres, des vedettes placées
+de loin en loin, depuis le sommet des montagnes jusqu'au village de
+Peyrolhade, qui lui-même est éloigné de la résidence royale d'environ
+une lieue, s'empressaient d'en informer le commandant du palais.
+Celui-ci envoyait immédiatement des gardes à sa rencontre pour le
+reconnaître. S'ils avaient les moindres soupçons sur l'individu, on le
+prévenait poliment qu'il se trompait de chemin en lui indiquant le moyen
+d'en prendre un autre; et ils s'éloignaient. Si, au contraire, c'était
+un ami ou une personne dont on n'avait pas à se méfier, on le conduisait
+au château.
+
+C'est ainsi que sur la présentation d'une lettre du président de la
+junte carliste, je fus admis auprès de la personne du prince, qui voulut
+bien me recevoir lui-même. Don Carlos est âgé de vingt-neuf à trente ans
+environ. Sa taille est élevée, sa figure pleine de noblesse; un air de
+grandeur et de majesté rayonne sur sa physionomie franche et
+sympathique. Tout en lui, jusqu'à sa parole claire, douce et concise,
+prévient en sa faveur. L'audience qu'il m'accorda ne fut pas longue,
+mais elle répondit au but que je m'étais proposé d'atteindre.
+
+Il ne faudrait pas croire pourtant que le prétendant se montrât
+très-facile à accorder des audiences particulières. Il est arrivé, à ce
+sujet, aux visiteurs étrangers, de curieuses méprises. Milord D...,
+désirant s'entretenir avec don Carlos, s'était rendu à cheval de Pau au
+château de Peyrolhade. Arrivé à la résidence princière, il fut reçu par
+le général Ellio, auquel il demanda de le présenter au _roi_. Le vieux
+général s'empressa de le conduire dans le salon bleu, aux tentures
+fleurdelisées, où se trouvaient trois personnages, la tête couverte de
+bérets blancs (_boinas_) agrémentés de passementeries d'or. Milord D...,
+qui ne connaissait le prince que par ses portraits, croyant voir don
+Carlos dans le personnage placé au milieu des deux autres, lui offre ses
+hommages et entre avec lui dans une très-longue conversation sur la
+situation troublée de l'Espagne. Après une demi-heure d'entretien, les
+deux interlocuteurs se quittèrent enchantés l'un de l'autre. La vérité
+est que le noble visiteur avait pris le major Arjona, secrétaire du
+prince, pour don Carlos lui-même. Celui-ci, resté dans son cabinet,
+n'était pas encore descendu au salon.
+
+Je dois ajouter que cette résidence étant journellement visitée par des
+émigrés de tous les pays qui venaient offrir _au roi_, les uns le
+secours de leur épée, les autres solliciter des grades et des faveurs,
+le général Ellio avait organisé un service rigoureux de police autour du
+prince, afin de prévenir toute tentative d'espionnage ou d'attaque
+personnelle contre l'hôte illustre du château. Je dois reconnaître que
+cette surveillance pouvait ne pas être inutile, au milieu de ce coin
+isolé des montagnes que cherchaient à découvrir les émissaires du
+gouvernement de Madrid et dont l'inutilité de leurs recherches a fait
+toujours leur désespoir.
+
+Ce fut pendant le court espace de temps que je passai au château de
+Peyrolhade que je pus me renseigner sur le personnel dont se composait
+la maison du prince et qu'il n'y a pas, je crois, indiscrétion de faire
+connaître. Elle comprenait le général Ellio, président du conseil de
+guerre, cinq chefs carlistes qui en étaient les membres et dont le
+marquis de Valdespina faisait partie, et du major Arjona, secrétaire
+particulier de don Carlos.
+
+Les opérations du conseil de guerre consistaient dans la direction à
+donner aux opérations militaires dont le plan était tracé d'avance: dans
+la nomination des _cabecillas_ et leur envoi aux divers postes qu'ils
+devaient occuper; enfin, dans le contrôle de tous les actes qui
+concernaient l'organisation des bandes, leur armement et leur
+équipement.
+
+Malgré le mystère dont on entourait le château de Peyrolhade, cette
+retraite soi-disant introuvable de don Carlos, était le centre d'un
+va-et-vient de gens qui, des deux côtés des Pyrénées, s'y rendaient pour
+les affaires de l'insurrection. C'étaient les membres de la junte qui
+venaient, les uns ou les autres, prendre les ordres du conseil de
+guerre, lui communiquer les résultats de ses opérations et s'entendre
+avec lui sur les difficultés qui pouvaient se présenter: et ces
+difficultés étaient nombreuses, surtout dès le début de la campagne;
+c'étaient des agents secrets qu'on avait établis sur la frontière et
+jusque dans les centres des provinces, qui venaient faire leurs rapports
+sur tout ce qui se passait d'hostile ou de favorable au parti;
+c'étaient, enfin, les envoyés des _cabecillas_ en campagne, qui
+apportaient au château tout ce qui concernait la situation bonne ou
+mauvaise des bandes qu'ils commandaient.
+
+Lorsque je repassai la frontière, j'appris la nomination de nouveaux
+chefs carlistes, dont quelques-uns étaient déjà au château de
+Peyrolhade, au moment de mon départ de cette résidence. Au nombre de ces
+chefs qui devaient donner à l'insurrection une nouvelle impulsion,
+étaient le général Ellio, qui reprenait un service actif, le marquis de
+Valdespina, Dorregaray et Lizarraga. Ces quatre généraux, que j'ai vus
+plusieurs fois sur les champs de bataille, méritent d'être connus, à
+cause des commandements qu'ils occupent à la tête des bandes et des
+services qu'ils rendent à la cause carliste. C'est ce que je me propose
+de faire, après avoir dit quelques mots sur l'emprunt que le parti
+contracta à Londres. C'est, au reste, avec l'argent qu'il produisit que
+la guerre civile put prendre plus d'extension et de développements,
+ainsi que je vais le constater.
+
+
+
+LES THÉÂTRES
+
+Porte-Saint-Martin. _Libres!_ drame en huit tableaux, par M. Edmond
+Gondinet.--Ambigu-Comique. _La falaise de Penmarck_, drame en cinq actes,
+de M. Crisafulli.--Odéon. _Le docteur Bourguibus_. comédie en un acte et
+en vers, de M. Edmond Cottinet.--Gymnase. _Monsieur Adolphe_, pièce en
+trois actes, de M. Alexandre Dumas fils.
+
+La pièce de M. Gondinet, _Libres!_ m'a beaucoup plu. Je sais que les
+dilettanti du genre, les raffinés du mélodrame y trouveront à redire,
+car elle n'est pas construite et charpentée selon les règles, elle ne
+vous saisit pas à la gorge à un moment donné pour vous laisser pantelant
+et lui crier merci dans quelques scènes pleines d'émotion ou de terreur.
+Son scénario ne s'avance pas progressivement pour marcher à travers des
+péripéties les plus sombres pour arriver aux catastrophes finales; mais
+qu'importe que le drame échappe à l'analyse par sa trame un peu légère,
+qu'importe que faction un peu mince tienne en quelques lignes, si
+l'impression d'ensemble est allée droit à l'effet voulu, et si au sortir
+du théâtre le drame a laissé dans l'esprit du spectateur un souvenir, et
+que l'âme s'en sente encore agitée par delà la représentation. C'est ce
+qui arrive.
+
+C'est peu de chose en effet que cette histoire dramatique facilement
+imaginée et qui se déroule autour de Lambros, le polémarque de la
+Selléide, avec cet amour de sa fiancée Chryseis, avec cette trahison du
+traître Andronicos livrant par jalousie et par haine son pays à Aly,
+pacha de Janina. Cette rivalité est le thème obligé de tous les
+mélodrames. Quelques scènes plus ou moins heureuses ajoutées à cette
+nomenclature du crime des traîtres ne font rien à l'affaire. Le drame
+n'aurait rien perdu assurément à plus de nouveauté dans cette fable
+romanesque. Il eût été meilleur, à coup sûr, en se privant de ce groupe
+de comiques propres à jeter de la gaieté, comme cela se passe dans toute
+pièce du boulevard. Je n'en disconviens pas; mais je le répète, le drame
+de M. Gondinet m'a plu par sa composition générale, par son mouvement,
+par cette grande histoire de liberté qu'il met en scène, par ce récit de
+l'affranchissement d'un peuple. Tout cela est animé, vivant, tout cela
+s'écoute d'un bout à l'autre avec la plus vive curiosité, au milieu de
+nombreux épisodes et à travers tout ce pays de la Grèce.
+
+Il semble que M. Gondinet, qui est un esprit fin et qui a bien sa
+jeunesse et sa poésie, ait lu cette histoire de l'indépendance
+hellénique dans les livres de Fouqueville et de Fauriel, qu'il ait lu
+avec ardeur ces chants recueillis par M. de Marcellus, et que se
+souvenant de cet enthousiasme qui enflamma vers 1825 nos poètes de
+France et d'Angleterre pour la cause de ce peuple, il ait voulu rendre
+dans un drame toute cette vie d'un passé qui passionna si profondément
+l'Europe aux temps où elle avait plus de sympathie et plus de larmes
+pour les opprimés et les vaincus.
+
+A ce drame de l'indépendance d'un pays qui eut pour alliés les poètes,
+M. Gondinet a laissé son caractère poétique. C'est là son côté original
+et piquant. Il se dégage des conventions scéniques par un souffle
+heureux. Il a pour lui, et que le lecteur me pardonne cette phrase du
+temps, il a pour lui les Muses de la patrie et de la liberté. Comme aux
+jours de ses premiers fils, la Grèce est encore le pays des vers. Elle
+chante aux noces des fiancés, aux berceaux des fils, sur la tombe des
+soldats, elle a des épithalames et des nénîes; ses poètes populaires
+sont de toutes ses fêtes. M. Gondinet les a parfois reproduits avec un
+rare bonheur:
+
+ Le klepte est tombé sous les halles,
+ Chantons les marches triomphales,
+ Que son nom résonne partout.
+ Creusez sa tombe haute et grande
+ Pour que son bras armé s'étende
+ Et pour qu'il s'y tienne debout.
+ Faites à la pierre une entaille
+ Pour que dans les jours de bataille
+ Il entende les combattants.
+ Plantez devant un laurier-rose
+ Pour que l'hirondelle s'y pose
+ Et l'avertisse du printemps.
+
+Ainsi parle sur le cadavre du polémarque Lambros, le héros de la pièce,
+D'autres chantent les hymnes de liberté, et le drame s'écoule toujours
+soutenu par un sentiment fin et délicat qui le vivifie dans un cadre
+poétique, C'est la Grèce avec ses aspirations de liberté, avec ses
+glorieux révoltés, c'est elle avec ses kleptes, ses chkipetars, ses
+costumes brillants; nous la retrouvions dans sa gracieuse et pittoresque
+beauté, avec ce décor qui nous transporte sur la place de Variadès, au
+fond duquel se dessine dans le lointain les hautes montagnes et les
+gracieux villages attachés à leurs flancs. Nous nous sommes cru un
+instant sur la côte du Péloponèse, au tableau qui représente la falaise
+couverte d'arbres et dominant les flots bleus de la mer. C'est un
+chef-d'oeuvre que ce décor qui représente le Grand-Souli, avec ses
+maisons blanches, ses cactus en fleurs, ses vignes qui grimpent jusques
+aux toits en tuiles rouges, avec son pont jeté sur un torrent. Il semble
+que M. Rubé, qui en est l'auteur, l'ait composé d'après une vue
+photographique rapportée du pays de Messène ou d'Argos. Cet art du
+décorateur, qui, je crois, n'a jamais été poussé aussi loin dans la
+vérité des tableaux, nous a rendu la Grèce avec la plus grande fidélité.
+Et c'est là un attrait de plus pour le drame de M. Gondinet, que le
+public a accueilli avec le plus vif succès.
+
+L'interprétation de la pièce est excellente. M. Dumaine joue avec une
+sincère conviction et une réelle autorité ce rôle de Lambros, qui domine
+tout le drame. Taillade, c'est Aly, le pacha de Janina, un tyran bizarre
+et cruel qui tourne parfois à la ganache. Larcy, Charly, font retentir
+leurs voix vibrantes, et Laurent égaye la pièce par sa bonne humeur.
+Quant à Mme Dica-Petit, fort belle sous ses magnifiques costumes de
+femme souliote, elle a donné au personnage de Chryseis un véritable
+caractère de passion et de noblesse.
+
+J'aime ce bon mélodrame du temps passé, avec tous ses trucs, ses
+épouvantails, ses tours, ses prisons, ses rochers, ses falaises, tout
+son attirail de crimes et d'horreurs, mais encore faut-il que ces
+horreurs soient possibles à raconter. M. Crisafulli a poussé dans la
+_Falaise de Penmarck_ ce genre tellement au noir que pour ma part je ne
+m'y reconnais plus. Voilà une aventure, par exemple! Le commandant
+Pierre Lecourbe se marie; le jour même de ses noces il reçoit l'ordre de
+rallier l'escadre en partance! Ainsi le veut l'amiral qui ne transige
+pas avec la consigne. Le commandant a un frère, un ivrogne, lequel après
+les libations les plus regrettables, croyant entrer chez sa fiancée, se
+trompe de porte et pénètre chez sa belle-soeur, la femme du commandant.
+
+Vingt ans après ce bel exploit, le commandant Lecourbe vit auprès de sa
+femme et entre deux filles, qu'il aime, sans soupçonner que sa fille
+aînée doit le jour à un horrible crime. L'affection du commandant pour
+cette enfant semble même plus grande que pour l'autre, à ce point qu'il
+dépouille sa fille cadette au bénéfice de sa soeur. La mère révoltée
+d'une telle injustice révèle à moitié ce terrible secret à son mari. Ce
+que le commandant ignore c'est le nom du coupable. Il va donc à son
+frère, Pierre Lecourbe, et lui confie le soin de sa vengeance en lui
+faisant jurer que cet homme mourra et, par le fait, il tient son
+serment, car honteux de lui, il se précipite du haut de la falaise de
+Penmarck, qui n'est là que pour fournir un titre pittoresque à la pièce.
+C'est à l'aide de cette fable dramatique que M. Crisafulli a obtenu une
+scène des plus saisissantes. Celle des deux frères, dont l'un demande
+vengeance à l'autre pour son honneur outragé, pour son nom souillé. Mais
+vraiment ces fortunes-là coûtent bien cher puisque c'est au prix de
+telles situations qu'on les obtient. Si ce drame nous demande au début
+de grands crédits pour faire marcher sa petite industrie, je suis prêt
+pour ma part à les lui refuser. Qu'il s'arrange, n'a-t-il pas la
+trahison, le meurtre, l'assassinat. S'il lui faut plus encore, il est
+trop exigeant; qu'il meure faute d'appui, je n'y vois pas
+d'inconvénient.
+
+J'ai donc hâte de sortir de cette _Falaise de Penmarck_ pour entrer dans
+une joyeuse comédie, pleine de belle humeur, d'esprit et de gaieté, et
+qui a pour titre le _Docteur Bourguibus_: elle est née de la fantaisie
+d'un poète, et de la première à la dernière scène elle s'en va
+lestement, joyeuse de ses bonnes trouvailles comiques, de ses vers
+plutôt improvisés qu'écrits, étincelants de saillies. Ce docteur
+Bourguibus qui a pour parents tous les héros de la comédie bergamasque a
+une _toquade_. Pardon du mot: aux XVIIIe siècle on aurait dit du docteur
+qu'il avait le timbre fêlé. Le brave homme qui a la monomanie de la
+pitié, s'attache particulièrement aux gredins. Que lui parlez-vous
+d'honnêtes gens! la belle affaire! ils ont leur conscience pour eux et
+le paradis au bout. Mais un criminel, un assassin, par exemple, un
+meurtrier que la justice, l'infâme justice a frappé, voilà ce qui tente
+l'âme du docteur Bourguibus. C'est une cure à faire. S'occupe-t-on des
+gens bien portants? Non; on soigne les malades; qu'est-ce qu'un
+criminel? un malade: le tout est de le guérir. Grâce à ce raisonnement,
+le docteur cueille au haut d'un gibet un gibier de potence qu'il arrache
+à main armée aux mains des valets du bourreau. Cet exploit a coûté la
+vie à cinq honnêtes gens: c'est pour rien. Et voilà Spalâtre installé
+dans le logis de docteur. On va voir ce qu'on peut obtenir avec des
+soins d'un gredin qu'on a dépendu. Tout est pour lui, les bons morceaux,
+les complaisances des domestiques, et jusqu'à la main de la nièce du
+docteur. Seulement il veut conduire sagement l'homme à complète
+guérison. Il dort, silence; il va se réveiller, qu'il ouvre les yeux aux
+sons d'une musique réjouissante: un murmure de menuet et le docteur et
+sa nièce effleurent sur la mandoline et le violon l'adorable morceau de
+Boccherini. Là-dessus Spalâtre qui entr'ouvre les yeux rêve de voyageur
+égaré et d'assassinat au coin d'un bois. Elle est charmante cette scène
+du bandit que la musique ramène à ses premières inclinations, le
+meurtre. La cure a si bien opéré que Spalâtre, non content de voler pour
+son propre compte, fait de la propagande et entraîne les domestiques du
+docteur à voler avec lui, si bien que le pauvre Bourguibus paye ses
+théories humanitaires de ses meubles, de sa bourse et de sa montre. Bien
+en a pris à l'amoureux de la nièce de se déguiser en bourreau et de
+venir demander Spalâtre au docteur qui le retient contre la loi, car à
+la vue de l'homme noir, Spalâtre s'est enfui maudissant cet imbécile de
+docteur qui l'expose à retomber dans les mains de la justice. Tout
+s'arrange; le docteur se guérit de son faible pour les gredins et de sa
+haine pour les gens de police, et le public applaudit chaleureusement à
+l'auteur et aux interprètes de cette comédie des plus originales et des
+plus amusantes.
+
+Le théâtre au Gymnase a remporté hier, mercredi, un éclatant succès avec
+_Monsieur Adolphe_. Je reviendrai la semaine prochaine sur cette oeuvre
+exquise de M. Alexandre Dumas. Je ne puis que signaler aujourd'hui
+l'accueil chaleureux que le public tout entier a fait à sa pièce. C'est
+là une des plus grandes fêtes du théâtre au Gymnase. Depuis vingt ans,
+depuis ces jours du _Demi-monde_, je ne crois pas qu'il eût été témoin
+d'une semblable ovation. La salle passait du rire aux larmes, de
+l'émotion à la gaieté. Elle a acclamé l'auteur, saluant dans son oeuvre
+cette sûreté de talent, cette élévation dans la pensée, cette explosion
+de l'esprit qui font de M. Dumas fils un maître. Tout son public lui
+était revenu, heureux d'oublier les quelques moments de froideur qui
+s'était faite entre lui et l'auteur de la _Femme de Claude_, et comme
+regrettant ses sévérités passagères, on se sentait comme reconnaissant
+envers M. Dumas de lui rendre l'auteur aimé des jours passés.
+
+Les interprètes de _Monsieur Adolphe_ ont été couverts
+d'applaudissements, et Pujol, et Achard, et Mlle Alphonsine, cette
+transfuge des théâtres de féerie, qui s'est montrée merveilleuse
+comédienne dans le rôle de Mme Guichard.
+
+Je donne avec plaisir une bonne nouvelle à mes lecteurs: Les concerts de
+M. Daubé vont reprendre leur cours, non plus au _Grand-Hôtel_ où on les
+suivait autrefois, mais à la salle que M. Henri Herz a mise
+gracieusement à la disposition de M. Daubé.
+
+M. Savigny.
+
+
+
+[Illustration: LES ÉVÉNEMENTS DE CUBA.--Vue générale de la Havane.]
+
+[Illustration: L'ILE DE CUBA.--Vue prise près de la côte de Candela.]
+
+
+
+REVUE COMIQUE DU MOIS, PAR BERTALL
+
+[Illustration: LES LIONS DE M. SARI, AUX FOLIES-BERGÈRES.. Voyez trois
+bocks au 71.--Bouuummm!]
+
+[Illustration:--Eh bien, et le _Rappel?_--Eh bien, et l'appel?--Ce
+n'est pas pour toi que le four chauffe.--C'est l'appel qui se moque du
+fourgon!]
+
+[Illustration:--Allons, mon petit, faut rentrer dans ta boîte.--Bah!
+sept ans, ce n'est pas une affaire!--C'est un congé.]
+
+[Illustration: L'EXPOSITION DES ENFANTS AUX CHAMPS-ÉLYSÉES.--Études sur
+les manières les plus pratiques et les plus commodes pour exposer les
+enfants, depuis la suppression des tours.]
+
+[Illustration: MM. LES COLLÉGIENS.--Ah! ah! ah! voilà déjà le régime du
+sabre qui commence. On veut nous infliger une sortie. Eh bien! ma bonne,
+va dire à ton maître que je suis comme M. Trochu, je ne sortirai pas,
+j'ai mon plan.]
+
+[Illustration: LA QUENOUILLE DE VERRE.--Ma petite Judic, vous avez
+chanté ça Judic-ieusement.--Dites délicieusement!--Comme si ce n'était
+pas la même chose!]
+
+[Illustration:--Ah! si la Femme à deux têtes voulait épouser
+l'Homme-Chien! quel avenir pour leur famille!]
+
+[Illustration:--Mon bon M. Halanzier, ce sont les Italiens qui sont là,
+si vous voulez je vais en délivrer le territoire, et ça ne sera pas
+long.--Je ne demanderais pas mieux, mais tu vois bien que les Italiens
+sont des Russes.]
+
+[Illustration:--M. Strakosch traite à l'amiable et consent à recevoir
+M. Halanzier, à condition que tous les abonnés ne se présenteront au
+contrôle que porteurs d'une voie d'eau.]
+
+[Illustration:--Les jours d'Opéra, les baignoires deviendront une
+réalité, les abonnés et leurs familles n'y seront reçus qu'en costumes
+de bain.]
+
+[Illustration:--Au premier signe de H. Strakosch, les baignoires seront
+remplies d'eau, ce qui écartera toute crainte d'incendie.]
+
+[Illustration:--Pour finir, l'auteur demande à l'ami lecteur, dont il
+est connu depuis si longtemps, la permission de lui présenter ses
+civilités sous la forme d'un gros livre qu'il vient de terminer à
+l'instant.]
+
+
+
+Toujours: _Peau de satin! Fraises au champagne! Lèvres de Feu!!_ valses
+de J. Klein. Il n'y a donc pas autre chose?
+
+
+
+BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE
+
+_Histoire de l'Astronomie_, par Ferd. Hoefer.--La science profonde et
+l'érudition encyclopédique du docteur Hoefer sont trop connues et trop
+appréciées pour qu'il soit utile de présenter à nos lecteurs l'auteur de
+la nouvelle _Histoire de l'Astronomie_. Chacun sait que pour écrire une
+histoire compétente de quelque science que ce soit, il faut être du
+métier et connaître la pratique du sujet dont on se fait le rapporteur.
+Or M. Hoefer a écrit une histoire de la _chimie_, qui est devenue
+classique, une histoire de la _physique_ estimée de tous les savants,
+une histoire de la _botanique_, une histoire de la _zoologie_, aussi
+complètes l'une que l'autre; et voici une histoire de l'_astronomie_,
+que je viens de lire avec la plus vive attention, et que nul astronome
+de profession n'aurait certainement mieux écrite. Elle est complète sans
+être trop étendue, s'adresse aux gens du monde aussi bien qu'aux
+savants, et présente un tableau exact et intéressant des progrès inouïs
+de cette science admirable, depuis les Hindous, les Chinois, les
+Chaldéens, les Égyptiens, jusqu'aux découvertes sublimes de notre
+époque, illustrée depuis moins de trois siècles par les Galilée, les
+Kepler, les Newton, les Laplace; par des scrutateurs des mystères
+célestes qui laisseront dans l'histoire des noms comme ceux de Cassini,
+Halley, Huygens, Roemer, Dalembert, Herschell, Bessel, Struve, Arago,
+etc.
+
+L'histoire de l'astronomie présente plus que nulle autre le tableau des
+véritables progrès de l'esprit humain. Celle des peuples, des dynasties,
+des religions, offre des alternatives de lumière et de ténèbres, des
+grandeurs et des décadences, des guerres et des trêves, et souvent,
+hélas, du sang et des ruines. Mais les progrès de la science du ciel, au
+contraire, offrent une continuité lente, mais permanente, du travail de
+la pensée humaine, depuis l'ignorance primitive jusqu'à l'époque où nous
+sommes, pendant laquelle nous osons mesurer les distances qui nous
+séparent des étoiles, et analyser les substances qui brûlent dans le
+soleil. Aujourd'hui, nous voyons les mondes rouler sous nos pieds; nous
+sentons la terre courir et nous emporter à travers l'espace infini, et
+déjà nous avons les premiers éléments nécessaires pour deviner la _vie
+inconnue_ qui rayonne à la surface des autres terres du ciel! C'est la
+science sans patrie et sans dogmes, sans chaînes et sans larmes, qui,
+toujours pure, s'élève et s'épanouit dans la divine lumière du ciel;
+c'est celle qui fait le plus d'honneur à l'esprit humain, qui met en
+évidence les plus nobles facultés de l'homme; c'est celle qui nous a
+_affranchis._ Les plus grands révolutionnaires ne s'appellent pas
+Cromwell, Washington, Mirabeau ou Robespierre; ils s'appellent Copernic,
+Galilée. Kepler, Newton.
+
+On lira avec plaisir et profit le nouveau livre du docteur Hoefer. Dans
+son ouvrage publié l'année dernière, et intitulé: l'_Homme devant ses
+oeuvres_, l'auteur avait montré par quels principes il juge l'humanité;
+et il n'est certes pas inutile, à notre époque où tout court si vite, de
+s'arrêter un instant sur le chemin de la vie, comme le Dante avant de
+pénétrer au sombre royaume, et de réfléchir un instant sur les faits et
+gestes de notre race soi-disant raisonnable. L'histoire de l'astronomie
+est écrite avec la même netteté de vues, moins sévère que celle de
+Delambre, lequel en est souvent ridicule, et plus juste pour les
+anciens, qui méritent tout notre respect, attendu qu'il faut à toutes
+les sciences un commencement. Celui qui renaîtrait dans trois siècles
+seulement serait bien étonné de notre état scientifique, social et
+religieux de 1873, et, s'il n'était juste, nous traiterait d'ignares et
+d'imbéciles. C'est ce qu'a fait l'astronome Delambre, trop souvent. M.
+Hoefer n'est pas tombé dans ce travers, et nous l'en félicitons.
+
+_Les Merveilles de la photographie_, par G. Tissandier.--Voici un
+nouveau volume de la _Bibliothèque des merveilles_, et qui fait honneur
+à la collection. Qu'y a-t-il de plus merveilleux que la photographie,
+dont les travaux nous laissent pourtant déjà indifférents? La terre
+tourne si vite que l'on oublie le lendemain la situation de la veille,
+et il semble que nos pensées se multiplient et s'envolent beaucoup plus
+vite depuis que nous connaissons la rapidité des mouvements célestes. En
+fait, il n'y a que quarante-sept ans que le premier traité entre Niepce
+et Daguerre a été signé, et aujourd'hui les photographes pullulent dans
+toutes les villes d'Europe, et les photographies sont tombées dans le
+domaine public, et l'on n'accorde plus aux meilleures d'entre elles
+qu'une attention momentanée. Mais tandis que pour la masse du public la
+photographie est encore toute entière dans la reproduction plus ou moins
+durable d'un visage, d'un monument ou d'un paysage, l'art s'est agrandi,
+s'est développé comme toutes les connaissances humaines, et déjà rend
+d'immédiats services à la plupart d'entre elles. La photomicrographie
+fixe aujourd'hui l'image centuplée de l'insecte, invisible à l'oeil nu,
+dessine l'agencement moléculaire minéral, végétal ou animal, nous montre
+les cristaux du sang ou l'épiderme délicat d'une pauvre chenille. A
+l'opposé, toute l'Assemblée nationale est reproduite sur un carré de
+collodion du diamètre d'une tête d'épingle, sans rien perdre de ses
+proportions ni de sa grandeur réelle. Si nous passons maintenant du
+petit au grand, nous trouvons la photographie appliquée au soleil, à la
+lune, aux planètes et même aux étoiles, et nous avons déjà des sériés de
+plusieurs années de portraits du soleil, faits chaque jour, et montrant
+la variation incessante de son aspect et de ses taches. Des
+photographies directes de la lune sont si excellentes que l'on se
+promène facilement dans les vallées et les paysages lunaires ainsi
+reproduits. Appliqué à la météorologie, le même art remplace maintenant
+l'observateur en enregistrant automatiquement l'état du ciel, la marche
+du baromètre, du thermomètre, du vent, de l'aiguille aimantée, etc., ce
+qui permettra d'avoir un bien plus grand nombre de constatations
+simultanées et permanentes et de donner à la météorologie la base qui
+lui manque encore. Il y a plus: la photographie _imprime_ maintenant
+elle-même, et le livre de M. Tissandier nous offre un spécimen de
+photoglyphe à l'encre de Chine gélatinée, qui montre au premier coup
+d'oeil toute la valeur artistique et toute l'importance pratique du
+nouveau procédé. On le voit, le jeune et savant directeur du journal _la
+Nature_ a su réunir dans son nouveau livre toutes les richesses de l'art
+dont il voulait raconter les merveilles.
+
+Camille Flammarion.
+
+
+
+_Une courtisane vierge_, par M. Amédée de Céséna.--L'auteur fut un
+journaliste grave, un personnage politique, un polémiste. Il n'est qu'un
+conteur qui spécule sur de certaines curiosités malsaines. Je pense
+qu'il suffit de citer le titre du livre pour montrer tout ce que M. de
+Céséna a voulu lui donner d'alléchant. Le romancier se défend,
+d'ailleurs, dans sa préface, d'être un corrupteur. Il prétend au titre
+de _moraliste_. Ce n'est donc pas un moraliste homeopathique: il fait de
+la morale par les contraires.
+
+_Les Femmes au coeur d'or_, par M. Eugène Moret. (1 vol. Dentu.)--Il y
+a, dans le roman-feuilleton, des auteurs dont la réputation n'égale pas
+le talent, et M. Eugène Moret est de ce nombre. Il a des succès, et
+très-grands, dans le public des journaux populaires, des livraisons à
+dix centimes, et il mérite ces succès-là. Ses livres sont moraux,
+honnêtes et intéressants. Il a publié sur les _Femmes de la Révolution
+et de la Terreur_ des feuilletons absolument amusants et qui, réunis en
+volume, ont beaucoup plu aux lecteurs. Ces _Femmes au coeur d'or_ auront
+certainement le même sort et méritent le même accueil. C'est là un roman
+qui vaut dix fois mieux, à coup sur, que bien des romans célèbres, et
+qui fait honneur au talent très-loyal, sans fracas, sans charlatanisme,
+de M. Eugène Moret.
+
+_La comtesse de Nancey_, par M. Xavier de Montépin. (3 volumes in-18.
+Chez Sartorius.)--M. Xavier de Montépin est, en librairie, le
+triomphateur de la saison. Il a publié trois ou quatre volumes, épisodes
+détachés d'un même roman, qui en sont à leur huitième ou dixième
+édition. _La comtesse de Nancey, l'Amant d'Alice, le Mari de
+Marguerite_, ont amusé tout un public, le public des romans d'Arsène
+Houssaye, celui qui aime l'impossibilité en pleine vie réelle, les
+aventures improbables placées dans le milieu parisien. M. de Montépin,
+jusqu'ici, n'avait point connu pareille vogue, pas même il y a seize ou
+dix-huit ans, lorsqu'il écrivait les _Viveurs de Paris_ et les _Filles
+de plâtre_. Je crois même nie rappeler que les _Filles de plâtre_ lui
+valurent une assignation devant la police correctionnelle. Aujourd'hui,
+en ce temps d'_ordre_ et de _moralité_, les romans de M. de Montépin
+montent aux nues. L'auteur est un aimable homme qui n'a d'autre tort que
+de vouloir, de temps à autre, dire son mot dans la politique courante.
+Quand il conte ces aventures extraordinaires, il amuse et il entraîne.
+Au fond, cela lui suffit. Le public le suit, il est satisfait. Il ne
+_politique_ que par aventure. Son rôle est d'inventer: il invente. Les
+folles amours, les coups de couteau, les scandales à Bade, les espions
+prussiens, les batailles de la Commune, les propos de boudoirs, tout se
+coudoie dans la trilogie que M. de Montépin appela tout d'abord le _Mari
+de Marguerite_. Je n'analyserai point ces pages. Leur succès a été
+absolu, et si l'on n'avait abusé du mot, je dirais volontiers que c'est
+un des signes du temps. Mais ne faut-il pas des rêves à tout le monde?
+Pâture à liseurs, disait Petrus Corel en parlant de ses livres. Chacun
+choisit le mets qui lui convient,--et cela n'empêche pas de rééditer
+Corneille.
+
+_La Célestine_, de Fernando de Rojas, traduite par M. Germond de Lavigne.
+(Nouvelle collection Jannet.)--M. E. Picard continue avec succès la
+publication de ses petits chefs-d'oeuvre littéraires faisant suite à la
+collection Jannet. Les bibliophiles se disputeront également la
+_collection rouge_, qui est l'ancienne, et la _collection bleue_, qui
+est la nouvelle. Sous cette dernière forme, les oeuvres de Rabelais vont
+être tantôt achevées, et M. André Lefèvre vient de donner une édition
+des _Lettres persanes_, de Montesquieu, qui pourrait bien être
+définitive. Aujourd'hui, M. Germond de Lavigne, si compétent en ce qui
+touche la littérature espagnole, publie, dans cette même collection, une
+traduction de la Célestine, ce roman dialogué d'un intérêt si puissant
+et d'un charme si particulier qui date, s'il vous plaît, du XVe
+siècle,--de 1492,--et qui semble comme la source où Calderon et Pope
+puisèrent leurs drames ensoleillés et entraînants.
+
+Moratin avait raison d'appeler _la Célestine_ une _nouvelle dramatique_.
+Ce n'est que cela, en effet; mais cette nouvelle est inimitable. Il y a
+de tout, dans ce conte, de la morale et de la poésie, des aventures
+d'amour, des leçons tragiques, des séductions et des drames. Le type du
+prodigue Calixte est peint de main de maître, et le profil de la
+Célestine, une proche parente de la Macette de Régnier, est inoubliable.
+L'homme qui écrivit cette sorte de drame, Fernando de Rojas, était un de
+ces artistes rares et puissants que les littérateurs nomment d'un grand
+nom, les précurseurs.
+
+M. Germond de Lavigne a traduit la Célestine avec ce talent qui lui
+valut, il y a quelques années, les éloges de Charles Nodier. Il n'a pas
+essayé, dit-il, de reforger les endroits scandaleux qui pouvaient
+offenser les religieuses oreilles, et il a bien fait. Sa traduction y
+gagne d'être une oeuvre d'art à travers laquelle on saisit toute la
+couleur, tout l'éclat du style castillan.
+
+Jules Claretie.
+
+
+
+[Illustration: LES FUYARDS A LA PORTE DE BALAN. Gravure extraite de la
+_Guerre de_ 1870-71, par A. Wachter. (E. Lachaud, éditeur.)]
+
+LA GUERRE DE 1870-71
+Histoire politique et militaire
+PAR A. WACHTER
+
+
+
+Au moment où les débats du procès Bazaine remettent en lumière les
+tristes péripéties de la dernière guerre et les causes de nos désastres,
+nous croyons devoir appeler l'attention de nos lecteurs sur un ouvrage
+que nous avons déjà signalé lors de son apparition: nous voulons parler
+de l'_Histoire de la guerre de_ 1870-71 de M. Wachter, éditée par la
+librairie Lachaud. Parmi les innombrables publications qui se sont
+succédé sur ce sujet depuis trois ans, celle-ci est l'une des plus
+complètes, des plus intéressantes et des mieux à la portée du public.
+Les connaissances spéciales de M. Wachter ont fait de lui, depuis
+longtemps, un de nos écrivains militaires les plus justement estimés;
+une étude approfondie des opérations stratégiques qu'il a suivies sur le
+terrain même et une lecture attentive des documents allemands qu'il a
+consultés dans leur texte original, ont permis à M. Wachter de réunir
+dans les deux volumes qui composent son travail, les renseignements les
+plus exacts, les plus authentiques, et de les présenter d'une manière
+plus méthodique et plus claire que dans la plupart des ouvrages du même
+genre; ajoutons que le livre est richement illustré de dessins de M.
+Darjou, l'habile artiste dont nos lecteurs connaissent trop bien le
+talent, pour que nous ayons besoin d'en faire l'éloge. Les deux gravures
+que nous avons publiées la semaine dernière sur la bataille de
+Rezonville et les carrières du Caveau étaient extraites du beau livre de
+MM. Wachter et Darjou; celle que nous reproduisons aujourd'hui un
+nouveau spécimen de ces illustrations, qui sont le vivant commentaire du
+texte de M. Wachter.
+
+L'Exposition universelle de Vienne a fourni à l'_Illustration_
+l'occasion d'affirmer une fois de plus cette supériorité hors ligne
+qu'elle a depuis longtemps acquise sur toutes les publications
+analogues. Comme en 1867, l'_Illustration_ avait exposé, outre ses
+volumes et ses collections, une série de spécimens permettant de suivre
+pas à pas les opérations si compliquées de la gravure et ces procédés
+grâce auxquels nous arrivons à donner au public la représentation des
+faits d'actualité presque aussi vite que la presse quotidienne où donne
+le récit. Cette exposition a particulièrement attiré l'attention du jury
+international, qui a décerné à l'_Illustration_ une _médaille de
+mérite_, la plus haute récompense après la grande médaille d'honneur.
+
+Cette distinction est, croyons-nous, la seule du même genre qui ait été
+obtenue par un journal illustré; nous sommes heureux d'en faire part à
+nos lecteurs; ils y verront une preuve nouvelle des efforts-incessants
+qui a valu à l'_Illustration_ la légitime réputation dont elle jouit
+dans le monde entier.
+
+
+
+[Illustration: nouveau rébus.]
+
+EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS:
+
+Même en 999, à l'approche de l'an mille, on ne vit point aller autant en
+pèlerinage.
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of L'Illustration, No. 1605, 29 novembre
+1873, by Various
+
+*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44357 ***
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+ <title>The Project Gutenberg eBook of L'illustration, No. 1605, 29 novembre 1873 by Various</title>
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+<br><br>
+
+<div class="cont">
+
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+
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/001.png"></p>
+
+
+ <table cellpadding="2" cellspacing="2" border="1"
+ style="width: 100%; text-align: center;" summary="nil">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 33%;">
+<p class="mid"><span class="sml">REDACTION, ADMINISTRATION, BUREAUX D'ABONNEMENTS<br>
+<i>22, rue de Verneuil, Paris.</i></span></p>
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 34%;">
+ <p class="mid"><span class="sml">31e Année. VOL. LXII. Nº 1605</span><br>SAMEDI 29 NOVEMBRE 1873</p>
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 33%;">
+ <p class="mid"><span class="sml">SUCCURSALE POUR LA VENTE AU DÉTAIL<br>
+60, rue de Richelieu, Paris</span></p>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+
+
+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="1"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="nil">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 50%;">
+ <p class="mid"><span class="sml"><b>Prix du numéro: 75 centimes</b><br>
+La collection mensuelle, 3 fr; le vol. semestriel, broché,<br>18 fr.; relié
+et doré sur tranches, 28 fr.</span></p>
+
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 50%;">
+ <p class="mid"><span class="sml"><b>Abonnements</b><br>
+Paris et départements: 3 mois, 9 fr.;--6 mois, 18 fr.;<br>un an, 36 fr.;
+Étranger, le port en sus.</span></p>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+<p class="mid"><span class="sml"><i>Les demandes d'abonnements doivent être accompagnées d'un mandat-poste<br>
+ou dune valeur à vue sur Paris à l'ordre de M. Auguste Marc,
+directeur-gérant.</i></span></p>
+
+
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/001a.png"><br><b>LA PROROGATION.--Les curieux attendant l'arrivée du train parlementaire
+sur le pont de l'Europe, dans la nuit du 18-19 novembre.</b></p>
+
+<div class="somm">
+ <h3>SOMMAIRE</h3>
+
+ <p class="sml"><i>Texte</i>: Histoire de la semaine. -- Courrier de Paris, par M. Philibert
+Audebrand. -- La S&oelig;ur perdue, une histoire du Gran Chaco (suite), par M.
+Mayne Reid. -- Nos gravures. -- Un voyage en Espagne pendant l'insurrection
+carliste (V). -- Les Théâtres. -- Revue comique du mois, par
+Bertall. -- Bulletin bibliographique. -- <i>La Guerre de</i> 1870-71, par A.
+Wachter.</p>
+
+ <p class="sml"><i>Gravures</i>: La prorogation, les curieux attendant l'arrivée du train
+parlementaire sur le pont de l'Europe, dans la nuit du 18-19 novembre.
+-- Procès du maréchal Bazaine: les témoins (9 gravures). -- Le service des
+pigeons voyageurs de la Presse, à Versailles (2 gravures). -- <i>L'Espagne</i>,
+par M. le baron Davilier (8 gravures). -- Les événements de Cuba: vue
+générale, de la Havane; -- L'île de Cuba: vue prise près de la côte de
+Candela. -- Revue comique du mois, par Bertall (13 sujets). -- Les fuyards
+à la pot te de Balan, gravure extraite de la <i>Guerre</i> de 1870-71, par M.
+A. Wachter. -- Rébus.</p>
+</div>
+<br>
+
+ <h3>HISTOIRE DE LA SEMAINE</h3>
+
+ <h4>FRANCE</h4>
+
+ <p>Après le vote de la loi de prorogation, il était permis de penser que la
+majorité, qui s'était ralliée autour de la haute personnalité du
+maréchal de Mac-Mahon, pourrait bien s'affaiblir ou même disparaître
+quand le débat viendrait à se poser non plus sur le terrain national et
+gouvernemental, mais sur le terrain purement ministériel; bon nombre de
+journaux affirmaient avec confiance que le cabinet serait moins heureux
+que le président lorsqu'il se présenterait pour son propre compte à la
+barre de l'Assemblée, et lorsque M. Léon Say vint à la tribune
+développer son interpellation sur la politique suivie pendant les
+vacances et sur le retard apporté à la convocation des collèges
+électoraux, il crut pouvoir affirmer que la dernière heure du ministère
+du 24 mai était sur le point de sonner. Ces prévisions ne se sont pas
+réalisées; le cabinet a remporté une victoire moins éclatante, il est
+vrai, que le maréchal-président, mais qui s'est soldée par la majorité
+importante de 50 voix; ainsi qu'il s'y était engagé, il a remis avant
+même l'ouverture du débat, sa démission collective entre les mains du
+chef de l'État, mais pour se reconstituer sur les mêmes bases, sauf
+quelques changements de personnes et d'attributions qui n'impliquent pas
+de changement fondamental de tendances ni de principes.</p>
+
+ <p>M. de Broglie garde le titre et les fonctions de vice-président du
+conseil des ministres et prend le portefeuille de l'intérieur. MM,
+Batbie, Ernoul, Beule et de la Bouillerie sortent du cabinet pour faire
+place à MM. le duc Decazes, nommé ministre des affaires étrangères;
+Depeyre, ministre de la justice; de Fourtou, ministre de l'instruction
+publique et des cultes, et de Larcy, ministre des travaux publics, M.
+Deseilligny passe à l'agriculture et au commerce en remplacement de M.
+de la Bouillerie; enfin les portefeuilles des finances, de la guerre et
+de la marine restent confiés, comme précédemment, à MM. Magne, du Barail
+et Dompierre d'Hormoy.</p>
+
+ <p>Quant au vote de la loi de prorogation, les commentaires qu'il a
+suscités dans la presse sont importants à noter si l'on veut chercher à
+se rendre compte de ce que sera notre régime politique dans la phase
+nouvelle dont cette loi est le point de départ. Ainsi qu'il fallait s'y
+attendre, les journaux bonapartistes et républicains se sont montrés
+fort désappointés d'une défaite à laquelle ils s'attendaient en grande
+partie, mais sans penser qu'elle serait aussi complète; toutefois; ces
+derniers font contre mauvaise fortune bon c&oelig;ur, et cherchent à se
+consoler en répétant qu'après tout la République subsiste en fait et que
+rien n'est perdu par conséquent; constatons en outre que la presse
+républicaine paraît pour le moment corrigée des intempérances de langage
+qui ont plus d'une fois compromis sa cause, et que ses appréciations
+sont en général empreintes d'une modération à laquelle on ne peut
+s'empêcher de rendre justice. Seuls, les journaux du centre droit
+triomphent avec une joie parfois insuffisamment contenue: «Nous tenons
+le loup par les oreilles, s'écriait dernièrement l'un d'eux; il faut les
+lui couper; s'il cherche à mordre, muselons la bête fauve.»</p>
+
+ <p>Les feuilles légitimistes, au contraire, n'augurent rien de bon du
+nouvel état de choses, et s'expriment, sur les man&oelig;uvres de stratégie
+parlementaire qui l'ont amené, avec une amertume dont l'heure n'est pas
+encore venue de connaître tous les secrets motifs. Dès le lendemain de
+la séance du 19, l'<i>Union</i>, l'<i>Univers</i> et le <i>Monde</i> publiaient une
+déclaration des députés de l'extrême droite qui s'étaient abstenus dans
+le vote; en même temps, ces mêmes journaux dénonçaient avec indignation
+les habiletés de ceux qui, disaient-ils, avaient fait échouer la fusion
+et voulaient maintenant se donner le temps d'attendre la mort du roi
+légitime.</p>
+
+ <p>Il est incontestable que la campagne fusionniste n'a pas dit son dernier
+mot; bien des mystères enveloppent encore l'histoire des négociations
+auxquelles elle a donné lieu; bien des événements inattendus peuvent
+encore surgir, qui n'en seront que les conséquences. Une brochure qui
+vient de paraître, et qu'il serait trop long d'analyser ici, contient à
+cet égard plus d'une révélation curieuse. D'autre part, il est avéré que
+le comte de Chambord est constamment en butte à des démarches dont
+l'objet précis n'est pas livré au public, mais dont on n'a pu empêcher
+le secret de transpirer. Le chef de la maison de Bourbon était venu à
+Versailles au moment de la discussion de la loi de prorogation; la
+nouvelle de ce voyage avait d'abord été démentie avec insistance;
+l'<i>Union</i> l'a, depuis, confirmée officiellement par une note où l'on a
+beaucoup remarqué le passage suivant:</p>
+
+ <p>«Le moment n'est pas venu de révéler ce que M. le comte de Chambord a
+tenté pour ramener au port le navire en détresse, mais quand aura sonné
+l'heure de Dieu, et cette heure n'est pas loin, la France apprendra avec
+admiration tout ce qu'il y a de désintéressement, de simplicité, de
+dévouement, dans ce c&oelig;ur de roi et de père qui n'a point de parti et
+qui sait accomplir si noblement son devoir. Elle s'étonnera d'avoir pu
+méconnaître si longtemps tant d'abnégation et de vraie grandeur.»</p>
+
+ <p>L'apparition de cette note a coïncidé avec le bruit, répandu depuis
+quelques jours, de l'abdication du comte de Chambord. Y avait-il quelque
+chose de fondé dans ce bruit?--C'est ce que l'avenir nous apprendra.</p>
+
+ <h4>ESPAGNE.</h4>
+
+ <p>Les nouvelles venues des États-Unis pendant la semaine tendent à
+présenter sous un jour plus rassurant le différend survenu entre
+l'Amérique et l'Espagne au sujet de la prise du <i>Virginius</i> et du
+massacre des flibustiers qui le montaient. Rappelons d'abord que le
+<i>Virginius</i> était notoirement au service de l'insurrection cubaine,
+qu'il venait ouvertement s'approvisionner de contrebande de guerre, à
+destination de Cuba, dans le port de New-York, et qu'il en était à sa
+quatrième expédition de ce genre quand il fut pris par le <i>Tornado</i> dans
+les eaux de Santiago; que l'exaspération des Espagnols était, par
+conséquent, assez compréhensible, et que le cas de ce flibustier
+présente de frappantes analogies avec celui de l'<i>Alabama</i> au sujet
+duquel les États-Unis ont eux-mêmes eu maille à partir avec
+l'Angleterre. Ajoutons que, dans un intérêt de parti, les politiciens
+américains ont cherché à exploiter les exécutions de Santiago en
+excitant l'indignation publique pour s'en faire une arme contre le
+gouvernement du général Grant, disposé à voir les choses plus froidement
+et à n'agir qu'en connaissance de cause. Quoi qu'il en soit, d'après les
+dernières dépêches transmises par le câble transatlantique, le cabinet
+de Washington a décidé que le <i>Virginius</i> naviguait légalement avec un
+registre américain. Le général Sickles a reçu substantiellement pour
+instructions d'exiger de l'Espagne la restitution du <i>Virginius</i>, ainsi
+que les survivants de l'équipage et des passagers de ce navire; une
+excuse pour l'insulte faite aux États-Unis; une indemnité en faveur des
+parents des victimes; le châtiment des exécuteurs ou leur remise au
+gouvernement américain pour être par lui punis, et enfin la mise en
+vigueur immédiate des décrets portant restitution des biens et
+propriétés confisqués aux citoyens américains. Le ministre est également
+chargé de faire part au gouvernement de Madrid du vif désir du
+gouvernement américain de voir abolir l'esclavage.</p>
+
+ <p>L'opinion généralement établie dans les régions officielles est que la
+diplomatie parviendra à régler le différend; mais la situation, telle
+qu'elle est aujourd'hui, n'en est pas moins critique. Le sentiment
+public n'est pas précisément belliqueux, bien que certains journaux
+fassent des efforts suprêmes pour créer l'agitation. Les préparatifs
+militaires continuent. Une flotte de quarante-trois navires, portant un
+matériel de six cent quarante-trois pièces d'artillerie, a reçu l'ordre
+de se tenir prête au premier signal.</p>
+
+ <h4>PAYS-BAS</h4>
+
+ <p>Les préparatifs des Hollandais pour la deuxième expédition contre Atchin
+sont très activement poursuivis aux Indes; cette expédition doit partir
+dans le courant de ce mois de Batavia pour sa destination. Il est arrivé
+dernièrement dans le port de cette ville un nouveau navire à vapeur qui
+n'a pas apporté moins de 2833 caisses remplies de matériel de guerre,
+avec vingt-cinq canons, ainsi que deux petits bateaux à vapeur démontés
+et prêts à être remontés à Batavia.</p>
+
+ <p>On fait, en outre, à Samarang, des essais avec des radeaux de
+débarquement susceptibles de porter un poids de 16,000 à 17,000
+kilogrammes, et qui seront reconduits en place par des remorqueurs à
+vapeur. Ces engins se composent chacun de cinq grands cylindres creux en
+fer, solidement reliés ensemble et couverts d'un simple plancher.</p>
+
+ <h4>SUISSE</h4>
+
+ <p>Le Conseil fédéral suisse vient d'adresser à notre ministre des affaires
+étrangères une note relative à la question monétaire. Nous la
+reproduisons plus loin. Justement préoccupé de l'introduction de
+l'étalon d'or dans plusieurs États et des variations qu'a subies le
+rapport des monnaies d'or et d'argent, principalement depuis la
+convention conclue en 1865 entre la France, l'Italie, la Suisse et la
+Belgique, le gouvernement helvétique, s'autorisant de l'article 2 de
+ladite convention, a exprimé le v&oelig;u qu'une conférence des quatre États
+signataires fût convoquée le plus tôt possible pour aviser aux mesures
+propres à garantir les intérêts économiques engagés dans cette question.
+Faut-il maintenir le double étalon, sur lequel repose la convention de
+1865? Doit-on lui substituer l'étalon unique? Ne convient il pas de
+faire cette substitution graduellement, pour éviter une perturbation
+immédiate et nuisible? Quels seraient les moyens d'empêcher la
+dépréciation croissante de l'argent, produite par l'exportation de l'or
+des États de l'union monétaire? Telles sont les questions que la note du
+Conseil fédéral propose de soumettre à la conférence dont il sollicite
+la convocation.</p>
+<br><br>
+
+ <h3>COURRIER DE PARIS</h3>
+
+ <p>Il nous est venu des lions, en compagnie de leur dompteur. On va les
+voir aux bougies, salle des Folies-Bergères, S'il faut le dire, ce
+spectacle n'a plus d'imprévu pour nous. Il y a beau temps que les
+Parisiens sont blasés là-dessus. Qui ne se rappelle tour à tour quatre
+ou cinq Androclès en spencer rouge? Van Amburgh jouait avec une panthère
+de Java comme une petite dame avec son manchon, Carter s'en prenait à
+une lionne toujours insurgée. Il nous semble le voir encore la frappant
+d'une baguette de coudrier comme un valet de bonne maison bat une
+descente de lit afin d'en faire tomber la poussière. Hermann n'avait pas
+moins d'audace; il agaçait un ours blanc. C'était à l'Hippodrome.
+Arnault, le directeur, nous disait: «Il m'a bien semblé, l'autre soir,
+qu'Hermann allait servir de dîner à son ours.» En réalité, Crockett
+était celui dont la vue nous causait le plus d'émotion. Celui-là avait
+affaire à de vrais lions, à des lions de Barca. Le public pressentait
+qu'il finirait par être mangé. Il l'a été, en effet, non à Paris, mais à
+New-York, je crois. Crockett, croqué! Les faiseurs de jeux de mots ne
+pouvaient manquer cette assonance. C'était, du reste, un argument de
+plus pour démontrer la fatalité des noms.</p>
+
+ <p>Celui qui vient d'arriver s'appelle Delmonico un beau nom de dompteur, à
+mêler à un roman ou à un mélodrame. Il y a des lions et des lionnes
+dans une cage de fer, où il se montre, en homme résolu, n'ayant à la
+main qu'une cravache. On prétend qu'il cache sous sa tunique un revolver
+pour le cas où il aurait à soutenir avec ses pensionnaires une polémique
+un peu trop vive. Je dois constater que cette arme est révoquée en doute
+par plus d'un spectateur. A quoi pourrait servir un pistolet dont la
+balle ne ferait que transpercer la peau d'un des monstres et qui, par
+conséquent, n'aurait d'autre résultat que de lui causer un surcroît
+d'irritation? Pour Delmonico comme pour tous ses devanciers, le préjugé
+veut que la puissance magnétique du coup d'&oelig;il suffisse.--Une houssine
+et un &oelig;il qui fascine, dit-on: il ne faut rien de plus.</p>
+
+ <p>Vous rappelez-vous un jeune Américain du nom de Batty? Lui aussi passait
+pour n'avoir pas besoin d'un autre prestige que le feu de son regard
+pour subjuguer les lions. Un jour, la foule même étant là, il fut abattu
+d'un seul coup de griffe et broyé d'un coup de mâchoire. «C'est qu'il
+n'a pas su maintenir la rétine de l'&oelig;il au beau fixe», disaient les
+<i>petits crevés</i> d'alors. Messieurs les <i>gommeux</i>, leurs successeurs,
+professent naturellement l'opinion qu'il n'y a rien à craindre tant
+qu'on regarde fixement. On change le lion en agneau rien qu'en le
+lorgnant.</p>
+
+ <p>Au fait, la chose serait possible, si ce qu'on raconte à ce sujet est
+exact. Ces lions qu'on exhibe seraient assouplis dès l'âge le plus
+tendre par un système d'éducation assez raffiné. On leur fait suivre des
+cours. Pris tout petits en Afrique, on les enverrait dans un pensionnat
+où tout est disposé pour les préparer à faire une entrée convenable dans
+le monde. Saviez-vous donc qu'il existât des maisons pour l'instruction
+des individus de la race léonine? Le plus renommé de ces établissements
+est, paraît-il, situé à Madrid, ville d'une température toujours tiède
+(les jeunes élèves, brusquement arrivés d'Afrique, s'enrhumeraient dans
+une ville du Nord). A Madrid, d'ailleurs, on a toujours la viande
+saignante à bon marché, à raison des corridas ou courses de taureaux.
+Voilà pourquoi on amène de préférence les lionceaux dans la capitale des
+Espagnes; là, on leur enseigne la civilité puérile et honnête; on leur
+apprend surtout l'art de frémir à un froncement de sourcil, et, comme
+corollaire, la sobriété, qui consiste à ne dévorer son gardien que le
+moins possible. Faire des collégiens avec des lions, telle est la marche
+du progrès, comme vous voyez.</p>
+
+ <p>Les sujets de Delmonico ont-ils fait leurs classes à Madrid? Le dompteur
+le nie, et cela se conçoit. Encore neuf dans le métier, il y va
+rondement, comme un vieux routier. On raconte qu'il a fait avec un
+amateur un pari d'une allure assez originale. Il se serait engagé à
+entrer dans la cage cent jours de suite sans recevoir la moindre
+égratignure. En vertu de ce contrat, il ne devrait atteindre son chiffre
+que le 18 janvier prochain. Ce jour-là, s'il est indemne, tranchons le
+mot, s'il n'a pas été mangé, il recevra en bloc la somme de 120,000
+francs. Delmonico est un philosophe. Au cas où il gagnerait la gageure,
+il s'est promis de liquider ses lions sans le moindre retard. Il placera
+ses fonds en 3 pour 100 et vivra honorablement de ses rentes, n'ayant
+pour tout animal à ses trousses qu'un griffon de la Havane à peu près
+gros comme le poing fermé de son maître. --Pas si bête pour un dompteur!</p>
+
+ <p>J'ai parlé des lettres posthumes de Prosper Mérimée, qu'on imprime en ce
+moment. On assure que cette correspondance ressemblera beaucoup à des
+mémoires intimes, méthode de Diderot. L'auteur de <i>Colomba</i> y raconte
+les principaux épisodes de sa vie. Mais combien de traits qui, par
+malheur, n'y trouveront pas place! Je doute, par exemple, qu'on y lise
+un fait-anecdote assez curieux et tout à fait inédit qui s'est passé
+sous Louis-Philippe, à trois cents kilomètres de Paris.</p>
+
+ <p>C'était en 1840.</p>
+
+ <p>Prosper Mérimée traversait le Berry en qualité d'inspecteur des
+monuments historiques. Il s'était arrêté à Saint-Amand-Mont-Rond, jolie
+petite ville aux environs de laquelle on veut que César ait établi son
+camp, à l'époque où il se mit à la poursuite de Vercingétorix; c'est, en
+effet, sur la route de Bourges à Clermont, ou, si vous voulez,
+d'Avaricum à Gergovia. Des camps de César, où n'en signale-t-on pas? Il
+y avait dans l'endroit un vénérable archéologue, zélateur des poteries
+de l'antiquité. Dans l'intérêt de la science, ce brave homme avait
+obtenu de faire pratiquer des fouilles au lieu même où l'on assurait que
+les fils de la Louve avaient campé. Et justement, ce matin-là, il
+accourait, effaré, plein de joie, afin de révéler un grand secret à
+l'auteur du <i>Théâtre de Clara Gazul</i>.</p>
+
+ <p>--Que se passe-t-il donc, cher monsieur? demanda Mérimée.</p>
+
+ <p>--Monsieur l'inspecteur général, un fait de la plus haute importance. Je
+viens de trouver un dieu.</p>
+
+ <p>--Un vrai dieu?</p>
+
+ <p>--Un Bacchus antique, couvert de la peau de tigre et ayant un thyrse à
+la main. Venez donc voir ça avec moi.</p>
+
+ <p>Il y avait à peu près une heure de chemin. On monta dans une berline et
+l'on partit.</p>
+
+ <p>Pendant la route, l'archéologue parlait de ses découvertes.</p>
+
+ <p>--J'avais déjà mis la main sur bien des fragments de vases antiques,
+disait-il; c'était un commencement de preuve. Mais un Bacchus, de
+hauteur d'homme, en métal romain! Un dieu, probablement fondu sous le
+septième consulat de Marius et apporté chez nous par les légions de
+Jules César! Voilà un témoignage, monsieur! Tout le monde savant va
+tressaillir à cette nouvelle.</p>
+
+ <p>Hélas! tandis qu'il tenait ce langage, il se passait du nouveau auprès
+des terrassiers.</p>
+
+ <p>Après avoir jeté leur dieu de côté, ceux-ci reprenaient leur travail
+lorsqu'un cri, populaire dans la contrée, leur fit tout à coup lever la
+tête; c'était un de ces industriels ambulants qui courent à travers les
+campagnes pour y refaire les batteries de cuisine.</p>
+
+ <p>--Rétameur! voici le rétameur!</p>
+
+ <p>Un des pionniers l'appela; l'homme accourut.</p>
+
+ <p>--Voilà un bloc de métal qui s'est trouvé sous notre pioche, dit le
+travailleur. Ce vieux fou de savant dit que c'est un dieu; il a dansé de
+joie tout autour. Si on le laisse faire, il l'emportera comme il emporte
+tous les tessons de vieilles bouteilles qu'il rencontre par ici.
+Qu'est-ce que c'est que ça au juste?</p>
+
+ <p>--De l'étain d'assez bonne qualité.</p>
+
+ <p>--A quoi ça pourrait-il servir?</p>
+
+ <p>--A faire des cuillers à soupe.</p>
+
+ <p>Des cuillers! Sur un signe qu'ils firent, le nomade se mit à la besogne;
+il fixa son réchaud en terre, fondit le Bacchus et en fit des cuillers.</p>
+
+ <p>Il en était à la dernière lorsque la berline arriva.</p>
+
+ <p>Exprimer la douleur du savant serait impossible. L'archéologue avait
+encore trois cheveux sur la tête; il se les arracha. Il pleurait de
+rage. Il interpellait Mérimée et, en levant les mains au ciel:</p>
+
+ <p>--O Jupiter! s'écriait-il, on voit bien que tu n'es plus rien là-haut!
+Sans quoi tu n'aurais jamais permis une telle profanation à l'endroit de
+celui de tes fils que tu as gardé trois mois dans une de tes cuisses!</p>
+
+ <p>Mario de Candia est revenu à Paris, où il amène les deux filles qu'il a
+eues de son mariage avec Giulia Grisi. Le temps a eu beau marcher, rien
+n'efface la pieuse tristesse que le ténor a ressentie en voyant mourir
+la célèbre et belle cantatrice dont il avait fait sa femme. Mario,
+dit-on, éprouve un âpre plaisir à reparaître aux lieux où sa jeunesse a
+été tant fêtée, il y a trente-cinq ans. Peu importe que tout y ait
+changé de face. A la vieille cité de pierre a succédé une ville de
+marbre et d'or. Il n'y avait guère que quinze cents <i>dilettanti</i>; on en
+énumère cent mille aujourd'hui, mais cent mille qui aiment à se griser
+de musique de cuivre, cent mille qui portent les oreilles d'âne que
+Voltaire montrait jadis à Grétry. Mario, renaissant, délicat, studieux,
+soigneux, peu bruyant, serait-il compris de ce public nouveau? On peut
+en douter. Mais que vous dire? Il se rappelle sans doute ce que disait
+Paganini: «Un artiste de talent sera toujours bien venu partout; il ne
+peut vivre qu'à Paris.» Pour le revenant, il y a d'ailleurs le charme
+irrésistible qui s'attache aux souvenirs d'une époque sans pareille et
+qui ne sera pas recommencée.</p>
+
+ <p>Beaucoup se rappellent encore les premiers jours de sa venue. C'était
+dans un temps où l'on ne s'occupait déjà plus de politique. La mode
+était d'être tout entier à l'art, à la science, au théâtre, à la
+peinture, à la musique, aux beaux vers. Victor Hugo faisait jouer <i>Ruy
+Blas</i> par Frédérick-Lemaitre, encore jeune; Alfred de Musset venait
+d'écrire les <i>Deux Maîtresses</i>, Stendhal, la <i>Chartreuse de Parme</i>; M.
+de Balzac, <i>Un grand homme de province à Paris</i>; Gérard de Nerval, les
+<i>Amours de Vienne</i>. On touchait de la veille au duel lyrique engagé
+entre Duprez et Adolphe Nourrit, duel funeste, puisqu'il a fini par le
+suicide de ce dernier; Mlle Rachel quittait le Gymnase pour s'acheminer
+en triomphatrice du côté du Théâtre-Français; Eugène Delacroix avait
+exposé la <i>Médée</i> au dernier Salon; Decamps continuait ses études
+d'Orient; David (d'Angers) plaçait le Philopémen dans le jardin des
+Tuileries. Un opéra, un roman, un tableau, une statue, c'était le pain
+quotidien d'alors. L'Athènes de Périclès n'a jamais été plus ensoleillée
+de vraie gloire. On n'aurait jamais pu s'imaginer qu'un jour viendrait
+où Paris courrait voir un Russe qui a du poil de chien sur la figure, un
+noir qui fouette des lions dans une cage ou une mulâtresse à deux têtes,
+des monstres. Et il n'y avait pas encore de Petite Bourse sur les
+boulevards.</p>
+
+ <p>En ce temps-là, le docteur Véron, si habile, gouvernait l'Opéra en
+autocrate; c'était pour le mieux, puisqu'il donnait sans cesse l'éveil à
+un chef-d'&oelig;uvre inédit ou à quelque grand artiste inconnu. Voilà qu'on
+apprit tout à coup l'arrivée d'un ténor. A la suite d'une escapade, un
+jeune officier du roi de Sardaigne, s'étant sauvé en France, avait brisé
+son épée pour monter sur les planches. Un chevalier! un comte!
+l'aventure était piquante.</p>
+
+ <p>Mario de Candia,--c'était lui,--fut essayé; il avait déjà une jolie voix
+de salon, mais il fallait développer cet organe si précieux.</p>
+
+ <p>--Un ténor, la coqueluche de Paris! N'épargnez rien pour en avoir un,
+disait à M. Véron le ministre de l'intérieur.</p>
+
+ <p>Quand on constatait un grand succès au théâtre, Paris et la France
+n'avaient plus rien à dire. La machine gouvernementale fonctionnait à
+l'aise. On votait le budget sans débat; on dénouait les conflits
+diplomatiques en se jouant; les élections se faisaient presque en
+chantant.</p>
+
+ <p>--N'épargnez rien, répétait le ministre; jetez, s'il le faut, l'argent à
+pleines mains.</p>
+
+ <p>Les naturalistes nous ont appris combien il faut de soins pour élever un
+rossignol. Pour un ténor de ce cycle étrange, c'était bien autre chose.
+Que de blandices à l'adresse du nouveau venu! Non-seulement on
+prodiguait autour de lui les professeurs, un maître de français, un
+maître d'armes, un maître de danse, un maître d'équitation, un maître de
+natation, un maître de piano, un maître de chant, mais encore il avait
+sans cesse à ses trousses un médecin en renom, chargé de veiller sur sa
+personne avec une vigilance de dragon mythologique.</p>
+
+ <p>--A-t-il bien dormi? Il ne faut pas trop d'exercice! Qu'on prenne garde
+aux courants d'air! Ah! s'il allait attraper un rhume!</p>
+
+ <p>On ne lui permettait pas de sortir par les temps de pluie, ni le soir, à
+l'heure du serein. À table, on ne lui servait que les meilleurs
+morceaux, les plus légers, de la cervelle, des crêtes de coq, du blanc
+de poulet, précipités, de préférence, par du bordeaux, du haut-brion ou
+du léoville. Pourtant il n'en fallait pas en quantité qui pût allumer
+trop son c&oelig;ur. Pas d'amour. L'amour était sévèrement défendu, vu qu'il
+porte atteinte, disait-on, aux cordes tendres de la voix. Un ténor, je
+le répète, on faisait de l'existence d'un tel artiste une question de
+cabinet.--M. Thiers se flattait d'avoir fait plus de ténors que M.
+Guizot.</p>
+
+ <p>Pour en revenir au jeune et brillant chevalier sarde, au bout de neuf
+mois d'attente, il fut en état de se montrer sur le théâtre. Quelle
+salle d'élite pour le voir et pour l'entendre! Il chanta et, dès les
+premières notes qui sortirent de son gosier, le comte Duchâtel, ministre
+de l'intérieur, présent à ses débuts, s'écria:</p>
+
+ <p>--Allons, il a une voix charmante! La monarchie et le ministère sont
+sauvés!</p>
+
+ <p>Tout ce qu'on avait fait pour Mario a été renouvelé depuis pour
+Poultier, le tonnelier de Rouen.</p>
+
+ <p>PHILIBERT AUDEBRAND.</p>
+
+ <br><br>
+
+ <h3>PROCÈS DU MARÉCHAL BAZAINE<br><br>
+ LES TÉMOINS</h3>
+
+ <p class="mid"><img alt="" src="images/002a.png"><br><b>
+Marchal.&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;
+D'Abzac.&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;
+Cruzem.</b></p>
+
+ <p class="mid"><img alt="" src="images/002b.png"><br><b>
+Bonzella, marin de l'<i>Inflexible</i>.&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;
+Camut.&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;
+Quatre-B&oelig;uf, quartier-maître.</b></p>
+
+ <p class="mid"><img alt="" src="images/002c.png"><br><b>
+Flahaut.&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;
+Régnier.&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;
+Arnous-Rivière.</b></p>
+
+<p class="mid">D'après les photographies de M. Appert.</p>
+
+ <br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/002d.png"><br><b>LE LACHER DU PIGEON PORTEUR DES DERNIÈRES NOUVELLES.</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/002e.png"><br><b>Mode d'attache de la dépêche.<br>
+
+LE SERVICE DES PIGEONS VOYAGEURS DE LA PRESSE, A VERSAILLES.</b></p>
+
+<br><br>
+
+ <h3>LA S&OElig;UR PERDUE</h3>
+
+ <h3>Une histoire du Gran Chaco</h3>
+
+ <p class="mid">(Suite)</p>
+
+ <p>«Il n'y a peut-être pas consenti, répliquait Cypriano. Je crois qu'il ne
+l'eut pas permis, il peut même l'avoir ignoré et l'ignorer encore, mais
+nous savons qu'en plus d'une circonstance les vieillards de la tribu ont
+eu à faire justice de crimes du même genre commis à leur insu par des
+gens de la tribu. Il y a de mauvais drôles parmi les sauvages tout comme
+parmi nous. Les jeunes guerriers de la tribu ont plus d'une fois
+épouvanté la contrée par leurs attentats contre la vie des rares
+voyageurs qui s'étaient hasardés à parcourir la contrée. Quelque chose
+me crie que tous nos malheurs ont pour cause ces Indiens maudits et que
+le fils du chef lui-même, Aguara, est à leur tête. Je l'ai soupçonné de
+méditer le projet qu'il vient d'accomplir et, quand mon oncle est parti
+pour cette malheureuse excursion avec Francesca, ce n'est qu'une fausse
+honte qui m'a retenu de lui faire part de mes inquiétudes. Je dois
+convenir pourtant que le misérable a dépassé dans l'exécution de son
+crime mes prévisions sur un point. Je ne l'aurais pas cru capable
+d'aller jusqu'au meurtre de l'ami même de son père pour faire réussir
+son dessein.»</p>
+
+ <p>Ludwig ramené subitement à la pensée de son double malheur demeura
+quelque temps sans répondre. La scène du retour de son père se
+représentait tout entière à son esprit. Il entendait encore le cri
+désespéré de sa mère à la vue de son mari inanimé. Plongé dans ce
+souvenir, il semblait ne pouvoir en sortir. Mais faisant enfin un effort
+pour s'arracher à la contemplation de ce lugubre passé, sa pensée se
+reporta plus vivement sur le présent et l'avenir.</p>
+
+ <p>«Cypriano, dit-il, il vaut mieux peut-être que les choses se soient
+passées comme vous le supposez.</p>
+
+ <p>--Mieux! pourquoi donc, Ludwig?</p>
+
+ <p>--Nous avons du moins une espérance, celle de retrouver Francesca. Si le
+vieux chef est innocent, il ne manquera pas de nous la faire rendre,
+quand bien même le coupable serait son propre fils.</p>
+
+ <p>--J'en doute, repartit tristement son cousin.</p>
+
+ <p>--C'est pourtant notre seul espoir, continua Ludwig. Si ce forfait a été
+commis par quelque autre tribu ennemie de nous autres blancs, et vous
+savez que toutes celles du Chaco sont dans ce cas, quelle chance
+avons-nous de leur reprendre ma s&oelig;ur? L'enlever de force serait
+impossible, il y aurait folie d'y songer. Nous n'aurions d'autre
+alternative en le tentant que d'y perdre la vie, ou, et ce serait pis,
+la liberté sans profit pour elle.</p>
+
+ <p>--C'est vrai, dit Cypriano, je reconnais que sans l'aide de Naraguana,
+notre expédition est désespérée. Mais nous aurions plus de chance de
+succès si nous devions requérir son aide contre d'autres tribus que la
+sienne. Contre des Guaycurus, par exemple, ou des Mbayas, ou des
+Anguites, le chef Tovas pourra prendre en main notre cause. Quoique les
+tribus du Chaco se liguent volontiers toutes ensemble lorsqu'il s'agit
+d'une expédition contre les blancs, elles ont souvent de mortelles
+haines les unes contre les autres. Mon espoir se fonde plutôt sur cette
+supposition que sur toute autre chose qu'il soit en notre pouvoir
+d'accomplir. Si, au contraire, nous avons affaire aux Tovas!...</p>
+
+ <p>--Ce sont les Tovas!» interrompit Gaspardo qui, tout en chevauchant et
+tout en ne perdant pas de l'&oelig;il la piste de l'ennemi, n'avait pourtant
+pas cessé d'écouter la conversation.</p>
+
+ <p>Au même instant, il arrêtait brusquement sa monture et désignait quelque
+chose sur le sol, tout à côté de son cheval.</p>
+
+ <p>«Regardez, s'écria-t-il, voilà la preuve de la culpabilité des Tovas!»</p>
+
+ <p>Ludwig et Cypriano s'avancèrent pour examiner ce qu'il leur désignait
+ainsi.</p>
+
+ <p>C'était un objet sphérique à peu près de la dimension d'une orange, et
+d'une couleur brune foncée. Tous deux reconnurent une <i>bola</i>, pierre
+ronde, couverte de cuir cru, et semblable à l'une de celles qui
+pendaient aux arçons de leurs propres selles.</p>
+
+ <p>«Quelle preuve trouvez-vous là, Gaspardo, dit Cypriano? C'est une bola
+que quelqu'un a laissé tomber et dont la courroie s'est brisée. Mais
+qu'est-ce que cela prouve? Tous les Indiens Chaco ne portent-ils pas des
+bolas?</p>
+
+ <p>--Oui, mais pas de pareilles à celle-ci. Examinez-la,» dit-il en se
+penchant sur sa selle et ramassant la bola sans quitter les étriers; «y
+voyez-vous le moindre signe de rupture? Non, elle n'a jamais été
+attachée à une courroie. Caramba! senores, c'est une <i>bola perdida</i>
+(1)!»</p>
+
+ <p>Les deux jeunes gens se passèrent l'objet et n'y découvrirent rien qui
+pût laisser supposer qu'il appartenait à un couple de bolas. C'était une
+lourde pierre, entourée d'une enveloppe de peau de vache, avec laquelle
+on l'a recouverte quand elle était encore humide, et qui, en séchant,
+s'était resserrée sans laisser un seul pli. Il n'y avait aucune
+apparence de courroie, on ne voyait que la couture qui la fermait.
+Quelle que pût être son utilité, la bola était complète en elle-même.</p>
+
+ <p>--Une <i>bola perdida!</i> Je n'ai jamais entendu parler de cela, dit Ludwig.</p>
+
+ <p>--Ni moi non plus, ajoute Cypriano.</p>
+
+ <p>--J'en ai entendu parler, moi, dit le gaucho, et j'ai vu aussi ses
+effets. C'est une arme dont les Indiens se servent avec une adresse qui
+vous surprendrait. Ils la lancent à plus de 30 mètres et en frappent la
+tête d'un ennemi avec autant de sûreté que si elle sortait du canon
+d'une carabine. <i>Maldita!</i> J'ai vu des crânes écrasés par un pareil
+coup, mieux que s'ils avaient été écrasés par un bâton de <i>quebracho</i>
+(2). La <i>bola perdida</i>, senores! ce n'est pas un jouet d'enfant, je vous
+l'assure.</p>
+
+ <blockquote><b>Note 1:</b> Littéralement «boule perdue», la signification spéciale de ces
+mots résultera de l'explication du gaucho.</blockquote>
+
+ <blockquote><b>Note 2:</b> Nom donné à une espèce d'arbre de la famille des acacias, à
+cause de la dureté de son bois. Quebracho, ou casseur, signifie qu'il
+briserait la hache avec laquelle on voudrait l'abattre.</blockquote>
+
+ <p>--Mais quelle preuve avez-vous qu'elle ait été lancée par des Tovas?»</p>
+
+ <p>Cette question était faite par Ludwig.</p>
+
+ <p>«Ils sont les seuls Indiens qui puissent l'avoir laissée tomber, car eux
+seuls se servent de cette arme. Aucune autre tribu ne l'emploie. N'en
+doutez pas, mes enfants, elle a été perdue par un traître Tovas.»</p>
+
+ <p>Les deux jeunes gens firent un signe d'assentiment, et dès ce moment ils
+surent que la piste qu'ils suivaient alors était certainement la piste
+des Tovas.</p>
+
+ <p>Cette connaissance acquise d'une façon si inattendue affecta les
+voyageurs bien différemment. A Ludwig elle donna, sinon de la joie, du
+moins un rayon d'espérance de retrouver sa s&oelig;ur, tandis que chez
+Cypriano elle ne produisit qu'un désespoir plus sombre encore.</p>
+
+ <p>«Au-dessus des Tovas, au-dessus du misérable assassin, dit-il à ses deux
+compagnons, il est un plus grand coupable, à qui remonte la première
+responsabilité de tous nos malheurs.</p>
+
+ <p>--Oui, répondit Ludwig, l'infâme Francia.</p>
+
+ <p>--Lui-même, et je ne vivrai jamais tranquille tant qu'il n'en aura pas
+aussi subi le châtiment.</p>
+
+ <p>--Dieu se chargera de le lui infliger. Quant à nous, cher cousin, que
+pouvons-nous contre cet homme?</p>
+
+ <p>--Rien pour le moment sans doute; mais plus tard nous nous verrons.»</p>
+
+ <p>De nouveaux incidents vinrent faire diversion à leurs pensées.
+L'atmosphère, après s'être graduellement assombrie, s'était épaissie
+presque subitement autour d'eux, au point de faire succéder presque
+instantanément la nuit au jour.</p>
+
+ <p>«Vite, vite! cria Gaspardo en mettant son cheval au grand galop; si nous
+n'atteignons pas la grotte, nous sommes perdus. Courez, si vous tenez à
+la vie!»</p>
+
+ <p>Les deux jeunes gens lancèrent comme lui leurs chevaux à toute vitesse.</p>
+
+ <p>«Nous arrivons à temps! Grâce à la Mère de Dieu, nous arrivons à temps!»</p>
+
+ <p>Cette exclamation sortit des lèvres de Gaspardo au moment où, suivi de
+ses jeunes compagnons, il faisait passer son cheval par l'ouverture
+d'une caverne.</p>
+
+ <p>Cette caverne se trouvait dans un rocher à pic, s'élevant au-dessus d'un
+arroyo (3) qui, un peu plus bas, se jetait dans le Pilcomayo. Son entrée
+donnait sur le bord du ruisseau à quelques pieds de distance seulement
+de l'eau courante.</p>
+
+ <p>«Oui, nous arrivons au bon moment», ajouta le gaucho en exhalant un
+soupir de soulagement. «Caramba! entendez-vous? voyez-vous? Regardez
+dehors!»</p>
+
+ <p>Il parlait encore quand un éclat de tonnerre étouffa sa voix. C'était la
+tempête. C'était la tormenta! dont les grondements répercutés soudain
+par les échos du ravin, prirent en un instant une effroyable intensité.
+Des nuages de poussière tourbillonnaient dans la plaine et semblaient
+vouloir accourir sur eux.</p>
+
+ <p>«Dépêchons, descendez de cheval», cria Gaspardo à ses deux compagnons,
+en leur donnant l'exemple. «Prenons nos ponchos, mes enfants,
+attachons-les ensemble, et si nous ne voulons pas être étouffés dans cet
+antre, bouchons-en l'entrée le mieux et le plus vite que nous pourrons.»</p>
+
+ <p>Les jeunes gens n'avaient pas besoin d'être mis en demeure de ne pas
+perdre un instant. Ce n'était pas la première fois qu'ils assistaient à
+une tormenta; chez eux, à Asuncion, ils en avaient vu plus d'une et en
+avaient remarqué les terribles effets. Ils avaient entendu les cailloux
+brisant les fenêtres, faisant trembler les portes sur leurs gonds; ils
+avaient vu la poussière passer à travers les fentes et les trous des
+serrures comme l'haleine furieuse de l'ouragan, ils avaient vu les
+arbres déracinés, brisés comme paille, les bêtes et les gens culbutés,
+roulés à terre par son irrésistible violence. Aussi, avant que le gaucho
+eût pu prononcer un autre mot, ils étaient sur pied et l'aidaient à
+disposer à l'intérieur leurs chevaux pour qu'ils lussent un premier
+obstacle, et à fermer l'ouverture de la caverne, à l'aide de leurs
+ponchos solidement liés ensemble et fixés dans les interstices des
+rochers au moyen de leurs couteaux. Ils furent à moitié aveuglés par la
+poussière et presque renversés par le vent avant d'avoir pu terminer
+cette opération.</p>
+
+ <p>«Maintenant, dit Gaspardo, dès qu'ils eurent achevé leur besogne, nous
+pouvons nous regarder comme en sûreté, et je ne vois pas de raison pour
+ne pas nous installer dans ce trou aussi confortablement que le
+permettent les circonstances. Nous serons peut-être retenus longtemps
+ici, trois ou quatre heures, sinon toute la nuit. Quant à moi je suis
+affamé comme un gallinazo(4). Cette rude course m'a fait oublier mon
+déjeuner, de sorte que je propose d'achever ce qui nous reste de guariba
+rôti. La salle à manger est sombre et nous aurons peine à faire bouillir
+notre théière. Cependant j'espère pouvoir faire assez de lumière pour
+éclairer notre repas.»</p>
+
+ <p>En prononçant ces mots, le gaucho se dirigea vers son cheval, et
+fouillant un moment sous son recado, il réussit à trouver un briquet.</p>
+
+ <p>Mayne Reid.</p>
+
+ <p>(<i>La suite prochainement.</i>)</p>
+
+ <blockquote><b>Note 3:</b> Vautour-dindon du l'Amérique Espagnole, nommé <i>Jofilote</i> au
+Mexique. Dans les autres portions du continent de l'Amérique du Sud, ou
+l'appelle <i>urubu</i> ou <i>gallinazo</i>. Certains voyageurs ont cru que le
+<i>turkey buzzard</i> des États-Unis et le <i>Gallinazo</i> Sud-Américain étaient
+un même oiseau. Ils sont cependant entièrement distincts; ce dernier est
+beaucoup plus beau que son congénère du Nord. Son plumage est plus
+brillant, tandis que sa tête chauve, son cou et ses pattes, au lieu
+d'être d'un blanc grisâtre, sont d'une couleur rouge vif. Il existe au
+moins quatre espèces distinctes de ces petits vautours noirs sur le
+continent de l'Amérique.</blockquote>
+
+ <blockquote><b>Note 4:</b> L'arroyo est un ruisseau coulant entre deux berges élevées et à
+pic.</blockquote>
+
+<br><br>
+
+ <h3>NOS GRAVURES</h3>
+
+ <h3>La loi de prorogation et le public</h3>
+
+ <p>Chaque fois qu'il y a eu à l'Assemblée nationale de Versailles
+quelqu'une de ces grandes discussions qui mettent le pouvoir en
+question, le contre-coup s'en est vivement fait sentir à Paris. Alors
+que M. Thiers était président de la République, cela s'est produit non
+pas une fois seulement. On n'a pas oublié encore l'émotion qui s'était
+emparée de la capitale, le 24 mai: la foule agitée s'arrachant les
+journaux du soir sur les boulevards, assiégeant la gare Saint-Lazare
+pour attendre l'arrivée des trains, quêtant et commentant les nouvelles,
+dans un état de surexcitation difficile à décrire. Le même phénomène ne
+pouvait donc manquer de se reproduire le 19 septembre dernier, jour où
+l'on discutait à Versailles la loi de prorogation des pouvoirs de M. le
+maréchal de Mac-Mahon. En effet, dès la première journée de cette
+discussion, qui ne s'est terminée, comme on sait, que le lendemain dans
+une séance de nuit, la grande ville était soudainement reprise de son
+accès de fièvre. Dans la soirée, même émotion sur les boulevards, mêmes
+inquiétudes, même curiosité impatiente de savoir, même encombrement à la
+gare, où, comme les sergents de ville, les patrouilles étaient
+impuissantes à faire circuler la foule. Pour en avoir raison on crut
+faire merveille en la trompant, en faisant arrêter les trains avant
+l'entrée en gare, et l'on réussit un instant à la dérouter. Mais
+quelqu'un éventa la mèche, et les curieux aussitôt de se porter sur le
+pont de l'Europe. Il fallut bien en prendre son parti, et laisser suivre
+son cours normal à cette fièvre qui finalement se calma d'elle-même,
+sans s'être compliquée du plus léger accident.</p>
+
+ <h3>Quelques portraits de témoins dans le procès Bazaine</h3>
+
+ <p>Le procès du maréchal Bazaine avance. Bientôt la parole sera à
+l'accusation et à la défense, car la liste des témoins ne tardera pas à
+être épuisée. Avant qu'elle le soit tout à fait, nous croyons être
+agréables à nos lecteurs en mettant sous leurs yeux les traits de
+quelques-uns de ces témoins qui ont appelé le plus vivement sur eux
+l'attention par le rôle qu'il ont joué dans le grand drame de la
+capitulation de Metz et de l'armée du Rhin.</p>
+
+ <p>Les neuf personnages dont nous donnons aujourd'hui les portraits, pour
+commencer, se rattachent à trois catégories de faits différents:
+communications entre les maréchaux Bazaine et Mac-Mahon avant le
+désastre de Sedan, communications entre le maréchal Bazaine et le
+gouvernement du 4 septembre, enfin communications entre le maréchal
+Bazaine et l'ennemi. Les témoins Flahaut, Marchal et M. le colonel
+d'Abzac se rapportent à la première catégorie. Commençons par celle-ci.</p>
+
+ <p>Flahaut et Marchal sont deux agents de police qui servirent plusieurs
+fois d'émissaires entre Metz et Thionville. Le 20 août, Flahaut se
+trouvait à Metz lorsque le maréchal Bazaine le fit appeler et lui remit,
+pour les porter à Thionville, les trois fameuses dépêches adressées,
+après la bataille de Saint-Privat: 1º à l'empereur, 2º au ministre de la
+guerre, 3º au maréchal de Mac-Mahon, dépêches dont les deux premières
+différaient si essentiellement de la troisième.</p>
+
+ <p>Celle-ci, en effet, portait seule cette restriction: «Je suivrai
+très-probablement pour vous rejoindre la ligne des places du Nord, et
+<i>vous préviendrai de ma marche, si toutefois je puis l'entreprendre sans
+compromettre l'armée.</i>» Ajoutons que, seule aussi, cette dépêche qui
+aurait sans doute arrêté la marche du maréchal de Mac-Mahon vers l'est,
+ne parvint point à son destinataire. Cependant elle était parvenue en
+double, comme les autres, au colonel Turnier, à Thionville, apportée
+d'une part par Flahaut, et de l'autre par Mme Louise Imbert. Le colonel
+Turnier le fit passer toutes les trois au colonel Massaroli, commandant
+la place de Longwy, par l'intermédiaire du commissaire de police
+cantonal à Longwy, Guyard. Le colonel Turnier remit en même temps une
+expédition de ces dépêches à M. de Bazelaire, élève de l'École
+polytechnique, qui allait à Paris, et qui les fit partir le 22 par la
+station télégraphique de Givet. De son côté le colonel Massaroli expédia
+la dépêche à l'empereur, et celle destinée au ministre. Quant à la
+dépêche adressée au maréchal de Mac-Mahon, il la remit à deux agents de
+la police de sûreté de Paris qui avaient été demandés à M. Piétri par le
+colonel Stoffel, chef de la section des renseignements à l'état-major du
+maréchal de Mac-Mahon, et qui devaient chercher à pénétrer jusqu'au
+maréchal Bazaine et recevoir ses dépêchées. Ces agents, les sieurs
+Rabasse et Miès, adressèrent télégraphiquement cette dépêche, le 22, au
+colonel Stoffel, ils lui en remirent entre les mains, le 26, l'original;
+le colonel avait dû également en recevoir l'expédition par M. de
+Bazelaire, et cependant, comme il est dit ci-dessus, elle ne parvint pas
+au maréchal de Mac-Mahon. Le colonel a nié l'avoir jamais reçue, ce qui
+a amené à l'audience du conseil de guerre un incident émouvant. Le
+commissaire du gouvernement, le général Pourcet, à la suite de ces
+dénégations, se leva et prit des conclusions contre le colonel, à
+l'effet de le poursuivre pour soustraction de dépêche. Revenons à
+Flahaut.</p>
+
+ <p>Après avoir heureusement accompli la mission dont nous avons parlé plus
+haut, il fut renvoyé à Metz par le colonel Turnier, avec une dépêche
+chiffrée.</p>
+
+ <p>Cette fois il voyagea de compagnie avec un de ses collègues, Marchal,
+qui avait été chargé, de la même dépêche. L'odyssée de ces deux agents
+abonde en détails dramatiques. Ils sont arrêtés trois fois par les
+Prussiens et autant de fois repoussés, sous peine d'être fusillés.
+Arrivés à Augny, dans une quatrième tentative, ils se cachent d'abord
+dans la cave du maître d'école, puis chez le curé, qui leur donne à
+souper et à coucher. Enfin, le lendemain ils réussissent en ayant
+recours à la ruse. Arrêtés aux avant-postes ennemis et interrogés par un
+officier:</p>
+
+ <p>--Nous venions voir, répondent-ils, si vous avez des pommes de terre;
+voici l'hiver, et si vous n'en avez pas nous pourrons vous en vendre.</p>
+
+ <p>L'ennemi les croit et les laisse libres de circuler aux avant-postes.
+Une occasion favorable se présente et ils filent. La dépêche avait passé
+avec eux. Bien malin eût été le Prussien qui l'eût découverte. Chacun
+d'eux avait avalé la sienne, après avoir eu soin de l'envelopper
+préalablement de caoutchouc. Plus tard, le 5 et le 15 septembre, puis
+dans le courant d'octobre, Marchal et Flahaut essayèrent de retourner à
+Thionville, mais ils n'y purent parvenir.</p>
+
+ <p>Disons, pour en finir avec cet ordre de faits, que le colonel d'Abzac,
+dont il a été question plus haut, était attaché au cabinet du maréchal
+de Mac-Mahon. Il a déclaré n'avoir pas eu connaissance de la dépêche du
+20 août rapportée à Rhetel par les témoins Miès et Rabasse, et remise
+par eux, selon leur dire, au colonel Stoffel.</p>
+
+ <p>Les témoignages de Cruzem, de Camus, de Quatreb&oelig;uf et de Donzella se
+rapportent aux communications entre le maréchal Bazaine et le
+gouvernement du 4 septembre. Le maréchal prétend que ces communications
+étaient alors devenues pour ainsi dire impossibles. Cependant le témoin
+Crusem est sorti trois fois de Metz, passant à travers les lignes
+prussiennes, d'abord dans la direction de Corny, puis par le bois de
+Grigy, enfin par Saint-Remy: et, dans ces diverses excursions, il a
+parcouru, dit-il, les environs de Metz et poussé, dans la dernière,
+jusqu'à Luxembourg. Les trois témoins qui suivent, MM. Camus,
+Quatreb&oelig;uf et Donzella étaient des émissaires du gouvernement du 4
+septembre qui, préoccupé de la situation de l'armée de Metz, avait fait
+arriver à Longwy et à Thionville plusieurs convois de vivres pour la
+ravitailler. C'est cette nouvelle qu'il s'agissait de porter à la
+connaissance du maréchal Bazaine. M. Camus est un homme de quarante-huit
+ans, garde-forestier, connaissant bien le pays. Il fit plusieurs
+tentatives infructueuses pour passer et rentra à Longwy. M. Quatreb&oelig;uf,
+sergent-fourrier des équipages de la flotte, paraît avoir mieux réussi.
+C'est un jeune homme de trente-deux ans, alerte et énergique. Enfin M.
+Donzella, autre marin, du même âge que le dernier et non moins
+déterminé, envoyé par la délégation de Tours dans le même but, parvint à
+entrer dans Thionville, qui était alors investi, et à remettre au
+colonel Turnier, chargé de la faire parvenir, la dépêche dont il était
+porteur. Donzella, pour passer, avait été obligé de se déguiser en
+marchand d'osier. Il a raconté avec beaucoup de verve son entrevue avec
+le colonel: «Il me chargea de dire bien des choses à sa famille et
+voulait me donner une lettre pour elle, mais je refusai de la recevoir
+en disant:</p>
+
+ <p>«--Je veux bien me charger de nouvelles orales, mais je ne veux pas
+m'exposer à me faire fusiller par les Prussiens uniquement pour dire à
+votre famille comment vous vous portez.»</p>
+
+ <p>Selon toute vraisemblance, la nouvelle de ce qu'avait fait le
+gouvernement pour ravitailler l'armée de Metz est donc parvenue au
+maréchal Bazaine, qui cependant affirme le contraire. Mais il affirme
+également n'avoir pas reçu une dépêche postérieure, contenant les mêmes
+détail et à lui apportée et remise par le garde mobile Risse. Cependant
+l'entrée à Metz de Risse ne peut être contestée, puisqu'il s'y est
+engagé dans le 44e de ligne. Sa déposition est très-précise. Elle est
+d'ailleurs confirmée par les deux témoins Marchal et Flahaut, dont il a
+été déjà parlé.</p>
+
+ <p>Avec M. Arnous-Rivière, nous passons aux communications avec l'ennemi,
+dont il a été le principal ouvrier.</p>
+
+ <p>M. Arnous-Rivière, âgé de quarante-sept ans, est un ancien officier
+démissionnaire, qui avait été chargé par le maréchal Bazaine d'organiser
+une compagnie d'éclaireurs. Il avait été d'abord attaché au grand
+quartier général, puis il fut investi à la fin d'août du commandement
+des avant-postes à Moulins. C'est par son intermédiaire que se faisait
+l'échange des correspondances entre les généraux en chef,
+correspondances, qui, pour la plupart, n'ont pas laissé de traces dans
+le dossier; c'est lui qui recevait les parlementaires et les conduisait
+en voiture de Moulins au grand quartier général. C'est ainsi que, le 23
+septembre, il amena Régnier, à la tombée de la nuit, d'abord à
+Longeville, au quartier général du général Cissey, puis au ban
+Saint-Martin chez le maréchal. «Vous annoncerez l'envoyé d'Hastings»,
+lui dit Régnier; parole faite pour surprendre, car alors on ignorait
+absolument à Metz que l'impératrice eut choisi cette résidence.
+Terminons par ce triste personnage.</p>
+
+ <p>Régnier est un homme d'une cinquantaine d'années. C'est, d'après le
+rapport du général Rivière, un homme fin et audacieux, aux manières
+vulgaires, très-vaniteux et se croyant un profond politique. Il a reçu
+quelque instruction et joué, en 1848, un certain rôle dans les
+événements du temps. Puis il se lança dans l'industrie, et épousa en
+Angleterre une femme qui lui apporta une certaine aisance. Après le 4
+septembre, on le retrouve dans ce pays, où il cherche à se faufiler chez
+l'impératrice, qui s'était retirée à Hastings. Il finit par y obtenir, à
+force d'importunités, une photographie portant la signature du prince
+impérial, sorte de passe qui va lui servir, ainsi qu'une vue de
+Wilhemshoe, où était détenu l'empereur, et qu'il s'était procurée je ne
+sais comment, à accréditer ses menées. Ainsi nanti, il se rend à
+Ferrières auprès du prince de Bismarck, à la solde duquel il semble se
+mettre et qui l'emploie sous prétexte d'armistice à tromper le maréchal
+Bazaine, en faisant miroiter à ses yeux on sait quelles espérances
+ambitieuses, et à lui tirer l'état exact de la situation de son armée
+sous Metz et de ses ressources en vivres. En quittant le maréchal, il
+emmenait avec lui le général Bourbaki qui devait se rendre à Londres
+auprès de l'impératrice, et qui en y arrivant, fut fort surpris
+d'apprendre que celle-ci ne savait pas le premier mot de l'intrigue qui
+l'avait fait sortir de Metz. Mais le tour était joué, M. de Bismarck
+savait à huit jours près combien de temps le maréchal pouvait tenir,
+c'est tout ce qu'on voulait, et Régnier ne reparut plus.</p>
+
+ <p>On sait qu'il ne s'est pas présenté à l'appel de son nom à l'audience du
+conseil de guerre où il devait faire sa déposition. On s'y attendait,
+car il avait déjà déclaré, dans une lettre rendue publique, qu'il ne
+comparaîtrait pas, si M. le président du conseil refusait de lui
+accorder certaines garanties pour sa sûreté. Aussi, a-t-il été condamné
+à 100 francs d'amende comme défaillant, à la requête du commissaire du
+gouvernement, qui a également demandé au conseil l'autorisation de le
+poursuivre comme ayant entretenu des intelligences avec l'ennemi et lui
+ayant procuré des renseignements pouvant compromettre la sûreté de la
+place de Metz et de l'armée française.</p>
+
+ <p>Louis Clodion.</p>
+
+ <h3>Les pigeons de la presse de Paris</h3>
+
+ <p>Si la capitale politique de la France parlementaire était Tours et
+surtout Bordeaux, jamais la <i>Liberté</i> n'aurait imaginé d'employer des
+pigeons au service de la dernière heure. Mais Versailles est si
+rapproché de Paris que l'électricité, à cause des formalités qu'exige
+son emploi, ne peut lutter contre l'aile du pigeon, qui est, lui,
+toujours prêt à partir dès qu'on ouvre la porte de son panier.</p>
+
+ <p>L'intelligente initiative prise par la <i>Liberté</i> ne pouvait tarder à
+être imitée. Quelques jours à peine s'étaient écoulés depuis l'ouverture
+de la session d'hiver qu'une industrie nouvelle était créée.</p>
+
+ <p>Un colombophile imaginait de mettre au service des divers journaux
+politiques de Paris des pigeons parfaitement dressés. Il faisait de son
+colombier le centre des nouvelles les plus fraîches du maréchal Bazaine
+et de l'Assemblée nationale. Le <i>Temps</i>, la <i>Presse</i>, l'<i>Opinion</i>, la
+<i>Patrie</i>, etc., etc., et même l'Agence Havas sont devenus l'un après
+l'autre tributaires de ce service de dépêches. Le directeur de la poste
+aérienne loue ses oiseaux à peu près aussi cher que l'on eût fait payer
+un cheval au temps du grand roi pour revenir de l'&OElig;il de B&oelig;uf à Paris.
+Il est vrai que les pigeons n'ont pas besoin de postillons qui les
+ramènent à l'écurie.</p>
+
+ <p>Ce commerce va si bien qu'on lâche quelquefois trente ou quarante
+pigeons dans la même journée, surtout si le temps est clair et si les
+événements politiques sont assez palpitants.</p>
+
+<p>(<i>Suite plus bas.</i>)</p>
+
+<br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/003a.png"><br><b>Aveugles à la porte de la cathédrale de Valence.</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/003b.png"><br><b>La ligature des palmiers.</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/003c.png"><br><b>Laboureurs Valençais.</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/003e.png"><br><b>Le pesage du charbon à Madrid.</b></p>
+
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/003e.png"><br><b>Pose de banderillas.</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/003f.png"><br><b>La navaja.</b></p>
+
+
+ <p class="mid"><img alt="" src="images/004a.png"><br><b>Un enterrement à Barcelone.</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/004b.png"><br><b>Contrebandiers de la Serriana de Ronda.</b></p>
+
+
+ <p>--Gravures extraites de l'<i>Espagne</i>, par le baron Ch.
+Daviller.--Illustrations de Gustave Doré. (Hachette et Cie, éditeurs.)</p>
+
+ <br><br>
+ <p>(<i>Suite.</i>)</p>
+
+ <p>Le lancer a lieu au fur et à mesure des demandes qui affluent
+principalement de deux heures et demie à trois heures, moment du coup de
+feu et de la clôture définitive du bureau. Car il n'y a pigeon qui
+tienne, il faut que le journal paraisse, et paraisse de bonne heure, s
+il ne veut pas qu'un rival plus diligent le prévienne et tire profit de
+ses retards.</p>
+
+ <p>L'opérateur qui lance les pigeons se place sur la porte d'un petit
+cabaret borgne placé en face de la cour du Maroc. Les reporters n'ont
+qu'un saut à faire pour franchir la rue et y apporter les nouvelles
+écrites au vol, apportées au galop.</p>
+
+ <p>C'est un homme de haute taille, à longue barbe et à larges épaules; nous
+l'avons représenté au moment où il jette en l'air, l'un après l'autre,
+un couple d'oiseaux. Pour éviter les pertes de temps, il en tient un
+dans chaque main. Les pigeons, profitant de l'élan qu'ils ont reçu,
+fuient rapidement dans la direction de Paris. Une foule très-mélangée et
+à laquelle quelques représentants ne dédaignent point de se mêler,
+assiste à ce spectacle, qui n'est pas un des moins curieux ni des moins
+instructifs que Versailles offre en ce moment.</p>
+
+ <p>Cette entreprise publique n'est pas la seule; il existe en outre une
+organisation particulière établie par le <i>National</i> pour les besoins de
+sa publicité. Son lanceur opère également dans le cabaret de la rue des
+Réservoirs, que nous avons représenté encombré de cages à pigeons. Le
+colombophile du <i>National</i> est occupé à enfiler le petit tube des
+dépêches autour d'une des rectrices de la queue. L'opération demande
+beaucoup d'habitude et de dextérité. L'oiseau, quand on le prend
+convenablement, se laisse faire avec beaucoup de docilité; mais il ne
+faut pas croire qu'il ne s'aperçoive pas de ce qui vient de se passer.
+Non-seulement ce corps étranger gêne la man&oelig;uvre de son gouvernail,
+mais il l'agace et l'inquiète; de sorte que, finalement, son vol se
+trouve notablement diminué de rapidité.</p>
+
+ <p>La preuve, c'est que, si les nouvelles faisant défaut, quelques-uns des
+dix pigeons du <i>National</i> sont lancés et reviennent sans dépêches, bien
+que partis les derniers, presque toujours ils arrivent les premiers à
+Paris.</p>
+
+ <p>Comme l'oiseau se guide uniquement par la vue, il faut que le ciel soit
+assez pur, surtout au déclin du soleil, pour que les pigeons de la
+Presse de Paris puissent trouver leur chemin. La saison difficile va
+commencer, car les jours deviennent de plus en plus courts et nos petits
+courriers politiques ont à percer des brumes qui vont singulièrement en
+s'épaississant.</p>
+
+ <p>Quant aux pigeons de nuit, ils sont encore à inventer. C'est à peine si,
+par un beau clair de lune, quelques lauréats des grands concours partant
+à faible distance pourraient regagner leur colombier.</p>
+
+ <p>W. de Fonvielle.</p>
+
+ <br><br>
+
+ <h2>L'Espagne</h2>
+
+ <h3>PAR M. LE BARON DAVILLER</h3>
+
+ <p>Les événements qui se passent en Espagne ont plus que jamais fixé
+l'attention publique sur ce pays, qui parle déjà tant à l'imagination.
+Aussi est-ce avec le plus vif intérêt que l'on arrête ses regards sur
+tout ce qui sert à faire connaître les m&oelig;urs de ce peuple curieux, rude
+et poli, passionné, superstitieux, brutal, avide de distinction,
+très-chatouilleux sur le point d'honneur, et avec cela aussi généreux
+que digne. A ce titre, les dessins que nous donnons ci-contre ne peuvent
+donc manquer de plaire à nos lecteurs.</p>
+
+ <p>Un d'eux représente un cimetière à Barcelone. C'est une série de longues
+allées que bordent de hautes murailles percées d'une multitude de
+casiers. Chaque casier doit loger un cercueil, après quoi il est muré.
+Une dalle en pierre ou en marbre, plus ou moins richement ornée, suivant
+la fortune du défunt, et portant son nom, ferme l'ouverture du casier.
+Rien de triste comme une promenade à travers les rues mornes de cette
+ville des trépassés.</p>
+
+ <p>Passons dans la province voisine, celle de Valence, qui entre toutes, a
+conservé un caractère moresque nettement tranché. Le costume des
+habitants a à peine varié depuis plusieurs siècles, celui des paysans
+surtout. Coiffés d'un mouchoir aux couleurs éclatantes, roulé autour de
+la tête et s'élevant en pointe, réminiscence du turban, qu'ils
+recouvrent parfois d'un sombrero à larges bords, ils portent une chemise
+attachée au cou par un bouton double, un très-large caleçon de toile
+blanche, retenu par une ceinture, des bas sans pied quand ils en
+portent, et des alpargatas ou espardines. Ajoutons la mante, qui ne les
+quitte jamais, et voilà au complet le costume d'un Valençais du peuple,
+d'un <i>labradore</i> ou laboureur, qui ne se fait beau et n'endosse le gilet
+de velours aux boutons d'argent que les jours de fête. La fertilité des
+environs de Valence est proverbiale, ce qui n'implique pas qu'il n'y ait
+point de pauvres. Comme chez nous, les pinceurs de guitare ne manquent
+pas, mais c'est dans la capitale de la province qu'on les trouve. Les
+infirmes hantent les portes des églises. Un de nos dessins représente
+deux aveugles chantant des litanies à la porte de la cathédrale.</p>
+
+ <p>Comme toutes les grandes villes de la péninsule, Valence a sa <i>plaza de
+toros</i>, où ont lieu les combats cruels si chers aux Espagnols. Ces
+combats se terminent toujours par la mort d'un certain nombre de
+taureaux et de chevaux. Le sang humain y coule souvent aussi, mêlé à
+celui des animaux. Nous ne décrirons pas par le menu ce dramatique sport
+où torreros, picadores, banderilleros ont leur place marquée et jouent à
+l'envi le jeu le plus périlleux. Quelques mots cependant sont
+nécessaires pour expliquer un de nos dessins: <i>Pose de banderillas</i>. Ces
+banderillas sont des sortes de flèches dont le bois est entouré de
+papier de différentes couleurs, frisé et découpé. A l'une de ses
+extrémités est un hameçon. Les banderilleros ont pour mission de piquer
+dans les épaules du taureau ces engins qui ne peuvent plus s'en
+détacher, et ont pour effet d'augmenter la fureur de l'animal C'est à
+Madrid que ces spectacles se donnent avec le plus d'apparat et de
+somptuosité. Si l'on n'y déploie pas à Valence un pareil luxe, en
+revanche on s'y porte avec un empressement à nul autre pareil. Le
+Valençais est passionné pour ce divertissement. Cela tient sans doute à
+sa nature. S'il est gai, il est cruel. La colère le transporte
+facilement. C'est alors qu'il joue du couteau, de cette terrible
+<i>navaja</i>, qui se fabrique à Albacète, et dont la lame, très-allongée et
+pointue, porte toujours quelque inscription, qui indique à quel usage
+elle n'est que trop souvent employée, «Si cette vipère te pique, il n'y
+a pas de remède à la pharmacie.»</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> Si esta vivora te pica</p>
+<p class="i14"> No hay remedio en la botica.</p>
+</div></div>
+
+ <p>Devise qui le plus souvent employée, a valu à certains <i>navajas</i> le nom
+lugubrement plaisant de <i>navajas de santolio</i>, couteaux de
+l'extrême-onction.</p>
+
+ <p>Mais il est temps de nous arrêter. Quelques-uns des détails que l'on
+vient de lire et qui expliquent les dessins que nous donnons, ont été
+par nous empruntés au magnifique ouvrage que vient de publier la
+librairie Hachette: l'<i>Espagne</i>, par le baron Ch. Daviller. C'est un
+splendide volume in-4º de 800 pages, très-intéressant, très-bien écrit,
+et illustré de 300 gravures dessinées sur bois par M. Gustave Doré.</p>
+
+ <p>L. C.</p>
+
+ <br><br>
+
+ <h2>L'Insurrection de Cuba(5)</h2>
+
+ <blockquote><b>Note 5:</b> Les deux gravures qui accompagnent cet article sont extraites
+du <i>Tour du Monde</i>, nouveau journal des voyages, publié par la maison
+Hachette et Cie.</blockquote>
+
+ <p>Dans l'histoire de la semaine nous disons où en est l'affaire du
+<i>Virginius</i>, qui est venue si inopinément compliquer, vis-à-vis des
+États-Unis d'Amérique, la situation déjà si critique de la malheureuse
+Espagne. Nous n'avons pas à y revenir ici. On sait qu'à la première
+nouvelle de l'exécution des flibustiers américains, il y eut comme une
+explosion d'indignation aux États-Unis. On ne parlait que d'armer et
+d'entrer en campagne sur l'heure.</p>
+
+ <p>Cette indignation était-elle bien réelle? J'en doute.</p>
+
+ <p>On sait que depuis longtemps les États-Unis convoitent la possession de
+l'île de Cuba; et, si les richesses et la merveilleuse situation de la
+perle des Antilles n'excusent pas ces convoitises, au moins les
+expliquent-elles. La fertilité de l'île de Cuba est très-grande en
+effet, sa végétation magnifique. On y trouve de vastes forêts de
+palmiers, de cèdres, de cocotiers, de chênes, de pins; on y cultive la
+canne à sucre, le tabac, le caféier, le cotonnier, l'indigotier, le riz,
+le maïs, qui sont pour le planteur une source intarissable de richesses,
+et rien n'égale la beauté de son port de la Havane que défendent de
+vastes fortifications. Les vues que nous donnons de ce port et de
+l'intérieur de l'île prouveront au lecteur que nous n'exagérons en rien.</p>
+
+ <p>Cuba forme, avec les autres Antilles espagnoles, un gouvernement dont la
+Havane est le chef-lieu. Civilement, elle est divisée en deux provinces:
+la Havane et Santiago; militairement, en trois départements: l'Est, le
+Centre, et l'Ouest; financièrement en trois intendances: la Havane,
+Puerto-Principe et Santiago; au point de vue maritime enfin, en cinq
+provinces: La Havane, Trinitad, Remedios, Nuevitas et Santiago. Elle
+renferme une population de 1,449,462 habitants, dont 564,698 blancs,
+16,176 hommes libres de couleur et 662,087 esclaves qui seront libérés
+après la pacification de l'île d'après la loi récemment votée par les
+cortès espagnoles. En attendant l'esclavage y règne toujours, et bien
+que la traite soit interdite, plusieurs milliers d'esclaves y sont
+encore introduits chaque année. La révolte de ces esclaves l'a
+ensanglantée plusieurs fois dans le cours de ce siècle et l'ensanglante
+encore aujourd'hui. Espérons que c'est pour la dernière fois et que ces
+révoltes cesseront avec la cause qui les a fait naître.</p>
+
+ <p>L'Espagne attache le plus grand prix, et cela se comprend, à cette
+colonie que les États-Unis, nous l'avons dit, voudraient bien aussi
+s'annexer. En 1845, ils ont offert de l'acheter, et peut-être l'Espagne
+a-t-elle eu tort de ne pas la vendre. Finiront-ils par s'en emparer
+d'une façon ou de l'autre? Selon toutes les probabilités, oui.</p>
+
+<br><br>
+
+ <h3>UN VOYAGE EN ESPAGNE<br>
+
+PENDANT L'INSURRECTION CARLISTE</h3>
+
+ <h4>V</h4>
+
+ <p>Abdication du roi Amédée et proclamation de la République.--Agissements
+de la Junte carliste établie à Bayonne.--Don Carlos séjournant à la
+frontière.--Conseil particulier du prétendant.--Nomination de nouveaux
+chefs carlistes.</p>
+
+ <p>Lorsque l'abdication du roi Amédée fut portée aux Cortès et que
+celles-ci, en dépit du ministre Zorilla, proclamèrent la République,
+j'étais à Vitoria, capitale de la province de l'Alava. De ces deux
+nouvelles, la première était prévue depuis longtemps, le jeune prince
+italien, malgré ses qualités personnelles incontestables, étant
+profondément détesté par tous les Espagnols, sans distinction de partis,
+devait en arriver forcément à cet acte d'abdication. Aussi
+n'étonna-t-elle personne.</p>
+
+ <p>Il n'en fut pas de même de la proclamation de la République par une
+Chambre qui passait pour être foncièrement monarchique. La population ne
+voulut pas d'abord croire à la réalité de cette nouvelle. Mais lorsqu'il
+fallut bien se rendre à l'évidence, elle protesta énergiquement contre
+cette forme de gouvernement subitement improvisée. Je ne crois pas me
+tromper en affirmant qu'à Vitoria, ville d'environ vingt mille âmes, il
+ne s'y trouvait pas, en avril dernier, <i>cent républicains</i>. La
+désorganisation s'introduisit dans l'administration des affaires
+publiques. Le gouverneur de la province, les membres de
+l'<i>ayuntamiento</i>, tous les principaux employés du pouvoir central
+donnèrent leur démission en masse, si bien qu'en deux ou trois jours, la
+ville et toutes les localités de la province furent livrées à la plus
+complète anarchie.</p>
+
+ <p>Le même désordre se reproduisit dans les autres provinces qui, comme
+celle de Vitoria, furent plongées dans la stupeur à l'annonce seule du
+mot de République, qui a été toujours, depuis la Révolution de 1793, un
+horrible épouvantail dans l'esprit des populations basques, au point
+qu'elles nous ont regardé, pendant longtemps, nous Français, comme des
+monstres et des buveurs de sang.</p>
+
+ <p>Dans toutes les excursions que je fis à Pampelune, Tolosa, Bilbao,
+Saint-Sébastien, etc., je constatai le même désarroi dans toutes les
+administrations et une égale répugnance, de la part des populations, à
+vouloir accepter la nouvelle forme de gouvernement. Alors se produisit
+une espèce d'anarchie dont profita habilement le parti carliste.
+Jusqu'alors, l'insurrection avait été assez mollement conduite, soit que
+les chefs n'eussent pas une entière confiance en son succès, soit
+qu'elle manquât d'argent et d'armes; ce dernier fait était vrai, j'en ai
+eu la certitude.</p>
+
+ <p>Mais à partir du jour où commença la désorganisation du pouvoir central,
+la junte de guerre, établie à Bayonne depuis le mois de mars, fonctionna
+avec plus d'activité. Elle se composait de membres moitié Espagnols,
+moitié Français, dont la mission consistait à procurer des armes, de
+l'argent et des hommes à l'insurrection. Jusqu'alors elle lui en avait
+bien fourni, mais dans une mesure bien restreinte. C'est du moins ce
+dont se plaignaient les <i>cabecillas</i> qui se trouvaient à la tête des
+bandes. Elle trouva pour la seconder, attendu les circonstances
+politiques du moment, les fournisseurs et les banquiers auxquels elle
+s'était adressée, dès le début de la campagne, dans de meilleures
+dispositions. Les premiers, toujours craintifs et n'ayant pas une foi
+bien robuste dans le succès de l'insurrection, n'exécutaient que d'une
+manière bien irrégulière les marchés passés pour fournitures d'armes de
+munitions et d'équipements militaires.--Les seconds se montraient
+très-difficiles pour accepter les traites souscrites par les agents de
+don Carlos et laissaient sortir du sein de leurs caisses, pour les
+besoins de la guerre, que le moins d'argent possible. Ce qui explique le
+peu de progrès que faisait l'insurrection.</p>
+
+ <p>Mais à dater du mois d'avril et du commencement de mai, fournisseurs et
+banquiers furent plus accommodants et pleins de zèle pour seconder les
+vues et les projets du parti carliste, avec lequel ils avaient pris des
+engagements sérieux par l'intermédiaire de la junte de Bayonne. Les
+armes et les munitions passèrent alors plus régulièrement et en plus
+grande quantité la frontière qu'auparavant, malgré les difficultés bien
+plus nombreuses qu'on opposait à leur passage, du côté de France, où
+venait d'être établi sur la frontière un cordon sanitaire de troupes. On
+en expédia même de l'Angleterre.</p>
+
+ <p>J'ai assisté à un débarquement d'armes expédiées de Birmingham. Vers le
+milieu du mois de mai, un bateau à vapeur vint en plein jour (il était
+sept heures du matin) s'arrêter dans le petit port de Fontarabie, en
+face le débarcadère des pêcheurs, À son apparition, des barques allèrent
+l'aborder, et en moins d'une heure elles transportèrent quatre cents
+caisses qu'elles déposèrent sur la berge, rendant l'opération du
+débarquement, une bande de quinze cents hommes environ, commandée par le
+colonel Martinez, et dont les trois quarts étaient sans armes,
+s'emparèrent des colis qui renfermaient des fusils et des munitions, les
+ouvrirent et s'armèrent séance tenante. Les caisses restées sans être
+ouvertes furent déposées sur des charrettes et transportées, sous bonne
+escorte, au camp d'<i>Achulégui</i>. Ce débarquement s'opéra sans qu'il
+trouvât là moindre opposition de la part des troupes et des volontaires
+de la République casernés à Irun, c'est-à-dire à deux kilomètres au plus
+du port de Fontarabie. Et ce qui me parut plus étrange encore, c'est que
+la bande carliste et les caisses chargées sur des charrettes traînées
+par des b&oelig;ufs, passèrent tranquillement devant les portes de la ville.</p>
+
+ <p>A cette expédition, dont je fus spectateur, j'eus l'occasion de revoir
+mon ami, le colonel Martinez, qui commandait l'escorte du convoi et qui
+paraissait tout radieux.</p>
+
+ <p>--Vous n'êtes pas encore à Madrid, mon cher colonel, lui dis-je, en lui
+rappelant son dernier adieu à Vera, mais vous y êtes sur le chemin, à ce
+qu'il me paraît.</p>
+
+ <p>--Dix débarquements comme celui-ci, me répondit-il, et notre cause est
+gagnée!</p>
+
+ <p>--Vous ne craignez pas d'être surpris sur votre route par les troupes
+républicaines?</p>
+
+ <p>--Toutes mes précautions sont prises et je suis certain d'avance que les
+hommes de Loma n'oseront as venir nous barrer la route. Voyez, j'ai
+quinze cents hommes avec moi!</p>
+
+ <p>Le colonel avait dit vrai. Pas un seul homme de la garnison d'Irun, qui
+se composait d'environ six cents hommes, soit volontaires, soit soldats
+de la ligne, n'osèrent sortir de la ville.</p>
+
+ <p>J'ai assisté à trois autres débarquements du même genre, sans qu'ils
+fussent autrement contrariés, tant les frontières étaient mal gardées du
+côté de l'Espagne.</p>
+
+ <p>D'un autre côté, don Carlos, que les journaux espagnols et étrangers
+avaient fait mourir plusieurs fois et voyager tantôt en Angleterre,
+tantôt en Suisse, vint s'installer d'abord dans un hôtel de Pau et
+ensuite au château de Peyrolhade, où il a résidé jusqu'à son entrée en
+Espagne. Voulant m'assurer par moi-même si le fait était exact, je fis,
+au mois de juin, une excursion dans les Basses-Pyrénées, et je me rendis
+à ce château, situé presque sur les limites qui séparent la France de
+l'Espagne. Ce n'était pas sans de grandes difficultés que je pus arriver
+jusqu'à cette demeure seigneuriale, malgré les titres et les
+recommandations dont j'étais porteur, tant on avait pris de précautions
+pour la rendre inabordable.</p>
+
+ <p>Lorsqu'un inconnu venant de France ou d'Espagne apparaissait dans le
+lointain, se dirigeant vers le château bâti sur une élévation qui domine
+les alentours à une distance de quatre kilomètres, des vedettes placées
+de loin en loin, depuis le sommet des montagnes jusqu'au village de
+Peyrolhade, qui lui-même est éloigné de la résidence royale d'environ
+une lieue, s'empressaient d'en informer le commandant du palais.
+Celui-ci envoyait immédiatement des gardes à sa rencontre pour le
+reconnaître. S'ils avaient les moindres soupçons sur l'individu, on le
+prévenait poliment qu'il se trompait de chemin en lui indiquant le moyen
+d'en prendre un autre; et ils s'éloignaient. Si, au contraire, c'était
+un ami ou une personne dont on n'avait pas à se méfier, on le conduisait
+au château.</p>
+
+ <p>C'est ainsi que sur la présentation d'une lettre du président de la
+junte carliste, je fus admis auprès de la personne du prince, qui voulut
+bien me recevoir lui-même. Don Carlos est âgé de vingt-neuf à trente ans
+environ. Sa taille est élevée, sa figure pleine de noblesse; un air de
+grandeur et de majesté rayonne sur sa physionomie franche et
+sympathique. Tout en lui, jusqu'à sa parole claire, douce et concise,
+prévient en sa faveur. L'audience qu'il m'accorda ne fut pas longue,
+mais elle répondit au but que je m'étais proposé d'atteindre.</p>
+
+ <p>Il ne faudrait pas croire pourtant que le prétendant se montrât
+très-facile à accorder des audiences particulières. Il est arrivé, à ce
+sujet, aux visiteurs étrangers, de curieuses méprises. Milord D...,
+désirant s'entretenir avec don Carlos, s'était rendu à cheval de Pau au
+château de Peyrolhade. Arrivé à la résidence princière, il fut reçu par
+le général Ellio, auquel il demanda de le présenter au <i>roi</i>. Le vieux
+général s'empressa de le conduire dans le salon bleu, aux tentures
+fleurdelisées, où se trouvaient trois personnages, la tête couverte de
+bérets blancs (<i>boinas</i>) agrémentés de passementeries d'or. Milord D...,
+qui ne connaissait le prince que par ses portraits, croyant voir don
+Carlos dans le personnage placé au milieu des deux autres, lui offre ses
+hommages et entre avec lui dans une très-longue conversation sur la
+situation troublée de l'Espagne. Après une demi-heure d'entretien, les
+deux interlocuteurs se quittèrent enchantés l'un de l'autre. La vérité
+est que le noble visiteur avait pris le major Arjona, secrétaire du
+prince, pour don Carlos lui-même. Celui-ci, resté dans son cabinet,
+n'était pas encore descendu au salon.</p>
+
+ <p>Je dois ajouter que cette résidence étant journellement visitée par des
+émigrés de tous les pays qui venaient offrir <i>au roi</i>, les uns le
+secours de leur épée, les autres solliciter des grades et des faveurs,
+le général Ellio avait organisé un service rigoureux de police autour du
+prince, afin de prévenir toute tentative d'espionnage ou d'attaque
+personnelle contre l'hôte illustre du château. Je dois reconnaître que
+cette surveillance pouvait ne pas être inutile, au milieu de ce coin
+isolé des montagnes que cherchaient à découvrir les émissaires du
+gouvernement de Madrid et dont l'inutilité de leurs recherches a fait
+toujours leur désespoir.</p>
+
+ <p>Ce fut pendant le court espace de temps que je passai au château de
+Peyrolhade que je pus me renseigner sur le personnel dont se composait
+la maison du prince et qu'il n'y a pas, je crois, indiscrétion de faire
+connaître. Elle comprenait le général Ellio, président du conseil de
+guerre, cinq chefs carlistes qui en étaient les membres et dont le
+marquis de Valdespina faisait partie, et du major Arjona, secrétaire
+particulier de don Carlos.</p>
+
+ <p>Les opérations du conseil de guerre consistaient dans la direction à
+donner aux opérations militaires dont le plan était tracé d'avance: dans
+la nomination des <i>cabecillas</i> et leur envoi aux divers postes qu'ils
+devaient occuper; enfin, dans le contrôle de tous les actes qui
+concernaient l'organisation des bandes, leur armement et leur
+équipement.</p>
+
+ <p>Malgré le mystère dont on entourait le château de Peyrolhade, cette
+retraite soi-disant introuvable de don Carlos, était le centre d'un
+va-et-vient de gens qui, des deux côtés des Pyrénées, s'y rendaient pour
+les affaires de l'insurrection. C'étaient les membres de la junte qui
+venaient, les uns ou les autres, prendre les ordres du conseil de
+guerre, lui communiquer les résultats de ses opérations et s'entendre
+avec lui sur les difficultés qui pouvaient se présenter: et ces
+difficultés étaient nombreuses, surtout dès le début de la campagne;
+c'étaient des agents secrets qu'on avait établis sur la frontière et
+jusque dans les centres des provinces, qui venaient faire leurs rapports
+sur tout ce qui se passait d'hostile ou de favorable au parti;
+c'étaient, enfin, les envoyés des <i>cabecillas</i> en campagne, qui
+apportaient au château tout ce qui concernait la situation bonne ou
+mauvaise des bandes qu'ils commandaient.</p>
+
+ <p>Lorsque je repassai la frontière, j'appris la nomination de nouveaux
+chefs carlistes, dont quelques-uns étaient déjà au château de
+Peyrolhade, au moment de mon départ de cette résidence. Au nombre de ces
+chefs qui devaient donner à l'insurrection une nouvelle impulsion,
+étaient le général Ellio, qui reprenait un service actif, le marquis de
+Valdespina, Dorregaray et Lizarraga. Ces quatre généraux, que j'ai vus
+plusieurs fois sur les champs de bataille, méritent d'être connus, à
+cause des commandements qu'ils occupent à la tête des bandes et des
+services qu'ils rendent à la cause carliste. C'est ce que je me propose
+de faire, après avoir dit quelques mots sur l'emprunt que le parti
+contracta à Londres. C'est, au reste, avec l'argent qu'il produisit que
+la guerre civile put prendre plus d'extension et de développements,
+ainsi que je vais le constater.</p>
+
+<br><br>
+
+ <h3>LES THÉÂTRES</h3>
+
+ <p>Porte-Saint-Martin. <i>Libres!</i> drame en huit tableaux, par M. Edmond
+Gondinet.--Ambigu-Comique. <i>La falaise de Penmarck</i>, drame en cinq actes,
+de M. Crisafulli.--Odéon. <i>Le docteur Bourguibus</i>. comédie en un acte et
+en vers, de M. Edmond Cottinet. --Gymnase. <i>Monsieur Adolphe</i>, pièce en
+trois actes, de M. Alexandre Dumas fils.</p>
+
+ <p>La pièce de M. Gondinet, <i>Libres!</i> m'a beaucoup plu. Je sais que les
+dilettanti du genre, les raffinés du mélodrame y trouveront à redire,
+car elle n'est pas construite et charpentée selon les règles, elle ne
+vous saisit pas à la gorge à un moment donné pour vous laisser pantelant
+et lui crier merci dans quelques scènes pleines d'émotion ou de terreur.
+Son scénario ne s'avance pas progressivement pour marcher à travers des
+péripéties les plus sombres pour arriver aux catastrophes finales; mais
+qu'importe que le drame échappe à l'analyse par sa trame un peu légère,
+qu'importe que faction un peu mince tienne en quelques lignes, si
+l'impression d'ensemble est allée droit à l'effet voulu, et si au sortir
+du théâtre le drame a laissé dans l'esprit du spectateur un souvenir, et
+que l'âme s'en sente encore agitée par delà la représentation. C'est ce
+qui arrive.</p>
+
+ <p>C'est peu de chose en effet que cette histoire dramatique facilement
+imaginée et qui se déroule autour de Lambros, le polémarque de la
+Selléide, avec cet amour de sa fiancée Chryseis, avec cette trahison du
+traître Andronicos livrant par jalousie et par haine son pays à Aly,
+pacha de Janina. Cette rivalité est le thème obligé de tous les
+mélodrames. Quelques scènes plus ou moins heureuses ajoutées à cette
+nomenclature du crime des traîtres ne font rien à l'affaire. Le drame
+n'aurait rien perdu assurément à plus de nouveauté dans cette fable
+romanesque. Il eût été meilleur, à coup sûr, en se privant de ce groupe
+de comiques propres à jeter de la gaieté, comme cela se passe dans toute
+pièce du boulevard. Je n'en disconviens pas; mais je le répète, le drame
+de M. Gondinet m'a plu par sa composition générale, par son mouvement,
+par cette grande histoire de liberté qu'il met en scène, par ce récit de
+l'affranchissement d'un peuple. Tout cela est animé, vivant, tout cela
+s'écoute d'un bout à l'autre avec la plus vive curiosité, au milieu de
+nombreux épisodes et à travers tout ce pays de la Grèce.</p>
+
+ <p>Il semble que M. Gondinet, qui est un esprit fin et qui a bien sa
+jeunesse et sa poésie, ait lu cette histoire de l'indépendance
+hellénique dans les livres de Fouqueville et de Fauriel, qu'il ait lu
+avec ardeur ces chants recueillis par M. de Marcellus, et que se
+souvenant de cet enthousiasme qui enflamma vers 1825 nos poètes de
+France et d'Angleterre pour la cause de ce peuple, il ait voulu rendre
+dans un drame toute cette vie d'un passé qui passionna si profondément
+l'Europe aux temps où elle avait plus de sympathie et plus de larmes
+pour les opprimés et les vaincus.</p>
+
+ <p>A ce drame de l'indépendance d'un pays qui eut pour alliés les poètes,
+M. Gondinet a laissé son caractère poétique. C'est là son côté original
+et piquant. Il se dégage des conventions scéniques par un souffle
+heureux. Il a pour lui, et que le lecteur me pardonne cette phrase du
+temps, il a pour lui les Muses de la patrie et de la liberté. Comme aux
+jours de ses premiers fils, la Grèce est encore le pays des vers. Elle
+chante aux noces des fiancés, aux berceaux des fils, sur la tombe des
+soldats, elle a des épithalames et des nénîes; ses poètes populaires
+sont de toutes ses fêtes. M. Gondinet les a parfois reproduits avec un
+rare bonheur:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> Le klepte est tombé sous les halles,</p>
+<p class="i14"> Chantons les marches triomphales,</p>
+<p class="i14"> Que son nom résonne partout.</p>
+<p class="i14"> Creusez sa tombe haute et grande</p>
+<p class="i14"> Pour que son bras armé s'étende</p>
+<p class="i14"> Et pour qu'il s'y tienne debout.</p>
+<p class="i14"> Faites à la pierre une entaille</p>
+<p class="i14"> Pour que dans les jours de bataille</p>
+<p class="i14"> Il entende les combattants.</p>
+<p class="i14"> Plantez devant un laurier-rose</p>
+<p class="i14"> Pour que l'hirondelle s'y pose</p>
+<p class="i14"> Et l'avertisse du printemps.</p>
+</div></div>
+
+ <p>Ainsi parle sur le cadavre du polémarque Lambros, le héros de la pièce,
+D'autres chantent les hymnes de liberté, et le drame s'écoule toujours
+soutenu par un sentiment fin et délicat qui le vivifie dans un cadre
+poétique, C'est la Grèce avec ses aspirations de liberté, avec ses
+glorieux révoltés, c'est elle avec ses kleptes, ses chkipetars, ses
+costumes brillants; nous la retrouvions dans sa gracieuse et pittoresque
+beauté, avec ce décor qui nous transporte sur la place de Variadès, au
+fond duquel se dessine dans le lointain les hautes montagnes et les
+gracieux villages attachés à leurs flancs. Nous nous sommes cru un
+instant sur la côte du Péloponèse, au tableau qui représente la falaise
+couverte d'arbres et dominant les flots bleus de la mer. C'est un
+chef-d'&oelig;uvre que ce décor qui représente le Grand-Souli, avec ses
+maisons blanches, ses cactus en fleurs, ses vignes qui grimpent jusques
+aux toits en tuiles rouges, avec son pont jeté sur un torrent. Il semble
+que M. Rubé, qui en est l'auteur, l'ait composé d'après une vue
+photographique rapportée du pays de Messène ou d'Argos. Cet art du
+décorateur, qui, je crois, n'a jamais été poussé aussi loin dans la
+vérité des tableaux, nous a rendu la Grèce avec la plus grande fidélité.
+Et c'est là un attrait de plus pour le drame de M. Gondinet, que le
+public a accueilli avec le plus vif succès.</p>
+
+ <p>L'interprétation de la pièce est excellente. M. Dumaine joue avec une
+sincère conviction et une réelle autorité ce rôle de Lambros, qui domine
+tout le drame. Taillade, c'est Aly, le pacha de Janina, un tyran bizarre
+et cruel qui tourne parfois à la ganache. Larcy, Charly, font retentir
+leurs voix vibrantes, et Laurent égaye la pièce par sa bonne humeur.
+Quant à Mme Dica-Petit, fort belle sous ses magnifiques costumes de
+femme souliote, elle a donné au personnage de Chryseis un véritable
+caractère de passion et de noblesse.</p>
+
+ <p>J'aime ce bon mélodrame du temps passé, avec tous ses trucs, ses
+épouvantails, ses tours, ses prisons, ses rochers, ses falaises, tout
+son attirail de crimes et d'horreurs, mais encore faut-il que ces
+horreurs soient possibles à raconter. M. Crisafulli a poussé dans la
+<i>Falaise de Penmarck</i> ce genre tellement au noir que pour ma part je ne
+m'y reconnais plus. Voilà une aventure, par exemple! Le commandant
+Pierre Lecourbe se marie; le jour même de ses noces il reçoit l'ordre de
+rallier l'escadre en partance! Ainsi le veut l'amiral qui ne transige
+pas avec la consigne. Le commandant a un frère, un ivrogne, lequel après
+les libations les plus regrettables, croyant entrer chez sa fiancée, se
+trompe de porte et pénètre chez sa belle-s&oelig;ur, la femme du commandant.</p>
+
+ <p>Vingt ans après ce bel exploit, le commandant Lecourbe vit auprès de sa
+femme et entre deux filles, qu'il aime, sans soupçonner que sa fille
+aînée doit le jour à un horrible crime. L'affection du commandant pour
+cette enfant semble même plus grande que pour l'autre, à ce point qu'il
+dépouille sa fille cadette au bénéfice de sa s&oelig;ur. La mère révoltée
+d'une telle injustice révèle à moitié ce terrible secret à son mari. Ce
+que le commandant ignore c'est le nom du coupable. Il va donc à son
+frère, Pierre Lecourbe, et lui confie le soin de sa vengeance en lui
+faisant jurer que cet homme mourra et, par le fait, il tient son
+serment, car honteux de lui, il se précipite du haut de la falaise de
+Penmarck, qui n'est là que pour fournir un titre pittoresque à la pièce.
+C'est à l'aide de cette fable dramatique que M. Crisafulli a obtenu une
+scène des plus saisissantes. Celle des deux frères, dont l'un demande
+vengeance à l'autre pour son honneur outragé, pour son nom souillé. Mais
+vraiment ces fortunes-là coûtent bien cher puisque c'est au prix de
+telles situations qu'on les obtient. Si ce drame nous demande au début
+de grands crédits pour faire marcher sa petite industrie, je suis prêt
+pour ma part à les lui refuser. Qu'il s'arrange, n'a-t-il pas la
+trahison, le meurtre, l'assassinat. S'il lui faut plus encore, il est
+trop exigeant; qu'il meure faute d'appui, je n'y vois pas
+d'inconvénient.</p>
+
+ <p>J'ai donc hâte de sortir de cette <i>Falaise de Penmarck</i> pour entrer dans
+une joyeuse comédie, pleine de belle humeur, d'esprit et de gaieté, et
+qui a pour titre le <i>Docteur Bourguibus</i>: elle est née de la fantaisie
+d'un poète, et de la première à la dernière scène elle s'en va
+lestement, joyeuse de ses bonnes trouvailles comiques, de ses vers
+plutôt improvisés qu'écrits, étincelants de saillies. Ce docteur
+Bourguibus qui a pour parents tous les héros de la comédie bergamasque a
+une <i>toquade</i>. Pardon du mot: aux XVIIIe siècle on aurait dit du docteur
+qu'il avait le timbre fêlé. Le brave homme qui a la monomanie de la
+pitié, s'attache particulièrement aux gredins. Que lui parlez-vous
+d'honnêtes gens! la belle affaire! ils ont leur conscience pour eux et
+le paradis au bout. Mais un criminel, un assassin, par exemple, un
+meurtrier que la justice, l'infâme justice a frappé, voilà ce qui tente
+l'âme du docteur Bourguibus. C'est une cure à faire. S'occupe-t-on des
+gens bien portants? Non; on soigne les malades; qu'est-ce qu'un
+criminel? un malade: le tout est de le guérir. Grâce à ce raisonnement,
+le docteur cueille au haut d'un gibet un gibier de potence qu'il arrache
+à main armée aux mains des valets du bourreau. Cet exploit a coûté la
+vie à cinq honnêtes gens: c'est pour rien. Et voilà Spalâtre installé
+dans le logis de docteur. On va voir ce qu'on peut obtenir avec des
+soins d'un gredin qu'on a dépendu. Tout est pour lui, les bons morceaux,
+les complaisances des domestiques, et jusqu'à la main de la nièce du
+docteur. Seulement il veut conduire sagement l'homme à complète
+guérison. Il dort, silence; il va se réveiller, qu'il ouvre les yeux aux
+sons d'une musique réjouissante: un murmure de menuet et le docteur et
+sa nièce effleurent sur la mandoline et le violon l'adorable morceau de
+Boccherini. Là-dessus Spalâtre qui entr'ouvre les yeux rêve de voyageur
+égaré et d'assassinat au coin d'un bois. Elle est charmante cette scène
+du bandit que la musique ramène à ses premières inclinations, le
+meurtre. La cure a si bien opéré que Spalâtre, non content de voler pour
+son propre compte, fait de la propagande et entraîne les domestiques du
+docteur à voler avec lui, si bien que le pauvre Bourguibus paye ses
+théories humanitaires de ses meubles, de sa bourse et de sa montre. Bien
+en a pris à l'amoureux de la nièce de se déguiser en bourreau et de
+venir demander Spalâtre au docteur qui le retient contre la loi, car à
+la vue de l'homme noir, Spalâtre s'est enfui maudissant cet imbécile de
+docteur qui l'expose à retomber dans les mains de la justice. Tout
+s'arrange; le docteur se guérit de son faible pour les gredins et de sa
+haine pour les gens de police, et le public applaudit chaleureusement à
+l'auteur et aux interprètes de cette comédie des plus originales et des
+plus amusantes.</p>
+
+ <p>Le théâtre au Gymnase a remporté hier, mercredi, un éclatant succès avec
+<i>Monsieur Adolphe</i>. Je reviendrai la semaine prochaine sur cette &oelig;uvre
+exquise de M. Alexandre Dumas. Je ne puis que signaler aujourd'hui
+l'accueil chaleureux que le public tout entier a fait à sa pièce. C'est
+là une des plus grandes fêtes du théâtre au Gymnase. Depuis vingt ans,
+depuis ces jours du <i>Demi-monde</i>, je ne crois pas qu'il eût été témoin
+d'une semblable ovation. La salle passait du rire aux larmes, de
+l'émotion à la gaieté. Elle a acclamé l'auteur, saluant dans son &oelig;uvre
+cette sûreté de talent, cette élévation dans la pensée, cette explosion
+de l'esprit qui font de M. Dumas fils un maître. Tout son public lui
+était revenu, heureux d'oublier les quelques moments de froideur qui
+s'était faite entre lui et l'auteur de la <i>Femme de Claude</i>, et comme
+regrettant ses sévérités passagères, on se sentait comme reconnaissant
+envers M. Dumas de lui rendre l'auteur aimé des jours passés.</p>
+
+ <p>Les interprètes de <i>Monsieur Adolphe</i> ont été couverts
+d'applaudissements, et Pujol, et Achard, et Mlle Alphonsine, cette
+transfuge des théâtres de féerie, qui s'est montrée merveilleuse
+comédienne dans le rôle de Mme Guichard.</p>
+
+ <p>Je donne avec plaisir une bonne nouvelle à mes lecteurs: Les concerts de
+M. Daubé vont reprendre leur cours, non plus au <i>Grand-Hôtel</i> où on les
+suivait autrefois, mais à la salle que M. Henri Herz a mise
+gracieusement à la disposition de M. Daubé.</p>
+
+ <p>M. Savigny.</p>
+
+ <br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/005a.png"><br><b>LES ÉVÉNEMENTS DE CUBA.--Vue générale de la Havane.</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/005b.png"><br><b>L'ILE DE CUBA.--Vue prise près de la côte de Candela.</b></p>
+<br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/006_small.png"><br><a href="images/006_large.png">(Agrandissement)</a></p>
+
+<br><br>
+
+
+
+ <p>Toujours: <i>Peau de satin! Fraises au champagne! Lèvres de Feu!!</i> valses
+de J. Klein. Il n'y a donc pas autre chose?</p>
+
+<br><br>
+
+ <h3>BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE</h3>
+
+ <p><i>Histoire de l'Astronomie</i>, par Ferd. H&oelig;fer.--La science profonde et
+l'érudition encyclopédique du docteur H&oelig;fer sont trop connues et trop
+appréciées pour qu'il soit utile de présenter à nos lecteurs l'auteur de
+la nouvelle <i>Histoire de l'Astronomie</i>. Chacun sait que pour écrire une
+histoire compétente de quelque science que ce soit, il faut être du
+métier et connaître la pratique du sujet dont on se fait le rapporteur.
+Or M. H&oelig;fer a écrit une histoire de la <i>chimie</i>, qui est devenue
+classique, une histoire de la <i>physique</i> estimée de tous les savants,
+une histoire de la <i>botanique</i>, une histoire de la <i>zoologie</i>, aussi
+complètes l'une que l'autre; et voici une histoire de l'<i>astronomie</i>,
+que je viens de lire avec la plus vive attention, et que nul astronome
+de profession n'aurait certainement mieux écrite. Elle est complète sans
+être trop étendue, s'adresse aux gens du monde aussi bien qu'aux
+savants, et présente un tableau exact et intéressant des progrès inouïs
+de cette science admirable, depuis les Hindous, les Chinois, les
+Chaldéens, les Égyptiens, jusqu'aux découvertes sublimes de notre
+époque, illustrée depuis moins de trois siècles par les Galilée, les
+Kepler, les Newton, les Laplace; par des scrutateurs des mystères
+célestes qui laisseront dans l'histoire des noms comme ceux de Cassini,
+Halley, Huygens, R&oelig;mer, Dalembert, Herschell, Bessel, Struve, Arago,
+etc.</p>
+
+ <p>L'histoire de l'astronomie présente plus que nulle autre le tableau des
+véritables progrès de l'esprit humain. Celle des peuples, des dynasties,
+des religions, offre des alternatives de lumière et de ténèbres, des
+grandeurs et des décadences, des guerres et des trêves, et souvent,
+hélas, du sang et des ruines. Mais les progrès de la science du ciel, au
+contraire, offrent une continuité lente, mais permanente, du travail de
+la pensée humaine, depuis l'ignorance primitive jusqu'à l'époque où nous
+sommes, pendant laquelle nous osons mesurer les distances qui nous
+séparent des étoiles, et analyser les substances qui brûlent dans le
+soleil. Aujourd'hui, nous voyons les mondes rouler sous nos pieds; nous
+sentons la terre courir et nous emporter à travers l'espace infini, et
+déjà nous avons les premiers éléments nécessaires pour deviner la <i>vie
+inconnue</i> qui rayonne à la surface des autres terres du ciel! C'est la
+science sans patrie et sans dogmes, sans chaînes et sans larmes, qui,
+toujours pure, s'élève et s'épanouit dans la divine lumière du ciel;
+c'est celle qui fait le plus d'honneur à l'esprit humain, qui met en
+évidence les plus nobles facultés de l'homme; c'est celle qui nous a
+<i>affranchis.</i> Les plus grands révolutionnaires ne s'appellent pas
+Cromwell, Washington, Mirabeau ou Robespierre; ils s'appellent Copernic,
+Galilée. Kepler, Newton.</p>
+
+ <p>On lira avec plaisir et profit le nouveau livre du docteur H&oelig;fer. Dans
+son ouvrage publié l'année dernière, et intitulé: l'<i>Homme devant ses
+&oelig;uvres</i>, l'auteur avait montré par quels principes il juge l'humanité;
+et il n'est certes pas inutile, à notre époque où tout court si vite, de
+s'arrêter un instant sur le chemin de la vie, comme le Dante avant de
+pénétrer au sombre royaume, et de réfléchir un instant sur les faits et
+gestes de notre race soi-disant raisonnable. L'histoire de l'astronomie
+est écrite avec la même netteté de vues, moins sévère que celle de
+Delambre, lequel en est souvent ridicule, et plus juste pour les
+anciens, qui méritent tout notre respect, attendu qu'il faut à toutes
+les sciences un commencement. Celui qui renaîtrait dans trois siècles
+seulement serait bien étonné de notre état scientifique, social et
+religieux de 1873, et, s'il n'était juste, nous traiterait d'ignares et
+d'imbéciles. C'est ce qu'a fait l'astronome Delambre, trop souvent. M.
+H&oelig;fer n'est pas tombé dans ce travers, et nous l'en félicitons.</p>
+
+ <p><i>Les Merveilles de la photographie</i>, par G. Tissandier.--Voici un
+nouveau volume de la <i>Bibliothèque des merveilles</i>, et qui fait honneur
+à la collection. Qu'y a-t-il de plus merveilleux que la photographie,
+dont les travaux nous laissent pourtant déjà indifférents? La terre
+tourne si vite que l'on oublie le lendemain la situation de la veille,
+et il semble que nos pensées se multiplient et s'envolent beaucoup plus
+vite depuis que nous connaissons la rapidité des mouvements célestes. En
+fait, il n'y a que quarante-sept ans que le premier traité entre Niepce
+et Daguerre a été signé, et aujourd'hui les photographes pullulent dans
+toutes les villes d'Europe, et les photographies sont tombées dans le
+domaine public, et l'on n'accorde plus aux meilleures d'entre elles
+qu'une attention momentanée. Mais tandis que pour la masse du public la
+photographie est encore toute entière dans la reproduction plus ou moins
+durable d'un visage, d'un monument ou d'un paysage, l'art s'est agrandi,
+s'est développé comme toutes les connaissances humaines, et déjà rend
+d'immédiats services à la plupart d'entre elles. La photomicrographie
+fixe aujourd'hui l'image centuplée de l'insecte, invisible à l'&oelig;il nu,
+dessine l'agencement moléculaire minéral, végétal ou animal, nous montre
+les cristaux du sang ou l'épiderme délicat d'une pauvre chenille. A
+l'opposé, toute l'Assemblée nationale est reproduite sur un carré de
+collodion du diamètre d'une tête d'épingle, sans rien perdre de ses
+proportions ni de sa grandeur réelle. Si nous passons maintenant du
+petit au grand, nous trouvons la photographie appliquée au soleil, à la
+lune, aux planètes et même aux étoiles, et nous avons déjà des sériés de
+plusieurs années de portraits du soleil, faits chaque jour, et montrant
+la variation incessante de son aspect et de ses taches. Des
+photographies directes de la lune sont si excellentes que l'on se
+promène facilement dans les vallées et les paysages lunaires ainsi
+reproduits. Appliqué à la météorologie, le même art remplace maintenant
+l'observateur en enregistrant automatiquement l'état du ciel, la marche
+du baromètre, du thermomètre, du vent, de l'aiguille aimantée, etc., ce
+qui permettra d'avoir un bien plus grand nombre de constatations
+simultanées et permanentes et de donner à la météorologie la base qui
+lui manque encore. Il y a plus: la photographie <i>imprime</i> maintenant
+elle-même, et le livre de M. Tissandier nous offre un spécimen de
+photoglyphe à l'encre de Chine gélatinée, qui montre au premier coup
+d'&oelig;il toute la valeur artistique et toute l'importance pratique du
+nouveau procédé. On le voit, le jeune et savant directeur du journal <i>la
+Nature</i> a su réunir dans son nouveau livre toutes les richesses de l'art
+dont il voulait raconter les merveilles.</p>
+
+ <p>Camille Flammarion.</p>
+
+ <p><i>Une courtisane vierge</i>, par M. Amédée de Céséna.--L'auteur fut un
+journaliste grave, un personnage politique, un polémiste. Il n'est qu'un
+conteur qui spécule sur de certaines curiosités malsaines. Je pense
+qu'il suffit de citer le titre du livre pour montrer tout ce que M. de
+Céséna a voulu lui donner d'alléchant. Le romancier se défend,
+d'ailleurs, dans sa préface, d'être un corrupteur. Il prétend au titre
+de <i>moraliste</i>. Ce n'est donc pas un moraliste homeopathique: il fait de
+la morale par les contraires.</p>
+
+ <p><i>Les Femmes au c&oelig;ur d'or</i>, par M. Eugène Moret. (1 vol. Dentu.)--Il y
+a, dans le roman-feuilleton, des auteurs dont la réputation n'égale pas
+le talent, et M. Eugène Moret est de ce nombre. Il a des succès, et
+très-grands, dans le public des journaux populaires, des livraisons à
+dix centimes, et il mérite ces succès-là. Ses livres sont moraux,
+honnêtes et intéressants. Il a publié sur les <i>Femmes de la Révolution
+et de la Terreur</i> des feuilletons absolument amusants et qui, réunis en
+volume, ont beaucoup plu aux lecteurs. Ces <i>Femmes au c&oelig;ur d'or</i> auront
+certainement le même sort et méritent le même accueil. C'est là un roman
+qui vaut dix fois mieux, à coup sur, que bien des romans célèbres, et
+qui fait honneur au talent très-loyal, sans fracas, sans charlatanisme,
+de M. Eugène Moret.</p>
+
+ <p><i>La comtesse de Nancey</i>, par M. Xavier de Montépin. (3 volumes in-18.
+Chez Sartorius.)--M. Xavier de Montépin est, en librairie, le
+triomphateur de la saison. Il a publié trois ou quatre volumes, épisodes
+détachés d'un même roman, qui en sont à leur huitième ou dixième
+édition. <i>La comtesse de Nancey, l'Amant d'Alice, le Mari de
+Marguerite</i>, ont amusé tout un public, le public des romans d'Arsène
+Houssaye, celui qui aime l'impossibilité en pleine vie réelle, les
+aventures improbables placées dans le milieu parisien. M. de Montépin,
+jusqu'ici, n'avait point connu pareille vogue, pas même il y a seize ou
+dix-huit ans, lorsqu'il écrivait les <i>Viveurs de Paris</i> et les <i>Filles
+de plâtre</i>. Je crois même nie rappeler que les <i>Filles de plâtre</i> lui
+valurent une assignation devant la police correctionnelle. Aujourd'hui,
+en ce temps d'<i>ordre</i> et de <i>moralité</i>, les romans de M. de Montépin
+montent aux nues. L'auteur est un aimable homme qui n'a d'autre tort que
+de vouloir, de temps à autre, dire son mot dans la politique courante.
+Quand il conte ces aventures extraordinaires, il amuse et il entraîne.
+Au fond, cela lui suffit. Le public le suit, il est satisfait. Il ne
+<i>politique</i> que par aventure. Son rôle est d'inventer: il invente. Les
+folles amours, les coups de couteau, les scandales à Bade, les espions
+prussiens, les batailles de la Commune, les propos de boudoirs, tout se
+coudoie dans la trilogie que M. de Montépin appela tout d'abord le <i>Mari
+de Marguerite</i>. Je n'analyserai point ces pages. Leur succès a été
+absolu, et si l'on n'avait abusé du mot, je dirais volontiers que c'est
+un des signes du temps. Mais ne faut-il pas des rêves à tout le monde?
+Pâture à liseurs, disait Petrus Corel en parlant de ses livres. Chacun
+choisit le mets qui lui convient,--et cela n'empêche pas de rééditer
+Corneille.</p>
+
+ <p><i>La Célestine</i>, de Fernando de Rojas, traduite par M. Germond de Lavigne.
+(Nouvelle collection Jannet.)--M. E. Picard continue avec succès la
+publication de ses petits chefs-d'&oelig;uvre littéraires faisant suite à la
+collection Jannet. Les bibliophiles se disputeront également la
+<i>collection rouge</i>, qui est l'ancienne, et la <i>collection bleue</i>, qui
+est la nouvelle. Sous cette dernière forme, les &oelig;uvres de Rabelais vont
+être tantôt achevées, et M. André Lefèvre vient de donner une édition
+des <i>Lettres persanes</i>, de Montesquieu, qui pourrait bien être
+définitive. Aujourd'hui, M. Germond de Lavigne, si compétent en ce qui
+touche la littérature espagnole, publie, dans cette même collection, une
+traduction de la Célestine, ce roman dialogué d'un intérêt si puissant
+et d'un charme si particulier qui date, s'il vous plaît, du XVe
+siècle,--de 1492,--et qui semble comme la source où Calderon et Pope
+puisèrent leurs drames ensoleillés et entraînants.</p>
+
+ <p>Moratin avait raison d'appeler <i>la Célestine</i> une <i>nouvelle dramatique</i>.
+Ce n'est que cela, en effet; mais cette nouvelle est inimitable. Il y a
+de tout, dans ce conte, de la morale et de la poésie, des aventures
+d'amour, des leçons tragiques, des séductions et des drames. Le type du
+prodigue Calixte est peint de main de maître, et le profil de la
+Célestine, une proche parente de la Macette de Régnier, est inoubliable.
+L'homme qui écrivit cette sorte de drame, Fernando de Rojas, était un de
+ces artistes rares et puissants que les littérateurs nomment d'un grand
+nom, les précurseurs.</p>
+
+ <p>M. Germond de Lavigne a traduit la Célestine avec ce talent qui lui
+valut, il y a quelques années, les éloges de Charles Nodier. Il n'a pas
+essayé, dit-il, de reforger les endroits scandaleux qui pouvaient
+offenser les religieuses oreilles, et il a bien fait. Sa traduction y
+gagne d'être une &oelig;uvre d'art à travers laquelle on saisit toute la
+couleur, tout l'éclat du style castillan.</p>
+
+ <p>Jules Claretie.</p>
+
+ <br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/007a.png"><br><b>LES FUYARDS A LA PORTE DE BALAN. Gravure extraite de la<br>
+<i>Guerre de</i> 1870-71, par A. Wachter. (E. Lachaud, éditeur.)</b></p>
+
+ <h3>LA GUERRE DE 1870-71</h3>
+
+ <h3>Histoire politique et militaire</h3>
+
+ <h4>PAR A. WACHTER</h4>
+
+ <p>Au moment où les débats du procès Bazaine remettent en lumière les
+tristes péripéties de la dernière guerre et les causes de nos désastres,
+nous croyons devoir appeler l'attention de nos lecteurs sur un ouvrage
+que nous avons déjà signalé lors de son apparition: nous voulons parler
+de l'<i>Histoire de la guerre de</i> 1870-71 de M. Wachter, éditée par la
+librairie Lachaud. Parmi les innombrables publications qui se sont
+succédé sur ce sujet depuis trois ans, celle-ci est l'une des plus
+complètes, des plus intéressantes et des mieux à la portée du public.
+Les connaissances spéciales de M. Wachter ont fait de lui, depuis
+longtemps, un de nos écrivains militaires les plus justement estimés;
+une étude approfondie des opérations stratégiques qu'il a suivies sur le
+terrain même et une lecture attentive des documents allemands qu'il a
+consultés dans leur texte original, ont permis à M. Wachter de réunir
+dans les deux volumes qui composent son travail, les renseignements les
+plus exacts, les plus authentiques, et de les présenter d'une manière
+plus méthodique et plus claire que dans la plupart des ouvrages du même
+genre; ajoutons que le livre est richement illustré de dessins de M.
+Darjou, l'habile artiste dont nos lecteurs connaissent trop bien le
+talent, pour que nous ayons besoin d'en faire l'éloge. Les deux gravures
+que nous avons publiées la semaine dernière sur la bataille de
+Rezonville et les carrières du Caveau étaient extraites du beau livre de
+MM. Wachter et Darjou; celle que nous reproduisons aujourd'hui un
+nouveau spécimen de ces illustrations, qui sont le vivant commentaire du
+texte de M. Wachter.</p>
+
+ <p>L'Exposition universelle de Vienne a fourni à l'<i>Illustration</i>
+l'occasion d'affirmer une fois de plus cette supériorité hors ligne
+qu'elle a depuis longtemps acquise sur toutes les publications
+analogues. Comme en 1867, l'<i>Illustration</i> avait exposé, outre ses
+volumes et ses collections, une série de spécimens permettant de suivre
+pas à pas les opérations si compliquées de la gravure et ces procédés
+grâce auxquels nous arrivons à donner au public la représentation des
+faits d'actualité presque aussi vite que la presse quotidienne où donne
+le récit. Cette exposition a particulièrement attiré l'attention du jury
+international, qui a décerné à l'<i>Illustration</i> une <i>médaille de
+mérite</i>, la plus haute récompense après la grande médaille d'honneur.</p>
+
+ <p>Cette distinction est, croyons-nous, la seule du même genre qui ait été
+obtenue par un journal illustré; nous sommes heureux d'en faire part à
+nos lecteurs; ils y verront une preuve nouvelle des efforts-incessants
+qui a valu à l'<i>Illustration</i> la légitime réputation dont elle jouit
+dans le monde entier.</p>
+
+<br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/007b.png"><br></p>
+
+ <p class="mid">EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS:</p>
+
+ <p class="mid">Même en 999, à l'approche de l'an mille, on ne vit point aller autant en
+pèlerinage.</p>
+
+
+<br><br>
+</div>
+
+<div>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44357 ***</div>
+</body>
+</html>
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+Project Gutenberg's L'Illustration, No. 1605, 29 novembre 1873, by Various
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+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
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+Title: L'Illustration, No. 1605, 29 novembre 1873
+
+Author: Various
+
+Release Date: December 5, 2013 [EBook #44357]
+
+Language: French
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+Character set encoding: ISO-8859-1
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+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 1605, 29 ***
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+Produced by Rénald Lévesque
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+L'ILLUSTRATION
+JOURNAL UNIVERSEL
+
+REDACTION, ADMINISTRATION, BUREAUX D'ABONNEMENTS
+23, rue de Verneuil, Paris
+
+31e Année.--VOL. LXII,--1605
+SAMEDI 29 NOVEMBRE 1873
+
+SUCCURSALE POUR LA VENTE AU DÉTAIL
+60, rue de Richelieu, Paris
+
+Prix du numéro: 75 centimes
+La collection mensuelle, 3 fr.; le vol. semestriel, broché, 18 fr.;
+relié et doré sur tranches, 23 fr.
+
+Abonnements
+Paris et départements: 3 mois, 3 fr.;--6 mois, 18 fr.;--un an, 36;
+Étranger, le port en sus.
+
+Les demandes d'abonnements doivent être accompagnées d'un mandat-poste
+ou d'une valeur à vue sur Paris à l'ordre de M. Auguste Marc,
+directeur-gérant.
+
+
+
+[Illustration: LA PROROGATION.--Les curieux attendant l'arrivée du train
+parlementaire sur le pont de l'Europe, dans la nuit du 18-19 novembre.]
+
+
+
+SOMMAIRE
+
+_Texte_: Histoire de la semaine.--Courrier de Paris, par M. Philibert
+Audebrand.--La Soeur perdue, une histoire du Gran Chaco (suite), par M.
+Mayne Reid.--Nos gravures.--Un voyage en Espagne pendant l'insurrection
+carliste (V).--Les Théâtres.--Revue comique du mois, par
+Bertall.--Bulletin bibliographique.--_La Guerre de_ 1870-71, par A.
+Wachter.
+
+_Gravures_: La prorogation, les curieux attendant l'arrivée du train
+parlementaire sur le pont de l'Europe, dans la nuit du 18-19 novembre.
+--Procès du maréchal Bazaine: les témoins (9 gravures).--Le service des
+pigeons voyageurs de la Presse, à Versailles (2 gravures).--_L'Espagne_,
+par M. le baron Davilier (8 gravures).--Les événements de Cuba: vue
+générale, de la Havane;--L'île de Cuba: vue prise près de la côte de
+Candela.--Revue comique du mois, par Bertall (13 sujets).--Les fuyards
+à la pot te de Balan, gravure extraite de la _Guerre_ de 1870-71, par M.
+A. Wachter.--Rébus.
+
+
+
+HISTOIRE DE LA SEMAINE
+
+FRANCE
+
+Après le vote de la loi de prorogation, il était permis de penser que la
+majorité, qui s'était ralliée autour de la haute personnalité du
+maréchal de Mac-Mahon, pourrait bien s'affaiblir ou même disparaître
+quand le débat viendrait à se poser non plus sur le terrain national et
+gouvernemental, mais sur le terrain purement ministériel; bon nombre de
+journaux affirmaient avec confiance que le cabinet serait moins heureux
+que le président lorsqu'il se présenterait pour son propre compte à la
+barre de l'Assemblée, et lorsque M. Léon Say vint à la tribune
+développer son interpellation sur la politique suivie pendant les
+vacances et sur le retard apporté à la convocation des collèges
+électoraux, il crut pouvoir affirmer que la dernière heure du ministère
+du 24 mai était sur le point de sonner. Ces prévisions ne se sont pas
+réalisées; le cabinet a remporté une victoire moins éclatante, il est
+vrai, que le maréchal-président, mais qui s'est soldée par la majorité
+importante de 50 voix; ainsi qu'il s'y était engagé, il a remis avant
+même l'ouverture du débat, sa démission collective entre les mains du
+chef de l'État, mais pour se reconstituer sur les mêmes bases, sauf
+quelques changements de personnes et d'attributions qui n'impliquent pas
+de changement fondamental de tendances ni de principes.
+
+M. de Broglie garde le titre et les fonctions de vice-président du
+conseil des ministres et prend le portefeuille de l'intérieur. MM,
+Batbie, Ernoul, Beule et de la Bouillerie sortent du cabinet pour faire
+place à MM. le duc Decazes, nommé ministre des affaires étrangères;
+Depeyre, ministre de la justice; de Fourtou, ministre de l'instruction
+publique et des cultes, et de Larcy, ministre des travaux publics, M.
+Deseilligny passe à l'agriculture et au commerce en remplacement de M.
+de la Bouillerie; enfin les portefeuilles des finances, de la guerre et
+de la marine restent confiés, comme précédemment, à MM. Magne, du Barail
+et Dompierre d'Hormoy.
+
+Quant au vote de la loi de prorogation, les commentaires qu'il a
+suscités dans la presse sont importants à noter si l'on veut chercher à
+se rendre compte de ce que sera notre régime politique dans la phase
+nouvelle dont cette loi est le point de départ. Ainsi qu'il fallait s'y
+attendre, les journaux bonapartistes et républicains se sont montrés
+fort désappointés d'une défaite à laquelle ils s'attendaient en grande
+partie, mais sans penser qu'elle serait aussi complète; toutefois; ces
+derniers font contre mauvaise fortune bon coeur, et cherchent à se
+consoler en répétant qu'après tout la République subsiste en fait et que
+rien n'est perdu par conséquent; constatons en outre que la presse
+républicaine paraît pour le moment corrigée des intempérances de langage
+qui ont plus d'une fois compromis sa cause, et que ses appréciations
+sont en général empreintes d'une modération à laquelle on ne peut
+s'empêcher de rendre justice. Seuls, les journaux du centre droit
+triomphent avec une joie parfois insuffisamment contenue: «Nous tenons
+le loup par les oreilles, s'écriait dernièrement l'un d'eux; il faut les
+lui couper; s'il cherche à mordre, muselons la bête fauve.»
+
+Les feuilles légitimistes, au contraire, n'augurent rien de bon du
+nouvel état de choses, et s'expriment, sur les manoeuvres de stratégie
+parlementaire qui l'ont amené, avec une amertume dont l'heure n'est pas
+encore venue de connaître tous les secrets motifs. Dès le lendemain de
+la séance du 19, l'_Union_, l'_Univers_ et le _Monde_ publiaient une
+déclaration des députés de l'extrême droite qui s'étaient abstenus dans
+le vote; en même temps, ces mêmes journaux dénonçaient avec indignation
+les habiletés de ceux qui, disaient-ils, avaient fait échouer la fusion
+et voulaient maintenant se donner le temps d'attendre la mort du roi
+légitime.
+
+Il est incontestable que la campagne fusionniste n'a pas dit son dernier
+mot; bien des mystères enveloppent encore l'histoire des négociations
+auxquelles elle a donné lieu; bien des événements inattendus peuvent
+encore surgir, qui n'en seront que les conséquences. Une brochure qui
+vient de paraître, et qu'il serait trop long d'analyser ici, contient à
+cet égard plus d'une révélation curieuse. D'autre part, il est avéré que
+le comte de Chambord est constamment en butte à des démarches dont
+l'objet précis n'est pas livré au public, mais dont on n'a pu empêcher
+le secret de transpirer. Le chef de la maison de Bourbon était venu à
+Versailles au moment de la discussion de la loi de prorogation; la
+nouvelle de ce voyage avait d'abord été démentie avec insistance;
+l'_Union_ l'a, depuis, confirmée officiellement par une note où l'on a
+beaucoup remarqué le passage suivant:
+
+«Le moment n'est pas venu de révéler ce que M. le comte de Chambord a
+tenté pour ramener au port le navire en détresse, mais quand aura sonné
+l'heure de Dieu, et cette heure n'est pas loin, la France apprendra avec
+admiration tout ce qu'il y a de désintéressement, de simplicité, de
+dévouement, dans ce coeur de roi et de père qui n'a point de parti et
+qui sait accomplir si noblement son devoir. Elle s'étonnera d'avoir pu
+méconnaître si longtemps tant d'abnégation et de vraie grandeur.»
+
+L'apparition de cette note a coïncidé avec le bruit, répandu depuis
+quelques jours, de l'abdication du comte de Chambord. Y avait-il quelque
+chose de fondé dans ce bruit?--C'est ce que l'avenir nous apprendra.
+
+ESPAGNE.
+
+Les nouvelles venues des États-Unis pendant la semaine tendent à
+présenter sous un jour plus rassurant le différend survenu entre
+l'Amérique et l'Espagne au sujet de la prise du _Virginius_ et du
+massacre des flibustiers qui le montaient. Rappelons d'abord que le
+_Virginius_ était notoirement au service de l'insurrection cubaine,
+qu'il venait ouvertement s'approvisionner de contrebande de guerre, à
+destination de Cuba, dans le port de New-York, et qu'il en était à sa
+quatrième expédition de ce genre quand il fut pris par le _Tornado_ dans
+les eaux de Santiago; que l'exaspération des Espagnols était, par
+conséquent, assez compréhensible, et que le cas de ce flibustier
+présente de frappantes analogies avec celui de l'_Alabama_ au sujet
+duquel les États-Unis ont eux-mêmes eu maille à partir avec
+l'Angleterre. Ajoutons que, dans un intérêt de parti, les politiciens
+américains ont cherché à exploiter les exécutions de Santiago en
+excitant l'indignation publique pour s'en faire une arme contre le
+gouvernement du général Grant, disposé à voir les choses plus froidement
+et à n'agir qu'en connaissance de cause. Quoi qu'il en soit, d'après les
+dernières dépêches transmises par le câble transatlantique, le cabinet
+de Washington a décidé que le _Virginius_ naviguait légalement avec un
+registre américain. Le général Sickles a reçu substantiellement pour
+instructions d'exiger de l'Espagne la restitution du _Virginius_, ainsi
+que les survivants de l'équipage et des passagers de ce navire; une
+excuse pour l'insulte faite aux États-Unis; une indemnité en faveur des
+parents des victimes; le châtiment des exécuteurs ou leur remise au
+gouvernement américain pour être par lui punis, et enfin la mise en
+vigueur immédiate des décrets portant restitution des biens et
+propriétés confisqués aux citoyens américains. Le ministre est également
+chargé de faire part au gouvernement de Madrid du vif désir du
+gouvernement américain de voir abolir l'esclavage.
+
+L'opinion généralement établie dans les régions officielles est que la
+diplomatie parviendra à régler le différend; mais la situation, telle
+qu'elle est aujourd'hui, n'en est pas moins critique. Le sentiment
+public n'est pas précisément belliqueux, bien que certains journaux
+fassent des efforts suprêmes pour créer l'agitation. Les préparatifs
+militaires continuent. Une flotte de quarante-trois navires, portant un
+matériel de six cent quarante-trois pièces d'artillerie, a reçu l'ordre
+de se tenir prête au premier signal.
+
+PAYS-BAS
+
+Les préparatifs des Hollandais pour la deuxième expédition contre Atchin
+sont très activement poursuivis aux Indes; cette expédition doit partir
+dans le courant de ce mois de Batavia pour sa destination. Il est arrivé
+dernièrement dans le port de cette ville un nouveau navire à vapeur qui
+n'a pas apporté moins de 2833 caisses remplies de matériel de guerre,
+avec vingt-cinq canons, ainsi que deux petits bateaux à vapeur démontés
+et prêts à être remontés à Batavia.
+
+On fait, en outre, à Samarang, des essais avec des radeaux de
+débarquement susceptibles de porter un poids de 16,000 à 17,000
+kilogrammes, et qui seront reconduits en place par des remorqueurs à
+vapeur. Ces engins se composent chacun de cinq grands cylindres creux en
+fer, solidement reliés ensemble et couverts d'un simple plancher.
+
+SUISSE
+
+Le Conseil fédéral suisse vient d'adresser à notre ministre des affaires
+étrangères une note relative à la question monétaire. Nous la
+reproduisons plus loin. Justement préoccupé de l'introduction de
+l'étalon d'or dans plusieurs États et des variations qu'a subies le
+rapport des monnaies d'or et d'argent, principalement depuis la
+convention conclue en 1865 entre la France, l'Italie, la Suisse et la
+Belgique, le gouvernement helvétique, s'autorisant de l'article 2 de
+ladite convention, a exprimé le voeu qu'une conférence des quatre États
+signataires fût convoquée le plus tôt possible pour aviser aux mesures
+propres à garantir les intérêts économiques engagés dans cette question.
+Faut-il maintenir le double étalon, sur lequel repose la convention de
+1865? Doit-on lui substituer l'étalon unique? Ne convient il pas de
+faire cette substitution graduellement, pour éviter une perturbation
+immédiate et nuisible? Quels seraient les moyens d'empêcher la
+dépréciation croissante de l'argent, produite par l'exportation de l'or
+des États de l'union monétaire? Telles sont les questions que la note du
+Conseil fédéral propose de soumettre à la conférence dont il sollicite
+la convocation.
+
+
+
+COURRIER DE PARIS
+
+Il nous est venu des lions, en compagnie de leur dompteur. On va les
+voir aux bougies, salle des Folies-Bergères, S'il faut le dire, ce
+spectacle n'a plus d'imprévu pour nous. Il y a beau temps que les
+Parisiens sont blasés là-dessus. Qui ne se rappelle tour à tour quatre
+ou cinq Androclès en spencer rouge? Van Amburgh jouait avec une panthère
+de Java comme une petite dame avec son manchon, Carter s'en prenait à
+une lionne toujours insurgée. Il nous semble le voir encore la frappant
+d'une baguette de coudrier comme un valet de bonne maison bat une
+descente de lit afin d'en faire tomber la poussière. Hermann n'avait pas
+moins d'audace; il agaçait un ours blanc. C'était à l'Hippodrome.
+Arnault, le directeur, nous disait: «Il m'a bien semblé, l'autre soir,
+qu'Hermann allait servir de dîner à son ours.» En réalité, Crockett
+était celui dont la vue nous causait le plus d'émotion. Celui-là avait
+affaire à de vrais lions, à des lions de Barca. Le public pressentait
+qu'il finirait par être mangé. Il l'a été, en effet, non à Paris, mais à
+New-York, je crois. Crockett, croqué! Les faiseurs de jeux de mots ne
+pouvaient manquer cette assonance. C'était, du reste, un argument de
+plus pour démontrer la fatalité des noms.
+
+Celui qui vient d'arriver s'appelle Delmonico un beau nom de dompteur, à
+mêler à un roman ou à un mélodrame. Il y a des lions et des lionnes
+dans une cage de fer, où il se montre, en homme résolu, n'ayant à la
+main qu'une cravache. On prétend qu'il cache sous sa tunique un revolver
+pour le cas où il aurait à soutenir avec ses pensionnaires une polémique
+un peu trop vive. Je dois constater que cette arme est révoquée en doute
+par plus d'un spectateur. A quoi pourrait servir un pistolet dont la
+balle ne ferait que transpercer la peau d'un des monstres et qui, par
+conséquent, n'aurait d'autre résultat que de lui causer un surcroît
+d'irritation? Pour Delmonico comme pour tous ses devanciers, le préjugé
+veut que la puissance magnétique du coup d'oeil suffisse.--Une houssine
+et un oeil qui fascine, dit-on: il ne faut rien de plus.
+
+Vous rappelez-vous un jeune Américain du nom de Batty? Lui aussi passait
+pour n'avoir pas besoin d'un autre prestige que le feu de son regard
+pour subjuguer les lions. Un jour, la foule même étant là, il fut abattu
+d'un seul coup de griffe et broyé d'un coup de mâchoire. «C'est qu'il
+n'a pas su maintenir la rétine de l'oeil au beau fixe», disaient les
+_petits crevés_ d'alors. Messieurs les _gommeux_, leurs successeurs,
+professent naturellement l'opinion qu'il n'y a rien à craindre tant
+qu'on regarde fixement. On change le lion en agneau rien qu'en le
+lorgnant.
+
+Au fait, la chose serait possible, si ce qu'on raconte à ce sujet est
+exact. Ces lions qu'on exhibe seraient assouplis dès l'âge le plus
+tendre par un système d'éducation assez raffiné. On leur fait suivre des
+cours. Pris tout petits en Afrique, on les enverrait dans un pensionnat
+où tout est disposé pour les préparer à faire une entrée convenable dans
+le monde. Saviez-vous donc qu'il existât des maisons pour l'instruction
+des individus de la race léonine? Le plus renommé de ces établissements
+est, paraît-il, situé à Madrid, ville d'une température toujours tiède
+(les jeunes élèves, brusquement arrivés d'Afrique, s'enrhumeraient dans
+une ville du Nord). A Madrid, d'ailleurs, on a toujours la viande
+saignante à bon marché, à raison des corridas ou courses de taureaux.
+Voilà pourquoi on amène de préférence les lionceaux dans la capitale des
+Espagnes; là, on leur enseigne la civilité puérile et honnête; on leur
+apprend surtout l'art de frémir à un froncement de sourcil, et, comme
+corollaire, la sobriété, qui consiste à ne dévorer son gardien que le
+moins possible. Faire des collégiens avec des lions, telle est la marche
+du progrès, comme vous voyez.
+
+Les sujets de Delmonico ont-ils fait leurs classes à Madrid? Le dompteur
+le nie, et cela se conçoit. Encore neuf dans le métier, il y va
+rondement, comme un vieux routier. On raconte qu'il a fait avec un
+amateur un pari d'une allure assez originale. Il se serait engagé à
+entrer dans la cage cent jours de suite sans recevoir la moindre
+égratignure. En vertu de ce contrat, il ne devrait atteindre son chiffre
+que le 18 janvier prochain. Ce jour-là, s'il est indemne, tranchons le
+mot, s'il n'a pas été mangé, il recevra en bloc la somme de 120,000
+francs. Delmonico est un philosophe. Au cas où il gagnerait la gageure,
+il s'est promis de liquider ses lions sans le moindre retard. Il placera
+ses fonds en 3 pour 100 et vivra honorablement de ses rentes, n'ayant
+pour tout animal à ses trousses qu'un griffon de la Havane à peu près
+gros comme le poing fermé de son maître.--Pas si bête pour un dompteur!
+
+J'ai parlé des lettres posthumes de Prosper Mérimée, qu'on imprime en ce
+moment. On assure que cette correspondance ressemblera beaucoup à des
+mémoires intimes, méthode de Diderot. L'auteur de _Colomba_ y raconte
+les principaux épisodes de sa vie. Mais combien de traits qui, par
+malheur, n'y trouveront pas place! Je doute, par exemple, qu'on y lise
+un fait-anecdote assez curieux et tout à fait inédit qui s'est passé
+sous Louis-Philippe, à trois cents kilomètres de Paris.
+
+C'était en 1840.
+
+Prosper Mérimée traversait le Berry en qualité d'inspecteur des
+monuments historiques. Il s'était arrêté à Saint-Amand-Mont-Rond, jolie
+petite ville aux environs de laquelle on veut que César ait établi son
+camp, à l'époque où il se mit à la poursuite de Vercingétorix; c'est, en
+effet, sur la route de Bourges à Clermont, ou, si vous voulez,
+d'Avaricum à Gergovia. Des camps de César, où n'en signale-t-on pas? Il
+y avait dans l'endroit un vénérable archéologue, zélateur des poteries
+de l'antiquité. Dans l'intérêt de la science, ce brave homme avait
+obtenu de faire pratiquer des fouilles au lieu même où l'on assurait que
+les fils de la Louve avaient campé. Et justement, ce matin-là, il
+accourait, effaré, plein de joie, afin de révéler un grand secret à
+l'auteur du _Théâtre de Clara Gazul_.
+
+--Que se passe-t-il donc, cher monsieur? demanda Mérimée.
+
+--Monsieur l'inspecteur général, un fait de la plus haute importance. Je
+viens de trouver un dieu.
+
+--Un vrai dieu?
+
+--Un Bacchus antique, couvert de la peau de tigre et ayant un thyrse à
+la main. Venez donc voir ça avec moi.
+
+Il y avait à peu près une heure de chemin. On monta dans une berline et
+l'on partit.
+
+Pendant la route, l'archéologue parlait de ses découvertes.
+
+--J'avais déjà mis la main sur bien des fragments de vases antiques,
+disait-il; c'était un commencement de preuve. Mais un Bacchus, de
+hauteur d'homme, en métal romain! Un dieu, probablement fondu sous le
+septième consulat de Marius et apporté chez nous par les légions de
+Jules César! Voilà un témoignage, monsieur! Tout le monde savant va
+tressaillir à cette nouvelle.
+
+Hélas! tandis qu'il tenait ce langage, il se passait du nouveau auprès
+des terrassiers.
+
+Après avoir jeté leur dieu de côté, ceux-ci reprenaient leur travail
+lorsqu'un cri, populaire dans la contrée, leur fit tout à coup lever la
+tête; c'était un de ces industriels ambulants qui courent à travers les
+campagnes pour y refaire les batteries de cuisine.
+
+--Rétameur! voici le rétameur!
+
+Un des pionniers l'appela; l'homme accourut.
+
+--Voilà un bloc de métal qui s'est trouvé sous notre pioche, dit le
+travailleur. Ce vieux fou de savant dit que c'est un dieu; il a dansé de
+joie tout autour. Si on le laisse faire, il l'emportera comme il emporte
+tous les tessons de vieilles bouteilles qu'il rencontre par ici.
+Qu'est-ce que c'est que ça au juste?
+
+--De l'étain d'assez bonne qualité.
+
+--A quoi ça pourrait-il servir?
+
+--A faire des cuillers à soupe.
+
+Des cuillers! Sur un signe qu'ils firent, le nomade se mit à la besogne;
+il fixa son réchaud en terre, fondit le Bacchus et en fit des cuillers.
+
+Il en était à la dernière lorsque la berline arriva.
+
+Exprimer la douleur du savant serait impossible. L'archéologue avait
+encore trois cheveux sur la tête; il se les arracha. Il pleurait de
+rage. Il interpellait Mérimée et, en levant les mains au ciel:
+
+--O Jupiter! s'écriait-il, on voit bien que tu n'es plus rien là-haut!
+Sans quoi tu n'aurais jamais permis une telle profanation à l'endroit de
+celui de tes fils que tu as gardé trois mois dans une de tes cuisses!
+
+Mario de Candia est revenu à Paris, où il amène les deux filles qu'il a
+eues de son mariage avec Giulia Grisi. Le temps a eu beau marcher, rien
+n'efface la pieuse tristesse que le ténor a ressentie en voyant mourir
+la célèbre et belle cantatrice dont il avait fait sa femme. Mario,
+dit-on, éprouve un âpre plaisir à reparaître aux lieux où sa jeunesse a
+été tant fêtée, il y a trente-cinq ans. Peu importe que tout y ait
+changé de face. A la vieille cité de pierre a succédé une ville de
+marbre et d'or. Il n'y avait guère que quinze cents _dilettanti_; on en
+énumère cent mille aujourd'hui, mais cent mille qui aiment à se griser
+de musique de cuivre, cent mille qui portent les oreilles d'âne que
+Voltaire montrait jadis à Grétry. Mario, renaissant, délicat, studieux,
+soigneux, peu bruyant, serait-il compris de ce public nouveau? On peut
+en douter. Mais que vous dire? Il se rappelle sans doute ce que disait
+Paganini: «Un artiste de talent sera toujours bien venu partout; il ne
+peut vivre qu'à Paris.» Pour le revenant, il y a d'ailleurs le charme
+irrésistible qui s'attache aux souvenirs d'une époque sans pareille et
+qui ne sera pas recommencée.
+
+Beaucoup se rappellent encore les premiers jours de sa venue. C'était
+dans un temps où l'on ne s'occupait déjà plus de politique. La mode
+était d'être tout entier à l'art, à la science, au théâtre, à la
+peinture, à la musique, aux beaux vers. Victor Hugo faisait jouer _Ruy
+Blas_ par Frédérick-Lemaitre, encore jeune; Alfred de Musset venait
+d'écrire les _Deux Maîtresses_, Stendhal, la _Chartreuse de Parme_; M.
+de Balzac, _Un grand homme de province à Paris_; Gérard de Nerval, les
+_Amours de Vienne_. On touchait de la veille au duel lyrique engagé
+entre Duprez et Adolphe Nourrit, duel funeste, puisqu'il a fini par le
+suicide de ce dernier; Mlle Rachel quittait le Gymnase pour s'acheminer
+en triomphatrice du côté du Théâtre-Français; Eugène Delacroix avait
+exposé la _Médée_ au dernier Salon; Decamps continuait ses études
+d'Orient; David (d'Angers) plaçait le Philopémen dans le jardin des
+Tuileries. Un opéra, un roman, un tableau, une statue, c'était le pain
+quotidien d'alors. L'Athènes de Périclès n'a jamais été plus ensoleillée
+de vraie gloire. On n'aurait jamais pu s'imaginer qu'un jour viendrait
+où Paris courrait voir un Russe qui a du poil de chien sur la figure, un
+noir qui fouette des lions dans une cage ou une mulâtresse à deux têtes,
+des monstres. Et il n'y avait pas encore de Petite Bourse sur les
+boulevards.
+
+En ce temps-là, le docteur Véron, si habile, gouvernait l'Opéra en
+autocrate; c'était pour le mieux, puisqu'il donnait sans cesse l'éveil à
+un chef-d'oeuvre inédit ou à quelque grand artiste inconnu. Voilà qu'on
+apprit tout à coup l'arrivée d'un ténor. A la suite d'une escapade, un
+jeune officier du roi de Sardaigne, s'étant sauvé en France, avait brisé
+son épée pour monter sur les planches. Un chevalier! un comte!
+l'aventure était piquante.
+
+Mario de Candia,--c'était lui,--fut essayé; il avait déjà une jolie voix
+de salon, mais il fallait développer cet organe si précieux.
+
+--Un ténor, la coqueluche de Paris! N'épargnez rien pour en avoir un,
+disait à M. Véron le ministre de l'intérieur.
+
+Quand on constatait un grand succès au théâtre, Paris et la France
+n'avaient plus rien à dire. La machine gouvernementale fonctionnait à
+l'aise. On votait le budget sans débat; on dénouait les conflits
+diplomatiques en se jouant; les élections se faisaient presque en
+chantant.
+
+--N'épargnez rien, répétait le ministre; jetez, s'il le faut, l'argent à
+pleines mains.
+
+Les naturalistes nous ont appris combien il faut de soins pour élever un
+rossignol. Pour un ténor de ce cycle étrange, c'était bien autre chose.
+Que de blandices à l'adresse du nouveau venu! Non-seulement on
+prodiguait autour de lui les professeurs, un maître de français, un
+maître d'armes, un maître de danse, un maître d'équitation, un maître de
+natation, un maître de piano, un maître de chant, mais encore il avait
+sans cesse à ses trousses un médecin en renom, chargé de veiller sur sa
+personne avec une vigilance de dragon mythologique.
+
+--A-t-il bien dormi? Il ne faut pas trop d'exercice! Qu'on prenne garde
+aux courants d'air! Ah! s'il allait attraper un rhume!
+
+On ne lui permettait pas de sortir par les temps de pluie, ni le soir, à
+l'heure du serein. À table, on ne lui servait que les meilleurs
+morceaux, les plus légers, de la cervelle, des crêtes de coq, du blanc
+de poulet, précipités, de préférence, par du bordeaux, du haut-brion ou
+du léoville. Pourtant il n'en fallait pas en quantité qui pût allumer
+trop son coeur. Pas d'amour. L'amour était sévèrement défendu, vu qu'il
+porte atteinte, disait-on, aux cordes tendres de la voix. Un ténor, je
+le répète, on faisait de l'existence d'un tel artiste une question de
+cabinet.--M. Thiers se flattait d'avoir fait plus de ténors que M.
+Guizot.
+
+Pour en revenir au jeune et brillant chevalier sarde, au bout de neuf
+mois d'attente, il fut en état de se montrer sur le théâtre. Quelle
+salle d'élite pour le voir et pour l'entendre! Il chanta et, dès les
+premières notes qui sortirent de son gosier, le comte Duchâtel, ministre
+de l'intérieur, présent à ses débuts, s'écria:
+
+--Allons, il a une voix charmante! La monarchie et le ministère sont
+sauvés!
+
+Tout ce qu'on avait fait pour Mario a été renouvelé depuis pour
+Poultier, le tonnelier de Rouen.
+
+PHILIBERT AUDEBRAND.
+
+
+
+PROCÈS DU MARÉCHAL BAZAINE LES TÉMOINS
+
+[Illustration: Marchal.]
+
+[Illustration: D'Abzac.]
+
+[Illustration: Cruzem.]
+
+[Illustration: Bonzella, marin de l'_Inflexible_.]
+
+[Illustration: Camut.]
+
+[Illustration: Quatre-Boeuf, quartier-maître.]
+
+[Illustration: Flahaut.]
+
+[Illustration: Régnier.]
+
+[Illustration: Arnous-Rivière.]
+
+D'après les photographies de M. Appert.
+
+
+
+[Illustration: LE LACHER DU PIGEON PORTEUR DES DERNIÈRES NOUVELLES.]
+
+[Illustration: Mode d'attache de la dépêche.]
+
+LE SERVICE DES PIGEONS VOYAGEURS DE LA PRESSE, A VERSAILLES.
+
+
+
+LA SOEUR PERDUE
+
+Une histoire du Gran Chaco
+
+(Suite)
+
+«Il n'y a peut-être pas consenti, répliquait Cypriano. Je crois qu'il ne
+l'eut pas permis, il peut même l'avoir ignoré et l'ignorer encore, mais
+nous savons qu'en plus d'une circonstance les vieillards de la tribu ont
+eu à faire justice de crimes du même genre commis à leur insu par des
+gens de la tribu. Il y a de mauvais drôles parmi les sauvages tout comme
+parmi nous. Les jeunes guerriers de la tribu ont plus d'une fois
+épouvanté la contrée par leurs attentats contre la vie des rares
+voyageurs qui s'étaient hasardés à parcourir la contrée. Quelque chose
+me crie que tous nos malheurs ont pour cause ces Indiens maudits et que
+le fils du chef lui-même, Aguara, est à leur tête. Je l'ai soupçonné de
+méditer le projet qu'il vient d'accomplir et, quand mon oncle est parti
+pour cette malheureuse excursion avec Francesca, ce n'est qu'une fausse
+honte qui m'a retenu de lui faire part de mes inquiétudes. Je dois
+convenir pourtant que le misérable a dépassé dans l'exécution de son
+crime mes prévisions sur un point. Je ne l'aurais pas cru capable
+d'aller jusqu'au meurtre de l'ami même de son père pour faire réussir
+son dessein.»
+
+Ludwig ramené subitement à la pensée de son double malheur demeura
+quelque temps sans répondre. La scène du retour de son père se
+représentait tout entière à son esprit. Il entendait encore le cri
+désespéré de sa mère à la vue de son mari inanimé. Plongé dans ce
+souvenir, il semblait ne pouvoir en sortir. Mais faisant enfin un effort
+pour s'arracher à la contemplation de ce lugubre passé, sa pensée se
+reporta plus vivement sur le présent et l'avenir.
+
+«Cypriano, dit-il, il vaut mieux peut-être que les choses se soient
+passées comme vous le supposez.
+
+--Mieux! pourquoi donc, Ludwig?
+
+--Nous avons du moins une espérance, celle de retrouver Francesca. Si le
+vieux chef est innocent, il ne manquera pas de nous la faire rendre,
+quand bien même le coupable serait son propre fils.
+
+--J'en doute, repartit tristement son cousin.
+
+--C'est pourtant notre seul espoir, continua Ludwig. Si ce forfait a été
+commis par quelque autre tribu ennemie de nous autres blancs, et vous
+savez que toutes celles du Chaco sont dans ce cas, quelle chance
+avons-nous de leur reprendre ma soeur? L'enlever de force serait
+impossible, il y aurait folie d'y songer. Nous n'aurions d'autre
+alternative en le tentant que d'y perdre la vie, ou, et ce serait pis,
+la liberté sans profit pour elle.
+
+--C'est vrai, dit Cypriano, je reconnais que sans l'aide de Naraguana,
+notre expédition est désespérée. Mais nous aurions plus de chance de
+succès si nous devions requérir son aide contre d'autres tribus que la
+sienne. Contre des Guaycurus, par exemple, ou des Mbayas, ou des
+Anguites, le chef Tovas pourra prendre en main notre cause. Quoique les
+tribus du Chaco se liguent volontiers toutes ensemble lorsqu'il s'agit
+d'une expédition contre les blancs, elles ont souvent de mortelles
+haines les unes contre les autres. Mon espoir se fonde plutôt sur cette
+supposition que sur toute autre chose qu'il soit en notre pouvoir
+d'accomplir. Si, au contraire, nous avons affaire aux Tovas!...
+
+--Ce sont les Tovas!» interrompit Gaspardo qui, tout en chevauchant et
+tout en ne perdant pas de l'oeil la piste de l'ennemi, n'avait pourtant
+pas cessé d'écouter la conversation.
+
+Au même instant, il arrêtait brusquement sa monture et désignait quelque
+chose sur le sol, tout à côté de son cheval.
+
+«Regardez, s'écria-t-il, voilà la preuve de la culpabilité des Tovas!»
+
+Ludwig et Cypriano s'avancèrent pour examiner ce qu'il leur désignait
+ainsi.
+
+C'était un objet sphérique à peu près de la dimension d'une orange, et
+d'une couleur brune foncée. Tous deux reconnurent une _bola_, pierre
+ronde, couverte de cuir cru, et semblable à l'une de celles qui
+pendaient aux arçons de leurs propres selles.
+
+«Quelle preuve trouvez-vous là, Gaspardo, dit Cypriano? C'est une bola
+que quelqu'un a laissé tomber et dont la courroie s'est brisée. Mais
+qu'est-ce que cela prouve? Tous les Indiens Chaco ne portent-ils pas des
+bolas?
+
+--Oui, mais pas de pareilles à celle-ci. Examinez-la,» dit-il en se
+penchant sur sa selle et ramassant la bola sans quitter les étriers; «y
+voyez-vous le moindre signe de rupture? Non, elle n'a jamais été
+attachée à une courroie. Caramba! senores, c'est une _bola perdida_
+(1)!»
+
+Les deux jeunes gens se passèrent l'objet et n'y découvrirent rien qui
+pût laisser supposer qu'il appartenait à un couple de bolas. C'était une
+lourde pierre, entourée d'une enveloppe de peau de vache, avec laquelle
+on l'a recouverte quand elle était encore humide, et qui, en séchant,
+s'était resserrée sans laisser un seul pli. Il n'y avait aucune
+apparence de courroie, on ne voyait que la couture qui la fermait.
+Quelle que pût être son utilité, la bola était complète en elle-même.
+
+--Une _bola perdida!_ Je n'ai jamais entendu parler de cela, dit Ludwig.
+
+--Ni moi non plus, ajoute Cypriano.
+
+--J'en ai entendu parler, moi, dit le gaucho, et j'ai vu aussi ses
+effets. C'est une arme dont les Indiens se servent avec une adresse qui
+vous surprendrait. Ils la lancent à plus de 30 mètres et en frappent la
+tête d'un ennemi avec autant de sûreté que si elle sortait du canon
+d'une carabine. _Maldita!_ J'ai vu des crânes écrasés par un pareil
+coup, mieux que s'ils avaient été écrasés par un bâton de _quebracho_
+(2). La _bola perdida_, senores! ce n'est pas un jouet d'enfant, je vous
+l'assure.
+
+ [Note 1: Littéralement «boule perdue», la signification spéciale
+ de ces mots résultera de l'explication du gaucho.]
+
+ [Note 2: Nom donné à une espèce d'arbre de la famille des acacias,
+ à cause de la dureté de son bois. Quebracho, ou casseur, signifie
+ qu'il briserait la hache avec laquelle on voudrait l'abattre.]
+
+--Mais quelle preuve avez-vous qu'elle ait été lancée par des Tovas?»
+
+Cette question était faite par Ludwig.
+
+«Ils sont les seuls Indiens qui puissent l'avoir laissée tomber, car eux
+seuls se servent de cette arme. Aucune autre tribu ne l'emploie. N'en
+doutez pas, mes enfants, elle a été perdue par un traître Tovas.»
+
+Les deux jeunes gens firent un signe d'assentiment, et dès ce moment ils
+surent que la piste qu'ils suivaient alors était certainement la piste
+des Tovas.
+
+Cette connaissance acquise d'une façon si inattendue affecta les
+voyageurs bien différemment. A Ludwig elle donna, sinon de la joie, du
+moins un rayon d'espérance de retrouver sa soeur, tandis que chez
+Cypriano elle ne produisit qu'un désespoir plus sombre encore.
+
+«Au-dessus des Tovas, au-dessus du misérable assassin, dit-il à ses deux
+compagnons, il est un plus grand coupable, à qui remonte la première
+responsabilité de tous nos malheurs.
+
+--Oui, répondit Ludwig, l'infâme Francia.
+
+--Lui-même, et je ne vivrai jamais tranquille tant qu'il n'en aura pas
+aussi subi le châtiment.
+
+--Dieu se chargera de le lui infliger. Quant à nous, cher cousin, que
+pouvons-nous contre cet homme?
+
+--Rien pour le moment sans doute; mais plus tard nous nous verrons.»
+
+De nouveaux incidents vinrent faire diversion à leurs pensées.
+L'atmosphère, après s'être graduellement assombrie, s'était épaissie
+presque subitement autour d'eux, au point de faire succéder presque
+instantanément la nuit au jour.
+
+«Vite, vite! cria Gaspardo en mettant son cheval au grand galop; si nous
+n'atteignons pas la grotte, nous sommes perdus. Courez, si vous tenez à
+la vie!»
+
+Les deux jeunes gens lancèrent comme lui leurs chevaux à toute vitesse.
+
+«Nous arrivons à temps! Grâce à la Mère de Dieu, nous arrivons à temps!»
+
+Cette exclamation sortit des lèvres de Gaspardo au moment où, suivi de
+ses jeunes compagnons, il faisait passer son cheval par l'ouverture
+d'une caverne.
+
+Cette caverne se trouvait dans un rocher à pic, s'élevant au-dessus d'un
+arroyo (3) qui, un peu plus bas, se jetait dans le Pilcomayo. Son entrée
+donnait sur le bord du ruisseau à quelques pieds de distance seulement
+de l'eau courante.
+
+ [Note 3: Vautour-dindon du l'Amérique Espagnole, nommé _Jofilote_
+ au Mexique. Dans les autres portions du continent de l'Amérique du
+ Sud, ou l'appelle _urubu_ ou _gallinazo_. Certains voyageurs ont
+ cru que le _turkey buzzard_ des États-Unis et le _Gallinazo_
+ Sud-Américain étaient un même oiseau. Ils sont cependant
+ entièrement distincts; ce dernier est beaucoup plus beau que son
+ congénère du Nord. Son plumage est plus brillant, tandis que sa
+ tête chauve, son cou et ses pattes, au lieu d'être d'un blanc
+ grisâtre, sont d'une couleur rouge vif. Il existe au moins quatre
+ espèces distinctes de ces petits vautours noirs sur le continent
+ de l'Amérique.]
+
+«Oui, nous arrivons au bon moment», ajouta le gaucho en exhalant un
+soupir de soulagement. «Caramba! entendez-vous? voyez-vous? Regardez
+dehors!»
+
+Il parlait encore quand un éclat de tonnerre étouffa sa voix. C'était la
+tempête. C'était la tormenta! dont les grondements répercutés soudain
+par les échos du ravin, prirent en un instant une effroyable intensité.
+Des nuages de poussière tourbillonnaient dans la plaine et semblaient
+vouloir accourir sur eux.
+
+«Dépêchons, descendez de cheval», cria Gaspardo à ses deux compagnons,
+en leur donnant l'exemple. «Prenons nos ponchos, mes enfants,
+attachons-les ensemble, et si nous ne voulons pas être étouffés dans cet
+antre, bouchons-en l'entrée le mieux et le plus vite que nous pourrons.»
+
+Les jeunes gens n'avaient pas besoin d'être mis en demeure de ne pas
+perdre un instant. Ce n'était pas la première fois qu'ils assistaient à
+une tormenta; chez eux, à Asuncion, ils en avaient vu plus d'une et en
+avaient remarqué les terribles effets. Ils avaient entendu les cailloux
+brisant les fenêtres, faisant trembler les portes sur leurs gonds; ils
+avaient vu la poussière passer à travers les fentes et les trous des
+serrures comme l'haleine furieuse de l'ouragan, ils avaient vu les
+arbres déracinés, brisés comme paille, les bêtes et les gens culbutés,
+roulés à terre par son irrésistible violence. Aussi, avant que le gaucho
+eût pu prononcer un autre mot, ils étaient sur pied et l'aidaient à
+disposer à l'intérieur leurs chevaux pour qu'ils lussent un premier
+obstacle, et à fermer l'ouverture de la caverne, à l'aide de leurs
+ponchos solidement liés ensemble et fixés dans les interstices des
+rochers au moyen de leurs couteaux. Ils furent à moitié aveuglés par la
+poussière et presque renversés par le vent avant d'avoir pu terminer
+cette opération.
+
+«Maintenant, dit Gaspardo, dès qu'ils eurent achevé leur besogne, nous
+pouvons nous regarder comme en sûreté, et je ne vois pas de raison pour
+ne pas nous installer dans ce trou aussi confortablement que le
+permettent les circonstances. Nous serons peut-être retenus longtemps
+ici, trois ou quatre heures, sinon toute la nuit. Quant à moi je suis
+affamé comme un gallinazo(4). Cette rude course m'a fait oublier mon
+déjeuner, de sorte que je propose d'achever ce qui nous reste de guariba
+rôti. La salle à manger est sombre et nous aurons peine à faire bouillir
+notre théière. Cependant j'espère pouvoir faire assez de lumière pour
+éclairer notre repas.»
+
+En prononçant ces mots, le gaucho se dirigea vers son cheval, et
+fouillant un moment sous son recado, il réussit à trouver un briquet.
+
+Mayne Reid.
+
+(_La suite prochainement._)
+
+ [Note 4: L'arroyo est un ruisseau coulant entre deux berges
+ élevées et à pic.]
+
+
+
+NOS GRAVURES
+
+La loi de prorogation et le public
+
+Chaque fois qu'il y a eu à l'Assemblée nationale de Versailles
+quelqu'une de ces grandes discussions qui mettent le pouvoir en
+question, le contre-coup s'en est vivement fait sentir à Paris. Alors
+que M. Thiers était président de la République, cela s'est produit non
+pas une fois seulement. On n'a pas oublié encore l'émotion qui s'était
+emparée de la capitale, le 24 mai: la foule agitée s'arrachant les
+journaux du soir sur les boulevards, assiégeant la gare Saint-Lazare
+pour attendre l'arrivée des trains, quêtant et commentant les nouvelles,
+dans un état de surexcitation difficile à décrire. Le même phénomène ne
+pouvait donc manquer de se reproduire le 19 septembre dernier, jour où
+l'on discutait à Versailles la loi de prorogation des pouvoirs de M. le
+maréchal de Mac-Mahon. En effet, dès la première journée de cette
+discussion, qui ne s'est terminée, comme on sait, que le lendemain dans
+une séance de nuit, la grande ville était soudainement reprise de son
+accès de fièvre. Dans la soirée, même émotion sur les boulevards, mêmes
+inquiétudes, même curiosité impatiente de savoir, même encombrement à la
+gare, où, comme les sergents de ville, les patrouilles étaient
+impuissantes à faire circuler la foule. Pour en avoir raison on crut
+faire merveille en la trompant, en faisant arrêter les trains avant
+l'entrée en gare, et l'on réussit un instant à la dérouter. Mais
+quelqu'un éventa la mèche, et les curieux aussitôt de se porter sur le
+pont de l'Europe. Il fallut bien en prendre son parti, et laisser suivre
+son cours normal à cette fièvre qui finalement se calma d'elle-même,
+sans s'être compliquée du plus léger accident.
+
+Quelques portraits de témoins dans le procès Bazaine
+
+Le procès du maréchal Bazaine avance. Bientôt la parole sera à
+l'accusation et à la défense, car la liste des témoins ne tardera pas à
+être épuisée. Avant qu'elle le soit tout à fait, nous croyons être
+agréables à nos lecteurs en mettant sous leurs yeux les traits de
+quelques-uns de ces témoins qui ont appelé le plus vivement sur eux
+l'attention par le rôle qu'il ont joué dans le grand drame de la
+capitulation de Metz et de l'armée du Rhin.
+
+Les neuf personnages dont nous donnons aujourd'hui les portraits, pour
+commencer, se rattachent à trois catégories de faits différents:
+communications entre les maréchaux Bazaine et Mac-Mahon avant le
+désastre de Sedan, communications entre le maréchal Bazaine et le
+gouvernement du 4 septembre, enfin communications entre le maréchal
+Bazaine et l'ennemi. Les témoins Flahaut, Marchal et M. le colonel
+d'Abzac se rapportent à la première catégorie. Commençons par celle-ci.
+
+Flahaut et Marchal sont deux agents de police qui servirent plusieurs
+fois d'émissaires entre Metz et Thionville. Le 20 août, Flahaut se
+trouvait à Metz lorsque le maréchal Bazaine le fit appeler et lui remit,
+pour les porter à Thionville, les trois fameuses dépêches adressées,
+après la bataille de Saint-Privat: 1º à l'empereur, 2º au ministre de la
+guerre, 3º au maréchal de Mac-Mahon, dépêches dont les deux premières
+différaient si essentiellement de la troisième.
+
+Celle-ci, en effet, portait seule cette restriction: «Je suivrai
+très-probablement pour vous rejoindre la ligne des places du Nord, et
+_vous préviendrai de ma marche, si toutefois je puis l'entreprendre sans
+compromettre l'armée._» Ajoutons que, seule aussi, cette dépêche qui
+aurait sans doute arrêté la marche du maréchal de Mac-Mahon vers l'est,
+ne parvint point à son destinataire. Cependant elle était parvenue en
+double, comme les autres, au colonel Turnier, à Thionville, apportée
+d'une part par Flahaut, et de l'autre par Mme Louise Imbert. Le colonel
+Turnier le fit passer toutes les trois au colonel Massaroli, commandant
+la place de Longwy, par l'intermédiaire du commissaire de police
+cantonal à Longwy, Guyard. Le colonel Turnier remit en même temps une
+expédition de ces dépêches à M. de Bazelaire, élève de l'École
+polytechnique, qui allait à Paris, et qui les fit partir le 22 par la
+station télégraphique de Givet. De son côté le colonel Massaroli expédia
+la dépêche à l'empereur, et celle destinée au ministre. Quant à la
+dépêche adressée au maréchal de Mac-Mahon, il la remit à deux agents de
+la police de sûreté de Paris qui avaient été demandés à M. Piétri par le
+colonel Stoffel, chef de la section des renseignements à l'état-major du
+maréchal de Mac-Mahon, et qui devaient chercher à pénétrer jusqu'au
+maréchal Bazaine et recevoir ses dépêchées. Ces agents, les sieurs
+Rabasse et Miès, adressèrent télégraphiquement cette dépêche, le 22, au
+colonel Stoffel, ils lui en remirent entre les mains, le 26, l'original;
+le colonel avait dû également en recevoir l'expédition par M. de
+Bazelaire, et cependant, comme il est dit ci-dessus, elle ne parvint pas
+au maréchal de Mac-Mahon. Le colonel a nié l'avoir jamais reçue, ce qui
+a amené à l'audience du conseil de guerre un incident émouvant. Le
+commissaire du gouvernement, le général Pourcet, à la suite de ces
+dénégations, se leva et prit des conclusions contre le colonel, à
+l'effet de le poursuivre pour soustraction de dépêche. Revenons à
+Flahaut.
+
+Après avoir heureusement accompli la mission dont nous avons parlé plus
+haut, il fut renvoyé à Metz par le colonel Turnier, avec une dépêche
+chiffrée.
+
+Cette fois il voyagea de compagnie avec un de ses collègues, Marchal,
+qui avait été chargé, de la même dépêche. L'odyssée de ces deux agents
+abonde en détails dramatiques. Ils sont arrêtés trois fois par les
+Prussiens et autant de fois repoussés, sous peine d'être fusillés.
+Arrivés à Augny, dans une quatrième tentative, ils se cachent d'abord
+dans la cave du maître d'école, puis chez le curé, qui leur donne à
+souper et à coucher. Enfin, le lendemain ils réussissent en ayant
+recours à la ruse. Arrêtés aux avant-postes ennemis et interrogés par un
+officier:
+
+--Nous venions voir, répondent-ils, si vous avez des pommes de terre;
+voici l'hiver, et si vous n'en avez pas nous pourrons vous en vendre.
+
+L'ennemi les croit et les laisse libres de circuler aux avant-postes.
+Une occasion favorable se présente et ils filent. La dépêche avait passé
+avec eux. Bien malin eût été le Prussien qui l'eût découverte. Chacun
+d'eux avait avalé la sienne, après avoir eu soin de l'envelopper
+préalablement de caoutchouc. Plus tard, le 5 et le 15 septembre, puis
+dans le courant d'octobre, Marchal et Flahaut essayèrent de retourner à
+Thionville, mais ils n'y purent parvenir.
+
+Disons, pour en finir avec cet ordre de faits, que le colonel d'Abzac,
+dont il a été question plus haut, était attaché au cabinet du maréchal
+de Mac-Mahon. Il a déclaré n'avoir pas eu connaissance de la dépêche du
+20 août rapportée à Rhetel par les témoins Miès et Rabasse, et remise
+par eux, selon leur dire, au colonel Stoffel.
+
+Les témoignages de Cruzem, de Camus, de Quatreboeuf et de Donzella se
+rapportent aux communications entre le maréchal Bazaine et le
+gouvernement du 4 septembre. Le maréchal prétend que ces communications
+étaient alors devenues pour ainsi dire impossibles. Cependant le témoin
+Crusem est sorti trois fois de Metz, passant à travers les lignes
+prussiennes, d'abord dans la direction de Corny, puis par le bois de
+Grigy, enfin par Saint-Remy: et, dans ces diverses excursions, il a
+parcouru, dit-il, les environs de Metz et poussé, dans la dernière,
+jusqu'à Luxembourg. Les trois témoins qui suivent, MM. Camus,
+Quatreboeuf et Donzella étaient des émissaires du gouvernement du 4
+septembre qui, préoccupé de la situation de l'armée de Metz, avait fait
+arriver à Longwy et à Thionville plusieurs convois de vivres pour la
+ravitailler. C'est cette nouvelle qu'il s'agissait de porter à la
+connaissance du maréchal Bazaine. M. Camus est un homme de quarante-huit
+ans, garde-forestier, connaissant bien le pays. Il fit plusieurs
+tentatives infructueuses pour passer et rentra à Longwy. M. Quatreboeuf,
+sergent-fourrier des équipages de la flotte, paraît avoir mieux réussi.
+C'est un jeune homme de trente-deux ans, alerte et énergique. Enfin M.
+Donzella, autre marin, du même âge que le dernier et non moins
+déterminé, envoyé par la délégation de Tours dans le même but, parvint à
+entrer dans Thionville, qui était alors investi, et à remettre au
+colonel Turnier, chargé de la faire parvenir, la dépêche dont il était
+porteur. Donzella, pour passer, avait été obligé de se déguiser en
+marchand d'osier. Il a raconté avec beaucoup de verve son entrevue avec
+le colonel: «Il me chargea de dire bien des choses à sa famille et
+voulait me donner une lettre pour elle, mais je refusai de la recevoir
+en disant:
+
+«--Je veux bien me charger de nouvelles orales, mais je ne veux pas
+m'exposer à me faire fusiller par les Prussiens uniquement pour dire à
+votre famille comment vous vous portez.»
+
+Selon toute vraisemblance, la nouvelle de ce qu'avait fait le
+gouvernement pour ravitailler l'armée de Metz est donc parvenue au
+maréchal Bazaine, qui cependant affirme le contraire. Mais il affirme
+également n'avoir pas reçu une dépêche postérieure, contenant les mêmes
+détail et à lui apportée et remise par le garde mobile Risse. Cependant
+l'entrée à Metz de Risse ne peut être contestée, puisqu'il s'y est
+engagé dans le 44e de ligne. Sa déposition est très-précise. Elle est
+d'ailleurs confirmée par les deux témoins Marchal et Flahaut, dont il a
+été déjà parlé.
+
+Avec M. Arnous-Rivière, nous passons aux communications avec l'ennemi,
+dont il a été le principal ouvrier.
+
+M. Arnous-Rivière, âgé de quarante-sept ans, est un ancien officier
+démissionnaire, qui avait été chargé par le maréchal Bazaine d'organiser
+une compagnie d'éclaireurs. Il avait été d'abord attaché au grand
+quartier général, puis il fut investi à la fin d'août du commandement
+des avant-postes à Moulins. C'est par son intermédiaire que se faisait
+l'échange des correspondances entre les généraux en chef,
+correspondances, qui, pour la plupart, n'ont pas laissé de traces dans
+le dossier; c'est lui qui recevait les parlementaires et les conduisait
+en voiture de Moulins au grand quartier général. C'est ainsi que, le 23
+septembre, il amena Régnier, à la tombée de la nuit, d'abord à
+Longeville, au quartier général du général Cissey, puis au ban
+Saint-Martin chez le maréchal. «Vous annoncerez l'envoyé d'Hastings»,
+lui dit Régnier; parole faite pour surprendre, car alors on ignorait
+absolument à Metz que l'impératrice eut choisi cette résidence.
+Terminons par ce triste personnage.
+
+Régnier est un homme d'une cinquantaine d'années. C'est, d'après le
+rapport du général Rivière, un homme fin et audacieux, aux manières
+vulgaires, très-vaniteux et se croyant un profond politique. Il a reçu
+quelque instruction et joué, en 1848, un certain rôle dans les
+événements du temps. Puis il se lança dans l'industrie, et épousa en
+Angleterre une femme qui lui apporta une certaine aisance. Après le 4
+septembre, on le retrouve dans ce pays, où il cherche à se faufiler chez
+l'impératrice, qui s'était retirée à Hastings. Il finit par y obtenir, à
+force d'importunités, une photographie portant la signature du prince
+impérial, sorte de passe qui va lui servir, ainsi qu'une vue de
+Wilhemshoe, où était détenu l'empereur, et qu'il s'était procurée je ne
+sais comment, à accréditer ses menées. Ainsi nanti, il se rend à
+Ferrières auprès du prince de Bismarck, à la solde duquel il semble se
+mettre et qui l'emploie sous prétexte d'armistice à tromper le maréchal
+Bazaine, en faisant miroiter à ses yeux on sait quelles espérances
+ambitieuses, et à lui tirer l'état exact de la situation de son armée
+sous Metz et de ses ressources en vivres. En quittant le maréchal, il
+emmenait avec lui le général Bourbaki qui devait se rendre à Londres
+auprès de l'impératrice, et qui en y arrivant, fut fort surpris
+d'apprendre que celle-ci ne savait pas le premier mot de l'intrigue qui
+l'avait fait sortir de Metz. Mais le tour était joué, M. de Bismarck
+savait à huit jours près combien de temps le maréchal pouvait tenir,
+c'est tout ce qu'on voulait, et Régnier ne reparut plus.
+
+On sait qu'il ne s'est pas présenté à l'appel de son nom à l'audience du
+conseil de guerre où il devait faire sa déposition. On s'y attendait,
+car il avait déjà déclaré, dans une lettre rendue publique, qu'il ne
+comparaîtrait pas, si M. le président du conseil refusait de lui
+accorder certaines garanties pour sa sûreté. Aussi, a-t-il été condamné
+à 100 francs d'amende comme défaillant, à la requête du commissaire du
+gouvernement, qui a également demandé au conseil l'autorisation de le
+poursuivre comme ayant entretenu des intelligences avec l'ennemi et lui
+ayant procuré des renseignements pouvant compromettre la sûreté de la
+place de Metz et de l'armée française.
+
+Louis Clodion.
+
+
+
+Les pigeons de la presse de Paris
+
+Si la capitale politique de la France parlementaire était Tours et
+surtout Bordeaux, jamais la _Liberté_ n'aurait imaginé d'employer des
+pigeons au service de la dernière heure. Mais Versailles est si
+rapproché de Paris que l'électricité, à cause des formalités qu'exige
+son emploi, ne peut lutter contre l'aile du pigeon, qui est, lui,
+toujours prêt à partir dès qu'on ouvre la porte de son panier.
+
+L'intelligente initiative prise par la _Liberté_ ne pouvait tarder à
+être imitée. Quelques jours à peine s'étaient écoulés depuis l'ouverture
+de la session d'hiver qu'une industrie nouvelle était créée.
+
+Un colombophile imaginait de mettre au service des divers journaux
+politiques de Paris des pigeons parfaitement dressés. Il faisait de son
+colombier le centre des nouvelles les plus fraîches du maréchal Bazaine
+et de l'Assemblée nationale. Le _Temps_, la _Presse_, l'_Opinion_, la
+_Patrie_, etc., etc., et même l'Agence Havas sont devenus l'un après
+l'autre tributaires de ce service de dépêches. Le directeur de la poste
+aérienne loue ses oiseaux à peu près aussi cher que l'on eût fait payer
+un cheval au temps du grand roi pour revenir de l'OEil de Boeuf à Paris.
+Il est vrai que les pigeons n'ont pas besoin de postillons qui les
+ramènent à l'écurie.
+
+Ce commerce va si bien qu'on lâche quelquefois trente ou quarante
+pigeons dans la même journée, surtout si le temps est clair et si les
+événements politiques sont assez palpitants.
+
+
+
+[Illustration: Aveugles à la porte de la cathédrale de Valence.]
+
+[Illustration: La ligature des palmiers.]
+
+[Illustration: Laboureurs Valençais.]
+
+[Illustration: Le pesage du charbon à Madrid.]
+
+[Illustration: Pose de banderillas.]
+
+[Illustration: La navaja.]
+
+
+
+[Illustration: Un enterrement à Barcelone.]
+
+[Illustration: Contrebandiers de la Serriana de Ronda.]
+
+--Gravures extraites de l'_Espagne_, par le baron Ch.
+Daviller.--Illustrations de Gustave Doré. (Hachette et Cie, éditeurs.)
+
+
+
+Le lancer a lieu au fur et à mesure des demandes qui affluent
+principalement de deux heures et demie à trois heures, moment du coup de
+feu et de la clôture définitive du bureau. Car il n'y a pigeon qui
+tienne, il faut que le journal paraisse, et paraisse de bonne heure, s
+il ne veut pas qu'un rival plus diligent le prévienne et tire profit de
+ses retards.
+
+L'opérateur qui lance les pigeons se place sur la porte d'un petit
+cabaret borgne placé en face de la cour du Maroc. Les reporters n'ont
+qu'un saut à faire pour franchir la rue et y apporter les nouvelles
+écrites au vol, apportées au galop.
+
+C'est un homme de haute taille, à longue barbe et à larges épaules; nous
+l'avons représenté au moment où il jette en l'air, l'un après l'autre,
+un couple d'oiseaux. Pour éviter les pertes de temps, il en tient un
+dans chaque main. Les pigeons, profitant de l'élan qu'ils ont reçu,
+fuient rapidement dans la direction de Paris. Une foule très-mélangée et
+à laquelle quelques représentants ne dédaignent point de se mêler,
+assiste à ce spectacle, qui n'est pas un des moins curieux ni des moins
+instructifs que Versailles offre en ce moment.
+
+Cette entreprise publique n'est pas la seule; il existe en outre une
+organisation particulière établie par le _National_ pour les besoins de
+sa publicité. Son lanceur opère également dans le cabaret de la rue des
+Réservoirs, que nous avons représenté encombré de cages à pigeons. Le
+colombophile du _National_ est occupé à enfiler le petit tube des
+dépêches autour d'une des rectrices de la queue. L'opération demande
+beaucoup d'habitude et de dextérité. L'oiseau, quand on le prend
+convenablement, se laisse faire avec beaucoup de docilité; mais il ne
+faut pas croire qu'il ne s'aperçoive pas de ce qui vient de se passer.
+Non-seulement ce corps étranger gêne la manoeuvre de son gouvernail,
+mais il l'agace et l'inquiète; de sorte que, finalement, son vol se
+trouve notablement diminué de rapidité.
+
+La preuve, c'est que, si les nouvelles faisant défaut, quelques-uns des
+dix pigeons du _National_ sont lancés et reviennent sans dépêches, bien
+que partis les derniers, presque toujours ils arrivent les premiers à
+Paris.
+
+Comme l'oiseau se guide uniquement par la vue, il faut que le ciel soit
+assez pur, surtout au déclin du soleil, pour que les pigeons de la
+Presse de Paris puissent trouver leur chemin. La saison difficile va
+commencer, car les jours deviennent de plus en plus courts et nos petits
+courriers politiques ont à percer des brumes qui vont singulièrement en
+s'épaississant.
+
+Quant aux pigeons de nuit, ils sont encore à inventer. C'est à peine si,
+par un beau clair de lune, quelques lauréats des grands concours partant
+à faible distance pourraient regagner leur colombier.
+
+W. de Fonvielle.
+
+
+
+L'Espagne
+
+PAR M. LE BARON DAVILLER
+
+Les événements qui se passent en Espagne ont plus que jamais fixé
+l'attention publique sur ce pays, qui parle déjà tant à l'imagination.
+Aussi est-ce avec le plus vif intérêt que l'on arrête ses regards sur
+tout ce qui sert à faire connaître les moeurs de ce peuple curieux, rude
+et poli, passionné, superstitieux, brutal, avide de distinction,
+très-chatouilleux sur le point d'honneur, et avec cela aussi généreux
+que digne. A ce titre, les dessins que nous donnons ci-contre ne peuvent
+donc manquer de plaire à nos lecteurs.
+
+Un d'eux représente un cimetière à Barcelone. C'est une série de longues
+allées que bordent de hautes murailles percées d'une multitude de
+casiers. Chaque casier doit loger un cercueil, après quoi il est muré.
+Une dalle en pierre ou en marbre, plus ou moins richement ornée, suivant
+la fortune du défunt, et portant son nom, ferme l'ouverture du casier.
+Rien de triste comme une promenade à travers les rues mornes de cette
+ville des trépassés.
+
+Passons dans la province voisine, celle de Valence, qui entre toutes, a
+conservé un caractère moresque nettement tranché. Le costume des
+habitants a à peine varié depuis plusieurs siècles, celui des paysans
+surtout. Coiffés d'un mouchoir aux couleurs éclatantes, roulé autour de
+la tête et s'élevant en pointe, réminiscence du turban, qu'ils
+recouvrent parfois d'un sombrero à larges bords, ils portent une chemise
+attachée au cou par un bouton double, un très-large caleçon de toile
+blanche, retenu par une ceinture, des bas sans pied quand ils en
+portent, et des alpargatas ou espardines. Ajoutons la mante, qui ne les
+quitte jamais, et voilà au complet le costume d'un Valençais du peuple,
+d'un _labradore_ ou laboureur, qui ne se fait beau et n'endosse le gilet
+de velours aux boutons d'argent que les jours de fête. La fertilité des
+environs de Valence est proverbiale, ce qui n'implique pas qu'il n'y ait
+point de pauvres. Comme chez nous, les pinceurs de guitare ne manquent
+pas, mais c'est dans la capitale de la province qu'on les trouve. Les
+infirmes hantent les portes des églises. Un de nos dessins représente
+deux aveugles chantant des litanies à la porte de la cathédrale.
+
+Comme toutes les grandes villes de la péninsule, Valence a sa _plaza de
+toros_, où ont lieu les combats cruels si chers aux Espagnols. Ces
+combats se terminent toujours par la mort d'un certain nombre de
+taureaux et de chevaux. Le sang humain y coule souvent aussi, mêlé à
+celui des animaux. Nous ne décrirons pas par le menu ce dramatique sport
+où torreros, picadores, banderilleros ont leur place marquée et jouent à
+l'envi le jeu le plus périlleux. Quelques mots cependant sont
+nécessaires pour expliquer un de nos dessins: _Pose de banderillas_. Ces
+banderillas sont des sortes de flèches dont le bois est entouré de
+papier de différentes couleurs, frisé et découpé. A l'une de ses
+extrémités est un hameçon. Les banderilleros ont pour mission de piquer
+dans les épaules du taureau ces engins qui ne peuvent plus s'en
+détacher, et ont pour effet d'augmenter la fureur de l'animal C'est à
+Madrid que ces spectacles se donnent avec le plus d'apparat et de
+somptuosité. Si l'on n'y déploie pas à Valence un pareil luxe, en
+revanche on s'y porte avec un empressement à nul autre pareil. Le
+Valençais est passionné pour ce divertissement. Cela tient sans doute à
+sa nature. S'il est gai, il est cruel. La colère le transporte
+facilement. C'est alors qu'il joue du couteau, de cette terrible
+_navaja_, qui se fabrique à Albacète, et dont la lame, très-allongée et
+pointue, porte toujours quelque inscription, qui indique à quel usage
+elle n'est que trop souvent employée, «Si cette vipère te pique, il n'y
+a pas de remède à la pharmacie.»
+
+ Si esta vivora te pica
+ No hay remedio en la botica.
+
+Devise qui le plus souvent employée, a valu à certains _navajas_ le nom
+lugubrement plaisant de _navajas de santolio_, couteaux de
+l'extrême-onction.
+
+Mais il est temps de nous arrêter. Quelques-uns des détails que l'on
+vient de lire et qui expliquent les dessins que nous donnons, ont été
+par nous empruntés au magnifique ouvrage que vient de publier la
+librairie Hachette: l'_Espagne_, par le baron Ch. Daviller. C'est un
+splendide volume in-4º de 800 pages, très-intéressant, très-bien écrit,
+et illustré de 300 gravures dessinées sur bois par M. Gustave Doré.
+
+L. C.
+
+
+
+L'Insurrection de Cuba(5)
+
+Dans l'histoire de la semaine nous disons où en est l'affaire du
+_Virginius_, qui est venue si inopinément compliquer, vis-à-vis des
+États-Unis d'Amérique, la situation déjà si critique de la malheureuse
+Espagne. Nous n'avons pas à y revenir ici. On sait qu'à la première
+nouvelle de l'exécution des flibustiers américains, il y eut comme une
+explosion d'indignation aux États-Unis. On ne parlait que d'armer et
+d'entrer en campagne sur l'heure.
+
+Cette indignation était-elle bien réelle? J'en doute.
+
+On sait que depuis longtemps les États-Unis convoitent la possession de
+l'île de Cuba; et, si les richesses et la merveilleuse situation de la
+perle des Antilles n'excusent pas ces convoitises, au moins les
+expliquent-elles. La fertilité de l'île de Cuba est très-grande en
+effet, sa végétation magnifique. On y trouve de vastes forêts de
+palmiers, de cèdres, de cocotiers, de chênes, de pins; on y cultive la
+canne à sucre, le tabac, le caféier, le cotonnier, l'indigotier, le riz,
+le maïs, qui sont pour le planteur une source intarissable de richesses,
+et rien n'égale la beauté de son port de la Havane que défendent de
+vastes fortifications. Les vues que nous donnons de ce port et de
+l'intérieur de l'île prouveront au lecteur que nous n'exagérons en rien.
+
+Cuba forme, avec les autres Antilles espagnoles, un gouvernement dont la
+Havane est le chef-lieu. Civilement, elle est divisée en deux provinces:
+la Havane et Santiago; militairement, en trois départements: l'Est, le
+Centre, et l'Ouest; financièrement en trois intendances: la Havane,
+Puerto-Principe et Santiago; au point de vue maritime enfin, en cinq
+provinces: La Havane, Trinitad, Remedios, Nuevitas et Santiago. Elle
+renferme une population de 1,449,462 habitants, dont 564,698 blancs,
+16,176 hommes libres de couleur et 662,087 esclaves qui seront libérés
+après la pacification de l'île d'après la loi récemment votée par les
+cortès espagnoles. En attendant l'esclavage y règne toujours, et bien
+que la traite soit interdite, plusieurs milliers d'esclaves y sont
+encore introduits chaque année. La révolte de ces esclaves l'a
+ensanglantée plusieurs fois dans le cours de ce siècle et l'ensanglante
+encore aujourd'hui. Espérons que c'est pour la dernière fois et que ces
+révoltes cesseront avec la cause qui les a fait naître.
+
+L'Espagne attache le plus grand prix, et cela se comprend, à cette
+colonie que les États-Unis, nous l'avons dit, voudraient bien aussi
+s'annexer. En 1845, ils ont offert de l'acheter, et peut-être l'Espagne
+a-t-elle eu tort de ne pas la vendre. Finiront-ils par s'en emparer
+d'une façon ou de l'autre? Selon toutes les probabilités, oui.
+
+ [Note 5: Les deux gravures qui accompagnent cet article sont
+ extraites du _Tour du Monde_, nouveau journal des voyages, publié
+ par la maison Hachette et Cie.]
+
+
+
+UN VOYAGE EN ESPAGNE
+PENDANT L'INSURRECTION CARLISTE
+
+V
+
+Abdication du roi Amédée et proclamation de la République.--Agissements
+de la Junte carliste établie à Bayonne.--Don Carlos séjournant à la
+frontière.--Conseil particulier du prétendant.--Nomination de nouveaux
+chefs carlistes.
+
+Lorsque l'abdication du roi Amédée fut portée aux Cortès et que
+celles-ci, en dépit du ministre Zorilla, proclamèrent la République,
+j'étais à Vitoria, capitale de la province de l'Alava. De ces deux
+nouvelles, la première était prévue depuis longtemps, le jeune prince
+italien, malgré ses qualités personnelles incontestables, étant
+profondément détesté par tous les Espagnols, sans distinction de partis,
+devait en arriver forcément à cet acte d'abdication. Aussi
+n'étonna-t-elle personne.
+
+Il n'en fut pas de même de la proclamation de la République par une
+Chambre qui passait pour être foncièrement monarchique. La population ne
+voulut pas d'abord croire à la réalité de cette nouvelle. Mais lorsqu'il
+fallut bien se rendre à l'évidence, elle protesta énergiquement contre
+cette forme de gouvernement subitement improvisée. Je ne crois pas me
+tromper en affirmant qu'à Vitoria, ville d'environ vingt mille âmes, il
+ne s'y trouvait pas, en avril dernier, _cent républicains_. La
+désorganisation s'introduisit dans l'administration des affaires
+publiques. Le gouverneur de la province, les membres de
+l'_ayuntamiento_, tous les principaux employés du pouvoir central
+donnèrent leur démission en masse, si bien qu'en deux ou trois jours, la
+ville et toutes les localités de la province furent livrées à la plus
+complète anarchie.
+
+Le même désordre se reproduisit dans les autres provinces qui, comme
+celle de Vitoria, furent plongées dans la stupeur à l'annonce seule du
+mot de République, qui a été toujours, depuis la Révolution de 1793, un
+horrible épouvantail dans l'esprit des populations basques, au point
+qu'elles nous ont regardé, pendant longtemps, nous Français, comme des
+monstres et des buveurs de sang.
+
+Dans toutes les excursions que je fis à Pampelune, Tolosa, Bilbao,
+Saint-Sébastien, etc., je constatai le même désarroi dans toutes les
+administrations et une égale répugnance, de la part des populations, à
+vouloir accepter la nouvelle forme de gouvernement. Alors se produisit
+une espèce d'anarchie dont profita habilement le parti carliste.
+Jusqu'alors, l'insurrection avait été assez mollement conduite, soit que
+les chefs n'eussent pas une entière confiance en son succès, soit
+qu'elle manquât d'argent et d'armes; ce dernier fait était vrai, j'en ai
+eu la certitude.
+
+Mais à partir du jour où commença la désorganisation du pouvoir central,
+la junte de guerre, établie à Bayonne depuis le mois de mars, fonctionna
+avec plus d'activité. Elle se composait de membres moitié Espagnols,
+moitié Français, dont la mission consistait à procurer des armes, de
+l'argent et des hommes à l'insurrection. Jusqu'alors elle lui en avait
+bien fourni, mais dans une mesure bien restreinte. C'est du moins ce
+dont se plaignaient les _cabecillas_ qui se trouvaient à la tête des
+bandes. Elle trouva pour la seconder, attendu les circonstances
+politiques du moment, les fournisseurs et les banquiers auxquels elle
+s'était adressée, dès le début de la campagne, dans de meilleures
+dispositions. Les premiers, toujours craintifs et n'ayant pas une foi
+bien robuste dans le succès de l'insurrection, n'exécutaient que d'une
+manière bien irrégulière les marchés passés pour fournitures d'armes de
+munitions et d'équipements militaires.--Les seconds se montraient
+très-difficiles pour accepter les traites souscrites par les agents de
+don Carlos et laissaient sortir du sein de leurs caisses, pour les
+besoins de la guerre, que le moins d'argent possible. Ce qui explique le
+peu de progrès que faisait l'insurrection.
+
+Mais à dater du mois d'avril et du commencement de mai, fournisseurs et
+banquiers furent plus accommodants et pleins de zèle pour seconder les
+vues et les projets du parti carliste, avec lequel ils avaient pris des
+engagements sérieux par l'intermédiaire de la junte de Bayonne. Les
+armes et les munitions passèrent alors plus régulièrement et en plus
+grande quantité la frontière qu'auparavant, malgré les difficultés bien
+plus nombreuses qu'on opposait à leur passage, du côté de France, où
+venait d'être établi sur la frontière un cordon sanitaire de troupes. On
+en expédia même de l'Angleterre.
+
+J'ai assisté à un débarquement d'armes expédiées de Birmingham. Vers le
+milieu du mois de mai, un bateau à vapeur vint en plein jour (il était
+sept heures du matin) s'arrêter dans le petit port de Fontarabie, en
+face le débarcadère des pêcheurs, À son apparition, des barques allèrent
+l'aborder, et en moins d'une heure elles transportèrent quatre cents
+caisses qu'elles déposèrent sur la berge, rendant l'opération du
+débarquement, une bande de quinze cents hommes environ, commandée par le
+colonel Martinez, et dont les trois quarts étaient sans armes,
+s'emparèrent des colis qui renfermaient des fusils et des munitions, les
+ouvrirent et s'armèrent séance tenante. Les caisses restées sans être
+ouvertes furent déposées sur des charrettes et transportées, sous bonne
+escorte, au camp d'_Achulégui_. Ce débarquement s'opéra sans qu'il
+trouvât là moindre opposition de la part des troupes et des volontaires
+de la République casernés à Irun, c'est-à-dire à deux kilomètres au plus
+du port de Fontarabie. Et ce qui me parut plus étrange encore, c'est que
+la bande carliste et les caisses chargées sur des charrettes traînées
+par des boeufs, passèrent tranquillement devant les portes de la ville.
+
+A cette expédition, dont je fus spectateur, j'eus l'occasion de revoir
+mon ami, le colonel Martinez, qui commandait l'escorte du convoi et qui
+paraissait tout radieux.
+
+--Vous n'êtes pas encore à Madrid, mon cher colonel, lui dis-je, en lui
+rappelant son dernier adieu à Vera, mais vous y êtes sur le chemin, à ce
+qu'il me paraît.
+
+--Dix débarquements comme celui-ci, me répondit-il, et notre cause est
+gagnée!
+
+--Vous ne craignez pas d'être surpris sur votre route par les troupes
+républicaines?
+
+--Toutes mes précautions sont prises et je suis certain d'avance que les
+hommes de Loma n'oseront as venir nous barrer la route. Voyez, j'ai
+quinze cents hommes avec moi!
+
+Le colonel avait dit vrai. Pas un seul homme de la garnison d'Irun, qui
+se composait d'environ six cents hommes, soit volontaires, soit soldats
+de la ligne, n'osèrent sortir de la ville.
+
+J'ai assisté à trois autres débarquements du même genre, sans qu'ils
+fussent autrement contrariés, tant les frontières étaient mal gardées du
+côté de l'Espagne.
+
+D'un autre côté, don Carlos, que les journaux espagnols et étrangers
+avaient fait mourir plusieurs fois et voyager tantôt en Angleterre,
+tantôt en Suisse, vint s'installer d'abord dans un hôtel de Pau et
+ensuite au château de Peyrolhade, où il a résidé jusqu'à son entrée en
+Espagne. Voulant m'assurer par moi-même si le fait était exact, je fis,
+au mois de juin, une excursion dans les Basses-Pyrénées, et je me rendis
+à ce château, situé presque sur les limites qui séparent la France de
+l'Espagne. Ce n'était pas sans de grandes difficultés que je pus arriver
+jusqu'à cette demeure seigneuriale, malgré les titres et les
+recommandations dont j'étais porteur, tant on avait pris de précautions
+pour la rendre inabordable.
+
+Lorsqu'un inconnu venant de France ou d'Espagne apparaissait dans le
+lointain, se dirigeant vers le château bâti sur une élévation qui domine
+les alentours à une distance de quatre kilomètres, des vedettes placées
+de loin en loin, depuis le sommet des montagnes jusqu'au village de
+Peyrolhade, qui lui-même est éloigné de la résidence royale d'environ
+une lieue, s'empressaient d'en informer le commandant du palais.
+Celui-ci envoyait immédiatement des gardes à sa rencontre pour le
+reconnaître. S'ils avaient les moindres soupçons sur l'individu, on le
+prévenait poliment qu'il se trompait de chemin en lui indiquant le moyen
+d'en prendre un autre; et ils s'éloignaient. Si, au contraire, c'était
+un ami ou une personne dont on n'avait pas à se méfier, on le conduisait
+au château.
+
+C'est ainsi que sur la présentation d'une lettre du président de la
+junte carliste, je fus admis auprès de la personne du prince, qui voulut
+bien me recevoir lui-même. Don Carlos est âgé de vingt-neuf à trente ans
+environ. Sa taille est élevée, sa figure pleine de noblesse; un air de
+grandeur et de majesté rayonne sur sa physionomie franche et
+sympathique. Tout en lui, jusqu'à sa parole claire, douce et concise,
+prévient en sa faveur. L'audience qu'il m'accorda ne fut pas longue,
+mais elle répondit au but que je m'étais proposé d'atteindre.
+
+Il ne faudrait pas croire pourtant que le prétendant se montrât
+très-facile à accorder des audiences particulières. Il est arrivé, à ce
+sujet, aux visiteurs étrangers, de curieuses méprises. Milord D...,
+désirant s'entretenir avec don Carlos, s'était rendu à cheval de Pau au
+château de Peyrolhade. Arrivé à la résidence princière, il fut reçu par
+le général Ellio, auquel il demanda de le présenter au _roi_. Le vieux
+général s'empressa de le conduire dans le salon bleu, aux tentures
+fleurdelisées, où se trouvaient trois personnages, la tête couverte de
+bérets blancs (_boinas_) agrémentés de passementeries d'or. Milord D...,
+qui ne connaissait le prince que par ses portraits, croyant voir don
+Carlos dans le personnage placé au milieu des deux autres, lui offre ses
+hommages et entre avec lui dans une très-longue conversation sur la
+situation troublée de l'Espagne. Après une demi-heure d'entretien, les
+deux interlocuteurs se quittèrent enchantés l'un de l'autre. La vérité
+est que le noble visiteur avait pris le major Arjona, secrétaire du
+prince, pour don Carlos lui-même. Celui-ci, resté dans son cabinet,
+n'était pas encore descendu au salon.
+
+Je dois ajouter que cette résidence étant journellement visitée par des
+émigrés de tous les pays qui venaient offrir _au roi_, les uns le
+secours de leur épée, les autres solliciter des grades et des faveurs,
+le général Ellio avait organisé un service rigoureux de police autour du
+prince, afin de prévenir toute tentative d'espionnage ou d'attaque
+personnelle contre l'hôte illustre du château. Je dois reconnaître que
+cette surveillance pouvait ne pas être inutile, au milieu de ce coin
+isolé des montagnes que cherchaient à découvrir les émissaires du
+gouvernement de Madrid et dont l'inutilité de leurs recherches a fait
+toujours leur désespoir.
+
+Ce fut pendant le court espace de temps que je passai au château de
+Peyrolhade que je pus me renseigner sur le personnel dont se composait
+la maison du prince et qu'il n'y a pas, je crois, indiscrétion de faire
+connaître. Elle comprenait le général Ellio, président du conseil de
+guerre, cinq chefs carlistes qui en étaient les membres et dont le
+marquis de Valdespina faisait partie, et du major Arjona, secrétaire
+particulier de don Carlos.
+
+Les opérations du conseil de guerre consistaient dans la direction à
+donner aux opérations militaires dont le plan était tracé d'avance: dans
+la nomination des _cabecillas_ et leur envoi aux divers postes qu'ils
+devaient occuper; enfin, dans le contrôle de tous les actes qui
+concernaient l'organisation des bandes, leur armement et leur
+équipement.
+
+Malgré le mystère dont on entourait le château de Peyrolhade, cette
+retraite soi-disant introuvable de don Carlos, était le centre d'un
+va-et-vient de gens qui, des deux côtés des Pyrénées, s'y rendaient pour
+les affaires de l'insurrection. C'étaient les membres de la junte qui
+venaient, les uns ou les autres, prendre les ordres du conseil de
+guerre, lui communiquer les résultats de ses opérations et s'entendre
+avec lui sur les difficultés qui pouvaient se présenter: et ces
+difficultés étaient nombreuses, surtout dès le début de la campagne;
+c'étaient des agents secrets qu'on avait établis sur la frontière et
+jusque dans les centres des provinces, qui venaient faire leurs rapports
+sur tout ce qui se passait d'hostile ou de favorable au parti;
+c'étaient, enfin, les envoyés des _cabecillas_ en campagne, qui
+apportaient au château tout ce qui concernait la situation bonne ou
+mauvaise des bandes qu'ils commandaient.
+
+Lorsque je repassai la frontière, j'appris la nomination de nouveaux
+chefs carlistes, dont quelques-uns étaient déjà au château de
+Peyrolhade, au moment de mon départ de cette résidence. Au nombre de ces
+chefs qui devaient donner à l'insurrection une nouvelle impulsion,
+étaient le général Ellio, qui reprenait un service actif, le marquis de
+Valdespina, Dorregaray et Lizarraga. Ces quatre généraux, que j'ai vus
+plusieurs fois sur les champs de bataille, méritent d'être connus, à
+cause des commandements qu'ils occupent à la tête des bandes et des
+services qu'ils rendent à la cause carliste. C'est ce que je me propose
+de faire, après avoir dit quelques mots sur l'emprunt que le parti
+contracta à Londres. C'est, au reste, avec l'argent qu'il produisit que
+la guerre civile put prendre plus d'extension et de développements,
+ainsi que je vais le constater.
+
+
+
+LES THÉÂTRES
+
+Porte-Saint-Martin. _Libres!_ drame en huit tableaux, par M. Edmond
+Gondinet.--Ambigu-Comique. _La falaise de Penmarck_, drame en cinq actes,
+de M. Crisafulli.--Odéon. _Le docteur Bourguibus_. comédie en un acte et
+en vers, de M. Edmond Cottinet.--Gymnase. _Monsieur Adolphe_, pièce en
+trois actes, de M. Alexandre Dumas fils.
+
+La pièce de M. Gondinet, _Libres!_ m'a beaucoup plu. Je sais que les
+dilettanti du genre, les raffinés du mélodrame y trouveront à redire,
+car elle n'est pas construite et charpentée selon les règles, elle ne
+vous saisit pas à la gorge à un moment donné pour vous laisser pantelant
+et lui crier merci dans quelques scènes pleines d'émotion ou de terreur.
+Son scénario ne s'avance pas progressivement pour marcher à travers des
+péripéties les plus sombres pour arriver aux catastrophes finales; mais
+qu'importe que le drame échappe à l'analyse par sa trame un peu légère,
+qu'importe que faction un peu mince tienne en quelques lignes, si
+l'impression d'ensemble est allée droit à l'effet voulu, et si au sortir
+du théâtre le drame a laissé dans l'esprit du spectateur un souvenir, et
+que l'âme s'en sente encore agitée par delà la représentation. C'est ce
+qui arrive.
+
+C'est peu de chose en effet que cette histoire dramatique facilement
+imaginée et qui se déroule autour de Lambros, le polémarque de la
+Selléide, avec cet amour de sa fiancée Chryseis, avec cette trahison du
+traître Andronicos livrant par jalousie et par haine son pays à Aly,
+pacha de Janina. Cette rivalité est le thème obligé de tous les
+mélodrames. Quelques scènes plus ou moins heureuses ajoutées à cette
+nomenclature du crime des traîtres ne font rien à l'affaire. Le drame
+n'aurait rien perdu assurément à plus de nouveauté dans cette fable
+romanesque. Il eût été meilleur, à coup sûr, en se privant de ce groupe
+de comiques propres à jeter de la gaieté, comme cela se passe dans toute
+pièce du boulevard. Je n'en disconviens pas; mais je le répète, le drame
+de M. Gondinet m'a plu par sa composition générale, par son mouvement,
+par cette grande histoire de liberté qu'il met en scène, par ce récit de
+l'affranchissement d'un peuple. Tout cela est animé, vivant, tout cela
+s'écoute d'un bout à l'autre avec la plus vive curiosité, au milieu de
+nombreux épisodes et à travers tout ce pays de la Grèce.
+
+Il semble que M. Gondinet, qui est un esprit fin et qui a bien sa
+jeunesse et sa poésie, ait lu cette histoire de l'indépendance
+hellénique dans les livres de Fouqueville et de Fauriel, qu'il ait lu
+avec ardeur ces chants recueillis par M. de Marcellus, et que se
+souvenant de cet enthousiasme qui enflamma vers 1825 nos poètes de
+France et d'Angleterre pour la cause de ce peuple, il ait voulu rendre
+dans un drame toute cette vie d'un passé qui passionna si profondément
+l'Europe aux temps où elle avait plus de sympathie et plus de larmes
+pour les opprimés et les vaincus.
+
+A ce drame de l'indépendance d'un pays qui eut pour alliés les poètes,
+M. Gondinet a laissé son caractère poétique. C'est là son côté original
+et piquant. Il se dégage des conventions scéniques par un souffle
+heureux. Il a pour lui, et que le lecteur me pardonne cette phrase du
+temps, il a pour lui les Muses de la patrie et de la liberté. Comme aux
+jours de ses premiers fils, la Grèce est encore le pays des vers. Elle
+chante aux noces des fiancés, aux berceaux des fils, sur la tombe des
+soldats, elle a des épithalames et des nénîes; ses poètes populaires
+sont de toutes ses fêtes. M. Gondinet les a parfois reproduits avec un
+rare bonheur:
+
+ Le klepte est tombé sous les halles,
+ Chantons les marches triomphales,
+ Que son nom résonne partout.
+ Creusez sa tombe haute et grande
+ Pour que son bras armé s'étende
+ Et pour qu'il s'y tienne debout.
+ Faites à la pierre une entaille
+ Pour que dans les jours de bataille
+ Il entende les combattants.
+ Plantez devant un laurier-rose
+ Pour que l'hirondelle s'y pose
+ Et l'avertisse du printemps.
+
+Ainsi parle sur le cadavre du polémarque Lambros, le héros de la pièce,
+D'autres chantent les hymnes de liberté, et le drame s'écoule toujours
+soutenu par un sentiment fin et délicat qui le vivifie dans un cadre
+poétique, C'est la Grèce avec ses aspirations de liberté, avec ses
+glorieux révoltés, c'est elle avec ses kleptes, ses chkipetars, ses
+costumes brillants; nous la retrouvions dans sa gracieuse et pittoresque
+beauté, avec ce décor qui nous transporte sur la place de Variadès, au
+fond duquel se dessine dans le lointain les hautes montagnes et les
+gracieux villages attachés à leurs flancs. Nous nous sommes cru un
+instant sur la côte du Péloponèse, au tableau qui représente la falaise
+couverte d'arbres et dominant les flots bleus de la mer. C'est un
+chef-d'oeuvre que ce décor qui représente le Grand-Souli, avec ses
+maisons blanches, ses cactus en fleurs, ses vignes qui grimpent jusques
+aux toits en tuiles rouges, avec son pont jeté sur un torrent. Il semble
+que M. Rubé, qui en est l'auteur, l'ait composé d'après une vue
+photographique rapportée du pays de Messène ou d'Argos. Cet art du
+décorateur, qui, je crois, n'a jamais été poussé aussi loin dans la
+vérité des tableaux, nous a rendu la Grèce avec la plus grande fidélité.
+Et c'est là un attrait de plus pour le drame de M. Gondinet, que le
+public a accueilli avec le plus vif succès.
+
+L'interprétation de la pièce est excellente. M. Dumaine joue avec une
+sincère conviction et une réelle autorité ce rôle de Lambros, qui domine
+tout le drame. Taillade, c'est Aly, le pacha de Janina, un tyran bizarre
+et cruel qui tourne parfois à la ganache. Larcy, Charly, font retentir
+leurs voix vibrantes, et Laurent égaye la pièce par sa bonne humeur.
+Quant à Mme Dica-Petit, fort belle sous ses magnifiques costumes de
+femme souliote, elle a donné au personnage de Chryseis un véritable
+caractère de passion et de noblesse.
+
+J'aime ce bon mélodrame du temps passé, avec tous ses trucs, ses
+épouvantails, ses tours, ses prisons, ses rochers, ses falaises, tout
+son attirail de crimes et d'horreurs, mais encore faut-il que ces
+horreurs soient possibles à raconter. M. Crisafulli a poussé dans la
+_Falaise de Penmarck_ ce genre tellement au noir que pour ma part je ne
+m'y reconnais plus. Voilà une aventure, par exemple! Le commandant
+Pierre Lecourbe se marie; le jour même de ses noces il reçoit l'ordre de
+rallier l'escadre en partance! Ainsi le veut l'amiral qui ne transige
+pas avec la consigne. Le commandant a un frère, un ivrogne, lequel après
+les libations les plus regrettables, croyant entrer chez sa fiancée, se
+trompe de porte et pénètre chez sa belle-soeur, la femme du commandant.
+
+Vingt ans après ce bel exploit, le commandant Lecourbe vit auprès de sa
+femme et entre deux filles, qu'il aime, sans soupçonner que sa fille
+aînée doit le jour à un horrible crime. L'affection du commandant pour
+cette enfant semble même plus grande que pour l'autre, à ce point qu'il
+dépouille sa fille cadette au bénéfice de sa soeur. La mère révoltée
+d'une telle injustice révèle à moitié ce terrible secret à son mari. Ce
+que le commandant ignore c'est le nom du coupable. Il va donc à son
+frère, Pierre Lecourbe, et lui confie le soin de sa vengeance en lui
+faisant jurer que cet homme mourra et, par le fait, il tient son
+serment, car honteux de lui, il se précipite du haut de la falaise de
+Penmarck, qui n'est là que pour fournir un titre pittoresque à la pièce.
+C'est à l'aide de cette fable dramatique que M. Crisafulli a obtenu une
+scène des plus saisissantes. Celle des deux frères, dont l'un demande
+vengeance à l'autre pour son honneur outragé, pour son nom souillé. Mais
+vraiment ces fortunes-là coûtent bien cher puisque c'est au prix de
+telles situations qu'on les obtient. Si ce drame nous demande au début
+de grands crédits pour faire marcher sa petite industrie, je suis prêt
+pour ma part à les lui refuser. Qu'il s'arrange, n'a-t-il pas la
+trahison, le meurtre, l'assassinat. S'il lui faut plus encore, il est
+trop exigeant; qu'il meure faute d'appui, je n'y vois pas
+d'inconvénient.
+
+J'ai donc hâte de sortir de cette _Falaise de Penmarck_ pour entrer dans
+une joyeuse comédie, pleine de belle humeur, d'esprit et de gaieté, et
+qui a pour titre le _Docteur Bourguibus_: elle est née de la fantaisie
+d'un poète, et de la première à la dernière scène elle s'en va
+lestement, joyeuse de ses bonnes trouvailles comiques, de ses vers
+plutôt improvisés qu'écrits, étincelants de saillies. Ce docteur
+Bourguibus qui a pour parents tous les héros de la comédie bergamasque a
+une _toquade_. Pardon du mot: aux XVIIIe siècle on aurait dit du docteur
+qu'il avait le timbre fêlé. Le brave homme qui a la monomanie de la
+pitié, s'attache particulièrement aux gredins. Que lui parlez-vous
+d'honnêtes gens! la belle affaire! ils ont leur conscience pour eux et
+le paradis au bout. Mais un criminel, un assassin, par exemple, un
+meurtrier que la justice, l'infâme justice a frappé, voilà ce qui tente
+l'âme du docteur Bourguibus. C'est une cure à faire. S'occupe-t-on des
+gens bien portants? Non; on soigne les malades; qu'est-ce qu'un
+criminel? un malade: le tout est de le guérir. Grâce à ce raisonnement,
+le docteur cueille au haut d'un gibet un gibier de potence qu'il arrache
+à main armée aux mains des valets du bourreau. Cet exploit a coûté la
+vie à cinq honnêtes gens: c'est pour rien. Et voilà Spalâtre installé
+dans le logis de docteur. On va voir ce qu'on peut obtenir avec des
+soins d'un gredin qu'on a dépendu. Tout est pour lui, les bons morceaux,
+les complaisances des domestiques, et jusqu'à la main de la nièce du
+docteur. Seulement il veut conduire sagement l'homme à complète
+guérison. Il dort, silence; il va se réveiller, qu'il ouvre les yeux aux
+sons d'une musique réjouissante: un murmure de menuet et le docteur et
+sa nièce effleurent sur la mandoline et le violon l'adorable morceau de
+Boccherini. Là-dessus Spalâtre qui entr'ouvre les yeux rêve de voyageur
+égaré et d'assassinat au coin d'un bois. Elle est charmante cette scène
+du bandit que la musique ramène à ses premières inclinations, le
+meurtre. La cure a si bien opéré que Spalâtre, non content de voler pour
+son propre compte, fait de la propagande et entraîne les domestiques du
+docteur à voler avec lui, si bien que le pauvre Bourguibus paye ses
+théories humanitaires de ses meubles, de sa bourse et de sa montre. Bien
+en a pris à l'amoureux de la nièce de se déguiser en bourreau et de
+venir demander Spalâtre au docteur qui le retient contre la loi, car à
+la vue de l'homme noir, Spalâtre s'est enfui maudissant cet imbécile de
+docteur qui l'expose à retomber dans les mains de la justice. Tout
+s'arrange; le docteur se guérit de son faible pour les gredins et de sa
+haine pour les gens de police, et le public applaudit chaleureusement à
+l'auteur et aux interprètes de cette comédie des plus originales et des
+plus amusantes.
+
+Le théâtre au Gymnase a remporté hier, mercredi, un éclatant succès avec
+_Monsieur Adolphe_. Je reviendrai la semaine prochaine sur cette oeuvre
+exquise de M. Alexandre Dumas. Je ne puis que signaler aujourd'hui
+l'accueil chaleureux que le public tout entier a fait à sa pièce. C'est
+là une des plus grandes fêtes du théâtre au Gymnase. Depuis vingt ans,
+depuis ces jours du _Demi-monde_, je ne crois pas qu'il eût été témoin
+d'une semblable ovation. La salle passait du rire aux larmes, de
+l'émotion à la gaieté. Elle a acclamé l'auteur, saluant dans son oeuvre
+cette sûreté de talent, cette élévation dans la pensée, cette explosion
+de l'esprit qui font de M. Dumas fils un maître. Tout son public lui
+était revenu, heureux d'oublier les quelques moments de froideur qui
+s'était faite entre lui et l'auteur de la _Femme de Claude_, et comme
+regrettant ses sévérités passagères, on se sentait comme reconnaissant
+envers M. Dumas de lui rendre l'auteur aimé des jours passés.
+
+Les interprètes de _Monsieur Adolphe_ ont été couverts
+d'applaudissements, et Pujol, et Achard, et Mlle Alphonsine, cette
+transfuge des théâtres de féerie, qui s'est montrée merveilleuse
+comédienne dans le rôle de Mme Guichard.
+
+Je donne avec plaisir une bonne nouvelle à mes lecteurs: Les concerts de
+M. Daubé vont reprendre leur cours, non plus au _Grand-Hôtel_ où on les
+suivait autrefois, mais à la salle que M. Henri Herz a mise
+gracieusement à la disposition de M. Daubé.
+
+M. Savigny.
+
+
+
+[Illustration: LES ÉVÉNEMENTS DE CUBA.--Vue générale de la Havane.]
+
+[Illustration: L'ILE DE CUBA.--Vue prise près de la côte de Candela.]
+
+
+
+REVUE COMIQUE DU MOIS, PAR BERTALL
+
+[Illustration: LES LIONS DE M. SARI, AUX FOLIES-BERGÈRES.. Voyez trois
+bocks au 71.--Bouuummm!]
+
+[Illustration:--Eh bien, et le _Rappel?_--Eh bien, et l'appel?--Ce
+n'est pas pour toi que le four chauffe.--C'est l'appel qui se moque du
+fourgon!]
+
+[Illustration:--Allons, mon petit, faut rentrer dans ta boîte.--Bah!
+sept ans, ce n'est pas une affaire!--C'est un congé.]
+
+[Illustration: L'EXPOSITION DES ENFANTS AUX CHAMPS-ÉLYSÉES.--Études sur
+les manières les plus pratiques et les plus commodes pour exposer les
+enfants, depuis la suppression des tours.]
+
+[Illustration: MM. LES COLLÉGIENS.--Ah! ah! ah! voilà déjà le régime du
+sabre qui commence. On veut nous infliger une sortie. Eh bien! ma bonne,
+va dire à ton maître que je suis comme M. Trochu, je ne sortirai pas,
+j'ai mon plan.]
+
+[Illustration: LA QUENOUILLE DE VERRE.--Ma petite Judic, vous avez
+chanté ça Judic-ieusement.--Dites délicieusement!--Comme si ce n'était
+pas la même chose!]
+
+[Illustration:--Ah! si la Femme à deux têtes voulait épouser
+l'Homme-Chien! quel avenir pour leur famille!]
+
+[Illustration:--Mon bon M. Halanzier, ce sont les Italiens qui sont là,
+si vous voulez je vais en délivrer le territoire, et ça ne sera pas
+long.--Je ne demanderais pas mieux, mais tu vois bien que les Italiens
+sont des Russes.]
+
+[Illustration:--M. Strakosch traite à l'amiable et consent à recevoir
+M. Halanzier, à condition que tous les abonnés ne se présenteront au
+contrôle que porteurs d'une voie d'eau.]
+
+[Illustration:--Les jours d'Opéra, les baignoires deviendront une
+réalité, les abonnés et leurs familles n'y seront reçus qu'en costumes
+de bain.]
+
+[Illustration:--Au premier signe de H. Strakosch, les baignoires seront
+remplies d'eau, ce qui écartera toute crainte d'incendie.]
+
+[Illustration:--Pour finir, l'auteur demande à l'ami lecteur, dont il
+est connu depuis si longtemps, la permission de lui présenter ses
+civilités sous la forme d'un gros livre qu'il vient de terminer à
+l'instant.]
+
+
+
+Toujours: _Peau de satin! Fraises au champagne! Lèvres de Feu!!_ valses
+de J. Klein. Il n'y a donc pas autre chose?
+
+
+
+BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE
+
+_Histoire de l'Astronomie_, par Ferd. Hoefer.--La science profonde et
+l'érudition encyclopédique du docteur Hoefer sont trop connues et trop
+appréciées pour qu'il soit utile de présenter à nos lecteurs l'auteur de
+la nouvelle _Histoire de l'Astronomie_. Chacun sait que pour écrire une
+histoire compétente de quelque science que ce soit, il faut être du
+métier et connaître la pratique du sujet dont on se fait le rapporteur.
+Or M. Hoefer a écrit une histoire de la _chimie_, qui est devenue
+classique, une histoire de la _physique_ estimée de tous les savants,
+une histoire de la _botanique_, une histoire de la _zoologie_, aussi
+complètes l'une que l'autre; et voici une histoire de l'_astronomie_,
+que je viens de lire avec la plus vive attention, et que nul astronome
+de profession n'aurait certainement mieux écrite. Elle est complète sans
+être trop étendue, s'adresse aux gens du monde aussi bien qu'aux
+savants, et présente un tableau exact et intéressant des progrès inouïs
+de cette science admirable, depuis les Hindous, les Chinois, les
+Chaldéens, les Égyptiens, jusqu'aux découvertes sublimes de notre
+époque, illustrée depuis moins de trois siècles par les Galilée, les
+Kepler, les Newton, les Laplace; par des scrutateurs des mystères
+célestes qui laisseront dans l'histoire des noms comme ceux de Cassini,
+Halley, Huygens, Roemer, Dalembert, Herschell, Bessel, Struve, Arago,
+etc.
+
+L'histoire de l'astronomie présente plus que nulle autre le tableau des
+véritables progrès de l'esprit humain. Celle des peuples, des dynasties,
+des religions, offre des alternatives de lumière et de ténèbres, des
+grandeurs et des décadences, des guerres et des trêves, et souvent,
+hélas, du sang et des ruines. Mais les progrès de la science du ciel, au
+contraire, offrent une continuité lente, mais permanente, du travail de
+la pensée humaine, depuis l'ignorance primitive jusqu'à l'époque où nous
+sommes, pendant laquelle nous osons mesurer les distances qui nous
+séparent des étoiles, et analyser les substances qui brûlent dans le
+soleil. Aujourd'hui, nous voyons les mondes rouler sous nos pieds; nous
+sentons la terre courir et nous emporter à travers l'espace infini, et
+déjà nous avons les premiers éléments nécessaires pour deviner la _vie
+inconnue_ qui rayonne à la surface des autres terres du ciel! C'est la
+science sans patrie et sans dogmes, sans chaînes et sans larmes, qui,
+toujours pure, s'élève et s'épanouit dans la divine lumière du ciel;
+c'est celle qui fait le plus d'honneur à l'esprit humain, qui met en
+évidence les plus nobles facultés de l'homme; c'est celle qui nous a
+_affranchis._ Les plus grands révolutionnaires ne s'appellent pas
+Cromwell, Washington, Mirabeau ou Robespierre; ils s'appellent Copernic,
+Galilée. Kepler, Newton.
+
+On lira avec plaisir et profit le nouveau livre du docteur Hoefer. Dans
+son ouvrage publié l'année dernière, et intitulé: l'_Homme devant ses
+oeuvres_, l'auteur avait montré par quels principes il juge l'humanité;
+et il n'est certes pas inutile, à notre époque où tout court si vite, de
+s'arrêter un instant sur le chemin de la vie, comme le Dante avant de
+pénétrer au sombre royaume, et de réfléchir un instant sur les faits et
+gestes de notre race soi-disant raisonnable. L'histoire de l'astronomie
+est écrite avec la même netteté de vues, moins sévère que celle de
+Delambre, lequel en est souvent ridicule, et plus juste pour les
+anciens, qui méritent tout notre respect, attendu qu'il faut à toutes
+les sciences un commencement. Celui qui renaîtrait dans trois siècles
+seulement serait bien étonné de notre état scientifique, social et
+religieux de 1873, et, s'il n'était juste, nous traiterait d'ignares et
+d'imbéciles. C'est ce qu'a fait l'astronome Delambre, trop souvent. M.
+Hoefer n'est pas tombé dans ce travers, et nous l'en félicitons.
+
+_Les Merveilles de la photographie_, par G. Tissandier.--Voici un
+nouveau volume de la _Bibliothèque des merveilles_, et qui fait honneur
+à la collection. Qu'y a-t-il de plus merveilleux que la photographie,
+dont les travaux nous laissent pourtant déjà indifférents? La terre
+tourne si vite que l'on oublie le lendemain la situation de la veille,
+et il semble que nos pensées se multiplient et s'envolent beaucoup plus
+vite depuis que nous connaissons la rapidité des mouvements célestes. En
+fait, il n'y a que quarante-sept ans que le premier traité entre Niepce
+et Daguerre a été signé, et aujourd'hui les photographes pullulent dans
+toutes les villes d'Europe, et les photographies sont tombées dans le
+domaine public, et l'on n'accorde plus aux meilleures d'entre elles
+qu'une attention momentanée. Mais tandis que pour la masse du public la
+photographie est encore toute entière dans la reproduction plus ou moins
+durable d'un visage, d'un monument ou d'un paysage, l'art s'est agrandi,
+s'est développé comme toutes les connaissances humaines, et déjà rend
+d'immédiats services à la plupart d'entre elles. La photomicrographie
+fixe aujourd'hui l'image centuplée de l'insecte, invisible à l'oeil nu,
+dessine l'agencement moléculaire minéral, végétal ou animal, nous montre
+les cristaux du sang ou l'épiderme délicat d'une pauvre chenille. A
+l'opposé, toute l'Assemblée nationale est reproduite sur un carré de
+collodion du diamètre d'une tête d'épingle, sans rien perdre de ses
+proportions ni de sa grandeur réelle. Si nous passons maintenant du
+petit au grand, nous trouvons la photographie appliquée au soleil, à la
+lune, aux planètes et même aux étoiles, et nous avons déjà des sériés de
+plusieurs années de portraits du soleil, faits chaque jour, et montrant
+la variation incessante de son aspect et de ses taches. Des
+photographies directes de la lune sont si excellentes que l'on se
+promène facilement dans les vallées et les paysages lunaires ainsi
+reproduits. Appliqué à la météorologie, le même art remplace maintenant
+l'observateur en enregistrant automatiquement l'état du ciel, la marche
+du baromètre, du thermomètre, du vent, de l'aiguille aimantée, etc., ce
+qui permettra d'avoir un bien plus grand nombre de constatations
+simultanées et permanentes et de donner à la météorologie la base qui
+lui manque encore. Il y a plus: la photographie _imprime_ maintenant
+elle-même, et le livre de M. Tissandier nous offre un spécimen de
+photoglyphe à l'encre de Chine gélatinée, qui montre au premier coup
+d'oeil toute la valeur artistique et toute l'importance pratique du
+nouveau procédé. On le voit, le jeune et savant directeur du journal _la
+Nature_ a su réunir dans son nouveau livre toutes les richesses de l'art
+dont il voulait raconter les merveilles.
+
+Camille Flammarion.
+
+
+
+_Une courtisane vierge_, par M. Amédée de Céséna.--L'auteur fut un
+journaliste grave, un personnage politique, un polémiste. Il n'est qu'un
+conteur qui spécule sur de certaines curiosités malsaines. Je pense
+qu'il suffit de citer le titre du livre pour montrer tout ce que M. de
+Céséna a voulu lui donner d'alléchant. Le romancier se défend,
+d'ailleurs, dans sa préface, d'être un corrupteur. Il prétend au titre
+de _moraliste_. Ce n'est donc pas un moraliste homeopathique: il fait de
+la morale par les contraires.
+
+_Les Femmes au coeur d'or_, par M. Eugène Moret. (1 vol. Dentu.)--Il y
+a, dans le roman-feuilleton, des auteurs dont la réputation n'égale pas
+le talent, et M. Eugène Moret est de ce nombre. Il a des succès, et
+très-grands, dans le public des journaux populaires, des livraisons à
+dix centimes, et il mérite ces succès-là. Ses livres sont moraux,
+honnêtes et intéressants. Il a publié sur les _Femmes de la Révolution
+et de la Terreur_ des feuilletons absolument amusants et qui, réunis en
+volume, ont beaucoup plu aux lecteurs. Ces _Femmes au coeur d'or_ auront
+certainement le même sort et méritent le même accueil. C'est là un roman
+qui vaut dix fois mieux, à coup sur, que bien des romans célèbres, et
+qui fait honneur au talent très-loyal, sans fracas, sans charlatanisme,
+de M. Eugène Moret.
+
+_La comtesse de Nancey_, par M. Xavier de Montépin. (3 volumes in-18.
+Chez Sartorius.)--M. Xavier de Montépin est, en librairie, le
+triomphateur de la saison. Il a publié trois ou quatre volumes, épisodes
+détachés d'un même roman, qui en sont à leur huitième ou dixième
+édition. _La comtesse de Nancey, l'Amant d'Alice, le Mari de
+Marguerite_, ont amusé tout un public, le public des romans d'Arsène
+Houssaye, celui qui aime l'impossibilité en pleine vie réelle, les
+aventures improbables placées dans le milieu parisien. M. de Montépin,
+jusqu'ici, n'avait point connu pareille vogue, pas même il y a seize ou
+dix-huit ans, lorsqu'il écrivait les _Viveurs de Paris_ et les _Filles
+de plâtre_. Je crois même nie rappeler que les _Filles de plâtre_ lui
+valurent une assignation devant la police correctionnelle. Aujourd'hui,
+en ce temps d'_ordre_ et de _moralité_, les romans de M. de Montépin
+montent aux nues. L'auteur est un aimable homme qui n'a d'autre tort que
+de vouloir, de temps à autre, dire son mot dans la politique courante.
+Quand il conte ces aventures extraordinaires, il amuse et il entraîne.
+Au fond, cela lui suffit. Le public le suit, il est satisfait. Il ne
+_politique_ que par aventure. Son rôle est d'inventer: il invente. Les
+folles amours, les coups de couteau, les scandales à Bade, les espions
+prussiens, les batailles de la Commune, les propos de boudoirs, tout se
+coudoie dans la trilogie que M. de Montépin appela tout d'abord le _Mari
+de Marguerite_. Je n'analyserai point ces pages. Leur succès a été
+absolu, et si l'on n'avait abusé du mot, je dirais volontiers que c'est
+un des signes du temps. Mais ne faut-il pas des rêves à tout le monde?
+Pâture à liseurs, disait Petrus Corel en parlant de ses livres. Chacun
+choisit le mets qui lui convient,--et cela n'empêche pas de rééditer
+Corneille.
+
+_La Célestine_, de Fernando de Rojas, traduite par M. Germond de Lavigne.
+(Nouvelle collection Jannet.)--M. E. Picard continue avec succès la
+publication de ses petits chefs-d'oeuvre littéraires faisant suite à la
+collection Jannet. Les bibliophiles se disputeront également la
+_collection rouge_, qui est l'ancienne, et la _collection bleue_, qui
+est la nouvelle. Sous cette dernière forme, les oeuvres de Rabelais vont
+être tantôt achevées, et M. André Lefèvre vient de donner une édition
+des _Lettres persanes_, de Montesquieu, qui pourrait bien être
+définitive. Aujourd'hui, M. Germond de Lavigne, si compétent en ce qui
+touche la littérature espagnole, publie, dans cette même collection, une
+traduction de la Célestine, ce roman dialogué d'un intérêt si puissant
+et d'un charme si particulier qui date, s'il vous plaît, du XVe
+siècle,--de 1492,--et qui semble comme la source où Calderon et Pope
+puisèrent leurs drames ensoleillés et entraînants.
+
+Moratin avait raison d'appeler _la Célestine_ une _nouvelle dramatique_.
+Ce n'est que cela, en effet; mais cette nouvelle est inimitable. Il y a
+de tout, dans ce conte, de la morale et de la poésie, des aventures
+d'amour, des leçons tragiques, des séductions et des drames. Le type du
+prodigue Calixte est peint de main de maître, et le profil de la
+Célestine, une proche parente de la Macette de Régnier, est inoubliable.
+L'homme qui écrivit cette sorte de drame, Fernando de Rojas, était un de
+ces artistes rares et puissants que les littérateurs nomment d'un grand
+nom, les précurseurs.
+
+M. Germond de Lavigne a traduit la Célestine avec ce talent qui lui
+valut, il y a quelques années, les éloges de Charles Nodier. Il n'a pas
+essayé, dit-il, de reforger les endroits scandaleux qui pouvaient
+offenser les religieuses oreilles, et il a bien fait. Sa traduction y
+gagne d'être une oeuvre d'art à travers laquelle on saisit toute la
+couleur, tout l'éclat du style castillan.
+
+Jules Claretie.
+
+
+
+[Illustration: LES FUYARDS A LA PORTE DE BALAN. Gravure extraite de la
+_Guerre de_ 1870-71, par A. Wachter. (E. Lachaud, éditeur.)]
+
+LA GUERRE DE 1870-71
+Histoire politique et militaire
+PAR A. WACHTER
+
+
+
+Au moment où les débats du procès Bazaine remettent en lumière les
+tristes péripéties de la dernière guerre et les causes de nos désastres,
+nous croyons devoir appeler l'attention de nos lecteurs sur un ouvrage
+que nous avons déjà signalé lors de son apparition: nous voulons parler
+de l'_Histoire de la guerre de_ 1870-71 de M. Wachter, éditée par la
+librairie Lachaud. Parmi les innombrables publications qui se sont
+succédé sur ce sujet depuis trois ans, celle-ci est l'une des plus
+complètes, des plus intéressantes et des mieux à la portée du public.
+Les connaissances spéciales de M. Wachter ont fait de lui, depuis
+longtemps, un de nos écrivains militaires les plus justement estimés;
+une étude approfondie des opérations stratégiques qu'il a suivies sur le
+terrain même et une lecture attentive des documents allemands qu'il a
+consultés dans leur texte original, ont permis à M. Wachter de réunir
+dans les deux volumes qui composent son travail, les renseignements les
+plus exacts, les plus authentiques, et de les présenter d'une manière
+plus méthodique et plus claire que dans la plupart des ouvrages du même
+genre; ajoutons que le livre est richement illustré de dessins de M.
+Darjou, l'habile artiste dont nos lecteurs connaissent trop bien le
+talent, pour que nous ayons besoin d'en faire l'éloge. Les deux gravures
+que nous avons publiées la semaine dernière sur la bataille de
+Rezonville et les carrières du Caveau étaient extraites du beau livre de
+MM. Wachter et Darjou; celle que nous reproduisons aujourd'hui un
+nouveau spécimen de ces illustrations, qui sont le vivant commentaire du
+texte de M. Wachter.
+
+L'Exposition universelle de Vienne a fourni à l'_Illustration_
+l'occasion d'affirmer une fois de plus cette supériorité hors ligne
+qu'elle a depuis longtemps acquise sur toutes les publications
+analogues. Comme en 1867, l'_Illustration_ avait exposé, outre ses
+volumes et ses collections, une série de spécimens permettant de suivre
+pas à pas les opérations si compliquées de la gravure et ces procédés
+grâce auxquels nous arrivons à donner au public la représentation des
+faits d'actualité presque aussi vite que la presse quotidienne où donne
+le récit. Cette exposition a particulièrement attiré l'attention du jury
+international, qui a décerné à l'_Illustration_ une _médaille de
+mérite_, la plus haute récompense après la grande médaille d'honneur.
+
+Cette distinction est, croyons-nous, la seule du même genre qui ait été
+obtenue par un journal illustré; nous sommes heureux d'en faire part à
+nos lecteurs; ils y verront une preuve nouvelle des efforts-incessants
+qui a valu à l'_Illustration_ la légitime réputation dont elle jouit
+dans le monde entier.
+
+
+
+[Illustration: nouveau rébus.]
+
+EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS:
+
+Même en 999, à l'approche de l'an mille, on ne vit point aller autant en
+pèlerinage.
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of L'Illustration, No. 1605, 29 novembre
+1873, by Various
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 1605, 29 ***
+
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+Creating the works from public domain print editions means that no
+one owns a United States copyright in these works, so the Foundation
+(and you!) can copy and distribute it in the United States without
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+Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you
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+practically ANYTHING with public domain eBooks. Redistribution is
+subject to the trademark license, especially commercial
+redistribution.
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+all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your possession.
+If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project
+Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the
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+entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8.
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+1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be
+used on or associated in any way with an electronic work by people who
+agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few
+things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works
+even without complying with the full terms of this agreement. See
+paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project
+Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
+works. See paragraph 1.E below.
+
+1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"
+or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
+Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the
+collection are in the public domain in the United States. If an
+individual work is in the public domain in the United States and you are
+located in the United States, we do not claim a right to prevent you from
+copying, distributing, performing, displaying or creating derivative
+works based on the work as long as all references to Project Gutenberg
+are removed. Of course, we hope that you will support the Project
+Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by
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+this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with
+the work. You can easily comply with the terms of this agreement by
+keeping this work in the same format with its attached full Project
+Gutenberg-tm License when you share it without charge with others.
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+what you can do with this work. Copyright laws in most countries are in
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+the laws of your country in addition to the terms of this agreement
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+and distributed to anyone in the United States without paying any fees
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+through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the
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+1.E.9.
+
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+work or any other work associated with Project Gutenberg-tm.
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+- You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from
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+ you already use to calculate your applicable taxes. The fee is
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+ has agreed to donate royalties under this paragraph to the
+ Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments
+ must be paid within 60 days following each date on which you
+ prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax
+ returns. Royalty payments should be clearly marked as such and
+ sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the
+ address specified in Section 4, "Information about donations to
+ the Project Gutenberg Literary Archive Foundation."
+
+- You provide a full refund of any money paid by a user who notifies
+ you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
+ does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm
+ License. You must require such a user to return or
+ destroy all copies of the works possessed in a physical medium
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+- You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any
+ money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
+ electronic work is discovered and reported to you within 90 days
+ of receipt of the work.
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+- You comply with all other terms of this agreement for free
+ distribution of Project Gutenberg-tm works.
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+1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm
+electronic work or group of works on different terms than are set
+forth in this agreement, you must obtain permission in writing from
+both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael
+Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the
+Foundation as set forth in Section 3 below.
+
+1.F.
+
+1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable
+effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
+public domain works in creating the Project Gutenberg-tm
+collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic
+works, and the medium on which they may be stored, may contain
+"Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate or
+corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual
+property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a
+computer virus, or computer codes that damage or cannot be read by
+your equipment.
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+of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project
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+Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project
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+liability to you for damages, costs and expenses, including legal
+fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT
+LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE
+PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE
+TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE
+LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR
+INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
+DAMAGE.
+
+1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a
+defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can
+receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a
+written explanation to the person you received the work from. If you
+received the work on a physical medium, you must return the medium with
+your written explanation. The person or entity that provided you with
+the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a
+refund. If you received the work electronically, the person or entity
+providing it to you may choose to give you a second opportunity to
+receive the work electronically in lieu of a refund. If the second copy
+is also defective, you may demand a refund in writing without further
+opportunities to fix the problem.
+
+1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth
+in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS', WITH NO OTHER
+WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO
+WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
+
+1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
+warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages.
+If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the
+law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be
+interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by
+the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any
+provision of this agreement shall not void the remaining provisions.
+
+1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
+trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
+providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance
+with this agreement, and any volunteers associated with the production,
+promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works,
+harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
+that arise directly or indirectly from any of the following which you do
+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
+
+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation information page at www.gutenberg.org
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at 809
+North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email
+contact links and up to date contact information can be found at the
+Foundation's web site and official page at www.gutenberg.org/contact
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit www.gutenberg.org/donate
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
+To donate, please visit: www.gutenberg.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For forty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
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+Project Gutenberg's L'Illustration, No. 1605, 29 novembre 1873, by Various
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+Author: Various
+
+Release Date: December 5, 2013 [EBook #44357]
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+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 1605, 29 ***
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+Produced by Rénald Lévesque
+
+
+
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+
+<br><br>
+
+<div class="cont">
+
+
+
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/001.png"></p>
+
+
+ <table cellpadding="2" cellspacing="2" border="1"
+ style="width: 100%; text-align: center;" summary="nil">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 33%;">
+<p class="mid"><span class="sml">REDACTION, ADMINISTRATION, BUREAUX D'ABONNEMENTS<br>
+<i>22, rue de Verneuil, Paris.</i></span></p>
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 34%;">
+ <p class="mid"><span class="sml">31e Année. VOL. LXII. Nº 1605</span><br>SAMEDI 29 NOVEMBRE 1873</p>
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 33%;">
+ <p class="mid"><span class="sml">SUCCURSALE POUR LA VENTE AU DÉTAIL<br>
+60, rue de Richelieu, Paris</span></p>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+
+
+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="1"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="nil">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 50%;">
+ <p class="mid"><span class="sml"><b>Prix du numéro: 75 centimes</b><br>
+La collection mensuelle, 3 fr; le vol. semestriel, broché,<br>18 fr.; relié
+et doré sur tranches, 28 fr.</span></p>
+
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 50%;">
+ <p class="mid"><span class="sml"><b>Abonnements</b><br>
+Paris et départements: 3 mois, 9 fr.;--6 mois, 18 fr.;<br>un an, 36 fr.;
+Étranger, le port en sus.</span></p>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+<p class="mid"><span class="sml"><i>Les demandes d'abonnements doivent être accompagnées d'un mandat-poste<br>
+ou dune valeur à vue sur Paris à l'ordre de M. Auguste Marc,
+directeur-gérant.</i></span></p>
+
+
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/001a.png"><br><b>LA PROROGATION.--Les curieux attendant l'arrivée du train parlementaire
+sur le pont de l'Europe, dans la nuit du 18-19 novembre.</b></p>
+
+<div class="somm">
+ <h3>SOMMAIRE</h3>
+
+ <p class="sml"><i>Texte</i>: Histoire de la semaine. -- Courrier de Paris, par M. Philibert
+Audebrand. -- La S&oelig;ur perdue, une histoire du Gran Chaco (suite), par M.
+Mayne Reid. -- Nos gravures. -- Un voyage en Espagne pendant l'insurrection
+carliste (V). -- Les Théâtres. -- Revue comique du mois, par
+Bertall. -- Bulletin bibliographique. -- <i>La Guerre de</i> 1870-71, par A.
+Wachter.</p>
+
+ <p class="sml"><i>Gravures</i>: La prorogation, les curieux attendant l'arrivée du train
+parlementaire sur le pont de l'Europe, dans la nuit du 18-19 novembre.
+-- Procès du maréchal Bazaine: les témoins (9 gravures). -- Le service des
+pigeons voyageurs de la Presse, à Versailles (2 gravures). -- <i>L'Espagne</i>,
+par M. le baron Davilier (8 gravures). -- Les événements de Cuba: vue
+générale, de la Havane; -- L'île de Cuba: vue prise près de la côte de
+Candela. -- Revue comique du mois, par Bertall (13 sujets). -- Les fuyards
+à la pot te de Balan, gravure extraite de la <i>Guerre</i> de 1870-71, par M.
+A. Wachter. -- Rébus.</p>
+</div>
+<br>
+
+ <h3>HISTOIRE DE LA SEMAINE</h3>
+
+ <h4>FRANCE</h4>
+
+ <p>Après le vote de la loi de prorogation, il était permis de penser que la
+majorité, qui s'était ralliée autour de la haute personnalité du
+maréchal de Mac-Mahon, pourrait bien s'affaiblir ou même disparaître
+quand le débat viendrait à se poser non plus sur le terrain national et
+gouvernemental, mais sur le terrain purement ministériel; bon nombre de
+journaux affirmaient avec confiance que le cabinet serait moins heureux
+que le président lorsqu'il se présenterait pour son propre compte à la
+barre de l'Assemblée, et lorsque M. Léon Say vint à la tribune
+développer son interpellation sur la politique suivie pendant les
+vacances et sur le retard apporté à la convocation des collèges
+électoraux, il crut pouvoir affirmer que la dernière heure du ministère
+du 24 mai était sur le point de sonner. Ces prévisions ne se sont pas
+réalisées; le cabinet a remporté une victoire moins éclatante, il est
+vrai, que le maréchal-président, mais qui s'est soldée par la majorité
+importante de 50 voix; ainsi qu'il s'y était engagé, il a remis avant
+même l'ouverture du débat, sa démission collective entre les mains du
+chef de l'État, mais pour se reconstituer sur les mêmes bases, sauf
+quelques changements de personnes et d'attributions qui n'impliquent pas
+de changement fondamental de tendances ni de principes.</p>
+
+ <p>M. de Broglie garde le titre et les fonctions de vice-président du
+conseil des ministres et prend le portefeuille de l'intérieur. MM,
+Batbie, Ernoul, Beule et de la Bouillerie sortent du cabinet pour faire
+place à MM. le duc Decazes, nommé ministre des affaires étrangères;
+Depeyre, ministre de la justice; de Fourtou, ministre de l'instruction
+publique et des cultes, et de Larcy, ministre des travaux publics, M.
+Deseilligny passe à l'agriculture et au commerce en remplacement de M.
+de la Bouillerie; enfin les portefeuilles des finances, de la guerre et
+de la marine restent confiés, comme précédemment, à MM. Magne, du Barail
+et Dompierre d'Hormoy.</p>
+
+ <p>Quant au vote de la loi de prorogation, les commentaires qu'il a
+suscités dans la presse sont importants à noter si l'on veut chercher à
+se rendre compte de ce que sera notre régime politique dans la phase
+nouvelle dont cette loi est le point de départ. Ainsi qu'il fallait s'y
+attendre, les journaux bonapartistes et républicains se sont montrés
+fort désappointés d'une défaite à laquelle ils s'attendaient en grande
+partie, mais sans penser qu'elle serait aussi complète; toutefois; ces
+derniers font contre mauvaise fortune bon c&oelig;ur, et cherchent à se
+consoler en répétant qu'après tout la République subsiste en fait et que
+rien n'est perdu par conséquent; constatons en outre que la presse
+républicaine paraît pour le moment corrigée des intempérances de langage
+qui ont plus d'une fois compromis sa cause, et que ses appréciations
+sont en général empreintes d'une modération à laquelle on ne peut
+s'empêcher de rendre justice. Seuls, les journaux du centre droit
+triomphent avec une joie parfois insuffisamment contenue: «Nous tenons
+le loup par les oreilles, s'écriait dernièrement l'un d'eux; il faut les
+lui couper; s'il cherche à mordre, muselons la bête fauve.»</p>
+
+ <p>Les feuilles légitimistes, au contraire, n'augurent rien de bon du
+nouvel état de choses, et s'expriment, sur les man&oelig;uvres de stratégie
+parlementaire qui l'ont amené, avec une amertume dont l'heure n'est pas
+encore venue de connaître tous les secrets motifs. Dès le lendemain de
+la séance du 19, l'<i>Union</i>, l'<i>Univers</i> et le <i>Monde</i> publiaient une
+déclaration des députés de l'extrême droite qui s'étaient abstenus dans
+le vote; en même temps, ces mêmes journaux dénonçaient avec indignation
+les habiletés de ceux qui, disaient-ils, avaient fait échouer la fusion
+et voulaient maintenant se donner le temps d'attendre la mort du roi
+légitime.</p>
+
+ <p>Il est incontestable que la campagne fusionniste n'a pas dit son dernier
+mot; bien des mystères enveloppent encore l'histoire des négociations
+auxquelles elle a donné lieu; bien des événements inattendus peuvent
+encore surgir, qui n'en seront que les conséquences. Une brochure qui
+vient de paraître, et qu'il serait trop long d'analyser ici, contient à
+cet égard plus d'une révélation curieuse. D'autre part, il est avéré que
+le comte de Chambord est constamment en butte à des démarches dont
+l'objet précis n'est pas livré au public, mais dont on n'a pu empêcher
+le secret de transpirer. Le chef de la maison de Bourbon était venu à
+Versailles au moment de la discussion de la loi de prorogation; la
+nouvelle de ce voyage avait d'abord été démentie avec insistance;
+l'<i>Union</i> l'a, depuis, confirmée officiellement par une note où l'on a
+beaucoup remarqué le passage suivant:</p>
+
+ <p>«Le moment n'est pas venu de révéler ce que M. le comte de Chambord a
+tenté pour ramener au port le navire en détresse, mais quand aura sonné
+l'heure de Dieu, et cette heure n'est pas loin, la France apprendra avec
+admiration tout ce qu'il y a de désintéressement, de simplicité, de
+dévouement, dans ce c&oelig;ur de roi et de père qui n'a point de parti et
+qui sait accomplir si noblement son devoir. Elle s'étonnera d'avoir pu
+méconnaître si longtemps tant d'abnégation et de vraie grandeur.»</p>
+
+ <p>L'apparition de cette note a coïncidé avec le bruit, répandu depuis
+quelques jours, de l'abdication du comte de Chambord. Y avait-il quelque
+chose de fondé dans ce bruit?--C'est ce que l'avenir nous apprendra.</p>
+
+ <h4>ESPAGNE.</h4>
+
+ <p>Les nouvelles venues des États-Unis pendant la semaine tendent à
+présenter sous un jour plus rassurant le différend survenu entre
+l'Amérique et l'Espagne au sujet de la prise du <i>Virginius</i> et du
+massacre des flibustiers qui le montaient. Rappelons d'abord que le
+<i>Virginius</i> était notoirement au service de l'insurrection cubaine,
+qu'il venait ouvertement s'approvisionner de contrebande de guerre, à
+destination de Cuba, dans le port de New-York, et qu'il en était à sa
+quatrième expédition de ce genre quand il fut pris par le <i>Tornado</i> dans
+les eaux de Santiago; que l'exaspération des Espagnols était, par
+conséquent, assez compréhensible, et que le cas de ce flibustier
+présente de frappantes analogies avec celui de l'<i>Alabama</i> au sujet
+duquel les États-Unis ont eux-mêmes eu maille à partir avec
+l'Angleterre. Ajoutons que, dans un intérêt de parti, les politiciens
+américains ont cherché à exploiter les exécutions de Santiago en
+excitant l'indignation publique pour s'en faire une arme contre le
+gouvernement du général Grant, disposé à voir les choses plus froidement
+et à n'agir qu'en connaissance de cause. Quoi qu'il en soit, d'après les
+dernières dépêches transmises par le câble transatlantique, le cabinet
+de Washington a décidé que le <i>Virginius</i> naviguait légalement avec un
+registre américain. Le général Sickles a reçu substantiellement pour
+instructions d'exiger de l'Espagne la restitution du <i>Virginius</i>, ainsi
+que les survivants de l'équipage et des passagers de ce navire; une
+excuse pour l'insulte faite aux États-Unis; une indemnité en faveur des
+parents des victimes; le châtiment des exécuteurs ou leur remise au
+gouvernement américain pour être par lui punis, et enfin la mise en
+vigueur immédiate des décrets portant restitution des biens et
+propriétés confisqués aux citoyens américains. Le ministre est également
+chargé de faire part au gouvernement de Madrid du vif désir du
+gouvernement américain de voir abolir l'esclavage.</p>
+
+ <p>L'opinion généralement établie dans les régions officielles est que la
+diplomatie parviendra à régler le différend; mais la situation, telle
+qu'elle est aujourd'hui, n'en est pas moins critique. Le sentiment
+public n'est pas précisément belliqueux, bien que certains journaux
+fassent des efforts suprêmes pour créer l'agitation. Les préparatifs
+militaires continuent. Une flotte de quarante-trois navires, portant un
+matériel de six cent quarante-trois pièces d'artillerie, a reçu l'ordre
+de se tenir prête au premier signal.</p>
+
+ <h4>PAYS-BAS</h4>
+
+ <p>Les préparatifs des Hollandais pour la deuxième expédition contre Atchin
+sont très activement poursuivis aux Indes; cette expédition doit partir
+dans le courant de ce mois de Batavia pour sa destination. Il est arrivé
+dernièrement dans le port de cette ville un nouveau navire à vapeur qui
+n'a pas apporté moins de 2833 caisses remplies de matériel de guerre,
+avec vingt-cinq canons, ainsi que deux petits bateaux à vapeur démontés
+et prêts à être remontés à Batavia.</p>
+
+ <p>On fait, en outre, à Samarang, des essais avec des radeaux de
+débarquement susceptibles de porter un poids de 16,000 à 17,000
+kilogrammes, et qui seront reconduits en place par des remorqueurs à
+vapeur. Ces engins se composent chacun de cinq grands cylindres creux en
+fer, solidement reliés ensemble et couverts d'un simple plancher.</p>
+
+ <h4>SUISSE</h4>
+
+ <p>Le Conseil fédéral suisse vient d'adresser à notre ministre des affaires
+étrangères une note relative à la question monétaire. Nous la
+reproduisons plus loin. Justement préoccupé de l'introduction de
+l'étalon d'or dans plusieurs États et des variations qu'a subies le
+rapport des monnaies d'or et d'argent, principalement depuis la
+convention conclue en 1865 entre la France, l'Italie, la Suisse et la
+Belgique, le gouvernement helvétique, s'autorisant de l'article 2 de
+ladite convention, a exprimé le v&oelig;u qu'une conférence des quatre États
+signataires fût convoquée le plus tôt possible pour aviser aux mesures
+propres à garantir les intérêts économiques engagés dans cette question.
+Faut-il maintenir le double étalon, sur lequel repose la convention de
+1865? Doit-on lui substituer l'étalon unique? Ne convient il pas de
+faire cette substitution graduellement, pour éviter une perturbation
+immédiate et nuisible? Quels seraient les moyens d'empêcher la
+dépréciation croissante de l'argent, produite par l'exportation de l'or
+des États de l'union monétaire? Telles sont les questions que la note du
+Conseil fédéral propose de soumettre à la conférence dont il sollicite
+la convocation.</p>
+<br><br>
+
+ <h3>COURRIER DE PARIS</h3>
+
+ <p>Il nous est venu des lions, en compagnie de leur dompteur. On va les
+voir aux bougies, salle des Folies-Bergères, S'il faut le dire, ce
+spectacle n'a plus d'imprévu pour nous. Il y a beau temps que les
+Parisiens sont blasés là-dessus. Qui ne se rappelle tour à tour quatre
+ou cinq Androclès en spencer rouge? Van Amburgh jouait avec une panthère
+de Java comme une petite dame avec son manchon, Carter s'en prenait à
+une lionne toujours insurgée. Il nous semble le voir encore la frappant
+d'une baguette de coudrier comme un valet de bonne maison bat une
+descente de lit afin d'en faire tomber la poussière. Hermann n'avait pas
+moins d'audace; il agaçait un ours blanc. C'était à l'Hippodrome.
+Arnault, le directeur, nous disait: «Il m'a bien semblé, l'autre soir,
+qu'Hermann allait servir de dîner à son ours.» En réalité, Crockett
+était celui dont la vue nous causait le plus d'émotion. Celui-là avait
+affaire à de vrais lions, à des lions de Barca. Le public pressentait
+qu'il finirait par être mangé. Il l'a été, en effet, non à Paris, mais à
+New-York, je crois. Crockett, croqué! Les faiseurs de jeux de mots ne
+pouvaient manquer cette assonance. C'était, du reste, un argument de
+plus pour démontrer la fatalité des noms.</p>
+
+ <p>Celui qui vient d'arriver s'appelle Delmonico un beau nom de dompteur, à
+mêler à un roman ou à un mélodrame. Il y a des lions et des lionnes
+dans une cage de fer, où il se montre, en homme résolu, n'ayant à la
+main qu'une cravache. On prétend qu'il cache sous sa tunique un revolver
+pour le cas où il aurait à soutenir avec ses pensionnaires une polémique
+un peu trop vive. Je dois constater que cette arme est révoquée en doute
+par plus d'un spectateur. A quoi pourrait servir un pistolet dont la
+balle ne ferait que transpercer la peau d'un des monstres et qui, par
+conséquent, n'aurait d'autre résultat que de lui causer un surcroît
+d'irritation? Pour Delmonico comme pour tous ses devanciers, le préjugé
+veut que la puissance magnétique du coup d'&oelig;il suffisse.--Une houssine
+et un &oelig;il qui fascine, dit-on: il ne faut rien de plus.</p>
+
+ <p>Vous rappelez-vous un jeune Américain du nom de Batty? Lui aussi passait
+pour n'avoir pas besoin d'un autre prestige que le feu de son regard
+pour subjuguer les lions. Un jour, la foule même étant là, il fut abattu
+d'un seul coup de griffe et broyé d'un coup de mâchoire. «C'est qu'il
+n'a pas su maintenir la rétine de l'&oelig;il au beau fixe», disaient les
+<i>petits crevés</i> d'alors. Messieurs les <i>gommeux</i>, leurs successeurs,
+professent naturellement l'opinion qu'il n'y a rien à craindre tant
+qu'on regarde fixement. On change le lion en agneau rien qu'en le
+lorgnant.</p>
+
+ <p>Au fait, la chose serait possible, si ce qu'on raconte à ce sujet est
+exact. Ces lions qu'on exhibe seraient assouplis dès l'âge le plus
+tendre par un système d'éducation assez raffiné. On leur fait suivre des
+cours. Pris tout petits en Afrique, on les enverrait dans un pensionnat
+où tout est disposé pour les préparer à faire une entrée convenable dans
+le monde. Saviez-vous donc qu'il existât des maisons pour l'instruction
+des individus de la race léonine? Le plus renommé de ces établissements
+est, paraît-il, situé à Madrid, ville d'une température toujours tiède
+(les jeunes élèves, brusquement arrivés d'Afrique, s'enrhumeraient dans
+une ville du Nord). A Madrid, d'ailleurs, on a toujours la viande
+saignante à bon marché, à raison des corridas ou courses de taureaux.
+Voilà pourquoi on amène de préférence les lionceaux dans la capitale des
+Espagnes; là, on leur enseigne la civilité puérile et honnête; on leur
+apprend surtout l'art de frémir à un froncement de sourcil, et, comme
+corollaire, la sobriété, qui consiste à ne dévorer son gardien que le
+moins possible. Faire des collégiens avec des lions, telle est la marche
+du progrès, comme vous voyez.</p>
+
+ <p>Les sujets de Delmonico ont-ils fait leurs classes à Madrid? Le dompteur
+le nie, et cela se conçoit. Encore neuf dans le métier, il y va
+rondement, comme un vieux routier. On raconte qu'il a fait avec un
+amateur un pari d'une allure assez originale. Il se serait engagé à
+entrer dans la cage cent jours de suite sans recevoir la moindre
+égratignure. En vertu de ce contrat, il ne devrait atteindre son chiffre
+que le 18 janvier prochain. Ce jour-là, s'il est indemne, tranchons le
+mot, s'il n'a pas été mangé, il recevra en bloc la somme de 120,000
+francs. Delmonico est un philosophe. Au cas où il gagnerait la gageure,
+il s'est promis de liquider ses lions sans le moindre retard. Il placera
+ses fonds en 3 pour 100 et vivra honorablement de ses rentes, n'ayant
+pour tout animal à ses trousses qu'un griffon de la Havane à peu près
+gros comme le poing fermé de son maître. --Pas si bête pour un dompteur!</p>
+
+ <p>J'ai parlé des lettres posthumes de Prosper Mérimée, qu'on imprime en ce
+moment. On assure que cette correspondance ressemblera beaucoup à des
+mémoires intimes, méthode de Diderot. L'auteur de <i>Colomba</i> y raconte
+les principaux épisodes de sa vie. Mais combien de traits qui, par
+malheur, n'y trouveront pas place! Je doute, par exemple, qu'on y lise
+un fait-anecdote assez curieux et tout à fait inédit qui s'est passé
+sous Louis-Philippe, à trois cents kilomètres de Paris.</p>
+
+ <p>C'était en 1840.</p>
+
+ <p>Prosper Mérimée traversait le Berry en qualité d'inspecteur des
+monuments historiques. Il s'était arrêté à Saint-Amand-Mont-Rond, jolie
+petite ville aux environs de laquelle on veut que César ait établi son
+camp, à l'époque où il se mit à la poursuite de Vercingétorix; c'est, en
+effet, sur la route de Bourges à Clermont, ou, si vous voulez,
+d'Avaricum à Gergovia. Des camps de César, où n'en signale-t-on pas? Il
+y avait dans l'endroit un vénérable archéologue, zélateur des poteries
+de l'antiquité. Dans l'intérêt de la science, ce brave homme avait
+obtenu de faire pratiquer des fouilles au lieu même où l'on assurait que
+les fils de la Louve avaient campé. Et justement, ce matin-là, il
+accourait, effaré, plein de joie, afin de révéler un grand secret à
+l'auteur du <i>Théâtre de Clara Gazul</i>.</p>
+
+ <p>--Que se passe-t-il donc, cher monsieur? demanda Mérimée.</p>
+
+ <p>--Monsieur l'inspecteur général, un fait de la plus haute importance. Je
+viens de trouver un dieu.</p>
+
+ <p>--Un vrai dieu?</p>
+
+ <p>--Un Bacchus antique, couvert de la peau de tigre et ayant un thyrse à
+la main. Venez donc voir ça avec moi.</p>
+
+ <p>Il y avait à peu près une heure de chemin. On monta dans une berline et
+l'on partit.</p>
+
+ <p>Pendant la route, l'archéologue parlait de ses découvertes.</p>
+
+ <p>--J'avais déjà mis la main sur bien des fragments de vases antiques,
+disait-il; c'était un commencement de preuve. Mais un Bacchus, de
+hauteur d'homme, en métal romain! Un dieu, probablement fondu sous le
+septième consulat de Marius et apporté chez nous par les légions de
+Jules César! Voilà un témoignage, monsieur! Tout le monde savant va
+tressaillir à cette nouvelle.</p>
+
+ <p>Hélas! tandis qu'il tenait ce langage, il se passait du nouveau auprès
+des terrassiers.</p>
+
+ <p>Après avoir jeté leur dieu de côté, ceux-ci reprenaient leur travail
+lorsqu'un cri, populaire dans la contrée, leur fit tout à coup lever la
+tête; c'était un de ces industriels ambulants qui courent à travers les
+campagnes pour y refaire les batteries de cuisine.</p>
+
+ <p>--Rétameur! voici le rétameur!</p>
+
+ <p>Un des pionniers l'appela; l'homme accourut.</p>
+
+ <p>--Voilà un bloc de métal qui s'est trouvé sous notre pioche, dit le
+travailleur. Ce vieux fou de savant dit que c'est un dieu; il a dansé de
+joie tout autour. Si on le laisse faire, il l'emportera comme il emporte
+tous les tessons de vieilles bouteilles qu'il rencontre par ici.
+Qu'est-ce que c'est que ça au juste?</p>
+
+ <p>--De l'étain d'assez bonne qualité.</p>
+
+ <p>--A quoi ça pourrait-il servir?</p>
+
+ <p>--A faire des cuillers à soupe.</p>
+
+ <p>Des cuillers! Sur un signe qu'ils firent, le nomade se mit à la besogne;
+il fixa son réchaud en terre, fondit le Bacchus et en fit des cuillers.</p>
+
+ <p>Il en était à la dernière lorsque la berline arriva.</p>
+
+ <p>Exprimer la douleur du savant serait impossible. L'archéologue avait
+encore trois cheveux sur la tête; il se les arracha. Il pleurait de
+rage. Il interpellait Mérimée et, en levant les mains au ciel:</p>
+
+ <p>--O Jupiter! s'écriait-il, on voit bien que tu n'es plus rien là-haut!
+Sans quoi tu n'aurais jamais permis une telle profanation à l'endroit de
+celui de tes fils que tu as gardé trois mois dans une de tes cuisses!</p>
+
+ <p>Mario de Candia est revenu à Paris, où il amène les deux filles qu'il a
+eues de son mariage avec Giulia Grisi. Le temps a eu beau marcher, rien
+n'efface la pieuse tristesse que le ténor a ressentie en voyant mourir
+la célèbre et belle cantatrice dont il avait fait sa femme. Mario,
+dit-on, éprouve un âpre plaisir à reparaître aux lieux où sa jeunesse a
+été tant fêtée, il y a trente-cinq ans. Peu importe que tout y ait
+changé de face. A la vieille cité de pierre a succédé une ville de
+marbre et d'or. Il n'y avait guère que quinze cents <i>dilettanti</i>; on en
+énumère cent mille aujourd'hui, mais cent mille qui aiment à se griser
+de musique de cuivre, cent mille qui portent les oreilles d'âne que
+Voltaire montrait jadis à Grétry. Mario, renaissant, délicat, studieux,
+soigneux, peu bruyant, serait-il compris de ce public nouveau? On peut
+en douter. Mais que vous dire? Il se rappelle sans doute ce que disait
+Paganini: «Un artiste de talent sera toujours bien venu partout; il ne
+peut vivre qu'à Paris.» Pour le revenant, il y a d'ailleurs le charme
+irrésistible qui s'attache aux souvenirs d'une époque sans pareille et
+qui ne sera pas recommencée.</p>
+
+ <p>Beaucoup se rappellent encore les premiers jours de sa venue. C'était
+dans un temps où l'on ne s'occupait déjà plus de politique. La mode
+était d'être tout entier à l'art, à la science, au théâtre, à la
+peinture, à la musique, aux beaux vers. Victor Hugo faisait jouer <i>Ruy
+Blas</i> par Frédérick-Lemaitre, encore jeune; Alfred de Musset venait
+d'écrire les <i>Deux Maîtresses</i>, Stendhal, la <i>Chartreuse de Parme</i>; M.
+de Balzac, <i>Un grand homme de province à Paris</i>; Gérard de Nerval, les
+<i>Amours de Vienne</i>. On touchait de la veille au duel lyrique engagé
+entre Duprez et Adolphe Nourrit, duel funeste, puisqu'il a fini par le
+suicide de ce dernier; Mlle Rachel quittait le Gymnase pour s'acheminer
+en triomphatrice du côté du Théâtre-Français; Eugène Delacroix avait
+exposé la <i>Médée</i> au dernier Salon; Decamps continuait ses études
+d'Orient; David (d'Angers) plaçait le Philopémen dans le jardin des
+Tuileries. Un opéra, un roman, un tableau, une statue, c'était le pain
+quotidien d'alors. L'Athènes de Périclès n'a jamais été plus ensoleillée
+de vraie gloire. On n'aurait jamais pu s'imaginer qu'un jour viendrait
+où Paris courrait voir un Russe qui a du poil de chien sur la figure, un
+noir qui fouette des lions dans une cage ou une mulâtresse à deux têtes,
+des monstres. Et il n'y avait pas encore de Petite Bourse sur les
+boulevards.</p>
+
+ <p>En ce temps-là, le docteur Véron, si habile, gouvernait l'Opéra en
+autocrate; c'était pour le mieux, puisqu'il donnait sans cesse l'éveil à
+un chef-d'&oelig;uvre inédit ou à quelque grand artiste inconnu. Voilà qu'on
+apprit tout à coup l'arrivée d'un ténor. A la suite d'une escapade, un
+jeune officier du roi de Sardaigne, s'étant sauvé en France, avait brisé
+son épée pour monter sur les planches. Un chevalier! un comte!
+l'aventure était piquante.</p>
+
+ <p>Mario de Candia,--c'était lui,--fut essayé; il avait déjà une jolie voix
+de salon, mais il fallait développer cet organe si précieux.</p>
+
+ <p>--Un ténor, la coqueluche de Paris! N'épargnez rien pour en avoir un,
+disait à M. Véron le ministre de l'intérieur.</p>
+
+ <p>Quand on constatait un grand succès au théâtre, Paris et la France
+n'avaient plus rien à dire. La machine gouvernementale fonctionnait à
+l'aise. On votait le budget sans débat; on dénouait les conflits
+diplomatiques en se jouant; les élections se faisaient presque en
+chantant.</p>
+
+ <p>--N'épargnez rien, répétait le ministre; jetez, s'il le faut, l'argent à
+pleines mains.</p>
+
+ <p>Les naturalistes nous ont appris combien il faut de soins pour élever un
+rossignol. Pour un ténor de ce cycle étrange, c'était bien autre chose.
+Que de blandices à l'adresse du nouveau venu! Non-seulement on
+prodiguait autour de lui les professeurs, un maître de français, un
+maître d'armes, un maître de danse, un maître d'équitation, un maître de
+natation, un maître de piano, un maître de chant, mais encore il avait
+sans cesse à ses trousses un médecin en renom, chargé de veiller sur sa
+personne avec une vigilance de dragon mythologique.</p>
+
+ <p>--A-t-il bien dormi? Il ne faut pas trop d'exercice! Qu'on prenne garde
+aux courants d'air! Ah! s'il allait attraper un rhume!</p>
+
+ <p>On ne lui permettait pas de sortir par les temps de pluie, ni le soir, à
+l'heure du serein. À table, on ne lui servait que les meilleurs
+morceaux, les plus légers, de la cervelle, des crêtes de coq, du blanc
+de poulet, précipités, de préférence, par du bordeaux, du haut-brion ou
+du léoville. Pourtant il n'en fallait pas en quantité qui pût allumer
+trop son c&oelig;ur. Pas d'amour. L'amour était sévèrement défendu, vu qu'il
+porte atteinte, disait-on, aux cordes tendres de la voix. Un ténor, je
+le répète, on faisait de l'existence d'un tel artiste une question de
+cabinet.--M. Thiers se flattait d'avoir fait plus de ténors que M.
+Guizot.</p>
+
+ <p>Pour en revenir au jeune et brillant chevalier sarde, au bout de neuf
+mois d'attente, il fut en état de se montrer sur le théâtre. Quelle
+salle d'élite pour le voir et pour l'entendre! Il chanta et, dès les
+premières notes qui sortirent de son gosier, le comte Duchâtel, ministre
+de l'intérieur, présent à ses débuts, s'écria:</p>
+
+ <p>--Allons, il a une voix charmante! La monarchie et le ministère sont
+sauvés!</p>
+
+ <p>Tout ce qu'on avait fait pour Mario a été renouvelé depuis pour
+Poultier, le tonnelier de Rouen.</p>
+
+ <p>PHILIBERT AUDEBRAND.</p>
+
+ <br><br>
+
+ <h3>PROCÈS DU MARÉCHAL BAZAINE<br><br>
+ LES TÉMOINS</h3>
+
+ <p class="mid"><img alt="" src="images/002a.png"><br><b>
+Marchal.&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;
+D'Abzac.&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;
+Cruzem.</b></p>
+
+ <p class="mid"><img alt="" src="images/002b.png"><br><b>
+Bonzella, marin de l'<i>Inflexible</i>.&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;
+Camut.&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;
+Quatre-B&oelig;uf, quartier-maître.</b></p>
+
+ <p class="mid"><img alt="" src="images/002c.png"><br><b>
+Flahaut.&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;
+Régnier.&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;
+Arnous-Rivière.</b></p>
+
+<p class="mid">D'après les photographies de M. Appert.</p>
+
+ <br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/002d.png"><br><b>LE LACHER DU PIGEON PORTEUR DES DERNIÈRES NOUVELLES.</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/002e.png"><br><b>Mode d'attache de la dépêche.<br>
+
+LE SERVICE DES PIGEONS VOYAGEURS DE LA PRESSE, A VERSAILLES.</b></p>
+
+<br><br>
+
+ <h3>LA S&OElig;UR PERDUE</h3>
+
+ <h3>Une histoire du Gran Chaco</h3>
+
+ <p class="mid">(Suite)</p>
+
+ <p>«Il n'y a peut-être pas consenti, répliquait Cypriano. Je crois qu'il ne
+l'eut pas permis, il peut même l'avoir ignoré et l'ignorer encore, mais
+nous savons qu'en plus d'une circonstance les vieillards de la tribu ont
+eu à faire justice de crimes du même genre commis à leur insu par des
+gens de la tribu. Il y a de mauvais drôles parmi les sauvages tout comme
+parmi nous. Les jeunes guerriers de la tribu ont plus d'une fois
+épouvanté la contrée par leurs attentats contre la vie des rares
+voyageurs qui s'étaient hasardés à parcourir la contrée. Quelque chose
+me crie que tous nos malheurs ont pour cause ces Indiens maudits et que
+le fils du chef lui-même, Aguara, est à leur tête. Je l'ai soupçonné de
+méditer le projet qu'il vient d'accomplir et, quand mon oncle est parti
+pour cette malheureuse excursion avec Francesca, ce n'est qu'une fausse
+honte qui m'a retenu de lui faire part de mes inquiétudes. Je dois
+convenir pourtant que le misérable a dépassé dans l'exécution de son
+crime mes prévisions sur un point. Je ne l'aurais pas cru capable
+d'aller jusqu'au meurtre de l'ami même de son père pour faire réussir
+son dessein.»</p>
+
+ <p>Ludwig ramené subitement à la pensée de son double malheur demeura
+quelque temps sans répondre. La scène du retour de son père se
+représentait tout entière à son esprit. Il entendait encore le cri
+désespéré de sa mère à la vue de son mari inanimé. Plongé dans ce
+souvenir, il semblait ne pouvoir en sortir. Mais faisant enfin un effort
+pour s'arracher à la contemplation de ce lugubre passé, sa pensée se
+reporta plus vivement sur le présent et l'avenir.</p>
+
+ <p>«Cypriano, dit-il, il vaut mieux peut-être que les choses se soient
+passées comme vous le supposez.</p>
+
+ <p>--Mieux! pourquoi donc, Ludwig?</p>
+
+ <p>--Nous avons du moins une espérance, celle de retrouver Francesca. Si le
+vieux chef est innocent, il ne manquera pas de nous la faire rendre,
+quand bien même le coupable serait son propre fils.</p>
+
+ <p>--J'en doute, repartit tristement son cousin.</p>
+
+ <p>--C'est pourtant notre seul espoir, continua Ludwig. Si ce forfait a été
+commis par quelque autre tribu ennemie de nous autres blancs, et vous
+savez que toutes celles du Chaco sont dans ce cas, quelle chance
+avons-nous de leur reprendre ma s&oelig;ur? L'enlever de force serait
+impossible, il y aurait folie d'y songer. Nous n'aurions d'autre
+alternative en le tentant que d'y perdre la vie, ou, et ce serait pis,
+la liberté sans profit pour elle.</p>
+
+ <p>--C'est vrai, dit Cypriano, je reconnais que sans l'aide de Naraguana,
+notre expédition est désespérée. Mais nous aurions plus de chance de
+succès si nous devions requérir son aide contre d'autres tribus que la
+sienne. Contre des Guaycurus, par exemple, ou des Mbayas, ou des
+Anguites, le chef Tovas pourra prendre en main notre cause. Quoique les
+tribus du Chaco se liguent volontiers toutes ensemble lorsqu'il s'agit
+d'une expédition contre les blancs, elles ont souvent de mortelles
+haines les unes contre les autres. Mon espoir se fonde plutôt sur cette
+supposition que sur toute autre chose qu'il soit en notre pouvoir
+d'accomplir. Si, au contraire, nous avons affaire aux Tovas!...</p>
+
+ <p>--Ce sont les Tovas!» interrompit Gaspardo qui, tout en chevauchant et
+tout en ne perdant pas de l'&oelig;il la piste de l'ennemi, n'avait pourtant
+pas cessé d'écouter la conversation.</p>
+
+ <p>Au même instant, il arrêtait brusquement sa monture et désignait quelque
+chose sur le sol, tout à côté de son cheval.</p>
+
+ <p>«Regardez, s'écria-t-il, voilà la preuve de la culpabilité des Tovas!»</p>
+
+ <p>Ludwig et Cypriano s'avancèrent pour examiner ce qu'il leur désignait
+ainsi.</p>
+
+ <p>C'était un objet sphérique à peu près de la dimension d'une orange, et
+d'une couleur brune foncée. Tous deux reconnurent une <i>bola</i>, pierre
+ronde, couverte de cuir cru, et semblable à l'une de celles qui
+pendaient aux arçons de leurs propres selles.</p>
+
+ <p>«Quelle preuve trouvez-vous là, Gaspardo, dit Cypriano? C'est une bola
+que quelqu'un a laissé tomber et dont la courroie s'est brisée. Mais
+qu'est-ce que cela prouve? Tous les Indiens Chaco ne portent-ils pas des
+bolas?</p>
+
+ <p>--Oui, mais pas de pareilles à celle-ci. Examinez-la,» dit-il en se
+penchant sur sa selle et ramassant la bola sans quitter les étriers; «y
+voyez-vous le moindre signe de rupture? Non, elle n'a jamais été
+attachée à une courroie. Caramba! senores, c'est une <i>bola perdida</i>
+(1)!»</p>
+
+ <p>Les deux jeunes gens se passèrent l'objet et n'y découvrirent rien qui
+pût laisser supposer qu'il appartenait à un couple de bolas. C'était une
+lourde pierre, entourée d'une enveloppe de peau de vache, avec laquelle
+on l'a recouverte quand elle était encore humide, et qui, en séchant,
+s'était resserrée sans laisser un seul pli. Il n'y avait aucune
+apparence de courroie, on ne voyait que la couture qui la fermait.
+Quelle que pût être son utilité, la bola était complète en elle-même.</p>
+
+ <p>--Une <i>bola perdida!</i> Je n'ai jamais entendu parler de cela, dit Ludwig.</p>
+
+ <p>--Ni moi non plus, ajoute Cypriano.</p>
+
+ <p>--J'en ai entendu parler, moi, dit le gaucho, et j'ai vu aussi ses
+effets. C'est une arme dont les Indiens se servent avec une adresse qui
+vous surprendrait. Ils la lancent à plus de 30 mètres et en frappent la
+tête d'un ennemi avec autant de sûreté que si elle sortait du canon
+d'une carabine. <i>Maldita!</i> J'ai vu des crânes écrasés par un pareil
+coup, mieux que s'ils avaient été écrasés par un bâton de <i>quebracho</i>
+(2). La <i>bola perdida</i>, senores! ce n'est pas un jouet d'enfant, je vous
+l'assure.</p>
+
+ <blockquote><b>Note 1:</b> Littéralement «boule perdue», la signification spéciale de ces
+mots résultera de l'explication du gaucho.</blockquote>
+
+ <blockquote><b>Note 2:</b> Nom donné à une espèce d'arbre de la famille des acacias, à
+cause de la dureté de son bois. Quebracho, ou casseur, signifie qu'il
+briserait la hache avec laquelle on voudrait l'abattre.</blockquote>
+
+ <p>--Mais quelle preuve avez-vous qu'elle ait été lancée par des Tovas?»</p>
+
+ <p>Cette question était faite par Ludwig.</p>
+
+ <p>«Ils sont les seuls Indiens qui puissent l'avoir laissée tomber, car eux
+seuls se servent de cette arme. Aucune autre tribu ne l'emploie. N'en
+doutez pas, mes enfants, elle a été perdue par un traître Tovas.»</p>
+
+ <p>Les deux jeunes gens firent un signe d'assentiment, et dès ce moment ils
+surent que la piste qu'ils suivaient alors était certainement la piste
+des Tovas.</p>
+
+ <p>Cette connaissance acquise d'une façon si inattendue affecta les
+voyageurs bien différemment. A Ludwig elle donna, sinon de la joie, du
+moins un rayon d'espérance de retrouver sa s&oelig;ur, tandis que chez
+Cypriano elle ne produisit qu'un désespoir plus sombre encore.</p>
+
+ <p>«Au-dessus des Tovas, au-dessus du misérable assassin, dit-il à ses deux
+compagnons, il est un plus grand coupable, à qui remonte la première
+responsabilité de tous nos malheurs.</p>
+
+ <p>--Oui, répondit Ludwig, l'infâme Francia.</p>
+
+ <p>--Lui-même, et je ne vivrai jamais tranquille tant qu'il n'en aura pas
+aussi subi le châtiment.</p>
+
+ <p>--Dieu se chargera de le lui infliger. Quant à nous, cher cousin, que
+pouvons-nous contre cet homme?</p>
+
+ <p>--Rien pour le moment sans doute; mais plus tard nous nous verrons.»</p>
+
+ <p>De nouveaux incidents vinrent faire diversion à leurs pensées.
+L'atmosphère, après s'être graduellement assombrie, s'était épaissie
+presque subitement autour d'eux, au point de faire succéder presque
+instantanément la nuit au jour.</p>
+
+ <p>«Vite, vite! cria Gaspardo en mettant son cheval au grand galop; si nous
+n'atteignons pas la grotte, nous sommes perdus. Courez, si vous tenez à
+la vie!»</p>
+
+ <p>Les deux jeunes gens lancèrent comme lui leurs chevaux à toute vitesse.</p>
+
+ <p>«Nous arrivons à temps! Grâce à la Mère de Dieu, nous arrivons à temps!»</p>
+
+ <p>Cette exclamation sortit des lèvres de Gaspardo au moment où, suivi de
+ses jeunes compagnons, il faisait passer son cheval par l'ouverture
+d'une caverne.</p>
+
+ <p>Cette caverne se trouvait dans un rocher à pic, s'élevant au-dessus d'un
+arroyo (3) qui, un peu plus bas, se jetait dans le Pilcomayo. Son entrée
+donnait sur le bord du ruisseau à quelques pieds de distance seulement
+de l'eau courante.</p>
+
+ <p>«Oui, nous arrivons au bon moment», ajouta le gaucho en exhalant un
+soupir de soulagement. «Caramba! entendez-vous? voyez-vous? Regardez
+dehors!»</p>
+
+ <p>Il parlait encore quand un éclat de tonnerre étouffa sa voix. C'était la
+tempête. C'était la tormenta! dont les grondements répercutés soudain
+par les échos du ravin, prirent en un instant une effroyable intensité.
+Des nuages de poussière tourbillonnaient dans la plaine et semblaient
+vouloir accourir sur eux.</p>
+
+ <p>«Dépêchons, descendez de cheval», cria Gaspardo à ses deux compagnons,
+en leur donnant l'exemple. «Prenons nos ponchos, mes enfants,
+attachons-les ensemble, et si nous ne voulons pas être étouffés dans cet
+antre, bouchons-en l'entrée le mieux et le plus vite que nous pourrons.»</p>
+
+ <p>Les jeunes gens n'avaient pas besoin d'être mis en demeure de ne pas
+perdre un instant. Ce n'était pas la première fois qu'ils assistaient à
+une tormenta; chez eux, à Asuncion, ils en avaient vu plus d'une et en
+avaient remarqué les terribles effets. Ils avaient entendu les cailloux
+brisant les fenêtres, faisant trembler les portes sur leurs gonds; ils
+avaient vu la poussière passer à travers les fentes et les trous des
+serrures comme l'haleine furieuse de l'ouragan, ils avaient vu les
+arbres déracinés, brisés comme paille, les bêtes et les gens culbutés,
+roulés à terre par son irrésistible violence. Aussi, avant que le gaucho
+eût pu prononcer un autre mot, ils étaient sur pied et l'aidaient à
+disposer à l'intérieur leurs chevaux pour qu'ils lussent un premier
+obstacle, et à fermer l'ouverture de la caverne, à l'aide de leurs
+ponchos solidement liés ensemble et fixés dans les interstices des
+rochers au moyen de leurs couteaux. Ils furent à moitié aveuglés par la
+poussière et presque renversés par le vent avant d'avoir pu terminer
+cette opération.</p>
+
+ <p>«Maintenant, dit Gaspardo, dès qu'ils eurent achevé leur besogne, nous
+pouvons nous regarder comme en sûreté, et je ne vois pas de raison pour
+ne pas nous installer dans ce trou aussi confortablement que le
+permettent les circonstances. Nous serons peut-être retenus longtemps
+ici, trois ou quatre heures, sinon toute la nuit. Quant à moi je suis
+affamé comme un gallinazo(4). Cette rude course m'a fait oublier mon
+déjeuner, de sorte que je propose d'achever ce qui nous reste de guariba
+rôti. La salle à manger est sombre et nous aurons peine à faire bouillir
+notre théière. Cependant j'espère pouvoir faire assez de lumière pour
+éclairer notre repas.»</p>
+
+ <p>En prononçant ces mots, le gaucho se dirigea vers son cheval, et
+fouillant un moment sous son recado, il réussit à trouver un briquet.</p>
+
+ <p>Mayne Reid.</p>
+
+ <p>(<i>La suite prochainement.</i>)</p>
+
+ <blockquote><b>Note 3:</b> Vautour-dindon du l'Amérique Espagnole, nommé <i>Jofilote</i> au
+Mexique. Dans les autres portions du continent de l'Amérique du Sud, ou
+l'appelle <i>urubu</i> ou <i>gallinazo</i>. Certains voyageurs ont cru que le
+<i>turkey buzzard</i> des États-Unis et le <i>Gallinazo</i> Sud-Américain étaient
+un même oiseau. Ils sont cependant entièrement distincts; ce dernier est
+beaucoup plus beau que son congénère du Nord. Son plumage est plus
+brillant, tandis que sa tête chauve, son cou et ses pattes, au lieu
+d'être d'un blanc grisâtre, sont d'une couleur rouge vif. Il existe au
+moins quatre espèces distinctes de ces petits vautours noirs sur le
+continent de l'Amérique.</blockquote>
+
+ <blockquote><b>Note 4:</b> L'arroyo est un ruisseau coulant entre deux berges élevées et à
+pic.</blockquote>
+
+<br><br>
+
+ <h3>NOS GRAVURES</h3>
+
+ <h3>La loi de prorogation et le public</h3>
+
+ <p>Chaque fois qu'il y a eu à l'Assemblée nationale de Versailles
+quelqu'une de ces grandes discussions qui mettent le pouvoir en
+question, le contre-coup s'en est vivement fait sentir à Paris. Alors
+que M. Thiers était président de la République, cela s'est produit non
+pas une fois seulement. On n'a pas oublié encore l'émotion qui s'était
+emparée de la capitale, le 24 mai: la foule agitée s'arrachant les
+journaux du soir sur les boulevards, assiégeant la gare Saint-Lazare
+pour attendre l'arrivée des trains, quêtant et commentant les nouvelles,
+dans un état de surexcitation difficile à décrire. Le même phénomène ne
+pouvait donc manquer de se reproduire le 19 septembre dernier, jour où
+l'on discutait à Versailles la loi de prorogation des pouvoirs de M. le
+maréchal de Mac-Mahon. En effet, dès la première journée de cette
+discussion, qui ne s'est terminée, comme on sait, que le lendemain dans
+une séance de nuit, la grande ville était soudainement reprise de son
+accès de fièvre. Dans la soirée, même émotion sur les boulevards, mêmes
+inquiétudes, même curiosité impatiente de savoir, même encombrement à la
+gare, où, comme les sergents de ville, les patrouilles étaient
+impuissantes à faire circuler la foule. Pour en avoir raison on crut
+faire merveille en la trompant, en faisant arrêter les trains avant
+l'entrée en gare, et l'on réussit un instant à la dérouter. Mais
+quelqu'un éventa la mèche, et les curieux aussitôt de se porter sur le
+pont de l'Europe. Il fallut bien en prendre son parti, et laisser suivre
+son cours normal à cette fièvre qui finalement se calma d'elle-même,
+sans s'être compliquée du plus léger accident.</p>
+
+ <h3>Quelques portraits de témoins dans le procès Bazaine</h3>
+
+ <p>Le procès du maréchal Bazaine avance. Bientôt la parole sera à
+l'accusation et à la défense, car la liste des témoins ne tardera pas à
+être épuisée. Avant qu'elle le soit tout à fait, nous croyons être
+agréables à nos lecteurs en mettant sous leurs yeux les traits de
+quelques-uns de ces témoins qui ont appelé le plus vivement sur eux
+l'attention par le rôle qu'il ont joué dans le grand drame de la
+capitulation de Metz et de l'armée du Rhin.</p>
+
+ <p>Les neuf personnages dont nous donnons aujourd'hui les portraits, pour
+commencer, se rattachent à trois catégories de faits différents:
+communications entre les maréchaux Bazaine et Mac-Mahon avant le
+désastre de Sedan, communications entre le maréchal Bazaine et le
+gouvernement du 4 septembre, enfin communications entre le maréchal
+Bazaine et l'ennemi. Les témoins Flahaut, Marchal et M. le colonel
+d'Abzac se rapportent à la première catégorie. Commençons par celle-ci.</p>
+
+ <p>Flahaut et Marchal sont deux agents de police qui servirent plusieurs
+fois d'émissaires entre Metz et Thionville. Le 20 août, Flahaut se
+trouvait à Metz lorsque le maréchal Bazaine le fit appeler et lui remit,
+pour les porter à Thionville, les trois fameuses dépêches adressées,
+après la bataille de Saint-Privat: 1º à l'empereur, 2º au ministre de la
+guerre, 3º au maréchal de Mac-Mahon, dépêches dont les deux premières
+différaient si essentiellement de la troisième.</p>
+
+ <p>Celle-ci, en effet, portait seule cette restriction: «Je suivrai
+très-probablement pour vous rejoindre la ligne des places du Nord, et
+<i>vous préviendrai de ma marche, si toutefois je puis l'entreprendre sans
+compromettre l'armée.</i>» Ajoutons que, seule aussi, cette dépêche qui
+aurait sans doute arrêté la marche du maréchal de Mac-Mahon vers l'est,
+ne parvint point à son destinataire. Cependant elle était parvenue en
+double, comme les autres, au colonel Turnier, à Thionville, apportée
+d'une part par Flahaut, et de l'autre par Mme Louise Imbert. Le colonel
+Turnier le fit passer toutes les trois au colonel Massaroli, commandant
+la place de Longwy, par l'intermédiaire du commissaire de police
+cantonal à Longwy, Guyard. Le colonel Turnier remit en même temps une
+expédition de ces dépêches à M. de Bazelaire, élève de l'École
+polytechnique, qui allait à Paris, et qui les fit partir le 22 par la
+station télégraphique de Givet. De son côté le colonel Massaroli expédia
+la dépêche à l'empereur, et celle destinée au ministre. Quant à la
+dépêche adressée au maréchal de Mac-Mahon, il la remit à deux agents de
+la police de sûreté de Paris qui avaient été demandés à M. Piétri par le
+colonel Stoffel, chef de la section des renseignements à l'état-major du
+maréchal de Mac-Mahon, et qui devaient chercher à pénétrer jusqu'au
+maréchal Bazaine et recevoir ses dépêchées. Ces agents, les sieurs
+Rabasse et Miès, adressèrent télégraphiquement cette dépêche, le 22, au
+colonel Stoffel, ils lui en remirent entre les mains, le 26, l'original;
+le colonel avait dû également en recevoir l'expédition par M. de
+Bazelaire, et cependant, comme il est dit ci-dessus, elle ne parvint pas
+au maréchal de Mac-Mahon. Le colonel a nié l'avoir jamais reçue, ce qui
+a amené à l'audience du conseil de guerre un incident émouvant. Le
+commissaire du gouvernement, le général Pourcet, à la suite de ces
+dénégations, se leva et prit des conclusions contre le colonel, à
+l'effet de le poursuivre pour soustraction de dépêche. Revenons à
+Flahaut.</p>
+
+ <p>Après avoir heureusement accompli la mission dont nous avons parlé plus
+haut, il fut renvoyé à Metz par le colonel Turnier, avec une dépêche
+chiffrée.</p>
+
+ <p>Cette fois il voyagea de compagnie avec un de ses collègues, Marchal,
+qui avait été chargé, de la même dépêche. L'odyssée de ces deux agents
+abonde en détails dramatiques. Ils sont arrêtés trois fois par les
+Prussiens et autant de fois repoussés, sous peine d'être fusillés.
+Arrivés à Augny, dans une quatrième tentative, ils se cachent d'abord
+dans la cave du maître d'école, puis chez le curé, qui leur donne à
+souper et à coucher. Enfin, le lendemain ils réussissent en ayant
+recours à la ruse. Arrêtés aux avant-postes ennemis et interrogés par un
+officier:</p>
+
+ <p>--Nous venions voir, répondent-ils, si vous avez des pommes de terre;
+voici l'hiver, et si vous n'en avez pas nous pourrons vous en vendre.</p>
+
+ <p>L'ennemi les croit et les laisse libres de circuler aux avant-postes.
+Une occasion favorable se présente et ils filent. La dépêche avait passé
+avec eux. Bien malin eût été le Prussien qui l'eût découverte. Chacun
+d'eux avait avalé la sienne, après avoir eu soin de l'envelopper
+préalablement de caoutchouc. Plus tard, le 5 et le 15 septembre, puis
+dans le courant d'octobre, Marchal et Flahaut essayèrent de retourner à
+Thionville, mais ils n'y purent parvenir.</p>
+
+ <p>Disons, pour en finir avec cet ordre de faits, que le colonel d'Abzac,
+dont il a été question plus haut, était attaché au cabinet du maréchal
+de Mac-Mahon. Il a déclaré n'avoir pas eu connaissance de la dépêche du
+20 août rapportée à Rhetel par les témoins Miès et Rabasse, et remise
+par eux, selon leur dire, au colonel Stoffel.</p>
+
+ <p>Les témoignages de Cruzem, de Camus, de Quatreb&oelig;uf et de Donzella se
+rapportent aux communications entre le maréchal Bazaine et le
+gouvernement du 4 septembre. Le maréchal prétend que ces communications
+étaient alors devenues pour ainsi dire impossibles. Cependant le témoin
+Crusem est sorti trois fois de Metz, passant à travers les lignes
+prussiennes, d'abord dans la direction de Corny, puis par le bois de
+Grigy, enfin par Saint-Remy: et, dans ces diverses excursions, il a
+parcouru, dit-il, les environs de Metz et poussé, dans la dernière,
+jusqu'à Luxembourg. Les trois témoins qui suivent, MM. Camus,
+Quatreb&oelig;uf et Donzella étaient des émissaires du gouvernement du 4
+septembre qui, préoccupé de la situation de l'armée de Metz, avait fait
+arriver à Longwy et à Thionville plusieurs convois de vivres pour la
+ravitailler. C'est cette nouvelle qu'il s'agissait de porter à la
+connaissance du maréchal Bazaine. M. Camus est un homme de quarante-huit
+ans, garde-forestier, connaissant bien le pays. Il fit plusieurs
+tentatives infructueuses pour passer et rentra à Longwy. M. Quatreb&oelig;uf,
+sergent-fourrier des équipages de la flotte, paraît avoir mieux réussi.
+C'est un jeune homme de trente-deux ans, alerte et énergique. Enfin M.
+Donzella, autre marin, du même âge que le dernier et non moins
+déterminé, envoyé par la délégation de Tours dans le même but, parvint à
+entrer dans Thionville, qui était alors investi, et à remettre au
+colonel Turnier, chargé de la faire parvenir, la dépêche dont il était
+porteur. Donzella, pour passer, avait été obligé de se déguiser en
+marchand d'osier. Il a raconté avec beaucoup de verve son entrevue avec
+le colonel: «Il me chargea de dire bien des choses à sa famille et
+voulait me donner une lettre pour elle, mais je refusai de la recevoir
+en disant:</p>
+
+ <p>«--Je veux bien me charger de nouvelles orales, mais je ne veux pas
+m'exposer à me faire fusiller par les Prussiens uniquement pour dire à
+votre famille comment vous vous portez.»</p>
+
+ <p>Selon toute vraisemblance, la nouvelle de ce qu'avait fait le
+gouvernement pour ravitailler l'armée de Metz est donc parvenue au
+maréchal Bazaine, qui cependant affirme le contraire. Mais il affirme
+également n'avoir pas reçu une dépêche postérieure, contenant les mêmes
+détail et à lui apportée et remise par le garde mobile Risse. Cependant
+l'entrée à Metz de Risse ne peut être contestée, puisqu'il s'y est
+engagé dans le 44e de ligne. Sa déposition est très-précise. Elle est
+d'ailleurs confirmée par les deux témoins Marchal et Flahaut, dont il a
+été déjà parlé.</p>
+
+ <p>Avec M. Arnous-Rivière, nous passons aux communications avec l'ennemi,
+dont il a été le principal ouvrier.</p>
+
+ <p>M. Arnous-Rivière, âgé de quarante-sept ans, est un ancien officier
+démissionnaire, qui avait été chargé par le maréchal Bazaine d'organiser
+une compagnie d'éclaireurs. Il avait été d'abord attaché au grand
+quartier général, puis il fut investi à la fin d'août du commandement
+des avant-postes à Moulins. C'est par son intermédiaire que se faisait
+l'échange des correspondances entre les généraux en chef,
+correspondances, qui, pour la plupart, n'ont pas laissé de traces dans
+le dossier; c'est lui qui recevait les parlementaires et les conduisait
+en voiture de Moulins au grand quartier général. C'est ainsi que, le 23
+septembre, il amena Régnier, à la tombée de la nuit, d'abord à
+Longeville, au quartier général du général Cissey, puis au ban
+Saint-Martin chez le maréchal. «Vous annoncerez l'envoyé d'Hastings»,
+lui dit Régnier; parole faite pour surprendre, car alors on ignorait
+absolument à Metz que l'impératrice eut choisi cette résidence.
+Terminons par ce triste personnage.</p>
+
+ <p>Régnier est un homme d'une cinquantaine d'années. C'est, d'après le
+rapport du général Rivière, un homme fin et audacieux, aux manières
+vulgaires, très-vaniteux et se croyant un profond politique. Il a reçu
+quelque instruction et joué, en 1848, un certain rôle dans les
+événements du temps. Puis il se lança dans l'industrie, et épousa en
+Angleterre une femme qui lui apporta une certaine aisance. Après le 4
+septembre, on le retrouve dans ce pays, où il cherche à se faufiler chez
+l'impératrice, qui s'était retirée à Hastings. Il finit par y obtenir, à
+force d'importunités, une photographie portant la signature du prince
+impérial, sorte de passe qui va lui servir, ainsi qu'une vue de
+Wilhemshoe, où était détenu l'empereur, et qu'il s'était procurée je ne
+sais comment, à accréditer ses menées. Ainsi nanti, il se rend à
+Ferrières auprès du prince de Bismarck, à la solde duquel il semble se
+mettre et qui l'emploie sous prétexte d'armistice à tromper le maréchal
+Bazaine, en faisant miroiter à ses yeux on sait quelles espérances
+ambitieuses, et à lui tirer l'état exact de la situation de son armée
+sous Metz et de ses ressources en vivres. En quittant le maréchal, il
+emmenait avec lui le général Bourbaki qui devait se rendre à Londres
+auprès de l'impératrice, et qui en y arrivant, fut fort surpris
+d'apprendre que celle-ci ne savait pas le premier mot de l'intrigue qui
+l'avait fait sortir de Metz. Mais le tour était joué, M. de Bismarck
+savait à huit jours près combien de temps le maréchal pouvait tenir,
+c'est tout ce qu'on voulait, et Régnier ne reparut plus.</p>
+
+ <p>On sait qu'il ne s'est pas présenté à l'appel de son nom à l'audience du
+conseil de guerre où il devait faire sa déposition. On s'y attendait,
+car il avait déjà déclaré, dans une lettre rendue publique, qu'il ne
+comparaîtrait pas, si M. le président du conseil refusait de lui
+accorder certaines garanties pour sa sûreté. Aussi, a-t-il été condamné
+à 100 francs d'amende comme défaillant, à la requête du commissaire du
+gouvernement, qui a également demandé au conseil l'autorisation de le
+poursuivre comme ayant entretenu des intelligences avec l'ennemi et lui
+ayant procuré des renseignements pouvant compromettre la sûreté de la
+place de Metz et de l'armée française.</p>
+
+ <p>Louis Clodion.</p>
+
+ <h3>Les pigeons de la presse de Paris</h3>
+
+ <p>Si la capitale politique de la France parlementaire était Tours et
+surtout Bordeaux, jamais la <i>Liberté</i> n'aurait imaginé d'employer des
+pigeons au service de la dernière heure. Mais Versailles est si
+rapproché de Paris que l'électricité, à cause des formalités qu'exige
+son emploi, ne peut lutter contre l'aile du pigeon, qui est, lui,
+toujours prêt à partir dès qu'on ouvre la porte de son panier.</p>
+
+ <p>L'intelligente initiative prise par la <i>Liberté</i> ne pouvait tarder à
+être imitée. Quelques jours à peine s'étaient écoulés depuis l'ouverture
+de la session d'hiver qu'une industrie nouvelle était créée.</p>
+
+ <p>Un colombophile imaginait de mettre au service des divers journaux
+politiques de Paris des pigeons parfaitement dressés. Il faisait de son
+colombier le centre des nouvelles les plus fraîches du maréchal Bazaine
+et de l'Assemblée nationale. Le <i>Temps</i>, la <i>Presse</i>, l'<i>Opinion</i>, la
+<i>Patrie</i>, etc., etc., et même l'Agence Havas sont devenus l'un après
+l'autre tributaires de ce service de dépêches. Le directeur de la poste
+aérienne loue ses oiseaux à peu près aussi cher que l'on eût fait payer
+un cheval au temps du grand roi pour revenir de l'&OElig;il de B&oelig;uf à Paris.
+Il est vrai que les pigeons n'ont pas besoin de postillons qui les
+ramènent à l'écurie.</p>
+
+ <p>Ce commerce va si bien qu'on lâche quelquefois trente ou quarante
+pigeons dans la même journée, surtout si le temps est clair et si les
+événements politiques sont assez palpitants.</p>
+
+<p>(<i>Suite plus bas.</i>)</p>
+
+<br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/003a.png"><br><b>Aveugles à la porte de la cathédrale de Valence.</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/003b.png"><br><b>La ligature des palmiers.</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/003c.png"><br><b>Laboureurs Valençais.</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/003e.png"><br><b>Le pesage du charbon à Madrid.</b></p>
+
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/003e.png"><br><b>Pose de banderillas.</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/003f.png"><br><b>La navaja.</b></p>
+
+
+ <p class="mid"><img alt="" src="images/004a.png"><br><b>Un enterrement à Barcelone.</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/004b.png"><br><b>Contrebandiers de la Serriana de Ronda.</b></p>
+
+
+ <p>--Gravures extraites de l'<i>Espagne</i>, par le baron Ch.
+Daviller.--Illustrations de Gustave Doré. (Hachette et Cie, éditeurs.)</p>
+
+ <br><br>
+ <p>(<i>Suite.</i>)</p>
+
+ <p>Le lancer a lieu au fur et à mesure des demandes qui affluent
+principalement de deux heures et demie à trois heures, moment du coup de
+feu et de la clôture définitive du bureau. Car il n'y a pigeon qui
+tienne, il faut que le journal paraisse, et paraisse de bonne heure, s
+il ne veut pas qu'un rival plus diligent le prévienne et tire profit de
+ses retards.</p>
+
+ <p>L'opérateur qui lance les pigeons se place sur la porte d'un petit
+cabaret borgne placé en face de la cour du Maroc. Les reporters n'ont
+qu'un saut à faire pour franchir la rue et y apporter les nouvelles
+écrites au vol, apportées au galop.</p>
+
+ <p>C'est un homme de haute taille, à longue barbe et à larges épaules; nous
+l'avons représenté au moment où il jette en l'air, l'un après l'autre,
+un couple d'oiseaux. Pour éviter les pertes de temps, il en tient un
+dans chaque main. Les pigeons, profitant de l'élan qu'ils ont reçu,
+fuient rapidement dans la direction de Paris. Une foule très-mélangée et
+à laquelle quelques représentants ne dédaignent point de se mêler,
+assiste à ce spectacle, qui n'est pas un des moins curieux ni des moins
+instructifs que Versailles offre en ce moment.</p>
+
+ <p>Cette entreprise publique n'est pas la seule; il existe en outre une
+organisation particulière établie par le <i>National</i> pour les besoins de
+sa publicité. Son lanceur opère également dans le cabaret de la rue des
+Réservoirs, que nous avons représenté encombré de cages à pigeons. Le
+colombophile du <i>National</i> est occupé à enfiler le petit tube des
+dépêches autour d'une des rectrices de la queue. L'opération demande
+beaucoup d'habitude et de dextérité. L'oiseau, quand on le prend
+convenablement, se laisse faire avec beaucoup de docilité; mais il ne
+faut pas croire qu'il ne s'aperçoive pas de ce qui vient de se passer.
+Non-seulement ce corps étranger gêne la man&oelig;uvre de son gouvernail,
+mais il l'agace et l'inquiète; de sorte que, finalement, son vol se
+trouve notablement diminué de rapidité.</p>
+
+ <p>La preuve, c'est que, si les nouvelles faisant défaut, quelques-uns des
+dix pigeons du <i>National</i> sont lancés et reviennent sans dépêches, bien
+que partis les derniers, presque toujours ils arrivent les premiers à
+Paris.</p>
+
+ <p>Comme l'oiseau se guide uniquement par la vue, il faut que le ciel soit
+assez pur, surtout au déclin du soleil, pour que les pigeons de la
+Presse de Paris puissent trouver leur chemin. La saison difficile va
+commencer, car les jours deviennent de plus en plus courts et nos petits
+courriers politiques ont à percer des brumes qui vont singulièrement en
+s'épaississant.</p>
+
+ <p>Quant aux pigeons de nuit, ils sont encore à inventer. C'est à peine si,
+par un beau clair de lune, quelques lauréats des grands concours partant
+à faible distance pourraient regagner leur colombier.</p>
+
+ <p>W. de Fonvielle.</p>
+
+ <br><br>
+
+ <h2>L'Espagne</h2>
+
+ <h3>PAR M. LE BARON DAVILLER</h3>
+
+ <p>Les événements qui se passent en Espagne ont plus que jamais fixé
+l'attention publique sur ce pays, qui parle déjà tant à l'imagination.
+Aussi est-ce avec le plus vif intérêt que l'on arrête ses regards sur
+tout ce qui sert à faire connaître les m&oelig;urs de ce peuple curieux, rude
+et poli, passionné, superstitieux, brutal, avide de distinction,
+très-chatouilleux sur le point d'honneur, et avec cela aussi généreux
+que digne. A ce titre, les dessins que nous donnons ci-contre ne peuvent
+donc manquer de plaire à nos lecteurs.</p>
+
+ <p>Un d'eux représente un cimetière à Barcelone. C'est une série de longues
+allées que bordent de hautes murailles percées d'une multitude de
+casiers. Chaque casier doit loger un cercueil, après quoi il est muré.
+Une dalle en pierre ou en marbre, plus ou moins richement ornée, suivant
+la fortune du défunt, et portant son nom, ferme l'ouverture du casier.
+Rien de triste comme une promenade à travers les rues mornes de cette
+ville des trépassés.</p>
+
+ <p>Passons dans la province voisine, celle de Valence, qui entre toutes, a
+conservé un caractère moresque nettement tranché. Le costume des
+habitants a à peine varié depuis plusieurs siècles, celui des paysans
+surtout. Coiffés d'un mouchoir aux couleurs éclatantes, roulé autour de
+la tête et s'élevant en pointe, réminiscence du turban, qu'ils
+recouvrent parfois d'un sombrero à larges bords, ils portent une chemise
+attachée au cou par un bouton double, un très-large caleçon de toile
+blanche, retenu par une ceinture, des bas sans pied quand ils en
+portent, et des alpargatas ou espardines. Ajoutons la mante, qui ne les
+quitte jamais, et voilà au complet le costume d'un Valençais du peuple,
+d'un <i>labradore</i> ou laboureur, qui ne se fait beau et n'endosse le gilet
+de velours aux boutons d'argent que les jours de fête. La fertilité des
+environs de Valence est proverbiale, ce qui n'implique pas qu'il n'y ait
+point de pauvres. Comme chez nous, les pinceurs de guitare ne manquent
+pas, mais c'est dans la capitale de la province qu'on les trouve. Les
+infirmes hantent les portes des églises. Un de nos dessins représente
+deux aveugles chantant des litanies à la porte de la cathédrale.</p>
+
+ <p>Comme toutes les grandes villes de la péninsule, Valence a sa <i>plaza de
+toros</i>, où ont lieu les combats cruels si chers aux Espagnols. Ces
+combats se terminent toujours par la mort d'un certain nombre de
+taureaux et de chevaux. Le sang humain y coule souvent aussi, mêlé à
+celui des animaux. Nous ne décrirons pas par le menu ce dramatique sport
+où torreros, picadores, banderilleros ont leur place marquée et jouent à
+l'envi le jeu le plus périlleux. Quelques mots cependant sont
+nécessaires pour expliquer un de nos dessins: <i>Pose de banderillas</i>. Ces
+banderillas sont des sortes de flèches dont le bois est entouré de
+papier de différentes couleurs, frisé et découpé. A l'une de ses
+extrémités est un hameçon. Les banderilleros ont pour mission de piquer
+dans les épaules du taureau ces engins qui ne peuvent plus s'en
+détacher, et ont pour effet d'augmenter la fureur de l'animal C'est à
+Madrid que ces spectacles se donnent avec le plus d'apparat et de
+somptuosité. Si l'on n'y déploie pas à Valence un pareil luxe, en
+revanche on s'y porte avec un empressement à nul autre pareil. Le
+Valençais est passionné pour ce divertissement. Cela tient sans doute à
+sa nature. S'il est gai, il est cruel. La colère le transporte
+facilement. C'est alors qu'il joue du couteau, de cette terrible
+<i>navaja</i>, qui se fabrique à Albacète, et dont la lame, très-allongée et
+pointue, porte toujours quelque inscription, qui indique à quel usage
+elle n'est que trop souvent employée, «Si cette vipère te pique, il n'y
+a pas de remède à la pharmacie.»</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> Si esta vivora te pica</p>
+<p class="i14"> No hay remedio en la botica.</p>
+</div></div>
+
+ <p>Devise qui le plus souvent employée, a valu à certains <i>navajas</i> le nom
+lugubrement plaisant de <i>navajas de santolio</i>, couteaux de
+l'extrême-onction.</p>
+
+ <p>Mais il est temps de nous arrêter. Quelques-uns des détails que l'on
+vient de lire et qui expliquent les dessins que nous donnons, ont été
+par nous empruntés au magnifique ouvrage que vient de publier la
+librairie Hachette: l'<i>Espagne</i>, par le baron Ch. Daviller. C'est un
+splendide volume in-4º de 800 pages, très-intéressant, très-bien écrit,
+et illustré de 300 gravures dessinées sur bois par M. Gustave Doré.</p>
+
+ <p>L. C.</p>
+
+ <br><br>
+
+ <h2>L'Insurrection de Cuba(5)</h2>
+
+ <blockquote><b>Note 5:</b> Les deux gravures qui accompagnent cet article sont extraites
+du <i>Tour du Monde</i>, nouveau journal des voyages, publié par la maison
+Hachette et Cie.</blockquote>
+
+ <p>Dans l'histoire de la semaine nous disons où en est l'affaire du
+<i>Virginius</i>, qui est venue si inopinément compliquer, vis-à-vis des
+États-Unis d'Amérique, la situation déjà si critique de la malheureuse
+Espagne. Nous n'avons pas à y revenir ici. On sait qu'à la première
+nouvelle de l'exécution des flibustiers américains, il y eut comme une
+explosion d'indignation aux États-Unis. On ne parlait que d'armer et
+d'entrer en campagne sur l'heure.</p>
+
+ <p>Cette indignation était-elle bien réelle? J'en doute.</p>
+
+ <p>On sait que depuis longtemps les États-Unis convoitent la possession de
+l'île de Cuba; et, si les richesses et la merveilleuse situation de la
+perle des Antilles n'excusent pas ces convoitises, au moins les
+expliquent-elles. La fertilité de l'île de Cuba est très-grande en
+effet, sa végétation magnifique. On y trouve de vastes forêts de
+palmiers, de cèdres, de cocotiers, de chênes, de pins; on y cultive la
+canne à sucre, le tabac, le caféier, le cotonnier, l'indigotier, le riz,
+le maïs, qui sont pour le planteur une source intarissable de richesses,
+et rien n'égale la beauté de son port de la Havane que défendent de
+vastes fortifications. Les vues que nous donnons de ce port et de
+l'intérieur de l'île prouveront au lecteur que nous n'exagérons en rien.</p>
+
+ <p>Cuba forme, avec les autres Antilles espagnoles, un gouvernement dont la
+Havane est le chef-lieu. Civilement, elle est divisée en deux provinces:
+la Havane et Santiago; militairement, en trois départements: l'Est, le
+Centre, et l'Ouest; financièrement en trois intendances: la Havane,
+Puerto-Principe et Santiago; au point de vue maritime enfin, en cinq
+provinces: La Havane, Trinitad, Remedios, Nuevitas et Santiago. Elle
+renferme une population de 1,449,462 habitants, dont 564,698 blancs,
+16,176 hommes libres de couleur et 662,087 esclaves qui seront libérés
+après la pacification de l'île d'après la loi récemment votée par les
+cortès espagnoles. En attendant l'esclavage y règne toujours, et bien
+que la traite soit interdite, plusieurs milliers d'esclaves y sont
+encore introduits chaque année. La révolte de ces esclaves l'a
+ensanglantée plusieurs fois dans le cours de ce siècle et l'ensanglante
+encore aujourd'hui. Espérons que c'est pour la dernière fois et que ces
+révoltes cesseront avec la cause qui les a fait naître.</p>
+
+ <p>L'Espagne attache le plus grand prix, et cela se comprend, à cette
+colonie que les États-Unis, nous l'avons dit, voudraient bien aussi
+s'annexer. En 1845, ils ont offert de l'acheter, et peut-être l'Espagne
+a-t-elle eu tort de ne pas la vendre. Finiront-ils par s'en emparer
+d'une façon ou de l'autre? Selon toutes les probabilités, oui.</p>
+
+<br><br>
+
+ <h3>UN VOYAGE EN ESPAGNE<br>
+
+PENDANT L'INSURRECTION CARLISTE</h3>
+
+ <h4>V</h4>
+
+ <p>Abdication du roi Amédée et proclamation de la République.--Agissements
+de la Junte carliste établie à Bayonne.--Don Carlos séjournant à la
+frontière.--Conseil particulier du prétendant.--Nomination de nouveaux
+chefs carlistes.</p>
+
+ <p>Lorsque l'abdication du roi Amédée fut portée aux Cortès et que
+celles-ci, en dépit du ministre Zorilla, proclamèrent la République,
+j'étais à Vitoria, capitale de la province de l'Alava. De ces deux
+nouvelles, la première était prévue depuis longtemps, le jeune prince
+italien, malgré ses qualités personnelles incontestables, étant
+profondément détesté par tous les Espagnols, sans distinction de partis,
+devait en arriver forcément à cet acte d'abdication. Aussi
+n'étonna-t-elle personne.</p>
+
+ <p>Il n'en fut pas de même de la proclamation de la République par une
+Chambre qui passait pour être foncièrement monarchique. La population ne
+voulut pas d'abord croire à la réalité de cette nouvelle. Mais lorsqu'il
+fallut bien se rendre à l'évidence, elle protesta énergiquement contre
+cette forme de gouvernement subitement improvisée. Je ne crois pas me
+tromper en affirmant qu'à Vitoria, ville d'environ vingt mille âmes, il
+ne s'y trouvait pas, en avril dernier, <i>cent républicains</i>. La
+désorganisation s'introduisit dans l'administration des affaires
+publiques. Le gouverneur de la province, les membres de
+l'<i>ayuntamiento</i>, tous les principaux employés du pouvoir central
+donnèrent leur démission en masse, si bien qu'en deux ou trois jours, la
+ville et toutes les localités de la province furent livrées à la plus
+complète anarchie.</p>
+
+ <p>Le même désordre se reproduisit dans les autres provinces qui, comme
+celle de Vitoria, furent plongées dans la stupeur à l'annonce seule du
+mot de République, qui a été toujours, depuis la Révolution de 1793, un
+horrible épouvantail dans l'esprit des populations basques, au point
+qu'elles nous ont regardé, pendant longtemps, nous Français, comme des
+monstres et des buveurs de sang.</p>
+
+ <p>Dans toutes les excursions que je fis à Pampelune, Tolosa, Bilbao,
+Saint-Sébastien, etc., je constatai le même désarroi dans toutes les
+administrations et une égale répugnance, de la part des populations, à
+vouloir accepter la nouvelle forme de gouvernement. Alors se produisit
+une espèce d'anarchie dont profita habilement le parti carliste.
+Jusqu'alors, l'insurrection avait été assez mollement conduite, soit que
+les chefs n'eussent pas une entière confiance en son succès, soit
+qu'elle manquât d'argent et d'armes; ce dernier fait était vrai, j'en ai
+eu la certitude.</p>
+
+ <p>Mais à partir du jour où commença la désorganisation du pouvoir central,
+la junte de guerre, établie à Bayonne depuis le mois de mars, fonctionna
+avec plus d'activité. Elle se composait de membres moitié Espagnols,
+moitié Français, dont la mission consistait à procurer des armes, de
+l'argent et des hommes à l'insurrection. Jusqu'alors elle lui en avait
+bien fourni, mais dans une mesure bien restreinte. C'est du moins ce
+dont se plaignaient les <i>cabecillas</i> qui se trouvaient à la tête des
+bandes. Elle trouva pour la seconder, attendu les circonstances
+politiques du moment, les fournisseurs et les banquiers auxquels elle
+s'était adressée, dès le début de la campagne, dans de meilleures
+dispositions. Les premiers, toujours craintifs et n'ayant pas une foi
+bien robuste dans le succès de l'insurrection, n'exécutaient que d'une
+manière bien irrégulière les marchés passés pour fournitures d'armes de
+munitions et d'équipements militaires.--Les seconds se montraient
+très-difficiles pour accepter les traites souscrites par les agents de
+don Carlos et laissaient sortir du sein de leurs caisses, pour les
+besoins de la guerre, que le moins d'argent possible. Ce qui explique le
+peu de progrès que faisait l'insurrection.</p>
+
+ <p>Mais à dater du mois d'avril et du commencement de mai, fournisseurs et
+banquiers furent plus accommodants et pleins de zèle pour seconder les
+vues et les projets du parti carliste, avec lequel ils avaient pris des
+engagements sérieux par l'intermédiaire de la junte de Bayonne. Les
+armes et les munitions passèrent alors plus régulièrement et en plus
+grande quantité la frontière qu'auparavant, malgré les difficultés bien
+plus nombreuses qu'on opposait à leur passage, du côté de France, où
+venait d'être établi sur la frontière un cordon sanitaire de troupes. On
+en expédia même de l'Angleterre.</p>
+
+ <p>J'ai assisté à un débarquement d'armes expédiées de Birmingham. Vers le
+milieu du mois de mai, un bateau à vapeur vint en plein jour (il était
+sept heures du matin) s'arrêter dans le petit port de Fontarabie, en
+face le débarcadère des pêcheurs, À son apparition, des barques allèrent
+l'aborder, et en moins d'une heure elles transportèrent quatre cents
+caisses qu'elles déposèrent sur la berge, rendant l'opération du
+débarquement, une bande de quinze cents hommes environ, commandée par le
+colonel Martinez, et dont les trois quarts étaient sans armes,
+s'emparèrent des colis qui renfermaient des fusils et des munitions, les
+ouvrirent et s'armèrent séance tenante. Les caisses restées sans être
+ouvertes furent déposées sur des charrettes et transportées, sous bonne
+escorte, au camp d'<i>Achulégui</i>. Ce débarquement s'opéra sans qu'il
+trouvât là moindre opposition de la part des troupes et des volontaires
+de la République casernés à Irun, c'est-à-dire à deux kilomètres au plus
+du port de Fontarabie. Et ce qui me parut plus étrange encore, c'est que
+la bande carliste et les caisses chargées sur des charrettes traînées
+par des b&oelig;ufs, passèrent tranquillement devant les portes de la ville.</p>
+
+ <p>A cette expédition, dont je fus spectateur, j'eus l'occasion de revoir
+mon ami, le colonel Martinez, qui commandait l'escorte du convoi et qui
+paraissait tout radieux.</p>
+
+ <p>--Vous n'êtes pas encore à Madrid, mon cher colonel, lui dis-je, en lui
+rappelant son dernier adieu à Vera, mais vous y êtes sur le chemin, à ce
+qu'il me paraît.</p>
+
+ <p>--Dix débarquements comme celui-ci, me répondit-il, et notre cause est
+gagnée!</p>
+
+ <p>--Vous ne craignez pas d'être surpris sur votre route par les troupes
+républicaines?</p>
+
+ <p>--Toutes mes précautions sont prises et je suis certain d'avance que les
+hommes de Loma n'oseront as venir nous barrer la route. Voyez, j'ai
+quinze cents hommes avec moi!</p>
+
+ <p>Le colonel avait dit vrai. Pas un seul homme de la garnison d'Irun, qui
+se composait d'environ six cents hommes, soit volontaires, soit soldats
+de la ligne, n'osèrent sortir de la ville.</p>
+
+ <p>J'ai assisté à trois autres débarquements du même genre, sans qu'ils
+fussent autrement contrariés, tant les frontières étaient mal gardées du
+côté de l'Espagne.</p>
+
+ <p>D'un autre côté, don Carlos, que les journaux espagnols et étrangers
+avaient fait mourir plusieurs fois et voyager tantôt en Angleterre,
+tantôt en Suisse, vint s'installer d'abord dans un hôtel de Pau et
+ensuite au château de Peyrolhade, où il a résidé jusqu'à son entrée en
+Espagne. Voulant m'assurer par moi-même si le fait était exact, je fis,
+au mois de juin, une excursion dans les Basses-Pyrénées, et je me rendis
+à ce château, situé presque sur les limites qui séparent la France de
+l'Espagne. Ce n'était pas sans de grandes difficultés que je pus arriver
+jusqu'à cette demeure seigneuriale, malgré les titres et les
+recommandations dont j'étais porteur, tant on avait pris de précautions
+pour la rendre inabordable.</p>
+
+ <p>Lorsqu'un inconnu venant de France ou d'Espagne apparaissait dans le
+lointain, se dirigeant vers le château bâti sur une élévation qui domine
+les alentours à une distance de quatre kilomètres, des vedettes placées
+de loin en loin, depuis le sommet des montagnes jusqu'au village de
+Peyrolhade, qui lui-même est éloigné de la résidence royale d'environ
+une lieue, s'empressaient d'en informer le commandant du palais.
+Celui-ci envoyait immédiatement des gardes à sa rencontre pour le
+reconnaître. S'ils avaient les moindres soupçons sur l'individu, on le
+prévenait poliment qu'il se trompait de chemin en lui indiquant le moyen
+d'en prendre un autre; et ils s'éloignaient. Si, au contraire, c'était
+un ami ou une personne dont on n'avait pas à se méfier, on le conduisait
+au château.</p>
+
+ <p>C'est ainsi que sur la présentation d'une lettre du président de la
+junte carliste, je fus admis auprès de la personne du prince, qui voulut
+bien me recevoir lui-même. Don Carlos est âgé de vingt-neuf à trente ans
+environ. Sa taille est élevée, sa figure pleine de noblesse; un air de
+grandeur et de majesté rayonne sur sa physionomie franche et
+sympathique. Tout en lui, jusqu'à sa parole claire, douce et concise,
+prévient en sa faveur. L'audience qu'il m'accorda ne fut pas longue,
+mais elle répondit au but que je m'étais proposé d'atteindre.</p>
+
+ <p>Il ne faudrait pas croire pourtant que le prétendant se montrât
+très-facile à accorder des audiences particulières. Il est arrivé, à ce
+sujet, aux visiteurs étrangers, de curieuses méprises. Milord D...,
+désirant s'entretenir avec don Carlos, s'était rendu à cheval de Pau au
+château de Peyrolhade. Arrivé à la résidence princière, il fut reçu par
+le général Ellio, auquel il demanda de le présenter au <i>roi</i>. Le vieux
+général s'empressa de le conduire dans le salon bleu, aux tentures
+fleurdelisées, où se trouvaient trois personnages, la tête couverte de
+bérets blancs (<i>boinas</i>) agrémentés de passementeries d'or. Milord D...,
+qui ne connaissait le prince que par ses portraits, croyant voir don
+Carlos dans le personnage placé au milieu des deux autres, lui offre ses
+hommages et entre avec lui dans une très-longue conversation sur la
+situation troublée de l'Espagne. Après une demi-heure d'entretien, les
+deux interlocuteurs se quittèrent enchantés l'un de l'autre. La vérité
+est que le noble visiteur avait pris le major Arjona, secrétaire du
+prince, pour don Carlos lui-même. Celui-ci, resté dans son cabinet,
+n'était pas encore descendu au salon.</p>
+
+ <p>Je dois ajouter que cette résidence étant journellement visitée par des
+émigrés de tous les pays qui venaient offrir <i>au roi</i>, les uns le
+secours de leur épée, les autres solliciter des grades et des faveurs,
+le général Ellio avait organisé un service rigoureux de police autour du
+prince, afin de prévenir toute tentative d'espionnage ou d'attaque
+personnelle contre l'hôte illustre du château. Je dois reconnaître que
+cette surveillance pouvait ne pas être inutile, au milieu de ce coin
+isolé des montagnes que cherchaient à découvrir les émissaires du
+gouvernement de Madrid et dont l'inutilité de leurs recherches a fait
+toujours leur désespoir.</p>
+
+ <p>Ce fut pendant le court espace de temps que je passai au château de
+Peyrolhade que je pus me renseigner sur le personnel dont se composait
+la maison du prince et qu'il n'y a pas, je crois, indiscrétion de faire
+connaître. Elle comprenait le général Ellio, président du conseil de
+guerre, cinq chefs carlistes qui en étaient les membres et dont le
+marquis de Valdespina faisait partie, et du major Arjona, secrétaire
+particulier de don Carlos.</p>
+
+ <p>Les opérations du conseil de guerre consistaient dans la direction à
+donner aux opérations militaires dont le plan était tracé d'avance: dans
+la nomination des <i>cabecillas</i> et leur envoi aux divers postes qu'ils
+devaient occuper; enfin, dans le contrôle de tous les actes qui
+concernaient l'organisation des bandes, leur armement et leur
+équipement.</p>
+
+ <p>Malgré le mystère dont on entourait le château de Peyrolhade, cette
+retraite soi-disant introuvable de don Carlos, était le centre d'un
+va-et-vient de gens qui, des deux côtés des Pyrénées, s'y rendaient pour
+les affaires de l'insurrection. C'étaient les membres de la junte qui
+venaient, les uns ou les autres, prendre les ordres du conseil de
+guerre, lui communiquer les résultats de ses opérations et s'entendre
+avec lui sur les difficultés qui pouvaient se présenter: et ces
+difficultés étaient nombreuses, surtout dès le début de la campagne;
+c'étaient des agents secrets qu'on avait établis sur la frontière et
+jusque dans les centres des provinces, qui venaient faire leurs rapports
+sur tout ce qui se passait d'hostile ou de favorable au parti;
+c'étaient, enfin, les envoyés des <i>cabecillas</i> en campagne, qui
+apportaient au château tout ce qui concernait la situation bonne ou
+mauvaise des bandes qu'ils commandaient.</p>
+
+ <p>Lorsque je repassai la frontière, j'appris la nomination de nouveaux
+chefs carlistes, dont quelques-uns étaient déjà au château de
+Peyrolhade, au moment de mon départ de cette résidence. Au nombre de ces
+chefs qui devaient donner à l'insurrection une nouvelle impulsion,
+étaient le général Ellio, qui reprenait un service actif, le marquis de
+Valdespina, Dorregaray et Lizarraga. Ces quatre généraux, que j'ai vus
+plusieurs fois sur les champs de bataille, méritent d'être connus, à
+cause des commandements qu'ils occupent à la tête des bandes et des
+services qu'ils rendent à la cause carliste. C'est ce que je me propose
+de faire, après avoir dit quelques mots sur l'emprunt que le parti
+contracta à Londres. C'est, au reste, avec l'argent qu'il produisit que
+la guerre civile put prendre plus d'extension et de développements,
+ainsi que je vais le constater.</p>
+
+<br><br>
+
+ <h3>LES THÉÂTRES</h3>
+
+ <p>Porte-Saint-Martin. <i>Libres!</i> drame en huit tableaux, par M. Edmond
+Gondinet.--Ambigu-Comique. <i>La falaise de Penmarck</i>, drame en cinq actes,
+de M. Crisafulli.--Odéon. <i>Le docteur Bourguibus</i>. comédie en un acte et
+en vers, de M. Edmond Cottinet. --Gymnase. <i>Monsieur Adolphe</i>, pièce en
+trois actes, de M. Alexandre Dumas fils.</p>
+
+ <p>La pièce de M. Gondinet, <i>Libres!</i> m'a beaucoup plu. Je sais que les
+dilettanti du genre, les raffinés du mélodrame y trouveront à redire,
+car elle n'est pas construite et charpentée selon les règles, elle ne
+vous saisit pas à la gorge à un moment donné pour vous laisser pantelant
+et lui crier merci dans quelques scènes pleines d'émotion ou de terreur.
+Son scénario ne s'avance pas progressivement pour marcher à travers des
+péripéties les plus sombres pour arriver aux catastrophes finales; mais
+qu'importe que le drame échappe à l'analyse par sa trame un peu légère,
+qu'importe que faction un peu mince tienne en quelques lignes, si
+l'impression d'ensemble est allée droit à l'effet voulu, et si au sortir
+du théâtre le drame a laissé dans l'esprit du spectateur un souvenir, et
+que l'âme s'en sente encore agitée par delà la représentation. C'est ce
+qui arrive.</p>
+
+ <p>C'est peu de chose en effet que cette histoire dramatique facilement
+imaginée et qui se déroule autour de Lambros, le polémarque de la
+Selléide, avec cet amour de sa fiancée Chryseis, avec cette trahison du
+traître Andronicos livrant par jalousie et par haine son pays à Aly,
+pacha de Janina. Cette rivalité est le thème obligé de tous les
+mélodrames. Quelques scènes plus ou moins heureuses ajoutées à cette
+nomenclature du crime des traîtres ne font rien à l'affaire. Le drame
+n'aurait rien perdu assurément à plus de nouveauté dans cette fable
+romanesque. Il eût été meilleur, à coup sûr, en se privant de ce groupe
+de comiques propres à jeter de la gaieté, comme cela se passe dans toute
+pièce du boulevard. Je n'en disconviens pas; mais je le répète, le drame
+de M. Gondinet m'a plu par sa composition générale, par son mouvement,
+par cette grande histoire de liberté qu'il met en scène, par ce récit de
+l'affranchissement d'un peuple. Tout cela est animé, vivant, tout cela
+s'écoute d'un bout à l'autre avec la plus vive curiosité, au milieu de
+nombreux épisodes et à travers tout ce pays de la Grèce.</p>
+
+ <p>Il semble que M. Gondinet, qui est un esprit fin et qui a bien sa
+jeunesse et sa poésie, ait lu cette histoire de l'indépendance
+hellénique dans les livres de Fouqueville et de Fauriel, qu'il ait lu
+avec ardeur ces chants recueillis par M. de Marcellus, et que se
+souvenant de cet enthousiasme qui enflamma vers 1825 nos poètes de
+France et d'Angleterre pour la cause de ce peuple, il ait voulu rendre
+dans un drame toute cette vie d'un passé qui passionna si profondément
+l'Europe aux temps où elle avait plus de sympathie et plus de larmes
+pour les opprimés et les vaincus.</p>
+
+ <p>A ce drame de l'indépendance d'un pays qui eut pour alliés les poètes,
+M. Gondinet a laissé son caractère poétique. C'est là son côté original
+et piquant. Il se dégage des conventions scéniques par un souffle
+heureux. Il a pour lui, et que le lecteur me pardonne cette phrase du
+temps, il a pour lui les Muses de la patrie et de la liberté. Comme aux
+jours de ses premiers fils, la Grèce est encore le pays des vers. Elle
+chante aux noces des fiancés, aux berceaux des fils, sur la tombe des
+soldats, elle a des épithalames et des nénîes; ses poètes populaires
+sont de toutes ses fêtes. M. Gondinet les a parfois reproduits avec un
+rare bonheur:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> Le klepte est tombé sous les halles,</p>
+<p class="i14"> Chantons les marches triomphales,</p>
+<p class="i14"> Que son nom résonne partout.</p>
+<p class="i14"> Creusez sa tombe haute et grande</p>
+<p class="i14"> Pour que son bras armé s'étende</p>
+<p class="i14"> Et pour qu'il s'y tienne debout.</p>
+<p class="i14"> Faites à la pierre une entaille</p>
+<p class="i14"> Pour que dans les jours de bataille</p>
+<p class="i14"> Il entende les combattants.</p>
+<p class="i14"> Plantez devant un laurier-rose</p>
+<p class="i14"> Pour que l'hirondelle s'y pose</p>
+<p class="i14"> Et l'avertisse du printemps.</p>
+</div></div>
+
+ <p>Ainsi parle sur le cadavre du polémarque Lambros, le héros de la pièce,
+D'autres chantent les hymnes de liberté, et le drame s'écoule toujours
+soutenu par un sentiment fin et délicat qui le vivifie dans un cadre
+poétique, C'est la Grèce avec ses aspirations de liberté, avec ses
+glorieux révoltés, c'est elle avec ses kleptes, ses chkipetars, ses
+costumes brillants; nous la retrouvions dans sa gracieuse et pittoresque
+beauté, avec ce décor qui nous transporte sur la place de Variadès, au
+fond duquel se dessine dans le lointain les hautes montagnes et les
+gracieux villages attachés à leurs flancs. Nous nous sommes cru un
+instant sur la côte du Péloponèse, au tableau qui représente la falaise
+couverte d'arbres et dominant les flots bleus de la mer. C'est un
+chef-d'&oelig;uvre que ce décor qui représente le Grand-Souli, avec ses
+maisons blanches, ses cactus en fleurs, ses vignes qui grimpent jusques
+aux toits en tuiles rouges, avec son pont jeté sur un torrent. Il semble
+que M. Rubé, qui en est l'auteur, l'ait composé d'après une vue
+photographique rapportée du pays de Messène ou d'Argos. Cet art du
+décorateur, qui, je crois, n'a jamais été poussé aussi loin dans la
+vérité des tableaux, nous a rendu la Grèce avec la plus grande fidélité.
+Et c'est là un attrait de plus pour le drame de M. Gondinet, que le
+public a accueilli avec le plus vif succès.</p>
+
+ <p>L'interprétation de la pièce est excellente. M. Dumaine joue avec une
+sincère conviction et une réelle autorité ce rôle de Lambros, qui domine
+tout le drame. Taillade, c'est Aly, le pacha de Janina, un tyran bizarre
+et cruel qui tourne parfois à la ganache. Larcy, Charly, font retentir
+leurs voix vibrantes, et Laurent égaye la pièce par sa bonne humeur.
+Quant à Mme Dica-Petit, fort belle sous ses magnifiques costumes de
+femme souliote, elle a donné au personnage de Chryseis un véritable
+caractère de passion et de noblesse.</p>
+
+ <p>J'aime ce bon mélodrame du temps passé, avec tous ses trucs, ses
+épouvantails, ses tours, ses prisons, ses rochers, ses falaises, tout
+son attirail de crimes et d'horreurs, mais encore faut-il que ces
+horreurs soient possibles à raconter. M. Crisafulli a poussé dans la
+<i>Falaise de Penmarck</i> ce genre tellement au noir que pour ma part je ne
+m'y reconnais plus. Voilà une aventure, par exemple! Le commandant
+Pierre Lecourbe se marie; le jour même de ses noces il reçoit l'ordre de
+rallier l'escadre en partance! Ainsi le veut l'amiral qui ne transige
+pas avec la consigne. Le commandant a un frère, un ivrogne, lequel après
+les libations les plus regrettables, croyant entrer chez sa fiancée, se
+trompe de porte et pénètre chez sa belle-s&oelig;ur, la femme du commandant.</p>
+
+ <p>Vingt ans après ce bel exploit, le commandant Lecourbe vit auprès de sa
+femme et entre deux filles, qu'il aime, sans soupçonner que sa fille
+aînée doit le jour à un horrible crime. L'affection du commandant pour
+cette enfant semble même plus grande que pour l'autre, à ce point qu'il
+dépouille sa fille cadette au bénéfice de sa s&oelig;ur. La mère révoltée
+d'une telle injustice révèle à moitié ce terrible secret à son mari. Ce
+que le commandant ignore c'est le nom du coupable. Il va donc à son
+frère, Pierre Lecourbe, et lui confie le soin de sa vengeance en lui
+faisant jurer que cet homme mourra et, par le fait, il tient son
+serment, car honteux de lui, il se précipite du haut de la falaise de
+Penmarck, qui n'est là que pour fournir un titre pittoresque à la pièce.
+C'est à l'aide de cette fable dramatique que M. Crisafulli a obtenu une
+scène des plus saisissantes. Celle des deux frères, dont l'un demande
+vengeance à l'autre pour son honneur outragé, pour son nom souillé. Mais
+vraiment ces fortunes-là coûtent bien cher puisque c'est au prix de
+telles situations qu'on les obtient. Si ce drame nous demande au début
+de grands crédits pour faire marcher sa petite industrie, je suis prêt
+pour ma part à les lui refuser. Qu'il s'arrange, n'a-t-il pas la
+trahison, le meurtre, l'assassinat. S'il lui faut plus encore, il est
+trop exigeant; qu'il meure faute d'appui, je n'y vois pas
+d'inconvénient.</p>
+
+ <p>J'ai donc hâte de sortir de cette <i>Falaise de Penmarck</i> pour entrer dans
+une joyeuse comédie, pleine de belle humeur, d'esprit et de gaieté, et
+qui a pour titre le <i>Docteur Bourguibus</i>: elle est née de la fantaisie
+d'un poète, et de la première à la dernière scène elle s'en va
+lestement, joyeuse de ses bonnes trouvailles comiques, de ses vers
+plutôt improvisés qu'écrits, étincelants de saillies. Ce docteur
+Bourguibus qui a pour parents tous les héros de la comédie bergamasque a
+une <i>toquade</i>. Pardon du mot: aux XVIIIe siècle on aurait dit du docteur
+qu'il avait le timbre fêlé. Le brave homme qui a la monomanie de la
+pitié, s'attache particulièrement aux gredins. Que lui parlez-vous
+d'honnêtes gens! la belle affaire! ils ont leur conscience pour eux et
+le paradis au bout. Mais un criminel, un assassin, par exemple, un
+meurtrier que la justice, l'infâme justice a frappé, voilà ce qui tente
+l'âme du docteur Bourguibus. C'est une cure à faire. S'occupe-t-on des
+gens bien portants? Non; on soigne les malades; qu'est-ce qu'un
+criminel? un malade: le tout est de le guérir. Grâce à ce raisonnement,
+le docteur cueille au haut d'un gibet un gibier de potence qu'il arrache
+à main armée aux mains des valets du bourreau. Cet exploit a coûté la
+vie à cinq honnêtes gens: c'est pour rien. Et voilà Spalâtre installé
+dans le logis de docteur. On va voir ce qu'on peut obtenir avec des
+soins d'un gredin qu'on a dépendu. Tout est pour lui, les bons morceaux,
+les complaisances des domestiques, et jusqu'à la main de la nièce du
+docteur. Seulement il veut conduire sagement l'homme à complète
+guérison. Il dort, silence; il va se réveiller, qu'il ouvre les yeux aux
+sons d'une musique réjouissante: un murmure de menuet et le docteur et
+sa nièce effleurent sur la mandoline et le violon l'adorable morceau de
+Boccherini. Là-dessus Spalâtre qui entr'ouvre les yeux rêve de voyageur
+égaré et d'assassinat au coin d'un bois. Elle est charmante cette scène
+du bandit que la musique ramène à ses premières inclinations, le
+meurtre. La cure a si bien opéré que Spalâtre, non content de voler pour
+son propre compte, fait de la propagande et entraîne les domestiques du
+docteur à voler avec lui, si bien que le pauvre Bourguibus paye ses
+théories humanitaires de ses meubles, de sa bourse et de sa montre. Bien
+en a pris à l'amoureux de la nièce de se déguiser en bourreau et de
+venir demander Spalâtre au docteur qui le retient contre la loi, car à
+la vue de l'homme noir, Spalâtre s'est enfui maudissant cet imbécile de
+docteur qui l'expose à retomber dans les mains de la justice. Tout
+s'arrange; le docteur se guérit de son faible pour les gredins et de sa
+haine pour les gens de police, et le public applaudit chaleureusement à
+l'auteur et aux interprètes de cette comédie des plus originales et des
+plus amusantes.</p>
+
+ <p>Le théâtre au Gymnase a remporté hier, mercredi, un éclatant succès avec
+<i>Monsieur Adolphe</i>. Je reviendrai la semaine prochaine sur cette &oelig;uvre
+exquise de M. Alexandre Dumas. Je ne puis que signaler aujourd'hui
+l'accueil chaleureux que le public tout entier a fait à sa pièce. C'est
+là une des plus grandes fêtes du théâtre au Gymnase. Depuis vingt ans,
+depuis ces jours du <i>Demi-monde</i>, je ne crois pas qu'il eût été témoin
+d'une semblable ovation. La salle passait du rire aux larmes, de
+l'émotion à la gaieté. Elle a acclamé l'auteur, saluant dans son &oelig;uvre
+cette sûreté de talent, cette élévation dans la pensée, cette explosion
+de l'esprit qui font de M. Dumas fils un maître. Tout son public lui
+était revenu, heureux d'oublier les quelques moments de froideur qui
+s'était faite entre lui et l'auteur de la <i>Femme de Claude</i>, et comme
+regrettant ses sévérités passagères, on se sentait comme reconnaissant
+envers M. Dumas de lui rendre l'auteur aimé des jours passés.</p>
+
+ <p>Les interprètes de <i>Monsieur Adolphe</i> ont été couverts
+d'applaudissements, et Pujol, et Achard, et Mlle Alphonsine, cette
+transfuge des théâtres de féerie, qui s'est montrée merveilleuse
+comédienne dans le rôle de Mme Guichard.</p>
+
+ <p>Je donne avec plaisir une bonne nouvelle à mes lecteurs: Les concerts de
+M. Daubé vont reprendre leur cours, non plus au <i>Grand-Hôtel</i> où on les
+suivait autrefois, mais à la salle que M. Henri Herz a mise
+gracieusement à la disposition de M. Daubé.</p>
+
+ <p>M. Savigny.</p>
+
+ <br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/005a.png"><br><b>LES ÉVÉNEMENTS DE CUBA.--Vue générale de la Havane.</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/005b.png"><br><b>L'ILE DE CUBA.--Vue prise près de la côte de Candela.</b></p>
+<br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/006_small.png"><br><a href="images/006_large.png">(Agrandissement)</a></p>
+
+<br><br>
+
+
+
+ <p>Toujours: <i>Peau de satin! Fraises au champagne! Lèvres de Feu!!</i> valses
+de J. Klein. Il n'y a donc pas autre chose?</p>
+
+<br><br>
+
+ <h3>BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE</h3>
+
+ <p><i>Histoire de l'Astronomie</i>, par Ferd. H&oelig;fer.--La science profonde et
+l'érudition encyclopédique du docteur H&oelig;fer sont trop connues et trop
+appréciées pour qu'il soit utile de présenter à nos lecteurs l'auteur de
+la nouvelle <i>Histoire de l'Astronomie</i>. Chacun sait que pour écrire une
+histoire compétente de quelque science que ce soit, il faut être du
+métier et connaître la pratique du sujet dont on se fait le rapporteur.
+Or M. H&oelig;fer a écrit une histoire de la <i>chimie</i>, qui est devenue
+classique, une histoire de la <i>physique</i> estimée de tous les savants,
+une histoire de la <i>botanique</i>, une histoire de la <i>zoologie</i>, aussi
+complètes l'une que l'autre; et voici une histoire de l'<i>astronomie</i>,
+que je viens de lire avec la plus vive attention, et que nul astronome
+de profession n'aurait certainement mieux écrite. Elle est complète sans
+être trop étendue, s'adresse aux gens du monde aussi bien qu'aux
+savants, et présente un tableau exact et intéressant des progrès inouïs
+de cette science admirable, depuis les Hindous, les Chinois, les
+Chaldéens, les Égyptiens, jusqu'aux découvertes sublimes de notre
+époque, illustrée depuis moins de trois siècles par les Galilée, les
+Kepler, les Newton, les Laplace; par des scrutateurs des mystères
+célestes qui laisseront dans l'histoire des noms comme ceux de Cassini,
+Halley, Huygens, R&oelig;mer, Dalembert, Herschell, Bessel, Struve, Arago,
+etc.</p>
+
+ <p>L'histoire de l'astronomie présente plus que nulle autre le tableau des
+véritables progrès de l'esprit humain. Celle des peuples, des dynasties,
+des religions, offre des alternatives de lumière et de ténèbres, des
+grandeurs et des décadences, des guerres et des trêves, et souvent,
+hélas, du sang et des ruines. Mais les progrès de la science du ciel, au
+contraire, offrent une continuité lente, mais permanente, du travail de
+la pensée humaine, depuis l'ignorance primitive jusqu'à l'époque où nous
+sommes, pendant laquelle nous osons mesurer les distances qui nous
+séparent des étoiles, et analyser les substances qui brûlent dans le
+soleil. Aujourd'hui, nous voyons les mondes rouler sous nos pieds; nous
+sentons la terre courir et nous emporter à travers l'espace infini, et
+déjà nous avons les premiers éléments nécessaires pour deviner la <i>vie
+inconnue</i> qui rayonne à la surface des autres terres du ciel! C'est la
+science sans patrie et sans dogmes, sans chaînes et sans larmes, qui,
+toujours pure, s'élève et s'épanouit dans la divine lumière du ciel;
+c'est celle qui fait le plus d'honneur à l'esprit humain, qui met en
+évidence les plus nobles facultés de l'homme; c'est celle qui nous a
+<i>affranchis.</i> Les plus grands révolutionnaires ne s'appellent pas
+Cromwell, Washington, Mirabeau ou Robespierre; ils s'appellent Copernic,
+Galilée. Kepler, Newton.</p>
+
+ <p>On lira avec plaisir et profit le nouveau livre du docteur H&oelig;fer. Dans
+son ouvrage publié l'année dernière, et intitulé: l'<i>Homme devant ses
+&oelig;uvres</i>, l'auteur avait montré par quels principes il juge l'humanité;
+et il n'est certes pas inutile, à notre époque où tout court si vite, de
+s'arrêter un instant sur le chemin de la vie, comme le Dante avant de
+pénétrer au sombre royaume, et de réfléchir un instant sur les faits et
+gestes de notre race soi-disant raisonnable. L'histoire de l'astronomie
+est écrite avec la même netteté de vues, moins sévère que celle de
+Delambre, lequel en est souvent ridicule, et plus juste pour les
+anciens, qui méritent tout notre respect, attendu qu'il faut à toutes
+les sciences un commencement. Celui qui renaîtrait dans trois siècles
+seulement serait bien étonné de notre état scientifique, social et
+religieux de 1873, et, s'il n'était juste, nous traiterait d'ignares et
+d'imbéciles. C'est ce qu'a fait l'astronome Delambre, trop souvent. M.
+H&oelig;fer n'est pas tombé dans ce travers, et nous l'en félicitons.</p>
+
+ <p><i>Les Merveilles de la photographie</i>, par G. Tissandier.--Voici un
+nouveau volume de la <i>Bibliothèque des merveilles</i>, et qui fait honneur
+à la collection. Qu'y a-t-il de plus merveilleux que la photographie,
+dont les travaux nous laissent pourtant déjà indifférents? La terre
+tourne si vite que l'on oublie le lendemain la situation de la veille,
+et il semble que nos pensées se multiplient et s'envolent beaucoup plus
+vite depuis que nous connaissons la rapidité des mouvements célestes. En
+fait, il n'y a que quarante-sept ans que le premier traité entre Niepce
+et Daguerre a été signé, et aujourd'hui les photographes pullulent dans
+toutes les villes d'Europe, et les photographies sont tombées dans le
+domaine public, et l'on n'accorde plus aux meilleures d'entre elles
+qu'une attention momentanée. Mais tandis que pour la masse du public la
+photographie est encore toute entière dans la reproduction plus ou moins
+durable d'un visage, d'un monument ou d'un paysage, l'art s'est agrandi,
+s'est développé comme toutes les connaissances humaines, et déjà rend
+d'immédiats services à la plupart d'entre elles. La photomicrographie
+fixe aujourd'hui l'image centuplée de l'insecte, invisible à l'&oelig;il nu,
+dessine l'agencement moléculaire minéral, végétal ou animal, nous montre
+les cristaux du sang ou l'épiderme délicat d'une pauvre chenille. A
+l'opposé, toute l'Assemblée nationale est reproduite sur un carré de
+collodion du diamètre d'une tête d'épingle, sans rien perdre de ses
+proportions ni de sa grandeur réelle. Si nous passons maintenant du
+petit au grand, nous trouvons la photographie appliquée au soleil, à la
+lune, aux planètes et même aux étoiles, et nous avons déjà des sériés de
+plusieurs années de portraits du soleil, faits chaque jour, et montrant
+la variation incessante de son aspect et de ses taches. Des
+photographies directes de la lune sont si excellentes que l'on se
+promène facilement dans les vallées et les paysages lunaires ainsi
+reproduits. Appliqué à la météorologie, le même art remplace maintenant
+l'observateur en enregistrant automatiquement l'état du ciel, la marche
+du baromètre, du thermomètre, du vent, de l'aiguille aimantée, etc., ce
+qui permettra d'avoir un bien plus grand nombre de constatations
+simultanées et permanentes et de donner à la météorologie la base qui
+lui manque encore. Il y a plus: la photographie <i>imprime</i> maintenant
+elle-même, et le livre de M. Tissandier nous offre un spécimen de
+photoglyphe à l'encre de Chine gélatinée, qui montre au premier coup
+d'&oelig;il toute la valeur artistique et toute l'importance pratique du
+nouveau procédé. On le voit, le jeune et savant directeur du journal <i>la
+Nature</i> a su réunir dans son nouveau livre toutes les richesses de l'art
+dont il voulait raconter les merveilles.</p>
+
+ <p>Camille Flammarion.</p>
+
+ <p><i>Une courtisane vierge</i>, par M. Amédée de Céséna.--L'auteur fut un
+journaliste grave, un personnage politique, un polémiste. Il n'est qu'un
+conteur qui spécule sur de certaines curiosités malsaines. Je pense
+qu'il suffit de citer le titre du livre pour montrer tout ce que M. de
+Céséna a voulu lui donner d'alléchant. Le romancier se défend,
+d'ailleurs, dans sa préface, d'être un corrupteur. Il prétend au titre
+de <i>moraliste</i>. Ce n'est donc pas un moraliste homeopathique: il fait de
+la morale par les contraires.</p>
+
+ <p><i>Les Femmes au c&oelig;ur d'or</i>, par M. Eugène Moret. (1 vol. Dentu.)--Il y
+a, dans le roman-feuilleton, des auteurs dont la réputation n'égale pas
+le talent, et M. Eugène Moret est de ce nombre. Il a des succès, et
+très-grands, dans le public des journaux populaires, des livraisons à
+dix centimes, et il mérite ces succès-là. Ses livres sont moraux,
+honnêtes et intéressants. Il a publié sur les <i>Femmes de la Révolution
+et de la Terreur</i> des feuilletons absolument amusants et qui, réunis en
+volume, ont beaucoup plu aux lecteurs. Ces <i>Femmes au c&oelig;ur d'or</i> auront
+certainement le même sort et méritent le même accueil. C'est là un roman
+qui vaut dix fois mieux, à coup sur, que bien des romans célèbres, et
+qui fait honneur au talent très-loyal, sans fracas, sans charlatanisme,
+de M. Eugène Moret.</p>
+
+ <p><i>La comtesse de Nancey</i>, par M. Xavier de Montépin. (3 volumes in-18.
+Chez Sartorius.)--M. Xavier de Montépin est, en librairie, le
+triomphateur de la saison. Il a publié trois ou quatre volumes, épisodes
+détachés d'un même roman, qui en sont à leur huitième ou dixième
+édition. <i>La comtesse de Nancey, l'Amant d'Alice, le Mari de
+Marguerite</i>, ont amusé tout un public, le public des romans d'Arsène
+Houssaye, celui qui aime l'impossibilité en pleine vie réelle, les
+aventures improbables placées dans le milieu parisien. M. de Montépin,
+jusqu'ici, n'avait point connu pareille vogue, pas même il y a seize ou
+dix-huit ans, lorsqu'il écrivait les <i>Viveurs de Paris</i> et les <i>Filles
+de plâtre</i>. Je crois même nie rappeler que les <i>Filles de plâtre</i> lui
+valurent une assignation devant la police correctionnelle. Aujourd'hui,
+en ce temps d'<i>ordre</i> et de <i>moralité</i>, les romans de M. de Montépin
+montent aux nues. L'auteur est un aimable homme qui n'a d'autre tort que
+de vouloir, de temps à autre, dire son mot dans la politique courante.
+Quand il conte ces aventures extraordinaires, il amuse et il entraîne.
+Au fond, cela lui suffit. Le public le suit, il est satisfait. Il ne
+<i>politique</i> que par aventure. Son rôle est d'inventer: il invente. Les
+folles amours, les coups de couteau, les scandales à Bade, les espions
+prussiens, les batailles de la Commune, les propos de boudoirs, tout se
+coudoie dans la trilogie que M. de Montépin appela tout d'abord le <i>Mari
+de Marguerite</i>. Je n'analyserai point ces pages. Leur succès a été
+absolu, et si l'on n'avait abusé du mot, je dirais volontiers que c'est
+un des signes du temps. Mais ne faut-il pas des rêves à tout le monde?
+Pâture à liseurs, disait Petrus Corel en parlant de ses livres. Chacun
+choisit le mets qui lui convient,--et cela n'empêche pas de rééditer
+Corneille.</p>
+
+ <p><i>La Célestine</i>, de Fernando de Rojas, traduite par M. Germond de Lavigne.
+(Nouvelle collection Jannet.)--M. E. Picard continue avec succès la
+publication de ses petits chefs-d'&oelig;uvre littéraires faisant suite à la
+collection Jannet. Les bibliophiles se disputeront également la
+<i>collection rouge</i>, qui est l'ancienne, et la <i>collection bleue</i>, qui
+est la nouvelle. Sous cette dernière forme, les &oelig;uvres de Rabelais vont
+être tantôt achevées, et M. André Lefèvre vient de donner une édition
+des <i>Lettres persanes</i>, de Montesquieu, qui pourrait bien être
+définitive. Aujourd'hui, M. Germond de Lavigne, si compétent en ce qui
+touche la littérature espagnole, publie, dans cette même collection, une
+traduction de la Célestine, ce roman dialogué d'un intérêt si puissant
+et d'un charme si particulier qui date, s'il vous plaît, du XVe
+siècle,--de 1492,--et qui semble comme la source où Calderon et Pope
+puisèrent leurs drames ensoleillés et entraînants.</p>
+
+ <p>Moratin avait raison d'appeler <i>la Célestine</i> une <i>nouvelle dramatique</i>.
+Ce n'est que cela, en effet; mais cette nouvelle est inimitable. Il y a
+de tout, dans ce conte, de la morale et de la poésie, des aventures
+d'amour, des leçons tragiques, des séductions et des drames. Le type du
+prodigue Calixte est peint de main de maître, et le profil de la
+Célestine, une proche parente de la Macette de Régnier, est inoubliable.
+L'homme qui écrivit cette sorte de drame, Fernando de Rojas, était un de
+ces artistes rares et puissants que les littérateurs nomment d'un grand
+nom, les précurseurs.</p>
+
+ <p>M. Germond de Lavigne a traduit la Célestine avec ce talent qui lui
+valut, il y a quelques années, les éloges de Charles Nodier. Il n'a pas
+essayé, dit-il, de reforger les endroits scandaleux qui pouvaient
+offenser les religieuses oreilles, et il a bien fait. Sa traduction y
+gagne d'être une &oelig;uvre d'art à travers laquelle on saisit toute la
+couleur, tout l'éclat du style castillan.</p>
+
+ <p>Jules Claretie.</p>
+
+ <br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/007a.png"><br><b>LES FUYARDS A LA PORTE DE BALAN. Gravure extraite de la<br>
+<i>Guerre de</i> 1870-71, par A. Wachter. (E. Lachaud, éditeur.)</b></p>
+
+ <h3>LA GUERRE DE 1870-71</h3>
+
+ <h3>Histoire politique et militaire</h3>
+
+ <h4>PAR A. WACHTER</h4>
+
+ <p>Au moment où les débats du procès Bazaine remettent en lumière les
+tristes péripéties de la dernière guerre et les causes de nos désastres,
+nous croyons devoir appeler l'attention de nos lecteurs sur un ouvrage
+que nous avons déjà signalé lors de son apparition: nous voulons parler
+de l'<i>Histoire de la guerre de</i> 1870-71 de M. Wachter, éditée par la
+librairie Lachaud. Parmi les innombrables publications qui se sont
+succédé sur ce sujet depuis trois ans, celle-ci est l'une des plus
+complètes, des plus intéressantes et des mieux à la portée du public.
+Les connaissances spéciales de M. Wachter ont fait de lui, depuis
+longtemps, un de nos écrivains militaires les plus justement estimés;
+une étude approfondie des opérations stratégiques qu'il a suivies sur le
+terrain même et une lecture attentive des documents allemands qu'il a
+consultés dans leur texte original, ont permis à M. Wachter de réunir
+dans les deux volumes qui composent son travail, les renseignements les
+plus exacts, les plus authentiques, et de les présenter d'une manière
+plus méthodique et plus claire que dans la plupart des ouvrages du même
+genre; ajoutons que le livre est richement illustré de dessins de M.
+Darjou, l'habile artiste dont nos lecteurs connaissent trop bien le
+talent, pour que nous ayons besoin d'en faire l'éloge. Les deux gravures
+que nous avons publiées la semaine dernière sur la bataille de
+Rezonville et les carrières du Caveau étaient extraites du beau livre de
+MM. Wachter et Darjou; celle que nous reproduisons aujourd'hui un
+nouveau spécimen de ces illustrations, qui sont le vivant commentaire du
+texte de M. Wachter.</p>
+
+ <p>L'Exposition universelle de Vienne a fourni à l'<i>Illustration</i>
+l'occasion d'affirmer une fois de plus cette supériorité hors ligne
+qu'elle a depuis longtemps acquise sur toutes les publications
+analogues. Comme en 1867, l'<i>Illustration</i> avait exposé, outre ses
+volumes et ses collections, une série de spécimens permettant de suivre
+pas à pas les opérations si compliquées de la gravure et ces procédés
+grâce auxquels nous arrivons à donner au public la représentation des
+faits d'actualité presque aussi vite que la presse quotidienne où donne
+le récit. Cette exposition a particulièrement attiré l'attention du jury
+international, qui a décerné à l'<i>Illustration</i> une <i>médaille de
+mérite</i>, la plus haute récompense après la grande médaille d'honneur.</p>
+
+ <p>Cette distinction est, croyons-nous, la seule du même genre qui ait été
+obtenue par un journal illustré; nous sommes heureux d'en faire part à
+nos lecteurs; ils y verront une preuve nouvelle des efforts-incessants
+qui a valu à l'<i>Illustration</i> la légitime réputation dont elle jouit
+dans le monde entier.</p>
+
+<br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/007b.png"><br></p>
+
+ <p class="mid">EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS:</p>
+
+ <p class="mid">Même en 999, à l'approche de l'an mille, on ne vit point aller autant en
+pèlerinage.</p>
+
+
+<br><br>
+</div>
+
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of L'Illustration, No. 1605, 29 novembre
+1873, by Various
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 1605, 29 ***
+
+***** This file should be named 44357-h.htm or 44357-h.zip *****
+This and all associated files of various formats will be found in:
+ http://www.gutenberg.org/4/4/3/5/44357/
+
+Produced by Rénald Lévesque
+
+Updated editions will replace the previous one--the old editions
+will be renamed.
+
+Creating the works from public domain print editions means that no
+one owns a United States copyright in these works, so the Foundation
+(and you!) can copy and distribute it in the United States without
+permission and without paying copyright royalties. Special rules,
+set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to
+copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to
+protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project
+Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you
+charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you
+do not charge anything for copies of this eBook, complying with the
+rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose
+such as creation of derivative works, reports, performances and
+research. They may be modified and printed and given away--you may do
+practically ANYTHING with public domain eBooks. Redistribution is
+subject to the trademark license, especially commercial
+redistribution.
+
+
+
+*** START: FULL LICENSE ***
+
+THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE
+PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK
+
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+distribution of electronic works, by using or distributing this work
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+Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project
+Gutenberg-tm License available with this file or online at
+ www.gutenberg.org/license.
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+
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+electronic works
+
+1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm
+electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to
+and accept all the terms of this license and intellectual property
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+all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your possession.
+If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project
+Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the
+terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or
+entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8.
+
+1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be
+used on or associated in any way with an electronic work by people who
+agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few
+things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works
+even without complying with the full terms of this agreement. See
+paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project
+Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
+works. See paragraph 1.E below.
+
+1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"
+or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
+Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the
+collection are in the public domain in the United States. If an
+individual work is in the public domain in the United States and you are
+located in the United States, we do not claim a right to prevent you from
+copying, distributing, performing, displaying or creating derivative
+works based on the work as long as all references to Project Gutenberg
+are removed. Of course, we hope that you will support the Project
+Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by
+freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of
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+the work. You can easily comply with the terms of this agreement by
+keeping this work in the same format with its attached full Project
+Gutenberg-tm License when you share it without charge with others.
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+the laws of your country in addition to the terms of this agreement
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+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
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+or charges. If you are redistributing or providing access to a work
+with the phrase "Project Gutenberg" associated with or appearing on the
+work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1
+through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the
+Project Gutenberg-tm trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or
+1.E.9.
+
+1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted
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+to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the
+permission of the copyright holder found at the beginning of this work.
+
+1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm
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+work or any other work associated with Project Gutenberg-tm.
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+posted on the official Project Gutenberg-tm web site (www.gutenberg.org),
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+ has agreed to donate royalties under this paragraph to the
+ Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments
+ must be paid within 60 days following each date on which you
+ prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax
+ returns. Royalty payments should be clearly marked as such and
+ sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the
+ address specified in Section 4, "Information about donations to
+ the Project Gutenberg Literary Archive Foundation."
+
+- You provide a full refund of any money paid by a user who notifies
+ you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
+ does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm
+ License. You must require such a user to return or
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+ and discontinue all use of and all access to other copies of
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+- You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any
+ money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
+ electronic work is discovered and reported to you within 90 days
+ of receipt of the work.
+
+- You comply with all other terms of this agreement for free
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+1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm
+electronic work or group of works on different terms than are set
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+both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael
+Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the
+Foundation as set forth in Section 3 below.
+
+1.F.
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+TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE
+LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR
+INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
+DAMAGE.
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+1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a
+defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can
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+your written explanation. The person or entity that provided you with
+the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a
+refund. If you received the work electronically, the person or entity
+providing it to you may choose to give you a second opportunity to
+receive the work electronically in lieu of a refund. If the second copy
+is also defective, you may demand a refund in writing without further
+opportunities to fix the problem.
+
+1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth
+in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS', WITH NO OTHER
+WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO
+WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
+
+1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
+warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages.
+If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the
+law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be
+interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by
+the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any
+provision of this agreement shall not void the remaining provisions.
+
+1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
+trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
+providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance
+with this agreement, and any volunteers associated with the production,
+promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works,
+harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
+that arise directly or indirectly from any of the following which you do
+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
+
+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation information page at www.gutenberg.org
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at 809
+North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email
+contact links and up to date contact information can be found at the
+Foundation's web site and official page at www.gutenberg.org/contact
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit www.gutenberg.org/donate
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
+To donate, please visit: www.gutenberg.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For forty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
+
+
+
+</pre>
+
+</body>
+</html>
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Binary files differ
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new file mode 100644
index 0000000..f2e0d67
--- /dev/null
+++ b/old/44357-h/images/006_small.png
Binary files differ
diff --git a/old/44357-h/images/007a.png b/old/44357-h/images/007a.png
new file mode 100644
index 0000000..8e5c0f6
--- /dev/null
+++ b/old/44357-h/images/007a.png
Binary files differ
diff --git a/old/44357-h/images/007b.png b/old/44357-h/images/007b.png
new file mode 100644
index 0000000..75263f1
--- /dev/null
+++ b/old/44357-h/images/007b.png
Binary files differ
diff --git a/old/44357-h/images/cover.jpg b/old/44357-h/images/cover.jpg
new file mode 100644
index 0000000..49ac192
--- /dev/null
+++ b/old/44357-h/images/cover.jpg
Binary files differ