diff options
| author | Roger Frank <rfrank@pglaf.org> | 2025-10-14 18:38:26 -0700 |
|---|---|---|
| committer | Roger Frank <rfrank@pglaf.org> | 2025-10-14 18:38:26 -0700 |
| commit | ffed6493ebbbe994d613fa248302626ef44190b7 (patch) | |
| tree | 62ef8cb48d0e4f9b6689154920fbd24c481fa6d2 | |
| -rw-r--r-- | .gitattributes | 3 | ||||
| -rw-r--r-- | 44277-0.txt | 1937 | ||||
| -rw-r--r-- | 44277-h/44277-h.htm | 2048 | ||||
| -rw-r--r-- | 44277-h/images/001.png | bin | 0 -> 59416 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 44277-h/images/001a.png | bin | 0 -> 36851 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 44277-h/images/001b.png | bin | 0 -> 1248 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 44277-h/images/002a.png | bin | 0 -> 50346 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 44277-h/images/002b.png | bin | 0 -> 76736 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 44277-h/images/002c.png | bin | 0 -> 56919 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 44277-h/images/003.png | bin | 0 -> 239664 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 44277-h/images/004.png | bin | 0 -> 228722 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 44277-h/images/005.png | bin | 0 -> 188371 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 44277-h/images/006.png | bin | 0 -> 118456 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 44277-h/images/007a.png | bin | 0 -> 111601 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 44277-h/images/007b.png | bin | 0 -> 110086 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 44277-h/images/008.png | bin | 0 -> 13407 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 44277-h/images/009.png | bin | 0 -> 106341 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 44277-h/images/cover.jpg | bin | 0 -> 147606 bytes | |||
| -rw-r--r-- | LICENSE.txt | 11 | ||||
| -rw-r--r-- | README.md | 2 | ||||
| -rw-r--r-- | old/44277-8.txt | 2321 | ||||
| -rw-r--r-- | old/44277-8.zip | bin | 0 -> 48921 bytes | |||
| -rw-r--r-- | old/44277-h.zip | bin | 0 -> 1594820 bytes | |||
| -rw-r--r-- | old/44277-h/44277-h.htm | 2459 | ||||
| -rw-r--r-- | old/44277-h/images/001.png | bin | 0 -> 59416 bytes | |||
| -rw-r--r-- | old/44277-h/images/001a.png | bin | 0 -> 36851 bytes | |||
| -rw-r--r-- | old/44277-h/images/001b.png | bin | 0 -> 1248 bytes | |||
| -rw-r--r-- | old/44277-h/images/002a.png | bin | 0 -> 50346 bytes | |||
| -rw-r--r-- | old/44277-h/images/002b.png | bin | 0 -> 76736 bytes | |||
| -rw-r--r-- | old/44277-h/images/002c.png | bin | 0 -> 56919 bytes | |||
| -rw-r--r-- | old/44277-h/images/003.png | bin | 0 -> 239664 bytes | |||
| -rw-r--r-- | old/44277-h/images/004.png | bin | 0 -> 228722 bytes | |||
| -rw-r--r-- | old/44277-h/images/005.png | bin | 0 -> 188371 bytes | |||
| -rw-r--r-- | old/44277-h/images/006.png | bin | 0 -> 118456 bytes | |||
| -rw-r--r-- | old/44277-h/images/007a.png | bin | 0 -> 111601 bytes | |||
| -rw-r--r-- | old/44277-h/images/007b.png | bin | 0 -> 110086 bytes | |||
| -rw-r--r-- | old/44277-h/images/008.png | bin | 0 -> 13407 bytes | |||
| -rw-r--r-- | old/44277-h/images/009.png | bin | 0 -> 106341 bytes | |||
| -rw-r--r-- | old/44277-h/images/cover.jpg | bin | 0 -> 147606 bytes |
39 files changed, 8781 insertions, 0 deletions
diff --git a/.gitattributes b/.gitattributes new file mode 100644 index 0000000..6833f05 --- /dev/null +++ b/.gitattributes @@ -0,0 +1,3 @@ +* text=auto +*.txt text +*.md text diff --git a/44277-0.txt b/44277-0.txt new file mode 100644 index 0000000..6c68448 --- /dev/null +++ b/44277-0.txt @@ -0,0 +1,1937 @@ +*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44277 *** + +L'ILLUSTRATION +JOURNAL UNIVERSEL + +RÉDACTION, ADMINISTRATION, BUREAUX D'ABONNEMENTS +28, rue de Verneuil, Paris + +31e Année.--VOL. LXII.--Nº 1609 +SAMEDI 27 DÉCEMBRE 1873 + +SUCCURSALE POUR LA VENTE AU DÉTAIL +60, rue de Richelieu, Paris + +Prix du numéro: 75 centimes +La collection mensuelle, 3 fr.; le vol. semestriel, broché, 18 fr.; +relié et doré sur tranches, 23 fr. + +Abonnements +Paris et départements: 3 mois, 9 fr.;--6 mois, 18 fr.;--un an, 34 fr.; +Étranger, le port en sus. + +Les demandes d'abonnements doivent être accompagnées d'un mandat-poste +ou d'une valeur à vue sur Paris à l'ordre de M. Auguste Marc, +directeur-gérant. + + + +SOMMAIRE + +TEXTE + +Histoire de la semaine. +Courrier de Paris, par M. Philibert Audebrand. + +Nos gravures: + +La veille du 1er janvier (fin). +La Soeur perdue, une histoire du Gran Chaco (suite), par H. Mayne Reid. + +Revue littéraire; les Livres d'étrennes (II), par M. Jules Claretie. + +Bibliographie. + +_La Nature_, revue des sciences en 1873. + +[Illustration: M. AGASSIZ.] + + + +SOMMAIRE + +GRAVURES + +M. Agassiz; +L'île Sainte-Marguerite; +Le môle de débarquement; +Le fort et les prisons; +Vue de la pointe de la Croisette. +Théâtre des Variétés: _Les Merveilleuses_, comédie en cinq actes de M. +Victorien Sardou. +_La première leçon. Un regard en passant_, d'après les tableaux de M. +Boutibonne. +Les tortues de mer à Paris: décapitation d'une grosse tortue. +_La Soeur perdue_, par M. Mayne Reid (4 gravures). +Nouvelle bouée de sauvetage lumineuse (système Silas), gravure extraite +du journal _la Nature_. +Rébus. + + + +HISTOIRE DE LA SEMAINE + +FRANCE + +La politique chôme; au dehors pas plus qu'au dedans nous n'avons cette +semaine à signaler aucun événement d'une importance vraiment sérieuse; +il semble qu'au moment où l'année finit, chacun se recueille pour jeter +un regard en arriére et se préparer aux luttes nouvelles que nous +réserve l'avenir. L'Assemblée nationale vote à la hâte les derniers +articles du budget avant de prendre le congé de quelques jours qu'elle +s'est octroyée à l'occasion de la nouvelle année; le calme qui préside à +cette discussion a à peine été troublé par quelques incidents presque +aussitôt terminés que soulevés, mais dont quelques-uns méritent d'être +signalés. + +Notons d'abord la présentation, par M. Clapier, du projet de loi relatif +à la nomination des maires, dont l'Assemblée a voté l'urgence et qui a +été inscrit à l'ordre du jour immédiatement après le budget; nous avons +parlé plusieurs fois déjà de ce projet; il nous suffira donc de dire que +le travail de la commission a eu pour résultat de faire subir plusieurs +modifications importantes à la rédaction primitivement proposée par le +gouvernement. Ainsi, M. le ministre de l'intérieur acceptait pour le +gouvernement l'obligation de prendre les maires dans les conseils +municipaux: telle était la règle générale. Ce ne devait être qu'en cas +de démission ou de révocation qu'ils auraient pu être choisis hors des +conseils; La commission va plus loin: elle autorise le gouvernement à +les prendre à sa volonté, soit dans le conseil, soit en dehors de +celui-ci, avec cette seule restriction, assez bénigne, que dans ce +dernier cas il sera nécessaire de recourir soit à un arrêté du ministre +de l'intérieur pour les communes où la nomination est laissée aux +préfets, soit à un décret délibéré en conseil des ministres, pour les +communes où la nomination est réservée au gouvernement, c'est-à -dire +dans tous les chefs-lieux de département, d'arrondissement ou de canton. +Une seconde différence porte sur la nomination des agents de police. +Dans son projet, le gouvernement l'enlevait aux maires à qui elle +appartient actuellement pour toutes les communes auxquelles la loi du +24-29 juillet 1867 (article 23) n'est pas applicable, c'est-à -dire +celles qui ont moins de 40,000 âmes de population: il se l'attribuait à +lui-même sans aucune exception. La commission a maintenu le droit des +maires, non pas toutefois dans son intégrité. D'abord, elle subordonne +leur choix à l'agrément des préfets et sous-préfets; elle a, de plus, +modifié l'article 12 de l'excellente loi du 18 juillet 1837, en vertu +duquel le maire _suspend_ et _révoque_ ces agents municipaux; ils +pourront toujours, comme par le passé, être suspendus par le maire; mais +le préfet seul aura le droit de les révoquer: la loi les place ainsi à +peu près dans les mêmes conditions que les gardes champêtres. Grâce à ce +double compromis, l'accord s'est établi entre le gouvernement et la +commission, et la majorité considérable qui s'est manifestée, tant en +faveur de l'urgence, que de la mise à l'ordre du jour pour le terme le +plus proche, permet de croire que l'Assemblée ratifiera et votera la loi +dans sa teneur actuelle. + +Dans sa séance du 19, l'Assemblée a adopté un amendement tendant à +porter de 162,400 francs à 300,000 francs la somme allouée au président +de la République pour frais de représentation. Cette augmentation de +crédit, destinée à donner plus d'éclat aux réceptions officielles du +président pendant son séjour au palais de l'Elysée, intéressait trop, +directement le commerce parisien pour ne pas être favorablement +accueillie par toutes les fractions de l'Assemblée; malheureusement il a +fallu que les passions politiques, inopportunément remises en jeu par +une observation intempestive, vinssent gâter ces bonnes dispositions; à +propos d'une question toute financière, on a parlé du retour du +gouvernement à Paris; on a évoqué le souvenir de la Commune, et c'est au +milieu d'un conflit d'invectives qu'a fini cette discussion où tout le +monde était d'accord en commençant. + +Signalons, pour terminer, l'interpellation adressée au gouvernement par +la gauche au sujet d'une convention récemment intervenue entre le +ministre des finances et le mandataire de l'ex-impératrice pour la levée +du séquestre qui pèse sur la liste civile de Napoléon III. En attendant +la discussion en séance publique, portée à l'ordre du jour après la loi +sur la nomination des maires, M. Deseilligny, ministre du commerce, a +fourni à la commission du budget quelques explications sur la question. +Le ministre a ajouté que les signataires de la convention avaient cru se +conformer à ce qui s'était fait à l'égard de la liste civile de +Louis-Philippe, et avaient pensé qu'il était de «haute convenance, en +dehors de tout parti politique, de soulager la situation douloureuse où +se trouvait l'impératrice au point de vue pécuniaire». + +Il a ajouté que le gouvernement avait, en cela, le droit d'agir sans +recourir à l'assentiment de l'Assemblée, attendu que le séquestre avait +été mis par un simple décret du gouvernement de la défense nationale, et +qu'il suffisait, par conséquent, d'un nouveau décret pour défaire ce +qu'un décret avait fait. + +AUTRICHE. + +Les journaux de Vienne contiennent quelques renseignements sur les lois +ecclésiastiques qui vont être prochainement présentées au Reichsrath par +le gouvernement. On n'en compte pas moins de dix-sept, et quelques-unes +d'entre elles auront une grande importance, notamment celle qui prononce +l'abolition complète et définitive du concordat conclu avec la cour de +Rome le 18 août 1855. On sait que cette convention établissait la +censure ecclésiastique sur les livres, ce qui était la négation absolue +de la liberté de la presse: elle donnait aux évêques la surveillance de +toutes les écoles, même laïques; elle conférait à l'épiscopat une +entière indépendance vis-à -vis du gouvernement; non-seulement tous les +actes émanés du Saint-Siège pouvaient être publiés dans l'empire sans +aucune nécessité d'obtenir le _placet_ royal, mais encore les +archevêques et évêques avaient la faculté de convoquer aussi, sans +autorisation du gouvernement, soit des conciles provinciaux, soit des +synodes diocésains: double liberté qui leur est refusée en France par +les articles 1 et 4 du titre Ier de la loi du 18 germinal an X (8 avril +1802), plus connue sous le nom d'articles organiques, contre lesquels, +du reste, on le sait, le Saint-Siège n'a cessé et ne cesse de protester. +Les lois ecclésiastiques que prépare le gouvernement autrichien +régleront en outre le mariage civil, les patronats, la surveillance des +séminaires, etc.; elles contiendront aussi des clauses relatives à la +condition des vieux-catholiques. Sur cette dernière question, on +s'attend à des débats assez vifs, et déjà les adeptes de cette petite +Église ont adressé au gouvernement une demande tendante à faire +reconnaître à l'évêque Reinkens, Prussien et vieux-catholique, un droit +de juridiction ecclésiastique en Autriche. Cette requête insolite a été +repoussée. + +ITALIE. + +Sa Sainteté le pape a tenu, le 22 décembre, un consistoire dans lequel +il a nommé cardinaux: + +Mgr de Nascimento de Moraes Cardoso, patriarche de Lisbonne; Mgr +Guibert, archevêque de Paris; Mgr Régnier, archevêque de Cambrai; Mgr de +Simor, archevêque de Gran; Mgr de Tarnoczy, archevêque de Salzbourg; Mgr +Chigi, nonce apostolique à Pans; Mgr Mariano Darrio y Fernandez, +archevêque de Valence; Mgr Mariano Falcinelli Antoniacci, nonce du +Saint-Siège à Vienne; Mgr Alex. Franchi, nonce du Saint-Siège à Madrid; +Mgr L. Oreglia de Santo-Stefano, nonce du Saint-Siège à Lisbonne; le R. +P. Tarquini, de la Compagnie de Jésus; le R. P. Martinelli, des moines +de Saint-Angustin. Dans le même consistoire, le Pape a nommé aussi +quatre évêques _in partibus infidelium_ et trois évêques en Italie. + +Il a nommé aussi: + +Mgr Olteanu, évêque de Gran-Varadin (Hongrie); Mgr Corona, évêque de +Saint-Louis de Potosi; Mgr Hillion, évêque du cap Haïtien. + +ÉTATS-UNIS. + +L'affaire du _Virginius_ vient d'entrer dans une phase nouvelle et assez +imprévue; ce sont maintenant les États-Unis qui font droit aux +susceptibilités de l'Espagne. + +On sait que, d'après la convention relative au _Virginius_ le +gouvernement espagnol devait prouver avant le 25 décembre, à la +satisfaction des États-Unis, que ce vaisseau n'avait pas le droit de +porter le pavillon américain, et qu'ainsi il avait été légalement saisi. +D'après une dépêche de Washington, le procureur général des États-Unis a +admis la preuve comme valable, le _Virginius_ n'ayant obtenu ses papiers +qu'au moyen d'un faux témoignage. Le cabinet de Washington s'est déclaré +prêt à accepter les conséquences de ce fait. + +Nous ne savons encore quelles en seront toutes les conséquences, mais il +est certain que la décision du procureur général des États-Unis est un +véritable succès pour le gouvernement de M. Castelar et qu'elle fait le +plus grand honneur à l'impartialité de la magistrature américaine. + + + +COURRIER DE PARIS + +Celui qui céderait au désir de faire l'oraison funèbre de l'année +n'aurait pas à se donner beaucoup de peine. Il lui suffirait de quelques +mots, genre sombre. Cette année est de celles qu'on ne regrette pas. +A-t-elle été assez absurde! S'est-elle montrée assez maussade, assez +ennuyeuse, assez ennuyée! Elle a vu s'opérer deux ou trois révolutions +parlementaires aussi insipides qu'elle-même. Pendant sa durée, Paris a +reçu la visite d'un prince d'Orient, couleur de suie, tout couvert de +diamants mais qui ne donnait que des salamalecks. L'hippopotame du +Jardin des Plantes a succombé à des peines de coeur; M. Ernest Renan a +fait paraître l'_Antéchrist_; trois académiciens sont morts; le chapeau +des femmes a redoublé de bizarrerie; un grand théâtre a brûlé; un vilain +procès s'est dénoué, très-peu flatteur pour nous tous; enfin, en guise +de couronnement, il nous est arrivé une charretée de monstres. + +Tel est le bilan de 1873. + +Mil huit cent soixante-treize vient de rendre le dernier soupir ou peu +s'en faut. Eh bien, regardons devant nous; là est l'espérance. Quel +lendemain nous attend? L'avenir est riche de promesses; c'est un +capitaliste qui a son portefeuille plein de lettres de change. Déjà la +nouvelle année, celle qui commencera dans quatre jours, semble vouloir +ne ressembler en rien à sa devancière. On a beau dire que le commerce ne +va pas, elle a l'air de lui forcer la main. Quelle foule dans les rues! +L'argent, qui est de retour, vous le savez, circule tout le long de la +ville. Personne n'a les mains vides; chacun porte son sac de bonbons ou +son polichinelle. + +Le baraquement des boulevards n'a plus rien de sa rusticité originelle; +on a encore enjolivé sa mise en scène. Seulement il abuse du _jouet de +l'année_, un affreux poussah qu'on nomme l'_Oncle Sam_ et qui rappelle +trop l'auteur de la pièce de ce nom. Partout ailleurs, de longues files +de boutiques ambulantes s'établissent sur les trottoirs; c'est à peine +si l'on peut marcher au milieu de cet encombrement.--Nous rencontrons M. +de Laboulaye, occupé à acheter un cornet de pralines, sans doute afin +d'adoucir quelqu'un de ses voisins de la Chambre. L'honorable +pamphlétaire dit tout haut: «--Ah! dame, nos moeurs deviennent +américaines. La démocratie coule par ici à pleins bords comme à +New-York.»--Presque en même temps le comte Orloff sort d'un bazar, suivi +d'un éléphant en baudruche. Des malins s'écrient: «--Il doit y avoir un +rébus diplomatique là -dessous. Que veut faire de cet éléphant +l'ambassadeur du czar?» Le comte Orloff a à amuser un petit garçon et +deux petites filles; voilà toute l'énigme. + +Aux alentours du jour de l'an, aussitôt que la nuit arrive, quelque fée +invisible lève sa baguette en l'air et le coup d'oeil change. Les +étalages s'illuminent de mille feux. Au gaz municipal se marient les +bougies du petit commerce en plein vent. Vingt mille lanternes de +couleur contribuent à faire un jour nocturne d'une lueur fantastique. +Cette fois, M. de Laboulaye trouverait qu'on n'est plus à New-York mais +à Pékin.--Tous les cercles sont éclairés avec un luxe inusité.--Une mode +nouvelle à noter à propos des cercles.--Vous savez que tous ces +établissements ont, le soir, un dîner sous forme de table d'hôte. + +A ce dîner, en ce moment, l'usage veut qu'on ne commence plus par le +classique vermicelle ni par le tapioca désormais trop enfantin. Tout +cela cède le pas à la soupe à la tortue rehaussée de gingembre. Voilà +une clef pour les flâneurs; depuis un mois la foule stationne à la +devanture des marchands de comestibles; on y est en extase devant +d'énormes amphibies. Ces tortues sont le régal du jour.--_Turtle-soup_, +dit-on en faisant la grimace, autant à cause du mot qu'on ne sait pas +prononcer qu'en raison du mets effroyablement épicé. + +Pour le coup, Paris devient une parodie de Londres. + +Au temps de Vadé, la cour et les beaux esprits allaient aux Halles; de +nos jours, le monde aux gants roses va à l'Hôtel des Ventes, qui est +décidément l'endroit de Paris le plus affairé. Que de choses on y aura +vendues, cet hiver! Une mondaine, Mme A***, une des princesses de la +cocotterie, étant morte, on a apporté par là tout ce qu'elle a laissé. +C'était une succession uniquement mobilière, des appartements en bois de +rose, l'argenterie, les bijoux, la cave, deux voitures, du linge, la +toilette, des objets d'art, le tout évalué à un million. Un million rien +que pour des meubles! Si vous voulez prêter l'oreille, des échos de +l'hôtel vous diront que les seules robes ont formé le chiffre de 300 000 +francs. Voilà un luxe dont les honnêtes gens n'ont assurément aucune +idée. C'est un trait de moeurs à noter. Les familles les plus riches +frissonnent rien qu'à la mention de ce fait. Où sont allées toutes ces +robes? Étant d'étoffes neuves, elles serviront de rechef, mais à qui +serviront-elles? Qui peut affirmer que ce ne sera pas aux plus honnêtes +femmes? + +J'ai déjà dit un mot de la vente des livres d'Émile Gaboriau. Ce brave +garçon, frivole en apparence, était mordu, au fond, d'un sérieux désir +d'apprendre. Il se passionnait pour l'histoire et il s'était mis à +rechercher les vieilles éditions des écrivains graves. Nous lui avons +entendu dire à lui-même qu'il estimait sa bibliothèque à 6,000 francs, +au bas mot. C'est tout au plus si les enchères auront fourni la moitié +de cette somme. Des livres, de vieux livres, voilà une superfluité dont +notre société n'est guère friande. Donnez-lui pour 300,000 francs de +robes, à la bonne heure. + +Sur la fin de la semaine, on a pu constater un certain empressement à +propos des oeuvres de M. Carpeaux, le sculpteur. Marbres, terres cuites, +bronzes se sont bien vendus. Néanmoins la tête horrible de l'Ugolin des +Tuileries n'a pas trouvé d'amateur. Il y a bien trop de mièvrerie dans +les allures du jour pour qu'on puisse aimer le Dante commenté avec de la +terre glaise. Un comte qui mange ses fils sans couteau ni fourchette, un +Italien de la Renaissance, plus anthropophage qu'un Caraïbe de Fenimore +Cooper, ce n'est guère tentant d'ailleurs comme bibelot à mettre sur une +étagère. En revanche on a fait fête au modèle d'un autre groupe non +moins fameux, mais plus décolleté. Vous avez compris que nous parlons de +cette sarabande effrénée, la Danse, qui figure sur le seuil du nouvel +Opéra, où, du matin au soir, elle scandalise tous les bons bourgeois +passant par là . Trois concurrents se disputaient ce morceau; on l'a +adjugé à 8.000 francs.--Cette même débauche d'art, un des principaux +confiseurs avait demandé à l'artiste la permission d'en faire une +réduction en sucre candi ou en chocolat. Avouez que c'eût été d'une +très-heureuse actualité à l'heure des étrennes. Le sculpteur n'a pas +voulu. On lui a dit: + +--Monsieur, vous refusez de voir votre nom dans toutes les bouches. + +Beauvallet, de la Comédie-Française, vient de mourir à Passy, à +soixante-douze ans. Il était fort bien doué; par malheur, il a abusé de +la facilité que lui avait donnée le sort pour vouloir faire trop de +choses à la fois. Bon comédien, tragédien passable, il se piquait aussi +d'être poète, ce qui l'a poussé à faire des vers qui ne devaient pas +vivre. A ses premiers débuts dans la vie, il avait commencé par étudier +la peinture chez Paul Delaroche. Un jour que Casimir Delavigne visitait +l'atelier, on lui amena l'élève qui se mit à déclamer des vers, une des +Messéniennes, celle où trois femmes, trois Muses, apparaissent à +Napoléon pour lui prédire tout à tour sa grandeur et sa chute. + +--Mon cher monsieur, dit l'auteur des Vêpres siciliennes, il se peut que +vous fassiez quelque chose en peinture; cependant je suis sûr que vous +réussiriez au théâtre. + +Il n'en fallut pas plus pour enflammer la tête du jeune homme. +Beauvallet jeta là ses crayons et sa palette pour aller au +Conservatoire; après les études indispensables à un débutant, il fut +engagé à l'Ambigu, où il joua, non sans succès, le drame d'alors. En ce +temps-là , le boulevard oscillait entre les oeuvres de la vieille école +sentimentale et les premières tentatives du romantisme. Le nouveau venu +trouva moyen de se mettre en relief dans ce genre bizarre; il se fit un +nom en jouant _Caravage_, une histoire arrangée de peintre italien. Sa +belle prestance, une voix de tonnerre, un soin merveilleux dans l'art de +s'arranger un costume, ne pouvaient manquer de le faire mettre en +évidence. Le Théâtre-Français ne pouvait manquer de lui ouvrir +très-prochainement ses portes. Un jour, en 1833, quand Victor Hugo donna +_Angelo, tyran de Padoue_, ce fut à Beauvallet qu'il confia le principal +rôle. Il avait à côté de lui, pour lui donner la réplique, deux des +grandes actrices de l'époque, Mlle Mars et Mme Dorval. Il fallait +entendre le superbe podestat lorsque, s'avançant sur la scène, d'un air +tout à la fois effrayé et menaçant, il récitait le grand monologue sur +le Conseil des Dix. Sans mentir, c'était à donner la chair de poule. + +Beauvallet avait mis tant d'originalité dans ce rôle qu'on n'a plus +consenti à le voir jouer par un autre. La parodie se chargea, suivant la +mode du temps, de donner une suprême sanction à son triomphe. Le +Vaudeville, qui n'était qu'un théâtre gai, ne s'inquiétant que de faire +rire, avait mis à l'étude une farce intitulée _Cornaro ou le tyran pas +doux_. Ce susdit Cornaro, personnage correspondant à celui du drame, +devenait une charge des plus amusantes, grâce à Lepeintre jeune, le plus +gros des comédiens. Il criait à tue-tête, celui-là , même pour demander +ses pantoufles. Faire trembler tout le monde autour de lui était sa +joie. C'était pour cela qu'Arnal, l'invitant à parler en sourdine, lui +disait: + +--Êtes-vous le cousin du bourdon Notre-Dame? + +Quelle voix! ah! quel creux! Vous effrayez madame. + +Et Cornaro de répondre sur un ton plein de mignardise: + +--Je n'ai que le désir d'être son beau valet. + +Depuis vingt-cinq ans, Beauvallet avait abordé le répertoire classique, +tragédie et comédie. Très-soigneux, correct, il y était fort +applaudi.--On a dit mille fois que, de tous les artistes, le comédien a +la vie la plus ingrate, en ce qu'il ne laisse rien après lui. + +--Bast! répliquait Sheridan, ayez la patience d'attendre deux ou trois +siècles, et vous verrez ce qui restera des autres! + +Il se passe un fait bizarre au sujet des étrennes. Tandis que s'accroît +le nombre de ceux qui en demandent, on voit de plus en plus des ratures +se dessiner sur la liste de ceux qui en donnent. Parmi les premiers, on +signale surtout deux nouvelles recrues: l'employé du télégraphe qui +apporte les dépêches et le clerc d'huissier qui remet le papier timbré. +Quant à ceux de l'autre catégorie, ce sont de spirituels sceptiques qui +profitent des moyens de locomotion dont dispose notre XIXe siècle pour +filer et disparaître. Dix ou douze jours d'absence suffisent. On dit: +«J'ai un procès en Bretagne», ou bien: «Mon vieil oncle de Beauvoisis +vient de mourir d'une coqueluche rentrée»; et l'on s'en va passer une +quinzaine à Nice. Un voyage d'agrément et une bonne affaire tout à la +fois. + +Trois académiciens qui se sont rencontrés, jeudi soir, au foyer de +l'Odéon, se contaient à demi-voix leurs peines à propos du jour de l'an. +Rien de plus curieux que leurs plaintes à cet égard. + +--Figurez-vous, disait l'un d'eux qui avait un bonnet de soie noire sur +la tête, figurez-vous que seize personnes nous poursuivent pour nous +demander chacune la même chose; comprenez que cette chose ne nous +coûterait rien, pas même la moitié d'un centime et que néanmoins nous ne +pouvons la donner tant que ça. + +--Qu'est-ce donc? + +--Eh! pardieu, un fauteuil. + +En effet, il y a trois fauteuils à donner en janvier et seize candidats +qui demandent à les avoir; et tous les seize, suivant l'usage +immémorial, sont individuellement le premier moutardier du pape, ou, si +vous voulez, un homme du bois dont on fait les dieux. Ces dignes +académiciens voudraient bien se sauver quelque part, mais leur grandeur +et les jetons de présence les retiennent au quai Conti. + +Il n'y a pas fort longtemps, dans cette divine baraque au palais +Mazarin, il y avait un des Quarante qui n'entendait pas raillerie à +propos d'argent à donner. C'était Lemontey, l'auteur de l'_Histoire de +la Régence_. + +Un certain jour de l'an, un des garçons de l'Institut vint voir +l'historien; il le salua, la casquette à terre, et tendit la main. + +Lemontey lui donna une pièce de dix sous. + +--Comment! rien que ça? dit le garçon en grommelant entre ses dents. + +--Hein! qu'est-ce que c'est? riposta l'immortel furieux. Cinquante +centimes, un demi-franc, ce n'est rien? Eh! malheureux, c'est la quatre +cent millième partie de deux cent mille francs, par conséquent de dix +mille livres de rente. Eh! je voudrais bien être garçon de l'Institut +pour en recevoir autant, moi! + +P.-J. Proudhon comprenait les étrennes d'une autre façon. + +L'année qui a précédé la mort du célèbre dialecticien, M. E. Dentu, son +éditeur et son voisin, se présenta chez lui le matin du jour de l'an. + +Après avoir échangé une poignée de main avec lui, il lui montra un petit +paquet enveloppé de papier gris. + +--Qu'est-ce que c'est que ça? dit Proudhon. + +--Deux poupées que je vous demande la permission d'offrir à vos deux +petites filles. + +En entendant ces mots, l'auteur du livre _De la Justice_ entra tout à +coup dans une colère des plus violentes. + +--Des poupées à mes filles! Non, mon cher monsieur, non; je vous le +défends positivement. Savez-vous l'enseignement qui résulterait de ce +cadeau? L'amour de l'alanguissement, la coquetterie, la paresse, le +goût du luxe, peut-être de la luxure. C'est bon pour les duchesses, +c'est bon pour les bourgeoises. Tenez, si voulez faire un présent à ces +enfants, apportez-leur quelque chose d'utile, un dé à coudre, des +ciseaux, un paquet d'aiguilles. Qu'elles aient à la main un objet qui, +de bonne heure, leur rappelle qu'elles sont filles de la misère et de la +philosophie et qu'il faut qu'elles songent sans cesse à épouser le +travail! + +À certains égards cet esprit de prévoyance se retrouve en grand dans un +mot de Mme Lætitia Bonaparte, la mère de Napoléon.--Longtemps éprouvée, +n'ayant eu de 1790 à 1799 que 1,500 fr. pour soutenir sa modeste maison +et nourrir ses trois filles, Caroline, Elisa et Pauline, la brave femme +ne pouvait pas se résoudre à jeter l'argent par les fenêtres. + +En 1809, le 2 janvier, la princesse Pauline vint la voir. + +--Madame, l'empereur m'envoie vous faire une question. + +--Laquelle? + +--Combien avez-vous dépensé, hier, en fait d'étrennes? + +--Ma fille, 3,255 francs. + +--3,255 francs! Mais je vous avais remis, de la part de mon frère, 30 +000 francs pour faire des largesses! Est-ce que vous comptez placer +cette somme? + +--Mon Dieu, oui, Paulette. + +--Mais pourquoi faire? + +--Pourquoi faire? Pour donner, un jour, du pain à tous les rois et à +toutes les reines qu'on a faits dans ma famille! + +L'histoire a prouvé par trois fois que l'Agrippine d'Ajaccio n'avait pas +si grand tort. + +Philibert Audebrand. + + + +NOS GRAVURES + +L'ILE SAINTE-MARGUERITE + +[Illustration: Le môle de débarquement.] + +[Illustration: Le fort et les prisons.] + +[Illustration: Vue de la pointe de la Croisette.] + +[Illustration: THÉÂTRE DES VARIÉTÉS.--_Les Merveilleuses_, comédie en +cinq actes, de M. Victorien Sardou.--Décors de M. Robecchi.--Costumes de +MM. Eugène. Lacoste et Draner.] + + + +Le naturaliste Agassiz + +Le 15 décembre, un télégramme fort laconique annonçait à l'Europe que +«le professeur Agassiz venait de mourir à Boston». + +Cet illustre naturaliste mérite mieux qu'une mention d'une ligne. +C'était le digne successeur des Buffon et des Cuvier, et le monde +scientifique a peu de noms à opposer au sien; en Amérique, nous ne +voyons pas qui est capable de prendre sa place. + +Agassiz avait émigré aux États-Unis en 1847, à la suite des événements +politiques dont la principauté de Neufchâtel fut alors le théâtre. Il +était déjà célèbre et s'était fait connaître au monde savant par un +ouvrage sur les poissons fossiles, publié dès 1842, et qui est resté +classique en géologie, comme le livre de Cuvier sur les mammifères +éteints du bassin de Paris, ou le livre de Brongniart sur la flore +fossile des terrains houillers. + +Né dans le canton de Vaud en 1807, Agassiz avait étudié en Allemagne, et +fut reçu docteur à Munich. Il fut nommé professeur d'histoire naturelle +à Neufchâtel dès 1838, et publia en français, en latin ou en allemand +divers ouvrages de zoologie, dont celui que nous avons cité plus haut a +surtout contribué à le faire connaître. + +Ses études sur les glaciers, qu'il poursuivit avec une ardeur +infatigable, escaladant tous les pics des Alpes, entre les années 1840 +et 1847, confirmèrent la réputation qu'il s'était acquise parmi les +géologues, et l'on peut dire que lorsqu'il quitta l'Europe, son nom +était déjà universellement connu. + +Ses deux collaborateurs, MM. Desor et Vogt, Suisses comme lui, ont +continué les traditions du maître. Ils n'ont cessé de marcher à la tête +de la science helvétique, et ils l'ont même quelquefois poussée en +avant, notamment en anthropologie, avec une virilité, une audace qui ont +épouvanté en France plus d'un de nos maîtres officiels. + +Agassiz, à peine arrivé aux États-Unis, fut nommé professeur d'histoire +naturelle à l'Université de Cambridge, près Boston, et c'est là que, +vingt ans plus tard, nous l'avons rencontré nous-même, augmentant, +classant sans cesse ses chères collections, et toujours à l'affût de +nouveaux voyages pour faire progresser la science et ouvrir aux +investigations de l'esprit humain des champs jusque-là inconnus. + + [Note 1: Voyage au Brésil, Paris, Hachette. 1868.] + +Avec sa femme, qui ne cessa de le seconder dans ses recherches et de +s'associer à tous ses travaux, comme une vraie Américaine qu'elle était, +il entreprit le voyage de l'Amazone. On sait quel trésor de faits +curieux il rapporta de cette exploration, et combien il en accrut ses +collections, notamment en ichthyologie. Ce voyage, publié par Mme +Agassiz, a été traduit en français (1); l'exploration de l'Amazone a été +même illustrée dans le _Tour du monde_, d'après les dessins de Mme +Agassiz, qui tenait aussi bien le pinceau que la plume, dans ces +dernières années, M. Agassiz avait entrepris l'étude du fond des mers, +et fait à ce sujet sur un navire de guerre américain, que le +gouvernement des États-Unis avait mis généreusement à sa disposition, +une série de travaux fort intéressants poursuivis dans l'un et l'autre +océan, l'Atlantique et le Pacifique. Il était aussi allé de Boston à +San-Francisco par le cap Horn. Il avait espéré que sa santé, ébranlée +par un travail incessant, se relèverait dans ce long voyage. Il semble +qu'il n'en a rien été, puisque la nouvelle, de sa mort nous est parvenue +au moment où tout faisait espérer que ses amis et la science pourraient +encore le conserver longtemps. + +Dans ce voyage de circumnavigation, les découvertes d'Agassiz ont été +presque de tous les jours, sur les courants, la température des eaux +marines à diverses profondeurs, le fond de la mer, les animaux qui s'y +rencontrent. C'est lui qui a pour la première fois démontré que le fond +des océans est habité à toutes les profondeurs, contrairement à ce qu'on +avait écrit. Que d'espèces nouvelles en coraux, coquilles, poissons, +plantes marines il avait ramenées de son dernier voyage! Il était occupé +à classer tout cela, à le distribuer, à le faire connaître avec cette +générosité toute américaine qui le distinguait, quand la mort est venue +le surprendre. + +Au physique, c'était un homme de haute taille, fort vigoureux; ses +traits annonçaient l'aménité, la bienveillance, et le moral ne démentait +pas ce que le physique annonçait. Il était ouvert, sympathique, causait +volontiers et facilement, ne disait du mal de personne, pas même de ses +confrères, ce qui est rare parmi les savants. Il était, comme tous les +protestants, fort attaché aux doctrines religieuses. Spiritualiste, il +faisait volontiers intervenir la Providence dans la création des +espèces, mais cela ne l'empêchait pas d'apporter dans les théories +scientifiques beaucoup d'indépendance. Ainsi il était, en histoire +naturelle, avec les Lamarck, les Geoffroy Saint-Hilaire, les Goethe, les +Darwin, partisan de la variabilité de l'espèce humaine et non de +l'unité, comme le voulaient Buffon et Cuvier, et comme quelques +naturalistes, entre autres M. de Quatrefages, le veulent encore +aujourd'hui. + +Il faisait bon marché des honneurs, et se contentait du titre de +correspondant de notre Académie des sciences, n'ayant jamais voulu +accepter de l'empereur Napoléon III, qui l'avait connu et apprécié en +suisse, ni le titre de sénateur, ni celui de professeur au Collège de +France, ni même celui de directeur général du Muséum, place restée, +dit-on, vacante depuis la mort de Cuvier. On essaya de le tenter à +diverses reprises et de le fixer parmi nous; toujours il préféra rester +dans sa patrie d'adoption. Républicain il était en Suisse, républicain +il demeura aux États-Unis. Il vient d'y mourir, comblé de gloire sinon +d'honneurs, aimé de tous, ayant fait de nombreux élèves, n'ayant cessé +un jour de travailler et de faire progresser la science, qui a été +l'occupation de toute sa vie. C'était un homme de bien, _vir probus_, au +sens le plus général du mot, un de ces hommes qu'on voit toujours partir +avec le plus vif regret, parce que l'on sent combien il sera difficile, +pour ne pas dire impossible, de les remplacer. + +L. Simonin. + + + +Le Fort Sainte-Marguerite + +L'ex-maréchal Bazaine aurait pu être envoyé dans quelque casemate +oubliée, dans quelque prison sans passé, ou même faire le voyage de la +Nouvelle-Calédonie, en compagnie de pétroleurs. L'opinion publique eût +été probablement satisfaite de ce châtiment qui plaçait ainsi au même +rang tous ceux qui ont failli faire sombrer le pays! Mais décidément la +fortune sourit à Bazaine; pendant que nous grelottons dans le Nord, on +l'envoie dans une contrée bénie du ciel, inondée, au coeur de l'hiver, +des chauds rayons du soleil, et délicieusement rafraîchie, en été, par +les brises de mer!... + +Heureux maréchal! La Providence lui assigne même la prison à jamais +célèbre de l'homme au masque de fer. Etrange caprice du destin! +L'innocent martyr du despotisme de Louis XIV a vécu là , le visage +couvert, les traits constamment voilés, tenu dans le plus complet +isolement, tandis que le grand coupable de Metz va sans doute passer les +dernières années de sa misérable vieillesse en captif heureux, entouré +peut-être de quelques-uns des siens, et à coup sûr il n'aura pas pour +gouverneur un maître implacable comme Saint-Mars! + +Je me trouvais, il y a peu de mois, à Cannes, et de là on voit se +profiler, à quelques milles en face, les îles de Lérins, semblables à de +gigantesques entassements. Si l'on était oiseau, en deux coups d'aile, +on arriverait à Saint-Honorat ou à Sainte-Marguerite. Sans s'armer d'une +longue-vue, il est parfaitement possible de distinguer les rochers +élevés qui bordent les deux îles, et l'on peut compter jusqu'aux +fenêtres du fort Sainte-Marguerite. + +Une vingtaine de petits bateaux bariolés dansaient dans le port de +Cannes, sous la violente caresse du mistral, et demandaient à grands +cris, par la voix de leurs patrons, quelque promeneur complaisant! + +--Monsieur! promenade à Sainte-Marguerite! Bon temps! Bon vent! me cria +l'un des bateliers en me priant du geste de descendre. + +--Et combien de temps faut-il pour arriver à l'île! + +--Oh! monsieur, pas beaucoup! J'y suis allé l'autre jour en moins d'un +quart-d'heure! + +--Et le vent est bon? repris-je. + +--Excellent! monsieur, deux ris aux voiles et nous filons comme +l'éclair! + +Inutile de dire que le quart-d'heure du brave batelier se changea en +demi-heure, la demi-heure en trois quarts-d'heure et qu'une heure après +nous ne touchions pas encore au môle du débarquement. En revanche, +j'avais eu la mer la plus moutonneuse du monde; nous avions failli être +roulés par les vagues; mais quelle baie splendide, que de merveilleux +horizons! + +J'eus le malheur de descendre du bateau pour tomber entre les mains d'un +vieux sergent qui ne me lâcha pas avant de m'avoir conté,--ce qu'il +savait du reste fort mal,--l'histoire de l'île Sainte-Marguerite. + +Il m'expliqua que le fort avait été construit sous Richelieu, puis pris +par les Espagnols, qui l'avaient agrandi, et enfin réparé par Vauban. + +En résumé, ce bâtiment serait peu digne d'intérêt si la légende de +l'homme au masque de fer n'était pas là pour captiver. + +Matthioli, c'est le nom que l'on donnait à ce célèbre inconnu, avait une +prison que le maréchal Bazaine,--l'homme heureux!--ne connaîtra sans +doute que de vue! La chambre qu'il habita onze années n'était éclairée +que par une fenêtre du côté du nord, percée dans un mur de près de +quatre pieds d'épaisseur; on y avait même prudemment adapté trois +grilles de fer placées à une distance égale. Cette fenêtre donnait sur +la mer. + +Ce qui fit supposer à quelques indiscrets que Matthioli devait être +quelque grand personnage, ce sont d'une part les mesures prises par +Saint-Mars pour éloigner de lui même les geôliers, et de l'autre +l'espèce de respect dont semblait l'entourer le gouverneur. + +De plus, on assure que l'homme au masque de fer portait des vêtements +recherchés, de fines dentelles, et qu'on lui fournissait des habits +aussi riches qu'il paraissait le désirer. + +Il n'en fallait pas plus pour faire pleuvoir des milliers de +conjectures: C'est un frère de Louis XIV, disent les uns.--C'est le duc +de Beaufort, assurent les autres.--C'est un fils de Cromwell!... + +Quelques anecdotes inventées sans doute viennent à la rescousse, et +notre homme, qui n'était peut-être qu'un petit gentilhomme sans grande +importance, passe d'emblée à la postérité! + +Vous connaissez l'histoire du pêcheur qui ramasse sous les fenêtres de +Matthioli une assiette d'argent sur laquelle se trouvaient inscrits +quelques caractères;--le brave homme rapporte sa trouvaille au +gouverneur, qui lui demande s'il a lu les mots écrits sur ce plat: «Je +ne sais pas lire!» répond naïvement le pécheur, et Saint-Mars lui dit: +«Allez! Remerciez le ciel de votre ignorance!» + +Un ingénieux historien, à la vue très-bonne, affirme qu'il y avait sur +ce plat désormais historique, ces mots: «Louis de Bourbon, comte de +Vermandois, frère de Louis XIV, etc.» + +Si Bazaine jette jamais ses assiettes par les fenêtres, les pêcheurs +d'aujourd'hui les conserveront peut-être sans scrupule. + +Richard Cortambert. + + + +Variétés: "les Merveilleuses", comédie en cinq actes de M. Victorien +Sardou. + +Cette fois c'est mon collaborateur M. Morin qui se charge de rendre +compte des _Merveilleuses_, de M. Sardou. Son dessin animé, spirituel et +d'une parfaite exactitude, tient lieu de l'article de théâtre. Aussi +bien notre critique à nous serait-elle inutile puisque M. Sardou n'a pas +jugé nécessaire d'introduire une action dans sa comédie, qui relève +presque tout entière du décorateur et du costumier. Quoi? pas le moindre +petit bout d'intrigue? Si vraiment, mais si peu que cela ne vaut pas la +peine d'en parler. Dorlis, que la guerre d'Italie a enlevé aux premières +joies de la lune de miel à sa femme Illyrine, retrouve au retour de +Rivoli et d'Arcole, son épouse convolant en secondes noces avec le +citoyen Saint-Amour, chef du cabinet de Barras. Il était temps, deux +heures plus tard, protégée par la loi du divorce, elle devenait madame +Saint-Amour. C'est tout, et cette petite comédie entamée à la fin du +quatrième acte se dénoue au cinquième. Il semble que M. Sardou, occupé à +faire revivre dans une série de tableaux vivants les hommes et les +choses du Directoire, et attardé longtemps dans les curiosités et les +bibelots du temps, se soit dit: «Maintenant que j'ai reconstitué ce +peuple bigarré dans les rues, agité dans les salons cet essaim de +merveilleuses et ce groupe de muscadins, que j'ai placé sur leurs +étagères ce musée archéologique des dernières années du siècle, songeons +un peu à mettre une action dans la pièce; si mince qu'elle soit, cela +est toujours assez bon; l'intérêt n'est pas là , il est dans cette série +de tableaux, dans ce panorama des plus mobiles et des plus amusants, +avec ce décor du premier acte, ce jardin du Palais-Égalité où s'asseyent +les _incroyables_, le menton caché dans la cravate _écronitique_, avec +_les oreilles de chien_, le chapeau gigantesque en demi-lune, le bas en +tire-bouchon et le bâton de houx à la main. Là circulent les +carmagnoles, les bouquetières, là se réfugient contre les huées des +_sans-culottes_, les daines _sans-chemises_ que la brutalité de la foule +menace de jeter à l'eau. + +Au second tableau, nous sommes sur le perron de la rue Vivienne, où +s'agitent les agioteurs, devant cette boutique de boulanger qui indique +le prix montant et descendant du louis, étiage de la fortune publique. +Au premier étage d'une maison, des joueurs jettent leur or au râteau des +croupiers; à l'entresol, des _marchandes de frivolités_ prélèvent des +intérêts sur la bonne fortune tentée au premier étage. C'est le bruit, +c'est la rue. L'acte suivant nous transporte dans l'hôtel du financier +Ragot; un bijou, que ce décor, une merveille de goût et d'exactitude, +avec ses pendules, ses candélabres du temps, avec ses sièges en forme +d'X, avec ses tasses à thé à fond jaune tacheté de petites fleurs +noires. Là règnent les _Merveilleuses_, les robes à la _Flore_, les +tuniques à la _Minerve_, la redingote à la _Galathée_, passant par +toutes les nuances, depuis le _Fifi pâle effarouché_ jusqu'au _Violet +cul de mouche_. Et les coiffures! Le turban relevé avec des plumes +bleues, bonnet Pierrot, bonnet à la Délie, bonnet à l'Esclavonne. Tout +ce monde féminin caquette et fripe dans ses mains des éventails de crêpe +noir lamé et pailleté d'argent, sur lesquels se montre discrètement +l'effigie de Louis XVI, de la reine et du dauphin, ces éventails au +_Saule pleureur_. Les élégants zazayent de leur petite voix de +femmelette leur parlé gazouillé et mouvant, et étalent leurs habits de +soie rayée à queue de morue. MM. de Concourt ont fait dans un excellent +livre l'inventaire par le menu de cette société du Directoire. Ce +catalogue des choses et des gens, M. Sardou, par une fantaisie d'auteur +dramatique, l'a fait vivre aux Variétés. Il a animé les Carie Vernet, +les Debucourt. Cela est fort amusant au début, mais fatigue vite chemin +faisant. On feuillette pendant une heure un album de caricatures, mais +toute une soirée! c'est un peu long. Et puis, une observation. Comment, +nous voilà dans cette société de l'an de grâce 1798, et pas un costume +d'officier ou de général? Ce ne sont pourtant pas les militaires qui +faisaient défaut dans ce monde du Directoire. Il y a là une lacune. + +M. Savigny. + + + +Glace et patins: "La première leçon" et "Un regard en passant". + +Puisque l'hiver s'obstine à ne pas entrer en scène, faisons tout éveillé +un rêve qui fera tressaillir d'aise les membres du club des patineurs. + +Il y a huit jours, le thermomètre est descendu à dix degrés au-dessous +de zéro, et depuis lors il s'est résolument maintenu entre six et huit. +Lacs, étangs, toutes les pièces d'eau dormante ont gelé, et finalement +la glace a acquis une respectable épaisseur. + +O bonheur! l'heure heureuse, depuis si longtemps attendue, a donc sonné, +et le moment fortuné est venu! Vite, courons, et sans perdre une minute, +au lac, au lac! + +Déjà sous un ciel gris d'acier, au milieu d'un cercle de grands arbres +étincelants de givre, s'y presse une foule élégante et joyeuse, les +femmes emmitouflées de fourrures, portant le manchon en sautoir; les +hommes vêtus du costume de rigueur; bonnet fourré, pelisse, pantalon +collant qui fait valoir les formes et bottes cracoviennes; les uns et +les autres ayant chaussé le patin et glissant, se croisant, se +poursuivant sur la glace qu'ils rayent d'un pied plus ou moins habile. + +Car s'il en est qui savent proprement faire un dehors, écrire +correctement leur nom du bout d'un patin victorieux, il y en a d'autres +aussi qui font beaucoup de fautes d'orthographe, et même en sont encore +à épeler péniblement leur alphabet. Aussi, pour les présomptueux, que de +mésaventures et de chutes, souvent ridicules. + +Je ne parle que pour les hommes. + +Il est bien entendu que c'est toujours avec grâce qu'une femme tombe sur +son pouff, quand cela arrive, ce qui est rare; car, plus timide, ce +n'est que bien soutenue qu'elle se risque à faire ses premiers pas sur +ce terrain glissant, où bientôt cependant elle s'élancera, rapide comme +l'hirondelle, en traçant comme elle, capricieuse, d'inextricables +méandres. + +Quelques-unes cependant ne parviennent jamais à surmonter assez leur +frayeur pour oser chausser le patin, et ce n'est que confortablement et +chaudement établies dans un traîneau qu'elles consentent à fendre l'air, +sous la conduite et la garde de quelque jeune gentleman, avec lequel il +leur est loisible alors d'achever tout à leur aise la conversation en un +autre endroit commencée, ou de commencer l'entretien qui sans doute se +terminera ailleurs. + +Je n'en jurerais cependant pas, car à quoi le plus souvent tiennent +ici-bas les choses, et de quoi dépendent nos résolutions les mieux +arrêtées? De ceci ou de cela, d'une goutte de pluie, d'un rayon de +soleil, ou encore d'un regard en passant. + +Louis Clodion. + + + +Les tortues de mer à Paris. + +Il y a longtemps qu'on n'avait vu à Paris des chéloniens possédant des +dimensions aussi prodigieuses. Les derniers avaient fait leur apparition +alors que florissait l'empire de l'infortuné Maximilien. Depuis lors il +s'est écoulé moralement plus d'un siècle. Aussi n'est-il pas étonnant +que les tortues de MM. Potel et Chabot aient obtenu un véritable succès +d'estime aussi bien dans la rue Vivienne que sur le boulevard des +Italiens. + +Une de ces étrangères, rien qu'en agitant ses pattes, a cassé innocemment +la glace de la devanture qui la séparait de la rue. Mais ce n'était pas +pour reconquérir une liberté définitivement perdue, et dont elle ne +pouvait, dans son état d'engourdissement, de demi-sommeil, comprendre le +prix. + +Ces animaux sont d'une force prodigieuse, et dans leur pays d'origine +d'une étonnante agilité. Ils nagent comme des poissons dans l'Océan. + +C'est surtout lorsque la femelle va pondre ses oeufs que l'on peut +facilement la surprendre et la capturer, ce qui se fait en la retournant +sur le dos, quelquefois à l'aide d'un levier. + +L'écaille des tortues franches n'a aucune valeur, mais la chair est +très-délicate, et il est à désirer qu'elle figure sur le carreau des +Halles où elle serait très-rapidement appréciée. + +Malheureusement nous sommes si routiniers en matière de gastronomie, +qu'elle est à peu près complètement perdue pour nous dès qu'elle a servi +à faire du bouillon. Les Anglais, plus pratiques, tirent un excellent +parti de tous les morceaux. + +La tortue jouit d'une propriété inestimable pour le transport dans les +pays lointains. On n'a besoin de la fumer ni de la saler, ni de la +placer dans des boîtes ou dans un garde-manger entouré de glace +fondante. Elle arrive vivante des Antilles sans qu'on ait besoin de lui +donner à boire et à manger. On pourrait donc se livrer à une +exploitation régulière de cette nouvelle matière alimentaire que nous +signalons expressément. + +De tous les animaux la tortue est peut-être celui qui a le cerveau le +moins développé. + +Lacépède allait jusqu'à prétendre qu'il est de la grosseur d'une +noisette pour un animal pesant 150 kilos. + +Mais il n'y a pas, paraît-il, d'animal qui soit plus porté aux plaisirs +de l'amour. Alors le mâle devient féroce, et aucun danger ne serait +capable de le déterminer à quitter sa femelle. Mais cela ne dure guère. +Au bout de quelques jours il l'abandonne sans remords, la laissant +regagner péniblement les îlots sablonneux où elle déposera ses oeufs, en +grand danger d'être surprise par les pêcheurs qui la guettent. Notre +dessin fait voir les suites inévitables de cette surprise. Un aide de +cuisine s'apprête à trancher la tête de la tortue tandis qu'un autre +empêche cette tête de rentrer dans la carapace, à l'aide d'un câble et +d'un croc. L'armée des marmitons est là sous les armes, prête à +commencer ses grandes opérations. Jamais mode plus barbare d'exécution +n'a été inventé. Il faut croire que la tortue a si peu de cervelle +qu'elle ne s'en aperçoit presque pas. Car si elle se plaint, c'est si +bas, si bas que jamais personne ne l'a entendue. + +W. de Fonvielle. + + + +LA VEILLE DU 1er JANVIER + +(Fin) + +--Absolument. Et je vais choisir des exemples. Voici Mademoiselle Mimi, +par exemple. J'ai déjà dit que je n'entendais pas médire des +poupées,--le jouet n'empêche pas le livre.--La vraie poupée, celle que +l'on peut habiller et déshabiller sans crainte de froisser une robe de +cent francs, qui possède une tête de porcelaine que l'on fait remettre à +neuf par le premier marchand venu du coin quand son propriétaire a eu le +malheur de tomber sur le nez, la poupée qui a son trousseau bien simple +de petits bas, de petits pantalons et de petites chemises, que sa maman +blanchit elle-même, la poupée que l'on mène en voiture et qui fait la +dînette, cette poupée-là est toujours amusante et sera amusante tant que +le monde durera. Mais le soir, quand Mimi viendra sous la lampe demander +à sa maman de lui montrer des images, sera-t-elle contente, oui ou non, +si ces images sont choisies dans un livre à elle, à elle toute seule, +écrit pour elle... + +--Il y en a donc de ces livres-là . + +--Il y en a quarante à l'heure qu'il est, ni plus ni moins, et la +collection des albums de P.-J. Stahl se complète d'année en année. C'est +le tableau vivant de l'enfance à tous les degrés, c'est un +chef-d'oeuvre, une galerie sans rivale. + +--Mais Mimi ne sait pas lire!... + +--Si elle ne sait pas lire encore, elle sait voir au moins; tous les +enfants savent lire dans les livres à images; l'image vue, l'image lue, +on veut savoir au plus juste de quoi il s'agit, et vous êtes là , chère +madame, pour lui lire à haute voix les légendes spirituelles ou +émouvantes que Stahl a donné à traduire en merveilleux dessins au crayon +de Froelich. C'est toute une morale où le code de la première enfance +est passé en revue article par article.--«Il faut aimer son papa, sa +maman et le bon Dieu», voilà pour l'âme. «Il faut manger sa soupe +courageusement jusqu'à la dernière cuillerée», voilà pour le corps. Et +pour la vie pratique: «Il ne faut mettre son doigt ni dans son nez, ni +dans les pots de confiture.--Il ne faut pas jouer avec ce qui coupe; les +couteaux ne sont pas un jeu.--Il est abominable d'égratigner son frère, +sa soeur et même sa bonne.--Il est très-mal aussi de marcher dans les +ruisseaux, ils ne sont pas faits pour cela.--Il ne faut jamais dire +qu'on n'a pas envie de dormir quand il est huit heures et demie +sonné...» + +Mon ami et sa femme s'étaient mis à rire dès les premiers mots de cette +énumération. + +--Pauvre Mimi! dit la jeune mère, c'est vrai tout de même que pas plus +tard que ce soir elle s'est démenée comme un beau petit diable en +prétendant que la pendule avançait et que, vrai, il ne pouvait pas être +huit heures et demie!... + +--_Les Commandements du grand-papa_ lui en apprendront bien d'autres. Et +la _Journée de la célèbre mademoiselle Lili_, et la _Boîte au lait_, et +le _Journal de Minette_, et les _Idées de mademoiselle Rose_, illustrées +par Detaille, et la _Révolte punie_, et _Hector le fanfaron_, et l'_Ours +de Sibérie_, et _Bonsoir petit père_, et _Toc-Toc_, et _Mademoiselle +Mouvette_, qui est son portrait vivant, sans compter les albums en +couleur qu'elle pourra manipuler à son aise sans courir le risque de +s'empoisonner, au rebours de ces albums anglais, dont les enluminures +grossières ne sont bonnes qu'à crever les yeux ou à gâter l'esprit. +C'est une maxime à graver en lettres d'or dans le Code des parents, que +préserver les enfants des niaiseries imprimées, c'est accomplir une +oeuvre pie. Voilà tout le secret de la bibliothèque Hetzel; P.-J. Stahl, +l'auteur applaudi des _Bonnes fortunes parisiennes_, que vous avez lues +tous les deux, à su tremper sa plume, comme je l'ai vu écrire quelque +part, dans un encrier rempli de lait sucré; une nourrice qui aurait +passé par l'Académie française n'aurait pas su trouver plus de +ressources d'esprit et d'imagination que ce père Gigogne. J'aurais dit +tout cela dans mon article, je puis bien vous le dire à vous, en +attendant. + +--Eh! c'est là précisément ce que j'étais en train de prêcher à ma +femme, s'écria mon ami; mais on n'est jamais prophète en son pays. Je +suis heureux de voir ton succès; on ne t'interrompt plus. + +L'interrupteur se contenta de sourire et je poursuivis en ces termes: + +J'arrive à Jujules. Savez-vous, chère madame, vous qui parliez tout à +l'heure de livres à choisir «par-dessus le marché», ce que votre petit +homme de huit ans m'a appris, il n'y a pas six mois? J'étais en train de +lui faire, en vous attendant, un petit cours d'histoire naturelle et, +par étourderie ou par ignorance, je ne sais plus au juste, je m'étais +avisé de ranger le crapaud parmi les reptiles malfaisants. Double +erreur, le crapaud n'est pas un reptile et le crapaud n'est pas une bête +malfaisante. Là -dessus, voilà Jujules qui m'interrompt de sa voix la +plus douce: + +--Pardon! mon parrain, mais j'ai lu quelque part que le crapaud n'était +pas un reptile... + +--C'est bien, possible; qu'est-il alors? + +--C'est un batracien, mon parrain, à moins que le livre n'ait menti. + +Le livre n'avait pas menti; mais voyez-vous votre bambin qui en +remontrait à son maître? Je lui demandai le titre de ce bienheureux +ouvrage. C'était un des classiques du genre: l'_Histoire d'une bouchée +de pain_ de Jean Macé. + +--Un de mes cadeaux de l'année dernière,... murmura mon ami. + +--Allons? je suis battue sur toute la ligne, et par un enfant encore! +s'écria la jeune femme. C'est de bonne guerre. Je me rends à discrétion. +Que lui donnerons-nous cette année au savant Jujules? + +Je me levai et je m'en fus chercher dans le coin où je les avais déposés +en entrant, l'_Histoire d'une maison_, de Viollet-le-Duc, et la _Famille +Chester_, de P.-J. Stahl et William Hughes. + +--Voici deux nouveautés que vous prendrez la peine de lire avant le 1er +janvier. Car ces excellents livres ont le double mérite qu'ils +conviennent aux petits et ne sont pas inutiles aux grands. Je ne veux +pas être cru sur parole; il faut que vous appreniez par vous-même quel +soin sévère, quels scrupules ont présidé à la formation de cette +bibliothèque d'élite. C'est déjà beaucoup de savoir qu'un homme tel que +M. Viollet-le-Duc a pris le meilleur de son temps pour apprendre au +grand public comment se bâtit une maison, ce que la profession +d'architecte exige de clarté dans l'esprit et de rectitude dans le +jugement. Nous avons tout à gagner à ces enseignements-là . On apprend à +tout âge et il n'est jamais trop tard pour aller à l'école. C'est encore +dans un de ces livres que j'ai trouvé la maxime suivante: «Je ne doute +pas qu'on ne puisse faire un gros livre de ce que tu sais, disait au +campagnard à son fils qui lui revenait du collège tout enorgueilli de +son grec et de son latin; mais je suis assuré qu'on en ferait un plus +gros encore avec tout ce que tu ne sais pas.» + +--Comment l'appelez-vous ce livre-là ? + +--_Entre frères et soeurs_. Ce sont des causeries scientifiques pleines +de savoir et de bonne humeur; signé Lucien Biart. + + + +[Illustration: LA PREMIÈRE LEÇON.--D'après le tableau de M. Boutibonne.] + +(Publié avec l'autorisation de MM. Goupil et Cie.) + + +[Illustration: UN REGARD EN PASSANT.--D'après le tableau de +M. Boutibonne.] + +(Publié avec l'autorisation de MM. Goupil et Cie.) + +--C'est l'auteur de ce joli volume de nouvelles que tu as lues avec tant +de plaisir, dans la _Revue des deux mondes_, ajouta mon ami, et qui ont +paru en volume à la même librairie Hetzel, sous le titre des _Clients du +docteur Bernagius_, et à l'usage des femmes d'esprit. + +--C'est cela même. Ajoutez que nous nous retrouverons constamment avec +des écrivains amis. Après Viollet-le-Duc, P.-J. Stahl et Lucien Biart, +il faudrait nommer Jules Sandeau et sa _Roche aux Mouettes_, +Erckmann-Chatrian et _Madame Thérèse_, Hector Malot et son Romain +_Kalbris_, et d'autres tout aussi connus auxquels j'arriverai tout à +l'heure. Mais ce n'est pas fini. Le 1er janvier de Jujules serait trop +maigre si vous vous borniez à deux livres; vous y ajouterez la _Soeur +perdue_, de Mayne-Reid, qui fait suite aux _Aventures de terre et de +mer_, qu'il a déjà reçues l'année dernière, et l'_Histoire du Ciel_, de +Flammarion, qui manque à sa bibliothèque. Je me charge de la _Roche aux +Mouettes_, de Jules Sandeau et de _Romain Kalbris_, d'Hector Malot. + +--Ah ça! s'écria mon ami, du train dont nous y allons, il ne restera +rien pour Edouard! + +--Rassurez-vous, la bibliothèque d'éducation et de récréation en a pour +tous les âges et pour tous les goûts. Edouard est déjà un petit homme +sérieux. Entre temps, il sait manier très-convenablement le compas et +l'équerre. Tandis que Jujules lui prêtera son _Histoire d'une maison_, +Edouard fui confiera en échange la collection des _Voyages +extraordinaires_ de Jules Verne... + +Mais c'est que je les lis, moi aussi, ces voyages!... s'écria la jeune +femme en me coupant la parole, y en a-t-il de nouveaux? + +--Ah! je vous y prends! Que me disiez-vous donc tout à l'heure, que vous +vous en reposiez sur le premier libraire venu du choix de ces lectures? +Jules Verne tout au moins aurait été désigné à l'avance et pour ce seul +aveu il vous sera beaucoup pardonné. Certes oui, il y en a de nouveaux +et ce ne sont pas les moins merveilleux. J'ai apporté le _Pays des +fourrures_, dont je puis parle en connaissance de cause, car je l'ai +déjà lu dans le _Magasin d'éducation_. Vous avez encore le _Tour du +monde, en quatre-vingts jours_, un chef-d'oeuvre d'invention, une sorte +de conte des Mille et une nuits, avec la fantaisie déréglée en moins, et +en plus l'imagination scientifique. Ce sont de fameux pendants à _Vingt +mille lieues sous les mers_, au _Voyage dans la Lune_ et au _Centre de +la terre_, à _Cinq semaines en ballon_, aux _Enfants du capitaine, +Grant_, au _Capitaine Hatteras_, etc. Cet étonnant romancier poursuit un +plan qui consiste à faire faire à son public la découverte successive de +toutes les parties du monde et de tous les phénomènes du globe. Nous +avons encore un bon bout de chemin en perspective. Savez-vous ce qu'il +m'a répondu tout dernièrement? Je lui demandais quelles surprises +nouvelles il nous réservait et s'il nous était permis de compter sur une +deuxième série aussi riche que la précédente. + +--N'est-ce que cela! me dit-il gaiement, apprenez qu'elle est toute +composée cette série à venir; il ne me faut plus que le temps de +l'écrire. + +--Tout va bien, répliqua mon ami, mais avec tout cela je ne vois pas +pourquoi tu nous a parlé du compas et de l'équerre d'Édouard? + +--M'y voici. Nous lui donnerons les Sciences usuelles et leurs +applications mises à la portée de tous, par le capitaine de frégate +Louis du Temple. Ce livre-là serait un peu trop sérieux pour Jujules; il +fera le bonheur d'Édouard. Figurez-vous, mes amis, la mécanique et la +géométrie racontées par un homme qui a appris la science à de pauvres +mécaniciens de la marine, à des gens presque illettrés mais pleins +d'ardeur, de bon vouloir et de dévouement. Ce sera bien le diable si +sous la direction d'un tel maître Edouard ne devient pas un mécanicien +de premier ordre. Je tiens à être là pour jouir de sa joie quand il +recevra ce magnifique volume, et si vos mains sont trop pleines de +cadeaux pour y joindre celui-là , c'est moi qui m'en chargerai. + +--Mais non! dit la jeune femme en riant, je n'accepte pas l'épigramme; +me voilà bel et bien convertie, et je vous promets que le n° 18 de la +rue Jacob comptera désormais une cliente aussi assidue que dévouée. +N'abusez pas de votre victoire. + +--Ainsi, ajouta mon ami, c'est toute une bibliothèque que nous +introduisons dans la famille. Quelle heureuse chance pour moi d'avoir eu +pour auxiliaire un ami dont le métier consiste précisément à lire les +livres nouveaux pour guider autant que possible le choix du grand +public. Si grâce à toi, le budget des étrennes est un peu plus lourd que +de coutume, je ne m'en plaindrai pas. + +--C'est encore une erreur, répondis-je, et ce sera mon dernier mot. Le +plus riche, le plus luxueux de ces beaux livres, les _Contes de +Perrault_, de Doré, qu'il faudra donner à Mimi, dans un an ou deux, ne +coûte pas à beaucoup près ce que coûte une soirée dans un théâtre de +genre, qui trop souvent se trouve être un théâtre de mauvais genre; il +coûte moins qu'un joujou vulgaire de chez Giroux, une boîte de bonbons +de Roissier, une fleur artificielle à mettre dans vos cheveux, madame, +ou la fumée de quelques cigares de choix que monsieur achètera au +Grand-Hôtel. Direz-vous que ce qui serait trop d'argent pour une chose +qui reste ne serait rien pour une chose qui passe? + +--Non! non! s'écrièrent en choeur mes deux amis, le mari et la femme, +associés et réconciliés dans le même sentiment. Nous voilà d'accord. + +--Tout est donc bien qui finit bien, répondis-je en fermant l'entretien; +cela finit d'autant mieux que mon article est fait. Tant pis pour vous, +je vous préviens que je vais livrer au public toute notre conversation +sans y changer un mot. + +--Tu ne nous nommeras pas au moins! + +--Je le jure! Je me bornerai à vous soumettre mon procès-verbal et à +signer pour copie conforme: + +Prosper Chazel. + + + +LA SOEUR PERDUE + +Une histoire du Gran Chaco + +(Suite) + + +CHAPITRE X + +ARRÊTÉS PAR UN «RIACHO.» + +LES GYMNOTES + +Les voyageurs se trouvaient à un mille de distance de leur dernière +halte quand les hautes berges du Pilcomayo commencèrent à se déprimer, +puis à s'abaisser jusqu'à se mettre presque de niveau avec le fleuve. La +colline qu'ils avaient jusqu'alors suivie se continuait sur l'autre +bord, comme si elle eût été coupée par le courant qui formait en cet +endroit une série de rapides contre lesquels l'eau se brisait en +bouillonnant et avec un bruit assourdissant. + +Les voyageurs n'y prêtèrent pas attention; ils descendirent la pente et +continuèrent à remonter le cours d'eau. + +Ils ne tardèrent pas à se heurter contre un obstacle inattendu. C'était +une sorte de ruisseau lent, un _riacho_ (2) qui débouchait +perpendiculairement dans le Pilcomayo ou en sortait, suivant la saison +et les caprices de l'inondation. En ce moment il semblait être immobile, +parce que la rivière principale, subitement enflée par l'ouragan, +arrêtait le courant plus tranquille de son affluent. Ses eaux étaient +jaunâtres et comme mêlées de terre et de sable. Le seul moyen d'en +savoir la profondeur était d'y entrer à cheval, mais l'expérience était +dangereuse. + + [Note 2: Le _riacho_ de l'Amérique du Sud est un cours d'eau + tributaire d'une grande rivière. Il ressemble au bayou de la + Louisiane. En temps d'inondation son courant change de direction + et revient sur lui-même.] + +Il ne fallait pas songer à tourner pour le franchir au-dessus de sa +source, ni à chercher un gué en le remontant. Le riacho était droit +comme un canal, et les cavaliers pouvaient le suivre des yeux à travers +la plaine sur une étendue de plus de dix milles présentant toujours la +même largeur et probablement la même profondeur que sous la tête de +leurs chevaux. + +Que faire? remonter jusqu'à la source aurait exigé une demi-journée tout +entière. Cypriano était trop impatient pour y songer et Gaspardo +lui-même paraissait médiocrement disposé à un retard. Essayer de passer +à l'endroit où ils se trouvaient semblait être une entreprise +hasardeuse; il leur faudrait peut-être nager. Cependant cette +alternative ne les eût pas arrêtés si le bord opposé avait offert une +pente douce ou quelque point facile qui permit aux chevaux d'aborder. +Mais il n'en était pas ainsi; au contraire, la berge s'élevait +perpendiculairement à plus de deux pieds au-dessus de l'eau, et, sous +l'eau, cette sorte de muraille pouvait être encore plus profonde. Les +voyageurs étaient dans l'impossibilité d'évaluer la profondeur à cause +de la coloration de l'eau, conséquence de la tormenta, et il n'existait +ni courant ni rides pour les aider à se former une opinion même +approximative. + +Ils restaient indécis sur leurs selles. S'il avait été seul, Cypriano, +dans son impatience, aurait lancé son cheval en plein cours d'eau, mais +Gaspardo avait mis la main sur la bride en lui disant: «Patience! il est +bon de réfléchir, même avant de faire une folie.» + +Ils demeurèrent ainsi pendant plus de dix minutes, tantôt jetant les +yeux sur le ruisseau, tantôt se regardant les uns les autres. + +«_Gracias a Dios!_ que Dieu soit loué! s'écria tout d'un coup le +gaucho.» + +Il proféra cette exclamation d'un ton si satisfait et avec un tel soupir +de soulagement que ses jeunes camarades comprirent que le problème était +résolu et que le moyen de passer était découvert. + +«Qu'avez-vous imaginé, mon bon Gaspardo? demanda Cypriano, toujours le +plus prompt à interroger. + +--Regardez là -bas, dit Gaspardo? en montrant de la main l'endroit où +l'affluent réunissait ses eaux à celles du fleuve. Que voyez-vous +là -bas, senoritos? + +--Rien de particulier, quelques grands oiseaux blancs avec de longs +becs, qui ressemblent à des grues. + +--Certainement, ce sont des grues, et même des grues soldats, des +_garzones_ (3). Eh bien! qu'en pensez-vous? + + [Note 3: Le _garzon_ est la plus grande des grues de l'Amérique du + Sud. Il possède une hauteur de cinq pieds; ses jambes sont longues + et grêles; son bec pointu est immense; il a sous la gorge un sac + rouge comme un pélican et son plumage est presque d'un blanc de + neige.] + +--Qu'elles nagent? + +--Nager! pas le moins du monde. Le garzon ne nage jamais. Elles passent +à gué, senoritos; oui! à gué. + +--Eh bien! après? fit Ludwig. + +--Comment! après? Je suis étonné que vous, naturaliste, un savant qui +avez appris à raisonner, vous ne liriez pas la conclusion d'un fait +aussi clair. + +--Quelle conclusion? demanda naïvement le jeune savant. + +--La plus simple du monde, à savoir que comme le dit la chanson, si les +canards l'ont bien passé, nous passerons nous aussi le riacho. Les grues +ont de longues jambes, c'est vrai, mais où un garzon peut passer, un +cheval n'est pas obligé de nager. Non, muchachos! nous traverserons à +l'endroit où ces gros oiseaux blancs sont en train de s'amuser. Nous +pourrions même peut-être le faire ici, mais cela serait moins sûr. Il y +a évidemment une barre de sable entre le riacho et la rivière et voilà +pourquoi les grues sont à l'eau. J'ajoute que, si elles y sont, ce n'est +pas pour le simple plaisir d'y prendre un bain de pieds. Il est probable +que l'orage a troublé les poissons et les a ramenés du large contre la +barre. Les grues, les trouvant là à leur portée, y sont venues à leur +tour. Tout s'enchaîne à merveille, vous le voyez, et nous n'avons +nous-mêmes rien de mieux à faire que de mettre à profit le résultat de +l'expérience faite par les grues.» + +Le gaucho avait raison. Les _garzones_ étaient activement occupés à +pêcher; les uns plongeaient leur bec sous l'eau, d'autres, la tête +renversée, montraient sous leur gorge de vastes poches écarlates +gonflées par le poisson qu'ils s'efforcaient d'engloutir. + +«C'est pitié de les déranger de leur dîner, dit Gaspardo, surtout après +le service qu'elles nous ont rendu en nous montrant le gué. Por Dios! Il +nous faut pourtant le faire, il n'y a pas moyen de l'éviter. Allons, +senoritos, descendons, nous demanderons en passant pardon à mesdames les +grues de la liberté que nous prenons à leurs dépens.» + +En disant ces mois, Gaspardo se dirigea vers le confluent des deux cours +d'eau, suivi par ses compagnons qui n'avaient fait, comme on le pense, +aucune objection au discours du brave gaucho. + +Au bout de deux cents pas, ils arrivaient au territoire de pêche des +grues. + +Ces grands oiseaux, effrayés par l'approche de créatures si différentes +de celles qu'ils voyaient ordinairement, se hâtèrent d'avaler le contenu +de leurs poches écarlates, puis, agitant leurs grandes ailes au-dessus +de l'eau, s'élevèrent dans les airs en protestant par leurs cris contre +le dérangement qu'on leur causait! + +Pendant un moment, ils tournèrent au-dessus de la tête des cavaliers en +poussant leurs notes perçantes, comme s'ils avaient espéré disputer aux +cavaliers le passage du ruisseau. Cependant, quand les chevaux se mirent +à l'eau, ils comprirent que pour le moment leur pèche était finie, et, +cessant leurs bruyantes démonstrations, ils partirent l'un après l'autre +en quête d'une retraite plus tranquille. + +Le passage était tel que Gaspardo l'avait supposé; c'était une barre +entre le fleuve principal et son tributaire. Ni en aval ni en amont les +chevaux n'auraient pu passer à gué, et même sûr la barre, au point le +plus profond, leurs sangles baignaient dans l'eau. + +La distance à parcourir était de plus de cent mètres, car c'était à +cette place que le riacho avait sa plus grande largeur. + +Ils avaient franchi les deux tiers du passage et se félicitaient déjà +d'être bientôt arrivés sur l'autre rive, quand tout d'un coup les +chevaux firent halte en frémissant de la tête aux pieds. + +Au même instant, chacun des trois cavaliers ressentit une commotion +étrange et tellement simultanée, que leurs exclamations s'échappèrent de +leurs trois bouches à la fois comme d'un seul gosier.. + +Gaspardo seul reconnut la cause de ces chocs imprévus. + +«Caramba! s'écria-t-il, c'est une raie électrique. Non pas une, mais +peut-être un millier! Il y en a tout autour de nous, je le vois bien au +frémissement des chevaux. Donnez de l'éperon, senoritos! donnez de +l'éperon, ou nos bêtes paralysées n'atteindront jamais le bord!» + +Ainsi apostrophés, les jeunes gens piquèrent de toute la force de leurs +talons, et leurs montures s'avancèrent encore, mais avec inquiétude et +une visible irrésolution. Parfois elles essayaient de reculer en dépit +des coups d'éperon. + +Les cavaliers n'échappaient pas à cette influence. Le fluide subtil +courant le long des membres des chevaux, pénétrait dans le système +nerveux des hommes et leur causait de violentes secousses. Tous les +trois se sentirent d'autant plus troublés, que la force ne pouvait rien +contre l'obstacle bizarre qui s'opposait à leur marche en avant. +Gaspardo seul conservait encore assez de présence d'esprit pour parler +et agir. + +«Éperonnez, criait-il, éperonnez! si nous ne gagnons pas le bord +rapidement, les gymnotes auront raison de nous et de nos bêtes. Nos +chevaux s'enfonceront dans l'eau comme des pierres et nous-mêmes, si +nous n'échappons pas à l'influence de ces infernales bêtes, nous ne +pourrons passer ni à gué ni en nageant. En avant donc, senoritos! Jouez +de la cravache et des éperons comme s'il s'agissait du salut de nos +Ames!» + +Ludwig et Cypriano n'avaient pas besoin d'être excités. Ils sentaient +parfaitement l'imminence du péril et ne comprenaient que trop que chaque +minute le décuplait. Tous deux poussaient leurs montures autant que le +leur permettait leur énergie défaillante. + +Gaspardo le premier finit par atteindre le bord; il fut suivi de près +par Cypriano. Mais quand tous deux, se retournant, jetèrent les yeux sur +Ludwig, ils s'aperçurent que celui-ci était resté en arrière d'eux, à +quelques mètres de la rive; son cheval tremblait comme une feuille et +refusait d'avancer. Le cavalier commençait à perdre la tête en voyant +l'inutilité de ses efforts. Tout d'un coup sa monture cessa de bouger. +Le gaucho et Cypriano la virent peu à peu enfoncer. Evidemment Ludwig +était hors d'état de la retenir, + +Cypriano fit mine de descendre de cheval et de se jeter à l'eau pour +aller au secours de son cousin. + +«Gardez-vous-en bien, s'écria le gaucho. Vous n'arriverez qu'à périr +avec lui. Il y a mieux à faire pour le salut de Ludwig.» + +En même temps il détachait son lazzo de sa selle et le faisait tournoyer +autour de sa selle. Le noeud coulant tomba juste sur les épaules de +Ludwig. Le jeune homme enlevé de sa bête abordait, cinq minutes après, +sain et sauf sur le rivage. + +Sans perdre un instant, le gaucho relâcha le lazzo, le détacha +promptement des épaules de Ludwig, le fit siffler encore, et le lança +sur le cheval, dont l'arrière-train était déjà sous l'eau. + +Cette fois, la boucle largement ouverte tomba sur le cou de l'animal en +entourant dans sa première moitié la haute selle espagnole qu'il +portait; Gaspardo, assurant solidement le lazzo autour de son poignet et +de son avant-bras, fit faire demi-tour à sa propre monture du côté +opposé à la rive, et l'encourageant de la voix, il la lança d'un élan +vigoureux en avant. + + +CHAPITRE XI + +LE POISSON QUI FAIT DU FEU + +Il y eut une lutte violente au milieu du riacho; elle dura peu. Le +cheval de Ludwig reprenait courage en se sentant secouru; il fit un +effort de vigueur pour aider à celui qui était tenté en sa faveur; ses +jambes de derrière, dégagées, reprirent bientôt leur fonction, et il +finit par prendre terre à son tour. + +Le bord de ce cours d'eau bourbeuse présentait un étrange tableau; les +trois chevaux frissonnant semblaient près de défaillir, et leurs +cavaliers n'étaient guère dans un meilleur état. + +Le plus âgé des trois conservait encore un peu de force, mais il était +loin de se sentir aussi solide et aussi alerte que d'habitude. Jamais il +n'avait subi une si violente attaque des gymnotes, et il ne pouvait +s'expliquer leur puissance extraordinaire qu'en l'attribuant à +l'électricité de la tempête, qui sans doute avait surexcité en elles +l'énergie du fluide. + +C'était là en effet l'explication la plus plausible du fait; la raie +électrique, parfois complètement inoffensive, est d'autres fois l'animal +le plus dangereux qu'il soit possible de rencontrer au sein des eaux. + +Les chevaux furent quelque temps avant de se remettre de l'influence et +des souffrances causées par les décharges galvaniques des gymnotes. Les +cavaliers et Gaspardo lui-même avouaient qu'ils se sentaient très-mal à +leur ai$e. Cependant le gaucho finit par retrouver sa vaillante humeur. +Le succès de sa double pêche au lazzo, la première qu'il eût faite en ce +genre, l'avait ragaillardi, et il communiqua un peu de son entrain à ses +deux compagnons. Ils reprirent sans délai leur voyage, et, tout en +continuant à suivre les bords du Pilcomayo, Gaspardo donnait à ses +jeunes compagnons toutes les observations à sa connaissance relativement +aux singuliers animaux auxquels ils avaient eu tant de peine à se +soustraire. + +«Les gauchos, dit-il, les appellent des raies: cependant j'ai entendu le +senor Ludovico (il désignait ainsi le père de Ludwig) leur donner le nom +de gymnotes (4). Je suppose que c'est celui qui est connu des +naturalistes. + + [Note 4: La gymnote possède une merveilleuse puissance électrique. + Les chevaux e! les bestiaux qui passent à gué les marécages ou + ruisseaux peuplés par ces singulières créatures succombent souvent + sous leurs chocs galvaniques. L'incident que nous rapportons est + en parfaite concordance avec les phénomènes observés.] + +--C'est vrai, répondit le jeune Ludwig en s'intéressant aux paroles de +Gaspardo. C'est là en effet leur nom scientifique. + +--Avez-vous jamais vu de près un de ces vilains diables? demanda +Gaspardo. + +--Non, répliqua Ludwig, mais j'ai souvent entendu mon père en parler.» + +A ces mots de «: père», un nuage passa sur les traits du jeune homme; il +était évident qu'il ne pensait déjà plus aux gymnotes. + +«Moi, dit Gaspardo, j'en ai vu beaucoup. Près de l'endroit où j'allais à +l'école, il y avait une espèce de mare qui était pleine de raies +électriques, et nous autres enfants nous nous en amusions beaucoup, +quoique nous en eussions très-peur. Vous allez voir que ce n'était pas +sans raison. Je me souviens qu'un jour j'assistai à un triste spectacle. +Un vieux boeuf, qui n'avait plus qu'un oeil, s'était laissé choir dans +cette mare. Les enfants ne doutent de rien; j'avais eu la chance +d'accrocher, avant que la pauvre bête ne fût à vau-l'eau, une corde à +l'extrémité de ses cornes; nous nous mimes une douzaine au moins à tirer +sur cette corde, persuadés que nos efforts suffiraient à ramener le +pauvre animal du gouffre où il était tombé. Naturellement nous n'y +parvînmes pas. Le malheureux boeuf n'en eut pas pour longtemps. Je le +vois encore, après s'être débattu un instant, s'abîmer tout d'un coup +sous l'eau, comme s'il eût été frappé d'un coup de foudre invisible. +Jamais je n'oublierai le regard de détresse qu'il nous jeta avant de +disparaître; ils ont de si bons regards, les boeufs; mais ce que +j'oublierai encore moins, c'est le châtiment inattendu que nous reçûmes +du propriétaire du boeuf, dont nous espérions des remerciements, +châtiment dû, nous dit-il, à la maladresse de nos efforts. + +«C'était le maître d'école lui-même, un homme pratique, qui ne se payait +ni de bonnes paroles ni même de bonnes intentions. «Vous vous êtes tous +conduits comme des imbéciles, s'écria-t-il, en essayant de faire une +chose tellement au-dessus de vos forces. Il fallait crier au secours, +venir me chercher. Je n'étais pas loin et mon boeuf serait encore en +vie. Savoir ce qu'on peut et ce qu'on ne peut pas, connaître la mesure +de ses forces est indispensable à tout âge, et pour que vous vous +souveniez de cette utile maxime, je vais vous appliquer à chacun quelque +chose qui vous la fixera dans la mémoire.» + +«Nous reçûmes tous une demi-douzaine de férules. Jamais correction ne +fut administrée avec une plus grande impartialité. Chacun en eut son +compte. + +--C'était un méchant homme ce maître d'école, s'écria Cypriano... + +--Un peu rude, j'en conviens, répondit Gaspardo, mais c'était surtout un +homme sensé et judicieux. Ces férules m'ont sauvé de bien des sottises +dans ma vie, et, s'il faut tout dire, elle vous a été utile à vous-même. +Je me la suis rappelée à propos dans notre caverne, tout à l'heure, +quand il s'agissait d'abattre à coups de fusil notre second tigre. +L'affaire était chanceuse. C'est grâce à la mémorable leçon de notre +vieux maître que j'ai donné la préférence à notre fusée sur une décharge +d'artillerie dont reflet n'était pas certain. Pour en revenir à nos +raies électriques, je ne me doutais pas, à l'époque où s'est passée +l'histoire que je viens de vous raconter, que j'aurais à me tirer +d'affaire avec elles aujourd'hui et dans une circonstance aussi sérieuse +que celle d'où nous sortons. Soyez sûr, mon cher Ludwig, que le souvenir +du boeuf et de la leçon énergique subie à cause de lui m'a inspiré +heureusement tout à l'heure, quand je me suis servi de mon cheval comme +d'un remorqueur pour le vôtre. + +--Pauvre Gaspardo, dit Cypriano, c'est pourtant vrai que nous voici tenu +de bénir le vieux maître d'école auquel il a dû un enseignement si +difficile à oublier.» + +La conversation continua sur les raies électriques. + +«Vous dites que vous avez vu des raies électriques, cousin, demanda +Ludwig. A quoi ressemblent-elles? + +--Le gaucho peut vous le dire mieux que moi. + +--A quoi ressemblent-elles, Gaspardo? + +--Ma foi, _muchachos_, si l'on me demandait de faire une description de +ces vilaines bêtes, je répondrais qu'elles ne ressemblent à rien. +L'animal le plus laid de la création pourrait être vexé de leur être +comparé. S'il y a de l'eau en enfer, c'est d'animaux comme ceux-là +qu'elle doit être peuplée. + +--Tout cela ne nous apprend pas à quoi ressemble une raie électrique, +interrompit Ludwig, auquel l'amour de l'histoire naturelle faisait +désirer une description plus précise. + +--Non certainement, répliqua le gaucho, mais ce n'est pas une chose +aisée que de décrire un poisson qui n'est peut-être pas un poisson, +quoiqu'il passe son temps sous l'eau. + +--Quant à être un poisson, c'est un poisson, fit le jeune naturaliste, +tout aussi bien que les autres raies, mais quelle est sa forme, sa +couleur? sa dimension? + +Mayne Reid. + +(_La suite prochainement._) + + + +[Illustration: LES TORTUES DE MER A PARIS.--Décapitation d'une grosse +tortue.] + +LA SOEUR PERDUE PAR MAYNE REID + +[Illustration: Le vieux mâle gisait inanimé.] + +[Illustration: De petits hiboux occupaient le sol en commun avec les +quadrupèdes.] + +[Illustration: Chacun d'eux penché sur le sol.] + +[Illustration: La construction en était toute primitive.] + + + +REVUE LITTÉRAIRE + +LES LIVRES D'ÉTRENNES + +II + +Parmi tous ces livres gaufrés et dorés que le jour de l'an fait naître, +il en est un que je trouve particulièrement recommandable, c'est le +_Magasin d'éducation et de récréation_, fondé, il y a quelques années, +par M. J. Hetzel, avec la collaboration spéciale de Jean Macé et de +Jules Verne. Le _Magasin d'éducation_ en est arrivé maintenant à sa +neuvième année, à son dix-huitième volume, et la plupart des ouvrages +qu'il a publiés, _Les Anglais au pôle nord, Les Enfants du capitaine +Hatteras, Le Pays des fourrures_, de Jules Verne, _La Roche aux +Mouettes_, de Jules Sandeau, _Les Contes du château_, de Jean Macé, et +les délicieuses historiettes de P.-J. Stahl, ses contes et récits de +morale familière, sont rapidement devenus populaires. Je ne sais rien de +plus intéressant et de plus curieux que de feuilleter, sous la lampe, +ces volumes où la gravure vient en aide à l'imagination, où le dessin +explique et anime le texte, où les yeux sont charmés avant l'esprit. Les +enfants seraient trop heureux si ces beaux livres, ces récits qui les +captivent, qui les amusent, ces images qui les séduisent, si tout cela +était fait pour eux seuls. Mais les parents,--ces grands enfants,--y +trouvent aussi leur compte. Il y a, dans le _Magasin d'éducation_, comme +dans toute la bibliothèque d'Hetzel, des catégories de lectures pour +tous les âges. + +D'abord, le premier âge, qui se plaira, par exemple, à cette capricieuse +histoire de _La Famille Chester_, que P.-J. Stahl a écrite en +collaboration avec W. Hugues, ou encore à _La Comédie enfantine_ et aux +jolis dessins de Froment, adorables comme des fresques antiques ou comme +les meilleurs tableaux d'Hamon. En ce genre, _La Boîte au lait_, tableau +de la «première commission» de Fanchette, est tout à fait une chose +exquise. Les hésitations de Fanchette portant la boîte au lait à tante +Rose, ses stations, ses tentations, sa gourmandise bientôt punie, tout +cela est rendu avec une délicatesse infinie, et c'est là une véritable +oeuvre d'art. + +Le deuxième âge et la jeunesse ont les récits didactiques de Jean Macé +et de Viollet-le-Duc, l'_Histoire d'une maison_, entre autres, où +l'éminent architecte explique avec beaucoup de clarté et d'esprit +comment on s'y prend pour conduire un logis de la base au faite. Il faut +placer aussi dans cette catégorie les romans de Lucien Biart ou du +capitaine Mayne-Reid, les aventures de terre et de mer dont les lecteurs +de l'_Illustration_ ont pu mieux que personne mesurer le mérite, +puisqu'ils connaissent _La Soeur perdue_, ce vigoureux tableau de moeurs +exotiques. + +Les parents enfin, ceux qui lisent ces livres par-dessus les épaules et +la tête de leurs enfants, ont pour eux _Le Tour du monde en 80 jours_ et +_Le Pays des fourrures_, et la _Géographie de la France_ et les +_Sciences usuelles_, mises à la portée de tous par M. Louis du Temple, +un capitaine de frégate qui écrit avec une lucidité étonnante. Elle est +riche, on le sait, cette collection Hetzel, et les dix-huit volumes du +_Magasin d'éducation_ forment, à eux seuls, une bibliothèque véritable, +la plus instructive et la plus attachante. Quelle richesse d'inventions, +quelle dépense d'imagination et de talent! Comme ce Magasin est +supérieur à notre pauvre _Journal des Enfants_ qui faisait jadis notre +joie! On y sent à chaque page la main d'un artiste et d'un lettré. Cet +homme-double, c'est Hetzel, le plus fin moraliste, l'écrivain délicat, +l'homme qui sait le mieux ce qui plaît le plus à ces critiques sévères; +les enfants. Hetzel a vraiment créé tout un genre de livres, et n'eût-il +pas droit à la renommée littéraire la plus brillante (il en a fait don à +P.-J. Stahl), qu'il mériterait encore d'être béni des lettres pour avoir +fondé en France un genre moral et familier, mais artistique, que la +France ne connaissait pas. + +Cette fois, outre les deux volumes annuels de ce _Magasin d'éducation_ +dont la collection entière, les deux séries, formeraient la plus +magnifique étrenne et la plus intelligente qu'on pût donner, Hetzel +publie plusieurs excellents ouvrages que j'ai grand plaisir à signaler +et d'une façon toute spéciale. + +C'est, ai-je dit, _La Famille Chester_, de P.-J. Stahl. Cette histoire +de «deux petits orphelins», qui ne sont autres que deux malheureux +_rats_ de Londres, eût fait sourire J.-J. Grandville. Les dessins sont +de Froelich et ils sont ravissants. C'est l'_Histoire d'une maison_, de +Viollet-le-Duc, avec des illustrations et des figures qui mettent ce +grand art de l'architecture à la portée de tous. C'est le joli volume de +Lucien Biart, _Entre frères et soeurs_, où toutes les menues +connaissances scientifiques indispensables à la conversation sont +enfermées avec beaucoup de talent. C'est, encore une fois, _La Soeur +perdue_, de Mayne-Reid, c'est enfin l'oeuvre de Jules Verne, qui se +trouve augmentée de deux volumes, _Le Tour du monde en 80 jours_ et _Le +Pays des fourrures_. Lorsqu'on parle de Jules Verne, il suffit de donner +le titre de son nouveau livre; il a son public, sa spécialité, son +originalité, et personne auprès du public n'a plus de vogue que lui. Le +fait est que ses récits, où la fantaisie se mêle si agréablement à la +science, sont des plus attachants. Je sais des lecteurs qui en sont +fanatiques. _Le Tour du monde en 80 jours_ et _Le Pays des fourrures_ +auront certainement, ou, pour mieux dire, ont maintenant le succès des +précédents ouvrages de l'auteur, _Cinq semaines en ballon_, ou encore +_De la Terre à la Lune_. M. Verne a évidemment mis à profit, pour écrire +et décrire son _Pays des fourrures_, les récits intéressants de M. +Hayes, mais il a peint d'une touche toute personnelle ces paysages du +pôle, cette mer de glace, ces _icebergs_, et de telle façon qu'on ne +saurait les oublier. Ce dernier livre est l'un de ses bons livres, Il +vaut tout ce que l'auteur a fait de mieux et l'Académie pourra fort bien +le couronner, comme elle a couronné les précédents ouvrages et le +_Magasin d'éducation_ tout entier. + +J'ai dit quel petit chef-d'oeuvre c'était que _La Boite au lait_, de M. +Froment; il faut ajouter qu'Hetzel publie, dans le même genre, +d'adorables albums, comme _Les Commandements du grand papa_, illustrés +par Lorentz Froelich, et _Les Aventures de Mademoiselle Minette_, qui se +recommandent tout particulièrement au public par le nom de l'artiste qui +en a signé les dessins. C'est Coinchon, un brave garçon, garde national +de marche au 19 janvier, et tué, comme Henri Régnault, devant le mur de +Buzenval. Coinchon a fait pour Mademoiselle Minette des études de chats +et de chattes absolument réussies. Il y avait un vrai talent chez le +malheureux jeune homme. On ne saurait trop louer ces livres-albums, dont +le texte est de P.-J. Stahl, et il faut avoir, pour écrire les légendes +de ces dessins, un talent d'écrivain d'une trempe parfaite. Cela n'a +l'air de rien, ces quelques lignes mises au bas d'un croquis de Froelich +ou de Froment, et, pour les tracer, il faut posséder à la fois les +qualités les plus rares, la finesse, la simplicité, l'émotion, une +certaine tendresse, la science de l'enfance, toutes choses qui ne se +peuvent trouver, on l'avouera, que chez des natures d'élite. + +Hetzel a donc donné, cette année comme les années précédentes, des +oeuvres de choix, et il en prépare déjà de nouvelles, l'_Histoire d'un +âne_, par Stahl, l'_ÃŽle mystérieuse_, par J. Verne, _Une Mère_, par M. +Legouvé, et la _Petite soeur_, par M. de Laprade. Et c'est plaisir de +voir tous les bons esprits et les coeurs haut placés aider dans son +entreprise l'homme qui a su faire ainsi une révolution dans la librairie +et créer une bibliothèque pour les jeunes esprits, qui seront plus +heureux que notre génération sacrifiée et pénétreront peut-être par la +porte au seuil de laquelle nous aurons usé nos efforts, dans cette +société équilibrée où le bonheur, dit-on (pourquoi ne l'espérerait-on +pas?) sera mieux réparti entre tous, l'injure de la patrie étant depuis +longtemps vengée. + +Ce ne sont pas là d'ailleurs les seuls livres d'étrennes qu'il nous faut +encore signaler. M. Gaston Tissandier a, depuis un an, fondé une sorte +de revue illustrée des sciences qu'il appelle La Nature. La première +année est finie et forme déjà un beau volume d'une utilité et d'un +intérêt absolus. MM. Dehérain, Flammarion, C.-M. Gariel,--un esprit +supérieur, un de nos anciens compagnons de classe,--Amédée Guillemin, E. +Margollé, etc., composent la rédaction de ce recueil que je n'ai point +qualité pour analyser ou critiquer, mais dont je signale avec plaisir +l'apparition et dont je constate le succès. + +M. le marquis de Cherville a publié aussi (chez Didot) un bien joli +volume. On connaît son _Histoire d'un trop bon chien_. Cette fois, M. de +Cherville nous conte l'_Histoire naturelle en action_. Il est chasseur, +il est campagnard, il adore les animaux, tout en les abattant d'un coup +de Lefaucheux; mais, à dire vrai, le gibier et lui n'en sont pas moins +bons amis. La preuve en est dans la façon dont il en parle. On n'a pas +plus d'esprit et pas plus d'émotion juste et non affectée que n'en a M. +de Cherville en ces pages qui instruisent et qui amusent, et qui +méritent d'être relues. L'_Histoire naturelle en action_ est un des plus +instructifs recueils de nouvelles qu'on ait publiés depuis longtemps. + +Et les _Contes du bibliophile Jacob à ses petits enfants_? M. Paul +Lacroix a fait tenir dans ces pages et dans ces quelques récits toute +l'histoire de France de 1350 à 1695. Chaque épisode choisi par le savant +auteur de tant de travaux estimés forme, si je puis dire, le tableau +d'un règne ou d'une époque et, de la sorte, le lecteur s'instruit en +s'amusant. Il s'instruit sans le savoir, car, c'est un fait, le public +n'aime pas qu'on lui dise: venez ici, je vais vous apprendre quelque +chose. Il hait d'instinct les magisters. Mais on n'est pas moins +pédagogue ni pédant que M. Paul Lacroix, et ses _Contes du bibliophile +Jacob_, avec leurs dessins très-étudiés et très-vrais de M. +Philippoteaux méritent, eux aussi, une place d'honneur. + +Est-ce tout? Certes non. Je dois signaler encore _Les Merveilles de la +science_, de M. Louis Figuier. C'est un livre plein de faits, groupés +avec art et rendus visibles,--j'allais dire palpables,--par des dessins. +M. Figuier nous apprend là tout ce qu'il faut savoir sur le verre, le +cristal, les poteries, les porcelaines, la soude, le savon, les +potasses. Et tout cela est intéressant comme un roman. A propos de M. +Louis Figuier, je suis bien en retard avec lui, ou du moins avec ses +_Vies des savants illustres_ qu'il publie en volumes in-18 (ce sera +l'édition définitive); je devais depuis de longs mois l'annoncer. + +Je ne reviendrai point sur _La Comédie de notre temps_, texte et dessins +par Bertall. Je tiens seulement à ajouter, en manière de post-scriptum, +après la notice de l'autre jour, que le livre fait son chemin et que +l'auteur y a trouvé son plus grand succès. L'éditeur, M. Eugène Plon, +nous a adressé depuis un joli volume signé Mustapha, et qui s'appelle +_Voyage autour de ma tente_. Ce sont de petits croquis militaires d'une +valeur rare. Ce pseudonyme de Mustapha cache, je crois, M le capitaine +Lung, l'auteur d'un très-beau travail sur le _Masque de fer_. Ce sont là +des souvenirs du temps où le soldat avait le droit de rire. +«Recueillons-les, semble dire _Mustapha_, et amusons-nous-en encore +jusqu'au jour où il nous sera permis de rire des autres.» + +M. Plon est encore l'éditeur d'une magnifique publication, aujourd'hui +terminée, le _Musée des Archives nationales_, où l'on retrouve +catalogués, analysés, reproduits très-souvent _en fac-similé_, les +incomparables trésors historiques conservés à la rue du Chaume. Tout le +inonde n'a pas le loisir d'aller visiter le musée des Archives et +surtout d'en étudier les richesses. Eh bien, là , on retrouve le Musée +lui-même, on le possède dans ces pages savantes qui composent, à dire +vrai, un monument littéraire et historique tout à fait unique. Passer +des sceaux à l'aspect étrange et des signatures bizarres des premiers +rois à l'écriture des Henri IV et des Louis XIV, pour s'arrêter à +Bonaparte, après avoir regardé les morceaux de papier déchiré trouvés +sur le cadavre de Pétion, quel réve! quelle fantastique réalité! Or, +c'est cela, ce sont ces surprises et cette science que ce beau volume, +le _Musée des Archives nationales_, tient en réserve. Il ne nous suffira +pas de l'avoir loué ainsi, rapidement, nous y reviendrons à coup sûr. + +Il en est, il en sera de même des _Fables_ de La Fontaine, que vient +d'éditer M. Jouaust. La Fontaine illustré par Millet, Stevens, J.-L. +Brown, Detaille, Emile Lévy, etc., et illustré de façon à ce que le +dessin original de l'artiste soit reproduit, si je puis dire, dans sa +réalité même, voilà l'étonnement que nous réservait ce maître +ès-bibliophilie. Il a réussi et nous prédisons, dés à présent, un vif +succès à ces _Fables de La Fontaine_, que nous rangeons dans la +catégorie des livres d'étrennes, quoique le livre n'ait pas besoin, pour +être apprécié, d'être un livre d'actualité. + +Jules Claretie. + + + +BIBLIOGRAPHIE + +_La pluie et le beau temps_, météorologie usuelle, par Paul +Laurencin.--A lire le titre de ce charmant petit volume, on pourrait +croire à une oeuvre fantaisiste, mais le sous-titre est là pour +rectifier cette impression première et déterminer le domaine dans lequel +l'auteur introduit le lecteur à son grand profit. + +C'est donc de météorologie qu'il s'agit, c'est-à -dire de ces phénomènes +curieux dont l'atmosphère est le théâtre et qui influent sur ce que, +dans le langage familier, on appelle le _Temps_. L'ouvrage, publié par +J. Rothschild, éditeur, et orné de 110 gravures et cartes, est divisé en +vingt chapitres, où M. Laurencin, en un style clair, précis et d'une +élégante simplicité, traite successivement de la composition de l'air, +de la chaleur et des courants atmosphériques, de l'eau dans +l'atmosphère, de la pluie, de ses bienfaits et de ses méfaits, des +orages, du cyclone, de l'arc-en-ciel, des climats, des saisons, etc., +etc., et montre finalement que tous les phénomènes de la pluie et du +beau temps dérivent d'une cause unique: la chaleur solaire, et que, +jusqu'à un certain point, on peut prévoir les variations atmosphériques. +Cette possibilité de se rendre compte des chances probables de pluie et +de beau temps, pour une époque déterminée, intéresse aussi bien l'homme +de plaisir que l'homme de travail. Aussi sommes-nous convaincus que _La +pluie et le beau temps_, ce résumé aussi succinct que substantiel de +toutes nos acquisitions touchant la science météorologique, recevra de +tout le monde l'accueil qu'il mérite à tous les titres, c'est-à -dire le +plus favorable et le plus empressé. + +P. + + +Au nombre des étrennes les plus belles et les plus utiles, les plus +intéressantes et les plus instructives, nous devons placer en première +ligne un magnifique volume: _le Jardin d'acclimatation illustré_. + +L'auteur, M. Pierre Pichot, le sympathique directeur et rédacteur en +chef de la _Revue britannique_, a eu le talent de vulgariser la +zoologie, et son remarquable ouvrage, apprécié des savants, est écrit +dans un style clair et facile, qui le met à la portée de tout le monde. + +Ce splendide livre renferme 25 gravures coloriées et d'innombrables +vignettes; ce n'est pas seulement un excellent guide du Jardin +d'acclimatation; l'auteur a poursuivi un but plus élevé et a réussi à +faire un traité complet de zoologie. + +Le _Jardin d'acclimatation illustré_ se trouve chez Hachette et au bois +de Boulogne, à la librairie du Jardin d'acclimatation. Son prix est plus +modique qu'on ne pouvait s'y attendre pour une publication aussi +importante. (Broché, 15 fr.; richement relié, 20 fr.) + +Il y a deux mois, nous avons vu plusieurs fabricants de machines à +coudre faire grand bruit avec les récompenses qu'ils avaient obtenues à +l'Exposition de Vienne. Sans vouloir diminuer en rien la valeur attachée +aux médailles de progrès et à celles de mérite, que ces maisons ont +affichées, il nous sera permis de leur opposer une maison qui a été +l'objet de distinctions tout exceptionnelles, dont elle s'est peu +vantée. C'est la Compagnie Wheeler et Wilson, de New-York (qui a son +siège à Paris, chez M. H. Séeling, 70, boulevard Sébastopol). + +Cette importante Compagnie, en outre des médailles de progrès et de +mérite qui lui ont été décernées, a seule été recommandée par le jury +international pour le _grand diplôme d'honneur_. Et dernièrement M. +Nathaniel Wheeler, président de cette Compagnie, a été décoré de +l'_ordre de François-Joseph_, comme récompense de services éminents +rendus à l'industrie de la machine à coudre,--la seule décoration +accordée à Vienne à un fabricant de machines à coudre. + +Cette double distinction place évidemment la Compagnie Wheeler et Wilson +au-dessus de toutes les compagnies rivales, et comme à Paris en 1867, où +l'unique médaille d'or pour ce genre de fabrication lui a été décernée, +elle a remporté la victoire sur tous ses concurrents. + + + +LA NATURE + +REVUE DES SCIENCES EN 1873 + +La nouvelle publication que M. G. Tissandier a fondée cette année, avec +le concours de nombreux écrivains scientifiques, a obtenu de la part du +public l'accueil dont elle était digne. Nous sommes persuadé que le +premier volume qui vient de paraître, et qui comprend le tableau du +progrès en 1873, comptera parmi les livres les plus appréciés de +l'époque du jour de l'an. Les principaux collaborateurs de _La Nature_: +MM. le Dr. Bertillou, H. Blerzy, Ch. Boissay, Bontemps, P.-P. Dehérain, +C. Flammarion, W. de Fonvielle, C.-M. Gariel, F. Garrigou, J. et M. +Girard, A. Guillemin, Dr. Joly, S. Meunier, E. Margollé, E. Menault, +Vignes, Zurcher, etc., sont trop connus du public pour que nous ayons à +faire l'éloge de leurs travaux. Nous préférons emprunter à _La Nature_ +la description fort intéressante de la nouvelle bouée de sauvetage à +lumière inextinguible, dont un de nos compatriotes, M. Silas, est +l'inventeur. + +[Illustration: Nouvelle bouée de sauvetage lumineuse (système Silas). +Gravure extraite du journal la Nature.] + +Cette bouée est formée, comme l'indique la gravure contre, d'une sphère +métallique contenant du phosphure de calcium. Un homme tombant à la mer +pendant la nuit, on jette à la surface de l'eau la bouée Silas. L'eau +pénètre dans la sphère creuse, décompose le phosphure de calcium donnant +naissance à un dégagement abondant d'hydrogène phosphoré. Ce gaz +s'échappe par un tube supérieur, mais il a la propriété remarquable de +brûler spontanément au contact de l'air, sans que l'eau puisse +l'éteindre. Une flamme vive, brillante éclaire le naufragé et le guide +tandis qu'il serait irrévocablement perdu si nulle lumière n'apparaissait +au milieu des ténèbres! + +La Nature abonde en faits de ce genre, elle nous donne l'exposé complet +des événements scientifiques récents, des découvertes importantes, ses +belles et nombreuses illustrations en font une publication éminemment +attrayante, et digne à tous égards des plus grands éloges. + + + +[Illustration: nouveau rébus.] + +EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS: + +Le commerce est le lien des nations. + + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of L'Illustration, No. 1609, 27 décembre +1873, by Various + +*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44277 *** diff --git a/44277-h/44277-h.htm b/44277-h/44277-h.htm new file mode 100644 index 0000000..02e20a8 --- /dev/null +++ b/44277-h/44277-h.htm @@ -0,0 +1,2048 @@ +<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD HTML 4.01 Transitional//EN"> +<html> +<head> + <meta http-equiv="content-type" content="text/html; charset=UTF-8"> + <title>The Project Gutenberg eBook of L'illustration, No. 1608, 20 décembre 1873 by Various</title> + +<link rel="coverpage" href="images/cover.jpg"> + +<style type="text/css"> + + +body {margin-left: 10%; margin-right: 10%} + +h1,h2,h3,h4,h5,h6 {text-align: center;} +p {text-align: justify; font-size: 12pt} +blockquote {text-align: justify} + +hr {width: 50%; text-align: center} +hr.full {width: 100%} +hr.short {width: 10%; text-align: center} + +.note {font-size: 0.8em; margin-left: 10%; margin-right: 10%} +.footnote {font-size: 0.8em; margin-left: 10%; margin-right: 10%} +.side {padding-left: 10px; font-weight: bold; font-size: 75%; + float: right; margin-left: 10px; border-left: thin dashed; width: 80px; text-indent: 0px; font-style: italic; text-align: left} + +.sc {font-variant: small-caps} +.lef {float: left} +.mid {text-align: center} +.rig {float: right} +.sml {font-size: 10pt} +.large {font-size: 16pt; font-family: sans-serif;} +.overl {font-size: 10pt; text-decoration: overline; text-align: center} +.cont {width: 650px} +.somm {float: left; width: 300px; font-size: 10pt; padding: 1em} +.suppl {color: #5A5047; background-color: #EEE2CA } + + +span.pagenum {font-size: 70%; left: 91%; right: 1%; position: absolute} +span.linenum {font-size: 70%; right: 91%; left: 1%; position: absolute} + +.poem {margin-bottom: 1em; margin-left: 10%; margin-right: 10%; + text-align: left} +.poem .stanza {margin: 1em 0em} +.poem .stanza.i {margin: 1em 0em; font-style: italic;} +.poem p {padding-left: 3em; margin: 0px; text-indent: -3em} +.poem p.i2 {margin-left: 1em} +.poem p.i4 {margin-left: 2em} +.poem p.i6 {margin-left: 3em} +.poem p.i8 {margin-left: 4em} +.poem p.i10 {margin-left: 5em} +.poem p.i12 {margin-left: 6em} +.poem p.i14 {margin-left: 7em} +.poem p.i16 {margin-left: 8em} +.poem p.i18 {margin-left: 9em} +.poem p.i20 {margin-left: 10em} +.poem p.i30 {margin-left: 15em} + + + +</style> +</head> +<body> +<div>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44277 ***</div> + +<br><br> + +<div class="cont"> + + + + +<p class="mid"><img alt="" src="images/001.png"></p> + + +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="1" + style="width: 100%; text-align: center;" summary="nil"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 33%;"> +<p class="mid"><span class="sml">REDACTION, ADMINISTRATION, BUREAUX D'ABONNEMENTS<br> +<i>22, rue de Verneuil, Paris.</i></span></p> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 34%;"> + <p class="mid"><span class="sml">31e Année. VOL. LXII. Nº 1609</span><br>SAMEDI 27 DÉCEMBRE 1873</p> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 33%;"> + <p class="mid"><span class="sml">SUCCURSALE POUR LA VENTE AU DÉTAIL<br> +60, rue de Richelieu, Paris</span></p> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + + + +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="1" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="nil"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 50%;"> + <p class="mid"><span class="sml"><b>Prix du numéro: 75 centimes</b><br> +La collection mensuelle, 3 fr; le vol. semestriel, broché,<br>18 fr.; relié +et doré sur tranches, 28 fr.</span></p> + + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 50%;"> + <p class="mid"><span class="sml"><b>Abonnements</b><br> +Paris et départements: 3 mois, 9 fr.;--6 mois, 18 fr.;<br>un an, 36 fr.; +Étranger, le port en sus.</span></p> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + +<p class="mid"><span class="sml"><i>Les demandes d'abonnements doivent être accompagnées d'un mandat-poste<br> +ou dune valeur à vue sur Paris à l'ordre de M. Auguste Marc, +directeur-gérant.</i></span></p> + + +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="nil"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 50%;"> +<p class="mid"> +<span class="sml"> +SOMMAIRE<br><br> +TEXTE<br><br> + Histoire de la semaine.<br><br> +Courrier de Paris, par M. Philibert Audebrand.<br><br> +Nos gravures:<br><br> +La veille du 1er janvier (fin).<br><br> +La Sœur perdue, une histoire du Gran Chaco (suite), par H. Mayne Reid.<br><br> +Revue littéraire; les Livres d'étrennes (II), par M. Jules Claretie.<br><br> +Bibliographie.<br><br> +<i>La Nature</i>, revue des sciences en 1873.<br><br> +<br><br><br><br> +<img alt="" src="images/001b.png"> + +</span> +</p> +</td> + + <td style="vertical-align: top; width: 50%;"> +<p class="mid"> +<span class="sml"> +SOMMAIRE<br><br> +GRAVURES<br><br> +M. Agassiz;<br><br> +L'île Sainte-Marguerite;<br><br> +Le môle de débarquement;<br> +Le fort et les prisons;<br> +Vue de la pointe de la Croisette.<br><br> +Théâtre des Variétés: <i>Les Merveilleuses</i>, comédie en cinq actes de M. +Victorien Sardou.<br><br> +<i>La première leçon. Un regard en passant</i>, d'après les tableaux de M. +Boutibonne.<br><br> +Les tortues de mer à Paris: décapitation d'une grosse tortue.<br><br> +<i>La Sœur perdue</i>, par M. Mayne Reid (4 gravures).<br><br> +Nouvelle bouée de sauvetage lumineuse (système Silas), gravure extraite +du journal <i>la Nature</i>.<br><br> +Rébus.<br> +<img alt="" src="images/001b.png"> + + + +</span> +</p> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/001a.png"><br><b>M. AGASSIZ.</b></p> + +<br><br> + + + <h3>HISTOIRE DE LA SEMAINE</h3> + + <h4>FRANCE</h4> + + <p>La politique chôme; au dehors pas plus qu'au dedans nous n'avons cette +semaine à signaler aucun événement d'une importance vraiment sérieuse; +il semble qu'au moment où l'année finit, chacun se recueille pour jeter +un regard en arriére et se préparer aux luttes nouvelles que nous +réserve l'avenir. L'Assemblée nationale vote à la hâte les derniers +articles du budget avant de prendre le congé de quelques jours qu'elle +s'est octroyée à l'occasion de la nouvelle année; le calme qui préside à +cette discussion a à peine été troublé par quelques incidents presque +aussitôt terminés que soulevés, mais dont quelques-uns méritent d'être +signalés.</p> + + <p>Notons d'abord la présentation, par M. Clapier, du projet de loi relatif +à la nomination des maires, dont l'Assemblée a voté l'urgence et qui a +été inscrit à l'ordre du jour immédiatement après le budget; nous avons +parlé plusieurs fois déjà de ce projet; il nous suffira donc de dire que +le travail de la commission a eu pour résultat de faire subir plusieurs +modifications importantes à la rédaction primitivement proposée par le +gouvernement. Ainsi, M. le ministre de l'intérieur acceptait pour le +gouvernement l'obligation de prendre les maires dans les conseils +municipaux: telle était la règle générale. Ce ne devait être qu'en cas +de démission ou de révocation qu'ils auraient pu être choisis hors des +conseils; La commission va plus loin: elle autorise le gouvernement à +les prendre à sa volonté, soit dans le conseil, soit en dehors de +celui-ci, avec cette seule restriction, assez bénigne, que dans ce +dernier cas il sera nécessaire de recourir soit à un arrêté du ministre +de l'intérieur pour les communes où la nomination est laissée aux +préfets, soit à un décret délibéré en conseil des ministres, pour les +communes où la nomination est réservée au gouvernement, c'est-à -dire +dans tous les chefs-lieux de département, d'arrondissement ou de canton. +Une seconde différence porte sur la nomination des agents de police. +Dans son projet, le gouvernement l'enlevait aux maires à qui elle +appartient actuellement pour toutes les communes auxquelles la loi du +24-29 juillet 1867 (article 23) n'est pas applicable, c'est-à -dire +celles qui ont moins de 40,000 âmes de population: il se l'attribuait à +lui-même sans aucune exception. La commission a maintenu le droit des +maires, non pas toutefois dans son intégrité. D'abord, elle subordonne +leur choix à l'agrément des préfets et sous-préfets; elle a, de plus, +modifié l'article 12 de l'excellente loi du 18 juillet 1837, en vertu +duquel le maire <i>suspend</i> et <i>révoque</i> ces agents municipaux; ils +pourront toujours, comme par le passé, être suspendus par le maire; mais +le préfet seul aura le droit de les révoquer: la loi les place ainsi à +peu près dans les mêmes conditions que les gardes champêtres. Grâce à ce +double compromis, l'accord s'est établi entre le gouvernement et la +commission, et la majorité considérable qui s'est manifestée, tant en +faveur de l'urgence, que de la mise à l'ordre du jour pour le terme le +plus proche, permet de croire que l'Assemblée ratifiera et votera la loi +dans sa teneur actuelle.</p> + + <p>Dans sa séance du 19, l'Assemblée a adopté un amendement tendant à +porter de 162,400 francs à 300,000 francs la somme allouée au président +de la République pour frais de représentation. Cette augmentation de +crédit, destinée à donner plus d'éclat aux réceptions officielles du +président pendant son séjour au palais de l'Elysée, intéressait trop, +directement le commerce parisien pour ne pas être favorablement +accueillie par toutes les fractions de l'Assemblée; malheureusement il a +fallu que les passions politiques, inopportunément remises en jeu par +une observation intempestive, vinssent gâter ces bonnes dispositions; à +propos d'une question toute financière, on a parlé du retour du +gouvernement à Paris; on a évoqué le souvenir de la Commune, et c'est au +milieu d'un conflit d'invectives qu'a fini cette discussion où tout le +monde était d'accord en commençant.</p> + + <p>Signalons, pour terminer, l'interpellation adressée au gouvernement par +la gauche au sujet d'une convention récemment intervenue entre le +ministre des finances et le mandataire de l'ex-impératrice pour la levée +du séquestre qui pèse sur la liste civile de Napoléon III. En attendant +la discussion en séance publique, portée à l'ordre du jour après la loi +sur la nomination des maires, M. Deseilligny, ministre du commerce, a +fourni à la commission du budget quelques explications sur la question. +Le ministre a ajouté que les signataires de la convention avaient cru se +conformer à ce qui s'était fait à l'égard de la liste civile de +Louis-Philippe, et avaient pensé qu'il était de «haute convenance, en +dehors de tout parti politique, de soulager la situation douloureuse où +se trouvait l'impératrice au point de vue pécuniaire».</p> + + <p>Il a ajouté que le gouvernement avait, en cela, le droit d'agir sans +recourir à l'assentiment de l'Assemblée, attendu que le séquestre avait +été mis par un simple décret du gouvernement de la défense nationale, et +qu'il suffisait, par conséquent, d'un nouveau décret pour défaire ce +qu'un décret avait fait.</p> +<br> + <h4>AUTRICHE.</h4> + + <p>Les journaux de Vienne contiennent quelques renseignements sur les lois +ecclésiastiques qui vont être prochainement présentées au Reichsrath par +le gouvernement. On n'en compte pas moins de dix-sept, et quelques-unes +d'entre elles auront une grande importance, notamment celle qui prononce +l'abolition complète et définitive du concordat conclu avec la cour de +Rome le 18 août 1855. On sait que cette convention établissait la +censure ecclésiastique sur les livres, ce qui était la négation absolue +de la liberté de la presse: elle donnait aux évêques la surveillance de +toutes les écoles, même laïques; elle conférait à l'épiscopat une +entière indépendance vis-à -vis du gouvernement; non-seulement tous les +actes émanés du Saint-Siège pouvaient être publiés dans l'empire sans +aucune nécessité d'obtenir le <i>placet</i> royal, mais encore les +archevêques et évêques avaient la faculté de convoquer aussi, sans +autorisation du gouvernement, soit des conciles provinciaux, soit des +synodes diocésains: double liberté qui leur est refusée en France par +les articles 1 et 4 du titre Ier de la loi du 18 germinal an X (8 avril +1802), plus connue sous le nom d'articles organiques, contre lesquels, +du reste, on le sait, le Saint-Siège n'a cessé et ne cesse de protester. +Les lois ecclésiastiques que prépare le gouvernement autrichien +régleront en outre le mariage civil, les patronats, la surveillance des +séminaires, etc.; elles contiendront aussi des clauses relatives à la +condition des vieux-catholiques. Sur cette dernière question, on +s'attend à des débats assez vifs, et déjà les adeptes de cette petite +Église ont adressé au gouvernement une demande tendante à faire +reconnaître à l'évêque Reinkens, Prussien et vieux-catholique, un droit +de juridiction ecclésiastique en Autriche. Cette requête insolite a été +repoussée.</p> +<br> + <h4>ITALIE.</h4> + + <p>Sa Sainteté le pape a tenu, le 22 décembre, un consistoire dans lequel +il a nommé cardinaux:</p> + + <p>Mgr de Nascimento de Moraes Cardoso, patriarche de Lisbonne; Mgr +Guibert, archevêque de Paris; Mgr Régnier, archevêque de Cambrai; Mgr de +Simor, archevêque de Gran; Mgr de Tarnoczy, archevêque de Salzbourg; Mgr +Chigi, nonce apostolique à Pans; Mgr Mariano Darrio y Fernandez, +archevêque de Valence; Mgr Mariano Falcinelli Antoniacci, nonce du +Saint-Siège à Vienne; Mgr Alex. Franchi, nonce du Saint-Siège à Madrid; +Mgr L. Oreglia de Santo-Stefano, nonce du Saint-Siège à Lisbonne; le R. +P. Tarquini, de la Compagnie de Jésus; le R. P. Martinelli, des moines +de Saint-Angustin. Dans le même consistoire, le Pape a nommé aussi +quatre évêques <i>in partibus infidelium</i> et trois évêques en Italie.</p> + + <p>Il a nommé aussi:</p> + + <p>Mgr Olteanu, évêque de Gran-Varadin (Hongrie); Mgr Corona, évêque de +Saint-Louis de Potosi; Mgr Hillion, évêque du cap Haïtien.</p> +<br> + <h4>ÉTATS-UNIS.</h4> + + <p>L'affaire du <i>Virginius</i> vient d'entrer dans une phase nouvelle et assez +imprévue; ce sont maintenant les États-Unis qui font droit aux +susceptibilités de l'Espagne.</p> + + <p>On sait que, d'après la convention relative au <i>Virginius</i> le +gouvernement espagnol devait prouver avant le 25 décembre, à la +satisfaction des États-Unis, que ce vaisseau n'avait pas le droit de +porter le pavillon américain, et qu'ainsi il avait été légalement saisi. +D'après une dépêche de Washington, le procureur général des États-Unis a +admis la preuve comme valable, le <i>Virginius</i> n'ayant obtenu ses papiers +qu'au moyen d'un faux témoignage. Le cabinet de Washington s'est déclaré +prêt à accepter les conséquences de ce fait.</p> + + <p>Nous ne savons encore quelles en seront toutes les conséquences, mais il +est certain que la décision du procureur général des États-Unis est un +véritable succès pour le gouvernement de M. Castelar et qu'elle fait le +plus grand honneur à l'impartialité de la magistrature américaine.</p> + +<br><br> + + <h3>COURRIER DE PARIS</h3> + + <p>Celui qui céderait au désir de faire l'oraison funèbre de l'année +n'aurait pas à se donner beaucoup de peine. Il lui suffirait de quelques +mots, genre sombre. Cette année est de celles qu'on ne regrette pas. +A-t-elle été assez absurde! S'est-elle montrée assez maussade, assez +ennuyeuse, assez ennuyée! Elle a vu s'opérer deux ou trois révolutions +parlementaires aussi insipides qu'elle-même. Pendant sa durée, Paris a +reçu la visite d'un prince d'Orient, couleur de suie, tout couvert de +diamants mais qui ne donnait que des salamalecks. L'hippopotame du +Jardin des Plantes a succombé à des peines de cœur; M. Ernest Renan a +fait paraître l'<i>Antéchrist</i>; trois académiciens sont morts; le chapeau +des femmes a redoublé de bizarrerie; un grand théâtre a brûlé; un vilain +procès s'est dénoué, très-peu flatteur pour nous tous; enfin, en guise +de couronnement, il nous est arrivé une charretée de monstres.</p> + + <p>Tel est le bilan de 1873.</p> + + <p>Mil huit cent soixante-treize vient de rendre le dernier soupir ou peu +s'en faut. Eh bien, regardons devant nous; là est l'espérance. Quel +lendemain nous attend? L'avenir est riche de promesses; c'est un +capitaliste qui a son portefeuille plein de lettres de change. Déjà la +nouvelle année, celle qui commencera dans quatre jours, semble vouloir +ne ressembler en rien à sa devancière. On a beau dire que le commerce ne +va pas, elle a l'air de lui forcer la main. Quelle foule dans les rues! +L'argent, qui est de retour, vous le savez, circule tout le long de la +ville. Personne n'a les mains vides; chacun porte son sac de bonbons ou +son polichinelle.</p> + + <p>Le baraquement des boulevards n'a plus rien de sa rusticité originelle; +on a encore enjolivé sa mise en scène. Seulement il abuse du <i>jouet de +l'année</i>, un affreux poussah qu'on nomme l'<i>Oncle Sam</i> et qui rappelle +trop l'auteur de la pièce de ce nom. Partout ailleurs, de longues files +de boutiques ambulantes s'établissent sur les trottoirs; c'est à peine +si l'on peut marcher au milieu de cet encombrement.--Nous rencontrons M. +de Laboulaye, occupé à acheter un cornet de pralines, sans doute afin +d'adoucir quelqu'un de ses voisins de la Chambre. L'honorable +pamphlétaire dit tout haut: «--Ah! dame, nos mœurs deviennent +américaines. La démocratie coule par ici à pleins bords comme à +New-York.»--Presque en même temps le comte Orloff sort d'un bazar, suivi +d'un éléphant en baudruche. Des malins s'écrient: «--Il doit y avoir un +rébus diplomatique là -dessous. Que veut faire de cet éléphant +l'ambassadeur du czar?» Le comte Orloff a à amuser un petit garçon et +deux petites filles; voilà toute l'énigme.</p> + + <p>Aux alentours du jour de l'an, aussitôt que la nuit arrive, quelque fée +invisible lève sa baguette en l'air et le coup d'œil change. Les +étalages s'illuminent de mille feux. Au gaz municipal se marient les +bougies du petit commerce en plein vent. Vingt mille lanternes de +couleur contribuent à faire un jour nocturne d'une lueur fantastique. +Cette fois, M. de Laboulaye trouverait qu'on n'est plus à New-York mais +à Pékin.--Tous les cercles sont éclairés avec un luxe inusité.--Une mode +nouvelle à noter à propos des cercles.--Vous savez que tous ces +établissements ont, le soir, un dîner sous forme de table d'hôte.</p> + + <p>A ce dîner, en ce moment, l'usage veut qu'on ne commence plus par le +classique vermicelle ni par le tapioca désormais trop enfantin. Tout +cela cède le pas à la soupe à la tortue rehaussée de gingembre. Voilà +une clef pour les flâneurs; depuis un mois la foule stationne à la +devanture des marchands de comestibles; on y est en extase devant +d'énormes amphibies. Ces tortues sont le régal du jour.--<i>Turtle-soup</i>, +dit-on en faisant la grimace, autant à cause du mot qu'on ne sait pas +prononcer qu'en raison du mets effroyablement épicé.</p> + + <p>Pour le coup, Paris devient une parodie de Londres.</p> + + <p>Au temps de Vadé, la cour et les beaux esprits allaient aux Halles; de +nos jours, le monde aux gants roses va à l'Hôtel des Ventes, qui est +décidément l'endroit de Paris le plus affairé. Que de choses on y aura +vendues, cet hiver! Une mondaine, Mme A***, une des princesses de la +cocotterie, étant morte, on a apporté par là tout ce qu'elle a laissé. +C'était une succession uniquement mobilière, des appartements en bois de +rose, l'argenterie, les bijoux, la cave, deux voitures, du linge, la +toilette, des objets d'art, le tout évalué à un million. Un million rien +que pour des meubles! Si vous voulez prêter l'oreille, des échos de +l'hôtel vous diront que les seules robes ont formé le chiffre de 300 000 +francs. Voilà un luxe dont les honnêtes gens n'ont assurément aucune +idée. C'est un trait de mœurs à noter. Les familles les plus riches +frissonnent rien qu'à la mention de ce fait. Où sont allées toutes ces +robes? Étant d'étoffes neuves, elles serviront de rechef, mais à qui +serviront-elles? Qui peut affirmer que ce ne sera pas aux plus honnêtes +femmes?</p> + + <p>J'ai déjà dit un mot de la vente des livres d'Émile Gaboriau. Ce brave +garçon, frivole en apparence, était mordu, au fond, d'un sérieux désir +d'apprendre. Il se passionnait pour l'histoire et il s'était mis à +rechercher les vieilles éditions des écrivains graves. Nous lui avons +entendu dire à lui-même qu'il estimait sa bibliothèque à 6,000 francs, +au bas mot. C'est tout au plus si les enchères auront fourni la moitié +de cette somme. Des livres, de vieux livres, voilà une superfluité dont +notre société n'est guère friande. Donnez-lui pour 300,000 francs de +robes, à la bonne heure.</p> + + <p>Sur la fin de la semaine, on a pu constater un certain empressement à +propos des œuvres de M. Carpeaux, le sculpteur. Marbres, terres cuites, +bronzes se sont bien vendus. Néanmoins la tête horrible de l'Ugolin des +Tuileries n'a pas trouvé d'amateur. Il y a bien trop de mièvrerie dans +les allures du jour pour qu'on puisse aimer le Dante commenté avec de la +terre glaise. Un comte qui mange ses fils sans couteau ni fourchette, un +Italien de la Renaissance, plus anthropophage qu'un Caraïbe de Fenimore +Cooper, ce n'est guère tentant d'ailleurs comme bibelot à mettre sur une +étagère. En revanche on a fait fête au modèle d'un autre groupe non +moins fameux, mais plus décolleté. Vous avez compris que nous parlons de +cette sarabande effrénée, la Danse, qui figure sur le seuil du nouvel +Opéra, où, du matin au soir, elle scandalise tous les bons bourgeois +passant par là . Trois concurrents se disputaient ce morceau; on l'a +adjugé à 8.000 francs.--Cette même débauche d'art, un des principaux +confiseurs avait demandé à l'artiste la permission d'en faire une +réduction en sucre candi ou en chocolat. Avouez que c'eût été d'une +très-heureuse actualité à l'heure des étrennes. Le sculpteur n'a pas +voulu. On lui a dit:</p> + + <p>--Monsieur, vous refusez de voir votre nom dans toutes les bouches.</p> + + <p>Beauvallet, de la Comédie-Française, vient de mourir à Passy, à +soixante-douze ans. Il était fort bien doué; par malheur, il a abusé de +la facilité que lui avait donnée le sort pour vouloir faire trop de +choses à la fois. Bon comédien, tragédien passable, il se piquait aussi +d'être poète, ce qui l'a poussé à faire des vers qui ne devaient pas +vivre. A ses premiers débuts dans la vie, il avait commencé par étudier +la peinture chez Paul Delaroche. Un jour que Casimir Delavigne visitait +l'atelier, on lui amena l'élève qui se mit à déclamer des vers, une des +Messéniennes, celle où trois femmes, trois Muses, apparaissent à +Napoléon pour lui prédire tout à tour sa grandeur et sa chute.</p> + + <p>--Mon cher monsieur, dit l'auteur des Vêpres siciliennes, il se peut que +vous fassiez quelque chose en peinture; cependant je suis sûr que vous +réussiriez au théâtre.</p> + + <p>Il n'en fallut pas plus pour enflammer la tête du jeune homme. +Beauvallet jeta là ses crayons et sa palette pour aller au +Conservatoire; après les études indispensables à un débutant, il fut +engagé à l'Ambigu, où il joua, non sans succès, le drame d'alors. En ce +temps-là , le boulevard oscillait entre les œuvres de la vieille école +sentimentale et les premières tentatives du romantisme. Le nouveau venu +trouva moyen de se mettre en relief dans ce genre bizarre; il se fit un +nom en jouant <i>Caravage</i>, une histoire arrangée de peintre italien. Sa +belle prestance, une voix de tonnerre, un soin merveilleux dans l'art de +s'arranger un costume, ne pouvaient manquer de le faire mettre en +évidence. Le Théâtre-Français ne pouvait manquer de lui ouvrir +très-prochainement ses portes. Un jour, en 1833, quand Victor Hugo donna +<i>Angelo, tyran de Padoue</i>, ce fut à Beauvallet qu'il confia le principal +rôle. Il avait à côté de lui, pour lui donner la réplique, deux des +grandes actrices de l'époque, Mlle Mars et Mme Dorval. Il fallait +entendre le superbe podestat lorsque, s'avançant sur la scène, d'un air +tout à la fois effrayé et menaçant, il récitait le grand monologue sur +le Conseil des Dix. Sans mentir, c'était à donner la chair de poule.</p> + + <p>Beauvallet avait mis tant d'originalité dans ce rôle qu'on n'a plus +consenti à le voir jouer par un autre. La parodie se chargea, suivant la +mode du temps, de donner une suprême sanction à son triomphe. Le +Vaudeville, qui n'était qu'un théâtre gai, ne s'inquiétant que de faire +rire, avait mis à l'étude une farce intitulée <i>Cornaro ou le tyran pas +doux</i>. Ce susdit Cornaro, personnage correspondant à celui du drame, +devenait une charge des plus amusantes, grâce à Lepeintre jeune, le plus +gros des comédiens. Il criait à tue-tête, celui-là , même pour demander +ses pantoufles. Faire trembler tout le monde autour de lui était sa +joie. C'était pour cela qu'Arnal, l'invitant à parler en sourdine, lui +disait:</p> + + <p>--Êtes-vous le cousin du bourdon Notre-Dame?</p> + + <p>Quelle voix! ah! quel creux! Vous effrayez madame.</p> + + <p>Et Cornaro de répondre sur un ton plein de mignardise:</p> + + <p>--Je n'ai que le désir d'être son beau valet.</p> + + <p>Depuis vingt-cinq ans, Beauvallet avait abordé le répertoire classique, +tragédie et comédie. Très-soigneux, correct, il y était fort +applaudi.--On a dit mille fois que, de tous les artistes, le comédien a +la vie la plus ingrate, en ce qu'il ne laisse rien après lui.</p> + + <p>--Bast! répliquait Sheridan, ayez la patience d'attendre deux ou trois +siècles, et vous verrez ce qui restera des autres!</p> + + <p>Il se passe un fait bizarre au sujet des étrennes. Tandis que s'accroît +le nombre de ceux qui en demandent, on voit de plus en plus des ratures +se dessiner sur la liste de ceux qui en donnent. Parmi les premiers, on +signale surtout deux nouvelles recrues: l'employé du télégraphe qui +apporte les dépêches et le clerc d'huissier qui remet le papier timbré. +Quant à ceux de l'autre catégorie, ce sont de spirituels sceptiques qui +profitent des moyens de locomotion dont dispose notre XIXe siècle pour +filer et disparaître. Dix ou douze jours d'absence suffisent. On dit: +«J'ai un procès en Bretagne», ou bien: «Mon vieil oncle de Beauvoisis +vient de mourir d'une coqueluche rentrée»; et l'on s'en va passer une +quinzaine à Nice. Un voyage d'agrément et une bonne affaire tout à la +fois.</p> + + <p>Trois académiciens qui se sont rencontrés, jeudi soir, au foyer de +l'Odéon, se contaient à demi-voix leurs peines à propos du jour de l'an. +Rien de plus curieux que leurs plaintes à cet égard.</p> + + <p>--Figurez-vous, disait l'un d'eux qui avait un bonnet de soie noire sur +la tête, figurez-vous que seize personnes nous poursuivent pour nous +demander chacune la même chose; comprenez que cette chose ne nous +coûterait rien, pas même la moitié d'un centime et que néanmoins nous ne +pouvons la donner tant que ça.</p> + + <p>--Qu'est-ce donc?</p> + + <p>--Eh! pardieu, un fauteuil.</p> + + <p>En effet, il y a trois fauteuils à donner en janvier et seize candidats +qui demandent à les avoir; et tous les seize, suivant l'usage +immémorial, sont individuellement le premier moutardier du pape, ou, si +vous voulez, un homme du bois dont on fait les dieux. Ces dignes +académiciens voudraient bien se sauver quelque part, mais leur grandeur +et les jetons de présence les retiennent au quai Conti.</p> + + <p>Il n'y a pas fort longtemps, dans cette divine baraque au palais +Mazarin, il y avait un des Quarante qui n'entendait pas raillerie à +propos d'argent à donner. C'était Lemontey, l'auteur de l'<i>Histoire de +la Régence</i>.</p> + + <p>Un certain jour de l'an, un des garçons de l'Institut vint voir +l'historien; il le salua, la casquette à terre, et tendit la main.</p> + + <p>Lemontey lui donna une pièce de dix sous.</p> + + <p>--Comment! rien que ça? dit le garçon en grommelant entre ses dents.</p> + + <p>--Hein! qu'est-ce que c'est? riposta l'immortel furieux. Cinquante +centimes, un demi-franc, ce n'est rien? Eh! malheureux, c'est la quatre +cent millième partie de deux cent mille francs, par conséquent de dix +mille livres de rente. Eh! je voudrais bien être garçon de l'Institut +pour en recevoir autant, moi!</p> + + <p>P.-J. Proudhon comprenait les étrennes d'une autre façon.</p> + + <p>L'année qui a précédé la mort du célèbre dialecticien, M. E. Dentu, son +éditeur et son voisin, se présenta chez lui le matin du jour de l'an.</p> + + <p>Après avoir échangé une poignée de main avec lui, il lui montra un petit +paquet enveloppé de papier gris.</p> + + <p>--Qu'est-ce que c'est que ça? dit Proudhon.</p> + + <p>--Deux poupées que je vous demande la permission d'offrir à vos deux +petites filles.</p> + + <p>En entendant ces mots, l'auteur du livre <i>De la Justice</i> entra tout à +coup dans une colère des plus violentes.</p> + + <p>--Des poupées à mes filles! Non, mon cher monsieur, non; je vous le +défends positivement. Savez-vous l'enseignement qui résulterait de ce +cadeau? L'amour de l'alanguissement, la coquetterie, la paresse, le +goût du luxe, peut-être de la luxure. C'est bon pour les duchesses, +c'est bon pour les bourgeoises. Tenez, si voulez faire un présent à ces +enfants, apportez-leur quelque chose d'utile, un dé à coudre, des +ciseaux, un paquet d'aiguilles. Qu'elles aient à la main un objet qui, +de bonne heure, leur rappelle qu'elles sont filles de la misère et de la +philosophie et qu'il faut qu'elles songent sans cesse à épouser le +travail!</p> + + <p>À certains égards cet esprit de prévoyance se retrouve en grand dans un +mot de Mme Lætitia Bonaparte, la mère de Napoléon.--Longtemps éprouvée, +n'ayant eu de 1790 à 1799 que 1,500 fr. pour soutenir sa modeste maison +et nourrir ses trois filles, Caroline, Elisa et Pauline, la brave femme +ne pouvait pas se résoudre à jeter l'argent par les fenêtres.</p> + + <p>En 1809, le 2 janvier, la princesse Pauline vint la voir.</p> + + <p>--Madame, l'empereur m'envoie vous faire une question.</p> + + <p>--Laquelle?</p> + + <p>--Combien avez-vous dépensé, hier, en fait d'étrennes?</p> + + <p>--Ma fille, 3,255 francs.</p> + + <p>--3,255 francs! Mais je vous avais remis, de la part de mon frère, 30 +000 francs pour faire des largesses! Est-ce que vous comptez placer +cette somme?</p> + + <p>--Mon Dieu, oui, Paulette.</p> + + <p>--Mais pourquoi faire?</p> + + <p>--Pourquoi faire? Pour donner, un jour, du pain à tous les rois et à +toutes les reines qu'on a faits dans ma famille!</p> + + <p>L'histoire a prouvé par trois fois que l'Agrippine d'Ajaccio n'avait pas +si grand tort.</p> + + <p>Philibert Audebrand.</p> + + <br><br> + + <h3>L'ILE SAINTE-MARGUERITE</h3> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/002a.png"><br><b>Le môle de débarquement.</b></p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/002b.png"><br><b>Le fort et les prisons.</b></p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/002c.png"><br><b>Vue de la pointe de la Croisette.</b></p> + + <br><br> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/003.png"><br><b>THÉÂTRE DES VARIÉTÉS.--<i>Les Merveilleuses</i>, comédie en +cinq actes, de M. Victorien Sardou.--Décors de M. Robecchi.--Costumes de +MM. Eugène. Lacoste et Draner.</b></p> + + <br><br> + + <h3>NOS GRAVURES</h3> + + <h3>Le naturaliste Agassiz</h3> + + <p>Le 15 décembre, un télégramme fort laconique annonçait à l'Europe que +«le professeur Agassiz venait de mourir à Boston».</p> + + <p>Cet illustre naturaliste mérite mieux qu'une mention d'une ligne. +C'était le digne successeur des Buffon et des Cuvier, et le monde +scientifique a peu de noms à opposer au sien; en Amérique, nous ne +voyons pas qui est capable de prendre sa place.</p> + + <p>Agassiz avait émigré aux États-Unis en 1847, à la suite des événements +politiques dont la principauté de Neufchâtel fut alors le théâtre. Il +était déjà célèbre et s'était fait connaître au monde savant par un +ouvrage sur les poissons fossiles, publié dès 1842, et qui est resté +classique en géologie, comme le livre de Cuvier sur les mammifères +éteints du bassin de Paris, ou le livre de Brongniart sur la flore +fossile des terrains houillers.</p> + + <p>Né dans le canton de Vaud en 1807, Agassiz avait étudié en Allemagne, et +fut reçu docteur à Munich. Il fut nommé professeur d'histoire naturelle +à Neufchâtel dès 1838, et publia en français, en latin ou en allemand +divers ouvrages de zoologie, dont celui que nous avons cité plus haut a +surtout contribué à le faire connaître.</p> + + <p>Ses études sur les glaciers, qu'il poursuivit avec une ardeur +infatigable, escaladant tous les pics des Alpes, entre les années 1840 +et 1847, confirmèrent la réputation qu'il s'était acquise parmi les +géologues, et l'on peut dire que lorsqu'il quitta l'Europe, son nom +était déjà universellement connu.</p> + + <p>Ses deux collaborateurs, MM. Desor et Vogt, Suisses comme lui, ont +continué les traditions du maître. Ils n'ont cessé de marcher à la tête +de la science helvétique, et ils l'ont même quelquefois poussée en +avant, notamment en anthropologie, avec une virilité, une audace qui ont +épouvanté en France plus d'un de nos maîtres officiels.</p> + + <p>Agassiz, à peine arrivé aux États-Unis, fut nommé professeur d'histoire +naturelle à l'Université de Cambridge, près Boston, et c'est là que, +vingt ans plus tard, nous l'avons rencontré nous-même, augmentant, +classant sans cesse ses chères collections, et toujours à l'affût de +nouveaux voyages pour faire progresser la science et ouvrir aux +investigations de l'esprit humain des champs jusque-là inconnus.</p> + + <p>Avec sa femme, qui ne cessa de le seconder dans ses recherches et de +s'associer à tous ses travaux, comme une vraie Américaine qu'elle était, +il entreprit le voyage de l'Amazone. On sait quel trésor de faits +curieux il rapporta de cette exploration, et combien il en accrut ses +collections, notamment en ichthyologie. Ce voyage, publié par Mme +Agassiz, a été traduit en français (1); l'exploration de l'Amazone a été +même illustrée dans le <i>Tour du monde</i>, d'après les dessins de Mme +Agassiz, qui tenait aussi bien le pinceau que la plume, dans ces +dernières années, M. Agassiz avait entrepris l'étude du fond des mers, +et fait à ce sujet sur un navire de guerre américain, que le +gouvernement des États-Unis avait mis généreusement à sa disposition, +une série de travaux fort intéressants poursuivis dans l'un et l'autre +océan, l'Atlantique et le Pacifique. Il était aussi allé de Boston à +San-Francisco par le cap Horn. Il avait espéré que sa santé, ébranlée +par un travail incessant, se relèverait dans ce long voyage. Il semble +qu'il n'en a rien été, puisque la nouvelle, de sa mort nous est parvenue +au moment où tout faisait espérer que ses amis et la science pourraient +encore le conserver longtemps.</p> + + <blockquote><span class="sml"><b>Note 1:</b> Voyage au Brésil, Paris, Hachette. 1868.</span></blockquote> + + <p>Dans ce voyage de circumnavigation, les découvertes d'Agassiz ont été +presque de tous les jours, sur les courants, la température des eaux +marines à diverses profondeurs, le fond de la mer, les animaux qui s'y +rencontrent. C'est lui qui a pour la première fois démontré que le fond +des océans est habité à toutes les profondeurs, contrairement à ce qu'on +avait écrit. Que d'espèces nouvelles en coraux, coquilles, poissons, +plantes marines il avait ramenées de son dernier voyage! Il était occupé +à classer tout cela, à le distribuer, à le faire connaître avec cette +générosité toute américaine qui le distinguait, quand la mort est venue +le surprendre.</p> + + <p>Au physique, c'était un homme de haute taille, fort vigoureux; ses +traits annonçaient l'aménité, la bienveillance, et le moral ne démentait +pas ce que le physique annonçait. Il était ouvert, sympathique, causait +volontiers et facilement, ne disait du mal de personne, pas même de ses +confrères, ce qui est rare parmi les savants. Il était, comme tous les +protestants, fort attaché aux doctrines religieuses. Spiritualiste, il +faisait volontiers intervenir la Providence dans la création des +espèces, mais cela ne l'empêchait pas d'apporter dans les théories +scientifiques beaucoup d'indépendance. Ainsi il était, en histoire +naturelle, avec les Lamarck, les Geoffroy Saint-Hilaire, les Gœthe, les +Darwin, partisan de la variabilité de l'espèce humaine et non de +l'unité, comme le voulaient Buffon et Cuvier, et comme quelques +naturalistes, entre autres M. de Quatrefages, le veulent encore +aujourd'hui.</p> + + <p>Il faisait bon marché des honneurs, et se contentait du titre de +correspondant de notre Académie des sciences, n'ayant jamais voulu +accepter de l'empereur Napoléon III, qui l'avait connu et apprécié en +suisse, ni le titre de sénateur, ni celui de professeur au Collège de +France, ni même celui de directeur général du Muséum, place restée, +dit-on, vacante depuis la mort de Cuvier. On essaya de le tenter à +diverses reprises et de le fixer parmi nous; toujours il préféra rester +dans sa patrie d'adoption. Républicain il était en Suisse, républicain +il demeura aux États-Unis. Il vient d'y mourir, comblé de gloire sinon +d'honneurs, aimé de tous, ayant fait de nombreux élèves, n'ayant cessé +un jour de travailler et de faire progresser la science, qui a été +l'occupation de toute sa vie. C'était un homme de bien, <i>vir probus</i>, au +sens le plus général du mot, un de ces hommes qu'on voit toujours partir +avec le plus vif regret, parce que l'on sent combien il sera difficile, +pour ne pas dire impossible, de les remplacer.</p> + + <p>L. Simonin.</p> + + <br> + + <h3>Le Fort Sainte-Marguerite</h3> + + <p>L'ex-maréchal Bazaine aurait pu être envoyé dans quelque casemate +oubliée, dans quelque prison sans passé, ou même faire le voyage de la +Nouvelle-Calédonie, en compagnie de pétroleurs. L'opinion publique eût +été probablement satisfaite de ce châtiment qui plaçait ainsi au même +rang tous ceux qui ont failli faire sombrer le pays! Mais décidément la +fortune sourit à Bazaine; pendant que nous grelottons dans le Nord, on +l'envoie dans une contrée bénie du ciel, inondée, au cœur de l'hiver, +des chauds rayons du soleil, et délicieusement rafraîchie, en été, par +les brises de mer!...</p> + + <p>Heureux maréchal! La Providence lui assigne même la prison à jamais +célèbre de l'homme au masque de fer. Etrange caprice du destin! +L'innocent martyr du despotisme de Louis XIV a vécu là , le visage +couvert, les traits constamment voilés, tenu dans le plus complet +isolement, tandis que le grand coupable de Metz va sans doute passer les +dernières années de sa misérable vieillesse en captif heureux, entouré +peut-être de quelques-uns des siens, et à coup sûr il n'aura pas pour +gouverneur un maître implacable comme Saint-Mars!</p> + + <p>Je me trouvais, il y a peu de mois, à Cannes, et de là on voit se +profiler, à quelques milles en face, les îles de Lérins, semblables à de +gigantesques entassements. Si l'on était oiseau, en deux coups d'aile, +on arriverait à Saint-Honorat ou à Sainte-Marguerite. Sans s'armer d'une +longue-vue, il est parfaitement possible de distinguer les rochers +élevés qui bordent les deux îles, et l'on peut compter jusqu'aux +fenêtres du fort Sainte-Marguerite.</p> + + <p>Une vingtaine de petits bateaux bariolés dansaient dans le port de +Cannes, sous la violente caresse du mistral, et demandaient à grands +cris, par la voix de leurs patrons, quelque promeneur complaisant!</p> + + <p>--Monsieur! promenade à Sainte-Marguerite! Bon temps! Bon vent! me cria +l'un des bateliers en me priant du geste de descendre.</p> + + <p>--Et combien de temps faut-il pour arriver à l'île!</p> + + <p>--Oh! monsieur, pas beaucoup! J'y suis allé l'autre jour en moins d'un +quart-d'heure!</p> + + <p>--Et le vent est bon? repris-je.</p> + + <p>--Excellent! monsieur, deux ris aux voiles et nous filons comme +l'éclair!</p> + + <p>Inutile de dire que le quart-d'heure du brave batelier se changea en +demi-heure, la demi-heure en trois quarts-d'heure et qu'une heure après +nous ne touchions pas encore au môle du débarquement. En revanche, +j'avais eu la mer la plus moutonneuse du monde; nous avions failli être +roulés par les vagues; mais quelle baie splendide, que de merveilleux +horizons!</p> + + <p>J'eus le malheur de descendre du bateau pour tomber entre les mains d'un +vieux sergent qui ne me lâcha pas avant de m'avoir conté,--ce qu'il +savait du reste fort mal,--l'histoire de l'île Sainte-Marguerite.</p> + + <p>Il m'expliqua que le fort avait été construit sous Richelieu, puis pris +par les Espagnols, qui l'avaient agrandi, et enfin réparé par Vauban.</p> + + <p>En résumé, ce bâtiment serait peu digne d'intérêt si la légende de +l'homme au masque de fer n'était pas là pour captiver.</p> + + <p>Matthioli, c'est le nom que l'on donnait à ce célèbre inconnu, avait une +prison que le maréchal Bazaine,--l'homme heureux!--ne connaîtra sans +doute que de vue! La chambre qu'il habita onze années n'était éclairée +que par une fenêtre du côté du nord, percée dans un mur de près de +quatre pieds d'épaisseur; on y avait même prudemment adapté trois +grilles de fer placées à une distance égale. Cette fenêtre donnait sur +la mer.</p> + + <p>Ce qui fit supposer à quelques indiscrets que Matthioli devait être +quelque grand personnage, ce sont d'une part les mesures prises par +Saint-Mars pour éloigner de lui même les geôliers, et de l'autre +l'espèce de respect dont semblait l'entourer le gouverneur.</p> + + <p>De plus, on assure que l'homme au masque de fer portait des vêtements +recherchés, de fines dentelles, et qu'on lui fournissait des habits +aussi riches qu'il paraissait le désirer.</p> + + <p>Il n'en fallait pas plus pour faire pleuvoir des milliers de +conjectures: C'est un frère de Louis XIV, disent les uns.--C'est le duc +de Beaufort, assurent les autres.--C'est un fils de Cromwell!...</p> + + <p>Quelques anecdotes inventées sans doute viennent à la rescousse, et +notre homme, qui n'était peut-être qu'un petit gentilhomme sans grande +importance, passe d'emblée à la postérité!</p> + + <p>Vous connaissez l'histoire du pêcheur qui ramasse sous les fenêtres de +Matthioli une assiette d'argent sur laquelle se trouvaient inscrits +quelques caractères;--le brave homme rapporte sa trouvaille au +gouverneur, qui lui demande s'il a lu les mots écrits sur ce plat: «Je +ne sais pas lire!» répond naïvement le pécheur, et Saint-Mars lui dit: +«Allez! Remerciez le ciel de votre ignorance!»</p> + + <p>Un ingénieux historien, à la vue très-bonne, affirme qu'il y avait sur +ce plat désormais historique, ces mots: «Louis de Bourbon, comte de +Vermandois, frère de Louis XIV, etc.»</p> + + <p>Si Bazaine jette jamais ses assiettes par les fenêtres, les pêcheurs +d'aujourd'hui les conserveront peut-être sans scrupule.</p> + + <p>Richard Cortambert.</p> + + <br> + + <h3>Variétés: "les Merveilleuses", comédie en cinq actes de M. Victorien +Sardou.</h3> + + <p>Cette fois c'est mon collaborateur M. Morin qui se charge de rendre +compte des <i>Merveilleuses</i>, de M. Sardou. Son dessin animé, spirituel et +d'une parfaite exactitude, tient lieu de l'article de théâtre. Aussi +bien notre critique à nous serait-elle inutile puisque M. Sardou n'a pas +jugé nécessaire d'introduire une action dans sa comédie, qui relève +presque tout entière du décorateur et du costumier. Quoi? pas le moindre +petit bout d'intrigue? Si vraiment, mais si peu que cela ne vaut pas la +peine d'en parler. Dorlis, que la guerre d'Italie a enlevé aux premières +joies de la lune de miel à sa femme Illyrine, retrouve au retour de +Rivoli et d'Arcole, son épouse convolant en secondes noces avec le +citoyen Saint-Amour, chef du cabinet de Barras. Il était temps, deux +heures plus tard, protégée par la loi du divorce, elle devenait madame +Saint-Amour. C'est tout, et cette petite comédie entamée à la fin du +quatrième acte se dénoue au cinquième. Il semble que M. Sardou, occupé à +faire revivre dans une série de tableaux vivants les hommes et les +choses du Directoire, et attardé longtemps dans les curiosités et les +bibelots du temps, se soit dit: «Maintenant que j'ai reconstitué ce +peuple bigarré dans les rues, agité dans les salons cet essaim de +merveilleuses et ce groupe de muscadins, que j'ai placé sur leurs +étagères ce musée archéologique des dernières années du siècle, songeons +un peu à mettre une action dans la pièce; si mince qu'elle soit, cela +est toujours assez bon; l'intérêt n'est pas là , il est dans cette série +de tableaux, dans ce panorama des plus mobiles et des plus amusants, +avec ce décor du premier acte, ce jardin du Palais-Égalité où s'asseyent +les <i>incroyables</i>, le menton caché dans la cravate <i>écronitique</i>, avec +<i>les oreilles de chien</i>, le chapeau gigantesque en demi-lune, le bas en +tire-bouchon et le bâton de houx à la main. Là circulent les +carmagnoles, les bouquetières, là se réfugient contre les huées des +<i>sans-culottes</i>, les daines <i>sans-chemises</i> que la brutalité de la foule +menace de jeter à l'eau.</p> + + <p>Au second tableau, nous sommes sur le perron de la rue Vivienne, où +s'agitent les agioteurs, devant cette boutique de boulanger qui indique +le prix montant et descendant du louis, étiage de la fortune publique. +Au premier étage d'une maison, des joueurs jettent leur or au râteau des +croupiers; à l'entresol, des <i>marchandes de frivolités</i> prélèvent des +intérêts sur la bonne fortune tentée au premier étage. C'est le bruit, +c'est la rue. L'acte suivant nous transporte dans l'hôtel du financier +Ragot; un bijou, que ce décor, une merveille de goût et d'exactitude, +avec ses pendules, ses candélabres du temps, avec ses sièges en forme +d'X, avec ses tasses à thé à fond jaune tacheté de petites fleurs +noires. Là règnent les <i>Merveilleuses</i>, les robes à la <i>Flore</i>, les +tuniques à la <i>Minerve</i>, la redingote à la <i>Galathée</i>, passant par +toutes les nuances, depuis le <i>Fifi pâle effarouché</i> jusqu'au <i>Violet +cul de mouche</i>. Et les coiffures! Le turban relevé avec des plumes +bleues, bonnet Pierrot, bonnet à la Délie, bonnet à l'Esclavonne. Tout +ce monde féminin caquette et fripe dans ses mains des éventails de crêpe +noir lamé et pailleté d'argent, sur lesquels se montre discrètement +l'effigie de Louis XVI, de la reine et du dauphin, ces éventails au +<i>Saule pleureur</i>. Les élégants zazayent de leur petite voix de +femmelette leur parlé gazouillé et mouvant, et étalent leurs habits de +soie rayée à queue de morue. MM. de Concourt ont fait dans un excellent +livre l'inventaire par le menu de cette société du Directoire. Ce +catalogue des choses et des gens, M. Sardou, par une fantaisie d'auteur +dramatique, l'a fait vivre aux Variétés. Il a animé les Carie Vernet, +les Debucourt. Cela est fort amusant au début, mais fatigue vite chemin +faisant. On feuillette pendant une heure un album de caricatures, mais +toute une soirée! c'est un peu long. Et puis, une observation. Comment, +nous voilà dans cette société de l'an de grâce 1798, et pas un costume +d'officier ou de général? Ce ne sont pourtant pas les militaires qui +faisaient défaut dans ce monde du Directoire. Il y a là une lacune.</p> + + <p>M. Savigny.</p> + + <br> + + <h3>Glace et patins: "La première leçon" et "Un regard en passant".</h3> + + <p>Puisque l'hiver s'obstine à ne pas entrer en scène, faisons tout éveillé +un rêve qui fera tressaillir d'aise les membres du club des patineurs.</p> + + <p>Il y a huit jours, le thermomètre est descendu à dix degrés au-dessous +de zéro, et depuis lors il s'est résolument maintenu entre six et huit. +Lacs, étangs, toutes les pièces d'eau dormante ont gelé, et finalement +la glace a acquis une respectable épaisseur.</p> + + <p>O bonheur! l'heure heureuse, depuis si longtemps attendue, a donc sonné, +et le moment fortuné est venu! Vite, courons, et sans perdre une minute, +au lac, au lac!</p> + + <p>Déjà sous un ciel gris d'acier, au milieu d'un cercle de grands arbres +étincelants de givre, s'y presse une foule élégante et joyeuse, les +femmes emmitouflées de fourrures, portant le manchon en sautoir; les +hommes vêtus du costume de rigueur; bonnet fourré, pelisse, pantalon +collant qui fait valoir les formes et bottes cracoviennes; les uns et +les autres ayant chaussé le patin et glissant, se croisant, se +poursuivant sur la glace qu'ils rayent d'un pied plus ou moins habile.</p> + + <p>Car s'il en est qui savent proprement faire un dehors, écrire +correctement leur nom du bout d'un patin victorieux, il y en a d'autres +aussi qui font beaucoup de fautes d'orthographe, et même en sont encore +à épeler péniblement leur alphabet. Aussi, pour les présomptueux, que de +mésaventures et de chutes, souvent ridicules.</p> + + <p>Je ne parle que pour les hommes.</p> + + <p>Il est bien entendu que c'est toujours avec grâce qu'une femme tombe sur +son pouff, quand cela arrive, ce qui est rare; car, plus timide, ce +n'est que bien soutenue qu'elle se risque à faire ses premiers pas sur +ce terrain glissant, où bientôt cependant elle s'élancera, rapide comme +l'hirondelle, en traçant comme elle, capricieuse, d'inextricables +méandres.</p> + + <p>Quelques-unes cependant ne parviennent jamais à surmonter assez leur +frayeur pour oser chausser le patin, et ce n'est que confortablement et +chaudement établies dans un traîneau qu'elles consentent à fendre l'air, +sous la conduite et la garde de quelque jeune gentleman, avec lequel il +leur est loisible alors d'achever tout à leur aise la conversation en un +autre endroit commencée, ou de commencer l'entretien qui sans doute se +terminera ailleurs.</p> + + <p>Je n'en jurerais cependant pas, car à quoi le plus souvent tiennent +ici-bas les choses, et de quoi dépendent nos résolutions les mieux +arrêtées? De ceci ou de cela, d'une goutte de pluie, d'un rayon de +soleil, ou encore d'un regard en passant.</p> + + <p>Louis Clodion.</p> + + <br> + + <h3>Les tortues de mer à Paris.</h3> + + <p>Il y a longtemps qu'on n'avait vu à Paris des chéloniens possédant des +dimensions aussi prodigieuses. Les derniers avaient fait leur apparition +alors que florissait l'empire de l'infortuné Maximilien. Depuis lors il +s'est écoulé moralement plus d'un siècle. Aussi n'est-il pas étonnant +que les tortues de MM. Potel et Chabot aient obtenu un véritable succès +d'estime aussi bien dans la rue Vivienne que sur le boulevard des +Italiens.</p> + + <p>Une de ces étrangères, rien qu'en agitant ses pattes, a cassé innocemment +la glace de la devanture qui la séparait de la rue. Mais ce n'était pas +pour reconquérir une liberté définitivement perdue, et dont elle ne +pouvait, dans son état d'engourdissement, de demi-sommeil, comprendre le +prix.</p> + + <p>Ces animaux sont d'une force prodigieuse, et dans leur pays d'origine +d'une étonnante agilité. Ils nagent comme des poissons dans l'Océan.</p> + + <p>C'est surtout lorsque la femelle va pondre ses œufs que l'on peut +facilement la surprendre et la capturer, ce qui se fait en la retournant +sur le dos, quelquefois à l'aide d'un levier.</p> + + <p>L'écaille des tortues franches n'a aucune valeur, mais la chair est +très-délicate, et il est à désirer qu'elle figure sur le carreau des +Halles où elle serait très-rapidement appréciée.</p> + + <p>Malheureusement nous sommes si routiniers en matière de gastronomie, +qu'elle est à peu près complètement perdue pour nous dès qu'elle a servi +à faire du bouillon. Les Anglais, plus pratiques, tirent un excellent +parti de tous les morceaux.</p> + + <p>La tortue jouit d'une propriété inestimable pour le transport dans les +pays lointains. On n'a besoin de la fumer ni de la saler, ni de la +placer dans des boîtes ou dans un garde-manger entouré de glace +fondante. Elle arrive vivante des Antilles sans qu'on ait besoin de lui +donner à boire et à manger. On pourrait donc se livrer à une +exploitation régulière de cette nouvelle matière alimentaire que nous +signalons expressément.</p> + + <p>De tous les animaux la tortue est peut-être celui qui a le cerveau le +moins développé.</p> + + <p>Lacépède allait jusqu'à prétendre qu'il est de la grosseur d'une +noisette pour un animal pesant 150 kilos.</p> + + <p>Mais il n'y a pas, paraît-il, d'animal qui soit plus porté aux plaisirs +de l'amour. Alors le mâle devient féroce, et aucun danger ne serait +capable de le déterminer à quitter sa femelle. Mais cela ne dure guère. +Au bout de quelques jours il l'abandonne sans remords, la laissant +regagner péniblement les îlots sablonneux où elle déposera ses œufs, en +grand danger d'être surprise par les pêcheurs qui la guettent. Notre +dessin fait voir les suites inévitables de cette surprise. Un aide de +cuisine s'apprête à trancher la tête de la tortue tandis qu'un autre +empêche cette tête de rentrer dans la carapace, à l'aide d'un câble et +d'un croc. L'armée des marmitons est là sous les armes, prête à +commencer ses grandes opérations. Jamais mode plus barbare d'exécution +n'a été inventé. Il faut croire que la tortue a si peu de cervelle +qu'elle ne s'en aperçoit presque pas. Car si elle se plaint, c'est si +bas, si bas que jamais personne ne l'a entendue.</p> + + <p>W. de Fonvielle.</p> + + <br><br> + + <h3>LA VEILLE DU 1er JANVIER</h3> + + <p class="mid">(Fin)</p> + + <p>--Absolument. Et je vais choisir des exemples. Voici Mademoiselle Mimi, +par exemple. J'ai déjà dit que je n'entendais pas médire des +poupées,--le jouet n'empêche pas le livre.--La vraie poupée, celle que +l'on peut habiller et déshabiller sans crainte de froisser une robe de +cent francs, qui possède une tête de porcelaine que l'on fait remettre à +neuf par le premier marchand venu du coin quand son propriétaire a eu le +malheur de tomber sur le nez, la poupée qui a son trousseau bien simple +de petits bas, de petits pantalons et de petites chemises, que sa maman +blanchit elle-même, la poupée que l'on mène en voiture et qui fait la +dînette, cette poupée-là est toujours amusante et sera amusante tant que +le monde durera. Mais le soir, quand Mimi viendra sous la lampe demander +à sa maman de lui montrer des images, sera-t-elle contente, oui ou non, +si ces images sont choisies dans un livre à elle, à elle toute seule, +écrit pour elle...</p> + + <p>--Il y en a donc de ces livres-là .</p> + + <p>--Il y en a quarante à l'heure qu'il est, ni plus ni moins, et la +collection des albums de P.-J. Stahl se complète d'année en année. C'est +le tableau vivant de l'enfance à tous les degrés, c'est un +chef-d'œuvre, une galerie sans rivale.</p> + + <p>--Mais Mimi ne sait pas lire!...</p> + + <p>--Si elle ne sait pas lire encore, elle sait voir au moins; tous les +enfants savent lire dans les livres à images; l'image vue, l'image lue, +on veut savoir au plus juste de quoi il s'agit, et vous êtes là , chère +madame, pour lui lire à haute voix les légendes spirituelles ou +émouvantes que Stahl a donné à traduire en merveilleux dessins au crayon +de Frœlich. C'est toute une morale où le code de la première enfance +est passé en revue article par article.--«Il faut aimer son papa, sa +maman et le bon Dieu», voilà pour l'âme. «Il faut manger sa soupe +courageusement jusqu'à la dernière cuillerée», voilà pour le corps. Et +pour la vie pratique: «Il ne faut mettre son doigt ni dans son nez, ni +dans les pots de confiture.--Il ne faut pas jouer avec ce qui coupe; les +couteaux ne sont pas un jeu.--Il est abominable d'égratigner son frère, +sa sœur et même sa bonne.--Il est très-mal aussi de marcher dans les +ruisseaux, ils ne sont pas faits pour cela.--Il ne faut jamais dire +qu'on n'a pas envie de dormir quand il est huit heures et demie +sonné...»</p> + + <p>Mon ami et sa femme s'étaient mis à rire dès les premiers mots de cette +énumération.</p> + + <p>--Pauvre Mimi! dit la jeune mère, c'est vrai tout de même que pas plus +tard que ce soir elle s'est démenée comme un beau petit diable en +prétendant que la pendule avançait et que, vrai, il ne pouvait pas être +huit heures et demie!...</p> + + <p>--<i>Les Commandements du grand-papa</i> lui en apprendront bien d'autres. Et +la <i>Journée de la célèbre mademoiselle Lili</i>, et la <i>Boîte au lait</i>, et +le <i>Journal de Minette</i>, et les <i>Idées de mademoiselle Rose</i>, illustrées +par Detaille, et la <i>Révolte punie</i>, et <i>Hector le fanfaron</i>, et l'<i>Ours +de Sibérie</i>, et <i>Bonsoir petit père</i>, et <i>Toc-Toc</i>, et <i>Mademoiselle +Mouvette</i>, qui est son portrait vivant, sans compter les albums en +couleur qu'elle pourra manipuler à son aise sans courir le risque de +s'empoisonner, au rebours de ces albums anglais, dont les enluminures +grossières ne sont bonnes qu'à crever les yeux ou à gâter l'esprit. +C'est une maxime à graver en lettres d'or dans le Code des parents, que +préserver les enfants des niaiseries imprimées, c'est accomplir une +œuvre pie. Voilà tout le secret de la bibliothèque Hetzel; P.-J. Stahl, +l'auteur applaudi des <i>Bonnes fortunes parisiennes</i>, que vous avez lues +tous les deux, à su tremper sa plume, comme je l'ai vu écrire quelque +part, dans un encrier rempli de lait sucré; une nourrice qui aurait +passé par l'Académie française n'aurait pas su trouver plus de +ressources d'esprit et d'imagination que ce père Gigogne. J'aurais dit +tout cela dans mon article, je puis bien vous le dire à vous, en +attendant.</p> + + <p>--Eh! c'est là précisément ce que j'étais en train de prêcher à ma +femme, s'écria mon ami; mais on n'est jamais prophète en son pays. Je +suis heureux de voir ton succès; on ne t'interrompt plus.</p> + + <p>L'interrupteur se contenta de sourire et je poursuivis en ces termes:</p> + + <p>J'arrive à Jujules. Savez-vous, chère madame, vous qui parliez tout à +l'heure de livres à choisir «par-dessus le marché», ce que votre petit +homme de huit ans m'a appris, il n'y a pas six mois? J'étais en train de +lui faire, en vous attendant, un petit cours d'histoire naturelle et, +par étourderie ou par ignorance, je ne sais plus au juste, je m'étais +avisé de ranger le crapaud parmi les reptiles malfaisants. Double +erreur, le crapaud n'est pas un reptile et le crapaud n'est pas une bête +malfaisante. Là -dessus, voilà Jujules qui m'interrompt de sa voix la +plus douce:</p> + + <p>--Pardon! mon parrain, mais j'ai lu quelque part que le crapaud n'était +pas un reptile...</p> + + <p>--C'est bien, possible; qu'est-il alors?</p> + + <p>--C'est un batracien, mon parrain, à moins que le livre n'ait menti.</p> + + <p>Le livre n'avait pas menti; mais voyez-vous votre bambin qui en +remontrait à son maître? Je lui demandai le titre de ce bienheureux +ouvrage. C'était un des classiques du genre: l'<i>Histoire d'une bouchée +de pain</i> de Jean Macé.</p> + + <p>--Un de mes cadeaux de l'année dernière,... murmura mon ami.</p> + + <p>--Allons? je suis battue sur toute la ligne, et par un enfant encore! +s'écria la jeune femme. C'est de bonne guerre. Je me rends à discrétion. +Que lui donnerons-nous cette année au savant Jujules?</p> + + <p>Je me levai et je m'en fus chercher dans le coin où je les avais déposés +en entrant, l'<i>Histoire d'une maison</i>, de Viollet-le-Duc, et la <i>Famille +Chester</i>, de P.-J. Stahl et William Hughes.</p> + + <p>--Voici deux nouveautés que vous prendrez la peine de lire avant le 1er +janvier. Car ces excellents livres ont le double mérite qu'ils +conviennent aux petits et ne sont pas inutiles aux grands. Je ne veux +pas être cru sur parole; il faut que vous appreniez par vous-même quel +soin sévère, quels scrupules ont présidé à la formation de cette +bibliothèque d'élite. C'est déjà beaucoup de savoir qu'un homme tel que +M. Viollet-le-Duc a pris le meilleur de son temps pour apprendre au +grand public comment se bâtit une maison, ce que la profession +d'architecte exige de clarté dans l'esprit et de rectitude dans le +jugement. Nous avons tout à gagner à ces enseignements-là . On apprend à +tout âge et il n'est jamais trop tard pour aller à l'école. C'est encore +dans un de ces livres que j'ai trouvé la maxime suivante: «Je ne doute +pas qu'on ne puisse faire un gros livre de ce que tu sais, disait au +campagnard à son fils qui lui revenait du collège tout enorgueilli de +son grec et de son latin; mais je suis assuré qu'on en ferait un plus +gros encore avec tout ce que tu ne sais pas.»</p> + + <p>--Comment l'appelez-vous ce livre-là ?</p> + + <p>--<i>Entre frères et sœurs</i>. Ce sont des causeries scientifiques pleines +de savoir et de bonne humeur; signé Lucien Biart.</p> +<br> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/004.png"><br><b>LA PREMIÈRE LEÇON.--D'après le tableau de M. Boutibonne.</b></p> + + <p class="mid">(Publié avec l'autorisation de MM. Goupil et Cie.)</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/005.png"><br><b>UN REGARD EN PASSANT.--D'après le tableau de M. Boutibonne</b></p> + + <p class="mid">(Publié avec l'autorisation de MM. Goupil et Cie.)</p> + + + <p>--C'est l'auteur de ce joli volume de nouvelles que tu as lues avec tant +de plaisir, dans la <i>Revue des deux mondes</i>, ajouta mon ami, et qui ont +paru en volume à la même librairie Hetzel, sous le titre des <i>Clients du +docteur Bernagius</i>, et à l'usage des femmes d'esprit.</p> + + <p>--C'est cela même. Ajoutez que nous nous retrouverons constamment avec +des écrivains amis. Après Viollet-le-Duc, P.-J. Stahl et Lucien Biart, +il faudrait nommer Jules Sandeau et sa <i>Roche aux Mouettes</i>, +Erckmann-Chatrian et <i>Madame Thérèse</i>, Hector Malot et son Romain +<i>Kalbris</i>, et d'autres tout aussi connus auxquels j'arriverai tout à +l'heure. Mais ce n'est pas fini. Le 1er janvier de Jujules serait trop +maigre si vous vous borniez à deux livres; vous y ajouterez la <i>Sœur +perdue</i>, de Mayne-Reid, qui fait suite aux <i>Aventures de terre et de +mer</i>, qu'il a déjà reçues l'année dernière, et l'<i>Histoire du Ciel</i>, de +Flammarion, qui manque à sa bibliothèque. Je me charge de la <i>Roche aux +Mouettes</i>, de Jules Sandeau et de <i>Romain Kalbris</i>, d'Hector Malot.</p> + + <p>--Ah ça! s'écria mon ami, du train dont nous y allons, il ne restera +rien pour Edouard!</p> + + <p>--Rassurez-vous, la bibliothèque d'éducation et de récréation en a pour +tous les âges et pour tous les goûts. Edouard est déjà un petit homme +sérieux. Entre temps, il sait manier très-convenablement le compas et +l'équerre. Tandis que Jujules lui prêtera son <i>Histoire d'une maison</i>, +Edouard fui confiera en échange la collection des <i>Voyages +extraordinaires</i> de Jules Verne...</p> + + <p>Mais c'est que je les lis, moi aussi, ces voyages!... s'écria la jeune +femme en me coupant la parole, y en a-t-il de nouveaux?</p> + + <p>--Ah! je vous y prends! Que me disiez-vous donc tout à l'heure, que vous +vous en reposiez sur le premier libraire venu du choix de ces lectures? +Jules Verne tout au moins aurait été désigné à l'avance et pour ce seul +aveu il vous sera beaucoup pardonné. Certes oui, il y en a de nouveaux +et ce ne sont pas les moins merveilleux. J'ai apporté le <i>Pays des +fourrures</i>, dont je puis parle en connaissance de cause, car je l'ai +déjà lu dans le <i>Magasin d'éducation</i>. Vous avez encore le <i>Tour du +monde, en quatre-vingts jours</i>, un chef-d'œuvre d'invention, une sorte +de conte des Mille et une nuits, avec la fantaisie déréglée en moins, et +en plus l'imagination scientifique. Ce sont de fameux pendants à <i>Vingt +mille lieues sous les mers</i>, au <i>Voyage dans la Lune</i> et au <i>Centre de +la terre</i>, à <i>Cinq semaines en ballon</i>, aux <i>Enfants du capitaine, +Grant</i>, au <i>Capitaine Hatteras</i>, etc. Cet étonnant romancier poursuit un +plan qui consiste à faire faire à son public la découverte successive de +toutes les parties du monde et de tous les phénomènes du globe. Nous +avons encore un bon bout de chemin en perspective. Savez-vous ce qu'il +m'a répondu tout dernièrement? Je lui demandais quelles surprises +nouvelles il nous réservait et s'il nous était permis de compter sur une +deuxième série aussi riche que la précédente.</p> + + <p>--N'est-ce que cela! me dit-il gaiement, apprenez qu'elle est toute +composée cette série à venir; il ne me faut plus que le temps de +l'écrire.</p> + + <p>--Tout va bien, répliqua mon ami, mais avec tout cela je ne vois pas +pourquoi tu nous a parlé du compas et de l'équerre d'Édouard?</p> + + <p>--M'y voici. Nous lui donnerons les Sciences usuelles et leurs +applications mises à la portée de tous, par le capitaine de frégate +Louis du Temple. Ce livre-là serait un peu trop sérieux pour Jujules; il +fera le bonheur d'Édouard. Figurez-vous, mes amis, la mécanique et la +géométrie racontées par un homme qui a appris la science à de pauvres +mécaniciens de la marine, à des gens presque illettrés mais pleins +d'ardeur, de bon vouloir et de dévouement. Ce sera bien le diable si +sous la direction d'un tel maître Edouard ne devient pas un mécanicien +de premier ordre. Je tiens à être là pour jouir de sa joie quand il +recevra ce magnifique volume, et si vos mains sont trop pleines de +cadeaux pour y joindre celui-là , c'est moi qui m'en chargerai.</p> + + <p>--Mais non! dit la jeune femme en riant, je n'accepte pas l'épigramme; +me voilà bel et bien convertie, et je vous promets que le n° 18 de la +rue Jacob comptera désormais une cliente aussi assidue que dévouée. +N'abusez pas de votre victoire.</p> + + <p>--Ainsi, ajouta mon ami, c'est toute une bibliothèque que nous +introduisons dans la famille. Quelle heureuse chance pour moi d'avoir eu +pour auxiliaire un ami dont le métier consiste précisément à lire les +livres nouveaux pour guider autant que possible le choix du grand +public. Si grâce à toi, le budget des étrennes est un peu plus lourd que +de coutume, je ne m'en plaindrai pas.</p> + + <p>--C'est encore une erreur, répondis-je, et ce sera mon dernier mot. Le +plus riche, le plus luxueux de ces beaux livres, les <i>Contes de +Perrault</i>, de Doré, qu'il faudra donner à Mimi, dans un an ou deux, ne +coûte pas à beaucoup près ce que coûte une soirée dans un théâtre de +genre, qui trop souvent se trouve être un théâtre de mauvais genre; il +coûte moins qu'un joujou vulgaire de chez Giroux, une boîte de bonbons +de Roissier, une fleur artificielle à mettre dans vos cheveux, madame, +ou la fumée de quelques cigares de choix que monsieur achètera au +Grand-Hôtel. Direz-vous que ce qui serait trop d'argent pour une chose +qui reste ne serait rien pour une chose qui passe?</p> + + <p>--Non! non! s'écrièrent en chœur mes deux amis, le mari et la femme, +associés et réconciliés dans le même sentiment. Nous voilà d'accord.</p> + + <p>--Tout est donc bien qui finit bien, répondis-je en fermant l'entretien; +cela finit d'autant mieux que mon article est fait. Tant pis pour vous, +je vous préviens que je vais livrer au public toute notre conversation +sans y changer un mot.</p> + + <p>--Tu ne nous nommeras pas au moins!</p> + + <p>--Je le jure! Je me bornerai à vous soumettre mon procès-verbal et à +signer pour copie conforme:</p> + + <p>Prosper Chazel.</p> + +<br><br> + + <h2>LA SŒUR PERDUE</h2> + + <h3>Une histoire du Gran Chaco</h3> + + <p class="mid">(Suite)</p> + <br> + + <h3>CHAPITRE X</h3> + + <h4>ARRÊTÉS PAR UN «RIACHO.»</h4> + + <h4>LES GYMNOTES</h4> + + <p>Les voyageurs se trouvaient à un mille de distance de leur dernière +halte quand les hautes berges du Pilcomayo commencèrent à se déprimer, +puis à s'abaisser jusqu'à se mettre presque de niveau avec le fleuve. La +colline qu'ils avaient jusqu'alors suivie se continuait sur l'autre +bord, comme si elle eût été coupée par le courant qui formait en cet +endroit une série de rapides contre lesquels l'eau se brisait en +bouillonnant et avec un bruit assourdissant.</p> + + <p>Les voyageurs n'y prêtèrent pas attention; ils descendirent la pente et +continuèrent à remonter le cours d'eau.</p> + + <p>Ils ne tardèrent pas à se heurter contre un obstacle inattendu. C'était +une sorte de ruisseau lent, un <i>riacho</i> (2) qui débouchait +perpendiculairement dans le Pilcomayo ou en sortait, suivant la saison +et les caprices de l'inondation. En ce moment il semblait être immobile, +parce que la rivière principale, subitement enflée par l'ouragan, +arrêtait le courant plus tranquille de son affluent. Ses eaux étaient +jaunâtres et comme mêlées de terre et de sable. Le seul moyen d'en +savoir la profondeur était d'y entrer à cheval, mais l'expérience était +dangereuse.</p> + + <blockquote><span class="sml"><b>Note 2:</b> Le <i>riacho</i> de l'Amérique du Sud est un cours d'eau tributaire +d'une grande rivière. Il ressemble au bayou de la Louisiane. En temps +d'inondation son courant change de direction et revient sur lui-même.</span></blockquote> + + <p>Il ne fallait pas songer à tourner pour le franchir au-dessus de sa +source, ni à chercher un gué en le remontant. Le riacho était droit +comme un canal, et les cavaliers pouvaient le suivre des yeux à travers +la plaine sur une étendue de plus de dix milles présentant toujours la +même largeur et probablement la même profondeur que sous la tête de +leurs chevaux.</p> + + <p>Que faire? remonter jusqu'à la source aurait exigé une demi-journée tout +entière. Cypriano était trop impatient pour y songer et Gaspardo +lui-même paraissait médiocrement disposé à un retard. Essayer de passer +à l'endroit où ils se trouvaient semblait être une entreprise +hasardeuse; il leur faudrait peut-être nager. Cependant cette +alternative ne les eût pas arrêtés si le bord opposé avait offert une +pente douce ou quelque point facile qui permit aux chevaux d'aborder. +Mais il n'en était pas ainsi; au contraire, la berge s'élevait +perpendiculairement à plus de deux pieds au-dessus de l'eau, et, sous +l'eau, cette sorte de muraille pouvait être encore plus profonde. Les +voyageurs étaient dans l'impossibilité d'évaluer la profondeur à cause +de la coloration de l'eau, conséquence de la tormenta, et il n'existait +ni courant ni rides pour les aider à se former une opinion même +approximative.</p> + + <p>Ils restaient indécis sur leurs selles. S'il avait été seul, Cypriano, +dans son impatience, aurait lancé son cheval en plein cours d'eau, mais +Gaspardo avait mis la main sur la bride en lui disant: «Patience! il est +bon de réfléchir, même avant de faire une folie.»</p> + + <p>Ils demeurèrent ainsi pendant plus de dix minutes, tantôt jetant les +yeux sur le ruisseau, tantôt se regardant les uns les autres.</p> + + <p>«<i>Gracias a Dios!</i> que Dieu soit loué! s'écria tout d'un coup le +gaucho.»</p> + + <p>Il proféra cette exclamation d'un ton si satisfait et avec un tel soupir +de soulagement que ses jeunes camarades comprirent que le problème était +résolu et que le moyen de passer était découvert.</p> + + <p>«Qu'avez-vous imaginé, mon bon Gaspardo? demanda Cypriano, toujours le +plus prompt à interroger.</p> + + <p>--Regardez là -bas, dit Gaspardo? en montrant de la main l'endroit où +l'affluent réunissait ses eaux à celles du fleuve. Que voyez-vous +là -bas, senoritos?</p> + + <p>--Rien de particulier, quelques grands oiseaux blancs avec de longs +becs, qui ressemblent à des grues.</p> + + <p>--Certainement, ce sont des grues, et même des grues soldats, des +<i>garzones</i> (3). Eh bien! qu'en pensez-vous?</p> + + <blockquote><span class="sml"><b>Note 3:</b> Le <i>garzon</i> est la plus grande des grues de l'Amérique du Sud. +Il possède une hauteur de cinq pieds; ses jambes sont longues et grêles; +son bec pointu est immense; il a sous la gorge un sac rouge comme un +pélican et son plumage est presque d'un blanc de neige.</span></blockquote> + + <p>--Qu'elles nagent?</p> + + <p>--Nager! pas le moins du monde. Le garzon ne nage jamais. Elles passent +à gué, senoritos; oui! à gué.</p> + + <p>--Eh bien! après? fit Ludwig.</p> + + <p>--Comment! après? Je suis étonné que vous, naturaliste, un savant qui +avez appris à raisonner, vous ne liriez pas la conclusion d'un fait +aussi clair.</p> + + <p>--Quelle conclusion? demanda naïvement le jeune savant.</p> + + <p>--La plus simple du monde, à savoir que comme le dit la chanson, si les +canards l'ont bien passé, nous passerons nous aussi le riacho. Les grues +ont de longues jambes, c'est vrai, mais où un garzon peut passer, un +cheval n'est pas obligé de nager. Non, muchachos! nous traverserons à +l'endroit où ces gros oiseaux blancs sont en train de s'amuser. Nous +pourrions même peut-être le faire ici, mais cela serait moins sûr. Il y +a évidemment une barre de sable entre le riacho et la rivière et voilà +pourquoi les grues sont à l'eau. J'ajoute que, si elles y sont, ce n'est +pas pour le simple plaisir d'y prendre un bain de pieds. Il est probable +que l'orage a troublé les poissons et les a ramenés du large contre la +barre. Les grues, les trouvant là à leur portée, y sont venues à leur +tour. Tout s'enchaîne à merveille, vous le voyez, et nous n'avons +nous-mêmes rien de mieux à faire que de mettre à profit le résultat de +l'expérience faite par les grues.»</p> + + <p>Le gaucho avait raison. Les <i>garzones</i> étaient activement occupés à +pêcher; les uns plongeaient leur bec sous l'eau, d'autres, la tête +renversée, montraient sous leur gorge de vastes poches écarlates +gonflées par le poisson qu'ils s'efforcaient d'engloutir.</p> + + <p>«C'est pitié de les déranger de leur dîner, dit Gaspardo, surtout après +le service qu'elles nous ont rendu en nous montrant le gué. Por Dios! Il +nous faut pourtant le faire, il n'y a pas moyen de l'éviter. Allons, +senoritos, descendons, nous demanderons en passant pardon à mesdames les +grues de la liberté que nous prenons à leurs dépens.»</p> + + <p>En disant ces mois, Gaspardo se dirigea vers le confluent des deux cours +d'eau, suivi par ses compagnons qui n'avaient fait, comme on le pense, +aucune objection au discours du brave gaucho.</p> + + <p>Au bout de deux cents pas, ils arrivaient au territoire de pêche des +grues.</p> + + <p>Ces grands oiseaux, effrayés par l'approche de créatures si différentes +de celles qu'ils voyaient ordinairement, se hâtèrent d'avaler le contenu +de leurs poches écarlates, puis, agitant leurs grandes ailes au-dessus +de l'eau, s'élevèrent dans les airs en protestant par leurs cris contre +le dérangement qu'on leur causait!</p> + + <p>Pendant un moment, ils tournèrent au-dessus de la tête des cavaliers en +poussant leurs notes perçantes, comme s'ils avaient espéré disputer aux +cavaliers le passage du ruisseau. Cependant, quand les chevaux se mirent +à l'eau, ils comprirent que pour le moment leur pèche était finie, et, +cessant leurs bruyantes démonstrations, ils partirent l'un après l'autre +en quête d'une retraite plus tranquille.</p> + + <p>Le passage était tel que Gaspardo l'avait supposé; c'était une barre +entre le fleuve principal et son tributaire. Ni en aval ni en amont les +chevaux n'auraient pu passer à gué, et même sûr la barre, au point le +plus profond, leurs sangles baignaient dans l'eau.</p> + + <p>La distance à parcourir était de plus de cent mètres, car c'était à +cette place que le riacho avait sa plus grande largeur.</p> + + <p>Ils avaient franchi les deux tiers du passage et se félicitaient déjà +d'être bientôt arrivés sur l'autre rive, quand tout d'un coup les +chevaux firent halte en frémissant de la tête aux pieds.</p> + + <p>Au même instant, chacun des trois cavaliers ressentit une commotion +étrange et tellement simultanée, que leurs exclamations s'échappèrent de +leurs trois bouches à la fois comme d'un seul gosier..</p> + + <p>Gaspardo seul reconnut la cause de ces chocs imprévus.</p> + + <p>«Caramba! s'écria-t-il, c'est une raie électrique. Non pas une, mais +peut-être un millier! Il y en a tout autour de nous, je le vois bien au +frémissement des chevaux. Donnez de l'éperon, senoritos! donnez de +l'éperon, ou nos bêtes paralysées n'atteindront jamais le bord!»</p> + + <p>Ainsi apostrophés, les jeunes gens piquèrent de toute la force de leurs +talons, et leurs montures s'avancèrent encore, mais avec inquiétude et +une visible irrésolution. Parfois elles essayaient de reculer en dépit +des coups d'éperon.</p> + + <p>Les cavaliers n'échappaient pas à cette influence. Le fluide subtil +courant le long des membres des chevaux, pénétrait dans le système +nerveux des hommes et leur causait de violentes secousses. Tous les +trois se sentirent d'autant plus troublés, que la force ne pouvait rien +contre l'obstacle bizarre qui s'opposait à leur marche en avant. +Gaspardo seul conservait encore assez de présence d'esprit pour parler +et agir.</p> + + <p>«Éperonnez, criait-il, éperonnez! si nous ne gagnons pas le bord +rapidement, les gymnotes auront raison de nous et de nos bêtes. Nos +chevaux s'enfonceront dans l'eau comme des pierres et nous-mêmes, si +nous n'échappons pas à l'influence de ces infernales bêtes, nous ne +pourrons passer ni à gué ni en nageant. En avant donc, senoritos! Jouez +de la cravache et des éperons comme s'il s'agissait du salut de nos +Ames!»</p> + + <p>Ludwig et Cypriano n'avaient pas besoin d'être excités. Ils sentaient +parfaitement l'imminence du péril et ne comprenaient que trop que chaque +minute le décuplait. Tous deux poussaient leurs montures autant que le +leur permettait leur énergie défaillante.</p> + + <p>Gaspardo le premier finit par atteindre le bord; il fut suivi de près +par Cypriano. Mais quand tous deux, se retournant, jetèrent les yeux sur +Ludwig, ils s'aperçurent que celui-ci était resté en arrière d'eux, à +quelques mètres de la rive; son cheval tremblait comme une feuille et +refusait d'avancer. Le cavalier commençait à perdre la tête en voyant +l'inutilité de ses efforts. Tout d'un coup sa monture cessa de bouger. +Le gaucho et Cypriano la virent peu à peu enfoncer. Evidemment Ludwig +était hors d'état de la retenir,</p> + + <p>Cypriano fit mine de descendre de cheval et de se jeter à l'eau pour +aller au secours de son cousin.</p> + + <p>«Gardez-vous-en bien, s'écria le gaucho. Vous n'arriverez qu'à périr +avec lui. Il y a mieux à faire pour le salut de Ludwig.»</p> + + <p>En même temps il détachait son lazzo de sa selle et le faisait tournoyer +autour de sa selle. Le nœud coulant tomba juste sur les épaules de +Ludwig. Le jeune homme enlevé de sa bête abordait, cinq minutes après, +sain et sauf sur le rivage.</p> + + <p>Sans perdre un instant, le gaucho relâcha le lazzo, le détacha +promptement des épaules de Ludwig, le fit siffler encore, et le lança +sur le cheval, dont l'arrière-train était déjà sous l'eau.</p> + + <p>Cette fois, la boucle largement ouverte tomba sur le cou de l'animal en +entourant dans sa première moitié la haute selle espagnole qu'il +portait; Gaspardo, assurant solidement le lazzo autour de son poignet et +de son avant-bras, fit faire demi-tour à sa propre monture du côté +opposé à la rive, et l'encourageant de la voix, il la lança d'un élan +vigoureux en avant.</p> +<br> + <h4>CHAPITRE XI</h4> + + <h4>LE POISSON QUI FAIT DU FEU</h4> + + <p>Il y eut une lutte violente au milieu du riacho; elle dura peu. Le +cheval de Ludwig reprenait courage en se sentant secouru; il fit un +effort de vigueur pour aider à celui qui était tenté en sa faveur; ses +jambes de derrière, dégagées, reprirent bientôt leur fonction, et il +finit par prendre terre à son tour.</p> + + <p>Le bord de ce cours d'eau bourbeuse présentait un étrange tableau; les +trois chevaux frissonnant semblaient près de défaillir, et leurs +cavaliers n'étaient guère dans un meilleur état.</p> + + <p>Le plus âgé des trois conservait encore un peu de force, mais il était +loin de se sentir aussi solide et aussi alerte que d'habitude. Jamais il +n'avait subi une si violente attaque des gymnotes, et il ne pouvait +s'expliquer leur puissance extraordinaire qu'en l'attribuant à +l'électricité de la tempête, qui sans doute avait surexcité en elles +l'énergie du fluide.</p> + + <p>C'était là en effet l'explication la plus plausible du fait; la raie +électrique, parfois complètement inoffensive, est d'autres fois l'animal +le plus dangereux qu'il soit possible de rencontrer au sein des eaux.</p> + + <p>Les chevaux furent quelque temps avant de se remettre de l'influence et +des souffrances causées par les décharges galvaniques des gymnotes. Les +cavaliers et Gaspardo lui-même avouaient qu'ils se sentaient très-mal à +leur ai$e. Cependant le gaucho finit par retrouver sa vaillante humeur. +Le succès de sa double pêche au lazzo, la première qu'il eût faite en ce +genre, l'avait ragaillardi, et il communiqua un peu de son entrain à ses +deux compagnons. Ils reprirent sans délai leur voyage, et, tout en +continuant à suivre les bords du Pilcomayo, Gaspardo donnait à ses +jeunes compagnons toutes les observations à sa connaissance relativement +aux singuliers animaux auxquels ils avaient eu tant de peine à se +soustraire.</p> + + <p>«Les gauchos, dit-il, les appellent des raies: cependant j'ai entendu le +senor Ludovico (il désignait ainsi le père de Ludwig) leur donner le nom +de gymnotes (4). Je suppose que c'est celui qui est connu des +naturalistes.</p> + + <blockquote><span class="sml"><b>Note 4:</b> La gymnote possède une merveilleuse puissance électrique. Les +chevaux e! les bestiaux qui passent à gué les marécages ou ruisseaux +peuplés par ces singulières créatures succombent souvent sous leurs +chocs galvaniques. L'incident que nous rapportons est en parfaite +concordance avec les phénomènes observés.</span></blockquote> + + <p>--C'est vrai, répondit le jeune Ludwig en s'intéressant aux paroles de +Gaspardo. C'est là en effet leur nom scientifique.</p> + + <p>--Avez-vous jamais vu de près un de ces vilains diables? demanda +Gaspardo.</p> + + <p>--Non, répliqua Ludwig, mais j'ai souvent entendu mon père en parler.»</p> + + <p>A ces mots de «: père», un nuage passa sur les traits du jeune homme; il +était évident qu'il ne pensait déjà plus aux gymnotes.</p> + + <p>«Moi, dit Gaspardo, j'en ai vu beaucoup. Près de l'endroit où j'allais à +l'école, il y avait une espèce de mare qui était pleine de raies +électriques, et nous autres enfants nous nous en amusions beaucoup, +quoique nous en eussions très-peur. Vous allez voir que ce n'était pas +sans raison. Je me souviens qu'un jour j'assistai à un triste spectacle. +Un vieux bœuf, qui n'avait plus qu'un œil, s'était laissé choir dans +cette mare. Les enfants ne doutent de rien; j'avais eu la chance +d'accrocher, avant que la pauvre bête ne fût à vau-l'eau, une corde à +l'extrémité de ses cornes; nous nous mimes une douzaine au moins à tirer +sur cette corde, persuadés que nos efforts suffiraient à ramener le +pauvre animal du gouffre où il était tombé. Naturellement nous n'y +parvînmes pas. Le malheureux bœuf n'en eut pas pour longtemps. Je le +vois encore, après s'être débattu un instant, s'abîmer tout d'un coup +sous l'eau, comme s'il eût été frappé d'un coup de foudre invisible. +Jamais je n'oublierai le regard de détresse qu'il nous jeta avant de +disparaître; ils ont de si bons regards, les bœufs; mais ce que +j'oublierai encore moins, c'est le châtiment inattendu que nous reçûmes +du propriétaire du bœuf, dont nous espérions des remerciements, +châtiment dû, nous dit-il, à la maladresse de nos efforts.</p> + + <p>«C'était le maître d'école lui-même, un homme pratique, qui ne se payait +ni de bonnes paroles ni même de bonnes intentions. «Vous vous êtes tous +conduits comme des imbéciles, s'écria-t-il, en essayant de faire une +chose tellement au-dessus de vos forces. Il fallait crier au secours, +venir me chercher. Je n'étais pas loin et mon bœuf serait encore en +vie. Savoir ce qu'on peut et ce qu'on ne peut pas, connaître la mesure +de ses forces est indispensable à tout âge, et pour que vous vous +souveniez de cette utile maxime, je vais vous appliquer à chacun quelque +chose qui vous la fixera dans la mémoire.»</p> + + <p>«Nous reçûmes tous une demi-douzaine de férules. Jamais correction ne +fut administrée avec une plus grande impartialité. Chacun en eut son +compte.</p> + + <p>--C'était un méchant homme ce maître d'école, s'écria Cypriano...</p> + + <p>--Un peu rude, j'en conviens, répondit Gaspardo, mais c'était surtout un +homme sensé et judicieux. Ces férules m'ont sauvé de bien des sottises +dans ma vie, et, s'il faut tout dire, elle vous a été utile à vous-même. +Je me la suis rappelée à propos dans notre caverne, tout à l'heure, +quand il s'agissait d'abattre à coups de fusil notre second tigre. +L'affaire était chanceuse. C'est grâce à la mémorable leçon de notre +vieux maître que j'ai donné la préférence à notre fusée sur une décharge +d'artillerie dont reflet n'était pas certain. Pour en revenir à nos +raies électriques, je ne me doutais pas, à l'époque où s'est passée +l'histoire que je viens de vous raconter, que j'aurais à me tirer +d'affaire avec elles aujourd'hui et dans une circonstance aussi sérieuse +que celle d'où nous sortons. Soyez sûr, mon cher Ludwig, que le souvenir +du bœuf et de la leçon énergique subie à cause de lui m'a inspiré +heureusement tout à l'heure, quand je me suis servi de mon cheval comme +d'un remorqueur pour le vôtre.</p> + + <p>--Pauvre Gaspardo, dit Cypriano, c'est pourtant vrai que nous voici tenu +de bénir le vieux maître d'école auquel il a dû un enseignement si +difficile à oublier.»</p> + + <p>La conversation continua sur les raies électriques.</p> + + <p>«Vous dites que vous avez vu des raies électriques, cousin, demanda +Ludwig. A quoi ressemblent-elles?</p> + + <p>--Le gaucho peut vous le dire mieux que moi.</p> + + <p>--A quoi ressemblent-elles, Gaspardo?</p> + + <p>--Ma foi, <i>muchachos</i>, si l'on me demandait de faire une description de +ces vilaines bêtes, je répondrais qu'elles ne ressemblent à rien. +L'animal le plus laid de la création pourrait être vexé de leur être +comparé. S'il y a de l'eau en enfer, c'est d'animaux comme ceux-là +qu'elle doit être peuplée.</p> + + <p>--Tout cela ne nous apprend pas à quoi ressemble une raie électrique, +interrompit Ludwig, auquel l'amour de l'histoire naturelle faisait +désirer une description plus précise.</p> + + <p>--Non certainement, répliqua le gaucho, mais ce n'est pas une chose +aisée que de décrire un poisson qui n'est peut-être pas un poisson, +quoiqu'il passe son temps sous l'eau.</p> + + <p>--Quant à être un poisson, c'est un poisson, fit le jeune naturaliste, +tout aussi bien que les autres raies, mais quelle est sa forme, sa +couleur, sa dimension?</p> + + <p>Mayne Reid.</p> + + <p>(<i>La suite prochainement.</i>)</p> + + <br><br> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/006.png"><br><b>LES TORTUES DE MER A PARIS.--Décapitation d'une grosse +tortue.</b></p> + +<br><br> + + <h3>LA SŒUR PERDUE </h3> + + <h4>PAR MAYNE REID</h4> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/007a.png"><br> + <b>Le vieux mâle gisait inanimé. + De petits hiboux occupaient le sol en +<br> commun avec lesquadrupèdes.</b></p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/007b.png"><br> +<b>Chacun d'eux penché sur le sol. + La construction en était toute primitive.</b></p> + +<br><br> + + <h3>REVUE LITTÉRAIRE</h3> + + <h4>LES LIVRES D'ÉTRENNES</h4> + + <h4>II</h4> + + <p>Parmi tous ces livres gaufrés et dorés que le jour de l'an fait naître, +il en est un que je trouve particulièrement recommandable, c'est le +<i>Magasin d'éducation et de récréation</i>, fondé, il y a quelques années, +par M. J. Hetzel, avec la collaboration spéciale de Jean Macé et de +Jules Verne. Le <i>Magasin d'éducation</i> en est arrivé maintenant à sa +neuvième année, à son dix-huitième volume, et la plupart des ouvrages +qu'il a publiés, <i>Les Anglais au pôle nord, Les Enfants du capitaine +Hatteras, Le Pays des fourrures</i>, de Jules Verne, <i>La Roche aux +Mouettes</i>, de Jules Sandeau, <i>Les Contes du château</i>, de Jean Macé, et +les délicieuses historiettes de P.-J. Stahl, ses contes et récits de +morale familière, sont rapidement devenus populaires. Je ne sais rien de +plus intéressant et de plus curieux que de feuilleter, sous la lampe, +ces volumes où la gravure vient en aide à l'imagination, où le dessin +explique et anime le texte, où les yeux sont charmés avant l'esprit. Les +enfants seraient trop heureux si ces beaux livres, ces récits qui les +captivent, qui les amusent, ces images qui les séduisent, si tout cela +était fait pour eux seuls. Mais les parents,--ces grands enfants,--y +trouvent aussi leur compte. Il y a, dans le <i>Magasin d'éducation</i>, comme +dans toute la bibliothèque d'Hetzel, des catégories de lectures pour +tous les âges.</p> + + <p>D'abord, le premier âge, qui se plaira, par exemple, à cette capricieuse +histoire de <i>La Famille Chester</i>, que P.-J. Stahl a écrite en +collaboration avec W. Hugues, ou encore à <i>La Comédie enfantine</i> et aux +jolis dessins de Froment, adorables comme des fresques antiques ou comme +les meilleurs tableaux d'Hamon. En ce genre, <i>La Boîte au lait</i>, tableau +de la «première commission» de Fanchette, est tout à fait une chose +exquise. Les hésitations de Fanchette portant la boîte au lait à tante +Rose, ses stations, ses tentations, sa gourmandise bientôt punie, tout +cela est rendu avec une délicatesse infinie, et c'est là une véritable +œuvre d'art.</p> + + <p>Le deuxième âge et la jeunesse ont les récits didactiques de Jean Macé +et de Viollet-le-Duc, l'<i>Histoire d'une maison</i>, entre autres, où +l'éminent architecte explique avec beaucoup de clarté et d'esprit +comment on s'y prend pour conduire un logis de la base au faite. Il faut +placer aussi dans cette catégorie les romans de Lucien Biart ou du +capitaine Mayne-Reid, les aventures de terre et de mer dont les lecteurs +de l'<i>Illustration</i> ont pu mieux que personne mesurer le mérite, +puisqu'ils connaissent <i>La Sœur perdue</i>, ce vigoureux tableau de mœurs +exotiques.</p> + + <p>Les parents enfin, ceux qui lisent ces livres par-dessus les épaules et +la tête de leurs enfants, ont pour eux <i>Le Tour du monde en 80 jours</i> et +<i>Le Pays des fourrures</i>, et la <i>Géographie de la France</i> et les +<i>Sciences usuelles</i>, mises à la portée de tous par M. Louis du Temple, +un capitaine de frégate qui écrit avec une lucidité étonnante. Elle est +riche, on le sait, cette collection Hetzel, et les dix-huit volumes du +<i>Magasin d'éducation</i> forment, à eux seuls, une bibliothèque véritable, +la plus instructive et la plus attachante. Quelle richesse d'inventions, +quelle dépense d'imagination et de talent! Comme ce Magasin est +supérieur à notre pauvre <i>Journal des Enfants</i> qui faisait jadis notre +joie! On y sent à chaque page la main d'un artiste et d'un lettré. Cet +homme-double, c'est Hetzel, le plus fin moraliste, l'écrivain délicat, +l'homme qui sait le mieux ce qui plaît le plus à ces critiques sévères; +les enfants. Hetzel a vraiment créé tout un genre de livres, et n'eût-il +pas droit à la renommée littéraire la plus brillante (il en a fait don à +P.-J. Stahl), qu'il mériterait encore d'être béni des lettres pour avoir +fondé en France un genre moral et familier, mais artistique, que la +France ne connaissait pas.</p> + + <p>Cette fois, outre les deux volumes annuels de ce <i>Magasin d'éducation</i> +dont la collection entière, les deux séries, formeraient la plus +magnifique étrenne et la plus intelligente qu'on pût donner, Hetzel +publie plusieurs excellents ouvrages que j'ai grand plaisir à signaler +et d'une façon toute spéciale.</p> + + <p>C'est, ai-je dit, <i>La Famille Chester</i>, de P.-J. Stahl. Cette histoire +de «deux petits orphelins», qui ne sont autres que deux malheureux +<i>rats</i> de Londres, eût fait sourire J.-J. Grandville. Les dessins sont +de Frœlich et ils sont ravissants. C'est l'<i>Histoire d'une maison</i>, de +Viollet-le-Duc, avec des illustrations et des figures qui mettent ce +grand art de l'architecture à la portée de tous. C'est le joli volume de +Lucien Biart, <i>Entre frères et sœurs</i>, où toutes les menues +connaissances scientifiques indispensables à la conversation sont +enfermées avec beaucoup de talent. C'est, encore une fois, <i>La Sœur +perdue</i>, de Mayne-Reid, c'est enfin l'œuvre de Jules Verne, qui se +trouve augmentée de deux volumes, <i>Le Tour du monde en 80 jours</i> et <i>Le +Pays des fourrures</i>. Lorsqu'on parle de Jules Verne, il suffit de donner +le titre de son nouveau livre; il a son public, sa spécialité, son +originalité, et personne auprès du public n'a plus de vogue que lui. Le +fait est que ses récits, où la fantaisie se mêle si agréablement à la +science, sont des plus attachants. Je sais des lecteurs qui en sont +fanatiques. <i>Le Tour du monde en 80 jours</i> et <i>Le Pays des fourrures</i> +auront certainement, ou, pour mieux dire, ont maintenant le succès des +précédents ouvrages de l'auteur, <i>Cinq semaines en ballon</i>, ou encore +<i>De la Terre à la Lune</i>. M. Verne a évidemment mis à profit, pour écrire +et décrire son <i>Pays des fourrures</i>, les récits intéressants de M. +Hayes, mais il a peint d'une touche toute personnelle ces paysages du +pôle, cette mer de glace, ces <i>icebergs</i>, et de telle façon qu'on ne +saurait les oublier. Ce dernier livre est l'un de ses bons livres, Il +vaut tout ce que l'auteur a fait de mieux et l'Académie pourra fort bien +le couronner, comme elle a couronné les précédents ouvrages et le +<i>Magasin d'éducation</i> tout entier.</p> + + <p>J'ai dit quel petit chef-d'œuvre c'était que <i>La Boite au lait</i>, de M. +Froment; il faut ajouter qu'Hetzel publie, dans le même genre, +d'adorables albums, comme <i>Les Commandements du grand papa</i>, illustrés +par Lorentz Frœlich, et <i>Les Aventures de Mademoiselle Minette</i>, qui se +recommandent tout particulièrement au public par le nom de l'artiste qui +en a signé les dessins. C'est Coinchon, un brave garçon, garde national +de marche au 19 janvier, et tué, comme Henri Régnault, devant le mur de +Buzenval. Coinchon a fait pour Mademoiselle Minette des études de chats +et de chattes absolument réussies. Il y avait un vrai talent chez le +malheureux jeune homme. On ne saurait trop louer ces livres-albums, dont +le texte est de P.-J. Stahl, et il faut avoir, pour écrire les légendes +de ces dessins, un talent d'écrivain d'une trempe parfaite. Cela n'a +l'air de rien, ces quelques lignes mises au bas d'un croquis de Frœlich +ou de Froment, et, pour les tracer, il faut posséder à la fois les +qualités les plus rares, la finesse, la simplicité, l'émotion, une +certaine tendresse, la science de l'enfance, toutes choses qui ne se +peuvent trouver, on l'avouera, que chez des natures d'élite.</p> + + <p>Hetzel a donc donné, cette année comme les années précédentes, des +œuvres de choix, et il en prépare déjà de nouvelles, l'<i>Histoire d'un +âne</i>, par Stahl, l'<i>ÃŽle mystérieuse</i>, par J. Verne, <i>Une Mère</i>, par M. +Legouvé, et la <i>Petite sœur</i>, par M. de Laprade. Et c'est plaisir de +voir tous les bons esprits et les cœurs haut placés aider dans son +entreprise l'homme qui a su faire ainsi une révolution dans la librairie +et créer une bibliothèque pour les jeunes esprits, qui seront plus +heureux que notre génération sacrifiée et pénétreront peut-être par la +porte au seuil de laquelle nous aurons usé nos efforts, dans cette +société équilibrée où le bonheur, dit-on (pourquoi ne l'espérerait-on +pas?) sera mieux réparti entre tous, l'injure de la patrie étant depuis +longtemps vengée.</p> + + <p>Ce ne sont pas là d'ailleurs les seuls livres d'étrennes qu'il nous faut +encore signaler. M. Gaston Tissandier a, depuis un an, fondé une sorte +de revue illustrée des sciences qu'il appelle La Nature. La première +année est finie et forme déjà un beau volume d'une utilité et d'un +intérêt absolus. MM. Dehérain, Flammarion, C.-M. Gariel,--un esprit +supérieur, un de nos anciens compagnons de classe,--Amédée Guillemin, E. +Margollé, etc., composent la rédaction de ce recueil que je n'ai point +qualité pour analyser ou critiquer, mais dont je signale avec plaisir +l'apparition et dont je constate le succès.</p> + + <p>M. le marquis de Cherville a publié aussi (chez Didot) un bien joli +volume. On connaît son <i>Histoire d'un trop bon chien</i>. Cette fois, M. de +Cherville nous conte l'<i>Histoire naturelle en action</i>. Il est chasseur, +il est campagnard, il adore les animaux, tout en les abattant d'un coup +de Lefaucheux; mais, à dire vrai, le gibier et lui n'en sont pas moins +bons amis. La preuve en est dans la façon dont il en parle. On n'a pas +plus d'esprit et pas plus d'émotion juste et non affectée que n'en a M. +de Cherville en ces pages qui instruisent et qui amusent, et qui +méritent d'être relues. L'<i>Histoire naturelle en action</i> est un des plus +instructifs recueils de nouvelles qu'on ait publiés depuis longtemps.</p> + + <p>Et les <i>Contes du bibliophile Jacob à ses petits enfants</i>? M. Paul +Lacroix a fait tenir dans ces pages et dans ces quelques récits toute +l'histoire de France de 1350 à 1695. Chaque épisode choisi par le savant +auteur de tant de travaux estimés forme, si je puis dire, le tableau +d'un règne ou d'une époque et, de la sorte, le lecteur s'instruit en +s'amusant. Il s'instruit sans le savoir, car, c'est un fait, le public +n'aime pas qu'on lui dise: venez ici, je vais vous apprendre quelque +chose. Il hait d'instinct les magisters. Mais on n'est pas moins +pédagogue ni pédant que M. Paul Lacroix, et ses <i>Contes du bibliophile +Jacob</i>, avec leurs dessins très-étudiés et très-vrais de M. +Philippoteaux méritent, eux aussi, une place d'honneur.</p> + + <p>Est-ce tout? Certes non. Je dois signaler encore <i>Les Merveilles de la +science</i>, de M. Louis Figuier. C'est un livre plein de faits, groupés +avec art et rendus visibles,--j'allais dire palpables,--par des dessins. +M. Figuier nous apprend là tout ce qu'il faut savoir sur le verre, le +cristal, les poteries, les porcelaines, la soude, le savon, les +potasses. Et tout cela est intéressant comme un roman. A propos de M. +Louis Figuier, je suis bien en retard avec lui, ou du moins avec ses +<i>Vies des savants illustres</i> qu'il publie en volumes in-18 (ce sera +l'édition définitive); je devais depuis de longs mois l'annoncer.</p> + + <p>Je ne reviendrai point sur <i>La Comédie de notre temps</i>, texte et dessins +par Bertall. Je tiens seulement à ajouter, en manière de post-scriptum, +après la notice de l'autre jour, que le livre fait son chemin et que +l'auteur y a trouvé son plus grand succès. L'éditeur, M. Eugène Plon, +nous a adressé depuis un joli volume signé Mustapha, et qui s'appelle +<i>Voyage autour de ma tente</i>. Ce sont de petits croquis militaires d'une +valeur rare. Ce pseudonyme de Mustapha cache, je crois, M le capitaine +Lung, l'auteur d'un très-beau travail sur le <i>Masque de fer</i>. Ce sont là +des souvenirs du temps où le soldat avait le droit de rire. +«Recueillons-les, semble dire <i>Mustapha</i>, et amusons-nous-en encore +jusqu'au jour où il nous sera permis de rire des autres.»</p> + + <p>M. Plon est encore l'éditeur d'une magnifique publication, aujourd'hui +terminée, le <i>Musée des Archives nationales</i>, où l'on retrouve +catalogués, analysés, reproduits très-souvent <i>en fac-similé</i>, les +incomparables trésors historiques conservés à la rue du Chaume. Tout le +inonde n'a pas le loisir d'aller visiter le musée des Archives et +surtout d'en étudier les richesses. Eh bien, là , on retrouve le Musée +lui-même, on le possède dans ces pages savantes qui composent, à dire +vrai, un monument littéraire et historique tout à fait unique. Passer +des sceaux à l'aspect étrange et des signatures bizarres des premiers +rois à l'écriture des Henri IV et des Louis XIV, pour s'arrêter à +Bonaparte, après avoir regardé les morceaux de papier déchiré trouvés +sur le cadavre de Pétion, quel réve! quelle fantastique réalité! Or, +c'est cela, ce sont ces surprises et cette science que ce beau volume, +le <i>Musée des Archives nationales</i>, tient en réserve. Il ne nous suffira +pas de l'avoir loué ainsi, rapidement, nous y reviendrons à coup sûr.</p> + + <p>Il en est, il en sera de même des <i>Fables</i> de La Fontaine, que vient +d'éditer M. Jouaust. La Fontaine illustré par Millet, Stevens, J.-L. +Brown, Detaille, Emile Lévy, etc., et illustré de façon à ce que le +dessin original de l'artiste soit reproduit, si je puis dire, dans sa +réalité même, voilà l'étonnement que nous réservait ce maître +ès-bibliophilie. Il a réussi et nous prédisons, dés à présent, un vif +succès à ces <i>Fables de La Fontaine</i>, que nous rangeons dans la +catégorie des livres d'étrennes, quoique le livre n'ait pas besoin, pour +être apprécié, d'être un livre d'actualité.</p> + + <p>Jules Claretie.</p> + + <br><br> + + <h3>BIBLIOGRAPHIE</h3> + + <p><i>La pluie et le beau temps</i>, météorologie usuelle, par Paul +Laurencin.--A lire le titre de ce charmant petit volume, on pourrait +croire à une œuvre fantaisiste, mais le sous-titre est là pour +rectifier cette impression première et déterminer le domaine dans lequel +l'auteur introduit le lecteur à son grand profit.</p> + + <p>C'est donc de météorologie qu'il s'agit, c'est-à -dire de ces phénomènes +curieux dont l'atmosphère est le théâtre et qui influent sur ce que, +dans le langage familier, on appelle le <i>Temps</i>. L'ouvrage, publié par +J. Rothschild, éditeur, et orné de 110 gravures et cartes, est divisé en +vingt chapitres, où M. Laurencin, en un style clair, précis et d'une +élégante simplicité, traite successivement de la composition de l'air, +de la chaleur et des courants atmosphériques, de l'eau dans +l'atmosphère, de la pluie, de ses bienfaits et de ses méfaits, des +orages, du cyclone, de l'arc-en-ciel, des climats, des saisons, etc., +etc., et montre finalement que tous les phénomènes de la pluie et du +beau temps dérivent d'une cause unique: la chaleur solaire, et que, +jusqu'à un certain point, on peut prévoir les variations atmosphériques. +Cette possibilité de se rendre compte des chances probables de pluie et +de beau temps, pour une époque déterminée, intéresse aussi bien l'homme +de plaisir que l'homme de travail. Aussi sommes-nous convaincus que <i>La +pluie et le beau temps</i>, ce résumé aussi succinct que substantiel de +toutes nos acquisitions touchant la science météorologique, recevra de +tout le monde l'accueil qu'il mérite à tous les titres, c'est-à -dire le +plus favorable et le plus empressé.</p> + + <p>P.</p> + + <p>Au nombre des étrennes les plus belles et les plus utiles, les plus +intéressantes et les plus instructives, nous devons placer en première +ligne un magnifique volume: <i>le Jardin d'acclimatation illustré</i>.</p> + + <p>L'auteur, M. Pierre Pichot, le sympathique directeur et rédacteur en +chef de la <i>Revue britannique</i>, a eu le talent de vulgariser la +zoologie, et son remarquable ouvrage, apprécié des savants, est écrit +dans un style clair et facile, qui le met à la portée de tout le monde.</p> + + <p>Ce splendide livre renferme 25 gravures coloriées et d'innombrables +vignettes; ce n'est pas seulement un excellent guide du Jardin +d'acclimatation; l'auteur a poursuivi un but plus élevé et a réussi à +faire un traité complet de zoologie.</p> + + <p>Le <i>Jardin d'acclimatation illustré</i> se trouve chez Hachette et au bois +de Boulogne, à la librairie du Jardin d'acclimatation. Son prix est plus +modique qu'on ne pouvait s'y attendre pour une publication aussi +importante. (Broché, 15 fr.; richement relié, 20 fr.)</p> + + <p>Il y a deux mois, nous avons vu plusieurs fabricants de machines à +coudre faire grand bruit avec les récompenses qu'ils avaient obtenues à +l'Exposition de Vienne. Sans vouloir diminuer en rien la valeur attachée +aux médailles de progrès et à celles de mérite, que ces maisons ont +affichées, il nous sera permis de leur opposer une maison qui a été +l'objet de distinctions tout exceptionnelles, dont elle s'est peu +vantée. C'est la Compagnie Wheeler et Wilson, de New-York (qui a son +siège à Paris, chez M. H. Séeling, 70, boulevard Sébastopol).</p> + + <p>Cette importante Compagnie, en outre des médailles de progrès et de +mérite qui lui ont été décernées, a seule été recommandée par le jury +international pour le <i>grand diplôme d'honneur</i>. Et dernièrement M. +Nathaniel Wheeler, président de cette Compagnie, a été décoré de +l'<i>ordre de François-Joseph</i>, comme récompense de services éminents +rendus à l'industrie de la machine à coudre,--la seule décoration +accordée à Vienne à un fabricant de machines à coudre.</p> + + <p>Cette double distinction place évidemment la Compagnie Wheeler et Wilson +au-dessus de toutes les compagnies rivales, et comme à Paris en 1867, où +l'unique médaille d'or pour ce genre de fabrication lui a été décernée, +elle a remporté la victoire sur tous ses concurrents.</p> + +<br><br> + + <h3>LA NATURE</h3> + + <h4>REVUE DES SCIENCES EN 1873</h4> + + <p>La nouvelle publication que M. G. Tissandier a fondée cette année, avec +le concours de nombreux écrivains scientifiques, a obtenu de la part du +public l'accueil dont elle était digne. Nous sommes persuadé que le +premier volume qui vient de paraître, et qui comprend le tableau du +progrès en 1873, comptera parmi les livres les plus appréciés de +l'époque du jour de l'an. Les principaux collaborateurs de <i>La Nature</i>: +MM. le Dr. Bertillou, H. Blerzy, Ch. Boissay, Bontemps, P.-P. Dehérain, +C. Flammarion, W. de Fonvielle, C.-M. Gariel, F. Garrigou, J. et M. +Girard, A. Guillemin, Dr. Joly, S. Meunier, E. Margollé, E. Menault, +Vignes, Zurcher, etc., sont trop connus du public pour que nous ayons à +faire l'éloge de leurs travaux. Nous préférons emprunter à <i>La Nature</i> +la description fort intéressante de la nouvelle bouée de sauvetage à +lumière inextinguible, dont un de nos compatriotes, M. Silas, est +l'inventeur.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/009.png"><br><b>Nouvelle bouée de sauvetage lumineuse (système Silas).<br> +Gravure extraite du journal la Nature.</b></p> + + <p>Cette bouée est formée, comme l'indique la gravure contre, d'une sphère +métallique contenant du phosphure de calcium. Un homme tombant à la mer +pendant la nuit, on jette à la surface de l'eau la bouée Silas. L'eau +pénètre dans la sphère creuse, décompose le phosphure de calcium donnant +naissance à un dégagement abondant d'hydrogène phosphoré. Ce gaz +s'échappe par un tube supérieur, mais il a la propriété remarquable de +brûler spontanément au contact de l'air, sans que l'eau puisse +l'éteindre. Une flamme vive, brillante éclaire le naufragé et le guide +tandis qu'il serait irrévocablement perdu si nulle lumière n'apparaissait +au milieu des ténèbres!</p> + + <p>La Nature abonde en faits de ce genre, elle nous donne l'exposé complet +des événements scientifiques récents, des découvertes importantes, ses +belles et nombreuses illustrations en font une publication éminemment +attrayante, et digne à tous égards des plus grands éloges.</p> + +<br><br> + + + + <p class="mid"><img alt="" src="images/008.png"></p> + + <p class="mid">EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS:</p> + + <p class="mid">Le commerce est le lien des nations.</p> + + + +<br><br> +</div> + +<div>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44277 ***</div> +</body> +</html> + + diff --git a/44277-h/images/001.png b/44277-h/images/001.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..935623b --- /dev/null +++ b/44277-h/images/001.png diff --git a/44277-h/images/001a.png b/44277-h/images/001a.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..79c1a2c --- /dev/null +++ b/44277-h/images/001a.png diff --git a/44277-h/images/001b.png b/44277-h/images/001b.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..af12fbe --- /dev/null +++ b/44277-h/images/001b.png diff --git a/44277-h/images/002a.png b/44277-h/images/002a.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..1248999 --- /dev/null +++ b/44277-h/images/002a.png diff --git a/44277-h/images/002b.png b/44277-h/images/002b.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..c02bbe6 --- /dev/null +++ b/44277-h/images/002b.png diff --git a/44277-h/images/002c.png b/44277-h/images/002c.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..a28c78e --- /dev/null +++ b/44277-h/images/002c.png diff --git a/44277-h/images/003.png b/44277-h/images/003.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..f0b4e46 --- /dev/null +++ b/44277-h/images/003.png diff --git a/44277-h/images/004.png b/44277-h/images/004.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..bd6ff27 --- /dev/null +++ b/44277-h/images/004.png diff --git a/44277-h/images/005.png b/44277-h/images/005.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..9a3df03 --- /dev/null +++ b/44277-h/images/005.png diff --git a/44277-h/images/006.png b/44277-h/images/006.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..6710e22 --- /dev/null +++ b/44277-h/images/006.png diff --git a/44277-h/images/007a.png b/44277-h/images/007a.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..601684a --- /dev/null +++ b/44277-h/images/007a.png diff --git a/44277-h/images/007b.png b/44277-h/images/007b.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..4b338d9 --- /dev/null +++ b/44277-h/images/007b.png diff --git a/44277-h/images/008.png b/44277-h/images/008.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..acb6931 --- /dev/null +++ b/44277-h/images/008.png diff --git a/44277-h/images/009.png b/44277-h/images/009.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..93c17fd --- /dev/null +++ b/44277-h/images/009.png diff --git a/44277-h/images/cover.jpg b/44277-h/images/cover.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..49c806c --- /dev/null +++ b/44277-h/images/cover.jpg diff --git a/LICENSE.txt b/LICENSE.txt new file mode 100644 index 0000000..6312041 --- /dev/null +++ b/LICENSE.txt @@ -0,0 +1,11 @@ +This eBook, including all associated images, markup, improvements, +metadata, and any other content or labor, has been confirmed to be +in the PUBLIC DOMAIN IN THE UNITED STATES. + +Procedures for determining public domain status are described in +the "Copyright How-To" at https://www.gutenberg.org. + +No investigation has been made concerning possible copyrights in +jurisdictions other than the United States. Anyone seeking to utilize +this eBook outside of the United States should confirm copyright +status under the laws that apply to them. diff --git a/README.md b/README.md new file mode 100644 index 0000000..daeb2cd --- /dev/null +++ b/README.md @@ -0,0 +1,2 @@ +Project Gutenberg (https://www.gutenberg.org) public repository for +eBook #44277 (https://www.gutenberg.org/ebooks/44277) diff --git a/old/44277-8.txt b/old/44277-8.txt new file mode 100644 index 0000000..39054c2 --- /dev/null +++ b/old/44277-8.txt @@ -0,0 +1,2321 @@ +Project Gutenberg's L'Illustration, No. 1609, 27 décembre 1873, by Various + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: L'Illustration, No. 1609, 27 décembre 1873 + +Author: Various + +Release Date: November 24, 2013 [EBook #44277] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 1609, 27 *** + + + + +Produced by Rénald Lévesque + + + + + + + + +L'ILLUSTRATION +JOURNAL UNIVERSEL + +RÉDACTION, ADMINISTRATION, BUREAUX D'ABONNEMENTS +28, rue de Verneuil, Paris + +31e Année.--VOL. LXII.--Nº 1609 +SAMEDI 27 DÉCEMBRE 1873 + +SUCCURSALE POUR LA VENTE AU DÉTAIL +60, rue de Richelieu, Paris + +Prix du numéro: 75 centimes +La collection mensuelle, 3 fr.; le vol. semestriel, broché, 18 fr.; +relié et doré sur tranches, 23 fr. + +Abonnements +Paris et départements: 3 mois, 9 fr.;--6 mois, 18 fr.;--un an, 34 fr.; +Étranger, le port en sus. + +Les demandes d'abonnements doivent être accompagnées d'un mandat-poste +ou d'une valeur à vue sur Paris à l'ordre de M. Auguste Marc, +directeur-gérant. + + + +SOMMAIRE + +TEXTE + +Histoire de la semaine. +Courrier de Paris, par M. Philibert Audebrand. + +Nos gravures: + +La veille du 1er janvier (fin). +La Soeur perdue, une histoire du Gran Chaco (suite), par H. Mayne Reid. + +Revue littéraire; les Livres d'étrennes (II), par M. Jules Claretie. + +Bibliographie. + +_La Nature_, revue des sciences en 1873. + +[Illustration: M. AGASSIZ.] + + + +SOMMAIRE + +GRAVURES + +M. Agassiz; +L'île Sainte-Marguerite; +Le môle de débarquement; +Le fort et les prisons; +Vue de la pointe de la Croisette. +Théâtre des Variétés: _Les Merveilleuses_, comédie en cinq actes de M. +Victorien Sardou. +_La première leçon. Un regard en passant_, d'après les tableaux de M. +Boutibonne. +Les tortues de mer à Paris: décapitation d'une grosse tortue. +_La Soeur perdue_, par M. Mayne Reid (4 gravures). +Nouvelle bouée de sauvetage lumineuse (système Silas), gravure extraite +du journal _la Nature_. +Rébus. + + + +HISTOIRE DE LA SEMAINE + +FRANCE + +La politique chôme; au dehors pas plus qu'au dedans nous n'avons cette +semaine à signaler aucun événement d'une importance vraiment sérieuse; +il semble qu'au moment où l'année finit, chacun se recueille pour jeter +un regard en arriére et se préparer aux luttes nouvelles que nous +réserve l'avenir. L'Assemblée nationale vote à la hâte les derniers +articles du budget avant de prendre le congé de quelques jours qu'elle +s'est octroyée à l'occasion de la nouvelle année; le calme qui préside à +cette discussion a à peine été troublé par quelques incidents presque +aussitôt terminés que soulevés, mais dont quelques-uns méritent d'être +signalés. + +Notons d'abord la présentation, par M. Clapier, du projet de loi relatif +à la nomination des maires, dont l'Assemblée a voté l'urgence et qui a +été inscrit à l'ordre du jour immédiatement après le budget; nous avons +parlé plusieurs fois déjà de ce projet; il nous suffira donc de dire que +le travail de la commission a eu pour résultat de faire subir plusieurs +modifications importantes à la rédaction primitivement proposée par le +gouvernement. Ainsi, M. le ministre de l'intérieur acceptait pour le +gouvernement l'obligation de prendre les maires dans les conseils +municipaux: telle était la règle générale. Ce ne devait être qu'en cas +de démission ou de révocation qu'ils auraient pu être choisis hors des +conseils; La commission va plus loin: elle autorise le gouvernement à +les prendre à sa volonté, soit dans le conseil, soit en dehors de +celui-ci, avec cette seule restriction, assez bénigne, que dans ce +dernier cas il sera nécessaire de recourir soit à un arrêté du ministre +de l'intérieur pour les communes où la nomination est laissée aux +préfets, soit à un décret délibéré en conseil des ministres, pour les +communes où la nomination est réservée au gouvernement, c'est-à-dire +dans tous les chefs-lieux de département, d'arrondissement ou de canton. +Une seconde différence porte sur la nomination des agents de police. +Dans son projet, le gouvernement l'enlevait aux maires à qui elle +appartient actuellement pour toutes les communes auxquelles la loi du +24-29 juillet 1867 (article 23) n'est pas applicable, c'est-à-dire +celles qui ont moins de 40,000 âmes de population: il se l'attribuait à +lui-même sans aucune exception. La commission a maintenu le droit des +maires, non pas toutefois dans son intégrité. D'abord, elle subordonne +leur choix à l'agrément des préfets et sous-préfets; elle a, de plus, +modifié l'article 12 de l'excellente loi du 18 juillet 1837, en vertu +duquel le maire _suspend_ et _révoque_ ces agents municipaux; ils +pourront toujours, comme par le passé, être suspendus par le maire; mais +le préfet seul aura le droit de les révoquer: la loi les place ainsi à +peu près dans les mêmes conditions que les gardes champêtres. Grâce à ce +double compromis, l'accord s'est établi entre le gouvernement et la +commission, et la majorité considérable qui s'est manifestée, tant en +faveur de l'urgence, que de la mise à l'ordre du jour pour le terme le +plus proche, permet de croire que l'Assemblée ratifiera et votera la loi +dans sa teneur actuelle. + +Dans sa séance du 19, l'Assemblée a adopté un amendement tendant à +porter de 162,400 francs à 300,000 francs la somme allouée au président +de la République pour frais de représentation. Cette augmentation de +crédit, destinée à donner plus d'éclat aux réceptions officielles du +président pendant son séjour au palais de l'Elysée, intéressait trop, +directement le commerce parisien pour ne pas être favorablement +accueillie par toutes les fractions de l'Assemblée; malheureusement il a +fallu que les passions politiques, inopportunément remises en jeu par +une observation intempestive, vinssent gâter ces bonnes dispositions; à +propos d'une question toute financière, on a parlé du retour du +gouvernement à Paris; on a évoqué le souvenir de la Commune, et c'est au +milieu d'un conflit d'invectives qu'a fini cette discussion où tout le +monde était d'accord en commençant. + +Signalons, pour terminer, l'interpellation adressée au gouvernement par +la gauche au sujet d'une convention récemment intervenue entre le +ministre des finances et le mandataire de l'ex-impératrice pour la levée +du séquestre qui pèse sur la liste civile de Napoléon III. En attendant +la discussion en séance publique, portée à l'ordre du jour après la loi +sur la nomination des maires, M. Deseilligny, ministre du commerce, a +fourni à la commission du budget quelques explications sur la question. +Le ministre a ajouté que les signataires de la convention avaient cru se +conformer à ce qui s'était fait à l'égard de la liste civile de +Louis-Philippe, et avaient pensé qu'il était de «haute convenance, en +dehors de tout parti politique, de soulager la situation douloureuse où +se trouvait l'impératrice au point de vue pécuniaire». + +Il a ajouté que le gouvernement avait, en cela, le droit d'agir sans +recourir à l'assentiment de l'Assemblée, attendu que le séquestre avait +été mis par un simple décret du gouvernement de la défense nationale, et +qu'il suffisait, par conséquent, d'un nouveau décret pour défaire ce +qu'un décret avait fait. + +AUTRICHE. + +Les journaux de Vienne contiennent quelques renseignements sur les lois +ecclésiastiques qui vont être prochainement présentées au Reichsrath par +le gouvernement. On n'en compte pas moins de dix-sept, et quelques-unes +d'entre elles auront une grande importance, notamment celle qui prononce +l'abolition complète et définitive du concordat conclu avec la cour de +Rome le 18 août 1855. On sait que cette convention établissait la +censure ecclésiastique sur les livres, ce qui était la négation absolue +de la liberté de la presse: elle donnait aux évêques la surveillance de +toutes les écoles, même laïques; elle conférait à l'épiscopat une +entière indépendance vis-à-vis du gouvernement; non-seulement tous les +actes émanés du Saint-Siège pouvaient être publiés dans l'empire sans +aucune nécessité d'obtenir le _placet_ royal, mais encore les +archevêques et évêques avaient la faculté de convoquer aussi, sans +autorisation du gouvernement, soit des conciles provinciaux, soit des +synodes diocésains: double liberté qui leur est refusée en France par +les articles 1 et 4 du titre Ier de la loi du 18 germinal an X (8 avril +1802), plus connue sous le nom d'articles organiques, contre lesquels, +du reste, on le sait, le Saint-Siège n'a cessé et ne cesse de protester. +Les lois ecclésiastiques que prépare le gouvernement autrichien +régleront en outre le mariage civil, les patronats, la surveillance des +séminaires, etc.; elles contiendront aussi des clauses relatives à la +condition des vieux-catholiques. Sur cette dernière question, on +s'attend à des débats assez vifs, et déjà les adeptes de cette petite +Église ont adressé au gouvernement une demande tendante à faire +reconnaître à l'évêque Reinkens, Prussien et vieux-catholique, un droit +de juridiction ecclésiastique en Autriche. Cette requête insolite a été +repoussée. + +ITALIE. + +Sa Sainteté le pape a tenu, le 22 décembre, un consistoire dans lequel +il a nommé cardinaux: + +Mgr de Nascimento de Moraes Cardoso, patriarche de Lisbonne; Mgr +Guibert, archevêque de Paris; Mgr Régnier, archevêque de Cambrai; Mgr de +Simor, archevêque de Gran; Mgr de Tarnoczy, archevêque de Salzbourg; Mgr +Chigi, nonce apostolique à Pans; Mgr Mariano Darrio y Fernandez, +archevêque de Valence; Mgr Mariano Falcinelli Antoniacci, nonce du +Saint-Siège à Vienne; Mgr Alex. Franchi, nonce du Saint-Siège à Madrid; +Mgr L. Oreglia de Santo-Stefano, nonce du Saint-Siège à Lisbonne; le R. +P. Tarquini, de la Compagnie de Jésus; le R. P. Martinelli, des moines +de Saint-Angustin. Dans le même consistoire, le Pape a nommé aussi +quatre évêques _in partibus infidelium_ et trois évêques en Italie. + +Il a nommé aussi: + +Mgr Olteanu, évêque de Gran-Varadin (Hongrie); Mgr Corona, évêque de +Saint-Louis de Potosi; Mgr Hillion, évêque du cap Haïtien. + +ÉTATS-UNIS. + +L'affaire du _Virginius_ vient d'entrer dans une phase nouvelle et assez +imprévue; ce sont maintenant les États-Unis qui font droit aux +susceptibilités de l'Espagne. + +On sait que, d'après la convention relative au _Virginius_ le +gouvernement espagnol devait prouver avant le 25 décembre, à la +satisfaction des États-Unis, que ce vaisseau n'avait pas le droit de +porter le pavillon américain, et qu'ainsi il avait été légalement saisi. +D'après une dépêche de Washington, le procureur général des États-Unis a +admis la preuve comme valable, le _Virginius_ n'ayant obtenu ses papiers +qu'au moyen d'un faux témoignage. Le cabinet de Washington s'est déclaré +prêt à accepter les conséquences de ce fait. + +Nous ne savons encore quelles en seront toutes les conséquences, mais il +est certain que la décision du procureur général des États-Unis est un +véritable succès pour le gouvernement de M. Castelar et qu'elle fait le +plus grand honneur à l'impartialité de la magistrature américaine. + + + +COURRIER DE PARIS + +Celui qui céderait au désir de faire l'oraison funèbre de l'année +n'aurait pas à se donner beaucoup de peine. Il lui suffirait de quelques +mots, genre sombre. Cette année est de celles qu'on ne regrette pas. +A-t-elle été assez absurde! S'est-elle montrée assez maussade, assez +ennuyeuse, assez ennuyée! Elle a vu s'opérer deux ou trois révolutions +parlementaires aussi insipides qu'elle-même. Pendant sa durée, Paris a +reçu la visite d'un prince d'Orient, couleur de suie, tout couvert de +diamants mais qui ne donnait que des salamalecks. L'hippopotame du +Jardin des Plantes a succombé à des peines de coeur; M. Ernest Renan a +fait paraître l'_Antéchrist_; trois académiciens sont morts; le chapeau +des femmes a redoublé de bizarrerie; un grand théâtre a brûlé; un vilain +procès s'est dénoué, très-peu flatteur pour nous tous; enfin, en guise +de couronnement, il nous est arrivé une charretée de monstres. + +Tel est le bilan de 1873. + +Mil huit cent soixante-treize vient de rendre le dernier soupir ou peu +s'en faut. Eh bien, regardons devant nous; là est l'espérance. Quel +lendemain nous attend? L'avenir est riche de promesses; c'est un +capitaliste qui a son portefeuille plein de lettres de change. Déjà la +nouvelle année, celle qui commencera dans quatre jours, semble vouloir +ne ressembler en rien à sa devancière. On a beau dire que le commerce ne +va pas, elle a l'air de lui forcer la main. Quelle foule dans les rues! +L'argent, qui est de retour, vous le savez, circule tout le long de la +ville. Personne n'a les mains vides; chacun porte son sac de bonbons ou +son polichinelle. + +Le baraquement des boulevards n'a plus rien de sa rusticité originelle; +on a encore enjolivé sa mise en scène. Seulement il abuse du _jouet de +l'année_, un affreux poussah qu'on nomme l'_Oncle Sam_ et qui rappelle +trop l'auteur de la pièce de ce nom. Partout ailleurs, de longues files +de boutiques ambulantes s'établissent sur les trottoirs; c'est à peine +si l'on peut marcher au milieu de cet encombrement.--Nous rencontrons M. +de Laboulaye, occupé à acheter un cornet de pralines, sans doute afin +d'adoucir quelqu'un de ses voisins de la Chambre. L'honorable +pamphlétaire dit tout haut: «--Ah! dame, nos moeurs deviennent +américaines. La démocratie coule par ici à pleins bords comme à +New-York.»--Presque en même temps le comte Orloff sort d'un bazar, suivi +d'un éléphant en baudruche. Des malins s'écrient: «--Il doit y avoir un +rébus diplomatique là-dessous. Que veut faire de cet éléphant +l'ambassadeur du czar?» Le comte Orloff a à amuser un petit garçon et +deux petites filles; voilà toute l'énigme. + +Aux alentours du jour de l'an, aussitôt que la nuit arrive, quelque fée +invisible lève sa baguette en l'air et le coup d'oeil change. Les +étalages s'illuminent de mille feux. Au gaz municipal se marient les +bougies du petit commerce en plein vent. Vingt mille lanternes de +couleur contribuent à faire un jour nocturne d'une lueur fantastique. +Cette fois, M. de Laboulaye trouverait qu'on n'est plus à New-York mais +à Pékin.--Tous les cercles sont éclairés avec un luxe inusité.--Une mode +nouvelle à noter à propos des cercles.--Vous savez que tous ces +établissements ont, le soir, un dîner sous forme de table d'hôte. + +A ce dîner, en ce moment, l'usage veut qu'on ne commence plus par le +classique vermicelle ni par le tapioca désormais trop enfantin. Tout +cela cède le pas à la soupe à la tortue rehaussée de gingembre. Voilà +une clef pour les flâneurs; depuis un mois la foule stationne à la +devanture des marchands de comestibles; on y est en extase devant +d'énormes amphibies. Ces tortues sont le régal du jour.--_Turtle-soup_, +dit-on en faisant la grimace, autant à cause du mot qu'on ne sait pas +prononcer qu'en raison du mets effroyablement épicé. + +Pour le coup, Paris devient une parodie de Londres. + +Au temps de Vadé, la cour et les beaux esprits allaient aux Halles; de +nos jours, le monde aux gants roses va à l'Hôtel des Ventes, qui est +décidément l'endroit de Paris le plus affairé. Que de choses on y aura +vendues, cet hiver! Une mondaine, Mme A***, une des princesses de la +cocotterie, étant morte, on a apporté par là tout ce qu'elle a laissé. +C'était une succession uniquement mobilière, des appartements en bois de +rose, l'argenterie, les bijoux, la cave, deux voitures, du linge, la +toilette, des objets d'art, le tout évalué à un million. Un million rien +que pour des meubles! Si vous voulez prêter l'oreille, des échos de +l'hôtel vous diront que les seules robes ont formé le chiffre de 300 000 +francs. Voilà un luxe dont les honnêtes gens n'ont assurément aucune +idée. C'est un trait de moeurs à noter. Les familles les plus riches +frissonnent rien qu'à la mention de ce fait. Où sont allées toutes ces +robes? Étant d'étoffes neuves, elles serviront de rechef, mais à qui +serviront-elles? Qui peut affirmer que ce ne sera pas aux plus honnêtes +femmes? + +J'ai déjà dit un mot de la vente des livres d'Émile Gaboriau. Ce brave +garçon, frivole en apparence, était mordu, au fond, d'un sérieux désir +d'apprendre. Il se passionnait pour l'histoire et il s'était mis à +rechercher les vieilles éditions des écrivains graves. Nous lui avons +entendu dire à lui-même qu'il estimait sa bibliothèque à 6,000 francs, +au bas mot. C'est tout au plus si les enchères auront fourni la moitié +de cette somme. Des livres, de vieux livres, voilà une superfluité dont +notre société n'est guère friande. Donnez-lui pour 300,000 francs de +robes, à la bonne heure. + +Sur la fin de la semaine, on a pu constater un certain empressement à +propos des oeuvres de M. Carpeaux, le sculpteur. Marbres, terres cuites, +bronzes se sont bien vendus. Néanmoins la tête horrible de l'Ugolin des +Tuileries n'a pas trouvé d'amateur. Il y a bien trop de mièvrerie dans +les allures du jour pour qu'on puisse aimer le Dante commenté avec de la +terre glaise. Un comte qui mange ses fils sans couteau ni fourchette, un +Italien de la Renaissance, plus anthropophage qu'un Caraïbe de Fenimore +Cooper, ce n'est guère tentant d'ailleurs comme bibelot à mettre sur une +étagère. En revanche on a fait fête au modèle d'un autre groupe non +moins fameux, mais plus décolleté. Vous avez compris que nous parlons de +cette sarabande effrénée, la Danse, qui figure sur le seuil du nouvel +Opéra, où, du matin au soir, elle scandalise tous les bons bourgeois +passant par là. Trois concurrents se disputaient ce morceau; on l'a +adjugé à 8.000 francs.--Cette même débauche d'art, un des principaux +confiseurs avait demandé à l'artiste la permission d'en faire une +réduction en sucre candi ou en chocolat. Avouez que c'eût été d'une +très-heureuse actualité à l'heure des étrennes. Le sculpteur n'a pas +voulu. On lui a dit: + +--Monsieur, vous refusez de voir votre nom dans toutes les bouches. + +Beauvallet, de la Comédie-Française, vient de mourir à Passy, à +soixante-douze ans. Il était fort bien doué; par malheur, il a abusé de +la facilité que lui avait donnée le sort pour vouloir faire trop de +choses à la fois. Bon comédien, tragédien passable, il se piquait aussi +d'être poète, ce qui l'a poussé à faire des vers qui ne devaient pas +vivre. A ses premiers débuts dans la vie, il avait commencé par étudier +la peinture chez Paul Delaroche. Un jour que Casimir Delavigne visitait +l'atelier, on lui amena l'élève qui se mit à déclamer des vers, une des +Messéniennes, celle où trois femmes, trois Muses, apparaissent à +Napoléon pour lui prédire tout à tour sa grandeur et sa chute. + +--Mon cher monsieur, dit l'auteur des Vêpres siciliennes, il se peut que +vous fassiez quelque chose en peinture; cependant je suis sûr que vous +réussiriez au théâtre. + +Il n'en fallut pas plus pour enflammer la tête du jeune homme. +Beauvallet jeta là ses crayons et sa palette pour aller au +Conservatoire; après les études indispensables à un débutant, il fut +engagé à l'Ambigu, où il joua, non sans succès, le drame d'alors. En ce +temps-là, le boulevard oscillait entre les oeuvres de la vieille école +sentimentale et les premières tentatives du romantisme. Le nouveau venu +trouva moyen de se mettre en relief dans ce genre bizarre; il se fit un +nom en jouant _Caravage_, une histoire arrangée de peintre italien. Sa +belle prestance, une voix de tonnerre, un soin merveilleux dans l'art de +s'arranger un costume, ne pouvaient manquer de le faire mettre en +évidence. Le Théâtre-Français ne pouvait manquer de lui ouvrir +très-prochainement ses portes. Un jour, en 1833, quand Victor Hugo donna +_Angelo, tyran de Padoue_, ce fut à Beauvallet qu'il confia le principal +rôle. Il avait à côté de lui, pour lui donner la réplique, deux des +grandes actrices de l'époque, Mlle Mars et Mme Dorval. Il fallait +entendre le superbe podestat lorsque, s'avançant sur la scène, d'un air +tout à la fois effrayé et menaçant, il récitait le grand monologue sur +le Conseil des Dix. Sans mentir, c'était à donner la chair de poule. + +Beauvallet avait mis tant d'originalité dans ce rôle qu'on n'a plus +consenti à le voir jouer par un autre. La parodie se chargea, suivant la +mode du temps, de donner une suprême sanction à son triomphe. Le +Vaudeville, qui n'était qu'un théâtre gai, ne s'inquiétant que de faire +rire, avait mis à l'étude une farce intitulée _Cornaro ou le tyran pas +doux_. Ce susdit Cornaro, personnage correspondant à celui du drame, +devenait une charge des plus amusantes, grâce à Lepeintre jeune, le plus +gros des comédiens. Il criait à tue-tête, celui-là, même pour demander +ses pantoufles. Faire trembler tout le monde autour de lui était sa +joie. C'était pour cela qu'Arnal, l'invitant à parler en sourdine, lui +disait: + +--Êtes-vous le cousin du bourdon Notre-Dame? + +Quelle voix! ah! quel creux! Vous effrayez madame. + +Et Cornaro de répondre sur un ton plein de mignardise: + +--Je n'ai que le désir d'être son beau valet. + +Depuis vingt-cinq ans, Beauvallet avait abordé le répertoire classique, +tragédie et comédie. Très-soigneux, correct, il y était fort +applaudi.--On a dit mille fois que, de tous les artistes, le comédien a +la vie la plus ingrate, en ce qu'il ne laisse rien après lui. + +--Bast! répliquait Sheridan, ayez la patience d'attendre deux ou trois +siècles, et vous verrez ce qui restera des autres! + +Il se passe un fait bizarre au sujet des étrennes. Tandis que s'accroît +le nombre de ceux qui en demandent, on voit de plus en plus des ratures +se dessiner sur la liste de ceux qui en donnent. Parmi les premiers, on +signale surtout deux nouvelles recrues: l'employé du télégraphe qui +apporte les dépêches et le clerc d'huissier qui remet le papier timbré. +Quant à ceux de l'autre catégorie, ce sont de spirituels sceptiques qui +profitent des moyens de locomotion dont dispose notre XIXe siècle pour +filer et disparaître. Dix ou douze jours d'absence suffisent. On dit: +«J'ai un procès en Bretagne», ou bien: «Mon vieil oncle de Beauvoisis +vient de mourir d'une coqueluche rentrée»; et l'on s'en va passer une +quinzaine à Nice. Un voyage d'agrément et une bonne affaire tout à la +fois. + +Trois académiciens qui se sont rencontrés, jeudi soir, au foyer de +l'Odéon, se contaient à demi-voix leurs peines à propos du jour de l'an. +Rien de plus curieux que leurs plaintes à cet égard. + +--Figurez-vous, disait l'un d'eux qui avait un bonnet de soie noire sur +la tête, figurez-vous que seize personnes nous poursuivent pour nous +demander chacune la même chose; comprenez que cette chose ne nous +coûterait rien, pas même la moitié d'un centime et que néanmoins nous ne +pouvons la donner tant que ça. + +--Qu'est-ce donc? + +--Eh! pardieu, un fauteuil. + +En effet, il y a trois fauteuils à donner en janvier et seize candidats +qui demandent à les avoir; et tous les seize, suivant l'usage +immémorial, sont individuellement le premier moutardier du pape, ou, si +vous voulez, un homme du bois dont on fait les dieux. Ces dignes +académiciens voudraient bien se sauver quelque part, mais leur grandeur +et les jetons de présence les retiennent au quai Conti. + +Il n'y a pas fort longtemps, dans cette divine baraque au palais +Mazarin, il y avait un des Quarante qui n'entendait pas raillerie à +propos d'argent à donner. C'était Lemontey, l'auteur de l'_Histoire de +la Régence_. + +Un certain jour de l'an, un des garçons de l'Institut vint voir +l'historien; il le salua, la casquette à terre, et tendit la main. + +Lemontey lui donna une pièce de dix sous. + +--Comment! rien que ça? dit le garçon en grommelant entre ses dents. + +--Hein! qu'est-ce que c'est? riposta l'immortel furieux. Cinquante +centimes, un demi-franc, ce n'est rien? Eh! malheureux, c'est la quatre +cent millième partie de deux cent mille francs, par conséquent de dix +mille livres de rente. Eh! je voudrais bien être garçon de l'Institut +pour en recevoir autant, moi! + +P.-J. Proudhon comprenait les étrennes d'une autre façon. + +L'année qui a précédé la mort du célèbre dialecticien, M. E. Dentu, son +éditeur et son voisin, se présenta chez lui le matin du jour de l'an. + +Après avoir échangé une poignée de main avec lui, il lui montra un petit +paquet enveloppé de papier gris. + +--Qu'est-ce que c'est que ça? dit Proudhon. + +--Deux poupées que je vous demande la permission d'offrir à vos deux +petites filles. + +En entendant ces mots, l'auteur du livre _De la Justice_ entra tout à +coup dans une colère des plus violentes. + +--Des poupées à mes filles! Non, mon cher monsieur, non; je vous le +défends positivement. Savez-vous l'enseignement qui résulterait de ce +cadeau? L'amour de l'alanguissement, la coquetterie, la paresse, le +goût du luxe, peut-être de la luxure. C'est bon pour les duchesses, +c'est bon pour les bourgeoises. Tenez, si voulez faire un présent à ces +enfants, apportez-leur quelque chose d'utile, un dé à coudre, des +ciseaux, un paquet d'aiguilles. Qu'elles aient à la main un objet qui, +de bonne heure, leur rappelle qu'elles sont filles de la misère et de la +philosophie et qu'il faut qu'elles songent sans cesse à épouser le +travail! + +À certains égards cet esprit de prévoyance se retrouve en grand dans un +mot de Mme Lætitia Bonaparte, la mère de Napoléon.--Longtemps éprouvée, +n'ayant eu de 1790 à 1799 que 1,500 fr. pour soutenir sa modeste maison +et nourrir ses trois filles, Caroline, Elisa et Pauline, la brave femme +ne pouvait pas se résoudre à jeter l'argent par les fenêtres. + +En 1809, le 2 janvier, la princesse Pauline vint la voir. + +--Madame, l'empereur m'envoie vous faire une question. + +--Laquelle? + +--Combien avez-vous dépensé, hier, en fait d'étrennes? + +--Ma fille, 3,255 francs. + +--3,255 francs! Mais je vous avais remis, de la part de mon frère, 30 +000 francs pour faire des largesses! Est-ce que vous comptez placer +cette somme? + +--Mon Dieu, oui, Paulette. + +--Mais pourquoi faire? + +--Pourquoi faire? Pour donner, un jour, du pain à tous les rois et à +toutes les reines qu'on a faits dans ma famille! + +L'histoire a prouvé par trois fois que l'Agrippine d'Ajaccio n'avait pas +si grand tort. + +Philibert Audebrand. + + + +NOS GRAVURES + +L'ILE SAINTE-MARGUERITE + +[Illustration: Le môle de débarquement.] + +[Illustration: Le fort et les prisons.] + +[Illustration: Vue de la pointe de la Croisette.] + +[Illustration: THÉÂTRE DES VARIÉTÉS.--_Les Merveilleuses_, comédie en +cinq actes, de M. Victorien Sardou.--Décors de M. Robecchi.--Costumes de +MM. Eugène. Lacoste et Draner.] + + + +Le naturaliste Agassiz + +Le 15 décembre, un télégramme fort laconique annonçait à l'Europe que +«le professeur Agassiz venait de mourir à Boston». + +Cet illustre naturaliste mérite mieux qu'une mention d'une ligne. +C'était le digne successeur des Buffon et des Cuvier, et le monde +scientifique a peu de noms à opposer au sien; en Amérique, nous ne +voyons pas qui est capable de prendre sa place. + +Agassiz avait émigré aux États-Unis en 1847, à la suite des événements +politiques dont la principauté de Neufchâtel fut alors le théâtre. Il +était déjà célèbre et s'était fait connaître au monde savant par un +ouvrage sur les poissons fossiles, publié dès 1842, et qui est resté +classique en géologie, comme le livre de Cuvier sur les mammifères +éteints du bassin de Paris, ou le livre de Brongniart sur la flore +fossile des terrains houillers. + +Né dans le canton de Vaud en 1807, Agassiz avait étudié en Allemagne, et +fut reçu docteur à Munich. Il fut nommé professeur d'histoire naturelle +à Neufchâtel dès 1838, et publia en français, en latin ou en allemand +divers ouvrages de zoologie, dont celui que nous avons cité plus haut a +surtout contribué à le faire connaître. + +Ses études sur les glaciers, qu'il poursuivit avec une ardeur +infatigable, escaladant tous les pics des Alpes, entre les années 1840 +et 1847, confirmèrent la réputation qu'il s'était acquise parmi les +géologues, et l'on peut dire que lorsqu'il quitta l'Europe, son nom +était déjà universellement connu. + +Ses deux collaborateurs, MM. Desor et Vogt, Suisses comme lui, ont +continué les traditions du maître. Ils n'ont cessé de marcher à la tête +de la science helvétique, et ils l'ont même quelquefois poussée en +avant, notamment en anthropologie, avec une virilité, une audace qui ont +épouvanté en France plus d'un de nos maîtres officiels. + +Agassiz, à peine arrivé aux États-Unis, fut nommé professeur d'histoire +naturelle à l'Université de Cambridge, près Boston, et c'est là que, +vingt ans plus tard, nous l'avons rencontré nous-même, augmentant, +classant sans cesse ses chères collections, et toujours à l'affût de +nouveaux voyages pour faire progresser la science et ouvrir aux +investigations de l'esprit humain des champs jusque-là inconnus. + + [Note 1: Voyage au Brésil, Paris, Hachette. 1868.] + +Avec sa femme, qui ne cessa de le seconder dans ses recherches et de +s'associer à tous ses travaux, comme une vraie Américaine qu'elle était, +il entreprit le voyage de l'Amazone. On sait quel trésor de faits +curieux il rapporta de cette exploration, et combien il en accrut ses +collections, notamment en ichthyologie. Ce voyage, publié par Mme +Agassiz, a été traduit en français (1); l'exploration de l'Amazone a été +même illustrée dans le _Tour du monde_, d'après les dessins de Mme +Agassiz, qui tenait aussi bien le pinceau que la plume, dans ces +dernières années, M. Agassiz avait entrepris l'étude du fond des mers, +et fait à ce sujet sur un navire de guerre américain, que le +gouvernement des États-Unis avait mis généreusement à sa disposition, +une série de travaux fort intéressants poursuivis dans l'un et l'autre +océan, l'Atlantique et le Pacifique. Il était aussi allé de Boston à +San-Francisco par le cap Horn. Il avait espéré que sa santé, ébranlée +par un travail incessant, se relèverait dans ce long voyage. Il semble +qu'il n'en a rien été, puisque la nouvelle, de sa mort nous est parvenue +au moment où tout faisait espérer que ses amis et la science pourraient +encore le conserver longtemps. + +Dans ce voyage de circumnavigation, les découvertes d'Agassiz ont été +presque de tous les jours, sur les courants, la température des eaux +marines à diverses profondeurs, le fond de la mer, les animaux qui s'y +rencontrent. C'est lui qui a pour la première fois démontré que le fond +des océans est habité à toutes les profondeurs, contrairement à ce qu'on +avait écrit. Que d'espèces nouvelles en coraux, coquilles, poissons, +plantes marines il avait ramenées de son dernier voyage! Il était occupé +à classer tout cela, à le distribuer, à le faire connaître avec cette +générosité toute américaine qui le distinguait, quand la mort est venue +le surprendre. + +Au physique, c'était un homme de haute taille, fort vigoureux; ses +traits annonçaient l'aménité, la bienveillance, et le moral ne démentait +pas ce que le physique annonçait. Il était ouvert, sympathique, causait +volontiers et facilement, ne disait du mal de personne, pas même de ses +confrères, ce qui est rare parmi les savants. Il était, comme tous les +protestants, fort attaché aux doctrines religieuses. Spiritualiste, il +faisait volontiers intervenir la Providence dans la création des +espèces, mais cela ne l'empêchait pas d'apporter dans les théories +scientifiques beaucoup d'indépendance. Ainsi il était, en histoire +naturelle, avec les Lamarck, les Geoffroy Saint-Hilaire, les Goethe, les +Darwin, partisan de la variabilité de l'espèce humaine et non de +l'unité, comme le voulaient Buffon et Cuvier, et comme quelques +naturalistes, entre autres M. de Quatrefages, le veulent encore +aujourd'hui. + +Il faisait bon marché des honneurs, et se contentait du titre de +correspondant de notre Académie des sciences, n'ayant jamais voulu +accepter de l'empereur Napoléon III, qui l'avait connu et apprécié en +suisse, ni le titre de sénateur, ni celui de professeur au Collège de +France, ni même celui de directeur général du Muséum, place restée, +dit-on, vacante depuis la mort de Cuvier. On essaya de le tenter à +diverses reprises et de le fixer parmi nous; toujours il préféra rester +dans sa patrie d'adoption. Républicain il était en Suisse, républicain +il demeura aux États-Unis. Il vient d'y mourir, comblé de gloire sinon +d'honneurs, aimé de tous, ayant fait de nombreux élèves, n'ayant cessé +un jour de travailler et de faire progresser la science, qui a été +l'occupation de toute sa vie. C'était un homme de bien, _vir probus_, au +sens le plus général du mot, un de ces hommes qu'on voit toujours partir +avec le plus vif regret, parce que l'on sent combien il sera difficile, +pour ne pas dire impossible, de les remplacer. + +L. Simonin. + + + +Le Fort Sainte-Marguerite + +L'ex-maréchal Bazaine aurait pu être envoyé dans quelque casemate +oubliée, dans quelque prison sans passé, ou même faire le voyage de la +Nouvelle-Calédonie, en compagnie de pétroleurs. L'opinion publique eût +été probablement satisfaite de ce châtiment qui plaçait ainsi au même +rang tous ceux qui ont failli faire sombrer le pays! Mais décidément la +fortune sourit à Bazaine; pendant que nous grelottons dans le Nord, on +l'envoie dans une contrée bénie du ciel, inondée, au coeur de l'hiver, +des chauds rayons du soleil, et délicieusement rafraîchie, en été, par +les brises de mer!... + +Heureux maréchal! La Providence lui assigne même la prison à jamais +célèbre de l'homme au masque de fer. Etrange caprice du destin! +L'innocent martyr du despotisme de Louis XIV a vécu là, le visage +couvert, les traits constamment voilés, tenu dans le plus complet +isolement, tandis que le grand coupable de Metz va sans doute passer les +dernières années de sa misérable vieillesse en captif heureux, entouré +peut-être de quelques-uns des siens, et à coup sûr il n'aura pas pour +gouverneur un maître implacable comme Saint-Mars! + +Je me trouvais, il y a peu de mois, à Cannes, et de là on voit se +profiler, à quelques milles en face, les îles de Lérins, semblables à de +gigantesques entassements. Si l'on était oiseau, en deux coups d'aile, +on arriverait à Saint-Honorat ou à Sainte-Marguerite. Sans s'armer d'une +longue-vue, il est parfaitement possible de distinguer les rochers +élevés qui bordent les deux îles, et l'on peut compter jusqu'aux +fenêtres du fort Sainte-Marguerite. + +Une vingtaine de petits bateaux bariolés dansaient dans le port de +Cannes, sous la violente caresse du mistral, et demandaient à grands +cris, par la voix de leurs patrons, quelque promeneur complaisant! + +--Monsieur! promenade à Sainte-Marguerite! Bon temps! Bon vent! me cria +l'un des bateliers en me priant du geste de descendre. + +--Et combien de temps faut-il pour arriver à l'île! + +--Oh! monsieur, pas beaucoup! J'y suis allé l'autre jour en moins d'un +quart-d'heure! + +--Et le vent est bon? repris-je. + +--Excellent! monsieur, deux ris aux voiles et nous filons comme +l'éclair! + +Inutile de dire que le quart-d'heure du brave batelier se changea en +demi-heure, la demi-heure en trois quarts-d'heure et qu'une heure après +nous ne touchions pas encore au môle du débarquement. En revanche, +j'avais eu la mer la plus moutonneuse du monde; nous avions failli être +roulés par les vagues; mais quelle baie splendide, que de merveilleux +horizons! + +J'eus le malheur de descendre du bateau pour tomber entre les mains d'un +vieux sergent qui ne me lâcha pas avant de m'avoir conté,--ce qu'il +savait du reste fort mal,--l'histoire de l'île Sainte-Marguerite. + +Il m'expliqua que le fort avait été construit sous Richelieu, puis pris +par les Espagnols, qui l'avaient agrandi, et enfin réparé par Vauban. + +En résumé, ce bâtiment serait peu digne d'intérêt si la légende de +l'homme au masque de fer n'était pas là pour captiver. + +Matthioli, c'est le nom que l'on donnait à ce célèbre inconnu, avait une +prison que le maréchal Bazaine,--l'homme heureux!--ne connaîtra sans +doute que de vue! La chambre qu'il habita onze années n'était éclairée +que par une fenêtre du côté du nord, percée dans un mur de près de +quatre pieds d'épaisseur; on y avait même prudemment adapté trois +grilles de fer placées à une distance égale. Cette fenêtre donnait sur +la mer. + +Ce qui fit supposer à quelques indiscrets que Matthioli devait être +quelque grand personnage, ce sont d'une part les mesures prises par +Saint-Mars pour éloigner de lui même les geôliers, et de l'autre +l'espèce de respect dont semblait l'entourer le gouverneur. + +De plus, on assure que l'homme au masque de fer portait des vêtements +recherchés, de fines dentelles, et qu'on lui fournissait des habits +aussi riches qu'il paraissait le désirer. + +Il n'en fallait pas plus pour faire pleuvoir des milliers de +conjectures: C'est un frère de Louis XIV, disent les uns.--C'est le duc +de Beaufort, assurent les autres.--C'est un fils de Cromwell!... + +Quelques anecdotes inventées sans doute viennent à la rescousse, et +notre homme, qui n'était peut-être qu'un petit gentilhomme sans grande +importance, passe d'emblée à la postérité! + +Vous connaissez l'histoire du pêcheur qui ramasse sous les fenêtres de +Matthioli une assiette d'argent sur laquelle se trouvaient inscrits +quelques caractères;--le brave homme rapporte sa trouvaille au +gouverneur, qui lui demande s'il a lu les mots écrits sur ce plat: «Je +ne sais pas lire!» répond naïvement le pécheur, et Saint-Mars lui dit: +«Allez! Remerciez le ciel de votre ignorance!» + +Un ingénieux historien, à la vue très-bonne, affirme qu'il y avait sur +ce plat désormais historique, ces mots: «Louis de Bourbon, comte de +Vermandois, frère de Louis XIV, etc.» + +Si Bazaine jette jamais ses assiettes par les fenêtres, les pêcheurs +d'aujourd'hui les conserveront peut-être sans scrupule. + +Richard Cortambert. + + + +Variétés: "les Merveilleuses", comédie en cinq actes de M. Victorien +Sardou. + +Cette fois c'est mon collaborateur M. Morin qui se charge de rendre +compte des _Merveilleuses_, de M. Sardou. Son dessin animé, spirituel et +d'une parfaite exactitude, tient lieu de l'article de théâtre. Aussi +bien notre critique à nous serait-elle inutile puisque M. Sardou n'a pas +jugé nécessaire d'introduire une action dans sa comédie, qui relève +presque tout entière du décorateur et du costumier. Quoi? pas le moindre +petit bout d'intrigue? Si vraiment, mais si peu que cela ne vaut pas la +peine d'en parler. Dorlis, que la guerre d'Italie a enlevé aux premières +joies de la lune de miel à sa femme Illyrine, retrouve au retour de +Rivoli et d'Arcole, son épouse convolant en secondes noces avec le +citoyen Saint-Amour, chef du cabinet de Barras. Il était temps, deux +heures plus tard, protégée par la loi du divorce, elle devenait madame +Saint-Amour. C'est tout, et cette petite comédie entamée à la fin du +quatrième acte se dénoue au cinquième. Il semble que M. Sardou, occupé à +faire revivre dans une série de tableaux vivants les hommes et les +choses du Directoire, et attardé longtemps dans les curiosités et les +bibelots du temps, se soit dit: «Maintenant que j'ai reconstitué ce +peuple bigarré dans les rues, agité dans les salons cet essaim de +merveilleuses et ce groupe de muscadins, que j'ai placé sur leurs +étagères ce musée archéologique des dernières années du siècle, songeons +un peu à mettre une action dans la pièce; si mince qu'elle soit, cela +est toujours assez bon; l'intérêt n'est pas là, il est dans cette série +de tableaux, dans ce panorama des plus mobiles et des plus amusants, +avec ce décor du premier acte, ce jardin du Palais-Égalité où s'asseyent +les _incroyables_, le menton caché dans la cravate _écronitique_, avec +_les oreilles de chien_, le chapeau gigantesque en demi-lune, le bas en +tire-bouchon et le bâton de houx à la main. Là circulent les +carmagnoles, les bouquetières, là se réfugient contre les huées des +_sans-culottes_, les daines _sans-chemises_ que la brutalité de la foule +menace de jeter à l'eau. + +Au second tableau, nous sommes sur le perron de la rue Vivienne, où +s'agitent les agioteurs, devant cette boutique de boulanger qui indique +le prix montant et descendant du louis, étiage de la fortune publique. +Au premier étage d'une maison, des joueurs jettent leur or au râteau des +croupiers; à l'entresol, des _marchandes de frivolités_ prélèvent des +intérêts sur la bonne fortune tentée au premier étage. C'est le bruit, +c'est la rue. L'acte suivant nous transporte dans l'hôtel du financier +Ragot; un bijou, que ce décor, une merveille de goût et d'exactitude, +avec ses pendules, ses candélabres du temps, avec ses sièges en forme +d'X, avec ses tasses à thé à fond jaune tacheté de petites fleurs +noires. Là règnent les _Merveilleuses_, les robes à la _Flore_, les +tuniques à la _Minerve_, la redingote à la _Galathée_, passant par +toutes les nuances, depuis le _Fifi pâle effarouché_ jusqu'au _Violet +cul de mouche_. Et les coiffures! Le turban relevé avec des plumes +bleues, bonnet Pierrot, bonnet à la Délie, bonnet à l'Esclavonne. Tout +ce monde féminin caquette et fripe dans ses mains des éventails de crêpe +noir lamé et pailleté d'argent, sur lesquels se montre discrètement +l'effigie de Louis XVI, de la reine et du dauphin, ces éventails au +_Saule pleureur_. Les élégants zazayent de leur petite voix de +femmelette leur parlé gazouillé et mouvant, et étalent leurs habits de +soie rayée à queue de morue. MM. de Concourt ont fait dans un excellent +livre l'inventaire par le menu de cette société du Directoire. Ce +catalogue des choses et des gens, M. Sardou, par une fantaisie d'auteur +dramatique, l'a fait vivre aux Variétés. Il a animé les Carie Vernet, +les Debucourt. Cela est fort amusant au début, mais fatigue vite chemin +faisant. On feuillette pendant une heure un album de caricatures, mais +toute une soirée! c'est un peu long. Et puis, une observation. Comment, +nous voilà dans cette société de l'an de grâce 1798, et pas un costume +d'officier ou de général? Ce ne sont pourtant pas les militaires qui +faisaient défaut dans ce monde du Directoire. Il y a là une lacune. + +M. Savigny. + + + +Glace et patins: "La première leçon" et "Un regard en passant". + +Puisque l'hiver s'obstine à ne pas entrer en scène, faisons tout éveillé +un rêve qui fera tressaillir d'aise les membres du club des patineurs. + +Il y a huit jours, le thermomètre est descendu à dix degrés au-dessous +de zéro, et depuis lors il s'est résolument maintenu entre six et huit. +Lacs, étangs, toutes les pièces d'eau dormante ont gelé, et finalement +la glace a acquis une respectable épaisseur. + +O bonheur! l'heure heureuse, depuis si longtemps attendue, a donc sonné, +et le moment fortuné est venu! Vite, courons, et sans perdre une minute, +au lac, au lac! + +Déjà sous un ciel gris d'acier, au milieu d'un cercle de grands arbres +étincelants de givre, s'y presse une foule élégante et joyeuse, les +femmes emmitouflées de fourrures, portant le manchon en sautoir; les +hommes vêtus du costume de rigueur; bonnet fourré, pelisse, pantalon +collant qui fait valoir les formes et bottes cracoviennes; les uns et +les autres ayant chaussé le patin et glissant, se croisant, se +poursuivant sur la glace qu'ils rayent d'un pied plus ou moins habile. + +Car s'il en est qui savent proprement faire un dehors, écrire +correctement leur nom du bout d'un patin victorieux, il y en a d'autres +aussi qui font beaucoup de fautes d'orthographe, et même en sont encore +à épeler péniblement leur alphabet. Aussi, pour les présomptueux, que de +mésaventures et de chutes, souvent ridicules. + +Je ne parle que pour les hommes. + +Il est bien entendu que c'est toujours avec grâce qu'une femme tombe sur +son pouff, quand cela arrive, ce qui est rare; car, plus timide, ce +n'est que bien soutenue qu'elle se risque à faire ses premiers pas sur +ce terrain glissant, où bientôt cependant elle s'élancera, rapide comme +l'hirondelle, en traçant comme elle, capricieuse, d'inextricables +méandres. + +Quelques-unes cependant ne parviennent jamais à surmonter assez leur +frayeur pour oser chausser le patin, et ce n'est que confortablement et +chaudement établies dans un traîneau qu'elles consentent à fendre l'air, +sous la conduite et la garde de quelque jeune gentleman, avec lequel il +leur est loisible alors d'achever tout à leur aise la conversation en un +autre endroit commencée, ou de commencer l'entretien qui sans doute se +terminera ailleurs. + +Je n'en jurerais cependant pas, car à quoi le plus souvent tiennent +ici-bas les choses, et de quoi dépendent nos résolutions les mieux +arrêtées? De ceci ou de cela, d'une goutte de pluie, d'un rayon de +soleil, ou encore d'un regard en passant. + +Louis Clodion. + + + +Les tortues de mer à Paris. + +Il y a longtemps qu'on n'avait vu à Paris des chéloniens possédant des +dimensions aussi prodigieuses. Les derniers avaient fait leur apparition +alors que florissait l'empire de l'infortuné Maximilien. Depuis lors il +s'est écoulé moralement plus d'un siècle. Aussi n'est-il pas étonnant +que les tortues de MM. Potel et Chabot aient obtenu un véritable succès +d'estime aussi bien dans la rue Vivienne que sur le boulevard des +Italiens. + +Une de ces étrangères, rien qu'en agitant ses pattes, a cassé innocemment +la glace de la devanture qui la séparait de la rue. Mais ce n'était pas +pour reconquérir une liberté définitivement perdue, et dont elle ne +pouvait, dans son état d'engourdissement, de demi-sommeil, comprendre le +prix. + +Ces animaux sont d'une force prodigieuse, et dans leur pays d'origine +d'une étonnante agilité. Ils nagent comme des poissons dans l'Océan. + +C'est surtout lorsque la femelle va pondre ses oeufs que l'on peut +facilement la surprendre et la capturer, ce qui se fait en la retournant +sur le dos, quelquefois à l'aide d'un levier. + +L'écaille des tortues franches n'a aucune valeur, mais la chair est +très-délicate, et il est à désirer qu'elle figure sur le carreau des +Halles où elle serait très-rapidement appréciée. + +Malheureusement nous sommes si routiniers en matière de gastronomie, +qu'elle est à peu près complètement perdue pour nous dès qu'elle a servi +à faire du bouillon. Les Anglais, plus pratiques, tirent un excellent +parti de tous les morceaux. + +La tortue jouit d'une propriété inestimable pour le transport dans les +pays lointains. On n'a besoin de la fumer ni de la saler, ni de la +placer dans des boîtes ou dans un garde-manger entouré de glace +fondante. Elle arrive vivante des Antilles sans qu'on ait besoin de lui +donner à boire et à manger. On pourrait donc se livrer à une +exploitation régulière de cette nouvelle matière alimentaire que nous +signalons expressément. + +De tous les animaux la tortue est peut-être celui qui a le cerveau le +moins développé. + +Lacépède allait jusqu'à prétendre qu'il est de la grosseur d'une +noisette pour un animal pesant 150 kilos. + +Mais il n'y a pas, paraît-il, d'animal qui soit plus porté aux plaisirs +de l'amour. Alors le mâle devient féroce, et aucun danger ne serait +capable de le déterminer à quitter sa femelle. Mais cela ne dure guère. +Au bout de quelques jours il l'abandonne sans remords, la laissant +regagner péniblement les îlots sablonneux où elle déposera ses oeufs, en +grand danger d'être surprise par les pêcheurs qui la guettent. Notre +dessin fait voir les suites inévitables de cette surprise. Un aide de +cuisine s'apprête à trancher la tête de la tortue tandis qu'un autre +empêche cette tête de rentrer dans la carapace, à l'aide d'un câble et +d'un croc. L'armée des marmitons est là sous les armes, prête à +commencer ses grandes opérations. Jamais mode plus barbare d'exécution +n'a été inventé. Il faut croire que la tortue a si peu de cervelle +qu'elle ne s'en aperçoit presque pas. Car si elle se plaint, c'est si +bas, si bas que jamais personne ne l'a entendue. + +W. de Fonvielle. + + + +LA VEILLE DU 1er JANVIER + +(Fin) + +--Absolument. Et je vais choisir des exemples. Voici Mademoiselle Mimi, +par exemple. J'ai déjà dit que je n'entendais pas médire des +poupées,--le jouet n'empêche pas le livre.--La vraie poupée, celle que +l'on peut habiller et déshabiller sans crainte de froisser une robe de +cent francs, qui possède une tête de porcelaine que l'on fait remettre à +neuf par le premier marchand venu du coin quand son propriétaire a eu le +malheur de tomber sur le nez, la poupée qui a son trousseau bien simple +de petits bas, de petits pantalons et de petites chemises, que sa maman +blanchit elle-même, la poupée que l'on mène en voiture et qui fait la +dînette, cette poupée-là est toujours amusante et sera amusante tant que +le monde durera. Mais le soir, quand Mimi viendra sous la lampe demander +à sa maman de lui montrer des images, sera-t-elle contente, oui ou non, +si ces images sont choisies dans un livre à elle, à elle toute seule, +écrit pour elle... + +--Il y en a donc de ces livres-là. + +--Il y en a quarante à l'heure qu'il est, ni plus ni moins, et la +collection des albums de P.-J. Stahl se complète d'année en année. C'est +le tableau vivant de l'enfance à tous les degrés, c'est un +chef-d'oeuvre, une galerie sans rivale. + +--Mais Mimi ne sait pas lire!... + +--Si elle ne sait pas lire encore, elle sait voir au moins; tous les +enfants savent lire dans les livres à images; l'image vue, l'image lue, +on veut savoir au plus juste de quoi il s'agit, et vous êtes là, chère +madame, pour lui lire à haute voix les légendes spirituelles ou +émouvantes que Stahl a donné à traduire en merveilleux dessins au crayon +de Froelich. C'est toute une morale où le code de la première enfance +est passé en revue article par article.--«Il faut aimer son papa, sa +maman et le bon Dieu», voilà pour l'âme. «Il faut manger sa soupe +courageusement jusqu'à la dernière cuillerée», voilà pour le corps. Et +pour la vie pratique: «Il ne faut mettre son doigt ni dans son nez, ni +dans les pots de confiture.--Il ne faut pas jouer avec ce qui coupe; les +couteaux ne sont pas un jeu.--Il est abominable d'égratigner son frère, +sa soeur et même sa bonne.--Il est très-mal aussi de marcher dans les +ruisseaux, ils ne sont pas faits pour cela.--Il ne faut jamais dire +qu'on n'a pas envie de dormir quand il est huit heures et demie +sonné...» + +Mon ami et sa femme s'étaient mis à rire dès les premiers mots de cette +énumération. + +--Pauvre Mimi! dit la jeune mère, c'est vrai tout de même que pas plus +tard que ce soir elle s'est démenée comme un beau petit diable en +prétendant que la pendule avançait et que, vrai, il ne pouvait pas être +huit heures et demie!... + +--_Les Commandements du grand-papa_ lui en apprendront bien d'autres. Et +la _Journée de la célèbre mademoiselle Lili_, et la _Boîte au lait_, et +le _Journal de Minette_, et les _Idées de mademoiselle Rose_, illustrées +par Detaille, et la _Révolte punie_, et _Hector le fanfaron_, et l'_Ours +de Sibérie_, et _Bonsoir petit père_, et _Toc-Toc_, et _Mademoiselle +Mouvette_, qui est son portrait vivant, sans compter les albums en +couleur qu'elle pourra manipuler à son aise sans courir le risque de +s'empoisonner, au rebours de ces albums anglais, dont les enluminures +grossières ne sont bonnes qu'à crever les yeux ou à gâter l'esprit. +C'est une maxime à graver en lettres d'or dans le Code des parents, que +préserver les enfants des niaiseries imprimées, c'est accomplir une +oeuvre pie. Voilà tout le secret de la bibliothèque Hetzel; P.-J. Stahl, +l'auteur applaudi des _Bonnes fortunes parisiennes_, que vous avez lues +tous les deux, à su tremper sa plume, comme je l'ai vu écrire quelque +part, dans un encrier rempli de lait sucré; une nourrice qui aurait +passé par l'Académie française n'aurait pas su trouver plus de +ressources d'esprit et d'imagination que ce père Gigogne. J'aurais dit +tout cela dans mon article, je puis bien vous le dire à vous, en +attendant. + +--Eh! c'est là précisément ce que j'étais en train de prêcher à ma +femme, s'écria mon ami; mais on n'est jamais prophète en son pays. Je +suis heureux de voir ton succès; on ne t'interrompt plus. + +L'interrupteur se contenta de sourire et je poursuivis en ces termes: + +J'arrive à Jujules. Savez-vous, chère madame, vous qui parliez tout à +l'heure de livres à choisir «par-dessus le marché», ce que votre petit +homme de huit ans m'a appris, il n'y a pas six mois? J'étais en train de +lui faire, en vous attendant, un petit cours d'histoire naturelle et, +par étourderie ou par ignorance, je ne sais plus au juste, je m'étais +avisé de ranger le crapaud parmi les reptiles malfaisants. Double +erreur, le crapaud n'est pas un reptile et le crapaud n'est pas une bête +malfaisante. Là-dessus, voilà Jujules qui m'interrompt de sa voix la +plus douce: + +--Pardon! mon parrain, mais j'ai lu quelque part que le crapaud n'était +pas un reptile... + +--C'est bien, possible; qu'est-il alors? + +--C'est un batracien, mon parrain, à moins que le livre n'ait menti. + +Le livre n'avait pas menti; mais voyez-vous votre bambin qui en +remontrait à son maître? Je lui demandai le titre de ce bienheureux +ouvrage. C'était un des classiques du genre: l'_Histoire d'une bouchée +de pain_ de Jean Macé. + +--Un de mes cadeaux de l'année dernière,... murmura mon ami. + +--Allons? je suis battue sur toute la ligne, et par un enfant encore! +s'écria la jeune femme. C'est de bonne guerre. Je me rends à discrétion. +Que lui donnerons-nous cette année au savant Jujules? + +Je me levai et je m'en fus chercher dans le coin où je les avais déposés +en entrant, l'_Histoire d'une maison_, de Viollet-le-Duc, et la _Famille +Chester_, de P.-J. Stahl et William Hughes. + +--Voici deux nouveautés que vous prendrez la peine de lire avant le 1er +janvier. Car ces excellents livres ont le double mérite qu'ils +conviennent aux petits et ne sont pas inutiles aux grands. Je ne veux +pas être cru sur parole; il faut que vous appreniez par vous-même quel +soin sévère, quels scrupules ont présidé à la formation de cette +bibliothèque d'élite. C'est déjà beaucoup de savoir qu'un homme tel que +M. Viollet-le-Duc a pris le meilleur de son temps pour apprendre au +grand public comment se bâtit une maison, ce que la profession +d'architecte exige de clarté dans l'esprit et de rectitude dans le +jugement. Nous avons tout à gagner à ces enseignements-là. On apprend à +tout âge et il n'est jamais trop tard pour aller à l'école. C'est encore +dans un de ces livres que j'ai trouvé la maxime suivante: «Je ne doute +pas qu'on ne puisse faire un gros livre de ce que tu sais, disait au +campagnard à son fils qui lui revenait du collège tout enorgueilli de +son grec et de son latin; mais je suis assuré qu'on en ferait un plus +gros encore avec tout ce que tu ne sais pas.» + +--Comment l'appelez-vous ce livre-là? + +--_Entre frères et soeurs_. Ce sont des causeries scientifiques pleines +de savoir et de bonne humeur; signé Lucien Biart. + + + +[Illustration: LA PREMIÈRE LEÇON.--D'après le tableau de M. Boutibonne.] + +(Publié avec l'autorisation de MM. Goupil et Cie.) + + +[Illustration: UN REGARD EN PASSANT.--D'après le tableau de +M. Boutibonne.] + +(Publié avec l'autorisation de MM. Goupil et Cie.) + +--C'est l'auteur de ce joli volume de nouvelles que tu as lues avec tant +de plaisir, dans la _Revue des deux mondes_, ajouta mon ami, et qui ont +paru en volume à la même librairie Hetzel, sous le titre des _Clients du +docteur Bernagius_, et à l'usage des femmes d'esprit. + +--C'est cela même. Ajoutez que nous nous retrouverons constamment avec +des écrivains amis. Après Viollet-le-Duc, P.-J. Stahl et Lucien Biart, +il faudrait nommer Jules Sandeau et sa _Roche aux Mouettes_, +Erckmann-Chatrian et _Madame Thérèse_, Hector Malot et son Romain +_Kalbris_, et d'autres tout aussi connus auxquels j'arriverai tout à +l'heure. Mais ce n'est pas fini. Le 1er janvier de Jujules serait trop +maigre si vous vous borniez à deux livres; vous y ajouterez la _Soeur +perdue_, de Mayne-Reid, qui fait suite aux _Aventures de terre et de +mer_, qu'il a déjà reçues l'année dernière, et l'_Histoire du Ciel_, de +Flammarion, qui manque à sa bibliothèque. Je me charge de la _Roche aux +Mouettes_, de Jules Sandeau et de _Romain Kalbris_, d'Hector Malot. + +--Ah ça! s'écria mon ami, du train dont nous y allons, il ne restera +rien pour Edouard! + +--Rassurez-vous, la bibliothèque d'éducation et de récréation en a pour +tous les âges et pour tous les goûts. Edouard est déjà un petit homme +sérieux. Entre temps, il sait manier très-convenablement le compas et +l'équerre. Tandis que Jujules lui prêtera son _Histoire d'une maison_, +Edouard fui confiera en échange la collection des _Voyages +extraordinaires_ de Jules Verne... + +Mais c'est que je les lis, moi aussi, ces voyages!... s'écria la jeune +femme en me coupant la parole, y en a-t-il de nouveaux? + +--Ah! je vous y prends! Que me disiez-vous donc tout à l'heure, que vous +vous en reposiez sur le premier libraire venu du choix de ces lectures? +Jules Verne tout au moins aurait été désigné à l'avance et pour ce seul +aveu il vous sera beaucoup pardonné. Certes oui, il y en a de nouveaux +et ce ne sont pas les moins merveilleux. J'ai apporté le _Pays des +fourrures_, dont je puis parle en connaissance de cause, car je l'ai +déjà lu dans le _Magasin d'éducation_. Vous avez encore le _Tour du +monde, en quatre-vingts jours_, un chef-d'oeuvre d'invention, une sorte +de conte des Mille et une nuits, avec la fantaisie déréglée en moins, et +en plus l'imagination scientifique. Ce sont de fameux pendants à _Vingt +mille lieues sous les mers_, au _Voyage dans la Lune_ et au _Centre de +la terre_, à _Cinq semaines en ballon_, aux _Enfants du capitaine, +Grant_, au _Capitaine Hatteras_, etc. Cet étonnant romancier poursuit un +plan qui consiste à faire faire à son public la découverte successive de +toutes les parties du monde et de tous les phénomènes du globe. Nous +avons encore un bon bout de chemin en perspective. Savez-vous ce qu'il +m'a répondu tout dernièrement? Je lui demandais quelles surprises +nouvelles il nous réservait et s'il nous était permis de compter sur une +deuxième série aussi riche que la précédente. + +--N'est-ce que cela! me dit-il gaiement, apprenez qu'elle est toute +composée cette série à venir; il ne me faut plus que le temps de +l'écrire. + +--Tout va bien, répliqua mon ami, mais avec tout cela je ne vois pas +pourquoi tu nous a parlé du compas et de l'équerre d'Édouard? + +--M'y voici. Nous lui donnerons les Sciences usuelles et leurs +applications mises à la portée de tous, par le capitaine de frégate +Louis du Temple. Ce livre-là serait un peu trop sérieux pour Jujules; il +fera le bonheur d'Édouard. Figurez-vous, mes amis, la mécanique et la +géométrie racontées par un homme qui a appris la science à de pauvres +mécaniciens de la marine, à des gens presque illettrés mais pleins +d'ardeur, de bon vouloir et de dévouement. Ce sera bien le diable si +sous la direction d'un tel maître Edouard ne devient pas un mécanicien +de premier ordre. Je tiens à être là pour jouir de sa joie quand il +recevra ce magnifique volume, et si vos mains sont trop pleines de +cadeaux pour y joindre celui-là, c'est moi qui m'en chargerai. + +--Mais non! dit la jeune femme en riant, je n'accepte pas l'épigramme; +me voilà bel et bien convertie, et je vous promets que le n° 18 de la +rue Jacob comptera désormais une cliente aussi assidue que dévouée. +N'abusez pas de votre victoire. + +--Ainsi, ajouta mon ami, c'est toute une bibliothèque que nous +introduisons dans la famille. Quelle heureuse chance pour moi d'avoir eu +pour auxiliaire un ami dont le métier consiste précisément à lire les +livres nouveaux pour guider autant que possible le choix du grand +public. Si grâce à toi, le budget des étrennes est un peu plus lourd que +de coutume, je ne m'en plaindrai pas. + +--C'est encore une erreur, répondis-je, et ce sera mon dernier mot. Le +plus riche, le plus luxueux de ces beaux livres, les _Contes de +Perrault_, de Doré, qu'il faudra donner à Mimi, dans un an ou deux, ne +coûte pas à beaucoup près ce que coûte une soirée dans un théâtre de +genre, qui trop souvent se trouve être un théâtre de mauvais genre; il +coûte moins qu'un joujou vulgaire de chez Giroux, une boîte de bonbons +de Roissier, une fleur artificielle à mettre dans vos cheveux, madame, +ou la fumée de quelques cigares de choix que monsieur achètera au +Grand-Hôtel. Direz-vous que ce qui serait trop d'argent pour une chose +qui reste ne serait rien pour une chose qui passe? + +--Non! non! s'écrièrent en choeur mes deux amis, le mari et la femme, +associés et réconciliés dans le même sentiment. Nous voilà d'accord. + +--Tout est donc bien qui finit bien, répondis-je en fermant l'entretien; +cela finit d'autant mieux que mon article est fait. Tant pis pour vous, +je vous préviens que je vais livrer au public toute notre conversation +sans y changer un mot. + +--Tu ne nous nommeras pas au moins! + +--Je le jure! Je me bornerai à vous soumettre mon procès-verbal et à +signer pour copie conforme: + +Prosper Chazel. + + + +LA SOEUR PERDUE + +Une histoire du Gran Chaco + +(Suite) + + +CHAPITRE X + +ARRÊTÉS PAR UN «RIACHO.» + +LES GYMNOTES + +Les voyageurs se trouvaient à un mille de distance de leur dernière +halte quand les hautes berges du Pilcomayo commencèrent à se déprimer, +puis à s'abaisser jusqu'à se mettre presque de niveau avec le fleuve. La +colline qu'ils avaient jusqu'alors suivie se continuait sur l'autre +bord, comme si elle eût été coupée par le courant qui formait en cet +endroit une série de rapides contre lesquels l'eau se brisait en +bouillonnant et avec un bruit assourdissant. + +Les voyageurs n'y prêtèrent pas attention; ils descendirent la pente et +continuèrent à remonter le cours d'eau. + +Ils ne tardèrent pas à se heurter contre un obstacle inattendu. C'était +une sorte de ruisseau lent, un _riacho_ (2) qui débouchait +perpendiculairement dans le Pilcomayo ou en sortait, suivant la saison +et les caprices de l'inondation. En ce moment il semblait être immobile, +parce que la rivière principale, subitement enflée par l'ouragan, +arrêtait le courant plus tranquille de son affluent. Ses eaux étaient +jaunâtres et comme mêlées de terre et de sable. Le seul moyen d'en +savoir la profondeur était d'y entrer à cheval, mais l'expérience était +dangereuse. + + [Note 2: Le _riacho_ de l'Amérique du Sud est un cours d'eau + tributaire d'une grande rivière. Il ressemble au bayou de la + Louisiane. En temps d'inondation son courant change de direction + et revient sur lui-même.] + +Il ne fallait pas songer à tourner pour le franchir au-dessus de sa +source, ni à chercher un gué en le remontant. Le riacho était droit +comme un canal, et les cavaliers pouvaient le suivre des yeux à travers +la plaine sur une étendue de plus de dix milles présentant toujours la +même largeur et probablement la même profondeur que sous la tête de +leurs chevaux. + +Que faire? remonter jusqu'à la source aurait exigé une demi-journée tout +entière. Cypriano était trop impatient pour y songer et Gaspardo +lui-même paraissait médiocrement disposé à un retard. Essayer de passer +à l'endroit où ils se trouvaient semblait être une entreprise +hasardeuse; il leur faudrait peut-être nager. Cependant cette +alternative ne les eût pas arrêtés si le bord opposé avait offert une +pente douce ou quelque point facile qui permit aux chevaux d'aborder. +Mais il n'en était pas ainsi; au contraire, la berge s'élevait +perpendiculairement à plus de deux pieds au-dessus de l'eau, et, sous +l'eau, cette sorte de muraille pouvait être encore plus profonde. Les +voyageurs étaient dans l'impossibilité d'évaluer la profondeur à cause +de la coloration de l'eau, conséquence de la tormenta, et il n'existait +ni courant ni rides pour les aider à se former une opinion même +approximative. + +Ils restaient indécis sur leurs selles. S'il avait été seul, Cypriano, +dans son impatience, aurait lancé son cheval en plein cours d'eau, mais +Gaspardo avait mis la main sur la bride en lui disant: «Patience! il est +bon de réfléchir, même avant de faire une folie.» + +Ils demeurèrent ainsi pendant plus de dix minutes, tantôt jetant les +yeux sur le ruisseau, tantôt se regardant les uns les autres. + +«_Gracias a Dios!_ que Dieu soit loué! s'écria tout d'un coup le +gaucho.» + +Il proféra cette exclamation d'un ton si satisfait et avec un tel soupir +de soulagement que ses jeunes camarades comprirent que le problème était +résolu et que le moyen de passer était découvert. + +«Qu'avez-vous imaginé, mon bon Gaspardo? demanda Cypriano, toujours le +plus prompt à interroger. + +--Regardez là-bas, dit Gaspardo? en montrant de la main l'endroit où +l'affluent réunissait ses eaux à celles du fleuve. Que voyez-vous +là-bas, senoritos? + +--Rien de particulier, quelques grands oiseaux blancs avec de longs +becs, qui ressemblent à des grues. + +--Certainement, ce sont des grues, et même des grues soldats, des +_garzones_ (3). Eh bien! qu'en pensez-vous? + + [Note 3: Le _garzon_ est la plus grande des grues de l'Amérique du + Sud. Il possède une hauteur de cinq pieds; ses jambes sont longues + et grêles; son bec pointu est immense; il a sous la gorge un sac + rouge comme un pélican et son plumage est presque d'un blanc de + neige.] + +--Qu'elles nagent? + +--Nager! pas le moins du monde. Le garzon ne nage jamais. Elles passent +à gué, senoritos; oui! à gué. + +--Eh bien! après? fit Ludwig. + +--Comment! après? Je suis étonné que vous, naturaliste, un savant qui +avez appris à raisonner, vous ne liriez pas la conclusion d'un fait +aussi clair. + +--Quelle conclusion? demanda naïvement le jeune savant. + +--La plus simple du monde, à savoir que comme le dit la chanson, si les +canards l'ont bien passé, nous passerons nous aussi le riacho. Les grues +ont de longues jambes, c'est vrai, mais où un garzon peut passer, un +cheval n'est pas obligé de nager. Non, muchachos! nous traverserons à +l'endroit où ces gros oiseaux blancs sont en train de s'amuser. Nous +pourrions même peut-être le faire ici, mais cela serait moins sûr. Il y +a évidemment une barre de sable entre le riacho et la rivière et voilà +pourquoi les grues sont à l'eau. J'ajoute que, si elles y sont, ce n'est +pas pour le simple plaisir d'y prendre un bain de pieds. Il est probable +que l'orage a troublé les poissons et les a ramenés du large contre la +barre. Les grues, les trouvant là à leur portée, y sont venues à leur +tour. Tout s'enchaîne à merveille, vous le voyez, et nous n'avons +nous-mêmes rien de mieux à faire que de mettre à profit le résultat de +l'expérience faite par les grues.» + +Le gaucho avait raison. Les _garzones_ étaient activement occupés à +pêcher; les uns plongeaient leur bec sous l'eau, d'autres, la tête +renversée, montraient sous leur gorge de vastes poches écarlates +gonflées par le poisson qu'ils s'efforcaient d'engloutir. + +«C'est pitié de les déranger de leur dîner, dit Gaspardo, surtout après +le service qu'elles nous ont rendu en nous montrant le gué. Por Dios! Il +nous faut pourtant le faire, il n'y a pas moyen de l'éviter. Allons, +senoritos, descendons, nous demanderons en passant pardon à mesdames les +grues de la liberté que nous prenons à leurs dépens.» + +En disant ces mois, Gaspardo se dirigea vers le confluent des deux cours +d'eau, suivi par ses compagnons qui n'avaient fait, comme on le pense, +aucune objection au discours du brave gaucho. + +Au bout de deux cents pas, ils arrivaient au territoire de pêche des +grues. + +Ces grands oiseaux, effrayés par l'approche de créatures si différentes +de celles qu'ils voyaient ordinairement, se hâtèrent d'avaler le contenu +de leurs poches écarlates, puis, agitant leurs grandes ailes au-dessus +de l'eau, s'élevèrent dans les airs en protestant par leurs cris contre +le dérangement qu'on leur causait! + +Pendant un moment, ils tournèrent au-dessus de la tête des cavaliers en +poussant leurs notes perçantes, comme s'ils avaient espéré disputer aux +cavaliers le passage du ruisseau. Cependant, quand les chevaux se mirent +à l'eau, ils comprirent que pour le moment leur pèche était finie, et, +cessant leurs bruyantes démonstrations, ils partirent l'un après l'autre +en quête d'une retraite plus tranquille. + +Le passage était tel que Gaspardo l'avait supposé; c'était une barre +entre le fleuve principal et son tributaire. Ni en aval ni en amont les +chevaux n'auraient pu passer à gué, et même sûr la barre, au point le +plus profond, leurs sangles baignaient dans l'eau. + +La distance à parcourir était de plus de cent mètres, car c'était à +cette place que le riacho avait sa plus grande largeur. + +Ils avaient franchi les deux tiers du passage et se félicitaient déjà +d'être bientôt arrivés sur l'autre rive, quand tout d'un coup les +chevaux firent halte en frémissant de la tête aux pieds. + +Au même instant, chacun des trois cavaliers ressentit une commotion +étrange et tellement simultanée, que leurs exclamations s'échappèrent de +leurs trois bouches à la fois comme d'un seul gosier.. + +Gaspardo seul reconnut la cause de ces chocs imprévus. + +«Caramba! s'écria-t-il, c'est une raie électrique. Non pas une, mais +peut-être un millier! Il y en a tout autour de nous, je le vois bien au +frémissement des chevaux. Donnez de l'éperon, senoritos! donnez de +l'éperon, ou nos bêtes paralysées n'atteindront jamais le bord!» + +Ainsi apostrophés, les jeunes gens piquèrent de toute la force de leurs +talons, et leurs montures s'avancèrent encore, mais avec inquiétude et +une visible irrésolution. Parfois elles essayaient de reculer en dépit +des coups d'éperon. + +Les cavaliers n'échappaient pas à cette influence. Le fluide subtil +courant le long des membres des chevaux, pénétrait dans le système +nerveux des hommes et leur causait de violentes secousses. Tous les +trois se sentirent d'autant plus troublés, que la force ne pouvait rien +contre l'obstacle bizarre qui s'opposait à leur marche en avant. +Gaspardo seul conservait encore assez de présence d'esprit pour parler +et agir. + +«Éperonnez, criait-il, éperonnez! si nous ne gagnons pas le bord +rapidement, les gymnotes auront raison de nous et de nos bêtes. Nos +chevaux s'enfonceront dans l'eau comme des pierres et nous-mêmes, si +nous n'échappons pas à l'influence de ces infernales bêtes, nous ne +pourrons passer ni à gué ni en nageant. En avant donc, senoritos! Jouez +de la cravache et des éperons comme s'il s'agissait du salut de nos +Ames!» + +Ludwig et Cypriano n'avaient pas besoin d'être excités. Ils sentaient +parfaitement l'imminence du péril et ne comprenaient que trop que chaque +minute le décuplait. Tous deux poussaient leurs montures autant que le +leur permettait leur énergie défaillante. + +Gaspardo le premier finit par atteindre le bord; il fut suivi de près +par Cypriano. Mais quand tous deux, se retournant, jetèrent les yeux sur +Ludwig, ils s'aperçurent que celui-ci était resté en arrière d'eux, à +quelques mètres de la rive; son cheval tremblait comme une feuille et +refusait d'avancer. Le cavalier commençait à perdre la tête en voyant +l'inutilité de ses efforts. Tout d'un coup sa monture cessa de bouger. +Le gaucho et Cypriano la virent peu à peu enfoncer. Evidemment Ludwig +était hors d'état de la retenir, + +Cypriano fit mine de descendre de cheval et de se jeter à l'eau pour +aller au secours de son cousin. + +«Gardez-vous-en bien, s'écria le gaucho. Vous n'arriverez qu'à périr +avec lui. Il y a mieux à faire pour le salut de Ludwig.» + +En même temps il détachait son lazzo de sa selle et le faisait tournoyer +autour de sa selle. Le noeud coulant tomba juste sur les épaules de +Ludwig. Le jeune homme enlevé de sa bête abordait, cinq minutes après, +sain et sauf sur le rivage. + +Sans perdre un instant, le gaucho relâcha le lazzo, le détacha +promptement des épaules de Ludwig, le fit siffler encore, et le lança +sur le cheval, dont l'arrière-train était déjà sous l'eau. + +Cette fois, la boucle largement ouverte tomba sur le cou de l'animal en +entourant dans sa première moitié la haute selle espagnole qu'il +portait; Gaspardo, assurant solidement le lazzo autour de son poignet et +de son avant-bras, fit faire demi-tour à sa propre monture du côté +opposé à la rive, et l'encourageant de la voix, il la lança d'un élan +vigoureux en avant. + + +CHAPITRE XI + +LE POISSON QUI FAIT DU FEU + +Il y eut une lutte violente au milieu du riacho; elle dura peu. Le +cheval de Ludwig reprenait courage en se sentant secouru; il fit un +effort de vigueur pour aider à celui qui était tenté en sa faveur; ses +jambes de derrière, dégagées, reprirent bientôt leur fonction, et il +finit par prendre terre à son tour. + +Le bord de ce cours d'eau bourbeuse présentait un étrange tableau; les +trois chevaux frissonnant semblaient près de défaillir, et leurs +cavaliers n'étaient guère dans un meilleur état. + +Le plus âgé des trois conservait encore un peu de force, mais il était +loin de se sentir aussi solide et aussi alerte que d'habitude. Jamais il +n'avait subi une si violente attaque des gymnotes, et il ne pouvait +s'expliquer leur puissance extraordinaire qu'en l'attribuant à +l'électricité de la tempête, qui sans doute avait surexcité en elles +l'énergie du fluide. + +C'était là en effet l'explication la plus plausible du fait; la raie +électrique, parfois complètement inoffensive, est d'autres fois l'animal +le plus dangereux qu'il soit possible de rencontrer au sein des eaux. + +Les chevaux furent quelque temps avant de se remettre de l'influence et +des souffrances causées par les décharges galvaniques des gymnotes. Les +cavaliers et Gaspardo lui-même avouaient qu'ils se sentaient très-mal à +leur ai$e. Cependant le gaucho finit par retrouver sa vaillante humeur. +Le succès de sa double pêche au lazzo, la première qu'il eût faite en ce +genre, l'avait ragaillardi, et il communiqua un peu de son entrain à ses +deux compagnons. Ils reprirent sans délai leur voyage, et, tout en +continuant à suivre les bords du Pilcomayo, Gaspardo donnait à ses +jeunes compagnons toutes les observations à sa connaissance relativement +aux singuliers animaux auxquels ils avaient eu tant de peine à se +soustraire. + +«Les gauchos, dit-il, les appellent des raies: cependant j'ai entendu le +senor Ludovico (il désignait ainsi le père de Ludwig) leur donner le nom +de gymnotes (4). Je suppose que c'est celui qui est connu des +naturalistes. + + [Note 4: La gymnote possède une merveilleuse puissance électrique. + Les chevaux e! les bestiaux qui passent à gué les marécages ou + ruisseaux peuplés par ces singulières créatures succombent souvent + sous leurs chocs galvaniques. L'incident que nous rapportons est + en parfaite concordance avec les phénomènes observés.] + +--C'est vrai, répondit le jeune Ludwig en s'intéressant aux paroles de +Gaspardo. C'est là en effet leur nom scientifique. + +--Avez-vous jamais vu de près un de ces vilains diables? demanda +Gaspardo. + +--Non, répliqua Ludwig, mais j'ai souvent entendu mon père en parler.» + +A ces mots de «: père», un nuage passa sur les traits du jeune homme; il +était évident qu'il ne pensait déjà plus aux gymnotes. + +«Moi, dit Gaspardo, j'en ai vu beaucoup. Près de l'endroit où j'allais à +l'école, il y avait une espèce de mare qui était pleine de raies +électriques, et nous autres enfants nous nous en amusions beaucoup, +quoique nous en eussions très-peur. Vous allez voir que ce n'était pas +sans raison. Je me souviens qu'un jour j'assistai à un triste spectacle. +Un vieux boeuf, qui n'avait plus qu'un oeil, s'était laissé choir dans +cette mare. Les enfants ne doutent de rien; j'avais eu la chance +d'accrocher, avant que la pauvre bête ne fût à vau-l'eau, une corde à +l'extrémité de ses cornes; nous nous mimes une douzaine au moins à tirer +sur cette corde, persuadés que nos efforts suffiraient à ramener le +pauvre animal du gouffre où il était tombé. Naturellement nous n'y +parvînmes pas. Le malheureux boeuf n'en eut pas pour longtemps. Je le +vois encore, après s'être débattu un instant, s'abîmer tout d'un coup +sous l'eau, comme s'il eût été frappé d'un coup de foudre invisible. +Jamais je n'oublierai le regard de détresse qu'il nous jeta avant de +disparaître; ils ont de si bons regards, les boeufs; mais ce que +j'oublierai encore moins, c'est le châtiment inattendu que nous reçûmes +du propriétaire du boeuf, dont nous espérions des remerciements, +châtiment dû, nous dit-il, à la maladresse de nos efforts. + +«C'était le maître d'école lui-même, un homme pratique, qui ne se payait +ni de bonnes paroles ni même de bonnes intentions. «Vous vous êtes tous +conduits comme des imbéciles, s'écria-t-il, en essayant de faire une +chose tellement au-dessus de vos forces. Il fallait crier au secours, +venir me chercher. Je n'étais pas loin et mon boeuf serait encore en +vie. Savoir ce qu'on peut et ce qu'on ne peut pas, connaître la mesure +de ses forces est indispensable à tout âge, et pour que vous vous +souveniez de cette utile maxime, je vais vous appliquer à chacun quelque +chose qui vous la fixera dans la mémoire.» + +«Nous reçûmes tous une demi-douzaine de férules. Jamais correction ne +fut administrée avec une plus grande impartialité. Chacun en eut son +compte. + +--C'était un méchant homme ce maître d'école, s'écria Cypriano... + +--Un peu rude, j'en conviens, répondit Gaspardo, mais c'était surtout un +homme sensé et judicieux. Ces férules m'ont sauvé de bien des sottises +dans ma vie, et, s'il faut tout dire, elle vous a été utile à vous-même. +Je me la suis rappelée à propos dans notre caverne, tout à l'heure, +quand il s'agissait d'abattre à coups de fusil notre second tigre. +L'affaire était chanceuse. C'est grâce à la mémorable leçon de notre +vieux maître que j'ai donné la préférence à notre fusée sur une décharge +d'artillerie dont reflet n'était pas certain. Pour en revenir à nos +raies électriques, je ne me doutais pas, à l'époque où s'est passée +l'histoire que je viens de vous raconter, que j'aurais à me tirer +d'affaire avec elles aujourd'hui et dans une circonstance aussi sérieuse +que celle d'où nous sortons. Soyez sûr, mon cher Ludwig, que le souvenir +du boeuf et de la leçon énergique subie à cause de lui m'a inspiré +heureusement tout à l'heure, quand je me suis servi de mon cheval comme +d'un remorqueur pour le vôtre. + +--Pauvre Gaspardo, dit Cypriano, c'est pourtant vrai que nous voici tenu +de bénir le vieux maître d'école auquel il a dû un enseignement si +difficile à oublier.» + +La conversation continua sur les raies électriques. + +«Vous dites que vous avez vu des raies électriques, cousin, demanda +Ludwig. A quoi ressemblent-elles? + +--Le gaucho peut vous le dire mieux que moi. + +--A quoi ressemblent-elles, Gaspardo? + +--Ma foi, _muchachos_, si l'on me demandait de faire une description de +ces vilaines bêtes, je répondrais qu'elles ne ressemblent à rien. +L'animal le plus laid de la création pourrait être vexé de leur être +comparé. S'il y a de l'eau en enfer, c'est d'animaux comme ceux-là +qu'elle doit être peuplée. + +--Tout cela ne nous apprend pas à quoi ressemble une raie électrique, +interrompit Ludwig, auquel l'amour de l'histoire naturelle faisait +désirer une description plus précise. + +--Non certainement, répliqua le gaucho, mais ce n'est pas une chose +aisée que de décrire un poisson qui n'est peut-être pas un poisson, +quoiqu'il passe son temps sous l'eau. + +--Quant à être un poisson, c'est un poisson, fit le jeune naturaliste, +tout aussi bien que les autres raies, mais quelle est sa forme, sa +couleur? sa dimension? + +Mayne Reid. + +(_La suite prochainement._) + + + +[Illustration: LES TORTUES DE MER A PARIS.--Décapitation d'une grosse +tortue.] + +LA SOEUR PERDUE PAR MAYNE REID + +[Illustration: Le vieux mâle gisait inanimé.] + +[Illustration: De petits hiboux occupaient le sol en commun avec les +quadrupèdes.] + +[Illustration: Chacun d'eux penché sur le sol.] + +[Illustration: La construction en était toute primitive.] + + + +REVUE LITTÉRAIRE + +LES LIVRES D'ÉTRENNES + +II + +Parmi tous ces livres gaufrés et dorés que le jour de l'an fait naître, +il en est un que je trouve particulièrement recommandable, c'est le +_Magasin d'éducation et de récréation_, fondé, il y a quelques années, +par M. J. Hetzel, avec la collaboration spéciale de Jean Macé et de +Jules Verne. Le _Magasin d'éducation_ en est arrivé maintenant à sa +neuvième année, à son dix-huitième volume, et la plupart des ouvrages +qu'il a publiés, _Les Anglais au pôle nord, Les Enfants du capitaine +Hatteras, Le Pays des fourrures_, de Jules Verne, _La Roche aux +Mouettes_, de Jules Sandeau, _Les Contes du château_, de Jean Macé, et +les délicieuses historiettes de P.-J. Stahl, ses contes et récits de +morale familière, sont rapidement devenus populaires. Je ne sais rien de +plus intéressant et de plus curieux que de feuilleter, sous la lampe, +ces volumes où la gravure vient en aide à l'imagination, où le dessin +explique et anime le texte, où les yeux sont charmés avant l'esprit. Les +enfants seraient trop heureux si ces beaux livres, ces récits qui les +captivent, qui les amusent, ces images qui les séduisent, si tout cela +était fait pour eux seuls. Mais les parents,--ces grands enfants,--y +trouvent aussi leur compte. Il y a, dans le _Magasin d'éducation_, comme +dans toute la bibliothèque d'Hetzel, des catégories de lectures pour +tous les âges. + +D'abord, le premier âge, qui se plaira, par exemple, à cette capricieuse +histoire de _La Famille Chester_, que P.-J. Stahl a écrite en +collaboration avec W. Hugues, ou encore à _La Comédie enfantine_ et aux +jolis dessins de Froment, adorables comme des fresques antiques ou comme +les meilleurs tableaux d'Hamon. En ce genre, _La Boîte au lait_, tableau +de la «première commission» de Fanchette, est tout à fait une chose +exquise. Les hésitations de Fanchette portant la boîte au lait à tante +Rose, ses stations, ses tentations, sa gourmandise bientôt punie, tout +cela est rendu avec une délicatesse infinie, et c'est là une véritable +oeuvre d'art. + +Le deuxième âge et la jeunesse ont les récits didactiques de Jean Macé +et de Viollet-le-Duc, l'_Histoire d'une maison_, entre autres, où +l'éminent architecte explique avec beaucoup de clarté et d'esprit +comment on s'y prend pour conduire un logis de la base au faite. Il faut +placer aussi dans cette catégorie les romans de Lucien Biart ou du +capitaine Mayne-Reid, les aventures de terre et de mer dont les lecteurs +de l'_Illustration_ ont pu mieux que personne mesurer le mérite, +puisqu'ils connaissent _La Soeur perdue_, ce vigoureux tableau de moeurs +exotiques. + +Les parents enfin, ceux qui lisent ces livres par-dessus les épaules et +la tête de leurs enfants, ont pour eux _Le Tour du monde en 80 jours_ et +_Le Pays des fourrures_, et la _Géographie de la France_ et les +_Sciences usuelles_, mises à la portée de tous par M. Louis du Temple, +un capitaine de frégate qui écrit avec une lucidité étonnante. Elle est +riche, on le sait, cette collection Hetzel, et les dix-huit volumes du +_Magasin d'éducation_ forment, à eux seuls, une bibliothèque véritable, +la plus instructive et la plus attachante. Quelle richesse d'inventions, +quelle dépense d'imagination et de talent! Comme ce Magasin est +supérieur à notre pauvre _Journal des Enfants_ qui faisait jadis notre +joie! On y sent à chaque page la main d'un artiste et d'un lettré. Cet +homme-double, c'est Hetzel, le plus fin moraliste, l'écrivain délicat, +l'homme qui sait le mieux ce qui plaît le plus à ces critiques sévères; +les enfants. Hetzel a vraiment créé tout un genre de livres, et n'eût-il +pas droit à la renommée littéraire la plus brillante (il en a fait don à +P.-J. Stahl), qu'il mériterait encore d'être béni des lettres pour avoir +fondé en France un genre moral et familier, mais artistique, que la +France ne connaissait pas. + +Cette fois, outre les deux volumes annuels de ce _Magasin d'éducation_ +dont la collection entière, les deux séries, formeraient la plus +magnifique étrenne et la plus intelligente qu'on pût donner, Hetzel +publie plusieurs excellents ouvrages que j'ai grand plaisir à signaler +et d'une façon toute spéciale. + +C'est, ai-je dit, _La Famille Chester_, de P.-J. Stahl. Cette histoire +de «deux petits orphelins», qui ne sont autres que deux malheureux +_rats_ de Londres, eût fait sourire J.-J. Grandville. Les dessins sont +de Froelich et ils sont ravissants. C'est l'_Histoire d'une maison_, de +Viollet-le-Duc, avec des illustrations et des figures qui mettent ce +grand art de l'architecture à la portée de tous. C'est le joli volume de +Lucien Biart, _Entre frères et soeurs_, où toutes les menues +connaissances scientifiques indispensables à la conversation sont +enfermées avec beaucoup de talent. C'est, encore une fois, _La Soeur +perdue_, de Mayne-Reid, c'est enfin l'oeuvre de Jules Verne, qui se +trouve augmentée de deux volumes, _Le Tour du monde en 80 jours_ et _Le +Pays des fourrures_. Lorsqu'on parle de Jules Verne, il suffit de donner +le titre de son nouveau livre; il a son public, sa spécialité, son +originalité, et personne auprès du public n'a plus de vogue que lui. Le +fait est que ses récits, où la fantaisie se mêle si agréablement à la +science, sont des plus attachants. Je sais des lecteurs qui en sont +fanatiques. _Le Tour du monde en 80 jours_ et _Le Pays des fourrures_ +auront certainement, ou, pour mieux dire, ont maintenant le succès des +précédents ouvrages de l'auteur, _Cinq semaines en ballon_, ou encore +_De la Terre à la Lune_. M. Verne a évidemment mis à profit, pour écrire +et décrire son _Pays des fourrures_, les récits intéressants de M. +Hayes, mais il a peint d'une touche toute personnelle ces paysages du +pôle, cette mer de glace, ces _icebergs_, et de telle façon qu'on ne +saurait les oublier. Ce dernier livre est l'un de ses bons livres, Il +vaut tout ce que l'auteur a fait de mieux et l'Académie pourra fort bien +le couronner, comme elle a couronné les précédents ouvrages et le +_Magasin d'éducation_ tout entier. + +J'ai dit quel petit chef-d'oeuvre c'était que _La Boite au lait_, de M. +Froment; il faut ajouter qu'Hetzel publie, dans le même genre, +d'adorables albums, comme _Les Commandements du grand papa_, illustrés +par Lorentz Froelich, et _Les Aventures de Mademoiselle Minette_, qui se +recommandent tout particulièrement au public par le nom de l'artiste qui +en a signé les dessins. C'est Coinchon, un brave garçon, garde national +de marche au 19 janvier, et tué, comme Henri Régnault, devant le mur de +Buzenval. Coinchon a fait pour Mademoiselle Minette des études de chats +et de chattes absolument réussies. Il y avait un vrai talent chez le +malheureux jeune homme. On ne saurait trop louer ces livres-albums, dont +le texte est de P.-J. Stahl, et il faut avoir, pour écrire les légendes +de ces dessins, un talent d'écrivain d'une trempe parfaite. Cela n'a +l'air de rien, ces quelques lignes mises au bas d'un croquis de Froelich +ou de Froment, et, pour les tracer, il faut posséder à la fois les +qualités les plus rares, la finesse, la simplicité, l'émotion, une +certaine tendresse, la science de l'enfance, toutes choses qui ne se +peuvent trouver, on l'avouera, que chez des natures d'élite. + +Hetzel a donc donné, cette année comme les années précédentes, des +oeuvres de choix, et il en prépare déjà de nouvelles, l'_Histoire d'un +âne_, par Stahl, l'_Île mystérieuse_, par J. Verne, _Une Mère_, par M. +Legouvé, et la _Petite soeur_, par M. de Laprade. Et c'est plaisir de +voir tous les bons esprits et les coeurs haut placés aider dans son +entreprise l'homme qui a su faire ainsi une révolution dans la librairie +et créer une bibliothèque pour les jeunes esprits, qui seront plus +heureux que notre génération sacrifiée et pénétreront peut-être par la +porte au seuil de laquelle nous aurons usé nos efforts, dans cette +société équilibrée où le bonheur, dit-on (pourquoi ne l'espérerait-on +pas?) sera mieux réparti entre tous, l'injure de la patrie étant depuis +longtemps vengée. + +Ce ne sont pas là d'ailleurs les seuls livres d'étrennes qu'il nous faut +encore signaler. M. Gaston Tissandier a, depuis un an, fondé une sorte +de revue illustrée des sciences qu'il appelle La Nature. La première +année est finie et forme déjà un beau volume d'une utilité et d'un +intérêt absolus. MM. Dehérain, Flammarion, C.-M. Gariel,--un esprit +supérieur, un de nos anciens compagnons de classe,--Amédée Guillemin, E. +Margollé, etc., composent la rédaction de ce recueil que je n'ai point +qualité pour analyser ou critiquer, mais dont je signale avec plaisir +l'apparition et dont je constate le succès. + +M. le marquis de Cherville a publié aussi (chez Didot) un bien joli +volume. On connaît son _Histoire d'un trop bon chien_. Cette fois, M. de +Cherville nous conte l'_Histoire naturelle en action_. Il est chasseur, +il est campagnard, il adore les animaux, tout en les abattant d'un coup +de Lefaucheux; mais, à dire vrai, le gibier et lui n'en sont pas moins +bons amis. La preuve en est dans la façon dont il en parle. On n'a pas +plus d'esprit et pas plus d'émotion juste et non affectée que n'en a M. +de Cherville en ces pages qui instruisent et qui amusent, et qui +méritent d'être relues. L'_Histoire naturelle en action_ est un des plus +instructifs recueils de nouvelles qu'on ait publiés depuis longtemps. + +Et les _Contes du bibliophile Jacob à ses petits enfants_? M. Paul +Lacroix a fait tenir dans ces pages et dans ces quelques récits toute +l'histoire de France de 1350 à 1695. Chaque épisode choisi par le savant +auteur de tant de travaux estimés forme, si je puis dire, le tableau +d'un règne ou d'une époque et, de la sorte, le lecteur s'instruit en +s'amusant. Il s'instruit sans le savoir, car, c'est un fait, le public +n'aime pas qu'on lui dise: venez ici, je vais vous apprendre quelque +chose. Il hait d'instinct les magisters. Mais on n'est pas moins +pédagogue ni pédant que M. Paul Lacroix, et ses _Contes du bibliophile +Jacob_, avec leurs dessins très-étudiés et très-vrais de M. +Philippoteaux méritent, eux aussi, une place d'honneur. + +Est-ce tout? Certes non. Je dois signaler encore _Les Merveilles de la +science_, de M. Louis Figuier. C'est un livre plein de faits, groupés +avec art et rendus visibles,--j'allais dire palpables,--par des dessins. +M. Figuier nous apprend là tout ce qu'il faut savoir sur le verre, le +cristal, les poteries, les porcelaines, la soude, le savon, les +potasses. Et tout cela est intéressant comme un roman. A propos de M. +Louis Figuier, je suis bien en retard avec lui, ou du moins avec ses +_Vies des savants illustres_ qu'il publie en volumes in-18 (ce sera +l'édition définitive); je devais depuis de longs mois l'annoncer. + +Je ne reviendrai point sur _La Comédie de notre temps_, texte et dessins +par Bertall. Je tiens seulement à ajouter, en manière de post-scriptum, +après la notice de l'autre jour, que le livre fait son chemin et que +l'auteur y a trouvé son plus grand succès. L'éditeur, M. Eugène Plon, +nous a adressé depuis un joli volume signé Mustapha, et qui s'appelle +_Voyage autour de ma tente_. Ce sont de petits croquis militaires d'une +valeur rare. Ce pseudonyme de Mustapha cache, je crois, M le capitaine +Lung, l'auteur d'un très-beau travail sur le _Masque de fer_. Ce sont là +des souvenirs du temps où le soldat avait le droit de rire. +«Recueillons-les, semble dire _Mustapha_, et amusons-nous-en encore +jusqu'au jour où il nous sera permis de rire des autres.» + +M. Plon est encore l'éditeur d'une magnifique publication, aujourd'hui +terminée, le _Musée des Archives nationales_, où l'on retrouve +catalogués, analysés, reproduits très-souvent _en fac-similé_, les +incomparables trésors historiques conservés à la rue du Chaume. Tout le +inonde n'a pas le loisir d'aller visiter le musée des Archives et +surtout d'en étudier les richesses. Eh bien, là, on retrouve le Musée +lui-même, on le possède dans ces pages savantes qui composent, à dire +vrai, un monument littéraire et historique tout à fait unique. Passer +des sceaux à l'aspect étrange et des signatures bizarres des premiers +rois à l'écriture des Henri IV et des Louis XIV, pour s'arrêter à +Bonaparte, après avoir regardé les morceaux de papier déchiré trouvés +sur le cadavre de Pétion, quel réve! quelle fantastique réalité! Or, +c'est cela, ce sont ces surprises et cette science que ce beau volume, +le _Musée des Archives nationales_, tient en réserve. Il ne nous suffira +pas de l'avoir loué ainsi, rapidement, nous y reviendrons à coup sûr. + +Il en est, il en sera de même des _Fables_ de La Fontaine, que vient +d'éditer M. Jouaust. La Fontaine illustré par Millet, Stevens, J.-L. +Brown, Detaille, Emile Lévy, etc., et illustré de façon à ce que le +dessin original de l'artiste soit reproduit, si je puis dire, dans sa +réalité même, voilà l'étonnement que nous réservait ce maître +ès-bibliophilie. Il a réussi et nous prédisons, dés à présent, un vif +succès à ces _Fables de La Fontaine_, que nous rangeons dans la +catégorie des livres d'étrennes, quoique le livre n'ait pas besoin, pour +être apprécié, d'être un livre d'actualité. + +Jules Claretie. + + + +BIBLIOGRAPHIE + +_La pluie et le beau temps_, météorologie usuelle, par Paul +Laurencin.--A lire le titre de ce charmant petit volume, on pourrait +croire à une oeuvre fantaisiste, mais le sous-titre est là pour +rectifier cette impression première et déterminer le domaine dans lequel +l'auteur introduit le lecteur à son grand profit. + +C'est donc de météorologie qu'il s'agit, c'est-à-dire de ces phénomènes +curieux dont l'atmosphère est le théâtre et qui influent sur ce que, +dans le langage familier, on appelle le _Temps_. L'ouvrage, publié par +J. Rothschild, éditeur, et orné de 110 gravures et cartes, est divisé en +vingt chapitres, où M. Laurencin, en un style clair, précis et d'une +élégante simplicité, traite successivement de la composition de l'air, +de la chaleur et des courants atmosphériques, de l'eau dans +l'atmosphère, de la pluie, de ses bienfaits et de ses méfaits, des +orages, du cyclone, de l'arc-en-ciel, des climats, des saisons, etc., +etc., et montre finalement que tous les phénomènes de la pluie et du +beau temps dérivent d'une cause unique: la chaleur solaire, et que, +jusqu'à un certain point, on peut prévoir les variations atmosphériques. +Cette possibilité de se rendre compte des chances probables de pluie et +de beau temps, pour une époque déterminée, intéresse aussi bien l'homme +de plaisir que l'homme de travail. Aussi sommes-nous convaincus que _La +pluie et le beau temps_, ce résumé aussi succinct que substantiel de +toutes nos acquisitions touchant la science météorologique, recevra de +tout le monde l'accueil qu'il mérite à tous les titres, c'est-à-dire le +plus favorable et le plus empressé. + +P. + + +Au nombre des étrennes les plus belles et les plus utiles, les plus +intéressantes et les plus instructives, nous devons placer en première +ligne un magnifique volume: _le Jardin d'acclimatation illustré_. + +L'auteur, M. Pierre Pichot, le sympathique directeur et rédacteur en +chef de la _Revue britannique_, a eu le talent de vulgariser la +zoologie, et son remarquable ouvrage, apprécié des savants, est écrit +dans un style clair et facile, qui le met à la portée de tout le monde. + +Ce splendide livre renferme 25 gravures coloriées et d'innombrables +vignettes; ce n'est pas seulement un excellent guide du Jardin +d'acclimatation; l'auteur a poursuivi un but plus élevé et a réussi à +faire un traité complet de zoologie. + +Le _Jardin d'acclimatation illustré_ se trouve chez Hachette et au bois +de Boulogne, à la librairie du Jardin d'acclimatation. Son prix est plus +modique qu'on ne pouvait s'y attendre pour une publication aussi +importante. (Broché, 15 fr.; richement relié, 20 fr.) + +Il y a deux mois, nous avons vu plusieurs fabricants de machines à +coudre faire grand bruit avec les récompenses qu'ils avaient obtenues à +l'Exposition de Vienne. Sans vouloir diminuer en rien la valeur attachée +aux médailles de progrès et à celles de mérite, que ces maisons ont +affichées, il nous sera permis de leur opposer une maison qui a été +l'objet de distinctions tout exceptionnelles, dont elle s'est peu +vantée. C'est la Compagnie Wheeler et Wilson, de New-York (qui a son +siège à Paris, chez M. H. Séeling, 70, boulevard Sébastopol). + +Cette importante Compagnie, en outre des médailles de progrès et de +mérite qui lui ont été décernées, a seule été recommandée par le jury +international pour le _grand diplôme d'honneur_. Et dernièrement M. +Nathaniel Wheeler, président de cette Compagnie, a été décoré de +l'_ordre de François-Joseph_, comme récompense de services éminents +rendus à l'industrie de la machine à coudre,--la seule décoration +accordée à Vienne à un fabricant de machines à coudre. + +Cette double distinction place évidemment la Compagnie Wheeler et Wilson +au-dessus de toutes les compagnies rivales, et comme à Paris en 1867, où +l'unique médaille d'or pour ce genre de fabrication lui a été décernée, +elle a remporté la victoire sur tous ses concurrents. + + + +LA NATURE + +REVUE DES SCIENCES EN 1873 + +La nouvelle publication que M. G. Tissandier a fondée cette année, avec +le concours de nombreux écrivains scientifiques, a obtenu de la part du +public l'accueil dont elle était digne. Nous sommes persuadé que le +premier volume qui vient de paraître, et qui comprend le tableau du +progrès en 1873, comptera parmi les livres les plus appréciés de +l'époque du jour de l'an. Les principaux collaborateurs de _La Nature_: +MM. le Dr. Bertillou, H. Blerzy, Ch. Boissay, Bontemps, P.-P. Dehérain, +C. Flammarion, W. de Fonvielle, C.-M. Gariel, F. Garrigou, J. et M. +Girard, A. Guillemin, Dr. Joly, S. Meunier, E. Margollé, E. Menault, +Vignes, Zurcher, etc., sont trop connus du public pour que nous ayons à +faire l'éloge de leurs travaux. Nous préférons emprunter à _La Nature_ +la description fort intéressante de la nouvelle bouée de sauvetage à +lumière inextinguible, dont un de nos compatriotes, M. Silas, est +l'inventeur. + +[Illustration: Nouvelle bouée de sauvetage lumineuse (système Silas). +Gravure extraite du journal la Nature.] + +Cette bouée est formée, comme l'indique la gravure contre, d'une sphère +métallique contenant du phosphure de calcium. Un homme tombant à la mer +pendant la nuit, on jette à la surface de l'eau la bouée Silas. L'eau +pénètre dans la sphère creuse, décompose le phosphure de calcium donnant +naissance à un dégagement abondant d'hydrogène phosphoré. Ce gaz +s'échappe par un tube supérieur, mais il a la propriété remarquable de +brûler spontanément au contact de l'air, sans que l'eau puisse +l'éteindre. Une flamme vive, brillante éclaire le naufragé et le guide +tandis qu'il serait irrévocablement perdu si nulle lumière n'apparaissait +au milieu des ténèbres! + +La Nature abonde en faits de ce genre, elle nous donne l'exposé complet +des événements scientifiques récents, des découvertes importantes, ses +belles et nombreuses illustrations en font une publication éminemment +attrayante, et digne à tous égards des plus grands éloges. + + + +[Illustration: nouveau rébus.] + +EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS: + +Le commerce est le lien des nations. + + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of L'Illustration, No. 1609, 27 décembre +1873, by Various + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 1609, 27 *** + +***** This file should be named 44277-8.txt or 44277-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/4/4/2/7/44277/ + +Produced by Rénald Lévesque + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. Special rules, +set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to +copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to +protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project +Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you +charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you +do not charge anything for copies of this eBook, complying with the +rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose +such as creation of derivative works, reports, performances and +research. They may be modified and printed and given away--you may do +practically ANYTHING with public domain eBooks. Redistribution is +subject to the trademark license, especially commercial +redistribution. + + + +*** START: FULL LICENSE *** + +THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE +PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK + +To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free +distribution of electronic works, by using or distributing this work +(or any other work associated in any way with the phrase "Project +Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project +Gutenberg-tm License available with this file or online at + www.gutenberg.org/license. + + +Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm +electronic works + +1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm +electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to +and accept all the terms of this license and intellectual property +(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all +the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy +all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your possession. +If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project +Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the +terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or +entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8. + +1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be +used on or associated in any way with an electronic work by people who +agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few +things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works +even without complying with the full terms of this agreement. See +paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project +Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement +and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic +works. See paragraph 1.E below. + +1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation" +or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project +Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the +collection are in the public domain in the United States. If an +individual work is in the public domain in the United States and you are +located in the United States, we do not claim a right to prevent you from +copying, distributing, performing, displaying or creating derivative +works based on the work as long as all references to Project Gutenberg +are removed. Of course, we hope that you will support the Project +Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by +freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of +this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with +the work. You can easily comply with the terms of this agreement by +keeping this work in the same format with its attached full Project +Gutenberg-tm License when you share it without charge with others. + +1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern +what you can do with this work. Copyright laws in most countries are in +a constant state of change. If you are outside the United States, check +the laws of your country in addition to the terms of this agreement +before downloading, copying, displaying, performing, distributing or +creating derivative works based on this work or any other Project +Gutenberg-tm work. The Foundation makes no representations concerning +the copyright status of any work in any country outside the United +States. + +1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg: + +1.E.1. The following sentence, with active links to, or other immediate +access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear prominently +whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work on which the +phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the phrase "Project +Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, performed, viewed, +copied or distributed: + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + +1.E.2. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is derived +from the public domain (does not contain a notice indicating that it is +posted with permission of the copyright holder), the work can be copied +and distributed to anyone in the United States without paying any fees +or charges. If you are redistributing or providing access to a work +with the phrase "Project Gutenberg" associated with or appearing on the +work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1 +through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the +Project Gutenberg-tm trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or +1.E.9. + +1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted +with the permission of the copyright holder, your use and distribution +must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any additional +terms imposed by the copyright holder. Additional terms will be linked +to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the +permission of the copyright holder found at the beginning of this work. + +1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm +License terms from this work, or any files containing a part of this +work or any other work associated with Project Gutenberg-tm. + +1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this +electronic work, or any part of this electronic work, without +prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with +active links or immediate access to the full terms of the Project +Gutenberg-tm License. + +1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary, +compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any +word processing or hypertext form. However, if you provide access to or +distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format other than +"Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official version +posted on the official Project Gutenberg-tm web site (www.gutenberg.org), +you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a +copy, a means of exporting a copy, or a means of obtaining a copy upon +request, of the work in its original "Plain Vanilla ASCII" or other +form. Any alternate format must include the full Project Gutenberg-tm +License as specified in paragraph 1.E.1. + +1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying, +performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works +unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9. + +1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing +access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works provided +that + +- You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from + the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method + you already use to calculate your applicable taxes. The fee is + owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he + has agreed to donate royalties under this paragraph to the + Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments + must be paid within 60 days following each date on which you + prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax + returns. Royalty payments should be clearly marked as such and + sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the + address specified in Section 4, "Information about donations to + the Project Gutenberg Literary Archive Foundation." + +- You provide a full refund of any money paid by a user who notifies + you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he + does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm + License. You must require such a user to return or + destroy all copies of the works possessed in a physical medium + and discontinue all use of and all access to other copies of + Project Gutenberg-tm works. + +- You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any + money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the + electronic work is discovered and reported to you within 90 days + of receipt of the work. + +- You comply with all other terms of this agreement for free + distribution of Project Gutenberg-tm works. + +1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm +electronic work or group of works on different terms than are set +forth in this agreement, you must obtain permission in writing from +both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael +Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the +Foundation as set forth in Section 3 below. + +1.F. + +1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable +effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread +public domain works in creating the Project Gutenberg-tm +collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic +works, and the medium on which they may be stored, may contain +"Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate or +corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual +property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a +computer virus, or computer codes that damage or cannot be read by +your equipment. + +1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right +of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project +Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project +Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all +liability to you for damages, costs and expenses, including legal +fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT +LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE +PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE +TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE +LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR +INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH +DAMAGE. + +1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a +defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can +receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a +written explanation to the person you received the work from. If you +received the work on a physical medium, you must return the medium with +your written explanation. The person or entity that provided you with +the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a +refund. If you received the work electronically, the person or entity +providing it to you may choose to give you a second opportunity to +receive the work electronically in lieu of a refund. If the second copy +is also defective, you may demand a refund in writing without further +opportunities to fix the problem. + +1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth +in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS', WITH NO OTHER +WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO +WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE. + +1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied +warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages. +If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the +law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be +interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by +the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any +provision of this agreement shall not void the remaining provisions. + +1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the +trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone +providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance +with this agreement, and any volunteers associated with the production, +promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works, +harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees, +that arise directly or indirectly from any of the following which you do +or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm +work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any +Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause. + + +Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm + +Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of +electronic works in formats readable by the widest variety of computers +including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation information page at www.gutenberg.org + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at 809 +North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email +contact links and up to date contact information can be found at the +Foundation's web site and official page at www.gutenberg.org/contact + +For additional contact information: + Dr. Gregory B. Newby + Chief Executive and Director + gbnewby@pglaf.org + +Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation + +Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide +spread public support and donations to carry out its mission of +increasing the number of public domain and licensed works that can be +freely distributed in machine readable form accessible by the widest +array of equipment including outdated equipment. Many small donations +($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt +status with the IRS. + +The Foundation is committed to complying with the laws regulating +charities and charitable donations in all 50 states of the United +States. Compliance requirements are not uniform and it takes a +considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up +with these requirements. We do not solicit donations in locations +where we have not received written confirmation of compliance. To +SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any +particular state visit www.gutenberg.org/donate + +While we cannot and do not solicit contributions from states where we +have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition +against accepting unsolicited donations from donors in such states who +approach us with offers to donate. + +International donations are gratefully accepted, but we cannot make +any statements concerning tax treatment of donations received from +outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. + +Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation +methods and addresses. Donations are accepted in a number of other +ways including checks, online payments and credit card donations. +To donate, please visit: www.gutenberg.org/donate + + +Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic +works. + +Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm +concept of a library of electronic works that could be freely shared +with anyone. For forty years, he produced and distributed Project +Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. + +Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed +editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. +unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. + diff --git a/old/44277-8.zip b/old/44277-8.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..8d52d5b --- /dev/null +++ b/old/44277-8.zip diff --git a/old/44277-h.zip b/old/44277-h.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..700cb69 --- /dev/null +++ b/old/44277-h.zip diff --git a/old/44277-h/44277-h.htm b/old/44277-h/44277-h.htm new file mode 100644 index 0000000..44a43d4 --- /dev/null +++ b/old/44277-h/44277-h.htm @@ -0,0 +1,2459 @@ +<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD HTML 4.01 Transitional//EN"> +<html> +<head> + <meta http-equiv="content-type" content="text/html; charset=ISO-8859-1"> + <title>The Project Gutenberg eBook of L'illustration, No. 1608, 20 décembre 1873 by Various</title> + +<link rel="coverpage" href="images/cover.jpg"> + +<style type="text/css"> + + +body {margin-left: 10%; margin-right: 10%} + +h1,h2,h3,h4,h5,h6 {text-align: center;} +p {text-align: justify; font-size: 12pt} +blockquote {text-align: justify} + +hr {width: 50%; text-align: center} +hr.full {width: 100%} +hr.short {width: 10%; text-align: center} + +.note {font-size: 0.8em; margin-left: 10%; margin-right: 10%} +.footnote {font-size: 0.8em; margin-left: 10%; margin-right: 10%} +.side {padding-left: 10px; font-weight: bold; font-size: 75%; + float: right; margin-left: 10px; border-left: thin dashed; width: 80px; text-indent: 0px; font-style: italic; text-align: left} + +.sc {font-variant: small-caps} +.lef {float: left} +.mid {text-align: center} +.rig {float: right} +.sml {font-size: 10pt} +.large {font-size: 16pt; font-family: sans-serif;} +.overl {font-size: 10pt; text-decoration: overline; text-align: center} +.cont {width: 650px} +.somm {float: left; width: 300px; font-size: 10pt; padding: 1em} +.suppl {color: #5A5047; background-color: #EEE2CA } + + +span.pagenum {font-size: 70%; left: 91%; right: 1%; position: absolute} +span.linenum {font-size: 70%; right: 91%; left: 1%; position: absolute} + +.poem {margin-bottom: 1em; margin-left: 10%; margin-right: 10%; + text-align: left} +.poem .stanza {margin: 1em 0em} +.poem .stanza.i {margin: 1em 0em; font-style: italic;} +.poem p {padding-left: 3em; margin: 0px; text-indent: -3em} +.poem p.i2 {margin-left: 1em} +.poem p.i4 {margin-left: 2em} +.poem p.i6 {margin-left: 3em} +.poem p.i8 {margin-left: 4em} +.poem p.i10 {margin-left: 5em} +.poem p.i12 {margin-left: 6em} +.poem p.i14 {margin-left: 7em} +.poem p.i16 {margin-left: 8em} +.poem p.i18 {margin-left: 9em} +.poem p.i20 {margin-left: 10em} +.poem p.i30 {margin-left: 15em} + + + +</style> +</head> +<body> + + +<pre> + +Project Gutenberg's L'Illustration, No. 1609, 27 décembre 1873, by Various + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: L'Illustration, No. 1609, 27 décembre 1873 + +Author: Various + +Release Date: November 24, 2013 [EBook #44277] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 1609, 27 *** + + + + +Produced by Rénald Lévesque + + + + + +</pre> + + + + +<br><br> + +<div class="cont"> + + + + +<p class="mid"><img alt="" src="images/001.png"></p> + + +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="1" + style="width: 100%; text-align: center;" summary="nil"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 33%;"> +<p class="mid"><span class="sml">REDACTION, ADMINISTRATION, BUREAUX D'ABONNEMENTS<br> +<i>22, rue de Verneuil, Paris.</i></span></p> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 34%;"> + <p class="mid"><span class="sml">31e Année. VOL. LXII. Nº 1609</span><br>SAMEDI 27 DÉCEMBRE 1873</p> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 33%;"> + <p class="mid"><span class="sml">SUCCURSALE POUR LA VENTE AU DÉTAIL<br> +60, rue de Richelieu, Paris</span></p> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + + + +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="1" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="nil"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 50%;"> + <p class="mid"><span class="sml"><b>Prix du numéro: 75 centimes</b><br> +La collection mensuelle, 3 fr; le vol. semestriel, broché,<br>18 fr.; relié +et doré sur tranches, 28 fr.</span></p> + + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 50%;"> + <p class="mid"><span class="sml"><b>Abonnements</b><br> +Paris et départements: 3 mois, 9 fr.;--6 mois, 18 fr.;<br>un an, 36 fr.; +Étranger, le port en sus.</span></p> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + +<p class="mid"><span class="sml"><i>Les demandes d'abonnements doivent être accompagnées d'un mandat-poste<br> +ou dune valeur à vue sur Paris à l'ordre de M. Auguste Marc, +directeur-gérant.</i></span></p> + + +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="nil"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 50%;"> +<p class="mid"> +<span class="sml"> +SOMMAIRE<br><br> +TEXTE<br><br> + Histoire de la semaine.<br><br> +Courrier de Paris, par M. Philibert Audebrand.<br><br> +Nos gravures:<br><br> +La veille du 1er janvier (fin).<br><br> +La Sœur perdue, une histoire du Gran Chaco (suite), par H. Mayne Reid.<br><br> +Revue littéraire; les Livres d'étrennes (II), par M. Jules Claretie.<br><br> +Bibliographie.<br><br> +<i>La Nature</i>, revue des sciences en 1873.<br><br> +<br><br><br><br> +<img alt="" src="images/001b.png"> + +</span> +</p> +</td> + + <td style="vertical-align: top; width: 50%;"> +<p class="mid"> +<span class="sml"> +SOMMAIRE<br><br> +GRAVURES<br><br> +M. Agassiz;<br><br> +L'île Sainte-Marguerite;<br><br> +Le môle de débarquement;<br> +Le fort et les prisons;<br> +Vue de la pointe de la Croisette.<br><br> +Théâtre des Variétés: <i>Les Merveilleuses</i>, comédie en cinq actes de M. +Victorien Sardou.<br><br> +<i>La première leçon. Un regard en passant</i>, d'après les tableaux de M. +Boutibonne.<br><br> +Les tortues de mer à Paris: décapitation d'une grosse tortue.<br><br> +<i>La Sœur perdue</i>, par M. Mayne Reid (4 gravures).<br><br> +Nouvelle bouée de sauvetage lumineuse (système Silas), gravure extraite +du journal <i>la Nature</i>.<br><br> +Rébus.<br> +<img alt="" src="images/001b.png"> + + + +</span> +</p> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/001a.png"><br><b>M. AGASSIZ.</b></p> + +<br><br> + + + <h3>HISTOIRE DE LA SEMAINE</h3> + + <h4>FRANCE</h4> + + <p>La politique chôme; au dehors pas plus qu'au dedans nous n'avons cette +semaine à signaler aucun événement d'une importance vraiment sérieuse; +il semble qu'au moment où l'année finit, chacun se recueille pour jeter +un regard en arriére et se préparer aux luttes nouvelles que nous +réserve l'avenir. L'Assemblée nationale vote à la hâte les derniers +articles du budget avant de prendre le congé de quelques jours qu'elle +s'est octroyée à l'occasion de la nouvelle année; le calme qui préside à +cette discussion a à peine été troublé par quelques incidents presque +aussitôt terminés que soulevés, mais dont quelques-uns méritent d'être +signalés.</p> + + <p>Notons d'abord la présentation, par M. Clapier, du projet de loi relatif +à la nomination des maires, dont l'Assemblée a voté l'urgence et qui a +été inscrit à l'ordre du jour immédiatement après le budget; nous avons +parlé plusieurs fois déjà de ce projet; il nous suffira donc de dire que +le travail de la commission a eu pour résultat de faire subir plusieurs +modifications importantes à la rédaction primitivement proposée par le +gouvernement. Ainsi, M. le ministre de l'intérieur acceptait pour le +gouvernement l'obligation de prendre les maires dans les conseils +municipaux: telle était la règle générale. Ce ne devait être qu'en cas +de démission ou de révocation qu'ils auraient pu être choisis hors des +conseils; La commission va plus loin: elle autorise le gouvernement à +les prendre à sa volonté, soit dans le conseil, soit en dehors de +celui-ci, avec cette seule restriction, assez bénigne, que dans ce +dernier cas il sera nécessaire de recourir soit à un arrêté du ministre +de l'intérieur pour les communes où la nomination est laissée aux +préfets, soit à un décret délibéré en conseil des ministres, pour les +communes où la nomination est réservée au gouvernement, c'est-à-dire +dans tous les chefs-lieux de département, d'arrondissement ou de canton. +Une seconde différence porte sur la nomination des agents de police. +Dans son projet, le gouvernement l'enlevait aux maires à qui elle +appartient actuellement pour toutes les communes auxquelles la loi du +24-29 juillet 1867 (article 23) n'est pas applicable, c'est-à-dire +celles qui ont moins de 40,000 âmes de population: il se l'attribuait à +lui-même sans aucune exception. La commission a maintenu le droit des +maires, non pas toutefois dans son intégrité. D'abord, elle subordonne +leur choix à l'agrément des préfets et sous-préfets; elle a, de plus, +modifié l'article 12 de l'excellente loi du 18 juillet 1837, en vertu +duquel le maire <i>suspend</i> et <i>révoque</i> ces agents municipaux; ils +pourront toujours, comme par le passé, être suspendus par le maire; mais +le préfet seul aura le droit de les révoquer: la loi les place ainsi à +peu près dans les mêmes conditions que les gardes champêtres. Grâce à ce +double compromis, l'accord s'est établi entre le gouvernement et la +commission, et la majorité considérable qui s'est manifestée, tant en +faveur de l'urgence, que de la mise à l'ordre du jour pour le terme le +plus proche, permet de croire que l'Assemblée ratifiera et votera la loi +dans sa teneur actuelle.</p> + + <p>Dans sa séance du 19, l'Assemblée a adopté un amendement tendant à +porter de 162,400 francs à 300,000 francs la somme allouée au président +de la République pour frais de représentation. Cette augmentation de +crédit, destinée à donner plus d'éclat aux réceptions officielles du +président pendant son séjour au palais de l'Elysée, intéressait trop, +directement le commerce parisien pour ne pas être favorablement +accueillie par toutes les fractions de l'Assemblée; malheureusement il a +fallu que les passions politiques, inopportunément remises en jeu par +une observation intempestive, vinssent gâter ces bonnes dispositions; à +propos d'une question toute financière, on a parlé du retour du +gouvernement à Paris; on a évoqué le souvenir de la Commune, et c'est au +milieu d'un conflit d'invectives qu'a fini cette discussion où tout le +monde était d'accord en commençant.</p> + + <p>Signalons, pour terminer, l'interpellation adressée au gouvernement par +la gauche au sujet d'une convention récemment intervenue entre le +ministre des finances et le mandataire de l'ex-impératrice pour la levée +du séquestre qui pèse sur la liste civile de Napoléon III. En attendant +la discussion en séance publique, portée à l'ordre du jour après la loi +sur la nomination des maires, M. Deseilligny, ministre du commerce, a +fourni à la commission du budget quelques explications sur la question. +Le ministre a ajouté que les signataires de la convention avaient cru se +conformer à ce qui s'était fait à l'égard de la liste civile de +Louis-Philippe, et avaient pensé qu'il était de «haute convenance, en +dehors de tout parti politique, de soulager la situation douloureuse où +se trouvait l'impératrice au point de vue pécuniaire».</p> + + <p>Il a ajouté que le gouvernement avait, en cela, le droit d'agir sans +recourir à l'assentiment de l'Assemblée, attendu que le séquestre avait +été mis par un simple décret du gouvernement de la défense nationale, et +qu'il suffisait, par conséquent, d'un nouveau décret pour défaire ce +qu'un décret avait fait.</p> +<br> + <h4>AUTRICHE.</h4> + + <p>Les journaux de Vienne contiennent quelques renseignements sur les lois +ecclésiastiques qui vont être prochainement présentées au Reichsrath par +le gouvernement. On n'en compte pas moins de dix-sept, et quelques-unes +d'entre elles auront une grande importance, notamment celle qui prononce +l'abolition complète et définitive du concordat conclu avec la cour de +Rome le 18 août 1855. On sait que cette convention établissait la +censure ecclésiastique sur les livres, ce qui était la négation absolue +de la liberté de la presse: elle donnait aux évêques la surveillance de +toutes les écoles, même laïques; elle conférait à l'épiscopat une +entière indépendance vis-à-vis du gouvernement; non-seulement tous les +actes émanés du Saint-Siège pouvaient être publiés dans l'empire sans +aucune nécessité d'obtenir le <i>placet</i> royal, mais encore les +archevêques et évêques avaient la faculté de convoquer aussi, sans +autorisation du gouvernement, soit des conciles provinciaux, soit des +synodes diocésains: double liberté qui leur est refusée en France par +les articles 1 et 4 du titre Ier de la loi du 18 germinal an X (8 avril +1802), plus connue sous le nom d'articles organiques, contre lesquels, +du reste, on le sait, le Saint-Siège n'a cessé et ne cesse de protester. +Les lois ecclésiastiques que prépare le gouvernement autrichien +régleront en outre le mariage civil, les patronats, la surveillance des +séminaires, etc.; elles contiendront aussi des clauses relatives à la +condition des vieux-catholiques. Sur cette dernière question, on +s'attend à des débats assez vifs, et déjà les adeptes de cette petite +Église ont adressé au gouvernement une demande tendante à faire +reconnaître à l'évêque Reinkens, Prussien et vieux-catholique, un droit +de juridiction ecclésiastique en Autriche. Cette requête insolite a été +repoussée.</p> +<br> + <h4>ITALIE.</h4> + + <p>Sa Sainteté le pape a tenu, le 22 décembre, un consistoire dans lequel +il a nommé cardinaux:</p> + + <p>Mgr de Nascimento de Moraes Cardoso, patriarche de Lisbonne; Mgr +Guibert, archevêque de Paris; Mgr Régnier, archevêque de Cambrai; Mgr de +Simor, archevêque de Gran; Mgr de Tarnoczy, archevêque de Salzbourg; Mgr +Chigi, nonce apostolique à Pans; Mgr Mariano Darrio y Fernandez, +archevêque de Valence; Mgr Mariano Falcinelli Antoniacci, nonce du +Saint-Siège à Vienne; Mgr Alex. Franchi, nonce du Saint-Siège à Madrid; +Mgr L. Oreglia de Santo-Stefano, nonce du Saint-Siège à Lisbonne; le R. +P. Tarquini, de la Compagnie de Jésus; le R. P. Martinelli, des moines +de Saint-Angustin. Dans le même consistoire, le Pape a nommé aussi +quatre évêques <i>in partibus infidelium</i> et trois évêques en Italie.</p> + + <p>Il a nommé aussi:</p> + + <p>Mgr Olteanu, évêque de Gran-Varadin (Hongrie); Mgr Corona, évêque de +Saint-Louis de Potosi; Mgr Hillion, évêque du cap Haïtien.</p> +<br> + <h4>ÉTATS-UNIS.</h4> + + <p>L'affaire du <i>Virginius</i> vient d'entrer dans une phase nouvelle et assez +imprévue; ce sont maintenant les États-Unis qui font droit aux +susceptibilités de l'Espagne.</p> + + <p>On sait que, d'après la convention relative au <i>Virginius</i> le +gouvernement espagnol devait prouver avant le 25 décembre, à la +satisfaction des États-Unis, que ce vaisseau n'avait pas le droit de +porter le pavillon américain, et qu'ainsi il avait été légalement saisi. +D'après une dépêche de Washington, le procureur général des États-Unis a +admis la preuve comme valable, le <i>Virginius</i> n'ayant obtenu ses papiers +qu'au moyen d'un faux témoignage. Le cabinet de Washington s'est déclaré +prêt à accepter les conséquences de ce fait.</p> + + <p>Nous ne savons encore quelles en seront toutes les conséquences, mais il +est certain que la décision du procureur général des États-Unis est un +véritable succès pour le gouvernement de M. Castelar et qu'elle fait le +plus grand honneur à l'impartialité de la magistrature américaine.</p> + +<br><br> + + <h3>COURRIER DE PARIS</h3> + + <p>Celui qui céderait au désir de faire l'oraison funèbre de l'année +n'aurait pas à se donner beaucoup de peine. Il lui suffirait de quelques +mots, genre sombre. Cette année est de celles qu'on ne regrette pas. +A-t-elle été assez absurde! S'est-elle montrée assez maussade, assez +ennuyeuse, assez ennuyée! Elle a vu s'opérer deux ou trois révolutions +parlementaires aussi insipides qu'elle-même. Pendant sa durée, Paris a +reçu la visite d'un prince d'Orient, couleur de suie, tout couvert de +diamants mais qui ne donnait que des salamalecks. L'hippopotame du +Jardin des Plantes a succombé à des peines de cœur; M. Ernest Renan a +fait paraître l'<i>Antéchrist</i>; trois académiciens sont morts; le chapeau +des femmes a redoublé de bizarrerie; un grand théâtre a brûlé; un vilain +procès s'est dénoué, très-peu flatteur pour nous tous; enfin, en guise +de couronnement, il nous est arrivé une charretée de monstres.</p> + + <p>Tel est le bilan de 1873.</p> + + <p>Mil huit cent soixante-treize vient de rendre le dernier soupir ou peu +s'en faut. Eh bien, regardons devant nous; là est l'espérance. Quel +lendemain nous attend? L'avenir est riche de promesses; c'est un +capitaliste qui a son portefeuille plein de lettres de change. Déjà la +nouvelle année, celle qui commencera dans quatre jours, semble vouloir +ne ressembler en rien à sa devancière. On a beau dire que le commerce ne +va pas, elle a l'air de lui forcer la main. Quelle foule dans les rues! +L'argent, qui est de retour, vous le savez, circule tout le long de la +ville. Personne n'a les mains vides; chacun porte son sac de bonbons ou +son polichinelle.</p> + + <p>Le baraquement des boulevards n'a plus rien de sa rusticité originelle; +on a encore enjolivé sa mise en scène. Seulement il abuse du <i>jouet de +l'année</i>, un affreux poussah qu'on nomme l'<i>Oncle Sam</i> et qui rappelle +trop l'auteur de la pièce de ce nom. Partout ailleurs, de longues files +de boutiques ambulantes s'établissent sur les trottoirs; c'est à peine +si l'on peut marcher au milieu de cet encombrement.--Nous rencontrons M. +de Laboulaye, occupé à acheter un cornet de pralines, sans doute afin +d'adoucir quelqu'un de ses voisins de la Chambre. L'honorable +pamphlétaire dit tout haut: «--Ah! dame, nos mœurs deviennent +américaines. La démocratie coule par ici à pleins bords comme à +New-York.»--Presque en même temps le comte Orloff sort d'un bazar, suivi +d'un éléphant en baudruche. Des malins s'écrient: «--Il doit y avoir un +rébus diplomatique là-dessous. Que veut faire de cet éléphant +l'ambassadeur du czar?» Le comte Orloff a à amuser un petit garçon et +deux petites filles; voilà toute l'énigme.</p> + + <p>Aux alentours du jour de l'an, aussitôt que la nuit arrive, quelque fée +invisible lève sa baguette en l'air et le coup d'œil change. Les +étalages s'illuminent de mille feux. Au gaz municipal se marient les +bougies du petit commerce en plein vent. Vingt mille lanternes de +couleur contribuent à faire un jour nocturne d'une lueur fantastique. +Cette fois, M. de Laboulaye trouverait qu'on n'est plus à New-York mais +à Pékin.--Tous les cercles sont éclairés avec un luxe inusité.--Une mode +nouvelle à noter à propos des cercles.--Vous savez que tous ces +établissements ont, le soir, un dîner sous forme de table d'hôte.</p> + + <p>A ce dîner, en ce moment, l'usage veut qu'on ne commence plus par le +classique vermicelle ni par le tapioca désormais trop enfantin. Tout +cela cède le pas à la soupe à la tortue rehaussée de gingembre. Voilà +une clef pour les flâneurs; depuis un mois la foule stationne à la +devanture des marchands de comestibles; on y est en extase devant +d'énormes amphibies. Ces tortues sont le régal du jour.--<i>Turtle-soup</i>, +dit-on en faisant la grimace, autant à cause du mot qu'on ne sait pas +prononcer qu'en raison du mets effroyablement épicé.</p> + + <p>Pour le coup, Paris devient une parodie de Londres.</p> + + <p>Au temps de Vadé, la cour et les beaux esprits allaient aux Halles; de +nos jours, le monde aux gants roses va à l'Hôtel des Ventes, qui est +décidément l'endroit de Paris le plus affairé. Que de choses on y aura +vendues, cet hiver! Une mondaine, Mme A***, une des princesses de la +cocotterie, étant morte, on a apporté par là tout ce qu'elle a laissé. +C'était une succession uniquement mobilière, des appartements en bois de +rose, l'argenterie, les bijoux, la cave, deux voitures, du linge, la +toilette, des objets d'art, le tout évalué à un million. Un million rien +que pour des meubles! Si vous voulez prêter l'oreille, des échos de +l'hôtel vous diront que les seules robes ont formé le chiffre de 300 000 +francs. Voilà un luxe dont les honnêtes gens n'ont assurément aucune +idée. C'est un trait de mœurs à noter. Les familles les plus riches +frissonnent rien qu'à la mention de ce fait. Où sont allées toutes ces +robes? Étant d'étoffes neuves, elles serviront de rechef, mais à qui +serviront-elles? Qui peut affirmer que ce ne sera pas aux plus honnêtes +femmes?</p> + + <p>J'ai déjà dit un mot de la vente des livres d'Émile Gaboriau. Ce brave +garçon, frivole en apparence, était mordu, au fond, d'un sérieux désir +d'apprendre. Il se passionnait pour l'histoire et il s'était mis à +rechercher les vieilles éditions des écrivains graves. Nous lui avons +entendu dire à lui-même qu'il estimait sa bibliothèque à 6,000 francs, +au bas mot. C'est tout au plus si les enchères auront fourni la moitié +de cette somme. Des livres, de vieux livres, voilà une superfluité dont +notre société n'est guère friande. Donnez-lui pour 300,000 francs de +robes, à la bonne heure.</p> + + <p>Sur la fin de la semaine, on a pu constater un certain empressement à +propos des œuvres de M. Carpeaux, le sculpteur. Marbres, terres cuites, +bronzes se sont bien vendus. Néanmoins la tête horrible de l'Ugolin des +Tuileries n'a pas trouvé d'amateur. Il y a bien trop de mièvrerie dans +les allures du jour pour qu'on puisse aimer le Dante commenté avec de la +terre glaise. Un comte qui mange ses fils sans couteau ni fourchette, un +Italien de la Renaissance, plus anthropophage qu'un Caraïbe de Fenimore +Cooper, ce n'est guère tentant d'ailleurs comme bibelot à mettre sur une +étagère. En revanche on a fait fête au modèle d'un autre groupe non +moins fameux, mais plus décolleté. Vous avez compris que nous parlons de +cette sarabande effrénée, la Danse, qui figure sur le seuil du nouvel +Opéra, où, du matin au soir, elle scandalise tous les bons bourgeois +passant par là. Trois concurrents se disputaient ce morceau; on l'a +adjugé à 8.000 francs.--Cette même débauche d'art, un des principaux +confiseurs avait demandé à l'artiste la permission d'en faire une +réduction en sucre candi ou en chocolat. Avouez que c'eût été d'une +très-heureuse actualité à l'heure des étrennes. Le sculpteur n'a pas +voulu. On lui a dit:</p> + + <p>--Monsieur, vous refusez de voir votre nom dans toutes les bouches.</p> + + <p>Beauvallet, de la Comédie-Française, vient de mourir à Passy, à +soixante-douze ans. Il était fort bien doué; par malheur, il a abusé de +la facilité que lui avait donnée le sort pour vouloir faire trop de +choses à la fois. Bon comédien, tragédien passable, il se piquait aussi +d'être poète, ce qui l'a poussé à faire des vers qui ne devaient pas +vivre. A ses premiers débuts dans la vie, il avait commencé par étudier +la peinture chez Paul Delaroche. Un jour que Casimir Delavigne visitait +l'atelier, on lui amena l'élève qui se mit à déclamer des vers, une des +Messéniennes, celle où trois femmes, trois Muses, apparaissent à +Napoléon pour lui prédire tout à tour sa grandeur et sa chute.</p> + + <p>--Mon cher monsieur, dit l'auteur des Vêpres siciliennes, il se peut que +vous fassiez quelque chose en peinture; cependant je suis sûr que vous +réussiriez au théâtre.</p> + + <p>Il n'en fallut pas plus pour enflammer la tête du jeune homme. +Beauvallet jeta là ses crayons et sa palette pour aller au +Conservatoire; après les études indispensables à un débutant, il fut +engagé à l'Ambigu, où il joua, non sans succès, le drame d'alors. En ce +temps-là, le boulevard oscillait entre les œuvres de la vieille école +sentimentale et les premières tentatives du romantisme. Le nouveau venu +trouva moyen de se mettre en relief dans ce genre bizarre; il se fit un +nom en jouant <i>Caravage</i>, une histoire arrangée de peintre italien. Sa +belle prestance, une voix de tonnerre, un soin merveilleux dans l'art de +s'arranger un costume, ne pouvaient manquer de le faire mettre en +évidence. Le Théâtre-Français ne pouvait manquer de lui ouvrir +très-prochainement ses portes. Un jour, en 1833, quand Victor Hugo donna +<i>Angelo, tyran de Padoue</i>, ce fut à Beauvallet qu'il confia le principal +rôle. Il avait à côté de lui, pour lui donner la réplique, deux des +grandes actrices de l'époque, Mlle Mars et Mme Dorval. Il fallait +entendre le superbe podestat lorsque, s'avançant sur la scène, d'un air +tout à la fois effrayé et menaçant, il récitait le grand monologue sur +le Conseil des Dix. Sans mentir, c'était à donner la chair de poule.</p> + + <p>Beauvallet avait mis tant d'originalité dans ce rôle qu'on n'a plus +consenti à le voir jouer par un autre. La parodie se chargea, suivant la +mode du temps, de donner une suprême sanction à son triomphe. Le +Vaudeville, qui n'était qu'un théâtre gai, ne s'inquiétant que de faire +rire, avait mis à l'étude une farce intitulée <i>Cornaro ou le tyran pas +doux</i>. Ce susdit Cornaro, personnage correspondant à celui du drame, +devenait une charge des plus amusantes, grâce à Lepeintre jeune, le plus +gros des comédiens. Il criait à tue-tête, celui-là, même pour demander +ses pantoufles. Faire trembler tout le monde autour de lui était sa +joie. C'était pour cela qu'Arnal, l'invitant à parler en sourdine, lui +disait:</p> + + <p>--Êtes-vous le cousin du bourdon Notre-Dame?</p> + + <p>Quelle voix! ah! quel creux! Vous effrayez madame.</p> + + <p>Et Cornaro de répondre sur un ton plein de mignardise:</p> + + <p>--Je n'ai que le désir d'être son beau valet.</p> + + <p>Depuis vingt-cinq ans, Beauvallet avait abordé le répertoire classique, +tragédie et comédie. Très-soigneux, correct, il y était fort +applaudi.--On a dit mille fois que, de tous les artistes, le comédien a +la vie la plus ingrate, en ce qu'il ne laisse rien après lui.</p> + + <p>--Bast! répliquait Sheridan, ayez la patience d'attendre deux ou trois +siècles, et vous verrez ce qui restera des autres!</p> + + <p>Il se passe un fait bizarre au sujet des étrennes. Tandis que s'accroît +le nombre de ceux qui en demandent, on voit de plus en plus des ratures +se dessiner sur la liste de ceux qui en donnent. Parmi les premiers, on +signale surtout deux nouvelles recrues: l'employé du télégraphe qui +apporte les dépêches et le clerc d'huissier qui remet le papier timbré. +Quant à ceux de l'autre catégorie, ce sont de spirituels sceptiques qui +profitent des moyens de locomotion dont dispose notre XIXe siècle pour +filer et disparaître. Dix ou douze jours d'absence suffisent. On dit: +«J'ai un procès en Bretagne», ou bien: «Mon vieil oncle de Beauvoisis +vient de mourir d'une coqueluche rentrée»; et l'on s'en va passer une +quinzaine à Nice. Un voyage d'agrément et une bonne affaire tout à la +fois.</p> + + <p>Trois académiciens qui se sont rencontrés, jeudi soir, au foyer de +l'Odéon, se contaient à demi-voix leurs peines à propos du jour de l'an. +Rien de plus curieux que leurs plaintes à cet égard.</p> + + <p>--Figurez-vous, disait l'un d'eux qui avait un bonnet de soie noire sur +la tête, figurez-vous que seize personnes nous poursuivent pour nous +demander chacune la même chose; comprenez que cette chose ne nous +coûterait rien, pas même la moitié d'un centime et que néanmoins nous ne +pouvons la donner tant que ça.</p> + + <p>--Qu'est-ce donc?</p> + + <p>--Eh! pardieu, un fauteuil.</p> + + <p>En effet, il y a trois fauteuils à donner en janvier et seize candidats +qui demandent à les avoir; et tous les seize, suivant l'usage +immémorial, sont individuellement le premier moutardier du pape, ou, si +vous voulez, un homme du bois dont on fait les dieux. Ces dignes +académiciens voudraient bien se sauver quelque part, mais leur grandeur +et les jetons de présence les retiennent au quai Conti.</p> + + <p>Il n'y a pas fort longtemps, dans cette divine baraque au palais +Mazarin, il y avait un des Quarante qui n'entendait pas raillerie à +propos d'argent à donner. C'était Lemontey, l'auteur de l'<i>Histoire de +la Régence</i>.</p> + + <p>Un certain jour de l'an, un des garçons de l'Institut vint voir +l'historien; il le salua, la casquette à terre, et tendit la main.</p> + + <p>Lemontey lui donna une pièce de dix sous.</p> + + <p>--Comment! rien que ça? dit le garçon en grommelant entre ses dents.</p> + + <p>--Hein! qu'est-ce que c'est? riposta l'immortel furieux. Cinquante +centimes, un demi-franc, ce n'est rien? Eh! malheureux, c'est la quatre +cent millième partie de deux cent mille francs, par conséquent de dix +mille livres de rente. Eh! je voudrais bien être garçon de l'Institut +pour en recevoir autant, moi!</p> + + <p>P.-J. Proudhon comprenait les étrennes d'une autre façon.</p> + + <p>L'année qui a précédé la mort du célèbre dialecticien, M. E. Dentu, son +éditeur et son voisin, se présenta chez lui le matin du jour de l'an.</p> + + <p>Après avoir échangé une poignée de main avec lui, il lui montra un petit +paquet enveloppé de papier gris.</p> + + <p>--Qu'est-ce que c'est que ça? dit Proudhon.</p> + + <p>--Deux poupées que je vous demande la permission d'offrir à vos deux +petites filles.</p> + + <p>En entendant ces mots, l'auteur du livre <i>De la Justice</i> entra tout à +coup dans une colère des plus violentes.</p> + + <p>--Des poupées à mes filles! Non, mon cher monsieur, non; je vous le +défends positivement. Savez-vous l'enseignement qui résulterait de ce +cadeau? L'amour de l'alanguissement, la coquetterie, la paresse, le +goût du luxe, peut-être de la luxure. C'est bon pour les duchesses, +c'est bon pour les bourgeoises. Tenez, si voulez faire un présent à ces +enfants, apportez-leur quelque chose d'utile, un dé à coudre, des +ciseaux, un paquet d'aiguilles. Qu'elles aient à la main un objet qui, +de bonne heure, leur rappelle qu'elles sont filles de la misère et de la +philosophie et qu'il faut qu'elles songent sans cesse à épouser le +travail!</p> + + <p>À certains égards cet esprit de prévoyance se retrouve en grand dans un +mot de Mme Lætitia Bonaparte, la mère de Napoléon.--Longtemps éprouvée, +n'ayant eu de 1790 à 1799 que 1,500 fr. pour soutenir sa modeste maison +et nourrir ses trois filles, Caroline, Elisa et Pauline, la brave femme +ne pouvait pas se résoudre à jeter l'argent par les fenêtres.</p> + + <p>En 1809, le 2 janvier, la princesse Pauline vint la voir.</p> + + <p>--Madame, l'empereur m'envoie vous faire une question.</p> + + <p>--Laquelle?</p> + + <p>--Combien avez-vous dépensé, hier, en fait d'étrennes?</p> + + <p>--Ma fille, 3,255 francs.</p> + + <p>--3,255 francs! Mais je vous avais remis, de la part de mon frère, 30 +000 francs pour faire des largesses! Est-ce que vous comptez placer +cette somme?</p> + + <p>--Mon Dieu, oui, Paulette.</p> + + <p>--Mais pourquoi faire?</p> + + <p>--Pourquoi faire? Pour donner, un jour, du pain à tous les rois et à +toutes les reines qu'on a faits dans ma famille!</p> + + <p>L'histoire a prouvé par trois fois que l'Agrippine d'Ajaccio n'avait pas +si grand tort.</p> + + <p>Philibert Audebrand.</p> + + <br><br> + + <h3>L'ILE SAINTE-MARGUERITE</h3> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/002a.png"><br><b>Le môle de débarquement.</b></p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/002b.png"><br><b>Le fort et les prisons.</b></p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/002c.png"><br><b>Vue de la pointe de la Croisette.</b></p> + + <br><br> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/003.png"><br><b>THÉÂTRE DES VARIÉTÉS.--<i>Les Merveilleuses</i>, comédie en +cinq actes, de M. Victorien Sardou.--Décors de M. Robecchi.--Costumes de +MM. Eugène. Lacoste et Draner.</b></p> + + <br><br> + + <h3>NOS GRAVURES</h3> + + <h3>Le naturaliste Agassiz</h3> + + <p>Le 15 décembre, un télégramme fort laconique annonçait à l'Europe que +«le professeur Agassiz venait de mourir à Boston».</p> + + <p>Cet illustre naturaliste mérite mieux qu'une mention d'une ligne. +C'était le digne successeur des Buffon et des Cuvier, et le monde +scientifique a peu de noms à opposer au sien; en Amérique, nous ne +voyons pas qui est capable de prendre sa place.</p> + + <p>Agassiz avait émigré aux États-Unis en 1847, à la suite des événements +politiques dont la principauté de Neufchâtel fut alors le théâtre. Il +était déjà célèbre et s'était fait connaître au monde savant par un +ouvrage sur les poissons fossiles, publié dès 1842, et qui est resté +classique en géologie, comme le livre de Cuvier sur les mammifères +éteints du bassin de Paris, ou le livre de Brongniart sur la flore +fossile des terrains houillers.</p> + + <p>Né dans le canton de Vaud en 1807, Agassiz avait étudié en Allemagne, et +fut reçu docteur à Munich. Il fut nommé professeur d'histoire naturelle +à Neufchâtel dès 1838, et publia en français, en latin ou en allemand +divers ouvrages de zoologie, dont celui que nous avons cité plus haut a +surtout contribué à le faire connaître.</p> + + <p>Ses études sur les glaciers, qu'il poursuivit avec une ardeur +infatigable, escaladant tous les pics des Alpes, entre les années 1840 +et 1847, confirmèrent la réputation qu'il s'était acquise parmi les +géologues, et l'on peut dire que lorsqu'il quitta l'Europe, son nom +était déjà universellement connu.</p> + + <p>Ses deux collaborateurs, MM. Desor et Vogt, Suisses comme lui, ont +continué les traditions du maître. Ils n'ont cessé de marcher à la tête +de la science helvétique, et ils l'ont même quelquefois poussée en +avant, notamment en anthropologie, avec une virilité, une audace qui ont +épouvanté en France plus d'un de nos maîtres officiels.</p> + + <p>Agassiz, à peine arrivé aux États-Unis, fut nommé professeur d'histoire +naturelle à l'Université de Cambridge, près Boston, et c'est là que, +vingt ans plus tard, nous l'avons rencontré nous-même, augmentant, +classant sans cesse ses chères collections, et toujours à l'affût de +nouveaux voyages pour faire progresser la science et ouvrir aux +investigations de l'esprit humain des champs jusque-là inconnus.</p> + + <p>Avec sa femme, qui ne cessa de le seconder dans ses recherches et de +s'associer à tous ses travaux, comme une vraie Américaine qu'elle était, +il entreprit le voyage de l'Amazone. On sait quel trésor de faits +curieux il rapporta de cette exploration, et combien il en accrut ses +collections, notamment en ichthyologie. Ce voyage, publié par Mme +Agassiz, a été traduit en français (1); l'exploration de l'Amazone a été +même illustrée dans le <i>Tour du monde</i>, d'après les dessins de Mme +Agassiz, qui tenait aussi bien le pinceau que la plume, dans ces +dernières années, M. Agassiz avait entrepris l'étude du fond des mers, +et fait à ce sujet sur un navire de guerre américain, que le +gouvernement des États-Unis avait mis généreusement à sa disposition, +une série de travaux fort intéressants poursuivis dans l'un et l'autre +océan, l'Atlantique et le Pacifique. Il était aussi allé de Boston à +San-Francisco par le cap Horn. Il avait espéré que sa santé, ébranlée +par un travail incessant, se relèverait dans ce long voyage. Il semble +qu'il n'en a rien été, puisque la nouvelle, de sa mort nous est parvenue +au moment où tout faisait espérer que ses amis et la science pourraient +encore le conserver longtemps.</p> + + <blockquote><span class="sml"><b>Note 1:</b> Voyage au Brésil, Paris, Hachette. 1868.</span></blockquote> + + <p>Dans ce voyage de circumnavigation, les découvertes d'Agassiz ont été +presque de tous les jours, sur les courants, la température des eaux +marines à diverses profondeurs, le fond de la mer, les animaux qui s'y +rencontrent. C'est lui qui a pour la première fois démontré que le fond +des océans est habité à toutes les profondeurs, contrairement à ce qu'on +avait écrit. Que d'espèces nouvelles en coraux, coquilles, poissons, +plantes marines il avait ramenées de son dernier voyage! Il était occupé +à classer tout cela, à le distribuer, à le faire connaître avec cette +générosité toute américaine qui le distinguait, quand la mort est venue +le surprendre.</p> + + <p>Au physique, c'était un homme de haute taille, fort vigoureux; ses +traits annonçaient l'aménité, la bienveillance, et le moral ne démentait +pas ce que le physique annonçait. Il était ouvert, sympathique, causait +volontiers et facilement, ne disait du mal de personne, pas même de ses +confrères, ce qui est rare parmi les savants. Il était, comme tous les +protestants, fort attaché aux doctrines religieuses. Spiritualiste, il +faisait volontiers intervenir la Providence dans la création des +espèces, mais cela ne l'empêchait pas d'apporter dans les théories +scientifiques beaucoup d'indépendance. Ainsi il était, en histoire +naturelle, avec les Lamarck, les Geoffroy Saint-Hilaire, les Gœthe, les +Darwin, partisan de la variabilité de l'espèce humaine et non de +l'unité, comme le voulaient Buffon et Cuvier, et comme quelques +naturalistes, entre autres M. de Quatrefages, le veulent encore +aujourd'hui.</p> + + <p>Il faisait bon marché des honneurs, et se contentait du titre de +correspondant de notre Académie des sciences, n'ayant jamais voulu +accepter de l'empereur Napoléon III, qui l'avait connu et apprécié en +suisse, ni le titre de sénateur, ni celui de professeur au Collège de +France, ni même celui de directeur général du Muséum, place restée, +dit-on, vacante depuis la mort de Cuvier. On essaya de le tenter à +diverses reprises et de le fixer parmi nous; toujours il préféra rester +dans sa patrie d'adoption. Républicain il était en Suisse, républicain +il demeura aux États-Unis. Il vient d'y mourir, comblé de gloire sinon +d'honneurs, aimé de tous, ayant fait de nombreux élèves, n'ayant cessé +un jour de travailler et de faire progresser la science, qui a été +l'occupation de toute sa vie. C'était un homme de bien, <i>vir probus</i>, au +sens le plus général du mot, un de ces hommes qu'on voit toujours partir +avec le plus vif regret, parce que l'on sent combien il sera difficile, +pour ne pas dire impossible, de les remplacer.</p> + + <p>L. Simonin.</p> + + <br> + + <h3>Le Fort Sainte-Marguerite</h3> + + <p>L'ex-maréchal Bazaine aurait pu être envoyé dans quelque casemate +oubliée, dans quelque prison sans passé, ou même faire le voyage de la +Nouvelle-Calédonie, en compagnie de pétroleurs. L'opinion publique eût +été probablement satisfaite de ce châtiment qui plaçait ainsi au même +rang tous ceux qui ont failli faire sombrer le pays! Mais décidément la +fortune sourit à Bazaine; pendant que nous grelottons dans le Nord, on +l'envoie dans une contrée bénie du ciel, inondée, au cœur de l'hiver, +des chauds rayons du soleil, et délicieusement rafraîchie, en été, par +les brises de mer!...</p> + + <p>Heureux maréchal! La Providence lui assigne même la prison à jamais +célèbre de l'homme au masque de fer. Etrange caprice du destin! +L'innocent martyr du despotisme de Louis XIV a vécu là, le visage +couvert, les traits constamment voilés, tenu dans le plus complet +isolement, tandis que le grand coupable de Metz va sans doute passer les +dernières années de sa misérable vieillesse en captif heureux, entouré +peut-être de quelques-uns des siens, et à coup sûr il n'aura pas pour +gouverneur un maître implacable comme Saint-Mars!</p> + + <p>Je me trouvais, il y a peu de mois, à Cannes, et de là on voit se +profiler, à quelques milles en face, les îles de Lérins, semblables à de +gigantesques entassements. Si l'on était oiseau, en deux coups d'aile, +on arriverait à Saint-Honorat ou à Sainte-Marguerite. Sans s'armer d'une +longue-vue, il est parfaitement possible de distinguer les rochers +élevés qui bordent les deux îles, et l'on peut compter jusqu'aux +fenêtres du fort Sainte-Marguerite.</p> + + <p>Une vingtaine de petits bateaux bariolés dansaient dans le port de +Cannes, sous la violente caresse du mistral, et demandaient à grands +cris, par la voix de leurs patrons, quelque promeneur complaisant!</p> + + <p>--Monsieur! promenade à Sainte-Marguerite! Bon temps! Bon vent! me cria +l'un des bateliers en me priant du geste de descendre.</p> + + <p>--Et combien de temps faut-il pour arriver à l'île!</p> + + <p>--Oh! monsieur, pas beaucoup! J'y suis allé l'autre jour en moins d'un +quart-d'heure!</p> + + <p>--Et le vent est bon? repris-je.</p> + + <p>--Excellent! monsieur, deux ris aux voiles et nous filons comme +l'éclair!</p> + + <p>Inutile de dire que le quart-d'heure du brave batelier se changea en +demi-heure, la demi-heure en trois quarts-d'heure et qu'une heure après +nous ne touchions pas encore au môle du débarquement. En revanche, +j'avais eu la mer la plus moutonneuse du monde; nous avions failli être +roulés par les vagues; mais quelle baie splendide, que de merveilleux +horizons!</p> + + <p>J'eus le malheur de descendre du bateau pour tomber entre les mains d'un +vieux sergent qui ne me lâcha pas avant de m'avoir conté,--ce qu'il +savait du reste fort mal,--l'histoire de l'île Sainte-Marguerite.</p> + + <p>Il m'expliqua que le fort avait été construit sous Richelieu, puis pris +par les Espagnols, qui l'avaient agrandi, et enfin réparé par Vauban.</p> + + <p>En résumé, ce bâtiment serait peu digne d'intérêt si la légende de +l'homme au masque de fer n'était pas là pour captiver.</p> + + <p>Matthioli, c'est le nom que l'on donnait à ce célèbre inconnu, avait une +prison que le maréchal Bazaine,--l'homme heureux!--ne connaîtra sans +doute que de vue! La chambre qu'il habita onze années n'était éclairée +que par une fenêtre du côté du nord, percée dans un mur de près de +quatre pieds d'épaisseur; on y avait même prudemment adapté trois +grilles de fer placées à une distance égale. Cette fenêtre donnait sur +la mer.</p> + + <p>Ce qui fit supposer à quelques indiscrets que Matthioli devait être +quelque grand personnage, ce sont d'une part les mesures prises par +Saint-Mars pour éloigner de lui même les geôliers, et de l'autre +l'espèce de respect dont semblait l'entourer le gouverneur.</p> + + <p>De plus, on assure que l'homme au masque de fer portait des vêtements +recherchés, de fines dentelles, et qu'on lui fournissait des habits +aussi riches qu'il paraissait le désirer.</p> + + <p>Il n'en fallait pas plus pour faire pleuvoir des milliers de +conjectures: C'est un frère de Louis XIV, disent les uns.--C'est le duc +de Beaufort, assurent les autres.--C'est un fils de Cromwell!...</p> + + <p>Quelques anecdotes inventées sans doute viennent à la rescousse, et +notre homme, qui n'était peut-être qu'un petit gentilhomme sans grande +importance, passe d'emblée à la postérité!</p> + + <p>Vous connaissez l'histoire du pêcheur qui ramasse sous les fenêtres de +Matthioli une assiette d'argent sur laquelle se trouvaient inscrits +quelques caractères;--le brave homme rapporte sa trouvaille au +gouverneur, qui lui demande s'il a lu les mots écrits sur ce plat: «Je +ne sais pas lire!» répond naïvement le pécheur, et Saint-Mars lui dit: +«Allez! Remerciez le ciel de votre ignorance!»</p> + + <p>Un ingénieux historien, à la vue très-bonne, affirme qu'il y avait sur +ce plat désormais historique, ces mots: «Louis de Bourbon, comte de +Vermandois, frère de Louis XIV, etc.»</p> + + <p>Si Bazaine jette jamais ses assiettes par les fenêtres, les pêcheurs +d'aujourd'hui les conserveront peut-être sans scrupule.</p> + + <p>Richard Cortambert.</p> + + <br> + + <h3>Variétés: "les Merveilleuses", comédie en cinq actes de M. Victorien +Sardou.</h3> + + <p>Cette fois c'est mon collaborateur M. Morin qui se charge de rendre +compte des <i>Merveilleuses</i>, de M. Sardou. Son dessin animé, spirituel et +d'une parfaite exactitude, tient lieu de l'article de théâtre. Aussi +bien notre critique à nous serait-elle inutile puisque M. Sardou n'a pas +jugé nécessaire d'introduire une action dans sa comédie, qui relève +presque tout entière du décorateur et du costumier. Quoi? pas le moindre +petit bout d'intrigue? Si vraiment, mais si peu que cela ne vaut pas la +peine d'en parler. Dorlis, que la guerre d'Italie a enlevé aux premières +joies de la lune de miel à sa femme Illyrine, retrouve au retour de +Rivoli et d'Arcole, son épouse convolant en secondes noces avec le +citoyen Saint-Amour, chef du cabinet de Barras. Il était temps, deux +heures plus tard, protégée par la loi du divorce, elle devenait madame +Saint-Amour. C'est tout, et cette petite comédie entamée à la fin du +quatrième acte se dénoue au cinquième. Il semble que M. Sardou, occupé à +faire revivre dans une série de tableaux vivants les hommes et les +choses du Directoire, et attardé longtemps dans les curiosités et les +bibelots du temps, se soit dit: «Maintenant que j'ai reconstitué ce +peuple bigarré dans les rues, agité dans les salons cet essaim de +merveilleuses et ce groupe de muscadins, que j'ai placé sur leurs +étagères ce musée archéologique des dernières années du siècle, songeons +un peu à mettre une action dans la pièce; si mince qu'elle soit, cela +est toujours assez bon; l'intérêt n'est pas là, il est dans cette série +de tableaux, dans ce panorama des plus mobiles et des plus amusants, +avec ce décor du premier acte, ce jardin du Palais-Égalité où s'asseyent +les <i>incroyables</i>, le menton caché dans la cravate <i>écronitique</i>, avec +<i>les oreilles de chien</i>, le chapeau gigantesque en demi-lune, le bas en +tire-bouchon et le bâton de houx à la main. Là circulent les +carmagnoles, les bouquetières, là se réfugient contre les huées des +<i>sans-culottes</i>, les daines <i>sans-chemises</i> que la brutalité de la foule +menace de jeter à l'eau.</p> + + <p>Au second tableau, nous sommes sur le perron de la rue Vivienne, où +s'agitent les agioteurs, devant cette boutique de boulanger qui indique +le prix montant et descendant du louis, étiage de la fortune publique. +Au premier étage d'une maison, des joueurs jettent leur or au râteau des +croupiers; à l'entresol, des <i>marchandes de frivolités</i> prélèvent des +intérêts sur la bonne fortune tentée au premier étage. C'est le bruit, +c'est la rue. L'acte suivant nous transporte dans l'hôtel du financier +Ragot; un bijou, que ce décor, une merveille de goût et d'exactitude, +avec ses pendules, ses candélabres du temps, avec ses sièges en forme +d'X, avec ses tasses à thé à fond jaune tacheté de petites fleurs +noires. Là règnent les <i>Merveilleuses</i>, les robes à la <i>Flore</i>, les +tuniques à la <i>Minerve</i>, la redingote à la <i>Galathée</i>, passant par +toutes les nuances, depuis le <i>Fifi pâle effarouché</i> jusqu'au <i>Violet +cul de mouche</i>. Et les coiffures! Le turban relevé avec des plumes +bleues, bonnet Pierrot, bonnet à la Délie, bonnet à l'Esclavonne. Tout +ce monde féminin caquette et fripe dans ses mains des éventails de crêpe +noir lamé et pailleté d'argent, sur lesquels se montre discrètement +l'effigie de Louis XVI, de la reine et du dauphin, ces éventails au +<i>Saule pleureur</i>. Les élégants zazayent de leur petite voix de +femmelette leur parlé gazouillé et mouvant, et étalent leurs habits de +soie rayée à queue de morue. MM. de Concourt ont fait dans un excellent +livre l'inventaire par le menu de cette société du Directoire. Ce +catalogue des choses et des gens, M. Sardou, par une fantaisie d'auteur +dramatique, l'a fait vivre aux Variétés. Il a animé les Carie Vernet, +les Debucourt. Cela est fort amusant au début, mais fatigue vite chemin +faisant. On feuillette pendant une heure un album de caricatures, mais +toute une soirée! c'est un peu long. Et puis, une observation. Comment, +nous voilà dans cette société de l'an de grâce 1798, et pas un costume +d'officier ou de général? Ce ne sont pourtant pas les militaires qui +faisaient défaut dans ce monde du Directoire. Il y a là une lacune.</p> + + <p>M. Savigny.</p> + + <br> + + <h3>Glace et patins: "La première leçon" et "Un regard en passant".</h3> + + <p>Puisque l'hiver s'obstine à ne pas entrer en scène, faisons tout éveillé +un rêve qui fera tressaillir d'aise les membres du club des patineurs.</p> + + <p>Il y a huit jours, le thermomètre est descendu à dix degrés au-dessous +de zéro, et depuis lors il s'est résolument maintenu entre six et huit. +Lacs, étangs, toutes les pièces d'eau dormante ont gelé, et finalement +la glace a acquis une respectable épaisseur.</p> + + <p>O bonheur! l'heure heureuse, depuis si longtemps attendue, a donc sonné, +et le moment fortuné est venu! Vite, courons, et sans perdre une minute, +au lac, au lac!</p> + + <p>Déjà sous un ciel gris d'acier, au milieu d'un cercle de grands arbres +étincelants de givre, s'y presse une foule élégante et joyeuse, les +femmes emmitouflées de fourrures, portant le manchon en sautoir; les +hommes vêtus du costume de rigueur; bonnet fourré, pelisse, pantalon +collant qui fait valoir les formes et bottes cracoviennes; les uns et +les autres ayant chaussé le patin et glissant, se croisant, se +poursuivant sur la glace qu'ils rayent d'un pied plus ou moins habile.</p> + + <p>Car s'il en est qui savent proprement faire un dehors, écrire +correctement leur nom du bout d'un patin victorieux, il y en a d'autres +aussi qui font beaucoup de fautes d'orthographe, et même en sont encore +à épeler péniblement leur alphabet. Aussi, pour les présomptueux, que de +mésaventures et de chutes, souvent ridicules.</p> + + <p>Je ne parle que pour les hommes.</p> + + <p>Il est bien entendu que c'est toujours avec grâce qu'une femme tombe sur +son pouff, quand cela arrive, ce qui est rare; car, plus timide, ce +n'est que bien soutenue qu'elle se risque à faire ses premiers pas sur +ce terrain glissant, où bientôt cependant elle s'élancera, rapide comme +l'hirondelle, en traçant comme elle, capricieuse, d'inextricables +méandres.</p> + + <p>Quelques-unes cependant ne parviennent jamais à surmonter assez leur +frayeur pour oser chausser le patin, et ce n'est que confortablement et +chaudement établies dans un traîneau qu'elles consentent à fendre l'air, +sous la conduite et la garde de quelque jeune gentleman, avec lequel il +leur est loisible alors d'achever tout à leur aise la conversation en un +autre endroit commencée, ou de commencer l'entretien qui sans doute se +terminera ailleurs.</p> + + <p>Je n'en jurerais cependant pas, car à quoi le plus souvent tiennent +ici-bas les choses, et de quoi dépendent nos résolutions les mieux +arrêtées? De ceci ou de cela, d'une goutte de pluie, d'un rayon de +soleil, ou encore d'un regard en passant.</p> + + <p>Louis Clodion.</p> + + <br> + + <h3>Les tortues de mer à Paris.</h3> + + <p>Il y a longtemps qu'on n'avait vu à Paris des chéloniens possédant des +dimensions aussi prodigieuses. Les derniers avaient fait leur apparition +alors que florissait l'empire de l'infortuné Maximilien. Depuis lors il +s'est écoulé moralement plus d'un siècle. Aussi n'est-il pas étonnant +que les tortues de MM. Potel et Chabot aient obtenu un véritable succès +d'estime aussi bien dans la rue Vivienne que sur le boulevard des +Italiens.</p> + + <p>Une de ces étrangères, rien qu'en agitant ses pattes, a cassé innocemment +la glace de la devanture qui la séparait de la rue. Mais ce n'était pas +pour reconquérir une liberté définitivement perdue, et dont elle ne +pouvait, dans son état d'engourdissement, de demi-sommeil, comprendre le +prix.</p> + + <p>Ces animaux sont d'une force prodigieuse, et dans leur pays d'origine +d'une étonnante agilité. Ils nagent comme des poissons dans l'Océan.</p> + + <p>C'est surtout lorsque la femelle va pondre ses œufs que l'on peut +facilement la surprendre et la capturer, ce qui se fait en la retournant +sur le dos, quelquefois à l'aide d'un levier.</p> + + <p>L'écaille des tortues franches n'a aucune valeur, mais la chair est +très-délicate, et il est à désirer qu'elle figure sur le carreau des +Halles où elle serait très-rapidement appréciée.</p> + + <p>Malheureusement nous sommes si routiniers en matière de gastronomie, +qu'elle est à peu près complètement perdue pour nous dès qu'elle a servi +à faire du bouillon. Les Anglais, plus pratiques, tirent un excellent +parti de tous les morceaux.</p> + + <p>La tortue jouit d'une propriété inestimable pour le transport dans les +pays lointains. On n'a besoin de la fumer ni de la saler, ni de la +placer dans des boîtes ou dans un garde-manger entouré de glace +fondante. Elle arrive vivante des Antilles sans qu'on ait besoin de lui +donner à boire et à manger. On pourrait donc se livrer à une +exploitation régulière de cette nouvelle matière alimentaire que nous +signalons expressément.</p> + + <p>De tous les animaux la tortue est peut-être celui qui a le cerveau le +moins développé.</p> + + <p>Lacépède allait jusqu'à prétendre qu'il est de la grosseur d'une +noisette pour un animal pesant 150 kilos.</p> + + <p>Mais il n'y a pas, paraît-il, d'animal qui soit plus porté aux plaisirs +de l'amour. Alors le mâle devient féroce, et aucun danger ne serait +capable de le déterminer à quitter sa femelle. Mais cela ne dure guère. +Au bout de quelques jours il l'abandonne sans remords, la laissant +regagner péniblement les îlots sablonneux où elle déposera ses œufs, en +grand danger d'être surprise par les pêcheurs qui la guettent. Notre +dessin fait voir les suites inévitables de cette surprise. Un aide de +cuisine s'apprête à trancher la tête de la tortue tandis qu'un autre +empêche cette tête de rentrer dans la carapace, à l'aide d'un câble et +d'un croc. L'armée des marmitons est là sous les armes, prête à +commencer ses grandes opérations. Jamais mode plus barbare d'exécution +n'a été inventé. Il faut croire que la tortue a si peu de cervelle +qu'elle ne s'en aperçoit presque pas. Car si elle se plaint, c'est si +bas, si bas que jamais personne ne l'a entendue.</p> + + <p>W. de Fonvielle.</p> + + <br><br> + + <h3>LA VEILLE DU 1er JANVIER</h3> + + <p class="mid">(Fin)</p> + + <p>--Absolument. Et je vais choisir des exemples. Voici Mademoiselle Mimi, +par exemple. J'ai déjà dit que je n'entendais pas médire des +poupées,--le jouet n'empêche pas le livre.--La vraie poupée, celle que +l'on peut habiller et déshabiller sans crainte de froisser une robe de +cent francs, qui possède une tête de porcelaine que l'on fait remettre à +neuf par le premier marchand venu du coin quand son propriétaire a eu le +malheur de tomber sur le nez, la poupée qui a son trousseau bien simple +de petits bas, de petits pantalons et de petites chemises, que sa maman +blanchit elle-même, la poupée que l'on mène en voiture et qui fait la +dînette, cette poupée-là est toujours amusante et sera amusante tant que +le monde durera. Mais le soir, quand Mimi viendra sous la lampe demander +à sa maman de lui montrer des images, sera-t-elle contente, oui ou non, +si ces images sont choisies dans un livre à elle, à elle toute seule, +écrit pour elle...</p> + + <p>--Il y en a donc de ces livres-là.</p> + + <p>--Il y en a quarante à l'heure qu'il est, ni plus ni moins, et la +collection des albums de P.-J. Stahl se complète d'année en année. C'est +le tableau vivant de l'enfance à tous les degrés, c'est un +chef-d'œuvre, une galerie sans rivale.</p> + + <p>--Mais Mimi ne sait pas lire!...</p> + + <p>--Si elle ne sait pas lire encore, elle sait voir au moins; tous les +enfants savent lire dans les livres à images; l'image vue, l'image lue, +on veut savoir au plus juste de quoi il s'agit, et vous êtes là, chère +madame, pour lui lire à haute voix les légendes spirituelles ou +émouvantes que Stahl a donné à traduire en merveilleux dessins au crayon +de Frœlich. C'est toute une morale où le code de la première enfance +est passé en revue article par article.--«Il faut aimer son papa, sa +maman et le bon Dieu», voilà pour l'âme. «Il faut manger sa soupe +courageusement jusqu'à la dernière cuillerée», voilà pour le corps. Et +pour la vie pratique: «Il ne faut mettre son doigt ni dans son nez, ni +dans les pots de confiture.--Il ne faut pas jouer avec ce qui coupe; les +couteaux ne sont pas un jeu.--Il est abominable d'égratigner son frère, +sa sœur et même sa bonne.--Il est très-mal aussi de marcher dans les +ruisseaux, ils ne sont pas faits pour cela.--Il ne faut jamais dire +qu'on n'a pas envie de dormir quand il est huit heures et demie +sonné...»</p> + + <p>Mon ami et sa femme s'étaient mis à rire dès les premiers mots de cette +énumération.</p> + + <p>--Pauvre Mimi! dit la jeune mère, c'est vrai tout de même que pas plus +tard que ce soir elle s'est démenée comme un beau petit diable en +prétendant que la pendule avançait et que, vrai, il ne pouvait pas être +huit heures et demie!...</p> + + <p>--<i>Les Commandements du grand-papa</i> lui en apprendront bien d'autres. Et +la <i>Journée de la célèbre mademoiselle Lili</i>, et la <i>Boîte au lait</i>, et +le <i>Journal de Minette</i>, et les <i>Idées de mademoiselle Rose</i>, illustrées +par Detaille, et la <i>Révolte punie</i>, et <i>Hector le fanfaron</i>, et l'<i>Ours +de Sibérie</i>, et <i>Bonsoir petit père</i>, et <i>Toc-Toc</i>, et <i>Mademoiselle +Mouvette</i>, qui est son portrait vivant, sans compter les albums en +couleur qu'elle pourra manipuler à son aise sans courir le risque de +s'empoisonner, au rebours de ces albums anglais, dont les enluminures +grossières ne sont bonnes qu'à crever les yeux ou à gâter l'esprit. +C'est une maxime à graver en lettres d'or dans le Code des parents, que +préserver les enfants des niaiseries imprimées, c'est accomplir une +œuvre pie. Voilà tout le secret de la bibliothèque Hetzel; P.-J. Stahl, +l'auteur applaudi des <i>Bonnes fortunes parisiennes</i>, que vous avez lues +tous les deux, à su tremper sa plume, comme je l'ai vu écrire quelque +part, dans un encrier rempli de lait sucré; une nourrice qui aurait +passé par l'Académie française n'aurait pas su trouver plus de +ressources d'esprit et d'imagination que ce père Gigogne. J'aurais dit +tout cela dans mon article, je puis bien vous le dire à vous, en +attendant.</p> + + <p>--Eh! c'est là précisément ce que j'étais en train de prêcher à ma +femme, s'écria mon ami; mais on n'est jamais prophète en son pays. Je +suis heureux de voir ton succès; on ne t'interrompt plus.</p> + + <p>L'interrupteur se contenta de sourire et je poursuivis en ces termes:</p> + + <p>J'arrive à Jujules. Savez-vous, chère madame, vous qui parliez tout à +l'heure de livres à choisir «par-dessus le marché», ce que votre petit +homme de huit ans m'a appris, il n'y a pas six mois? J'étais en train de +lui faire, en vous attendant, un petit cours d'histoire naturelle et, +par étourderie ou par ignorance, je ne sais plus au juste, je m'étais +avisé de ranger le crapaud parmi les reptiles malfaisants. Double +erreur, le crapaud n'est pas un reptile et le crapaud n'est pas une bête +malfaisante. Là-dessus, voilà Jujules qui m'interrompt de sa voix la +plus douce:</p> + + <p>--Pardon! mon parrain, mais j'ai lu quelque part que le crapaud n'était +pas un reptile...</p> + + <p>--C'est bien, possible; qu'est-il alors?</p> + + <p>--C'est un batracien, mon parrain, à moins que le livre n'ait menti.</p> + + <p>Le livre n'avait pas menti; mais voyez-vous votre bambin qui en +remontrait à son maître? Je lui demandai le titre de ce bienheureux +ouvrage. C'était un des classiques du genre: l'<i>Histoire d'une bouchée +de pain</i> de Jean Macé.</p> + + <p>--Un de mes cadeaux de l'année dernière,... murmura mon ami.</p> + + <p>--Allons? je suis battue sur toute la ligne, et par un enfant encore! +s'écria la jeune femme. C'est de bonne guerre. Je me rends à discrétion. +Que lui donnerons-nous cette année au savant Jujules?</p> + + <p>Je me levai et je m'en fus chercher dans le coin où je les avais déposés +en entrant, l'<i>Histoire d'une maison</i>, de Viollet-le-Duc, et la <i>Famille +Chester</i>, de P.-J. Stahl et William Hughes.</p> + + <p>--Voici deux nouveautés que vous prendrez la peine de lire avant le 1er +janvier. Car ces excellents livres ont le double mérite qu'ils +conviennent aux petits et ne sont pas inutiles aux grands. Je ne veux +pas être cru sur parole; il faut que vous appreniez par vous-même quel +soin sévère, quels scrupules ont présidé à la formation de cette +bibliothèque d'élite. C'est déjà beaucoup de savoir qu'un homme tel que +M. Viollet-le-Duc a pris le meilleur de son temps pour apprendre au +grand public comment se bâtit une maison, ce que la profession +d'architecte exige de clarté dans l'esprit et de rectitude dans le +jugement. Nous avons tout à gagner à ces enseignements-là. On apprend à +tout âge et il n'est jamais trop tard pour aller à l'école. C'est encore +dans un de ces livres que j'ai trouvé la maxime suivante: «Je ne doute +pas qu'on ne puisse faire un gros livre de ce que tu sais, disait au +campagnard à son fils qui lui revenait du collège tout enorgueilli de +son grec et de son latin; mais je suis assuré qu'on en ferait un plus +gros encore avec tout ce que tu ne sais pas.»</p> + + <p>--Comment l'appelez-vous ce livre-là?</p> + + <p>--<i>Entre frères et sœurs</i>. Ce sont des causeries scientifiques pleines +de savoir et de bonne humeur; signé Lucien Biart.</p> +<br> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/004.png"><br><b>LA PREMIÈRE LEÇON.--D'après le tableau de M. Boutibonne.</b></p> + + <p class="mid">(Publié avec l'autorisation de MM. Goupil et Cie.)</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/005.png"><br><b>UN REGARD EN PASSANT.--D'après le tableau de M. Boutibonne</b></p> + + <p class="mid">(Publié avec l'autorisation de MM. Goupil et Cie.)</p> + + + <p>--C'est l'auteur de ce joli volume de nouvelles que tu as lues avec tant +de plaisir, dans la <i>Revue des deux mondes</i>, ajouta mon ami, et qui ont +paru en volume à la même librairie Hetzel, sous le titre des <i>Clients du +docteur Bernagius</i>, et à l'usage des femmes d'esprit.</p> + + <p>--C'est cela même. Ajoutez que nous nous retrouverons constamment avec +des écrivains amis. Après Viollet-le-Duc, P.-J. Stahl et Lucien Biart, +il faudrait nommer Jules Sandeau et sa <i>Roche aux Mouettes</i>, +Erckmann-Chatrian et <i>Madame Thérèse</i>, Hector Malot et son Romain +<i>Kalbris</i>, et d'autres tout aussi connus auxquels j'arriverai tout à +l'heure. Mais ce n'est pas fini. Le 1er janvier de Jujules serait trop +maigre si vous vous borniez à deux livres; vous y ajouterez la <i>Sœur +perdue</i>, de Mayne-Reid, qui fait suite aux <i>Aventures de terre et de +mer</i>, qu'il a déjà reçues l'année dernière, et l'<i>Histoire du Ciel</i>, de +Flammarion, qui manque à sa bibliothèque. Je me charge de la <i>Roche aux +Mouettes</i>, de Jules Sandeau et de <i>Romain Kalbris</i>, d'Hector Malot.</p> + + <p>--Ah ça! s'écria mon ami, du train dont nous y allons, il ne restera +rien pour Edouard!</p> + + <p>--Rassurez-vous, la bibliothèque d'éducation et de récréation en a pour +tous les âges et pour tous les goûts. Edouard est déjà un petit homme +sérieux. Entre temps, il sait manier très-convenablement le compas et +l'équerre. Tandis que Jujules lui prêtera son <i>Histoire d'une maison</i>, +Edouard fui confiera en échange la collection des <i>Voyages +extraordinaires</i> de Jules Verne...</p> + + <p>Mais c'est que je les lis, moi aussi, ces voyages!... s'écria la jeune +femme en me coupant la parole, y en a-t-il de nouveaux?</p> + + <p>--Ah! je vous y prends! Que me disiez-vous donc tout à l'heure, que vous +vous en reposiez sur le premier libraire venu du choix de ces lectures? +Jules Verne tout au moins aurait été désigné à l'avance et pour ce seul +aveu il vous sera beaucoup pardonné. Certes oui, il y en a de nouveaux +et ce ne sont pas les moins merveilleux. J'ai apporté le <i>Pays des +fourrures</i>, dont je puis parle en connaissance de cause, car je l'ai +déjà lu dans le <i>Magasin d'éducation</i>. Vous avez encore le <i>Tour du +monde, en quatre-vingts jours</i>, un chef-d'œuvre d'invention, une sorte +de conte des Mille et une nuits, avec la fantaisie déréglée en moins, et +en plus l'imagination scientifique. Ce sont de fameux pendants à <i>Vingt +mille lieues sous les mers</i>, au <i>Voyage dans la Lune</i> et au <i>Centre de +la terre</i>, à <i>Cinq semaines en ballon</i>, aux <i>Enfants du capitaine, +Grant</i>, au <i>Capitaine Hatteras</i>, etc. Cet étonnant romancier poursuit un +plan qui consiste à faire faire à son public la découverte successive de +toutes les parties du monde et de tous les phénomènes du globe. Nous +avons encore un bon bout de chemin en perspective. Savez-vous ce qu'il +m'a répondu tout dernièrement? Je lui demandais quelles surprises +nouvelles il nous réservait et s'il nous était permis de compter sur une +deuxième série aussi riche que la précédente.</p> + + <p>--N'est-ce que cela! me dit-il gaiement, apprenez qu'elle est toute +composée cette série à venir; il ne me faut plus que le temps de +l'écrire.</p> + + <p>--Tout va bien, répliqua mon ami, mais avec tout cela je ne vois pas +pourquoi tu nous a parlé du compas et de l'équerre d'Édouard?</p> + + <p>--M'y voici. Nous lui donnerons les Sciences usuelles et leurs +applications mises à la portée de tous, par le capitaine de frégate +Louis du Temple. Ce livre-là serait un peu trop sérieux pour Jujules; il +fera le bonheur d'Édouard. Figurez-vous, mes amis, la mécanique et la +géométrie racontées par un homme qui a appris la science à de pauvres +mécaniciens de la marine, à des gens presque illettrés mais pleins +d'ardeur, de bon vouloir et de dévouement. Ce sera bien le diable si +sous la direction d'un tel maître Edouard ne devient pas un mécanicien +de premier ordre. Je tiens à être là pour jouir de sa joie quand il +recevra ce magnifique volume, et si vos mains sont trop pleines de +cadeaux pour y joindre celui-là, c'est moi qui m'en chargerai.</p> + + <p>--Mais non! dit la jeune femme en riant, je n'accepte pas l'épigramme; +me voilà bel et bien convertie, et je vous promets que le n° 18 de la +rue Jacob comptera désormais une cliente aussi assidue que dévouée. +N'abusez pas de votre victoire.</p> + + <p>--Ainsi, ajouta mon ami, c'est toute une bibliothèque que nous +introduisons dans la famille. Quelle heureuse chance pour moi d'avoir eu +pour auxiliaire un ami dont le métier consiste précisément à lire les +livres nouveaux pour guider autant que possible le choix du grand +public. Si grâce à toi, le budget des étrennes est un peu plus lourd que +de coutume, je ne m'en plaindrai pas.</p> + + <p>--C'est encore une erreur, répondis-je, et ce sera mon dernier mot. Le +plus riche, le plus luxueux de ces beaux livres, les <i>Contes de +Perrault</i>, de Doré, qu'il faudra donner à Mimi, dans un an ou deux, ne +coûte pas à beaucoup près ce que coûte une soirée dans un théâtre de +genre, qui trop souvent se trouve être un théâtre de mauvais genre; il +coûte moins qu'un joujou vulgaire de chez Giroux, une boîte de bonbons +de Roissier, une fleur artificielle à mettre dans vos cheveux, madame, +ou la fumée de quelques cigares de choix que monsieur achètera au +Grand-Hôtel. Direz-vous que ce qui serait trop d'argent pour une chose +qui reste ne serait rien pour une chose qui passe?</p> + + <p>--Non! non! s'écrièrent en chœur mes deux amis, le mari et la femme, +associés et réconciliés dans le même sentiment. Nous voilà d'accord.</p> + + <p>--Tout est donc bien qui finit bien, répondis-je en fermant l'entretien; +cela finit d'autant mieux que mon article est fait. Tant pis pour vous, +je vous préviens que je vais livrer au public toute notre conversation +sans y changer un mot.</p> + + <p>--Tu ne nous nommeras pas au moins!</p> + + <p>--Je le jure! Je me bornerai à vous soumettre mon procès-verbal et à +signer pour copie conforme:</p> + + <p>Prosper Chazel.</p> + +<br><br> + + <h2>LA SŒUR PERDUE</h2> + + <h3>Une histoire du Gran Chaco</h3> + + <p class="mid">(Suite)</p> + <br> + + <h3>CHAPITRE X</h3> + + <h4>ARRÊTÉS PAR UN «RIACHO.»</h4> + + <h4>LES GYMNOTES</h4> + + <p>Les voyageurs se trouvaient à un mille de distance de leur dernière +halte quand les hautes berges du Pilcomayo commencèrent à se déprimer, +puis à s'abaisser jusqu'à se mettre presque de niveau avec le fleuve. La +colline qu'ils avaient jusqu'alors suivie se continuait sur l'autre +bord, comme si elle eût été coupée par le courant qui formait en cet +endroit une série de rapides contre lesquels l'eau se brisait en +bouillonnant et avec un bruit assourdissant.</p> + + <p>Les voyageurs n'y prêtèrent pas attention; ils descendirent la pente et +continuèrent à remonter le cours d'eau.</p> + + <p>Ils ne tardèrent pas à se heurter contre un obstacle inattendu. C'était +une sorte de ruisseau lent, un <i>riacho</i> (2) qui débouchait +perpendiculairement dans le Pilcomayo ou en sortait, suivant la saison +et les caprices de l'inondation. En ce moment il semblait être immobile, +parce que la rivière principale, subitement enflée par l'ouragan, +arrêtait le courant plus tranquille de son affluent. Ses eaux étaient +jaunâtres et comme mêlées de terre et de sable. Le seul moyen d'en +savoir la profondeur était d'y entrer à cheval, mais l'expérience était +dangereuse.</p> + + <blockquote><span class="sml"><b>Note 2:</b> Le <i>riacho</i> de l'Amérique du Sud est un cours d'eau tributaire +d'une grande rivière. Il ressemble au bayou de la Louisiane. En temps +d'inondation son courant change de direction et revient sur lui-même.</span></blockquote> + + <p>Il ne fallait pas songer à tourner pour le franchir au-dessus de sa +source, ni à chercher un gué en le remontant. Le riacho était droit +comme un canal, et les cavaliers pouvaient le suivre des yeux à travers +la plaine sur une étendue de plus de dix milles présentant toujours la +même largeur et probablement la même profondeur que sous la tête de +leurs chevaux.</p> + + <p>Que faire? remonter jusqu'à la source aurait exigé une demi-journée tout +entière. Cypriano était trop impatient pour y songer et Gaspardo +lui-même paraissait médiocrement disposé à un retard. Essayer de passer +à l'endroit où ils se trouvaient semblait être une entreprise +hasardeuse; il leur faudrait peut-être nager. Cependant cette +alternative ne les eût pas arrêtés si le bord opposé avait offert une +pente douce ou quelque point facile qui permit aux chevaux d'aborder. +Mais il n'en était pas ainsi; au contraire, la berge s'élevait +perpendiculairement à plus de deux pieds au-dessus de l'eau, et, sous +l'eau, cette sorte de muraille pouvait être encore plus profonde. Les +voyageurs étaient dans l'impossibilité d'évaluer la profondeur à cause +de la coloration de l'eau, conséquence de la tormenta, et il n'existait +ni courant ni rides pour les aider à se former une opinion même +approximative.</p> + + <p>Ils restaient indécis sur leurs selles. S'il avait été seul, Cypriano, +dans son impatience, aurait lancé son cheval en plein cours d'eau, mais +Gaspardo avait mis la main sur la bride en lui disant: «Patience! il est +bon de réfléchir, même avant de faire une folie.»</p> + + <p>Ils demeurèrent ainsi pendant plus de dix minutes, tantôt jetant les +yeux sur le ruisseau, tantôt se regardant les uns les autres.</p> + + <p>«<i>Gracias a Dios!</i> que Dieu soit loué! s'écria tout d'un coup le +gaucho.»</p> + + <p>Il proféra cette exclamation d'un ton si satisfait et avec un tel soupir +de soulagement que ses jeunes camarades comprirent que le problème était +résolu et que le moyen de passer était découvert.</p> + + <p>«Qu'avez-vous imaginé, mon bon Gaspardo? demanda Cypriano, toujours le +plus prompt à interroger.</p> + + <p>--Regardez là-bas, dit Gaspardo? en montrant de la main l'endroit où +l'affluent réunissait ses eaux à celles du fleuve. Que voyez-vous +là-bas, senoritos?</p> + + <p>--Rien de particulier, quelques grands oiseaux blancs avec de longs +becs, qui ressemblent à des grues.</p> + + <p>--Certainement, ce sont des grues, et même des grues soldats, des +<i>garzones</i> (3). Eh bien! qu'en pensez-vous?</p> + + <blockquote><span class="sml"><b>Note 3:</b> Le <i>garzon</i> est la plus grande des grues de l'Amérique du Sud. +Il possède une hauteur de cinq pieds; ses jambes sont longues et grêles; +son bec pointu est immense; il a sous la gorge un sac rouge comme un +pélican et son plumage est presque d'un blanc de neige.</span></blockquote> + + <p>--Qu'elles nagent?</p> + + <p>--Nager! pas le moins du monde. Le garzon ne nage jamais. Elles passent +à gué, senoritos; oui! à gué.</p> + + <p>--Eh bien! après? fit Ludwig.</p> + + <p>--Comment! après? Je suis étonné que vous, naturaliste, un savant qui +avez appris à raisonner, vous ne liriez pas la conclusion d'un fait +aussi clair.</p> + + <p>--Quelle conclusion? demanda naïvement le jeune savant.</p> + + <p>--La plus simple du monde, à savoir que comme le dit la chanson, si les +canards l'ont bien passé, nous passerons nous aussi le riacho. Les grues +ont de longues jambes, c'est vrai, mais où un garzon peut passer, un +cheval n'est pas obligé de nager. Non, muchachos! nous traverserons à +l'endroit où ces gros oiseaux blancs sont en train de s'amuser. Nous +pourrions même peut-être le faire ici, mais cela serait moins sûr. Il y +a évidemment une barre de sable entre le riacho et la rivière et voilà +pourquoi les grues sont à l'eau. J'ajoute que, si elles y sont, ce n'est +pas pour le simple plaisir d'y prendre un bain de pieds. Il est probable +que l'orage a troublé les poissons et les a ramenés du large contre la +barre. Les grues, les trouvant là à leur portée, y sont venues à leur +tour. Tout s'enchaîne à merveille, vous le voyez, et nous n'avons +nous-mêmes rien de mieux à faire que de mettre à profit le résultat de +l'expérience faite par les grues.»</p> + + <p>Le gaucho avait raison. Les <i>garzones</i> étaient activement occupés à +pêcher; les uns plongeaient leur bec sous l'eau, d'autres, la tête +renversée, montraient sous leur gorge de vastes poches écarlates +gonflées par le poisson qu'ils s'efforcaient d'engloutir.</p> + + <p>«C'est pitié de les déranger de leur dîner, dit Gaspardo, surtout après +le service qu'elles nous ont rendu en nous montrant le gué. Por Dios! Il +nous faut pourtant le faire, il n'y a pas moyen de l'éviter. Allons, +senoritos, descendons, nous demanderons en passant pardon à mesdames les +grues de la liberté que nous prenons à leurs dépens.»</p> + + <p>En disant ces mois, Gaspardo se dirigea vers le confluent des deux cours +d'eau, suivi par ses compagnons qui n'avaient fait, comme on le pense, +aucune objection au discours du brave gaucho.</p> + + <p>Au bout de deux cents pas, ils arrivaient au territoire de pêche des +grues.</p> + + <p>Ces grands oiseaux, effrayés par l'approche de créatures si différentes +de celles qu'ils voyaient ordinairement, se hâtèrent d'avaler le contenu +de leurs poches écarlates, puis, agitant leurs grandes ailes au-dessus +de l'eau, s'élevèrent dans les airs en protestant par leurs cris contre +le dérangement qu'on leur causait!</p> + + <p>Pendant un moment, ils tournèrent au-dessus de la tête des cavaliers en +poussant leurs notes perçantes, comme s'ils avaient espéré disputer aux +cavaliers le passage du ruisseau. Cependant, quand les chevaux se mirent +à l'eau, ils comprirent que pour le moment leur pèche était finie, et, +cessant leurs bruyantes démonstrations, ils partirent l'un après l'autre +en quête d'une retraite plus tranquille.</p> + + <p>Le passage était tel que Gaspardo l'avait supposé; c'était une barre +entre le fleuve principal et son tributaire. Ni en aval ni en amont les +chevaux n'auraient pu passer à gué, et même sûr la barre, au point le +plus profond, leurs sangles baignaient dans l'eau.</p> + + <p>La distance à parcourir était de plus de cent mètres, car c'était à +cette place que le riacho avait sa plus grande largeur.</p> + + <p>Ils avaient franchi les deux tiers du passage et se félicitaient déjà +d'être bientôt arrivés sur l'autre rive, quand tout d'un coup les +chevaux firent halte en frémissant de la tête aux pieds.</p> + + <p>Au même instant, chacun des trois cavaliers ressentit une commotion +étrange et tellement simultanée, que leurs exclamations s'échappèrent de +leurs trois bouches à la fois comme d'un seul gosier..</p> + + <p>Gaspardo seul reconnut la cause de ces chocs imprévus.</p> + + <p>«Caramba! s'écria-t-il, c'est une raie électrique. Non pas une, mais +peut-être un millier! Il y en a tout autour de nous, je le vois bien au +frémissement des chevaux. Donnez de l'éperon, senoritos! donnez de +l'éperon, ou nos bêtes paralysées n'atteindront jamais le bord!»</p> + + <p>Ainsi apostrophés, les jeunes gens piquèrent de toute la force de leurs +talons, et leurs montures s'avancèrent encore, mais avec inquiétude et +une visible irrésolution. Parfois elles essayaient de reculer en dépit +des coups d'éperon.</p> + + <p>Les cavaliers n'échappaient pas à cette influence. Le fluide subtil +courant le long des membres des chevaux, pénétrait dans le système +nerveux des hommes et leur causait de violentes secousses. Tous les +trois se sentirent d'autant plus troublés, que la force ne pouvait rien +contre l'obstacle bizarre qui s'opposait à leur marche en avant. +Gaspardo seul conservait encore assez de présence d'esprit pour parler +et agir.</p> + + <p>«Éperonnez, criait-il, éperonnez! si nous ne gagnons pas le bord +rapidement, les gymnotes auront raison de nous et de nos bêtes. Nos +chevaux s'enfonceront dans l'eau comme des pierres et nous-mêmes, si +nous n'échappons pas à l'influence de ces infernales bêtes, nous ne +pourrons passer ni à gué ni en nageant. En avant donc, senoritos! Jouez +de la cravache et des éperons comme s'il s'agissait du salut de nos +Ames!»</p> + + <p>Ludwig et Cypriano n'avaient pas besoin d'être excités. Ils sentaient +parfaitement l'imminence du péril et ne comprenaient que trop que chaque +minute le décuplait. Tous deux poussaient leurs montures autant que le +leur permettait leur énergie défaillante.</p> + + <p>Gaspardo le premier finit par atteindre le bord; il fut suivi de près +par Cypriano. Mais quand tous deux, se retournant, jetèrent les yeux sur +Ludwig, ils s'aperçurent que celui-ci était resté en arrière d'eux, à +quelques mètres de la rive; son cheval tremblait comme une feuille et +refusait d'avancer. Le cavalier commençait à perdre la tête en voyant +l'inutilité de ses efforts. Tout d'un coup sa monture cessa de bouger. +Le gaucho et Cypriano la virent peu à peu enfoncer. Evidemment Ludwig +était hors d'état de la retenir,</p> + + <p>Cypriano fit mine de descendre de cheval et de se jeter à l'eau pour +aller au secours de son cousin.</p> + + <p>«Gardez-vous-en bien, s'écria le gaucho. Vous n'arriverez qu'à périr +avec lui. Il y a mieux à faire pour le salut de Ludwig.»</p> + + <p>En même temps il détachait son lazzo de sa selle et le faisait tournoyer +autour de sa selle. Le nœud coulant tomba juste sur les épaules de +Ludwig. Le jeune homme enlevé de sa bête abordait, cinq minutes après, +sain et sauf sur le rivage.</p> + + <p>Sans perdre un instant, le gaucho relâcha le lazzo, le détacha +promptement des épaules de Ludwig, le fit siffler encore, et le lança +sur le cheval, dont l'arrière-train était déjà sous l'eau.</p> + + <p>Cette fois, la boucle largement ouverte tomba sur le cou de l'animal en +entourant dans sa première moitié la haute selle espagnole qu'il +portait; Gaspardo, assurant solidement le lazzo autour de son poignet et +de son avant-bras, fit faire demi-tour à sa propre monture du côté +opposé à la rive, et l'encourageant de la voix, il la lança d'un élan +vigoureux en avant.</p> +<br> + <h4>CHAPITRE XI</h4> + + <h4>LE POISSON QUI FAIT DU FEU</h4> + + <p>Il y eut une lutte violente au milieu du riacho; elle dura peu. Le +cheval de Ludwig reprenait courage en se sentant secouru; il fit un +effort de vigueur pour aider à celui qui était tenté en sa faveur; ses +jambes de derrière, dégagées, reprirent bientôt leur fonction, et il +finit par prendre terre à son tour.</p> + + <p>Le bord de ce cours d'eau bourbeuse présentait un étrange tableau; les +trois chevaux frissonnant semblaient près de défaillir, et leurs +cavaliers n'étaient guère dans un meilleur état.</p> + + <p>Le plus âgé des trois conservait encore un peu de force, mais il était +loin de se sentir aussi solide et aussi alerte que d'habitude. Jamais il +n'avait subi une si violente attaque des gymnotes, et il ne pouvait +s'expliquer leur puissance extraordinaire qu'en l'attribuant à +l'électricité de la tempête, qui sans doute avait surexcité en elles +l'énergie du fluide.</p> + + <p>C'était là en effet l'explication la plus plausible du fait; la raie +électrique, parfois complètement inoffensive, est d'autres fois l'animal +le plus dangereux qu'il soit possible de rencontrer au sein des eaux.</p> + + <p>Les chevaux furent quelque temps avant de se remettre de l'influence et +des souffrances causées par les décharges galvaniques des gymnotes. Les +cavaliers et Gaspardo lui-même avouaient qu'ils se sentaient très-mal à +leur ai$e. Cependant le gaucho finit par retrouver sa vaillante humeur. +Le succès de sa double pêche au lazzo, la première qu'il eût faite en ce +genre, l'avait ragaillardi, et il communiqua un peu de son entrain à ses +deux compagnons. Ils reprirent sans délai leur voyage, et, tout en +continuant à suivre les bords du Pilcomayo, Gaspardo donnait à ses +jeunes compagnons toutes les observations à sa connaissance relativement +aux singuliers animaux auxquels ils avaient eu tant de peine à se +soustraire.</p> + + <p>«Les gauchos, dit-il, les appellent des raies: cependant j'ai entendu le +senor Ludovico (il désignait ainsi le père de Ludwig) leur donner le nom +de gymnotes (4). Je suppose que c'est celui qui est connu des +naturalistes.</p> + + <blockquote><span class="sml"><b>Note 4:</b> La gymnote possède une merveilleuse puissance électrique. Les +chevaux e! les bestiaux qui passent à gué les marécages ou ruisseaux +peuplés par ces singulières créatures succombent souvent sous leurs +chocs galvaniques. L'incident que nous rapportons est en parfaite +concordance avec les phénomènes observés.</span></blockquote> + + <p>--C'est vrai, répondit le jeune Ludwig en s'intéressant aux paroles de +Gaspardo. C'est là en effet leur nom scientifique.</p> + + <p>--Avez-vous jamais vu de près un de ces vilains diables? demanda +Gaspardo.</p> + + <p>--Non, répliqua Ludwig, mais j'ai souvent entendu mon père en parler.»</p> + + <p>A ces mots de «: père», un nuage passa sur les traits du jeune homme; il +était évident qu'il ne pensait déjà plus aux gymnotes.</p> + + <p>«Moi, dit Gaspardo, j'en ai vu beaucoup. Près de l'endroit où j'allais à +l'école, il y avait une espèce de mare qui était pleine de raies +électriques, et nous autres enfants nous nous en amusions beaucoup, +quoique nous en eussions très-peur. Vous allez voir que ce n'était pas +sans raison. Je me souviens qu'un jour j'assistai à un triste spectacle. +Un vieux bœuf, qui n'avait plus qu'un œil, s'était laissé choir dans +cette mare. Les enfants ne doutent de rien; j'avais eu la chance +d'accrocher, avant que la pauvre bête ne fût à vau-l'eau, une corde à +l'extrémité de ses cornes; nous nous mimes une douzaine au moins à tirer +sur cette corde, persuadés que nos efforts suffiraient à ramener le +pauvre animal du gouffre où il était tombé. Naturellement nous n'y +parvînmes pas. Le malheureux bœuf n'en eut pas pour longtemps. Je le +vois encore, après s'être débattu un instant, s'abîmer tout d'un coup +sous l'eau, comme s'il eût été frappé d'un coup de foudre invisible. +Jamais je n'oublierai le regard de détresse qu'il nous jeta avant de +disparaître; ils ont de si bons regards, les bœufs; mais ce que +j'oublierai encore moins, c'est le châtiment inattendu que nous reçûmes +du propriétaire du bœuf, dont nous espérions des remerciements, +châtiment dû, nous dit-il, à la maladresse de nos efforts.</p> + + <p>«C'était le maître d'école lui-même, un homme pratique, qui ne se payait +ni de bonnes paroles ni même de bonnes intentions. «Vous vous êtes tous +conduits comme des imbéciles, s'écria-t-il, en essayant de faire une +chose tellement au-dessus de vos forces. Il fallait crier au secours, +venir me chercher. Je n'étais pas loin et mon bœuf serait encore en +vie. Savoir ce qu'on peut et ce qu'on ne peut pas, connaître la mesure +de ses forces est indispensable à tout âge, et pour que vous vous +souveniez de cette utile maxime, je vais vous appliquer à chacun quelque +chose qui vous la fixera dans la mémoire.»</p> + + <p>«Nous reçûmes tous une demi-douzaine de férules. Jamais correction ne +fut administrée avec une plus grande impartialité. Chacun en eut son +compte.</p> + + <p>--C'était un méchant homme ce maître d'école, s'écria Cypriano...</p> + + <p>--Un peu rude, j'en conviens, répondit Gaspardo, mais c'était surtout un +homme sensé et judicieux. Ces férules m'ont sauvé de bien des sottises +dans ma vie, et, s'il faut tout dire, elle vous a été utile à vous-même. +Je me la suis rappelée à propos dans notre caverne, tout à l'heure, +quand il s'agissait d'abattre à coups de fusil notre second tigre. +L'affaire était chanceuse. C'est grâce à la mémorable leçon de notre +vieux maître que j'ai donné la préférence à notre fusée sur une décharge +d'artillerie dont reflet n'était pas certain. Pour en revenir à nos +raies électriques, je ne me doutais pas, à l'époque où s'est passée +l'histoire que je viens de vous raconter, que j'aurais à me tirer +d'affaire avec elles aujourd'hui et dans une circonstance aussi sérieuse +que celle d'où nous sortons. Soyez sûr, mon cher Ludwig, que le souvenir +du bœuf et de la leçon énergique subie à cause de lui m'a inspiré +heureusement tout à l'heure, quand je me suis servi de mon cheval comme +d'un remorqueur pour le vôtre.</p> + + <p>--Pauvre Gaspardo, dit Cypriano, c'est pourtant vrai que nous voici tenu +de bénir le vieux maître d'école auquel il a dû un enseignement si +difficile à oublier.»</p> + + <p>La conversation continua sur les raies électriques.</p> + + <p>«Vous dites que vous avez vu des raies électriques, cousin, demanda +Ludwig. A quoi ressemblent-elles?</p> + + <p>--Le gaucho peut vous le dire mieux que moi.</p> + + <p>--A quoi ressemblent-elles, Gaspardo?</p> + + <p>--Ma foi, <i>muchachos</i>, si l'on me demandait de faire une description de +ces vilaines bêtes, je répondrais qu'elles ne ressemblent à rien. +L'animal le plus laid de la création pourrait être vexé de leur être +comparé. S'il y a de l'eau en enfer, c'est d'animaux comme ceux-là +qu'elle doit être peuplée.</p> + + <p>--Tout cela ne nous apprend pas à quoi ressemble une raie électrique, +interrompit Ludwig, auquel l'amour de l'histoire naturelle faisait +désirer une description plus précise.</p> + + <p>--Non certainement, répliqua le gaucho, mais ce n'est pas une chose +aisée que de décrire un poisson qui n'est peut-être pas un poisson, +quoiqu'il passe son temps sous l'eau.</p> + + <p>--Quant à être un poisson, c'est un poisson, fit le jeune naturaliste, +tout aussi bien que les autres raies, mais quelle est sa forme, sa +couleur, sa dimension?</p> + + <p>Mayne Reid.</p> + + <p>(<i>La suite prochainement.</i>)</p> + + <br><br> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/006.png"><br><b>LES TORTUES DE MER A PARIS.--Décapitation d'une grosse +tortue.</b></p> + +<br><br> + + <h3>LA SŒUR PERDUE </h3> + + <h4>PAR MAYNE REID</h4> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/007a.png"><br> + <b>Le vieux mâle gisait inanimé. + De petits hiboux occupaient le sol en +<br> commun avec lesquadrupèdes.</b></p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/007b.png"><br> +<b>Chacun d'eux penché sur le sol. + La construction en était toute primitive.</b></p> + +<br><br> + + <h3>REVUE LITTÉRAIRE</h3> + + <h4>LES LIVRES D'ÉTRENNES</h4> + + <h4>II</h4> + + <p>Parmi tous ces livres gaufrés et dorés que le jour de l'an fait naître, +il en est un que je trouve particulièrement recommandable, c'est le +<i>Magasin d'éducation et de récréation</i>, fondé, il y a quelques années, +par M. J. Hetzel, avec la collaboration spéciale de Jean Macé et de +Jules Verne. Le <i>Magasin d'éducation</i> en est arrivé maintenant à sa +neuvième année, à son dix-huitième volume, et la plupart des ouvrages +qu'il a publiés, <i>Les Anglais au pôle nord, Les Enfants du capitaine +Hatteras, Le Pays des fourrures</i>, de Jules Verne, <i>La Roche aux +Mouettes</i>, de Jules Sandeau, <i>Les Contes du château</i>, de Jean Macé, et +les délicieuses historiettes de P.-J. Stahl, ses contes et récits de +morale familière, sont rapidement devenus populaires. Je ne sais rien de +plus intéressant et de plus curieux que de feuilleter, sous la lampe, +ces volumes où la gravure vient en aide à l'imagination, où le dessin +explique et anime le texte, où les yeux sont charmés avant l'esprit. Les +enfants seraient trop heureux si ces beaux livres, ces récits qui les +captivent, qui les amusent, ces images qui les séduisent, si tout cela +était fait pour eux seuls. Mais les parents,--ces grands enfants,--y +trouvent aussi leur compte. Il y a, dans le <i>Magasin d'éducation</i>, comme +dans toute la bibliothèque d'Hetzel, des catégories de lectures pour +tous les âges.</p> + + <p>D'abord, le premier âge, qui se plaira, par exemple, à cette capricieuse +histoire de <i>La Famille Chester</i>, que P.-J. Stahl a écrite en +collaboration avec W. Hugues, ou encore à <i>La Comédie enfantine</i> et aux +jolis dessins de Froment, adorables comme des fresques antiques ou comme +les meilleurs tableaux d'Hamon. En ce genre, <i>La Boîte au lait</i>, tableau +de la «première commission» de Fanchette, est tout à fait une chose +exquise. Les hésitations de Fanchette portant la boîte au lait à tante +Rose, ses stations, ses tentations, sa gourmandise bientôt punie, tout +cela est rendu avec une délicatesse infinie, et c'est là une véritable +œuvre d'art.</p> + + <p>Le deuxième âge et la jeunesse ont les récits didactiques de Jean Macé +et de Viollet-le-Duc, l'<i>Histoire d'une maison</i>, entre autres, où +l'éminent architecte explique avec beaucoup de clarté et d'esprit +comment on s'y prend pour conduire un logis de la base au faite. Il faut +placer aussi dans cette catégorie les romans de Lucien Biart ou du +capitaine Mayne-Reid, les aventures de terre et de mer dont les lecteurs +de l'<i>Illustration</i> ont pu mieux que personne mesurer le mérite, +puisqu'ils connaissent <i>La Sœur perdue</i>, ce vigoureux tableau de mœurs +exotiques.</p> + + <p>Les parents enfin, ceux qui lisent ces livres par-dessus les épaules et +la tête de leurs enfants, ont pour eux <i>Le Tour du monde en 80 jours</i> et +<i>Le Pays des fourrures</i>, et la <i>Géographie de la France</i> et les +<i>Sciences usuelles</i>, mises à la portée de tous par M. Louis du Temple, +un capitaine de frégate qui écrit avec une lucidité étonnante. Elle est +riche, on le sait, cette collection Hetzel, et les dix-huit volumes du +<i>Magasin d'éducation</i> forment, à eux seuls, une bibliothèque véritable, +la plus instructive et la plus attachante. Quelle richesse d'inventions, +quelle dépense d'imagination et de talent! Comme ce Magasin est +supérieur à notre pauvre <i>Journal des Enfants</i> qui faisait jadis notre +joie! On y sent à chaque page la main d'un artiste et d'un lettré. Cet +homme-double, c'est Hetzel, le plus fin moraliste, l'écrivain délicat, +l'homme qui sait le mieux ce qui plaît le plus à ces critiques sévères; +les enfants. Hetzel a vraiment créé tout un genre de livres, et n'eût-il +pas droit à la renommée littéraire la plus brillante (il en a fait don à +P.-J. Stahl), qu'il mériterait encore d'être béni des lettres pour avoir +fondé en France un genre moral et familier, mais artistique, que la +France ne connaissait pas.</p> + + <p>Cette fois, outre les deux volumes annuels de ce <i>Magasin d'éducation</i> +dont la collection entière, les deux séries, formeraient la plus +magnifique étrenne et la plus intelligente qu'on pût donner, Hetzel +publie plusieurs excellents ouvrages que j'ai grand plaisir à signaler +et d'une façon toute spéciale.</p> + + <p>C'est, ai-je dit, <i>La Famille Chester</i>, de P.-J. Stahl. Cette histoire +de «deux petits orphelins», qui ne sont autres que deux malheureux +<i>rats</i> de Londres, eût fait sourire J.-J. Grandville. Les dessins sont +de Frœlich et ils sont ravissants. C'est l'<i>Histoire d'une maison</i>, de +Viollet-le-Duc, avec des illustrations et des figures qui mettent ce +grand art de l'architecture à la portée de tous. C'est le joli volume de +Lucien Biart, <i>Entre frères et sœurs</i>, où toutes les menues +connaissances scientifiques indispensables à la conversation sont +enfermées avec beaucoup de talent. C'est, encore une fois, <i>La Sœur +perdue</i>, de Mayne-Reid, c'est enfin l'œuvre de Jules Verne, qui se +trouve augmentée de deux volumes, <i>Le Tour du monde en 80 jours</i> et <i>Le +Pays des fourrures</i>. Lorsqu'on parle de Jules Verne, il suffit de donner +le titre de son nouveau livre; il a son public, sa spécialité, son +originalité, et personne auprès du public n'a plus de vogue que lui. Le +fait est que ses récits, où la fantaisie se mêle si agréablement à la +science, sont des plus attachants. Je sais des lecteurs qui en sont +fanatiques. <i>Le Tour du monde en 80 jours</i> et <i>Le Pays des fourrures</i> +auront certainement, ou, pour mieux dire, ont maintenant le succès des +précédents ouvrages de l'auteur, <i>Cinq semaines en ballon</i>, ou encore +<i>De la Terre à la Lune</i>. M. Verne a évidemment mis à profit, pour écrire +et décrire son <i>Pays des fourrures</i>, les récits intéressants de M. +Hayes, mais il a peint d'une touche toute personnelle ces paysages du +pôle, cette mer de glace, ces <i>icebergs</i>, et de telle façon qu'on ne +saurait les oublier. Ce dernier livre est l'un de ses bons livres, Il +vaut tout ce que l'auteur a fait de mieux et l'Académie pourra fort bien +le couronner, comme elle a couronné les précédents ouvrages et le +<i>Magasin d'éducation</i> tout entier.</p> + + <p>J'ai dit quel petit chef-d'œuvre c'était que <i>La Boite au lait</i>, de M. +Froment; il faut ajouter qu'Hetzel publie, dans le même genre, +d'adorables albums, comme <i>Les Commandements du grand papa</i>, illustrés +par Lorentz Frœlich, et <i>Les Aventures de Mademoiselle Minette</i>, qui se +recommandent tout particulièrement au public par le nom de l'artiste qui +en a signé les dessins. C'est Coinchon, un brave garçon, garde national +de marche au 19 janvier, et tué, comme Henri Régnault, devant le mur de +Buzenval. Coinchon a fait pour Mademoiselle Minette des études de chats +et de chattes absolument réussies. Il y avait un vrai talent chez le +malheureux jeune homme. On ne saurait trop louer ces livres-albums, dont +le texte est de P.-J. Stahl, et il faut avoir, pour écrire les légendes +de ces dessins, un talent d'écrivain d'une trempe parfaite. Cela n'a +l'air de rien, ces quelques lignes mises au bas d'un croquis de Frœlich +ou de Froment, et, pour les tracer, il faut posséder à la fois les +qualités les plus rares, la finesse, la simplicité, l'émotion, une +certaine tendresse, la science de l'enfance, toutes choses qui ne se +peuvent trouver, on l'avouera, que chez des natures d'élite.</p> + + <p>Hetzel a donc donné, cette année comme les années précédentes, des +œuvres de choix, et il en prépare déjà de nouvelles, l'<i>Histoire d'un +âne</i>, par Stahl, l'<i>Île mystérieuse</i>, par J. Verne, <i>Une Mère</i>, par M. +Legouvé, et la <i>Petite sœur</i>, par M. de Laprade. Et c'est plaisir de +voir tous les bons esprits et les cœurs haut placés aider dans son +entreprise l'homme qui a su faire ainsi une révolution dans la librairie +et créer une bibliothèque pour les jeunes esprits, qui seront plus +heureux que notre génération sacrifiée et pénétreront peut-être par la +porte au seuil de laquelle nous aurons usé nos efforts, dans cette +société équilibrée où le bonheur, dit-on (pourquoi ne l'espérerait-on +pas?) sera mieux réparti entre tous, l'injure de la patrie étant depuis +longtemps vengée.</p> + + <p>Ce ne sont pas là d'ailleurs les seuls livres d'étrennes qu'il nous faut +encore signaler. M. Gaston Tissandier a, depuis un an, fondé une sorte +de revue illustrée des sciences qu'il appelle La Nature. La première +année est finie et forme déjà un beau volume d'une utilité et d'un +intérêt absolus. MM. Dehérain, Flammarion, C.-M. Gariel,--un esprit +supérieur, un de nos anciens compagnons de classe,--Amédée Guillemin, E. +Margollé, etc., composent la rédaction de ce recueil que je n'ai point +qualité pour analyser ou critiquer, mais dont je signale avec plaisir +l'apparition et dont je constate le succès.</p> + + <p>M. le marquis de Cherville a publié aussi (chez Didot) un bien joli +volume. On connaît son <i>Histoire d'un trop bon chien</i>. Cette fois, M. de +Cherville nous conte l'<i>Histoire naturelle en action</i>. Il est chasseur, +il est campagnard, il adore les animaux, tout en les abattant d'un coup +de Lefaucheux; mais, à dire vrai, le gibier et lui n'en sont pas moins +bons amis. La preuve en est dans la façon dont il en parle. On n'a pas +plus d'esprit et pas plus d'émotion juste et non affectée que n'en a M. +de Cherville en ces pages qui instruisent et qui amusent, et qui +méritent d'être relues. L'<i>Histoire naturelle en action</i> est un des plus +instructifs recueils de nouvelles qu'on ait publiés depuis longtemps.</p> + + <p>Et les <i>Contes du bibliophile Jacob à ses petits enfants</i>? M. Paul +Lacroix a fait tenir dans ces pages et dans ces quelques récits toute +l'histoire de France de 1350 à 1695. Chaque épisode choisi par le savant +auteur de tant de travaux estimés forme, si je puis dire, le tableau +d'un règne ou d'une époque et, de la sorte, le lecteur s'instruit en +s'amusant. Il s'instruit sans le savoir, car, c'est un fait, le public +n'aime pas qu'on lui dise: venez ici, je vais vous apprendre quelque +chose. Il hait d'instinct les magisters. Mais on n'est pas moins +pédagogue ni pédant que M. Paul Lacroix, et ses <i>Contes du bibliophile +Jacob</i>, avec leurs dessins très-étudiés et très-vrais de M. +Philippoteaux méritent, eux aussi, une place d'honneur.</p> + + <p>Est-ce tout? Certes non. Je dois signaler encore <i>Les Merveilles de la +science</i>, de M. Louis Figuier. C'est un livre plein de faits, groupés +avec art et rendus visibles,--j'allais dire palpables,--par des dessins. +M. Figuier nous apprend là tout ce qu'il faut savoir sur le verre, le +cristal, les poteries, les porcelaines, la soude, le savon, les +potasses. Et tout cela est intéressant comme un roman. A propos de M. +Louis Figuier, je suis bien en retard avec lui, ou du moins avec ses +<i>Vies des savants illustres</i> qu'il publie en volumes in-18 (ce sera +l'édition définitive); je devais depuis de longs mois l'annoncer.</p> + + <p>Je ne reviendrai point sur <i>La Comédie de notre temps</i>, texte et dessins +par Bertall. Je tiens seulement à ajouter, en manière de post-scriptum, +après la notice de l'autre jour, que le livre fait son chemin et que +l'auteur y a trouvé son plus grand succès. L'éditeur, M. Eugène Plon, +nous a adressé depuis un joli volume signé Mustapha, et qui s'appelle +<i>Voyage autour de ma tente</i>. Ce sont de petits croquis militaires d'une +valeur rare. Ce pseudonyme de Mustapha cache, je crois, M le capitaine +Lung, l'auteur d'un très-beau travail sur le <i>Masque de fer</i>. Ce sont là +des souvenirs du temps où le soldat avait le droit de rire. +«Recueillons-les, semble dire <i>Mustapha</i>, et amusons-nous-en encore +jusqu'au jour où il nous sera permis de rire des autres.»</p> + + <p>M. Plon est encore l'éditeur d'une magnifique publication, aujourd'hui +terminée, le <i>Musée des Archives nationales</i>, où l'on retrouve +catalogués, analysés, reproduits très-souvent <i>en fac-similé</i>, les +incomparables trésors historiques conservés à la rue du Chaume. Tout le +inonde n'a pas le loisir d'aller visiter le musée des Archives et +surtout d'en étudier les richesses. Eh bien, là, on retrouve le Musée +lui-même, on le possède dans ces pages savantes qui composent, à dire +vrai, un monument littéraire et historique tout à fait unique. Passer +des sceaux à l'aspect étrange et des signatures bizarres des premiers +rois à l'écriture des Henri IV et des Louis XIV, pour s'arrêter à +Bonaparte, après avoir regardé les morceaux de papier déchiré trouvés +sur le cadavre de Pétion, quel réve! quelle fantastique réalité! Or, +c'est cela, ce sont ces surprises et cette science que ce beau volume, +le <i>Musée des Archives nationales</i>, tient en réserve. Il ne nous suffira +pas de l'avoir loué ainsi, rapidement, nous y reviendrons à coup sûr.</p> + + <p>Il en est, il en sera de même des <i>Fables</i> de La Fontaine, que vient +d'éditer M. Jouaust. La Fontaine illustré par Millet, Stevens, J.-L. +Brown, Detaille, Emile Lévy, etc., et illustré de façon à ce que le +dessin original de l'artiste soit reproduit, si je puis dire, dans sa +réalité même, voilà l'étonnement que nous réservait ce maître +ès-bibliophilie. Il a réussi et nous prédisons, dés à présent, un vif +succès à ces <i>Fables de La Fontaine</i>, que nous rangeons dans la +catégorie des livres d'étrennes, quoique le livre n'ait pas besoin, pour +être apprécié, d'être un livre d'actualité.</p> + + <p>Jules Claretie.</p> + + <br><br> + + <h3>BIBLIOGRAPHIE</h3> + + <p><i>La pluie et le beau temps</i>, météorologie usuelle, par Paul +Laurencin.--A lire le titre de ce charmant petit volume, on pourrait +croire à une œuvre fantaisiste, mais le sous-titre est là pour +rectifier cette impression première et déterminer le domaine dans lequel +l'auteur introduit le lecteur à son grand profit.</p> + + <p>C'est donc de météorologie qu'il s'agit, c'est-à-dire de ces phénomènes +curieux dont l'atmosphère est le théâtre et qui influent sur ce que, +dans le langage familier, on appelle le <i>Temps</i>. L'ouvrage, publié par +J. Rothschild, éditeur, et orné de 110 gravures et cartes, est divisé en +vingt chapitres, où M. Laurencin, en un style clair, précis et d'une +élégante simplicité, traite successivement de la composition de l'air, +de la chaleur et des courants atmosphériques, de l'eau dans +l'atmosphère, de la pluie, de ses bienfaits et de ses méfaits, des +orages, du cyclone, de l'arc-en-ciel, des climats, des saisons, etc., +etc., et montre finalement que tous les phénomènes de la pluie et du +beau temps dérivent d'une cause unique: la chaleur solaire, et que, +jusqu'à un certain point, on peut prévoir les variations atmosphériques. +Cette possibilité de se rendre compte des chances probables de pluie et +de beau temps, pour une époque déterminée, intéresse aussi bien l'homme +de plaisir que l'homme de travail. Aussi sommes-nous convaincus que <i>La +pluie et le beau temps</i>, ce résumé aussi succinct que substantiel de +toutes nos acquisitions touchant la science météorologique, recevra de +tout le monde l'accueil qu'il mérite à tous les titres, c'est-à-dire le +plus favorable et le plus empressé.</p> + + <p>P.</p> + + <p>Au nombre des étrennes les plus belles et les plus utiles, les plus +intéressantes et les plus instructives, nous devons placer en première +ligne un magnifique volume: <i>le Jardin d'acclimatation illustré</i>.</p> + + <p>L'auteur, M. Pierre Pichot, le sympathique directeur et rédacteur en +chef de la <i>Revue britannique</i>, a eu le talent de vulgariser la +zoologie, et son remarquable ouvrage, apprécié des savants, est écrit +dans un style clair et facile, qui le met à la portée de tout le monde.</p> + + <p>Ce splendide livre renferme 25 gravures coloriées et d'innombrables +vignettes; ce n'est pas seulement un excellent guide du Jardin +d'acclimatation; l'auteur a poursuivi un but plus élevé et a réussi à +faire un traité complet de zoologie.</p> + + <p>Le <i>Jardin d'acclimatation illustré</i> se trouve chez Hachette et au bois +de Boulogne, à la librairie du Jardin d'acclimatation. Son prix est plus +modique qu'on ne pouvait s'y attendre pour une publication aussi +importante. (Broché, 15 fr.; richement relié, 20 fr.)</p> + + <p>Il y a deux mois, nous avons vu plusieurs fabricants de machines à +coudre faire grand bruit avec les récompenses qu'ils avaient obtenues à +l'Exposition de Vienne. Sans vouloir diminuer en rien la valeur attachée +aux médailles de progrès et à celles de mérite, que ces maisons ont +affichées, il nous sera permis de leur opposer une maison qui a été +l'objet de distinctions tout exceptionnelles, dont elle s'est peu +vantée. C'est la Compagnie Wheeler et Wilson, de New-York (qui a son +siège à Paris, chez M. H. Séeling, 70, boulevard Sébastopol).</p> + + <p>Cette importante Compagnie, en outre des médailles de progrès et de +mérite qui lui ont été décernées, a seule été recommandée par le jury +international pour le <i>grand diplôme d'honneur</i>. Et dernièrement M. +Nathaniel Wheeler, président de cette Compagnie, a été décoré de +l'<i>ordre de François-Joseph</i>, comme récompense de services éminents +rendus à l'industrie de la machine à coudre,--la seule décoration +accordée à Vienne à un fabricant de machines à coudre.</p> + + <p>Cette double distinction place évidemment la Compagnie Wheeler et Wilson +au-dessus de toutes les compagnies rivales, et comme à Paris en 1867, où +l'unique médaille d'or pour ce genre de fabrication lui a été décernée, +elle a remporté la victoire sur tous ses concurrents.</p> + +<br><br> + + <h3>LA NATURE</h3> + + <h4>REVUE DES SCIENCES EN 1873</h4> + + <p>La nouvelle publication que M. G. Tissandier a fondée cette année, avec +le concours de nombreux écrivains scientifiques, a obtenu de la part du +public l'accueil dont elle était digne. Nous sommes persuadé que le +premier volume qui vient de paraître, et qui comprend le tableau du +progrès en 1873, comptera parmi les livres les plus appréciés de +l'époque du jour de l'an. Les principaux collaborateurs de <i>La Nature</i>: +MM. le Dr. Bertillou, H. Blerzy, Ch. Boissay, Bontemps, P.-P. Dehérain, +C. Flammarion, W. de Fonvielle, C.-M. Gariel, F. Garrigou, J. et M. +Girard, A. Guillemin, Dr. Joly, S. Meunier, E. Margollé, E. Menault, +Vignes, Zurcher, etc., sont trop connus du public pour que nous ayons à +faire l'éloge de leurs travaux. Nous préférons emprunter à <i>La Nature</i> +la description fort intéressante de la nouvelle bouée de sauvetage à +lumière inextinguible, dont un de nos compatriotes, M. Silas, est +l'inventeur.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/009.png"><br><b>Nouvelle bouée de sauvetage lumineuse (système Silas).<br> +Gravure extraite du journal la Nature.</b></p> + + <p>Cette bouée est formée, comme l'indique la gravure contre, d'une sphère +métallique contenant du phosphure de calcium. Un homme tombant à la mer +pendant la nuit, on jette à la surface de l'eau la bouée Silas. L'eau +pénètre dans la sphère creuse, décompose le phosphure de calcium donnant +naissance à un dégagement abondant d'hydrogène phosphoré. Ce gaz +s'échappe par un tube supérieur, mais il a la propriété remarquable de +brûler spontanément au contact de l'air, sans que l'eau puisse +l'éteindre. Une flamme vive, brillante éclaire le naufragé et le guide +tandis qu'il serait irrévocablement perdu si nulle lumière n'apparaissait +au milieu des ténèbres!</p> + + <p>La Nature abonde en faits de ce genre, elle nous donne l'exposé complet +des événements scientifiques récents, des découvertes importantes, ses +belles et nombreuses illustrations en font une publication éminemment +attrayante, et digne à tous égards des plus grands éloges.</p> + +<br><br> + + + + <p class="mid"><img alt="" src="images/008.png"></p> + + <p class="mid">EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS:</p> + + <p class="mid">Le commerce est le lien des nations.</p> + + + +<br><br> +</div> + + + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of L'Illustration, No. 1609, 27 décembre +1873, by Various + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 1609, 27 *** + +***** This file should be named 44277-h.htm or 44277-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/4/4/2/7/44277/ + +Produced by Rénald Lévesque + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. Special rules, +set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to +copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to +protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project +Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you +charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you +do not charge anything for copies of this eBook, complying with the +rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose +such as creation of derivative works, reports, performances and +research. They may be modified and printed and given away--you may do +practically ANYTHING with public domain eBooks. Redistribution is +subject to the trademark license, especially commercial +redistribution. + + + +*** START: FULL LICENSE *** + +THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE +PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK + +To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free +distribution of electronic works, by using or distributing this work +(or any other work associated in any way with the phrase "Project +Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project +Gutenberg-tm License available with this file or online at + www.gutenberg.org/license. + + +Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm +electronic works + +1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm +electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to +and accept all the terms of this license and intellectual property +(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all +the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy +all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your possession. +If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project +Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the +terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or +entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8. + +1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be +used on or associated in any way with an electronic work by people who +agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few +things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works +even without complying with the full terms of this agreement. See +paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project +Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement +and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic +works. See paragraph 1.E below. + +1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation" +or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project +Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the +collection are in the public domain in the United States. If an +individual work is in the public domain in the United States and you are +located in the United States, we do not claim a right to prevent you from +copying, distributing, performing, displaying or creating derivative +works based on the work as long as all references to Project Gutenberg +are removed. Of course, we hope that you will support the Project +Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by +freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of +this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with +the work. You can easily comply with the terms of this agreement by +keeping this work in the same format with its attached full Project +Gutenberg-tm License when you share it without charge with others. + +1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern +what you can do with this work. Copyright laws in most countries are in +a constant state of change. If you are outside the United States, check +the laws of your country in addition to the terms of this agreement +before downloading, copying, displaying, performing, distributing or +creating derivative works based on this work or any other Project +Gutenberg-tm work. The Foundation makes no representations concerning +the copyright status of any work in any country outside the United +States. + +1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg: + +1.E.1. The following sentence, with active links to, or other immediate +access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear prominently +whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work on which the +phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the phrase "Project +Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, performed, viewed, +copied or distributed: + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + +1.E.2. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is derived +from the public domain (does not contain a notice indicating that it is +posted with permission of the copyright holder), the work can be copied +and distributed to anyone in the United States without paying any fees +or charges. If you are redistributing or providing access to a work +with the phrase "Project Gutenberg" associated with or appearing on the +work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1 +through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the +Project Gutenberg-tm trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or +1.E.9. + +1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted +with the permission of the copyright holder, your use and distribution +must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any additional +terms imposed by the copyright holder. Additional terms will be linked +to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the +permission of the copyright holder found at the beginning of this work. + +1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm +License terms from this work, or any files containing a part of this +work or any other work associated with Project Gutenberg-tm. + +1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this +electronic work, or any part of this electronic work, without +prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with +active links or immediate access to the full terms of the Project +Gutenberg-tm License. + +1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary, +compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any +word processing or hypertext form. However, if you provide access to or +distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format other than +"Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official version +posted on the official Project Gutenberg-tm web site (www.gutenberg.org), +you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a +copy, a means of exporting a copy, or a means of obtaining a copy upon +request, of the work in its original "Plain Vanilla ASCII" or other +form. Any alternate format must include the full Project Gutenberg-tm +License as specified in paragraph 1.E.1. + +1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying, +performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works +unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9. + +1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing +access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works provided +that + +- You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from + the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method + you already use to calculate your applicable taxes. The fee is + owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he + has agreed to donate royalties under this paragraph to the + Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments + must be paid within 60 days following each date on which you + prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax + returns. Royalty payments should be clearly marked as such and + sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the + address specified in Section 4, "Information about donations to + the Project Gutenberg Literary Archive Foundation." + +- You provide a full refund of any money paid by a user who notifies + you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he + does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm + License. You must require such a user to return or + destroy all copies of the works possessed in a physical medium + and discontinue all use of and all access to other copies of + Project Gutenberg-tm works. + +- You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any + money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the + electronic work is discovered and reported to you within 90 days + of receipt of the work. + +- You comply with all other terms of this agreement for free + distribution of Project Gutenberg-tm works. + +1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm +electronic work or group of works on different terms than are set +forth in this agreement, you must obtain permission in writing from +both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael +Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the +Foundation as set forth in Section 3 below. + +1.F. + +1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable +effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread +public domain works in creating the Project Gutenberg-tm +collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic +works, and the medium on which they may be stored, may contain +"Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate or +corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual +property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a +computer virus, or computer codes that damage or cannot be read by +your equipment. + +1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right +of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project +Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project +Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all +liability to you for damages, costs and expenses, including legal +fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT +LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE +PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE +TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE +LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR +INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH +DAMAGE. + +1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a +defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can +receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a +written explanation to the person you received the work from. If you +received the work on a physical medium, you must return the medium with +your written explanation. The person or entity that provided you with +the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a +refund. If you received the work electronically, the person or entity +providing it to you may choose to give you a second opportunity to +receive the work electronically in lieu of a refund. If the second copy +is also defective, you may demand a refund in writing without further +opportunities to fix the problem. + +1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth +in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS', WITH NO OTHER +WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO +WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE. + +1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied +warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages. +If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the +law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be +interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by +the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any +provision of this agreement shall not void the remaining provisions. + +1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the +trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone +providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance +with this agreement, and any volunteers associated with the production, +promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works, +harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees, +that arise directly or indirectly from any of the following which you do +or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm +work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any +Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause. + + +Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm + +Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of +electronic works in formats readable by the widest variety of computers +including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation information page at www.gutenberg.org + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at 809 +North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email +contact links and up to date contact information can be found at the +Foundation's web site and official page at www.gutenberg.org/contact + +For additional contact information: + Dr. Gregory B. Newby + Chief Executive and Director + gbnewby@pglaf.org + +Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation + +Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide +spread public support and donations to carry out its mission of +increasing the number of public domain and licensed works that can be +freely distributed in machine readable form accessible by the widest +array of equipment including outdated equipment. Many small donations +($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt +status with the IRS. + +The Foundation is committed to complying with the laws regulating +charities and charitable donations in all 50 states of the United +States. Compliance requirements are not uniform and it takes a +considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up +with these requirements. We do not solicit donations in locations +where we have not received written confirmation of compliance. To +SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any +particular state visit www.gutenberg.org/donate + +While we cannot and do not solicit contributions from states where we +have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition +against accepting unsolicited donations from donors in such states who +approach us with offers to donate. + +International donations are gratefully accepted, but we cannot make +any statements concerning tax treatment of donations received from +outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. + +Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation +methods and addresses. Donations are accepted in a number of other +ways including checks, online payments and credit card donations. +To donate, please visit: www.gutenberg.org/donate + + +Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic +works. + +Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm +concept of a library of electronic works that could be freely shared +with anyone. For forty years, he produced and distributed Project +Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. + +Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed +editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. +unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. + + + +</pre> + +</body> +</html> + + diff --git a/old/44277-h/images/001.png b/old/44277-h/images/001.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..935623b --- /dev/null +++ b/old/44277-h/images/001.png diff --git a/old/44277-h/images/001a.png b/old/44277-h/images/001a.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..79c1a2c --- /dev/null +++ b/old/44277-h/images/001a.png diff --git a/old/44277-h/images/001b.png b/old/44277-h/images/001b.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..af12fbe --- /dev/null +++ b/old/44277-h/images/001b.png diff --git a/old/44277-h/images/002a.png b/old/44277-h/images/002a.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..1248999 --- /dev/null +++ b/old/44277-h/images/002a.png diff --git a/old/44277-h/images/002b.png b/old/44277-h/images/002b.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..c02bbe6 --- /dev/null +++ b/old/44277-h/images/002b.png diff --git a/old/44277-h/images/002c.png b/old/44277-h/images/002c.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..a28c78e --- /dev/null +++ b/old/44277-h/images/002c.png diff --git a/old/44277-h/images/003.png b/old/44277-h/images/003.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..f0b4e46 --- /dev/null +++ b/old/44277-h/images/003.png diff --git a/old/44277-h/images/004.png b/old/44277-h/images/004.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..bd6ff27 --- /dev/null +++ b/old/44277-h/images/004.png diff --git a/old/44277-h/images/005.png b/old/44277-h/images/005.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..9a3df03 --- /dev/null +++ b/old/44277-h/images/005.png diff --git a/old/44277-h/images/006.png b/old/44277-h/images/006.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..6710e22 --- /dev/null +++ b/old/44277-h/images/006.png diff --git a/old/44277-h/images/007a.png b/old/44277-h/images/007a.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..601684a --- /dev/null +++ b/old/44277-h/images/007a.png diff --git a/old/44277-h/images/007b.png b/old/44277-h/images/007b.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..4b338d9 --- /dev/null +++ b/old/44277-h/images/007b.png diff --git a/old/44277-h/images/008.png b/old/44277-h/images/008.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..acb6931 --- /dev/null +++ b/old/44277-h/images/008.png diff --git a/old/44277-h/images/009.png b/old/44277-h/images/009.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..93c17fd --- /dev/null +++ b/old/44277-h/images/009.png diff --git a/old/44277-h/images/cover.jpg b/old/44277-h/images/cover.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..49c806c --- /dev/null +++ b/old/44277-h/images/cover.jpg |
