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authorRoger Frank <rfrank@pglaf.org>2025-10-14 18:38:26 -0700
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+*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44277 ***
+
+L'ILLUSTRATION
+JOURNAL UNIVERSEL
+
+RÉDACTION, ADMINISTRATION, BUREAUX D'ABONNEMENTS
+28, rue de Verneuil, Paris
+
+31e Année.--VOL. LXII.--Nº 1609
+SAMEDI 27 DÉCEMBRE 1873
+
+SUCCURSALE POUR LA VENTE AU DÉTAIL
+60, rue de Richelieu, Paris
+
+Prix du numéro: 75 centimes
+La collection mensuelle, 3 fr.; le vol. semestriel, broché, 18 fr.;
+relié et doré sur tranches, 23 fr.
+
+Abonnements
+Paris et départements: 3 mois, 9 fr.;--6 mois, 18 fr.;--un an, 34 fr.;
+Étranger, le port en sus.
+
+Les demandes d'abonnements doivent être accompagnées d'un mandat-poste
+ou d'une valeur à vue sur Paris à l'ordre de M. Auguste Marc,
+directeur-gérant.
+
+
+
+SOMMAIRE
+
+TEXTE
+
+Histoire de la semaine.
+Courrier de Paris, par M. Philibert Audebrand.
+
+Nos gravures:
+
+La veille du 1er janvier (fin).
+La Soeur perdue, une histoire du Gran Chaco (suite), par H. Mayne Reid.
+
+Revue littéraire; les Livres d'étrennes (II), par M. Jules Claretie.
+
+Bibliographie.
+
+_La Nature_, revue des sciences en 1873.
+
+[Illustration: M. AGASSIZ.]
+
+
+
+SOMMAIRE
+
+GRAVURES
+
+M. Agassiz;
+L'île Sainte-Marguerite;
+Le môle de débarquement;
+Le fort et les prisons;
+Vue de la pointe de la Croisette.
+Théâtre des Variétés: _Les Merveilleuses_, comédie en cinq actes de M.
+Victorien Sardou.
+_La première leçon. Un regard en passant_, d'après les tableaux de M.
+Boutibonne.
+Les tortues de mer à Paris: décapitation d'une grosse tortue.
+_La Soeur perdue_, par M. Mayne Reid (4 gravures).
+Nouvelle bouée de sauvetage lumineuse (système Silas), gravure extraite
+du journal _la Nature_.
+Rébus.
+
+
+
+HISTOIRE DE LA SEMAINE
+
+FRANCE
+
+La politique chôme; au dehors pas plus qu'au dedans nous n'avons cette
+semaine à signaler aucun événement d'une importance vraiment sérieuse;
+il semble qu'au moment où l'année finit, chacun se recueille pour jeter
+un regard en arriére et se préparer aux luttes nouvelles que nous
+réserve l'avenir. L'Assemblée nationale vote à la hâte les derniers
+articles du budget avant de prendre le congé de quelques jours qu'elle
+s'est octroyée à l'occasion de la nouvelle année; le calme qui préside à
+cette discussion a à peine été troublé par quelques incidents presque
+aussitôt terminés que soulevés, mais dont quelques-uns méritent d'être
+signalés.
+
+Notons d'abord la présentation, par M. Clapier, du projet de loi relatif
+à la nomination des maires, dont l'Assemblée a voté l'urgence et qui a
+été inscrit à l'ordre du jour immédiatement après le budget; nous avons
+parlé plusieurs fois déjà de ce projet; il nous suffira donc de dire que
+le travail de la commission a eu pour résultat de faire subir plusieurs
+modifications importantes à la rédaction primitivement proposée par le
+gouvernement. Ainsi, M. le ministre de l'intérieur acceptait pour le
+gouvernement l'obligation de prendre les maires dans les conseils
+municipaux: telle était la règle générale. Ce ne devait être qu'en cas
+de démission ou de révocation qu'ils auraient pu être choisis hors des
+conseils; La commission va plus loin: elle autorise le gouvernement à
+les prendre à sa volonté, soit dans le conseil, soit en dehors de
+celui-ci, avec cette seule restriction, assez bénigne, que dans ce
+dernier cas il sera nécessaire de recourir soit à un arrêté du ministre
+de l'intérieur pour les communes où la nomination est laissée aux
+préfets, soit à un décret délibéré en conseil des ministres, pour les
+communes où la nomination est réservée au gouvernement, c'est-à-dire
+dans tous les chefs-lieux de département, d'arrondissement ou de canton.
+Une seconde différence porte sur la nomination des agents de police.
+Dans son projet, le gouvernement l'enlevait aux maires à qui elle
+appartient actuellement pour toutes les communes auxquelles la loi du
+24-29 juillet 1867 (article 23) n'est pas applicable, c'est-à-dire
+celles qui ont moins de 40,000 âmes de population: il se l'attribuait à
+lui-même sans aucune exception. La commission a maintenu le droit des
+maires, non pas toutefois dans son intégrité. D'abord, elle subordonne
+leur choix à l'agrément des préfets et sous-préfets; elle a, de plus,
+modifié l'article 12 de l'excellente loi du 18 juillet 1837, en vertu
+duquel le maire _suspend_ et _révoque_ ces agents municipaux; ils
+pourront toujours, comme par le passé, être suspendus par le maire; mais
+le préfet seul aura le droit de les révoquer: la loi les place ainsi à
+peu près dans les mêmes conditions que les gardes champêtres. Grâce à ce
+double compromis, l'accord s'est établi entre le gouvernement et la
+commission, et la majorité considérable qui s'est manifestée, tant en
+faveur de l'urgence, que de la mise à l'ordre du jour pour le terme le
+plus proche, permet de croire que l'Assemblée ratifiera et votera la loi
+dans sa teneur actuelle.
+
+Dans sa séance du 19, l'Assemblée a adopté un amendement tendant à
+porter de 162,400 francs à 300,000 francs la somme allouée au président
+de la République pour frais de représentation. Cette augmentation de
+crédit, destinée à donner plus d'éclat aux réceptions officielles du
+président pendant son séjour au palais de l'Elysée, intéressait trop,
+directement le commerce parisien pour ne pas être favorablement
+accueillie par toutes les fractions de l'Assemblée; malheureusement il a
+fallu que les passions politiques, inopportunément remises en jeu par
+une observation intempestive, vinssent gâter ces bonnes dispositions; à
+propos d'une question toute financière, on a parlé du retour du
+gouvernement à Paris; on a évoqué le souvenir de la Commune, et c'est au
+milieu d'un conflit d'invectives qu'a fini cette discussion où tout le
+monde était d'accord en commençant.
+
+Signalons, pour terminer, l'interpellation adressée au gouvernement par
+la gauche au sujet d'une convention récemment intervenue entre le
+ministre des finances et le mandataire de l'ex-impératrice pour la levée
+du séquestre qui pèse sur la liste civile de Napoléon III. En attendant
+la discussion en séance publique, portée à l'ordre du jour après la loi
+sur la nomination des maires, M. Deseilligny, ministre du commerce, a
+fourni à la commission du budget quelques explications sur la question.
+Le ministre a ajouté que les signataires de la convention avaient cru se
+conformer à ce qui s'était fait à l'égard de la liste civile de
+Louis-Philippe, et avaient pensé qu'il était de «haute convenance, en
+dehors de tout parti politique, de soulager la situation douloureuse où
+se trouvait l'impératrice au point de vue pécuniaire».
+
+Il a ajouté que le gouvernement avait, en cela, le droit d'agir sans
+recourir à l'assentiment de l'Assemblée, attendu que le séquestre avait
+été mis par un simple décret du gouvernement de la défense nationale, et
+qu'il suffisait, par conséquent, d'un nouveau décret pour défaire ce
+qu'un décret avait fait.
+
+AUTRICHE.
+
+Les journaux de Vienne contiennent quelques renseignements sur les lois
+ecclésiastiques qui vont être prochainement présentées au Reichsrath par
+le gouvernement. On n'en compte pas moins de dix-sept, et quelques-unes
+d'entre elles auront une grande importance, notamment celle qui prononce
+l'abolition complète et définitive du concordat conclu avec la cour de
+Rome le 18 août 1855. On sait que cette convention établissait la
+censure ecclésiastique sur les livres, ce qui était la négation absolue
+de la liberté de la presse: elle donnait aux évêques la surveillance de
+toutes les écoles, même laïques; elle conférait à l'épiscopat une
+entière indépendance vis-à-vis du gouvernement; non-seulement tous les
+actes émanés du Saint-Siège pouvaient être publiés dans l'empire sans
+aucune nécessité d'obtenir le _placet_ royal, mais encore les
+archevêques et évêques avaient la faculté de convoquer aussi, sans
+autorisation du gouvernement, soit des conciles provinciaux, soit des
+synodes diocésains: double liberté qui leur est refusée en France par
+les articles 1 et 4 du titre Ier de la loi du 18 germinal an X (8 avril
+1802), plus connue sous le nom d'articles organiques, contre lesquels,
+du reste, on le sait, le Saint-Siège n'a cessé et ne cesse de protester.
+Les lois ecclésiastiques que prépare le gouvernement autrichien
+régleront en outre le mariage civil, les patronats, la surveillance des
+séminaires, etc.; elles contiendront aussi des clauses relatives à la
+condition des vieux-catholiques. Sur cette dernière question, on
+s'attend à des débats assez vifs, et déjà les adeptes de cette petite
+Église ont adressé au gouvernement une demande tendante à faire
+reconnaître à l'évêque Reinkens, Prussien et vieux-catholique, un droit
+de juridiction ecclésiastique en Autriche. Cette requête insolite a été
+repoussée.
+
+ITALIE.
+
+Sa Sainteté le pape a tenu, le 22 décembre, un consistoire dans lequel
+il a nommé cardinaux:
+
+Mgr de Nascimento de Moraes Cardoso, patriarche de Lisbonne; Mgr
+Guibert, archevêque de Paris; Mgr Régnier, archevêque de Cambrai; Mgr de
+Simor, archevêque de Gran; Mgr de Tarnoczy, archevêque de Salzbourg; Mgr
+Chigi, nonce apostolique à Pans; Mgr Mariano Darrio y Fernandez,
+archevêque de Valence; Mgr Mariano Falcinelli Antoniacci, nonce du
+Saint-Siège à Vienne; Mgr Alex. Franchi, nonce du Saint-Siège à Madrid;
+Mgr L. Oreglia de Santo-Stefano, nonce du Saint-Siège à Lisbonne; le R.
+P. Tarquini, de la Compagnie de Jésus; le R. P. Martinelli, des moines
+de Saint-Angustin. Dans le même consistoire, le Pape a nommé aussi
+quatre évêques _in partibus infidelium_ et trois évêques en Italie.
+
+Il a nommé aussi:
+
+Mgr Olteanu, évêque de Gran-Varadin (Hongrie); Mgr Corona, évêque de
+Saint-Louis de Potosi; Mgr Hillion, évêque du cap Haïtien.
+
+ÉTATS-UNIS.
+
+L'affaire du _Virginius_ vient d'entrer dans une phase nouvelle et assez
+imprévue; ce sont maintenant les États-Unis qui font droit aux
+susceptibilités de l'Espagne.
+
+On sait que, d'après la convention relative au _Virginius_ le
+gouvernement espagnol devait prouver avant le 25 décembre, à la
+satisfaction des États-Unis, que ce vaisseau n'avait pas le droit de
+porter le pavillon américain, et qu'ainsi il avait été légalement saisi.
+D'après une dépêche de Washington, le procureur général des États-Unis a
+admis la preuve comme valable, le _Virginius_ n'ayant obtenu ses papiers
+qu'au moyen d'un faux témoignage. Le cabinet de Washington s'est déclaré
+prêt à accepter les conséquences de ce fait.
+
+Nous ne savons encore quelles en seront toutes les conséquences, mais il
+est certain que la décision du procureur général des États-Unis est un
+véritable succès pour le gouvernement de M. Castelar et qu'elle fait le
+plus grand honneur à l'impartialité de la magistrature américaine.
+
+
+
+COURRIER DE PARIS
+
+Celui qui céderait au désir de faire l'oraison funèbre de l'année
+n'aurait pas à se donner beaucoup de peine. Il lui suffirait de quelques
+mots, genre sombre. Cette année est de celles qu'on ne regrette pas.
+A-t-elle été assez absurde! S'est-elle montrée assez maussade, assez
+ennuyeuse, assez ennuyée! Elle a vu s'opérer deux ou trois révolutions
+parlementaires aussi insipides qu'elle-même. Pendant sa durée, Paris a
+reçu la visite d'un prince d'Orient, couleur de suie, tout couvert de
+diamants mais qui ne donnait que des salamalecks. L'hippopotame du
+Jardin des Plantes a succombé à des peines de coeur; M. Ernest Renan a
+fait paraître l'_Antéchrist_; trois académiciens sont morts; le chapeau
+des femmes a redoublé de bizarrerie; un grand théâtre a brûlé; un vilain
+procès s'est dénoué, très-peu flatteur pour nous tous; enfin, en guise
+de couronnement, il nous est arrivé une charretée de monstres.
+
+Tel est le bilan de 1873.
+
+Mil huit cent soixante-treize vient de rendre le dernier soupir ou peu
+s'en faut. Eh bien, regardons devant nous; là est l'espérance. Quel
+lendemain nous attend? L'avenir est riche de promesses; c'est un
+capitaliste qui a son portefeuille plein de lettres de change. Déjà la
+nouvelle année, celle qui commencera dans quatre jours, semble vouloir
+ne ressembler en rien à sa devancière. On a beau dire que le commerce ne
+va pas, elle a l'air de lui forcer la main. Quelle foule dans les rues!
+L'argent, qui est de retour, vous le savez, circule tout le long de la
+ville. Personne n'a les mains vides; chacun porte son sac de bonbons ou
+son polichinelle.
+
+Le baraquement des boulevards n'a plus rien de sa rusticité originelle;
+on a encore enjolivé sa mise en scène. Seulement il abuse du _jouet de
+l'année_, un affreux poussah qu'on nomme l'_Oncle Sam_ et qui rappelle
+trop l'auteur de la pièce de ce nom. Partout ailleurs, de longues files
+de boutiques ambulantes s'établissent sur les trottoirs; c'est à peine
+si l'on peut marcher au milieu de cet encombrement.--Nous rencontrons M.
+de Laboulaye, occupé à acheter un cornet de pralines, sans doute afin
+d'adoucir quelqu'un de ses voisins de la Chambre. L'honorable
+pamphlétaire dit tout haut: «--Ah! dame, nos moeurs deviennent
+américaines. La démocratie coule par ici à pleins bords comme à
+New-York.»--Presque en même temps le comte Orloff sort d'un bazar, suivi
+d'un éléphant en baudruche. Des malins s'écrient: «--Il doit y avoir un
+rébus diplomatique là-dessous. Que veut faire de cet éléphant
+l'ambassadeur du czar?» Le comte Orloff a à amuser un petit garçon et
+deux petites filles; voilà toute l'énigme.
+
+Aux alentours du jour de l'an, aussitôt que la nuit arrive, quelque fée
+invisible lève sa baguette en l'air et le coup d'oeil change. Les
+étalages s'illuminent de mille feux. Au gaz municipal se marient les
+bougies du petit commerce en plein vent. Vingt mille lanternes de
+couleur contribuent à faire un jour nocturne d'une lueur fantastique.
+Cette fois, M. de Laboulaye trouverait qu'on n'est plus à New-York mais
+à Pékin.--Tous les cercles sont éclairés avec un luxe inusité.--Une mode
+nouvelle à noter à propos des cercles.--Vous savez que tous ces
+établissements ont, le soir, un dîner sous forme de table d'hôte.
+
+A ce dîner, en ce moment, l'usage veut qu'on ne commence plus par le
+classique vermicelle ni par le tapioca désormais trop enfantin. Tout
+cela cède le pas à la soupe à la tortue rehaussée de gingembre. Voilà
+une clef pour les flâneurs; depuis un mois la foule stationne à la
+devanture des marchands de comestibles; on y est en extase devant
+d'énormes amphibies. Ces tortues sont le régal du jour.--_Turtle-soup_,
+dit-on en faisant la grimace, autant à cause du mot qu'on ne sait pas
+prononcer qu'en raison du mets effroyablement épicé.
+
+Pour le coup, Paris devient une parodie de Londres.
+
+Au temps de Vadé, la cour et les beaux esprits allaient aux Halles; de
+nos jours, le monde aux gants roses va à l'Hôtel des Ventes, qui est
+décidément l'endroit de Paris le plus affairé. Que de choses on y aura
+vendues, cet hiver! Une mondaine, Mme A***, une des princesses de la
+cocotterie, étant morte, on a apporté par là tout ce qu'elle a laissé.
+C'était une succession uniquement mobilière, des appartements en bois de
+rose, l'argenterie, les bijoux, la cave, deux voitures, du linge, la
+toilette, des objets d'art, le tout évalué à un million. Un million rien
+que pour des meubles! Si vous voulez prêter l'oreille, des échos de
+l'hôtel vous diront que les seules robes ont formé le chiffre de 300 000
+francs. Voilà un luxe dont les honnêtes gens n'ont assurément aucune
+idée. C'est un trait de moeurs à noter. Les familles les plus riches
+frissonnent rien qu'à la mention de ce fait. Où sont allées toutes ces
+robes? Étant d'étoffes neuves, elles serviront de rechef, mais à qui
+serviront-elles? Qui peut affirmer que ce ne sera pas aux plus honnêtes
+femmes?
+
+J'ai déjà dit un mot de la vente des livres d'Émile Gaboriau. Ce brave
+garçon, frivole en apparence, était mordu, au fond, d'un sérieux désir
+d'apprendre. Il se passionnait pour l'histoire et il s'était mis à
+rechercher les vieilles éditions des écrivains graves. Nous lui avons
+entendu dire à lui-même qu'il estimait sa bibliothèque à 6,000 francs,
+au bas mot. C'est tout au plus si les enchères auront fourni la moitié
+de cette somme. Des livres, de vieux livres, voilà une superfluité dont
+notre société n'est guère friande. Donnez-lui pour 300,000 francs de
+robes, à la bonne heure.
+
+Sur la fin de la semaine, on a pu constater un certain empressement à
+propos des oeuvres de M. Carpeaux, le sculpteur. Marbres, terres cuites,
+bronzes se sont bien vendus. Néanmoins la tête horrible de l'Ugolin des
+Tuileries n'a pas trouvé d'amateur. Il y a bien trop de mièvrerie dans
+les allures du jour pour qu'on puisse aimer le Dante commenté avec de la
+terre glaise. Un comte qui mange ses fils sans couteau ni fourchette, un
+Italien de la Renaissance, plus anthropophage qu'un Caraïbe de Fenimore
+Cooper, ce n'est guère tentant d'ailleurs comme bibelot à mettre sur une
+étagère. En revanche on a fait fête au modèle d'un autre groupe non
+moins fameux, mais plus décolleté. Vous avez compris que nous parlons de
+cette sarabande effrénée, la Danse, qui figure sur le seuil du nouvel
+Opéra, où, du matin au soir, elle scandalise tous les bons bourgeois
+passant par là. Trois concurrents se disputaient ce morceau; on l'a
+adjugé à 8.000 francs.--Cette même débauche d'art, un des principaux
+confiseurs avait demandé à l'artiste la permission d'en faire une
+réduction en sucre candi ou en chocolat. Avouez que c'eût été d'une
+très-heureuse actualité à l'heure des étrennes. Le sculpteur n'a pas
+voulu. On lui a dit:
+
+--Monsieur, vous refusez de voir votre nom dans toutes les bouches.
+
+Beauvallet, de la Comédie-Française, vient de mourir à Passy, à
+soixante-douze ans. Il était fort bien doué; par malheur, il a abusé de
+la facilité que lui avait donnée le sort pour vouloir faire trop de
+choses à la fois. Bon comédien, tragédien passable, il se piquait aussi
+d'être poète, ce qui l'a poussé à faire des vers qui ne devaient pas
+vivre. A ses premiers débuts dans la vie, il avait commencé par étudier
+la peinture chez Paul Delaroche. Un jour que Casimir Delavigne visitait
+l'atelier, on lui amena l'élève qui se mit à déclamer des vers, une des
+Messéniennes, celle où trois femmes, trois Muses, apparaissent à
+Napoléon pour lui prédire tout à tour sa grandeur et sa chute.
+
+--Mon cher monsieur, dit l'auteur des Vêpres siciliennes, il se peut que
+vous fassiez quelque chose en peinture; cependant je suis sûr que vous
+réussiriez au théâtre.
+
+Il n'en fallut pas plus pour enflammer la tête du jeune homme.
+Beauvallet jeta là ses crayons et sa palette pour aller au
+Conservatoire; après les études indispensables à un débutant, il fut
+engagé à l'Ambigu, où il joua, non sans succès, le drame d'alors. En ce
+temps-là, le boulevard oscillait entre les oeuvres de la vieille école
+sentimentale et les premières tentatives du romantisme. Le nouveau venu
+trouva moyen de se mettre en relief dans ce genre bizarre; il se fit un
+nom en jouant _Caravage_, une histoire arrangée de peintre italien. Sa
+belle prestance, une voix de tonnerre, un soin merveilleux dans l'art de
+s'arranger un costume, ne pouvaient manquer de le faire mettre en
+évidence. Le Théâtre-Français ne pouvait manquer de lui ouvrir
+très-prochainement ses portes. Un jour, en 1833, quand Victor Hugo donna
+_Angelo, tyran de Padoue_, ce fut à Beauvallet qu'il confia le principal
+rôle. Il avait à côté de lui, pour lui donner la réplique, deux des
+grandes actrices de l'époque, Mlle Mars et Mme Dorval. Il fallait
+entendre le superbe podestat lorsque, s'avançant sur la scène, d'un air
+tout à la fois effrayé et menaçant, il récitait le grand monologue sur
+le Conseil des Dix. Sans mentir, c'était à donner la chair de poule.
+
+Beauvallet avait mis tant d'originalité dans ce rôle qu'on n'a plus
+consenti à le voir jouer par un autre. La parodie se chargea, suivant la
+mode du temps, de donner une suprême sanction à son triomphe. Le
+Vaudeville, qui n'était qu'un théâtre gai, ne s'inquiétant que de faire
+rire, avait mis à l'étude une farce intitulée _Cornaro ou le tyran pas
+doux_. Ce susdit Cornaro, personnage correspondant à celui du drame,
+devenait une charge des plus amusantes, grâce à Lepeintre jeune, le plus
+gros des comédiens. Il criait à tue-tête, celui-là, même pour demander
+ses pantoufles. Faire trembler tout le monde autour de lui était sa
+joie. C'était pour cela qu'Arnal, l'invitant à parler en sourdine, lui
+disait:
+
+--Êtes-vous le cousin du bourdon Notre-Dame?
+
+Quelle voix! ah! quel creux! Vous effrayez madame.
+
+Et Cornaro de répondre sur un ton plein de mignardise:
+
+--Je n'ai que le désir d'être son beau valet.
+
+Depuis vingt-cinq ans, Beauvallet avait abordé le répertoire classique,
+tragédie et comédie. Très-soigneux, correct, il y était fort
+applaudi.--On a dit mille fois que, de tous les artistes, le comédien a
+la vie la plus ingrate, en ce qu'il ne laisse rien après lui.
+
+--Bast! répliquait Sheridan, ayez la patience d'attendre deux ou trois
+siècles, et vous verrez ce qui restera des autres!
+
+Il se passe un fait bizarre au sujet des étrennes. Tandis que s'accroît
+le nombre de ceux qui en demandent, on voit de plus en plus des ratures
+se dessiner sur la liste de ceux qui en donnent. Parmi les premiers, on
+signale surtout deux nouvelles recrues: l'employé du télégraphe qui
+apporte les dépêches et le clerc d'huissier qui remet le papier timbré.
+Quant à ceux de l'autre catégorie, ce sont de spirituels sceptiques qui
+profitent des moyens de locomotion dont dispose notre XIXe siècle pour
+filer et disparaître. Dix ou douze jours d'absence suffisent. On dit:
+«J'ai un procès en Bretagne», ou bien: «Mon vieil oncle de Beauvoisis
+vient de mourir d'une coqueluche rentrée»; et l'on s'en va passer une
+quinzaine à Nice. Un voyage d'agrément et une bonne affaire tout à la
+fois.
+
+Trois académiciens qui se sont rencontrés, jeudi soir, au foyer de
+l'Odéon, se contaient à demi-voix leurs peines à propos du jour de l'an.
+Rien de plus curieux que leurs plaintes à cet égard.
+
+--Figurez-vous, disait l'un d'eux qui avait un bonnet de soie noire sur
+la tête, figurez-vous que seize personnes nous poursuivent pour nous
+demander chacune la même chose; comprenez que cette chose ne nous
+coûterait rien, pas même la moitié d'un centime et que néanmoins nous ne
+pouvons la donner tant que ça.
+
+--Qu'est-ce donc?
+
+--Eh! pardieu, un fauteuil.
+
+En effet, il y a trois fauteuils à donner en janvier et seize candidats
+qui demandent à les avoir; et tous les seize, suivant l'usage
+immémorial, sont individuellement le premier moutardier du pape, ou, si
+vous voulez, un homme du bois dont on fait les dieux. Ces dignes
+académiciens voudraient bien se sauver quelque part, mais leur grandeur
+et les jetons de présence les retiennent au quai Conti.
+
+Il n'y a pas fort longtemps, dans cette divine baraque au palais
+Mazarin, il y avait un des Quarante qui n'entendait pas raillerie à
+propos d'argent à donner. C'était Lemontey, l'auteur de l'_Histoire de
+la Régence_.
+
+Un certain jour de l'an, un des garçons de l'Institut vint voir
+l'historien; il le salua, la casquette à terre, et tendit la main.
+
+Lemontey lui donna une pièce de dix sous.
+
+--Comment! rien que ça? dit le garçon en grommelant entre ses dents.
+
+--Hein! qu'est-ce que c'est? riposta l'immortel furieux. Cinquante
+centimes, un demi-franc, ce n'est rien? Eh! malheureux, c'est la quatre
+cent millième partie de deux cent mille francs, par conséquent de dix
+mille livres de rente. Eh! je voudrais bien être garçon de l'Institut
+pour en recevoir autant, moi!
+
+P.-J. Proudhon comprenait les étrennes d'une autre façon.
+
+L'année qui a précédé la mort du célèbre dialecticien, M. E. Dentu, son
+éditeur et son voisin, se présenta chez lui le matin du jour de l'an.
+
+Après avoir échangé une poignée de main avec lui, il lui montra un petit
+paquet enveloppé de papier gris.
+
+--Qu'est-ce que c'est que ça? dit Proudhon.
+
+--Deux poupées que je vous demande la permission d'offrir à vos deux
+petites filles.
+
+En entendant ces mots, l'auteur du livre _De la Justice_ entra tout à
+coup dans une colère des plus violentes.
+
+--Des poupées à mes filles! Non, mon cher monsieur, non; je vous le
+défends positivement. Savez-vous l'enseignement qui résulterait de ce
+cadeau? L'amour de l'alanguissement, la coquetterie, la paresse, le
+goût du luxe, peut-être de la luxure. C'est bon pour les duchesses,
+c'est bon pour les bourgeoises. Tenez, si voulez faire un présent à ces
+enfants, apportez-leur quelque chose d'utile, un dé à coudre, des
+ciseaux, un paquet d'aiguilles. Qu'elles aient à la main un objet qui,
+de bonne heure, leur rappelle qu'elles sont filles de la misère et de la
+philosophie et qu'il faut qu'elles songent sans cesse à épouser le
+travail!
+
+À certains égards cet esprit de prévoyance se retrouve en grand dans un
+mot de Mme Lætitia Bonaparte, la mère de Napoléon.--Longtemps éprouvée,
+n'ayant eu de 1790 à 1799 que 1,500 fr. pour soutenir sa modeste maison
+et nourrir ses trois filles, Caroline, Elisa et Pauline, la brave femme
+ne pouvait pas se résoudre à jeter l'argent par les fenêtres.
+
+En 1809, le 2 janvier, la princesse Pauline vint la voir.
+
+--Madame, l'empereur m'envoie vous faire une question.
+
+--Laquelle?
+
+--Combien avez-vous dépensé, hier, en fait d'étrennes?
+
+--Ma fille, 3,255 francs.
+
+--3,255 francs! Mais je vous avais remis, de la part de mon frère, 30
+000 francs pour faire des largesses! Est-ce que vous comptez placer
+cette somme?
+
+--Mon Dieu, oui, Paulette.
+
+--Mais pourquoi faire?
+
+--Pourquoi faire? Pour donner, un jour, du pain à tous les rois et à
+toutes les reines qu'on a faits dans ma famille!
+
+L'histoire a prouvé par trois fois que l'Agrippine d'Ajaccio n'avait pas
+si grand tort.
+
+Philibert Audebrand.
+
+
+
+NOS GRAVURES
+
+L'ILE SAINTE-MARGUERITE
+
+[Illustration: Le môle de débarquement.]
+
+[Illustration: Le fort et les prisons.]
+
+[Illustration: Vue de la pointe de la Croisette.]
+
+[Illustration: THÉÂTRE DES VARIÉTÉS.--_Les Merveilleuses_, comédie en
+cinq actes, de M. Victorien Sardou.--Décors de M. Robecchi.--Costumes de
+MM. Eugène. Lacoste et Draner.]
+
+
+
+Le naturaliste Agassiz
+
+Le 15 décembre, un télégramme fort laconique annonçait à l'Europe que
+«le professeur Agassiz venait de mourir à Boston».
+
+Cet illustre naturaliste mérite mieux qu'une mention d'une ligne.
+C'était le digne successeur des Buffon et des Cuvier, et le monde
+scientifique a peu de noms à opposer au sien; en Amérique, nous ne
+voyons pas qui est capable de prendre sa place.
+
+Agassiz avait émigré aux États-Unis en 1847, à la suite des événements
+politiques dont la principauté de Neufchâtel fut alors le théâtre. Il
+était déjà célèbre et s'était fait connaître au monde savant par un
+ouvrage sur les poissons fossiles, publié dès 1842, et qui est resté
+classique en géologie, comme le livre de Cuvier sur les mammifères
+éteints du bassin de Paris, ou le livre de Brongniart sur la flore
+fossile des terrains houillers.
+
+Né dans le canton de Vaud en 1807, Agassiz avait étudié en Allemagne, et
+fut reçu docteur à Munich. Il fut nommé professeur d'histoire naturelle
+à Neufchâtel dès 1838, et publia en français, en latin ou en allemand
+divers ouvrages de zoologie, dont celui que nous avons cité plus haut a
+surtout contribué à le faire connaître.
+
+Ses études sur les glaciers, qu'il poursuivit avec une ardeur
+infatigable, escaladant tous les pics des Alpes, entre les années 1840
+et 1847, confirmèrent la réputation qu'il s'était acquise parmi les
+géologues, et l'on peut dire que lorsqu'il quitta l'Europe, son nom
+était déjà universellement connu.
+
+Ses deux collaborateurs, MM. Desor et Vogt, Suisses comme lui, ont
+continué les traditions du maître. Ils n'ont cessé de marcher à la tête
+de la science helvétique, et ils l'ont même quelquefois poussée en
+avant, notamment en anthropologie, avec une virilité, une audace qui ont
+épouvanté en France plus d'un de nos maîtres officiels.
+
+Agassiz, à peine arrivé aux États-Unis, fut nommé professeur d'histoire
+naturelle à l'Université de Cambridge, près Boston, et c'est là que,
+vingt ans plus tard, nous l'avons rencontré nous-même, augmentant,
+classant sans cesse ses chères collections, et toujours à l'affût de
+nouveaux voyages pour faire progresser la science et ouvrir aux
+investigations de l'esprit humain des champs jusque-là inconnus.
+
+ [Note 1: Voyage au Brésil, Paris, Hachette. 1868.]
+
+Avec sa femme, qui ne cessa de le seconder dans ses recherches et de
+s'associer à tous ses travaux, comme une vraie Américaine qu'elle était,
+il entreprit le voyage de l'Amazone. On sait quel trésor de faits
+curieux il rapporta de cette exploration, et combien il en accrut ses
+collections, notamment en ichthyologie. Ce voyage, publié par Mme
+Agassiz, a été traduit en français (1); l'exploration de l'Amazone a été
+même illustrée dans le _Tour du monde_, d'après les dessins de Mme
+Agassiz, qui tenait aussi bien le pinceau que la plume, dans ces
+dernières années, M. Agassiz avait entrepris l'étude du fond des mers,
+et fait à ce sujet sur un navire de guerre américain, que le
+gouvernement des États-Unis avait mis généreusement à sa disposition,
+une série de travaux fort intéressants poursuivis dans l'un et l'autre
+océan, l'Atlantique et le Pacifique. Il était aussi allé de Boston à
+San-Francisco par le cap Horn. Il avait espéré que sa santé, ébranlée
+par un travail incessant, se relèverait dans ce long voyage. Il semble
+qu'il n'en a rien été, puisque la nouvelle, de sa mort nous est parvenue
+au moment où tout faisait espérer que ses amis et la science pourraient
+encore le conserver longtemps.
+
+Dans ce voyage de circumnavigation, les découvertes d'Agassiz ont été
+presque de tous les jours, sur les courants, la température des eaux
+marines à diverses profondeurs, le fond de la mer, les animaux qui s'y
+rencontrent. C'est lui qui a pour la première fois démontré que le fond
+des océans est habité à toutes les profondeurs, contrairement à ce qu'on
+avait écrit. Que d'espèces nouvelles en coraux, coquilles, poissons,
+plantes marines il avait ramenées de son dernier voyage! Il était occupé
+à classer tout cela, à le distribuer, à le faire connaître avec cette
+générosité toute américaine qui le distinguait, quand la mort est venue
+le surprendre.
+
+Au physique, c'était un homme de haute taille, fort vigoureux; ses
+traits annonçaient l'aménité, la bienveillance, et le moral ne démentait
+pas ce que le physique annonçait. Il était ouvert, sympathique, causait
+volontiers et facilement, ne disait du mal de personne, pas même de ses
+confrères, ce qui est rare parmi les savants. Il était, comme tous les
+protestants, fort attaché aux doctrines religieuses. Spiritualiste, il
+faisait volontiers intervenir la Providence dans la création des
+espèces, mais cela ne l'empêchait pas d'apporter dans les théories
+scientifiques beaucoup d'indépendance. Ainsi il était, en histoire
+naturelle, avec les Lamarck, les Geoffroy Saint-Hilaire, les Goethe, les
+Darwin, partisan de la variabilité de l'espèce humaine et non de
+l'unité, comme le voulaient Buffon et Cuvier, et comme quelques
+naturalistes, entre autres M. de Quatrefages, le veulent encore
+aujourd'hui.
+
+Il faisait bon marché des honneurs, et se contentait du titre de
+correspondant de notre Académie des sciences, n'ayant jamais voulu
+accepter de l'empereur Napoléon III, qui l'avait connu et apprécié en
+suisse, ni le titre de sénateur, ni celui de professeur au Collège de
+France, ni même celui de directeur général du Muséum, place restée,
+dit-on, vacante depuis la mort de Cuvier. On essaya de le tenter à
+diverses reprises et de le fixer parmi nous; toujours il préféra rester
+dans sa patrie d'adoption. Républicain il était en Suisse, républicain
+il demeura aux États-Unis. Il vient d'y mourir, comblé de gloire sinon
+d'honneurs, aimé de tous, ayant fait de nombreux élèves, n'ayant cessé
+un jour de travailler et de faire progresser la science, qui a été
+l'occupation de toute sa vie. C'était un homme de bien, _vir probus_, au
+sens le plus général du mot, un de ces hommes qu'on voit toujours partir
+avec le plus vif regret, parce que l'on sent combien il sera difficile,
+pour ne pas dire impossible, de les remplacer.
+
+L. Simonin.
+
+
+
+Le Fort Sainte-Marguerite
+
+L'ex-maréchal Bazaine aurait pu être envoyé dans quelque casemate
+oubliée, dans quelque prison sans passé, ou même faire le voyage de la
+Nouvelle-Calédonie, en compagnie de pétroleurs. L'opinion publique eût
+été probablement satisfaite de ce châtiment qui plaçait ainsi au même
+rang tous ceux qui ont failli faire sombrer le pays! Mais décidément la
+fortune sourit à Bazaine; pendant que nous grelottons dans le Nord, on
+l'envoie dans une contrée bénie du ciel, inondée, au coeur de l'hiver,
+des chauds rayons du soleil, et délicieusement rafraîchie, en été, par
+les brises de mer!...
+
+Heureux maréchal! La Providence lui assigne même la prison à jamais
+célèbre de l'homme au masque de fer. Etrange caprice du destin!
+L'innocent martyr du despotisme de Louis XIV a vécu là, le visage
+couvert, les traits constamment voilés, tenu dans le plus complet
+isolement, tandis que le grand coupable de Metz va sans doute passer les
+dernières années de sa misérable vieillesse en captif heureux, entouré
+peut-être de quelques-uns des siens, et à coup sûr il n'aura pas pour
+gouverneur un maître implacable comme Saint-Mars!
+
+Je me trouvais, il y a peu de mois, à Cannes, et de là on voit se
+profiler, à quelques milles en face, les îles de Lérins, semblables à de
+gigantesques entassements. Si l'on était oiseau, en deux coups d'aile,
+on arriverait à Saint-Honorat ou à Sainte-Marguerite. Sans s'armer d'une
+longue-vue, il est parfaitement possible de distinguer les rochers
+élevés qui bordent les deux îles, et l'on peut compter jusqu'aux
+fenêtres du fort Sainte-Marguerite.
+
+Une vingtaine de petits bateaux bariolés dansaient dans le port de
+Cannes, sous la violente caresse du mistral, et demandaient à grands
+cris, par la voix de leurs patrons, quelque promeneur complaisant!
+
+--Monsieur! promenade à Sainte-Marguerite! Bon temps! Bon vent! me cria
+l'un des bateliers en me priant du geste de descendre.
+
+--Et combien de temps faut-il pour arriver à l'île!
+
+--Oh! monsieur, pas beaucoup! J'y suis allé l'autre jour en moins d'un
+quart-d'heure!
+
+--Et le vent est bon? repris-je.
+
+--Excellent! monsieur, deux ris aux voiles et nous filons comme
+l'éclair!
+
+Inutile de dire que le quart-d'heure du brave batelier se changea en
+demi-heure, la demi-heure en trois quarts-d'heure et qu'une heure après
+nous ne touchions pas encore au môle du débarquement. En revanche,
+j'avais eu la mer la plus moutonneuse du monde; nous avions failli être
+roulés par les vagues; mais quelle baie splendide, que de merveilleux
+horizons!
+
+J'eus le malheur de descendre du bateau pour tomber entre les mains d'un
+vieux sergent qui ne me lâcha pas avant de m'avoir conté,--ce qu'il
+savait du reste fort mal,--l'histoire de l'île Sainte-Marguerite.
+
+Il m'expliqua que le fort avait été construit sous Richelieu, puis pris
+par les Espagnols, qui l'avaient agrandi, et enfin réparé par Vauban.
+
+En résumé, ce bâtiment serait peu digne d'intérêt si la légende de
+l'homme au masque de fer n'était pas là pour captiver.
+
+Matthioli, c'est le nom que l'on donnait à ce célèbre inconnu, avait une
+prison que le maréchal Bazaine,--l'homme heureux!--ne connaîtra sans
+doute que de vue! La chambre qu'il habita onze années n'était éclairée
+que par une fenêtre du côté du nord, percée dans un mur de près de
+quatre pieds d'épaisseur; on y avait même prudemment adapté trois
+grilles de fer placées à une distance égale. Cette fenêtre donnait sur
+la mer.
+
+Ce qui fit supposer à quelques indiscrets que Matthioli devait être
+quelque grand personnage, ce sont d'une part les mesures prises par
+Saint-Mars pour éloigner de lui même les geôliers, et de l'autre
+l'espèce de respect dont semblait l'entourer le gouverneur.
+
+De plus, on assure que l'homme au masque de fer portait des vêtements
+recherchés, de fines dentelles, et qu'on lui fournissait des habits
+aussi riches qu'il paraissait le désirer.
+
+Il n'en fallait pas plus pour faire pleuvoir des milliers de
+conjectures: C'est un frère de Louis XIV, disent les uns.--C'est le duc
+de Beaufort, assurent les autres.--C'est un fils de Cromwell!...
+
+Quelques anecdotes inventées sans doute viennent à la rescousse, et
+notre homme, qui n'était peut-être qu'un petit gentilhomme sans grande
+importance, passe d'emblée à la postérité!
+
+Vous connaissez l'histoire du pêcheur qui ramasse sous les fenêtres de
+Matthioli une assiette d'argent sur laquelle se trouvaient inscrits
+quelques caractères;--le brave homme rapporte sa trouvaille au
+gouverneur, qui lui demande s'il a lu les mots écrits sur ce plat: «Je
+ne sais pas lire!» répond naïvement le pécheur, et Saint-Mars lui dit:
+«Allez! Remerciez le ciel de votre ignorance!»
+
+Un ingénieux historien, à la vue très-bonne, affirme qu'il y avait sur
+ce plat désormais historique, ces mots: «Louis de Bourbon, comte de
+Vermandois, frère de Louis XIV, etc.»
+
+Si Bazaine jette jamais ses assiettes par les fenêtres, les pêcheurs
+d'aujourd'hui les conserveront peut-être sans scrupule.
+
+Richard Cortambert.
+
+
+
+Variétés: "les Merveilleuses", comédie en cinq actes de M. Victorien
+Sardou.
+
+Cette fois c'est mon collaborateur M. Morin qui se charge de rendre
+compte des _Merveilleuses_, de M. Sardou. Son dessin animé, spirituel et
+d'une parfaite exactitude, tient lieu de l'article de théâtre. Aussi
+bien notre critique à nous serait-elle inutile puisque M. Sardou n'a pas
+jugé nécessaire d'introduire une action dans sa comédie, qui relève
+presque tout entière du décorateur et du costumier. Quoi? pas le moindre
+petit bout d'intrigue? Si vraiment, mais si peu que cela ne vaut pas la
+peine d'en parler. Dorlis, que la guerre d'Italie a enlevé aux premières
+joies de la lune de miel à sa femme Illyrine, retrouve au retour de
+Rivoli et d'Arcole, son épouse convolant en secondes noces avec le
+citoyen Saint-Amour, chef du cabinet de Barras. Il était temps, deux
+heures plus tard, protégée par la loi du divorce, elle devenait madame
+Saint-Amour. C'est tout, et cette petite comédie entamée à la fin du
+quatrième acte se dénoue au cinquième. Il semble que M. Sardou, occupé à
+faire revivre dans une série de tableaux vivants les hommes et les
+choses du Directoire, et attardé longtemps dans les curiosités et les
+bibelots du temps, se soit dit: «Maintenant que j'ai reconstitué ce
+peuple bigarré dans les rues, agité dans les salons cet essaim de
+merveilleuses et ce groupe de muscadins, que j'ai placé sur leurs
+étagères ce musée archéologique des dernières années du siècle, songeons
+un peu à mettre une action dans la pièce; si mince qu'elle soit, cela
+est toujours assez bon; l'intérêt n'est pas là, il est dans cette série
+de tableaux, dans ce panorama des plus mobiles et des plus amusants,
+avec ce décor du premier acte, ce jardin du Palais-Égalité où s'asseyent
+les _incroyables_, le menton caché dans la cravate _écronitique_, avec
+_les oreilles de chien_, le chapeau gigantesque en demi-lune, le bas en
+tire-bouchon et le bâton de houx à la main. Là circulent les
+carmagnoles, les bouquetières, là se réfugient contre les huées des
+_sans-culottes_, les daines _sans-chemises_ que la brutalité de la foule
+menace de jeter à l'eau.
+
+Au second tableau, nous sommes sur le perron de la rue Vivienne, où
+s'agitent les agioteurs, devant cette boutique de boulanger qui indique
+le prix montant et descendant du louis, étiage de la fortune publique.
+Au premier étage d'une maison, des joueurs jettent leur or au râteau des
+croupiers; à l'entresol, des _marchandes de frivolités_ prélèvent des
+intérêts sur la bonne fortune tentée au premier étage. C'est le bruit,
+c'est la rue. L'acte suivant nous transporte dans l'hôtel du financier
+Ragot; un bijou, que ce décor, une merveille de goût et d'exactitude,
+avec ses pendules, ses candélabres du temps, avec ses sièges en forme
+d'X, avec ses tasses à thé à fond jaune tacheté de petites fleurs
+noires. Là règnent les _Merveilleuses_, les robes à la _Flore_, les
+tuniques à la _Minerve_, la redingote à la _Galathée_, passant par
+toutes les nuances, depuis le _Fifi pâle effarouché_ jusqu'au _Violet
+cul de mouche_. Et les coiffures! Le turban relevé avec des plumes
+bleues, bonnet Pierrot, bonnet à la Délie, bonnet à l'Esclavonne. Tout
+ce monde féminin caquette et fripe dans ses mains des éventails de crêpe
+noir lamé et pailleté d'argent, sur lesquels se montre discrètement
+l'effigie de Louis XVI, de la reine et du dauphin, ces éventails au
+_Saule pleureur_. Les élégants zazayent de leur petite voix de
+femmelette leur parlé gazouillé et mouvant, et étalent leurs habits de
+soie rayée à queue de morue. MM. de Concourt ont fait dans un excellent
+livre l'inventaire par le menu de cette société du Directoire. Ce
+catalogue des choses et des gens, M. Sardou, par une fantaisie d'auteur
+dramatique, l'a fait vivre aux Variétés. Il a animé les Carie Vernet,
+les Debucourt. Cela est fort amusant au début, mais fatigue vite chemin
+faisant. On feuillette pendant une heure un album de caricatures, mais
+toute une soirée! c'est un peu long. Et puis, une observation. Comment,
+nous voilà dans cette société de l'an de grâce 1798, et pas un costume
+d'officier ou de général? Ce ne sont pourtant pas les militaires qui
+faisaient défaut dans ce monde du Directoire. Il y a là une lacune.
+
+M. Savigny.
+
+
+
+Glace et patins: "La première leçon" et "Un regard en passant".
+
+Puisque l'hiver s'obstine à ne pas entrer en scène, faisons tout éveillé
+un rêve qui fera tressaillir d'aise les membres du club des patineurs.
+
+Il y a huit jours, le thermomètre est descendu à dix degrés au-dessous
+de zéro, et depuis lors il s'est résolument maintenu entre six et huit.
+Lacs, étangs, toutes les pièces d'eau dormante ont gelé, et finalement
+la glace a acquis une respectable épaisseur.
+
+O bonheur! l'heure heureuse, depuis si longtemps attendue, a donc sonné,
+et le moment fortuné est venu! Vite, courons, et sans perdre une minute,
+au lac, au lac!
+
+Déjà sous un ciel gris d'acier, au milieu d'un cercle de grands arbres
+étincelants de givre, s'y presse une foule élégante et joyeuse, les
+femmes emmitouflées de fourrures, portant le manchon en sautoir; les
+hommes vêtus du costume de rigueur; bonnet fourré, pelisse, pantalon
+collant qui fait valoir les formes et bottes cracoviennes; les uns et
+les autres ayant chaussé le patin et glissant, se croisant, se
+poursuivant sur la glace qu'ils rayent d'un pied plus ou moins habile.
+
+Car s'il en est qui savent proprement faire un dehors, écrire
+correctement leur nom du bout d'un patin victorieux, il y en a d'autres
+aussi qui font beaucoup de fautes d'orthographe, et même en sont encore
+à épeler péniblement leur alphabet. Aussi, pour les présomptueux, que de
+mésaventures et de chutes, souvent ridicules.
+
+Je ne parle que pour les hommes.
+
+Il est bien entendu que c'est toujours avec grâce qu'une femme tombe sur
+son pouff, quand cela arrive, ce qui est rare; car, plus timide, ce
+n'est que bien soutenue qu'elle se risque à faire ses premiers pas sur
+ce terrain glissant, où bientôt cependant elle s'élancera, rapide comme
+l'hirondelle, en traçant comme elle, capricieuse, d'inextricables
+méandres.
+
+Quelques-unes cependant ne parviennent jamais à surmonter assez leur
+frayeur pour oser chausser le patin, et ce n'est que confortablement et
+chaudement établies dans un traîneau qu'elles consentent à fendre l'air,
+sous la conduite et la garde de quelque jeune gentleman, avec lequel il
+leur est loisible alors d'achever tout à leur aise la conversation en un
+autre endroit commencée, ou de commencer l'entretien qui sans doute se
+terminera ailleurs.
+
+Je n'en jurerais cependant pas, car à quoi le plus souvent tiennent
+ici-bas les choses, et de quoi dépendent nos résolutions les mieux
+arrêtées? De ceci ou de cela, d'une goutte de pluie, d'un rayon de
+soleil, ou encore d'un regard en passant.
+
+Louis Clodion.
+
+
+
+Les tortues de mer à Paris.
+
+Il y a longtemps qu'on n'avait vu à Paris des chéloniens possédant des
+dimensions aussi prodigieuses. Les derniers avaient fait leur apparition
+alors que florissait l'empire de l'infortuné Maximilien. Depuis lors il
+s'est écoulé moralement plus d'un siècle. Aussi n'est-il pas étonnant
+que les tortues de MM. Potel et Chabot aient obtenu un véritable succès
+d'estime aussi bien dans la rue Vivienne que sur le boulevard des
+Italiens.
+
+Une de ces étrangères, rien qu'en agitant ses pattes, a cassé innocemment
+la glace de la devanture qui la séparait de la rue. Mais ce n'était pas
+pour reconquérir une liberté définitivement perdue, et dont elle ne
+pouvait, dans son état d'engourdissement, de demi-sommeil, comprendre le
+prix.
+
+Ces animaux sont d'une force prodigieuse, et dans leur pays d'origine
+d'une étonnante agilité. Ils nagent comme des poissons dans l'Océan.
+
+C'est surtout lorsque la femelle va pondre ses oeufs que l'on peut
+facilement la surprendre et la capturer, ce qui se fait en la retournant
+sur le dos, quelquefois à l'aide d'un levier.
+
+L'écaille des tortues franches n'a aucune valeur, mais la chair est
+très-délicate, et il est à désirer qu'elle figure sur le carreau des
+Halles où elle serait très-rapidement appréciée.
+
+Malheureusement nous sommes si routiniers en matière de gastronomie,
+qu'elle est à peu près complètement perdue pour nous dès qu'elle a servi
+à faire du bouillon. Les Anglais, plus pratiques, tirent un excellent
+parti de tous les morceaux.
+
+La tortue jouit d'une propriété inestimable pour le transport dans les
+pays lointains. On n'a besoin de la fumer ni de la saler, ni de la
+placer dans des boîtes ou dans un garde-manger entouré de glace
+fondante. Elle arrive vivante des Antilles sans qu'on ait besoin de lui
+donner à boire et à manger. On pourrait donc se livrer à une
+exploitation régulière de cette nouvelle matière alimentaire que nous
+signalons expressément.
+
+De tous les animaux la tortue est peut-être celui qui a le cerveau le
+moins développé.
+
+Lacépède allait jusqu'à prétendre qu'il est de la grosseur d'une
+noisette pour un animal pesant 150 kilos.
+
+Mais il n'y a pas, paraît-il, d'animal qui soit plus porté aux plaisirs
+de l'amour. Alors le mâle devient féroce, et aucun danger ne serait
+capable de le déterminer à quitter sa femelle. Mais cela ne dure guère.
+Au bout de quelques jours il l'abandonne sans remords, la laissant
+regagner péniblement les îlots sablonneux où elle déposera ses oeufs, en
+grand danger d'être surprise par les pêcheurs qui la guettent. Notre
+dessin fait voir les suites inévitables de cette surprise. Un aide de
+cuisine s'apprête à trancher la tête de la tortue tandis qu'un autre
+empêche cette tête de rentrer dans la carapace, à l'aide d'un câble et
+d'un croc. L'armée des marmitons est là sous les armes, prête à
+commencer ses grandes opérations. Jamais mode plus barbare d'exécution
+n'a été inventé. Il faut croire que la tortue a si peu de cervelle
+qu'elle ne s'en aperçoit presque pas. Car si elle se plaint, c'est si
+bas, si bas que jamais personne ne l'a entendue.
+
+W. de Fonvielle.
+
+
+
+LA VEILLE DU 1er JANVIER
+
+(Fin)
+
+--Absolument. Et je vais choisir des exemples. Voici Mademoiselle Mimi,
+par exemple. J'ai déjà dit que je n'entendais pas médire des
+poupées,--le jouet n'empêche pas le livre.--La vraie poupée, celle que
+l'on peut habiller et déshabiller sans crainte de froisser une robe de
+cent francs, qui possède une tête de porcelaine que l'on fait remettre à
+neuf par le premier marchand venu du coin quand son propriétaire a eu le
+malheur de tomber sur le nez, la poupée qui a son trousseau bien simple
+de petits bas, de petits pantalons et de petites chemises, que sa maman
+blanchit elle-même, la poupée que l'on mène en voiture et qui fait la
+dînette, cette poupée-là est toujours amusante et sera amusante tant que
+le monde durera. Mais le soir, quand Mimi viendra sous la lampe demander
+à sa maman de lui montrer des images, sera-t-elle contente, oui ou non,
+si ces images sont choisies dans un livre à elle, à elle toute seule,
+écrit pour elle...
+
+--Il y en a donc de ces livres-là.
+
+--Il y en a quarante à l'heure qu'il est, ni plus ni moins, et la
+collection des albums de P.-J. Stahl se complète d'année en année. C'est
+le tableau vivant de l'enfance à tous les degrés, c'est un
+chef-d'oeuvre, une galerie sans rivale.
+
+--Mais Mimi ne sait pas lire!...
+
+--Si elle ne sait pas lire encore, elle sait voir au moins; tous les
+enfants savent lire dans les livres à images; l'image vue, l'image lue,
+on veut savoir au plus juste de quoi il s'agit, et vous êtes là, chère
+madame, pour lui lire à haute voix les légendes spirituelles ou
+émouvantes que Stahl a donné à traduire en merveilleux dessins au crayon
+de Froelich. C'est toute une morale où le code de la première enfance
+est passé en revue article par article.--«Il faut aimer son papa, sa
+maman et le bon Dieu», voilà pour l'âme. «Il faut manger sa soupe
+courageusement jusqu'à la dernière cuillerée», voilà pour le corps. Et
+pour la vie pratique: «Il ne faut mettre son doigt ni dans son nez, ni
+dans les pots de confiture.--Il ne faut pas jouer avec ce qui coupe; les
+couteaux ne sont pas un jeu.--Il est abominable d'égratigner son frère,
+sa soeur et même sa bonne.--Il est très-mal aussi de marcher dans les
+ruisseaux, ils ne sont pas faits pour cela.--Il ne faut jamais dire
+qu'on n'a pas envie de dormir quand il est huit heures et demie
+sonné...»
+
+Mon ami et sa femme s'étaient mis à rire dès les premiers mots de cette
+énumération.
+
+--Pauvre Mimi! dit la jeune mère, c'est vrai tout de même que pas plus
+tard que ce soir elle s'est démenée comme un beau petit diable en
+prétendant que la pendule avançait et que, vrai, il ne pouvait pas être
+huit heures et demie!...
+
+--_Les Commandements du grand-papa_ lui en apprendront bien d'autres. Et
+la _Journée de la célèbre mademoiselle Lili_, et la _Boîte au lait_, et
+le _Journal de Minette_, et les _Idées de mademoiselle Rose_, illustrées
+par Detaille, et la _Révolte punie_, et _Hector le fanfaron_, et l'_Ours
+de Sibérie_, et _Bonsoir petit père_, et _Toc-Toc_, et _Mademoiselle
+Mouvette_, qui est son portrait vivant, sans compter les albums en
+couleur qu'elle pourra manipuler à son aise sans courir le risque de
+s'empoisonner, au rebours de ces albums anglais, dont les enluminures
+grossières ne sont bonnes qu'à crever les yeux ou à gâter l'esprit.
+C'est une maxime à graver en lettres d'or dans le Code des parents, que
+préserver les enfants des niaiseries imprimées, c'est accomplir une
+oeuvre pie. Voilà tout le secret de la bibliothèque Hetzel; P.-J. Stahl,
+l'auteur applaudi des _Bonnes fortunes parisiennes_, que vous avez lues
+tous les deux, à su tremper sa plume, comme je l'ai vu écrire quelque
+part, dans un encrier rempli de lait sucré; une nourrice qui aurait
+passé par l'Académie française n'aurait pas su trouver plus de
+ressources d'esprit et d'imagination que ce père Gigogne. J'aurais dit
+tout cela dans mon article, je puis bien vous le dire à vous, en
+attendant.
+
+--Eh! c'est là précisément ce que j'étais en train de prêcher à ma
+femme, s'écria mon ami; mais on n'est jamais prophète en son pays. Je
+suis heureux de voir ton succès; on ne t'interrompt plus.
+
+L'interrupteur se contenta de sourire et je poursuivis en ces termes:
+
+J'arrive à Jujules. Savez-vous, chère madame, vous qui parliez tout à
+l'heure de livres à choisir «par-dessus le marché», ce que votre petit
+homme de huit ans m'a appris, il n'y a pas six mois? J'étais en train de
+lui faire, en vous attendant, un petit cours d'histoire naturelle et,
+par étourderie ou par ignorance, je ne sais plus au juste, je m'étais
+avisé de ranger le crapaud parmi les reptiles malfaisants. Double
+erreur, le crapaud n'est pas un reptile et le crapaud n'est pas une bête
+malfaisante. Là-dessus, voilà Jujules qui m'interrompt de sa voix la
+plus douce:
+
+--Pardon! mon parrain, mais j'ai lu quelque part que le crapaud n'était
+pas un reptile...
+
+--C'est bien, possible; qu'est-il alors?
+
+--C'est un batracien, mon parrain, à moins que le livre n'ait menti.
+
+Le livre n'avait pas menti; mais voyez-vous votre bambin qui en
+remontrait à son maître? Je lui demandai le titre de ce bienheureux
+ouvrage. C'était un des classiques du genre: l'_Histoire d'une bouchée
+de pain_ de Jean Macé.
+
+--Un de mes cadeaux de l'année dernière,... murmura mon ami.
+
+--Allons? je suis battue sur toute la ligne, et par un enfant encore!
+s'écria la jeune femme. C'est de bonne guerre. Je me rends à discrétion.
+Que lui donnerons-nous cette année au savant Jujules?
+
+Je me levai et je m'en fus chercher dans le coin où je les avais déposés
+en entrant, l'_Histoire d'une maison_, de Viollet-le-Duc, et la _Famille
+Chester_, de P.-J. Stahl et William Hughes.
+
+--Voici deux nouveautés que vous prendrez la peine de lire avant le 1er
+janvier. Car ces excellents livres ont le double mérite qu'ils
+conviennent aux petits et ne sont pas inutiles aux grands. Je ne veux
+pas être cru sur parole; il faut que vous appreniez par vous-même quel
+soin sévère, quels scrupules ont présidé à la formation de cette
+bibliothèque d'élite. C'est déjà beaucoup de savoir qu'un homme tel que
+M. Viollet-le-Duc a pris le meilleur de son temps pour apprendre au
+grand public comment se bâtit une maison, ce que la profession
+d'architecte exige de clarté dans l'esprit et de rectitude dans le
+jugement. Nous avons tout à gagner à ces enseignements-là. On apprend à
+tout âge et il n'est jamais trop tard pour aller à l'école. C'est encore
+dans un de ces livres que j'ai trouvé la maxime suivante: «Je ne doute
+pas qu'on ne puisse faire un gros livre de ce que tu sais, disait au
+campagnard à son fils qui lui revenait du collège tout enorgueilli de
+son grec et de son latin; mais je suis assuré qu'on en ferait un plus
+gros encore avec tout ce que tu ne sais pas.»
+
+--Comment l'appelez-vous ce livre-là?
+
+--_Entre frères et soeurs_. Ce sont des causeries scientifiques pleines
+de savoir et de bonne humeur; signé Lucien Biart.
+
+
+
+[Illustration: LA PREMIÈRE LEÇON.--D'après le tableau de M. Boutibonne.]
+
+(Publié avec l'autorisation de MM. Goupil et Cie.)
+
+
+[Illustration: UN REGARD EN PASSANT.--D'après le tableau de
+M. Boutibonne.]
+
+(Publié avec l'autorisation de MM. Goupil et Cie.)
+
+--C'est l'auteur de ce joli volume de nouvelles que tu as lues avec tant
+de plaisir, dans la _Revue des deux mondes_, ajouta mon ami, et qui ont
+paru en volume à la même librairie Hetzel, sous le titre des _Clients du
+docteur Bernagius_, et à l'usage des femmes d'esprit.
+
+--C'est cela même. Ajoutez que nous nous retrouverons constamment avec
+des écrivains amis. Après Viollet-le-Duc, P.-J. Stahl et Lucien Biart,
+il faudrait nommer Jules Sandeau et sa _Roche aux Mouettes_,
+Erckmann-Chatrian et _Madame Thérèse_, Hector Malot et son Romain
+_Kalbris_, et d'autres tout aussi connus auxquels j'arriverai tout à
+l'heure. Mais ce n'est pas fini. Le 1er janvier de Jujules serait trop
+maigre si vous vous borniez à deux livres; vous y ajouterez la _Soeur
+perdue_, de Mayne-Reid, qui fait suite aux _Aventures de terre et de
+mer_, qu'il a déjà reçues l'année dernière, et l'_Histoire du Ciel_, de
+Flammarion, qui manque à sa bibliothèque. Je me charge de la _Roche aux
+Mouettes_, de Jules Sandeau et de _Romain Kalbris_, d'Hector Malot.
+
+--Ah ça! s'écria mon ami, du train dont nous y allons, il ne restera
+rien pour Edouard!
+
+--Rassurez-vous, la bibliothèque d'éducation et de récréation en a pour
+tous les âges et pour tous les goûts. Edouard est déjà un petit homme
+sérieux. Entre temps, il sait manier très-convenablement le compas et
+l'équerre. Tandis que Jujules lui prêtera son _Histoire d'une maison_,
+Edouard fui confiera en échange la collection des _Voyages
+extraordinaires_ de Jules Verne...
+
+Mais c'est que je les lis, moi aussi, ces voyages!... s'écria la jeune
+femme en me coupant la parole, y en a-t-il de nouveaux?
+
+--Ah! je vous y prends! Que me disiez-vous donc tout à l'heure, que vous
+vous en reposiez sur le premier libraire venu du choix de ces lectures?
+Jules Verne tout au moins aurait été désigné à l'avance et pour ce seul
+aveu il vous sera beaucoup pardonné. Certes oui, il y en a de nouveaux
+et ce ne sont pas les moins merveilleux. J'ai apporté le _Pays des
+fourrures_, dont je puis parle en connaissance de cause, car je l'ai
+déjà lu dans le _Magasin d'éducation_. Vous avez encore le _Tour du
+monde, en quatre-vingts jours_, un chef-d'oeuvre d'invention, une sorte
+de conte des Mille et une nuits, avec la fantaisie déréglée en moins, et
+en plus l'imagination scientifique. Ce sont de fameux pendants à _Vingt
+mille lieues sous les mers_, au _Voyage dans la Lune_ et au _Centre de
+la terre_, à _Cinq semaines en ballon_, aux _Enfants du capitaine,
+Grant_, au _Capitaine Hatteras_, etc. Cet étonnant romancier poursuit un
+plan qui consiste à faire faire à son public la découverte successive de
+toutes les parties du monde et de tous les phénomènes du globe. Nous
+avons encore un bon bout de chemin en perspective. Savez-vous ce qu'il
+m'a répondu tout dernièrement? Je lui demandais quelles surprises
+nouvelles il nous réservait et s'il nous était permis de compter sur une
+deuxième série aussi riche que la précédente.
+
+--N'est-ce que cela! me dit-il gaiement, apprenez qu'elle est toute
+composée cette série à venir; il ne me faut plus que le temps de
+l'écrire.
+
+--Tout va bien, répliqua mon ami, mais avec tout cela je ne vois pas
+pourquoi tu nous a parlé du compas et de l'équerre d'Édouard?
+
+--M'y voici. Nous lui donnerons les Sciences usuelles et leurs
+applications mises à la portée de tous, par le capitaine de frégate
+Louis du Temple. Ce livre-là serait un peu trop sérieux pour Jujules; il
+fera le bonheur d'Édouard. Figurez-vous, mes amis, la mécanique et la
+géométrie racontées par un homme qui a appris la science à de pauvres
+mécaniciens de la marine, à des gens presque illettrés mais pleins
+d'ardeur, de bon vouloir et de dévouement. Ce sera bien le diable si
+sous la direction d'un tel maître Edouard ne devient pas un mécanicien
+de premier ordre. Je tiens à être là pour jouir de sa joie quand il
+recevra ce magnifique volume, et si vos mains sont trop pleines de
+cadeaux pour y joindre celui-là, c'est moi qui m'en chargerai.
+
+--Mais non! dit la jeune femme en riant, je n'accepte pas l'épigramme;
+me voilà bel et bien convertie, et je vous promets que le n° 18 de la
+rue Jacob comptera désormais une cliente aussi assidue que dévouée.
+N'abusez pas de votre victoire.
+
+--Ainsi, ajouta mon ami, c'est toute une bibliothèque que nous
+introduisons dans la famille. Quelle heureuse chance pour moi d'avoir eu
+pour auxiliaire un ami dont le métier consiste précisément à lire les
+livres nouveaux pour guider autant que possible le choix du grand
+public. Si grâce à toi, le budget des étrennes est un peu plus lourd que
+de coutume, je ne m'en plaindrai pas.
+
+--C'est encore une erreur, répondis-je, et ce sera mon dernier mot. Le
+plus riche, le plus luxueux de ces beaux livres, les _Contes de
+Perrault_, de Doré, qu'il faudra donner à Mimi, dans un an ou deux, ne
+coûte pas à beaucoup près ce que coûte une soirée dans un théâtre de
+genre, qui trop souvent se trouve être un théâtre de mauvais genre; il
+coûte moins qu'un joujou vulgaire de chez Giroux, une boîte de bonbons
+de Roissier, une fleur artificielle à mettre dans vos cheveux, madame,
+ou la fumée de quelques cigares de choix que monsieur achètera au
+Grand-Hôtel. Direz-vous que ce qui serait trop d'argent pour une chose
+qui reste ne serait rien pour une chose qui passe?
+
+--Non! non! s'écrièrent en choeur mes deux amis, le mari et la femme,
+associés et réconciliés dans le même sentiment. Nous voilà d'accord.
+
+--Tout est donc bien qui finit bien, répondis-je en fermant l'entretien;
+cela finit d'autant mieux que mon article est fait. Tant pis pour vous,
+je vous préviens que je vais livrer au public toute notre conversation
+sans y changer un mot.
+
+--Tu ne nous nommeras pas au moins!
+
+--Je le jure! Je me bornerai à vous soumettre mon procès-verbal et à
+signer pour copie conforme:
+
+Prosper Chazel.
+
+
+
+LA SOEUR PERDUE
+
+Une histoire du Gran Chaco
+
+(Suite)
+
+
+CHAPITRE X
+
+ARRÊTÉS PAR UN «RIACHO.»
+
+LES GYMNOTES
+
+Les voyageurs se trouvaient à un mille de distance de leur dernière
+halte quand les hautes berges du Pilcomayo commencèrent à se déprimer,
+puis à s'abaisser jusqu'à se mettre presque de niveau avec le fleuve. La
+colline qu'ils avaient jusqu'alors suivie se continuait sur l'autre
+bord, comme si elle eût été coupée par le courant qui formait en cet
+endroit une série de rapides contre lesquels l'eau se brisait en
+bouillonnant et avec un bruit assourdissant.
+
+Les voyageurs n'y prêtèrent pas attention; ils descendirent la pente et
+continuèrent à remonter le cours d'eau.
+
+Ils ne tardèrent pas à se heurter contre un obstacle inattendu. C'était
+une sorte de ruisseau lent, un _riacho_ (2) qui débouchait
+perpendiculairement dans le Pilcomayo ou en sortait, suivant la saison
+et les caprices de l'inondation. En ce moment il semblait être immobile,
+parce que la rivière principale, subitement enflée par l'ouragan,
+arrêtait le courant plus tranquille de son affluent. Ses eaux étaient
+jaunâtres et comme mêlées de terre et de sable. Le seul moyen d'en
+savoir la profondeur était d'y entrer à cheval, mais l'expérience était
+dangereuse.
+
+ [Note 2: Le _riacho_ de l'Amérique du Sud est un cours d'eau
+ tributaire d'une grande rivière. Il ressemble au bayou de la
+ Louisiane. En temps d'inondation son courant change de direction
+ et revient sur lui-même.]
+
+Il ne fallait pas songer à tourner pour le franchir au-dessus de sa
+source, ni à chercher un gué en le remontant. Le riacho était droit
+comme un canal, et les cavaliers pouvaient le suivre des yeux à travers
+la plaine sur une étendue de plus de dix milles présentant toujours la
+même largeur et probablement la même profondeur que sous la tête de
+leurs chevaux.
+
+Que faire? remonter jusqu'à la source aurait exigé une demi-journée tout
+entière. Cypriano était trop impatient pour y songer et Gaspardo
+lui-même paraissait médiocrement disposé à un retard. Essayer de passer
+à l'endroit où ils se trouvaient semblait être une entreprise
+hasardeuse; il leur faudrait peut-être nager. Cependant cette
+alternative ne les eût pas arrêtés si le bord opposé avait offert une
+pente douce ou quelque point facile qui permit aux chevaux d'aborder.
+Mais il n'en était pas ainsi; au contraire, la berge s'élevait
+perpendiculairement à plus de deux pieds au-dessus de l'eau, et, sous
+l'eau, cette sorte de muraille pouvait être encore plus profonde. Les
+voyageurs étaient dans l'impossibilité d'évaluer la profondeur à cause
+de la coloration de l'eau, conséquence de la tormenta, et il n'existait
+ni courant ni rides pour les aider à se former une opinion même
+approximative.
+
+Ils restaient indécis sur leurs selles. S'il avait été seul, Cypriano,
+dans son impatience, aurait lancé son cheval en plein cours d'eau, mais
+Gaspardo avait mis la main sur la bride en lui disant: «Patience! il est
+bon de réfléchir, même avant de faire une folie.»
+
+Ils demeurèrent ainsi pendant plus de dix minutes, tantôt jetant les
+yeux sur le ruisseau, tantôt se regardant les uns les autres.
+
+«_Gracias a Dios!_ que Dieu soit loué! s'écria tout d'un coup le
+gaucho.»
+
+Il proféra cette exclamation d'un ton si satisfait et avec un tel soupir
+de soulagement que ses jeunes camarades comprirent que le problème était
+résolu et que le moyen de passer était découvert.
+
+«Qu'avez-vous imaginé, mon bon Gaspardo? demanda Cypriano, toujours le
+plus prompt à interroger.
+
+--Regardez là-bas, dit Gaspardo? en montrant de la main l'endroit où
+l'affluent réunissait ses eaux à celles du fleuve. Que voyez-vous
+là-bas, senoritos?
+
+--Rien de particulier, quelques grands oiseaux blancs avec de longs
+becs, qui ressemblent à des grues.
+
+--Certainement, ce sont des grues, et même des grues soldats, des
+_garzones_ (3). Eh bien! qu'en pensez-vous?
+
+ [Note 3: Le _garzon_ est la plus grande des grues de l'Amérique du
+ Sud. Il possède une hauteur de cinq pieds; ses jambes sont longues
+ et grêles; son bec pointu est immense; il a sous la gorge un sac
+ rouge comme un pélican et son plumage est presque d'un blanc de
+ neige.]
+
+--Qu'elles nagent?
+
+--Nager! pas le moins du monde. Le garzon ne nage jamais. Elles passent
+à gué, senoritos; oui! à gué.
+
+--Eh bien! après? fit Ludwig.
+
+--Comment! après? Je suis étonné que vous, naturaliste, un savant qui
+avez appris à raisonner, vous ne liriez pas la conclusion d'un fait
+aussi clair.
+
+--Quelle conclusion? demanda naïvement le jeune savant.
+
+--La plus simple du monde, à savoir que comme le dit la chanson, si les
+canards l'ont bien passé, nous passerons nous aussi le riacho. Les grues
+ont de longues jambes, c'est vrai, mais où un garzon peut passer, un
+cheval n'est pas obligé de nager. Non, muchachos! nous traverserons à
+l'endroit où ces gros oiseaux blancs sont en train de s'amuser. Nous
+pourrions même peut-être le faire ici, mais cela serait moins sûr. Il y
+a évidemment une barre de sable entre le riacho et la rivière et voilà
+pourquoi les grues sont à l'eau. J'ajoute que, si elles y sont, ce n'est
+pas pour le simple plaisir d'y prendre un bain de pieds. Il est probable
+que l'orage a troublé les poissons et les a ramenés du large contre la
+barre. Les grues, les trouvant là à leur portée, y sont venues à leur
+tour. Tout s'enchaîne à merveille, vous le voyez, et nous n'avons
+nous-mêmes rien de mieux à faire que de mettre à profit le résultat de
+l'expérience faite par les grues.»
+
+Le gaucho avait raison. Les _garzones_ étaient activement occupés à
+pêcher; les uns plongeaient leur bec sous l'eau, d'autres, la tête
+renversée, montraient sous leur gorge de vastes poches écarlates
+gonflées par le poisson qu'ils s'efforcaient d'engloutir.
+
+«C'est pitié de les déranger de leur dîner, dit Gaspardo, surtout après
+le service qu'elles nous ont rendu en nous montrant le gué. Por Dios! Il
+nous faut pourtant le faire, il n'y a pas moyen de l'éviter. Allons,
+senoritos, descendons, nous demanderons en passant pardon à mesdames les
+grues de la liberté que nous prenons à leurs dépens.»
+
+En disant ces mois, Gaspardo se dirigea vers le confluent des deux cours
+d'eau, suivi par ses compagnons qui n'avaient fait, comme on le pense,
+aucune objection au discours du brave gaucho.
+
+Au bout de deux cents pas, ils arrivaient au territoire de pêche des
+grues.
+
+Ces grands oiseaux, effrayés par l'approche de créatures si différentes
+de celles qu'ils voyaient ordinairement, se hâtèrent d'avaler le contenu
+de leurs poches écarlates, puis, agitant leurs grandes ailes au-dessus
+de l'eau, s'élevèrent dans les airs en protestant par leurs cris contre
+le dérangement qu'on leur causait!
+
+Pendant un moment, ils tournèrent au-dessus de la tête des cavaliers en
+poussant leurs notes perçantes, comme s'ils avaient espéré disputer aux
+cavaliers le passage du ruisseau. Cependant, quand les chevaux se mirent
+à l'eau, ils comprirent que pour le moment leur pèche était finie, et,
+cessant leurs bruyantes démonstrations, ils partirent l'un après l'autre
+en quête d'une retraite plus tranquille.
+
+Le passage était tel que Gaspardo l'avait supposé; c'était une barre
+entre le fleuve principal et son tributaire. Ni en aval ni en amont les
+chevaux n'auraient pu passer à gué, et même sûr la barre, au point le
+plus profond, leurs sangles baignaient dans l'eau.
+
+La distance à parcourir était de plus de cent mètres, car c'était à
+cette place que le riacho avait sa plus grande largeur.
+
+Ils avaient franchi les deux tiers du passage et se félicitaient déjà
+d'être bientôt arrivés sur l'autre rive, quand tout d'un coup les
+chevaux firent halte en frémissant de la tête aux pieds.
+
+Au même instant, chacun des trois cavaliers ressentit une commotion
+étrange et tellement simultanée, que leurs exclamations s'échappèrent de
+leurs trois bouches à la fois comme d'un seul gosier..
+
+Gaspardo seul reconnut la cause de ces chocs imprévus.
+
+«Caramba! s'écria-t-il, c'est une raie électrique. Non pas une, mais
+peut-être un millier! Il y en a tout autour de nous, je le vois bien au
+frémissement des chevaux. Donnez de l'éperon, senoritos! donnez de
+l'éperon, ou nos bêtes paralysées n'atteindront jamais le bord!»
+
+Ainsi apostrophés, les jeunes gens piquèrent de toute la force de leurs
+talons, et leurs montures s'avancèrent encore, mais avec inquiétude et
+une visible irrésolution. Parfois elles essayaient de reculer en dépit
+des coups d'éperon.
+
+Les cavaliers n'échappaient pas à cette influence. Le fluide subtil
+courant le long des membres des chevaux, pénétrait dans le système
+nerveux des hommes et leur causait de violentes secousses. Tous les
+trois se sentirent d'autant plus troublés, que la force ne pouvait rien
+contre l'obstacle bizarre qui s'opposait à leur marche en avant.
+Gaspardo seul conservait encore assez de présence d'esprit pour parler
+et agir.
+
+«Éperonnez, criait-il, éperonnez! si nous ne gagnons pas le bord
+rapidement, les gymnotes auront raison de nous et de nos bêtes. Nos
+chevaux s'enfonceront dans l'eau comme des pierres et nous-mêmes, si
+nous n'échappons pas à l'influence de ces infernales bêtes, nous ne
+pourrons passer ni à gué ni en nageant. En avant donc, senoritos! Jouez
+de la cravache et des éperons comme s'il s'agissait du salut de nos
+Ames!»
+
+Ludwig et Cypriano n'avaient pas besoin d'être excités. Ils sentaient
+parfaitement l'imminence du péril et ne comprenaient que trop que chaque
+minute le décuplait. Tous deux poussaient leurs montures autant que le
+leur permettait leur énergie défaillante.
+
+Gaspardo le premier finit par atteindre le bord; il fut suivi de près
+par Cypriano. Mais quand tous deux, se retournant, jetèrent les yeux sur
+Ludwig, ils s'aperçurent que celui-ci était resté en arrière d'eux, à
+quelques mètres de la rive; son cheval tremblait comme une feuille et
+refusait d'avancer. Le cavalier commençait à perdre la tête en voyant
+l'inutilité de ses efforts. Tout d'un coup sa monture cessa de bouger.
+Le gaucho et Cypriano la virent peu à peu enfoncer. Evidemment Ludwig
+était hors d'état de la retenir,
+
+Cypriano fit mine de descendre de cheval et de se jeter à l'eau pour
+aller au secours de son cousin.
+
+«Gardez-vous-en bien, s'écria le gaucho. Vous n'arriverez qu'à périr
+avec lui. Il y a mieux à faire pour le salut de Ludwig.»
+
+En même temps il détachait son lazzo de sa selle et le faisait tournoyer
+autour de sa selle. Le noeud coulant tomba juste sur les épaules de
+Ludwig. Le jeune homme enlevé de sa bête abordait, cinq minutes après,
+sain et sauf sur le rivage.
+
+Sans perdre un instant, le gaucho relâcha le lazzo, le détacha
+promptement des épaules de Ludwig, le fit siffler encore, et le lança
+sur le cheval, dont l'arrière-train était déjà sous l'eau.
+
+Cette fois, la boucle largement ouverte tomba sur le cou de l'animal en
+entourant dans sa première moitié la haute selle espagnole qu'il
+portait; Gaspardo, assurant solidement le lazzo autour de son poignet et
+de son avant-bras, fit faire demi-tour à sa propre monture du côté
+opposé à la rive, et l'encourageant de la voix, il la lança d'un élan
+vigoureux en avant.
+
+
+CHAPITRE XI
+
+LE POISSON QUI FAIT DU FEU
+
+Il y eut une lutte violente au milieu du riacho; elle dura peu. Le
+cheval de Ludwig reprenait courage en se sentant secouru; il fit un
+effort de vigueur pour aider à celui qui était tenté en sa faveur; ses
+jambes de derrière, dégagées, reprirent bientôt leur fonction, et il
+finit par prendre terre à son tour.
+
+Le bord de ce cours d'eau bourbeuse présentait un étrange tableau; les
+trois chevaux frissonnant semblaient près de défaillir, et leurs
+cavaliers n'étaient guère dans un meilleur état.
+
+Le plus âgé des trois conservait encore un peu de force, mais il était
+loin de se sentir aussi solide et aussi alerte que d'habitude. Jamais il
+n'avait subi une si violente attaque des gymnotes, et il ne pouvait
+s'expliquer leur puissance extraordinaire qu'en l'attribuant à
+l'électricité de la tempête, qui sans doute avait surexcité en elles
+l'énergie du fluide.
+
+C'était là en effet l'explication la plus plausible du fait; la raie
+électrique, parfois complètement inoffensive, est d'autres fois l'animal
+le plus dangereux qu'il soit possible de rencontrer au sein des eaux.
+
+Les chevaux furent quelque temps avant de se remettre de l'influence et
+des souffrances causées par les décharges galvaniques des gymnotes. Les
+cavaliers et Gaspardo lui-même avouaient qu'ils se sentaient très-mal à
+leur ai$e. Cependant le gaucho finit par retrouver sa vaillante humeur.
+Le succès de sa double pêche au lazzo, la première qu'il eût faite en ce
+genre, l'avait ragaillardi, et il communiqua un peu de son entrain à ses
+deux compagnons. Ils reprirent sans délai leur voyage, et, tout en
+continuant à suivre les bords du Pilcomayo, Gaspardo donnait à ses
+jeunes compagnons toutes les observations à sa connaissance relativement
+aux singuliers animaux auxquels ils avaient eu tant de peine à se
+soustraire.
+
+«Les gauchos, dit-il, les appellent des raies: cependant j'ai entendu le
+senor Ludovico (il désignait ainsi le père de Ludwig) leur donner le nom
+de gymnotes (4). Je suppose que c'est celui qui est connu des
+naturalistes.
+
+ [Note 4: La gymnote possède une merveilleuse puissance électrique.
+ Les chevaux e! les bestiaux qui passent à gué les marécages ou
+ ruisseaux peuplés par ces singulières créatures succombent souvent
+ sous leurs chocs galvaniques. L'incident que nous rapportons est
+ en parfaite concordance avec les phénomènes observés.]
+
+--C'est vrai, répondit le jeune Ludwig en s'intéressant aux paroles de
+Gaspardo. C'est là en effet leur nom scientifique.
+
+--Avez-vous jamais vu de près un de ces vilains diables? demanda
+Gaspardo.
+
+--Non, répliqua Ludwig, mais j'ai souvent entendu mon père en parler.»
+
+A ces mots de «: père», un nuage passa sur les traits du jeune homme; il
+était évident qu'il ne pensait déjà plus aux gymnotes.
+
+«Moi, dit Gaspardo, j'en ai vu beaucoup. Près de l'endroit où j'allais à
+l'école, il y avait une espèce de mare qui était pleine de raies
+électriques, et nous autres enfants nous nous en amusions beaucoup,
+quoique nous en eussions très-peur. Vous allez voir que ce n'était pas
+sans raison. Je me souviens qu'un jour j'assistai à un triste spectacle.
+Un vieux boeuf, qui n'avait plus qu'un oeil, s'était laissé choir dans
+cette mare. Les enfants ne doutent de rien; j'avais eu la chance
+d'accrocher, avant que la pauvre bête ne fût à vau-l'eau, une corde à
+l'extrémité de ses cornes; nous nous mimes une douzaine au moins à tirer
+sur cette corde, persuadés que nos efforts suffiraient à ramener le
+pauvre animal du gouffre où il était tombé. Naturellement nous n'y
+parvînmes pas. Le malheureux boeuf n'en eut pas pour longtemps. Je le
+vois encore, après s'être débattu un instant, s'abîmer tout d'un coup
+sous l'eau, comme s'il eût été frappé d'un coup de foudre invisible.
+Jamais je n'oublierai le regard de détresse qu'il nous jeta avant de
+disparaître; ils ont de si bons regards, les boeufs; mais ce que
+j'oublierai encore moins, c'est le châtiment inattendu que nous reçûmes
+du propriétaire du boeuf, dont nous espérions des remerciements,
+châtiment dû, nous dit-il, à la maladresse de nos efforts.
+
+«C'était le maître d'école lui-même, un homme pratique, qui ne se payait
+ni de bonnes paroles ni même de bonnes intentions. «Vous vous êtes tous
+conduits comme des imbéciles, s'écria-t-il, en essayant de faire une
+chose tellement au-dessus de vos forces. Il fallait crier au secours,
+venir me chercher. Je n'étais pas loin et mon boeuf serait encore en
+vie. Savoir ce qu'on peut et ce qu'on ne peut pas, connaître la mesure
+de ses forces est indispensable à tout âge, et pour que vous vous
+souveniez de cette utile maxime, je vais vous appliquer à chacun quelque
+chose qui vous la fixera dans la mémoire.»
+
+«Nous reçûmes tous une demi-douzaine de férules. Jamais correction ne
+fut administrée avec une plus grande impartialité. Chacun en eut son
+compte.
+
+--C'était un méchant homme ce maître d'école, s'écria Cypriano...
+
+--Un peu rude, j'en conviens, répondit Gaspardo, mais c'était surtout un
+homme sensé et judicieux. Ces férules m'ont sauvé de bien des sottises
+dans ma vie, et, s'il faut tout dire, elle vous a été utile à vous-même.
+Je me la suis rappelée à propos dans notre caverne, tout à l'heure,
+quand il s'agissait d'abattre à coups de fusil notre second tigre.
+L'affaire était chanceuse. C'est grâce à la mémorable leçon de notre
+vieux maître que j'ai donné la préférence à notre fusée sur une décharge
+d'artillerie dont reflet n'était pas certain. Pour en revenir à nos
+raies électriques, je ne me doutais pas, à l'époque où s'est passée
+l'histoire que je viens de vous raconter, que j'aurais à me tirer
+d'affaire avec elles aujourd'hui et dans une circonstance aussi sérieuse
+que celle d'où nous sortons. Soyez sûr, mon cher Ludwig, que le souvenir
+du boeuf et de la leçon énergique subie à cause de lui m'a inspiré
+heureusement tout à l'heure, quand je me suis servi de mon cheval comme
+d'un remorqueur pour le vôtre.
+
+--Pauvre Gaspardo, dit Cypriano, c'est pourtant vrai que nous voici tenu
+de bénir le vieux maître d'école auquel il a dû un enseignement si
+difficile à oublier.»
+
+La conversation continua sur les raies électriques.
+
+«Vous dites que vous avez vu des raies électriques, cousin, demanda
+Ludwig. A quoi ressemblent-elles?
+
+--Le gaucho peut vous le dire mieux que moi.
+
+--A quoi ressemblent-elles, Gaspardo?
+
+--Ma foi, _muchachos_, si l'on me demandait de faire une description de
+ces vilaines bêtes, je répondrais qu'elles ne ressemblent à rien.
+L'animal le plus laid de la création pourrait être vexé de leur être
+comparé. S'il y a de l'eau en enfer, c'est d'animaux comme ceux-là
+qu'elle doit être peuplée.
+
+--Tout cela ne nous apprend pas à quoi ressemble une raie électrique,
+interrompit Ludwig, auquel l'amour de l'histoire naturelle faisait
+désirer une description plus précise.
+
+--Non certainement, répliqua le gaucho, mais ce n'est pas une chose
+aisée que de décrire un poisson qui n'est peut-être pas un poisson,
+quoiqu'il passe son temps sous l'eau.
+
+--Quant à être un poisson, c'est un poisson, fit le jeune naturaliste,
+tout aussi bien que les autres raies, mais quelle est sa forme, sa
+couleur? sa dimension?
+
+Mayne Reid.
+
+(_La suite prochainement._)
+
+
+
+[Illustration: LES TORTUES DE MER A PARIS.--Décapitation d'une grosse
+tortue.]
+
+LA SOEUR PERDUE PAR MAYNE REID
+
+[Illustration: Le vieux mâle gisait inanimé.]
+
+[Illustration: De petits hiboux occupaient le sol en commun avec les
+quadrupèdes.]
+
+[Illustration: Chacun d'eux penché sur le sol.]
+
+[Illustration: La construction en était toute primitive.]
+
+
+
+REVUE LITTÉRAIRE
+
+LES LIVRES D'ÉTRENNES
+
+II
+
+Parmi tous ces livres gaufrés et dorés que le jour de l'an fait naître,
+il en est un que je trouve particulièrement recommandable, c'est le
+_Magasin d'éducation et de récréation_, fondé, il y a quelques années,
+par M. J. Hetzel, avec la collaboration spéciale de Jean Macé et de
+Jules Verne. Le _Magasin d'éducation_ en est arrivé maintenant à sa
+neuvième année, à son dix-huitième volume, et la plupart des ouvrages
+qu'il a publiés, _Les Anglais au pôle nord, Les Enfants du capitaine
+Hatteras, Le Pays des fourrures_, de Jules Verne, _La Roche aux
+Mouettes_, de Jules Sandeau, _Les Contes du château_, de Jean Macé, et
+les délicieuses historiettes de P.-J. Stahl, ses contes et récits de
+morale familière, sont rapidement devenus populaires. Je ne sais rien de
+plus intéressant et de plus curieux que de feuilleter, sous la lampe,
+ces volumes où la gravure vient en aide à l'imagination, où le dessin
+explique et anime le texte, où les yeux sont charmés avant l'esprit. Les
+enfants seraient trop heureux si ces beaux livres, ces récits qui les
+captivent, qui les amusent, ces images qui les séduisent, si tout cela
+était fait pour eux seuls. Mais les parents,--ces grands enfants,--y
+trouvent aussi leur compte. Il y a, dans le _Magasin d'éducation_, comme
+dans toute la bibliothèque d'Hetzel, des catégories de lectures pour
+tous les âges.
+
+D'abord, le premier âge, qui se plaira, par exemple, à cette capricieuse
+histoire de _La Famille Chester_, que P.-J. Stahl a écrite en
+collaboration avec W. Hugues, ou encore à _La Comédie enfantine_ et aux
+jolis dessins de Froment, adorables comme des fresques antiques ou comme
+les meilleurs tableaux d'Hamon. En ce genre, _La Boîte au lait_, tableau
+de la «première commission» de Fanchette, est tout à fait une chose
+exquise. Les hésitations de Fanchette portant la boîte au lait à tante
+Rose, ses stations, ses tentations, sa gourmandise bientôt punie, tout
+cela est rendu avec une délicatesse infinie, et c'est là une véritable
+oeuvre d'art.
+
+Le deuxième âge et la jeunesse ont les récits didactiques de Jean Macé
+et de Viollet-le-Duc, l'_Histoire d'une maison_, entre autres, où
+l'éminent architecte explique avec beaucoup de clarté et d'esprit
+comment on s'y prend pour conduire un logis de la base au faite. Il faut
+placer aussi dans cette catégorie les romans de Lucien Biart ou du
+capitaine Mayne-Reid, les aventures de terre et de mer dont les lecteurs
+de l'_Illustration_ ont pu mieux que personne mesurer le mérite,
+puisqu'ils connaissent _La Soeur perdue_, ce vigoureux tableau de moeurs
+exotiques.
+
+Les parents enfin, ceux qui lisent ces livres par-dessus les épaules et
+la tête de leurs enfants, ont pour eux _Le Tour du monde en 80 jours_ et
+_Le Pays des fourrures_, et la _Géographie de la France_ et les
+_Sciences usuelles_, mises à la portée de tous par M. Louis du Temple,
+un capitaine de frégate qui écrit avec une lucidité étonnante. Elle est
+riche, on le sait, cette collection Hetzel, et les dix-huit volumes du
+_Magasin d'éducation_ forment, à eux seuls, une bibliothèque véritable,
+la plus instructive et la plus attachante. Quelle richesse d'inventions,
+quelle dépense d'imagination et de talent! Comme ce Magasin est
+supérieur à notre pauvre _Journal des Enfants_ qui faisait jadis notre
+joie! On y sent à chaque page la main d'un artiste et d'un lettré. Cet
+homme-double, c'est Hetzel, le plus fin moraliste, l'écrivain délicat,
+l'homme qui sait le mieux ce qui plaît le plus à ces critiques sévères;
+les enfants. Hetzel a vraiment créé tout un genre de livres, et n'eût-il
+pas droit à la renommée littéraire la plus brillante (il en a fait don à
+P.-J. Stahl), qu'il mériterait encore d'être béni des lettres pour avoir
+fondé en France un genre moral et familier, mais artistique, que la
+France ne connaissait pas.
+
+Cette fois, outre les deux volumes annuels de ce _Magasin d'éducation_
+dont la collection entière, les deux séries, formeraient la plus
+magnifique étrenne et la plus intelligente qu'on pût donner, Hetzel
+publie plusieurs excellents ouvrages que j'ai grand plaisir à signaler
+et d'une façon toute spéciale.
+
+C'est, ai-je dit, _La Famille Chester_, de P.-J. Stahl. Cette histoire
+de «deux petits orphelins», qui ne sont autres que deux malheureux
+_rats_ de Londres, eût fait sourire J.-J. Grandville. Les dessins sont
+de Froelich et ils sont ravissants. C'est l'_Histoire d'une maison_, de
+Viollet-le-Duc, avec des illustrations et des figures qui mettent ce
+grand art de l'architecture à la portée de tous. C'est le joli volume de
+Lucien Biart, _Entre frères et soeurs_, où toutes les menues
+connaissances scientifiques indispensables à la conversation sont
+enfermées avec beaucoup de talent. C'est, encore une fois, _La Soeur
+perdue_, de Mayne-Reid, c'est enfin l'oeuvre de Jules Verne, qui se
+trouve augmentée de deux volumes, _Le Tour du monde en 80 jours_ et _Le
+Pays des fourrures_. Lorsqu'on parle de Jules Verne, il suffit de donner
+le titre de son nouveau livre; il a son public, sa spécialité, son
+originalité, et personne auprès du public n'a plus de vogue que lui. Le
+fait est que ses récits, où la fantaisie se mêle si agréablement à la
+science, sont des plus attachants. Je sais des lecteurs qui en sont
+fanatiques. _Le Tour du monde en 80 jours_ et _Le Pays des fourrures_
+auront certainement, ou, pour mieux dire, ont maintenant le succès des
+précédents ouvrages de l'auteur, _Cinq semaines en ballon_, ou encore
+_De la Terre à la Lune_. M. Verne a évidemment mis à profit, pour écrire
+et décrire son _Pays des fourrures_, les récits intéressants de M.
+Hayes, mais il a peint d'une touche toute personnelle ces paysages du
+pôle, cette mer de glace, ces _icebergs_, et de telle façon qu'on ne
+saurait les oublier. Ce dernier livre est l'un de ses bons livres, Il
+vaut tout ce que l'auteur a fait de mieux et l'Académie pourra fort bien
+le couronner, comme elle a couronné les précédents ouvrages et le
+_Magasin d'éducation_ tout entier.
+
+J'ai dit quel petit chef-d'oeuvre c'était que _La Boite au lait_, de M.
+Froment; il faut ajouter qu'Hetzel publie, dans le même genre,
+d'adorables albums, comme _Les Commandements du grand papa_, illustrés
+par Lorentz Froelich, et _Les Aventures de Mademoiselle Minette_, qui se
+recommandent tout particulièrement au public par le nom de l'artiste qui
+en a signé les dessins. C'est Coinchon, un brave garçon, garde national
+de marche au 19 janvier, et tué, comme Henri Régnault, devant le mur de
+Buzenval. Coinchon a fait pour Mademoiselle Minette des études de chats
+et de chattes absolument réussies. Il y avait un vrai talent chez le
+malheureux jeune homme. On ne saurait trop louer ces livres-albums, dont
+le texte est de P.-J. Stahl, et il faut avoir, pour écrire les légendes
+de ces dessins, un talent d'écrivain d'une trempe parfaite. Cela n'a
+l'air de rien, ces quelques lignes mises au bas d'un croquis de Froelich
+ou de Froment, et, pour les tracer, il faut posséder à la fois les
+qualités les plus rares, la finesse, la simplicité, l'émotion, une
+certaine tendresse, la science de l'enfance, toutes choses qui ne se
+peuvent trouver, on l'avouera, que chez des natures d'élite.
+
+Hetzel a donc donné, cette année comme les années précédentes, des
+oeuvres de choix, et il en prépare déjà de nouvelles, l'_Histoire d'un
+âne_, par Stahl, l'_Île mystérieuse_, par J. Verne, _Une Mère_, par M.
+Legouvé, et la _Petite soeur_, par M. de Laprade. Et c'est plaisir de
+voir tous les bons esprits et les coeurs haut placés aider dans son
+entreprise l'homme qui a su faire ainsi une révolution dans la librairie
+et créer une bibliothèque pour les jeunes esprits, qui seront plus
+heureux que notre génération sacrifiée et pénétreront peut-être par la
+porte au seuil de laquelle nous aurons usé nos efforts, dans cette
+société équilibrée où le bonheur, dit-on (pourquoi ne l'espérerait-on
+pas?) sera mieux réparti entre tous, l'injure de la patrie étant depuis
+longtemps vengée.
+
+Ce ne sont pas là d'ailleurs les seuls livres d'étrennes qu'il nous faut
+encore signaler. M. Gaston Tissandier a, depuis un an, fondé une sorte
+de revue illustrée des sciences qu'il appelle La Nature. La première
+année est finie et forme déjà un beau volume d'une utilité et d'un
+intérêt absolus. MM. Dehérain, Flammarion, C.-M. Gariel,--un esprit
+supérieur, un de nos anciens compagnons de classe,--Amédée Guillemin, E.
+Margollé, etc., composent la rédaction de ce recueil que je n'ai point
+qualité pour analyser ou critiquer, mais dont je signale avec plaisir
+l'apparition et dont je constate le succès.
+
+M. le marquis de Cherville a publié aussi (chez Didot) un bien joli
+volume. On connaît son _Histoire d'un trop bon chien_. Cette fois, M. de
+Cherville nous conte l'_Histoire naturelle en action_. Il est chasseur,
+il est campagnard, il adore les animaux, tout en les abattant d'un coup
+de Lefaucheux; mais, à dire vrai, le gibier et lui n'en sont pas moins
+bons amis. La preuve en est dans la façon dont il en parle. On n'a pas
+plus d'esprit et pas plus d'émotion juste et non affectée que n'en a M.
+de Cherville en ces pages qui instruisent et qui amusent, et qui
+méritent d'être relues. L'_Histoire naturelle en action_ est un des plus
+instructifs recueils de nouvelles qu'on ait publiés depuis longtemps.
+
+Et les _Contes du bibliophile Jacob à ses petits enfants_? M. Paul
+Lacroix a fait tenir dans ces pages et dans ces quelques récits toute
+l'histoire de France de 1350 à 1695. Chaque épisode choisi par le savant
+auteur de tant de travaux estimés forme, si je puis dire, le tableau
+d'un règne ou d'une époque et, de la sorte, le lecteur s'instruit en
+s'amusant. Il s'instruit sans le savoir, car, c'est un fait, le public
+n'aime pas qu'on lui dise: venez ici, je vais vous apprendre quelque
+chose. Il hait d'instinct les magisters. Mais on n'est pas moins
+pédagogue ni pédant que M. Paul Lacroix, et ses _Contes du bibliophile
+Jacob_, avec leurs dessins très-étudiés et très-vrais de M.
+Philippoteaux méritent, eux aussi, une place d'honneur.
+
+Est-ce tout? Certes non. Je dois signaler encore _Les Merveilles de la
+science_, de M. Louis Figuier. C'est un livre plein de faits, groupés
+avec art et rendus visibles,--j'allais dire palpables,--par des dessins.
+M. Figuier nous apprend là tout ce qu'il faut savoir sur le verre, le
+cristal, les poteries, les porcelaines, la soude, le savon, les
+potasses. Et tout cela est intéressant comme un roman. A propos de M.
+Louis Figuier, je suis bien en retard avec lui, ou du moins avec ses
+_Vies des savants illustres_ qu'il publie en volumes in-18 (ce sera
+l'édition définitive); je devais depuis de longs mois l'annoncer.
+
+Je ne reviendrai point sur _La Comédie de notre temps_, texte et dessins
+par Bertall. Je tiens seulement à ajouter, en manière de post-scriptum,
+après la notice de l'autre jour, que le livre fait son chemin et que
+l'auteur y a trouvé son plus grand succès. L'éditeur, M. Eugène Plon,
+nous a adressé depuis un joli volume signé Mustapha, et qui s'appelle
+_Voyage autour de ma tente_. Ce sont de petits croquis militaires d'une
+valeur rare. Ce pseudonyme de Mustapha cache, je crois, M le capitaine
+Lung, l'auteur d'un très-beau travail sur le _Masque de fer_. Ce sont là
+des souvenirs du temps où le soldat avait le droit de rire.
+«Recueillons-les, semble dire _Mustapha_, et amusons-nous-en encore
+jusqu'au jour où il nous sera permis de rire des autres.»
+
+M. Plon est encore l'éditeur d'une magnifique publication, aujourd'hui
+terminée, le _Musée des Archives nationales_, où l'on retrouve
+catalogués, analysés, reproduits très-souvent _en fac-similé_, les
+incomparables trésors historiques conservés à la rue du Chaume. Tout le
+inonde n'a pas le loisir d'aller visiter le musée des Archives et
+surtout d'en étudier les richesses. Eh bien, là, on retrouve le Musée
+lui-même, on le possède dans ces pages savantes qui composent, à dire
+vrai, un monument littéraire et historique tout à fait unique. Passer
+des sceaux à l'aspect étrange et des signatures bizarres des premiers
+rois à l'écriture des Henri IV et des Louis XIV, pour s'arrêter à
+Bonaparte, après avoir regardé les morceaux de papier déchiré trouvés
+sur le cadavre de Pétion, quel réve! quelle fantastique réalité! Or,
+c'est cela, ce sont ces surprises et cette science que ce beau volume,
+le _Musée des Archives nationales_, tient en réserve. Il ne nous suffira
+pas de l'avoir loué ainsi, rapidement, nous y reviendrons à coup sûr.
+
+Il en est, il en sera de même des _Fables_ de La Fontaine, que vient
+d'éditer M. Jouaust. La Fontaine illustré par Millet, Stevens, J.-L.
+Brown, Detaille, Emile Lévy, etc., et illustré de façon à ce que le
+dessin original de l'artiste soit reproduit, si je puis dire, dans sa
+réalité même, voilà l'étonnement que nous réservait ce maître
+ès-bibliophilie. Il a réussi et nous prédisons, dés à présent, un vif
+succès à ces _Fables de La Fontaine_, que nous rangeons dans la
+catégorie des livres d'étrennes, quoique le livre n'ait pas besoin, pour
+être apprécié, d'être un livre d'actualité.
+
+Jules Claretie.
+
+
+
+BIBLIOGRAPHIE
+
+_La pluie et le beau temps_, météorologie usuelle, par Paul
+Laurencin.--A lire le titre de ce charmant petit volume, on pourrait
+croire à une oeuvre fantaisiste, mais le sous-titre est là pour
+rectifier cette impression première et déterminer le domaine dans lequel
+l'auteur introduit le lecteur à son grand profit.
+
+C'est donc de météorologie qu'il s'agit, c'est-à-dire de ces phénomènes
+curieux dont l'atmosphère est le théâtre et qui influent sur ce que,
+dans le langage familier, on appelle le _Temps_. L'ouvrage, publié par
+J. Rothschild, éditeur, et orné de 110 gravures et cartes, est divisé en
+vingt chapitres, où M. Laurencin, en un style clair, précis et d'une
+élégante simplicité, traite successivement de la composition de l'air,
+de la chaleur et des courants atmosphériques, de l'eau dans
+l'atmosphère, de la pluie, de ses bienfaits et de ses méfaits, des
+orages, du cyclone, de l'arc-en-ciel, des climats, des saisons, etc.,
+etc., et montre finalement que tous les phénomènes de la pluie et du
+beau temps dérivent d'une cause unique: la chaleur solaire, et que,
+jusqu'à un certain point, on peut prévoir les variations atmosphériques.
+Cette possibilité de se rendre compte des chances probables de pluie et
+de beau temps, pour une époque déterminée, intéresse aussi bien l'homme
+de plaisir que l'homme de travail. Aussi sommes-nous convaincus que _La
+pluie et le beau temps_, ce résumé aussi succinct que substantiel de
+toutes nos acquisitions touchant la science météorologique, recevra de
+tout le monde l'accueil qu'il mérite à tous les titres, c'est-à-dire le
+plus favorable et le plus empressé.
+
+P.
+
+
+Au nombre des étrennes les plus belles et les plus utiles, les plus
+intéressantes et les plus instructives, nous devons placer en première
+ligne un magnifique volume: _le Jardin d'acclimatation illustré_.
+
+L'auteur, M. Pierre Pichot, le sympathique directeur et rédacteur en
+chef de la _Revue britannique_, a eu le talent de vulgariser la
+zoologie, et son remarquable ouvrage, apprécié des savants, est écrit
+dans un style clair et facile, qui le met à la portée de tout le monde.
+
+Ce splendide livre renferme 25 gravures coloriées et d'innombrables
+vignettes; ce n'est pas seulement un excellent guide du Jardin
+d'acclimatation; l'auteur a poursuivi un but plus élevé et a réussi à
+faire un traité complet de zoologie.
+
+Le _Jardin d'acclimatation illustré_ se trouve chez Hachette et au bois
+de Boulogne, à la librairie du Jardin d'acclimatation. Son prix est plus
+modique qu'on ne pouvait s'y attendre pour une publication aussi
+importante. (Broché, 15 fr.; richement relié, 20 fr.)
+
+Il y a deux mois, nous avons vu plusieurs fabricants de machines à
+coudre faire grand bruit avec les récompenses qu'ils avaient obtenues à
+l'Exposition de Vienne. Sans vouloir diminuer en rien la valeur attachée
+aux médailles de progrès et à celles de mérite, que ces maisons ont
+affichées, il nous sera permis de leur opposer une maison qui a été
+l'objet de distinctions tout exceptionnelles, dont elle s'est peu
+vantée. C'est la Compagnie Wheeler et Wilson, de New-York (qui a son
+siège à Paris, chez M. H. Séeling, 70, boulevard Sébastopol).
+
+Cette importante Compagnie, en outre des médailles de progrès et de
+mérite qui lui ont été décernées, a seule été recommandée par le jury
+international pour le _grand diplôme d'honneur_. Et dernièrement M.
+Nathaniel Wheeler, président de cette Compagnie, a été décoré de
+l'_ordre de François-Joseph_, comme récompense de services éminents
+rendus à l'industrie de la machine à coudre,--la seule décoration
+accordée à Vienne à un fabricant de machines à coudre.
+
+Cette double distinction place évidemment la Compagnie Wheeler et Wilson
+au-dessus de toutes les compagnies rivales, et comme à Paris en 1867, où
+l'unique médaille d'or pour ce genre de fabrication lui a été décernée,
+elle a remporté la victoire sur tous ses concurrents.
+
+
+
+LA NATURE
+
+REVUE DES SCIENCES EN 1873
+
+La nouvelle publication que M. G. Tissandier a fondée cette année, avec
+le concours de nombreux écrivains scientifiques, a obtenu de la part du
+public l'accueil dont elle était digne. Nous sommes persuadé que le
+premier volume qui vient de paraître, et qui comprend le tableau du
+progrès en 1873, comptera parmi les livres les plus appréciés de
+l'époque du jour de l'an. Les principaux collaborateurs de _La Nature_:
+MM. le Dr. Bertillou, H. Blerzy, Ch. Boissay, Bontemps, P.-P. Dehérain,
+C. Flammarion, W. de Fonvielle, C.-M. Gariel, F. Garrigou, J. et M.
+Girard, A. Guillemin, Dr. Joly, S. Meunier, E. Margollé, E. Menault,
+Vignes, Zurcher, etc., sont trop connus du public pour que nous ayons à
+faire l'éloge de leurs travaux. Nous préférons emprunter à _La Nature_
+la description fort intéressante de la nouvelle bouée de sauvetage à
+lumière inextinguible, dont un de nos compatriotes, M. Silas, est
+l'inventeur.
+
+[Illustration: Nouvelle bouée de sauvetage lumineuse (système Silas).
+Gravure extraite du journal la Nature.]
+
+Cette bouée est formée, comme l'indique la gravure contre, d'une sphère
+métallique contenant du phosphure de calcium. Un homme tombant à la mer
+pendant la nuit, on jette à la surface de l'eau la bouée Silas. L'eau
+pénètre dans la sphère creuse, décompose le phosphure de calcium donnant
+naissance à un dégagement abondant d'hydrogène phosphoré. Ce gaz
+s'échappe par un tube supérieur, mais il a la propriété remarquable de
+brûler spontanément au contact de l'air, sans que l'eau puisse
+l'éteindre. Une flamme vive, brillante éclaire le naufragé et le guide
+tandis qu'il serait irrévocablement perdu si nulle lumière n'apparaissait
+au milieu des ténèbres!
+
+La Nature abonde en faits de ce genre, elle nous donne l'exposé complet
+des événements scientifiques récents, des découvertes importantes, ses
+belles et nombreuses illustrations en font une publication éminemment
+attrayante, et digne à tous égards des plus grands éloges.
+
+
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+[Illustration: nouveau rébus.]
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+EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS:
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+Le commerce est le lien des nations.
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+End of the Project Gutenberg EBook of L'Illustration, No. 1609, 27 décembre
+1873, by Various
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+*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44277 ***
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+ <title>The Project Gutenberg eBook of L'illustration, No. 1608, 20 décembre 1873 by Various</title>
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+<p class="mid"><img alt="" src="images/001.png"></p>
+
+
+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="1"
+ style="width: 100%; text-align: center;" summary="nil">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 33%;">
+<p class="mid"><span class="sml">REDACTION, ADMINISTRATION, BUREAUX D'ABONNEMENTS<br>
+<i>22, rue de Verneuil, Paris.</i></span></p>
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 34%;">
+ <p class="mid"><span class="sml">31e Année. VOL. LXII. Nº 1609</span><br>SAMEDI 27 DÉCEMBRE 1873</p>
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 33%;">
+ <p class="mid"><span class="sml">SUCCURSALE POUR LA VENTE AU DÉTAIL<br>
+60, rue de Richelieu, Paris</span></p>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+
+
+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="1"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="nil">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 50%;">
+ <p class="mid"><span class="sml"><b>Prix du numéro: 75 centimes</b><br>
+La collection mensuelle, 3 fr; le vol. semestriel, broché,<br>18 fr.; relié
+et doré sur tranches, 28 fr.</span></p>
+
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 50%;">
+ <p class="mid"><span class="sml"><b>Abonnements</b><br>
+Paris et départements: 3 mois, 9 fr.;--6 mois, 18 fr.;<br>un an, 36 fr.;
+Étranger, le port en sus.</span></p>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+<p class="mid"><span class="sml"><i>Les demandes d'abonnements doivent être accompagnées d'un mandat-poste<br>
+ou dune valeur à vue sur Paris à l'ordre de M. Auguste Marc,
+directeur-gérant.</i></span></p>
+
+
+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="nil">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 50%;">
+<p class="mid">
+<span class="sml">
+SOMMAIRE<br><br>
+TEXTE<br><br>
+ Histoire de la semaine.<br><br>
+Courrier de Paris, par M. Philibert Audebrand.<br><br>
+Nos gravures:<br><br>
+La veille du 1er janvier (fin).<br><br>
+La S&oelig;ur perdue, une histoire du Gran Chaco (suite), par H. Mayne Reid.<br><br>
+Revue littéraire; les Livres d'étrennes (II), par M. Jules Claretie.<br><br>
+Bibliographie.<br><br>
+<i>La Nature</i>, revue des sciences en 1873.<br><br>
+<br><br><br><br>
+<img alt="" src="images/001b.png">
+
+</span>
+</p>
+</td>
+
+ <td style="vertical-align: top; width: 50%;">
+<p class="mid">
+<span class="sml">
+SOMMAIRE<br><br>
+GRAVURES<br><br>
+M. Agassiz;<br><br>
+L'île Sainte-Marguerite;<br><br>
+Le môle de débarquement;<br>
+Le fort et les prisons;<br>
+Vue de la pointe de la Croisette.<br><br>
+Théâtre des Variétés: <i>Les Merveilleuses</i>, comédie en cinq actes de M.
+Victorien Sardou.<br><br>
+<i>La première leçon. Un regard en passant</i>, d'après les tableaux de M.
+Boutibonne.<br><br>
+Les tortues de mer à Paris: décapitation d'une grosse tortue.<br><br>
+<i>La S&oelig;ur perdue</i>, par M. Mayne Reid (4 gravures).<br><br>
+Nouvelle bouée de sauvetage lumineuse (système Silas), gravure extraite
+du journal <i>la Nature</i>.<br><br>
+Rébus.<br>
+<img alt="" src="images/001b.png">
+
+
+
+</span>
+</p>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/001a.png"><br><b>M. AGASSIZ.</b></p>
+
+<br><br>
+
+
+ <h3>HISTOIRE DE LA SEMAINE</h3>
+
+ <h4>FRANCE</h4>
+
+ <p>La politique chôme; au dehors pas plus qu'au dedans nous n'avons cette
+semaine à signaler aucun événement d'une importance vraiment sérieuse;
+il semble qu'au moment où l'année finit, chacun se recueille pour jeter
+un regard en arriére et se préparer aux luttes nouvelles que nous
+réserve l'avenir. L'Assemblée nationale vote à la hâte les derniers
+articles du budget avant de prendre le congé de quelques jours qu'elle
+s'est octroyée à l'occasion de la nouvelle année; le calme qui préside à
+cette discussion a à peine été troublé par quelques incidents presque
+aussitôt terminés que soulevés, mais dont quelques-uns méritent d'être
+signalés.</p>
+
+ <p>Notons d'abord la présentation, par M. Clapier, du projet de loi relatif
+à la nomination des maires, dont l'Assemblée a voté l'urgence et qui a
+été inscrit à l'ordre du jour immédiatement après le budget; nous avons
+parlé plusieurs fois déjà de ce projet; il nous suffira donc de dire que
+le travail de la commission a eu pour résultat de faire subir plusieurs
+modifications importantes à la rédaction primitivement proposée par le
+gouvernement. Ainsi, M. le ministre de l'intérieur acceptait pour le
+gouvernement l'obligation de prendre les maires dans les conseils
+municipaux: telle était la règle générale. Ce ne devait être qu'en cas
+de démission ou de révocation qu'ils auraient pu être choisis hors des
+conseils; La commission va plus loin: elle autorise le gouvernement à
+les prendre à sa volonté, soit dans le conseil, soit en dehors de
+celui-ci, avec cette seule restriction, assez bénigne, que dans ce
+dernier cas il sera nécessaire de recourir soit à un arrêté du ministre
+de l'intérieur pour les communes où la nomination est laissée aux
+préfets, soit à un décret délibéré en conseil des ministres, pour les
+communes où la nomination est réservée au gouvernement, c'est-à-dire
+dans tous les chefs-lieux de département, d'arrondissement ou de canton.
+Une seconde différence porte sur la nomination des agents de police.
+Dans son projet, le gouvernement l'enlevait aux maires à qui elle
+appartient actuellement pour toutes les communes auxquelles la loi du
+24-29 juillet 1867 (article 23) n'est pas applicable, c'est-à-dire
+celles qui ont moins de 40,000 âmes de population: il se l'attribuait à
+lui-même sans aucune exception. La commission a maintenu le droit des
+maires, non pas toutefois dans son intégrité. D'abord, elle subordonne
+leur choix à l'agrément des préfets et sous-préfets; elle a, de plus,
+modifié l'article 12 de l'excellente loi du 18 juillet 1837, en vertu
+duquel le maire <i>suspend</i> et <i>révoque</i> ces agents municipaux; ils
+pourront toujours, comme par le passé, être suspendus par le maire; mais
+le préfet seul aura le droit de les révoquer: la loi les place ainsi à
+peu près dans les mêmes conditions que les gardes champêtres. Grâce à ce
+double compromis, l'accord s'est établi entre le gouvernement et la
+commission, et la majorité considérable qui s'est manifestée, tant en
+faveur de l'urgence, que de la mise à l'ordre du jour pour le terme le
+plus proche, permet de croire que l'Assemblée ratifiera et votera la loi
+dans sa teneur actuelle.</p>
+
+ <p>Dans sa séance du 19, l'Assemblée a adopté un amendement tendant à
+porter de 162,400 francs à 300,000 francs la somme allouée au président
+de la République pour frais de représentation. Cette augmentation de
+crédit, destinée à donner plus d'éclat aux réceptions officielles du
+président pendant son séjour au palais de l'Elysée, intéressait trop,
+directement le commerce parisien pour ne pas être favorablement
+accueillie par toutes les fractions de l'Assemblée; malheureusement il a
+fallu que les passions politiques, inopportunément remises en jeu par
+une observation intempestive, vinssent gâter ces bonnes dispositions; à
+propos d'une question toute financière, on a parlé du retour du
+gouvernement à Paris; on a évoqué le souvenir de la Commune, et c'est au
+milieu d'un conflit d'invectives qu'a fini cette discussion où tout le
+monde était d'accord en commençant.</p>
+
+ <p>Signalons, pour terminer, l'interpellation adressée au gouvernement par
+la gauche au sujet d'une convention récemment intervenue entre le
+ministre des finances et le mandataire de l'ex-impératrice pour la levée
+du séquestre qui pèse sur la liste civile de Napoléon III. En attendant
+la discussion en séance publique, portée à l'ordre du jour après la loi
+sur la nomination des maires, M. Deseilligny, ministre du commerce, a
+fourni à la commission du budget quelques explications sur la question.
+Le ministre a ajouté que les signataires de la convention avaient cru se
+conformer à ce qui s'était fait à l'égard de la liste civile de
+Louis-Philippe, et avaient pensé qu'il était de «haute convenance, en
+dehors de tout parti politique, de soulager la situation douloureuse où
+se trouvait l'impératrice au point de vue pécuniaire».</p>
+
+ <p>Il a ajouté que le gouvernement avait, en cela, le droit d'agir sans
+recourir à l'assentiment de l'Assemblée, attendu que le séquestre avait
+été mis par un simple décret du gouvernement de la défense nationale, et
+qu'il suffisait, par conséquent, d'un nouveau décret pour défaire ce
+qu'un décret avait fait.</p>
+<br>
+ <h4>AUTRICHE.</h4>
+
+ <p>Les journaux de Vienne contiennent quelques renseignements sur les lois
+ecclésiastiques qui vont être prochainement présentées au Reichsrath par
+le gouvernement. On n'en compte pas moins de dix-sept, et quelques-unes
+d'entre elles auront une grande importance, notamment celle qui prononce
+l'abolition complète et définitive du concordat conclu avec la cour de
+Rome le 18 août 1855. On sait que cette convention établissait la
+censure ecclésiastique sur les livres, ce qui était la négation absolue
+de la liberté de la presse: elle donnait aux évêques la surveillance de
+toutes les écoles, même laïques; elle conférait à l'épiscopat une
+entière indépendance vis-à-vis du gouvernement; non-seulement tous les
+actes émanés du Saint-Siège pouvaient être publiés dans l'empire sans
+aucune nécessité d'obtenir le <i>placet</i> royal, mais encore les
+archevêques et évêques avaient la faculté de convoquer aussi, sans
+autorisation du gouvernement, soit des conciles provinciaux, soit des
+synodes diocésains: double liberté qui leur est refusée en France par
+les articles 1 et 4 du titre Ier de la loi du 18 germinal an X (8 avril
+1802), plus connue sous le nom d'articles organiques, contre lesquels,
+du reste, on le sait, le Saint-Siège n'a cessé et ne cesse de protester.
+Les lois ecclésiastiques que prépare le gouvernement autrichien
+régleront en outre le mariage civil, les patronats, la surveillance des
+séminaires, etc.; elles contiendront aussi des clauses relatives à la
+condition des vieux-catholiques. Sur cette dernière question, on
+s'attend à des débats assez vifs, et déjà les adeptes de cette petite
+Église ont adressé au gouvernement une demande tendante à faire
+reconnaître à l'évêque Reinkens, Prussien et vieux-catholique, un droit
+de juridiction ecclésiastique en Autriche. Cette requête insolite a été
+repoussée.</p>
+<br>
+ <h4>ITALIE.</h4>
+
+ <p>Sa Sainteté le pape a tenu, le 22 décembre, un consistoire dans lequel
+il a nommé cardinaux:</p>
+
+ <p>Mgr de Nascimento de Moraes Cardoso, patriarche de Lisbonne; Mgr
+Guibert, archevêque de Paris; Mgr Régnier, archevêque de Cambrai; Mgr de
+Simor, archevêque de Gran; Mgr de Tarnoczy, archevêque de Salzbourg; Mgr
+Chigi, nonce apostolique à Pans; Mgr Mariano Darrio y Fernandez,
+archevêque de Valence; Mgr Mariano Falcinelli Antoniacci, nonce du
+Saint-Siège à Vienne; Mgr Alex. Franchi, nonce du Saint-Siège à Madrid;
+Mgr L. Oreglia de Santo-Stefano, nonce du Saint-Siège à Lisbonne; le R.
+P. Tarquini, de la Compagnie de Jésus; le R. P. Martinelli, des moines
+de Saint-Angustin. Dans le même consistoire, le Pape a nommé aussi
+quatre évêques <i>in partibus infidelium</i> et trois évêques en Italie.</p>
+
+ <p>Il a nommé aussi:</p>
+
+ <p>Mgr Olteanu, évêque de Gran-Varadin (Hongrie); Mgr Corona, évêque de
+Saint-Louis de Potosi; Mgr Hillion, évêque du cap Haïtien.</p>
+<br>
+ <h4>ÉTATS-UNIS.</h4>
+
+ <p>L'affaire du <i>Virginius</i> vient d'entrer dans une phase nouvelle et assez
+imprévue; ce sont maintenant les États-Unis qui font droit aux
+susceptibilités de l'Espagne.</p>
+
+ <p>On sait que, d'après la convention relative au <i>Virginius</i> le
+gouvernement espagnol devait prouver avant le 25 décembre, à la
+satisfaction des États-Unis, que ce vaisseau n'avait pas le droit de
+porter le pavillon américain, et qu'ainsi il avait été légalement saisi.
+D'après une dépêche de Washington, le procureur général des États-Unis a
+admis la preuve comme valable, le <i>Virginius</i> n'ayant obtenu ses papiers
+qu'au moyen d'un faux témoignage. Le cabinet de Washington s'est déclaré
+prêt à accepter les conséquences de ce fait.</p>
+
+ <p>Nous ne savons encore quelles en seront toutes les conséquences, mais il
+est certain que la décision du procureur général des États-Unis est un
+véritable succès pour le gouvernement de M. Castelar et qu'elle fait le
+plus grand honneur à l'impartialité de la magistrature américaine.</p>
+
+<br><br>
+
+ <h3>COURRIER DE PARIS</h3>
+
+ <p>Celui qui céderait au désir de faire l'oraison funèbre de l'année
+n'aurait pas à se donner beaucoup de peine. Il lui suffirait de quelques
+mots, genre sombre. Cette année est de celles qu'on ne regrette pas.
+A-t-elle été assez absurde! S'est-elle montrée assez maussade, assez
+ennuyeuse, assez ennuyée! Elle a vu s'opérer deux ou trois révolutions
+parlementaires aussi insipides qu'elle-même. Pendant sa durée, Paris a
+reçu la visite d'un prince d'Orient, couleur de suie, tout couvert de
+diamants mais qui ne donnait que des salamalecks. L'hippopotame du
+Jardin des Plantes a succombé à des peines de c&oelig;ur; M. Ernest Renan a
+fait paraître l'<i>Antéchrist</i>; trois académiciens sont morts; le chapeau
+des femmes a redoublé de bizarrerie; un grand théâtre a brûlé; un vilain
+procès s'est dénoué, très-peu flatteur pour nous tous; enfin, en guise
+de couronnement, il nous est arrivé une charretée de monstres.</p>
+
+ <p>Tel est le bilan de 1873.</p>
+
+ <p>Mil huit cent soixante-treize vient de rendre le dernier soupir ou peu
+s'en faut. Eh bien, regardons devant nous; là est l'espérance. Quel
+lendemain nous attend? L'avenir est riche de promesses; c'est un
+capitaliste qui a son portefeuille plein de lettres de change. Déjà la
+nouvelle année, celle qui commencera dans quatre jours, semble vouloir
+ne ressembler en rien à sa devancière. On a beau dire que le commerce ne
+va pas, elle a l'air de lui forcer la main. Quelle foule dans les rues!
+L'argent, qui est de retour, vous le savez, circule tout le long de la
+ville. Personne n'a les mains vides; chacun porte son sac de bonbons ou
+son polichinelle.</p>
+
+ <p>Le baraquement des boulevards n'a plus rien de sa rusticité originelle;
+on a encore enjolivé sa mise en scène. Seulement il abuse du <i>jouet de
+l'année</i>, un affreux poussah qu'on nomme l'<i>Oncle Sam</i> et qui rappelle
+trop l'auteur de la pièce de ce nom. Partout ailleurs, de longues files
+de boutiques ambulantes s'établissent sur les trottoirs; c'est à peine
+si l'on peut marcher au milieu de cet encombrement.--Nous rencontrons M.
+de Laboulaye, occupé à acheter un cornet de pralines, sans doute afin
+d'adoucir quelqu'un de ses voisins de la Chambre. L'honorable
+pamphlétaire dit tout haut: «--Ah! dame, nos m&oelig;urs deviennent
+américaines. La démocratie coule par ici à pleins bords comme à
+New-York.»--Presque en même temps le comte Orloff sort d'un bazar, suivi
+d'un éléphant en baudruche. Des malins s'écrient: «--Il doit y avoir un
+rébus diplomatique là-dessous. Que veut faire de cet éléphant
+l'ambassadeur du czar?» Le comte Orloff a à amuser un petit garçon et
+deux petites filles; voilà toute l'énigme.</p>
+
+ <p>Aux alentours du jour de l'an, aussitôt que la nuit arrive, quelque fée
+invisible lève sa baguette en l'air et le coup d'&oelig;il change. Les
+étalages s'illuminent de mille feux. Au gaz municipal se marient les
+bougies du petit commerce en plein vent. Vingt mille lanternes de
+couleur contribuent à faire un jour nocturne d'une lueur fantastique.
+Cette fois, M. de Laboulaye trouverait qu'on n'est plus à New-York mais
+à Pékin.--Tous les cercles sont éclairés avec un luxe inusité.--Une mode
+nouvelle à noter à propos des cercles.--Vous savez que tous ces
+établissements ont, le soir, un dîner sous forme de table d'hôte.</p>
+
+ <p>A ce dîner, en ce moment, l'usage veut qu'on ne commence plus par le
+classique vermicelle ni par le tapioca désormais trop enfantin. Tout
+cela cède le pas à la soupe à la tortue rehaussée de gingembre. Voilà
+une clef pour les flâneurs; depuis un mois la foule stationne à la
+devanture des marchands de comestibles; on y est en extase devant
+d'énormes amphibies. Ces tortues sont le régal du jour.--<i>Turtle-soup</i>,
+dit-on en faisant la grimace, autant à cause du mot qu'on ne sait pas
+prononcer qu'en raison du mets effroyablement épicé.</p>
+
+ <p>Pour le coup, Paris devient une parodie de Londres.</p>
+
+ <p>Au temps de Vadé, la cour et les beaux esprits allaient aux Halles; de
+nos jours, le monde aux gants roses va à l'Hôtel des Ventes, qui est
+décidément l'endroit de Paris le plus affairé. Que de choses on y aura
+vendues, cet hiver! Une mondaine, Mme A***, une des princesses de la
+cocotterie, étant morte, on a apporté par là tout ce qu'elle a laissé.
+C'était une succession uniquement mobilière, des appartements en bois de
+rose, l'argenterie, les bijoux, la cave, deux voitures, du linge, la
+toilette, des objets d'art, le tout évalué à un million. Un million rien
+que pour des meubles! Si vous voulez prêter l'oreille, des échos de
+l'hôtel vous diront que les seules robes ont formé le chiffre de 300 000
+francs. Voilà un luxe dont les honnêtes gens n'ont assurément aucune
+idée. C'est un trait de m&oelig;urs à noter. Les familles les plus riches
+frissonnent rien qu'à la mention de ce fait. Où sont allées toutes ces
+robes? Étant d'étoffes neuves, elles serviront de rechef, mais à qui
+serviront-elles? Qui peut affirmer que ce ne sera pas aux plus honnêtes
+femmes?</p>
+
+ <p>J'ai déjà dit un mot de la vente des livres d'Émile Gaboriau. Ce brave
+garçon, frivole en apparence, était mordu, au fond, d'un sérieux désir
+d'apprendre. Il se passionnait pour l'histoire et il s'était mis à
+rechercher les vieilles éditions des écrivains graves. Nous lui avons
+entendu dire à lui-même qu'il estimait sa bibliothèque à 6,000 francs,
+au bas mot. C'est tout au plus si les enchères auront fourni la moitié
+de cette somme. Des livres, de vieux livres, voilà une superfluité dont
+notre société n'est guère friande. Donnez-lui pour 300,000 francs de
+robes, à la bonne heure.</p>
+
+ <p>Sur la fin de la semaine, on a pu constater un certain empressement à
+propos des &oelig;uvres de M. Carpeaux, le sculpteur. Marbres, terres cuites,
+bronzes se sont bien vendus. Néanmoins la tête horrible de l'Ugolin des
+Tuileries n'a pas trouvé d'amateur. Il y a bien trop de mièvrerie dans
+les allures du jour pour qu'on puisse aimer le Dante commenté avec de la
+terre glaise. Un comte qui mange ses fils sans couteau ni fourchette, un
+Italien de la Renaissance, plus anthropophage qu'un Caraïbe de Fenimore
+Cooper, ce n'est guère tentant d'ailleurs comme bibelot à mettre sur une
+étagère. En revanche on a fait fête au modèle d'un autre groupe non
+moins fameux, mais plus décolleté. Vous avez compris que nous parlons de
+cette sarabande effrénée, la Danse, qui figure sur le seuil du nouvel
+Opéra, où, du matin au soir, elle scandalise tous les bons bourgeois
+passant par là. Trois concurrents se disputaient ce morceau; on l'a
+adjugé à 8.000 francs.--Cette même débauche d'art, un des principaux
+confiseurs avait demandé à l'artiste la permission d'en faire une
+réduction en sucre candi ou en chocolat. Avouez que c'eût été d'une
+très-heureuse actualité à l'heure des étrennes. Le sculpteur n'a pas
+voulu. On lui a dit:</p>
+
+ <p>--Monsieur, vous refusez de voir votre nom dans toutes les bouches.</p>
+
+ <p>Beauvallet, de la Comédie-Française, vient de mourir à Passy, à
+soixante-douze ans. Il était fort bien doué; par malheur, il a abusé de
+la facilité que lui avait donnée le sort pour vouloir faire trop de
+choses à la fois. Bon comédien, tragédien passable, il se piquait aussi
+d'être poète, ce qui l'a poussé à faire des vers qui ne devaient pas
+vivre. A ses premiers débuts dans la vie, il avait commencé par étudier
+la peinture chez Paul Delaroche. Un jour que Casimir Delavigne visitait
+l'atelier, on lui amena l'élève qui se mit à déclamer des vers, une des
+Messéniennes, celle où trois femmes, trois Muses, apparaissent à
+Napoléon pour lui prédire tout à tour sa grandeur et sa chute.</p>
+
+ <p>--Mon cher monsieur, dit l'auteur des Vêpres siciliennes, il se peut que
+vous fassiez quelque chose en peinture; cependant je suis sûr que vous
+réussiriez au théâtre.</p>
+
+ <p>Il n'en fallut pas plus pour enflammer la tête du jeune homme.
+Beauvallet jeta là ses crayons et sa palette pour aller au
+Conservatoire; après les études indispensables à un débutant, il fut
+engagé à l'Ambigu, où il joua, non sans succès, le drame d'alors. En ce
+temps-là, le boulevard oscillait entre les &oelig;uvres de la vieille école
+sentimentale et les premières tentatives du romantisme. Le nouveau venu
+trouva moyen de se mettre en relief dans ce genre bizarre; il se fit un
+nom en jouant <i>Caravage</i>, une histoire arrangée de peintre italien. Sa
+belle prestance, une voix de tonnerre, un soin merveilleux dans l'art de
+s'arranger un costume, ne pouvaient manquer de le faire mettre en
+évidence. Le Théâtre-Français ne pouvait manquer de lui ouvrir
+très-prochainement ses portes. Un jour, en 1833, quand Victor Hugo donna
+<i>Angelo, tyran de Padoue</i>, ce fut à Beauvallet qu'il confia le principal
+rôle. Il avait à côté de lui, pour lui donner la réplique, deux des
+grandes actrices de l'époque, Mlle Mars et Mme Dorval. Il fallait
+entendre le superbe podestat lorsque, s'avançant sur la scène, d'un air
+tout à la fois effrayé et menaçant, il récitait le grand monologue sur
+le Conseil des Dix. Sans mentir, c'était à donner la chair de poule.</p>
+
+ <p>Beauvallet avait mis tant d'originalité dans ce rôle qu'on n'a plus
+consenti à le voir jouer par un autre. La parodie se chargea, suivant la
+mode du temps, de donner une suprême sanction à son triomphe. Le
+Vaudeville, qui n'était qu'un théâtre gai, ne s'inquiétant que de faire
+rire, avait mis à l'étude une farce intitulée <i>Cornaro ou le tyran pas
+doux</i>. Ce susdit Cornaro, personnage correspondant à celui du drame,
+devenait une charge des plus amusantes, grâce à Lepeintre jeune, le plus
+gros des comédiens. Il criait à tue-tête, celui-là, même pour demander
+ses pantoufles. Faire trembler tout le monde autour de lui était sa
+joie. C'était pour cela qu'Arnal, l'invitant à parler en sourdine, lui
+disait:</p>
+
+ <p>--Êtes-vous le cousin du bourdon Notre-Dame?</p>
+
+ <p>Quelle voix! ah! quel creux! Vous effrayez madame.</p>
+
+ <p>Et Cornaro de répondre sur un ton plein de mignardise:</p>
+
+ <p>--Je n'ai que le désir d'être son beau valet.</p>
+
+ <p>Depuis vingt-cinq ans, Beauvallet avait abordé le répertoire classique,
+tragédie et comédie. Très-soigneux, correct, il y était fort
+applaudi.--On a dit mille fois que, de tous les artistes, le comédien a
+la vie la plus ingrate, en ce qu'il ne laisse rien après lui.</p>
+
+ <p>--Bast! répliquait Sheridan, ayez la patience d'attendre deux ou trois
+siècles, et vous verrez ce qui restera des autres!</p>
+
+ <p>Il se passe un fait bizarre au sujet des étrennes. Tandis que s'accroît
+le nombre de ceux qui en demandent, on voit de plus en plus des ratures
+se dessiner sur la liste de ceux qui en donnent. Parmi les premiers, on
+signale surtout deux nouvelles recrues: l'employé du télégraphe qui
+apporte les dépêches et le clerc d'huissier qui remet le papier timbré.
+Quant à ceux de l'autre catégorie, ce sont de spirituels sceptiques qui
+profitent des moyens de locomotion dont dispose notre XIXe siècle pour
+filer et disparaître. Dix ou douze jours d'absence suffisent. On dit:
+«J'ai un procès en Bretagne», ou bien: «Mon vieil oncle de Beauvoisis
+vient de mourir d'une coqueluche rentrée»; et l'on s'en va passer une
+quinzaine à Nice. Un voyage d'agrément et une bonne affaire tout à la
+fois.</p>
+
+ <p>Trois académiciens qui se sont rencontrés, jeudi soir, au foyer de
+l'Odéon, se contaient à demi-voix leurs peines à propos du jour de l'an.
+Rien de plus curieux que leurs plaintes à cet égard.</p>
+
+ <p>--Figurez-vous, disait l'un d'eux qui avait un bonnet de soie noire sur
+la tête, figurez-vous que seize personnes nous poursuivent pour nous
+demander chacune la même chose; comprenez que cette chose ne nous
+coûterait rien, pas même la moitié d'un centime et que néanmoins nous ne
+pouvons la donner tant que ça.</p>
+
+ <p>--Qu'est-ce donc?</p>
+
+ <p>--Eh! pardieu, un fauteuil.</p>
+
+ <p>En effet, il y a trois fauteuils à donner en janvier et seize candidats
+qui demandent à les avoir; et tous les seize, suivant l'usage
+immémorial, sont individuellement le premier moutardier du pape, ou, si
+vous voulez, un homme du bois dont on fait les dieux. Ces dignes
+académiciens voudraient bien se sauver quelque part, mais leur grandeur
+et les jetons de présence les retiennent au quai Conti.</p>
+
+ <p>Il n'y a pas fort longtemps, dans cette divine baraque au palais
+Mazarin, il y avait un des Quarante qui n'entendait pas raillerie à
+propos d'argent à donner. C'était Lemontey, l'auteur de l'<i>Histoire de
+la Régence</i>.</p>
+
+ <p>Un certain jour de l'an, un des garçons de l'Institut vint voir
+l'historien; il le salua, la casquette à terre, et tendit la main.</p>
+
+ <p>Lemontey lui donna une pièce de dix sous.</p>
+
+ <p>--Comment! rien que ça? dit le garçon en grommelant entre ses dents.</p>
+
+ <p>--Hein! qu'est-ce que c'est? riposta l'immortel furieux. Cinquante
+centimes, un demi-franc, ce n'est rien? Eh! malheureux, c'est la quatre
+cent millième partie de deux cent mille francs, par conséquent de dix
+mille livres de rente. Eh! je voudrais bien être garçon de l'Institut
+pour en recevoir autant, moi!</p>
+
+ <p>P.-J. Proudhon comprenait les étrennes d'une autre façon.</p>
+
+ <p>L'année qui a précédé la mort du célèbre dialecticien, M. E. Dentu, son
+éditeur et son voisin, se présenta chez lui le matin du jour de l'an.</p>
+
+ <p>Après avoir échangé une poignée de main avec lui, il lui montra un petit
+paquet enveloppé de papier gris.</p>
+
+ <p>--Qu'est-ce que c'est que ça? dit Proudhon.</p>
+
+ <p>--Deux poupées que je vous demande la permission d'offrir à vos deux
+petites filles.</p>
+
+ <p>En entendant ces mots, l'auteur du livre <i>De la Justice</i> entra tout à
+coup dans une colère des plus violentes.</p>
+
+ <p>--Des poupées à mes filles! Non, mon cher monsieur, non; je vous le
+défends positivement. Savez-vous l'enseignement qui résulterait de ce
+cadeau? L'amour de l'alanguissement, la coquetterie, la paresse, le
+goût du luxe, peut-être de la luxure. C'est bon pour les duchesses,
+c'est bon pour les bourgeoises. Tenez, si voulez faire un présent à ces
+enfants, apportez-leur quelque chose d'utile, un dé à coudre, des
+ciseaux, un paquet d'aiguilles. Qu'elles aient à la main un objet qui,
+de bonne heure, leur rappelle qu'elles sont filles de la misère et de la
+philosophie et qu'il faut qu'elles songent sans cesse à épouser le
+travail!</p>
+
+ <p>À certains égards cet esprit de prévoyance se retrouve en grand dans un
+mot de Mme Lætitia Bonaparte, la mère de Napoléon.--Longtemps éprouvée,
+n'ayant eu de 1790 à 1799 que 1,500 fr. pour soutenir sa modeste maison
+et nourrir ses trois filles, Caroline, Elisa et Pauline, la brave femme
+ne pouvait pas se résoudre à jeter l'argent par les fenêtres.</p>
+
+ <p>En 1809, le 2 janvier, la princesse Pauline vint la voir.</p>
+
+ <p>--Madame, l'empereur m'envoie vous faire une question.</p>
+
+ <p>--Laquelle?</p>
+
+ <p>--Combien avez-vous dépensé, hier, en fait d'étrennes?</p>
+
+ <p>--Ma fille, 3,255 francs.</p>
+
+ <p>--3,255 francs! Mais je vous avais remis, de la part de mon frère, 30
+000 francs pour faire des largesses! Est-ce que vous comptez placer
+cette somme?</p>
+
+ <p>--Mon Dieu, oui, Paulette.</p>
+
+ <p>--Mais pourquoi faire?</p>
+
+ <p>--Pourquoi faire? Pour donner, un jour, du pain à tous les rois et à
+toutes les reines qu'on a faits dans ma famille!</p>
+
+ <p>L'histoire a prouvé par trois fois que l'Agrippine d'Ajaccio n'avait pas
+si grand tort.</p>
+
+ <p>Philibert Audebrand.</p>
+
+ <br><br>
+
+ <h3>L'ILE SAINTE-MARGUERITE</h3>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/002a.png"><br><b>Le môle de débarquement.</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/002b.png"><br><b>Le fort et les prisons.</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/002c.png"><br><b>Vue de la pointe de la Croisette.</b></p>
+
+ <br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/003.png"><br><b>THÉÂTRE DES VARIÉTÉS.--<i>Les Merveilleuses</i>, comédie en
+cinq actes, de M. Victorien Sardou.--Décors de M. Robecchi.--Costumes de
+MM. Eugène. Lacoste et Draner.</b></p>
+
+ <br><br>
+
+ <h3>NOS GRAVURES</h3>
+
+ <h3>Le naturaliste Agassiz</h3>
+
+ <p>Le 15 décembre, un télégramme fort laconique annonçait à l'Europe que
+«le professeur Agassiz venait de mourir à Boston».</p>
+
+ <p>Cet illustre naturaliste mérite mieux qu'une mention d'une ligne.
+C'était le digne successeur des Buffon et des Cuvier, et le monde
+scientifique a peu de noms à opposer au sien; en Amérique, nous ne
+voyons pas qui est capable de prendre sa place.</p>
+
+ <p>Agassiz avait émigré aux États-Unis en 1847, à la suite des événements
+politiques dont la principauté de Neufchâtel fut alors le théâtre. Il
+était déjà célèbre et s'était fait connaître au monde savant par un
+ouvrage sur les poissons fossiles, publié dès 1842, et qui est resté
+classique en géologie, comme le livre de Cuvier sur les mammifères
+éteints du bassin de Paris, ou le livre de Brongniart sur la flore
+fossile des terrains houillers.</p>
+
+ <p>Né dans le canton de Vaud en 1807, Agassiz avait étudié en Allemagne, et
+fut reçu docteur à Munich. Il fut nommé professeur d'histoire naturelle
+à Neufchâtel dès 1838, et publia en français, en latin ou en allemand
+divers ouvrages de zoologie, dont celui que nous avons cité plus haut a
+surtout contribué à le faire connaître.</p>
+
+ <p>Ses études sur les glaciers, qu'il poursuivit avec une ardeur
+infatigable, escaladant tous les pics des Alpes, entre les années 1840
+et 1847, confirmèrent la réputation qu'il s'était acquise parmi les
+géologues, et l'on peut dire que lorsqu'il quitta l'Europe, son nom
+était déjà universellement connu.</p>
+
+ <p>Ses deux collaborateurs, MM. Desor et Vogt, Suisses comme lui, ont
+continué les traditions du maître. Ils n'ont cessé de marcher à la tête
+de la science helvétique, et ils l'ont même quelquefois poussée en
+avant, notamment en anthropologie, avec une virilité, une audace qui ont
+épouvanté en France plus d'un de nos maîtres officiels.</p>
+
+ <p>Agassiz, à peine arrivé aux États-Unis, fut nommé professeur d'histoire
+naturelle à l'Université de Cambridge, près Boston, et c'est là que,
+vingt ans plus tard, nous l'avons rencontré nous-même, augmentant,
+classant sans cesse ses chères collections, et toujours à l'affût de
+nouveaux voyages pour faire progresser la science et ouvrir aux
+investigations de l'esprit humain des champs jusque-là inconnus.</p>
+
+ <p>Avec sa femme, qui ne cessa de le seconder dans ses recherches et de
+s'associer à tous ses travaux, comme une vraie Américaine qu'elle était,
+il entreprit le voyage de l'Amazone. On sait quel trésor de faits
+curieux il rapporta de cette exploration, et combien il en accrut ses
+collections, notamment en ichthyologie. Ce voyage, publié par Mme
+Agassiz, a été traduit en français (1); l'exploration de l'Amazone a été
+même illustrée dans le <i>Tour du monde</i>, d'après les dessins de Mme
+Agassiz, qui tenait aussi bien le pinceau que la plume, dans ces
+dernières années, M. Agassiz avait entrepris l'étude du fond des mers,
+et fait à ce sujet sur un navire de guerre américain, que le
+gouvernement des États-Unis avait mis généreusement à sa disposition,
+une série de travaux fort intéressants poursuivis dans l'un et l'autre
+océan, l'Atlantique et le Pacifique. Il était aussi allé de Boston à
+San-Francisco par le cap Horn. Il avait espéré que sa santé, ébranlée
+par un travail incessant, se relèverait dans ce long voyage. Il semble
+qu'il n'en a rien été, puisque la nouvelle, de sa mort nous est parvenue
+au moment où tout faisait espérer que ses amis et la science pourraient
+encore le conserver longtemps.</p>
+
+ <blockquote><span class="sml"><b>Note 1:</b> Voyage au Brésil, Paris, Hachette. 1868.</span></blockquote>
+
+ <p>Dans ce voyage de circumnavigation, les découvertes d'Agassiz ont été
+presque de tous les jours, sur les courants, la température des eaux
+marines à diverses profondeurs, le fond de la mer, les animaux qui s'y
+rencontrent. C'est lui qui a pour la première fois démontré que le fond
+des océans est habité à toutes les profondeurs, contrairement à ce qu'on
+avait écrit. Que d'espèces nouvelles en coraux, coquilles, poissons,
+plantes marines il avait ramenées de son dernier voyage! Il était occupé
+à classer tout cela, à le distribuer, à le faire connaître avec cette
+générosité toute américaine qui le distinguait, quand la mort est venue
+le surprendre.</p>
+
+ <p>Au physique, c'était un homme de haute taille, fort vigoureux; ses
+traits annonçaient l'aménité, la bienveillance, et le moral ne démentait
+pas ce que le physique annonçait. Il était ouvert, sympathique, causait
+volontiers et facilement, ne disait du mal de personne, pas même de ses
+confrères, ce qui est rare parmi les savants. Il était, comme tous les
+protestants, fort attaché aux doctrines religieuses. Spiritualiste, il
+faisait volontiers intervenir la Providence dans la création des
+espèces, mais cela ne l'empêchait pas d'apporter dans les théories
+scientifiques beaucoup d'indépendance. Ainsi il était, en histoire
+naturelle, avec les Lamarck, les Geoffroy Saint-Hilaire, les G&oelig;the, les
+Darwin, partisan de la variabilité de l'espèce humaine et non de
+l'unité, comme le voulaient Buffon et Cuvier, et comme quelques
+naturalistes, entre autres M. de Quatrefages, le veulent encore
+aujourd'hui.</p>
+
+ <p>Il faisait bon marché des honneurs, et se contentait du titre de
+correspondant de notre Académie des sciences, n'ayant jamais voulu
+accepter de l'empereur Napoléon III, qui l'avait connu et apprécié en
+suisse, ni le titre de sénateur, ni celui de professeur au Collège de
+France, ni même celui de directeur général du Muséum, place restée,
+dit-on, vacante depuis la mort de Cuvier. On essaya de le tenter à
+diverses reprises et de le fixer parmi nous; toujours il préféra rester
+dans sa patrie d'adoption. Républicain il était en Suisse, républicain
+il demeura aux États-Unis. Il vient d'y mourir, comblé de gloire sinon
+d'honneurs, aimé de tous, ayant fait de nombreux élèves, n'ayant cessé
+un jour de travailler et de faire progresser la science, qui a été
+l'occupation de toute sa vie. C'était un homme de bien, <i>vir probus</i>, au
+sens le plus général du mot, un de ces hommes qu'on voit toujours partir
+avec le plus vif regret, parce que l'on sent combien il sera difficile,
+pour ne pas dire impossible, de les remplacer.</p>
+
+ <p>L. Simonin.</p>
+
+ <br>
+
+ <h3>Le Fort Sainte-Marguerite</h3>
+
+ <p>L'ex-maréchal Bazaine aurait pu être envoyé dans quelque casemate
+oubliée, dans quelque prison sans passé, ou même faire le voyage de la
+Nouvelle-Calédonie, en compagnie de pétroleurs. L'opinion publique eût
+été probablement satisfaite de ce châtiment qui plaçait ainsi au même
+rang tous ceux qui ont failli faire sombrer le pays! Mais décidément la
+fortune sourit à Bazaine; pendant que nous grelottons dans le Nord, on
+l'envoie dans une contrée bénie du ciel, inondée, au c&oelig;ur de l'hiver,
+des chauds rayons du soleil, et délicieusement rafraîchie, en été, par
+les brises de mer!...</p>
+
+ <p>Heureux maréchal! La Providence lui assigne même la prison à jamais
+célèbre de l'homme au masque de fer. Etrange caprice du destin!
+L'innocent martyr du despotisme de Louis XIV a vécu là, le visage
+couvert, les traits constamment voilés, tenu dans le plus complet
+isolement, tandis que le grand coupable de Metz va sans doute passer les
+dernières années de sa misérable vieillesse en captif heureux, entouré
+peut-être de quelques-uns des siens, et à coup sûr il n'aura pas pour
+gouverneur un maître implacable comme Saint-Mars!</p>
+
+ <p>Je me trouvais, il y a peu de mois, à Cannes, et de là on voit se
+profiler, à quelques milles en face, les îles de Lérins, semblables à de
+gigantesques entassements. Si l'on était oiseau, en deux coups d'aile,
+on arriverait à Saint-Honorat ou à Sainte-Marguerite. Sans s'armer d'une
+longue-vue, il est parfaitement possible de distinguer les rochers
+élevés qui bordent les deux îles, et l'on peut compter jusqu'aux
+fenêtres du fort Sainte-Marguerite.</p>
+
+ <p>Une vingtaine de petits bateaux bariolés dansaient dans le port de
+Cannes, sous la violente caresse du mistral, et demandaient à grands
+cris, par la voix de leurs patrons, quelque promeneur complaisant!</p>
+
+ <p>--Monsieur! promenade à Sainte-Marguerite! Bon temps! Bon vent! me cria
+l'un des bateliers en me priant du geste de descendre.</p>
+
+ <p>--Et combien de temps faut-il pour arriver à l'île!</p>
+
+ <p>--Oh! monsieur, pas beaucoup! J'y suis allé l'autre jour en moins d'un
+quart-d'heure!</p>
+
+ <p>--Et le vent est bon? repris-je.</p>
+
+ <p>--Excellent! monsieur, deux ris aux voiles et nous filons comme
+l'éclair!</p>
+
+ <p>Inutile de dire que le quart-d'heure du brave batelier se changea en
+demi-heure, la demi-heure en trois quarts-d'heure et qu'une heure après
+nous ne touchions pas encore au môle du débarquement. En revanche,
+j'avais eu la mer la plus moutonneuse du monde; nous avions failli être
+roulés par les vagues; mais quelle baie splendide, que de merveilleux
+horizons!</p>
+
+ <p>J'eus le malheur de descendre du bateau pour tomber entre les mains d'un
+vieux sergent qui ne me lâcha pas avant de m'avoir conté,--ce qu'il
+savait du reste fort mal,--l'histoire de l'île Sainte-Marguerite.</p>
+
+ <p>Il m'expliqua que le fort avait été construit sous Richelieu, puis pris
+par les Espagnols, qui l'avaient agrandi, et enfin réparé par Vauban.</p>
+
+ <p>En résumé, ce bâtiment serait peu digne d'intérêt si la légende de
+l'homme au masque de fer n'était pas là pour captiver.</p>
+
+ <p>Matthioli, c'est le nom que l'on donnait à ce célèbre inconnu, avait une
+prison que le maréchal Bazaine,--l'homme heureux!--ne connaîtra sans
+doute que de vue! La chambre qu'il habita onze années n'était éclairée
+que par une fenêtre du côté du nord, percée dans un mur de près de
+quatre pieds d'épaisseur; on y avait même prudemment adapté trois
+grilles de fer placées à une distance égale. Cette fenêtre donnait sur
+la mer.</p>
+
+ <p>Ce qui fit supposer à quelques indiscrets que Matthioli devait être
+quelque grand personnage, ce sont d'une part les mesures prises par
+Saint-Mars pour éloigner de lui même les geôliers, et de l'autre
+l'espèce de respect dont semblait l'entourer le gouverneur.</p>
+
+ <p>De plus, on assure que l'homme au masque de fer portait des vêtements
+recherchés, de fines dentelles, et qu'on lui fournissait des habits
+aussi riches qu'il paraissait le désirer.</p>
+
+ <p>Il n'en fallait pas plus pour faire pleuvoir des milliers de
+conjectures: C'est un frère de Louis XIV, disent les uns.--C'est le duc
+de Beaufort, assurent les autres.--C'est un fils de Cromwell!...</p>
+
+ <p>Quelques anecdotes inventées sans doute viennent à la rescousse, et
+notre homme, qui n'était peut-être qu'un petit gentilhomme sans grande
+importance, passe d'emblée à la postérité!</p>
+
+ <p>Vous connaissez l'histoire du pêcheur qui ramasse sous les fenêtres de
+Matthioli une assiette d'argent sur laquelle se trouvaient inscrits
+quelques caractères;--le brave homme rapporte sa trouvaille au
+gouverneur, qui lui demande s'il a lu les mots écrits sur ce plat: «Je
+ne sais pas lire!» répond naïvement le pécheur, et Saint-Mars lui dit:
+«Allez! Remerciez le ciel de votre ignorance!»</p>
+
+ <p>Un ingénieux historien, à la vue très-bonne, affirme qu'il y avait sur
+ce plat désormais historique, ces mots: «Louis de Bourbon, comte de
+Vermandois, frère de Louis XIV, etc.»</p>
+
+ <p>Si Bazaine jette jamais ses assiettes par les fenêtres, les pêcheurs
+d'aujourd'hui les conserveront peut-être sans scrupule.</p>
+
+ <p>Richard Cortambert.</p>
+
+ <br>
+
+ <h3>Variétés: "les Merveilleuses", comédie en cinq actes de M. Victorien
+Sardou.</h3>
+
+ <p>Cette fois c'est mon collaborateur M. Morin qui se charge de rendre
+compte des <i>Merveilleuses</i>, de M. Sardou. Son dessin animé, spirituel et
+d'une parfaite exactitude, tient lieu de l'article de théâtre. Aussi
+bien notre critique à nous serait-elle inutile puisque M. Sardou n'a pas
+jugé nécessaire d'introduire une action dans sa comédie, qui relève
+presque tout entière du décorateur et du costumier. Quoi? pas le moindre
+petit bout d'intrigue? Si vraiment, mais si peu que cela ne vaut pas la
+peine d'en parler. Dorlis, que la guerre d'Italie a enlevé aux premières
+joies de la lune de miel à sa femme Illyrine, retrouve au retour de
+Rivoli et d'Arcole, son épouse convolant en secondes noces avec le
+citoyen Saint-Amour, chef du cabinet de Barras. Il était temps, deux
+heures plus tard, protégée par la loi du divorce, elle devenait madame
+Saint-Amour. C'est tout, et cette petite comédie entamée à la fin du
+quatrième acte se dénoue au cinquième. Il semble que M. Sardou, occupé à
+faire revivre dans une série de tableaux vivants les hommes et les
+choses du Directoire, et attardé longtemps dans les curiosités et les
+bibelots du temps, se soit dit: «Maintenant que j'ai reconstitué ce
+peuple bigarré dans les rues, agité dans les salons cet essaim de
+merveilleuses et ce groupe de muscadins, que j'ai placé sur leurs
+étagères ce musée archéologique des dernières années du siècle, songeons
+un peu à mettre une action dans la pièce; si mince qu'elle soit, cela
+est toujours assez bon; l'intérêt n'est pas là, il est dans cette série
+de tableaux, dans ce panorama des plus mobiles et des plus amusants,
+avec ce décor du premier acte, ce jardin du Palais-Égalité où s'asseyent
+les <i>incroyables</i>, le menton caché dans la cravate <i>écronitique</i>, avec
+<i>les oreilles de chien</i>, le chapeau gigantesque en demi-lune, le bas en
+tire-bouchon et le bâton de houx à la main. Là circulent les
+carmagnoles, les bouquetières, là se réfugient contre les huées des
+<i>sans-culottes</i>, les daines <i>sans-chemises</i> que la brutalité de la foule
+menace de jeter à l'eau.</p>
+
+ <p>Au second tableau, nous sommes sur le perron de la rue Vivienne, où
+s'agitent les agioteurs, devant cette boutique de boulanger qui indique
+le prix montant et descendant du louis, étiage de la fortune publique.
+Au premier étage d'une maison, des joueurs jettent leur or au râteau des
+croupiers; à l'entresol, des <i>marchandes de frivolités</i> prélèvent des
+intérêts sur la bonne fortune tentée au premier étage. C'est le bruit,
+c'est la rue. L'acte suivant nous transporte dans l'hôtel du financier
+Ragot; un bijou, que ce décor, une merveille de goût et d'exactitude,
+avec ses pendules, ses candélabres du temps, avec ses sièges en forme
+d'X, avec ses tasses à thé à fond jaune tacheté de petites fleurs
+noires. Là règnent les <i>Merveilleuses</i>, les robes à la <i>Flore</i>, les
+tuniques à la <i>Minerve</i>, la redingote à la <i>Galathée</i>, passant par
+toutes les nuances, depuis le <i>Fifi pâle effarouché</i> jusqu'au <i>Violet
+cul de mouche</i>. Et les coiffures! Le turban relevé avec des plumes
+bleues, bonnet Pierrot, bonnet à la Délie, bonnet à l'Esclavonne. Tout
+ce monde féminin caquette et fripe dans ses mains des éventails de crêpe
+noir lamé et pailleté d'argent, sur lesquels se montre discrètement
+l'effigie de Louis XVI, de la reine et du dauphin, ces éventails au
+<i>Saule pleureur</i>. Les élégants zazayent de leur petite voix de
+femmelette leur parlé gazouillé et mouvant, et étalent leurs habits de
+soie rayée à queue de morue. MM. de Concourt ont fait dans un excellent
+livre l'inventaire par le menu de cette société du Directoire. Ce
+catalogue des choses et des gens, M. Sardou, par une fantaisie d'auteur
+dramatique, l'a fait vivre aux Variétés. Il a animé les Carie Vernet,
+les Debucourt. Cela est fort amusant au début, mais fatigue vite chemin
+faisant. On feuillette pendant une heure un album de caricatures, mais
+toute une soirée! c'est un peu long. Et puis, une observation. Comment,
+nous voilà dans cette société de l'an de grâce 1798, et pas un costume
+d'officier ou de général? Ce ne sont pourtant pas les militaires qui
+faisaient défaut dans ce monde du Directoire. Il y a là une lacune.</p>
+
+ <p>M. Savigny.</p>
+
+ <br>
+
+ <h3>Glace et patins: "La première leçon" et "Un regard en passant".</h3>
+
+ <p>Puisque l'hiver s'obstine à ne pas entrer en scène, faisons tout éveillé
+un rêve qui fera tressaillir d'aise les membres du club des patineurs.</p>
+
+ <p>Il y a huit jours, le thermomètre est descendu à dix degrés au-dessous
+de zéro, et depuis lors il s'est résolument maintenu entre six et huit.
+Lacs, étangs, toutes les pièces d'eau dormante ont gelé, et finalement
+la glace a acquis une respectable épaisseur.</p>
+
+ <p>O bonheur! l'heure heureuse, depuis si longtemps attendue, a donc sonné,
+et le moment fortuné est venu! Vite, courons, et sans perdre une minute,
+au lac, au lac!</p>
+
+ <p>Déjà sous un ciel gris d'acier, au milieu d'un cercle de grands arbres
+étincelants de givre, s'y presse une foule élégante et joyeuse, les
+femmes emmitouflées de fourrures, portant le manchon en sautoir; les
+hommes vêtus du costume de rigueur; bonnet fourré, pelisse, pantalon
+collant qui fait valoir les formes et bottes cracoviennes; les uns et
+les autres ayant chaussé le patin et glissant, se croisant, se
+poursuivant sur la glace qu'ils rayent d'un pied plus ou moins habile.</p>
+
+ <p>Car s'il en est qui savent proprement faire un dehors, écrire
+correctement leur nom du bout d'un patin victorieux, il y en a d'autres
+aussi qui font beaucoup de fautes d'orthographe, et même en sont encore
+à épeler péniblement leur alphabet. Aussi, pour les présomptueux, que de
+mésaventures et de chutes, souvent ridicules.</p>
+
+ <p>Je ne parle que pour les hommes.</p>
+
+ <p>Il est bien entendu que c'est toujours avec grâce qu'une femme tombe sur
+son pouff, quand cela arrive, ce qui est rare; car, plus timide, ce
+n'est que bien soutenue qu'elle se risque à faire ses premiers pas sur
+ce terrain glissant, où bientôt cependant elle s'élancera, rapide comme
+l'hirondelle, en traçant comme elle, capricieuse, d'inextricables
+méandres.</p>
+
+ <p>Quelques-unes cependant ne parviennent jamais à surmonter assez leur
+frayeur pour oser chausser le patin, et ce n'est que confortablement et
+chaudement établies dans un traîneau qu'elles consentent à fendre l'air,
+sous la conduite et la garde de quelque jeune gentleman, avec lequel il
+leur est loisible alors d'achever tout à leur aise la conversation en un
+autre endroit commencée, ou de commencer l'entretien qui sans doute se
+terminera ailleurs.</p>
+
+ <p>Je n'en jurerais cependant pas, car à quoi le plus souvent tiennent
+ici-bas les choses, et de quoi dépendent nos résolutions les mieux
+arrêtées? De ceci ou de cela, d'une goutte de pluie, d'un rayon de
+soleil, ou encore d'un regard en passant.</p>
+
+ <p>Louis Clodion.</p>
+
+ <br>
+
+ <h3>Les tortues de mer à Paris.</h3>
+
+ <p>Il y a longtemps qu'on n'avait vu à Paris des chéloniens possédant des
+dimensions aussi prodigieuses. Les derniers avaient fait leur apparition
+alors que florissait l'empire de l'infortuné Maximilien. Depuis lors il
+s'est écoulé moralement plus d'un siècle. Aussi n'est-il pas étonnant
+que les tortues de MM. Potel et Chabot aient obtenu un véritable succès
+d'estime aussi bien dans la rue Vivienne que sur le boulevard des
+Italiens.</p>
+
+ <p>Une de ces étrangères, rien qu'en agitant ses pattes, a cassé innocemment
+la glace de la devanture qui la séparait de la rue. Mais ce n'était pas
+pour reconquérir une liberté définitivement perdue, et dont elle ne
+pouvait, dans son état d'engourdissement, de demi-sommeil, comprendre le
+prix.</p>
+
+ <p>Ces animaux sont d'une force prodigieuse, et dans leur pays d'origine
+d'une étonnante agilité. Ils nagent comme des poissons dans l'Océan.</p>
+
+ <p>C'est surtout lorsque la femelle va pondre ses &oelig;ufs que l'on peut
+facilement la surprendre et la capturer, ce qui se fait en la retournant
+sur le dos, quelquefois à l'aide d'un levier.</p>
+
+ <p>L'écaille des tortues franches n'a aucune valeur, mais la chair est
+très-délicate, et il est à désirer qu'elle figure sur le carreau des
+Halles où elle serait très-rapidement appréciée.</p>
+
+ <p>Malheureusement nous sommes si routiniers en matière de gastronomie,
+qu'elle est à peu près complètement perdue pour nous dès qu'elle a servi
+à faire du bouillon. Les Anglais, plus pratiques, tirent un excellent
+parti de tous les morceaux.</p>
+
+ <p>La tortue jouit d'une propriété inestimable pour le transport dans les
+pays lointains. On n'a besoin de la fumer ni de la saler, ni de la
+placer dans des boîtes ou dans un garde-manger entouré de glace
+fondante. Elle arrive vivante des Antilles sans qu'on ait besoin de lui
+donner à boire et à manger. On pourrait donc se livrer à une
+exploitation régulière de cette nouvelle matière alimentaire que nous
+signalons expressément.</p>
+
+ <p>De tous les animaux la tortue est peut-être celui qui a le cerveau le
+moins développé.</p>
+
+ <p>Lacépède allait jusqu'à prétendre qu'il est de la grosseur d'une
+noisette pour un animal pesant 150 kilos.</p>
+
+ <p>Mais il n'y a pas, paraît-il, d'animal qui soit plus porté aux plaisirs
+de l'amour. Alors le mâle devient féroce, et aucun danger ne serait
+capable de le déterminer à quitter sa femelle. Mais cela ne dure guère.
+Au bout de quelques jours il l'abandonne sans remords, la laissant
+regagner péniblement les îlots sablonneux où elle déposera ses &oelig;ufs, en
+grand danger d'être surprise par les pêcheurs qui la guettent. Notre
+dessin fait voir les suites inévitables de cette surprise. Un aide de
+cuisine s'apprête à trancher la tête de la tortue tandis qu'un autre
+empêche cette tête de rentrer dans la carapace, à l'aide d'un câble et
+d'un croc. L'armée des marmitons est là sous les armes, prête à
+commencer ses grandes opérations. Jamais mode plus barbare d'exécution
+n'a été inventé. Il faut croire que la tortue a si peu de cervelle
+qu'elle ne s'en aperçoit presque pas. Car si elle se plaint, c'est si
+bas, si bas que jamais personne ne l'a entendue.</p>
+
+ <p>W. de Fonvielle.</p>
+
+ <br><br>
+
+ <h3>LA VEILLE DU 1er JANVIER</h3>
+
+ <p class="mid">(Fin)</p>
+
+ <p>--Absolument. Et je vais choisir des exemples. Voici Mademoiselle Mimi,
+par exemple. J'ai déjà dit que je n'entendais pas médire des
+poupées,--le jouet n'empêche pas le livre.--La vraie poupée, celle que
+l'on peut habiller et déshabiller sans crainte de froisser une robe de
+cent francs, qui possède une tête de porcelaine que l'on fait remettre à
+neuf par le premier marchand venu du coin quand son propriétaire a eu le
+malheur de tomber sur le nez, la poupée qui a son trousseau bien simple
+de petits bas, de petits pantalons et de petites chemises, que sa maman
+blanchit elle-même, la poupée que l'on mène en voiture et qui fait la
+dînette, cette poupée-là est toujours amusante et sera amusante tant que
+le monde durera. Mais le soir, quand Mimi viendra sous la lampe demander
+à sa maman de lui montrer des images, sera-t-elle contente, oui ou non,
+si ces images sont choisies dans un livre à elle, à elle toute seule,
+écrit pour elle...</p>
+
+ <p>--Il y en a donc de ces livres-là.</p>
+
+ <p>--Il y en a quarante à l'heure qu'il est, ni plus ni moins, et la
+collection des albums de P.-J. Stahl se complète d'année en année. C'est
+le tableau vivant de l'enfance à tous les degrés, c'est un
+chef-d'&oelig;uvre, une galerie sans rivale.</p>
+
+ <p>--Mais Mimi ne sait pas lire!...</p>
+
+ <p>--Si elle ne sait pas lire encore, elle sait voir au moins; tous les
+enfants savent lire dans les livres à images; l'image vue, l'image lue,
+on veut savoir au plus juste de quoi il s'agit, et vous êtes là, chère
+madame, pour lui lire à haute voix les légendes spirituelles ou
+émouvantes que Stahl a donné à traduire en merveilleux dessins au crayon
+de Fr&oelig;lich. C'est toute une morale où le code de la première enfance
+est passé en revue article par article.--«Il faut aimer son papa, sa
+maman et le bon Dieu», voilà pour l'âme. «Il faut manger sa soupe
+courageusement jusqu'à la dernière cuillerée», voilà pour le corps. Et
+pour la vie pratique: «Il ne faut mettre son doigt ni dans son nez, ni
+dans les pots de confiture.--Il ne faut pas jouer avec ce qui coupe; les
+couteaux ne sont pas un jeu.--Il est abominable d'égratigner son frère,
+sa s&oelig;ur et même sa bonne.--Il est très-mal aussi de marcher dans les
+ruisseaux, ils ne sont pas faits pour cela.--Il ne faut jamais dire
+qu'on n'a pas envie de dormir quand il est huit heures et demie
+sonné...»</p>
+
+ <p>Mon ami et sa femme s'étaient mis à rire dès les premiers mots de cette
+énumération.</p>
+
+ <p>--Pauvre Mimi! dit la jeune mère, c'est vrai tout de même que pas plus
+tard que ce soir elle s'est démenée comme un beau petit diable en
+prétendant que la pendule avançait et que, vrai, il ne pouvait pas être
+huit heures et demie!...</p>
+
+ <p>--<i>Les Commandements du grand-papa</i> lui en apprendront bien d'autres. Et
+la <i>Journée de la célèbre mademoiselle Lili</i>, et la <i>Boîte au lait</i>, et
+le <i>Journal de Minette</i>, et les <i>Idées de mademoiselle Rose</i>, illustrées
+par Detaille, et la <i>Révolte punie</i>, et <i>Hector le fanfaron</i>, et l'<i>Ours
+de Sibérie</i>, et <i>Bonsoir petit père</i>, et <i>Toc-Toc</i>, et <i>Mademoiselle
+Mouvette</i>, qui est son portrait vivant, sans compter les albums en
+couleur qu'elle pourra manipuler à son aise sans courir le risque de
+s'empoisonner, au rebours de ces albums anglais, dont les enluminures
+grossières ne sont bonnes qu'à crever les yeux ou à gâter l'esprit.
+C'est une maxime à graver en lettres d'or dans le Code des parents, que
+préserver les enfants des niaiseries imprimées, c'est accomplir une
+&oelig;uvre pie. Voilà tout le secret de la bibliothèque Hetzel; P.-J. Stahl,
+l'auteur applaudi des <i>Bonnes fortunes parisiennes</i>, que vous avez lues
+tous les deux, à su tremper sa plume, comme je l'ai vu écrire quelque
+part, dans un encrier rempli de lait sucré; une nourrice qui aurait
+passé par l'Académie française n'aurait pas su trouver plus de
+ressources d'esprit et d'imagination que ce père Gigogne. J'aurais dit
+tout cela dans mon article, je puis bien vous le dire à vous, en
+attendant.</p>
+
+ <p>--Eh! c'est là précisément ce que j'étais en train de prêcher à ma
+femme, s'écria mon ami; mais on n'est jamais prophète en son pays. Je
+suis heureux de voir ton succès; on ne t'interrompt plus.</p>
+
+ <p>L'interrupteur se contenta de sourire et je poursuivis en ces termes:</p>
+
+ <p>J'arrive à Jujules. Savez-vous, chère madame, vous qui parliez tout à
+l'heure de livres à choisir «par-dessus le marché», ce que votre petit
+homme de huit ans m'a appris, il n'y a pas six mois? J'étais en train de
+lui faire, en vous attendant, un petit cours d'histoire naturelle et,
+par étourderie ou par ignorance, je ne sais plus au juste, je m'étais
+avisé de ranger le crapaud parmi les reptiles malfaisants. Double
+erreur, le crapaud n'est pas un reptile et le crapaud n'est pas une bête
+malfaisante. Là-dessus, voilà Jujules qui m'interrompt de sa voix la
+plus douce:</p>
+
+ <p>--Pardon! mon parrain, mais j'ai lu quelque part que le crapaud n'était
+pas un reptile...</p>
+
+ <p>--C'est bien, possible; qu'est-il alors?</p>
+
+ <p>--C'est un batracien, mon parrain, à moins que le livre n'ait menti.</p>
+
+ <p>Le livre n'avait pas menti; mais voyez-vous votre bambin qui en
+remontrait à son maître? Je lui demandai le titre de ce bienheureux
+ouvrage. C'était un des classiques du genre: l'<i>Histoire d'une bouchée
+de pain</i> de Jean Macé.</p>
+
+ <p>--Un de mes cadeaux de l'année dernière,... murmura mon ami.</p>
+
+ <p>--Allons? je suis battue sur toute la ligne, et par un enfant encore!
+s'écria la jeune femme. C'est de bonne guerre. Je me rends à discrétion.
+Que lui donnerons-nous cette année au savant Jujules?</p>
+
+ <p>Je me levai et je m'en fus chercher dans le coin où je les avais déposés
+en entrant, l'<i>Histoire d'une maison</i>, de Viollet-le-Duc, et la <i>Famille
+Chester</i>, de P.-J. Stahl et William Hughes.</p>
+
+ <p>--Voici deux nouveautés que vous prendrez la peine de lire avant le 1er
+janvier. Car ces excellents livres ont le double mérite qu'ils
+conviennent aux petits et ne sont pas inutiles aux grands. Je ne veux
+pas être cru sur parole; il faut que vous appreniez par vous-même quel
+soin sévère, quels scrupules ont présidé à la formation de cette
+bibliothèque d'élite. C'est déjà beaucoup de savoir qu'un homme tel que
+M. Viollet-le-Duc a pris le meilleur de son temps pour apprendre au
+grand public comment se bâtit une maison, ce que la profession
+d'architecte exige de clarté dans l'esprit et de rectitude dans le
+jugement. Nous avons tout à gagner à ces enseignements-là. On apprend à
+tout âge et il n'est jamais trop tard pour aller à l'école. C'est encore
+dans un de ces livres que j'ai trouvé la maxime suivante: «Je ne doute
+pas qu'on ne puisse faire un gros livre de ce que tu sais, disait au
+campagnard à son fils qui lui revenait du collège tout enorgueilli de
+son grec et de son latin; mais je suis assuré qu'on en ferait un plus
+gros encore avec tout ce que tu ne sais pas.»</p>
+
+ <p>--Comment l'appelez-vous ce livre-là?</p>
+
+ <p>--<i>Entre frères et s&oelig;urs</i>. Ce sont des causeries scientifiques pleines
+de savoir et de bonne humeur; signé Lucien Biart.</p>
+<br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/004.png"><br><b>LA PREMIÈRE LEÇON.--D'après le tableau de M. Boutibonne.</b></p>
+
+ <p class="mid">(Publié avec l'autorisation de MM. Goupil et Cie.)</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/005.png"><br><b>UN REGARD EN PASSANT.--D'après le tableau de M. Boutibonne</b></p>
+
+ <p class="mid">(Publié avec l'autorisation de MM. Goupil et Cie.)</p>
+
+
+ <p>--C'est l'auteur de ce joli volume de nouvelles que tu as lues avec tant
+de plaisir, dans la <i>Revue des deux mondes</i>, ajouta mon ami, et qui ont
+paru en volume à la même librairie Hetzel, sous le titre des <i>Clients du
+docteur Bernagius</i>, et à l'usage des femmes d'esprit.</p>
+
+ <p>--C'est cela même. Ajoutez que nous nous retrouverons constamment avec
+des écrivains amis. Après Viollet-le-Duc, P.-J. Stahl et Lucien Biart,
+il faudrait nommer Jules Sandeau et sa <i>Roche aux Mouettes</i>,
+Erckmann-Chatrian et <i>Madame Thérèse</i>, Hector Malot et son Romain
+<i>Kalbris</i>, et d'autres tout aussi connus auxquels j'arriverai tout à
+l'heure. Mais ce n'est pas fini. Le 1er janvier de Jujules serait trop
+maigre si vous vous borniez à deux livres; vous y ajouterez la <i>S&oelig;ur
+perdue</i>, de Mayne-Reid, qui fait suite aux <i>Aventures de terre et de
+mer</i>, qu'il a déjà reçues l'année dernière, et l'<i>Histoire du Ciel</i>, de
+Flammarion, qui manque à sa bibliothèque. Je me charge de la <i>Roche aux
+Mouettes</i>, de Jules Sandeau et de <i>Romain Kalbris</i>, d'Hector Malot.</p>
+
+ <p>--Ah ça! s'écria mon ami, du train dont nous y allons, il ne restera
+rien pour Edouard!</p>
+
+ <p>--Rassurez-vous, la bibliothèque d'éducation et de récréation en a pour
+tous les âges et pour tous les goûts. Edouard est déjà un petit homme
+sérieux. Entre temps, il sait manier très-convenablement le compas et
+l'équerre. Tandis que Jujules lui prêtera son <i>Histoire d'une maison</i>,
+Edouard fui confiera en échange la collection des <i>Voyages
+extraordinaires</i> de Jules Verne...</p>
+
+ <p>Mais c'est que je les lis, moi aussi, ces voyages!... s'écria la jeune
+femme en me coupant la parole, y en a-t-il de nouveaux?</p>
+
+ <p>--Ah! je vous y prends! Que me disiez-vous donc tout à l'heure, que vous
+vous en reposiez sur le premier libraire venu du choix de ces lectures?
+Jules Verne tout au moins aurait été désigné à l'avance et pour ce seul
+aveu il vous sera beaucoup pardonné. Certes oui, il y en a de nouveaux
+et ce ne sont pas les moins merveilleux. J'ai apporté le <i>Pays des
+fourrures</i>, dont je puis parle en connaissance de cause, car je l'ai
+déjà lu dans le <i>Magasin d'éducation</i>. Vous avez encore le <i>Tour du
+monde, en quatre-vingts jours</i>, un chef-d'&oelig;uvre d'invention, une sorte
+de conte des Mille et une nuits, avec la fantaisie déréglée en moins, et
+en plus l'imagination scientifique. Ce sont de fameux pendants à <i>Vingt
+mille lieues sous les mers</i>, au <i>Voyage dans la Lune</i> et au <i>Centre de
+la terre</i>, à <i>Cinq semaines en ballon</i>, aux <i>Enfants du capitaine,
+Grant</i>, au <i>Capitaine Hatteras</i>, etc. Cet étonnant romancier poursuit un
+plan qui consiste à faire faire à son public la découverte successive de
+toutes les parties du monde et de tous les phénomènes du globe. Nous
+avons encore un bon bout de chemin en perspective. Savez-vous ce qu'il
+m'a répondu tout dernièrement? Je lui demandais quelles surprises
+nouvelles il nous réservait et s'il nous était permis de compter sur une
+deuxième série aussi riche que la précédente.</p>
+
+ <p>--N'est-ce que cela! me dit-il gaiement, apprenez qu'elle est toute
+composée cette série à venir; il ne me faut plus que le temps de
+l'écrire.</p>
+
+ <p>--Tout va bien, répliqua mon ami, mais avec tout cela je ne vois pas
+pourquoi tu nous a parlé du compas et de l'équerre d'Édouard?</p>
+
+ <p>--M'y voici. Nous lui donnerons les Sciences usuelles et leurs
+applications mises à la portée de tous, par le capitaine de frégate
+Louis du Temple. Ce livre-là serait un peu trop sérieux pour Jujules; il
+fera le bonheur d'Édouard. Figurez-vous, mes amis, la mécanique et la
+géométrie racontées par un homme qui a appris la science à de pauvres
+mécaniciens de la marine, à des gens presque illettrés mais pleins
+d'ardeur, de bon vouloir et de dévouement. Ce sera bien le diable si
+sous la direction d'un tel maître Edouard ne devient pas un mécanicien
+de premier ordre. Je tiens à être là pour jouir de sa joie quand il
+recevra ce magnifique volume, et si vos mains sont trop pleines de
+cadeaux pour y joindre celui-là, c'est moi qui m'en chargerai.</p>
+
+ <p>--Mais non! dit la jeune femme en riant, je n'accepte pas l'épigramme;
+me voilà bel et bien convertie, et je vous promets que le n° 18 de la
+rue Jacob comptera désormais une cliente aussi assidue que dévouée.
+N'abusez pas de votre victoire.</p>
+
+ <p>--Ainsi, ajouta mon ami, c'est toute une bibliothèque que nous
+introduisons dans la famille. Quelle heureuse chance pour moi d'avoir eu
+pour auxiliaire un ami dont le métier consiste précisément à lire les
+livres nouveaux pour guider autant que possible le choix du grand
+public. Si grâce à toi, le budget des étrennes est un peu plus lourd que
+de coutume, je ne m'en plaindrai pas.</p>
+
+ <p>--C'est encore une erreur, répondis-je, et ce sera mon dernier mot. Le
+plus riche, le plus luxueux de ces beaux livres, les <i>Contes de
+Perrault</i>, de Doré, qu'il faudra donner à Mimi, dans un an ou deux, ne
+coûte pas à beaucoup près ce que coûte une soirée dans un théâtre de
+genre, qui trop souvent se trouve être un théâtre de mauvais genre; il
+coûte moins qu'un joujou vulgaire de chez Giroux, une boîte de bonbons
+de Roissier, une fleur artificielle à mettre dans vos cheveux, madame,
+ou la fumée de quelques cigares de choix que monsieur achètera au
+Grand-Hôtel. Direz-vous que ce qui serait trop d'argent pour une chose
+qui reste ne serait rien pour une chose qui passe?</p>
+
+ <p>--Non! non! s'écrièrent en ch&oelig;ur mes deux amis, le mari et la femme,
+associés et réconciliés dans le même sentiment. Nous voilà d'accord.</p>
+
+ <p>--Tout est donc bien qui finit bien, répondis-je en fermant l'entretien;
+cela finit d'autant mieux que mon article est fait. Tant pis pour vous,
+je vous préviens que je vais livrer au public toute notre conversation
+sans y changer un mot.</p>
+
+ <p>--Tu ne nous nommeras pas au moins!</p>
+
+ <p>--Je le jure! Je me bornerai à vous soumettre mon procès-verbal et à
+signer pour copie conforme:</p>
+
+ <p>Prosper Chazel.</p>
+
+<br><br>
+
+ <h2>LA S&OElig;UR PERDUE</h2>
+
+ <h3>Une histoire du Gran Chaco</h3>
+
+ <p class="mid">(Suite)</p>
+ <br>
+
+ <h3>CHAPITRE X</h3>
+
+ <h4>ARRÊTÉS PAR UN «RIACHO.»</h4>
+
+ <h4>LES GYMNOTES</h4>
+
+ <p>Les voyageurs se trouvaient à un mille de distance de leur dernière
+halte quand les hautes berges du Pilcomayo commencèrent à se déprimer,
+puis à s'abaisser jusqu'à se mettre presque de niveau avec le fleuve. La
+colline qu'ils avaient jusqu'alors suivie se continuait sur l'autre
+bord, comme si elle eût été coupée par le courant qui formait en cet
+endroit une série de rapides contre lesquels l'eau se brisait en
+bouillonnant et avec un bruit assourdissant.</p>
+
+ <p>Les voyageurs n'y prêtèrent pas attention; ils descendirent la pente et
+continuèrent à remonter le cours d'eau.</p>
+
+ <p>Ils ne tardèrent pas à se heurter contre un obstacle inattendu. C'était
+une sorte de ruisseau lent, un <i>riacho</i> (2) qui débouchait
+perpendiculairement dans le Pilcomayo ou en sortait, suivant la saison
+et les caprices de l'inondation. En ce moment il semblait être immobile,
+parce que la rivière principale, subitement enflée par l'ouragan,
+arrêtait le courant plus tranquille de son affluent. Ses eaux étaient
+jaunâtres et comme mêlées de terre et de sable. Le seul moyen d'en
+savoir la profondeur était d'y entrer à cheval, mais l'expérience était
+dangereuse.</p>
+
+ <blockquote><span class="sml"><b>Note 2:</b> Le <i>riacho</i> de l'Amérique du Sud est un cours d'eau tributaire
+d'une grande rivière. Il ressemble au bayou de la Louisiane. En temps
+d'inondation son courant change de direction et revient sur lui-même.</span></blockquote>
+
+ <p>Il ne fallait pas songer à tourner pour le franchir au-dessus de sa
+source, ni à chercher un gué en le remontant. Le riacho était droit
+comme un canal, et les cavaliers pouvaient le suivre des yeux à travers
+la plaine sur une étendue de plus de dix milles présentant toujours la
+même largeur et probablement la même profondeur que sous la tête de
+leurs chevaux.</p>
+
+ <p>Que faire? remonter jusqu'à la source aurait exigé une demi-journée tout
+entière. Cypriano était trop impatient pour y songer et Gaspardo
+lui-même paraissait médiocrement disposé à un retard. Essayer de passer
+à l'endroit où ils se trouvaient semblait être une entreprise
+hasardeuse; il leur faudrait peut-être nager. Cependant cette
+alternative ne les eût pas arrêtés si le bord opposé avait offert une
+pente douce ou quelque point facile qui permit aux chevaux d'aborder.
+Mais il n'en était pas ainsi; au contraire, la berge s'élevait
+perpendiculairement à plus de deux pieds au-dessus de l'eau, et, sous
+l'eau, cette sorte de muraille pouvait être encore plus profonde. Les
+voyageurs étaient dans l'impossibilité d'évaluer la profondeur à cause
+de la coloration de l'eau, conséquence de la tormenta, et il n'existait
+ni courant ni rides pour les aider à se former une opinion même
+approximative.</p>
+
+ <p>Ils restaient indécis sur leurs selles. S'il avait été seul, Cypriano,
+dans son impatience, aurait lancé son cheval en plein cours d'eau, mais
+Gaspardo avait mis la main sur la bride en lui disant: «Patience! il est
+bon de réfléchir, même avant de faire une folie.»</p>
+
+ <p>Ils demeurèrent ainsi pendant plus de dix minutes, tantôt jetant les
+yeux sur le ruisseau, tantôt se regardant les uns les autres.</p>
+
+ <p>«<i>Gracias a Dios!</i> que Dieu soit loué! s'écria tout d'un coup le
+gaucho.»</p>
+
+ <p>Il proféra cette exclamation d'un ton si satisfait et avec un tel soupir
+de soulagement que ses jeunes camarades comprirent que le problème était
+résolu et que le moyen de passer était découvert.</p>
+
+ <p>«Qu'avez-vous imaginé, mon bon Gaspardo? demanda Cypriano, toujours le
+plus prompt à interroger.</p>
+
+ <p>--Regardez là-bas, dit Gaspardo? en montrant de la main l'endroit où
+l'affluent réunissait ses eaux à celles du fleuve. Que voyez-vous
+là-bas, senoritos?</p>
+
+ <p>--Rien de particulier, quelques grands oiseaux blancs avec de longs
+becs, qui ressemblent à des grues.</p>
+
+ <p>--Certainement, ce sont des grues, et même des grues soldats, des
+<i>garzones</i> (3). Eh bien! qu'en pensez-vous?</p>
+
+ <blockquote><span class="sml"><b>Note 3:</b> Le <i>garzon</i> est la plus grande des grues de l'Amérique du Sud.
+Il possède une hauteur de cinq pieds; ses jambes sont longues et grêles;
+son bec pointu est immense; il a sous la gorge un sac rouge comme un
+pélican et son plumage est presque d'un blanc de neige.</span></blockquote>
+
+ <p>--Qu'elles nagent?</p>
+
+ <p>--Nager! pas le moins du monde. Le garzon ne nage jamais. Elles passent
+à gué, senoritos; oui! à gué.</p>
+
+ <p>--Eh bien! après? fit Ludwig.</p>
+
+ <p>--Comment! après? Je suis étonné que vous, naturaliste, un savant qui
+avez appris à raisonner, vous ne liriez pas la conclusion d'un fait
+aussi clair.</p>
+
+ <p>--Quelle conclusion? demanda naïvement le jeune savant.</p>
+
+ <p>--La plus simple du monde, à savoir que comme le dit la chanson, si les
+canards l'ont bien passé, nous passerons nous aussi le riacho. Les grues
+ont de longues jambes, c'est vrai, mais où un garzon peut passer, un
+cheval n'est pas obligé de nager. Non, muchachos! nous traverserons à
+l'endroit où ces gros oiseaux blancs sont en train de s'amuser. Nous
+pourrions même peut-être le faire ici, mais cela serait moins sûr. Il y
+a évidemment une barre de sable entre le riacho et la rivière et voilà
+pourquoi les grues sont à l'eau. J'ajoute que, si elles y sont, ce n'est
+pas pour le simple plaisir d'y prendre un bain de pieds. Il est probable
+que l'orage a troublé les poissons et les a ramenés du large contre la
+barre. Les grues, les trouvant là à leur portée, y sont venues à leur
+tour. Tout s'enchaîne à merveille, vous le voyez, et nous n'avons
+nous-mêmes rien de mieux à faire que de mettre à profit le résultat de
+l'expérience faite par les grues.»</p>
+
+ <p>Le gaucho avait raison. Les <i>garzones</i> étaient activement occupés à
+pêcher; les uns plongeaient leur bec sous l'eau, d'autres, la tête
+renversée, montraient sous leur gorge de vastes poches écarlates
+gonflées par le poisson qu'ils s'efforcaient d'engloutir.</p>
+
+ <p>«C'est pitié de les déranger de leur dîner, dit Gaspardo, surtout après
+le service qu'elles nous ont rendu en nous montrant le gué. Por Dios! Il
+nous faut pourtant le faire, il n'y a pas moyen de l'éviter. Allons,
+senoritos, descendons, nous demanderons en passant pardon à mesdames les
+grues de la liberté que nous prenons à leurs dépens.»</p>
+
+ <p>En disant ces mois, Gaspardo se dirigea vers le confluent des deux cours
+d'eau, suivi par ses compagnons qui n'avaient fait, comme on le pense,
+aucune objection au discours du brave gaucho.</p>
+
+ <p>Au bout de deux cents pas, ils arrivaient au territoire de pêche des
+grues.</p>
+
+ <p>Ces grands oiseaux, effrayés par l'approche de créatures si différentes
+de celles qu'ils voyaient ordinairement, se hâtèrent d'avaler le contenu
+de leurs poches écarlates, puis, agitant leurs grandes ailes au-dessus
+de l'eau, s'élevèrent dans les airs en protestant par leurs cris contre
+le dérangement qu'on leur causait!</p>
+
+ <p>Pendant un moment, ils tournèrent au-dessus de la tête des cavaliers en
+poussant leurs notes perçantes, comme s'ils avaient espéré disputer aux
+cavaliers le passage du ruisseau. Cependant, quand les chevaux se mirent
+à l'eau, ils comprirent que pour le moment leur pèche était finie, et,
+cessant leurs bruyantes démonstrations, ils partirent l'un après l'autre
+en quête d'une retraite plus tranquille.</p>
+
+ <p>Le passage était tel que Gaspardo l'avait supposé; c'était une barre
+entre le fleuve principal et son tributaire. Ni en aval ni en amont les
+chevaux n'auraient pu passer à gué, et même sûr la barre, au point le
+plus profond, leurs sangles baignaient dans l'eau.</p>
+
+ <p>La distance à parcourir était de plus de cent mètres, car c'était à
+cette place que le riacho avait sa plus grande largeur.</p>
+
+ <p>Ils avaient franchi les deux tiers du passage et se félicitaient déjà
+d'être bientôt arrivés sur l'autre rive, quand tout d'un coup les
+chevaux firent halte en frémissant de la tête aux pieds.</p>
+
+ <p>Au même instant, chacun des trois cavaliers ressentit une commotion
+étrange et tellement simultanée, que leurs exclamations s'échappèrent de
+leurs trois bouches à la fois comme d'un seul gosier..</p>
+
+ <p>Gaspardo seul reconnut la cause de ces chocs imprévus.</p>
+
+ <p>«Caramba! s'écria-t-il, c'est une raie électrique. Non pas une, mais
+peut-être un millier! Il y en a tout autour de nous, je le vois bien au
+frémissement des chevaux. Donnez de l'éperon, senoritos! donnez de
+l'éperon, ou nos bêtes paralysées n'atteindront jamais le bord!»</p>
+
+ <p>Ainsi apostrophés, les jeunes gens piquèrent de toute la force de leurs
+talons, et leurs montures s'avancèrent encore, mais avec inquiétude et
+une visible irrésolution. Parfois elles essayaient de reculer en dépit
+des coups d'éperon.</p>
+
+ <p>Les cavaliers n'échappaient pas à cette influence. Le fluide subtil
+courant le long des membres des chevaux, pénétrait dans le système
+nerveux des hommes et leur causait de violentes secousses. Tous les
+trois se sentirent d'autant plus troublés, que la force ne pouvait rien
+contre l'obstacle bizarre qui s'opposait à leur marche en avant.
+Gaspardo seul conservait encore assez de présence d'esprit pour parler
+et agir.</p>
+
+ <p>«Éperonnez, criait-il, éperonnez! si nous ne gagnons pas le bord
+rapidement, les gymnotes auront raison de nous et de nos bêtes. Nos
+chevaux s'enfonceront dans l'eau comme des pierres et nous-mêmes, si
+nous n'échappons pas à l'influence de ces infernales bêtes, nous ne
+pourrons passer ni à gué ni en nageant. En avant donc, senoritos! Jouez
+de la cravache et des éperons comme s'il s'agissait du salut de nos
+Ames!»</p>
+
+ <p>Ludwig et Cypriano n'avaient pas besoin d'être excités. Ils sentaient
+parfaitement l'imminence du péril et ne comprenaient que trop que chaque
+minute le décuplait. Tous deux poussaient leurs montures autant que le
+leur permettait leur énergie défaillante.</p>
+
+ <p>Gaspardo le premier finit par atteindre le bord; il fut suivi de près
+par Cypriano. Mais quand tous deux, se retournant, jetèrent les yeux sur
+Ludwig, ils s'aperçurent que celui-ci était resté en arrière d'eux, à
+quelques mètres de la rive; son cheval tremblait comme une feuille et
+refusait d'avancer. Le cavalier commençait à perdre la tête en voyant
+l'inutilité de ses efforts. Tout d'un coup sa monture cessa de bouger.
+Le gaucho et Cypriano la virent peu à peu enfoncer. Evidemment Ludwig
+était hors d'état de la retenir,</p>
+
+ <p>Cypriano fit mine de descendre de cheval et de se jeter à l'eau pour
+aller au secours de son cousin.</p>
+
+ <p>«Gardez-vous-en bien, s'écria le gaucho. Vous n'arriverez qu'à périr
+avec lui. Il y a mieux à faire pour le salut de Ludwig.»</p>
+
+ <p>En même temps il détachait son lazzo de sa selle et le faisait tournoyer
+autour de sa selle. Le n&oelig;ud coulant tomba juste sur les épaules de
+Ludwig. Le jeune homme enlevé de sa bête abordait, cinq minutes après,
+sain et sauf sur le rivage.</p>
+
+ <p>Sans perdre un instant, le gaucho relâcha le lazzo, le détacha
+promptement des épaules de Ludwig, le fit siffler encore, et le lança
+sur le cheval, dont l'arrière-train était déjà sous l'eau.</p>
+
+ <p>Cette fois, la boucle largement ouverte tomba sur le cou de l'animal en
+entourant dans sa première moitié la haute selle espagnole qu'il
+portait; Gaspardo, assurant solidement le lazzo autour de son poignet et
+de son avant-bras, fit faire demi-tour à sa propre monture du côté
+opposé à la rive, et l'encourageant de la voix, il la lança d'un élan
+vigoureux en avant.</p>
+<br>
+ <h4>CHAPITRE XI</h4>
+
+ <h4>LE POISSON QUI FAIT DU FEU</h4>
+
+ <p>Il y eut une lutte violente au milieu du riacho; elle dura peu. Le
+cheval de Ludwig reprenait courage en se sentant secouru; il fit un
+effort de vigueur pour aider à celui qui était tenté en sa faveur; ses
+jambes de derrière, dégagées, reprirent bientôt leur fonction, et il
+finit par prendre terre à son tour.</p>
+
+ <p>Le bord de ce cours d'eau bourbeuse présentait un étrange tableau; les
+trois chevaux frissonnant semblaient près de défaillir, et leurs
+cavaliers n'étaient guère dans un meilleur état.</p>
+
+ <p>Le plus âgé des trois conservait encore un peu de force, mais il était
+loin de se sentir aussi solide et aussi alerte que d'habitude. Jamais il
+n'avait subi une si violente attaque des gymnotes, et il ne pouvait
+s'expliquer leur puissance extraordinaire qu'en l'attribuant à
+l'électricité de la tempête, qui sans doute avait surexcité en elles
+l'énergie du fluide.</p>
+
+ <p>C'était là en effet l'explication la plus plausible du fait; la raie
+électrique, parfois complètement inoffensive, est d'autres fois l'animal
+le plus dangereux qu'il soit possible de rencontrer au sein des eaux.</p>
+
+ <p>Les chevaux furent quelque temps avant de se remettre de l'influence et
+des souffrances causées par les décharges galvaniques des gymnotes. Les
+cavaliers et Gaspardo lui-même avouaient qu'ils se sentaient très-mal à
+leur ai$e. Cependant le gaucho finit par retrouver sa vaillante humeur.
+Le succès de sa double pêche au lazzo, la première qu'il eût faite en ce
+genre, l'avait ragaillardi, et il communiqua un peu de son entrain à ses
+deux compagnons. Ils reprirent sans délai leur voyage, et, tout en
+continuant à suivre les bords du Pilcomayo, Gaspardo donnait à ses
+jeunes compagnons toutes les observations à sa connaissance relativement
+aux singuliers animaux auxquels ils avaient eu tant de peine à se
+soustraire.</p>
+
+ <p>«Les gauchos, dit-il, les appellent des raies: cependant j'ai entendu le
+senor Ludovico (il désignait ainsi le père de Ludwig) leur donner le nom
+de gymnotes (4). Je suppose que c'est celui qui est connu des
+naturalistes.</p>
+
+ <blockquote><span class="sml"><b>Note 4:</b> La gymnote possède une merveilleuse puissance électrique. Les
+chevaux e! les bestiaux qui passent à gué les marécages ou ruisseaux
+peuplés par ces singulières créatures succombent souvent sous leurs
+chocs galvaniques. L'incident que nous rapportons est en parfaite
+concordance avec les phénomènes observés.</span></blockquote>
+
+ <p>--C'est vrai, répondit le jeune Ludwig en s'intéressant aux paroles de
+Gaspardo. C'est là en effet leur nom scientifique.</p>
+
+ <p>--Avez-vous jamais vu de près un de ces vilains diables? demanda
+Gaspardo.</p>
+
+ <p>--Non, répliqua Ludwig, mais j'ai souvent entendu mon père en parler.»</p>
+
+ <p>A ces mots de «: père», un nuage passa sur les traits du jeune homme; il
+était évident qu'il ne pensait déjà plus aux gymnotes.</p>
+
+ <p>«Moi, dit Gaspardo, j'en ai vu beaucoup. Près de l'endroit où j'allais à
+l'école, il y avait une espèce de mare qui était pleine de raies
+électriques, et nous autres enfants nous nous en amusions beaucoup,
+quoique nous en eussions très-peur. Vous allez voir que ce n'était pas
+sans raison. Je me souviens qu'un jour j'assistai à un triste spectacle.
+Un vieux b&oelig;uf, qui n'avait plus qu'un &oelig;il, s'était laissé choir dans
+cette mare. Les enfants ne doutent de rien; j'avais eu la chance
+d'accrocher, avant que la pauvre bête ne fût à vau-l'eau, une corde à
+l'extrémité de ses cornes; nous nous mimes une douzaine au moins à tirer
+sur cette corde, persuadés que nos efforts suffiraient à ramener le
+pauvre animal du gouffre où il était tombé. Naturellement nous n'y
+parvînmes pas. Le malheureux b&oelig;uf n'en eut pas pour longtemps. Je le
+vois encore, après s'être débattu un instant, s'abîmer tout d'un coup
+sous l'eau, comme s'il eût été frappé d'un coup de foudre invisible.
+Jamais je n'oublierai le regard de détresse qu'il nous jeta avant de
+disparaître; ils ont de si bons regards, les b&oelig;ufs; mais ce que
+j'oublierai encore moins, c'est le châtiment inattendu que nous reçûmes
+du propriétaire du b&oelig;uf, dont nous espérions des remerciements,
+châtiment dû, nous dit-il, à la maladresse de nos efforts.</p>
+
+ <p>«C'était le maître d'école lui-même, un homme pratique, qui ne se payait
+ni de bonnes paroles ni même de bonnes intentions. «Vous vous êtes tous
+conduits comme des imbéciles, s'écria-t-il, en essayant de faire une
+chose tellement au-dessus de vos forces. Il fallait crier au secours,
+venir me chercher. Je n'étais pas loin et mon b&oelig;uf serait encore en
+vie. Savoir ce qu'on peut et ce qu'on ne peut pas, connaître la mesure
+de ses forces est indispensable à tout âge, et pour que vous vous
+souveniez de cette utile maxime, je vais vous appliquer à chacun quelque
+chose qui vous la fixera dans la mémoire.»</p>
+
+ <p>«Nous reçûmes tous une demi-douzaine de férules. Jamais correction ne
+fut administrée avec une plus grande impartialité. Chacun en eut son
+compte.</p>
+
+ <p>--C'était un méchant homme ce maître d'école, s'écria Cypriano...</p>
+
+ <p>--Un peu rude, j'en conviens, répondit Gaspardo, mais c'était surtout un
+homme sensé et judicieux. Ces férules m'ont sauvé de bien des sottises
+dans ma vie, et, s'il faut tout dire, elle vous a été utile à vous-même.
+Je me la suis rappelée à propos dans notre caverne, tout à l'heure,
+quand il s'agissait d'abattre à coups de fusil notre second tigre.
+L'affaire était chanceuse. C'est grâce à la mémorable leçon de notre
+vieux maître que j'ai donné la préférence à notre fusée sur une décharge
+d'artillerie dont reflet n'était pas certain. Pour en revenir à nos
+raies électriques, je ne me doutais pas, à l'époque où s'est passée
+l'histoire que je viens de vous raconter, que j'aurais à me tirer
+d'affaire avec elles aujourd'hui et dans une circonstance aussi sérieuse
+que celle d'où nous sortons. Soyez sûr, mon cher Ludwig, que le souvenir
+du b&oelig;uf et de la leçon énergique subie à cause de lui m'a inspiré
+heureusement tout à l'heure, quand je me suis servi de mon cheval comme
+d'un remorqueur pour le vôtre.</p>
+
+ <p>--Pauvre Gaspardo, dit Cypriano, c'est pourtant vrai que nous voici tenu
+de bénir le vieux maître d'école auquel il a dû un enseignement si
+difficile à oublier.»</p>
+
+ <p>La conversation continua sur les raies électriques.</p>
+
+ <p>«Vous dites que vous avez vu des raies électriques, cousin, demanda
+Ludwig. A quoi ressemblent-elles?</p>
+
+ <p>--Le gaucho peut vous le dire mieux que moi.</p>
+
+ <p>--A quoi ressemblent-elles, Gaspardo?</p>
+
+ <p>--Ma foi, <i>muchachos</i>, si l'on me demandait de faire une description de
+ces vilaines bêtes, je répondrais qu'elles ne ressemblent à rien.
+L'animal le plus laid de la création pourrait être vexé de leur être
+comparé. S'il y a de l'eau en enfer, c'est d'animaux comme ceux-là
+qu'elle doit être peuplée.</p>
+
+ <p>--Tout cela ne nous apprend pas à quoi ressemble une raie électrique,
+interrompit Ludwig, auquel l'amour de l'histoire naturelle faisait
+désirer une description plus précise.</p>
+
+ <p>--Non certainement, répliqua le gaucho, mais ce n'est pas une chose
+aisée que de décrire un poisson qui n'est peut-être pas un poisson,
+quoiqu'il passe son temps sous l'eau.</p>
+
+ <p>--Quant à être un poisson, c'est un poisson, fit le jeune naturaliste,
+tout aussi bien que les autres raies, mais quelle est sa forme, sa
+couleur, sa dimension?</p>
+
+ <p>Mayne Reid.</p>
+
+ <p>(<i>La suite prochainement.</i>)</p>
+
+ <br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/006.png"><br><b>LES TORTUES DE MER A PARIS.--Décapitation d'une grosse
+tortue.</b></p>
+
+<br><br>
+
+ <h3>LA S&OElig;UR PERDUE </h3>
+
+ <h4>PAR MAYNE REID</h4>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/007a.png"><br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;<b>Le vieux mâle gisait inanimé.
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;De petits hiboux occupaient le sol en
+<br>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;commun avec lesquadrupèdes.</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/007b.png"><br>
+<b>Chacun d'eux penché sur le sol.
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;La construction en était toute primitive.</b></p>
+
+<br><br>
+
+ <h3>REVUE LITTÉRAIRE</h3>
+
+ <h4>LES LIVRES D'ÉTRENNES</h4>
+
+ <h4>II</h4>
+
+ <p>Parmi tous ces livres gaufrés et dorés que le jour de l'an fait naître,
+il en est un que je trouve particulièrement recommandable, c'est le
+<i>Magasin d'éducation et de récréation</i>, fondé, il y a quelques années,
+par M. J. Hetzel, avec la collaboration spéciale de Jean Macé et de
+Jules Verne. Le <i>Magasin d'éducation</i> en est arrivé maintenant à sa
+neuvième année, à son dix-huitième volume, et la plupart des ouvrages
+qu'il a publiés, <i>Les Anglais au pôle nord, Les Enfants du capitaine
+Hatteras, Le Pays des fourrures</i>, de Jules Verne, <i>La Roche aux
+Mouettes</i>, de Jules Sandeau, <i>Les Contes du château</i>, de Jean Macé, et
+les délicieuses historiettes de P.-J. Stahl, ses contes et récits de
+morale familière, sont rapidement devenus populaires. Je ne sais rien de
+plus intéressant et de plus curieux que de feuilleter, sous la lampe,
+ces volumes où la gravure vient en aide à l'imagination, où le dessin
+explique et anime le texte, où les yeux sont charmés avant l'esprit. Les
+enfants seraient trop heureux si ces beaux livres, ces récits qui les
+captivent, qui les amusent, ces images qui les séduisent, si tout cela
+était fait pour eux seuls. Mais les parents,--ces grands enfants,--y
+trouvent aussi leur compte. Il y a, dans le <i>Magasin d'éducation</i>, comme
+dans toute la bibliothèque d'Hetzel, des catégories de lectures pour
+tous les âges.</p>
+
+ <p>D'abord, le premier âge, qui se plaira, par exemple, à cette capricieuse
+histoire de <i>La Famille Chester</i>, que P.-J. Stahl a écrite en
+collaboration avec W. Hugues, ou encore à <i>La Comédie enfantine</i> et aux
+jolis dessins de Froment, adorables comme des fresques antiques ou comme
+les meilleurs tableaux d'Hamon. En ce genre, <i>La Boîte au lait</i>, tableau
+de la «première commission» de Fanchette, est tout à fait une chose
+exquise. Les hésitations de Fanchette portant la boîte au lait à tante
+Rose, ses stations, ses tentations, sa gourmandise bientôt punie, tout
+cela est rendu avec une délicatesse infinie, et c'est là une véritable
+&oelig;uvre d'art.</p>
+
+ <p>Le deuxième âge et la jeunesse ont les récits didactiques de Jean Macé
+et de Viollet-le-Duc, l'<i>Histoire d'une maison</i>, entre autres, où
+l'éminent architecte explique avec beaucoup de clarté et d'esprit
+comment on s'y prend pour conduire un logis de la base au faite. Il faut
+placer aussi dans cette catégorie les romans de Lucien Biart ou du
+capitaine Mayne-Reid, les aventures de terre et de mer dont les lecteurs
+de l'<i>Illustration</i> ont pu mieux que personne mesurer le mérite,
+puisqu'ils connaissent <i>La S&oelig;ur perdue</i>, ce vigoureux tableau de m&oelig;urs
+exotiques.</p>
+
+ <p>Les parents enfin, ceux qui lisent ces livres par-dessus les épaules et
+la tête de leurs enfants, ont pour eux <i>Le Tour du monde en 80 jours</i> et
+<i>Le Pays des fourrures</i>, et la <i>Géographie de la France</i> et les
+<i>Sciences usuelles</i>, mises à la portée de tous par M. Louis du Temple,
+un capitaine de frégate qui écrit avec une lucidité étonnante. Elle est
+riche, on le sait, cette collection Hetzel, et les dix-huit volumes du
+<i>Magasin d'éducation</i> forment, à eux seuls, une bibliothèque véritable,
+la plus instructive et la plus attachante. Quelle richesse d'inventions,
+quelle dépense d'imagination et de talent! Comme ce Magasin est
+supérieur à notre pauvre <i>Journal des Enfants</i> qui faisait jadis notre
+joie! On y sent à chaque page la main d'un artiste et d'un lettré. Cet
+homme-double, c'est Hetzel, le plus fin moraliste, l'écrivain délicat,
+l'homme qui sait le mieux ce qui plaît le plus à ces critiques sévères;
+les enfants. Hetzel a vraiment créé tout un genre de livres, et n'eût-il
+pas droit à la renommée littéraire la plus brillante (il en a fait don à
+P.-J. Stahl), qu'il mériterait encore d'être béni des lettres pour avoir
+fondé en France un genre moral et familier, mais artistique, que la
+France ne connaissait pas.</p>
+
+ <p>Cette fois, outre les deux volumes annuels de ce <i>Magasin d'éducation</i>
+dont la collection entière, les deux séries, formeraient la plus
+magnifique étrenne et la plus intelligente qu'on pût donner, Hetzel
+publie plusieurs excellents ouvrages que j'ai grand plaisir à signaler
+et d'une façon toute spéciale.</p>
+
+ <p>C'est, ai-je dit, <i>La Famille Chester</i>, de P.-J. Stahl. Cette histoire
+de «deux petits orphelins», qui ne sont autres que deux malheureux
+<i>rats</i> de Londres, eût fait sourire J.-J. Grandville. Les dessins sont
+de Fr&oelig;lich et ils sont ravissants. C'est l'<i>Histoire d'une maison</i>, de
+Viollet-le-Duc, avec des illustrations et des figures qui mettent ce
+grand art de l'architecture à la portée de tous. C'est le joli volume de
+Lucien Biart, <i>Entre frères et s&oelig;urs</i>, où toutes les menues
+connaissances scientifiques indispensables à la conversation sont
+enfermées avec beaucoup de talent. C'est, encore une fois, <i>La S&oelig;ur
+perdue</i>, de Mayne-Reid, c'est enfin l'&oelig;uvre de Jules Verne, qui se
+trouve augmentée de deux volumes, <i>Le Tour du monde en 80 jours</i> et <i>Le
+Pays des fourrures</i>. Lorsqu'on parle de Jules Verne, il suffit de donner
+le titre de son nouveau livre; il a son public, sa spécialité, son
+originalité, et personne auprès du public n'a plus de vogue que lui. Le
+fait est que ses récits, où la fantaisie se mêle si agréablement à la
+science, sont des plus attachants. Je sais des lecteurs qui en sont
+fanatiques. <i>Le Tour du monde en 80 jours</i> et <i>Le Pays des fourrures</i>
+auront certainement, ou, pour mieux dire, ont maintenant le succès des
+précédents ouvrages de l'auteur, <i>Cinq semaines en ballon</i>, ou encore
+<i>De la Terre à la Lune</i>. M. Verne a évidemment mis à profit, pour écrire
+et décrire son <i>Pays des fourrures</i>, les récits intéressants de M.
+Hayes, mais il a peint d'une touche toute personnelle ces paysages du
+pôle, cette mer de glace, ces <i>icebergs</i>, et de telle façon qu'on ne
+saurait les oublier. Ce dernier livre est l'un de ses bons livres, Il
+vaut tout ce que l'auteur a fait de mieux et l'Académie pourra fort bien
+le couronner, comme elle a couronné les précédents ouvrages et le
+<i>Magasin d'éducation</i> tout entier.</p>
+
+ <p>J'ai dit quel petit chef-d'&oelig;uvre c'était que <i>La Boite au lait</i>, de M.
+Froment; il faut ajouter qu'Hetzel publie, dans le même genre,
+d'adorables albums, comme <i>Les Commandements du grand papa</i>, illustrés
+par Lorentz Fr&oelig;lich, et <i>Les Aventures de Mademoiselle Minette</i>, qui se
+recommandent tout particulièrement au public par le nom de l'artiste qui
+en a signé les dessins. C'est Coinchon, un brave garçon, garde national
+de marche au 19 janvier, et tué, comme Henri Régnault, devant le mur de
+Buzenval. Coinchon a fait pour Mademoiselle Minette des études de chats
+et de chattes absolument réussies. Il y avait un vrai talent chez le
+malheureux jeune homme. On ne saurait trop louer ces livres-albums, dont
+le texte est de P.-J. Stahl, et il faut avoir, pour écrire les légendes
+de ces dessins, un talent d'écrivain d'une trempe parfaite. Cela n'a
+l'air de rien, ces quelques lignes mises au bas d'un croquis de Fr&oelig;lich
+ou de Froment, et, pour les tracer, il faut posséder à la fois les
+qualités les plus rares, la finesse, la simplicité, l'émotion, une
+certaine tendresse, la science de l'enfance, toutes choses qui ne se
+peuvent trouver, on l'avouera, que chez des natures d'élite.</p>
+
+ <p>Hetzel a donc donné, cette année comme les années précédentes, des
+&oelig;uvres de choix, et il en prépare déjà de nouvelles, l'<i>Histoire d'un
+âne</i>, par Stahl, l'<i>Île mystérieuse</i>, par J. Verne, <i>Une Mère</i>, par M.
+Legouvé, et la <i>Petite s&oelig;ur</i>, par M. de Laprade. Et c'est plaisir de
+voir tous les bons esprits et les c&oelig;urs haut placés aider dans son
+entreprise l'homme qui a su faire ainsi une révolution dans la librairie
+et créer une bibliothèque pour les jeunes esprits, qui seront plus
+heureux que notre génération sacrifiée et pénétreront peut-être par la
+porte au seuil de laquelle nous aurons usé nos efforts, dans cette
+société équilibrée où le bonheur, dit-on (pourquoi ne l'espérerait-on
+pas?) sera mieux réparti entre tous, l'injure de la patrie étant depuis
+longtemps vengée.</p>
+
+ <p>Ce ne sont pas là d'ailleurs les seuls livres d'étrennes qu'il nous faut
+encore signaler. M. Gaston Tissandier a, depuis un an, fondé une sorte
+de revue illustrée des sciences qu'il appelle La Nature. La première
+année est finie et forme déjà un beau volume d'une utilité et d'un
+intérêt absolus. MM. Dehérain, Flammarion, C.-M. Gariel,--un esprit
+supérieur, un de nos anciens compagnons de classe,--Amédée Guillemin, E.
+Margollé, etc., composent la rédaction de ce recueil que je n'ai point
+qualité pour analyser ou critiquer, mais dont je signale avec plaisir
+l'apparition et dont je constate le succès.</p>
+
+ <p>M. le marquis de Cherville a publié aussi (chez Didot) un bien joli
+volume. On connaît son <i>Histoire d'un trop bon chien</i>. Cette fois, M. de
+Cherville nous conte l'<i>Histoire naturelle en action</i>. Il est chasseur,
+il est campagnard, il adore les animaux, tout en les abattant d'un coup
+de Lefaucheux; mais, à dire vrai, le gibier et lui n'en sont pas moins
+bons amis. La preuve en est dans la façon dont il en parle. On n'a pas
+plus d'esprit et pas plus d'émotion juste et non affectée que n'en a M.
+de Cherville en ces pages qui instruisent et qui amusent, et qui
+méritent d'être relues. L'<i>Histoire naturelle en action</i> est un des plus
+instructifs recueils de nouvelles qu'on ait publiés depuis longtemps.</p>
+
+ <p>Et les <i>Contes du bibliophile Jacob à ses petits enfants</i>? M. Paul
+Lacroix a fait tenir dans ces pages et dans ces quelques récits toute
+l'histoire de France de 1350 à 1695. Chaque épisode choisi par le savant
+auteur de tant de travaux estimés forme, si je puis dire, le tableau
+d'un règne ou d'une époque et, de la sorte, le lecteur s'instruit en
+s'amusant. Il s'instruit sans le savoir, car, c'est un fait, le public
+n'aime pas qu'on lui dise: venez ici, je vais vous apprendre quelque
+chose. Il hait d'instinct les magisters. Mais on n'est pas moins
+pédagogue ni pédant que M. Paul Lacroix, et ses <i>Contes du bibliophile
+Jacob</i>, avec leurs dessins très-étudiés et très-vrais de M.
+Philippoteaux méritent, eux aussi, une place d'honneur.</p>
+
+ <p>Est-ce tout? Certes non. Je dois signaler encore <i>Les Merveilles de la
+science</i>, de M. Louis Figuier. C'est un livre plein de faits, groupés
+avec art et rendus visibles,--j'allais dire palpables,--par des dessins.
+M. Figuier nous apprend là tout ce qu'il faut savoir sur le verre, le
+cristal, les poteries, les porcelaines, la soude, le savon, les
+potasses. Et tout cela est intéressant comme un roman. A propos de M.
+Louis Figuier, je suis bien en retard avec lui, ou du moins avec ses
+<i>Vies des savants illustres</i> qu'il publie en volumes in-18 (ce sera
+l'édition définitive); je devais depuis de longs mois l'annoncer.</p>
+
+ <p>Je ne reviendrai point sur <i>La Comédie de notre temps</i>, texte et dessins
+par Bertall. Je tiens seulement à ajouter, en manière de post-scriptum,
+après la notice de l'autre jour, que le livre fait son chemin et que
+l'auteur y a trouvé son plus grand succès. L'éditeur, M. Eugène Plon,
+nous a adressé depuis un joli volume signé Mustapha, et qui s'appelle
+<i>Voyage autour de ma tente</i>. Ce sont de petits croquis militaires d'une
+valeur rare. Ce pseudonyme de Mustapha cache, je crois, M le capitaine
+Lung, l'auteur d'un très-beau travail sur le <i>Masque de fer</i>. Ce sont là
+des souvenirs du temps où le soldat avait le droit de rire.
+«Recueillons-les, semble dire <i>Mustapha</i>, et amusons-nous-en encore
+jusqu'au jour où il nous sera permis de rire des autres.»</p>
+
+ <p>M. Plon est encore l'éditeur d'une magnifique publication, aujourd'hui
+terminée, le <i>Musée des Archives nationales</i>, où l'on retrouve
+catalogués, analysés, reproduits très-souvent <i>en fac-similé</i>, les
+incomparables trésors historiques conservés à la rue du Chaume. Tout le
+inonde n'a pas le loisir d'aller visiter le musée des Archives et
+surtout d'en étudier les richesses. Eh bien, là, on retrouve le Musée
+lui-même, on le possède dans ces pages savantes qui composent, à dire
+vrai, un monument littéraire et historique tout à fait unique. Passer
+des sceaux à l'aspect étrange et des signatures bizarres des premiers
+rois à l'écriture des Henri IV et des Louis XIV, pour s'arrêter à
+Bonaparte, après avoir regardé les morceaux de papier déchiré trouvés
+sur le cadavre de Pétion, quel réve! quelle fantastique réalité! Or,
+c'est cela, ce sont ces surprises et cette science que ce beau volume,
+le <i>Musée des Archives nationales</i>, tient en réserve. Il ne nous suffira
+pas de l'avoir loué ainsi, rapidement, nous y reviendrons à coup sûr.</p>
+
+ <p>Il en est, il en sera de même des <i>Fables</i> de La Fontaine, que vient
+d'éditer M. Jouaust. La Fontaine illustré par Millet, Stevens, J.-L.
+Brown, Detaille, Emile Lévy, etc., et illustré de façon à ce que le
+dessin original de l'artiste soit reproduit, si je puis dire, dans sa
+réalité même, voilà l'étonnement que nous réservait ce maître
+ès-bibliophilie. Il a réussi et nous prédisons, dés à présent, un vif
+succès à ces <i>Fables de La Fontaine</i>, que nous rangeons dans la
+catégorie des livres d'étrennes, quoique le livre n'ait pas besoin, pour
+être apprécié, d'être un livre d'actualité.</p>
+
+ <p>Jules Claretie.</p>
+
+ <br><br>
+
+ <h3>BIBLIOGRAPHIE</h3>
+
+ <p><i>La pluie et le beau temps</i>, météorologie usuelle, par Paul
+Laurencin.--A lire le titre de ce charmant petit volume, on pourrait
+croire à une &oelig;uvre fantaisiste, mais le sous-titre est là pour
+rectifier cette impression première et déterminer le domaine dans lequel
+l'auteur introduit le lecteur à son grand profit.</p>
+
+ <p>C'est donc de météorologie qu'il s'agit, c'est-à-dire de ces phénomènes
+curieux dont l'atmosphère est le théâtre et qui influent sur ce que,
+dans le langage familier, on appelle le <i>Temps</i>. L'ouvrage, publié par
+J. Rothschild, éditeur, et orné de 110 gravures et cartes, est divisé en
+vingt chapitres, où M. Laurencin, en un style clair, précis et d'une
+élégante simplicité, traite successivement de la composition de l'air,
+de la chaleur et des courants atmosphériques, de l'eau dans
+l'atmosphère, de la pluie, de ses bienfaits et de ses méfaits, des
+orages, du cyclone, de l'arc-en-ciel, des climats, des saisons, etc.,
+etc., et montre finalement que tous les phénomènes de la pluie et du
+beau temps dérivent d'une cause unique: la chaleur solaire, et que,
+jusqu'à un certain point, on peut prévoir les variations atmosphériques.
+Cette possibilité de se rendre compte des chances probables de pluie et
+de beau temps, pour une époque déterminée, intéresse aussi bien l'homme
+de plaisir que l'homme de travail. Aussi sommes-nous convaincus que <i>La
+pluie et le beau temps</i>, ce résumé aussi succinct que substantiel de
+toutes nos acquisitions touchant la science météorologique, recevra de
+tout le monde l'accueil qu'il mérite à tous les titres, c'est-à-dire le
+plus favorable et le plus empressé.</p>
+
+ <p>P.</p>
+
+ <p>Au nombre des étrennes les plus belles et les plus utiles, les plus
+intéressantes et les plus instructives, nous devons placer en première
+ligne un magnifique volume: <i>le Jardin d'acclimatation illustré</i>.</p>
+
+ <p>L'auteur, M. Pierre Pichot, le sympathique directeur et rédacteur en
+chef de la <i>Revue britannique</i>, a eu le talent de vulgariser la
+zoologie, et son remarquable ouvrage, apprécié des savants, est écrit
+dans un style clair et facile, qui le met à la portée de tout le monde.</p>
+
+ <p>Ce splendide livre renferme 25 gravures coloriées et d'innombrables
+vignettes; ce n'est pas seulement un excellent guide du Jardin
+d'acclimatation; l'auteur a poursuivi un but plus élevé et a réussi à
+faire un traité complet de zoologie.</p>
+
+ <p>Le <i>Jardin d'acclimatation illustré</i> se trouve chez Hachette et au bois
+de Boulogne, à la librairie du Jardin d'acclimatation. Son prix est plus
+modique qu'on ne pouvait s'y attendre pour une publication aussi
+importante. (Broché, 15 fr.; richement relié, 20 fr.)</p>
+
+ <p>Il y a deux mois, nous avons vu plusieurs fabricants de machines à
+coudre faire grand bruit avec les récompenses qu'ils avaient obtenues à
+l'Exposition de Vienne. Sans vouloir diminuer en rien la valeur attachée
+aux médailles de progrès et à celles de mérite, que ces maisons ont
+affichées, il nous sera permis de leur opposer une maison qui a été
+l'objet de distinctions tout exceptionnelles, dont elle s'est peu
+vantée. C'est la Compagnie Wheeler et Wilson, de New-York (qui a son
+siège à Paris, chez M. H. Séeling, 70, boulevard Sébastopol).</p>
+
+ <p>Cette importante Compagnie, en outre des médailles de progrès et de
+mérite qui lui ont été décernées, a seule été recommandée par le jury
+international pour le <i>grand diplôme d'honneur</i>. Et dernièrement M.
+Nathaniel Wheeler, président de cette Compagnie, a été décoré de
+l'<i>ordre de François-Joseph</i>, comme récompense de services éminents
+rendus à l'industrie de la machine à coudre,--la seule décoration
+accordée à Vienne à un fabricant de machines à coudre.</p>
+
+ <p>Cette double distinction place évidemment la Compagnie Wheeler et Wilson
+au-dessus de toutes les compagnies rivales, et comme à Paris en 1867, où
+l'unique médaille d'or pour ce genre de fabrication lui a été décernée,
+elle a remporté la victoire sur tous ses concurrents.</p>
+
+<br><br>
+
+ <h3>LA NATURE</h3>
+
+ <h4>REVUE DES SCIENCES EN 1873</h4>
+
+ <p>La nouvelle publication que M. G. Tissandier a fondée cette année, avec
+le concours de nombreux écrivains scientifiques, a obtenu de la part du
+public l'accueil dont elle était digne. Nous sommes persuadé que le
+premier volume qui vient de paraître, et qui comprend le tableau du
+progrès en 1873, comptera parmi les livres les plus appréciés de
+l'époque du jour de l'an. Les principaux collaborateurs de <i>La Nature</i>:
+MM. le Dr. Bertillou, H. Blerzy, Ch. Boissay, Bontemps, P.-P. Dehérain,
+C. Flammarion, W. de Fonvielle, C.-M. Gariel, F. Garrigou, J. et M.
+Girard, A. Guillemin, Dr. Joly, S. Meunier, E. Margollé, E. Menault,
+Vignes, Zurcher, etc., sont trop connus du public pour que nous ayons à
+faire l'éloge de leurs travaux. Nous préférons emprunter à <i>La Nature</i>
+la description fort intéressante de la nouvelle bouée de sauvetage à
+lumière inextinguible, dont un de nos compatriotes, M. Silas, est
+l'inventeur.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/009.png"><br><b>Nouvelle bouée de sauvetage lumineuse (système Silas).<br>
+Gravure extraite du journal la Nature.</b></p>
+
+ <p>Cette bouée est formée, comme l'indique la gravure contre, d'une sphère
+métallique contenant du phosphure de calcium. Un homme tombant à la mer
+pendant la nuit, on jette à la surface de l'eau la bouée Silas. L'eau
+pénètre dans la sphère creuse, décompose le phosphure de calcium donnant
+naissance à un dégagement abondant d'hydrogène phosphoré. Ce gaz
+s'échappe par un tube supérieur, mais il a la propriété remarquable de
+brûler spontanément au contact de l'air, sans que l'eau puisse
+l'éteindre. Une flamme vive, brillante éclaire le naufragé et le guide
+tandis qu'il serait irrévocablement perdu si nulle lumière n'apparaissait
+au milieu des ténèbres!</p>
+
+ <p>La Nature abonde en faits de ce genre, elle nous donne l'exposé complet
+des événements scientifiques récents, des découvertes importantes, ses
+belles et nombreuses illustrations en font une publication éminemment
+attrayante, et digne à tous égards des plus grands éloges.</p>
+
+<br><br>
+
+
+
+ <p class="mid"><img alt="" src="images/008.png"></p>
+
+ <p class="mid">EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS:</p>
+
+ <p class="mid">Le commerce est le lien des nations.</p>
+
+
+
+<br><br>
+</div>
+
+<div>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44277 ***</div>
+</body>
+</html>
+
+
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+This eBook, including all associated images, markup, improvements,
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+Project Gutenberg (https://www.gutenberg.org) public repository for
+eBook #44277 (https://www.gutenberg.org/ebooks/44277)
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+Project Gutenberg's L'Illustration, No. 1609, 27 décembre 1873, by Various
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: L'Illustration, No. 1609, 27 décembre 1873
+
+Author: Various
+
+Release Date: November 24, 2013 [EBook #44277]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 1609, 27 ***
+
+
+
+
+Produced by Rénald Lévesque
+
+
+
+
+
+
+
+
+L'ILLUSTRATION
+JOURNAL UNIVERSEL
+
+RÉDACTION, ADMINISTRATION, BUREAUX D'ABONNEMENTS
+28, rue de Verneuil, Paris
+
+31e Année.--VOL. LXII.--Nº 1609
+SAMEDI 27 DÉCEMBRE 1873
+
+SUCCURSALE POUR LA VENTE AU DÉTAIL
+60, rue de Richelieu, Paris
+
+Prix du numéro: 75 centimes
+La collection mensuelle, 3 fr.; le vol. semestriel, broché, 18 fr.;
+relié et doré sur tranches, 23 fr.
+
+Abonnements
+Paris et départements: 3 mois, 9 fr.;--6 mois, 18 fr.;--un an, 34 fr.;
+Étranger, le port en sus.
+
+Les demandes d'abonnements doivent être accompagnées d'un mandat-poste
+ou d'une valeur à vue sur Paris à l'ordre de M. Auguste Marc,
+directeur-gérant.
+
+
+
+SOMMAIRE
+
+TEXTE
+
+Histoire de la semaine.
+Courrier de Paris, par M. Philibert Audebrand.
+
+Nos gravures:
+
+La veille du 1er janvier (fin).
+La Soeur perdue, une histoire du Gran Chaco (suite), par H. Mayne Reid.
+
+Revue littéraire; les Livres d'étrennes (II), par M. Jules Claretie.
+
+Bibliographie.
+
+_La Nature_, revue des sciences en 1873.
+
+[Illustration: M. AGASSIZ.]
+
+
+
+SOMMAIRE
+
+GRAVURES
+
+M. Agassiz;
+L'île Sainte-Marguerite;
+Le môle de débarquement;
+Le fort et les prisons;
+Vue de la pointe de la Croisette.
+Théâtre des Variétés: _Les Merveilleuses_, comédie en cinq actes de M.
+Victorien Sardou.
+_La première leçon. Un regard en passant_, d'après les tableaux de M.
+Boutibonne.
+Les tortues de mer à Paris: décapitation d'une grosse tortue.
+_La Soeur perdue_, par M. Mayne Reid (4 gravures).
+Nouvelle bouée de sauvetage lumineuse (système Silas), gravure extraite
+du journal _la Nature_.
+Rébus.
+
+
+
+HISTOIRE DE LA SEMAINE
+
+FRANCE
+
+La politique chôme; au dehors pas plus qu'au dedans nous n'avons cette
+semaine à signaler aucun événement d'une importance vraiment sérieuse;
+il semble qu'au moment où l'année finit, chacun se recueille pour jeter
+un regard en arriére et se préparer aux luttes nouvelles que nous
+réserve l'avenir. L'Assemblée nationale vote à la hâte les derniers
+articles du budget avant de prendre le congé de quelques jours qu'elle
+s'est octroyée à l'occasion de la nouvelle année; le calme qui préside à
+cette discussion a à peine été troublé par quelques incidents presque
+aussitôt terminés que soulevés, mais dont quelques-uns méritent d'être
+signalés.
+
+Notons d'abord la présentation, par M. Clapier, du projet de loi relatif
+à la nomination des maires, dont l'Assemblée a voté l'urgence et qui a
+été inscrit à l'ordre du jour immédiatement après le budget; nous avons
+parlé plusieurs fois déjà de ce projet; il nous suffira donc de dire que
+le travail de la commission a eu pour résultat de faire subir plusieurs
+modifications importantes à la rédaction primitivement proposée par le
+gouvernement. Ainsi, M. le ministre de l'intérieur acceptait pour le
+gouvernement l'obligation de prendre les maires dans les conseils
+municipaux: telle était la règle générale. Ce ne devait être qu'en cas
+de démission ou de révocation qu'ils auraient pu être choisis hors des
+conseils; La commission va plus loin: elle autorise le gouvernement à
+les prendre à sa volonté, soit dans le conseil, soit en dehors de
+celui-ci, avec cette seule restriction, assez bénigne, que dans ce
+dernier cas il sera nécessaire de recourir soit à un arrêté du ministre
+de l'intérieur pour les communes où la nomination est laissée aux
+préfets, soit à un décret délibéré en conseil des ministres, pour les
+communes où la nomination est réservée au gouvernement, c'est-à-dire
+dans tous les chefs-lieux de département, d'arrondissement ou de canton.
+Une seconde différence porte sur la nomination des agents de police.
+Dans son projet, le gouvernement l'enlevait aux maires à qui elle
+appartient actuellement pour toutes les communes auxquelles la loi du
+24-29 juillet 1867 (article 23) n'est pas applicable, c'est-à-dire
+celles qui ont moins de 40,000 âmes de population: il se l'attribuait à
+lui-même sans aucune exception. La commission a maintenu le droit des
+maires, non pas toutefois dans son intégrité. D'abord, elle subordonne
+leur choix à l'agrément des préfets et sous-préfets; elle a, de plus,
+modifié l'article 12 de l'excellente loi du 18 juillet 1837, en vertu
+duquel le maire _suspend_ et _révoque_ ces agents municipaux; ils
+pourront toujours, comme par le passé, être suspendus par le maire; mais
+le préfet seul aura le droit de les révoquer: la loi les place ainsi à
+peu près dans les mêmes conditions que les gardes champêtres. Grâce à ce
+double compromis, l'accord s'est établi entre le gouvernement et la
+commission, et la majorité considérable qui s'est manifestée, tant en
+faveur de l'urgence, que de la mise à l'ordre du jour pour le terme le
+plus proche, permet de croire que l'Assemblée ratifiera et votera la loi
+dans sa teneur actuelle.
+
+Dans sa séance du 19, l'Assemblée a adopté un amendement tendant à
+porter de 162,400 francs à 300,000 francs la somme allouée au président
+de la République pour frais de représentation. Cette augmentation de
+crédit, destinée à donner plus d'éclat aux réceptions officielles du
+président pendant son séjour au palais de l'Elysée, intéressait trop,
+directement le commerce parisien pour ne pas être favorablement
+accueillie par toutes les fractions de l'Assemblée; malheureusement il a
+fallu que les passions politiques, inopportunément remises en jeu par
+une observation intempestive, vinssent gâter ces bonnes dispositions; à
+propos d'une question toute financière, on a parlé du retour du
+gouvernement à Paris; on a évoqué le souvenir de la Commune, et c'est au
+milieu d'un conflit d'invectives qu'a fini cette discussion où tout le
+monde était d'accord en commençant.
+
+Signalons, pour terminer, l'interpellation adressée au gouvernement par
+la gauche au sujet d'une convention récemment intervenue entre le
+ministre des finances et le mandataire de l'ex-impératrice pour la levée
+du séquestre qui pèse sur la liste civile de Napoléon III. En attendant
+la discussion en séance publique, portée à l'ordre du jour après la loi
+sur la nomination des maires, M. Deseilligny, ministre du commerce, a
+fourni à la commission du budget quelques explications sur la question.
+Le ministre a ajouté que les signataires de la convention avaient cru se
+conformer à ce qui s'était fait à l'égard de la liste civile de
+Louis-Philippe, et avaient pensé qu'il était de «haute convenance, en
+dehors de tout parti politique, de soulager la situation douloureuse où
+se trouvait l'impératrice au point de vue pécuniaire».
+
+Il a ajouté que le gouvernement avait, en cela, le droit d'agir sans
+recourir à l'assentiment de l'Assemblée, attendu que le séquestre avait
+été mis par un simple décret du gouvernement de la défense nationale, et
+qu'il suffisait, par conséquent, d'un nouveau décret pour défaire ce
+qu'un décret avait fait.
+
+AUTRICHE.
+
+Les journaux de Vienne contiennent quelques renseignements sur les lois
+ecclésiastiques qui vont être prochainement présentées au Reichsrath par
+le gouvernement. On n'en compte pas moins de dix-sept, et quelques-unes
+d'entre elles auront une grande importance, notamment celle qui prononce
+l'abolition complète et définitive du concordat conclu avec la cour de
+Rome le 18 août 1855. On sait que cette convention établissait la
+censure ecclésiastique sur les livres, ce qui était la négation absolue
+de la liberté de la presse: elle donnait aux évêques la surveillance de
+toutes les écoles, même laïques; elle conférait à l'épiscopat une
+entière indépendance vis-à-vis du gouvernement; non-seulement tous les
+actes émanés du Saint-Siège pouvaient être publiés dans l'empire sans
+aucune nécessité d'obtenir le _placet_ royal, mais encore les
+archevêques et évêques avaient la faculté de convoquer aussi, sans
+autorisation du gouvernement, soit des conciles provinciaux, soit des
+synodes diocésains: double liberté qui leur est refusée en France par
+les articles 1 et 4 du titre Ier de la loi du 18 germinal an X (8 avril
+1802), plus connue sous le nom d'articles organiques, contre lesquels,
+du reste, on le sait, le Saint-Siège n'a cessé et ne cesse de protester.
+Les lois ecclésiastiques que prépare le gouvernement autrichien
+régleront en outre le mariage civil, les patronats, la surveillance des
+séminaires, etc.; elles contiendront aussi des clauses relatives à la
+condition des vieux-catholiques. Sur cette dernière question, on
+s'attend à des débats assez vifs, et déjà les adeptes de cette petite
+Église ont adressé au gouvernement une demande tendante à faire
+reconnaître à l'évêque Reinkens, Prussien et vieux-catholique, un droit
+de juridiction ecclésiastique en Autriche. Cette requête insolite a été
+repoussée.
+
+ITALIE.
+
+Sa Sainteté le pape a tenu, le 22 décembre, un consistoire dans lequel
+il a nommé cardinaux:
+
+Mgr de Nascimento de Moraes Cardoso, patriarche de Lisbonne; Mgr
+Guibert, archevêque de Paris; Mgr Régnier, archevêque de Cambrai; Mgr de
+Simor, archevêque de Gran; Mgr de Tarnoczy, archevêque de Salzbourg; Mgr
+Chigi, nonce apostolique à Pans; Mgr Mariano Darrio y Fernandez,
+archevêque de Valence; Mgr Mariano Falcinelli Antoniacci, nonce du
+Saint-Siège à Vienne; Mgr Alex. Franchi, nonce du Saint-Siège à Madrid;
+Mgr L. Oreglia de Santo-Stefano, nonce du Saint-Siège à Lisbonne; le R.
+P. Tarquini, de la Compagnie de Jésus; le R. P. Martinelli, des moines
+de Saint-Angustin. Dans le même consistoire, le Pape a nommé aussi
+quatre évêques _in partibus infidelium_ et trois évêques en Italie.
+
+Il a nommé aussi:
+
+Mgr Olteanu, évêque de Gran-Varadin (Hongrie); Mgr Corona, évêque de
+Saint-Louis de Potosi; Mgr Hillion, évêque du cap Haïtien.
+
+ÉTATS-UNIS.
+
+L'affaire du _Virginius_ vient d'entrer dans une phase nouvelle et assez
+imprévue; ce sont maintenant les États-Unis qui font droit aux
+susceptibilités de l'Espagne.
+
+On sait que, d'après la convention relative au _Virginius_ le
+gouvernement espagnol devait prouver avant le 25 décembre, à la
+satisfaction des États-Unis, que ce vaisseau n'avait pas le droit de
+porter le pavillon américain, et qu'ainsi il avait été légalement saisi.
+D'après une dépêche de Washington, le procureur général des États-Unis a
+admis la preuve comme valable, le _Virginius_ n'ayant obtenu ses papiers
+qu'au moyen d'un faux témoignage. Le cabinet de Washington s'est déclaré
+prêt à accepter les conséquences de ce fait.
+
+Nous ne savons encore quelles en seront toutes les conséquences, mais il
+est certain que la décision du procureur général des États-Unis est un
+véritable succès pour le gouvernement de M. Castelar et qu'elle fait le
+plus grand honneur à l'impartialité de la magistrature américaine.
+
+
+
+COURRIER DE PARIS
+
+Celui qui céderait au désir de faire l'oraison funèbre de l'année
+n'aurait pas à se donner beaucoup de peine. Il lui suffirait de quelques
+mots, genre sombre. Cette année est de celles qu'on ne regrette pas.
+A-t-elle été assez absurde! S'est-elle montrée assez maussade, assez
+ennuyeuse, assez ennuyée! Elle a vu s'opérer deux ou trois révolutions
+parlementaires aussi insipides qu'elle-même. Pendant sa durée, Paris a
+reçu la visite d'un prince d'Orient, couleur de suie, tout couvert de
+diamants mais qui ne donnait que des salamalecks. L'hippopotame du
+Jardin des Plantes a succombé à des peines de coeur; M. Ernest Renan a
+fait paraître l'_Antéchrist_; trois académiciens sont morts; le chapeau
+des femmes a redoublé de bizarrerie; un grand théâtre a brûlé; un vilain
+procès s'est dénoué, très-peu flatteur pour nous tous; enfin, en guise
+de couronnement, il nous est arrivé une charretée de monstres.
+
+Tel est le bilan de 1873.
+
+Mil huit cent soixante-treize vient de rendre le dernier soupir ou peu
+s'en faut. Eh bien, regardons devant nous; là est l'espérance. Quel
+lendemain nous attend? L'avenir est riche de promesses; c'est un
+capitaliste qui a son portefeuille plein de lettres de change. Déjà la
+nouvelle année, celle qui commencera dans quatre jours, semble vouloir
+ne ressembler en rien à sa devancière. On a beau dire que le commerce ne
+va pas, elle a l'air de lui forcer la main. Quelle foule dans les rues!
+L'argent, qui est de retour, vous le savez, circule tout le long de la
+ville. Personne n'a les mains vides; chacun porte son sac de bonbons ou
+son polichinelle.
+
+Le baraquement des boulevards n'a plus rien de sa rusticité originelle;
+on a encore enjolivé sa mise en scène. Seulement il abuse du _jouet de
+l'année_, un affreux poussah qu'on nomme l'_Oncle Sam_ et qui rappelle
+trop l'auteur de la pièce de ce nom. Partout ailleurs, de longues files
+de boutiques ambulantes s'établissent sur les trottoirs; c'est à peine
+si l'on peut marcher au milieu de cet encombrement.--Nous rencontrons M.
+de Laboulaye, occupé à acheter un cornet de pralines, sans doute afin
+d'adoucir quelqu'un de ses voisins de la Chambre. L'honorable
+pamphlétaire dit tout haut: «--Ah! dame, nos moeurs deviennent
+américaines. La démocratie coule par ici à pleins bords comme à
+New-York.»--Presque en même temps le comte Orloff sort d'un bazar, suivi
+d'un éléphant en baudruche. Des malins s'écrient: «--Il doit y avoir un
+rébus diplomatique là-dessous. Que veut faire de cet éléphant
+l'ambassadeur du czar?» Le comte Orloff a à amuser un petit garçon et
+deux petites filles; voilà toute l'énigme.
+
+Aux alentours du jour de l'an, aussitôt que la nuit arrive, quelque fée
+invisible lève sa baguette en l'air et le coup d'oeil change. Les
+étalages s'illuminent de mille feux. Au gaz municipal se marient les
+bougies du petit commerce en plein vent. Vingt mille lanternes de
+couleur contribuent à faire un jour nocturne d'une lueur fantastique.
+Cette fois, M. de Laboulaye trouverait qu'on n'est plus à New-York mais
+à Pékin.--Tous les cercles sont éclairés avec un luxe inusité.--Une mode
+nouvelle à noter à propos des cercles.--Vous savez que tous ces
+établissements ont, le soir, un dîner sous forme de table d'hôte.
+
+A ce dîner, en ce moment, l'usage veut qu'on ne commence plus par le
+classique vermicelle ni par le tapioca désormais trop enfantin. Tout
+cela cède le pas à la soupe à la tortue rehaussée de gingembre. Voilà
+une clef pour les flâneurs; depuis un mois la foule stationne à la
+devanture des marchands de comestibles; on y est en extase devant
+d'énormes amphibies. Ces tortues sont le régal du jour.--_Turtle-soup_,
+dit-on en faisant la grimace, autant à cause du mot qu'on ne sait pas
+prononcer qu'en raison du mets effroyablement épicé.
+
+Pour le coup, Paris devient une parodie de Londres.
+
+Au temps de Vadé, la cour et les beaux esprits allaient aux Halles; de
+nos jours, le monde aux gants roses va à l'Hôtel des Ventes, qui est
+décidément l'endroit de Paris le plus affairé. Que de choses on y aura
+vendues, cet hiver! Une mondaine, Mme A***, une des princesses de la
+cocotterie, étant morte, on a apporté par là tout ce qu'elle a laissé.
+C'était une succession uniquement mobilière, des appartements en bois de
+rose, l'argenterie, les bijoux, la cave, deux voitures, du linge, la
+toilette, des objets d'art, le tout évalué à un million. Un million rien
+que pour des meubles! Si vous voulez prêter l'oreille, des échos de
+l'hôtel vous diront que les seules robes ont formé le chiffre de 300 000
+francs. Voilà un luxe dont les honnêtes gens n'ont assurément aucune
+idée. C'est un trait de moeurs à noter. Les familles les plus riches
+frissonnent rien qu'à la mention de ce fait. Où sont allées toutes ces
+robes? Étant d'étoffes neuves, elles serviront de rechef, mais à qui
+serviront-elles? Qui peut affirmer que ce ne sera pas aux plus honnêtes
+femmes?
+
+J'ai déjà dit un mot de la vente des livres d'Émile Gaboriau. Ce brave
+garçon, frivole en apparence, était mordu, au fond, d'un sérieux désir
+d'apprendre. Il se passionnait pour l'histoire et il s'était mis à
+rechercher les vieilles éditions des écrivains graves. Nous lui avons
+entendu dire à lui-même qu'il estimait sa bibliothèque à 6,000 francs,
+au bas mot. C'est tout au plus si les enchères auront fourni la moitié
+de cette somme. Des livres, de vieux livres, voilà une superfluité dont
+notre société n'est guère friande. Donnez-lui pour 300,000 francs de
+robes, à la bonne heure.
+
+Sur la fin de la semaine, on a pu constater un certain empressement à
+propos des oeuvres de M. Carpeaux, le sculpteur. Marbres, terres cuites,
+bronzes se sont bien vendus. Néanmoins la tête horrible de l'Ugolin des
+Tuileries n'a pas trouvé d'amateur. Il y a bien trop de mièvrerie dans
+les allures du jour pour qu'on puisse aimer le Dante commenté avec de la
+terre glaise. Un comte qui mange ses fils sans couteau ni fourchette, un
+Italien de la Renaissance, plus anthropophage qu'un Caraïbe de Fenimore
+Cooper, ce n'est guère tentant d'ailleurs comme bibelot à mettre sur une
+étagère. En revanche on a fait fête au modèle d'un autre groupe non
+moins fameux, mais plus décolleté. Vous avez compris que nous parlons de
+cette sarabande effrénée, la Danse, qui figure sur le seuil du nouvel
+Opéra, où, du matin au soir, elle scandalise tous les bons bourgeois
+passant par là. Trois concurrents se disputaient ce morceau; on l'a
+adjugé à 8.000 francs.--Cette même débauche d'art, un des principaux
+confiseurs avait demandé à l'artiste la permission d'en faire une
+réduction en sucre candi ou en chocolat. Avouez que c'eût été d'une
+très-heureuse actualité à l'heure des étrennes. Le sculpteur n'a pas
+voulu. On lui a dit:
+
+--Monsieur, vous refusez de voir votre nom dans toutes les bouches.
+
+Beauvallet, de la Comédie-Française, vient de mourir à Passy, à
+soixante-douze ans. Il était fort bien doué; par malheur, il a abusé de
+la facilité que lui avait donnée le sort pour vouloir faire trop de
+choses à la fois. Bon comédien, tragédien passable, il se piquait aussi
+d'être poète, ce qui l'a poussé à faire des vers qui ne devaient pas
+vivre. A ses premiers débuts dans la vie, il avait commencé par étudier
+la peinture chez Paul Delaroche. Un jour que Casimir Delavigne visitait
+l'atelier, on lui amena l'élève qui se mit à déclamer des vers, une des
+Messéniennes, celle où trois femmes, trois Muses, apparaissent à
+Napoléon pour lui prédire tout à tour sa grandeur et sa chute.
+
+--Mon cher monsieur, dit l'auteur des Vêpres siciliennes, il se peut que
+vous fassiez quelque chose en peinture; cependant je suis sûr que vous
+réussiriez au théâtre.
+
+Il n'en fallut pas plus pour enflammer la tête du jeune homme.
+Beauvallet jeta là ses crayons et sa palette pour aller au
+Conservatoire; après les études indispensables à un débutant, il fut
+engagé à l'Ambigu, où il joua, non sans succès, le drame d'alors. En ce
+temps-là, le boulevard oscillait entre les oeuvres de la vieille école
+sentimentale et les premières tentatives du romantisme. Le nouveau venu
+trouva moyen de se mettre en relief dans ce genre bizarre; il se fit un
+nom en jouant _Caravage_, une histoire arrangée de peintre italien. Sa
+belle prestance, une voix de tonnerre, un soin merveilleux dans l'art de
+s'arranger un costume, ne pouvaient manquer de le faire mettre en
+évidence. Le Théâtre-Français ne pouvait manquer de lui ouvrir
+très-prochainement ses portes. Un jour, en 1833, quand Victor Hugo donna
+_Angelo, tyran de Padoue_, ce fut à Beauvallet qu'il confia le principal
+rôle. Il avait à côté de lui, pour lui donner la réplique, deux des
+grandes actrices de l'époque, Mlle Mars et Mme Dorval. Il fallait
+entendre le superbe podestat lorsque, s'avançant sur la scène, d'un air
+tout à la fois effrayé et menaçant, il récitait le grand monologue sur
+le Conseil des Dix. Sans mentir, c'était à donner la chair de poule.
+
+Beauvallet avait mis tant d'originalité dans ce rôle qu'on n'a plus
+consenti à le voir jouer par un autre. La parodie se chargea, suivant la
+mode du temps, de donner une suprême sanction à son triomphe. Le
+Vaudeville, qui n'était qu'un théâtre gai, ne s'inquiétant que de faire
+rire, avait mis à l'étude une farce intitulée _Cornaro ou le tyran pas
+doux_. Ce susdit Cornaro, personnage correspondant à celui du drame,
+devenait une charge des plus amusantes, grâce à Lepeintre jeune, le plus
+gros des comédiens. Il criait à tue-tête, celui-là, même pour demander
+ses pantoufles. Faire trembler tout le monde autour de lui était sa
+joie. C'était pour cela qu'Arnal, l'invitant à parler en sourdine, lui
+disait:
+
+--Êtes-vous le cousin du bourdon Notre-Dame?
+
+Quelle voix! ah! quel creux! Vous effrayez madame.
+
+Et Cornaro de répondre sur un ton plein de mignardise:
+
+--Je n'ai que le désir d'être son beau valet.
+
+Depuis vingt-cinq ans, Beauvallet avait abordé le répertoire classique,
+tragédie et comédie. Très-soigneux, correct, il y était fort
+applaudi.--On a dit mille fois que, de tous les artistes, le comédien a
+la vie la plus ingrate, en ce qu'il ne laisse rien après lui.
+
+--Bast! répliquait Sheridan, ayez la patience d'attendre deux ou trois
+siècles, et vous verrez ce qui restera des autres!
+
+Il se passe un fait bizarre au sujet des étrennes. Tandis que s'accroît
+le nombre de ceux qui en demandent, on voit de plus en plus des ratures
+se dessiner sur la liste de ceux qui en donnent. Parmi les premiers, on
+signale surtout deux nouvelles recrues: l'employé du télégraphe qui
+apporte les dépêches et le clerc d'huissier qui remet le papier timbré.
+Quant à ceux de l'autre catégorie, ce sont de spirituels sceptiques qui
+profitent des moyens de locomotion dont dispose notre XIXe siècle pour
+filer et disparaître. Dix ou douze jours d'absence suffisent. On dit:
+«J'ai un procès en Bretagne», ou bien: «Mon vieil oncle de Beauvoisis
+vient de mourir d'une coqueluche rentrée»; et l'on s'en va passer une
+quinzaine à Nice. Un voyage d'agrément et une bonne affaire tout à la
+fois.
+
+Trois académiciens qui se sont rencontrés, jeudi soir, au foyer de
+l'Odéon, se contaient à demi-voix leurs peines à propos du jour de l'an.
+Rien de plus curieux que leurs plaintes à cet égard.
+
+--Figurez-vous, disait l'un d'eux qui avait un bonnet de soie noire sur
+la tête, figurez-vous que seize personnes nous poursuivent pour nous
+demander chacune la même chose; comprenez que cette chose ne nous
+coûterait rien, pas même la moitié d'un centime et que néanmoins nous ne
+pouvons la donner tant que ça.
+
+--Qu'est-ce donc?
+
+--Eh! pardieu, un fauteuil.
+
+En effet, il y a trois fauteuils à donner en janvier et seize candidats
+qui demandent à les avoir; et tous les seize, suivant l'usage
+immémorial, sont individuellement le premier moutardier du pape, ou, si
+vous voulez, un homme du bois dont on fait les dieux. Ces dignes
+académiciens voudraient bien se sauver quelque part, mais leur grandeur
+et les jetons de présence les retiennent au quai Conti.
+
+Il n'y a pas fort longtemps, dans cette divine baraque au palais
+Mazarin, il y avait un des Quarante qui n'entendait pas raillerie à
+propos d'argent à donner. C'était Lemontey, l'auteur de l'_Histoire de
+la Régence_.
+
+Un certain jour de l'an, un des garçons de l'Institut vint voir
+l'historien; il le salua, la casquette à terre, et tendit la main.
+
+Lemontey lui donna une pièce de dix sous.
+
+--Comment! rien que ça? dit le garçon en grommelant entre ses dents.
+
+--Hein! qu'est-ce que c'est? riposta l'immortel furieux. Cinquante
+centimes, un demi-franc, ce n'est rien? Eh! malheureux, c'est la quatre
+cent millième partie de deux cent mille francs, par conséquent de dix
+mille livres de rente. Eh! je voudrais bien être garçon de l'Institut
+pour en recevoir autant, moi!
+
+P.-J. Proudhon comprenait les étrennes d'une autre façon.
+
+L'année qui a précédé la mort du célèbre dialecticien, M. E. Dentu, son
+éditeur et son voisin, se présenta chez lui le matin du jour de l'an.
+
+Après avoir échangé une poignée de main avec lui, il lui montra un petit
+paquet enveloppé de papier gris.
+
+--Qu'est-ce que c'est que ça? dit Proudhon.
+
+--Deux poupées que je vous demande la permission d'offrir à vos deux
+petites filles.
+
+En entendant ces mots, l'auteur du livre _De la Justice_ entra tout à
+coup dans une colère des plus violentes.
+
+--Des poupées à mes filles! Non, mon cher monsieur, non; je vous le
+défends positivement. Savez-vous l'enseignement qui résulterait de ce
+cadeau? L'amour de l'alanguissement, la coquetterie, la paresse, le
+goût du luxe, peut-être de la luxure. C'est bon pour les duchesses,
+c'est bon pour les bourgeoises. Tenez, si voulez faire un présent à ces
+enfants, apportez-leur quelque chose d'utile, un dé à coudre, des
+ciseaux, un paquet d'aiguilles. Qu'elles aient à la main un objet qui,
+de bonne heure, leur rappelle qu'elles sont filles de la misère et de la
+philosophie et qu'il faut qu'elles songent sans cesse à épouser le
+travail!
+
+À certains égards cet esprit de prévoyance se retrouve en grand dans un
+mot de Mme Lætitia Bonaparte, la mère de Napoléon.--Longtemps éprouvée,
+n'ayant eu de 1790 à 1799 que 1,500 fr. pour soutenir sa modeste maison
+et nourrir ses trois filles, Caroline, Elisa et Pauline, la brave femme
+ne pouvait pas se résoudre à jeter l'argent par les fenêtres.
+
+En 1809, le 2 janvier, la princesse Pauline vint la voir.
+
+--Madame, l'empereur m'envoie vous faire une question.
+
+--Laquelle?
+
+--Combien avez-vous dépensé, hier, en fait d'étrennes?
+
+--Ma fille, 3,255 francs.
+
+--3,255 francs! Mais je vous avais remis, de la part de mon frère, 30
+000 francs pour faire des largesses! Est-ce que vous comptez placer
+cette somme?
+
+--Mon Dieu, oui, Paulette.
+
+--Mais pourquoi faire?
+
+--Pourquoi faire? Pour donner, un jour, du pain à tous les rois et à
+toutes les reines qu'on a faits dans ma famille!
+
+L'histoire a prouvé par trois fois que l'Agrippine d'Ajaccio n'avait pas
+si grand tort.
+
+Philibert Audebrand.
+
+
+
+NOS GRAVURES
+
+L'ILE SAINTE-MARGUERITE
+
+[Illustration: Le môle de débarquement.]
+
+[Illustration: Le fort et les prisons.]
+
+[Illustration: Vue de la pointe de la Croisette.]
+
+[Illustration: THÉÂTRE DES VARIÉTÉS.--_Les Merveilleuses_, comédie en
+cinq actes, de M. Victorien Sardou.--Décors de M. Robecchi.--Costumes de
+MM. Eugène. Lacoste et Draner.]
+
+
+
+Le naturaliste Agassiz
+
+Le 15 décembre, un télégramme fort laconique annonçait à l'Europe que
+«le professeur Agassiz venait de mourir à Boston».
+
+Cet illustre naturaliste mérite mieux qu'une mention d'une ligne.
+C'était le digne successeur des Buffon et des Cuvier, et le monde
+scientifique a peu de noms à opposer au sien; en Amérique, nous ne
+voyons pas qui est capable de prendre sa place.
+
+Agassiz avait émigré aux États-Unis en 1847, à la suite des événements
+politiques dont la principauté de Neufchâtel fut alors le théâtre. Il
+était déjà célèbre et s'était fait connaître au monde savant par un
+ouvrage sur les poissons fossiles, publié dès 1842, et qui est resté
+classique en géologie, comme le livre de Cuvier sur les mammifères
+éteints du bassin de Paris, ou le livre de Brongniart sur la flore
+fossile des terrains houillers.
+
+Né dans le canton de Vaud en 1807, Agassiz avait étudié en Allemagne, et
+fut reçu docteur à Munich. Il fut nommé professeur d'histoire naturelle
+à Neufchâtel dès 1838, et publia en français, en latin ou en allemand
+divers ouvrages de zoologie, dont celui que nous avons cité plus haut a
+surtout contribué à le faire connaître.
+
+Ses études sur les glaciers, qu'il poursuivit avec une ardeur
+infatigable, escaladant tous les pics des Alpes, entre les années 1840
+et 1847, confirmèrent la réputation qu'il s'était acquise parmi les
+géologues, et l'on peut dire que lorsqu'il quitta l'Europe, son nom
+était déjà universellement connu.
+
+Ses deux collaborateurs, MM. Desor et Vogt, Suisses comme lui, ont
+continué les traditions du maître. Ils n'ont cessé de marcher à la tête
+de la science helvétique, et ils l'ont même quelquefois poussée en
+avant, notamment en anthropologie, avec une virilité, une audace qui ont
+épouvanté en France plus d'un de nos maîtres officiels.
+
+Agassiz, à peine arrivé aux États-Unis, fut nommé professeur d'histoire
+naturelle à l'Université de Cambridge, près Boston, et c'est là que,
+vingt ans plus tard, nous l'avons rencontré nous-même, augmentant,
+classant sans cesse ses chères collections, et toujours à l'affût de
+nouveaux voyages pour faire progresser la science et ouvrir aux
+investigations de l'esprit humain des champs jusque-là inconnus.
+
+ [Note 1: Voyage au Brésil, Paris, Hachette. 1868.]
+
+Avec sa femme, qui ne cessa de le seconder dans ses recherches et de
+s'associer à tous ses travaux, comme une vraie Américaine qu'elle était,
+il entreprit le voyage de l'Amazone. On sait quel trésor de faits
+curieux il rapporta de cette exploration, et combien il en accrut ses
+collections, notamment en ichthyologie. Ce voyage, publié par Mme
+Agassiz, a été traduit en français (1); l'exploration de l'Amazone a été
+même illustrée dans le _Tour du monde_, d'après les dessins de Mme
+Agassiz, qui tenait aussi bien le pinceau que la plume, dans ces
+dernières années, M. Agassiz avait entrepris l'étude du fond des mers,
+et fait à ce sujet sur un navire de guerre américain, que le
+gouvernement des États-Unis avait mis généreusement à sa disposition,
+une série de travaux fort intéressants poursuivis dans l'un et l'autre
+océan, l'Atlantique et le Pacifique. Il était aussi allé de Boston à
+San-Francisco par le cap Horn. Il avait espéré que sa santé, ébranlée
+par un travail incessant, se relèverait dans ce long voyage. Il semble
+qu'il n'en a rien été, puisque la nouvelle, de sa mort nous est parvenue
+au moment où tout faisait espérer que ses amis et la science pourraient
+encore le conserver longtemps.
+
+Dans ce voyage de circumnavigation, les découvertes d'Agassiz ont été
+presque de tous les jours, sur les courants, la température des eaux
+marines à diverses profondeurs, le fond de la mer, les animaux qui s'y
+rencontrent. C'est lui qui a pour la première fois démontré que le fond
+des océans est habité à toutes les profondeurs, contrairement à ce qu'on
+avait écrit. Que d'espèces nouvelles en coraux, coquilles, poissons,
+plantes marines il avait ramenées de son dernier voyage! Il était occupé
+à classer tout cela, à le distribuer, à le faire connaître avec cette
+générosité toute américaine qui le distinguait, quand la mort est venue
+le surprendre.
+
+Au physique, c'était un homme de haute taille, fort vigoureux; ses
+traits annonçaient l'aménité, la bienveillance, et le moral ne démentait
+pas ce que le physique annonçait. Il était ouvert, sympathique, causait
+volontiers et facilement, ne disait du mal de personne, pas même de ses
+confrères, ce qui est rare parmi les savants. Il était, comme tous les
+protestants, fort attaché aux doctrines religieuses. Spiritualiste, il
+faisait volontiers intervenir la Providence dans la création des
+espèces, mais cela ne l'empêchait pas d'apporter dans les théories
+scientifiques beaucoup d'indépendance. Ainsi il était, en histoire
+naturelle, avec les Lamarck, les Geoffroy Saint-Hilaire, les Goethe, les
+Darwin, partisan de la variabilité de l'espèce humaine et non de
+l'unité, comme le voulaient Buffon et Cuvier, et comme quelques
+naturalistes, entre autres M. de Quatrefages, le veulent encore
+aujourd'hui.
+
+Il faisait bon marché des honneurs, et se contentait du titre de
+correspondant de notre Académie des sciences, n'ayant jamais voulu
+accepter de l'empereur Napoléon III, qui l'avait connu et apprécié en
+suisse, ni le titre de sénateur, ni celui de professeur au Collège de
+France, ni même celui de directeur général du Muséum, place restée,
+dit-on, vacante depuis la mort de Cuvier. On essaya de le tenter à
+diverses reprises et de le fixer parmi nous; toujours il préféra rester
+dans sa patrie d'adoption. Républicain il était en Suisse, républicain
+il demeura aux États-Unis. Il vient d'y mourir, comblé de gloire sinon
+d'honneurs, aimé de tous, ayant fait de nombreux élèves, n'ayant cessé
+un jour de travailler et de faire progresser la science, qui a été
+l'occupation de toute sa vie. C'était un homme de bien, _vir probus_, au
+sens le plus général du mot, un de ces hommes qu'on voit toujours partir
+avec le plus vif regret, parce que l'on sent combien il sera difficile,
+pour ne pas dire impossible, de les remplacer.
+
+L. Simonin.
+
+
+
+Le Fort Sainte-Marguerite
+
+L'ex-maréchal Bazaine aurait pu être envoyé dans quelque casemate
+oubliée, dans quelque prison sans passé, ou même faire le voyage de la
+Nouvelle-Calédonie, en compagnie de pétroleurs. L'opinion publique eût
+été probablement satisfaite de ce châtiment qui plaçait ainsi au même
+rang tous ceux qui ont failli faire sombrer le pays! Mais décidément la
+fortune sourit à Bazaine; pendant que nous grelottons dans le Nord, on
+l'envoie dans une contrée bénie du ciel, inondée, au coeur de l'hiver,
+des chauds rayons du soleil, et délicieusement rafraîchie, en été, par
+les brises de mer!...
+
+Heureux maréchal! La Providence lui assigne même la prison à jamais
+célèbre de l'homme au masque de fer. Etrange caprice du destin!
+L'innocent martyr du despotisme de Louis XIV a vécu là, le visage
+couvert, les traits constamment voilés, tenu dans le plus complet
+isolement, tandis que le grand coupable de Metz va sans doute passer les
+dernières années de sa misérable vieillesse en captif heureux, entouré
+peut-être de quelques-uns des siens, et à coup sûr il n'aura pas pour
+gouverneur un maître implacable comme Saint-Mars!
+
+Je me trouvais, il y a peu de mois, à Cannes, et de là on voit se
+profiler, à quelques milles en face, les îles de Lérins, semblables à de
+gigantesques entassements. Si l'on était oiseau, en deux coups d'aile,
+on arriverait à Saint-Honorat ou à Sainte-Marguerite. Sans s'armer d'une
+longue-vue, il est parfaitement possible de distinguer les rochers
+élevés qui bordent les deux îles, et l'on peut compter jusqu'aux
+fenêtres du fort Sainte-Marguerite.
+
+Une vingtaine de petits bateaux bariolés dansaient dans le port de
+Cannes, sous la violente caresse du mistral, et demandaient à grands
+cris, par la voix de leurs patrons, quelque promeneur complaisant!
+
+--Monsieur! promenade à Sainte-Marguerite! Bon temps! Bon vent! me cria
+l'un des bateliers en me priant du geste de descendre.
+
+--Et combien de temps faut-il pour arriver à l'île!
+
+--Oh! monsieur, pas beaucoup! J'y suis allé l'autre jour en moins d'un
+quart-d'heure!
+
+--Et le vent est bon? repris-je.
+
+--Excellent! monsieur, deux ris aux voiles et nous filons comme
+l'éclair!
+
+Inutile de dire que le quart-d'heure du brave batelier se changea en
+demi-heure, la demi-heure en trois quarts-d'heure et qu'une heure après
+nous ne touchions pas encore au môle du débarquement. En revanche,
+j'avais eu la mer la plus moutonneuse du monde; nous avions failli être
+roulés par les vagues; mais quelle baie splendide, que de merveilleux
+horizons!
+
+J'eus le malheur de descendre du bateau pour tomber entre les mains d'un
+vieux sergent qui ne me lâcha pas avant de m'avoir conté,--ce qu'il
+savait du reste fort mal,--l'histoire de l'île Sainte-Marguerite.
+
+Il m'expliqua que le fort avait été construit sous Richelieu, puis pris
+par les Espagnols, qui l'avaient agrandi, et enfin réparé par Vauban.
+
+En résumé, ce bâtiment serait peu digne d'intérêt si la légende de
+l'homme au masque de fer n'était pas là pour captiver.
+
+Matthioli, c'est le nom que l'on donnait à ce célèbre inconnu, avait une
+prison que le maréchal Bazaine,--l'homme heureux!--ne connaîtra sans
+doute que de vue! La chambre qu'il habita onze années n'était éclairée
+que par une fenêtre du côté du nord, percée dans un mur de près de
+quatre pieds d'épaisseur; on y avait même prudemment adapté trois
+grilles de fer placées à une distance égale. Cette fenêtre donnait sur
+la mer.
+
+Ce qui fit supposer à quelques indiscrets que Matthioli devait être
+quelque grand personnage, ce sont d'une part les mesures prises par
+Saint-Mars pour éloigner de lui même les geôliers, et de l'autre
+l'espèce de respect dont semblait l'entourer le gouverneur.
+
+De plus, on assure que l'homme au masque de fer portait des vêtements
+recherchés, de fines dentelles, et qu'on lui fournissait des habits
+aussi riches qu'il paraissait le désirer.
+
+Il n'en fallait pas plus pour faire pleuvoir des milliers de
+conjectures: C'est un frère de Louis XIV, disent les uns.--C'est le duc
+de Beaufort, assurent les autres.--C'est un fils de Cromwell!...
+
+Quelques anecdotes inventées sans doute viennent à la rescousse, et
+notre homme, qui n'était peut-être qu'un petit gentilhomme sans grande
+importance, passe d'emblée à la postérité!
+
+Vous connaissez l'histoire du pêcheur qui ramasse sous les fenêtres de
+Matthioli une assiette d'argent sur laquelle se trouvaient inscrits
+quelques caractères;--le brave homme rapporte sa trouvaille au
+gouverneur, qui lui demande s'il a lu les mots écrits sur ce plat: «Je
+ne sais pas lire!» répond naïvement le pécheur, et Saint-Mars lui dit:
+«Allez! Remerciez le ciel de votre ignorance!»
+
+Un ingénieux historien, à la vue très-bonne, affirme qu'il y avait sur
+ce plat désormais historique, ces mots: «Louis de Bourbon, comte de
+Vermandois, frère de Louis XIV, etc.»
+
+Si Bazaine jette jamais ses assiettes par les fenêtres, les pêcheurs
+d'aujourd'hui les conserveront peut-être sans scrupule.
+
+Richard Cortambert.
+
+
+
+Variétés: "les Merveilleuses", comédie en cinq actes de M. Victorien
+Sardou.
+
+Cette fois c'est mon collaborateur M. Morin qui se charge de rendre
+compte des _Merveilleuses_, de M. Sardou. Son dessin animé, spirituel et
+d'une parfaite exactitude, tient lieu de l'article de théâtre. Aussi
+bien notre critique à nous serait-elle inutile puisque M. Sardou n'a pas
+jugé nécessaire d'introduire une action dans sa comédie, qui relève
+presque tout entière du décorateur et du costumier. Quoi? pas le moindre
+petit bout d'intrigue? Si vraiment, mais si peu que cela ne vaut pas la
+peine d'en parler. Dorlis, que la guerre d'Italie a enlevé aux premières
+joies de la lune de miel à sa femme Illyrine, retrouve au retour de
+Rivoli et d'Arcole, son épouse convolant en secondes noces avec le
+citoyen Saint-Amour, chef du cabinet de Barras. Il était temps, deux
+heures plus tard, protégée par la loi du divorce, elle devenait madame
+Saint-Amour. C'est tout, et cette petite comédie entamée à la fin du
+quatrième acte se dénoue au cinquième. Il semble que M. Sardou, occupé à
+faire revivre dans une série de tableaux vivants les hommes et les
+choses du Directoire, et attardé longtemps dans les curiosités et les
+bibelots du temps, se soit dit: «Maintenant que j'ai reconstitué ce
+peuple bigarré dans les rues, agité dans les salons cet essaim de
+merveilleuses et ce groupe de muscadins, que j'ai placé sur leurs
+étagères ce musée archéologique des dernières années du siècle, songeons
+un peu à mettre une action dans la pièce; si mince qu'elle soit, cela
+est toujours assez bon; l'intérêt n'est pas là, il est dans cette série
+de tableaux, dans ce panorama des plus mobiles et des plus amusants,
+avec ce décor du premier acte, ce jardin du Palais-Égalité où s'asseyent
+les _incroyables_, le menton caché dans la cravate _écronitique_, avec
+_les oreilles de chien_, le chapeau gigantesque en demi-lune, le bas en
+tire-bouchon et le bâton de houx à la main. Là circulent les
+carmagnoles, les bouquetières, là se réfugient contre les huées des
+_sans-culottes_, les daines _sans-chemises_ que la brutalité de la foule
+menace de jeter à l'eau.
+
+Au second tableau, nous sommes sur le perron de la rue Vivienne, où
+s'agitent les agioteurs, devant cette boutique de boulanger qui indique
+le prix montant et descendant du louis, étiage de la fortune publique.
+Au premier étage d'une maison, des joueurs jettent leur or au râteau des
+croupiers; à l'entresol, des _marchandes de frivolités_ prélèvent des
+intérêts sur la bonne fortune tentée au premier étage. C'est le bruit,
+c'est la rue. L'acte suivant nous transporte dans l'hôtel du financier
+Ragot; un bijou, que ce décor, une merveille de goût et d'exactitude,
+avec ses pendules, ses candélabres du temps, avec ses sièges en forme
+d'X, avec ses tasses à thé à fond jaune tacheté de petites fleurs
+noires. Là règnent les _Merveilleuses_, les robes à la _Flore_, les
+tuniques à la _Minerve_, la redingote à la _Galathée_, passant par
+toutes les nuances, depuis le _Fifi pâle effarouché_ jusqu'au _Violet
+cul de mouche_. Et les coiffures! Le turban relevé avec des plumes
+bleues, bonnet Pierrot, bonnet à la Délie, bonnet à l'Esclavonne. Tout
+ce monde féminin caquette et fripe dans ses mains des éventails de crêpe
+noir lamé et pailleté d'argent, sur lesquels se montre discrètement
+l'effigie de Louis XVI, de la reine et du dauphin, ces éventails au
+_Saule pleureur_. Les élégants zazayent de leur petite voix de
+femmelette leur parlé gazouillé et mouvant, et étalent leurs habits de
+soie rayée à queue de morue. MM. de Concourt ont fait dans un excellent
+livre l'inventaire par le menu de cette société du Directoire. Ce
+catalogue des choses et des gens, M. Sardou, par une fantaisie d'auteur
+dramatique, l'a fait vivre aux Variétés. Il a animé les Carie Vernet,
+les Debucourt. Cela est fort amusant au début, mais fatigue vite chemin
+faisant. On feuillette pendant une heure un album de caricatures, mais
+toute une soirée! c'est un peu long. Et puis, une observation. Comment,
+nous voilà dans cette société de l'an de grâce 1798, et pas un costume
+d'officier ou de général? Ce ne sont pourtant pas les militaires qui
+faisaient défaut dans ce monde du Directoire. Il y a là une lacune.
+
+M. Savigny.
+
+
+
+Glace et patins: "La première leçon" et "Un regard en passant".
+
+Puisque l'hiver s'obstine à ne pas entrer en scène, faisons tout éveillé
+un rêve qui fera tressaillir d'aise les membres du club des patineurs.
+
+Il y a huit jours, le thermomètre est descendu à dix degrés au-dessous
+de zéro, et depuis lors il s'est résolument maintenu entre six et huit.
+Lacs, étangs, toutes les pièces d'eau dormante ont gelé, et finalement
+la glace a acquis une respectable épaisseur.
+
+O bonheur! l'heure heureuse, depuis si longtemps attendue, a donc sonné,
+et le moment fortuné est venu! Vite, courons, et sans perdre une minute,
+au lac, au lac!
+
+Déjà sous un ciel gris d'acier, au milieu d'un cercle de grands arbres
+étincelants de givre, s'y presse une foule élégante et joyeuse, les
+femmes emmitouflées de fourrures, portant le manchon en sautoir; les
+hommes vêtus du costume de rigueur; bonnet fourré, pelisse, pantalon
+collant qui fait valoir les formes et bottes cracoviennes; les uns et
+les autres ayant chaussé le patin et glissant, se croisant, se
+poursuivant sur la glace qu'ils rayent d'un pied plus ou moins habile.
+
+Car s'il en est qui savent proprement faire un dehors, écrire
+correctement leur nom du bout d'un patin victorieux, il y en a d'autres
+aussi qui font beaucoup de fautes d'orthographe, et même en sont encore
+à épeler péniblement leur alphabet. Aussi, pour les présomptueux, que de
+mésaventures et de chutes, souvent ridicules.
+
+Je ne parle que pour les hommes.
+
+Il est bien entendu que c'est toujours avec grâce qu'une femme tombe sur
+son pouff, quand cela arrive, ce qui est rare; car, plus timide, ce
+n'est que bien soutenue qu'elle se risque à faire ses premiers pas sur
+ce terrain glissant, où bientôt cependant elle s'élancera, rapide comme
+l'hirondelle, en traçant comme elle, capricieuse, d'inextricables
+méandres.
+
+Quelques-unes cependant ne parviennent jamais à surmonter assez leur
+frayeur pour oser chausser le patin, et ce n'est que confortablement et
+chaudement établies dans un traîneau qu'elles consentent à fendre l'air,
+sous la conduite et la garde de quelque jeune gentleman, avec lequel il
+leur est loisible alors d'achever tout à leur aise la conversation en un
+autre endroit commencée, ou de commencer l'entretien qui sans doute se
+terminera ailleurs.
+
+Je n'en jurerais cependant pas, car à quoi le plus souvent tiennent
+ici-bas les choses, et de quoi dépendent nos résolutions les mieux
+arrêtées? De ceci ou de cela, d'une goutte de pluie, d'un rayon de
+soleil, ou encore d'un regard en passant.
+
+Louis Clodion.
+
+
+
+Les tortues de mer à Paris.
+
+Il y a longtemps qu'on n'avait vu à Paris des chéloniens possédant des
+dimensions aussi prodigieuses. Les derniers avaient fait leur apparition
+alors que florissait l'empire de l'infortuné Maximilien. Depuis lors il
+s'est écoulé moralement plus d'un siècle. Aussi n'est-il pas étonnant
+que les tortues de MM. Potel et Chabot aient obtenu un véritable succès
+d'estime aussi bien dans la rue Vivienne que sur le boulevard des
+Italiens.
+
+Une de ces étrangères, rien qu'en agitant ses pattes, a cassé innocemment
+la glace de la devanture qui la séparait de la rue. Mais ce n'était pas
+pour reconquérir une liberté définitivement perdue, et dont elle ne
+pouvait, dans son état d'engourdissement, de demi-sommeil, comprendre le
+prix.
+
+Ces animaux sont d'une force prodigieuse, et dans leur pays d'origine
+d'une étonnante agilité. Ils nagent comme des poissons dans l'Océan.
+
+C'est surtout lorsque la femelle va pondre ses oeufs que l'on peut
+facilement la surprendre et la capturer, ce qui se fait en la retournant
+sur le dos, quelquefois à l'aide d'un levier.
+
+L'écaille des tortues franches n'a aucune valeur, mais la chair est
+très-délicate, et il est à désirer qu'elle figure sur le carreau des
+Halles où elle serait très-rapidement appréciée.
+
+Malheureusement nous sommes si routiniers en matière de gastronomie,
+qu'elle est à peu près complètement perdue pour nous dès qu'elle a servi
+à faire du bouillon. Les Anglais, plus pratiques, tirent un excellent
+parti de tous les morceaux.
+
+La tortue jouit d'une propriété inestimable pour le transport dans les
+pays lointains. On n'a besoin de la fumer ni de la saler, ni de la
+placer dans des boîtes ou dans un garde-manger entouré de glace
+fondante. Elle arrive vivante des Antilles sans qu'on ait besoin de lui
+donner à boire et à manger. On pourrait donc se livrer à une
+exploitation régulière de cette nouvelle matière alimentaire que nous
+signalons expressément.
+
+De tous les animaux la tortue est peut-être celui qui a le cerveau le
+moins développé.
+
+Lacépède allait jusqu'à prétendre qu'il est de la grosseur d'une
+noisette pour un animal pesant 150 kilos.
+
+Mais il n'y a pas, paraît-il, d'animal qui soit plus porté aux plaisirs
+de l'amour. Alors le mâle devient féroce, et aucun danger ne serait
+capable de le déterminer à quitter sa femelle. Mais cela ne dure guère.
+Au bout de quelques jours il l'abandonne sans remords, la laissant
+regagner péniblement les îlots sablonneux où elle déposera ses oeufs, en
+grand danger d'être surprise par les pêcheurs qui la guettent. Notre
+dessin fait voir les suites inévitables de cette surprise. Un aide de
+cuisine s'apprête à trancher la tête de la tortue tandis qu'un autre
+empêche cette tête de rentrer dans la carapace, à l'aide d'un câble et
+d'un croc. L'armée des marmitons est là sous les armes, prête à
+commencer ses grandes opérations. Jamais mode plus barbare d'exécution
+n'a été inventé. Il faut croire que la tortue a si peu de cervelle
+qu'elle ne s'en aperçoit presque pas. Car si elle se plaint, c'est si
+bas, si bas que jamais personne ne l'a entendue.
+
+W. de Fonvielle.
+
+
+
+LA VEILLE DU 1er JANVIER
+
+(Fin)
+
+--Absolument. Et je vais choisir des exemples. Voici Mademoiselle Mimi,
+par exemple. J'ai déjà dit que je n'entendais pas médire des
+poupées,--le jouet n'empêche pas le livre.--La vraie poupée, celle que
+l'on peut habiller et déshabiller sans crainte de froisser une robe de
+cent francs, qui possède une tête de porcelaine que l'on fait remettre à
+neuf par le premier marchand venu du coin quand son propriétaire a eu le
+malheur de tomber sur le nez, la poupée qui a son trousseau bien simple
+de petits bas, de petits pantalons et de petites chemises, que sa maman
+blanchit elle-même, la poupée que l'on mène en voiture et qui fait la
+dînette, cette poupée-là est toujours amusante et sera amusante tant que
+le monde durera. Mais le soir, quand Mimi viendra sous la lampe demander
+à sa maman de lui montrer des images, sera-t-elle contente, oui ou non,
+si ces images sont choisies dans un livre à elle, à elle toute seule,
+écrit pour elle...
+
+--Il y en a donc de ces livres-là.
+
+--Il y en a quarante à l'heure qu'il est, ni plus ni moins, et la
+collection des albums de P.-J. Stahl se complète d'année en année. C'est
+le tableau vivant de l'enfance à tous les degrés, c'est un
+chef-d'oeuvre, une galerie sans rivale.
+
+--Mais Mimi ne sait pas lire!...
+
+--Si elle ne sait pas lire encore, elle sait voir au moins; tous les
+enfants savent lire dans les livres à images; l'image vue, l'image lue,
+on veut savoir au plus juste de quoi il s'agit, et vous êtes là, chère
+madame, pour lui lire à haute voix les légendes spirituelles ou
+émouvantes que Stahl a donné à traduire en merveilleux dessins au crayon
+de Froelich. C'est toute une morale où le code de la première enfance
+est passé en revue article par article.--«Il faut aimer son papa, sa
+maman et le bon Dieu», voilà pour l'âme. «Il faut manger sa soupe
+courageusement jusqu'à la dernière cuillerée», voilà pour le corps. Et
+pour la vie pratique: «Il ne faut mettre son doigt ni dans son nez, ni
+dans les pots de confiture.--Il ne faut pas jouer avec ce qui coupe; les
+couteaux ne sont pas un jeu.--Il est abominable d'égratigner son frère,
+sa soeur et même sa bonne.--Il est très-mal aussi de marcher dans les
+ruisseaux, ils ne sont pas faits pour cela.--Il ne faut jamais dire
+qu'on n'a pas envie de dormir quand il est huit heures et demie
+sonné...»
+
+Mon ami et sa femme s'étaient mis à rire dès les premiers mots de cette
+énumération.
+
+--Pauvre Mimi! dit la jeune mère, c'est vrai tout de même que pas plus
+tard que ce soir elle s'est démenée comme un beau petit diable en
+prétendant que la pendule avançait et que, vrai, il ne pouvait pas être
+huit heures et demie!...
+
+--_Les Commandements du grand-papa_ lui en apprendront bien d'autres. Et
+la _Journée de la célèbre mademoiselle Lili_, et la _Boîte au lait_, et
+le _Journal de Minette_, et les _Idées de mademoiselle Rose_, illustrées
+par Detaille, et la _Révolte punie_, et _Hector le fanfaron_, et l'_Ours
+de Sibérie_, et _Bonsoir petit père_, et _Toc-Toc_, et _Mademoiselle
+Mouvette_, qui est son portrait vivant, sans compter les albums en
+couleur qu'elle pourra manipuler à son aise sans courir le risque de
+s'empoisonner, au rebours de ces albums anglais, dont les enluminures
+grossières ne sont bonnes qu'à crever les yeux ou à gâter l'esprit.
+C'est une maxime à graver en lettres d'or dans le Code des parents, que
+préserver les enfants des niaiseries imprimées, c'est accomplir une
+oeuvre pie. Voilà tout le secret de la bibliothèque Hetzel; P.-J. Stahl,
+l'auteur applaudi des _Bonnes fortunes parisiennes_, que vous avez lues
+tous les deux, à su tremper sa plume, comme je l'ai vu écrire quelque
+part, dans un encrier rempli de lait sucré; une nourrice qui aurait
+passé par l'Académie française n'aurait pas su trouver plus de
+ressources d'esprit et d'imagination que ce père Gigogne. J'aurais dit
+tout cela dans mon article, je puis bien vous le dire à vous, en
+attendant.
+
+--Eh! c'est là précisément ce que j'étais en train de prêcher à ma
+femme, s'écria mon ami; mais on n'est jamais prophète en son pays. Je
+suis heureux de voir ton succès; on ne t'interrompt plus.
+
+L'interrupteur se contenta de sourire et je poursuivis en ces termes:
+
+J'arrive à Jujules. Savez-vous, chère madame, vous qui parliez tout à
+l'heure de livres à choisir «par-dessus le marché», ce que votre petit
+homme de huit ans m'a appris, il n'y a pas six mois? J'étais en train de
+lui faire, en vous attendant, un petit cours d'histoire naturelle et,
+par étourderie ou par ignorance, je ne sais plus au juste, je m'étais
+avisé de ranger le crapaud parmi les reptiles malfaisants. Double
+erreur, le crapaud n'est pas un reptile et le crapaud n'est pas une bête
+malfaisante. Là-dessus, voilà Jujules qui m'interrompt de sa voix la
+plus douce:
+
+--Pardon! mon parrain, mais j'ai lu quelque part que le crapaud n'était
+pas un reptile...
+
+--C'est bien, possible; qu'est-il alors?
+
+--C'est un batracien, mon parrain, à moins que le livre n'ait menti.
+
+Le livre n'avait pas menti; mais voyez-vous votre bambin qui en
+remontrait à son maître? Je lui demandai le titre de ce bienheureux
+ouvrage. C'était un des classiques du genre: l'_Histoire d'une bouchée
+de pain_ de Jean Macé.
+
+--Un de mes cadeaux de l'année dernière,... murmura mon ami.
+
+--Allons? je suis battue sur toute la ligne, et par un enfant encore!
+s'écria la jeune femme. C'est de bonne guerre. Je me rends à discrétion.
+Que lui donnerons-nous cette année au savant Jujules?
+
+Je me levai et je m'en fus chercher dans le coin où je les avais déposés
+en entrant, l'_Histoire d'une maison_, de Viollet-le-Duc, et la _Famille
+Chester_, de P.-J. Stahl et William Hughes.
+
+--Voici deux nouveautés que vous prendrez la peine de lire avant le 1er
+janvier. Car ces excellents livres ont le double mérite qu'ils
+conviennent aux petits et ne sont pas inutiles aux grands. Je ne veux
+pas être cru sur parole; il faut que vous appreniez par vous-même quel
+soin sévère, quels scrupules ont présidé à la formation de cette
+bibliothèque d'élite. C'est déjà beaucoup de savoir qu'un homme tel que
+M. Viollet-le-Duc a pris le meilleur de son temps pour apprendre au
+grand public comment se bâtit une maison, ce que la profession
+d'architecte exige de clarté dans l'esprit et de rectitude dans le
+jugement. Nous avons tout à gagner à ces enseignements-là. On apprend à
+tout âge et il n'est jamais trop tard pour aller à l'école. C'est encore
+dans un de ces livres que j'ai trouvé la maxime suivante: «Je ne doute
+pas qu'on ne puisse faire un gros livre de ce que tu sais, disait au
+campagnard à son fils qui lui revenait du collège tout enorgueilli de
+son grec et de son latin; mais je suis assuré qu'on en ferait un plus
+gros encore avec tout ce que tu ne sais pas.»
+
+--Comment l'appelez-vous ce livre-là?
+
+--_Entre frères et soeurs_. Ce sont des causeries scientifiques pleines
+de savoir et de bonne humeur; signé Lucien Biart.
+
+
+
+[Illustration: LA PREMIÈRE LEÇON.--D'après le tableau de M. Boutibonne.]
+
+(Publié avec l'autorisation de MM. Goupil et Cie.)
+
+
+[Illustration: UN REGARD EN PASSANT.--D'après le tableau de
+M. Boutibonne.]
+
+(Publié avec l'autorisation de MM. Goupil et Cie.)
+
+--C'est l'auteur de ce joli volume de nouvelles que tu as lues avec tant
+de plaisir, dans la _Revue des deux mondes_, ajouta mon ami, et qui ont
+paru en volume à la même librairie Hetzel, sous le titre des _Clients du
+docteur Bernagius_, et à l'usage des femmes d'esprit.
+
+--C'est cela même. Ajoutez que nous nous retrouverons constamment avec
+des écrivains amis. Après Viollet-le-Duc, P.-J. Stahl et Lucien Biart,
+il faudrait nommer Jules Sandeau et sa _Roche aux Mouettes_,
+Erckmann-Chatrian et _Madame Thérèse_, Hector Malot et son Romain
+_Kalbris_, et d'autres tout aussi connus auxquels j'arriverai tout à
+l'heure. Mais ce n'est pas fini. Le 1er janvier de Jujules serait trop
+maigre si vous vous borniez à deux livres; vous y ajouterez la _Soeur
+perdue_, de Mayne-Reid, qui fait suite aux _Aventures de terre et de
+mer_, qu'il a déjà reçues l'année dernière, et l'_Histoire du Ciel_, de
+Flammarion, qui manque à sa bibliothèque. Je me charge de la _Roche aux
+Mouettes_, de Jules Sandeau et de _Romain Kalbris_, d'Hector Malot.
+
+--Ah ça! s'écria mon ami, du train dont nous y allons, il ne restera
+rien pour Edouard!
+
+--Rassurez-vous, la bibliothèque d'éducation et de récréation en a pour
+tous les âges et pour tous les goûts. Edouard est déjà un petit homme
+sérieux. Entre temps, il sait manier très-convenablement le compas et
+l'équerre. Tandis que Jujules lui prêtera son _Histoire d'une maison_,
+Edouard fui confiera en échange la collection des _Voyages
+extraordinaires_ de Jules Verne...
+
+Mais c'est que je les lis, moi aussi, ces voyages!... s'écria la jeune
+femme en me coupant la parole, y en a-t-il de nouveaux?
+
+--Ah! je vous y prends! Que me disiez-vous donc tout à l'heure, que vous
+vous en reposiez sur le premier libraire venu du choix de ces lectures?
+Jules Verne tout au moins aurait été désigné à l'avance et pour ce seul
+aveu il vous sera beaucoup pardonné. Certes oui, il y en a de nouveaux
+et ce ne sont pas les moins merveilleux. J'ai apporté le _Pays des
+fourrures_, dont je puis parle en connaissance de cause, car je l'ai
+déjà lu dans le _Magasin d'éducation_. Vous avez encore le _Tour du
+monde, en quatre-vingts jours_, un chef-d'oeuvre d'invention, une sorte
+de conte des Mille et une nuits, avec la fantaisie déréglée en moins, et
+en plus l'imagination scientifique. Ce sont de fameux pendants à _Vingt
+mille lieues sous les mers_, au _Voyage dans la Lune_ et au _Centre de
+la terre_, à _Cinq semaines en ballon_, aux _Enfants du capitaine,
+Grant_, au _Capitaine Hatteras_, etc. Cet étonnant romancier poursuit un
+plan qui consiste à faire faire à son public la découverte successive de
+toutes les parties du monde et de tous les phénomènes du globe. Nous
+avons encore un bon bout de chemin en perspective. Savez-vous ce qu'il
+m'a répondu tout dernièrement? Je lui demandais quelles surprises
+nouvelles il nous réservait et s'il nous était permis de compter sur une
+deuxième série aussi riche que la précédente.
+
+--N'est-ce que cela! me dit-il gaiement, apprenez qu'elle est toute
+composée cette série à venir; il ne me faut plus que le temps de
+l'écrire.
+
+--Tout va bien, répliqua mon ami, mais avec tout cela je ne vois pas
+pourquoi tu nous a parlé du compas et de l'équerre d'Édouard?
+
+--M'y voici. Nous lui donnerons les Sciences usuelles et leurs
+applications mises à la portée de tous, par le capitaine de frégate
+Louis du Temple. Ce livre-là serait un peu trop sérieux pour Jujules; il
+fera le bonheur d'Édouard. Figurez-vous, mes amis, la mécanique et la
+géométrie racontées par un homme qui a appris la science à de pauvres
+mécaniciens de la marine, à des gens presque illettrés mais pleins
+d'ardeur, de bon vouloir et de dévouement. Ce sera bien le diable si
+sous la direction d'un tel maître Edouard ne devient pas un mécanicien
+de premier ordre. Je tiens à être là pour jouir de sa joie quand il
+recevra ce magnifique volume, et si vos mains sont trop pleines de
+cadeaux pour y joindre celui-là, c'est moi qui m'en chargerai.
+
+--Mais non! dit la jeune femme en riant, je n'accepte pas l'épigramme;
+me voilà bel et bien convertie, et je vous promets que le n° 18 de la
+rue Jacob comptera désormais une cliente aussi assidue que dévouée.
+N'abusez pas de votre victoire.
+
+--Ainsi, ajouta mon ami, c'est toute une bibliothèque que nous
+introduisons dans la famille. Quelle heureuse chance pour moi d'avoir eu
+pour auxiliaire un ami dont le métier consiste précisément à lire les
+livres nouveaux pour guider autant que possible le choix du grand
+public. Si grâce à toi, le budget des étrennes est un peu plus lourd que
+de coutume, je ne m'en plaindrai pas.
+
+--C'est encore une erreur, répondis-je, et ce sera mon dernier mot. Le
+plus riche, le plus luxueux de ces beaux livres, les _Contes de
+Perrault_, de Doré, qu'il faudra donner à Mimi, dans un an ou deux, ne
+coûte pas à beaucoup près ce que coûte une soirée dans un théâtre de
+genre, qui trop souvent se trouve être un théâtre de mauvais genre; il
+coûte moins qu'un joujou vulgaire de chez Giroux, une boîte de bonbons
+de Roissier, une fleur artificielle à mettre dans vos cheveux, madame,
+ou la fumée de quelques cigares de choix que monsieur achètera au
+Grand-Hôtel. Direz-vous que ce qui serait trop d'argent pour une chose
+qui reste ne serait rien pour une chose qui passe?
+
+--Non! non! s'écrièrent en choeur mes deux amis, le mari et la femme,
+associés et réconciliés dans le même sentiment. Nous voilà d'accord.
+
+--Tout est donc bien qui finit bien, répondis-je en fermant l'entretien;
+cela finit d'autant mieux que mon article est fait. Tant pis pour vous,
+je vous préviens que je vais livrer au public toute notre conversation
+sans y changer un mot.
+
+--Tu ne nous nommeras pas au moins!
+
+--Je le jure! Je me bornerai à vous soumettre mon procès-verbal et à
+signer pour copie conforme:
+
+Prosper Chazel.
+
+
+
+LA SOEUR PERDUE
+
+Une histoire du Gran Chaco
+
+(Suite)
+
+
+CHAPITRE X
+
+ARRÊTÉS PAR UN «RIACHO.»
+
+LES GYMNOTES
+
+Les voyageurs se trouvaient à un mille de distance de leur dernière
+halte quand les hautes berges du Pilcomayo commencèrent à se déprimer,
+puis à s'abaisser jusqu'à se mettre presque de niveau avec le fleuve. La
+colline qu'ils avaient jusqu'alors suivie se continuait sur l'autre
+bord, comme si elle eût été coupée par le courant qui formait en cet
+endroit une série de rapides contre lesquels l'eau se brisait en
+bouillonnant et avec un bruit assourdissant.
+
+Les voyageurs n'y prêtèrent pas attention; ils descendirent la pente et
+continuèrent à remonter le cours d'eau.
+
+Ils ne tardèrent pas à se heurter contre un obstacle inattendu. C'était
+une sorte de ruisseau lent, un _riacho_ (2) qui débouchait
+perpendiculairement dans le Pilcomayo ou en sortait, suivant la saison
+et les caprices de l'inondation. En ce moment il semblait être immobile,
+parce que la rivière principale, subitement enflée par l'ouragan,
+arrêtait le courant plus tranquille de son affluent. Ses eaux étaient
+jaunâtres et comme mêlées de terre et de sable. Le seul moyen d'en
+savoir la profondeur était d'y entrer à cheval, mais l'expérience était
+dangereuse.
+
+ [Note 2: Le _riacho_ de l'Amérique du Sud est un cours d'eau
+ tributaire d'une grande rivière. Il ressemble au bayou de la
+ Louisiane. En temps d'inondation son courant change de direction
+ et revient sur lui-même.]
+
+Il ne fallait pas songer à tourner pour le franchir au-dessus de sa
+source, ni à chercher un gué en le remontant. Le riacho était droit
+comme un canal, et les cavaliers pouvaient le suivre des yeux à travers
+la plaine sur une étendue de plus de dix milles présentant toujours la
+même largeur et probablement la même profondeur que sous la tête de
+leurs chevaux.
+
+Que faire? remonter jusqu'à la source aurait exigé une demi-journée tout
+entière. Cypriano était trop impatient pour y songer et Gaspardo
+lui-même paraissait médiocrement disposé à un retard. Essayer de passer
+à l'endroit où ils se trouvaient semblait être une entreprise
+hasardeuse; il leur faudrait peut-être nager. Cependant cette
+alternative ne les eût pas arrêtés si le bord opposé avait offert une
+pente douce ou quelque point facile qui permit aux chevaux d'aborder.
+Mais il n'en était pas ainsi; au contraire, la berge s'élevait
+perpendiculairement à plus de deux pieds au-dessus de l'eau, et, sous
+l'eau, cette sorte de muraille pouvait être encore plus profonde. Les
+voyageurs étaient dans l'impossibilité d'évaluer la profondeur à cause
+de la coloration de l'eau, conséquence de la tormenta, et il n'existait
+ni courant ni rides pour les aider à se former une opinion même
+approximative.
+
+Ils restaient indécis sur leurs selles. S'il avait été seul, Cypriano,
+dans son impatience, aurait lancé son cheval en plein cours d'eau, mais
+Gaspardo avait mis la main sur la bride en lui disant: «Patience! il est
+bon de réfléchir, même avant de faire une folie.»
+
+Ils demeurèrent ainsi pendant plus de dix minutes, tantôt jetant les
+yeux sur le ruisseau, tantôt se regardant les uns les autres.
+
+«_Gracias a Dios!_ que Dieu soit loué! s'écria tout d'un coup le
+gaucho.»
+
+Il proféra cette exclamation d'un ton si satisfait et avec un tel soupir
+de soulagement que ses jeunes camarades comprirent que le problème était
+résolu et que le moyen de passer était découvert.
+
+«Qu'avez-vous imaginé, mon bon Gaspardo? demanda Cypriano, toujours le
+plus prompt à interroger.
+
+--Regardez là-bas, dit Gaspardo? en montrant de la main l'endroit où
+l'affluent réunissait ses eaux à celles du fleuve. Que voyez-vous
+là-bas, senoritos?
+
+--Rien de particulier, quelques grands oiseaux blancs avec de longs
+becs, qui ressemblent à des grues.
+
+--Certainement, ce sont des grues, et même des grues soldats, des
+_garzones_ (3). Eh bien! qu'en pensez-vous?
+
+ [Note 3: Le _garzon_ est la plus grande des grues de l'Amérique du
+ Sud. Il possède une hauteur de cinq pieds; ses jambes sont longues
+ et grêles; son bec pointu est immense; il a sous la gorge un sac
+ rouge comme un pélican et son plumage est presque d'un blanc de
+ neige.]
+
+--Qu'elles nagent?
+
+--Nager! pas le moins du monde. Le garzon ne nage jamais. Elles passent
+à gué, senoritos; oui! à gué.
+
+--Eh bien! après? fit Ludwig.
+
+--Comment! après? Je suis étonné que vous, naturaliste, un savant qui
+avez appris à raisonner, vous ne liriez pas la conclusion d'un fait
+aussi clair.
+
+--Quelle conclusion? demanda naïvement le jeune savant.
+
+--La plus simple du monde, à savoir que comme le dit la chanson, si les
+canards l'ont bien passé, nous passerons nous aussi le riacho. Les grues
+ont de longues jambes, c'est vrai, mais où un garzon peut passer, un
+cheval n'est pas obligé de nager. Non, muchachos! nous traverserons à
+l'endroit où ces gros oiseaux blancs sont en train de s'amuser. Nous
+pourrions même peut-être le faire ici, mais cela serait moins sûr. Il y
+a évidemment une barre de sable entre le riacho et la rivière et voilà
+pourquoi les grues sont à l'eau. J'ajoute que, si elles y sont, ce n'est
+pas pour le simple plaisir d'y prendre un bain de pieds. Il est probable
+que l'orage a troublé les poissons et les a ramenés du large contre la
+barre. Les grues, les trouvant là à leur portée, y sont venues à leur
+tour. Tout s'enchaîne à merveille, vous le voyez, et nous n'avons
+nous-mêmes rien de mieux à faire que de mettre à profit le résultat de
+l'expérience faite par les grues.»
+
+Le gaucho avait raison. Les _garzones_ étaient activement occupés à
+pêcher; les uns plongeaient leur bec sous l'eau, d'autres, la tête
+renversée, montraient sous leur gorge de vastes poches écarlates
+gonflées par le poisson qu'ils s'efforcaient d'engloutir.
+
+«C'est pitié de les déranger de leur dîner, dit Gaspardo, surtout après
+le service qu'elles nous ont rendu en nous montrant le gué. Por Dios! Il
+nous faut pourtant le faire, il n'y a pas moyen de l'éviter. Allons,
+senoritos, descendons, nous demanderons en passant pardon à mesdames les
+grues de la liberté que nous prenons à leurs dépens.»
+
+En disant ces mois, Gaspardo se dirigea vers le confluent des deux cours
+d'eau, suivi par ses compagnons qui n'avaient fait, comme on le pense,
+aucune objection au discours du brave gaucho.
+
+Au bout de deux cents pas, ils arrivaient au territoire de pêche des
+grues.
+
+Ces grands oiseaux, effrayés par l'approche de créatures si différentes
+de celles qu'ils voyaient ordinairement, se hâtèrent d'avaler le contenu
+de leurs poches écarlates, puis, agitant leurs grandes ailes au-dessus
+de l'eau, s'élevèrent dans les airs en protestant par leurs cris contre
+le dérangement qu'on leur causait!
+
+Pendant un moment, ils tournèrent au-dessus de la tête des cavaliers en
+poussant leurs notes perçantes, comme s'ils avaient espéré disputer aux
+cavaliers le passage du ruisseau. Cependant, quand les chevaux se mirent
+à l'eau, ils comprirent que pour le moment leur pèche était finie, et,
+cessant leurs bruyantes démonstrations, ils partirent l'un après l'autre
+en quête d'une retraite plus tranquille.
+
+Le passage était tel que Gaspardo l'avait supposé; c'était une barre
+entre le fleuve principal et son tributaire. Ni en aval ni en amont les
+chevaux n'auraient pu passer à gué, et même sûr la barre, au point le
+plus profond, leurs sangles baignaient dans l'eau.
+
+La distance à parcourir était de plus de cent mètres, car c'était à
+cette place que le riacho avait sa plus grande largeur.
+
+Ils avaient franchi les deux tiers du passage et se félicitaient déjà
+d'être bientôt arrivés sur l'autre rive, quand tout d'un coup les
+chevaux firent halte en frémissant de la tête aux pieds.
+
+Au même instant, chacun des trois cavaliers ressentit une commotion
+étrange et tellement simultanée, que leurs exclamations s'échappèrent de
+leurs trois bouches à la fois comme d'un seul gosier..
+
+Gaspardo seul reconnut la cause de ces chocs imprévus.
+
+«Caramba! s'écria-t-il, c'est une raie électrique. Non pas une, mais
+peut-être un millier! Il y en a tout autour de nous, je le vois bien au
+frémissement des chevaux. Donnez de l'éperon, senoritos! donnez de
+l'éperon, ou nos bêtes paralysées n'atteindront jamais le bord!»
+
+Ainsi apostrophés, les jeunes gens piquèrent de toute la force de leurs
+talons, et leurs montures s'avancèrent encore, mais avec inquiétude et
+une visible irrésolution. Parfois elles essayaient de reculer en dépit
+des coups d'éperon.
+
+Les cavaliers n'échappaient pas à cette influence. Le fluide subtil
+courant le long des membres des chevaux, pénétrait dans le système
+nerveux des hommes et leur causait de violentes secousses. Tous les
+trois se sentirent d'autant plus troublés, que la force ne pouvait rien
+contre l'obstacle bizarre qui s'opposait à leur marche en avant.
+Gaspardo seul conservait encore assez de présence d'esprit pour parler
+et agir.
+
+«Éperonnez, criait-il, éperonnez! si nous ne gagnons pas le bord
+rapidement, les gymnotes auront raison de nous et de nos bêtes. Nos
+chevaux s'enfonceront dans l'eau comme des pierres et nous-mêmes, si
+nous n'échappons pas à l'influence de ces infernales bêtes, nous ne
+pourrons passer ni à gué ni en nageant. En avant donc, senoritos! Jouez
+de la cravache et des éperons comme s'il s'agissait du salut de nos
+Ames!»
+
+Ludwig et Cypriano n'avaient pas besoin d'être excités. Ils sentaient
+parfaitement l'imminence du péril et ne comprenaient que trop que chaque
+minute le décuplait. Tous deux poussaient leurs montures autant que le
+leur permettait leur énergie défaillante.
+
+Gaspardo le premier finit par atteindre le bord; il fut suivi de près
+par Cypriano. Mais quand tous deux, se retournant, jetèrent les yeux sur
+Ludwig, ils s'aperçurent que celui-ci était resté en arrière d'eux, à
+quelques mètres de la rive; son cheval tremblait comme une feuille et
+refusait d'avancer. Le cavalier commençait à perdre la tête en voyant
+l'inutilité de ses efforts. Tout d'un coup sa monture cessa de bouger.
+Le gaucho et Cypriano la virent peu à peu enfoncer. Evidemment Ludwig
+était hors d'état de la retenir,
+
+Cypriano fit mine de descendre de cheval et de se jeter à l'eau pour
+aller au secours de son cousin.
+
+«Gardez-vous-en bien, s'écria le gaucho. Vous n'arriverez qu'à périr
+avec lui. Il y a mieux à faire pour le salut de Ludwig.»
+
+En même temps il détachait son lazzo de sa selle et le faisait tournoyer
+autour de sa selle. Le noeud coulant tomba juste sur les épaules de
+Ludwig. Le jeune homme enlevé de sa bête abordait, cinq minutes après,
+sain et sauf sur le rivage.
+
+Sans perdre un instant, le gaucho relâcha le lazzo, le détacha
+promptement des épaules de Ludwig, le fit siffler encore, et le lança
+sur le cheval, dont l'arrière-train était déjà sous l'eau.
+
+Cette fois, la boucle largement ouverte tomba sur le cou de l'animal en
+entourant dans sa première moitié la haute selle espagnole qu'il
+portait; Gaspardo, assurant solidement le lazzo autour de son poignet et
+de son avant-bras, fit faire demi-tour à sa propre monture du côté
+opposé à la rive, et l'encourageant de la voix, il la lança d'un élan
+vigoureux en avant.
+
+
+CHAPITRE XI
+
+LE POISSON QUI FAIT DU FEU
+
+Il y eut une lutte violente au milieu du riacho; elle dura peu. Le
+cheval de Ludwig reprenait courage en se sentant secouru; il fit un
+effort de vigueur pour aider à celui qui était tenté en sa faveur; ses
+jambes de derrière, dégagées, reprirent bientôt leur fonction, et il
+finit par prendre terre à son tour.
+
+Le bord de ce cours d'eau bourbeuse présentait un étrange tableau; les
+trois chevaux frissonnant semblaient près de défaillir, et leurs
+cavaliers n'étaient guère dans un meilleur état.
+
+Le plus âgé des trois conservait encore un peu de force, mais il était
+loin de se sentir aussi solide et aussi alerte que d'habitude. Jamais il
+n'avait subi une si violente attaque des gymnotes, et il ne pouvait
+s'expliquer leur puissance extraordinaire qu'en l'attribuant à
+l'électricité de la tempête, qui sans doute avait surexcité en elles
+l'énergie du fluide.
+
+C'était là en effet l'explication la plus plausible du fait; la raie
+électrique, parfois complètement inoffensive, est d'autres fois l'animal
+le plus dangereux qu'il soit possible de rencontrer au sein des eaux.
+
+Les chevaux furent quelque temps avant de se remettre de l'influence et
+des souffrances causées par les décharges galvaniques des gymnotes. Les
+cavaliers et Gaspardo lui-même avouaient qu'ils se sentaient très-mal à
+leur ai$e. Cependant le gaucho finit par retrouver sa vaillante humeur.
+Le succès de sa double pêche au lazzo, la première qu'il eût faite en ce
+genre, l'avait ragaillardi, et il communiqua un peu de son entrain à ses
+deux compagnons. Ils reprirent sans délai leur voyage, et, tout en
+continuant à suivre les bords du Pilcomayo, Gaspardo donnait à ses
+jeunes compagnons toutes les observations à sa connaissance relativement
+aux singuliers animaux auxquels ils avaient eu tant de peine à se
+soustraire.
+
+«Les gauchos, dit-il, les appellent des raies: cependant j'ai entendu le
+senor Ludovico (il désignait ainsi le père de Ludwig) leur donner le nom
+de gymnotes (4). Je suppose que c'est celui qui est connu des
+naturalistes.
+
+ [Note 4: La gymnote possède une merveilleuse puissance électrique.
+ Les chevaux e! les bestiaux qui passent à gué les marécages ou
+ ruisseaux peuplés par ces singulières créatures succombent souvent
+ sous leurs chocs galvaniques. L'incident que nous rapportons est
+ en parfaite concordance avec les phénomènes observés.]
+
+--C'est vrai, répondit le jeune Ludwig en s'intéressant aux paroles de
+Gaspardo. C'est là en effet leur nom scientifique.
+
+--Avez-vous jamais vu de près un de ces vilains diables? demanda
+Gaspardo.
+
+--Non, répliqua Ludwig, mais j'ai souvent entendu mon père en parler.»
+
+A ces mots de «: père», un nuage passa sur les traits du jeune homme; il
+était évident qu'il ne pensait déjà plus aux gymnotes.
+
+«Moi, dit Gaspardo, j'en ai vu beaucoup. Près de l'endroit où j'allais à
+l'école, il y avait une espèce de mare qui était pleine de raies
+électriques, et nous autres enfants nous nous en amusions beaucoup,
+quoique nous en eussions très-peur. Vous allez voir que ce n'était pas
+sans raison. Je me souviens qu'un jour j'assistai à un triste spectacle.
+Un vieux boeuf, qui n'avait plus qu'un oeil, s'était laissé choir dans
+cette mare. Les enfants ne doutent de rien; j'avais eu la chance
+d'accrocher, avant que la pauvre bête ne fût à vau-l'eau, une corde à
+l'extrémité de ses cornes; nous nous mimes une douzaine au moins à tirer
+sur cette corde, persuadés que nos efforts suffiraient à ramener le
+pauvre animal du gouffre où il était tombé. Naturellement nous n'y
+parvînmes pas. Le malheureux boeuf n'en eut pas pour longtemps. Je le
+vois encore, après s'être débattu un instant, s'abîmer tout d'un coup
+sous l'eau, comme s'il eût été frappé d'un coup de foudre invisible.
+Jamais je n'oublierai le regard de détresse qu'il nous jeta avant de
+disparaître; ils ont de si bons regards, les boeufs; mais ce que
+j'oublierai encore moins, c'est le châtiment inattendu que nous reçûmes
+du propriétaire du boeuf, dont nous espérions des remerciements,
+châtiment dû, nous dit-il, à la maladresse de nos efforts.
+
+«C'était le maître d'école lui-même, un homme pratique, qui ne se payait
+ni de bonnes paroles ni même de bonnes intentions. «Vous vous êtes tous
+conduits comme des imbéciles, s'écria-t-il, en essayant de faire une
+chose tellement au-dessus de vos forces. Il fallait crier au secours,
+venir me chercher. Je n'étais pas loin et mon boeuf serait encore en
+vie. Savoir ce qu'on peut et ce qu'on ne peut pas, connaître la mesure
+de ses forces est indispensable à tout âge, et pour que vous vous
+souveniez de cette utile maxime, je vais vous appliquer à chacun quelque
+chose qui vous la fixera dans la mémoire.»
+
+«Nous reçûmes tous une demi-douzaine de férules. Jamais correction ne
+fut administrée avec une plus grande impartialité. Chacun en eut son
+compte.
+
+--C'était un méchant homme ce maître d'école, s'écria Cypriano...
+
+--Un peu rude, j'en conviens, répondit Gaspardo, mais c'était surtout un
+homme sensé et judicieux. Ces férules m'ont sauvé de bien des sottises
+dans ma vie, et, s'il faut tout dire, elle vous a été utile à vous-même.
+Je me la suis rappelée à propos dans notre caverne, tout à l'heure,
+quand il s'agissait d'abattre à coups de fusil notre second tigre.
+L'affaire était chanceuse. C'est grâce à la mémorable leçon de notre
+vieux maître que j'ai donné la préférence à notre fusée sur une décharge
+d'artillerie dont reflet n'était pas certain. Pour en revenir à nos
+raies électriques, je ne me doutais pas, à l'époque où s'est passée
+l'histoire que je viens de vous raconter, que j'aurais à me tirer
+d'affaire avec elles aujourd'hui et dans une circonstance aussi sérieuse
+que celle d'où nous sortons. Soyez sûr, mon cher Ludwig, que le souvenir
+du boeuf et de la leçon énergique subie à cause de lui m'a inspiré
+heureusement tout à l'heure, quand je me suis servi de mon cheval comme
+d'un remorqueur pour le vôtre.
+
+--Pauvre Gaspardo, dit Cypriano, c'est pourtant vrai que nous voici tenu
+de bénir le vieux maître d'école auquel il a dû un enseignement si
+difficile à oublier.»
+
+La conversation continua sur les raies électriques.
+
+«Vous dites que vous avez vu des raies électriques, cousin, demanda
+Ludwig. A quoi ressemblent-elles?
+
+--Le gaucho peut vous le dire mieux que moi.
+
+--A quoi ressemblent-elles, Gaspardo?
+
+--Ma foi, _muchachos_, si l'on me demandait de faire une description de
+ces vilaines bêtes, je répondrais qu'elles ne ressemblent à rien.
+L'animal le plus laid de la création pourrait être vexé de leur être
+comparé. S'il y a de l'eau en enfer, c'est d'animaux comme ceux-là
+qu'elle doit être peuplée.
+
+--Tout cela ne nous apprend pas à quoi ressemble une raie électrique,
+interrompit Ludwig, auquel l'amour de l'histoire naturelle faisait
+désirer une description plus précise.
+
+--Non certainement, répliqua le gaucho, mais ce n'est pas une chose
+aisée que de décrire un poisson qui n'est peut-être pas un poisson,
+quoiqu'il passe son temps sous l'eau.
+
+--Quant à être un poisson, c'est un poisson, fit le jeune naturaliste,
+tout aussi bien que les autres raies, mais quelle est sa forme, sa
+couleur? sa dimension?
+
+Mayne Reid.
+
+(_La suite prochainement._)
+
+
+
+[Illustration: LES TORTUES DE MER A PARIS.--Décapitation d'une grosse
+tortue.]
+
+LA SOEUR PERDUE PAR MAYNE REID
+
+[Illustration: Le vieux mâle gisait inanimé.]
+
+[Illustration: De petits hiboux occupaient le sol en commun avec les
+quadrupèdes.]
+
+[Illustration: Chacun d'eux penché sur le sol.]
+
+[Illustration: La construction en était toute primitive.]
+
+
+
+REVUE LITTÉRAIRE
+
+LES LIVRES D'ÉTRENNES
+
+II
+
+Parmi tous ces livres gaufrés et dorés que le jour de l'an fait naître,
+il en est un que je trouve particulièrement recommandable, c'est le
+_Magasin d'éducation et de récréation_, fondé, il y a quelques années,
+par M. J. Hetzel, avec la collaboration spéciale de Jean Macé et de
+Jules Verne. Le _Magasin d'éducation_ en est arrivé maintenant à sa
+neuvième année, à son dix-huitième volume, et la plupart des ouvrages
+qu'il a publiés, _Les Anglais au pôle nord, Les Enfants du capitaine
+Hatteras, Le Pays des fourrures_, de Jules Verne, _La Roche aux
+Mouettes_, de Jules Sandeau, _Les Contes du château_, de Jean Macé, et
+les délicieuses historiettes de P.-J. Stahl, ses contes et récits de
+morale familière, sont rapidement devenus populaires. Je ne sais rien de
+plus intéressant et de plus curieux que de feuilleter, sous la lampe,
+ces volumes où la gravure vient en aide à l'imagination, où le dessin
+explique et anime le texte, où les yeux sont charmés avant l'esprit. Les
+enfants seraient trop heureux si ces beaux livres, ces récits qui les
+captivent, qui les amusent, ces images qui les séduisent, si tout cela
+était fait pour eux seuls. Mais les parents,--ces grands enfants,--y
+trouvent aussi leur compte. Il y a, dans le _Magasin d'éducation_, comme
+dans toute la bibliothèque d'Hetzel, des catégories de lectures pour
+tous les âges.
+
+D'abord, le premier âge, qui se plaira, par exemple, à cette capricieuse
+histoire de _La Famille Chester_, que P.-J. Stahl a écrite en
+collaboration avec W. Hugues, ou encore à _La Comédie enfantine_ et aux
+jolis dessins de Froment, adorables comme des fresques antiques ou comme
+les meilleurs tableaux d'Hamon. En ce genre, _La Boîte au lait_, tableau
+de la «première commission» de Fanchette, est tout à fait une chose
+exquise. Les hésitations de Fanchette portant la boîte au lait à tante
+Rose, ses stations, ses tentations, sa gourmandise bientôt punie, tout
+cela est rendu avec une délicatesse infinie, et c'est là une véritable
+oeuvre d'art.
+
+Le deuxième âge et la jeunesse ont les récits didactiques de Jean Macé
+et de Viollet-le-Duc, l'_Histoire d'une maison_, entre autres, où
+l'éminent architecte explique avec beaucoup de clarté et d'esprit
+comment on s'y prend pour conduire un logis de la base au faite. Il faut
+placer aussi dans cette catégorie les romans de Lucien Biart ou du
+capitaine Mayne-Reid, les aventures de terre et de mer dont les lecteurs
+de l'_Illustration_ ont pu mieux que personne mesurer le mérite,
+puisqu'ils connaissent _La Soeur perdue_, ce vigoureux tableau de moeurs
+exotiques.
+
+Les parents enfin, ceux qui lisent ces livres par-dessus les épaules et
+la tête de leurs enfants, ont pour eux _Le Tour du monde en 80 jours_ et
+_Le Pays des fourrures_, et la _Géographie de la France_ et les
+_Sciences usuelles_, mises à la portée de tous par M. Louis du Temple,
+un capitaine de frégate qui écrit avec une lucidité étonnante. Elle est
+riche, on le sait, cette collection Hetzel, et les dix-huit volumes du
+_Magasin d'éducation_ forment, à eux seuls, une bibliothèque véritable,
+la plus instructive et la plus attachante. Quelle richesse d'inventions,
+quelle dépense d'imagination et de talent! Comme ce Magasin est
+supérieur à notre pauvre _Journal des Enfants_ qui faisait jadis notre
+joie! On y sent à chaque page la main d'un artiste et d'un lettré. Cet
+homme-double, c'est Hetzel, le plus fin moraliste, l'écrivain délicat,
+l'homme qui sait le mieux ce qui plaît le plus à ces critiques sévères;
+les enfants. Hetzel a vraiment créé tout un genre de livres, et n'eût-il
+pas droit à la renommée littéraire la plus brillante (il en a fait don à
+P.-J. Stahl), qu'il mériterait encore d'être béni des lettres pour avoir
+fondé en France un genre moral et familier, mais artistique, que la
+France ne connaissait pas.
+
+Cette fois, outre les deux volumes annuels de ce _Magasin d'éducation_
+dont la collection entière, les deux séries, formeraient la plus
+magnifique étrenne et la plus intelligente qu'on pût donner, Hetzel
+publie plusieurs excellents ouvrages que j'ai grand plaisir à signaler
+et d'une façon toute spéciale.
+
+C'est, ai-je dit, _La Famille Chester_, de P.-J. Stahl. Cette histoire
+de «deux petits orphelins», qui ne sont autres que deux malheureux
+_rats_ de Londres, eût fait sourire J.-J. Grandville. Les dessins sont
+de Froelich et ils sont ravissants. C'est l'_Histoire d'une maison_, de
+Viollet-le-Duc, avec des illustrations et des figures qui mettent ce
+grand art de l'architecture à la portée de tous. C'est le joli volume de
+Lucien Biart, _Entre frères et soeurs_, où toutes les menues
+connaissances scientifiques indispensables à la conversation sont
+enfermées avec beaucoup de talent. C'est, encore une fois, _La Soeur
+perdue_, de Mayne-Reid, c'est enfin l'oeuvre de Jules Verne, qui se
+trouve augmentée de deux volumes, _Le Tour du monde en 80 jours_ et _Le
+Pays des fourrures_. Lorsqu'on parle de Jules Verne, il suffit de donner
+le titre de son nouveau livre; il a son public, sa spécialité, son
+originalité, et personne auprès du public n'a plus de vogue que lui. Le
+fait est que ses récits, où la fantaisie se mêle si agréablement à la
+science, sont des plus attachants. Je sais des lecteurs qui en sont
+fanatiques. _Le Tour du monde en 80 jours_ et _Le Pays des fourrures_
+auront certainement, ou, pour mieux dire, ont maintenant le succès des
+précédents ouvrages de l'auteur, _Cinq semaines en ballon_, ou encore
+_De la Terre à la Lune_. M. Verne a évidemment mis à profit, pour écrire
+et décrire son _Pays des fourrures_, les récits intéressants de M.
+Hayes, mais il a peint d'une touche toute personnelle ces paysages du
+pôle, cette mer de glace, ces _icebergs_, et de telle façon qu'on ne
+saurait les oublier. Ce dernier livre est l'un de ses bons livres, Il
+vaut tout ce que l'auteur a fait de mieux et l'Académie pourra fort bien
+le couronner, comme elle a couronné les précédents ouvrages et le
+_Magasin d'éducation_ tout entier.
+
+J'ai dit quel petit chef-d'oeuvre c'était que _La Boite au lait_, de M.
+Froment; il faut ajouter qu'Hetzel publie, dans le même genre,
+d'adorables albums, comme _Les Commandements du grand papa_, illustrés
+par Lorentz Froelich, et _Les Aventures de Mademoiselle Minette_, qui se
+recommandent tout particulièrement au public par le nom de l'artiste qui
+en a signé les dessins. C'est Coinchon, un brave garçon, garde national
+de marche au 19 janvier, et tué, comme Henri Régnault, devant le mur de
+Buzenval. Coinchon a fait pour Mademoiselle Minette des études de chats
+et de chattes absolument réussies. Il y avait un vrai talent chez le
+malheureux jeune homme. On ne saurait trop louer ces livres-albums, dont
+le texte est de P.-J. Stahl, et il faut avoir, pour écrire les légendes
+de ces dessins, un talent d'écrivain d'une trempe parfaite. Cela n'a
+l'air de rien, ces quelques lignes mises au bas d'un croquis de Froelich
+ou de Froment, et, pour les tracer, il faut posséder à la fois les
+qualités les plus rares, la finesse, la simplicité, l'émotion, une
+certaine tendresse, la science de l'enfance, toutes choses qui ne se
+peuvent trouver, on l'avouera, que chez des natures d'élite.
+
+Hetzel a donc donné, cette année comme les années précédentes, des
+oeuvres de choix, et il en prépare déjà de nouvelles, l'_Histoire d'un
+âne_, par Stahl, l'_Île mystérieuse_, par J. Verne, _Une Mère_, par M.
+Legouvé, et la _Petite soeur_, par M. de Laprade. Et c'est plaisir de
+voir tous les bons esprits et les coeurs haut placés aider dans son
+entreprise l'homme qui a su faire ainsi une révolution dans la librairie
+et créer une bibliothèque pour les jeunes esprits, qui seront plus
+heureux que notre génération sacrifiée et pénétreront peut-être par la
+porte au seuil de laquelle nous aurons usé nos efforts, dans cette
+société équilibrée où le bonheur, dit-on (pourquoi ne l'espérerait-on
+pas?) sera mieux réparti entre tous, l'injure de la patrie étant depuis
+longtemps vengée.
+
+Ce ne sont pas là d'ailleurs les seuls livres d'étrennes qu'il nous faut
+encore signaler. M. Gaston Tissandier a, depuis un an, fondé une sorte
+de revue illustrée des sciences qu'il appelle La Nature. La première
+année est finie et forme déjà un beau volume d'une utilité et d'un
+intérêt absolus. MM. Dehérain, Flammarion, C.-M. Gariel,--un esprit
+supérieur, un de nos anciens compagnons de classe,--Amédée Guillemin, E.
+Margollé, etc., composent la rédaction de ce recueil que je n'ai point
+qualité pour analyser ou critiquer, mais dont je signale avec plaisir
+l'apparition et dont je constate le succès.
+
+M. le marquis de Cherville a publié aussi (chez Didot) un bien joli
+volume. On connaît son _Histoire d'un trop bon chien_. Cette fois, M. de
+Cherville nous conte l'_Histoire naturelle en action_. Il est chasseur,
+il est campagnard, il adore les animaux, tout en les abattant d'un coup
+de Lefaucheux; mais, à dire vrai, le gibier et lui n'en sont pas moins
+bons amis. La preuve en est dans la façon dont il en parle. On n'a pas
+plus d'esprit et pas plus d'émotion juste et non affectée que n'en a M.
+de Cherville en ces pages qui instruisent et qui amusent, et qui
+méritent d'être relues. L'_Histoire naturelle en action_ est un des plus
+instructifs recueils de nouvelles qu'on ait publiés depuis longtemps.
+
+Et les _Contes du bibliophile Jacob à ses petits enfants_? M. Paul
+Lacroix a fait tenir dans ces pages et dans ces quelques récits toute
+l'histoire de France de 1350 à 1695. Chaque épisode choisi par le savant
+auteur de tant de travaux estimés forme, si je puis dire, le tableau
+d'un règne ou d'une époque et, de la sorte, le lecteur s'instruit en
+s'amusant. Il s'instruit sans le savoir, car, c'est un fait, le public
+n'aime pas qu'on lui dise: venez ici, je vais vous apprendre quelque
+chose. Il hait d'instinct les magisters. Mais on n'est pas moins
+pédagogue ni pédant que M. Paul Lacroix, et ses _Contes du bibliophile
+Jacob_, avec leurs dessins très-étudiés et très-vrais de M.
+Philippoteaux méritent, eux aussi, une place d'honneur.
+
+Est-ce tout? Certes non. Je dois signaler encore _Les Merveilles de la
+science_, de M. Louis Figuier. C'est un livre plein de faits, groupés
+avec art et rendus visibles,--j'allais dire palpables,--par des dessins.
+M. Figuier nous apprend là tout ce qu'il faut savoir sur le verre, le
+cristal, les poteries, les porcelaines, la soude, le savon, les
+potasses. Et tout cela est intéressant comme un roman. A propos de M.
+Louis Figuier, je suis bien en retard avec lui, ou du moins avec ses
+_Vies des savants illustres_ qu'il publie en volumes in-18 (ce sera
+l'édition définitive); je devais depuis de longs mois l'annoncer.
+
+Je ne reviendrai point sur _La Comédie de notre temps_, texte et dessins
+par Bertall. Je tiens seulement à ajouter, en manière de post-scriptum,
+après la notice de l'autre jour, que le livre fait son chemin et que
+l'auteur y a trouvé son plus grand succès. L'éditeur, M. Eugène Plon,
+nous a adressé depuis un joli volume signé Mustapha, et qui s'appelle
+_Voyage autour de ma tente_. Ce sont de petits croquis militaires d'une
+valeur rare. Ce pseudonyme de Mustapha cache, je crois, M le capitaine
+Lung, l'auteur d'un très-beau travail sur le _Masque de fer_. Ce sont là
+des souvenirs du temps où le soldat avait le droit de rire.
+«Recueillons-les, semble dire _Mustapha_, et amusons-nous-en encore
+jusqu'au jour où il nous sera permis de rire des autres.»
+
+M. Plon est encore l'éditeur d'une magnifique publication, aujourd'hui
+terminée, le _Musée des Archives nationales_, où l'on retrouve
+catalogués, analysés, reproduits très-souvent _en fac-similé_, les
+incomparables trésors historiques conservés à la rue du Chaume. Tout le
+inonde n'a pas le loisir d'aller visiter le musée des Archives et
+surtout d'en étudier les richesses. Eh bien, là, on retrouve le Musée
+lui-même, on le possède dans ces pages savantes qui composent, à dire
+vrai, un monument littéraire et historique tout à fait unique. Passer
+des sceaux à l'aspect étrange et des signatures bizarres des premiers
+rois à l'écriture des Henri IV et des Louis XIV, pour s'arrêter à
+Bonaparte, après avoir regardé les morceaux de papier déchiré trouvés
+sur le cadavre de Pétion, quel réve! quelle fantastique réalité! Or,
+c'est cela, ce sont ces surprises et cette science que ce beau volume,
+le _Musée des Archives nationales_, tient en réserve. Il ne nous suffira
+pas de l'avoir loué ainsi, rapidement, nous y reviendrons à coup sûr.
+
+Il en est, il en sera de même des _Fables_ de La Fontaine, que vient
+d'éditer M. Jouaust. La Fontaine illustré par Millet, Stevens, J.-L.
+Brown, Detaille, Emile Lévy, etc., et illustré de façon à ce que le
+dessin original de l'artiste soit reproduit, si je puis dire, dans sa
+réalité même, voilà l'étonnement que nous réservait ce maître
+ès-bibliophilie. Il a réussi et nous prédisons, dés à présent, un vif
+succès à ces _Fables de La Fontaine_, que nous rangeons dans la
+catégorie des livres d'étrennes, quoique le livre n'ait pas besoin, pour
+être apprécié, d'être un livre d'actualité.
+
+Jules Claretie.
+
+
+
+BIBLIOGRAPHIE
+
+_La pluie et le beau temps_, météorologie usuelle, par Paul
+Laurencin.--A lire le titre de ce charmant petit volume, on pourrait
+croire à une oeuvre fantaisiste, mais le sous-titre est là pour
+rectifier cette impression première et déterminer le domaine dans lequel
+l'auteur introduit le lecteur à son grand profit.
+
+C'est donc de météorologie qu'il s'agit, c'est-à-dire de ces phénomènes
+curieux dont l'atmosphère est le théâtre et qui influent sur ce que,
+dans le langage familier, on appelle le _Temps_. L'ouvrage, publié par
+J. Rothschild, éditeur, et orné de 110 gravures et cartes, est divisé en
+vingt chapitres, où M. Laurencin, en un style clair, précis et d'une
+élégante simplicité, traite successivement de la composition de l'air,
+de la chaleur et des courants atmosphériques, de l'eau dans
+l'atmosphère, de la pluie, de ses bienfaits et de ses méfaits, des
+orages, du cyclone, de l'arc-en-ciel, des climats, des saisons, etc.,
+etc., et montre finalement que tous les phénomènes de la pluie et du
+beau temps dérivent d'une cause unique: la chaleur solaire, et que,
+jusqu'à un certain point, on peut prévoir les variations atmosphériques.
+Cette possibilité de se rendre compte des chances probables de pluie et
+de beau temps, pour une époque déterminée, intéresse aussi bien l'homme
+de plaisir que l'homme de travail. Aussi sommes-nous convaincus que _La
+pluie et le beau temps_, ce résumé aussi succinct que substantiel de
+toutes nos acquisitions touchant la science météorologique, recevra de
+tout le monde l'accueil qu'il mérite à tous les titres, c'est-à-dire le
+plus favorable et le plus empressé.
+
+P.
+
+
+Au nombre des étrennes les plus belles et les plus utiles, les plus
+intéressantes et les plus instructives, nous devons placer en première
+ligne un magnifique volume: _le Jardin d'acclimatation illustré_.
+
+L'auteur, M. Pierre Pichot, le sympathique directeur et rédacteur en
+chef de la _Revue britannique_, a eu le talent de vulgariser la
+zoologie, et son remarquable ouvrage, apprécié des savants, est écrit
+dans un style clair et facile, qui le met à la portée de tout le monde.
+
+Ce splendide livre renferme 25 gravures coloriées et d'innombrables
+vignettes; ce n'est pas seulement un excellent guide du Jardin
+d'acclimatation; l'auteur a poursuivi un but plus élevé et a réussi à
+faire un traité complet de zoologie.
+
+Le _Jardin d'acclimatation illustré_ se trouve chez Hachette et au bois
+de Boulogne, à la librairie du Jardin d'acclimatation. Son prix est plus
+modique qu'on ne pouvait s'y attendre pour une publication aussi
+importante. (Broché, 15 fr.; richement relié, 20 fr.)
+
+Il y a deux mois, nous avons vu plusieurs fabricants de machines à
+coudre faire grand bruit avec les récompenses qu'ils avaient obtenues à
+l'Exposition de Vienne. Sans vouloir diminuer en rien la valeur attachée
+aux médailles de progrès et à celles de mérite, que ces maisons ont
+affichées, il nous sera permis de leur opposer une maison qui a été
+l'objet de distinctions tout exceptionnelles, dont elle s'est peu
+vantée. C'est la Compagnie Wheeler et Wilson, de New-York (qui a son
+siège à Paris, chez M. H. Séeling, 70, boulevard Sébastopol).
+
+Cette importante Compagnie, en outre des médailles de progrès et de
+mérite qui lui ont été décernées, a seule été recommandée par le jury
+international pour le _grand diplôme d'honneur_. Et dernièrement M.
+Nathaniel Wheeler, président de cette Compagnie, a été décoré de
+l'_ordre de François-Joseph_, comme récompense de services éminents
+rendus à l'industrie de la machine à coudre,--la seule décoration
+accordée à Vienne à un fabricant de machines à coudre.
+
+Cette double distinction place évidemment la Compagnie Wheeler et Wilson
+au-dessus de toutes les compagnies rivales, et comme à Paris en 1867, où
+l'unique médaille d'or pour ce genre de fabrication lui a été décernée,
+elle a remporté la victoire sur tous ses concurrents.
+
+
+
+LA NATURE
+
+REVUE DES SCIENCES EN 1873
+
+La nouvelle publication que M. G. Tissandier a fondée cette année, avec
+le concours de nombreux écrivains scientifiques, a obtenu de la part du
+public l'accueil dont elle était digne. Nous sommes persuadé que le
+premier volume qui vient de paraître, et qui comprend le tableau du
+progrès en 1873, comptera parmi les livres les plus appréciés de
+l'époque du jour de l'an. Les principaux collaborateurs de _La Nature_:
+MM. le Dr. Bertillou, H. Blerzy, Ch. Boissay, Bontemps, P.-P. Dehérain,
+C. Flammarion, W. de Fonvielle, C.-M. Gariel, F. Garrigou, J. et M.
+Girard, A. Guillemin, Dr. Joly, S. Meunier, E. Margollé, E. Menault,
+Vignes, Zurcher, etc., sont trop connus du public pour que nous ayons à
+faire l'éloge de leurs travaux. Nous préférons emprunter à _La Nature_
+la description fort intéressante de la nouvelle bouée de sauvetage à
+lumière inextinguible, dont un de nos compatriotes, M. Silas, est
+l'inventeur.
+
+[Illustration: Nouvelle bouée de sauvetage lumineuse (système Silas).
+Gravure extraite du journal la Nature.]
+
+Cette bouée est formée, comme l'indique la gravure contre, d'une sphère
+métallique contenant du phosphure de calcium. Un homme tombant à la mer
+pendant la nuit, on jette à la surface de l'eau la bouée Silas. L'eau
+pénètre dans la sphère creuse, décompose le phosphure de calcium donnant
+naissance à un dégagement abondant d'hydrogène phosphoré. Ce gaz
+s'échappe par un tube supérieur, mais il a la propriété remarquable de
+brûler spontanément au contact de l'air, sans que l'eau puisse
+l'éteindre. Une flamme vive, brillante éclaire le naufragé et le guide
+tandis qu'il serait irrévocablement perdu si nulle lumière n'apparaissait
+au milieu des ténèbres!
+
+La Nature abonde en faits de ce genre, elle nous donne l'exposé complet
+des événements scientifiques récents, des découvertes importantes, ses
+belles et nombreuses illustrations en font une publication éminemment
+attrayante, et digne à tous égards des plus grands éloges.
+
+
+
+[Illustration: nouveau rébus.]
+
+EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS:
+
+Le commerce est le lien des nations.
+
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of L'Illustration, No. 1609, 27 décembre
+1873, by Various
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 1609, 27 ***
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+
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+used on or associated in any way with an electronic work by people who
+agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few
+things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works
+even without complying with the full terms of this agreement. See
+paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project
+Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
+works. See paragraph 1.E below.
+
+1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"
+or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
+Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the
+collection are in the public domain in the United States. If an
+individual work is in the public domain in the United States and you are
+located in the United States, we do not claim a right to prevent you from
+copying, distributing, performing, displaying or creating derivative
+works based on the work as long as all references to Project Gutenberg
+are removed. Of course, we hope that you will support the Project
+Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by
+freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of
+this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with
+the work. You can easily comply with the terms of this agreement by
+keeping this work in the same format with its attached full Project
+Gutenberg-tm License when you share it without charge with others.
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+permission of the copyright holder found at the beginning of this work.
+
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+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
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+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
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+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation information page at www.gutenberg.org
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+Foundation
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+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
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+Project Gutenberg's L'Illustration, No. 1609, 27 décembre 1873, by Various
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+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
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+with this eBook or online at www.gutenberg.org
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+Title: L'Illustration, No. 1609, 27 décembre 1873
+
+Author: Various
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+Release Date: November 24, 2013 [EBook #44277]
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+Language: French
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+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 1609, 27 ***
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+
+
+<br><br>
+
+<div class="cont">
+
+
+
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/001.png"></p>
+
+
+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="1"
+ style="width: 100%; text-align: center;" summary="nil">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 33%;">
+<p class="mid"><span class="sml">REDACTION, ADMINISTRATION, BUREAUX D'ABONNEMENTS<br>
+<i>22, rue de Verneuil, Paris.</i></span></p>
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 34%;">
+ <p class="mid"><span class="sml">31e Année. VOL. LXII. Nº 1609</span><br>SAMEDI 27 DÉCEMBRE 1873</p>
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 33%;">
+ <p class="mid"><span class="sml">SUCCURSALE POUR LA VENTE AU DÉTAIL<br>
+60, rue de Richelieu, Paris</span></p>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+
+
+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="1"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="nil">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 50%;">
+ <p class="mid"><span class="sml"><b>Prix du numéro: 75 centimes</b><br>
+La collection mensuelle, 3 fr; le vol. semestriel, broché,<br>18 fr.; relié
+et doré sur tranches, 28 fr.</span></p>
+
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 50%;">
+ <p class="mid"><span class="sml"><b>Abonnements</b><br>
+Paris et départements: 3 mois, 9 fr.;--6 mois, 18 fr.;<br>un an, 36 fr.;
+Étranger, le port en sus.</span></p>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+<p class="mid"><span class="sml"><i>Les demandes d'abonnements doivent être accompagnées d'un mandat-poste<br>
+ou dune valeur à vue sur Paris à l'ordre de M. Auguste Marc,
+directeur-gérant.</i></span></p>
+
+
+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="nil">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 50%;">
+<p class="mid">
+<span class="sml">
+SOMMAIRE<br><br>
+TEXTE<br><br>
+ Histoire de la semaine.<br><br>
+Courrier de Paris, par M. Philibert Audebrand.<br><br>
+Nos gravures:<br><br>
+La veille du 1er janvier (fin).<br><br>
+La S&oelig;ur perdue, une histoire du Gran Chaco (suite), par H. Mayne Reid.<br><br>
+Revue littéraire; les Livres d'étrennes (II), par M. Jules Claretie.<br><br>
+Bibliographie.<br><br>
+<i>La Nature</i>, revue des sciences en 1873.<br><br>
+<br><br><br><br>
+<img alt="" src="images/001b.png">
+
+</span>
+</p>
+</td>
+
+ <td style="vertical-align: top; width: 50%;">
+<p class="mid">
+<span class="sml">
+SOMMAIRE<br><br>
+GRAVURES<br><br>
+M. Agassiz;<br><br>
+L'île Sainte-Marguerite;<br><br>
+Le môle de débarquement;<br>
+Le fort et les prisons;<br>
+Vue de la pointe de la Croisette.<br><br>
+Théâtre des Variétés: <i>Les Merveilleuses</i>, comédie en cinq actes de M.
+Victorien Sardou.<br><br>
+<i>La première leçon. Un regard en passant</i>, d'après les tableaux de M.
+Boutibonne.<br><br>
+Les tortues de mer à Paris: décapitation d'une grosse tortue.<br><br>
+<i>La S&oelig;ur perdue</i>, par M. Mayne Reid (4 gravures).<br><br>
+Nouvelle bouée de sauvetage lumineuse (système Silas), gravure extraite
+du journal <i>la Nature</i>.<br><br>
+Rébus.<br>
+<img alt="" src="images/001b.png">
+
+
+
+</span>
+</p>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/001a.png"><br><b>M. AGASSIZ.</b></p>
+
+<br><br>
+
+
+ <h3>HISTOIRE DE LA SEMAINE</h3>
+
+ <h4>FRANCE</h4>
+
+ <p>La politique chôme; au dehors pas plus qu'au dedans nous n'avons cette
+semaine à signaler aucun événement d'une importance vraiment sérieuse;
+il semble qu'au moment où l'année finit, chacun se recueille pour jeter
+un regard en arriére et se préparer aux luttes nouvelles que nous
+réserve l'avenir. L'Assemblée nationale vote à la hâte les derniers
+articles du budget avant de prendre le congé de quelques jours qu'elle
+s'est octroyée à l'occasion de la nouvelle année; le calme qui préside à
+cette discussion a à peine été troublé par quelques incidents presque
+aussitôt terminés que soulevés, mais dont quelques-uns méritent d'être
+signalés.</p>
+
+ <p>Notons d'abord la présentation, par M. Clapier, du projet de loi relatif
+à la nomination des maires, dont l'Assemblée a voté l'urgence et qui a
+été inscrit à l'ordre du jour immédiatement après le budget; nous avons
+parlé plusieurs fois déjà de ce projet; il nous suffira donc de dire que
+le travail de la commission a eu pour résultat de faire subir plusieurs
+modifications importantes à la rédaction primitivement proposée par le
+gouvernement. Ainsi, M. le ministre de l'intérieur acceptait pour le
+gouvernement l'obligation de prendre les maires dans les conseils
+municipaux: telle était la règle générale. Ce ne devait être qu'en cas
+de démission ou de révocation qu'ils auraient pu être choisis hors des
+conseils; La commission va plus loin: elle autorise le gouvernement à
+les prendre à sa volonté, soit dans le conseil, soit en dehors de
+celui-ci, avec cette seule restriction, assez bénigne, que dans ce
+dernier cas il sera nécessaire de recourir soit à un arrêté du ministre
+de l'intérieur pour les communes où la nomination est laissée aux
+préfets, soit à un décret délibéré en conseil des ministres, pour les
+communes où la nomination est réservée au gouvernement, c'est-à-dire
+dans tous les chefs-lieux de département, d'arrondissement ou de canton.
+Une seconde différence porte sur la nomination des agents de police.
+Dans son projet, le gouvernement l'enlevait aux maires à qui elle
+appartient actuellement pour toutes les communes auxquelles la loi du
+24-29 juillet 1867 (article 23) n'est pas applicable, c'est-à-dire
+celles qui ont moins de 40,000 âmes de population: il se l'attribuait à
+lui-même sans aucune exception. La commission a maintenu le droit des
+maires, non pas toutefois dans son intégrité. D'abord, elle subordonne
+leur choix à l'agrément des préfets et sous-préfets; elle a, de plus,
+modifié l'article 12 de l'excellente loi du 18 juillet 1837, en vertu
+duquel le maire <i>suspend</i> et <i>révoque</i> ces agents municipaux; ils
+pourront toujours, comme par le passé, être suspendus par le maire; mais
+le préfet seul aura le droit de les révoquer: la loi les place ainsi à
+peu près dans les mêmes conditions que les gardes champêtres. Grâce à ce
+double compromis, l'accord s'est établi entre le gouvernement et la
+commission, et la majorité considérable qui s'est manifestée, tant en
+faveur de l'urgence, que de la mise à l'ordre du jour pour le terme le
+plus proche, permet de croire que l'Assemblée ratifiera et votera la loi
+dans sa teneur actuelle.</p>
+
+ <p>Dans sa séance du 19, l'Assemblée a adopté un amendement tendant à
+porter de 162,400 francs à 300,000 francs la somme allouée au président
+de la République pour frais de représentation. Cette augmentation de
+crédit, destinée à donner plus d'éclat aux réceptions officielles du
+président pendant son séjour au palais de l'Elysée, intéressait trop,
+directement le commerce parisien pour ne pas être favorablement
+accueillie par toutes les fractions de l'Assemblée; malheureusement il a
+fallu que les passions politiques, inopportunément remises en jeu par
+une observation intempestive, vinssent gâter ces bonnes dispositions; à
+propos d'une question toute financière, on a parlé du retour du
+gouvernement à Paris; on a évoqué le souvenir de la Commune, et c'est au
+milieu d'un conflit d'invectives qu'a fini cette discussion où tout le
+monde était d'accord en commençant.</p>
+
+ <p>Signalons, pour terminer, l'interpellation adressée au gouvernement par
+la gauche au sujet d'une convention récemment intervenue entre le
+ministre des finances et le mandataire de l'ex-impératrice pour la levée
+du séquestre qui pèse sur la liste civile de Napoléon III. En attendant
+la discussion en séance publique, portée à l'ordre du jour après la loi
+sur la nomination des maires, M. Deseilligny, ministre du commerce, a
+fourni à la commission du budget quelques explications sur la question.
+Le ministre a ajouté que les signataires de la convention avaient cru se
+conformer à ce qui s'était fait à l'égard de la liste civile de
+Louis-Philippe, et avaient pensé qu'il était de «haute convenance, en
+dehors de tout parti politique, de soulager la situation douloureuse où
+se trouvait l'impératrice au point de vue pécuniaire».</p>
+
+ <p>Il a ajouté que le gouvernement avait, en cela, le droit d'agir sans
+recourir à l'assentiment de l'Assemblée, attendu que le séquestre avait
+été mis par un simple décret du gouvernement de la défense nationale, et
+qu'il suffisait, par conséquent, d'un nouveau décret pour défaire ce
+qu'un décret avait fait.</p>
+<br>
+ <h4>AUTRICHE.</h4>
+
+ <p>Les journaux de Vienne contiennent quelques renseignements sur les lois
+ecclésiastiques qui vont être prochainement présentées au Reichsrath par
+le gouvernement. On n'en compte pas moins de dix-sept, et quelques-unes
+d'entre elles auront une grande importance, notamment celle qui prononce
+l'abolition complète et définitive du concordat conclu avec la cour de
+Rome le 18 août 1855. On sait que cette convention établissait la
+censure ecclésiastique sur les livres, ce qui était la négation absolue
+de la liberté de la presse: elle donnait aux évêques la surveillance de
+toutes les écoles, même laïques; elle conférait à l'épiscopat une
+entière indépendance vis-à-vis du gouvernement; non-seulement tous les
+actes émanés du Saint-Siège pouvaient être publiés dans l'empire sans
+aucune nécessité d'obtenir le <i>placet</i> royal, mais encore les
+archevêques et évêques avaient la faculté de convoquer aussi, sans
+autorisation du gouvernement, soit des conciles provinciaux, soit des
+synodes diocésains: double liberté qui leur est refusée en France par
+les articles 1 et 4 du titre Ier de la loi du 18 germinal an X (8 avril
+1802), plus connue sous le nom d'articles organiques, contre lesquels,
+du reste, on le sait, le Saint-Siège n'a cessé et ne cesse de protester.
+Les lois ecclésiastiques que prépare le gouvernement autrichien
+régleront en outre le mariage civil, les patronats, la surveillance des
+séminaires, etc.; elles contiendront aussi des clauses relatives à la
+condition des vieux-catholiques. Sur cette dernière question, on
+s'attend à des débats assez vifs, et déjà les adeptes de cette petite
+Église ont adressé au gouvernement une demande tendante à faire
+reconnaître à l'évêque Reinkens, Prussien et vieux-catholique, un droit
+de juridiction ecclésiastique en Autriche. Cette requête insolite a été
+repoussée.</p>
+<br>
+ <h4>ITALIE.</h4>
+
+ <p>Sa Sainteté le pape a tenu, le 22 décembre, un consistoire dans lequel
+il a nommé cardinaux:</p>
+
+ <p>Mgr de Nascimento de Moraes Cardoso, patriarche de Lisbonne; Mgr
+Guibert, archevêque de Paris; Mgr Régnier, archevêque de Cambrai; Mgr de
+Simor, archevêque de Gran; Mgr de Tarnoczy, archevêque de Salzbourg; Mgr
+Chigi, nonce apostolique à Pans; Mgr Mariano Darrio y Fernandez,
+archevêque de Valence; Mgr Mariano Falcinelli Antoniacci, nonce du
+Saint-Siège à Vienne; Mgr Alex. Franchi, nonce du Saint-Siège à Madrid;
+Mgr L. Oreglia de Santo-Stefano, nonce du Saint-Siège à Lisbonne; le R.
+P. Tarquini, de la Compagnie de Jésus; le R. P. Martinelli, des moines
+de Saint-Angustin. Dans le même consistoire, le Pape a nommé aussi
+quatre évêques <i>in partibus infidelium</i> et trois évêques en Italie.</p>
+
+ <p>Il a nommé aussi:</p>
+
+ <p>Mgr Olteanu, évêque de Gran-Varadin (Hongrie); Mgr Corona, évêque de
+Saint-Louis de Potosi; Mgr Hillion, évêque du cap Haïtien.</p>
+<br>
+ <h4>ÉTATS-UNIS.</h4>
+
+ <p>L'affaire du <i>Virginius</i> vient d'entrer dans une phase nouvelle et assez
+imprévue; ce sont maintenant les États-Unis qui font droit aux
+susceptibilités de l'Espagne.</p>
+
+ <p>On sait que, d'après la convention relative au <i>Virginius</i> le
+gouvernement espagnol devait prouver avant le 25 décembre, à la
+satisfaction des États-Unis, que ce vaisseau n'avait pas le droit de
+porter le pavillon américain, et qu'ainsi il avait été légalement saisi.
+D'après une dépêche de Washington, le procureur général des États-Unis a
+admis la preuve comme valable, le <i>Virginius</i> n'ayant obtenu ses papiers
+qu'au moyen d'un faux témoignage. Le cabinet de Washington s'est déclaré
+prêt à accepter les conséquences de ce fait.</p>
+
+ <p>Nous ne savons encore quelles en seront toutes les conséquences, mais il
+est certain que la décision du procureur général des États-Unis est un
+véritable succès pour le gouvernement de M. Castelar et qu'elle fait le
+plus grand honneur à l'impartialité de la magistrature américaine.</p>
+
+<br><br>
+
+ <h3>COURRIER DE PARIS</h3>
+
+ <p>Celui qui céderait au désir de faire l'oraison funèbre de l'année
+n'aurait pas à se donner beaucoup de peine. Il lui suffirait de quelques
+mots, genre sombre. Cette année est de celles qu'on ne regrette pas.
+A-t-elle été assez absurde! S'est-elle montrée assez maussade, assez
+ennuyeuse, assez ennuyée! Elle a vu s'opérer deux ou trois révolutions
+parlementaires aussi insipides qu'elle-même. Pendant sa durée, Paris a
+reçu la visite d'un prince d'Orient, couleur de suie, tout couvert de
+diamants mais qui ne donnait que des salamalecks. L'hippopotame du
+Jardin des Plantes a succombé à des peines de c&oelig;ur; M. Ernest Renan a
+fait paraître l'<i>Antéchrist</i>; trois académiciens sont morts; le chapeau
+des femmes a redoublé de bizarrerie; un grand théâtre a brûlé; un vilain
+procès s'est dénoué, très-peu flatteur pour nous tous; enfin, en guise
+de couronnement, il nous est arrivé une charretée de monstres.</p>
+
+ <p>Tel est le bilan de 1873.</p>
+
+ <p>Mil huit cent soixante-treize vient de rendre le dernier soupir ou peu
+s'en faut. Eh bien, regardons devant nous; là est l'espérance. Quel
+lendemain nous attend? L'avenir est riche de promesses; c'est un
+capitaliste qui a son portefeuille plein de lettres de change. Déjà la
+nouvelle année, celle qui commencera dans quatre jours, semble vouloir
+ne ressembler en rien à sa devancière. On a beau dire que le commerce ne
+va pas, elle a l'air de lui forcer la main. Quelle foule dans les rues!
+L'argent, qui est de retour, vous le savez, circule tout le long de la
+ville. Personne n'a les mains vides; chacun porte son sac de bonbons ou
+son polichinelle.</p>
+
+ <p>Le baraquement des boulevards n'a plus rien de sa rusticité originelle;
+on a encore enjolivé sa mise en scène. Seulement il abuse du <i>jouet de
+l'année</i>, un affreux poussah qu'on nomme l'<i>Oncle Sam</i> et qui rappelle
+trop l'auteur de la pièce de ce nom. Partout ailleurs, de longues files
+de boutiques ambulantes s'établissent sur les trottoirs; c'est à peine
+si l'on peut marcher au milieu de cet encombrement.--Nous rencontrons M.
+de Laboulaye, occupé à acheter un cornet de pralines, sans doute afin
+d'adoucir quelqu'un de ses voisins de la Chambre. L'honorable
+pamphlétaire dit tout haut: «--Ah! dame, nos m&oelig;urs deviennent
+américaines. La démocratie coule par ici à pleins bords comme à
+New-York.»--Presque en même temps le comte Orloff sort d'un bazar, suivi
+d'un éléphant en baudruche. Des malins s'écrient: «--Il doit y avoir un
+rébus diplomatique là-dessous. Que veut faire de cet éléphant
+l'ambassadeur du czar?» Le comte Orloff a à amuser un petit garçon et
+deux petites filles; voilà toute l'énigme.</p>
+
+ <p>Aux alentours du jour de l'an, aussitôt que la nuit arrive, quelque fée
+invisible lève sa baguette en l'air et le coup d'&oelig;il change. Les
+étalages s'illuminent de mille feux. Au gaz municipal se marient les
+bougies du petit commerce en plein vent. Vingt mille lanternes de
+couleur contribuent à faire un jour nocturne d'une lueur fantastique.
+Cette fois, M. de Laboulaye trouverait qu'on n'est plus à New-York mais
+à Pékin.--Tous les cercles sont éclairés avec un luxe inusité.--Une mode
+nouvelle à noter à propos des cercles.--Vous savez que tous ces
+établissements ont, le soir, un dîner sous forme de table d'hôte.</p>
+
+ <p>A ce dîner, en ce moment, l'usage veut qu'on ne commence plus par le
+classique vermicelle ni par le tapioca désormais trop enfantin. Tout
+cela cède le pas à la soupe à la tortue rehaussée de gingembre. Voilà
+une clef pour les flâneurs; depuis un mois la foule stationne à la
+devanture des marchands de comestibles; on y est en extase devant
+d'énormes amphibies. Ces tortues sont le régal du jour.--<i>Turtle-soup</i>,
+dit-on en faisant la grimace, autant à cause du mot qu'on ne sait pas
+prononcer qu'en raison du mets effroyablement épicé.</p>
+
+ <p>Pour le coup, Paris devient une parodie de Londres.</p>
+
+ <p>Au temps de Vadé, la cour et les beaux esprits allaient aux Halles; de
+nos jours, le monde aux gants roses va à l'Hôtel des Ventes, qui est
+décidément l'endroit de Paris le plus affairé. Que de choses on y aura
+vendues, cet hiver! Une mondaine, Mme A***, une des princesses de la
+cocotterie, étant morte, on a apporté par là tout ce qu'elle a laissé.
+C'était une succession uniquement mobilière, des appartements en bois de
+rose, l'argenterie, les bijoux, la cave, deux voitures, du linge, la
+toilette, des objets d'art, le tout évalué à un million. Un million rien
+que pour des meubles! Si vous voulez prêter l'oreille, des échos de
+l'hôtel vous diront que les seules robes ont formé le chiffre de 300 000
+francs. Voilà un luxe dont les honnêtes gens n'ont assurément aucune
+idée. C'est un trait de m&oelig;urs à noter. Les familles les plus riches
+frissonnent rien qu'à la mention de ce fait. Où sont allées toutes ces
+robes? Étant d'étoffes neuves, elles serviront de rechef, mais à qui
+serviront-elles? Qui peut affirmer que ce ne sera pas aux plus honnêtes
+femmes?</p>
+
+ <p>J'ai déjà dit un mot de la vente des livres d'Émile Gaboriau. Ce brave
+garçon, frivole en apparence, était mordu, au fond, d'un sérieux désir
+d'apprendre. Il se passionnait pour l'histoire et il s'était mis à
+rechercher les vieilles éditions des écrivains graves. Nous lui avons
+entendu dire à lui-même qu'il estimait sa bibliothèque à 6,000 francs,
+au bas mot. C'est tout au plus si les enchères auront fourni la moitié
+de cette somme. Des livres, de vieux livres, voilà une superfluité dont
+notre société n'est guère friande. Donnez-lui pour 300,000 francs de
+robes, à la bonne heure.</p>
+
+ <p>Sur la fin de la semaine, on a pu constater un certain empressement à
+propos des &oelig;uvres de M. Carpeaux, le sculpteur. Marbres, terres cuites,
+bronzes se sont bien vendus. Néanmoins la tête horrible de l'Ugolin des
+Tuileries n'a pas trouvé d'amateur. Il y a bien trop de mièvrerie dans
+les allures du jour pour qu'on puisse aimer le Dante commenté avec de la
+terre glaise. Un comte qui mange ses fils sans couteau ni fourchette, un
+Italien de la Renaissance, plus anthropophage qu'un Caraïbe de Fenimore
+Cooper, ce n'est guère tentant d'ailleurs comme bibelot à mettre sur une
+étagère. En revanche on a fait fête au modèle d'un autre groupe non
+moins fameux, mais plus décolleté. Vous avez compris que nous parlons de
+cette sarabande effrénée, la Danse, qui figure sur le seuil du nouvel
+Opéra, où, du matin au soir, elle scandalise tous les bons bourgeois
+passant par là. Trois concurrents se disputaient ce morceau; on l'a
+adjugé à 8.000 francs.--Cette même débauche d'art, un des principaux
+confiseurs avait demandé à l'artiste la permission d'en faire une
+réduction en sucre candi ou en chocolat. Avouez que c'eût été d'une
+très-heureuse actualité à l'heure des étrennes. Le sculpteur n'a pas
+voulu. On lui a dit:</p>
+
+ <p>--Monsieur, vous refusez de voir votre nom dans toutes les bouches.</p>
+
+ <p>Beauvallet, de la Comédie-Française, vient de mourir à Passy, à
+soixante-douze ans. Il était fort bien doué; par malheur, il a abusé de
+la facilité que lui avait donnée le sort pour vouloir faire trop de
+choses à la fois. Bon comédien, tragédien passable, il se piquait aussi
+d'être poète, ce qui l'a poussé à faire des vers qui ne devaient pas
+vivre. A ses premiers débuts dans la vie, il avait commencé par étudier
+la peinture chez Paul Delaroche. Un jour que Casimir Delavigne visitait
+l'atelier, on lui amena l'élève qui se mit à déclamer des vers, une des
+Messéniennes, celle où trois femmes, trois Muses, apparaissent à
+Napoléon pour lui prédire tout à tour sa grandeur et sa chute.</p>
+
+ <p>--Mon cher monsieur, dit l'auteur des Vêpres siciliennes, il se peut que
+vous fassiez quelque chose en peinture; cependant je suis sûr que vous
+réussiriez au théâtre.</p>
+
+ <p>Il n'en fallut pas plus pour enflammer la tête du jeune homme.
+Beauvallet jeta là ses crayons et sa palette pour aller au
+Conservatoire; après les études indispensables à un débutant, il fut
+engagé à l'Ambigu, où il joua, non sans succès, le drame d'alors. En ce
+temps-là, le boulevard oscillait entre les &oelig;uvres de la vieille école
+sentimentale et les premières tentatives du romantisme. Le nouveau venu
+trouva moyen de se mettre en relief dans ce genre bizarre; il se fit un
+nom en jouant <i>Caravage</i>, une histoire arrangée de peintre italien. Sa
+belle prestance, une voix de tonnerre, un soin merveilleux dans l'art de
+s'arranger un costume, ne pouvaient manquer de le faire mettre en
+évidence. Le Théâtre-Français ne pouvait manquer de lui ouvrir
+très-prochainement ses portes. Un jour, en 1833, quand Victor Hugo donna
+<i>Angelo, tyran de Padoue</i>, ce fut à Beauvallet qu'il confia le principal
+rôle. Il avait à côté de lui, pour lui donner la réplique, deux des
+grandes actrices de l'époque, Mlle Mars et Mme Dorval. Il fallait
+entendre le superbe podestat lorsque, s'avançant sur la scène, d'un air
+tout à la fois effrayé et menaçant, il récitait le grand monologue sur
+le Conseil des Dix. Sans mentir, c'était à donner la chair de poule.</p>
+
+ <p>Beauvallet avait mis tant d'originalité dans ce rôle qu'on n'a plus
+consenti à le voir jouer par un autre. La parodie se chargea, suivant la
+mode du temps, de donner une suprême sanction à son triomphe. Le
+Vaudeville, qui n'était qu'un théâtre gai, ne s'inquiétant que de faire
+rire, avait mis à l'étude une farce intitulée <i>Cornaro ou le tyran pas
+doux</i>. Ce susdit Cornaro, personnage correspondant à celui du drame,
+devenait une charge des plus amusantes, grâce à Lepeintre jeune, le plus
+gros des comédiens. Il criait à tue-tête, celui-là, même pour demander
+ses pantoufles. Faire trembler tout le monde autour de lui était sa
+joie. C'était pour cela qu'Arnal, l'invitant à parler en sourdine, lui
+disait:</p>
+
+ <p>--Êtes-vous le cousin du bourdon Notre-Dame?</p>
+
+ <p>Quelle voix! ah! quel creux! Vous effrayez madame.</p>
+
+ <p>Et Cornaro de répondre sur un ton plein de mignardise:</p>
+
+ <p>--Je n'ai que le désir d'être son beau valet.</p>
+
+ <p>Depuis vingt-cinq ans, Beauvallet avait abordé le répertoire classique,
+tragédie et comédie. Très-soigneux, correct, il y était fort
+applaudi.--On a dit mille fois que, de tous les artistes, le comédien a
+la vie la plus ingrate, en ce qu'il ne laisse rien après lui.</p>
+
+ <p>--Bast! répliquait Sheridan, ayez la patience d'attendre deux ou trois
+siècles, et vous verrez ce qui restera des autres!</p>
+
+ <p>Il se passe un fait bizarre au sujet des étrennes. Tandis que s'accroît
+le nombre de ceux qui en demandent, on voit de plus en plus des ratures
+se dessiner sur la liste de ceux qui en donnent. Parmi les premiers, on
+signale surtout deux nouvelles recrues: l'employé du télégraphe qui
+apporte les dépêches et le clerc d'huissier qui remet le papier timbré.
+Quant à ceux de l'autre catégorie, ce sont de spirituels sceptiques qui
+profitent des moyens de locomotion dont dispose notre XIXe siècle pour
+filer et disparaître. Dix ou douze jours d'absence suffisent. On dit:
+«J'ai un procès en Bretagne», ou bien: «Mon vieil oncle de Beauvoisis
+vient de mourir d'une coqueluche rentrée»; et l'on s'en va passer une
+quinzaine à Nice. Un voyage d'agrément et une bonne affaire tout à la
+fois.</p>
+
+ <p>Trois académiciens qui se sont rencontrés, jeudi soir, au foyer de
+l'Odéon, se contaient à demi-voix leurs peines à propos du jour de l'an.
+Rien de plus curieux que leurs plaintes à cet égard.</p>
+
+ <p>--Figurez-vous, disait l'un d'eux qui avait un bonnet de soie noire sur
+la tête, figurez-vous que seize personnes nous poursuivent pour nous
+demander chacune la même chose; comprenez que cette chose ne nous
+coûterait rien, pas même la moitié d'un centime et que néanmoins nous ne
+pouvons la donner tant que ça.</p>
+
+ <p>--Qu'est-ce donc?</p>
+
+ <p>--Eh! pardieu, un fauteuil.</p>
+
+ <p>En effet, il y a trois fauteuils à donner en janvier et seize candidats
+qui demandent à les avoir; et tous les seize, suivant l'usage
+immémorial, sont individuellement le premier moutardier du pape, ou, si
+vous voulez, un homme du bois dont on fait les dieux. Ces dignes
+académiciens voudraient bien se sauver quelque part, mais leur grandeur
+et les jetons de présence les retiennent au quai Conti.</p>
+
+ <p>Il n'y a pas fort longtemps, dans cette divine baraque au palais
+Mazarin, il y avait un des Quarante qui n'entendait pas raillerie à
+propos d'argent à donner. C'était Lemontey, l'auteur de l'<i>Histoire de
+la Régence</i>.</p>
+
+ <p>Un certain jour de l'an, un des garçons de l'Institut vint voir
+l'historien; il le salua, la casquette à terre, et tendit la main.</p>
+
+ <p>Lemontey lui donna une pièce de dix sous.</p>
+
+ <p>--Comment! rien que ça? dit le garçon en grommelant entre ses dents.</p>
+
+ <p>--Hein! qu'est-ce que c'est? riposta l'immortel furieux. Cinquante
+centimes, un demi-franc, ce n'est rien? Eh! malheureux, c'est la quatre
+cent millième partie de deux cent mille francs, par conséquent de dix
+mille livres de rente. Eh! je voudrais bien être garçon de l'Institut
+pour en recevoir autant, moi!</p>
+
+ <p>P.-J. Proudhon comprenait les étrennes d'une autre façon.</p>
+
+ <p>L'année qui a précédé la mort du célèbre dialecticien, M. E. Dentu, son
+éditeur et son voisin, se présenta chez lui le matin du jour de l'an.</p>
+
+ <p>Après avoir échangé une poignée de main avec lui, il lui montra un petit
+paquet enveloppé de papier gris.</p>
+
+ <p>--Qu'est-ce que c'est que ça? dit Proudhon.</p>
+
+ <p>--Deux poupées que je vous demande la permission d'offrir à vos deux
+petites filles.</p>
+
+ <p>En entendant ces mots, l'auteur du livre <i>De la Justice</i> entra tout à
+coup dans une colère des plus violentes.</p>
+
+ <p>--Des poupées à mes filles! Non, mon cher monsieur, non; je vous le
+défends positivement. Savez-vous l'enseignement qui résulterait de ce
+cadeau? L'amour de l'alanguissement, la coquetterie, la paresse, le
+goût du luxe, peut-être de la luxure. C'est bon pour les duchesses,
+c'est bon pour les bourgeoises. Tenez, si voulez faire un présent à ces
+enfants, apportez-leur quelque chose d'utile, un dé à coudre, des
+ciseaux, un paquet d'aiguilles. Qu'elles aient à la main un objet qui,
+de bonne heure, leur rappelle qu'elles sont filles de la misère et de la
+philosophie et qu'il faut qu'elles songent sans cesse à épouser le
+travail!</p>
+
+ <p>À certains égards cet esprit de prévoyance se retrouve en grand dans un
+mot de Mme Lætitia Bonaparte, la mère de Napoléon.--Longtemps éprouvée,
+n'ayant eu de 1790 à 1799 que 1,500 fr. pour soutenir sa modeste maison
+et nourrir ses trois filles, Caroline, Elisa et Pauline, la brave femme
+ne pouvait pas se résoudre à jeter l'argent par les fenêtres.</p>
+
+ <p>En 1809, le 2 janvier, la princesse Pauline vint la voir.</p>
+
+ <p>--Madame, l'empereur m'envoie vous faire une question.</p>
+
+ <p>--Laquelle?</p>
+
+ <p>--Combien avez-vous dépensé, hier, en fait d'étrennes?</p>
+
+ <p>--Ma fille, 3,255 francs.</p>
+
+ <p>--3,255 francs! Mais je vous avais remis, de la part de mon frère, 30
+000 francs pour faire des largesses! Est-ce que vous comptez placer
+cette somme?</p>
+
+ <p>--Mon Dieu, oui, Paulette.</p>
+
+ <p>--Mais pourquoi faire?</p>
+
+ <p>--Pourquoi faire? Pour donner, un jour, du pain à tous les rois et à
+toutes les reines qu'on a faits dans ma famille!</p>
+
+ <p>L'histoire a prouvé par trois fois que l'Agrippine d'Ajaccio n'avait pas
+si grand tort.</p>
+
+ <p>Philibert Audebrand.</p>
+
+ <br><br>
+
+ <h3>L'ILE SAINTE-MARGUERITE</h3>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/002a.png"><br><b>Le môle de débarquement.</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/002b.png"><br><b>Le fort et les prisons.</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/002c.png"><br><b>Vue de la pointe de la Croisette.</b></p>
+
+ <br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/003.png"><br><b>THÉÂTRE DES VARIÉTÉS.--<i>Les Merveilleuses</i>, comédie en
+cinq actes, de M. Victorien Sardou.--Décors de M. Robecchi.--Costumes de
+MM. Eugène. Lacoste et Draner.</b></p>
+
+ <br><br>
+
+ <h3>NOS GRAVURES</h3>
+
+ <h3>Le naturaliste Agassiz</h3>
+
+ <p>Le 15 décembre, un télégramme fort laconique annonçait à l'Europe que
+«le professeur Agassiz venait de mourir à Boston».</p>
+
+ <p>Cet illustre naturaliste mérite mieux qu'une mention d'une ligne.
+C'était le digne successeur des Buffon et des Cuvier, et le monde
+scientifique a peu de noms à opposer au sien; en Amérique, nous ne
+voyons pas qui est capable de prendre sa place.</p>
+
+ <p>Agassiz avait émigré aux États-Unis en 1847, à la suite des événements
+politiques dont la principauté de Neufchâtel fut alors le théâtre. Il
+était déjà célèbre et s'était fait connaître au monde savant par un
+ouvrage sur les poissons fossiles, publié dès 1842, et qui est resté
+classique en géologie, comme le livre de Cuvier sur les mammifères
+éteints du bassin de Paris, ou le livre de Brongniart sur la flore
+fossile des terrains houillers.</p>
+
+ <p>Né dans le canton de Vaud en 1807, Agassiz avait étudié en Allemagne, et
+fut reçu docteur à Munich. Il fut nommé professeur d'histoire naturelle
+à Neufchâtel dès 1838, et publia en français, en latin ou en allemand
+divers ouvrages de zoologie, dont celui que nous avons cité plus haut a
+surtout contribué à le faire connaître.</p>
+
+ <p>Ses études sur les glaciers, qu'il poursuivit avec une ardeur
+infatigable, escaladant tous les pics des Alpes, entre les années 1840
+et 1847, confirmèrent la réputation qu'il s'était acquise parmi les
+géologues, et l'on peut dire que lorsqu'il quitta l'Europe, son nom
+était déjà universellement connu.</p>
+
+ <p>Ses deux collaborateurs, MM. Desor et Vogt, Suisses comme lui, ont
+continué les traditions du maître. Ils n'ont cessé de marcher à la tête
+de la science helvétique, et ils l'ont même quelquefois poussée en
+avant, notamment en anthropologie, avec une virilité, une audace qui ont
+épouvanté en France plus d'un de nos maîtres officiels.</p>
+
+ <p>Agassiz, à peine arrivé aux États-Unis, fut nommé professeur d'histoire
+naturelle à l'Université de Cambridge, près Boston, et c'est là que,
+vingt ans plus tard, nous l'avons rencontré nous-même, augmentant,
+classant sans cesse ses chères collections, et toujours à l'affût de
+nouveaux voyages pour faire progresser la science et ouvrir aux
+investigations de l'esprit humain des champs jusque-là inconnus.</p>
+
+ <p>Avec sa femme, qui ne cessa de le seconder dans ses recherches et de
+s'associer à tous ses travaux, comme une vraie Américaine qu'elle était,
+il entreprit le voyage de l'Amazone. On sait quel trésor de faits
+curieux il rapporta de cette exploration, et combien il en accrut ses
+collections, notamment en ichthyologie. Ce voyage, publié par Mme
+Agassiz, a été traduit en français (1); l'exploration de l'Amazone a été
+même illustrée dans le <i>Tour du monde</i>, d'après les dessins de Mme
+Agassiz, qui tenait aussi bien le pinceau que la plume, dans ces
+dernières années, M. Agassiz avait entrepris l'étude du fond des mers,
+et fait à ce sujet sur un navire de guerre américain, que le
+gouvernement des États-Unis avait mis généreusement à sa disposition,
+une série de travaux fort intéressants poursuivis dans l'un et l'autre
+océan, l'Atlantique et le Pacifique. Il était aussi allé de Boston à
+San-Francisco par le cap Horn. Il avait espéré que sa santé, ébranlée
+par un travail incessant, se relèverait dans ce long voyage. Il semble
+qu'il n'en a rien été, puisque la nouvelle, de sa mort nous est parvenue
+au moment où tout faisait espérer que ses amis et la science pourraient
+encore le conserver longtemps.</p>
+
+ <blockquote><span class="sml"><b>Note 1:</b> Voyage au Brésil, Paris, Hachette. 1868.</span></blockquote>
+
+ <p>Dans ce voyage de circumnavigation, les découvertes d'Agassiz ont été
+presque de tous les jours, sur les courants, la température des eaux
+marines à diverses profondeurs, le fond de la mer, les animaux qui s'y
+rencontrent. C'est lui qui a pour la première fois démontré que le fond
+des océans est habité à toutes les profondeurs, contrairement à ce qu'on
+avait écrit. Que d'espèces nouvelles en coraux, coquilles, poissons,
+plantes marines il avait ramenées de son dernier voyage! Il était occupé
+à classer tout cela, à le distribuer, à le faire connaître avec cette
+générosité toute américaine qui le distinguait, quand la mort est venue
+le surprendre.</p>
+
+ <p>Au physique, c'était un homme de haute taille, fort vigoureux; ses
+traits annonçaient l'aménité, la bienveillance, et le moral ne démentait
+pas ce que le physique annonçait. Il était ouvert, sympathique, causait
+volontiers et facilement, ne disait du mal de personne, pas même de ses
+confrères, ce qui est rare parmi les savants. Il était, comme tous les
+protestants, fort attaché aux doctrines religieuses. Spiritualiste, il
+faisait volontiers intervenir la Providence dans la création des
+espèces, mais cela ne l'empêchait pas d'apporter dans les théories
+scientifiques beaucoup d'indépendance. Ainsi il était, en histoire
+naturelle, avec les Lamarck, les Geoffroy Saint-Hilaire, les G&oelig;the, les
+Darwin, partisan de la variabilité de l'espèce humaine et non de
+l'unité, comme le voulaient Buffon et Cuvier, et comme quelques
+naturalistes, entre autres M. de Quatrefages, le veulent encore
+aujourd'hui.</p>
+
+ <p>Il faisait bon marché des honneurs, et se contentait du titre de
+correspondant de notre Académie des sciences, n'ayant jamais voulu
+accepter de l'empereur Napoléon III, qui l'avait connu et apprécié en
+suisse, ni le titre de sénateur, ni celui de professeur au Collège de
+France, ni même celui de directeur général du Muséum, place restée,
+dit-on, vacante depuis la mort de Cuvier. On essaya de le tenter à
+diverses reprises et de le fixer parmi nous; toujours il préféra rester
+dans sa patrie d'adoption. Républicain il était en Suisse, républicain
+il demeura aux États-Unis. Il vient d'y mourir, comblé de gloire sinon
+d'honneurs, aimé de tous, ayant fait de nombreux élèves, n'ayant cessé
+un jour de travailler et de faire progresser la science, qui a été
+l'occupation de toute sa vie. C'était un homme de bien, <i>vir probus</i>, au
+sens le plus général du mot, un de ces hommes qu'on voit toujours partir
+avec le plus vif regret, parce que l'on sent combien il sera difficile,
+pour ne pas dire impossible, de les remplacer.</p>
+
+ <p>L. Simonin.</p>
+
+ <br>
+
+ <h3>Le Fort Sainte-Marguerite</h3>
+
+ <p>L'ex-maréchal Bazaine aurait pu être envoyé dans quelque casemate
+oubliée, dans quelque prison sans passé, ou même faire le voyage de la
+Nouvelle-Calédonie, en compagnie de pétroleurs. L'opinion publique eût
+été probablement satisfaite de ce châtiment qui plaçait ainsi au même
+rang tous ceux qui ont failli faire sombrer le pays! Mais décidément la
+fortune sourit à Bazaine; pendant que nous grelottons dans le Nord, on
+l'envoie dans une contrée bénie du ciel, inondée, au c&oelig;ur de l'hiver,
+des chauds rayons du soleil, et délicieusement rafraîchie, en été, par
+les brises de mer!...</p>
+
+ <p>Heureux maréchal! La Providence lui assigne même la prison à jamais
+célèbre de l'homme au masque de fer. Etrange caprice du destin!
+L'innocent martyr du despotisme de Louis XIV a vécu là, le visage
+couvert, les traits constamment voilés, tenu dans le plus complet
+isolement, tandis que le grand coupable de Metz va sans doute passer les
+dernières années de sa misérable vieillesse en captif heureux, entouré
+peut-être de quelques-uns des siens, et à coup sûr il n'aura pas pour
+gouverneur un maître implacable comme Saint-Mars!</p>
+
+ <p>Je me trouvais, il y a peu de mois, à Cannes, et de là on voit se
+profiler, à quelques milles en face, les îles de Lérins, semblables à de
+gigantesques entassements. Si l'on était oiseau, en deux coups d'aile,
+on arriverait à Saint-Honorat ou à Sainte-Marguerite. Sans s'armer d'une
+longue-vue, il est parfaitement possible de distinguer les rochers
+élevés qui bordent les deux îles, et l'on peut compter jusqu'aux
+fenêtres du fort Sainte-Marguerite.</p>
+
+ <p>Une vingtaine de petits bateaux bariolés dansaient dans le port de
+Cannes, sous la violente caresse du mistral, et demandaient à grands
+cris, par la voix de leurs patrons, quelque promeneur complaisant!</p>
+
+ <p>--Monsieur! promenade à Sainte-Marguerite! Bon temps! Bon vent! me cria
+l'un des bateliers en me priant du geste de descendre.</p>
+
+ <p>--Et combien de temps faut-il pour arriver à l'île!</p>
+
+ <p>--Oh! monsieur, pas beaucoup! J'y suis allé l'autre jour en moins d'un
+quart-d'heure!</p>
+
+ <p>--Et le vent est bon? repris-je.</p>
+
+ <p>--Excellent! monsieur, deux ris aux voiles et nous filons comme
+l'éclair!</p>
+
+ <p>Inutile de dire que le quart-d'heure du brave batelier se changea en
+demi-heure, la demi-heure en trois quarts-d'heure et qu'une heure après
+nous ne touchions pas encore au môle du débarquement. En revanche,
+j'avais eu la mer la plus moutonneuse du monde; nous avions failli être
+roulés par les vagues; mais quelle baie splendide, que de merveilleux
+horizons!</p>
+
+ <p>J'eus le malheur de descendre du bateau pour tomber entre les mains d'un
+vieux sergent qui ne me lâcha pas avant de m'avoir conté,--ce qu'il
+savait du reste fort mal,--l'histoire de l'île Sainte-Marguerite.</p>
+
+ <p>Il m'expliqua que le fort avait été construit sous Richelieu, puis pris
+par les Espagnols, qui l'avaient agrandi, et enfin réparé par Vauban.</p>
+
+ <p>En résumé, ce bâtiment serait peu digne d'intérêt si la légende de
+l'homme au masque de fer n'était pas là pour captiver.</p>
+
+ <p>Matthioli, c'est le nom que l'on donnait à ce célèbre inconnu, avait une
+prison que le maréchal Bazaine,--l'homme heureux!--ne connaîtra sans
+doute que de vue! La chambre qu'il habita onze années n'était éclairée
+que par une fenêtre du côté du nord, percée dans un mur de près de
+quatre pieds d'épaisseur; on y avait même prudemment adapté trois
+grilles de fer placées à une distance égale. Cette fenêtre donnait sur
+la mer.</p>
+
+ <p>Ce qui fit supposer à quelques indiscrets que Matthioli devait être
+quelque grand personnage, ce sont d'une part les mesures prises par
+Saint-Mars pour éloigner de lui même les geôliers, et de l'autre
+l'espèce de respect dont semblait l'entourer le gouverneur.</p>
+
+ <p>De plus, on assure que l'homme au masque de fer portait des vêtements
+recherchés, de fines dentelles, et qu'on lui fournissait des habits
+aussi riches qu'il paraissait le désirer.</p>
+
+ <p>Il n'en fallait pas plus pour faire pleuvoir des milliers de
+conjectures: C'est un frère de Louis XIV, disent les uns.--C'est le duc
+de Beaufort, assurent les autres.--C'est un fils de Cromwell!...</p>
+
+ <p>Quelques anecdotes inventées sans doute viennent à la rescousse, et
+notre homme, qui n'était peut-être qu'un petit gentilhomme sans grande
+importance, passe d'emblée à la postérité!</p>
+
+ <p>Vous connaissez l'histoire du pêcheur qui ramasse sous les fenêtres de
+Matthioli une assiette d'argent sur laquelle se trouvaient inscrits
+quelques caractères;--le brave homme rapporte sa trouvaille au
+gouverneur, qui lui demande s'il a lu les mots écrits sur ce plat: «Je
+ne sais pas lire!» répond naïvement le pécheur, et Saint-Mars lui dit:
+«Allez! Remerciez le ciel de votre ignorance!»</p>
+
+ <p>Un ingénieux historien, à la vue très-bonne, affirme qu'il y avait sur
+ce plat désormais historique, ces mots: «Louis de Bourbon, comte de
+Vermandois, frère de Louis XIV, etc.»</p>
+
+ <p>Si Bazaine jette jamais ses assiettes par les fenêtres, les pêcheurs
+d'aujourd'hui les conserveront peut-être sans scrupule.</p>
+
+ <p>Richard Cortambert.</p>
+
+ <br>
+
+ <h3>Variétés: "les Merveilleuses", comédie en cinq actes de M. Victorien
+Sardou.</h3>
+
+ <p>Cette fois c'est mon collaborateur M. Morin qui se charge de rendre
+compte des <i>Merveilleuses</i>, de M. Sardou. Son dessin animé, spirituel et
+d'une parfaite exactitude, tient lieu de l'article de théâtre. Aussi
+bien notre critique à nous serait-elle inutile puisque M. Sardou n'a pas
+jugé nécessaire d'introduire une action dans sa comédie, qui relève
+presque tout entière du décorateur et du costumier. Quoi? pas le moindre
+petit bout d'intrigue? Si vraiment, mais si peu que cela ne vaut pas la
+peine d'en parler. Dorlis, que la guerre d'Italie a enlevé aux premières
+joies de la lune de miel à sa femme Illyrine, retrouve au retour de
+Rivoli et d'Arcole, son épouse convolant en secondes noces avec le
+citoyen Saint-Amour, chef du cabinet de Barras. Il était temps, deux
+heures plus tard, protégée par la loi du divorce, elle devenait madame
+Saint-Amour. C'est tout, et cette petite comédie entamée à la fin du
+quatrième acte se dénoue au cinquième. Il semble que M. Sardou, occupé à
+faire revivre dans une série de tableaux vivants les hommes et les
+choses du Directoire, et attardé longtemps dans les curiosités et les
+bibelots du temps, se soit dit: «Maintenant que j'ai reconstitué ce
+peuple bigarré dans les rues, agité dans les salons cet essaim de
+merveilleuses et ce groupe de muscadins, que j'ai placé sur leurs
+étagères ce musée archéologique des dernières années du siècle, songeons
+un peu à mettre une action dans la pièce; si mince qu'elle soit, cela
+est toujours assez bon; l'intérêt n'est pas là, il est dans cette série
+de tableaux, dans ce panorama des plus mobiles et des plus amusants,
+avec ce décor du premier acte, ce jardin du Palais-Égalité où s'asseyent
+les <i>incroyables</i>, le menton caché dans la cravate <i>écronitique</i>, avec
+<i>les oreilles de chien</i>, le chapeau gigantesque en demi-lune, le bas en
+tire-bouchon et le bâton de houx à la main. Là circulent les
+carmagnoles, les bouquetières, là se réfugient contre les huées des
+<i>sans-culottes</i>, les daines <i>sans-chemises</i> que la brutalité de la foule
+menace de jeter à l'eau.</p>
+
+ <p>Au second tableau, nous sommes sur le perron de la rue Vivienne, où
+s'agitent les agioteurs, devant cette boutique de boulanger qui indique
+le prix montant et descendant du louis, étiage de la fortune publique.
+Au premier étage d'une maison, des joueurs jettent leur or au râteau des
+croupiers; à l'entresol, des <i>marchandes de frivolités</i> prélèvent des
+intérêts sur la bonne fortune tentée au premier étage. C'est le bruit,
+c'est la rue. L'acte suivant nous transporte dans l'hôtel du financier
+Ragot; un bijou, que ce décor, une merveille de goût et d'exactitude,
+avec ses pendules, ses candélabres du temps, avec ses sièges en forme
+d'X, avec ses tasses à thé à fond jaune tacheté de petites fleurs
+noires. Là règnent les <i>Merveilleuses</i>, les robes à la <i>Flore</i>, les
+tuniques à la <i>Minerve</i>, la redingote à la <i>Galathée</i>, passant par
+toutes les nuances, depuis le <i>Fifi pâle effarouché</i> jusqu'au <i>Violet
+cul de mouche</i>. Et les coiffures! Le turban relevé avec des plumes
+bleues, bonnet Pierrot, bonnet à la Délie, bonnet à l'Esclavonne. Tout
+ce monde féminin caquette et fripe dans ses mains des éventails de crêpe
+noir lamé et pailleté d'argent, sur lesquels se montre discrètement
+l'effigie de Louis XVI, de la reine et du dauphin, ces éventails au
+<i>Saule pleureur</i>. Les élégants zazayent de leur petite voix de
+femmelette leur parlé gazouillé et mouvant, et étalent leurs habits de
+soie rayée à queue de morue. MM. de Concourt ont fait dans un excellent
+livre l'inventaire par le menu de cette société du Directoire. Ce
+catalogue des choses et des gens, M. Sardou, par une fantaisie d'auteur
+dramatique, l'a fait vivre aux Variétés. Il a animé les Carie Vernet,
+les Debucourt. Cela est fort amusant au début, mais fatigue vite chemin
+faisant. On feuillette pendant une heure un album de caricatures, mais
+toute une soirée! c'est un peu long. Et puis, une observation. Comment,
+nous voilà dans cette société de l'an de grâce 1798, et pas un costume
+d'officier ou de général? Ce ne sont pourtant pas les militaires qui
+faisaient défaut dans ce monde du Directoire. Il y a là une lacune.</p>
+
+ <p>M. Savigny.</p>
+
+ <br>
+
+ <h3>Glace et patins: "La première leçon" et "Un regard en passant".</h3>
+
+ <p>Puisque l'hiver s'obstine à ne pas entrer en scène, faisons tout éveillé
+un rêve qui fera tressaillir d'aise les membres du club des patineurs.</p>
+
+ <p>Il y a huit jours, le thermomètre est descendu à dix degrés au-dessous
+de zéro, et depuis lors il s'est résolument maintenu entre six et huit.
+Lacs, étangs, toutes les pièces d'eau dormante ont gelé, et finalement
+la glace a acquis une respectable épaisseur.</p>
+
+ <p>O bonheur! l'heure heureuse, depuis si longtemps attendue, a donc sonné,
+et le moment fortuné est venu! Vite, courons, et sans perdre une minute,
+au lac, au lac!</p>
+
+ <p>Déjà sous un ciel gris d'acier, au milieu d'un cercle de grands arbres
+étincelants de givre, s'y presse une foule élégante et joyeuse, les
+femmes emmitouflées de fourrures, portant le manchon en sautoir; les
+hommes vêtus du costume de rigueur; bonnet fourré, pelisse, pantalon
+collant qui fait valoir les formes et bottes cracoviennes; les uns et
+les autres ayant chaussé le patin et glissant, se croisant, se
+poursuivant sur la glace qu'ils rayent d'un pied plus ou moins habile.</p>
+
+ <p>Car s'il en est qui savent proprement faire un dehors, écrire
+correctement leur nom du bout d'un patin victorieux, il y en a d'autres
+aussi qui font beaucoup de fautes d'orthographe, et même en sont encore
+à épeler péniblement leur alphabet. Aussi, pour les présomptueux, que de
+mésaventures et de chutes, souvent ridicules.</p>
+
+ <p>Je ne parle que pour les hommes.</p>
+
+ <p>Il est bien entendu que c'est toujours avec grâce qu'une femme tombe sur
+son pouff, quand cela arrive, ce qui est rare; car, plus timide, ce
+n'est que bien soutenue qu'elle se risque à faire ses premiers pas sur
+ce terrain glissant, où bientôt cependant elle s'élancera, rapide comme
+l'hirondelle, en traçant comme elle, capricieuse, d'inextricables
+méandres.</p>
+
+ <p>Quelques-unes cependant ne parviennent jamais à surmonter assez leur
+frayeur pour oser chausser le patin, et ce n'est que confortablement et
+chaudement établies dans un traîneau qu'elles consentent à fendre l'air,
+sous la conduite et la garde de quelque jeune gentleman, avec lequel il
+leur est loisible alors d'achever tout à leur aise la conversation en un
+autre endroit commencée, ou de commencer l'entretien qui sans doute se
+terminera ailleurs.</p>
+
+ <p>Je n'en jurerais cependant pas, car à quoi le plus souvent tiennent
+ici-bas les choses, et de quoi dépendent nos résolutions les mieux
+arrêtées? De ceci ou de cela, d'une goutte de pluie, d'un rayon de
+soleil, ou encore d'un regard en passant.</p>
+
+ <p>Louis Clodion.</p>
+
+ <br>
+
+ <h3>Les tortues de mer à Paris.</h3>
+
+ <p>Il y a longtemps qu'on n'avait vu à Paris des chéloniens possédant des
+dimensions aussi prodigieuses. Les derniers avaient fait leur apparition
+alors que florissait l'empire de l'infortuné Maximilien. Depuis lors il
+s'est écoulé moralement plus d'un siècle. Aussi n'est-il pas étonnant
+que les tortues de MM. Potel et Chabot aient obtenu un véritable succès
+d'estime aussi bien dans la rue Vivienne que sur le boulevard des
+Italiens.</p>
+
+ <p>Une de ces étrangères, rien qu'en agitant ses pattes, a cassé innocemment
+la glace de la devanture qui la séparait de la rue. Mais ce n'était pas
+pour reconquérir une liberté définitivement perdue, et dont elle ne
+pouvait, dans son état d'engourdissement, de demi-sommeil, comprendre le
+prix.</p>
+
+ <p>Ces animaux sont d'une force prodigieuse, et dans leur pays d'origine
+d'une étonnante agilité. Ils nagent comme des poissons dans l'Océan.</p>
+
+ <p>C'est surtout lorsque la femelle va pondre ses &oelig;ufs que l'on peut
+facilement la surprendre et la capturer, ce qui se fait en la retournant
+sur le dos, quelquefois à l'aide d'un levier.</p>
+
+ <p>L'écaille des tortues franches n'a aucune valeur, mais la chair est
+très-délicate, et il est à désirer qu'elle figure sur le carreau des
+Halles où elle serait très-rapidement appréciée.</p>
+
+ <p>Malheureusement nous sommes si routiniers en matière de gastronomie,
+qu'elle est à peu près complètement perdue pour nous dès qu'elle a servi
+à faire du bouillon. Les Anglais, plus pratiques, tirent un excellent
+parti de tous les morceaux.</p>
+
+ <p>La tortue jouit d'une propriété inestimable pour le transport dans les
+pays lointains. On n'a besoin de la fumer ni de la saler, ni de la
+placer dans des boîtes ou dans un garde-manger entouré de glace
+fondante. Elle arrive vivante des Antilles sans qu'on ait besoin de lui
+donner à boire et à manger. On pourrait donc se livrer à une
+exploitation régulière de cette nouvelle matière alimentaire que nous
+signalons expressément.</p>
+
+ <p>De tous les animaux la tortue est peut-être celui qui a le cerveau le
+moins développé.</p>
+
+ <p>Lacépède allait jusqu'à prétendre qu'il est de la grosseur d'une
+noisette pour un animal pesant 150 kilos.</p>
+
+ <p>Mais il n'y a pas, paraît-il, d'animal qui soit plus porté aux plaisirs
+de l'amour. Alors le mâle devient féroce, et aucun danger ne serait
+capable de le déterminer à quitter sa femelle. Mais cela ne dure guère.
+Au bout de quelques jours il l'abandonne sans remords, la laissant
+regagner péniblement les îlots sablonneux où elle déposera ses &oelig;ufs, en
+grand danger d'être surprise par les pêcheurs qui la guettent. Notre
+dessin fait voir les suites inévitables de cette surprise. Un aide de
+cuisine s'apprête à trancher la tête de la tortue tandis qu'un autre
+empêche cette tête de rentrer dans la carapace, à l'aide d'un câble et
+d'un croc. L'armée des marmitons est là sous les armes, prête à
+commencer ses grandes opérations. Jamais mode plus barbare d'exécution
+n'a été inventé. Il faut croire que la tortue a si peu de cervelle
+qu'elle ne s'en aperçoit presque pas. Car si elle se plaint, c'est si
+bas, si bas que jamais personne ne l'a entendue.</p>
+
+ <p>W. de Fonvielle.</p>
+
+ <br><br>
+
+ <h3>LA VEILLE DU 1er JANVIER</h3>
+
+ <p class="mid">(Fin)</p>
+
+ <p>--Absolument. Et je vais choisir des exemples. Voici Mademoiselle Mimi,
+par exemple. J'ai déjà dit que je n'entendais pas médire des
+poupées,--le jouet n'empêche pas le livre.--La vraie poupée, celle que
+l'on peut habiller et déshabiller sans crainte de froisser une robe de
+cent francs, qui possède une tête de porcelaine que l'on fait remettre à
+neuf par le premier marchand venu du coin quand son propriétaire a eu le
+malheur de tomber sur le nez, la poupée qui a son trousseau bien simple
+de petits bas, de petits pantalons et de petites chemises, que sa maman
+blanchit elle-même, la poupée que l'on mène en voiture et qui fait la
+dînette, cette poupée-là est toujours amusante et sera amusante tant que
+le monde durera. Mais le soir, quand Mimi viendra sous la lampe demander
+à sa maman de lui montrer des images, sera-t-elle contente, oui ou non,
+si ces images sont choisies dans un livre à elle, à elle toute seule,
+écrit pour elle...</p>
+
+ <p>--Il y en a donc de ces livres-là.</p>
+
+ <p>--Il y en a quarante à l'heure qu'il est, ni plus ni moins, et la
+collection des albums de P.-J. Stahl se complète d'année en année. C'est
+le tableau vivant de l'enfance à tous les degrés, c'est un
+chef-d'&oelig;uvre, une galerie sans rivale.</p>
+
+ <p>--Mais Mimi ne sait pas lire!...</p>
+
+ <p>--Si elle ne sait pas lire encore, elle sait voir au moins; tous les
+enfants savent lire dans les livres à images; l'image vue, l'image lue,
+on veut savoir au plus juste de quoi il s'agit, et vous êtes là, chère
+madame, pour lui lire à haute voix les légendes spirituelles ou
+émouvantes que Stahl a donné à traduire en merveilleux dessins au crayon
+de Fr&oelig;lich. C'est toute une morale où le code de la première enfance
+est passé en revue article par article.--«Il faut aimer son papa, sa
+maman et le bon Dieu», voilà pour l'âme. «Il faut manger sa soupe
+courageusement jusqu'à la dernière cuillerée», voilà pour le corps. Et
+pour la vie pratique: «Il ne faut mettre son doigt ni dans son nez, ni
+dans les pots de confiture.--Il ne faut pas jouer avec ce qui coupe; les
+couteaux ne sont pas un jeu.--Il est abominable d'égratigner son frère,
+sa s&oelig;ur et même sa bonne.--Il est très-mal aussi de marcher dans les
+ruisseaux, ils ne sont pas faits pour cela.--Il ne faut jamais dire
+qu'on n'a pas envie de dormir quand il est huit heures et demie
+sonné...»</p>
+
+ <p>Mon ami et sa femme s'étaient mis à rire dès les premiers mots de cette
+énumération.</p>
+
+ <p>--Pauvre Mimi! dit la jeune mère, c'est vrai tout de même que pas plus
+tard que ce soir elle s'est démenée comme un beau petit diable en
+prétendant que la pendule avançait et que, vrai, il ne pouvait pas être
+huit heures et demie!...</p>
+
+ <p>--<i>Les Commandements du grand-papa</i> lui en apprendront bien d'autres. Et
+la <i>Journée de la célèbre mademoiselle Lili</i>, et la <i>Boîte au lait</i>, et
+le <i>Journal de Minette</i>, et les <i>Idées de mademoiselle Rose</i>, illustrées
+par Detaille, et la <i>Révolte punie</i>, et <i>Hector le fanfaron</i>, et l'<i>Ours
+de Sibérie</i>, et <i>Bonsoir petit père</i>, et <i>Toc-Toc</i>, et <i>Mademoiselle
+Mouvette</i>, qui est son portrait vivant, sans compter les albums en
+couleur qu'elle pourra manipuler à son aise sans courir le risque de
+s'empoisonner, au rebours de ces albums anglais, dont les enluminures
+grossières ne sont bonnes qu'à crever les yeux ou à gâter l'esprit.
+C'est une maxime à graver en lettres d'or dans le Code des parents, que
+préserver les enfants des niaiseries imprimées, c'est accomplir une
+&oelig;uvre pie. Voilà tout le secret de la bibliothèque Hetzel; P.-J. Stahl,
+l'auteur applaudi des <i>Bonnes fortunes parisiennes</i>, que vous avez lues
+tous les deux, à su tremper sa plume, comme je l'ai vu écrire quelque
+part, dans un encrier rempli de lait sucré; une nourrice qui aurait
+passé par l'Académie française n'aurait pas su trouver plus de
+ressources d'esprit et d'imagination que ce père Gigogne. J'aurais dit
+tout cela dans mon article, je puis bien vous le dire à vous, en
+attendant.</p>
+
+ <p>--Eh! c'est là précisément ce que j'étais en train de prêcher à ma
+femme, s'écria mon ami; mais on n'est jamais prophète en son pays. Je
+suis heureux de voir ton succès; on ne t'interrompt plus.</p>
+
+ <p>L'interrupteur se contenta de sourire et je poursuivis en ces termes:</p>
+
+ <p>J'arrive à Jujules. Savez-vous, chère madame, vous qui parliez tout à
+l'heure de livres à choisir «par-dessus le marché», ce que votre petit
+homme de huit ans m'a appris, il n'y a pas six mois? J'étais en train de
+lui faire, en vous attendant, un petit cours d'histoire naturelle et,
+par étourderie ou par ignorance, je ne sais plus au juste, je m'étais
+avisé de ranger le crapaud parmi les reptiles malfaisants. Double
+erreur, le crapaud n'est pas un reptile et le crapaud n'est pas une bête
+malfaisante. Là-dessus, voilà Jujules qui m'interrompt de sa voix la
+plus douce:</p>
+
+ <p>--Pardon! mon parrain, mais j'ai lu quelque part que le crapaud n'était
+pas un reptile...</p>
+
+ <p>--C'est bien, possible; qu'est-il alors?</p>
+
+ <p>--C'est un batracien, mon parrain, à moins que le livre n'ait menti.</p>
+
+ <p>Le livre n'avait pas menti; mais voyez-vous votre bambin qui en
+remontrait à son maître? Je lui demandai le titre de ce bienheureux
+ouvrage. C'était un des classiques du genre: l'<i>Histoire d'une bouchée
+de pain</i> de Jean Macé.</p>
+
+ <p>--Un de mes cadeaux de l'année dernière,... murmura mon ami.</p>
+
+ <p>--Allons? je suis battue sur toute la ligne, et par un enfant encore!
+s'écria la jeune femme. C'est de bonne guerre. Je me rends à discrétion.
+Que lui donnerons-nous cette année au savant Jujules?</p>
+
+ <p>Je me levai et je m'en fus chercher dans le coin où je les avais déposés
+en entrant, l'<i>Histoire d'une maison</i>, de Viollet-le-Duc, et la <i>Famille
+Chester</i>, de P.-J. Stahl et William Hughes.</p>
+
+ <p>--Voici deux nouveautés que vous prendrez la peine de lire avant le 1er
+janvier. Car ces excellents livres ont le double mérite qu'ils
+conviennent aux petits et ne sont pas inutiles aux grands. Je ne veux
+pas être cru sur parole; il faut que vous appreniez par vous-même quel
+soin sévère, quels scrupules ont présidé à la formation de cette
+bibliothèque d'élite. C'est déjà beaucoup de savoir qu'un homme tel que
+M. Viollet-le-Duc a pris le meilleur de son temps pour apprendre au
+grand public comment se bâtit une maison, ce que la profession
+d'architecte exige de clarté dans l'esprit et de rectitude dans le
+jugement. Nous avons tout à gagner à ces enseignements-là. On apprend à
+tout âge et il n'est jamais trop tard pour aller à l'école. C'est encore
+dans un de ces livres que j'ai trouvé la maxime suivante: «Je ne doute
+pas qu'on ne puisse faire un gros livre de ce que tu sais, disait au
+campagnard à son fils qui lui revenait du collège tout enorgueilli de
+son grec et de son latin; mais je suis assuré qu'on en ferait un plus
+gros encore avec tout ce que tu ne sais pas.»</p>
+
+ <p>--Comment l'appelez-vous ce livre-là?</p>
+
+ <p>--<i>Entre frères et s&oelig;urs</i>. Ce sont des causeries scientifiques pleines
+de savoir et de bonne humeur; signé Lucien Biart.</p>
+<br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/004.png"><br><b>LA PREMIÈRE LEÇON.--D'après le tableau de M. Boutibonne.</b></p>
+
+ <p class="mid">(Publié avec l'autorisation de MM. Goupil et Cie.)</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/005.png"><br><b>UN REGARD EN PASSANT.--D'après le tableau de M. Boutibonne</b></p>
+
+ <p class="mid">(Publié avec l'autorisation de MM. Goupil et Cie.)</p>
+
+
+ <p>--C'est l'auteur de ce joli volume de nouvelles que tu as lues avec tant
+de plaisir, dans la <i>Revue des deux mondes</i>, ajouta mon ami, et qui ont
+paru en volume à la même librairie Hetzel, sous le titre des <i>Clients du
+docteur Bernagius</i>, et à l'usage des femmes d'esprit.</p>
+
+ <p>--C'est cela même. Ajoutez que nous nous retrouverons constamment avec
+des écrivains amis. Après Viollet-le-Duc, P.-J. Stahl et Lucien Biart,
+il faudrait nommer Jules Sandeau et sa <i>Roche aux Mouettes</i>,
+Erckmann-Chatrian et <i>Madame Thérèse</i>, Hector Malot et son Romain
+<i>Kalbris</i>, et d'autres tout aussi connus auxquels j'arriverai tout à
+l'heure. Mais ce n'est pas fini. Le 1er janvier de Jujules serait trop
+maigre si vous vous borniez à deux livres; vous y ajouterez la <i>S&oelig;ur
+perdue</i>, de Mayne-Reid, qui fait suite aux <i>Aventures de terre et de
+mer</i>, qu'il a déjà reçues l'année dernière, et l'<i>Histoire du Ciel</i>, de
+Flammarion, qui manque à sa bibliothèque. Je me charge de la <i>Roche aux
+Mouettes</i>, de Jules Sandeau et de <i>Romain Kalbris</i>, d'Hector Malot.</p>
+
+ <p>--Ah ça! s'écria mon ami, du train dont nous y allons, il ne restera
+rien pour Edouard!</p>
+
+ <p>--Rassurez-vous, la bibliothèque d'éducation et de récréation en a pour
+tous les âges et pour tous les goûts. Edouard est déjà un petit homme
+sérieux. Entre temps, il sait manier très-convenablement le compas et
+l'équerre. Tandis que Jujules lui prêtera son <i>Histoire d'une maison</i>,
+Edouard fui confiera en échange la collection des <i>Voyages
+extraordinaires</i> de Jules Verne...</p>
+
+ <p>Mais c'est que je les lis, moi aussi, ces voyages!... s'écria la jeune
+femme en me coupant la parole, y en a-t-il de nouveaux?</p>
+
+ <p>--Ah! je vous y prends! Que me disiez-vous donc tout à l'heure, que vous
+vous en reposiez sur le premier libraire venu du choix de ces lectures?
+Jules Verne tout au moins aurait été désigné à l'avance et pour ce seul
+aveu il vous sera beaucoup pardonné. Certes oui, il y en a de nouveaux
+et ce ne sont pas les moins merveilleux. J'ai apporté le <i>Pays des
+fourrures</i>, dont je puis parle en connaissance de cause, car je l'ai
+déjà lu dans le <i>Magasin d'éducation</i>. Vous avez encore le <i>Tour du
+monde, en quatre-vingts jours</i>, un chef-d'&oelig;uvre d'invention, une sorte
+de conte des Mille et une nuits, avec la fantaisie déréglée en moins, et
+en plus l'imagination scientifique. Ce sont de fameux pendants à <i>Vingt
+mille lieues sous les mers</i>, au <i>Voyage dans la Lune</i> et au <i>Centre de
+la terre</i>, à <i>Cinq semaines en ballon</i>, aux <i>Enfants du capitaine,
+Grant</i>, au <i>Capitaine Hatteras</i>, etc. Cet étonnant romancier poursuit un
+plan qui consiste à faire faire à son public la découverte successive de
+toutes les parties du monde et de tous les phénomènes du globe. Nous
+avons encore un bon bout de chemin en perspective. Savez-vous ce qu'il
+m'a répondu tout dernièrement? Je lui demandais quelles surprises
+nouvelles il nous réservait et s'il nous était permis de compter sur une
+deuxième série aussi riche que la précédente.</p>
+
+ <p>--N'est-ce que cela! me dit-il gaiement, apprenez qu'elle est toute
+composée cette série à venir; il ne me faut plus que le temps de
+l'écrire.</p>
+
+ <p>--Tout va bien, répliqua mon ami, mais avec tout cela je ne vois pas
+pourquoi tu nous a parlé du compas et de l'équerre d'Édouard?</p>
+
+ <p>--M'y voici. Nous lui donnerons les Sciences usuelles et leurs
+applications mises à la portée de tous, par le capitaine de frégate
+Louis du Temple. Ce livre-là serait un peu trop sérieux pour Jujules; il
+fera le bonheur d'Édouard. Figurez-vous, mes amis, la mécanique et la
+géométrie racontées par un homme qui a appris la science à de pauvres
+mécaniciens de la marine, à des gens presque illettrés mais pleins
+d'ardeur, de bon vouloir et de dévouement. Ce sera bien le diable si
+sous la direction d'un tel maître Edouard ne devient pas un mécanicien
+de premier ordre. Je tiens à être là pour jouir de sa joie quand il
+recevra ce magnifique volume, et si vos mains sont trop pleines de
+cadeaux pour y joindre celui-là, c'est moi qui m'en chargerai.</p>
+
+ <p>--Mais non! dit la jeune femme en riant, je n'accepte pas l'épigramme;
+me voilà bel et bien convertie, et je vous promets que le n° 18 de la
+rue Jacob comptera désormais une cliente aussi assidue que dévouée.
+N'abusez pas de votre victoire.</p>
+
+ <p>--Ainsi, ajouta mon ami, c'est toute une bibliothèque que nous
+introduisons dans la famille. Quelle heureuse chance pour moi d'avoir eu
+pour auxiliaire un ami dont le métier consiste précisément à lire les
+livres nouveaux pour guider autant que possible le choix du grand
+public. Si grâce à toi, le budget des étrennes est un peu plus lourd que
+de coutume, je ne m'en plaindrai pas.</p>
+
+ <p>--C'est encore une erreur, répondis-je, et ce sera mon dernier mot. Le
+plus riche, le plus luxueux de ces beaux livres, les <i>Contes de
+Perrault</i>, de Doré, qu'il faudra donner à Mimi, dans un an ou deux, ne
+coûte pas à beaucoup près ce que coûte une soirée dans un théâtre de
+genre, qui trop souvent se trouve être un théâtre de mauvais genre; il
+coûte moins qu'un joujou vulgaire de chez Giroux, une boîte de bonbons
+de Roissier, une fleur artificielle à mettre dans vos cheveux, madame,
+ou la fumée de quelques cigares de choix que monsieur achètera au
+Grand-Hôtel. Direz-vous que ce qui serait trop d'argent pour une chose
+qui reste ne serait rien pour une chose qui passe?</p>
+
+ <p>--Non! non! s'écrièrent en ch&oelig;ur mes deux amis, le mari et la femme,
+associés et réconciliés dans le même sentiment. Nous voilà d'accord.</p>
+
+ <p>--Tout est donc bien qui finit bien, répondis-je en fermant l'entretien;
+cela finit d'autant mieux que mon article est fait. Tant pis pour vous,
+je vous préviens que je vais livrer au public toute notre conversation
+sans y changer un mot.</p>
+
+ <p>--Tu ne nous nommeras pas au moins!</p>
+
+ <p>--Je le jure! Je me bornerai à vous soumettre mon procès-verbal et à
+signer pour copie conforme:</p>
+
+ <p>Prosper Chazel.</p>
+
+<br><br>
+
+ <h2>LA S&OElig;UR PERDUE</h2>
+
+ <h3>Une histoire du Gran Chaco</h3>
+
+ <p class="mid">(Suite)</p>
+ <br>
+
+ <h3>CHAPITRE X</h3>
+
+ <h4>ARRÊTÉS PAR UN «RIACHO.»</h4>
+
+ <h4>LES GYMNOTES</h4>
+
+ <p>Les voyageurs se trouvaient à un mille de distance de leur dernière
+halte quand les hautes berges du Pilcomayo commencèrent à se déprimer,
+puis à s'abaisser jusqu'à se mettre presque de niveau avec le fleuve. La
+colline qu'ils avaient jusqu'alors suivie se continuait sur l'autre
+bord, comme si elle eût été coupée par le courant qui formait en cet
+endroit une série de rapides contre lesquels l'eau se brisait en
+bouillonnant et avec un bruit assourdissant.</p>
+
+ <p>Les voyageurs n'y prêtèrent pas attention; ils descendirent la pente et
+continuèrent à remonter le cours d'eau.</p>
+
+ <p>Ils ne tardèrent pas à se heurter contre un obstacle inattendu. C'était
+une sorte de ruisseau lent, un <i>riacho</i> (2) qui débouchait
+perpendiculairement dans le Pilcomayo ou en sortait, suivant la saison
+et les caprices de l'inondation. En ce moment il semblait être immobile,
+parce que la rivière principale, subitement enflée par l'ouragan,
+arrêtait le courant plus tranquille de son affluent. Ses eaux étaient
+jaunâtres et comme mêlées de terre et de sable. Le seul moyen d'en
+savoir la profondeur était d'y entrer à cheval, mais l'expérience était
+dangereuse.</p>
+
+ <blockquote><span class="sml"><b>Note 2:</b> Le <i>riacho</i> de l'Amérique du Sud est un cours d'eau tributaire
+d'une grande rivière. Il ressemble au bayou de la Louisiane. En temps
+d'inondation son courant change de direction et revient sur lui-même.</span></blockquote>
+
+ <p>Il ne fallait pas songer à tourner pour le franchir au-dessus de sa
+source, ni à chercher un gué en le remontant. Le riacho était droit
+comme un canal, et les cavaliers pouvaient le suivre des yeux à travers
+la plaine sur une étendue de plus de dix milles présentant toujours la
+même largeur et probablement la même profondeur que sous la tête de
+leurs chevaux.</p>
+
+ <p>Que faire? remonter jusqu'à la source aurait exigé une demi-journée tout
+entière. Cypriano était trop impatient pour y songer et Gaspardo
+lui-même paraissait médiocrement disposé à un retard. Essayer de passer
+à l'endroit où ils se trouvaient semblait être une entreprise
+hasardeuse; il leur faudrait peut-être nager. Cependant cette
+alternative ne les eût pas arrêtés si le bord opposé avait offert une
+pente douce ou quelque point facile qui permit aux chevaux d'aborder.
+Mais il n'en était pas ainsi; au contraire, la berge s'élevait
+perpendiculairement à plus de deux pieds au-dessus de l'eau, et, sous
+l'eau, cette sorte de muraille pouvait être encore plus profonde. Les
+voyageurs étaient dans l'impossibilité d'évaluer la profondeur à cause
+de la coloration de l'eau, conséquence de la tormenta, et il n'existait
+ni courant ni rides pour les aider à se former une opinion même
+approximative.</p>
+
+ <p>Ils restaient indécis sur leurs selles. S'il avait été seul, Cypriano,
+dans son impatience, aurait lancé son cheval en plein cours d'eau, mais
+Gaspardo avait mis la main sur la bride en lui disant: «Patience! il est
+bon de réfléchir, même avant de faire une folie.»</p>
+
+ <p>Ils demeurèrent ainsi pendant plus de dix minutes, tantôt jetant les
+yeux sur le ruisseau, tantôt se regardant les uns les autres.</p>
+
+ <p>«<i>Gracias a Dios!</i> que Dieu soit loué! s'écria tout d'un coup le
+gaucho.»</p>
+
+ <p>Il proféra cette exclamation d'un ton si satisfait et avec un tel soupir
+de soulagement que ses jeunes camarades comprirent que le problème était
+résolu et que le moyen de passer était découvert.</p>
+
+ <p>«Qu'avez-vous imaginé, mon bon Gaspardo? demanda Cypriano, toujours le
+plus prompt à interroger.</p>
+
+ <p>--Regardez là-bas, dit Gaspardo? en montrant de la main l'endroit où
+l'affluent réunissait ses eaux à celles du fleuve. Que voyez-vous
+là-bas, senoritos?</p>
+
+ <p>--Rien de particulier, quelques grands oiseaux blancs avec de longs
+becs, qui ressemblent à des grues.</p>
+
+ <p>--Certainement, ce sont des grues, et même des grues soldats, des
+<i>garzones</i> (3). Eh bien! qu'en pensez-vous?</p>
+
+ <blockquote><span class="sml"><b>Note 3:</b> Le <i>garzon</i> est la plus grande des grues de l'Amérique du Sud.
+Il possède une hauteur de cinq pieds; ses jambes sont longues et grêles;
+son bec pointu est immense; il a sous la gorge un sac rouge comme un
+pélican et son plumage est presque d'un blanc de neige.</span></blockquote>
+
+ <p>--Qu'elles nagent?</p>
+
+ <p>--Nager! pas le moins du monde. Le garzon ne nage jamais. Elles passent
+à gué, senoritos; oui! à gué.</p>
+
+ <p>--Eh bien! après? fit Ludwig.</p>
+
+ <p>--Comment! après? Je suis étonné que vous, naturaliste, un savant qui
+avez appris à raisonner, vous ne liriez pas la conclusion d'un fait
+aussi clair.</p>
+
+ <p>--Quelle conclusion? demanda naïvement le jeune savant.</p>
+
+ <p>--La plus simple du monde, à savoir que comme le dit la chanson, si les
+canards l'ont bien passé, nous passerons nous aussi le riacho. Les grues
+ont de longues jambes, c'est vrai, mais où un garzon peut passer, un
+cheval n'est pas obligé de nager. Non, muchachos! nous traverserons à
+l'endroit où ces gros oiseaux blancs sont en train de s'amuser. Nous
+pourrions même peut-être le faire ici, mais cela serait moins sûr. Il y
+a évidemment une barre de sable entre le riacho et la rivière et voilà
+pourquoi les grues sont à l'eau. J'ajoute que, si elles y sont, ce n'est
+pas pour le simple plaisir d'y prendre un bain de pieds. Il est probable
+que l'orage a troublé les poissons et les a ramenés du large contre la
+barre. Les grues, les trouvant là à leur portée, y sont venues à leur
+tour. Tout s'enchaîne à merveille, vous le voyez, et nous n'avons
+nous-mêmes rien de mieux à faire que de mettre à profit le résultat de
+l'expérience faite par les grues.»</p>
+
+ <p>Le gaucho avait raison. Les <i>garzones</i> étaient activement occupés à
+pêcher; les uns plongeaient leur bec sous l'eau, d'autres, la tête
+renversée, montraient sous leur gorge de vastes poches écarlates
+gonflées par le poisson qu'ils s'efforcaient d'engloutir.</p>
+
+ <p>«C'est pitié de les déranger de leur dîner, dit Gaspardo, surtout après
+le service qu'elles nous ont rendu en nous montrant le gué. Por Dios! Il
+nous faut pourtant le faire, il n'y a pas moyen de l'éviter. Allons,
+senoritos, descendons, nous demanderons en passant pardon à mesdames les
+grues de la liberté que nous prenons à leurs dépens.»</p>
+
+ <p>En disant ces mois, Gaspardo se dirigea vers le confluent des deux cours
+d'eau, suivi par ses compagnons qui n'avaient fait, comme on le pense,
+aucune objection au discours du brave gaucho.</p>
+
+ <p>Au bout de deux cents pas, ils arrivaient au territoire de pêche des
+grues.</p>
+
+ <p>Ces grands oiseaux, effrayés par l'approche de créatures si différentes
+de celles qu'ils voyaient ordinairement, se hâtèrent d'avaler le contenu
+de leurs poches écarlates, puis, agitant leurs grandes ailes au-dessus
+de l'eau, s'élevèrent dans les airs en protestant par leurs cris contre
+le dérangement qu'on leur causait!</p>
+
+ <p>Pendant un moment, ils tournèrent au-dessus de la tête des cavaliers en
+poussant leurs notes perçantes, comme s'ils avaient espéré disputer aux
+cavaliers le passage du ruisseau. Cependant, quand les chevaux se mirent
+à l'eau, ils comprirent que pour le moment leur pèche était finie, et,
+cessant leurs bruyantes démonstrations, ils partirent l'un après l'autre
+en quête d'une retraite plus tranquille.</p>
+
+ <p>Le passage était tel que Gaspardo l'avait supposé; c'était une barre
+entre le fleuve principal et son tributaire. Ni en aval ni en amont les
+chevaux n'auraient pu passer à gué, et même sûr la barre, au point le
+plus profond, leurs sangles baignaient dans l'eau.</p>
+
+ <p>La distance à parcourir était de plus de cent mètres, car c'était à
+cette place que le riacho avait sa plus grande largeur.</p>
+
+ <p>Ils avaient franchi les deux tiers du passage et se félicitaient déjà
+d'être bientôt arrivés sur l'autre rive, quand tout d'un coup les
+chevaux firent halte en frémissant de la tête aux pieds.</p>
+
+ <p>Au même instant, chacun des trois cavaliers ressentit une commotion
+étrange et tellement simultanée, que leurs exclamations s'échappèrent de
+leurs trois bouches à la fois comme d'un seul gosier..</p>
+
+ <p>Gaspardo seul reconnut la cause de ces chocs imprévus.</p>
+
+ <p>«Caramba! s'écria-t-il, c'est une raie électrique. Non pas une, mais
+peut-être un millier! Il y en a tout autour de nous, je le vois bien au
+frémissement des chevaux. Donnez de l'éperon, senoritos! donnez de
+l'éperon, ou nos bêtes paralysées n'atteindront jamais le bord!»</p>
+
+ <p>Ainsi apostrophés, les jeunes gens piquèrent de toute la force de leurs
+talons, et leurs montures s'avancèrent encore, mais avec inquiétude et
+une visible irrésolution. Parfois elles essayaient de reculer en dépit
+des coups d'éperon.</p>
+
+ <p>Les cavaliers n'échappaient pas à cette influence. Le fluide subtil
+courant le long des membres des chevaux, pénétrait dans le système
+nerveux des hommes et leur causait de violentes secousses. Tous les
+trois se sentirent d'autant plus troublés, que la force ne pouvait rien
+contre l'obstacle bizarre qui s'opposait à leur marche en avant.
+Gaspardo seul conservait encore assez de présence d'esprit pour parler
+et agir.</p>
+
+ <p>«Éperonnez, criait-il, éperonnez! si nous ne gagnons pas le bord
+rapidement, les gymnotes auront raison de nous et de nos bêtes. Nos
+chevaux s'enfonceront dans l'eau comme des pierres et nous-mêmes, si
+nous n'échappons pas à l'influence de ces infernales bêtes, nous ne
+pourrons passer ni à gué ni en nageant. En avant donc, senoritos! Jouez
+de la cravache et des éperons comme s'il s'agissait du salut de nos
+Ames!»</p>
+
+ <p>Ludwig et Cypriano n'avaient pas besoin d'être excités. Ils sentaient
+parfaitement l'imminence du péril et ne comprenaient que trop que chaque
+minute le décuplait. Tous deux poussaient leurs montures autant que le
+leur permettait leur énergie défaillante.</p>
+
+ <p>Gaspardo le premier finit par atteindre le bord; il fut suivi de près
+par Cypriano. Mais quand tous deux, se retournant, jetèrent les yeux sur
+Ludwig, ils s'aperçurent que celui-ci était resté en arrière d'eux, à
+quelques mètres de la rive; son cheval tremblait comme une feuille et
+refusait d'avancer. Le cavalier commençait à perdre la tête en voyant
+l'inutilité de ses efforts. Tout d'un coup sa monture cessa de bouger.
+Le gaucho et Cypriano la virent peu à peu enfoncer. Evidemment Ludwig
+était hors d'état de la retenir,</p>
+
+ <p>Cypriano fit mine de descendre de cheval et de se jeter à l'eau pour
+aller au secours de son cousin.</p>
+
+ <p>«Gardez-vous-en bien, s'écria le gaucho. Vous n'arriverez qu'à périr
+avec lui. Il y a mieux à faire pour le salut de Ludwig.»</p>
+
+ <p>En même temps il détachait son lazzo de sa selle et le faisait tournoyer
+autour de sa selle. Le n&oelig;ud coulant tomba juste sur les épaules de
+Ludwig. Le jeune homme enlevé de sa bête abordait, cinq minutes après,
+sain et sauf sur le rivage.</p>
+
+ <p>Sans perdre un instant, le gaucho relâcha le lazzo, le détacha
+promptement des épaules de Ludwig, le fit siffler encore, et le lança
+sur le cheval, dont l'arrière-train était déjà sous l'eau.</p>
+
+ <p>Cette fois, la boucle largement ouverte tomba sur le cou de l'animal en
+entourant dans sa première moitié la haute selle espagnole qu'il
+portait; Gaspardo, assurant solidement le lazzo autour de son poignet et
+de son avant-bras, fit faire demi-tour à sa propre monture du côté
+opposé à la rive, et l'encourageant de la voix, il la lança d'un élan
+vigoureux en avant.</p>
+<br>
+ <h4>CHAPITRE XI</h4>
+
+ <h4>LE POISSON QUI FAIT DU FEU</h4>
+
+ <p>Il y eut une lutte violente au milieu du riacho; elle dura peu. Le
+cheval de Ludwig reprenait courage en se sentant secouru; il fit un
+effort de vigueur pour aider à celui qui était tenté en sa faveur; ses
+jambes de derrière, dégagées, reprirent bientôt leur fonction, et il
+finit par prendre terre à son tour.</p>
+
+ <p>Le bord de ce cours d'eau bourbeuse présentait un étrange tableau; les
+trois chevaux frissonnant semblaient près de défaillir, et leurs
+cavaliers n'étaient guère dans un meilleur état.</p>
+
+ <p>Le plus âgé des trois conservait encore un peu de force, mais il était
+loin de se sentir aussi solide et aussi alerte que d'habitude. Jamais il
+n'avait subi une si violente attaque des gymnotes, et il ne pouvait
+s'expliquer leur puissance extraordinaire qu'en l'attribuant à
+l'électricité de la tempête, qui sans doute avait surexcité en elles
+l'énergie du fluide.</p>
+
+ <p>C'était là en effet l'explication la plus plausible du fait; la raie
+électrique, parfois complètement inoffensive, est d'autres fois l'animal
+le plus dangereux qu'il soit possible de rencontrer au sein des eaux.</p>
+
+ <p>Les chevaux furent quelque temps avant de se remettre de l'influence et
+des souffrances causées par les décharges galvaniques des gymnotes. Les
+cavaliers et Gaspardo lui-même avouaient qu'ils se sentaient très-mal à
+leur ai$e. Cependant le gaucho finit par retrouver sa vaillante humeur.
+Le succès de sa double pêche au lazzo, la première qu'il eût faite en ce
+genre, l'avait ragaillardi, et il communiqua un peu de son entrain à ses
+deux compagnons. Ils reprirent sans délai leur voyage, et, tout en
+continuant à suivre les bords du Pilcomayo, Gaspardo donnait à ses
+jeunes compagnons toutes les observations à sa connaissance relativement
+aux singuliers animaux auxquels ils avaient eu tant de peine à se
+soustraire.</p>
+
+ <p>«Les gauchos, dit-il, les appellent des raies: cependant j'ai entendu le
+senor Ludovico (il désignait ainsi le père de Ludwig) leur donner le nom
+de gymnotes (4). Je suppose que c'est celui qui est connu des
+naturalistes.</p>
+
+ <blockquote><span class="sml"><b>Note 4:</b> La gymnote possède une merveilleuse puissance électrique. Les
+chevaux e! les bestiaux qui passent à gué les marécages ou ruisseaux
+peuplés par ces singulières créatures succombent souvent sous leurs
+chocs galvaniques. L'incident que nous rapportons est en parfaite
+concordance avec les phénomènes observés.</span></blockquote>
+
+ <p>--C'est vrai, répondit le jeune Ludwig en s'intéressant aux paroles de
+Gaspardo. C'est là en effet leur nom scientifique.</p>
+
+ <p>--Avez-vous jamais vu de près un de ces vilains diables? demanda
+Gaspardo.</p>
+
+ <p>--Non, répliqua Ludwig, mais j'ai souvent entendu mon père en parler.»</p>
+
+ <p>A ces mots de «: père», un nuage passa sur les traits du jeune homme; il
+était évident qu'il ne pensait déjà plus aux gymnotes.</p>
+
+ <p>«Moi, dit Gaspardo, j'en ai vu beaucoup. Près de l'endroit où j'allais à
+l'école, il y avait une espèce de mare qui était pleine de raies
+électriques, et nous autres enfants nous nous en amusions beaucoup,
+quoique nous en eussions très-peur. Vous allez voir que ce n'était pas
+sans raison. Je me souviens qu'un jour j'assistai à un triste spectacle.
+Un vieux b&oelig;uf, qui n'avait plus qu'un &oelig;il, s'était laissé choir dans
+cette mare. Les enfants ne doutent de rien; j'avais eu la chance
+d'accrocher, avant que la pauvre bête ne fût à vau-l'eau, une corde à
+l'extrémité de ses cornes; nous nous mimes une douzaine au moins à tirer
+sur cette corde, persuadés que nos efforts suffiraient à ramener le
+pauvre animal du gouffre où il était tombé. Naturellement nous n'y
+parvînmes pas. Le malheureux b&oelig;uf n'en eut pas pour longtemps. Je le
+vois encore, après s'être débattu un instant, s'abîmer tout d'un coup
+sous l'eau, comme s'il eût été frappé d'un coup de foudre invisible.
+Jamais je n'oublierai le regard de détresse qu'il nous jeta avant de
+disparaître; ils ont de si bons regards, les b&oelig;ufs; mais ce que
+j'oublierai encore moins, c'est le châtiment inattendu que nous reçûmes
+du propriétaire du b&oelig;uf, dont nous espérions des remerciements,
+châtiment dû, nous dit-il, à la maladresse de nos efforts.</p>
+
+ <p>«C'était le maître d'école lui-même, un homme pratique, qui ne se payait
+ni de bonnes paroles ni même de bonnes intentions. «Vous vous êtes tous
+conduits comme des imbéciles, s'écria-t-il, en essayant de faire une
+chose tellement au-dessus de vos forces. Il fallait crier au secours,
+venir me chercher. Je n'étais pas loin et mon b&oelig;uf serait encore en
+vie. Savoir ce qu'on peut et ce qu'on ne peut pas, connaître la mesure
+de ses forces est indispensable à tout âge, et pour que vous vous
+souveniez de cette utile maxime, je vais vous appliquer à chacun quelque
+chose qui vous la fixera dans la mémoire.»</p>
+
+ <p>«Nous reçûmes tous une demi-douzaine de férules. Jamais correction ne
+fut administrée avec une plus grande impartialité. Chacun en eut son
+compte.</p>
+
+ <p>--C'était un méchant homme ce maître d'école, s'écria Cypriano...</p>
+
+ <p>--Un peu rude, j'en conviens, répondit Gaspardo, mais c'était surtout un
+homme sensé et judicieux. Ces férules m'ont sauvé de bien des sottises
+dans ma vie, et, s'il faut tout dire, elle vous a été utile à vous-même.
+Je me la suis rappelée à propos dans notre caverne, tout à l'heure,
+quand il s'agissait d'abattre à coups de fusil notre second tigre.
+L'affaire était chanceuse. C'est grâce à la mémorable leçon de notre
+vieux maître que j'ai donné la préférence à notre fusée sur une décharge
+d'artillerie dont reflet n'était pas certain. Pour en revenir à nos
+raies électriques, je ne me doutais pas, à l'époque où s'est passée
+l'histoire que je viens de vous raconter, que j'aurais à me tirer
+d'affaire avec elles aujourd'hui et dans une circonstance aussi sérieuse
+que celle d'où nous sortons. Soyez sûr, mon cher Ludwig, que le souvenir
+du b&oelig;uf et de la leçon énergique subie à cause de lui m'a inspiré
+heureusement tout à l'heure, quand je me suis servi de mon cheval comme
+d'un remorqueur pour le vôtre.</p>
+
+ <p>--Pauvre Gaspardo, dit Cypriano, c'est pourtant vrai que nous voici tenu
+de bénir le vieux maître d'école auquel il a dû un enseignement si
+difficile à oublier.»</p>
+
+ <p>La conversation continua sur les raies électriques.</p>
+
+ <p>«Vous dites que vous avez vu des raies électriques, cousin, demanda
+Ludwig. A quoi ressemblent-elles?</p>
+
+ <p>--Le gaucho peut vous le dire mieux que moi.</p>
+
+ <p>--A quoi ressemblent-elles, Gaspardo?</p>
+
+ <p>--Ma foi, <i>muchachos</i>, si l'on me demandait de faire une description de
+ces vilaines bêtes, je répondrais qu'elles ne ressemblent à rien.
+L'animal le plus laid de la création pourrait être vexé de leur être
+comparé. S'il y a de l'eau en enfer, c'est d'animaux comme ceux-là
+qu'elle doit être peuplée.</p>
+
+ <p>--Tout cela ne nous apprend pas à quoi ressemble une raie électrique,
+interrompit Ludwig, auquel l'amour de l'histoire naturelle faisait
+désirer une description plus précise.</p>
+
+ <p>--Non certainement, répliqua le gaucho, mais ce n'est pas une chose
+aisée que de décrire un poisson qui n'est peut-être pas un poisson,
+quoiqu'il passe son temps sous l'eau.</p>
+
+ <p>--Quant à être un poisson, c'est un poisson, fit le jeune naturaliste,
+tout aussi bien que les autres raies, mais quelle est sa forme, sa
+couleur, sa dimension?</p>
+
+ <p>Mayne Reid.</p>
+
+ <p>(<i>La suite prochainement.</i>)</p>
+
+ <br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/006.png"><br><b>LES TORTUES DE MER A PARIS.--Décapitation d'une grosse
+tortue.</b></p>
+
+<br><br>
+
+ <h3>LA S&OElig;UR PERDUE </h3>
+
+ <h4>PAR MAYNE REID</h4>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/007a.png"><br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;<b>Le vieux mâle gisait inanimé.
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;De petits hiboux occupaient le sol en
+<br>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;commun avec lesquadrupèdes.</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/007b.png"><br>
+<b>Chacun d'eux penché sur le sol.
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;La construction en était toute primitive.</b></p>
+
+<br><br>
+
+ <h3>REVUE LITTÉRAIRE</h3>
+
+ <h4>LES LIVRES D'ÉTRENNES</h4>
+
+ <h4>II</h4>
+
+ <p>Parmi tous ces livres gaufrés et dorés que le jour de l'an fait naître,
+il en est un que je trouve particulièrement recommandable, c'est le
+<i>Magasin d'éducation et de récréation</i>, fondé, il y a quelques années,
+par M. J. Hetzel, avec la collaboration spéciale de Jean Macé et de
+Jules Verne. Le <i>Magasin d'éducation</i> en est arrivé maintenant à sa
+neuvième année, à son dix-huitième volume, et la plupart des ouvrages
+qu'il a publiés, <i>Les Anglais au pôle nord, Les Enfants du capitaine
+Hatteras, Le Pays des fourrures</i>, de Jules Verne, <i>La Roche aux
+Mouettes</i>, de Jules Sandeau, <i>Les Contes du château</i>, de Jean Macé, et
+les délicieuses historiettes de P.-J. Stahl, ses contes et récits de
+morale familière, sont rapidement devenus populaires. Je ne sais rien de
+plus intéressant et de plus curieux que de feuilleter, sous la lampe,
+ces volumes où la gravure vient en aide à l'imagination, où le dessin
+explique et anime le texte, où les yeux sont charmés avant l'esprit. Les
+enfants seraient trop heureux si ces beaux livres, ces récits qui les
+captivent, qui les amusent, ces images qui les séduisent, si tout cela
+était fait pour eux seuls. Mais les parents,--ces grands enfants,--y
+trouvent aussi leur compte. Il y a, dans le <i>Magasin d'éducation</i>, comme
+dans toute la bibliothèque d'Hetzel, des catégories de lectures pour
+tous les âges.</p>
+
+ <p>D'abord, le premier âge, qui se plaira, par exemple, à cette capricieuse
+histoire de <i>La Famille Chester</i>, que P.-J. Stahl a écrite en
+collaboration avec W. Hugues, ou encore à <i>La Comédie enfantine</i> et aux
+jolis dessins de Froment, adorables comme des fresques antiques ou comme
+les meilleurs tableaux d'Hamon. En ce genre, <i>La Boîte au lait</i>, tableau
+de la «première commission» de Fanchette, est tout à fait une chose
+exquise. Les hésitations de Fanchette portant la boîte au lait à tante
+Rose, ses stations, ses tentations, sa gourmandise bientôt punie, tout
+cela est rendu avec une délicatesse infinie, et c'est là une véritable
+&oelig;uvre d'art.</p>
+
+ <p>Le deuxième âge et la jeunesse ont les récits didactiques de Jean Macé
+et de Viollet-le-Duc, l'<i>Histoire d'une maison</i>, entre autres, où
+l'éminent architecte explique avec beaucoup de clarté et d'esprit
+comment on s'y prend pour conduire un logis de la base au faite. Il faut
+placer aussi dans cette catégorie les romans de Lucien Biart ou du
+capitaine Mayne-Reid, les aventures de terre et de mer dont les lecteurs
+de l'<i>Illustration</i> ont pu mieux que personne mesurer le mérite,
+puisqu'ils connaissent <i>La S&oelig;ur perdue</i>, ce vigoureux tableau de m&oelig;urs
+exotiques.</p>
+
+ <p>Les parents enfin, ceux qui lisent ces livres par-dessus les épaules et
+la tête de leurs enfants, ont pour eux <i>Le Tour du monde en 80 jours</i> et
+<i>Le Pays des fourrures</i>, et la <i>Géographie de la France</i> et les
+<i>Sciences usuelles</i>, mises à la portée de tous par M. Louis du Temple,
+un capitaine de frégate qui écrit avec une lucidité étonnante. Elle est
+riche, on le sait, cette collection Hetzel, et les dix-huit volumes du
+<i>Magasin d'éducation</i> forment, à eux seuls, une bibliothèque véritable,
+la plus instructive et la plus attachante. Quelle richesse d'inventions,
+quelle dépense d'imagination et de talent! Comme ce Magasin est
+supérieur à notre pauvre <i>Journal des Enfants</i> qui faisait jadis notre
+joie! On y sent à chaque page la main d'un artiste et d'un lettré. Cet
+homme-double, c'est Hetzel, le plus fin moraliste, l'écrivain délicat,
+l'homme qui sait le mieux ce qui plaît le plus à ces critiques sévères;
+les enfants. Hetzel a vraiment créé tout un genre de livres, et n'eût-il
+pas droit à la renommée littéraire la plus brillante (il en a fait don à
+P.-J. Stahl), qu'il mériterait encore d'être béni des lettres pour avoir
+fondé en France un genre moral et familier, mais artistique, que la
+France ne connaissait pas.</p>
+
+ <p>Cette fois, outre les deux volumes annuels de ce <i>Magasin d'éducation</i>
+dont la collection entière, les deux séries, formeraient la plus
+magnifique étrenne et la plus intelligente qu'on pût donner, Hetzel
+publie plusieurs excellents ouvrages que j'ai grand plaisir à signaler
+et d'une façon toute spéciale.</p>
+
+ <p>C'est, ai-je dit, <i>La Famille Chester</i>, de P.-J. Stahl. Cette histoire
+de «deux petits orphelins», qui ne sont autres que deux malheureux
+<i>rats</i> de Londres, eût fait sourire J.-J. Grandville. Les dessins sont
+de Fr&oelig;lich et ils sont ravissants. C'est l'<i>Histoire d'une maison</i>, de
+Viollet-le-Duc, avec des illustrations et des figures qui mettent ce
+grand art de l'architecture à la portée de tous. C'est le joli volume de
+Lucien Biart, <i>Entre frères et s&oelig;urs</i>, où toutes les menues
+connaissances scientifiques indispensables à la conversation sont
+enfermées avec beaucoup de talent. C'est, encore une fois, <i>La S&oelig;ur
+perdue</i>, de Mayne-Reid, c'est enfin l'&oelig;uvre de Jules Verne, qui se
+trouve augmentée de deux volumes, <i>Le Tour du monde en 80 jours</i> et <i>Le
+Pays des fourrures</i>. Lorsqu'on parle de Jules Verne, il suffit de donner
+le titre de son nouveau livre; il a son public, sa spécialité, son
+originalité, et personne auprès du public n'a plus de vogue que lui. Le
+fait est que ses récits, où la fantaisie se mêle si agréablement à la
+science, sont des plus attachants. Je sais des lecteurs qui en sont
+fanatiques. <i>Le Tour du monde en 80 jours</i> et <i>Le Pays des fourrures</i>
+auront certainement, ou, pour mieux dire, ont maintenant le succès des
+précédents ouvrages de l'auteur, <i>Cinq semaines en ballon</i>, ou encore
+<i>De la Terre à la Lune</i>. M. Verne a évidemment mis à profit, pour écrire
+et décrire son <i>Pays des fourrures</i>, les récits intéressants de M.
+Hayes, mais il a peint d'une touche toute personnelle ces paysages du
+pôle, cette mer de glace, ces <i>icebergs</i>, et de telle façon qu'on ne
+saurait les oublier. Ce dernier livre est l'un de ses bons livres, Il
+vaut tout ce que l'auteur a fait de mieux et l'Académie pourra fort bien
+le couronner, comme elle a couronné les précédents ouvrages et le
+<i>Magasin d'éducation</i> tout entier.</p>
+
+ <p>J'ai dit quel petit chef-d'&oelig;uvre c'était que <i>La Boite au lait</i>, de M.
+Froment; il faut ajouter qu'Hetzel publie, dans le même genre,
+d'adorables albums, comme <i>Les Commandements du grand papa</i>, illustrés
+par Lorentz Fr&oelig;lich, et <i>Les Aventures de Mademoiselle Minette</i>, qui se
+recommandent tout particulièrement au public par le nom de l'artiste qui
+en a signé les dessins. C'est Coinchon, un brave garçon, garde national
+de marche au 19 janvier, et tué, comme Henri Régnault, devant le mur de
+Buzenval. Coinchon a fait pour Mademoiselle Minette des études de chats
+et de chattes absolument réussies. Il y avait un vrai talent chez le
+malheureux jeune homme. On ne saurait trop louer ces livres-albums, dont
+le texte est de P.-J. Stahl, et il faut avoir, pour écrire les légendes
+de ces dessins, un talent d'écrivain d'une trempe parfaite. Cela n'a
+l'air de rien, ces quelques lignes mises au bas d'un croquis de Fr&oelig;lich
+ou de Froment, et, pour les tracer, il faut posséder à la fois les
+qualités les plus rares, la finesse, la simplicité, l'émotion, une
+certaine tendresse, la science de l'enfance, toutes choses qui ne se
+peuvent trouver, on l'avouera, que chez des natures d'élite.</p>
+
+ <p>Hetzel a donc donné, cette année comme les années précédentes, des
+&oelig;uvres de choix, et il en prépare déjà de nouvelles, l'<i>Histoire d'un
+âne</i>, par Stahl, l'<i>Île mystérieuse</i>, par J. Verne, <i>Une Mère</i>, par M.
+Legouvé, et la <i>Petite s&oelig;ur</i>, par M. de Laprade. Et c'est plaisir de
+voir tous les bons esprits et les c&oelig;urs haut placés aider dans son
+entreprise l'homme qui a su faire ainsi une révolution dans la librairie
+et créer une bibliothèque pour les jeunes esprits, qui seront plus
+heureux que notre génération sacrifiée et pénétreront peut-être par la
+porte au seuil de laquelle nous aurons usé nos efforts, dans cette
+société équilibrée où le bonheur, dit-on (pourquoi ne l'espérerait-on
+pas?) sera mieux réparti entre tous, l'injure de la patrie étant depuis
+longtemps vengée.</p>
+
+ <p>Ce ne sont pas là d'ailleurs les seuls livres d'étrennes qu'il nous faut
+encore signaler. M. Gaston Tissandier a, depuis un an, fondé une sorte
+de revue illustrée des sciences qu'il appelle La Nature. La première
+année est finie et forme déjà un beau volume d'une utilité et d'un
+intérêt absolus. MM. Dehérain, Flammarion, C.-M. Gariel,--un esprit
+supérieur, un de nos anciens compagnons de classe,--Amédée Guillemin, E.
+Margollé, etc., composent la rédaction de ce recueil que je n'ai point
+qualité pour analyser ou critiquer, mais dont je signale avec plaisir
+l'apparition et dont je constate le succès.</p>
+
+ <p>M. le marquis de Cherville a publié aussi (chez Didot) un bien joli
+volume. On connaît son <i>Histoire d'un trop bon chien</i>. Cette fois, M. de
+Cherville nous conte l'<i>Histoire naturelle en action</i>. Il est chasseur,
+il est campagnard, il adore les animaux, tout en les abattant d'un coup
+de Lefaucheux; mais, à dire vrai, le gibier et lui n'en sont pas moins
+bons amis. La preuve en est dans la façon dont il en parle. On n'a pas
+plus d'esprit et pas plus d'émotion juste et non affectée que n'en a M.
+de Cherville en ces pages qui instruisent et qui amusent, et qui
+méritent d'être relues. L'<i>Histoire naturelle en action</i> est un des plus
+instructifs recueils de nouvelles qu'on ait publiés depuis longtemps.</p>
+
+ <p>Et les <i>Contes du bibliophile Jacob à ses petits enfants</i>? M. Paul
+Lacroix a fait tenir dans ces pages et dans ces quelques récits toute
+l'histoire de France de 1350 à 1695. Chaque épisode choisi par le savant
+auteur de tant de travaux estimés forme, si je puis dire, le tableau
+d'un règne ou d'une époque et, de la sorte, le lecteur s'instruit en
+s'amusant. Il s'instruit sans le savoir, car, c'est un fait, le public
+n'aime pas qu'on lui dise: venez ici, je vais vous apprendre quelque
+chose. Il hait d'instinct les magisters. Mais on n'est pas moins
+pédagogue ni pédant que M. Paul Lacroix, et ses <i>Contes du bibliophile
+Jacob</i>, avec leurs dessins très-étudiés et très-vrais de M.
+Philippoteaux méritent, eux aussi, une place d'honneur.</p>
+
+ <p>Est-ce tout? Certes non. Je dois signaler encore <i>Les Merveilles de la
+science</i>, de M. Louis Figuier. C'est un livre plein de faits, groupés
+avec art et rendus visibles,--j'allais dire palpables,--par des dessins.
+M. Figuier nous apprend là tout ce qu'il faut savoir sur le verre, le
+cristal, les poteries, les porcelaines, la soude, le savon, les
+potasses. Et tout cela est intéressant comme un roman. A propos de M.
+Louis Figuier, je suis bien en retard avec lui, ou du moins avec ses
+<i>Vies des savants illustres</i> qu'il publie en volumes in-18 (ce sera
+l'édition définitive); je devais depuis de longs mois l'annoncer.</p>
+
+ <p>Je ne reviendrai point sur <i>La Comédie de notre temps</i>, texte et dessins
+par Bertall. Je tiens seulement à ajouter, en manière de post-scriptum,
+après la notice de l'autre jour, que le livre fait son chemin et que
+l'auteur y a trouvé son plus grand succès. L'éditeur, M. Eugène Plon,
+nous a adressé depuis un joli volume signé Mustapha, et qui s'appelle
+<i>Voyage autour de ma tente</i>. Ce sont de petits croquis militaires d'une
+valeur rare. Ce pseudonyme de Mustapha cache, je crois, M le capitaine
+Lung, l'auteur d'un très-beau travail sur le <i>Masque de fer</i>. Ce sont là
+des souvenirs du temps où le soldat avait le droit de rire.
+«Recueillons-les, semble dire <i>Mustapha</i>, et amusons-nous-en encore
+jusqu'au jour où il nous sera permis de rire des autres.»</p>
+
+ <p>M. Plon est encore l'éditeur d'une magnifique publication, aujourd'hui
+terminée, le <i>Musée des Archives nationales</i>, où l'on retrouve
+catalogués, analysés, reproduits très-souvent <i>en fac-similé</i>, les
+incomparables trésors historiques conservés à la rue du Chaume. Tout le
+inonde n'a pas le loisir d'aller visiter le musée des Archives et
+surtout d'en étudier les richesses. Eh bien, là, on retrouve le Musée
+lui-même, on le possède dans ces pages savantes qui composent, à dire
+vrai, un monument littéraire et historique tout à fait unique. Passer
+des sceaux à l'aspect étrange et des signatures bizarres des premiers
+rois à l'écriture des Henri IV et des Louis XIV, pour s'arrêter à
+Bonaparte, après avoir regardé les morceaux de papier déchiré trouvés
+sur le cadavre de Pétion, quel réve! quelle fantastique réalité! Or,
+c'est cela, ce sont ces surprises et cette science que ce beau volume,
+le <i>Musée des Archives nationales</i>, tient en réserve. Il ne nous suffira
+pas de l'avoir loué ainsi, rapidement, nous y reviendrons à coup sûr.</p>
+
+ <p>Il en est, il en sera de même des <i>Fables</i> de La Fontaine, que vient
+d'éditer M. Jouaust. La Fontaine illustré par Millet, Stevens, J.-L.
+Brown, Detaille, Emile Lévy, etc., et illustré de façon à ce que le
+dessin original de l'artiste soit reproduit, si je puis dire, dans sa
+réalité même, voilà l'étonnement que nous réservait ce maître
+ès-bibliophilie. Il a réussi et nous prédisons, dés à présent, un vif
+succès à ces <i>Fables de La Fontaine</i>, que nous rangeons dans la
+catégorie des livres d'étrennes, quoique le livre n'ait pas besoin, pour
+être apprécié, d'être un livre d'actualité.</p>
+
+ <p>Jules Claretie.</p>
+
+ <br><br>
+
+ <h3>BIBLIOGRAPHIE</h3>
+
+ <p><i>La pluie et le beau temps</i>, météorologie usuelle, par Paul
+Laurencin.--A lire le titre de ce charmant petit volume, on pourrait
+croire à une &oelig;uvre fantaisiste, mais le sous-titre est là pour
+rectifier cette impression première et déterminer le domaine dans lequel
+l'auteur introduit le lecteur à son grand profit.</p>
+
+ <p>C'est donc de météorologie qu'il s'agit, c'est-à-dire de ces phénomènes
+curieux dont l'atmosphère est le théâtre et qui influent sur ce que,
+dans le langage familier, on appelle le <i>Temps</i>. L'ouvrage, publié par
+J. Rothschild, éditeur, et orné de 110 gravures et cartes, est divisé en
+vingt chapitres, où M. Laurencin, en un style clair, précis et d'une
+élégante simplicité, traite successivement de la composition de l'air,
+de la chaleur et des courants atmosphériques, de l'eau dans
+l'atmosphère, de la pluie, de ses bienfaits et de ses méfaits, des
+orages, du cyclone, de l'arc-en-ciel, des climats, des saisons, etc.,
+etc., et montre finalement que tous les phénomènes de la pluie et du
+beau temps dérivent d'une cause unique: la chaleur solaire, et que,
+jusqu'à un certain point, on peut prévoir les variations atmosphériques.
+Cette possibilité de se rendre compte des chances probables de pluie et
+de beau temps, pour une époque déterminée, intéresse aussi bien l'homme
+de plaisir que l'homme de travail. Aussi sommes-nous convaincus que <i>La
+pluie et le beau temps</i>, ce résumé aussi succinct que substantiel de
+toutes nos acquisitions touchant la science météorologique, recevra de
+tout le monde l'accueil qu'il mérite à tous les titres, c'est-à-dire le
+plus favorable et le plus empressé.</p>
+
+ <p>P.</p>
+
+ <p>Au nombre des étrennes les plus belles et les plus utiles, les plus
+intéressantes et les plus instructives, nous devons placer en première
+ligne un magnifique volume: <i>le Jardin d'acclimatation illustré</i>.</p>
+
+ <p>L'auteur, M. Pierre Pichot, le sympathique directeur et rédacteur en
+chef de la <i>Revue britannique</i>, a eu le talent de vulgariser la
+zoologie, et son remarquable ouvrage, apprécié des savants, est écrit
+dans un style clair et facile, qui le met à la portée de tout le monde.</p>
+
+ <p>Ce splendide livre renferme 25 gravures coloriées et d'innombrables
+vignettes; ce n'est pas seulement un excellent guide du Jardin
+d'acclimatation; l'auteur a poursuivi un but plus élevé et a réussi à
+faire un traité complet de zoologie.</p>
+
+ <p>Le <i>Jardin d'acclimatation illustré</i> se trouve chez Hachette et au bois
+de Boulogne, à la librairie du Jardin d'acclimatation. Son prix est plus
+modique qu'on ne pouvait s'y attendre pour une publication aussi
+importante. (Broché, 15 fr.; richement relié, 20 fr.)</p>
+
+ <p>Il y a deux mois, nous avons vu plusieurs fabricants de machines à
+coudre faire grand bruit avec les récompenses qu'ils avaient obtenues à
+l'Exposition de Vienne. Sans vouloir diminuer en rien la valeur attachée
+aux médailles de progrès et à celles de mérite, que ces maisons ont
+affichées, il nous sera permis de leur opposer une maison qui a été
+l'objet de distinctions tout exceptionnelles, dont elle s'est peu
+vantée. C'est la Compagnie Wheeler et Wilson, de New-York (qui a son
+siège à Paris, chez M. H. Séeling, 70, boulevard Sébastopol).</p>
+
+ <p>Cette importante Compagnie, en outre des médailles de progrès et de
+mérite qui lui ont été décernées, a seule été recommandée par le jury
+international pour le <i>grand diplôme d'honneur</i>. Et dernièrement M.
+Nathaniel Wheeler, président de cette Compagnie, a été décoré de
+l'<i>ordre de François-Joseph</i>, comme récompense de services éminents
+rendus à l'industrie de la machine à coudre,--la seule décoration
+accordée à Vienne à un fabricant de machines à coudre.</p>
+
+ <p>Cette double distinction place évidemment la Compagnie Wheeler et Wilson
+au-dessus de toutes les compagnies rivales, et comme à Paris en 1867, où
+l'unique médaille d'or pour ce genre de fabrication lui a été décernée,
+elle a remporté la victoire sur tous ses concurrents.</p>
+
+<br><br>
+
+ <h3>LA NATURE</h3>
+
+ <h4>REVUE DES SCIENCES EN 1873</h4>
+
+ <p>La nouvelle publication que M. G. Tissandier a fondée cette année, avec
+le concours de nombreux écrivains scientifiques, a obtenu de la part du
+public l'accueil dont elle était digne. Nous sommes persuadé que le
+premier volume qui vient de paraître, et qui comprend le tableau du
+progrès en 1873, comptera parmi les livres les plus appréciés de
+l'époque du jour de l'an. Les principaux collaborateurs de <i>La Nature</i>:
+MM. le Dr. Bertillou, H. Blerzy, Ch. Boissay, Bontemps, P.-P. Dehérain,
+C. Flammarion, W. de Fonvielle, C.-M. Gariel, F. Garrigou, J. et M.
+Girard, A. Guillemin, Dr. Joly, S. Meunier, E. Margollé, E. Menault,
+Vignes, Zurcher, etc., sont trop connus du public pour que nous ayons à
+faire l'éloge de leurs travaux. Nous préférons emprunter à <i>La Nature</i>
+la description fort intéressante de la nouvelle bouée de sauvetage à
+lumière inextinguible, dont un de nos compatriotes, M. Silas, est
+l'inventeur.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/009.png"><br><b>Nouvelle bouée de sauvetage lumineuse (système Silas).<br>
+Gravure extraite du journal la Nature.</b></p>
+
+ <p>Cette bouée est formée, comme l'indique la gravure contre, d'une sphère
+métallique contenant du phosphure de calcium. Un homme tombant à la mer
+pendant la nuit, on jette à la surface de l'eau la bouée Silas. L'eau
+pénètre dans la sphère creuse, décompose le phosphure de calcium donnant
+naissance à un dégagement abondant d'hydrogène phosphoré. Ce gaz
+s'échappe par un tube supérieur, mais il a la propriété remarquable de
+brûler spontanément au contact de l'air, sans que l'eau puisse
+l'éteindre. Une flamme vive, brillante éclaire le naufragé et le guide
+tandis qu'il serait irrévocablement perdu si nulle lumière n'apparaissait
+au milieu des ténèbres!</p>
+
+ <p>La Nature abonde en faits de ce genre, elle nous donne l'exposé complet
+des événements scientifiques récents, des découvertes importantes, ses
+belles et nombreuses illustrations en font une publication éminemment
+attrayante, et digne à tous égards des plus grands éloges.</p>
+
+<br><br>
+
+
+
+ <p class="mid"><img alt="" src="images/008.png"></p>
+
+ <p class="mid">EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS:</p>
+
+ <p class="mid">Le commerce est le lien des nations.</p>
+
+
+
+<br><br>
+</div>
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of L'Illustration, No. 1609, 27 décembre
+1873, by Various
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 1609, 27 ***
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+
+1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be
+used on or associated in any way with an electronic work by people who
+agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few
+things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works
+even without complying with the full terms of this agreement. See
+paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project
+Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
+works. See paragraph 1.E below.
+
+1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"
+or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
+Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the
+collection are in the public domain in the United States. If an
+individual work is in the public domain in the United States and you are
+located in the United States, we do not claim a right to prevent you from
+copying, distributing, performing, displaying or creating derivative
+works based on the work as long as all references to Project Gutenberg
+are removed. Of course, we hope that you will support the Project
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+the work. You can easily comply with the terms of this agreement by
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+1.E.9.
+
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+permission of the copyright holder found at the beginning of this work.
+
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+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation information page at www.gutenberg.org
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
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+Literary Archive Foundation
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+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit www.gutenberg.org/donate
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
+To donate, please visit: www.gutenberg.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For forty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
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+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
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