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| author | Roger Frank <rfrank@pglaf.org> | 2025-10-14 18:36:17 -0700 |
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Auguste Marc, +directeur-gérant. + + + +SOMMAIRE + +_Texte_: Histoire de la semaine.--Courrier de Paris, par M. Philibert +Audebrand.--La Soeur perdue, une histoire du Gran Chaco (suite), par M. +Mayne Reid.--Nos gravures.--Bulletin bibliographique.--_L'Histoire de +France racontée à mes petits enfants_, par M. Guizot.--Un voyage en +Espagne pendant l'insurrection carliste (VI).--_La Comédie de notre +temps_, par Bertall.--Le dromadaire. + +_Gravures_: Procès du maréchal Bazaine (6 gravures),--Événements de Cuba; +capture du _Virginius_ par le _Tornado_ dans les eaux de la +Jamaïque.--Le monument commémoratif de la bataille de Champigny, +inauguré le 2 décembre 1873.--Le naufrage de la _Ville-du-Havre_: la +dernière minute.--Théâtre de la Gaîté: Mlle Lia-Félix dans _Jeanne +d'Arc.--L'Histoire de France racontée à mes petits enfants_ (4 +gravures).--_La Comédie de notre temps_, par Bertall (39 sujets).--Le +dromadaire: caravane dans le désert.--L'asile de l'École de filles de +Dugny--Rébus. + + + +[Illustration: PROCÈS DU MARÉCHAL BAZAINE.--La Buvette à Trianon.] + + + +HISTOIRE DE LA SEMAINE + +FRANCE + +La semaine parlementaire a été relativement calme; l'Assemblée est enfin +parvenue, dans la huitième séance consacrée au même scrutin, à compléter +la commission des Trente chargée de l'élaboration des lois +constitutionnelles par l'élection de deux membres du centre gauche. La +commission est entrée en fonctions dès le lendemain; elle a choisi pour +président M. Batbie, et a rempli sa première séance par une discussion +préliminaire relative à la publicité de ses travaux; il a été décidé que +la presse ne recevrait pas de comptes rendus officiels des séances, mais +que chacun des membres de la commission serait libre de faire aux +journaux, sous sa propre responsabilité, les communications qui lui +paraîtraient convenables. + +L'Assemblée a ensuite jugé que le moment était enfin venu de s'occuper +de questions d'affaires; elle a successivement voté, en troisième +lecture, un projet de loi tendant à réunir, dans les bureaux +secondaires, le service des postes à celui des télégraphes; cette mesure +n'est qu'un acheminement vers la fusion complète des deux +administrations, fusion existant depuis quelque temps en Angleterre et +qui ne tardera pas, il faut l'espérer, à s'opérer définitivement dans +notre pays, car elle présente des avantages de toutes sortes. Puis, +après une délibération en deuxième lecture sur une proposition de M. de +Corcelles, relative à la composition des conseils académiques, +l'Assemblée a abordé la discussion du budget. Ce n'est pas la première +fois que nous ayons à constater le peu de goût de la Chambre pour les +discussions d'affaires en général, et en particulier pour cette loi de +finances dont le vote annuel constitue cependant la plus importante des +prérogatives parlementaires. + +Tandis que le plus mince incident politique est souvent le point de +départ des séances les plus orageuses, nous voyons une indifférence +vraiment regrettable accueillir l'exposé des besoins financiers de +l'État et des moyens proposés pour y subvenir. Des chapitres entiers, +comprenant des centaines de millions, sont volés au milieu de +l'inattention et de la lassitude générales, et si parfois une +observation se produit, c'est bien rarement une préoccupation d'ordre +économique qui l'a dictée. Mentionnons, à ce propos, la question +adressée par MM. Pelletan et Gambetta à l'occasion du budget des +affaires étrangères, et qui a failli prendre les proportions d'un gros +incident. Les deux membres de la gauche réclamaient la publication du +_Livre jaune_, interrompue, pour des motifs faciles à comprendre, +pendant le cours de l'occupation étrangère, mais redevenue possible +maintenant que la publicité des archives diplomatiques n'offre plus les +mêmes inconvénients. M. le duc Decazes avait, paraît-il, mal compris +l'observation, et peu s'en est fallu qu'il ne posât la question de +cabinet; mais le malentendu n'a pas tardé à se dissiper et l'incident +s'est terminé par la promesse de publication du _Livre jaune_ dans un +délai de quinze jours. + +ALLEMAGNE. + +La campagne entreprise par le gouvernement allemand contre le clergé +catholique devient chaque jour plus difficile; l'opiniâtreté du cabinet +prussien n'a d'égale que la résistance énergique des catholiques. + +D'après la Preussische, Volksblatt, organe officieux de l'administration +l'agitation religieuse a tellement gagné les populations des petites +villes et de la campagne, que l'on commence à avoir des appréhensions +sérieuses. On s'efforce, dit ce journal, de réveiller les souvenirs des +anciennes guerres religieuses. Des agents secrets parcourent le pays +sous mille déguisements pour enflammer le fanatisme catholique; +l'exaltation des femmes, principalement, est arrivée à son paroxysme. Le +gouvernement use vainement de tous les moyens de rigueur que les lois +récemment votées, en mai 1873, ont mis à sa disposition; mais il se +heurte contre d'inflexibles résistances. Il a interdit la publication de +la dernière encyclique du Pape en date du 21 novembre, dont nous avons +donné l'analyse et saisi le _Coelnische Zeitung_ au moment où elle +livrait ce document à l'impression, mesure contre laquelle M. Virchow a +protesté dans le Landtag. Les journaux ultramontains se sont vengés en +imprimant une bulle du mois d'avril dernier, qui frappe d'interdit +toutes les églises où se célébrerait le service du vieux-catholicisme. A +Schoenberg, en Silésie, l'autorité prussienne, qui avait interdit le +curé, voulut faire fermer l'église. Mais, selon le _Vaterland_, de +Munich, la population a trouvé un moyen ingénieux de contrecarrer les +intentions de la police: elle a enlevé la porte et arraché les gonds, de +sorte que, quand les agents sont arrivés, il leur a été impossible +d'apposer les scellés. On voit à quels incidents de tout ordre ce +conflit donne lieu. Le Parlement lui-même en ressent le contre-coup. +Ainsi le Landtag vient d'adopter, par 351 voix contre 6, une proposition +des ultramontains portant suppression du timbre sur journaux et +almanachs. Le ministère la combattait en objectant que l'on doit +présenter au prochain Reichstag la loi sur la presse dont il a été +question l'année dernière, et dont les dispositions ont soulevé les plus +vives réclamations. Encouragés par ce succès, les ultramontains ont +déposé une motion plus hardie, tendante à l'abrogation des lois +ecclésiastiques votées au mois de mai dernier; ils comptent sur une +grande majorité au prochain Reichstag qui doit être élu le 10 janvier +1874, et où l'Alsace-Lorraine sera représentée pour la première fois. II +se pourrait que Mgr Ledochowski, archevêque de Posen, fût l'un des +candidats élus. Cet énergique prélat a refusé de donner sa démission. +Pour se débarrasser de lui, on songerait, dit-on, à compléter les lois +susdites en autorisant le gouvernement à expulser les prêtres suspendus +de leurs fonctions par la cour civile ecclésiastique. Mais, pour couvrir +Mgr Ledochowski de l'immunité parlementaire, ses fidèles partisans se +proposent de le faire élire, à Schrimm, comme député au Reichstag. La +lutte, on le voit, ne saurait être plus sérieusement engagée, et des +deux côtés elle est poussée avec un égal acharnement. + +ÉTATS-UNIS. + +Le Message présidentiel a été lu le 2 décembre au Congrès. Il constate +que la réduction de la dette accomplie durant l'année, au moyen de +l'excédant des recettes, s'est élevée à 43 millions de dollars, ce qui +porte l'amortissement total de la dette à 300 millions de dollars. + +Le Message recommande de restreindre les privilèges des banques relatifs +aux avances sur dépôts. Il déclare que, tant que les payements en +espèces ne seront pas repris, le marché aura des moments difficiles. Il +demande instamment au Congrès d'étudier la question de la circulation en +vue de la reprise des payements en espèces, lesquels permettraient aux +banques d'user de leurs réserves pour régler le taux des intérêts et +augmenter la circulation dans les moments critiques. + +Le Message constate ensuite l'amélioration du commerce étranger, qui +aidera à la reprise des payements en espèces. + +A propos du _Virginius_, le Message dit que la capture en pleine mer +d'un bâtiment portant pavillon américain menaçait d'avoir de plus +sérieuses conséquences, et qu'elle a agité l'opinion publique dans toute +l'Amérique. + +Plusieurs passagers qui étaient citoyens américains ont été fusillés +sans procédure régulière. Selon le principe établi, les bâtiments +américains en pleine mer et en temps de paix sont, sous la juridiction +de leur pays. + +Toute vexation subie de la part des étrangers est un attentat à la +souveraineté des Etats-Unis, qui, se basant sur ce principe, ont demandé +à l'Espagne de rendre le _Virginius_ et les survivants de l'équipage, de +faire réparation au drapeau américain et de punir les autorités +coupables. + +Le _Virginius_ avait des papiers en règle et le pavillon américain. + +L'Espagne a tout accordé. + +Le Message déclare, en terminant, que l'esclavage est la cause du +malheureux état de Cuba. Il demande au Congrès d'exprimer le voeu que +l'esclavage disparaisse de Cuba, car c'est le seul moyen de rendre +possibles les bonnes relations entre l'Amérique et Cuba. Le gouvernement +américain n'est pas hostile à l'Espagne, mais l'affaire du _Virginius_ a +produit une indignation telle, que le Président a dû placer la marine +sur le pied de guerre. + +Cette affaire est présentement en voie d'arrangement satisfaisant et +honorable pour les deux pays. + +Le Message constate que les relations de l'Amérique avec les autres pays +sont amicales. L'indemnité de l'affaire de l'_Alabama_ a été appliquée +au rachat des obligations 5.20 jusqu'à concurrence de 15 millions +500,000 dollars. + +Le Président reconnaît les éminents services rendus par les commissaires +du tribunal de Genève. Il recommande la création d'une Cour spéciale +composée de trois juges, pour entendre les plaintes des puissances +étrangères contre les Etats-Unis. Le Président rappelle qu'il a reconnu +le gouvernement espagnol et le félicite d'avoir émancipé les esclaves de +Porto-Rico et restitué les propriétés américaines séquestrées à Cuba. +L'esclavage règne encore à Cuba, protégé par un parti puissant, en +hostilité ouverte contre le gouvernement de Madrid et plus dangereux que +les insurgés. Dans l'intérêt de l'humanité, l'influence de ce parti doit +être détruite. + +L'affaire du _Virginius_ pourrait bien se compliquer prochainement de +l'intervention de l'Angleterre, si toutefois le gouvernement de ce pays +ne consultait que l'opinion publique et en suivait docilement +l'impulsion. Une Note adressée au Foreign-Office par M. Crawford, consul +général de la Grande-Bretagne à la Havane, et communiquée aux journaux, +a inspiré au _Times_ un article d'une grande violence et où éclate une +vive indignation. Cette Note contient la liste des victimes de +nationalité anglaise exécutées à Santiago: on y trouve le second du +navire, un aide-mécanicien, trois chauffeurs, six aides pour le +transport du charbon, deux maîtres d'hôtel et trois matelots. Ce sont de +pareils gens employés au service du bâtiment qui ont été assimilés à des +insurgés pris les armes à la main et fusillés sans aucune forme de +procès. Jamais les lois humaines n'ont été plus cruellement violées. On +peut donc s'attendre à voir le gouvernement anglais élever de justes et +sévères réclamations contre ces barbares exécutions. Du côté de +l'Espagne, la situation devient de plus en plus critique. Les nouvelles +sont contradictoires. Une première dépêche de New-York, en date du 4 +décembre, annonçait, d'après des avis reçus de la Havane, que les +principaux chefs des volontaires avaient publié un Manifeste attestant +leur soumission aux autorités et leur confiance dans M. Jovellar, +capitaine général de Cuba. Mais le même jour, une dépêche de la Havane +faisait parvenir à Madrid des informations tout opposées. M. Jovellar, y +était-il dit, avait prévenu le gouvernement espagnol que, vu l'état +d'exaspération de l'opinion publique, il lui était impossible de +procéder, au moins pour le moment, à l'exécution des ordres concernant +la restitution du _Virginius_; il faisait même entrevoir la possibilité +«de véritables catastrophes» dans le cas où l'on agirait avec trop de +précipitation. Enfin, toujours d'après la même source, il avait offert +sa démission. Aujourd'hui, la scène change. On télégraphie de Madrid, le +5 décembre, onze heures cinquante minutes du soir, que les ordres du +gouvernement seront fidèlement exécutés: le capitaine général et le +commandant des forces navales en ont envoyé l'assurance formelle. +Toutefois une dépêche de New-York, postérieure à la précédente et datée +d'aujourd'hui même, nous apprend que l'Espagne avait promis de faire +hier la remise du navire, que cet engagement n'a pas été rempli, et +qu'il en résulte un vif mécontentement. Mais, ajoute-t-on, le cabinet de +Washington est disposé à attendre que cette restitution puisse être +faite sans blesser la fierté du gouvernement espagnol. C'est seulement +dans le cas ou l'impuissance de celui-ci serait démontrée que l'affaire +serait soumise au Congrès. + +Enfin, une dernière dépêche datée de Philadelphie, 9 décembre, annonce +que des arrangements définitif' ont été pris pour que la restitution du +_Virginius_ et des prisonniers survivants se fasse le 18 décembre. On +assure que la frégate américaine _Worcester_ sera chargée de recevoir le +_Virginius_ à la Havane, et que la frégate _Jumata_ aura mission de se +rendre à Santiago pour prendre les survivants à son bord. + +L'insurrection de Carthagène paraît sur le point d'arriver à son terme; +la ville et les forts ont été très-éprouvés par le bombardement +entrepris par les troupes du gouvernement; les vivres se font rares dans +la place et les insurgés ont dû faire sortir les bouches inutiles; huit +cents femmes et enfants ont été transportés à Pormau, où ils se trouvent +dans un état de détresse tel que l'amiral Yelverton, commandant +l'escadre anglaise mouillée devant le port, a écrit à M. Castelar pour +intercéder en leur faveur. Cependant les insurgés pensent qu'ils peuvent +encore tenir un mois s'ils restent unis entre eux. Les forts et les +batteries n'ont que très-peu souffert. On croit que lorsque les +munitions seront épuisées, une grande partie des insurgés tenteront de +s'ouvrir un passage à l'aide des vingt-cinq canons Krupp qu'ils +possèdent, et qu'ils iront à travers les montagnes rejoindre les +carlistes. Les autres essayeront de s'échapper à bord de la _Numancia_. + + + +Courrier de Paris + +M. Paul Féval se présente aux suffrages de l'Académie française, où il y +a, pour le quart-d'heure, deux fauteuils à donner. Si j'avais à broder +une réclame, je ne manquerais pas de dire que le candidat est, +littérairement parlant, un homme incomparable. En dix ou douze lignes +bien senties, il serait démontré par A plus B qu'il enfonce le passé, +qu'il domine le présent et que l'avenir ne lui viendra pas à la +cheville. Croyez que je n'ai rien à tenter de semblable. Je ne veux +parler de M. Paul Féval que comme un spectateur pourrait le faire d'un +acteur estimé de tel théâtre qu'il voit se hasarder sur une scène +nouvelle. + +A coup sûr, M. Paul Féval devrait être de ceux qu'on se dispense de +_black-bouler_. Mais l'Académie a une douane à laquelle elle tient +mordicus. Vous objecterez tout ce qu'il vous plaira.--Voilà un conteur +de la meilleure race. Il a fait pour la Bretagne ce que Walter Scott a +fait pour l'Ecosse et George Sand pour le Berri. Uniquement préoccupé du +soin de faire des loisirs à ceux qui s'ennuient, il a écrit, en +trente-cinq ans, trois cents volumes encore debout en ce moment. Parmi +ses livres, il en est deux qui ont fait un grand bruit, les _Mystères de +Londres_, peinture saisissante des bas-fonds de la société anglaise, et +un épisode de notre histoire, le _Bossu_ qui, transformé en drame, a +récréé Paris pendant deux cents soirées. Tout cela étant bien vu, la +nomination de ce galant homme devrait passer, ce semble, comme une +lettre à la poste. + +Ce sera le contraire qui arrivera, je le crains, du moins. Au quai +Conti, il n'y a que l'envers du juste qui ait le dessus. Quand, par +hasard, on admet un homme qui écrit, c'est que ces vieux messieurs se +sont fait violence. Ou bien ils ont cédé à la force de l'opinion, ou +bien ils ont eu peur que leur corporation vermoulue ne soit devenue une +pelote trop épinglée d'épigrammes. Il y a un troisième cas bien connu, +mais qu'il faut rappeler sans cesse; ils cèdent devant la table: «A-t-il +un bon cuisinier?» Voilà cinquante ans que c'est le meilleur des titres. +Le laurier de la cuisine attire le laurier apollonien. + +Sur les dernières années de sa vie, Théophile Gautier, candidat quatre +fois congédié, rapportait le mot de l'un d'eux, pendant l'une de ses +trente-neuf visites: + +--Comment! monsieur, vous avez publié vingt-cinq volumes! Ah! monsieur! + +La mimique du vénérable et le rythme de son reproche ne pourraient être +exprimés par aucune langue humaine. Il fallait entendre l'auteur du +_Tricorne enchanté_ raconter cette scène d'un si haut comique. +Vingt-cinq volumes, poèmes, romans, critique, voyages, histoire, +n'était-ce pas bien fait pour effrayer l'imagination d'un vieillard qui, +en sa vie entière, n'avait pu que faire des annotations et des préfaces, +et tout au plus une petite plaquette où il est avancé que le mouchoir de +poche n'existait pas chez les Grecs du temps de Périclès. Mais pour M. +Paul Féval, ce serait bien une autre paire de manches! Il a écrit trois +cents volumes. Rien qu'à cette révélation, l'immortel est capable d'en +avoir un coup de sang! + +Ajoutez que ces trois cents volumes sont des romans. Une belle denrée, +les romans! Ces Nestors les ont tous dans une sainte horreur. On a beau +leur rappeler le mot charmant de Philippe: «J'aime mieux que l'Espagne +ait _Don Quichotte_ que deux provinces de plus»; on leur citera en vain +nos gloires les plus nobles et les plus pures commençant par là , comme +Jean Racine, leur dieu, qui a commencé par traduire _Théogène et +Chariclée_, et ils crieront toujours: «A la porte, le roman»; c'était +l'entêtement de feu Villemain: «Si Le Sage se présentait ici, _Gil Blas_ +à la main, je prierais Le Sage de s'en retourner.» + +Pour ne parier que des temps où nous sommes, voyez combien ils ont été +impitoyables pour les romanciers. Non-seulement ils n'ont pas voulu +entendre parler de Frédéric Soulié ni d'Eugène Sue, ces deux maîtres du +genre, mais encore ils ont rejeté M. de Balzac, le prodigieux auteur de +la _Comédie humaine_. Lorsque Prosper Mérimée s'est présenté, il a été +bien entendu que c'était en vue de sa traduction de Salluste et de +quelques rapports sur des inscriptions. Léon Gozlan, ce Benvenuto +Cellini de la Nouvelle, Méry, qui nous a légué sur l'Inde et sur la +Chine des écrits si attachants, Théophile Gautier, dont je parlais tout +à l'heure, autant de noms, autant de candidats rejetés. Pour Alexandre +Dumas, l'homme aux mille romans, il savait son fait d'avance; il n'a +jamais eu un seul instant la pensée de se présenter à un seul d'entre +eux. + +Encore une fois il ne faut pas être un bien grand sorcier pour prévoir +ce qui va survenir. Il existe toujours en quelque coin obscur un +complaisant qui a fait jadis, pendant vingt ans, la partie de piquet +d'un ancien premier ministre; c'est celui-là qu'on choisira. Il se peut +encore qu'on élise un professeur fameux pour avoir mis une couverture +nouvelle à Blaise Pascal ou bien au président Hénault. Au pis aller, on +se rabattra sur un avocat illustre pour n'avoir jamais été imprimé. A la +vérité, après l'avoir fait sortir de l'urne, on dira qu'on voudrait bien +l'y remettre; c'est encore là une de leurs allures.--En tout cas, vous +le verrez bien, ils condamneront M. Paul Féval à faire le +pied-de-grue.--L'ombre du pauvre Philarète Chasles pourra lui tenir +compagnie. + +Un de ces jours, qui sait? aujourd'hui peut-être, J. Claretie, usant de +son droit de critique, vous parlera d'un livre posthume, déjà fort +prôné: _Lettres à une Inconnue_. Si je m'aventure à m'occuper de cette +nouveauté, ce n'est point, bien entendu, pour marcher sur les +plates-bandes du confrère. Ces deux volumes fourmillent d'anecdotes, de +mots piquants, de bruits du monde; voilà pourquoi je me hasarde à leur +faire quelques emprunts, toujours permis aux fureteurs de la chronique. +Lettres curieuses, pas précisément édifiantes! Celle qui se présente la +première est sans date; on peut conjecturer qu'elle est de 1839, +peut-être de 1840. En ce temps-là , Prosper Mérimée, ne songeant pas +encore à devenir un personnage, n'était rien, pas même académicien. Il +n'avait pas encore terminé _Colomba_; il vivait sur le bruit flatteur de +ses incomparables nouvelles et du _Théâtre de Clara Gazul_. La dernière +est tout près de nous, du 23 septembre 1870; Mérimée était mourant à +Cannes; il avait vu sombrer la France et tomber le second empire, auquel +il s'était attaché pour des raisons tout à fait intimes. On sait, en +effet, qu'un mariage secret le liait à Mme de Montijo, la mère de +l'impératrice. + +En vingt ans de temps, il s'était passé peu d'événements dans la vie de +ce studieux sybarite, mais avec quelle verve et quel esprit dégagé il +savait voir ce qui se passait chez les autres! Mais d'abord, qu'est-ce +que l'Inconnue? Une marquise, une grande dame mariée; c'est tout ce +qu'on en apprend et on n'en saura jamais plus. Dans l'origine, ils se +traitaient en camarades; Prosper Mérimée l'appelait son «cher ami +féminin». En 1842, il lui disait: «Si je ne me trompe, nous nous sommes +vus six ou sept fois en six années, et, en additionnant les minutes, +nous pouvons avoir passé trois ou quatre heures ensemble, dont la moitié +à ne rien nous dire.» On croirait qu'il s'agit d'une aventure de bal +masqué. + +Il raconte tout à cette inconnue, ses ennuis, ses plaisirs, ses +insomnies, surtout ses impressions de voyage. Par exemple, en parcourant +la Grèce, pour affaires de son commerce, c'est à savoir pour faire de +l'archéologie, il s'amuse tout le premier du style qu'on emploie sur son +passeport. Il grisonne et il le dit. «Au milieu de tout cela, je suis +devenu bien vieux. Mon firman me donne des cheveux de tourterelle; c'est +une jolie métaphore orientale pour dire de vilaines choses. +Représentez-vous votre ami tout gris.» Une autre fois, étant de retour, +il raconte une soirée dans laquelle il a pu présenter Mlle Rachel, alors +débutante, à Béranger; c'était chez un ministre du roi Louis-Philippe; +Lamartine, Victor Hugo et M. Thiers étaient là , et, bien qu'il s'agisse +de tragédie, il faut voir comme la scène devient bouffonne! + +Messieurs les romanciers et les peintres de moeurs décriront le second +empire tant qu'il leur plaira; on est en droit d'affirmer qu'ils n'en +viendront pas autant à bout que ce railleur, donnant la description du +bal de Mme la duchesse d'Albe (1er mai 1860). + +«C'était splendide. Les costumes étaient très-beaux. Beaucoup de femmes +très-jolies et le siècle montrant de l'audace. 1° On était décolleté +d'une façon outrageuse par en haut et par en bas aussi. A cette +occasion, j'ai vu un assez grand nombre de pieds charmants et beaucoup +de jarretières dans la valse. 2° Croyez que, dans deux ans, les robes +seront courtes, et que celles qui ont des avantages naturels se +distingueront de celles qui n'en ont que d'artificiels.» Il raconte +ensuite le ballet des Eléments, un des triomphes du règne. Seize dames +de la cour, en courts jupons, couvertes de diamants. «Les Naïades +étaient poudrées avec de l'argent, qui, tombant sur leurs épaules, +ressemblait à des gouttes d'eau. Les Salamandres étaient poudrées d'or. +Il y avait une Mlle E*** merveilleusement belle. La princesse M*** était +en Nubienne, peinte en couleur bistre très-foncé, beaucoup trop exacte +de costume. Au milieu du bal, un domino a embrassé Mme de S***, qui a +poussé les hauts cris. La salle à manger avec une galerie autour, les +domestiques en costume de pages du XVIe siècle, et de la lumière +électrique, ressemblait au _Festin de Balthazar_ dans le tableau de +Wrowthon.»--Y a-t-il beaucoup de coups de burin qui vaillent ces coups +de plume? + +En bon courtisan, le sénateur parle aussi de Napoléon III, qui, en +raison de son mariage avec la comtesse, était son beau-fils. + +«L'empereur avait beau changer de domino, on le reconnaissait d'une +lieue; l'impératrice avait un burnous blanc et un loup noir qui ne la +déguisaient nullement. Beaucoup de dominos, et, en général, fort bêtes. +Le duc de *** se promenait en arbre, vraiment assez bien imité.»--Ce +pauvre duc! Mérimée ne le lâche pas, et je n'ose point répéter tout ce +qu'il met sur son compte. + +Un autre récit très-caractéristique, c'est celui de la première +représentation de l'opéra de Richard Wagner, rue Le Peletier. + +«Un dernier ennui, mais colossal, a été _Tannhaüser_. Les uns disent que +la représentation à Paris a été une des conventions secrètes du traité +de Villafranca; d'autres, qu'on nous a envoyé Wagner pour nous forcer +d'admirer H. Berlioz. Le fait est que c'est prodigieux. Il me semble que +je pourrais écrire demain quelque chose de semblable, en m'inspirant de +mon chat marchant sur le clavier d'un piano. La salle était +très-curieuse. La princesse de Metternich se donnait un mouvement +terrible pour faire semblant de comprendre et pour faire commencer les +applaudissements qui n'arrivaient pas. Tout le monde bâillait; mais, +d'abord, tout le monde voulait avoir l'air de comprendre cette énigme +sans mot. On disait, sous la loge de Mme de Metternich, que les +Autrichiens prenaient la revanche de Solférino. On a dit encore qu'on +s'ennuie aux récitatifs et qu'on se _tanne aux airs._»--Un des plus +illustres de l'Académie française se _fendant_ d'un calembourg.--Allons, +je n'irai pas plus loin. + +Philibert Audebrand. + + + +[Illustration: Le GÉNÉRAL DE COLOMB, SUBSTITUT. LE GÉNÉRAL POURCET, +COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT. PROCÈS DU MARÉCHAL BAZAINE.--L'ACCUSATION.] + +[Illustration: Maréchal Bazaine. Me Lachaud. Me Lachaud fils. PROCÈS DU +MARÉCHAL BAZAINE.-LA DÉFENSE.] + + + +LA SOEUR PERDUE + +Une histoire du Gran Chaco + +(Suite) + +Les pierres furent disposées et arrangées par Gaspardo en forme de +muraille grossière. Bien que construite dans l'obscurité, elle était +assez forte pour résister aux attaques d'un animal quelconque, +l'éléphant excepté. Or, comme il ne se trouve pas d'éléphants dans le +Chaco, les voyageurs semblaient n'avoir plus rien à craindre. + +Tel était l'avis de Gaspardo qui encore une fois partit à la recherche +de son briquet. + +«J'ai un bout de chandelle de cire», dit-il; «que Dieu me le pardonne, +je l'avais ramassé dans l'église de l'Asuncion. Elle avait été allumée +sur le corps de ma pauvre vieille mère, et je désirais la garder comme +souvenir. _Ay Dios!_ qui eût jamais pensé que ce serait en pareille +circonstance que j'aurais à la rallumer? Mais il est malsain de manger +dans l'obscurité. Je n'ai jamais aimé cela; ce qu'on mange ne vous +profite pas quand les yeux n'en ont pas leur part.» + +Gaspardo affectait de parler avec bonne humeur. Il connaissait le lourd +fardeau qui pesait sur le coeur de ses jeunes compagnons et il espérait +l'alléger en les détournant un peu de leurs pensées. Mais aucun d'eux ne +fit chorus à sa bonne volonté; il battit donc le briquet et le cierge +fut enfin allumé. + +C'était un gros bout de cierge, long d'environ six pouces et fabriqué +avec la cire de l'abeille sauvage qu'on emploie dans les églises du +Paraguay. Sa flamme brillante éclairait tous les objets contenus dans la +caverne, les voyageurs, leurs chevaux, leurs bagages et le jaguar étendu +mort à l'entrée, dont la peau jaune mouchetée se détachait sur le fond +sombre du rocher. + +Mais à peine la flamme eut-elle pris toute sa vigueur, que les yeux des +voyageurs eurent la très-désagréable surprise d'être subitement arrêtés +par la vue d'une seconde peau de jaguar, non moins mouchetée, mais bien +plus brillante que la première. C'était un second jaguar, non pas mort +celui-là , mais vivant et bien vivant, couché sur un bloc de rocher à +l'extrémité la plus reculée de la grotte! + +Il avait au moins deux fois la taille de celui qui avait été tué et son +aspect était dix fois plus effrayant. Au premier coup d'oeil, on le +reconnaissait pour le mâle dont Gaspardo avait parlé. + +«C'est le mâle»! dit-il aussitôt que la lumière du cierge lui eut permis +de le distinguer. «_Santissima!_ et nous nous sommes donnés bien du mal +pour nous assurer sa compagnie!» + +Ses compagnons pétrifiés par la surprise gardaient le silence. + +«_Carrai_»! grommela le gaucho entre ses dents. «Je m'étonne qu'il soit +resté si longtemps tranquille. Il faut que la tormenta ait +singulièrement modifié son humeur. Qui peut savoir ce qui se passe dans +sa tête, et ce qui cause son immobilité. Ne nous y fions pas. L'envie +peut lui prendre subitement de sauter sur nous et un animal de cette +taille, mes enfants, se moquerait autant d'une balle que d'un coup de +cravache. Regardez-le, il est presque aussi gros qu'un de nos chevaux! +On ne fait pas deux miracles dans la même journée.--Une balle qui le +blesserait seulement au lieu de le tuer ne ferait que le rendre plus +formidable.» + +Les deux jeunes gens tenaient à la main leurs carabines. + +«Faut-il faire feu néanmoins? demandèrent-ils. + +--Gardez-vous-en bien, sur votre vie! mieux vaudrait essayer de lui +céder la place, si l'état de terreur, de stupéfaction, d'engourdissement +où la tormenta met souvent les animaux les plus énergiques et les plus +violents devait nous en laisser le temps. J'entends la pluie tomber par +torrents, mais cela ne fut rien, tout plutôt qu'une rencontre avec un +gaillard comme celui-ci. S'il pleut c'est que la poussière est +abattue,--et c'est le principal. Nous pourrions peut-être nous en tirer +personnellement en lui abandonnant nos montures, et en filant pour notre +compte par la lucarne que nous avons laissée à notre barricade... Elle +ne suffirait pas à le laisser passer,--mais nous avons autant besoin de +nos montures que de nous-mêmes et d'ailleurs ce serait une lâcheté que +de livrer nos bonnes bêtes à ce brigand-là . Il n'y a pas deux partis à +prendre. Ouvrons notre barricade, défaisons de nos mains l'ouvrage de +nos mains. Détruire est plus facile que de bâtir.--A l'oeuvre donc. Que +Cypriano qui a une bonne arme fasse sentinelle. Si le jaguar bouge visez +à l'oeil, mon enfant!» + +Et tandis que Ludwig tenait le cierge, Gaspardo dont la force musculaire +était doublée par l'imminence du danger se mit à démolir sa muraille. + +Dès qu'une ouverture fut pratiquée, suffisamment grande pour leur livrer +passage ainsi qu'à leurs chevaux, le gaucho écarta les ponchos et jeta +un regard au dehors. + +Cependant, tenu en respect par Cypriano, qui le couchait en joue, ou +sous le poids encore de l'émoi que lui causait la tourmente, le jaguar +n'avait pas bougé. Ses yeux fixes et brillants n'avaient pas quitté ceux +de Cypriano. L'intrépide enfant n'avait pas bronché. Mais le moment le +plus périlleux devait être celui de la retraite. Il en est de l'animal +comme de l'homme, tout ce qui ressemble à une fuite de son adversaire +est comme un signal d'attaque qu'il reçoit. + +A ce moment une exclamation du gaucho attira l'attention de Ludwig. + +«Qu'y a-t-il, Gaspardo? lui demanda-t-il. + +--Il y a, répondit Gaspardo avec un geste de désespoir, il y a qu'il n'y +a pas moyen de sortir. Regardez!» + +L'eau s'était élevée de six pieds au-dessus de son premier niveau et +elle coulait en bas de la caverne avec la violence d'un torrent, le +courant balayait jusqu'à l'entrée de la grotte et ne laissait pas un +pouce de sentier par lequel les hommes et les chevaux pussent opérer +leur retraite. Toute issue était évidemment coupée. La circonstance +était critique, car rester dans la caverne, c'était rester à la +discrétion du jaguar. + +Le ciel, en s'éclairant, projetait jusqu'au fond de l'antre une faible +lueur qui leur permettait d'apercevoir l'affreuse bête couchée dans sa +redoutable immobilité. Il semblait qu'avertie par un secret instinct de +l'impossibilité où étaient désormais ses victimes de lui échapper, elle +eût jusque-là contemplé avec un imperturbable dédain la vanité de leurs +efforts. + +L'ouragan se calmait. Les grondements du tonnerre s'éloignaient. Le +moment approchait où l'animal allait retrouver son habituelle férocité +et bondir soit sur les hommes, soit sur leurs montures. + +La lutte était donc devenue inévitable. En désespoir de cause, Gaspardo +et les deux jeunes gens se tenaient prêts au combat. La carabine à la +main, leur couteau de chasse entre les dents, Ludwig et Cypriano +n'attendaient que l'ordre de faire feu. Gaspardo hésitait encore à le +donner; évidemment, il eût tout préféré à une rencontre où l'un d'entre +eux, tout au moins, pouvait perdre la vie; quand tout à coup, posant bas +sa carabine, il se mit à chercher quelque chose avec une fiévreuse +impatience dans une des sacoches de son recado. + +Il se souvenait d'y avoir caché une fusée du genre de celles dont on se +sert pour exciter les taureaux au combat. Il avait pris cette précaution +dans la prévision que cela pourrait lui servir, pour étonner et amuser +ou terrifier suivant l'occasion les Indiens. C'est un vieux tour des +gens des frontières et qui est souvent couronné de succès parmi les +sauvages. + +«Ne bougez pas, murmura-t-il à l'oreille de ses amis, ne quittez pas la +place où vous êtes. Laissez-moi faire. J'ai mon idée.» + +Tous deux conservèrent leur place à l'entrée de la caverne, semblables à +deux sentinelles silencieuses. + + +CHAPITRE IX + +AU HASARD + +Quoique encore sous l'empire d'une grande émotion, Ludwig et Cypriano +étaient fort intrigués, et se demandaient du regard ce qui avait bien pu +passer dans la cervelle de leur ami. + +Les moments étaient trop précieux pour que le gaucho songeât à prolonger +leur attente. Il s'avança rapidement vers le cierge que Ludwig avait +fixé dans une des anfractuosités de la caverne,--et leur ayant +recommandé de se coller contre les parois,--pour laisser libre l'entrée +tout entière, il approcha de la flamme du cierge la mèche de sa fusée et +la lança sur le jaguar. Ce fut comme une illumination soudaine: la +lumière éclatante suivie d'un sifflement aigu s'était élancée comme un +serpent de feu sur l'animal, l'avait atteint au flanc et s'était +attachée à sa peau en tournoyant comme un soleil et en l'inondant +d'étincelles. + +C'était évidemment le premier feu d'artifice qu'on eût jamais tiré en +son honneur. + +Poussant un formidable rugissement qui fit frémir les parois du rocher, +l'énorme animal effaré bondit d'épouvante sur sa couche, et en trois +bonds traversant la caverne et traînant derrière lui comme la queue +enflammée d'une comète, il alla se précipiter dans le torrent. + +C'était assurément ce qu'il avait de mieux à faire pour éteindre la +fusée qui sifflait entre les poils de sa fourrure, et pour débarrasser +nos voyageurs de sa fâcheuse compagnie. + +En un instant, son corps fut hors de vue, enlevé par le courant du ravin +débordé. Gaspardo, monté sur le roc où était tout à l'heure le jaguar, +criait du fond de la grotte: + +«Pour cette fois, Muchachos, nous pouvons nous mettre à table; je +suppose que nous ne risquons plus d'être dérangés!» + +Ludwig et Cypriano ne pouvaient revenir de l'étrange et expéditive façon +dont le gaucho les avait tirés d'affaire. + +«On ne pense pas à tout, répondit modestement le brave homme. J'aurais +dû commencer par là , et ni vous ni moi ne nous serions écorchés les +mains à faire et à défaire nos inutiles fortifications.» + +Ludwig et Cypriano regrettaient bien un peu de ne pas avoir abattu le +jaguar mâle, comme Gaspardo avait abattu la femelle; mais ils ne +voulurent pas gâter la joie de leur ami, qui était cent fois plus fier +de son expédient qu'il ne l'eût été du coup de fusil le mieux réussi. + +Quand nos voyageurs eurent achevé leur repas, la tempête avait +complètement cessé. + +La _tormenta_ diffère du _temporal_; la première disparaît aussi +rapidement qu'elle est venue, l'autre se termine graduellement et est +suivie par des brumes qui remplissent l'atmosphère et par une fraîcheur +humide qui parfois dure plusieurs jours. Il n'en est pas ainsi d'une +véritable tempête de poussière. Elle arrive sans être précédée de signes +autres que ceux connus seulement des initiés, ceux par exemple que +Gaspardo avait lus dans la corolle des fleurs de l'arbre baromètre, et +elle cesse aussi soudainement, sans avertir autrement du moment où elle +prend fin. + +Lorsqu'ils revinrent à l'entrée de la grotte et regardèrent au dehors, +il n'y avait pas plus de traces de l'ouragan que s'il n'eût jamais +existé. Au-dessus de la berge opposée de l'arroyo, ils pouvaient +distinguer un espace de ciel d'une belle nuance azurée, et par les +rayons de lumière qui plongeaient dans le vallon, ils voyaient que le +soleil brillait aussi pur qu'avant d'avoir été obscurci par les nuages +épais de la poussière. + +Cette terrible lutte des éléments avait duré en tout une heure. Ils +l'auraient considérée comme un rêve s'ils n'eussent eu sous les yeux, +s'étendant sur les pentes du terrain, les traces de sa furie; des arbres +déracinés, d'autres oscillant, des branches brisées et déchirées, des +bouquets d'arbustes couchés comme des roseaux, enfin, à leurs pieds, un +torrent écumant remplaçant le mince ruisseau que leurs chevaux avaient +traversé à gué une heure à peine auparavant. + +Sans cet obstacle tort sérieux, ils auraient immédiatement repris leur +voyage, mais d'un seul coup d'oeil, ils en avaient reconnu +l'impossibilité. Comme le paysan de la fable, mais avec plus de raison +puisqu'ils n'avaient devant eux qu'un fleuve improvisé et accidentel, +ils devaient attendre le moment où les eaux baisseraient. + +«Nous n'en avons pas pour longtemps, mes enfants, dit le gaucho, en +remarquant leur impatience, et en essayant de les encourager. + +--Non, continua-t-il, après être resté un instant les yeux fixés sur le +torrent, pas pour bien longtemps. Ce débordement, né de la tourmente qui +l'a produit, baissera aussi vite qu'il s'est élevé. Il est déjà tombé de +plus d'un demi-pied; voyez les traces qu'il a laissées sur les pierres.» + +Et il désigna du doigt un endroit que l'eau boueuse avait mouillé et +dont elle s'était déjà retirée. C'était bon signe. Tous trois +retournèrent donc dans la grotte pour y empaqueter leurs bagages, donner +quelques soins à leurs montures, sur lesquelles la tourmente avait agi +autant que sur le jaguar, et se préparer à reprendre leur route. + +Aussitôt cette besogne terminée, le gaucho se donna sur la poitrine, en +guise de _mea culpa_, un coup de poing qui en eût abattu un autre que +lui-même. + +«Santo Dios! je perds la tête, s'écria-t-il, c'est pitié de laisser ce +beau jaguar derrière nous. Sa peau vaudrait de l'argent si quelqu'un la +portait au marché. Comme le mâle était beau! Jamais je n'en ai vu un +plus magnifique. Ah! si votre....» + +Il s'arrêta brusquement. + +Mayne Reid. + +(La suite prochainement.) + + + +NOS GRAVURES + +Procès du maréchal Bazaine + +LA BUVETTE DES TÉMOINS. + +Au moment où paraîtront ces lignes, le verdict du 1er conseil de guerre, +vers lequel en ce moment toute la France a les yeux tournés, sera +prononcé ou bien près de l'être. Le M. le général Pourcet a commencé la +lecture de son réquisitoire, qui s'est prolongée jusqu'à la fin de +l'audience du 5 décembre. Le 6, la parole a été donnée à la défense, qui +la gardera certainement au moins aussi longtemps que l'accusation. C'est +donc vers la fin de la semaine que, selon toute vraisemblance, le sort +de l'accusé sera fixé. L'auditoire, est-il besoin de le dire? est plus +nombreux que jamais et, ajoutons-le, il trahit par sa physionomie plus +grave et plus réservée l'imminence du dénoûment de ce grand drame. +Chacun en effet, comprend qu'au moment où la justice va parler, il doit +refouler, au moins en public, ses impressions propres et attendre en +silence qu'elle prononce le mot suprême. Il est vrai qu'il se dédommage +à la suspension de l'audience. La buvette des témoins, que représente +notre dessin, est le lieu où s'échangent volontiers les commentaires. On +y rappelle les arguments de l'accusation et ceux de la défense, on les +compare entre eux, et on cherche à en dégager la conséquence. Mais là +encore, même en s'aventurant sur ce terrain glissant, on use de réserve +et l'on ne sort pas de la stricte mesure que réclament les convenances. + +L'ACCUSATION. + +Les membres qui composent le parquet dans le procès Bazaine sont au +nombre de huit, savoir: + +M. Alla, greffier titulaire du premier conseil de guerre, auquel on a, +pour la circonstance, adjoint M. Castres, greffier en retraite. A gauche +de MM. Alla et Castres se tient le maréchal des logis de la garde +républicaine qui a le titre d'appariteur, et remplit des fonctions +analogues à celles des huissiers dans les cours d'assises. + +Puis viennent, devant la table où sont assis les membres du parquet, M. +le général Pourcet, puis M. le commandant Martin, chef de bataillon en +retraite, et qui assiste de droit aux débats en sa qualité de +commissaire du gouvernement titulaire près le premier conseil de guerre, +M. le général de division de Colomb, jeune avec son grade, car il n'est +âgé que de quarante-neuf ans. Sorti de Saint-Cyr en 1844, il a conquis +tous ses grades en Afrique, à l'exception du dernier, qu'il doit à sa +belle conduite à l'armée de la Loire. Son titre officiel est: substitut +du commissaire spécial du gouvernement, M. Pourcet. + +Tout à fait à gauche sont assis deux jeunes capitaines, M. Avon, du +corps d'état-major, et M. Boisselier, de l'infanterie. Ces messieurs +n'ont pas de titre officiel; en réalité ils sont adjoints à M. le +général Pourcet pour les immenses travaux que nécessitent l'examen et la +manipulation d'un dossier fabuleusement volumineux. + +LA DÉFENSE. + +Le maréchal Bazaine a confié, on le sait, le soin de sa défense, à Me +Lachaud, assisté de son fils et du colonel Villette, aide de camp du +maréchal. + +Nous avons parlé de ce dernier en donnant son portrait, il y a quelques +semaines; nous n'avons donc pas à y revenir. Quant à M. Lachaud fils, le +temps lui a fait défaut pour travailler à l'auréole dont il ne peut +manquer un jour ou l'autre de ceindre son front, si tant est que le +proverbe soit vrai; mais pour le moment il ne brille encore que des +rayons de la gloire paternelle, assez grande, après tout, pour contenter +deux ambitions, même exigeantes. + +Me Lachaud a aujourd'hui cinquante-six ans. Né à Treignac (Corrèze) le +25 février 1818, il exerçait sa profession d'avocat à Tulle, lorsque Mme +Lafarge le choisit pour défenseur. Ce fameux procès commença sa +réputation, qu'acheva d'établir le procès Marcellange. C'est alors que +Me Lachaud vint à Paris, où il ne tarda pas à prendre au barreau +parisien une des premières places. Il brilla surtout devant la cour +d'assises, où son éloquence naturelle, admirablement servie par une voix +aussi souple que sympathique et des facultés mimiques très-développées, +lui assura un grand ascendant aussi bien sur les juges que sur +l'auditoire. Parmi les affaires qu'il y plaida, citons les affaires +Pavy, de Preigne, Carpentier, Lescure, de Merci, Lemoine, Taillefer et +Troppmann. + +Nous pouvons maintenant ajouter à cette liste l'affaire Bazaine, qui +prime incontestablement toutes les autres, aussi bien par la position +élevée de l'accusé, que par les circonstances exceptionnelles qui ont +donné lieu à l'accusation. + +P. S.--Au moment de mettre sous presse, nous recevons la nouvelle que le +1er conseil de guerre vient de rendre son arrêt, que nous n'attendions +pas si tôt. Mais le conseil a siégé de neuf heures du matin à neuf +heures du soir, le 10; et dans cette séance si longue ont eu lieu la fin +de la plaidoirie de Me Lachaud et les répliques. A quatre heures et +demie, les débats ont été clos et à neuf heures moins un quart, après +une délibération qui n'a pas duré moins de quatre heures, le conseil +rentrait en séance, rapportant son verdict. Quatre questions lui avaient +été posées. + +lre question.--Le maréchal Bazaine est-il coupable d'avoir, en octobre +1870, capitulé, son armée étant en rase campagne? + +2e question.--Cette capitulation a-t-elle eu pour résultat de faire +poser les armes à sa troupe? + +3e question.--Le maréchal Bazaine a-t-il traité verbalement ou par écrit +avec l'ennemi, sans avoir fait tout ce que lui prescrivaient le devoir +et l'honneur? + +4e question.--Le maréchal Bazaine, mis en jugement sur l'avis du conseil +d'enquête, est-il coupable d'avoir capitulé avec l'ennemi, rendu la +place qui lui était confiée, sans avoir épuisé tous les moyens de +défense dont il disposait et sans avoir fait tout ce que prescrivaient +le devoir et l'honneur? + +A ces quatre questions, chacun des membres du conseil ayant répondu +affirmativement, le maréchal Bazaine a été condamné à l'unanimité à la +peine de mort, avec dégradation militaire. + + + +La capture du "Virginius". + +Nous recevons, par la voie des États-Unis, une intéressante +correspondance sur le _Virginius_, dont la capture par le croiseur +espagnol le _Tornado_, a eu pour résultat de créer, entre l'Espagne et +les États-Unis, le grave conflit que nous avons déjà eu occasion de +signaler. + +Le _Virginius_ est un vapeur à roues, entièrement en fer, de 100 +tonneaux de capacité et d'une longueur de 220 pieds. Il a été construit +en Angleterre, en 1864, pendant la guerre de la sécession, pour le +compte des confédérés, qui l'employaient à forcer le blocus des côtes +des États du Sud. + +Capturé, avec un chargement de coton, par les forces fédérales, lors de +la prise de Mobile, il fut vendu aux enchères, après la guerre, par le +gouvernement des États-Unis et acheté pour le compte de l'insurrection +cubaine, qui venait d'éclater. Le _Virginius_ reprit aussitôt son +aventureuse carrière; monté par un équipage déterminé, sous le +commandement de Joseph Fry, un Louisianais, il venait s'approvisionner à +New-York d'armes et de munitions qu'il allait ensuite débarquer sur la +côte cubaine. Vingt fois il avait failli être pris par les croiseurs +espagnols et vingt fois il leur avait échappé, grâce à la présence +d'esprit de son hardi capitaine, dont la réputation était devenue +légendaire. Enfin, le 31 octobre dernier, il fut aperçu par le vapeur +espagnol le _Tornado_ au moment où il arrivait au but d'un nouveau +voyage de ce genre; dès qu'il se vit reconnu, le capitaine Fry fit force +de voiles et de vapeur pour s'échapper, car il n'était pas armé de +manière à accepter la lutte avec un navire de guerre; malheureusement le +_Virginius_ tenait la mer depuis plus d'un an; le mauvais étal de sa +coque avait diminué sa vitesse d'autrefois, et pour comble de malheur, +on était à bout de combustible; vainement on jeta la cargaison +par-dessus bord pour s'alléger, vainement on entassa dans les fourneaux +les boiseries, les caisses défoncées et jusqu'à des barils de lard qui +se trouvaient à bord, le _Tornado_ gagnait de vitesse et, après une +chasse de huit heures, le _Virginius_ était rejoint au moment où il +arrivait en vue de la Jamaïque, où il eut pu se réfugier sous la +protection du drapeau britannique. On sait le reste et comment +l'équipage du _Virginius_, conduit à Santiago, paya de sa vie son audace +tant de fois heureuse. La gravure que nous publions aujourd'hui montre +les deux navires au moment où le _Virginius_, à bout de forces, amène +son pavillon et se met en panne pour recevoir le canot du Tornado. + +Nous reviendrons dans notre prochain numéro sur la sanglante tragédie de +Santiago qui a été l'épilogue de ce drame, et nous publierons à ce sujet +d'autres dessins que nous avons reçus trop tard pour les faire paraître +aujourd'hui. + + + +Inauguration du monument de Champigny + +Le 28 novembre un grand courant d'enthousiasme régnait dans la capitale. +C'est que quelques jours auparavant, la nouvelle de la victoire +remportée sur les Prussiens à Couliniers par l'armée de la Loire, s'y +était répandue et que le gouvernement, sous la pression de l'opinion +publique, se décidait enfin à faire un effort sérieux en vue de briser +le cercle d'investissement et de donner la main à la jeune armée qui +s'avançait à notre secours. + +En conséquence, une grande sortie était décidée. Trois proclamations +aussi retentissantes qu'elles furent vaines, annoncèrent l'événement au +public. + +On sait comment tout ce beau mouvement avorta. L'armée, qui devait +passer la Marne dans la nuit du 28 au 29 novembre, ne put le faire, les +ponts se trouvant trop courts! Il fallut attendre vingt-quatre heures. +L'ennemi mis en garde par cette inexcusable faute, prit ses mesures en +conséquence. Il ramassa ses forces sur le point menacé, et au lieu de le +surprendre et de le culbuter, ce fut une grande bataille qu'il fallut +lui livrer en avant de Champigny. + +Néanmoins le village fut enlevé et l'ennemi obligé de reculer jusqu'au +parc de Coeuilly. Mais les morts étaient nombreux. La journée du 1er +décembre fut employée de part et d'autre à les ramasser. + +Le 2, les Prussiens reprirent l'offensive, refoulant d'abord nos troupes +qui finalement regagnèrent toutes leurs positions. Mais, épuisées par ce +double et pénible effort de deux jours de bataille, qu'avec un peu de +prévoyance on leur eut épargné, elles étaient incapables, pour continuer +leur marche, d'en faire un troisième, dans des conditions de difficultés +beaucoup plus grandes encore. Dans la nuit du 2 au 3 on leur fit donc +repasser la Marne, abandonnant ce plateau de Champigny, deux fois +conquis au prix de tant d'efforts stériles et de sang inutilement +répandu. + +C'est sur ce plateau, au bord de la route de Paris, que s'élève le +monument inauguré le 2 de ce mois. M. Vaudremer, architecte de la ville +de Paris, en est l'auteur. C'est une pyramide en pierre grise, assise +sur un soubassement et portant sur l'un des côtés un bouclier où l'on +voit un guerrier blessé s'appuyant sur l'autel de la patrie. Au-dessus, +on lit ces mots: _Défense de Paris_; au-dessous: _Bataille de +Champigny_, 30 novembre, 2 décembre 1870. De l'autre côté de la pyramide +est la devise de la ville de Paris: _Fluctuat nec mergitur_. + + + +[Illustration: ÉVÉNEMENTS DE CUBA.-Capture du _Virginius_ par le +_Tornado_ dans les eaux de la Jamaïque.] + +[Illustration: LE MONUMENT COMMÉMORATIF DE LA BATAILLE DE CHAMPIGNY, +INAUGURÉ LE 2 DÉCEMBRE 1873.]Le naufrage de la "Ville-du-Havre". + + + +Nous n'avons pu qu'annoncer dans notre dernier numéro l'épouvantable +catastrophe de la _Ville-du-Havre_, réputée le plus vaste des paquebots +après le _Great-Eastern_. Les relations qui nous sont parvenues nous +permettent de donner à nos lecteurs un récit du désastre. + +Le 15 novembre, à trois heures de l'après-midi, la Ville-du-Havre +quittait son _warf_ de New-York emmenant 135 passagers, 172 hommes +d'équipage et de service et transportant une cargaison de blé, coton, +cuir et graisses. Pendant les premiers jours, la traversée fut +contrariée par le mauvais temps; puis, quand on fut sur le banc de +Terre-Neuve, par un brouillard intense, commun du reste dans ces +parages, dans la crainte d'aborder ou d'être abordé, le capitaine +Surmont dut faire vibrer le sifflet d'alarme de minute en minute, et, +tout le temps qu'il y eut danger, il ne voulut laisser à aucun de ses +officiers la responsabilité des manoeuvres. La journée du 20 fut assez +belle, ce qui permit aux passagers de jouir de la promenade sur la vaste +dunette d'arrière, aux enfants de se livrer à leurs jeux, et, le soir, +quelques amateurs purent s'offrir dans le salon, un concert improvisé, +dont la _Dernière pensée de Weber_ fut le morceau final. La nuit étant +claire, rien ne paraissant à craindre, le capitaine se décida à +descendre dans sa cabine pour y prendre quelques heures de repos, mais +après avoir donné l'ordre formel de le prévenir du moindre incident. + +C'est à partir de ce moment que l'on ne sait plus d'une manière certaine +ce qui s'est passé, ni même l'heure précise de la catastrophe. Toujours +est-il qu'entre une heure et deux heures du matin, des ordres de +manoeuvre étaient donnés, exécutés précipitamment, mais trop tard... la +_Ville-du-Havre_ éprouvait une commotion violente, suivie d'une série de +craquements formidables, se renversait à demi; passagers, officiers et +matelots, réveillés en sursaut, et accourus sur le pont, apercevaient la +masse d'un grand voilier qui, ayant enfoncé les bordages du paquebot, +laissait les débris de son étrave au milieu de celui-ci. Le navire +abordant était le voilier en fer, le _Loch-Earn_ (Lac ardent), capitaine +Robertson. + +Le capitaine Surmont s'était élancé sur la passerelle de commandement. +D'un coup d'oeil il comprit que tout était perdu. La _Ville-du-Havre_ +portait au flanc de la chambre des machines une trouée large de cinq à +six mètres, profonde de quatre, par laquelle l'eau s'engouffrait en +cataractes bruyantes pour se répandre dans les profondeurs du bâtiment +avec des grondements et des clapotements sinistres. On n'avait pas eu le +temps de fermer les cloisons étanches, de telle sorte que les foyers +ayant été éteints, chaudières et machines furent immédiatement +paralysées. + +Eperdus, les passagers se pressaient sur la dunette d'arrière, les uns à +peine vêtus ou dans leur costume de nuit, les autres ayant eu le temps +de se couvrir de quelques vêtements ou de prendre avec eux leurs objets +les plus précieux. A un premier moment, non de désordre mais seulement +de trouble, succéda un certain apaisement, quand on vit le capitaine à +son poste et les officiers se multipliant pour indiquer à chacun ce +qu'il y avait à faire. Dans le court espace de temps écoulé entre +l'abordage et le naufrage, il y eut des exemples de sang-froid +admirable, de sublime résignation, de devoir noblement compris. Debout +sur le pont, un petit sac à la main, leurs enfants dans les bras ou se +pressant contre leur père ou leur mari, des femmes attendaient que les +canots fussent mis à la mer; quelques-unes s'étant agenouillées, +priaient avec ferveur, pendant qu'un prêtre catholique leur donnait +l'absolution suprême; des enfants à demi-nus, devinant le péril sans le +comprendre, cherchaient d'instinct un refuge dans les bras de leur mère. + +Si la collision avait eu lieu en plein jour, les secours eussent été +plus efficaces, mais la nuit d'une part, la perte de plusieurs des +embarcations de la _Ville-du-Havre_ de l'autre, rendaient le sauvetage +difficile. On venait d'installer une cinquantaine de personnes dans deux +canots intacts, lorsque le grand mât et le mât d'artimon, déjà ébranlés, +oscillèrent et s'abattirent presque en même temps, brisant les canots, +tuant et blessant la plupart des malheureux qui déjà se voyaient sauvés. +En vain, raconte un matelot, on voulut retirer quelques survivants de +l'amas enchevêtré de vergues rompues, de cordages, de débris de +planches, on n'en eut pas le temps. Ce grave accident précipita le +dénoûment, car la chute des mâts fit incliner davantage le paquebot, et +tous ceux qu'il portait sentirent que leur dernière heure était venue. + +Il n'est guère possible de s'imaginer l'horreur du drame dont notre +dessin donne un aperçu pris du milieu du navire, entre les deux +cheminées, près de l'escalier de la dunette des premières. + +La _Ville-du-Havre_ oscillait comme en proie aux dernières convulsions; +on vit, rapporte un passager, une jeune fille soutenant sa mère et lui +disant: «Courage, ma mère, courage, dans quelques minutes nous entrerons +au ciel.» Quatre charmantes petites filles encourageaient ceux qui les +entouraient en leur disant: «Prions le bon Dieu de nous recevoir auprès +de lui.» Rien, raconte M. Lorriaux, ministre protestant, ne peut donner +une idée de la résignation des femmes pendant cette catastrophe. Un +officier de la marine américaine avait trois filles qui voulaient périr +avec lui: «Je sais, dit-il, en leur adressant le dernier adieu, que la +Providence veut vous sauver, n'allez donc pas contre sa volonté.» Deux +seulement de ces jeunes filles furent recueillies. + +Moins d'un quart-d'heure après le choc, la _Ville-du-Havre_ +disparaissait sous les Ilots, qui se précipitèrent en tourbillonnant +dans l'immense vide formé; et les malheureux renversés dans l'eau, ceux +que la vague ramena à la surface, ou qui plus heureux avaient pu saisir +une ceinture de sauvetage, un tronçon de mât, une planche, restèrent +ballottés par les vagues, transis, à moitié expirants, mais soutenus +quelques instants encore par cette force surhumaine que donnent l'espoir +et l'instinct de la conservation. La fatalité avait poursuivi le +malheureux navire jusqu'à sa dernière minute d'existence; au moment où +il sombrait, un canot chargé de femmes et d'enfants fut projeté par le +remous sur le tronçon du mât d'artimon, crevé et submergé. + +Le _Loch-Earn_ avait pu se dégager aussitôt après l'abordage. Bien que +fortement compromis par la perte de son avant, il se soutenait sur +l'eau. Sans perdre un instant, son capitaine fit mettre ses embarcations +à la mer et procéda au sauvetage. Les canots n'arrivèrent sur le lieu de +la catastrophe qu'après la disparition complète de la _Ville-du-Havre_; +ils recueillirent les naufragés et ne quittèrent la place que le +lendemain matin à dix heures, quand nulle voix ne vint plus réclamer +assistance, quand aucune victime ne parut surnager, quand enfin rien ne +vint plus révéler que là , quelques heures auparavant, flottait l'un des +rois de la mer. Demeuré à son poste, le capitaine Surmont coula avec son +bâtiment, mais il eut le bonheur de saisir une planche, et vingt minutes +après un canot le sauvait. + +Passagers et marins recueillis à bord du _Loch-Earn_ étaient dépourvus +de tout, la rapidité du sinistre n'ayant permis qu'à un très-petit +nombre d'entre eux de se munir des objets les plus indispensables: ils +furent, de la part du capitaine Robertson et de l'équipage anglais, +l'objet d'une sollicitude des plus touchantes, qu'ils se sont plu à +reconnaître publiquement. Mais quel triste lendemain! Parmi ceux qui se +trouvaient sains et saufs, il y avait une jeune mère qui avait perdu ses +quatre enfants; une petite fille de neuf ans restée seule d'une famille +nombreuse, et quantité d'infortunés qui, en quelques minutes, avaient vu +mourir sous leurs yeux, père, mère, frère, soeur, mari, amis... Parmi +ces passagers, un, M. James Bishop, avait eu le bonheur d'être +recueilli, et c'était la troisième fois, disait-il, qu'il échappait à +une mort imminente: il avait failli périr lors de la chute d'un train de +chemin de fer dans une rivière et à la suite du sautage d'un navire par +une torpille. + +À dix heures du matin, un trois-mâts américain, le _Trimountain_, fut +signalé; on lui adressa des signaux de détresse, et le capitaine +Surmont, se rendant aux instances des passagers, qui jugeaient le +_Loch-Earn_ trop endommagé pour conserver un supplément de quatre-vingts +à quatre-vingt-dix-personnes, fit passer les survivants sur le navire +américain, à l'exception d'un passager malade, d'un chauffeur blessé et +d'un troisième passager qui voulut garder son compagnon d'infortune. + +A qui incombe la responsabilité de la catastrophe? Une enquête nous +l'apprendra sans doute, mais ce qui, suivant les témoignages déjà +recueillis, parait acquis dès à présent, c'est que le _Loch-Earn_ avait +ses feux réglementaires allumés. Son capitaine aurait dit à un passager +qu'étonné de voir devant lui la silhouette d'un grand vapeur ne faisant +aucun mouvement pour éviter une rencontre, il crut qu'un ou plusieurs de +ses fanaux étaient éteints et qu'on ne l'apercevait pas; il courut à +l'avant, s'assura qu'ils brillaient et fit manoeuvrer pour s'éloigner du +navire en vue. + +A bord de la _Ville-du-Havre_, les vigies de l'avant auraient aperçu et +signalé le _Loch-Earn_ quelques minutes avant la collision. + +Que s'est-il passé alors? l'officier remplaçant momentanément le +capitaine s'était-il assoupi, n'a-t-il pas entendu l'avis qu'on lui +donnait, ou bien ses ordres ont-ils été mal compris du timonier? Les +auteurs principaux du drame ayant péri, il paraît difficile de savoir la +vérité, mais des positions respectives du _Loch-Earn_ et de la +_Ville-du-Havre_, au moment de l'abordage, semble résulter ce fait +capital que cette dernière a dû faire une fausse manoeuvre. Dans les cas +de rencontre en mer, c'est le vapeur, plus maniable que le voilier, qui, +suivant les règlements maritimes, doit modifier sa route. Par conséquent +la _Ville-du-Havre_ aurait dû incliner vers sa droite et si, pendant son +mouvement, elle eût été abordée, c'est par son côté gauche ou de bâbord +qu'elle eût reçu le choc. Le contraire ayant eu lieu, c'est-à -dire que +le voilier s'étant enfoncé dans les bordages de droite ou de tribord, il +est permis de penser que le coup de barre, indiqué ou donné, a eu pour +résultat de faire virer le paquebot vers la gauche, ce qui lui a fait +présenter le flanc droit au _Loch-Earn_. Si cela est, la responsabilité +de ce dernier se trouverait dégagée. + +Le _Trimountain_ a conduit à Cardiff les naufragés que le steamer +_Alice_, de Southampton, a ramenés ou rapatriés en France. Quant au +navire, cause de ce grand malheur, il n'avait pas, ainsi que l'indique +le rapport du capitaine Surmont, de cloison étanche proprement dite, +mais son charpentier avait répondu, d'en établir une suffisante pour +permettre de gagner un port. Ces prévisions ne se sont malheureusement +pas réalisées, car, assailli par un gros temps, le _Loch-Earn_ a sombré +en mer; son équipage et les trois naufragés qu'il avait recueillis, ont +pu être sauvés par un bâtiment anglais se rendant d'Amérique en +Angleterre. Ce dernier naufrage a présenté des incidents aussi +palpitants que celui de la _Ville-du-Havre_. + +Terminons en notant un sentiment superstitieux qui subsiste parmi les +populations maritimes de certains ports. Lorsqu'un navire a été dénommé +et baptisé, il ne doit plus changer de nom, sans cela Dieu cesse de le +protéger. A l'appui de cette croyance, les marins vous citent une longue +série de navires ayant changé de nom qui, partis pour la haute mer, ne +sont jamais revenus. Aussi beaucoup d'entre eux refusent-ils de +s'embarquer sur les navires _débaptisés_. Soyez certain que si vous +parlez à quelque vieux loup de mer de la catastrophe de la +_Ville-du-Havre_, il vous répondra en hochant la tête: «On lui avait +changé son nom!» + +P. Laurencin. + + + +Inauguration de l'Asile et de l'École de filles de Dugny. + +Le village de Dugny (Seine) était à peu près inconnu avant la guerre de +1870. Perdu dans la plaine Saint-Denis, entre Stains et le Bourget, il +fallait les désastres de la dernière invasion pour tirer son nom de +l'oubli. En tant que commune ravagée, Dugny méritait, en effet, de fixer +l'attention. Occupé par les troupes ennemies dès le 10 septembre 1870, +il a vu partir le dernier soldat prussien le 20 septembre 1871. + +Pendant cette occupation, qui a été la plus longue du département de la +Seine, les projectiles, la rapine, la dévastation même pendant +l'armistice, tout a contribué à la ruine du village. + +Grâce à l'énergie et au courage de sa population laborieuse, les traces +de la guerre ont à peu près disparu. + +Mais, par suite de ces désastres, la commune a dû faire construire une +salle d'asile et une école de filles. + +La pose d'une plaque commémorative et, plus tard, l'inauguration de +l'édifice, ont donné lieu à des cérémonies qui ont été entourées d'un +certain éclat. + +Ainsi, pour ne parler que de la dernière, nous citerons la présence de +monseigneur l'archevêque de Paris, de monseigneur Langenieux, évêque de +Tarbes, de M. l'archidiacre de Saint-Denis, de MM. le préfet de la +Seine, le préfet de police, le sous-préfet de Saint-Denis, de M. Artoux, +inspecteur de l'instruction primaire, et enfin de tous les maires des +communes voisines. + +Le cortège, qui s'est formé chez M. Étienne Blanc, maire de la commune, +où tous les invités s'étaient réunis, s'est rendu à la nouvelle école. +Une nombreuse assistance l'attendait à son arrivée. + +Les élèves de l'école des filles ont chanté, en choeur, un hymne en +remerciement de la visite de monseigneur l'archevêque. + +M. le maire de Dugny s'est ensuite adressé à Monseigneur, pour lui +exprimer la reconnaissance des habitants, heureux et fiers de la +présence de toutes les autorités dans leur modeste village. + +Une jeune fille de l'école a adressé ensuite à monseigneur l'archevêque +et à M. le maire un compliment au nom de toutes ses compagnes. + +Monseigneur Guibert a pris alors la parole et a témoigné dans des termes +empreints d'un sentiment tout paternel, l'intérêt que lui inspire ce +malheureux village, si cruellement éprouvé pendant la guerre. + +Après ce discours, Monseigneur a donné la bénédiction à l'édifice ainsi +qu'à l'assistance; puis un choeur, chanté par des amateurs, a terminé la +cérémonie. + +Le cortège s'est reformé et a reconduit monseigneur l'archevêque de +Paris et sa suite chez M. le maire. + + + +[Illustration: LE NAUFRAGE DE LA "VILLE-DU-HAVRE". LA DERNIÈRE MINUTE.] + + + +La comédie de notre temps, par Bertall (1) + +[Note 1: 1 vol grand in-8º illustré. E. Plon et Cie éditeurs.] + +M. Bertall, dont le premier grand succès fut sa collaboration au _Diable +à Paris_, revient aujourd'hui au genre qui lui valut sa réputation, et +il publie sous ce titre la _Comédie de notre temps_, un livre qui sera, +pour la société de 1870 à 1875, ce que le _Diable à Paris_ fut pour le +monde de 1840, avec cette différence qu'ici, dans ce nouvel ouvrage, +Bertall tient à la fois la plume et le crayon. Il est l'auteur et +l'illustrateur d'un certain nombre de chapitres tout parisiens, d'une +curiosité et d'un intérêt absolus, sur les moeurs actuelles, et, je +n'hésite pas à dire que ce livre, qui nous plaira si fort aujourd'hui, +constituera pour l'avenir un véritable monument où l'on puisera des +notes certaines et originales sur la vie morale de notre époque. Bertall +passe en revue toutes les choses et tous les mondes: le vêtement, le +costume, la toilette, les manières, les manies, les types, les +caractères; il étudie les soirées et les bals, les dîners d'apparat, les +banquets, les artistes, les coulisses (celles de la Bourse et celles du +théâtre), les premières représentations, les soupers, les églises, la +Chambre et la politique, le jeu et les joueurs, en un mot tout ce qui +constitue la vie même de ce temps-ci. Quel dommage qu'un observateur +aussi perspicace, doué d'un pareil talent, ne se soit pas trouvé à +chaque époque pour nous léguer la _vérité vraie_ et la _vérité vue_ sur +l'époque qu'il traversait! Les croquis de Debucourt et de Carle Vernet +nous en disent long sur le Directoire, les muscadins et les +_merveilleuses_, mais Debucourt pas plus que Vernet n'avaient, comme eût +dit Musset, _un joli brin de plume_ emmanché dans le crayon. Bertall, du +moins, s'il enlève lestement un croquis du _gommeux_, y ajoute le texte +et les réflexions morales: «Le _gommé_ ou _gommeux_ est l'antithèse du +dégommé. Celui donc qui est bien en vue, qui brille, qui est envié pour +sa toilette, sa position, son genre et son chic, est un _gommeux_.» +Balzac, qui fut le parrain de Bertall, en littérature et en art, eût +applaudi à ces chapitres alertes de la Comédie de notre temps qui +constituent, en somme, la physiologie de la seconde partie du XIXe +siècle: Album, recueil, livre, dit Bertall en parlant de son ouvrage, +quelque nom que l'on veuille bien lui donner, il n'a pas d'ambitions +bien hautes.» Il aurait tort de n'en pas avoir, car, sans prétention, +c'est là l'oeuvre d'un philosophe et d'un satirique qui a beaucoup vu, +beaucoup étudié, très-bien observé, et qui nous donne sous une forme +durable, agréable, charmante, le fruit à point mûri de ses observations. + +La _Comédie de notre temps_ fera doublement honneur à Bertall, et elle +obtiendra un double succès: oeuvre de piquante littérature, elle sera +classée parmi les plus jolies études de moeurs; oeuvre d'art, elle +léguera à l'avenir la physionomie même de ce temps, avec tous ses tics, +toutes ses élégances, toutes ses habitudes, toutes ses séductions et +tous ses ridicules. + +Jules Claretie. + + + +Jeanne d'Arc + +Le succès de _Jeanne d'Arc_, que notre collaborateur M. Savigny avait +signalé dès la première représentation de ce drame lyrique, qui devient +populaire, s'affirme de jour en jour. L'_Illustration_ lui doit les +honneurs d'une gravure et les lui fait bien volontiers, en s'associant à +la vive sympathie du public pour le poète, M. Barbier, et pour le +musicien, M. Gounod. Elle rend aussi le tribut d'éloges dû aux +décorateurs et aux interprètes de cet ouvrage. Elle donne les +principales scènes du drame et dans la décoration du fort et de la +courtine d'Orléans, au-dessous desquels se dessine le pont de la Loire, +et dans cette vue du parvis et de l'église de Reims, et dans cet acte où +s'élève le bûcher qui doit dévorer l'héroïne. Au centre, le dessinateur +a placé le portrait de Mlle Lia-Félix. Bien des rôles ont marqué la +carrière déjà longue de l'éminente artiste. Elevée à cette grande école +du bien dire que Mlle Rachel a formée autour d'elle et dans sa propre +famille, au milieu de ses soeurs dont elle est aussi une des gloires, +Mlle Lia-Félix a fait, dans une série de drames joués depuis tantôt +quinze ans, une foule de créations qui lui ont mérité une légitime +réputation et qui lui ont valu la première place parmi les interprètes +du drame. Jamais le triomphe de Mlle Lia-Félix, même aux jours de la +_Fille du paysan_, n'a été plus vif et plus grand que dans _Jeanne +d'Arc_. Jamais elle n'a déployé des qualités dramatiques aussi +saisissantes. Mlle Lia-Félix a résumé dans ce rôle toute la puissance de +son talent, par l'émotion vraie, le sentiment, la noblesse et l'énergie. +Il y a là comme le souvenir de l'illustre tragédienne, et nous avons cru +la voir revivre surtout dans cette scène finale du drame, dans laquelle +Mlle Rachel n'aurait pas arraché plus de larmes et appelé à elle plus +d'applaudissements. + + + +BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE + +_Les Applications de la physique_, par M. Am. Guillemin.--La librairie +Hachette, à laquelle on doit déjà les beaux volumes de science illustrés +qu'elle a édités depuis plusieurs années avec un véritable dévouement +scientifique: le _Ciel, l'Atmosphère et les grands phénomènes de la +nature, les Voyages aériens, la Terre, le Monde souterrain, les +Phénomènes de la physique_, vient de publier un nouvel ouvrage de M. +Guillemin, qui certainement n'aura pas moins de succès que ses +prédécesseurs. + +Après avoir raconté les phénomènes de la physique, l'auteur vient +aujourd'hui nous en exposer les applications, dans le triple domaine de +l'art, de l'industrie et de la science elle-même. Quel sujet serait plus +fécond que celui-ci? Le monde n'est-il pas véritablement transformé +depuis la découverte des agents qui régissent l'univers? Neuf jours +suffisent aujourd'hui pour traverser l'Atlantique et passer de notre +vieux continent dans le continent découvert, il n'y a pas encore quatre +siècles, par Colomb! Quelques jours suffisent pour traverser l'Europe +entière et parcourir l'Asie! En quelques secondes nous envoyons une +dépêche d'Europe en Amérique et en recevons la réponse! Merveille plus +surprenante encore: Nous écrivons de notre, main un billet de Paris à +Marseille, et 1e fac-similé de notre l'écriture se transporte lui-même +et se reproduit à 864 kilomètres de distance! La lune est à 96,000 +lieues d'ici; nous la rapprochons à 48 lieues pour en étudier les +paysages, et l'on s'occupe actuellement de réaliser en Amérique le +projet de construire le gigantesque télescope qui doit la rapprocher à 3 +lieues. + +Le soleil est éblouissant; après l'avoir pesé et mesuré, on l'éclipse à +volonté pour analyser les gaz qui brûlent autour de lui avec des flammes +de 30,000 lieues de hauteur. + +A la surface de la terre, le microscope nous a révélé l'existence d'un +monde invisible, incomparablement plus peuplé que tout ce que nous +voyons de nos yeux autour de nous. Les nuages s'élèvent des mers et sont +amenés par le veut au-dessus de nos têtes; l'aérostat glorieux les +traverse et nous emporte, palpitants d'émotion et de bonheur, dans le +ciel toujours pur illuminé par le soleil, au-dessus des agitations et +des tourmentes d'ici-bas! Jamais, non jamais, les procès de sorcellerie +du moyen âge ni les routes féeriques de l'Orient enchanté, n'ont rien +imaginé de comparable à la situation scientifique du XIXe siècle, dont +les savants nous gratifient, malgré toutes les sottises politiques, tous +les errements religieux, tous les troubles internationaux qui, +semble-t-il, devraient arrêter la marche du progrès. + +En décrivant les applications de la physique, et en les expliquant par +de nombreux dessins, M. Guilledin a mis en évidence cette situation +scientifique, si éminemment digne de notre attention. Je répéterai ici +les lignes que j'écrivais en souhaitant la bienvenue, il y a neuf ans, +au _Ciel_, du même auteur: «Un vulgarisateur doit être à la fois +littéraire, éloquent et familier pour ceux qui l'écoutent, savant et +fidèle interprète de la science; ceux qui, comme l'auteur de ce livre, +réunissent ces facultés ont droit à l'estime et à la reconnaissance des +amis du progrès.» + +Camille Flammarion. + +Nous nous bornerons à annoncer aujourd'hui les excellents livres de la +Bibliothèque d'éducation et de récréation de la librairie Hetzel; nous +reviendrons à loisir dans notre prochain numéro sur l'ensemble de cette +collection, si justement appréciée des familles.--Quatorze nouveaux +ouvrages signés par _MM. Jules Verne, Viollet-le-Duc, P. J. Stahl, +Lucien Biart, Mayne Reid_, et par M. le capitaine de frégate _Louis du +Temple_, illustrés par nos meilleurs artistes, enrichissent aujourd'hui +le trésor littéraire de l'enfance et de la jeunesse, avec les deux +volumes de l'année 1872 du Magasin d'éducation et de récréation de M. J. +Macé, Stahl et Jules Verne.--Nous renvoyons nos lecteurs et nos +lectrices à l'extrait du catalogne de la Bibliothèque d'éducation et de +récréation que nous donnons à la fin de ce numéro. + +L'_Essai loyal en Espagne_, par MM. Louis Teste et Francis Magnard. (1 +vol. E. Vatou.)--Le 11 février 1873, les Cortès espagnoles ont proclamé +la République. Cette forme de gouvernement s'imposait à la nation, après +l'abdication et le départ du roi Amédée. Quelqu'un avait dit en parlant +de ce règne du prince italien: «La royauté sera un expédient jusqu'à _la +majorité de la République_.» Majeure ou non, en février 1873, la +République était née et elle fut proclamée. D'honnêtes gens, de bons +citoyens, se mirent à l'oeuvre pour fonder le régime nouveau, et nul +d'entre eux, je gage, ne se dissimulait les difficultés de son oeuvre. +Mais ce n'est pas au moment de la tempête qu'on discute la forme du +bateau de sauvetage. Le brave et probe Emilio Castelar essaya de lutter, +et, jusqu'ici, par quelque dures épreuves qu'ait passé l'Espagne, il +faut reconnaître que M. Castelar a fait mieux que des discours. Il a +affirmé sa foi par des actes et risqué un peu sa vie chaque jour, ce qui +constitue déjà un certain avoir. Sans nul doute la République, _l'Essai +loyal_, comme disent les auteurs du présent livre, a vu, en Espagne, de +terribles, d'affreux épisodes; mais, sans compter les anecdotes qu'on +pourrait porter au compte de la monarchie, il faut reconnaître que la +République avait accepté et non créé la situation présente. + +La République n'a pas craint de faiblir devant la tâche qu'Amédée a +refusée. Le hideux spectacle donné par un Santa-Cruz ou par les +_intransigeants_ de Carthagène doit-il faire maudire la République, ce +_génie fatal_, disent les auteurs, et donner raison au mot d'O'Donnell: +«L'Espagne est un bagne en liberté?» Nous estimons que non. J'ajoute que +O'Donnell est sujet à caution. + +Toujours est-il que MM. Teste et Francis Magnard ont voulu +spirituellement railler l'_Essai loyal_ en Espagne, et il faut bien +reconnaître qu'ils y ont réussi. En dehors de toute affaire de parti, la +situation de l'Espagne, on doit l'avouer, est tout à la fois tragique et +comédie. Le drame tourne souvent à l'opérette et l'opérette à la +boucherie, sur cette terre détrempée de sang. Pauvre pays, jadis si +grand et je dirai toujours si grand, car si les mains armées y sont +promptes, les coeurs y sont toujours fiers et les fronts y demeurent +hauts. + +M. Teste, qui avait déjà publié un livre remarquable sur l'Espagne +contemporaine, et M. Bagnard, qui s'était si bien imprégné, dans un +voyage, de la couleur du pays, ont présenté un tableau de l'Espagne +républicaine qui n'est pas sans rapport avec la _Grèce contemporaine_ de +M. About. C'est un pamphlet spirituel, mordant, railleur, où l'_oreiller +de don Nicolas Salmeron_ est mis en scène comme les massacres d'Alcoy, +et,--en faisant la part des tendances du livre,--on ne saurait mieux +peindre et mieux conter. M. Bagnard, dont la plume vive et mordante +aborde avec talent le roman, a donné là à l'histoire le ton de la +chronique armée en guerre. On se plaît au style alors même qu'on se +cabre devant l'opinion politique. Livre à lire, donc, et à garder, car +il est plein d'idées qui appellent la discussion, et de faits, hélas! +qui amènent la réflexion. Que la France jamais ne devienne l'Espagne! + +Le _Repos hebdomadaire_, par M. Julien Hayem. (I vol. in-18, Didier et +Cie.)--Voici, je pense, le premier ouvrage d'un écrivain qui n'est pas +seulement un homme de lettres, mais tut homme d'action, en ce sens que, +non content d'être licencié en droit et licencié ès-lettres, il s'est +fait encore manufacturier, pour suivre le courant du siècle et obéir au +mot d'ordre américain, _Go ahead!_ M. Julien Hayem a mis pour épigraphe +à son livre sur le _Repos hebdomadaire_ une citation de l'_Émile_; «Le +grand secret de l'éducation, dit J. J. Rousseau, est de faire que les +exercices du corps et ceux de l'esprit servent toujours de délassement +les uns aux autres.» L'épigraphe donne, en effet, résume l'esprit du +livre. Il faut du repos à l'homme qui travaille, il faut détendre la +corde de l'arc si l'on ne veut point qu'il se brise. Le repos dominical +n'est pas seulement une habitude, c'est un besoin. M. J. Haye l'a +parfaitement fait sentir en parlant du respect merveilleux qui s'attache +à ce repos hebdomadaire et concluant que le passé de cette institution +répond de son avenir. M. Haye a d'ailleurs le bon sens de ne point +demander que cette fête magistrale du dimanche soit rendue obligatoire. +Les moeurs se chargent toutes seules de faire ce que ne feraient +peut-être pas les décrets. «Qu'on se garde donc, dans l'intérêt du repos +hebdomadaire, de substituer,--dit l'auteur de ce livre,--à des +fondements taillés dans le roc de l'histoire et appuyés sur les besoins +les plus légitimes du corps et de l'esprit humain, la base fragile et +périssable de l'obligation et de la contrainte légales.» + +On voit quel est l'esprit de cette utile monographie. M. Haye, après +avoir recherché les origines historiques du repos hebdomadaire,--qui +remontent au sabbat des Hébreux,--résume l'histoire de la législation de +ce bienheureux septième jour, depuis le IV siècle jusqu'à la Révolution; +il examine ensuite l'utilité du repos dominical pour les ouvriers, les +enfants, les adultes; il se demande enfin par quelles institutions on +pourrait propager l'habitude du repos hebdomadaire et en utiliser +l'emploi. Et toujours, dans ces divers chapitres, l'auteur voit et dit +juste et apporte de vives lumières sur la question en litige. M. Julien +Haye a obtenu, avec ce livre, le prix qu'avait mis au concours, en +1871, l'Académie des sciences morales et politiques. C'est le plus bel +éloge qu'on puisse faire de ce travail solide, très-curieux sur un sujet +spécial, et écrit avec talent, sans phrase et sans recherche, par un +esprit très-pratique et très-libre. + +_Études sur la littérature contemporaine_ (quatre séries), par M. Edmond +Schérer. (4 vol. chez Michel Lévy.)--M. Edmond Schérer s'est fait à la +fois, dans la politique et dans les lettres, une place privilégiée, hors +de discussion et, si je puis dire, en pleine estime. C'est un esprit +net, solide, un peu froid, mais érudit, plein de pensées et ne +sacrifiant rien au faux goût en littérature, à la popularité facile, en +politique. Critique littéraire au journal _le Temps_, il a depuis dix +ans acquis une autorité incontestée dans ce domaine des études +bibliographiques que les rudes événements de ces années dernières ont +fait un peu trop délaisser. M. Schérer a toujours réuni (et il a eu +raison) ses articles de journaux et volumes. On eût regretté de ne point +retrouver, sous une forme plus durable, ces études savantes ou +savoureuses dont on avait fait sa lecture d'un soir. On peut dire de M. +Schérer ce qu'il a écrit de Prévost-Paradol: Il improvise des pages +durables. + +Jules Claretie. + + + +[Illustration: THÉÂTRE DE LA GAÃŽTÉ.--Mlle Lia-Félix dans _Jeanne +d'Arc_.] + + + +L'HISTOIRE DE FRANCE +Racontée à mes petits enfants + +PAR M. GUIZOT + +L'Histoire de France de M. Guizot en est à son troisième volume. Ce +volume ne le cède en rien aux deux qui l'ont précédé. On y retrouve la +même clarté et la même élégance dans l'exposition des faits. C'est la +même intelligence nette et vive qui en éclaire les points obscurs, le +même esprit ferme qui en dégage la moralité. Il commence avec François +Ier pour finir avec Henri IV. Cette période est l'une des plus +intéressantes et des plus dramatiques de notre histoire nationale. +D'abord c'est du commencement du XVIe siècle que date la Renaissance. +Non que le moyen Age ait été une époque de stérilité et de décadence. Il +a son encyclopédiste, le moine Vincent de Beauvais; ses philosophes, +Gerbert, Abélard, Bernard, Robert de Sorbon; il a ses prosateurs, +Villehardouin, Joinville, Froissart, Commynes. Mais au moment où nous +sommes parvenus, une grande révolution a lieu dans la marche de notre +génie national. Il quitte sa voie propre, originale, pour + +[Illustration: Vincent de Beauvais.] + +s'engager dans celle de l'imitation, où vont le pousser peuples et +princes, également affolés des oeuvres et des gloires des sociétés de la +Grèce et de Rome, remises en honneur. C'est encore à cette époque que +remonte la révolution religieuse opérée par Luther en Allemagne, Zwingle +en Suisse et Calvin à Genève et en France, révolution qui alluma tant de +guerres dans ce dernier pays, et, au nom de Dieu, y fit commettre tant +de crimes. Deux figures se détachent au point culminant de cette lugubre +époque, les héros de la Saint-Barthélemy, Charles IX et Catherine de +Médicis. Que de nobles victimes tombées à côté de l'amiral de Coligny, +dans cette nuit sanglante! On sait que ce n'est qu'en abjurant le +protestantisme que le prince de Condé et celui qui devait être Henri IV +purent sauver leur vie. Mais le Béarnais n'était pas homme à se laisser +lier par cet acte obtenu par la violence. Sous une apparente bonhomie, +c'était un esprit fin, rusé, souple au besoin, peu scrupuleux sur +l'emploi des moyens, et allant avec une invincible ténacité à son but, +qui était la conquête du royaume et de la royauté. Et lorsque parvenu au +pied du trône, il mil à interroger sa conscience pour savoir si elle lui + +[Illustration: Abjuration de Henri IV.] + +permettait d'en escalader les marches, il trouva tout naturellement que +«Paris valait bien une messe». Un de nos dessins se rapporte à cette +seconde abjuration du roi Henri, qui eut lieu le dimanche 25 juillet +1593. Le roi est représenté se rendant en grande pompe à l'église +Saint-Denis. Arrivé avec toute sa suite devant le grand portail, il y +fut reçu par l'archevêque de Bourges, Regnault de Beaune, et tous les +religieux de l'abbaye.--Qui êtes-vous? lui demanda l'archevêque, qui +officiait.--Je suis le roi.--Que demandez-vous?--Je demande à être reçu +dans le giron de l'église catholique, apostolique et romaine.--Le +désirez-vous?--Oui, je le veux et le désire. A cette parole, le roi se +mit à genoux et fit la profession de foi convenue. Tout était fini et +Henri IV, suivant son expression, «avait fait le saut périlleux». Par +cet acte et la trahison de Brissac, le nouveau roi, mis en possession du +trône, eut vite réduit sous son obéissance la Bourgogne, la Picardie et +la Bretagne, qui seules refusaient de se soumettre. Libre désormais de +soucis de ce côté, il travailla alors énergiquement à la restauration de +l'autorité royale, et par diverses mesures: la destruction des +franchises municipales, les rigueurs de la censure royale, +l'asservissement du parlement et la réforme universitaire, il prépara et +rendit possible la monarchie despotique de Richelieu et de Louis XIV. +Seize ans plus tard, passant dans la rue de la Ferronnerie en son +carrosse où il se trouvait avec MM. de Montbazon et d'Epernon, il +tombait frappé de deux coups de couteau par Ravaillac. Malherbe, alors +attaché au service d'Henri IV, a raconté dans une lettre cet abominable +assassinat. «Tout aussitôt, écrit-il, le carrosse tourna vers le Louvre. +Le roi fut porté en haut par M. de Montbazon, le comte de Curzon en +Quercy et mis sur le lit de son cabinet, et sur les deux heures porté +sur le lit de sa chambre, où il fut tout le lendemain et le dimanche. Un +chacun allait lui donner de l'eau bénite. Je ne vous dis rien des pleurs +de la reine; cela se doit imaginer. Pour le peuple de Paris, je crois +qu'il ne pleura jamais tant qu'à cette occasion.» Tels sont les +événements retracés dans le troisième volume de l'_Histoire de France_ +de M. Guizot. Nous avons dit combien attachante en est la lecture; nous +n'y reviendrons pas. Ajoutons que ce volume qui, on le sait, sort de la +librairie Hachette, est magnifiquement illustré de soixante-quatorze +gravures dessinées sur bois par M. de Neuville. + +[Illustration: Abélard.] + +[Illustration: Charles IX et Catherine de Médicis. Gravures extraites de +l'_Histoire de France racontée à mes petits-enfants_, par M. Guizot. +(Hachette et Cie, éditeurs.)] + + + +UN VOYAGE EN ESPAGNE +PENDANT L INSURRECTION CARLISTE + +VI + +Nomination des quatre généraux pour commander l'armée carliste: Ellio, +Dorregaray, Lissarraga et de Valdespina.--Entrée de don Carlos en +Espagne.--Appel aux armes.--Le château de la duchesse de M***.--Le +journalisme espagnol.--Succès remportés par les carlistes.--Situation +actuelle.--Comment pourra se terminer ta guerre civile; solution +probable. + +C'est vers le courant du mois de juin, alors que les bandes nombreuses +disséminées en Biscaye, dans le Guipuzcoa et la Navarre, avaient étendu +partout leurs opérations, que la junte de guerre, qui venait de réaliser +un nouvel emprunt en Angleterre, jugea à propos de les former en trois +corps d'armée placés sous les commandements de Dorregaray, Lissarraga et +de Valdespina. Je dois constater que ce fut la première organisation +sérieuse qui ait été faite de l'insurrection carliste. Le général Ellio +fut placé, en qualité de major-général, à la tête de ces trois corps +d'armée. + +Un mot sur ces quatre chefs. + +Ellio est un vieux général bien connu, qui a fait ses preuves pendant la +guerre de Sept ans. Ami et compagnon de Cabrera et de Zumalacarregui, il +a été un des plus braves adversaires du général Espartero, commandant en +chef des troupes de la reine Christine, et l'a battu dans plusieurs +rencontres, notamment à la bataille livrée aux environs de Vitoria. +Pendant sept ans, à la tête des bandes navarraises, il a parcouru toutes +les provinces du Nord, franchi l'Ebre et fait trembler la régente jusque +sur son trône. Il connaît donc tout le pays envahi encore aujourd'hui +par les carlistes, et nul ne peut mieux que lui savoir tirer un bon +parti de sa topographie. Aussi, les mouvements stratégiques que les +troupes carlistes effectuent en ce moment s'exécutent-ils d'après le +plan qu'il a tracé lui-même. Ellio est donc, à l'heure qu'il est, l'âme +et l'inspirateur de l'insurrection carliste. + +Dorregaray, que don Carlos a investi du commandement de la Navarre, est +un officier très-distingué, d'origine basque, et connaissant, lui aussi, +parfaitement la carte du pays, théâtre actuel de la guerre civile. Il +l'a prouvé, au reste, d'une manière incontestable, à la bataille +d'Eraül, où en faisant mouvoir savamment ses troupes à travers les +montagnes, il parvint à couper la brigade de Novarro de celle de +Cabrinetti; ce qui décida de la bataille qu'il gagna. On sait que la +bataille d'Eraül passe, à juste titre, pour un des plus beaux faits +d'armes de l'insurrection actuelle. + +Lissarraga est un ancien lieutenant-colonel de l'armée régulière, sous +le règne d'Isabelle II. Après la révolution de septembre 1868, qui +détrôna cette reine, il embrassa le parti de don Carlos. Nommé au +commandement de la Biscaye, il a su concentrer habilement les bandes +qui, disséminées sur divers points, opéraient sans ordre et sans but +déterminé d'avance. Il en forma un corps d'armée qui a fait, pendant +plus d'un mois, le blocus de Bilbao, un instant sur le point de tomber +au pouvoir des carlistes. + +Quant au marquis de Valdespina, un des plus riches propriétaires du +Guipuzcoa et dont le château, situé aux environs de Loyola, passe à bon +droit pour une merveille d'architecture; il est très-aimé dans la +contrée. Distingué par la noblesse de son caractère, la sincérité de ses +convictions royalistes, sa bravoure et sa loyauté, de Valdespina jouit +de l'estime de tous les habitants des quatre provinces, même de celle de +ses adversaires politiques. La meilleure preuve qu'on puisse en donner, +c'est le respect qu'ont eu les libéraux et les troupes régulières pour +son château qui, quoique placé au centre de l'insurrection, et par +conséquent du mouvement des brigades républicaines, n'a éprouvé, de leur +part, aucun dégât. J'ajouterai, en outre, qu'il est un des chefs les +plus actifs et celui qui exerce le plus d'influence sur l'esprit des +populations des provinces insurgées. + +Ces quatre chefs, qui connaissent la contrée et ses montagnes dans tous +leurs recoins, ont une grande supériorité de stratégie sur les généraux +du gouvernement, dont la plupart n'ont pas la moindre notion +géographique du terrain sur lequel ils font mouvoir leurs troupes. Ce +qui explique combien il sera difficile à la république de Castelar, en +supposant même qu'elle puisse disposer de forces suffisantes, d'étouffer +l'insurrection. J'estime donc que, dans le cas où elle ne triompherait +pas, l'insurrection peut durer encore bien des années. + +Un mois après les opérations vigoureuses entreprises par ces quatre +commandants, la situation du parti carliste parut être si florissante +que les chefs de l'insurrection crurent pouvoir engager don Carlos, qui +habitait toujours le château de Peyrolhade, de venir se mettre à la tête +des «troupes libératrices de l'Espagne». En conséquence, le 18 du mois +de juillet dernier, le prétendant, escorté d'un brillant état-major, +partit du camp de _Pena-Plata_, franchit la frontière et se rendit à +Vera, où il fut reçu avec le plus grand enthousiasme de la part des +populations et de ses troupes accourues sur son passage. Les cloches des +églises sonnèrent à toute volée et les curés des paroisses que +traversait le cortège vinrent processionnellement lui présenter leurs +hommages. Jamais aucun souverain de l'Espagne n'avait été accueilli avec +autant de démonstrations sympathiques. + +Cette entrée triomphale et inattendue de don Carlos sur le territoire +espagnol surprit le gouvernement de Madrid, qui ne s'attendait pas à le +voir de sitôt se mettre à la tête des troupes insurrectionnelles. On +avait répandu tant de faux bruits sur le compte du prétendant, que les +uns faisaient voyager à l'étranger et dont les autres avaient annoncé +tant de fois la mort, qu'il était bien permis à Figueras, chef du +pouvoir exécutif, d'avoir été pris au dépourvu par cette audacieuse +entreprise. Mais ce qui déconcerta le plus les membres du gouvernement +républicain, c'est que don Carlos faisait coïncider précisément son +entrée sur le territoire espagnol avec les insurrections +internationalistes, fédérales, cantonales et autres qui agitaient +Barcelone, Cadix, Carthagène, Grenade, Séville, et les principales +villes du Midi et du Centre de la Péninsule. + +J'étais à Pampelune lorsque la nouvelle de l'entrée du roi en Espagne se +répandit dans le public. Dans cette ville, entièrement carliste, elle +fut accueillie avec des transports d'allégresse par tous les habitants +qui manifestaient ouvertement la joie et la satisfaction qu'elle leur +faisait éprouver. On l'avait affichée sur tous les murs de la ville +d'une manière tellement ostensible, qu'on n'aurait jamais cru se trouver +dans une cité soumise au régime républicain. Pour ma part, j'en fus +étrangement surpris, quoique habitué, depuis longtemps, aux bizarreries +et aux contradictions du caractère espagnol en matière politique. Il est +à remarquer que Pampelune, capitale de la Navarre, est une place forte +de première classe, possédant une population d'environ seize mille +habitants et une garnison ordinairement assez nombreuse. Celle-ci, dont +l'effectif s'élevait à cinq ou six mille hommes de toutes armes, parut +rester complètement indifférente à toutes ces manifestations politiques. + +Tandis que don Carlos s'avançait ainsi dans l'intérieur de la Navarre, à +la tête de son état-major, et qu'il allait établir son quartier général +à San-Estaban, ses émissaires faisaient publier par les _alcaldes_ +(maires) et placarder dans les villages et les localités importantes +l'ordonnance suivante, qui n'est autre qu'un appel aux armes, dont je +reproduis la traduction comme étant à la fois un document et une +curiosité historiques. + +«Ordonnance de Sa Majesté le roi Carlos _settimo_, que Dieu garde! + +«Mes fidèles et aimés sujets des provinces de la Navarre, du Guipuzcoa, +de la Biscaye et de l'Alava, je vous ordonne par la présente patente de +prendre les armes et de marcher à la défense de mes droits sacrés, qui +sont aussi les vôtres, afin de reconquérir _vos fueros_, vos privilèges +et toutes vos immunités que vous ont octroyés mes ancêtres et que les +gouvernements usurpateurs vous ont ravis. + +«Sur le vu de la présente, scellée de mon sceau royal, tout Basque âgé +de vingt à quarante ans s'enrôlera sous ma noble bannière. Il obéira aux +ordres des braves et vaillants _cabecillos_ que j'ai investis de mon +autorité. Des armes et des munitions seront fournies à tous. Avec l'aide +de Dieu et le secours de mon épée, nous triompherons des usurpateurs et +nous rétablirons le trône de mon auguste aïeul Philippe V. Que mes +fidèles sujets des quatre provinces restées attachées à ma cause se le +tiennent pour dit!--MOI, _le roi Carlos settimo_.» + +Un exemplaire de cette ordonnance me fut donné, le lendemain même de sa +publication, dans un des principaux cercles de Pampelune, où elle +circulait de main en main. On se la communiquait sur la place de la +Constitution, dans les promenades, et jusque sur les marchés publics, +comme s'il se fût agi d'un acte officiel du gouvernement établi; avec +plus d'empressement encore, car les actes officiels de ce dernier +étaient loin de recevoir de la part des Pampelunais un accueil aussi +empressé. + +J'avais fait connaissance, pendant le peu de temps que je séjournai dans +la capitale de la Navarre, de deux jeunes gens fort distingués qui +avaient fait leurs études à Paris, fils d'un magistrat du tribunal +supérieur de la ville. Quel ne fut pas mon étonnement, lorsque, le +lendemain de la publication de la susdite ordonnance, les deux frères +vinrent me trouver à l'hôtel pour me faire leurs adieux. + +--Où allez-vous donc? leur dis-je, étonné de leur départ précipité, dont +ils ne m'avaient rien dit la veille. + +--Nous allons rejoindre l'armée du roi, me dit l'aîné, à peine âgé de +vingt et un ans; voyez l'ordre qui nous enjoint de partir, ajouta-t-il +en me montrant la fameuse ordonnance dont j'avais un exemplaire entre +les mains. + +--Comment, lui dis-je, vous allez quitter votre famille, vous séparer de +votre digne père qui vous adore, pour aller affronter à travers les +montagnes les hasards de la guerre de partisans? Ce n'est pas possible. +Le premier de vos devoirs, ce me semble, est de rester auprès de vos +parents; c'est, au surplus, le conseil que je vous donne en véritable +ami. + +--Le roi a parlé, me répondit-il gravement, nous n'avons plus à hésiter. +Notre valise est prête, et dans une heure nous serons sur la route qui +conduit au quartier général de Sa Majesté, Adieu et au revoir! + +Et les deux frères me quittèrent pleins de cette foi ou de ce fanatisme +politiques qui animaient les peuples du temps des croisades, et dont les +Basques et les Navarrais semblent avoir conservé, seuls, la tradition. +Quinze jours après leur départ, le plus jeune tomba mortellement blessé +à l'attaque de Tolosa, et l'aîné a été tué, il y a quelques jours, au +siège d'Estella, soutenu contre les troupes de Moriones, qui furent +forcées d'abandonner leurs positions. + +H. Castillon (d'Aspet). + +(La suite prochainement.) + + + +LA COMÉDIE DE NOTRE TEMPS, PAR BERTALL + +[Illustration: Démarche du commandant de table d'hôte.] + +[Illustration: Démarche du Parisien boulevardier.] + +[Illustration: Démarche du campagnard habitué à marcher dans les terres +labourées.] + +[Illustration: Démarche du faubourien.] + +[Illustration: Salut jovial.] + +[Illustration: Salut à une dame qui reçoit beaucoup, en lui demandant la +permission de la conduire au buffet.] + +[Illustration: Salut gourmé.] + +[Illustration: HOMME D'AFFAIRES. Pose zéro et retient tout.] + +[Illustration: HOMME DE BOURSE. +LA CONNAISSANCE DES COURS +A 52 et demi, j'ai 90 mille de rente, dont 2 sous pour demain.] + +[Illustration: Coupe de cheveux et barbe du gommeux (petite gommé).] + +[Illustration: Le baron, préfet. Mûr pour la diplomatie.] + +[Illustration: Si vous avez un service ou un appui à refuser au fils +d'un ancien ami.] + +[Illustration: Si vous avez un service ou un appui à demander à un vieil +ami de votre famille.] + +[Illustration: En famille.] + +[Illustration: Salut du petit crevé.] + +[Illustration: Salut au maître de la maison.] + +[Illustration: Salut protecteur.] + +[Illustration: Rationalisme.] + +[Illustration: Attitude de l'officier de cavalerie ou du paysagiste.] + +[Illustration: Le corset du commandant.] + +[Illustration: Madame.] + +[Illustration: Jeanneton.] + +[Illustration: Mademoiselle.] + +[Illustration: En retraite.] + +[Illustration: Comme on s'assoit quand on reçoit use visite sans +conséquence.] + +[Illustration: Comme on s'assied quand on est mariée nouvellement, et +qu'on va voir une vieille dame influente.] + +[Illustration: LA DECLARATION DU VICOMTE. +Au cotillon. +Mademoiselle, sous cet abri qui vous cachera ma rougeur et mon émotion, +laissez-moi vous dire que je vous aime; être votre époux serait le titre +le plus cher à mon coeur!] + +[Illustration:--M. le régisseur vient de me dire que tu ne travaillais +pas assez tes rôles, mais que tu avais du ballon. Ça flatte toujours une +mère.] + +[Illustration:--Tu me le remettras dans ma poche.] + +[Illustration: Moralité.] + +Gravures extraites de la _Comédie de notre temps_, 1 beau volume +richement illustré. (E. Plon, imprimeur-éditeur.) + + + +LE DROMADAIRE + +On connaît deux espèces de chameaux, l'une africaine, le dromadaire, +l'autre asiatique, le chameau à deux bosses ou de la Bactriane. C'est +seulement de la première espèce que nous voulons dire quelques mots. + +Le dromadaire est l'animal le plus utile qu'il y ait en Afrique. C'est +un ruminant de grande taille, dont les variétés sont nombreuses. En +effet, entre un _bischarin_, c'est-à -dire un chameau élevé par les +nomades Bischarins, et le chameau de somme d'Égypte, il y a autant de +différence qu'entre un cheval arabe et un cheval de trait. Tous, ou peu +s'en faut, ils n'en sont pas moins également laids. Leurs poils sont +laineux et inégaux ils ont des callosités à la poitrine, aux coudes, aux +genoux et aux chevilles; leur tête surfont est affreuse. + +Le chameau est un véritable animal du désert, que peuvent, grâce à lui +seulement, traverser les caravanes qui vont commercer au sud, à l'est et +à l'ouest. Il ne se trouve que dans les endroits les plus secs et les +plus chauds. + +Dans les lieux cultivés il perd sa véritable essence. Il est très-sobre, +a une nourriture exclusivement végétale et n'est nullement difficile +pour ses aliments. On sait qu'il peut rester longtemps sans boire, mais +non quinze à vingt jours, comme d'aucuns le prétendent. Au bout de six à +huit jours, il est urgent de lui présenter de l'eau. A voir un chameau +au repos, on ne croirait pas qu'il puisse; rivaliser de vitesse avec le +cheval. Et cependant rien n'est plus vrai. Les chameaux des steppes et +du désert sont les plus rapides à la course; ils parcourent d'une traite +un espace considérable aussi facilement que nul autre animal domestique. + +[Illustration: Le dromadaire.--Caravane dans le désert. Gravure extraite +de la _Vie des Animaux illustrés_. (J.-B. Baillière, éditeur)] + +S'il a quelques qualités, en revanche le chameau compte de nombreux +défauts, parmi lesquels la paresse, la stupidité, une mauvaise humeur +continuelle, l'entêtement et l'obstination, la haine ou l'indifférence +vis-à -vis de son gardien. Ajoutons qu'il répand une odeur infecte, et +que son cri est épouvantable. + +Le prix d'un chameau varie suivant les localités. Un excellent bischarin +vaut de 300 à 450 francs de notre monnaie. Un chameau de somme ordinaire +se paye rarement plus de 110 francs. D'après nos idées, ces prix +seraient très-bas; mais dans le Soudan, où l'argent a une très-grande +valeur, ce sont de fortes sommes. Pour 90 francs, on peut acheter un +jeune chameau, ou un chameau de qualité inférieure. Presque partout, le +prix d'un chameau est le même que celui d'un âne; dans le Soudan, un bon +âne vaut plus que le meilleur des chameaux. + +Les détails qui précèdent, ainsi que le dessin que nous donnons, sont +extraits du très-intéressant et très-curieux ouvrage que publie la +librairie J.-B. Baillière: _La vie des Animaux illustrés_ ou description +populaire du règne animal, composé de plusieurs séries et de plusieurs +volumes grand in-8º colombier, illustrés de 800 figures dans le texte et +de 40 planches tirées hors texte sur papier teinté. + + + +[Illustration: L'asile de l'École de filles de Dugny.-(Voy. page 386.)] + + + +Rébus + +[Illustration: Nouveau rébus.] + +EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS: + +Ne crois point aveuglément les articles des journaux. + + + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of L'Illustration, No. 1607, 13 décembre +1873, by Various + +*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44141 *** diff --git a/44141-h/44141-h.htm b/44141-h/44141-h.htm new file mode 100644 index 0000000..aa2a57c --- /dev/null +++ b/44141-h/44141-h.htm @@ -0,0 +1,1933 @@ +<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD HTML 4.01 Transitional//EN"> +<html> +<head> + <meta http-equiv="content-type" content="text/html; charset=UTF-8"> + <title>The Project Gutenberg eBook of L'illustration, No. 1607, 13 DÉCEMBRE 1873, by Various</title> + +<link rel="coverpage" href="images/cover.jpg"> + +<style type="text/css"> + + +body {margin-left: 10%; margin-right: 10%} + +h1,h2,h3,h4,h5,h6 {text-align: center;} +p {text-align: justify; font-size: 12pt} +blockquote {text-align: justify} + +hr {width: 50%; text-align: center} +hr.full {width: 100%} +hr.short {width: 10%; text-align: center} + +.note {font-size: 0.8em; margin-left: 10%; margin-right: 10%} +.footnote {font-size: 0.8em; margin-left: 10%; margin-right: 10%} +.side {padding-left: 10px; font-weight: bold; font-size: 75%; + float: right; margin-left: 10px; border-left: thin dashed; width: 80px; text-indent: 0px; font-style: italic; text-align: left} + +.sc {font-variant: small-caps} +.lef {float: left} +.mid {text-align: center} +.rig {float: right} +.sml {font-size: 10pt} +.large { font-family: sans-serif; font-size:12pt;} +.overl {font-size: 10pt; text-decoration: overline; text-align: center} +.cont {width: 650px} +.somm {float: left; width: 300px; font-size: 10pt; padding: 1em} +.suppl {color: #5A5047; background-color: #EEE2CA } + + +span.pagenum {font-size: 70%; left: 91%; right: 1%; position: absolute} +span.linenum {font-size: 70%; right: 91%; left: 1%; position: absolute} + +.poem {margin-bottom: 1em; margin-left: 10%; margin-right: 10%; + text-align: left} +.poem .stanza {margin: 1em 0em} +.poem .stanza.i {margin: 1em 0em; font-style: italic;} +.poem p {padding-left: 3em; margin: 0px; text-indent: -3em} +.poem p.i2 {margin-left: 1em} +.poem p.i4 {margin-left: 2em} +.poem p.i6 {margin-left: 3em} +.poem p.i8 {margin-left: 4em} +.poem p.i10 {margin-left: 5em} +.poem p.i12 {margin-left: 6em} +.poem p.i14 {margin-left: 7em} +.poem p.i16 {margin-left: 8em} +.poem p.i18 {margin-left: 9em} +.poem p.i20 {margin-left: 10em} +.poem p.i30 {margin-left: 15em} + + + +</style> +</head> +<body> +<div>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44141 ***</div> + +<br><br> + +<div class="cont"> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/001.png"><br></p> + +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="1" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="nil"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 33%;"> +<p class="mid">REDACTION, ADMINISTRATION, BUREAUX D'ABONNEMENTS<br> +22, rue de Verneuil, Paris</p> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 34%;"> +<p class="mid">31e Année.--VOL. LXII.--Nº 1607<br> +<span class="large">SAMEDI 13 DÉCEMBRE 1873</span></p> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 33%;"> +<p class="mid">SUCCURSALE POUR LA VENTE AU DÉTAIL +60, rue de Richelieu, Paris</p> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="1" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="nil"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 50%;"> +<p class="mid"><b>Prix du numéro 75 centimes</b><br> +<span class="sml">La collection mensuelle, 3 fr.; le vol. +semestriel, broché, 18 fr.; relié et doré sur tranches, 23 fr.</span></p> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 50%;"> +<p class="mid"><b>Abonnements</b><br> +<span class="sml">Paris et départements: 3 mois, 9 fr.;--6 mois, 18 fr.;--un +an, 36 fr.; Étranger, le port en sus.</span></p> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + +<p class="mid"><span class="sml">Les demandes d'abonnements doivent être accompagnées d'un mandat-poste +ou d'une valeur à vue sur Paris à l'ordre de M. Auguste Marc, +directeur-gérant.</span></p> + +<br> + +<h2>SOMMAIRE</h2> + +<p><i>Texte</i>: Histoire de la semaine.--Courrier de Paris, par M. Philibert +Audebrand. -- La Sœur perdue, une histoire du Gran Chaco (suite), par M. +Mayne Reid. -- Nos gravures. -- Bulletin bibliographique. -- <i>L'Histoire de +France racontée à mes petits enfants</i>, par M. Guizot. -- Un voyage en +Espagne pendant l'insurrection carliste (VI). -- <i>La Comédie de notre +temps</i>, par Bertall. -- Le dromadaire.</p> + +<p><i>Gravures</i>: Procès du maréchal Bazaine (6 gravures), -- Événements de Cuba; +capture du <i>Virginius</i> par le <i>Tornado</i> dans les eaux de la +Jamaïque. -- Le monument commémoratif de la bataille de Champigny, +inauguré le 2 décembre 1873. -- Le naufrage de la <i>Ville-du-Havre</i>: la +dernière minute. -- Théâtre de la Gaîté: Mlle Lia-Félix dans <i>Jeanne +d'Arc. -- L'Histoire de France racontée à mes petits enfants</i> (4 +gravures). -- <i>La Comédie de notre temps</i>, par Bertall (39 sujets). -- Le +dromadaire: caravane dans le désert. -- L'asile de l'École de filles de +Dugny -- Rébus.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/001a.png"><br><b>PROCÈS DU MARÉCHAL BAZAINE.--La Buvette à Trianon.</b></p> +<br><br> +<h2>HISTOIRE DE LA SEMAINE</h2> + +<h3>FRANCE</h3> + +<p>La semaine parlementaire a été relativement calme; l'Assemblée est enfin +parvenue, dans la huitième séance consacrée au même scrutin, à compléter +la commission des Trente chargée de l'élaboration des lois +constitutionnelles par l'élection de deux membres du centre gauche. La +commission est entrée en fonctions dès le lendemain; elle a choisi pour +président M. Batbie, et a rempli sa première séance par une discussion +préliminaire relative à la publicité de ses travaux; il a été décidé que +la presse ne recevrait pas de comptes rendus officiels des séances, mais +que chacun des membres de la commission serait libre de faire aux +journaux, sous sa propre responsabilité, les communications qui lui +paraîtraient convenables.</p> + +<p>L'Assemblée a ensuite jugé que le moment était enfin venu de s'occuper +de questions d'affaires; elle a successivement voté, en troisième +lecture, un projet de loi tendant à réunir, dans les bureaux +secondaires, le service des postes à celui des télégraphes; cette mesure +n'est qu'un acheminement vers la fusion complète des deux +administrations, fusion existant depuis quelque temps en Angleterre et +qui ne tardera pas, il faut l'espérer, à s'opérer définitivement dans +notre pays, car elle présente des avantages de toutes sortes. Puis, +après une délibération en deuxième lecture sur une proposition de M. de +Corcelles, relative à la composition des conseils académiques, +l'Assemblée a abordé la discussion du budget. Ce n'est pas la première +fois que nous ayons à constater le peu de goût de la Chambre pour les +discussions d'affaires en général, et en particulier pour cette loi de +finances dont le vote annuel constitue cependant la plus importante des +prérogatives parlementaires. +</p><p> +Tandis que le plus mince incident politique est souvent le point de +départ des séances les plus orageuses, nous voyons une indifférence +vraiment regrettable accueillir l'exposé des besoins financiers de +l'État et des moyens proposés pour y subvenir. Des chapitres entiers, +comprenant des centaines de millions, sont volés au milieu de +l'inattention et de la lassitude générales, et si parfois une +observation se produit, c'est bien rarement une préoccupation d'ordre +économique qui l'a dictée. Mentionnons, à ce propos, la question +adressée par MM. Pelletan et Gambetta à l'occasion du budget des +affaires étrangères, et qui a failli prendre les proportions d'un gros +incident. Les deux membres de la gauche réclamaient la publication du +<i>Livre jaune</i>, interrompue, pour des motifs faciles à comprendre, +pendant le cours de l'occupation étrangère, mais redevenue possible +maintenant que la publicité des archives diplomatiques n'offre plus les +mêmes inconvénients. M. le duc Decazes avait, paraît-il, mal compris +l'observation, et peu s'en est fallu qu'il ne posât la question de +cabinet; mais le malentendu n'a pas tardé à se dissiper et l'incident +s'est terminé par la promesse de publication du <i>Livre jaune</i> dans un +délai de quinze jours. +</p><h3> +ALLEMAGNE. +</h3><p> +La campagne entreprise par le gouvernement allemand contre le clergé +catholique devient chaque jour plus difficile; l'opiniâtreté du cabinet +prussien n'a d'égale que la résistance énergique des catholiques. +</p><p> +D'après la Preussische, Volksblatt, organe officieux de l'administration +l'agitation religieuse a tellement gagné les populations des petites +villes et de la campagne, que l'on commence à avoir des appréhensions +sérieuses. On s'efforce, dit ce journal, de réveiller les souvenirs des +anciennes guerres religieuses. Des agents secrets parcourent le pays +sous mille déguisements pour enflammer le fanatisme catholique; +l'exaltation des femmes, principalement, est arrivée à son paroxysme. Le +gouvernement use vainement de tous les moyens de rigueur que les lois +récemment votées, en mai 1873, ont mis à sa disposition; mais il se +heurte contre d'inflexibles résistances. Il a interdit la publication de +la dernière encyclique du Pape en date du 21 novembre, dont nous avons +donné l'analyse et saisi le <i>Cœlnische Zeitung</i> au moment où elle +livrait ce document à l'impression, mesure contre laquelle M. Virchow a +protesté dans le Landtag. Les journaux ultramontains se sont vengés en +imprimant une bulle du mois d'avril dernier, qui frappe d'interdit +toutes les églises où se célébrerait le service du vieux-catholicisme. A +Schœnberg, en Silésie, l'autorité prussienne, qui avait interdit le +curé, voulut faire fermer l'église. Mais, selon le <i>Vaterland</i>, de +Munich, la population a trouvé un moyen ingénieux de contrecarrer les +intentions de la police: elle a enlevé la porte et arraché les gonds, de +sorte que, quand les agents sont arrivés, il leur a été impossible +d'apposer les scellés. On voit à quels incidents de tout ordre ce +conflit donne lieu. Le Parlement lui-même en ressent le contre-coup. +Ainsi le Landtag vient d'adopter, par 351 voix contre 6, une proposition +des ultramontains portant suppression du timbre sur journaux et +almanachs. Le ministère la combattait en objectant que l'on doit +présenter au prochain Reichstag la loi sur la presse dont il a été +question l'année dernière, et dont les dispositions ont soulevé les plus +vives réclamations. Encouragés par ce succès, les ultramontains ont +déposé une motion plus hardie, tendante à l'abrogation des lois +ecclésiastiques votées au mois de mai dernier; ils comptent sur une +grande majorité au prochain Reichstag qui doit être élu le 10 janvier +1874, et où l'Alsace-Lorraine sera représentée pour la première fois. II +se pourrait que Mgr Ledochowski, archevêque de Posen, fût l'un des +candidats élus. Cet énergique prélat a refusé de donner sa démission. +Pour se débarrasser de lui, on songerait, dit-on, à compléter les lois +susdites en autorisant le gouvernement à expulser les prêtres suspendus +de leurs fonctions par la cour civile ecclésiastique. Mais, pour couvrir +Mgr Ledochowski de l'immunité parlementaire, ses fidèles partisans se +proposent de le faire élire, à Schrimm, comme député au Reichstag. La +lutte, on le voit, ne saurait être plus sérieusement engagée, et des +deux côtés elle est poussée avec un égal acharnement. +</p><h3> +ÉTATS-UNIS. +</h3><p> +Le Message présidentiel a été lu le 2 décembre au Congrès. Il constate +que la réduction de la dette accomplie durant l'année, au moyen de +l'excédant des recettes, s'est élevée à 43 millions de dollars, ce qui +porte l'amortissement total de la dette à 300 millions de dollars. +</p><p> +Le Message recommande de restreindre les privilèges des banques relatifs +aux avances sur dépôts. Il déclare que, tant que les payements en +espèces ne seront pas repris, le marché aura des moments difficiles. Il +demande instamment au Congrès d'étudier la question de la circulation en +vue de la reprise des payements en espèces, lesquels permettraient aux +banques d'user de leurs réserves pour régler le taux des intérêts et +augmenter la circulation dans les moments critiques. +</p><p> +Le Message constate ensuite l'amélioration du commerce étranger, qui +aidera à la reprise des payements en espèces. +</p><p> +A propos du <i>Virginius</i>, le Message dit que la capture en pleine mer +d'un bâtiment portant pavillon américain menaçait d'avoir de plus +sérieuses conséquences, et qu'elle a agité l'opinion publique dans toute +l'Amérique. +</p><p> +Plusieurs passagers qui étaient citoyens américains ont été fusillés +sans procédure régulière. Selon le principe établi, les bâtiments +américains en pleine mer et en temps de paix sont, sous la juridiction +de leur pays. +</p><p> +Toute vexation subie de la part des étrangers est un attentat à la +souveraineté des Etats-Unis, qui, se basant sur ce principe, ont demandé +à l'Espagne de rendre le <i>Virginius</i> et les survivants de l'équipage, de +faire réparation au drapeau américain et de punir les autorités +coupables. +</p><p> +Le <i>Virginius</i> avait des papiers en règle et le pavillon américain. +</p><p> +L'Espagne a tout accordé. +</p><p> +Le Message déclare, en terminant, que l'esclavage est la cause du +malheureux état de Cuba. Il demande au Congrès d'exprimer le vœu que +l'esclavage disparaisse de Cuba, car c'est le seul moyen de rendre +possibles les bonnes relations entre l'Amérique et Cuba. Le gouvernement +américain n'est pas hostile à l'Espagne, mais l'affaire du <i>Virginius</i> a +produit une indignation telle, que le Président a dû placer la marine +sur le pied de guerre. +</p><p> +Cette affaire est présentement en voie d'arrangement satisfaisant et +honorable pour les deux pays. +</p><p> +Le Message constate que les relations de l'Amérique avec les autres pays +sont amicales. L'indemnité de l'affaire de l'<i>Alabama</i> a été appliquée +au rachat des obligations 5.20 jusqu'à concurrence de 15 millions +500,000 dollars. +</p><p> +Le Président reconnaît les éminents services rendus par les commissaires +du tribunal de Genève. Il recommande la création d'une Cour spéciale +composée de trois juges, pour entendre les plaintes des puissances +étrangères contre les Etats-Unis. Le Président rappelle qu'il a reconnu +le gouvernement espagnol et le félicite d'avoir émancipé les esclaves de +Porto-Rico et restitué les propriétés américaines séquestrées à Cuba. +L'esclavage règne encore à Cuba, protégé par un parti puissant, en +hostilité ouverte contre le gouvernement de Madrid et plus dangereux que +les insurgés. Dans l'intérêt de l'humanité, l'influence de ce parti doit +être détruite. +</p><p> +L'affaire du <i>Virginius</i> pourrait bien se compliquer prochainement de +l'intervention de l'Angleterre, si toutefois le gouvernement de ce pays +ne consultait que l'opinion publique et en suivait docilement +l'impulsion. Une Note adressée au Foreign-Office par M. Crawford, consul +général de la Grande-Bretagne à la Havane, et communiquée aux journaux, +a inspiré au <i>Times</i> un article d'une grande violence et où éclate une +vive indignation. Cette Note contient la liste des victimes de +nationalité anglaise exécutées à Santiago: on y trouve le second du +navire, un aide-mécanicien, trois chauffeurs, six aides pour le +transport du charbon, deux maîtres d'hôtel et trois matelots. Ce sont de +pareils gens employés au service du bâtiment qui ont été assimilés à des +insurgés pris les armes à la main et fusillés sans aucune forme de +procès. Jamais les lois humaines n'ont été plus cruellement violées. On +peut donc s'attendre à voir le gouvernement anglais élever de justes et +sévères réclamations contre ces barbares exécutions. Du côté de +l'Espagne, la situation devient de plus en plus critique. Les nouvelles +sont contradictoires. Une première dépêche de New-York, en date du 4 +décembre, annonçait, d'après des avis reçus de la Havane, que les +principaux chefs des volontaires avaient publié un Manifeste attestant +leur soumission aux autorités et leur confiance dans M. Jovellar, +capitaine général de Cuba. Mais le même jour, une dépêche de la Havane +faisait parvenir à Madrid des informations tout opposées. M. Jovellar, y +était-il dit, avait prévenu le gouvernement espagnol que, vu l'état +d'exaspération de l'opinion publique, il lui était impossible de +procéder, au moins pour le moment, à l'exécution des ordres concernant +la restitution du <i>Virginius</i>; il faisait même entrevoir la possibilité +«de véritables catastrophes» dans le cas où l'on agirait avec trop de +précipitation. Enfin, toujours d'après la même source, il avait offert +sa démission. Aujourd'hui, la scène change. On télégraphie de Madrid, le +5 décembre, onze heures cinquante minutes du soir, que les ordres du +gouvernement seront fidèlement exécutés: le capitaine général et le +commandant des forces navales en ont envoyé l'assurance formelle. +Toutefois une dépêche de New-York, postérieure à la précédente et datée +d'aujourd'hui même, nous apprend que l'Espagne avait promis de faire +hier la remise du navire, que cet engagement n'a pas été rempli, et +qu'il en résulte un vif mécontentement. Mais, ajoute-t-on, le cabinet de +Washington est disposé à attendre que cette restitution puisse être +faite sans blesser la fierté du gouvernement espagnol. C'est seulement +dans le cas ou l'impuissance de celui-ci serait démontrée que l'affaire +serait soumise au Congrès. +</p><p> +Enfin, une dernière dépêche datée de Philadelphie, 9 décembre, annonce +que des arrangements définitif' ont été pris pour que la restitution du +<i>Virginius</i> et des prisonniers survivants se fasse le 18 décembre. On +assure que la frégate américaine <i>Worcester</i> sera chargée de recevoir le +<i>Virginius</i> à la Havane, et que la frégate <i>Jumata</i> aura mission de se +rendre à Santiago pour prendre les survivants à son bord. +</p><p> +L'insurrection de Carthagène paraît sur le point d'arriver à son terme; +la ville et les forts ont été très-éprouvés par le bombardement +entrepris par les troupes du gouvernement; les vivres se font rares dans +la place et les insurgés ont dû faire sortir les bouches inutiles; huit +cents femmes et enfants ont été transportés à Pormau, où ils se trouvent +dans un état de détresse tel que l'amiral Yelverton, commandant +l'escadre anglaise mouillée devant le port, a écrit à M. Castelar pour +intercéder en leur faveur. Cependant les insurgés pensent qu'ils peuvent +encore tenir un mois s'ils restent unis entre eux. Les forts et les +batteries n'ont que très-peu souffert. On croit que lorsque les +munitions seront épuisées, une grande partie des insurgés tenteront de +s'ouvrir un passage à l'aide des vingt-cinq canons Krupp qu'ils +possèdent, et qu'ils iront à travers les montagnes rejoindre les +carlistes. Les autres essayeront de s'échapper à bord de la <i>Numancia</i>.</p> +<br><br> + +<h2>Courrier de Paris</h2> + +<p>M. Paul Féval se présente aux suffrages de l'Académie française, où il y +a, pour le quart-d'heure, deux fauteuils à donner. Si j'avais à broder +une réclame, je ne manquerais pas de dire que le candidat est, +littérairement parlant, un homme incomparable. En dix ou douze lignes +bien senties, il serait démontré par A plus B qu'il enfonce le passé, +qu'il domine le présent et que l'avenir ne lui viendra pas à la +cheville. Croyez que je n'ai rien à tenter de semblable. Je ne veux +parler de M. Paul Féval que comme un spectateur pourrait le faire d'un +acteur estimé de tel théâtre qu'il voit se hasarder sur une scène +nouvelle. +</p><p> +A coup sûr, M. Paul Féval devrait être de ceux qu'on se dispense de +<i>black-bouler</i>. Mais l'Académie a une douane à laquelle elle tient +mordicus. Vous objecterez tout ce qu'il vous plaira.--Voilà un conteur +de la meilleure race. Il a fait pour la Bretagne ce que Walter Scott a +fait pour l'Ecosse et George Sand pour le Berri. Uniquement préoccupé du +soin de faire des loisirs à ceux qui s'ennuient, il a écrit, en +trente-cinq ans, trois cents volumes encore debout en ce moment. Parmi +ses livres, il en est deux qui ont fait un grand bruit, les <i>Mystères de +Londres</i>, peinture saisissante des bas-fonds de la société anglaise, et +un épisode de notre histoire, le <i>Bossu</i> qui, transformé en drame, a +récréé Paris pendant deux cents soirées. Tout cela étant bien vu, la +nomination de ce galant homme devrait passer, ce semble, comme une +lettre à la poste. +</p><p> +Ce sera le contraire qui arrivera, je le crains, du moins. Au quai +Conti, il n'y a que l'envers du juste qui ait le dessus. Quand, par +hasard, on admet un homme qui écrit, c'est que ces vieux messieurs se +sont fait violence. Ou bien ils ont cédé à la force de l'opinion, ou +bien ils ont eu peur que leur corporation vermoulue ne soit devenue une +pelote trop épinglée d'épigrammes. Il y a un troisième cas bien connu, +mais qu'il faut rappeler sans cesse; ils cèdent devant la table: «A-t-il +un bon cuisinier?» Voilà cinquante ans que c'est le meilleur des titres. +Le laurier de la cuisine attire le laurier apollonien. +</p><p> +Sur les dernières années de sa vie, Théophile Gautier, candidat quatre +fois congédié, rapportait le mot de l'un d'eux, pendant l'une de ses +trente-neuf visites: +</p><p> +--Comment! monsieur, vous avez publié vingt-cinq volumes! Ah! monsieur! +</p><p> +La mimique du vénérable et le rythme de son reproche ne pourraient être +exprimés par aucune langue humaine. Il fallait entendre l'auteur du +<i>Tricorne enchanté</i> raconter cette scène d'un si haut comique. +Vingt-cinq volumes, poèmes, romans, critique, voyages, histoire, +n'était-ce pas bien fait pour effrayer l'imagination d'un vieillard qui, +en sa vie entière, n'avait pu que faire des annotations et des préfaces, +et tout au plus une petite plaquette où il est avancé que le mouchoir de +poche n'existait pas chez les Grecs du temps de Périclès. Mais pour M. +Paul Féval, ce serait bien une autre paire de manches! Il a écrit trois +cents volumes. Rien qu'à cette révélation, l'immortel est capable d'en +avoir un coup de sang! +</p><p> +Ajoutez que ces trois cents volumes sont des romans. Une belle denrée, +les romans! Ces Nestors les ont tous dans une sainte horreur. On a beau +leur rappeler le mot charmant de Philippe: «J'aime mieux que l'Espagne +ait <i>Don Quichotte</i> que deux provinces de plus»; on leur citera en vain +nos gloires les plus nobles et les plus pures commençant par là , comme +Jean Racine, leur dieu, qui a commencé par traduire <i>Théogène et +Chariclée</i>, et ils crieront toujours: «A la porte, le roman»; c'était +l'entêtement de feu Villemain: «Si Le Sage se présentait ici, <i>Gil Blas</i> +à la main, je prierais Le Sage de s'en retourner.» +</p><p> +Pour ne parier que des temps où nous sommes, voyez combien ils ont été +impitoyables pour les romanciers. Non-seulement ils n'ont pas voulu +entendre parler de Frédéric Soulié ni d'Eugène Sue, ces deux maîtres du +genre, mais encore ils ont rejeté M. de Balzac, le prodigieux auteur de +la <i>Comédie humaine</i>. Lorsque Prosper Mérimée s'est présenté, il a été +bien entendu que c'était en vue de sa traduction de Salluste et de +quelques rapports sur des inscriptions. Léon Gozlan, ce Benvenuto +Cellini de la Nouvelle, Méry, qui nous a légué sur l'Inde et sur la +Chine des écrits si attachants, Théophile Gautier, dont je parlais tout +à l'heure, autant de noms, autant de candidats rejetés. Pour Alexandre +Dumas, l'homme aux mille romans, il savait son fait d'avance; il n'a +jamais eu un seul instant la pensée de se présenter à un seul d'entre +eux. +</p><p> +Encore une fois il ne faut pas être un bien grand sorcier pour prévoir +ce qui va survenir. Il existe toujours en quelque coin obscur un +complaisant qui a fait jadis, pendant vingt ans, la partie de piquet +d'un ancien premier ministre; c'est celui-là qu'on choisira. Il se peut +encore qu'on élise un professeur fameux pour avoir mis une couverture +nouvelle à Blaise Pascal ou bien au président Hénault. Au pis aller, on +se rabattra sur un avocat illustre pour n'avoir jamais été imprimé. A la +vérité, après l'avoir fait sortir de l'urne, on dira qu'on voudrait bien +l'y remettre; c'est encore là une de leurs allures.--En tout cas, vous +le verrez bien, ils condamneront M. Paul Féval à faire le +pied-de-grue.--L'ombre du pauvre Philarète Chasles pourra lui tenir +compagnie. +</p><p> +Un de ces jours, qui sait? aujourd'hui peut-être, J. Claretie, usant de +son droit de critique, vous parlera d'un livre posthume, déjà fort +prôné: <i>Lettres à une Inconnue</i>. Si je m'aventure à m'occuper de cette +nouveauté, ce n'est point, bien entendu, pour marcher sur les +plates-bandes du confrère. Ces deux volumes fourmillent d'anecdotes, de +mots piquants, de bruits du monde; voilà pourquoi je me hasarde à leur +faire quelques emprunts, toujours permis aux fureteurs de la chronique. +Lettres curieuses, pas précisément édifiantes! Celle qui se présente la +première est sans date; on peut conjecturer qu'elle est de 1839, +peut-être de 1840. En ce temps-là , Prosper Mérimée, ne songeant pas +encore à devenir un personnage, n'était rien, pas même académicien. Il +n'avait pas encore terminé <i>Colomba</i>; il vivait sur le bruit flatteur de +ses incomparables nouvelles et du <i>Théâtre de Clara Gazul</i>. La dernière +est tout près de nous, du 23 septembre 1870; Mérimée était mourant à +Cannes; il avait vu sombrer la France et tomber le second empire, auquel +il s'était attaché pour des raisons tout à fait intimes. On sait, en +effet, qu'un mariage secret le liait à Mme de Montijo, la mère de +l'impératrice. +</p><p> +En vingt ans de temps, il s'était passé peu d'événements dans la vie de +ce studieux sybarite, mais avec quelle verve et quel esprit dégagé il +savait voir ce qui se passait chez les autres! Mais d'abord, qu'est-ce +que l'Inconnue? Une marquise, une grande dame mariée; c'est tout ce +qu'on en apprend et on n'en saura jamais plus. Dans l'origine, ils se +traitaient en camarades; Prosper Mérimée l'appelait son «cher ami +féminin». En 1842, il lui disait: «Si je ne me trompe, nous nous sommes +vus six ou sept fois en six années, et, en additionnant les minutes, +nous pouvons avoir passé trois ou quatre heures ensemble, dont la moitié +à ne rien nous dire.» On croirait qu'il s'agit d'une aventure de bal +masqué. +</p><p> +Il raconte tout à cette inconnue, ses ennuis, ses plaisirs, ses +insomnies, surtout ses impressions de voyage. Par exemple, en parcourant +la Grèce, pour affaires de son commerce, c'est à savoir pour faire de +l'archéologie, il s'amuse tout le premier du style qu'on emploie sur son +passeport. Il grisonne et il le dit. «Au milieu de tout cela, je suis +devenu bien vieux. Mon firman me donne des cheveux de tourterelle; c'est +une jolie métaphore orientale pour dire de vilaines choses. +Représentez-vous votre ami tout gris.» Une autre fois, étant de retour, +il raconte une soirée dans laquelle il a pu présenter Mlle Rachel, alors +débutante, à Béranger; c'était chez un ministre du roi Louis-Philippe; +Lamartine, Victor Hugo et M. Thiers étaient là , et, bien qu'il s'agisse +de tragédie, il faut voir comme la scène devient bouffonne! +</p><p> +Messieurs les romanciers et les peintres de mœurs décriront le second +empire tant qu'il leur plaira; on est en droit d'affirmer qu'ils n'en +viendront pas autant à bout que ce railleur, donnant la description du +bal de Mme la duchesse d'Albe (1er mai 1860). +</p><p> +«C'était splendide. Les costumes étaient très-beaux. Beaucoup de femmes +très-jolies et le siècle montrant de l'audace. 1° On était décolleté +d'une façon outrageuse par en haut et par en bas aussi. A cette +occasion, j'ai vu un assez grand nombre de pieds charmants et beaucoup +de jarretières dans la valse. 2° Croyez que, dans deux ans, les robes +seront courtes, et que celles qui ont des avantages naturels se +distingueront de celles qui n'en ont que d'artificiels.» Il raconte +ensuite le ballet des Eléments, un des triomphes du règne. Seize dames +de la cour, en courts jupons, couvertes de diamants. «Les Naïades +étaient poudrées avec de l'argent, qui, tombant sur leurs épaules, +ressemblait à des gouttes d'eau. Les Salamandres étaient poudrées d'or. +Il y avait une Mlle E*** merveilleusement belle. La princesse M*** était +en Nubienne, peinte en couleur bistre très-foncé, beaucoup trop exacte +de costume. Au milieu du bal, un domino a embrassé Mme de S***, qui a +poussé les hauts cris. La salle à manger avec une galerie autour, les +domestiques en costume de pages du XVIe siècle, et de la lumière +électrique, ressemblait au <i>Festin de Balthazar</i> dans le tableau de +Wrowthon.»--Y a-t-il beaucoup de coups de burin qui vaillent ces coups +de plume? +</p><p> +En bon courtisan, le sénateur parle aussi de Napoléon III, qui, en +raison de son mariage avec la comtesse, était son beau-fils. +</p><p> +«L'empereur avait beau changer de domino, on le reconnaissait d'une +lieue; l'impératrice avait un burnous blanc et un loup noir qui ne la +déguisaient nullement. Beaucoup de dominos, et, en général, fort bêtes. +Le duc de *** se promenait en arbre, vraiment assez bien imité.»--Ce +pauvre duc! Mérimée ne le lâche pas, et je n'ose point répéter tout ce +qu'il met sur son compte. +</p><p> +Un autre récit très-caractéristique, c'est celui de la première +représentation de l'opéra de Richard Wagner, rue Le Peletier. +</p><p> +«Un dernier ennui, mais colossal, a été <i>Tannhaüser</i>. Les uns disent que +la représentation à Paris a été une des conventions secrètes du traité +de Villafranca; d'autres, qu'on nous a envoyé Wagner pour nous forcer +d'admirer H. Berlioz. Le fait est que c'est prodigieux. Il me semble que +je pourrais écrire demain quelque chose de semblable, en m'inspirant de +mon chat marchant sur le clavier d'un piano. La salle était +très-curieuse. La princesse de Metternich se donnait un mouvement +terrible pour faire semblant de comprendre et pour faire commencer les +applaudissements qui n'arrivaient pas. Tout le monde bâillait; mais, +d'abord, tout le monde voulait avoir l'air de comprendre cette énigme +sans mot. On disait, sous la loge de Mme de Metternich, que les +Autrichiens prenaient la revanche de Solférino. On a dit encore qu'on +s'ennuie aux récitatifs et qu'on se <i>tanne aux airs.</i>»--Un des plus +illustres de l'Académie française se <i>fendant</i> d'un calembourg.--Allons, +je n'irai pas plus loin.</p> +<p class="rig">Philibert Audebrand.</p> +<br><br> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/004.png"><br><b>Le Général de Colomb, substitut. Le Général Pourcet, +Commissaire du Gouvernement.<br> PROCÈS DU MARÉCHAL BAZAINE.--L'ACCUSATION.</b></p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/005.png"><br><b>Maréchal Bazaine. Me Lachaud. Me Lachaud fils.<br> PROCÈS DU +MARÉCHAL BAZAINE.-LA DÉFENSE.</b></p> +<br><br> +<h2>LA SOEUR PERDUE</h2> +<h3>Une histoire du Gran Chaco</h3> +<p class="mid">(Suite)</p> + +<p>Les pierres furent disposées et arrangées par Gaspardo en forme de +muraille grossière. Bien que construite dans l'obscurité, elle était +assez forte pour résister aux attaques d'un animal quelconque, +l'éléphant excepté. Or, comme il ne se trouve pas d'éléphants dans le +Chaco, les voyageurs semblaient n'avoir plus rien à craindre. +</p><p> +Tel était l'avis de Gaspardo qui encore une fois partit à la recherche +de son briquet. +</p><p> +«J'ai un bout de chandelle de cire», dit-il; «que Dieu me le pardonne, +je l'avais ramassé dans l'église de l'Asuncion. Elle avait été allumée +sur le corps de ma pauvre vieille mère, et je désirais la garder comme +souvenir. <i>Ay Dios!</i> qui eût jamais pensé que ce serait en pareille +circonstance que j'aurais à la rallumer? Mais il est malsain de manger +dans l'obscurité. Je n'ai jamais aimé cela; ce qu'on mange ne vous +profite pas quand les yeux n'en ont pas leur part.» +</p><p> +Gaspardo affectait de parler avec bonne humeur. Il connaissait le lourd +fardeau qui pesait sur le cœur de ses jeunes compagnons et il espérait +l'alléger en les détournant un peu de leurs pensées. Mais aucun d'eux ne +fit chorus à sa bonne volonté; il battit donc le briquet et le cierge +fut enfin allumé. +</p><p> +C'était un gros bout de cierge, long d'environ six pouces et fabriqué +avec la cire de l'abeille sauvage qu'on emploie dans les églises du +Paraguay. Sa flamme brillante éclairait tous les objets contenus dans la +caverne, les voyageurs, leurs chevaux, leurs bagages et le jaguar étendu +mort à l'entrée, dont la peau jaune mouchetée se détachait sur le fond +sombre du rocher. +</p><p> +Mais à peine la flamme eut-elle pris toute sa vigueur, que les yeux des +voyageurs eurent la très-désagréable surprise d'être subitement arrêtés +par la vue d'une seconde peau de jaguar, non moins mouchetée, mais bien +plus brillante que la première. C'était un second jaguar, non pas mort +celui-là , mais vivant et bien vivant, couché sur un bloc de rocher à +l'extrémité la plus reculée de la grotte! +</p><p> +Il avait au moins deux fois la taille de celui qui avait été tué et son +aspect était dix fois plus effrayant. Au premier coup d'œil, on le +reconnaissait pour le mâle dont Gaspardo avait parlé. +</p><p> +«C'est le mâle»! dit-il aussitôt que la lumière du cierge lui eut permis +de le distinguer. «<i>Santissima!</i> et nous nous sommes donnés bien du mal +pour nous assurer sa compagnie!» +</p><p> +Ses compagnons pétrifiés par la surprise gardaient le silence. +</p><p> +«<i>Carrai</i>»! grommela le gaucho entre ses dents. «Je m'étonne qu'il soit +resté si longtemps tranquille. Il faut que la tormenta ait +singulièrement modifié son humeur. Qui peut savoir ce qui se passe dans +sa tête, et ce qui cause son immobilité. Ne nous y fions pas. L'envie +peut lui prendre subitement de sauter sur nous et un animal de cette +taille, mes enfants, se moquerait autant d'une balle que d'un coup de +cravache. Regardez-le, il est presque aussi gros qu'un de nos chevaux! +On ne fait pas deux miracles dans la même journée.--Une balle qui le +blesserait seulement au lieu de le tuer ne ferait que le rendre plus +formidable.» +</p><p> +Les deux jeunes gens tenaient à la main leurs carabines. +</p><p> +«Faut-il faire feu néanmoins? demandèrent-ils. +</p><p> +--Gardez-vous-en bien, sur votre vie! mieux vaudrait essayer de lui +céder la place, si l'état de terreur, de stupéfaction, d'engourdissement +où la tormenta met souvent les animaux les plus énergiques et les plus +violents devait nous en laisser le temps. J'entends la pluie tomber par +torrents, mais cela ne fut rien, tout plutôt qu'une rencontre avec un +gaillard comme celui-ci. S'il pleut c'est que la poussière est +abattue,--et c'est le principal. Nous pourrions peut-être nous en tirer +personnellement en lui abandonnant nos montures, et en filant pour notre +compte par la lucarne que nous avons laissée à notre barricade... Elle +ne suffirait pas à le laisser passer,--mais nous avons autant besoin de +nos montures que de nous-mêmes et d'ailleurs ce serait une lâcheté que +de livrer nos bonnes bêtes à ce brigand-là . Il n'y a pas deux partis à +prendre. Ouvrons notre barricade, défaisons de nos mains l'ouvrage de +nos mains. Détruire est plus facile que de bâtir.--A l'œuvre donc. Que +Cypriano qui a une bonne arme fasse sentinelle. Si le jaguar bouge visez +à l'oeil, mon enfant!» +</p><p> +Et tandis que Ludwig tenait le cierge, Gaspardo dont la force musculaire +était doublée par l'imminence du danger se mit à démolir sa muraille. +</p><p> +Dès qu'une ouverture fut pratiquée, suffisamment grande pour leur livrer +passage ainsi qu'à leurs chevaux, le gaucho écarta les ponchos et jeta +un regard au dehors. +</p><p> +Cependant, tenu en respect par Cypriano, qui le couchait en joue, ou +sous le poids encore de l'émoi que lui causait la tourmente, le jaguar +n'avait pas bougé. Ses yeux fixes et brillants n'avaient pas quitté ceux +de Cypriano. L'intrépide enfant n'avait pas bronché. Mais le moment le +plus périlleux devait être celui de la retraite. Il en est de l'animal +comme de l'homme, tout ce qui ressemble à une fuite de son adversaire +est comme un signal d'attaque qu'il reçoit. +</p><p> +A ce moment une exclamation du gaucho attira l'attention de Ludwig. +</p><p> +«Qu'y a-t-il, Gaspardo? lui demanda-t-il. +</p><p> +--Il y a, répondit Gaspardo avec un geste de désespoir, il y a qu'il n'y +a pas moyen de sortir. Regardez!» +</p><p> +L'eau s'était élevée de six pieds au-dessus de son premier niveau et +elle coulait en bas de la caverne avec la violence d'un torrent, le +courant balayait jusqu'à l'entrée de la grotte et ne laissait pas un +pouce de sentier par lequel les hommes et les chevaux pussent opérer +leur retraite. Toute issue était évidemment coupée. La circonstance +était critique, car rester dans la caverne, c'était rester à la +discrétion du jaguar. +</p><p> +Le ciel, en s'éclairant, projetait jusqu'au fond de l'antre une faible +lueur qui leur permettait d'apercevoir l'affreuse bête couchée dans sa +redoutable immobilité. Il semblait qu'avertie par un secret instinct de +l'impossibilité où étaient désormais ses victimes de lui échapper, elle +eût jusque-là contemplé avec un imperturbable dédain la vanité de leurs +efforts. +</p><p> +L'ouragan se calmait. Les grondements du tonnerre s'éloignaient. Le +moment approchait où l'animal allait retrouver son habituelle férocité +et bondir soit sur les hommes, soit sur leurs montures. +</p><p> +La lutte était donc devenue inévitable. En désespoir de cause, Gaspardo +et les deux jeunes gens se tenaient prêts au combat. La carabine à la +main, leur couteau de chasse entre les dents, Ludwig et Cypriano +n'attendaient que l'ordre de faire feu. Gaspardo hésitait encore à le +donner; évidemment, il eût tout préféré à une rencontre où l'un d'entre +eux, tout au moins, pouvait perdre la vie; quand tout à coup, posant bas +sa carabine, il se mit à chercher quelque chose avec une fiévreuse +impatience dans une des sacoches de son recado. +</p><p> +Il se souvenait d'y avoir caché une fusée du genre de celles dont on se +sert pour exciter les taureaux au combat. Il avait pris cette précaution +dans la prévision que cela pourrait lui servir, pour étonner et amuser +ou terrifier suivant l'occasion les Indiens. C'est un vieux tour des +gens des frontières et qui est souvent couronné de succès parmi les +sauvages. +</p><p> +«Ne bougez pas, murmura-t-il à l'oreille de ses amis, ne quittez pas la +place où vous êtes. Laissez-moi faire. J'ai mon idée.» +</p><p> +Tous deux conservèrent leur place à l'entrée de la caverne, semblables à +deux sentinelles silencieuses. +</p> +<br> +<h3> +CHAPITRE IX +</h3><h4> +AU HASARD +</h4><p> +Quoique encore sous l'empire d'une grande émotion, Ludwig et Cypriano +étaient fort intrigués, et se demandaient du regard ce qui avait bien pu +passer dans la cervelle de leur ami. +</p><p> +Les moments étaient trop précieux pour que le gaucho songeât à prolonger +leur attente. Il s'avança rapidement vers le cierge que Ludwig avait +fixé dans une des anfractuosités de la caverne,--et leur ayant +recommandé de se coller contre les parois,--pour laisser libre l'entrée +tout entière, il approcha de la flamme du cierge la mèche de sa fusée et +la lança sur le jaguar. Ce fut comme une illumination soudaine: la +lumière éclatante suivie d'un sifflement aigu s'était élancée comme un +serpent de feu sur l'animal, l'avait atteint au flanc et s'était +attachée à sa peau en tournoyant comme un soleil et en l'inondant +d'étincelles. +</p><p> +C'était évidemment le premier feu d'artifice qu'on eût jamais tiré en +son honneur. +</p><p> +Poussant un formidable rugissement qui fit frémir les parois du rocher, +l'énorme animal effaré bondit d'épouvante sur sa couche, et en trois +bonds traversant la caverne et traînant derrière lui comme la queue +enflammée d'une comète, il alla se précipiter dans le torrent. +</p><p> +C'était assurément ce qu'il avait de mieux à faire pour éteindre la +fusée qui sifflait entre les poils de sa fourrure, et pour débarrasser +nos voyageurs de sa fâcheuse compagnie. +</p><p> +En un instant, son corps fut hors de vue, enlevé par le courant du ravin +débordé. Gaspardo, monté sur le roc où était tout à l'heure le jaguar, +criait du fond de la grotte: +</p><p> +«Pour cette fois, Muchachos, nous pouvons nous mettre à table; je +suppose que nous ne risquons plus d'être dérangés!» +</p><p> +Ludwig et Cypriano ne pouvaient revenir de l'étrange et expéditive façon +dont le gaucho les avait tirés d'affaire. +</p><p> +«On ne pense pas à tout, répondit modestement le brave homme. J'aurais +dû commencer par là , et ni vous ni moi ne nous serions écorchés les +mains à faire et à défaire nos inutiles fortifications.» +</p><p> +Ludwig et Cypriano regrettaient bien un peu de ne pas avoir abattu le +jaguar mâle, comme Gaspardo avait abattu la femelle; mais ils ne +voulurent pas gâter la joie de leur ami, qui était cent fois plus fier +de son expédient qu'il ne l'eût été du coup de fusil le mieux réussi. +</p><p> +Quand nos voyageurs eurent achevé leur repas, la tempête avait +complètement cessé. +</p><p> +La <i>tormenta</i> diffère du <i>temporal</i>; la première disparaît aussi +rapidement qu'elle est venue, l'autre se termine graduellement et est +suivie par des brumes qui remplissent l'atmosphère et par une fraîcheur +humide qui parfois dure plusieurs jours. Il n'en est pas ainsi d'une +véritable tempête de poussière. Elle arrive sans être précédée de signes +autres que ceux connus seulement des initiés, ceux par exemple que +Gaspardo avait lus dans la corolle des fleurs de l'arbre baromètre, et +elle cesse aussi soudainement, sans avertir autrement du moment où elle +prend fin. +</p><p> +Lorsqu'ils revinrent à l'entrée de la grotte et regardèrent au dehors, +il n'y avait pas plus de traces de l'ouragan que s'il n'eût jamais +existé. Au-dessus de la berge opposée de l'arroyo, ils pouvaient +distinguer un espace de ciel d'une belle nuance azurée, et par les +rayons de lumière qui plongeaient dans le vallon, ils voyaient que le +soleil brillait aussi pur qu'avant d'avoir été obscurci par les nuages +épais de la poussière. +</p><p> +Cette terrible lutte des éléments avait duré en tout une heure. Ils +l'auraient considérée comme un rêve s'ils n'eussent eu sous les yeux, +s'étendant sur les pentes du terrain, les traces de sa furie; des arbres +déracinés, d'autres oscillant, des branches brisées et déchirées, des +bouquets d'arbustes couchés comme des roseaux, enfin, à leurs pieds, un +torrent écumant remplaçant le mince ruisseau que leurs chevaux avaient +traversé à gué une heure à peine auparavant. +</p><p> +Sans cet obstacle tort sérieux, ils auraient immédiatement repris leur +voyage, mais d'un seul coup d'œil, ils en avaient reconnu +l'impossibilité. Comme le paysan de la fable, mais avec plus de raison +puisqu'ils n'avaient devant eux qu'un fleuve improvisé et accidentel, +ils devaient attendre le moment où les eaux baisseraient. +</p><p> +«Nous n'en avons pas pour longtemps, mes enfants, dit le gaucho, en +remarquant leur impatience, et en essayant de les encourager. +</p><p> +--Non, continua-t-il, après être resté un instant les yeux fixés sur le +torrent, pas pour bien longtemps. Ce débordement, né de la tourmente qui +l'a produit, baissera aussi vite qu'il s'est élevé. Il est déjà tombé de +plus d'un demi-pied; voyez les traces qu'il a laissées sur les pierres.» +</p><p> +Et il désigna du doigt un endroit que l'eau boueuse avait mouillé et +dont elle s'était déjà retirée. C'était bon signe. Tous trois +retournèrent donc dans la grotte pour y empaqueter leurs bagages, donner +quelques soins à leurs montures, sur lesquelles la tourmente avait agi +autant que sur le jaguar, et se préparer à reprendre leur route. +</p><p> +Aussitôt cette besogne terminée, le gaucho se donna sur la poitrine, en +guise de <i>mea culpa</i>, un coup de poing qui en eût abattu un autre que +lui-même. +</p><p> +«Santo Dios! je perds la tête, s'écria-t-il, c'est pitié de laisser ce +beau jaguar derrière nous. Sa peau vaudrait de l'argent si quelqu'un la +portait au marché. Comme le mâle était beau! Jamais je n'en ai vu un +plus magnifique. Ah! si votre....» +</p><p> +Il s'arrêta brusquement.<br> + +<span class="rig">Mayne Reid.</span><br> +(La suite prochainement.)</p> + +<br><br> +<h2>NOS GRAVURES</h2> + +<h3>Procès du maréchal Bazaine</h3> +<h4>LA BUVETTE DES TÉMOINS.</h4> + +<p>Au moment où paraîtront ces lignes, le verdict du 1er conseil de guerre, +vers lequel en ce moment toute la France a les yeux tournés, sera +prononcé ou bien près de l'être. Le M. le général Pourcet a commencé la +lecture de son réquisitoire, qui s'est prolongée jusqu'à la fin de +l'audience du 5 décembre. Le 6, la parole a été donnée à la défense, qui +la gardera certainement au moins aussi longtemps que l'accusation. C'est +donc vers la fin de la semaine que, selon toute vraisemblance, le sort +de l'accusé sera fixé. L'auditoire, est-il besoin de le dire? est plus +nombreux que jamais et, ajoutons-le, il trahit par sa physionomie plus +grave et plus réservée l'imminence du dénoûment de ce grand drame. +Chacun en effet, comprend qu'au moment où la justice va parler, il doit +refouler, au moins en public, ses impressions propres et attendre en +silence qu'elle prononce le mot suprême. Il est vrai qu'il se dédommage +à la suspension de l'audience. La buvette des témoins, que représente +notre dessin, est le lieu où s'échangent volontiers les commentaires. On +y rappelle les arguments de l'accusation et ceux de la défense, on les +compare entre eux, et on cherche à en dégager la conséquence. Mais là +encore, même en s'aventurant sur ce terrain glissant, on use de réserve +et l'on ne sort pas de la stricte mesure que réclament les convenances.</p> + +<h4>L'ACCUSATION.</h4> +<p>Les membres qui composent le parquet dans le procès Bazaine sont au +nombre de huit, savoir: +</p><p> +M. Alla, greffier titulaire du premier conseil de guerre, auquel on a, +pour la circonstance, adjoint M. Castres, greffier en retraite. A gauche +de MM. Alla et Castres se tient le maréchal des logis de la garde +républicaine qui a le titre d'appariteur, et remplit des fonctions +analogues à celles des huissiers dans les cours d'assises. +</p><p> +Puis viennent, devant la table où sont assis les membres du parquet, M. +le général Pourcet, puis M. le commandant Martin, chef de bataillon en +retraite, et qui assiste de droit aux débats en sa qualité de +commissaire du gouvernement titulaire près le premier conseil de guerre, +M. le général de division de Colomb, jeune avec son grade, car il n'est +âgé que de quarante-neuf ans. Sorti de Saint-Cyr en 1844, il a conquis +tous ses grades en Afrique, à l'exception du dernier, qu'il doit à sa +belle conduite à l'armée de la Loire. Son titre officiel est: substitut +du commissaire spécial du gouvernement, M. Pourcet. +</p><p> +Tout à fait à gauche sont assis deux jeunes capitaines, M. Avon, du +corps d'état-major, et M. Boisselier, de l'infanterie. Ces messieurs +n'ont pas de titre officiel; en réalité ils sont adjoints à M. le +général Pourcet pour les immenses travaux que nécessitent l'examen et la +manipulation d'un dossier fabuleusement volumineux.</p> + +<h4>LA DÉFENSE.</h4> + +<p>Le maréchal Bazaine a confié, on le sait, le soin de sa défense, à Me +Lachaud, assisté de son fils et du colonel Villette, aide de camp du +maréchal. +</p><p> +Nous avons parlé de ce dernier en donnant son portrait, il y a quelques +semaines; nous n'avons donc pas à y revenir. Quant à M. Lachaud fils, le +temps lui a fait défaut pour travailler à l'auréole dont il ne peut +manquer un jour ou l'autre de ceindre son front, si tant est que le +proverbe soit vrai; mais pour le moment il ne brille encore que des +rayons de la gloire paternelle, assez grande, après tout, pour contenter +deux ambitions, même exigeantes. +</p><p> +Me Lachaud a aujourd'hui cinquante-six ans. Né à Treignac (Corrèze) le +25 février 1818, il exerçait sa profession d'avocat à Tulle, lorsque Mme +Lafarge le choisit pour défenseur. Ce fameux procès commença sa +réputation, qu'acheva d'établir le procès Marcellange. C'est alors que +Me Lachaud vint à Paris, où il ne tarda pas à prendre au barreau +parisien une des premières places. Il brilla surtout devant la cour +d'assises, où son éloquence naturelle, admirablement servie par une voix +aussi souple que sympathique et des facultés mimiques très-développées, +lui assura un grand ascendant aussi bien sur les juges que sur +l'auditoire. Parmi les affaires qu'il y plaida, citons les affaires +Pavy, de Preigne, Carpentier, Lescure, de Merci, Lemoine, Taillefer et +Troppmann. +</p><p> +Nous pouvons maintenant ajouter à cette liste l'affaire Bazaine, qui +prime incontestablement toutes les autres, aussi bien par la position +élevée de l'accusé, que par les circonstances exceptionnelles qui ont +donné lieu à l'accusation. +</p><p> +P. S.--Au moment de mettre sous presse, nous recevons la nouvelle que le +1er conseil de guerre vient de rendre son arrêt, que nous n'attendions +pas si tôt. Mais le conseil a siégé de neuf heures du matin à neuf +heures du soir, le 10; et dans cette séance si longue ont eu lieu la fin +de la plaidoirie de Me Lachaud et les répliques. A quatre heures et +demie, les débats ont été clos et à neuf heures moins un quart, après +une délibération qui n'a pas duré moins de quatre heures, le conseil +rentrait en séance, rapportant son verdict. Quatre questions lui avaient +été posées. +</p><p> +lre question.--Le maréchal Bazaine est-il coupable d'avoir, en octobre +1870, capitulé, son armée étant en rase campagne? +</p><p> +2e question.--Cette capitulation a-t-elle eu pour résultat de faire +poser les armes à sa troupe? +</p><p> +3e question.--Le maréchal Bazaine a-t-il traité verbalement ou par écrit +avec l'ennemi, sans avoir fait tout ce que lui prescrivaient le devoir +et l'honneur? +</p><p> +4e question.--Le maréchal Bazaine, mis en jugement sur l'avis du conseil +d'enquête, est-il coupable d'avoir capitulé avec l'ennemi, rendu la +place qui lui était confiée, sans avoir épuisé tous les moyens de +défense dont il disposait et sans avoir fait tout ce que prescrivaient +le devoir et l'honneur? +</p><p> +A ces quatre questions, chacun des membres du conseil ayant répondu +affirmativement, le maréchal Bazaine a été condamné à l'unanimité à la +peine de mort, avec dégradation militaire.</p> +<br> +<h3>La capture du "Virginius".</h3> + +<p>Nous recevons, par la voie des États-Unis, une intéressante +correspondance sur le <i>Virginius</i>, dont la capture par le croiseur +espagnol le <i>Tornado</i>, a eu pour résultat de créer, entre l'Espagne et +les États-Unis, le grave conflit que nous avons déjà eu occasion de +signaler. +</p><p> +Le <i>Virginius</i> est un vapeur à roues, entièrement en fer, de 100 +tonneaux de capacité et d'une longueur de 220 pieds. Il a été construit +en Angleterre, en 1864, pendant la guerre de la sécession, pour le +compte des confédérés, qui l'employaient à forcer le blocus des côtes +des États du Sud. +</p><p> +Capturé, avec un chargement de coton, par les forces fédérales, lors de +la prise de Mobile, il fut vendu aux enchères, après la guerre, par le +gouvernement des États-Unis et acheté pour le compte de l'insurrection +cubaine, qui venait d'éclater. Le <i>Virginius</i> reprit aussitôt son +aventureuse carrière; monté par un équipage déterminé, sous le +commandement de Joseph Fry, un Louisianais, il venait s'approvisionner à +New-York d'armes et de munitions qu'il allait ensuite débarquer sur la +côte cubaine. Vingt fois il avait failli être pris par les croiseurs +espagnols et vingt fois il leur avait échappé, grâce à la présence +d'esprit de son hardi capitaine, dont la réputation était devenue +légendaire. Enfin, le 31 octobre dernier, il fut aperçu par le vapeur +espagnol le <i>Tornado</i> au moment où il arrivait au but d'un nouveau +voyage de ce genre; dès qu'il se vit reconnu, le capitaine Fry fit force +de voiles et de vapeur pour s'échapper, car il n'était pas armé de +manière à accepter la lutte avec un navire de guerre; malheureusement le +<i>Virginius</i> tenait la mer depuis plus d'un an; le mauvais étal de sa +coque avait diminué sa vitesse d'autrefois, et pour comble de malheur, +on était à bout de combustible; vainement on jeta la cargaison +par-dessus bord pour s'alléger, vainement on entassa dans les fourneaux +les boiseries, les caisses défoncées et jusqu'à des barils de lard qui +se trouvaient à bord, le <i>Tornado</i> gagnait de vitesse et, après une +chasse de huit heures, le <i>Virginius</i> était rejoint au moment où il +arrivait en vue de la Jamaïque, où il eut pu se réfugier sous la +protection du drapeau britannique. On sait le reste et comment +l'équipage du <i>Virginius</i>, conduit à Santiago, paya de sa vie son audace +tant de fois heureuse. La gravure que nous publions aujourd'hui montre +les deux navires au moment où le <i>Virginius</i>, à bout de forces, amène +son pavillon et se met en panne pour recevoir le canot du Tornado. +</p><p> +Nous reviendrons dans notre prochain numéro sur la sanglante tragédie de +Santiago qui a été l'épilogue de ce drame, et nous publierons à ce sujet +d'autres dessins que nous avons reçus trop tard pour les faire paraître +aujourd'hui.</p> +<br> +<h3>Inauguration du monument de Champigny</h3> + +<p>Le 28 novembre un grand courant d'enthousiasme régnait dans la capitale. +C'est que quelques jours auparavant, la nouvelle de la victoire +remportée sur les Prussiens à Couliniers par l'armée de la Loire, s'y +était répandue et que le gouvernement, sous la pression de l'opinion +publique, se décidait enfin à faire un effort sérieux en vue de briser +le cercle d'investissement et de donner la main à la jeune armée qui +s'avançait à notre secours. +</p><p> +En conséquence, une grande sortie était décidée. Trois proclamations +aussi retentissantes qu'elles furent vaines, annoncèrent l'événement au +public. +</p><p> +On sait comment tout ce beau mouvement avorta. L'armée, qui devait +passer la Marne dans la nuit du 28 au 29 novembre, ne put le faire, les +ponts se trouvant trop courts! Il fallut attendre vingt-quatre heures. +L'ennemi mis en garde par cette inexcusable faute, prit ses mesures en +conséquence. Il ramassa ses forces sur le point menacé, et au lieu de le +surprendre et de le culbuter, ce fut une grande bataille qu'il fallut +lui livrer en avant de Champigny. +</p><p> +Néanmoins le village fut enlevé et l'ennemi obligé de reculer jusqu'au +parc de Cœuilly. Mais les morts étaient nombreux. La journée du 1er +décembre fut employée de part et d'autre à les ramasser. +</p><p> +Le 2, les Prussiens reprirent l'offensive, refoulant d'abord nos troupes +qui finalement regagnèrent toutes leurs positions. Mais, épuisées par ce +double et pénible effort de deux jours de bataille, qu'avec un peu de +prévoyance on leur eut épargné, elles étaient incapables, pour continuer +leur marche, d'en faire un troisième, dans des conditions de difficultés +beaucoup plus grandes encore. Dans la nuit du 2 au 3 on leur fit donc +repasser la Marne, abandonnant ce plateau de Champigny, deux fois +conquis au prix de tant d'efforts stériles et de sang inutilement +répandu. +</p><p> +C'est sur ce plateau, au bord de la route de Paris, que s'élève le +monument inauguré le 2 de ce mois. M. Vaudremer, architecte de la ville +de Paris, en est l'auteur. C'est une pyramide en pierre grise, assise +sur un soubassement et portant sur l'un des côtés un bouclier où l'on +voit un guerrier blessé s'appuyant sur l'autel de la patrie. Au-dessus, +on lit ces mots: <i>Défense de Paris</i>; au-dessous: <i>Bataille de +Champigny</i>, 30 novembre, 2 décembre 1870. De l'autre côté de la pyramide +est la devise de la ville de Paris: <i>Fluctuat nec mergitur</i>.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/006.png"><br>ÉVÉNEMENTS DE CUBA.-Capture du <i>Virginius</i> par le<br> +<i>Tornado</i> dans les eaux de la Jamaïque.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/007.png"><br>LE MONUMENT COMMÉMORATIF DE LA BATAILLE DE CHAMPIGNY,<br> +INAUGURÉ LE 2 DÉCEMBRE 1873.</p> + +<br><br> + +<h2>Le naufrage de la "Ville-du-Havre".</h2> + +<p>Nous n'avons pu qu'annoncer dans notre dernier numéro l'épouvantable +catastrophe de la <i>Ville-du-Havre</i>, réputée le plus vaste des paquebots +après le <i>Great-Eastern</i>. Les relations qui nous sont parvenues nous +permettent de donner à nos lecteurs un récit du désastre. +</p><p> +Le 15 novembre, à trois heures de l'après-midi, la Ville-du-Havre +quittait son <i>warf</i> de New-York emmenant 135 passagers, 172 hommes +d'équipage et de service et transportant une cargaison de blé, coton, +cuir et graisses. Pendant les premiers jours, la traversée fut +contrariée par le mauvais temps; puis, quand on fut sur le banc de +Terre-Neuve, par un brouillard intense, commun du reste dans ces +parages, dans la crainte d'aborder ou d'être abordé, le capitaine +Surmont dut faire vibrer le sifflet d'alarme de minute en minute, et, +tout le temps qu'il y eut danger, il ne voulut laisser à aucun de ses +officiers la responsabilité des manœuvres. La journée du 20 fut assez +belle, ce qui permit aux passagers de jouir de la promenade sur la vaste +dunette d'arrière, aux enfants de se livrer à leurs jeux, et, le soir, +quelques amateurs purent s'offrir dans le salon, un concert improvisé, +dont la <i>Dernière pensée de Weber</i> fut le morceau final. La nuit étant +claire, rien ne paraissant à craindre, le capitaine se décida à +descendre dans sa cabine pour y prendre quelques heures de repos, mais +après avoir donné l'ordre formel de le prévenir du moindre incident. +</p><p> +C'est à partir de ce moment que l'on ne sait plus d'une manière certaine +ce qui s'est passé, ni même l'heure précise de la catastrophe. Toujours +est-il qu'entre une heure et deux heures du matin, des ordres de +manœuvre étaient donnés, exécutés précipitamment, mais trop tard... la +<i>Ville-du-Havre</i> éprouvait une commotion violente, suivie d'une série de +craquements formidables, se renversait à demi; passagers, officiers et +matelots, réveillés en sursaut, et accourus sur le pont, apercevaient la +masse d'un grand voilier qui, ayant enfoncé les bordages du paquebot, +laissait les débris de son étrave au milieu de celui-ci. Le navire +abordant était le voilier en fer, le <i>Loch-Earn</i> (Lac ardent), capitaine +Robertson. +</p><p> +Le capitaine Surmont s'était élancé sur la passerelle de commandement. +D'un coup d'œil il comprit que tout était perdu. La <i>Ville-du-Havre</i> +portait au flanc de la chambre des machines une trouée large de cinq à +six mètres, profonde de quatre, par laquelle l'eau s'engouffrait en +cataractes bruyantes pour se répandre dans les profondeurs du bâtiment +avec des grondements et des clapotements sinistres. On n'avait pas eu le +temps de fermer les cloisons étanches, de telle sorte que les foyers +ayant été éteints, chaudières et machines furent immédiatement +paralysées. +</p><p> +Eperdus, les passagers se pressaient sur la dunette d'arrière, les uns à +peine vêtus ou dans leur costume de nuit, les autres ayant eu le temps +de se couvrir de quelques vêtements ou de prendre avec eux leurs objets +les plus précieux. A un premier moment, non de désordre mais seulement +de trouble, succéda un certain apaisement, quand on vit le capitaine à +son poste et les officiers se multipliant pour indiquer à chacun ce +qu'il y avait à faire. Dans le court espace de temps écoulé entre +l'abordage et le naufrage, il y eut des exemples de sang-froid +admirable, de sublime résignation, de devoir noblement compris. Debout +sur le pont, un petit sac à la main, leurs enfants dans les bras ou se +pressant contre leur père ou leur mari, des femmes attendaient que les +canots fussent mis à la mer; quelques-unes s'étant agenouillées, +priaient avec ferveur, pendant qu'un prêtre catholique leur donnait +l'absolution suprême; des enfants à demi-nus, devinant le péril sans le +comprendre, cherchaient d'instinct un refuge dans les bras de leur mère. +</p><p> +Si la collision avait eu lieu en plein jour, les secours eussent été +plus efficaces, mais la nuit d'une part, la perte de plusieurs des +embarcations de la <i>Ville-du-Havre</i> de l'autre, rendaient le sauvetage +difficile. On venait d'installer une cinquantaine de personnes dans deux +canots intacts, lorsque le grand mât et le mât d'artimon, déjà ébranlés, +oscillèrent et s'abattirent presque en même temps, brisant les canots, +tuant et blessant la plupart des malheureux qui déjà se voyaient sauvés. +En vain, raconte un matelot, on voulut retirer quelques survivants de +l'amas enchevêtré de vergues rompues, de cordages, de débris de +planches, on n'en eut pas le temps. Ce grave accident précipita le +dénoûment, car la chute des mâts fit incliner davantage le paquebot, et +tous ceux qu'il portait sentirent que leur dernière heure était venue. +</p><p> +Il n'est guère possible de s'imaginer l'horreur du drame dont notre +dessin donne un aperçu pris du milieu du navire, entre les deux +cheminées, près de l'escalier de la dunette des premières. +</p><p> +La <i>Ville-du-Havre</i> oscillait comme en proie aux dernières convulsions; +on vit, rapporte un passager, une jeune fille soutenant sa mère et lui +disant: «Courage, ma mère, courage, dans quelques minutes nous entrerons +au ciel.» Quatre charmantes petites filles encourageaient ceux qui les +entouraient en leur disant: «Prions le bon Dieu de nous recevoir auprès +de lui.» Rien, raconte M. Lorriaux, ministre protestant, ne peut donner +une idée de la résignation des femmes pendant cette catastrophe. Un +officier de la marine américaine avait trois filles qui voulaient périr +avec lui: «Je sais, dit-il, en leur adressant le dernier adieu, que la +Providence veut vous sauver, n'allez donc pas contre sa volonté.» Deux +seulement de ces jeunes filles furent recueillies. +</p><p> +Moins d'un quart-d'heure après le choc, la <i>Ville-du-Havre</i> +disparaissait sous les Ilots, qui se précipitèrent en tourbillonnant +dans l'immense vide formé; et les malheureux renversés dans l'eau, ceux +que la vague ramena à la surface, ou qui plus heureux avaient pu saisir +une ceinture de sauvetage, un tronçon de mât, une planche, restèrent +ballottés par les vagues, transis, à moitié expirants, mais soutenus +quelques instants encore par cette force surhumaine que donnent l'espoir +et l'instinct de la conservation. La fatalité avait poursuivi le +malheureux navire jusqu'à sa dernière minute d'existence; au moment où +il sombrait, un canot chargé de femmes et d'enfants fut projeté par le +remous sur le tronçon du mât d'artimon, crevé et submergé. +</p><p> +Le <i>Loch-Earn</i> avait pu se dégager aussitôt après l'abordage. Bien que +fortement compromis par la perte de son avant, il se soutenait sur +l'eau. Sans perdre un instant, son capitaine fit mettre ses embarcations +à la mer et procéda au sauvetage. Les canots n'arrivèrent sur le lieu de +la catastrophe qu'après la disparition complète de la <i>Ville-du-Havre</i>; +ils recueillirent les naufragés et ne quittèrent la place que le +lendemain matin à dix heures, quand nulle voix ne vint plus réclamer +assistance, quand aucune victime ne parut surnager, quand enfin rien ne +vint plus révéler que là , quelques heures auparavant, flottait l'un des +rois de la mer. Demeuré à son poste, le capitaine Surmont coula avec son +bâtiment, mais il eut le bonheur de saisir une planche, et vingt minutes +après un canot le sauvait. +</p><p> +Passagers et marins recueillis à bord du <i>Loch-Earn</i> étaient dépourvus +de tout, la rapidité du sinistre n'ayant permis qu'à un très-petit +nombre d'entre eux de se munir des objets les plus indispensables: ils +furent, de la part du capitaine Robertson et de l'équipage anglais, +l'objet d'une sollicitude des plus touchantes, qu'ils se sont plu à +reconnaître publiquement. Mais quel triste lendemain! Parmi ceux qui se +trouvaient sains et saufs, il y avait une jeune mère qui avait perdu ses +quatre enfants; une petite fille de neuf ans restée seule d'une famille +nombreuse, et quantité d'infortunés qui, en quelques minutes, avaient vu +mourir sous leurs yeux, père, mère, frère, sœur, mari, amis... Parmi +ces passagers, un, M. James Bishop, avait eu le bonheur d'être +recueilli, et c'était la troisième fois, disait-il, qu'il échappait à +une mort imminente: il avait failli périr lors de la chute d'un train de +chemin de fer dans une rivière et à la suite du sautage d'un navire par +une torpille. +</p><p> +À dix heures du matin, un trois-mâts américain, le <i>Trimountain</i>, fut +signalé; on lui adressa des signaux de détresse, et le capitaine +Surmont, se rendant aux instances des passagers, qui jugeaient le +<i>Loch-Earn</i> trop endommagé pour conserver un supplément de quatre-vingts +à quatre-vingt-dix-personnes, fit passer les survivants sur le navire +américain, à l'exception d'un passager malade, d'un chauffeur blessé et +d'un troisième passager qui voulut garder son compagnon d'infortune. +</p><p> +A qui incombe la responsabilité de la catastrophe? Une enquête nous +l'apprendra sans doute, mais ce qui, suivant les témoignages déjà +recueillis, parait acquis dès à présent, c'est que le <i>Loch-Earn</i> avait +ses feux réglementaires allumés. Son capitaine aurait dit à un passager +qu'étonné de voir devant lui la silhouette d'un grand vapeur ne faisant +aucun mouvement pour éviter une rencontre, il crut qu'un ou plusieurs de +ses fanaux étaient éteints et qu'on ne l'apercevait pas; il courut à +l'avant, s'assura qu'ils brillaient et fit manœuvrer pour s'éloigner du +navire en vue. +</p><p> +A bord de la <i>Ville-du-Havre</i>, les vigies de l'avant auraient aperçu et +signalé le <i>Loch-Earn</i> quelques minutes avant la collision. +</p><p> +Que s'est-il passé alors? l'officier remplaçant momentanément le +capitaine s'était-il assoupi, n'a-t-il pas entendu l'avis qu'on lui +donnait, ou bien ses ordres ont-ils été mal compris du timonier? Les +auteurs principaux du drame ayant péri, il paraît difficile de savoir la +vérité, mais des positions respectives du <i>Loch-Earn</i> et de la +<i>Ville-du-Havre</i>, au moment de l'abordage, semble résulter ce fait +capital que cette dernière a dû faire une fausse manœuvre. Dans les cas +de rencontre en mer, c'est le vapeur, plus maniable que le voilier, qui, +suivant les règlements maritimes, doit modifier sa route. Par conséquent +la <i>Ville-du-Havre</i> aurait dû incliner vers sa droite et si, pendant son +mouvement, elle eût été abordée, c'est par son côté gauche ou de bâbord +qu'elle eût reçu le choc. Le contraire ayant eu lieu, c'est-à -dire que +le voilier s'étant enfoncé dans les bordages de droite ou de tribord, il +est permis de penser que le coup de barre, indiqué ou donné, a eu pour +résultat de faire virer le paquebot vers la gauche, ce qui lui a fait +présenter le flanc droit au <i>Loch-Earn</i>. Si cela est, la responsabilité +de ce dernier se trouverait dégagée. +</p><p> +Le <i>Trimountain</i> a conduit à Cardiff les naufragés que le steamer +<i>Alice</i>, de Southampton, a ramenés ou rapatriés en France. Quant au +navire, cause de ce grand malheur, il n'avait pas, ainsi que l'indique +le rapport du capitaine Surmont, de cloison étanche proprement dite, +mais son charpentier avait répondu, d'en établir une suffisante pour +permettre de gagner un port. Ces prévisions ne se sont malheureusement +pas réalisées, car, assailli par un gros temps, le <i>Loch-Earn</i> a sombré +en mer; son équipage et les trois naufragés qu'il avait recueillis, ont +pu être sauvés par un bâtiment anglais se rendant d'Amérique en +Angleterre. Ce dernier naufrage a présenté des incidents aussi +palpitants que celui de la <i>Ville-du-Havre</i>. +</p><p> +Terminons en notant un sentiment superstitieux qui subsiste parmi les +populations maritimes de certains ports. Lorsqu'un navire a été dénommé +et baptisé, il ne doit plus changer de nom, sans cela Dieu cesse de le +protéger. A l'appui de cette croyance, les marins vous citent une longue +série de navires ayant changé de nom qui, partis pour la haute mer, ne +sont jamais revenus. Aussi beaucoup d'entre eux refusent-ils de +s'embarquer sur les navires <i>débaptisés</i>. Soyez certain que si vous +parlez à quelque vieux loup de mer de la catastrophe de la +<i>Ville-du-Havre</i>, il vous répondra en hochant la tète: «On lui avait +changé son nom!»<br> + +<span class="rig">P. Laurencin.</span></p> + +<br><br> + +<h2>Inauguration de l'Asile et de l'École de filles de Dugny.</h2> + +<p>Le village de Dugny (Seine) était à peu près inconnu avant la guerre de +1870. Perdu dans la plaine Saint-Denis, entre Stains et le Bourget, il +fallait les désastres de la dernière invasion pour tirer son nom de +l'oubli. En tant que commune ravagée, Dugny méritait, en effet, de fixer +l'attention. Occupé par les troupes ennemies dès le 10 septembre 1870, +il a vu partir le dernier soldat prussien le 20 septembre 1871. +</p><p> +Pendant cette occupation, qui a été la plus longue du département de la +Seine, les projectiles, la rapine, la dévastation même pendant +l'armistice, tout a contribué à la ruine du village. +</p><p> +Grâce à l'énergie et au courage de sa population laborieuse, les traces +de la guerre ont à peu près disparu. +</p><p> +Mais, par suite de ces désastres, la commune a dû faire construire une +salle d'asile et une école de filles. +</p><p> +La pose d'une plaque commémorative et, plus tard, l'inauguration de +l'édifice, ont donné lieu à des cérémonies qui ont été entourées d'un +certain éclat. +</p><p> +Ainsi, pour ne parler que de la dernière, nous citerons la présence de +monseigneur l'archevêque de Paris, de monseigneur Langenieux, évêque de +Tarbes, de M. l'archidiacre de Saint-Denis, de MM. le préfet de la +Seine, le préfet de police, le sous-préfet de Saint-Denis, de M. Artoux, +inspecteur de l'instruction primaire, et enfin de tous les maires des +communes voisines. +</p><p> +Le cortège, qui s'est formé chez M. Étienne Blanc, maire de la commune, +où tous les invités s'étaient réunis, s'est rendu à la nouvelle école. +Une nombreuse assistance l'attendait à son arrivée. +</p><p> +Les élèves de l'école des filles ont chanté, en chœur, un hymne en +remerciement de la visite de monseigneur l'archevêque. +</p><p> +M. le maire de Dugny s'est ensuite adressé à Monseigneur, pour lui +exprimer la reconnaissance des habitants, heureux et fiers de la +présence de toutes les autorités dans leur modeste village. +</p><p> +Une jeune fille de l'école a adressé ensuite à monseigneur l'archevêque +et à M. le maire un compliment au nom de toutes ses compagnes. +</p><p> +Monseigneur Guibert a pris alors la parole et a témoigné dans des termes +empreints d'un sentiment tout paternel, l'intérêt que lui inspire ce +malheureux village, si cruellement éprouvé pendant la guerre. +</p><p> +Après ce discours, Monseigneur a donné la bénédiction à l'édifice ainsi +qu'à l'assistance; puis un chœur, chanté par des amateurs, a terminé la +cérémonie. +</p><p> +Le cortège s'est reformé et a reconduit monseigneur l'archevêque de +Paris et sa suite chez M. le maire.</p> +<br><br> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/008.png"><br><b>LE NAUFRAGE DE LA "VILLE-DU-HAVRE".<br>LA DERNIÈRE MINUTE.</b></p> + +<br><br> + +<h2>La comédie de notre temps, par Bertall (1)</h2> + +<p class="Mid"><b>Note 1:</b> 1 vol grand in-8º illustré. E. Plon et Cie éditeurs.</p> + +<p>M. Bertall, dont le premier grand succès fut sa collaboration au <i>Diable +à Paris</i>, revient aujourd'hui au genre qui lui valut sa réputation, et +il publie sous ce titre la <i>Comédie de notre temps</i>, un livre qui sera, +pour la société de 1870 à 1875, ce que le <i>Diable à Paris</i> fut pour le +monde de 1840, avec cette différence qu'ici, dans ce nouvel ouvrage, +Bertall tient à la fois la plume et le crayon. Il est l'auteur et +l'illustrateur d'un certain nombre de chapitres tout parisiens, d'une +curiosité et d'un intérêt absolus, sur les mœurs actuelles, et, je +n'hésite pas à dire que ce livre, qui nous plaira si fort aujourd'hui, +constituera pour l'avenir un véritable monument où l'on puisera des +notes certaines et originales sur la vie morale de notre époque. Bertall +passe en revue toutes les choses et tous les mondes: le vêtement, le +costume, la toilette, les manières, les manies, les types, les +caractères; il étudie les soirées et les bals, les dîners d'apparat, les +banquets, les artistes, les coulisses (celles de la Bourse et celles du +théâtre), les premières représentations, les soupers, les églises, la +Chambre et la politique, le jeu et les joueurs, en un mot tout ce qui +constitue la vie même de ce temps-ci. Quel dommage qu'un observateur +aussi perspicace, doué d'un pareil talent, ne se soit pas trouvé à +chaque époque pour nous léguer la <i>vérité vraie</i> et la <i>vérité vue</i> sur +l'époque qu'il traversait! Les croquis de Debucourt et de Carle Vernet +nous en disent long sur le Directoire, les muscadins et les +<i>merveilleuses</i>, mais Debucourt pas plus que Vernet n'avaient, comme eût +dit Musset, <i>un joli brin de plume</i> emmanché dans le crayon. Bertall, du +moins, s'il enlève lestement un croquis du <i>gommeux</i>, y ajoute le texte +et les réflexions morales: «Le <i>gommé</i> ou <i>gommeux</i> est l'antithèse du +dégommé. Celui donc qui est bien en vue, qui brille, qui est envié pour +sa toilette, sa position, son genre et son chic, est un <i>gommeux</i>.» +Balzac, qui fut le parrain de Bertall, en littérature et en art, eût +applaudi à ces chapitres alertes de la Comédie de notre temps qui +constituent, en somme, la physiologie de la seconde partie du XIXe +siècle: Album, recueil, livre, dit Bertall en parlant de son ouvrage, +quelque nom que l'on veuille bien lui donner, il n'a pas d'ambitions +bien hautes.» Il aurait tort de n'en pas avoir, car, sans prétention, +c'est là l'œuvre d'un philosophe et d'un satirique qui a beaucoup vu, +beaucoup étudié, très-bien observé, et qui nous donne sous une forme +durable, agréable, charmante, le fruit à point mûri de ses observations. +</p><p> +La <i>Comédie de notre temps</i> fera doublement honneur à Bertall, et elle +obtiendra un double succès: œuvre de piquante littérature, elle sera +classée parmi les plus jolies études de mœurs; œuvre d'art, elle +léguera à l'avenir la physionomie même de ce temps, avec tous ses tics, +toutes ses élégances, toutes ses habitudes, toutes ses séductions et +tous ses ridicules.<br> +<span class="rig">Jules Claretie.</span></p> + +<br><br> +<h2>Jeanne d'Arc</h2> + +<p>Le succès de <i>Jeanne d'Arc</i>, que notre collaborateur M. Savigny avait +signalé dès la première représentation de ce drame lyrique, qui devient +populaire, s'affirme de jour en jour. L'<i>Illustration</i> lui doit les +honneurs d'une gravure et les lui fait bien volontiers, en s'associant à +la vive sympathie du public pour le poète, M. Barbier, et pour le +musicien, M. Gounod. Elle rend aussi le tribut d'éloges dû aux +décorateurs et aux interprètes de cet ouvrage. Elle donne les +principales scènes du drame et dans la décoration du fort et de la +courtine d'Orléans, au-dessous desquels se dessine le pont de la Loire, +et dans cette vue du parvis et de l'église de Reims, et dans cet acte où +s'élève le bûcher qui doit dévorer l'héroïne. Au centre, le dessinateur +a placé le portrait de Mlle Lia-Félix. Bien des rôles ont marqué la +carrière déjà longue de l'éminente artiste. Elevée à cette grande école +du bien dire que Mlle Rachel a formée autour d'elle et dans sa propre +famille, au milieu de ses sœurs dont elle est aussi une des gloires, +Mlle Lia-Félix a fait, dans une série de drames joués depuis tantôt +quinze ans, une foule de créations qui lui ont mérité une légitime +réputation et qui lui ont valu la première place parmi les interprètes +du drame. Jamais le triomphe de Mlle Lia-Félix, même aux jours de la +<i>Fille du paysan</i>, n'a été plus vif et plus grand que dans <i>Jeanne +d'Arc</i>. Jamais elle n'a déployé des qualités dramatiques aussi +saisissantes. Mlle Lia-Félix a résumé dans ce rôle toute la puissance de +son talent, par l'émotion vraie, le sentiment, la noblesse et l'énergie. +Il y a là comme le souvenir de l'illustre tragédienne, et nous avons cru +la voir revivre surtout dans cette scène finale du drame, dans laquelle +Mlle Rachel n'aurait pas arraché plus de larmes et appelé à elle plus +d'applaudissements.</p> +<br><br> + +<h2>BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE</h2> + +<p><i>Les Applications de la physique</i>, par M. Am. Guillemin.--La librairie +Hachette, à laquelle on doit déjà les beaux volumes de science illustrés +qu'elle a édités depuis plusieurs années avec un véritable dévouement +scientifique: le <i>Ciel, l'Atmosphère et les grands phénomènes de la +nature, les Voyages aériens, la Terre, le Monde souterrain, les +Phénomènes de la physique</i>, vient de publier un nouvel ouvrage de M. +Guillemin, qui certainement n'aura pas moins de succès que ses +prédécesseurs. +</p><p> +Après avoir raconté les phénomènes de la physique, l'auteur vient +aujourd'hui nous en exposer les applications, dans le triple domaine de +l'art, de l'industrie et de la science elle-même. Quel sujet serait plus +fécond que celui-ci? Le monde n'est-il pas véritablement transformé +depuis la découverte des agents qui régissent l'univers? Neuf jours +suffisent aujourd'hui pour traverser l'Atlantique et passer de notre +vieux continent dans le continent découvert, il n'y a pas encore quatre +siècles, par Colomb! Quelques jours suffisent pour traverser l'Europe +entière et parcourir l'Asie! En quelques secondes nous envoyons une +dépêche d'Europe en Amérique et en recevons la réponse! Merveille plus +surprenante encore: Nous écrivons de notre, main un billet de Paris à +Marseille, et 1e fac-similé de notre l'écriture se transporte lui-même +et se reproduit à 864 kilomètres de distance! La lune est à 96,000 +lieues d'ici; nous la rapprochons à 48 lieues pour en étudier les +paysages, et l'on s'occupe actuellement de réaliser en Amérique le +projet de construire le gigantesque télescope qui doit la rapprocher à 3 +lieues. +</p><p> +Le soleil est éblouissant; après l'avoir pesé et mesuré, on l'éclipse à +volonté pour analyser les gaz qui brûlent autour de lui avec des flammes +de 30,000 lieues de hauteur. +</p><p> +A la surface de la terre, le microscope nous a révélé l'existence d'un +monde invisible, incomparablement plus peuplé que tout ce que nous +voyons de nos yeux autour de nous. Les nuages s'élèvent des mers et sont +amenés par le veut au-dessus de nos têtes; l'aérostat glorieux les +traverse et nous emporte, palpitants d'émotion et de bonheur, dans le +ciel toujours pur illuminé par le soleil, au-dessus des agitations et +des tourmentes d'ici-bas! Jamais, non jamais, les procès de sorcellerie +du moyen âge ni les routes féeriques de l'Orient enchanté, n'ont rien +imaginé de comparable à la situation scientifique du XIXe siècle, dont +les savants nous gratifient, malgré toutes les sottises politiques, tous +les errements religieux, tous les troubles internationaux qui, +semble-t-il, devraient arrêter la marche du progrès. +</p><p> +En décrivant les applications de la physique, et en les expliquant par +de nombreux dessins, M. Guilledin a mis en évidence cette situation +scientifique, si éminemment digne de notre attention. Je répéterai ici +les lignes que j'écrivais en souhaitant la bienvenue, il y a neuf ans, +au <i>Ciel</i>, du même auteur: «Un vulgarisateur doit être à la fois +littéraire, éloquent et familier pour ceux qui l'écoutent, savant et +fidèle interprète de la science; ceux qui, comme l'auteur de ce livre, +réunissent ces facultés ont droit à l'estime et à la reconnaissance des +amis du progrès.»<br> + +<span class="rig">Camille Flammarion.</span></p><br><br> + +<p>Nous nous bornerons à annoncer aujourd'hui les excellents livres de la +Bibliothèque d'éducation et de récréation de la librairie Hetzel; nous +reviendrons à loisir dans notre prochain numéro sur l'ensemble de cette +collection, si justement appréciée des familles.--Quatorze nouveaux +ouvrages signés par <i>MM. Jules Verne, Viollet-le-Duc, P. J. Stahl, +Lucien Biart, Mayne Reid</i>, et par M. le capitaine de frégate <i>Louis du +Temple</i>, illustrés par nos meilleurs artistes, enrichissent aujourd'hui +le trésor littéraire de l'enfance et de la jeunesse, avec les deux +volumes de l'année 1872 du Magasin d'éducation et de récréation de M. J. +Macé, Stahl et Jules Verne.--Nous renvoyons nos lecteurs et nos +lectrices à l'extrait du catalogne de la Bibliothèque d'éducation et de +récréation que nous donnons à la fin de ce numéro. +</p><p> +L'<i>Essai loyal en Espagne</i>, par MM. Louis Teste et Francis Magnard. (1 +vol. E. Vatou.)--Le 11 février 1873, les Cortès espagnoles ont proclamé +la République. Cette forme de gouvernement s'imposait à la nation, après +l'abdication et le départ du roi Amédée. Quelqu'un avait dit en parlant +de ce règne du prince italien: «La royauté sera un expédient jusqu'à <i>la +majorité de la République</i>.» Majeure ou non, en février 1873, la +République était née et elle fut proclamée. D'honnêtes gens, de bons +citoyens, se mirent à l'œuvre pour fonder le régime nouveau, et nul +d'entre eux, je gage, ne se dissimulait les difficultés de son œuvre. +Mais ce n'est pas au moment de la tempête qu'on discute la forme du +bateau de sauvetage. Le brave et probe Emilio Castelar essaya de lutter, +et, jusqu'ici, par quelque dures épreuves qu'ait passé l'Espagne, il +faut reconnaître que M. Castelar a fait mieux que des discours. Il a +affirmé sa foi par des actes et risqué un peu sa vie chaque jour, ce qui +constitue déjà un certain avoir. Sans nul doute la République, <i>l'Essai +loyal</i>, comme disent les auteurs du présent livre, a vu, en Espagne, de +terribles, d'affreux épisodes; mais, sans compter les anecdotes qu'on +pourrait porter au compte de la monarchie, il faut reconnaître que la +République avait accepté et non créé la situation présente. +</p><p> +La République n'a pas craint de faiblir devant la tâche qu'Amédée a +refusée. Le hideux spectacle donné par un Santa-Cruz ou par les +<i>intransigeants</i> de Carthagène doit-il faire maudire la République, ce +<i>génie fatal</i>, disent les auteurs, et donner raison au mot d'O'Donnell: +«L'Espagne est un bagne en liberté?» Nous estimons que non. J'ajoute que +O'Donnell est sujet à caution. +</p><p> +Toujours est-il que MM. Teste et Francis Magnard ont voulu +spirituellement railler l'<i>Essai loyal</i> en Espagne, et il faut bien +reconnaître qu'ils y ont réussi. En dehors de toute affaire de parti, la +situation de l'Espagne, on doit l'avouer, est tout à la fois tragique et +comédie. Le drame tourne souvent à l'opérette et l'opérette à la +boucherie, sur cette terre détrempée de sang. Pauvre pays, jadis si +grand et je dirai toujours si grand, car si les mains armées y sont +promptes, les cœurs y sont toujours fiers et les fronts y demeurent +hauts. +</p><p> +M. Teste, qui avait déjà publié un livre remarquable sur l'Espagne +contemporaine, et M. Bagnard, qui s'était si bien imprégné, dans un +voyage, de la couleur du pays, ont présenté un tableau de l'Espagne +républicaine qui n'est pas sans rapport avec la <i>Grèce contemporaine</i> de +M. About. C'est un pamphlet spirituel, mordant, railleur, où l'<i>oreiller +de don Nicolas Salmeron</i> est mis en scène comme les massacres d'Alcoy, +et,--en faisant la part des tendances du livre,--on ne saurait mieux +peindre et mieux conter. M. Bagnard, dont la plume vive et mordante +aborde avec talent le roman, a donné là à l'histoire le ton de la +chronique armée en guerre. On se plaît au style alors même qu'on se +cabre devant l'opinion politique. Livre à lire, donc, et à garder, car +il est plein d'idées qui appellent la discussion, et de faits, hélas! +qui amènent la réflexion. Que la France jamais ne devienne l'Espagne! +</p><p> +Le <i>Repos hebdomadaire</i>, par M. Julien Hayem. (I vol. in-18, Didier et +Cie.)--Voici, je pense, le premier ouvrage d'un écrivain qui n'est pas +seulement un homme de lettres, mais tut homme d'action, en ce sens que, +non content d'être licencié en droit et licencié ès-lettres, il s'est +fait encore manufacturier, pour suivre le courant du siècle et obéir au +mot d'ordre américain, <i>Go ahead!</i> M. Julien Hayem a mis pour épigraphe +à son livre sur le <i>Repos hebdomadaire</i> une citation de l'<i>Émile</i>; «Le +grand secret de l'éducation, dit J. J. Rousseau, est de faire que les +exercices du corps et ceux de l'esprit servent toujours de délassement +les uns aux autres.» L'épigraphe donne, en effet, résume l'esprit du +livre. Il faut du repos à l'homme qui travaille, il faut détendre la +corde de l'arc si l'on ne veut point qu'il se brise. Le repos dominical +n'est pas seulement une habitude, c'est un besoin. M. J. Haye l'a +parfaitement fait sentir en parlant du respect merveilleux qui s'attache +à ce repos hebdomadaire et concluant que le passé de cette institution +répond de son avenir. M. Haye a d'ailleurs le bon sens de ne point +demander que cette fête magistrale du dimanche soit rendue obligatoire. +Les mœurs se chargent toutes seules de faire ce que ne feraient +peut-être pas les décrets. «Qu'on se garde donc, dans l'intérêt du repos +hebdomadaire, de substituer,--dit l'auteur de ce livre,--à des +fondements taillés dans le roc de l'histoire et appuyés sur les besoins +les plus légitimes du corps et de l'esprit humain, la base fragile et +périssable de l'obligation et de la contrainte légales.» +</p><p> +On voit quel est l'esprit de cette utile monographie. M. Haye, après +avoir recherché les origines historiques du repos hebdomadaire,--qui +remontent au sabbat des Hébreux,--résume l'histoire de la législation de +ce bienheureux septième jour, depuis le IV siècle jusqu'à la Révolution; +il examine ensuite l'utilité du repos dominical pour les ouvriers, les +enfants, les adultes; il se demande enfin par quelles institutions on +pourrait propager l'habitude du repos hebdomadaire et en utiliser +l'emploi. Et toujours, dans ces divers chapitres, l'auteur voit et dit +juste et apporte de vives lumières sur la question en litige. M. Julien +Haye a obtenu, avec ce livre, le prix qu'avait mis au concours, en +1871, l'Académie des sciences morales et politiques. C'est le plus bel +éloge qu'on puisse faire de ce travail solide, très-curieux sur un sujet +spécial, et écrit avec talent, sans phrase et sans recherche, par un +esprit très-pratique et très-libre. +</p><p> +<i>Études sur la littérature contemporaine</i> (quatre séries), par M. Edmond +Schérer. (4 vol. chez Michel Lévy.)--M. Edmond Schérer s'est fait à la +fois, dans la politique et dans les lettres, une place privilégiée, hors +de discussion et, si je puis dire, en pleine estime. C'est un esprit +net, solide, un peu froid, mais érudit, plein de pensées et ne +sacrifiant rien au faux goût en littérature, à la popularité facile, en +politique. Critique littéraire au journal <i>le Temps</i>, il a depuis dix +ans acquis une autorité incontestée dans ce domaine des études +bibliographiques que les rudes événements de ces années dernières ont +fait un peu trop délaisser. M. Schérer a toujours réuni (et il a eu +raison) ses articles de journaux et volumes. On eût regretté de ne point +retrouver, sous une forme plus durable, ces études savantes ou +savoureuses dont on avait fait sa lecture d'un soir. On peut dire de M. +Schérer ce qu'il a écrit de Prévost-Paradol: Il improvise des pages +durables.<br> +<span class="rig">Jules Claretie.</span></p> +<br><br> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/009.png"><br><b>THÉÂTRE DE LA GAÃŽTÉ.--Mlle Lia-Félix dans <i>Jeanne +d'Arc</i>.</b></p> +<br><br> + +<h2>L'HISTOIRE DE FRANCE</h2> +<h3>Racontée à mes petits enfants</h3> +<h4>PAR M. GUIZOT</h4> + +<p>L'Histoire de France de M. Guizot en est à son troisième volume. Ce +volume ne le cède en rien aux deux qui l'ont précédé. On y retrouve la +même clarté et la même élégance dans l'exposition des faits. C'est la +même intelligence nette et vive qui en éclaire les points obscurs, le +même esprit ferme qui en dégage la moralité. Il commence avec François +Ier pour finir avec Henri IV. Cette période est l'une des plus +intéressantes et des plus dramatiques de notre histoire nationale. +D'abord c'est du commencement du XVIe siècle que date la Renaissance. +Non que le moyen Age ait été une époque de stérilité et de décadence. Il +a son encyclopédiste, le moine Vincent de Beauvais; ses philosophes, +Gerbert, Abélard, Bernard, Robert de Sorbon; il a ses prosateurs, +Villehardouin, Joinville, Froissart, Commynes. Mais au moment où nous +sommes parvenus, une grande révolution a lieu dans la marche de notre +génie national. Il quitte sa voie propre, originale, pour + +<span class="lef"><img alt="" src="images/010a.png"><br> <b>Abjuration de Henri IV.</b></span> + +s'engager dans celle de l'imitation, où vont le pousser peuples et +princes, également affolés des œuvres et des gloires des sociétés de la +Grèce et de Rome, remises en honneur. C'est encore à cette époque que +remonte la révolution religieuse opérée par Luther en Allemagne, Zwingle +en Suisse et Calvin à Genève et en France, révolution qui alluma tant de +guerres dans ce dernier pays, et, au nom de Dieu, y fit commettre tant +de crimes. Deux figures se détachent au point culminant de cette lugubre +époque, les héros de la Saint-Barthélemy, Charles IX et Catherine de +Médicis. Que de nobles victimes tombées à côté de l'amiral de Coligny, +dans cette nuit sanglante! On sait que ce n'est qu'en abjurant le +protestantisme que le prince de Condé et celui qui devait être Henri IV +purent sauver leur vie. Mais le Béarnais n'était pas homme à se laisser +lier par cet acte obtenu par la violence. Sous une apparente bonhomie, +c'était un esprit fin, rusé, souple au besoin, peu scrupuleux sur +l'emploi des moyens, et allant avec une invincible ténacité à son but, +qui était la conquête du royaume et de la royauté. Et lorsque parvenu au +pied du trône, il mil à interroger sa conscience pour savoir si elle lui + +<span class="lef"><img alt="" src="images/010b.png"><br> <b>Vincent de Beauvais.</b></span> +<span class="rig"><img alt="" src="images/010c.png"><br> <b>Abélard.</b></span> + +permettait d'en escalader les marches, il trouva tout naturellement que +«Paris valait bien une messe». Un de nos dessins se rapporte à cette +seconde abjuration du roi Henri, qui eut lieu le dimanche 25 juillet +1593. Le roi est représenté se rendant en grande pompe à l'église +Saint-Denis. Arrivé avec toute sa suite devant le grand portail, il y +fut reçu par l'archevêque de Bourges, Regnault de Beaune, et tous les +religieux de l'abbaye.--Qui êtes-vous? lui demanda l'archevêque, qui +officiait.--Je suis le roi.--Que demandez-vous?--Je demande à être reçu +dans le giron de l'église catholique, apostolique et romaine.--Le +désirez-vous?--Oui, je le veux et le désire. A cette parole, le roi se +mit à genoux et fit la profession de foi convenue. Tout était fini et +Henri IV, suivant son expression, «avait fait le saut périlleux». Par +cet acte et la trahison de Brissac, le nouveau roi, mis en possession du +trône, eut vite réduit sous son obéissance la Bourgogne, la Picardie et +la Bretagne, qui seules refusaient de se soumettre. Libre désormais de +soucis de ce côté, il travailla alors énergiquement à la restauration de +l'autorité royale, et par diverses mesures: la destruction des +franchises municipales, les rigueurs de la censure royale, +l'asservissement du parlement + +<span class="rig"><img alt="" src="images/010d.png"><br> <b>Charles IX et Catherine de Médicis.</b></span> + +et la réforme universitaire, il prépara et rendit possible la monarchie +despotique de Richelieu et de Louis XIV. Seize ans plus tard, passant +dans la rue de la Ferronnerie en son carrosse où il se trouvait avec MM. +de Montbazon et d'Epernon, il tombait frappé de deux coups de couteau +par Ravaillac. Malherbe, alors attaché au service d'Henri IV, a raconté +dans une lettre cet abominable assassinat. «Tout aussitôt, écrit-il, le +carrosse tourna vers le Louvre. Le roi fut porté en haut par M. de +Montbazon, le comte de Curzon en Quercy et mis sur le lit de son +cabinet, et sur les deux heures porté sur le lit de sa chambre, où il +fut tout le lendemain et le dimanche. Un chacun allait lui donner de +l'eau bénite. Je ne vous dis rien des pleurs de la reine; cela se doit +imaginer. Pour le peuple de Paris, je crois qu'il ne pleura jamais tant +qu'à cette occasion.» Tels sont les événements retracés dans le +troisième volume de l'<i>Histoire de France</i> de M. Guizot. Nous avons dit +combien attachante en est la lecture; nous n'y reviendrons pas. Ajoutons +que ce volume qui, on le sait, sort de la librairie Hachette, est +magnifiquement illustré de soixante-quatorze gravures dessinées sur bois +par M. de Neuville.</p> + +<p class="mid"><span class="sml">Gravures extraites de +l'<i>Histoire de France racontée à mes petits-enfants</i>, par M. Guizot. +(Hachette et Cie, éditeurs.)</span></p> + +<br><br> + +<h2>UN VOYAGE EN ESPAGNE<br> +PENDANT L INSURRECTION CARLISTE</h2> + +<h3>VI</h3> + +<p>Nomination des quatre généraux pour commander l'armée carliste: Ellio, +Dorregaray, Lissarraga et de Valdespina.--Entrée de don Carlos en +Espagne.--Appel aux armes.--Le château de la duchesse de M***.--Le +journalisme espagnol.--Succès remportés par les carlistes.--Situation +actuelle.--Comment pourra se terminer ta guerre civile; solution +probable. +</p><p> +C'est vers le courant du mois de juin, alors que les bandes nombreuses +disséminées en Biscaye, dans le Guipuzcoa et la Navarre, avaient étendu +partout leurs opérations, que la junte de guerre, qui venait de réaliser +un nouvel emprunt en Angleterre, jugea à propos de les former en trois +corps d'armée placés sous les commandements de Dorregaray, Lissarraga et +de Valdespina. Je dois constater que ce fut la première organisation +sérieuse qui ait été faite de l'insurrection carliste. Le général Ellio +fut placé, en qualité de major-général, à la tête de ces trois corps +d'armée. +</p><p> +Un mot sur ces quatre chefs. +</p><p> +Ellio est un vieux général bien connu, qui a fait ses preuves pendant la +guerre de Sept ans. Ami et compagnon de Cabrera et de Zumalacarregui, il +a été un des plus braves adversaires du général Espartero, commandant en +chef des troupes de la reine Christine, et l'a battu dans plusieurs +rencontres, notamment à la bataille livrée aux environs de Vitoria. +Pendant sept ans, à la tête des bandes navarraises, il a parcouru toutes +les provinces du Nord, franchi l'Ebre et fait trembler la régente jusque +sur son trône. Il connaît donc tout le pays envahi encore aujourd'hui +par les carlistes, et nul ne peut mieux que lui savoir tirer un bon +parti de sa topographie. Aussi, les mouvements stratégiques que les +troupes carlistes effectuent en ce moment s'exécutent-ils d'après le +plan qu'il a tracé lui-même. Ellio est donc, à l'heure qu'il est, l'âme +et l'inspirateur de l'insurrection carliste. +</p><p> +Dorregaray, que don Carlos a investi du commandement de la Navarre, est +un officier très-distingué, d'origine basque, et connaissant, lui aussi, +parfaitement la carte du pays, théâtre actuel de la guerre civile. Il +l'a prouvé, au reste, d'une manière incontestable, à la bataille +d'Eraül, où en faisant mouvoir savamment ses troupes à travers les +montagnes, il parvint à couper la brigade de Novarro de celle de +Cabrinetti; ce qui décida de la bataille qu'il gagna. On sait que la +bataille d'Eraül passe, à juste titre, pour un des plus beaux faits +d'armes de l'insurrection actuelle. +</p><p> +Lissarraga est un ancien lieutenant-colonel de l'armée régulière, sous +le règne d'Isabelle II. Après la révolution de septembre 1868, qui +détrôna cette reine, il embrassa le parti de don Carlos. Nommé au +commandement de la Biscaye, il a su concentrer habilement les bandes +qui, disséminées sur divers points, opéraient sans ordre et sans but +déterminé d'avance. Il en forma un corps d'armée qui a fait, pendant +plus d'un mois, le blocus de Bilbao, un instant sur le point de tomber +au pouvoir des carlistes. +</p><p> +Quant au marquis de Valdespina, un des plus riches propriétaires du +Guipuzcoa et dont le château, situé aux environs de Loyola, passe à bon +droit pour une merveille d'architecture; il est très-aimé dans la +contrée. Distingué par la noblesse de son caractère, la sincérité de ses +convictions royalistes, sa bravoure et sa loyauté, de Valdespina jouit +de l'estime de tous les habitants des quatre provinces, même de celle de +ses adversaires politiques. La meilleure preuve qu'on puisse en donner, +c'est le respect qu'ont eu les libéraux et les troupes régulières pour +son château qui, quoique placé au centre de l'insurrection, et par +conséquent du mouvement des brigades républicaines, n'a éprouvé, de leur +part, aucun dégât. J'ajouterai, en outre, qu'il est un des chefs les +plus actifs et celui qui exerce le plus d'influence sur l'esprit des +populations des provinces insurgées. +</p><p> +Ces quatre chefs, qui connaissent la contrée et ses montagnes dans tous +leurs recoins, ont une grande supériorité de stratégie sur les généraux +du gouvernement, dont la plupart n'ont pas la moindre notion +géographique du terrain sur lequel ils font mouvoir leurs troupes. Ce +qui explique combien il sera difficile à la république de Castelar, en +supposant même qu'elle puisse disposer de forces suffisantes, d'étouffer +l'insurrection. J'estime donc que, dans le cas où elle ne triompherait +pas, l'insurrection peut durer encore bien des années. +</p><p> +Un mois après les opérations vigoureuses entreprises par ces quatre +commandants, la situation du parti carliste parut être si florissante +que les chefs de l'insurrection crurent pouvoir engager don Carlos, qui +habitait toujours le château de Peyrolhade, de venir se mettre à la tète +des «troupes libératrices de l'Espagne». En conséquence, le 18 du mois +de juillet dernier, le prétendant, escorté d'un brillant état-major, +partit du camp de <i>Pena-Plata</i>, franchit la frontière et se rendit à +Vera, où il fut reçu avec le plus grand enthousiasme de la part des +populations et de ses troupes accourues sur son passage. Les cloches des +églises sonnèrent à toute volée et les curés des paroisses que +traversait le cortège vinrent processionnellement lui présenter leurs +hommages. Jamais aucun souverain de l'Espagne n'avait été accueilli avec +autant de démonstrations sympathiques. +</p><p> +Cette entrée triomphale et inattendue de don Carlos sur le territoire +espagnol surprit le gouvernement de Madrid, qui ne s'attendait pas à le +voir de sitôt se mettre à la tête des troupes insurrectionnelles. On +avait répandu tant de faux bruits sur le compte du prétendant, que les +uns faisaient voyager à l'étranger et dont les autres avaient annoncé +tant de fois la mort, qu'il était bien permis à Figueras, chef du +pouvoir exécutif, d'avoir été pris au dépourvu par cette audacieuse +entreprise. Mais ce qui déconcerta le plus les membres du gouvernement +républicain, c'est que don Carlos faisait coïncider précisément son +entrée sur le territoire espagnol avec les insurrections +internationalistes, fédérales, cantonales et autres qui agitaient +Barcelone, Cadix, Carthagène, Grenade, Séville, et les principales +villes du Midi et du Centre de la Péninsule. +</p><p> +J'étais à Pampelune lorsque la nouvelle de l'entrée du roi en Espagne se +répandit dans le public. Dans cette ville, entièrement carliste, elle +fut accueillie avec des transports d'allégresse par tous les habitants +qui manifestaient ouvertement la joie et la satisfaction qu'elle leur +faisait éprouver. On l'avait affichée sur tous les murs de la ville +d'une manière tellement ostensible, qu'on n'aurait jamais cru se trouver +dans une cité soumise au régime républicain. Pour ma part, j'en fus +étrangement surpris, quoique habitué, depuis longtemps, aux bizarreries +et aux contradictions du caractère espagnol en matière politique. Il est +à remarquer que Pampelune, capitale de la Navarre, est une place forte +de première classe, possédant une population d'environ seize mille +habitants et une garnison ordinairement assez nombreuse. Celle-ci, dont +l'effectif s'élevait à cinq ou six mille hommes de toutes armes, parut +rester complètement indifférente à toutes ces manifestations politiques. +</p><p> +Tandis que don Carlos s'avançait ainsi dans l'intérieur de la Navarre, à +la tête de son état-major, et qu'il allait établir son quartier général +à San-Estaban, ses émissaires faisaient publier par les <i>alcaldes</i> +(maires) et placarder dans les villages et les localités importantes +l'ordonnance suivante, qui n'est autre qu'un appel aux armes, dont je +reproduis la traduction comme étant à la fois un document et une +curiosité historiques. +</p><p> +«Ordonnance de Sa Majesté le roi Carlos <i>settimo</i>, que Dieu garde! +</p><p> +«Mes fidèles et aimés sujets des provinces de la Navarre, du Guipuzcoa, +de la Biscaye et de l'Alava, je vous ordonne par la présente patente de +prendre les armes et de marcher à la défense de mes droits sacrés, qui +sont aussi les vôtres, afin de reconquérir <i>vos fueros</i>, vos privilèges +et toutes vos immunités que vous ont octroyés mes ancêtres et que les +gouvernements usurpateurs vous ont ravis. +</p><p> +«Sur le vu de la présente, scellée de mon sceau royal, tout Basque âgé +de vingt à quarante ans s'enrôlera sous ma noble bannière. Il obéira aux +ordres des braves et vaillants <i>cabecillos</i> que j'ai investis de mon +autorité. Des armes et des munitions seront fournies à tous. Avec l'aide +de Dieu et le secours de mon épée, nous triompherons des usurpateurs et +nous rétablirons le trône de mon auguste aïeul Philippe V. Que mes +fidèles sujets des quatre provinces restées attachées à ma cause se le +tiennent pour dit!--MOI, <i>le roi Carlos settimo</i>.» +</p><p> +Un exemplaire de cette ordonnance me fut donné, le lendemain même de sa +publication, dans un des principaux cercles de Pampelune, où elle +circulait de main en main. On se la communiquait sur la place de la +Constitution, dans les promenades, et jusque sur les marchés publics, +comme s'il se fût agi d'un acte officiel du gouvernement établi; avec +plus d'empressement encore, car les actes officiels de ce dernier +étaient loin de recevoir de la part des Pampelunais un accueil aussi +empressé. +</p><p> +J'avais fait connaissance, pendant le peu de temps que je séjournai dans +la capitale de la Navarre, de deux jeunes gens fort distingués qui +avaient fait leurs études à Paris, fils d'un magistrat du tribunal +supérieur de la ville. Quel ne fut pas mon étonnement, lorsque, le +lendemain de la publication de la susdite ordonnance, les deux frères +vinrent me trouver à l'hôtel pour me faire leurs adieux. +</p><p> +--Où allez-vous donc? leur dis-je, étonné de leur départ précipité, dont +ils ne m'avaient rien dit la veille. +</p><p> +--Nous allons rejoindre l'armée du roi, me dit l'aîné, à peine âgé de +vingt et un ans; voyez l'ordre qui nous enjoint de partir, ajouta-t-il +en me montrant la fameuse ordonnance dont j'avais un exemplaire entre +les mains. +</p><p> +--Comment, lui dis-je, vous allez quitter votre famille, vous séparer de +votre digne père qui vous adore, pour aller affronter à travers les +montagnes les hasards de la guerre de partisans? Ce n'est pas possible. +Le premier de vos devoirs, ce me semble, est de rester auprès de vos +parents; c'est, au surplus, le conseil que je vous donne en véritable +ami. +</p><p> +--Le roi a parlé, me répondit-il gravement, nous n'avons plus à hésiter. +Notre valise est prête, et dans une heure nous serons sur la route qui +conduit au quartier général de Sa Majesté, Adieu et au revoir! +</p><p> +Et les deux frères me quittèrent pleins de cette foi ou de ce fanatisme +politiques qui animaient les peuples du temps des croisades, et dont les +Basques et les Navarrais semblent avoir conservé, seuls, la tradition. +Quinze jours après leur départ, le plus jeune tomba mortellement blessé +à l'attaque de Tolosa, et l'aîné a été tué, il y a quelques jours, au +siège d'Estella, soutenu contre les troupes de Moriones, qui furent +forcées d'abandonner leurs positions.<br> + +<span class="rig">H. Castillon (d'Aspet).</span></p> + +<p>(La suite prochainement.)</p> + +<br><br> + +<h2>LA COMÉDIE DE NOTRE TEMPS, PAR BERTALL</h2> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/011-small.png"><br><a href="images/011-large.png">(Agrandissement)</a></p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/012-small.png"><br><a href="images/012-large.png">(Agrandissement)</a></p> +<br><br> + + +<h2>LE DROMADAIRE</h2> + + + +<p>On connaît deux espèces de chameaux, l'une africaine, le dromadaire, +l'autre asiatique, le chameau à deux bosses ou de la Bactriane. C'est +seulement de la première espèce que nous voulons dire quelques mots. +</p><p> +Le dromadaire est l'animal le plus utile qu'il y ait en Afrique. C'est +un ruminant de grande taille, dont les variétés sont nombreuses. En +effet, entre un <i>bischarin</i>, c'est-à -dire un chameau élevé par les +nomades Bischarins, et le chameau de somme d'Égypte, il y a autant de +différence qu'entre un cheval arabe et un cheval de trait. Tous, ou peu +s'en faut, ils n'en sont pas moins également laids. Leurs poils sont +laineux et inégaux ils ont des callosités à la poitrine, aux coudes, aux +genoux et aux chevilles; leur tête surfont est affreuse. +</p><p> +Le chameau est un véritable animal du désert, que peuvent, grâce à lui +seulement, traverser les caravanes qui vont commercer au sud, à l'est et +à l'ouest. Il ne se trouve que dans les endroits les plus secs et les +plus chauds. +</p><p> +Dans les lieux cultivés il perd sa véritable essence. Il est très-sobre, +a une nourriture exclusivement végétale et n'est nullement difficile +pour ses aliments. On sait qu'il peut rester longtemps sans boire, mais +non quinze à vingt jours, comme d'aucuns le prétendent. Au bout de six à +huit jours, il est urgent de lui présenter de l'eau. A voir un chameau +au repos, on ne croirait pas qu'il puisse; rivaliser de vitesse avec le +cheval. Et cependant rien n'est plus vrai. Les chameaux des steppes et +du désert sont les plus rapides à la course; ils parcourent d'une traite +un espace considérable aussi facilement que nul autre animal domestique.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/013a.png"><br><b>Le dromadaire.--Caravane dans le désert. Gravure extraite +de la <i>Vie des Animaux illustrés</i>. (J.-B. Baillière, éditeur)</b></p> + +<p>S'il a quelques qualités, en revanche le chameau compte de nombreux +défauts, parmi lesquels la paresse, la stupidité, une mauvaise humeur +continuelle, l'entêtement et l'obstination, la haine ou l'indifférence +vis-à -vis de son gardien. Ajoutons qu'il répand une odeur infecte, et +que son cri est épouvantable. +</p><p> +Le prix d'un chameau varie suivant les localités. Un excellent bischarin +vaut de 300 à 450 francs de notre monnaie. Un chameau de somme ordinaire +se paye rarement plus de 110 francs. D'après nos idées, ces prix +seraient très-bas; mais dans le Soudan, où l'argent a une très-grande +valeur, ce sont de fortes sommes. Pour 90 francs, on peut acheter un +jeune chameau, ou un chameau de qualité inférieure. Presque partout, le +prix d'un chameau est le même que celui d'un âne; dans le Soudan, un bon +âne vaut plus que le meilleur des chameaux. +</p><p> +Les détails qui précèdent, ainsi que le dessin que nous donnons, sont +extraits du très-intéressant et très-curieux ouvrage que publie la +librairie J.-B. Baillière: <i>La vie des Animaux illustrés</i> ou description +populaire du règne animal, composé de plusieurs séries et de plusieurs +volumes grand in-8º colombier, illustrés de 800 figures dans le texte et +de 40 planches tirées hors texte sur papier teinté.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/013.png"><br><b>L'asile de l'École de filles de Dugny.-(Voy. page 386.)</b></p> + +<br><br> + + + +<p class="mid"><img alt="" src="images/014.png"><br></p> + +<p class="mid">EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS:</p> +<p class="mid">Ne crois point aveuglément les articles des journaux.</p> + + +<br><br> +</div> + +<div>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44141 ***</div> +</body> diff --git a/44141-h/images/001.png b/44141-h/images/001.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..7da4979 --- /dev/null +++ b/44141-h/images/001.png diff --git a/44141-h/images/001a.png b/44141-h/images/001a.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..7cb1db8 --- /dev/null +++ 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+jurisdictions other than the United States. 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LXII.--Nº 1607 SAMEDI 13 DÉCEMBRE 1873 + +SUCCURSALE POUR LA VENTE AU DÉTAIL +60, rue de Richelieu, Paris + +Prix du numéro 75 centimes La collection mensuelle, 3 fr.; le vol. +semestriel, broché, 18 fr.; relié et doré sur tranches, 23 fr. + +Abonnements Paris et départements: 3 mois, 9 fr.;--6 mois, 18 fr.;--un +an, 36; Étranger, le port en sus. + +Les demandes d'abonnements doivent être accompagnées d'un mandat-poste +ou d'une valeur à vue sur Paris à l'ordre de M. Auguste Marc, +directeur-gérant. + + + +SOMMAIRE + +_Texte_: Histoire de la semaine.--Courrier de Paris, par M. Philibert +Audebrand.--La Soeur perdue, une histoire du Gran Chaco (suite), par M. +Mayne Reid.--Nos gravures.--Bulletin bibliographique.--_L'Histoire de +France racontée à mes petits enfants_, par M. Guizot.--Un voyage en +Espagne pendant l'insurrection carliste (VI).--_La Comédie de notre +temps_, par Bertall.--Le dromadaire. + +_Gravures_: Procès du maréchal Bazaine (6 gravures),--Événements de Cuba; +capture du _Virginius_ par le _Tornado_ dans les eaux de la +Jamaïque.--Le monument commémoratif de la bataille de Champigny, +inauguré le 2 décembre 1873.--Le naufrage de la _Ville-du-Havre_: la +dernière minute.--Théâtre de la Gaîté: Mlle Lia-Félix dans _Jeanne +d'Arc.--L'Histoire de France racontée à mes petits enfants_ (4 +gravures).--_La Comédie de notre temps_, par Bertall (39 sujets).--Le +dromadaire: caravane dans le désert.--L'asile de l'École de filles de +Dugny--Rébus. + + + +[Illustration: PROCÈS DU MARÉCHAL BAZAINE.--La Buvette à Trianon.] + + + +HISTOIRE DE LA SEMAINE + +FRANCE + +La semaine parlementaire a été relativement calme; l'Assemblée est enfin +parvenue, dans la huitième séance consacrée au même scrutin, à compléter +la commission des Trente chargée de l'élaboration des lois +constitutionnelles par l'élection de deux membres du centre gauche. La +commission est entrée en fonctions dès le lendemain; elle a choisi pour +président M. Batbie, et a rempli sa première séance par une discussion +préliminaire relative à la publicité de ses travaux; il a été décidé que +la presse ne recevrait pas de comptes rendus officiels des séances, mais +que chacun des membres de la commission serait libre de faire aux +journaux, sous sa propre responsabilité, les communications qui lui +paraîtraient convenables. + +L'Assemblée a ensuite jugé que le moment était enfin venu de s'occuper +de questions d'affaires; elle a successivement voté, en troisième +lecture, un projet de loi tendant à réunir, dans les bureaux +secondaires, le service des postes à celui des télégraphes; cette mesure +n'est qu'un acheminement vers la fusion complète des deux +administrations, fusion existant depuis quelque temps en Angleterre et +qui ne tardera pas, il faut l'espérer, à s'opérer définitivement dans +notre pays, car elle présente des avantages de toutes sortes. Puis, +après une délibération en deuxième lecture sur une proposition de M. de +Corcelles, relative à la composition des conseils académiques, +l'Assemblée a abordé la discussion du budget. Ce n'est pas la première +fois que nous ayons à constater le peu de goût de la Chambre pour les +discussions d'affaires en général, et en particulier pour cette loi de +finances dont le vote annuel constitue cependant la plus importante des +prérogatives parlementaires. + +Tandis que le plus mince incident politique est souvent le point de +départ des séances les plus orageuses, nous voyons une indifférence +vraiment regrettable accueillir l'exposé des besoins financiers de +l'État et des moyens proposés pour y subvenir. Des chapitres entiers, +comprenant des centaines de millions, sont volés au milieu de +l'inattention et de la lassitude générales, et si parfois une +observation se produit, c'est bien rarement une préoccupation d'ordre +économique qui l'a dictée. Mentionnons, à ce propos, la question +adressée par MM. Pelletan et Gambetta à l'occasion du budget des +affaires étrangères, et qui a failli prendre les proportions d'un gros +incident. Les deux membres de la gauche réclamaient la publication du +_Livre jaune_, interrompue, pour des motifs faciles à comprendre, +pendant le cours de l'occupation étrangère, mais redevenue possible +maintenant que la publicité des archives diplomatiques n'offre plus les +mêmes inconvénients. M. le duc Decazes avait, paraît-il, mal compris +l'observation, et peu s'en est fallu qu'il ne posât la question de +cabinet; mais le malentendu n'a pas tardé à se dissiper et l'incident +s'est terminé par la promesse de publication du _Livre jaune_ dans un +délai de quinze jours. + +ALLEMAGNE. + +La campagne entreprise par le gouvernement allemand contre le clergé +catholique devient chaque jour plus difficile; l'opiniâtreté du cabinet +prussien n'a d'égale que la résistance énergique des catholiques. + +D'après la Preussische, Volksblatt, organe officieux de l'administration +l'agitation religieuse a tellement gagné les populations des petites +villes et de la campagne, que l'on commence à avoir des appréhensions +sérieuses. On s'efforce, dit ce journal, de réveiller les souvenirs des +anciennes guerres religieuses. Des agents secrets parcourent le pays +sous mille déguisements pour enflammer le fanatisme catholique; +l'exaltation des femmes, principalement, est arrivée à son paroxysme. Le +gouvernement use vainement de tous les moyens de rigueur que les lois +récemment votées, en mai 1873, ont mis à sa disposition; mais il se +heurte contre d'inflexibles résistances. Il a interdit la publication de +la dernière encyclique du Pape en date du 21 novembre, dont nous avons +donné l'analyse et saisi le _Coelnische Zeitung_ au moment où elle +livrait ce document à l'impression, mesure contre laquelle M. Virchow a +protesté dans le Landtag. Les journaux ultramontains se sont vengés en +imprimant une bulle du mois d'avril dernier, qui frappe d'interdit +toutes les églises où se célébrerait le service du vieux-catholicisme. A +Schoenberg, en Silésie, l'autorité prussienne, qui avait interdit le +curé, voulut faire fermer l'église. Mais, selon le _Vaterland_, de +Munich, la population a trouvé un moyen ingénieux de contrecarrer les +intentions de la police: elle a enlevé la porte et arraché les gonds, de +sorte que, quand les agents sont arrivés, il leur a été impossible +d'apposer les scellés. On voit à quels incidents de tout ordre ce +conflit donne lieu. Le Parlement lui-même en ressent le contre-coup. +Ainsi le Landtag vient d'adopter, par 351 voix contre 6, une proposition +des ultramontains portant suppression du timbre sur journaux et +almanachs. Le ministère la combattait en objectant que l'on doit +présenter au prochain Reichstag la loi sur la presse dont il a été +question l'année dernière, et dont les dispositions ont soulevé les plus +vives réclamations. Encouragés par ce succès, les ultramontains ont +déposé une motion plus hardie, tendante à l'abrogation des lois +ecclésiastiques votées au mois de mai dernier; ils comptent sur une +grande majorité au prochain Reichstag qui doit être élu le 10 janvier +1874, et où l'Alsace-Lorraine sera représentée pour la première fois. II +se pourrait que Mgr Ledochowski, archevêque de Posen, fût l'un des +candidats élus. Cet énergique prélat a refusé de donner sa démission. +Pour se débarrasser de lui, on songerait, dit-on, à compléter les lois +susdites en autorisant le gouvernement à expulser les prêtres suspendus +de leurs fonctions par la cour civile ecclésiastique. Mais, pour couvrir +Mgr Ledochowski de l'immunité parlementaire, ses fidèles partisans se +proposent de le faire élire, à Schrimm, comme député au Reichstag. La +lutte, on le voit, ne saurait être plus sérieusement engagée, et des +deux côtés elle est poussée avec un égal acharnement. + +ÉTATS-UNIS. + +Le Message présidentiel a été lu le 2 décembre au Congrès. Il constate +que la réduction de la dette accomplie durant l'année, au moyen de +l'excédant des recettes, s'est élevée à 43 millions de dollars, ce qui +porte l'amortissement total de la dette à 300 millions de dollars. + +Le Message recommande de restreindre les privilèges des banques relatifs +aux avances sur dépôts. Il déclare que, tant que les payements en +espèces ne seront pas repris, le marché aura des moments difficiles. Il +demande instamment au Congrès d'étudier la question de la circulation en +vue de la reprise des payements en espèces, lesquels permettraient aux +banques d'user de leurs réserves pour régler le taux des intérêts et +augmenter la circulation dans les moments critiques. + +Le Message constate ensuite l'amélioration du commerce étranger, qui +aidera à la reprise des payements en espèces. + +A propos du _Virginius_, le Message dit que la capture en pleine mer +d'un bâtiment portant pavillon américain menaçait d'avoir de plus +sérieuses conséquences, et qu'elle a agité l'opinion publique dans toute +l'Amérique. + +Plusieurs passagers qui étaient citoyens américains ont été fusillés +sans procédure régulière. Selon le principe établi, les bâtiments +américains en pleine mer et en temps de paix sont, sous la juridiction +de leur pays. + +Toute vexation subie de la part des étrangers est un attentat à la +souveraineté des Etats-Unis, qui, se basant sur ce principe, ont demandé +à l'Espagne de rendre le _Virginius_ et les survivants de l'équipage, de +faire réparation au drapeau américain et de punir les autorités +coupables. + +Le _Virginius_ avait des papiers en règle et le pavillon américain. + +L'Espagne a tout accordé. + +Le Message déclare, en terminant, que l'esclavage est la cause du +malheureux état de Cuba. Il demande au Congrès d'exprimer le voeu que +l'esclavage disparaisse de Cuba, car c'est le seul moyen de rendre +possibles les bonnes relations entre l'Amérique et Cuba. Le gouvernement +américain n'est pas hostile à l'Espagne, mais l'affaire du _Virginius_ a +produit une indignation telle, que le Président a dû placer la marine +sur le pied de guerre. + +Cette affaire est présentement en voie d'arrangement satisfaisant et +honorable pour les deux pays. + +Le Message constate que les relations de l'Amérique avec les autres pays +sont amicales. L'indemnité de l'affaire de l'_Alabama_ a été appliquée +au rachat des obligations 5.20 jusqu'à concurrence de 15 millions +500,000 dollars. + +Le Président reconnaît les éminents services rendus par les commissaires +du tribunal de Genève. Il recommande la création d'une Cour spéciale +composée de trois juges, pour entendre les plaintes des puissances +étrangères contre les Etats-Unis. Le Président rappelle qu'il a reconnu +le gouvernement espagnol et le félicite d'avoir émancipé les esclaves de +Porto-Rico et restitué les propriétés américaines séquestrées à Cuba. +L'esclavage règne encore à Cuba, protégé par un parti puissant, en +hostilité ouverte contre le gouvernement de Madrid et plus dangereux que +les insurgés. Dans l'intérêt de l'humanité, l'influence de ce parti doit +être détruite. + +L'affaire du _Virginius_ pourrait bien se compliquer prochainement de +l'intervention de l'Angleterre, si toutefois le gouvernement de ce pays +ne consultait que l'opinion publique et en suivait docilement +l'impulsion. Une Note adressée au Foreign-Office par M. Crawford, consul +général de la Grande-Bretagne à la Havane, et communiquée aux journaux, +a inspiré au _Times_ un article d'une grande violence et où éclate une +vive indignation. Cette Note contient la liste des victimes de +nationalité anglaise exécutées à Santiago: on y trouve le second du +navire, un aide-mécanicien, trois chauffeurs, six aides pour le +transport du charbon, deux maîtres d'hôtel et trois matelots. Ce sont de +pareils gens employés au service du bâtiment qui ont été assimilés à des +insurgés pris les armes à la main et fusillés sans aucune forme de +procès. Jamais les lois humaines n'ont été plus cruellement violées. On +peut donc s'attendre à voir le gouvernement anglais élever de justes et +sévères réclamations contre ces barbares exécutions. Du côté de +l'Espagne, la situation devient de plus en plus critique. Les nouvelles +sont contradictoires. Une première dépêche de New-York, en date du 4 +décembre, annonçait, d'après des avis reçus de la Havane, que les +principaux chefs des volontaires avaient publié un Manifeste attestant +leur soumission aux autorités et leur confiance dans M. Jovellar, +capitaine général de Cuba. Mais le même jour, une dépêche de la Havane +faisait parvenir à Madrid des informations tout opposées. M. Jovellar, y +était-il dit, avait prévenu le gouvernement espagnol que, vu l'état +d'exaspération de l'opinion publique, il lui était impossible de +procéder, au moins pour le moment, à l'exécution des ordres concernant +la restitution du _Virginius_; il faisait même entrevoir la possibilité +«de véritables catastrophes» dans le cas où l'on agirait avec trop de +précipitation. Enfin, toujours d'après la même source, il avait offert +sa démission. Aujourd'hui, la scène change. On télégraphie de Madrid, le +5 décembre, onze heures cinquante minutes du soir, que les ordres du +gouvernement seront fidèlement exécutés: le capitaine général et le +commandant des forces navales en ont envoyé l'assurance formelle. +Toutefois une dépêche de New-York, postérieure à la précédente et datée +d'aujourd'hui même, nous apprend que l'Espagne avait promis de faire +hier la remise du navire, que cet engagement n'a pas été rempli, et +qu'il en résulte un vif mécontentement. Mais, ajoute-t-on, le cabinet de +Washington est disposé à attendre que cette restitution puisse être +faite sans blesser la fierté du gouvernement espagnol. C'est seulement +dans le cas ou l'impuissance de celui-ci serait démontrée que l'affaire +serait soumise au Congrès. + +Enfin, une dernière dépêche datée de Philadelphie, 9 décembre, annonce +que des arrangements définitif' ont été pris pour que la restitution du +_Virginius_ et des prisonniers survivants se fasse le 18 décembre. On +assure que la frégate américaine _Worcester_ sera chargée de recevoir le +_Virginius_ à la Havane, et que la frégate _Jumata_ aura mission de se +rendre à Santiago pour prendre les survivants à son bord. + +L'insurrection de Carthagène paraît sur le point d'arriver à son terme; +la ville et les forts ont été très-éprouvés par le bombardement +entrepris par les troupes du gouvernement; les vivres se font rares dans +la place et les insurgés ont dû faire sortir les bouches inutiles; huit +cents femmes et enfants ont été transportés à Pormau, où ils se trouvent +dans un état de détresse tel que l'amiral Yelverton, commandant +l'escadre anglaise mouillée devant le port, a écrit à M. Castelar pour +intercéder en leur faveur. Cependant les insurgés pensent qu'ils peuvent +encore tenir un mois s'ils restent unis entre eux. Les forts et les +batteries n'ont que très-peu souffert. On croit que lorsque les +munitions seront épuisées, une grande partie des insurgés tenteront de +s'ouvrir un passage à l'aide des vingt-cinq canons Krupp qu'ils +possèdent, et qu'ils iront à travers les montagnes rejoindre les +carlistes. Les autres essayeront de s'échapper à bord de la _Numancia_. + + + +Courrier de Paris + +M. Paul Féval se présente aux suffrages de l'Académie française, où il y +a, pour le quart-d'heure, deux fauteuils à donner. Si j'avais à broder +une réclame, je ne manquerais pas de dire que le candidat est, +littérairement parlant, un homme incomparable. En dix ou douze lignes +bien senties, il serait démontré par A plus B qu'il enfonce le passé, +qu'il domine le présent et que l'avenir ne lui viendra pas à la +cheville. Croyez que je n'ai rien à tenter de semblable. Je ne veux +parler de M. Paul Féval que comme un spectateur pourrait le faire d'un +acteur estimé de tel théâtre qu'il voit se hasarder sur une scène +nouvelle. + +A coup sûr, M. Paul Féval devrait être de ceux qu'on se dispense de +_black-bouler_. Mais l'Académie a une douane à laquelle elle tient +mordicus. Vous objecterez tout ce qu'il vous plaira.--Voilà un conteur +de la meilleure race. Il a fait pour la Bretagne ce que Walter Scott a +fait pour l'Ecosse et George Sand pour le Berri. Uniquement préoccupé du +soin de faire des loisirs à ceux qui s'ennuient, il a écrit, en +trente-cinq ans, trois cents volumes encore debout en ce moment. Parmi +ses livres, il en est deux qui ont fait un grand bruit, les _Mystères de +Londres_, peinture saisissante des bas-fonds de la société anglaise, et +un épisode de notre histoire, le _Bossu_ qui, transformé en drame, a +récréé Paris pendant deux cents soirées. Tout cela étant bien vu, la +nomination de ce galant homme devrait passer, ce semble, comme une +lettre à la poste. + +Ce sera le contraire qui arrivera, je le crains, du moins. Au quai +Conti, il n'y a que l'envers du juste qui ait le dessus. Quand, par +hasard, on admet un homme qui écrit, c'est que ces vieux messieurs se +sont fait violence. Ou bien ils ont cédé à la force de l'opinion, ou +bien ils ont eu peur que leur corporation vermoulue ne soit devenue une +pelote trop épinglée d'épigrammes. Il y a un troisième cas bien connu, +mais qu'il faut rappeler sans cesse; ils cèdent devant la table: «A-t-il +un bon cuisinier?» Voilà cinquante ans que c'est le meilleur des titres. +Le laurier de la cuisine attire le laurier apollonien. + +Sur les dernières années de sa vie, Théophile Gautier, candidat quatre +fois congédié, rapportait le mot de l'un d'eux, pendant l'une de ses +trente-neuf visites: + +--Comment! monsieur, vous avez publié vingt-cinq volumes! Ah! monsieur! + +La mimique du vénérable et le rythme de son reproche ne pourraient être +exprimés par aucune langue humaine. Il fallait entendre l'auteur du +_Tricorne enchanté_ raconter cette scène d'un si haut comique. +Vingt-cinq volumes, poèmes, romans, critique, voyages, histoire, +n'était-ce pas bien fait pour effrayer l'imagination d'un vieillard qui, +en sa vie entière, n'avait pu que faire des annotations et des préfaces, +et tout au plus une petite plaquette où il est avancé que le mouchoir de +poche n'existait pas chez les Grecs du temps de Périclès. Mais pour M. +Paul Féval, ce serait bien une autre paire de manches! Il a écrit trois +cents volumes. Rien qu'à cette révélation, l'immortel est capable d'en +avoir un coup de sang! + +Ajoutez que ces trois cents volumes sont des romans. Une belle denrée, +les romans! Ces Nestors les ont tous dans une sainte horreur. On a beau +leur rappeler le mot charmant de Philippe: «J'aime mieux que l'Espagne +ait _Don Quichotte_ que deux provinces de plus»; on leur citera en vain +nos gloires les plus nobles et les plus pures commençant par là, comme +Jean Racine, leur dieu, qui a commencé par traduire _Théogène et +Chariclée_, et ils crieront toujours: «A la porte, le roman»; c'était +l'entêtement de feu Villemain: «Si Le Sage se présentait ici, _Gil Blas_ +à la main, je prierais Le Sage de s'en retourner.» + +Pour ne parier que des temps où nous sommes, voyez combien ils ont été +impitoyables pour les romanciers. Non-seulement ils n'ont pas voulu +entendre parler de Frédéric Soulié ni d'Eugène Sue, ces deux maîtres du +genre, mais encore ils ont rejeté M. de Balzac, le prodigieux auteur de +la _Comédie humaine_. Lorsque Prosper Mérimée s'est présenté, il a été +bien entendu que c'était en vue de sa traduction de Salluste et de +quelques rapports sur des inscriptions. Léon Gozlan, ce Benvenuto +Cellini de la Nouvelle, Méry, qui nous a légué sur l'Inde et sur la +Chine des écrits si attachants, Théophile Gautier, dont je parlais tout +à l'heure, autant de noms, autant de candidats rejetés. Pour Alexandre +Dumas, l'homme aux mille romans, il savait son fait d'avance; il n'a +jamais eu un seul instant la pensée de se présenter à un seul d'entre +eux. + +Encore une fois il ne faut pas être un bien grand sorcier pour prévoir +ce qui va survenir. Il existe toujours en quelque coin obscur un +complaisant qui a fait jadis, pendant vingt ans, la partie de piquet +d'un ancien premier ministre; c'est celui-là qu'on choisira. Il se peut +encore qu'on élise un professeur fameux pour avoir mis une couverture +nouvelle à Blaise Pascal ou bien au président Hénault. Au pis aller, on +se rabattra sur un avocat illustre pour n'avoir jamais été imprimé. A la +vérité, après l'avoir fait sortir de l'urne, on dira qu'on voudrait bien +l'y remettre; c'est encore là une de leurs allures.--En tout cas, vous +le verrez bien, ils condamneront M. Paul Féval à faire le +pied-de-grue.--L'ombre du pauvre Philarète Chasles pourra lui tenir +compagnie. + +Un de ces jours, qui sait? aujourd'hui peut-être, J. Claretie, usant de +son droit de critique, vous parlera d'un livre posthume, déjà fort +prôné: _Lettres à une Inconnue_. Si je m'aventure à m'occuper de cette +nouveauté, ce n'est point, bien entendu, pour marcher sur les +plates-bandes du confrère. Ces deux volumes fourmillent d'anecdotes, de +mots piquants, de bruits du monde; voilà pourquoi je me hasarde à leur +faire quelques emprunts, toujours permis aux fureteurs de la chronique. +Lettres curieuses, pas précisément édifiantes! Celle qui se présente la +première est sans date; on peut conjecturer qu'elle est de 1839, +peut-être de 1840. En ce temps-là, Prosper Mérimée, ne songeant pas +encore à devenir un personnage, n'était rien, pas même académicien. Il +n'avait pas encore terminé _Colomba_; il vivait sur le bruit flatteur de +ses incomparables nouvelles et du _Théâtre de Clara Gazul_. La dernière +est tout près de nous, du 23 septembre 1870; Mérimée était mourant à +Cannes; il avait vu sombrer la France et tomber le second empire, auquel +il s'était attaché pour des raisons tout à fait intimes. On sait, en +effet, qu'un mariage secret le liait à Mme de Montijo, la mère de +l'impératrice. + +En vingt ans de temps, il s'était passé peu d'événements dans la vie de +ce studieux sybarite, mais avec quelle verve et quel esprit dégagé il +savait voir ce qui se passait chez les autres! Mais d'abord, qu'est-ce +que l'Inconnue? Une marquise, une grande dame mariée; c'est tout ce +qu'on en apprend et on n'en saura jamais plus. Dans l'origine, ils se +traitaient en camarades; Prosper Mérimée l'appelait son «cher ami +féminin». En 1842, il lui disait: «Si je ne me trompe, nous nous sommes +vus six ou sept fois en six années, et, en additionnant les minutes, +nous pouvons avoir passé trois ou quatre heures ensemble, dont la moitié +à ne rien nous dire.» On croirait qu'il s'agit d'une aventure de bal +masqué. + +Il raconte tout à cette inconnue, ses ennuis, ses plaisirs, ses +insomnies, surtout ses impressions de voyage. Par exemple, en parcourant +la Grèce, pour affaires de son commerce, c'est à savoir pour faire de +l'archéologie, il s'amuse tout le premier du style qu'on emploie sur son +passeport. Il grisonne et il le dit. «Au milieu de tout cela, je suis +devenu bien vieux. Mon firman me donne des cheveux de tourterelle; c'est +une jolie métaphore orientale pour dire de vilaines choses. +Représentez-vous votre ami tout gris.» Une autre fois, étant de retour, +il raconte une soirée dans laquelle il a pu présenter Mlle Rachel, alors +débutante, à Béranger; c'était chez un ministre du roi Louis-Philippe; +Lamartine, Victor Hugo et M. Thiers étaient là, et, bien qu'il s'agisse +de tragédie, il faut voir comme la scène devient bouffonne! + +Messieurs les romanciers et les peintres de moeurs décriront le second +empire tant qu'il leur plaira; on est en droit d'affirmer qu'ils n'en +viendront pas autant à bout que ce railleur, donnant la description du +bal de Mme la duchesse d'Albe (1er mai 1860). + +«C'était splendide. Les costumes étaient très-beaux. Beaucoup de femmes +très-jolies et le siècle montrant de l'audace. 1° On était décolleté +d'une façon outrageuse par en haut et par en bas aussi. A cette +occasion, j'ai vu un assez grand nombre de pieds charmants et beaucoup +de jarretières dans la valse. 2° Croyez que, dans deux ans, les robes +seront courtes, et que celles qui ont des avantages naturels se +distingueront de celles qui n'en ont que d'artificiels.» Il raconte +ensuite le ballet des Eléments, un des triomphes du règne. Seize dames +de la cour, en courts jupons, couvertes de diamants. «Les Naïades +étaient poudrées avec de l'argent, qui, tombant sur leurs épaules, +ressemblait à des gouttes d'eau. Les Salamandres étaient poudrées d'or. +Il y avait une Mlle E*** merveilleusement belle. La princesse M*** était +en Nubienne, peinte en couleur bistre très-foncé, beaucoup trop exacte +de costume. Au milieu du bal, un domino a embrassé Mme de S***, qui a +poussé les hauts cris. La salle à manger avec une galerie autour, les +domestiques en costume de pages du XVIe siècle, et de la lumière +électrique, ressemblait au _Festin de Balthazar_ dans le tableau de +Wrowthon.»--Y a-t-il beaucoup de coups de burin qui vaillent ces coups +de plume? + +En bon courtisan, le sénateur parle aussi de Napoléon III, qui, en +raison de son mariage avec la comtesse, était son beau-fils. + +«L'empereur avait beau changer de domino, on le reconnaissait d'une +lieue; l'impératrice avait un burnous blanc et un loup noir qui ne la +déguisaient nullement. Beaucoup de dominos, et, en général, fort bêtes. +Le duc de *** se promenait en arbre, vraiment assez bien imité.»--Ce +pauvre duc! Mérimée ne le lâche pas, et je n'ose point répéter tout ce +qu'il met sur son compte. + +Un autre récit très-caractéristique, c'est celui de la première +représentation de l'opéra de Richard Wagner, rue Le Peletier. + +«Un dernier ennui, mais colossal, a été _Tannhaüser_. Les uns disent que +la représentation à Paris a été une des conventions secrètes du traité +de Villafranca; d'autres, qu'on nous a envoyé Wagner pour nous forcer +d'admirer H. Berlioz. Le fait est que c'est prodigieux. Il me semble que +je pourrais écrire demain quelque chose de semblable, en m'inspirant de +mon chat marchant sur le clavier d'un piano. La salle était +très-curieuse. La princesse de Metternich se donnait un mouvement +terrible pour faire semblant de comprendre et pour faire commencer les +applaudissements qui n'arrivaient pas. Tout le monde bâillait; mais, +d'abord, tout le monde voulait avoir l'air de comprendre cette énigme +sans mot. On disait, sous la loge de Mme de Metternich, que les +Autrichiens prenaient la revanche de Solférino. On a dit encore qu'on +s'ennuie aux récitatifs et qu'on se _tanne aux airs._»--Un des plus +illustres de l'Académie française se _fendant_ d'un calembourg.--Allons, +je n'irai pas plus loin. + +Philibert Audebrand. + + + +[Illustration: Le GÉNÉRAL DE COLOMB, SUBSTITUT. LE GÉNÉRAL POURCET, +COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT. PROCÈS DU MARÉCHAL BAZAINE.--L'ACCUSATION.] + +[Illustration: Maréchal Bazaine. Me Lachaud. Me Lachaud fils. PROCÈS DU +MARÉCHAL BAZAINE.-LA DÉFENSE.] + + + +LA SOEUR PERDUE + +Une histoire du Gran Chaco + +(Suite) + +Les pierres furent disposées et arrangées par Gaspardo en forme de +muraille grossière. Bien que construite dans l'obscurité, elle était +assez forte pour résister aux attaques d'un animal quelconque, +l'éléphant excepté. Or, comme il ne se trouve pas d'éléphants dans le +Chaco, les voyageurs semblaient n'avoir plus rien à craindre. + +Tel était l'avis de Gaspardo qui encore une fois partit à la recherche +de son briquet. + +«J'ai un bout de chandelle de cire», dit-il; «que Dieu me le pardonne, +je l'avais ramassé dans l'église de l'Asuncion. Elle avait été allumée +sur le corps de ma pauvre vieille mère, et je désirais la garder comme +souvenir. _Ay Dios!_ qui eût jamais pensé que ce serait en pareille +circonstance que j'aurais à la rallumer? Mais il est malsain de manger +dans l'obscurité. Je n'ai jamais aimé cela; ce qu'on mange ne vous +profite pas quand les yeux n'en ont pas leur part.» + +Gaspardo affectait de parler avec bonne humeur. Il connaissait le lourd +fardeau qui pesait sur le coeur de ses jeunes compagnons et il espérait +l'alléger en les détournant un peu de leurs pensées. Mais aucun d'eux ne +fit chorus à sa bonne volonté; il battit donc le briquet et le cierge +fut enfin allumé. + +C'était un gros bout de cierge, long d'environ six pouces et fabriqué +avec la cire de l'abeille sauvage qu'on emploie dans les églises du +Paraguay. Sa flamme brillante éclairait tous les objets contenus dans la +caverne, les voyageurs, leurs chevaux, leurs bagages et le jaguar étendu +mort à l'entrée, dont la peau jaune mouchetée se détachait sur le fond +sombre du rocher. + +Mais à peine la flamme eut-elle pris toute sa vigueur, que les yeux des +voyageurs eurent la très-désagréable surprise d'être subitement arrêtés +par la vue d'une seconde peau de jaguar, non moins mouchetée, mais bien +plus brillante que la première. C'était un second jaguar, non pas mort +celui-là, mais vivant et bien vivant, couché sur un bloc de rocher à +l'extrémité la plus reculée de la grotte! + +Il avait au moins deux fois la taille de celui qui avait été tué et son +aspect était dix fois plus effrayant. Au premier coup d'oeil, on le +reconnaissait pour le mâle dont Gaspardo avait parlé. + +«C'est le mâle»! dit-il aussitôt que la lumière du cierge lui eut permis +de le distinguer. «_Santissima!_ et nous nous sommes donnés bien du mal +pour nous assurer sa compagnie!» + +Ses compagnons pétrifiés par la surprise gardaient le silence. + +«_Carrai_»! grommela le gaucho entre ses dents. «Je m'étonne qu'il soit +resté si longtemps tranquille. Il faut que la tormenta ait +singulièrement modifié son humeur. Qui peut savoir ce qui se passe dans +sa tête, et ce qui cause son immobilité. Ne nous y fions pas. L'envie +peut lui prendre subitement de sauter sur nous et un animal de cette +taille, mes enfants, se moquerait autant d'une balle que d'un coup de +cravache. Regardez-le, il est presque aussi gros qu'un de nos chevaux! +On ne fait pas deux miracles dans la même journée.--Une balle qui le +blesserait seulement au lieu de le tuer ne ferait que le rendre plus +formidable.» + +Les deux jeunes gens tenaient à la main leurs carabines. + +«Faut-il faire feu néanmoins? demandèrent-ils. + +--Gardez-vous-en bien, sur votre vie! mieux vaudrait essayer de lui +céder la place, si l'état de terreur, de stupéfaction, d'engourdissement +où la tormenta met souvent les animaux les plus énergiques et les plus +violents devait nous en laisser le temps. J'entends la pluie tomber par +torrents, mais cela ne fut rien, tout plutôt qu'une rencontre avec un +gaillard comme celui-ci. S'il pleut c'est que la poussière est +abattue,--et c'est le principal. Nous pourrions peut-être nous en tirer +personnellement en lui abandonnant nos montures, et en filant pour notre +compte par la lucarne que nous avons laissée à notre barricade... Elle +ne suffirait pas à le laisser passer,--mais nous avons autant besoin de +nos montures que de nous-mêmes et d'ailleurs ce serait une lâcheté que +de livrer nos bonnes bêtes à ce brigand-là. Il n'y a pas deux partis à +prendre. Ouvrons notre barricade, défaisons de nos mains l'ouvrage de +nos mains. Détruire est plus facile que de bâtir.--A l'oeuvre donc. Que +Cypriano qui a une bonne arme fasse sentinelle. Si le jaguar bouge visez +à l'oeil, mon enfant!» + +Et tandis que Ludwig tenait le cierge, Gaspardo dont la force musculaire +était doublée par l'imminence du danger se mit à démolir sa muraille. + +Dès qu'une ouverture fut pratiquée, suffisamment grande pour leur livrer +passage ainsi qu'à leurs chevaux, le gaucho écarta les ponchos et jeta +un regard au dehors. + +Cependant, tenu en respect par Cypriano, qui le couchait en joue, ou +sous le poids encore de l'émoi que lui causait la tourmente, le jaguar +n'avait pas bougé. Ses yeux fixes et brillants n'avaient pas quitté ceux +de Cypriano. L'intrépide enfant n'avait pas bronché. Mais le moment le +plus périlleux devait être celui de la retraite. Il en est de l'animal +comme de l'homme, tout ce qui ressemble à une fuite de son adversaire +est comme un signal d'attaque qu'il reçoit. + +A ce moment une exclamation du gaucho attira l'attention de Ludwig. + +«Qu'y a-t-il, Gaspardo? lui demanda-t-il. + +--Il y a, répondit Gaspardo avec un geste de désespoir, il y a qu'il n'y +a pas moyen de sortir. Regardez!» + +L'eau s'était élevée de six pieds au-dessus de son premier niveau et +elle coulait en bas de la caverne avec la violence d'un torrent, le +courant balayait jusqu'à l'entrée de la grotte et ne laissait pas un +pouce de sentier par lequel les hommes et les chevaux pussent opérer +leur retraite. Toute issue était évidemment coupée. La circonstance +était critique, car rester dans la caverne, c'était rester à la +discrétion du jaguar. + +Le ciel, en s'éclairant, projetait jusqu'au fond de l'antre une faible +lueur qui leur permettait d'apercevoir l'affreuse bête couchée dans sa +redoutable immobilité. Il semblait qu'avertie par un secret instinct de +l'impossibilité où étaient désormais ses victimes de lui échapper, elle +eût jusque-là contemplé avec un imperturbable dédain la vanité de leurs +efforts. + +L'ouragan se calmait. Les grondements du tonnerre s'éloignaient. Le +moment approchait où l'animal allait retrouver son habituelle férocité +et bondir soit sur les hommes, soit sur leurs montures. + +La lutte était donc devenue inévitable. En désespoir de cause, Gaspardo +et les deux jeunes gens se tenaient prêts au combat. La carabine à la +main, leur couteau de chasse entre les dents, Ludwig et Cypriano +n'attendaient que l'ordre de faire feu. Gaspardo hésitait encore à le +donner; évidemment, il eût tout préféré à une rencontre où l'un d'entre +eux, tout au moins, pouvait perdre la vie; quand tout à coup, posant bas +sa carabine, il se mit à chercher quelque chose avec une fiévreuse +impatience dans une des sacoches de son recado. + +Il se souvenait d'y avoir caché une fusée du genre de celles dont on se +sert pour exciter les taureaux au combat. Il avait pris cette précaution +dans la prévision que cela pourrait lui servir, pour étonner et amuser +ou terrifier suivant l'occasion les Indiens. C'est un vieux tour des +gens des frontières et qui est souvent couronné de succès parmi les +sauvages. + +«Ne bougez pas, murmura-t-il à l'oreille de ses amis, ne quittez pas la +place où vous êtes. Laissez-moi faire. J'ai mon idée.» + +Tous deux conservèrent leur place à l'entrée de la caverne, semblables à +deux sentinelles silencieuses. + + +CHAPITRE IX + +AU HASARD + +Quoique encore sous l'empire d'une grande émotion, Ludwig et Cypriano +étaient fort intrigués, et se demandaient du regard ce qui avait bien pu +passer dans la cervelle de leur ami. + +Les moments étaient trop précieux pour que le gaucho songeât à prolonger +leur attente. Il s'avança rapidement vers le cierge que Ludwig avait +fixé dans une des anfractuosités de la caverne,--et leur ayant +recommandé de se coller contre les parois,--pour laisser libre l'entrée +tout entière, il approcha de la flamme du cierge la mèche de sa fusée et +la lança sur le jaguar. Ce fut comme une illumination soudaine: la +lumière éclatante suivie d'un sifflement aigu s'était élancée comme un +serpent de feu sur l'animal, l'avait atteint au flanc et s'était +attachée à sa peau en tournoyant comme un soleil et en l'inondant +d'étincelles. + +C'était évidemment le premier feu d'artifice qu'on eût jamais tiré en +son honneur. + +Poussant un formidable rugissement qui fit frémir les parois du rocher, +l'énorme animal effaré bondit d'épouvante sur sa couche, et en trois +bonds traversant la caverne et traînant derrière lui comme la queue +enflammée d'une comète, il alla se précipiter dans le torrent. + +C'était assurément ce qu'il avait de mieux à faire pour éteindre la +fusée qui sifflait entre les poils de sa fourrure, et pour débarrasser +nos voyageurs de sa fâcheuse compagnie. + +En un instant, son corps fut hors de vue, enlevé par le courant du ravin +débordé. Gaspardo, monté sur le roc où était tout à l'heure le jaguar, +criait du fond de la grotte: + +«Pour cette fois, Muchachos, nous pouvons nous mettre à table; je +suppose que nous ne risquons plus d'être dérangés!» + +Ludwig et Cypriano ne pouvaient revenir de l'étrange et expéditive façon +dont le gaucho les avait tirés d'affaire. + +«On ne pense pas à tout, répondit modestement le brave homme. J'aurais +dû commencer par là, et ni vous ni moi ne nous serions écorchés les +mains à faire et à défaire nos inutiles fortifications.» + +Ludwig et Cypriano regrettaient bien un peu de ne pas avoir abattu le +jaguar mâle, comme Gaspardo avait abattu la femelle; mais ils ne +voulurent pas gâter la joie de leur ami, qui était cent fois plus fier +de son expédient qu'il ne l'eût été du coup de fusil le mieux réussi. + +Quand nos voyageurs eurent achevé leur repas, la tempête avait +complètement cessé. + +La _tormenta_ diffère du _temporal_; la première disparaît aussi +rapidement qu'elle est venue, l'autre se termine graduellement et est +suivie par des brumes qui remplissent l'atmosphère et par une fraîcheur +humide qui parfois dure plusieurs jours. Il n'en est pas ainsi d'une +véritable tempête de poussière. Elle arrive sans être précédée de signes +autres que ceux connus seulement des initiés, ceux par exemple que +Gaspardo avait lus dans la corolle des fleurs de l'arbre baromètre, et +elle cesse aussi soudainement, sans avertir autrement du moment où elle +prend fin. + +Lorsqu'ils revinrent à l'entrée de la grotte et regardèrent au dehors, +il n'y avait pas plus de traces de l'ouragan que s'il n'eût jamais +existé. Au-dessus de la berge opposée de l'arroyo, ils pouvaient +distinguer un espace de ciel d'une belle nuance azurée, et par les +rayons de lumière qui plongeaient dans le vallon, ils voyaient que le +soleil brillait aussi pur qu'avant d'avoir été obscurci par les nuages +épais de la poussière. + +Cette terrible lutte des éléments avait duré en tout une heure. Ils +l'auraient considérée comme un rêve s'ils n'eussent eu sous les yeux, +s'étendant sur les pentes du terrain, les traces de sa furie; des arbres +déracinés, d'autres oscillant, des branches brisées et déchirées, des +bouquets d'arbustes couchés comme des roseaux, enfin, à leurs pieds, un +torrent écumant remplaçant le mince ruisseau que leurs chevaux avaient +traversé à gué une heure à peine auparavant. + +Sans cet obstacle tort sérieux, ils auraient immédiatement repris leur +voyage, mais d'un seul coup d'oeil, ils en avaient reconnu +l'impossibilité. Comme le paysan de la fable, mais avec plus de raison +puisqu'ils n'avaient devant eux qu'un fleuve improvisé et accidentel, +ils devaient attendre le moment où les eaux baisseraient. + +«Nous n'en avons pas pour longtemps, mes enfants, dit le gaucho, en +remarquant leur impatience, et en essayant de les encourager. + +--Non, continua-t-il, après être resté un instant les yeux fixés sur le +torrent, pas pour bien longtemps. Ce débordement, né de la tourmente qui +l'a produit, baissera aussi vite qu'il s'est élevé. Il est déjà tombé de +plus d'un demi-pied; voyez les traces qu'il a laissées sur les pierres.» + +Et il désigna du doigt un endroit que l'eau boueuse avait mouillé et +dont elle s'était déjà retirée. C'était bon signe. Tous trois +retournèrent donc dans la grotte pour y empaqueter leurs bagages, donner +quelques soins à leurs montures, sur lesquelles la tourmente avait agi +autant que sur le jaguar, et se préparer à reprendre leur route. + +Aussitôt cette besogne terminée, le gaucho se donna sur la poitrine, en +guise de _mea culpa_, un coup de poing qui en eût abattu un autre que +lui-même. + +«Santo Dios! je perds la tête, s'écria-t-il, c'est pitié de laisser ce +beau jaguar derrière nous. Sa peau vaudrait de l'argent si quelqu'un la +portait au marché. Comme le mâle était beau! Jamais je n'en ai vu un +plus magnifique. Ah! si votre....» + +Il s'arrêta brusquement. + +Mayne Reid. + +(La suite prochainement.) + + + +NOS GRAVURES + +Procès du maréchal Bazaine + +LA BUVETTE DES TÉMOINS. + +Au moment où paraîtront ces lignes, le verdict du 1er conseil de guerre, +vers lequel en ce moment toute la France a les yeux tournés, sera +prononcé ou bien près de l'être. Le M. le général Pourcet a commencé la +lecture de son réquisitoire, qui s'est prolongée jusqu'à la fin de +l'audience du 5 décembre. Le 6, la parole a été donnée à la défense, qui +la gardera certainement au moins aussi longtemps que l'accusation. C'est +donc vers la fin de la semaine que, selon toute vraisemblance, le sort +de l'accusé sera fixé. L'auditoire, est-il besoin de le dire? est plus +nombreux que jamais et, ajoutons-le, il trahit par sa physionomie plus +grave et plus réservée l'imminence du dénoûment de ce grand drame. +Chacun en effet, comprend qu'au moment où la justice va parler, il doit +refouler, au moins en public, ses impressions propres et attendre en +silence qu'elle prononce le mot suprême. Il est vrai qu'il se dédommage +à la suspension de l'audience. La buvette des témoins, que représente +notre dessin, est le lieu où s'échangent volontiers les commentaires. On +y rappelle les arguments de l'accusation et ceux de la défense, on les +compare entre eux, et on cherche à en dégager la conséquence. Mais là +encore, même en s'aventurant sur ce terrain glissant, on use de réserve +et l'on ne sort pas de la stricte mesure que réclament les convenances. + +L'ACCUSATION. + +Les membres qui composent le parquet dans le procès Bazaine sont au +nombre de huit, savoir: + +M. Alla, greffier titulaire du premier conseil de guerre, auquel on a, +pour la circonstance, adjoint M. Castres, greffier en retraite. A gauche +de MM. Alla et Castres se tient le maréchal des logis de la garde +républicaine qui a le titre d'appariteur, et remplit des fonctions +analogues à celles des huissiers dans les cours d'assises. + +Puis viennent, devant la table où sont assis les membres du parquet, M. +le général Pourcet, puis M. le commandant Martin, chef de bataillon en +retraite, et qui assiste de droit aux débats en sa qualité de +commissaire du gouvernement titulaire près le premier conseil de guerre, +M. le général de division de Colomb, jeune avec son grade, car il n'est +âgé que de quarante-neuf ans. Sorti de Saint-Cyr en 1844, il a conquis +tous ses grades en Afrique, à l'exception du dernier, qu'il doit à sa +belle conduite à l'armée de la Loire. Son titre officiel est: substitut +du commissaire spécial du gouvernement, M. Pourcet. + +Tout à fait à gauche sont assis deux jeunes capitaines, M. Avon, du +corps d'état-major, et M. Boisselier, de l'infanterie. Ces messieurs +n'ont pas de titre officiel; en réalité ils sont adjoints à M. le +général Pourcet pour les immenses travaux que nécessitent l'examen et la +manipulation d'un dossier fabuleusement volumineux. + +LA DÉFENSE. + +Le maréchal Bazaine a confié, on le sait, le soin de sa défense, à Me +Lachaud, assisté de son fils et du colonel Villette, aide de camp du +maréchal. + +Nous avons parlé de ce dernier en donnant son portrait, il y a quelques +semaines; nous n'avons donc pas à y revenir. Quant à M. Lachaud fils, le +temps lui a fait défaut pour travailler à l'auréole dont il ne peut +manquer un jour ou l'autre de ceindre son front, si tant est que le +proverbe soit vrai; mais pour le moment il ne brille encore que des +rayons de la gloire paternelle, assez grande, après tout, pour contenter +deux ambitions, même exigeantes. + +Me Lachaud a aujourd'hui cinquante-six ans. Né à Treignac (Corrèze) le +25 février 1818, il exerçait sa profession d'avocat à Tulle, lorsque Mme +Lafarge le choisit pour défenseur. Ce fameux procès commença sa +réputation, qu'acheva d'établir le procès Marcellange. C'est alors que +Me Lachaud vint à Paris, où il ne tarda pas à prendre au barreau +parisien une des premières places. Il brilla surtout devant la cour +d'assises, où son éloquence naturelle, admirablement servie par une voix +aussi souple que sympathique et des facultés mimiques très-développées, +lui assura un grand ascendant aussi bien sur les juges que sur +l'auditoire. Parmi les affaires qu'il y plaida, citons les affaires +Pavy, de Preigne, Carpentier, Lescure, de Merci, Lemoine, Taillefer et +Troppmann. + +Nous pouvons maintenant ajouter à cette liste l'affaire Bazaine, qui +prime incontestablement toutes les autres, aussi bien par la position +élevée de l'accusé, que par les circonstances exceptionnelles qui ont +donné lieu à l'accusation. + +P. S.--Au moment de mettre sous presse, nous recevons la nouvelle que le +1er conseil de guerre vient de rendre son arrêt, que nous n'attendions +pas si tôt. Mais le conseil a siégé de neuf heures du matin à neuf +heures du soir, le 10; et dans cette séance si longue ont eu lieu la fin +de la plaidoirie de Me Lachaud et les répliques. A quatre heures et +demie, les débats ont été clos et à neuf heures moins un quart, après +une délibération qui n'a pas duré moins de quatre heures, le conseil +rentrait en séance, rapportant son verdict. Quatre questions lui avaient +été posées. + +lre question.--Le maréchal Bazaine est-il coupable d'avoir, en octobre +1870, capitulé, son armée étant en rase campagne? + +2e question.--Cette capitulation a-t-elle eu pour résultat de faire +poser les armes à sa troupe? + +3e question.--Le maréchal Bazaine a-t-il traité verbalement ou par écrit +avec l'ennemi, sans avoir fait tout ce que lui prescrivaient le devoir +et l'honneur? + +4e question.--Le maréchal Bazaine, mis en jugement sur l'avis du conseil +d'enquête, est-il coupable d'avoir capitulé avec l'ennemi, rendu la +place qui lui était confiée, sans avoir épuisé tous les moyens de +défense dont il disposait et sans avoir fait tout ce que prescrivaient +le devoir et l'honneur? + +A ces quatre questions, chacun des membres du conseil ayant répondu +affirmativement, le maréchal Bazaine a été condamné à l'unanimité à la +peine de mort, avec dégradation militaire. + + + +La capture du "Virginius". + +Nous recevons, par la voie des États-Unis, une intéressante +correspondance sur le _Virginius_, dont la capture par le croiseur +espagnol le _Tornado_, a eu pour résultat de créer, entre l'Espagne et +les États-Unis, le grave conflit que nous avons déjà eu occasion de +signaler. + +Le _Virginius_ est un vapeur à roues, entièrement en fer, de 100 +tonneaux de capacité et d'une longueur de 220 pieds. Il a été construit +en Angleterre, en 1864, pendant la guerre de la sécession, pour le +compte des confédérés, qui l'employaient à forcer le blocus des côtes +des États du Sud. + +Capturé, avec un chargement de coton, par les forces fédérales, lors de +la prise de Mobile, il fut vendu aux enchères, après la guerre, par le +gouvernement des États-Unis et acheté pour le compte de l'insurrection +cubaine, qui venait d'éclater. Le _Virginius_ reprit aussitôt son +aventureuse carrière; monté par un équipage déterminé, sous le +commandement de Joseph Fry, un Louisianais, il venait s'approvisionner à +New-York d'armes et de munitions qu'il allait ensuite débarquer sur la +côte cubaine. Vingt fois il avait failli être pris par les croiseurs +espagnols et vingt fois il leur avait échappé, grâce à la présence +d'esprit de son hardi capitaine, dont la réputation était devenue +légendaire. Enfin, le 31 octobre dernier, il fut aperçu par le vapeur +espagnol le _Tornado_ au moment où il arrivait au but d'un nouveau +voyage de ce genre; dès qu'il se vit reconnu, le capitaine Fry fit force +de voiles et de vapeur pour s'échapper, car il n'était pas armé de +manière à accepter la lutte avec un navire de guerre; malheureusement le +_Virginius_ tenait la mer depuis plus d'un an; le mauvais étal de sa +coque avait diminué sa vitesse d'autrefois, et pour comble de malheur, +on était à bout de combustible; vainement on jeta la cargaison +par-dessus bord pour s'alléger, vainement on entassa dans les fourneaux +les boiseries, les caisses défoncées et jusqu'à des barils de lard qui +se trouvaient à bord, le _Tornado_ gagnait de vitesse et, après une +chasse de huit heures, le _Virginius_ était rejoint au moment où il +arrivait en vue de la Jamaïque, où il eut pu se réfugier sous la +protection du drapeau britannique. On sait le reste et comment +l'équipage du _Virginius_, conduit à Santiago, paya de sa vie son audace +tant de fois heureuse. La gravure que nous publions aujourd'hui montre +les deux navires au moment où le _Virginius_, à bout de forces, amène +son pavillon et se met en panne pour recevoir le canot du Tornado. + +Nous reviendrons dans notre prochain numéro sur la sanglante tragédie de +Santiago qui a été l'épilogue de ce drame, et nous publierons à ce sujet +d'autres dessins que nous avons reçus trop tard pour les faire paraître +aujourd'hui. + + + +Inauguration du monument de Champigny + +Le 28 novembre un grand courant d'enthousiasme régnait dans la capitale. +C'est que quelques jours auparavant, la nouvelle de la victoire +remportée sur les Prussiens à Couliniers par l'armée de la Loire, s'y +était répandue et que le gouvernement, sous la pression de l'opinion +publique, se décidait enfin à faire un effort sérieux en vue de briser +le cercle d'investissement et de donner la main à la jeune armée qui +s'avançait à notre secours. + +En conséquence, une grande sortie était décidée. Trois proclamations +aussi retentissantes qu'elles furent vaines, annoncèrent l'événement au +public. + +On sait comment tout ce beau mouvement avorta. L'armée, qui devait +passer la Marne dans la nuit du 28 au 29 novembre, ne put le faire, les +ponts se trouvant trop courts! Il fallut attendre vingt-quatre heures. +L'ennemi mis en garde par cette inexcusable faute, prit ses mesures en +conséquence. Il ramassa ses forces sur le point menacé, et au lieu de le +surprendre et de le culbuter, ce fut une grande bataille qu'il fallut +lui livrer en avant de Champigny. + +Néanmoins le village fut enlevé et l'ennemi obligé de reculer jusqu'au +parc de Coeuilly. Mais les morts étaient nombreux. La journée du 1er +décembre fut employée de part et d'autre à les ramasser. + +Le 2, les Prussiens reprirent l'offensive, refoulant d'abord nos troupes +qui finalement regagnèrent toutes leurs positions. Mais, épuisées par ce +double et pénible effort de deux jours de bataille, qu'avec un peu de +prévoyance on leur eut épargné, elles étaient incapables, pour continuer +leur marche, d'en faire un troisième, dans des conditions de difficultés +beaucoup plus grandes encore. Dans la nuit du 2 au 3 on leur fit donc +repasser la Marne, abandonnant ce plateau de Champigny, deux fois +conquis au prix de tant d'efforts stériles et de sang inutilement +répandu. + +C'est sur ce plateau, au bord de la route de Paris, que s'élève le +monument inauguré le 2 de ce mois. M. Vaudremer, architecte de la ville +de Paris, en est l'auteur. C'est une pyramide en pierre grise, assise +sur un soubassement et portant sur l'un des côtés un bouclier où l'on +voit un guerrier blessé s'appuyant sur l'autel de la patrie. Au-dessus, +on lit ces mots: _Défense de Paris_; au-dessous: _Bataille de +Champigny_, 30 novembre, 2 décembre 1870. De l'autre côté de la pyramide +est la devise de la ville de Paris: _Fluctuat nec mergitur_. + + + +[Illustration: ÉVÉNEMENTS DE CUBA.-Capture du _Virginius_ par le +_Tornado_ dans les eaux de la Jamaïque.] + +[Illustration: LE MONUMENT COMMÉMORATIF DE LA BATAILLE DE CHAMPIGNY, +INAUGURÉ LE 2 DÉCEMBRE 1873.]Le naufrage de la "Ville-du-Havre". + + + +Nous n'avons pu qu'annoncer dans notre dernier numéro l'épouvantable +catastrophe de la _Ville-du-Havre_, réputée le plus vaste des paquebots +après le _Great-Eastern_. Les relations qui nous sont parvenues nous +permettent de donner à nos lecteurs un récit du désastre. + +Le 15 novembre, à trois heures de l'après-midi, la Ville-du-Havre +quittait son _warf_ de New-York emmenant 135 passagers, 172 hommes +d'équipage et de service et transportant une cargaison de blé, coton, +cuir et graisses. Pendant les premiers jours, la traversée fut +contrariée par le mauvais temps; puis, quand on fut sur le banc de +Terre-Neuve, par un brouillard intense, commun du reste dans ces +parages, dans la crainte d'aborder ou d'être abordé, le capitaine +Surmont dut faire vibrer le sifflet d'alarme de minute en minute, et, +tout le temps qu'il y eut danger, il ne voulut laisser à aucun de ses +officiers la responsabilité des manoeuvres. La journée du 20 fut assez +belle, ce qui permit aux passagers de jouir de la promenade sur la vaste +dunette d'arrière, aux enfants de se livrer à leurs jeux, et, le soir, +quelques amateurs purent s'offrir dans le salon, un concert improvisé, +dont la _Dernière pensée de Weber_ fut le morceau final. La nuit étant +claire, rien ne paraissant à craindre, le capitaine se décida à +descendre dans sa cabine pour y prendre quelques heures de repos, mais +après avoir donné l'ordre formel de le prévenir du moindre incident. + +C'est à partir de ce moment que l'on ne sait plus d'une manière certaine +ce qui s'est passé, ni même l'heure précise de la catastrophe. Toujours +est-il qu'entre une heure et deux heures du matin, des ordres de +manoeuvre étaient donnés, exécutés précipitamment, mais trop tard... la +_Ville-du-Havre_ éprouvait une commotion violente, suivie d'une série de +craquements formidables, se renversait à demi; passagers, officiers et +matelots, réveillés en sursaut, et accourus sur le pont, apercevaient la +masse d'un grand voilier qui, ayant enfoncé les bordages du paquebot, +laissait les débris de son étrave au milieu de celui-ci. Le navire +abordant était le voilier en fer, le _Loch-Earn_ (Lac ardent), capitaine +Robertson. + +Le capitaine Surmont s'était élancé sur la passerelle de commandement. +D'un coup d'oeil il comprit que tout était perdu. La _Ville-du-Havre_ +portait au flanc de la chambre des machines une trouée large de cinq à +six mètres, profonde de quatre, par laquelle l'eau s'engouffrait en +cataractes bruyantes pour se répandre dans les profondeurs du bâtiment +avec des grondements et des clapotements sinistres. On n'avait pas eu le +temps de fermer les cloisons étanches, de telle sorte que les foyers +ayant été éteints, chaudières et machines furent immédiatement +paralysées. + +Eperdus, les passagers se pressaient sur la dunette d'arrière, les uns à +peine vêtus ou dans leur costume de nuit, les autres ayant eu le temps +de se couvrir de quelques vêtements ou de prendre avec eux leurs objets +les plus précieux. A un premier moment, non de désordre mais seulement +de trouble, succéda un certain apaisement, quand on vit le capitaine à +son poste et les officiers se multipliant pour indiquer à chacun ce +qu'il y avait à faire. Dans le court espace de temps écoulé entre +l'abordage et le naufrage, il y eut des exemples de sang-froid +admirable, de sublime résignation, de devoir noblement compris. Debout +sur le pont, un petit sac à la main, leurs enfants dans les bras ou se +pressant contre leur père ou leur mari, des femmes attendaient que les +canots fussent mis à la mer; quelques-unes s'étant agenouillées, +priaient avec ferveur, pendant qu'un prêtre catholique leur donnait +l'absolution suprême; des enfants à demi-nus, devinant le péril sans le +comprendre, cherchaient d'instinct un refuge dans les bras de leur mère. + +Si la collision avait eu lieu en plein jour, les secours eussent été +plus efficaces, mais la nuit d'une part, la perte de plusieurs des +embarcations de la _Ville-du-Havre_ de l'autre, rendaient le sauvetage +difficile. On venait d'installer une cinquantaine de personnes dans deux +canots intacts, lorsque le grand mât et le mât d'artimon, déjà ébranlés, +oscillèrent et s'abattirent presque en même temps, brisant les canots, +tuant et blessant la plupart des malheureux qui déjà se voyaient sauvés. +En vain, raconte un matelot, on voulut retirer quelques survivants de +l'amas enchevêtré de vergues rompues, de cordages, de débris de +planches, on n'en eut pas le temps. Ce grave accident précipita le +dénoûment, car la chute des mâts fit incliner davantage le paquebot, et +tous ceux qu'il portait sentirent que leur dernière heure était venue. + +Il n'est guère possible de s'imaginer l'horreur du drame dont notre +dessin donne un aperçu pris du milieu du navire, entre les deux +cheminées, près de l'escalier de la dunette des premières. + +La _Ville-du-Havre_ oscillait comme en proie aux dernières convulsions; +on vit, rapporte un passager, une jeune fille soutenant sa mère et lui +disant: «Courage, ma mère, courage, dans quelques minutes nous entrerons +au ciel.» Quatre charmantes petites filles encourageaient ceux qui les +entouraient en leur disant: «Prions le bon Dieu de nous recevoir auprès +de lui.» Rien, raconte M. Lorriaux, ministre protestant, ne peut donner +une idée de la résignation des femmes pendant cette catastrophe. Un +officier de la marine américaine avait trois filles qui voulaient périr +avec lui: «Je sais, dit-il, en leur adressant le dernier adieu, que la +Providence veut vous sauver, n'allez donc pas contre sa volonté.» Deux +seulement de ces jeunes filles furent recueillies. + +Moins d'un quart-d'heure après le choc, la _Ville-du-Havre_ +disparaissait sous les Ilots, qui se précipitèrent en tourbillonnant +dans l'immense vide formé; et les malheureux renversés dans l'eau, ceux +que la vague ramena à la surface, ou qui plus heureux avaient pu saisir +une ceinture de sauvetage, un tronçon de mât, une planche, restèrent +ballottés par les vagues, transis, à moitié expirants, mais soutenus +quelques instants encore par cette force surhumaine que donnent l'espoir +et l'instinct de la conservation. La fatalité avait poursuivi le +malheureux navire jusqu'à sa dernière minute d'existence; au moment où +il sombrait, un canot chargé de femmes et d'enfants fut projeté par le +remous sur le tronçon du mât d'artimon, crevé et submergé. + +Le _Loch-Earn_ avait pu se dégager aussitôt après l'abordage. Bien que +fortement compromis par la perte de son avant, il se soutenait sur +l'eau. Sans perdre un instant, son capitaine fit mettre ses embarcations +à la mer et procéda au sauvetage. Les canots n'arrivèrent sur le lieu de +la catastrophe qu'après la disparition complète de la _Ville-du-Havre_; +ils recueillirent les naufragés et ne quittèrent la place que le +lendemain matin à dix heures, quand nulle voix ne vint plus réclamer +assistance, quand aucune victime ne parut surnager, quand enfin rien ne +vint plus révéler que là, quelques heures auparavant, flottait l'un des +rois de la mer. Demeuré à son poste, le capitaine Surmont coula avec son +bâtiment, mais il eut le bonheur de saisir une planche, et vingt minutes +après un canot le sauvait. + +Passagers et marins recueillis à bord du _Loch-Earn_ étaient dépourvus +de tout, la rapidité du sinistre n'ayant permis qu'à un très-petit +nombre d'entre eux de se munir des objets les plus indispensables: ils +furent, de la part du capitaine Robertson et de l'équipage anglais, +l'objet d'une sollicitude des plus touchantes, qu'ils se sont plu à +reconnaître publiquement. Mais quel triste lendemain! Parmi ceux qui se +trouvaient sains et saufs, il y avait une jeune mère qui avait perdu ses +quatre enfants; une petite fille de neuf ans restée seule d'une famille +nombreuse, et quantité d'infortunés qui, en quelques minutes, avaient vu +mourir sous leurs yeux, père, mère, frère, soeur, mari, amis... Parmi +ces passagers, un, M. James Bishop, avait eu le bonheur d'être +recueilli, et c'était la troisième fois, disait-il, qu'il échappait à +une mort imminente: il avait failli périr lors de la chute d'un train de +chemin de fer dans une rivière et à la suite du sautage d'un navire par +une torpille. + +À dix heures du matin, un trois-mâts américain, le _Trimountain_, fut +signalé; on lui adressa des signaux de détresse, et le capitaine +Surmont, se rendant aux instances des passagers, qui jugeaient le +_Loch-Earn_ trop endommagé pour conserver un supplément de quatre-vingts +à quatre-vingt-dix-personnes, fit passer les survivants sur le navire +américain, à l'exception d'un passager malade, d'un chauffeur blessé et +d'un troisième passager qui voulut garder son compagnon d'infortune. + +A qui incombe la responsabilité de la catastrophe? Une enquête nous +l'apprendra sans doute, mais ce qui, suivant les témoignages déjà +recueillis, parait acquis dès à présent, c'est que le _Loch-Earn_ avait +ses feux réglementaires allumés. Son capitaine aurait dit à un passager +qu'étonné de voir devant lui la silhouette d'un grand vapeur ne faisant +aucun mouvement pour éviter une rencontre, il crut qu'un ou plusieurs de +ses fanaux étaient éteints et qu'on ne l'apercevait pas; il courut à +l'avant, s'assura qu'ils brillaient et fit manoeuvrer pour s'éloigner du +navire en vue. + +A bord de la _Ville-du-Havre_, les vigies de l'avant auraient aperçu et +signalé le _Loch-Earn_ quelques minutes avant la collision. + +Que s'est-il passé alors? l'officier remplaçant momentanément le +capitaine s'était-il assoupi, n'a-t-il pas entendu l'avis qu'on lui +donnait, ou bien ses ordres ont-ils été mal compris du timonier? Les +auteurs principaux du drame ayant péri, il paraît difficile de savoir la +vérité, mais des positions respectives du _Loch-Earn_ et de la +_Ville-du-Havre_, au moment de l'abordage, semble résulter ce fait +capital que cette dernière a dû faire une fausse manoeuvre. Dans les cas +de rencontre en mer, c'est le vapeur, plus maniable que le voilier, qui, +suivant les règlements maritimes, doit modifier sa route. Par conséquent +la _Ville-du-Havre_ aurait dû incliner vers sa droite et si, pendant son +mouvement, elle eût été abordée, c'est par son côté gauche ou de bâbord +qu'elle eût reçu le choc. Le contraire ayant eu lieu, c'est-à-dire que +le voilier s'étant enfoncé dans les bordages de droite ou de tribord, il +est permis de penser que le coup de barre, indiqué ou donné, a eu pour +résultat de faire virer le paquebot vers la gauche, ce qui lui a fait +présenter le flanc droit au _Loch-Earn_. Si cela est, la responsabilité +de ce dernier se trouverait dégagée. + +Le _Trimountain_ a conduit à Cardiff les naufragés que le steamer +_Alice_, de Southampton, a ramenés ou rapatriés en France. Quant au +navire, cause de ce grand malheur, il n'avait pas, ainsi que l'indique +le rapport du capitaine Surmont, de cloison étanche proprement dite, +mais son charpentier avait répondu, d'en établir une suffisante pour +permettre de gagner un port. Ces prévisions ne se sont malheureusement +pas réalisées, car, assailli par un gros temps, le _Loch-Earn_ a sombré +en mer; son équipage et les trois naufragés qu'il avait recueillis, ont +pu être sauvés par un bâtiment anglais se rendant d'Amérique en +Angleterre. Ce dernier naufrage a présenté des incidents aussi +palpitants que celui de la _Ville-du-Havre_. + +Terminons en notant un sentiment superstitieux qui subsiste parmi les +populations maritimes de certains ports. Lorsqu'un navire a été dénommé +et baptisé, il ne doit plus changer de nom, sans cela Dieu cesse de le +protéger. A l'appui de cette croyance, les marins vous citent une longue +série de navires ayant changé de nom qui, partis pour la haute mer, ne +sont jamais revenus. Aussi beaucoup d'entre eux refusent-ils de +s'embarquer sur les navires _débaptisés_. Soyez certain que si vous +parlez à quelque vieux loup de mer de la catastrophe de la +_Ville-du-Havre_, il vous répondra en hochant la tête: «On lui avait +changé son nom!» + +P. Laurencin. + + + +Inauguration de l'Asile et de l'École de filles de Dugny. + +Le village de Dugny (Seine) était à peu près inconnu avant la guerre de +1870. Perdu dans la plaine Saint-Denis, entre Stains et le Bourget, il +fallait les désastres de la dernière invasion pour tirer son nom de +l'oubli. En tant que commune ravagée, Dugny méritait, en effet, de fixer +l'attention. Occupé par les troupes ennemies dès le 10 septembre 1870, +il a vu partir le dernier soldat prussien le 20 septembre 1871. + +Pendant cette occupation, qui a été la plus longue du département de la +Seine, les projectiles, la rapine, la dévastation même pendant +l'armistice, tout a contribué à la ruine du village. + +Grâce à l'énergie et au courage de sa population laborieuse, les traces +de la guerre ont à peu près disparu. + +Mais, par suite de ces désastres, la commune a dû faire construire une +salle d'asile et une école de filles. + +La pose d'une plaque commémorative et, plus tard, l'inauguration de +l'édifice, ont donné lieu à des cérémonies qui ont été entourées d'un +certain éclat. + +Ainsi, pour ne parler que de la dernière, nous citerons la présence de +monseigneur l'archevêque de Paris, de monseigneur Langenieux, évêque de +Tarbes, de M. l'archidiacre de Saint-Denis, de MM. le préfet de la +Seine, le préfet de police, le sous-préfet de Saint-Denis, de M. Artoux, +inspecteur de l'instruction primaire, et enfin de tous les maires des +communes voisines. + +Le cortège, qui s'est formé chez M. Étienne Blanc, maire de la commune, +où tous les invités s'étaient réunis, s'est rendu à la nouvelle école. +Une nombreuse assistance l'attendait à son arrivée. + +Les élèves de l'école des filles ont chanté, en choeur, un hymne en +remerciement de la visite de monseigneur l'archevêque. + +M. le maire de Dugny s'est ensuite adressé à Monseigneur, pour lui +exprimer la reconnaissance des habitants, heureux et fiers de la +présence de toutes les autorités dans leur modeste village. + +Une jeune fille de l'école a adressé ensuite à monseigneur l'archevêque +et à M. le maire un compliment au nom de toutes ses compagnes. + +Monseigneur Guibert a pris alors la parole et a témoigné dans des termes +empreints d'un sentiment tout paternel, l'intérêt que lui inspire ce +malheureux village, si cruellement éprouvé pendant la guerre. + +Après ce discours, Monseigneur a donné la bénédiction à l'édifice ainsi +qu'à l'assistance; puis un choeur, chanté par des amateurs, a terminé la +cérémonie. + +Le cortège s'est reformé et a reconduit monseigneur l'archevêque de +Paris et sa suite chez M. le maire. + + + +[Illustration: LE NAUFRAGE DE LA "VILLE-DU-HAVRE". LA DERNIÈRE MINUTE.] + + + +La comédie de notre temps, par Bertall (1) + +[Note 1: 1 vol grand in-8º illustré. E. Plon et Cie éditeurs.] + +M. Bertall, dont le premier grand succès fut sa collaboration au _Diable +à Paris_, revient aujourd'hui au genre qui lui valut sa réputation, et +il publie sous ce titre la _Comédie de notre temps_, un livre qui sera, +pour la société de 1870 à 1875, ce que le _Diable à Paris_ fut pour le +monde de 1840, avec cette différence qu'ici, dans ce nouvel ouvrage, +Bertall tient à la fois la plume et le crayon. Il est l'auteur et +l'illustrateur d'un certain nombre de chapitres tout parisiens, d'une +curiosité et d'un intérêt absolus, sur les moeurs actuelles, et, je +n'hésite pas à dire que ce livre, qui nous plaira si fort aujourd'hui, +constituera pour l'avenir un véritable monument où l'on puisera des +notes certaines et originales sur la vie morale de notre époque. Bertall +passe en revue toutes les choses et tous les mondes: le vêtement, le +costume, la toilette, les manières, les manies, les types, les +caractères; il étudie les soirées et les bals, les dîners d'apparat, les +banquets, les artistes, les coulisses (celles de la Bourse et celles du +théâtre), les premières représentations, les soupers, les églises, la +Chambre et la politique, le jeu et les joueurs, en un mot tout ce qui +constitue la vie même de ce temps-ci. Quel dommage qu'un observateur +aussi perspicace, doué d'un pareil talent, ne se soit pas trouvé à +chaque époque pour nous léguer la _vérité vraie_ et la _vérité vue_ sur +l'époque qu'il traversait! Les croquis de Debucourt et de Carle Vernet +nous en disent long sur le Directoire, les muscadins et les +_merveilleuses_, mais Debucourt pas plus que Vernet n'avaient, comme eût +dit Musset, _un joli brin de plume_ emmanché dans le crayon. Bertall, du +moins, s'il enlève lestement un croquis du _gommeux_, y ajoute le texte +et les réflexions morales: «Le _gommé_ ou _gommeux_ est l'antithèse du +dégommé. Celui donc qui est bien en vue, qui brille, qui est envié pour +sa toilette, sa position, son genre et son chic, est un _gommeux_.» +Balzac, qui fut le parrain de Bertall, en littérature et en art, eût +applaudi à ces chapitres alertes de la Comédie de notre temps qui +constituent, en somme, la physiologie de la seconde partie du XIXe +siècle: Album, recueil, livre, dit Bertall en parlant de son ouvrage, +quelque nom que l'on veuille bien lui donner, il n'a pas d'ambitions +bien hautes.» Il aurait tort de n'en pas avoir, car, sans prétention, +c'est là l'oeuvre d'un philosophe et d'un satirique qui a beaucoup vu, +beaucoup étudié, très-bien observé, et qui nous donne sous une forme +durable, agréable, charmante, le fruit à point mûri de ses observations. + +La _Comédie de notre temps_ fera doublement honneur à Bertall, et elle +obtiendra un double succès: oeuvre de piquante littérature, elle sera +classée parmi les plus jolies études de moeurs; oeuvre d'art, elle +léguera à l'avenir la physionomie même de ce temps, avec tous ses tics, +toutes ses élégances, toutes ses habitudes, toutes ses séductions et +tous ses ridicules. + +Jules Claretie. + + + +Jeanne d'Arc + +Le succès de _Jeanne d'Arc_, que notre collaborateur M. Savigny avait +signalé dès la première représentation de ce drame lyrique, qui devient +populaire, s'affirme de jour en jour. L'_Illustration_ lui doit les +honneurs d'une gravure et les lui fait bien volontiers, en s'associant à +la vive sympathie du public pour le poète, M. Barbier, et pour le +musicien, M. Gounod. Elle rend aussi le tribut d'éloges dû aux +décorateurs et aux interprètes de cet ouvrage. Elle donne les +principales scènes du drame et dans la décoration du fort et de la +courtine d'Orléans, au-dessous desquels se dessine le pont de la Loire, +et dans cette vue du parvis et de l'église de Reims, et dans cet acte où +s'élève le bûcher qui doit dévorer l'héroïne. Au centre, le dessinateur +a placé le portrait de Mlle Lia-Félix. Bien des rôles ont marqué la +carrière déjà longue de l'éminente artiste. Elevée à cette grande école +du bien dire que Mlle Rachel a formée autour d'elle et dans sa propre +famille, au milieu de ses soeurs dont elle est aussi une des gloires, +Mlle Lia-Félix a fait, dans une série de drames joués depuis tantôt +quinze ans, une foule de créations qui lui ont mérité une légitime +réputation et qui lui ont valu la première place parmi les interprètes +du drame. Jamais le triomphe de Mlle Lia-Félix, même aux jours de la +_Fille du paysan_, n'a été plus vif et plus grand que dans _Jeanne +d'Arc_. Jamais elle n'a déployé des qualités dramatiques aussi +saisissantes. Mlle Lia-Félix a résumé dans ce rôle toute la puissance de +son talent, par l'émotion vraie, le sentiment, la noblesse et l'énergie. +Il y a là comme le souvenir de l'illustre tragédienne, et nous avons cru +la voir revivre surtout dans cette scène finale du drame, dans laquelle +Mlle Rachel n'aurait pas arraché plus de larmes et appelé à elle plus +d'applaudissements. + + + +BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE + +_Les Applications de la physique_, par M. Am. Guillemin.--La librairie +Hachette, à laquelle on doit déjà les beaux volumes de science illustrés +qu'elle a édités depuis plusieurs années avec un véritable dévouement +scientifique: le _Ciel, l'Atmosphère et les grands phénomènes de la +nature, les Voyages aériens, la Terre, le Monde souterrain, les +Phénomènes de la physique_, vient de publier un nouvel ouvrage de M. +Guillemin, qui certainement n'aura pas moins de succès que ses +prédécesseurs. + +Après avoir raconté les phénomènes de la physique, l'auteur vient +aujourd'hui nous en exposer les applications, dans le triple domaine de +l'art, de l'industrie et de la science elle-même. Quel sujet serait plus +fécond que celui-ci? Le monde n'est-il pas véritablement transformé +depuis la découverte des agents qui régissent l'univers? Neuf jours +suffisent aujourd'hui pour traverser l'Atlantique et passer de notre +vieux continent dans le continent découvert, il n'y a pas encore quatre +siècles, par Colomb! Quelques jours suffisent pour traverser l'Europe +entière et parcourir l'Asie! En quelques secondes nous envoyons une +dépêche d'Europe en Amérique et en recevons la réponse! Merveille plus +surprenante encore: Nous écrivons de notre, main un billet de Paris à +Marseille, et 1e fac-similé de notre l'écriture se transporte lui-même +et se reproduit à 864 kilomètres de distance! La lune est à 96,000 +lieues d'ici; nous la rapprochons à 48 lieues pour en étudier les +paysages, et l'on s'occupe actuellement de réaliser en Amérique le +projet de construire le gigantesque télescope qui doit la rapprocher à 3 +lieues. + +Le soleil est éblouissant; après l'avoir pesé et mesuré, on l'éclipse à +volonté pour analyser les gaz qui brûlent autour de lui avec des flammes +de 30,000 lieues de hauteur. + +A la surface de la terre, le microscope nous a révélé l'existence d'un +monde invisible, incomparablement plus peuplé que tout ce que nous +voyons de nos yeux autour de nous. Les nuages s'élèvent des mers et sont +amenés par le veut au-dessus de nos têtes; l'aérostat glorieux les +traverse et nous emporte, palpitants d'émotion et de bonheur, dans le +ciel toujours pur illuminé par le soleil, au-dessus des agitations et +des tourmentes d'ici-bas! Jamais, non jamais, les procès de sorcellerie +du moyen âge ni les routes féeriques de l'Orient enchanté, n'ont rien +imaginé de comparable à la situation scientifique du XIXe siècle, dont +les savants nous gratifient, malgré toutes les sottises politiques, tous +les errements religieux, tous les troubles internationaux qui, +semble-t-il, devraient arrêter la marche du progrès. + +En décrivant les applications de la physique, et en les expliquant par +de nombreux dessins, M. Guilledin a mis en évidence cette situation +scientifique, si éminemment digne de notre attention. Je répéterai ici +les lignes que j'écrivais en souhaitant la bienvenue, il y a neuf ans, +au _Ciel_, du même auteur: «Un vulgarisateur doit être à la fois +littéraire, éloquent et familier pour ceux qui l'écoutent, savant et +fidèle interprète de la science; ceux qui, comme l'auteur de ce livre, +réunissent ces facultés ont droit à l'estime et à la reconnaissance des +amis du progrès.» + +Camille Flammarion. + +Nous nous bornerons à annoncer aujourd'hui les excellents livres de la +Bibliothèque d'éducation et de récréation de la librairie Hetzel; nous +reviendrons à loisir dans notre prochain numéro sur l'ensemble de cette +collection, si justement appréciée des familles.--Quatorze nouveaux +ouvrages signés par _MM. Jules Verne, Viollet-le-Duc, P. J. Stahl, +Lucien Biart, Mayne Reid_, et par M. le capitaine de frégate _Louis du +Temple_, illustrés par nos meilleurs artistes, enrichissent aujourd'hui +le trésor littéraire de l'enfance et de la jeunesse, avec les deux +volumes de l'année 1872 du Magasin d'éducation et de récréation de M. J. +Macé, Stahl et Jules Verne.--Nous renvoyons nos lecteurs et nos +lectrices à l'extrait du catalogne de la Bibliothèque d'éducation et de +récréation que nous donnons à la fin de ce numéro. + +L'_Essai loyal en Espagne_, par MM. Louis Teste et Francis Magnard. (1 +vol. E. Vatou.)--Le 11 février 1873, les Cortès espagnoles ont proclamé +la République. Cette forme de gouvernement s'imposait à la nation, après +l'abdication et le départ du roi Amédée. Quelqu'un avait dit en parlant +de ce règne du prince italien: «La royauté sera un expédient jusqu'à _la +majorité de la République_.» Majeure ou non, en février 1873, la +République était née et elle fut proclamée. D'honnêtes gens, de bons +citoyens, se mirent à l'oeuvre pour fonder le régime nouveau, et nul +d'entre eux, je gage, ne se dissimulait les difficultés de son oeuvre. +Mais ce n'est pas au moment de la tempête qu'on discute la forme du +bateau de sauvetage. Le brave et probe Emilio Castelar essaya de lutter, +et, jusqu'ici, par quelque dures épreuves qu'ait passé l'Espagne, il +faut reconnaître que M. Castelar a fait mieux que des discours. Il a +affirmé sa foi par des actes et risqué un peu sa vie chaque jour, ce qui +constitue déjà un certain avoir. Sans nul doute la République, _l'Essai +loyal_, comme disent les auteurs du présent livre, a vu, en Espagne, de +terribles, d'affreux épisodes; mais, sans compter les anecdotes qu'on +pourrait porter au compte de la monarchie, il faut reconnaître que la +République avait accepté et non créé la situation présente. + +La République n'a pas craint de faiblir devant la tâche qu'Amédée a +refusée. Le hideux spectacle donné par un Santa-Cruz ou par les +_intransigeants_ de Carthagène doit-il faire maudire la République, ce +_génie fatal_, disent les auteurs, et donner raison au mot d'O'Donnell: +«L'Espagne est un bagne en liberté?» Nous estimons que non. J'ajoute que +O'Donnell est sujet à caution. + +Toujours est-il que MM. Teste et Francis Magnard ont voulu +spirituellement railler l'_Essai loyal_ en Espagne, et il faut bien +reconnaître qu'ils y ont réussi. En dehors de toute affaire de parti, la +situation de l'Espagne, on doit l'avouer, est tout à la fois tragique et +comédie. Le drame tourne souvent à l'opérette et l'opérette à la +boucherie, sur cette terre détrempée de sang. Pauvre pays, jadis si +grand et je dirai toujours si grand, car si les mains armées y sont +promptes, les coeurs y sont toujours fiers et les fronts y demeurent +hauts. + +M. Teste, qui avait déjà publié un livre remarquable sur l'Espagne +contemporaine, et M. Bagnard, qui s'était si bien imprégné, dans un +voyage, de la couleur du pays, ont présenté un tableau de l'Espagne +républicaine qui n'est pas sans rapport avec la _Grèce contemporaine_ de +M. About. C'est un pamphlet spirituel, mordant, railleur, où l'_oreiller +de don Nicolas Salmeron_ est mis en scène comme les massacres d'Alcoy, +et,--en faisant la part des tendances du livre,--on ne saurait mieux +peindre et mieux conter. M. Bagnard, dont la plume vive et mordante +aborde avec talent le roman, a donné là à l'histoire le ton de la +chronique armée en guerre. On se plaît au style alors même qu'on se +cabre devant l'opinion politique. Livre à lire, donc, et à garder, car +il est plein d'idées qui appellent la discussion, et de faits, hélas! +qui amènent la réflexion. Que la France jamais ne devienne l'Espagne! + +Le _Repos hebdomadaire_, par M. Julien Hayem. (I vol. in-18, Didier et +Cie.)--Voici, je pense, le premier ouvrage d'un écrivain qui n'est pas +seulement un homme de lettres, mais tut homme d'action, en ce sens que, +non content d'être licencié en droit et licencié ès-lettres, il s'est +fait encore manufacturier, pour suivre le courant du siècle et obéir au +mot d'ordre américain, _Go ahead!_ M. Julien Hayem a mis pour épigraphe +à son livre sur le _Repos hebdomadaire_ une citation de l'_Émile_; «Le +grand secret de l'éducation, dit J. J. Rousseau, est de faire que les +exercices du corps et ceux de l'esprit servent toujours de délassement +les uns aux autres.» L'épigraphe donne, en effet, résume l'esprit du +livre. Il faut du repos à l'homme qui travaille, il faut détendre la +corde de l'arc si l'on ne veut point qu'il se brise. Le repos dominical +n'est pas seulement une habitude, c'est un besoin. M. J. Haye l'a +parfaitement fait sentir en parlant du respect merveilleux qui s'attache +à ce repos hebdomadaire et concluant que le passé de cette institution +répond de son avenir. M. Haye a d'ailleurs le bon sens de ne point +demander que cette fête magistrale du dimanche soit rendue obligatoire. +Les moeurs se chargent toutes seules de faire ce que ne feraient +peut-être pas les décrets. «Qu'on se garde donc, dans l'intérêt du repos +hebdomadaire, de substituer,--dit l'auteur de ce livre,--à des +fondements taillés dans le roc de l'histoire et appuyés sur les besoins +les plus légitimes du corps et de l'esprit humain, la base fragile et +périssable de l'obligation et de la contrainte légales.» + +On voit quel est l'esprit de cette utile monographie. M. Haye, après +avoir recherché les origines historiques du repos hebdomadaire,--qui +remontent au sabbat des Hébreux,--résume l'histoire de la législation de +ce bienheureux septième jour, depuis le IV siècle jusqu'à la Révolution; +il examine ensuite l'utilité du repos dominical pour les ouvriers, les +enfants, les adultes; il se demande enfin par quelles institutions on +pourrait propager l'habitude du repos hebdomadaire et en utiliser +l'emploi. Et toujours, dans ces divers chapitres, l'auteur voit et dit +juste et apporte de vives lumières sur la question en litige. M. Julien +Haye a obtenu, avec ce livre, le prix qu'avait mis au concours, en +1871, l'Académie des sciences morales et politiques. C'est le plus bel +éloge qu'on puisse faire de ce travail solide, très-curieux sur un sujet +spécial, et écrit avec talent, sans phrase et sans recherche, par un +esprit très-pratique et très-libre. + +_Études sur la littérature contemporaine_ (quatre séries), par M. Edmond +Schérer. (4 vol. chez Michel Lévy.)--M. Edmond Schérer s'est fait à la +fois, dans la politique et dans les lettres, une place privilégiée, hors +de discussion et, si je puis dire, en pleine estime. C'est un esprit +net, solide, un peu froid, mais érudit, plein de pensées et ne +sacrifiant rien au faux goût en littérature, à la popularité facile, en +politique. Critique littéraire au journal _le Temps_, il a depuis dix +ans acquis une autorité incontestée dans ce domaine des études +bibliographiques que les rudes événements de ces années dernières ont +fait un peu trop délaisser. M. Schérer a toujours réuni (et il a eu +raison) ses articles de journaux et volumes. On eût regretté de ne point +retrouver, sous une forme plus durable, ces études savantes ou +savoureuses dont on avait fait sa lecture d'un soir. On peut dire de M. +Schérer ce qu'il a écrit de Prévost-Paradol: Il improvise des pages +durables. + +Jules Claretie. + + + +[Illustration: THÉÂTRE DE LA GAÎTÉ.--Mlle Lia-Félix dans _Jeanne +d'Arc_.] + + + +L'HISTOIRE DE FRANCE +Racontée à mes petits enfants + +PAR M. GUIZOT + +L'Histoire de France de M. Guizot en est à son troisième volume. Ce +volume ne le cède en rien aux deux qui l'ont précédé. On y retrouve la +même clarté et la même élégance dans l'exposition des faits. C'est la +même intelligence nette et vive qui en éclaire les points obscurs, le +même esprit ferme qui en dégage la moralité. Il commence avec François +Ier pour finir avec Henri IV. Cette période est l'une des plus +intéressantes et des plus dramatiques de notre histoire nationale. +D'abord c'est du commencement du XVIe siècle que date la Renaissance. +Non que le moyen Age ait été une époque de stérilité et de décadence. Il +a son encyclopédiste, le moine Vincent de Beauvais; ses philosophes, +Gerbert, Abélard, Bernard, Robert de Sorbon; il a ses prosateurs, +Villehardouin, Joinville, Froissart, Commynes. Mais au moment où nous +sommes parvenus, une grande révolution a lieu dans la marche de notre +génie national. Il quitte sa voie propre, originale, pour + +[Illustration: Vincent de Beauvais.] + +s'engager dans celle de l'imitation, où vont le pousser peuples et +princes, également affolés des oeuvres et des gloires des sociétés de la +Grèce et de Rome, remises en honneur. C'est encore à cette époque que +remonte la révolution religieuse opérée par Luther en Allemagne, Zwingle +en Suisse et Calvin à Genève et en France, révolution qui alluma tant de +guerres dans ce dernier pays, et, au nom de Dieu, y fit commettre tant +de crimes. Deux figures se détachent au point culminant de cette lugubre +époque, les héros de la Saint-Barthélemy, Charles IX et Catherine de +Médicis. Que de nobles victimes tombées à côté de l'amiral de Coligny, +dans cette nuit sanglante! On sait que ce n'est qu'en abjurant le +protestantisme que le prince de Condé et celui qui devait être Henri IV +purent sauver leur vie. Mais le Béarnais n'était pas homme à se laisser +lier par cet acte obtenu par la violence. Sous une apparente bonhomie, +c'était un esprit fin, rusé, souple au besoin, peu scrupuleux sur +l'emploi des moyens, et allant avec une invincible ténacité à son but, +qui était la conquête du royaume et de la royauté. Et lorsque parvenu au +pied du trône, il mil à interroger sa conscience pour savoir si elle lui + +[Illustration: Abjuration de Henri IV.] + +permettait d'en escalader les marches, il trouva tout naturellement que +«Paris valait bien une messe». Un de nos dessins se rapporte à cette +seconde abjuration du roi Henri, qui eut lieu le dimanche 25 juillet +1593. Le roi est représenté se rendant en grande pompe à l'église +Saint-Denis. Arrivé avec toute sa suite devant le grand portail, il y +fut reçu par l'archevêque de Bourges, Regnault de Beaune, et tous les +religieux de l'abbaye.--Qui êtes-vous? lui demanda l'archevêque, qui +officiait.--Je suis le roi.--Que demandez-vous?--Je demande à être reçu +dans le giron de l'église catholique, apostolique et romaine.--Le +désirez-vous?--Oui, je le veux et le désire. A cette parole, le roi se +mit à genoux et fit la profession de foi convenue. Tout était fini et +Henri IV, suivant son expression, «avait fait le saut périlleux». Par +cet acte et la trahison de Brissac, le nouveau roi, mis en possession du +trône, eut vite réduit sous son obéissance la Bourgogne, la Picardie et +la Bretagne, qui seules refusaient de se soumettre. Libre désormais de +soucis de ce côté, il travailla alors énergiquement à la restauration de +l'autorité royale, et par diverses mesures: la destruction des +franchises municipales, les rigueurs de la censure royale, +l'asservissement du parlement et la réforme universitaire, il prépara et +rendit possible la monarchie despotique de Richelieu et de Louis XIV. +Seize ans plus tard, passant dans la rue de la Ferronnerie en son +carrosse où il se trouvait avec MM. de Montbazon et d'Epernon, il +tombait frappé de deux coups de couteau par Ravaillac. Malherbe, alors +attaché au service d'Henri IV, a raconté dans une lettre cet abominable +assassinat. «Tout aussitôt, écrit-il, le carrosse tourna vers le Louvre. +Le roi fut porté en haut par M. de Montbazon, le comte de Curzon en +Quercy et mis sur le lit de son cabinet, et sur les deux heures porté +sur le lit de sa chambre, où il fut tout le lendemain et le dimanche. Un +chacun allait lui donner de l'eau bénite. Je ne vous dis rien des pleurs +de la reine; cela se doit imaginer. Pour le peuple de Paris, je crois +qu'il ne pleura jamais tant qu'à cette occasion.» Tels sont les +événements retracés dans le troisième volume de l'_Histoire de France_ +de M. Guizot. Nous avons dit combien attachante en est la lecture; nous +n'y reviendrons pas. Ajoutons que ce volume qui, on le sait, sort de la +librairie Hachette, est magnifiquement illustré de soixante-quatorze +gravures dessinées sur bois par M. de Neuville. + +[Illustration: Abélard.] + +[Illustration: Charles IX et Catherine de Médicis. Gravures extraites de +l'_Histoire de France racontée à mes petits-enfants_, par M. Guizot. +(Hachette et Cie, éditeurs.)] + + + +UN VOYAGE EN ESPAGNE +PENDANT L INSURRECTION CARLISTE + +VI + +Nomination des quatre généraux pour commander l'armée carliste: Ellio, +Dorregaray, Lissarraga et de Valdespina.--Entrée de don Carlos en +Espagne.--Appel aux armes.--Le château de la duchesse de M***.--Le +journalisme espagnol.--Succès remportés par les carlistes.--Situation +actuelle.--Comment pourra se terminer ta guerre civile; solution +probable. + +C'est vers le courant du mois de juin, alors que les bandes nombreuses +disséminées en Biscaye, dans le Guipuzcoa et la Navarre, avaient étendu +partout leurs opérations, que la junte de guerre, qui venait de réaliser +un nouvel emprunt en Angleterre, jugea à propos de les former en trois +corps d'armée placés sous les commandements de Dorregaray, Lissarraga et +de Valdespina. Je dois constater que ce fut la première organisation +sérieuse qui ait été faite de l'insurrection carliste. Le général Ellio +fut placé, en qualité de major-général, à la tête de ces trois corps +d'armée. + +Un mot sur ces quatre chefs. + +Ellio est un vieux général bien connu, qui a fait ses preuves pendant la +guerre de Sept ans. Ami et compagnon de Cabrera et de Zumalacarregui, il +a été un des plus braves adversaires du général Espartero, commandant en +chef des troupes de la reine Christine, et l'a battu dans plusieurs +rencontres, notamment à la bataille livrée aux environs de Vitoria. +Pendant sept ans, à la tête des bandes navarraises, il a parcouru toutes +les provinces du Nord, franchi l'Ebre et fait trembler la régente jusque +sur son trône. Il connaît donc tout le pays envahi encore aujourd'hui +par les carlistes, et nul ne peut mieux que lui savoir tirer un bon +parti de sa topographie. Aussi, les mouvements stratégiques que les +troupes carlistes effectuent en ce moment s'exécutent-ils d'après le +plan qu'il a tracé lui-même. Ellio est donc, à l'heure qu'il est, l'âme +et l'inspirateur de l'insurrection carliste. + +Dorregaray, que don Carlos a investi du commandement de la Navarre, est +un officier très-distingué, d'origine basque, et connaissant, lui aussi, +parfaitement la carte du pays, théâtre actuel de la guerre civile. Il +l'a prouvé, au reste, d'une manière incontestable, à la bataille +d'Eraül, où en faisant mouvoir savamment ses troupes à travers les +montagnes, il parvint à couper la brigade de Novarro de celle de +Cabrinetti; ce qui décida de la bataille qu'il gagna. On sait que la +bataille d'Eraül passe, à juste titre, pour un des plus beaux faits +d'armes de l'insurrection actuelle. + +Lissarraga est un ancien lieutenant-colonel de l'armée régulière, sous +le règne d'Isabelle II. Après la révolution de septembre 1868, qui +détrôna cette reine, il embrassa le parti de don Carlos. Nommé au +commandement de la Biscaye, il a su concentrer habilement les bandes +qui, disséminées sur divers points, opéraient sans ordre et sans but +déterminé d'avance. Il en forma un corps d'armée qui a fait, pendant +plus d'un mois, le blocus de Bilbao, un instant sur le point de tomber +au pouvoir des carlistes. + +Quant au marquis de Valdespina, un des plus riches propriétaires du +Guipuzcoa et dont le château, situé aux environs de Loyola, passe à bon +droit pour une merveille d'architecture; il est très-aimé dans la +contrée. Distingué par la noblesse de son caractère, la sincérité de ses +convictions royalistes, sa bravoure et sa loyauté, de Valdespina jouit +de l'estime de tous les habitants des quatre provinces, même de celle de +ses adversaires politiques. La meilleure preuve qu'on puisse en donner, +c'est le respect qu'ont eu les libéraux et les troupes régulières pour +son château qui, quoique placé au centre de l'insurrection, et par +conséquent du mouvement des brigades républicaines, n'a éprouvé, de leur +part, aucun dégât. J'ajouterai, en outre, qu'il est un des chefs les +plus actifs et celui qui exerce le plus d'influence sur l'esprit des +populations des provinces insurgées. + +Ces quatre chefs, qui connaissent la contrée et ses montagnes dans tous +leurs recoins, ont une grande supériorité de stratégie sur les généraux +du gouvernement, dont la plupart n'ont pas la moindre notion +géographique du terrain sur lequel ils font mouvoir leurs troupes. Ce +qui explique combien il sera difficile à la république de Castelar, en +supposant même qu'elle puisse disposer de forces suffisantes, d'étouffer +l'insurrection. J'estime donc que, dans le cas où elle ne triompherait +pas, l'insurrection peut durer encore bien des années. + +Un mois après les opérations vigoureuses entreprises par ces quatre +commandants, la situation du parti carliste parut être si florissante +que les chefs de l'insurrection crurent pouvoir engager don Carlos, qui +habitait toujours le château de Peyrolhade, de venir se mettre à la tête +des «troupes libératrices de l'Espagne». En conséquence, le 18 du mois +de juillet dernier, le prétendant, escorté d'un brillant état-major, +partit du camp de _Pena-Plata_, franchit la frontière et se rendit à +Vera, où il fut reçu avec le plus grand enthousiasme de la part des +populations et de ses troupes accourues sur son passage. Les cloches des +églises sonnèrent à toute volée et les curés des paroisses que +traversait le cortège vinrent processionnellement lui présenter leurs +hommages. Jamais aucun souverain de l'Espagne n'avait été accueilli avec +autant de démonstrations sympathiques. + +Cette entrée triomphale et inattendue de don Carlos sur le territoire +espagnol surprit le gouvernement de Madrid, qui ne s'attendait pas à le +voir de sitôt se mettre à la tête des troupes insurrectionnelles. On +avait répandu tant de faux bruits sur le compte du prétendant, que les +uns faisaient voyager à l'étranger et dont les autres avaient annoncé +tant de fois la mort, qu'il était bien permis à Figueras, chef du +pouvoir exécutif, d'avoir été pris au dépourvu par cette audacieuse +entreprise. Mais ce qui déconcerta le plus les membres du gouvernement +républicain, c'est que don Carlos faisait coïncider précisément son +entrée sur le territoire espagnol avec les insurrections +internationalistes, fédérales, cantonales et autres qui agitaient +Barcelone, Cadix, Carthagène, Grenade, Séville, et les principales +villes du Midi et du Centre de la Péninsule. + +J'étais à Pampelune lorsque la nouvelle de l'entrée du roi en Espagne se +répandit dans le public. Dans cette ville, entièrement carliste, elle +fut accueillie avec des transports d'allégresse par tous les habitants +qui manifestaient ouvertement la joie et la satisfaction qu'elle leur +faisait éprouver. On l'avait affichée sur tous les murs de la ville +d'une manière tellement ostensible, qu'on n'aurait jamais cru se trouver +dans une cité soumise au régime républicain. Pour ma part, j'en fus +étrangement surpris, quoique habitué, depuis longtemps, aux bizarreries +et aux contradictions du caractère espagnol en matière politique. Il est +à remarquer que Pampelune, capitale de la Navarre, est une place forte +de première classe, possédant une population d'environ seize mille +habitants et une garnison ordinairement assez nombreuse. Celle-ci, dont +l'effectif s'élevait à cinq ou six mille hommes de toutes armes, parut +rester complètement indifférente à toutes ces manifestations politiques. + +Tandis que don Carlos s'avançait ainsi dans l'intérieur de la Navarre, à +la tête de son état-major, et qu'il allait établir son quartier général +à San-Estaban, ses émissaires faisaient publier par les _alcaldes_ +(maires) et placarder dans les villages et les localités importantes +l'ordonnance suivante, qui n'est autre qu'un appel aux armes, dont je +reproduis la traduction comme étant à la fois un document et une +curiosité historiques. + +«Ordonnance de Sa Majesté le roi Carlos _settimo_, que Dieu garde! + +«Mes fidèles et aimés sujets des provinces de la Navarre, du Guipuzcoa, +de la Biscaye et de l'Alava, je vous ordonne par la présente patente de +prendre les armes et de marcher à la défense de mes droits sacrés, qui +sont aussi les vôtres, afin de reconquérir _vos fueros_, vos privilèges +et toutes vos immunités que vous ont octroyés mes ancêtres et que les +gouvernements usurpateurs vous ont ravis. + +«Sur le vu de la présente, scellée de mon sceau royal, tout Basque âgé +de vingt à quarante ans s'enrôlera sous ma noble bannière. Il obéira aux +ordres des braves et vaillants _cabecillos_ que j'ai investis de mon +autorité. Des armes et des munitions seront fournies à tous. Avec l'aide +de Dieu et le secours de mon épée, nous triompherons des usurpateurs et +nous rétablirons le trône de mon auguste aïeul Philippe V. Que mes +fidèles sujets des quatre provinces restées attachées à ma cause se le +tiennent pour dit!--MOI, _le roi Carlos settimo_.» + +Un exemplaire de cette ordonnance me fut donné, le lendemain même de sa +publication, dans un des principaux cercles de Pampelune, où elle +circulait de main en main. On se la communiquait sur la place de la +Constitution, dans les promenades, et jusque sur les marchés publics, +comme s'il se fût agi d'un acte officiel du gouvernement établi; avec +plus d'empressement encore, car les actes officiels de ce dernier +étaient loin de recevoir de la part des Pampelunais un accueil aussi +empressé. + +J'avais fait connaissance, pendant le peu de temps que je séjournai dans +la capitale de la Navarre, de deux jeunes gens fort distingués qui +avaient fait leurs études à Paris, fils d'un magistrat du tribunal +supérieur de la ville. Quel ne fut pas mon étonnement, lorsque, le +lendemain de la publication de la susdite ordonnance, les deux frères +vinrent me trouver à l'hôtel pour me faire leurs adieux. + +--Où allez-vous donc? leur dis-je, étonné de leur départ précipité, dont +ils ne m'avaient rien dit la veille. + +--Nous allons rejoindre l'armée du roi, me dit l'aîné, à peine âgé de +vingt et un ans; voyez l'ordre qui nous enjoint de partir, ajouta-t-il +en me montrant la fameuse ordonnance dont j'avais un exemplaire entre +les mains. + +--Comment, lui dis-je, vous allez quitter votre famille, vous séparer de +votre digne père qui vous adore, pour aller affronter à travers les +montagnes les hasards de la guerre de partisans? Ce n'est pas possible. +Le premier de vos devoirs, ce me semble, est de rester auprès de vos +parents; c'est, au surplus, le conseil que je vous donne en véritable +ami. + +--Le roi a parlé, me répondit-il gravement, nous n'avons plus à hésiter. +Notre valise est prête, et dans une heure nous serons sur la route qui +conduit au quartier général de Sa Majesté, Adieu et au revoir! + +Et les deux frères me quittèrent pleins de cette foi ou de ce fanatisme +politiques qui animaient les peuples du temps des croisades, et dont les +Basques et les Navarrais semblent avoir conservé, seuls, la tradition. +Quinze jours après leur départ, le plus jeune tomba mortellement blessé +à l'attaque de Tolosa, et l'aîné a été tué, il y a quelques jours, au +siège d'Estella, soutenu contre les troupes de Moriones, qui furent +forcées d'abandonner leurs positions. + +H. Castillon (d'Aspet). + +(La suite prochainement.) + + + +LA COMÉDIE DE NOTRE TEMPS, PAR BERTALL + +[Illustration: Démarche du commandant de table d'hôte.] + +[Illustration: Démarche du Parisien boulevardier.] + +[Illustration: Démarche du campagnard habitué à marcher dans les terres +labourées.] + +[Illustration: Démarche du faubourien.] + +[Illustration: Salut jovial.] + +[Illustration: Salut à une dame qui reçoit beaucoup, en lui demandant la +permission de la conduire au buffet.] + +[Illustration: Salut gourmé.] + +[Illustration: HOMME D'AFFAIRES. Pose zéro et retient tout.] + +[Illustration: HOMME DE BOURSE. +LA CONNAISSANCE DES COURS +A 52 et demi, j'ai 90 mille de rente, dont 2 sous pour demain.] + +[Illustration: Coupe de cheveux et barbe du gommeux (petite gommé).] + +[Illustration: Le baron, préfet. Mûr pour la diplomatie.] + +[Illustration: Si vous avez un service ou un appui à refuser au fils +d'un ancien ami.] + +[Illustration: Si vous avez un service ou un appui à demander à un vieil +ami de votre famille.] + +[Illustration: En famille.] + +[Illustration: Salut du petit crevé.] + +[Illustration: Salut au maître de la maison.] + +[Illustration: Salut protecteur.] + +[Illustration: Rationalisme.] + +[Illustration: Attitude de l'officier de cavalerie ou du paysagiste.] + +[Illustration: Le corset du commandant.] + +[Illustration: Madame.] + +[Illustration: Jeanneton.] + +[Illustration: Mademoiselle.] + +[Illustration: En retraite.] + +[Illustration: Comme on s'assoit quand on reçoit use visite sans +conséquence.] + +[Illustration: Comme on s'assied quand on est mariée nouvellement, et +qu'on va voir une vieille dame influente.] + +[Illustration: LA DECLARATION DU VICOMTE. +Au cotillon. +Mademoiselle, sous cet abri qui vous cachera ma rougeur et mon émotion, +laissez-moi vous dire que je vous aime; être votre époux serait le titre +le plus cher à mon coeur!] + +[Illustration:--M. le régisseur vient de me dire que tu ne travaillais +pas assez tes rôles, mais que tu avais du ballon. Ça flatte toujours une +mère.] + +[Illustration:--Tu me le remettras dans ma poche.] + +[Illustration: Moralité.] + +Gravures extraites de la _Comédie de notre temps_, 1 beau volume +richement illustré. (E. Plon, imprimeur-éditeur.) + + + +LE DROMADAIRE + +On connaît deux espèces de chameaux, l'une africaine, le dromadaire, +l'autre asiatique, le chameau à deux bosses ou de la Bactriane. C'est +seulement de la première espèce que nous voulons dire quelques mots. + +Le dromadaire est l'animal le plus utile qu'il y ait en Afrique. C'est +un ruminant de grande taille, dont les variétés sont nombreuses. En +effet, entre un _bischarin_, c'est-à-dire un chameau élevé par les +nomades Bischarins, et le chameau de somme d'Égypte, il y a autant de +différence qu'entre un cheval arabe et un cheval de trait. Tous, ou peu +s'en faut, ils n'en sont pas moins également laids. Leurs poils sont +laineux et inégaux ils ont des callosités à la poitrine, aux coudes, aux +genoux et aux chevilles; leur tête surfont est affreuse. + +Le chameau est un véritable animal du désert, que peuvent, grâce à lui +seulement, traverser les caravanes qui vont commercer au sud, à l'est et +à l'ouest. Il ne se trouve que dans les endroits les plus secs et les +plus chauds. + +Dans les lieux cultivés il perd sa véritable essence. Il est très-sobre, +a une nourriture exclusivement végétale et n'est nullement difficile +pour ses aliments. On sait qu'il peut rester longtemps sans boire, mais +non quinze à vingt jours, comme d'aucuns le prétendent. Au bout de six à +huit jours, il est urgent de lui présenter de l'eau. A voir un chameau +au repos, on ne croirait pas qu'il puisse; rivaliser de vitesse avec le +cheval. Et cependant rien n'est plus vrai. Les chameaux des steppes et +du désert sont les plus rapides à la course; ils parcourent d'une traite +un espace considérable aussi facilement que nul autre animal domestique. + +[Illustration: Le dromadaire.--Caravane dans le désert. Gravure extraite +de la _Vie des Animaux illustrés_. (J.-B. Baillière, éditeur)] + +S'il a quelques qualités, en revanche le chameau compte de nombreux +défauts, parmi lesquels la paresse, la stupidité, une mauvaise humeur +continuelle, l'entêtement et l'obstination, la haine ou l'indifférence +vis-à-vis de son gardien. Ajoutons qu'il répand une odeur infecte, et +que son cri est épouvantable. + +Le prix d'un chameau varie suivant les localités. Un excellent bischarin +vaut de 300 à 450 francs de notre monnaie. Un chameau de somme ordinaire +se paye rarement plus de 110 francs. D'après nos idées, ces prix +seraient très-bas; mais dans le Soudan, où l'argent a une très-grande +valeur, ce sont de fortes sommes. Pour 90 francs, on peut acheter un +jeune chameau, ou un chameau de qualité inférieure. Presque partout, le +prix d'un chameau est le même que celui d'un âne; dans le Soudan, un bon +âne vaut plus que le meilleur des chameaux. + +Les détails qui précèdent, ainsi que le dessin que nous donnons, sont +extraits du très-intéressant et très-curieux ouvrage que publie la +librairie J.-B. Baillière: _La vie des Animaux illustrés_ ou description +populaire du règne animal, composé de plusieurs séries et de plusieurs +volumes grand in-8º colombier, illustrés de 800 figures dans le texte et +de 40 planches tirées hors texte sur papier teinté. + + + +[Illustration: L'asile de l'École de filles de Dugny.-(Voy. page 386.)] + + + +Rébus + +[Illustration: Nouveau rébus.] + +EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS: + +Ne crois point aveuglément les articles des journaux. + + + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of L'Illustration, No. 1607, 13 décembre +1873, by Various + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 1607, 13 D‚CEMBRE 1873 *** + +***** This file should be named 44141-8.txt or 44141-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/4/4/1/4/44141/ + +Produced by Rénald Lévesque + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at http://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact +information can be found at the Foundation's web site and official +page at http://pglaf.org + +For additional contact information: + Dr. Gregory B. Newby + Chief Executive and Director + gbnewby@pglaf.org + + +Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation + +Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide +spread public support and donations to carry out its mission of +increasing the number of public domain and licensed works that can be +freely distributed in machine readable form accessible by the widest +array of equipment including outdated equipment. Many small donations +($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt +status with the IRS. + +The Foundation is committed to complying with the laws regulating +charities and charitable donations in all 50 states of the United +States. Compliance requirements are not uniform and it takes a +considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up +with these requirements. We do not solicit donations in locations +where we have not received written confirmation of compliance. To +SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any +particular state visit http://pglaf.org + +While we cannot and do not solicit contributions from states where we +have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition +against accepting unsolicited donations from donors in such states who +approach us with offers to donate. + +International donations are gratefully accepted, but we cannot make +any statements concerning tax treatment of donations received from +outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. + +Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation +methods and addresses. Donations are accepted in a number of other +ways including checks, online payments and credit card donations. +To donate, please visit: http://pglaf.org/donate + + +Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic +works. + +Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm +concept of a library of electronic works that could be freely shared +with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project +Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. + + +Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed +editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. +unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + http://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. diff --git a/old/44141-8.zip b/old/44141-8.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..94d406f --- /dev/null +++ b/old/44141-8.zip diff --git a/old/44141-h.zip b/old/44141-h.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..b01884f --- /dev/null +++ b/old/44141-h.zip diff --git a/old/44141-h/44141-h.htm b/old/44141-h/44141-h.htm new file mode 100644 index 0000000..7fdb129 --- /dev/null +++ b/old/44141-h/44141-h.htm @@ -0,0 +1,2348 @@ +<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD HTML 4.01 Transitional//EN"> +<html> +<head> + <meta http-equiv="content-type" content="text/html; charset=ISO-8859-1"> + <title>The Project Gutenberg eBook of L'illustration, No. 1607, 13 DÉCEMBRE 1873, by Various</title> + +<link rel="coverpage" href="images/cover.jpg"> + +<style type="text/css"> + + +body {margin-left: 10%; margin-right: 10%} + +h1,h2,h3,h4,h5,h6 {text-align: center;} +p {text-align: justify; font-size: 12pt} +blockquote {text-align: justify} + +hr {width: 50%; text-align: center} +hr.full {width: 100%} +hr.short {width: 10%; text-align: center} + +.note {font-size: 0.8em; margin-left: 10%; margin-right: 10%} +.footnote {font-size: 0.8em; margin-left: 10%; margin-right: 10%} +.side {padding-left: 10px; font-weight: bold; font-size: 75%; + float: right; margin-left: 10px; border-left: thin dashed; width: 80px; text-indent: 0px; font-style: italic; text-align: left} + +.sc {font-variant: small-caps} +.lef {float: left} +.mid {text-align: center} +.rig {float: right} +.sml {font-size: 10pt} +.large { font-family: sans-serif; font-size:12pt;} +.overl {font-size: 10pt; text-decoration: overline; text-align: center} +.cont {width: 650px} +.somm {float: left; width: 300px; font-size: 10pt; padding: 1em} +.suppl {color: #5A5047; background-color: #EEE2CA } + + +span.pagenum {font-size: 70%; left: 91%; right: 1%; position: absolute} +span.linenum {font-size: 70%; right: 91%; left: 1%; position: absolute} + +.poem {margin-bottom: 1em; margin-left: 10%; margin-right: 10%; + text-align: left} +.poem .stanza {margin: 1em 0em} +.poem .stanza.i {margin: 1em 0em; font-style: italic;} +.poem p {padding-left: 3em; margin: 0px; text-indent: -3em} +.poem p.i2 {margin-left: 1em} +.poem p.i4 {margin-left: 2em} +.poem p.i6 {margin-left: 3em} +.poem p.i8 {margin-left: 4em} +.poem p.i10 {margin-left: 5em} +.poem p.i12 {margin-left: 6em} +.poem p.i14 {margin-left: 7em} +.poem p.i16 {margin-left: 8em} +.poem p.i18 {margin-left: 9em} +.poem p.i20 {margin-left: 10em} +.poem p.i30 {margin-left: 15em} + + + +</style> +</head> +<body> + + +<pre> + +Project Gutenberg's L'Illustration, No. 1607, 13 décembre 1873, by Various + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org/license + + +Title: L'Illustration, No. 1607, 13 décembre 1873 + +Author: Various + +Release Date: November 10, 2013 [EBook #44141] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 1607, 13 DÉCEMBRE 1873 *** + + + + +Produced by Rénald Lévesque + + + + + +</pre> + + + + +<br><br> + +<div class="cont"> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/001.png"><br></p> + +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="1" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="nil"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 33%;"> +<p class="mid">REDACTION, ADMINISTRATION, BUREAUX D'ABONNEMENTS<br> +22, rue de Verneuil, Paris</p> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 34%;"> +<p class="mid">31e Année.--VOL. LXII.--Nº 1607<br> +<span class="large">SAMEDI 13 DÉCEMBRE 1873</span></p> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 33%;"> +<p class="mid">SUCCURSALE POUR LA VENTE AU DÉTAIL +60, rue de Richelieu, Paris</p> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="1" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="nil"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 50%;"> +<p class="mid"><b>Prix du numéro 75 centimes</b><br> +<span class="sml">La collection mensuelle, 3 fr.; le vol. +semestriel, broché, 18 fr.; relié et doré sur tranches, 23 fr.</span></p> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 50%;"> +<p class="mid"><b>Abonnements</b><br> +<span class="sml">Paris et départements: 3 mois, 9 fr.;--6 mois, 18 fr.;--un +an, 36 fr.; Étranger, le port en sus.</span></p> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + +<p class="mid"><span class="sml">Les demandes d'abonnements doivent être accompagnées d'un mandat-poste +ou d'une valeur à vue sur Paris à l'ordre de M. Auguste Marc, +directeur-gérant.</span></p> + +<br> + +<h2>SOMMAIRE</h2> + +<p><i>Texte</i>: Histoire de la semaine.--Courrier de Paris, par M. Philibert +Audebrand. -- La Sœur perdue, une histoire du Gran Chaco (suite), par M. +Mayne Reid. -- Nos gravures. -- Bulletin bibliographique. -- <i>L'Histoire de +France racontée à mes petits enfants</i>, par M. Guizot. -- Un voyage en +Espagne pendant l'insurrection carliste (VI). -- <i>La Comédie de notre +temps</i>, par Bertall. -- Le dromadaire.</p> + +<p><i>Gravures</i>: Procès du maréchal Bazaine (6 gravures), -- Événements de Cuba; +capture du <i>Virginius</i> par le <i>Tornado</i> dans les eaux de la +Jamaïque. -- Le monument commémoratif de la bataille de Champigny, +inauguré le 2 décembre 1873. -- Le naufrage de la <i>Ville-du-Havre</i>: la +dernière minute. -- Théâtre de la Gaîté: Mlle Lia-Félix dans <i>Jeanne +d'Arc. -- L'Histoire de France racontée à mes petits enfants</i> (4 +gravures). -- <i>La Comédie de notre temps</i>, par Bertall (39 sujets). -- Le +dromadaire: caravane dans le désert. -- L'asile de l'École de filles de +Dugny -- Rébus.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/001a.png"><br><b>PROCÈS DU MARÉCHAL BAZAINE.--La Buvette à Trianon.</b></p> +<br><br> +<h2>HISTOIRE DE LA SEMAINE</h2> + +<h3>FRANCE</h3> + +<p>La semaine parlementaire a été relativement calme; l'Assemblée est enfin +parvenue, dans la huitième séance consacrée au même scrutin, à compléter +la commission des Trente chargée de l'élaboration des lois +constitutionnelles par l'élection de deux membres du centre gauche. La +commission est entrée en fonctions dès le lendemain; elle a choisi pour +président M. Batbie, et a rempli sa première séance par une discussion +préliminaire relative à la publicité de ses travaux; il a été décidé que +la presse ne recevrait pas de comptes rendus officiels des séances, mais +que chacun des membres de la commission serait libre de faire aux +journaux, sous sa propre responsabilité, les communications qui lui +paraîtraient convenables.</p> + +<p>L'Assemblée a ensuite jugé que le moment était enfin venu de s'occuper +de questions d'affaires; elle a successivement voté, en troisième +lecture, un projet de loi tendant à réunir, dans les bureaux +secondaires, le service des postes à celui des télégraphes; cette mesure +n'est qu'un acheminement vers la fusion complète des deux +administrations, fusion existant depuis quelque temps en Angleterre et +qui ne tardera pas, il faut l'espérer, à s'opérer définitivement dans +notre pays, car elle présente des avantages de toutes sortes. Puis, +après une délibération en deuxième lecture sur une proposition de M. de +Corcelles, relative à la composition des conseils académiques, +l'Assemblée a abordé la discussion du budget. Ce n'est pas la première +fois que nous ayons à constater le peu de goût de la Chambre pour les +discussions d'affaires en général, et en particulier pour cette loi de +finances dont le vote annuel constitue cependant la plus importante des +prérogatives parlementaires. +</p><p> +Tandis que le plus mince incident politique est souvent le point de +départ des séances les plus orageuses, nous voyons une indifférence +vraiment regrettable accueillir l'exposé des besoins financiers de +l'État et des moyens proposés pour y subvenir. Des chapitres entiers, +comprenant des centaines de millions, sont volés au milieu de +l'inattention et de la lassitude générales, et si parfois une +observation se produit, c'est bien rarement une préoccupation d'ordre +économique qui l'a dictée. Mentionnons, à ce propos, la question +adressée par MM. Pelletan et Gambetta à l'occasion du budget des +affaires étrangères, et qui a failli prendre les proportions d'un gros +incident. Les deux membres de la gauche réclamaient la publication du +<i>Livre jaune</i>, interrompue, pour des motifs faciles à comprendre, +pendant le cours de l'occupation étrangère, mais redevenue possible +maintenant que la publicité des archives diplomatiques n'offre plus les +mêmes inconvénients. M. le duc Decazes avait, paraît-il, mal compris +l'observation, et peu s'en est fallu qu'il ne posât la question de +cabinet; mais le malentendu n'a pas tardé à se dissiper et l'incident +s'est terminé par la promesse de publication du <i>Livre jaune</i> dans un +délai de quinze jours. +</p><h3> +ALLEMAGNE. +</h3><p> +La campagne entreprise par le gouvernement allemand contre le clergé +catholique devient chaque jour plus difficile; l'opiniâtreté du cabinet +prussien n'a d'égale que la résistance énergique des catholiques. +</p><p> +D'après la Preussische, Volksblatt, organe officieux de l'administration +l'agitation religieuse a tellement gagné les populations des petites +villes et de la campagne, que l'on commence à avoir des appréhensions +sérieuses. On s'efforce, dit ce journal, de réveiller les souvenirs des +anciennes guerres religieuses. Des agents secrets parcourent le pays +sous mille déguisements pour enflammer le fanatisme catholique; +l'exaltation des femmes, principalement, est arrivée à son paroxysme. Le +gouvernement use vainement de tous les moyens de rigueur que les lois +récemment votées, en mai 1873, ont mis à sa disposition; mais il se +heurte contre d'inflexibles résistances. Il a interdit la publication de +la dernière encyclique du Pape en date du 21 novembre, dont nous avons +donné l'analyse et saisi le <i>Cœlnische Zeitung</i> au moment où elle +livrait ce document à l'impression, mesure contre laquelle M. Virchow a +protesté dans le Landtag. Les journaux ultramontains se sont vengés en +imprimant une bulle du mois d'avril dernier, qui frappe d'interdit +toutes les églises où se célébrerait le service du vieux-catholicisme. A +Schœnberg, en Silésie, l'autorité prussienne, qui avait interdit le +curé, voulut faire fermer l'église. Mais, selon le <i>Vaterland</i>, de +Munich, la population a trouvé un moyen ingénieux de contrecarrer les +intentions de la police: elle a enlevé la porte et arraché les gonds, de +sorte que, quand les agents sont arrivés, il leur a été impossible +d'apposer les scellés. On voit à quels incidents de tout ordre ce +conflit donne lieu. Le Parlement lui-même en ressent le contre-coup. +Ainsi le Landtag vient d'adopter, par 351 voix contre 6, une proposition +des ultramontains portant suppression du timbre sur journaux et +almanachs. Le ministère la combattait en objectant que l'on doit +présenter au prochain Reichstag la loi sur la presse dont il a été +question l'année dernière, et dont les dispositions ont soulevé les plus +vives réclamations. Encouragés par ce succès, les ultramontains ont +déposé une motion plus hardie, tendante à l'abrogation des lois +ecclésiastiques votées au mois de mai dernier; ils comptent sur une +grande majorité au prochain Reichstag qui doit être élu le 10 janvier +1874, et où l'Alsace-Lorraine sera représentée pour la première fois. II +se pourrait que Mgr Ledochowski, archevêque de Posen, fût l'un des +candidats élus. Cet énergique prélat a refusé de donner sa démission. +Pour se débarrasser de lui, on songerait, dit-on, à compléter les lois +susdites en autorisant le gouvernement à expulser les prêtres suspendus +de leurs fonctions par la cour civile ecclésiastique. Mais, pour couvrir +Mgr Ledochowski de l'immunité parlementaire, ses fidèles partisans se +proposent de le faire élire, à Schrimm, comme député au Reichstag. La +lutte, on le voit, ne saurait être plus sérieusement engagée, et des +deux côtés elle est poussée avec un égal acharnement. +</p><h3> +ÉTATS-UNIS. +</h3><p> +Le Message présidentiel a été lu le 2 décembre au Congrès. Il constate +que la réduction de la dette accomplie durant l'année, au moyen de +l'excédant des recettes, s'est élevée à 43 millions de dollars, ce qui +porte l'amortissement total de la dette à 300 millions de dollars. +</p><p> +Le Message recommande de restreindre les privilèges des banques relatifs +aux avances sur dépôts. Il déclare que, tant que les payements en +espèces ne seront pas repris, le marché aura des moments difficiles. Il +demande instamment au Congrès d'étudier la question de la circulation en +vue de la reprise des payements en espèces, lesquels permettraient aux +banques d'user de leurs réserves pour régler le taux des intérêts et +augmenter la circulation dans les moments critiques. +</p><p> +Le Message constate ensuite l'amélioration du commerce étranger, qui +aidera à la reprise des payements en espèces. +</p><p> +A propos du <i>Virginius</i>, le Message dit que la capture en pleine mer +d'un bâtiment portant pavillon américain menaçait d'avoir de plus +sérieuses conséquences, et qu'elle a agité l'opinion publique dans toute +l'Amérique. +</p><p> +Plusieurs passagers qui étaient citoyens américains ont été fusillés +sans procédure régulière. Selon le principe établi, les bâtiments +américains en pleine mer et en temps de paix sont, sous la juridiction +de leur pays. +</p><p> +Toute vexation subie de la part des étrangers est un attentat à la +souveraineté des Etats-Unis, qui, se basant sur ce principe, ont demandé +à l'Espagne de rendre le <i>Virginius</i> et les survivants de l'équipage, de +faire réparation au drapeau américain et de punir les autorités +coupables. +</p><p> +Le <i>Virginius</i> avait des papiers en règle et le pavillon américain. +</p><p> +L'Espagne a tout accordé. +</p><p> +Le Message déclare, en terminant, que l'esclavage est la cause du +malheureux état de Cuba. Il demande au Congrès d'exprimer le vœu que +l'esclavage disparaisse de Cuba, car c'est le seul moyen de rendre +possibles les bonnes relations entre l'Amérique et Cuba. Le gouvernement +américain n'est pas hostile à l'Espagne, mais l'affaire du <i>Virginius</i> a +produit une indignation telle, que le Président a dû placer la marine +sur le pied de guerre. +</p><p> +Cette affaire est présentement en voie d'arrangement satisfaisant et +honorable pour les deux pays. +</p><p> +Le Message constate que les relations de l'Amérique avec les autres pays +sont amicales. L'indemnité de l'affaire de l'<i>Alabama</i> a été appliquée +au rachat des obligations 5.20 jusqu'à concurrence de 15 millions +500,000 dollars. +</p><p> +Le Président reconnaît les éminents services rendus par les commissaires +du tribunal de Genève. Il recommande la création d'une Cour spéciale +composée de trois juges, pour entendre les plaintes des puissances +étrangères contre les Etats-Unis. Le Président rappelle qu'il a reconnu +le gouvernement espagnol et le félicite d'avoir émancipé les esclaves de +Porto-Rico et restitué les propriétés américaines séquestrées à Cuba. +L'esclavage règne encore à Cuba, protégé par un parti puissant, en +hostilité ouverte contre le gouvernement de Madrid et plus dangereux que +les insurgés. Dans l'intérêt de l'humanité, l'influence de ce parti doit +être détruite. +</p><p> +L'affaire du <i>Virginius</i> pourrait bien se compliquer prochainement de +l'intervention de l'Angleterre, si toutefois le gouvernement de ce pays +ne consultait que l'opinion publique et en suivait docilement +l'impulsion. Une Note adressée au Foreign-Office par M. Crawford, consul +général de la Grande-Bretagne à la Havane, et communiquée aux journaux, +a inspiré au <i>Times</i> un article d'une grande violence et où éclate une +vive indignation. Cette Note contient la liste des victimes de +nationalité anglaise exécutées à Santiago: on y trouve le second du +navire, un aide-mécanicien, trois chauffeurs, six aides pour le +transport du charbon, deux maîtres d'hôtel et trois matelots. Ce sont de +pareils gens employés au service du bâtiment qui ont été assimilés à des +insurgés pris les armes à la main et fusillés sans aucune forme de +procès. Jamais les lois humaines n'ont été plus cruellement violées. On +peut donc s'attendre à voir le gouvernement anglais élever de justes et +sévères réclamations contre ces barbares exécutions. Du côté de +l'Espagne, la situation devient de plus en plus critique. Les nouvelles +sont contradictoires. Une première dépêche de New-York, en date du 4 +décembre, annonçait, d'après des avis reçus de la Havane, que les +principaux chefs des volontaires avaient publié un Manifeste attestant +leur soumission aux autorités et leur confiance dans M. Jovellar, +capitaine général de Cuba. Mais le même jour, une dépêche de la Havane +faisait parvenir à Madrid des informations tout opposées. M. Jovellar, y +était-il dit, avait prévenu le gouvernement espagnol que, vu l'état +d'exaspération de l'opinion publique, il lui était impossible de +procéder, au moins pour le moment, à l'exécution des ordres concernant +la restitution du <i>Virginius</i>; il faisait même entrevoir la possibilité +«de véritables catastrophes» dans le cas où l'on agirait avec trop de +précipitation. Enfin, toujours d'après la même source, il avait offert +sa démission. Aujourd'hui, la scène change. On télégraphie de Madrid, le +5 décembre, onze heures cinquante minutes du soir, que les ordres du +gouvernement seront fidèlement exécutés: le capitaine général et le +commandant des forces navales en ont envoyé l'assurance formelle. +Toutefois une dépêche de New-York, postérieure à la précédente et datée +d'aujourd'hui même, nous apprend que l'Espagne avait promis de faire +hier la remise du navire, que cet engagement n'a pas été rempli, et +qu'il en résulte un vif mécontentement. Mais, ajoute-t-on, le cabinet de +Washington est disposé à attendre que cette restitution puisse être +faite sans blesser la fierté du gouvernement espagnol. C'est seulement +dans le cas ou l'impuissance de celui-ci serait démontrée que l'affaire +serait soumise au Congrès. +</p><p> +Enfin, une dernière dépêche datée de Philadelphie, 9 décembre, annonce +que des arrangements définitif' ont été pris pour que la restitution du +<i>Virginius</i> et des prisonniers survivants se fasse le 18 décembre. On +assure que la frégate américaine <i>Worcester</i> sera chargée de recevoir le +<i>Virginius</i> à la Havane, et que la frégate <i>Jumata</i> aura mission de se +rendre à Santiago pour prendre les survivants à son bord. +</p><p> +L'insurrection de Carthagène paraît sur le point d'arriver à son terme; +la ville et les forts ont été très-éprouvés par le bombardement +entrepris par les troupes du gouvernement; les vivres se font rares dans +la place et les insurgés ont dû faire sortir les bouches inutiles; huit +cents femmes et enfants ont été transportés à Pormau, où ils se trouvent +dans un état de détresse tel que l'amiral Yelverton, commandant +l'escadre anglaise mouillée devant le port, a écrit à M. Castelar pour +intercéder en leur faveur. Cependant les insurgés pensent qu'ils peuvent +encore tenir un mois s'ils restent unis entre eux. Les forts et les +batteries n'ont que très-peu souffert. On croit que lorsque les +munitions seront épuisées, une grande partie des insurgés tenteront de +s'ouvrir un passage à l'aide des vingt-cinq canons Krupp qu'ils +possèdent, et qu'ils iront à travers les montagnes rejoindre les +carlistes. Les autres essayeront de s'échapper à bord de la <i>Numancia</i>.</p> +<br><br> + +<h2>Courrier de Paris</h2> + +<p>M. Paul Féval se présente aux suffrages de l'Académie française, où il y +a, pour le quart-d'heure, deux fauteuils à donner. Si j'avais à broder +une réclame, je ne manquerais pas de dire que le candidat est, +littérairement parlant, un homme incomparable. En dix ou douze lignes +bien senties, il serait démontré par A plus B qu'il enfonce le passé, +qu'il domine le présent et que l'avenir ne lui viendra pas à la +cheville. Croyez que je n'ai rien à tenter de semblable. Je ne veux +parler de M. Paul Féval que comme un spectateur pourrait le faire d'un +acteur estimé de tel théâtre qu'il voit se hasarder sur une scène +nouvelle. +</p><p> +A coup sûr, M. Paul Féval devrait être de ceux qu'on se dispense de +<i>black-bouler</i>. Mais l'Académie a une douane à laquelle elle tient +mordicus. Vous objecterez tout ce qu'il vous plaira.--Voilà un conteur +de la meilleure race. Il a fait pour la Bretagne ce que Walter Scott a +fait pour l'Ecosse et George Sand pour le Berri. Uniquement préoccupé du +soin de faire des loisirs à ceux qui s'ennuient, il a écrit, en +trente-cinq ans, trois cents volumes encore debout en ce moment. Parmi +ses livres, il en est deux qui ont fait un grand bruit, les <i>Mystères de +Londres</i>, peinture saisissante des bas-fonds de la société anglaise, et +un épisode de notre histoire, le <i>Bossu</i> qui, transformé en drame, a +récréé Paris pendant deux cents soirées. Tout cela étant bien vu, la +nomination de ce galant homme devrait passer, ce semble, comme une +lettre à la poste. +</p><p> +Ce sera le contraire qui arrivera, je le crains, du moins. Au quai +Conti, il n'y a que l'envers du juste qui ait le dessus. Quand, par +hasard, on admet un homme qui écrit, c'est que ces vieux messieurs se +sont fait violence. Ou bien ils ont cédé à la force de l'opinion, ou +bien ils ont eu peur que leur corporation vermoulue ne soit devenue une +pelote trop épinglée d'épigrammes. Il y a un troisième cas bien connu, +mais qu'il faut rappeler sans cesse; ils cèdent devant la table: «A-t-il +un bon cuisinier?» Voilà cinquante ans que c'est le meilleur des titres. +Le laurier de la cuisine attire le laurier apollonien. +</p><p> +Sur les dernières années de sa vie, Théophile Gautier, candidat quatre +fois congédié, rapportait le mot de l'un d'eux, pendant l'une de ses +trente-neuf visites: +</p><p> +--Comment! monsieur, vous avez publié vingt-cinq volumes! Ah! monsieur! +</p><p> +La mimique du vénérable et le rythme de son reproche ne pourraient être +exprimés par aucune langue humaine. Il fallait entendre l'auteur du +<i>Tricorne enchanté</i> raconter cette scène d'un si haut comique. +Vingt-cinq volumes, poèmes, romans, critique, voyages, histoire, +n'était-ce pas bien fait pour effrayer l'imagination d'un vieillard qui, +en sa vie entière, n'avait pu que faire des annotations et des préfaces, +et tout au plus une petite plaquette où il est avancé que le mouchoir de +poche n'existait pas chez les Grecs du temps de Périclès. Mais pour M. +Paul Féval, ce serait bien une autre paire de manches! Il a écrit trois +cents volumes. Rien qu'à cette révélation, l'immortel est capable d'en +avoir un coup de sang! +</p><p> +Ajoutez que ces trois cents volumes sont des romans. Une belle denrée, +les romans! Ces Nestors les ont tous dans une sainte horreur. On a beau +leur rappeler le mot charmant de Philippe: «J'aime mieux que l'Espagne +ait <i>Don Quichotte</i> que deux provinces de plus»; on leur citera en vain +nos gloires les plus nobles et les plus pures commençant par là, comme +Jean Racine, leur dieu, qui a commencé par traduire <i>Théogène et +Chariclée</i>, et ils crieront toujours: «A la porte, le roman»; c'était +l'entêtement de feu Villemain: «Si Le Sage se présentait ici, <i>Gil Blas</i> +à la main, je prierais Le Sage de s'en retourner.» +</p><p> +Pour ne parier que des temps où nous sommes, voyez combien ils ont été +impitoyables pour les romanciers. Non-seulement ils n'ont pas voulu +entendre parler de Frédéric Soulié ni d'Eugène Sue, ces deux maîtres du +genre, mais encore ils ont rejeté M. de Balzac, le prodigieux auteur de +la <i>Comédie humaine</i>. Lorsque Prosper Mérimée s'est présenté, il a été +bien entendu que c'était en vue de sa traduction de Salluste et de +quelques rapports sur des inscriptions. Léon Gozlan, ce Benvenuto +Cellini de la Nouvelle, Méry, qui nous a légué sur l'Inde et sur la +Chine des écrits si attachants, Théophile Gautier, dont je parlais tout +à l'heure, autant de noms, autant de candidats rejetés. Pour Alexandre +Dumas, l'homme aux mille romans, il savait son fait d'avance; il n'a +jamais eu un seul instant la pensée de se présenter à un seul d'entre +eux. +</p><p> +Encore une fois il ne faut pas être un bien grand sorcier pour prévoir +ce qui va survenir. Il existe toujours en quelque coin obscur un +complaisant qui a fait jadis, pendant vingt ans, la partie de piquet +d'un ancien premier ministre; c'est celui-là qu'on choisira. Il se peut +encore qu'on élise un professeur fameux pour avoir mis une couverture +nouvelle à Blaise Pascal ou bien au président Hénault. Au pis aller, on +se rabattra sur un avocat illustre pour n'avoir jamais été imprimé. A la +vérité, après l'avoir fait sortir de l'urne, on dira qu'on voudrait bien +l'y remettre; c'est encore là une de leurs allures.--En tout cas, vous +le verrez bien, ils condamneront M. Paul Féval à faire le +pied-de-grue.--L'ombre du pauvre Philarète Chasles pourra lui tenir +compagnie. +</p><p> +Un de ces jours, qui sait? aujourd'hui peut-être, J. Claretie, usant de +son droit de critique, vous parlera d'un livre posthume, déjà fort +prôné: <i>Lettres à une Inconnue</i>. Si je m'aventure à m'occuper de cette +nouveauté, ce n'est point, bien entendu, pour marcher sur les +plates-bandes du confrère. Ces deux volumes fourmillent d'anecdotes, de +mots piquants, de bruits du monde; voilà pourquoi je me hasarde à leur +faire quelques emprunts, toujours permis aux fureteurs de la chronique. +Lettres curieuses, pas précisément édifiantes! Celle qui se présente la +première est sans date; on peut conjecturer qu'elle est de 1839, +peut-être de 1840. En ce temps-là, Prosper Mérimée, ne songeant pas +encore à devenir un personnage, n'était rien, pas même académicien. Il +n'avait pas encore terminé <i>Colomba</i>; il vivait sur le bruit flatteur de +ses incomparables nouvelles et du <i>Théâtre de Clara Gazul</i>. La dernière +est tout près de nous, du 23 septembre 1870; Mérimée était mourant à +Cannes; il avait vu sombrer la France et tomber le second empire, auquel +il s'était attaché pour des raisons tout à fait intimes. On sait, en +effet, qu'un mariage secret le liait à Mme de Montijo, la mère de +l'impératrice. +</p><p> +En vingt ans de temps, il s'était passé peu d'événements dans la vie de +ce studieux sybarite, mais avec quelle verve et quel esprit dégagé il +savait voir ce qui se passait chez les autres! Mais d'abord, qu'est-ce +que l'Inconnue? Une marquise, une grande dame mariée; c'est tout ce +qu'on en apprend et on n'en saura jamais plus. Dans l'origine, ils se +traitaient en camarades; Prosper Mérimée l'appelait son «cher ami +féminin». En 1842, il lui disait: «Si je ne me trompe, nous nous sommes +vus six ou sept fois en six années, et, en additionnant les minutes, +nous pouvons avoir passé trois ou quatre heures ensemble, dont la moitié +à ne rien nous dire.» On croirait qu'il s'agit d'une aventure de bal +masqué. +</p><p> +Il raconte tout à cette inconnue, ses ennuis, ses plaisirs, ses +insomnies, surtout ses impressions de voyage. Par exemple, en parcourant +la Grèce, pour affaires de son commerce, c'est à savoir pour faire de +l'archéologie, il s'amuse tout le premier du style qu'on emploie sur son +passeport. Il grisonne et il le dit. «Au milieu de tout cela, je suis +devenu bien vieux. Mon firman me donne des cheveux de tourterelle; c'est +une jolie métaphore orientale pour dire de vilaines choses. +Représentez-vous votre ami tout gris.» Une autre fois, étant de retour, +il raconte une soirée dans laquelle il a pu présenter Mlle Rachel, alors +débutante, à Béranger; c'était chez un ministre du roi Louis-Philippe; +Lamartine, Victor Hugo et M. Thiers étaient là, et, bien qu'il s'agisse +de tragédie, il faut voir comme la scène devient bouffonne! +</p><p> +Messieurs les romanciers et les peintres de mœurs décriront le second +empire tant qu'il leur plaira; on est en droit d'affirmer qu'ils n'en +viendront pas autant à bout que ce railleur, donnant la description du +bal de Mme la duchesse d'Albe (1er mai 1860). +</p><p> +«C'était splendide. Les costumes étaient très-beaux. Beaucoup de femmes +très-jolies et le siècle montrant de l'audace. 1° On était décolleté +d'une façon outrageuse par en haut et par en bas aussi. A cette +occasion, j'ai vu un assez grand nombre de pieds charmants et beaucoup +de jarretières dans la valse. 2° Croyez que, dans deux ans, les robes +seront courtes, et que celles qui ont des avantages naturels se +distingueront de celles qui n'en ont que d'artificiels.» Il raconte +ensuite le ballet des Eléments, un des triomphes du règne. Seize dames +de la cour, en courts jupons, couvertes de diamants. «Les Naïades +étaient poudrées avec de l'argent, qui, tombant sur leurs épaules, +ressemblait à des gouttes d'eau. Les Salamandres étaient poudrées d'or. +Il y avait une Mlle E*** merveilleusement belle. La princesse M*** était +en Nubienne, peinte en couleur bistre très-foncé, beaucoup trop exacte +de costume. Au milieu du bal, un domino a embrassé Mme de S***, qui a +poussé les hauts cris. La salle à manger avec une galerie autour, les +domestiques en costume de pages du XVIe siècle, et de la lumière +électrique, ressemblait au <i>Festin de Balthazar</i> dans le tableau de +Wrowthon.»--Y a-t-il beaucoup de coups de burin qui vaillent ces coups +de plume? +</p><p> +En bon courtisan, le sénateur parle aussi de Napoléon III, qui, en +raison de son mariage avec la comtesse, était son beau-fils. +</p><p> +«L'empereur avait beau changer de domino, on le reconnaissait d'une +lieue; l'impératrice avait un burnous blanc et un loup noir qui ne la +déguisaient nullement. Beaucoup de dominos, et, en général, fort bêtes. +Le duc de *** se promenait en arbre, vraiment assez bien imité.»--Ce +pauvre duc! Mérimée ne le lâche pas, et je n'ose point répéter tout ce +qu'il met sur son compte. +</p><p> +Un autre récit très-caractéristique, c'est celui de la première +représentation de l'opéra de Richard Wagner, rue Le Peletier. +</p><p> +«Un dernier ennui, mais colossal, a été <i>Tannhaüser</i>. Les uns disent que +la représentation à Paris a été une des conventions secrètes du traité +de Villafranca; d'autres, qu'on nous a envoyé Wagner pour nous forcer +d'admirer H. Berlioz. Le fait est que c'est prodigieux. Il me semble que +je pourrais écrire demain quelque chose de semblable, en m'inspirant de +mon chat marchant sur le clavier d'un piano. La salle était +très-curieuse. La princesse de Metternich se donnait un mouvement +terrible pour faire semblant de comprendre et pour faire commencer les +applaudissements qui n'arrivaient pas. Tout le monde bâillait; mais, +d'abord, tout le monde voulait avoir l'air de comprendre cette énigme +sans mot. On disait, sous la loge de Mme de Metternich, que les +Autrichiens prenaient la revanche de Solférino. On a dit encore qu'on +s'ennuie aux récitatifs et qu'on se <i>tanne aux airs.</i>»--Un des plus +illustres de l'Académie française se <i>fendant</i> d'un calembourg.--Allons, +je n'irai pas plus loin.</p> +<p class="rig">Philibert Audebrand.</p> +<br><br> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/004.png"><br><b>Le Général de Colomb, substitut. Le Général Pourcet, +Commissaire du Gouvernement.<br> PROCÈS DU MARÉCHAL BAZAINE.--L'ACCUSATION.</b></p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/005.png"><br><b>Maréchal Bazaine. Me Lachaud. Me Lachaud fils.<br> PROCÈS DU +MARÉCHAL BAZAINE.-LA DÉFENSE.</b></p> +<br><br> +<h2>LA SOEUR PERDUE</h2> +<h3>Une histoire du Gran Chaco</h3> +<p class="mid">(Suite)</p> + +<p>Les pierres furent disposées et arrangées par Gaspardo en forme de +muraille grossière. Bien que construite dans l'obscurité, elle était +assez forte pour résister aux attaques d'un animal quelconque, +l'éléphant excepté. Or, comme il ne se trouve pas d'éléphants dans le +Chaco, les voyageurs semblaient n'avoir plus rien à craindre. +</p><p> +Tel était l'avis de Gaspardo qui encore une fois partit à la recherche +de son briquet. +</p><p> +«J'ai un bout de chandelle de cire», dit-il; «que Dieu me le pardonne, +je l'avais ramassé dans l'église de l'Asuncion. Elle avait été allumée +sur le corps de ma pauvre vieille mère, et je désirais la garder comme +souvenir. <i>Ay Dios!</i> qui eût jamais pensé que ce serait en pareille +circonstance que j'aurais à la rallumer? Mais il est malsain de manger +dans l'obscurité. Je n'ai jamais aimé cela; ce qu'on mange ne vous +profite pas quand les yeux n'en ont pas leur part.» +</p><p> +Gaspardo affectait de parler avec bonne humeur. Il connaissait le lourd +fardeau qui pesait sur le cœur de ses jeunes compagnons et il espérait +l'alléger en les détournant un peu de leurs pensées. Mais aucun d'eux ne +fit chorus à sa bonne volonté; il battit donc le briquet et le cierge +fut enfin allumé. +</p><p> +C'était un gros bout de cierge, long d'environ six pouces et fabriqué +avec la cire de l'abeille sauvage qu'on emploie dans les églises du +Paraguay. Sa flamme brillante éclairait tous les objets contenus dans la +caverne, les voyageurs, leurs chevaux, leurs bagages et le jaguar étendu +mort à l'entrée, dont la peau jaune mouchetée se détachait sur le fond +sombre du rocher. +</p><p> +Mais à peine la flamme eut-elle pris toute sa vigueur, que les yeux des +voyageurs eurent la très-désagréable surprise d'être subitement arrêtés +par la vue d'une seconde peau de jaguar, non moins mouchetée, mais bien +plus brillante que la première. C'était un second jaguar, non pas mort +celui-là, mais vivant et bien vivant, couché sur un bloc de rocher à +l'extrémité la plus reculée de la grotte! +</p><p> +Il avait au moins deux fois la taille de celui qui avait été tué et son +aspect était dix fois plus effrayant. Au premier coup d'œil, on le +reconnaissait pour le mâle dont Gaspardo avait parlé. +</p><p> +«C'est le mâle»! dit-il aussitôt que la lumière du cierge lui eut permis +de le distinguer. «<i>Santissima!</i> et nous nous sommes donnés bien du mal +pour nous assurer sa compagnie!» +</p><p> +Ses compagnons pétrifiés par la surprise gardaient le silence. +</p><p> +«<i>Carrai</i>»! grommela le gaucho entre ses dents. «Je m'étonne qu'il soit +resté si longtemps tranquille. Il faut que la tormenta ait +singulièrement modifié son humeur. Qui peut savoir ce qui se passe dans +sa tête, et ce qui cause son immobilité. Ne nous y fions pas. L'envie +peut lui prendre subitement de sauter sur nous et un animal de cette +taille, mes enfants, se moquerait autant d'une balle que d'un coup de +cravache. Regardez-le, il est presque aussi gros qu'un de nos chevaux! +On ne fait pas deux miracles dans la même journée.--Une balle qui le +blesserait seulement au lieu de le tuer ne ferait que le rendre plus +formidable.» +</p><p> +Les deux jeunes gens tenaient à la main leurs carabines. +</p><p> +«Faut-il faire feu néanmoins? demandèrent-ils. +</p><p> +--Gardez-vous-en bien, sur votre vie! mieux vaudrait essayer de lui +céder la place, si l'état de terreur, de stupéfaction, d'engourdissement +où la tormenta met souvent les animaux les plus énergiques et les plus +violents devait nous en laisser le temps. J'entends la pluie tomber par +torrents, mais cela ne fut rien, tout plutôt qu'une rencontre avec un +gaillard comme celui-ci. S'il pleut c'est que la poussière est +abattue,--et c'est le principal. Nous pourrions peut-être nous en tirer +personnellement en lui abandonnant nos montures, et en filant pour notre +compte par la lucarne que nous avons laissée à notre barricade... Elle +ne suffirait pas à le laisser passer,--mais nous avons autant besoin de +nos montures que de nous-mêmes et d'ailleurs ce serait une lâcheté que +de livrer nos bonnes bêtes à ce brigand-là. Il n'y a pas deux partis à +prendre. Ouvrons notre barricade, défaisons de nos mains l'ouvrage de +nos mains. Détruire est plus facile que de bâtir.--A l'œuvre donc. Que +Cypriano qui a une bonne arme fasse sentinelle. Si le jaguar bouge visez +à l'oeil, mon enfant!» +</p><p> +Et tandis que Ludwig tenait le cierge, Gaspardo dont la force musculaire +était doublée par l'imminence du danger se mit à démolir sa muraille. +</p><p> +Dès qu'une ouverture fut pratiquée, suffisamment grande pour leur livrer +passage ainsi qu'à leurs chevaux, le gaucho écarta les ponchos et jeta +un regard au dehors. +</p><p> +Cependant, tenu en respect par Cypriano, qui le couchait en joue, ou +sous le poids encore de l'émoi que lui causait la tourmente, le jaguar +n'avait pas bougé. Ses yeux fixes et brillants n'avaient pas quitté ceux +de Cypriano. L'intrépide enfant n'avait pas bronché. Mais le moment le +plus périlleux devait être celui de la retraite. Il en est de l'animal +comme de l'homme, tout ce qui ressemble à une fuite de son adversaire +est comme un signal d'attaque qu'il reçoit. +</p><p> +A ce moment une exclamation du gaucho attira l'attention de Ludwig. +</p><p> +«Qu'y a-t-il, Gaspardo? lui demanda-t-il. +</p><p> +--Il y a, répondit Gaspardo avec un geste de désespoir, il y a qu'il n'y +a pas moyen de sortir. Regardez!» +</p><p> +L'eau s'était élevée de six pieds au-dessus de son premier niveau et +elle coulait en bas de la caverne avec la violence d'un torrent, le +courant balayait jusqu'à l'entrée de la grotte et ne laissait pas un +pouce de sentier par lequel les hommes et les chevaux pussent opérer +leur retraite. Toute issue était évidemment coupée. La circonstance +était critique, car rester dans la caverne, c'était rester à la +discrétion du jaguar. +</p><p> +Le ciel, en s'éclairant, projetait jusqu'au fond de l'antre une faible +lueur qui leur permettait d'apercevoir l'affreuse bête couchée dans sa +redoutable immobilité. Il semblait qu'avertie par un secret instinct de +l'impossibilité où étaient désormais ses victimes de lui échapper, elle +eût jusque-là contemplé avec un imperturbable dédain la vanité de leurs +efforts. +</p><p> +L'ouragan se calmait. Les grondements du tonnerre s'éloignaient. Le +moment approchait où l'animal allait retrouver son habituelle férocité +et bondir soit sur les hommes, soit sur leurs montures. +</p><p> +La lutte était donc devenue inévitable. En désespoir de cause, Gaspardo +et les deux jeunes gens se tenaient prêts au combat. La carabine à la +main, leur couteau de chasse entre les dents, Ludwig et Cypriano +n'attendaient que l'ordre de faire feu. Gaspardo hésitait encore à le +donner; évidemment, il eût tout préféré à une rencontre où l'un d'entre +eux, tout au moins, pouvait perdre la vie; quand tout à coup, posant bas +sa carabine, il se mit à chercher quelque chose avec une fiévreuse +impatience dans une des sacoches de son recado. +</p><p> +Il se souvenait d'y avoir caché une fusée du genre de celles dont on se +sert pour exciter les taureaux au combat. Il avait pris cette précaution +dans la prévision que cela pourrait lui servir, pour étonner et amuser +ou terrifier suivant l'occasion les Indiens. C'est un vieux tour des +gens des frontières et qui est souvent couronné de succès parmi les +sauvages. +</p><p> +«Ne bougez pas, murmura-t-il à l'oreille de ses amis, ne quittez pas la +place où vous êtes. Laissez-moi faire. J'ai mon idée.» +</p><p> +Tous deux conservèrent leur place à l'entrée de la caverne, semblables à +deux sentinelles silencieuses. +</p> +<br> +<h3> +CHAPITRE IX +</h3><h4> +AU HASARD +</h4><p> +Quoique encore sous l'empire d'une grande émotion, Ludwig et Cypriano +étaient fort intrigués, et se demandaient du regard ce qui avait bien pu +passer dans la cervelle de leur ami. +</p><p> +Les moments étaient trop précieux pour que le gaucho songeât à prolonger +leur attente. Il s'avança rapidement vers le cierge que Ludwig avait +fixé dans une des anfractuosités de la caverne,--et leur ayant +recommandé de se coller contre les parois,--pour laisser libre l'entrée +tout entière, il approcha de la flamme du cierge la mèche de sa fusée et +la lança sur le jaguar. Ce fut comme une illumination soudaine: la +lumière éclatante suivie d'un sifflement aigu s'était élancée comme un +serpent de feu sur l'animal, l'avait atteint au flanc et s'était +attachée à sa peau en tournoyant comme un soleil et en l'inondant +d'étincelles. +</p><p> +C'était évidemment le premier feu d'artifice qu'on eût jamais tiré en +son honneur. +</p><p> +Poussant un formidable rugissement qui fit frémir les parois du rocher, +l'énorme animal effaré bondit d'épouvante sur sa couche, et en trois +bonds traversant la caverne et traînant derrière lui comme la queue +enflammée d'une comète, il alla se précipiter dans le torrent. +</p><p> +C'était assurément ce qu'il avait de mieux à faire pour éteindre la +fusée qui sifflait entre les poils de sa fourrure, et pour débarrasser +nos voyageurs de sa fâcheuse compagnie. +</p><p> +En un instant, son corps fut hors de vue, enlevé par le courant du ravin +débordé. Gaspardo, monté sur le roc où était tout à l'heure le jaguar, +criait du fond de la grotte: +</p><p> +«Pour cette fois, Muchachos, nous pouvons nous mettre à table; je +suppose que nous ne risquons plus d'être dérangés!» +</p><p> +Ludwig et Cypriano ne pouvaient revenir de l'étrange et expéditive façon +dont le gaucho les avait tirés d'affaire. +</p><p> +«On ne pense pas à tout, répondit modestement le brave homme. J'aurais +dû commencer par là, et ni vous ni moi ne nous serions écorchés les +mains à faire et à défaire nos inutiles fortifications.» +</p><p> +Ludwig et Cypriano regrettaient bien un peu de ne pas avoir abattu le +jaguar mâle, comme Gaspardo avait abattu la femelle; mais ils ne +voulurent pas gâter la joie de leur ami, qui était cent fois plus fier +de son expédient qu'il ne l'eût été du coup de fusil le mieux réussi. +</p><p> +Quand nos voyageurs eurent achevé leur repas, la tempête avait +complètement cessé. +</p><p> +La <i>tormenta</i> diffère du <i>temporal</i>; la première disparaît aussi +rapidement qu'elle est venue, l'autre se termine graduellement et est +suivie par des brumes qui remplissent l'atmosphère et par une fraîcheur +humide qui parfois dure plusieurs jours. Il n'en est pas ainsi d'une +véritable tempête de poussière. Elle arrive sans être précédée de signes +autres que ceux connus seulement des initiés, ceux par exemple que +Gaspardo avait lus dans la corolle des fleurs de l'arbre baromètre, et +elle cesse aussi soudainement, sans avertir autrement du moment où elle +prend fin. +</p><p> +Lorsqu'ils revinrent à l'entrée de la grotte et regardèrent au dehors, +il n'y avait pas plus de traces de l'ouragan que s'il n'eût jamais +existé. Au-dessus de la berge opposée de l'arroyo, ils pouvaient +distinguer un espace de ciel d'une belle nuance azurée, et par les +rayons de lumière qui plongeaient dans le vallon, ils voyaient que le +soleil brillait aussi pur qu'avant d'avoir été obscurci par les nuages +épais de la poussière. +</p><p> +Cette terrible lutte des éléments avait duré en tout une heure. Ils +l'auraient considérée comme un rêve s'ils n'eussent eu sous les yeux, +s'étendant sur les pentes du terrain, les traces de sa furie; des arbres +déracinés, d'autres oscillant, des branches brisées et déchirées, des +bouquets d'arbustes couchés comme des roseaux, enfin, à leurs pieds, un +torrent écumant remplaçant le mince ruisseau que leurs chevaux avaient +traversé à gué une heure à peine auparavant. +</p><p> +Sans cet obstacle tort sérieux, ils auraient immédiatement repris leur +voyage, mais d'un seul coup d'œil, ils en avaient reconnu +l'impossibilité. Comme le paysan de la fable, mais avec plus de raison +puisqu'ils n'avaient devant eux qu'un fleuve improvisé et accidentel, +ils devaient attendre le moment où les eaux baisseraient. +</p><p> +«Nous n'en avons pas pour longtemps, mes enfants, dit le gaucho, en +remarquant leur impatience, et en essayant de les encourager. +</p><p> +--Non, continua-t-il, après être resté un instant les yeux fixés sur le +torrent, pas pour bien longtemps. Ce débordement, né de la tourmente qui +l'a produit, baissera aussi vite qu'il s'est élevé. Il est déjà tombé de +plus d'un demi-pied; voyez les traces qu'il a laissées sur les pierres.» +</p><p> +Et il désigna du doigt un endroit que l'eau boueuse avait mouillé et +dont elle s'était déjà retirée. C'était bon signe. Tous trois +retournèrent donc dans la grotte pour y empaqueter leurs bagages, donner +quelques soins à leurs montures, sur lesquelles la tourmente avait agi +autant que sur le jaguar, et se préparer à reprendre leur route. +</p><p> +Aussitôt cette besogne terminée, le gaucho se donna sur la poitrine, en +guise de <i>mea culpa</i>, un coup de poing qui en eût abattu un autre que +lui-même. +</p><p> +«Santo Dios! je perds la tête, s'écria-t-il, c'est pitié de laisser ce +beau jaguar derrière nous. Sa peau vaudrait de l'argent si quelqu'un la +portait au marché. Comme le mâle était beau! Jamais je n'en ai vu un +plus magnifique. Ah! si votre....» +</p><p> +Il s'arrêta brusquement.<br> + +<span class="rig">Mayne Reid.</span><br> +(La suite prochainement.)</p> + +<br><br> +<h2>NOS GRAVURES</h2> + +<h3>Procès du maréchal Bazaine</h3> +<h4>LA BUVETTE DES TÉMOINS.</h4> + +<p>Au moment où paraîtront ces lignes, le verdict du 1er conseil de guerre, +vers lequel en ce moment toute la France a les yeux tournés, sera +prononcé ou bien près de l'être. Le M. le général Pourcet a commencé la +lecture de son réquisitoire, qui s'est prolongée jusqu'à la fin de +l'audience du 5 décembre. Le 6, la parole a été donnée à la défense, qui +la gardera certainement au moins aussi longtemps que l'accusation. C'est +donc vers la fin de la semaine que, selon toute vraisemblance, le sort +de l'accusé sera fixé. L'auditoire, est-il besoin de le dire? est plus +nombreux que jamais et, ajoutons-le, il trahit par sa physionomie plus +grave et plus réservée l'imminence du dénoûment de ce grand drame. +Chacun en effet, comprend qu'au moment où la justice va parler, il doit +refouler, au moins en public, ses impressions propres et attendre en +silence qu'elle prononce le mot suprême. Il est vrai qu'il se dédommage +à la suspension de l'audience. La buvette des témoins, que représente +notre dessin, est le lieu où s'échangent volontiers les commentaires. On +y rappelle les arguments de l'accusation et ceux de la défense, on les +compare entre eux, et on cherche à en dégager la conséquence. Mais là +encore, même en s'aventurant sur ce terrain glissant, on use de réserve +et l'on ne sort pas de la stricte mesure que réclament les convenances.</p> + +<h4>L'ACCUSATION.</h4> +<p>Les membres qui composent le parquet dans le procès Bazaine sont au +nombre de huit, savoir: +</p><p> +M. Alla, greffier titulaire du premier conseil de guerre, auquel on a, +pour la circonstance, adjoint M. Castres, greffier en retraite. A gauche +de MM. Alla et Castres se tient le maréchal des logis de la garde +républicaine qui a le titre d'appariteur, et remplit des fonctions +analogues à celles des huissiers dans les cours d'assises. +</p><p> +Puis viennent, devant la table où sont assis les membres du parquet, M. +le général Pourcet, puis M. le commandant Martin, chef de bataillon en +retraite, et qui assiste de droit aux débats en sa qualité de +commissaire du gouvernement titulaire près le premier conseil de guerre, +M. le général de division de Colomb, jeune avec son grade, car il n'est +âgé que de quarante-neuf ans. Sorti de Saint-Cyr en 1844, il a conquis +tous ses grades en Afrique, à l'exception du dernier, qu'il doit à sa +belle conduite à l'armée de la Loire. Son titre officiel est: substitut +du commissaire spécial du gouvernement, M. Pourcet. +</p><p> +Tout à fait à gauche sont assis deux jeunes capitaines, M. Avon, du +corps d'état-major, et M. Boisselier, de l'infanterie. Ces messieurs +n'ont pas de titre officiel; en réalité ils sont adjoints à M. le +général Pourcet pour les immenses travaux que nécessitent l'examen et la +manipulation d'un dossier fabuleusement volumineux.</p> + +<h4>LA DÉFENSE.</h4> + +<p>Le maréchal Bazaine a confié, on le sait, le soin de sa défense, à Me +Lachaud, assisté de son fils et du colonel Villette, aide de camp du +maréchal. +</p><p> +Nous avons parlé de ce dernier en donnant son portrait, il y a quelques +semaines; nous n'avons donc pas à y revenir. Quant à M. Lachaud fils, le +temps lui a fait défaut pour travailler à l'auréole dont il ne peut +manquer un jour ou l'autre de ceindre son front, si tant est que le +proverbe soit vrai; mais pour le moment il ne brille encore que des +rayons de la gloire paternelle, assez grande, après tout, pour contenter +deux ambitions, même exigeantes. +</p><p> +Me Lachaud a aujourd'hui cinquante-six ans. Né à Treignac (Corrèze) le +25 février 1818, il exerçait sa profession d'avocat à Tulle, lorsque Mme +Lafarge le choisit pour défenseur. Ce fameux procès commença sa +réputation, qu'acheva d'établir le procès Marcellange. C'est alors que +Me Lachaud vint à Paris, où il ne tarda pas à prendre au barreau +parisien une des premières places. Il brilla surtout devant la cour +d'assises, où son éloquence naturelle, admirablement servie par une voix +aussi souple que sympathique et des facultés mimiques très-développées, +lui assura un grand ascendant aussi bien sur les juges que sur +l'auditoire. Parmi les affaires qu'il y plaida, citons les affaires +Pavy, de Preigne, Carpentier, Lescure, de Merci, Lemoine, Taillefer et +Troppmann. +</p><p> +Nous pouvons maintenant ajouter à cette liste l'affaire Bazaine, qui +prime incontestablement toutes les autres, aussi bien par la position +élevée de l'accusé, que par les circonstances exceptionnelles qui ont +donné lieu à l'accusation. +</p><p> +P. S.--Au moment de mettre sous presse, nous recevons la nouvelle que le +1er conseil de guerre vient de rendre son arrêt, que nous n'attendions +pas si tôt. Mais le conseil a siégé de neuf heures du matin à neuf +heures du soir, le 10; et dans cette séance si longue ont eu lieu la fin +de la plaidoirie de Me Lachaud et les répliques. A quatre heures et +demie, les débats ont été clos et à neuf heures moins un quart, après +une délibération qui n'a pas duré moins de quatre heures, le conseil +rentrait en séance, rapportant son verdict. Quatre questions lui avaient +été posées. +</p><p> +lre question.--Le maréchal Bazaine est-il coupable d'avoir, en octobre +1870, capitulé, son armée étant en rase campagne? +</p><p> +2e question.--Cette capitulation a-t-elle eu pour résultat de faire +poser les armes à sa troupe? +</p><p> +3e question.--Le maréchal Bazaine a-t-il traité verbalement ou par écrit +avec l'ennemi, sans avoir fait tout ce que lui prescrivaient le devoir +et l'honneur? +</p><p> +4e question.--Le maréchal Bazaine, mis en jugement sur l'avis du conseil +d'enquête, est-il coupable d'avoir capitulé avec l'ennemi, rendu la +place qui lui était confiée, sans avoir épuisé tous les moyens de +défense dont il disposait et sans avoir fait tout ce que prescrivaient +le devoir et l'honneur? +</p><p> +A ces quatre questions, chacun des membres du conseil ayant répondu +affirmativement, le maréchal Bazaine a été condamné à l'unanimité à la +peine de mort, avec dégradation militaire.</p> +<br> +<h3>La capture du "Virginius".</h3> + +<p>Nous recevons, par la voie des États-Unis, une intéressante +correspondance sur le <i>Virginius</i>, dont la capture par le croiseur +espagnol le <i>Tornado</i>, a eu pour résultat de créer, entre l'Espagne et +les États-Unis, le grave conflit que nous avons déjà eu occasion de +signaler. +</p><p> +Le <i>Virginius</i> est un vapeur à roues, entièrement en fer, de 100 +tonneaux de capacité et d'une longueur de 220 pieds. Il a été construit +en Angleterre, en 1864, pendant la guerre de la sécession, pour le +compte des confédérés, qui l'employaient à forcer le blocus des côtes +des États du Sud. +</p><p> +Capturé, avec un chargement de coton, par les forces fédérales, lors de +la prise de Mobile, il fut vendu aux enchères, après la guerre, par le +gouvernement des États-Unis et acheté pour le compte de l'insurrection +cubaine, qui venait d'éclater. Le <i>Virginius</i> reprit aussitôt son +aventureuse carrière; monté par un équipage déterminé, sous le +commandement de Joseph Fry, un Louisianais, il venait s'approvisionner à +New-York d'armes et de munitions qu'il allait ensuite débarquer sur la +côte cubaine. Vingt fois il avait failli être pris par les croiseurs +espagnols et vingt fois il leur avait échappé, grâce à la présence +d'esprit de son hardi capitaine, dont la réputation était devenue +légendaire. Enfin, le 31 octobre dernier, il fut aperçu par le vapeur +espagnol le <i>Tornado</i> au moment où il arrivait au but d'un nouveau +voyage de ce genre; dès qu'il se vit reconnu, le capitaine Fry fit force +de voiles et de vapeur pour s'échapper, car il n'était pas armé de +manière à accepter la lutte avec un navire de guerre; malheureusement le +<i>Virginius</i> tenait la mer depuis plus d'un an; le mauvais étal de sa +coque avait diminué sa vitesse d'autrefois, et pour comble de malheur, +on était à bout de combustible; vainement on jeta la cargaison +par-dessus bord pour s'alléger, vainement on entassa dans les fourneaux +les boiseries, les caisses défoncées et jusqu'à des barils de lard qui +se trouvaient à bord, le <i>Tornado</i> gagnait de vitesse et, après une +chasse de huit heures, le <i>Virginius</i> était rejoint au moment où il +arrivait en vue de la Jamaïque, où il eut pu se réfugier sous la +protection du drapeau britannique. On sait le reste et comment +l'équipage du <i>Virginius</i>, conduit à Santiago, paya de sa vie son audace +tant de fois heureuse. La gravure que nous publions aujourd'hui montre +les deux navires au moment où le <i>Virginius</i>, à bout de forces, amène +son pavillon et se met en panne pour recevoir le canot du Tornado. +</p><p> +Nous reviendrons dans notre prochain numéro sur la sanglante tragédie de +Santiago qui a été l'épilogue de ce drame, et nous publierons à ce sujet +d'autres dessins que nous avons reçus trop tard pour les faire paraître +aujourd'hui.</p> +<br> +<h3>Inauguration du monument de Champigny</h3> + +<p>Le 28 novembre un grand courant d'enthousiasme régnait dans la capitale. +C'est que quelques jours auparavant, la nouvelle de la victoire +remportée sur les Prussiens à Couliniers par l'armée de la Loire, s'y +était répandue et que le gouvernement, sous la pression de l'opinion +publique, se décidait enfin à faire un effort sérieux en vue de briser +le cercle d'investissement et de donner la main à la jeune armée qui +s'avançait à notre secours. +</p><p> +En conséquence, une grande sortie était décidée. Trois proclamations +aussi retentissantes qu'elles furent vaines, annoncèrent l'événement au +public. +</p><p> +On sait comment tout ce beau mouvement avorta. L'armée, qui devait +passer la Marne dans la nuit du 28 au 29 novembre, ne put le faire, les +ponts se trouvant trop courts! Il fallut attendre vingt-quatre heures. +L'ennemi mis en garde par cette inexcusable faute, prit ses mesures en +conséquence. Il ramassa ses forces sur le point menacé, et au lieu de le +surprendre et de le culbuter, ce fut une grande bataille qu'il fallut +lui livrer en avant de Champigny. +</p><p> +Néanmoins le village fut enlevé et l'ennemi obligé de reculer jusqu'au +parc de Cœuilly. Mais les morts étaient nombreux. La journée du 1er +décembre fut employée de part et d'autre à les ramasser. +</p><p> +Le 2, les Prussiens reprirent l'offensive, refoulant d'abord nos troupes +qui finalement regagnèrent toutes leurs positions. Mais, épuisées par ce +double et pénible effort de deux jours de bataille, qu'avec un peu de +prévoyance on leur eut épargné, elles étaient incapables, pour continuer +leur marche, d'en faire un troisième, dans des conditions de difficultés +beaucoup plus grandes encore. Dans la nuit du 2 au 3 on leur fit donc +repasser la Marne, abandonnant ce plateau de Champigny, deux fois +conquis au prix de tant d'efforts stériles et de sang inutilement +répandu. +</p><p> +C'est sur ce plateau, au bord de la route de Paris, que s'élève le +monument inauguré le 2 de ce mois. M. Vaudremer, architecte de la ville +de Paris, en est l'auteur. C'est une pyramide en pierre grise, assise +sur un soubassement et portant sur l'un des côtés un bouclier où l'on +voit un guerrier blessé s'appuyant sur l'autel de la patrie. Au-dessus, +on lit ces mots: <i>Défense de Paris</i>; au-dessous: <i>Bataille de +Champigny</i>, 30 novembre, 2 décembre 1870. De l'autre côté de la pyramide +est la devise de la ville de Paris: <i>Fluctuat nec mergitur</i>.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/006.png"><br>ÉVÉNEMENTS DE CUBA.-Capture du <i>Virginius</i> par le<br> +<i>Tornado</i> dans les eaux de la Jamaïque.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/007.png"><br>LE MONUMENT COMMÉMORATIF DE LA BATAILLE DE CHAMPIGNY,<br> +INAUGURÉ LE 2 DÉCEMBRE 1873.</p> + +<br><br> + +<h2>Le naufrage de la "Ville-du-Havre".</h2> + +<p>Nous n'avons pu qu'annoncer dans notre dernier numéro l'épouvantable +catastrophe de la <i>Ville-du-Havre</i>, réputée le plus vaste des paquebots +après le <i>Great-Eastern</i>. Les relations qui nous sont parvenues nous +permettent de donner à nos lecteurs un récit du désastre. +</p><p> +Le 15 novembre, à trois heures de l'après-midi, la Ville-du-Havre +quittait son <i>warf</i> de New-York emmenant 135 passagers, 172 hommes +d'équipage et de service et transportant une cargaison de blé, coton, +cuir et graisses. Pendant les premiers jours, la traversée fut +contrariée par le mauvais temps; puis, quand on fut sur le banc de +Terre-Neuve, par un brouillard intense, commun du reste dans ces +parages, dans la crainte d'aborder ou d'être abordé, le capitaine +Surmont dut faire vibrer le sifflet d'alarme de minute en minute, et, +tout le temps qu'il y eut danger, il ne voulut laisser à aucun de ses +officiers la responsabilité des manœuvres. La journée du 20 fut assez +belle, ce qui permit aux passagers de jouir de la promenade sur la vaste +dunette d'arrière, aux enfants de se livrer à leurs jeux, et, le soir, +quelques amateurs purent s'offrir dans le salon, un concert improvisé, +dont la <i>Dernière pensée de Weber</i> fut le morceau final. La nuit étant +claire, rien ne paraissant à craindre, le capitaine se décida à +descendre dans sa cabine pour y prendre quelques heures de repos, mais +après avoir donné l'ordre formel de le prévenir du moindre incident. +</p><p> +C'est à partir de ce moment que l'on ne sait plus d'une manière certaine +ce qui s'est passé, ni même l'heure précise de la catastrophe. Toujours +est-il qu'entre une heure et deux heures du matin, des ordres de +manœuvre étaient donnés, exécutés précipitamment, mais trop tard... la +<i>Ville-du-Havre</i> éprouvait une commotion violente, suivie d'une série de +craquements formidables, se renversait à demi; passagers, officiers et +matelots, réveillés en sursaut, et accourus sur le pont, apercevaient la +masse d'un grand voilier qui, ayant enfoncé les bordages du paquebot, +laissait les débris de son étrave au milieu de celui-ci. Le navire +abordant était le voilier en fer, le <i>Loch-Earn</i> (Lac ardent), capitaine +Robertson. +</p><p> +Le capitaine Surmont s'était élancé sur la passerelle de commandement. +D'un coup d'œil il comprit que tout était perdu. La <i>Ville-du-Havre</i> +portait au flanc de la chambre des machines une trouée large de cinq à +six mètres, profonde de quatre, par laquelle l'eau s'engouffrait en +cataractes bruyantes pour se répandre dans les profondeurs du bâtiment +avec des grondements et des clapotements sinistres. On n'avait pas eu le +temps de fermer les cloisons étanches, de telle sorte que les foyers +ayant été éteints, chaudières et machines furent immédiatement +paralysées. +</p><p> +Eperdus, les passagers se pressaient sur la dunette d'arrière, les uns à +peine vêtus ou dans leur costume de nuit, les autres ayant eu le temps +de se couvrir de quelques vêtements ou de prendre avec eux leurs objets +les plus précieux. A un premier moment, non de désordre mais seulement +de trouble, succéda un certain apaisement, quand on vit le capitaine à +son poste et les officiers se multipliant pour indiquer à chacun ce +qu'il y avait à faire. Dans le court espace de temps écoulé entre +l'abordage et le naufrage, il y eut des exemples de sang-froid +admirable, de sublime résignation, de devoir noblement compris. Debout +sur le pont, un petit sac à la main, leurs enfants dans les bras ou se +pressant contre leur père ou leur mari, des femmes attendaient que les +canots fussent mis à la mer; quelques-unes s'étant agenouillées, +priaient avec ferveur, pendant qu'un prêtre catholique leur donnait +l'absolution suprême; des enfants à demi-nus, devinant le péril sans le +comprendre, cherchaient d'instinct un refuge dans les bras de leur mère. +</p><p> +Si la collision avait eu lieu en plein jour, les secours eussent été +plus efficaces, mais la nuit d'une part, la perte de plusieurs des +embarcations de la <i>Ville-du-Havre</i> de l'autre, rendaient le sauvetage +difficile. On venait d'installer une cinquantaine de personnes dans deux +canots intacts, lorsque le grand mât et le mât d'artimon, déjà ébranlés, +oscillèrent et s'abattirent presque en même temps, brisant les canots, +tuant et blessant la plupart des malheureux qui déjà se voyaient sauvés. +En vain, raconte un matelot, on voulut retirer quelques survivants de +l'amas enchevêtré de vergues rompues, de cordages, de débris de +planches, on n'en eut pas le temps. Ce grave accident précipita le +dénoûment, car la chute des mâts fit incliner davantage le paquebot, et +tous ceux qu'il portait sentirent que leur dernière heure était venue. +</p><p> +Il n'est guère possible de s'imaginer l'horreur du drame dont notre +dessin donne un aperçu pris du milieu du navire, entre les deux +cheminées, près de l'escalier de la dunette des premières. +</p><p> +La <i>Ville-du-Havre</i> oscillait comme en proie aux dernières convulsions; +on vit, rapporte un passager, une jeune fille soutenant sa mère et lui +disant: «Courage, ma mère, courage, dans quelques minutes nous entrerons +au ciel.» Quatre charmantes petites filles encourageaient ceux qui les +entouraient en leur disant: «Prions le bon Dieu de nous recevoir auprès +de lui.» Rien, raconte M. Lorriaux, ministre protestant, ne peut donner +une idée de la résignation des femmes pendant cette catastrophe. Un +officier de la marine américaine avait trois filles qui voulaient périr +avec lui: «Je sais, dit-il, en leur adressant le dernier adieu, que la +Providence veut vous sauver, n'allez donc pas contre sa volonté.» Deux +seulement de ces jeunes filles furent recueillies. +</p><p> +Moins d'un quart-d'heure après le choc, la <i>Ville-du-Havre</i> +disparaissait sous les Ilots, qui se précipitèrent en tourbillonnant +dans l'immense vide formé; et les malheureux renversés dans l'eau, ceux +que la vague ramena à la surface, ou qui plus heureux avaient pu saisir +une ceinture de sauvetage, un tronçon de mât, une planche, restèrent +ballottés par les vagues, transis, à moitié expirants, mais soutenus +quelques instants encore par cette force surhumaine que donnent l'espoir +et l'instinct de la conservation. La fatalité avait poursuivi le +malheureux navire jusqu'à sa dernière minute d'existence; au moment où +il sombrait, un canot chargé de femmes et d'enfants fut projeté par le +remous sur le tronçon du mât d'artimon, crevé et submergé. +</p><p> +Le <i>Loch-Earn</i> avait pu se dégager aussitôt après l'abordage. Bien que +fortement compromis par la perte de son avant, il se soutenait sur +l'eau. Sans perdre un instant, son capitaine fit mettre ses embarcations +à la mer et procéda au sauvetage. Les canots n'arrivèrent sur le lieu de +la catastrophe qu'après la disparition complète de la <i>Ville-du-Havre</i>; +ils recueillirent les naufragés et ne quittèrent la place que le +lendemain matin à dix heures, quand nulle voix ne vint plus réclamer +assistance, quand aucune victime ne parut surnager, quand enfin rien ne +vint plus révéler que là, quelques heures auparavant, flottait l'un des +rois de la mer. Demeuré à son poste, le capitaine Surmont coula avec son +bâtiment, mais il eut le bonheur de saisir une planche, et vingt minutes +après un canot le sauvait. +</p><p> +Passagers et marins recueillis à bord du <i>Loch-Earn</i> étaient dépourvus +de tout, la rapidité du sinistre n'ayant permis qu'à un très-petit +nombre d'entre eux de se munir des objets les plus indispensables: ils +furent, de la part du capitaine Robertson et de l'équipage anglais, +l'objet d'une sollicitude des plus touchantes, qu'ils se sont plu à +reconnaître publiquement. Mais quel triste lendemain! Parmi ceux qui se +trouvaient sains et saufs, il y avait une jeune mère qui avait perdu ses +quatre enfants; une petite fille de neuf ans restée seule d'une famille +nombreuse, et quantité d'infortunés qui, en quelques minutes, avaient vu +mourir sous leurs yeux, père, mère, frère, sœur, mari, amis... Parmi +ces passagers, un, M. James Bishop, avait eu le bonheur d'être +recueilli, et c'était la troisième fois, disait-il, qu'il échappait à +une mort imminente: il avait failli périr lors de la chute d'un train de +chemin de fer dans une rivière et à la suite du sautage d'un navire par +une torpille. +</p><p> +À dix heures du matin, un trois-mâts américain, le <i>Trimountain</i>, fut +signalé; on lui adressa des signaux de détresse, et le capitaine +Surmont, se rendant aux instances des passagers, qui jugeaient le +<i>Loch-Earn</i> trop endommagé pour conserver un supplément de quatre-vingts +à quatre-vingt-dix-personnes, fit passer les survivants sur le navire +américain, à l'exception d'un passager malade, d'un chauffeur blessé et +d'un troisième passager qui voulut garder son compagnon d'infortune. +</p><p> +A qui incombe la responsabilité de la catastrophe? Une enquête nous +l'apprendra sans doute, mais ce qui, suivant les témoignages déjà +recueillis, parait acquis dès à présent, c'est que le <i>Loch-Earn</i> avait +ses feux réglementaires allumés. Son capitaine aurait dit à un passager +qu'étonné de voir devant lui la silhouette d'un grand vapeur ne faisant +aucun mouvement pour éviter une rencontre, il crut qu'un ou plusieurs de +ses fanaux étaient éteints et qu'on ne l'apercevait pas; il courut à +l'avant, s'assura qu'ils brillaient et fit manœuvrer pour s'éloigner du +navire en vue. +</p><p> +A bord de la <i>Ville-du-Havre</i>, les vigies de l'avant auraient aperçu et +signalé le <i>Loch-Earn</i> quelques minutes avant la collision. +</p><p> +Que s'est-il passé alors? l'officier remplaçant momentanément le +capitaine s'était-il assoupi, n'a-t-il pas entendu l'avis qu'on lui +donnait, ou bien ses ordres ont-ils été mal compris du timonier? Les +auteurs principaux du drame ayant péri, il paraît difficile de savoir la +vérité, mais des positions respectives du <i>Loch-Earn</i> et de la +<i>Ville-du-Havre</i>, au moment de l'abordage, semble résulter ce fait +capital que cette dernière a dû faire une fausse manœuvre. Dans les cas +de rencontre en mer, c'est le vapeur, plus maniable que le voilier, qui, +suivant les règlements maritimes, doit modifier sa route. Par conséquent +la <i>Ville-du-Havre</i> aurait dû incliner vers sa droite et si, pendant son +mouvement, elle eût été abordée, c'est par son côté gauche ou de bâbord +qu'elle eût reçu le choc. Le contraire ayant eu lieu, c'est-à-dire que +le voilier s'étant enfoncé dans les bordages de droite ou de tribord, il +est permis de penser que le coup de barre, indiqué ou donné, a eu pour +résultat de faire virer le paquebot vers la gauche, ce qui lui a fait +présenter le flanc droit au <i>Loch-Earn</i>. Si cela est, la responsabilité +de ce dernier se trouverait dégagée. +</p><p> +Le <i>Trimountain</i> a conduit à Cardiff les naufragés que le steamer +<i>Alice</i>, de Southampton, a ramenés ou rapatriés en France. Quant au +navire, cause de ce grand malheur, il n'avait pas, ainsi que l'indique +le rapport du capitaine Surmont, de cloison étanche proprement dite, +mais son charpentier avait répondu, d'en établir une suffisante pour +permettre de gagner un port. Ces prévisions ne se sont malheureusement +pas réalisées, car, assailli par un gros temps, le <i>Loch-Earn</i> a sombré +en mer; son équipage et les trois naufragés qu'il avait recueillis, ont +pu être sauvés par un bâtiment anglais se rendant d'Amérique en +Angleterre. Ce dernier naufrage a présenté des incidents aussi +palpitants que celui de la <i>Ville-du-Havre</i>. +</p><p> +Terminons en notant un sentiment superstitieux qui subsiste parmi les +populations maritimes de certains ports. Lorsqu'un navire a été dénommé +et baptisé, il ne doit plus changer de nom, sans cela Dieu cesse de le +protéger. A l'appui de cette croyance, les marins vous citent une longue +série de navires ayant changé de nom qui, partis pour la haute mer, ne +sont jamais revenus. Aussi beaucoup d'entre eux refusent-ils de +s'embarquer sur les navires <i>débaptisés</i>. Soyez certain que si vous +parlez à quelque vieux loup de mer de la catastrophe de la +<i>Ville-du-Havre</i>, il vous répondra en hochant la tète: «On lui avait +changé son nom!»<br> + +<span class="rig">P. Laurencin.</span></p> + +<br><br> + +<h2>Inauguration de l'Asile et de l'École de filles de Dugny.</h2> + +<p>Le village de Dugny (Seine) était à peu près inconnu avant la guerre de +1870. Perdu dans la plaine Saint-Denis, entre Stains et le Bourget, il +fallait les désastres de la dernière invasion pour tirer son nom de +l'oubli. En tant que commune ravagée, Dugny méritait, en effet, de fixer +l'attention. Occupé par les troupes ennemies dès le 10 septembre 1870, +il a vu partir le dernier soldat prussien le 20 septembre 1871. +</p><p> +Pendant cette occupation, qui a été la plus longue du département de la +Seine, les projectiles, la rapine, la dévastation même pendant +l'armistice, tout a contribué à la ruine du village. +</p><p> +Grâce à l'énergie et au courage de sa population laborieuse, les traces +de la guerre ont à peu près disparu. +</p><p> +Mais, par suite de ces désastres, la commune a dû faire construire une +salle d'asile et une école de filles. +</p><p> +La pose d'une plaque commémorative et, plus tard, l'inauguration de +l'édifice, ont donné lieu à des cérémonies qui ont été entourées d'un +certain éclat. +</p><p> +Ainsi, pour ne parler que de la dernière, nous citerons la présence de +monseigneur l'archevêque de Paris, de monseigneur Langenieux, évêque de +Tarbes, de M. l'archidiacre de Saint-Denis, de MM. le préfet de la +Seine, le préfet de police, le sous-préfet de Saint-Denis, de M. Artoux, +inspecteur de l'instruction primaire, et enfin de tous les maires des +communes voisines. +</p><p> +Le cortège, qui s'est formé chez M. Étienne Blanc, maire de la commune, +où tous les invités s'étaient réunis, s'est rendu à la nouvelle école. +Une nombreuse assistance l'attendait à son arrivée. +</p><p> +Les élèves de l'école des filles ont chanté, en chœur, un hymne en +remerciement de la visite de monseigneur l'archevêque. +</p><p> +M. le maire de Dugny s'est ensuite adressé à Monseigneur, pour lui +exprimer la reconnaissance des habitants, heureux et fiers de la +présence de toutes les autorités dans leur modeste village. +</p><p> +Une jeune fille de l'école a adressé ensuite à monseigneur l'archevêque +et à M. le maire un compliment au nom de toutes ses compagnes. +</p><p> +Monseigneur Guibert a pris alors la parole et a témoigné dans des termes +empreints d'un sentiment tout paternel, l'intérêt que lui inspire ce +malheureux village, si cruellement éprouvé pendant la guerre. +</p><p> +Après ce discours, Monseigneur a donné la bénédiction à l'édifice ainsi +qu'à l'assistance; puis un chœur, chanté par des amateurs, a terminé la +cérémonie. +</p><p> +Le cortège s'est reformé et a reconduit monseigneur l'archevêque de +Paris et sa suite chez M. le maire.</p> +<br><br> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/008.png"><br><b>LE NAUFRAGE DE LA "VILLE-DU-HAVRE".<br>LA DERNIÈRE MINUTE.</b></p> + +<br><br> + +<h2>La comédie de notre temps, par Bertall (1)</h2> + +<p class="Mid"><b>Note 1:</b> 1 vol grand in-8º illustré. E. Plon et Cie éditeurs.</p> + +<p>M. Bertall, dont le premier grand succès fut sa collaboration au <i>Diable +à Paris</i>, revient aujourd'hui au genre qui lui valut sa réputation, et +il publie sous ce titre la <i>Comédie de notre temps</i>, un livre qui sera, +pour la société de 1870 à 1875, ce que le <i>Diable à Paris</i> fut pour le +monde de 1840, avec cette différence qu'ici, dans ce nouvel ouvrage, +Bertall tient à la fois la plume et le crayon. Il est l'auteur et +l'illustrateur d'un certain nombre de chapitres tout parisiens, d'une +curiosité et d'un intérêt absolus, sur les mœurs actuelles, et, je +n'hésite pas à dire que ce livre, qui nous plaira si fort aujourd'hui, +constituera pour l'avenir un véritable monument où l'on puisera des +notes certaines et originales sur la vie morale de notre époque. Bertall +passe en revue toutes les choses et tous les mondes: le vêtement, le +costume, la toilette, les manières, les manies, les types, les +caractères; il étudie les soirées et les bals, les dîners d'apparat, les +banquets, les artistes, les coulisses (celles de la Bourse et celles du +théâtre), les premières représentations, les soupers, les églises, la +Chambre et la politique, le jeu et les joueurs, en un mot tout ce qui +constitue la vie même de ce temps-ci. Quel dommage qu'un observateur +aussi perspicace, doué d'un pareil talent, ne se soit pas trouvé à +chaque époque pour nous léguer la <i>vérité vraie</i> et la <i>vérité vue</i> sur +l'époque qu'il traversait! Les croquis de Debucourt et de Carle Vernet +nous en disent long sur le Directoire, les muscadins et les +<i>merveilleuses</i>, mais Debucourt pas plus que Vernet n'avaient, comme eût +dit Musset, <i>un joli brin de plume</i> emmanché dans le crayon. Bertall, du +moins, s'il enlève lestement un croquis du <i>gommeux</i>, y ajoute le texte +et les réflexions morales: «Le <i>gommé</i> ou <i>gommeux</i> est l'antithèse du +dégommé. Celui donc qui est bien en vue, qui brille, qui est envié pour +sa toilette, sa position, son genre et son chic, est un <i>gommeux</i>.» +Balzac, qui fut le parrain de Bertall, en littérature et en art, eût +applaudi à ces chapitres alertes de la Comédie de notre temps qui +constituent, en somme, la physiologie de la seconde partie du XIXe +siècle: Album, recueil, livre, dit Bertall en parlant de son ouvrage, +quelque nom que l'on veuille bien lui donner, il n'a pas d'ambitions +bien hautes.» Il aurait tort de n'en pas avoir, car, sans prétention, +c'est là l'œuvre d'un philosophe et d'un satirique qui a beaucoup vu, +beaucoup étudié, très-bien observé, et qui nous donne sous une forme +durable, agréable, charmante, le fruit à point mûri de ses observations. +</p><p> +La <i>Comédie de notre temps</i> fera doublement honneur à Bertall, et elle +obtiendra un double succès: œuvre de piquante littérature, elle sera +classée parmi les plus jolies études de mœurs; œuvre d'art, elle +léguera à l'avenir la physionomie même de ce temps, avec tous ses tics, +toutes ses élégances, toutes ses habitudes, toutes ses séductions et +tous ses ridicules.<br> +<span class="rig">Jules Claretie.</span></p> + +<br><br> +<h2>Jeanne d'Arc</h2> + +<p>Le succès de <i>Jeanne d'Arc</i>, que notre collaborateur M. Savigny avait +signalé dès la première représentation de ce drame lyrique, qui devient +populaire, s'affirme de jour en jour. L'<i>Illustration</i> lui doit les +honneurs d'une gravure et les lui fait bien volontiers, en s'associant à +la vive sympathie du public pour le poète, M. Barbier, et pour le +musicien, M. Gounod. Elle rend aussi le tribut d'éloges dû aux +décorateurs et aux interprètes de cet ouvrage. Elle donne les +principales scènes du drame et dans la décoration du fort et de la +courtine d'Orléans, au-dessous desquels se dessine le pont de la Loire, +et dans cette vue du parvis et de l'église de Reims, et dans cet acte où +s'élève le bûcher qui doit dévorer l'héroïne. Au centre, le dessinateur +a placé le portrait de Mlle Lia-Félix. Bien des rôles ont marqué la +carrière déjà longue de l'éminente artiste. Elevée à cette grande école +du bien dire que Mlle Rachel a formée autour d'elle et dans sa propre +famille, au milieu de ses sœurs dont elle est aussi une des gloires, +Mlle Lia-Félix a fait, dans une série de drames joués depuis tantôt +quinze ans, une foule de créations qui lui ont mérité une légitime +réputation et qui lui ont valu la première place parmi les interprètes +du drame. Jamais le triomphe de Mlle Lia-Félix, même aux jours de la +<i>Fille du paysan</i>, n'a été plus vif et plus grand que dans <i>Jeanne +d'Arc</i>. Jamais elle n'a déployé des qualités dramatiques aussi +saisissantes. Mlle Lia-Félix a résumé dans ce rôle toute la puissance de +son talent, par l'émotion vraie, le sentiment, la noblesse et l'énergie. +Il y a là comme le souvenir de l'illustre tragédienne, et nous avons cru +la voir revivre surtout dans cette scène finale du drame, dans laquelle +Mlle Rachel n'aurait pas arraché plus de larmes et appelé à elle plus +d'applaudissements.</p> +<br><br> + +<h2>BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE</h2> + +<p><i>Les Applications de la physique</i>, par M. Am. Guillemin.--La librairie +Hachette, à laquelle on doit déjà les beaux volumes de science illustrés +qu'elle a édités depuis plusieurs années avec un véritable dévouement +scientifique: le <i>Ciel, l'Atmosphère et les grands phénomènes de la +nature, les Voyages aériens, la Terre, le Monde souterrain, les +Phénomènes de la physique</i>, vient de publier un nouvel ouvrage de M. +Guillemin, qui certainement n'aura pas moins de succès que ses +prédécesseurs. +</p><p> +Après avoir raconté les phénomènes de la physique, l'auteur vient +aujourd'hui nous en exposer les applications, dans le triple domaine de +l'art, de l'industrie et de la science elle-même. Quel sujet serait plus +fécond que celui-ci? Le monde n'est-il pas véritablement transformé +depuis la découverte des agents qui régissent l'univers? Neuf jours +suffisent aujourd'hui pour traverser l'Atlantique et passer de notre +vieux continent dans le continent découvert, il n'y a pas encore quatre +siècles, par Colomb! Quelques jours suffisent pour traverser l'Europe +entière et parcourir l'Asie! En quelques secondes nous envoyons une +dépêche d'Europe en Amérique et en recevons la réponse! Merveille plus +surprenante encore: Nous écrivons de notre, main un billet de Paris à +Marseille, et 1e fac-similé de notre l'écriture se transporte lui-même +et se reproduit à 864 kilomètres de distance! La lune est à 96,000 +lieues d'ici; nous la rapprochons à 48 lieues pour en étudier les +paysages, et l'on s'occupe actuellement de réaliser en Amérique le +projet de construire le gigantesque télescope qui doit la rapprocher à 3 +lieues. +</p><p> +Le soleil est éblouissant; après l'avoir pesé et mesuré, on l'éclipse à +volonté pour analyser les gaz qui brûlent autour de lui avec des flammes +de 30,000 lieues de hauteur. +</p><p> +A la surface de la terre, le microscope nous a révélé l'existence d'un +monde invisible, incomparablement plus peuplé que tout ce que nous +voyons de nos yeux autour de nous. Les nuages s'élèvent des mers et sont +amenés par le veut au-dessus de nos têtes; l'aérostat glorieux les +traverse et nous emporte, palpitants d'émotion et de bonheur, dans le +ciel toujours pur illuminé par le soleil, au-dessus des agitations et +des tourmentes d'ici-bas! Jamais, non jamais, les procès de sorcellerie +du moyen âge ni les routes féeriques de l'Orient enchanté, n'ont rien +imaginé de comparable à la situation scientifique du XIXe siècle, dont +les savants nous gratifient, malgré toutes les sottises politiques, tous +les errements religieux, tous les troubles internationaux qui, +semble-t-il, devraient arrêter la marche du progrès. +</p><p> +En décrivant les applications de la physique, et en les expliquant par +de nombreux dessins, M. Guilledin a mis en évidence cette situation +scientifique, si éminemment digne de notre attention. Je répéterai ici +les lignes que j'écrivais en souhaitant la bienvenue, il y a neuf ans, +au <i>Ciel</i>, du même auteur: «Un vulgarisateur doit être à la fois +littéraire, éloquent et familier pour ceux qui l'écoutent, savant et +fidèle interprète de la science; ceux qui, comme l'auteur de ce livre, +réunissent ces facultés ont droit à l'estime et à la reconnaissance des +amis du progrès.»<br> + +<span class="rig">Camille Flammarion.</span></p><br><br> + +<p>Nous nous bornerons à annoncer aujourd'hui les excellents livres de la +Bibliothèque d'éducation et de récréation de la librairie Hetzel; nous +reviendrons à loisir dans notre prochain numéro sur l'ensemble de cette +collection, si justement appréciée des familles.--Quatorze nouveaux +ouvrages signés par <i>MM. Jules Verne, Viollet-le-Duc, P. J. Stahl, +Lucien Biart, Mayne Reid</i>, et par M. le capitaine de frégate <i>Louis du +Temple</i>, illustrés par nos meilleurs artistes, enrichissent aujourd'hui +le trésor littéraire de l'enfance et de la jeunesse, avec les deux +volumes de l'année 1872 du Magasin d'éducation et de récréation de M. J. +Macé, Stahl et Jules Verne.--Nous renvoyons nos lecteurs et nos +lectrices à l'extrait du catalogne de la Bibliothèque d'éducation et de +récréation que nous donnons à la fin de ce numéro. +</p><p> +L'<i>Essai loyal en Espagne</i>, par MM. Louis Teste et Francis Magnard. (1 +vol. E. Vatou.)--Le 11 février 1873, les Cortès espagnoles ont proclamé +la République. Cette forme de gouvernement s'imposait à la nation, après +l'abdication et le départ du roi Amédée. Quelqu'un avait dit en parlant +de ce règne du prince italien: «La royauté sera un expédient jusqu'à <i>la +majorité de la République</i>.» Majeure ou non, en février 1873, la +République était née et elle fut proclamée. D'honnêtes gens, de bons +citoyens, se mirent à l'œuvre pour fonder le régime nouveau, et nul +d'entre eux, je gage, ne se dissimulait les difficultés de son œuvre. +Mais ce n'est pas au moment de la tempête qu'on discute la forme du +bateau de sauvetage. Le brave et probe Emilio Castelar essaya de lutter, +et, jusqu'ici, par quelque dures épreuves qu'ait passé l'Espagne, il +faut reconnaître que M. Castelar a fait mieux que des discours. Il a +affirmé sa foi par des actes et risqué un peu sa vie chaque jour, ce qui +constitue déjà un certain avoir. Sans nul doute la République, <i>l'Essai +loyal</i>, comme disent les auteurs du présent livre, a vu, en Espagne, de +terribles, d'affreux épisodes; mais, sans compter les anecdotes qu'on +pourrait porter au compte de la monarchie, il faut reconnaître que la +République avait accepté et non créé la situation présente. +</p><p> +La République n'a pas craint de faiblir devant la tâche qu'Amédée a +refusée. Le hideux spectacle donné par un Santa-Cruz ou par les +<i>intransigeants</i> de Carthagène doit-il faire maudire la République, ce +<i>génie fatal</i>, disent les auteurs, et donner raison au mot d'O'Donnell: +«L'Espagne est un bagne en liberté?» Nous estimons que non. J'ajoute que +O'Donnell est sujet à caution. +</p><p> +Toujours est-il que MM. Teste et Francis Magnard ont voulu +spirituellement railler l'<i>Essai loyal</i> en Espagne, et il faut bien +reconnaître qu'ils y ont réussi. En dehors de toute affaire de parti, la +situation de l'Espagne, on doit l'avouer, est tout à la fois tragique et +comédie. Le drame tourne souvent à l'opérette et l'opérette à la +boucherie, sur cette terre détrempée de sang. Pauvre pays, jadis si +grand et je dirai toujours si grand, car si les mains armées y sont +promptes, les cœurs y sont toujours fiers et les fronts y demeurent +hauts. +</p><p> +M. Teste, qui avait déjà publié un livre remarquable sur l'Espagne +contemporaine, et M. Bagnard, qui s'était si bien imprégné, dans un +voyage, de la couleur du pays, ont présenté un tableau de l'Espagne +républicaine qui n'est pas sans rapport avec la <i>Grèce contemporaine</i> de +M. About. C'est un pamphlet spirituel, mordant, railleur, où l'<i>oreiller +de don Nicolas Salmeron</i> est mis en scène comme les massacres d'Alcoy, +et,--en faisant la part des tendances du livre,--on ne saurait mieux +peindre et mieux conter. M. Bagnard, dont la plume vive et mordante +aborde avec talent le roman, a donné là à l'histoire le ton de la +chronique armée en guerre. On se plaît au style alors même qu'on se +cabre devant l'opinion politique. Livre à lire, donc, et à garder, car +il est plein d'idées qui appellent la discussion, et de faits, hélas! +qui amènent la réflexion. Que la France jamais ne devienne l'Espagne! +</p><p> +Le <i>Repos hebdomadaire</i>, par M. Julien Hayem. (I vol. in-18, Didier et +Cie.)--Voici, je pense, le premier ouvrage d'un écrivain qui n'est pas +seulement un homme de lettres, mais tut homme d'action, en ce sens que, +non content d'être licencié en droit et licencié ès-lettres, il s'est +fait encore manufacturier, pour suivre le courant du siècle et obéir au +mot d'ordre américain, <i>Go ahead!</i> M. Julien Hayem a mis pour épigraphe +à son livre sur le <i>Repos hebdomadaire</i> une citation de l'<i>Émile</i>; «Le +grand secret de l'éducation, dit J. J. Rousseau, est de faire que les +exercices du corps et ceux de l'esprit servent toujours de délassement +les uns aux autres.» L'épigraphe donne, en effet, résume l'esprit du +livre. Il faut du repos à l'homme qui travaille, il faut détendre la +corde de l'arc si l'on ne veut point qu'il se brise. Le repos dominical +n'est pas seulement une habitude, c'est un besoin. M. J. Haye l'a +parfaitement fait sentir en parlant du respect merveilleux qui s'attache +à ce repos hebdomadaire et concluant que le passé de cette institution +répond de son avenir. M. Haye a d'ailleurs le bon sens de ne point +demander que cette fête magistrale du dimanche soit rendue obligatoire. +Les mœurs se chargent toutes seules de faire ce que ne feraient +peut-être pas les décrets. «Qu'on se garde donc, dans l'intérêt du repos +hebdomadaire, de substituer,--dit l'auteur de ce livre,--à des +fondements taillés dans le roc de l'histoire et appuyés sur les besoins +les plus légitimes du corps et de l'esprit humain, la base fragile et +périssable de l'obligation et de la contrainte légales.» +</p><p> +On voit quel est l'esprit de cette utile monographie. M. Haye, après +avoir recherché les origines historiques du repos hebdomadaire,--qui +remontent au sabbat des Hébreux,--résume l'histoire de la législation de +ce bienheureux septième jour, depuis le IV siècle jusqu'à la Révolution; +il examine ensuite l'utilité du repos dominical pour les ouvriers, les +enfants, les adultes; il se demande enfin par quelles institutions on +pourrait propager l'habitude du repos hebdomadaire et en utiliser +l'emploi. Et toujours, dans ces divers chapitres, l'auteur voit et dit +juste et apporte de vives lumières sur la question en litige. M. Julien +Haye a obtenu, avec ce livre, le prix qu'avait mis au concours, en +1871, l'Académie des sciences morales et politiques. C'est le plus bel +éloge qu'on puisse faire de ce travail solide, très-curieux sur un sujet +spécial, et écrit avec talent, sans phrase et sans recherche, par un +esprit très-pratique et très-libre. +</p><p> +<i>Études sur la littérature contemporaine</i> (quatre séries), par M. Edmond +Schérer. (4 vol. chez Michel Lévy.)--M. Edmond Schérer s'est fait à la +fois, dans la politique et dans les lettres, une place privilégiée, hors +de discussion et, si je puis dire, en pleine estime. C'est un esprit +net, solide, un peu froid, mais érudit, plein de pensées et ne +sacrifiant rien au faux goût en littérature, à la popularité facile, en +politique. Critique littéraire au journal <i>le Temps</i>, il a depuis dix +ans acquis une autorité incontestée dans ce domaine des études +bibliographiques que les rudes événements de ces années dernières ont +fait un peu trop délaisser. M. Schérer a toujours réuni (et il a eu +raison) ses articles de journaux et volumes. On eût regretté de ne point +retrouver, sous une forme plus durable, ces études savantes ou +savoureuses dont on avait fait sa lecture d'un soir. On peut dire de M. +Schérer ce qu'il a écrit de Prévost-Paradol: Il improvise des pages +durables.<br> +<span class="rig">Jules Claretie.</span></p> +<br><br> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/009.png"><br><b>THÉÂTRE DE LA GAÎTÉ.--Mlle Lia-Félix dans <i>Jeanne +d'Arc</i>.</b></p> +<br><br> + +<h2>L'HISTOIRE DE FRANCE</h2> +<h3>Racontée à mes petits enfants</h3> +<h4>PAR M. GUIZOT</h4> + +<p>L'Histoire de France de M. Guizot en est à son troisième volume. Ce +volume ne le cède en rien aux deux qui l'ont précédé. On y retrouve la +même clarté et la même élégance dans l'exposition des faits. C'est la +même intelligence nette et vive qui en éclaire les points obscurs, le +même esprit ferme qui en dégage la moralité. Il commence avec François +Ier pour finir avec Henri IV. Cette période est l'une des plus +intéressantes et des plus dramatiques de notre histoire nationale. +D'abord c'est du commencement du XVIe siècle que date la Renaissance. +Non que le moyen Age ait été une époque de stérilité et de décadence. Il +a son encyclopédiste, le moine Vincent de Beauvais; ses philosophes, +Gerbert, Abélard, Bernard, Robert de Sorbon; il a ses prosateurs, +Villehardouin, Joinville, Froissart, Commynes. Mais au moment où nous +sommes parvenus, une grande révolution a lieu dans la marche de notre +génie national. Il quitte sa voie propre, originale, pour + +<span class="lef"><img alt="" src="images/010a.png"><br> <b>Abjuration de Henri IV.</b></span> + +s'engager dans celle de l'imitation, où vont le pousser peuples et +princes, également affolés des œuvres et des gloires des sociétés de la +Grèce et de Rome, remises en honneur. C'est encore à cette époque que +remonte la révolution religieuse opérée par Luther en Allemagne, Zwingle +en Suisse et Calvin à Genève et en France, révolution qui alluma tant de +guerres dans ce dernier pays, et, au nom de Dieu, y fit commettre tant +de crimes. Deux figures se détachent au point culminant de cette lugubre +époque, les héros de la Saint-Barthélemy, Charles IX et Catherine de +Médicis. Que de nobles victimes tombées à côté de l'amiral de Coligny, +dans cette nuit sanglante! On sait que ce n'est qu'en abjurant le +protestantisme que le prince de Condé et celui qui devait être Henri IV +purent sauver leur vie. Mais le Béarnais n'était pas homme à se laisser +lier par cet acte obtenu par la violence. Sous une apparente bonhomie, +c'était un esprit fin, rusé, souple au besoin, peu scrupuleux sur +l'emploi des moyens, et allant avec une invincible ténacité à son but, +qui était la conquête du royaume et de la royauté. Et lorsque parvenu au +pied du trône, il mil à interroger sa conscience pour savoir si elle lui + +<span class="lef"><img alt="" src="images/010b.png"><br> <b>Vincent de Beauvais.</b></span> +<span class="rig"><img alt="" src="images/010c.png"><br> <b>Abélard.</b></span> + +permettait d'en escalader les marches, il trouva tout naturellement que +«Paris valait bien une messe». Un de nos dessins se rapporte à cette +seconde abjuration du roi Henri, qui eut lieu le dimanche 25 juillet +1593. Le roi est représenté se rendant en grande pompe à l'église +Saint-Denis. Arrivé avec toute sa suite devant le grand portail, il y +fut reçu par l'archevêque de Bourges, Regnault de Beaune, et tous les +religieux de l'abbaye.--Qui êtes-vous? lui demanda l'archevêque, qui +officiait.--Je suis le roi.--Que demandez-vous?--Je demande à être reçu +dans le giron de l'église catholique, apostolique et romaine.--Le +désirez-vous?--Oui, je le veux et le désire. A cette parole, le roi se +mit à genoux et fit la profession de foi convenue. Tout était fini et +Henri IV, suivant son expression, «avait fait le saut périlleux». Par +cet acte et la trahison de Brissac, le nouveau roi, mis en possession du +trône, eut vite réduit sous son obéissance la Bourgogne, la Picardie et +la Bretagne, qui seules refusaient de se soumettre. Libre désormais de +soucis de ce côté, il travailla alors énergiquement à la restauration de +l'autorité royale, et par diverses mesures: la destruction des +franchises municipales, les rigueurs de la censure royale, +l'asservissement du parlement + +<span class="rig"><img alt="" src="images/010d.png"><br> <b>Charles IX et Catherine de Médicis.</b></span> + +et la réforme universitaire, il prépara et rendit possible la monarchie +despotique de Richelieu et de Louis XIV. Seize ans plus tard, passant +dans la rue de la Ferronnerie en son carrosse où il se trouvait avec MM. +de Montbazon et d'Epernon, il tombait frappé de deux coups de couteau +par Ravaillac. Malherbe, alors attaché au service d'Henri IV, a raconté +dans une lettre cet abominable assassinat. «Tout aussitôt, écrit-il, le +carrosse tourna vers le Louvre. Le roi fut porté en haut par M. de +Montbazon, le comte de Curzon en Quercy et mis sur le lit de son +cabinet, et sur les deux heures porté sur le lit de sa chambre, où il +fut tout le lendemain et le dimanche. Un chacun allait lui donner de +l'eau bénite. Je ne vous dis rien des pleurs de la reine; cela se doit +imaginer. Pour le peuple de Paris, je crois qu'il ne pleura jamais tant +qu'à cette occasion.» Tels sont les événements retracés dans le +troisième volume de l'<i>Histoire de France</i> de M. Guizot. Nous avons dit +combien attachante en est la lecture; nous n'y reviendrons pas. Ajoutons +que ce volume qui, on le sait, sort de la librairie Hachette, est +magnifiquement illustré de soixante-quatorze gravures dessinées sur bois +par M. de Neuville.</p> + +<p class="mid"><span class="sml">Gravures extraites de +l'<i>Histoire de France racontée à mes petits-enfants</i>, par M. Guizot. +(Hachette et Cie, éditeurs.)</span></p> + +<br><br> + +<h2>UN VOYAGE EN ESPAGNE<br> +PENDANT L INSURRECTION CARLISTE</h2> + +<h3>VI</h3> + +<p>Nomination des quatre généraux pour commander l'armée carliste: Ellio, +Dorregaray, Lissarraga et de Valdespina.--Entrée de don Carlos en +Espagne.--Appel aux armes.--Le château de la duchesse de M***.--Le +journalisme espagnol.--Succès remportés par les carlistes.--Situation +actuelle.--Comment pourra se terminer ta guerre civile; solution +probable. +</p><p> +C'est vers le courant du mois de juin, alors que les bandes nombreuses +disséminées en Biscaye, dans le Guipuzcoa et la Navarre, avaient étendu +partout leurs opérations, que la junte de guerre, qui venait de réaliser +un nouvel emprunt en Angleterre, jugea à propos de les former en trois +corps d'armée placés sous les commandements de Dorregaray, Lissarraga et +de Valdespina. Je dois constater que ce fut la première organisation +sérieuse qui ait été faite de l'insurrection carliste. Le général Ellio +fut placé, en qualité de major-général, à la tête de ces trois corps +d'armée. +</p><p> +Un mot sur ces quatre chefs. +</p><p> +Ellio est un vieux général bien connu, qui a fait ses preuves pendant la +guerre de Sept ans. Ami et compagnon de Cabrera et de Zumalacarregui, il +a été un des plus braves adversaires du général Espartero, commandant en +chef des troupes de la reine Christine, et l'a battu dans plusieurs +rencontres, notamment à la bataille livrée aux environs de Vitoria. +Pendant sept ans, à la tête des bandes navarraises, il a parcouru toutes +les provinces du Nord, franchi l'Ebre et fait trembler la régente jusque +sur son trône. Il connaît donc tout le pays envahi encore aujourd'hui +par les carlistes, et nul ne peut mieux que lui savoir tirer un bon +parti de sa topographie. Aussi, les mouvements stratégiques que les +troupes carlistes effectuent en ce moment s'exécutent-ils d'après le +plan qu'il a tracé lui-même. Ellio est donc, à l'heure qu'il est, l'âme +et l'inspirateur de l'insurrection carliste. +</p><p> +Dorregaray, que don Carlos a investi du commandement de la Navarre, est +un officier très-distingué, d'origine basque, et connaissant, lui aussi, +parfaitement la carte du pays, théâtre actuel de la guerre civile. Il +l'a prouvé, au reste, d'une manière incontestable, à la bataille +d'Eraül, où en faisant mouvoir savamment ses troupes à travers les +montagnes, il parvint à couper la brigade de Novarro de celle de +Cabrinetti; ce qui décida de la bataille qu'il gagna. On sait que la +bataille d'Eraül passe, à juste titre, pour un des plus beaux faits +d'armes de l'insurrection actuelle. +</p><p> +Lissarraga est un ancien lieutenant-colonel de l'armée régulière, sous +le règne d'Isabelle II. Après la révolution de septembre 1868, qui +détrôna cette reine, il embrassa le parti de don Carlos. Nommé au +commandement de la Biscaye, il a su concentrer habilement les bandes +qui, disséminées sur divers points, opéraient sans ordre et sans but +déterminé d'avance. Il en forma un corps d'armée qui a fait, pendant +plus d'un mois, le blocus de Bilbao, un instant sur le point de tomber +au pouvoir des carlistes. +</p><p> +Quant au marquis de Valdespina, un des plus riches propriétaires du +Guipuzcoa et dont le château, situé aux environs de Loyola, passe à bon +droit pour une merveille d'architecture; il est très-aimé dans la +contrée. Distingué par la noblesse de son caractère, la sincérité de ses +convictions royalistes, sa bravoure et sa loyauté, de Valdespina jouit +de l'estime de tous les habitants des quatre provinces, même de celle de +ses adversaires politiques. La meilleure preuve qu'on puisse en donner, +c'est le respect qu'ont eu les libéraux et les troupes régulières pour +son château qui, quoique placé au centre de l'insurrection, et par +conséquent du mouvement des brigades républicaines, n'a éprouvé, de leur +part, aucun dégât. J'ajouterai, en outre, qu'il est un des chefs les +plus actifs et celui qui exerce le plus d'influence sur l'esprit des +populations des provinces insurgées. +</p><p> +Ces quatre chefs, qui connaissent la contrée et ses montagnes dans tous +leurs recoins, ont une grande supériorité de stratégie sur les généraux +du gouvernement, dont la plupart n'ont pas la moindre notion +géographique du terrain sur lequel ils font mouvoir leurs troupes. Ce +qui explique combien il sera difficile à la république de Castelar, en +supposant même qu'elle puisse disposer de forces suffisantes, d'étouffer +l'insurrection. J'estime donc que, dans le cas où elle ne triompherait +pas, l'insurrection peut durer encore bien des années. +</p><p> +Un mois après les opérations vigoureuses entreprises par ces quatre +commandants, la situation du parti carliste parut être si florissante +que les chefs de l'insurrection crurent pouvoir engager don Carlos, qui +habitait toujours le château de Peyrolhade, de venir se mettre à la tète +des «troupes libératrices de l'Espagne». En conséquence, le 18 du mois +de juillet dernier, le prétendant, escorté d'un brillant état-major, +partit du camp de <i>Pena-Plata</i>, franchit la frontière et se rendit à +Vera, où il fut reçu avec le plus grand enthousiasme de la part des +populations et de ses troupes accourues sur son passage. Les cloches des +églises sonnèrent à toute volée et les curés des paroisses que +traversait le cortège vinrent processionnellement lui présenter leurs +hommages. Jamais aucun souverain de l'Espagne n'avait été accueilli avec +autant de démonstrations sympathiques. +</p><p> +Cette entrée triomphale et inattendue de don Carlos sur le territoire +espagnol surprit le gouvernement de Madrid, qui ne s'attendait pas à le +voir de sitôt se mettre à la tête des troupes insurrectionnelles. On +avait répandu tant de faux bruits sur le compte du prétendant, que les +uns faisaient voyager à l'étranger et dont les autres avaient annoncé +tant de fois la mort, qu'il était bien permis à Figueras, chef du +pouvoir exécutif, d'avoir été pris au dépourvu par cette audacieuse +entreprise. Mais ce qui déconcerta le plus les membres du gouvernement +républicain, c'est que don Carlos faisait coïncider précisément son +entrée sur le territoire espagnol avec les insurrections +internationalistes, fédérales, cantonales et autres qui agitaient +Barcelone, Cadix, Carthagène, Grenade, Séville, et les principales +villes du Midi et du Centre de la Péninsule. +</p><p> +J'étais à Pampelune lorsque la nouvelle de l'entrée du roi en Espagne se +répandit dans le public. Dans cette ville, entièrement carliste, elle +fut accueillie avec des transports d'allégresse par tous les habitants +qui manifestaient ouvertement la joie et la satisfaction qu'elle leur +faisait éprouver. On l'avait affichée sur tous les murs de la ville +d'une manière tellement ostensible, qu'on n'aurait jamais cru se trouver +dans une cité soumise au régime républicain. Pour ma part, j'en fus +étrangement surpris, quoique habitué, depuis longtemps, aux bizarreries +et aux contradictions du caractère espagnol en matière politique. Il est +à remarquer que Pampelune, capitale de la Navarre, est une place forte +de première classe, possédant une population d'environ seize mille +habitants et une garnison ordinairement assez nombreuse. Celle-ci, dont +l'effectif s'élevait à cinq ou six mille hommes de toutes armes, parut +rester complètement indifférente à toutes ces manifestations politiques. +</p><p> +Tandis que don Carlos s'avançait ainsi dans l'intérieur de la Navarre, à +la tête de son état-major, et qu'il allait établir son quartier général +à San-Estaban, ses émissaires faisaient publier par les <i>alcaldes</i> +(maires) et placarder dans les villages et les localités importantes +l'ordonnance suivante, qui n'est autre qu'un appel aux armes, dont je +reproduis la traduction comme étant à la fois un document et une +curiosité historiques. +</p><p> +«Ordonnance de Sa Majesté le roi Carlos <i>settimo</i>, que Dieu garde! +</p><p> +«Mes fidèles et aimés sujets des provinces de la Navarre, du Guipuzcoa, +de la Biscaye et de l'Alava, je vous ordonne par la présente patente de +prendre les armes et de marcher à la défense de mes droits sacrés, qui +sont aussi les vôtres, afin de reconquérir <i>vos fueros</i>, vos privilèges +et toutes vos immunités que vous ont octroyés mes ancêtres et que les +gouvernements usurpateurs vous ont ravis. +</p><p> +«Sur le vu de la présente, scellée de mon sceau royal, tout Basque âgé +de vingt à quarante ans s'enrôlera sous ma noble bannière. Il obéira aux +ordres des braves et vaillants <i>cabecillos</i> que j'ai investis de mon +autorité. Des armes et des munitions seront fournies à tous. Avec l'aide +de Dieu et le secours de mon épée, nous triompherons des usurpateurs et +nous rétablirons le trône de mon auguste aïeul Philippe V. Que mes +fidèles sujets des quatre provinces restées attachées à ma cause se le +tiennent pour dit!--MOI, <i>le roi Carlos settimo</i>.» +</p><p> +Un exemplaire de cette ordonnance me fut donné, le lendemain même de sa +publication, dans un des principaux cercles de Pampelune, où elle +circulait de main en main. On se la communiquait sur la place de la +Constitution, dans les promenades, et jusque sur les marchés publics, +comme s'il se fût agi d'un acte officiel du gouvernement établi; avec +plus d'empressement encore, car les actes officiels de ce dernier +étaient loin de recevoir de la part des Pampelunais un accueil aussi +empressé. +</p><p> +J'avais fait connaissance, pendant le peu de temps que je séjournai dans +la capitale de la Navarre, de deux jeunes gens fort distingués qui +avaient fait leurs études à Paris, fils d'un magistrat du tribunal +supérieur de la ville. Quel ne fut pas mon étonnement, lorsque, le +lendemain de la publication de la susdite ordonnance, les deux frères +vinrent me trouver à l'hôtel pour me faire leurs adieux. +</p><p> +--Où allez-vous donc? leur dis-je, étonné de leur départ précipité, dont +ils ne m'avaient rien dit la veille. +</p><p> +--Nous allons rejoindre l'armée du roi, me dit l'aîné, à peine âgé de +vingt et un ans; voyez l'ordre qui nous enjoint de partir, ajouta-t-il +en me montrant la fameuse ordonnance dont j'avais un exemplaire entre +les mains. +</p><p> +--Comment, lui dis-je, vous allez quitter votre famille, vous séparer de +votre digne père qui vous adore, pour aller affronter à travers les +montagnes les hasards de la guerre de partisans? Ce n'est pas possible. +Le premier de vos devoirs, ce me semble, est de rester auprès de vos +parents; c'est, au surplus, le conseil que je vous donne en véritable +ami. +</p><p> +--Le roi a parlé, me répondit-il gravement, nous n'avons plus à hésiter. +Notre valise est prête, et dans une heure nous serons sur la route qui +conduit au quartier général de Sa Majesté, Adieu et au revoir! +</p><p> +Et les deux frères me quittèrent pleins de cette foi ou de ce fanatisme +politiques qui animaient les peuples du temps des croisades, et dont les +Basques et les Navarrais semblent avoir conservé, seuls, la tradition. +Quinze jours après leur départ, le plus jeune tomba mortellement blessé +à l'attaque de Tolosa, et l'aîné a été tué, il y a quelques jours, au +siège d'Estella, soutenu contre les troupes de Moriones, qui furent +forcées d'abandonner leurs positions.<br> + +<span class="rig">H. Castillon (d'Aspet).</span></p> + +<p>(La suite prochainement.)</p> + +<br><br> + +<h2>LA COMÉDIE DE NOTRE TEMPS, PAR BERTALL</h2> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/011-small.png"><br><a href="images/011-large.png">(Agrandissement)</a></p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/012-small.png"><br><a href="images/012-large.png">(Agrandissement)</a></p> +<br><br> + + +<h2>LE DROMADAIRE</h2> + + + +<p>On connaît deux espèces de chameaux, l'une africaine, le dromadaire, +l'autre asiatique, le chameau à deux bosses ou de la Bactriane. C'est +seulement de la première espèce que nous voulons dire quelques mots. +</p><p> +Le dromadaire est l'animal le plus utile qu'il y ait en Afrique. C'est +un ruminant de grande taille, dont les variétés sont nombreuses. En +effet, entre un <i>bischarin</i>, c'est-à-dire un chameau élevé par les +nomades Bischarins, et le chameau de somme d'Égypte, il y a autant de +différence qu'entre un cheval arabe et un cheval de trait. Tous, ou peu +s'en faut, ils n'en sont pas moins également laids. Leurs poils sont +laineux et inégaux ils ont des callosités à la poitrine, aux coudes, aux +genoux et aux chevilles; leur tête surfont est affreuse. +</p><p> +Le chameau est un véritable animal du désert, que peuvent, grâce à lui +seulement, traverser les caravanes qui vont commercer au sud, à l'est et +à l'ouest. Il ne se trouve que dans les endroits les plus secs et les +plus chauds. +</p><p> +Dans les lieux cultivés il perd sa véritable essence. Il est très-sobre, +a une nourriture exclusivement végétale et n'est nullement difficile +pour ses aliments. On sait qu'il peut rester longtemps sans boire, mais +non quinze à vingt jours, comme d'aucuns le prétendent. Au bout de six à +huit jours, il est urgent de lui présenter de l'eau. A voir un chameau +au repos, on ne croirait pas qu'il puisse; rivaliser de vitesse avec le +cheval. Et cependant rien n'est plus vrai. Les chameaux des steppes et +du désert sont les plus rapides à la course; ils parcourent d'une traite +un espace considérable aussi facilement que nul autre animal domestique.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/013a.png"><br><b>Le dromadaire.--Caravane dans le désert. Gravure extraite +de la <i>Vie des Animaux illustrés</i>. (J.-B. Baillière, éditeur)</b></p> + +<p>S'il a quelques qualités, en revanche le chameau compte de nombreux +défauts, parmi lesquels la paresse, la stupidité, une mauvaise humeur +continuelle, l'entêtement et l'obstination, la haine ou l'indifférence +vis-à-vis de son gardien. Ajoutons qu'il répand une odeur infecte, et +que son cri est épouvantable. +</p><p> +Le prix d'un chameau varie suivant les localités. Un excellent bischarin +vaut de 300 à 450 francs de notre monnaie. Un chameau de somme ordinaire +se paye rarement plus de 110 francs. D'après nos idées, ces prix +seraient très-bas; mais dans le Soudan, où l'argent a une très-grande +valeur, ce sont de fortes sommes. Pour 90 francs, on peut acheter un +jeune chameau, ou un chameau de qualité inférieure. Presque partout, le +prix d'un chameau est le même que celui d'un âne; dans le Soudan, un bon +âne vaut plus que le meilleur des chameaux. +</p><p> +Les détails qui précèdent, ainsi que le dessin que nous donnons, sont +extraits du très-intéressant et très-curieux ouvrage que publie la +librairie J.-B. Baillière: <i>La vie des Animaux illustrés</i> ou description +populaire du règne animal, composé de plusieurs séries et de plusieurs +volumes grand in-8º colombier, illustrés de 800 figures dans le texte et +de 40 planches tirées hors texte sur papier teinté.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/013.png"><br><b>L'asile de l'École de filles de Dugny.-(Voy. page 386.)</b></p> + +<br><br> + + + +<p class="mid"><img alt="" src="images/014.png"><br></p> + +<p class="mid">EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS:</p> +<p class="mid">Ne crois point aveuglément les articles des journaux.</p> + + +<br><br> +</div> + + + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of L'Illustration, No. 1607, 13 décembre +1873, by Various + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 1607, 13 DÉCEMBRE 1873 *** + +***** This file should be named 44141-h.htm or 44141-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/4/4/1/4/44141/ + +Produced by Rénald Lévesque + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the +trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone +providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance +with this agreement, and any volunteers associated with the production, +promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works, +harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees, +that arise directly or indirectly from any of the following which you do +or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm +work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any +Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause. + + +Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm + +Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of +electronic works in formats readable by the widest variety of computers +including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at http://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact +information can be found at the Foundation's web site and official +page at http://pglaf.org + +For additional contact information: + Dr. Gregory B. Newby + Chief Executive and Director + gbnewby@pglaf.org + + +Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation + +Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide +spread public support and donations to carry out its mission of +increasing the number of public domain and licensed works that can be +freely distributed in machine readable form accessible by the widest +array of equipment including outdated equipment. Many small donations +($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt +status with the IRS. + +The Foundation is committed to complying with the laws regulating +charities and charitable donations in all 50 states of the United +States. Compliance requirements are not uniform and it takes a +considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up +with these requirements. We do not solicit donations in locations +where we have not received written confirmation of compliance. To +SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any +particular state visit http://pglaf.org + +While we cannot and do not solicit contributions from states where we +have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition +against accepting unsolicited donations from donors in such states who +approach us with offers to donate. + +International donations are gratefully accepted, but we cannot make +any statements concerning tax treatment of donations received from +outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. + +Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation +methods and addresses. Donations are accepted in a number of other +ways including checks, online payments and credit card donations. +To donate, please visit: http://pglaf.org/donate + + +Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic +works. + +Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm +concept of a library of electronic works that could be freely shared +with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project +Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. + + +Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed +editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. +unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + http://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. + + +</pre> + +</body> diff --git a/old/44141-h/images/001.png b/old/44141-h/images/001.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..7da4979 --- /dev/null +++ b/old/44141-h/images/001.png diff --git a/old/44141-h/images/001a.png b/old/44141-h/images/001a.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..7cb1db8 --- /dev/null +++ b/old/44141-h/images/001a.png diff --git a/old/44141-h/images/002deco.png b/old/44141-h/images/002deco.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..9e0dc86 --- /dev/null +++ b/old/44141-h/images/002deco.png diff --git a/old/44141-h/images/003deco.png b/old/44141-h/images/003deco.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..adfcb8b --- /dev/null +++ b/old/44141-h/images/003deco.png diff --git a/old/44141-h/images/004.png b/old/44141-h/images/004.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..5f07fcc --- /dev/null +++ b/old/44141-h/images/004.png diff --git a/old/44141-h/images/005.png b/old/44141-h/images/005.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..ab7b343 --- /dev/null +++ b/old/44141-h/images/005.png diff --git a/old/44141-h/images/006.png b/old/44141-h/images/006.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..0966809 --- /dev/null +++ b/old/44141-h/images/006.png diff --git a/old/44141-h/images/007.png b/old/44141-h/images/007.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..3b04711 --- /dev/null +++ b/old/44141-h/images/007.png diff --git a/old/44141-h/images/008.png b/old/44141-h/images/008.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..2f23a20 --- /dev/null +++ b/old/44141-h/images/008.png diff --git a/old/44141-h/images/009.png b/old/44141-h/images/009.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..1e2b4c2 --- /dev/null +++ b/old/44141-h/images/009.png diff --git a/old/44141-h/images/010a.png b/old/44141-h/images/010a.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..e1f5806 --- /dev/null +++ b/old/44141-h/images/010a.png diff --git a/old/44141-h/images/010b.png b/old/44141-h/images/010b.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..80158bf --- /dev/null +++ b/old/44141-h/images/010b.png diff --git a/old/44141-h/images/010c.png b/old/44141-h/images/010c.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..6e7e9d4 --- /dev/null +++ b/old/44141-h/images/010c.png diff --git a/old/44141-h/images/010d.png b/old/44141-h/images/010d.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..51d1e67 --- /dev/null +++ b/old/44141-h/images/010d.png diff --git a/old/44141-h/images/011-large.png b/old/44141-h/images/011-large.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..ed1c4fd --- /dev/null +++ b/old/44141-h/images/011-large.png diff --git a/old/44141-h/images/011-small.png b/old/44141-h/images/011-small.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..326f55d --- /dev/null +++ b/old/44141-h/images/011-small.png diff --git a/old/44141-h/images/012-large.png b/old/44141-h/images/012-large.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..7cf98f9 --- /dev/null +++ b/old/44141-h/images/012-large.png diff --git a/old/44141-h/images/012-small.png b/old/44141-h/images/012-small.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..a7dfbdc --- /dev/null +++ b/old/44141-h/images/012-small.png diff --git a/old/44141-h/images/013.png b/old/44141-h/images/013.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..4422c1a --- /dev/null +++ b/old/44141-h/images/013.png diff --git a/old/44141-h/images/013a.png b/old/44141-h/images/013a.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..4a04ea4 --- /dev/null +++ b/old/44141-h/images/013a.png diff --git a/old/44141-h/images/014.png b/old/44141-h/images/014.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..8d2ae30 --- /dev/null +++ b/old/44141-h/images/014.png diff --git a/old/44141-h/images/cover.jpg b/old/44141-h/images/cover.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..8b79411 --- /dev/null +++ b/old/44141-h/images/cover.jpg |
