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authorRoger Frank <rfrank@pglaf.org>2025-10-14 20:13:00 -0700
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+Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0038, 18 Novembre 1843, by Various
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org/license
+
+
+Title: L'Illustration, No. 0038, 18 Novembre 1843
+
+Author: Various
+
+Release Date: April 25, 2012 [EBook #39533]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 0038, 18 ***
+
+
+
+
+Produced by Rénald Lévesque
+
+
+
+
+
+
+L'Illustration, No. 0038, 18 Novembre 1843
+
+L'ILLUSTRATION,
+JOURNAL UNIVERSEL.
+
+Nº 38. Vol. II.-SAMEDI 18 NOVEMBRE 1843.
+Bureaux, rue de Seine, 33.
+
+Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois, 16 fr.--Un an, 30 fr.
+Prix de chaque Nº, 75 c.--La collection mensuelle br., 2 fr. 75.
+
+Ab. pour les Dép.--3 mois, 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an, 32 fr.
+pour l'Étranger. -- 10 -- 20 -- 40
+
+
+
+SOMMAIRE.
+
+Les Torrents des Hautes-Alpes, le Rhône et les inondations. _Quatre
+Gravures._--Courrier de Paris. _Portrait de madame Pauline
+Viardot-Garcia_.--Belisario, trilogie, par Bertal. _Dix-sept
+Gravures_.--Académie des Sciences. Compte-rendu des deuxième et
+troisième trimestres. I. Sciences médicales.--Accident du 10 novembre
+sur le Chemin de fer de Versailles. _Gravure_.--Histoire de la Semaine,
+_Portrait de Narvaez; Portraits du Roi et de la Reine des Belges;
+Chambre des Représentants._--Une Bouteille de Champagne, nouvelle, par
+André Delrieu. (Suite et fin)--Margherita Pusterla. Roman de M. César
+Cantù. Chapitre XIX, la Fuite; chapitre XX, un Moine et un Prince.
+_Quatorze Gravures._--Bulletin bibliographique.--Annonces.--Modes. _Une
+Gravure_.--Amusement des sciences. _Une Gravure_.--Correspondance.
+--Rébus.
+
+
+
+Les Torrents des Hautes-Alpes, le Rhône et le Inondations.
+
+Il y a quelques années, les esprits sérieux se sont vivement préoccupés
+d'une immense question qui intéresse au plus haut point l'avenir
+agricole et manufacturier de la France. L'inopportunité, le danger même
+du défrichement des forêts, sous le rapport climatérique et industriel,
+a servi longtemps de texte à des discussions animées. Ces débats, s'ils
+n'ont pas dégagé la vérité des nuages qui l'enveloppent encore, ont au
+moins appelé l'attention de l'autorité sur cet important sujet, et mis
+un frein à ce vandalisme besogneux entre les mains duquel le sol
+n'aurait bientôt plus présenté qu'aridité et désolation.
+
+Le dépérissement des forêts en France date déjà de loin. Parmi les
+appétits désordonnés qui ont eu tour à tour leur règne dans notre pays,
+les uns n'ont affecté que les capitaux particuliers et n'ont laissé de
+traces que dans les familles victimes des jeux de bourse effrénés.
+D'autres, au contraire, ont écrit leurs ravages en caractères lisibles
+pour tous, sur le sol même, et ont exercé une influence incontestable
+sur la richesse nationale, sur les produits de la nature et de l'art, et
+même sur les phénomènes météorologiques. De ce nombre et au premier rang
+nous pouvons placer le défrichement des vieilles forêts qui jadis
+couvraient la Gaule. Ce défrichement, impérieusement commandé d'abord
+par l'accroissement de la population, par l'extension des lieux habités,
+avait trouvé une limite dans les besoins mêmes des habitants. De plus,
+ces vastes propriétés, ces héritages de famille, qui se perpétuaient de
+race en race, étaient considérés par les anciens seigneurs comme un
+dépôt sacré qu'ils n'avaient reçu de leurs ancêtres que pour le
+transmettre intact à leurs descendants; et c'était une pensée toute
+providentielle qui avait ainsi placé sous la sauvegarde d'un sentiment
+religieux, quoique égoïste, cette source immense de richesses et de
+prospérité. Mais ce qui était né de la féodalité disparut avec la
+féodalité. Après la révolution de 89 tous ces grands fiefs disloqués,
+déclarés biens nationaux et vendus à vil prix, devinrent la proie de
+spéculateurs avides, et bientôt la hache abattit brutalement des forêts
+séculaires, providence de toute une contrée Enfin, après les longues
+luttes de l'Empire, luttes pendant lesquelles les bras manquèrent à la
+terre, une réaction s'opéra en faveur de l'agriculture. Alors on eût dit
+que la terre manquait aux bras. Toute une armée d'agriculteurs se rua
+sur ce qui nous restait de forêts, et s'attaqua sans discernement à tout
+ce que la spéculation pouvait encore atteindre, et l'on vit des moissons
+et des prairies là où naguère croissaient le chêne et le pin, et des
+montagnes se montrant pour la première fois, depuis la création, avec un
+front chauve et découronné.
+
+Mais qu'advint-il de toutes ces dévastations barbares? On s'aperçut
+bientôt que le climat changeait sensiblement, que les orages étaient
+plus fréquents et plus dangereux. Le régime des cours d'eau qui servent
+de moteur è la plupart des forges françaises devint de plus en plus
+variable. On passa sans transition de la sécheresse à des crues subites,
+et, d'un autre côté, la rareté du combustible végétal empêcha les
+fabricants d'avoir recours aux moteurs à vapeur. Enfin ces crues
+causées, soit par la fonte des neiges, soit par les orages, exercèrent
+de terribles ravages, et des contrées jadis fertiles et florissantes
+virent naître des torrents dévastateurs, menace constamment suspendue
+sur leur tête.
+
+Au moment même où nous écrivons, de nouvelles inondations viennent
+donner une trop éclatante sanction à nos paroles. Le Rhône, qui pourrait
+n'être qu'un fleuve bienfaisant pour la contrée qu'il traverse, est le
+plus terrible fléau de la vallée qu'il arrose. La Durance, cette rivière
+torrentielle, se précipite comme une avalanche, et enlève en un instant
+ponts, maisons et troupeaux.
+
+Le mal est fait, et, comme on le voit, il est immense. On a cherché à y
+remédier, mais peut-être trop tard; toutefois, ce n'est pas sans
+intention que nous nous sommes arrêté sur ce tableau historique du
+dépérissement des forêts en France et de la fatale influence du
+déboisement sur la fortune publique. C'est que là où gît le mal gît
+aussi le remède; c'est qu'il fallait bien faire comprendre la nature, du
+mal, pour que la pensée saisit ensuite aisément toute la portée du
+remède qu'on propose d'y appliquer.
+
+Nulle part peut-être, les résultats désastreux de cette sauvage
+destruction n'ont été plus visibles et plus irréparables en apparence
+que dans les Hautes-Alpes. Là, ce ne sont pas quelques usines que
+l'instabilité des cours d'eau force à chômer de temps en temps, c'est un
+pays entier, jadis riche et populeux, sillonné maintenant par une
+multitude de torrents, et qui marche rapidement vers une ruine complète.
+Ce ne sont pas quelques manufacturiers dont les cris de détresse sont
+toujours entendus et souvent apaisés, c'est une population patiente et
+résignée dont jamais les plaintes n'ont eu de retentissement, et qui
+pourtant peut calculer les heures qui lui restent encore à vivre, qui
+voit le fléau gagner sur elle, et dont le courage se résume à abandonner
+chaque année quelque cabane, quelque champ, quelque victime au torrent.
+
+Un chiffre fera mieux comprendre toute l'horreur de cette cruelle
+expectative et l'impuissance absolue où se trouvent les habitants de la
+conjurer par leurs propres ressources.
+
+[Illustration: Inondations.--Le pont de Corp enlevé par le courant du
+Drac.]
+
+La superficie du département des Hautes-Alpes est de 553,569 hectares,
+dont 166,800, ou à peine le tiers, en terres productives, 296,800 en
+rochers et terres incultes, et le reste, ou 89,969 hectares, en
+pâturages, bois, rivières et torrents. Le département n'a que 131,462
+habitants ou un peu plus de vingt habitants par kilomètre carré, tandis
+que la moyenne pour toute la France est de soixante habitants, et que
+pour quelques départements dont la superficie est égale ou même
+inférieure à celle des Hautes-Alpes, tels que l'Ain, l'Ardèche, le
+Bas-Rhin, le Nord, elle s'élève jusqu'à soixante, soixante-douze, cent
+neuf et même cent soixante-onze habitants par kilomètre carré.
+
+Faut-il s'étonner, quand on connaît ce chiffre, si le mal s'accroît tous
+les jours? et doit-on accuser d'incurie des hommes dont l'excuse,
+malheureusement trop réelle, est dans leur affreuse misère et dans
+l'insuffisance matérielle la mieux prouvée? Pourtant tous les
+fonctionnaires qui se sont succédé dans ce département ont entendu ce
+cri de détresse, ont vu de leurs yeux la dévastation s'avancer à pas
+rapides, plusieurs même ont fait parvenir l'expression de leurs
+déchirantes prévisions jusqu'aux oreilles de l'autorité, et rien ne
+s'est encore fait dans l'intérêt de ces malheureux abandonnés. Une
+incurie en apparence systématique préside à leurs destinées.
+
+Comment supposer cependant que les gouvernements qui se sont succédé
+depuis cinquante ans en France, mis en demeure d'appliquer au salut de
+toute une contrée des mesures conservatrices, aient reculé devant cette
+tâche et marqué des milliers de Français du sceau de parias? Ne
+serait-ce pas plutôt que jamais on n'a présenté une théorie du mal assez
+complète pour qu'on pût préjuger l'effet du remède? Cette supposition
+nous paraît la plus probable; car si nous consultons les ouvrages écrits
+en faveur de ce malheureux département ou sur le fléau qui le ravage,
+depuis celui de Fabre, en 1797, jusqu'à ceux plus récents de MM.
+Héricart de Thury, Ladoucette et Dugied, nous reconnaissons qu'il
+manquait une théorie des torrent, qui, un faisant connaître leurs
+propriétés, édifiât complètement l'esprit sur les moyens que l'on
+proposait pour atténuer, prévenir et faire disparaître cette effroyable
+calamité.
+
+[Illustration: Torrents.--Plan de la vallée de la Durance.]
+
+Cette lacune a été comblée, il y a près de deux ans, avec beaucoup de
+talent, par un jeune ingénieur qui, dans le travail que nous avons sous
+les yeux, s'est placé du premier coup au rang des hommes les plus
+judicieux et les plus utiles des ponts-et-chaussées(1). Cet ouvrage,
+fruit de cinq années d'observations, embrasse toutes les faces de la
+question et permet de suivre, dans ce labyrinthe d'effets souvent en
+apparence contradictoires, la marche toujours uniforme du torrent,
+depuis la goutte d'eau ou le flocon de neige que reçoit le sommet de la
+montagne, jusqu'à la trombe chargée de rochers et d'eau, qui court avec
+fracas se précipiter dans la plaine.
+
+[Note 1: _Les torrents des Hautes-Alpes et le Rhône_; par A. SURELL,
+ingénieur des ponts-et-chaussées.]
+
+Si _l'Illustration_ ouvre aujourd'hui ses colonnes au résumé du ce
+remarquable ouvrage, c'est que des malheurs récents lui donnent une
+triste actualité; c'est qu'il est bon de rappeler aux hommes chargés de
+la fortune publique que si, pour un mal sans remède, on peut se borner à
+des témoignages de sympathie, quand le remède est indiqué, il y a déni
+de justice à ne pas l'appliquer.
+
+M. Surell a divisé son ouvrage en cinq parties. Dans les trois
+premières, il fait connaître les propriétés principales des torrents,
+les moyens de défense employés contre eux jusqu'à présent, et les
+difficultés qu'ils opposent à la construction des routes et des ponts;
+dans la quatrième, il décrit les causes qui font naître et alimentent
+les torrents; dans la cinquième, il expose le système à suivre pour
+remédier à ce fléau envahissant qui menace de changer en vastes
+solitudes un département jadis si peuplé et si florissant.
+
+[Illustration: Plan d'un torrent.]
+
+Une observation bien remarquable et tout à fait particulière à ce
+département, c'est que toutes les rivières qui le sillonnent sont d'une
+nature torrentielle, depuis les rivières à fond mobile et à
+_délaissées_, telle que la Durance et ses affluents, et les rivières
+torrentielles proprement dites, dont le lit a une pente énorme,
+jusqu'aux cours d'eau connus sous le nom générique de torrents, et qui
+forment une classe à part. C'est à ceux-là que nous allons nous arrêter.
+
+«Les torrents, dit M. Surell, coulent dans des vallées très-courtes qui
+morcellent les montagnes en contre-forts, quelquefois même dans de
+simples dépressions. Leur pente excède 6 centimètres par mètre sur la
+plus grande longueur de leur cours; elle varie très-vite, et ne
+s'abaisse pas au-dessous de 2 centimètres par mètre. Ils ont une
+propriété tout à fait spécifique. Ils _affouillent_ dans une partie
+déterminée de leur cours, ils _déposent_ dans une autre partie, et
+_divaguent_ ensuite par suite de ces dépôts....
+
+«De cette définition même des torrents, il ressort que si l'on observe
+leur cours depuis sa source la plus élevée jusqu'à leur débouché dans
+les grandes vallées, on y doit distinguer trois régions qui sont
+d'ailleurs nettement caractérisées par leur forme, leur position, et
+par les effets constants que les eaux exercent dans chacune d'elles...»
+
+D'abord une région dans laquelle les eaux s'amassent et affouillent le
+terrain à la naissance du torrent: c'est le _bassin de réception_: puis
+une région dans laquelle les eaux déposent les matières provenant de
+l'affouillement: c'est le _lit de déjection_; enfin, entre ces deux
+régions, une troisième où se fait le passage de l'affouillement à
+l'exhaussement: c'est le _canal d'écoulement_.
+
+Maintenant que nous avons pour ainsi dire sous les yeux le squelette du
+torrent, examinons rapidement la topographie de son cours, la nature de
+ses déjections, les causes de sa violence, et tout concourra à faire
+ressortir l'insuffisance des défenses employées jusqu'à ce jour et
+l'efficacité des nouvelles méthodes proposées par M. Surell.
+
+«Le bassin de réception a la forme d'un vaste entonnoir diversement
+accidenté et aboutissant à un goulot placé dans le fond. L'effet d'une
+pareille configuration est de porter rapidement sur un même point la
+masse d'eau qui tombe sur une grande surface de terrain.» Les berges en
+sont abruptes, minées par le pied, déchirée par un grand nombre de
+ravins, et s'élèvent fréquemment jusqu'à 100 mètres de hauteur.
+
+Le canal d'écoulement, qui fait suite au goulot, varie de longueur
+suivant le genre de torrents qu'il renferme. Il est toujours compris
+entre des berges solides et bien dessinées. C'est la partie inoffensive,
+mais malheureusement aussi la plus courte, des torrents; c'est là qu'on
+cherche à établir les ponts.
+
+Le lit de déjection, où vient s'amonceler tout ce que la violence des
+eaux a arraché aux flancs de la montagne, forme un monticule conique à
+sa sortie de la gorge.
+
+[Illustration: Coupe en long d'un torrent.]
+
+Les dessins que nous donnons représentent: l'un le plan d'une partie de
+la vallée de la Durance et quatre des torrents les plus terribles de
+cette vallée; le _Rioubourdoux, le Réalon, le Brumafan_ et _le Rabioux_,
+dont les noms sont aussi significatifs que les torrents sont énergiques;
+les autres, le plan d'un torrent où l'on distingue: AABD, le bassin de
+réception, dans lequel ABA figure l'entonnoir du bassin, et BD la gorge
+ou le goulot; BDDD figure le lit de déjection: quant au canal
+d'écoulement en D, il n'a pas une longueur appréciable. C'est un torrent
+moindre. La coupe est celle du torrent AABD.
+
+C'est en examinant attentivement la nature écologique des déjections
+qu'on peut se rendre compte de l'origine même des torrents, des causes
+qui les alimentent, et par suite, des moyens de défense à leur opposer.
+En effet, s'il est prouvé que toutes les matières que dépose un torrent
+proviennent de son bassin de réception, on pourra avec assurance poser
+ce principe, que «le champ des défenses doit être transporté dans les
+bassins de réception.» Or, les déjections varient de forme et de nature,
+depuis le limon le plus fin et le plus fertilisant jusqu'aux blocs de
+rochers cubant 20, 40 et même 50 mètres cubes. Mais toutes, boues,
+graviers, galets et blocs, accusent la nature du terrain que le torrent
+a traversé.
+
+On pourrait s'étonner de la masse énorme des blocs dont nous venons de
+parler; mais on s'expliquera la prodigieuse puissance du torrent, quand
+on connaîtra la manière dont souvent se forment les crues. Laissons
+parler l'auteur.
+
+«Souvent le torrent tombe comme la foudre; il s'annonce par un
+mugissement sourd dans l'intérieur de la montagne. En même temps un vent
+furieux s'échappe de la gorge: ce sont les signes précurseurs. Peu
+d'instants après parait le torrent, sous la forme d'une avalanche d'eau
+roulant devant elle un amas de blocs entassés. Cette masse énorme forme
+comme un barrage mobile, et telle est la violence de l'impulsion, que
+l'on aperçoit bondir les blocs avant que les eaux deviennent visibles.
+L'ouragan qui précède le torrent est accompagné d'effets plus
+surprenants encore. Il fait voler des pierres au milieu d'un tourbillon
+de poussière, et l'on a vu quelquefois, sur la surface d'un lit à sec,
+des blocs se mettre en mouvement comme poussés par une force
+surnaturelle.»
+
+L'affouillement du bassin de réception étant la cause unique de l'action
+destructive des torrents, voyons quelles sont les causes qui le
+provoquent. Il y en a trois:
+
+1º La nature d'un sol affouillable: c'est la cause géologique;
+
+2° la forme en entonnoir du bassin, qui concentre instantanément les
+eaux et fournit l'élément de vitesse: c'est la cause topographique;
+
+3º la fonte des neiges et les pluies d'orage qui apportent la masse des
+eaux: c'est la cause météorologique.
+
+La seconde de ces causes n'est qu'un corollaire des deux autres, puisque
+l'entonnoir, comme l'apprend l'observation, ne se forme que peu à peu et
+sous l'action combinée des eaux et de la nature du terrain, c'est-à-dire
+du SOL et du CLIMAT des Hautes-Alpes; et voilà ce qui donne aux torrents
+de ce département un caractère distinctif dont les traits ne se
+retrouvent à la fois nulle autre part.
+
+Mais il y a plus: la première de ces causes ne serait plus à craindre si
+l'on s'attaquait directement au climat, si on le forçait à changer en
+une influence salutaire et productive, une sauvage et cruelle puissance;
+car si les eaux, au lieu de se concentrer rapidement en un point,
+filtraient peu à peu en fertilisant les croupes des montagnes qu'elles
+traversent, les affouillements disparaîtraient, et avec eux les affreux
+ravages des torrents.
+
+Nous voici donc arrivés à lutter corps à corps avec le géant; nous avons
+même découvert le défaut de la cuirasse, il ne reste plus qu'à pousser
+en avant pour voir bientôt une contrée entière rendue à la vie et à
+l'industrie, et un pays riche et productif là où l'oeil affligé
+n'aperçoit que montagnes pelées, que steppes arides et déserts.
+
+L'immense défaut des défenses employées jusqu'à ce jour contre les
+torrents, c'est qu'en général ce n'est pas à la source même du mal qu'on
+s'est attaqué, mais à l'endroit où le mal était déjà irréparable,
+c'est-à-dire aux lits de déjection. Les efforts isolés de quelques
+propriétaires, un système plus ou moins bien compris de barrages et
+d'endiguements, voilà à quoi se sont bornées les défenses. La lutte a
+été longue et désespérée, et à l'heure où nous parlons, la lassitude
+causée par des défaites inévitables a amené avec elle l'engourdissement
+et l'apathie. Mais nous l'avons vu, c'est plus haut qu'il faut viser; il
+faut prévenir le mal en en détruisant la cause; en un mot, c'est sur la
+montagne qu'il faut lutter avec le ciel.
+
+Nous savons déjà que, rationnellement, c'est dans les bassins de
+réception qu'il faut porter le champ des défenses. Une autre observation
+va nous donner la clef du genre de défenses à employer.
+
+Partout où il y a des torrents récents il n'y a plus de forêts.
+
+Partout où on a déboisé le sol, des torrents récents se sont formés.
+
+Partout où la végétation a reparu par une cause quelconque, les torrents
+ont été éteints.
+
+N'hésitons donc pas à conclure avec M. Surell que, pour prévenir la
+formation des torrents nouveaux et éteindre les anciens, il faut
+reboiser les parties élevées des montagnes.
+
+Mais comment, dira-t-on, aborder avec la végétation ces croupes
+dénudées, ces abîmes toujours béants, où l'oeuvre de destruction se
+propage avec tant de persévérance? Comment retenir ces eaux sans cesse
+suspendues sur la plaine; ces avalanches où la glace, la neige, le roc,
+roulent confondus avec une impétuosité qui brise tous les obstacles?
+
+Voici les mesures que propose M. Surell; elles sont de quatre espèces:
+
+1° Tracer des zones de défense;
+2° Boiser ces zones;
+3º Planter les berges vives;
+4° Construire des barrages en fascines.
+
+Les zones de défense seraient tracées sur les bords du torrent, qu'elles
+envelopperaient depuis son embouchure, où elles auraient 30 à 40 mètres
+de large, jusqu'à l'entonnoir, où elles auraient une largeur de 5 à 600
+mètres; elles embrasseraient les plus petites ramifications de ses
+affluents et les plus infimes filets d'eau, qui, dans les temps d'orage,
+deviennent eux-mêmes de désastreux torrents. Ces zones seraient plantées
+et semées, et bientôt le torrent, ne recevant plus l'eau que goutte à
+goutte, perdrait sa force d'érosion, et par suite ses alluvions, et
+serait placé dans les mêmes conditions que s'il sortait du sein même
+d'une forêt profonde. Pour les berges vives, on les couperait de petits
+canaux d'arrosage, tirés du torrent même, et alors une végétation
+luxuriante, dont on a déjà sur les lieux mêmes quelques exemples,
+remplacerait l'aspect affligeant de ces cols décharnés et stériles, dont
+la vue seule indique qu'un grand agent de destruction a passé par là.
+Enfin, on empêcherait les affouillements au moyen de barrages en
+fascines, dont l'effet salutaire a déjà été reconnu, et qui, par leur
+action de retenue, permettraient aux berges de s'asseoir, à la
+végétation de prospérer.
+
+Nous n'insistons pas sur l'efficacité de ces moyens, dont l'annonciation
+seule nous semble devoir amener avec elle la conviction.
+
+Maintenant, se demandera-t-on, qui, des particuliers ou de l'État doit
+supporter les frais de ces immenses travaux? M. Dugied, qui évaluait à
+200,000 hectares la superficie susceptible d'être reboisée, voulait que
+l'État fît seul les frais de cette opération, qui devait durer soixante
+ans et coûter 75,000 francs par an. M. Surell partage cette opinion, aux
+chiffres et à quelques détails d'exécution près. Outre l'intérêt général
+que l'État doit sauvegarder, il prouve que le gouvernement, dans
+l'intérêt de ses routes et de ses ponts, doit encore se charger de ces
+travaux. Dans deux chapitres écrits avec la verve et le talent d'un
+homme de coeur et de conviction, il démontre que ne pas venir au secours
+de ce département serait, de la part de l'État, «une _mauvaise action_,
+parce qu'en sacrifiant le sol, on sacrifie aussi les hommes qui y sont
+attachés, et un _mauvais calcul_, parce que la société ne fait pas
+impunément des mendiants, et que les misères qu'elle n'a pas su prévenir
+se retournent tôt ou tard contre elle.»
+
+Et cependant, il y a deux ans que cet ouvrage a été écrit, qu'il a valu
+à son auteur les suffrages des hommes les plus éclairés, et les
+encouragements du gouvernement, et rien ne s'est fait encore!
+
+N'est-il pas déplorable qu'en France il se trouve une contrée entière
+qui, si on lui demande pourquoi elle n'a ni chemins, ni routes, ni
+canaux, ni pour ainsi dire d'habitants, n'ait qu'un mot et un mot
+profondément vrai à répondre: LA PAUVRETÉ? Oui, il y a là une plaie
+affreuse, mais elle n'est pas incurable, nous l'avons vu dans le
+remarquable travail de M. Surell; seulement il faut se hâter, et
+puisqu'on a proclamé si haut le règne des intérêts matériels, il ne faut
+pas qu'une population entière soit déshéritée des bénéfices qu'elle a le
+droit d'en attendre.
+
+Si l'on a bien compris ce que nous venons de dire des torrents, des
+causes de leur formation, de leur impétuosité et des ravages qu'ils
+exercent, on concevra facilement quelle influence désastreuse ils ont
+sur les crues et les inondations du Rhône. En effet, tous ces torrents
+se jettent dans des rivières torrentielles elles-mêmes, qui arrivent
+instantanément et précipitent dans le Rhône un volume d'eau
+extraordinaire. De là ces débordements, ces courants impétueux qui
+ravinent les terres et font au fleuve un nouveau lit que souvent il
+n'abandonne plus. Si donc l'on détruit les torrents, on enlève une des
+grandes causes des inondations du Rhône. Il resterait cependant à
+combattre encore les crues qui ont pour cause soit les pluies d'orage,
+soit la fonte des neiges, et qui d'ailleurs sont inévitables, même en
+supposant les torrents éteints.
+
+M. Surell a porté, dans l'étude des améliorations du Rhône, la même
+sagacité, le même esprit d'analyse que dans ses études sur les torrents
+des Hautes-Alpes. Il a rédigé l'année dernière, de concert avec M.
+Bouvier, ingénieur-directeur du Rhône, un mémoire remarquable sur cet
+objet. Nous allons en donner une idée succincte à nos lecteurs.
+
+Les _vices_ du Rhône consistent dans la _corrosion des rives_ et la
+_division du fleuve en différents bras_. Les perfectionnements à
+apporter se réduisent donc aux deux opérations suivantes: 1º fixer les
+rives; 2° barrer les bras secondaires.
+
+Mais comment, dira-t-on, fixer les rives sur un développement de 284
+kilomètres? Quelle somme énorme ne faudra-t-il pas affecter à ces
+travaux? L'observation du régime du fleuve a conduit à la découverte
+d'un principe qui réduit considérablement la dépense à faire. Ce
+principe est celui de la _réciprocité des anses_, c'est-à-dire que le
+cours du fleuve étant sinueux, si le courant vient frapper, par exemple,
+la rive droite et s'y creuse une _anse_, il y est réfléchi et va à une
+distance plus ou moins éloignée frapper la rive gauche et s'y creuser
+également une anse, pour de là être réfléchi de nouveau sur la rive
+d'oite, et ainsi de suite. Tout l'intervalle compris entre deux anses
+successives n'est exposé à aucune corrosion et n'a, par conséquent, pas
+besoin d'être défendu. Le développement des rives à défendre se réduit
+ainsi de plus de moitié.
+
+Quant aux barrages des bras secondaires, au lieu de les opposer
+directement au courant, qui les aurait promptement affouillés et
+emportés, on suit également la loi de la réciprocité des anses, et on
+les construit suivant des courbes qui, sans heurter le cours du fleuve,
+l'infléchissent doucement et le dirigent vers l'anse suivante.
+
+Telles sont les améliorations proposées dans l'intérêt de la navigation:
+l'agriculture réclame d'autres travaux.
+
+Les maux que le Rhône cause aux terres riveraines consistent dans la
+_corrosion des rives_, comme pour la navigation et dans _l'inondation
+des plaines_.
+
+Il importe, dans le fait de l'inondation, de séparer deux effets fort
+distincts, savoir: la _submersion_, proprement dite, et la _formation
+des courants_.
+
+La submersion n'a jamais été considérée comme un fléau par les
+propriétaires des terrains qui avoisinent le fleuve; c'est au contraire
+un bienfait, car elle dépose sur le sol une couche de limon, qui
+augmente, l'épaisseur de la terre végétale, comble les creux et tend à
+niveler le terrain. C'est l'inondation _fécondante_; mais les eaux
+peuvent, en raison de la forte pente de la vallée, et des accidents
+divers du lit, se mettre en mouvement sur le sol inondé; de là les
+courants: c'est ce second effet seul qui est nuisible.
+
+La science doit donc s'appliquer à empêcher la formation des courants,
+tout en protégeant la submersion tranquille. Pour y parvenir, les
+auteurs du mémoire que nous analysons proposent un système de levées
+_insubmersibles_, enracinées au pied des montagnes qui limitent la zone
+que les eaux doivent couvrir, barrant transversalement la vallée, et se
+recourbant ensuite pour suivre une direction parallèle au fleuve. Dans
+ce système, les courants sont rompus, sans que les terrains soient
+enlevés à la submersion. La vallée se trouverait ainsi divisée en un
+certain nombre de bassins, fermés en tête, mais ouverts à l'aval. Cette
+disposition a déjà été appliquée par quelques riverains et avec le
+succès le plus complet.
+
+Ainsi, en résumé, les ouvrages à exécuter pour améliorer le cours du
+Rhône sont de trois espèces:
+
+1º Le revêtement des berges dans les anses;
+2º Le barrage des bras secondaires;
+3º La division de la vallée en bassins, au moyen de digues
+ insubmersibles transversales.
+
+Le devis présenté par les ingénieurs s'élève à 25 millions qu'ils
+demandent à dépenser en _dix ans_, c'est-à-dire _deux millions cinq cent
+mille francs_ par an. On concevrait difficilement les hésitations du
+gouvernement à mettre la main à une oeuvre si urgente, en présence des
+désastres épouvantables qui viennent périodiquement affliger la vallée
+du Rhône. Quant à nous, nous faisons les voeux les plus ardents pour
+qu'on ne retarde pas plus longtemps la présentation aux Chambres d'un
+projet de loi qui donne garantie et sécurité à l'avenir. Jamais dépense
+ne fut mieux justifiée, et jamais peut-être on n'aura obtenu de si
+admirables résultats pour une somme aussi minime.
+
+
+
+Courrier de Paris.
+
+Doublez vos verrous, triplez vos serrures, mettez des cadenas à vos
+poches: Paris est en proie aux larrons; jamais l'amour du bien d'autrui
+ne fit de tels ravages. La police correctionnelle et la Cour d'assises
+n'ont pas le temps de respirer; le Mandrin et le Cartouche y abondent.
+Il ne fait pas bon lire la _Gazette des Tribunaux_, sous peine de
+soupçonner un voleur dans tous les gens qu'on rencontre, et de voir un
+fripon dans chacun de ses serviteurs ou de ses amis intimes. Si
+quelqu'un vous donne la main, méfiez-vous-en! il n'a peut-être de
+tendresse que pour la bague que vous portez au doigt; s'il demande des
+nouvelles de votre santé, c'est sans doute un chemin détourné pour
+arriver à tâter le pouls à votre caisse ou à votre bourse, frappe-t-il à
+votre porte, d'un air doux et poli, sollicitant l'honneur d'être reçu
+chez vous, il veut certainement prendre l'empreinte de vos serrures. Que
+vous dirai-je? il n'y a pas moyen de vivre une minute tranquille, pour
+peu qu'on tienne à sa bourse ou à sa montre; et le préfet de police sera
+bientôt contraint, dans l'intérêt de tout candide Parisien, d'attacher
+spécialement un sergent de ville à chaque gousset et un garde municipal
+à chaque porte.
+
+Remarquez que le voleur s'est singulièrement perfectionné; il est arrivé
+à ressembler à un honnête homme; c'est là le comble de l'art. On vole,
+comme Lairo, ce complice de Courvoisier, en étudiant Virgile; on
+escalade en bottes vernies; on brise les serrures en gants glacés. Les
+voleurs d'autrefois se sentaient d'une lieue à la ronde; ils avaient
+d'affreuses barbes, des yeux hagards, un sourire féroce et les mains
+rouges; on disait tout aussitôt: «Voilà un gaillard que je ne voudrais
+pas rencontrer au coin d'un bois!» Aujourd'hui, vous trouvez, en montant
+dans le coupé Laffitte et Caillard, un charmant inconnu qui vous comble
+de soins: «Monsieur veut-il que je lui cède la place du coin?
+offrirai-je à monsieur une de ces pastilles aromatiques? Si l'air gêne
+monsieur, je baisserai le store!» et mille autres politesses. Quel
+aimable homme! dites-vous; et l'ennui de la route disparaît à causer
+agréablement avec ce délicieux compagnon de voyage; car il sait tout, en
+homme bien élevé qu'il est; la politique, les affaires, l'industrie, la
+petite chronique du monde.--On se quitte avec le plus vif regret.--Six
+mois après, vous êtes cité comme témoin devant une Cour d'assises
+quelconque, et vous retrouvez sur le banc des accusés votre adorable
+voisin du coupé, qui vous sourit d'un air d'ancienne connaissance. Il
+avait escamoté trois ou quatre portefeuilles, chemin faisant, tout en
+vous offrant des pastilles à la rose.
+
+Telle est à peu près l'histoire de Souques, qui va être mis en jugement
+dans quelques jours: jeune bandit de vingt-six ans, blond, élégant,
+plein de galanterie et fort tendre pour les jolies femmes qu'il
+rencontrait sur sa route; on aurait pris Souques pour un _lion_ qui
+allait se mettre au vert et se reposer en plein champ des fatigues du
+boudoir et de l'Opéra. Souques cependant dépassera Courvoisier;
+Courvoisier s'arrêtait au vol, Souques allait jusqu'à l'assassinat.
+
+Voici un fait tout récent qui prouve avec quels procédés et quel
+raffinement de délicatesse les voleurs vous dévalisent aujourd'hui. Il
+n'y a pas huit jours qu'un des restaurateurs renommés de Paris a été
+victime d'un vol considérable; toute son argenterie a disparu en un clin
+d'oeil et d'un coup de main; il s'agit d'une perte de six à huit mille
+francs. La police est en vedette; mais jusqu'ici elle a fait de vaines
+recherches, et rien encore n'a dénoncé les traces du coupable. La seule
+pièce qui soit tombée entre les mains de la justice est la lettre
+suivante, que le pauvre diable de restaurateur a reçue sous enveloppe le
+lendemain du vol: «Monsieur, ne soyez pas inquiet de votre argenterie;
+elle est entre mes mains, et je la garde. Je viens de m'apercevoir
+qu'hier, après avoir dîné chez vous, je suis sorti sans payer ma carte;
+c'est une distraction que je ne me pardonnerai jamais. Je serais désolé,
+monsieur, que vous pussiez me croire capable d'une telle petitesse.
+J'ai, en conséquence, l'honneur de vous adresser, sous ce pli, un
+napoléon pour solde de ma dépense, montant à 10 francs 60 cent; le reste
+est pour le garçon. Agréez, monsieur, mes sentiments bien distingués.»
+
+Madame la comtesse de *** a rouvert ses salons: mais ils sont loin
+d'avoir l'éclat et l'attrait qui en a fait, pendant dix ans, le
+rendez-vous des hommes les plus aimables et des plus jolies femmes de
+Paris. D'où vient cette décadence? On lui donne plusieurs causes. Les
+uns prétendent que le désastre du banquier M....., dont les qualités
+financières étaient fort appréciées dans la maison, a tourné l'esprit de
+la comtesse à la philosophie. Les autres affirment que le jeune de
+C..... étant parti brusquement pour l'Italie, la comtesse joue à la
+Lavallière, et parle de se faire carmélite. On ajoute qu'elle ne peut se
+consoler de la mort récente de M. de Saint-A.....; c'était un ami de
+toute sa vie, l'âme de ses réunions, qu'il animait par son esprit, le
+dépositaire de ses secrets les plus intimes. Madame la comtesse était
+veuve à vingt ans; elle en a trente-huit à l'heure qu'il est, disent les
+gens qui ont du savoir-vivre; de vingt à quarante ans, il y a de quoi
+être veuve; aussi dit-on que l'emploi de confident était loin de
+constituer une sinécure pour M. de Saint-A..... Vers la fin de sa vie, il
+réclamait un secrétaire adjoint, déclarant qu'il succomberait à la peine
+s'il était obligé de recueillir plus longtemps à lui seul tous les
+souvenirs de la comtesse.
+
+Un autre homme de beaucoup d'esprit manque à l'agrément de ce salon; je
+veux parler du baron de N...., que tout Paris connaît. N..... s'est
+retiré définitivement en Auvergne; il dit que le temps de faire
+pénitence et de racheter son âme est venu. N..... en effet a longtemps
+vécu avec le diable, mais en assez bon diable. Sa fortune et sa santé
+ont payé les frais de cette association satanique. N..... est fort
+goutteux, fort délabré et fort ruiné. C'est de lui que ce charmant petit
+minois de madame Dave... disait l'autre jour: «Cet homme est un cours de
+morale ambulant!»
+
+Une lettre, qu'un de nos amis intimes nous écrit de Bologne, annonce le
+retour en cette ville de l'illustre maestro Rossini. Le peuple bolonais
+a reçu ce paresseux grand homme avec un enthousiasme qui devrait le
+décider à sortir du son silence et de son inaction. Il y a quinze ans
+que Rossini se tait, et au milieu de la musique infernale qui se
+fabrique de tous côtés, on peut dire que le silence du cette grande voix
+mélodieuse est une vraie calamité publique.
+
+Le matin de son arrivée la société philharmonique de Bologne a exécuté
+sous ses fenêtres une sérénade composée des airs préférés de ses opéras
+les plus fameux; la foule était immense autour de sa maison, et de tous
+côtés, dans l'intervalle des instruments et des voix, retentissait ce
+cri: «Viva Rossini!» Criez, plutôt: «Vive le macaroni!» dit l'auteur de
+_Guillaume Tell_, en mettant le nez, à la fenêtre.
+
+Le soir, il alla au théâtre; on jouait Nabuchodonosor; à peine l'eût-on
+reconnu que tout le monde se leva et battit des mains; lui, cependant,
+se tenait retiré au fond de sa loge. «A qui en veut-on?» dit-il. A la
+fin, les applaudissements prirent un tel caractère de provocation
+directe, qu'il n'y eut plus moyen de s'y tromper. Rossini fut obligé de
+paraître sur le devant de sa loge et du saluer la foule, qui répondit
+par trois vivat. «Ils me feront mourir,» avait dit Voltaire, dans une
+occasion à peu près semblable. Rossini a dit: «Qu'ils me laissent donc
+vivre, si cela est possible!» Quelqu'un de Bologne lui demandait des
+nouvelles de son dernier voyage à Paris, et de ce qu'il y avait fait:
+«J'y ai fait la musique d'une pièce dont le docteur Civiale est
+l'auteur; nous l'avons intitulée: _la Lithotritie!_» Voilà le cas que
+Rossini fait du génie et de la gloire. Est-ce conviction? est-ce
+raillerie amère d'une âme blessée? Mais pourquoi blessée? Le monde ne
+rend-il pas au génie de Rossini un hommage incontesté? Les grands hommes
+ne sont souvent que de grands ingrats.
+
+On commence à s'apercevoir que la session des Chambres approche de jour
+en jour. L'ordonnance de convocation n'est pas encore publiée;
+_Moniteur_ ne donnera guère le signal que dans un mois; jusque-là, le
+gouvernement représentatif peut continuer à se promener de long en large
+dans les allées de sa maison des champs, comme un honnête désoeuvré.
+Cependant un grand nombre d'honorables ont déjà quitte l'arrondissement
+pour revenir à Paris. On rencontre çà et là des fragments du
+tiers-parti, de la gauche dynastique et radicale. A la première
+représentation du _dom Sébastien_ de M. Donizetti, dont nos artistes
+préparent les illustrations, le foyer de l'Opéra offrait de quoi
+composer une Chambre des Députés au petit pied: M. Duchâtel, M.
+Cunin-Gridaine et M. Teste représentaient le ministère; M. le marquis de
+Larochejacquelin et M. le duc de Valmy la droite légitimiste, et ainsi
+de suite, depuis le Fulchiron jusqu'au Ledru-Rollin, de nuance en nuance
+et de drapeau en drapeau. Le parti conservateur se trouvait en majorité,
+cela va sans dire. La loge de M. le ministre de l'intérieur était
+visitée à chaque entr'acte par vingt des plus ardents capitaines de
+l'armée ministérielle. Le conservateur est, en effet, du toutes les
+espèces représentatives, celle qui s'éloigne le plus difficilement de
+Paris; elle tient à Paris par la racine; c'est à Paris qu'elle fleurit
+et qu'elle prospère; Paris a un engrais qui lui convient. L'opposition,
+au contraire, doit voyager; parcourir l'espace est le besoin des
+opinions qui attendent, espèrent, et n'ont encore que les vagues
+jouissances de l'utopie. L'un suit l'image de la république de fleuves en
+ruisseaux, de vallées en montagnes; l'autre cherche son rêve social au
+détour d'une allée, comme, autrefois Boileau cherchait la rime; celui-ci
+fait une ascension sur quelque cime des Pyrénées ou des Alpes, pour
+regardera l'horizon s'il ne voit pas un ministère tomber et un
+portefeuille venir. Toute idée ou toute ambition qui en appellent à
+l'avenir ont leur fuyante Ithaque, et l'opposition est une continuelle
+Odyssée; mais le parti qui tient le pouvoir et les places ressemble aux
+avares qui craignent qu'à la moindre absence un voisin ne leur enlève
+leur trésor et ne les chasse de la maison. Aussi le vrai conservateur
+stationne-t-il à Paris, en plein terrain ministériel; il pense que c'est
+le meilleur moyen de se conserver.
+
+Sceptique Rossini, tu te moques des autres et de toi-même, et voici que
+ton mélodieux génie charme la Russie et la capitale des czars!--Le
+Théâtre-Italien a été inauguré à Saint-Pétersbourg, le 5 novembre
+dernier, par une représentation d'_il Barbiere_; nous en recevons la
+nouvelle directe. Toute la ville moscovite s'est émue de cette grande
+solennité; un opéra italien est, en effet, du fruit nouveau pour elle.
+Saint-Pétersbourg avait déjà été visité çà et là, par quelques
+rossignols ultramontains, mais jamais par une troupe organisée et
+complète. C'est au goût de l'empereur que la Russie doit ce
+Théâtre-Italien. On se rappelle que ce fut, il y a trois ou quatre mois,
+pendant le séjour de Rubini à Saint-Pétersbourg, que l'empereur résolut
+de faire cette fondation mélodieuse: «Vous m'aiderez,» dit-il à Rubini.
+Rubini hésita d'abord; mais comment refuser un czar? Une fois vaincu par
+cette gracieuse provocation impériale, Rubini, s'exécutant loyalement,
+n'a rien négligé pour justifier la haute confiance dont il était
+l'objet. Il a donc appelé à lui, pour l'aider glorieusement dans son
+entreprise, Tamburini et madame Pauline Viardot-Garcia; puis il s'est
+donné lui-même, ce qui n'est pas le moindre de ses présents. Nous
+n'avons pas le nom des autres chanteurs qui servent sous ces illustres
+chefs; le premier bulletin que nous recevons de la première bataille ne
+les fait pas connaître; peut-être la liste nous arrivera-t-elle un autre
+jour. Nous la publierons si elle en vaut la peine.
+
+[Illustration: Théâtre-Italien de Saint-Pétersbourg.--Madame
+Pauline-Viardot.]
+
+Tout le Saint-Pétersbourg élégant assistait à cette prise de possession
+de la musique italienne. Figurez-vous une vaste salle à six rangs de
+loges, peuplée du haut un bas de jolies femmes et d'un public curieux et
+attentif. Le galant Almaviva, le spirituel et pétulant Figaro, la fine
+et tendre Rosine, ont conquis, ce soir-là, Saint-Pétersbourg tout
+entier; et nos Italiens ont du se croire à Naples ou à Florence, tant la
+Russie a battu des mains pour Tamburini et pour Rubini! Quant à madame
+Pauline-Viardot, elle a été rappelée sept à huit fois. Notre
+correspondant ne mentionne pas la pluie de fleurs et de couronnes, mais
+cela va sans dire; il n'y a point de bonne fête sans cette douce ondée;
+et avec des artistes tels que madame Viardot, Tamburini et Rubini, les
+fleurs pousseraient partout, même en Sibérie, et les couronnes font le
+tour du monde.
+
+Le public du théâtre des Variétés a eu, cette semaine, une véritable
+bonne fortune: il a revu Vernet, cet excellent acteur si regrettable et
+si regretté; mais il ne l'a revu qu'en passant et pour une seule fois.
+Vernet, retiré du théâtre depuis trois ou quatre ans, avait quitté sa
+retraite pour cette soirée seulement et à son propre bénéfice. Le
+lendemain, Vernet rentrait aux Invalides, et maintenant tout est dit;
+Vernet est perdu pour le théâtre; il faut en faire son deuil.
+
+Quel dommage cependant que ce cher Vervet nous laisse ainsi! c'était un
+si bon et si charmant comédien: par où vous le ferais-je connaître?
+Faut-il remonter jusqu'à M. Pinson, le César des farceurs turbulents et
+malencontreux? Irons-nous chercher le petit bossu de _la Marchande de
+Goujons_, ce représentant de la médisance difforme, bavarde et
+sensuelle? Est-ce le Jean-Jean des _Bonnes d'Enfants_ qu'il vous plaît
+d'accoster, l'innocent Jean-Jean au nez en l'air, aux bras ballants, au
+regard ahuri, aux galanteries burlesques et aux gauches amours? Mais,
+non; voici venir l'amant naïf de Madelon Friquet: quelle bonne grosse
+figure épanouie! quelle simplicité de coeur! quelle tendresse candide!
+comme il trotte! comme il va! comme il roule! comme il aime sincèrement
+sa Madelon, ce cher petit bonhomme! et Prosper? et Vincent? Nul comédien
+n'a surpassé Vernet dans la représentation de ces types de crédulité
+ingénue et de candeur ahurie.
+
+Cette vieille, coiffée d'un bonnet en loques, barbouillée de tabac, se
+traînant sur les débris de ses souliers éculés, et remuant, dans sa
+marche oblique, les restes bigarrés d'un cotillon en ruine, ne la
+reconnaissez-vous pas? ne l'avez-vous pas vue, par hasard, au coin de la
+borne, à la porte d'une noire allée où dans la loge d'un portier? Eh!
+mon Dieu, oui, c'est madame Pochet! Plus loin, voyez, ce vieux brave qui
+chante, trinque, boit, parle d'Austerlitz et de Wagram, et marche
+cahin-caha sur une jambe dépareillée..... Bonjour, vieux soldat! je sais
+ton nom; je t'ai vu au soleil dans l'allée de la Petite-Provence, ou
+jouant à la boule dans le carré Marigny: tu t'appelles Mathias
+l'invalide!
+
+Ainsi Vernet allait partout, saisissant sur sa route les types
+populaires, et s'incarnant en eux de telle sorte que les plus
+clairvoyants n'apercevaient plus l'auteur dans le personnage.
+
+Vernet était comme les véritables artistes: il imitait la nature et la
+prenait sur le fait, mais en l'idéalisant. Ce n'était point un calque
+matériel et grossier, c'était un portrait intelligent fait par la main
+d'un maître. Le talent de Vernet se distinguait en effet par le tact et
+le goût, même dans ses créations les plus vulgaires et les plus
+grotesques; il s'arrêtait toujours à temps, et n'allait jamais au delà
+ni en deçà; il lui répugnait d'acheter le rire aux dépens de l'art.
+
+Vernet est jeune encore, malgré ses longs services et ses longs succès;
+il aurait pu combattre quelques années de plus sur le champ de bataille
+du théâtre des Variétés, où il a remporté, pendant trente années, tant
+de riantes victoires; mais la goutte s'en est mêlée, et l'excellent
+comédien a été contraint de battre en retraite. Vernet a la maladie des
+vieux et vaillants généraux; cela peut-il le consoler? j'en doute; il y
+a peu de comédiens retirés qui ne regrettent le lustre, les coulisses et
+les bravos; mais enfin il faut être philosophe, et, Dieu merci, Vernet a
+quelque raison de pratiquer la philosophie: il a un revenu de chanoine,
+l'humeur joviale, dit-on, et une jolie maison de campagne où il peut
+tranquillement se reposer sur ses lauriers, quand toutefois son altesse
+sérénissime la goutte le lui permet.
+
+Ce n'est jamais volontairement que nous commettons une erreur, et si
+nous trompons les autres, c'est qu'on nous a trompés nous-mêmes,
+d'ailleurs ne sommes-nous pas obligés d'accueillir ces mille bruits, ces
+mille riens qui courent la ville, fragiles fantômes, périssables enfants
+du désoeuvrement, de la fantaisie et de la médisance, nés dans la
+journée pour s'évanouir et disparaître le lendemain au lever de la
+première aurore. Ainsi, nous avons raconté qu'une charmante danseuse
+espagnole, mademoiselle Lola Montès, avait caressé du bout de sa
+cravache un galant irrespectueux; mademoiselle. Lola Montès écrit de
+Berlin que le fait est inexact, et qu'il ne s'agissait que d'un gendarme
+brutal: va donc pour le gendarme; c'est toujours quelque chose.
+
+Nous n'avons pas même la compensation d'un gendarme avec M. Roger de
+Beauvoir; la nouvelle de son mariage, que le bruit courant nous avait
+transmise et que nous avions répétée sans criminelle préméditation, n'a
+aucune espèce de fondement. Nous démentons volontiers, pour l'innocente
+part que nous y avons prise, le fait de ce mariage prétendu, non pas
+pour M. Royer de Beauvoir, qui a trop de goût pour s'être beaucoup
+préoccupé d'un pareil enfantillage, mais pour ceux qui ont cru devoir
+s'en inquiéter à sa place. Que M. Roger de Beauvoir reste donc garçon le
+plus longtemps possible, un des plus aimables et des plus spirituels
+garçons que nous connaissions.
+
+
+
+THÉÂTRE ROYAL ITALIEN.
+
+Belisario, opera seriasississimo,
+PAR BERTAL (2).
+
+PERSONNAGES.
+
+JUSTINIEN, empereur d'Orient, MM. MORELLI.
+BÉLISAIRE, chef suprême de l'armé, FORNASARI.
+ANTONINE, femme de Bélisaire, MLLE GRISI.
+IRENE, fille de Bélisaire et d'Antonine. MLLE NISSEN.
+ALAMIR, prisonnier de Bélisaire. MM. CORELLI.
+EUTROPE, chef de la garde impériale, DALFIORI.
+OTTARIO, chef des Alains et des Bulgares, BONCONSIGLIO.
+
+Choeurs.--Sénateurs, peuple, vétérans, Alains, Bulgares, suivante»
+d'Irène, paysans de l'Hemus.
+
+Comparses.--Garde impériale, prisonniers goths, guerriers grecs,
+pasteurs de l'Hemus.
+
+(La scène se passe partie à Byzance et partir dans le voisinage de
+l'Hemus. L'époque remonte à l'année 580 de l'ère chrétienne. Extrait du
+libretto.)
+
+Acte 1er.--Le triomphe.
+
+Les sénateurs et le peuple célèbrent par leurs chants et leurs voeux la
+glorieuse bienvenue de Bélisaire, qui, par son talent et sa bravoure, a
+su rendre Byzance rivale de Rome. Irène, sa fille, et Eutrope, son amie,
+vont aller sur la rive pour le combler de caresses et de l'amour filial.
+Joie du peuple. (Extrait de l'argument.)
+
+[Illustration.]
+
+[Note 2: Voir, pour plus amples renseignements, l'article que
+_l'Illustration_ a déjà publié sur cet opera, à la page 119 du volume
+II, no. 36.]
+
+La scène ne reste pas longtemps vide. Mademoiselle Grisi, c'est-à-dire
+madame Bélisaire, ayant pour petit nom Antonine, vient la remplir. Un
+lion, qui remonte à l'an 580 de l'ère chrétienne, s'avance à sa
+rencontre; son groom le suit. Ce lion, si élégamment vêtu et décoré,
+c'est Eutrope. «Écoute et frémis! lui crie Antonine d'une voix
+proportionnée à l'ampleur de sa taille et à la circonférence de sa
+bouche.
+
+[Illustration.]
+
+«Mon époux Bélisaire est un parricide, lui dit-elle; je ne puis aimer un
+père qui a abandonné son premier-né aux monstres des forêts ou des eaux,
+et qui a refusé ses cendres à sa mère. Je t'aime, tu m'aimes,
+aimons-nous, et vengeons la mort de mon enfant. Bélisaire mort, je
+t'épouse.--Tout est prêt, répond Eutrope; j'ai ajouté un paragraphe un
+peu _chouette_ à sa dernière lettre. Mais dissimulons.»
+
+[Illustration.]
+
+En effet des clairons retentissent, et l'empereur Justinien ayant fait
+son entrée, va s'asseoir sur son trône pour voir défiler devant lui le
+_trionfo di Belisario_.--Aussitôt Bélisaire paraît sur un char
+magnifique traîné par le peuple.
+
+[Illustration.]
+
+Il a le front ceint d'une couronne de lauriers; et sous le manteau de
+pourpre on entrevoit son armure dorée. Autour du vainqueur se tiennent
+les prisonniers goths, parmi lesquels se trouve Alamir; les vétérans
+ferment la marche, portant la couronne et le manteau de Vitigas, roi des
+Goths. Le Choeur chante. Quand il a suffisamment faussé, Bélisaire
+demande à Justinien la liberté des prisonniers. L'empereur n'a rien à
+refuser à son général. Il l'embrasse, et tous les assistants se retirent
+sauf Bélisaire et Alamir, «qui, dit l'argument, se sentent des
+sympathies l'un pour l'autre qu'ils ne peuvent s'expliquer.» Ils
+s'adoptent mutuellement pour père et pour fils.
+
+[Illustration.]
+
+Cependant Irène accourt vers son père, qui la prend dans ses bras; mais
+Antonine-Grisi lui tourne le dos avec dégoût, en lui donnant pour excuse
+qu'il vient de fumer une pipe, et qu'elle déteste l'odeur du tabac.
+
+[Illustration.]
+
+Bélisaire ne sait d'abord que penser d'une pareille conduite; il
+commence à y réfléchir sérieusement, quand Eutrope vient l'arrêter avec
+quatre hommes et un caporal, et lui ordonne de le suivre devant...
+l'empereur. Bélisaire paraît surpris de ce manque d'égards; Eutrope le
+lorgne avec l'aisance superbe d'un _imprésario_; mademoiselle
+Grisi-Antonine se moque de lui par derrière: sa vengeance commence.
+
+[Illustration.]
+
+Aussitôt pris, aussitôt jugé. Accusé de trahison par Eutrope et
+d'infanticide par son épouse, Bélisaire semble frappé de la foudre. Tous
+les assistants font un mouvement de surprise et d'horreur. Le sénat
+condamne le prévenu. Douleur d'Alamir; douleur d'Irène; joue de
+mademoiselle Grisi-Antonine, qui rit à s'en tenir les côtes.
+
+[Illustration.]
+
+Bélisaire est emmené par les gardes, dit le libretto; Irène et Alamir
+les suivent désolés. Justinien et les sénateurs paraissent bouleversés
+par la douleur.
+
+Acte II.--L'Exil.
+
+[Illustration.]
+
+Le peuple et les vétérans gémissent sur le malheureux sort de Bélisaire.
+
+Quand ils ont suffisamment faussé, ils se retirent, et Alamir s'avance
+vers le trou du souffleur.
+
+On vient de lui apprendre que Justinien, imitant l'exemple du prince
+Rodolphe, a fait crever les yeux à son prisonnier.
+
+Indigné de la comparaison qu'on pourra faire entre son père adoptif et
+cette infâme canaille, connue sous le nom de Maître d'écale, il jure
+d'exterminer Byzance.
+
+[Illustration.]
+
+[Illustration.]
+
+Pendant ce temps l'empereur, qui ne se rappelle pas parfaitement bien
+les _Mystères de Paris_, fait mettre l'aveugle à la porte de sa maison,
+sans lui donner même un Chourineur pour le conduire dans un domicile
+quelconque, il ne lui laisse pour toute fortune qu'une vieille tunique,
+une canne sans pomme d'or et une guitare. Mais Bélisaire est plus
+heureux que le Maître d'école; il possède un chien, et il retrouve sa
+fille, qui se charge de doubler son caniche. Joie mutuelle du père, de
+la fille et du chien, qui chantent un trio.
+
+[Illustration.]
+
+Acte III.--La Mort.
+
+Bélisaire, toujours aveugle, se promène avec sa fille et son chien sur
+les hauteurs de l'Hémus.--Fatigués, ils se reposent; puis entendant du
+bruit, ils se cachent dans une anfractuosité du rocher. Du sommet de la
+montagne descend une horde d'Alains et de Bulgares conduits par Alamir
+et Ottario, et dessiné d'après le procédé Rouillet.
+
+[Illustration.]
+
+Alamir veut que Bélisaire se mette à la tête des troupes qu'il conduit
+contre Justinien; Bélisaire refuse. Ils se fâchent d'abord, puis ils
+s'expliquent: Alamir est le fils que Bélisaire a jadis abandonné aux
+monstres des forêts et des eaux.
+
+ io i
+ Che fosse oh qual momenti!
+ ei e
+
+[Illustration.]
+
+Ils chantent en se tenant embrassés:
+
+ (figlio )
+ Se il (fratel ) stringere.
+ (padre)
+ Mi e dato al seno
+ Pia non desira
+ 3
+ So liet appieno
+ o
+ Tanto del giubilo
+ E in me l'ecceso
+ Che parmi d'essere
+ 3
+ Rapit in cielo!
+ o
+
+[Illustration.]
+
+Il y a, dit l'argument, un mouvement sympathique jusque parmi les
+Barbares. Nous renonçons à représenter les effets de leur émotions.
+Retournons maintenant chez Justinien, où va se dénouer ce drame
+intéressant.
+
+«Justinien, dit l'argument, donne des ordres pour la bataille du
+lendemain, lorsque, pâle et échevelée, mademoiselle Grisi-Antonine
+paraît, et vient se reconnaître coupable du mal que l'on a fait
+injustement à Bélisaire.»
+
+Elle étend les bras, lève les yeux au ciel, crie, pleure et ne s'arrache
+pas un seul cheveu. Mais, hélas! à ce moment Bélisaire, «accompagné
+d'une lugubre musique,» est apporté sur une civière par deux messagers
+parisiens; une flèche ennemie l'a tué.
+
+[Illustration.]
+
+Le pauvre homme rend le dernier soupir sans pouvoir chanter la plus
+petite cavatine. Il recommande ses deux enfants à Justinien, qui lui dit
+«ami» d'une voix étouffée et en lui serrant la main.
+
+Silence universel. Mademoiselle Grisi-Antonine reste immobile en
+regardant le corps de Bélisaire; Justinien et le choeur chantent:
+
+ Abborrita dei mortali
+ Condamnata dall' eterno,
+ Viva, iniqua, e tutti mali
+ Prova in terra dell' Averno...
+ Frema il cielo a te d'intorno...
+ Nieghi e te la luce il giorno...
+ Ogui instante di tua vita
+ Cruda morte sia per te.
+
+A ces paroles, mademoiselle Grisi veut s'enfuir comme une insensée; mais
+se trouvant auprès du cadavre de Bélisaire, elle pousse un grand cri et
+tombe sur le sol.
+
+[Illustration.]
+
+Mouvement universel d'horreur!!!!!
+
+
+
+Académie des Sciences.
+
+COMPTE-RENDU DES SÉANCES DES DEUXIÈME ET TROISIÈME TRIMESTRES.
+
+I. Sciences médicales.
+
+_Anatomie et physiologie:_--M. Serres a lu à l'Académie une note sur un
+fait très-curieux d'anatomie pathologique observé deux fois seulement,
+en 1829 et en 1843. C'est une modification des nerfs de la vie organique
+et de la vie animale. Tous les rameaux nerveux de l'économie présentent
+dans leur trajet des renflements ganglionnaires ayant la forme et les
+caractères physiques du ganglion cervical supérieur et, chose
+remarquable, les cordons postérieurs des nerfs rachidiens n'en offrent
+pas moins que les cordons antérieurs; la, où n'existent pas de
+ganglions, la branche nerveuse parait tout à fait à l'état normal.
+
+Le nombre de ces ganglions est moins grand sur les filets nerveux du
+grand sympathique que sur les nerfs de la vie de relation, mais il est
+encore assez considérable pour que l'aspect général du réseau nerveux de
+la vie organique soit tout à fait changé. Les nerfs du plexus
+lombo-sacré, le grand sciatique et le pneumo-gastrique sont ceux qui
+présentent cette transformation ganglionnaire au plus haut degré. Les
+sciatiques, au sortir du bassin et dans tout leur trajet, ont le volume
+de l'humérus; les pneumo-gastriques, au sortir du crâne, le long du cou
+et dans le thorax, ont deux fois le volume du grand sciatique à l'état
+normal; tous ces nerfs sont parsemés de bosselures formées par les
+ganglions.
+
+Sur le sujet de la première observation faite en 1829, on a compté
+environ cinq cents du ces ganglions. Celui de 1843 en offrait plus
+encore. Dans les deux cas la structure de l'axe cérébro-spinal n'offrait
+aucune trace d'altération.
+
+Cet état pathologique si remarquable, et qui n'a pas encore été décrit,
+a été observé sur deux jeunes gens de vingt-deux à vingt-trois ans,
+morts tous deux de fièvre typhoïde. Le premier vitrier ambulant, courait
+encore les rues quelques jours avant son entrée à l'Hôtel-Dieu; le
+second n'a offert aucun symptôme nerveux pendant les quelques jours qu'a
+duré sa maladie.
+
+M. Serres a promis de communiquer le résultat des recherches anatomiques
+et microscopiques qu'il se propose de faire sur la structure de ces
+ganglions. Il désigne cette modification des nerfs par le nom de
+_névroplastie_, dénomination qui nous semble laisser quelque chose à
+désirer comme exactitude; peut-être, quand on saura bien ce que c'est
+que ces ganglions, pourra-t-on trouver un terme plus précis.
+
+«De l'Allantoide de l'homme,» tel est le sujet d'un autre, mémoire que
+M. Serres a communiqué à l'Académie dans la séance du 12 juin. Des
+recherches commencées en 1828 sur des embryons humains de quinze à
+vingt-cinq jours ont amené M. Serres à conclure que l'allantoide existe
+dans les enveloppes de l'oeuf humain comme dans celui des autres
+vertébrés, qu'elle est pyriforme chez l'homme comme chez les rongeurs,
+que d'abord indépendante des autres membranes, elle s'unit ensuite avec
+le chorion et fait communiquer par anastomose ses vaisseaux avec ceux
+des villosités pour donner naissance au placenta; qu'enfin son existence
+comme membrane distincte paraît cesser chez l'embryon humain du
+quinzième au vingt-cinquième jour de la conception.
+
+Ces propositions ont été très-longtemps un sujet de discussion pour les
+anatomistes; mais le fait principal qu'elles expriment n'avait jamais
+été avancé d'une manière aussi positive; aussi faudrait-il reconnaître
+avec M. Dutrochet que la découverte de ce point fondamental en anatomie
+est due à M. Serres, si les pièces présentées à l'appui pouvaient faire
+passer dans l'esprit de tout le monde la conviction qu'elles ont amené
+chez ces deux habiles anatomistes.
+
+M. Velpeau, à qui d'excellents travaux sur l'embryogénie donnent une
+grande autorité en pareille matière, a émis des doutes sur la valeur des
+pièces anatomiques examinées par lui dans le laboratoire du Muséum. Ses
+objections ont fait naître une discussion qui, portant sur des points
+très-délicats et sur des faits observés rarement, ne pouvait avoir un
+résultat bien positif. L'un et l'autre académicien parlait _de visu_, et
+cependant tous deux restaient fermes dans des opinions diamétralement
+opposées. Toutefois M. Velpeau, dans sa réplique, a posé les faits d'une
+manière si lucide et si logique, que les affirmations contraires de son
+collègue n'ont pu faire cesser le doute.
+
+En discutant ainsi franchement cette question importante, M. Velpeau
+nous semble avoir rendu un grand service à la science. Il est dangereux
+pour les meilleurs esprits de ne rencontrer jamais d'opposition; on
+s'habitue alors à ne pas se discuter soi-même, et l'on se laisse
+quelquefois entraîner à prendre l'analogie pour l'identité.
+
+M. Flourens, dans une note fort intéressante, développe les recherches
+anatomiques qu'il a faites sur la structure de la peau chez des peuples
+diversement colorés. Il a trouvé chez le Maure, l'Arabe, le Kabyle, le
+Nègre, sur un insulaire de l'Océanie chez les Indiens rouges de
+l'Amérique, la membrane pigmentaire rendue bien évidente par sa
+coloration; il l'a vue également, mais décolorée, dans la race blanche,
+sauf sur quelques points du corps, comme, par exemple, l'auréole du
+mamelon. Ces faits, depuis longtemps acquis à la science, et que
+confirment les observations nouvelles de M. Flourens, ont amené ce
+physiologiste à conclure que la race humaine était primitivement une. M.
+Flourens considère cette proposition comme prouvée par l'étude de la
+peau et s'engage à le prouver dans un autre mémoire, par l'étude du
+squelette, et surtout par celle du crâne.
+
+La première preuve ne nous semble pas tout à fait concluante. Le
+pigmentum existe chez toutes les races d'hommes, comme certains
+caractères sont communs à plusieurs races d'animaux distinctes, quoique
+faisant partie d'un même ordre; mais jamais on n'a vu le développement,
+ou, si l'on veut, la coloration du pigmentum dépasser certaines limites
+pour chaque race. Il est douteux que l'étude anatomique et microscopique
+démontrât l'identité de coloration pigmentaire entre les métis, quelque
+blancs qu'ils soient, et les anciennes familles créoles dont le sang est
+resté pur; et pour parler de peuples en expérience depuis longtemps,
+l'Arabe et le Portugais, le fellah d'Alexandrie et le Turc sont basanés
+à des degrés divers; enfin, à latitude égale, l'Indou du cap Comorin,
+l'Américain de la Colombie ne sont pas colorés comme le nègre de Guinée.
+
+La persistance de la forme dans les os de la face chez les différentes
+races après un certain degré de modification dû au mélange du sang, nous
+paraît devoir rendre plus difficile encore la preuve, par le squelette,
+de l'unité essentielle des races humaines. Au reste, cette grande
+question des races est douteuse, même pour les meilleurs esprits, et ne
+sera probablement jamais résolue. Chez l'homme comme chez quelques
+autres mammifères, il est difficile, sinon impossible, de diviser
+anatomiquement le genre ou la race proprement dite, bien que l'on n'y
+puisse méconnaître des variétés incontestables et sur l'origine
+desquelles on reste sans aucune indication positive.
+
+Des expériences très-curieuses et faites avec un soin remarquable sur
+les fonctions de la moelle épinière et de ses racines sont l'objet d'un
+mémoire de M. Dupré. Ce physiologiste, en amenant à guérison des animaux
+sur lesquels il avait coupé les racines antérieures ou postérieures des
+nerfs, a pu observer le mouvement conservé dans un membre où la
+sensibilité était abolie, et _vice versa_. M. Dupré n'a pu obtenir la
+guérison des plaies graves nécessitées par ses expériences, que sur des
+grenouilles; il a vu constamment les animaux d'un ordre supérieur, comme
+lapins, chats, etc., succomber aux accidents traumatiques. Aux
+observations purement physiologiques sont jointes, dans son travail, des
+remarques intéressantes sur les effets pathologiques des vivisections.
+
+M. Dumas, l'un des adversaires de M. Liebig dans la question de la
+formation des graisses, a fait avec M. Milne-Edwards des recherches sur
+la production de la cire des abeilles. Swammerdam, Maraldi, Réaumur,
+pensaient que l'abeille, recueillant la cire toute faite dans les
+plantes, n'avait plus qu'à l'élaborer et la pétrir pour en former ses
+alvéoles. Hunter, et plus tard Huber, avaient dit que la cire suintait
+des parois d'un certain nombre de poches glandulaires situées dans
+l'abdomen de l'insecte, et s'y amassait sous forme de lamelles. Huber
+ayant renfermé des abeilles dans une ruche sans issue, et ne leur
+fournissant pour toute nourriture que du miel et du sucre, avait vu les
+ouvrières captives continuer à construire des gâteaux. Un homme que le
+corps médical s'honore de compter dans ses rangs, M. Bretonneau, avait
+vu à Chenonceaux, en 1817, des abeilles mises en expérience avec toute
+la précision que ce savant apporte à ses travaux, et nourries avec une
+solution aqueuse de sucre blanc, construire des gâteaux d'une cire
+très-blanche. Enfin l'expérience d'Huber, répétée dernièrement par M.
+Grundlach de Cassel, lui avait donné les mêmes résultats qu'à
+l'entomologiste de Genève, et il en avait conclu, comme son illustre
+devancier, que l'abeille a la faculté de transformer le sucre en cire.
+
+M. Liebig trouvait dans ces observations, un des arguments les plus
+forts en faveur de la production des substances graisseuses par les
+animaux.
+
+MM. Humas et Milne-Edwards ont repris l'expérience d'Huber, et pour la
+rendre tout à fait précise, ils ont constaté la quantité de graisse
+préexistante dans le corps des abeilles soumises au régime saccharin,
+l'ont comparée à celle de la cire produite, et ont examiné ensuite si,
+durant le cours de l'expérience, les animaux n'avaient pas maigri.
+
+Une première expérience, pendant laquelle les abeilles furent nourries
+avec de la cassonade de sucre, donna des résultats douteux. On mit
+alors en expérience quatre essaims auxquels on donna pour nourriture du
+miel, après s'être I assuré de la quantité de cire contenue dans cette
+substance alimentaire. Trois de ces essaims ne produisirent point de
+cire; mais la quatrième donna les résultats suivants:
+
+ Le total des matières grasses préexistantes dans le
+ corps de chaque abeille, ou fournies à ces insectes
+ pendant l'expérience, est, en moyenne, d'environ 0,0022 gr.
+
+ Pendant le cours de l'expérience, chaque ouvrière
+ a produit de la cire dans en proportion de 0,0064 gr.
+ et après cette production, en contenait encore,
+ dans ses divers organes, 0,0012 gr.
+
+ Total de la cire produite par chaque abeille sous
+ l'influence d'une alimentation de miel pur: 0,0106 gr.
+
+MM. Dumas et Milne-Edwards se proposent de répéter cette expérience sur
+une plus grande échelle, quand la saison le permettra.
+
+Ce mémoire a provoqué de la part de M. Payen quelques objections qui ne
+semblent pas toutes également solides MM. Dumas et Boussingault
+n'étaient pas présents. M. Milne-Edwards, après avoir répondu aux
+objections de M. Payen, est tombé d'accord avec lui sur ce que la
+transformation du miel en cire par les abeilles ne détruit pas le fait
+de la nécessité d'une alimentation grasse pour l'engraissement des
+animaux et notamment des mammifères. M. Thénard a présenté des
+observations conciliatrices. M. Flourens a bien cité le fait de certains
+ours du Jardin-des-Plantes qui, depuis deux ans, ne mangent que du pain,
+et engraissent beaucoup sous l'influence de ce régime; mais ce n'était
+pas entre les physiologistes, qu'il devait y avoir discussion ce
+jour-là; d'ailleurs les parties belligérantes n'étaient pas au complet,
+et elles sont rentrées pacifiquement dans leurs camps, laissant la noble
+arène à d'autres adversaires dont il ne nous appartient pas d'apprécier
+ni de reproduire les arguments.
+
+Nous ajouterons, pour compléter l'état actuel de la question, que M.
+Léon Dufour, dans la séance du 16 octobre, a rendu compte de recherches
+anatomiques faites par lui pour reconnaître les poches glandulaires
+indiquées par Hunter comme faisant suinter ou sécrétant la cire chez
+l'abeille. M. Léon Dufour a scrupuleusement disséqué trente abeilles sans
+rien rencontrer qui ressemble à cet organe admis par Hunter et Huber. Ce
+fait négatif d'anatomie est tout à fait digne d'attirer l'attention des
+naturalistes; au reste, fut-il confirmé, il en résulterait seulement que
+l'organe sécréteur de la cire est encore à trouver, mais cela ne
+prouverait rien contre le fait positif de la sécrétion de la cire. Enfin
+MM. Bouchardat et Sandras ont présenté et lu à l'Académie, dans les
+séances du 26 juin et du 14 août, un travail qui a pour titre:
+_Recherches sur la digestion et l'assimilation des corps gras..._
+Suivant ces deux habiles observateurs, les huiles et les graisses
+seraient absorbées par les vaisseaux chylifères, et fourniraient un
+chyle abondant, tandis que la cire, absorbée en très-petite quantité, se
+retrouverait presque en totalité dans les excréments.
+
+_(La suite à un prochain numéro.)_
+
+
+
+Accident du 10 novembre sur le chemin de fer de Versailles (rive
+droite).--Différents systèmes proposés pour prévenir les accidents.
+
+Il y a peu de temps, _l'Illustration_ mettait sous les yeux de ses
+lecteurs des relevés statistiques d'accidents arrivés sur les chemins de
+fer, tant en France qu'à l'étranger (p. 71, t. II); son but était de
+rassurer les esprits timorés, en leur prouvant que les sinistres étaient
+moins fréquents dans le nouveau mode de locomotion que dans l'ancien, et
+elle signalait notamment que plusieurs morts n'étaient dues qu'à
+l'imprudence même des victimes. L'accident arrivé le 10 novembre sur le
+chemin de fer de la rive droite a ajouté un nouvel exemple à ceux que
+nous avions donnés des funestes effets que peut encore produire la
+crainte sur les hommes mêmes les plus exercés à la vie et aux allures
+des chemins de fer.
+
+Le 10 novembre, le convoi parti de Paris pour Versailles à huit heures
+du matin se trouvait sur un remblai de huit à dix mètres d'élévation
+entre Sèvres et Chaville, et à l'entrée d'une courbe, lorsque la
+locomotive, animée d'une vitesse ordinaire, sortit des rails, en
+traînant après elle son tender, le wagon à bagages, qui, d'après les
+prescriptions de l'administration, doit toujours séparer l'appareil
+moteur des voitures des voyageurs et le premier wagon de voyageurs. La
+locomotive arrivée au bord du remblai se renversa, et sa cheminée
+pénétra même de quelques centimètres dans le talus; dans ce moment le
+feu se renversa et l'incendie du 8 mai aurait pu avoir un triste
+pendant, si en même temps l'eau contenue dans la locomotive n'était
+venue l'éteindre. Le tender fut également renversé sur le remblai, et le
+wagon à bagages, brisé en mille pièces, vint couvrir de ses débris la
+locomotive et le tender.
+
+Le lendemain de l'événement, l'appareil moteur était encore couché sur
+le talus, et des ouvriers travaillaient à faire une tranchée pour le
+dégager. Tel est le sujet du dessin qui a été pris sur les lieux par un
+des dessinateurs de _l'Illustration_, et que nous offrons aujourd'hui à
+nos lecteurs.
+
+Le premier wagon de voyageurs qui suivait le wagon à bagages, entraîné,
+sortit également des rails, mais heureusement la chaîne d'attache fut
+brisée, et le wagon, au lieu de se précipiter en bas du remblai, se
+renversa en travers de la voie. Le second wagon fut également déraillé,
+mais il resta debout sur le chemin. Quant à la berline et aux trois
+wagons qui la suivaient, tous restèrent sur les rails.
+
+Les premières victimes de cet accident devaient être le mécanicien et le
+chauffeur: le mécanicien eut en effet, l'épaule démise; mais, par un
+hasard providentiel, le chauffeur n'eut que quelques contusions
+insignifiantes.
+
+Les employés de l'administration du chemin de fer qui étaient dans le
+wagon à bagages eurent également quelques contusions. Quant au
+conducteur qui se trouvait sur l'impériale du wagon de voyageurs, en
+voyant le convoi dérailler, il se précipita sur la voie, et se fit à la
+tête une profonde blessure, à laquelle il succomba le lendemain.
+
+Le seul voyageur qui ait été blesse se trouvait dans le wagon renversé
+en travers des rails; il eut le genou broyé et la cuisse grièvement
+endommagée. Tous les autres voyageurs sortirent des wagons sains et
+saufs.
+
+Maintenant, à quoi attribuer ce déraillement? Les recherches et les
+investigations des ingénieurs ont fait découvrir, à 40 mètres environ du
+lieu du sinistre, des coussinets brisés et un frottement considérable
+sur les rails. Une des roues de devant de la locomotive a une partie de
+son bourrelet déchirée et enlevée en quelques endroits. On présume que
+ce bourrelet ayant été brisé, la locomotive s'est maintenue sur la voie
+tant qu'elle a été en ligne droite, mais qu'au commencement de la
+courbe, suivant toujours l'impulsion en ligne droite, la roue aura
+marché quelque temps sur le rail, puis sur la terre, jusqu'au bord du
+remblai où la machine a été culbutée.
+
+Quant aux causes qui ont pu amener les lésions du bourrelet, elles ne
+peuvent provenir, à notre sens, que d'un défaut de fabrication ou
+d'incurie dans la surveillance du matériel.
+
+Pour ceux de nos lecteurs qui ne connaissent pas la construction d'une
+roue de locomotive, nous pouvons leur en donner une idée succincte.
+
+Une roue se compose de quatre parties distinctes: le moyeu, les rais, la
+jante et la frette: le moyen et la jante sont en fonte, les rais et la
+frette en fer forgé. On fabrique d'abord les rais, qu'on place, enduits
+à chacune de leurs extrémités d'une couche de borax, dans le moule où
+l'on doit couler les deux pièces qu'ils relient; on coule alors le moyeu
+et la jante à des intervalles différents, pour éviter les effets d'un
+refroidissement inégal, et quand la roue sort du moule, les trois parties
+font corps ensemble. Quant à la frette, elle est, comme nous l'avons
+dit, en fer battu et armée d'un bourrelet conique sur une de ses faces
+et vertical sur l'autre; on l'applique à chaud sur la jante; elle se
+contracte en refroidissant de manière à serrer fortement l'ensemble de
+la roue; on la fixe alors à la jante par des boulons à têtes noyées.
+
+D'après ce qui précède, on voit que la rupture du bourrelet ne peut être
+attribuée qu'à un défaut de fabrication, si la roue, était neuve ou si
+le défaut était caché; ou, dans le cas contraire, et en supposant le
+défaut visible, au manque du surveillance. C'est ce que l'enquête à
+laquelle se livrent en ce moment les hommes de l'art fera connaître
+avant peu.
+
+Chaque fois qu'un événement comme celui dont nous entretenons nos
+lecteurs arrive, on se demande avec effroi quelles sont les précautions
+à prendre pour combattre la puissance aveugle qui entraîne après elle
+ces masses énormes; on veut savoir si tout a été fait pour prévenir les
+accidents, s'il ne serait pas possible de dominer la matière au point de
+la rendre, pour ainsi dire, intelligente, et d'éloigner pour toujours
+les chances de mort auxquelles s'exposent les voyageurs en empruntant ce
+nouveau genre du locomotion. Eh bien! nous devons le dire, dans cette
+science, née d'hier, beaucoup d'améliorations sont encore à désirer,
+beaucoup de problèmes sont encore à résoudre. D'un autre côté, il
+existe, sur certains chemins de fer, des appareils de sûreté qui ne se
+retrouvent pas sur d'autres, et dont l'usage devrait cependant être
+conseillé et imposé, au besoin, à ces compagnies. Les causes d'accidents
+sont de plusieurs espèces; les principales sont les déraillements, les
+collisions et les ruptures d'essieu; quant aux explosions de machines
+locomotives, elles sont excessivement rares, et n'arrivent, pour ainsi
+dire, que par la négligence du mécanicien. En effet, les tôles de la
+chaudière, qui n'ont guère que 4 à 5 atmosphères à supporter, sont de
+force à résister à 8 ou 10 atmosphères; la production de vapeur suit la
+vitesse de marche, puisque c'est le jet de vapeur dans la cheminée de la
+locomotive qui active la combustion, et, par suite, la vaporisation de
+l'eau; quand la machine est au repos, le foyer est très-peu actif, et la
+vapeur formée se rend dans le tender pour échauffer l'eau
+d'alimentation.
+
+[Illustration.]
+
+Les collisions entre deux convois ne peuvent être prévenues que par une
+bonne administration; le choc est pour ainsi dire inévitable, surtout
+quand les deux trains qui s'avancent l'un sur l'autre sont séparés par
+des courbes en tranchée, qui les empêchent de se voir. Il faut, en
+effet, un temps plus ou moins long pour arrêter un convoi, et ce temps
+dépend de la vitesse et de la masse du convoi, et de la puissance de la
+locomotive. Ainsi, le calcul démontrera que pour un convoi composé de
+vingt-une voitures, dont trois armées de freins et de deux locomotives,
+comme était le convoi du 8 mai 1842, sur le chemin de fer de Versailles
+(rive gauche), l'espace nécessaire pour arrêter le convoi, en serrant
+instantanément tous les freins et en renversant la vapeur, était de 160
+mères; mais entre le moment où les convois s'aperçoivent et celui où
+tous les moyens d'arrêt sont employés, il y a un certain temps pendant
+lequel les convois continuent à se rapprocher. On voit donc que pour
+éviter une collision, il faut que les convois s'aperçoivent de
+très-loin.
+
+La rupture des essieux est un des accidents les plus graves qui puissent
+avoir lieu sur les chemins de fer. La commission créée par le ministre
+des travaux publics, après le fatal événement du 8 mai, pour rechercher
+les moyens de sûreté applicables aux chemins de fer, s'est entourée de
+tous les documents relatifs à cet objet, a entendu une foule
+d'industriels et d'inventeurs; mais rien n'a encore transpiré du
+résultat de ses délibérations. Toutefois, nous devons dire que prétendre
+arriver à fabriquer un essieu qui ne se rompe jamais, nous paraît une
+utopie. Ce qu'il faut chercher, ce sont les moyens de sauvetage à
+appliquer quand la rupture de l'essieu se manifeste. Ces moyens de
+sûreté eux-mêmes ont été l'objet d'une foule de communications à la
+commission dont nous venons de parler; nous ne croyons pas exagérer en
+portant à _trois cents_ le nombre des inventeurs qui, tous animés, nous
+le reconnaissons, d'excellentes intentions, mais montrant une tendresse
+bien naturelle pour le fruit de leurs veilles et de leur imagination, se
+sont présentés à cette commission avec des moyens _infaillibles_ de
+sauvetage reconnus, après examen, impraticables ou dangereux. Le nombre
+seul de ces inventions, qui ont trait au même objet, et qui tournent
+dans un même cercle assez restreint, est un indice certain de la
+difficulté de la matière, et doit rendre extrêmement circonspects les
+hommes de l'art dont l'industrie attend le jugement. La commission n'a
+donné encore publiquement son approbation qu'à deux systèmes de sûreté:
+l'un, de M. Locart, ingénieur du chemin de fer de Saint-Étienne à Lyon;
+l'autre, de M. Chaussenot, ingénieur mécanicien à Paris; elle a demandé
+l'insertion de leurs mémoires dans les _Annales des ponts-et-chaussées_.
+
+Nous espérons être, avant peu, à même d'offrir à nos lecteurs les
+dessins détaillés de ces divers systèmes; disons seulement aujourd'hui
+que celui de M. Locart est en usage depuis longtemps déjà sur le chemin
+de fer auquel il est attaché comme ingénieur. Il consiste en un appareil
+de décrochage qui sépare instantanément la locomotive et son tender du
+reste du convoi. On conçoit qu'avec cet appareil le danger du
+déraillement est de beaucoup diminué, et l'expérience a prouvé en effet
+l'efficacité de ce système, qui maintes fois a prévenu de grands
+malheurs sur le chemin de Saint-Étienne. Nous reviendrons avec détail
+sur cet ingénieux appareil.
+
+Qu'il nous soit permis, en finissant, de renouveler la recommandation
+que nous avons déjà, faite de ne jamais essayer, quel que soit
+l'accident qui arrive, de sortir des wagons tant qu'ils sont en marche.
+Le corps du voyageur est animé de la même vitesse que le convoi; ainsi,
+tout immobile qu'il est sur sa banquette, libre de ses mouvements et ne
+ressentant ni élan ni fatigue, il n'en a pas moins une vitesse de 8, 10
+ou 12 lieues à l'heure. Il renferme donc une grande puissance accumulée,
+ou une grande _force d'inertie_. (La _force d'inertie_ est le travail
+qu'il faut dépenser pour animer un corps d'une certaine vitesse, ou bien
+le travail qu'il faut enlever à ce corps pour amortir sa vitesse.) Ainsi
+un voyageur pesant 80 kilogrammes, dans un convoi qui fait 56 kilomètres
+à l'heure ou 10 mètres par seconde, a une force d'inertie représentée,
+par 407 kilogrammètres. On entend par kilogrammètre un poids d'un
+kilogramme élevé à un mètre. Le _cheval vapeur_, considéré comme unité
+dynamique, équivaut à 75 kilogrammètres, ou à 75 kilogrammes élevés à 1
+mètre en une seconde. D'où il suit que les 407 kilogrammètres qui
+constituent la force d'inertie accumulée dans le corps d'un homme placé
+dans les conditions énoncées plus haut, équivalent à une force de 5
+chevaux et un tiers. Qu'on juge, d'après cela, du choc épouvantable
+qu'occasionne le brusque amortissement de cette force vive, et en effet,
+presque aucun de ceux qui se sont ainsi précipités hors des wagons n'ont
+échappé à la mort.
+
+
+
+Histoire de la Semaine.
+
+La France, cette semaine, nous fera peu parler d'elle. Dans les régions
+du pouvoir et de la politique on se repose, pour ne pas dépenser une
+activité et une force dont on prévoit qu'on aura besoin quand les
+Chambres seront réunies. Les seuls actes que les journaux aient
+enregistrés sont des mutations dans nos ambassades depuis longtemps
+annoncées. Les ordonnances qui envoient M. le comte Bresson à Madrid, M.
+le comte de Salvaudy à Turin, M. le marquis de Dalmatie à Berlin, ont
+enfin paru. Le ministère a également pris le parti de donner un
+successeur à M. le comte de Ratti-Menton, auquel sa sortie sauvage
+contre un autre agent français a donné récemment une fâcheuse célébrité.
+C'est M. Lefèvre-Debecourt, dont les services antérieurs à la Plata ont
+été fort diversement appréciés, qui va aller occuper notre consulat
+général, aujourd'hui si important, de l'Indo-Chine. Enfin, si l'on en
+croît la _Gazette d'Augsbourg_, qui sait assez souvent d'avance ce qui
+se prépare à l'hôtel de la rue Neuve-des-Capucines, M. Mortier, notre
+ministre en Suisse, serait, sur sa demande, mis en disponibilité, et
+remplacé par M. de Bourqueney, qui remettrait à un autre chargé
+d'affaires l'intérim de M. de Pontois.--Il nous est pénible d'avoir à
+mentionner une autre mesure sur laquelle, espérons le, le ministère,
+mieux inspiré, reviendra. De pauvres Italiens, fuyant les sévices que le
+gouvernement papal, mal conseillé, avait résolu d'exercer contre eux,
+étaient venus chercher un refuge dans la Corse, qui leur rendait le
+soleil et la langue de leur patrie. Au moment où les feuilles anglaises
+et les feuilles allemandes annoncent que si les forces autrichiennes et
+piémontaises interviennent dans les légations, ce ne sera qu'à la
+condition que le pape prendra l'engagement de réformer bon nombre des
+abus administratifs dont ses sujets se plaignent, les réfugiés romains
+viennent de recevoir du ministre de l'intérieur l'ordre de quitter la
+Corse et d'interner à Châteauroux. Nous n'avons nullement l'intention de
+médire du chef-lieu du département de l'Indre; mais, en vérité, pour des
+Italiens, y être conduits à l'entrée de l'hiver, c'est être exilés en
+Sibérie.--M. le duc et madame la duchesse de Nemours, sur l'invitation
+pressante de la reine d'Angleterre, sont allés rendre à cette princesse
+la visite qu'elle est venue faire au château d'Eu pendant qu'ils étaient
+au camp de Bretagne. La coïncidence du voyage du futur régent avec celui
+du prétendant a donné lieu, dans quelques journaux, à beaucoup de gloses
+et de commentaires. Tout ce qu'il en faut conclure, c'est qu'en même
+temps que l'un voyage pour se distraire, l'autre voyage pour se
+consoler; et que l'Angleterre croit, avec raison, faire preuve de bon
+goût en se montrant bienveillante et empressée aussi bien envers le
+malheur qu'envers la fortune.
+
+Il vient de se former à Birmingham une _Union nationale_, ou
+confédération générale de toutes les classes, pour rendre les ministres
+de la couronne légalement responsables de la misère du peuple. Son
+manifeste, rédigé par un ancien membre de la Chambre des Communes, M.
+Thomas Atwood, a été immédiatement couvert de milliers de signatures.
+Chaque jour semble amener un embarras nouveau au ministère de sir Robert
+Peel. Les échecs et les ennuis se succèdent pour lui sans interruption.
+Il voyait, il y a peu de jours, la Cité envoyer au parlement un candidat
+autre que le sien; une nouvelle législation sur les céréales lui est
+demandée avec une insistance fort incommode, par les journaux mêmes qui,
+hier encore, lui semblaient tout dévoués; enfin, aujourd'hui, 16,000
+unionistes, rassemblés en quelques heures, disent dans une proclamation
+adressée au peuple: «Nous appelons à nous toutes les classes laborieuses
+du royaume. Amis, compatriotes et frères, notre plan est placé devant
+vous. Les difficultés, les dangers d'accumulent autour de nous... Vous,
+électeurs et non électeurs, qui souffrez de l'oppression commune; vous,
+marchands, manufacturiers et commerçants, qui travaillez malgré tant de
+difficultés; vous, propriétaires et fermiers, qui possédez encore
+quelque chose, mais qui voyez votre ruine inévitable; vous, capitalistes
+et rentiers, dont les revenus diminuent chaque jour, et dont les
+propriétés, mises dans la balance, sont plus légères que la misère et le
+mécontentement publics; et vous, honnêtes mais malheureux ouvriers et
+laboureurs, l'orgueil, la gloire et la force de notre pays, nous vous
+appelons de toutes nos forces, venez à nous et aidez-nous dans la grande
+oeuvre de sauver notre pays de la destruction.»--Ce n'est pas en portant
+ses yeux sur l'Irlande que le ministère anglais peut les reposer
+agréablement. La déclaration de _true bill_ par le premier jury, devant
+lequel ont comparu O'Connell et les autres chefs du repeal, n'a pas
+produit plus d'effet que nous ne l'avions prévu; et quelque soin qu'on
+eût apporté à la composition du jury, on a su que les poursuites avaient
+trouvé des contradicteurs dans son sein. Il est évident qu'elles en
+trouveront bien davantage dans le jury définitif, dont la liste ne sera
+pas dressée sans un examen sévère et une intervention active de la part
+des inculpés et de leurs conseils. En ce moment même, on se débat pour
+l'accomplissement de ces formalités préliminaires.--Demain dimanche, 19
+novembre, aura lieu une épreuve étrangère au procès, mais qui donnera la
+mesure de l'intérêt qu'y porte la population irlandaise. Une quête
+générale sera faite dans tout ce malheureux royaume pour le tribut
+annuel et volontaire payé à O'Connell. Cette souscription lui est
+entièrement destinée, et est indépendante de celle qu'on appelle la
+_rente, du rappel_, et qui se perçoit hebdomadairement. La souscription
+destinée à former la liste civile d'O'Connell date de 1831, et n'est
+ouverte qu'une fois l'an:
+
+ En 1831, elle a été de 26,000 liv. st. (environ 660,000 fr.)
+
+ -- 1832, -- 12,535 -- ( -- 315,000 --)
+
+ -- 1833, -- 13,903 -- ( -- 350,000 --)
+
+ -- 1835, -- 20,189 -- ( -- 515,000 --)
+
+[Illustration: Le général Narvaez.]
+
+L'année dernière, elle n'a été que de 10,500 liv. st., (265,000 fr.
+environ). En général, le chiffre a suivi le mouvement de l'agitation;
+élevé quand elle a été vive, il est redescendu quand la lutte a été
+moins engagée, mais jamais le tribut n'a manqué. Tous les ans, après que
+les souscriptions ont été recueillies dans les diverses paroisses, le
+chiffre en est livré à la publicité.--Les nouvelles d'Espagne sont de
+jour en jour plus déplorables: ce n'est plus assez de la guerre civile
+et des expédients anticonstitutionnels, les partis y procèdent
+maintenant par l'assassinat. L'attention a été détournée de la
+soumission de Saragosse, de la sortie d'Avetler de Girone, de la mise en
+état de siège de Saint-Jacques-de-Compostelle, de conspirations
+découvertes à Cordoue et à Algésiras, de la situation de Barcelone,
+autour de laquelle les forces des assiégeants s'accumulent, et où les
+insurgés songent, dit-on, à capituler, tout cela a été oublié pour ne
+songer qu'à la tentative d'assassinat commise à Madrid sur le général
+Narvaez. Le 6, la reine assistait à la représentation que donnait le
+théâtre du Cirque; le général s'y rendait. Au moment où sa voiture,
+longeait le portail de l'église Porta-Celi, rue de la Lune, de nombreux
+coups de fusil ont été tirés par des hommes embusqués et qui attendaient
+son passage. Les assassins, tous en manteaux et chapeaux ronds, à
+l'andalouse, prirent la fuite dans diverses directions. Le général n'a
+point été atteint, mais il a été couvert du sang de son aide-de-camp,
+mortellement blessé, et d'un jeune homme qui l'accompagnait également,
+et qui a été atteint à la tête d'une légère blessure. Les troupes
+furent, par les ordres de Narvaez, immédiatement mises sous les armes,
+et le général se rendit ensuite au Cirque dans la loge de la reine, pour
+tranquilliser Sa Majesté et se montrer au public. Cet attentat ne
+pouvait qu'attirer sur lui de l'intérêt et rendre plus difficile le rôle
+de l'opposition. Le lendemain, le général s'est promené par la ville
+dans sa voiture criblée de balles, et le 8, les deux Chambres réunies,
+ce qu'il est assez difficile d'expliquer constitutionnellement, ont
+déclaré la majorité de la reine à une majorité de 193 voix contre une
+minorité que cet événement avait réduite à 16 membres. Avant la
+tentative criminelle et l'état de réaction produit sur les esprits, M.
+Cortina, candidat des progressistes, avait obtenu, pour la présidence
+de la Chambre des Députés, 49 voix; M. Olozaga en avait réuni 66, mais
+après avoir déclaré qu'il ne comprendrait pas un cabinet qui ne
+réunirait pas les chefs des deux opinions.
+
+[Illustration: Le roi des Belges.]
+
+[Illustration: La reine des Belges et le Prince royal.]
+
+En proclamant le résultat du scrutin sur la majorité de la reine, M.
+Olozaga a dit:» A dater de ce jour, le régime constitutionnel doit
+commencer à être une vérité en Espagne.» Ce mot est un aveu contre le
+passé; nous voudrions qu'il fût une garantie pour l'avenir. La reine a
+prêté son serment le surlendemain, devant les deux corps législatifs
+rassemblés dans la salle du Sénat. Toutefois, ces événements n'ont point
+conjuré la crise ministérielle, et M. Lopez persiste dans sa
+détermination d'abandonner son portefeuille.--Le général Coletti, ancien
+ambassadeur de Grèce à Paris, dont les sentiments patriotiques inspirent
+une grande confiance à ses compatriotes, est débarqué le 30 octobre au
+Pirée; son arrivée a excité l'enthousiasme des Athéniens, et a donné
+lieu à une ovation. Le général n'a pu se rendre qu'avec difficulté, au
+travers d'une foule compacte; et dans la joie, du port à sa demeure. Les
+élections sont favorables aux constitutionnels. Sur 225 dont se doit
+composer l'assemblée, les nappistes ne comptent que 90 voix, les
+partisans du mouvement de septembre en ont réuni 135.--On a reçu, par la
+voie de l'Angleterre, des nouvelles de Montevideo jusqu'à la date du 21
+août. Oribe et le consul de France ont eu une conférence dans laquelle
+ils ont arrêté qu'aucun Français ne serait inquiété pour le passé; qu'on
+ne pourrait pénétrer dans le domicile d'un Français qu'en vertu d'un
+ordre écrit de l'autorité supérieure; qu'enfin, si Montevideo était pris
+d'assaut, notre pavillon serait un signe de protection, et qu'on
+donnerait des passeports à ceux de nos nationaux qui en demanderaient;
+on n'en compte pas moins de 24,000 dans ces parages. Les mouvements des
+deux armées ennemies n'avaient encore abouti à aucun résultat.
+
+[Ouverture des Chambres belges, le 14 novembre.]
+
+Le roi Léopold a ouvert, le mardi 14, la session des Chambres belges
+pour 1843-44. Le roi s'est rendu au palais accompagné d'un nombreux
+état-major; il était revêtu de l'uniforme d'officier-général de la garde
+civique. Le corps diplomatique assistait au complet à cette solennité,
+qui avait attiré une foule nombreuse et brillante. Dans son discours le
+roi n'avait à traiter aucune des questions de politique extérieure qui
+ont si longtemps tenu incertaines les destinées de ce royaume. Ces
+questions sont toutes tranchées aujourd'hui, et une ère toute
+d'industrie et de progrès semble s'ouvrir pour la Belgique. Après avoir
+exprimé la satisfaction qu'il avait personnellement ressentie, et
+qu'avait partagée la reine d'Angleterre, de l'accueil qui avait été fait
+par les populations à cette princesse durant son voyage en Belgique, il
+est entré dans l'énumération des projets que son ministère se propose de
+présenter aux délibérations des Chambres dans la session ouverte. Il a
+fait ressortir l'immense avantage que devait nécessairement retirer cet
+État de l'achèvement complet de son réseau des chemins de fer; mais il a
+annoncé en même temps que ces voies nouvelles ne détourneraient point
+l'attention du gouvernement des travaux d'amélioration à effectuer sur
+les voies navigables; les canaux vont être réparés et complétés. Tout en
+se félicitant des progrès de l'industrie agricole, le roi a annoncé
+également que l'administration regarderait son oeuvre comme inachevée
+tant qu'il resterait sur le sol belge des bruyères à défricher. Nous
+serions tenté de proposer à notre ministère français d'adopter pour le
+discours de la couronne, qui sera prononcé décidément chez nous le 26
+décembre, une seconde édition du discours belge en ce qui concerne ces
+intérêts si graves. Le roi Léopold a annoncé également que tous les
+efforts de son gouvernement tendraient à favoriser les relations et les
+entreprises lointaines, et il a engagé l'esprit d'association à seconder
+de son côté ces efforts, dont le succès viendrait mettre à l'aise la
+population belge, trop nombreuse pour son territoire resserré, et son
+industrie, trop productive pour sa consommation intérieure. Il y a là,
+nous le répétons, de bien bons conseils et de bien bons exemples pour
+nos ministres; et en vérité les Belges se sont montrés assez souvent
+contrefacteurs à l'égard de la France, pour que nos gouvernants ne se
+fassent aucun scrupule de les contrefaire à leur tour dans cette
+circonstance et dans cette direction.
+
+Des nouvelles de Dalmatie, allant jusqu'au 21 octobre, apprennent que
+depuis plus d'un mois toutes les villes de cette province sont tenues
+dans l'effroi par des détonations souterraines et de continuelles
+secousses de tremblement de terre qui ont fait fuir une grande partie
+des populations dans la campagne. Le 20, beaucoup de familles se
+disposaient à rentrer à Raguse, d'où elles avaient fui précipitamment un
+mois auparavant, quand une nouvelle secousse est venue faire renaître
+toutes les alarmes. A Slano, à Meleda, les phénomènes et l'épouvante
+sont les mêmes.
+
+Depuis quelque temps, nos journaux de départements ont souvent à
+annoncer des découvertes archéologiques faites dans leurs contrées par
+suite de fouilles entreprises dans ce but, ou, le plus souvent, par
+suite de travaux d'agriculture que le hasard rend doublement fructueux.
+Des tombeaux gaulois, des armes, des bracelets, des anneaux, des
+médailles nombreuses et des monnaies d'or, d'argent et de bronze ont été
+de plusieurs côtés déterrés ainsi tout récemment. Si l'on en croit les
+feuilles allemandes, on vient de faire, à Aix-la-Chapelle, une autre
+découverte, c'est celle des reliques de Charlemagne. On savait qu'en
+l'an 1000, Othon III s'était fait ouvrir le caveau de l'empereur, et que
+Frédéric Ier (Barberousse) avait, le 29 décembre 1165, levé les
+ossements de ce grand prince, après que le pape Pascal III l'avait mis
+au nombre des saints. Frédéric fit garder ses dépouilles mortelles dans
+un coffret; les vêtements et insignes de l'empereur devinrent les
+insignes du couronnement de l'empereur franco-romain; et après qu'en
+1792, François II s'en fut revêtu comme roi et empereur élu, ils furent
+transposés à Vienne, où ils sont encore conservés. Mais les reliques de
+Charlemagne étaient perdues, sauf un bras enchâssé dans un reliquaire;
+et quelque peine qu'on se donnât, avec quelque soin qu'on cherchât
+dessus et dessous terre, on ne pouvait les découvrir. Il y a quelques
+semaines, on aurait, dit-on, retrouvé le précieux coffre dans une pièce
+attenante à la sacristie, où il était placé sur une armoire, dans le
+plus complet abandon.
+
+Nous donnions dans notre avant-dernier numéro une statistique des
+missions en Chine et de leurs résultats. Nous aurons bientôt, à ce qu'il
+paraît, à ajouter à ce travail. Il s'est formé à Berlin et à Koenigsberg
+des réunions de dames ayant pour but de former et d'envoyer aux Indes
+des femmes missionnaires appelées à faire connaître l'Évangile aux
+femmes de l'Orient. La _Gazette ecclésiastique_ de cette dernière ville,
+qui donne cette nouvelle, l'accompagne de quelques réflexions qui nous
+paraissent assez justes, et qui ont pour but de rappeler que la sphère
+sainte, mais retirée de la femme, se prête difficilement à des
+entreprises intérieures qui appellent son activité hors du domaine que
+la nature lui indique et que l'Évangile approuve et
+sanctifie.--L'édification n'est pas le caractère de toutes les nouvelles
+qui nous viennent d'Allemagne. On écrit de Vienne que le prince Gustave
+Wasa fils du feu roi de Suède, Gustave-Adolphe IV, détrôné en 1809 et
+remplacé par Bernadotte, vient de former, après treize ans de mariage,
+une demande en divorce contre sa femme, la princesse Stéphanie de Bade.
+On ne peut attribuer d'autre cause, dans la haute société de Vienne, à
+cette démarche, qui paraîtrait autrement inexplicable que la maladie
+mentale héréditaire dans la famille du prince. Le consistoire de la
+confession d'Augsbourg, à laquelle appartiennent les deux époux, aura
+néanmoins à prononcer sur la demande comme si elle avait été formée
+raisonnablement.
+
+Le bel hôtel Lambert, situé à la pointe orientale de l'île Saint-Louis,
+et qui a fourni à _l'Illustration_ le sujet, d'une notice et de gravures
+(t. 1, p. 195), avait été adjugé, il y a quelques mois, à madame la
+princesse CZARTORISKA. Il vient d'être restauré avec, un soin
+remarquable. Si l'illustre étrangère ne se fût présentée aux enchères,
+les amis des arts, les admirateurs de Lesueur et de Lebrun auraient
+probablement aujourd'hui à demander compte, au ministère de l'intérieur
+et il l'administration de la ville de Paris de la démolition de cet
+hôtel et de la destruction de ses richesses artistiques.
+
+Quand tel médecin embaume un défunt, quand tel journal voit mourir un de
+ses abonnés, les réclames de l'un ou les nécrologies de l'autre tendent
+à nous faire croire aussitôt que la France, a fait une grande perte. Il
+y en a pu avoir quelques-unes de ce genre cette semaine; mais l'on
+comprendra que nous n'en fassions pas porter le deuil à nos lecteurs.
+Nous ne mentionnerons donc que la mort d'un naturaliste-voyageur du
+Jardin-des-Plantes, le docteur A. Petit, envoyé en Abyssinie. Il a été
+emporté, par un crocodile en traversant une des branches du Nil Bleu,
+dans les environs de Gondar.
+
+
+
+Une Bouteille de Champagne.
+
+NOUVELLE.
+
+(Suite et fin.--Voir t. Il, p. 166.)
+
+Le son du cor de Shinderhannes ne retentissait jamais que pour le
+combat.
+
+«Aux armes! cria le bandit. Moïse, barricadez le monastère! Zaghetto,
+distribuez les carabines! Qu'on déploie la bannière de Windschoot, le
+crane rouge sur champ d'azur! Il faut emporter toute la poudre, toutes
+les balles et un confesseur; car j'ignore vraiment ce que va coûter
+d'hommes une bouteille de vin de Champagne.»
+
+La jeune femme devint pâle. C'est seulement alors qu'elle comprenait son
+pouvoir. Arracher le bandit à l'existence réprouvée du crime ne lui
+semblait plus au-dessus des forces humaines, puisque, pour une fantaisie
+puérile, Shinderhannes précipitait sa bande entière à une ruine presque
+certaine. Elle fut même tentée un moment de revenir sur un ordre dont la
+satisfaction, aussi promptement terrible, l'effrayait maintenant:
+l'amour-propre lui ferma la bouche, et la mémoire de la pauvre laitière
+de Kiedrich fit le reste. Le meurtre de cette victime exigeait du sang.
+
+«Ma chère, dit à Julie le capitaine en se tournant vers la belle
+Allemande, quoique la frontière soit pacifiée, Mayence renferme une
+forte garnison. Je n'ai pas cent braves dans ma troupe. A défaut de
+garnison, d'ailleurs, les gendarmes français, que nous avons tant de
+fois détruits, brûlent de nous rendre la pareille. On peut aisément
+refermer les portes de la ville derrière moi. Si je suis pris, c'est la
+mort.
+
+--Il n'y a que les sots, disait Catherine II, qui soient indécis, lui
+répondit froidement Julie Blasius.
+
+--En marche!» cria Shinderhannes.
+
+Et l'on partit.
+
+Qu'une femme est séduisante, qu'elle parait bien la créature favorisée
+de Dieu, lorsque, sans autre force que sa grâce et sans autre appui que
+son sexe, on la voit dompter l'homme, le plus puissant et le plus
+allier, comme s'il s'agissait d'un enfant mutin! Alors tout grandit
+autour du triomphe, et celle qui le remporte avec de si faibles moyens
+s'élève d'autant plus aux regards de la foule qu'elle semblait à la
+veille d'une défaite. Le bruit circula bientôt parmi les bandits que la
+captive elle-même conduisait l'attaque. Ou ne s'expliqua pas les causes
+de ce singulier caprice, on n'en vit que le résultat chevaleresque.
+L'influence d'une femme est quelque chose de si doux au milieu des
+dangers, et surtout dans la vie d'exception, que les camarades de
+Shinderhannes se sentirent ennoblis à leurs propres yeux. On eût dit que
+la volonté de Julie Blasius relevait ces hommes flétris de leur
+déconsidération sociale et que le crime solidaire à tant d'imaginations
+perverses devenait une vertu par l'unique magie de l'emploi qu'en
+faisait une jeune et innocente fille.
+
+Julie, en habit d'amazone, précédait, à cheval l'arrière-garde, où
+marchait Picard, qui, par une sorte de vanité militaire, avait demandé
+de combattre encore; mais il ne devait pas, mort ou vif, remonter au
+monastère. Le vieux soldat suivait d'un oeil morne le cortège triomphal
+de Blasius; il devinait toute la passion de Shinderhannes en mesurant la
+victoire de la jeune femme, et, si la bouteille de Champagne était prise
+rien effectivement ne pouvait être désormais impossible à la faiblesse
+du capitaine aussi bien qu'à l'énergie de la prisonnière. Les compagnons
+du Belge Shinderhannes n'étaient pas d'ailleurs libertins comme la
+plupart de nos brigands de mélodrame et d'opéra-comique. Presque tous
+mariés, pères de famille et dévots, ils faisaient de la vie d'exception
+un peu par haine de la république française, beaucoup par misère, double
+originalité malheureusement inséparable d'une époque de guerres
+continuelles et de révolutions générales.
+
+Tout le monde souhaitait donc que le capitaine épousât la jeune femme.
+Ce n'était pas, assurément, le caractère le moins curieux de
+l'expédition que le contraste de moeurs patriarcales et de goûts
+belliqueux entraînés à la conquête ridicule d'un flacon de vin, autant
+par la soif du meurtre et du vol que par dévotion pieuse à l'ascendant
+du génie de la femme, au lien providentiel du mariage. Quand
+l'inspiration morale descend au milieu des existences les plus
+dépravées, peu importe l'origine du bienfait, pourvu que le but soit
+atteint. Le prestige de la beauté et de la vertu réunies dans Blasius
+avait ému Shinderhannes; de l'amour de leur chef était né l'enthousiasme
+des bandits du Rhin, et le succès du devoir sur le vice ne dépendait
+plus que d'une circonstance assez folle pour que Julie, en couronnant la
+passion du proscrit belge, fût certaine de l'arracher en même temps au
+crime.
+
+On s'arrêta en route entre Georgenborn et Franenstein, à cette pierre
+tombée du ciel qui marque à peu près la moitié du chemin du couvent
+d'Eberbach aux remparts de Mayence; on attendait que la nuit fût venue.
+Une partie de la troupe se glissa dans la ville, sous un déguisement,
+pour s'emparer d'une porte; un autre détachement se rapprocha des murs
+pour prêter la main aux camarades qui s'engageaient dans Mayence; enfin
+l'arrière-garde se tint cachée, avec Julie et le confesseur, autour de
+Franenstein, disposant des renforts, apprêtant des munitions, observant
+la plaine, couvrant la route du monastère et se préparant à recevoir les
+blessés, les morts et la bouteille de vin de Champagne. Picard
+commandait les hommes postés en surveillance le long des remparts. Il
+demanda à Julie, en partant, la faveur de lui baiser la main. Le prêtre,
+chapelain d'Eberbach, vieux et cassé, parut attendri.
+
+«Comment envoyez-vous tant de braves gens à la mort, madame, lorsque le
+capitaine Shinderhannes est votre esclave? dit-il à Julie en tremblant à
+la fois de crainte et de pitié.
+
+--Mon père, lui répondit la jeune femme en s'agenouillant,
+pardonnez-moi! On n'est l'esclave d'un homme qu'à la condition de n'être
+plus maîtresse de sa personne, et Julie Blasius n'a jamais dépendu que
+du ciel et de sa mère. Cette entreprise coupable cache de saintes
+représailles. La fin justifiera les moyens. Si d'ailleurs une seule vie
+est sacrifiée, la mienne aussitôt expiera ce forfait. Pardonnez-moi, mon
+père!
+
+--Que Dieu soit avec vous,» murmura le chapelain surpris, mais avec un
+sentiment de confiance absolue.
+
+Cependant les plus détermines de la troupe, conduits par Shinderhannes
+lui-même avaient pénétré jusqu'au Thiermarckl, grand marché de la ville.
+Il y avait là un dépôt de vins français que le bandit connaissait de
+longue date, mais sur lequel jamais il n'avait tiré à si courte
+échéance. Le marché était désert, tous les habitants se promenaient sur
+les remparts; c'était l'heure où, dans les places de guerre, chacun
+soupe ou fume à l'écart, en famille, avec une sorte de rêverie, à
+l'approche de la nuit qui se ferme et du pont-levis qu'on relève. Les
+jeunes filles causent d'amour avec les soldats sur le glacis, les
+enfants jouent dans les squarre, et le guetteur, endormi dans le
+beffroi, oublie de carillonner la nouvelle sinistre d'un incendie
+lointain.
+
+Shinderhannes acheta dans le magasin un panier de vin de champagne.
+Quand il fallut payer, le bandit fit d'abord emporter la marchandise par
+deux de ses hommes, puis discuta du prix avec le vendeur. Après
+d'insignifiantes paroles, il refusa tout d'un coup de payer, sous
+prétexte qu'il n'avait pas d'argent et qu'il avait laissé sa bourse à
+l'hôtel des Trois-Couronnes. Le vendeur eut des soupçons: il appela un
+officier de police.
+
+«Pourquoi ne voulez-vous pas payer dit-il sévèrement au bandit.
+
+--Parce que ce n'est pas notre usage, répliqua Shinderhannes irrité.
+
+--Votre usage?... singulière réponse, mon ami. Et qui êtes-vous donc?
+
+--Nous sommes des voleurs.»
+
+Immense fut la rumeur dans le marché. On sortit en tumulte des maisons
+on entoura l'officier de police et le vendeur, stupéfaits. Le bandit
+avait habilement calculé tout l'effet de cette première surprise; il eut
+le temps de gagner la porte de la ville, où ses hommes réunis forcèrent
+la garde et franchirent violemment le rempart. Aussitôt l'alarme se
+répandit, le tocsin sonna, la garnison courut aux armes, on ferma les
+autres portes de Mayence: mais il était trop tard. Appuyés sur le
+détachement qui veillait au dehors des murailles, les bandits firent
+leur retraite en bon ordre, et le panier de vin de Champagne, conquis
+sans effusion de sang, tout au plus au prix de quelques bourrades
+données aux sentinelles, fut lestement porté à Franenstein, où
+Shinderhannes, aussi respectueux que brave, le déposa solennellement aux
+pieds de Julie Blasius.
+
+Quand la jeune fille apprit que l'expédition n'avait perdu aucun homme
+et que la garnison même n'avait à déplorer aucune perte, elle fut
+soulagée d'une angoisse bien vive. Cette faveur du hasard donnait plus
+de mérite à l'obéissance du capitaine; on pouvait croire qu'il avait
+voulu conquérir sans frapper. Mais l'assassinat de la laitière de
+Kiedrich n'était pas vengé, et en revenant à Eberbach, la vue du
+précipice allait rappeler à Julie les circonstances impunies de son
+affreuse mort. Après la preuve d'amour que lui avait donnée
+Shinderhannes, comment Blasius devait-elle réveiller encore cruellement
+de pareils souvenirs? Le confesseur, qui ne savait rien, attendait avec
+anxiété le résultat de ce mystérieux voyage, et Picard, plus jaloux,
+plus passionné que jamais, suivait mélancoliquement la trace du
+capitaine et de la jeune fille, comme un chien fidèle qu'on néglige
+et dont le dévouement n'est pas moins profond.
+
+Au monastère, Shinderhannes fit connaître à sa troupe que le voyage
+n'avait eu pour prétexte que la fantaisie de la belle Allemande, et que,
+si le butin n'était pas considérable, en revanche Julie Blasius
+récompenserait leur chef en l'épousant Les bandits répondirent à ce
+discours par des hourras pleins d'ivresse. La jeune fille seule, pâle et
+agitée, gardait le silence, Picard la prit à part et lui dit:
+
+«Je comprends votre embarras. Le rôle de Shinderhannes vient de changer:
+de maître impérieux qu'il était ce matin, le voici maintenant esclave
+docile; il attend son bonheur de votre main, et vous ne pouvez refuser
+de le satisfaire, car ce serait perdre le fruit de votre captivité et
+l'occasion de changer sa vie comme son rôle. Je suis mieux et il est
+jeune; nous vous aimons tous deux: que Shinderhannes vous prouve
+désormais son amour en renonçant au crime! Moi, tient le repentir ne
+ferait pas le bonheur, je vais vous prouver le mien à ma façon. Que le
+sang de la laitière retombe sur ma tête, et que ma mort expie la
+sienne!»
+
+A ces mots. Picard se dirigea rapidement vers le précipice, et, avant
+qu'on se fut opposé à son acte de désespoir imprévu, le malheureux
+aventurier s'était jeté dans le gouffre. Les brigands entendirent le
+bruit de son corps qui roulait d'abîme en abîme. Cette scène étrange
+avait glacé d'horreur tout le monde, même les plus endurcis.
+Shinderhannes, ému, tenant déjà la bouteille d'une main et un verre de
+l'autre, sentit que le dénouement d'un semblable épisode appartenait de
+droit à la jeune fille. Des regards et du geste, il la supplia de
+parler. Les bandits avaient mis un genou à terre.
+
+«Mon père, dit d'abord Julie au chapelain à voix basse, le meurtre d'une
+femme exigeait du sang: je comptais lui donner le mien: on m'a prévenue.
+Maintenant un sacrifice d'un autre genre m'est réservé, et, s'il ne
+s'agit plus de mourir, mon dévouement ne sera ni moins entier ni moins
+pénible. Je sauverai ces hommes de la potence; voilà mon oeuvre; je
+corrigerai Shinderhannes par l'amour; voilà ma vie. En aurai-je la
+force?
+
+--Oui, ma fille, répondit le confesseur les yeux pleins de larmes et en
+repassant la porte du monastère; je vous laisse comme Daniel dans la
+fosse aux lions; mais vous rongerez leurs ongles, et, au lieu d'être la
+proie de leur colère, vous les livrerez eux-mêmes à la paix du
+Seigneur.»
+
+Et il disparut. A ce moment Shinderhannes qui avait respecté le secret
+de la conversation du prêtre, se rapprocha lentement de Julie. Il tenait
+toujours le verre à la main: il venait de le remplir; le vin de
+Champagne y pétillait en mousseline au bord du cristal.
+
+«Belle Julie, s'écria le bandit, ne voulez-vous pas boire ce vin à nos
+fiançailles prochaines?
+
+--Volontiers, dit Blasius en prenant le verre; mais quand ne serai-je
+plus la femme d'un brigand?
+
+--A notre premier enfant, répondit le jeune homme sincère. Il m'est
+impossible d'abandonner sur-le-champ mes camarades.
+
+Il y avait sur la physionomie de Shinderhannes comme l'auréole d'une
+abnégation complète. Transfiguré par le bonheur, l'amant de Julie
+n'était plus le chef redouté du Hundsruck. Avec cet instinct
+providentiel, cette pénétration divine qui ne trompe jamais les femmes,
+Blasius devina son succès, et elle but le vin, comme elle aurait
+communié à l'autel, pleine de foi et de charité.
+
+Mais le sort fut plus barbare que n'avait été sublime son dévouement.
+Julie était déjà mère, que Shinderhannes n'avait pas eu encore le temps
+de dissoudre l'association des bandits du Rhin. Sur le point de
+disparaître de la scène du crime, il fut arrêté à Francfort et
+guillotiné à Mayence en novembre 1805. Montez aux tours de Bornhoffen,
+le soir, au clair de lune, vous écouterez un chant plaintif qui s'élève
+des vignobles et se perd dans la nuit. C'est la voix de Julie; elle
+vient apaiser les mânes de Picard et de la laitière.
+
+ANDRÉ DELRIEU.
+
+
+
+
+MARGHERITA PUSTERLA.
+
+CHAPITRE XIX.
+
+FUITE.
+
+Ces mesures prises, Alpinolo se décida à se confier à Buonvicino, et
+il se rendit au couvent. Le saint homme se tenait dans sa petite
+cellule, garnie, suivant la règle, d'une paillasse avec un oreiller, de
+deux couvertures de laine et d'un escabeau de bois. Il était assis, la
+tête inclinée, les mains croisées sur ses genoux. Aux rides précoces de
+son front, à ses joues pâles et amaigries, à ses yeux enfoncés dans leur
+orbite, chacun aurait pu dire: «Pour cet homme, penser c'est souffrir;»
+mais sa douleur n'était point du découragement, on pouvait y entrevoir
+une espérance ou peut-être un souvenir.
+
+Buonvicino ne reconnut point d'abord le jeune page. Sa livrée, sa barbe
+et l'altération de ses traits le déguisaient même aux yeux d'un ami de
+son enfance. Dès qu'Alpinolo se nomma, le moine n'hésita point à le
+reconnaître. Il l'embrassa à plusieurs reprises, avec toute l'effusion
+d'un père qui revoit son fils après de longues années d'absence, et il
+lui demanda comment il se trouvait à Milan, malgré la proscription dont
+il était frappé.
+
+[Illustration.]
+
+Alpinolo aussitôt, avec l'accent de la haine la plus vive, et sans se
+ménager lui-même, lui raconta la suite de ses infortunes, la part qu'il
+avait eue au désastre de Pusterla, la trahison de Ramengo. Enfin, il lui
+révéla toute une série d'iniquités qu'il n'aurait jamais crues possibles.
+Mais ce récit n'expliquait point au bon frère la présence d'Alpinolo à
+Milan. Il le questionna à ce sujet; le jeune page lui répondit que
+c'était un secret qu'il avait juré de ne point trahir. Toutefois il ne
+fut pas difficile à Buonvicino de pénétrer ses desseins. Il lui
+conseilla, il lui ordonna même de ne pas se laisser entraîner par ses
+passions jusqu'à commettre un crime. Alpinolo lui répondit: «Mon père,
+vos reproches sont inutiles; je n'ai pas eu le courage d'accomplir mon
+serment. Votre image, gravée dans mon âme, m'a répété, plus éloquemment
+encore que vous ne pourriez le faire, ces sages avis que votre bouche
+autrefois prodiguait à mon enfance attentive. Ce n'est donc point de
+cela qu'il s'agit aujourd'hui; il faut sauver les Pusterla. Voulez-vous
+m'aider dans ce projet?»
+
+Et il lui révéla ses plans, comment il avait, à prix d'or, corrompu le
+geôlier de la porte Romaine, et comment, à la faveur de son rôle de
+soldat, il espérait mener à bien une tentative d'évasion. Mais ce
+n'était pas assez de sortir de la prison, il fallait encore, pour la
+sécurité de ces infortunés, qu'ils eussent des moyens de quitter
+immédiatement un pays où tout était pour eux un péril. Il expliqua au
+moine comment il lui répugnait de mettre un nouvel étranger, un second
+mercenaire dans la confidence de son dessein, et tout ce qu'il avait à
+redouter d'une pareille confidence pour le succès de son entreprise. Il
+lui proposa enfin de se charger lui-même de tout ce qui pourrait
+favoriser la fuite des Pusterla, une fois qu'ils auraient franchi le
+seuil de la porte Romaine.
+
+Partagé entre la raison, qui lui munirait les faibles chances d'une
+pareille tentative, et le désir qu'il avait de la voir réussir, hésitant
+entre les conseils de la prudence et les élans d'une amitié aussi vive
+que dévouée, Buonvicino fit d'abord quelques objections. Il redoutait
+d'aggraver le sort des Pusterla si leur projet ne réussissait pas, de
+précipiter vers leur ruine des êtres qu'il eût voulu sauver au péril de
+sa vie, et de décider, par une imprudente démarche, leur mort, qui
+n'était peut-être point encore arrêtée dans l'esprit de Luchino. Mais le
+page lui montra quelle folie il y avait à croire un moment à
+l'indulgence de l'amant tout-puissant et dédaigné de Marguerite; qu'ils
+n'avaient que la mort à attendre, et que, pour les arracher au dernier
+supplice, rien n'était trop téméraire ni trop dangereux. A moitié
+persuadé par ces raisons, entraîné surtout par le désir de sauver ses
+amis les plus chers, Buonvicino déclara qu'il se prêtait aux vues du
+jeune page, et il fut convenu entre eux que, toutes les nuits, près d'un
+noyer appelé le noyer de Quadrouno, hors du couvent de Breza, le moine
+tiendrait trois chevaux tout prêts, afin que Marguerite, Francesco, leur
+fils, et le courageux écuyer pussent immédiatement s'éloigner de la
+ville, gagner les frontières et braver dans d'autres contrées la fureur
+désormais impuissante du tyran.
+
+[Illustration.]
+
+Puis, après avoir demandé à Buonvicino de le bénir, Alpinolo se
+précipita hors du la cellule.
+
+Cependant le jour fixé pour l'exécution était arrivé, et tandis
+qu'Alpinolo, tourmenté par la terreur ou enivré par l'espérance, se
+livrait à toutes les émotions de l'incertitude. Macaruffo de son côté,
+assis contre le mur de la prison, dans le corridor où il se tenait
+habituellement, comptait, en se cachant, les sequins que lui avait
+donnés Alpinolo. «Un, deux, trois... vingt... quarante-neuf, cinquante!
+Et ils sont à moi! pensait-il; une nuit m'envoie plus que je n'avais
+jamais espèré de toute ma vie!... Et moi, lourdaud, qui hésitais encore
+avant d'accepter! Oui, oui, on m'a bien nommé Lasagnone, le lourdaud.
+Demain à cette heure, si mes jambes me disent la vérité, j'arrive à la
+maison. Quelle surprise pour ma femme!» Et il se frottait les mains, et
+il riait si haut que le soldat de faction s'arrêta pour le regarder. Ce
+regard produisit sur lui l'effet que produit sur l'écolier, surpris en
+faute, le sourcillement d'un pédagogue en colère. Alors lui apparut le
+revers de la médaille; il se voyait surpris, arrêté, pendu. Un moment il
+se résolut à trahir le soldat qui l'avait payé et à tout révéler à
+Luchino. Mais la poltronnerie l'empêchait autant que la cupidité de
+réaliser cette perfidie, parce qu'il ne pouvait sortir de la prison sans
+être aperçu d'Alpinolo, et qu'il savait que la main du jeune homme ne
+serait pas lente à le percer d'un coup de poignard.
+
+D'ailleurs, il n'était plus temps de reculer, l'heure était arrivée.
+Alpinolo vint relever la sentinelle, qui dormait debout.
+
+«Bravo, Quattradita! lui disait le soldat, tu arrives à temps; c'est à
+peine si je peux tenir les yeux ouverts.
+
+--Va, va, Pagamorta, et dors d'un coeur tranquille; quand le temps de ma
+faction devrait se prolonger, je ne le gâterai point ton beau petit
+sommeil d'or.
+
+--Vive Quattradita! répliquait l'autre en lui serrant rudement la main.
+Touche là '. Un peu sombre, un peu querelleur, mais un bon coeur, brave
+garçon! Laisse faire, à peine serai-je prince, que je te ferai caporal.»
+
+[Illustration.]
+
+Et avec un sourire qui se termina en un bâillement sourd, il s'en alla.
+Ses pas retentirent le long du corridor, s'éloignant de plus en plus.
+Alpinolo les comptait, regardant en arrière avec anxiété. Le soldat se
+retira dans le corps-de-garde, laissa la porte retomber derrière lui, et
+tout rentra dans le silence. Alpinolo fit un tour dans le corridor,
+l'oreille et les regards au guet, et, n'entendant plus aucun bruit, il
+s'approcha du geôlier, en lui disant: «Eh bien?»
+
+Macaruffo répondit: «Eh bien?» en levant la tête comme s'il eût perdu
+tout souvenir de ce qu'il était convenu de faire, et en fixant sur
+Alpinolo deux yeux pleins d'une stupidité malicieuse.
+
+Mais une menace d'Alpinolo et un serrement de main qui semblait celui
+d'une tenaille, rafraîchirent la mémoire au geôlier, et lui firent
+comprendre qu'il n'y avait plus à balancer. Donc, pour tâcher que la
+tentative d'évasion réussît le plus complètement possible, il ôta ses
+sandales, s'agenouilla, récita une prière, que la seule terreur amenait
+sur ses lèvres, et qui n'avait d'autre but que de demander la complicité
+du ciel. Alors, s'avançant à pas sourds, il éteignit le lampion qui
+éclairait faiblement le corridor, détacha les clefs de sa ceinture, et,
+rasant la muraille, il s'avança à tâtons vers la prison de Pusterla.
+
+[Illustration.]
+
+[Illustration.]
+
+En proie à ces terreurs que cause la captivité, lorsqu'il entendit crier
+la clef dans la serrure de son cachot, à une heure si inaccoutumée,
+Pusterla crut d'abord à un assassinat nocturne; il recommanda son âme à
+Dieu, et par cet instinct paternel qui survit dans les moments les plus
+terribles et se montre admirable jusque dans ses puérilités, il porta
+Venturino dans un coin de la cellule, le couvrit de son manteau, et lui
+fit un rempart de tout ce qu'il put trouver dans le cachot; faible
+rempart, s'il eût dû protéger l'enfant contre la fureur des assassins,
+mais qui servait au moins, dans l'imagination désespérée d'un père, à
+calmer un moment les craintes qu'il concevait pour la vie de son fils.
+Quelle fut la joie de Pusterla lorsqu'au lieu du bourreau, ce fut un
+ami, un ami dévoué qu'il pressa sur son sein, et qui venait lui procurer
+les moyens de fuir! Il reprit brusquement Venturino, lui recommanda de
+se taire, et ils sortirent tous du cachot de Francesco pour s'acheminer
+vers celui de Marguerite.
+
+Bientôt après, les deux époux étaient dans les bras l'un de l'autre.
+Minute de ravissement qui vaut des siècles de vie, félicité, extase,
+surprise, tout le coeur humain dans le baiser que ces lèvres, depuis si
+longtemps séparées, se donnèrent en se réunissant. Mais il fallait
+abréger ce moment d'ineffable ivresse; ce n'était pas le lieu de perdre
+le temps, même à être heureux. On remit entre les bras de Marguerite le
+jeune Venturino, fardeau sacré, précieuse charge, dont elle était privée
+depuis si longtemps, et qu'elle ne pouvait se lasser de couvrir de
+caresses. Quoiqu'il ne pût voir qu'il était dans les bras de sa mère, et
+qu'un ne l'en, eut point averti, l'enfant répondait aux baisers de
+l'inconnue par ces doux baisers de l'enfance, si pleins de charmante
+affection; puis, tous se tenant par la main dans l'ombre, reprirent leur
+marche silencieuse, guidés par Macaruffo.
+
+Déjà ils ont passé le premier corridor; ils ont franchi la porte
+derrière laquelle dorment les gardes. Après avoir traversé un couloir
+obscur, ils entrent dans la cuisine du geôlier qui ferme derrière lui la
+porte et respire comme ayant accompli le plus difficile de l'entreprise.
+Une autre porte donnait sur une cour: ils l'ouvrent; là, en face, une
+poterne: cinq pas, sortir, sauter le petit fossé, et ils sont sauvés du
+péril; ils tendent l'oreille... tout est silencieux. Mais une sentinelle
+dormait, étendue sur un petit mur latéral à hauteur d'appui; Macaruffo,
+plein d'anxiété, l'indiqua à Alpinolo; mais celui-ci le poussant en
+avant, lui lit entendre par signes que ce n'était rien, et que le
+sommeil du soldat était profond. Tous étaient sur le seuil, précédés de
+Macaruffo et du jeune page. La lune, fendant les nuages, jeta comme une
+gerbe de rayons sur le front pâle de Marguerite, que Francesco et
+Alpinolo regardèrent avec amour, respect et compassion. L'enfant,
+lui-même, souleva sa tête d'ange, et de sa petite main écartant les
+cheveux qui lui cachaient le visage de celle qui le portait avec tant de
+tendresse, il reconnut sa mère. Quelle joie! pauvre petit!! «O ma mère!
+ma mère!» s'écria-t-il avec un cri aigu; et il lui jeta les bras autour
+du cou. Le froid mortel les saisit tous à ce cri. Marguerite ferma la
+bouche de son fils avec sa main; ce fut en vain, il était trop tard. La
+sentinelle, éveillée, leva la tête, vit plusieurs personnes réunies et
+cria: «A l'aide! aux armes!» Elle n'avait pas fini de hurler ces
+paroles, qu'Alpinolo lui avait tranché la tête; puis, de son sabre
+ensanglanté, il invitait ses compagnons à courir, à fuir, à s'échapper,
+pendant qu'il resterait à la porte, pour leur donner le temps de
+s'éloigner avant qu'on se mit à leur poursuite. Tout fut inutile;
+l'alerte était donnée; de tous côtés les soldats accoururent. Alpinolo
+fit des prodiges de valeur; mais il tomba renversé d'un coup de sabre
+que Sfolcada Melik lui donna par derrière, et le combat fut bientôt
+terminé. Ou arrêta Macaruffo, malgré ses protestations, et bien qu'il
+eût espéré, dans la mêlée, dissimuler le rôle qu'il avait joué en se
+joignant aux soldats contre ses complices, il acquit bientôt la
+certitude que la vérité était connue à Sfolcada, et il se borna à des
+supplications qui se perdirent dans les airs.
+
+Cependant Marguerite était dans les bras de son mari, et ils
+confondaient leurs larmes. Les cris de l'enfant éclataient sous la
+voûte. Ils ne se dirent rien dans ce moment terrible; Francesco s'écria
+seulement: «Ma bonne Marguerite!» et ces paroles, qui lui étaient chères
+dans les jours de la prospérité, résonnèrent si doucement aux oreilles
+de l'infortunée, qu'elle y puisa toute la force nécessaire pour
+supporter les insultes et les brutales railleries des soldats qui, les
+séparant de vive force, les reconduisirent chacun dans sa prison.
+
+[Illustration.]
+
+
+CHAPITRE XX.
+
+UN MOINE ET UN PRINCE
+
+Frère Buonvicino veilla plusieurs nuits, attendant avec des chevaux
+les fugitifs près du noyer, comme il en était convenu avec Alpinolo. La
+nuit même où le jeune page tenta, comme nous venons de le voir,
+d'arracher les Pusterla aux horreurs de leur prison et au sort qui les
+menaçait, le moine l'avait passée en prières, partagé entre l'espérance
+et le désespoir, et lorsqu'il entendit chanter le coq du côté des
+chaumières voisines, «Ce n'est pas encore pour aujourd'hui,» se dit-il
+en renvoyant les chevaux avec leur guide; il revint au couvent de Brera.
+Le jour n'était pas encore parfaitement levé, et les paysans des
+bourgs voisins s'acheminaient vers Milan pour y vendre du lait, du
+raisin, des légumes. Ceux-ci portaient deux grandes corbeilles
+suspendues à leurs bras; ceux-là, deux jarres en équilibre sur leurs
+épaules; d'autres, des hottes pleines sur leur dos; quelques-uns
+chassaient devant eux leurs ânes, ou traînaient des chariots; quelques
+villageoises, les bras et le col nus, portaient des seaux de lait sur
+leur tête, en parlant entre elles de la tempête de la nuit passée, qui
+séparait l'été de l'hiver, de la prospérité ou des ravages de leurs
+champs et de leurs jardins, de la famille régnante, de la peste qui les
+menaçait, de leurs commères, de leurs amis; et elles comptaient d'avance
+les deniers que leur rapporterait la vente de la journée.
+
+[Illustration.]
+
+Arrivés à l'esplanade, située entre San-Calinero et la tour de la porte
+Romaine, ils voient je ne sais quoi attaché à une branche; ils
+s'approchent: c'est un homme pendu. «Eh! compère, regardez donc: quel
+gros fruit cet arbre a produit!
+
+--Oh! oh! qui sera-ce jamais?
+
+--Et que diable a-t-il au cou?
+
+--Une bourse.
+
+--Une bourse? Voulez-vous dire qu'elle est pleine de sequins?»
+
+Et ils montraient le pendu à ceux qui venaient par derrière, et ils
+désiraient apprendre la vérité, pour être les premiers à la raconter
+dans les maisons, où ils allaient porter la crème, du lait et les
+légumes, ou aux servantes, leurs pratiques, qui arrivaient avec leurs
+paniers sur le marché.
+
+En passant devant la tour, les soldats qui guettaient le passage des
+belles laitières leur apprirent que c'était le geôlier de la porte
+Romaine qu'on avait ainsi pendu. Bientôt le bruit s'en répandit par la
+ville, et lorsque Buonvicino rentra au couvent, le frère portier,
+Angiolgniel de Concovallo, en était déjà instruit. Son premier soin fut
+d'apprendre cette nouvelle au moine, qui, le coeur navré, s'informa
+aussitôt si quelque soldat n'avait point été tué dans la mêlée. La
+renommée avait exagéré les choses, comme à son ordinaire, et on lui
+répondit que plusieurs gardes étaient morts.
+
+Les Pusterla avaient donc vu s'enfoncer leur dernière planche de salut.
+Buonvicino jamais cru fermement à la réussite du projet d'Alpinolo; mais
+la triste issue de cette entreprise ne le surprit et ne le frappa pas
+moins que s'il en eût véritablement attendu le succès; tout homme,
+nonobstant les remontrances et la raison, est porté à croire ce qu'il
+espère.
+
+[Illustration.]
+
+En présence d'un pareil malheur, il résolut d'aller lui-même solliciter
+Luchino, de lui faire entendre le langage de conciliation, de clémence,
+de miséricorde que son ministère l'autorisait à tenir, et de tâcher de
+sauver, par la persuasion, les victimes que la ruse ni la violence
+n'avaient pu tirer des mains du tyran.
+
+[Illustration.]
+
+Aux approches de la tour qu'habitait Luchino, quatre féroces mâtins se
+levèrent à l'encontre du moine, avec des aboiements et des grognements
+que les gardes réprimèrent à grand'peine. Grillincervello ôtant, lui
+aussi, son beiren burlesque, sans se permettre contre le moine les
+railleries qu'il n'épargnait à personne, courut l'annoncer à Visconti,
+en se bornant à dire aux autres serviteurs à voix basse: «Aujourd'hui,
+le prince aura le sermon dans sa chambre.»
+
+Visconti était enfermé en ce moment dans un cabinet reculé de la tour
+avec un homme à grande barbe, enveloppé dans une robe noire qui lui
+descendait jusqu'aux talons. Celui-ci, avec un air d'importance ou
+d'imposture (l'un ressemble si souvent à l'autre), tenait le doigt tendu
+sur une figure géométrique qu'il avait tracée, et, dont il faisait la
+démonstration au prince. Un astrolabe et une sphère armillaire placés à
+côté de lui indiquaient qu'il était astrologue C'était, en effet, cet
+Andalone di Nero dont nous avons déjà parlé, et qui n'était pas moins
+célèbre à Milan que Thomas Pisan dans Avignon, où Pusterla l'avait si
+malheureusement consulté.
+
+Luchino, comme on le faisait alors dans toutes les occasions douteuses,
+avait interrogé Andalone sur un problème qui, depuis des siècles, attire
+l'attention d'un millier de personnes, c'est-à-dire sur la question de
+savoir s'il était possible de réunir l'Italie sous un seul maître, et
+s'il serait ce maître fortuné.
+
+Lorsqu'on lui annonça Buonvicino, le prince ne fut pas satisfait de
+cette visite, mais il n'osa point lui refuser audience, parce que sa
+récente réconciliation avec le pape lui commandait de grands égards
+envers les religieux. Il ordonna donc qu'on fit attendre le moine dans
+la salle de la _Vaine gloire_, afin que les magnificences du lieu lui
+lissent mieux sentir toute la différence qu'il y avait entre le prince
+redouté et l'humble frère, entre le souverain environné de tout
+l'appareil de la force et l'homme qui n'a d'autre cortège que les
+modestes vertus de la bienfaisance.
+
+En entrant, Luchino, quoiqu'il eût déjà cuirassé son coeur de cette
+froideur calculée du puissant qui vient écouter celui qu'il n'exaucera
+jamais, s'avança courtoisement vers le moine et lui dit:
+
+«Soyez le bienvenu, mon père. Qui vous amène ici?»
+
+Buonvicino, s'inclinant: «Quand le ministre du Dieu de la miséricorde
+passe le seuil d'un puissant, peut-il y apporter autre chose que des
+conseils de mansuétude et de clémence?
+
+--Et ils seront toujours bien reçus,» ajoutait Luchino avec une
+soumission affectée, sous laquelle il cachait cette humeur altière que
+prennent si promptement ceux qui ne trouvent jamais autour d'eux que
+l'obéissance.
+
+Et le moine: «Soyez-en béni. Mais il ne suffit pas que l'oreille soit
+ouverte à la vérité, si le coeur en repousse les préceptes. O prince! il
+court par la cité d'étranges rumeurs de nouvelles vengeances...
+
+[Illustration.]
+
+--Vengeances! vengeances! répondit Luchino en élevant la voix,
+vengeances! nom ordinaire que la malignité donne aux châtiments. Donc,
+si un traître se soulève contre moi dans mes États, s'il tente, de
+m'enlever ce que je possède en vertu de mon droit, et si, en le
+punissant, je me protège moi-même en défendant la société, dont je suis
+le tuteur, on appellera cet acte une vengeance! Dieu ne m'a-t-il pas
+remis la glaive pour frapper?
+
+--Et Dieu, reprit le moine d'une voix d'autant plus humble que celle du
+prince avait été plus emportée, et Dieu vous accorde les lumières
+nécessaires pour bien vous en servir. Mais n'avez-vous jamais examiné
+vous-même si vos affections personnelles n'exerçaient pas sur vous des
+influences fâcheuses? Êtes-vous certain de n'être jamais trompé par ceux
+dont il a été écrit qu'_ils préparent continuellement des flèches pour
+en frapper les bons dans les ténèbres?_ Avez-vous considéré que le sang
+de l'innocent crie incessamment en présence de l'Agneau?»
+
+Les mouvements de Visconti montraient avec quelle impatience il
+souffrait un langage si vrai, mais si inusité. Et le moine continua: «O
+prince, vous tenez dans les fers Francesco Pusterla et Marguerite...
+
+--Eh quoi! tout ce sermon aboutit à cette péroraison. Dès qu'il s'agit
+d'une belle femme, c'est ainsi, mon révérend, que vous prenez, les chose
+à coeur?»
+
+Ces paroles allèrent jusqu'au fond de l'âme de Buonvicino. Il examina
+rapidement en lui-même si ses anciennes amours n'avaient pas trop de
+part dans sa conduite présente. Il lui parut que non, mais il se dit
+dans son coeur: «Que ce reproche soit en expiation de mes erreurs
+passées.» Luchino, à qui cette raillerie était échappée dans un de ces
+moments où le naturel prévaut sur la réflexion, continua plus
+sérieusement:
+
+«Vous n'ignorez, pas comment les conjurés ont été mis en jugement, et
+que de leurs aveux spontanés il ne résulte que trop que la famille
+Pusterla, malgré tous mes bienfaits, était à la tête d'une conspiration
+tramée contre ma sûreté et contre celle de l'État. Oseriez-vous mettre
+en doute une chose jugée?
+
+--Christ aussi fut jugé, les martyrs furent jugés. Et le chrétien qui se
+le rappelle sait que parfois le glaive de la justice rivalise avec le
+couteau de l'assassin. Il sait voir parfois l'innocent dans celui qui
+monte à l'échafaud, et le réprouvé de Dieu dans celui qui l'y condamne.
+
+--Eh bien! que Dieu les sauve, s'ils sont justes, répondit Luchino.
+Quant à moi, pour ne point sembler mû par des passions personnelles, je
+les ai soumis à des juges indépendants, et il sera fait selon ce qui
+paraîtra à leur justice.
+
+--Celui-là seul est grand, reprit Buonvicino en s'animant, qui sous le
+manteau de la justice ne masque point l'iniquité. Les juges seront-ils
+incorruptibles? auront-ils le courage de prononcer contre ce qu'on leur
+montrera comme le désir du maître?...»
+
+Luchino fut bien aise de trouver un prétexte pour s'irriter et se
+soustraire aux arguments du moine, qui lui étaient d'autant plus
+insupportables qu'il les exposait avec plus de calme et de soumission.
+«Eh quoi! cria-t-il, vous oseriez douter de l'intégrité de mes juges?
+Mon père, tant qu'il ne s'est agi que de moi, tant que vous vous êtes
+borné à me recommander mes devoirs, à tort ou à raison, je vous ai prêté
+l'oreille avec la soumission d'un fidèle chrétien. Maintenant, je ne
+puis plus me taire; vous vous attaquez aux plus honorables de mes
+sujets. Silence donc, il suffit. Pour l'intérêt que vous prenez à mon
+âme et à ma renommée, grand merci; je vous en récompenserai mieux que
+par des paroles: mais la finit votre rôle. Vos protégés comparaîtront
+devant leurs juges, ils y verront dévoiler leur scélératesse, et,... et
+ils mourront.»
+
+Il parla d'une voix résolue, qui n'admettait point de réplique. Ce
+dernier mot: ils mourront, qui venait de s'échapper de sa bouche,
+résonna terrible sous les voûtes de la salle, et frappa comme d'un coup
+de foudre le moine, qui baissa la tête et se tut. Quand il la releva, il
+vit Luchino qui franchissait le seuil à pas précipités, et le laissait
+seul. Ainsi, le petit nombre de fois que la vérité peut se faire
+entendre à l'oreille des tyrans, leur funeste habitude de voir leur
+volonté convertie en loi étouffe les réclamations et met encore à la
+place du droit l'arbitraire et la violence.
+
+[Illustration.]
+
+Luchino retourna rêver la conquête de toute l'Italie avec Andalone di
+Nero. _L'umiliato_ descendit comme aveugle les escaliers du palais,
+traversa la cité, plein de compassion pour les peuples à qui Dieu envoie
+le pire des fléaux contenus dans les trésors de sa colère, un mauvais
+souverain. Il arriva au couvent de Brera en méditant sur les misères du
+juste, qui lui crient que sa patrie n'est point ici-bas.
+
+[Illustration.]
+
+_(La fin au prochain numéro.)_
+
+
+
+Bulletin bibliographique.
+
+_Les Diplomates européens_; par M. CAPEFIGUE (3)--_Galerie des
+Contemporains illustre_; par un HOMME DE BIEN(4).--_L'autre Monde_; par
+GRANDVILLE (5).
+
+(3) 1 vol. in-8. _Imprimeurs Unis_, 7 fr. 50 c.
+
+(4) 5 vol. in-18 (L'ouvrage en aura 10.) Chaque volume contient 12
+biographies et 12 portraits, _I. René_ 4 fr. le vol.
+
+(5) 1 vol. grand in-8, avec 56 grands dessins coloriés et de nombreuses
+gravures sur bois. _Fournier_. 18 fr.
+
+M. Capefigue est le fondateur-gérant d'une fabrique de livres
+historiques. Cet établissement prospère, à ce qu'il paraît, car il
+inonde le marché de ses produits. Du reste, il a tant fait parler de lui
+dans la quatrième colonne des grands journaux, qu'il jouit actuellement
+d'une réputation au moins égale à celle des pharmacies de MM. Régnault
+et Lamouroux. Alléché par des annonces payées, le public a d'abord
+acheté de confiance quelques-uns des livres qui portaient sur leur
+couverture l'étiquette Capefigue et comp., et qu'on lui vendait
+cependant sans aucune garantie de vérité et de talent. Aussi, examen
+fait de sa marchandise, l'infortuné reconnut une fois encore qu'il avait
+été outrageusement trompé, et
+
+ Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus.
+
+Toutefois la spéculation était si bonne, qu'en dépit de la découverte de
+la vérité, malgré les avertissements et les sévères reproches de la
+critique, elle se continue avec un certain succès. Chaque année, la
+fabrique Capefigue invente, confectionne et met en vente un ouvrage
+nouveau qui n'a pas moins de six à huit volumes,--la matière première
+n'est ni rare ni précieuse,--le plus souvent un épisode ou un règne de
+l'histoire de France. Quand je dis invente, je me trompe: M. Capefigue
+n'a jamais inventé que son procédé, qui consiste à faire un volume avec
+cent pages de mauvaises phrases et deux cents pages de notes copiées
+partout. Le sujet de ses publications, il l'emprunte à d'autres
+écrivains plus riches que lui. Les journaux annoncent-ils l'apparition
+prochaine d'un ouvrage en 4 volumes, qui a coûté à son consciencieux
+auteur dix années de recherches et de travail, le lendemain même M.
+Capefigue, qui n'y avait jamais songé, en promet un en 8 volumes, et il
+s'engage à le livrer avant celui de son concurrent, et il tient parole.
+Ainsi, il a improvisé en quelques mois une histoire de la Réforme et une
+histoire de l'Empire, lorsqu'il a su que M. Mignet et M. Thiers
+travaillaient à ces deux ouvrages, et consultaient, pour les rendre
+dignes d'eux-mêmes et de leur sujet, toutes les archives de l'Europe. On
+raconte à ce sujet un mot piquant de l'éditeur futur de _l'Histoire du
+Consulat et de l'Empire_ par M. Thiers: «Eh bien! Monsieur, je vais vous
+faire concurrence, lui dit M Capefigue en l'abordant d'un air
+triomphant.--Comment cela? lui répondit avec le plus grand sang-froid
+son interlocuteur. Est-ce que vous allez, publier _l'Histoire du
+Consulat et de l'Empire_ par M. Thiers?»
+
+Cette année, outre la portion ordinaire de l'_Histoire de France_, M.
+Capefigue a régalé les dernières de ses anciennes pratiques d'un petit
+volume supplémentaire. Ce volume, qui a son mérite particulier, est
+intitule les _Diplomates européens_. Il y a plusieurs années, M.
+Capefigue avait publié quelques notices biographiques dans les recueils
+ou grandes revues. On lui a conseillé de les réunir en un corps
+d'ouvrage, afin d'en mieux faire connaître la tendance et l'esprit, et
+il se charge de nous apprendre lui-même pourquoi il a cru devoir suivre
+cet avis. L'aveu est digne d'être cité en entier.
+
+«Le but que je m'étais proposé alors avait été d'effacer les préjugés
+que les écoles décrépites de la Révolution et de l'Empire avaient jetés
+sur les vastes intelligences qui ont dirigé les cabinets ou qui les
+conduisent encore. Ce but, je le crois, fut en partie atteint par les
+quatre notices sur le prince de Metternich, les comtes Pozzo di Borgo,
+Nesselrode et le duc de Wellington.
+
+Il m'a paru d'autant plus essentiel aujourd'hui de compléter cette
+publication, qu'on semble prendre plaisir, depuis quelques années, de ne
+grandir que les démolisseurs. Les corps illustres se donnent le bonheur
+d'écouter les éloges de tous ceux qui ont ravagé notre vieille société,
+et l'on n'est pas un homme capable, savant, vertueux, si l'on n'a pas
+été au moins demi-régicide. Quant à moi, je demande une petite place
+pour les hommes politiques qui créent, conservent ou grandissent les
+États, pour ceux dont les oeuvres durent encore et survivent à tous les
+déclamateurs. Je donnerais toutes les renommées des constitutionnels de
+1791, de l'an III et de l'an VIII pour la moindre parcelle de
+l'intelligence du grand cardinal de Richelieu!»
+
+M. Capefigue est, comme on le voit, assez difficile à contenter. Qu'il
+n'aime pas les constitutionnels de 1791, de l'an III et de l'an VIII,
+nous le concevons sans peine; l'Académie des Sciences morales et
+politiques s'est donné le bonheur d'écouter plusieurs notices
+biographiques fort remarquables que lui a lues son secrétaire-perpétuel,
+et dans lesquelles un juste: hommage était rendu à leurs mérites. Or M.
+Capefigue; ne pardonnera jamais à ces démolisseurs, comme il les
+appelle, d'avoir été loués par M. Mignet, auquel il a emprunté le titre
+d'un de ses innombrables ouvrages. Mais pourquoi Napoléon lui
+semble-t-il si petit? Serait-ce parce que M. Thiers va bientôt publier
+son histoire? Dans son éloge de lord Castlereagh, M. Capefigue, après
+avoir approuvé, admiré et loué la conduite du ministre anglais,
+s'exprime en ces termes en parlant de l'Empereur déchu:
+
+«Au reste, tout fut fait avec égard et convenance; nul ne fut plus
+_boudeur_, plus _maussade_, et je dirai même plus _petit_, que Bonaparte
+dans le malheur. Comment avait-il traité le duc d'Enghien? N'avait-il
+pas poursuivi et traqué Louis XVIII partout en Europe? Était-ce trop, le
+lendemain de son _aventure des Cent-Jours_, qui nous avait tant coûté,
+_que de le placer dans un lieu sûr où il ne pourrait_ plus tourmenter
+l'Europe? Bonaparte s'offense de ce qu'on ne lui donne pas le titre de
+majesté, de ce qu'on ne lui laisse pas la liberté de vivre
+bourgeoisement en Angleterre ou aux États-Unis (ce qu'il demandait aussi
+sincèrement) que d'être juge de paix de son canton avant le 18 brumaire.
+Voyez-vous Bonaparte citoyen de Westminster ou de Charlestown! _Après un
+si long drame, quand on n'a pas su mourir, il faut savoir s'effacer_. A
+Sainte-Hélène, Bonaparte n'eut pas la grandeur de ses souvenirs et de sa
+gloire, et _j'aime à croire_ que ses flatteurs ont tronqué ses paroles
+dans les récits sur son exil.»
+
+Des sentiments si nobles et si vrais, exprimés avec tant d'élégance et
+de distinction, ont-ils besoin de commentaires? Nous ne ferons pas,
+quant à nous, un si grand honneur à M. Capefigue. Nous aimons mieux
+compléter cette citation par un autre passage emprunté à l'éloge de lord
+Wellington, «ce vieux et noble chef des armées britanniques,» qui, à en
+croire son panégyriste, «n'est pas seulement une haute intelligence dans
+les combinaisons de la guerre, mais encore une _tête politique_
+sérieuse.--En France, ajoute M. Capefigue, les idées marchent moins
+vite; on y est encore plein de préjugés sur l'esprit et le caractère du
+duc de Wellington. _La vieille queue du parti bonapartiste pèse sur nous
+et défigure l'histoire._»
+
+Désire-t-on encore quelques échantillons de ce style véritablement
+unique dans son genre? Ouvrons au hasard ce volume incomparable:
+
+«La vie publique, quand on a des _entrailles_ s'use vite. (P. 260.)
+
+«L'Assemblée Constituante fut un grand chaos où des hommes de talent se
+heurtèrent _la tête_. (Page 70.)
+
+«M. Pozzo di Borgo était un homme si plein de faits, qu'ils sortaient
+parlons les _pores_... Je le vis à son retour à Paris; quelle
+différence! et que nous sommes petits devant cette main de Dieu qui
+brise et froisse le _crâne!..._ (Page 189.)
+
+«Les émotions, on s'en souvient toujours... elles s'infiltrent dans la
+vie entière, elles s'imprègnent au _crâne_ des hommes pour dominer toute
+leur pensée... (Page 120.)
+
+«En Angleterre, ce pays des grandes opinions, la _chute_ d'une noble
+espérance _dévore les entrailles_ des hommes d'État. (P. 222.)
+
+«La Prusse, ce long _boyau_ qui a la _tête_ sur le Niemen et les _pieds_
+sur la Meuse.» (Page 306.)
+
+M. Capefigue, qui s'avoue si souvent et si hautement conservateur se
+permet pourtant çà et là quelques attaques que nous ne savons comment
+qualifier, contre certaines institutions civiles. Ainsi on lit à la page
+84: «A peine rendu à la vie séculière, M. de Talleyrand eut à subir les
+exigences impérieuses du premier Consul. Bonaparte, qui se piquait de
+haute moralité, lui imposa l'obligation du mariage, _grande plaie pour
+l'homme spirituel et de bon goût..._»
+
+Les citations sont suffisantes. Nos lecteurs savent maintenant dans quel
+esprit et avec quel style M. Capefigue a ecrit les biographies du prince
+de Metternich, du comte Pozzo di Borgo, du prime de Talleyrand, du baron
+Pasquier, du duc de Wellington, du duc de Richelieu, du prince de
+Hardenberg, du comte de Nesselrode et de lord Castlereagh. Il nous
+resterait maintenant à prouver que cet ouvrage, si noblement pensé et si
+purement écrit, contient presque autant d'erreurs que de faits; mais un
+pareil travail ne saurait trouver place dans _l'Illustration_.
+Seulement, pour donner une idée de la _conscience historique_, qu'on
+nous permette cette expression, de railleur des _Diplomates européens_,
+nous emprunterons encore un court passage à la Notice du prince de
+Talleyrand.
+
+«Dès 1812, tout _prestige était effacé sur_ l'Empereur: l'incendie de
+Moscou, les glaces qui avaient enveloppé d'un linceul la grande-armée,
+la conspiration de Mallet, in avaient ébranlé la force impériale. Les
+négociations de M. de Talleyrand prenaient une indicible hardiesse; les
+plénipotentiaires des puissances avaient fixé un congrès à Châtillon,
+plutôt pour la forme que pour discuter des questions véritablement
+diplomatiques. M. de Caulincourt devait y présenter un traité sur les
+limites de la France en conservant Napoléon sur le trône ou la régence
+de Marie-Louise. Le dévouement de M. de Caulincourt à l'Empire ne
+pouvait pas être mis en doute: ce fut à ce moment que M. de Talleyrand
+envoya un agent mystérieux au quartier-général de l'empereur Alexandre.
+Cet agent, M. de Vitrolles, je crois, dut exposer l'état de la capitale,
+le besoin qu'on avait d'en finir avec l'empereur Napoléon, la nécessité
+surtout d'une restauration de l'ancienne dynastie, seule solution
+positive à l'état de choses. M. de Vitrolles s'acquitta avec beaucoup de
+zèle et d'esprit de cette mission intime qui le plaçait en face
+d'immenses dangers; il parvint à remettre à l'empereur Alexandre des
+lettres chiffrées de M. de Talleyrand, et un mémoire fort détaillé sur
+l'état des esprits...»
+
+Eh bien! M. de Vitrolles nous a autorisé à le déclarer en son nom, il
+n'y a pas un seul mot de vrai dans toute cette histoire.
+
+M. de Vitrolles ne reçut pas, comme le croit M. Capefigue, une pareille
+mission de Talleyrand; il ne lui avait même jamais parlé.
+
+Du reste, M. Capefigue paraît, sur ce point, comme sur beaucoup
+d'autres, s'attendre a un démenti. Il n'ose pas affirmer, il se contente
+de croire, cette manière d'écrire l'histoire n'est-elle pas réellement
+originale? J'allègue un fait, je ne suis pas sûr qu'il ait eu lieu, mais
+je le crois, ou plutôt je le pense, cela me suffit. Ne me demandez pas
+de le vérifier, je suis un trop grand historien pour m'abaisser à de
+pareilles recherches. Ce «Je crois!» c'est M. Capefigue peint par
+lui-même. Que pourrions-nous ajouter à un portrait si ressemblant?
+
+L'auteur de la _Galerie des Contemporains illustres_, qui s'appelle un
+HOMME DE BIEN, possède toutes les qualités, dont M. Capefigue est privé.
+Nous n'avons que des éloges à donner à cette publication. L'étendue et
+la variété de ses connaissances, l'élégante simplicité de son style, son
+impartialité, son indépendance, sa raison et son bon goût, assureront à
+l'HOMME DE BIEN, dont nous respecterons l'anonyme, une place éminente
+parmi les écrivains les plus distingués de notre époque. On sent, en
+parcourant la _Galerie des Contemporains illustres_, que M. de L***. n'a
+pas voulu faire une spéculation éphémère, comme d'autres biographes
+contemporains, mais un livre sérieux et vrai, qui sera toujours lu et
+consulte avec autant de profit et de plaisir.
+
+Ses erreurs, quand il en commet, sont toujours involontaires.
+
+Mais aussi qui pourrait se vanter de n'avoir jamais recueilli un seul
+renseignement inexact dans cent et quelques biographies d'hommes pour la
+plupart encore vivants?
+
+L'HOMME DE BIEN, répondant à certains critiques dans la préface; de son
+cinquième volume, a donc pu affirmer, sans craindre d'être démenti,
+qu'il était «un être un et réel, parfaitement inoffensif et indépendant,
+disant poliment ce qui lui semble la vérité sans intention de plaire ou
+de déplaire à qui que ce soit, et ne recevant jamais d'autre inspiration
+que celle de sa conscience.»
+
+Mais si divertissants que nous semblent _les diplomates européens_, si
+intéressants que soient les _Contemporains illustres_, il est temps de
+faire, sous la conduite de Grandville, une petite excursion dans un
+autre monde que le nôtre. Ce n'est pas l'autre monde, celui des démons
+et des anges, dont tous les grands poètes de l'antiquité et des temps
+modernes nous ont laissé des descriptions plus ou moins exactes et
+agréables; c'est _un autre Monde_, un monde qui n'a jamais existé que
+dans l'imagination de son inventeur et créateur, un monde qui nous
+promet, comme son titre l'annonce, une foule de transformations,
+visions, incarnations, ascensions, locomotions, explorations,
+pérégrinations, excursions, stations, cosmogonies, fantasmagories,
+rêveries, folâtreries, facéties, lubies, métamorphoses, zoomorphoses,
+lithomorphoses, métempsycoses, apothéoses, et autres choses.
+
+Si nous ouvrons ce volume _merveilleux_, qu'y voyons-nous, en effet?
+D'abord, après un spirituel menuet danse par la plume et le crayon,
+l'apothéose du docteur Puff, qui crée deux néo-dieux à son image: le
+capitaine Krackq, professeur de natation, et le compositeur Habblle. Ces
+trois co-dieux se partagent immédiatement l'univers à pile ou face.
+Krackq choisit la mer. Habblle prend le ciel, la terre reste à Puff.
+Ingénieuse allégorie pour nous avertir que fauteur de _l'autre monde_ va
+nous révéler tous les mystères des plus bizarres fantaisies de _la Folle
+du Logis_; aussi marchons-nous dès lors de surprise en surprise. Là, ce
+ce sont des _instruments_ ou des _végétaux_ qui prennent des formes et
+des figures humaines pour donner un conseil ou se battre en duel; ici,
+des animaux déguisés se livrent, au fond des eaux, aux divertissements
+les plus excentriques d'un bal masque. Plus loin, _aux déguisements
+physiologiques_ succède un curieux chapitre intitulé le _Royaume des
+Marionnettes_; on y remarque même des maillots qui dansent un pas de
+caractère avec des crabes. Mais bientôt les plaisirs de l'hiver font
+place à ceux de l'été: poissons d'avril, Longchamps, exposition de
+tableaux, ateliers de peintres, Louvre des marionnettes, que d'esprit et
+de talent vous faites dépenser à votre fécond créateur... De la terre,
+remontons aux cieux, nous pourrons être témoins d'une éclipse conjugale;
+nous y verrons le soleil et la lune s'embrasser, les signes, du zodiaque
+danser la sarabande, une comète se promener sentimentalement dans
+l'espace, etc., etc.; nous assisterons à la représentation des amours
+d'un pantin et d'une étoile; puis, pour nous remettre des fatigues de
+cet étrange voyage, nous irons passer un après-midi au
+Jardin-des-Plantes. Jetons un regard rapide sur cette foule variée des
+monstrueux _doublivores_ qui attire d'abord nos regards, et courons à la
+fête des fleurs; car bientôt des locomotives aériennes viendront nous
+enlever pour nous ravir au quatre-vingt-dix-septième ciel, où nous
+connaîtrons enfin quelques-uns des mystères de l'infini. Que vous
+dirai-je encore? Vous parlerai-je des Iles Marquises, des grands et des
+petits, de la jeune Chine, d'une journée à Herculanum, d'une macédoine
+céleste, d'une course au clocher conjugal, des plaisirs des
+Champs-Élysées, de l'enfer de Krackq, des noces du Puff et de la
+réclame, des métamorphoses du sommeil, de la meilleure forme de
+gouvernement, de la fin de l'un et de l'autre monde?... J'aime mieux
+employer le peu de place qui me reste à vous apprendre, si vous
+l'ignorez, ô mes bien-aimés lecteurs et lectrices, que Grandville
+n'avait peut-être jamais été, sinon plus heureux, du moins plus
+original, plus habile, plus spirituel que dans ce beau volume qui a pour
+titre un _Autre Monde_. 20,000 souscripteurs et acheteurs partageront,
+je n'en doute pas, avant la fin de cette année, ma surprise et mon
+admiration.
+
+An. J.
+
+
+
+Modes.
+
+[Illustration.]
+
+Cet hiver on emploie beaucoup de velours pour ornement de robes; nous
+donnons une robe garnie, au bas, de deux biais de cette étoffe; le
+corsage et les manches ont la même garniture.
+
+Le costume d'enfant, dont le modèle nous a été fourni par madame
+Marnedaz, est en étoffe de laine, et les ornements sont également en
+velours.
+
+A la première et à la seconde représentation de _Dom Sébastien_, à
+l'Opéra, les toilettes étaient très-brillantes: nous avons remarqué,
+entre autres, une robe de satin blanc avec un rang de dentelle pose sur
+chaque côté de la jupe, de manière à produire l'effet de deux barbes; au
+milieu était un petit plissé en ruban de satin, autour duquel tournait
+la dentelle. Deux rangs de dentelle pareille, surmontées d'un petit plis
+de ruban, ornaient le corsage, et les manches. Une fort belle épingle en
+coque de perles, entourée de marcassite, descendait jusqu'à la moitié du
+corsage; les coques étaient séparées par un noeud formé de marcassite.
+Un bracelet de même genre complétait cette parure riche et du goût le
+plus nouveau, puisque les vieux bijoux sont la plus nouvelle mode.
+
+Une autre toilette, dont l'ensemble était encore très-gracieux, se
+composait d'une robe de velours d'Afrique rose à plissé de rubans
+descendant de chaque côté de la jupe, toujours en tablier, avec torsade
+en passementerie lacée en carreau au milieu et diminuant de largeur vers
+la ceinture (la même garniture se répétait au corsage); puis d'un petit
+bonnet en dentelle avec barbes relevées sur le derrière de la tête, et
+dont toute la grâce consistait dans l'arrangement et la pose d'une
+fleur, d'un noeud, d'un rien.
+
+On peut affirmer que le blanc, le rose et le gris argenté dominaient
+dans ces premières réunions de la saison.
+
+Mais, comme une femme en négligé est encore plus intéressante que sous
+tous les costumes de grande parure, la recherche des robes de chambre
+est devenue un luxe, une mode, un usage général. Les vastes et longs
+plis de soie ou de cachemire conviennent à presque toutes les tailles.
+Pour ces robes, le satin imitant le piqué fait de charmantes doublures;
+il fait fort bien encore pour leuts revers, mais là doit se borner son
+emploi. Pour les robes de ville et les manteaux, il ne doit servir qu'à
+doubler; l'utiliser comme ornement extérieur serait un manque de goût.
+Toutefois, on peut faire une exception en faveur des pelisses de
+cachemire on de soie pour sorties de bal et de théâtre.
+
+
+
+Amusements des sciences..
+
+SOLUTION DES QUESTIONS PROPOSÉES DANS LE DERNIER NUMÉRO.
+
+I. La solution de divers problèmes de mécanique dépend de la
+connaissance de la nature du _centre de gravité_.
+
+On appelle ainsi dans un corps, le point autour duquel toutes ses
+parties se balancent, de manière que s'il était suspendu par là, il
+resterait indifféremment dans toutes les situations où on le mettrait
+autour de ce point.
+
+Il est aisé de voir que, dans les corps réguliers et homogènes, ce point
+ne peut être autre que le centre de figure. C'est ce qui a lieu dans un
+globe, dans un sphéroïde, dans un cylindre.
+
+On trouve le centre de gravité entre deux poids ou corps de différente
+pesanteur, en divisant la distance de leurs points de suspension en deux
+parties qui soient comme leurs poids, en sorte que la plus courte soit
+du côté du plus pesant, et la plus longue du côté dit plus léger, c'est
+là le principe des balances à bras inégaux, où, avec un même poids, on
+pèse plusieurs corps de différentes pesanteurs.
+
+Lorsqu'il y a plusieurs poids on cherche par la règle précédente le
+centre de pesanteur de deux; on les suppose ensuite réunis dans ce
+point, et l'on cherche le centre de gravité commun avec le troisième
+poids et les deux premiers réunis dans le point premièrement trouvé, et
+ainsi de suite.
+
+Soient, par exemple, les poids A, B, C, suspendus aux trois points D, E,
+F de la ligne ou balance DF, que nous supposons sans pesanteur. Que le
+poids A soit de 108 kilog., B de 144 et C de 180; la distance DE de 11
+mètres et EF de 9 mètres.
+
+Cherchez d'abord entre les poids B et C le centre commun de gravité; ce
+que vous ferez en divisant la distance EF, ou 9 mètres, en deux parties
+qui soient comme 144 et 180, ou 4 et 5. Ces deux parties sont 4 et 5
+mètres, dont la plus grande doit être placée du côté du plus faible
+poids. Ainsi le poids B étant le moindre, on aura EG; de 5 mètres et FG
+de 1 mètres; conséquemment DG sera de 16.
+
+Supposez à présent au point G les deux poids B et C réunis en un seul,
+qui sera par conséquent de 324 kilog.; divisez la distance DG, ou 16
+mètres, dans le rapport de 108 à 324, ou de 1 à 3: l'une de ces parties
+sera 12 et l'autre 4. Ainsi le poids A étant moindre, il faut prendre DH
+égal à 12 mètres, et le point H sera le centre de gravité commun des
+trois poids.
+
+On eût trouvé la même chose si l'un eût commencé à réunir les poids A et
+B.
+
+La règle est enfin la même, quel que soit le nombre des poids et qu'elle
+que soit leur position dans une même ligne droite un dans un même plan
+un non.
+
+[Illustration: C'est cette figure qui a été placée par erreur dans
+l'avant-dernier numéro.] La considération du centre de gravité donne
+lieu à diverses propositions curieuses. Nous nous bornerons à énoncer
+ici un beau principe de mécanique qui en découle. Le voici:
+
+Si plusieurs corps ou poids sont tellement disposés entre eux, qu'en se
+communiquant leur mouvement, leur centre de gravité commun reste
+immobile ou ne s'écarte point de la ligne horizontale, c'est-à-dire ne
+hausse ni ne baisse, alors il y aura équilibre. Ce principe porte
+presque sa démonstration avec son énoncé, et nous pourrions nous en
+servir pour démontrer toutes les propriétés des machines; mais nous
+laissons au lecteur le soin de faire cette application.
+
+II. Voici l'énoncé du problème tel qu'il a été donné dans l'Anthologie
+grecque:
+
+ Die, Heliconiadum decus, ô sublime sororum
+ Pythagora! tua quot tyrones tecta frequentent,
+ Qui, sub te, sophice sudant in agone magistro?
+ Dicam; tuque animo mea dicta, Polycrates hauri:
+ Dimidia horum pars præclara mathemata discit
+ Quarta immortalem naturam nosse laborat
+ Septima, sed tacité, sedet atque audita revolvit;
+ Tres sunt fæminæi sexus.
+
+Ainsi il s'agit de trouver un nombre dont une moitié, un quart et un
+septième, en y ajoutant 3, fassent ce nombre lui-même. Il est aisé de
+répondre que ce nombre est 28.
+
+III Ce problème est tiré de l'Anthologie grecque. Voici l'énoncé en vers
+latins:
+
+ Die quota nunc hora est? Superest tantum ecce diei
+ Quantum bis gemini exacta de luce trientes.
+
+En divisant la durée du jour, comme faisaient les anciens, en douze
+parties, il est question de partager ce nombre en deux parties telles
+que les 4/3 de la première soient ensemble égaux à la seconde; ce qui
+donne, pour le nombre des heures écoulées, 5-1/6 et conséquemment pour
+le reste du jour, 6-5/6 heures.
+
+
+NOUVELLES QUESTIONS A RÉSOUDRE.
+
+I. Faire tenir un seau plein d'eau par un bâton dont une moitié ou moins
+repose sur le bord d'une table.
+
+II. Une femme a vendu 10 perdrix au marché, une seconde en a vendu 25,
+et une troisième en a vendu 30, et toutes au même prix, à chacune de
+leurs ventes. En sortant du marché, il se trouve qu'elles emportent
+toutes trois la même somme. On demande à quel prix et comment elles ont
+vendu.
+
+
+
+Correspondance.
+
+_A un abonné de Paris._--Est bien fou du cerveau qui prétend contenter
+tout le monde et son père; cependant toute plainte est respectable.
+
+_A. M. I. à Saint-Pétersbourg_.--Vos observations sont justes. Il sera
+tenu compte de votre bon avis: nous vous remercions.
+
+M. B. z., de Nantes craint que nos sujets ne s'épuisent. Les mêmes
+fêtes, les mêmes cérémonies, dit-il, se reproduisent tous les ans. Que
+ferez-vous lorsque vous les aurez toutes représentées? _MM. V, G. et L_
+s'étonnent, au contraire, que nous laissions passer, sans les illustrer,
+un nombre considérable de sujets nouveaux, qu'offrent chaque jour à
+notre cadre, Paris, la France, l'Europe, l'univers entier.
+
+_A M. Gl. S., de Rouen._--Proposition malheureusement tardive.
+L'exposition des produits de l'industrie pour 1844 est un sujet trop
+important pour que nous ne nous soyons point depuis longtemps mis en
+mesure de le traiter avec tous les développements qu'il comporte: nos
+dessinateurs sont déjà à l'oeuvre; nos rédacteurs sont prêts.
+
+
+
+EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS.
+
+Maintenant la science a beau démontrer ses beautés, les arts l'emportent
+sur elle.
+
+
+[Illustration: nouveau rébus.]
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of L'Illustration, No. 0038, 18 Novembre
+1843, by Various
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 0038, 18 ***
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+Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
+works. See paragraph 1.E below.
+
+1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"
+or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
+Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the
+collection are in the public domain in the United States. If an
+individual work is in the public domain in the United States and you are
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+permission of the copyright holder found at the beginning of this work.
+
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+ returns. Royalty payments should be clearly marked as such and
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+
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+ money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
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+ of receipt of the work.
+
+- You comply with all other terms of this agreement for free
+ distribution of Project Gutenberg-tm works.
+
+1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm
+electronic work or group of works on different terms than are set
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+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
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+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at http://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit http://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
+To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
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+ <title>The Project Gutenberg eBook of L'Illustration, No. 0038, 18 Novembre 1843 by Various</title>
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+Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0038, 18 Novembre 1843, by Various
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+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org/license
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+Title: L'Illustration, No. 0038, 18 Novembre 1843
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+Author: Various
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+Release Date: April 25, 2012 [EBook #39533]
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+Language: French
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+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 0038, 18 ***
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+Produced by Rénald Lévesque
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+<p>L'Illustration, No. 0038, 18 Novembre 1843</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/001.png"></p>
+
+<pre>
+ Nº 38. Vol. II.-SAMEDI 18 NOVEMBRE 1843.
+ Bureaux, rue de Seine, 33.
+
+ Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois, 16 fr.--Un an, 30 fr.
+ Prix de chaque Nº, 75 c.--La collection mensuelle br., 2 fr. 75.
+
+ Ab. pour les Dép.--3 mois, 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an, 32 fr.
+ pour l'Étranger. -- 10 -- 20 -- 40
+</pre>
+
+
+<div class="somm">
+<h3>SOMMAIRE.</h3>
+<p><b>Les Torrents des Hautes-Alpes, le Rhône et les inondations</b>. <i>Quatre
+Gravures.</i>--<b>Courrier de Paris</b>. <i>Portrait de madame Pauline
+Viardot-Garcia</i>.--<b>Belisario</b>, trilogie, par Bertal. <i>Dix-sept
+Gravures</i>.--<b>Académie des Sciences</b>. Compte-rendu des deuxième et
+troisième trimestres. I. Sciences médicales.--<b>Accident du 10 novembre
+sur le Chemin de fer de Versailles</b>. <i>Gravure</i>.--<b>Histoire de la Semaine</b>,
+<i>Portrait de Narvaez; Portraits du Roi et de la Reine des Belges;
+Chambre des Représentants.</i>--<b>Une Bouteille de Champagne</b>, nouvelle, par
+André Delrieu. (Suite et fin)--<b>Margherita Pusterla</b>. Roman de M. César
+Cantù. Chapitre XIX, la Fuite; chapitre XX, un Moine et un Prince.
+<i>Quatorze Gravures.</i> -- <b>Bulletin bibliographique. -- Annonces. -- Modes</b>. <i>Une
+Gravure</i>. -- <b>Amusement des sciences</b>. <i>Une
+Gravure</i>. -- <b>Correspondance. -- Rébus</b>.</p>
+</div>
+
+<br>
+<h2>Les Torrents des Hautes-Alpes, le Rhône et le Inondations.</h2>
+
+<p>Il y a quelques années, les esprits sérieux se sont vivement préoccupés
+d'une immense question qui intéresse au plus haut point l'avenir
+agricole et manufacturier de la France. L'inopportunité, le danger même
+du défrichement des forêts, sous le rapport climatérique et industriel,
+a servi longtemps de texte à des discussions animées. Ces débats, s'ils
+n'ont pas dégagé la vérité des nuages qui l'enveloppent encore, ont au
+moins appelé l'attention de l'autorité sur cet important sujet, et mis
+un frein à ce vandalisme besogneux entre les mains duquel le sol
+n'aurait bientôt plus présenté qu'aridité et désolation.</p>
+
+<p>Le dépérissement des forêts en France date déjà de loin. Parmi les
+appétits désordonnés qui ont eu tour à tour leur règne dans notre pays,
+les uns n'ont affecté que les capitaux particuliers et n'ont laissé de
+traces que dans les familles victimes des jeux de bourse effrénés.
+D'autres, au contraire, ont écrit leurs ravages en caractères lisibles
+pour tous, sur le sol même, et ont exercé une influence incontestable
+sur la richesse nationale, sur les produits de la nature et de l'art, et
+même sur les phénomènes météorologiques. De ce nombre et au premier rang
+nous pouvons placer le défrichement des vieilles forêts qui jadis
+couvraient la Gaule. Ce défrichement, impérieusement commandé d'abord
+par l'accroissement de la population, par l'extension des lieux habités,
+avait trouvé une limite dans les besoins mêmes des habitants. De plus,
+ces vastes propriétés, ces héritages de famille, qui se perpétuaient de
+race en race, étaient considérés par les anciens seigneurs comme un
+dépôt sacré qu'ils n'avaient reçu de leurs ancêtres que pour le
+transmettre intact à leurs descendants; et c'était une pensée toute
+providentielle qui avait ainsi placé sous la sauvegarde d'un sentiment
+religieux, quoique égoïste, cette source immense de richesses et de
+prospérité. Mais ce qui était né de la féodalité disparut avec la
+féodalité. Après la révolution de 89 tous ces grands fiefs disloqués,
+déclarés biens nationaux et vendus à vil prix, devinrent la proie de
+spéculateurs avides, et bientôt la hache abattit brutalement des forêts
+séculaires, providence de toute une contrée Enfin, après les longues
+luttes de l'Empire, luttes pendant lesquelles les bras manquèrent à la
+terre, une réaction s'opéra en faveur de l'agriculture. Alors on eût dit
+que la terre manquait aux bras. Toute une armée d'agriculteurs se rua
+sur ce qui nous restait de forêts, et s'attaqua sans discernement à tout
+ce que la spéculation pouvait encore atteindre, et l'on vit des moissons
+et des prairies là où naguère croissaient le chêne et le pin, et des
+montagnes se montrant pour la première fois, depuis la création, avec un
+front chauve et découronné.</p>
+
+<p>Mais qu'advint-il de toutes ces dévastations barbares? On s'aperçut
+bientôt que le climat changeait sensiblement, que les orages étaient
+plus fréquents et plus dangereux. Le régime des cours d'eau qui servent
+de moteur è la plupart des forges françaises devint de plus en plus
+variable. On passa sans transition de la sécheresse à des crues subites,
+et, d'un autre côté, la rareté du combustible végétal empêcha les
+fabricants d'avoir recours aux moteurs à vapeur. Enfin ces crues
+causées, soit par la fonte des neiges, soit par les orages, exercèrent
+de terribles ravages, et des contrées jadis fertiles et florissantes
+virent naître des torrents dévastateurs, menace constamment suspendue
+sur leur tête.</p>
+
+<p>Au moment même où nous écrivons, de nouvelles inondations viennent
+donner une trop éclatante sanction à nos paroles. Le Rhône, qui pourrait
+n'être qu'un fleuve bienfaisant pour la contrée qu'il traverse, est le
+plus terrible fléau de la vallée qu'il arrose. La Durance, cette rivière
+torrentielle, se précipite comme une avalanche, et enlève en un instant
+ponts, maisons et troupeaux.</p>
+
+<p>Le mal est fait, et, comme on le voit, il est immense. On a cherché à y
+remédier, mais peut-être trop tard; toutefois, ce n'est pas sans
+intention que nous nous sommes arrêté sur ce tableau historique du
+dépérissement des forêts en France et de la fatale influence du
+déboisement sur la fortune publique. C'est que là où gît le mal gît
+aussi le remède; c'est qu'il fallait bien faire comprendre la nature, du
+mal, pour que la pensée saisit ensuite aisément toute la portée du
+remède qu'on propose d'y appliquer.</p>
+
+<p>Nulle part peut-être, les résultats désastreux de cette sauvage
+destruction n'ont été plus visibles et plus irréparables en apparence
+que dans les Hautes-Alpes. Là, ce ne sont pas quelques usines que
+l'instabilité des cours d'eau force à chômer de temps en temps, c'est un
+pays entier, jadis riche et populeux, sillonné maintenant par une
+multitude de torrents, et qui marche rapidement vers une ruine complète.
+Ce ne sont pas quelques manufacturiers dont les cris de détresse sont
+toujours entendus et souvent apaisés, c'est une population patiente et
+résignée dont jamais les plaintes n'ont eu de retentissement, et qui
+pourtant peut calculer les heures qui lui restent encore à vivre, qui
+voit le fléau gagner sur elle, et dont le courage se résume à abandonner
+chaque année quelque cabane, quelque champ, quelque victime au torrent.</p>
+
+<p>Un chiffre fera mieux comprendre toute l'horreur de cette cruelle
+expectative et l'impuissance absolue où se trouvent les habitants de la
+conjurer par leurs propres ressources.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/001a.png"><br><b>Inondations.--Le pont de Corp enlevé par le courant du
+Drac.</b></p>
+
+<p>La superficie du département des Hautes-Alpes est de 553,569 hectares,
+dont 166,800, ou à peine le tiers, en terres productives, 296,800 en
+rochers et terres incultes, et le reste, ou 89,969 hectares, en
+pâturages, bois, rivières et torrents. Le département n'a que 131,462
+habitants ou un peu plus de vingt habitants par kilomètre carré, tandis
+que la moyenne pour toute la France est de soixante habitants, et que
+pour quelques départements dont la superficie est égale ou même
+inférieure à celle des Hautes-Alpes, tels que l'Ain, l'Ardèche, le
+Bas-Rhin, le Nord, elle s'élève jusqu'à soixante, soixante-douze, cent
+neuf et même cent soixante-onze habitants par kilomètre carré.</p>
+
+<p>Faut-il s'étonner, quand on connaît ce chiffre, si le mal s'accroît tous
+les jours? et doit-on accuser d'incurie des hommes dont l'excuse,
+malheureusement trop réelle, est dans leur affreuse misère et dans
+l'insuffisance matérielle la mieux prouvée? Pourtant tous les
+fonctionnaires qui se sont succédé dans ce département ont entendu ce
+cri de détresse, ont vu de leurs yeux la dévastation s'avancer à pas
+rapides, plusieurs même ont fait parvenir l'expression de leurs
+déchirantes prévisions jusqu'aux oreilles de l'autorité, et rien ne
+s'est encore fait dans l'intérêt de ces malheureux abandonnés. Une
+incurie en apparence systématique préside à leurs destinées.</p>
+
+<p>Comment supposer cependant que les gouvernements qui se sont succédé
+depuis cinquante ans en France, mis en demeure d'appliquer au salut de
+toute une contrée des mesures conservatrices, aient reculé devant cette
+tâche et marqué des milliers de Français du sceau de parias? Ne
+serait-ce pas plutôt que jamais on n'a présenté une théorie du mal assez
+complète pour qu'on pût préjuger l'effet du remède? Cette supposition
+nous paraît la plus probable; car si nous consultons les ouvrages écrits
+en faveur de ce malheureux département ou sur le fléau qui le ravage,
+depuis celui de Fabre, en 1797, jusqu'à ceux plus récents de MM.
+Héricart de Thury, Ladoucette et Dugied, nous reconnaissons qu'il
+manquait une théorie des torrent, qui, un faisant connaître leurs
+propriétés, édifiât complètement l'esprit sur les moyens que l'on
+proposait pour atténuer, prévenir et faire disparaître cette effroyable
+calamité.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/002a.png"><br><b>Torrents.--Plan de la vallée de la Durance.</b></p>
+
+<p>Cette lacune a été comblée, il y a près de deux ans, avec beaucoup de
+talent, par un jeune ingénieur qui, dans le travail que nous avons sous
+les yeux, s'est placé du premier coup au rang des hommes les plus
+judicieux et les plus utiles des ponts-et-chaussées(1). Cet ouvrage,
+fruit de cinq années d'observations, embrasse toutes les faces de la
+question et permet de suivre, dans ce labyrinthe d'effets souvent en
+apparence contradictoires, la marche toujours uniforme du torrent,
+depuis la goutte d'eau ou le flocon de neige que reçoit le sommet de la
+montagne, jusqu'à la trombe chargée de rochers et d'eau, qui court avec
+fracas se précipiter dans la plaine.</p>
+
+<blockquote>Note 1: <i>Les torrents des Hautes-Alpes et le Rhône</i>; par <span class="sc">A. Surell</span>,
+ingénieur des ponts-et-chaussées.</blockquote>
+
+<p>Si <i>l'Illustration</i> ouvre aujourd'hui ses colonnes au résumé du ce
+remarquable ouvrage, c'est que des malheurs récents lui donnent une
+triste actualité; c'est qu'il est bon de rappeler aux hommes chargés de
+la fortune publique que si, pour un mal sans remède, on peut se borner à
+des témoignages de sympathie, quand le remède est indiqué, il y a déni
+de justice à ne pas l'appliquer.</p>
+
+<p>M. Surell a divisé son ouvrage en cinq parties. Dans les trois
+premières, il fait connaître les propriétés principales des torrents,
+les moyens de défense employés contre eux jusqu'à présent, et les
+difficultés qu'ils opposent à la construction des routes et des ponts;
+dans la quatrième, il décrit les causes qui font naître et alimentent
+les torrents; dans la cinquième, il expose le système à suivre pour
+remédier à ce fléau envahissant qui menace de changer en vastes
+solitudes un département jadis si peuplé et si florissant.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/002b.png"><br><b>Plan d'un torrent.</b></p>
+
+<p>Une observation bien remarquable et tout à fait particulière à ce
+département, c'est que toutes les rivières qui le sillonnent sont d'une
+nature torrentielle, depuis les rivières à fond mobile et à
+<i>délaissées</i>, telle que la Durance et ses affluents, et les rivières
+torrentielles proprement dites, dont le lit a une pente énorme,
+jusqu'aux cours d'eau connus sous le nom générique de torrents, et qui
+forment une classe à part. C'est à ceux-là que nous allons nous arrêter.</p>
+
+<p>«Les torrents, dit M. Surell, coulent dans des vallées très-courtes qui
+morcellent les montagnes en contre-forts, quelquefois même dans de
+simples dépressions. Leur pente excède 6 centimètres par mètre sur la
+plus grande longueur de leur cours; elle varie très-vite, et ne
+s'abaisse pas au-dessous de 2 centimètres par mètre. Ils ont une
+propriété tout à fait spécifique. Ils <i>affouillent</i> dans une partie
+déterminée de leur cours, ils <i>déposent</i> dans une autre partie, et
+<i>divaguent</i> ensuite par suite de ces dépôts....</p>
+
+<p>«De cette définition même des torrents, il ressort que si l'on observe
+leur cours depuis sa source la plus élevée jusqu'à leur débouché dans
+les grandes vallées, on y doit distinguer trois régions qui sont
+d'ailleurs nettement caractérisées par leur forme, leur position, et
+par les effets constants que les eaux exercent dans chacune d'elles...»</p>
+
+<p>D'abord une région dans laquelle les eaux s'amassent et affouillent le
+terrain à la naissance du torrent: c'est le <i>bassin de réception</i>: puis
+une région dans laquelle les eaux déposent les matières provenant de
+l'affouillement: c'est le <i>lit de déjection</i>; enfin, entre ces deux
+régions, une troisième où se fait le passage de l'affouillement à
+l'exhaussement: c'est le <i>canal d'écoulement</i>.</p>
+
+<p>Maintenant que nous avons pour ainsi dire sous les yeux le squelette du
+torrent, examinons rapidement la topographie de son cours, la nature de
+ses déjections, les causes de sa violence, et tout concourra à faire
+ressortir l'insuffisance des défenses employées jusqu'à ce jour et
+l'efficacité des nouvelles méthodes proposées par M. Surell.</p>
+
+<p>«Le bassin de réception a la forme d'un vaste entonnoir diversement
+accidenté et aboutissant à un goulot placé dans le fond. L'effet d'une
+pareille configuration est de porter rapidement sur un même point la
+masse d'eau qui tombe sur une grande surface de terrain.» Les berges en
+sont abruptes, minées par le pied, déchirée par un grand nombre de
+ravins, et s'élèvent fréquemment jusqu'à 100 mètres de hauteur.</p>
+
+<p>Le canal d'écoulement, qui fait suite au goulot, varie de longueur
+suivant le genre de torrents qu'il renferme. Il est toujours compris
+entre des berges solides et bien dessinées. C'est la partie inoffensive,
+mais malheureusement aussi la plus courte, des torrents; c'est là qu'on
+cherche à établir les ponts.</p>
+
+<p>Le lit de déjection, où vient s'amonceler tout ce que la violence des
+eaux a arraché aux flancs de la montagne, forme un monticule conique à
+sa sortie de la gorge.</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/002c.png"><br><b>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Coupe en long d'un torrent.</b></p>
+
+<p>Les dessins que nous donnons représentent: l'un le plan d'une partie de
+la vallée de la Durance et quatre des torrents les plus terribles de
+cette vallée; le <i>Rioubourdoux, le Réalon, le Brumafan</i> et <i>le Rabioux</i>,
+dont les noms sont aussi significatifs que les torrents sont énergiques;
+les autres, le plan d'un torrent où l'on distingue: AABD, le bassin de
+réception, dans lequel ABA figure l'entonnoir du bassin, et BD la gorge
+ou le goulot; BDDD figure le lit de déjection: quant au canal
+d'écoulement en D, il n'a pas une longueur appréciable. C'est un torrent
+moindre. La coupe est celle du torrent AABD.</p>
+
+<p>C'est en examinant attentivement la nature écologique des déjections
+qu'on peut se rendre compte de l'origine même des torrents, des causes
+qui les alimentent, et par suite, des moyens de défense à leur opposer.
+En effet, s'il est prouvé que toutes les matières que dépose un torrent
+proviennent de son bassin de réception, on pourra avec assurance poser
+ce principe, que «le champ des défenses doit être transporté dans les
+bassins de réception.» Or, les déjections varient de forme et de nature,
+depuis le limon le plus fin et le plus fertilisant jusqu'aux blocs de
+rochers cubant 20, 40 et même 50 mètres cubes. Mais toutes, boues,
+graviers, galets et blocs, accusent la nature du terrain que le torrent
+a traversé.</p>
+
+<p>On pourrait s'étonner de la masse énorme des blocs dont nous venons de
+parler; mais on s'expliquera la prodigieuse puissance du torrent, quand
+on connaîtra la manière dont souvent se forment les crues. Laissons
+parler l'auteur.</p>
+
+<p>«Souvent le torrent tombe comme la foudre; il s'annonce par un
+mugissement sourd dans l'intérieur de la montagne. En même temps un vent
+furieux s'échappe de la gorge: ce sont les signes précurseurs. Peu
+d'instants après parait le torrent, sous la forme d'une avalanche d'eau
+roulant devant elle un amas de blocs entassés. Cette masse énorme forme
+comme un barrage mobile, et telle est la violence de l'impulsion, que
+l'on aperçoit bondir les blocs avant que les eaux deviennent visibles.
+L'ouragan qui précède le torrent est accompagné d'effets plus
+surprenants encore. Il fait voler des pierres au milieu d'un tourbillon
+de poussière, et l'on a vu quelquefois, sur la surface d'un lit à sec,
+des blocs se mettre en mouvement comme poussés par une force
+surnaturelle.»</p>
+
+<p>L'affouillement du bassin de réception étant la cause unique de l'action
+destructive des torrents, voyons quelles sont les causes qui le
+provoquent. Il y en a trois:</p>
+
+<p>1º La nature d'un sol affouillable: c'est la cause géologique;</p>
+
+<p>2° la forme en entonnoir du bassin, qui concentre instantanément les
+eaux et fournit l'élément de vitesse: c'est la cause topographique;</p>
+
+<p>3º la fonte des neiges et les pluies d'orage qui apportent la masse des
+eaux: c'est la cause météorologique.</p>
+
+<p>La seconde de ces causes n'est qu'un corollaire des deux autres, puisque
+l'entonnoir, comme l'apprend l'observation, ne se forme que peu à peu et
+sous l'action combinée des eaux et de la nature du terrain, c'est-à-dire
+du <span class="sc">sol</span> et du <span class="sc">climat</span> des Hautes-Alpes; et voilà ce qui donne aux torrents
+de ce département un caractère distinctif dont les traits ne se
+retrouvent à la fois nulle autre part.</p>
+
+<p>Mais il y a plus: la première de ces causes ne serait plus à craindre si
+l'on s'attaquait directement au climat, si on le forçait à changer en
+une influence salutaire et productive, une sauvage et cruelle puissance;
+car si les eaux, au lieu de se concentrer rapidement en un point,
+filtraient peu à peu en fertilisant les croupes des montagnes qu'elles
+traversent, les affouillements disparaîtraient, et avec eux les affreux
+ravages des torrents.</p>
+
+<p>Nous voici donc arrivés à lutter corps à corps avec le géant; nous avons
+même découvert le défaut de la cuirasse, il ne reste plus qu'à pousser
+en avant pour voir bientôt une contrée entière rendue à la vie et à
+l'industrie, et un pays riche et productif là où l'&oelig;il affligé
+n'aperçoit que montagnes pelées, que steppes arides et déserts.</p>
+
+<p>L'immense défaut des défenses employées jusqu'à ce jour contre les
+torrents, c'est qu'en général ce n'est pas à la source même du mal qu'on
+s'est attaqué, mais à l'endroit où le mal était déjà irréparable,
+c'est-à-dire aux lits de déjection. Les efforts isolés de quelques
+propriétaires, un système plus ou moins bien compris de barrages et
+d'endiguements, voilà à quoi se sont bornées les défenses. La lutte a
+été longue et désespérée, et à l'heure où nous parlons, la lassitude
+causée par des défaites inévitables a amené avec elle l'engourdissement
+et l'apathie. Mais nous l'avons vu, c'est plus haut qu'il faut viser; il
+faut prévenir le mal en en détruisant la cause; en un mot, c'est sur la
+montagne qu'il faut lutter avec le ciel.</p>
+
+<p>Nous savons déjà que, rationnellement, c'est dans les bassins de
+réception qu'il faut porter le champ des défenses. Une autre observation
+va nous donner la clef du genre de défenses à employer.</p>
+
+<p>Partout où il y a des torrents récents il n'y a plus de forêts.</p>
+
+<p>Partout où on a déboisé le sol, des torrents récents se sont formés.</p>
+
+<p>Partout où la végétation a reparu par une cause quelconque, les torrents
+ont été éteints.</p>
+
+<p>N'hésitons donc pas à conclure avec M. Surell que, pour prévenir la
+formation des torrents nouveaux et éteindre les anciens, il faut
+reboiser les parties élevées des montagnes.</p>
+
+<p>Mais comment, dira-t-on, aborder avec la végétation ces croupes
+dénudées, ces abîmes toujours béants, où l'&oelig;uvre de destruction se
+propage avec tant de persévérance? Comment retenir ces eaux sans cesse
+suspendues sur la plaine; ces avalanches où la glace, la neige, le roc,
+roulent confondus avec une impétuosité qui brise tous les obstacles?</p>
+
+<p>Voici les mesures que propose M. Surell; elles sont de quatre espèces:</p>
+
+<p>1° Tracer des zones de défense;<br>
+
+2° Boiser ces zones;<br>
+
+3º Planter les berges vives;<br>
+
+4° Construire des barrages en fascines.</p>
+
+<p>Les zones de défense seraient tracées sur les bords du torrent, qu'elles
+envelopperaient depuis son embouchure, où elles auraient 30 à 40 mètres
+de large, jusqu'à l'entonnoir, où elles auraient une largeur de 5 à 600
+mètres; elles embrasseraient les plus petites ramifications de ses
+affluents et les plus infimes filets d'eau, qui, dans les temps d'orage,
+deviennent eux-mêmes de désastreux torrents. Ces zones seraient plantées
+et semées, et bientôt le torrent, ne recevant plus l'eau que goutte à
+goutte, perdrait sa force d'érosion, et par suite ses alluvions, et
+serait placé dans les mêmes conditions que s'il sortait du sein même
+d'une forêt profonde. Pour les berges vives, on les couperait de petits
+canaux d'arrosage, tirés du torrent même, et alors une végétation
+luxuriante, dont on a déjà sur les lieux mêmes quelques exemples,
+remplacerait l'aspect affligeant de ces cols décharnés et stériles, dont
+la vue seule indique qu'un grand agent de destruction a passé par là.
+Enfin, on empêcherait les affouillements au moyen de barrages en
+fascines, dont l'effet salutaire a déjà été reconnu, et qui, par leur
+action de retenue, permettraient aux berges de s'asseoir, à la
+végétation de prospérer.</p>
+
+<p>Nous n'insistons pas sur l'efficacité de ces moyens, dont l'annonciation
+seule nous semble devoir amener avec elle la conviction.</p>
+
+<p>Maintenant, se demandera-t-on, qui, des particuliers ou de l'État doit
+supporter les frais de ces immenses travaux? M. Dugied, qui évaluait à
+200,000 hectares la superficie susceptible d'être reboisée, voulait que
+l'État fît seul les frais de cette opération, qui devait durer soixante
+ans et coûter 75,000 francs par an. M. Surell partage cette opinion, aux
+chiffres et à quelques détails d'exécution près. Outre l'intérêt général
+que l'État doit sauvegarder, il prouve que le gouvernement, dans
+l'intérêt de ses routes et de ses ponts, doit encore se charger de ces
+travaux. Dans deux chapitres écrits avec la verve et le talent d'un
+homme de c&oelig;ur et de conviction, il démontre que ne pas venir au secours
+de ce département serait, de la part de l'État, «une <i>mauvaise action</i>,
+parce qu'en sacrifiant le sol, on sacrifie aussi les hommes qui y sont
+attachés, et un <i>mauvais calcul</i>, parce que la société ne fait pas
+impunément des mendiants, et que les misères qu'elle n'a pas su prévenir
+se retournent tôt ou tard contre elle.»</p>
+
+<p>Et cependant, il y a deux ans que cet ouvrage a été écrit, qu'il a valu
+à son auteur les suffrages des hommes les plus éclairés, et les
+encouragements du gouvernement, et rien ne s'est fait encore!</p>
+
+<p>N'est-il pas déplorable qu'en France il se trouve une contrée entière
+qui, si on lui demande pourquoi elle n'a ni chemins, ni routes, ni
+canaux, ni pour ainsi dire d'habitants, n'ait qu'un mot et un mot
+profondément vrai à répondre: <span class="sc">la pauvreté</span>? Oui, il y a là une plaie
+affreuse, mais elle n'est pas incurable, nous l'avons vu dans le
+remarquable travail de M. Surell; seulement il faut se hâter, et
+puisqu'on a proclamé si haut le règne des intérêts matériels, il ne faut
+pas qu'une population entière soit déshéritée des bénéfices qu'elle a le
+droit d'en attendre.</p>
+
+<p>Si l'on a bien compris ce que nous venons de dire des torrents, des
+causes de leur formation, de leur impétuosité et des ravages qu'ils
+exercent, on concevra facilement quelle influence désastreuse ils ont
+sur les crues et les inondations du Rhône. En effet, tous ces torrents
+se jettent dans des rivières torrentielles elles-mêmes, qui arrivent
+instantanément et précipitent dans le Rhône un volume d'eau
+extraordinaire. De là ces débordements, ces courants impétueux qui
+ravinent les terres et font au fleuve un nouveau lit que souvent il
+n'abandonne plus. Si donc l'on détruit les torrents, on enlève une des
+grandes causes des inondations du Rhône. Il resterait cependant à
+combattre encore les crues qui ont pour cause soit les pluies d'orage,
+soit la fonte des neiges, et qui d'ailleurs sont inévitables, même en
+supposant les torrents éteints.</p>
+
+<p>M. Surell a porté, dans l'étude des améliorations du Rhône, la même
+sagacité, le même esprit d'analyse que dans ses études sur les torrents
+des Hautes-Alpes. Il a rédigé l'année dernière, de concert avec M.
+Bouvier, ingénieur-directeur du Rhône, un mémoire remarquable sur cet
+objet. Nous allons en donner une idée succincte à nos lecteurs.</p>
+
+<p>Les <i>vices</i> du Rhône consistent dans la <i>corrosion des rives</i> et la
+<i>division du fleuve en différents bras</i>. Les perfectionnements à
+apporter se réduisent donc aux deux opérations suivantes: 1º fixer les
+rives; 2° barrer les bras secondaires.</p>
+
+<p>Mais comment, dira-t-on, fixer les rives sur un développement de 284
+kilomètres? Quelle somme énorme ne faudra-t-il pas affecter à ces
+travaux? L'observation du régime du fleuve a conduit à la découverte
+d'un principe qui réduit considérablement la dépense à faire. Ce
+principe est celui de la <i>réciprocité des anses</i>, c'est-à-dire que le
+cours du fleuve étant sinueux, si le courant vient frapper, par exemple,
+la rive droite et s'y creuse une <i>anse</i>, il y est réfléchi et va à une
+distance plus ou moins éloignée frapper la rive gauche et s'y creuser
+également une anse, pour de là être réfléchi de nouveau sur la rive
+d'oite, et ainsi de suite. Tout l'intervalle compris entre deux anses
+successives n'est exposé à aucune corrosion et n'a, par conséquent, pas
+besoin d'être défendu. Le développement des rives à défendre se réduit
+ainsi de plus de moitié.</p>
+
+<p>Quant aux barrages des bras secondaires, au lieu de les opposer
+directement au courant, qui les aurait promptement affouillés et
+emportés, on suit également la loi de la réciprocité des anses, et on
+les construit suivant des courbes qui, sans heurter le cours du fleuve,
+l'infléchissent doucement et le dirigent vers l'anse suivante.</p>
+
+<p>Telles sont les améliorations proposées dans l'intérêt de la navigation:
+l'agriculture réclame d'autres travaux.</p>
+
+<p>Les maux que le Rhône cause aux terres riveraines consistent dans la
+<i>corrosion des rives</i>, comme pour la navigation et dans <i>l'inondation
+des plaines</i>.</p>
+
+<p>Il importe, dans le fait de l'inondation, de séparer deux effets fort
+distincts, savoir: la <i>submersion</i>, proprement dite, et la <i>formation
+des courants</i>.</p>
+
+<p>La submersion n'a jamais été considérée comme un fléau par les
+propriétaires des terrains qui avoisinent le fleuve; c'est au contraire
+un bienfait, car elle dépose sur le sol une couche de limon, qui
+augmente, l'épaisseur de la terre végétale, comble les creux et tend à
+niveler le terrain. C'est l'inondation <i>fécondante</i>; mais les eaux
+peuvent, en raison de la forte pente de la vallée, et des accidents
+divers du lit, se mettre en mouvement sur le sol inondé; de là les
+courants: c'est ce second effet seul qui est nuisible.</p>
+
+<p>La science doit donc s'appliquer à empêcher la formation des courants,
+tout en protégeant la submersion tranquille. Pour y parvenir, les
+auteurs du mémoire que nous analysons proposent un système de levées
+<i>insubmersibles</i>, enracinées au pied des montagnes qui limitent la zone
+que les eaux doivent couvrir, barrant transversalement la vallée, et se
+recourbant ensuite pour suivre une direction parallèle au fleuve. Dans
+ce système, les courants sont rompus, sans que les terrains soient
+enlevés à la submersion. La vallée se trouverait ainsi divisée en un
+certain nombre de bassins, fermés en tête, mais ouverts à l'aval. Cette
+disposition a déjà été appliquée par quelques riverains et avec le
+succès le plus complet.</p>
+
+<p>Ainsi, en résumé, les ouvrages à exécuter pour améliorer le cours du
+Rhône sont de trois espèces:</p>
+
+<p>1º Le revêtement des berges dans les anses;<br>
+
+2º Le barrage des bras secondaires;<br>
+
+3º La division de la vallée en bassins, au moyen de digues
+insubmersibles transversales.</p>
+
+<p>Le devis présenté par les ingénieurs s'élève à 25 millions qu'ils
+demandent à dépenser en <i>dix ans</i>, c'est-à-dire <i>deux millions cinq cent
+mille francs</i> par an. On concevrait difficilement les hésitations du
+gouvernement à mettre la main à une &oelig;uvre si urgente, en présence des
+désastres épouvantables qui viennent périodiquement affliger la vallée
+du Rhône. Quant à nous, nous faisons les v&oelig;ux les plus ardents pour
+qu'on ne retarde pas plus longtemps la présentation aux Chambres d'un
+projet de loi qui donne garantie et sécurité à l'avenir. Jamais dépense
+ne fut mieux justifiée, et jamais peut-être on n'aura obtenu de si
+admirables résultats pour une somme aussi minime.</p>
+
+<br><br>
+
+<h2>Courrier de Paris.</h2>
+
+<p>Doublez vos verrous, triplez vos serrures, mettez des cadenas à vos
+poches: Paris est en proie aux larrons; jamais l'amour du bien d'autrui
+ne fit de tels ravages. La police correctionnelle et la Cour d'assises
+n'ont pas le temps de respirer; le Mandrin et le Cartouche y abondent.
+Il ne fait pas bon lire la <i>Gazette des Tribunaux</i>, sous peine de
+soupçonner un voleur dans tous les gens qu'on rencontre, et de voir un
+fripon dans chacun de ses serviteurs ou de ses amis intimes. Si
+quelqu'un vous donne la main, méfiez-vous-en! il n'a peut-être de
+tendresse que pour la bague que vous portez au doigt; s'il demande des
+nouvelles de votre santé, c'est sans doute un chemin détourné pour
+arriver à tâter le pouls à votre caisse ou à votre bourse, frappe-t-il à
+votre porte, d'un air doux et poli, sollicitant l'honneur d'être reçu
+chez vous, il veut certainement prendre l'empreinte de vos serrures. Que
+vous dirai-je? il n'y a pas moyen de vivre une minute tranquille, pour
+peu qu'on tienne à sa bourse ou à sa montre; et le préfet de police sera
+bientôt contraint, dans l'intérêt de tout candide Parisien, d'attacher
+spécialement un sergent de ville à chaque gousset et un garde municipal
+à chaque porte.</p>
+
+<p>Remarquez que le voleur s'est singulièrement perfectionné; il est arrivé
+à ressembler à un honnête homme; c'est là le comble de l'art. On vole,
+comme Lairo, ce complice de Courvoisier, en étudiant Virgile; on
+escalade en bottes vernies; on brise les serrures en gants glacés. Les
+voleurs d'autrefois se sentaient d'une lieue à la ronde; ils avaient
+d'affreuses barbes, des yeux hagards, un sourire féroce et les mains
+rouges; on disait tout aussitôt: «Voilà un gaillard que je ne voudrais
+pas rencontrer au coin d'un bois!» Aujourd'hui, vous trouvez, en montant
+dans le coupé Laffitte et Caillard, un charmant inconnu qui vous comble
+de soins: «Monsieur veut-il que je lui cède la place du coin?
+offrirai-je à monsieur une de ces pastilles aromatiques? Si l'air gêne
+monsieur, je baisserai le store!» et mille autres politesses. Quel
+aimable homme! dites-vous; et l'ennui de la route disparaît à causer
+agréablement avec ce délicieux compagnon de voyage; car il sait tout, en
+homme bien élevé qu'il est; la politique, les affaires, l'industrie, la
+petite chronique du monde.--On se quitte avec le plus vif regret.--Six
+mois après, vous êtes cité comme témoin devant une Cour d'assises
+quelconque, et vous retrouvez sur le banc des accusés votre adorable
+voisin du coupé, qui vous sourit d'un air d'ancienne connaissance. Il
+avait escamoté trois ou quatre portefeuilles, chemin faisant, tout en
+vous offrant des pastilles à la rose.</p>
+
+<p>Telle est à peu près l'histoire de Souques, qui va être mis en jugement
+dans quelques jours: jeune bandit de vingt-six ans, blond, élégant,
+plein de galanterie et fort tendre pour les jolies femmes qu'il
+rencontrait sur sa route; on aurait pris Souques pour un <i>lion</i> qui
+allait se mettre au vert et se reposer en plein champ des fatigues du
+boudoir et de l'Opéra. Souques cependant dépassera Courvoisier;
+Courvoisier s'arrêtait au vol, Souques allait jusqu'à l'assassinat.</p>
+
+<p>Voici un fait tout récent qui prouve avec quels procédés et quel
+raffinement de délicatesse les voleurs vous dévalisent aujourd'hui. Il
+n'y a pas huit jours qu'un des restaurateurs renommés de Paris a été
+victime d'un vol considérable; toute son argenterie a disparu en un clin
+d'&oelig;il et d'un coup de main; il s'agit d'une perte de six à huit mille
+francs. La police est en vedette; mais jusqu'ici elle a fait de vaines
+recherches, et rien encore n'a dénoncé les traces du coupable. La seule
+pièce qui soit tombée entre les mains de la justice est la lettre
+suivante, que le pauvre diable de restaurateur a reçue sous enveloppe le
+lendemain du vol: «Monsieur, ne soyez pas inquiet de votre argenterie;
+elle est entre mes mains, et je la garde. Je viens de m'apercevoir
+qu'hier, après avoir dîné chez vous, je suis sorti sans payer ma carte;
+c'est une distraction que je ne me pardonnerai jamais. Je serais désolé,
+monsieur, que vous pussiez me croire capable d'une telle petitesse.
+J'ai, en conséquence, l'honneur de vous adresser, sous ce pli, un
+napoléon pour solde de ma dépense, montant à 10 francs 60 cent; le reste
+est pour le garçon. Agréez, monsieur, mes sentiments bien distingués.»</p>
+
+<p>Madame la comtesse de *** a rouvert ses salons: mais ils sont loin
+d'avoir l'éclat et l'attrait qui en a fait, pendant dix ans, le
+rendez-vous des hommes les plus aimables et des plus jolies femmes de
+Paris. D'où vient cette décadence? On lui donne plusieurs causes. Les
+uns prétendent que le désastre du banquier M....., dont les qualités
+financières étaient fort appréciées dans la maison, a tourné l'esprit de
+la comtesse à la philosophie. Les autres affirment que le jeune de
+C..... étant parti brusquement pour l'Italie, la comtesse joue à la
+Lavallière, et parle de se faire carmélite. On ajoute qu'elle ne peut se
+consoler de la mort récente de M. de Saint-A.....; c'était un ami de
+toute sa vie, l'âme de ses réunions, qu'il animait par son esprit, le
+dépositaire de ses secrets les plus intimes. Madame la comtesse était
+veuve à vingt ans; elle en a trente-huit à l'heure qu'il est, disent les
+gens qui ont du savoir-vivre; de vingt à quarante ans, il y a de quoi
+être veuve; aussi dit-on que l'emploi de confident était loin de
+constituer une sinécure pour M. de Saint-A..... Vers la fin de sa vie, il
+réclamait un secrétaire adjoint, déclarant qu'il succomberait à la peine
+s'il était obligé de recueillir plus longtemps à lui seul tous les
+souvenirs de la comtesse.</p>
+
+<p>Un autre homme de beaucoup d'esprit manque à l'agrément de ce salon; je
+veux parler du baron de N...., que tout Paris connaît. N..... s'est
+retiré définitivement en Auvergne; il dit que le temps de faire
+pénitence et de racheter son âme est venu. N..... en effet a longtemps
+vécu avec le diable, mais en assez bon diable. Sa fortune et sa santé
+ont payé les frais de cette association satanique. N..... est fort
+goutteux, fort délabré et fort ruiné. C'est de lui que ce charmant petit
+minois de madame Dave... disait l'autre jour: «Cet homme est un cours de
+morale ambulant!»</p>
+
+<p>Une lettre, qu'un de nos amis intimes nous écrit de Bologne, annonce le
+retour en cette ville de l'illustre maestro Rossini. Le peuple bolonais
+a reçu ce paresseux grand homme avec un enthousiasme qui devrait le
+décider à sortir du son silence et de son inaction. Il y a quinze ans
+que Rossini se tait, et au milieu de la musique infernale qui se
+fabrique de tous côtés, on peut dire que le silence du cette grande voix
+mélodieuse est une vraie calamité publique.</p>
+
+<p>Le matin de son arrivée la société philharmonique de Bologne a exécuté
+sous ses fenêtres une sérénade composée des airs préférés de ses opéras
+les plus fameux; la foule était immense autour de sa maison, et de tous
+côtés, dans l'intervalle des instruments et des voix, retentissait ce
+cri: «Viva Rossini!» Criez, plutôt: «Vive le macaroni!» dit l'auteur de
+<i>Guillaume Tell</i>, en mettant le nez, à la fenêtre.</p>
+
+<p>Le soir, il alla au théâtre; on jouait Nabuchodonosor; à peine l'eût-on
+reconnu que tout le monde se leva et battit des mains; lui, cependant,
+se tenait retiré au fond de sa loge. «A qui en veut-on?» dit-il. A la
+fin, les applaudissements prirent un tel caractère de provocation
+directe, qu'il n'y eut plus moyen de s'y tromper. Rossini fut obligé de
+paraître sur le devant de sa loge et du saluer la foule, qui répondit
+par trois vivat. «Ils me feront mourir,» avait dit Voltaire, dans une
+occasion à peu près semblable. Rossini a dit: «Qu'ils me laissent donc
+vivre, si cela est possible!» Quelqu'un de Bologne lui demandait des
+nouvelles de son dernier voyage à Paris, et de ce qu'il y avait fait:
+«J'y ai fait la musique d'une pièce dont le docteur Civiale est
+l'auteur; nous l'avons intitulée: <i>la Lithotritie!</i>» Voilà le cas que
+Rossini fait du génie et de la gloire. Est-ce conviction? est-ce
+raillerie amère d'une âme blessée? Mais pourquoi blessée? Le monde ne
+rend-il pas au génie de Rossini un hommage incontesté? Les grands hommes
+ne sont souvent que de grands ingrats.</p>
+
+<p>On commence à s'apercevoir que la session des Chambres approche de jour
+en jour. L'ordonnance de convocation n'est pas encore publiée;
+<i>Moniteur</i> ne donnera guère le signal que dans un mois; jusque-là, le
+gouvernement représentatif peut continuer à se promener de long en large
+dans les allées de sa maison des champs, comme un honnête dés&oelig;uvré.
+Cependant un grand nombre d'honorables ont déjà quitte l'arrondissement
+pour revenir à Paris. On rencontre çà et là des fragments du
+tiers-parti, de la gauche dynastique et radicale. A la première
+représentation du <i>dom Sébastien</i> de M. Donizetti, dont nos artistes
+préparent les illustrations, le foyer de l'Opéra offrait de quoi
+composer une Chambre des Députés au petit pied: M. Duchâtel, M.
+Cunin-Gridaine et M. Teste représentaient le ministère; M. le marquis de
+Larochejacquelin et M. le duc de Valmy la droite légitimiste, et ainsi
+de suite, depuis le Fulchiron jusqu'au Ledru-Rollin, de nuance en nuance
+et de drapeau en drapeau. Le parti conservateur se trouvait en majorité,
+cela va sans dire. La loge de M. le ministre de l'intérieur était
+visitée à chaque entr'acte par vingt des plus ardents capitaines de
+l'armée ministérielle. Le conservateur est, en effet, du toutes les
+espèces représentatives, celle qui s'éloigne le plus difficilement de
+Paris; elle tient à Paris par la racine; c'est à Paris qu'elle fleurit
+et qu'elle prospère; Paris a un engrais qui lui convient. L'opposition,
+au contraire, doit voyager; parcourir l'espace est le besoin des
+opinions qui attendent, espèrent, et n'ont encore que les vagues
+jouissances de l'utopie. L'un suit l'image de la république de fleuves en
+ruisseaux, de vallées en montagnes; l'autre cherche son rêve social au
+détour d'une allée, comme, autrefois Boileau cherchait la rime; celui-ci
+fait une ascension sur quelque cime des Pyrénées ou des Alpes, pour
+regardera l'horizon s'il ne voit pas un ministère tomber et un
+portefeuille venir. Toute idée ou toute ambition qui en appellent à
+l'avenir ont leur fuyante Ithaque, et l'opposition est une continuelle
+Odyssée; mais le parti qui tient le pouvoir et les places ressemble aux
+avares qui craignent qu'à la moindre absence un voisin ne leur enlève
+leur trésor et ne les chasse de la maison. Aussi le vrai conservateur
+stationne-t-il à Paris, en plein terrain ministériel; il pense que c'est
+le meilleur moyen de se conserver.</p>
+
+<p>Sceptique Rossini, tu te moques des autres et de toi-même, et voici que
+ton mélodieux génie charme la Russie et la capitale des czars!--Le
+Théâtre-Italien a été inauguré à Saint-Pétersbourg, le 5 novembre
+dernier, par une représentation d'<i>il Barbiere</i>; nous en recevons la
+nouvelle directe. Toute la ville moscovite s'est émue de cette grande
+solennité; un opéra italien est, en effet, du fruit nouveau pour elle.
+Saint-Pétersbourg avait déjà été visité çà et là, par quelques
+rossignols ultramontains, mais jamais par une troupe organisée et
+complète. C'est au goût de l'empereur que la Russie doit ce
+Théâtre-Italien. On se rappelle que ce fut, il y a trois ou quatre mois,
+pendant le séjour de Rubini à Saint-Pétersbourg, que l'empereur résolut
+de faire cette fondation mélodieuse: «Vous m'aiderez,» dit-il à Rubini.
+Rubini hésita d'abord; mais comment refuser un czar? Une fois vaincu par
+cette gracieuse provocation impériale, Rubini, s'exécutant loyalement,
+n'a rien négligé pour justifier la haute confiance dont il était
+l'objet. Il a donc appelé à lui, pour l'aider glorieusement dans son
+entreprise, Tamburini et madame Pauline Viardot-Garcia; puis il s'est
+donné lui-même, ce qui n'est pas le moindre de ses présents. Nous
+n'avons pas le nom des autres chanteurs qui servent sous ces illustres
+chefs; le premier bulletin que nous recevons de la première bataille ne
+les fait pas connaître; peut-être la liste nous arrivera-t-elle un autre
+jour. Nous la publierons si elle en vaut la peine.</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/003a.png"><br><b>Théâtre-Italien de Saint-Pétersbourg.<br>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Madame
+Pauline-Viardot.</b></p>
+
+<p>Tout le Saint-Pétersbourg élégant assistait à cette prise de possession
+de la musique italienne. Figurez-vous une vaste salle à six rangs de
+loges, peuplée du haut un bas de jolies femmes et d'un public curieux et
+attentif. Le galant Almaviva, le spirituel et pétulant Figaro, la fine
+et tendre Rosine, ont conquis, ce soir-là, Saint-Pétersbourg tout
+entier; et nos Italiens ont du se croire à Naples ou à Florence, tant la
+Russie a battu des mains pour Tamburini et pour Rubini! Quant à madame
+Pauline-Viardot, elle a été rappelée sept à huit fois. Notre
+correspondant ne mentionne pas la pluie de fleurs et de couronnes, mais
+cela va sans dire; il n'y a point de bonne fête sans cette douce ondée;
+et avec des artistes tels que madame Viardot, Tamburini et Rubini, les
+fleurs pousseraient partout, même en Sibérie, et les couronnes font le
+tour du monde.</p>
+
+<p>Le public du théâtre des Variétés a eu, cette semaine, une véritable
+bonne fortune: il a revu Vernet, cet excellent acteur si regrettable et
+si regretté; mais il ne l'a revu qu'en passant et pour une seule fois.
+Vernet, retiré du théâtre depuis trois ou quatre ans, avait quitté sa
+retraite pour cette soirée seulement et à son propre bénéfice. Le
+lendemain, Vernet rentrait aux Invalides, et maintenant tout est dit;
+Vernet est perdu pour le théâtre; il faut en faire son deuil.</p>
+
+<p>Quel dommage cependant que ce cher Vervet nous laisse ainsi! c'était un
+si bon et si charmant comédien: par où vous le ferais-je connaître?
+Faut-il remonter jusqu'à M. Pinson, le César des farceurs turbulents et
+malencontreux? Irons-nous chercher le petit bossu de <i>la Marchande de
+Goujons</i>, ce représentant de la médisance difforme, bavarde et
+sensuelle? Est-ce le Jean-Jean des <i>Bonnes d'Enfants</i> qu'il vous plaît
+d'accoster, l'innocent Jean-Jean au nez en l'air, aux bras ballants, au
+regard ahuri, aux galanteries burlesques et aux gauches amours? Mais,
+non; voici venir l'amant naïf de Madelon Friquet: quelle bonne grosse
+figure épanouie! quelle simplicité de c&oelig;ur! quelle tendresse candide!
+comme il trotte! comme il va! comme il roule! comme il aime sincèrement
+sa Madelon, ce cher petit bonhomme! et Prosper? et Vincent? Nul comédien
+n'a surpassé Vernet dans la représentation de ces types de crédulité
+ingénue et de candeur ahurie.</p>
+
+<p>Cette vieille, coiffée d'un bonnet en loques, barbouillée de tabac, se
+traînant sur les débris de ses souliers éculés, et remuant, dans sa
+marche oblique, les restes bigarrés d'un cotillon en ruine, ne la
+reconnaissez-vous pas? ne l'avez-vous pas vue, par hasard, au coin de la
+borne, à la porte d'une noire allée où dans la loge d'un portier? Eh!
+mon Dieu, oui, c'est madame Pochet! Plus loin, voyez, ce vieux brave qui
+chante, trinque, boit, parle d'Austerlitz et de Wagram, et marche
+cahin-caha sur une jambe dépareillée..... Bonjour, vieux soldat! je sais
+ton nom; je t'ai vu au soleil dans l'allée de la Petite-Provence, ou
+jouant à la boule dans le carré Marigny: tu t'appelles Mathias
+l'invalide!</p>
+
+<p>Ainsi Vernet allait partout, saisissant sur sa route les types
+populaires, et s'incarnant en eux de telle sorte que les plus
+clairvoyants n'apercevaient plus l'auteur dans le personnage.</p>
+
+<p>Vernet était comme les véritables artistes: il imitait la nature et la
+prenait sur le fait, mais en l'idéalisant. Ce n'était point un calque
+matériel et grossier, c'était un portrait intelligent fait par la main
+d'un maître. Le talent de Vernet se distinguait en effet par le tact et
+le goût, même dans ses créations les plus vulgaires et les plus
+grotesques; il s'arrêtait toujours à temps, et n'allait jamais au delà
+ni en deçà; il lui répugnait d'acheter le rire aux dépens de l'art.</p>
+
+<p>Vernet est jeune encore, malgré ses longs services et ses longs succès;
+il aurait pu combattre quelques années de plus sur le champ de bataille
+du théâtre des Variétés, où il a remporté, pendant trente années, tant
+de riantes victoires; mais la goutte s'en est mêlée, et l'excellent
+comédien a été contraint de battre en retraite. Vernet a la maladie des
+vieux et vaillants généraux; cela peut-il le consoler? j'en doute; il y
+a peu de comédiens retirés qui ne regrettent le lustre, les coulisses et
+les bravos; mais enfin il faut être philosophe, et, Dieu merci, Vernet a
+quelque raison de pratiquer la philosophie: il a un revenu de chanoine,
+l'humeur joviale, dit-on, et une jolie maison de campagne où il peut
+tranquillement se reposer sur ses lauriers, quand toutefois son altesse
+sérénissime la goutte le lui permet.</p>
+
+<p>Ce n'est jamais volontairement que nous commettons une erreur, et si
+nous trompons les autres, c'est qu'on nous a trompés nous-mêmes,
+d'ailleurs ne sommes-nous pas obligés d'accueillir ces mille bruits, ces
+mille riens qui courent la ville, fragiles fantômes, périssables enfants
+du dés&oelig;uvrement, de la fantaisie et de la médisance, nés dans la
+journée pour s'évanouir et disparaître le lendemain au lever de la
+première aurore. Ainsi, nous avons raconté qu'une charmante danseuse
+espagnole, mademoiselle Lola Montès, avait caressé du bout de sa
+cravache un galant irrespectueux; mademoiselle. Lola Montès écrit de
+Berlin que le fait est inexact, et qu'il ne s'agissait que d'un gendarme
+brutal: va donc pour le gendarme; c'est toujours quelque chose.</p>
+
+<p>Nous n'avons pas même la compensation d'un gendarme avec M. Roger de
+Beauvoir; la nouvelle de son mariage, que le bruit courant nous avait
+transmise et que nous avions répétée sans criminelle préméditation, n'a
+aucune espèce de fondement. Nous démentons volontiers, pour l'innocente
+part que nous y avons prise, le fait de ce mariage prétendu, non pas
+pour M. Royer de Beauvoir, qui a trop de goût pour s'être beaucoup
+préoccupé d'un pareil enfantillage, mais pour ceux qui ont cru devoir
+s'en inquiéter à sa place. Que M. Roger de Beauvoir reste donc garçon le
+plus longtemps possible, un des plus aimables et des plus spirituels
+garçons que nous connaissions.</p>
+<br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/003b.png"></p>
+
+<h3>THÉÂTRE ROYAL ITALIEN.</h3>
+
+<h3>Belisario, opera seriasississimo,</h3>
+
+<h4>PAR BERTAL (2).</h4>
+
+<blockquote>Note 2: Voir, pour plus amples renseignements, l'article que
+<i>l'Illustration</i> a déjà publié sur cet opera, à la page 119 du volume
+II, no. 36.</blockquote>
+
+<p class="mid">PERSONNAGES.</p>
+
+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="illustration">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: left;"><br>
+JUSTINIEN, empereur d'Orient,<br>
+BÉLISAIRE, chef suprême de l'armé,<br>
+ANTONINE, femme de Bélisaire,<br>
+IRENE, fille de Bélisaire et d'Antonine.<br>
+ALAMIR, prisonnier de Bélisaire.<br>
+EUTROPE, chef de la garde impériale,<br>
+OTTARIO, chef des Alains et des Bulgares,
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: left;"><br>
+<span class="sc">M. Morelli.</span><br>
+<span class="sc">M. Fornasari.</span><br>
+<span class="sc">Mlle Grisi.</span><br>
+<span class="sc">Mlle Nissen.</span><br>
+<span class="sc"> M. Corelli.</span><br>
+<span class="sc">M. Dalfiori.</span><br>
+<span class="sc">Bonconsiglio.</span>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+<p>Ch&oelig;urs.--Sénateurs, peuple, vétérans, Alains, Bulgares, suivante»
+d'Irène, paysans de l'Hemus.</p>
+
+<p>Comparses.--Garde impériale, prisonniers goths, guerriers grecs,
+pasteurs de l'Hemus.</p>
+
+<p>(La scène se passe partie à Byzance et partir dans le voisinage de
+l'Hemus. L'époque remonte à l'année 580 de l'ère chrétienne. Extrait du
+libretto.)</p>
+
+<h4>Acte 1er.--Le triomphe.</h4>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/003c.png"></p>
+
+<p>Les sénateurs et le peuple célèbrent par leurs chants et leurs v&oelig;ux la
+glorieuse bienvenue de Bélisaire, qui, par son talent et sa bravoure, a
+su rendre Byzance rivale de Rome. Irène, sa fille, et Eutrope, son amie,
+vont aller sur la rive pour le combler de caresses et de l'amour filial.
+Joie du peuple. (Extrait de l'argument.)</p>
+
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/004a.png"></p>
+
+
+<p>La scène ne reste pas longtemps vide. Mademoiselle Grisi, c'est-à-dire
+madame Bélisaire, ayant pour petit nom Antonine, vient la remplir. Un
+lion, qui remonte à l'an 580 de l'ère chrétienne, s'avance à sa
+rencontre; son groom le suit. Ce lion, si élégamment vêtu et décoré,
+c'est Eutrope. «Écoute et frémis! lui crie Antonine d'une voix
+proportionnée à l'ampleur de sa taille et à la circonférence de sa
+bouche.</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/004c.png"></p>
+
+<p>«Mon époux Bélisaire est un parricide, lui dit-elle; je ne puis aimer un
+père qui a abandonné son premier-né aux monstres des forêts ou des eaux,
+et qui a refusé ses cendres à sa mère. Je t'aime, tu m'aimes,
+aimons-nous, et vengeons la mort de mon enfant. Bélisaire mort, je
+t'épouse.--Tout est prêt, répond Eutrope; j'ai ajouté un paragraphe un
+peu <i>chouette</i> à sa dernière lettre. Mais dissimulons.»</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/004b.png"></p>
+
+<p>En effet des clairons retentissent, et l'empereur Justinien ayant fait
+son entrée, va s'asseoir sur son trône pour voir défiler devant lui le
+<i>trionfo di Belisario</i>.--Aussitôt Bélisaire paraît sur un char
+magnifique traîné par le peuple.</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/004d.png"></p>
+
+<p>Il a le front ceint d'une couronne de lauriers; et sous le manteau de
+pourpre on entrevoit son armure dorée. Autour du vainqueur se tiennent
+les prisonniers goths, parmi lesquels se trouve Alamir; les vétérans
+ferment la marche, portant la couronne et le manteau de Vitigas, roi des
+Goths. Le Ch&oelig;ur chante. Quand il a suffisamment faussé, Bélisaire
+demande à Justinien la liberté des prisonniers. L'empereur n'a rien à
+refuser à son général. Il l'embrasse, et tous les assistants se retirent
+sauf Bélisaire et Alamir, «qui, dit l'argument, se sentent des
+sympathies l'un pour l'autre qu'ils ne peuvent s'expliquer.» Ils
+s'adoptent mutuellement pour père et pour fils.</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/004e.png"></p>
+
+<p>Cependant Irène accourt vers son père, qui la prend dans ses bras; mais
+Antonine-Grisi lui tourne le dos avec dégoût, en lui donnant pour excuse
+qu'il vient de fumer une pipe, et qu'elle déteste l'odeur du tabac.</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/004f.png"></p>
+
+<p>Bélisaire ne sait d'abord que penser d'une pareille conduite; il
+commence à y réfléchir sérieusement, quand Eutrope vient l'arrêter avec
+quatre hommes et un caporal, et lui ordonne de le suivre devant...
+l'empereur. Bélisaire paraît surpris de ce manque d'égards; Eutrope le
+lorgne avec l'aisance superbe d'un <i>imprésario</i>; mademoiselle
+Grisi-Antonine se moque de lui par derrière: sa vengeance commence.</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/004g.png"></p>
+
+<p>Aussitôt pris, aussitôt jugé. Accusé de trahison par Eutrope et
+d'infanticide par son épouse, Bélisaire semble frappé de la foudre. Tous
+les assistants font un mouvement de surprise et d'horreur. Le sénat
+condamne le prévenu. Douleur d'Alamir; douleur d'Irène; joue de
+mademoiselle Grisi-Antonine, qui rit à s'en tenir les côtes.</p>
+
+<p>Bélisaire est emmené par les gardes, dit le libretto; Irène et Alamir
+les suivent désolés. Justinien et les sénateurs paraissent bouleversés
+par la douleur.</p>
+
+
+
+<h4>Acte II.--L'Exil.</h4>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/004h.png"></p>
+
+<p>Le peuple et les vétérans gémissent sur le malheureux sort de Bélisaire.</p>
+
+<p>Quand ils ont suffisamment faussé, ils se retirent, et Alamir s'avance
+vers le trou du souffleur.</p>
+
+<p>On vient de lui apprendre que Justinien, imitant l'exemple du prince
+Rodolphe, a fait crever les yeux à son prisonnier.</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/004j.png"></p>
+
+<p>Indigné de la comparaison qu'on pourra faire entre son père adoptif et
+cette infâme canaille, connue sous le nom de Maître d'écale, il jure
+d'exterminer Byzance.</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/004k.png"></p>
+
+<p>Pendant ce temps l'empereur, qui ne se rappelle pas parfaitement bien
+les <i>Mystères de Paris</i>, fait mettre l'aveugle à la porte de sa maison,
+sans lui donner même un Chourineur pour le conduire dans un domicile
+quelconque, il ne lui laisse pour toute fortune qu'une vieille tunique,
+une canne sans pomme d'or et une guitare. Mais Bélisaire est plus
+heureux que le Maître d'école; il possède un chien, et il retrouve sa
+fille, qui se charge de doubler son caniche. Joie mutuelle du père, de
+la fille et du chien, qui chantent un trio.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/004m.png"></p>
+
+<h4>Acte III.--La Mort.</h4>
+
+<p>Bélisaire, toujours aveugle, se promène avec sa fille et son chien sur
+les hauteurs de l'Hémus.--Fatigués, ils se reposent; puis entendant du
+bruit, ils se cachent dans une anfractuosité du rocher. Du sommet de la
+montagne descend une horde d'Alains et de Bulgares conduits par Alamir
+et Ottario, et dessiné d'après le procédé Rouillet.</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/004n.png"></p>
+
+<p>Alamir veut que Bélisaire se mette à la tête des troupes qu'il conduit
+contre Justinien; Bélisaire refuse. Ils se fâchent d'abord, puis ils
+s'expliquent: Alamir est le fils que Bélisaire a jadis abandonné aux
+monstres des forêts et des eaux.</p>
+
+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="illustration">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: center;">
+<pre>
+ io i
+ Che fosse oh qual momenti!
+ ei e
+
+Ils chantent en se tenant embrassés:
+
+ (figlio )
+ Se il (fratel ) stringere.
+ (padre)
+ Mi e dato al seno
+ Pia non desira
+ 3
+ So liet appieno
+ o
+ Tanto del giubilo
+ E in me l'ecceso
+ Che parmi d'essere
+ 3
+ Rapit in cielo!
+ o
+</pre>
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: center;">
+<img alt="" src="images/004o.png"><br><br>
+
+<img alt="" src="images/004p.png">
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+<p>Il y a, dit l'argument, un mouvement sympathique jusque parmi les
+Barbares. Nous renonçons à représenter les effets de leur émotions.
+Retournons maintenant chez Justinien, où va se dénouer ce drame
+intéressant.</p>
+
+<p>«Justinien, dit l'argument, donne des ordres pour la bataille du
+lendemain, lorsque, pâle et échevelée, mademoiselle Grisi-Antonine
+paraît, et vient se reconnaître coupable du mal que l'on a fait
+injustement à Bélisaire.»</p>
+
+<p>Elle étend les bras, lève les yeux au ciel, crie, pleure et ne s'arrache
+pas un seul cheveu. Mais, hélas! à ce moment Bélisaire, «accompagné
+d'une lugubre musique,» est apporté sur une civière par deux messagers
+parisiens; une flèche ennemie l'a tué.</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/004q.png"></p>
+
+<p>Le pauvre homme rend le dernier soupir sans pouvoir chanter la plus
+petite cavatine. Il recommande ses deux enfants à Justinien, qui lui dit
+«ami» d'une voix étouffée et en lui serrant la main.</p>
+
+<p>Silence universel. Mademoiselle Grisi-Antonine reste immobile en
+regardant le corps de Bélisaire; Justinien et le ch&oelig;ur chantent:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> Abborrita dei mortali</p>
+<p class="i14"> Condamnata dall' eterno,</p>
+<p class="i14"> Viva, iniqua, e tutti mali</p>
+<p class="i14"> Prova in terra dell' Averno...</p>
+<p class="i14"> Frema il cielo a te d'intorno...</p>
+<p class="i14"> Nieghi e te la luce il giorno...</p>
+<p class="i14"> Ogui instante di tua vita</p>
+<p class="i14"> Cruda morte sia per te.</p>
+</div></div>
+
+<p>A ces paroles, mademoiselle Grisi veut s'enfuir comme une insensée; mais
+se trouvant auprès du cadavre de Bélisaire, elle pousse un grand cri et
+tombe sur le sol.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/005.png"></p>
+
+<p>Mouvement universel d'horreur!!!!!</p>
+<br><br>
+
+<h2>Académie des Sciences.</h2>
+
+<h4>COMPTE-RENDU DES SÉANCES DES DEUXIÈME ET TROISIÈME TRIMESTRES.</h4>
+
+<p class="mid">I. Sciences médicales.</p>
+
+<p><i>Anatomie et physiologie:</i>--M. Serres a lu à l'Académie une note sur un
+fait très-curieux d'anatomie pathologique observé deux fois seulement,
+en 1829 et en 1843. C'est une modification des nerfs de la vie organique
+et de la vie animale. Tous les rameaux nerveux de l'économie présentent
+dans leur trajet des renflements ganglionnaires ayant la forme et les
+caractères physiques du ganglion cervical supérieur et, chose
+remarquable, les cordons postérieurs des nerfs rachidiens n'en offrent
+pas moins que les cordons antérieurs; la, où n'existent pas de
+ganglions, la branche nerveuse parait tout à fait à l'état normal.</p>
+
+<p>Le nombre de ces ganglions est moins grand sur les filets nerveux du
+grand sympathique que sur les nerfs de la vie de relation, mais il est
+encore assez considérable pour que l'aspect général du réseau nerveux de
+la vie organique soit tout à fait changé. Les nerfs du plexus
+lombo-sacré, le grand sciatique et le pneumo-gastrique sont ceux qui
+présentent cette transformation ganglionnaire au plus haut degré. Les
+sciatiques, au sortir du bassin et dans tout leur trajet, ont le volume
+de l'humérus; les pneumo-gastriques, au sortir du crâne, le long du cou
+et dans le thorax, ont deux fois le volume du grand sciatique à l'état
+normal; tous ces nerfs sont parsemés de bosselures formées par les
+ganglions.</p>
+
+<p>Sur le sujet de la première observation faite en 1829, on a compté
+environ cinq cents du ces ganglions. Celui de 1843 en offrait plus
+encore. Dans les deux cas la structure de l'axe cérébro-spinal n'offrait
+aucune trace d'altération.</p>
+
+<p>Cet état pathologique si remarquable, et qui n'a pas encore été décrit,
+a été observé sur deux jeunes gens de vingt-deux à vingt-trois ans,
+morts tous deux de fièvre typhoïde. Le premier vitrier ambulant, courait
+encore les rues quelques jours avant son entrée à l'Hôtel-Dieu; le
+second n'a offert aucun symptôme nerveux pendant les quelques jours qu'a
+duré sa maladie.</p>
+
+<p>M. Serres a promis de communiquer le résultat des recherches anatomiques
+et microscopiques qu'il se propose de faire sur la structure de ces
+ganglions. Il désigne cette modification des nerfs par le nom de
+<i>névroplastie</i>, dénomination qui nous semble laisser quelque chose à
+désirer comme exactitude; peut-être, quand on saura bien ce que c'est
+que ces ganglions, pourra-t-on trouver un terme plus précis.</p>
+
+<p>«De l'Allantoide de l'homme,» tel est le sujet d'un autre, mémoire que
+M. Serres a communiqué à l'Académie dans la séance du 12 juin. Des
+recherches commencées en 1828 sur des embryons humains de quinze à
+vingt-cinq jours ont amené M. Serres à conclure que l'allantoide existe
+dans les enveloppes de l'&oelig;uf humain comme dans celui des autres
+vertébrés, qu'elle est pyriforme chez l'homme comme chez les rongeurs,
+que d'abord indépendante des autres membranes, elle s'unit ensuite avec
+le chorion et fait communiquer par anastomose ses vaisseaux avec ceux
+des villosités pour donner naissance au placenta; qu'enfin son existence
+comme membrane distincte paraît cesser chez l'embryon humain du
+quinzième au vingt-cinquième jour de la conception.</p>
+
+<p>Ces propositions ont été très-longtemps un sujet de discussion pour les
+anatomistes; mais le fait principal qu'elles expriment n'avait jamais
+été avancé d'une manière aussi positive; aussi faudrait-il reconnaître
+avec M. Dutrochet que la découverte de ce point fondamental en anatomie
+est due à M. Serres, si les pièces présentées à l'appui pouvaient faire
+passer dans l'esprit de tout le monde la conviction qu'elles ont amené
+chez ces deux habiles anatomistes.</p>
+
+<p>M. Velpeau, à qui d'excellents travaux sur l'embryogénie donnent une
+grande autorité en pareille matière, a émis des doutes sur la valeur des
+pièces anatomiques examinées par lui dans le laboratoire du Muséum. Ses
+objections ont fait naître une discussion qui, portant sur des points
+très-délicats et sur des faits observés rarement, ne pouvait avoir un
+résultat bien positif. L'un et l'autre académicien parlait <i>de visu</i>, et
+cependant tous deux restaient fermes dans des opinions diamétralement
+opposées. Toutefois M. Velpeau, dans sa réplique, a posé les faits d'une
+manière si lucide et si logique, que les affirmations contraires de son
+collègue n'ont pu faire cesser le doute.</p>
+
+<p>En discutant ainsi franchement cette question importante, M. Velpeau
+nous semble avoir rendu un grand service à la science. Il est dangereux
+pour les meilleurs esprits de ne rencontrer jamais d'opposition; on
+s'habitue alors à ne pas se discuter soi-même, et l'on se laisse
+quelquefois entraîner à prendre l'analogie pour l'identité.</p>
+
+<p>M. Flourens, dans une note fort intéressante, développe les recherches
+anatomiques qu'il a faites sur la structure de la peau chez des peuples
+diversement colorés. Il a trouvé chez le Maure, l'Arabe, le Kabyle, le
+Nègre, sur un insulaire de l'Océanie chez les Indiens rouges de
+l'Amérique, la membrane pigmentaire rendue bien évidente par sa
+coloration; il l'a vue également, mais décolorée, dans la race blanche,
+sauf sur quelques points du corps, comme, par exemple, l'auréole du
+mamelon. Ces faits, depuis longtemps acquis à la science, et que
+confirment les observations nouvelles de M. Flourens, ont amené ce
+physiologiste à conclure que la race humaine était primitivement une. M.
+Flourens considère cette proposition comme prouvée par l'étude de la
+peau et s'engage à le prouver dans un autre mémoire, par l'étude du
+squelette, et surtout par celle du crâne.</p>
+
+<p>La première preuve ne nous semble pas tout à fait concluante. Le
+pigmentum existe chez toutes les races d'hommes, comme certains
+caractères sont communs à plusieurs races d'animaux distinctes, quoique
+faisant partie d'un même ordre; mais jamais on n'a vu le développement,
+ou, si l'on veut, la coloration du pigmentum dépasser certaines limites
+pour chaque race. Il est douteux que l'étude anatomique et microscopique
+démontrât l'identité de coloration pigmentaire entre les métis, quelque
+blancs qu'ils soient, et les anciennes familles créoles dont le sang est
+resté pur; et pour parler de peuples en expérience depuis longtemps,
+l'Arabe et le Portugais, le fellah d'Alexandrie et le Turc sont basanés
+à des degrés divers; enfin, à latitude égale, l'Indou du cap Comorin,
+l'Américain de la Colombie ne sont pas colorés comme le nègre de Guinée.</p>
+
+<p>La persistance de la forme dans les os de la face chez les différentes
+races après un certain degré de modification dû au mélange du sang, nous
+paraît devoir rendre plus difficile encore la preuve, par le squelette,
+de l'unité essentielle des races humaines. Au reste, cette grande
+question des races est douteuse, même pour les meilleurs esprits, et ne
+sera probablement jamais résolue. Chez l'homme comme chez quelques
+autres mammifères, il est difficile, sinon impossible, de diviser
+anatomiquement le genre ou la race proprement dite, bien que l'on n'y
+puisse méconnaître des variétés incontestables et sur l'origine
+desquelles on reste sans aucune indication positive.</p>
+
+<p>Des expériences très-curieuses et faites avec un soin remarquable sur
+les fonctions de la moelle épinière et de ses racines sont l'objet d'un
+mémoire de M. Dupré. Ce physiologiste, en amenant à guérison des animaux
+sur lesquels il avait coupé les racines antérieures ou postérieures des
+nerfs, a pu observer le mouvement conservé dans un membre où la
+sensibilité était abolie, et <i>vice versa</i>. M. Dupré n'a pu obtenir la
+guérison des plaies graves nécessitées par ses expériences, que sur des
+grenouilles; il a vu constamment les animaux d'un ordre supérieur, comme
+lapins, chats, etc., succomber aux accidents traumatiques. Aux
+observations purement physiologiques sont jointes, dans son travail, des
+remarques intéressantes sur les effets pathologiques des vivisections.</p>
+
+<p>M. Dumas, l'un des adversaires de M. Liebig dans la question de la
+formation des graisses, a fait avec M. Milne-Edwards des recherches sur
+la production de la cire des abeilles. Swammerdam, Maraldi, Réaumur,
+pensaient que l'abeille, recueillant la cire toute faite dans les
+plantes, n'avait plus qu'à l'élaborer et la pétrir pour en former ses
+alvéoles. Hunter, et plus tard Huber, avaient dit que la cire suintait
+des parois d'un certain nombre de poches glandulaires situées dans
+l'abdomen de l'insecte, et s'y amassait sous forme de lamelles. Huber
+ayant renfermé des abeilles dans une ruche sans issue, et ne leur
+fournissant pour toute nourriture que du miel et du sucre, avait vu les
+ouvrières captives continuer à construire des gâteaux. Un homme que le
+corps médical s'honore de compter dans ses rangs, M. Bretonneau, avait
+vu à Chenonceaux, en 1817, des abeilles mises en expérience avec toute
+la précision que ce savant apporte à ses travaux, et nourries avec une
+solution aqueuse de sucre blanc, construire des gâteaux d'une cire
+très-blanche. Enfin l'expérience d'Huber, répétée dernièrement par M.
+Grundlach de Cassel, lui avait donné les mêmes résultats qu'à
+l'entomologiste de Genève, et il en avait conclu, comme son illustre
+devancier, que l'abeille a la faculté de transformer le sucre en cire.</p>
+
+<p>M. Liebig trouvait dans ces observations, un des arguments les plus
+forts en faveur de la production des substances graisseuses par les
+animaux.</p>
+
+<p>MM. Humas et Milne-Edwards ont repris l'expérience d'Huber, et pour la
+rendre tout à fait précise, ils ont constaté la quantité de graisse
+préexistante dans le corps des abeilles soumises au régime saccharin,
+l'ont comparée à celle de la cire produite, et ont examiné ensuite si,
+durant le cours de l'expérience, les animaux n'avaient pas maigri.</p>
+
+<p>Une première expérience, pendant laquelle les abeilles furent nourries
+avec de la cassonade de sucre, donna des résultats douteux. On mit
+alors en expérience quatre essaims auxquels on donna pour nourriture du
+miel, après s'être I assuré de la quantité de cire contenue dans cette
+substance alimentaire. Trois de ces essaims ne produisirent point de
+cire; mais la quatrième donna les résultats suivants:</p>
+
+<pre>
+Le total des matières grasses préexistantes dans le corps de
+chaque abeille, ou fournies à ces insectes pendant l'expérience,
+est, en moyenne, d'environ 0,0022 gr.
+
+Pendant le cours de l'expérience, chaque ouvrière
+a produit de la cire dans en proportion de 0,0064 gr.
+et après cette production, en contenait encore,
+dans ses divers organes, 0,0012 gr.
+
+Total de la cire produite par chaque abeille sous
+l'influence d'une alimentation de miel pur: 0,0106 gr.
+</pre>
+
+<p>MM. Dumas et Milne-Edwards se proposent de répéter cette expérience sur
+une plus grande échelle, quand la saison le permettra.</p>
+
+<p>Ce mémoire a provoqué de la part de M. Payen quelques objections qui ne
+semblent pas toutes également solides MM. Dumas et Boussingault
+n'étaient pas présents. M. Milne-Edwards, après avoir répondu aux
+objections de M. Payen, est tombé d'accord avec lui sur ce que la
+transformation du miel en cire par les abeilles ne détruit pas le fait
+de la nécessité d'une alimentation grasse pour l'engraissement des
+animaux et notamment des mammifères. M. Thénard a présenté des
+observations conciliatrices. M. Flourens a bien cité le fait de certains
+ours du Jardin-des-Plantes qui, depuis deux ans, ne mangent que du pain,
+et engraissent beaucoup sous l'influence de ce régime; mais ce n'était
+pas entre les physiologistes, qu'il devait y avoir discussion ce
+jour-là; d'ailleurs les parties belligérantes n'étaient pas au complet,
+et elles sont rentrées pacifiquement dans leurs camps, laissant la noble
+arène à d'autres adversaires dont il ne nous appartient pas d'apprécier
+ni de reproduire les arguments.</p>
+
+<p>Nous ajouterons, pour compléter l'état actuel de la question, que M.
+Léon Dufour, dans la séance du 16 octobre, a rendu compte de recherches
+anatomiques faites par lui pour reconnaître les poches glandulaires
+indiquées par Hunter comme faisant suinter ou sécrétant la cire chez
+l'abeille. M. Léon Dufour a scrupuleusement disséqué trente abeilles sans
+rien rencontrer qui ressemble à cet organe admis par Hunter et Huber. Ce
+fait négatif d'anatomie est tout à fait digne d'attirer l'attention des
+naturalistes; au reste, fut-il confirmé, il en résulterait seulement que
+l'organe sécréteur de la cire est encore à trouver, mais cela ne
+prouverait rien contre le fait positif de la sécrétion de la cire. Enfin
+MM. Bouchardat et Sandras ont présenté et lu à l'Académie, dans les
+séances du 26 juin et du 14 août, un travail qui a pour titre:
+<i>Recherches sur la digestion et l'assimilation des corps gras...</i>
+Suivant ces deux habiles observateurs, les huiles et les graisses
+seraient absorbées par les vaisseaux chylifères, et fourniraient un
+chyle abondant, tandis que la cire, absorbée en très-petite quantité, se
+retrouverait presque en totalité dans les excréments.</p>
+
+<p><i>(La suite à un prochain numéro.)</i></p>
+<br><br>
+
+<h2>Accident du 10 novembre sur le chemin de fer de Versailles (rive
+droite).--Différents systèmes proposés pour prévenir les accidents.</h2>
+
+<p>Il y a peu de temps, <i>l'Illustration</i> mettait sous les yeux de ses
+lecteurs des relevés statistiques d'accidents arrivés sur les chemins de
+fer, tant en France qu'à l'étranger (p. 71, t. II); son but était de
+rassurer les esprits timorés, en leur prouvant que les sinistres étaient
+moins fréquents dans le nouveau mode de locomotion que dans l'ancien, et
+elle signalait notamment que plusieurs morts n'étaient dues qu'à
+l'imprudence même des victimes. L'accident arrivé le 10 novembre sur le
+chemin de fer de la rive droite a ajouté un nouvel exemple à ceux que
+nous avions donnés des funestes effets que peut encore produire la
+crainte sur les hommes mêmes les plus exercés à la vie et aux allures
+des chemins de fer.</p>
+
+<p>Le 10 novembre, le convoi parti de Paris pour Versailles à huit heures
+du matin se trouvait sur un remblai de huit à dix mètres d'élévation
+entre Sèvres et Chaville, et à l'entrée d'une courbe, lorsque la
+locomotive, animée d'une vitesse ordinaire, sortit des rails, en
+traînant après elle son tender, le wagon à bagages, qui, d'après les
+prescriptions de l'administration, doit toujours séparer l'appareil
+moteur des voitures des voyageurs et le premier wagon de voyageurs. La
+locomotive arrivée au bord du remblai se renversa, et sa cheminée
+pénétra même de quelques centimètres dans le talus; dans ce moment le
+feu se renversa et l'incendie du 8 mai aurait pu avoir un triste
+pendant, si en même temps l'eau contenue dans la locomotive n'était
+venue l'éteindre. Le tender fut également renversé sur le remblai, et le
+wagon à bagages, brisé en mille pièces, vint couvrir de ses débris la
+locomotive et le tender.</p>
+
+<p>Le lendemain de l'événement, l'appareil moteur était encore couché sur
+le talus, et des ouvriers travaillaient à faire une tranchée pour le
+dégager. Tel est le sujet du dessin qui a été pris sur les lieux par un
+des dessinateurs de <i>l'Illustration</i>, et que nous offrons aujourd'hui à
+nos lecteurs.</p>
+
+<p>Le premier wagon de voyageurs qui suivait le wagon à bagages, entraîné,
+sortit également des rails, mais heureusement la chaîne d'attache fut
+brisée, et le wagon, au lieu de se précipiter en bas du remblai, se
+renversa en travers de la voie. Le second wagon fut également déraillé,
+mais il resta debout sur le chemin. Quant à la berline et aux trois
+wagons qui la suivaient, tous restèrent sur les rails.</p>
+
+<p>Les premières victimes de cet accident devaient être le mécanicien et le
+chauffeur: le mécanicien eut en effet, l'épaule démise; mais, par un
+hasard providentiel, le chauffeur n'eut que quelques contusions
+insignifiantes.</p>
+
+<p>Les employés de l'administration du chemin de fer qui étaient dans le
+wagon à bagages eurent également quelques contusions. Quant au
+conducteur qui se trouvait sur l'impériale du wagon de voyageurs, en
+voyant le convoi dérailler, il se précipita sur la voie, et se fit à la
+tête une profonde blessure, à laquelle il succomba le lendemain.</p>
+
+<p>Le seul voyageur qui ait été blesse se trouvait dans le wagon renversé
+en travers des rails; il eut le genou broyé et la cuisse grièvement
+endommagée. Tous les autres voyageurs sortirent des wagons sains et
+saufs.</p>
+
+<p>Maintenant, à quoi attribuer ce déraillement? Les recherches et les
+investigations des ingénieurs ont fait découvrir, à 40 mètres environ du
+lieu du sinistre, des coussinets brisés et un frottement considérable
+sur les rails. Une des roues de devant de la locomotive a une partie de
+son bourrelet déchirée et enlevée en quelques endroits. On présume que
+ce bourrelet ayant été brisé, la locomotive s'est maintenue sur la voie
+tant qu'elle a été en ligne droite, mais qu'au commencement de la
+courbe, suivant toujours l'impulsion en ligne droite, la roue aura
+marché quelque temps sur le rail, puis sur la terre, jusqu'au bord du
+remblai où la machine a été culbutée.</p>
+
+<p>Quant aux causes qui ont pu amener les lésions du bourrelet, elles ne
+peuvent provenir, à notre sens, que d'un défaut de fabrication ou
+d'incurie dans la surveillance du matériel.</p>
+
+<p>Pour ceux de nos lecteurs qui ne connaissent pas la construction d'une
+roue de locomotive, nous pouvons leur en donner une idée succincte.</p>
+
+<p>Une roue se compose de quatre parties distinctes: le moyeu, les rais, la
+jante et la frette: le moyen et la jante sont en fonte, les rais et la
+frette en fer forgé. On fabrique d'abord les rais, qu'on place, enduits
+à chacune de leurs extrémités d'une couche de borax, dans le moule où
+l'on doit couler les deux pièces qu'ils relient; on coule alors le moyeu
+et la jante à des intervalles différents, pour éviter les effets d'un
+refroidissement inégal, et quand la roue sort du moule, les trois parties
+font corps ensemble. Quant à la frette, elle est, comme nous l'avons
+dit, en fer battu et armée d'un bourrelet conique sur une de ses faces
+et vertical sur l'autre; on l'applique à chaud sur la jante; elle se
+contracte en refroidissant de manière à serrer fortement l'ensemble de
+la roue; on la fixe alors à la jante par des boulons à têtes noyées.</p>
+
+<p>D'après ce qui précède, on voit que la rupture du bourrelet ne peut être
+attribuée qu'à un défaut de fabrication, si la roue, était neuve ou si
+le défaut était caché; ou, dans le cas contraire, et en supposant le
+défaut visible, au manque du surveillance. C'est ce que l'enquête à
+laquelle se livrent en ce moment les hommes de l'art fera connaître
+avant peu.</p>
+
+<p>Chaque fois qu'un événement comme celui dont nous entretenons nos
+lecteurs arrive, on se demande avec effroi quelles sont les précautions
+à prendre pour combattre la puissance aveugle qui entraîne après elle
+ces masses énormes; on veut savoir si tout a été fait pour prévenir les
+accidents, s'il ne serait pas possible de dominer la matière au point de
+la rendre, pour ainsi dire, intelligente, et d'éloigner pour toujours
+les chances de mort auxquelles s'exposent les voyageurs en empruntant ce
+nouveau genre du locomotion. Eh bien! nous devons le dire, dans cette
+science, née d'hier, beaucoup d'améliorations sont encore à désirer,
+beaucoup de problèmes sont encore à résoudre. D'un autre côté, il
+existe, sur certains chemins de fer, des appareils de sûreté qui ne se
+retrouvent pas sur d'autres, et dont l'usage devrait cependant être
+conseillé et imposé, au besoin, à ces compagnies. Les causes d'accidents
+sont de plusieurs espèces; les principales sont les déraillements, les
+collisions et les ruptures d'essieu; quant aux explosions de machines
+locomotives, elles sont excessivement rares, et n'arrivent, pour ainsi
+dire, que par la négligence du mécanicien. En effet, les tôles de la
+chaudière, qui n'ont guère que 4 à 5 atmosphères à supporter, sont de
+force à résister à 8 ou 10 atmosphères; la production de vapeur suit la
+vitesse de marche, puisque c'est le jet de vapeur dans la cheminée de la
+locomotive qui active la combustion, et, par suite, la vaporisation de
+l'eau; quand la machine est au repos, le foyer est très-peu actif, et la
+vapeur formée se rend dans le tender pour échauffer l'eau
+d'alimentation.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/006.png"></p>
+
+<p>Les collisions entre deux convois ne peuvent être prévenues que par une
+bonne administration; le choc est pour ainsi dire inévitable, surtout
+quand les deux trains qui s'avancent l'un sur l'autre sont séparés par
+des courbes en tranchée, qui les empêchent de se voir. Il faut, en
+effet, un temps plus ou moins long pour arrêter un convoi, et ce temps
+dépend de la vitesse et de la masse du convoi, et de la puissance de la
+locomotive. Ainsi, le calcul démontrera que pour un convoi composé de
+vingt-une voitures, dont trois armées de freins et de deux locomotives,
+comme était le convoi du 8 mai 1842, sur le chemin de fer de Versailles
+(rive gauche), l'espace nécessaire pour arrêter le convoi, en serrant
+instantanément tous les freins et en renversant la vapeur, était de 160
+mères; mais entre le moment où les convois s'aperçoivent et celui où
+tous les moyens d'arrêt sont employés, il y a un certain temps pendant
+lequel les convois continuent à se rapprocher. On voit donc que pour
+éviter une collision, il faut que les convois s'aperçoivent de
+très-loin.</p>
+
+<p>La rupture des essieux est un des accidents les plus graves qui puissent
+avoir lieu sur les chemins de fer. La commission créée par le ministre
+des travaux publics, après le fatal événement du 8 mai, pour rechercher
+les moyens de sûreté applicables aux chemins de fer, s'est entourée de
+tous les documents relatifs à cet objet, a entendu une foule
+d'industriels et d'inventeurs; mais rien n'a encore transpiré du
+résultat de ses délibérations. Toutefois, nous devons dire que prétendre
+arriver à fabriquer un essieu qui ne se rompe jamais, nous paraît une
+utopie. Ce qu'il faut chercher, ce sont les moyens de sauvetage à
+appliquer quand la rupture de l'essieu se manifeste. Ces moyens de
+sûreté eux-mêmes ont été l'objet d'une foule de communications à la
+commission dont nous venons de parler; nous ne croyons pas exagérer en
+portant à <i>trois cents</i> le nombre des inventeurs qui, tous animés, nous
+le reconnaissons, d'excellentes intentions, mais montrant une tendresse
+bien naturelle pour le fruit de leurs veilles et de leur imagination, se
+sont présentés à cette commission avec des moyens <i>infaillibles</i> de
+sauvetage reconnus, après examen, impraticables ou dangereux. Le nombre
+seul de ces inventions, qui ont trait au même objet, et qui tournent
+dans un même cercle assez restreint, est un indice certain de la
+difficulté de la matière, et doit rendre extrêmement circonspects les
+hommes de l'art dont l'industrie attend le jugement. La commission n'a
+donné encore publiquement son approbation qu'à deux systèmes de sûreté:
+l'un, de M. Locart, ingénieur du chemin de fer de Saint-Étienne à Lyon;
+l'autre, de M. Chaussenot, ingénieur mécanicien à Paris; elle a demandé
+l'insertion de leurs mémoires dans les <i>Annales des ponts-et-chaussées</i>.</p>
+
+<p>Nous espérons être, avant peu, à même d'offrir à nos lecteurs les
+dessins détaillés de ces divers systèmes; disons seulement aujourd'hui
+que celui de M. Locart est en usage depuis longtemps déjà sur le chemin
+de fer auquel il est attaché comme ingénieur. Il consiste en un appareil
+de décrochage qui sépare instantanément la locomotive et son tender du
+reste du convoi. On conçoit qu'avec cet appareil le danger du
+déraillement est de beaucoup diminué, et l'expérience a prouvé en effet
+l'efficacité de ce système, qui maintes fois a prévenu de grands
+malheurs sur le chemin de Saint-Étienne. Nous reviendrons avec détail
+sur cet ingénieux appareil.</p>
+
+<p>Qu'il nous soit permis, en finissant, de renouveler la recommandation
+que nous avons déjà, faite de ne jamais essayer, quel que soit
+l'accident qui arrive, de sortir des wagons tant qu'ils sont en marche.
+Le corps du voyageur est animé de la même vitesse que le convoi; ainsi,
+tout immobile qu'il est sur sa banquette, libre de ses mouvements et ne
+ressentant ni élan ni fatigue, il n'en a pas moins une vitesse de 8, 10
+ou 12 lieues à l'heure. Il renferme donc une grande puissance accumulée,
+ou une grande <i>force d'inertie</i>. (La <i>force d'inertie</i> est le travail
+qu'il faut dépenser pour animer un corps d'une certaine vitesse, ou bien
+le travail qu'il faut enlever à ce corps pour amortir sa vitesse.) Ainsi
+un voyageur pesant 80 kilogrammes, dans un convoi qui fait 56 kilomètres
+à l'heure ou 10 mètres par seconde, a une force d'inertie représentée,
+par 407 kilogrammètres. On entend par kilogrammètre un poids d'un
+kilogramme élevé à un mètre. Le <i>cheval vapeur</i>, considéré comme unité
+dynamique, équivaut à 75 kilogrammètres, ou à 75 kilogrammes élevés à 1
+mètre en une seconde. D'où il suit que les 407 kilogrammètres qui
+constituent la force d'inertie accumulée dans le corps d'un homme placé
+dans les conditions énoncées plus haut, équivalent à une force de 5
+chevaux et un tiers. Qu'on juge, d'après cela, du choc épouvantable
+qu'occasionne le brusque amortissement de cette force vive, et en effet,
+presque aucun de ceux qui se sont ainsi précipités hors des wagons n'ont
+échappé à la mort.</p>
+
+<br><br>
+
+<h2>Histoire de la Semaine.</h2>
+
+<p>La France, cette semaine, nous fera peu parler d'elle. Dans les régions
+du pouvoir et de la politique on se repose, pour ne pas dépenser une
+activité et une force dont on prévoit qu'on aura besoin quand les
+Chambres seront réunies. Les seuls actes que les journaux aient
+enregistrés sont des mutations dans nos ambassades depuis longtemps
+annoncées. Les ordonnances qui envoient M. le comte Bresson à Madrid, M.
+le comte de Salvaudy à Turin, M. le marquis de Dalmatie à Berlin, ont
+enfin paru. Le ministère a également pris le parti de donner un
+successeur à M. le comte de Ratti-Menton, auquel sa sortie sauvage
+contre un autre agent français a donné récemment une fâcheuse célébrité.
+C'est M. Lefèvre-Debecourt, dont les services antérieurs à la Plata ont
+été fort diversement appréciés, qui va aller occuper notre consulat
+général, aujourd'hui si important, de l'Indo-Chine. Enfin, si l'on en
+croît la <i>Gazette d'Augsbourg</i>, qui sait assez souvent d'avance ce qui
+se prépare à l'hôtel de la rue Neuve-des-Capucines, M. Mortier, notre
+ministre en Suisse, serait, sur sa demande, mis en disponibilité, et
+remplacé par M. de Bourqueney, qui remettrait à un autre chargé
+d'affaires l'intérim de M. de Pontois.--Il nous est pénible d'avoir à
+mentionner une autre mesure sur laquelle, espérons le, le ministère,
+mieux inspiré, reviendra. De pauvres Italiens, fuyant les sévices que le
+gouvernement papal, mal conseillé, avait résolu d'exercer contre eux,
+étaient venus chercher un refuge dans la Corse, qui leur rendait le
+soleil et la langue de leur patrie. Au moment où les feuilles anglaises
+et les feuilles allemandes annoncent que si les forces autrichiennes et
+piémontaises interviennent dans les légations, ce ne sera qu'à la
+condition que le pape prendra l'engagement de réformer bon nombre des
+abus administratifs dont ses sujets se plaignent, les réfugiés romains
+viennent de recevoir du ministre de l'intérieur l'ordre de quitter la
+Corse et d'interner à Châteauroux. Nous n'avons nullement l'intention de
+médire du chef-lieu du département de l'Indre; mais, en vérité, pour des
+Italiens, y être conduits à l'entrée de l'hiver, c'est être exilés en
+Sibérie.--M. le duc et madame la duchesse de Nemours, sur l'invitation
+pressante de la reine d'Angleterre, sont allés rendre à cette princesse
+la visite qu'elle est venue faire au château d'Eu pendant qu'ils étaient
+au camp de Bretagne. La coïncidence du voyage du futur régent avec celui
+du prétendant a donné lieu, dans quelques journaux, à beaucoup de gloses
+et de commentaires. Tout ce qu'il en faut conclure, c'est qu'en même
+temps que l'un voyage pour se distraire, l'autre voyage pour se
+consoler; et que l'Angleterre croit, avec raison, faire preuve de bon
+goût en se montrant bienveillante et empressée aussi bien envers le
+malheur qu'envers la fortune.</p>
+
+<p>Il vient de se former à Birmingham une <i>Union nationale</i>, ou
+confédération générale de toutes les classes, pour rendre les ministres
+de la couronne légalement responsables de la misère du peuple. Son
+manifeste, rédigé par un ancien membre de la Chambre des Communes, M.
+Thomas Atwood, a été immédiatement couvert de milliers de signatures.
+Chaque jour semble amener un embarras nouveau au ministère de sir Robert
+Peel. Les échecs et les ennuis se succèdent pour lui sans interruption.
+Il voyait, il y a peu de jours, la Cité envoyer au parlement un candidat
+autre que le sien; une nouvelle législation sur les céréales lui est
+demandée avec une insistance fort incommode, par les journaux mêmes qui,
+hier encore, lui semblaient tout dévoués; enfin, aujourd'hui, 16,000
+unionistes, rassemblés en quelques heures, disent dans une proclamation
+adressée au peuple: «Nous appelons à nous toutes les classes laborieuses
+du royaume. Amis, compatriotes et frères, notre plan est placé devant
+vous. Les difficultés, les dangers d'accumulent autour de nous... Vous,
+électeurs et non électeurs, qui souffrez de l'oppression commune; vous,
+marchands, manufacturiers et commerçants, qui travaillez malgré tant de
+difficultés; vous, propriétaires et fermiers, qui possédez encore
+quelque chose, mais qui voyez votre ruine inévitable; vous, capitalistes
+et rentiers, dont les revenus diminuent chaque jour, et dont les
+propriétés, mises dans la balance, sont plus légères que la misère et le
+mécontentement publics; et vous, honnêtes mais malheureux ouvriers et
+laboureurs, l'orgueil, la gloire et la force de notre pays, nous vous
+appelons de toutes nos forces, venez à nous et aidez-nous dans la grande
+&oelig;uvre de sauver notre pays de la destruction.»--Ce n'est pas en portant
+ses yeux sur l'Irlande que le ministère anglais peut les reposer
+agréablement. La déclaration de <i>true bill</i> par le premier jury, devant
+lequel ont comparu O'Connell et les autres chefs du repeal, n'a pas
+produit plus d'effet que nous ne l'avions prévu; et quelque soin qu'on
+eût apporté à la composition du jury, on a su que les poursuites avaient
+trouvé des contradicteurs dans son sein. Il est évident qu'elles en
+trouveront bien davantage dans le jury définitif, dont la liste ne sera
+pas dressée sans un examen sévère et une intervention active de la part
+des inculpés et de leurs conseils. En ce moment même, on se débat pour
+l'accomplissement de ces formalités préliminaires.--Demain dimanche, 19
+novembre, aura lieu une épreuve étrangère au procès, mais qui donnera la
+mesure de l'intérêt qu'y porte la population irlandaise. Une quête
+générale sera faite dans tout ce malheureux royaume pour le tribut
+annuel et volontaire payé à O'Connell. Cette souscription lui est
+entièrement destinée, et est indépendante de celle qu'on appelle la
+<i>rente, du rappel</i>, et qui se perçoit hebdomadairement. La souscription
+destinée à former la liste civile d'O'Connell date de 1831, et n'est
+ouverte qu'une fois l'an:</p>
+
+<pre>
+ En 1831, elle a été de 26,000 liv. st. (environ 660,000 fr.)
+
+ -- 1832, -- 12,535 -- ( -- 315,000 --)
+
+ -- 1833, -- 13,903 -- ( -- 350,000 --)
+
+ -- 1835, -- 20,189 -- ( -- 515,000 --)
+
+
+</pre>
+
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/007a.png"><br>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;<b>Le général Narvaez.</b></p>
+
+<p>L'année dernière, elle n'a été que de 10,500 liv. st., (265,000 fr.
+environ). En général, le chiffre a suivi le mouvement de l'agitation;
+élevé quand elle a été vive, il est redescendu quand la lutte a été
+moins engagée, mais jamais le tribut n'a manqué. Tous les ans, après que
+les souscriptions ont été recueillies dans les diverses paroisses, le
+chiffre en est livré à la publicité.--Les nouvelles d'Espagne sont de
+jour en jour plus déplorables: ce n'est plus assez de la guerre civile
+et des expédients anticonstitutionnels, les partis y procèdent
+maintenant par l'assassinat. L'attention a été détournée de la
+soumission de Saragosse, de la sortie d'Avetler de Girone, de la mise en
+état de siège de Saint-Jacques-de-Compostelle, de conspirations
+découvertes à Cordoue et à Algésiras, de la situation de Barcelone,
+autour de laquelle les forces des assiégeants s'accumulent, et où les
+insurgés songent, dit-on, à capituler, tout cela a été oublié pour ne
+songer qu'à la tentative d'assassinat commise à Madrid sur le général
+Narvaez. Le 6, la reine assistait à la représentation que donnait le
+théâtre du Cirque; le général s'y rendait.
+<span class="lef"><img alt="" src="images/007b.png"><br>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;<b>Le roi des Belges.</b></span>
+
+ Au moment où sa voiture,
+longeait le portail de l'église Porta-Celi, rue de la Lune, de nombreux
+coups de fusil ont été tirés par des hommes embusqués et qui attendaient
+son passage. Les assassins, tous en manteaux et chapeaux ronds, à
+l'andalouse, prirent la fuite dans diverses directions. Le général n'a
+point été atteint, mais il a été couvert du sang de son aide-de-camp,
+mortellement blessé, et d'un jeune homme qui l'accompagnait également,
+et qui a été atteint à la tête d'une légère blessure. Les troupes
+furent, par les ordres de Narvaez, immédiatement mises sous les armes,
+et le général se rendit ensuite au Cirque dans la loge de la reine, pour
+tranquilliser Sa Majesté et se montrer au public. Cet attentat ne
+pouvait qu'attirer sur lui de l'intérêt et rendre plus difficile le rôle
+de l'opposition. Le lendemain, le général s'est promené par la ville
+dans sa voiture criblée de balles, et le 8, les deux Chambres réunies,
+ce qu'il est assez difficile d'expliquer constitutionnellement, ont
+déclaré la majorité de la reine à une majorité de 193 voix contre une
+minorité que cet événement avait réduite à 16 membres. Avant la
+tentative criminelle et l'état de réaction produit sur les esprits, M.
+Cortina, candidat des progressistes, avait obtenu,
+
+<span class="rig"><img alt="" src="images/007c.png"><br>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;<b>La reine des Belges et le Prince royal.</b></span>
+
+pour la présidence de la Chambre des Députés, 49 voix; M. Olozaga en
+avait réuni 66, mais après avoir déclaré qu'il ne comprendrait pas un
+cabinet qui ne réunirait pas les chefs des deux opinions. En proclamant
+le résultat du scrutin sur la majorité de la reine, M. Olozaga a dit:» A
+dater de ce jour, le régime constitutionnel doit commencer à être une
+vérité en Espagne.» Ce mot est un aveu contre le passé; nous voudrions
+qu'il fût une garantie pour l'avenir. La reine a prêté son serment le
+surlendemain, devant les deux corps législatifs rassemblés dans la salle
+du Sénat. Toutefois, ces événements n'ont point conjuré la crise
+ministérielle, et M. Lopez persiste dans sa détermination d'abandonner
+son portefeuille.--Le général Coletti, ancien ambassadeur de Grèce à
+Paris, dont les sentiments patriotiques inspirent une grande confiance à
+ses compatriotes, est débarqué le 30 octobre au Pirée; son arrivée a
+excité l'enthousiasme des Athéniens, et a donné lieu à une ovation. Le
+général n'a pu se rendre qu'avec difficulté, au travers d'une foule
+compacte; et dans la joie, du port à sa demeure. Les élections sont
+favorables aux constitutionnels. Sur 225 dont se doit composer
+l'assemblée, les nappistes ne comptent que 90 voix, les partisans du
+mouvement de septembre en ont réuni 135.--On a reçu, par la voie de
+l'Angleterre, des nouvelles de Montevideo jusqu'à la date du 21 août.
+Oribe et le consul de France ont eu une conférence dans laquelle ils ont
+arrêté qu'aucun Français ne serait inquiété pour le passé; qu'on ne
+pourrait pénétrer dans le domicile d'un Français qu'en vertu d'un ordre
+écrit de l'autorité supérieure; qu'enfin, si Montevideo était pris
+
+d'assaut, notre pavillon serait un signe de protection, et qu'on
+donnerait des passeports à ceux de nos nationaux qui en demanderaient;
+on n'en compte pas moins de 24,000 dans ces parages. Les mouvements des
+deux armées ennemies n'avaient encore abouti à aucun résultat.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/008.png"><br><b>Ouverture des Chambres belges, le 14 novembre.</b></p>
+
+<p>Le roi Léopold a ouvert, le mardi 14, la session des Chambres belges
+pour 1843-44. Le roi s'est rendu au palais accompagné d'un nombreux
+état-major; il était revêtu de l'uniforme d'officier-général de la garde
+civique. Le corps diplomatique assistait au complet à cette solennité,
+qui avait attiré une foule nombreuse et brillante. Dans son discours le
+roi n'avait à traiter aucune des questions de politique extérieure qui
+ont si longtemps tenu incertaines les destinées de ce royaume. Ces
+questions sont toutes tranchées aujourd'hui, et une ère toute
+d'industrie et de progrès semble s'ouvrir pour la Belgique. Après avoir
+exprimé la satisfaction qu'il avait personnellement ressentie, et
+qu'avait partagée la reine d'Angleterre, de l'accueil qui avait été fait
+par les populations à cette princesse durant son voyage en Belgique, il
+est entré dans l'énumération des projets que son ministère se propose de
+présenter aux délibérations des Chambres dans la session ouverte. Il a
+fait ressortir l'immense avantage que devait nécessairement retirer cet
+État de l'achèvement complet de son réseau des chemins de fer; mais il a
+annoncé en même temps que ces voies nouvelles ne détourneraient point
+l'attention du gouvernement des travaux d'amélioration à effectuer sur
+les voies navigables; les canaux vont être réparés et complétés. Tout en
+se félicitant des progrès de l'industrie agricole, le roi a annoncé
+également que l'administration regarderait son &oelig;uvre comme inachevée
+tant qu'il resterait sur le sol belge des bruyères à défricher. Nous
+serions tenté de proposer à notre ministère français d'adopter pour le
+discours de la couronne, qui sera prononcé décidément chez nous le 26
+décembre, une seconde édition du discours belge en ce qui concerne ces
+intérêts si graves. Le roi Léopold a annoncé également que tous les
+efforts de son gouvernement tendraient à favoriser les relations et les
+entreprises lointaines, et il a engagé l'esprit d'association à seconder
+de son côté ces efforts, dont le succès viendrait mettre à l'aise la
+population belge, trop nombreuse pour son territoire resserré, et son
+industrie, trop productive pour sa consommation intérieure. Il y a là,
+nous le répétons, de bien bons conseils et de bien bons exemples pour
+nos ministres; et en vérité les Belges se sont montrés assez souvent
+contrefacteurs à l'égard de la France, pour que nos gouvernants ne se
+fassent aucun scrupule de les contrefaire à leur tour dans cette
+circonstance et dans cette direction.</p>
+
+<p>Des nouvelles de Dalmatie, allant jusqu'au 21 octobre, apprennent que
+depuis plus d'un mois toutes les villes de cette province sont tenues
+dans l'effroi par des détonations souterraines et de continuelles
+secousses de tremblement de terre qui ont fait fuir une grande partie
+des populations dans la campagne. Le 20, beaucoup de familles se
+disposaient à rentrer à Raguse, d'où elles avaient fui précipitamment un
+mois auparavant, quand une nouvelle secousse est venue faire renaître
+toutes les alarmes. A Slano, à Meleda, les phénomènes et l'épouvante
+sont les mêmes.</p>
+
+<p>Depuis quelque temps, nos journaux de départements ont souvent à
+annoncer des découvertes archéologiques faites dans leurs contrées par
+suite de fouilles entreprises dans ce but, ou, le plus souvent, par
+suite de travaux d'agriculture que le hasard rend doublement fructueux.
+Des tombeaux gaulois, des armes, des bracelets, des anneaux, des
+médailles nombreuses et des monnaies d'or, d'argent et de bronze ont été
+de plusieurs côtés déterrés ainsi tout récemment. Si l'on en croit les
+feuilles allemandes, on vient de faire, à Aix-la-Chapelle, une autre
+découverte, c'est celle des reliques de Charlemagne. On savait qu'en
+l'an 1000, Othon III s'était fait ouvrir le caveau de l'empereur, et que
+Frédéric Ier (Barberousse) avait, le 29 décembre 1165, levé les
+ossements de ce grand prince, après que le pape Pascal III l'avait mis
+au nombre des saints. Frédéric fit garder ses dépouilles mortelles dans
+un coffret; les vêtements et insignes de l'empereur devinrent les
+insignes du couronnement de l'empereur franco-romain; et après qu'en
+1792, François II s'en fut revêtu comme roi et empereur élu, ils furent
+transposés à Vienne, où ils sont encore conservés. Mais les reliques de
+Charlemagne étaient perdues, sauf un bras enchâssé dans un reliquaire;
+et quelque peine qu'on se donnât, avec quelque soin qu'on cherchât
+dessus et dessous terre, on ne pouvait les découvrir. Il y a quelques
+semaines, on aurait, dit-on, retrouvé le précieux coffre dans une pièce
+attenante à la sacristie, où il était placé sur une armoire, dans le
+plus complet abandon.</p>
+
+<p>Nous donnions dans notre avant-dernier numéro une statistique des
+missions en Chine et de leurs résultats. Nous aurons bientôt, à ce qu'il
+paraît, à ajouter à ce travail. Il s'est formé à Berlin et à Koenigsberg
+des réunions de dames ayant pour but de former et d'envoyer aux Indes
+des femmes missionnaires appelées à faire connaître l'Évangile aux
+femmes de l'Orient. La <i>Gazette ecclésiastique</i> de cette dernière ville,
+qui donne cette nouvelle, l'accompagne de quelques réflexions qui nous
+paraissent assez justes, et qui ont pour but de rappeler que la sphère
+sainte, mais retirée de la femme, se prête difficilement à des
+entreprises intérieures qui appellent son activité hors du domaine que
+la nature lui indique et que l'Évangile approuve et
+sanctifie.--L'édification n'est pas le caractère de toutes les nouvelles
+qui nous viennent d'Allemagne. On écrit de Vienne que le prince Gustave
+Wasa fils du feu roi de Suède, Gustave-Adolphe IV, détrôné en 1809 et
+remplacé par Bernadotte, vient de former, après treize ans de mariage,
+une demande en divorce contre sa femme, la princesse Stéphanie de Bade.
+On ne peut attribuer d'autre cause, dans la haute société de Vienne, à
+cette démarche, qui paraîtrait autrement inexplicable que la maladie
+mentale héréditaire dans la famille du prince. Le consistoire de la
+confession d'Augsbourg, à laquelle appartiennent les deux époux, aura
+néanmoins à prononcer sur la demande comme si elle avait été formée
+raisonnablement.</p>
+
+<p>Le bel hôtel Lambert, situé à la pointe orientale de l'île Saint-Louis,
+et qui a fourni à <i>l'Illustration</i> le sujet, d'une notice et de gravures
+(t. 1, p. 195), avait été adjugé, il y a quelques mois, à madame la
+princesse <span class="sc">Czartoriska</span>. Il vient d'être restauré avec, un soin
+remarquable. Si l'illustre étrangère ne se fût présentée aux enchères,
+les amis des arts, les admirateurs de Lesueur et de Lebrun auraient
+probablement aujourd'hui à demander compte, au ministère de l'intérieur
+et il l'administration de la ville de Paris de la démolition de cet
+hôtel et de la destruction de ses richesses artistiques.</p>
+
+<p>Quand tel médecin embaume un défunt, quand tel journal voit mourir un de
+ses abonnés, les réclames de l'un ou les nécrologies de l'autre tendent
+à nous faire croire aussitôt que la France, a fait une grande perte. Il
+y en a pu avoir quelques-unes de ce genre cette semaine; mais l'on
+comprendra que nous n'en fassions pas porter le deuil à nos lecteurs.
+Nous ne mentionnerons donc que la mort d'un naturaliste-voyageur du
+Jardin-des-Plantes, le docteur A. Petit, envoyé en Abyssinie. Il a été
+emporté, par un crocodile en traversant une des branches du Nil Bleu,
+dans les environs de Gondar.</p>
+
+<br><br>
+
+<h2>Une Bouteille de Champagne.</h2>
+
+<h4>NOUVELLE.</h4>
+
+<p class="mid">(Suite et fin.--Voir t. Il, p. 166.)</p>
+
+<p>Le son du cor de Shinderhannes ne retentissait jamais que pour le
+combat.</p>
+
+<p>«Aux armes! cria le bandit. Moïse, barricadez le monastère! Zaghetto,
+distribuez les carabines! Qu'on déploie la bannière de Windschoot, le
+crane rouge sur champ d'azur! Il faut emporter toute la poudre, toutes
+les balles et un confesseur; car j'ignore vraiment ce que va coûter
+d'hommes une bouteille de vin de Champagne.»</p>
+
+<p>La jeune femme devint pâle. C'est seulement alors qu'elle comprenait son
+pouvoir. Arracher le bandit à l'existence réprouvée du crime ne lui
+semblait plus au-dessus des forces humaines, puisque, pour une fantaisie
+puérile, Shinderhannes précipitait sa bande entière à une ruine presque
+certaine. Elle fut même tentée un moment de revenir sur un ordre dont la
+satisfaction, aussi promptement terrible, l'effrayait maintenant:
+l'amour-propre lui ferma la bouche, et la mémoire de la pauvre laitière
+de Kiedrich fit le reste. Le meurtre de cette victime exigeait du sang.</p>
+
+<p>«Ma chère, dit à Julie le capitaine en se tournant vers la belle
+Allemande, quoique la frontière soit pacifiée, Mayence renferme une
+forte garnison. Je n'ai pas cent braves dans ma troupe. A défaut de
+garnison, d'ailleurs, les gendarmes français, que nous avons tant de
+fois détruits, brûlent de nous rendre la pareille. On peut aisément
+refermer les portes de la ville derrière moi. Si je suis pris, c'est la
+mort.</p>
+
+<p>--Il n'y a que les sots, disait Catherine II, qui soient indécis, lui
+répondit froidement Julie Blasius.</p>
+
+<p>--En marche!» cria Shinderhannes.</p>
+
+<p>Et l'on partit.</p>
+
+<p>Qu'une femme est séduisante, qu'elle parait bien la créature favorisée
+de Dieu, lorsque, sans autre force que sa grâce et sans autre appui que
+son sexe, on la voit dompter l'homme, le plus puissant et le plus
+allier, comme s'il s'agissait d'un enfant mutin! Alors tout grandit
+autour du triomphe, et celle qui le remporte avec de si faibles moyens
+s'élève d'autant plus aux regards de la foule qu'elle semblait à la
+veille d'une défaite. Le bruit circula bientôt parmi les bandits que la
+captive elle-même conduisait l'attaque. Ou ne s'expliqua pas les causes
+de ce singulier caprice, on n'en vit que le résultat chevaleresque.
+L'influence d'une femme est quelque chose de si doux au milieu des
+dangers, et surtout dans la vie d'exception, que les camarades de
+Shinderhannes se sentirent ennoblis à leurs propres yeux. On eût dit que
+la volonté de Julie Blasius relevait ces hommes flétris de leur
+déconsidération sociale et que le crime solidaire à tant d'imaginations
+perverses devenait une vertu par l'unique magie de l'emploi qu'en
+faisait une jeune et innocente fille.</p>
+
+<p>Julie, en habit d'amazone, précédait, à cheval l'arrière-garde, où
+marchait Picard, qui, par une sorte de vanité militaire, avait demandé
+de combattre encore; mais il ne devait pas, mort ou vif, remonter au
+monastère. Le vieux soldat suivait d'un &oelig;il morne le cortège triomphal
+de Blasius; il devinait toute la passion de Shinderhannes en mesurant la
+victoire de la jeune femme, et, si la bouteille de Champagne était prise
+rien effectivement ne pouvait être désormais impossible à la faiblesse
+du capitaine aussi bien qu'à l'énergie de la prisonnière. Les compagnons
+du Belge Shinderhannes n'étaient pas d'ailleurs libertins comme la
+plupart de nos brigands de mélodrame et d'opéra-comique. Presque tous
+mariés, pères de famille et dévots, ils faisaient de la vie d'exception
+un peu par haine de la république française, beaucoup par misère, double
+originalité malheureusement inséparable d'une époque de guerres
+continuelles et de révolutions générales.</p>
+
+<p>Tout le monde souhaitait donc que le capitaine épousât la jeune femme.
+Ce n'était pas, assurément, le caractère le moins curieux de
+l'expédition que le contraste de m&oelig;urs patriarcales et de goûts
+belliqueux entraînés à la conquête ridicule d'un flacon de vin, autant
+par la soif du meurtre et du vol que par dévotion pieuse à l'ascendant
+du génie de la femme, au lien providentiel du mariage. Quand
+l'inspiration morale descend au milieu des existences les plus
+dépravées, peu importe l'origine du bienfait, pourvu que le but soit
+atteint. Le prestige de la beauté et de la vertu réunies dans Blasius
+avait ému Shinderhannes; de l'amour de leur chef était né l'enthousiasme
+des bandits du Rhin, et le succès du devoir sur le vice ne dépendait
+plus que d'une circonstance assez folle pour que Julie, en couronnant la
+passion du proscrit belge, fût certaine de l'arracher en même temps au
+crime.</p>
+
+<p>On s'arrêta en route entre Georgenborn et Franenstein, à cette pierre
+tombée du ciel qui marque à peu près la moitié du chemin du couvent
+d'Eberbach aux remparts de Mayence; on attendait que la nuit fût venue.
+Une partie de la troupe se glissa dans la ville, sous un déguisement,
+pour s'emparer d'une porte; un autre détachement se rapprocha des murs
+pour prêter la main aux camarades qui s'engageaient dans Mayence; enfin
+l'arrière-garde se tint cachée, avec Julie et le confesseur, autour de
+Franenstein, disposant des renforts, apprêtant des munitions, observant
+la plaine, couvrant la route du monastère et se préparant à recevoir les
+blessés, les morts et la bouteille de vin de Champagne. Picard
+commandait les hommes postés en surveillance le long des remparts. Il
+demanda à Julie, en partant, la faveur de lui baiser la main. Le prêtre,
+chapelain d'Eberbach, vieux et cassé, parut attendri.</p>
+
+<p>«Comment envoyez-vous tant de braves gens à la mort, madame, lorsque le
+capitaine Shinderhannes est votre esclave? dit-il à Julie en tremblant à
+la fois de crainte et de pitié.</p>
+
+<p>--Mon père, lui répondit la jeune femme en s'agenouillant,
+pardonnez-moi! On n'est l'esclave d'un homme qu'à la condition de n'être
+plus maîtresse de sa personne, et Julie Blasius n'a jamais dépendu que
+du ciel et de sa mère. Cette entreprise coupable cache de saintes
+représailles. La fin justifiera les moyens. Si d'ailleurs une seule vie
+est sacrifiée, la mienne aussitôt expiera ce forfait. Pardonnez-moi, mon
+père!</p>
+
+<p>--Que Dieu soit avec vous,» murmura le chapelain surpris, mais avec un
+sentiment de confiance absolue.</p>
+
+<p>Cependant les plus détermines de la troupe, conduits par Shinderhannes
+lui-même avaient pénétré jusqu'au Thiermarckl, grand marché de la ville.
+Il y avait là un dépôt de vins français que le bandit connaissait de
+longue date, mais sur lequel jamais il n'avait tiré à si courte
+échéance. Le marché était désert, tous les habitants se promenaient sur
+les remparts; c'était l'heure où, dans les places de guerre, chacun
+soupe ou fume à l'écart, en famille, avec une sorte de rêverie, à
+l'approche de la nuit qui se ferme et du pont-levis qu'on relève. Les
+jeunes filles causent d'amour avec les soldats sur le glacis, les
+enfants jouent dans les squarre, et le guetteur, endormi dans le
+beffroi, oublie de carillonner la nouvelle sinistre d'un incendie
+lointain.</p>
+
+<p>Shinderhannes acheta dans le magasin un panier de vin de champagne.
+Quand il fallut payer, le bandit fit d'abord emporter la marchandise par
+deux de ses hommes, puis discuta du prix avec le vendeur. Après
+d'insignifiantes paroles, il refusa tout d'un coup de payer, sous
+prétexte qu'il n'avait pas d'argent et qu'il avait laissé sa bourse à
+l'hôtel des Trois-Couronnes. Le vendeur eut des soupçons: il appela un
+officier de police.</p>
+
+<p>«Pourquoi ne voulez-vous pas payer dit-il sévèrement au bandit.</p>
+
+<p>--Parce que ce n'est pas notre usage, répliqua Shinderhannes irrité.</p>
+
+<p>--Votre usage?... singulière réponse, mon ami. Et qui êtes-vous donc?</p>
+
+<p>--Nous sommes des voleurs.»</p>
+
+<p>Immense fut la rumeur dans le marché. On sortit en tumulte des maisons
+on entoura l'officier de police et le vendeur, stupéfaits. Le bandit
+avait habilement calculé tout l'effet de cette première surprise; il eut
+le temps de gagner la porte de la ville, où ses hommes réunis forcèrent
+la garde et franchirent violemment le rempart. Aussitôt l'alarme se
+répandit, le tocsin sonna, la garnison courut aux armes, on ferma les
+autres portes de Mayence: mais il était trop tard. Appuyés sur le
+détachement qui veillait au dehors des murailles, les bandits firent
+leur retraite en bon ordre, et le panier de vin de Champagne, conquis
+sans effusion de sang, tout au plus au prix de quelques bourrades
+données aux sentinelles, fut lestement porté à Franenstein, où
+Shinderhannes, aussi respectueux que brave, le déposa solennellement aux
+pieds de Julie Blasius.</p>
+
+<p>Quand la jeune fille apprit que l'expédition n'avait perdu aucun homme
+et que la garnison même n'avait à déplorer aucune perte, elle fut
+soulagée d'une angoisse bien vive. Cette faveur du hasard donnait plus
+de mérite à l'obéissance du capitaine; on pouvait croire qu'il avait
+voulu conquérir sans frapper. Mais l'assassinat de la laitière de
+Kiedrich n'était pas vengé, et en revenant à Eberbach, la vue du
+précipice allait rappeler à Julie les circonstances impunies de son
+affreuse mort. Après la preuve d'amour que lui avait donnée
+Shinderhannes, comment Blasius devait-elle réveiller encore cruellement
+de pareils souvenirs? Le confesseur, qui ne savait rien, attendait avec
+anxiété le résultat de ce mystérieux voyage, et Picard, plus jaloux,
+plus passionné que jamais, suivait mélancoliquement la trace du
+capitaine et de la jeune fille, comme un chien fidèle qu'on néglige
+et dont le dévouement n'est pas moins profond.</p>
+
+<p>Au monastère, Shinderhannes fit connaître à sa troupe que le voyage
+n'avait eu pour prétexte que la fantaisie de la belle Allemande, et que,
+si le butin n'était pas considérable, en revanche Julie Blasius
+récompenserait leur chef en l'épousant Les bandits répondirent à ce
+discours par des hourras pleins d'ivresse. La jeune fille seule, pâle et
+agitée, gardait le silence, Picard la prit à part et lui dit:</p>
+
+<p>«Je comprends votre embarras. Le rôle de Shinderhannes vient de changer:
+de maître impérieux qu'il était ce matin, le voici maintenant esclave
+docile; il attend son bonheur de votre main, et vous ne pouvez refuser
+de le satisfaire, car ce serait perdre le fruit de votre captivité et
+l'occasion de changer sa vie comme son rôle. Je suis mieux et il est
+jeune; nous vous aimons tous deux: que Shinderhannes vous prouve
+désormais son amour en renonçant au crime! Moi, tient le repentir ne
+ferait pas le bonheur, je vais vous prouver le mien à ma façon. Que le
+sang de la laitière retombe sur ma tête, et que ma mort expie la
+sienne!»</p>
+
+<p>A ces mots. Picard se dirigea rapidement vers le précipice, et, avant
+qu'on se fut opposé à son acte de désespoir imprévu, le malheureux
+aventurier s'était jeté dans le gouffre. Les brigands entendirent le
+bruit de son corps qui roulait d'abîme en abîme. Cette scène étrange
+avait glacé d'horreur tout le monde, même les plus endurcis.
+Shinderhannes, ému, tenant déjà la bouteille d'une main et un verre de
+l'autre, sentit que le dénouement d'un semblable épisode appartenait de
+droit à la jeune fille. Des regards et du geste, il la supplia de
+parler. Les bandits avaient mis un genou à terre.</p>
+
+<p>«Mon père, dit d'abord Julie au chapelain à voix basse, le meurtre d'une
+femme exigeait du sang: je comptais lui donner le mien: on m'a prévenue.
+Maintenant un sacrifice d'un autre genre m'est réservé, et, s'il ne
+s'agit plus de mourir, mon dévouement ne sera ni moins entier ni moins
+pénible. Je sauverai ces hommes de la potence; voilà mon &oelig;uvre; je
+corrigerai Shinderhannes par l'amour; voilà ma vie. En aurai-je la
+force?</p>
+
+<p>--Oui, ma fille, répondit le confesseur les yeux pleins de larmes et en
+repassant la porte du monastère; je vous laisse comme Daniel dans la
+fosse aux lions; mais vous rongerez leurs ongles, et, au lieu d'être la
+proie de leur colère, vous les livrerez eux-mêmes à la paix du
+Seigneur.»</p>
+
+<p>Et il disparut. A ce moment Shinderhannes qui avait respecté le secret
+de la conversation du prêtre, se rapprocha lentement de Julie. Il tenait
+toujours le verre à la main: il venait de le remplir; le vin de
+Champagne y pétillait en mousseline au bord du cristal.</p>
+
+<p>«Belle Julie, s'écria le bandit, ne voulez-vous pas boire ce vin à nos
+fiançailles prochaines?</p>
+
+<p>--Volontiers, dit Blasius en prenant le verre; mais quand ne serai-je
+plus la femme d'un brigand?</p>
+
+<p>--A notre premier enfant, répondit le jeune homme sincère. Il m'est
+impossible d'abandonner sur-le-champ mes camarades»</p>
+
+<p>Il y avait sur la physionomie de Shinderhannes comme l'auréole d'une
+abnégation complète. Transfiguré par le bonheur, l'amant de Julie
+n'était plus le chef redouté du Hundsruck. Avec cet instinct
+providentiel, cette pénétration divine qui ne trompe jamais les femmes,
+Blasius devina son succès, et elle but le vin, comme elle aurait
+communié à l'autel, pleine de foi et de charité.</p>
+
+<p>Mais le sort fut plus barbare que n'avait été sublime son dévouement.
+Julie était déjà mère, que Shinderhannes n'avait pas eu encore le temps
+de dissoudre l'association des bandits du Rhin. Sur le point de
+disparaître de la scène du crime, il fut arrêté à Francfort et
+guillotiné à Mayence en novembre 1805. Montez aux tours de Bornhoffen,
+le soir, au clair de lune, vous écouterez un chant plaintif qui s'élève
+des vignobles et se perd dans la nuit. C'est la voix de Julie; elle
+vient apaiser les mânes de Picard et de la laitière.<br>
+
+<span class="rig"><span class="sc">André Delrieu</span>.</span></p><br><br>
+
+<h3>MARGHERITA PUSTERLA.</h3>
+
+<h4>CHAPITRE XIX.</h4>
+
+<h4>FUITE.</h4>
+
+<p><span class="lef"><img alt="" src="images/38-01.png"></span><span class="sc">es</span> mesures prises, Alpinolo se décida à se confier à Buonvicino, et
+il se rendit au couvent. Le saint homme se tenait dans sa petite
+cellule, garnie, suivant la règle, d'une paillasse avec un oreiller, de
+deux couvertures de laine et d'un escabeau de bois. Il était assis, la
+tête inclinée, les mains croisées sur ses genoux. Aux rides précoces de
+son front, à ses joues pâles et amaigries, à ses yeux enfoncés dans leur
+orbite, chacun aurait pu dire: «Pour cet homme, penser c'est souffrir;»
+mais sa douleur n'était point du découragement, on pouvait y entrevoir
+une espérance ou peut-être un souvenir.</p>
+
+<p>Buonvicino ne reconnut point d'abord le jeune page. Sa livrée, sa barbe
+et l'altération de ses traits le déguisaient même aux yeux d'un ami de
+son enfance. Dès qu'Alpinolo se nomma, le moine n'hésita point à le
+reconnaître. Il l'embrassa à plusieurs reprises, avec toute l'effusion
+d'un père qui revoit son fils après de longues années d'absence, et il
+lui demanda comment il se trouvait à Milan, malgré la proscription dont
+il était frappé.</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/38-02.png"></p>
+
+<p>Alpinolo aussitôt, avec l'accent de la haine la plus vive, et sans se
+ménager lui-même, lui raconta la suite de ses infortunes, la part qu'il
+avait eue au désastre de Pusterla, la trahison de Ramengo. Enfin, il lui
+révéla toute une série d'iniquités qu'il n'aurait jamais crues possibles.
+Mais ce récit n'expliquait point au bon frère la présence d'Alpinolo à
+Milan. Il le questionna à ce sujet; le jeune page lui répondit que
+c'était un secret qu'il avait juré de ne point trahir. Toutefois il ne
+fut pas difficile à Buonvicino de pénétrer ses desseins. Il lui
+conseilla, il lui ordonna même de ne pas se laisser entraîner par ses
+passions jusqu'à commettre un crime. Alpinolo lui répondit: «Mon père,
+vos reproches sont inutiles; je n'ai pas eu le courage d'accomplir mon
+serment. Votre image, gravée dans mon âme, m'a répété, plus éloquemment
+encore que vous ne pourriez le faire, ces sages avis que votre bouche
+autrefois prodiguait à mon enfance attentive. Ce n'est donc point de
+cela qu'il s'agit aujourd'hui; il faut sauver les Pusterla. Voulez-vous
+m'aider dans ce projet?»</p>
+
+<p>Et il lui révéla ses plans, comment il avait, à prix d'or, corrompu le
+geôlier de la porte Romaine, et comment, à la faveur de son rôle de
+soldat, il espérait mener à bien une tentative d'évasion. Mais ce
+n'était pas assez de sortir de la prison, il fallait encore, pour la
+sécurité de ces infortunés, qu'ils eussent des moyens de quitter
+immédiatement un pays où tout était pour eux un péril. Il expliqua au
+moine comment il lui répugnait de mettre un nouvel étranger, un second
+mercenaire dans la confidence de son dessein, et tout ce qu'il avait à
+redouter d'une pareille confidence pour le succès de son entreprise. Il
+lui proposa enfin de se charger lui-même de tout ce qui pourrait
+favoriser la fuite des Pusterla, une fois qu'ils auraient franchi le
+seuil de la porte Romaine.</p>
+
+<p>Partagé entre la raison, qui lui munirait les faibles chances d'une
+pareille tentative, et le désir qu'il avait de la voir réussir, hésitant
+entre les conseils de la prudence et les élans d'une amitié aussi vive
+que dévouée, Buonvicino fit d'abord quelques objections. Il redoutait
+d'aggraver le sort des Pusterla si leur projet ne réussissait pas, de
+précipiter vers leur ruine des êtres qu'il eût voulu sauver au péril de
+sa vie, et de décider, par une imprudente démarche, leur mort, qui
+n'était peut-être point encore arrêtée dans l'esprit de Luchino. Mais le
+page lui montra quelle folie il y avait à croire un moment à
+l'indulgence de l'amant tout-puissant et dédaigné de Marguerite; qu'ils
+n'avaient que la mort à attendre, et que, pour les arracher au dernier
+supplice, rien n'était trop téméraire ni trop dangereux. A moitié
+persuadé par ces raisons, entraîné surtout par le désir de sauver ses
+amis les plus chers, Buonvicino déclara qu'il se prêtait aux vues du
+jeune page, et il fut convenu entre eux que, toutes les nuits, près d'un
+noyer appelé le noyer de Quadrouno, hors du couvent de Breza, le moine
+tiendrait trois chevaux tout prêts, afin que Marguerite, Francesco, leur
+fils, et le courageux écuyer pussent immédiatement s'éloigner de la
+ville, gagner les frontières et braver dans d'autres contrées la fureur
+désormais impuissante du tyran.</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/38-03.png"></p>
+
+<p>Puis, après avoir demandé à Buonvicino de le bénir, Alpinolo se
+précipita hors du la cellule.</p>
+
+<p>Cependant le jour fixé pour l'exécution était arrivé, et tandis
+qu'Alpinolo, tourmenté par la terreur ou enivré par l'espérance, se
+livrait à toutes les émotions de l'incertitude. Macaruffo de son côté,
+assis contre le mur de la prison, dans le corridor où il se tenait
+habituellement, comptait, en se cachant, les sequins que lui avait
+donnés Alpinolo. «Un, deux, trois... vingt... quarante-neuf, cinquante!
+Et ils sont à moi! pensait-il; une nuit m'envoie plus que je n'avais
+jamais espèré de toute ma vie!... Et moi, lourdaud, qui hésitais encore
+avant d'accepter! Oui, oui, on m'a bien nommé Lasagnone, le lourdaud.
+Demain à cette heure, si mes jambes me disent la vérité, j'arrive à la
+maison. Quelle surprise pour ma femme!» Et il se frottait les mains, et
+il riait si haut que le soldat de faction s'arrêta pour le regarder. Ce
+regard produisit sur lui l'effet que produit sur l'écolier, surpris en
+faute, le sourcillement d'un pédagogue en colère. Alors lui apparut le
+revers de la médaille; il se voyait surpris, arrêté, pendu. Un moment il
+se résolut à trahir le soldat qui l'avait payé et à tout révéler à
+Luchino. Mais la poltronnerie l'empêchait autant que la cupidité de
+réaliser cette perfidie, parce qu'il ne pouvait sortir de la prison sans
+être aperçu d'Alpinolo, et qu'il savait que la main du jeune homme ne
+serait pas lente à le percer d'un coup de poignard.</p>
+
+<p>D'ailleurs, il n'était plus temps de reculer, l'heure était arrivée.
+Alpinolo vint relever la sentinelle, qui dormait debout.</p>
+
+<p>«Bravo, Quattradita! lui disait le soldat, tu arrives à temps; c'est à
+peine si je peux tenir les yeux ouverts.</p>
+
+<p>--Va, va, Pagamorta, et dors d'un c&oelig;ur tranquille; quand le temps de ma
+faction devrait se prolonger, je ne le gâterai point ton beau petit
+sommeil d'or.</p>
+
+<p>--Vive Quattradita! répliquait l'autre en lui serrant rudement la main.
+Touche là '. Un peu sombre, un peu querelleur, mais un bon c&oelig;ur, brave
+garçon! Laisse faire, à peine serai-je prince, que je te ferai caporal.»</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/38-04.png"></p>
+
+<p>Et avec un sourire qui se termina en un bâillement sourd, il s'en alla.
+Ses pas retentirent le long du corridor, s'éloignant de plus en plus.
+Alpinolo les comptait, regardant en arrière avec anxiété. Le soldat se
+retira dans le corps-de-garde, laissa la porte retomber derrière lui, et
+tout rentra dans le silence. Alpinolo fit un tour dans le corridor,
+l'oreille et les regards au guet, et, n'entendant plus aucun bruit, il
+s'approcha du geôlier, en lui disant: «Eh bien?»</p>
+
+<p>Macaruffo répondit: «Eh bien?» en levant la tête comme s'il eût perdu
+tout souvenir de ce qu'il était convenu de faire, et en fixant sur
+Alpinolo deux yeux pleins d'une stupidité malicieuse.</p>
+
+<p>Mais une menace d'Alpinolo et un serrement de main qui semblait celui
+d'une tenaille, rafraîchirent la mémoire au geôlier, et lui firent
+comprendre qu'il n'y avait plus à balancer. Donc, pour tâcher que la
+tentative d'évasion réussît le plus complètement possible, il ôta ses
+sandales, s'agenouilla, récita une prière, que la seule terreur amenait
+sur ses lèvres, et qui n'avait d'autre but que de demander la complicité
+du ciel. Alors, s'avançant à pas sourds, il éteignit le lampion qui
+éclairait faiblement le corridor, détacha les clefs de sa ceinture, et,
+rasant la muraille, il s'avança à tâtons vers la prison de Pusterla.</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/38-05.png"></p>
+
+
+
+<p>En proie à ces terreurs que cause la captivité, lorsqu'il entendit crier
+la clef dans la serrure de son cachot, à une heure si inaccoutumée,
+Pusterla crut d'abord à un assassinat nocturne; il recommanda son âme à
+Dieu, et par cet instinct paternel qui survit dans les moments les plus
+terribles et se montre admirable jusque dans ses puérilités, il porta
+Venturino dans un coin de la cellule, le couvrit de son manteau, et lui
+fit un rempart de tout ce qu'il put trouver dans le cachot; faible
+rempart, s'il eût dû protéger l'enfant contre la fureur des assassins,
+mais qui servait au moins, dans l'imagination désespérée d'un père, à
+calmer un moment les craintes qu'il concevait pour la vie de son fils.
+Quelle fut la joie de Pusterla lorsqu'au lieu du bourreau, ce fut un
+ami, un ami dévoué qu'il pressa sur son sein, et qui venait lui procurer
+les moyens de fuir! Il reprit brusquement Venturino, lui recommanda de
+se taire, et ils sortirent tous du cachot de Francesco pour s'acheminer
+vers celui de Marguerite.</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/38-06.png"></p>
+
+<p>Bientôt après, les deux époux étaient dans les bras l'un de l'autre.
+Minute de ravissement qui vaut des siècles de vie, félicité, extase,
+surprise, tout le c&oelig;ur humain dans le baiser que ces lèvres, depuis si
+longtemps séparées, se donnèrent en se réunissant. Mais il fallait
+abréger ce moment d'ineffable ivresse; ce n'était pas le lieu de perdre
+le temps, même à être heureux. On remit entre les bras de Marguerite le
+jeune Venturino, fardeau sacré, précieuse charge, dont elle était privée
+depuis si longtemps, et qu'elle ne pouvait se lasser de couvrir de
+caresses. Quoiqu'il ne pût voir qu'il était dans les bras de sa mère, et
+qu'un ne l'en, eut point averti, l'enfant répondait aux baisers de
+l'inconnue par ces doux baisers de l'enfance, si pleins de charmante
+affection; puis, tous se tenant par la main dans l'ombre, reprirent leur
+marche silencieuse, guidés par Macaruffo.</p>
+
+<p>Déjà ils ont passé le premier corridor; ils ont franchi la porte
+derrière laquelle dorment les gardes. Après avoir traversé un couloir
+obscur, ils entrent dans la cuisine du geôlier qui ferme derrière lui la
+porte et respire comme ayant accompli le plus difficile de l'entreprise.
+Une autre porte donnait sur une cour: ils l'ouvrent; là, en face, une
+poterne: cinq pas, sortir, sauter le petit fossé, et ils sont sauvés du
+péril; ils tendent l'oreille... tout est silencieux. Mais une sentinelle
+dormait, étendue sur un petit mur latéral à hauteur d'appui; Macaruffo,
+plein d'anxiété, l'indiqua à Alpinolo; mais celui-ci le poussant en
+avant, lui lit entendre par signes que ce n'était rien, et que le
+sommeil du soldat était profond. Tous étaient sur le seuil, précédés de
+Macaruffo et du jeune page. La lune, fendant les nuages, jeta comme une
+gerbe de rayons sur le front pâle de Marguerite, que Francesco et
+Alpinolo regardèrent avec amour, respect et compassion. L'enfant,
+lui-même, souleva sa tête d'ange, et de sa petite main écartant les
+cheveux qui lui cachaient le visage de celle qui le portait avec tant de
+tendresse, il reconnut sa mère. Quelle joie! pauvre petit!! «O ma mère!
+ma mère!» s'écria-t-il avec un cri aigu; et il lui jeta les bras autour
+du cou. Le froid mortel les saisit tous à ce cri. Marguerite ferma la
+bouche de son fils avec sa main; ce fut en vain, il était trop tard. La
+sentinelle, éveillée, leva la tête, vit plusieurs personnes réunies et
+cria: «A l'aide! aux armes!» Elle n'avait pas fini de hurler ces
+paroles, qu'Alpinolo lui avait tranché la tête; puis, de son sabre
+ensanglanté, il invitait ses compagnons à courir, à fuir, à s'échapper,
+pendant qu'il resterait à la porte, pour leur donner le temps de
+s'éloigner avant qu'on se mit à leur poursuite. Tout fut inutile;
+l'alerte était donnée; de tous côtés les soldats accoururent. Alpinolo
+<span class="rig"><img alt="" src="images/38-07.png"></span>
+
+fit des prodiges de valeur; mais il tomba renversé d'un coup de sabre
+que Sfolcada Melik lui donna par derrière, et le combat fut bientôt
+terminé. Ou arrêta Macaruffo, malgré ses protestations, et bien qu'il
+eût espéré, dans la mêlée, dissimuler le rôle qu'il avait joué en se
+joignant aux soldats contre ses complices, il acquit bientôt la
+certitude que la vérité était connue à Sfolcada, et il se borna à des
+supplications qui se perdirent dans les airs.</p>
+
+<p>Cependant Marguerite était dans les bras de son mari, et ils
+confondaient leurs larmes. Les cris de l'enfant éclataient sous la
+voûte. Ils ne se dirent rien dans ce moment terrible; Francesco s'écria
+seulement: «Ma bonne Marguerite!» et ces paroles, qui lui étaient chères
+dans les jours de la prospérité, résonnèrent si doucement aux oreilles
+de l'infortunée, qu'elle y puisa toute la force nécessaire pour
+supporter les insultes et les brutales railleries des soldats qui, les
+séparant de vive force, les reconduisirent chacun dans sa prison.</p>
+
+<br><br>
+
+<h4>CHAPITRE XX.</h4>
+
+<h4>UN MOINE ET UN PRINCE</h4>
+
+<p><span class="lef"><img alt="" src="images/38-08.png"></span><span class="sc">rère</span> Buonvicino veilla plusieurs nuits, attendant avec des chevaux
+les fugitifs près du noyer, comme il en était convenu avec Alpinolo. La
+nuit même où le jeune page tenta, comme nous venons de le voir,
+d'arracher les Pusterla aux horreurs de leur prison et au sort qui les
+menaçait, le moine l'avait passée en prières, partagé entre l'espérance
+et le désespoir, et lorsqu'il entendit chanter le coq du côté des
+chaumières voisines, «Ce n'est pas encore pour aujourd'hui,» se dit-il
+en renvoyant les chevaux avec leur guide; il revint au couvent de Brera.
+Le jour n'était pas encore parfaitement levé, et les paysans des
+bourgs voisins s'acheminaient vers Milan pour y vendre du lait, du
+raisin, des légumes. Ceux-ci portaient deux grandes corbeilles
+suspendues à leurs bras; ceux-là, deux jarres en équilibre sur leurs
+épaules; d'autres, des hottes pleines sur leur dos; quelques-uns
+chassaient devant eux leurs ânes, ou traînaient des chariots; quelques
+villageoises, les bras et le col nus, portaient des seaux de lait sur
+leur tête, en parlant entre elles de la tempête de la nuit passée, qui
+séparait l'été de l'hiver, de la prospérité ou des ravages de leurs
+champs et de leurs jardins, de la famille régnante, de la peste qui les
+menaçait, de leurs commères, de leurs amis; et elles comptaient d'avance
+les deniers que leur rapporterait la vente de la journée.</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/38-08a.png"></p>
+
+<p>Arrivés à l'esplanade, située entre San-Calinero et la tour de la porte
+Romaine, ils voient je ne sais quoi attaché à une branche; ils
+s'approchent: c'est un homme pendu. «Eh! compère, regardez donc: quel
+gros fruit cet arbre a produit!</p>
+
+<p>--Oh! oh! qui sera-ce jamais?</p>
+
+<p>--Et que diable a-t-il au cou?</p>
+
+<p>--Une bourse.</p>
+
+<p>--Une bourse? Voulez-vous dire qu'elle est pleine de sequins?»</p>
+
+<p>Et ils montraient le pendu à ceux qui venaient par derrière, et ils
+désiraient apprendre la vérité, pour être les premiers à la raconter
+dans les maisons, où ils allaient porter la crème, du lait et les
+légumes, ou aux servantes, leurs pratiques, qui arrivaient avec leurs
+paniers sur le marché.</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/38-09.png"></p>
+
+<p>En passant devant la tour, les soldats qui guettaient le passage des
+belles laitières leur apprirent que c'était le geôlier de la porte
+Romaine qu'on avait ainsi pendu. Bientôt le bruit s'en répandit par la
+ville, et lorsque Buonvicino rentra au couvent, le frère portier,
+Angiolgniel de Concovallo, en était déjà instruit. Son premier soin fut
+d'apprendre cette nouvelle au moine, qui, le c&oelig;ur navré, s'informa
+aussitôt si quelque soldat n'avait point été tué dans la mêlée. La
+renommée avait exagéré les choses, comme à son ordinaire, et on lui
+répondit que plusieurs gardes étaient morts.</p>
+
+<p>Les Pusterla avaient donc vu s'enfoncer leur dernière planche de salut.
+Buonvicino jamais cru fermement à la réussite du projet d'Alpinolo; mais
+la triste issue de cette entreprise ne le surprit et ne le frappa pas
+moins que s'il en eût véritablement attendu le succès; tout homme,
+nonobstant les remontrances et la raison, est porté à croire ce qu'il
+espère.</p>
+
+<p>En présence d'un pareil malheur, il résolut d'aller lui-même solliciter
+Luchino, de lui faire entendre le langage de conciliation, de clémence,
+de miséricorde que son ministère l'autorisait à tenir, et de tâcher de
+sauver, par la persuasion, les victimes que la ruse ni la violence
+n'avaient pu tirer des mains du tyran.</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/38-10.png"></p>
+
+<p>Aux approches de la tour qu'habitait Luchino, quatre féroces mâtins se
+levèrent à l'encontre du moine, avec des aboiements et des grognements
+que les gardes réprimèrent à grand'peine. Grillincervello ôtant, lui
+aussi, son beiren burlesque, sans se permettre contre le moine les
+railleries qu'il n'épargnait à personne, courut l'annoncer à Visconti,
+en se bornant à dire aux autres serviteurs à voix basse: «Aujourd'hui,
+le prince aura le sermon dans sa chambre.»</p>
+
+<p>Visconti était enfermé en ce moment dans un cabinet reculé de la tour
+avec un homme à grande barbe, enveloppé dans une robe noire qui lui
+descendait jusqu'aux talons. Celui-ci, avec un air d'importance ou
+d'imposture (l'un ressemble si souvent à l'autre), tenait le doigt tendu
+sur une figure géométrique qu'il avait tracée, et, dont il faisait la
+démonstration au prince. Un astrolabe et une sphère armillaire placés à
+côté de lui indiquaient qu'il était astrologue C'était, en effet, cet
+Andalone di Nero dont nous avons déjà parlé, et qui n'était pas moins
+célèbre à Milan que Thomas Pisan dans Avignon, où Pusterla l'avait si
+malheureusement consulté.</p>
+
+<p>Luchino, comme on le faisait alors dans toutes les occasions douteuses,
+avait interrogé Andalone sur un problème qui, depuis des siècles, attire
+l'attention d'un millier de personnes, c'est-à-dire sur la question de
+savoir s'il était possible de réunir l'Italie sous un seul maître, et
+s'il serait ce maître fortuné.</p>
+
+<p>Lorsqu'on lui annonça Buonvicino, le prince ne fut pas satisfait de
+cette visite, mais il n'osa point lui refuser audience, parce que sa
+récente réconciliation avec le pape lui commandait de grands égards
+envers les religieux. Il ordonna donc qu'on fit attendre le moine dans
+la salle de la <i>Vaine gloire</i>, afin que les magnificences du lieu lui
+lissent mieux sentir toute la différence qu'il y avait entre le prince
+redouté et l'humble frère, entre le souverain environné de tout
+l'appareil de la force et l'homme qui n'a d'autre cortège que les
+modestes vertus de la bienfaisance.</p>
+
+<p>En entrant, Luchino, quoiqu'il eût déjà cuirassé son c&oelig;ur de cette
+froideur calculée du puissant qui vient écouter celui qu'il n'exaucera
+jamais, s'avança courtoisement vers le moine et lui dit:</p>
+
+<p>«Soyez le bienvenu, mon père. Qui vous amène ici?»</p>
+
+<p>Buonvicino, s'inclinant: «Quand le ministre du Dieu de la miséricorde
+passe le seuil d'un puissant, peut-il y apporter autre chose que des
+conseils de mansuétude et de clémence?</p>
+
+<p>--Et ils seront toujours bien reçus,» ajoutait Luchino avec une
+soumission affectée, sous laquelle il cachait cette humeur altière que
+prennent si promptement ceux qui ne trouvent jamais autour d'eux que
+l'obéissance.</p>
+
+<p>Et le moine: «Soyez-en béni. Mais il ne suffit pas que l'oreille soit
+ouverte à la vérité, si le c&oelig;ur en repousse les préceptes. O prince! il
+court par la cité d'étranges rumeurs de nouvelles vengeances...</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/38-11.png"></p>
+
+<p>--Vengeances! vengeances! répondit Luchino en élevant la voix,
+vengeances! nom ordinaire que la malignité donne aux châtiments. Donc,
+si un traître se soulève contre moi dans mes États, s'il tente, de
+m'enlever ce que je possède en vertu de mon droit, et si, en le
+punissant, je me protège moi-même en défendant la société, dont je suis
+le tuteur, on appellera cet acte une vengeance! Dieu ne m'a-t-il pas
+remis la glaive pour frapper?</p>
+
+<p>--Et Dieu, reprit le moine d'une voix d'autant plus humble que celle du
+prince avait été plus emportée, et Dieu vous accorde les lumières
+nécessaires pour bien vous en servir. Mais n'avez-vous jamais examiné
+vous-même si vos affections personnelles n'exerçaient pas sur vous des
+influences fâcheuses? Êtes-vous certain de n'être jamais trompé par ceux
+dont il a été écrit qu'<i>ils préparent continuellement des flèches pour
+en frapper les bons dans les ténèbres?</i> Avez-vous considéré que le sang
+de l'innocent crie incessamment en présence de l'Agneau?»</p>
+
+<p>Les mouvements de Visconti montraient avec quelle impatience il
+souffrait un langage si vrai, mais si inusité. Et le moine continua: «O
+prince, vous tenez dans les fers Francesco Pusterla et Marguerite...</p>
+
+<p>--Eh quoi! tout ce sermon aboutit à cette péroraison. Dès qu'il s'agit
+d'une belle femme, c'est ainsi, mon révérend, que vous prenez, les chose
+à c&oelig;ur?»</p>
+
+<p>Ces paroles allèrent jusqu'au fond de l'âme de Buonvicino. Il examina
+rapidement en lui-même si ses anciennes amours n'avaient pas trop de
+part dans sa conduite présente. Il lui parut que non, mais il se dit
+dans son c&oelig;ur: «Que ce reproche soit en expiation de mes erreurs
+passées.» Luchino, à qui cette raillerie était échappée dans un de ces
+moments où le naturel prévaut sur la réflexion, continua plus
+sérieusement:</p>
+
+<p>«Vous n'ignorez, pas comment les conjurés ont été mis en jugement, et
+que de leurs aveux spontanés il ne résulte que trop que la famille
+Pusterla, malgré tous mes bienfaits, était à la tête d'une conspiration
+tramée contre ma sûreté et contre celle de l'État. Oseriez-vous mettre
+en doute une chose jugée?</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/38-12.png"></p>
+
+<p>--Christ aussi fut jugé, les martyrs furent jugés. Et le chrétien qui se
+le rappelle sait que parfois le glaive de la justice rivalise avec le
+couteau de l'assassin. Il sait voir parfois l'innocent dans celui qui
+monte à l'échafaud, et le réprouvé de Dieu dans celui qui l'y condamne.</p>
+
+<p>--Eh bien! que Dieu les sauve, s'ils sont justes, répondit Luchino.
+Quant à moi, pour ne point sembler mû par des passions personnelles, je
+les ai soumis à des juges indépendants, et il sera fait selon ce qui
+paraîtra à leur justice.</p>
+
+<p>--Celui-là seul est grand, reprit Buonvicino en s'animant, qui sous le
+manteau de la justice ne masque point l'iniquité. Les juges seront-ils
+incorruptibles? auront-ils le courage de prononcer contre ce qu'on leur
+montrera comme le désir du maître?...»</p>
+
+<p>Luchino fut bien aise de trouver un prétexte pour s'irriter et se
+soustraire aux arguments du moine, qui lui étaient d'autant plus
+insupportables qu'il les exposait avec plus de calme et de soumission.
+«Eh quoi! cria-t-il, vous oseriez douter de l'intégrité de mes juges?
+Mon père, tant qu'il ne s'est agi que de moi, tant que vous vous êtes
+borné à me recommander mes devoirs, à tort ou à raison, je vous ai prêté
+l'oreille avec la soumission d'un fidèle chrétien. Maintenant, je ne
+puis plus me taire; vous vous attaquez aux plus honorables de mes
+sujets. Silence donc, il suffit. Pour l'intérêt que vous prenez à mon
+âme et à ma renommée, grand merci; je vous en récompenserai mieux que
+par des paroles: mais la finit votre rôle. Vos protégés comparaîtront
+devant leurs juges, ils y verront dévoiler leur scélératesse, et,... et
+ils mourront.»</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/38-13.png"></p>
+
+<p>Il parla d'une voix résolue, qui n'admettait point de réplique. Ce
+dernier mot: ils mourront, qui venait de s'échapper de sa bouche,
+résonna terrible sous les voûtes de la salle, et frappa comme d'un coup
+de foudre le moine, qui baissa la tête et se tut. Quand il la releva, il
+vit Luchino qui franchissait le seuil à pas précipités, et le laissait
+seul. Ainsi, le petit nombre de fois que la vérité peut se faire
+entendre à l'oreille des tyrans, leur funeste habitude de voir leur
+volonté convertie en loi étouffe les réclamations et met encore à la
+place du droit l'arbitraire et la violence.</p>
+
+
+
+<p>Luchino retourna rêver la conquête de toute l'Italie avec Andalone di
+Nero. <i>L'umiliato</i> descendit comme aveugle les escaliers du palais,
+traversa la cité, plein de compassion pour les peuples à qui Dieu envoie
+le pire des fléaux contenus dans les trésors de sa colère, un mauvais
+souverain. Il arriva au couvent de Brera en méditant sur les misères du
+juste, qui lui crient que sa patrie n'est point ici-bas.</p>
+
+<p><i>(La fin au prochain numéro.)</i></p>
+
+<br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/010.png"></p>
+
+<h2>Bulletin bibliographique.</h2>
+
+<p><i>Les Diplomates européens</i>; par <span class="sc">M. Capefigue</span> (3)--<i>Galerie des
+Contemporains illustre</i>; par un <span class="sc">Homme de bien</span>(4).--<i>L'autre Monde</i>; par
+<span class="sc">Grandville</span> (5).</p>
+
+<blockquote>(3) 1 vol. in-8. <i>Imprimeurs Unis</i>, 7 fr. 50 c.</blockquote>
+
+<blockquote>(4) 5 vol. in-18 (L'ouvrage en aura 10.) Chaque volume contient 12
+biographies et 12 portraits, <i>I. René</i> 4 fr. le vol.</blockquote>
+
+<blockquote>(5) 1 vol. grand in-8, avec 56 grands dessins coloriés et de nombreuses
+gravures sur bois. <i>Fournier</i>. 18 fr.</blockquote>
+
+<p>M. Capefigue est le fondateur-gérant d'une fabrique de livres
+historiques. Cet établissement prospère, à ce qu'il paraît, car il
+inonde le marché de ses produits. Du reste, il a tant fait parler de lui
+dans la quatrième colonne des grands journaux, qu'il jouit actuellement
+d'une réputation au moins égale à celle des pharmacies de MM. Régnault
+et Lamouroux. Alléché par des annonces payées, le public a d'abord
+acheté de confiance quelques-uns des livres qui portaient sur leur
+couverture l'étiquette Capefigue et comp., et qu'on lui vendait
+cependant sans aucune garantie de vérité et de talent. Aussi, examen
+fait de sa marchandise, l'infortuné reconnut une fois encore qu'il avait
+été outrageusement trompé, et</p>
+
+<p class="mid">Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus.
+</p>
+
+<p>Toutefois la spéculation était si bonne, qu'en dépit de la découverte de
+la vérité, malgré les avertissements et les sévères reproches de la
+critique, elle se continue avec un certain succès. Chaque année, la
+fabrique Capefigue invente, confectionne et met en vente un ouvrage
+nouveau qui n'a pas moins de six à huit volumes,--la matière première
+n'est ni rare ni précieuse,--le plus souvent un épisode ou un règne de
+l'histoire de France. Quand je dis invente, je me trompe: M. Capefigue
+n'a jamais inventé que son procédé, qui consiste à faire un volume avec
+cent pages de mauvaises phrases et deux cents pages de notes copiées
+partout. Le sujet de ses publications, il l'emprunte à d'autres
+écrivains plus riches que lui. Les journaux annoncent-ils l'apparition
+prochaine d'un ouvrage en 4 volumes, qui a coûté à son consciencieux
+auteur dix années de recherches et de travail, le lendemain même M.
+Capefigue, qui n'y avait jamais songé, en promet un en 8 volumes, et il
+s'engage à le livrer avant celui de son concurrent, et il tient parole.
+Ainsi, il a improvisé en quelques mois une histoire de la Réforme et une
+histoire de l'Empire, lorsqu'il a su que M. Mignet et M. Thiers
+travaillaient à ces deux ouvrages, et consultaient, pour les rendre
+dignes d'eux-mêmes et de leur sujet, toutes les archives de l'Europe. On
+raconte à ce sujet un mot piquant de l'éditeur futur de <i>l'Histoire du
+Consulat et de l'Empire</i> par M. Thiers: «Eh bien! Monsieur, je vais vous
+faire concurrence, lui dit M Capefigue en l'abordant d'un air
+triomphant.--Comment cela? lui répondit avec le plus grand sang-froid
+son interlocuteur. Est-ce que vous allez, publier <i>l'Histoire du
+Consulat et de l'Empire</i> par M. Thiers?»</p>
+
+<p>Cette année, outre la portion ordinaire de l'<i>Histoire de France</i>, M.
+Capefigue a régalé les dernières de ses anciennes pratiques d'un petit
+volume supplémentaire. Ce volume, qui a son mérite particulier, est
+intitule les <i>Diplomates européens</i>. Il y a plusieurs années, M.
+Capefigue avait publié quelques notices biographiques dans les recueils
+ou grandes revues. On lui a conseillé de les réunir en un corps
+d'ouvrage, afin d'en mieux faire connaître la tendance et l'esprit, et
+il se charge de nous apprendre lui-même pourquoi il a cru devoir suivre
+cet avis. L'aveu est digne d'être cité en entier.</p>
+
+<p>«Le but que je m'étais proposé alors avait été d'effacer les préjugés
+que les écoles décrépites de la Révolution et de l'Empire avaient jetés
+sur les vastes intelligences qui ont dirigé les cabinets ou qui les
+conduisent encore. Ce but, je le crois, fut en partie atteint par les
+quatre notices sur le prince de Metternich, les comtes Pozzo di Borgo,
+Nesselrode et le duc de Wellington.</p>
+
+<p>Il m'a paru d'autant plus essentiel aujourd'hui de compléter cette
+publication, qu'on semble prendre plaisir, depuis quelques années, de ne
+grandir que les démolisseurs. Les corps illustres se donnent le bonheur
+d'écouter les éloges de tous ceux qui ont ravagé notre vieille société,
+et l'on n'est pas un homme capable, savant, vertueux, si l'on n'a pas
+été au moins demi-régicide. Quant à moi, je demande une petite place
+pour les hommes politiques qui créent, conservent ou grandissent les
+États, pour ceux dont les &oelig;uvres durent encore et survivent à tous les
+déclamateurs. Je donnerais toutes les renommées des constitutionnels de
+1791, de l'an III et de l'an VIII pour la moindre parcelle de
+l'intelligence du grand cardinal de Richelieu!»</p>
+
+<p>M. Capefigue est, comme on le voit, assez difficile à contenter. Qu'il
+n'aime pas les constitutionnels de 1791, de l'an III et de l'an VIII,
+nous le concevons sans peine; l'Académie des Sciences morales et
+politiques s'est donné le bonheur d'écouter plusieurs notices
+biographiques fort remarquables que lui a lues son secrétaire-perpétuel,
+et dans lesquelles un juste: hommage était rendu à leurs mérites. Or M.
+Capefigue; ne pardonnera jamais à ces démolisseurs, comme il les
+appelle, d'avoir été loués par M. Mignet, auquel il a emprunté le titre
+d'un de ses innombrables ouvrages. Mais pourquoi Napoléon lui
+semble-t-il si petit? Serait-ce parce que M. Thiers va bientôt publier
+son histoire? Dans son éloge de lord Castlereagh, M. Capefigue, après
+avoir approuvé, admiré et loué la conduite du ministre anglais,
+s'exprime en ces termes en parlant de l'Empereur déchu:</p>
+
+<p>«Au reste, tout fut fait avec égard et convenance; nul ne fut plus
+<i>boudeur</i>, plus <i>maussade</i>, et je dirai même plus <i>petit</i>, que Bonaparte
+dans le malheur. Comment avait-il traité le duc d'Enghien? N'avait-il
+pas poursuivi et traqué Louis XVIII partout en Europe? Était-ce trop, le
+lendemain de son <i>aventure des Cent-Jours</i>, qui nous avait tant coûté,
+<i>que de le placer dans un lieu sûr où il ne pourrait</i> plus tourmenter
+l'Europe? Bonaparte s'offense de ce qu'on ne lui donne pas le titre de
+majesté, de ce qu'on ne lui laisse pas la liberté de vivre
+bourgeoisement en Angleterre ou aux États-Unis (ce qu'il demandait aussi
+sincèrement) que d'être juge de paix de son canton avant le 18 brumaire.
+Voyez-vous Bonaparte citoyen de Westminster ou de Charlestown! <i>Après un
+si long drame, quand on n'a pas su mourir, il faut savoir s'effacer</i>. A
+Sainte-Hélène, Bonaparte n'eut pas la grandeur de ses souvenirs et de sa
+gloire, et <i>j'aime à croire</i> que ses flatteurs ont tronqué ses paroles
+dans les récits sur son exil.»</p>
+
+<p>Des sentiments si nobles et si vrais, exprimés avec tant d'élégance et
+de distinction, ont-ils besoin de commentaires? Nous ne ferons pas,
+quant à nous, un si grand honneur à M. Capefigue. Nous aimons mieux
+compléter cette citation par un autre passage emprunté à l'éloge de lord
+Wellington, «ce vieux et noble chef des armées britanniques,» qui, à en
+croire son panégyriste, «n'est pas seulement une haute intelligence dans
+les combinaisons de la guerre, mais encore une <i>tête politique</i>
+sérieuse.--En France, ajoute M. Capefigue, les idées marchent moins
+vite; on y est encore plein de préjugés sur l'esprit et le caractère du
+duc de Wellington. <i>La vieille queue du parti bonapartiste pèse sur nous
+et défigure l'histoire.</i>»</p>
+
+<p>Désire-t-on encore quelques échantillons de ce style véritablement
+unique dans son genre? Ouvrons au hasard ce volume incomparable:</p>
+
+<p>«La vie publique, quand on a des <i>entrailles</i> s'use vite. (P. 260.)</p>
+
+<p>«L'Assemblée Constituante fut un grand chaos où des hommes de talent se
+heurtèrent <i>la tête</i>. (Page 70.)</p>
+
+<p>«M. Pozzo di Borgo était un homme si plein de faits, qu'ils sortaient
+parlons les <i>pores</i>... Je le vis à son retour à Paris; quelle
+différence! et que nous sommes petits devant cette main de Dieu qui
+brise et froisse le <i>crâne!...</i> (Page 189.)</p>
+
+<p>«Les émotions, on s'en souvient toujours... elles s'infiltrent dans la
+vie entière, elles s'imprègnent au <i>crâne</i> des hommes pour dominer toute
+leur pensée... (Page 120.)</p>
+
+<p>«En Angleterre, ce pays des grandes opinions, la <i>chute</i> d'une noble
+espérance <i>dévore les entrailles</i> des hommes d'État. (P. 222.)</p>
+
+<p>«La Prusse, ce long <i>boyau</i> qui a la <i>tête</i> sur le Niemen et les <i>pieds</i>
+sur la Meuse.» (Page 306.)</p>
+
+<p>M. Capefigue, qui s'avoue si souvent et si hautement conservateur se
+permet pourtant çà et là quelques attaques que nous ne savons comment
+qualifier, contre certaines institutions civiles. Ainsi on lit à la page
+84: «A peine rendu à la vie séculière, M. de Talleyrand eut à subir les
+exigences impérieuses du premier Consul. Bonaparte, qui se piquait de
+haute moralité, lui imposa l'obligation du mariage, <i>grande plaie pour
+l'homme spirituel et de bon goût...</i>»</p>
+
+<p>Les citations sont suffisantes. Nos lecteurs savent maintenant dans quel
+esprit et avec quel style M. Capefigue a ecrit les biographies du prince
+de Metternich, du comte Pozzo di Borgo, du prime de Talleyrand, du baron
+Pasquier, du duc de Wellington, du duc de Richelieu, du prince de
+Hardenberg, du comte de Nesselrode et de lord Castlereagh. Il nous
+resterait maintenant à prouver que cet ouvrage, si noblement pensé et si
+purement écrit, contient presque autant d'erreurs que de faits; mais un
+pareil travail ne saurait trouver place dans <i>l'Illustration</i>.
+Seulement, pour donner une idée de la <i>conscience historique</i>, qu'on
+nous permette cette expression, de railleur des <i>Diplomates européens</i>,
+nous emprunterons encore un court passage à la Notice du prince de
+Talleyrand.</p>
+
+<p>«Dès 1812, tout <i>prestige était effacé sur</i> l'Empereur: l'incendie de
+Moscou, les glaces qui avaient enveloppé d'un linceul la grande-armée,
+la conspiration de Mallet, in avaient ébranlé la force impériale. Les
+négociations de M. de Talleyrand prenaient une indicible hardiesse; les
+plénipotentiaires des puissances avaient fixé un congrès à Châtillon,
+plutôt pour la forme que pour discuter des questions véritablement
+diplomatiques. M. de Caulincourt devait y présenter un traité sur les
+limites de la France en conservant Napoléon sur le trône ou la régence
+de Marie-Louise. Le dévouement de M. de Caulincourt à l'Empire ne
+pouvait pas être mis en doute: ce fut à ce moment que M. de Talleyrand
+envoya un agent mystérieux au quartier-général de l'empereur Alexandre.
+Cet agent, M. de Vitrolles, je crois, dut exposer l'état de la capitale,
+le besoin qu'on avait d'en finir avec l'empereur Napoléon, la nécessité
+surtout d'une restauration de l'ancienne dynastie, seule solution
+positive à l'état de choses. M. de Vitrolles s'acquitta avec beaucoup de
+zèle et d'esprit de cette mission intime qui le plaçait en face
+d'immenses dangers; il parvint à remettre à l'empereur Alexandre des
+lettres chiffrées de M. de Talleyrand, et un mémoire fort détaillé sur
+l'état des esprits...»</p>
+
+<p>Eh bien! M. de Vitrolles nous a autorisé à le déclarer en son nom, il
+n'y a pas un seul mot de vrai dans toute cette histoire.</p>
+
+<p>M. de Vitrolles ne reçut pas, comme le croit M. Capefigue, une pareille
+mission de Talleyrand; il ne lui avait même jamais parlé.</p>
+
+<p>Du reste, M. Capefigue paraît, sur ce point, comme sur beaucoup
+d'autres, s'attendre a un démenti. Il n'ose pas affirmer, il se contente
+de croire, cette manière d'écrire l'histoire n'est-elle pas réellement
+originale? J'allègue un fait, je ne suis pas sûr qu'il ait eu lieu, mais
+je le crois, ou plutôt je le pense, cela me suffit. Ne me demandez pas
+de le vérifier, je suis un trop grand historien pour m'abaisser à de
+pareilles recherches. Ce «Je crois!» c'est M. Capefigue peint par
+lui-même. Que pourrions-nous ajouter à un portrait si ressemblant?</p>
+
+<p>L'auteur de la <i>Galerie des Contemporains illustres</i>, qui s'appelle un
+<span class="sc">Homme de bien</span>, possède toutes les qualités, dont M. Capefigue est privé.
+Nous n'avons que des éloges à donner à cette publication. L'étendue et
+la variété de ses connaissances, l'élégante simplicité de son style, son
+impartialité, son indépendance, sa raison et son bon goût, assureront à
+l'<span class="sc">Homme de bien</span>, dont nous respecterons l'anonyme, une place éminente
+parmi les écrivains les plus distingués de notre époque. On sent, en
+parcourant la <i>Galerie des Contemporains illustres</i>, que M. de L***. n'a
+pas voulu faire une spéculation éphémère, comme d'autres biographes
+contemporains, mais un livre sérieux et vrai, qui sera toujours lu et
+consulte avec autant de profit et de plaisir.</p>
+
+<p>Ses erreurs, quand il en commet, sont toujours involontaires.</p>
+
+<p>Mais aussi qui pourrait se vanter de n'avoir jamais recueilli un seul
+renseignement inexact dans cent et quelques biographies d'hommes pour la
+plupart encore vivants?</p>
+
+<p>L'<span class="sc">Homme de bien</span>, répondant à certains critiques dans la préface; de son
+cinquième volume, a donc pu affirmer, sans craindre d'être démenti,
+qu'il était «un être un et réel, parfaitement inoffensif et indépendant,
+disant poliment ce qui lui semble la vérité sans intention de plaire ou
+de déplaire à qui que ce soit, et ne recevant jamais d'autre inspiration
+que celle de sa conscience.»</p>
+
+<p>Mais si divertissants que nous semblent <i>les diplomates européens</i>, si
+intéressants que soient les <i>Contemporains illustres</i>, il est temps de
+faire, sous la conduite de Grandville, une petite excursion dans un
+autre monde que le nôtre. Ce n'est pas l'autre monde, celui des démons
+et des anges, dont tous les grands poètes de l'antiquité et des temps
+modernes nous ont laissé des descriptions plus ou moins exactes et
+agréables; c'est <i>un autre Monde</i>, un monde qui n'a jamais existé que
+dans l'imagination de son inventeur et créateur, un monde qui nous
+promet, comme son titre l'annonce, une foule de transformations,
+visions, incarnations, ascensions, locomotions, explorations,
+pérégrinations, excursions, stations, cosmogonies, fantasmagories,
+rêveries, folâtreries, facéties, lubies, métamorphoses, zoomorphoses,
+lithomorphoses, métempsycoses, apothéoses, et autres choses.</p>
+
+<p>Si nous ouvrons ce volume <i>merveilleux</i>, qu'y voyons-nous, en effet?
+D'abord, après un spirituel menuet danse par la plume et le crayon,
+l'apothéose du docteur Puff, qui crée deux néo-dieux à son image: le
+capitaine Krackq, professeur de natation, et le compositeur Habblle. Ces
+trois co-dieux se partagent immédiatement l'univers à pile ou face.
+Krackq choisit la mer. Habblle prend le ciel, la terre reste à Puff.
+Ingénieuse allégorie pour nous avertir que fauteur de <i>l'autre monde</i> va
+nous révéler tous les mystères des plus bizarres fantaisies de <i>la Folle
+du Logis</i>; aussi marchons-nous dès lors de surprise en surprise. Là, ce
+ce sont des <i>instruments</i> ou des <i>végétaux</i> qui prennent des formes et
+des figures humaines pour donner un conseil ou se battre en duel; ici,
+des animaux déguisés se livrent, au fond des eaux, aux divertissements
+les plus excentriques d'un bal masque. Plus loin, <i>aux déguisements
+physiologiques</i> succède un curieux chapitre intitulé le <i>Royaume des
+Marionnettes</i>; on y remarque même des maillots qui dansent un pas de
+caractère avec des crabes. Mais bientôt les plaisirs de l'hiver font
+place à ceux de l'été: poissons d'avril, Longchamps, exposition de
+tableaux, ateliers de peintres, Louvre des marionnettes, que d'esprit et
+de talent vous faites dépenser à votre fécond créateur... De la terre,
+remontons aux cieux, nous pourrons être témoins d'une éclipse conjugale;
+nous y verrons le soleil et la lune s'embrasser, les signes, du zodiaque
+danser la sarabande, une comète se promener sentimentalement dans
+l'espace, etc., etc.; nous assisterons à la représentation des amours
+d'un pantin et d'une étoile; puis, pour nous remettre des fatigues de
+cet étrange voyage, nous irons passer un après-midi au
+Jardin-des-Plantes. Jetons un regard rapide sur cette foule variée des
+monstrueux <i>doublivores</i> qui attire d'abord nos regards, et courons à la
+fête des fleurs; car bientôt des locomotives aériennes viendront nous
+enlever pour nous ravir au quatre-vingt-dix-septième ciel, où nous
+connaîtrons enfin quelques-uns des mystères de l'infini. Que vous
+dirai-je encore? Vous parlerai-je des Iles Marquises, des grands et des
+petits, de la jeune Chine, d'une journée à Herculanum, d'une macédoine
+céleste, d'une course au clocher conjugal, des plaisirs des
+Champs-Élysées, de l'enfer de Krackq, des noces du Puff et de la
+réclame, des métamorphoses du sommeil, de la meilleure forme de
+gouvernement, de la fin de l'un et de l'autre monde?... J'aime mieux
+employer le peu de place qui me reste à vous apprendre, si vous
+l'ignorez, ô mes bien-aimés lecteurs et lectrices, que Grandville
+n'avait peut-être jamais été, sinon plus heureux, du moins plus
+original, plus habile, plus spirituel que dans ce beau volume qui a pour
+titre un <i>Autre Monde</i>. 20,000 souscripteurs et acheteurs partageront,
+je n'en doute pas, avant la fin de cette année, ma surprise et mon
+admiration.<br>
+
+<span class="rig">An. J.</span></p>
+<br><br>
+
+<h2>Modes.</h2>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/011a.png"></p>
+
+<p>Cet hiver on emploie beaucoup de velours pour ornement de robes; nous
+donnons une robe garnie, au bas, de deux biais de cette étoffe; le
+corsage et les manches ont la même garniture.</p>
+
+<p>Le costume d'enfant, dont le modèle nous a été fourni par madame
+Marnedaz, est en étoffe de laine, et les ornements sont également en
+velours.</p>
+
+<p>A la première et à la seconde représentation de <i>Dom Sébastien</i>, à
+l'Opéra, les toilettes étaient très-brillantes: nous avons remarqué,
+entre autres, une robe de satin blanc avec un rang de dentelle pose sur
+chaque côté de la jupe, de manière à produire l'effet de deux barbes; au
+milieu était un petit plissé en ruban de satin, autour duquel tournait
+la dentelle. Deux rangs de dentelle pareille, surmontées d'un petit plis
+de ruban, ornaient le corsage, et les manches. Une fort belle épingle en
+coque de perles, entourée de marcassite, descendait jusqu'à la moitié du
+corsage; les coques étaient séparées par un n&oelig;ud formé de marcassite.
+Un bracelet de même genre complétait cette parure riche et du goût le
+plus nouveau, puisque les vieux bijoux sont la plus nouvelle mode.</p>
+
+<p>Une autre toilette, dont l'ensemble était encore très-gracieux, se
+composait d'une robe de velours d'Afrique rose à plissé de rubans
+descendant de chaque côté de la jupe, toujours en tablier, avec torsade
+en passementerie lacée en carreau au milieu et diminuant de largeur vers
+la ceinture (la même garniture se répétait au corsage); puis d'un petit
+bonnet en dentelle avec barbes relevées sur le derrière de la tête, et
+dont toute la grâce consistait dans l'arrangement et la pose d'une
+fleur, d'un n&oelig;ud, d'un rien.</p>
+
+<p>On peut affirmer que le blanc, le rose et le gris argenté dominaient
+dans ces premières réunions de la saison.</p>
+
+<p>Mais, comme une femme en négligé est encore plus intéressante que sous
+tous les costumes de grande parure, la recherche des robes de chambre
+est devenue un luxe, une mode, un usage général. Les vastes et longs
+plis de soie ou de cachemire conviennent à presque toutes les tailles.
+Pour ces robes, le satin imitant le piqué fait de charmantes doublures;
+il fait fort bien encore pour leuts revers, mais là doit se borner son
+emploi. Pour les robes de ville et les manteaux, il ne doit servir qu'à
+doubler; l'utiliser comme ornement extérieur serait un manque de goût.
+Toutefois, on peut faire une exception en faveur des pelisses de
+cachemire on de soie pour sorties de bal et de théâtre.</p>
+<br><br>
+
+<h2>Amusements des sciences.</h2>
+
+<h4>SOLUTION DES QUESTIONS PROPOSÉES DANS LE DERNIER NUMÉRO.</h4>
+
+<p>I. La solution de divers problèmes de mécanique dépend de la
+connaissance de la nature du <i>centre de gravité</i>.</p>
+
+<p>On appelle ainsi dans un corps, le point autour duquel toutes ses
+parties se balancent, de manière que s'il était suspendu par là, il
+resterait indifféremment dans toutes les situations où on le mettrait
+autour de ce point.</p>
+
+<p>Il est aisé de voir que, dans les corps réguliers et homogènes, ce point
+ne peut être autre que le centre de figure. C'est ce qui a lieu dans un
+globe, dans un sphéroïde, dans un cylindre.</p>
+
+<p>On trouve le centre de gravité entre deux poids ou corps de différente
+pesanteur, en divisant la distance de leurs points de suspension en deux
+parties qui soient comme leurs poids, en sorte que la plus courte soit
+du côté du plus pesant, et la plus longue du côté dit plus léger, c'est
+là le principe des balances à bras inégaux, où, avec un même poids, on
+pèse plusieurs corps de différentes pesanteurs.</p>
+
+<p>Lorsqu'il y a plusieurs poids on cherche par la règle précédente le
+centre de pesanteur de deux; on les suppose ensuite réunis dans ce
+point, et l'on cherche le centre de gravité commun avec le troisième
+poids et les deux premiers réunis dans le point premièrement trouvé, et
+ainsi de suite.</p>
+
+<p>Soient, par exemple, les poids A, B, C, suspendus aux trois points D, E,
+F de la ligne ou balance DF, que nous supposons sans pesanteur. Que le
+poids A soit de 108 kilog., B de 144 et C de 180; la distance DE de 11
+mètres et EF de 9 mètres.</p>
+
+<p>Cherchez d'abord entre les poids B et C le centre commun de gravité; ce
+que vous ferez en divisant la distance EF, ou 9 mètres, en deux parties
+qui soient comme 144 et 180, ou 4 et 5. Ces deux parties sont 4 et 5
+mètres, dont la plus grande doit être placée du côté du plus faible
+poids. Ainsi le poids B étant le moindre, on aura EG; de 5 mètres et FG
+de 1 mètres; conséquemment DG sera de 16.</p>
+
+<p>Supposez à présent au point G les deux poids B et C réunis en un seul,
+qui sera par conséquent de 324 kilog.; divisez la distance DG, ou 16
+mètres, dans le rapport de 108 à 324, ou de 1 à 3: l'une de ces parties
+sera 12 et l'autre 4. Ainsi le poids A étant moindre, il faut prendre DH
+égal à 12 mètres, et le point H sera le centre de gravité commun des
+trois poids.</p>
+
+<p>On eût trouvé la même chose si l'un eût commencé à réunir les poids A et
+B</p>
+
+<p>La règle est enfin la même, quel que soit le nombre des poids et qu'elle
+que soit leur position dans une même ligne droite un dans un même plan
+un non.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/011b.png"><br><b>C'est cette figure qui a été placée par erreur dans
+l'avant-dernier numéro.</b></p>
+
+<p> La considération du centre de gravité donne
+lieu à diverses propositions curieuses. Nous nous bornerons à énoncer
+ici un beau principe de mécanique qui en découle. Le voici:</p>
+
+<p>Si plusieurs corps ou poids sont tellement disposés entre eux, qu'en se
+communiquant leur mouvement, leur centre de gravité commun reste
+immobile ou ne s'écarte point de la ligne horizontale, c'est-à-dire ne
+hausse ni ne baisse, alors il y aura équilibre. Ce principe porte
+presque sa démonstration avec son énoncé, et nous pourrions nous en
+servir pour démontrer toutes les propriétés des machines; mais nous
+laissons au lecteur le soin de faire cette application.</p>
+
+<p>II. Voici l'énoncé du problème tel qu'il a été donné dans l'Anthologie
+grecque:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> Die, Heliconiadum decus, ô sublime sororum</p>
+<p class="i14"> Pythagora! tua quot tyrones tecta frequentent,</p>
+<p class="i14"> Qui, sub te, sophice sudant in agone magistro?</p>
+<p class="i14"> Dicam; tuque animo mea dicta, Polycrates hauri:</p>
+<p class="i14"> Dimidia horum pars præclara mathemata discit</p>
+<p class="i14"> Quarta immortalem naturam nosse laborat</p>
+<p class="i14"> Septima, sed tacité, sedet atque audita revolvit;</p>
+<p class="i14"> Tres sunt fæminæi sexus.</p>
+</div></div>
+
+<p>Ainsi il s'agit de trouver un nombre dont une moitié, un quart et un
+septième, en y ajoutant 3, fassent ce nombre lui-même. Il est aisé de
+répondre que ce nombre est 28.</p>
+
+<p>III Ce problème est tiré de l'Anthologie grecque. Voici l'énoncé en vers
+latins:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> Die quota nunc hora est? Superest tantum ecce diei</p>
+<p class="i14"> Quantum bis gemini exacta de luce trientes.</p>
+</div></div>
+
+<p>En divisant la durée du jour, comme faisaient les anciens, en douze
+parties, il est question de partager ce nombre en deux parties telles
+que les 4/3 de la première soient ensemble égaux à la seconde; ce qui
+donne, pour le nombre des heures écoulées, 5-1/6 et conséquemment pour
+le reste du jour, 6-5/6 heures.</p>
+<br>
+
+<h4>NOUVELLES QUESTIONS A RÉSOUDRE.</h4>
+
+<p>I. Faire tenir un seau plein d'eau par un bâton dont une moitié ou moins
+repose sur le bord d'une table.</p>
+
+<p>II. Une femme a vendu 10 perdrix au marché, une seconde en a vendu 25,
+et une troisième en a vendu 30, et toutes au même prix, à chacune de
+leurs ventes. En sortant du marché, il se trouve qu'elles emportent
+toutes trois la même somme. On demande à quel prix et comment elles ont
+vendu.</p>
+<br><br>
+
+<h3>Correspondance.</h3>
+
+<p><i>A un abonné de Paris.</i>--Est bien fou du cerveau qui prétend contenter
+tout le monde et son père; cependant toute plainte est respectable.</p>
+
+<p><i>A. M. I. à Saint-Pétersbourg</i>.--Vos observations sont justes. Il sera
+tenu compte de votre bon avis: nous vous remercions.</p>
+
+<p><i>M. B. z., de Nantes</i> craint que nos sujets ne s'épuisent. Les mêmes
+fêtes, les mêmes cérémonies, dit-il, se reproduisent tous les ans. Que
+ferez-vous lorsque vous les aurez toutes représentées? <i>MM. V, G. et L</i>
+s'étonnent, au contraire, que nous laissions passer, sans les illustrer,
+un nombre considérable de sujets nouveaux, qu'offrent chaque jour à
+notre cadre, Paris, la France, l'Europe, l'univers entier.</p>
+
+<p><i>A M. Gl. S., de Rouen.</i>--Proposition malheureusement tardive.
+L'exposition des produits de l'industrie pour 1844 est un sujet trop
+important pour que nous ne nous soyons point depuis longtemps mis en
+mesure de le traiter avec tous les développements qu'il comporte: nos
+dessinateurs sont déjà à l'&oelig;uvre; nos rédacteurs sont prêts.</p>
+<br><br>
+
+<h3>EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS.</h3>
+
+<p class="mid">Maintenant la science a beau démontrer ses beautés, les arts l'emportent
+sur elle.</p>
+<br>
+<p class="mid"><img alt="" src="images/011c.png"></p>
+
+
+
+
+<br><br>
+</div>
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of L'Illustration, No. 0038, 18 Novembre
+1843, by Various
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