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+Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0037, 11 Novembre 1843, by Various
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: L'Illustration, No. 0037, 11 Novembre 1843
+
+Author: Various
+
+Release Date: April 19, 2012 [EBook #39481]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, 11 NOV 1843 ***
+
+
+
+
+Produced by Rénald Lévesque
+
+
+
+
+
+
+L'Illustration, No. 0037, 11 Novembre 1843
+
+L'ILLUSTRATION,
+JOURNAL UNIVERSEL.
+
+Nº 37. Vol. II.--SAMEDI 11 NOVEMBRE 1843.
+Bureaux, rue de Seine, 33.
+
+Ab pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois, 16 fr.--Un an, 30 fr.
+Prix de chaque N°, 75 c.--La collection mensuelle br., 2 fr. 75.
+
+Ab. pour les Dép.--3 mois, 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an, 32 fr.
+pour l'Étranger. -- 10 -- 20 -- 40
+
+
+
+SOMMAIRE
+
+Courrier de Paris. _Salle des Pas-Perdus, au Palais-de-Justice_.
+--Histoire de la Semaine. _Portrait de M. Dupin; Hôtel de M.
+Molé_.--Théâtres.--Opéra-Comique. _Une scène du Déserteur;_ Français,
+_Une scène d'Eve_, 2e acte.--Misère publique.--Une Bouteille de
+Champagne, nouvelle, par André. Delrieu.--La Saint-Hubert. _Une Chasse
+dans un hôtel; la Saint-Hubert du garde; Vision de saint Hubert; la
+Bénédiction des Chiens; une Saint-Hubert dans la rue
+Saint-Honoré_.--Margherita Pusterla. Roman de M. César Cantù.--Chapitre
+XVII, Trahison; chapitre XVIII, le Soldat. _Quinze Gravures_.--Bulletin
+bibliographique. _La Recherche de l'Inconnue_, par A. de Lavergne;
+_Voyage où il vous plaira_, par Tony Johannot, Alfred de Musset et P.-J.
+Stahl; _Les Fastes de Versailles_, par M. Fortoul.--Annonces.--Modes.
+_Deux Gravures_.--Amusements des Sciences. _Deux Gravures._--Rébus.
+
+
+
+Courrier de Paris.
+
+Il a bien fallu que MM. les présidents, MM. les juges, MM. les
+conseillers, MM. les procureurs et avocats-généraux en prissent leur
+parti comme les autres: le mois de novembre, les chassant de leurs
+maisons des champs, les a contraints de reprendre la toge et le bonnet
+carré. Heureux toutefois les desservants de Thémis, comme on disait en
+vieux style, cent fois heureux de pouvoir prolonger leurs loisirs
+jusqu'au jour de _la Toussaint_. C'est une douceur qui leur est
+particulière, une gratification extraordinaire de bon temps et d'heures
+fainéantes qu'ils prélèvent sur les vacances, et dont personne, parmi
+les gens du robe et d'affaires, ne jouit au même degré de licence, ni
+avocats, ni notaires, ni avoués, ni préfets, ni bureaucrates, ni
+ministres, ni vous surtout, ô joyeux écoliers, pour qui le mot
+_vacances_ semble avoir été plus particulièrement inventé. Mais, comme
+dit Figaro, c'est une si belle chose que la justice.... quand elle est
+juste, qu'on ne saurait trop l'encourager.
+
+Les tribunaux sont donc en train de rouvrir leurs portes depuis huit
+jours, et la salle des Pas-Perdus se repeuple: moment trois fois béni
+pour l'écrivain publie accolé aux piliers du Palais-de-Justice, et pour
+la loueuse de journaux, qui voient leur clientèle revenir! Jour
+impatiemment attendu par l'habitué des séances judiciaires, par
+l'amateur de procès, dont l'appétit quotidien et dévorant ne trouvait
+qu'une nourriture insuffisante dans l'entremets servi par les chambres
+de vacations. Maintenant il va se remettre à la ration complète, et se
+gorger de vols, de meurtres, d'adultères, de séparations de corps et de
+licitations entre mineurs.
+
+[Illustration: La rentrée des tribunaux.--Salle des Pas-Perdus, au
+Palais-de-Justice.]
+
+Voyez comme la vie et le mouvement sont rentrés au Palais depuis que la
+Cour de cassation et la Cour royale en robes rouges ont inauguré la
+nouvelle année judiciaire en séance solennelle. La salle des Pas-Perdus
+était silencieuse; et morne; maintenant tout s'y agite, tout y va, tout
+y vient, tout y gesticule, tout y parle; le client court après l'avocat,
+l'avocat après le juge, le clerc après l'avoué, le saute-ruisseau après
+le maître-clerc, l'huissier après le gendarme, le stagiaire après un
+bandit de Cour d'assises ou de police correctionnelle. Ô salle des
+Pas-Perdus, ô curieux pandoemonium où se rencontrent et se coudoient la
+vérité et le mensonge, la bonne foi et la ruse, l'ignorance et le
+savoir, la vertu et le vice, Démosthènes et Petit-Jean, d'Agnesseau et
+Perrin Dandin!
+
+On appelle cette réinstallation annuelle de la justice la _rentrée_ des
+tribunaux. C'est le terme consacré, et les journaux n'en connaissent pas
+d'autre. «Hier, disaient-ils, la Cour de cassation a fait sa _rentrée_,
+M. le procureur-général Dupin a prononcé le discours de _rentrée_.»
+comme on dit la rentrée de mademoiselle Carlotta Grisi, la rentrée de M.
+Baroilhet, la rentrée de M. Ligier, la rentrée de mademoiselle Plessis,
+la rentrée de _Partisan_ et de _l'Aérienne_. Quoi donc! se servir du même
+terme pour deux choses si différentes! Parler de la même façon d'un
+acteur et d'un procureur-général, de la Cour de cassation et d'une
+danseuse, de la justice et d'un cheval savant! Annoncer que celle-ci a
+fait sa rentrée comme celui-là, n'est-ce pas là une grande irrévérence,
+et le dictionnaire n'aurait-il pas dû se montrer plus respectueux? A
+moins qu'aux yeux du dictionnaire, il n'y ait partout, dans la salle des
+Pas-perdus comme au théâtre, que des danseurs et des comédiens qui
+cabriolent avec plus ou moins d'habileté, et remplissent plus ou moins
+bien leurs rôles!
+
+Puisque nous parlons comédie, ne laissons point passer le Conservatoire
+sans lui dire un mot. Le Conservatoire, en effet, a tenu sa séance
+solennelle le même jour que la Cour de cassation; mais il ne s'agissait
+pas de prononcer une harangue éloquente contre les jésuites, comme l'a
+fait M. Dupin, ni de retracer les devoirs austères du magistrat; le
+Conservatoire n'entonne pas d'aussi graves trompettes: il chante, voilà
+tout, ou déclame des chansons et des vers plus ou moins mondains. Le
+Conservatoire enseigne la comédie, la fugue, la tragédie et
+l'opéra-comique, s'occupant non pas de rendre la justice aux hommes,
+mais de les divertir, soit en les charmant par des voix et des
+instruments mélodieux, soit en les faisant rire, soit en les faisant
+pleurer. Le Palais, pour encourager ses nourrissons, a le siège du juge
+et l'hermine du président; le Conservatoire n'offre aux siens qu'une
+simple couronne de laurier. L'autre jour donc, il a fait la distribution
+de ces couronnes et les a placées sur de jeunes fronts de quinze à vingt
+ans, émus et rougissant des joies du premier succès.
+
+Si le Conservatoire ne produit pas tous les ans de grands Compositeurs,
+de grands chanteurs, de grands acteurs et de grands musiciens, ce n'est
+pas faute du moins de distribuer des prix: prix de fugue, prix
+d'harmonie, prix de solfège, prix de chant, prix d'orgue, prix de piano,
+prix de harpe, prix de violon, de violoncelle, de contre-basse, de
+flûte, de hautbois, de clarinette, de basson, de cor, de trompette, de
+trombone, de comédie, de déclamation lyrique, d'opéra-comique et de
+tragédie. Ainsi tous les ans une armée de lauréats sort de la rue
+Bergère ceinte des palmes du Conservatoire, musique en tête, marotte et
+poignard au côté, prête à promener l'alexandrin, la roulade et l'archet
+_per tutam terram impune_.
+
+On a particulièrement distingué, dans le dernier couronnement, M. Got,
+M. Roger, M. Chotel, mademoiselle Grandhomme, et enfin un jeune homme
+qui porte un nom cher à l'Opéra-Comique, le nom de Ponchard. Tous ces
+conscrits en veulent à Molière ou à Corneille, même M. Ponchard, bien
+qu'il soit fils de l'ariette et de la cavatine; soit! mademoiselle et
+messieurs, jouez la comédie et maniez le poignard, puisque tel est votre
+bon plaisir; et si par hasard vous pouviez nous rendre mademoiselle Mars
+et Talma, ou quelques-uns de ces dieux de l'art disparus depuis
+longtemps, soyez sûrs que personne n'y trouverait à redire. Mais que de
+couronnes semées par le Conservatoire se sèchent tout à coup et ne
+donnent pas de moisson!
+
+Tandis que les écoles s'efforcent de faire des hommes de talent et de
+génie et n'y réussissent guère, la nature, qui ne monte pas en chaire et
+ne s'affuble jamais de la robe magistrale, les fait éclore, sans leçons
+et sans férule. Nous avons parlé l'autre jour du jeune Beuzeville, ce
+simple ouvrier qui s'était endormi tisserand, et tout à coup s'est
+éveillé poète. Voici qu'on nous annonce une autre merveille: il s'agit
+encore d'un poète subitement inspiré par la muse au fond de sa boutique
+et sous sa veste d'artisan. Celui-ci s'appelle Constant Hilbey; il
+arrive de Fécamp chargé de provisions poétiques. On ne dit pas si M.
+Constant Hilbey apporte sa tragédie, comme M. Beuzeville, et si quelque
+_Spartacus_ ou quelque _Brutus_ se trouve dans son bagage; mais cela se
+devine. Quel poète n'a pas commencé par une tragédie? Il est donc
+très-probable que M. Constant Hilbey frappe en ce moment à la porte de
+l'Odéon ou du Théâtre-Français, et avant huit jours nous lirons dans
+quelque journal _bien informé_; «Un jeune tonnelier, ou miroitier, ou
+cordonnier, ou charron, ou carrossier de Fécamp a lu hier, devant
+messieurs les comédiens ordinaires du roi, une tragédie intitulée
+_Idoménée_, qui renferme des beauté» du premier ordre: c'est du
+Corneille mêlé de Racine, assaisonné de Shakspeare; en conséquence,
+l'ouvrage a été reçu à corrections.»
+
+Horace, de son temps, disait; «Les villes ne laisseront bientôt plus de
+terre au laboureur!» Ne pourrait-on pas craindre aujourd'hui, en
+retournant l'apostrophe d'Horace, que la plume ne laisse bientôt plus de
+bras à l'atelier? Qui tissera la toile? qui fondra le fer et le bronze?
+qui taillera la pierre et le marbre, si de chaque peloton de fil, de
+chaque, kilogramme de fer, de chaque bloc de marbre, il sort un rimeur
+et une tragédie?
+
+Parlez-moi de M. Félix, à la bonne heure! il n'y a rien à lui dire: la
+vocation de M. Félix est, non pas de jouer la tragédie lui-même, mais de
+la faire jouer aux autres. Il tient ce droit de mademoiselle Rachel, son
+illustre fille, qu'il a nourrie et dressée à la tragédie de ses propres
+mains, dès ses plus jeunes ans, comme dit la nourrice de Phèdre.
+
+M. Félix à donc résolu de faire _une suite_ à mademoiselle Rachel, et il
+s'est dit: «Si je pouvais avoir trois ou quatre Melpomènes de cette
+force là, mes affaires n'en iraient que mieux; et après tout, qu'est-ce
+que cela me coûte? Je possède mon brevet d'invention, et je sais la
+manière de s'en servir. En conséquence, M. Félix a fait mademoiselle
+Rébecca et M. Raphaël, et après les avoir faits, à peine avaient-ils eu
+le temps de croître, qu'il les a revêtus, l'un des éperons du Cid,
+l'autre du voile de Chiméne. Ainsi façonnés de la main de leur père,
+mademoiselle Rébecca et M. Raphaël se sont intrépidement précipités sur
+la scène de l'Odéon, en débitant des vers de Corneille.
+
+Mademoiselle Rébecca n'a que quatorze ans, M. Raphaël en a seize; on
+voit que M. Félix est si pressé de jouir et de mettre ses fruits en
+rapport, qu'il ne leur laisse pas même la permission de mûrir.--M.
+Raphaël a déjà de l'aplomb, du feu, de l'énergie, comme s'il avait
+suffisamment de barbe au menton. Quant à mademoiselle Rébecca, ce n'est
+qu'une enfant qui singe, avec une exactitude encore plus pénible à voir
+que surprenante, l'allure, le geste, le ton, la voix de sa soeur
+mademoiselle Rachel. Figurez-vous une Chiméne en bas âge, tout juste
+bonne à figurer au Gymnase-Enfantin. Au premier mot le public a d'abord
+paru désagréablement surpris; puis il a fini par se conduire envers
+cette petite comme un père indulgent, et par lui jeter quelques bravos,
+faute de s'être pourvu de tartines de confiture et de dragées.
+
+M. Félix a encore deux enfants après ceux-là, une fille et un garçon; il
+les a voués, comme les autres, à la tragédie, et il s'en vante. Tous
+deux sont âgés de sept à huit ans; on pense que M. Félix fera débuter
+avant quinze jours le petit garçon de sept ans dans le rôle de
+Mithridate, et la petite fille de huit ans dans celui d'Agrippine. Ne
+serait-il pas nécessaire cependant d'appliquer à M. Félix la loi
+concernant le travail des enfants dans les manufactures?
+
+On annonce l'arrivée de M. de Ciebra. Qu'est-ce que M. de Ciebra? me
+demandez-vous. Je vous réponds, M. José Maria de Ciebra est un Espagnol,
+comme son nom l'annonce surabondamment; en outre, à cette qualité
+d'Espagnol, M. de Ciebra ajoute cette d'habile guitariste. De ce morceau
+de bois blanc qu'on appelle une guitare M. de Ciebra sait tirer, dit-on,
+les sons les plus agréables et les plus doux. Nous entendrons cela dans
+nos concerts d'hiver. Mais pourquoi M. de Ciebra a-t-il quitté
+l'Espagne? La galante Espagne a-t-elle tout perdu, tout, jusqu'à la
+guitare et à la sérénade, et bientôt verrons-nous la castagnette
+elle-même et le boléro s'enfuir et déserter l'Andalousie! M. de Ciebra
+vient en France dans l'espoir de s'abriter, lui et sa guitare; ce sera
+pis encore; la France est moins que jamais le pays des Rosine et des
+Almaviva; la guitare de Figaro est depuis longtemps brisée, et le drame
+moderne a dressé Lindor, au lieu de roucouler la tendre romance, à fumer
+un cigare sous le balcon de Rosine.
+
+Qui n'a lu l'admirable roman de _Consuelo_ par George Sand? Eh bien!
+voici le bruit qui court, à propos de _Consuelo_. On assure que du livre
+George Sand a extrait un épisode, et que de l'épisode il a fait un
+opéra; Litz serait chargé de composer la musique. Pour le coup,
+l'affaire serait intéressante, et le jour de la première représentation,
+M. le préfet de police n'aurait pas assez de tous ses sergents de ville,
+de toutes ses brigades municipales, de tous ses commissaires, pour
+contenir la foule et aligner son impatience et sa curiosité.
+
+Une pauvre femme nommée Clugny comparaissait dernièrement devant la
+police correctionnelle; elle était accusée de vagabondage. L'instruction
+a prouvé que la mendiante possédait encore 1 franc 25 cent, dans sa
+poche, la veille de son arrestation. A l'audience, le président lui a
+demandé compte de l'emploi de cette somme. «Hélas! monsieur, a répondu
+la pauvre vieille d'une voix dolente, je l'ai dépensée!--Quoi! du jour
+au lendemain, en vingt-quatre heures!» s'est écrié le juge d'un ton
+sévère. Quelle dissipation, en effet, et quelle prodigalité! La
+vagabonde, a été condamnée à six mois de prison. Le même jour, on lisait
+dans un journal du matin: «Un de nos lions les plus échevelés, M. le
+comte de C..., avait parié contre M. de V..... une cravache de chez,
+Thomassin, qu'il mangerait en six mois deux cent mille francs qu'il
+avait hérités de sa tante: le comte vient de gagner son pari.»
+
+La guerre du Gymnase contre la société des auteurs dramatiques est de
+plus en plus ardente; M, Poirson tient bon, et les auteurs ne cèdent
+pas. On a essayé plus d'une fois d'arriver, soit à un armistice, soit à
+un traité de paix; mais au moment de conclure, tout se brisait de
+nouveau. Bouffé, dit-on, a pris la résolution de se retirer de ce champ
+de bataille où son talent a reçu plus d'une blessure; Bouffé aurait
+rompu dès longtemps avec le Gymnase, s'il n'était arrêté par un dédit de
+cent mille francs; ces cent mille francs sont le fil qui le retient,
+comme le cordon que Raminagrobis, le chat de La Fontaine, s'était
+attaché à la patte; il paraît qu'à force de chercher, Bouffé a trouvé
+une paire de ciseaux qui vont couper ce fil fatal: Bouffé, libre et
+joyeux, irait tenter fortune au théâtre des Variétés, laissant la
+société des auteurs et le Gymnase jouer entre eux le rôle de ces deux
+rats, qui se battirent et se mangèrent si bien, qu'il ne resta plus que
+deux queues sur le terrain.
+
+M. Samson, le spirituel acteur du Théâtre-Français, est de plus un
+auteur très-spirituel; qu'il fasse d'aimables comédies comme _Belle-Mère
+et Gendre_, rien ne paraît plus naturel. Ce qui semblerait plus
+surprenant, ce serait que M. Samson s'armât de la coupe tragique. Or,
+est-ce un vain bruit? est-ce une réalité? on se dit depuis quelques
+jours à l'oreille, au foyer du Théâtre-Français, que M. Samson achève
+une tragédie, une véritable tragédie en cinq actes; on en donne même le
+titre: _les Deux Foscari_. Nous sommes dans le temps des miracles; mais
+M. Samson est homme à s'en tirer.
+
+Les uns disent que M. de Montrond, sentant sa fin venir, a fait une
+sorte d'acte de contrition, et une mort à peu près chrétienne; d'autres
+affirment que sa philosophie païenne ne l'a pas abandonne un instant, et
+qu'il a raillé jusqu'au bout. Voici le trait qu'on rapporte à l'appui.
+Un ami de M. de Montrond s'étant approché de son lit de mort, lui
+demanda s'il n'avait pas certaines dispositions à faire. «Non,» dit-il;
+et alors son ami lui parla d'un jeune homme auquel des liens naturels
+semblaient devoir plus particulièrement l'attacher, «Ne ferez-vous rien
+pour lui, mon cher Montrond?--Que voulez-vous que je fasse de plus que
+je n'ai fait? dit le railleur en rappelant sur ses lèvres un dernier
+sourire: je lui ai donné assez de mauvais exemples pour qu'il en
+profite.»
+
+
+
+Histoire de la Semaine.
+
+Les hésitations du ministère sur la mesure proposée par M. le ministre
+de l'instruction publique contre M. l'évêque de Châlons ont eu un terme,
+et la lettre du prélat a été déférée au Conseil d'État, qui a déclaré
+qu'il y avait abus. Cette lutte entre le clergé et l'Université a trouvé
+de l'écho sous les voûtes du Palais. M. le procureur-général Dupin, à la
+rentrée de la Cour de cassation, a pu surprendre une partie de son
+auditoire en y faisant allusion, comme M. Villemain, à la rentrée de
+l'École Normale, avait surpris tout le sien en n'en disant mot. M. Dupin
+a pris pour sujet de son discours l'éloge d'Estienne Pasquier. C'était
+un texte d'à-propos et d'allusions; il y avait là matière à exposer de
+nouveau les circonstances qui avaient postérieurement rendu nécessaire
+la déclaration des libertés de l'Église gallicane. L'orateur était sur
+son terrain, et son discours retentira bien au delà de l'enceinte où il
+l'a prononcé. Personne ne pourra trouver le moment et le lieu mal
+choisis, car peu de jours auparavant un autre avocat du roi, entraîné
+par son dévouement personnel ou inspiré par des colères qu'il croyait
+avantageux de flatter, avait, à la rentrée de la Cour royale, fait dans
+le politique une excursion moins justifiable, et que ses chefs n'ont pas
+blâmée, avait régenté la tribune parlementaire, et fait le procès à un
+homme politique qui a le malheur d'être en même temps un grand poète.
+
+[Illustration: M. Dupin aîné.]
+
+Bien décidément l'ordonnance de convocation des Chambres ne tardera plus
+guère à paraître et leur réunion aura lieu dans les derniers jours de
+décembre. Il a été reconnu que, pour demeurer dans les prescriptions de
+la charte, il fallait ne pas sortir du calendrier de 1843. Des
+dépositions se font déjà au Palais-Bourbon pour la séance d'ouverture.
+Les appartements de la présidence sont déjà prêts à recevoir l'hôte que
+le scrutin de la Chambre leur enverra. Les décorateurs terminent en
+toute hâte les embellissements de la bibliothèque, et MM. Eugène
+Delacroix, Henu et Abel de Pujol, auront bientôt achevé leurs travaux.
+Quelques-uns des chefs des partis parlementaires sont déjà de retour à
+Paris. M. de Lamartine fait encore entendre de Mâcon une voix qui
+retentit dans toute la presse, et jamais, du vivant même de M. de
+Fonfrède, feuille de province ne s'était vue attendre avec une
+impatience et reproduire avec un empressement pareils à ceux que fait
+naître _le Bien Public_ parmi les adversaires et les partisans des idées
+de _l'agitateur_. M. Odilon-Barrot est encore loin de Paris et au milieu
+de sa famille, tout entier à une douleur que n'ont pas su respecter
+certains écrivains politiques qui lui ont prêté des actions et des
+paroles, et l'ont voulu rendre responsable de leurs rêves et de leurs
+inventions; mais M. Thiers est rentré, ramené à Paris par la santé des
+siens et par le besoin de se rapprocher, pour continuer à se livrer
+activement au grand travail historique qu'il termine, des dépôts
+précieux où il doit puiser; mais M. Molé est également revenu, non plus
+dans cet hôtel de la rue de la Ville-L'évêque à l'aspect tout
+parlementaire, hôtel de famille, qui allait si bien à son nom et que
+_l'Illustration_ a fait graver parce qu'il va être, démoli (v. p. 164),
+mais dans une demeure nouvelle que les efforts de son parti chercheront
+à ne pas laisser être définitive. Les attaques se préparent d'un côté,
+comme de l'autre les projets de loi: nous verrons ce qui sera le mieux
+concerté, combiné, entendu.
+
+O'Connell et ses comculpes ont comparu, le 2 novembre, devant le jury
+d'accusation. La composition de celui-ci ne rend pas son verdict
+incertain. Aussi le résultat de cette première formalité ne fera-t-il
+cesser aucun des embarras du ministère. Sa situation difficile l'est
+rendue plus encore par les déchirements qui se manifestent dans son
+propre parti et qui en sont la conséquence. Le _Times_, qui jadis
+abandonna les whigs, et, par sa désertion, prépara leur chute, le
+_Times_, aujourd'hui, attaque sir Robert Peel, et est attaqué lui-même
+par le _Standard_. Cette guerre intestine est de mauvais augure. Les
+témoignages, les démonstrations d'intérêt n'ont pas manqué aux accusés
+irlandais, et cette procédure préliminaire a été une occasion de
+calculer quelle serait l'ardeur de la sympathie nationale au jour du
+jugement sérieux.--Le voyage de M. le duc de Bordeaux, dont la relation
+donne lieu en France à des saisies et à des poursuites de journaux,
+attire en Angleterre les chefs les plus considérables du parti
+légitimiste. Le ministère anglais a cru devoir, à cette occasion, ôter
+toute couleur politique à l'accueil hospitalier qui est fait dans la
+Grande-Bretagne au petit-fils de Charles X, et protester, par la plume
+de ses journalistes, de la sincérité de son alliance avec le
+gouvernement issu de la révolution de Juillet.--Les dernières nouvelles
+de New-York annonçaient que les élections qui vont renouveler le
+personnel du congrès fédéral touchaient à leur terme. Dans le Sénat, la
+majorité paraissait déjà assurée au parti whig; mais dans la Chambre des
+Représentants, l'avantage était au profit du parti démocratique, dans la
+proportion de deux contre un. Toutefois, le peu d'union de ce dernier,
+quand viendra plus tard la question de la présidence, lui fera
+probablement perdre l'avantage de commander au Capitole, que son nombre
+semblerait devoir lui assurer.--En Espagne on paraît plus d'accord; mais
+c'est pour ne tenir nul compte de la constitution. Aussi, au Sénat, le
+rapporteur du projet de loi sur la déclaration de la majorité de la
+reine croyait-il pouvoir répondre au reproche d'inconstitutionnalité
+adressé à cette mesure, en disant qu'on avait violé bien d'autres
+articles de la Charte, et qu'il ne voyait pas pourquoi on respecterait
+davantage celui-là. L'argument a paru excellent. Il est donc certain que
+la reine sera déclarée majeure, et comme à treize ans on est assez peu
+propre à se gouverner soi-même, ce sera un conseil de régence occulte
+qui conduira les affaires, au lieu d'un conseil de régence
+constitutionnellement constitué et légalement responsable. Cet état de
+choses, la direction que prennent les affaires à Madrid, ne commandent
+pas la confiance et la soumission aux provinces; et à peine les
+protestations armées sont-elles refoulées sur un point, qu'il s'en
+manifeste de nouvelles sur un autre. Quant à la Catalogne, sa situation
+est toujours aussi affligeante pour l'humanité,--si l'on en croit les
+feuilles allemandes, qui nous ont annoncé les premières que l'Autriche
+se tenait prête à intervenir avec le Piémont dans les affaires des États
+pontificaux, le gouvernement français n'y mettrait aucune opposition; il
+demanderait seulement à être admis à prendre part à cette mesure. Il est
+probable que si cette version est vraie, ou si elle est fausse, le
+démenti ou la confirmation viendra d'ailleurs que d'Augsbourg ou de
+Francfort.--La velléité de contre-révolution à Athènes que nous avons
+mentionnée la semaine dernière, a amené une réaction, dont quelques
+ennemis du mouvement de septembre ont failli devenir victimes. Le
+ministre de France, M. Piscatory, qui, depuis le commencement de cette
+crise, a agi avec une détermination et une énergie qu'il a puisées dans
+son caractère beaucoup plus, dit-on, que dans ses instructions, M.
+Piscatory a, par sa présence d'esprit et sa résolution, sauvé l'ancien
+ministre de la justice et des finances Ithalli de la vindicte populaire,
+et épargné à la révolution grecque, jusqu'ici pure, une tache sanglante.
+Le roi Othon est passé de la confiance aux contre-révolutionnaires aux
+déclarations enthousiastes pour la révolution. On dit à Munich que le
+roi de Bavière se dispose à aller visiter son fils, et qu'il est
+très-déterminé à le ramener si les événements ne prenaient pas une
+tournure favorable à la dignité royale. Nous ne savons pas jusqu'à quel
+point on sera flatté à Athènes d'apprendre par les feuilles allemandes
+que le roi des Grecs n'est pas encore émancipé.--Un royaume de l'Inde
+que la _Correspondance de Victor Jacquemont_ nous a appris à connaître,
+et auquel un soldat de notre armée avait fait adopter notre organisation
+militaire et nos couleurs nationales, Lahore, vient de voir son roi
+assassiné et son meurtrier tomber lui-même sous les coups d'un de ses
+complices. Beaucoup croiront que ces désordres ont été organisés; nous
+nous bornerons à penser que le gouverneur-général des possessions
+britanniques dans l'Inde les aura vus sans grande douleur. Jacquemont et
+le général Allard ne se dissimulaient point qu'après la mort de
+Rundget-Sing il serait difficile d'empêcher l'Angleterre d'arriver à ses
+fins, préparées de longue main, et d'occuper le Penjaub. Le successeur
+du général Allard, un autre officier de l'armée française, le général
+Ventura, n'a pu parvenir à rétablir l'ordre, même momentanément. On
+s'entend beaucoup mieux dans le magnifique palais du
+gouvernement-général, à Calcutta, à faire des conquêtes par les
+intrigues diplomatiques, les sacrifices d'argent, et, au besoin, par
+d'autres moyens encore, qu'à soumettre par la force des armes les
+populations qu'on n'a pas préalablement et sourdement travaillées.
+L'Afghanistan et le Penjaub auront fourni cette double démonstration.
+
+Nous avions bien eu tort, dans notre dernier numéro, de faire l'éloge de
+la nature; elle nous a donné un cruel démenti, a furieusement rattrapée
+en désastres le temps que nous la louions d'avoir employé autrement.
+Les correspondances de Grenoble et de Gap sont déchirantes. Des neiges
+tombées prématurément dans les Alpes ont été bientôt fondues par la
+température adoucie, et des inondations indomptables sont venues porter
+la ruine et l'épouvante dans toutes les plaines qu'arrosent le Drac, le
+Rhône, l'Isère et la Durance. La garnison de Grenoble et la gendarmerie
+ont rendu de très-grands services là où elles ont pu, en se multipliant,
+porter leurs secours.--Il y a peu de jours que le _Moniteur_ renfermait
+une liste de citoyens auxquels le roi, sur le rapport de M. le ministre
+de l'Intérieur, accordait des médailles d'or ou d'argent pour de belles
+actions et de nobles dévouements dans des désastres pareils. On y
+remarquait avec bonheur des hommes du peuple, des fonctionnaires
+municipaux, des soldats, des ecclésiastiques, de grands propriétaires.
+Chaque classe s'y trouvait représentée, et venait prouver qu'en France
+la bienfaisance et le courage sont dans tous les rangs et y font battre
+bien des coeurs.
+
+Le journal officiel a donné aussi successivement la liste des élèves
+admis à l'École royale polytechnique et à l'École royale militaire.
+L'armée a fourni sa large part de candidats distingués, et leur nombre,
+comme le rang avantageux que plusieurs d'entre eux ont obtenu,
+démontrera, nous l'espérons, à M. le ministre de la guerre et à M. le
+ministre de l'instruction publique, que la mesure annoncée, oui
+exigerait un diplôme de bachelier ès lettres pour prendre part à ces
+concours, serait aussi injuste envers le soldat que mal entendue dans
+l'intérêt du service. Elle serait de plus contraire à la loi
+d'avancement et à l'esprit de la Constitution de 1830. En vérité, s'il
+est une liberté d'instruction respectable avant toutes, c'est bien celle
+du militaire qui, en remplissant tous ses devoirs, sait encore trouver
+le temps d'acquérir ou de compléter des connaissances nombreuses qu'une
+instruction première, presque toujours au-dessus des ressources de sa
+famille, ne lui a pas permis d'acquérir. Quelques journaux nous ont
+appris qu'un des élèves admis avait dans les veines du sang de Henri IV,
+et que cette circonstance lui avait valu d'être élevé et instruit de
+manière à pouvoir se présenter avec succès. C'est fort bien; mais il ne
+faudrait pas dans l'avenir, à mérite égal ou même supérieur, déclarer
+indignes les pauvres diables dont les grand'mères ont eu le tort de
+n'avoir pas de faiblesses pour le Béarnais.
+
+Le nombre total des conscrits dont l'état intellectuel a été constaté
+dans les quatorze années de 1827 à 1840, s'élève maintenant à 4,036,569,
+dont 2,095,141 savaient au moins lire, et 1,945,428 ne savaient ni lire
+ni écrire, ce qui, sur un total de 1,000, donne 549 instruits et 481
+ignorants. Cette moyenne générale, qui n'avait pas été atteinte avant
+1833, a été constamment dépassée depuis.--Quand on groupe les chiffres
+en périodes de deux ans, la moyenne proportionnelle des instruits varie
+de 459 en 1827-1828, à 572 en 1839-1840, et ce n'est qu'en 1833-1834 que
+la moyenne générale 519 est atteinte et un peu dépassée. De la première
+3 la dernière période, l'augmentation totale est de 133, ou d'environ un
+quart. Ainsi, sur un total de 1,000, il y a 155 instruits de plus en
+1839-1840 qu'en 1827-1828. C'est une augmentation biennale de 22.
+L'augmentation, qui avait été de 39 de 1827-1828 à 1829-1830, de 27 de
+1829-1830 à 1831-1832, n'a plus été que de 21, 16, 19 et 11 pour les
+périodes suivantes. Ainsi il y a augmentation, mais augmentation
+ralentie; jusqu'à présent nous ne voyons pas trop quelle peut être la
+cause de ce ralentissement, à moins que ce ne soit la première influence
+de la révolution de 1830, avant les mesures prises par le nouveau
+gouvernement pour la propagation de l'instruction primaire. Dans la
+statistique des établissements secondaires, nous trouvons une assez,
+forte diminution dans le nombre des élèves de 1831 et 1832, et ce n'est
+guère qu'en 1839 que ce nombre devient ce qu'il était en 1830. Quelque
+chose d'analogue se sera-t-il passé dans les écoles primaires jusqu'au
+moment de la mise à exécution de la loi de 1833? L'état intellectuel des
+conscrits de 1836 à 1840, qui ont du fréquenter les écoles vers
+1830-1834, semblerait l'indiquer. On sait seulement qu'en 1830 un assez
+grand nombre de conseils municipaux ont subitement supprimé l'allocation
+faite aux écoles tenues par les congrégations religieuses; et comme ces
+écoles étaient fréquentées, cette suppression aura pu entraîner une
+assez notable réduction dans le nombre des élèves. Tout ce qui a été
+fait depuis en faveur de l'instruction primaire ne peut manquer d'agir
+puissamment sur la propagation de cette instruction; mais les enfants
+qui ont fréquenté les écoles depuis 1836 ne seront guère conscrits que
+vers 1844-1845; ce ne sera donc que sur les comptes-rendus du
+recrutement à cette époque que l'on pourra commencer à contrôler la
+statistique des écoles primaires et, par conséquent, à juger d'une
+manière incontestable les effets de la loi de 1833, sous le rapport du
+nombre des élèves.
+
+Le chemin de fer atmosphérique, dont _l'Illustration_ a fait connaître
+le système à ses lecteurs (t. I, p. 404), s'est tiré très-heureusement
+des épreuves auxquelles il vient d'être soumis en Irlande. Le
+_Dublin-Monitor_ annonce que le succès de l'entreprise, est maintenant
+assuré. Dans la dernière quinzaine d'octobre des traits ont
+régulièrement fait le service entre Dublin et Kingstown. Une grande
+quantité de passagers ont parcouru la ligne sans qu'il soit arrivé le
+moindre accident. Les départs ont été suspendus à la fin d'octobre, pour
+terminer la ligne jusqu'à Dalkey. Les rails étaient posés, et déjà le
+chemin doit être ouvert. On pense qu'on poursuivra jusqu'à Bray. La voie
+est remarquable par ses courbes; les convois cependant les franchissent
+sans aucun danger, la force centrifuge étant contrebalancée par
+l'élévation du terrain du côté du cercle extérieur. Le danger ne
+pourrait donc venir que d'un excès de vitesse; aujourd'hui cet
+inconvénient est paré par des signaux échangés entre le machiniste et
+l'établissement où se trouve la machine à vapeur. Mais la compagnie a
+l'intention d'établir, le long de la ligne, un baromètre électrique qui
+signalera toujours exactement la vitesse. Dans quelques essais déjà
+faits, ou a remarqué que la vitesse indiquée au départ par un baromètre
+attaché au premier wagon donnait d'abord 10 degrés, 11 à 12 dans les
+tourbes et 16 à 17 dans la ligne directe. A ce dernier point du
+baromètre on a une vitesse de 50 milles à l'heure, 17 lieues environ.
+
+Nous avons dit la frayeur trop fondée que causaient souvent aux
+archéologues les réparations entreprises dans nos vieux temples
+religieux. Un journal signalait l'autre jour une grave mutilation qui
+vient d'être commise dans l'église Saint-Séverin, à Paris, par les
+architectes mêmes chargés de restaurer ce monument. Il y a quelques
+jours encore, le soubassement de la porte latérale de Saint-Séverin
+portait une inscription en caractères du treizième siècle, énumérant les
+obligations imposées aux fossoyeurs de la paroisse. Un morceau de pierre
+neuve, inutilement repiqué, a déjà fait disparaître environ la moitié de
+cette inscription, unique d'abord et importante ensuite à l'étude du
+Moyen-Age. «Si l'inscription, dit le journal religieux qui dénonce ce
+fait, eût été païenne, grecque, insignifiante et dans l'Attique, on
+aurait expédié un membre de l'Institut pour la déchiffrer et la
+commenter; elle est chrétienne, française, intéressante et à Paris, elle
+aura bientôt complètement disparu.»--Il est un projet qui ne ferait,
+courir aucun danger à une autre église remarquable, et qui permettrait
+au contraire d'en mieux envisager la masse et d'en apercevoir les
+détails. On fait revivre le plan d'isoler complètement l'église
+Saint-Eustache. On démolirait le corps-de-garde qui est à la pointe et
+toutes les maisons qui, en masquant le monument et une ravissante porte
+qui est inaperçue de ce côté, rétrécissent la rue Montmartre au point
+d'y rendre la circulation presque impossible. Tout le côté gauche de la
+rue du Jour, qui obstrue l'église, serait abattu. On élargirait la rue
+Traînée, si fréquentée et si dangereuse, et on y construirait un nouveau
+presbytère. En outre, sur la place du Parvis-Saint-Eustache, serait
+ouverte une large rue qui irait déboucher rue Jean-Jacques-Rousseau, en
+face de l'hôtel des Postes, dont les abords recevraient ainsi d'utiles
+dégagements Ce plan est bien entendu, et son exécution rendrait
+d'immenses services à la circulation et à la sûreté publique. Le conseil
+municipal, qui va se trouver en partie reconstitué, inaugurerait
+dignement, son ère nouvelle en votant définitivement ces travaux, dont
+la percée prochaine de la rue de Rambuteau jusqu'à la pointe
+Saint-Eustache, et l'affluence qui arrivera encore de ce côté, vont
+rendre la nécessité plus urgente.--MM. les ministres des travaux publics
+et du commerce sont allés visiter le Conservatoire des Arts et Métiers,
+rue Saint-Martin, et s'entendre sur les plans de travaux et de
+réparations indispensables qui seront proposés aux Chambres à la session
+prochaine. Nul doute qu'on ne fasse déboucher directement sur la rue
+Saint-Martin ce grand établissement, qui n'y communique aujourd'hui que
+par des détours sinueux, et qu'on ne consacre l'ancien réfectoire des
+Bénédictins, ce délicieux monument gothique, connu de si peu de
+Parisiens, à une destination qui ne force pas à en masquer la hardiesse
+et la légèreté.--Nous renonçons à enregistrer toutes les statues
+d'hommes plus ou moins illustres qui vont s'élever sur les places
+publiques des villes de nos départements. Chaque, jour en vient grossir
+la liste, et tel sculpteur se fait sa réclame en bronze dans chacune de
+nos anciennes provinces. Cette manie de compatriotes illustres est
+quelquefois poussée bien loin et mène souvent au ridicule. La ville de
+Langres a donné le jour à Diderot: le marbre a reproduit pour sa ville
+natale cet homme célèbre; rien de mieux. Mais, par esprit de symétrie,
+on a pensé qu'il lui fallait un pendant, et, comme illustration
+langroise, on n'a rien trouvé de mieux que... feu M. Roger,
+secrétaire-général des postes, auteur de la petite comédie de
+_l'Avocat_, qui lui avait, moins encore que ses opinions, ouvert, sous
+la restauration, les portes de l'Académie Française. Voilà donc M. Roger
+reproduit par le marbre, uniquement parce qu'il faut un pendant à
+Diderot. C'est du bonheur sans doute; mais comme toute médaille a son
+revers, et comme Diderot a été représenté sans vêtements, M. Roger, que
+la nature était loin d'avoir favorisé de ses dons extérieurs, M. Roger
+sera tout un!!!
+
+Nous avons dit la semaine dernière que les journaux de la Normandie
+renfermaient des détails sur un ouvrier chez lequel s'est révélé un
+véritable talent de sculpteur. Ces détails étaient contradictoires; nous
+en avons attendu de plus concordants pour les reproduire à nos lecteurs.
+Dans l'une des vieilles rues de Dieppe, à quelques pas de la gothique
+église de Saint-Jacques, habite un homme encore jeune, en qui le talent
+s'est révélé tout à coup. Il y a un an à peine, cet homme était
+cordonnier et travaillait tous les jours aux grosses bottes de pécheurs
+dans la boutique noire et enfumée qu'il n'a pas quittée. Depuis,
+l'échoppe, est, devenue un atelier, le cordonnier devenu un artiste.
+L'an dernier, cet homme, qui s'appelle Graillon, a imaginé de modeler en
+terre des sujets populaires, et son coup d'essai a été un coup de
+maître. Pose, vêtements, physionomie, tout est nature dans les figures
+de mendiants qu'il pétrit, et que Callot n'eût pas dessinées avec plus
+de vérité et de hardiesse. Ce sont de véritables études de moeurs. Il ne
+s'est pas borné à cela, et quelques statuettes historiques sont venues
+démontrer la flexibilité de son talent. Graillon n'ignore pas du tout,
+comme on l'avait dit, le mérite des productions qui naissent sous ses
+mains; il reçoit les éloges en homme qui les apprécie et a la conscience
+de les mériter. Il a fixé lui-même le prix de ses compositions; il les
+vend un prix assez minime, tout en sachant fort bien que leur valeur
+sera bientôt triple ou sextuple.
+
+[Illustration: Hôtel de M. Molé, rue de la Ville-l'Évêque.]
+
+Graillon, que de grandes destinées attendent, dit-on, s'il pratique le
+génie pour lequel Dieu l'a créé, est affligé d'une infirmité: il veut
+être peintre! Quand il peut dérober quelques heures aux groupes
+miraculeux qu'il enfante avec une si prodigieuse facilité, ces heures,
+il les consacre à la peinture. Or, ce que Graillon appelle peinture,
+c'est un certain mélange de jaune et de bleu étalé sur une grande toile.
+«Nous avons fait à Graillon, dit l'auteur d'un des récits auxquels nous
+empruntons le nôtre, de timides observations sur sa manie de peinture;
+il nous a répondu avec une certaine aigreur: «Voulez-vous donc que je me
+prive de mes _récréations?_». A cela nous n'avions rien à dire. Nous
+nous sommes retiré en faisant des voeux bien sincères pour que Graillon,
+qui peut nous compter au nombre des adorateurs les plus fanatiques de
+son talent de statuaire, se récrée le moins souvent possible.
+
+En feuilletant les archives du greffe du tribunal civil de
+Château-Thierry, on vient de trouver quelques ligues échappées à la
+plume de Jean de Lafontaine. Malheureusement, l'autographe de notre
+immortel fabuliste est fort peu poétique et ne contient que la cession
+du banc qu'il possédait dans l'église de cette ville. Ce petit billet,
+annexé à des actes authentiques, nettement et très-lisiblement écrit
+tout entier de la main du signataire, ne manque pas d'un certain cachet
+d'originalité qui le rend digne de son auteur. Nous le reproduisons
+textuellement, sans ajouter un point ni un accent: «Je soussigné cède et
+transporte à M. Pintrel, gentilhomme de la vénerie, demeurant à Chasteau
+Thierry le droit et propriété telle qu'il me seait appartenir au banc
+place et cabinet que j'ay dans l'église de Chasteau Thierry sous le jubé
+pour en jouir pour luy toutefois seulement après le deceds de demoiselle
+Marie Hericart ma femme et ce pour des raisons et considérations qui
+sont particulières entre nous fait à Chasteau Thierry ce deuxième
+janvier mil six cent soixante et seize. «DE LA FONTAINE.»
+
+La mort ne nous a donné à enregistrer cette semaine aucun nom illustre
+dans la politique, dans la littérature ou dans les arts. C'est le cas de
+dire bien bas, avec la prudence de Fontanelle: _Chut!_
+
+
+
+Théâtres.
+
+[Illustration: Théâtre de l'Opéra-Comique--_Le Déserteur_.--Montauciel,
+Mocker; Bertrand, Sainte-Foy.]
+
+OPÉRA-COMIQUE.--Reprise du _Déserteur_.
+
+Qui ne connaît l'histoire d'Alexis et de Louise, la fille à Jean-Louis,
+fermier de madame la duchesse, et celle du grand cousin Bertrand, qui
+joue à la corde et fait le double-tour avec tant de grâce et un talent
+si distingué?
+
+Qui peut avoir oublié Montauciel, ce dragon si agréable, toujours entre
+deux vins, et qui trouve cette position si commode?--Brave soldat après
+tout, fidèle à son capitaine, intraitable sur le point d'honneur, qui
+s'est fait mettre en prison pour avoir le temps d'apprendre à lire et
+qui a déjà fait tant de progrès dans cet art utile, qu'après avoir
+longtemps épelé ces mots: _Vous êtes un blanc-bec_, il en fait ceux-ci:
+_Trompette blesse_.
+
+Et la petite Jeannette, qui a égaré son fuseau? et le gendarme
+Courchemin, qui chante si gaillardement: _Vive le roi?_ Et surtout cette
+vieille musique de Monsigny, si naturelle, si simple et si expressive?
+Nos pères l'ont écoutée et répétée pendant cinquante ans, et la
+Révolution elle-même, la première, la grande Révolution, qui a détruit
+et changé tant de choses, n'avait pas arrêté le cours de ce prodigieux
+succès du _Déserteur_. On s'était contenté d'orner Alexis, les gendarmes
+qui l'arrêtent et les soldats qui doivent le fusiller de larges cocardes
+tricolores, et Courchemin chantait alors, de sa voix la plus formidable:
+
+ La loi passait, et le tambour battait aux champs,
+ Vive la loi! etc.
+
+Le livret du Déserteur est d'une simplicité qui doit faire sourire de
+pitié tous nos faiseurs d'aujourd'hui.--Alexis, le héros de Sedame, est
+un jeune soldat qui doit, quand le terme de son service sera arrivé, se
+marier avec une jeune paysanne, fille de Jean-Louis, fermier. Le moment
+où Alexis obtiendra son congé est proche. En attendant, son régiment
+vient à passer dans les environs du village qu'habite Louise, et il
+obtient la permission de lui faire une courte visite. Malheureusement il
+annonce sa visite, et les paysans ses amis, le futur beau-père en tête,
+se disent: «Il faut lui jouer un bon tour.» Ce tour consiste à lui faire
+croire que Louise s'est mariée pendant son absence. On habille Louise en
+mariée, on simule une noce, on arrange un cortège villageois, et l'on
+vient défiler, musique en tête, sur la route par ou Alexis doit arriver.
+Comment ne serait-il pas dupe de tout cet appareil? Il l'est, et si bien
+qu'un affreux désespoir s'empare de lui; il veut mourir; il arrache ses
+épaulettes et sa cocarde blanche, et s'enfuit dans la direction où il
+peut rencontrer l'ennemi. Notez bien qu'il a choisi pour faire cet
+exploit le moment où la maréchaussée était à portée de l'atteindre. On
+le poursuit, il se laisse prendre. On le met en prison, on le juge, on
+le condamne à mort, on le mène au lieu du supplice, il s'agenouille, et
+les fusils sont déjà braqués sur lui quand Louise arrive tout
+essoufflée, une feuille de papier à la main. C'est la grâce du
+déserteur, qu'elle a obtenue du roi.
+
+Ce sujet est fort simple; mais on comprend qu'il donne lieu à des scènes
+intéressantes, et l'auteur en a su égayer la couleur un peu sombre par
+le rôle épisodique du Soldat Montauciel.
+
+Ce rôle est aujourd'hui fort bien rempli par M. Mocker, à qui doit
+revenir, pour une grande part, l'honneur du succès de la reprise du
+_Déserteur_. Il le joue avec beaucoup de goût et de distinction. Son
+éternelle ivresse est plaisante et point du tout désagréable, et il ne
+franchit jamais la limite qui sépare la mauvaise plaisanterie de la
+bonne, limite presque imperceptible et où il est si difficile de
+s'arrêter! En quelque position que l'auteur du poème place Montauciel,
+qu'il épèle sa leçon de lecture, ou qu'il se fâche contre Alexis qui le
+renverse d'un seul coup de poing: ou qu'il abuse de la niaiserie du
+grand cousin Bertrand, et déroule son interminable cravate (incident
+burlesque dont la gravure, annexée à cet article, peut donner une idée à
+nos lecteurs), jamais M. Mocker n'est vulgaire.
+
+Il chante son rôle comme il le joue, et il a de charmants morceaux à
+exécuter. Les deux airs _bouffes_ que Monsigny a mis dans cet ouvrage
+sont deux chefs-d'oeuvre. Le style bouffe était encore, à cette époque
+d'invention toute récente, et l'on est surpris qu'un milicien français
+qui n'avait pas, comme Grétry, habité l'Italie pendant plusieurs années,
+ait pu si vite et si complètement en surprendre les secrets et s'en
+approprier les ressources.
+
+Dans les morceaux sérieux, qui sont en majorité dans cette partition,
+Monsigny est surtout remarquable par la variété et l'énergie de son
+expression. Les airs d'Alexis ont sous ce rapport un très-grand mérite,
+ainsi qu'un duo et un trio dans lesquels on a admiré des mélodies
+charmantes traitées avec une grande habileté de contre-pointiste. En
+somme, le suffrage de la génération actuelle vient de sanctionner les
+applaudissements que _le Déserteur_ a constamment obtenus des
+générations précédentes, et c'est un beau et noble triomphe. Parmi les
+oeuvres contemporaines y en a-t-il beaucoup qui soient destinées à une
+si longue vie, et auxquelles on puisse promettre, dans soixante-quatorze
+ans, un succès comparable à celui que _le Déserteur_ vient d'obtenir?
+
+_Eve_, drame en cinq actes de M. LÉON GOZLAN (THÉÂTRE-FRANÇAIS.)
+--_Madame Roland_, drame en trois actes de Madame ANCELOT (VAUDEVILLE).
+
+Eve est une quakeresse; son père, le quaker Daniel, habite la
+Pennsylvanie; c'est un homme bon, simple, vertueux comme sa croyance le
+lui enseigne, et adorant sa fille. Eve, cependant, inquiète cette
+tendresse paternelle; non pas qu'elle ait le moindre vice et commette la
+moindre faute: Eve est la vertu même; mais elle a des moments d'extase,
+comme Jeanne d'Arc, et rêve à l'affranchissement de son pays. Nous
+sommes aux premiers temps de l'insurrection de l' Amérique du Nord
+contre l'Angleterre. Dans ses heures d'enthousiasme patriotique, Eve
+s'échappe de la maison du vieux Daniel et se perd dans les bois et sur
+les monts, encourageant les insurgés, par sa présence; l'armée
+américaine la prend pour son ange protecteur, l'armée anglaise pour son
+mauvais génie. Vous comprenez maintenant l'inquiétude de Daniel; il
+n'est pas rassurant d'avoir une fille qui court ainsi les champs.
+
+Eve n'est pas seulement possédée par le désir de délivrer l'Amérique:
+elle veut détruire un ennemi mortel de sa religion et de ses frères, le
+marquis Acton de Kermar; Eve ente Judith sur Jeanne d'Arc.
+
+Le marquis de Kermar a des vices terribles et des passions formidables;
+il bat et tue ses esclaves pour un mot, change de maîtresse tous les
+jours, déshonore les familles et poursuit particulièrement les quakers
+d'une haine féroce, sous prétexte qu'ils prêchent l'égalité et la
+fraternité, Kermar ne veut pas de cette philosophie, et de temps en
+temps il fait crever les yeux à un quaker ou deux, pour les en guérir.
+
+Kermar demeure à Québec, dans le Canada; c'est donc à Québec qu'Eve va
+le trouver pour le tuer, comme Judith tua Holopherne; le vieux Daniel,
+qui devine le sanglant projet de sa fille, la suit à la piste.
+
+Judith avait, gagné tout droit la tente d'Holopherne; Eve fait plus de
+façons: elle se promène dans les forêts qui avoisinait le château de
+Kermar, et au moindre bruit s'esquive comme une biche légère. Tout en
+errant à travers bois, Eve préserve Kermar, qu'elle ne connaît pas, de
+la piqûre d'un venimeux serpent, et sauve ainsi la vie à l'homme qu'elle
+veut tuer: la contradiction est flagrante.
+
+Cette rencontre suffit pour rendre Kermar éperdument amoureux d'Eve; et
+comme c'est un homme qui n'a pas l'habitude d'attendre, il met ses
+esclaves à sa poursuite. Les esclaves font si bien, qu'ils s'emparent de
+la belle quakeresse et ramènent au château. Ainsi Eve est chez Kermar.
+Que ne le frappe-t-elle? Elle n'en a plus le courage; sa haine est
+désarmée, ou plutôt l'amour lui a fait place: Eve aime Kermar, commue
+elle en est aimée. Ceci contrarie très-fort l'esclave Caprice, la
+bien-aimée et la favorite de Kermar avant l'arrivée d'Eve. Caprice n'a
+pas d'autre ressource que de chercher à se venger, et elle se vengera.
+Il y a, sur le lac voisin aux eaux dormantes, certaines fleurs jaunes
+qui composent un poison parfait pour en finir avec une rivale. Caprice
+en fera son affaire.
+
+Kermar d'abord n'a pas d'autre idée que de s'amuser d'Eve comme il s'est
+amusé de tant d'autres; mais tout à coup, pour la première fois de sa
+vie criminelle, il hésite et se trouble; l'innocence, la pudeur, la
+sérénité d'Eve, l'émeuvent malgré lui; il faut cependant qu'il possède
+Eve! Un homme comme lui, qui n'a jamais mis de bornes à ses désirs, dont
+la passion s'est toujours satisfaite à l'instant même, de gré ou de
+force; un Kermar, qui joue, qui tue, qui se livre aveuglément aux
+caprices les plus monstrueux et crève, les yeux aux quakers; un tel don
+Juan, un tel démon, un tel damné reculerait devant un enfant? non pas.
+Kermar se met donc à attaquer Eve par tous les moyens de séduction que
+son nom, son audace, son esprit, sa richesse, peuvent lui fournir:
+promesses, flatterie, le plaisir et l'or, il n'épargne rien, le serpent!
+Eve cependant résiste et ne mord point à cette pomme. Tandis que le
+combat s'engage, Caprice, obligée par Kermar de servir Eve à genoux, a
+tenté de l'empoisonner; mais le crime avorté; Caprice prendra plus tard
+sa revanche.
+
+Ce n'est pas seulement la vertu d'Eve que Kermar a pour adversaire, mais
+encore le ressentiment de Daniel, arrivé à Québec et réclamant sa fille,
+mais les remontrances du vieux duc de Kermar, pauvre vieillard dont la
+raison est affaiblie par le chagrin et le malheur. La passion de Kermar
+se raidit contre cette double attaque de deux pères irrités; il traite
+Daniel comme un quaker, et lui ferait volontiers crever les yeux,
+suivant son habitude; quant au vieux duc, il le chasse de sa maison.
+Oui, le fils chasse son père!
+
+[Illustration: Théâtre-Français.--Première représentation d'_Eve_.--Le
+marquis de Kermar, Firmin; Rosemberg, Brindeau; Dapremire, Mirecourt;
+Eve, mademoiselle Plessis; Caprice, Mélingue.]
+
+Daniel aura recours au gouverneur de Québec, et lui demandera justice.
+Que m'importe? dit Kermar; et il arme ses esclaves pour défendre son
+château et repousser toute attaque de la force publique.
+
+Vous le voyez, Kermar est arrivé au paroxysme de la passion et de la
+violence. Maintenant rien ne le retient plus; qu'Eve se prépare à subir
+enfin la défaite. Quoi donc? Kermar recule encore! l'ange intimide le
+démon! Pour étouffer cette hésitation de sa conscience, Kermar cherche à
+réveiller son audace à la flamme d'une liqueur brûlante, et tout
+chancelant, le voici qui frappe violemment à la porte d'Eve. En est-ce
+fait, ô douce brebis, et seras-tu dévorée par ce tigre furieux'?
+
+Tout à coup la scène change, le tigre apaise ses rugissements et devient
+doux comme un agneau sans tache. Qui produit cette conversion dans le
+coeur de Kermar? qui fait un saint d'un damné? la nouvelle subite de la
+mort de sa mère. Ce trépas inattendu, cette disparition rapide de sa
+mère, qu'il aimait, jette au coeur de Kermar la crainte et le doute; il
+interroge sa vie passée, il se juge et se condamne. Aussitôt commencent
+le repentir et la pénitence: Kermar appelle Daniel pour lui demander
+pardon et lui remettre sa fille; il se prosterne humblement aux genoux
+du vieux duc, son père, qu'il avait outragé et chassé; il rend la
+liberté à ses esclaves, qu'il traitait avec l'inhumanité, d'un bourreau;
+Kermar fait plus encore, pousse le repentir jusqu'à l'humiliation,
+souffre l'injure sans se plaindre, et refuse un duel, au risque d'être
+traité de lâche, lui, l'intrépide, le terrible Kermar! Après quoi, ce
+persécuteur des quakers se fait quaker lui-même pour achever
+l'expiation.
+
+Qu'est devenue Eve, cependant? Eve, pour se mettre à l'abri des
+poursuites de Kermar et se défendre, contre son propre coeur, Eve s'est
+confiée à Caprice; alors la jalouse Caprice a si bien fait que, sous
+prétexte de sauver Kermar d'un grand danger, elle a entraîné Eve dans
+une démarche qui, laissant au fond sa vertu intacte, la déshonore par
+l'apparence. Caprice est vengée: Eve lutte vainement contre cette
+prévention de l'opinion publique. Elle s'enfuit pour se dérober à cette
+honte imméritée, tandis que Kermar se met à la tête des insurgés
+américains, pour rendre utile une vie jusque-là nuisible, pour laver son
+passé par un présent et un avenir glorieux.
+
+Plus tard, Eve et Kermar se retrouvent; Eve, devant le tribunal des
+quakers ses frères, sous le poids d'une accusation d'impudicité; Kermar,
+au contraire, victorieux et triomphant. Les Américains le nomment leur
+sauveur, et les quakers le choisissent pour leur suprême juge. Triste
+mission! car c'est Eve que Kermar doit juger! Les faits attestés par
+Caprice; entraîneront la condamnation de l'innocente Eve. Daniel se
+désespère; Kermar fait comme Daniel; mais, Dieu merci, Eve trouve enfin
+le moyen de se justifier. Ce moyen lui est fourni par l'étourdi même qui
+l'a compromise, par un certain marquis de Rosemberg, que nous n'avons pu
+pincer dans notre récit, attendu qu'il joue, dans la dame de Gozlan, un
+rôle assez, considérable, il est vrai, mais tout à fait en dehors de
+l'action principale.
+
+Pour aller droit au fait, et c'est là un point difficile dans un drame
+tellement compliqué de hors-d'oeuvre romanesques, il a donc fallu mettre
+de côté ce Rosemberg, venu tout exprès de France, sur la réputation de
+Kermar, pour lutter avec lui de folies, le provoquer en duel et lui
+enlever ses maîtresses; il a fallu passer sous silence les compagnons de
+débauche de Kermar, leurs insolences, leurs orgies, leurs duels, mille
+fantaisies cruelles et bizarres de Kermar lui-même, mille récits
+merveilleux, mille incroyables aventures, les surprises, les mystères et
+les reconnaissances dont le drame de M. Gozlan est surabondamment
+pourvu.
+
+Ce luxe de détails infinis, qui se croisent et se débattent dans les
+ténèbres, est le grand vice de l'ouvrage; il est plein d'inventions mais
+d'inventions pêle-mêle accumulées; l'esprit y abonde, mais il va jusqu'à
+l'excès, et déborde souvent en images prétentieuses, fausses et de
+mauvais goût. Que vous dirai-je? il y a là plus de richesses qu'il n'en
+faut pour faire une pièce; mais c'est l'ordre, le goût, la clarté, la
+logique, l'ensemble, qui manquent à ces éléments épais.
+
+Le public n'a pas laissé M. Gozlan sans conseils et sans avertissements;
+toujours prêt à applaudir les scènes spirituelles et intéressantes, il
+s'est montré sévère et juste aux fautes de railleur. Les deux derniers
+actes se sont achevés au milieu de la tempête; mais c'est un de ces
+naufrages qui n'engloutissent ni le vaisseau ni l'équipage: _Eve_, par
+ses bizarreries même, excita la curiosité, et la curiosité est
+très-proches parente, d'un succès.
+
+Le théâtre a fait de grands frais de costumes et de décors. Tous les
+acteurs ont joué loyalement et bravement; il faut citer entre les plus
+habiles mademoiselle Plessis, M. Firmin et M. Ligier.
+
+Quelques jours avant, madame Ancelot faisait aussi son petit roman, bien
+que madame Ancelot ait certainement cru faire de l'histoire. C'est une
+des plus nobles et des plus touchantes figures de la Révolution
+française que madame Ancelot a choisie pour sujet à son élucubration
+romanesque; j'ai nommé madame Roland.
+
+Nous voyons d'abord madame Roland, qui n'est encore que Manon Philipon,
+chez le duc d'Oronne; déjà Manon est possédée de l'amour de la liberté;
+à cet amour sérieux se mêle un autre amour, un tendre penchant pour
+Barbaroux. C'est au milieu de ces rêves que la Révolution les surprend
+tous deux; et tous deux saluent du plus ardent de leur âme cette grande
+union: d'une ère immense.
+
+Plus lard, Manon Philipon devient madame Roland, et Barbaroux met, comme
+membre de la Convention, son éloquence au service de la cause nationale.
+Femme du ministre de l'intérieur, madame Roland emploie son autorité,
+d'une part à défendre la patrie, de l'autre à adoucir le sort des
+proscrits que frappe le malheur des temps.
+
+Peu à peu la tempête révolutionnaire menace toutes les têtes, et ne
+respecte pas même les plus dévouées et les plus patriotes; nous
+retrouverons Barbaroux et madame Roland à l'Abbaye, marchant à
+l'échafaud d'un pas héroïque.
+
+Ce sujet, simple en apparence, est noyé dans une foule d'épisodes qui
+l'alanguissent et lui donnent tous les caractères d'une oeuvre de
+fantaisie, sous prétexte de la Révolution.--Peut-être serait-il mieux de
+ne pas jouer ainsi avec de tels événements et de tels hommes, et de ne
+point les rapetisser jusqu'au vaudeville. Il y a cependant des mots
+spirituels et quelque intérêt dans cette pièce, quoique, l'effet en soit
+bien sombre pour un théâtre habitué aux chansons. (Le Vaudeville a tort
+de _toucher à la hache_.)
+
+
+
+Misère Publique.
+
+L'hiver approche: pour le riche c'est la saison du luxe et des plaisirs,
+pour le pauvre c'est celle du dénûment et des plus rudes souffrances.
+Mais comme c'est le temps aussi où, de toutes parts, les magistrats
+municipaux et les bureaux de bienfaisance font appel aux hommes heureux
+pour qu'ils viennent en aide aux indigents, nous croyons que c'est le
+moment de dresser une statistique de la misère.
+
+D'après le recensement fait en 1841, le chiffre total des individus
+recueillis en France par les hospices et hôpitaux se montait à 93,335.
+Mais la division de ces malheureux entre les départements ne saurait
+rien prouver quant à la misère proportionnelle, qui y règne. En effet,
+nous voyons dans ces tableaux qu'en général ce sont précisément les
+départements où il y a le plus d'aisance qui, ayant trouvé le plus
+facilement des ressources pour fonder de grands établissements de
+charité et pour secourir la misère sur une plus large échelle,
+fournissent le chiffre le plus élevé; tandis que les autres départements
+qui n'ont pu recourir aux mêmes moyens, quoique la misère y soit plus
+grande, fournissent nécessairement et malheureusement un chiffre moins
+considérable à la statistique ministérielle. Ce document ne prouve donc
+pas plus que ces autres calculs qui établissent que, dans le département
+du Nord, sur 6 habitants on en compte un qui a besoin d'être secouru,
+tandis que, dans la Creuse, il ne se trouve qu'un pauvre sur 58
+personnes. Ces chiffres fussent-ils exacts, on aurait à se demander si
+la situation des 57 habitants de la Creuse considérés comme non
+indigents parce qu'ils ne sont pas secourus, leur permettrait, alors qu
+ils y seraient portés, de venir aussi efficacement en aide à l'indigent
+qui est à côté d'eux que la situation des 5 citoyens aisés du Nord leur
+permet d'adoucir la position de leur concitoyen pauvre. Il est évident
+que des associations de secours mutuels entre travailleurs, qu'une
+meilleure réglementation du travail modifierait bien promptement la
+proportion dans ce dernier département. Mais quelles nombreuses et
+quelles lentes améliorations ne faudra-t-il pas pour que la proportion
+donnée ne soit plus mensongère dans les départements pauvres du centre,
+et de quelques autres parties de la France?
+
+A Paris la situation est mieux constatée, et les chiffres ont une
+signification plus réelle. Nous ne nous occuperons pas aujourd'hui de la
+partie de la population qui est traitée et recueillie dans les hôpitaux
+et les hospices. Il y a là tout un travail à part que nous nous
+proposons bien d'entreprendre, mais quant à présent nous ne supputerons
+que la population indigente secourue à domicile par les bureaux de
+bienfaisance.
+
+En 1841, dernier exercice, sur lequel l'administration ait publié son
+travail de compte-rendu, 29,282 ménages indigents ont été secourus. Ce
+chiffre se décompose ainsi:
+
+ Ménages ayant reçu des secours temporaires. 10,424
+ -- -- des secours annuels ordinaires. 14,383
+ -- -- Octogénaires, l,223 }
+ -- -- Septuagénaires. 1,962 }
+ -- -- Aveugles. 1,054 } 4,475
+ -- -- Paralytiques. 236 }
+
+ Total égal. 29,282
+
+Ce nombre était de 30,361 en 1829, de 31,723 en 1832, de 28,969 en
+1935, et de 26,936 en 1838. Ainsi, malgré l'augmentation constante de la
+population, le nombre des indigents avait constamment décru depuis 1832,
+époque à laquelle le commerce et l'industrie commencèrent à prendre du
+développement, jusqu'en 1838, année de leur apogée. C'est à la fin de
+cette dernière année qu'on vit commencer la crise à l'influence de
+laquelle le commerce n'a pas échappé depuis, et dont l'un des effets a
+été d'augmenter le nombre des indigents de près d'un dixième.
+
+Les 29,282 ménages secourus en 1841 comprenaient 66,487 individus. Ils
+étaient plus surchargés de famille que ceux de 1829, car à cette
+dernière date, quoique le chiffre des ménages fût plus élevé de. 1,079,
+le nombre des individus secourus était moindre de 3,782.
+
+Les chefs de ménages indigents se classaient de la manière suivante:
+mariés, 11,917; veufs, 10,408; femmes abandonnées, l,898. On y ajoutait
+ensuite: célibataires adultes, 4,496; célibataires orphelins, 563.
+
+Sur les 29,282 chefs de ménage secourus, 15,250 ont moins de soixante
+ans; 14,052 ont dépassé cet âge. On y compte un seul centenaire.
+
+Le loyer des lieux qu'occupent ces ménages secourus est, pour 5,399
+d'entre eux de 50 fr. et au-dessous; il est de 51 à 100 fr. pour 12,680;
+de 101 à 200 fr. pour 5,684; de 201 à 300 fr. pour 187; de 301 à 400 fr.
+pour 13; au-dessus de 400 fr. pour 2 seulement. 3,003 sont logés à titre
+gratuit, et 2,317 le sont comme portiers.
+
+Dans les 29,282 ménages, 15,495 ont pour chefs des hommes. Nous ne
+donnerons pas la répartition du nombre entier entre les diverses
+professions, mais nous indiquerons le chiffre pour lequel quelques-unes
+y figurent. En le faisant, nous n'avons pas la prétention de fournir des
+éléments de calculs sur l'aisance et les ressources de telle profession
+comparée à telle autre; la statistique ne fait souvent que complaire à
+la curiosité, elle tombe dans le ridicule quand elle a la prétention de
+l'éclairer toujours, et nous n'imiterons pas Parent-Duchatelet dans son
+livre sur les femmes dégradées, qui, prenant à coup sûr quelque
+exception que nous voulons ignorer pour un des éléments de ses calculs,
+dit que, dans une période de temps qu'il détermine, sur tel nombre de
+ces malheureuses qui finissent par se marier, il y en a une qui épouse
+un membre du Conseil d'État.
+
+Nous remarquons d'abord sur le tableau général que cinq états qui,
+précédemment, comptaient des indigents secourus, n'en ont point eu en
+1841: ce sont les albâtriers, les arroseurs, les ciriers, les lamineurs
+et les cimentiers.--Les affineurs, apprêteurs de draps, artificiers,
+batteurs d'or, charcutiers, chocolatiers, décatisseurs, égouttiers,
+facteurs, machinistes, pédicures, satineurs, n'en ont compté qu'un seul
+chacun.--Nous remarquons encore, dans les professions où il y a eu peu
+d'indigents à secourir ou du moins secourus, les bandagistes, les
+brodeurs en or, les dentistes, les estampeurs, les frangiers, les
+interprètes, les lapidaires, les mouleurs en plâtre, les parcheminiers,
+les parfumeurs, les sertisseurs, qui n'y figurent chacun que pour
+deux:--les artistes dramatiques, les chantres de paroisse, qui y sont
+portés chacun pour trois.
+
+Les dessinateurs fournissent quatre indigents; les libraires et
+bouquinistes, six; les compositeurs d'imprimerie, pour lesquels le
+travail est cependant fort inégal, mais qui ont eu le bon esprit
+d'entrer largement dans la voie des caisses de secours mutuels, dix,
+chiffre bien peu élevé en raison de leur grand nombre; les graveurs,
+quinze; les relieurs, vingt-quatre. Quant aux imprimeurs en caractères,
+dont l'emploi des machines a diminué sensiblement les garanties
+d'occupation, cent trente-neuf ont été dans la nécessité de recourir aux
+secours.
+
+Vingt-sept tambours se sont trouvés dans la même situation.
+
+Dans les chiffres dépassant la centaine, nous trouvons: les
+charpentiers, 111; les tourneurs, 119; les chiffonniers, 122; les
+fileurs de coton, laine et soie, 124; les tisserands, 129; les
+terrassiers, 130; les savetiers, 131; les anciens domestiques, 132; les
+charretiers, 140; les anciens employés et écrivains, 140; les
+manoeuvres, 140; les balayeurs, 149; les corroyeurs, tanneurs,
+mégissiers et peaussiers, 156; les cochers, 171; les porteurs d'eau,
+189; les ébénistes, 192; les bonnetiers, 197; les peintres, vitriers et
+colleurs, 278; les maçons, 300; les serruriers, 333; les menuisiers,
+406; les tailleurs d'habits, 477; les marchands revendeurs, 778; les
+cordonniers, 880; les commissionnaires et hommes de peine, 1,429; les
+portiers (hommes), 1,283; les journaliers, 1,805; les individus sans
+état, 1,982.
+
+Le rapport de la population indigente à la population générale de Paris
+a été, en 1841 (prenant pour cette dernière le résultat du recensement
+de 1836), de 1 sur 13 habitants 307 millièmes. Voici le rapport dans les
+arrondissements:
+
+ Dans le 2e, 1 indigent sur 33 habitants 705 millièmes.
+ -- 3e, 1 - 27 - 152
+ -- 10e, 1 - 19 - 172
+ -- 1er, 1 - 17 - 985
+ -- 5e, 1 - 17 - 951
+ -- 7e, 1 - 17 - 624
+ -- 11e, 1 - 16 - 180
+ -- 6e, 1 - 15 - 904
+ -- 4e, 1 - 13 - 756
+ -- 9e, 1 - 8 - 427
+ -- 8e, 1 - 6 - 597
+ -- 12e, 1 - 6 - 235
+
+Les recettes faites par les bureaux de bienfaisance sont le produit
+d'une subvention de l'administration des hospices, de legs et donations,
+de dons, collectes et souscriptions (en 1841. 259.549 fr.); des troncs
+et quêtes dans les églises (27,692 fr.); de représentations théâtrales,
+bals et concerts (9,682 fr.), et d'autres fonds généraux et spéciaux.
+
+Leur dépense a été, en 1841, de 1,361,635 fr. Le douzième arrondissement,
+le plus chargé d'indigents, est entré dans ce chiffre pour 244,323 fr.
+C'est presque toujours en objets d'habillement et de coucher, en pain,
+en viande, en bouillon et comestibles, en médicaments, en combustibles,
+que ce budget de bienfaisance est dépensé. Les secours en nature sont
+démontrés par l'expérience être bien préférables aux recours en argent.
+Cependant, ceux-ci étant parfois indispensables, 95,811 fr. ont été
+distribués en espèces.
+
+Que les caisses de secours mutuels se multiplient, car il est plus digne
+de s'assurer contre le besoin que de demander aide à la bienfaisance
+publique; que l'ouvrier soit prévoyant quand il est occupé; que les
+maîtres, comprennent que si la Société regarde leurs coalitions comme
+moins dangereuses que celles des travailleurs, la morale ne les
+considère pas comme moins coupables; que le gouvernement, par des
+traites de commerce bien entendus, imprime à l'industrie, une active
+impulsion; enfin, que la chanté s'accroisse, car la misère n'a pas
+diminué, et les bureaux de bienfaisance, outre qu'ils ont eu à secourir,
+dans l'année qui vient de servir de base à nos calculs, 66,487
+individus, auraient eu besoin d'autres ressource encore pour vaincre la
+réserve souvent suicide de pauvres honteux qu'on D'estime pas à moins de
+15,000.
+
+
+
+Une Bouteille de Champagne.
+
+Nouvelle.
+
+Par une sereine matinée de printemps, le bandit Shinderhannes était
+couché sur l'herbe, aux pieds de Julie Blasius, le long de cette
+magnifique sapinière qui couronne le monastère d'Eberbach, au-dessus de
+Kiedrich, dans le duché de Nassau. De ce belvédère, on voyait le
+Rhingau, festonné de vignobles, se perdre au sein d'un horizon de
+châteaux, et le soleil levant dorer à la fois Johannisberg et Mayence.
+Dans les clairières de la forêt, non loin du chef, sommeillaient çà et
+là, par groupes rares et pittoresques, ses plus braves compagnons,
+Moïse, Picard, Jik-Jak, Crevelt, Zaghetto, Pierre le Noir, tous fameux
+dans la chronique du mont Taunus, tous redoutés depuis les bords de la
+Moselle jusqu'aux landes de Hanovre. Shinderhannes lisait _Werther_,
+dont la réputation était encore naissante, et Julie Blasius, jeune fille
+de Zerbst, prisonnière de la bande, dont le capitaine voulait faire sa
+maîtresse, écoutait la voix du bandit, tout en effeuillant avec
+distraction une branche de saule.
+
+«Julie, dit le jeune homme en interrompant sa lecture, vous avez bien
+tort d'exiger que je vous lise ce roman jusqu'à la dernière page; il ne
+peut se terminer que par une catastrophe. Je vous le conseille
+franchement, arrêtons-nous là. Ce sera comme un amour où le début est
+toujours si beau...
+
+--Qu'on presse toujours le dénouement, n'est-ce pas? Mon cher capitaine,
+lisez, je vous prie. Un roman ne m'épouvante guère.
+
+--C'est un peu bien volontaire pour une captive, madame.
+
+--Vous trouvez?»
+
+Mais elle lâcha la branche de saule, se mit à boucler les blonds cheveux
+du bandit, et Shinderhannes, ému, reprit son livre en rougissant de
+plaisir.
+
+«Du reste, peu m'importe, dit-il à voix basse; vos yeux ne seront que
+plus beaux s'ils viennent à pleurer. Où donc en étais-je?
+
+--Vous me disiez qu'au plus beau moment du succès de _Werther_, ayant un
+jour rencontré sur le Hundsruck la jeune femme de Brunswick qui servit
+de modèle à la Charlotte de Goethe, un accès de fureur vous prit, et
+qu'en mémoire de tout ce que son amant avait souffert pour elle, vous
+eûtes un instant la singulière envie de la tuer.
+
+--C'est vrai, reprit Shinderhannes en laissant rouler le livre jusqu'au
+fond du précipice; mais cette envie, je me la suis passée, ajouta-t-il
+avec un regard sombre que Julie soutint sans émotion apparente. Comme ce
+livre immortel vient de rouler dans l'abîme, de même Charlotte y
+disparut elle-même. Je saisis la malheureuse femme par les cheveux,
+qu'elle avait longs et noirs comme vous, je lui ordonnai de recommander
+son âme à Dieu, et je la traînai sur le revers de la montagne; là, je
+soulevai son corps frêle et délicat, je murmurai le nom de son amant, je
+balançai longtemps au-dessus du gouffre ses membres déjà glacés
+d'épouvante, puis tout m'échappa...
+
+--Et Charlotte roula dans le précipice? dit Julie.
+
+--Oui, ma belle; et si j'avais pu rendre en même temps la vie à Werther,
+j'eusse retiré sa maîtresse du gouffre, car il était affreux de la voir
+déchirée par les ronces, tendant ses bras nus, criant et luttant contre
+la cascade qui l'emportait dans le Rhin.
+
+--Et qu'ont-ils dit, vos hommes?
+
+--Je les ai conduits au siège d'un monastère, nous avons battu la porte
+en brèche avec un crucifix, les nonnes leur ont verse à grands verres du
+Beste-Grog, et ils n'ont rien dit.
+
+--Ce sont des lâches! Moi, je vous eusse appelé homicide; moi, j'eusse
+arraché le poignard qui dort à votre ceinture, et il y aurait eu deux
+victimes pour le succès d'un roman.»
+
+Le bandit Shinderhannes se mit à rire, et prenant la branche de saule,
+l'effeuilla tranquillement à son tour.
+
+«Picard! s'écria-t-il bientôt en voyant un de ses lieutenants grimper
+vers lui à travers les sapins, veillez aux français et faites relever
+les sentinelles. Je vais fumer une pipe.»
+
+Les gendarmes de Mayence, à cette époque poursuivaient la horde du
+bandit jusque sur le territoire hanovrien; Napoléon et la Prusse
+(C'était en 1802) s'entendaient parfaitement à cet égard. L'association
+des brigands de Hundsruck avait été en partie le résultat des guerres
+entreprises par les Français pour l'occupation de la Hollande, de la
+Belgique et des États qui forment aujourd'hui le grand-duché du
+Bas-Rhin. Fondée d'abord par une famille israélite de Windshoot, près de
+Groningue en Hollande, elle profitait des guerres de la Révolution pour
+étendre dans le nord de l'Allemagne sa formidable et mystérieuse
+puissance. On n'entendait parler depuis Bruxelles jusqu'au Hartz que de
+Juifs étranglés, de châtelains rançonnés, même de villes emportées
+d'assaut; les paysannes du mont Joie ne descendaient plus sur la Roër
+pour vendre leurs oeufs au marché d'Aix-la-Chapelle, sans péril de mort,
+et les amateurs qui voyagent à pied pour tâter le crâne de Charlemagne à
+Cologne ou croquer sur leurs albums le vaisseau de la cathédrale de
+Mayence, hésitaient longtemps à franchir les Ardennes, dont le _hibou_
+Shinderhannes gardait le défilé.
+
+C'est en visitant le _Dos du Chien_ (Hundsruck), chaîne où maintenant
+errait sa bande, que Shinderhannes rencontra Julie Blasius. Vertueuse et
+dévote, cette femme résolut de dompter le brigand, et, comme il en était
+fou, de convertir l'homme par l'amour. Elle résistait à sa passion, elle
+voulait un mariage, elle exigeait surtout que son amant renonçât à
+braver la potence, et en quelque sorte prit une retraite. Mais, en
+attendant, Julie ne partageait pas moins la dangereuse vie de
+Shinderhannes; elle s'habillait en homme, galopait dans les forêts, se
+battait même avec les gendarmes. Tantôt, sous les titres et avec les
+grâces d'une comtesse, elle donnait le ton aux habitués des eaux de
+Wiesbaden, jetait l'argent par la fenêtre, et présentait le bandit dans
+les salons sous l'incognito d'un baron suédois; tantôt, coiffée de la
+toque à la hussarde et la carabine sur l'épaule, elle remontait
+lestement à pied les sentiers du Taunus, et jonchait la route, avec sa
+blanche main, de ces branches d'arbre qui étaient le doigt indicateur et
+les pierres miliaires des brigands.
+
+«.... Et Charlotte roula dans le précipice!» répétait Julie en se
+promenant sous les sapins. Peu à peu elle devint pensive, ses regards se
+fixèrent sur l'herbe, son visage pâlit, et elle resta longtemps dans
+cette absorbante immobilité du corps si complète et si lourde qu'on
+dirait que l'âme a doucement quitté son étui et que la chair, au lieu
+d'un être vivant, n'est plus qu'une chose, que néant ou rien; seulement,
+par intervalles, de la bouche de marbre de Julie, tombaient encore ces
+paroles sinistres:
+
+«Et Charlotte roula dans le précipice!»
+
+Cette rêverie dura près d'une heure. En relevant la tête. Julie vit
+debout, en face d'elle et dans une attitude mélancolique, le lieutenant
+Picard. Français d'origine, ancien soldat de Frédéric, un de ces
+aventuriers cosmopolites qui n'ont ni fortune, ni famille, ni patrie,
+mais auxquels l'audace tient ordinairement lieu de tout, Picard aimait
+secrètement Blasius. Elle s'en était aperçue; elle lui dit:
+
+«Picard, j'ai soif; je voudrais bien boire un verre de ces vins de
+France dont vous nous parlez si souvent.
+
+--Du bordeaux, madame:
+
+--Non, lieutenant Picard. Lorsque j'étais femme de chambre de la
+princesse d'Anhalt, je ne buvais que ce vin-là. Je voudrais un verre de
+Champagne.
+
+--Les dernières bouteilles, par malheur, ont été bues hier.
+
+--Par malheur, dites-vous, lieutenant? rien n'est plus vrai, car
+j'échangerais tous mes cachemires contre un verre de vin de Champagne;
+cherchez, je vous prie.»
+
+La belle Allemande accompagna cet ordre d'un regard si doux, que Picard
+disparut comme un chat sauvage entre les sapins; mais, au bout ce dix
+inimités, il revint à pas lents et aussi morne que s'il eût manqué de
+tuer un riche abbé du Rhin.
+
+«J'ai cherché, madame; il ne reste pas une seule bouteille de Champagne.
+Madame veut-elle du tokai?
+
+--Madame veut du vin de France, et elle veut du Champagne, répondit la
+compatriote de Catherine II avec un geste impérieux et un regard
+étincelant; m'entendez-vous.»
+
+Le lieutenant fut interdit. Au bruit de la querelle, Shinderhannes
+sortit de sa tente, la pipe à la bouche. C'était moins un brigand qu'un
+dandy, lui brigand, il avait l'oeil dur et le visage mobile, la
+moustache démesurée, la veste de hulan, le poignard classique et la
+paire convenue de pistolets à la ceinture; rien du dandy, il avait les
+cheveux blonds et bouclés, les mains charmantes, des bottines rouges, un
+esprit séduisant, la plus jolie voix de ténor, et cette beauté mâle qui
+ameutait sur ses pas les jeunes filles de l'Eifel et du Lousberg comme
+au spectacle de quelque dieu terrestre du meurtre et de la volupté.
+C'était la plus poétique réalisation du héros de Schiller. D'ailleurs,
+l'amant de Julie n'avait pas vingt-deux ans. Né en 1779, à Nastatten,
+d'une famille obscure et misérable, Shinderhannes fut publiquement
+fouetté dans son enfance, et ce châtiment ignoble, qui fit de
+Jean-Jacques Rousseau un grand homme, exaspéra tellement le jeune Belge,
+qu'il résolut de se venger jusqu'à son dernier soupir, et par une guerre
+implacable, de l'affront qu'il avait reçu de la société. Les plus grands
+crimes, souvent, n'ont pas d'autre prétexte.
+
+«Quel est ce bruit? demanda Shinderhannes en regardant Julie et Picard.
+
+--C'est monsieur, dit Blasius, qui m'offre du tokai, quand je lui
+demande du champagne.
+
+--Capitaine, s'écria Picard, ému de l'accusation, vous savez mieux que
+moi si j'ai tort. Vous avez bu vous-même hier la dernière bouteille
+d'épernai.
+
+--Eh bien! reprit fièrement la jeune femme, qu'on aille en chercher dans
+la plaine!
+
+--Où donc? fit le brigand avec un sourire.
+
+--A Mayence, parbleu! Ne sommes-nous pas à deux lieues de Mayence?
+
+--On me les enverrait déboucher à la potence, vos bouteille? de
+Champagne. Belle Julie, est-ce votre désir?
+
+--Mon désir est de boire du Champagne; je n'en si pas d'autre.
+
+--Vos désirs, madame, reprit sévèrement le bandit, ne sont pas plus
+raisonnables que votre mémoire. Ne vous rappelez-vous déjà plus
+l'histoire de Charlotte? Je sais punir même les jolies femmes qui ont
+des caprices. Dans le _Dos du Chien_, je suis le seul maître après Dieu.
+
+--Après Dieu et avant le crime,» dit hardiment Blasius. Picard recula
+épouvanté: la lame du poignard brillait dans la main droite du
+capitaine. Shinderhannes, de la main gauche, saisissant Julie par les
+cheveux, la courba jusqu'au ras de l'herbe aussi facilement que si c'eût
+été une tige de coudrier.
+
+«Demande grâce, fille du démon!
+
+--Non,» répondit-elle.
+
+Aussitôt le cachemire qui couvrait ses épaules vola dans l'air, et
+l'acier du stylet sillonna comme un éclair la peau satinée de son
+admirable poitrine.
+
+«Capitaine! s'écria Picard en tombant à genoux.
+
+--Monsieur, lui dit rudement le chef, pour un soldat blanchi sous le
+harnais du grand Frédéric, vous êtes bien délicat! Je n'aime pas les
+âmes sentimentales sur le Hundsruck; en littérature et dans les romans
+de Goethe, c'est différent. A la prochaine course en plaine, vous
+resterez à Mayence. Si Bonaparte vous fait pendre, tant pis pour vous.»
+
+A ces mots, Shinderhannes remit la lame dans le fourreau, et tira un
+coup de pistolet en l'air. Les camarades de Picard, à ce signal, s'étant
+approchés du chef, reçurent l'ordre de désarmer le vieux Français, de ne
+plus lui parler, de ne rien lui offrir de sa part du butin de la veille,
+et, pour tout dire enfin, de le traiter aussi ridiculement que possible,
+en honnête homme. Alors le bandit tourna le dos à sa bien-aimée, reprit
+tranquillement sa pipe, et on n'entendit plus dans les sapins que le
+froissement de la fougère sous le talon des bottines des sentinelles.
+
+Cependant la pointe de l'arme, en courant avec adresse sur le cou de
+Julie, y avait tracé comme le cercle d'un collier rouge qu'on aurait, à
+distance, juré de corail. Elle remit son cachemire en frissonnant de
+douleur et de rage. A ce moment il était midi. La masse irrégulière et
+confuse des édifices du couvent d'Eberbach, avec leurs flèches élancées,
+leurs voûtes légères, leurs aiguilles gothiques et leurs toits en
+étages, dont la plus grande partie remonte au douzième siècle, se
+dressait à l'ombre du feuillage dans le silence de la forêt et dans la
+chaleur du jour. Le dernier et le plus considérable des six monastères
+fondés en 1431 par saint Bernard (Tiefenthal, Gollersthal, Eberbach,
+Erbinges, Nothgottes et Marienhausen), cette sainte maison, composée
+d'un palais et d'une église liés par des colonnades du style byzantin,
+n'offre partout, dans ses bas-reliefs comme dans ses lignes
+d'architecture les plus saillantes, pour type unique du symbole de ses
+origines, que la figure multipliée du cochon, qui signala, dit la
+chronique, à saint Bernard lui-même les endroits de la plaine où le
+fondateur trouverait de la pierre. Cette image burlesque, toutefois,
+n'ajoutait rien à la gaieté sombre du cloître dont quelques moines
+grossiers, respectés encore même en 1805 par le duc de Nassau, ouvraient
+humblement la retraite aux condottieri de Shinderhannes. Transformé
+aujourd'hui en hospice pour les fous, Eberbach préludait à cette
+destinée bizarre en abritant pêle-mêle des religieux et des bandits. Ce
+qui achevait ce tableau digne de Salvador Rosa, c'était la pesanteur de
+l'atmosphère, où l'oiseau ne chantait plus, où l'air se parfumait
+d'arômes résineux, où la magnifique ardeur du soleil ne rappelait
+qu'avec plus d'effroi, vis-à-vis du monastère, le meurtre sacrilège de
+Charlotte. Les murmures de la cascade, rendus plus imposants par l'écho
+de la cloche des moines, semblaient lutter encore contre les plaintes de
+son agonie. Blasius laissa lentement glisser ses pieds sur la mousse et
+descendit ainsi près du torrent, comme pour mieux prêter l'oreille aux
+derniers cris de la jeune fille.
+
+Tristement appuyé contre le mur du portail, au-dessous de la statue
+colossale de saint Bernard, et les regards tournés vers le Rhin, Picard
+attendait là, sous la surveillance d'un poste avancé, que l'heure la
+plus favorable de la nuit eût ramené pour la bande celle du combat et
+naturellement aussi l'heure de son départ. A la vue de Julie, ses yeux
+se mouillèrent de larmes.
+
+«Picard, lui dit la prisonnière en se penchant au-dessus du précipice,
+n'entendez-vous pas comme moi gémir l'âme de Charlotte au fond de
+l'abîme?
+
+--Hélas! madame, le crime était trop grand pour que cet étrange tombeau
+restât muet! La jeune fille tuée par le capitaine Shinderhannes n'était
+pas la Charlotte de _Werther_.
+
+--Vous m'épouvantez!
+
+--Il avait connu à l'université, de Goettingen l'abbé J..., héros de
+l'aventure dont Goethe a raconté les principales circonstances dans son
+livre. L'abbé J... fut le seul ami de Shinderhannes. Quand il se brûla
+la cervelle, notre capitaine, exalté, jura que la première femme qui
+s'offrirait à sa rencontre dans le _Dos du Chien_ paierait pour la
+mémoire de son ami. Par bonheur vous ne fûtes, madame, que la seconde;
+mais Shinderhannes avait déjà tenu son serment, et la première, une
+pauvre laitière de Kiedrich, y a passé...
+
+--De quoi parlez-vous donc ensemble?» demanda à cet instant une voix
+rauque dont les intonations semblaient tomber du ciel.
+
+Julie et Picard se retournèrent avec surprise... Le capitaine, sortant
+de la grande cour du monastère, s'était avancé doucement et il les
+regardait causer, du haut d'un tertre, avec cette tranquillité sinistre
+qui, dans une âme jalouse comme était la sienne, laissait pressentir de
+terribles orages.
+
+«Nous parlons, dit Blasius avec son intrépidité ordinaire, des
+gémissements qui s'élèvent, comme des lamentations funèbres, comme des
+accusations solennelles, du fond du précipice.
+
+--Il paraît, reprit Shinderhannes d'un ton ironique, que votre
+interlocuteur aime singulièrement les beautés de la nature. Voici deux
+fois que je le surprends aujourd'hui au péché d'admiration trop
+exclusive pour le paysage et pour la femme. Moi, j'ai peur des gens
+sensibles, et je les prie de rejoindre les camarades qui font des
+cartouches avec les moines dans la grotte; ce sera plus utile.»
+
+Picard s'éloigna, Julie se coucha sur l'herbe, où elle reprit la branche
+de saule, et le bandit continua sa promenade avec une légèreté
+apparente; mais le remords grondait enfin dans sa poitrine; il avait
+même reconnu l'horreur de son action. Ses yeux s'étaient presque
+mouillés, comme ceux de Picard, en apercevant du sang à la pointe de son
+poignard. Julie Blasius n'était-elle pas sa prisonnière, et, à ce titre,
+comme femme, n'avait-elle pas droit, même dans ses plus grandes
+inconséquences, à la pitié, au respect du bandit? Peut-être d'ailleurs
+la belle Allemande, jusqu'alors insensible aux prières de Shinderhannes,
+allait-elle enfin l'accepter pour époux, et changer son repaire en lit
+nuptial, en temple secret de bonheur! Un mouvement de colère féroce
+avait tout détruit.
+
+«Cette charmante Julie!» murmurait Shinderhannes.
+
+En en disant ces paroles, il embrassait d'un regard enflammé le corps de
+la jolie femme, mollement ramassé sur le gazon comme un cygne tapi dans
+un bouquet de fleurs. Le bandit vint tomber plutôt que s'asseoir aux
+genoux de la captive.
+
+«Ma chère, lui dit-il, j'ai envie, comme Werther, de me tuer.
+
+--Pour moi, sans doute? répondit Julie avec dédain.
+
+--Peut-être, reprit le bandit les yeux baissés.
+
+--Non, non, vous vous trompez, mon beau capitaine; il y a quelque chose
+de plus grossier dans vos passions. Si vous m'aimez, monsieur, c'est que
+le monastère d'Eberbach ne renferme qu'une femme, et cette femme, c'est
+moi.
+
+--Tu as raison, dit Shinderhannes en lui baisant la main; je donnerais
+Mayence, et Cologne, et Francfort, et la légende du comte Kuno, et
+_Werther_ même, pour que ta bouche me rendît ce baiser. Sans la femme, ô
+Julie! le désert de l'homme est insupportable.
+
+--Vous avez raison, monsieur, dit à son tour Blasius. Je donnerais aussi
+et Mayence, et Francfort, et Cologne, et la légende du comte Kuno, et
+_Werther_, et vous-même, capitaine, par-dessus le marché, pour une
+bouteille de vin de Champagne. L'amour de l'homme est un désert, et Dieu
+a fait le vin de Champagne pour qu'il fût supportable à la femme.
+
+--Oh! ces filles d'Eve! s'écria le bandit, toujours semblables à leur
+mère! quand ce n'est pas la pomme, c'est la grappe.
+
+--Et notre volonté, monsieur?
+
+--Elle est accomplie.»
+
+A ces mots, Shinderhannes sonna d'un cor qu'il portait suspendu à sa
+ceinture; la forêt répéta en longs échus cet appel sinistre, auquel on
+vit bientôt répondre les brigands et les moines, qui se montrèrent
+pêle-mêle aux croisées de l'édifice.
+
+ANDRÉ DELRIEU.
+
+_(La fin à un prochain numéro.)_
+
+
+
+La Saint-Hubert
+
+Voici la fête du bienheureux patron des chasseurs; aucun saint du
+paradis n'est fêté chaque année avec plus d'exactitude. En son honneur,
+tout homme qui sait manier un fusil, ou sonner de la trompe, se met en
+campagne, ce jour solennel, sans s'informer s'il pleut ou s'il fait beau
+temps. Le chasseur millionnaire rassemble ses parasites habitués pour
+cette solennité; s'il existe dans ses buis un superbe cerf dix cors, un
+sanglier-monstre, on le réserve pour être chassé le jour de saint Hubert.
+Le petit propriétaire invite quelques amis à l'ouverture d'un bois
+taillis où viennent des faisans du voisinage; il n'a pas voulu le
+visiter encore, car il aurait pu les effaroucher, et le jour de la
+_Saint-Hubert_ ne peut pas se passer comme les autres jours. Le garde,
+vivant joui dans sa maisonnette, au milieu des bois, braconne un peu
+plus que de coutume sur les terres de son maître, car il lui faut un
+lièvre pour son dîner.
+
+Ainsi, dans toutes les classes de chasseurs, on fait ce jour-là ce qu'on
+n'a pas fait la veille, ce qu'un ne fera pas le lendemain. La
+_Saint-Hubert_ ne se sonne que le jour de saint Hubert; un chasseur se
+ferait siffler en la sonnant tout autre jour de l'année. La chasse
+finie, quels dîners! Le vin de. Champagne coulant à flots, et les
+chansons, et les histoires, je n'en finirais pas si je voulais vous dire
+tout ce qu'on fait le jour de saint Hubert; j'en finirais encore moins
+si je racontais tout ce qu'on dit.
+
+Le 3 novembre il arrive des coups fabuleusement extraordinaires: on tue
+des lièvres à deux cents pas, on roule des sangliers comme des lapins,
+on assomme des ours avec la crosse du fusil; au besoin, on égorgerait
+des rhinocéros, on rapporterait un éléphant dans le carnier. Si, parmi
+les convives, il se trouve un chasseur voyageur qui soit allé dans
+l'Inde, il aura fait coup double sur le tigre royal, et vous en
+entendrez, de toutes les façons. Les voyageurs mentent, les chasseurs
+mentent; jugez à quelle sublimité de hâblerie doit se monter l'homme
+réunissant ces deux titres. Qu'importe! riez, et ripostez, mais surtout
+ne vous montrez jamais incrédule; d'abord ce n'est pas poli, et puis
+vous refroidiriez la verve du conteur, et la causerie n'aurait plus
+d'entrain. Il vaut mieux renvoyer la balle du moment qu'elle est lancée,
+et tout le monde y gagne. Toutes les fois que je me trouve en face d'un
+chasseur à histoires excentriques, je lui réponds par des histoires plus
+excentriques encore; c'est le meilleur moyen de le faire taire. Depuis
+longtemps Corneille nous a donné cette recette:
+
+ J'aime à braver ainsi ces conteurs de nouvelles;
+ Et sitôt j'en vois quelqu'un s'imaginer
+ Que ce qu'il vient m'apprendre a de quoi m'étonner,
+ Je le sers aussitôt d'un conte imaginaire
+ Qui l'étonne lui-même et le force à se taire.
+ Si tu pouvois savoir quel plaisir on a lors
+ De les faire rentrer leurs nouvelles au corps!
+
+[Illustration: La Messe de Saint-Hubert.--Bénédiction des chiens.]
+
+Quand, arrive le 3 novembre, le gibier a déjà vu le feu de très-près,
+les perdrix surtout mettent à se laisser approcher une mauvaise volonté
+désespérante. Alors, au lieu d'aller les chercher, on les fait venir à
+soi au moyen de rabatteurs; c'est un moyen certain pour brûler de la
+poudre. Les chasses en battue commencent ordinairement le jour de saint
+Hubert. Ce jour-là, les endroits réservés ne le sont plus; on tire de
+tous les côtés, on fait un tapage infernal; et notre glorieux patron
+doit être content du massacre et surtout du tapage qui se fait en son
+honneur.
+
+Bien des chasseurs célèbrent la Saint-Hubert sans savoir la vie de leur
+protecteur ici-bas et dans le ciel. Si vous leur disiez: Monsieur,
+qu'est-ce que saint Hubert? ils vous répondraient; C'est un saint dont
+la fête arrive le 3 novembre.--Mais à quelle, époque vivait-il?
+pourquoi, comment a-t-il gagné le paradis? Ils resteraient bouche
+béante. Eh bien, je vais leur donner ici un petit abrégé de la vie de ce
+grand saint, pour qu'ils ne soient plus embarrassés quand on les
+interrogera.
+
+[Illustration: Vision de Saint-Hubert.]
+
+Hubert était fils de Bertrand, duc d'Aquitaine; il naquit en l'an de
+grâce 656. Bertrand, fort brave homme, fatigué de la tyrannie d'Ebroin,
+maire du palais sous Clotaire III, secoua le joug et proclama son
+indépendance. Ebroin, fort sournois de sa nature, au lieu de combattre
+Bertrand en brave chevalier, aima mieux le vaincre par des sortilèges;
+il fit jeter un sort sur ce pauvre duc et le rendit imbécile. Il croyait
+ainsi envahir l'Aquitaine; mais Hubert était là pour parer le coup; ses
+prières au ciel rendirent la raison à Bertrand, qui livra bataille, et
+fut vainqueur. Hubert vint à Paris à la cour de Thierri 1er, roi de
+Neustrie et de Bourgogne; celui-ci, charmé de sa bonne mine, le nomma
+comte du palais. Mais Ebroin était plus maître que le roi; gardant
+rancune au jeune Hubert, qui avait désensorcelé son père, il lui chercha
+tant de noises qu'il fut obligé de quitter la cour. Il se retira chez
+Pepin d'Héristal, duc d'Austrasie, ennemi d'Ebroin. Une guerre éclata
+entre eux; Hubert y rendit son nom illustre, et il fut proclamé le plus
+brave, Thierri fut vaincu; Ebroin mourut assassiné; Pépin voulut garder
+Hubert, grand chasseur; il reconnaissait la même passion chez le fils de
+Bertrand, et vous savez le proverbe: «Qui se ressemble s'assemble.»
+
+Hubert se fit à la chasse une aussi belle réputation qu'à la guerre.
+Pour démêler les ruses d'un cerf, il n'avait point son égal. Pepin le
+nomma grand-maître de sa maison, et lui fit épouser mademoiselle
+Florihane, fille de Dagobert, comte de Louvain. Les anciens chroniqueurs
+disent que la chasse lui faisait souvent oublier le service divin: il
+courait sans cesse à cheval dans les bois; dimanche ou fête, Pâques ou
+Noël, rien ne pouvait l'arrêter. Un sanglier lui faisait manquer la
+messe, un chevreuil l'empêchait d'aller à vêpres. Un jour, c'était le
+vendredi-saint, Hubert, dans la forêt des Ardennes, vit le cerf qu'il
+chassait venir droit à lui. Ô prodige! le cerf portait un crucifix entre
+ses deux bois. Effrayé, il tombe à genoux et entend ces paroles; «Ô
+Hubert! jusqu'à quand poursuivras-tu les bêtes des forêts? jusqu'à quand
+cette vaine passion te fera-t-elle négliger ton salut? Si tu ne te
+convertis pas promptement, tu seras précipité dans l'enfer.» Hubert
+répondit: «Seigneur, me voici prêt à faire votre volonté.» Le cerf lui
+dit: «Va chez mon serviteur Lambert à Maestricht, il te dira ce que tu
+dois faire.» Ainsi, dit la légende, Hubert, qui voulait chasser et
+prendre, fut lui-même chassé et pris. Saint-Lambert, évêque de
+Maestricht, lui donna de bons conseils, et surtout de bons exemples pour
+gagner le ciel. Demeuré veuf, Hubert se retira dans la forêt des
+Ardennes, là où se trouve aujourd'hui le village de Saint-Hubert. Il y
+vécut longtemps de la vie contemplative, ne chassant plus que les loups,
+lorsqu'ils venaient l'attaquer.
+
+[Illustration: La Saint-Hubert du garde.]
+
+[Illustration: La Saint-Hubert au château]
+
+[Illustration:]
+
+[Illustration:]
+
+Saint Lambert mourut assassiné, et Hubert le remplaça. Le jour de son
+sacre, un ange apporta du ciel une étole brodée par la vierge Marie;
+saint Pierre lui apparut et lui remit une des deux clefs avec lesquelles
+on le représente toujours. Cette clef sert encore aujourd'hui à guérir
+les enragés, hommes et bêtes; on la fait rougir au feu et puis on
+l'applique légèrement sur le front du chien de manière à lui brûler
+seulement le poil. Autrefois on avait la coutume, en entreprenant un
+voyage, de clouer un fer de cheval à la porte d'une église ou d'une
+chapelle sous l'invocation de saint Martin. On faisait aussi rougir au
+feu la clef de cette église ou de cette chapelle, et ou en marquait le
+front de la bête qui devait porter le voyageur. Je ne raconterai pas
+tous les miracles opérés par Hubert; il me faudrait trois numéros de
+_l'Illustration_. Depuis que saint Hubert est mort, les miracles
+continuent: un morceau de la sainte étole guérit les individus atteints
+de la rage, et l'étole est toujours entière. Le 3 novembre, la chapelle
+de Saint-Hubert ne désemplit pas: dès trois heures du matin, les trompes
+sonnent le réveil; à l'instant, chasseurs et piqueurs, gardes et
+braconniers se mettent en route avec leurs chiens, après s'être lestés
+de la classique soupe à l'oignon. Tous arrivent à la chapelle de
+Saint-Hubert, aujourd'hui délabrée, mais conservant toujours son antique
+célébrité. Un prêtre dit la messe aux flambeaux, les trompes sonnent
+lors de la consécration et pendant la bénédiction toute spéciale pour
+les chiens. Le plus jeune chasseur fait la quête, et ordinairement un
+nid de grive placé dans le pavillon de sa trompe lui sert de plateau.
+
+Les chasseurs scrupuleux ne se contentent pas, pour leurs chiens, de
+cette bénédiction générale, il leur en faut une autre plus directe. Ils
+retournent le lendemain chez un monsieur descendant de saint Hubert, à
+ce qu'il dit, et qui applique à leurs chiens la clef rougie que son
+aïeul reçut directement de saint Pierre. Lorsqu'il s'agit d'un homme, si
+l'on se servait de la clef rougie, le remède serait peut-être pire que
+le mal; alors ce monsieur guérit ou préserve de la rage en imposant les
+mains et en prononçant certaines paroles que lui seul connaît; mais en
+cela comme en beaucoup d'autres choses il faut avoir la foi. Ce qui est
+fort singulier, c'est que les protestants et les réformés vont en
+pèlerinage à Saint-Hubert aussi bien que les catholiques; on y voit même
+des juifs. Tous amènent leurs chiens et leurs bestiaux, soit pour les
+guérir de la rage, soit pour les empêcher de l'avoir.
+
+Ceux qui chassaient dans les Ardennes devaient aux moines de
+Saint-Hubert la première pièce de gibier qu'ils tuaient, et la dîme de
+toutes les autres. Un comte Théodoric, après avoir fait voeu d'observer
+cette règle, tua un superbe sanglier. Il le trouva si beau, qu'il voulut
+le garder. N'ayant point de charrette pour transporter une bête si
+lourde, il le fit dépecer, afin que ses gens pussent se charger chacun
+d'un morceau; mais, ô prodige! les gigots, les filets, la hure, ne
+furent pas plutôt détachés, qu'ils partaient comme des fusées à travers
+les airs, et décrivant une parabole, ils tombèrent sur l'abbaye, où les
+moines les mangèrent. Un certain Josbert fut bien autrement puni:
+atteint de la rage, il promit aux moines le tiers de ses terres s'ils le
+guérissaient. Mais, comme dit le proverbe italien:
+
+ Passato il pericolo,
+ Gabbato il santo.
+
+Une fois bien portant, il envoya les moines au diable, qui n'en voulut
+pas, et entra dans le corps de Josbert. Vous dire tout ce que fit notre
+possédé quand il eut le diable au corps, demanderait trop de temps et
+trop de place Lié, garrotté, il fut porté devant l'abbé de Saint-Hubert.
+Celui-ci le fit mettre dans une cuve d'eau bénite, et lui couvrit la
+tête avec la sainte étole. Qui fut penaud! Je vous le demande. Le
+diable ne pouvait plus sortir par la bouche, car l'étole était là; d'un
+autre côté la chose paraissait peu commode, car on pouvait prendre un
+bain d'eau bénite, et pour un diable c'est fort dangereux. Cependant à
+tout prix il fallait fuir l'étole, et le diable partit par les voies
+intérieures, ce qui produisit une telle détonation que les douves de la
+cuve en furent brisées(1). La morale de tout cela, c'est qu'il faut
+toujours tenir les promesses que l'on fait aux moines.
+
+[Note 1: Sensit inimicus pondus virtutis divinæ et coactus per
+posteriora egredi, talem dedit crepitum, ut omne dolium a compage sua
+resolveretur. Sic Deus superbissimum spiritum ludibrio exponebat.
+(Historia sancti Huberti principis Aquitani ultimi Tungrensis primi
+Leodiensis episcopi. Luxemburgi, 1621. In 4º, pag. 102.)]
+
+[Illustration: Une chasse dans un hôtel de la rue Saint-Honoré.]
+
+Hubert mourut en 727. Seize ans plus tard, on ouvrit son cercueil en
+présence: du roi Carloman, et on trouva son corps frais et vermeil. _Ses
+habits étaient plus entiers et plus beaux que de son vivant_. Dès lors
+on le nomma saint Hubert. Ce titre lui fut confirmé par Léon X un
+septembre 1515. Le roi fit mettre la dépouille mortelle du saint dans
+une belle châsse, devant le maître-autel Cette première translation eut
+lieu le 3 novembre 743; et voilà pourquoi nous chassons tant et nous
+dînons si bien le jour de la Saint-Hubert.
+
+Je connais des chasseurs qui, le 3 novembre, négligeraient les plus
+sérieuses affaires pour courir les champs; j'en connais qui, malades, au
+lit, se sont levés, ont fait un tour dans leur parc et se sont recouchés
+ensuite, après avoir accompli ce devoir, cet acquit de conscience; j'en
+ai vu qui, ne pouvant pas sortir, ont revêtu l'habit de chasse et sont
+restés ainsi équipés toute la journée dans leur fauteuil.
+
+Lord Egerton, propriétaire d'un fort bel hôtel rue Saint-Honoré, avait
+été grand chasseur. Devenu vieux et goutteux, il ne pouvait plus monter
+à cheval ni courir à pied: l'inexorable maladie le clouait dans son
+large, fauteuil. En temps ordinaire il prenait patience avec assez de
+philosophie; ses livres et ses amis lui faisaient quelquefois oublier
+l'âge heureux où il pouvait chasser depuis le matin jusqu'au soir; mais
+lorsque venait la Saint-Hubert, toute diversion était impossible. Alors
+il se sentait intérieurement travaillé par le démon cynégétique, démon
+cent fois plus tenace que ceux de l'amour, de l'ambition et autres
+passions à l'eau rose. La veille du jour où les chasseurs fêtent leur
+saint patron, l'imagination de milord, s'égarant en folle sur sa vie
+passée, lui retraçait avec les plus vives couleurs d'anciennes
+jouissances dont la privation augmentait encore son mal présent; les
+crises redoublaient alors d'intensité, les douleurs devenaient plus
+aguës, plus poignantes: le pauvre homme faisait pitié. Lorsque le mois
+de novembre approchait, les domestiques du noble lord disaient entre
+eux: «La maladie de notre maître augmente, ou voit bien que la
+Saint-Hubert n'est pas loin.»
+
+Un jour, c'était le 3 novembre 1831, lord Egerton, en s'éveillant,
+entendit les sons harmonieux de la trompe.
+
+«Pourquoi ce bruit? demanda-t-il à son valet de chambre; cela me fait
+mal; ces fanfares me déchirent le coeur.
+
+--Je pensais, au contraire, que cela vous ferait du bien.
+
+--Allez dire à nos voisins que je les prie en grâce de me laisser dormir
+en paix. Dieu me pardonne, ils sonnent la Saint-Hubert, le réveil, le
+départ; j'entends les cris d'une meute, et je suis forcé du rester au
+lit! Les malheureux! ils ne se doutent pas des angoisses qu'ils me
+causent!
+
+--Vos voisins ne sont pour rien dans tout cela, milord; cette musique
+joyeuse n'a d'autres exécutants que vos piqueurs; ces cris sont ceux de
+vos chiens; milord doit savoir que c'est aujourd'hui la Saint-Hubert.
+
+--Tu veux donc augmenter mes regrets, tu veux me tuer! Ah! mon ami, au
+lieu de me déchirer l'âme, au lieu de me retourner le poignard dans le
+coeur, fais-moi plutôt oublier ce jour, qui me rappelle d'aussi
+délicieux souvenirs.
+
+--Il ne s'agit pas du souvenirs, mais de réalités; nous chassons
+aujourd'hui.
+
+--Bah!
+
+--Vos piqueurs sont à cheval avec leurs habits de fête; vos valets de
+limier font le bois; je vais vous habiller, et bientôt vous entendrez
+leur rapport.
+
+--Ah çà, mais on dirait que tu parles sérieusement?
+
+--Milord sait bien que je suis incapable de me permettre une
+plaisanterie déplacée.
+
+--Hélas! il m'est impossible de sortir de Paris; si tu m'emmenais
+vivant, tu me ramènerais mort.
+
+--Dieu et votre grâce me sont témoins que je n'ai pas dit un mot de
+cela.
+
+--Et où chasserons-nous?
+
+--Ici.
+
+--Ici!
+
+--Le gibier du parc se multiplie beaucoup trop, il faut nécessairement
+le détruire.
+
+--Le gibier!!
+
+--Les chevreuils surtout font un dégât terrible en broutant les jeunes
+arbres.
+
+--Les chevreuils!!!
+
+--Vos massif, de dahlias, vos plates-bandes de géraniums, vos carrés de
+tulipes sont labourés, détruits, anéantis par les sangliers.
+
+--Les sangliers!!!!»
+
+Cette dernière exclamation fut poussée avec une force inaccoutumée; on
+aurait cru entendre Mithridate prononçant son fameux «les Romains!» Les
+yeux de milord brillèrent du feu de la jeunesse, les douleurs de la
+goutte cessèrent, une vie nouvelle circulait en lui; le valet de chambre
+continua:
+
+«Entendez-vous ces fanfares, qui vous promettent une heureuse journée?
+allons, milord, habillez-vous, et à cheval.
+
+--A cheval! est-ce que tu rêves?
+
+--A cheval, vous dis-je, ou en voiture, si vous l'aimez mieux; vous
+chasserez, aujourd'hui toutes les bêtes possibles, depuis le lapin
+jusqu'au sanglier, depuis le lièvre jusqu'au cerf.
+
+--Allons, je me fie à toi, mon ami; ceci commence à m'intéresser. Fais
+en sorte que je ne me réveille pas; ce serait vraiment dommage.»
+
+Aussitôt que milord fut inséré dans le molleton et la flanelle, quand
+une vaste robe de chambre fourrée tout hermétiquement enveloppé, deux
+domestiques l'emportèrent dans son fauteuil et le descendirent au
+vestibule, échauffé par un bon poêle. Comme il n'avait la goutte qu'à la
+jambe droite, il voulut que sa jambe gauche fut couverte par la guêtre
+classique. La porte du jardin s'ouvrit, et deux valets, tenant leur
+limier en main, se présentèrent pour rendre compte de leur tournée
+matinale.
+
+«Eh bien, Dick, as-tu de belles choses à m'apprendre? Je ne m'attendais
+guère à me trouver aujourd'hui en face de toi; et, je te le dis sans
+compliment, ta figure et celle de ton camarade Tom me sont mille fois
+plus agréables à voir que celle de tous mes médecins.
+
+--Milord, la chasse sera belle, mais nous aurons bien des difficultés à
+vaincre.
+
+--Tant mieux, mon ami, tant mieux! Voyons, dis-moi quels obstacles notre
+courage devra surmonter.
+
+--Milord, je crois avoir rencontré un sanglier tiers-an, qui se fait
+accompagner d'un écuyer plus jeune; et si mon chien ne me trompe, il est
+rembuché dans un fort de lilas et de chèvrefeuille, qui se trouve au
+bout du massif de géraniums.
+
+--Par saint Hubert, voilà certainement le premier animal de cette espèce
+qui, de mémoire de chasseur, se soit avisé de choisir un pareil fort.
+
+--Quant à moi, je n'en avais jamais vu en semblable lieu.
+
+--Et toi, Tom, qu'as-tu détourné?
+
+--Trois chevreuils.
+
+--Où sont-ils?
+
+--A la reposée, derrière le kiosque.
+
+--J'avais cru entendre parler d'un cerf?
+
+--Il y est.
+
+--Tu n'en parlais pas.
+
+--Impossible de le détourner, il court toujours; il ressemble aux
+chevaux de Franconi, faisant beaucoup de chemin dans un petit espace.
+
+--Oui, milord, ajouta Dick; et quelque bête que nous chassions, nos
+chiens ne pourront, pas suivre le droit. Nous aurons souvent du change,
+les voies se mêlent, se croisent en tous sens; derrière chaque arbuste
+il y a un lièvre au gîte; tous les dahlias courbés par la gelée cachent
+trois ou quatre lapins. J'ajouterai même que, malgré nos précautions
+pour détruire les animaux nuisibles, je soupçonne un renard d'être à
+l'affût dans la plate-bande de chrysentemums.
+
+--Un renard, Dick?
+
+--Un renard, milord.
+
+--Et... il n'y a point de loup?
+
+--Je ne le pense pas.
+
+--C'est dommage.
+
+--Si votre honneur veut nous dire quelle bête on doit chasser la
+première, nous lancerons.
+
+--Il faut tout lancer.
+
+--C'est l'avis que j'aurais donné à milord s'il m'avait consulté.
+
+--Allons, parlez, courez, criez, sonnez, je vous verrai d'ici; j'espère
+que cela fera diversion à mes douleurs.
+
+--Comment, milord! mais vous suivrez la chasse, vous tirerez des coups
+du fusil; vous n'avez, pas la goutte aux mains.
+
+--Oui; mais je l'ai aux pieds.
+
+--Fort bien, voici votre voiture.»
+
+A l'instant on amena un char à trois roues, chef-d'oeuvre de mécanique;
+il pouvait tourner en tous sens, à la moindre pression d'une manivelle;
+un domestique assis derrière le dirigeait comme un pilote. Ou porta lord
+Egerton dans ce véhicule rembourré de fourrures; un soleil superbe
+réchauffait les membres du noble goutteux. Armé d'un fusil double, suivi
+de ses valets portant d'autres fusils chargés, il donna le signal, et la
+chasse commença. Je ne vous en ferai pas la description: ce serait aussi
+difficile que de raconter tous les coups de sabre donnés, ou reçus à la
+bataille de Wagram. Vous saurez seulement que ce brave Anglais fit à lui
+seul un carnage horrible; il tirait sur un fleuve du gibier qui coulait
+toujours; s'il manquait un chevreuil, il tuait six lapins; tout y passa;
+le sanglier ne fit point le méchant, car une bouteille de cirage n'a
+jamais aigri le caractère du cochon.
+
+Cette chasse fut un curieux spectacle pour les locataires des maisons
+voisines; placés à leurs fenêtres, perchés sur les toits, ils
+regardaient le massacre avec, des yeux stupéfiés; il semblait qu'ils
+assistassent à une représentation du Cirque-Olympique; la scène était
+dans un ardin; les fenêtres et les mansardes servaient de loges.
+
+Le soir il y eut curée pour la meute et grand dîner pour les chasseurs,
+avec accompagnement de fanfares. En se couchant, le noble lord disait à
+son valet de chambre: «Mon ami, c'est aujourd'hui le plus beau jour de
+ma vie; le plaisir que j'ai éprouvé était d'autant plus grand, que je
+l'espérais moins. Ce matin j'aurais pu croire tout possible, excepté de
+chasser aujourd'hui.» Mais si l'homme peut résister à la souffrance, il
+succombe quelquefois à l'excès de bonheur; on dirait vraiment que, créé
+pour souffrir, il n'a point la force nécessaire pour supporter la joie.
+Le lendemain Lord Egerton n'existait plus. Avouez qu'il était difficile
+de mieux finir; sa mort peut se comparer au boulet de Turenne, à la
+balle de Charles XII. Son cercueil fut entouré des trophées de sa
+victoire; tel Louis XV, après la bataille de Fontenon, dormit sur un
+matelas fait avec des drapeaux ennemis.
+
+Pour transmettre son effigie et son nom à la postérité, lord Egerton a
+fait frapper une médaille. J'en conserve un exemplaire qu'il m'a donné.
+Elle porte en exergue: _Francis Henry Egerton, Earl of Bridgewater_.
+S'il avait vécu plus longtemps, il en aurait sans doute fait fabriquer
+une autre avec cette légende; _Il chassa le jour de saint Hubert à
+courre, rue Saint-Honoré, nº, 335, à Paris_. Le fait est assez
+extraordinaire pour mériter d'être transmis à tous les chasseurs à
+venir.
+
+ELZÉAR BLAZE.
+
+
+
+MARGHERITA PUSTERLA.
+
+CHAPITRE XVII.
+
+TRAHISON.
+
+Pedrocco, dans les premiers jours du mois de juillet de 1381, remit à
+Luchino un billet de Ramengo ainsi conçu:
+
+«Magnifique seigneur Luchino,
+
+«Je suis arrivé, suivant votre ordre, dans la ville d'Avignon, et j'ai
+réussi à trouver le rebelle Franciscolo Pusterla avec son fils. Ne
+désirant rien plus vivement que de servir notre prince, que le seigneur
+Dieu tienne en joie, je me suis conduit de telle sorte que je l'ai
+déterminé à se diriger vers le port de Pise. Nous partirons par Niza de
+Provence la semaine suivante; avec l'aide de Dieu, nous nous
+embarquerons sur le navire appelé le Caspio. C'est pourquoi je supplie
+Votre magnificence de prendre les mesures nécessaires pour s'emparer
+dudit Pusterla et de son fils. Alors je mettrai de plus longs
+renseignements aux pieds de votre altesse, qu'aujourd'hui je baise en
+toute humilité.
+
+«RAMENGO DE CASALE.»
+
+[Illustration.]
+
+Ainsi qu'il l'annonçait, dès que la mer fut favorable, Ramengo sortit du
+port de Nice, conduisant son ennemi sans défiance. La fortune le servit
+au delà de ses espérances, elle lui offrit immédiatement l'occasion
+qu'il pensait devoir attendre: les Pisans consentirent pour des causes
+qu'il est mutile d'énumérer ici, à livrer Pusterla à Luchino.
+
+Dans les premiers jours, le vaisseau qui portait Pusterla eut à lutter
+contre les éléments: des pluies violentes, des coups de vent, des
+bourrasques, paraissaient vouloir repousser les exilés de la terre
+qu'ils désiraient revoir et où ils devaient trouver la mort. Venturino
+disait: «Ô mon père! pourquoi avons-nous quitté ce pays? Là nous étions
+ay moins sur la terre et solides sur nos pieds.» Et Pusterla répondait:
+
+«Nous l'avons quitté parce qu'il n'était pas notre patrie.
+
+--Et où allons-nous maintenant?
+
+--Ne le sais-tu pas? en Italie.
+
+--En Italie! oh! dans notre cher pays, n'est-ce pas? Là nous entendrons
+encore parler notre langue, n'est-il pas vrai? Là nous verrons des gens
+que nous connaîtrons tous. Et ma mère, la trouverons-nous aussi bientôt?
+
+--Pauvre mère! répliquait Francesco en soupirant et en caressant les
+blonds cheveux de son enfant. Oui, nous la reverrons, si Dieu le permet.
+Maintenant prie pour elle.
+
+--Prier? oh! il ne se passe pas de jour que je ne prie, pas de moment où
+je ne me la rappelle. Encore cette nuit, j'ai rêvé d'elle. Nous étions
+là-bas, dans notre villa de Montebello; elle et moi nous nous tenions
+dans la salle, et tu entrais à cheval avec une armée... Je ne me
+souviens plus. Je sais bien que je ne l'avais jamais vue plus belle ni
+plus tendre. Oh! si j'étais grand, si j'avais le bras fort, fort comme
+le tien, comme celui d'Alpinolo, je courrais bien la délivrer.»
+
+Pusterla l'embrassa attendri, et levant les yeux vers Ramengo, qui
+tenait les siens fixés sur eux comme la vipère sur le rossignol fasciné.
+«Ô mon ami, lui dit-il, quelle consolation dans l'isolement, dans
+l'infortune, de trouver un fils à ses côtés!»
+
+C'était jeter de l'huile sur le feu. Ramengo éclata au fond de son âme,
+en entendant ces paroles qui lui rappelaient qu'il aurait pu jouir de la
+même consolation, et qu'elle ne lui avait été ravie que par ce même
+Franciscolo qui lui vantait son propre bonheur. «Mais ce sera pour peu
+de temps!» s'écria-t-il en levant le poing vers le ciel; et il se
+précipita dans le navire pour y épancher sa fureur, au grand étonnement
+de ses compagnons de voyage.
+
+Un matin, Venturino tenant le bras de son père, de sa petite main lui
+indiquait les montagnes de la terre ferme couronnées de nuages
+fantastiques, tout à coup il s'écria: «Vois, vois ce vaisseau qui
+s'approche. Il porte sur sa voile la vipère de Milan.»
+
+A cette vue son père ne put s'empêcher de frissonner. Lorsque le
+vaisseau s'approcha, chacun reconnut qu'il portait les armes de Pise
+écartelées de celles des Visconti. On sut bientôt à bord que Pise
+s'était alliée aux Visconti de Milan.
+
+[Illustration.]
+
+Chacun commenta cette nouvelle à sa manière; mais Francisco en fut
+vivement épouvanté, son fils et lui étaient perdus s'ils abordaient un
+port de Pise. Pâle colonie les voiles de son bâtiment, il commença à
+supplier le capitaine de retourner en France, s'offrant à lui payer
+non-seulement les frais de la traversée, mais tout le dommage qui
+pourrait en résulter pour lui et pour les passagers, et à lui donner en
+outre une forte récompense. Il lui avoua tout; mais cet homme levant les
+épaules, lui répondit: «Je dois être aux ordres de ce seigneur.»
+
+Et il indiqua Ramengo, qui lui dit brusquement:
+
+«Votre devoir est de continuer votre route.»
+
+Quel voile ces paroles firent tomber des yeux de Pusterla! Raisons,
+supplications, larmes, que ne tenta-t-il pas pour attendrir ce
+misérable! Il se jeta même à ses pieds avec son fils; il lui embrassa
+les genoux, lui rappelant les antiques bienfaits de sa famille, le nom
+de Rosalia: «Vous aussi, lui dit-il, vous devez comprendre l'amour
+paternel, car un instant au moins vous avez été père.»
+
+Le rire satanique qui errait sur les lèvres de Ramengo en contemplant
+l'humiliation, en entendant les prières de son ennemi, se changea en un
+rugissement féroce à ces dernières paroles, «Et je serais encore père et
+époux si tu n'avais pas existé, maudit!» s'écria-t-il en repoussant le
+père suppliant, avec un geste brutal. Puis il ajoutait: «Mais rends
+grâces à Dieu, qui m'a donné la consolation de te voir torturer dans ces
+affections dont tu m'as privé.»
+
+Pusterla ne pouvait comprendre tout le gens de ces paroles; mais il
+avait reconquis le sentiment de sa dignité. Se relevant vivement, il
+s'éloigna de Ramengo avec indignation, sans ajouter un seul mot; puis il
+embrassa son enfant, assis sur ses genoux, avec le calme du désespoir.
+
+Cependant le navire, avait été signalé; et de derrière la Capraja
+débouchèrent deux galères faisant force de rames, qui vinrent à sa
+rencontre. La vipère des Visconti, peinte sur le pavillon, ne laissait
+point de doute sur leur maître, Pusterla les regarda s'approcher et
+ferma les yeux dans l'attente d'un malheur inévitable.
+
+[Illustration.]
+
+A peine les deux vaisseaux furent-ils proches du _Caspio_, qu'ils le
+sommèrent d'amener les voiles et de laisser aborder. Le capitaine
+Samminiato requit les noms des passagers, et Ramengo se présenta devant
+lui, et, montrant le triste groupe du père et de son enfant, il s'écria:
+«Celui-ci est Francesco Pusterla.» On le chargea de chaînes et on le mit
+à fond de cale, où il eut du moins la consolation de n'avoir plus sous
+les yeux l'infâme Ramengo.
+
+Celui-ci le fit conduire à Gènes, et de là, après une quarantaine qu'on
+lui imposa à cause de la peste qui régnait alors en Toscane, il entra
+dans Milan par cette même porte du Tesin qui s'était ouverte pour lui
+lorsqu'il faisait partie de la marche triomphale, et il se présenta à la
+cour de Luchino.
+
+Le bouffon Grillincervello se tenait dans l'antichambre, au milieu des
+camériers et des pages. Il courut aussitôt trouver Luchino. «Combien
+voulez-vous me payer, si moi, avec ma poudre de perlimpinpin, je vous
+fais comparaître en personne Ramengo de Casale?»
+
+Luchino ne montra ni étonnement ni plaisir. Il l'attendait, et répondit
+sèchement: «Qu'il entre.
+
+--Qu'il entre ici ou dans la geôle? demanda Grillincervello surpris.
+
+--Ici, ici, répliqua Luchino.
+
+--Et faut-il que j'aille avertir maître Picci d'apprêter les instruments
+de son métier?
+
+--Moins de folies,» interrompit Luchino, sombre comme un _dies iræ_;
+Grillincervello, qui se sentait encore des coups qu'il avait attrapés dans
+la citadelle de la Porte Romaine, ne se le fit pas dire deux fois. Il
+introduisit Ramengo, et dit aux désoeuvrés de l'antichambre: «Je n'avais
+jamais vu les grives souper avec le chasseur.»
+
+Lorsque le vil courtisan fut en présence du prince, il lui raconta
+toutes les trames qu'il avait ourdies, lui rappela et lui fit
+contresigner de sa main le bref d'impunité qu'il lui avait demandé pour
+lui et pour son fils, et faisait sonner bien haut ses services, il lui
+demanda des honneurs pour réparer les brèches que son dévouement
+n'aurait pas manqué de faire à sa réputation. Luchino ne le laissa pas
+finir, et le toisant d'un air ironique, d'un geste furieux et méprisant
+il jeta à ses pieds une bourse pleine d'argent.» Tiens, lui dit-il, tes
+pareils se paient avec de l'argent et non avec des honneurs!» et il ne
+voulut pas en entendre parler.
+
+[Illustration.]
+
+Quant au malheureux Pusterla, il ne larda pas non plus à arriver, et le
+peuple courut voir ce fameux chef de rebelles qui voulait bouleverser
+Milan, défaire la Seigneurie, en renouveler la religion. Il lut renfermé
+dans la tour de la porte Romaine, où la triste Marguerite l'aperçut
+précisément entrer, et nous l'avons laissée évanouie à cette vue.
+L'infortunée s'efforçait de ne pas en croire ses propres yeux. Mais
+toute son incertitude cessa un jour que le geôlier Macaruffo entra dans
+son cachot avec des manières affectées et un visage rechigné, s'écriant:
+«Quelle puanteur en cet endroit! quelle odeur de renfermé! Pourquoi ne
+donnez-vous pas de l'air à cet appartement?» Et il s'éventait avec un
+morceau de soie. Marguerite reconnut promptement le tissu où elle avait
+commencé à broder une marguerite qu'elle n'avait pas finie. Ce tissu
+avait été pris par Buonvicino dans le salon, le dernier jour qu'il y
+entra, et on se rappelle qu'il avait remis ce précieux don à Pusterla,
+qui le porta toujours depuis sur lui. En le revoyant, Marguerite fut
+vivement émue:
+
+«Qui vous a donné cette broderie? demanda-t-elle avec anxiété au
+geôlier.
+
+--Quoi? plaît-il? répondit le rustre en la déployant malicieusement
+devant ses yeux. Un autre camarade me l'a donnée, logé là auprès, et que
+vous connaissez.
+
+--Franciscolo?
+
+--Bien deviné. Le seigneur seigneurissime Pusterla.
+
+--C'est vraiment lui! s'écria-t-elle, plutôt en se parlant à elle-même
+qu'en interrogeant le geôlier, qui continuait:
+
+--Lui-même; en doutez-vous? Croyez-vous donc qu'il ne nous arrive ici
+que des habits de futaine? Regardez, il est sous la clef que Voici.
+
+--Et son fils?
+
+--Oh! il y est aussi, bien entendu. Ce serait une barbarie de séparer le
+fils de son père.»
+
+Bien qu'elle s'efforçât de se tromper elle-même, Marguerite était
+convaincue que son mari et son fils étaient ses voisins de captivité; et
+son cachot désolé le savait bien, qui retentissait nuit et jour de
+gémissements sans consolation. Mais se l'entendre assurer à cette heure,
+mais se voir, par les ironiques discours de ce bandit, arracher le
+dernier fil de ses espérances, faisait sur elle l'effet que produit sur
+le condamné la lecture de la sentence de mort, lors même qu'il en
+connaît d'avance la teneur.
+
+«Et, continuait Macaruffo, il m'a donné cette fleur, voyez comme elle
+est belle, pour que je vous salue et que je vous la fasse voir.
+
+--Il sait donc aussi que je suis ici? demanda Marguerite.
+
+--Oui, il m'a dit que je vous salue et que...
+
+--Et quelle autre chose me fait-il dire?
+
+--Oh! il vous fait dire beaucoup d'autres niaiseries, mais je ne m'en
+souviens plus.
+
+--Hélas! cherchez à vous les rappeler, disait Marguerite;» mais ce
+misérable, incapable d'aucun noble sentiment, répondait:
+
+«Me les rappeler? N'aurait-elle point, votre seigneurie, quelque chose
+dans sa poche pour me rafraîchir la mémoire?
+
+--Rien. Bon Dieu! vous le savez, tout le peu qui m'était resté, je vous
+l'ai donné tout entier. Quelle chose me reste-t-il que ce vêtement usé?
+Hélas! veuillez me faire cette grâce par charité. Qui sait si un jour je
+ne redeviendrai pas en état de vous récompenser? sinon, Dieu vous en
+récompensera.»
+
+Et douce, suppliante, appuyant ses belles mains sur les épaules du
+geôlier, elle tentait de fléchir son impassible cupidité. Mais ses
+prières ne faisaient pas plus sur lui que le souffle d'un vent d'avril
+sur une montagne de marbre. Et:
+
+«Que Dieu! que diable! quelle charité? quelle récompense? disait-il. La
+charité, je suis homme à la recevoir et non pas à la faire. Hé! _qui
+sait_, les promesses pour l'avenir, l'ivrogne ne les écrit point.
+Parlons bref: ou vous avez quelque chose à me donner, et je parle; ou
+vous n'avez rien, et alors renfermez votre curiosité en vous-même, parce
+que je me tais.»
+
+[Illustration.]
+
+Et comme elle n'avait rien pu soustraire à la rapacité de Macaruffo,
+elle ne pouvait lui donner que ses larmes, ses supplications amères, et
+se jeter à genoux et prier le Seigneur. Mais le geôlier s'en alla,
+toujours impitoyable, faisant sonner ses clefs plus rudement en fermant
+les portes, et s'éloigna en chantant. Bientôt Marguerite n'entendit plus
+que les pas de la sentinelle qui passait nuit et jour devant la prison,
+et dont les pieds, retombant alternativement, ressemblaient à deux poids
+métalliques frappant en mesure le pavé.
+
+
+
+CHAPITRE XVIII
+
+LE SOLDAT.
+
+[S]UR le pavé de la prison, dans le corridor, Macaruffo, étendu tout du
+son long, dévorait avec appétit un morceau de pain bis et une tranche de
+lard. De temps en temps il avalait quelques gorgées d'un broc de vin
+qu'avec une affectueuse dévotion il tenait entre ses jambes. Il faisait
+nuit. Un profond silence régnait partout. Pour toute lumière, un lampion
+vacillant suspendu à la voûte, et à droite de Macaruffo une lanterne
+sourde dont les rayons, l'éclairant à demi, se réfléchissaient sur le
+paquet de clefs qui pendaient à sa ceinture. Une sentinelle silencieuse
+se promenait de long en large, faisant résonner du bruit monotone de ses
+pas les voûtes du corridor. Ce soldat s'arrêta enfin à côté du geôlier,
+et s'appuyant sur le bois de sa lance, il se courba un peu vers le
+Bergamasque et lui adressa la parole: «Compère, ton souper est frugal.
+
+--Pain d'un jour et vin d'un an, répondit l'autre.--C'est toujours
+ainsi.» Et avalant une gorgée de vin, puis s'essuyant la bouche avec le
+dos de la main gauche, il ajoutait en branlant la tête:
+
+«Si ce n'eût été, si ce n'eût été...
+
+--Mais si ce métier maudit te pèse si fort, pourquoi ne pas le quitter?
+
+--Le quitter! bon Dieu, tu me fais lire, quoique je n'en aie guère
+envie. Tu as beau jeu à parler, toi qui portes toute ta maison dans ta
+valise. Mais, dis-moi: comment faire alors pour nourrir une femme et une
+nichée d'enfants?
+
+Cependant, si tu trouvais à vivre autrement, le ferais-tu, hein?
+
+--Si je le feras? et de bon coeur! Je ne sais pas quelle vie je
+n'accepterais pas pour échapper aux clefs, aux nerfs de boeuf, aux
+menottes et aux chaînes; pourvu pourtant qu'il ne fallût pas travailler
+de mes mains. Il me conviendrait de me promener tout le jour à faire la
+ronde comme toi.
+
+--Mais, dis-moi, si ton métier t'offrait l'occasion de gagner?
+
+--De gagner? demanda Macaruffo avec anxiété, de gagner de l'argent?
+
+--Par exemple, une cinquantaine de florins d'or.
+
+--Oui, oui, la chatte les couve. Prends, prends-moi ce broc, mon
+camarade. Je vois que ton cerveau commence à battre la chamade, et je
+veux lui porter le dernier coup.
+
+--Je ne perds nullement la tête, et je parle très-sérieusement...»
+
+Et il tira de sa poche une bourse dont les mailles laissaient voir une
+belle somme d'or.
+
+«Toi! s'écriait, toi, pauvre soldat, tu as reçu une si belle grâce de
+Dieu! oh! le gras mélier que la guerre! qui vole le plus est le plus
+brave!
+
+--Ces florins répliqua le soldat avec une colère mal réprimée, ne sont
+pas volés, mais bien acquis. Et... et s'ils étaient à toi?
+
+--S'ils étaient à moi, répondit l'autre d'un ton de stupeur, s'ils
+étaient à moi, je demanderais si Bergame est à vendre.
+
+--Eh bien! ils peuvent être à toi avant demain matin, et sans qu'il t'en
+coûte la moindre peine..
+
+--Est-ce que tu plaisantes? Mais pour les gagner, dis vite, que
+faudrait-il faire?
+
+--Rien autre chose, répondit le soldat en baissant la voix, que de tirer
+un verrou et de laisser sortir deux oiseaux de la cage.
+
+--Pst! fit le geôlier en mettant la main sur la bouche de la sentinelle.
+Puis, d'un ton sérieux et profond:
+
+«Quoi! comment, deux prisonniers? Bon Dieu! mon camarade, je sais que tu
+te moques de moi.»
+
+Il se tut, puis reprit quelques instants après d'une voix qui indiquait
+plus de regret que de colère:
+
+«Cela te paraît peu de chose, laisser fuir deux prisonniers... Demain on
+les cherche, ils n'y sont plus. «Eh! Lasagnone, qu'est-ce que cela veut
+dire?--Illustrissime seigneur, je n'en sais rien, moi, proprement rien,
+en conscience.» Et lui: «Hors la camisole. Qu'on lui mette la corde au
+cou, et de la corde à la potence...» J'aurai fait la panade au diable.
+L'argent me va bien, mais la potence!
+
+--Certainement, certainement. Mais il me semblait qu'avec cinquante de
+ses petits frères dans la sacoche, il y avait mieux à faire que ce
+métier. Réfléchis! en quatre heures tu es aux frontières. Tu passes
+l'Adda, et te voilà dans ta maison, sur les montagnes, où j'appellerai
+braves ceux qui viendront t'y chercher. Tu revois ta femme, tes enfants;
+tu relèves ta maison, tu deviens riche.
+
+--Mais quels sont ces prisonniers? dit Macaruffo en faisant un effort
+visible.
+
+--Bon, pour que tu ailles les nommer.
+
+--Quoi, moi un espion? non, pas pour le double de l'or que tu m'as
+offert. Parle donc, qui sont-ils?
+
+--Ce seigneur et cette dame, dit le soldat en montrant les cachots qui
+renfermaient Pusterla et Marguerite.
+
+--Capperi! de gros oiseaux.
+
+--Gros ou non, qu'est-ce que cela te fait?
+
+--Cela me convient, dit Macaruffo; mais, d'honneur! ce n'est pas
+l'arpent qui me décide. A propos, le seigneur n'a-t-il pas un enfant
+avec lui?
+
+[Illustration.]
+
+--Qui, son fils, leur enfant à tous deux.
+
+--Mais, je veux dire, ils vont donc le laisser ici?
+
+--Non, non, il s'en ira avec eux.
+
+--Mas tu n'as parlé que de deux personnes.
+
+--Oh! l'autre, c'est sous-entendu. C'est la bonne mesure par-dessus le
+marché.
+
+--Que parles-tu de bonne mesure, de par-dessus le marché? Trois
+personnes pour cinquante florins d'or! Tu n'es pas raisonnable, et nous
+n'en parlerons plus, si tu ne le deviens pas davantage.»
+
+Le soldat lui montra un diamant qu'il avait au doigt, et lui remettant
+les florins d'or, lui promit le diamant aussitôt que les trois
+prisonniers seraient sortis de leur cachot. Le marché fut conclu, et
+Macaruffo, joyeux, se mit à compter ses florins d'or.
+
+[Illustration.]
+
+Ce soldat était Alpinolo, que nous avons laissé, dans cette funeste
+soirée du 20 juin 1310, sur la route de Brera, où il remit à Buonvicino
+le jeune fils de Pusterla. Certain d'être inscrit sur les listes de
+proscription, désespéré surtout de l'imprudence qui, en livrant à
+Ramengo le secret d'une conspiration imaginaire, avait fait prendre et
+traiter des mécontents comme des révoltés, il se mit d'abord à fuir au
+gré de son cheval, plutôt par un mystérieux instinct de conservation que
+par un acte bien réfléchi de sa volonté. Puis lorsque sa pensée parvint
+à se dégager des ténèbres qui l'obscurcissaient, et qu'il put voir
+clairement sa situation, dégoûté de la vie, résolu d'en finir avec les
+angoisses de ses remords, il tourna brusquement son cheval et reprit au
+galop la route de Milan. Il en était à peu de distance, lorsqu'il
+rencontra une troupe de proscrits dont il connaissait les principaux
+membres, qui lui firent rebrousser chemin, combattirent sa résolution et
+l'emmenèrent avec eux. Il demeura quelque temps avec ses frères
+d'infortune; mais les malédictions, dont ils accablaient l'auteur
+inconnu de la persécution qui était venue les atteindre, la pensée
+poignante qui torturait Alpinolo, que c'était lui, lui-même qui en était
+le véritable auteur, lui rendirent leur compagnie insupportable, et un
+jour, n'écoutant que son désespoir, il les quitta brusquement.
+
+Il se rendit à la cabane des bons meuniers qui avaient pris soin de son
+enfance. On a vu, par le récit de Maso à Ramengo, comment il y arriva,
+et comment il avait laissé en partant son cheval, son argent et les
+lettres de sa mère; mais ces braves gens, lorsqu'il partit, n'avaient
+point pénétré les funèbres pensées qui l'agitaient. Las de cette vie et
+des hommes, il résolut de mettre fin à ses jours. Après avoir jeté un
+dernier regard sur la maison des meuniers, qu'il apercevait encore dans
+le lointain, il se précipita dans le fleuve, et les flots se refermèrent
+sur lui; mais porté au fond de l'eau par l'effet de son propre poids,
+augmenté par la vitesse de sa chute, un mouvement de réaction le ramena
+bientôt à la surface, pendant que le courant l'emportait toujours en
+avant. A ce moment, l'instinct animal se réveilla en lui; presque à son
+insu, et sans qu'il eut aucune conscience raisonnée de ce qu'il faisait,
+ses mains s'étendirent pour fendre les flots, et comme il était
+excellent nageur, il réussit promptement à gagner la rive, où, épuisé de
+fatigue, il tomba dans une torpeur semblable au sommeil. Revenu à lui,
+il se repentit de sa tentative de suicide. «Je dois vivre, dit-il; je
+vivrai pour mon tourment et pour punir ce traître infâme.»
+
+Lorsqu'il eut séché au soleil ses habits, désormais sa seule fortune, il
+se mit au service des paysans pour gagner sa vie. Parvenu en travaillant
+jusqu'à Pise, il y retrouva tous ses anciens amis de Milan, et reprit
+avec eux cette vie des bannis si pleine d'espérances, de projets,
+d'exagérations, qui, pour la plupart, se résolvent en fumée.
+
+Un jour qu'ils cherchaient de concert les moyens les plus prompts de
+recouvrer leur patrie, un des plus passionnés eut l'idée d'attenter aux
+jours de Luchino. Exalté par les discours qu'il avait entendus, entraîné
+d'ailleurs par sa propre haine, Alpinolo proposa de se charger de
+l'exécution de ce crime.
+
+[Illustration.]
+
+Une acclamation unanime le confirma dans sa résolution. Milan est une
+grande et populeuse cité; la barbe qui ornait son jeune visage et qui
+était taillée à la mode des soldats, ses cheveux arrangés d'une façon
+nouvelle, un costume différent, lui donnaient l'assurance de n'être
+point reconnu. On parlait précisément, à cette époque, des recrutements
+que faisait Luchino parmi les brigands qui, après avoir désolé la
+contrée, las des profits incertains et irréguliers de leur vie errante,
+s'enrôlaient avec plaisir sous un drapeau mercenaire, et sous le
+commandement de Sfolcada Melik, et devenaient les gardiens des lieux
+qu'ils avaient d'abord infestés.
+
+Alpinolo se détermina à s'enrôler dans ces bandes. Il partit donc,
+encouragé par tous ses compagnons.
+
+Il se rendit d'abord chez Maso, à qui il demanda le cher dépôt qu'il lui
+avait confié, l'anneau et les lettres de sa mère. Quelles imprécations
+il lança contre le ravisseur de ces gages sacrés, lorsqu'il apprit que
+la faiblesse de Nena avait livré à un étranger les lettres de Rosalie.
+Mais quand on lui apporta le diamant, comme un père qui retrouve un fils
+longtemps perdu, il s'apaisa, le pressa contre ses lèvres, et plus d'une
+grosse larme tomba de ses yeux sur cet unique souvenir de ses parents.
+Il alla se prosterner sur le monticule qui recouvrait la dépouille
+mortelle de sa mère, raviva les fleurs qui poussaient à l'entour, et
+prit congé des bons meuniers.
+
+«Maintenant, tu seras de retour Dieu sait quand, lui disait la Nena. Je
+suis vieille, une autre fois tu ne me trouveras plus; souviens-toi
+toujours de moi dans tes prières.
+
+[Illustration.]
+
+[Illustration.]
+
+--Point d'idées tristes, ajoutait Maso. Nous nous reverrons, n'est-il
+pas vrai, seigneur Alpinolo?
+
+--Oui, répondait-il, peut-être plus tôt que vous ne le pensez.
+
+--Et d'une humeur plus gaie, reprenait la Nena.
+
+--Et chargé d'honneurs et de richesses,» ajoutait Maso, qui, ayant vu le
+monde, savait en quoi consistent les félicités.
+
+[Illustration.]
+
+Alpinolo partit; il joignit une troupe de ces recrues, et entra avec
+elles dans la Lombardie. Tristes compagnons! ils étaient tous couverts
+de haillons, la plupart étaient en outre borgnes mi manchots, parce
+qu'ils avaient subi, comme voleurs, la peine imposée par les statuts de
+Milan, qui infligeaient la perte d'un oeil pour le premier vol, et celle
+d'une main pour la récidive; pour la troisième, la potence.
+
+Il est facile d'imaginer ce que soutirait Alpinolo lorsqu'il vit la
+tranquillité publique tromper les rêves qu'il avait formés dans l'exil,
+et lorsque tout dans Milan lui rappelait les joies de sa jeunesse, les
+maîtres bienfaisants qui les lui avaient procurées, et qu'il devait
+s'accuser de les avoir plongés dans un abîme de malheurs. Il souffrait
+d'autant plus qu'il ne pouvait s'abandonner à ses chagrins que dans la
+solitude où il se réfugiait souvent pour songer à l'engagement qu'il
+avait pris.--L'occasion favorable de tuer Luchino s'était plus d'une
+fois offerte à lui, mais au moment de frapper il sentait son murage
+l'abandonner. Il s'excitait à marcher en avant, mais il reculait
+épouvanté devant l'impérieuse voix de sa conscience.
+
+[Illustration.]
+
+Il était un jour, à midi, appuyé dans ce coin du Broletto Normand où il
+s'était laissé trahir par Ramengo. Pendant des heures et des heures il
+tenait les yeux fixés sur la porte des Pusterla, par où il avait vu
+entrer Marguerite. Il alla à la Madone de San-Celso, qui, précisément à
+cette époque, avait commencé à devenir célèbre par ses miracles, et avec
+une ferveur brûlante, mais inquiète et tourmentée, bien différente de
+celle de l'homme qui demande la justice et obtient la paix, il supplia
+Notre-Dame. «Donnez-moi la force nécessaire pour tuer votre ennemi,
+l'ennemi du bien public, l'ennemi de cette sainte qui savait si bien
+vous imiter. Si vous me faites cette grâce, je fais voeu d'aller à
+Nazareth, comme un pèlerin armé, et de n'en pas revenir que je n'aie mis
+à mort mille de ces infidèles qui refusent d'adorer votre saint nom.»
+
+Dans cette prière insensée, dans ce voeu de vengeance fait à la Mère des
+miséricordes, il crut avoir puisé une nouvelle fermeté, et peu de jours
+après il lui parut se présenter une occasion favorable. Il était de
+garde près d'un pavillon de plaisance situé au milieu d'un bois
+artificiel, dans le parc de Belgiojoso, délices des Visconti. En
+regardant à travers les barreaux de la jalousie, qui laissait librement
+circuler l'air, il vit Luchino qui, enveloppé dans un manteau, s'était
+endormi seul avec ses deux mâtins à ses pieds et qui dormaient aussi.
+Alpinolo renouvela son voeu, s'approcha, brandit le poignard, le leva
+sur la tête du tyran, et s'écria au dedans de son coeur: «Chien! tu ne
+le réveilleras plus qu'au jour du ingénient!»
+
+[Illustration.]
+
+Le jour du jugement! Cette idée arrêta son bras. «Le jour du jugement!
+lui et moi nous nous trouverons un jour en présence d'un commun juge! à
+ce tribunal, Luchino paraîtra avec le cortège de ses crimes--Et moi!
+devrai-je me montrer la main chargée d'un assassinat?» Il résolut de
+renoncer à son projet et s'efforça de sortir sans bruit; mais il n'en
+put faire si peu qu'il ne réveillât les chiens. Ils se levèrent en
+aboyant. Luchino se réveilla, et se leva en portant la main à son épée.
+Le hasard voulut qu'à l'instant même le capitaine Lucio entrait d'un air
+de triomphe rapporter comment on avait conduit dans la citadelle de la
+porte Romaine Francesco Pusterla et son fils.
+
+La présence du soldat fut interprétée comme un acte de zèle et pour
+avertir le prince de l'approche du nouvel arrivant, et Alpinolo fut
+sauvé. Mais le plus horrible des supplices, mais être déchiré, lambeau
+par lambeau eût à peine égalé pour lui la torture qu'il éprouva en
+entendant l'atroce nouvelle, en voyant l'impitoyable joie de Luchino et
+du capitaine de justice, qui se disaient entre eux: «Maintenant, nous
+allons les faire marcher rapidement. Demain à Milan, et la chose sera
+bientôt faite.»
+
+Son imprudence, lui avait donc encore réservé ce supplice. Aussi qui
+dépeindra ses épouvantables fureurs? A partir de cette heure, toute
+autre pensée fit place dans son esprit à celle de délivrer ces
+infortunés.
+
+Il lui fut facile de se faire charger de la garde des prisons de la
+porte Romaine. Nos lecteurs savent déjà comment il gagna le geôlier, et
+à quel prix Macaruffo lui promit de laisser échapper ses trois
+prisonniers.
+
+
+
+Bulletin bibliographique
+
+_La Recherche de l'Inconnue_; par A. DE LAVERGNE (2).--_Voyage où il
+vous plaira_; par TONY JOHANNOT, ALFRED DE MUSSET ET P.-J. STAHL
+(3).--_Les Fastes de Versailles_; par H. FORTOUL.(4).
+
+(2) Deux vol. in-8, Dumont 15 fr.
+
+(3) Un vol. in-8, Herzel, 12 fr.
+
+(4) Un vol. in-8, Houdaille. 16 fr.
+
+Le nouveau roman que vient de publier le fécond auteur de _la Duchesse
+de Mazarin_ devrait s'appeler _la Blonde et la Brune_, ou _Laquelle des
+Deux_, ou les _Deux Maîtresses_. Au lieu d'une inconnue qu'il nous
+promet, M. A. de Lavergne nous en donne deux, et encore ses deux
+héroïnes ne restent-elles pas longtemps ce qu'elles devraient être. Dès
+les premiers chapitres son héros les connaît; il les trouve même sans
+les chercher, et il ne les reperd plus sérieusement. La première qualité
+d'un titre, ce n'est pas seulement de piquer la curiosité, c'est d'être
+vrai.--Quels que soient d'ailleurs l'intérêt et le mérite d'un livre, le
+lecteur garde toujours une certaine rancune secrète contre lui s'il n'a
+pas réalisé les rêves de son imagination.--La _recherche de
+l'inconnue_... à l'annonce d'une semblable expédition, qui ne se
+représente... Mais à quoi bon, en vérité, inventer ici le roman que M.
+A. de Lavergne aurait du faire? racontons plutôt en quelques mots celui
+qu'il a fait.
+
+M. Arthur d'Escorailles, le héros de ladite histoire, est «un véritable
+maître Jacques littéraire, courtisant toutes les Muses, couronné par
+toutes les gloires, tour à tour, et, suivant l'occasion, romancier,
+feuilletoniste, auteur dramatique, critique au besoin, poète même...,
+beau d'ailleurs et blond, et fils de l'Auvergne.» Il a eu de grands
+succès littéraires, tous ses amis envient son sort et les étrangers sont
+fiers de le connaître, etc. Inutile d'ajouter qu'il habite Paris. Un
+jour, en revenant de ses montagnes, où il était allé retremper son
+imagination fatiguée, il fit, dans le coupé de la diligence, la
+rencontre d'une jeune fille de dix-sept ans, «la plus ravissante
+créature qu'il fut possible d'imaginer: de grands yeux bleus, un visage
+plein de candeur et d'ingénuité, harmonieusement encadré dans de beaux
+cheveux d'un blond cendré retombant en grappes, le long de ses joues,
+jusqu'à la naissance du cou le plus souple et le plus élégant qui se
+puisse voir.» A cet aspect, le jeune lion littéraire «tressaillit et
+demeura la bouche béante, en proie à une telle stupéfaction, que celle
+qui en avait été l'objet ne put réprimer un sourire, sourire plein de
+charmes et qui laissa entrevoir à demi cachée dans des lèvres de corail
+une double rangée de dents blanches et fines comme des perles.» Ce
+premier regard avait,--cela se voit ailleurs que dans les
+livres,--transpercé deux coeurs des flèches de Cupidon.--Mais quelle
+était cette jeune fille inconnue? Bien qu'il eût fait des romans, Arthur
+d'Escorailles ne sut ni le deviner ni l'apprendre. Il ne put même pas
+lui parler, car il en était sépare par un obstacle insurmontable, un
+gros père bourru qu'il avait offensé en le priant poliment de ne pas
+dormir sur son épaule.--Mais «tant que la lune brilla au ciel, il resta
+les yeux amoureusement fixés sur cette jeune fille, et elle ne ferma
+pas les siens.»
+
+A peine de retour à Paris, Arthur d'Escorailles raconta cette aventure à
+quelques-uns de ses amis avec lesquels il avait dîné. Le soir même, en
+rentrant chez lui, _dans sa chartreuse_, pour faire une toilette de bal,
+son nègre lui remit un petit paquet d'une forme toute particulière et
+soigneusement cacheté. C'était un charmant bouquet de marguerites avec
+le billet suivant: «Voici mon nom, et je vous aime.»
+
+Ici donc, c'est-à-dire dès les premières pages du roman, commence la
+recherche des inconnues. Arthur d'Escorailles aime une jeune fille qu'il
+a vue, mais dont il ignore même le nom; il est aimé d'une femme qu'il
+n'a jamais vue peut-être, mais dont il connaît le nom. Comment les
+retrouver? Il nous paraît, quant à nous, avoir une trop grande confiance
+dans son bon génie, et ne pas s'inquiéter assez du résultat de cette
+aventure. Il s'habille tout simplement, et bien qu'il soit invité à la
+soirée du duc d'Orléans, il accompagne à un bal bourgeois un de ses amis
+qui veut à toute force le présenter à sa future.
+
+Arthur d'Escorailles est, en vérité, plus heureux qu'il ne mérite de
+l'être. Ce soir-la même un hasard providentiel lui fait retrouver ses
+deux inconnues, qu'il ne cherche pas: il revoit celle qu'il aime dans le
+bas de la rue des Lombards. Elle se nomme Laure; elle est la fille d'un
+négociant et la future de son malheureux ami. Celle dont il est aimé lui
+apparaît une heure après aux Tuileries dans les salons du duc d'Orléans.
+«C'était une jeune mariée, d'environ vingt-deux ans, grande, brune,
+élancée, belle de cette beauté toute plastique et toute sensuelle que la
+statuaire antique a prêtée à _Diane Chasseresse_. Elle avait les cheveux
+coiffés en bandeaux avec une couronne de marguerites entremêlées de
+diamants; sa robe de satin blanc était recouverte d'une robe de dentelle
+en forme de tunique, attachée sur les épaules par des agrafes de
+diamants, et relevée par des bouquets de marguerites; enfin, elle tenait
+à la main un bouquet exactement semblable à celui qu'Arthur
+d'Escorailles avait reçu lu soir même. En passant devant lui, elle se
+retourna avec beaucoup de vivacité et lui lança un tendre regard, un de
+ces regards dont l'un des maîtres de la lyre, Ronsard, disait si
+poétiquement au seizième siècle:
+
+ J'ai vu ses yeux, j'en ai bu le poison;
+
+puis elle disparut, et Arthur, arrêté par le duc d'Orléans, ne put ni la
+suivre ni la retrouver.
+
+Comme on le voit par cette rapide analyse, le sujet du roman se dessine
+nettement. Il ne s'agit plus de savoir désormais si le héros retrouvera
+les deux héroïnes, mais laquelle des deux il préférera, ou plutôt s'il
+ne les aimera pas toutes les deux en même temps. Arthur d'Escorailles
+est longtemps indécis: pendant plusieurs mois il lutte entre son coeur
+et ses sens, entre un bonheur légitime et une passion coupable; se
+décide-t-il un jour à épouser Laure, le lendemain il renonce au mariage
+pour l'amour adultère; bien qu'elle lui ait avoué qu'elle ne l'aimait
+pas qu'elle ne l'avait jamais aimé, que sa déclaration était une
+mystification, il poursuit Marguerite et se bal en duel avec son mari,
+le marquis de Saint-Fare. Grièvement blessé, il est soigné et sauvé par
+Laure, mais il ne pense qu'à Marguerite, qu'il a aperçue un instant au
+chevet de son lit. Une seconde fois il se résout à se marier avec la
+jeune fille dévouée. La femme passionnée devient veuve... Que fera-t-il
+alors? C'est là le secret de M. A. de Lavergne, et nous sommes incapable
+de le trahir.
+
+Ce nouveau roman n'ajoutera rien, nous le craignons, à la réputation si
+bien établie de l'auteur de _la Duchesse de Mazarin_. Il est tout à la
+fois trop long et trop court. Certains tableaux sont surchargés de
+détails inutiles, et les caractères des personnages principaux ne nous
+semblent pas toujours ni suffisamment originaux, ni assez développés.
+Mais le sujet, fort intéressant d'ailleurs, est traité avec une grande
+habileté de mise en scène. On sent, en lisant _la Recherche de
+l'Inconnue_, que M. A. de Lavergne a déjà fait beaucoup de drames et de
+romans. Nous avons une trop haute opinion de son talent pour ne pas lui
+donner le conseil de songer un peu plus à l'avenir qu'au présent, et de
+préférer des succès vraiment littéraires à des triomphes de feuilletons.
+
+Abandonnons donc _la Recherche de l'Inconnue_, et tentons pour un moment
+une autre entreprise: c'est un _Voyage où il vous plaira_, écrit à la
+plume et au crayon. Qui de vous, ô lecteurs de _l'Illustration_, ne se
+laisserait séduire par les trop irrésistibles attraits d'un si beau
+titre? Comme tous vos semblables en général, vous aimez, j'en suis
+convaincu, à faire ce qui vous plaît; mais mieux que beaucoup d'entre
+eux qui sont privés du bonheur dont vous jouissez, vous savez apprécier
+ce genre d'ouvrages, où la plume et le crayon prennent plaisir, tantôt à
+expliquer les curieux mystères de leurs plus ravissants caprices; tantôt
+à vous représenter simplement tels qu'ils ont eu lieu ou tels qu'ils
+sont, les objets et les événements que vous pouvez regretter de n'avoir
+pas vus. D'ailleurs, admirez-vous beaucoup de dessinateurs plus
+gracieux, plus originaux et plus habiles que Tony Johannot? Existe-t-il,
+à votre connaissance, un grand nombre d'écrivains qui aient autant
+d'imagination, d'esprit et de finesse, et qui sachent profiter avec
+autant de bonheur de toutes les ressources de notre langue, que MM.
+Alfred de Musset et P. J. Stahl? Pourriez-vous résister aux séductions
+réunies de ce titre piquant et de ces noms si justement aimés? Ouvrez,
+ce magnifique volume, l'Avant-Propos mettra fin à votre irrésolution.
+Que ne vous promet-il pas, en effet?--et je me rendrais, au besoin, son
+garant,--il tiendra toutes ses promesses.
+
+Ce n'est pas qu'il vous dise pourquoi vous partez ni où vous allez. Une
+pareille confidence pourrait avoir ses dangers. Pourquoi voyage-t-on?
+N'est-ce pas, en outre de l'avantage incontestable que chacun ne peut
+manquer de trouver à changer de lieu ici-bas? n'est-ce pas surtout pour
+courir après l'imprévu, par exemple, et faire (en tout bien tout
+honneur) les yeux doux au hasard?...
+
+Mais si les auteurs du _Voyage où il vous plaira_ ne vous confient pas
+leur projet, pour ne pas gâter par avance ce qu'il y a de meilleur dans
+tout voyage, le petit bonheur des surprises, le bénéfice des rencontres,
+etc., ils s'engagent «à vous conduire sans encombres, sans accidents,
+sans culbutes, sans trop de paroles et sans trop de frais, à l'abri du
+froid lui-même--pour peu que vos portes soient bien closes et vos
+cheminées bien garnies--tout au bout de ce monde d'abord et même un peu
+dans l'autre, pour peu que vous y soyez disposé; tout cela, songez-y
+bien, sans qu'il vous soit besoin de rien quitter, ni vos enfants, qui
+sont les plus aimables enfants du monde et qui ne sont de trop nulle
+part;--ni vos amis qui vous aiment, ni le coin de votre feu que vous
+aimez; rien, enfin, de ce qui vous plaît ou de ce qui vous retient...»
+
+A ce compte-là, qui ne partirait pas? Parlons-nous?... Quant à moi,
+dussiez-vous rester ou m'abandonner en route, je pars; je suis parti.
+
+Il était une fois un brave et bon jeune homme qui ne pouvait rester en
+place; c'était son seul défaut (j'ai un ami intime qui lui ressemble).
+On n'est bien, disait-il, que là où l'on n'est pas,» et là dessus il
+parlait. Bref, il avait la passion des voyages et il la satisfaisait
+constamment. Cependant, après avoir fait quatre ou cinq fois le tour du
+monde, il revint un jour dans son pays natal, bien décidé à ne plus
+jamais repartir. Ce brave et bon jeune homme était amoureux; plus en
+outre résolu que M. d'Escorailles, il allait épouser la belle
+Marguerite, qu'il aimait. La veille du jour fixé pour la célébration de
+son mariage, il rentra chez lui un peu tard, tourmente par certains
+regards trop sévères que lui avait jetés durant la soirée son futur
+beau-père. Il alluma sa pipe et brûla tous livres de voyages, qu'il ne
+regardait plus que comme d'absurdes mensonges. Mais cet effort l'avait
+anéanti: il retomba sans forces dans son fauteuil, s'endormit et rêva.
+Tout à coup on frappa à la porte. «Entrez!» s'écria-t-il. C'était Jean,
+son bon, son cher Jean, son meilleur ami, son fidèle compagnon de
+voyage. «Viens avec moi.» lui dit Jean. Il hésita un instant à la pensée
+de sa Marguerite, puis il partit. Est-il besoin de vous rappeler qu'il
+avait la passion des voyages?
+
+Quant à moi, bien que j'aime beaucoup à voyager, je ne les suivrai
+point. Qu'il me suffise de vous apprendre que Franz, c'est le nom du
+fiancé, a laissé une relation manuscrite de ce voyage, à laquelle MM. A.
+de Musset et Stahl ont emprunté les épisodes suivants:
+
+ Les fleurs des bois;
+ L'histoire d'un berger;
+ Les amours du petit Job et de la belle Claudine;
+ La vie et la mort;
+ Les étoiles;
+ L'histoire de l'homme au grand chapeau;
+ Un jour à Londres.
+
+En quittant l'Angleterre, nos deux voyageurs firent le tour de l'Europe
+(ils avaient déjà fait celui des quatre autres parties du monde); bref,
+en revenant dans je ne sais quels pays, le navire qui les portait fut
+assailli d'une violente tempête et sombra. Franz perdit un instant
+connaissance. Quand il rouvrit les yeux, il lui sembla entendre trois
+petits coups frappés à sa porte. «Entrez,» s'écria-t-il. C'était M.
+Kolb, son tailleur, qui lui apportait son habit de noces. A sa grande
+surprise. Il se trouvait dans sa chambre,--sa chère petite chambre
+bleue.--pareille en tout à celle de sa fiancée;--c'était dans son
+fauteuil qu'il s'était endormi, qu'il avait couru les aventures, qu'il
+était parti enfin et revenu; mais de coursiers ailés et de navires, de
+voyages et de naufrages et de morts, il n'était pas question; il n'avait
+fait qu'un rêve. Le lendemain il épousa sa fiancée. Sa noce fut superbe:
+elle dura trois longs jours; on y dansa, on y valsa, on y tira un grand
+nombre de coups de fusil, on y fit tout le bruit qu'à tort ou à raison
+on a coutume de faire autour des gens qui se marient; mais enfin. Dieu
+merci, chacun rentra chez soi.
+
+Tel est le cadre ingénieux qui a fourni à MM. Alfred de Musset et P.-J.
+Stahl l'occasion d'écrire 170 pages fort agréables à lire, et à M. Tony
+Johannot celle de composer 63 de ses plus charmants dessins gravés sur
+bois. Comme livre d'étrennes et de salon, le _Voyage où il tous plaira_
+sera un des plus grands et des plus légitimes succès de l'année 1843.
+
+Les _Fastes de Versailles_ ont déjà plusieurs années d'existence; mais
+l'édition que nous annonçons (la troisième ou la quatrième) est à peine
+terminée. D'ailleurs, qui n'éprouverait toujours un nouveau plaisir à
+revoir les splendides merveilles de ce magnifique palais, surtout
+lorsqu'on a pour guide et pour cicérone uni écrivain aussi aimable et
+aussi intelligent que M. H. Fortoul? Autant Versailles est supérieur aux
+autres résidences royales, autant le livre de M. H, Fortoul s'élève
+au-dessus des autres ouvrages dont Versailles a fourni le sujet.
+Personne ne l'avait jamais mieux compris et mieux expliqué que l'auteur
+de ses _Fastes_; il ne se contente pas de nous décrire, dans un style
+tout à la fois grave et animé, les magnificences inouïes que
+représentent d'admirables gravures sur acier, il sait en découvrir, il
+en révèle le véritable sens. Il raconte entièrement cette belle _épopée
+de pierre_, il nous donne l'analyse la plus complète et la plus exacte
+qui se puisse désirer de ce vaste poème royal que tant de gens avaient
+vu, avant la publication de cet ouvrage, sans le comprendre.
+
+«Versailles, dit M. H. Fortoul, est l'expression de la monarchie, telle
+que Louis XIV l'a conçue. C'est le résumé fidèle de l'oeuvre du grand
+roi. On s'étonne quelquefois que son règne, si fertile en beaux génies,
+n'ait pas produit de poème épique. En effet, la poésie revêtit alors
+toutes les formes hormis celle-là; mais l'épopée du dix-septième siècle,
+c'est Versailles. En quel livre raconta jamais la destinée d'une époque
+d'une manière plus brillante et plus complète? quelle gloire n'est pas
+écrite dans ce palais? quel mystère n'y est pas révèle? La vie héroïque
+et la vie familière s'y mêlent à chaque pas: derrière ces grandes
+murailles, au bout de ces grandes galeries, au coin de ces grands
+appartements, qui sont pleins de la majesté royale, il y a des petits
+réduits et des passages ignorés qui vous apprennent mille histoires
+secrètes. Ce palais a deux voix: il parle des choses les plus graves et
+des choses les plus frivoles; il est à la fois profond comme Tacite et
+indiscret comme Suétone. Il a des contes de toute espèce à vous faire,
+et des vérités de toute nature à vous dire. Il possède l'art de vous
+émouvoir et de vous égayer tour à tour; et comme s'il joignait le génie
+de Molière à celui de Corneille, il fait succéder les scènes comiques
+aux tragédies avec une rapidité merveilleuse. Il a tout vu passer sur
+ses dalles de marbre: les rois, les poètes, les ministres, les
+courtisans, les confesseurs, les maîtresses en titre ou autrement, les
+reines sans pouvoir et celles qui en avaient trop, les ambassadeurs, les
+généraux vainqueurs ou vaincus, les petits abbés, les grandes dames,
+l'épée et la robe, la noblesse, le clergé, même le tiers, même le
+peuple... Et maintenant que tout cela n'est plus, il en fait
+d'admirables récits à qui veut l'interroger.»
+
+Mais de tous les écrivains qui ont interroge Versailles, aucun n'a reçu
+des confidences aussi curieuses que M. H Fortoul, aucun surtout ne les
+avait révélées avec plus de réserve, d'esprit et de bonheur. Ce
+remarquable ouvrage de l'auteur de _l'Art en Allemagne_ est un véritable
+monument littéraire qui vivra aussi longtemps--nous l'espérons--que le
+palais de Louis XIV.
+
+
+
+Modes.
+
+Quelques objets d'art sont offerts cette année aux chasseurs du grand
+monde, à l'occasion de la Saint-Hubert, par deux de ces établissements
+de luxe que l'élégance a depuis longtemps pris sous son patronage.
+
+[Illustration.]
+
+Voici d'abord un couteau et un fouet de chasse dont Verdier a confié
+l'exécution à l'un de nos plus habiles sculpteurs d'animaux: ils sont
+sortis si parfaits des mains du l'artiste, qu'ils peuvent soutenir la
+comparaison avec les plus délicates orfèvreries de la Renaissance. Ces
+précieuses armes de chasse tiendront la place, la plus distinguée dans
+les panoplies groupées à grands frais sur les panneaux du cabinet ou
+armeria, qui, chez nos jeunes amateurs de sport, a remplacé l'ancien et
+classique boudoir.
+
+Comme complément de ce trophée, les frères Susse ont dédié aux chasseurs
+une statuette de saint Hubert, due à l'élégant ciseau de M. Mélingue,
+que la sculpture repose des fatigues de l'Art dramatique.
+
+[Illustration.]
+
+
+
+Amusements des Sciences.
+
+SOLUTION DES QUESTIONS PROPOSÉES DANS LE DERNIER NUMÉRO
+
+I. La disposition des trente personnes se tirera de ce vers latin:
+
+ Populeam virgam mater regina ferebat.
+
+Pour s'en servir, il faut faire attention aux voyelles A, E, I, O, U,
+qui se trouvent dans les syllabes de ce vers, en observant que A vaut 1,
+E vaut 2, I vaut 3, O vaut 4 et U vaut 5. On commencera donc par mettre
+les chrétiens, à cause de l'ode la première syllabe; puis 5 Turcs, à
+cause de l'U de la seconde: et ainsi de suite jusqu'à la fin; on
+trouvera que, prenant toujours le neuvième circulairement, c'est-à-dire
+en recommençant par le premier, après avoir achevé le rang, le sort ne
+tombera absolument que sur des Turcs.
+
+Ou peut aisément étendre davantage la solution de ce problème. Qu'il
+faille, par exemple, faire tomber le sort sur 10 personnes de 10, en
+comptant de 12 en 12, on rangera à part 40 zéros, et, en commençant par
+le premier, on marquera le douzième d'une croix; l'on continuera en
+comptant jusqu'à 12, et l'on marquera pareillement d'une croix le zéro
+sur lequel on tombera en comptant 12, et ainsi de suite en tournant et
+en faisant attention de passer les places déjà croisées, attendu que
+ceux qui les occupaient sont censés retranché du nombre. On continuera
+ainsi jusqu'à ce qu'un ait le nombre requis de places marquées; et
+alors, en comptant le rang qu'elles occupent, en commençant par la
+première, on connaîtra facilement celles sur lesquelles doit
+nécessairement tomber le sort de 12 en 12. On trouve, dans l'exemple
+proposé, que ce sont la septième, la huitième, la onzième, la douzième,
+la vingt-unième, la vingt-deuxième, la vingt-quatrième, la
+trente-quatrième, la trente-sixième et la trente-septième.
+
+Un capitaine, obligé de faire décimer sa compagnie, a pu user de cet
+expédient pour faire tomber le sort sur les sujets les plus coupables,
+en les plaçant sans affectation dans les places ou le sort tombait
+immanquablement.
+
+On raconte que ce fut par ce moyen que l'historien Josèphe sauta sa vie.
+Il s'était réfugié avec quarante autres Juifs dans une caverne, après la
+prise de Jolapat par les Romains. Ses compagnons résolurent de
+s'entre-tuer plutôt que de se rendre. Josèphe essaya en vain de les
+dissuader de cette horrible résolution. Enfin, n'en pouvant venir à bout
+il feignit d'adhérer à leur volonté, et, se conservant l'autorité qu'il
+avait sur eux comme leur chef, il leur persuada, pour éviter le
+désordre; qui suivrait cette cruelle exécution s'ils s'entre-tuaient à
+la foule, de se ranger par ordre, et, en commençant à compter par un
+bout jusqu'à un certain nombre, de massacrer celui sur qui tomberait ce
+nombre, jusqu'à ce qu'il n'en demeurât qu'un seul, qui se tuerait
+lui-même.
+
+Tous en étant demeurés d'accord, Josèphe les disposa de telle sorte, et
+choisit pour lui-même une telle place, que, la tuerie étant continuée
+jusqu'à la fin, il demeura seul avec un autre, auquel il persuada de
+vivre, ou qu'il tua s'il ne voulut pas y consentir.
+
+Telle est l'histoire, qu'Hégésippe raconte du Josèphe, et que nous
+sommes bien éloignés de garantir. Quoi qu'il en soit, en appliquant à ce
+cas le moyen enseigné ci-dessus et un supposant que chaque troisième dût
+être tué, on trouve que les deux dernières places sur lesquelles le sort
+devait tomber étaient les treizième et vingt-huitième; en sorte que
+Josèphe dut se mettre à l'une des deux, et placer à l'autre celui qu'il
+voulait sauver, s'il eût eu un complice de son artifice.
+
+[Illustration.]
+
+II. Si le fardeau peut être porté par quatre hommes, après l'avoir
+attaché au milieu d'un grand levier AB, faites porter les extrémités de
+ce levier sur deux autres plus courts, CD, EF, et à chacun des points C,
+D, E, F, appliquez un homme: il est évident que le poids sera distribué
+également entre les quatre hommes
+
+S'il faut huit hommes, faites à l'égard de chacun des leviers C, D, E,
+F, ce que vous avez fait à l'égard du premier, c'est-à-dire que les
+extrémités du levier CD soient portées par les levier» plus courts a, b,
+c, d, et celles du levier EF par les leviers e, f, g, h; enfin, mettez
+un homme à chacun des points a, b, c, d, e, f, g, h, vous aurez huit
+hommes également chargés.
+
+On peut de même porter les extrémités des leviers ou barres a, b, c, d,
+e, f, g, h, par de nouvelles barres disposées à angles droits avec
+celles-là, et au moyen de cet artifice le poids sera distribué entre
+seize hommes, et ainsi de suite.
+
+On prétend qu'à Constantinople on emploie cet artifice pour enlever les
+plus grands fardeaux, comme des canons, des mortiers, des pierres
+énormes, etc. On conte que la vitesse avec laquelle les porte-faix
+transportent ces fardeaux d'un lieu à un autre est une chose vraiment
+remarquable.
+
+NOTA. C'est par erreur que l'on a donné, dans le dernier numéro de
+_l'Illustration_, à la page 160, une figure qui ne convient pas au
+problème IV. Voici la figure qu'il fallait mettre:
+
+
+[Illustration.]
+
+NOUVELLES QUESTIONS A RÉSOUDRE.
+
+I. Trouver le centre de gravité de plusieurs poids fixés à une barre
+rigide.
+
+II. On demandait à Pythagore combien d'élèves fréquentaient son école;
+le philosophe répondit: «Une moitié étudie les mathématiques, un quart
+la physique, un septième garde le silence, et il y a de plus trois
+femmes.» Combien Pythagore avait-il d'élèves.
+
+III. On demande quelle heure il est; l'on répond que ce qui reste du
+jour est les quatre tiers des heures déjà écoulées. Trouver cette heure.
+
+
+
+Rébus
+
+EXPLICATION DES DERNIERS RÉBUS.
+
+1- Une Soubrette.
+
+2- Si l'argent est précieux, il entraîne souvent les hommes au vice.
+
+[Illustration: Nouveau rébus.]
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of L'Illustration, No. 0037, 11 Novembre
+1843, by Various
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, 11 NOV 1843 ***
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+Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
+works. See paragraph 1.E below.
+
+1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"
+or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
+Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the
+collection are in the public domain in the United States. If an
+individual work is in the public domain in the United States and you are
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+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
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+ <title>The Project Gutenberg eBook of L'Illustration, No. 0037, 11 Novembre 1843 by Various</title>
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+Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0037, 11 Novembre 1843, by Various
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+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: L'Illustration, No. 0037, 11 Novembre 1843
+
+Author: Various
+
+Release Date: April 19, 2012 [EBook #39481]
+
+Language: French
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+Character set encoding: ISO-8859-1
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+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, 11 NOV 1843 ***
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+Produced by Rénald Lévesque
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+<br><br>
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+<div class="cont">
+
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+
+<p>L'Illustration, No. 0037, 11 Novembre 1843</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/001.png"></p>
+
+<pre>
+ Nº 37. Vol. II.--SAMEDI 11 NOVEMBRE 1843.
+ Bureaux, rue de Seine, 33.
+
+ Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois, 16 fr.--Un an, 30 fr.
+ Prix de chaque N°, 75 c.--La collection mensuelle br., 2 fr. 75.
+
+ Ab. pour les Dép.--3 mois, 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an, 32 fr.
+ pour l'Étranger. -- 10 -- 20 -- 40
+</pre>
+
+<div class="somm">
+<h3>SOMMAIRE</h3>
+
+<p><b>Courrier de Paris</b>. <i>Salle des Pas-Perdus, au Palais-de-Justice</i>.
+--<b>Histoire de la Semaine</b>. <i>Portrait de M. Dupin; Hôtel de M.
+Molé</i>.--<b>Théâtres</b>.--Opéra-Comique. <i>Une scène du Déserteur;</i> Français,
+<i>Une scène d'Eve</i>, 2e acte.--<b>Misère publique.--Une Bouteille de
+Champagne</b>, nouvelle, par André. Delrieu.--<b>La Saint-Hubert</b>. <i>Une Chasse
+dans un hôtel; la Saint-Hubert du garde; Vision de saint Hubert; la
+Bénédiction des Chiens; une Saint-Hubert dans la rue
+Saint-Honoré</i>.--<b>Margherita Pusterla</b>. Roman de M. César Cantù.--Chapitre
+XVII, Trahison; chapitre XVIII, le Soldat. <i>Quinze Gravures</i>.--<b>Bulletin
+bibliographique</b>. <i>La Recherche de l'Inconnue</i>, par A. de Lavergne;
+<i>Voyage où il vous plaira</i>, par Tony Johannot, Alfred de Musset et P.-J.
+Stahl; <i>Les Fastes de Versailles</i>, par M. Fortoul. -- <b>Annonces. -- Modes</b>.
+<i>Deux Gravures</i>. -- <b>Amusements des Sciences</b>. <i>Deux Gravures.</i>-- <b>Rébus</b>.</p>
+</div>
+<br>
+<h2>Courrier de Paris.</h2>
+
+<p>Il a bien fallu que MM. les présidents, MM. les juges, MM. les
+conseillers, MM. les procureurs et avocats-généraux en prissent leur
+parti comme les autres: le mois de novembre, les chassant de leurs
+maisons des champs, les a contraints de reprendre la toge et le bonnet
+carré. Heureux toutefois les desservants de Thémis, comme on disait en
+vieux style, cent fois heureux de pouvoir prolonger leurs loisirs
+jusqu'au jour de <i>la Toussaint</i>. C'est une douceur qui leur est
+particulière, une gratification extraordinaire de bon temps et d'heures
+fainéantes qu'ils prélèvent sur les vacances, et dont personne, parmi
+les gens du robe et d'affaires, ne jouit au même degré de licence, ni
+avocats, ni notaires, ni avoués, ni préfets, ni bureaucrates, ni
+ministres, ni vous surtout, ô joyeux écoliers, pour qui le mot
+<i>vacances</i> semble avoir été plus particulièrement inventé. Mais, comme
+dit Figaro, c'est une si belle chose que la justice.... quand elle est
+juste, qu'on ne saurait trop l'encourager.</p>
+
+<p>Les tribunaux sont donc en train de rouvrir leurs portes depuis huit
+jours, et la salle des Pas-Perdus se repeuple: moment trois fois béni
+pour l'écrivain publie accolé aux piliers du Palais-de-Justice, et pour
+la loueuse de journaux, qui voient leur clientèle revenir! Jour
+impatiemment attendu par l'habitué des séances judiciaires, par
+l'amateur de procès, dont l'appétit quotidien et dévorant ne trouvait
+qu'une nourriture insuffisante dans l'entremets servi par les chambres
+de vacations. Maintenant il va se remettre à la ration complète, et se
+gorger de vols, de meurtres, d'adultères, de séparations de corps et de
+licitations entre mineurs.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/001a.png"><br><b>La rentrée des tribunaux.--Salle des Pas-Perdus, au
+Palais-de-Justice.</b></p>
+
+<p>Voyez comme la vie et le mouvement sont rentrés au Palais depuis que la
+Cour de cassation et la Cour royale en robes rouges ont inauguré la
+nouvelle année judiciaire en séance solennelle. La salle des Pas-Perdus
+était silencieuse; et morne; maintenant tout s'y agite, tout y va, tout
+y vient, tout y gesticule, tout y parle; le client court après l'avocat,
+l'avocat après le juge, le clerc après l'avoué, le saute-ruisseau après
+le maître-clerc, l'huissier après le gendarme, le stagiaire après un
+bandit de Cour d'assises ou de police correctionnelle. Ô salle des
+Pas-Perdus, ô curieux pand&oelig;monium où se rencontrent et se coudoient la
+vérité et le mensonge, la bonne foi et la ruse, l'ignorance et le
+savoir, la vertu et le vice, Démosthènes et Petit-Jean, d'Agnesseau et
+Perrin Dandin!</p>
+
+<p>On appelle cette réinstallation annuelle de la justice la <i>rentrée</i> des
+tribunaux. C'est le terme consacré, et les journaux n'en connaissent pas
+d'autre. «Hier, disaient-ils, la Cour de cassation a fait sa <i>rentrée</i>,
+M. le procureur-général Dupin a prononcé le discours de <i>rentrée</i>.»
+comme on dit la rentrée de mademoiselle Carlotta Grisi, la rentrée de M.
+Baroilhet, la rentrée de M. Ligier, la rentrée de mademoiselle Plessis,
+la rentrée de <i>Partisan</i> et de <i>l'Aérienne</i>. Quoi donc! se servir du même
+terme pour deux choses si différentes! Parler de la même façon d'un
+acteur et d'un procureur-général, de la Cour de cassation et d'une
+danseuse, de la justice et d'un cheval savant! Annoncer que celle-ci a
+fait sa rentrée comme celui-là, n'est-ce pas là une grande irrévérence,
+et le dictionnaire n'aurait-il pas dû se montrer plus respectueux? A
+moins qu'aux yeux du dictionnaire, il n'y ait partout, dans la salle des
+Pas-perdus comme au théâtre, que des danseurs et des comédiens qui
+cabriolent avec plus ou moins d'habileté, et remplissent plus ou moins
+bien leurs rôles!</p>
+
+<p>Puisque nous parlons comédie, ne laissons point passer le Conservatoire
+sans lui dire un mot. Le Conservatoire, en effet, a tenu sa séance
+solennelle le même jour que la Cour de cassation; mais il ne s'agissait
+pas de prononcer une harangue éloquente contre les jésuites, comme l'a
+fait M. Dupin, ni de retracer les devoirs austères du magistrat; le
+Conservatoire n'entonne pas d'aussi graves trompettes: il chante, voilà
+tout, ou déclame des chansons et des vers plus ou moins mondains. Le
+Conservatoire enseigne la comédie, la fugue, la tragédie et
+l'opéra-comique, s'occupant non pas de rendre la justice aux hommes,
+mais de les divertir, soit en les charmant par des voix et des
+instruments mélodieux, soit en les faisant rire, soit en les faisant
+pleurer. Le Palais, pour encourager ses nourrissons, a le siège du juge
+et l'hermine du président; le Conservatoire n'offre aux siens qu'une
+simple couronne de laurier. L'autre jour donc, il a fait la distribution
+de ces couronnes et les a placées sur de jeunes fronts de quinze à vingt
+ans, émus et rougissant des joies du premier succès.</p>
+
+<p>Si le Conservatoire ne produit pas tous les ans de grands Compositeurs,
+de grands chanteurs, de grands acteurs et de grands musiciens, ce n'est
+pas faute du moins de distribuer des prix: prix de fugue, prix
+d'harmonie, prix de solfège, prix de chant, prix d'orgue, prix de piano,
+prix de harpe, prix de violon, de violoncelle, de contre-basse, de
+flûte, de hautbois, de clarinette, de basson, de cor, de trompette, de
+trombone, de comédie, de déclamation lyrique, d'opéra-comique et de
+tragédie. Ainsi tous les ans une armée de lauréats sort de la rue
+Bergère ceinte des palmes du Conservatoire, musique en tête, marotte et
+poignard au côté, prête à promener l'alexandrin, la roulade et l'archet
+<i>per tutam terram impune</i>.</p>
+
+<p>On a particulièrement distingué, dans le dernier couronnement, M. Got,
+M. Roger, M. Chotel, mademoiselle Grandhomme, et enfin un jeune homme
+qui porte un nom cher à l'Opéra-Comique, le nom de Ponchard. Tous ces
+conscrits en veulent à Molière ou à Corneille, même M. Ponchard, bien
+qu'il soit fils de l'ariette et de la cavatine; soit! mademoiselle et
+messieurs, jouez la comédie et maniez le poignard, puisque tel est votre
+bon plaisir; et si par hasard vous pouviez nous rendre mademoiselle Mars
+et Talma, ou quelques-uns de ces dieux de l'art disparus depuis
+longtemps, soyez sûrs que personne n'y trouverait à redire. Mais que de
+couronnes semées par le Conservatoire se sèchent tout à coup et ne
+donnent pas de moisson!</p>
+
+<p>Tandis que les écoles s'efforcent de faire des hommes de talent et de
+génie et n'y réussissent guère, la nature, qui ne monte pas en chaire et
+ne s'affuble jamais de la robe magistrale, les fait éclore, sans leçons
+et sans férule. Nous avons parlé l'autre jour du jeune Beuzeville, ce
+simple ouvrier qui s'était endormi tisserand, et tout à coup s'est
+éveillé poète. Voici qu'on nous annonce une autre merveille: il s'agit
+encore d'un poète subitement inspiré par la muse au fond de sa boutique
+et sous sa veste d'artisan. Celui-ci s'appelle Constant Hilbey; il
+arrive de Fécamp chargé de provisions poétiques. On ne dit pas si M.
+Constant Hilbey apporte sa tragédie, comme M. Beuzeville, et si quelque
+<i>Spartacus</i> ou quelque <i>Brutus</i> se trouve dans son bagage; mais cela se
+devine. Quel poète n'a pas commencé par une tragédie? Il est donc
+très-probable que M. Constant Hilbey frappe en ce moment à la porte de
+l'Odéon ou du Théâtre-Français, et avant huit jours nous lirons dans
+quelque journal <i>bien informé</i>; «Un jeune tonnelier, ou miroitier, ou
+cordonnier, ou charron, ou carrossier de Fécamp a lu hier, devant
+messieurs les comédiens ordinaires du roi, une tragédie intitulée
+<i>Idoménée</i>, qui renferme des beauté» du premier ordre: c'est du
+Corneille mêlé de Racine, assaisonné de Shakspeare; en conséquence,
+l'ouvrage a été reçu à corrections.»</p>
+
+<p>Horace, de son temps, disait; «Les villes ne laisseront bientôt plus de
+terre au laboureur!» Ne pourrait-on pas craindre aujourd'hui, en
+retournant l'apostrophe d'Horace, que la plume ne laisse bientôt plus de
+bras à l'atelier? Qui tissera la toile? qui fondra le fer et le bronze?
+qui taillera la pierre et le marbre, si de chaque peloton de fil, de
+chaque, kilogramme de fer, de chaque bloc de marbre, il sort un rimeur
+et une tragédie?</p>
+
+<p>Parlez-moi de M. Félix, à la bonne heure! il n'y a rien à lui dire: la
+vocation de M. Félix est, non pas de jouer la tragédie lui-même, mais de
+la faire jouer aux autres. Il tient ce droit de mademoiselle Rachel, son
+illustre fille, qu'il a nourrie et dressée à la tragédie de ses propres
+mains, dès ses plus jeunes ans, comme dit la nourrice de Phèdre.</p>
+
+<p>M. Félix à donc résolu de faire <i>une suite</i> à mademoiselle Rachel, et il
+s'est dit: «Si je pouvais avoir trois ou quatre Melpomènes de cette
+force là, mes affaires n'en iraient que mieux; et après tout, qu'est-ce
+que cela me coûte? Je possède mon brevet d'invention, et je sais la
+manière de s'en servir. En conséquence, M. Félix a fait mademoiselle
+Rébecca et M. Raphaël, et après les avoir faits, à peine avaient-ils eu
+le temps de croître, qu'il les a revêtus, l'un des éperons du Cid,
+l'autre du voile de Chiméne. Ainsi façonnés de la main de leur père,
+mademoiselle Rébecca et M. Raphaël se sont intrépidement précipités sur
+la scène de l'Odéon, en débitant des vers de Corneille.</p>
+
+<p>Mademoiselle Rébecca n'a que quatorze ans, M. Raphaël en a seize; on
+voit que M. Félix est si pressé de jouir et de mettre ses fruits en
+rapport, qu'il ne leur laisse pas même la permission de mûrir.--M.
+Raphaël a déjà de l'aplomb, du feu, de l'énergie, comme s'il avait
+suffisamment de barbe au menton. Quant à mademoiselle Rébecca, ce n'est
+qu'une enfant qui singe, avec une exactitude encore plus pénible à voir
+que surprenante, l'allure, le geste, le ton, la voix de sa s&oelig;ur
+mademoiselle Rachel. Figurez-vous une Chiméne en bas âge, tout juste
+bonne à figurer au Gymnase-Enfantin. Au premier mot le public a d'abord
+paru désagréablement surpris; puis il a fini par se conduire envers
+cette petite comme un père indulgent, et par lui jeter quelques bravos,
+faute de s'être pourvu de tartines de confiture et de dragées.</p>
+
+<p>M. Félix a encore deux enfants après ceux-là, une fille et un garçon; il
+les a voués, comme les autres, à la tragédie, et il s'en vante. Tous
+deux sont âgés de sept à huit ans; on pense que M. Félix fera débuter
+avant quinze jours le petit garçon de sept ans dans le rôle de
+Mithridate, et la petite fille de huit ans dans celui d'Agrippine. Ne
+serait-il pas nécessaire cependant d'appliquer à M. Félix la loi
+concernant le travail des enfants dans les manufactures?</p>
+
+<p>On annonce l'arrivée de M. de Ciebra. Qu'est-ce que M. de Ciebra? me
+demandez-vous. Je vous réponds, M. José Maria de Ciebra est un Espagnol,
+comme son nom l'annonce surabondamment; en outre, à cette qualité
+d'Espagnol, M. de Ciebra ajoute cette d'habile guitariste. De ce morceau
+de bois blanc qu'on appelle une guitare M. de Ciebra sait tirer, dit-on,
+les sons les plus agréables et les plus doux. Nous entendrons cela dans
+nos concerts d'hiver. Mais pourquoi M. de Ciebra a-t-il quitté
+l'Espagne? La galante Espagne a-t-elle tout perdu, tout, jusqu'à la
+guitare et à la sérénade, et bientôt verrons-nous la castagnette
+elle-même et le boléro s'enfuir et déserter l'Andalousie! M. de Ciebra
+vient en France dans l'espoir de s'abriter, lui et sa guitare; ce sera
+pis encore; la France est moins que jamais le pays des Rosine et des
+Almaviva; la guitare de Figaro est depuis longtemps brisée, et le drame
+moderne a dressé Lindor, au lieu de roucouler la tendre romance, à fumer
+un cigare sous le balcon de Rosine.</p>
+
+<p>Qui n'a lu l'admirable roman de <i>Consuelo</i> par George Sand? Eh bien!
+voici le bruit qui court, à propos de <i>Consuelo</i>. On assure que du livre
+George Sand a extrait un épisode, et que de l'épisode il a fait un
+opéra; Litz serait chargé de composer la musique. Pour le coup,
+l'affaire serait intéressante, et le jour de la première représentation,
+M. le préfet de police n'aurait pas assez de tous ses sergents de ville,
+de toutes ses brigades municipales, de tous ses commissaires, pour
+contenir la foule et aligner son impatience et sa curiosité.</p>
+
+<p>Une pauvre femme nommée Clugny comparaissait dernièrement devant la
+police correctionnelle; elle était accusée de vagabondage. L'instruction
+a prouvé que la mendiante possédait encore 1 franc 25 cent, dans sa
+poche, la veille de son arrestation. A l'audience, le président lui a
+demandé compte de l'emploi de cette somme. «Hélas! monsieur, a répondu
+la pauvre vieille d'une voix dolente, je l'ai dépensée!--Quoi! du jour
+au lendemain, en vingt-quatre heures!» s'est écrié le juge d'un ton
+sévère. Quelle dissipation, en effet, et quelle prodigalité! La
+vagabonde, a été condamnée à six mois de prison. Le même jour, on lisait
+dans un journal du matin: «Un de nos lions les plus échevelés, M. le
+comte de C..., avait parié contre M. de V..... une cravache de chez,
+Thomassin, qu'il mangerait en six mois deux cent mille francs qu'il
+avait hérités de sa tante: le comte vient de gagner son pari.»</p>
+
+<p>La guerre du Gymnase contre la société des auteurs dramatiques est de
+plus en plus ardente; M, Poirson tient bon, et les auteurs ne cèdent
+pas. On a essayé plus d'une fois d'arriver, soit à un armistice, soit à
+un traité de paix; mais au moment de conclure, tout se brisait de
+nouveau. Bouffé, dit-on, a pris la résolution de se retirer de ce champ
+de bataille où son talent a reçu plus d'une blessure; Bouffé aurait
+rompu dès longtemps avec le Gymnase, s'il n'était arrêté par un dédit de
+cent mille francs; ces cent mille francs sont le fil qui le retient,
+comme le cordon que Raminagrobis, le chat de La Fontaine, s'était
+attaché à la patte; il paraît qu'à force de chercher, Bouffé a trouvé
+une paire de ciseaux qui vont couper ce fil fatal: Bouffé, libre et
+joyeux, irait tenter fortune au théâtre des Variétés, laissant la
+société des auteurs et le Gymnase jouer entre eux le rôle de ces deux
+rats, qui se battirent et se mangèrent si bien, qu'il ne resta plus que
+deux queues sur le terrain.</p>
+
+<p>M. Samson, le spirituel acteur du Théâtre-Français, est de plus un
+auteur très-spirituel; qu'il fasse d'aimables comédies comme <i>Belle-Mère
+et Gendre</i>, rien ne paraît plus naturel. Ce qui semblerait plus
+surprenant, ce serait que M. Samson s'armât de la coupe tragique. Or,
+est-ce un vain bruit? est-ce une réalité? on se dit depuis quelques
+jours à l'oreille, au foyer du Théâtre-Français, que M. Samson achève
+une tragédie, une véritable tragédie en cinq actes; on en donne même le
+titre: <i>les Deux Foscari</i>. Nous sommes dans le temps des miracles; mais
+M. Samson est homme à s'en tirer.</p>
+
+<p>Les uns disent que M. de Montrond, sentant sa fin venir, a fait une
+sorte d'acte de contrition, et une mort à peu près chrétienne; d'autres
+affirment que sa philosophie païenne ne l'a pas abandonne un instant, et
+qu'il a raillé jusqu'au bout. Voici le trait qu'on rapporte à l'appui.
+Un ami de M. de Montrond s'étant approché de son lit de mort, lui
+demanda s'il n'avait pas certaines dispositions à faire. «Non,» dit-il;
+et alors son ami lui parla d'un jeune homme auquel des liens naturels
+semblaient devoir plus particulièrement l'attacher, «Ne ferez-vous rien
+pour lui, mon cher Montrond? --Que voulez-vous que je fasse de plus que
+je n'ai fait? dit le railleur en rappelant sur ses lèvres un dernier
+sourire: je lui ai donné assez de mauvais exemples pour qu'il en
+profite.»</p>
+
+<br><br>
+
+<h3>Histoire de la Semaine.</h3>
+
+<p>Les hésitations du ministère sur la mesure proposée par M. le ministre
+de l'instruction publique contre M. l'évêque de Châlons ont eu un terme,
+et la lettre du prélat a été déférée au Conseil d'État, qui a déclaré
+qu'il y avait abus. Cette lutte entre le clergé et l'Université a trouvé
+de l'écho sous les voûtes du Palais. M. le procureur-général Dupin, à la
+rentrée de la Cour de cassation, a pu surprendre une partie de son
+auditoire en y faisant allusion, comme M. Villemain, à la rentrée de
+l'École Normale, avait surpris tout le sien en n'en disant mot. M. Dupin
+a pris pour sujet de son discours l'éloge d'Estienne Pasquier. C'était
+un texte d'à-propos et d'allusions; il y avait là matière à exposer de
+nouveau les circonstances qui avaient postérieurement rendu nécessaire
+la déclaration des libertés de l'Église gallicane. L'orateur était sur
+son terrain, et son discours retentira bien au delà de l'enceinte où il
+l'a prononcé. Personne ne pourra trouver le moment et le lieu mal
+choisis, car peu de jours auparavant un autre avocat du roi, entraîné
+par son dévouement personnel ou inspiré par des colères qu'il croyait
+avantageux de flatter, avait, à la rentrée de la Cour royale, fait dans
+le politique une excursion moins justifiable, et que ses chefs n'ont pas
+blâmée, avait régenté la tribune parlementaire, et fait le procès à un
+homme politique qui a le malheur d'être en même temps un grand poète.</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/002.png"><br><b>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;M. Dupin aîné.</b></p>
+
+<p>Bien décidément l'ordonnance de convocation des Chambres ne tardera plus
+guère à paraître et leur réunion aura lieu dans les derniers jours de
+décembre. Il a été reconnu que, pour demeurer dans les prescriptions de
+la charte, il fallait ne pas sortir du calendrier de 1843. Des
+dépositions se font déjà au Palais-Bourbon pour la séance d'ouverture.
+Les appartements de la présidence sont déjà prêts à recevoir l'hôte que
+le scrutin de la Chambre leur enverra. Les décorateurs terminent en
+toute hâte les embellissements de la bibliothèque, et MM. Eugène
+Delacroix, Henu et Abel de Pujol, auront bientôt achevé leurs travaux.
+Quelques-uns des chefs des partis parlementaires sont déjà de retour à
+Paris. M. de Lamartine fait encore entendre de Mâcon une voix qui
+retentit dans toute la presse, et jamais, du vivant même de M. de
+Fonfrède, feuille de province ne s'était vue attendre avec une
+impatience et reproduire avec un empressement pareils à ceux que fait
+naître <i>le Bien Public</i> parmi les adversaires et les partisans des idées
+de <i>l'agitateur</i>. M. Odilon-Barrot est encore loin de Paris et au milieu
+de sa famille, tout entier à une douleur que n'ont pas su respecter
+certains écrivains politiques qui lui ont prêté des actions et des
+paroles, et l'ont voulu rendre responsable de leurs rêves et de leurs
+inventions; mais M. Thiers est rentré, ramené à Paris par la santé des
+siens et par le besoin de se rapprocher, pour continuer à se livrer
+activement au grand travail historique qu'il termine, des dépôts
+précieux où il doit puiser; mais M. Molé est également revenu, non plus
+dans cet hôtel de la rue de la Ville-L'évêque à l'aspect tout
+parlementaire, hôtel de famille, qui allait si bien à son nom et que
+<i>l'Illustration</i> a fait graver parce qu'il va être, démoli (v. p. 164),
+mais dans une demeure nouvelle que les efforts de son parti chercheront
+à ne pas laisser être définitive. Les attaques se préparent d'un côté,
+comme de l'autre les projets de loi: nous verrons ce qui sera le mieux
+concerté, combiné, entendu.</p>
+
+<p>O'Connell et ses comculpes ont comparu, le 2 novembre, devant le jury
+d'accusation. La composition de celui-ci ne rend pas son verdict
+incertain. Aussi le résultat de cette première formalité ne fera-t-il
+cesser aucun des embarras du ministère. Sa situation difficile l'est
+rendue plus encore par les déchirements qui se manifestent dans son
+propre parti et qui en sont la conséquence. Le <i>Times</i>, qui jadis
+abandonna les whigs, et, par sa désertion, prépara leur chute, le
+<i>Times</i>, aujourd'hui, attaque sir Robert Peel, et est attaqué lui-même
+par le <i>Standard</i>. Cette guerre intestine est de mauvais augure. Les
+témoignages, les démonstrations d'intérêt n'ont pas manqué aux accusés
+irlandais, et cette procédure préliminaire a été une occasion de
+calculer quelle serait l'ardeur de la sympathie nationale au jour du
+jugement sérieux. --Le voyage de M. le duc de Bordeaux, dont la relation
+donne lieu en France à des saisies et à des poursuites de journaux,
+attire en Angleterre les chefs les plus considérables du parti
+légitimiste. Le ministère anglais a cru devoir, à cette occasion, ôter
+toute couleur politique à l'accueil hospitalier qui est fait dans la
+Grande-Bretagne au petit-fils de Charles X, et protester, par la plume
+de ses journalistes, de la sincérité de son alliance avec le
+gouvernement issu de la révolution de Juillet.--Les dernières nouvelles
+de New-York annonçaient que les élections qui vont renouveler le
+personnel du congrès fédéral touchaient à leur terme. Dans le Sénat, la
+majorité paraissait déjà assurée au parti whig; mais dans la Chambre des
+Représentants, l'avantage était au profit du parti démocratique, dans la
+proportion de deux contre un. Toutefois, le peu d'union de ce dernier,
+quand viendra plus tard la question de la présidence, lui fera
+probablement perdre l'avantage de commander au Capitole, que son nombre
+semblerait devoir lui assurer.--En Espagne on paraît plus d'accord; mais
+c'est pour ne tenir nul compte de la constitution. Aussi, au Sénat, le
+rapporteur du projet de loi sur la déclaration de la majorité de la
+reine croyait-il pouvoir répondre au reproche d'inconstitutionnalité
+adressé à cette mesure, en disant qu'on avait violé bien d'autres
+articles de la Charte, et qu'il ne voyait pas pourquoi on respecterait
+davantage celui-là. L'argument a paru excellent. Il est donc certain que
+la reine sera déclarée majeure, et comme à treize ans on est assez peu
+propre à se gouverner soi-même, ce sera un conseil de régence occulte
+qui conduira les affaires, au lieu d'un conseil de régence
+constitutionnellement constitué et légalement responsable. Cet état de
+choses, la direction que prennent les affaires à Madrid, ne commandent
+pas la confiance et la soumission aux provinces; et à peine les
+protestations armées sont-elles refoulées sur un point, qu'il s'en
+manifeste de nouvelles sur un autre. Quant à la Catalogne, sa situation
+est toujours aussi affligeante pour l'humanité,--si l'on en croit les
+feuilles allemandes, qui nous ont annoncé les premières que l'Autriche
+se tenait prête à intervenir avec le Piémont dans les affaires des États
+pontificaux, le gouvernement français n'y mettrait aucune opposition; il
+demanderait seulement à être admis à prendre part à cette mesure. Il est
+probable que si cette version est vraie, ou si elle est fausse, le
+démenti ou la confirmation viendra d'ailleurs que d'Augsbourg ou de
+Francfort.--La velléité de contre-révolution à Athènes que nous avons
+mentionnée la semaine dernière, a amené une réaction, dont quelques
+ennemis du mouvement de septembre ont failli devenir victimes. Le
+ministre de France, M. Piscatory, qui, depuis le commencement de cette
+crise, a agi avec une détermination et une énergie qu'il a puisées dans
+son caractère beaucoup plus, dit-on, que dans ses instructions, M.
+Piscatory a, par sa présence d'esprit et sa résolution, sauvé l'ancien
+ministre de la justice et des finances Ithalli de la vindicte populaire,
+et épargné à la révolution grecque, jusqu'ici pure, une tache sanglante.
+Le roi Othon est passé de la confiance aux contre-révolutionnaires aux
+déclarations enthousiastes pour la révolution. On dit à Munich que le
+roi de Bavière se dispose à aller visiter son fils, et qu'il est
+très-déterminé à le ramener si les événements ne prenaient pas une
+tournure favorable à la dignité royale. Nous ne savons pas jusqu'à quel
+point on sera flatté à Athènes d'apprendre par les feuilles allemandes
+que le roi des Grecs n'est pas encore émancipé.--Un royaume de l'Inde
+que la <i>Correspondance de Victor Jacquemont</i> nous a appris à connaître,
+et auquel un soldat de notre armée avait fait adopter notre organisation
+militaire et nos couleurs nationales, Lahore, vient de voir son roi
+assassiné et son meurtrier tomber lui-même sous les coups d'un de ses
+complices. Beaucoup croiront que ces désordres ont été organisés; nous
+nous bornerons à penser que le gouverneur-général des possessions
+britanniques dans l'Inde les aura vus sans grande douleur. Jacquemont et
+le général Allard ne se dissimulaient point qu'après la mort de
+Rundget-Sing il serait difficile d'empêcher l'Angleterre d'arriver à ses
+fins, préparées de longue main, et d'occuper le Penjaub. Le successeur
+du général Allard, un autre officier de l'armée française, le général
+Ventura, n'a pu parvenir à rétablir l'ordre, même momentanément. On
+s'entend beaucoup mieux dans le magnifique palais du
+gouvernement-général, à Calcutta, à faire des conquêtes par les
+intrigues diplomatiques, les sacrifices d'argent, et, au besoin, par
+d'autres moyens encore, qu'à soumettre par la force des armes les
+populations qu'on n'a pas préalablement et sourdement travaillées.
+L'Afghanistan et le Penjaub auront fourni cette double démonstration.</p>
+
+<p>Nous avions bien eu tort, dans notre dernier numéro, de faire l'éloge de
+la nature; elle nous a donné un cruel démenti, a furieusement rattrapée
+en désastres le temps que nous la louions d'avoir employé autrement.
+Les correspondances de Grenoble et de Gap sont déchirantes. Des neiges
+tombées prématurément dans les Alpes ont été bientôt fondues par la
+température adoucie, et des inondations indomptables sont venues porter
+la ruine et l'épouvante dans toutes les plaines qu'arrosent le Drac, le
+Rhône, l'Isère et la Durance. La garnison de Grenoble et la gendarmerie
+ont rendu de très-grands services là où elles ont pu, en se multipliant,
+porter leurs secours.--Il y a peu de jours que le <i>Moniteur</i> renfermait
+une liste de citoyens auxquels le roi, sur le rapport de M. le ministre
+de l'Intérieur, accordait des médailles d'or ou d'argent pour de belles
+actions et de nobles dévouements dans des désastres pareils. On y
+remarquait avec bonheur des hommes du peuple, des fonctionnaires
+municipaux, des soldats, des ecclésiastiques, de grands propriétaires.
+Chaque classe s'y trouvait représentée, et venait prouver qu'en France
+la bienfaisance et le courage sont dans tous les rangs et y font battre
+bien des c&oelig;urs.</p>
+
+<p>Le journal officiel a donné aussi successivement la liste des élèves
+admis à l'École royale polytechnique et à l'École royale militaire.
+L'armée a fourni sa large part de candidats distingués, et leur nombre,
+comme le rang avantageux que plusieurs d'entre eux ont obtenu,
+démontrera, nous l'espérons, à M. le ministre de la guerre et à M. le
+ministre de l'instruction publique, que la mesure annoncée, oui
+exigerait un diplôme de bachelier ès lettres pour prendre part à ces
+concours, serait aussi injuste envers le soldat que mal entendue dans
+l'intérêt du service. Elle serait de plus contraire à la loi
+d'avancement et à l'esprit de la Constitution de 1830. En vérité, s'il
+est une liberté d'instruction respectable avant toutes, c'est bien celle
+du militaire qui, en remplissant tous ses devoirs, sait encore trouver
+le temps d'acquérir ou de compléter des connaissances nombreuses qu'une
+instruction première, presque toujours au-dessus des ressources de sa
+famille, ne lui a pas permis d'acquérir. Quelques journaux nous ont
+appris qu'un des élèves admis avait dans les veines du sang de Henri IV,
+et que cette circonstance lui avait valu d'être élevé et instruit de
+manière à pouvoir se présenter avec succès. C'est fort bien; mais il ne
+faudrait pas dans l'avenir, à mérite égal ou même supérieur, déclarer
+indignes les pauvres diables dont les grand'mères ont eu le tort de
+n'avoir pas de faiblesses pour le Béarnais.</p>
+
+<p>Le nombre total des conscrits dont l'état intellectuel a été constaté
+dans les quatorze années de 1827 à 1840, s'élève maintenant à 4,036,569,
+dont 2,095,141 savaient au moins lire, et 1,945,428 ne savaient ni lire
+ni écrire, ce qui, sur un total de 1,000, donne 549 instruits et 481
+ignorants. Cette moyenne générale, qui n'avait pas été atteinte avant
+1833, a été constamment dépassée depuis.--Quand on groupe les chiffres
+en périodes de deux ans, la moyenne proportionnelle des instruits varie
+de 459 en 1827-1828, à 572 en 1839-1840, et ce n'est qu'en 1833-1834 que
+la moyenne générale 519 est atteinte et un peu dépassée. De la première
+3 la dernière période, l'augmentation totale est de 133, ou d'environ un
+quart. Ainsi, sur un total de 1,000, il y a 155 instruits de plus en
+1839-1840 qu'en 1827-1828. C'est une augmentation biennale de 22.
+L'augmentation, qui avait été de 39 de 1827-1828 à 1829-1830, de 27 de
+1829-1830 à 1831-1832, n'a plus été que de 21, 16, 19 et 11 pour les
+périodes suivantes. Ainsi il y a augmentation, mais augmentation
+ralentie; jusqu'à présent nous ne voyons pas trop quelle peut être la
+cause de ce ralentissement, à moins que ce ne soit la première influence
+de la révolution de 1830, avant les mesures prises par le nouveau
+gouvernement pour la propagation de l'instruction primaire. Dans la
+statistique des établissements secondaires, nous trouvons une assez,
+forte diminution dans le nombre des élèves de 1831 et 1832, et ce n'est
+guère qu'en 1839 que ce nombre devient ce qu'il était en 1830. Quelque
+chose d'analogue se sera-t-il passé dans les écoles primaires jusqu'au
+moment de la mise à exécution de la loi de 1833? L'état intellectuel des
+conscrits de 1836 à 1840, qui ont du fréquenter les écoles vers
+1830-1834, semblerait l'indiquer. On sait seulement qu'en 1830 un assez
+grand nombre de conseils municipaux ont subitement supprimé l'allocation
+faite aux écoles tenues par les congrégations religieuses; et comme ces
+écoles étaient fréquentées, cette suppression aura pu entraîner une
+assez notable réduction dans le nombre des élèves. Tout ce qui a été
+fait depuis en faveur de l'instruction primaire ne peut manquer d'agir
+puissamment sur la propagation de cette instruction; mais les enfants
+qui ont fréquenté les écoles depuis 1836 ne seront guère conscrits que
+vers 1844-1845; ce ne sera donc que sur les comptes-rendus du
+recrutement à cette époque que l'on pourra commencer à contrôler la
+statistique des écoles primaires et, par conséquent, à juger d'une
+manière incontestable les effets de la loi de 1833, sous le rapport du
+nombre des élèves.</p>
+
+<p>Le chemin de fer atmosphérique, dont <i>l'Illustration</i> a fait connaître
+le système à ses lecteurs (t. I, p. 404), s'est tiré très-heureusement
+des épreuves auxquelles il vient d'être soumis en Irlande. Le
+<i>Dublin-Monitor</i> annonce que le succès de l'entreprise, est maintenant
+assuré. Dans la dernière quinzaine d'octobre des traits ont
+régulièrement fait le service entre Dublin et Kingstown. Une grande
+quantité de passagers ont parcouru la ligne sans qu'il soit arrivé le
+moindre accident. Les départs ont été suspendus à la fin d'octobre, pour
+terminer la ligne jusqu'à Dalkey. Les rails étaient posés, et déjà le
+chemin doit être ouvert. On pense qu'on poursuivra jusqu'à Bray. La voie
+est remarquable par ses courbes; les convois cependant les franchissent
+sans aucun danger, la force centrifuge étant contrebalancée par
+l'élévation du terrain du côté du cercle extérieur. Le danger ne
+pourrait donc venir que d'un excès de vitesse; aujourd'hui cet
+inconvénient est paré par des signaux échangés entre le machiniste et
+l'établissement où se trouve la machine à vapeur. Mais la compagnie a
+l'intention d'établir, le long de la ligne, un baromètre électrique qui
+signalera toujours exactement la vitesse. Dans quelques essais déjà
+faits, ou a remarqué que la vitesse indiquée au départ par un baromètre
+attaché au premier wagon donnait d'abord 10 degrés, 11 à 12 dans les
+tourbes et 16 à 17 dans la ligne directe. A ce dernier point du
+baromètre on a une vitesse de 50 milles à l'heure, 17 lieues environ.</p>
+
+<p>Nous avons dit la frayeur trop fondée que causaient souvent aux
+archéologues les réparations entreprises dans nos vieux temples
+religieux. Un journal signalait l'autre jour une grave mutilation qui
+vient d'être commise dans l'église Saint-Séverin, à Paris, par les
+architectes mêmes chargés de restaurer ce monument. Il y a quelques
+jours encore, le soubassement de la porte latérale de Saint-Séverin
+portait une inscription en caractères du treizième siècle, énumérant les
+obligations imposées aux fossoyeurs de la paroisse. Un morceau de pierre
+neuve, inutilement repiqué, a déjà fait disparaître environ la moitié de
+cette inscription, unique d'abord et importante ensuite à l'étude du
+Moyen-Age. «Si l'inscription, dit le journal religieux qui dénonce ce
+fait, eût été païenne, grecque, insignifiante et dans l'Attique, on
+aurait expédié un membre de l'Institut pour la déchiffrer et la
+commenter; elle est chrétienne, française, intéressante et à Paris, elle
+aura bientôt complètement disparu.»--Il est un projet qui ne ferait,
+courir aucun danger à une autre église remarquable, et qui permettrait
+au contraire d'en mieux envisager la masse et d'en apercevoir les
+détails. On fait revivre le plan d'isoler complètement l'église
+Saint-Eustache. On démolirait le corps-de-garde qui est à la pointe et
+toutes les maisons qui, en masquant le monument et une ravissante porte
+qui est inaperçue de ce côté, rétrécissent la rue Montmartre au point
+d'y rendre la circulation presque impossible. Tout le côté gauche de la
+rue du Jour, qui obstrue l'église, serait abattu. On élargirait la rue
+Traînée, si fréquentée et si dangereuse, et on y construirait un nouveau
+presbytère. En outre, sur la place du Parvis-Saint-Eustache, serait
+ouverte une large rue qui irait déboucher rue Jean-Jacques-Rousseau, en
+face de l'hôtel des Postes, dont les abords recevraient ainsi d'utiles
+dégagements Ce plan est bien entendu, et son exécution rendrait
+d'immenses services à la circulation et à la sûreté publique. Le conseil
+municipal, qui va se trouver en partie reconstitué, inaugurerait
+dignement, son ère nouvelle en votant définitivement ces travaux, dont
+la percée prochaine de la rue de Rambuteau jusqu'à la pointe
+Saint-Eustache, et l'affluence qui arrivera encore de ce côté, vont
+rendre la nécessité plus urgente.--MM. les ministres des travaux publics
+et du commerce sont allés visiter le Conservatoire des Arts et Métiers,
+rue Saint-Martin, et s'entendre sur les plans de travaux et de
+réparations indispensables qui seront proposés aux Chambres à la session
+prochaine. Nul doute qu'on ne fasse déboucher directement sur la rue
+Saint-Martin ce grand établissement, qui n'y communique aujourd'hui que
+par des détours sinueux, et qu'on ne consacre l'ancien réfectoire des
+Bénédictins, ce délicieux monument gothique, connu de si peu de
+Parisiens, à une destination qui ne force pas à en masquer la hardiesse
+et la légèreté.--Nous renonçons à enregistrer toutes les statues
+d'hommes plus ou moins illustres qui vont s'élever sur les places
+publiques des villes de nos départements. Chaque, jour en vient grossir
+la liste, et tel sculpteur se fait sa réclame en bronze dans chacune de
+nos anciennes provinces. Cette manie de compatriotes illustres est
+quelquefois poussée bien loin et mène souvent au ridicule. La ville de
+Langres a donné le jour à Diderot: le marbre a reproduit pour sa ville
+natale cet homme célèbre; rien de mieux. Mais, par esprit de symétrie,
+on a pensé qu'il lui fallait un pendant, et, comme illustration
+langroise, on n'a rien trouvé de mieux que... feu M. Roger,
+secrétaire-général des postes, auteur de la petite comédie de
+<i>l'Avocat</i>, qui lui avait, moins encore que ses opinions, ouvert, sous
+la restauration, les portes de l'Académie Française. Voilà donc M. Roger
+reproduit par le marbre, uniquement parce qu'il faut un pendant à
+Diderot. C'est du bonheur sans doute; mais comme toute médaille a son
+revers, et comme Diderot a été représenté sans vêtements, M. Roger, que
+la nature était loin d'avoir favorisé de ses dons extérieurs, M. Roger
+sera tout un!!!</p>
+
+<p>Nous avons dit la semaine dernière que les journaux de la Normandie
+renfermaient des détails sur un ouvrier chez lequel s'est révélé un
+véritable talent de sculpteur. Ces détails étaient contradictoires; nous
+en avons attendu de plus concordants pour les reproduire à nos lecteurs.
+Dans l'une des vieilles rues de Dieppe, à quelques pas de la gothique
+église de Saint-Jacques, habite un homme encore jeune, en qui le talent
+s'est révélé tout à coup. Il y a un an à peine, cet homme était
+cordonnier et travaillait tous les jours aux grosses bottes de pécheurs
+dans la boutique noire et enfumée qu'il n'a pas quittée. Depuis,
+l'échoppe, est, devenue un atelier, le cordonnier devenu un artiste.
+L'an dernier, cet homme, qui s'appelle Graillon, a imaginé de modeler en
+terre des sujets populaires, et son coup d'essai a été un coup de
+maître. Pose, vêtements, physionomie, tout est nature dans les figures
+de mendiants qu'il pétrit, et que Callot n'eût pas dessinées avec plus
+de vérité et de hardiesse. Ce sont de véritables études de m&oelig;urs. Il ne
+s'est pas borné à cela, et quelques statuettes historiques sont venues
+démontrer la flexibilité de son talent. Graillon n'ignore pas du tout,
+comme on l'avait dit, le mérite des productions qui naissent sous ses
+mains; il reçoit les éloges en homme qui les apprécie et a la conscience
+de les mériter. Il a fixé lui-même le prix de ses compositions; il les
+vend un prix assez minime, tout en sachant fort bien que leur valeur
+sera bientôt triple ou sextuple.</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/003a.png"><br>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;<b>Hôtel de M. Molé, rue de la Ville-l'Évêque.</b></p>
+
+<p>Graillon, que de grandes destinées attendent, dit-on, s'il pratique le
+génie pour lequel Dieu l'a créé, est affligé d'une infirmité: il veut
+être peintre! Quand il peut dérober quelques heures aux groupes
+miraculeux qu'il enfante avec une si prodigieuse facilité, ces heures,
+il les consacre à la peinture. Or, ce que Graillon appelle peinture,
+c'est un certain mélange de jaune et de bleu étalé sur une grande toile.
+«Nous avons fait à Graillon, dit l'auteur d'un des récits auxquels nous
+empruntons le nôtre, de timides observations sur sa manie de peinture;
+il nous a répondu avec une certaine aigreur: «Voulez-vous donc que je me
+prive de mes <i>récréations?</i>». A cela nous n'avions rien à dire. Nous
+nous sommes retiré en faisant des v&oelig;ux bien sincères pour que Graillon,
+qui peut nous compter au nombre des adorateurs les plus fanatiques de
+son talent de statuaire, se récrée le moins souvent possible.</p>
+
+<p>En feuilletant les archives du greffe du tribunal civil de
+Château-Thierry, on vient de trouver quelques ligues échappées à la
+plume de Jean de Lafontaine. Malheureusement, l'autographe de notre
+immortel fabuliste est fort peu poétique et ne contient que la cession
+du banc qu'il possédait dans l'église de cette ville. Ce petit billet,
+annexé à des actes authentiques, nettement et très-lisiblement écrit
+tout entier de la main du signataire, ne manque pas d'un certain cachet
+d'originalité qui le rend digne de son auteur. Nous le reproduisons
+textuellement, sans ajouter un point ni un accent: «Je soussigné cède et
+transporte à M. Pintrel, gentilhomme de la vénerie, demeurant à Chasteau
+Thierry le droit et propriété telle qu'il me seait appartenir au banc
+place et cabinet que j'ay dans l'église de Chasteau Thierry sous le jubé
+pour en jouir pour luy toutefois seulement après le deceds de demoiselle
+Marie Hericart ma femme et ce pour des raisons et considérations qui
+sont particulières entre nous fait à Chasteau Thierry ce deuxième
+janvier mil six cent soixante et seize. «DE LA FONTAINE.»</p>
+
+<p>La mort ne nous a donné à enregistrer cette semaine aucun nom illustre
+dans la politique, dans la littérature ou dans les arts. C'est le cas de
+dire bien bas, avec la prudence de Fontanelle: <i>Chut!</i></p>
+<br><br>
+
+<h2>Théâtres.</h2>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/003b.png"><br><b>Théâtre de l'Opéra-Comique--<i>Le Déserteur</i>.<br>--Montauciel,
+Mocker; Bertrand, Sainte-Foy.</b></p>
+
+<p><span class="sc">Opéra-Comique</span>.--Reprise du <i>Déserteur</i>.</p>
+
+<p>Qui ne connaît l'histoire d'Alexis et de Louise, la fille à Jean-Louis,
+fermier de madame la duchesse, et celle du grand cousin Bertrand, qui
+joue à la corde et fait le double-tour avec tant de grâce et un talent
+si distingué?</p>
+
+<p>Qui peut avoir oublié Montauciel, ce dragon si agréable, toujours entre
+deux vins, et qui trouve cette position si commode?--Brave soldat après
+tout, fidèle à son capitaine, intraitable sur le point d'honneur, qui
+s'est fait mettre en prison pour avoir le temps d'apprendre à lire et
+qui a déjà fait tant de progrès dans cet art utile, qu'après avoir
+longtemps épelé ces mots: <i>Vous êtes un blanc-bec</i>, il en fait ceux-ci:
+<i>Trompette blesse</i>.</p>
+
+<p>Et la petite Jeannette, qui a égaré son fuseau? et le gendarme
+Courchemin, qui chante si gaillardement: <i>Vive le roi?</i> Et surtout cette
+vieille musique de Monsigny, si naturelle, si simple et si expressive?
+Nos pères l'ont écoutée et répétée pendant cinquante ans, et la
+Révolution elle-même, la première, la grande Révolution, qui a détruit
+et changé tant de choses, n'avait pas arrêté le cours de ce prodigieux
+succès du <i>Déserteur</i>. On s'était contenté d'orner Alexis, les gendarmes
+qui l'arrêtent et les soldats qui doivent le fusiller de larges cocardes
+tricolores, et Courchemin chantait alors, de sa voix la plus formidable:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> La loi passait, et le tambour battait aux champs,</p>
+<p class="i14"> Vive la loi! etc.</p>
+</div></div>
+
+<p>Le livret du Déserteur est d'une simplicité qui doit faire sourire de
+pitié tous nos faiseurs d'aujourd'hui.--Alexis, le héros de Sedame, est
+un jeune soldat qui doit, quand le terme de son service sera arrivé, se
+marier avec une jeune paysanne, fille de Jean-Louis, fermier. Le moment
+où Alexis obtiendra son congé est proche. En attendant, son régiment
+vient à passer dans les environs du village qu'habite Louise, et il
+obtient la permission de lui faire une courte visite. Malheureusement il
+annonce sa visite, et les paysans ses amis, le futur beau-père en tête,
+se disent: «Il faut lui jouer un bon tour.» Ce tour consiste à lui faire
+croire que Louise s'est mariée pendant son absence. On habille Louise en
+mariée, on simule une noce, on arrange un cortège villageois, et l'on
+vient défiler, musique en tête, sur la route par ou Alexis doit arriver.
+Comment ne serait-il pas dupe de tout cet appareil? Il l'est, et si bien
+qu'un affreux désespoir s'empare de lui; il veut mourir; il arrache ses
+épaulettes et sa cocarde blanche, et s'enfuit dans la direction où il
+peut rencontrer l'ennemi. Notez bien qu'il a choisi pour faire cet
+exploit le moment où la maréchaussée était à portée de l'atteindre. On
+le poursuit, il se laisse prendre. On le met en prison, on le juge, on
+le condamne à mort, on le mène au lieu du supplice, il s'agenouille, et
+les fusils sont déjà braqués sur lui quand Louise arrive tout
+essoufflée, une feuille de papier à la main. C'est la grâce du
+déserteur, qu'elle a obtenue du roi.</p>
+
+<p>Ce sujet est fort simple; mais on comprend qu'il donne lieu à des scènes
+intéressantes, et l'auteur en a su égayer la couleur un peu sombre par
+le rôle épisodique du Soldat Montauciel.</p>
+
+<p>Ce rôle est aujourd'hui fort bien rempli par M. Mocker, à qui doit
+revenir, pour une grande part, l'honneur du succès de la reprise du
+<i>Déserteur</i>. Il le joue avec beaucoup de goût et de distinction. Son
+éternelle ivresse est plaisante et point du tout désagréable, et il ne
+franchit jamais la limite qui sépare la mauvaise plaisanterie de la
+bonne, limite presque imperceptible et où il est si difficile de
+s'arrêter! En quelque position que l'auteur du poème place Montauciel,
+qu'il épèle sa leçon de lecture, ou qu'il se fâche contre Alexis qui le
+renverse d'un seul coup de poing: ou qu'il abuse de la niaiserie du
+grand cousin Bertrand, et déroule son interminable cravate (incident
+burlesque dont la gravure, annexée à cet article, peut donner une idée à
+nos lecteurs), jamais M. Mocker n'est vulgaire.</p>
+
+<p>Il chante son rôle comme il le joue, et il a de charmants morceaux à
+exécuter. Les deux airs <i>bouffes</i> que Monsigny a mis dans cet ouvrage
+sont deux chefs-d'&oelig;uvre. Le style bouffe était encore, à cette époque
+d'invention toute récente, et l'on est surpris qu'un milicien français
+qui n'avait pas, comme Grétry, habité l'Italie pendant plusieurs années,
+ait pu si vite et si complètement en surprendre les secrets et s'en
+approprier les ressources.</p>
+
+<p>Dans les morceaux sérieux, qui sont en majorité dans cette partition,
+Monsigny est surtout remarquable par la variété et l'énergie de son
+expression. Les airs d'Alexis ont sous ce rapport un très-grand mérite,
+ainsi qu'un duo et un trio dans lesquels on a admiré des mélodies
+charmantes traitées avec une grande habileté de contre-pointiste. En
+somme, le suffrage de la génération actuelle vient de sanctionner les
+applaudissements que <i>le Déserteur</i> a constamment obtenus des
+générations précédentes, et c'est un beau et noble triomphe. Parmi les
+&oelig;uvres contemporaines y en a-t-il beaucoup qui soient destinées à une
+si longue vie, et auxquelles on puisse promettre, dans soixante-quatorze
+ans, un succès comparable à celui que <i>le Déserteur</i> vient d'obtenir?</p>
+
+<p><i>Eve</i>, drame en cinq actes de <span class="sc">M. Léon Gozlan
+(Théâtre-Français.)</span>--<i>Madame Roland</i>, drame en trois actes de Madame
+<span class="sc">Ancelot (Vaudeville)</span>.</p>
+
+<p>Eve est une quakeresse; son père, le quaker Daniel, habite la
+Pennsylvanie; c'est un homme bon, simple, vertueux comme sa croyance le
+lui enseigne, et adorant sa fille. Eve, cependant, inquiète cette
+tendresse paternelle; non pas qu'elle ait le moindre vice et commette la
+moindre faute: Eve est la vertu même; mais elle a des moments d'extase,
+comme Jeanne d'Arc, et rêve à l'affranchissement de son pays. Nous
+sommes aux premiers temps de l'insurrection de l' Amérique du Nord
+contre l'Angleterre. Dans ses heures d'enthousiasme patriotique, Eve
+s'échappe de la maison du vieux Daniel et se perd dans les bois et sur
+les monts, encourageant les insurgés, par sa présence; l'armée
+américaine la prend pour son ange protecteur, l'armée anglaise pour son
+mauvais génie. Vous comprenez maintenant l'inquiétude de Daniel; il
+n'est pas rassurant d'avoir une fille qui court ainsi les champs.</p>
+
+<p>Eve n'est pas seulement possédée par le désir de délivrer l'Amérique:
+elle veut détruire un ennemi mortel de sa religion et de ses frères, le
+marquis Acton de Kermar; Eve ente Judith sur Jeanne d'Arc.</p>
+
+<p>Le marquis de Kermar a des vices terribles et des passions formidables;
+il bat et tue ses esclaves pour un mot, change de maîtresse tous les
+jours, déshonore les familles et poursuit particulièrement les quakers
+d'une haine féroce, sous prétexte qu'ils prêchent l'égalité et la
+fraternité, Kermar ne veut pas de cette philosophie, et de temps en
+temps il fait crever les yeux à un quaker ou deux, pour les en guérir.</p>
+
+<p>Kermar demeure à Québec, dans le Canada; c'est donc à Québec qu'Eve va
+le trouver pour le tuer, comme Judith tua Holopherne; le vieux Daniel,
+qui devine le sanglant projet de sa fille, la suit à la piste.</p>
+
+<p>Judith avait, gagné tout droit la tente d'Holopherne; Eve fait plus de
+façons: elle se promène dans les forêts qui avoisinait le château de
+Kermar, et au moindre bruit s'esquive comme une biche légère. Tout en
+errant à travers bois, Eve préserve Kermar, qu'elle ne connaît pas, de
+la piqûre d'un venimeux serpent, et sauve ainsi la vie à l'homme qu'elle
+veut tuer: la contradiction est flagrante.</p>
+
+<p>Cette rencontre suffit pour rendre Kermar éperdument amoureux d'Eve; et
+comme c'est un homme qui n'a pas l'habitude d'attendre, il met ses
+esclaves à sa poursuite. Les esclaves font si bien, qu'ils s'emparent de
+la belle quakeresse et ramènent au château. Ainsi Eve est chez Kermar.
+Que ne le frappe-t-elle? Elle n'en a plus le courage; sa haine est
+désarmée, ou plutôt l'amour lui a fait place: Eve aime Kermar, commue
+elle en est aimée. Ceci contrarie très-fort l'esclave Caprice, la
+bien-aimée et la favorite de Kermar avant l'arrivée d'Eve. Caprice n'a
+pas d'autre ressource que de chercher à se venger, et elle se vengera.
+Il y a, sur le lac voisin aux eaux dormantes, certaines fleurs jaunes
+qui composent un poison parfait pour en finir avec une rivale. Caprice
+en fera son affaire.</p>
+
+<p>Kermar d'abord n'a pas d'autre idée que de s'amuser d'Eve comme il s'est
+amusé de tant d'autres; mais tout à coup, pour la première fois de sa
+vie criminelle, il hésite et se trouble; l'innocence, la pudeur, la
+sérénité d'Eve, l'émeuvent malgré lui; il faut cependant qu'il possède
+Eve! Un homme comme lui, qui n'a jamais mis de bornes à ses désirs, dont
+la passion s'est toujours satisfaite à l'instant même, de gré ou de
+force; un Kermar, qui joue, qui tue, qui se livre aveuglément aux
+caprices les plus monstrueux et crève, les yeux aux quakers; un tel don
+Juan, un tel démon, un tel damné reculerait devant un enfant? non pas.
+Kermar se met donc à attaquer Eve par tous les moyens de séduction que
+son nom, son audace, son esprit, sa richesse, peuvent lui fournir:
+promesses, flatterie, le plaisir et l'or, il n'épargne rien, le serpent!
+Eve cependant résiste et ne mord point à cette pomme. Tandis que le
+combat s'engage, Caprice, obligée par Kermar de servir Eve à genoux, a
+tenté de l'empoisonner; mais le crime avorté; Caprice prendra plus tard
+sa revanche.</p>
+
+<p>Ce n'est pas seulement la vertu d'Eve que Kermar a pour adversaire, mais
+encore le ressentiment de Daniel, arrivé à Québec et réclamant sa fille,
+mais les remontrances du vieux duc de Kermar, pauvre vieillard dont la
+raison est affaiblie par le chagrin et le malheur. La passion de Kermar
+se raidit contre cette double attaque de deux pères irrités; il traite
+Daniel comme un quaker, et lui ferait volontiers crever les yeux,
+suivant son habitude; quant au vieux duc, il le chasse de sa maison.
+Oui, le fils chasse son père!</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/004.png"><br><b>
+Théâtre-Français.--Première représentation d'<i>Eve</i>.--Le<br>
+marquis de Kermar, Firmin; Rosemberg, Brindeau; Dapremire, Mirecourt;<br>
+Eve, mademoiselle Plessis; Caprice, Mélingue.</b></p>
+
+<p>Daniel aura recours au gouverneur de Québec, et lui demandera justice.
+Que m'importe? dit Kermar; et il arme ses esclaves pour défendre son
+château et repousser toute attaque de la force publique.</p>
+
+<p>Vous le voyez, Kermar est arrivé au paroxysme de la passion et de la
+violence. Maintenant rien ne le retient plus; qu'Eve se prépare à subir
+enfin la défaite. Quoi donc? Kermar recule encore! l'ange intimide le
+démon! Pour étouffer cette hésitation de sa conscience, Kermar cherche à
+réveiller son audace à la flamme d'une liqueur brûlante, et tout
+chancelant, le voici qui frappe violemment à la porte d'Eve. En est-ce
+fait, ô douce brebis, et seras-tu dévorée par ce tigre furieux'?</p>
+
+<p>Tout à coup la scène change, le tigre apaise ses rugissements et devient
+doux comme un agneau sans tache. Qui produit cette conversion dans le
+c&oelig;ur de Kermar? qui fait un saint d'un damné? la nouvelle subite de la
+mort de sa mère. Ce trépas inattendu, cette disparition rapide de sa
+mère, qu'il aimait, jette au c&oelig;ur de Kermar la crainte et le doute; il
+interroge sa vie passée, il se juge et se condamne. Aussitôt commencent
+le repentir et la pénitence: Kermar appelle Daniel pour lui demander
+pardon et lui remettre sa fille; il se prosterne humblement aux genoux
+du vieux duc, son père, qu'il avait outragé et chassé; il rend la
+liberté à ses esclaves, qu'il traitait avec l'inhumanité, d'un bourreau;
+Kermar fait plus encore, pousse le repentir jusqu'à l'humiliation,
+souffre l'injure sans se plaindre, et refuse un duel, au risque d'être
+traité de lâche, lui, l'intrépide, le terrible Kermar! Après quoi, ce
+persécuteur des quakers se fait quaker lui-même pour achever
+l'expiation.</p>
+
+<p>Qu'est devenue Eve, cependant? Eve, pour se mettre à l'abri des
+poursuites de Kermar et se défendre, contre son propre c&oelig;ur, Eve s'est
+confiée à Caprice; alors la jalouse Caprice a si bien fait que, sous
+prétexte de sauver Kermar d'un grand danger, elle a entraîné Eve dans
+une démarche qui, laissant au fond sa vertu intacte, la déshonore par
+l'apparence. Caprice est vengée: Eve lutte vainement contre cette
+prévention de l'opinion publique. Elle s'enfuit pour se dérober à cette
+honte imméritée, tandis que Kermar se met à la tête des insurgés
+américains, pour rendre utile une vie jusque-là nuisible, pour laver son
+passé par un présent et un avenir glorieux.</p>
+
+<p>Plus tard, Eve et Kermar se retrouvent; Eve, devant le tribunal des
+quakers ses frères, sous le poids d'une accusation d'impudicité; Kermar,
+au contraire, victorieux et triomphant. Les Américains le nomment leur
+sauveur, et les quakers le choisissent pour leur suprême juge. Triste
+mission! car c'est Eve que Kermar doit juger! Les faits attestés par
+Caprice; entraîneront la condamnation de l'innocente Eve. Daniel se
+désespère; Kermar fait comme Daniel; mais, Dieu merci, Eve trouve enfin
+le moyen de se justifier. Ce moyen lui est fourni par l'étourdi même qui
+l'a compromise, par un certain marquis de Rosemberg, que nous n'avons pu
+pincer dans notre récit, attendu qu'il joue, dans la dame de Gozlan, un
+rôle assez, considérable, il est vrai, mais tout à fait en dehors de
+l'action principale.</p>
+
+<p>Pour aller droit au fait, et c'est là un point difficile dans un drame
+tellement compliqué de hors-d'&oelig;uvre romanesques, il a donc fallu mettre
+de côté ce Rosemberg, venu tout exprès de France, sur la réputation de
+Kermar, pour lutter avec lui de folies, le provoquer en duel et lui
+enlever ses maîtresses; il a fallu passer sous silence les compagnons de
+débauche de Kermar, leurs insolences, leurs orgies, leurs duels, mille
+fantaisies cruelles et bizarres de Kermar lui-même, mille récits
+merveilleux, mille incroyables aventures, les surprises, les mystères et
+les reconnaissances dont le drame de M. Gozlan est surabondamment
+pourvu.</p>
+
+<p>Ce luxe de détails infinis, qui se croisent et se débattent dans les
+ténèbres, est le grand vice de l'ouvrage; il est plein d'inventions mais
+d'inventions pêle-mêle accumulées; l'esprit y abonde, mais il va jusqu'à
+l'excès, et déborde souvent en images prétentieuses, fausses et de
+mauvais goût. Que vous dirai-je? il y a là plus de richesses qu'il n'en
+faut pour faire une pièce; mais c'est l'ordre, le goût, la clarté, la
+logique, l'ensemble, qui manquent à ces éléments épais.</p>
+
+<p>Le public n'a pas laissé M. Gozlan sans conseils et sans avertissements;
+toujours prêt à applaudir les scènes spirituelles et intéressantes, il
+s'est montré sévère et juste aux fautes de railleur. Les deux derniers
+actes se sont achevés au milieu de la tempête; mais c'est un de ces
+naufrages qui n'engloutissent ni le vaisseau ni l'équipage: <i>Eve</i>, par
+ses bizarreries même, excita la curiosité, et la curiosité est
+très-proches parente, d'un succès.</p>
+
+<p>Le théâtre a fait de grands frais de costumes et de décors. Tous les
+acteurs ont joué loyalement et bravement; il faut citer entre les plus
+habiles mademoiselle Plessis, M. Firmin et M. Ligier.</p>
+
+<p>Quelques jours avant, madame Ancelot faisait aussi son petit roman, bien
+que madame Ancelot ait certainement cru faire de l'histoire. C'est une
+des plus nobles et des plus touchantes figures de la Révolution
+française que madame Ancelot a choisie pour sujet à son élucubration
+romanesque; j'ai nommé madame Roland.</p>
+
+<p>Nous voyons d'abord madame Roland, qui n'est encore que Manon Philipon,
+chez le duc d'Oronne; déjà Manon est possédée de l'amour de la liberté;
+à cet amour sérieux se mêle un autre amour, un tendre penchant pour
+Barbaroux. C'est au milieu de ces rêves que la Révolution les surprend
+tous deux; et tous deux saluent du plus ardent de leur âme cette grande
+union: d'une ère immense.</p>
+
+<p>Plus lard, Manon Philipon devient madame Roland, et Barbaroux met, comme
+membre de la Convention, son éloquence au service de la cause nationale.
+Femme du ministre de l'intérieur, madame Roland emploie son autorité,
+d'une part à défendre la patrie, de l'autre à adoucir le sort des
+proscrits que frappe le malheur des temps.</p>
+
+<p>Peu à peu la tempête révolutionnaire menace toutes les têtes, et ne
+respecte pas même les plus dévouées et les plus patriotes; nous
+retrouverons Barbaroux et madame Roland à l'Abbaye, marchant à
+l'échafaud d'un pas héroïque.</p>
+
+<p>Ce sujet, simple en apparence, est noyé dans une foule d'épisodes qui
+l'alanguissent et lui donnent tous les caractères d'une &oelig;uvre de
+fantaisie, sous prétexte de la Révolution.--Peut-être serait-il mieux de
+ne pas jouer ainsi avec de tels événements et de tels hommes, et de ne
+point les rapetisser jusqu'au vaudeville. Il y a cependant des mots
+spirituels et quelque intérêt dans cette pièce, quoique, l'effet en soit
+bien sombre pour un théâtre habitué aux chansons. (Le Vaudeville a tort
+de <i>toucher à la hache</i>.)</p>
+
+<br><br>
+
+<h2>Misère Publique.</h2>
+
+<p>L'hiver approche: pour le riche c'est la saison du luxe et des plaisirs,
+pour le pauvre c'est celle du dénûment et des plus rudes souffrances.
+Mais comme c'est le temps aussi où, de toutes parts, les magistrats
+municipaux et les bureaux de bienfaisance font appel aux hommes heureux
+pour qu'ils viennent en aide aux indigents, nous croyons que c'est le
+moment de dresser une statistique de la misère.</p>
+
+<p>D'après le recensement fait en 1841, le chiffre total des individus
+recueillis en France par les hospices et hôpitaux se montait à 93,335.
+Mais la division de ces malheureux entre les départements ne saurait
+rien prouver quant à la misère proportionnelle, qui y règne. En effet,
+nous voyons dans ces tableaux qu'en général ce sont précisément les
+départements où il y a le plus d'aisance qui, ayant trouvé le plus
+facilement des ressources pour fonder de grands établissements de
+charité et pour secourir la misère sur une plus large échelle,
+fournissent le chiffre le plus élevé; tandis que les autres départements
+qui n'ont pu recourir aux mêmes moyens, quoique la misère y soit plus
+grande, fournissent nécessairement et malheureusement un chiffre moins
+considérable à la statistique ministérielle. Ce document ne prouve donc
+pas plus que ces autres calculs qui établissent que, dans le département
+du Nord, sur 6 habitants on en compte un qui a besoin d'être secouru,
+tandis que, dans la Creuse, il ne se trouve qu'un pauvre sur 58
+personnes. Ces chiffres fussent-ils exacts, on aurait à se demander si
+la situation des 57 habitants de la Creuse considérés comme non
+indigents parce qu'ils ne sont pas secourus, leur permettrait, alors qu
+ils y seraient portés, de venir aussi efficacement en aide à l'indigent
+qui est à côté d'eux que la situation des 5 citoyens aisés du Nord leur
+permet d'adoucir la position de leur concitoyen pauvre. Il est évident
+que des associations de secours mutuels entre travailleurs, qu'une
+meilleure réglementation du travail modifierait bien promptement la
+proportion dans ce dernier département. Mais quelles nombreuses et
+quelles lentes améliorations ne faudra-t-il pas pour que la proportion
+donnée ne soit plus mensongère dans les départements pauvres du centre,
+et de quelques autres parties de la France?</p>
+
+<p>A Paris la situation est mieux constatée, et les chiffres ont une
+signification plus réelle. Nous ne nous occuperons pas aujourd'hui de la
+partie de la population qui est traitée et recueillie dans les hôpitaux
+et les hospices. Il y a là tout un travail à part que nous nous
+proposons bien d'entreprendre, mais quant à présent nous ne supputerons
+que la population indigente secourue à domicile par les bureaux de
+bienfaisance.</p>
+
+<p>En 1841, dernier exercice, sur lequel l'administration ait publié son
+travail de compte-rendu, 29,282 ménages indigents ont été secourus. Ce
+chiffre se décompose ainsi:</p>
+
+<pre>
+ Ménages ayant reçu des secours temporaires. 10,424
+ -- -- des secours annuels ordinaires. 14,383
+ -- -- Octogénaires, l,223 }
+ -- -- Septuagénaires. 1,962 }
+ -- -- Aveugles. 1,054 } 4,475
+ -- -- Paralytiques. 236 }
+
+ Total égal. 29,282
+</pre>
+
+<p>Ce nombre était de 30,361 en 1829, de 31,723 en 1832, de 28,969 en
+1935,et de 26,936 en 1838. Ainsi, malgré l'augmentation constante de la
+population, le nombre des indigents avait constamment décru depuis 1832,
+époque à laquelle le commerce et l'industrie commencèrent à prendre du
+développement, jusqu'en 1838, année de leur apogée. C'est à la fin de
+cette dernière année qu'on vit commencer la crise à l'influence de
+laquelle le commerce n'a pas échappé depuis, et dont l'un des effets a
+été d'augmenter le nombre des indigents de près d'un dixième.</p>
+
+<p>Les 29,282 ménages secourus en 1841 comprenaient 66,487 individus. Ils
+étaient plus surchargés de famille que ceux de 1829, car à cette
+dernière date, quoique le chiffre des ménages fût plus élevé de. 1,079,
+le nombre des individus secourus était moindre de 3,782.</p>
+
+<p>Les chefs de ménages indigents se classaient de la manière suivante:
+mariés, 11,917; veufs, 10,408; femmes abandonnées, l,898. On y ajoutait
+ensuite: célibataires adultes, 4,496; célibataires orphelins, 563.</p>
+
+<p>Sur les 29,282 chefs de ménage secourus, 15,250 ont moins de soixante
+ans; 14,052 ont dépassé cet âge. On y compte un seul centenaire.</p>
+
+<p>Le loyer des lieux qu'occupent ces ménages secourus est, pour 5,399
+d'entre eux de 50 fr. et au-dessous; il est de 51 à 100 fr. pour 12,680;
+de 101 à 200 fr. pour 5,684; de 201 à 300 fr. pour 187; de 301 à 400 fr.
+pour 13; au-dessus de 400 fr. pour 2 seulement. 3,003 sont logés à titre
+gratuit, et 2,317 le sont comme portiers.</p>
+
+<p>Dans les 29,282 ménages, 15,495 ont pour chefs des hommes. Nous ne
+donnerons pas la répartition du nombre entier entre les diverses
+professions, mais nous indiquerons le chiffre pour lequel quelques-unes
+y figurent. En le faisant, nous n'avons pas la prétention de fournir des
+éléments de calculs sur l'aisance et les ressources de telle profession
+comparée à telle autre; la statistique ne fait souvent que complaire à
+la curiosité, elle tombe dans le ridicule quand elle a la prétention de
+l'éclairer toujours, et nous n'imiterons pas Parent-Duchatelet dans son
+livre sur les femmes dégradées, qui, prenant à coup sûr quelque
+exception que nous voulons ignorer pour un des éléments de ses calculs,
+dit que, dans une période de temps qu'il détermine, sur tel nombre de
+ces malheureuses qui finissent par se marier, il y en a une qui épouse
+un membre du Conseil d'État.</p>
+
+<p>Nous remarquons d'abord sur le tableau général que cinq états qui,
+précédemment, comptaient des indigents secourus, n'en ont point eu en
+1841: ce sont les albâtriers, les arroseurs, les ciriers, les lamineurs
+et les cimentiers.--Les affineurs, apprêteurs de draps, artificiers,
+batteurs d'or, charcutiers, chocolatiers, décatisseurs, égouttiers,
+facteurs, machinistes, pédicures, satineurs, n'en ont compté qu'un seul
+chacun.--Nous remarquons encore, dans les professions où il y a eu peu
+d'indigents à secourir ou du moins secourus, les bandagistes, les
+brodeurs en or, les dentistes, les estampeurs, les frangiers, les
+interprètes, les lapidaires, les mouleurs en plâtre, les parcheminiers,
+les parfumeurs, les sertisseurs, qui n'y figurent chacun que pour
+deux:--les artistes dramatiques, les chantres de paroisse, qui y sont
+portés chacun pour trois.</p>
+
+<p>Les dessinateurs fournissent quatre indigents; les libraires et
+bouquinistes, six; les compositeurs d'imprimerie, pour lesquels le
+travail est cependant fort inégal, mais qui ont eu le bon esprit
+d'entrer largement dans la voie des caisses de secours mutuels, dix,
+chiffre bien peu élevé en raison de leur grand nombre; les graveurs,
+quinze; les relieurs, vingt-quatre. Quant aux imprimeurs en caractères,
+dont l'emploi des machines a diminué sensiblement les garanties
+d'occupation, cent trente-neuf ont été dans la nécessité de recourir aux
+secours.</p>
+
+<p>Vingt-sept tambours se sont trouvés dans la même situation.</p>
+
+<p>Dans les chiffres dépassant la centaine, nous trouvons: les
+charpentiers, 111; les tourneurs, 119; les chiffonniers, 122; les
+fileurs de coton, laine et soie, 124; les tisserands, 129; les
+terrassiers, 130; les savetiers, 131; les anciens domestiques, 132; les
+charretiers, 140; les anciens employés et écrivains, 140; les
+man&oelig;uvres, 140; les balayeurs, 149; les corroyeurs, tanneurs,
+mégissiers et peaussiers, 156; les cochers, 171; les porteurs d'eau,
+189; les ébénistes, 192; les bonnetiers, 197; les peintres, vitriers et
+colleurs, 278; les maçons, 300; les serruriers, 333; les menuisiers,
+406; les tailleurs d'habits, 477; les marchands revendeurs, 778; les
+cordonniers, 880; les commissionnaires et hommes de peine, 1,429; les
+portiers (hommes), 1,283; les journaliers, 1,805; les individus sans
+état, 1,982.</p>
+
+<p>Le rapport de la population indigente à la population générale de Paris
+a été, en 1841 (prenant pour cette dernière le résultat du recensement
+de 1836), de 1 sur 13 habitants 307 millièmes. Voici le rapport dans les
+arrondissements:</p>
+
+<pre>
+ Dans le 2e, 1 indigent sur 33 habitants 705 millièmes.
+ -- 3e, 1 - 27 - 152
+ -- 10e, 1 - 19 - 172
+ -- 1er, 1 - 17 - 985
+ -- 5e, 1 - 17 - 951
+ -- 7e, 1 - 17 - 624
+ -- 11e, 1 - 16 - 180
+ -- 6e, 1 - 15 - 904
+ -- 4e, 1 - 13 - 756
+ -- 9e, 1 - 8 - 427
+ -- 8e, 1 - 6 - 597
+ -- 12e, 1 - 6 - 235
+</pre>
+
+<p>Les recettes faites par les bureaux de bienfaisance sont le produit
+d'une subvention de l'administration des hospices, de legs et donations,
+de dons, collectes et souscriptions (en 1841. 259.549 fr.); des troncs
+et quêtes dans les églises (27,692 fr.); de représentations théâtrales,
+bals et concerts (9,682 fr.), et d'autres fonds généraux et spéciaux.</p>
+
+<p>Leur dépense a été, en 1841, de l,361,635 fr. Le douzième arrondissement,
+le plus chargé d'indigents, est entré dans ce chiffre pour 244,323 fr.
+C'est presque toujours en objets d'habillement et de coucher, en pain,
+en viande, en bouillon et comestibles, en médicaments, en combustibles,
+que ce budget de bienfaisance est dépensé. Les secours en nature sont
+démontrés par l'expérience être bien préférables aux recours en argent.
+Cependant, ceux-ci étant parfois indispensables, 95,811 fr. ont été
+distribués en espèces.</p>
+
+<p>Que les caisses de secours mutuels se multiplient, car il est plus digne
+de s'assurer contre le besoin que de demander aide à la bienfaisance
+publique; que l'ouvrier soit prévoyant quand il est occupé; que les
+maîtres, comprennent que si la Société regarde leurs coalitions comme
+moins dangereuses que celles des travailleurs, la morale ne les
+considère pas comme moins coupables; que le gouvernement, par des
+traites de commerce bien entendus, imprime à l'industrie, une active
+impulsion; enfin, que la chanté s'accroisse, car la misère n'a pas
+diminué, et les bureaux de bienfaisance, outre qu'ils ont eu à secourir,
+dans l'année qui vient de servir de base à nos calculs, 66,487
+individus, auraient eu besoin d'autres ressource encore pour vaincre la
+réserve souvent suicide de pauvres honteux qu'on D'estime pas à moins de
+15,000.</p>
+
+<br><br>
+
+<h2>Une Bouteille de Champagne.</h2>
+
+<h3>Nouvelle.</h3>
+
+<p>Par une sereine matinée de printemps, le bandit Shinderhannes était
+couché sur l'herbe, aux pieds de Julie Blasius, le long de cette
+magnifique sapinière qui couronne le monastère d'Eberbach, au-dessus de
+Kiedrich, dans le duché de Nassau. De ce belvédère, on voyait le
+Rhingau, festonné de vignobles, se perdre au sein d'un horizon de
+châteaux, et le soleil levant dorer à la fois Johannisberg et Mayence.
+Dans les clairières de la forêt, non loin du chef, sommeillaient çà et
+là, par groupes rares et pittoresques, ses plus braves compagnons,
+Moïse, Picard, Jik-Jak, Crevelt, Zaghetto, Pierre le Noir, tous fameux
+dans la chronique du mont Taunus, tous redoutés depuis les bords de la
+Moselle jusqu'aux landes de Hanovre. Shinderhannes lisait <i>Werther</i>,
+dont la réputation était encore naissante, et Julie Blasius, jeune fille
+de Zerbst, prisonnière de la bande, dont le capitaine voulait faire sa
+maîtresse, écoutait la voix du bandit, tout en effeuillant avec
+distraction une branche de saule.</p>
+
+<p>«Julie, dit le jeune homme en interrompant sa lecture, vous avez bien
+tort d'exiger que je vous lise ce roman jusqu'à la dernière page; il ne
+peut se terminer que par une catastrophe. Je vous le conseille
+franchement, arrêtons-nous là. Ce sera comme un amour où le début est
+toujours si beau...</p>
+
+<p>--Qu'on presse toujours le dénouement, n'est-ce pas? Mon cher capitaine,
+lisez, je vous prie. Un roman ne m'épouvante guère.</p>
+
+<p>--C'est un peu bien volontaire pour une captive, madame.</p>
+
+<p>--Vous trouvez?»</p>
+
+<p>Mais elle lâcha la branche de saule, se mit à boucler les blonds cheveux
+du bandit, et Shinderhannes, ému, reprit son livre en rougissant de
+plaisir.</p>
+
+<p>«Du reste, peu m'importe, dit-il à voix basse; vos yeux ne seront que
+plus beaux s'ils viennent à pleurer. Où donc en étais-je?</p>
+
+<p>--Vous me disiez qu'au plus beau moment du succès de <i>Werther</i>, ayant un
+jour rencontré sur le Hundsruck la jeune femme de Brunswick qui servit
+de modèle à la Charlotte de Goethe, un accès de fureur vous prit, et
+qu'en mémoire de tout ce que son amant avait souffert pour elle, vous
+eûtes un instant la singulière envie de la tuer.</p>
+
+<p>--C'est vrai, reprit Shinderhannes en laissant rouler le livre jusqu'au
+fond du précipice; mais cette envie, je me la suis passée, ajouta-t-il
+avec un regard sombre que Julie soutint sans émotion apparente. Comme ce
+livre immortel vient de rouler dans l'abîme, de même Charlotte y
+disparut elle-même. Je saisis la malheureuse femme par les cheveux,
+qu'elle avait longs et noirs comme vous, je lui ordonnai de recommander
+son âme à Dieu, et je la traînai sur le revers de la montagne; là, je
+soulevai son corps frêle et délicat, je murmurai le nom de son amant, je
+balançai longtemps au-dessus du gouffre ses membres déjà glacés
+d'épouvante, puis tout m'échappa...</p>
+
+<p>--Et Charlotte roula dans le précipice? dit Julie.</p>
+
+<p>--Oui, ma belle; et si j'avais pu rendre en même temps la vie à Werther,
+j'eusse retiré sa maîtresse du gouffre, car il était affreux de la voir
+déchirée par les ronces, tendant ses bras nus, criant et luttant contre
+la cascade qui l'emportait dans le Rhin.</p>
+
+<p>--Et qu'ont-ils dit, vos hommes?</p>
+
+<p>--Je les ai conduits au siège d'un monastère, nous avons battu la porte
+en brèche avec un crucifix, les nonnes leur ont verse à grands verres du
+Beste-Grog, et ils n'ont rien dit.</p>
+
+<p>--Ce sont des lâches! Moi, je vous eusse appelé homicide; moi, j'eusse
+arraché le poignard qui dort à votre ceinture, et il y aurait eu deux
+victimes pour le succès d'un roman.»</p>
+
+<p>Le bandit Shinderhannes se mit à rire, et prenant la branche de saule,
+l'effeuilla tranquillement à son tour.</p>
+
+<p>«Picard! s'écria-t-il bientôt en voyant un de ses lieutenants grimper
+vers lui à travers les sapins, veillez aux français et faites relever
+les sentinelles. Je vais fumer une pipe.»</p>
+
+<p>Les gendarmes de Mayence, à cette époque poursuivaient la horde du
+bandit jusque sur le territoire hanovrien; Napoléon et la Prusse
+(C'était en 1802) s'entendaient parfaitement à cet égard. L'association
+des brigands de Hundsruck avait été en partie le résultat des guerres
+entreprises par les Français pour l'occupation de la Hollande, de la
+Belgique et des États qui forment aujourd'hui le grand-duché du
+Bas-Rhin. Fondée d'abord par une famille israélite de Windshoot, près de
+Groningue en Hollande, elle profitait des guerres de la Révolution pour
+étendre dans le nord de l'Allemagne sa formidable et mystérieuse
+puissance. On n'entendait parler depuis Bruxelles jusqu'au Hartz que de
+Juifs étranglés, de châtelains rançonnés, même de villes emportées
+d'assaut; les paysannes du mont Joie ne descendaient plus sur la Roër
+pour vendre leurs &oelig;ufs au marché d'Aix-la-Chapelle, sans péril de mort,
+et les amateurs qui voyagent à pied pour tâter le crâne de Charlemagne à
+Cologne ou croquer sur leurs albums le vaisseau de la cathédrale de
+Mayence, hésitaient longtemps à franchir les Ardennes, dont le <i>hibou</i>
+Shinderhannes gardait le défilé.</p>
+
+<p>C'est en visitant le <i>Dos du Chien</i> (Hundsruck), chaîne où maintenant
+errait sa bande, que Shinderhannes rencontra Julie Blasius. Vertueuse et
+dévote, cette femme résolut de dompter le brigand, et, comme il en était
+fou, de convertir l'homme par l'amour. Elle résistait à sa passion, elle
+voulait un mariage, elle exigeait surtout que son amant renonçât à
+braver la potence, et en quelque sorte prit une retraite. Mais, en
+attendant, Julie ne partageait pas moins la dangereuse vie de
+Shinderhannes; elle s'habillait en homme, galopait dans les forêts, se
+battait même avec les gendarmes. Tantôt, sous les titres et avec les
+grâces d'une comtesse, elle donnait le ton aux habitués des eaux de
+Wiesbaden, jetait l'argent par la fenêtre, et présentait le bandit dans
+les salons sous l'incognito d'un baron suédois; tantôt, coiffée de la
+toque à la hussarde et la carabine sur l'épaule, elle remontait
+lestement à pied les sentiers du Taunus, et jonchait la route, avec sa
+blanche main, de ces branches d'arbre qui étaient le doigt indicateur et
+les pierres miliaires des brigands.</p>
+
+<p>«.... Et Charlotte roula dans le précipice!» répétait Julie en se
+promenant sous les sapins. Peu à peu elle devint pensive, ses regards se
+fixèrent sur l'herbe, son visage pâlit, et elle resta longtemps dans
+cette absorbante immobilité du corps si complète et si lourde qu'on
+dirait que l'âme a doucement quitté son étui et que la chair, au lieu
+d'un être vivant, n'est plus qu'une chose, que néant ou rien; seulement,
+par intervalles, de la bouche de marbre de Julie, tombaient encore ces
+paroles sinistres:</p>
+
+<p>«Et Charlotte roula dans le précipice!»</p>
+
+<p>Cette rêverie dura près d'une heure. En relevant la tête. Julie vit
+debout, en face d'elle et dans une attitude mélancolique, le lieutenant
+Picard. Français d'origine, ancien soldat de Frédéric, un de ces
+aventuriers cosmopolites qui n'ont ni fortune, ni famille, ni patrie,
+mais auxquels l'audace tient ordinairement lieu de tout, Picard aimait
+secrètement Blasius. Elle s'en était aperçue; elle lui dit:</p>
+
+<p>«Picard, j'ai soif; je voudrais bien boire un verre de ces vins de
+France dont vous nous parlez si souvent.</p>
+
+<p>--Du bordeaux, madame:</p>
+
+<p>--Non, lieutenant Picard. Lorsque j'étais femme de chambre de la
+princesse d'Anhalt, je ne buvais que ce vin-là. Je voudrais un verre de
+Champagne.</p>
+
+<p>--Les dernières bouteilles, par malheur, ont été bues hier.</p>
+
+<p>--Par malheur, dites-vous, lieutenant? rien n'est plus vrai, car
+j'échangerais tous mes cachemires contre un verre de vin de Champagne;
+cherchez, je vous prie.»</p>
+
+<p>La belle Allemande accompagna cet ordre d'un regard si doux, que Picard
+disparut comme un chat sauvage entre les sapins; mais, au bout ce dix
+inimités, il revint à pas lents et aussi morne que s'il eût manqué de
+tuer un riche abbé du Rhin.</p>
+
+<p>«J'ai cherché, madame; il ne reste pas une seule bouteille de Champagne.
+Madame veut-elle du tokai?</p>
+
+<p>--Madame veut du vin de France, et elle veut du Champagne, répondit la
+compatriote de Catherine II avec un geste impérieux et un regard
+étincelant; m'entendez-vous.»</p>
+
+<p>Le lieutenant fut interdit. Au bruit de la querelle, Shinderhannes
+sortit de sa tente, la pipe à la bouche. C'était moins un brigand qu'un
+dandy, lui brigand, il avait l'&oelig;il dur et le visage mobile, la
+moustache démesurée, la veste de hulan, le poignard classique et la
+paire convenue de pistolets à la ceinture; rien du dandy, il avait les
+cheveux blonds et bouclés, les mains charmantes, des bottines rouges, un
+esprit séduisant, la plus jolie voix de ténor, et cette beauté mâle qui
+ameutait sur ses pas les jeunes filles de l'Eifel et du Lousberg comme
+au spectacle de quelque dieu terrestre du meurtre et de la volupté.
+C'était la plus poétique réalisation du héros de Schiller. D'ailleurs,
+l'amant de Julie n'avait pas vingt-deux ans. Né en 1779, à Nastatten,
+d'une famille obscure et misérable, Shinderhannes fut publiquement
+fouetté dans son enfance, et ce châtiment ignoble, qui fit de
+Jean-Jacques Rousseau un grand homme, exaspéra tellement le jeune Belge,
+qu'il résolut de se venger jusqu'à son dernier soupir, et par une guerre
+implacable, de l'affront qu'il avait reçu de la société. Les plus grands
+crimes, souvent, n'ont pas d'autre prétexte.</p>
+
+<p>«Quel est ce bruit? demanda Shinderhannes en regardant Julie et Picard.</p>
+
+<p>--C'est monsieur, dit Blasius, qui m'offre du tokai, quand je lui
+demande du champagne.</p>
+
+<p>--Capitaine, s'écria Picard, ému de l'accusation, vous savez mieux que
+moi si j'ai tort. Vous avez bu vous-même hier la dernière bouteille
+d'épernai.</p>
+
+<p>--Eh bien! reprit fièrement la jeune femme, qu'on aille en chercher dans
+la plaine!</p>
+
+<p>--Où donc? fit le brigand avec un sourire.</p>
+
+<p>--A Mayence, parbleu! Ne sommes-nous pas à deux lieues de Mayence?</p>
+
+<p>--On me les enverrait déboucher à la potence, vos bouteille? de
+Champagne. Belle Julie, est-ce votre désir?</p>
+
+<p>--Mon désir est de boire du Champagne; je n'en si pas d'autre.</p>
+
+<p>--Vos désirs, madame, reprit sévèrement le bandit, ne sont pas plus
+raisonnables que votre mémoire. Ne vous rappelez-vous déjà plus
+l'histoire de Charlotte? Je sais punir même les jolies femmes qui ont
+des caprices. Dans le <i>Dos du Chien</i>, je suis le seul maître après Dieu.</p>
+
+<p>--Après Dieu et avant le crime,» dit hardiment Blasius. Picard recula
+épouvanté: la lame du poignard brillait dans la main droite du
+capitaine. Shinderhannes, de la main gauche, saisissant Julie par les
+cheveux, la courba jusqu'au ras de l'herbe aussi facilement que si c'eût
+été une tige de coudrier.</p>
+
+<p>«Demande grâce, fille du démon!</p>
+
+<p>--Non,» répondit-elle.</p>
+
+<p>Aussitôt le cachemire qui couvrait ses épaules vola dans l'air, et
+l'acier du stylet sillonna comme un éclair la peau satinée de son
+admirable poitrine.</p>
+
+<p>«Capitaine! s'écria Picard en tombant à genoux.</p>
+
+<p>--Monsieur, lui dit rudement le chef, pour un soldat blanchi sous le
+harnais du grand Frédéric, vous êtes bien délicat! Je n'aime pas les
+âmes sentimentales sur le Hundsruck; en littérature et dans les romans
+de Goethe, c'est différent. A la prochaine course en plaine, vous
+resterez à Mayence. Si Bonaparte vous fait pendre, tant pis pour vous.»</p>
+
+<p>A ces mots, Shinderhannes remit la lame dans le fourreau, et tira un
+coup de pistolet en l'air. Les camarades de Picard, à ce signal, s'étant
+approchés du chef, reçurent l'ordre de désarmer le vieux Français, de ne
+plus lui parler, de ne rien lui offrir de sa part du butin de la veille,
+et, pour tout dire enfin, de le traiter aussi ridiculement que possible,
+en honnête homme. Alors le bandit tourna le dos à sa bien-aimée, reprit
+tranquillement sa pipe, et on n'entendit plus dans les sapins que le
+froissement de la fougère sous le talon des bottines des sentinelles.</p>
+
+<p>Cependant la pointe de l'arme, en courant avec adresse sur le cou de
+Julie, y avait tracé comme le cercle d'un collier rouge qu'on aurait, à
+distance, juré de corail. Elle remit son cachemire en frissonnant de
+douleur et de rage. A ce moment il était midi. La masse irrégulière et
+confuse des édifices du couvent d'Eberbach, avec leurs flèches élancées,
+leurs voûtes légères, leurs aiguilles gothiques et leurs toits en
+étages, dont la plus grande partie remonte au douzième siècle, se
+dressait à l'ombre du feuillage dans le silence de la forêt et dans la
+chaleur du jour. Le dernier et le plus considérable des six monastères
+fondés en 1431 par saint Bernard (Tiefenthal, Gollersthal, Eberbach,
+Erbinges, Nothgottes et Marienhausen), cette sainte maison, composée
+d'un palais et d'une église liés par des colonnades du style byzantin,
+n'offre partout, dans ses bas-reliefs comme dans ses lignes
+d'architecture les plus saillantes, pour type unique du symbole de ses
+origines, que la figure multipliée du cochon, qui signala, dit la
+chronique, à saint Bernard lui-même les endroits de la plaine où le
+fondateur trouverait de la pierre. Cette image burlesque, toutefois,
+n'ajoutait rien à la gaieté sombre du cloître dont quelques moines
+grossiers, respectés encore même en 1805 par le duc de Nassau, ouvraient
+humblement la retraite aux condottieri de Shinderhannes. Transformé
+aujourd'hui en hospice pour les fous, Eberbach préludait à cette
+destinée bizarre en abritant pêle-mêle des religieux et des bandits. Ce
+qui achevait ce tableau digne de Salvador Rosa, c'était la pesanteur de
+l'atmosphère, où l'oiseau ne chantait plus, où l'air se parfumait
+d'arômes résineux, où la magnifique ardeur du soleil ne rappelait
+qu'avec plus d'effroi, vis-à-vis du monastère, le meurtre sacrilège de
+Charlotte. Les murmures de la cascade, rendus plus imposants par l'écho
+de la cloche des moines, semblaient lutter encore contre les plaintes de
+son agonie. Blasius laissa lentement glisser ses pieds sur la mousse et
+descendit ainsi près du torrent, comme pour mieux prêter l'oreille aux
+derniers cris de la jeune fille.</p>
+
+<p>Tristement appuyé contre le mur du portail, au-dessous de la statue
+colossale de saint Bernard, et les regards tournés vers le Rhin, Picard
+attendait là, sous la surveillance d'un poste avancé, que l'heure la
+plus favorable de la nuit eût ramené pour la bande celle du combat et
+naturellement aussi l'heure de son départ. A la vue de Julie, ses yeux
+se mouillèrent de larmes.</p>
+
+<p>«Picard, lui dit la prisonnière en se penchant au-dessus du précipice,
+n'entendez-vous pas comme moi gémir l'âme de Charlotte au fond de
+l'abîme?</p>
+
+<p>--Hélas! madame, le crime était trop grand pour que cet étrange tombeau
+restât muet! La jeune fille tuée par le capitaine Shinderhannes n'était
+pas la Charlotte de <i>Werther</i>.</p>
+
+<p>--Vous m'épouvantez!</p>
+
+<p>--Il avait connu à l'université, de Goettingen l'abbé J..., héros de
+l'aventure dont Goethe a raconté les principales circonstances dans son
+livre. L'abbé J... fut le seul ami de Shinderhannes. Quand il se brûla
+la cervelle, notre capitaine, exalté, jura que la première femme qui
+s'offrirait à sa rencontre dans le <i>Dos du Chien</i> paierait pour la
+mémoire de son ami. Par bonheur vous ne fûtes, madame, que la seconde;
+mais Shinderhannes avait déjà tenu son serment, et la première, une
+pauvre laitière de Kiedrich, y a passé...</p>
+
+<p>--De quoi parlez-vous donc ensemble?» demanda à cet instant une voix
+rauque dont les intonations semblaient tomber du ciel.</p>
+
+<p>Julie et Picard se retournèrent avec surprise... Le capitaine, sortant
+de la grande cour du monastère, s'était avancé doucement et il les
+regardait causer, du haut d'un tertre, avec cette tranquillité sinistre
+qui, dans une âme jalouse comme était la sienne, laissait pressentir de
+terribles orages.</p>
+
+<p>«Nous parlons, dit Blasius avec son intrépidité ordinaire, des
+gémissements qui s'élèvent, comme des lamentations funèbres, comme des
+accusations solennelles, du fond du précipice.</p>
+
+<p>--Il paraît, reprit Shinderhannes d'un ton ironique, que votre
+interlocuteur aime singulièrement les beautés de la nature. Voici deux
+fois que je le surprends aujourd'hui au péché d'admiration trop
+exclusive pour le paysage et pour la femme. Moi, j'ai peur des gens
+sensibles, et je les prie de rejoindre les camarades qui font des
+cartouches avec les moines dans la grotte; ce sera plus utile.»</p>
+
+<p>Picard s'éloigna, Julie se coucha sur l'herbe, où elle reprit la branche
+de saule, et le bandit continua sa promenade avec une légèreté
+apparente; mais le remords grondait enfin dans sa poitrine; il avait
+même reconnu l'horreur de son action. Ses yeux s'étaient presque
+mouillés, comme ceux de Picard, en apercevant du sang à la pointe de son
+poignard. Julie Blasius n'était-elle pas sa prisonnière, et, à ce titre,
+comme femme, n'avait-elle pas droit, même dans ses plus grandes
+inconséquences, à la pitié, au respect du bandit? Peut-être d'ailleurs
+la belle Allemande, jusqu'alors insensible aux prières de Shinderhannes,
+allait-elle enfin l'accepter pour époux, et changer son repaire en lit
+nuptial, en temple secret de bonheur! Un mouvement de colère féroce
+avait tout détruit.</p>
+
+<p>«Cette charmante Julie!» murmurait Shinderhannes.</p>
+
+<p>En en disant ces paroles, il embrassait d'un regard enflammé le corps de
+la jolie femme, mollement ramassé sur le gazon comme un cygne tapi dans
+un bouquet de fleurs. Le bandit vint tomber plutôt que s'asseoir aux
+genoux de la captive.</p>
+
+<p>«Ma chère, lui dit-il, j'ai envie, comme Werther, de me tuer.</p>
+
+<p>--Pour moi, sans doute? répondit Julie avec dédain.</p>
+
+<p>--Peut-être, reprit le bandit les yeux baissés.</p>
+
+<p>--Non, non, vous vous trompez, mon beau capitaine; il y a quelque chose
+de plus grossier dans vos passions. Si vous m'aimez, monsieur, c'est que
+le monastère d'Eberbach ne renferme qu'une femme, et cette femme, c'est
+moi.</p>
+
+<p>--Tu as raison, dit Shinderhannes en lui baisant la main; je donnerais
+Mayence, et Cologne, et Francfort, et la légende du comte Kuno, et
+<i>Werther</i> même, pour que ta bouche me rendît ce baiser. Sans la femme, ô
+Julie! le désert de l'homme est insupportable.</p>
+
+<p>--Vous avez raison, monsieur, dit à son tour Blasius. Je donnerais aussi
+et Mayence, et Francfort, et Cologne, et la légende du comte Kuno, et
+<i>Werther</i>, et vous-même, capitaine, par-dessus le marché, pour une
+bouteille de vin de Champagne. L'amour de l'homme est un désert, et Dieu
+a fait le vin de Champagne pour qu'il fût supportable à la femme.</p>
+
+<p>--Oh! ces filles d'Eve! s'écria le bandit, toujours semblables à leur
+mère! quand ce n'est pas la pomme, c'est la grappe.</p>
+
+<p>--Et notre volonté, monsieur?</p>
+
+<p>--Elle est accomplie.»</p>
+
+<p>A ces mots, Shinderhannes sonna d'un cor qu'il portait suspendu à sa
+ceinture; la forêt répéta en longs échus cet appel sinistre, auquel on
+vit bientôt répondre les brigands et les moines, qui se montrèrent
+pêle-mêle aux croisées de l'édifice.<br>
+
+<span class="rig"><span class="sc">André Delrieu</span>.</span></p>
+
+<p><i>(La fin à un prochain numéro.)</i></p><br><br>
+
+<h2>La Saint-Hubert</h2>
+
+<p>Voici la fête du bienheureux patron des chasseurs; aucun saint du
+paradis n'est fêté chaque année avec plus d'exactitude. En son honneur,
+tout homme qui sait manier un fusil, ou sonner de la trompe, se met en
+campagne, ce jour solennel, sans s'informer s'il pleut ou s'il fait beau
+temps. Le chasseur millionnaire rassemble ses parasites habitués pour
+cette solennité; s'il existe dans ses buis un superbe cerf dix cors, un
+sanglier-monstre, on le réserve pour être chassé le jour de saint Hubert.
+Le petit propriétaire invite quelques amis à l'ouverture d'un bois
+taillis où viennent des faisans du voisinage; il n'a pas voulu le
+visiter encore, car il aurait pu les effaroucher, et le jour de la
+<i>Saint-Hubert</i> ne peut pas se passer comme les autres jours. Le garde,
+vivant joui dans sa maisonnette, au milieu des bois, braconne un peu
+plus que de coutume sur les terres de son maître, car il lui faut un
+lièvre pour son dîner.</p>
+
+<p>Ainsi, dans toutes les classes de chasseurs, on fait ce jour-là ce qu'on
+n'a pas fait la veille, ce qu'un ne fera pas le lendemain. La
+<i>Saint-Hubert</i> ne se sonne que le jour de saint Hubert; un chasseur se
+ferait siffler en la sonnant tout autre jour de l'année. La chasse
+finie, quels dîners! Le vin de. Champagne coulant à flots, et les
+chansons, et les histoires, je n'en finirais pas si je voulais vous dire
+tout ce qu'on fait le jour de saint Hubert; j'en finirais encore moins
+si je racontais tout ce qu'on dit.</p>
+
+<p>Le 3 novembre il arrive des coups fabuleusement extraordinaires: on tue
+des lièvres à deux cents pas, on roule des sangliers comme des lapins,
+on assomme des ours avec la crosse du fusil; au besoin, on égorgerait
+des rhinocéros, on rapporterait un éléphant dans le carnier. Si, parmi
+les convives, il se trouve un chasseur voyageur qui soit allé dans
+l'Inde, il aura fait coup double sur le tigre royal, et vous en
+entendrez, de toutes les façons. Les voyageurs mentent, les chasseurs
+mentent; jugez à quelle sublimité de hâblerie doit se monter l'homme
+réunissant ces deux titres. Qu'importe! riez, et ripostez, mais surtout
+ne vous montrez jamais incrédule; d'abord ce n'est pas poli, et puis
+vous refroidiriez la verve du conteur, et la causerie n'aurait plus
+d'entrain. Il vaut mieux renvoyer la balle du moment qu'elle est lancée,
+et tout le monde y gagne. Toutes les fois que je me trouve en face d'un
+chasseur à histoires excentriques, je lui réponds par des histoires plus
+excentriques encore; c'est le meilleur moyen de le faire taire. Depuis
+longtemps Corneille nous a donné cette recette:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> J'aime à braver ainsi ces conteurs de nouvelles;</p>
+<p class="i14"> Et sitôt j'en vois quelqu'un s'imaginer</p>
+<p class="i14"> Que ce qu'il vient m'apprendre a de quoi m'étonner,</p>
+<p class="i14"> Je le sers aussitôt d'un conte imaginaire</p>
+<p class="i14"> Qui l'étonne lui-même et le force à se taire.</p>
+<p class="i14"> Si tu pouvois savoir quel plaisir on a lors</p>
+<p class="i14"> De les faire rentrer leurs nouvelles au corps!</p>
+</div></div>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/005a.png"><br><b>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;La Messe de Saint-Hubert.--Bénédiction des chiens.</b></p>
+
+<p>Quand, arrive le 3 novembre, le gibier a déjà vu le feu de très-près,
+les perdrix surtout mettent à se laisser approcher une mauvaise volonté
+désespérante. Alors, au lieu d'aller les chercher, on les fait venir à
+soi au moyen de rabatteurs; c'est un moyen certain pour brûler de la
+poudre. Les chasses en battue commencent ordinairement le jour de saint
+Hubert. Ce jour-là, les endroits réservés ne le sont plus; on tire de
+tous les côtés, on fait un tapage infernal; et notre glorieux patron
+doit être content du massacre et surtout du tapage qui se fait en son
+honneur.</p>
+
+<p>Bien des chasseurs célèbrent la Saint-Hubert sans savoir la vie de leur
+protecteur ici-bas et dans le ciel. Si vous leur disiez: Monsieur,
+qu'est-ce que saint Hubert? ils vous répondraient; C'est un saint dont
+la fête arrive le 3 novembre.--Mais à quelle, époque vivait-il?
+pourquoi, comment a-t-il gagné le paradis? Ils resteraient bouche
+béante. Eh bien, je vais leur donner ici un petit abrégé de la vie de ce
+grand saint, pour qu'ils ne soient plus embarrassés quand on les
+interrogera.</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/005b.png"><br>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;<b>Vision de Saint-Hubert.</b></p>
+
+<p>Hubert était fils de Bertrand, duc d'Aquitaine; il naquit en l'an de
+grâce 656. Bertrand, fort brave homme, fatigué de la tyrannie d'Ebroin,
+maire du palais sous Clotaire III, secoua le joug et proclama son
+indépendance. Ebroin, fort sournois de sa nature, au lieu de combattre
+Bertrand en brave chevalier, aima mieux le vaincre par des sortilèges;
+il fit jeter un sort sur ce pauvre duc et le rendit imbécile. Il croyait
+ainsi envahir l'Aquitaine; mais Hubert était là pour parer le coup; ses
+prières au ciel rendirent la raison à Bertrand, qui livra bataille, et
+fut vainqueur. Hubert vint à Paris à la cour de Thierri 1er, roi de
+Neustrie et de Bourgogne; celui-ci, charmé de sa bonne mine, le nomma
+comte du palais. Mais Ebroin était plus maître que le roi; gardant
+rancune au jeune Hubert, qui avait désensorcelé son père, il lui chercha
+tant de noises qu'il fut obligé de quitter la cour. Il se retira chez
+Pepin d'Héristal, duc d'Austrasie, ennemi d'Ebroin. Une guerre éclata
+entre eux; Hubert y rendit son nom illustre, et il fut proclamé le plus
+brave, Thierri fut vaincu; Ebroin mourut assassiné; Pépin voulut garder
+Hubert, grand chasseur; il reconnaissait la même passion chez le fils de
+Bertrand, et vous savez le proverbe: «Qui se ressemble s'assemble.»</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/005c.png"><br><b>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;La Saint-Hubert du garde.</b></p>
+
+<p>Hubert se fit à la chasse une aussi belle réputation qu'à la guerre.
+Pour démêler les ruses d'un cerf, il n'avait point son égal. Pepin le
+nomma grand-maître de sa maison, et lui fit épouser mademoiselle
+Florihane, fille de Dagobert, comte de Louvain. Les anciens chroniqueurs
+disent que la chasse lui faisait souvent oublier le service divin: il
+courait sans cesse à cheval dans les bois; dimanche ou fête, Pâques ou
+Noël, rien ne pouvait l'arrêter. Un sanglier lui faisait manquer la
+messe, un chevreuil l'empêchait d'aller à vêpres. Un jour, c'était le
+vendredi-saint, Hubert, dans la forêt des Ardennes, vit le cerf qu'il
+chassait venir droit à lui. Ô prodige! le cerf portait un crucifix entre
+ses deux bois. Effrayé, il tombe à genoux et entend ces paroles; «Ô
+Hubert! jusqu'à quand poursuivras-tu les bêtes des forêts? jusqu'à quand
+cette vaine passion te fera-t-elle négliger ton salut? Si tu ne te
+convertis pas promptement, tu seras précipité dans l'enfer.» Hubert
+répondit: «Seigneur, me voici prêt à faire votre volonté.» Le cerf lui
+dit: «Va chez mon serviteur Lambert à Maestricht, il te dira ce que tu
+dois faire.» Ainsi, dit la légende, Hubert, qui voulait chasser et
+prendre, fut lui-même chassé et pris. Saint-Lambert, évêque de
+Maestricht, lui donna de bons conseils, et surtout de bons exemples pour
+gagner le ciel. Demeuré veuf, Hubert se retira dans la forêt des
+Ardennes, là où se trouve aujourd'hui le village de Saint-Hubert. Il y
+vécut longtemps de la vie contemplative, ne chassant plus que les loups,
+lorsqu'ils venaient l'attaquer.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/005d.png"><br><b>La Saint-Hubert au château.</b></p>
+
+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="illustration">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: center;">
+<img alt="" src="images/006a.png">
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: center;">
+<img alt="" src="images/006b.png">
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+<p>Saint Lambert mourut assassiné, et Hubert le remplaça. Le jour de son
+sacre, un ange apporta du ciel une étole brodée par la vierge Marie;
+saint Pierre lui apparut et lui remit une des deux clefs avec lesquelles
+on le représente toujours. Cette clef sert encore aujourd'hui à guérir
+les enragés, hommes et bêtes; on la fait rougir au feu et puis on
+l'applique légèrement sur le front du chien de manière à lui brûler
+seulement le poil. Autrefois on avait la coutume, en entreprenant un
+voyage, de clouer un fer de cheval à la porte d'une église ou d'une
+chapelle sous l'invocation de saint Martin. On faisait aussi rougir au
+feu la clef de cette église ou de cette chapelle, et ou en marquait le
+front de la bête qui devait porter le voyageur. Je ne raconterai pas
+tous les miracles opérés par Hubert; il me faudrait trois numéros de
+<i>l'Illustration</i>. Depuis que saint Hubert est mort, les miracles
+continuent: un morceau de la sainte étole guérit les individus atteints
+de la rage, et l'étole est toujours entière. Le 3 novembre, la chapelle
+de Saint-Hubert ne désemplit pas: dès trois heures du matin, les trompes
+sonnent le réveil; à l'instant, chasseurs et piqueurs, gardes et
+braconniers se mettent en route avec leurs chiens, après s'être lestés
+de la classique soupe à l'oignon. Tous arrivent à la chapelle de
+Saint-Hubert, aujourd'hui délabrée, mais conservant toujours son antique
+célébrité. Un prêtre dit la messe aux flambeaux, les trompes sonnent
+lors de la consécration et pendant la bénédiction toute spéciale pour
+les chiens. Le plus jeune chasseur fait la quête, et ordinairement un
+nid de grive placé dans le pavillon de sa trompe lui sert de plateau.</p>
+
+<p>Les chasseurs scrupuleux ne se contentent pas, pour leurs chiens, de
+cette bénédiction générale, il leur en faut une autre plus directe. Ils
+retournent le lendemain chez un monsieur descendant de saint Hubert, à
+ce qu'il dit, et qui applique à leurs chiens la clef rougie que son
+aïeul reçut directement de saint Pierre. Lorsqu'il s'agit d'un homme, si
+l'on se servait de la clef rougie, le remède serait peut-être pire que
+le mal; alors ce monsieur guérit ou préserve de la rage en imposant les
+mains et en prononçant certaines paroles que lui seul connaît; mais en
+cela comme en beaucoup d'autres choses il faut avoir la foi. Ce qui est
+fort singulier, c'est que les protestants et les réformés vont en
+pèlerinage à Saint-Hubert aussi bien que les catholiques; on y voit même
+des juifs. Tous amènent leurs chiens et leurs bestiaux, soit pour les
+guérir de la rage, soit pour les empêcher de l'avoir.</p>
+
+<p>Ceux qui chassaient dans les Ardennes devaient aux moines de
+Saint-Hubert la première pièce de gibier qu'ils tuaient, et la dîme de
+toutes les autres. Un comte Théodoric, après avoir fait v&oelig;u d'observer
+cette règle, tua un superbe sanglier. Il le trouva si beau, qu'il voulut
+le garder. N'ayant point de charrette pour transporter une bête si
+lourde, il le fit dépecer, afin que ses gens pussent se charger chacun
+d'un morceau; mais, ô prodige! les gigots, les filets, la hure, ne
+furent pas plutôt détachés, qu'ils partaient comme des fusées à travers
+les airs, et décrivant une parabole, ils tombèrent sur l'abbaye, où les
+moines les mangèrent. Un certain Josbert fut bien autrement puni:
+atteint de la rage, il promit aux moines le tiers de ses terres s'ils le
+guérissaient. Mais, comme dit le proverbe italien:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i20"> Passato il pericolo,</p>
+<p class="i20"> Gabbato il santo.</p>
+</div></div>
+
+<p>Une fois bien portant, il envoya les moines au diable, qui n'en voulut
+pas, et entra dans le corps de Josbert. Vous dire tout ce que fit notre
+possédé quand il eut le diable au corps, demanderait trop de temps et
+trop de place Lié, garrotté, il fut porté devant l'abbé de Saint-Hubert.
+Celui-ci le fit mettre dans une cuve d'eau bénite, et lui couvrit la
+tête avec la sainte étole. Qui fut penaud! Je vous le demande. Le
+diable ne pouvait plus sortir par la bouche, car l'étole était là; d'un
+autre côté la chose paraissait peu commode, car on pouvait prendre un
+bain d'eau bénite, et pour un diable c'est fort dangereux. Cependant à
+tout prix il fallait fuir l'étole, et le diable partit par les voies
+intérieures, ce qui produisit une telle détonation que les douves de la
+cuve en furent brisées(1). La morale de tout cela, c'est qu'il faut
+toujours tenir les promesses que l'on fait aux moines.</p>
+
+<blockquote>Note 1: Sensit inimicus pondus virtutis divinæ et coactus per
+posteriora egredi, talem dedit crepitum, ut omne dolium a compage sua
+resolveretur. Sic Deus superbissimum spiritum ludibrio exponebat.
+(Historia sancti Huberti principis Aquitani ultimi Tungrensis primi
+Leodiensis episcopi. Luxemburgi, 1621. In 4º, pag. 102.)</blockquote>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/006c.png"><br><b>Une chasse dans un hôtel de la rue Saint-Honoré.</b></p>
+
+<p>Hubert mourut en 727. Seize ans plus tard, on ouvrit son cercueil en
+présence: du roi Carloman, et on trouva son corps frais et vermeil. <i>Ses
+habits étaient plus entiers et plus beaux que de son vivant</i>. Dès lors
+on le nomma saint Hubert. Ce titre lui fut confirmé par Léon X un
+septembre 1515. Le roi fit mettre la dépouille mortelle du saint dans
+une belle châsse, devant le maître-autel Cette première translation eut
+lieu le 3 novembre 743; et voilà pourquoi nous chassons tant et nous
+dînons si bien le jour de la Saint-Hubert.</p>
+
+<p>Je connais des chasseurs qui, le 3 novembre, négligeraient les plus
+sérieuses affaires pour courir les champs; j'en connais qui, malades, au
+lit, se sont levés, ont fait un tour dans leur parc et se sont recouchés
+ensuite, après avoir accompli ce devoir, cet acquit de conscience; j'en
+ai vu qui, ne pouvant pas sortir, ont revêtu l'habit de chasse et sont
+restés ainsi équipés toute la journée dans leur fauteuil.</p>
+
+<p>Lord Egerton, propriétaire d'un fort bel hôtel rue Saint-Honoré, avait
+été grand chasseur. Devenu vieux et goutteux, il ne pouvait plus monter
+à cheval ni courir à pied: l'inexorable maladie le clouait dans son
+large, fauteuil. En temps ordinaire il prenait patience avec assez de
+philosophie; ses livres et ses amis lui faisaient quelquefois oublier
+l'âge heureux où il pouvait chasser depuis le matin jusqu'au soir; mais
+lorsque venait la Saint-Hubert, toute diversion était impossible. Alors
+il se sentait intérieurement travaillé par le démon cynégétique, démon
+cent fois plus tenace que ceux de l'amour, de l'ambition et autres
+passions à l'eau rose. La veille du jour où les chasseurs fêtent leur
+saint patron, l'imagination de milord, s'égarant en folle sur sa vie
+passée, lui retraçait avec les plus vives couleurs d'anciennes
+jouissances dont la privation augmentait encore son mal présent; les
+crises redoublaient alors d'intensité, les douleurs devenaient plus
+aguës, plus poignantes: le pauvre homme faisait pitié. Lorsque le mois
+de novembre approchait, les domestiques du noble lord disaient entre
+eux: «La maladie de notre maître augmente, ou voit bien que la
+Saint-Hubert n'est pas loin.»</p>
+
+<p>Un jour, c'était le 3 novembre 1831, lord Egerton, en s'éveillant,
+entendit les sons harmonieux de la trompe.</p>
+
+<p>«Pourquoi ce bruit? demanda-t-il à son valet de chambre; cela me fait
+mal; ces fanfares me déchirent le c&oelig;ur.</p>
+
+<p>--Je pensais, au contraire, que cela vous ferait du bien.</p>
+
+<p>--Allez dire à nos voisins que je les prie en grâce de me laisser dormir
+en paix. Dieu me pardonne, ils sonnent la Saint-Hubert, le réveil, le
+départ; j'entends les cris d'une meute, et je suis forcé du rester au
+lit! Les malheureux! ils ne se doutent pas des angoisses qu'ils me
+causent!</p>
+
+<p>--Vos voisins ne sont pour rien dans tout cela, milord; cette musique
+joyeuse n'a d'autres exécutants que vos piqueurs; ces cris sont ceux de
+vos chiens; milord doit savoir que c'est aujourd'hui la Saint-Hubert.</p>
+
+<p>--Tu veux donc augmenter mes regrets, tu veux me tuer! Ah! mon ami, au
+lieu de me déchirer l'âme, au lieu de me retourner le poignard dans le
+c&oelig;ur, fais-moi plutôt oublier ce jour, qui me rappelle d'aussi
+délicieux souvenirs.</p>
+
+<p>--Il ne s'agit pas du souvenirs, mais de réalités; nous chassons
+aujourd'hui.</p>
+
+<p>--Bah!</p>
+
+<p>--Vos piqueurs sont à cheval avec leurs habits de fête; vos valets de
+limier font le bois; je vais vous habiller, et bientôt vous entendrez
+leur rapport.</p>
+
+<p>--Ah çà, mais on dirait que tu parles sérieusement?</p>
+
+<p>--Milord sait bien que je suis incapable de me permettre une
+plaisanterie déplacée.</p>
+
+<p>--Hélas! il m'est impossible de sortir de Paris; si tu m'emmenais
+vivant, tu me ramènerais mort.</p>
+
+<p>--Dieu et votre grâce me sont témoins que je n'ai pas dit un mot de
+cela.</p>
+
+<p>--Et où chasserons-nous?</p>
+
+<p>--Ici.</p>
+
+<p>--Ici!</p>
+
+<p>--Le gibier du parc se multiplie beaucoup trop, il faut nécessairement
+le détruire.</p>
+
+<p>--Le gibier!!</p>
+
+<p>--Les chevreuils surtout font un dégât terrible en broutant les jeunes
+arbres.</p>
+
+<p>--Les chevreuils!!!</p>
+
+<p>--Vos massif, de dahlias, vos plates-bandes de géraniums, vos carrés de
+tulipes sont labourés, détruits, anéantis par les sangliers.</p>
+
+<p>--Les sangliers!!!!»</p>
+
+<p>Cette dernière exclamation fut poussée avec une force inaccoutumée; on
+aurait cru entendre Mithridate prononçant son fameux «les Romains!» Les
+yeux de milord brillèrent du feu de la jeunesse, les douleurs de la
+goutte cessèrent, une vie nouvelle circulait en lui; le valet de chambre
+continua:</p>
+
+<p>«Entendez-vous ces fanfares, qui vous promettent une heureuse journée?
+allons, milord, habillez-vous, et à cheval.</p>
+
+<p>--A cheval! est-ce que tu rêves?</p>
+
+<p>--A cheval, vous dis-je, ou en voiture, si vous l'aimez mieux; vous
+chasserez, aujourd'hui toutes les bêtes possibles, depuis le lapin
+jusqu'au sanglier, depuis le lièvre jusqu'au cerf.</p>
+
+<p>--Allons, je me fie à toi, mon ami; ceci commence à m'intéresser. Fais
+en sorte que je ne me réveille pas; ce serait vraiment dommage.»</p>
+
+<p>Aussitôt que milord fut inséré dans le molleton et la flanelle, quand
+une vaste robe de chambre fourrée tout hermétiquement enveloppé, deux
+domestiques l'emportèrent dans son fauteuil et le descendirent au
+vestibule, échauffé par un bon poêle. Comme il n'avait la goutte qu'à la
+jambe droite, il voulut que sa jambe gauche fut couverte par la guêtre
+classique. La porte du jardin s'ouvrit, et deux valets, tenant leur
+limier en main, se présentèrent pour rendre compte de leur tournée
+matinale.</p>
+
+<p>«Eh bien, Dick, as-tu de belles choses à m'apprendre? Je ne m'attendais
+guère à me trouver aujourd'hui en face de toi; et, je te le dis sans
+compliment, ta figure et celle de ton camarade Tom me sont mille fois
+plus agréables à voir que celle de tous mes médecins.</p>
+
+<p>--Milord, la chasse sera belle, mais nous aurons bien des difficultés à
+vaincre.</p>
+
+<p>--Tant mieux, mon ami, tant mieux! Voyons, dis-moi quels obstacles notre
+courage devra surmonter.</p>
+
+<p>--Milord, je crois avoir rencontré un sanglier tiers-an, qui se fait
+accompagner d'un écuyer plus jeune; et si mon chien ne me trompe, il est
+rembuché dans un fort de lilas et de chèvrefeuille, qui se trouve au
+bout du massif de géraniums.</p>
+
+<p>--Par saint Hubert, voilà certainement le premier animal de cette espèce
+qui, de mémoire de chasseur, se soit avisé de choisir un pareil fort.</p>
+
+<p>--Quant à moi, je n'en avais jamais vu en semblable lieu.</p>
+
+<p>--Et toi, Tom, qu'as-tu détourné?</p>
+
+<p>--Trois chevreuils.</p>
+
+<p>--Où sont-ils?</p>
+
+<p>--A la reposée, derrière le kiosque.</p>
+
+<p>--J'avais cru entendre parler d'un cerf?</p>
+
+<p>--Il y est.</p>
+
+<p>--Tu n'en parlais pas.</p>
+
+<p>--Impossible de le détourner, il court toujours; il ressemble aux
+chevaux de Franconi, faisant beaucoup de chemin dans un petit espace.</p>
+
+<p>--Oui, milord, ajouta Dick; et quelque bête que nous chassions, nos
+chiens ne pourront, pas suivre le droit. Nous aurons souvent du change,
+les voies se mêlent, se croisent en tous sens; derrière chaque arbuste
+il y a un lièvre au gîte; tous les dahlias courbés par la gelée cachent
+trois ou quatre lapins. J'ajouterai même que, malgré nos précautions
+pour détruire les animaux nuisibles, je soupçonne un renard d'être à
+l'affût dans la plate-bande de chrysentemums.</p>
+
+<p>--Un renard, Dick?</p>
+
+<p>--Un renard, milord.</p>
+
+<p>--Et... il n'y a point de loup?</p>
+
+<p>--Je ne le pense pas.</p>
+
+<p>--C'est dommage.</p>
+
+<p>--Si votre honneur veut nous dire quelle bête on doit chasser la
+première, nous lancerons.</p>
+
+<p>--Il faut tout lancer.</p>
+
+<p>--C'est l'avis que j'aurais donné à milord s'il m'avait consulté.</p>
+
+<p>--Allons, parlez, courez, criez, sonnez, je vous verrai d'ici; j'espère
+que cela fera diversion à mes douleurs.</p>
+
+<p>--Comment, milord! mais vous suivrez la chasse, vous tirerez des coups
+du fusil; vous n'avez, pas la goutte aux mains.</p>
+
+<p>--Oui; mais je l'ai aux pieds.</p>
+
+<p>--Fort bien, voici votre voiture.»</p>
+
+<p>A l'instant on amena un char à trois roues, chef-d'&oelig;uvre de mécanique;
+il pouvait tourner en tous sens, à la moindre pression d'une manivelle;
+un domestique assis derrière le dirigeait comme un pilote. Ou porta lord
+Egerton dans ce véhicule rembourré de fourrures; un soleil superbe
+réchauffait les membres du noble goutteux. Armé d'un fusil double, suivi
+de ses valets portant d'autres fusils chargés, il donna le signal, et la
+chasse commença. Je ne vous en ferai pas la description: ce serait aussi
+difficile que de raconter tous les coups de sabre donnés, ou reçus à la
+bataille de Wagram. Vous saurez seulement que ce brave Anglais fit à lui
+seul un carnage horrible; il tirait sur un fleuve du gibier qui coulait
+toujours; s'il manquait un chevreuil, il tuait six lapins; tout y passa;
+le sanglier ne fit point le méchant, car une bouteille de cirage n'a
+jamais aigri le caractère du cochon.</p>
+
+<p>Cette chasse fut un curieux spectacle pour les locataires des maisons
+voisines; placés à leurs fenêtres, perchés sur les toits, ils
+regardaient le massacre avec, des yeux stupéfiés; il semblait qu'ils
+assistassent à une représentation du Cirque-Olympique; la scène était
+dans un ardin; les fenêtres et les mansardes servaient de loges.</p>
+
+<p>Le soir il y eut curée pour la meute et grand dîner pour les chasseurs,
+avec accompagnement de fanfares. En se couchant, le noble lord disait à
+son valet de chambre: «Mon ami, c'est aujourd'hui le plus beau jour de
+ma vie; le plaisir que j'ai éprouvé était d'autant plus grand, que je
+l'espérais moins. Ce matin j'aurais pu croire tout possible, excepté de
+chasser aujourd'hui.» Mais si l'homme peut résister à la souffrance, il
+succombe quelquefois à l'excès de bonheur; on dirait vraiment que, créé
+pour souffrir, il n'a point la force nécessaire pour supporter la joie.
+Le lendemain Lord Egerton n'existait plus. Avouez qu'il était difficile
+de mieux finir; sa mort peut se comparer au boulet de Turenne, à la
+balle de Charles XII. Son cercueil fut entouré des trophées de sa
+victoire; tel Louis XV, après la bataille de Fontenon, dormit sur un
+matelas fait avec des drapeaux ennemis.</p>
+
+<p>Pour transmettre son effigie et son nom à la postérité, lord Egerton a
+fait frapper une médaille. J'en conserve un exemplaire qu'il m'a donné.
+Elle porte en exergue: <i>Francis Henry Egerton, Earl of Bridgewater</i>.
+S'il avait vécu plus longtemps, il en aurait sans doute fait fabriquer
+une autre avec cette légende; <i>Il chassa le jour de saint Hubert à
+courre, rue Saint-Honoré, nº, 335, à Paris</i>. Le fait est assez
+extraordinaire pour mériter d'être transmis à tous les chasseurs à
+venir.<br>
+
+<span class="rig"><span class="sc">Elzéar Blaze.</span></span></p>
+
+<br><br>
+
+<h3>MARGHERITA PUSTERLA.</h3>
+
+<h4>CHAPITRE XVII.</h4>
+
+<h4>TRAHISON.</h4>
+
+<p><span class="lef"><img alt="" src="images/37-01.png"></span><span class="sc">edrocco</span>, dans les premiers jours du mois de juillet de 1381, remit à
+Luchino un billet de Ramengo ainsi conçu:</p>
+
+<p>«Magnifique seigneur Luchino,</p>
+
+<p>«Je suis arrivé, suivant votre ordre, dans la ville d'Avignon, et j'ai
+réussi à trouver le rebelle Franciscolo Pusterla avec son fils. Ne
+désirant rien plus vivement que de servir notre prince, que le seigneur
+Dieu tienne en joie, je me suis conduit de telle sorte que je l'ai
+déterminé à se diriger vers le port de Pise. Nous partirons par Niza de
+Provence la semaine suivante; avec l'aide de Dieu, nous nous
+embarquerons sur le navire appelé le Caspio. C'est pourquoi je supplie
+Votre magnificence de prendre les mesures nécessaires pour s'emparer
+dudit Pusterla et de son fils. Alors je mettrai de plus longs
+renseignements aux pieds de votre altesse, qu'aujourd'hui je baise en
+toute humilité.</p>
+
+<p>«RAMENGO DE CASALE.»</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/37-02.png"></p>
+
+<p>Ainsi qu'il l'annonçait, dès que la mer fut favorable, Ramengo sortit du
+port de Nice, conduisant son ennemi sans défiance. La fortune le servit
+au delà de ses espérances, elle lui offrit immédiatement l'occasion
+qu'il pensait devoir attendre: les Pisans consentirent pour des causes
+qu'il est mutile d'énumérer ici, à livrer Pusterla à Luchino.</p>
+
+<p>Dans les premiers jours, le vaisseau qui portait Pusterla eut à lutter
+contre les éléments: des pluies violentes, des coups de vent, des
+bourrasques, paraissaient vouloir repousser les exilés de la terre
+qu'ils désiraient revoir et où ils devaient trouver la mort. Venturino
+disait: «Ô mon père! pourquoi avons-nous quitté ce pays? Là nous étions
+ay moins sur la terre et solides sur nos pieds.» Et Pusterla répondait:</p>
+
+<p>«Nous l'avons quitté parce qu'il n'était pas notre patrie.</p>
+
+<p>--Et où allons-nous maintenant?</p>
+
+<p>--Ne le sais-tu pas? en Italie.</p>
+
+<p>--En Italie! oh! dans notre cher pays, n'est-ce pas? Là nous entendrons
+encore parler notre langue, n'est-il pas vrai? Là nous verrons des gens
+que nous connaîtrons tous. Et ma mère, la trouverons-nous aussi bientôt?</p>
+
+<p>--Pauvre mère! répliquait Francesco en soupirant et en caressant les
+blonds cheveux de son enfant. Oui, nous la reverrons, si Dieu le permet.
+Maintenant prie pour elle.</p>
+
+<p>--Prier? oh! il ne se passe pas de jour que je ne prie, pas de moment où
+je ne me la rappelle. Encore cette nuit, j'ai rêvé d'elle. Nous étions
+là-bas, dans notre villa de Montebello; elle et moi nous nous tenions
+dans la salle, et tu entrais à cheval avec une armée... Je ne me
+souviens plus. Je sais bien que je ne l'avais jamais vue plus belle ni
+plus tendre. Oh! si j'étais grand, si j'avais le bras fort, fort comme
+le tien, comme celui d'Alpinolo, je courrais bien la délivrer.»</p>
+
+<p>Pusterla l'embrassa attendri, et levant les yeux vers Ramengo, qui
+tenait les siens fixés sur eux comme la vipère sur le rossignol fasciné.
+«Ô mon ami, lui dit-il, quelle consolation dans l'isolement, dans
+l'infortune, de trouver un fils à ses côtés!»</p>
+
+<p>C'était jeter de l'huile sur le feu. Ramengo éclata au fond de son âme,
+en entendant ces paroles qui lui rappelaient qu'il aurait pu jouir de la
+même consolation, et qu'elle ne lui avait été ravie que par ce même
+Franciscolo qui lui vantait son propre bonheur. «Mais ce sera pour peu
+de temps!» s'écria-t-il en levant le poing vers le ciel; et il se
+précipita dans le navire pour y épancher sa fureur, au grand étonnement
+de ses compagnons de voyage.</p>
+
+<p>Un matin, Venturino tenant le bras de son père, de sa petite main lui
+indiquait les montagnes de la terre ferme couronnées de nuages
+fantastiques, tout à coup il s'écria: «Vois, vois ce vaisseau qui
+s'approche. Il porte sur sa voile la vipère de Milan.»</p>
+
+<p>A cette vue son père ne put s'empêcher de frissonner. Lorsque le
+vaisseau s'approcha, chacun reconnut qu'il portait les armes de Pise
+écartelées de celles des Visconti. On sut bientôt à bord que Pise
+s'était alliée aux Visconti de Milan.</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/37-03.png"></p>
+
+<p>Chacun commenta cette nouvelle à sa manière; mais Francisco en fut
+vivement épouvanté, son fils et lui étaient perdus s'ils abordaient un
+port de Pise. Pâle colonie les voiles de son bâtiment, il commença à
+supplier le capitaine de retourner en France, s'offrant à lui payer
+non-seulement les frais de la traversée, mais tout le dommage qui
+pourrait en résulter pour lui et pour les passagers, et à lui donner en
+outre une forte récompense. Il lui avoua tout; mais cet homme levant les
+épaules, lui répondit: «Je dois être aux ordres de ce seigneur.»</p>
+
+<p>Et il indiqua Ramengo, qui lui dit brusquement:</p>
+
+<p>«Votre devoir est de continuer votre route.»</p>
+
+<p>Quel voile ces paroles firent tomber des yeux de Pusterla! Raisons,
+supplications, larmes, que ne tenta-t-il pas pour attendrir ce
+misérable! Il se jeta même à ses pieds avec son fils; il lui embrassa
+les genoux, lui rappelant les antiques bienfaits de sa famille, le nom
+de Rosalia: «Vous aussi, lui dit-il, vous devez comprendre l'amour
+paternel, car un instant au moins vous avez été père.»</p>
+
+<p>Le rire satanique qui errait sur les lèvres de Ramengo en contemplant
+l'humiliation, en entendant les prières de son ennemi, se changea en un
+rugissement féroce à ces dernières paroles, «Et je serais encore père et
+époux si tu n'avais pas existé, maudit!» s'écria-t-il en repoussant le
+père suppliant, avec un geste brutal. Puis il ajoutait: «Mais rends
+grâces à Dieu, qui m'a donné la consolation de te voir torturer dans ces
+affections dont tu m'as privé.»</p>
+
+<p>Pusterla ne pouvait comprendre tout le gens de ces paroles; mais il
+avait reconquis le sentiment de sa dignité. Se relevant vivement, il
+s'éloigna de Ramengo avec indignation, sans ajouter un seul mot; puis il
+embrassa son enfant, assis sur ses genoux, avec le calme du désespoir.</p>
+
+<p>Cependant le navire, avait été signalé; et de derrière la Capraja
+débouchèrent deux galères faisant force de rames, qui vinrent à sa
+rencontre. La vipère des Visconti, peinte sur le pavillon, ne laissait
+point de doute sur leur maître, Pusterla les regarda s'approcher et
+ferma les yeux dans l'attente d'un malheur inévitable.</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/37-04.png"></p>
+
+<p>A peine les deux vaisseaux furent-ils proches du <i>Caspio</i>, qu'ils le
+sommèrent d'amener les voiles et de laisser aborder. Le capitaine
+Samminiato requit les noms des passagers, et Ramengo se présenta devant
+lui, et, montrant le triste groupe du père et de son enfant, il s'écria:
+«Celui-ci est Francesco Pusterla.» On le chargea de chaînes et on le mit
+à fond de cale, où il eut du moins la consolation de n'avoir plus sous
+les yeux l'infâme Ramengo.</p>
+
+<p>Celui-ci le fit conduire à Gènes, et de là, après une quarantaine qu'on
+lui imposa à cause de la peste qui régnait alors en Toscane, il entra
+dans Milan par cette même porte du Tesin qui s'était ouverte pour lui
+lorsqu'il faisait partie de la marche triomphale, et il se présenta à la
+cour de Luchino.</p>
+
+<p>Le bouffon Grillincervello se tenait dans l'antichambre, au milieu des
+camériers et des pages. Il courut aussitôt trouver Luchino. «Combien
+voulez-vous me payer, si moi, avec ma poudre de perlimpinpin, je vous
+fais comparaître en personne Ramengo de Casale?»</p>
+
+<p>Luchino ne montra ni étonnement ni plaisir. Il l'attendait, et répondit
+sèchement: «Qu'il entre.</p>
+
+<p>--Qu'il entre ici ou dans la geôle? demanda Grillincervello surpris.</p>
+
+<p>--Ici, ici, répliqua Luchino.</p>
+
+<p>--Et faut-il que j'aille avertir maître Picci d'apprêter les instruments
+de son métier?</p>
+
+<p>--Moins de folies,» interrompit Luchino, sombre comme un <i>dies iræ</i>;
+Grillincervello, qui se sentait encore des coups qu'il avait attrapés dans
+la citadelle de la Porte Romaine, ne se le fit pas dire deux fois. Il
+introduisit Ramengo, et dit aux dés&oelig;uvrés de l'antichambre: «Je n'avais
+jamais vu les grives souper avec le chasseur.»</p>
+
+<p>Lorsque le vil courtisan fut en présence du prince, il lui raconta
+toutes les trames qu'il avait ourdies, lui rappela et lui fit
+contresigner de sa main le bref d'impunité qu'il lui avait demandé pour
+lui et pour son fils, et faisait sonner bien haut ses services, il lui
+demanda des honneurs pour réparer les brèches que son dévouement
+n'aurait pas manqué de faire à sa réputation. Luchino ne le laissa pas
+finir, et le toisant d'un air ironique, d'un geste furieux et méprisant
+il jeta à ses pieds une bourse pleine d'argent.» Tiens, lui dit-il, tes
+pareils se paient avec de l'argent et non avec des honneurs!» et il ne
+voulut pas en entendre parler.</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/37-05.png"></p>
+
+<p>Quant au malheureux Pusterla, il ne larda pas non plus à arriver, et le
+peuple courut voir ce fameux chef de rebelles qui voulait bouleverser
+Milan, défaire la Seigneurie, en renouveler la religion. Il lut renfermé
+dans la tour de la porte Romaine, où la triste Marguerite l'aperçut
+précisément entrer, et nous l'avons laissée évanouie à cette vue.
+L'infortunée s'efforçait de ne pas en croire ses propres yeux. Mais
+toute son incertitude cessa un jour que le geôlier Macaruffo entra dans
+son cachot avec des manières affectées et un visage rechigné, s'écriant:
+«Quelle puanteur en cet endroit! quelle odeur de renfermé! Pourquoi ne
+donnez-vous pas de l'air à cet appartement?» Et il s'éventait avec un
+morceau de soie. Marguerite reconnut promptement le tissu où elle avait
+commencé à broder une marguerite qu'elle n'avait pas finie. Ce tissu
+avait été pris par Buonvicino dans le salon, le dernier jour qu'il y
+entra, et on se rappelle qu'il avait remis ce précieux don à Pusterla,
+qui le porta toujours depuis sur lui. En le revoyant, Marguerite fut
+vivement émue:</p>
+
+<p>«Qui vous a donné cette broderie? demanda-t-elle avec anxiété au
+geôlier.</p>
+
+<p>--Quoi? plaît-il? répondit le rustre en la déployant malicieusement
+devant ses yeux. Un autre camarade me l'a donnée, logé là auprès, et que
+vous connaissez.</p>
+
+<p>--Franciscolo?</p>
+
+<p>--Bien deviné. Le seigneur seigneurissime Pusterla.</p>
+
+<p>--C'est vraiment lui! s'écria-t-elle, plutôt en se parlant à elle-même
+qu'en interrogeant le geôlier, qui continuait:</p>
+
+<p>--Lui-même; en doutez-vous? Croyez-vous donc qu'il ne nous arrive ici
+que des habits de futaine? Regardez, il est sous la clef que Voici.</p>
+
+<p>--Et son fils?</p>
+
+<p>--Oh! il y est aussi, bien entendu. Ce serait une barbarie de séparer le
+fils de son père.»</p>
+
+<p>Bien qu'elle s'efforçât de se tromper elle-même, Marguerite était
+convaincue que son mari et son fils étaient ses voisins de captivité; et
+son cachot désolé le savait bien, qui retentissait nuit et jour de
+gémissements sans consolation. Mais se l'entendre assurer à cette heure,
+mais se voir, par les ironiques discours de ce bandit, arracher le
+dernier fil de ses espérances, faisait sur elle l'effet que produit sur
+le condamné la lecture de la sentence de mort, lors même qu'il en
+connaît d'avance la teneur.</p>
+
+<p>«Et, continuait Macaruffo, il m'a donné cette fleur, voyez comme elle
+est belle, pour que je vous salue et que je vous la fasse voir.</p>
+
+<p>--Il sait donc aussi que je suis ici? demanda Marguerite.</p>
+
+<p>--Oui, il m'a dit que je vous salue et que...</p>
+
+<p>--Et quelle autre chose me fait-il dire?</p>
+
+<p>--Oh! il vous fait dire beaucoup d'autres niaiseries, mais je ne m'en
+souviens plus.</p>
+
+<p>--Hélas! cherchez à vous les rappeler, disait Marguerite;» mais ce
+misérable, incapable d'aucun noble sentiment, répondait:</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/37-06.png"></p>
+
+<p>«Me les rappeler? N'aurait-elle point, votre seigneurie, quelque chose
+dans sa poche pour me rafraîchir la mémoire?</p>
+
+<p>--Rien. Bon Dieu! vous le savez, tout le peu qui m'était resté, je vous
+l'ai donné tout entier. Quelle chose me reste-t-il que ce vêtement usé?
+Hélas! veuillez me faire cette grâce par charité. Qui sait si un jour je
+ne redeviendrai pas en état de vous récompenser? sinon, Dieu vous en
+récompensera.»</p>
+
+<p>Et douce, suppliante, appuyant ses belles mains sur les épaules du
+geôlier, elle tentait de fléchir son impassible cupidité. Mais ses
+prières ne faisaient pas plus sur lui que le souffle d'un vent d'avril
+sur une montagne de marbre. Et:</p>
+
+<p>«Que Dieu! que diable! quelle charité? quelle récompense? disait-il. La
+charité, je suis homme à la recevoir et non pas à la faire. Hé! <i>qui
+sait</i>, les promesses pour l'avenir, l'ivrogne ne les écrit point.
+Parlons bref: ou vous avez quelque chose à me donner, et je parle; ou
+vous n'avez rien, et alors renfermez votre curiosité en vous-même, parce
+que je me tais.»</p>
+
+
+
+<p>Et comme elle n'avait rien pu soustraire à la rapacité de Macaruffo,
+elle ne pouvait lui donner que ses larmes, ses supplications amères, et
+se jeter à genoux et prier le Seigneur. Mais le geôlier s'en alla,
+toujours impitoyable, faisant sonner ses clefs plus rudement en fermant
+les portes, et s'éloigna en chantant. Bientôt Marguerite n'entendit plus
+que les pas de la sentinelle qui passait nuit et jour devant la prison,
+et dont les pieds, retombant alternativement, ressemblaient à deux poids
+métalliques frappant en mesure le pavé.</p>
+<br><br>
+
+<h3>CHAPITRE XVIII</h3>
+
+<h4>LE SOLDAT.</h4>
+
+<p><span class="lef"><img alt="" src="images/37-07.png"></span><span class="sc">UR</span> le pavé de la prison, dans le corridor, Macaruffo, étendu tout du
+son long, dévorait avec appétit un morceau de pain bis et une tranche de
+lard. De temps en temps il avalait quelques gorgées d'un broc de vin
+qu'avec une affectueuse dévotion il tenait entre ses jambes. Il faisait
+nuit. Un profond silence régnait partout. Pour toute lumière, un lampion
+vacillant suspendu à la voûte, et à droite de Macaruffo une lanterne
+sourde dont les rayons, l'éclairant à demi, se réfléchissaient sur le
+paquet de clefs qui pendaient à sa ceinture. Une sentinelle silencieuse
+se promenait de long en large, faisant résonner du bruit monotone de ses
+pas les voûtes du corridor. Ce soldat s'arrêta enfin à côté du geôlier,
+et s'appuyant sur le bois de sa lance, il se courba un peu vers le
+Bergamasque et lui adressa la parole: «Compère, ton souper est frugal.</p>
+
+<p>--Pain d'un jour et vin d'un an, répondit l'autre.--C'est toujours
+ainsi.» Et avalant une gorgée de vin, puis s'essuyant la bouche avec le
+dos de la main gauche, il ajoutait en branlant la tête:</p>
+
+<p>«Si ce n'eût été, si ce n'eût été...</p>
+
+<p>--Mais si ce métier maudit te pèse si fort, pourquoi ne pas le quitter?</p>
+
+<p>--Le quitter! bon Dieu, tu me fais lire, quoique je n'en aie guère
+envie. Tu as beau jeu à parler, toi qui portes toute ta maison dans ta
+valise. Mais, dis-moi: comment faire alors pour nourrir une femme et une
+nichée d'enfants?</p>
+
+<p>Cependant, si tu trouvais à vivre autrement, le ferais-tu, hein?</p>
+
+<p>--Si je le feras? et de bon c&oelig;ur! Je ne sais pas quelle vie je
+n'accepterais pas pour échapper aux clefs, aux nerfs de b&oelig;uf, aux
+menottes et aux chaînes; pourvu pourtant qu'il ne fallût pas travailler
+de mes mains. Il me conviendrait de me promener tout le jour à faire la
+ronde comme toi.</p>
+
+<p>--Mais, dis-moi, si ton métier t'offrait l'occasion de gagner?</p>
+
+<p>--De gagner? demanda Macaruffo avec anxiété, de gagner de l'argent?</p>
+
+<p>--Par exemple, une cinquantaine de florins d'or.</p>
+
+<p>--Oui, oui, la chatte les couve. Prends, prends-moi ce broc, mon
+camarade. Je vois que ton cerveau commence à battre la chamade, et je
+veux lui porter le dernier coup.</p>
+
+<p>--Je ne perds nullement la tête, et je parle très-sérieusement...»</p>
+
+<p>Et il tira de sa poche une bourse dont les mailles laissaient voir une
+belle somme d'or.</p>
+
+<p>«Toi! s'écriait, toi, pauvre soldat, tu as reçu une si belle grâce de
+Dieu! oh! le gras mélier que la guerre! qui vole le plus est le plus
+brave!</p>
+
+<p>--Ces florins répliqua le soldat avec une colère mal réprimée, ne sont
+pas volés, mais bien acquis. Et... et s'ils étaient à toi?</p>
+
+<p>--S'ils étaient à moi, répondit l'autre d'un ton de stupeur, s'ils
+étaient à moi, je demanderais si Bergame est à vendre.</p>
+
+<p>--Eh bien! ils peuvent être à toi avant demain matin, et sans qu'il t'en
+coûte la moindre peine..</p>
+
+<p>--Est-ce que tu plaisantes? Mais pour les gagner, dis vite, que
+faudrait-il faire?</p>
+
+<p>--Rien autre chose, répondit le soldat en baissant la voix, que de tirer
+un verrou et de laisser sortir deux oiseaux de la cage.</p>
+
+<p>--Pst! fit le geôlier en mettant la main sur la bouche de la sentinelle.
+Puis, d'un ton sérieux et profond:</p>
+
+<p>«Quoi! comment, deux prisonniers? Bon Dieu! mon camarade, je sais que tu
+te moques de moi.»</p>
+
+<p>Il se tut, puis reprit quelques instants après d'une voix qui indiquait
+plus de regret que de colère:</p>
+
+<p>«Cela te paraît peu de chose, laisser fuir deux prisonniers... Demain on
+les cherche, ils n'y sont plus. «Eh! Lasagnone, qu'est-ce que cela veut
+dire? --Illustrissime seigneur, je n'en sais rien, moi, proprement rien,
+en conscience.» Et lui: «Hors la camisole. Qu'on lui mette la corde au
+cou, et de la corde à la potence...» J'aurai fait la panade au diable.
+L'argent me va bien, mais la potence!</p>
+
+<p>--Certainement, certainement. Mais il me semblait qu'avec cinquante de
+ses petits frères dans la sacoche, il y avait mieux à faire que ce
+métier. Réfléchis! en quatre heures tu es aux frontières. Tu passes
+l'Adda, et te voilà dans ta maison, sur les montagnes, où j'appellerai
+braves ceux qui viendront t'y chercher. Tu revois ta femme, tes enfants;
+tu relèves ta maison, tu deviens riche.</p>
+
+<p>--Mais quels sont ces prisonniers? dit Macaruffo en faisant un effort
+visible.</p>
+
+<p>--Bon, pour que tu ailles les nommer.</p>
+
+<p>--Quoi, moi un espion? non, pas pour le double de l'or que tu m'as
+offert. Parle donc, qui sont-ils?</p>
+
+<p>--Ce seigneur et cette dame, dit le soldat en montrant les cachots qui
+renfermaient Pusterla et Marguerite.</p>
+
+<p>--Capperi! de gros oiseaux.</p>
+
+<p>--Gros ou non, qu'est-ce que cela te fait?</p>
+
+<p>--Cela me convient, dit Macaruffo; mais, d'honneur! ce n'est pas
+l'arpent qui me décide. A propos, le seigneur n'a-t-il pas un enfant
+avec lui?</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/37-08.png"></p>
+
+<p>--Qui, son fils, leur enfant à tous deux.</p>
+
+<p>--Mais, je veux dire, ils vont donc le laisser ici?</p>
+
+<p>--Non, non, il s'en ira avec eux.</p>
+
+<p>--Mas tu n'as parlé que de deux personnes.</p>
+
+<p>--Oh! l'autre, c'est sous-entendu. C'est la bonne mesure par-dessus le
+marché.</p>
+
+<p>--Que parles-tu de bonne mesure, de par-dessus le marché? Trois
+personnes pour cinquante florins d'or! Tu n'es pas raisonnable, et nous
+n'en parlerons plus, si tu ne le deviens pas davantage.»</p>
+
+<p>Le soldat lui montra un diamant qu'il avait au doigt, et lui remettant
+les florins d'or, lui promit le diamant aussitôt que les trois
+prisonniers seraient sortis de leur cachot. Le marché fut conclu, et
+Macaruffo, joyeux, se mit à compter ses florins d'or.</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/37-09.png"></p>
+
+<p>Ce soldat était Alpinolo, que nous avons laissé, dans cette funeste
+soirée du 20 juin 1310, sur la route de Brera, où il remit à Buonvicino
+le jeune fils de Pusterla. Certain d'être inscrit sur les listes de
+proscription, désespéré surtout de l'imprudence qui, en livrant à
+Ramengo le secret d'une conspiration imaginaire, avait fait prendre et
+traiter des mécontents comme des révoltés, il se mit d'abord à fuir au
+gré de son cheval, plutôt par un mystérieux instinct de conservation que
+par un acte bien réfléchi de sa volonté. Puis lorsque sa pensée parvint
+à se dégager des ténèbres qui l'obscurcissaient, et qu'il put voir
+clairement sa situation, dégoûté de la vie, résolu d'en finir avec les
+angoisses de ses remords, il tourna brusquement son cheval et reprit au
+galop la route de Milan. Il en était à peu de distance, lorsqu'il
+rencontra une troupe de proscrits dont il connaissait les principaux
+membres, qui lui firent rebrousser chemin, combattirent sa résolution et
+l'emmenèrent avec eux. Il demeura quelque temps avec ses frères
+d'infortune; mais les malédictions, dont ils accablaient l'auteur
+inconnu de la persécution qui était venue les atteindre, la pensée
+poignante qui torturait Alpinolo, que c'était lui, lui-même qui en était
+le véritable auteur, lui rendirent leur compagnie insupportable, et un
+jour, n'écoutant que son désespoir, il les quitta brusquement.</p>
+
+<p>Il se rendit à la cabane des bons meuniers qui avaient pris soin de son
+enfance. On a vu, par le récit de Maso à Ramengo, comment il y arriva,
+et comment il avait laissé en partant son cheval, son argent et les
+lettres de sa mère; mais ces braves gens, lorsqu'il partit, n'avaient
+point pénétré les funèbres pensées qui l'agitaient. Las de cette vie et
+des hommes, il résolut de mettre fin à ses jours. Après avoir jeté un
+dernier regard sur la maison des meuniers, qu'il apercevait encore dans
+le lointain, il se précipita dans le fleuve, et les flots se refermèrent
+sur lui; mais porté au fond de l'eau par l'effet de son propre poids,
+augmenté par la vitesse de sa chute, un mouvement de réaction le ramena
+bientôt à la surface, pendant que le courant l'emportait toujours en
+avant. A ce moment, l'instinct animal se réveilla en lui; presque à son
+insu, et sans qu'il eut aucune conscience raisonnée de ce qu'il faisait,
+ses mains s'étendirent pour fendre les flots, et comme il était
+excellent nageur, il réussit promptement à gagner la rive, où, épuisé de
+fatigue, il tomba dans une torpeur semblable au sommeil. Revenu à lui,
+il se repentit de sa tentative de suicide. «Je dois vivre, dit-il; je
+vivrai pour mon tourment et pour punir ce traître infâme.»</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/37-10.png"></p>
+
+<p>Lorsqu'il eut séché au soleil ses habits, désormais sa seule fortune, il
+se mit au service des paysans pour gagner sa vie. Parvenu en travaillant
+jusqu'à Pise, il y retrouva tous ses anciens amis de Milan, et reprit
+avec eux cette vie des bannis si pleine d'espérances, de projets,
+d'exagérations, qui, pour la plupart, se résolvent en fumée.</p>
+
+<p>Un jour qu'ils cherchaient de concert les moyens les plus prompts de
+recouvrer leur patrie, un des plus passionnés eut l'idée d'attenter aux
+jours de Luchino. Exalté par les discours qu'il avait entendus, entraîné
+d'ailleurs par sa propre haine, Alpinolo proposa de se charger de
+l'exécution de ce crime.</p>
+
+<p>Une acclamation unanime le confirma dans sa résolution. Milan est une
+grande et populeuse cité; la barbe qui ornait son jeune visage et qui
+était taillée à la mode des soldats, ses cheveux arrangés d'une façon
+nouvelle, un costume différent, lui donnaient l'assurance de n'être
+point reconnu. On parlait précisément, à cette époque, des recrutements
+que faisait Luchino parmi les brigands qui, après avoir désolé la
+contrée, las des profits incertains et irréguliers de leur vie errante,
+s'enrôlaient avec plaisir sous un drapeau mercenaire, et sous le
+commandement de Sfolcada Melik, et devenaient les gardiens des lieux
+qu'ils avaient d'abord infestés.</p>
+
+<p>Alpinolo se détermina à s'enrôler dans ces bandes. Il partit donc,
+encouragé par tous ses compagnons.</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/37-11.png"></p>
+
+<p>Il se rendit d'abord chez Maso, à qui il demanda le cher dépôt qu'il lui
+avait confié, l'anneau et les lettres de sa mère. Quelles imprécations
+il lança contre le ravisseur de ces gages sacrés, lorsqu'il apprit que
+la faiblesse de Nena avait livré à un étranger les lettres de Rosalie.
+Mais quand on lui apporta le diamant, comme un père qui retrouve un fils
+longtemps perdu, il s'apaisa, le pressa contre ses lèvres, et plus d'une
+grosse larme tomba de ses yeux sur cet unique souvenir de ses parents.
+Il alla se prosterner sur le monticule qui recouvrait la dépouille
+mortelle de sa mère, raviva les fleurs qui poussaient à l'entour, et
+prit congé des bons meuniers.</p>
+
+<p>«Maintenant, tu seras de retour Dieu sait quand, lui disait la Nena. Je
+suis vieille, une autre fois tu ne me trouveras plus; souviens-toi
+toujours de moi dans tes prières.</p>
+
+
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/37-12.png"></p>
+
+<p>--Point d'idées tristes, ajoutait Maso. Nous nous reverrons, n'est-il
+pas vrai, seigneur Alpinolo?</p>
+
+<p>--Oui, répondait-il, peut-être plus tôt que vous ne le pensez.</p>
+
+<p>--Et d'une humeur plus gaie, reprenait la Nena.</p>
+
+<p>--Et chargé d'honneurs et de richesses,» ajoutait Maso, qui, ayant vu le
+monde, savait en quoi consistent les félicités.</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/37-13.png"></p>
+
+<p>Alpinolo partit; il joignit une troupe de ces recrues, et entra avec
+elles dans la Lombardie. Tristes compagnons! ils étaient tous couverts
+de haillons, la plupart étaient en outre borgnes mi manchots, parce
+qu'ils avaient subi, comme voleurs, la peine imposée par les statuts de
+Milan, qui infligeaient la perte d'un &oelig;il pour le premier vol, et celle
+d'une main pour la récidive; pour la troisième, la potence.</p>
+
+<p>Il est facile d'imaginer ce que soutirait Alpinolo lorsqu'il vit la
+tranquillité publique tromper les rêves qu'il avait formés dans l'exil,
+et lorsque tout dans Milan lui rappelait les joies de sa jeunesse, les
+maîtres bienfaisants qui les lui avaient procurées, et qu'il devait
+s'accuser de les avoir plongés dans un abîme de malheurs. Il souffrait
+d'autant plus qu'il ne pouvait s'abandonner à ses chagrins que dans la
+solitude où il se réfugiait souvent pour songer à l'engagement qu'il
+avait pris.--L'occasion favorable de tuer Luchino s'était plus d'une
+fois offerte à lui, mais au moment de frapper il sentait son murage
+l'abandonner. Il s'excitait à marcher en avant, mais il reculait
+épouvanté devant l'impérieuse voix de sa conscience.</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/37-14.png"></p>
+
+<p>Il était un jour, à midi, appuyé dans ce coin du Broletto Normand où il
+s'était laissé trahir par Ramengo. Pendant des heures et des heures il
+tenait les yeux fixés sur la porte des Pusterla, par où il avait vu
+entrer Marguerite. Il alla à la Madone de San-Celso, qui, précisément à
+cette époque, avait commencé à devenir célèbre par ses miracles, et avec
+une ferveur brûlante, mais inquiète et tourmentée, bien différente de
+celle de l'homme qui demande la justice et obtient la paix, il supplia
+Notre-Dame. «Donnez-moi la force nécessaire pour tuer votre ennemi,
+l'ennemi du bien public, l'ennemi de cette sainte qui savait si bien
+vous imiter. Si vous me faites cette grâce, je fais v&oelig;u d'aller à
+Nazareth, comme un pèlerin armé, et de n'en pas revenir que je n'aie mis
+à mort mille de ces infidèles qui refusent d'adorer votre saint nom.»</p>
+
+<p>Dans cette prière insensée, dans ce v&oelig;u de vengeance fait à la Mère des
+miséricordes, il crut avoir puisé une nouvelle fermeté, et peu de jours
+après il lui parut se présenter une occasion favorable. Il était de
+garde près d'un pavillon de plaisance situé au milieu d'un bois
+artificiel, dans le parc de Belgiojoso, délices des Visconti. En
+regardant à travers les barreaux de la jalousie, qui laissait librement
+circuler l'air, il vit Luchino qui, enveloppé dans un manteau, s'était
+endormi seul avec ses deux mâtins à ses pieds et qui dormaient aussi.
+Alpinolo renouvela son v&oelig;u, s'approcha, brandit le poignard, le leva
+sur la tête du tyran, et s'écria au dedans de son c&oelig;ur: «Chien! tu ne
+le réveilleras plus qu'au jour du ingénient!»</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/37-15.png"></p>
+
+<p>Le jour du jugement! Cette idée arrêta son bras. «Le jour du jugement!
+lui et moi nous nous trouverons un jour en présence d'un commun juge! à
+ce tribunal, Luchino paraîtra avec le cortège de ses crimes--Et moi!
+devrai-je me montrer la main chargée d'un assassinat?» Il résolut de
+renoncer à son projet et s'efforça de sortir sans bruit; mais il n'en
+put faire si peu qu'il ne réveillât les chiens. Ils se levèrent en
+aboyant. Luchino se réveilla, et se leva en portant la main à son épée.
+Le hasard voulut qu'à l'instant même le capitaine Lucio entrait d'un air
+de triomphe rapporter comment on avait conduit dans la citadelle de la
+porte Romaine Francesco Pusterla et son fils.</p>
+
+<p>La présence du soldat fut interprétée comme un acte de zèle et pour
+avertir le prince de l'approche du nouvel arrivant, et Alpinolo fut
+sauvé. Mais le plus horrible des supplices, mais être déchiré, lambeau
+par lambeau eût à peine égalé pour lui la torture qu'il éprouva en
+entendant l'atroce nouvelle, en voyant l'impitoyable joie de Luchino et
+du capitaine de justice, qui se disaient entre eux: «Maintenant, nous
+allons les faire marcher rapidement. Demain à Milan, et la chose sera
+bientôt faite.»</p>
+
+<p>Son imprudence, lui avait donc encore réservé ce supplice. Aussi qui
+dépeindra ses épouvantables fureurs? A partir de cette heure, toute
+autre pensée fit place dans son esprit à celle de délivrer ces
+infortunés.</p>
+
+<p>Il lui fut facile de se faire charger de la garde des prisons de la
+porte Romaine. Nos lecteurs savent déjà comment il gagna le geôlier, et
+à quel prix Macaruffo lui promit de laisser échapper ses trois
+prisonniers.</p>
+
+<br><br>
+
+<h2>Bulletin bibliographique</h2>
+
+<p><i>La Recherche de l'Inconnue</i>; par <span class="sc">A. de Lavergne</span> (2).--<i>Voyage où il
+vous plaira</i>; par <span class="sc">Tony Johannot, Alfred de Musset et P.-J. Stahl</span>
+(3).--<i>Les Fastes de Versailles</i>; par <span class="sc">H. Fortoul</span>.(4).</p>
+
+<blockquote>Note 2: Deux vol. in-8, Dumont 15 fr.</blockquote>
+
+<blockquote>Note 3: Un vol. in-8, Herzel, 12 fr.</blockquote>
+
+<blockquote>Note 4: Un vol. in-8, Houdaille. 16 fr.</blockquote>
+
+<p>Le nouveau roman que vient de publier le fécond auteur de <i>la Duchesse
+de Mazarin</i> devrait s'appeler <i>la Blonde et la Brune</i>, ou <i>Laquelle des
+Deux</i>, ou les <i>Deux Maîtresses</i>. Au lieu d'une inconnue qu'il nous
+promet, M. A. de Lavergne nous en donne deux, et encore ses deux
+héroïnes ne restent-elles pas longtemps ce qu'elles devraient être. Dès
+les premiers chapitres son héros les connaît; il les trouve même sans
+les chercher, et il ne les reperd plus sérieusement. La première qualité
+d'un titre, ce n'est pas seulement de piquer la curiosité, c'est d'être
+vrai.--Quels que soient d'ailleurs l'intérêt et le mérite d'un livre, le
+lecteur garde toujours une certaine rancune secrète contre lui s'il n'a
+pas réalisé les rêves de son imagination.--La <i>recherche de
+l'inconnue</i>... à l'annonce d'une semblable expédition, qui ne se
+représente... Mais à quoi bon, en vérité, inventer ici le roman que M.
+A. de Lavergne aurait du faire? racontons plutôt en quelques mots celui
+qu'il a fait.</p>
+
+<p>M. Arthur d'Escorailles, le héros de ladite histoire, est «un véritable
+maître Jacques littéraire, courtisant toutes les Muses, couronné par
+toutes les gloires, tour à tour, et, suivant l'occasion, romancier,
+feuilletoniste, auteur dramatique, critique au besoin, poète même...,
+beau d'ailleurs et blond, et fils de l'Auvergne.» Il a eu de grands
+succès littéraires, tous ses amis envient son sort et les étrangers sont
+fiers de le connaître, etc. Inutile d'ajouter qu'il habite Paris. Un
+jour, en revenant de ses montagnes, où il était allé retremper son
+imagination fatiguée, il fit, dans le coupé de la diligence, la
+rencontre d'une jeune fille de dix-sept ans, «la plus ravissante
+créature qu'il fut possible d'imaginer: de grands yeux bleus, un visage
+plein de candeur et d'ingénuité, harmonieusement encadré dans de beaux
+cheveux d'un blond cendré retombant en grappes, le long de ses joues,
+jusqu'à la naissance du cou le plus souple et le plus élégant qui se
+puisse voir.» A cet aspect, le jeune lion littéraire «tressaillit et
+demeura la bouche béante, en proie à une telle stupéfaction, que celle
+qui en avait été l'objet ne put réprimer un sourire, sourire plein de
+charmes et qui laissa entrevoir à demi cachée dans des lèvres de corail
+une double rangée de dents blanches et fines comme des perles.» Ce
+premier regard avait,--cela se voit ailleurs que dans les
+livres,--transpercé deux c&oelig;urs des flèches de Cupidon.--Mais quelle
+était cette jeune fille inconnue? Bien qu'il eût fait des romans, Arthur
+d'Escorailles ne sut ni le deviner ni l'apprendre. Il ne put même pas
+lui parler, car il en était sépare par un obstacle insurmontable, un
+gros père bourru qu'il avait offensé en le priant poliment de ne pas
+dormir sur son épaule.--Mais «tant que la lune brilla au ciel, il resta
+les yeux amoureusement fixés sur cette jeune fille, et elle ne ferma
+pas les siens.»</p>
+
+<p>A peine de retour à Paris, Arthur d'Escorailles raconta cette aventure à
+quelques-uns de ses amis avec lesquels il avait dîné. Le soir même, en
+rentrant chez lui, <i>dans sa chartreuse</i>, pour faire une toilette de bal,
+son nègre lui remit un petit paquet d'une forme toute particulière et
+soigneusement cacheté. C'était un charmant bouquet de marguerites avec
+le billet suivant: «Voici mon nom, et je vous aime.»</p>
+
+<p>Ici donc, c'est-à-dire dès les premières pages du roman, commence la
+recherche des inconnues. Arthur d'Escorailles aime une jeune fille qu'il
+a vue, mais dont il ignore même le nom; il est aimé d'une femme qu'il
+n'a jamais vue peut-être, mais dont il connaît le nom. Comment les
+retrouver? Il nous paraît, quant à nous, avoir une trop grande confiance
+dans son bon génie, et ne pas s'inquiéter assez du résultat de cette
+aventure. Il s'habille tout simplement, et bien qu'il soit invité à la
+soirée du duc d'Orléans, il accompagne à un bal bourgeois un de ses amis
+qui veut à toute force le présenter à sa future.</p>
+
+<p>Arthur d'Escorailles est, en vérité, plus heureux qu'il ne mérite de
+l'être. Ce soir-la même un hasard providentiel lui fait retrouver ses
+deux inconnues, qu'il ne cherche pas: il revoit celle qu'il aime dans le
+bas de la rue des Lombards. Elle se nomme Laure; elle est la fille d'un
+négociant et la future de son malheureux ami. Celle dont il est aimé lui
+apparaît une heure après aux Tuileries dans les salons du duc d'Orléans.
+«C'était une jeune mariée, d'environ vingt-deux ans, grande, brune,
+élancée, belle de cette beauté toute plastique et toute sensuelle que la
+statuaire antique a prêtée à <i>Diane Chasseresse</i>. Elle avait les cheveux
+coiffés en bandeaux avec une couronne de marguerites entremêlées de
+diamants; sa robe de satin blanc était recouverte d'une robe de dentelle
+en forme de tunique, attachée sur les épaules par des agrafes de
+diamants, et relevée par des bouquets de marguerites; enfin, elle tenait
+à la main un bouquet exactement semblable à celui qu'Arthur
+d'Escorailles avait reçu lu soir même. En passant devant lui, elle se
+retourna avec beaucoup de vivacité et lui lança un tendre regard, un de
+ces regards dont l'un des maîtres de la lyre, Ronsard, disait si
+poétiquement au seizième siècle:</p>
+
+<p class="mid">J'ai vu ses yeux, j'en ai bu le poison;
+</p>
+
+<p>puis elle disparut, et Arthur, arrêté par le duc d'Orléans, ne put ni la
+suivre ni la retrouver.</p>
+
+<p>Comme on le voit par cette rapide analyse, le sujet du roman se dessine
+nettement. Il ne s'agit plus de savoir désormais si le héros retrouvera
+les deux héroïnes, mais laquelle des deux il préférera, ou plutôt s'il
+ne les aimera pas toutes les deux en même temps. Arthur d'Escorailles
+est longtemps indécis: pendant plusieurs mois il lutte entre son c&oelig;ur
+et ses sens, entre un bonheur légitime et une passion coupable; se
+décide-t-il un jour à épouser Laure, le lendemain il renonce au mariage
+pour l'amour adultère; bien qu'elle lui ait avoué qu'elle ne l'aimait
+pas qu'elle ne l'avait jamais aimé, que sa déclaration était une
+mystification, il poursuit Marguerite et se bal en duel avec son mari,
+le marquis de Saint-Fare. Grièvement blessé, il est soigné et sauvé par
+Laure, mais il ne pense qu'à Marguerite, qu'il a aperçue un instant au
+chevet de son lit. Une seconde fois il se résout à se marier avec la
+jeune fille dévouée. La femme passionnée devient veuve... Que fera-t-il
+alors? C'est là le secret de M. A. de Lavergne, et nous sommes incapable
+de le trahir.</p>
+
+<p>Ce nouveau roman n'ajoutera rien, nous le craignons, à la réputation si
+bien établie de l'auteur de <i>la Duchesse de Mazarin</i>. Il est tout à la
+fois trop long et trop court. Certains tableaux sont surchargés de
+détails inutiles, et les caractères des personnages principaux ne nous
+semblent pas toujours ni suffisamment originaux, ni assez développés.
+Mais le sujet, fort intéressant d'ailleurs, est traité avec une grande
+habileté de mise en scène. On sent, en lisant <i>la Recherche de
+l'Inconnue</i>, que M. A. de Lavergne a déjà fait beaucoup de drames et de
+romans. Nous avons une trop haute opinion de son talent pour ne pas lui
+donner le conseil de songer un peu plus à l'avenir qu'au présent, et de
+préférer des succès vraiment littéraires à des triomphes de feuilletons.</p>
+
+<p>Abandonnons donc <i>la Recherche de l'Inconnue</i>, et tentons pour un moment
+une autre entreprise: c'est un <i>Voyage où il vous plaira</i>, écrit à la
+plume et au crayon. Qui de vous, ô lecteurs de <i>l'Illustration</i>, ne se
+laisserait séduire par les trop irrésistibles attraits d'un si beau
+titre? Comme tous vos semblables en général, vous aimez, j'en suis
+convaincu, à faire ce qui vous plaît; mais mieux que beaucoup d'entre
+eux qui sont privés du bonheur dont vous jouissez, vous savez apprécier
+ce genre d'ouvrages, où la plume et le crayon prennent plaisir, tantôt à
+expliquer les curieux mystères de leurs plus ravissants caprices; tantôt
+à vous représenter simplement tels qu'ils ont eu lieu ou tels qu'ils
+sont, les objets et les événements que vous pouvez regretter de n'avoir
+pas vus. D'ailleurs, admirez-vous beaucoup de dessinateurs plus
+gracieux, plus originaux et plus habiles que Tony Johannot? Existe-t-il,
+à votre connaissance, un grand nombre d'écrivains qui aient autant
+d'imagination, d'esprit et de finesse, et qui sachent profiter avec
+autant de bonheur de toutes les ressources de notre langue, que MM.
+Alfred de Musset et P. J. Stahl? Pourriez-vous résister aux séductions
+réunies de ce titre piquant et de ces noms si justement aimés? Ouvrez,
+ce magnifique volume, l'Avant-Propos mettra fin à votre irrésolution.
+Que ne vous promet-il pas, en effet?--et je me rendrais, au besoin, son
+garant,--il tiendra toutes ses promesses.</p>
+
+<p>Ce n'est pas qu'il vous dise pourquoi vous partez ni où vous allez. Une
+pareille confidence pourrait avoir ses dangers. Pourquoi voyage-t-on?
+N'est-ce pas, en outre de l'avantage incontestable que chacun ne peut
+manquer de trouver à changer de lieu ici-bas? n'est-ce pas surtout pour
+courir après l'imprévu, par exemple, et faire (en tout bien tout
+honneur) les yeux doux au hasard?...</p>
+
+<p>Mais si les auteurs du <i>Voyage où il vous plaira</i> ne vous confient pas
+leur projet, pour ne pas gâter par avance ce qu'il y a de meilleur dans
+tout voyage, le petit bonheur des surprises, le bénéfice des rencontres,
+etc., ils s'engagent «à vous conduire sans encombres, sans accidents,
+sans culbutes, sans trop de paroles et sans trop de frais, à l'abri du
+froid lui-même--pour peu que vos portes soient bien closes et vos
+cheminées bien garnies--tout au bout de ce monde d'abord et même un peu
+dans l'autre, pour peu que vous y soyez disposé; tout cela, songez-y
+bien, sans qu'il vous soit besoin de rien quitter, ni vos enfants, qui
+sont les plus aimables enfants du monde et qui ne sont de trop nulle
+part;--ni vos amis qui vous aiment, ni le coin de votre feu que vous
+aimez; rien, enfin, de ce qui vous plaît ou de ce qui vous retient...»</p>
+
+<p>A ce compte-là, qui ne partirait pas? Parlons-nous?... Quant à moi,
+dussiez-vous rester ou m'abandonner en route, je pars; je suis parti.</p>
+
+<p>Il était une fois un brave et bon jeune homme qui ne pouvait rester en
+place; c'était son seul défaut (j'ai un ami intime qui lui ressemble).
+On n'est bien, disait-il, que là où l'on n'est pas,» et là dessus il
+parlait. Bref, il avait la passion des voyages et il la satisfaisait
+constamment. Cependant, après avoir fait quatre ou cinq fois le tour du
+monde, il revint un jour dans son pays natal, bien décidé à ne plus
+jamais repartir. Ce brave et bon jeune homme était amoureux; plus en
+outre résolu que M. d'Escorailles, il allait épouser la belle
+Marguerite, qu'il aimait. La veille du jour fixé pour la célébration de
+son mariage, il rentra chez lui un peu tard, tourmente par certains
+regards trop sévères que lui avait jetés durant la soirée son futur
+beau-père. Il alluma sa pipe et brûla tous livres de voyages, qu'il ne
+regardait plus que comme d'absurdes mensonges. Mais cet effort l'avait
+anéanti: il retomba sans forces dans son fauteuil, s'endormit et rêva.
+Tout à coup on frappa à la porte. «Entrez!» s'écria-t-il. C'était Jean,
+son bon, son cher Jean, son meilleur ami, son fidèle compagnon de
+voyage. «Viens avec moi.» lui dit Jean. Il hésita un instant à la pensée
+de sa Marguerite, puis il partit. Est-il besoin de vous rappeler qu'il
+avait la passion des voyages?</p>
+
+<p>Quant à moi, bien que j'aime beaucoup à voyager, je ne les suivrai
+point. Qu'il me suffise de vous apprendre que Franz, c'est le nom du
+fiancé, a laissé une relation manuscrite de ce voyage, à laquelle MM. A.
+de Musset et Stahl ont emprunté les épisodes suivants:<br>
+Les fleurs des bois;<br>
+L'histoire d'un berger;<br>
+Les amours du petit Job et de la belle Claudine;<br>
+La vie et la mort;<br>
+Les étoiles;<br>
+L'histoire de l'homme au grand chapeau;<br>
+Un jour à Londres.</p>
+
+<p>En quittant l'Angleterre, nos deux voyageurs firent le tour de l'Europe
+(ils avaient déjà fait celui des quatre autres parties du monde); bref,
+en revenant dans je ne sais quels pays, le navire qui les portait fut
+assailli d'une violente tempête et sombra. Franz perdit un instant
+connaissance. Quand il rouvrit les yeux, il lui sembla entendre trois
+petits coups frappés à sa porte. «Entrez,» s'écria-t-il. C'était M.
+Kolb, son tailleur, qui lui apportait son habit de noces. A sa grande
+surprise. Il se trouvait dans sa chambre,--sa chère petite chambre
+bleue.--pareille en tout à celle de sa fiancée;--c'était dans son
+fauteuil qu'il s'était endormi, qu'il avait couru les aventures, qu'il
+était parti enfin et revenu; mais de coursiers ailés et de navires, de
+voyages et de naufrages et de morts, il n'était pas question; il n'avait
+fait qu'un rêve. Le lendemain il épousa sa fiancée. Sa noce fut superbe:
+elle dura trois longs jours; on y dansa, on y valsa, on y tira un grand
+nombre de coups de fusil, on y fit tout le bruit qu'à tort ou à raison
+on a coutume de faire autour des gens qui se marient; mais enfin. Dieu
+merci, chacun rentra chez soi.</p>
+
+<p>Tel est le cadre ingénieux qui a fourni à MM. Alfred de Musset et P.-J.
+Stahl l'occasion d'écrire 170 pages fort agréables à lire, et à M. Tony
+Johannot celle de composer 63 de ses plus charmants dessins gravés sur
+bois. Comme livre d'étrennes et de salon, le <i>Voyage où il tous plaira</i>
+sera un des plus grands et des plus légitimes succès de l'année 1843.</p>
+
+<p>Les <i>Fastes de Versailles</i> ont déjà plusieurs années d'existence; mais
+l'édition que nous annonçons (la troisième ou la quatrième) est à peine
+terminée. D'ailleurs, qui n'éprouverait toujours un nouveau plaisir à
+revoir les splendides merveilles de ce magnifique palais, surtout
+lorsqu'on a pour guide et pour cicérone uni écrivain aussi aimable et
+aussi intelligent que M. H. Fortoul? Autant Versailles est supérieur aux
+autres résidences royales, autant le livre de M. H, Fortoul s'élève
+au-dessus des autres ouvrages dont Versailles a fourni le sujet.
+Personne ne l'avait jamais mieux compris et mieux expliqué que l'auteur
+de ses <i>Fastes</i>; il ne se contente pas de nous décrire, dans un style
+tout à la fois grave et animé, les magnificences inouïes que
+représentent d'admirables gravures sur acier, il sait en découvrir, il
+en révèle le véritable sens. Il raconte entièrement cette belle <i>épopée
+de pierre</i>, il nous donne l'analyse la plus complète et la plus exacte
+qui se puisse désirer de ce vaste poème royal que tant de gens avaient
+vu, avant la publication de cet ouvrage, sans le comprendre.</p>
+
+<p>«Versailles, dit M. H. Fortoul, est l'expression de la monarchie, telle
+que Louis XIV l'a conçue. C'est le résumé fidèle de l'&oelig;uvre du grand
+roi. On s'étonne quelquefois que son règne, si fertile en beaux génies,
+n'ait pas produit de poème épique. En effet, la poésie revêtit alors
+toutes les formes hormis celle-là; mais l'épopée du dix-septième siècle,
+c'est Versailles. En quel livre raconta jamais la destinée d'une époque
+d'une manière plus brillante et plus complète? quelle gloire n'est pas
+écrite dans ce palais? quel mystère n'y est pas révèle? La vie héroïque
+et la vie familière s'y mêlent à chaque pas: derrière ces grandes
+murailles, au bout de ces grandes galeries, au coin de ces grands
+appartements, qui sont pleins de la majesté royale, il y a des petits
+réduits et des passages ignorés qui vous apprennent mille histoires
+secrètes. Ce palais a deux voix: il parle des choses les plus graves et
+des choses les plus frivoles; il est à la fois profond comme Tacite et
+indiscret comme Suétone. Il a des contes de toute espèce à vous faire,
+et des vérités de toute nature à vous dire. Il possède l'art de vous
+émouvoir et de vous égayer tour à tour; et comme s'il joignait le génie
+de Molière à celui de Corneille, il fait succéder les scènes comiques
+aux tragédies avec une rapidité merveilleuse. Il a tout vu passer sur
+ses dalles de marbre: les rois, les poètes, les ministres, les
+courtisans, les confesseurs, les maîtresses en titre ou autrement, les
+reines sans pouvoir et celles qui en avaient trop, les ambassadeurs, les
+généraux vainqueurs ou vaincus, les petits abbés, les grandes dames,
+l'épée et la robe, la noblesse, le clergé, même le tiers, même le
+peuple... Et maintenant que tout cela n'est plus, il en fait
+d'admirables récits à qui veut l'interroger.»</p>
+
+<p>Mais de tous les écrivains qui ont interroge Versailles, aucun n'a reçu
+des confidences aussi curieuses que M. H Fortoul, aucun surtout ne les
+avait révélées avec plus de réserve, d'esprit et de bonheur. Ce
+remarquable ouvrage de l'auteur de <i>l'Art en Allemagne</i> est un véritable
+monument littéraire qui vivra aussi longtemps--nous l'espérons--que le
+palais de Louis XIV.</p>
+
+<br><br>
+
+<h2>Modes.</h2>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/010a.png"><br>
+<p class="rig"><img alt="" src="images/010b.png"><br>
+
+<p>Quelques objets d'art sont offerts cette année aux chasseurs du grand
+monde, à l'occasion de la Saint-Hubert, par deux de ces établissements
+de luxe que l'élégance a depuis longtemps pris sous son patronage.</p>
+
+<p>Voici d'abord un couteau et un fouet de chasse dont Verdier a confié
+l'exécution à l'un de nos plus habiles sculpteurs d'animaux: ils sont
+sortis si parfaits des mains du l'artiste, qu'ils peuvent soutenir la
+comparaison avec les plus délicates orfèvreries de la Renaissance. Ces
+précieuses armes de chasse tiendront la place, la plus distinguée dans
+les panoplies groupées à grands frais sur les panneaux du cabinet ou
+armeria, qui, chez nos jeunes amateurs de sport, a remplacé l'ancien et
+classique boudoir.</p>
+
+<p>Comme complément de ce trophée, les frères Susse ont dédié aux chasseurs
+une statuette de saint Hubert, due à l'élégant ciseau de M. Mélingue,
+que la sculpture repose des fatigues de l'Art dramatique.</p>
+
+<br><br>
+
+<h2>Amusements des Sciences.</h2>
+
+<h4><span class="sc">solution des questions proposées dans le dernier numéro</span></h4>
+
+<p>1. La disposition des trente personnes se tirera de ce vers latin:</p>
+
+<p class="mid">Populeam virgam mater regina ferebat.</p>
+
+<p>Pour s'en servir, il faut faire attention aux voyelles A, E, I, O, U,
+qui se trouvent dans les syllabes de ce vers, en observant que A vaut 1,
+E vaut 2, I vaut 3, O vaut 4 et U vaut 5. On commencera donc par mettre
+les chrétiens, à cause de l'ode la première syllabe; puis 5 Turcs, à
+cause de l'U de la seconde: et ainsi de suite jusqu'à la fin; on
+trouvera que, prenant toujours le neuvième circulairement, c'est-à-dire
+en recommençant par le premier, après avoir achevé le rang, le sort ne
+tombera absolument que sur des Turcs.</p>
+
+<p>Ou peut aisément étendre davantage la solution de ce problème. Qu'il
+faille, par exemple, faire tomber le sort sur 10 personnes de 10, en
+comptant de 12 en 12, on rangera à part 40 zéros, et, en commençant par
+le premier, on marquera le douzième d'une croix; l'on continuera en
+comptant jusqu'à 12, et l'on marquera pareillement d'une croix le zéro
+sur lequel on tombera en comptant 12, et ainsi de suite en tournant et
+en faisant attention de passer les places déjà croisées, attendu que
+ceux qui les occupaient sont censés retranché du nombre. On continuera
+ainsi jusqu'à ce qu'un ait le nombre requis de places marquées; et
+alors, en comptant le rang qu'elles occupent, en commençant par la
+première, on connaîtra facilement celles sur lesquelles doit
+nécessairement tomber le sort de 12 en 12. On trouve, dans l'exemple
+proposé, que ce sont la septième, la huitième, la onzième, la douzième,
+la vingt-unième, la vingt-deuxième, la vingt-quatrième, la
+trente-quatrième, la trente-sixième et la trente-septième.</p>
+
+<p>Un capitaine, obligé de faire décimer sa compagnie, a pu user de cet
+expédient pour faire tomber le sort sur les sujets les plus coupables,
+en les plaçant sans affectation dans les places ou le sort tombait
+immanquablement.</p>
+
+<p>On raconte que ce fut par ce moyen que l'historien Josèphe sauta sa vie.
+Il s'était réfugié avec quarante autres Juifs dans une caverne, après la
+prise de Jolapat par les Romains. Ses compagnons résolurent de
+s'entre-tuer plutôt que de se rendre. Josèphe essaya en vain de les
+dissuader de cette horrible résolution. Enfin, n'en pouvant venir à bout
+il feignit d'adhérer à leur volonté, et, se conservant l'autorité qu'il
+avait sur eux comme leur chef, il leur persuada, pour éviter le
+désordre; qui suivrait cette cruelle exécution s'ils s'entre-tuaient à
+la foule, de se ranger par ordre, et, en commençant à compter par un
+bout jusqu'à un certain nombre, de massacrer celui sur qui tomberait ce
+nombre, jusqu'à ce qu'il n'en demeurât qu'un seul, qui se tuerait
+lui-même.</p>
+
+<p>Tous en étant demeurés d'accord, Josèphe les disposa de telle sorte, et
+choisit pour lui-même une telle place, que, la tuerie étant continuée
+jusqu'à la fin, il demeura seul avec un autre, auquel il persuada de
+vivre, ou qu'il tua s'il ne voulut pas y consentir.</p>
+
+<p>Telle est l'histoire, qu'Hégésippe raconte du Josèphe, et que nous
+sommes bien éloignés de garantir. Quoi qu'il en soit, en appliquant à ce
+cas le moyen enseigné ci-dessus et un supposant que chaque troisième dût
+être tué, on trouve que les deux dernières places sur lesquelles le sort
+devait tomber étaient les treizième et vingt-huitième; en sorte que
+Josèphe dut se mettre à l'une des deux, et placer à l'autre celui qu'il
+voulait sauver, s'il eût eu un complice de son artifice.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/010c.png"></p>
+
+<p>II. Si le fardeau peut être porté par quatre hommes, après l'avoir
+attaché au milieu d'un grand levier AB, faites porter les extrémités de
+ce levier sur deux autres plus courts, CD, EF, et à chacun des points C,
+D, E, F, appliquez un homme: il est évident que le poids sera distribué
+également entre les quatre hommes</p>
+
+<p>S'il faut huit hommes, faites à l'égard de chacun des leviers C, D, E,
+F, ce que vous avez fait à l'égard du premier, c'est-à-dire que les
+extrémités du levier CD soient portées par les levier» plus courts a, b,
+c, d, et celles du levier EF par les leviers e, f, g, h; enfin, mettez
+un homme à chacun des points a, b, c, d, e, f, g, h, vous aurez huit
+hommes également chargés.</p>
+
+<p>On peut de même porter les extrémités des leviers ou barres a, b, c, d,
+e, f, g, h, par de nouvelles barres disposées à angles droits avec
+celles-là, et au moyen de cet artifice le poids sera distribué entre
+seize hommes, et ainsi de suite.</p>
+
+<p>On prétend qu'à Constantinople on emploie cet artifice pour enlever les
+plus grands fardeaux, comme des canons, des mortiers, des pierres
+énormes, etc. On conte que la vitesse avec laquelle les porte-faix
+transportent ces fardeaux d'un lieu à un autre est une chose vraiment
+remarquable.</p>
+
+<p><span class="sc">Nota</span>. C'est par erreur que l'on a donné, dans le dernier numéro de
+<i>l'Illustration</i>, à la page 160, une figure qui ne convient pas au
+problème IV. Voici la figure qu'il fallait mettre:</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/010d.png"></p>
+<br>
+
+<h4>NOUVELLES QUESTIONS A RÉSOUDRE.</h4>
+
+<p>I. Trouver le centre de gravité de plusieurs poids fixés à une barre
+rigide.</p>
+
+<p>II. On demandait à Pythagore combien d'élèves fréquentaient son école;
+le philosophe répondit: «Une moitié étudie les mathématiques, un quart
+la physique, un septième garde le silence, et il y a de plus trois
+femmes.» Combien Pythagore avait-il d'élèves.</p>
+
+<p>III. On demande quelle heure il est; l'on répond que ce qui reste du
+jour est les quatre tiers des heures déjà écoulées. Trouver cette heure.</p>
+<br><br>
+
+<h2>Rébus</h2>
+
+<h4>EXPLICATION DES DERNIERS RÉBUS.</h4>
+
+<p>1- Une Soubrette.</p>
+
+<p>2- Si l'argent est précieux, il entraîne souvent les hommes au vice.</p>
+<br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/010e.png"></p>
+
+
+
+<br><br>
+</div>
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of L'Illustration, No. 0037, 11 Novembre
+1843, by Various
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, 11 NOV 1843 ***
+
+***** This file should be named 39481-h.htm or 39481-h.zip *****
+This and all associated files of various formats will be found in:
+ http://www.gutenberg.org/3/9/4/8/39481/
+
+Produced by Rénald Lévesque
+
+Updated editions will replace the previous one--the old editions
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+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
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+
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+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
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+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation information page at www.gutenberg.org
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
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+North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email
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+Foundation's web site and official page at www.gutenberg.org/contact
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+
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+works.
+
+Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For forty years, he produced and distributed Project
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+
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+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
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+
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+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
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Binary files differ
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+This eBook, including all associated images, markup, improvements,
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+in the PUBLIC DOMAIN IN THE UNITED STATES.
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