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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: L'Illustration, No. 0037, 11 Novembre 1843 + +Author: Various + +Release Date: April 19, 2012 [EBook #39481] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, 11 NOV 1843 *** + + + + +Produced by Rénald Lévesque + + + + + + +L'Illustration, No. 0037, 11 Novembre 1843 + +L'ILLUSTRATION, +JOURNAL UNIVERSEL. + +Nº 37. Vol. II.--SAMEDI 11 NOVEMBRE 1843. +Bureaux, rue de Seine, 33. + +Ab pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois, 16 fr.--Un an, 30 fr. +Prix de chaque N°, 75 c.--La collection mensuelle br., 2 fr. 75. + +Ab. pour les Dép.--3 mois, 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an, 32 fr. +pour l'Étranger. -- 10 -- 20 -- 40 + + + +SOMMAIRE + +Courrier de Paris. _Salle des Pas-Perdus, au Palais-de-Justice_. +--Histoire de la Semaine. _Portrait de M. Dupin; Hôtel de M. +Molé_.--Théâtres.--Opéra-Comique. _Une scène du Déserteur;_ Français, +_Une scène d'Eve_, 2e acte.--Misère publique.--Une Bouteille de +Champagne, nouvelle, par André. Delrieu.--La Saint-Hubert. _Une Chasse +dans un hôtel; la Saint-Hubert du garde; Vision de saint Hubert; la +Bénédiction des Chiens; une Saint-Hubert dans la rue +Saint-Honoré_.--Margherita Pusterla. Roman de M. César Cantù.--Chapitre +XVII, Trahison; chapitre XVIII, le Soldat. _Quinze Gravures_.--Bulletin +bibliographique. _La Recherche de l'Inconnue_, par A. de Lavergne; +_Voyage où il vous plaira_, par Tony Johannot, Alfred de Musset et P.-J. +Stahl; _Les Fastes de Versailles_, par M. Fortoul.--Annonces.--Modes. +_Deux Gravures_.--Amusements des Sciences. _Deux Gravures._--Rébus. + + + +Courrier de Paris. + +Il a bien fallu que MM. les présidents, MM. les juges, MM. les +conseillers, MM. les procureurs et avocats-généraux en prissent leur +parti comme les autres: le mois de novembre, les chassant de leurs +maisons des champs, les a contraints de reprendre la toge et le bonnet +carré. Heureux toutefois les desservants de Thémis, comme on disait en +vieux style, cent fois heureux de pouvoir prolonger leurs loisirs +jusqu'au jour de _la Toussaint_. C'est une douceur qui leur est +particulière, une gratification extraordinaire de bon temps et d'heures +fainéantes qu'ils prélèvent sur les vacances, et dont personne, parmi +les gens du robe et d'affaires, ne jouit au même degré de licence, ni +avocats, ni notaires, ni avoués, ni préfets, ni bureaucrates, ni +ministres, ni vous surtout, ô joyeux écoliers, pour qui le mot +_vacances_ semble avoir été plus particulièrement inventé. Mais, comme +dit Figaro, c'est une si belle chose que la justice.... quand elle est +juste, qu'on ne saurait trop l'encourager. + +Les tribunaux sont donc en train de rouvrir leurs portes depuis huit +jours, et la salle des Pas-Perdus se repeuple: moment trois fois béni +pour l'écrivain publie accolé aux piliers du Palais-de-Justice, et pour +la loueuse de journaux, qui voient leur clientèle revenir! Jour +impatiemment attendu par l'habitué des séances judiciaires, par +l'amateur de procès, dont l'appétit quotidien et dévorant ne trouvait +qu'une nourriture insuffisante dans l'entremets servi par les chambres +de vacations. Maintenant il va se remettre à la ration complète, et se +gorger de vols, de meurtres, d'adultères, de séparations de corps et de +licitations entre mineurs. + +[Illustration: La rentrée des tribunaux.--Salle des Pas-Perdus, au +Palais-de-Justice.] + +Voyez comme la vie et le mouvement sont rentrés au Palais depuis que la +Cour de cassation et la Cour royale en robes rouges ont inauguré la +nouvelle année judiciaire en séance solennelle. La salle des Pas-Perdus +était silencieuse; et morne; maintenant tout s'y agite, tout y va, tout +y vient, tout y gesticule, tout y parle; le client court après l'avocat, +l'avocat après le juge, le clerc après l'avoué, le saute-ruisseau après +le maître-clerc, l'huissier après le gendarme, le stagiaire après un +bandit de Cour d'assises ou de police correctionnelle. Ô salle des +Pas-Perdus, ô curieux pandoemonium où se rencontrent et se coudoient la +vérité et le mensonge, la bonne foi et la ruse, l'ignorance et le +savoir, la vertu et le vice, Démosthènes et Petit-Jean, d'Agnesseau et +Perrin Dandin! + +On appelle cette réinstallation annuelle de la justice la _rentrée_ des +tribunaux. C'est le terme consacré, et les journaux n'en connaissent pas +d'autre. «Hier, disaient-ils, la Cour de cassation a fait sa _rentrée_, +M. le procureur-général Dupin a prononcé le discours de _rentrée_.» +comme on dit la rentrée de mademoiselle Carlotta Grisi, la rentrée de M. +Baroilhet, la rentrée de M. Ligier, la rentrée de mademoiselle Plessis, +la rentrée de _Partisan_ et de _l'Aérienne_. Quoi donc! se servir du même +terme pour deux choses si différentes! Parler de la même façon d'un +acteur et d'un procureur-général, de la Cour de cassation et d'une +danseuse, de la justice et d'un cheval savant! Annoncer que celle-ci a +fait sa rentrée comme celui-là, n'est-ce pas là une grande irrévérence, +et le dictionnaire n'aurait-il pas dû se montrer plus respectueux? A +moins qu'aux yeux du dictionnaire, il n'y ait partout, dans la salle des +Pas-perdus comme au théâtre, que des danseurs et des comédiens qui +cabriolent avec plus ou moins d'habileté, et remplissent plus ou moins +bien leurs rôles! + +Puisque nous parlons comédie, ne laissons point passer le Conservatoire +sans lui dire un mot. Le Conservatoire, en effet, a tenu sa séance +solennelle le même jour que la Cour de cassation; mais il ne s'agissait +pas de prononcer une harangue éloquente contre les jésuites, comme l'a +fait M. Dupin, ni de retracer les devoirs austères du magistrat; le +Conservatoire n'entonne pas d'aussi graves trompettes: il chante, voilà +tout, ou déclame des chansons et des vers plus ou moins mondains. Le +Conservatoire enseigne la comédie, la fugue, la tragédie et +l'opéra-comique, s'occupant non pas de rendre la justice aux hommes, +mais de les divertir, soit en les charmant par des voix et des +instruments mélodieux, soit en les faisant rire, soit en les faisant +pleurer. Le Palais, pour encourager ses nourrissons, a le siège du juge +et l'hermine du président; le Conservatoire n'offre aux siens qu'une +simple couronne de laurier. L'autre jour donc, il a fait la distribution +de ces couronnes et les a placées sur de jeunes fronts de quinze à vingt +ans, émus et rougissant des joies du premier succès. + +Si le Conservatoire ne produit pas tous les ans de grands Compositeurs, +de grands chanteurs, de grands acteurs et de grands musiciens, ce n'est +pas faute du moins de distribuer des prix: prix de fugue, prix +d'harmonie, prix de solfège, prix de chant, prix d'orgue, prix de piano, +prix de harpe, prix de violon, de violoncelle, de contre-basse, de +flûte, de hautbois, de clarinette, de basson, de cor, de trompette, de +trombone, de comédie, de déclamation lyrique, d'opéra-comique et de +tragédie. Ainsi tous les ans une armée de lauréats sort de la rue +Bergère ceinte des palmes du Conservatoire, musique en tête, marotte et +poignard au côté, prête à promener l'alexandrin, la roulade et l'archet +_per tutam terram impune_. + +On a particulièrement distingué, dans le dernier couronnement, M. Got, +M. Roger, M. Chotel, mademoiselle Grandhomme, et enfin un jeune homme +qui porte un nom cher à l'Opéra-Comique, le nom de Ponchard. Tous ces +conscrits en veulent à Molière ou à Corneille, même M. Ponchard, bien +qu'il soit fils de l'ariette et de la cavatine; soit! mademoiselle et +messieurs, jouez la comédie et maniez le poignard, puisque tel est votre +bon plaisir; et si par hasard vous pouviez nous rendre mademoiselle Mars +et Talma, ou quelques-uns de ces dieux de l'art disparus depuis +longtemps, soyez sûrs que personne n'y trouverait à redire. Mais que de +couronnes semées par le Conservatoire se sèchent tout à coup et ne +donnent pas de moisson! + +Tandis que les écoles s'efforcent de faire des hommes de talent et de +génie et n'y réussissent guère, la nature, qui ne monte pas en chaire et +ne s'affuble jamais de la robe magistrale, les fait éclore, sans leçons +et sans férule. Nous avons parlé l'autre jour du jeune Beuzeville, ce +simple ouvrier qui s'était endormi tisserand, et tout à coup s'est +éveillé poète. Voici qu'on nous annonce une autre merveille: il s'agit +encore d'un poète subitement inspiré par la muse au fond de sa boutique +et sous sa veste d'artisan. Celui-ci s'appelle Constant Hilbey; il +arrive de Fécamp chargé de provisions poétiques. On ne dit pas si M. +Constant Hilbey apporte sa tragédie, comme M. Beuzeville, et si quelque +_Spartacus_ ou quelque _Brutus_ se trouve dans son bagage; mais cela se +devine. Quel poète n'a pas commencé par une tragédie? Il est donc +très-probable que M. Constant Hilbey frappe en ce moment à la porte de +l'Odéon ou du Théâtre-Français, et avant huit jours nous lirons dans +quelque journal _bien informé_; «Un jeune tonnelier, ou miroitier, ou +cordonnier, ou charron, ou carrossier de Fécamp a lu hier, devant +messieurs les comédiens ordinaires du roi, une tragédie intitulée +_Idoménée_, qui renferme des beauté» du premier ordre: c'est du +Corneille mêlé de Racine, assaisonné de Shakspeare; en conséquence, +l'ouvrage a été reçu à corrections.» + +Horace, de son temps, disait; «Les villes ne laisseront bientôt plus de +terre au laboureur!» Ne pourrait-on pas craindre aujourd'hui, en +retournant l'apostrophe d'Horace, que la plume ne laisse bientôt plus de +bras à l'atelier? Qui tissera la toile? qui fondra le fer et le bronze? +qui taillera la pierre et le marbre, si de chaque peloton de fil, de +chaque, kilogramme de fer, de chaque bloc de marbre, il sort un rimeur +et une tragédie? + +Parlez-moi de M. Félix, à la bonne heure! il n'y a rien à lui dire: la +vocation de M. Félix est, non pas de jouer la tragédie lui-même, mais de +la faire jouer aux autres. Il tient ce droit de mademoiselle Rachel, son +illustre fille, qu'il a nourrie et dressée à la tragédie de ses propres +mains, dès ses plus jeunes ans, comme dit la nourrice de Phèdre. + +M. Félix à donc résolu de faire _une suite_ à mademoiselle Rachel, et il +s'est dit: «Si je pouvais avoir trois ou quatre Melpomènes de cette +force là, mes affaires n'en iraient que mieux; et après tout, qu'est-ce +que cela me coûte? Je possède mon brevet d'invention, et je sais la +manière de s'en servir. En conséquence, M. Félix a fait mademoiselle +Rébecca et M. Raphaël, et après les avoir faits, à peine avaient-ils eu +le temps de croître, qu'il les a revêtus, l'un des éperons du Cid, +l'autre du voile de Chiméne. Ainsi façonnés de la main de leur père, +mademoiselle Rébecca et M. Raphaël se sont intrépidement précipités sur +la scène de l'Odéon, en débitant des vers de Corneille. + +Mademoiselle Rébecca n'a que quatorze ans, M. Raphaël en a seize; on +voit que M. Félix est si pressé de jouir et de mettre ses fruits en +rapport, qu'il ne leur laisse pas même la permission de mûrir.--M. +Raphaël a déjà de l'aplomb, du feu, de l'énergie, comme s'il avait +suffisamment de barbe au menton. Quant à mademoiselle Rébecca, ce n'est +qu'une enfant qui singe, avec une exactitude encore plus pénible à voir +que surprenante, l'allure, le geste, le ton, la voix de sa soeur +mademoiselle Rachel. Figurez-vous une Chiméne en bas âge, tout juste +bonne à figurer au Gymnase-Enfantin. Au premier mot le public a d'abord +paru désagréablement surpris; puis il a fini par se conduire envers +cette petite comme un père indulgent, et par lui jeter quelques bravos, +faute de s'être pourvu de tartines de confiture et de dragées. + +M. Félix a encore deux enfants après ceux-là, une fille et un garçon; il +les a voués, comme les autres, à la tragédie, et il s'en vante. Tous +deux sont âgés de sept à huit ans; on pense que M. Félix fera débuter +avant quinze jours le petit garçon de sept ans dans le rôle de +Mithridate, et la petite fille de huit ans dans celui d'Agrippine. Ne +serait-il pas nécessaire cependant d'appliquer à M. Félix la loi +concernant le travail des enfants dans les manufactures? + +On annonce l'arrivée de M. de Ciebra. Qu'est-ce que M. de Ciebra? me +demandez-vous. Je vous réponds, M. José Maria de Ciebra est un Espagnol, +comme son nom l'annonce surabondamment; en outre, à cette qualité +d'Espagnol, M. de Ciebra ajoute cette d'habile guitariste. De ce morceau +de bois blanc qu'on appelle une guitare M. de Ciebra sait tirer, dit-on, +les sons les plus agréables et les plus doux. Nous entendrons cela dans +nos concerts d'hiver. Mais pourquoi M. de Ciebra a-t-il quitté +l'Espagne? La galante Espagne a-t-elle tout perdu, tout, jusqu'à la +guitare et à la sérénade, et bientôt verrons-nous la castagnette +elle-même et le boléro s'enfuir et déserter l'Andalousie! M. de Ciebra +vient en France dans l'espoir de s'abriter, lui et sa guitare; ce sera +pis encore; la France est moins que jamais le pays des Rosine et des +Almaviva; la guitare de Figaro est depuis longtemps brisée, et le drame +moderne a dressé Lindor, au lieu de roucouler la tendre romance, à fumer +un cigare sous le balcon de Rosine. + +Qui n'a lu l'admirable roman de _Consuelo_ par George Sand? Eh bien! +voici le bruit qui court, à propos de _Consuelo_. On assure que du livre +George Sand a extrait un épisode, et que de l'épisode il a fait un +opéra; Litz serait chargé de composer la musique. Pour le coup, +l'affaire serait intéressante, et le jour de la première représentation, +M. le préfet de police n'aurait pas assez de tous ses sergents de ville, +de toutes ses brigades municipales, de tous ses commissaires, pour +contenir la foule et aligner son impatience et sa curiosité. + +Une pauvre femme nommée Clugny comparaissait dernièrement devant la +police correctionnelle; elle était accusée de vagabondage. L'instruction +a prouvé que la mendiante possédait encore 1 franc 25 cent, dans sa +poche, la veille de son arrestation. A l'audience, le président lui a +demandé compte de l'emploi de cette somme. «Hélas! monsieur, a répondu +la pauvre vieille d'une voix dolente, je l'ai dépensée!--Quoi! du jour +au lendemain, en vingt-quatre heures!» s'est écrié le juge d'un ton +sévère. Quelle dissipation, en effet, et quelle prodigalité! La +vagabonde, a été condamnée à six mois de prison. Le même jour, on lisait +dans un journal du matin: «Un de nos lions les plus échevelés, M. le +comte de C..., avait parié contre M. de V..... une cravache de chez, +Thomassin, qu'il mangerait en six mois deux cent mille francs qu'il +avait hérités de sa tante: le comte vient de gagner son pari.» + +La guerre du Gymnase contre la société des auteurs dramatiques est de +plus en plus ardente; M, Poirson tient bon, et les auteurs ne cèdent +pas. On a essayé plus d'une fois d'arriver, soit à un armistice, soit à +un traité de paix; mais au moment de conclure, tout se brisait de +nouveau. Bouffé, dit-on, a pris la résolution de se retirer de ce champ +de bataille où son talent a reçu plus d'une blessure; Bouffé aurait +rompu dès longtemps avec le Gymnase, s'il n'était arrêté par un dédit de +cent mille francs; ces cent mille francs sont le fil qui le retient, +comme le cordon que Raminagrobis, le chat de La Fontaine, s'était +attaché à la patte; il paraît qu'à force de chercher, Bouffé a trouvé +une paire de ciseaux qui vont couper ce fil fatal: Bouffé, libre et +joyeux, irait tenter fortune au théâtre des Variétés, laissant la +société des auteurs et le Gymnase jouer entre eux le rôle de ces deux +rats, qui se battirent et se mangèrent si bien, qu'il ne resta plus que +deux queues sur le terrain. + +M. Samson, le spirituel acteur du Théâtre-Français, est de plus un +auteur très-spirituel; qu'il fasse d'aimables comédies comme _Belle-Mère +et Gendre_, rien ne paraît plus naturel. Ce qui semblerait plus +surprenant, ce serait que M. Samson s'armât de la coupe tragique. Or, +est-ce un vain bruit? est-ce une réalité? on se dit depuis quelques +jours à l'oreille, au foyer du Théâtre-Français, que M. Samson achève +une tragédie, une véritable tragédie en cinq actes; on en donne même le +titre: _les Deux Foscari_. Nous sommes dans le temps des miracles; mais +M. Samson est homme à s'en tirer. + +Les uns disent que M. de Montrond, sentant sa fin venir, a fait une +sorte d'acte de contrition, et une mort à peu près chrétienne; d'autres +affirment que sa philosophie païenne ne l'a pas abandonne un instant, et +qu'il a raillé jusqu'au bout. Voici le trait qu'on rapporte à l'appui. +Un ami de M. de Montrond s'étant approché de son lit de mort, lui +demanda s'il n'avait pas certaines dispositions à faire. «Non,» dit-il; +et alors son ami lui parla d'un jeune homme auquel des liens naturels +semblaient devoir plus particulièrement l'attacher, «Ne ferez-vous rien +pour lui, mon cher Montrond?--Que voulez-vous que je fasse de plus que +je n'ai fait? dit le railleur en rappelant sur ses lèvres un dernier +sourire: je lui ai donné assez de mauvais exemples pour qu'il en +profite.» + + + +Histoire de la Semaine. + +Les hésitations du ministère sur la mesure proposée par M. le ministre +de l'instruction publique contre M. l'évêque de Châlons ont eu un terme, +et la lettre du prélat a été déférée au Conseil d'État, qui a déclaré +qu'il y avait abus. Cette lutte entre le clergé et l'Université a trouvé +de l'écho sous les voûtes du Palais. M. le procureur-général Dupin, à la +rentrée de la Cour de cassation, a pu surprendre une partie de son +auditoire en y faisant allusion, comme M. Villemain, à la rentrée de +l'École Normale, avait surpris tout le sien en n'en disant mot. M. Dupin +a pris pour sujet de son discours l'éloge d'Estienne Pasquier. C'était +un texte d'à-propos et d'allusions; il y avait là matière à exposer de +nouveau les circonstances qui avaient postérieurement rendu nécessaire +la déclaration des libertés de l'Église gallicane. L'orateur était sur +son terrain, et son discours retentira bien au delà de l'enceinte où il +l'a prononcé. Personne ne pourra trouver le moment et le lieu mal +choisis, car peu de jours auparavant un autre avocat du roi, entraîné +par son dévouement personnel ou inspiré par des colères qu'il croyait +avantageux de flatter, avait, à la rentrée de la Cour royale, fait dans +le politique une excursion moins justifiable, et que ses chefs n'ont pas +blâmée, avait régenté la tribune parlementaire, et fait le procès à un +homme politique qui a le malheur d'être en même temps un grand poète. + +[Illustration: M. Dupin aîné.] + +Bien décidément l'ordonnance de convocation des Chambres ne tardera plus +guère à paraître et leur réunion aura lieu dans les derniers jours de +décembre. Il a été reconnu que, pour demeurer dans les prescriptions de +la charte, il fallait ne pas sortir du calendrier de 1843. Des +dépositions se font déjà au Palais-Bourbon pour la séance d'ouverture. +Les appartements de la présidence sont déjà prêts à recevoir l'hôte que +le scrutin de la Chambre leur enverra. Les décorateurs terminent en +toute hâte les embellissements de la bibliothèque, et MM. Eugène +Delacroix, Henu et Abel de Pujol, auront bientôt achevé leurs travaux. +Quelques-uns des chefs des partis parlementaires sont déjà de retour à +Paris. M. de Lamartine fait encore entendre de Mâcon une voix qui +retentit dans toute la presse, et jamais, du vivant même de M. de +Fonfrède, feuille de province ne s'était vue attendre avec une +impatience et reproduire avec un empressement pareils à ceux que fait +naître _le Bien Public_ parmi les adversaires et les partisans des idées +de _l'agitateur_. M. Odilon-Barrot est encore loin de Paris et au milieu +de sa famille, tout entier à une douleur que n'ont pas su respecter +certains écrivains politiques qui lui ont prêté des actions et des +paroles, et l'ont voulu rendre responsable de leurs rêves et de leurs +inventions; mais M. Thiers est rentré, ramené à Paris par la santé des +siens et par le besoin de se rapprocher, pour continuer à se livrer +activement au grand travail historique qu'il termine, des dépôts +précieux où il doit puiser; mais M. Molé est également revenu, non plus +dans cet hôtel de la rue de la Ville-L'évêque à l'aspect tout +parlementaire, hôtel de famille, qui allait si bien à son nom et que +_l'Illustration_ a fait graver parce qu'il va être, démoli (v. p. 164), +mais dans une demeure nouvelle que les efforts de son parti chercheront +à ne pas laisser être définitive. Les attaques se préparent d'un côté, +comme de l'autre les projets de loi: nous verrons ce qui sera le mieux +concerté, combiné, entendu. + +O'Connell et ses comculpes ont comparu, le 2 novembre, devant le jury +d'accusation. La composition de celui-ci ne rend pas son verdict +incertain. Aussi le résultat de cette première formalité ne fera-t-il +cesser aucun des embarras du ministère. Sa situation difficile l'est +rendue plus encore par les déchirements qui se manifestent dans son +propre parti et qui en sont la conséquence. Le _Times_, qui jadis +abandonna les whigs, et, par sa désertion, prépara leur chute, le +_Times_, aujourd'hui, attaque sir Robert Peel, et est attaqué lui-même +par le _Standard_. Cette guerre intestine est de mauvais augure. Les +témoignages, les démonstrations d'intérêt n'ont pas manqué aux accusés +irlandais, et cette procédure préliminaire a été une occasion de +calculer quelle serait l'ardeur de la sympathie nationale au jour du +jugement sérieux.--Le voyage de M. le duc de Bordeaux, dont la relation +donne lieu en France à des saisies et à des poursuites de journaux, +attire en Angleterre les chefs les plus considérables du parti +légitimiste. Le ministère anglais a cru devoir, à cette occasion, ôter +toute couleur politique à l'accueil hospitalier qui est fait dans la +Grande-Bretagne au petit-fils de Charles X, et protester, par la plume +de ses journalistes, de la sincérité de son alliance avec le +gouvernement issu de la révolution de Juillet.--Les dernières nouvelles +de New-York annonçaient que les élections qui vont renouveler le +personnel du congrès fédéral touchaient à leur terme. Dans le Sénat, la +majorité paraissait déjà assurée au parti whig; mais dans la Chambre des +Représentants, l'avantage était au profit du parti démocratique, dans la +proportion de deux contre un. Toutefois, le peu d'union de ce dernier, +quand viendra plus tard la question de la présidence, lui fera +probablement perdre l'avantage de commander au Capitole, que son nombre +semblerait devoir lui assurer.--En Espagne on paraît plus d'accord; mais +c'est pour ne tenir nul compte de la constitution. Aussi, au Sénat, le +rapporteur du projet de loi sur la déclaration de la majorité de la +reine croyait-il pouvoir répondre au reproche d'inconstitutionnalité +adressé à cette mesure, en disant qu'on avait violé bien d'autres +articles de la Charte, et qu'il ne voyait pas pourquoi on respecterait +davantage celui-là. L'argument a paru excellent. Il est donc certain que +la reine sera déclarée majeure, et comme à treize ans on est assez peu +propre à se gouverner soi-même, ce sera un conseil de régence occulte +qui conduira les affaires, au lieu d'un conseil de régence +constitutionnellement constitué et légalement responsable. Cet état de +choses, la direction que prennent les affaires à Madrid, ne commandent +pas la confiance et la soumission aux provinces; et à peine les +protestations armées sont-elles refoulées sur un point, qu'il s'en +manifeste de nouvelles sur un autre. Quant à la Catalogne, sa situation +est toujours aussi affligeante pour l'humanité,--si l'on en croit les +feuilles allemandes, qui nous ont annoncé les premières que l'Autriche +se tenait prête à intervenir avec le Piémont dans les affaires des États +pontificaux, le gouvernement français n'y mettrait aucune opposition; il +demanderait seulement à être admis à prendre part à cette mesure. Il est +probable que si cette version est vraie, ou si elle est fausse, le +démenti ou la confirmation viendra d'ailleurs que d'Augsbourg ou de +Francfort.--La velléité de contre-révolution à Athènes que nous avons +mentionnée la semaine dernière, a amené une réaction, dont quelques +ennemis du mouvement de septembre ont failli devenir victimes. Le +ministre de France, M. Piscatory, qui, depuis le commencement de cette +crise, a agi avec une détermination et une énergie qu'il a puisées dans +son caractère beaucoup plus, dit-on, que dans ses instructions, M. +Piscatory a, par sa présence d'esprit et sa résolution, sauvé l'ancien +ministre de la justice et des finances Ithalli de la vindicte populaire, +et épargné à la révolution grecque, jusqu'ici pure, une tache sanglante. +Le roi Othon est passé de la confiance aux contre-révolutionnaires aux +déclarations enthousiastes pour la révolution. On dit à Munich que le +roi de Bavière se dispose à aller visiter son fils, et qu'il est +très-déterminé à le ramener si les événements ne prenaient pas une +tournure favorable à la dignité royale. Nous ne savons pas jusqu'à quel +point on sera flatté à Athènes d'apprendre par les feuilles allemandes +que le roi des Grecs n'est pas encore émancipé.--Un royaume de l'Inde +que la _Correspondance de Victor Jacquemont_ nous a appris à connaître, +et auquel un soldat de notre armée avait fait adopter notre organisation +militaire et nos couleurs nationales, Lahore, vient de voir son roi +assassiné et son meurtrier tomber lui-même sous les coups d'un de ses +complices. Beaucoup croiront que ces désordres ont été organisés; nous +nous bornerons à penser que le gouverneur-général des possessions +britanniques dans l'Inde les aura vus sans grande douleur. Jacquemont et +le général Allard ne se dissimulaient point qu'après la mort de +Rundget-Sing il serait difficile d'empêcher l'Angleterre d'arriver à ses +fins, préparées de longue main, et d'occuper le Penjaub. Le successeur +du général Allard, un autre officier de l'armée française, le général +Ventura, n'a pu parvenir à rétablir l'ordre, même momentanément. On +s'entend beaucoup mieux dans le magnifique palais du +gouvernement-général, à Calcutta, à faire des conquêtes par les +intrigues diplomatiques, les sacrifices d'argent, et, au besoin, par +d'autres moyens encore, qu'à soumettre par la force des armes les +populations qu'on n'a pas préalablement et sourdement travaillées. +L'Afghanistan et le Penjaub auront fourni cette double démonstration. + +Nous avions bien eu tort, dans notre dernier numéro, de faire l'éloge de +la nature; elle nous a donné un cruel démenti, a furieusement rattrapée +en désastres le temps que nous la louions d'avoir employé autrement. +Les correspondances de Grenoble et de Gap sont déchirantes. Des neiges +tombées prématurément dans les Alpes ont été bientôt fondues par la +température adoucie, et des inondations indomptables sont venues porter +la ruine et l'épouvante dans toutes les plaines qu'arrosent le Drac, le +Rhône, l'Isère et la Durance. La garnison de Grenoble et la gendarmerie +ont rendu de très-grands services là où elles ont pu, en se multipliant, +porter leurs secours.--Il y a peu de jours que le _Moniteur_ renfermait +une liste de citoyens auxquels le roi, sur le rapport de M. le ministre +de l'Intérieur, accordait des médailles d'or ou d'argent pour de belles +actions et de nobles dévouements dans des désastres pareils. On y +remarquait avec bonheur des hommes du peuple, des fonctionnaires +municipaux, des soldats, des ecclésiastiques, de grands propriétaires. +Chaque classe s'y trouvait représentée, et venait prouver qu'en France +la bienfaisance et le courage sont dans tous les rangs et y font battre +bien des coeurs. + +Le journal officiel a donné aussi successivement la liste des élèves +admis à l'École royale polytechnique et à l'École royale militaire. +L'armée a fourni sa large part de candidats distingués, et leur nombre, +comme le rang avantageux que plusieurs d'entre eux ont obtenu, +démontrera, nous l'espérons, à M. le ministre de la guerre et à M. le +ministre de l'instruction publique, que la mesure annoncée, oui +exigerait un diplôme de bachelier ès lettres pour prendre part à ces +concours, serait aussi injuste envers le soldat que mal entendue dans +l'intérêt du service. Elle serait de plus contraire à la loi +d'avancement et à l'esprit de la Constitution de 1830. En vérité, s'il +est une liberté d'instruction respectable avant toutes, c'est bien celle +du militaire qui, en remplissant tous ses devoirs, sait encore trouver +le temps d'acquérir ou de compléter des connaissances nombreuses qu'une +instruction première, presque toujours au-dessus des ressources de sa +famille, ne lui a pas permis d'acquérir. Quelques journaux nous ont +appris qu'un des élèves admis avait dans les veines du sang de Henri IV, +et que cette circonstance lui avait valu d'être élevé et instruit de +manière à pouvoir se présenter avec succès. C'est fort bien; mais il ne +faudrait pas dans l'avenir, à mérite égal ou même supérieur, déclarer +indignes les pauvres diables dont les grand'mères ont eu le tort de +n'avoir pas de faiblesses pour le Béarnais. + +Le nombre total des conscrits dont l'état intellectuel a été constaté +dans les quatorze années de 1827 à 1840, s'élève maintenant à 4,036,569, +dont 2,095,141 savaient au moins lire, et 1,945,428 ne savaient ni lire +ni écrire, ce qui, sur un total de 1,000, donne 549 instruits et 481 +ignorants. Cette moyenne générale, qui n'avait pas été atteinte avant +1833, a été constamment dépassée depuis.--Quand on groupe les chiffres +en périodes de deux ans, la moyenne proportionnelle des instruits varie +de 459 en 1827-1828, à 572 en 1839-1840, et ce n'est qu'en 1833-1834 que +la moyenne générale 519 est atteinte et un peu dépassée. De la première +3 la dernière période, l'augmentation totale est de 133, ou d'environ un +quart. Ainsi, sur un total de 1,000, il y a 155 instruits de plus en +1839-1840 qu'en 1827-1828. C'est une augmentation biennale de 22. +L'augmentation, qui avait été de 39 de 1827-1828 à 1829-1830, de 27 de +1829-1830 à 1831-1832, n'a plus été que de 21, 16, 19 et 11 pour les +périodes suivantes. Ainsi il y a augmentation, mais augmentation +ralentie; jusqu'à présent nous ne voyons pas trop quelle peut être la +cause de ce ralentissement, à moins que ce ne soit la première influence +de la révolution de 1830, avant les mesures prises par le nouveau +gouvernement pour la propagation de l'instruction primaire. Dans la +statistique des établissements secondaires, nous trouvons une assez, +forte diminution dans le nombre des élèves de 1831 et 1832, et ce n'est +guère qu'en 1839 que ce nombre devient ce qu'il était en 1830. Quelque +chose d'analogue se sera-t-il passé dans les écoles primaires jusqu'au +moment de la mise à exécution de la loi de 1833? L'état intellectuel des +conscrits de 1836 à 1840, qui ont du fréquenter les écoles vers +1830-1834, semblerait l'indiquer. On sait seulement qu'en 1830 un assez +grand nombre de conseils municipaux ont subitement supprimé l'allocation +faite aux écoles tenues par les congrégations religieuses; et comme ces +écoles étaient fréquentées, cette suppression aura pu entraîner une +assez notable réduction dans le nombre des élèves. Tout ce qui a été +fait depuis en faveur de l'instruction primaire ne peut manquer d'agir +puissamment sur la propagation de cette instruction; mais les enfants +qui ont fréquenté les écoles depuis 1836 ne seront guère conscrits que +vers 1844-1845; ce ne sera donc que sur les comptes-rendus du +recrutement à cette époque que l'on pourra commencer à contrôler la +statistique des écoles primaires et, par conséquent, à juger d'une +manière incontestable les effets de la loi de 1833, sous le rapport du +nombre des élèves. + +Le chemin de fer atmosphérique, dont _l'Illustration_ a fait connaître +le système à ses lecteurs (t. I, p. 404), s'est tiré très-heureusement +des épreuves auxquelles il vient d'être soumis en Irlande. Le +_Dublin-Monitor_ annonce que le succès de l'entreprise, est maintenant +assuré. Dans la dernière quinzaine d'octobre des traits ont +régulièrement fait le service entre Dublin et Kingstown. Une grande +quantité de passagers ont parcouru la ligne sans qu'il soit arrivé le +moindre accident. Les départs ont été suspendus à la fin d'octobre, pour +terminer la ligne jusqu'à Dalkey. Les rails étaient posés, et déjà le +chemin doit être ouvert. On pense qu'on poursuivra jusqu'à Bray. La voie +est remarquable par ses courbes; les convois cependant les franchissent +sans aucun danger, la force centrifuge étant contrebalancée par +l'élévation du terrain du côté du cercle extérieur. Le danger ne +pourrait donc venir que d'un excès de vitesse; aujourd'hui cet +inconvénient est paré par des signaux échangés entre le machiniste et +l'établissement où se trouve la machine à vapeur. Mais la compagnie a +l'intention d'établir, le long de la ligne, un baromètre électrique qui +signalera toujours exactement la vitesse. Dans quelques essais déjà +faits, ou a remarqué que la vitesse indiquée au départ par un baromètre +attaché au premier wagon donnait d'abord 10 degrés, 11 à 12 dans les +tourbes et 16 à 17 dans la ligne directe. A ce dernier point du +baromètre on a une vitesse de 50 milles à l'heure, 17 lieues environ. + +Nous avons dit la frayeur trop fondée que causaient souvent aux +archéologues les réparations entreprises dans nos vieux temples +religieux. Un journal signalait l'autre jour une grave mutilation qui +vient d'être commise dans l'église Saint-Séverin, à Paris, par les +architectes mêmes chargés de restaurer ce monument. Il y a quelques +jours encore, le soubassement de la porte latérale de Saint-Séverin +portait une inscription en caractères du treizième siècle, énumérant les +obligations imposées aux fossoyeurs de la paroisse. Un morceau de pierre +neuve, inutilement repiqué, a déjà fait disparaître environ la moitié de +cette inscription, unique d'abord et importante ensuite à l'étude du +Moyen-Age. «Si l'inscription, dit le journal religieux qui dénonce ce +fait, eût été païenne, grecque, insignifiante et dans l'Attique, on +aurait expédié un membre de l'Institut pour la déchiffrer et la +commenter; elle est chrétienne, française, intéressante et à Paris, elle +aura bientôt complètement disparu.»--Il est un projet qui ne ferait, +courir aucun danger à une autre église remarquable, et qui permettrait +au contraire d'en mieux envisager la masse et d'en apercevoir les +détails. On fait revivre le plan d'isoler complètement l'église +Saint-Eustache. On démolirait le corps-de-garde qui est à la pointe et +toutes les maisons qui, en masquant le monument et une ravissante porte +qui est inaperçue de ce côté, rétrécissent la rue Montmartre au point +d'y rendre la circulation presque impossible. Tout le côté gauche de la +rue du Jour, qui obstrue l'église, serait abattu. On élargirait la rue +Traînée, si fréquentée et si dangereuse, et on y construirait un nouveau +presbytère. En outre, sur la place du Parvis-Saint-Eustache, serait +ouverte une large rue qui irait déboucher rue Jean-Jacques-Rousseau, en +face de l'hôtel des Postes, dont les abords recevraient ainsi d'utiles +dégagements Ce plan est bien entendu, et son exécution rendrait +d'immenses services à la circulation et à la sûreté publique. Le conseil +municipal, qui va se trouver en partie reconstitué, inaugurerait +dignement, son ère nouvelle en votant définitivement ces travaux, dont +la percée prochaine de la rue de Rambuteau jusqu'à la pointe +Saint-Eustache, et l'affluence qui arrivera encore de ce côté, vont +rendre la nécessité plus urgente.--MM. les ministres des travaux publics +et du commerce sont allés visiter le Conservatoire des Arts et Métiers, +rue Saint-Martin, et s'entendre sur les plans de travaux et de +réparations indispensables qui seront proposés aux Chambres à la session +prochaine. Nul doute qu'on ne fasse déboucher directement sur la rue +Saint-Martin ce grand établissement, qui n'y communique aujourd'hui que +par des détours sinueux, et qu'on ne consacre l'ancien réfectoire des +Bénédictins, ce délicieux monument gothique, connu de si peu de +Parisiens, à une destination qui ne force pas à en masquer la hardiesse +et la légèreté.--Nous renonçons à enregistrer toutes les statues +d'hommes plus ou moins illustres qui vont s'élever sur les places +publiques des villes de nos départements. Chaque, jour en vient grossir +la liste, et tel sculpteur se fait sa réclame en bronze dans chacune de +nos anciennes provinces. Cette manie de compatriotes illustres est +quelquefois poussée bien loin et mène souvent au ridicule. La ville de +Langres a donné le jour à Diderot: le marbre a reproduit pour sa ville +natale cet homme célèbre; rien de mieux. Mais, par esprit de symétrie, +on a pensé qu'il lui fallait un pendant, et, comme illustration +langroise, on n'a rien trouvé de mieux que... feu M. Roger, +secrétaire-général des postes, auteur de la petite comédie de +_l'Avocat_, qui lui avait, moins encore que ses opinions, ouvert, sous +la restauration, les portes de l'Académie Française. Voilà donc M. Roger +reproduit par le marbre, uniquement parce qu'il faut un pendant à +Diderot. C'est du bonheur sans doute; mais comme toute médaille a son +revers, et comme Diderot a été représenté sans vêtements, M. Roger, que +la nature était loin d'avoir favorisé de ses dons extérieurs, M. Roger +sera tout un!!! + +Nous avons dit la semaine dernière que les journaux de la Normandie +renfermaient des détails sur un ouvrier chez lequel s'est révélé un +véritable talent de sculpteur. Ces détails étaient contradictoires; nous +en avons attendu de plus concordants pour les reproduire à nos lecteurs. +Dans l'une des vieilles rues de Dieppe, à quelques pas de la gothique +église de Saint-Jacques, habite un homme encore jeune, en qui le talent +s'est révélé tout à coup. Il y a un an à peine, cet homme était +cordonnier et travaillait tous les jours aux grosses bottes de pécheurs +dans la boutique noire et enfumée qu'il n'a pas quittée. Depuis, +l'échoppe, est, devenue un atelier, le cordonnier devenu un artiste. +L'an dernier, cet homme, qui s'appelle Graillon, a imaginé de modeler en +terre des sujets populaires, et son coup d'essai a été un coup de +maître. Pose, vêtements, physionomie, tout est nature dans les figures +de mendiants qu'il pétrit, et que Callot n'eût pas dessinées avec plus +de vérité et de hardiesse. Ce sont de véritables études de moeurs. Il ne +s'est pas borné à cela, et quelques statuettes historiques sont venues +démontrer la flexibilité de son talent. Graillon n'ignore pas du tout, +comme on l'avait dit, le mérite des productions qui naissent sous ses +mains; il reçoit les éloges en homme qui les apprécie et a la conscience +de les mériter. Il a fixé lui-même le prix de ses compositions; il les +vend un prix assez minime, tout en sachant fort bien que leur valeur +sera bientôt triple ou sextuple. + +[Illustration: Hôtel de M. Molé, rue de la Ville-l'Évêque.] + +Graillon, que de grandes destinées attendent, dit-on, s'il pratique le +génie pour lequel Dieu l'a créé, est affligé d'une infirmité: il veut +être peintre! Quand il peut dérober quelques heures aux groupes +miraculeux qu'il enfante avec une si prodigieuse facilité, ces heures, +il les consacre à la peinture. Or, ce que Graillon appelle peinture, +c'est un certain mélange de jaune et de bleu étalé sur une grande toile. +«Nous avons fait à Graillon, dit l'auteur d'un des récits auxquels nous +empruntons le nôtre, de timides observations sur sa manie de peinture; +il nous a répondu avec une certaine aigreur: «Voulez-vous donc que je me +prive de mes _récréations?_». A cela nous n'avions rien à dire. Nous +nous sommes retiré en faisant des voeux bien sincères pour que Graillon, +qui peut nous compter au nombre des adorateurs les plus fanatiques de +son talent de statuaire, se récrée le moins souvent possible. + +En feuilletant les archives du greffe du tribunal civil de +Château-Thierry, on vient de trouver quelques ligues échappées à la +plume de Jean de Lafontaine. Malheureusement, l'autographe de notre +immortel fabuliste est fort peu poétique et ne contient que la cession +du banc qu'il possédait dans l'église de cette ville. Ce petit billet, +annexé à des actes authentiques, nettement et très-lisiblement écrit +tout entier de la main du signataire, ne manque pas d'un certain cachet +d'originalité qui le rend digne de son auteur. Nous le reproduisons +textuellement, sans ajouter un point ni un accent: «Je soussigné cède et +transporte à M. Pintrel, gentilhomme de la vénerie, demeurant à Chasteau +Thierry le droit et propriété telle qu'il me seait appartenir au banc +place et cabinet que j'ay dans l'église de Chasteau Thierry sous le jubé +pour en jouir pour luy toutefois seulement après le deceds de demoiselle +Marie Hericart ma femme et ce pour des raisons et considérations qui +sont particulières entre nous fait à Chasteau Thierry ce deuxième +janvier mil six cent soixante et seize. «DE LA FONTAINE.» + +La mort ne nous a donné à enregistrer cette semaine aucun nom illustre +dans la politique, dans la littérature ou dans les arts. C'est le cas de +dire bien bas, avec la prudence de Fontanelle: _Chut!_ + + + +Théâtres. + +[Illustration: Théâtre de l'Opéra-Comique--_Le Déserteur_.--Montauciel, +Mocker; Bertrand, Sainte-Foy.] + +OPÉRA-COMIQUE.--Reprise du _Déserteur_. + +Qui ne connaît l'histoire d'Alexis et de Louise, la fille à Jean-Louis, +fermier de madame la duchesse, et celle du grand cousin Bertrand, qui +joue à la corde et fait le double-tour avec tant de grâce et un talent +si distingué? + +Qui peut avoir oublié Montauciel, ce dragon si agréable, toujours entre +deux vins, et qui trouve cette position si commode?--Brave soldat après +tout, fidèle à son capitaine, intraitable sur le point d'honneur, qui +s'est fait mettre en prison pour avoir le temps d'apprendre à lire et +qui a déjà fait tant de progrès dans cet art utile, qu'après avoir +longtemps épelé ces mots: _Vous êtes un blanc-bec_, il en fait ceux-ci: +_Trompette blesse_. + +Et la petite Jeannette, qui a égaré son fuseau? et le gendarme +Courchemin, qui chante si gaillardement: _Vive le roi?_ Et surtout cette +vieille musique de Monsigny, si naturelle, si simple et si expressive? +Nos pères l'ont écoutée et répétée pendant cinquante ans, et la +Révolution elle-même, la première, la grande Révolution, qui a détruit +et changé tant de choses, n'avait pas arrêté le cours de ce prodigieux +succès du _Déserteur_. On s'était contenté d'orner Alexis, les gendarmes +qui l'arrêtent et les soldats qui doivent le fusiller de larges cocardes +tricolores, et Courchemin chantait alors, de sa voix la plus formidable: + + La loi passait, et le tambour battait aux champs, + Vive la loi! etc. + +Le livret du Déserteur est d'une simplicité qui doit faire sourire de +pitié tous nos faiseurs d'aujourd'hui.--Alexis, le héros de Sedame, est +un jeune soldat qui doit, quand le terme de son service sera arrivé, se +marier avec une jeune paysanne, fille de Jean-Louis, fermier. Le moment +où Alexis obtiendra son congé est proche. En attendant, son régiment +vient à passer dans les environs du village qu'habite Louise, et il +obtient la permission de lui faire une courte visite. Malheureusement il +annonce sa visite, et les paysans ses amis, le futur beau-père en tête, +se disent: «Il faut lui jouer un bon tour.» Ce tour consiste à lui faire +croire que Louise s'est mariée pendant son absence. On habille Louise en +mariée, on simule une noce, on arrange un cortège villageois, et l'on +vient défiler, musique en tête, sur la route par ou Alexis doit arriver. +Comment ne serait-il pas dupe de tout cet appareil? Il l'est, et si bien +qu'un affreux désespoir s'empare de lui; il veut mourir; il arrache ses +épaulettes et sa cocarde blanche, et s'enfuit dans la direction où il +peut rencontrer l'ennemi. Notez bien qu'il a choisi pour faire cet +exploit le moment où la maréchaussée était à portée de l'atteindre. On +le poursuit, il se laisse prendre. On le met en prison, on le juge, on +le condamne à mort, on le mène au lieu du supplice, il s'agenouille, et +les fusils sont déjà braqués sur lui quand Louise arrive tout +essoufflée, une feuille de papier à la main. C'est la grâce du +déserteur, qu'elle a obtenue du roi. + +Ce sujet est fort simple; mais on comprend qu'il donne lieu à des scènes +intéressantes, et l'auteur en a su égayer la couleur un peu sombre par +le rôle épisodique du Soldat Montauciel. + +Ce rôle est aujourd'hui fort bien rempli par M. Mocker, à qui doit +revenir, pour une grande part, l'honneur du succès de la reprise du +_Déserteur_. Il le joue avec beaucoup de goût et de distinction. Son +éternelle ivresse est plaisante et point du tout désagréable, et il ne +franchit jamais la limite qui sépare la mauvaise plaisanterie de la +bonne, limite presque imperceptible et où il est si difficile de +s'arrêter! En quelque position que l'auteur du poème place Montauciel, +qu'il épèle sa leçon de lecture, ou qu'il se fâche contre Alexis qui le +renverse d'un seul coup de poing: ou qu'il abuse de la niaiserie du +grand cousin Bertrand, et déroule son interminable cravate (incident +burlesque dont la gravure, annexée à cet article, peut donner une idée à +nos lecteurs), jamais M. Mocker n'est vulgaire. + +Il chante son rôle comme il le joue, et il a de charmants morceaux à +exécuter. Les deux airs _bouffes_ que Monsigny a mis dans cet ouvrage +sont deux chefs-d'oeuvre. Le style bouffe était encore, à cette époque +d'invention toute récente, et l'on est surpris qu'un milicien français +qui n'avait pas, comme Grétry, habité l'Italie pendant plusieurs années, +ait pu si vite et si complètement en surprendre les secrets et s'en +approprier les ressources. + +Dans les morceaux sérieux, qui sont en majorité dans cette partition, +Monsigny est surtout remarquable par la variété et l'énergie de son +expression. Les airs d'Alexis ont sous ce rapport un très-grand mérite, +ainsi qu'un duo et un trio dans lesquels on a admiré des mélodies +charmantes traitées avec une grande habileté de contre-pointiste. En +somme, le suffrage de la génération actuelle vient de sanctionner les +applaudissements que _le Déserteur_ a constamment obtenus des +générations précédentes, et c'est un beau et noble triomphe. Parmi les +oeuvres contemporaines y en a-t-il beaucoup qui soient destinées à une +si longue vie, et auxquelles on puisse promettre, dans soixante-quatorze +ans, un succès comparable à celui que _le Déserteur_ vient d'obtenir? + +_Eve_, drame en cinq actes de M. LÉON GOZLAN (THÉÂTRE-FRANÇAIS.) +--_Madame Roland_, drame en trois actes de Madame ANCELOT (VAUDEVILLE). + +Eve est une quakeresse; son père, le quaker Daniel, habite la +Pennsylvanie; c'est un homme bon, simple, vertueux comme sa croyance le +lui enseigne, et adorant sa fille. Eve, cependant, inquiète cette +tendresse paternelle; non pas qu'elle ait le moindre vice et commette la +moindre faute: Eve est la vertu même; mais elle a des moments d'extase, +comme Jeanne d'Arc, et rêve à l'affranchissement de son pays. Nous +sommes aux premiers temps de l'insurrection de l' Amérique du Nord +contre l'Angleterre. Dans ses heures d'enthousiasme patriotique, Eve +s'échappe de la maison du vieux Daniel et se perd dans les bois et sur +les monts, encourageant les insurgés, par sa présence; l'armée +américaine la prend pour son ange protecteur, l'armée anglaise pour son +mauvais génie. Vous comprenez maintenant l'inquiétude de Daniel; il +n'est pas rassurant d'avoir une fille qui court ainsi les champs. + +Eve n'est pas seulement possédée par le désir de délivrer l'Amérique: +elle veut détruire un ennemi mortel de sa religion et de ses frères, le +marquis Acton de Kermar; Eve ente Judith sur Jeanne d'Arc. + +Le marquis de Kermar a des vices terribles et des passions formidables; +il bat et tue ses esclaves pour un mot, change de maîtresse tous les +jours, déshonore les familles et poursuit particulièrement les quakers +d'une haine féroce, sous prétexte qu'ils prêchent l'égalité et la +fraternité, Kermar ne veut pas de cette philosophie, et de temps en +temps il fait crever les yeux à un quaker ou deux, pour les en guérir. + +Kermar demeure à Québec, dans le Canada; c'est donc à Québec qu'Eve va +le trouver pour le tuer, comme Judith tua Holopherne; le vieux Daniel, +qui devine le sanglant projet de sa fille, la suit à la piste. + +Judith avait, gagné tout droit la tente d'Holopherne; Eve fait plus de +façons: elle se promène dans les forêts qui avoisinait le château de +Kermar, et au moindre bruit s'esquive comme une biche légère. Tout en +errant à travers bois, Eve préserve Kermar, qu'elle ne connaît pas, de +la piqûre d'un venimeux serpent, et sauve ainsi la vie à l'homme qu'elle +veut tuer: la contradiction est flagrante. + +Cette rencontre suffit pour rendre Kermar éperdument amoureux d'Eve; et +comme c'est un homme qui n'a pas l'habitude d'attendre, il met ses +esclaves à sa poursuite. Les esclaves font si bien, qu'ils s'emparent de +la belle quakeresse et ramènent au château. Ainsi Eve est chez Kermar. +Que ne le frappe-t-elle? Elle n'en a plus le courage; sa haine est +désarmée, ou plutôt l'amour lui a fait place: Eve aime Kermar, commue +elle en est aimée. Ceci contrarie très-fort l'esclave Caprice, la +bien-aimée et la favorite de Kermar avant l'arrivée d'Eve. Caprice n'a +pas d'autre ressource que de chercher à se venger, et elle se vengera. +Il y a, sur le lac voisin aux eaux dormantes, certaines fleurs jaunes +qui composent un poison parfait pour en finir avec une rivale. Caprice +en fera son affaire. + +Kermar d'abord n'a pas d'autre idée que de s'amuser d'Eve comme il s'est +amusé de tant d'autres; mais tout à coup, pour la première fois de sa +vie criminelle, il hésite et se trouble; l'innocence, la pudeur, la +sérénité d'Eve, l'émeuvent malgré lui; il faut cependant qu'il possède +Eve! Un homme comme lui, qui n'a jamais mis de bornes à ses désirs, dont +la passion s'est toujours satisfaite à l'instant même, de gré ou de +force; un Kermar, qui joue, qui tue, qui se livre aveuglément aux +caprices les plus monstrueux et crève, les yeux aux quakers; un tel don +Juan, un tel démon, un tel damné reculerait devant un enfant? non pas. +Kermar se met donc à attaquer Eve par tous les moyens de séduction que +son nom, son audace, son esprit, sa richesse, peuvent lui fournir: +promesses, flatterie, le plaisir et l'or, il n'épargne rien, le serpent! +Eve cependant résiste et ne mord point à cette pomme. Tandis que le +combat s'engage, Caprice, obligée par Kermar de servir Eve à genoux, a +tenté de l'empoisonner; mais le crime avorté; Caprice prendra plus tard +sa revanche. + +Ce n'est pas seulement la vertu d'Eve que Kermar a pour adversaire, mais +encore le ressentiment de Daniel, arrivé à Québec et réclamant sa fille, +mais les remontrances du vieux duc de Kermar, pauvre vieillard dont la +raison est affaiblie par le chagrin et le malheur. La passion de Kermar +se raidit contre cette double attaque de deux pères irrités; il traite +Daniel comme un quaker, et lui ferait volontiers crever les yeux, +suivant son habitude; quant au vieux duc, il le chasse de sa maison. +Oui, le fils chasse son père! + +[Illustration: Théâtre-Français.--Première représentation d'_Eve_.--Le +marquis de Kermar, Firmin; Rosemberg, Brindeau; Dapremire, Mirecourt; +Eve, mademoiselle Plessis; Caprice, Mélingue.] + +Daniel aura recours au gouverneur de Québec, et lui demandera justice. +Que m'importe? dit Kermar; et il arme ses esclaves pour défendre son +château et repousser toute attaque de la force publique. + +Vous le voyez, Kermar est arrivé au paroxysme de la passion et de la +violence. Maintenant rien ne le retient plus; qu'Eve se prépare à subir +enfin la défaite. Quoi donc? Kermar recule encore! l'ange intimide le +démon! Pour étouffer cette hésitation de sa conscience, Kermar cherche à +réveiller son audace à la flamme d'une liqueur brûlante, et tout +chancelant, le voici qui frappe violemment à la porte d'Eve. En est-ce +fait, ô douce brebis, et seras-tu dévorée par ce tigre furieux'? + +Tout à coup la scène change, le tigre apaise ses rugissements et devient +doux comme un agneau sans tache. Qui produit cette conversion dans le +coeur de Kermar? qui fait un saint d'un damné? la nouvelle subite de la +mort de sa mère. Ce trépas inattendu, cette disparition rapide de sa +mère, qu'il aimait, jette au coeur de Kermar la crainte et le doute; il +interroge sa vie passée, il se juge et se condamne. Aussitôt commencent +le repentir et la pénitence: Kermar appelle Daniel pour lui demander +pardon et lui remettre sa fille; il se prosterne humblement aux genoux +du vieux duc, son père, qu'il avait outragé et chassé; il rend la +liberté à ses esclaves, qu'il traitait avec l'inhumanité, d'un bourreau; +Kermar fait plus encore, pousse le repentir jusqu'à l'humiliation, +souffre l'injure sans se plaindre, et refuse un duel, au risque d'être +traité de lâche, lui, l'intrépide, le terrible Kermar! Après quoi, ce +persécuteur des quakers se fait quaker lui-même pour achever +l'expiation. + +Qu'est devenue Eve, cependant? Eve, pour se mettre à l'abri des +poursuites de Kermar et se défendre, contre son propre coeur, Eve s'est +confiée à Caprice; alors la jalouse Caprice a si bien fait que, sous +prétexte de sauver Kermar d'un grand danger, elle a entraîné Eve dans +une démarche qui, laissant au fond sa vertu intacte, la déshonore par +l'apparence. Caprice est vengée: Eve lutte vainement contre cette +prévention de l'opinion publique. Elle s'enfuit pour se dérober à cette +honte imméritée, tandis que Kermar se met à la tête des insurgés +américains, pour rendre utile une vie jusque-là nuisible, pour laver son +passé par un présent et un avenir glorieux. + +Plus tard, Eve et Kermar se retrouvent; Eve, devant le tribunal des +quakers ses frères, sous le poids d'une accusation d'impudicité; Kermar, +au contraire, victorieux et triomphant. Les Américains le nomment leur +sauveur, et les quakers le choisissent pour leur suprême juge. Triste +mission! car c'est Eve que Kermar doit juger! Les faits attestés par +Caprice; entraîneront la condamnation de l'innocente Eve. Daniel se +désespère; Kermar fait comme Daniel; mais, Dieu merci, Eve trouve enfin +le moyen de se justifier. Ce moyen lui est fourni par l'étourdi même qui +l'a compromise, par un certain marquis de Rosemberg, que nous n'avons pu +pincer dans notre récit, attendu qu'il joue, dans la dame de Gozlan, un +rôle assez, considérable, il est vrai, mais tout à fait en dehors de +l'action principale. + +Pour aller droit au fait, et c'est là un point difficile dans un drame +tellement compliqué de hors-d'oeuvre romanesques, il a donc fallu mettre +de côté ce Rosemberg, venu tout exprès de France, sur la réputation de +Kermar, pour lutter avec lui de folies, le provoquer en duel et lui +enlever ses maîtresses; il a fallu passer sous silence les compagnons de +débauche de Kermar, leurs insolences, leurs orgies, leurs duels, mille +fantaisies cruelles et bizarres de Kermar lui-même, mille récits +merveilleux, mille incroyables aventures, les surprises, les mystères et +les reconnaissances dont le drame de M. Gozlan est surabondamment +pourvu. + +Ce luxe de détails infinis, qui se croisent et se débattent dans les +ténèbres, est le grand vice de l'ouvrage; il est plein d'inventions mais +d'inventions pêle-mêle accumulées; l'esprit y abonde, mais il va jusqu'à +l'excès, et déborde souvent en images prétentieuses, fausses et de +mauvais goût. Que vous dirai-je? il y a là plus de richesses qu'il n'en +faut pour faire une pièce; mais c'est l'ordre, le goût, la clarté, la +logique, l'ensemble, qui manquent à ces éléments épais. + +Le public n'a pas laissé M. Gozlan sans conseils et sans avertissements; +toujours prêt à applaudir les scènes spirituelles et intéressantes, il +s'est montré sévère et juste aux fautes de railleur. Les deux derniers +actes se sont achevés au milieu de la tempête; mais c'est un de ces +naufrages qui n'engloutissent ni le vaisseau ni l'équipage: _Eve_, par +ses bizarreries même, excita la curiosité, et la curiosité est +très-proches parente, d'un succès. + +Le théâtre a fait de grands frais de costumes et de décors. Tous les +acteurs ont joué loyalement et bravement; il faut citer entre les plus +habiles mademoiselle Plessis, M. Firmin et M. Ligier. + +Quelques jours avant, madame Ancelot faisait aussi son petit roman, bien +que madame Ancelot ait certainement cru faire de l'histoire. C'est une +des plus nobles et des plus touchantes figures de la Révolution +française que madame Ancelot a choisie pour sujet à son élucubration +romanesque; j'ai nommé madame Roland. + +Nous voyons d'abord madame Roland, qui n'est encore que Manon Philipon, +chez le duc d'Oronne; déjà Manon est possédée de l'amour de la liberté; +à cet amour sérieux se mêle un autre amour, un tendre penchant pour +Barbaroux. C'est au milieu de ces rêves que la Révolution les surprend +tous deux; et tous deux saluent du plus ardent de leur âme cette grande +union: d'une ère immense. + +Plus lard, Manon Philipon devient madame Roland, et Barbaroux met, comme +membre de la Convention, son éloquence au service de la cause nationale. +Femme du ministre de l'intérieur, madame Roland emploie son autorité, +d'une part à défendre la patrie, de l'autre à adoucir le sort des +proscrits que frappe le malheur des temps. + +Peu à peu la tempête révolutionnaire menace toutes les têtes, et ne +respecte pas même les plus dévouées et les plus patriotes; nous +retrouverons Barbaroux et madame Roland à l'Abbaye, marchant à +l'échafaud d'un pas héroïque. + +Ce sujet, simple en apparence, est noyé dans une foule d'épisodes qui +l'alanguissent et lui donnent tous les caractères d'une oeuvre de +fantaisie, sous prétexte de la Révolution.--Peut-être serait-il mieux de +ne pas jouer ainsi avec de tels événements et de tels hommes, et de ne +point les rapetisser jusqu'au vaudeville. Il y a cependant des mots +spirituels et quelque intérêt dans cette pièce, quoique, l'effet en soit +bien sombre pour un théâtre habitué aux chansons. (Le Vaudeville a tort +de _toucher à la hache_.) + + + +Misère Publique. + +L'hiver approche: pour le riche c'est la saison du luxe et des plaisirs, +pour le pauvre c'est celle du dénûment et des plus rudes souffrances. +Mais comme c'est le temps aussi où, de toutes parts, les magistrats +municipaux et les bureaux de bienfaisance font appel aux hommes heureux +pour qu'ils viennent en aide aux indigents, nous croyons que c'est le +moment de dresser une statistique de la misère. + +D'après le recensement fait en 1841, le chiffre total des individus +recueillis en France par les hospices et hôpitaux se montait à 93,335. +Mais la division de ces malheureux entre les départements ne saurait +rien prouver quant à la misère proportionnelle, qui y règne. En effet, +nous voyons dans ces tableaux qu'en général ce sont précisément les +départements où il y a le plus d'aisance qui, ayant trouvé le plus +facilement des ressources pour fonder de grands établissements de +charité et pour secourir la misère sur une plus large échelle, +fournissent le chiffre le plus élevé; tandis que les autres départements +qui n'ont pu recourir aux mêmes moyens, quoique la misère y soit plus +grande, fournissent nécessairement et malheureusement un chiffre moins +considérable à la statistique ministérielle. Ce document ne prouve donc +pas plus que ces autres calculs qui établissent que, dans le département +du Nord, sur 6 habitants on en compte un qui a besoin d'être secouru, +tandis que, dans la Creuse, il ne se trouve qu'un pauvre sur 58 +personnes. Ces chiffres fussent-ils exacts, on aurait à se demander si +la situation des 57 habitants de la Creuse considérés comme non +indigents parce qu'ils ne sont pas secourus, leur permettrait, alors qu +ils y seraient portés, de venir aussi efficacement en aide à l'indigent +qui est à côté d'eux que la situation des 5 citoyens aisés du Nord leur +permet d'adoucir la position de leur concitoyen pauvre. Il est évident +que des associations de secours mutuels entre travailleurs, qu'une +meilleure réglementation du travail modifierait bien promptement la +proportion dans ce dernier département. Mais quelles nombreuses et +quelles lentes améliorations ne faudra-t-il pas pour que la proportion +donnée ne soit plus mensongère dans les départements pauvres du centre, +et de quelques autres parties de la France? + +A Paris la situation est mieux constatée, et les chiffres ont une +signification plus réelle. Nous ne nous occuperons pas aujourd'hui de la +partie de la population qui est traitée et recueillie dans les hôpitaux +et les hospices. Il y a là tout un travail à part que nous nous +proposons bien d'entreprendre, mais quant à présent nous ne supputerons +que la population indigente secourue à domicile par les bureaux de +bienfaisance. + +En 1841, dernier exercice, sur lequel l'administration ait publié son +travail de compte-rendu, 29,282 ménages indigents ont été secourus. Ce +chiffre se décompose ainsi: + + Ménages ayant reçu des secours temporaires. 10,424 + -- -- des secours annuels ordinaires. 14,383 + -- -- Octogénaires, l,223 } + -- -- Septuagénaires. 1,962 } + -- -- Aveugles. 1,054 } 4,475 + -- -- Paralytiques. 236 } + + Total égal. 29,282 + +Ce nombre était de 30,361 en 1829, de 31,723 en 1832, de 28,969 en +1935, et de 26,936 en 1838. Ainsi, malgré l'augmentation constante de la +population, le nombre des indigents avait constamment décru depuis 1832, +époque à laquelle le commerce et l'industrie commencèrent à prendre du +développement, jusqu'en 1838, année de leur apogée. C'est à la fin de +cette dernière année qu'on vit commencer la crise à l'influence de +laquelle le commerce n'a pas échappé depuis, et dont l'un des effets a +été d'augmenter le nombre des indigents de près d'un dixième. + +Les 29,282 ménages secourus en 1841 comprenaient 66,487 individus. Ils +étaient plus surchargés de famille que ceux de 1829, car à cette +dernière date, quoique le chiffre des ménages fût plus élevé de. 1,079, +le nombre des individus secourus était moindre de 3,782. + +Les chefs de ménages indigents se classaient de la manière suivante: +mariés, 11,917; veufs, 10,408; femmes abandonnées, l,898. On y ajoutait +ensuite: célibataires adultes, 4,496; célibataires orphelins, 563. + +Sur les 29,282 chefs de ménage secourus, 15,250 ont moins de soixante +ans; 14,052 ont dépassé cet âge. On y compte un seul centenaire. + +Le loyer des lieux qu'occupent ces ménages secourus est, pour 5,399 +d'entre eux de 50 fr. et au-dessous; il est de 51 à 100 fr. pour 12,680; +de 101 à 200 fr. pour 5,684; de 201 à 300 fr. pour 187; de 301 à 400 fr. +pour 13; au-dessus de 400 fr. pour 2 seulement. 3,003 sont logés à titre +gratuit, et 2,317 le sont comme portiers. + +Dans les 29,282 ménages, 15,495 ont pour chefs des hommes. Nous ne +donnerons pas la répartition du nombre entier entre les diverses +professions, mais nous indiquerons le chiffre pour lequel quelques-unes +y figurent. En le faisant, nous n'avons pas la prétention de fournir des +éléments de calculs sur l'aisance et les ressources de telle profession +comparée à telle autre; la statistique ne fait souvent que complaire à +la curiosité, elle tombe dans le ridicule quand elle a la prétention de +l'éclairer toujours, et nous n'imiterons pas Parent-Duchatelet dans son +livre sur les femmes dégradées, qui, prenant à coup sûr quelque +exception que nous voulons ignorer pour un des éléments de ses calculs, +dit que, dans une période de temps qu'il détermine, sur tel nombre de +ces malheureuses qui finissent par se marier, il y en a une qui épouse +un membre du Conseil d'État. + +Nous remarquons d'abord sur le tableau général que cinq états qui, +précédemment, comptaient des indigents secourus, n'en ont point eu en +1841: ce sont les albâtriers, les arroseurs, les ciriers, les lamineurs +et les cimentiers.--Les affineurs, apprêteurs de draps, artificiers, +batteurs d'or, charcutiers, chocolatiers, décatisseurs, égouttiers, +facteurs, machinistes, pédicures, satineurs, n'en ont compté qu'un seul +chacun.--Nous remarquons encore, dans les professions où il y a eu peu +d'indigents à secourir ou du moins secourus, les bandagistes, les +brodeurs en or, les dentistes, les estampeurs, les frangiers, les +interprètes, les lapidaires, les mouleurs en plâtre, les parcheminiers, +les parfumeurs, les sertisseurs, qui n'y figurent chacun que pour +deux:--les artistes dramatiques, les chantres de paroisse, qui y sont +portés chacun pour trois. + +Les dessinateurs fournissent quatre indigents; les libraires et +bouquinistes, six; les compositeurs d'imprimerie, pour lesquels le +travail est cependant fort inégal, mais qui ont eu le bon esprit +d'entrer largement dans la voie des caisses de secours mutuels, dix, +chiffre bien peu élevé en raison de leur grand nombre; les graveurs, +quinze; les relieurs, vingt-quatre. Quant aux imprimeurs en caractères, +dont l'emploi des machines a diminué sensiblement les garanties +d'occupation, cent trente-neuf ont été dans la nécessité de recourir aux +secours. + +Vingt-sept tambours se sont trouvés dans la même situation. + +Dans les chiffres dépassant la centaine, nous trouvons: les +charpentiers, 111; les tourneurs, 119; les chiffonniers, 122; les +fileurs de coton, laine et soie, 124; les tisserands, 129; les +terrassiers, 130; les savetiers, 131; les anciens domestiques, 132; les +charretiers, 140; les anciens employés et écrivains, 140; les +manoeuvres, 140; les balayeurs, 149; les corroyeurs, tanneurs, +mégissiers et peaussiers, 156; les cochers, 171; les porteurs d'eau, +189; les ébénistes, 192; les bonnetiers, 197; les peintres, vitriers et +colleurs, 278; les maçons, 300; les serruriers, 333; les menuisiers, +406; les tailleurs d'habits, 477; les marchands revendeurs, 778; les +cordonniers, 880; les commissionnaires et hommes de peine, 1,429; les +portiers (hommes), 1,283; les journaliers, 1,805; les individus sans +état, 1,982. + +Le rapport de la population indigente à la population générale de Paris +a été, en 1841 (prenant pour cette dernière le résultat du recensement +de 1836), de 1 sur 13 habitants 307 millièmes. Voici le rapport dans les +arrondissements: + + Dans le 2e, 1 indigent sur 33 habitants 705 millièmes. + -- 3e, 1 - 27 - 152 + -- 10e, 1 - 19 - 172 + -- 1er, 1 - 17 - 985 + -- 5e, 1 - 17 - 951 + -- 7e, 1 - 17 - 624 + -- 11e, 1 - 16 - 180 + -- 6e, 1 - 15 - 904 + -- 4e, 1 - 13 - 756 + -- 9e, 1 - 8 - 427 + -- 8e, 1 - 6 - 597 + -- 12e, 1 - 6 - 235 + +Les recettes faites par les bureaux de bienfaisance sont le produit +d'une subvention de l'administration des hospices, de legs et donations, +de dons, collectes et souscriptions (en 1841. 259.549 fr.); des troncs +et quêtes dans les églises (27,692 fr.); de représentations théâtrales, +bals et concerts (9,682 fr.), et d'autres fonds généraux et spéciaux. + +Leur dépense a été, en 1841, de 1,361,635 fr. Le douzième arrondissement, +le plus chargé d'indigents, est entré dans ce chiffre pour 244,323 fr. +C'est presque toujours en objets d'habillement et de coucher, en pain, +en viande, en bouillon et comestibles, en médicaments, en combustibles, +que ce budget de bienfaisance est dépensé. Les secours en nature sont +démontrés par l'expérience être bien préférables aux recours en argent. +Cependant, ceux-ci étant parfois indispensables, 95,811 fr. ont été +distribués en espèces. + +Que les caisses de secours mutuels se multiplient, car il est plus digne +de s'assurer contre le besoin que de demander aide à la bienfaisance +publique; que l'ouvrier soit prévoyant quand il est occupé; que les +maîtres, comprennent que si la Société regarde leurs coalitions comme +moins dangereuses que celles des travailleurs, la morale ne les +considère pas comme moins coupables; que le gouvernement, par des +traites de commerce bien entendus, imprime à l'industrie, une active +impulsion; enfin, que la chanté s'accroisse, car la misère n'a pas +diminué, et les bureaux de bienfaisance, outre qu'ils ont eu à secourir, +dans l'année qui vient de servir de base à nos calculs, 66,487 +individus, auraient eu besoin d'autres ressource encore pour vaincre la +réserve souvent suicide de pauvres honteux qu'on D'estime pas à moins de +15,000. + + + +Une Bouteille de Champagne. + +Nouvelle. + +Par une sereine matinée de printemps, le bandit Shinderhannes était +couché sur l'herbe, aux pieds de Julie Blasius, le long de cette +magnifique sapinière qui couronne le monastère d'Eberbach, au-dessus de +Kiedrich, dans le duché de Nassau. De ce belvédère, on voyait le +Rhingau, festonné de vignobles, se perdre au sein d'un horizon de +châteaux, et le soleil levant dorer à la fois Johannisberg et Mayence. +Dans les clairières de la forêt, non loin du chef, sommeillaient çà et +là, par groupes rares et pittoresques, ses plus braves compagnons, +Moïse, Picard, Jik-Jak, Crevelt, Zaghetto, Pierre le Noir, tous fameux +dans la chronique du mont Taunus, tous redoutés depuis les bords de la +Moselle jusqu'aux landes de Hanovre. Shinderhannes lisait _Werther_, +dont la réputation était encore naissante, et Julie Blasius, jeune fille +de Zerbst, prisonnière de la bande, dont le capitaine voulait faire sa +maîtresse, écoutait la voix du bandit, tout en effeuillant avec +distraction une branche de saule. + +«Julie, dit le jeune homme en interrompant sa lecture, vous avez bien +tort d'exiger que je vous lise ce roman jusqu'à la dernière page; il ne +peut se terminer que par une catastrophe. Je vous le conseille +franchement, arrêtons-nous là. Ce sera comme un amour où le début est +toujours si beau... + +--Qu'on presse toujours le dénouement, n'est-ce pas? Mon cher capitaine, +lisez, je vous prie. Un roman ne m'épouvante guère. + +--C'est un peu bien volontaire pour une captive, madame. + +--Vous trouvez?» + +Mais elle lâcha la branche de saule, se mit à boucler les blonds cheveux +du bandit, et Shinderhannes, ému, reprit son livre en rougissant de +plaisir. + +«Du reste, peu m'importe, dit-il à voix basse; vos yeux ne seront que +plus beaux s'ils viennent à pleurer. Où donc en étais-je? + +--Vous me disiez qu'au plus beau moment du succès de _Werther_, ayant un +jour rencontré sur le Hundsruck la jeune femme de Brunswick qui servit +de modèle à la Charlotte de Goethe, un accès de fureur vous prit, et +qu'en mémoire de tout ce que son amant avait souffert pour elle, vous +eûtes un instant la singulière envie de la tuer. + +--C'est vrai, reprit Shinderhannes en laissant rouler le livre jusqu'au +fond du précipice; mais cette envie, je me la suis passée, ajouta-t-il +avec un regard sombre que Julie soutint sans émotion apparente. Comme ce +livre immortel vient de rouler dans l'abîme, de même Charlotte y +disparut elle-même. Je saisis la malheureuse femme par les cheveux, +qu'elle avait longs et noirs comme vous, je lui ordonnai de recommander +son âme à Dieu, et je la traînai sur le revers de la montagne; là, je +soulevai son corps frêle et délicat, je murmurai le nom de son amant, je +balançai longtemps au-dessus du gouffre ses membres déjà glacés +d'épouvante, puis tout m'échappa... + +--Et Charlotte roula dans le précipice? dit Julie. + +--Oui, ma belle; et si j'avais pu rendre en même temps la vie à Werther, +j'eusse retiré sa maîtresse du gouffre, car il était affreux de la voir +déchirée par les ronces, tendant ses bras nus, criant et luttant contre +la cascade qui l'emportait dans le Rhin. + +--Et qu'ont-ils dit, vos hommes? + +--Je les ai conduits au siège d'un monastère, nous avons battu la porte +en brèche avec un crucifix, les nonnes leur ont verse à grands verres du +Beste-Grog, et ils n'ont rien dit. + +--Ce sont des lâches! Moi, je vous eusse appelé homicide; moi, j'eusse +arraché le poignard qui dort à votre ceinture, et il y aurait eu deux +victimes pour le succès d'un roman.» + +Le bandit Shinderhannes se mit à rire, et prenant la branche de saule, +l'effeuilla tranquillement à son tour. + +«Picard! s'écria-t-il bientôt en voyant un de ses lieutenants grimper +vers lui à travers les sapins, veillez aux français et faites relever +les sentinelles. Je vais fumer une pipe.» + +Les gendarmes de Mayence, à cette époque poursuivaient la horde du +bandit jusque sur le territoire hanovrien; Napoléon et la Prusse +(C'était en 1802) s'entendaient parfaitement à cet égard. L'association +des brigands de Hundsruck avait été en partie le résultat des guerres +entreprises par les Français pour l'occupation de la Hollande, de la +Belgique et des États qui forment aujourd'hui le grand-duché du +Bas-Rhin. Fondée d'abord par une famille israélite de Windshoot, près de +Groningue en Hollande, elle profitait des guerres de la Révolution pour +étendre dans le nord de l'Allemagne sa formidable et mystérieuse +puissance. On n'entendait parler depuis Bruxelles jusqu'au Hartz que de +Juifs étranglés, de châtelains rançonnés, même de villes emportées +d'assaut; les paysannes du mont Joie ne descendaient plus sur la Roër +pour vendre leurs oeufs au marché d'Aix-la-Chapelle, sans péril de mort, +et les amateurs qui voyagent à pied pour tâter le crâne de Charlemagne à +Cologne ou croquer sur leurs albums le vaisseau de la cathédrale de +Mayence, hésitaient longtemps à franchir les Ardennes, dont le _hibou_ +Shinderhannes gardait le défilé. + +C'est en visitant le _Dos du Chien_ (Hundsruck), chaîne où maintenant +errait sa bande, que Shinderhannes rencontra Julie Blasius. Vertueuse et +dévote, cette femme résolut de dompter le brigand, et, comme il en était +fou, de convertir l'homme par l'amour. Elle résistait à sa passion, elle +voulait un mariage, elle exigeait surtout que son amant renonçât à +braver la potence, et en quelque sorte prit une retraite. Mais, en +attendant, Julie ne partageait pas moins la dangereuse vie de +Shinderhannes; elle s'habillait en homme, galopait dans les forêts, se +battait même avec les gendarmes. Tantôt, sous les titres et avec les +grâces d'une comtesse, elle donnait le ton aux habitués des eaux de +Wiesbaden, jetait l'argent par la fenêtre, et présentait le bandit dans +les salons sous l'incognito d'un baron suédois; tantôt, coiffée de la +toque à la hussarde et la carabine sur l'épaule, elle remontait +lestement à pied les sentiers du Taunus, et jonchait la route, avec sa +blanche main, de ces branches d'arbre qui étaient le doigt indicateur et +les pierres miliaires des brigands. + +«.... Et Charlotte roula dans le précipice!» répétait Julie en se +promenant sous les sapins. Peu à peu elle devint pensive, ses regards se +fixèrent sur l'herbe, son visage pâlit, et elle resta longtemps dans +cette absorbante immobilité du corps si complète et si lourde qu'on +dirait que l'âme a doucement quitté son étui et que la chair, au lieu +d'un être vivant, n'est plus qu'une chose, que néant ou rien; seulement, +par intervalles, de la bouche de marbre de Julie, tombaient encore ces +paroles sinistres: + +«Et Charlotte roula dans le précipice!» + +Cette rêverie dura près d'une heure. En relevant la tête. Julie vit +debout, en face d'elle et dans une attitude mélancolique, le lieutenant +Picard. Français d'origine, ancien soldat de Frédéric, un de ces +aventuriers cosmopolites qui n'ont ni fortune, ni famille, ni patrie, +mais auxquels l'audace tient ordinairement lieu de tout, Picard aimait +secrètement Blasius. Elle s'en était aperçue; elle lui dit: + +«Picard, j'ai soif; je voudrais bien boire un verre de ces vins de +France dont vous nous parlez si souvent. + +--Du bordeaux, madame: + +--Non, lieutenant Picard. Lorsque j'étais femme de chambre de la +princesse d'Anhalt, je ne buvais que ce vin-là. Je voudrais un verre de +Champagne. + +--Les dernières bouteilles, par malheur, ont été bues hier. + +--Par malheur, dites-vous, lieutenant? rien n'est plus vrai, car +j'échangerais tous mes cachemires contre un verre de vin de Champagne; +cherchez, je vous prie.» + +La belle Allemande accompagna cet ordre d'un regard si doux, que Picard +disparut comme un chat sauvage entre les sapins; mais, au bout ce dix +inimités, il revint à pas lents et aussi morne que s'il eût manqué de +tuer un riche abbé du Rhin. + +«J'ai cherché, madame; il ne reste pas une seule bouteille de Champagne. +Madame veut-elle du tokai? + +--Madame veut du vin de France, et elle veut du Champagne, répondit la +compatriote de Catherine II avec un geste impérieux et un regard +étincelant; m'entendez-vous.» + +Le lieutenant fut interdit. Au bruit de la querelle, Shinderhannes +sortit de sa tente, la pipe à la bouche. C'était moins un brigand qu'un +dandy, lui brigand, il avait l'oeil dur et le visage mobile, la +moustache démesurée, la veste de hulan, le poignard classique et la +paire convenue de pistolets à la ceinture; rien du dandy, il avait les +cheveux blonds et bouclés, les mains charmantes, des bottines rouges, un +esprit séduisant, la plus jolie voix de ténor, et cette beauté mâle qui +ameutait sur ses pas les jeunes filles de l'Eifel et du Lousberg comme +au spectacle de quelque dieu terrestre du meurtre et de la volupté. +C'était la plus poétique réalisation du héros de Schiller. D'ailleurs, +l'amant de Julie n'avait pas vingt-deux ans. Né en 1779, à Nastatten, +d'une famille obscure et misérable, Shinderhannes fut publiquement +fouetté dans son enfance, et ce châtiment ignoble, qui fit de +Jean-Jacques Rousseau un grand homme, exaspéra tellement le jeune Belge, +qu'il résolut de se venger jusqu'à son dernier soupir, et par une guerre +implacable, de l'affront qu'il avait reçu de la société. Les plus grands +crimes, souvent, n'ont pas d'autre prétexte. + +«Quel est ce bruit? demanda Shinderhannes en regardant Julie et Picard. + +--C'est monsieur, dit Blasius, qui m'offre du tokai, quand je lui +demande du champagne. + +--Capitaine, s'écria Picard, ému de l'accusation, vous savez mieux que +moi si j'ai tort. Vous avez bu vous-même hier la dernière bouteille +d'épernai. + +--Eh bien! reprit fièrement la jeune femme, qu'on aille en chercher dans +la plaine! + +--Où donc? fit le brigand avec un sourire. + +--A Mayence, parbleu! Ne sommes-nous pas à deux lieues de Mayence? + +--On me les enverrait déboucher à la potence, vos bouteille? de +Champagne. Belle Julie, est-ce votre désir? + +--Mon désir est de boire du Champagne; je n'en si pas d'autre. + +--Vos désirs, madame, reprit sévèrement le bandit, ne sont pas plus +raisonnables que votre mémoire. Ne vous rappelez-vous déjà plus +l'histoire de Charlotte? Je sais punir même les jolies femmes qui ont +des caprices. Dans le _Dos du Chien_, je suis le seul maître après Dieu. + +--Après Dieu et avant le crime,» dit hardiment Blasius. Picard recula +épouvanté: la lame du poignard brillait dans la main droite du +capitaine. Shinderhannes, de la main gauche, saisissant Julie par les +cheveux, la courba jusqu'au ras de l'herbe aussi facilement que si c'eût +été une tige de coudrier. + +«Demande grâce, fille du démon! + +--Non,» répondit-elle. + +Aussitôt le cachemire qui couvrait ses épaules vola dans l'air, et +l'acier du stylet sillonna comme un éclair la peau satinée de son +admirable poitrine. + +«Capitaine! s'écria Picard en tombant à genoux. + +--Monsieur, lui dit rudement le chef, pour un soldat blanchi sous le +harnais du grand Frédéric, vous êtes bien délicat! Je n'aime pas les +âmes sentimentales sur le Hundsruck; en littérature et dans les romans +de Goethe, c'est différent. A la prochaine course en plaine, vous +resterez à Mayence. Si Bonaparte vous fait pendre, tant pis pour vous.» + +A ces mots, Shinderhannes remit la lame dans le fourreau, et tira un +coup de pistolet en l'air. Les camarades de Picard, à ce signal, s'étant +approchés du chef, reçurent l'ordre de désarmer le vieux Français, de ne +plus lui parler, de ne rien lui offrir de sa part du butin de la veille, +et, pour tout dire enfin, de le traiter aussi ridiculement que possible, +en honnête homme. Alors le bandit tourna le dos à sa bien-aimée, reprit +tranquillement sa pipe, et on n'entendit plus dans les sapins que le +froissement de la fougère sous le talon des bottines des sentinelles. + +Cependant la pointe de l'arme, en courant avec adresse sur le cou de +Julie, y avait tracé comme le cercle d'un collier rouge qu'on aurait, à +distance, juré de corail. Elle remit son cachemire en frissonnant de +douleur et de rage. A ce moment il était midi. La masse irrégulière et +confuse des édifices du couvent d'Eberbach, avec leurs flèches élancées, +leurs voûtes légères, leurs aiguilles gothiques et leurs toits en +étages, dont la plus grande partie remonte au douzième siècle, se +dressait à l'ombre du feuillage dans le silence de la forêt et dans la +chaleur du jour. Le dernier et le plus considérable des six monastères +fondés en 1431 par saint Bernard (Tiefenthal, Gollersthal, Eberbach, +Erbinges, Nothgottes et Marienhausen), cette sainte maison, composée +d'un palais et d'une église liés par des colonnades du style byzantin, +n'offre partout, dans ses bas-reliefs comme dans ses lignes +d'architecture les plus saillantes, pour type unique du symbole de ses +origines, que la figure multipliée du cochon, qui signala, dit la +chronique, à saint Bernard lui-même les endroits de la plaine où le +fondateur trouverait de la pierre. Cette image burlesque, toutefois, +n'ajoutait rien à la gaieté sombre du cloître dont quelques moines +grossiers, respectés encore même en 1805 par le duc de Nassau, ouvraient +humblement la retraite aux condottieri de Shinderhannes. Transformé +aujourd'hui en hospice pour les fous, Eberbach préludait à cette +destinée bizarre en abritant pêle-mêle des religieux et des bandits. Ce +qui achevait ce tableau digne de Salvador Rosa, c'était la pesanteur de +l'atmosphère, où l'oiseau ne chantait plus, où l'air se parfumait +d'arômes résineux, où la magnifique ardeur du soleil ne rappelait +qu'avec plus d'effroi, vis-à-vis du monastère, le meurtre sacrilège de +Charlotte. Les murmures de la cascade, rendus plus imposants par l'écho +de la cloche des moines, semblaient lutter encore contre les plaintes de +son agonie. Blasius laissa lentement glisser ses pieds sur la mousse et +descendit ainsi près du torrent, comme pour mieux prêter l'oreille aux +derniers cris de la jeune fille. + +Tristement appuyé contre le mur du portail, au-dessous de la statue +colossale de saint Bernard, et les regards tournés vers le Rhin, Picard +attendait là, sous la surveillance d'un poste avancé, que l'heure la +plus favorable de la nuit eût ramené pour la bande celle du combat et +naturellement aussi l'heure de son départ. A la vue de Julie, ses yeux +se mouillèrent de larmes. + +«Picard, lui dit la prisonnière en se penchant au-dessus du précipice, +n'entendez-vous pas comme moi gémir l'âme de Charlotte au fond de +l'abîme? + +--Hélas! madame, le crime était trop grand pour que cet étrange tombeau +restât muet! La jeune fille tuée par le capitaine Shinderhannes n'était +pas la Charlotte de _Werther_. + +--Vous m'épouvantez! + +--Il avait connu à l'université, de Goettingen l'abbé J..., héros de +l'aventure dont Goethe a raconté les principales circonstances dans son +livre. L'abbé J... fut le seul ami de Shinderhannes. Quand il se brûla +la cervelle, notre capitaine, exalté, jura que la première femme qui +s'offrirait à sa rencontre dans le _Dos du Chien_ paierait pour la +mémoire de son ami. Par bonheur vous ne fûtes, madame, que la seconde; +mais Shinderhannes avait déjà tenu son serment, et la première, une +pauvre laitière de Kiedrich, y a passé... + +--De quoi parlez-vous donc ensemble?» demanda à cet instant une voix +rauque dont les intonations semblaient tomber du ciel. + +Julie et Picard se retournèrent avec surprise... Le capitaine, sortant +de la grande cour du monastère, s'était avancé doucement et il les +regardait causer, du haut d'un tertre, avec cette tranquillité sinistre +qui, dans une âme jalouse comme était la sienne, laissait pressentir de +terribles orages. + +«Nous parlons, dit Blasius avec son intrépidité ordinaire, des +gémissements qui s'élèvent, comme des lamentations funèbres, comme des +accusations solennelles, du fond du précipice. + +--Il paraît, reprit Shinderhannes d'un ton ironique, que votre +interlocuteur aime singulièrement les beautés de la nature. Voici deux +fois que je le surprends aujourd'hui au péché d'admiration trop +exclusive pour le paysage et pour la femme. Moi, j'ai peur des gens +sensibles, et je les prie de rejoindre les camarades qui font des +cartouches avec les moines dans la grotte; ce sera plus utile.» + +Picard s'éloigna, Julie se coucha sur l'herbe, où elle reprit la branche +de saule, et le bandit continua sa promenade avec une légèreté +apparente; mais le remords grondait enfin dans sa poitrine; il avait +même reconnu l'horreur de son action. Ses yeux s'étaient presque +mouillés, comme ceux de Picard, en apercevant du sang à la pointe de son +poignard. Julie Blasius n'était-elle pas sa prisonnière, et, à ce titre, +comme femme, n'avait-elle pas droit, même dans ses plus grandes +inconséquences, à la pitié, au respect du bandit? Peut-être d'ailleurs +la belle Allemande, jusqu'alors insensible aux prières de Shinderhannes, +allait-elle enfin l'accepter pour époux, et changer son repaire en lit +nuptial, en temple secret de bonheur! Un mouvement de colère féroce +avait tout détruit. + +«Cette charmante Julie!» murmurait Shinderhannes. + +En en disant ces paroles, il embrassait d'un regard enflammé le corps de +la jolie femme, mollement ramassé sur le gazon comme un cygne tapi dans +un bouquet de fleurs. Le bandit vint tomber plutôt que s'asseoir aux +genoux de la captive. + +«Ma chère, lui dit-il, j'ai envie, comme Werther, de me tuer. + +--Pour moi, sans doute? répondit Julie avec dédain. + +--Peut-être, reprit le bandit les yeux baissés. + +--Non, non, vous vous trompez, mon beau capitaine; il y a quelque chose +de plus grossier dans vos passions. Si vous m'aimez, monsieur, c'est que +le monastère d'Eberbach ne renferme qu'une femme, et cette femme, c'est +moi. + +--Tu as raison, dit Shinderhannes en lui baisant la main; je donnerais +Mayence, et Cologne, et Francfort, et la légende du comte Kuno, et +_Werther_ même, pour que ta bouche me rendît ce baiser. Sans la femme, ô +Julie! le désert de l'homme est insupportable. + +--Vous avez raison, monsieur, dit à son tour Blasius. Je donnerais aussi +et Mayence, et Francfort, et Cologne, et la légende du comte Kuno, et +_Werther_, et vous-même, capitaine, par-dessus le marché, pour une +bouteille de vin de Champagne. L'amour de l'homme est un désert, et Dieu +a fait le vin de Champagne pour qu'il fût supportable à la femme. + +--Oh! ces filles d'Eve! s'écria le bandit, toujours semblables à leur +mère! quand ce n'est pas la pomme, c'est la grappe. + +--Et notre volonté, monsieur? + +--Elle est accomplie.» + +A ces mots, Shinderhannes sonna d'un cor qu'il portait suspendu à sa +ceinture; la forêt répéta en longs échus cet appel sinistre, auquel on +vit bientôt répondre les brigands et les moines, qui se montrèrent +pêle-mêle aux croisées de l'édifice. + +ANDRÉ DELRIEU. + +_(La fin à un prochain numéro.)_ + + + +La Saint-Hubert + +Voici la fête du bienheureux patron des chasseurs; aucun saint du +paradis n'est fêté chaque année avec plus d'exactitude. En son honneur, +tout homme qui sait manier un fusil, ou sonner de la trompe, se met en +campagne, ce jour solennel, sans s'informer s'il pleut ou s'il fait beau +temps. Le chasseur millionnaire rassemble ses parasites habitués pour +cette solennité; s'il existe dans ses buis un superbe cerf dix cors, un +sanglier-monstre, on le réserve pour être chassé le jour de saint Hubert. +Le petit propriétaire invite quelques amis à l'ouverture d'un bois +taillis où viennent des faisans du voisinage; il n'a pas voulu le +visiter encore, car il aurait pu les effaroucher, et le jour de la +_Saint-Hubert_ ne peut pas se passer comme les autres jours. Le garde, +vivant joui dans sa maisonnette, au milieu des bois, braconne un peu +plus que de coutume sur les terres de son maître, car il lui faut un +lièvre pour son dîner. + +Ainsi, dans toutes les classes de chasseurs, on fait ce jour-là ce qu'on +n'a pas fait la veille, ce qu'un ne fera pas le lendemain. La +_Saint-Hubert_ ne se sonne que le jour de saint Hubert; un chasseur se +ferait siffler en la sonnant tout autre jour de l'année. La chasse +finie, quels dîners! Le vin de. Champagne coulant à flots, et les +chansons, et les histoires, je n'en finirais pas si je voulais vous dire +tout ce qu'on fait le jour de saint Hubert; j'en finirais encore moins +si je racontais tout ce qu'on dit. + +Le 3 novembre il arrive des coups fabuleusement extraordinaires: on tue +des lièvres à deux cents pas, on roule des sangliers comme des lapins, +on assomme des ours avec la crosse du fusil; au besoin, on égorgerait +des rhinocéros, on rapporterait un éléphant dans le carnier. Si, parmi +les convives, il se trouve un chasseur voyageur qui soit allé dans +l'Inde, il aura fait coup double sur le tigre royal, et vous en +entendrez, de toutes les façons. Les voyageurs mentent, les chasseurs +mentent; jugez à quelle sublimité de hâblerie doit se monter l'homme +réunissant ces deux titres. Qu'importe! riez, et ripostez, mais surtout +ne vous montrez jamais incrédule; d'abord ce n'est pas poli, et puis +vous refroidiriez la verve du conteur, et la causerie n'aurait plus +d'entrain. Il vaut mieux renvoyer la balle du moment qu'elle est lancée, +et tout le monde y gagne. Toutes les fois que je me trouve en face d'un +chasseur à histoires excentriques, je lui réponds par des histoires plus +excentriques encore; c'est le meilleur moyen de le faire taire. Depuis +longtemps Corneille nous a donné cette recette: + + J'aime à braver ainsi ces conteurs de nouvelles; + Et sitôt j'en vois quelqu'un s'imaginer + Que ce qu'il vient m'apprendre a de quoi m'étonner, + Je le sers aussitôt d'un conte imaginaire + Qui l'étonne lui-même et le force à se taire. + Si tu pouvois savoir quel plaisir on a lors + De les faire rentrer leurs nouvelles au corps! + +[Illustration: La Messe de Saint-Hubert.--Bénédiction des chiens.] + +Quand, arrive le 3 novembre, le gibier a déjà vu le feu de très-près, +les perdrix surtout mettent à se laisser approcher une mauvaise volonté +désespérante. Alors, au lieu d'aller les chercher, on les fait venir à +soi au moyen de rabatteurs; c'est un moyen certain pour brûler de la +poudre. Les chasses en battue commencent ordinairement le jour de saint +Hubert. Ce jour-là, les endroits réservés ne le sont plus; on tire de +tous les côtés, on fait un tapage infernal; et notre glorieux patron +doit être content du massacre et surtout du tapage qui se fait en son +honneur. + +Bien des chasseurs célèbrent la Saint-Hubert sans savoir la vie de leur +protecteur ici-bas et dans le ciel. Si vous leur disiez: Monsieur, +qu'est-ce que saint Hubert? ils vous répondraient; C'est un saint dont +la fête arrive le 3 novembre.--Mais à quelle, époque vivait-il? +pourquoi, comment a-t-il gagné le paradis? Ils resteraient bouche +béante. Eh bien, je vais leur donner ici un petit abrégé de la vie de ce +grand saint, pour qu'ils ne soient plus embarrassés quand on les +interrogera. + +[Illustration: Vision de Saint-Hubert.] + +Hubert était fils de Bertrand, duc d'Aquitaine; il naquit en l'an de +grâce 656. Bertrand, fort brave homme, fatigué de la tyrannie d'Ebroin, +maire du palais sous Clotaire III, secoua le joug et proclama son +indépendance. Ebroin, fort sournois de sa nature, au lieu de combattre +Bertrand en brave chevalier, aima mieux le vaincre par des sortilèges; +il fit jeter un sort sur ce pauvre duc et le rendit imbécile. Il croyait +ainsi envahir l'Aquitaine; mais Hubert était là pour parer le coup; ses +prières au ciel rendirent la raison à Bertrand, qui livra bataille, et +fut vainqueur. Hubert vint à Paris à la cour de Thierri 1er, roi de +Neustrie et de Bourgogne; celui-ci, charmé de sa bonne mine, le nomma +comte du palais. Mais Ebroin était plus maître que le roi; gardant +rancune au jeune Hubert, qui avait désensorcelé son père, il lui chercha +tant de noises qu'il fut obligé de quitter la cour. Il se retira chez +Pepin d'Héristal, duc d'Austrasie, ennemi d'Ebroin. Une guerre éclata +entre eux; Hubert y rendit son nom illustre, et il fut proclamé le plus +brave, Thierri fut vaincu; Ebroin mourut assassiné; Pépin voulut garder +Hubert, grand chasseur; il reconnaissait la même passion chez le fils de +Bertrand, et vous savez le proverbe: «Qui se ressemble s'assemble.» + +Hubert se fit à la chasse une aussi belle réputation qu'à la guerre. +Pour démêler les ruses d'un cerf, il n'avait point son égal. Pepin le +nomma grand-maître de sa maison, et lui fit épouser mademoiselle +Florihane, fille de Dagobert, comte de Louvain. Les anciens chroniqueurs +disent que la chasse lui faisait souvent oublier le service divin: il +courait sans cesse à cheval dans les bois; dimanche ou fête, Pâques ou +Noël, rien ne pouvait l'arrêter. Un sanglier lui faisait manquer la +messe, un chevreuil l'empêchait d'aller à vêpres. Un jour, c'était le +vendredi-saint, Hubert, dans la forêt des Ardennes, vit le cerf qu'il +chassait venir droit à lui. Ô prodige! le cerf portait un crucifix entre +ses deux bois. Effrayé, il tombe à genoux et entend ces paroles; «Ô +Hubert! jusqu'à quand poursuivras-tu les bêtes des forêts? jusqu'à quand +cette vaine passion te fera-t-elle négliger ton salut? Si tu ne te +convertis pas promptement, tu seras précipité dans l'enfer.» Hubert +répondit: «Seigneur, me voici prêt à faire votre volonté.» Le cerf lui +dit: «Va chez mon serviteur Lambert à Maestricht, il te dira ce que tu +dois faire.» Ainsi, dit la légende, Hubert, qui voulait chasser et +prendre, fut lui-même chassé et pris. Saint-Lambert, évêque de +Maestricht, lui donna de bons conseils, et surtout de bons exemples pour +gagner le ciel. Demeuré veuf, Hubert se retira dans la forêt des +Ardennes, là où se trouve aujourd'hui le village de Saint-Hubert. Il y +vécut longtemps de la vie contemplative, ne chassant plus que les loups, +lorsqu'ils venaient l'attaquer. + +[Illustration: La Saint-Hubert du garde.] + +[Illustration: La Saint-Hubert au château] + +[Illustration:] + +[Illustration:] + +Saint Lambert mourut assassiné, et Hubert le remplaça. Le jour de son +sacre, un ange apporta du ciel une étole brodée par la vierge Marie; +saint Pierre lui apparut et lui remit une des deux clefs avec lesquelles +on le représente toujours. Cette clef sert encore aujourd'hui à guérir +les enragés, hommes et bêtes; on la fait rougir au feu et puis on +l'applique légèrement sur le front du chien de manière à lui brûler +seulement le poil. Autrefois on avait la coutume, en entreprenant un +voyage, de clouer un fer de cheval à la porte d'une église ou d'une +chapelle sous l'invocation de saint Martin. On faisait aussi rougir au +feu la clef de cette église ou de cette chapelle, et ou en marquait le +front de la bête qui devait porter le voyageur. Je ne raconterai pas +tous les miracles opérés par Hubert; il me faudrait trois numéros de +_l'Illustration_. Depuis que saint Hubert est mort, les miracles +continuent: un morceau de la sainte étole guérit les individus atteints +de la rage, et l'étole est toujours entière. Le 3 novembre, la chapelle +de Saint-Hubert ne désemplit pas: dès trois heures du matin, les trompes +sonnent le réveil; à l'instant, chasseurs et piqueurs, gardes et +braconniers se mettent en route avec leurs chiens, après s'être lestés +de la classique soupe à l'oignon. Tous arrivent à la chapelle de +Saint-Hubert, aujourd'hui délabrée, mais conservant toujours son antique +célébrité. Un prêtre dit la messe aux flambeaux, les trompes sonnent +lors de la consécration et pendant la bénédiction toute spéciale pour +les chiens. Le plus jeune chasseur fait la quête, et ordinairement un +nid de grive placé dans le pavillon de sa trompe lui sert de plateau. + +Les chasseurs scrupuleux ne se contentent pas, pour leurs chiens, de +cette bénédiction générale, il leur en faut une autre plus directe. Ils +retournent le lendemain chez un monsieur descendant de saint Hubert, à +ce qu'il dit, et qui applique à leurs chiens la clef rougie que son +aïeul reçut directement de saint Pierre. Lorsqu'il s'agit d'un homme, si +l'on se servait de la clef rougie, le remède serait peut-être pire que +le mal; alors ce monsieur guérit ou préserve de la rage en imposant les +mains et en prononçant certaines paroles que lui seul connaît; mais en +cela comme en beaucoup d'autres choses il faut avoir la foi. Ce qui est +fort singulier, c'est que les protestants et les réformés vont en +pèlerinage à Saint-Hubert aussi bien que les catholiques; on y voit même +des juifs. Tous amènent leurs chiens et leurs bestiaux, soit pour les +guérir de la rage, soit pour les empêcher de l'avoir. + +Ceux qui chassaient dans les Ardennes devaient aux moines de +Saint-Hubert la première pièce de gibier qu'ils tuaient, et la dîme de +toutes les autres. Un comte Théodoric, après avoir fait voeu d'observer +cette règle, tua un superbe sanglier. Il le trouva si beau, qu'il voulut +le garder. N'ayant point de charrette pour transporter une bête si +lourde, il le fit dépecer, afin que ses gens pussent se charger chacun +d'un morceau; mais, ô prodige! les gigots, les filets, la hure, ne +furent pas plutôt détachés, qu'ils partaient comme des fusées à travers +les airs, et décrivant une parabole, ils tombèrent sur l'abbaye, où les +moines les mangèrent. Un certain Josbert fut bien autrement puni: +atteint de la rage, il promit aux moines le tiers de ses terres s'ils le +guérissaient. Mais, comme dit le proverbe italien: + + Passato il pericolo, + Gabbato il santo. + +Une fois bien portant, il envoya les moines au diable, qui n'en voulut +pas, et entra dans le corps de Josbert. Vous dire tout ce que fit notre +possédé quand il eut le diable au corps, demanderait trop de temps et +trop de place Lié, garrotté, il fut porté devant l'abbé de Saint-Hubert. +Celui-ci le fit mettre dans une cuve d'eau bénite, et lui couvrit la +tête avec la sainte étole. Qui fut penaud! Je vous le demande. Le +diable ne pouvait plus sortir par la bouche, car l'étole était là; d'un +autre côté la chose paraissait peu commode, car on pouvait prendre un +bain d'eau bénite, et pour un diable c'est fort dangereux. Cependant à +tout prix il fallait fuir l'étole, et le diable partit par les voies +intérieures, ce qui produisit une telle détonation que les douves de la +cuve en furent brisées(1). La morale de tout cela, c'est qu'il faut +toujours tenir les promesses que l'on fait aux moines. + +[Note 1: Sensit inimicus pondus virtutis divinæ et coactus per +posteriora egredi, talem dedit crepitum, ut omne dolium a compage sua +resolveretur. Sic Deus superbissimum spiritum ludibrio exponebat. +(Historia sancti Huberti principis Aquitani ultimi Tungrensis primi +Leodiensis episcopi. Luxemburgi, 1621. In 4º, pag. 102.)] + +[Illustration: Une chasse dans un hôtel de la rue Saint-Honoré.] + +Hubert mourut en 727. Seize ans plus tard, on ouvrit son cercueil en +présence: du roi Carloman, et on trouva son corps frais et vermeil. _Ses +habits étaient plus entiers et plus beaux que de son vivant_. Dès lors +on le nomma saint Hubert. Ce titre lui fut confirmé par Léon X un +septembre 1515. Le roi fit mettre la dépouille mortelle du saint dans +une belle châsse, devant le maître-autel Cette première translation eut +lieu le 3 novembre 743; et voilà pourquoi nous chassons tant et nous +dînons si bien le jour de la Saint-Hubert. + +Je connais des chasseurs qui, le 3 novembre, négligeraient les plus +sérieuses affaires pour courir les champs; j'en connais qui, malades, au +lit, se sont levés, ont fait un tour dans leur parc et se sont recouchés +ensuite, après avoir accompli ce devoir, cet acquit de conscience; j'en +ai vu qui, ne pouvant pas sortir, ont revêtu l'habit de chasse et sont +restés ainsi équipés toute la journée dans leur fauteuil. + +Lord Egerton, propriétaire d'un fort bel hôtel rue Saint-Honoré, avait +été grand chasseur. Devenu vieux et goutteux, il ne pouvait plus monter +à cheval ni courir à pied: l'inexorable maladie le clouait dans son +large, fauteuil. En temps ordinaire il prenait patience avec assez de +philosophie; ses livres et ses amis lui faisaient quelquefois oublier +l'âge heureux où il pouvait chasser depuis le matin jusqu'au soir; mais +lorsque venait la Saint-Hubert, toute diversion était impossible. Alors +il se sentait intérieurement travaillé par le démon cynégétique, démon +cent fois plus tenace que ceux de l'amour, de l'ambition et autres +passions à l'eau rose. La veille du jour où les chasseurs fêtent leur +saint patron, l'imagination de milord, s'égarant en folle sur sa vie +passée, lui retraçait avec les plus vives couleurs d'anciennes +jouissances dont la privation augmentait encore son mal présent; les +crises redoublaient alors d'intensité, les douleurs devenaient plus +aguës, plus poignantes: le pauvre homme faisait pitié. Lorsque le mois +de novembre approchait, les domestiques du noble lord disaient entre +eux: «La maladie de notre maître augmente, ou voit bien que la +Saint-Hubert n'est pas loin.» + +Un jour, c'était le 3 novembre 1831, lord Egerton, en s'éveillant, +entendit les sons harmonieux de la trompe. + +«Pourquoi ce bruit? demanda-t-il à son valet de chambre; cela me fait +mal; ces fanfares me déchirent le coeur. + +--Je pensais, au contraire, que cela vous ferait du bien. + +--Allez dire à nos voisins que je les prie en grâce de me laisser dormir +en paix. Dieu me pardonne, ils sonnent la Saint-Hubert, le réveil, le +départ; j'entends les cris d'une meute, et je suis forcé du rester au +lit! Les malheureux! ils ne se doutent pas des angoisses qu'ils me +causent! + +--Vos voisins ne sont pour rien dans tout cela, milord; cette musique +joyeuse n'a d'autres exécutants que vos piqueurs; ces cris sont ceux de +vos chiens; milord doit savoir que c'est aujourd'hui la Saint-Hubert. + +--Tu veux donc augmenter mes regrets, tu veux me tuer! Ah! mon ami, au +lieu de me déchirer l'âme, au lieu de me retourner le poignard dans le +coeur, fais-moi plutôt oublier ce jour, qui me rappelle d'aussi +délicieux souvenirs. + +--Il ne s'agit pas du souvenirs, mais de réalités; nous chassons +aujourd'hui. + +--Bah! + +--Vos piqueurs sont à cheval avec leurs habits de fête; vos valets de +limier font le bois; je vais vous habiller, et bientôt vous entendrez +leur rapport. + +--Ah çà, mais on dirait que tu parles sérieusement? + +--Milord sait bien que je suis incapable de me permettre une +plaisanterie déplacée. + +--Hélas! il m'est impossible de sortir de Paris; si tu m'emmenais +vivant, tu me ramènerais mort. + +--Dieu et votre grâce me sont témoins que je n'ai pas dit un mot de +cela. + +--Et où chasserons-nous? + +--Ici. + +--Ici! + +--Le gibier du parc se multiplie beaucoup trop, il faut nécessairement +le détruire. + +--Le gibier!! + +--Les chevreuils surtout font un dégât terrible en broutant les jeunes +arbres. + +--Les chevreuils!!! + +--Vos massif, de dahlias, vos plates-bandes de géraniums, vos carrés de +tulipes sont labourés, détruits, anéantis par les sangliers. + +--Les sangliers!!!!» + +Cette dernière exclamation fut poussée avec une force inaccoutumée; on +aurait cru entendre Mithridate prononçant son fameux «les Romains!» Les +yeux de milord brillèrent du feu de la jeunesse, les douleurs de la +goutte cessèrent, une vie nouvelle circulait en lui; le valet de chambre +continua: + +«Entendez-vous ces fanfares, qui vous promettent une heureuse journée? +allons, milord, habillez-vous, et à cheval. + +--A cheval! est-ce que tu rêves? + +--A cheval, vous dis-je, ou en voiture, si vous l'aimez mieux; vous +chasserez, aujourd'hui toutes les bêtes possibles, depuis le lapin +jusqu'au sanglier, depuis le lièvre jusqu'au cerf. + +--Allons, je me fie à toi, mon ami; ceci commence à m'intéresser. Fais +en sorte que je ne me réveille pas; ce serait vraiment dommage.» + +Aussitôt que milord fut inséré dans le molleton et la flanelle, quand +une vaste robe de chambre fourrée tout hermétiquement enveloppé, deux +domestiques l'emportèrent dans son fauteuil et le descendirent au +vestibule, échauffé par un bon poêle. Comme il n'avait la goutte qu'à la +jambe droite, il voulut que sa jambe gauche fut couverte par la guêtre +classique. La porte du jardin s'ouvrit, et deux valets, tenant leur +limier en main, se présentèrent pour rendre compte de leur tournée +matinale. + +«Eh bien, Dick, as-tu de belles choses à m'apprendre? Je ne m'attendais +guère à me trouver aujourd'hui en face de toi; et, je te le dis sans +compliment, ta figure et celle de ton camarade Tom me sont mille fois +plus agréables à voir que celle de tous mes médecins. + +--Milord, la chasse sera belle, mais nous aurons bien des difficultés à +vaincre. + +--Tant mieux, mon ami, tant mieux! Voyons, dis-moi quels obstacles notre +courage devra surmonter. + +--Milord, je crois avoir rencontré un sanglier tiers-an, qui se fait +accompagner d'un écuyer plus jeune; et si mon chien ne me trompe, il est +rembuché dans un fort de lilas et de chèvrefeuille, qui se trouve au +bout du massif de géraniums. + +--Par saint Hubert, voilà certainement le premier animal de cette espèce +qui, de mémoire de chasseur, se soit avisé de choisir un pareil fort. + +--Quant à moi, je n'en avais jamais vu en semblable lieu. + +--Et toi, Tom, qu'as-tu détourné? + +--Trois chevreuils. + +--Où sont-ils? + +--A la reposée, derrière le kiosque. + +--J'avais cru entendre parler d'un cerf? + +--Il y est. + +--Tu n'en parlais pas. + +--Impossible de le détourner, il court toujours; il ressemble aux +chevaux de Franconi, faisant beaucoup de chemin dans un petit espace. + +--Oui, milord, ajouta Dick; et quelque bête que nous chassions, nos +chiens ne pourront, pas suivre le droit. Nous aurons souvent du change, +les voies se mêlent, se croisent en tous sens; derrière chaque arbuste +il y a un lièvre au gîte; tous les dahlias courbés par la gelée cachent +trois ou quatre lapins. J'ajouterai même que, malgré nos précautions +pour détruire les animaux nuisibles, je soupçonne un renard d'être à +l'affût dans la plate-bande de chrysentemums. + +--Un renard, Dick? + +--Un renard, milord. + +--Et... il n'y a point de loup? + +--Je ne le pense pas. + +--C'est dommage. + +--Si votre honneur veut nous dire quelle bête on doit chasser la +première, nous lancerons. + +--Il faut tout lancer. + +--C'est l'avis que j'aurais donné à milord s'il m'avait consulté. + +--Allons, parlez, courez, criez, sonnez, je vous verrai d'ici; j'espère +que cela fera diversion à mes douleurs. + +--Comment, milord! mais vous suivrez la chasse, vous tirerez des coups +du fusil; vous n'avez, pas la goutte aux mains. + +--Oui; mais je l'ai aux pieds. + +--Fort bien, voici votre voiture.» + +A l'instant on amena un char à trois roues, chef-d'oeuvre de mécanique; +il pouvait tourner en tous sens, à la moindre pression d'une manivelle; +un domestique assis derrière le dirigeait comme un pilote. Ou porta lord +Egerton dans ce véhicule rembourré de fourrures; un soleil superbe +réchauffait les membres du noble goutteux. Armé d'un fusil double, suivi +de ses valets portant d'autres fusils chargés, il donna le signal, et la +chasse commença. Je ne vous en ferai pas la description: ce serait aussi +difficile que de raconter tous les coups de sabre donnés, ou reçus à la +bataille de Wagram. Vous saurez seulement que ce brave Anglais fit à lui +seul un carnage horrible; il tirait sur un fleuve du gibier qui coulait +toujours; s'il manquait un chevreuil, il tuait six lapins; tout y passa; +le sanglier ne fit point le méchant, car une bouteille de cirage n'a +jamais aigri le caractère du cochon. + +Cette chasse fut un curieux spectacle pour les locataires des maisons +voisines; placés à leurs fenêtres, perchés sur les toits, ils +regardaient le massacre avec, des yeux stupéfiés; il semblait qu'ils +assistassent à une représentation du Cirque-Olympique; la scène était +dans un ardin; les fenêtres et les mansardes servaient de loges. + +Le soir il y eut curée pour la meute et grand dîner pour les chasseurs, +avec accompagnement de fanfares. En se couchant, le noble lord disait à +son valet de chambre: «Mon ami, c'est aujourd'hui le plus beau jour de +ma vie; le plaisir que j'ai éprouvé était d'autant plus grand, que je +l'espérais moins. Ce matin j'aurais pu croire tout possible, excepté de +chasser aujourd'hui.» Mais si l'homme peut résister à la souffrance, il +succombe quelquefois à l'excès de bonheur; on dirait vraiment que, créé +pour souffrir, il n'a point la force nécessaire pour supporter la joie. +Le lendemain Lord Egerton n'existait plus. Avouez qu'il était difficile +de mieux finir; sa mort peut se comparer au boulet de Turenne, à la +balle de Charles XII. Son cercueil fut entouré des trophées de sa +victoire; tel Louis XV, après la bataille de Fontenon, dormit sur un +matelas fait avec des drapeaux ennemis. + +Pour transmettre son effigie et son nom à la postérité, lord Egerton a +fait frapper une médaille. J'en conserve un exemplaire qu'il m'a donné. +Elle porte en exergue: _Francis Henry Egerton, Earl of Bridgewater_. +S'il avait vécu plus longtemps, il en aurait sans doute fait fabriquer +une autre avec cette légende; _Il chassa le jour de saint Hubert à +courre, rue Saint-Honoré, nº, 335, à Paris_. Le fait est assez +extraordinaire pour mériter d'être transmis à tous les chasseurs à +venir. + +ELZÉAR BLAZE. + + + +MARGHERITA PUSTERLA. + +CHAPITRE XVII. + +TRAHISON. + +Pedrocco, dans les premiers jours du mois de juillet de 1381, remit à +Luchino un billet de Ramengo ainsi conçu: + +«Magnifique seigneur Luchino, + +«Je suis arrivé, suivant votre ordre, dans la ville d'Avignon, et j'ai +réussi à trouver le rebelle Franciscolo Pusterla avec son fils. Ne +désirant rien plus vivement que de servir notre prince, que le seigneur +Dieu tienne en joie, je me suis conduit de telle sorte que je l'ai +déterminé à se diriger vers le port de Pise. Nous partirons par Niza de +Provence la semaine suivante; avec l'aide de Dieu, nous nous +embarquerons sur le navire appelé le Caspio. C'est pourquoi je supplie +Votre magnificence de prendre les mesures nécessaires pour s'emparer +dudit Pusterla et de son fils. Alors je mettrai de plus longs +renseignements aux pieds de votre altesse, qu'aujourd'hui je baise en +toute humilité. + +«RAMENGO DE CASALE.» + +[Illustration.] + +Ainsi qu'il l'annonçait, dès que la mer fut favorable, Ramengo sortit du +port de Nice, conduisant son ennemi sans défiance. La fortune le servit +au delà de ses espérances, elle lui offrit immédiatement l'occasion +qu'il pensait devoir attendre: les Pisans consentirent pour des causes +qu'il est mutile d'énumérer ici, à livrer Pusterla à Luchino. + +Dans les premiers jours, le vaisseau qui portait Pusterla eut à lutter +contre les éléments: des pluies violentes, des coups de vent, des +bourrasques, paraissaient vouloir repousser les exilés de la terre +qu'ils désiraient revoir et où ils devaient trouver la mort. Venturino +disait: «Ô mon père! pourquoi avons-nous quitté ce pays? Là nous étions +ay moins sur la terre et solides sur nos pieds.» Et Pusterla répondait: + +«Nous l'avons quitté parce qu'il n'était pas notre patrie. + +--Et où allons-nous maintenant? + +--Ne le sais-tu pas? en Italie. + +--En Italie! oh! dans notre cher pays, n'est-ce pas? Là nous entendrons +encore parler notre langue, n'est-il pas vrai? Là nous verrons des gens +que nous connaîtrons tous. Et ma mère, la trouverons-nous aussi bientôt? + +--Pauvre mère! répliquait Francesco en soupirant et en caressant les +blonds cheveux de son enfant. Oui, nous la reverrons, si Dieu le permet. +Maintenant prie pour elle. + +--Prier? oh! il ne se passe pas de jour que je ne prie, pas de moment où +je ne me la rappelle. Encore cette nuit, j'ai rêvé d'elle. Nous étions +là-bas, dans notre villa de Montebello; elle et moi nous nous tenions +dans la salle, et tu entrais à cheval avec une armée... Je ne me +souviens plus. Je sais bien que je ne l'avais jamais vue plus belle ni +plus tendre. Oh! si j'étais grand, si j'avais le bras fort, fort comme +le tien, comme celui d'Alpinolo, je courrais bien la délivrer.» + +Pusterla l'embrassa attendri, et levant les yeux vers Ramengo, qui +tenait les siens fixés sur eux comme la vipère sur le rossignol fasciné. +«Ô mon ami, lui dit-il, quelle consolation dans l'isolement, dans +l'infortune, de trouver un fils à ses côtés!» + +C'était jeter de l'huile sur le feu. Ramengo éclata au fond de son âme, +en entendant ces paroles qui lui rappelaient qu'il aurait pu jouir de la +même consolation, et qu'elle ne lui avait été ravie que par ce même +Franciscolo qui lui vantait son propre bonheur. «Mais ce sera pour peu +de temps!» s'écria-t-il en levant le poing vers le ciel; et il se +précipita dans le navire pour y épancher sa fureur, au grand étonnement +de ses compagnons de voyage. + +Un matin, Venturino tenant le bras de son père, de sa petite main lui +indiquait les montagnes de la terre ferme couronnées de nuages +fantastiques, tout à coup il s'écria: «Vois, vois ce vaisseau qui +s'approche. Il porte sur sa voile la vipère de Milan.» + +A cette vue son père ne put s'empêcher de frissonner. Lorsque le +vaisseau s'approcha, chacun reconnut qu'il portait les armes de Pise +écartelées de celles des Visconti. On sut bientôt à bord que Pise +s'était alliée aux Visconti de Milan. + +[Illustration.] + +Chacun commenta cette nouvelle à sa manière; mais Francisco en fut +vivement épouvanté, son fils et lui étaient perdus s'ils abordaient un +port de Pise. Pâle colonie les voiles de son bâtiment, il commença à +supplier le capitaine de retourner en France, s'offrant à lui payer +non-seulement les frais de la traversée, mais tout le dommage qui +pourrait en résulter pour lui et pour les passagers, et à lui donner en +outre une forte récompense. Il lui avoua tout; mais cet homme levant les +épaules, lui répondit: «Je dois être aux ordres de ce seigneur.» + +Et il indiqua Ramengo, qui lui dit brusquement: + +«Votre devoir est de continuer votre route.» + +Quel voile ces paroles firent tomber des yeux de Pusterla! Raisons, +supplications, larmes, que ne tenta-t-il pas pour attendrir ce +misérable! Il se jeta même à ses pieds avec son fils; il lui embrassa +les genoux, lui rappelant les antiques bienfaits de sa famille, le nom +de Rosalia: «Vous aussi, lui dit-il, vous devez comprendre l'amour +paternel, car un instant au moins vous avez été père.» + +Le rire satanique qui errait sur les lèvres de Ramengo en contemplant +l'humiliation, en entendant les prières de son ennemi, se changea en un +rugissement féroce à ces dernières paroles, «Et je serais encore père et +époux si tu n'avais pas existé, maudit!» s'écria-t-il en repoussant le +père suppliant, avec un geste brutal. Puis il ajoutait: «Mais rends +grâces à Dieu, qui m'a donné la consolation de te voir torturer dans ces +affections dont tu m'as privé.» + +Pusterla ne pouvait comprendre tout le gens de ces paroles; mais il +avait reconquis le sentiment de sa dignité. Se relevant vivement, il +s'éloigna de Ramengo avec indignation, sans ajouter un seul mot; puis il +embrassa son enfant, assis sur ses genoux, avec le calme du désespoir. + +Cependant le navire, avait été signalé; et de derrière la Capraja +débouchèrent deux galères faisant force de rames, qui vinrent à sa +rencontre. La vipère des Visconti, peinte sur le pavillon, ne laissait +point de doute sur leur maître, Pusterla les regarda s'approcher et +ferma les yeux dans l'attente d'un malheur inévitable. + +[Illustration.] + +A peine les deux vaisseaux furent-ils proches du _Caspio_, qu'ils le +sommèrent d'amener les voiles et de laisser aborder. Le capitaine +Samminiato requit les noms des passagers, et Ramengo se présenta devant +lui, et, montrant le triste groupe du père et de son enfant, il s'écria: +«Celui-ci est Francesco Pusterla.» On le chargea de chaînes et on le mit +à fond de cale, où il eut du moins la consolation de n'avoir plus sous +les yeux l'infâme Ramengo. + +Celui-ci le fit conduire à Gènes, et de là, après une quarantaine qu'on +lui imposa à cause de la peste qui régnait alors en Toscane, il entra +dans Milan par cette même porte du Tesin qui s'était ouverte pour lui +lorsqu'il faisait partie de la marche triomphale, et il se présenta à la +cour de Luchino. + +Le bouffon Grillincervello se tenait dans l'antichambre, au milieu des +camériers et des pages. Il courut aussitôt trouver Luchino. «Combien +voulez-vous me payer, si moi, avec ma poudre de perlimpinpin, je vous +fais comparaître en personne Ramengo de Casale?» + +Luchino ne montra ni étonnement ni plaisir. Il l'attendait, et répondit +sèchement: «Qu'il entre. + +--Qu'il entre ici ou dans la geôle? demanda Grillincervello surpris. + +--Ici, ici, répliqua Luchino. + +--Et faut-il que j'aille avertir maître Picci d'apprêter les instruments +de son métier? + +--Moins de folies,» interrompit Luchino, sombre comme un _dies iræ_; +Grillincervello, qui se sentait encore des coups qu'il avait attrapés dans +la citadelle de la Porte Romaine, ne se le fit pas dire deux fois. Il +introduisit Ramengo, et dit aux désoeuvrés de l'antichambre: «Je n'avais +jamais vu les grives souper avec le chasseur.» + +Lorsque le vil courtisan fut en présence du prince, il lui raconta +toutes les trames qu'il avait ourdies, lui rappela et lui fit +contresigner de sa main le bref d'impunité qu'il lui avait demandé pour +lui et pour son fils, et faisait sonner bien haut ses services, il lui +demanda des honneurs pour réparer les brèches que son dévouement +n'aurait pas manqué de faire à sa réputation. Luchino ne le laissa pas +finir, et le toisant d'un air ironique, d'un geste furieux et méprisant +il jeta à ses pieds une bourse pleine d'argent.» Tiens, lui dit-il, tes +pareils se paient avec de l'argent et non avec des honneurs!» et il ne +voulut pas en entendre parler. + +[Illustration.] + +Quant au malheureux Pusterla, il ne larda pas non plus à arriver, et le +peuple courut voir ce fameux chef de rebelles qui voulait bouleverser +Milan, défaire la Seigneurie, en renouveler la religion. Il lut renfermé +dans la tour de la porte Romaine, où la triste Marguerite l'aperçut +précisément entrer, et nous l'avons laissée évanouie à cette vue. +L'infortunée s'efforçait de ne pas en croire ses propres yeux. Mais +toute son incertitude cessa un jour que le geôlier Macaruffo entra dans +son cachot avec des manières affectées et un visage rechigné, s'écriant: +«Quelle puanteur en cet endroit! quelle odeur de renfermé! Pourquoi ne +donnez-vous pas de l'air à cet appartement?» Et il s'éventait avec un +morceau de soie. Marguerite reconnut promptement le tissu où elle avait +commencé à broder une marguerite qu'elle n'avait pas finie. Ce tissu +avait été pris par Buonvicino dans le salon, le dernier jour qu'il y +entra, et on se rappelle qu'il avait remis ce précieux don à Pusterla, +qui le porta toujours depuis sur lui. En le revoyant, Marguerite fut +vivement émue: + +«Qui vous a donné cette broderie? demanda-t-elle avec anxiété au +geôlier. + +--Quoi? plaît-il? répondit le rustre en la déployant malicieusement +devant ses yeux. Un autre camarade me l'a donnée, logé là auprès, et que +vous connaissez. + +--Franciscolo? + +--Bien deviné. Le seigneur seigneurissime Pusterla. + +--C'est vraiment lui! s'écria-t-elle, plutôt en se parlant à elle-même +qu'en interrogeant le geôlier, qui continuait: + +--Lui-même; en doutez-vous? Croyez-vous donc qu'il ne nous arrive ici +que des habits de futaine? Regardez, il est sous la clef que Voici. + +--Et son fils? + +--Oh! il y est aussi, bien entendu. Ce serait une barbarie de séparer le +fils de son père.» + +Bien qu'elle s'efforçât de se tromper elle-même, Marguerite était +convaincue que son mari et son fils étaient ses voisins de captivité; et +son cachot désolé le savait bien, qui retentissait nuit et jour de +gémissements sans consolation. Mais se l'entendre assurer à cette heure, +mais se voir, par les ironiques discours de ce bandit, arracher le +dernier fil de ses espérances, faisait sur elle l'effet que produit sur +le condamné la lecture de la sentence de mort, lors même qu'il en +connaît d'avance la teneur. + +«Et, continuait Macaruffo, il m'a donné cette fleur, voyez comme elle +est belle, pour que je vous salue et que je vous la fasse voir. + +--Il sait donc aussi que je suis ici? demanda Marguerite. + +--Oui, il m'a dit que je vous salue et que... + +--Et quelle autre chose me fait-il dire? + +--Oh! il vous fait dire beaucoup d'autres niaiseries, mais je ne m'en +souviens plus. + +--Hélas! cherchez à vous les rappeler, disait Marguerite;» mais ce +misérable, incapable d'aucun noble sentiment, répondait: + +«Me les rappeler? N'aurait-elle point, votre seigneurie, quelque chose +dans sa poche pour me rafraîchir la mémoire? + +--Rien. Bon Dieu! vous le savez, tout le peu qui m'était resté, je vous +l'ai donné tout entier. Quelle chose me reste-t-il que ce vêtement usé? +Hélas! veuillez me faire cette grâce par charité. Qui sait si un jour je +ne redeviendrai pas en état de vous récompenser? sinon, Dieu vous en +récompensera.» + +Et douce, suppliante, appuyant ses belles mains sur les épaules du +geôlier, elle tentait de fléchir son impassible cupidité. Mais ses +prières ne faisaient pas plus sur lui que le souffle d'un vent d'avril +sur une montagne de marbre. Et: + +«Que Dieu! que diable! quelle charité? quelle récompense? disait-il. La +charité, je suis homme à la recevoir et non pas à la faire. Hé! _qui +sait_, les promesses pour l'avenir, l'ivrogne ne les écrit point. +Parlons bref: ou vous avez quelque chose à me donner, et je parle; ou +vous n'avez rien, et alors renfermez votre curiosité en vous-même, parce +que je me tais.» + +[Illustration.] + +Et comme elle n'avait rien pu soustraire à la rapacité de Macaruffo, +elle ne pouvait lui donner que ses larmes, ses supplications amères, et +se jeter à genoux et prier le Seigneur. Mais le geôlier s'en alla, +toujours impitoyable, faisant sonner ses clefs plus rudement en fermant +les portes, et s'éloigna en chantant. Bientôt Marguerite n'entendit plus +que les pas de la sentinelle qui passait nuit et jour devant la prison, +et dont les pieds, retombant alternativement, ressemblaient à deux poids +métalliques frappant en mesure le pavé. + + + +CHAPITRE XVIII + +LE SOLDAT. + +[S]UR le pavé de la prison, dans le corridor, Macaruffo, étendu tout du +son long, dévorait avec appétit un morceau de pain bis et une tranche de +lard. De temps en temps il avalait quelques gorgées d'un broc de vin +qu'avec une affectueuse dévotion il tenait entre ses jambes. Il faisait +nuit. Un profond silence régnait partout. Pour toute lumière, un lampion +vacillant suspendu à la voûte, et à droite de Macaruffo une lanterne +sourde dont les rayons, l'éclairant à demi, se réfléchissaient sur le +paquet de clefs qui pendaient à sa ceinture. Une sentinelle silencieuse +se promenait de long en large, faisant résonner du bruit monotone de ses +pas les voûtes du corridor. Ce soldat s'arrêta enfin à côté du geôlier, +et s'appuyant sur le bois de sa lance, il se courba un peu vers le +Bergamasque et lui adressa la parole: «Compère, ton souper est frugal. + +--Pain d'un jour et vin d'un an, répondit l'autre.--C'est toujours +ainsi.» Et avalant une gorgée de vin, puis s'essuyant la bouche avec le +dos de la main gauche, il ajoutait en branlant la tête: + +«Si ce n'eût été, si ce n'eût été... + +--Mais si ce métier maudit te pèse si fort, pourquoi ne pas le quitter? + +--Le quitter! bon Dieu, tu me fais lire, quoique je n'en aie guère +envie. Tu as beau jeu à parler, toi qui portes toute ta maison dans ta +valise. Mais, dis-moi: comment faire alors pour nourrir une femme et une +nichée d'enfants? + +Cependant, si tu trouvais à vivre autrement, le ferais-tu, hein? + +--Si je le feras? et de bon coeur! Je ne sais pas quelle vie je +n'accepterais pas pour échapper aux clefs, aux nerfs de boeuf, aux +menottes et aux chaînes; pourvu pourtant qu'il ne fallût pas travailler +de mes mains. Il me conviendrait de me promener tout le jour à faire la +ronde comme toi. + +--Mais, dis-moi, si ton métier t'offrait l'occasion de gagner? + +--De gagner? demanda Macaruffo avec anxiété, de gagner de l'argent? + +--Par exemple, une cinquantaine de florins d'or. + +--Oui, oui, la chatte les couve. Prends, prends-moi ce broc, mon +camarade. Je vois que ton cerveau commence à battre la chamade, et je +veux lui porter le dernier coup. + +--Je ne perds nullement la tête, et je parle très-sérieusement...» + +Et il tira de sa poche une bourse dont les mailles laissaient voir une +belle somme d'or. + +«Toi! s'écriait, toi, pauvre soldat, tu as reçu une si belle grâce de +Dieu! oh! le gras mélier que la guerre! qui vole le plus est le plus +brave! + +--Ces florins répliqua le soldat avec une colère mal réprimée, ne sont +pas volés, mais bien acquis. Et... et s'ils étaient à toi? + +--S'ils étaient à moi, répondit l'autre d'un ton de stupeur, s'ils +étaient à moi, je demanderais si Bergame est à vendre. + +--Eh bien! ils peuvent être à toi avant demain matin, et sans qu'il t'en +coûte la moindre peine.. + +--Est-ce que tu plaisantes? Mais pour les gagner, dis vite, que +faudrait-il faire? + +--Rien autre chose, répondit le soldat en baissant la voix, que de tirer +un verrou et de laisser sortir deux oiseaux de la cage. + +--Pst! fit le geôlier en mettant la main sur la bouche de la sentinelle. +Puis, d'un ton sérieux et profond: + +«Quoi! comment, deux prisonniers? Bon Dieu! mon camarade, je sais que tu +te moques de moi.» + +Il se tut, puis reprit quelques instants après d'une voix qui indiquait +plus de regret que de colère: + +«Cela te paraît peu de chose, laisser fuir deux prisonniers... Demain on +les cherche, ils n'y sont plus. «Eh! Lasagnone, qu'est-ce que cela veut +dire?--Illustrissime seigneur, je n'en sais rien, moi, proprement rien, +en conscience.» Et lui: «Hors la camisole. Qu'on lui mette la corde au +cou, et de la corde à la potence...» J'aurai fait la panade au diable. +L'argent me va bien, mais la potence! + +--Certainement, certainement. Mais il me semblait qu'avec cinquante de +ses petits frères dans la sacoche, il y avait mieux à faire que ce +métier. Réfléchis! en quatre heures tu es aux frontières. Tu passes +l'Adda, et te voilà dans ta maison, sur les montagnes, où j'appellerai +braves ceux qui viendront t'y chercher. Tu revois ta femme, tes enfants; +tu relèves ta maison, tu deviens riche. + +--Mais quels sont ces prisonniers? dit Macaruffo en faisant un effort +visible. + +--Bon, pour que tu ailles les nommer. + +--Quoi, moi un espion? non, pas pour le double de l'or que tu m'as +offert. Parle donc, qui sont-ils? + +--Ce seigneur et cette dame, dit le soldat en montrant les cachots qui +renfermaient Pusterla et Marguerite. + +--Capperi! de gros oiseaux. + +--Gros ou non, qu'est-ce que cela te fait? + +--Cela me convient, dit Macaruffo; mais, d'honneur! ce n'est pas +l'arpent qui me décide. A propos, le seigneur n'a-t-il pas un enfant +avec lui? + +[Illustration.] + +--Qui, son fils, leur enfant à tous deux. + +--Mais, je veux dire, ils vont donc le laisser ici? + +--Non, non, il s'en ira avec eux. + +--Mas tu n'as parlé que de deux personnes. + +--Oh! l'autre, c'est sous-entendu. C'est la bonne mesure par-dessus le +marché. + +--Que parles-tu de bonne mesure, de par-dessus le marché? Trois +personnes pour cinquante florins d'or! Tu n'es pas raisonnable, et nous +n'en parlerons plus, si tu ne le deviens pas davantage.» + +Le soldat lui montra un diamant qu'il avait au doigt, et lui remettant +les florins d'or, lui promit le diamant aussitôt que les trois +prisonniers seraient sortis de leur cachot. Le marché fut conclu, et +Macaruffo, joyeux, se mit à compter ses florins d'or. + +[Illustration.] + +Ce soldat était Alpinolo, que nous avons laissé, dans cette funeste +soirée du 20 juin 1310, sur la route de Brera, où il remit à Buonvicino +le jeune fils de Pusterla. Certain d'être inscrit sur les listes de +proscription, désespéré surtout de l'imprudence qui, en livrant à +Ramengo le secret d'une conspiration imaginaire, avait fait prendre et +traiter des mécontents comme des révoltés, il se mit d'abord à fuir au +gré de son cheval, plutôt par un mystérieux instinct de conservation que +par un acte bien réfléchi de sa volonté. Puis lorsque sa pensée parvint +à se dégager des ténèbres qui l'obscurcissaient, et qu'il put voir +clairement sa situation, dégoûté de la vie, résolu d'en finir avec les +angoisses de ses remords, il tourna brusquement son cheval et reprit au +galop la route de Milan. Il en était à peu de distance, lorsqu'il +rencontra une troupe de proscrits dont il connaissait les principaux +membres, qui lui firent rebrousser chemin, combattirent sa résolution et +l'emmenèrent avec eux. Il demeura quelque temps avec ses frères +d'infortune; mais les malédictions, dont ils accablaient l'auteur +inconnu de la persécution qui était venue les atteindre, la pensée +poignante qui torturait Alpinolo, que c'était lui, lui-même qui en était +le véritable auteur, lui rendirent leur compagnie insupportable, et un +jour, n'écoutant que son désespoir, il les quitta brusquement. + +Il se rendit à la cabane des bons meuniers qui avaient pris soin de son +enfance. On a vu, par le récit de Maso à Ramengo, comment il y arriva, +et comment il avait laissé en partant son cheval, son argent et les +lettres de sa mère; mais ces braves gens, lorsqu'il partit, n'avaient +point pénétré les funèbres pensées qui l'agitaient. Las de cette vie et +des hommes, il résolut de mettre fin à ses jours. Après avoir jeté un +dernier regard sur la maison des meuniers, qu'il apercevait encore dans +le lointain, il se précipita dans le fleuve, et les flots se refermèrent +sur lui; mais porté au fond de l'eau par l'effet de son propre poids, +augmenté par la vitesse de sa chute, un mouvement de réaction le ramena +bientôt à la surface, pendant que le courant l'emportait toujours en +avant. A ce moment, l'instinct animal se réveilla en lui; presque à son +insu, et sans qu'il eut aucune conscience raisonnée de ce qu'il faisait, +ses mains s'étendirent pour fendre les flots, et comme il était +excellent nageur, il réussit promptement à gagner la rive, où, épuisé de +fatigue, il tomba dans une torpeur semblable au sommeil. Revenu à lui, +il se repentit de sa tentative de suicide. «Je dois vivre, dit-il; je +vivrai pour mon tourment et pour punir ce traître infâme.» + +Lorsqu'il eut séché au soleil ses habits, désormais sa seule fortune, il +se mit au service des paysans pour gagner sa vie. Parvenu en travaillant +jusqu'à Pise, il y retrouva tous ses anciens amis de Milan, et reprit +avec eux cette vie des bannis si pleine d'espérances, de projets, +d'exagérations, qui, pour la plupart, se résolvent en fumée. + +Un jour qu'ils cherchaient de concert les moyens les plus prompts de +recouvrer leur patrie, un des plus passionnés eut l'idée d'attenter aux +jours de Luchino. Exalté par les discours qu'il avait entendus, entraîné +d'ailleurs par sa propre haine, Alpinolo proposa de se charger de +l'exécution de ce crime. + +[Illustration.] + +Une acclamation unanime le confirma dans sa résolution. Milan est une +grande et populeuse cité; la barbe qui ornait son jeune visage et qui +était taillée à la mode des soldats, ses cheveux arrangés d'une façon +nouvelle, un costume différent, lui donnaient l'assurance de n'être +point reconnu. On parlait précisément, à cette époque, des recrutements +que faisait Luchino parmi les brigands qui, après avoir désolé la +contrée, las des profits incertains et irréguliers de leur vie errante, +s'enrôlaient avec plaisir sous un drapeau mercenaire, et sous le +commandement de Sfolcada Melik, et devenaient les gardiens des lieux +qu'ils avaient d'abord infestés. + +Alpinolo se détermina à s'enrôler dans ces bandes. Il partit donc, +encouragé par tous ses compagnons. + +Il se rendit d'abord chez Maso, à qui il demanda le cher dépôt qu'il lui +avait confié, l'anneau et les lettres de sa mère. Quelles imprécations +il lança contre le ravisseur de ces gages sacrés, lorsqu'il apprit que +la faiblesse de Nena avait livré à un étranger les lettres de Rosalie. +Mais quand on lui apporta le diamant, comme un père qui retrouve un fils +longtemps perdu, il s'apaisa, le pressa contre ses lèvres, et plus d'une +grosse larme tomba de ses yeux sur cet unique souvenir de ses parents. +Il alla se prosterner sur le monticule qui recouvrait la dépouille +mortelle de sa mère, raviva les fleurs qui poussaient à l'entour, et +prit congé des bons meuniers. + +«Maintenant, tu seras de retour Dieu sait quand, lui disait la Nena. Je +suis vieille, une autre fois tu ne me trouveras plus; souviens-toi +toujours de moi dans tes prières. + +[Illustration.] + +[Illustration.] + +--Point d'idées tristes, ajoutait Maso. Nous nous reverrons, n'est-il +pas vrai, seigneur Alpinolo? + +--Oui, répondait-il, peut-être plus tôt que vous ne le pensez. + +--Et d'une humeur plus gaie, reprenait la Nena. + +--Et chargé d'honneurs et de richesses,» ajoutait Maso, qui, ayant vu le +monde, savait en quoi consistent les félicités. + +[Illustration.] + +Alpinolo partit; il joignit une troupe de ces recrues, et entra avec +elles dans la Lombardie. Tristes compagnons! ils étaient tous couverts +de haillons, la plupart étaient en outre borgnes mi manchots, parce +qu'ils avaient subi, comme voleurs, la peine imposée par les statuts de +Milan, qui infligeaient la perte d'un oeil pour le premier vol, et celle +d'une main pour la récidive; pour la troisième, la potence. + +Il est facile d'imaginer ce que soutirait Alpinolo lorsqu'il vit la +tranquillité publique tromper les rêves qu'il avait formés dans l'exil, +et lorsque tout dans Milan lui rappelait les joies de sa jeunesse, les +maîtres bienfaisants qui les lui avaient procurées, et qu'il devait +s'accuser de les avoir plongés dans un abîme de malheurs. Il souffrait +d'autant plus qu'il ne pouvait s'abandonner à ses chagrins que dans la +solitude où il se réfugiait souvent pour songer à l'engagement qu'il +avait pris.--L'occasion favorable de tuer Luchino s'était plus d'une +fois offerte à lui, mais au moment de frapper il sentait son murage +l'abandonner. Il s'excitait à marcher en avant, mais il reculait +épouvanté devant l'impérieuse voix de sa conscience. + +[Illustration.] + +Il était un jour, à midi, appuyé dans ce coin du Broletto Normand où il +s'était laissé trahir par Ramengo. Pendant des heures et des heures il +tenait les yeux fixés sur la porte des Pusterla, par où il avait vu +entrer Marguerite. Il alla à la Madone de San-Celso, qui, précisément à +cette époque, avait commencé à devenir célèbre par ses miracles, et avec +une ferveur brûlante, mais inquiète et tourmentée, bien différente de +celle de l'homme qui demande la justice et obtient la paix, il supplia +Notre-Dame. «Donnez-moi la force nécessaire pour tuer votre ennemi, +l'ennemi du bien public, l'ennemi de cette sainte qui savait si bien +vous imiter. Si vous me faites cette grâce, je fais voeu d'aller à +Nazareth, comme un pèlerin armé, et de n'en pas revenir que je n'aie mis +à mort mille de ces infidèles qui refusent d'adorer votre saint nom.» + +Dans cette prière insensée, dans ce voeu de vengeance fait à la Mère des +miséricordes, il crut avoir puisé une nouvelle fermeté, et peu de jours +après il lui parut se présenter une occasion favorable. Il était de +garde près d'un pavillon de plaisance situé au milieu d'un bois +artificiel, dans le parc de Belgiojoso, délices des Visconti. En +regardant à travers les barreaux de la jalousie, qui laissait librement +circuler l'air, il vit Luchino qui, enveloppé dans un manteau, s'était +endormi seul avec ses deux mâtins à ses pieds et qui dormaient aussi. +Alpinolo renouvela son voeu, s'approcha, brandit le poignard, le leva +sur la tête du tyran, et s'écria au dedans de son coeur: «Chien! tu ne +le réveilleras plus qu'au jour du ingénient!» + +[Illustration.] + +Le jour du jugement! Cette idée arrêta son bras. «Le jour du jugement! +lui et moi nous nous trouverons un jour en présence d'un commun juge! à +ce tribunal, Luchino paraîtra avec le cortège de ses crimes--Et moi! +devrai-je me montrer la main chargée d'un assassinat?» Il résolut de +renoncer à son projet et s'efforça de sortir sans bruit; mais il n'en +put faire si peu qu'il ne réveillât les chiens. Ils se levèrent en +aboyant. Luchino se réveilla, et se leva en portant la main à son épée. +Le hasard voulut qu'à l'instant même le capitaine Lucio entrait d'un air +de triomphe rapporter comment on avait conduit dans la citadelle de la +porte Romaine Francesco Pusterla et son fils. + +La présence du soldat fut interprétée comme un acte de zèle et pour +avertir le prince de l'approche du nouvel arrivant, et Alpinolo fut +sauvé. Mais le plus horrible des supplices, mais être déchiré, lambeau +par lambeau eût à peine égalé pour lui la torture qu'il éprouva en +entendant l'atroce nouvelle, en voyant l'impitoyable joie de Luchino et +du capitaine de justice, qui se disaient entre eux: «Maintenant, nous +allons les faire marcher rapidement. Demain à Milan, et la chose sera +bientôt faite.» + +Son imprudence, lui avait donc encore réservé ce supplice. Aussi qui +dépeindra ses épouvantables fureurs? A partir de cette heure, toute +autre pensée fit place dans son esprit à celle de délivrer ces +infortunés. + +Il lui fut facile de se faire charger de la garde des prisons de la +porte Romaine. Nos lecteurs savent déjà comment il gagna le geôlier, et +à quel prix Macaruffo lui promit de laisser échapper ses trois +prisonniers. + + + +Bulletin bibliographique + +_La Recherche de l'Inconnue_; par A. DE LAVERGNE (2).--_Voyage où il +vous plaira_; par TONY JOHANNOT, ALFRED DE MUSSET ET P.-J. STAHL +(3).--_Les Fastes de Versailles_; par H. FORTOUL.(4). + +(2) Deux vol. in-8, Dumont 15 fr. + +(3) Un vol. in-8, Herzel, 12 fr. + +(4) Un vol. in-8, Houdaille. 16 fr. + +Le nouveau roman que vient de publier le fécond auteur de _la Duchesse +de Mazarin_ devrait s'appeler _la Blonde et la Brune_, ou _Laquelle des +Deux_, ou les _Deux Maîtresses_. Au lieu d'une inconnue qu'il nous +promet, M. A. de Lavergne nous en donne deux, et encore ses deux +héroïnes ne restent-elles pas longtemps ce qu'elles devraient être. Dès +les premiers chapitres son héros les connaît; il les trouve même sans +les chercher, et il ne les reperd plus sérieusement. La première qualité +d'un titre, ce n'est pas seulement de piquer la curiosité, c'est d'être +vrai.--Quels que soient d'ailleurs l'intérêt et le mérite d'un livre, le +lecteur garde toujours une certaine rancune secrète contre lui s'il n'a +pas réalisé les rêves de son imagination.--La _recherche de +l'inconnue_... à l'annonce d'une semblable expédition, qui ne se +représente... Mais à quoi bon, en vérité, inventer ici le roman que M. +A. de Lavergne aurait du faire? racontons plutôt en quelques mots celui +qu'il a fait. + +M. Arthur d'Escorailles, le héros de ladite histoire, est «un véritable +maître Jacques littéraire, courtisant toutes les Muses, couronné par +toutes les gloires, tour à tour, et, suivant l'occasion, romancier, +feuilletoniste, auteur dramatique, critique au besoin, poète même..., +beau d'ailleurs et blond, et fils de l'Auvergne.» Il a eu de grands +succès littéraires, tous ses amis envient son sort et les étrangers sont +fiers de le connaître, etc. Inutile d'ajouter qu'il habite Paris. Un +jour, en revenant de ses montagnes, où il était allé retremper son +imagination fatiguée, il fit, dans le coupé de la diligence, la +rencontre d'une jeune fille de dix-sept ans, «la plus ravissante +créature qu'il fut possible d'imaginer: de grands yeux bleus, un visage +plein de candeur et d'ingénuité, harmonieusement encadré dans de beaux +cheveux d'un blond cendré retombant en grappes, le long de ses joues, +jusqu'à la naissance du cou le plus souple et le plus élégant qui se +puisse voir.» A cet aspect, le jeune lion littéraire «tressaillit et +demeura la bouche béante, en proie à une telle stupéfaction, que celle +qui en avait été l'objet ne put réprimer un sourire, sourire plein de +charmes et qui laissa entrevoir à demi cachée dans des lèvres de corail +une double rangée de dents blanches et fines comme des perles.» Ce +premier regard avait,--cela se voit ailleurs que dans les +livres,--transpercé deux coeurs des flèches de Cupidon.--Mais quelle +était cette jeune fille inconnue? Bien qu'il eût fait des romans, Arthur +d'Escorailles ne sut ni le deviner ni l'apprendre. Il ne put même pas +lui parler, car il en était sépare par un obstacle insurmontable, un +gros père bourru qu'il avait offensé en le priant poliment de ne pas +dormir sur son épaule.--Mais «tant que la lune brilla au ciel, il resta +les yeux amoureusement fixés sur cette jeune fille, et elle ne ferma +pas les siens.» + +A peine de retour à Paris, Arthur d'Escorailles raconta cette aventure à +quelques-uns de ses amis avec lesquels il avait dîné. Le soir même, en +rentrant chez lui, _dans sa chartreuse_, pour faire une toilette de bal, +son nègre lui remit un petit paquet d'une forme toute particulière et +soigneusement cacheté. C'était un charmant bouquet de marguerites avec +le billet suivant: «Voici mon nom, et je vous aime.» + +Ici donc, c'est-à-dire dès les premières pages du roman, commence la +recherche des inconnues. Arthur d'Escorailles aime une jeune fille qu'il +a vue, mais dont il ignore même le nom; il est aimé d'une femme qu'il +n'a jamais vue peut-être, mais dont il connaît le nom. Comment les +retrouver? Il nous paraît, quant à nous, avoir une trop grande confiance +dans son bon génie, et ne pas s'inquiéter assez du résultat de cette +aventure. Il s'habille tout simplement, et bien qu'il soit invité à la +soirée du duc d'Orléans, il accompagne à un bal bourgeois un de ses amis +qui veut à toute force le présenter à sa future. + +Arthur d'Escorailles est, en vérité, plus heureux qu'il ne mérite de +l'être. Ce soir-la même un hasard providentiel lui fait retrouver ses +deux inconnues, qu'il ne cherche pas: il revoit celle qu'il aime dans le +bas de la rue des Lombards. Elle se nomme Laure; elle est la fille d'un +négociant et la future de son malheureux ami. Celle dont il est aimé lui +apparaît une heure après aux Tuileries dans les salons du duc d'Orléans. +«C'était une jeune mariée, d'environ vingt-deux ans, grande, brune, +élancée, belle de cette beauté toute plastique et toute sensuelle que la +statuaire antique a prêtée à _Diane Chasseresse_. Elle avait les cheveux +coiffés en bandeaux avec une couronne de marguerites entremêlées de +diamants; sa robe de satin blanc était recouverte d'une robe de dentelle +en forme de tunique, attachée sur les épaules par des agrafes de +diamants, et relevée par des bouquets de marguerites; enfin, elle tenait +à la main un bouquet exactement semblable à celui qu'Arthur +d'Escorailles avait reçu lu soir même. En passant devant lui, elle se +retourna avec beaucoup de vivacité et lui lança un tendre regard, un de +ces regards dont l'un des maîtres de la lyre, Ronsard, disait si +poétiquement au seizième siècle: + + J'ai vu ses yeux, j'en ai bu le poison; + +puis elle disparut, et Arthur, arrêté par le duc d'Orléans, ne put ni la +suivre ni la retrouver. + +Comme on le voit par cette rapide analyse, le sujet du roman se dessine +nettement. Il ne s'agit plus de savoir désormais si le héros retrouvera +les deux héroïnes, mais laquelle des deux il préférera, ou plutôt s'il +ne les aimera pas toutes les deux en même temps. Arthur d'Escorailles +est longtemps indécis: pendant plusieurs mois il lutte entre son coeur +et ses sens, entre un bonheur légitime et une passion coupable; se +décide-t-il un jour à épouser Laure, le lendemain il renonce au mariage +pour l'amour adultère; bien qu'elle lui ait avoué qu'elle ne l'aimait +pas qu'elle ne l'avait jamais aimé, que sa déclaration était une +mystification, il poursuit Marguerite et se bal en duel avec son mari, +le marquis de Saint-Fare. Grièvement blessé, il est soigné et sauvé par +Laure, mais il ne pense qu'à Marguerite, qu'il a aperçue un instant au +chevet de son lit. Une seconde fois il se résout à se marier avec la +jeune fille dévouée. La femme passionnée devient veuve... Que fera-t-il +alors? C'est là le secret de M. A. de Lavergne, et nous sommes incapable +de le trahir. + +Ce nouveau roman n'ajoutera rien, nous le craignons, à la réputation si +bien établie de l'auteur de _la Duchesse de Mazarin_. Il est tout à la +fois trop long et trop court. Certains tableaux sont surchargés de +détails inutiles, et les caractères des personnages principaux ne nous +semblent pas toujours ni suffisamment originaux, ni assez développés. +Mais le sujet, fort intéressant d'ailleurs, est traité avec une grande +habileté de mise en scène. On sent, en lisant _la Recherche de +l'Inconnue_, que M. A. de Lavergne a déjà fait beaucoup de drames et de +romans. Nous avons une trop haute opinion de son talent pour ne pas lui +donner le conseil de songer un peu plus à l'avenir qu'au présent, et de +préférer des succès vraiment littéraires à des triomphes de feuilletons. + +Abandonnons donc _la Recherche de l'Inconnue_, et tentons pour un moment +une autre entreprise: c'est un _Voyage où il vous plaira_, écrit à la +plume et au crayon. Qui de vous, ô lecteurs de _l'Illustration_, ne se +laisserait séduire par les trop irrésistibles attraits d'un si beau +titre? Comme tous vos semblables en général, vous aimez, j'en suis +convaincu, à faire ce qui vous plaît; mais mieux que beaucoup d'entre +eux qui sont privés du bonheur dont vous jouissez, vous savez apprécier +ce genre d'ouvrages, où la plume et le crayon prennent plaisir, tantôt à +expliquer les curieux mystères de leurs plus ravissants caprices; tantôt +à vous représenter simplement tels qu'ils ont eu lieu ou tels qu'ils +sont, les objets et les événements que vous pouvez regretter de n'avoir +pas vus. D'ailleurs, admirez-vous beaucoup de dessinateurs plus +gracieux, plus originaux et plus habiles que Tony Johannot? Existe-t-il, +à votre connaissance, un grand nombre d'écrivains qui aient autant +d'imagination, d'esprit et de finesse, et qui sachent profiter avec +autant de bonheur de toutes les ressources de notre langue, que MM. +Alfred de Musset et P. J. Stahl? Pourriez-vous résister aux séductions +réunies de ce titre piquant et de ces noms si justement aimés? Ouvrez, +ce magnifique volume, l'Avant-Propos mettra fin à votre irrésolution. +Que ne vous promet-il pas, en effet?--et je me rendrais, au besoin, son +garant,--il tiendra toutes ses promesses. + +Ce n'est pas qu'il vous dise pourquoi vous partez ni où vous allez. Une +pareille confidence pourrait avoir ses dangers. Pourquoi voyage-t-on? +N'est-ce pas, en outre de l'avantage incontestable que chacun ne peut +manquer de trouver à changer de lieu ici-bas? n'est-ce pas surtout pour +courir après l'imprévu, par exemple, et faire (en tout bien tout +honneur) les yeux doux au hasard?... + +Mais si les auteurs du _Voyage où il vous plaira_ ne vous confient pas +leur projet, pour ne pas gâter par avance ce qu'il y a de meilleur dans +tout voyage, le petit bonheur des surprises, le bénéfice des rencontres, +etc., ils s'engagent «à vous conduire sans encombres, sans accidents, +sans culbutes, sans trop de paroles et sans trop de frais, à l'abri du +froid lui-même--pour peu que vos portes soient bien closes et vos +cheminées bien garnies--tout au bout de ce monde d'abord et même un peu +dans l'autre, pour peu que vous y soyez disposé; tout cela, songez-y +bien, sans qu'il vous soit besoin de rien quitter, ni vos enfants, qui +sont les plus aimables enfants du monde et qui ne sont de trop nulle +part;--ni vos amis qui vous aiment, ni le coin de votre feu que vous +aimez; rien, enfin, de ce qui vous plaît ou de ce qui vous retient...» + +A ce compte-là, qui ne partirait pas? Parlons-nous?... Quant à moi, +dussiez-vous rester ou m'abandonner en route, je pars; je suis parti. + +Il était une fois un brave et bon jeune homme qui ne pouvait rester en +place; c'était son seul défaut (j'ai un ami intime qui lui ressemble). +On n'est bien, disait-il, que là où l'on n'est pas,» et là dessus il +parlait. Bref, il avait la passion des voyages et il la satisfaisait +constamment. Cependant, après avoir fait quatre ou cinq fois le tour du +monde, il revint un jour dans son pays natal, bien décidé à ne plus +jamais repartir. Ce brave et bon jeune homme était amoureux; plus en +outre résolu que M. d'Escorailles, il allait épouser la belle +Marguerite, qu'il aimait. La veille du jour fixé pour la célébration de +son mariage, il rentra chez lui un peu tard, tourmente par certains +regards trop sévères que lui avait jetés durant la soirée son futur +beau-père. Il alluma sa pipe et brûla tous livres de voyages, qu'il ne +regardait plus que comme d'absurdes mensonges. Mais cet effort l'avait +anéanti: il retomba sans forces dans son fauteuil, s'endormit et rêva. +Tout à coup on frappa à la porte. «Entrez!» s'écria-t-il. C'était Jean, +son bon, son cher Jean, son meilleur ami, son fidèle compagnon de +voyage. «Viens avec moi.» lui dit Jean. Il hésita un instant à la pensée +de sa Marguerite, puis il partit. Est-il besoin de vous rappeler qu'il +avait la passion des voyages? + +Quant à moi, bien que j'aime beaucoup à voyager, je ne les suivrai +point. Qu'il me suffise de vous apprendre que Franz, c'est le nom du +fiancé, a laissé une relation manuscrite de ce voyage, à laquelle MM. A. +de Musset et Stahl ont emprunté les épisodes suivants: + + Les fleurs des bois; + L'histoire d'un berger; + Les amours du petit Job et de la belle Claudine; + La vie et la mort; + Les étoiles; + L'histoire de l'homme au grand chapeau; + Un jour à Londres. + +En quittant l'Angleterre, nos deux voyageurs firent le tour de l'Europe +(ils avaient déjà fait celui des quatre autres parties du monde); bref, +en revenant dans je ne sais quels pays, le navire qui les portait fut +assailli d'une violente tempête et sombra. Franz perdit un instant +connaissance. Quand il rouvrit les yeux, il lui sembla entendre trois +petits coups frappés à sa porte. «Entrez,» s'écria-t-il. C'était M. +Kolb, son tailleur, qui lui apportait son habit de noces. A sa grande +surprise. Il se trouvait dans sa chambre,--sa chère petite chambre +bleue.--pareille en tout à celle de sa fiancée;--c'était dans son +fauteuil qu'il s'était endormi, qu'il avait couru les aventures, qu'il +était parti enfin et revenu; mais de coursiers ailés et de navires, de +voyages et de naufrages et de morts, il n'était pas question; il n'avait +fait qu'un rêve. Le lendemain il épousa sa fiancée. Sa noce fut superbe: +elle dura trois longs jours; on y dansa, on y valsa, on y tira un grand +nombre de coups de fusil, on y fit tout le bruit qu'à tort ou à raison +on a coutume de faire autour des gens qui se marient; mais enfin. Dieu +merci, chacun rentra chez soi. + +Tel est le cadre ingénieux qui a fourni à MM. Alfred de Musset et P.-J. +Stahl l'occasion d'écrire 170 pages fort agréables à lire, et à M. Tony +Johannot celle de composer 63 de ses plus charmants dessins gravés sur +bois. Comme livre d'étrennes et de salon, le _Voyage où il tous plaira_ +sera un des plus grands et des plus légitimes succès de l'année 1843. + +Les _Fastes de Versailles_ ont déjà plusieurs années d'existence; mais +l'édition que nous annonçons (la troisième ou la quatrième) est à peine +terminée. D'ailleurs, qui n'éprouverait toujours un nouveau plaisir à +revoir les splendides merveilles de ce magnifique palais, surtout +lorsqu'on a pour guide et pour cicérone uni écrivain aussi aimable et +aussi intelligent que M. H. Fortoul? Autant Versailles est supérieur aux +autres résidences royales, autant le livre de M. H, Fortoul s'élève +au-dessus des autres ouvrages dont Versailles a fourni le sujet. +Personne ne l'avait jamais mieux compris et mieux expliqué que l'auteur +de ses _Fastes_; il ne se contente pas de nous décrire, dans un style +tout à la fois grave et animé, les magnificences inouïes que +représentent d'admirables gravures sur acier, il sait en découvrir, il +en révèle le véritable sens. Il raconte entièrement cette belle _épopée +de pierre_, il nous donne l'analyse la plus complète et la plus exacte +qui se puisse désirer de ce vaste poème royal que tant de gens avaient +vu, avant la publication de cet ouvrage, sans le comprendre. + +«Versailles, dit M. H. Fortoul, est l'expression de la monarchie, telle +que Louis XIV l'a conçue. C'est le résumé fidèle de l'oeuvre du grand +roi. On s'étonne quelquefois que son règne, si fertile en beaux génies, +n'ait pas produit de poème épique. En effet, la poésie revêtit alors +toutes les formes hormis celle-là; mais l'épopée du dix-septième siècle, +c'est Versailles. En quel livre raconta jamais la destinée d'une époque +d'une manière plus brillante et plus complète? quelle gloire n'est pas +écrite dans ce palais? quel mystère n'y est pas révèle? La vie héroïque +et la vie familière s'y mêlent à chaque pas: derrière ces grandes +murailles, au bout de ces grandes galeries, au coin de ces grands +appartements, qui sont pleins de la majesté royale, il y a des petits +réduits et des passages ignorés qui vous apprennent mille histoires +secrètes. Ce palais a deux voix: il parle des choses les plus graves et +des choses les plus frivoles; il est à la fois profond comme Tacite et +indiscret comme Suétone. Il a des contes de toute espèce à vous faire, +et des vérités de toute nature à vous dire. Il possède l'art de vous +émouvoir et de vous égayer tour à tour; et comme s'il joignait le génie +de Molière à celui de Corneille, il fait succéder les scènes comiques +aux tragédies avec une rapidité merveilleuse. Il a tout vu passer sur +ses dalles de marbre: les rois, les poètes, les ministres, les +courtisans, les confesseurs, les maîtresses en titre ou autrement, les +reines sans pouvoir et celles qui en avaient trop, les ambassadeurs, les +généraux vainqueurs ou vaincus, les petits abbés, les grandes dames, +l'épée et la robe, la noblesse, le clergé, même le tiers, même le +peuple... Et maintenant que tout cela n'est plus, il en fait +d'admirables récits à qui veut l'interroger.» + +Mais de tous les écrivains qui ont interroge Versailles, aucun n'a reçu +des confidences aussi curieuses que M. H Fortoul, aucun surtout ne les +avait révélées avec plus de réserve, d'esprit et de bonheur. Ce +remarquable ouvrage de l'auteur de _l'Art en Allemagne_ est un véritable +monument littéraire qui vivra aussi longtemps--nous l'espérons--que le +palais de Louis XIV. + + + +Modes. + +Quelques objets d'art sont offerts cette année aux chasseurs du grand +monde, à l'occasion de la Saint-Hubert, par deux de ces établissements +de luxe que l'élégance a depuis longtemps pris sous son patronage. + +[Illustration.] + +Voici d'abord un couteau et un fouet de chasse dont Verdier a confié +l'exécution à l'un de nos plus habiles sculpteurs d'animaux: ils sont +sortis si parfaits des mains du l'artiste, qu'ils peuvent soutenir la +comparaison avec les plus délicates orfèvreries de la Renaissance. Ces +précieuses armes de chasse tiendront la place, la plus distinguée dans +les panoplies groupées à grands frais sur les panneaux du cabinet ou +armeria, qui, chez nos jeunes amateurs de sport, a remplacé l'ancien et +classique boudoir. + +Comme complément de ce trophée, les frères Susse ont dédié aux chasseurs +une statuette de saint Hubert, due à l'élégant ciseau de M. Mélingue, +que la sculpture repose des fatigues de l'Art dramatique. + +[Illustration.] + + + +Amusements des Sciences. + +SOLUTION DES QUESTIONS PROPOSÉES DANS LE DERNIER NUMÉRO + +I. La disposition des trente personnes se tirera de ce vers latin: + + Populeam virgam mater regina ferebat. + +Pour s'en servir, il faut faire attention aux voyelles A, E, I, O, U, +qui se trouvent dans les syllabes de ce vers, en observant que A vaut 1, +E vaut 2, I vaut 3, O vaut 4 et U vaut 5. On commencera donc par mettre +les chrétiens, à cause de l'ode la première syllabe; puis 5 Turcs, à +cause de l'U de la seconde: et ainsi de suite jusqu'à la fin; on +trouvera que, prenant toujours le neuvième circulairement, c'est-à-dire +en recommençant par le premier, après avoir achevé le rang, le sort ne +tombera absolument que sur des Turcs. + +Ou peut aisément étendre davantage la solution de ce problème. Qu'il +faille, par exemple, faire tomber le sort sur 10 personnes de 10, en +comptant de 12 en 12, on rangera à part 40 zéros, et, en commençant par +le premier, on marquera le douzième d'une croix; l'on continuera en +comptant jusqu'à 12, et l'on marquera pareillement d'une croix le zéro +sur lequel on tombera en comptant 12, et ainsi de suite en tournant et +en faisant attention de passer les places déjà croisées, attendu que +ceux qui les occupaient sont censés retranché du nombre. On continuera +ainsi jusqu'à ce qu'un ait le nombre requis de places marquées; et +alors, en comptant le rang qu'elles occupent, en commençant par la +première, on connaîtra facilement celles sur lesquelles doit +nécessairement tomber le sort de 12 en 12. On trouve, dans l'exemple +proposé, que ce sont la septième, la huitième, la onzième, la douzième, +la vingt-unième, la vingt-deuxième, la vingt-quatrième, la +trente-quatrième, la trente-sixième et la trente-septième. + +Un capitaine, obligé de faire décimer sa compagnie, a pu user de cet +expédient pour faire tomber le sort sur les sujets les plus coupables, +en les plaçant sans affectation dans les places ou le sort tombait +immanquablement. + +On raconte que ce fut par ce moyen que l'historien Josèphe sauta sa vie. +Il s'était réfugié avec quarante autres Juifs dans une caverne, après la +prise de Jolapat par les Romains. Ses compagnons résolurent de +s'entre-tuer plutôt que de se rendre. Josèphe essaya en vain de les +dissuader de cette horrible résolution. Enfin, n'en pouvant venir à bout +il feignit d'adhérer à leur volonté, et, se conservant l'autorité qu'il +avait sur eux comme leur chef, il leur persuada, pour éviter le +désordre; qui suivrait cette cruelle exécution s'ils s'entre-tuaient à +la foule, de se ranger par ordre, et, en commençant à compter par un +bout jusqu'à un certain nombre, de massacrer celui sur qui tomberait ce +nombre, jusqu'à ce qu'il n'en demeurât qu'un seul, qui se tuerait +lui-même. + +Tous en étant demeurés d'accord, Josèphe les disposa de telle sorte, et +choisit pour lui-même une telle place, que, la tuerie étant continuée +jusqu'à la fin, il demeura seul avec un autre, auquel il persuada de +vivre, ou qu'il tua s'il ne voulut pas y consentir. + +Telle est l'histoire, qu'Hégésippe raconte du Josèphe, et que nous +sommes bien éloignés de garantir. Quoi qu'il en soit, en appliquant à ce +cas le moyen enseigné ci-dessus et un supposant que chaque troisième dût +être tué, on trouve que les deux dernières places sur lesquelles le sort +devait tomber étaient les treizième et vingt-huitième; en sorte que +Josèphe dut se mettre à l'une des deux, et placer à l'autre celui qu'il +voulait sauver, s'il eût eu un complice de son artifice. + +[Illustration.] + +II. Si le fardeau peut être porté par quatre hommes, après l'avoir +attaché au milieu d'un grand levier AB, faites porter les extrémités de +ce levier sur deux autres plus courts, CD, EF, et à chacun des points C, +D, E, F, appliquez un homme: il est évident que le poids sera distribué +également entre les quatre hommes + +S'il faut huit hommes, faites à l'égard de chacun des leviers C, D, E, +F, ce que vous avez fait à l'égard du premier, c'est-à-dire que les +extrémités du levier CD soient portées par les levier» plus courts a, b, +c, d, et celles du levier EF par les leviers e, f, g, h; enfin, mettez +un homme à chacun des points a, b, c, d, e, f, g, h, vous aurez huit +hommes également chargés. + +On peut de même porter les extrémités des leviers ou barres a, b, c, d, +e, f, g, h, par de nouvelles barres disposées à angles droits avec +celles-là, et au moyen de cet artifice le poids sera distribué entre +seize hommes, et ainsi de suite. + +On prétend qu'à Constantinople on emploie cet artifice pour enlever les +plus grands fardeaux, comme des canons, des mortiers, des pierres +énormes, etc. On conte que la vitesse avec laquelle les porte-faix +transportent ces fardeaux d'un lieu à un autre est une chose vraiment +remarquable. + +NOTA. C'est par erreur que l'on a donné, dans le dernier numéro de +_l'Illustration_, à la page 160, une figure qui ne convient pas au +problème IV. Voici la figure qu'il fallait mettre: + + +[Illustration.] + +NOUVELLES QUESTIONS A RÉSOUDRE. + +I. Trouver le centre de gravité de plusieurs poids fixés à une barre +rigide. + +II. On demandait à Pythagore combien d'élèves fréquentaient son école; +le philosophe répondit: «Une moitié étudie les mathématiques, un quart +la physique, un septième garde le silence, et il y a de plus trois +femmes.» Combien Pythagore avait-il d'élèves. + +III. On demande quelle heure il est; l'on répond que ce qui reste du +jour est les quatre tiers des heures déjà écoulées. Trouver cette heure. + + + +Rébus + +EXPLICATION DES DERNIERS RÉBUS. + +1- Une Soubrette. + +2- Si l'argent est précieux, il entraîne souvent les hommes au vice. + +[Illustration: Nouveau rébus.] + + + + + + + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of L'Illustration, No. 0037, 11 Novembre +1843, by Various + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, 11 NOV 1843 *** + +***** This file should be named 39481-8.txt or 39481-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/3/9/4/8/39481/ + +Produced by Rénald Lévesque + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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Newby + Chief Executive and Director + gbnewby@pglaf.org + +Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation + +Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide +spread public support and donations to carry out its mission of +increasing the number of public domain and licensed works that can be +freely distributed in machine readable form accessible by the widest +array of equipment including outdated equipment. Many small donations +($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt +status with the IRS. + +The Foundation is committed to complying with the laws regulating +charities and charitable donations in all 50 states of the United +States. Compliance requirements are not uniform and it takes a +considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up +with these requirements. We do not solicit donations in locations +where we have not received written confirmation of compliance. 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Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm +concept of a library of electronic works that could be freely shared +with anyone. For forty years, he produced and distributed Project +Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. + +Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed +editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. +unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. diff --git a/39481-8.zip b/39481-8.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..889b1ec --- /dev/null +++ b/39481-8.zip diff --git a/39481-h.zip b/39481-h.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..4840fbc --- /dev/null +++ b/39481-h.zip diff --git a/39481-h/39481-h.htm b/39481-h/39481-h.htm new file mode 100644 index 0000000..7a7a279 --- /dev/null +++ b/39481-h/39481-h.htm @@ -0,0 +1,3487 @@ +<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD HTML 4.01 Transitional//EN"> +<html> +<head> + <meta http-equiv="content-type" content="text/html; charset=ISO-8859-1"> + <title>The Project Gutenberg eBook of L'Illustration, No. 0037, 11 Novembre 1843 by Various</title> + +<link rel="coverpage" href="images/cover.jpg"> + +<style type="text/css"> + + +body {margin-left: 10%; margin-right: 10%} + +h1,h2,h3,h4,h5,h6 {text-align: center;} +p {text-align: justify} +blockquote {text-align: justify} + +hr {width: 50%; text-align: center} +hr.full {width: 100%} +hr.short {width: 10%; text-align: center} + +.note {font-size: 0.8em; margin-left: 10%; margin-right: 10%} +.footnote {font-size: 0.8em; margin-left: 10%; margin-right: 10%} +.side {padding-left: 10px; font-weight: bold; font-size: 75%; + float: right; margin-left: 10px; border-left: thin dashed; width: 80px; text-indent: 0px; font-style: italic; text-align: left} + +.sc {font-variant: small-caps} +.lef {float: left} +.mid {text-align: center} +.rig {float: right} +.sml {font-size: 10pt} +.overl {font-size: 10pt; text-decoration: overline; text-align: center} +.cont {width: 650px} +.somm {float: left; width: 300px; font-size: 10pt; padding: 1em} +.suppl {color: #5A5047; background-color: #EEE2CA } + + +span.pagenum {font-size: 70%; left: 91%; right: 1%; position: absolute} +span.linenum {font-size: 70%; right: 91%; left: 1%; position: absolute} + +.poem {margin-bottom: 1em; margin-left: 10%; margin-right: 10%; + text-align: left} +.poem .stanza {margin: 1em 0em} +.poem .stanza.i {margin: 1em 0em; font-style: italic;} +.poem p {padding-left: 3em; margin: 0px; text-indent: -3em} +.poem p.i2 {margin-left: 1em} +.poem p.i4 {margin-left: 2em} +.poem p.i6 {margin-left: 3em} +.poem p.i8 {margin-left: 4em} +.poem p.i10 {margin-left: 5em} +.poem p.i12 {margin-left: 6em} +.poem p.i14 {margin-left: 7em} +.poem p.i16 {margin-left: 8em} +.poem p.i18 {margin-left: 9em} +.poem p.i20 {margin-left: 10em} +.poem p.i30 {margin-left: 15em} + + + +</style> +</head> +<body> + + +<pre> + +Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0037, 11 Novembre 1843, by Various + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: L'Illustration, No. 0037, 11 Novembre 1843 + +Author: Various + +Release Date: April 19, 2012 [EBook #39481] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, 11 NOV 1843 *** + + + + +Produced by Rénald Lévesque + + + + + +</pre> + + + + +<br><br> + +<div class="cont"> + + + + + + +<p>L'Illustration, No. 0037, 11 Novembre 1843</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/001.png"></p> + +<pre> + Nº 37. Vol. II.--SAMEDI 11 NOVEMBRE 1843. + Bureaux, rue de Seine, 33. + + Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois, 16 fr.--Un an, 30 fr. + Prix de chaque N°, 75 c.--La collection mensuelle br., 2 fr. 75. + + Ab. pour les Dép.--3 mois, 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an, 32 fr. + pour l'Étranger. -- 10 -- 20 -- 40 +</pre> + +<div class="somm"> +<h3>SOMMAIRE</h3> + +<p><b>Courrier de Paris</b>. <i>Salle des Pas-Perdus, au Palais-de-Justice</i>. +--<b>Histoire de la Semaine</b>. <i>Portrait de M. Dupin; Hôtel de M. +Molé</i>.--<b>Théâtres</b>.--Opéra-Comique. <i>Une scène du Déserteur;</i> Français, +<i>Une scène d'Eve</i>, 2e acte.--<b>Misère publique.--Une Bouteille de +Champagne</b>, nouvelle, par André. Delrieu.--<b>La Saint-Hubert</b>. <i>Une Chasse +dans un hôtel; la Saint-Hubert du garde; Vision de saint Hubert; la +Bénédiction des Chiens; une Saint-Hubert dans la rue +Saint-Honoré</i>.--<b>Margherita Pusterla</b>. Roman de M. César Cantù.--Chapitre +XVII, Trahison; chapitre XVIII, le Soldat. <i>Quinze Gravures</i>.--<b>Bulletin +bibliographique</b>. <i>La Recherche de l'Inconnue</i>, par A. de Lavergne; +<i>Voyage où il vous plaira</i>, par Tony Johannot, Alfred de Musset et P.-J. +Stahl; <i>Les Fastes de Versailles</i>, par M. Fortoul. -- <b>Annonces. -- Modes</b>. +<i>Deux Gravures</i>. -- <b>Amusements des Sciences</b>. <i>Deux Gravures.</i>-- <b>Rébus</b>.</p> +</div> +<br> +<h2>Courrier de Paris.</h2> + +<p>Il a bien fallu que MM. les présidents, MM. les juges, MM. les +conseillers, MM. les procureurs et avocats-généraux en prissent leur +parti comme les autres: le mois de novembre, les chassant de leurs +maisons des champs, les a contraints de reprendre la toge et le bonnet +carré. Heureux toutefois les desservants de Thémis, comme on disait en +vieux style, cent fois heureux de pouvoir prolonger leurs loisirs +jusqu'au jour de <i>la Toussaint</i>. C'est une douceur qui leur est +particulière, une gratification extraordinaire de bon temps et d'heures +fainéantes qu'ils prélèvent sur les vacances, et dont personne, parmi +les gens du robe et d'affaires, ne jouit au même degré de licence, ni +avocats, ni notaires, ni avoués, ni préfets, ni bureaucrates, ni +ministres, ni vous surtout, ô joyeux écoliers, pour qui le mot +<i>vacances</i> semble avoir été plus particulièrement inventé. Mais, comme +dit Figaro, c'est une si belle chose que la justice.... quand elle est +juste, qu'on ne saurait trop l'encourager.</p> + +<p>Les tribunaux sont donc en train de rouvrir leurs portes depuis huit +jours, et la salle des Pas-Perdus se repeuple: moment trois fois béni +pour l'écrivain publie accolé aux piliers du Palais-de-Justice, et pour +la loueuse de journaux, qui voient leur clientèle revenir! Jour +impatiemment attendu par l'habitué des séances judiciaires, par +l'amateur de procès, dont l'appétit quotidien et dévorant ne trouvait +qu'une nourriture insuffisante dans l'entremets servi par les chambres +de vacations. Maintenant il va se remettre à la ration complète, et se +gorger de vols, de meurtres, d'adultères, de séparations de corps et de +licitations entre mineurs.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/001a.png"><br><b>La rentrée des tribunaux.--Salle des Pas-Perdus, au +Palais-de-Justice.</b></p> + +<p>Voyez comme la vie et le mouvement sont rentrés au Palais depuis que la +Cour de cassation et la Cour royale en robes rouges ont inauguré la +nouvelle année judiciaire en séance solennelle. La salle des Pas-Perdus +était silencieuse; et morne; maintenant tout s'y agite, tout y va, tout +y vient, tout y gesticule, tout y parle; le client court après l'avocat, +l'avocat après le juge, le clerc après l'avoué, le saute-ruisseau après +le maître-clerc, l'huissier après le gendarme, le stagiaire après un +bandit de Cour d'assises ou de police correctionnelle. Ô salle des +Pas-Perdus, ô curieux pandœmonium où se rencontrent et se coudoient la +vérité et le mensonge, la bonne foi et la ruse, l'ignorance et le +savoir, la vertu et le vice, Démosthènes et Petit-Jean, d'Agnesseau et +Perrin Dandin!</p> + +<p>On appelle cette réinstallation annuelle de la justice la <i>rentrée</i> des +tribunaux. C'est le terme consacré, et les journaux n'en connaissent pas +d'autre. «Hier, disaient-ils, la Cour de cassation a fait sa <i>rentrée</i>, +M. le procureur-général Dupin a prononcé le discours de <i>rentrée</i>.» +comme on dit la rentrée de mademoiselle Carlotta Grisi, la rentrée de M. +Baroilhet, la rentrée de M. Ligier, la rentrée de mademoiselle Plessis, +la rentrée de <i>Partisan</i> et de <i>l'Aérienne</i>. Quoi donc! se servir du même +terme pour deux choses si différentes! Parler de la même façon d'un +acteur et d'un procureur-général, de la Cour de cassation et d'une +danseuse, de la justice et d'un cheval savant! Annoncer que celle-ci a +fait sa rentrée comme celui-là, n'est-ce pas là une grande irrévérence, +et le dictionnaire n'aurait-il pas dû se montrer plus respectueux? A +moins qu'aux yeux du dictionnaire, il n'y ait partout, dans la salle des +Pas-perdus comme au théâtre, que des danseurs et des comédiens qui +cabriolent avec plus ou moins d'habileté, et remplissent plus ou moins +bien leurs rôles!</p> + +<p>Puisque nous parlons comédie, ne laissons point passer le Conservatoire +sans lui dire un mot. Le Conservatoire, en effet, a tenu sa séance +solennelle le même jour que la Cour de cassation; mais il ne s'agissait +pas de prononcer une harangue éloquente contre les jésuites, comme l'a +fait M. Dupin, ni de retracer les devoirs austères du magistrat; le +Conservatoire n'entonne pas d'aussi graves trompettes: il chante, voilà +tout, ou déclame des chansons et des vers plus ou moins mondains. Le +Conservatoire enseigne la comédie, la fugue, la tragédie et +l'opéra-comique, s'occupant non pas de rendre la justice aux hommes, +mais de les divertir, soit en les charmant par des voix et des +instruments mélodieux, soit en les faisant rire, soit en les faisant +pleurer. Le Palais, pour encourager ses nourrissons, a le siège du juge +et l'hermine du président; le Conservatoire n'offre aux siens qu'une +simple couronne de laurier. L'autre jour donc, il a fait la distribution +de ces couronnes et les a placées sur de jeunes fronts de quinze à vingt +ans, émus et rougissant des joies du premier succès.</p> + +<p>Si le Conservatoire ne produit pas tous les ans de grands Compositeurs, +de grands chanteurs, de grands acteurs et de grands musiciens, ce n'est +pas faute du moins de distribuer des prix: prix de fugue, prix +d'harmonie, prix de solfège, prix de chant, prix d'orgue, prix de piano, +prix de harpe, prix de violon, de violoncelle, de contre-basse, de +flûte, de hautbois, de clarinette, de basson, de cor, de trompette, de +trombone, de comédie, de déclamation lyrique, d'opéra-comique et de +tragédie. Ainsi tous les ans une armée de lauréats sort de la rue +Bergère ceinte des palmes du Conservatoire, musique en tête, marotte et +poignard au côté, prête à promener l'alexandrin, la roulade et l'archet +<i>per tutam terram impune</i>.</p> + +<p>On a particulièrement distingué, dans le dernier couronnement, M. Got, +M. Roger, M. Chotel, mademoiselle Grandhomme, et enfin un jeune homme +qui porte un nom cher à l'Opéra-Comique, le nom de Ponchard. Tous ces +conscrits en veulent à Molière ou à Corneille, même M. Ponchard, bien +qu'il soit fils de l'ariette et de la cavatine; soit! mademoiselle et +messieurs, jouez la comédie et maniez le poignard, puisque tel est votre +bon plaisir; et si par hasard vous pouviez nous rendre mademoiselle Mars +et Talma, ou quelques-uns de ces dieux de l'art disparus depuis +longtemps, soyez sûrs que personne n'y trouverait à redire. Mais que de +couronnes semées par le Conservatoire se sèchent tout à coup et ne +donnent pas de moisson!</p> + +<p>Tandis que les écoles s'efforcent de faire des hommes de talent et de +génie et n'y réussissent guère, la nature, qui ne monte pas en chaire et +ne s'affuble jamais de la robe magistrale, les fait éclore, sans leçons +et sans férule. Nous avons parlé l'autre jour du jeune Beuzeville, ce +simple ouvrier qui s'était endormi tisserand, et tout à coup s'est +éveillé poète. Voici qu'on nous annonce une autre merveille: il s'agit +encore d'un poète subitement inspiré par la muse au fond de sa boutique +et sous sa veste d'artisan. Celui-ci s'appelle Constant Hilbey; il +arrive de Fécamp chargé de provisions poétiques. On ne dit pas si M. +Constant Hilbey apporte sa tragédie, comme M. Beuzeville, et si quelque +<i>Spartacus</i> ou quelque <i>Brutus</i> se trouve dans son bagage; mais cela se +devine. Quel poète n'a pas commencé par une tragédie? Il est donc +très-probable que M. Constant Hilbey frappe en ce moment à la porte de +l'Odéon ou du Théâtre-Français, et avant huit jours nous lirons dans +quelque journal <i>bien informé</i>; «Un jeune tonnelier, ou miroitier, ou +cordonnier, ou charron, ou carrossier de Fécamp a lu hier, devant +messieurs les comédiens ordinaires du roi, une tragédie intitulée +<i>Idoménée</i>, qui renferme des beauté» du premier ordre: c'est du +Corneille mêlé de Racine, assaisonné de Shakspeare; en conséquence, +l'ouvrage a été reçu à corrections.»</p> + +<p>Horace, de son temps, disait; «Les villes ne laisseront bientôt plus de +terre au laboureur!» Ne pourrait-on pas craindre aujourd'hui, en +retournant l'apostrophe d'Horace, que la plume ne laisse bientôt plus de +bras à l'atelier? Qui tissera la toile? qui fondra le fer et le bronze? +qui taillera la pierre et le marbre, si de chaque peloton de fil, de +chaque, kilogramme de fer, de chaque bloc de marbre, il sort un rimeur +et une tragédie?</p> + +<p>Parlez-moi de M. Félix, à la bonne heure! il n'y a rien à lui dire: la +vocation de M. Félix est, non pas de jouer la tragédie lui-même, mais de +la faire jouer aux autres. Il tient ce droit de mademoiselle Rachel, son +illustre fille, qu'il a nourrie et dressée à la tragédie de ses propres +mains, dès ses plus jeunes ans, comme dit la nourrice de Phèdre.</p> + +<p>M. Félix à donc résolu de faire <i>une suite</i> à mademoiselle Rachel, et il +s'est dit: «Si je pouvais avoir trois ou quatre Melpomènes de cette +force là, mes affaires n'en iraient que mieux; et après tout, qu'est-ce +que cela me coûte? Je possède mon brevet d'invention, et je sais la +manière de s'en servir. En conséquence, M. Félix a fait mademoiselle +Rébecca et M. Raphaël, et après les avoir faits, à peine avaient-ils eu +le temps de croître, qu'il les a revêtus, l'un des éperons du Cid, +l'autre du voile de Chiméne. Ainsi façonnés de la main de leur père, +mademoiselle Rébecca et M. Raphaël se sont intrépidement précipités sur +la scène de l'Odéon, en débitant des vers de Corneille.</p> + +<p>Mademoiselle Rébecca n'a que quatorze ans, M. Raphaël en a seize; on +voit que M. Félix est si pressé de jouir et de mettre ses fruits en +rapport, qu'il ne leur laisse pas même la permission de mûrir.--M. +Raphaël a déjà de l'aplomb, du feu, de l'énergie, comme s'il avait +suffisamment de barbe au menton. Quant à mademoiselle Rébecca, ce n'est +qu'une enfant qui singe, avec une exactitude encore plus pénible à voir +que surprenante, l'allure, le geste, le ton, la voix de sa sœur +mademoiselle Rachel. Figurez-vous une Chiméne en bas âge, tout juste +bonne à figurer au Gymnase-Enfantin. Au premier mot le public a d'abord +paru désagréablement surpris; puis il a fini par se conduire envers +cette petite comme un père indulgent, et par lui jeter quelques bravos, +faute de s'être pourvu de tartines de confiture et de dragées.</p> + +<p>M. Félix a encore deux enfants après ceux-là, une fille et un garçon; il +les a voués, comme les autres, à la tragédie, et il s'en vante. Tous +deux sont âgés de sept à huit ans; on pense que M. Félix fera débuter +avant quinze jours le petit garçon de sept ans dans le rôle de +Mithridate, et la petite fille de huit ans dans celui d'Agrippine. Ne +serait-il pas nécessaire cependant d'appliquer à M. Félix la loi +concernant le travail des enfants dans les manufactures?</p> + +<p>On annonce l'arrivée de M. de Ciebra. Qu'est-ce que M. de Ciebra? me +demandez-vous. Je vous réponds, M. José Maria de Ciebra est un Espagnol, +comme son nom l'annonce surabondamment; en outre, à cette qualité +d'Espagnol, M. de Ciebra ajoute cette d'habile guitariste. De ce morceau +de bois blanc qu'on appelle une guitare M. de Ciebra sait tirer, dit-on, +les sons les plus agréables et les plus doux. Nous entendrons cela dans +nos concerts d'hiver. Mais pourquoi M. de Ciebra a-t-il quitté +l'Espagne? La galante Espagne a-t-elle tout perdu, tout, jusqu'à la +guitare et à la sérénade, et bientôt verrons-nous la castagnette +elle-même et le boléro s'enfuir et déserter l'Andalousie! M. de Ciebra +vient en France dans l'espoir de s'abriter, lui et sa guitare; ce sera +pis encore; la France est moins que jamais le pays des Rosine et des +Almaviva; la guitare de Figaro est depuis longtemps brisée, et le drame +moderne a dressé Lindor, au lieu de roucouler la tendre romance, à fumer +un cigare sous le balcon de Rosine.</p> + +<p>Qui n'a lu l'admirable roman de <i>Consuelo</i> par George Sand? Eh bien! +voici le bruit qui court, à propos de <i>Consuelo</i>. On assure que du livre +George Sand a extrait un épisode, et que de l'épisode il a fait un +opéra; Litz serait chargé de composer la musique. Pour le coup, +l'affaire serait intéressante, et le jour de la première représentation, +M. le préfet de police n'aurait pas assez de tous ses sergents de ville, +de toutes ses brigades municipales, de tous ses commissaires, pour +contenir la foule et aligner son impatience et sa curiosité.</p> + +<p>Une pauvre femme nommée Clugny comparaissait dernièrement devant la +police correctionnelle; elle était accusée de vagabondage. L'instruction +a prouvé que la mendiante possédait encore 1 franc 25 cent, dans sa +poche, la veille de son arrestation. A l'audience, le président lui a +demandé compte de l'emploi de cette somme. «Hélas! monsieur, a répondu +la pauvre vieille d'une voix dolente, je l'ai dépensée!--Quoi! du jour +au lendemain, en vingt-quatre heures!» s'est écrié le juge d'un ton +sévère. Quelle dissipation, en effet, et quelle prodigalité! La +vagabonde, a été condamnée à six mois de prison. Le même jour, on lisait +dans un journal du matin: «Un de nos lions les plus échevelés, M. le +comte de C..., avait parié contre M. de V..... une cravache de chez, +Thomassin, qu'il mangerait en six mois deux cent mille francs qu'il +avait hérités de sa tante: le comte vient de gagner son pari.»</p> + +<p>La guerre du Gymnase contre la société des auteurs dramatiques est de +plus en plus ardente; M, Poirson tient bon, et les auteurs ne cèdent +pas. On a essayé plus d'une fois d'arriver, soit à un armistice, soit à +un traité de paix; mais au moment de conclure, tout se brisait de +nouveau. Bouffé, dit-on, a pris la résolution de se retirer de ce champ +de bataille où son talent a reçu plus d'une blessure; Bouffé aurait +rompu dès longtemps avec le Gymnase, s'il n'était arrêté par un dédit de +cent mille francs; ces cent mille francs sont le fil qui le retient, +comme le cordon que Raminagrobis, le chat de La Fontaine, s'était +attaché à la patte; il paraît qu'à force de chercher, Bouffé a trouvé +une paire de ciseaux qui vont couper ce fil fatal: Bouffé, libre et +joyeux, irait tenter fortune au théâtre des Variétés, laissant la +société des auteurs et le Gymnase jouer entre eux le rôle de ces deux +rats, qui se battirent et se mangèrent si bien, qu'il ne resta plus que +deux queues sur le terrain.</p> + +<p>M. Samson, le spirituel acteur du Théâtre-Français, est de plus un +auteur très-spirituel; qu'il fasse d'aimables comédies comme <i>Belle-Mère +et Gendre</i>, rien ne paraît plus naturel. Ce qui semblerait plus +surprenant, ce serait que M. Samson s'armât de la coupe tragique. Or, +est-ce un vain bruit? est-ce une réalité? on se dit depuis quelques +jours à l'oreille, au foyer du Théâtre-Français, que M. Samson achève +une tragédie, une véritable tragédie en cinq actes; on en donne même le +titre: <i>les Deux Foscari</i>. Nous sommes dans le temps des miracles; mais +M. Samson est homme à s'en tirer.</p> + +<p>Les uns disent que M. de Montrond, sentant sa fin venir, a fait une +sorte d'acte de contrition, et une mort à peu près chrétienne; d'autres +affirment que sa philosophie païenne ne l'a pas abandonne un instant, et +qu'il a raillé jusqu'au bout. Voici le trait qu'on rapporte à l'appui. +Un ami de M. de Montrond s'étant approché de son lit de mort, lui +demanda s'il n'avait pas certaines dispositions à faire. «Non,» dit-il; +et alors son ami lui parla d'un jeune homme auquel des liens naturels +semblaient devoir plus particulièrement l'attacher, «Ne ferez-vous rien +pour lui, mon cher Montrond? --Que voulez-vous que je fasse de plus que +je n'ai fait? dit le railleur en rappelant sur ses lèvres un dernier +sourire: je lui ai donné assez de mauvais exemples pour qu'il en +profite.»</p> + +<br><br> + +<h3>Histoire de la Semaine.</h3> + +<p>Les hésitations du ministère sur la mesure proposée par M. le ministre +de l'instruction publique contre M. l'évêque de Châlons ont eu un terme, +et la lettre du prélat a été déférée au Conseil d'État, qui a déclaré +qu'il y avait abus. Cette lutte entre le clergé et l'Université a trouvé +de l'écho sous les voûtes du Palais. M. le procureur-général Dupin, à la +rentrée de la Cour de cassation, a pu surprendre une partie de son +auditoire en y faisant allusion, comme M. Villemain, à la rentrée de +l'École Normale, avait surpris tout le sien en n'en disant mot. M. Dupin +a pris pour sujet de son discours l'éloge d'Estienne Pasquier. C'était +un texte d'à-propos et d'allusions; il y avait là matière à exposer de +nouveau les circonstances qui avaient postérieurement rendu nécessaire +la déclaration des libertés de l'Église gallicane. L'orateur était sur +son terrain, et son discours retentira bien au delà de l'enceinte où il +l'a prononcé. Personne ne pourra trouver le moment et le lieu mal +choisis, car peu de jours auparavant un autre avocat du roi, entraîné +par son dévouement personnel ou inspiré par des colères qu'il croyait +avantageux de flatter, avait, à la rentrée de la Cour royale, fait dans +le politique une excursion moins justifiable, et que ses chefs n'ont pas +blâmée, avait régenté la tribune parlementaire, et fait le procès à un +homme politique qui a le malheur d'être en même temps un grand poète.</p> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/002.png"><br><b> M. Dupin aîné.</b></p> + +<p>Bien décidément l'ordonnance de convocation des Chambres ne tardera plus +guère à paraître et leur réunion aura lieu dans les derniers jours de +décembre. Il a été reconnu que, pour demeurer dans les prescriptions de +la charte, il fallait ne pas sortir du calendrier de 1843. Des +dépositions se font déjà au Palais-Bourbon pour la séance d'ouverture. +Les appartements de la présidence sont déjà prêts à recevoir l'hôte que +le scrutin de la Chambre leur enverra. Les décorateurs terminent en +toute hâte les embellissements de la bibliothèque, et MM. Eugène +Delacroix, Henu et Abel de Pujol, auront bientôt achevé leurs travaux. +Quelques-uns des chefs des partis parlementaires sont déjà de retour à +Paris. M. de Lamartine fait encore entendre de Mâcon une voix qui +retentit dans toute la presse, et jamais, du vivant même de M. de +Fonfrède, feuille de province ne s'était vue attendre avec une +impatience et reproduire avec un empressement pareils à ceux que fait +naître <i>le Bien Public</i> parmi les adversaires et les partisans des idées +de <i>l'agitateur</i>. M. Odilon-Barrot est encore loin de Paris et au milieu +de sa famille, tout entier à une douleur que n'ont pas su respecter +certains écrivains politiques qui lui ont prêté des actions et des +paroles, et l'ont voulu rendre responsable de leurs rêves et de leurs +inventions; mais M. Thiers est rentré, ramené à Paris par la santé des +siens et par le besoin de se rapprocher, pour continuer à se livrer +activement au grand travail historique qu'il termine, des dépôts +précieux où il doit puiser; mais M. Molé est également revenu, non plus +dans cet hôtel de la rue de la Ville-L'évêque à l'aspect tout +parlementaire, hôtel de famille, qui allait si bien à son nom et que +<i>l'Illustration</i> a fait graver parce qu'il va être, démoli (v. p. 164), +mais dans une demeure nouvelle que les efforts de son parti chercheront +à ne pas laisser être définitive. Les attaques se préparent d'un côté, +comme de l'autre les projets de loi: nous verrons ce qui sera le mieux +concerté, combiné, entendu.</p> + +<p>O'Connell et ses comculpes ont comparu, le 2 novembre, devant le jury +d'accusation. La composition de celui-ci ne rend pas son verdict +incertain. Aussi le résultat de cette première formalité ne fera-t-il +cesser aucun des embarras du ministère. Sa situation difficile l'est +rendue plus encore par les déchirements qui se manifestent dans son +propre parti et qui en sont la conséquence. Le <i>Times</i>, qui jadis +abandonna les whigs, et, par sa désertion, prépara leur chute, le +<i>Times</i>, aujourd'hui, attaque sir Robert Peel, et est attaqué lui-même +par le <i>Standard</i>. Cette guerre intestine est de mauvais augure. Les +témoignages, les démonstrations d'intérêt n'ont pas manqué aux accusés +irlandais, et cette procédure préliminaire a été une occasion de +calculer quelle serait l'ardeur de la sympathie nationale au jour du +jugement sérieux. --Le voyage de M. le duc de Bordeaux, dont la relation +donne lieu en France à des saisies et à des poursuites de journaux, +attire en Angleterre les chefs les plus considérables du parti +légitimiste. Le ministère anglais a cru devoir, à cette occasion, ôter +toute couleur politique à l'accueil hospitalier qui est fait dans la +Grande-Bretagne au petit-fils de Charles X, et protester, par la plume +de ses journalistes, de la sincérité de son alliance avec le +gouvernement issu de la révolution de Juillet.--Les dernières nouvelles +de New-York annonçaient que les élections qui vont renouveler le +personnel du congrès fédéral touchaient à leur terme. Dans le Sénat, la +majorité paraissait déjà assurée au parti whig; mais dans la Chambre des +Représentants, l'avantage était au profit du parti démocratique, dans la +proportion de deux contre un. Toutefois, le peu d'union de ce dernier, +quand viendra plus tard la question de la présidence, lui fera +probablement perdre l'avantage de commander au Capitole, que son nombre +semblerait devoir lui assurer.--En Espagne on paraît plus d'accord; mais +c'est pour ne tenir nul compte de la constitution. Aussi, au Sénat, le +rapporteur du projet de loi sur la déclaration de la majorité de la +reine croyait-il pouvoir répondre au reproche d'inconstitutionnalité +adressé à cette mesure, en disant qu'on avait violé bien d'autres +articles de la Charte, et qu'il ne voyait pas pourquoi on respecterait +davantage celui-là. L'argument a paru excellent. Il est donc certain que +la reine sera déclarée majeure, et comme à treize ans on est assez peu +propre à se gouverner soi-même, ce sera un conseil de régence occulte +qui conduira les affaires, au lieu d'un conseil de régence +constitutionnellement constitué et légalement responsable. Cet état de +choses, la direction que prennent les affaires à Madrid, ne commandent +pas la confiance et la soumission aux provinces; et à peine les +protestations armées sont-elles refoulées sur un point, qu'il s'en +manifeste de nouvelles sur un autre. Quant à la Catalogne, sa situation +est toujours aussi affligeante pour l'humanité,--si l'on en croit les +feuilles allemandes, qui nous ont annoncé les premières que l'Autriche +se tenait prête à intervenir avec le Piémont dans les affaires des États +pontificaux, le gouvernement français n'y mettrait aucune opposition; il +demanderait seulement à être admis à prendre part à cette mesure. Il est +probable que si cette version est vraie, ou si elle est fausse, le +démenti ou la confirmation viendra d'ailleurs que d'Augsbourg ou de +Francfort.--La velléité de contre-révolution à Athènes que nous avons +mentionnée la semaine dernière, a amené une réaction, dont quelques +ennemis du mouvement de septembre ont failli devenir victimes. Le +ministre de France, M. Piscatory, qui, depuis le commencement de cette +crise, a agi avec une détermination et une énergie qu'il a puisées dans +son caractère beaucoup plus, dit-on, que dans ses instructions, M. +Piscatory a, par sa présence d'esprit et sa résolution, sauvé l'ancien +ministre de la justice et des finances Ithalli de la vindicte populaire, +et épargné à la révolution grecque, jusqu'ici pure, une tache sanglante. +Le roi Othon est passé de la confiance aux contre-révolutionnaires aux +déclarations enthousiastes pour la révolution. On dit à Munich que le +roi de Bavière se dispose à aller visiter son fils, et qu'il est +très-déterminé à le ramener si les événements ne prenaient pas une +tournure favorable à la dignité royale. Nous ne savons pas jusqu'à quel +point on sera flatté à Athènes d'apprendre par les feuilles allemandes +que le roi des Grecs n'est pas encore émancipé.--Un royaume de l'Inde +que la <i>Correspondance de Victor Jacquemont</i> nous a appris à connaître, +et auquel un soldat de notre armée avait fait adopter notre organisation +militaire et nos couleurs nationales, Lahore, vient de voir son roi +assassiné et son meurtrier tomber lui-même sous les coups d'un de ses +complices. Beaucoup croiront que ces désordres ont été organisés; nous +nous bornerons à penser que le gouverneur-général des possessions +britanniques dans l'Inde les aura vus sans grande douleur. Jacquemont et +le général Allard ne se dissimulaient point qu'après la mort de +Rundget-Sing il serait difficile d'empêcher l'Angleterre d'arriver à ses +fins, préparées de longue main, et d'occuper le Penjaub. Le successeur +du général Allard, un autre officier de l'armée française, le général +Ventura, n'a pu parvenir à rétablir l'ordre, même momentanément. On +s'entend beaucoup mieux dans le magnifique palais du +gouvernement-général, à Calcutta, à faire des conquêtes par les +intrigues diplomatiques, les sacrifices d'argent, et, au besoin, par +d'autres moyens encore, qu'à soumettre par la force des armes les +populations qu'on n'a pas préalablement et sourdement travaillées. +L'Afghanistan et le Penjaub auront fourni cette double démonstration.</p> + +<p>Nous avions bien eu tort, dans notre dernier numéro, de faire l'éloge de +la nature; elle nous a donné un cruel démenti, a furieusement rattrapée +en désastres le temps que nous la louions d'avoir employé autrement. +Les correspondances de Grenoble et de Gap sont déchirantes. Des neiges +tombées prématurément dans les Alpes ont été bientôt fondues par la +température adoucie, et des inondations indomptables sont venues porter +la ruine et l'épouvante dans toutes les plaines qu'arrosent le Drac, le +Rhône, l'Isère et la Durance. La garnison de Grenoble et la gendarmerie +ont rendu de très-grands services là où elles ont pu, en se multipliant, +porter leurs secours.--Il y a peu de jours que le <i>Moniteur</i> renfermait +une liste de citoyens auxquels le roi, sur le rapport de M. le ministre +de l'Intérieur, accordait des médailles d'or ou d'argent pour de belles +actions et de nobles dévouements dans des désastres pareils. On y +remarquait avec bonheur des hommes du peuple, des fonctionnaires +municipaux, des soldats, des ecclésiastiques, de grands propriétaires. +Chaque classe s'y trouvait représentée, et venait prouver qu'en France +la bienfaisance et le courage sont dans tous les rangs et y font battre +bien des cœurs.</p> + +<p>Le journal officiel a donné aussi successivement la liste des élèves +admis à l'École royale polytechnique et à l'École royale militaire. +L'armée a fourni sa large part de candidats distingués, et leur nombre, +comme le rang avantageux que plusieurs d'entre eux ont obtenu, +démontrera, nous l'espérons, à M. le ministre de la guerre et à M. le +ministre de l'instruction publique, que la mesure annoncée, oui +exigerait un diplôme de bachelier ès lettres pour prendre part à ces +concours, serait aussi injuste envers le soldat que mal entendue dans +l'intérêt du service. Elle serait de plus contraire à la loi +d'avancement et à l'esprit de la Constitution de 1830. En vérité, s'il +est une liberté d'instruction respectable avant toutes, c'est bien celle +du militaire qui, en remplissant tous ses devoirs, sait encore trouver +le temps d'acquérir ou de compléter des connaissances nombreuses qu'une +instruction première, presque toujours au-dessus des ressources de sa +famille, ne lui a pas permis d'acquérir. Quelques journaux nous ont +appris qu'un des élèves admis avait dans les veines du sang de Henri IV, +et que cette circonstance lui avait valu d'être élevé et instruit de +manière à pouvoir se présenter avec succès. C'est fort bien; mais il ne +faudrait pas dans l'avenir, à mérite égal ou même supérieur, déclarer +indignes les pauvres diables dont les grand'mères ont eu le tort de +n'avoir pas de faiblesses pour le Béarnais.</p> + +<p>Le nombre total des conscrits dont l'état intellectuel a été constaté +dans les quatorze années de 1827 à 1840, s'élève maintenant à 4,036,569, +dont 2,095,141 savaient au moins lire, et 1,945,428 ne savaient ni lire +ni écrire, ce qui, sur un total de 1,000, donne 549 instruits et 481 +ignorants. Cette moyenne générale, qui n'avait pas été atteinte avant +1833, a été constamment dépassée depuis.--Quand on groupe les chiffres +en périodes de deux ans, la moyenne proportionnelle des instruits varie +de 459 en 1827-1828, à 572 en 1839-1840, et ce n'est qu'en 1833-1834 que +la moyenne générale 519 est atteinte et un peu dépassée. De la première +3 la dernière période, l'augmentation totale est de 133, ou d'environ un +quart. Ainsi, sur un total de 1,000, il y a 155 instruits de plus en +1839-1840 qu'en 1827-1828. C'est une augmentation biennale de 22. +L'augmentation, qui avait été de 39 de 1827-1828 à 1829-1830, de 27 de +1829-1830 à 1831-1832, n'a plus été que de 21, 16, 19 et 11 pour les +périodes suivantes. Ainsi il y a augmentation, mais augmentation +ralentie; jusqu'à présent nous ne voyons pas trop quelle peut être la +cause de ce ralentissement, à moins que ce ne soit la première influence +de la révolution de 1830, avant les mesures prises par le nouveau +gouvernement pour la propagation de l'instruction primaire. Dans la +statistique des établissements secondaires, nous trouvons une assez, +forte diminution dans le nombre des élèves de 1831 et 1832, et ce n'est +guère qu'en 1839 que ce nombre devient ce qu'il était en 1830. Quelque +chose d'analogue se sera-t-il passé dans les écoles primaires jusqu'au +moment de la mise à exécution de la loi de 1833? L'état intellectuel des +conscrits de 1836 à 1840, qui ont du fréquenter les écoles vers +1830-1834, semblerait l'indiquer. On sait seulement qu'en 1830 un assez +grand nombre de conseils municipaux ont subitement supprimé l'allocation +faite aux écoles tenues par les congrégations religieuses; et comme ces +écoles étaient fréquentées, cette suppression aura pu entraîner une +assez notable réduction dans le nombre des élèves. Tout ce qui a été +fait depuis en faveur de l'instruction primaire ne peut manquer d'agir +puissamment sur la propagation de cette instruction; mais les enfants +qui ont fréquenté les écoles depuis 1836 ne seront guère conscrits que +vers 1844-1845; ce ne sera donc que sur les comptes-rendus du +recrutement à cette époque que l'on pourra commencer à contrôler la +statistique des écoles primaires et, par conséquent, à juger d'une +manière incontestable les effets de la loi de 1833, sous le rapport du +nombre des élèves.</p> + +<p>Le chemin de fer atmosphérique, dont <i>l'Illustration</i> a fait connaître +le système à ses lecteurs (t. I, p. 404), s'est tiré très-heureusement +des épreuves auxquelles il vient d'être soumis en Irlande. Le +<i>Dublin-Monitor</i> annonce que le succès de l'entreprise, est maintenant +assuré. Dans la dernière quinzaine d'octobre des traits ont +régulièrement fait le service entre Dublin et Kingstown. Une grande +quantité de passagers ont parcouru la ligne sans qu'il soit arrivé le +moindre accident. Les départs ont été suspendus à la fin d'octobre, pour +terminer la ligne jusqu'à Dalkey. Les rails étaient posés, et déjà le +chemin doit être ouvert. On pense qu'on poursuivra jusqu'à Bray. La voie +est remarquable par ses courbes; les convois cependant les franchissent +sans aucun danger, la force centrifuge étant contrebalancée par +l'élévation du terrain du côté du cercle extérieur. Le danger ne +pourrait donc venir que d'un excès de vitesse; aujourd'hui cet +inconvénient est paré par des signaux échangés entre le machiniste et +l'établissement où se trouve la machine à vapeur. Mais la compagnie a +l'intention d'établir, le long de la ligne, un baromètre électrique qui +signalera toujours exactement la vitesse. Dans quelques essais déjà +faits, ou a remarqué que la vitesse indiquée au départ par un baromètre +attaché au premier wagon donnait d'abord 10 degrés, 11 à 12 dans les +tourbes et 16 à 17 dans la ligne directe. A ce dernier point du +baromètre on a une vitesse de 50 milles à l'heure, 17 lieues environ.</p> + +<p>Nous avons dit la frayeur trop fondée que causaient souvent aux +archéologues les réparations entreprises dans nos vieux temples +religieux. Un journal signalait l'autre jour une grave mutilation qui +vient d'être commise dans l'église Saint-Séverin, à Paris, par les +architectes mêmes chargés de restaurer ce monument. Il y a quelques +jours encore, le soubassement de la porte latérale de Saint-Séverin +portait une inscription en caractères du treizième siècle, énumérant les +obligations imposées aux fossoyeurs de la paroisse. Un morceau de pierre +neuve, inutilement repiqué, a déjà fait disparaître environ la moitié de +cette inscription, unique d'abord et importante ensuite à l'étude du +Moyen-Age. «Si l'inscription, dit le journal religieux qui dénonce ce +fait, eût été païenne, grecque, insignifiante et dans l'Attique, on +aurait expédié un membre de l'Institut pour la déchiffrer et la +commenter; elle est chrétienne, française, intéressante et à Paris, elle +aura bientôt complètement disparu.»--Il est un projet qui ne ferait, +courir aucun danger à une autre église remarquable, et qui permettrait +au contraire d'en mieux envisager la masse et d'en apercevoir les +détails. On fait revivre le plan d'isoler complètement l'église +Saint-Eustache. On démolirait le corps-de-garde qui est à la pointe et +toutes les maisons qui, en masquant le monument et une ravissante porte +qui est inaperçue de ce côté, rétrécissent la rue Montmartre au point +d'y rendre la circulation presque impossible. Tout le côté gauche de la +rue du Jour, qui obstrue l'église, serait abattu. On élargirait la rue +Traînée, si fréquentée et si dangereuse, et on y construirait un nouveau +presbytère. En outre, sur la place du Parvis-Saint-Eustache, serait +ouverte une large rue qui irait déboucher rue Jean-Jacques-Rousseau, en +face de l'hôtel des Postes, dont les abords recevraient ainsi d'utiles +dégagements Ce plan est bien entendu, et son exécution rendrait +d'immenses services à la circulation et à la sûreté publique. Le conseil +municipal, qui va se trouver en partie reconstitué, inaugurerait +dignement, son ère nouvelle en votant définitivement ces travaux, dont +la percée prochaine de la rue de Rambuteau jusqu'à la pointe +Saint-Eustache, et l'affluence qui arrivera encore de ce côté, vont +rendre la nécessité plus urgente.--MM. les ministres des travaux publics +et du commerce sont allés visiter le Conservatoire des Arts et Métiers, +rue Saint-Martin, et s'entendre sur les plans de travaux et de +réparations indispensables qui seront proposés aux Chambres à la session +prochaine. Nul doute qu'on ne fasse déboucher directement sur la rue +Saint-Martin ce grand établissement, qui n'y communique aujourd'hui que +par des détours sinueux, et qu'on ne consacre l'ancien réfectoire des +Bénédictins, ce délicieux monument gothique, connu de si peu de +Parisiens, à une destination qui ne force pas à en masquer la hardiesse +et la légèreté.--Nous renonçons à enregistrer toutes les statues +d'hommes plus ou moins illustres qui vont s'élever sur les places +publiques des villes de nos départements. Chaque, jour en vient grossir +la liste, et tel sculpteur se fait sa réclame en bronze dans chacune de +nos anciennes provinces. Cette manie de compatriotes illustres est +quelquefois poussée bien loin et mène souvent au ridicule. La ville de +Langres a donné le jour à Diderot: le marbre a reproduit pour sa ville +natale cet homme célèbre; rien de mieux. Mais, par esprit de symétrie, +on a pensé qu'il lui fallait un pendant, et, comme illustration +langroise, on n'a rien trouvé de mieux que... feu M. Roger, +secrétaire-général des postes, auteur de la petite comédie de +<i>l'Avocat</i>, qui lui avait, moins encore que ses opinions, ouvert, sous +la restauration, les portes de l'Académie Française. Voilà donc M. Roger +reproduit par le marbre, uniquement parce qu'il faut un pendant à +Diderot. C'est du bonheur sans doute; mais comme toute médaille a son +revers, et comme Diderot a été représenté sans vêtements, M. Roger, que +la nature était loin d'avoir favorisé de ses dons extérieurs, M. Roger +sera tout un!!!</p> + +<p>Nous avons dit la semaine dernière que les journaux de la Normandie +renfermaient des détails sur un ouvrier chez lequel s'est révélé un +véritable talent de sculpteur. Ces détails étaient contradictoires; nous +en avons attendu de plus concordants pour les reproduire à nos lecteurs. +Dans l'une des vieilles rues de Dieppe, à quelques pas de la gothique +église de Saint-Jacques, habite un homme encore jeune, en qui le talent +s'est révélé tout à coup. Il y a un an à peine, cet homme était +cordonnier et travaillait tous les jours aux grosses bottes de pécheurs +dans la boutique noire et enfumée qu'il n'a pas quittée. Depuis, +l'échoppe, est, devenue un atelier, le cordonnier devenu un artiste. +L'an dernier, cet homme, qui s'appelle Graillon, a imaginé de modeler en +terre des sujets populaires, et son coup d'essai a été un coup de +maître. Pose, vêtements, physionomie, tout est nature dans les figures +de mendiants qu'il pétrit, et que Callot n'eût pas dessinées avec plus +de vérité et de hardiesse. Ce sont de véritables études de mœurs. Il ne +s'est pas borné à cela, et quelques statuettes historiques sont venues +démontrer la flexibilité de son talent. Graillon n'ignore pas du tout, +comme on l'avait dit, le mérite des productions qui naissent sous ses +mains; il reçoit les éloges en homme qui les apprécie et a la conscience +de les mériter. Il a fixé lui-même le prix de ses compositions; il les +vend un prix assez minime, tout en sachant fort bien que leur valeur +sera bientôt triple ou sextuple.</p> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/003a.png"><br> <b>Hôtel de M. Molé, rue de la Ville-l'Évêque.</b></p> + +<p>Graillon, que de grandes destinées attendent, dit-on, s'il pratique le +génie pour lequel Dieu l'a créé, est affligé d'une infirmité: il veut +être peintre! Quand il peut dérober quelques heures aux groupes +miraculeux qu'il enfante avec une si prodigieuse facilité, ces heures, +il les consacre à la peinture. Or, ce que Graillon appelle peinture, +c'est un certain mélange de jaune et de bleu étalé sur une grande toile. +«Nous avons fait à Graillon, dit l'auteur d'un des récits auxquels nous +empruntons le nôtre, de timides observations sur sa manie de peinture; +il nous a répondu avec une certaine aigreur: «Voulez-vous donc que je me +prive de mes <i>récréations?</i>». A cela nous n'avions rien à dire. Nous +nous sommes retiré en faisant des vœux bien sincères pour que Graillon, +qui peut nous compter au nombre des adorateurs les plus fanatiques de +son talent de statuaire, se récrée le moins souvent possible.</p> + +<p>En feuilletant les archives du greffe du tribunal civil de +Château-Thierry, on vient de trouver quelques ligues échappées à la +plume de Jean de Lafontaine. Malheureusement, l'autographe de notre +immortel fabuliste est fort peu poétique et ne contient que la cession +du banc qu'il possédait dans l'église de cette ville. Ce petit billet, +annexé à des actes authentiques, nettement et très-lisiblement écrit +tout entier de la main du signataire, ne manque pas d'un certain cachet +d'originalité qui le rend digne de son auteur. Nous le reproduisons +textuellement, sans ajouter un point ni un accent: «Je soussigné cède et +transporte à M. Pintrel, gentilhomme de la vénerie, demeurant à Chasteau +Thierry le droit et propriété telle qu'il me seait appartenir au banc +place et cabinet que j'ay dans l'église de Chasteau Thierry sous le jubé +pour en jouir pour luy toutefois seulement après le deceds de demoiselle +Marie Hericart ma femme et ce pour des raisons et considérations qui +sont particulières entre nous fait à Chasteau Thierry ce deuxième +janvier mil six cent soixante et seize. «DE LA FONTAINE.»</p> + +<p>La mort ne nous a donné à enregistrer cette semaine aucun nom illustre +dans la politique, dans la littérature ou dans les arts. C'est le cas de +dire bien bas, avec la prudence de Fontanelle: <i>Chut!</i></p> +<br><br> + +<h2>Théâtres.</h2> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/003b.png"><br><b>Théâtre de l'Opéra-Comique--<i>Le Déserteur</i>.<br>--Montauciel, +Mocker; Bertrand, Sainte-Foy.</b></p> + +<p><span class="sc">Opéra-Comique</span>.--Reprise du <i>Déserteur</i>.</p> + +<p>Qui ne connaît l'histoire d'Alexis et de Louise, la fille à Jean-Louis, +fermier de madame la duchesse, et celle du grand cousin Bertrand, qui +joue à la corde et fait le double-tour avec tant de grâce et un talent +si distingué?</p> + +<p>Qui peut avoir oublié Montauciel, ce dragon si agréable, toujours entre +deux vins, et qui trouve cette position si commode?--Brave soldat après +tout, fidèle à son capitaine, intraitable sur le point d'honneur, qui +s'est fait mettre en prison pour avoir le temps d'apprendre à lire et +qui a déjà fait tant de progrès dans cet art utile, qu'après avoir +longtemps épelé ces mots: <i>Vous êtes un blanc-bec</i>, il en fait ceux-ci: +<i>Trompette blesse</i>.</p> + +<p>Et la petite Jeannette, qui a égaré son fuseau? et le gendarme +Courchemin, qui chante si gaillardement: <i>Vive le roi?</i> Et surtout cette +vieille musique de Monsigny, si naturelle, si simple et si expressive? +Nos pères l'ont écoutée et répétée pendant cinquante ans, et la +Révolution elle-même, la première, la grande Révolution, qui a détruit +et changé tant de choses, n'avait pas arrêté le cours de ce prodigieux +succès du <i>Déserteur</i>. On s'était contenté d'orner Alexis, les gendarmes +qui l'arrêtent et les soldats qui doivent le fusiller de larges cocardes +tricolores, et Courchemin chantait alors, de sa voix la plus formidable:</p> + +<div class="poem"><div class="stanza"> +<p class="i14"> La loi passait, et le tambour battait aux champs,</p> +<p class="i14"> Vive la loi! etc.</p> +</div></div> + +<p>Le livret du Déserteur est d'une simplicité qui doit faire sourire de +pitié tous nos faiseurs d'aujourd'hui.--Alexis, le héros de Sedame, est +un jeune soldat qui doit, quand le terme de son service sera arrivé, se +marier avec une jeune paysanne, fille de Jean-Louis, fermier. Le moment +où Alexis obtiendra son congé est proche. En attendant, son régiment +vient à passer dans les environs du village qu'habite Louise, et il +obtient la permission de lui faire une courte visite. Malheureusement il +annonce sa visite, et les paysans ses amis, le futur beau-père en tête, +se disent: «Il faut lui jouer un bon tour.» Ce tour consiste à lui faire +croire que Louise s'est mariée pendant son absence. On habille Louise en +mariée, on simule une noce, on arrange un cortège villageois, et l'on +vient défiler, musique en tête, sur la route par ou Alexis doit arriver. +Comment ne serait-il pas dupe de tout cet appareil? Il l'est, et si bien +qu'un affreux désespoir s'empare de lui; il veut mourir; il arrache ses +épaulettes et sa cocarde blanche, et s'enfuit dans la direction où il +peut rencontrer l'ennemi. Notez bien qu'il a choisi pour faire cet +exploit le moment où la maréchaussée était à portée de l'atteindre. On +le poursuit, il se laisse prendre. On le met en prison, on le juge, on +le condamne à mort, on le mène au lieu du supplice, il s'agenouille, et +les fusils sont déjà braqués sur lui quand Louise arrive tout +essoufflée, une feuille de papier à la main. C'est la grâce du +déserteur, qu'elle a obtenue du roi.</p> + +<p>Ce sujet est fort simple; mais on comprend qu'il donne lieu à des scènes +intéressantes, et l'auteur en a su égayer la couleur un peu sombre par +le rôle épisodique du Soldat Montauciel.</p> + +<p>Ce rôle est aujourd'hui fort bien rempli par M. Mocker, à qui doit +revenir, pour une grande part, l'honneur du succès de la reprise du +<i>Déserteur</i>. Il le joue avec beaucoup de goût et de distinction. Son +éternelle ivresse est plaisante et point du tout désagréable, et il ne +franchit jamais la limite qui sépare la mauvaise plaisanterie de la +bonne, limite presque imperceptible et où il est si difficile de +s'arrêter! En quelque position que l'auteur du poème place Montauciel, +qu'il épèle sa leçon de lecture, ou qu'il se fâche contre Alexis qui le +renverse d'un seul coup de poing: ou qu'il abuse de la niaiserie du +grand cousin Bertrand, et déroule son interminable cravate (incident +burlesque dont la gravure, annexée à cet article, peut donner une idée à +nos lecteurs), jamais M. Mocker n'est vulgaire.</p> + +<p>Il chante son rôle comme il le joue, et il a de charmants morceaux à +exécuter. Les deux airs <i>bouffes</i> que Monsigny a mis dans cet ouvrage +sont deux chefs-d'œuvre. Le style bouffe était encore, à cette époque +d'invention toute récente, et l'on est surpris qu'un milicien français +qui n'avait pas, comme Grétry, habité l'Italie pendant plusieurs années, +ait pu si vite et si complètement en surprendre les secrets et s'en +approprier les ressources.</p> + +<p>Dans les morceaux sérieux, qui sont en majorité dans cette partition, +Monsigny est surtout remarquable par la variété et l'énergie de son +expression. Les airs d'Alexis ont sous ce rapport un très-grand mérite, +ainsi qu'un duo et un trio dans lesquels on a admiré des mélodies +charmantes traitées avec une grande habileté de contre-pointiste. En +somme, le suffrage de la génération actuelle vient de sanctionner les +applaudissements que <i>le Déserteur</i> a constamment obtenus des +générations précédentes, et c'est un beau et noble triomphe. Parmi les +œuvres contemporaines y en a-t-il beaucoup qui soient destinées à une +si longue vie, et auxquelles on puisse promettre, dans soixante-quatorze +ans, un succès comparable à celui que <i>le Déserteur</i> vient d'obtenir?</p> + +<p><i>Eve</i>, drame en cinq actes de <span class="sc">M. Léon Gozlan +(Théâtre-Français.)</span>--<i>Madame Roland</i>, drame en trois actes de Madame +<span class="sc">Ancelot (Vaudeville)</span>.</p> + +<p>Eve est une quakeresse; son père, le quaker Daniel, habite la +Pennsylvanie; c'est un homme bon, simple, vertueux comme sa croyance le +lui enseigne, et adorant sa fille. Eve, cependant, inquiète cette +tendresse paternelle; non pas qu'elle ait le moindre vice et commette la +moindre faute: Eve est la vertu même; mais elle a des moments d'extase, +comme Jeanne d'Arc, et rêve à l'affranchissement de son pays. Nous +sommes aux premiers temps de l'insurrection de l' Amérique du Nord +contre l'Angleterre. Dans ses heures d'enthousiasme patriotique, Eve +s'échappe de la maison du vieux Daniel et se perd dans les bois et sur +les monts, encourageant les insurgés, par sa présence; l'armée +américaine la prend pour son ange protecteur, l'armée anglaise pour son +mauvais génie. Vous comprenez maintenant l'inquiétude de Daniel; il +n'est pas rassurant d'avoir une fille qui court ainsi les champs.</p> + +<p>Eve n'est pas seulement possédée par le désir de délivrer l'Amérique: +elle veut détruire un ennemi mortel de sa religion et de ses frères, le +marquis Acton de Kermar; Eve ente Judith sur Jeanne d'Arc.</p> + +<p>Le marquis de Kermar a des vices terribles et des passions formidables; +il bat et tue ses esclaves pour un mot, change de maîtresse tous les +jours, déshonore les familles et poursuit particulièrement les quakers +d'une haine féroce, sous prétexte qu'ils prêchent l'égalité et la +fraternité, Kermar ne veut pas de cette philosophie, et de temps en +temps il fait crever les yeux à un quaker ou deux, pour les en guérir.</p> + +<p>Kermar demeure à Québec, dans le Canada; c'est donc à Québec qu'Eve va +le trouver pour le tuer, comme Judith tua Holopherne; le vieux Daniel, +qui devine le sanglant projet de sa fille, la suit à la piste.</p> + +<p>Judith avait, gagné tout droit la tente d'Holopherne; Eve fait plus de +façons: elle se promène dans les forêts qui avoisinait le château de +Kermar, et au moindre bruit s'esquive comme une biche légère. Tout en +errant à travers bois, Eve préserve Kermar, qu'elle ne connaît pas, de +la piqûre d'un venimeux serpent, et sauve ainsi la vie à l'homme qu'elle +veut tuer: la contradiction est flagrante.</p> + +<p>Cette rencontre suffit pour rendre Kermar éperdument amoureux d'Eve; et +comme c'est un homme qui n'a pas l'habitude d'attendre, il met ses +esclaves à sa poursuite. Les esclaves font si bien, qu'ils s'emparent de +la belle quakeresse et ramènent au château. Ainsi Eve est chez Kermar. +Que ne le frappe-t-elle? Elle n'en a plus le courage; sa haine est +désarmée, ou plutôt l'amour lui a fait place: Eve aime Kermar, commue +elle en est aimée. Ceci contrarie très-fort l'esclave Caprice, la +bien-aimée et la favorite de Kermar avant l'arrivée d'Eve. Caprice n'a +pas d'autre ressource que de chercher à se venger, et elle se vengera. +Il y a, sur le lac voisin aux eaux dormantes, certaines fleurs jaunes +qui composent un poison parfait pour en finir avec une rivale. Caprice +en fera son affaire.</p> + +<p>Kermar d'abord n'a pas d'autre idée que de s'amuser d'Eve comme il s'est +amusé de tant d'autres; mais tout à coup, pour la première fois de sa +vie criminelle, il hésite et se trouble; l'innocence, la pudeur, la +sérénité d'Eve, l'émeuvent malgré lui; il faut cependant qu'il possède +Eve! Un homme comme lui, qui n'a jamais mis de bornes à ses désirs, dont +la passion s'est toujours satisfaite à l'instant même, de gré ou de +force; un Kermar, qui joue, qui tue, qui se livre aveuglément aux +caprices les plus monstrueux et crève, les yeux aux quakers; un tel don +Juan, un tel démon, un tel damné reculerait devant un enfant? non pas. +Kermar se met donc à attaquer Eve par tous les moyens de séduction que +son nom, son audace, son esprit, sa richesse, peuvent lui fournir: +promesses, flatterie, le plaisir et l'or, il n'épargne rien, le serpent! +Eve cependant résiste et ne mord point à cette pomme. Tandis que le +combat s'engage, Caprice, obligée par Kermar de servir Eve à genoux, a +tenté de l'empoisonner; mais le crime avorté; Caprice prendra plus tard +sa revanche.</p> + +<p>Ce n'est pas seulement la vertu d'Eve que Kermar a pour adversaire, mais +encore le ressentiment de Daniel, arrivé à Québec et réclamant sa fille, +mais les remontrances du vieux duc de Kermar, pauvre vieillard dont la +raison est affaiblie par le chagrin et le malheur. La passion de Kermar +se raidit contre cette double attaque de deux pères irrités; il traite +Daniel comme un quaker, et lui ferait volontiers crever les yeux, +suivant son habitude; quant au vieux duc, il le chasse de sa maison. +Oui, le fils chasse son père!</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/004.png"><br><b> +Théâtre-Français.--Première représentation d'<i>Eve</i>.--Le<br> +marquis de Kermar, Firmin; Rosemberg, Brindeau; Dapremire, Mirecourt;<br> +Eve, mademoiselle Plessis; Caprice, Mélingue.</b></p> + +<p>Daniel aura recours au gouverneur de Québec, et lui demandera justice. +Que m'importe? dit Kermar; et il arme ses esclaves pour défendre son +château et repousser toute attaque de la force publique.</p> + +<p>Vous le voyez, Kermar est arrivé au paroxysme de la passion et de la +violence. Maintenant rien ne le retient plus; qu'Eve se prépare à subir +enfin la défaite. Quoi donc? Kermar recule encore! l'ange intimide le +démon! Pour étouffer cette hésitation de sa conscience, Kermar cherche à +réveiller son audace à la flamme d'une liqueur brûlante, et tout +chancelant, le voici qui frappe violemment à la porte d'Eve. En est-ce +fait, ô douce brebis, et seras-tu dévorée par ce tigre furieux'?</p> + +<p>Tout à coup la scène change, le tigre apaise ses rugissements et devient +doux comme un agneau sans tache. Qui produit cette conversion dans le +cœur de Kermar? qui fait un saint d'un damné? la nouvelle subite de la +mort de sa mère. Ce trépas inattendu, cette disparition rapide de sa +mère, qu'il aimait, jette au cœur de Kermar la crainte et le doute; il +interroge sa vie passée, il se juge et se condamne. Aussitôt commencent +le repentir et la pénitence: Kermar appelle Daniel pour lui demander +pardon et lui remettre sa fille; il se prosterne humblement aux genoux +du vieux duc, son père, qu'il avait outragé et chassé; il rend la +liberté à ses esclaves, qu'il traitait avec l'inhumanité, d'un bourreau; +Kermar fait plus encore, pousse le repentir jusqu'à l'humiliation, +souffre l'injure sans se plaindre, et refuse un duel, au risque d'être +traité de lâche, lui, l'intrépide, le terrible Kermar! Après quoi, ce +persécuteur des quakers se fait quaker lui-même pour achever +l'expiation.</p> + +<p>Qu'est devenue Eve, cependant? Eve, pour se mettre à l'abri des +poursuites de Kermar et se défendre, contre son propre cœur, Eve s'est +confiée à Caprice; alors la jalouse Caprice a si bien fait que, sous +prétexte de sauver Kermar d'un grand danger, elle a entraîné Eve dans +une démarche qui, laissant au fond sa vertu intacte, la déshonore par +l'apparence. Caprice est vengée: Eve lutte vainement contre cette +prévention de l'opinion publique. Elle s'enfuit pour se dérober à cette +honte imméritée, tandis que Kermar se met à la tête des insurgés +américains, pour rendre utile une vie jusque-là nuisible, pour laver son +passé par un présent et un avenir glorieux.</p> + +<p>Plus tard, Eve et Kermar se retrouvent; Eve, devant le tribunal des +quakers ses frères, sous le poids d'une accusation d'impudicité; Kermar, +au contraire, victorieux et triomphant. Les Américains le nomment leur +sauveur, et les quakers le choisissent pour leur suprême juge. Triste +mission! car c'est Eve que Kermar doit juger! Les faits attestés par +Caprice; entraîneront la condamnation de l'innocente Eve. Daniel se +désespère; Kermar fait comme Daniel; mais, Dieu merci, Eve trouve enfin +le moyen de se justifier. Ce moyen lui est fourni par l'étourdi même qui +l'a compromise, par un certain marquis de Rosemberg, que nous n'avons pu +pincer dans notre récit, attendu qu'il joue, dans la dame de Gozlan, un +rôle assez, considérable, il est vrai, mais tout à fait en dehors de +l'action principale.</p> + +<p>Pour aller droit au fait, et c'est là un point difficile dans un drame +tellement compliqué de hors-d'œuvre romanesques, il a donc fallu mettre +de côté ce Rosemberg, venu tout exprès de France, sur la réputation de +Kermar, pour lutter avec lui de folies, le provoquer en duel et lui +enlever ses maîtresses; il a fallu passer sous silence les compagnons de +débauche de Kermar, leurs insolences, leurs orgies, leurs duels, mille +fantaisies cruelles et bizarres de Kermar lui-même, mille récits +merveilleux, mille incroyables aventures, les surprises, les mystères et +les reconnaissances dont le drame de M. Gozlan est surabondamment +pourvu.</p> + +<p>Ce luxe de détails infinis, qui se croisent et se débattent dans les +ténèbres, est le grand vice de l'ouvrage; il est plein d'inventions mais +d'inventions pêle-mêle accumulées; l'esprit y abonde, mais il va jusqu'à +l'excès, et déborde souvent en images prétentieuses, fausses et de +mauvais goût. Que vous dirai-je? il y a là plus de richesses qu'il n'en +faut pour faire une pièce; mais c'est l'ordre, le goût, la clarté, la +logique, l'ensemble, qui manquent à ces éléments épais.</p> + +<p>Le public n'a pas laissé M. Gozlan sans conseils et sans avertissements; +toujours prêt à applaudir les scènes spirituelles et intéressantes, il +s'est montré sévère et juste aux fautes de railleur. Les deux derniers +actes se sont achevés au milieu de la tempête; mais c'est un de ces +naufrages qui n'engloutissent ni le vaisseau ni l'équipage: <i>Eve</i>, par +ses bizarreries même, excita la curiosité, et la curiosité est +très-proches parente, d'un succès.</p> + +<p>Le théâtre a fait de grands frais de costumes et de décors. Tous les +acteurs ont joué loyalement et bravement; il faut citer entre les plus +habiles mademoiselle Plessis, M. Firmin et M. Ligier.</p> + +<p>Quelques jours avant, madame Ancelot faisait aussi son petit roman, bien +que madame Ancelot ait certainement cru faire de l'histoire. C'est une +des plus nobles et des plus touchantes figures de la Révolution +française que madame Ancelot a choisie pour sujet à son élucubration +romanesque; j'ai nommé madame Roland.</p> + +<p>Nous voyons d'abord madame Roland, qui n'est encore que Manon Philipon, +chez le duc d'Oronne; déjà Manon est possédée de l'amour de la liberté; +à cet amour sérieux se mêle un autre amour, un tendre penchant pour +Barbaroux. C'est au milieu de ces rêves que la Révolution les surprend +tous deux; et tous deux saluent du plus ardent de leur âme cette grande +union: d'une ère immense.</p> + +<p>Plus lard, Manon Philipon devient madame Roland, et Barbaroux met, comme +membre de la Convention, son éloquence au service de la cause nationale. +Femme du ministre de l'intérieur, madame Roland emploie son autorité, +d'une part à défendre la patrie, de l'autre à adoucir le sort des +proscrits que frappe le malheur des temps.</p> + +<p>Peu à peu la tempête révolutionnaire menace toutes les têtes, et ne +respecte pas même les plus dévouées et les plus patriotes; nous +retrouverons Barbaroux et madame Roland à l'Abbaye, marchant à +l'échafaud d'un pas héroïque.</p> + +<p>Ce sujet, simple en apparence, est noyé dans une foule d'épisodes qui +l'alanguissent et lui donnent tous les caractères d'une œuvre de +fantaisie, sous prétexte de la Révolution.--Peut-être serait-il mieux de +ne pas jouer ainsi avec de tels événements et de tels hommes, et de ne +point les rapetisser jusqu'au vaudeville. Il y a cependant des mots +spirituels et quelque intérêt dans cette pièce, quoique, l'effet en soit +bien sombre pour un théâtre habitué aux chansons. (Le Vaudeville a tort +de <i>toucher à la hache</i>.)</p> + +<br><br> + +<h2>Misère Publique.</h2> + +<p>L'hiver approche: pour le riche c'est la saison du luxe et des plaisirs, +pour le pauvre c'est celle du dénûment et des plus rudes souffrances. +Mais comme c'est le temps aussi où, de toutes parts, les magistrats +municipaux et les bureaux de bienfaisance font appel aux hommes heureux +pour qu'ils viennent en aide aux indigents, nous croyons que c'est le +moment de dresser une statistique de la misère.</p> + +<p>D'après le recensement fait en 1841, le chiffre total des individus +recueillis en France par les hospices et hôpitaux se montait à 93,335. +Mais la division de ces malheureux entre les départements ne saurait +rien prouver quant à la misère proportionnelle, qui y règne. En effet, +nous voyons dans ces tableaux qu'en général ce sont précisément les +départements où il y a le plus d'aisance qui, ayant trouvé le plus +facilement des ressources pour fonder de grands établissements de +charité et pour secourir la misère sur une plus large échelle, +fournissent le chiffre le plus élevé; tandis que les autres départements +qui n'ont pu recourir aux mêmes moyens, quoique la misère y soit plus +grande, fournissent nécessairement et malheureusement un chiffre moins +considérable à la statistique ministérielle. Ce document ne prouve donc +pas plus que ces autres calculs qui établissent que, dans le département +du Nord, sur 6 habitants on en compte un qui a besoin d'être secouru, +tandis que, dans la Creuse, il ne se trouve qu'un pauvre sur 58 +personnes. Ces chiffres fussent-ils exacts, on aurait à se demander si +la situation des 57 habitants de la Creuse considérés comme non +indigents parce qu'ils ne sont pas secourus, leur permettrait, alors qu +ils y seraient portés, de venir aussi efficacement en aide à l'indigent +qui est à côté d'eux que la situation des 5 citoyens aisés du Nord leur +permet d'adoucir la position de leur concitoyen pauvre. Il est évident +que des associations de secours mutuels entre travailleurs, qu'une +meilleure réglementation du travail modifierait bien promptement la +proportion dans ce dernier département. Mais quelles nombreuses et +quelles lentes améliorations ne faudra-t-il pas pour que la proportion +donnée ne soit plus mensongère dans les départements pauvres du centre, +et de quelques autres parties de la France?</p> + +<p>A Paris la situation est mieux constatée, et les chiffres ont une +signification plus réelle. Nous ne nous occuperons pas aujourd'hui de la +partie de la population qui est traitée et recueillie dans les hôpitaux +et les hospices. Il y a là tout un travail à part que nous nous +proposons bien d'entreprendre, mais quant à présent nous ne supputerons +que la population indigente secourue à domicile par les bureaux de +bienfaisance.</p> + +<p>En 1841, dernier exercice, sur lequel l'administration ait publié son +travail de compte-rendu, 29,282 ménages indigents ont été secourus. Ce +chiffre se décompose ainsi:</p> + +<pre> + Ménages ayant reçu des secours temporaires. 10,424 + -- -- des secours annuels ordinaires. 14,383 + -- -- Octogénaires, l,223 } + -- -- Septuagénaires. 1,962 } + -- -- Aveugles. 1,054 } 4,475 + -- -- Paralytiques. 236 } + + Total égal. 29,282 +</pre> + +<p>Ce nombre était de 30,361 en 1829, de 31,723 en 1832, de 28,969 en +1935,et de 26,936 en 1838. Ainsi, malgré l'augmentation constante de la +population, le nombre des indigents avait constamment décru depuis 1832, +époque à laquelle le commerce et l'industrie commencèrent à prendre du +développement, jusqu'en 1838, année de leur apogée. C'est à la fin de +cette dernière année qu'on vit commencer la crise à l'influence de +laquelle le commerce n'a pas échappé depuis, et dont l'un des effets a +été d'augmenter le nombre des indigents de près d'un dixième.</p> + +<p>Les 29,282 ménages secourus en 1841 comprenaient 66,487 individus. Ils +étaient plus surchargés de famille que ceux de 1829, car à cette +dernière date, quoique le chiffre des ménages fût plus élevé de. 1,079, +le nombre des individus secourus était moindre de 3,782.</p> + +<p>Les chefs de ménages indigents se classaient de la manière suivante: +mariés, 11,917; veufs, 10,408; femmes abandonnées, l,898. On y ajoutait +ensuite: célibataires adultes, 4,496; célibataires orphelins, 563.</p> + +<p>Sur les 29,282 chefs de ménage secourus, 15,250 ont moins de soixante +ans; 14,052 ont dépassé cet âge. On y compte un seul centenaire.</p> + +<p>Le loyer des lieux qu'occupent ces ménages secourus est, pour 5,399 +d'entre eux de 50 fr. et au-dessous; il est de 51 à 100 fr. pour 12,680; +de 101 à 200 fr. pour 5,684; de 201 à 300 fr. pour 187; de 301 à 400 fr. +pour 13; au-dessus de 400 fr. pour 2 seulement. 3,003 sont logés à titre +gratuit, et 2,317 le sont comme portiers.</p> + +<p>Dans les 29,282 ménages, 15,495 ont pour chefs des hommes. Nous ne +donnerons pas la répartition du nombre entier entre les diverses +professions, mais nous indiquerons le chiffre pour lequel quelques-unes +y figurent. En le faisant, nous n'avons pas la prétention de fournir des +éléments de calculs sur l'aisance et les ressources de telle profession +comparée à telle autre; la statistique ne fait souvent que complaire à +la curiosité, elle tombe dans le ridicule quand elle a la prétention de +l'éclairer toujours, et nous n'imiterons pas Parent-Duchatelet dans son +livre sur les femmes dégradées, qui, prenant à coup sûr quelque +exception que nous voulons ignorer pour un des éléments de ses calculs, +dit que, dans une période de temps qu'il détermine, sur tel nombre de +ces malheureuses qui finissent par se marier, il y en a une qui épouse +un membre du Conseil d'État.</p> + +<p>Nous remarquons d'abord sur le tableau général que cinq états qui, +précédemment, comptaient des indigents secourus, n'en ont point eu en +1841: ce sont les albâtriers, les arroseurs, les ciriers, les lamineurs +et les cimentiers.--Les affineurs, apprêteurs de draps, artificiers, +batteurs d'or, charcutiers, chocolatiers, décatisseurs, égouttiers, +facteurs, machinistes, pédicures, satineurs, n'en ont compté qu'un seul +chacun.--Nous remarquons encore, dans les professions où il y a eu peu +d'indigents à secourir ou du moins secourus, les bandagistes, les +brodeurs en or, les dentistes, les estampeurs, les frangiers, les +interprètes, les lapidaires, les mouleurs en plâtre, les parcheminiers, +les parfumeurs, les sertisseurs, qui n'y figurent chacun que pour +deux:--les artistes dramatiques, les chantres de paroisse, qui y sont +portés chacun pour trois.</p> + +<p>Les dessinateurs fournissent quatre indigents; les libraires et +bouquinistes, six; les compositeurs d'imprimerie, pour lesquels le +travail est cependant fort inégal, mais qui ont eu le bon esprit +d'entrer largement dans la voie des caisses de secours mutuels, dix, +chiffre bien peu élevé en raison de leur grand nombre; les graveurs, +quinze; les relieurs, vingt-quatre. Quant aux imprimeurs en caractères, +dont l'emploi des machines a diminué sensiblement les garanties +d'occupation, cent trente-neuf ont été dans la nécessité de recourir aux +secours.</p> + +<p>Vingt-sept tambours se sont trouvés dans la même situation.</p> + +<p>Dans les chiffres dépassant la centaine, nous trouvons: les +charpentiers, 111; les tourneurs, 119; les chiffonniers, 122; les +fileurs de coton, laine et soie, 124; les tisserands, 129; les +terrassiers, 130; les savetiers, 131; les anciens domestiques, 132; les +charretiers, 140; les anciens employés et écrivains, 140; les +manœuvres, 140; les balayeurs, 149; les corroyeurs, tanneurs, +mégissiers et peaussiers, 156; les cochers, 171; les porteurs d'eau, +189; les ébénistes, 192; les bonnetiers, 197; les peintres, vitriers et +colleurs, 278; les maçons, 300; les serruriers, 333; les menuisiers, +406; les tailleurs d'habits, 477; les marchands revendeurs, 778; les +cordonniers, 880; les commissionnaires et hommes de peine, 1,429; les +portiers (hommes), 1,283; les journaliers, 1,805; les individus sans +état, 1,982.</p> + +<p>Le rapport de la population indigente à la population générale de Paris +a été, en 1841 (prenant pour cette dernière le résultat du recensement +de 1836), de 1 sur 13 habitants 307 millièmes. Voici le rapport dans les +arrondissements:</p> + +<pre> + Dans le 2e, 1 indigent sur 33 habitants 705 millièmes. + -- 3e, 1 - 27 - 152 + -- 10e, 1 - 19 - 172 + -- 1er, 1 - 17 - 985 + -- 5e, 1 - 17 - 951 + -- 7e, 1 - 17 - 624 + -- 11e, 1 - 16 - 180 + -- 6e, 1 - 15 - 904 + -- 4e, 1 - 13 - 756 + -- 9e, 1 - 8 - 427 + -- 8e, 1 - 6 - 597 + -- 12e, 1 - 6 - 235 +</pre> + +<p>Les recettes faites par les bureaux de bienfaisance sont le produit +d'une subvention de l'administration des hospices, de legs et donations, +de dons, collectes et souscriptions (en 1841. 259.549 fr.); des troncs +et quêtes dans les églises (27,692 fr.); de représentations théâtrales, +bals et concerts (9,682 fr.), et d'autres fonds généraux et spéciaux.</p> + +<p>Leur dépense a été, en 1841, de l,361,635 fr. Le douzième arrondissement, +le plus chargé d'indigents, est entré dans ce chiffre pour 244,323 fr. +C'est presque toujours en objets d'habillement et de coucher, en pain, +en viande, en bouillon et comestibles, en médicaments, en combustibles, +que ce budget de bienfaisance est dépensé. Les secours en nature sont +démontrés par l'expérience être bien préférables aux recours en argent. +Cependant, ceux-ci étant parfois indispensables, 95,811 fr. ont été +distribués en espèces.</p> + +<p>Que les caisses de secours mutuels se multiplient, car il est plus digne +de s'assurer contre le besoin que de demander aide à la bienfaisance +publique; que l'ouvrier soit prévoyant quand il est occupé; que les +maîtres, comprennent que si la Société regarde leurs coalitions comme +moins dangereuses que celles des travailleurs, la morale ne les +considère pas comme moins coupables; que le gouvernement, par des +traites de commerce bien entendus, imprime à l'industrie, une active +impulsion; enfin, que la chanté s'accroisse, car la misère n'a pas +diminué, et les bureaux de bienfaisance, outre qu'ils ont eu à secourir, +dans l'année qui vient de servir de base à nos calculs, 66,487 +individus, auraient eu besoin d'autres ressource encore pour vaincre la +réserve souvent suicide de pauvres honteux qu'on D'estime pas à moins de +15,000.</p> + +<br><br> + +<h2>Une Bouteille de Champagne.</h2> + +<h3>Nouvelle.</h3> + +<p>Par une sereine matinée de printemps, le bandit Shinderhannes était +couché sur l'herbe, aux pieds de Julie Blasius, le long de cette +magnifique sapinière qui couronne le monastère d'Eberbach, au-dessus de +Kiedrich, dans le duché de Nassau. De ce belvédère, on voyait le +Rhingau, festonné de vignobles, se perdre au sein d'un horizon de +châteaux, et le soleil levant dorer à la fois Johannisberg et Mayence. +Dans les clairières de la forêt, non loin du chef, sommeillaient çà et +là, par groupes rares et pittoresques, ses plus braves compagnons, +Moïse, Picard, Jik-Jak, Crevelt, Zaghetto, Pierre le Noir, tous fameux +dans la chronique du mont Taunus, tous redoutés depuis les bords de la +Moselle jusqu'aux landes de Hanovre. Shinderhannes lisait <i>Werther</i>, +dont la réputation était encore naissante, et Julie Blasius, jeune fille +de Zerbst, prisonnière de la bande, dont le capitaine voulait faire sa +maîtresse, écoutait la voix du bandit, tout en effeuillant avec +distraction une branche de saule.</p> + +<p>«Julie, dit le jeune homme en interrompant sa lecture, vous avez bien +tort d'exiger que je vous lise ce roman jusqu'à la dernière page; il ne +peut se terminer que par une catastrophe. Je vous le conseille +franchement, arrêtons-nous là. Ce sera comme un amour où le début est +toujours si beau...</p> + +<p>--Qu'on presse toujours le dénouement, n'est-ce pas? Mon cher capitaine, +lisez, je vous prie. Un roman ne m'épouvante guère.</p> + +<p>--C'est un peu bien volontaire pour une captive, madame.</p> + +<p>--Vous trouvez?»</p> + +<p>Mais elle lâcha la branche de saule, se mit à boucler les blonds cheveux +du bandit, et Shinderhannes, ému, reprit son livre en rougissant de +plaisir.</p> + +<p>«Du reste, peu m'importe, dit-il à voix basse; vos yeux ne seront que +plus beaux s'ils viennent à pleurer. Où donc en étais-je?</p> + +<p>--Vous me disiez qu'au plus beau moment du succès de <i>Werther</i>, ayant un +jour rencontré sur le Hundsruck la jeune femme de Brunswick qui servit +de modèle à la Charlotte de Goethe, un accès de fureur vous prit, et +qu'en mémoire de tout ce que son amant avait souffert pour elle, vous +eûtes un instant la singulière envie de la tuer.</p> + +<p>--C'est vrai, reprit Shinderhannes en laissant rouler le livre jusqu'au +fond du précipice; mais cette envie, je me la suis passée, ajouta-t-il +avec un regard sombre que Julie soutint sans émotion apparente. Comme ce +livre immortel vient de rouler dans l'abîme, de même Charlotte y +disparut elle-même. Je saisis la malheureuse femme par les cheveux, +qu'elle avait longs et noirs comme vous, je lui ordonnai de recommander +son âme à Dieu, et je la traînai sur le revers de la montagne; là, je +soulevai son corps frêle et délicat, je murmurai le nom de son amant, je +balançai longtemps au-dessus du gouffre ses membres déjà glacés +d'épouvante, puis tout m'échappa...</p> + +<p>--Et Charlotte roula dans le précipice? dit Julie.</p> + +<p>--Oui, ma belle; et si j'avais pu rendre en même temps la vie à Werther, +j'eusse retiré sa maîtresse du gouffre, car il était affreux de la voir +déchirée par les ronces, tendant ses bras nus, criant et luttant contre +la cascade qui l'emportait dans le Rhin.</p> + +<p>--Et qu'ont-ils dit, vos hommes?</p> + +<p>--Je les ai conduits au siège d'un monastère, nous avons battu la porte +en brèche avec un crucifix, les nonnes leur ont verse à grands verres du +Beste-Grog, et ils n'ont rien dit.</p> + +<p>--Ce sont des lâches! Moi, je vous eusse appelé homicide; moi, j'eusse +arraché le poignard qui dort à votre ceinture, et il y aurait eu deux +victimes pour le succès d'un roman.»</p> + +<p>Le bandit Shinderhannes se mit à rire, et prenant la branche de saule, +l'effeuilla tranquillement à son tour.</p> + +<p>«Picard! s'écria-t-il bientôt en voyant un de ses lieutenants grimper +vers lui à travers les sapins, veillez aux français et faites relever +les sentinelles. Je vais fumer une pipe.»</p> + +<p>Les gendarmes de Mayence, à cette époque poursuivaient la horde du +bandit jusque sur le territoire hanovrien; Napoléon et la Prusse +(C'était en 1802) s'entendaient parfaitement à cet égard. L'association +des brigands de Hundsruck avait été en partie le résultat des guerres +entreprises par les Français pour l'occupation de la Hollande, de la +Belgique et des États qui forment aujourd'hui le grand-duché du +Bas-Rhin. Fondée d'abord par une famille israélite de Windshoot, près de +Groningue en Hollande, elle profitait des guerres de la Révolution pour +étendre dans le nord de l'Allemagne sa formidable et mystérieuse +puissance. On n'entendait parler depuis Bruxelles jusqu'au Hartz que de +Juifs étranglés, de châtelains rançonnés, même de villes emportées +d'assaut; les paysannes du mont Joie ne descendaient plus sur la Roër +pour vendre leurs œufs au marché d'Aix-la-Chapelle, sans péril de mort, +et les amateurs qui voyagent à pied pour tâter le crâne de Charlemagne à +Cologne ou croquer sur leurs albums le vaisseau de la cathédrale de +Mayence, hésitaient longtemps à franchir les Ardennes, dont le <i>hibou</i> +Shinderhannes gardait le défilé.</p> + +<p>C'est en visitant le <i>Dos du Chien</i> (Hundsruck), chaîne où maintenant +errait sa bande, que Shinderhannes rencontra Julie Blasius. Vertueuse et +dévote, cette femme résolut de dompter le brigand, et, comme il en était +fou, de convertir l'homme par l'amour. Elle résistait à sa passion, elle +voulait un mariage, elle exigeait surtout que son amant renonçât à +braver la potence, et en quelque sorte prit une retraite. Mais, en +attendant, Julie ne partageait pas moins la dangereuse vie de +Shinderhannes; elle s'habillait en homme, galopait dans les forêts, se +battait même avec les gendarmes. Tantôt, sous les titres et avec les +grâces d'une comtesse, elle donnait le ton aux habitués des eaux de +Wiesbaden, jetait l'argent par la fenêtre, et présentait le bandit dans +les salons sous l'incognito d'un baron suédois; tantôt, coiffée de la +toque à la hussarde et la carabine sur l'épaule, elle remontait +lestement à pied les sentiers du Taunus, et jonchait la route, avec sa +blanche main, de ces branches d'arbre qui étaient le doigt indicateur et +les pierres miliaires des brigands.</p> + +<p>«.... Et Charlotte roula dans le précipice!» répétait Julie en se +promenant sous les sapins. Peu à peu elle devint pensive, ses regards se +fixèrent sur l'herbe, son visage pâlit, et elle resta longtemps dans +cette absorbante immobilité du corps si complète et si lourde qu'on +dirait que l'âme a doucement quitté son étui et que la chair, au lieu +d'un être vivant, n'est plus qu'une chose, que néant ou rien; seulement, +par intervalles, de la bouche de marbre de Julie, tombaient encore ces +paroles sinistres:</p> + +<p>«Et Charlotte roula dans le précipice!»</p> + +<p>Cette rêverie dura près d'une heure. En relevant la tête. Julie vit +debout, en face d'elle et dans une attitude mélancolique, le lieutenant +Picard. Français d'origine, ancien soldat de Frédéric, un de ces +aventuriers cosmopolites qui n'ont ni fortune, ni famille, ni patrie, +mais auxquels l'audace tient ordinairement lieu de tout, Picard aimait +secrètement Blasius. Elle s'en était aperçue; elle lui dit:</p> + +<p>«Picard, j'ai soif; je voudrais bien boire un verre de ces vins de +France dont vous nous parlez si souvent.</p> + +<p>--Du bordeaux, madame:</p> + +<p>--Non, lieutenant Picard. Lorsque j'étais femme de chambre de la +princesse d'Anhalt, je ne buvais que ce vin-là. Je voudrais un verre de +Champagne.</p> + +<p>--Les dernières bouteilles, par malheur, ont été bues hier.</p> + +<p>--Par malheur, dites-vous, lieutenant? rien n'est plus vrai, car +j'échangerais tous mes cachemires contre un verre de vin de Champagne; +cherchez, je vous prie.»</p> + +<p>La belle Allemande accompagna cet ordre d'un regard si doux, que Picard +disparut comme un chat sauvage entre les sapins; mais, au bout ce dix +inimités, il revint à pas lents et aussi morne que s'il eût manqué de +tuer un riche abbé du Rhin.</p> + +<p>«J'ai cherché, madame; il ne reste pas une seule bouteille de Champagne. +Madame veut-elle du tokai?</p> + +<p>--Madame veut du vin de France, et elle veut du Champagne, répondit la +compatriote de Catherine II avec un geste impérieux et un regard +étincelant; m'entendez-vous.»</p> + +<p>Le lieutenant fut interdit. Au bruit de la querelle, Shinderhannes +sortit de sa tente, la pipe à la bouche. C'était moins un brigand qu'un +dandy, lui brigand, il avait l'œil dur et le visage mobile, la +moustache démesurée, la veste de hulan, le poignard classique et la +paire convenue de pistolets à la ceinture; rien du dandy, il avait les +cheveux blonds et bouclés, les mains charmantes, des bottines rouges, un +esprit séduisant, la plus jolie voix de ténor, et cette beauté mâle qui +ameutait sur ses pas les jeunes filles de l'Eifel et du Lousberg comme +au spectacle de quelque dieu terrestre du meurtre et de la volupté. +C'était la plus poétique réalisation du héros de Schiller. D'ailleurs, +l'amant de Julie n'avait pas vingt-deux ans. Né en 1779, à Nastatten, +d'une famille obscure et misérable, Shinderhannes fut publiquement +fouetté dans son enfance, et ce châtiment ignoble, qui fit de +Jean-Jacques Rousseau un grand homme, exaspéra tellement le jeune Belge, +qu'il résolut de se venger jusqu'à son dernier soupir, et par une guerre +implacable, de l'affront qu'il avait reçu de la société. Les plus grands +crimes, souvent, n'ont pas d'autre prétexte.</p> + +<p>«Quel est ce bruit? demanda Shinderhannes en regardant Julie et Picard.</p> + +<p>--C'est monsieur, dit Blasius, qui m'offre du tokai, quand je lui +demande du champagne.</p> + +<p>--Capitaine, s'écria Picard, ému de l'accusation, vous savez mieux que +moi si j'ai tort. Vous avez bu vous-même hier la dernière bouteille +d'épernai.</p> + +<p>--Eh bien! reprit fièrement la jeune femme, qu'on aille en chercher dans +la plaine!</p> + +<p>--Où donc? fit le brigand avec un sourire.</p> + +<p>--A Mayence, parbleu! Ne sommes-nous pas à deux lieues de Mayence?</p> + +<p>--On me les enverrait déboucher à la potence, vos bouteille? de +Champagne. Belle Julie, est-ce votre désir?</p> + +<p>--Mon désir est de boire du Champagne; je n'en si pas d'autre.</p> + +<p>--Vos désirs, madame, reprit sévèrement le bandit, ne sont pas plus +raisonnables que votre mémoire. Ne vous rappelez-vous déjà plus +l'histoire de Charlotte? Je sais punir même les jolies femmes qui ont +des caprices. Dans le <i>Dos du Chien</i>, je suis le seul maître après Dieu.</p> + +<p>--Après Dieu et avant le crime,» dit hardiment Blasius. Picard recula +épouvanté: la lame du poignard brillait dans la main droite du +capitaine. Shinderhannes, de la main gauche, saisissant Julie par les +cheveux, la courba jusqu'au ras de l'herbe aussi facilement que si c'eût +été une tige de coudrier.</p> + +<p>«Demande grâce, fille du démon!</p> + +<p>--Non,» répondit-elle.</p> + +<p>Aussitôt le cachemire qui couvrait ses épaules vola dans l'air, et +l'acier du stylet sillonna comme un éclair la peau satinée de son +admirable poitrine.</p> + +<p>«Capitaine! s'écria Picard en tombant à genoux.</p> + +<p>--Monsieur, lui dit rudement le chef, pour un soldat blanchi sous le +harnais du grand Frédéric, vous êtes bien délicat! Je n'aime pas les +âmes sentimentales sur le Hundsruck; en littérature et dans les romans +de Goethe, c'est différent. A la prochaine course en plaine, vous +resterez à Mayence. Si Bonaparte vous fait pendre, tant pis pour vous.»</p> + +<p>A ces mots, Shinderhannes remit la lame dans le fourreau, et tira un +coup de pistolet en l'air. Les camarades de Picard, à ce signal, s'étant +approchés du chef, reçurent l'ordre de désarmer le vieux Français, de ne +plus lui parler, de ne rien lui offrir de sa part du butin de la veille, +et, pour tout dire enfin, de le traiter aussi ridiculement que possible, +en honnête homme. Alors le bandit tourna le dos à sa bien-aimée, reprit +tranquillement sa pipe, et on n'entendit plus dans les sapins que le +froissement de la fougère sous le talon des bottines des sentinelles.</p> + +<p>Cependant la pointe de l'arme, en courant avec adresse sur le cou de +Julie, y avait tracé comme le cercle d'un collier rouge qu'on aurait, à +distance, juré de corail. Elle remit son cachemire en frissonnant de +douleur et de rage. A ce moment il était midi. La masse irrégulière et +confuse des édifices du couvent d'Eberbach, avec leurs flèches élancées, +leurs voûtes légères, leurs aiguilles gothiques et leurs toits en +étages, dont la plus grande partie remonte au douzième siècle, se +dressait à l'ombre du feuillage dans le silence de la forêt et dans la +chaleur du jour. Le dernier et le plus considérable des six monastères +fondés en 1431 par saint Bernard (Tiefenthal, Gollersthal, Eberbach, +Erbinges, Nothgottes et Marienhausen), cette sainte maison, composée +d'un palais et d'une église liés par des colonnades du style byzantin, +n'offre partout, dans ses bas-reliefs comme dans ses lignes +d'architecture les plus saillantes, pour type unique du symbole de ses +origines, que la figure multipliée du cochon, qui signala, dit la +chronique, à saint Bernard lui-même les endroits de la plaine où le +fondateur trouverait de la pierre. Cette image burlesque, toutefois, +n'ajoutait rien à la gaieté sombre du cloître dont quelques moines +grossiers, respectés encore même en 1805 par le duc de Nassau, ouvraient +humblement la retraite aux condottieri de Shinderhannes. Transformé +aujourd'hui en hospice pour les fous, Eberbach préludait à cette +destinée bizarre en abritant pêle-mêle des religieux et des bandits. Ce +qui achevait ce tableau digne de Salvador Rosa, c'était la pesanteur de +l'atmosphère, où l'oiseau ne chantait plus, où l'air se parfumait +d'arômes résineux, où la magnifique ardeur du soleil ne rappelait +qu'avec plus d'effroi, vis-à-vis du monastère, le meurtre sacrilège de +Charlotte. Les murmures de la cascade, rendus plus imposants par l'écho +de la cloche des moines, semblaient lutter encore contre les plaintes de +son agonie. Blasius laissa lentement glisser ses pieds sur la mousse et +descendit ainsi près du torrent, comme pour mieux prêter l'oreille aux +derniers cris de la jeune fille.</p> + +<p>Tristement appuyé contre le mur du portail, au-dessous de la statue +colossale de saint Bernard, et les regards tournés vers le Rhin, Picard +attendait là, sous la surveillance d'un poste avancé, que l'heure la +plus favorable de la nuit eût ramené pour la bande celle du combat et +naturellement aussi l'heure de son départ. A la vue de Julie, ses yeux +se mouillèrent de larmes.</p> + +<p>«Picard, lui dit la prisonnière en se penchant au-dessus du précipice, +n'entendez-vous pas comme moi gémir l'âme de Charlotte au fond de +l'abîme?</p> + +<p>--Hélas! madame, le crime était trop grand pour que cet étrange tombeau +restât muet! La jeune fille tuée par le capitaine Shinderhannes n'était +pas la Charlotte de <i>Werther</i>.</p> + +<p>--Vous m'épouvantez!</p> + +<p>--Il avait connu à l'université, de Goettingen l'abbé J..., héros de +l'aventure dont Goethe a raconté les principales circonstances dans son +livre. L'abbé J... fut le seul ami de Shinderhannes. Quand il se brûla +la cervelle, notre capitaine, exalté, jura que la première femme qui +s'offrirait à sa rencontre dans le <i>Dos du Chien</i> paierait pour la +mémoire de son ami. Par bonheur vous ne fûtes, madame, que la seconde; +mais Shinderhannes avait déjà tenu son serment, et la première, une +pauvre laitière de Kiedrich, y a passé...</p> + +<p>--De quoi parlez-vous donc ensemble?» demanda à cet instant une voix +rauque dont les intonations semblaient tomber du ciel.</p> + +<p>Julie et Picard se retournèrent avec surprise... Le capitaine, sortant +de la grande cour du monastère, s'était avancé doucement et il les +regardait causer, du haut d'un tertre, avec cette tranquillité sinistre +qui, dans une âme jalouse comme était la sienne, laissait pressentir de +terribles orages.</p> + +<p>«Nous parlons, dit Blasius avec son intrépidité ordinaire, des +gémissements qui s'élèvent, comme des lamentations funèbres, comme des +accusations solennelles, du fond du précipice.</p> + +<p>--Il paraît, reprit Shinderhannes d'un ton ironique, que votre +interlocuteur aime singulièrement les beautés de la nature. Voici deux +fois que je le surprends aujourd'hui au péché d'admiration trop +exclusive pour le paysage et pour la femme. Moi, j'ai peur des gens +sensibles, et je les prie de rejoindre les camarades qui font des +cartouches avec les moines dans la grotte; ce sera plus utile.»</p> + +<p>Picard s'éloigna, Julie se coucha sur l'herbe, où elle reprit la branche +de saule, et le bandit continua sa promenade avec une légèreté +apparente; mais le remords grondait enfin dans sa poitrine; il avait +même reconnu l'horreur de son action. Ses yeux s'étaient presque +mouillés, comme ceux de Picard, en apercevant du sang à la pointe de son +poignard. Julie Blasius n'était-elle pas sa prisonnière, et, à ce titre, +comme femme, n'avait-elle pas droit, même dans ses plus grandes +inconséquences, à la pitié, au respect du bandit? Peut-être d'ailleurs +la belle Allemande, jusqu'alors insensible aux prières de Shinderhannes, +allait-elle enfin l'accepter pour époux, et changer son repaire en lit +nuptial, en temple secret de bonheur! Un mouvement de colère féroce +avait tout détruit.</p> + +<p>«Cette charmante Julie!» murmurait Shinderhannes.</p> + +<p>En en disant ces paroles, il embrassait d'un regard enflammé le corps de +la jolie femme, mollement ramassé sur le gazon comme un cygne tapi dans +un bouquet de fleurs. Le bandit vint tomber plutôt que s'asseoir aux +genoux de la captive.</p> + +<p>«Ma chère, lui dit-il, j'ai envie, comme Werther, de me tuer.</p> + +<p>--Pour moi, sans doute? répondit Julie avec dédain.</p> + +<p>--Peut-être, reprit le bandit les yeux baissés.</p> + +<p>--Non, non, vous vous trompez, mon beau capitaine; il y a quelque chose +de plus grossier dans vos passions. Si vous m'aimez, monsieur, c'est que +le monastère d'Eberbach ne renferme qu'une femme, et cette femme, c'est +moi.</p> + +<p>--Tu as raison, dit Shinderhannes en lui baisant la main; je donnerais +Mayence, et Cologne, et Francfort, et la légende du comte Kuno, et +<i>Werther</i> même, pour que ta bouche me rendît ce baiser. Sans la femme, ô +Julie! le désert de l'homme est insupportable.</p> + +<p>--Vous avez raison, monsieur, dit à son tour Blasius. Je donnerais aussi +et Mayence, et Francfort, et Cologne, et la légende du comte Kuno, et +<i>Werther</i>, et vous-même, capitaine, par-dessus le marché, pour une +bouteille de vin de Champagne. L'amour de l'homme est un désert, et Dieu +a fait le vin de Champagne pour qu'il fût supportable à la femme.</p> + +<p>--Oh! ces filles d'Eve! s'écria le bandit, toujours semblables à leur +mère! quand ce n'est pas la pomme, c'est la grappe.</p> + +<p>--Et notre volonté, monsieur?</p> + +<p>--Elle est accomplie.»</p> + +<p>A ces mots, Shinderhannes sonna d'un cor qu'il portait suspendu à sa +ceinture; la forêt répéta en longs échus cet appel sinistre, auquel on +vit bientôt répondre les brigands et les moines, qui se montrèrent +pêle-mêle aux croisées de l'édifice.<br> + +<span class="rig"><span class="sc">André Delrieu</span>.</span></p> + +<p><i>(La fin à un prochain numéro.)</i></p><br><br> + +<h2>La Saint-Hubert</h2> + +<p>Voici la fête du bienheureux patron des chasseurs; aucun saint du +paradis n'est fêté chaque année avec plus d'exactitude. En son honneur, +tout homme qui sait manier un fusil, ou sonner de la trompe, se met en +campagne, ce jour solennel, sans s'informer s'il pleut ou s'il fait beau +temps. Le chasseur millionnaire rassemble ses parasites habitués pour +cette solennité; s'il existe dans ses buis un superbe cerf dix cors, un +sanglier-monstre, on le réserve pour être chassé le jour de saint Hubert. +Le petit propriétaire invite quelques amis à l'ouverture d'un bois +taillis où viennent des faisans du voisinage; il n'a pas voulu le +visiter encore, car il aurait pu les effaroucher, et le jour de la +<i>Saint-Hubert</i> ne peut pas se passer comme les autres jours. Le garde, +vivant joui dans sa maisonnette, au milieu des bois, braconne un peu +plus que de coutume sur les terres de son maître, car il lui faut un +lièvre pour son dîner.</p> + +<p>Ainsi, dans toutes les classes de chasseurs, on fait ce jour-là ce qu'on +n'a pas fait la veille, ce qu'un ne fera pas le lendemain. La +<i>Saint-Hubert</i> ne se sonne que le jour de saint Hubert; un chasseur se +ferait siffler en la sonnant tout autre jour de l'année. La chasse +finie, quels dîners! Le vin de. Champagne coulant à flots, et les +chansons, et les histoires, je n'en finirais pas si je voulais vous dire +tout ce qu'on fait le jour de saint Hubert; j'en finirais encore moins +si je racontais tout ce qu'on dit.</p> + +<p>Le 3 novembre il arrive des coups fabuleusement extraordinaires: on tue +des lièvres à deux cents pas, on roule des sangliers comme des lapins, +on assomme des ours avec la crosse du fusil; au besoin, on égorgerait +des rhinocéros, on rapporterait un éléphant dans le carnier. Si, parmi +les convives, il se trouve un chasseur voyageur qui soit allé dans +l'Inde, il aura fait coup double sur le tigre royal, et vous en +entendrez, de toutes les façons. Les voyageurs mentent, les chasseurs +mentent; jugez à quelle sublimité de hâblerie doit se monter l'homme +réunissant ces deux titres. Qu'importe! riez, et ripostez, mais surtout +ne vous montrez jamais incrédule; d'abord ce n'est pas poli, et puis +vous refroidiriez la verve du conteur, et la causerie n'aurait plus +d'entrain. Il vaut mieux renvoyer la balle du moment qu'elle est lancée, +et tout le monde y gagne. Toutes les fois que je me trouve en face d'un +chasseur à histoires excentriques, je lui réponds par des histoires plus +excentriques encore; c'est le meilleur moyen de le faire taire. Depuis +longtemps Corneille nous a donné cette recette:</p> + +<div class="poem"><div class="stanza"> +<p class="i14"> J'aime à braver ainsi ces conteurs de nouvelles;</p> +<p class="i14"> Et sitôt j'en vois quelqu'un s'imaginer</p> +<p class="i14"> Que ce qu'il vient m'apprendre a de quoi m'étonner,</p> +<p class="i14"> Je le sers aussitôt d'un conte imaginaire</p> +<p class="i14"> Qui l'étonne lui-même et le force à se taire.</p> +<p class="i14"> Si tu pouvois savoir quel plaisir on a lors</p> +<p class="i14"> De les faire rentrer leurs nouvelles au corps!</p> +</div></div> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/005a.png"><br><b> La Messe de Saint-Hubert.--Bénédiction des chiens.</b></p> + +<p>Quand, arrive le 3 novembre, le gibier a déjà vu le feu de très-près, +les perdrix surtout mettent à se laisser approcher une mauvaise volonté +désespérante. Alors, au lieu d'aller les chercher, on les fait venir à +soi au moyen de rabatteurs; c'est un moyen certain pour brûler de la +poudre. Les chasses en battue commencent ordinairement le jour de saint +Hubert. Ce jour-là, les endroits réservés ne le sont plus; on tire de +tous les côtés, on fait un tapage infernal; et notre glorieux patron +doit être content du massacre et surtout du tapage qui se fait en son +honneur.</p> + +<p>Bien des chasseurs célèbrent la Saint-Hubert sans savoir la vie de leur +protecteur ici-bas et dans le ciel. Si vous leur disiez: Monsieur, +qu'est-ce que saint Hubert? ils vous répondraient; C'est un saint dont +la fête arrive le 3 novembre.--Mais à quelle, époque vivait-il? +pourquoi, comment a-t-il gagné le paradis? Ils resteraient bouche +béante. Eh bien, je vais leur donner ici un petit abrégé de la vie de ce +grand saint, pour qu'ils ne soient plus embarrassés quand on les +interrogera.</p> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/005b.png"><br> <b>Vision de Saint-Hubert.</b></p> + +<p>Hubert était fils de Bertrand, duc d'Aquitaine; il naquit en l'an de +grâce 656. Bertrand, fort brave homme, fatigué de la tyrannie d'Ebroin, +maire du palais sous Clotaire III, secoua le joug et proclama son +indépendance. Ebroin, fort sournois de sa nature, au lieu de combattre +Bertrand en brave chevalier, aima mieux le vaincre par des sortilèges; +il fit jeter un sort sur ce pauvre duc et le rendit imbécile. Il croyait +ainsi envahir l'Aquitaine; mais Hubert était là pour parer le coup; ses +prières au ciel rendirent la raison à Bertrand, qui livra bataille, et +fut vainqueur. Hubert vint à Paris à la cour de Thierri 1er, roi de +Neustrie et de Bourgogne; celui-ci, charmé de sa bonne mine, le nomma +comte du palais. Mais Ebroin était plus maître que le roi; gardant +rancune au jeune Hubert, qui avait désensorcelé son père, il lui chercha +tant de noises qu'il fut obligé de quitter la cour. Il se retira chez +Pepin d'Héristal, duc d'Austrasie, ennemi d'Ebroin. Une guerre éclata +entre eux; Hubert y rendit son nom illustre, et il fut proclamé le plus +brave, Thierri fut vaincu; Ebroin mourut assassiné; Pépin voulut garder +Hubert, grand chasseur; il reconnaissait la même passion chez le fils de +Bertrand, et vous savez le proverbe: «Qui se ressemble s'assemble.»</p> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/005c.png"><br><b> + La Saint-Hubert du garde.</b></p> + +<p>Hubert se fit à la chasse une aussi belle réputation qu'à la guerre. +Pour démêler les ruses d'un cerf, il n'avait point son égal. Pepin le +nomma grand-maître de sa maison, et lui fit épouser mademoiselle +Florihane, fille de Dagobert, comte de Louvain. Les anciens chroniqueurs +disent que la chasse lui faisait souvent oublier le service divin: il +courait sans cesse à cheval dans les bois; dimanche ou fête, Pâques ou +Noël, rien ne pouvait l'arrêter. Un sanglier lui faisait manquer la +messe, un chevreuil l'empêchait d'aller à vêpres. Un jour, c'était le +vendredi-saint, Hubert, dans la forêt des Ardennes, vit le cerf qu'il +chassait venir droit à lui. Ô prodige! le cerf portait un crucifix entre +ses deux bois. Effrayé, il tombe à genoux et entend ces paroles; «Ô +Hubert! jusqu'à quand poursuivras-tu les bêtes des forêts? jusqu'à quand +cette vaine passion te fera-t-elle négliger ton salut? Si tu ne te +convertis pas promptement, tu seras précipité dans l'enfer.» Hubert +répondit: «Seigneur, me voici prêt à faire votre volonté.» Le cerf lui +dit: «Va chez mon serviteur Lambert à Maestricht, il te dira ce que tu +dois faire.» Ainsi, dit la légende, Hubert, qui voulait chasser et +prendre, fut lui-même chassé et pris. Saint-Lambert, évêque de +Maestricht, lui donna de bons conseils, et surtout de bons exemples pour +gagner le ciel. Demeuré veuf, Hubert se retira dans la forêt des +Ardennes, là où se trouve aujourd'hui le village de Saint-Hubert. Il y +vécut longtemps de la vie contemplative, ne chassant plus que les loups, +lorsqu'ils venaient l'attaquer.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/005d.png"><br><b>La Saint-Hubert au château.</b></p> + +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="illustration"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: center;"> +<img alt="" src="images/006a.png"> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: center;"> +<img alt="" src="images/006b.png"> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + +<p>Saint Lambert mourut assassiné, et Hubert le remplaça. Le jour de son +sacre, un ange apporta du ciel une étole brodée par la vierge Marie; +saint Pierre lui apparut et lui remit une des deux clefs avec lesquelles +on le représente toujours. Cette clef sert encore aujourd'hui à guérir +les enragés, hommes et bêtes; on la fait rougir au feu et puis on +l'applique légèrement sur le front du chien de manière à lui brûler +seulement le poil. Autrefois on avait la coutume, en entreprenant un +voyage, de clouer un fer de cheval à la porte d'une église ou d'une +chapelle sous l'invocation de saint Martin. On faisait aussi rougir au +feu la clef de cette église ou de cette chapelle, et ou en marquait le +front de la bête qui devait porter le voyageur. Je ne raconterai pas +tous les miracles opérés par Hubert; il me faudrait trois numéros de +<i>l'Illustration</i>. Depuis que saint Hubert est mort, les miracles +continuent: un morceau de la sainte étole guérit les individus atteints +de la rage, et l'étole est toujours entière. Le 3 novembre, la chapelle +de Saint-Hubert ne désemplit pas: dès trois heures du matin, les trompes +sonnent le réveil; à l'instant, chasseurs et piqueurs, gardes et +braconniers se mettent en route avec leurs chiens, après s'être lestés +de la classique soupe à l'oignon. Tous arrivent à la chapelle de +Saint-Hubert, aujourd'hui délabrée, mais conservant toujours son antique +célébrité. Un prêtre dit la messe aux flambeaux, les trompes sonnent +lors de la consécration et pendant la bénédiction toute spéciale pour +les chiens. Le plus jeune chasseur fait la quête, et ordinairement un +nid de grive placé dans le pavillon de sa trompe lui sert de plateau.</p> + +<p>Les chasseurs scrupuleux ne se contentent pas, pour leurs chiens, de +cette bénédiction générale, il leur en faut une autre plus directe. Ils +retournent le lendemain chez un monsieur descendant de saint Hubert, à +ce qu'il dit, et qui applique à leurs chiens la clef rougie que son +aïeul reçut directement de saint Pierre. Lorsqu'il s'agit d'un homme, si +l'on se servait de la clef rougie, le remède serait peut-être pire que +le mal; alors ce monsieur guérit ou préserve de la rage en imposant les +mains et en prononçant certaines paroles que lui seul connaît; mais en +cela comme en beaucoup d'autres choses il faut avoir la foi. Ce qui est +fort singulier, c'est que les protestants et les réformés vont en +pèlerinage à Saint-Hubert aussi bien que les catholiques; on y voit même +des juifs. Tous amènent leurs chiens et leurs bestiaux, soit pour les +guérir de la rage, soit pour les empêcher de l'avoir.</p> + +<p>Ceux qui chassaient dans les Ardennes devaient aux moines de +Saint-Hubert la première pièce de gibier qu'ils tuaient, et la dîme de +toutes les autres. Un comte Théodoric, après avoir fait vœu d'observer +cette règle, tua un superbe sanglier. Il le trouva si beau, qu'il voulut +le garder. N'ayant point de charrette pour transporter une bête si +lourde, il le fit dépecer, afin que ses gens pussent se charger chacun +d'un morceau; mais, ô prodige! les gigots, les filets, la hure, ne +furent pas plutôt détachés, qu'ils partaient comme des fusées à travers +les airs, et décrivant une parabole, ils tombèrent sur l'abbaye, où les +moines les mangèrent. Un certain Josbert fut bien autrement puni: +atteint de la rage, il promit aux moines le tiers de ses terres s'ils le +guérissaient. Mais, comme dit le proverbe italien:</p> + +<div class="poem"><div class="stanza"> +<p class="i20"> Passato il pericolo,</p> +<p class="i20"> Gabbato il santo.</p> +</div></div> + +<p>Une fois bien portant, il envoya les moines au diable, qui n'en voulut +pas, et entra dans le corps de Josbert. Vous dire tout ce que fit notre +possédé quand il eut le diable au corps, demanderait trop de temps et +trop de place Lié, garrotté, il fut porté devant l'abbé de Saint-Hubert. +Celui-ci le fit mettre dans une cuve d'eau bénite, et lui couvrit la +tête avec la sainte étole. Qui fut penaud! Je vous le demande. Le +diable ne pouvait plus sortir par la bouche, car l'étole était là; d'un +autre côté la chose paraissait peu commode, car on pouvait prendre un +bain d'eau bénite, et pour un diable c'est fort dangereux. Cependant à +tout prix il fallait fuir l'étole, et le diable partit par les voies +intérieures, ce qui produisit une telle détonation que les douves de la +cuve en furent brisées(1). La morale de tout cela, c'est qu'il faut +toujours tenir les promesses que l'on fait aux moines.</p> + +<blockquote>Note 1: Sensit inimicus pondus virtutis divinæ et coactus per +posteriora egredi, talem dedit crepitum, ut omne dolium a compage sua +resolveretur. Sic Deus superbissimum spiritum ludibrio exponebat. +(Historia sancti Huberti principis Aquitani ultimi Tungrensis primi +Leodiensis episcopi. Luxemburgi, 1621. In 4º, pag. 102.)</blockquote> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/006c.png"><br><b>Une chasse dans un hôtel de la rue Saint-Honoré.</b></p> + +<p>Hubert mourut en 727. Seize ans plus tard, on ouvrit son cercueil en +présence: du roi Carloman, et on trouva son corps frais et vermeil. <i>Ses +habits étaient plus entiers et plus beaux que de son vivant</i>. Dès lors +on le nomma saint Hubert. Ce titre lui fut confirmé par Léon X un +septembre 1515. Le roi fit mettre la dépouille mortelle du saint dans +une belle châsse, devant le maître-autel Cette première translation eut +lieu le 3 novembre 743; et voilà pourquoi nous chassons tant et nous +dînons si bien le jour de la Saint-Hubert.</p> + +<p>Je connais des chasseurs qui, le 3 novembre, négligeraient les plus +sérieuses affaires pour courir les champs; j'en connais qui, malades, au +lit, se sont levés, ont fait un tour dans leur parc et se sont recouchés +ensuite, après avoir accompli ce devoir, cet acquit de conscience; j'en +ai vu qui, ne pouvant pas sortir, ont revêtu l'habit de chasse et sont +restés ainsi équipés toute la journée dans leur fauteuil.</p> + +<p>Lord Egerton, propriétaire d'un fort bel hôtel rue Saint-Honoré, avait +été grand chasseur. Devenu vieux et goutteux, il ne pouvait plus monter +à cheval ni courir à pied: l'inexorable maladie le clouait dans son +large, fauteuil. En temps ordinaire il prenait patience avec assez de +philosophie; ses livres et ses amis lui faisaient quelquefois oublier +l'âge heureux où il pouvait chasser depuis le matin jusqu'au soir; mais +lorsque venait la Saint-Hubert, toute diversion était impossible. Alors +il se sentait intérieurement travaillé par le démon cynégétique, démon +cent fois plus tenace que ceux de l'amour, de l'ambition et autres +passions à l'eau rose. La veille du jour où les chasseurs fêtent leur +saint patron, l'imagination de milord, s'égarant en folle sur sa vie +passée, lui retraçait avec les plus vives couleurs d'anciennes +jouissances dont la privation augmentait encore son mal présent; les +crises redoublaient alors d'intensité, les douleurs devenaient plus +aguës, plus poignantes: le pauvre homme faisait pitié. Lorsque le mois +de novembre approchait, les domestiques du noble lord disaient entre +eux: «La maladie de notre maître augmente, ou voit bien que la +Saint-Hubert n'est pas loin.»</p> + +<p>Un jour, c'était le 3 novembre 1831, lord Egerton, en s'éveillant, +entendit les sons harmonieux de la trompe.</p> + +<p>«Pourquoi ce bruit? demanda-t-il à son valet de chambre; cela me fait +mal; ces fanfares me déchirent le cœur.</p> + +<p>--Je pensais, au contraire, que cela vous ferait du bien.</p> + +<p>--Allez dire à nos voisins que je les prie en grâce de me laisser dormir +en paix. Dieu me pardonne, ils sonnent la Saint-Hubert, le réveil, le +départ; j'entends les cris d'une meute, et je suis forcé du rester au +lit! Les malheureux! ils ne se doutent pas des angoisses qu'ils me +causent!</p> + +<p>--Vos voisins ne sont pour rien dans tout cela, milord; cette musique +joyeuse n'a d'autres exécutants que vos piqueurs; ces cris sont ceux de +vos chiens; milord doit savoir que c'est aujourd'hui la Saint-Hubert.</p> + +<p>--Tu veux donc augmenter mes regrets, tu veux me tuer! Ah! mon ami, au +lieu de me déchirer l'âme, au lieu de me retourner le poignard dans le +cœur, fais-moi plutôt oublier ce jour, qui me rappelle d'aussi +délicieux souvenirs.</p> + +<p>--Il ne s'agit pas du souvenirs, mais de réalités; nous chassons +aujourd'hui.</p> + +<p>--Bah!</p> + +<p>--Vos piqueurs sont à cheval avec leurs habits de fête; vos valets de +limier font le bois; je vais vous habiller, et bientôt vous entendrez +leur rapport.</p> + +<p>--Ah çà, mais on dirait que tu parles sérieusement?</p> + +<p>--Milord sait bien que je suis incapable de me permettre une +plaisanterie déplacée.</p> + +<p>--Hélas! il m'est impossible de sortir de Paris; si tu m'emmenais +vivant, tu me ramènerais mort.</p> + +<p>--Dieu et votre grâce me sont témoins que je n'ai pas dit un mot de +cela.</p> + +<p>--Et où chasserons-nous?</p> + +<p>--Ici.</p> + +<p>--Ici!</p> + +<p>--Le gibier du parc se multiplie beaucoup trop, il faut nécessairement +le détruire.</p> + +<p>--Le gibier!!</p> + +<p>--Les chevreuils surtout font un dégât terrible en broutant les jeunes +arbres.</p> + +<p>--Les chevreuils!!!</p> + +<p>--Vos massif, de dahlias, vos plates-bandes de géraniums, vos carrés de +tulipes sont labourés, détruits, anéantis par les sangliers.</p> + +<p>--Les sangliers!!!!»</p> + +<p>Cette dernière exclamation fut poussée avec une force inaccoutumée; on +aurait cru entendre Mithridate prononçant son fameux «les Romains!» Les +yeux de milord brillèrent du feu de la jeunesse, les douleurs de la +goutte cessèrent, une vie nouvelle circulait en lui; le valet de chambre +continua:</p> + +<p>«Entendez-vous ces fanfares, qui vous promettent une heureuse journée? +allons, milord, habillez-vous, et à cheval.</p> + +<p>--A cheval! est-ce que tu rêves?</p> + +<p>--A cheval, vous dis-je, ou en voiture, si vous l'aimez mieux; vous +chasserez, aujourd'hui toutes les bêtes possibles, depuis le lapin +jusqu'au sanglier, depuis le lièvre jusqu'au cerf.</p> + +<p>--Allons, je me fie à toi, mon ami; ceci commence à m'intéresser. Fais +en sorte que je ne me réveille pas; ce serait vraiment dommage.»</p> + +<p>Aussitôt que milord fut inséré dans le molleton et la flanelle, quand +une vaste robe de chambre fourrée tout hermétiquement enveloppé, deux +domestiques l'emportèrent dans son fauteuil et le descendirent au +vestibule, échauffé par un bon poêle. Comme il n'avait la goutte qu'à la +jambe droite, il voulut que sa jambe gauche fut couverte par la guêtre +classique. La porte du jardin s'ouvrit, et deux valets, tenant leur +limier en main, se présentèrent pour rendre compte de leur tournée +matinale.</p> + +<p>«Eh bien, Dick, as-tu de belles choses à m'apprendre? Je ne m'attendais +guère à me trouver aujourd'hui en face de toi; et, je te le dis sans +compliment, ta figure et celle de ton camarade Tom me sont mille fois +plus agréables à voir que celle de tous mes médecins.</p> + +<p>--Milord, la chasse sera belle, mais nous aurons bien des difficultés à +vaincre.</p> + +<p>--Tant mieux, mon ami, tant mieux! Voyons, dis-moi quels obstacles notre +courage devra surmonter.</p> + +<p>--Milord, je crois avoir rencontré un sanglier tiers-an, qui se fait +accompagner d'un écuyer plus jeune; et si mon chien ne me trompe, il est +rembuché dans un fort de lilas et de chèvrefeuille, qui se trouve au +bout du massif de géraniums.</p> + +<p>--Par saint Hubert, voilà certainement le premier animal de cette espèce +qui, de mémoire de chasseur, se soit avisé de choisir un pareil fort.</p> + +<p>--Quant à moi, je n'en avais jamais vu en semblable lieu.</p> + +<p>--Et toi, Tom, qu'as-tu détourné?</p> + +<p>--Trois chevreuils.</p> + +<p>--Où sont-ils?</p> + +<p>--A la reposée, derrière le kiosque.</p> + +<p>--J'avais cru entendre parler d'un cerf?</p> + +<p>--Il y est.</p> + +<p>--Tu n'en parlais pas.</p> + +<p>--Impossible de le détourner, il court toujours; il ressemble aux +chevaux de Franconi, faisant beaucoup de chemin dans un petit espace.</p> + +<p>--Oui, milord, ajouta Dick; et quelque bête que nous chassions, nos +chiens ne pourront, pas suivre le droit. Nous aurons souvent du change, +les voies se mêlent, se croisent en tous sens; derrière chaque arbuste +il y a un lièvre au gîte; tous les dahlias courbés par la gelée cachent +trois ou quatre lapins. J'ajouterai même que, malgré nos précautions +pour détruire les animaux nuisibles, je soupçonne un renard d'être à +l'affût dans la plate-bande de chrysentemums.</p> + +<p>--Un renard, Dick?</p> + +<p>--Un renard, milord.</p> + +<p>--Et... il n'y a point de loup?</p> + +<p>--Je ne le pense pas.</p> + +<p>--C'est dommage.</p> + +<p>--Si votre honneur veut nous dire quelle bête on doit chasser la +première, nous lancerons.</p> + +<p>--Il faut tout lancer.</p> + +<p>--C'est l'avis que j'aurais donné à milord s'il m'avait consulté.</p> + +<p>--Allons, parlez, courez, criez, sonnez, je vous verrai d'ici; j'espère +que cela fera diversion à mes douleurs.</p> + +<p>--Comment, milord! mais vous suivrez la chasse, vous tirerez des coups +du fusil; vous n'avez, pas la goutte aux mains.</p> + +<p>--Oui; mais je l'ai aux pieds.</p> + +<p>--Fort bien, voici votre voiture.»</p> + +<p>A l'instant on amena un char à trois roues, chef-d'œuvre de mécanique; +il pouvait tourner en tous sens, à la moindre pression d'une manivelle; +un domestique assis derrière le dirigeait comme un pilote. Ou porta lord +Egerton dans ce véhicule rembourré de fourrures; un soleil superbe +réchauffait les membres du noble goutteux. Armé d'un fusil double, suivi +de ses valets portant d'autres fusils chargés, il donna le signal, et la +chasse commença. Je ne vous en ferai pas la description: ce serait aussi +difficile que de raconter tous les coups de sabre donnés, ou reçus à la +bataille de Wagram. Vous saurez seulement que ce brave Anglais fit à lui +seul un carnage horrible; il tirait sur un fleuve du gibier qui coulait +toujours; s'il manquait un chevreuil, il tuait six lapins; tout y passa; +le sanglier ne fit point le méchant, car une bouteille de cirage n'a +jamais aigri le caractère du cochon.</p> + +<p>Cette chasse fut un curieux spectacle pour les locataires des maisons +voisines; placés à leurs fenêtres, perchés sur les toits, ils +regardaient le massacre avec, des yeux stupéfiés; il semblait qu'ils +assistassent à une représentation du Cirque-Olympique; la scène était +dans un ardin; les fenêtres et les mansardes servaient de loges.</p> + +<p>Le soir il y eut curée pour la meute et grand dîner pour les chasseurs, +avec accompagnement de fanfares. En se couchant, le noble lord disait à +son valet de chambre: «Mon ami, c'est aujourd'hui le plus beau jour de +ma vie; le plaisir que j'ai éprouvé était d'autant plus grand, que je +l'espérais moins. Ce matin j'aurais pu croire tout possible, excepté de +chasser aujourd'hui.» Mais si l'homme peut résister à la souffrance, il +succombe quelquefois à l'excès de bonheur; on dirait vraiment que, créé +pour souffrir, il n'a point la force nécessaire pour supporter la joie. +Le lendemain Lord Egerton n'existait plus. Avouez qu'il était difficile +de mieux finir; sa mort peut se comparer au boulet de Turenne, à la +balle de Charles XII. Son cercueil fut entouré des trophées de sa +victoire; tel Louis XV, après la bataille de Fontenon, dormit sur un +matelas fait avec des drapeaux ennemis.</p> + +<p>Pour transmettre son effigie et son nom à la postérité, lord Egerton a +fait frapper une médaille. J'en conserve un exemplaire qu'il m'a donné. +Elle porte en exergue: <i>Francis Henry Egerton, Earl of Bridgewater</i>. +S'il avait vécu plus longtemps, il en aurait sans doute fait fabriquer +une autre avec cette légende; <i>Il chassa le jour de saint Hubert à +courre, rue Saint-Honoré, nº, 335, à Paris</i>. Le fait est assez +extraordinaire pour mériter d'être transmis à tous les chasseurs à +venir.<br> + +<span class="rig"><span class="sc">Elzéar Blaze.</span></span></p> + +<br><br> + +<h3>MARGHERITA PUSTERLA.</h3> + +<h4>CHAPITRE XVII.</h4> + +<h4>TRAHISON.</h4> + +<p><span class="lef"><img alt="" src="images/37-01.png"></span><span class="sc">edrocco</span>, dans les premiers jours du mois de juillet de 1381, remit à +Luchino un billet de Ramengo ainsi conçu:</p> + +<p>«Magnifique seigneur Luchino,</p> + +<p>«Je suis arrivé, suivant votre ordre, dans la ville d'Avignon, et j'ai +réussi à trouver le rebelle Franciscolo Pusterla avec son fils. Ne +désirant rien plus vivement que de servir notre prince, que le seigneur +Dieu tienne en joie, je me suis conduit de telle sorte que je l'ai +déterminé à se diriger vers le port de Pise. Nous partirons par Niza de +Provence la semaine suivante; avec l'aide de Dieu, nous nous +embarquerons sur le navire appelé le Caspio. C'est pourquoi je supplie +Votre magnificence de prendre les mesures nécessaires pour s'emparer +dudit Pusterla et de son fils. Alors je mettrai de plus longs +renseignements aux pieds de votre altesse, qu'aujourd'hui je baise en +toute humilité.</p> + +<p>«RAMENGO DE CASALE.»</p> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/37-02.png"></p> + +<p>Ainsi qu'il l'annonçait, dès que la mer fut favorable, Ramengo sortit du +port de Nice, conduisant son ennemi sans défiance. La fortune le servit +au delà de ses espérances, elle lui offrit immédiatement l'occasion +qu'il pensait devoir attendre: les Pisans consentirent pour des causes +qu'il est mutile d'énumérer ici, à livrer Pusterla à Luchino.</p> + +<p>Dans les premiers jours, le vaisseau qui portait Pusterla eut à lutter +contre les éléments: des pluies violentes, des coups de vent, des +bourrasques, paraissaient vouloir repousser les exilés de la terre +qu'ils désiraient revoir et où ils devaient trouver la mort. Venturino +disait: «Ô mon père! pourquoi avons-nous quitté ce pays? Là nous étions +ay moins sur la terre et solides sur nos pieds.» Et Pusterla répondait:</p> + +<p>«Nous l'avons quitté parce qu'il n'était pas notre patrie.</p> + +<p>--Et où allons-nous maintenant?</p> + +<p>--Ne le sais-tu pas? en Italie.</p> + +<p>--En Italie! oh! dans notre cher pays, n'est-ce pas? Là nous entendrons +encore parler notre langue, n'est-il pas vrai? Là nous verrons des gens +que nous connaîtrons tous. Et ma mère, la trouverons-nous aussi bientôt?</p> + +<p>--Pauvre mère! répliquait Francesco en soupirant et en caressant les +blonds cheveux de son enfant. Oui, nous la reverrons, si Dieu le permet. +Maintenant prie pour elle.</p> + +<p>--Prier? oh! il ne se passe pas de jour que je ne prie, pas de moment où +je ne me la rappelle. Encore cette nuit, j'ai rêvé d'elle. Nous étions +là-bas, dans notre villa de Montebello; elle et moi nous nous tenions +dans la salle, et tu entrais à cheval avec une armée... Je ne me +souviens plus. Je sais bien que je ne l'avais jamais vue plus belle ni +plus tendre. Oh! si j'étais grand, si j'avais le bras fort, fort comme +le tien, comme celui d'Alpinolo, je courrais bien la délivrer.»</p> + +<p>Pusterla l'embrassa attendri, et levant les yeux vers Ramengo, qui +tenait les siens fixés sur eux comme la vipère sur le rossignol fasciné. +«Ô mon ami, lui dit-il, quelle consolation dans l'isolement, dans +l'infortune, de trouver un fils à ses côtés!»</p> + +<p>C'était jeter de l'huile sur le feu. Ramengo éclata au fond de son âme, +en entendant ces paroles qui lui rappelaient qu'il aurait pu jouir de la +même consolation, et qu'elle ne lui avait été ravie que par ce même +Franciscolo qui lui vantait son propre bonheur. «Mais ce sera pour peu +de temps!» s'écria-t-il en levant le poing vers le ciel; et il se +précipita dans le navire pour y épancher sa fureur, au grand étonnement +de ses compagnons de voyage.</p> + +<p>Un matin, Venturino tenant le bras de son père, de sa petite main lui +indiquait les montagnes de la terre ferme couronnées de nuages +fantastiques, tout à coup il s'écria: «Vois, vois ce vaisseau qui +s'approche. Il porte sur sa voile la vipère de Milan.»</p> + +<p>A cette vue son père ne put s'empêcher de frissonner. Lorsque le +vaisseau s'approcha, chacun reconnut qu'il portait les armes de Pise +écartelées de celles des Visconti. On sut bientôt à bord que Pise +s'était alliée aux Visconti de Milan.</p> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/37-03.png"></p> + +<p>Chacun commenta cette nouvelle à sa manière; mais Francisco en fut +vivement épouvanté, son fils et lui étaient perdus s'ils abordaient un +port de Pise. Pâle colonie les voiles de son bâtiment, il commença à +supplier le capitaine de retourner en France, s'offrant à lui payer +non-seulement les frais de la traversée, mais tout le dommage qui +pourrait en résulter pour lui et pour les passagers, et à lui donner en +outre une forte récompense. Il lui avoua tout; mais cet homme levant les +épaules, lui répondit: «Je dois être aux ordres de ce seigneur.»</p> + +<p>Et il indiqua Ramengo, qui lui dit brusquement:</p> + +<p>«Votre devoir est de continuer votre route.»</p> + +<p>Quel voile ces paroles firent tomber des yeux de Pusterla! Raisons, +supplications, larmes, que ne tenta-t-il pas pour attendrir ce +misérable! Il se jeta même à ses pieds avec son fils; il lui embrassa +les genoux, lui rappelant les antiques bienfaits de sa famille, le nom +de Rosalia: «Vous aussi, lui dit-il, vous devez comprendre l'amour +paternel, car un instant au moins vous avez été père.»</p> + +<p>Le rire satanique qui errait sur les lèvres de Ramengo en contemplant +l'humiliation, en entendant les prières de son ennemi, se changea en un +rugissement féroce à ces dernières paroles, «Et je serais encore père et +époux si tu n'avais pas existé, maudit!» s'écria-t-il en repoussant le +père suppliant, avec un geste brutal. Puis il ajoutait: «Mais rends +grâces à Dieu, qui m'a donné la consolation de te voir torturer dans ces +affections dont tu m'as privé.»</p> + +<p>Pusterla ne pouvait comprendre tout le gens de ces paroles; mais il +avait reconquis le sentiment de sa dignité. Se relevant vivement, il +s'éloigna de Ramengo avec indignation, sans ajouter un seul mot; puis il +embrassa son enfant, assis sur ses genoux, avec le calme du désespoir.</p> + +<p>Cependant le navire, avait été signalé; et de derrière la Capraja +débouchèrent deux galères faisant force de rames, qui vinrent à sa +rencontre. La vipère des Visconti, peinte sur le pavillon, ne laissait +point de doute sur leur maître, Pusterla les regarda s'approcher et +ferma les yeux dans l'attente d'un malheur inévitable.</p> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/37-04.png"></p> + +<p>A peine les deux vaisseaux furent-ils proches du <i>Caspio</i>, qu'ils le +sommèrent d'amener les voiles et de laisser aborder. Le capitaine +Samminiato requit les noms des passagers, et Ramengo se présenta devant +lui, et, montrant le triste groupe du père et de son enfant, il s'écria: +«Celui-ci est Francesco Pusterla.» On le chargea de chaînes et on le mit +à fond de cale, où il eut du moins la consolation de n'avoir plus sous +les yeux l'infâme Ramengo.</p> + +<p>Celui-ci le fit conduire à Gènes, et de là, après une quarantaine qu'on +lui imposa à cause de la peste qui régnait alors en Toscane, il entra +dans Milan par cette même porte du Tesin qui s'était ouverte pour lui +lorsqu'il faisait partie de la marche triomphale, et il se présenta à la +cour de Luchino.</p> + +<p>Le bouffon Grillincervello se tenait dans l'antichambre, au milieu des +camériers et des pages. Il courut aussitôt trouver Luchino. «Combien +voulez-vous me payer, si moi, avec ma poudre de perlimpinpin, je vous +fais comparaître en personne Ramengo de Casale?»</p> + +<p>Luchino ne montra ni étonnement ni plaisir. Il l'attendait, et répondit +sèchement: «Qu'il entre.</p> + +<p>--Qu'il entre ici ou dans la geôle? demanda Grillincervello surpris.</p> + +<p>--Ici, ici, répliqua Luchino.</p> + +<p>--Et faut-il que j'aille avertir maître Picci d'apprêter les instruments +de son métier?</p> + +<p>--Moins de folies,» interrompit Luchino, sombre comme un <i>dies iræ</i>; +Grillincervello, qui se sentait encore des coups qu'il avait attrapés dans +la citadelle de la Porte Romaine, ne se le fit pas dire deux fois. Il +introduisit Ramengo, et dit aux désœuvrés de l'antichambre: «Je n'avais +jamais vu les grives souper avec le chasseur.»</p> + +<p>Lorsque le vil courtisan fut en présence du prince, il lui raconta +toutes les trames qu'il avait ourdies, lui rappela et lui fit +contresigner de sa main le bref d'impunité qu'il lui avait demandé pour +lui et pour son fils, et faisait sonner bien haut ses services, il lui +demanda des honneurs pour réparer les brèches que son dévouement +n'aurait pas manqué de faire à sa réputation. Luchino ne le laissa pas +finir, et le toisant d'un air ironique, d'un geste furieux et méprisant +il jeta à ses pieds une bourse pleine d'argent.» Tiens, lui dit-il, tes +pareils se paient avec de l'argent et non avec des honneurs!» et il ne +voulut pas en entendre parler.</p> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/37-05.png"></p> + +<p>Quant au malheureux Pusterla, il ne larda pas non plus à arriver, et le +peuple courut voir ce fameux chef de rebelles qui voulait bouleverser +Milan, défaire la Seigneurie, en renouveler la religion. Il lut renfermé +dans la tour de la porte Romaine, où la triste Marguerite l'aperçut +précisément entrer, et nous l'avons laissée évanouie à cette vue. +L'infortunée s'efforçait de ne pas en croire ses propres yeux. Mais +toute son incertitude cessa un jour que le geôlier Macaruffo entra dans +son cachot avec des manières affectées et un visage rechigné, s'écriant: +«Quelle puanteur en cet endroit! quelle odeur de renfermé! Pourquoi ne +donnez-vous pas de l'air à cet appartement?» Et il s'éventait avec un +morceau de soie. Marguerite reconnut promptement le tissu où elle avait +commencé à broder une marguerite qu'elle n'avait pas finie. Ce tissu +avait été pris par Buonvicino dans le salon, le dernier jour qu'il y +entra, et on se rappelle qu'il avait remis ce précieux don à Pusterla, +qui le porta toujours depuis sur lui. En le revoyant, Marguerite fut +vivement émue:</p> + +<p>«Qui vous a donné cette broderie? demanda-t-elle avec anxiété au +geôlier.</p> + +<p>--Quoi? plaît-il? répondit le rustre en la déployant malicieusement +devant ses yeux. Un autre camarade me l'a donnée, logé là auprès, et que +vous connaissez.</p> + +<p>--Franciscolo?</p> + +<p>--Bien deviné. Le seigneur seigneurissime Pusterla.</p> + +<p>--C'est vraiment lui! s'écria-t-elle, plutôt en se parlant à elle-même +qu'en interrogeant le geôlier, qui continuait:</p> + +<p>--Lui-même; en doutez-vous? Croyez-vous donc qu'il ne nous arrive ici +que des habits de futaine? Regardez, il est sous la clef que Voici.</p> + +<p>--Et son fils?</p> + +<p>--Oh! il y est aussi, bien entendu. Ce serait une barbarie de séparer le +fils de son père.»</p> + +<p>Bien qu'elle s'efforçât de se tromper elle-même, Marguerite était +convaincue que son mari et son fils étaient ses voisins de captivité; et +son cachot désolé le savait bien, qui retentissait nuit et jour de +gémissements sans consolation. Mais se l'entendre assurer à cette heure, +mais se voir, par les ironiques discours de ce bandit, arracher le +dernier fil de ses espérances, faisait sur elle l'effet que produit sur +le condamné la lecture de la sentence de mort, lors même qu'il en +connaît d'avance la teneur.</p> + +<p>«Et, continuait Macaruffo, il m'a donné cette fleur, voyez comme elle +est belle, pour que je vous salue et que je vous la fasse voir.</p> + +<p>--Il sait donc aussi que je suis ici? demanda Marguerite.</p> + +<p>--Oui, il m'a dit que je vous salue et que...</p> + +<p>--Et quelle autre chose me fait-il dire?</p> + +<p>--Oh! il vous fait dire beaucoup d'autres niaiseries, mais je ne m'en +souviens plus.</p> + +<p>--Hélas! cherchez à vous les rappeler, disait Marguerite;» mais ce +misérable, incapable d'aucun noble sentiment, répondait:</p> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/37-06.png"></p> + +<p>«Me les rappeler? N'aurait-elle point, votre seigneurie, quelque chose +dans sa poche pour me rafraîchir la mémoire?</p> + +<p>--Rien. Bon Dieu! vous le savez, tout le peu qui m'était resté, je vous +l'ai donné tout entier. Quelle chose me reste-t-il que ce vêtement usé? +Hélas! veuillez me faire cette grâce par charité. Qui sait si un jour je +ne redeviendrai pas en état de vous récompenser? sinon, Dieu vous en +récompensera.»</p> + +<p>Et douce, suppliante, appuyant ses belles mains sur les épaules du +geôlier, elle tentait de fléchir son impassible cupidité. Mais ses +prières ne faisaient pas plus sur lui que le souffle d'un vent d'avril +sur une montagne de marbre. Et:</p> + +<p>«Que Dieu! que diable! quelle charité? quelle récompense? disait-il. La +charité, je suis homme à la recevoir et non pas à la faire. Hé! <i>qui +sait</i>, les promesses pour l'avenir, l'ivrogne ne les écrit point. +Parlons bref: ou vous avez quelque chose à me donner, et je parle; ou +vous n'avez rien, et alors renfermez votre curiosité en vous-même, parce +que je me tais.»</p> + + + +<p>Et comme elle n'avait rien pu soustraire à la rapacité de Macaruffo, +elle ne pouvait lui donner que ses larmes, ses supplications amères, et +se jeter à genoux et prier le Seigneur. Mais le geôlier s'en alla, +toujours impitoyable, faisant sonner ses clefs plus rudement en fermant +les portes, et s'éloigna en chantant. Bientôt Marguerite n'entendit plus +que les pas de la sentinelle qui passait nuit et jour devant la prison, +et dont les pieds, retombant alternativement, ressemblaient à deux poids +métalliques frappant en mesure le pavé.</p> +<br><br> + +<h3>CHAPITRE XVIII</h3> + +<h4>LE SOLDAT.</h4> + +<p><span class="lef"><img alt="" src="images/37-07.png"></span><span class="sc">UR</span> le pavé de la prison, dans le corridor, Macaruffo, étendu tout du +son long, dévorait avec appétit un morceau de pain bis et une tranche de +lard. De temps en temps il avalait quelques gorgées d'un broc de vin +qu'avec une affectueuse dévotion il tenait entre ses jambes. Il faisait +nuit. Un profond silence régnait partout. Pour toute lumière, un lampion +vacillant suspendu à la voûte, et à droite de Macaruffo une lanterne +sourde dont les rayons, l'éclairant à demi, se réfléchissaient sur le +paquet de clefs qui pendaient à sa ceinture. Une sentinelle silencieuse +se promenait de long en large, faisant résonner du bruit monotone de ses +pas les voûtes du corridor. Ce soldat s'arrêta enfin à côté du geôlier, +et s'appuyant sur le bois de sa lance, il se courba un peu vers le +Bergamasque et lui adressa la parole: «Compère, ton souper est frugal.</p> + +<p>--Pain d'un jour et vin d'un an, répondit l'autre.--C'est toujours +ainsi.» Et avalant une gorgée de vin, puis s'essuyant la bouche avec le +dos de la main gauche, il ajoutait en branlant la tête:</p> + +<p>«Si ce n'eût été, si ce n'eût été...</p> + +<p>--Mais si ce métier maudit te pèse si fort, pourquoi ne pas le quitter?</p> + +<p>--Le quitter! bon Dieu, tu me fais lire, quoique je n'en aie guère +envie. Tu as beau jeu à parler, toi qui portes toute ta maison dans ta +valise. Mais, dis-moi: comment faire alors pour nourrir une femme et une +nichée d'enfants?</p> + +<p>Cependant, si tu trouvais à vivre autrement, le ferais-tu, hein?</p> + +<p>--Si je le feras? et de bon cœur! Je ne sais pas quelle vie je +n'accepterais pas pour échapper aux clefs, aux nerfs de bœuf, aux +menottes et aux chaînes; pourvu pourtant qu'il ne fallût pas travailler +de mes mains. Il me conviendrait de me promener tout le jour à faire la +ronde comme toi.</p> + +<p>--Mais, dis-moi, si ton métier t'offrait l'occasion de gagner?</p> + +<p>--De gagner? demanda Macaruffo avec anxiété, de gagner de l'argent?</p> + +<p>--Par exemple, une cinquantaine de florins d'or.</p> + +<p>--Oui, oui, la chatte les couve. Prends, prends-moi ce broc, mon +camarade. Je vois que ton cerveau commence à battre la chamade, et je +veux lui porter le dernier coup.</p> + +<p>--Je ne perds nullement la tête, et je parle très-sérieusement...»</p> + +<p>Et il tira de sa poche une bourse dont les mailles laissaient voir une +belle somme d'or.</p> + +<p>«Toi! s'écriait, toi, pauvre soldat, tu as reçu une si belle grâce de +Dieu! oh! le gras mélier que la guerre! qui vole le plus est le plus +brave!</p> + +<p>--Ces florins répliqua le soldat avec une colère mal réprimée, ne sont +pas volés, mais bien acquis. Et... et s'ils étaient à toi?</p> + +<p>--S'ils étaient à moi, répondit l'autre d'un ton de stupeur, s'ils +étaient à moi, je demanderais si Bergame est à vendre.</p> + +<p>--Eh bien! ils peuvent être à toi avant demain matin, et sans qu'il t'en +coûte la moindre peine..</p> + +<p>--Est-ce que tu plaisantes? Mais pour les gagner, dis vite, que +faudrait-il faire?</p> + +<p>--Rien autre chose, répondit le soldat en baissant la voix, que de tirer +un verrou et de laisser sortir deux oiseaux de la cage.</p> + +<p>--Pst! fit le geôlier en mettant la main sur la bouche de la sentinelle. +Puis, d'un ton sérieux et profond:</p> + +<p>«Quoi! comment, deux prisonniers? Bon Dieu! mon camarade, je sais que tu +te moques de moi.»</p> + +<p>Il se tut, puis reprit quelques instants après d'une voix qui indiquait +plus de regret que de colère:</p> + +<p>«Cela te paraît peu de chose, laisser fuir deux prisonniers... Demain on +les cherche, ils n'y sont plus. «Eh! Lasagnone, qu'est-ce que cela veut +dire? --Illustrissime seigneur, je n'en sais rien, moi, proprement rien, +en conscience.» Et lui: «Hors la camisole. Qu'on lui mette la corde au +cou, et de la corde à la potence...» J'aurai fait la panade au diable. +L'argent me va bien, mais la potence!</p> + +<p>--Certainement, certainement. Mais il me semblait qu'avec cinquante de +ses petits frères dans la sacoche, il y avait mieux à faire que ce +métier. Réfléchis! en quatre heures tu es aux frontières. Tu passes +l'Adda, et te voilà dans ta maison, sur les montagnes, où j'appellerai +braves ceux qui viendront t'y chercher. Tu revois ta femme, tes enfants; +tu relèves ta maison, tu deviens riche.</p> + +<p>--Mais quels sont ces prisonniers? dit Macaruffo en faisant un effort +visible.</p> + +<p>--Bon, pour que tu ailles les nommer.</p> + +<p>--Quoi, moi un espion? non, pas pour le double de l'or que tu m'as +offert. Parle donc, qui sont-ils?</p> + +<p>--Ce seigneur et cette dame, dit le soldat en montrant les cachots qui +renfermaient Pusterla et Marguerite.</p> + +<p>--Capperi! de gros oiseaux.</p> + +<p>--Gros ou non, qu'est-ce que cela te fait?</p> + +<p>--Cela me convient, dit Macaruffo; mais, d'honneur! ce n'est pas +l'arpent qui me décide. A propos, le seigneur n'a-t-il pas un enfant +avec lui?</p> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/37-08.png"></p> + +<p>--Qui, son fils, leur enfant à tous deux.</p> + +<p>--Mais, je veux dire, ils vont donc le laisser ici?</p> + +<p>--Non, non, il s'en ira avec eux.</p> + +<p>--Mas tu n'as parlé que de deux personnes.</p> + +<p>--Oh! l'autre, c'est sous-entendu. C'est la bonne mesure par-dessus le +marché.</p> + +<p>--Que parles-tu de bonne mesure, de par-dessus le marché? Trois +personnes pour cinquante florins d'or! Tu n'es pas raisonnable, et nous +n'en parlerons plus, si tu ne le deviens pas davantage.»</p> + +<p>Le soldat lui montra un diamant qu'il avait au doigt, et lui remettant +les florins d'or, lui promit le diamant aussitôt que les trois +prisonniers seraient sortis de leur cachot. Le marché fut conclu, et +Macaruffo, joyeux, se mit à compter ses florins d'or.</p> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/37-09.png"></p> + +<p>Ce soldat était Alpinolo, que nous avons laissé, dans cette funeste +soirée du 20 juin 1310, sur la route de Brera, où il remit à Buonvicino +le jeune fils de Pusterla. Certain d'être inscrit sur les listes de +proscription, désespéré surtout de l'imprudence qui, en livrant à +Ramengo le secret d'une conspiration imaginaire, avait fait prendre et +traiter des mécontents comme des révoltés, il se mit d'abord à fuir au +gré de son cheval, plutôt par un mystérieux instinct de conservation que +par un acte bien réfléchi de sa volonté. Puis lorsque sa pensée parvint +à se dégager des ténèbres qui l'obscurcissaient, et qu'il put voir +clairement sa situation, dégoûté de la vie, résolu d'en finir avec les +angoisses de ses remords, il tourna brusquement son cheval et reprit au +galop la route de Milan. Il en était à peu de distance, lorsqu'il +rencontra une troupe de proscrits dont il connaissait les principaux +membres, qui lui firent rebrousser chemin, combattirent sa résolution et +l'emmenèrent avec eux. Il demeura quelque temps avec ses frères +d'infortune; mais les malédictions, dont ils accablaient l'auteur +inconnu de la persécution qui était venue les atteindre, la pensée +poignante qui torturait Alpinolo, que c'était lui, lui-même qui en était +le véritable auteur, lui rendirent leur compagnie insupportable, et un +jour, n'écoutant que son désespoir, il les quitta brusquement.</p> + +<p>Il se rendit à la cabane des bons meuniers qui avaient pris soin de son +enfance. On a vu, par le récit de Maso à Ramengo, comment il y arriva, +et comment il avait laissé en partant son cheval, son argent et les +lettres de sa mère; mais ces braves gens, lorsqu'il partit, n'avaient +point pénétré les funèbres pensées qui l'agitaient. Las de cette vie et +des hommes, il résolut de mettre fin à ses jours. Après avoir jeté un +dernier regard sur la maison des meuniers, qu'il apercevait encore dans +le lointain, il se précipita dans le fleuve, et les flots se refermèrent +sur lui; mais porté au fond de l'eau par l'effet de son propre poids, +augmenté par la vitesse de sa chute, un mouvement de réaction le ramena +bientôt à la surface, pendant que le courant l'emportait toujours en +avant. A ce moment, l'instinct animal se réveilla en lui; presque à son +insu, et sans qu'il eut aucune conscience raisonnée de ce qu'il faisait, +ses mains s'étendirent pour fendre les flots, et comme il était +excellent nageur, il réussit promptement à gagner la rive, où, épuisé de +fatigue, il tomba dans une torpeur semblable au sommeil. Revenu à lui, +il se repentit de sa tentative de suicide. «Je dois vivre, dit-il; je +vivrai pour mon tourment et pour punir ce traître infâme.»</p> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/37-10.png"></p> + +<p>Lorsqu'il eut séché au soleil ses habits, désormais sa seule fortune, il +se mit au service des paysans pour gagner sa vie. Parvenu en travaillant +jusqu'à Pise, il y retrouva tous ses anciens amis de Milan, et reprit +avec eux cette vie des bannis si pleine d'espérances, de projets, +d'exagérations, qui, pour la plupart, se résolvent en fumée.</p> + +<p>Un jour qu'ils cherchaient de concert les moyens les plus prompts de +recouvrer leur patrie, un des plus passionnés eut l'idée d'attenter aux +jours de Luchino. Exalté par les discours qu'il avait entendus, entraîné +d'ailleurs par sa propre haine, Alpinolo proposa de se charger de +l'exécution de ce crime.</p> + +<p>Une acclamation unanime le confirma dans sa résolution. Milan est une +grande et populeuse cité; la barbe qui ornait son jeune visage et qui +était taillée à la mode des soldats, ses cheveux arrangés d'une façon +nouvelle, un costume différent, lui donnaient l'assurance de n'être +point reconnu. On parlait précisément, à cette époque, des recrutements +que faisait Luchino parmi les brigands qui, après avoir désolé la +contrée, las des profits incertains et irréguliers de leur vie errante, +s'enrôlaient avec plaisir sous un drapeau mercenaire, et sous le +commandement de Sfolcada Melik, et devenaient les gardiens des lieux +qu'ils avaient d'abord infestés.</p> + +<p>Alpinolo se détermina à s'enrôler dans ces bandes. Il partit donc, +encouragé par tous ses compagnons.</p> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/37-11.png"></p> + +<p>Il se rendit d'abord chez Maso, à qui il demanda le cher dépôt qu'il lui +avait confié, l'anneau et les lettres de sa mère. Quelles imprécations +il lança contre le ravisseur de ces gages sacrés, lorsqu'il apprit que +la faiblesse de Nena avait livré à un étranger les lettres de Rosalie. +Mais quand on lui apporta le diamant, comme un père qui retrouve un fils +longtemps perdu, il s'apaisa, le pressa contre ses lèvres, et plus d'une +grosse larme tomba de ses yeux sur cet unique souvenir de ses parents. +Il alla se prosterner sur le monticule qui recouvrait la dépouille +mortelle de sa mère, raviva les fleurs qui poussaient à l'entour, et +prit congé des bons meuniers.</p> + +<p>«Maintenant, tu seras de retour Dieu sait quand, lui disait la Nena. Je +suis vieille, une autre fois tu ne me trouveras plus; souviens-toi +toujours de moi dans tes prières.</p> + + + +<p class="lef"><img alt="" src="images/37-12.png"></p> + +<p>--Point d'idées tristes, ajoutait Maso. Nous nous reverrons, n'est-il +pas vrai, seigneur Alpinolo?</p> + +<p>--Oui, répondait-il, peut-être plus tôt que vous ne le pensez.</p> + +<p>--Et d'une humeur plus gaie, reprenait la Nena.</p> + +<p>--Et chargé d'honneurs et de richesses,» ajoutait Maso, qui, ayant vu le +monde, savait en quoi consistent les félicités.</p> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/37-13.png"></p> + +<p>Alpinolo partit; il joignit une troupe de ces recrues, et entra avec +elles dans la Lombardie. Tristes compagnons! ils étaient tous couverts +de haillons, la plupart étaient en outre borgnes mi manchots, parce +qu'ils avaient subi, comme voleurs, la peine imposée par les statuts de +Milan, qui infligeaient la perte d'un œil pour le premier vol, et celle +d'une main pour la récidive; pour la troisième, la potence.</p> + +<p>Il est facile d'imaginer ce que soutirait Alpinolo lorsqu'il vit la +tranquillité publique tromper les rêves qu'il avait formés dans l'exil, +et lorsque tout dans Milan lui rappelait les joies de sa jeunesse, les +maîtres bienfaisants qui les lui avaient procurées, et qu'il devait +s'accuser de les avoir plongés dans un abîme de malheurs. Il souffrait +d'autant plus qu'il ne pouvait s'abandonner à ses chagrins que dans la +solitude où il se réfugiait souvent pour songer à l'engagement qu'il +avait pris.--L'occasion favorable de tuer Luchino s'était plus d'une +fois offerte à lui, mais au moment de frapper il sentait son murage +l'abandonner. Il s'excitait à marcher en avant, mais il reculait +épouvanté devant l'impérieuse voix de sa conscience.</p> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/37-14.png"></p> + +<p>Il était un jour, à midi, appuyé dans ce coin du Broletto Normand où il +s'était laissé trahir par Ramengo. Pendant des heures et des heures il +tenait les yeux fixés sur la porte des Pusterla, par où il avait vu +entrer Marguerite. Il alla à la Madone de San-Celso, qui, précisément à +cette époque, avait commencé à devenir célèbre par ses miracles, et avec +une ferveur brûlante, mais inquiète et tourmentée, bien différente de +celle de l'homme qui demande la justice et obtient la paix, il supplia +Notre-Dame. «Donnez-moi la force nécessaire pour tuer votre ennemi, +l'ennemi du bien public, l'ennemi de cette sainte qui savait si bien +vous imiter. Si vous me faites cette grâce, je fais vœu d'aller à +Nazareth, comme un pèlerin armé, et de n'en pas revenir que je n'aie mis +à mort mille de ces infidèles qui refusent d'adorer votre saint nom.»</p> + +<p>Dans cette prière insensée, dans ce vœu de vengeance fait à la Mère des +miséricordes, il crut avoir puisé une nouvelle fermeté, et peu de jours +après il lui parut se présenter une occasion favorable. Il était de +garde près d'un pavillon de plaisance situé au milieu d'un bois +artificiel, dans le parc de Belgiojoso, délices des Visconti. En +regardant à travers les barreaux de la jalousie, qui laissait librement +circuler l'air, il vit Luchino qui, enveloppé dans un manteau, s'était +endormi seul avec ses deux mâtins à ses pieds et qui dormaient aussi. +Alpinolo renouvela son vœu, s'approcha, brandit le poignard, le leva +sur la tête du tyran, et s'écria au dedans de son cœur: «Chien! tu ne +le réveilleras plus qu'au jour du ingénient!»</p> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/37-15.png"></p> + +<p>Le jour du jugement! Cette idée arrêta son bras. «Le jour du jugement! +lui et moi nous nous trouverons un jour en présence d'un commun juge! à +ce tribunal, Luchino paraîtra avec le cortège de ses crimes--Et moi! +devrai-je me montrer la main chargée d'un assassinat?» Il résolut de +renoncer à son projet et s'efforça de sortir sans bruit; mais il n'en +put faire si peu qu'il ne réveillât les chiens. Ils se levèrent en +aboyant. Luchino se réveilla, et se leva en portant la main à son épée. +Le hasard voulut qu'à l'instant même le capitaine Lucio entrait d'un air +de triomphe rapporter comment on avait conduit dans la citadelle de la +porte Romaine Francesco Pusterla et son fils.</p> + +<p>La présence du soldat fut interprétée comme un acte de zèle et pour +avertir le prince de l'approche du nouvel arrivant, et Alpinolo fut +sauvé. Mais le plus horrible des supplices, mais être déchiré, lambeau +par lambeau eût à peine égalé pour lui la torture qu'il éprouva en +entendant l'atroce nouvelle, en voyant l'impitoyable joie de Luchino et +du capitaine de justice, qui se disaient entre eux: «Maintenant, nous +allons les faire marcher rapidement. Demain à Milan, et la chose sera +bientôt faite.»</p> + +<p>Son imprudence, lui avait donc encore réservé ce supplice. Aussi qui +dépeindra ses épouvantables fureurs? A partir de cette heure, toute +autre pensée fit place dans son esprit à celle de délivrer ces +infortunés.</p> + +<p>Il lui fut facile de se faire charger de la garde des prisons de la +porte Romaine. Nos lecteurs savent déjà comment il gagna le geôlier, et +à quel prix Macaruffo lui promit de laisser échapper ses trois +prisonniers.</p> + +<br><br> + +<h2>Bulletin bibliographique</h2> + +<p><i>La Recherche de l'Inconnue</i>; par <span class="sc">A. de Lavergne</span> (2).--<i>Voyage où il +vous plaira</i>; par <span class="sc">Tony Johannot, Alfred de Musset et P.-J. Stahl</span> +(3).--<i>Les Fastes de Versailles</i>; par <span class="sc">H. Fortoul</span>.(4).</p> + +<blockquote>Note 2: Deux vol. in-8, Dumont 15 fr.</blockquote> + +<blockquote>Note 3: Un vol. in-8, Herzel, 12 fr.</blockquote> + +<blockquote>Note 4: Un vol. in-8, Houdaille. 16 fr.</blockquote> + +<p>Le nouveau roman que vient de publier le fécond auteur de <i>la Duchesse +de Mazarin</i> devrait s'appeler <i>la Blonde et la Brune</i>, ou <i>Laquelle des +Deux</i>, ou les <i>Deux Maîtresses</i>. Au lieu d'une inconnue qu'il nous +promet, M. A. de Lavergne nous en donne deux, et encore ses deux +héroïnes ne restent-elles pas longtemps ce qu'elles devraient être. Dès +les premiers chapitres son héros les connaît; il les trouve même sans +les chercher, et il ne les reperd plus sérieusement. La première qualité +d'un titre, ce n'est pas seulement de piquer la curiosité, c'est d'être +vrai.--Quels que soient d'ailleurs l'intérêt et le mérite d'un livre, le +lecteur garde toujours une certaine rancune secrète contre lui s'il n'a +pas réalisé les rêves de son imagination.--La <i>recherche de +l'inconnue</i>... à l'annonce d'une semblable expédition, qui ne se +représente... Mais à quoi bon, en vérité, inventer ici le roman que M. +A. de Lavergne aurait du faire? racontons plutôt en quelques mots celui +qu'il a fait.</p> + +<p>M. Arthur d'Escorailles, le héros de ladite histoire, est «un véritable +maître Jacques littéraire, courtisant toutes les Muses, couronné par +toutes les gloires, tour à tour, et, suivant l'occasion, romancier, +feuilletoniste, auteur dramatique, critique au besoin, poète même..., +beau d'ailleurs et blond, et fils de l'Auvergne.» Il a eu de grands +succès littéraires, tous ses amis envient son sort et les étrangers sont +fiers de le connaître, etc. Inutile d'ajouter qu'il habite Paris. Un +jour, en revenant de ses montagnes, où il était allé retremper son +imagination fatiguée, il fit, dans le coupé de la diligence, la +rencontre d'une jeune fille de dix-sept ans, «la plus ravissante +créature qu'il fut possible d'imaginer: de grands yeux bleus, un visage +plein de candeur et d'ingénuité, harmonieusement encadré dans de beaux +cheveux d'un blond cendré retombant en grappes, le long de ses joues, +jusqu'à la naissance du cou le plus souple et le plus élégant qui se +puisse voir.» A cet aspect, le jeune lion littéraire «tressaillit et +demeura la bouche béante, en proie à une telle stupéfaction, que celle +qui en avait été l'objet ne put réprimer un sourire, sourire plein de +charmes et qui laissa entrevoir à demi cachée dans des lèvres de corail +une double rangée de dents blanches et fines comme des perles.» Ce +premier regard avait,--cela se voit ailleurs que dans les +livres,--transpercé deux cœurs des flèches de Cupidon.--Mais quelle +était cette jeune fille inconnue? Bien qu'il eût fait des romans, Arthur +d'Escorailles ne sut ni le deviner ni l'apprendre. Il ne put même pas +lui parler, car il en était sépare par un obstacle insurmontable, un +gros père bourru qu'il avait offensé en le priant poliment de ne pas +dormir sur son épaule.--Mais «tant que la lune brilla au ciel, il resta +les yeux amoureusement fixés sur cette jeune fille, et elle ne ferma +pas les siens.»</p> + +<p>A peine de retour à Paris, Arthur d'Escorailles raconta cette aventure à +quelques-uns de ses amis avec lesquels il avait dîné. Le soir même, en +rentrant chez lui, <i>dans sa chartreuse</i>, pour faire une toilette de bal, +son nègre lui remit un petit paquet d'une forme toute particulière et +soigneusement cacheté. C'était un charmant bouquet de marguerites avec +le billet suivant: «Voici mon nom, et je vous aime.»</p> + +<p>Ici donc, c'est-à-dire dès les premières pages du roman, commence la +recherche des inconnues. Arthur d'Escorailles aime une jeune fille qu'il +a vue, mais dont il ignore même le nom; il est aimé d'une femme qu'il +n'a jamais vue peut-être, mais dont il connaît le nom. Comment les +retrouver? Il nous paraît, quant à nous, avoir une trop grande confiance +dans son bon génie, et ne pas s'inquiéter assez du résultat de cette +aventure. Il s'habille tout simplement, et bien qu'il soit invité à la +soirée du duc d'Orléans, il accompagne à un bal bourgeois un de ses amis +qui veut à toute force le présenter à sa future.</p> + +<p>Arthur d'Escorailles est, en vérité, plus heureux qu'il ne mérite de +l'être. Ce soir-la même un hasard providentiel lui fait retrouver ses +deux inconnues, qu'il ne cherche pas: il revoit celle qu'il aime dans le +bas de la rue des Lombards. Elle se nomme Laure; elle est la fille d'un +négociant et la future de son malheureux ami. Celle dont il est aimé lui +apparaît une heure après aux Tuileries dans les salons du duc d'Orléans. +«C'était une jeune mariée, d'environ vingt-deux ans, grande, brune, +élancée, belle de cette beauté toute plastique et toute sensuelle que la +statuaire antique a prêtée à <i>Diane Chasseresse</i>. Elle avait les cheveux +coiffés en bandeaux avec une couronne de marguerites entremêlées de +diamants; sa robe de satin blanc était recouverte d'une robe de dentelle +en forme de tunique, attachée sur les épaules par des agrafes de +diamants, et relevée par des bouquets de marguerites; enfin, elle tenait +à la main un bouquet exactement semblable à celui qu'Arthur +d'Escorailles avait reçu lu soir même. En passant devant lui, elle se +retourna avec beaucoup de vivacité et lui lança un tendre regard, un de +ces regards dont l'un des maîtres de la lyre, Ronsard, disait si +poétiquement au seizième siècle:</p> + +<p class="mid">J'ai vu ses yeux, j'en ai bu le poison; +</p> + +<p>puis elle disparut, et Arthur, arrêté par le duc d'Orléans, ne put ni la +suivre ni la retrouver.</p> + +<p>Comme on le voit par cette rapide analyse, le sujet du roman se dessine +nettement. Il ne s'agit plus de savoir désormais si le héros retrouvera +les deux héroïnes, mais laquelle des deux il préférera, ou plutôt s'il +ne les aimera pas toutes les deux en même temps. Arthur d'Escorailles +est longtemps indécis: pendant plusieurs mois il lutte entre son cœur +et ses sens, entre un bonheur légitime et une passion coupable; se +décide-t-il un jour à épouser Laure, le lendemain il renonce au mariage +pour l'amour adultère; bien qu'elle lui ait avoué qu'elle ne l'aimait +pas qu'elle ne l'avait jamais aimé, que sa déclaration était une +mystification, il poursuit Marguerite et se bal en duel avec son mari, +le marquis de Saint-Fare. Grièvement blessé, il est soigné et sauvé par +Laure, mais il ne pense qu'à Marguerite, qu'il a aperçue un instant au +chevet de son lit. Une seconde fois il se résout à se marier avec la +jeune fille dévouée. La femme passionnée devient veuve... Que fera-t-il +alors? C'est là le secret de M. A. de Lavergne, et nous sommes incapable +de le trahir.</p> + +<p>Ce nouveau roman n'ajoutera rien, nous le craignons, à la réputation si +bien établie de l'auteur de <i>la Duchesse de Mazarin</i>. Il est tout à la +fois trop long et trop court. Certains tableaux sont surchargés de +détails inutiles, et les caractères des personnages principaux ne nous +semblent pas toujours ni suffisamment originaux, ni assez développés. +Mais le sujet, fort intéressant d'ailleurs, est traité avec une grande +habileté de mise en scène. On sent, en lisant <i>la Recherche de +l'Inconnue</i>, que M. A. de Lavergne a déjà fait beaucoup de drames et de +romans. Nous avons une trop haute opinion de son talent pour ne pas lui +donner le conseil de songer un peu plus à l'avenir qu'au présent, et de +préférer des succès vraiment littéraires à des triomphes de feuilletons.</p> + +<p>Abandonnons donc <i>la Recherche de l'Inconnue</i>, et tentons pour un moment +une autre entreprise: c'est un <i>Voyage où il vous plaira</i>, écrit à la +plume et au crayon. Qui de vous, ô lecteurs de <i>l'Illustration</i>, ne se +laisserait séduire par les trop irrésistibles attraits d'un si beau +titre? Comme tous vos semblables en général, vous aimez, j'en suis +convaincu, à faire ce qui vous plaît; mais mieux que beaucoup d'entre +eux qui sont privés du bonheur dont vous jouissez, vous savez apprécier +ce genre d'ouvrages, où la plume et le crayon prennent plaisir, tantôt à +expliquer les curieux mystères de leurs plus ravissants caprices; tantôt +à vous représenter simplement tels qu'ils ont eu lieu ou tels qu'ils +sont, les objets et les événements que vous pouvez regretter de n'avoir +pas vus. D'ailleurs, admirez-vous beaucoup de dessinateurs plus +gracieux, plus originaux et plus habiles que Tony Johannot? Existe-t-il, +à votre connaissance, un grand nombre d'écrivains qui aient autant +d'imagination, d'esprit et de finesse, et qui sachent profiter avec +autant de bonheur de toutes les ressources de notre langue, que MM. +Alfred de Musset et P. J. Stahl? Pourriez-vous résister aux séductions +réunies de ce titre piquant et de ces noms si justement aimés? Ouvrez, +ce magnifique volume, l'Avant-Propos mettra fin à votre irrésolution. +Que ne vous promet-il pas, en effet?--et je me rendrais, au besoin, son +garant,--il tiendra toutes ses promesses.</p> + +<p>Ce n'est pas qu'il vous dise pourquoi vous partez ni où vous allez. Une +pareille confidence pourrait avoir ses dangers. Pourquoi voyage-t-on? +N'est-ce pas, en outre de l'avantage incontestable que chacun ne peut +manquer de trouver à changer de lieu ici-bas? n'est-ce pas surtout pour +courir après l'imprévu, par exemple, et faire (en tout bien tout +honneur) les yeux doux au hasard?...</p> + +<p>Mais si les auteurs du <i>Voyage où il vous plaira</i> ne vous confient pas +leur projet, pour ne pas gâter par avance ce qu'il y a de meilleur dans +tout voyage, le petit bonheur des surprises, le bénéfice des rencontres, +etc., ils s'engagent «à vous conduire sans encombres, sans accidents, +sans culbutes, sans trop de paroles et sans trop de frais, à l'abri du +froid lui-même--pour peu que vos portes soient bien closes et vos +cheminées bien garnies--tout au bout de ce monde d'abord et même un peu +dans l'autre, pour peu que vous y soyez disposé; tout cela, songez-y +bien, sans qu'il vous soit besoin de rien quitter, ni vos enfants, qui +sont les plus aimables enfants du monde et qui ne sont de trop nulle +part;--ni vos amis qui vous aiment, ni le coin de votre feu que vous +aimez; rien, enfin, de ce qui vous plaît ou de ce qui vous retient...»</p> + +<p>A ce compte-là, qui ne partirait pas? Parlons-nous?... Quant à moi, +dussiez-vous rester ou m'abandonner en route, je pars; je suis parti.</p> + +<p>Il était une fois un brave et bon jeune homme qui ne pouvait rester en +place; c'était son seul défaut (j'ai un ami intime qui lui ressemble). +On n'est bien, disait-il, que là où l'on n'est pas,» et là dessus il +parlait. Bref, il avait la passion des voyages et il la satisfaisait +constamment. Cependant, après avoir fait quatre ou cinq fois le tour du +monde, il revint un jour dans son pays natal, bien décidé à ne plus +jamais repartir. Ce brave et bon jeune homme était amoureux; plus en +outre résolu que M. d'Escorailles, il allait épouser la belle +Marguerite, qu'il aimait. La veille du jour fixé pour la célébration de +son mariage, il rentra chez lui un peu tard, tourmente par certains +regards trop sévères que lui avait jetés durant la soirée son futur +beau-père. Il alluma sa pipe et brûla tous livres de voyages, qu'il ne +regardait plus que comme d'absurdes mensonges. Mais cet effort l'avait +anéanti: il retomba sans forces dans son fauteuil, s'endormit et rêva. +Tout à coup on frappa à la porte. «Entrez!» s'écria-t-il. C'était Jean, +son bon, son cher Jean, son meilleur ami, son fidèle compagnon de +voyage. «Viens avec moi.» lui dit Jean. Il hésita un instant à la pensée +de sa Marguerite, puis il partit. Est-il besoin de vous rappeler qu'il +avait la passion des voyages?</p> + +<p>Quant à moi, bien que j'aime beaucoup à voyager, je ne les suivrai +point. Qu'il me suffise de vous apprendre que Franz, c'est le nom du +fiancé, a laissé une relation manuscrite de ce voyage, à laquelle MM. A. +de Musset et Stahl ont emprunté les épisodes suivants:<br> +Les fleurs des bois;<br> +L'histoire d'un berger;<br> +Les amours du petit Job et de la belle Claudine;<br> +La vie et la mort;<br> +Les étoiles;<br> +L'histoire de l'homme au grand chapeau;<br> +Un jour à Londres.</p> + +<p>En quittant l'Angleterre, nos deux voyageurs firent le tour de l'Europe +(ils avaient déjà fait celui des quatre autres parties du monde); bref, +en revenant dans je ne sais quels pays, le navire qui les portait fut +assailli d'une violente tempête et sombra. Franz perdit un instant +connaissance. Quand il rouvrit les yeux, il lui sembla entendre trois +petits coups frappés à sa porte. «Entrez,» s'écria-t-il. C'était M. +Kolb, son tailleur, qui lui apportait son habit de noces. A sa grande +surprise. Il se trouvait dans sa chambre,--sa chère petite chambre +bleue.--pareille en tout à celle de sa fiancée;--c'était dans son +fauteuil qu'il s'était endormi, qu'il avait couru les aventures, qu'il +était parti enfin et revenu; mais de coursiers ailés et de navires, de +voyages et de naufrages et de morts, il n'était pas question; il n'avait +fait qu'un rêve. Le lendemain il épousa sa fiancée. Sa noce fut superbe: +elle dura trois longs jours; on y dansa, on y valsa, on y tira un grand +nombre de coups de fusil, on y fit tout le bruit qu'à tort ou à raison +on a coutume de faire autour des gens qui se marient; mais enfin. Dieu +merci, chacun rentra chez soi.</p> + +<p>Tel est le cadre ingénieux qui a fourni à MM. Alfred de Musset et P.-J. +Stahl l'occasion d'écrire 170 pages fort agréables à lire, et à M. Tony +Johannot celle de composer 63 de ses plus charmants dessins gravés sur +bois. Comme livre d'étrennes et de salon, le <i>Voyage où il tous plaira</i> +sera un des plus grands et des plus légitimes succès de l'année 1843.</p> + +<p>Les <i>Fastes de Versailles</i> ont déjà plusieurs années d'existence; mais +l'édition que nous annonçons (la troisième ou la quatrième) est à peine +terminée. D'ailleurs, qui n'éprouverait toujours un nouveau plaisir à +revoir les splendides merveilles de ce magnifique palais, surtout +lorsqu'on a pour guide et pour cicérone uni écrivain aussi aimable et +aussi intelligent que M. H. Fortoul? Autant Versailles est supérieur aux +autres résidences royales, autant le livre de M. H, Fortoul s'élève +au-dessus des autres ouvrages dont Versailles a fourni le sujet. +Personne ne l'avait jamais mieux compris et mieux expliqué que l'auteur +de ses <i>Fastes</i>; il ne se contente pas de nous décrire, dans un style +tout à la fois grave et animé, les magnificences inouïes que +représentent d'admirables gravures sur acier, il sait en découvrir, il +en révèle le véritable sens. Il raconte entièrement cette belle <i>épopée +de pierre</i>, il nous donne l'analyse la plus complète et la plus exacte +qui se puisse désirer de ce vaste poème royal que tant de gens avaient +vu, avant la publication de cet ouvrage, sans le comprendre.</p> + +<p>«Versailles, dit M. H. Fortoul, est l'expression de la monarchie, telle +que Louis XIV l'a conçue. C'est le résumé fidèle de l'œuvre du grand +roi. On s'étonne quelquefois que son règne, si fertile en beaux génies, +n'ait pas produit de poème épique. En effet, la poésie revêtit alors +toutes les formes hormis celle-là; mais l'épopée du dix-septième siècle, +c'est Versailles. En quel livre raconta jamais la destinée d'une époque +d'une manière plus brillante et plus complète? quelle gloire n'est pas +écrite dans ce palais? quel mystère n'y est pas révèle? La vie héroïque +et la vie familière s'y mêlent à chaque pas: derrière ces grandes +murailles, au bout de ces grandes galeries, au coin de ces grands +appartements, qui sont pleins de la majesté royale, il y a des petits +réduits et des passages ignorés qui vous apprennent mille histoires +secrètes. Ce palais a deux voix: il parle des choses les plus graves et +des choses les plus frivoles; il est à la fois profond comme Tacite et +indiscret comme Suétone. Il a des contes de toute espèce à vous faire, +et des vérités de toute nature à vous dire. Il possède l'art de vous +émouvoir et de vous égayer tour à tour; et comme s'il joignait le génie +de Molière à celui de Corneille, il fait succéder les scènes comiques +aux tragédies avec une rapidité merveilleuse. Il a tout vu passer sur +ses dalles de marbre: les rois, les poètes, les ministres, les +courtisans, les confesseurs, les maîtresses en titre ou autrement, les +reines sans pouvoir et celles qui en avaient trop, les ambassadeurs, les +généraux vainqueurs ou vaincus, les petits abbés, les grandes dames, +l'épée et la robe, la noblesse, le clergé, même le tiers, même le +peuple... Et maintenant que tout cela n'est plus, il en fait +d'admirables récits à qui veut l'interroger.»</p> + +<p>Mais de tous les écrivains qui ont interroge Versailles, aucun n'a reçu +des confidences aussi curieuses que M. H Fortoul, aucun surtout ne les +avait révélées avec plus de réserve, d'esprit et de bonheur. Ce +remarquable ouvrage de l'auteur de <i>l'Art en Allemagne</i> est un véritable +monument littéraire qui vivra aussi longtemps--nous l'espérons--que le +palais de Louis XIV.</p> + +<br><br> + +<h2>Modes.</h2> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/010a.png"><br> +<p class="rig"><img alt="" src="images/010b.png"><br> + +<p>Quelques objets d'art sont offerts cette année aux chasseurs du grand +monde, à l'occasion de la Saint-Hubert, par deux de ces établissements +de luxe que l'élégance a depuis longtemps pris sous son patronage.</p> + +<p>Voici d'abord un couteau et un fouet de chasse dont Verdier a confié +l'exécution à l'un de nos plus habiles sculpteurs d'animaux: ils sont +sortis si parfaits des mains du l'artiste, qu'ils peuvent soutenir la +comparaison avec les plus délicates orfèvreries de la Renaissance. Ces +précieuses armes de chasse tiendront la place, la plus distinguée dans +les panoplies groupées à grands frais sur les panneaux du cabinet ou +armeria, qui, chez nos jeunes amateurs de sport, a remplacé l'ancien et +classique boudoir.</p> + +<p>Comme complément de ce trophée, les frères Susse ont dédié aux chasseurs +une statuette de saint Hubert, due à l'élégant ciseau de M. Mélingue, +que la sculpture repose des fatigues de l'Art dramatique.</p> + +<br><br> + +<h2>Amusements des Sciences.</h2> + +<h4><span class="sc">solution des questions proposées dans le dernier numéro</span></h4> + +<p>1. La disposition des trente personnes se tirera de ce vers latin:</p> + +<p class="mid">Populeam virgam mater regina ferebat.</p> + +<p>Pour s'en servir, il faut faire attention aux voyelles A, E, I, O, U, +qui se trouvent dans les syllabes de ce vers, en observant que A vaut 1, +E vaut 2, I vaut 3, O vaut 4 et U vaut 5. On commencera donc par mettre +les chrétiens, à cause de l'ode la première syllabe; puis 5 Turcs, à +cause de l'U de la seconde: et ainsi de suite jusqu'à la fin; on +trouvera que, prenant toujours le neuvième circulairement, c'est-à-dire +en recommençant par le premier, après avoir achevé le rang, le sort ne +tombera absolument que sur des Turcs.</p> + +<p>Ou peut aisément étendre davantage la solution de ce problème. Qu'il +faille, par exemple, faire tomber le sort sur 10 personnes de 10, en +comptant de 12 en 12, on rangera à part 40 zéros, et, en commençant par +le premier, on marquera le douzième d'une croix; l'on continuera en +comptant jusqu'à 12, et l'on marquera pareillement d'une croix le zéro +sur lequel on tombera en comptant 12, et ainsi de suite en tournant et +en faisant attention de passer les places déjà croisées, attendu que +ceux qui les occupaient sont censés retranché du nombre. On continuera +ainsi jusqu'à ce qu'un ait le nombre requis de places marquées; et +alors, en comptant le rang qu'elles occupent, en commençant par la +première, on connaîtra facilement celles sur lesquelles doit +nécessairement tomber le sort de 12 en 12. On trouve, dans l'exemple +proposé, que ce sont la septième, la huitième, la onzième, la douzième, +la vingt-unième, la vingt-deuxième, la vingt-quatrième, la +trente-quatrième, la trente-sixième et la trente-septième.</p> + +<p>Un capitaine, obligé de faire décimer sa compagnie, a pu user de cet +expédient pour faire tomber le sort sur les sujets les plus coupables, +en les plaçant sans affectation dans les places ou le sort tombait +immanquablement.</p> + +<p>On raconte que ce fut par ce moyen que l'historien Josèphe sauta sa vie. +Il s'était réfugié avec quarante autres Juifs dans une caverne, après la +prise de Jolapat par les Romains. Ses compagnons résolurent de +s'entre-tuer plutôt que de se rendre. Josèphe essaya en vain de les +dissuader de cette horrible résolution. Enfin, n'en pouvant venir à bout +il feignit d'adhérer à leur volonté, et, se conservant l'autorité qu'il +avait sur eux comme leur chef, il leur persuada, pour éviter le +désordre; qui suivrait cette cruelle exécution s'ils s'entre-tuaient à +la foule, de se ranger par ordre, et, en commençant à compter par un +bout jusqu'à un certain nombre, de massacrer celui sur qui tomberait ce +nombre, jusqu'à ce qu'il n'en demeurât qu'un seul, qui se tuerait +lui-même.</p> + +<p>Tous en étant demeurés d'accord, Josèphe les disposa de telle sorte, et +choisit pour lui-même une telle place, que, la tuerie étant continuée +jusqu'à la fin, il demeura seul avec un autre, auquel il persuada de +vivre, ou qu'il tua s'il ne voulut pas y consentir.</p> + +<p>Telle est l'histoire, qu'Hégésippe raconte du Josèphe, et que nous +sommes bien éloignés de garantir. Quoi qu'il en soit, en appliquant à ce +cas le moyen enseigné ci-dessus et un supposant que chaque troisième dût +être tué, on trouve que les deux dernières places sur lesquelles le sort +devait tomber étaient les treizième et vingt-huitième; en sorte que +Josèphe dut se mettre à l'une des deux, et placer à l'autre celui qu'il +voulait sauver, s'il eût eu un complice de son artifice.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/010c.png"></p> + +<p>II. Si le fardeau peut être porté par quatre hommes, après l'avoir +attaché au milieu d'un grand levier AB, faites porter les extrémités de +ce levier sur deux autres plus courts, CD, EF, et à chacun des points C, +D, E, F, appliquez un homme: il est évident que le poids sera distribué +également entre les quatre hommes</p> + +<p>S'il faut huit hommes, faites à l'égard de chacun des leviers C, D, E, +F, ce que vous avez fait à l'égard du premier, c'est-à-dire que les +extrémités du levier CD soient portées par les levier» plus courts a, b, +c, d, et celles du levier EF par les leviers e, f, g, h; enfin, mettez +un homme à chacun des points a, b, c, d, e, f, g, h, vous aurez huit +hommes également chargés.</p> + +<p>On peut de même porter les extrémités des leviers ou barres a, b, c, d, +e, f, g, h, par de nouvelles barres disposées à angles droits avec +celles-là, et au moyen de cet artifice le poids sera distribué entre +seize hommes, et ainsi de suite.</p> + +<p>On prétend qu'à Constantinople on emploie cet artifice pour enlever les +plus grands fardeaux, comme des canons, des mortiers, des pierres +énormes, etc. On conte que la vitesse avec laquelle les porte-faix +transportent ces fardeaux d'un lieu à un autre est une chose vraiment +remarquable.</p> + +<p><span class="sc">Nota</span>. C'est par erreur que l'on a donné, dans le dernier numéro de +<i>l'Illustration</i>, à la page 160, une figure qui ne convient pas au +problème IV. Voici la figure qu'il fallait mettre:</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/010d.png"></p> +<br> + +<h4>NOUVELLES QUESTIONS A RÉSOUDRE.</h4> + +<p>I. Trouver le centre de gravité de plusieurs poids fixés à une barre +rigide.</p> + +<p>II. On demandait à Pythagore combien d'élèves fréquentaient son école; +le philosophe répondit: «Une moitié étudie les mathématiques, un quart +la physique, un septième garde le silence, et il y a de plus trois +femmes.» Combien Pythagore avait-il d'élèves.</p> + +<p>III. On demande quelle heure il est; l'on répond que ce qui reste du +jour est les quatre tiers des heures déjà écoulées. Trouver cette heure.</p> +<br><br> + +<h2>Rébus</h2> + +<h4>EXPLICATION DES DERNIERS RÉBUS.</h4> + +<p>1- Une Soubrette.</p> + +<p>2- Si l'argent est précieux, il entraîne souvent les hommes au vice.</p> +<br> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/010e.png"></p> + + + +<br><br> +</div> + + + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of L'Illustration, No. 0037, 11 Novembre +1843, by Various + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, 11 NOV 1843 *** + +***** This file should be named 39481-h.htm or 39481-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/3/9/4/8/39481/ + +Produced by Rénald Lévesque + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm +concept of a library of electronic works that could be freely shared +with anyone. For forty years, he produced and distributed Project +Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. + +Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed +editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. +unless a copyright notice is included. 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