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+Project Gutenberg's Vies des dames galantes, by Pierre de Bourdeille Brantôme
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org/license
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+
+Title: Vies des dames galantes
+
+Author: Pierre de Bourdeille Brantôme
+
+Release Date: March 21, 2012 [EBook #39220]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: UTF-8
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK VIES DES DAMES GALANTES ***
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+Produced by Chuck Greif and the Online Distributed
+Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was
+produced from images available at The Internet Archive)
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+ Au lecteur
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+ Cette version électronique reproduit dans son intégralité la version
+ originale.
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+ La ponctuation n'a pas été modifiée hormis quelques corrections
+ mineures.
+
+ L'orthographe a été conservée. Seuls quelques mots ont été modifiés.
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+VIES
+
+DES
+
+DAMES GALANTES
+
+PARIS. CHARLES BLOT, IMPRIMEUR, RUE BLEUE, 7.
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+VIES
+
+DES
+
+DAMES GALANTES
+
+PAR
+
+LE SEIGNEUR DE BRANTOME
+
+NOUVELLE ÉDITION
+
+REVUE ET CORRIGÉE SUR L'ÉDITION DE 1740
+
+AVEC DES REMARQUES HISTORIQUES ET CRITIQUES
+
+[Illustration: colophon]
+
+PARIS
+
+GARNIER FRÈRES, LIBRAIRES-ÉDITEURS
+
+6, RUE DES SAINTS-PÈRES, 6
+
+
+
+
+A MONSEIGNEUR
+
+LE DUC
+
+D'ALENÇON, DE BRABANT
+
+ET COMTE DE FLANDRES,
+
+FILS ET FRÈRE DE NOS ROYS.
+
+
+MONSEIGNEUR,
+
+D'autant que vous m'avez fait cet honneur souvent à la Cour de causer
+avec moy fort privement de plusieurs bons mots et contes, qui vous sont
+si familiers et assidus qu'on diroit qu'ils vous naissent à veüe
+d'œil dans la bouche, tant vous avez l'esprit grand, prompt et
+subtil, et le dire de mesme et très-beau, je me suis mis à composer ces
+Discours tels quels, et au mieux que j'ay pu, afin que si aucuns y en a
+qui vous plaisent, vous fassent autant passer le temps et vous
+ressouvenir de moy parmy vos causeries, desquelles m'avez honoré autant
+que gentilhomme de la Cour.
+
+Je vous en dédie donc, Monseigneur, ce livre, et vous supplie le
+fortifier de vostre nom et autorité, en attendant que je me mette sur
+les discours sérieux, et en voyez un à part que j'ai quasi achevé, où je
+deduis la comparaison de six grands princes et capitaines qui voguent
+aujourd'huy en ceste chrestienté, qui sont le roy Henri III vostre
+frère, Vostre Altesse, le roy de Navarre vostre beau-frère, M. de Guise,
+M. du Maine et M. le prince de Parme[1], alléguant de tous vous autres
+vos plus belles valeurs, suffisances, mérites et beaux faits, sur
+lesquels j'en remets la conclusion à ceux qui la sçauront mieux faire
+que moy.
+
+Cependant, Monseigneur, je supplie Dieu vous augmenter tousjours en
+vostre grandeur, prospérité et altesse, de laquelle je suis pour jamais,
+
+MONSEIGNEUR,
+
+Votre très-humble et très-obéissant sujet
+et très-affectionné serviteur,
+
+DE BOURDEILLE.
+
+
+
+
+AU LECTEUR.
+
+
+J'avois voüé ce deuxiesme livre des Femmes à mondit seigneur d'Alençon
+durant qu'il vivoit, d'autant qu'il me faisoit cet honneur de m'aimer et
+causer fort privement avec moy, et estoit curieux de savoir de bons
+contes. Ores, bien que son genereux et valheureux et noble corps gise
+sous sa lame honorable, je n'en ay voulu pourtant revoquer le vœu;
+ainsi je le redonne à ses illustres cendres et divin esprit, de la
+valeur duquel, et de ses hauts faits et mérites je parle à son tour,
+comme des autres grands princes et grands capitaines; car certes il l'a
+esté s'il en fut onc, encor qu'il soit mort fort jeune.
+
+
+
+
+AVIS DE L'AUTEUR.
+
+
+Ce volume des Dames Galantes est dédié à M. le duc d'Alençon, de
+Brabant, et comte de Flandres, qui contient plusieurs beaux discours.
+
+Le premier traite de l'amour de plusieurs femmes mariées, et qu'elles
+n'en sont si blasmables comme l'on diroit pour le faire; le tout sans
+rien nommer, et à mots couverts.
+
+Le deuxiesme, sçavoir qui est la plus belle chose en amour, la plus
+plaisante, et qui contente le plus, ou la veüe, ou la parole, ou
+l'attouchement.
+
+Le troisiesme traite de la beauté d'une belle jambe, et comment elle est
+fort propre et a grand vertu pour attirer à l'amour.
+
+Le quatriesme, quel amour est plus grand, plus ardent et plus aisé, ou
+celuy de la fille, ou de la femme mariée, ou de la veufve, et quelle des
+trois se laisse plus aisément vaincre et abattre.
+
+Le cinquiesme parle de l'amour d'aucunes femmes vieilles et comment
+aucunes y sont autant ou plus sujettes et chaudes que les jeunes, comme
+se peut parestre par plusieurs exemples, sans rien nommer ny
+escandalyser.
+
+Le sixiesme traite qu'il n'est bien seant de parler mal des honnestes
+dames, bien qu'elles fassent l'amour, et qu'il en est arrivé, de grands
+inconvénients pour en médire.
+
+Le septiesme est un recueil d'aucunes ruses et astuces d'amour, qu'ont
+inventé et osé aucunes femmes mariées, veufves et filles à l'endroit de
+leurs maris, amants et autres, ensemble d'aucunes de guerre de plusieurs
+capitaines à l'endroit de leurs ennemis; le tout en comparaison: à
+sçavoir lesquelles ont esté les plus rusées, cautes, artificielles,
+sublimes et mieux inventées et pratiquées, tant des uns que des autres
+Aussi Mars et l'Amour font leur guerre presque de mesme sorte, et l'un a
+son camp et ses armes comme l'autre.
+
+Discours sur ce que les belles et honnestes dames ayment les vaillants
+hommes, et les braves hommes ayment les dames courageuses.
+
+
+
+
+VIES
+
+DES
+
+DAMES GALANTES.
+
+
+
+
+DISCOURS PREMIER.
+
+ Sur les dames qui font l'amour et leurs maris cocus[2].
+
+
+D'autant que ce sont les dames qui ont fait la fondation du cocuage, et
+que ce sont elles qui font les hommes cocus, j'ay voulu mettre ce
+discours parmi ce livre des Dames, encore que je parleray autant des
+hommes que des femmes. Je sçay bien que j'entreprends une grande
+œuvre, et que je n'aurois jamais fait si j'en voulois monstrer la
+fin, car tout le papier de la chambre des comptes de Paris n'en sçauroit
+comprendre par escrit la moitié de leurs histoires, tant des femmes que
+des hommes; mais pourtant j'en escriray ce que je pourray, et quand je
+n'en pourray plus, je quitteray ma plume au diable, ou à quelque bon
+compagnon qui la reprendra; m'excusant si je n'observe en ce discours
+ordre ny demy, car de telles gens et de telles femmes le nombre en est
+si grand, si confus et si divers, que je ne sçache si bon sergent de
+bataille qui le puisse bien mettre en rang et ordonnance.
+
+Suivant donc ma fantaisie, j'en diray comme il me plaira, en ce mois
+d'avril qui en rameine la saison et venaison des cocus: je dis des
+branchiers, car d'autres il s'en fait et s'en voit assez tous les mois
+et saisons de l'an. Or de ce genre de cocus, il y en a force de
+diverses espèces; mais de toutes la pire est, et que les dames craignent
+et doivent craindre autant, ce sont ces fols, dangereux, bizarres,
+mauvais, malicieux, cruels, sanglants et ombrageux, qui frappent,
+tourmentent, tuent, les uns pour le vray, les autres pour le faux, tant
+le moindre soupçon du monde les rend enragés; et de tels la conversation
+est fort à fuir, et pour leurs femmes et pour leurs serviteurs.
+Toutefois j'ay cogneu des dames et de leurs serviteurs qui ne s'en sont
+point soucié; car ils estoient aussi mauvais que les autres, et les
+dames estoient courageuses, tellement que si le courage venoit à manquer
+à leurs serviteurs, le leur remettoient; d'autant que tant plus toute
+entreprise est périlleuse et scabreuse, d'autant plus se doit-elle faire
+et exécuter de grande générosité. D'autres telles dames ay-je cogneu qui
+n'avoient nul cœur ny ambition pour attenter choses hautes, et ne
+s'amusoient du tout qu'à leurs choses basses: aussi dit-on _lasche de
+cœur comme une putain_.
+
+--J'ay cogneu une honneste dame, et non des moindres, laquelle, en une
+bonne occasion qui s'offrit pour recueillir la joüissance de son amy, et
+luy remonstrant à elle l'inconvénient qui en adviendroit si le mary qui
+n'estoit pas loin les surprenoit, n'en fit plus de cas, et le quitta là,
+ne l'estimant hardy amant, ou bien pour ce qu'il la dédit au besoin:
+d'autant qu'il n'y a rien que la dame amoureuse, lors que l'ardeur et la
+fantaisie de venir-là luy prend, et que son amy ne la peut ou veut
+contenter tout à coup pour quelques divers empeschements, haïsse plus et
+s'en dépite. Il faut bien loüer cette dame de sa hardiesse, et d'autres
+aussi ses pareilles, qui ne craignent rien pour contenter leurs amours,
+bien qu'elles y courent plus de fortune et dangers que ne fait un soldat
+ou un marinier aux plus hasardeux périls de la guerre ou de la mer.
+
+--Une dame espagnole, conduite une fois par un gallant cavallier dans le
+logis du Roy, venant à passer par un certain recoing caché et sombre, le
+cavallier, se mettant sur son respect et discrétion espagnole, luy dit:
+_Senora, buen lugar, si no fuera vuessa merced_. La dame luy respondit
+seulement: _Si buen lugar, si no fuera vuessa merced_; c'est-à-dire:
+«Voici un beau lieu, si c'estoit une autre que vous.--Oüy vraiment, si
+c'estoit aussi un autre que vous.» Par-là l'argüant et incolpant de
+coüardise, pour n'avoir pas pris d'elle en si bon lieu ce qu'il vouloit
+et elle désiroit; ce qu'eust fait un autre plus hardy; et, pour ce,
+oncques plus ne l'ayma et le quitta.
+
+--J'ay ouy parler d'une fort belle et honneste dame, qui donna
+assignation à son amy de coucher avec elle, par tel si qu'il ne la
+toucheroit nullement et ne viendroit aux prises; ce que l'autre
+accomplit, demeurant toute la nuict en grand'stase, tentation et
+continence, dont elle lui en sceut si bon gré, que quelque temps après
+luy en donna joüissance, disant pour ses raisons qu'elle avoit voulu
+esprouver son amour en accomplissant ce qu'elle luy avoit commandé: et,
+pour ce, l'en ayma puis après davantage, et qu'il pourroit faire toute
+autre chose une autre fois d'aussi grande adventure que celle-là, qui
+est des plus grandes. Aucuns pourront loüer cette discretion ou
+lascheté, autres non: je m'en rapporte aux humeurs et discours que
+peuvent tenir ceux de l'un et de l'autre party en cecy.
+
+--J'ay cogneu une dame assez grande qui, ayant donné une assignation à
+son amy de venir coucher avec elle une nuict, il y vint tout appresté,
+en chemise, pour faire son devoir; mais, d'autant que c'estoit en hyver,
+il eut si grand froid en allant, qu'estant couché il ne put rien faire,
+et ne songea qu'à se réchauffer: dont la dame l'en haït et n'en fit plus
+de cas.
+
+--Une autre dame devisant d'amour avec un gentilhomme, il luy dit, entre
+autres propos, que s'il estoit couché avec elle, qu'il entreprendroit
+faire six postes la nuict, tant sa beauté le feroit bien piquer. «Vous
+vous vantez de beaucoup, dit-elle. Je vous assigne donc à une telle
+nuict.» A quoy il ne faillit de comparoistre; mais le malheur fut pour
+luy qu'il fut surpris, estant dans le lict, d'une telle convulsion,
+refroidissement et retirement de nerf, qu'il ne put pas faire une seule
+poste; si bien que la dame luy dit: «Ne voulez-vous faire autre chose?
+or vuidez de mon lict, je ne le vous ay pas presté, comme un lict
+d'hostellerie, pour vous y mettre à vostre aise et reposer. Parquoy
+vuidez.» Et ainsi le renvoya, et se moqua bien après de luy, l'haïssant
+plus que peste. Ce gentilhomme fust esté fort heureux s'il fust esté de
+la complexion du grand protenotaire Baraud, et aumosnier du roy
+François, que, quand il couchoit avec les dames de la Cour, du moins il
+alloit à la douzaine, et au matin il disoit encore: «Excusez-moi,
+madame, si je n'ay mieux fait, car je pris hier médecine.» Je l'ay veu
+depuis, et l'appeloit-on le capitaine Baraud, gascon, et avoit laissé la
+robbe, et m'en a bien conté, à mon advis, nom par nom. Sur ses vieux
+ans, cette virile et vénéreique vigueur luy défaillit, et estoit pauvre,
+encore qu'il eust tiré de bons brins que sa pièce luy avoit valu; mais
+il avoit tout brouillé, et se mit à escouler et distiller des essences:
+«Mais, disoit-il, si je pouvois, aussi bien que de mon jeune aage,
+distiller de l'essence spermatique, je ferois bien mieux mes affaires et
+m'y gouvernerois mieux.»
+
+--Durant cette guerre de la ligue, un honneste gentilhomme, brave certes
+et vaillant, estant sorty de sa place dont il estoit gouverneur pour
+aller à la guerre, au retour, ne pouvant arriver d'heur en sa garnison,
+il passa chez une belle et fort honneste et grande dame veufve, qui le
+convie de demeurer à coucher céans; ce qu'il ne refusa, car il estoit
+las. Après l'avoir bien fait souper, elle lui donne sa chambre et son
+lict, d'autant que toutes ses autres chambres estoient dégarnies pour
+l'amour de la guerre, et ses meubles serrez, car elle en avoit de beaux.
+Elle se retire en son cabinet, où elle y avoit un lict d'ordinaire pour
+le jour. Le gentilhomme, après plusieurs refus de cette chambre et ce
+lict, fut contraint par la prière de la dame de le prendre: et, s'y
+estant couché et bien endormy d'un très-profond sommeil, voicy la dame
+qui vient tout bellement se coucher auprès de luy sans qu'il en sentist
+rien ny de toute la nuict, tant il estoit las et assoupy de sommeil; et
+reposa jusques au lendemain matin grand jour, que la dame s'ostant près
+de luy qui s'accommençoit à esveiller, luy dit: «Vous n'avez pas dormy
+sans compagnie, comme vous voyez, car je n'ay pas voulu vous quitter
+toute la part de mon lict, et par ce j'en ay joüi de la moitié aussi
+bien que vous. Adieu: vous avez perdu une occasion que vous ne
+recouvrerez jamais.» Le gentilhomme, maugréant et détestant sa bonne
+fortune faillie (c'estoit bien pour se pendre), la voulut arrester et
+prier; mais rien de tout cela, et fort dépitée contre luy pour ne
+l'avoir contentée comme elle vouloit, car elle n'estoit là venuë pour un
+coup, aussi qu'on dit: «Un seul coup n'est que la salade du lict, et
+mesmes la nuict,» et qu'elle n'estoit là venuë pour le nombre singulier,
+mais pour le plurier, que plusieurs dames en cela ayment plus que
+l'autre. Bien contraires à une très-belle et honneste dame que j'ay
+cogneu, laquelle ayant donné assignation à son amy de venir coucher avec
+elle, en un rien il fit trois bons assauts avec elle; et puis, voulant
+quarter et parachever et multiplier ses coups, elle luy dit, pria et
+commanda de se découcher et retirer. Luy, aussi frais que devant, luy
+représente le combat, et promet qu'il feroit rage toute cette nuict là
+avant le jour venu, et que pour si peu sa force n'estoit en rien
+diminuée. Elle luy dit: «Contentez-vous que j'ay recogneu vos forces,
+qui sont bonnes et belles, et qu'en temps et lieu je les sçauray mieux
+employer qu'à st'heure; car il ne faut qu'un malheur que vous et moy
+soyons descouverts; que mon mary le sçache, me voilà perduë. Adieu donc
+jusques à une plus seure et meilleure commodité, et alors librement je
+vous employeray pour la grande bataille, et non pour si petite
+rencontre.» Il y a force dames qui n'eussent eu cette considération,
+mais ennivrées du plaisir, puisque tenoient déjà dans le camp leur
+ennemy, l'eussent fait combattre jusques au clair jour.
+
+--Cette honneste dame que je dis de paravant celles cy, estoit de telle
+humeur, que quand le caprice lui prenoit, jamais elle n'avoit peur ny
+apprehension de son mary, encore qu'il eust bonne espée et fust
+ombrageux; et nonobstant elle y a esté si heureuse, que ny elle ny ses
+amants n'ont pu guières courir fortune de vie, pour n'avoir jamais esté
+surpris, pour avoir bien posé ses gardes et bonnes sentinelles et
+vigilantes: en quoy pourtant ne se doivent pas fier les dames, car il
+n'y faut qu'une heure malheureuse, ainsi qu'il arriva il y a quelque
+temps à un gentilhomme brave et vaillant, qui fut massacré, allant voir
+sa maîtresse, par la trahison et menée d'elle mesme que le mary lui
+avoit fait faire[3]: que s'il n'eust eu si bonne présomption de sa
+valeur comme il avoit, certes il eust bien pris garde à soy et ne fust
+pas mort, dont ce fut grand dommage. Grand exemple, certes, pour ne se
+fier pas tant aux femmes amoureuses, lesquelles, pour s'eschapper de la
+cruelle main de leurs marys, joüent tel jeu qu'ils veulent, comme fit
+cette-cy qui eut la vie sauve, et l'amy mourut.
+
+--Il y a d'autres marys qui tuent la dame et le serviteur tout ensemble,
+ainsi que j'ay oüy dire d'une très-grande dame de laquelle son mary
+estant jaloux, non pour aucun effet qu'il y eust certes, mais par
+jalousie et vaine apparence d'amour, il fit mourir sa femme de poison et
+langueur, dont fut un très-grand dommage, ayant paravant fait mourir le
+serviteur, qui estoit un honneste homme, disant que le sacrifice estoit
+plus beau et plus plaisant de tuer le taureau devant et la vache après.
+Ce prince fut plus cruel à l'endroit de sa femme qu'il ne fut après à
+l'endroit d'une de ses filles qu'il avoit mariée avec un grand prince,
+mais non si grand que luy qui estoit quasi un monarque. Il eschappa à
+cette folle femme de se faire engrosser à un autre qu'à son mary, qui
+estoit empesché à quelque guerre; et puis, ayant enfanté d'un bel
+enfant, ne sceut à quel sainct se voüer, sinon à son père, à qui elle
+décela le tout par un gentilhomme en qui elle se fioit, qu'elle luy
+envoya. Duquel aussi-tost la creance ouye, il manda à son mary que sur
+sa vie il se donnast bien garde de n'attenter sur celle de sa fille,
+autrement il attenteroit sur la sienne, et le rendroit le plus pauvre
+prince de la chrestienté, comme estoit en son pouvoir; et envoya à sa
+fille une galere avec une escorte querir l'enfant et la nourrice; et
+l'ayant fourny d'une bonne maison et entretien, il le fit très-bien
+nourrir et élever. Mais au bout de quelque temps que le père vint à
+mourir, par conséquent le mary la fit mourir.
+
+--J'ay ouy dire d'un autre qui fit mourir le serviteur de sa femme
+devant elle, et le fit fort languir, afin qu'elle mourust martyre de
+voir mourir en langueur celui qu'elle avoit tant aymé et tenu entre ses
+bras.
+
+--Un autre de par le monde tua sa femme en pleine Cour[4], luy ayant
+donné l'espace de quinze ans toutes les libertés du monde, et qu'il
+estoit assez informé de sa vie, jusques à luy remonstrer et
+l'admonester. Toutefois une verve luy prit (on dit que ce fut par la
+persuasion d'un grand son maistre), et par un matin la vint trouver dans
+son lict ainsi qu'elle vouloit se lever, et ayant couché avec elle,
+gaussé et ryt bien ensemble, luy donna quatre ou cinq coups de dague,
+puis la fit achever à un sien serviteur, et après la fit mettre en
+litière, et devant tout le monde fut emportée en sa maison pour la faire
+enterrer. Après s'en retourna, et se présenta à la Cour, comme s'il eust
+fait la plus belle chose du monde, et en triompha. Il eust bien fait de
+mesme à ses amoureux; mais il eust eu trop d'affaires, car elle en avoit
+tant eu et fait, qu'elle en eust fait une petite armée.
+
+--J'ay ouy parler d'un brave et vaillant capitaine pourtant, qui, ayant
+eu quelque soupçon de sa femme, qu'il avoit prise en très-bon lieu, la
+vint trouver sans autre suite, et l'estrangla lui-même de sa main de son
+escharpe blanche, puis la fit enterrer le plus honorablement qu'il peut,
+et assista aux obseques habillé en deuil, fort triste, et le porta fort
+longtemps ainsi habillé: et voilà la pauvre femme bien satisfaite, et
+pour la bien resusciter par cette belle cérémonie: il en fit de mesme à
+une damoiselle de sa dite femme qui luy tenoit la main à ses amours. Il
+ne mourut sans lignée de cette femme, car il en eut un brave fils, des
+vaillants et des premiers de sa patrie, et qui, par ses valeurs et
+mérites, vint à de grands grades, pour avoir bien servy ses roys et
+maistres.
+
+--J'ay ouy parler aussi d'un grand en Italie qui tua aussi sa femme,
+n'ayant pu atrapper son galant pour s'estre sauvé en France: mais on
+disoit qu'il ne la tua point tant pour le péché (car il y avoit assez de
+temps qu'il sçavoit qu'elle faisoit l'amour, et n'en faisoit point autre
+mine) que pour espouser une autre dame dont il estoit amoureux.
+
+--Voyla pourquoy il fait fort dangereux d'assaillir et attaquer un c..
+armé, encore qu'il y en ait d'assaillis aussi bien et autant que des
+désarmez, voire vaincus, comme j'en sçay un qui estoit aussi bien armé
+qu'en tout le monde. Il y eut un gentilhomme, brave et vaillant certes,
+qui le voulut muguetter; encore ne s'en contentoit-il pas, il s'en
+voulut prévaloir et publier: il ne dura guières qu'il ne fust aussi-tost
+tué par gens appostez, sans autrement faire scandale, ny sans que la
+dame eu patist, qui demeura longuement pourtant en tremble et aux
+alertes, d'autant qu'estant grosse, et se fiant qu'après ses couches,
+qu'elle eust voulu estre allongées d'un siècle, elle auroit autant; mais
+le mary, bon et miséricordieux, encore qu'il fust des meilleures espées
+du monde, luy pardonna, et n'en fut jamais autre chose, et non sans
+grande allarme de plusieurs autres des serviteurs qu'elle avoit eus; car
+l'autre paya pour tous. Aussi la dame, recognoissant le bienfait et la
+grace d'un tel mary, ne luy donna jamais que peu de soupçon depuis, car
+elle fut des assez sages et vertueuses d'alors.
+
+--Il arriva tout autrement un de ces ans au royaume de Naples, à donne
+Marie d'Avalos, l'une des belles princesses du pays, mariée avec le
+prince de Venouse, laquelle s'estant enamourachée du comte d'Andriane,
+l'un des beaux princes du pays aussi, et s'estans tous deux concertez à
+la joüissance (et le mary l'ayant descouverte par le moyen que je
+dirois, mais le conte en seroit trop long), voire couchez ensemble dans
+le lict, les fit tous deux massacrer par gens appostez; si que le
+lendemain on trouva ces deux belles créatures et moitiés exposées
+étenduës sur le pavé devant la porte de la maison, toutes mortes et
+froides, à la veue de tous les passants, qui les larmoyoient et
+plaignoient de leur misérable estat. Il y eut des parents de ladite dame
+morte qui en furent très-dolents et très-estomacqués, jusques à s'en
+vouloir ressentir par la mort et le meurtre, ainsi que la loy du pays le
+porte, mais d'autant qu'elle avoit esté tuée par des marauts de valets
+et esclaves qui ne méritoient d'avoir leurs mains teintes d'un si beau
+et si noble sang, et sur ce seul sujet s'en vouloient ressentir et
+rechercher le mary, fust par justice ou autrement, et non s'il eust fait
+le coup luy-mesme de sa propre main; car n'en fust esté autre chose, ny
+recherché.
+
+Voyla une sotte et bizarre opinion et formalisation, dont je m'en
+rapporte à nos grands discoureurs et bons jurisconsultes, pour sçavoir
+quel acte est plus énorme, de tuer sa femme de sa propre main qui l'a
+tant aimé, ou de celle d'un maraut esclave. Il y a force raisons à
+déduire là-dessus, dont je me passeray de les alleguer, craignant
+qu'elles soyent trop foibles au prix de celles de ces grands.
+
+J'ay ouy conter que le viceroy, en sçachant la conjuration, en advertit
+l'amant, voire l'amante; mais telle estoit leur destinée, qui se devoit
+ainsi finer par si belles amours.
+
+Cette dame estoit fille de dom Carlo d'Avalos, second frère du marquis
+de Pescayre, auquel, si on eust fait un pareil tour en aucunes de ses
+amours que je sçay, il y a long-temps qu'il fust esté mort.
+
+--J'ay cogneu un mary, lequel, venant de dehors, et ayant esté
+long-temps qu'il n'avoit couché avec sa femme, vint résolu et bien
+joyeux pour le faire avec elle et s'en donner bon plaisir; mais arrivant
+de nuict, il entendit par le petit espion qu'elle estoit accompagnée de
+son amy dans le lict: luy aussi-tost mit la main à l'espée, et frappant
+à la porte, et estant ouverte, vint résolu pour la tuer; mais
+premièrement cherchant le gallant qui avoit sauté par la fenestre, vint
+à elle pour la tuer; mais, par cas, elle s'estoit cette fois si bien
+atifée, si bien parée pour sa coiffure de nuict, et de sa belle chemise
+blanche, et si bien ornée (pensez qu'elle s'estoit ainsi dorlotée pour
+mieux plaire à son amy), qu'il ne l'avoit jamais trouvée ainsi bien
+accommodée pour luy ny à son gré, qu'elle se jettant en chemise à terre
+et à ses genoux, luy demandant pardon par si belles et douces paroles
+qu'elle dit, comme de vray elle sçavoit très-bien dire, que, la faisant
+relever, et la trouvant si belle et de bonne grâce, le cœur lui
+fléchit, et laissant tomber son espée, luy, qui n'avoit fait rien il y
+avoit si long-temps, et qui en estoit affamé (dont possible bien en prit
+à la dame, et que la nature l'émouvoit), il luy pardonna et la prit et
+l'embrassa, et la remit au lict, et se deshabillant soudain, se coucha
+avec elle, referma la porte; et la femme le contenta si bien par ses
+doux attraits et mignardises (pensez qu'elle n'y oublia rien), qu'enfin
+le lendemain on les trouva meilleurs amis qu'auparavant, et jamais ne se
+firent tant de caresses: comme fit Ménélaüs, le pauvre cocu, lequel
+l'espace de dix ou douze ans menassant sa femme Heleine qu'il la tueroit
+s'il la tenoit jamais, et mesme luy disoit du bas de la muraille en
+haut; mais, Troyë prise, et elle tombée entre ses mains, il fut si ravy
+de sa beauté qu'il luy pardonna tout, et l'ayma et caressa mieux que
+jamais. Tels marys furieux encor sont bons, qui de lions tournent ainsi
+en papillons; mais il est mal aisé à faire une telle rencontre que
+celle-cy.
+
+--Une grande, belle et jeune dame du regne du roy François I, mariée
+avec un grand seigneur de France, et d'aussi grande maison qui y soit
+point, se sauva bien autrement, et mieux que la precedente; car, fust ou
+qu'elle eust donné quelque sujet d'amour à son mary, ou qu'il fust
+surpris d'un ombrage ou d'une rage soudaine, et fust venu à elle l'espée
+nuë à la main pour la tuer, desesperant de tout secours humain pour s'en
+sauver, s'advisa soudain de se voüer à la glorieuse Vierge Marie, et en
+aller accomplir son vœu à sa chapelle de Lorette, si elle la sauvoit,
+à Sainct Jean de Mauverets, au païs d'Anjou. Et sitost qu'elle eut fait
+ce vœu mentalement, ledit seigneur tumba par terre, et luy faillit
+son espée du poing; puis tantost se releva, et, comme venant d'un songe,
+demanda à sa femme à quel sainct elle s'estoit recommandée pour éviter
+ce péril. Elle luy dit que c'estoit à la Vierge Marie, en sa chapelle
+susdite, et avoit promis d'en visiter le saint lieu. Lors il luy dit:
+«Allez y donc, et accomplissez votre vœu;» ce qu'elle fit, et y
+appendit un tableau contenant l'histoire, ensemble plusieurs beaux et
+grands vœux de cire, à ce jadis accoustumez, qui s'y sont veus
+long-temps après. Voyla un bon vœu, et belle escapade inopinée. Voyez
+la cronique d'Anjou.
+
+--J'ay ouy parler que le roy François une fois voulut aller coucher avec
+une dame de sa Cour qu'il aymoit. Il trouva son mary l'espée au poing
+pour l'aller tuer; mais le Roy lui porta la sien ne à la gorge, et luy
+commanda, sur sa vie, de ne luy faire aucun mal, et que s'il luy faisoit
+la moindre chose du monde, qu'il le tueroit, ou qu'il luy feroit
+trancher la teste; et pour ceste nuict l'envoya dehors, et prit sa
+place. Cette dame estoit bien heureuse d'avoir trouvé un si bon
+champion et protecteur de son c..; car oncques depuis le mary ne luy osa
+sonner mot, ains luy laissa du tout faire à sa guise. J'ai ouy dire que
+non seulement cette dame, mais plusieurs autres, obtindrent pareille
+sauve garde du Roy. Comme plusieurs font en guerre pour sauver leurs
+terres et y mettent les armoiries du Roy sur leurs portes, comme font
+ces femmes, celles de ces grands roys, au bord et au dedans de leur c..,
+si bien que leurs marys ne leur osoient dire mot, qui, sans cela, les
+eussent passez au fil de l'espée.
+
+--J'en ay cogneu d'autres dames, favorisées ainsi des roys et des
+grands, qui portoyent ainsi leurs passeports partout: toutefois, si en
+avoit-il aucunes qui passoyent le pas, auxquelles leurs marys, n'osant y
+apporter le couteau, s'aydoient des poisons et morts cachées et
+secrettes, faisant accroire que c'estoyent catherres, apoplexie et mort
+subite: et tels marys sont détestables, de voir à leurs costez coucher
+leurs belles femmes, languir et tirer à la mort de jour en jour et
+méritent mieux la mort que leurs femmes; ou bien les font mourir entre
+deux murailles, en chartre perpétuelle, comme nous en avons aucunes
+croniques anciennes de France et j'en ai oceu un grand de France, qui
+fit ainsi mourir sa femme, qui estoit une fort belle et honneste dame,
+et ce par arrest de la cour, prenant son petit plaisir par cette voye à
+se faire déclarer cocu. De ces forcenez et furieux maris de cocus sont
+volontiers les vieillards, lesquels se deffiant de leurs forces et
+chaleurs, et s'asseurant de celles de leurs femmes, mesme quand ils ont
+esté si sots de les espouser jeunes et belles, ils en sont si jaloux et
+si ombrageux, tant par leur naturel que leurs vieilles pratiques, qu'ils
+ont traittées eux-mêmes autrefois ou veu traicter à d'autres, qu'ils
+meinent si misérablement ces pauvres créatures, que leur purgatoire leur
+seroit plus doux que non pas leur autorité. L'Espagnol dit: _El diabolo
+sabe mucho, porque es viejo_, c'est-à-dire que «le diable sçait beaucoup
+parce qu'il est vieux:» de mesmes ces vieillards, par leur aage et
+anciennes routines, sçavent force choses. Si sont ils grandement à
+blasmer de ce poinct, que, puisqu'ils ne peuvent contenter les femmes,
+pourquoi les vont-ils épouser? et les femmes aussi belles et jeunes ont
+grand tort de les aller espouser, sous l'ombre des biens, en pensant
+joüir après leur mort, qu'elles attendent d'heure à autre; et cependant
+se donnent du bon temps avec des amis jeunes qu'elles font, dont aucunes
+d'elles en patissent griefvement.
+
+--J'ai ouy parler d'une, laquelle estant surprise sur le fait, son mari,
+vieillard, luy donna une poison de laquelle elle languit plus d'un an et
+vint seiche comme bois; et le mary l'alloit voir souvent, et se plaisoit
+en cette langueur, et en rioit, et disoit qu'elle n'avoit que ce qu'il
+luy falloit.
+
+--Une autre, son mary l'enferma dans une chambre et la mit au pain et à
+l'eau, et bien souvent la faisoit despouiller toute nue et la fouettoit
+son saoul, n'ayant compassion de cette belle charnure nue, ni non plus
+d'émotion. Voyla le pis d'eux, car, estant dégarnis de chaleur et
+dépourveus de tentation comme une statue de marbre, n'ont pitié de nulle
+beauté, et passent leurs rages par de cruels martyres, au lieu qu'estans
+jeunes la passeroyent possible sur leur beau corps nud, comme j'ay dit
+cy devant. Voyla pourquoi il ne fait pas bon d'espouser de tels
+vieillards bizarres, car, encor que la veue leur baisse et vienne à
+manquer par l'aage, si en ont ils toujours prou pour espier et voir les
+frasques que leurs jeunes femmes leur peuvent faire.
+
+--Aussy j'ay ouy parler d'une grande dame qui disoit que nul samedy fut
+sans soleil, nulle belle femme sans amours, et nul vieillard sans être
+jaloux; et tout procede pour la débolezze de ses forces. C'est pourquoy
+un grand prince que je sçay disoit qu'il voudroit ressembler le lion,
+qui, pour vieillir, ne blanchit jamais; le singe, qui tant plus il le
+fait tant plus il le veut faire; le chien tant plus il vieillit son cas
+se grossit; et le cerf, que tant plus il est vieux tant mieux il le
+fait, et les biches vont plustôt à luy qu'aux jeunes. Or, pour en parler
+franchement, ainsi que j'ay ouy dire à un grand personnage, quelle
+raison y a-t-il, ni quelle puissance a-t-il le mary si grande, qu'il
+doive et puisse tuer sa femme, veu qu'il ne l'a point de Dieu, ny de sa
+loy, ny de son saint Evangile, sinon de la répudier seulement? Il ne s'y
+parle point de meurtre, de sang, de mort, de tourments, de poison, de
+prisons ni de cruautez. Ah! que nostre Seigneur Jésus-Christ nous a bien
+remonstré qu'il y avoit de grands abus en ces façons de faire et en ces
+meurtres, et qu'il ne les approuvoit guières, lorsqu'on luy amena cette
+pauvre femme accusée d'adultere pour jeter sa sentence de punition; il
+leur dit en escrivant en terre de son doigt: «Celui de vous autres qui
+sera le plus net et le plus simple, qu'il prenne la premiere pierre et
+commence à la lapider;» ce que nul n'osa faire, se sentans atteints par
+telle sage et douce repréhension. Nostre Créateur nous apprenoit à tous
+de n'estre si légers à condamner et faire mourir les personnes, mesmes
+sur ce sujet, cognoissant les fragilitez de nostre nature et l'abus que
+plusieurs y commettent; car tel fait mourir sa femme qui est plus
+adultere qu'elle, et tels les font mourir bien souvent innocentes, se
+faschans d'elles pour en prendre d'autres nouvelles, et combien y en
+a-t-il! Sainct Augustin dit que l'homme adultere est aussi punissable
+que la femme.
+
+--J'ay ouy parler d'un très-grand prince de par le monde, qui,
+soubçonnant sa femme faire l'amour avec un galant cavallier, il le fit
+assassiner sortant un soir de son palais, et puis la dame, laquelle, un
+peu auparavant à un tournoy qui se fit à la Cour, et elle fixement
+arregardant son serviteur qui manioit bien son cheval, se mit à dire:
+«Mon Dieu! qu'un tel pique bien!--Oüy, mais il pique trop haut;» ce qui
+l'estonna, et après fut empoisonnée par quelques parfums ou autrement
+par la bouche.
+
+--J'ay cogneu un seigneur de bonne maison qui fit mourir sa femme, qui
+estoit très-belle et de bonne part et de bon lieu, en l'empoisonnant par
+sa nature, sans s'en ressentir, tant subtile et bien faite avoit esté
+icelle poison, pour espouser une grande dame qui avoit espousé un
+prince, dont en fut en peine, en prison et en danger sans ses amis: et
+le malheur voulut qu'il ne l'espousa pas, et en fut trompé et fort
+scandalisé, et mal veu des hommes et des dames. J'ai veu de grands
+personnages blasmer grandement nos roys anciens, comme Louis Hutin et
+Charles le Bel, pour avoir fait mourir leurs femmes: l'une, Marguerite,
+fille de Robert, duc de Bourgogne; et l'autre, Blanche, fille d'Othelin,
+comte de Bourgogne: leur mettant à sus leurs adulteres; et les firent
+mourir cruellement entre quatre murailles, au Chasteau Gaillard: et le
+comte de Foix en fit de mesme à Jeanne d'Artoys. Surquoy il n'y avoit
+point tant de forfaits et de crimes comme ils le faisoient à croire;
+mais messieurs se faschoient de leurs femmes, et leur mettoient à sus
+ces belles besognes, et en espousèrent d'autres.
+
+--Comme de frais, le roy Henry d'Angleterre fit mourir sa femme Anne de
+Boulan, et la décapiter, pour en espouser une autre, ainsi qu'il estoit
+fort sujet au sang et au change de nouvelles femmes. Ne vaudroit-il pas
+mieux qu'ils les répudiassent selon la parole de Dieu, que les faire
+ainsi cruellement mourir? Mais il leur en faut de la viande fraîche à
+ces messieurs, qui veulent tenir table à part, sans y convier personne,
+ou avoir nouvelles et secondes femmes qui leur apportent des biens après
+qu'ils ont mangé ceux de leurs premières, ou n'en ont eu assez pour les
+rassasier, ainsi que fit Baudoüin, second roi de Jerusalem, qui, faisant
+croire à sa première femme qu'elle avoit paillardé, la répudia pour
+prendre une fille du duc de Maliterne[5], parce qu'elle avoit une dot
+d'une grande somme d'argent, dont il estoit fort nécessiteux. Cela se
+trouve en l'histoire de la Terre Sainte. Il leur sied bien de corriger
+la loy de Dieu, et en faire une nouvelle, pour faire mourir ces pauvres
+femmes!
+
+--Le roy Loüis le Jeune n'en fit pas de mesme à l'endroit de Léonor,
+duchesse d'Aquitaine, qui, soupçonnée d'adultere, possible à faux, en
+son voyage de Syrie, fut répudiée de luy seulement, sans vouloir user de
+la loy des autres, inventée et pratiquée plus par autorité que de droit
+et raison: dont sur ce il en acquist plus grande réputation que les
+autres roys, et titre de bon, et les autres de mauvais, cruels et
+tyrans; aussi que dans son ame il avoit quelques remords de conscience
+d'ailleurs: et c'est vivre en chrestien cela, voire que les payens
+romains la pluspart s'en sont acquittés de mesme plus chrestiennement
+que payennement, et principalement aucuns empereurs, desquels la plus
+grande part ont esté sujets à estre cocus, et leurs femmes
+très-lubriques et fort putains: et, tels cruels qu'ils ont esté, vous en
+lirez force qui se sont défaits de leurs femmes, plus par répudiations
+que par tueries de nous autres Chrestiens.
+
+--Jules César ne fit autre mal a sa femme Pompeïa, sinon la répudier,
+laquelle avoit esté adultere de Publius Claudius, beau gentilhomme
+romain, de laquelle estant éperdument amoureux, et elle de luy, espia
+l'occasion qu'un jour elle faisoit un sacrifice en sa maison où il n'y
+entroit que des dames; il s'habilla en garce, luy qui n'avoit encore
+point de barbe au menton, qui se meslant de chanter et de joüer des
+instruments, et par ainsi passant par cette monstre, eut loisir de faire
+avec sa maistresse ce qu'il voulut; mais estant recogneu, il fut chassé
+et accusé; et par moyen d'argent et de faveur il fut absous, et n'en fut
+autre chose. Cicéron y perdit son latin par une belle oraison qu'il fit
+contre lui. Il est vrai que César, voulant faire à croire au monde qui
+luy persuadoit sa femme innocente, il respondit qu'il ne vouloit pas que
+seulement son lict fust taché de ce crime, mais exempt de toute
+suspition. Cela estoit bon pour en abbreuver ainsi le monde; mais, dans
+son ame, il sçavoit bien que vouloit dire cela, sa femme avoit esté
+ainsi trouvée avec son amant; si que possible luy avoit-elle donné cette
+assignation et cette commodité; car, en cela, quand la femme veut et
+désire, il ne faut point que l'amant se soucie d'excogiter des
+commoditez, car elle en trouvera plus en une heure que tous nous autres
+sçaurions faire en cent ans, ainsi que dit une dame de par le monde, que
+je sçay, qui dit à son amant: «Trouvez moyen seulement de m'en faire
+venir l'envie, car d'ailleurs, j'en trouveray prou pour en venir là.»
+César aussi sçavoit bien combien vaut l'aune de ces choses-là, car il
+estoit un fort grand ruffian, et l'appeloit-on le coq à toutes poules,
+et en fit force cocus en sa ville, tesmoing le sobriquet que luy
+donnoient ses soldats à son triomphe: _Romani, servate uxores, mœchum
+adducimus calvum_, c'est-à-dire, «Romains, serrez bien vos femmes, car
+nous vous amenons ce grand paillard et adultere de César le chauve, qui
+vous les repassera toutes.» Voilà donc comme César, par cette sage
+response qu'il fit ainsi de sa femme, il s'exempta de porter le nom de
+cocu qu'il faisoit porter aux autres; mais, dans son ame, il se sentoit
+bien touché.
+
+--Octavie César répudia aussi Scribonia pour l'amour de sa paillardise
+sans autre chose, et ne luy fit autre mal, bien qu'elle eust raison de
+le faire cocu, à cause d'une infinité de dames qu'il entretenoit; et
+devant leurs marys publiquement les prenoit à table aux festins qu'il
+leur faisoit, et les emmenoit en sa chambre, et, après en avoir fait,
+les renvoyoit, les cheveux défaits un peu et destortillez, avec les
+oreilles rouges: grand signe qu'elles en venoient, lequel je n'avois ouy
+dire propre pour descouvrir que l'on en vient; ouy bien le visage, mais
+non l'oreille. Aussi luy donna-t-on la réputation d'estre fort paillard;
+mesmes Marc-Antoine le luy reprocha: mais il s'excusoit qu'il
+n'entretenoit point tant les dames pour la paillardise, que pour
+descouvrir plus facilement les secrets de leurs marys, desquels il se
+mesfioit. J'ai cogneu plusieurs grands et autres, qui en ont fait de
+mesme et ont recherché les dames pour ce mesme sujet, dont s'en sont
+bien trouvez; j'en nommerois bien aucuns: ce qui est une bonne finesse,
+car il en sort double plaisir. La conjuration de Catilina fut ainsi
+descouverte par une dame de joye.
+
+--Ce mesme Octavie, à sa fille Julia, femme d'Agrippa, pour avoir esté
+une très-grande putain, et qui luy faisoit grande honte (car
+quelques-fois les filles font à leurs peres plus de deshonneur que les
+femmes ne font à leurs marys), fut une fois en délibération de la faire
+mourir; mais il ne la fit que bannir, luy oster le vin et l'usage des
+beaux habillements, et d'user des parures, pour très-grande punition, et
+la fréquentation des hommes: grande punition pourtant pour les femmes de
+cette condition, de les priver de ces deux derniers points!
+
+--César Caligula, qui estoit un fort cruel tyran, ayant eu opinion que
+sa femme Livia Hostilia lui avoit dérobé quelques coups en robe, et
+donné à son premier mary C. Piso, duquel il l'avoit ostée par force, et
+à luy encore vivant, luy faisoit quelque plaisir et gracieuseté de son
+gentil corps cependant qu'il estoit absent en quelque voyage, n'usa
+point en son endroit de sa cruauté accoustumée, ains la bannit de soy
+seulement, au bout de deux ans qu'il l'eust ostée à son mary Piso et
+espousée. Il en fit de mesme à Tullia Paulina, qu'il avoit ostée à son
+mary C. Memmius: il ne la fit que chasser, mais avec défense expresse de
+n'user nullement de ce mestier doux, non pas seulement à son mary:
+rigueur cruelle pourtant de n'en donner à son mary! J'ay ouy parler d'un
+grand prince chrestien qui fit cette défense à une dame qu'il
+entretenoit, et à son mary de n'y toucher, tant il estoit jaloux.
+
+Claudius, fils de Drusus Germanicus, répudia tant seulement sa femme
+Plantia Herculalina, pour avoir esté une signalée putain, et, qui pis
+est, pour avoir entendu qu'elle avoit attenté sur sa vie; et, tout cruel
+qu'il estoit, encor que ces deux raisons fussent assez bastantes pour la
+faire mourir, il se contenta du divorce. Davantage, combien de temps
+porta-t-il les fredaines et sales bourdelleries de Valeria Messalina,
+son autre femme, laquelle ne se contentoit pas de le faire avec l'un et
+l'autre, dissolument et indiscrètement, mais faisoit profession d'aller
+aux bourdeaux s'en faire donner, comme la plus grande bagasse de la
+ville, jusques-là, comme dit Juvenal, qu'ainsi que son mary estoit
+couché avec elle, se déroboit tout bellement d'auprès de luy le voyant
+bien endormy et se déguisoit le mieux qu'elle pouvoit, et s'en alloit en
+plein bourdeau, et là s'en faisoit donner si très-tant, et jusques
+qu'elle en partoit plustost lasse que saoule et rassasiée, et faisoit
+encore pis: pour mieux se satisfaire et avoir cette réputation et
+contentement en soy d'estre une grande putain et bagasse, se faisoit
+payer, et taxoit ses coups et ses chevauchées, comme un commissaire qui
+va par pays jusqu'à la dernière maille.
+
+--J'ay ouy parler d'une dame de par le monde, d'assez chère étoffe, qui
+quelque temps fit cette vie, et alla ainsi aux bourdeaux déguisée, pour
+en essayer la vie et s'en faire donner; si que le guet de la ville, en
+faisant la ronde, l'y surprit une nuict. Il y en a d'autres qui font ces
+coups, que l'on sçait bien.
+
+Bocace, en son livre des _Illustres Malheureux_, parle de cette
+Messaline gentiment, et la fait alléguant ses excuses en cela, d'autant
+qu'elle estoit du tout née à cela, si que le jour qu'elle naquist ce fut
+en certains signes du ciel qui l'embraserent et elle et autres. Son mary
+le sçavoit, et l'endura long-temps, jusques à ce qu'il sceut qu'elle
+s'estoit mariée sous bourre avec un Caïus Silius, l'un des beaux
+gentilshommes de Rome. Voyant que c'estoit une assignation sur sa vie,
+la fit mourir sur ce sujet, mais nullement pour sa paillardise, car il y
+estoit tout accoustumé à la voir, la sçavoir et l'endurer. Qui a veu la
+statue de ladite Messaline trouvée ces jours passez en la ville de
+Bourdeaux, advouera qu'elle avoit bien la vraye mine de faire une telle
+vie. C'est une médaille antique, trouvée parmy aucunes ruines, qui est
+très-belle, et digne de la garder pour la voir et bien contempler.
+C'estoit une fort grande femme, de très-belle haute taille, les beaux
+traits de son visage, et sa coeffure tant gentille à l'antique romaine,
+et sa taille très-haute, démonstrant bien qu'elle estoit ce qu'on a dit:
+car, à ce que je tiens de plusieurs philosophes, médecins et
+physionomistes, les grandes femmes sont à cela volontiers inclinées,
+d'autant qu'elles sont hommasses; et, estant ainsi, participent des
+chaleurs de l'homme et de la femme; et, jointes ensemble en un seul
+corps et sujet, sont plus violentes et ont plus de force qu'une seule;
+aussi qu'à un grand navire, dit-on, il faut une grande eau pour le
+soutenir. Davantage, à ce que disent les grands docteurs en l'art de
+Vénus, une grande femme y est plus propre et plus gente qu'une petite.
+Sur quoi il me souvient d'un très-grand prince que j'ai cogneu: voulant
+loüer une femme de laquelle il avoit eu joüissance, il dit ces mots:
+«C'est une très-belle putain, grande comme madame ma mere.» Dont ayant
+esté surpris sur la promptitude de sa parole, il dit qu'il ne vouloit
+pas dire qu'elle fust une grande putain comme madame sa mere, mais
+qu'elle fust de la taille et grande comme madame sa mere.
+
+--Quelquesfois on dit des choses qu'on ne pense pas dire, quelquesfois
+aussi sans y penser l'on dit bien la vérité. Voilà donc comme il fait
+meilleur avec les grandes et hautes femmes, quand ce ne seroit que pour
+la belle grace, la majesté qui est en elles; car, en ces choses, elle y
+est aussi requise et autant aimable qu'en d'autres actions et exercices,
+ny plus ny moins que le manège d'un beau et grand coursier du règne est
+bien cent fois plus agréable et plaisant que d'un petit bidet, et donne
+bien plus de plaisir à son escuyer; mais aussi il faut bien que cet
+escuyer soit bon et se tienne bien, et monstre bien plus de force et
+d'adresse: de mesme se faut-il porter à l'endroit des grandes et hautes
+femmes; car, de cette taille, elles sont sujettes d'aller d'un air plus
+haut que les autres, et bien souvent font perdre l'estrier, voire
+l'arçon, si l'on n'a bonne tenuë, comme j'ay ouy conter à aucuns
+cavalcadours qui les ont montées; et lesquelles font gloire et grand
+mocquerie quand elles les font sauter et tomber tout à plat: ainsi que
+j'en ay ouy parler d'une de cette ville, laquelle, la première fois que
+son serviteur coucha avec elle, luy dit franchement: «Embrassez-moy
+bien, et me liez à vous de bras et de jambes le mieux que vous pourrez,
+et tenez-vous bien hardiment, car je vays haut, et gardez bien de
+tomber. Aussi, d'un costé, ne m'espargnez pas; je suis assez forte et
+habile pour soutenir vos coups, tant rudes soient ils; et si vous
+m'espargnez je ne vous espargneray point. C'est pourquoy à beau jeu beau
+retour.» Mais la femme le gaigna. Voilà donc comme il faut bien adviser
+à se gouverner avec telles femmes hardies, joyeuses, renforcées,
+charnuës et proportionnées; et, bien que la chaleur surabondante en
+elles donne beaucoup de contentement, quelquesfois aussi sont-elles trop
+pressantes pour estre si chaleureuses. Toutesfois, comme l'on dit, de
+toutes tailles bons levriers: aussi y a-t-il de petites femmes nabottes
+qui ont le geste, la grace, la façon en ces choses un peu approchante
+des autres, ou les veulent imiter, et si sont aussi chaudes et aspres à
+la curée, voire plus: je m'en rapporte aux maistres en ces arts. Ainsi
+qu'un petit cheval se remue aussi prestement qu'un grand, et, comme
+disoit un honneste homme, que la femme ressembloit à plusieurs animaux,
+et principalement à un singe, quand dans le lict elle ne fait que se
+mouvoir et remuer. J'ay fait cette digression; en me souvenant il faut
+retourner à nostre premier texte.
+
+--Et ce cruel Néron ne fit aussi que répudier sa femme Octavia, fille de
+Claudius et Messalina, pour adultère, et sa cruauté s'abstint
+jusques-là.
+
+--Domitian fit encore mieux, lequel répudia sa femme Domitia Longina
+parce qu'elle estoit si amoureuse d'un certain comédien et basteleur
+nommé Pâris, et ne faisoit tout le jour que paillarder avec luy, sans
+tenir compagnie à son mary; mais, au bout de peu de temps, il la reprit
+encore et se repentit de sa séparation; pensez que ce basteleur luy
+avoit appris des tours de souplesse et de maniement dont il croyoit
+qu'il se trouveroit bien.
+
+--Pertinax en fit de mesme à sa femme Flavia Sulpitiana, non qu'il la
+répudiast ni qu'il la reprist, mais la sachant faire l'amour à un
+chantre et joueur d'instruments, et s'adonner du tout à luy, n'en fit
+autre compte sinon la laisser faire, et luy faire l'amour de son costé à
+une Cornificia estant sa cousine germaine; suivant en cel a l'opinion
+d'Eliogabale, qui disoit qu'il n'y avoit rien au monde plus beau que la
+conversation de ses parents et parentes. Il y en a force qui ont fait
+tels eschanges que je sçay, se fondans sur ces opinions.
+
+--Aussi l'empereur Severus non plus se soucia de l'honneur de sa femme,
+laquelle estoit putain publique, sans qu'il se souciast jamais de l'en
+corriger, disant qu'elle se nommoit Jullia, et, pour ce, qu'il la
+falloit excuser, d'autant que toutes celles qui portoient ce nom de
+toute ancienneté estoient sujettes d'estre très-grandes putains et faire
+leurs marys cocus: ainsi que je connois beaucoup de dames portans
+certains noms de notre christianisme, que je ne veux dire pour la
+révérence que je dois à nostre saincte religion, qui sont
+coustumièrement sujettes à estre puttes et à hausser le devant plus que
+d'autres portans autres noms, et n'en a-t-on veu guères qui s'en soient
+eschappées.
+
+Or je n'aurois jamais fait si je voulois alléguer une infinité d'autres
+grandes dames et emperieres romaines de jadis, à l'endroict desquelles
+leurs marys cocus, et très-cruels, n'ont usé de leurs cruautez,
+autoritez et privileges, encore qu'elles fussent très-débordées; et croy
+qu'il y en a peu de prudes de ce vieux temps, comme la description de
+leur vie le manifeste: mesmes, que l'on regarde bien leurs effigies et
+médailles antiques, on y verra tout à plain, dans leur beau visage, la
+mesme lubricité toute gravée et peinte; et pourtant leurs marys cruels
+la leur pardonnoient, et ne les faisoient mourir, au moins aucuns: et
+qu'il faille qu'eux payens, ne connaissans Dieu, ayent esté si doux et
+benings à l'endroit de leurs femmes et du genre humain, et la pluspart
+de nos roys, princes, seigneurs et autres chrestiens, soyent si cruels
+envers elles par un tel forfait!
+
+--Encore faut-il loüer ce brave Philippe Auguste, nostre roy de France,
+lequel, ayant répudié sa femme Angerberge, sœur de Canut, roy de
+Danemarck, qui estoit sa seconde femme, sous prétexte qu'elle estoit sa
+cousine en troisiesme degré du costé de sa premiere femme Isabel (autres
+disent qu'il la soubçonnoit de faire l'amour), néantmoins ce roy, forcé
+par censures ecclésiastiques, quoy qu'il fust remarié d'ailleurs, la
+reprit, et l'emmena derrière luy tout à cheval, sans le sceu de
+l'assemblée de Soissons faite pour cet effet, et trop séjournant pour en
+décider. Aujourd'huy aucun de nos grands n'en font de mesmes; mais la
+moindre punition qu'ils font à leurs femmes, c'est les mettre en chartre
+perpétuelle, au pain et à l'eau, et là les faire mourir, les
+empoisonnent, les tuent, soit de leur main ou de la justice. Et s'ils
+ont tant d'envie de s'en défaire et espouser d'autres, comme cela
+advient souvent, que ne les répudient-ils, et s'en separent
+honnestement, sans autre mal, et demandent puissance au pape d'en
+espouser une autre, encor que ce qui est conjoint l'homme ne le doit
+séparer? Toutesfois, nous en avons eu des exemples de frais, et du roy
+Charles huit et de Loüis douze, nos roys; sur quoy j'ay ouy discourir un
+grand théologien, et c'estoit sur le feu roy d'Espagne Philippe, qui
+avoit espousé sa niepce, mère du roy d'aujourd'huy, et ce par dispense,
+qui disoit: «Ou du tout il faut advoüer le Pape pour lieutenant général
+de Dieu en terre, et absolu, ou non: s'il l'est, comme nous autres
+catholiques le devons croire, il faut du tout confesser sa puissance
+bien absolue et infinie en terre, et sans bornes, et qu'il peut noüer et
+desnoüer comme il luy plaist; mais, si nous ne le tenons tel, je le
+quitte pour ceux qui sont en telle erreur, non pour les bons
+catholiques, et par ainsi nostre Pere sainct peut remédier à ces
+dissolutions de mariages, et à de grands inconvénients qui arrivent pour
+cela entre le mary et la femme, quand ils font tels mauvais ménages.»
+Certainement les femmes sont fort blasmables de traitter ainsi leurs
+marys par leur foy violée, que Dieu leur a tant recommandée mais
+pourtant de l'autre costé, il a bien défendu le meurtre, et lui est
+grandement odieux de quelque costé que ce soit: et jamais guieres
+n'ay-je veu gens sanguinaires et meurtriers, mesmes de leurs femmes, qui
+n'en ayent payé le debte, et peu de gens aimant le sang ont bien finy;
+car plusieurs femmes pécheresses ont obtenu et gaigné miséricorde de
+Dieu, comme la Madelaine. Enfin, ces pauvres femmes sont créatures plus
+ressemblantes à la Divinité que nous autres à cause de leur beauté; car
+ce qui est beau est plus approchant de Dieu qui est tout beau, que le
+laid qui appartient au diable.
+
+--Ce grand Alphonse, roy de Naples, disoit que la beauté estoit une
+vraye signifiance de bonnes et douces mœurs, ainsi comme est la belle
+fleur d'un bon et beau fruit: comme de vray, en ma vie j'ay veu force
+belles femmes toutes bonnes; et, bien qu'elles fissent l'amour, ne
+faisoyent point de mal, ny autre qu'à songer à ce plaisir, et y
+mettoyent tout leur soucy sans l'applicquer ailleurs. D'autres aussi en
+ay-je veu très-mauvaises, pernicieuses, dangereuses, crueles et fort
+malicieuses, nonobstant songer à l'amour et au mal tout ensemble. Sera
+t-il doncques dit qu'estant ainsi sujettes à l'humeur vollage et
+ombrageuse de leurs marys, qui méritent plus de punition cent fois
+envers Dieu, qu'elles soient ainsi punies? Or de telles gens la
+complexion est autant fascheuse comme est la peine d'en escrire.
+
+--J'en parle maintenant encore d'un autre, qui estoit un seigneur de
+Dalmatie, lequel ayant tué le paillard de sa femme, la contraignit de
+coucher ordinairement avec son tronc mort, charogneux et puant; de telle
+sorte que la pauvre femme fut suffoquée de la mauvaise senteur qu'elle
+endura par plusieurs jours.
+
+--Vous avez, dans les _Cent Nouvelles de la Reyne de Navarre_, la plus
+belle et triste histoire que l'on sçauroit voir pour ce sujet, de cette
+belle dame d'Allemagne que son mary contraignoit à boire ordinairement
+dans le test de la teste de son amy qu'il y avoit tué; dont le seigneur
+Bernage, lors ambassadeur en ce pays pour le roy Charles huictiesme, en
+vit le pitoyable spectacle, et en fit l'accord.
+
+--La première fois que je fus jamais en Italie, passant par Venise, il
+me fut fait un compte pour vray d'un certain chevalier albanais, lequel,
+ayant surpris sa femme en adultère, tua l'amoureux, et de despit qu'il
+eut que sa femme ne s'estoit contentée de luy; car il estoit un gallant
+cavallier, et des propres pour Vénus, jusques à entrer en jouxte dix ou
+douze fois pour une nuict: pour punition il fut curieux de rechercher
+par-tout une douzaine de bons compagnons, et fort ribauts, qui avoient
+la réputation d'estre bien et grandement proportionnez de leurs membres,
+et fort adroits et chauds à l'exécution; et les prit, les gagea, et loua
+pour argent, et les serra dans la chambre de sa femme, qui estoit
+très-belle, et la leur abandonna, les priant tous d'y faire bien leur
+devoir, avec double paye s'ils s'en acquittoient bien: et se mirent tous
+après elle, les uns après les autres, et la menèrent de telle façon
+qu'ils la rendirent morte, avec un très-grand contentement du mary; à
+laquelle il luy reprocha, tendante à la mort, que, puis qu'elle avoit
+tant aymé cette douce liqueur, qu'elle s'en saoulast, à mode que dit
+Sémiramis[6] à Cyrus, luy mettant sa teste dans un vase plein de sang.
+Voila un terrible genre de mort! Cette pauvre dame ne fust ainsi morte,
+si elle eust esté de la robuste complexion d'une garce qui fut au camp
+de César en la Gaule, sur laquelle on dit que deux légions passèrent par
+dessus en peu de temps, et au partir de là fit la gambade, ne s'en
+trouvant point mal.
+
+--J'ai ouy parler d'une dame françoise de ville, et damoiselle, et
+belle: en nos guerres civiles ayant esté forcée, dans une ville prise
+d'assaut, par une infinité de soldats, et, en estant échappée, elle
+demanda à un beau père si elle avoit péché grandement: après luy avoir
+conté son histoire, il lui dit que non, puisqu'elle avoit ainsi été
+prise par force, et violée sans sa volonté, mais y répugnant du tout.
+Elle répondit: «Dieu donc soit loüé, que je m'en suis une fois en ma vie
+saoulée sans pécher ni offenser Dieu!»
+
+--Une dame de bonne part, au massacre de la Sainct-Barthélemy, ayant été
+ainsi forcée, et son mary mort, elle demanda à un homme de sçavoir et de
+conscience si elle avoit offensé Dieu, et si elle n'en seroit point
+punie de sa rigueur, et si elle n'avoit point fait tort aux manes de son
+mary qui ne venoit que d'estre frais tué. Il lui respondit que, quand
+elle estoit en cette besogne, si elle y avoit pris plaisir, certainement
+elle avoit péché; mais si elle y avoit eu du dégoust, c'étoit tout un.
+Voila une bonne sentence!
+
+--J'ay bien cogneu une dame qui estoit différente de cette opinion, qui
+disoit qu'il n'y avoit si grand plaisir en cette affaire que quand elle
+estoit à demy forcée et abattue, et mesme d'un grand, d'autant que, tant
+plus on fait de la rebelle et de la refusante, d'autant plus on y prend
+d'ardeur et s'efforce-t-on: car, ayant une fois faussé sa breche, il
+jouit de sa victoire plus furieusement et rudement, et d'autant plus on
+donne d'appetit à sa dame, qui contrefait pour tel plaisir la demi-morte
+et pasmée, comme il semble, mais c'est de l'extrême plaisir qu'elle y
+prend: mesme ce disoit cette dame, que bien souvent elle donnoit de ces
+venues et alteres à son mary, et faisoit de la farouche, de la bizarre
+et desdaigneuse, le mettant plus en rut; et, quand il venoit là, luy et
+elle s'en trouvoient cent fois mieux: car, comme plusieurs ont escrit,
+une dame plaist plus qui fait un peu de la difficile et resiste, que
+quand elle se laisse sitost porter par terre. Aussi en guerre, une
+victoire obtenue de force est plus signalée, plus ardente et plaisante,
+que par la gratuité, et en triomphe-t-il mieux. Mais aussi ne faut que
+la dame fasse tant en cela la revesche ny terrible, car on la tiendroit
+plustost pour une putain rusée qui voudroit faire de la prude, dont bien
+souvent elle seroit escandalisée; ainsi que j'ay ouy dire à des plus
+savantes et habiles en ce fait, auxquelles je m'en rapporte, ne voulant
+estre si présomptueux de leur en donner des préceptes qu'elles sçavent
+mieux que moy. Or j'ay veu plusieurs blasmer grandement aucun de ces
+marys jaloux et meurtriers, d'une chose, que, si leurs femmes sont
+putains, eux-mêmes en sont cause. Car, comme dit saint Augustin, c'est
+une grande folie à un mary de requérir chasteté à sa femme, luy estant
+plongé au bourbier de paillardise; et en tel estat doit estre le mary
+qu'il veut trouver sa femme. Mesmes nous trouvons en nostre Sainte
+Escriture qu'il n'est pas besoin que le mary et la femme s'entr'ayment
+si fort; cela se veut entendre par des amours lascifs et paillards:
+d'autant que, mettant et occupant de tout leur cœur en ces plaisirs
+lubriques, y songent si fort et s'y adonnent si très-tant, qu'ils en
+laissent l'amour qu'ils doivent à Dieu; ainsi que moy-mesme j'ay veu
+beaucoup de femmes qui aymoient si très-tant leurs marys, et eux elles,
+et en brusloient de telle ardeur, qu'elles et eux en oublioient du tout
+le service de Dieu, si que, le temps qu'il y falloit mettre, le
+mettoient et consommoient après leurs paillardises. De plus, ces marys,
+qui pis est, apprennent à leurs femmes, dans leur lict propre, mille
+lubricitez, mille paillardises, mille tours contours, façons nouvelles,
+et leur pratiquent ces figures enormes de l'Aretin: de telle sorte que,
+pour un tison de feu qu'elles ont dans le corps, elles y en engendrent
+cent, et les rendent ainsi paillardes; si bien qu'estant de telle façon
+dressées, elles ne se peuvent engarder qu'elles ne quittent leurs marys,
+et aillent trouver autres chevaliers; et, sur ce, leurs marys en
+desesperent, et punissent leurs pauvres femmes, en quoy ils ont grand
+tort: car puis qu'elles sentent leur cœur pour estre si bien
+dressées, elles veulent monstrer à d'autres ce qu'elles sçavent faire;
+et leurs marys voudroient qu'elles cachassent leur sçavoir, en quoy il
+n'y a apparence ny raison, non plus que si un bon escuyer avoit un
+cheval bien dressé, allant de tous ayrs, et qu'il ne voulust permettre
+qu'on le vist aller, ny qu'on montast dessus, mais qu'on le creust à sa
+simple parole, et qu'on l'acheptast ainsi.
+
+--J'ay ouy conter à un honneste gentilhomme de par le monde, lequel
+estant devenu fort amoureux d'une belle dame, il luy fut dit par un sien
+amy qu'il y perdroit son temps, car elle aimoit trop son mary. Il se va
+adviser une fois de faire un trou qui arregardoit droit dans leur lict,
+si bien qu'estant couchés ensemble il ne faillit de les espier par ce
+trou, d'où il vit les plus grandes lubricitez, paillardises, postures
+sales, monstrueuses et énormes, autant de la femme, voire plus que du
+mary, et avec des ardeurs très-extrêmes; si bien que le lendemain il
+vint à trouver son compagnon et luy raconter la belle vision qu'il avoit
+eue, et luy dit: «Cette femme est à moy aussitost que son mary sera
+party pour tel voyage; car elle ne se pourra tenir longuement en sa
+chaleur que la nature et l'art luy ont donné, et faut qu'elle la passe,
+et par ainsi, par ma persévérance je l'auray.»
+
+--Je cognois un autre honneste gentilhomme qui, estant bien amoureux
+d'une belle et honneste dame, sçachant qu'elle avoit un Aretin en figure
+dans son cabinet, que son mary sçavoit et l'avoit veu et permis, augura
+aussi-tost par là qu'il l'attraperoit; et, sans perdre espérance, il la
+servit si bien et continua, qu'enfin il l'emporta; et cogneut en elle
+qu'elle y avoit appris de bonnes leçons et pratiques, ou fust de son
+mary ou d'autres, niant pourtant que ny les uns ny les autres n'en
+avoient point esté les premiers maistres, mais la dame nature, qui en
+estoit meilleure maistresse que tous les arts. Si est-ce que le livre et
+la pratique luy avoient beaucoup servy en cela, comme elle luy confessa
+puis après.
+
+--Il se lit d'une grande courtisane et maquerelle insigne du temps de
+l'ancienne Rome, qui s'appeloit Elefantina, qui fit et composa de telles
+figures de l'Aretin, encore pires, auxquelles les dames grandes et
+princesses faisant estat de putanisme estudioient comme un très-beau
+livre; et cette bonne dame putain cyréniene, laquelle estoit surnommée
+aux douze Inventions, parce qu'elle avoit trouvé douze manières pour
+rendre le plaisir plus voluptueux et lubrique.
+
+--Héliogabale gaigeoit et entretenoit, par grand argent et dons, ceux et
+celles qui luy inventoient et produisoient nouvelles et telles
+inventions pour mieux esveiller sa paillardise. J'en ay ouy parler
+d'autres pareils de par le monde.
+
+--Un de ces ans le pape Sixte[7] fit pendre à Rome un secrétaire qui
+avoit esté au cardinal d'Est, et s'appeloit Capella, pour beaucoup de
+forfaits, mais entre autres qu'il avoit composé un livre de ces belles
+figures, lesquelles estoient représentées par un grand que je ne
+nommeray point pour l'amour de sa robe, et par une grande, l'une des
+belles dames de Rome, et tous représentés au vif, et peints au
+naturel[8].
+
+--J'ay cogneu un prince de par le monde qui fit bien mieux, car il
+achepta d'un orfevre une très-belle coupe d'argent doré, comme pour un
+chef-d'œuvre et grand spéciauté, la mieux élabourée, gravée et
+sigillée qu'il estoit possible de voir, où estoient taillées bien
+gentiment et subtillement au burin plusieurs figures de l'Aretin, de
+l'homme et de la femme; et ce au bas estage de la coupe, et au dessus et
+au haut plusieurs aussi de diverses manières de cohabitations de bestes,
+là où j'appris la première fois (car j'ay veu souvent ladicte coupe et
+beu dedans, non sans rire) celle du lion et de la lionne, qui est toute
+contraire à celle des autres animaux, que je n'avois jamais sceu, dont
+je m'en rapporte à ceux qui le sçavent sans que je le die. Cette coupe
+estoit l'honneur du buffet de ce prince; car, comme j'ay dit, elle
+estoit très-belle et riche d'art, et agréable à voir au dedans et au
+dehors. Quand ce prince festinoit les dames et filles de la Cour, comme
+souvent il les convioit, ses sommeilliers ne failloient jamais, par son
+commandement, de leur bailler à boire dedans; et celles qui ne l'avoient
+jamais veue, ou en beuvant ou après, les unes demeuroient estonnées et
+ne sçavoient que dire là-dessus: aucunes demeuroient honteuses, et la
+couleur leur sautoit au visage; aucunes s'entredisoient entr'elles:
+«Qu'est-ce que cela qui est gravé là-dedans? Je crois que ce sont des
+salauderies. Je n'y bois plus. J'aurois bien grand soif avant que j'y
+retournasse boire.» Mais il falloit qu'elles beussent là, ou bien
+qu'elles esclatassent de soif; et, pour ce, aucunes fermoient les yeux
+en beuvant; les autres moins vergogneuses point; qui en avoient ouy
+parler du mestier, tant dames que filles, se mettoyent à rire sous
+bourre; les autres en crevoient tout à trac. Les unes disoient, quand on
+leur demandoit qu'elles avoient à rire et ce qu'elles avoient veu,
+disoient qu'elles n'avoient rien veu que des peintures, et que pour cela
+elles n'y lairroient à boire une autre fois. Les autres disoient: «Quant
+à moy, je n'y songe point à mal; la veue et la peinture ne souillent
+point l'ame.» Les unes disoient: «Le bon vin est aussi bon leans
+qu'ailleurs.» Les autres affermoient qu'il y faisoit aussi bon boire
+qu'en une autre coupe, et que la soif s'y passoit aussi bien. Aux unes
+on faisoit la guerre pourquoy elles ne fermoient les yeux en beuvant;
+elles respondoient qu'elles vouloient voir ce qu'elles beuvoient,
+craignant que ce ne fust du vin, mais quelque médecine ou poison. Aux
+autres on demandoit à quoy elles prenoient plus de plaisir, ou à voir ou
+à boire; elles respondoient: «A tout.» Les unes disoient: «Voilà de
+belles grotesques;» les autres: «Voilà de plaisantes nommeries;» les
+unes disoient: «Voilà de beaux images;» les autres: «Voilà de beaux
+miroirs;» les unes disoient: «L'orfevre estoit bien à loisir de s'amuser
+à faire ces fadezes;» les autres disoient: «Et vous, monsieur, encore
+plus d'avoir achepté ce beau hanap.» Aux unes on demandoit si elles
+sentoient rien qui les picquast au mitan du corps pour cela: elles
+respondoient que nulle de ces drolleries y avoit eu pouvoir pour les
+picquer: aux autres on demandoit si elles n'avoient point senty le vin
+chaut et qu'il les eust eschauffées, encore que ce fust en hyver; elles
+respondoient qu'elles n'avoient garde, car elles avoient beu bien froid,
+qui les avoit bien rafraischies: aux unes on demandoit quelles images de
+toutes celles elles voudroient tenir en leur lict; elles respondoient
+qu'elles ne se pouvoient oster de là pour les y transporter. Bref, cent
+mille brocards et sornettes sur ce sujet s'entre-donnoient les
+gentilshommes et dames ainsi à table, comme j'ay veu que c'estoit une
+très-plaisante gausserie, et chose à voir et ouyr; mais surtout à mon
+gré, le plus et le meilleur estoit à contempler ces filles innocentes,
+ou qui feignoient l'estre, et autres dames nouvellement venues, à tenir
+leur mine froide riante du bout du nez et des lèvres, ou à se
+contraindre et faire des hypocrites, comme plusieurs dames en faisoient
+de mesme. Et notez que, quand elles eussent deu mourir de soif, les
+sommelliers n'eussent osé leur donner à boire en une autre coupe ny
+verre. Et, qui plus est, aucunes juroient, pour faire bon minois,
+qu'elles ne tourneroient jamais à ces festins; mais elles ne laissoient
+pour cela à y tourner souvent, car ce prince estoit très-splendide et
+friand. D'autres disoient, quand on les convioit: «J'iray, mais en
+protestation qu'on ne nous baillera point à boire dans la coupe;» et
+quand elles y estoient, elles y beuvoient plus que jamais. Enfin elles
+s'y anezèrent si bien, qu'elles ne firent plus de scrupule d'y boire; et
+si firent bien mieux aucunes, qu'elles se servirent de telles visions en
+temps et lieu, et, qui, plus est, aucunes s'en débauscherent pour en
+faire l'essay; car toute personne d'esprit veut essayer tout. Voilà les
+effets de cette belle coupe si bien historiée. A quoy se faut imaginer
+les autres discours, les songes, les mines et les paroles que telles
+dames disoient et faisoient entr'elles, à part ou en compagnie. Je pense
+que telle coupe estoit bien différente à celle dont parle M. de Ronsard
+en l'une de ses premières odes, dédiée au feu Roy Henry, qui se commence
+ainsi:
+
+ Comme un qui prend une couppe,
+ Seul honneur de son trésor,
+ Et de son rang verse à la trouppe
+ Du vin qui rit dedans l'or.
+
+Mais en cette coupe le vin ne rioit pas aux personnes, mais les
+personnes au vin: car les unes beuvoient en riant, et les autres
+beuvoient en se ravissant; les unes se compissoient en beuvant, et les
+autres beuvoient en se compissant; je dis d'autre chose que du pissat.
+Bref, cette coupe faisoit de terribles effets, tant y estoient
+pénétrantes ces visions, images et perspectives: dont je me souviens
+qu'une fois, en une gallerie du comte de Chasteauvilain, dit le seigneur
+Adjacet, une troupe de dames avec leurs serviteurs estant allés voir
+cette belle maison, leur veue s'addressa sur de beaux et rares tableaux
+qui estoient en ladite gallerie. A elles se présenta un tableau beau, où
+estoient représentées force belles dames nues qui estoient aux bains,
+qui s'entre touchoient, se palpoient, se manioient et frottoient,
+s'entre-mesloient, se tastonnoient, et, qui plus est, se faisoient le
+poil tant gentiment et si proprement en monstrant tout, qu'une froide
+recluse ou hermite s'en fust eschauffée et esmeue; et c'est pourquoy une
+grande dame, dont j'ay ouy parler et cogneue, se perdant en ce tableau,
+dit à son serviteur en se tournant vers luy, comme enragée de cette
+rage d'amour: «C'est trop demeuré icy: montons en carrosse promptement,
+et allons en mon logis, car je ne puis plus contenir cette ardeur; il la
+faut aller esteindre: c'est trop bruslé.» Et ainsi partit, et alla avec
+son serviteur prendre de cette bonne eau qui est si douce sans sucre,
+que son serviteur lui donna de sa petite burette.
+
+Telles peintures et tableaux portent plus de nuisance à une ame fragile
+qu'on ne pense; comme en estoit un là mesme d'une Vénus toute nue,
+couchée et regardée de son fils Cupidon; l'autre d'un Mars couché avec
+sa Vénus, l'autre d'une Léda couchée avec son cygne. Tant d'autres y
+a-t-il, et là et ailleurs, qui sont un peu plus modestement peints et
+voilez mieux que les figures de l'Aretin; mais quasi tout vient à un, et
+en approchant de nostre coupe dont je viens de parler, laquelle avoit
+quasi quelque sympathie, par antinomie, de la coupe que trouva Renault
+de Montauban en ce chasteau dont parle l'Arioste, laquelle à plein
+descouvroit les pauvres cocus, et cette-cy les faisoit; mais l'une
+portoit un peu trop de scandale aux cocus et leurs femmes infidèles, et
+cette-cy point. Aujourd'huy n'en est besoin de ces livres ni de ces
+peintures, car les marys leur en apprennent prou: et voilà que servent
+telles escholes de marys.
+
+--J'ai cogneu un bon imprimeur vénitien à Paris, qui s'appelloit messer
+Bernardo, parent de ce grand Aldus Manutius de Venise[9], qui tenoit sa
+boutique en la rue de Sainct-Jacques, qui me dit et jura une fois qu'en
+moins d'un an il avoit vendu plus de cinquante paires de livres de
+l'Aretin à force gens mariés et non mariés, et à des femmes, dont il me
+nomma trois de par le monde, grandes, que je ne nommeray point, et les
+leur bailla à elles-mesmes, et très-bien reliés, sous serment presté
+qu'il n'en sonneroit pas mot, mais pourtant il me le dist, et me dist
+davantage qu'une autre dame lui en ayant demandé au bout de quelque
+temps s'il en avoit point un pareil comme un qu'elle avoit veu entre les
+mains d'une de ces trois, il luy respondit: _Signora, si, et peggio_, et
+soudain argent en campagne, les acheptant tous au poids de l'or. Voilà
+une folle curiosité pour envoyer son mari faire un voyage à Cornette
+près de Civita-Vecchia.
+
+Toutes ces formes et postures sont odieuses à Dieu, si bien que sainct
+Hierosme dit: «Qui se monstre plustost débordé amoureux de sa femme que
+mary, est adultère et pèche.» Et parce qu'aucuns docteurs
+ecclésiastiques en ont parlé, je diray ce mot briefvement en mots
+latins, d'autant qu'eux-mesmes ne l'ont voulu dire en françois.
+_Excessus_, disent-ils, _conjugum fit, quando uxor cognoscitur ante
+retro stando, sedendo in latere, et mulier super virum_; comme un petit
+quolibet que j'ay leu d'autrefois, qui dit:
+
+ _In prato viridi monialem ludere vidi_
+ _Cum monacho leviter, ille sub, illa super._
+
+D'autres disent quand ils s'accommodent autrement que la femme ne puisse
+concevoir. Toutesfois il y a aucunes femmes qui disent qu'elles
+conçoivent mieux par les postures monstrueuses et surnaturelles et
+estranges, que naturelles et communes, d'autant qu'elles y prennent
+plaisir davantage, et comme dit le poëte, quand elles s'accommodent
+_more canino_, ce qui est odieux: toutes-fois les femmes grosses, au
+moins aucunes, en usent ainsi de peur de se gaster par le devant.
+D'autres docteurs disent que quelque forme que ce soit est bonne, mais
+que _semen ejaculetur in matricen mulieris, et quomodocunque uxor
+cognoscatur, si vir ejaculetur semen in matricem, non est peccatum
+mortale_. Vous trouverez ces disputes dans _Summa Benedicti_, qui est un
+cordelier docteur qui a très-bien escrit de tous les péchés, et monstre
+qu'il a beaucoup leu et veu[10]. Qui voudra lire ce passage y verra
+beaucoup d'abus que commettent les marys à l'endroit de leurs femmes.
+Aussi dit-il que, _quando mulier est ita pinguis ut non possit aliter
+coïre_, que par telles postures, _non est peccatum mortale, modò vir
+ejaculetur semen in vas naturale_. Dont disent aucuns qu'il vaudroit
+mieux que les marys s'abstinssent de leurs femmes quand elles sont
+pleines, comme font les animaux, que de souiller le mariage par telles
+vilainies.
+
+--J'ai cogneu une fameuse courtisane à Rome, dite la Grecque, qu'un
+grand seigneur de France avoit là entretenue. Au bout de quelque temps,
+il luy prit envie de venir voir la France, par le moyen du seigneur
+Bonusi[11], banquier de Lyon, Lucquois très-riche, de laquelle il estoit
+amoureux; où estant elle s'enquit fort de ce seigneur et de sa femme,
+et, entr'autres choses, si elle ne le faisoit point cocu, «d'autant,
+disoit-elle, que j'ay dressé son mary de si bel air, et luy ay appris de
+si bonnes leçons, que les luy ayant monstrées et pratiquées avec sa
+femme, il n'est possible qu'elle ne les ait voulu monstrer à d'autres;
+car nostre mestier est si chaud quand il est bien appris, qu'on prend
+cent fois plus de plaisir de le monstrer et pratiquer avec plusieurs
+qu'avec un.» Et disoit bien plus, que cette dame luy devoit faire un
+beau présent et condigne de sa peine et de son sallaire, parce que,
+quand son mary vint à son eschole premièrement, il n'y sçavoit rien, et
+estoit en cela le plus sot, neuf et apprentif qu'elle vist jamais; mais
+elle l'avoit si bien dressé et façonné, que sa femme devoit s'en trouver
+cent fois mieux. Et de fait cette dame, la voulant voir, alla chez elle
+en habit dissimulé, dont la courtisane s'en douta et luy tint tous les
+propos que je viens de dire, et pires encore et plus débordés, car elle
+estoit courtisane fort débordée. Et voilà comment les marys se forgent
+les couteaux pour se couper la gorge; cela s'entend des cornes; par
+ainsi, abusant du saint mariage, Dieu les punit; et puis veulent avoir
+leurs revanches sur leurs femmes, en quoy ils sont cent fois plus
+punissables. Aussi ne m'estonne-je pas si ce sainct docteur disoit que
+le mariage estoit quasi une vraye espèce d'adultère: cela vouloit-il
+entendre quand on en abusoit de cette sorte que je viens de dire. Aussi
+a-t-on deffendu le mariage à nos prestres; car, venant de coucher avec
+leurs femmes, et s'estre bien souillés avec elles, il n'y a point de
+propos de venir à un sacré autel. Car, ma foy, ainsi que j'ay ouy dire,
+aucuns bourdellent plus avec leurs femmes que non pas les ruffiens avec
+les putains des bourdeaux, qui, craignant prendre mal, ne s'acharnent et
+ne s'eschauffent avec elles comme les marys avec leurs femmes, qui sont
+nettes et ne peuvent donner mal, au moins aucunes et non pas toutes; car
+j'en ai bien cogneu qui leur en donnent aussi bien que leurs marys à
+elles. Les marys, abusans de leurs femmes, sont fort punissables, comme
+j'ay ouy dire à de grands docteurs, que les marys, ne se gouvernans avec
+leurs femmes modestement dans leur lict comme ils doivent, paillardent
+avec elles comme avec concubines; n'estant le mariage introduit que pour
+la nécessité et procréation, et non pour le plaisir désordonné et
+paillardise. Ce que nous sceut très-bien représenter l'empereur Cejonius
+Commodus, dit autrement Anchus Verus[12], lorsqu'il dit à sa femme
+Domitia Calvilla, qui se plaignoit à luy de quoy il portoit à des
+putains et courtisanes et autres ce qu'à elle appartenoit en son lict,
+et luy ostoit ses menues et petites pratiques: «Supportez, ma femme, luy
+dit-il, qu'avec les autres je saoulle mes désirs, d'autant que le nom de
+femme et de consorte est un nom de dignité et d'honneur, et non de
+plaisir et de paillardise.» Je n'ay point encore leu ny trouvé la
+response que luy fit là dessus madame sa femme l'impératrice; mais il ne
+faut douter que, ne se contentant de cette sentence dorée, elle ne luy
+respondit de bon cœur, et par la voix de la plus part, voire de
+toutes les femmes mariées: «Fy de cet honneur, et vive le plaisir! Nous
+vivons mieux de l'un que de l'autre.» Il ne faut non plus douter aussi
+que la plus part de nos mariés aujourd'hui, et de tout temps, qui ont de
+belles femmes, ne disent pas ainsi; car ils ne se marient et lient, ny
+ne prennent leurs femmes, sinon pour bien passer leur temps et bien
+paillarder en toutes façons, et leur enseigner des préceptes, et pour le
+mouvement de leur corps, et pour les débordées et lascives paroles de
+leurs bouches, afin que leur dormante Vénus en soit mieux esveillée et
+excitée; et, après les avoir bien ainsi instruites et débauschées, si
+elles vont ailleurs, ils les punissent, les battent, les assomment, et
+les font mourir. Il y a aussi un peu de raison en cela, comme si
+quelqu'un avoit débausché une pauvre fille d'entre les bras de sa mère,
+et lui eust fait perdre l'honneur de sa virginité, et puis, après en
+avoir fait sa volonté, la battre et la contraindre à vivre autrement, en
+toute chasteté: vrayment! car il en est bien temps, et bien à propos,
+qui est celuy qui ne le condamne pour homme sans raison et digne d'estre
+chastié? L'on en deust dire de mesme de plusieurs marys, lesquels, quand
+tout est dit, débauschent plus leurs femmes, et leur apprennent plus de
+préceptes pour tomber en paillardise, que ne font leur propres amoureux:
+car ils en ont plus de temps et loisir que es amans; et venans à
+discontinuer leurs exercices, elles changent de main et de maistre, à
+mode d'un bon cavalcadour, qui prend plus de plaisir cent fois de
+monter à cheval, qu'un qui n'y entend rien.»Et de malheur, ce disoit
+cette courtisane, il n'y a nul mestier au monde qui ne soit plus coquin,
+ny qui désire tant de continue, que celuy de Vénus.» En quoy ces marys
+doivent estre avertis de ne faire tels enseignements à leurs femmes, car
+ils leur sont par trop préjudiciables; ou bien, s'ils voyent leurs
+femmes leur jouer un faux-bon, qu'ils ne les punissent point, puisque
+ç'ont esté eux qui leur en ont ouvert le chemin.
+
+--Si faut-il que je fasse cette digression d'une femme mariée, belle et
+honneste et d'estoffe, que je sçay, qui s'abandonna à un honneste
+gentilhomme, aussi plus par jalousie qu'elle portoit à une honneste dame
+que ce gentilhomme aymoit et entretenoit, que par amour. Pourquoy, ainsi
+qu'il en jouissoit, la dame luy dit: «A cette heure, à mon grand
+contentement, triomphe-je de vous et de l'amour que portez à une telle.»
+Le gentilhomme lui respondit: «Une personne abattue, subjuguée et
+foulée, ne sçauroit bien triompher.» Elle prend pied à cette réponse,
+comme touchant à son honneur, et luy replique aussitôt: «Vous avez
+raison.» Et tout-à-coup s'advise de désarçonner subitement son homme, et
+se dérober de dessous luy; et changeant de forme, prestement et
+agilement monte sur luy et le met sous soy. Jamais jadis chevalier ou
+gendarme romain ne fut si prompt et adextre de monter et remonter sur
+ces chevaux désultoires, comme fut ce coup cette dame avec son homme; et
+le manie de mesme en luy disant: «A st'heure donc puis-je bien dire qu'à
+bon escient je triomphe de vous, puisque je vous tiens abattu sous moy.»
+Voilà une dame d'une plaisante et paillarde ambition et d'une façon
+estrange, comment elle la traitta.
+
+--J'ay ouy parler d'une fort belle et honneste dame de par le monde,
+sujette fort à l'amour et à la lubricité, qui pourtant fut si arrogante
+et si fière, et si brave de cœur, que, quand ce venoit-là, ne vouloit
+jamais souffrir que son homme la montast et la mist sous soy et
+l'abattist, pensant faire un grand tort à la générosité de son cœur,
+et attribuant à une grande lascheté d'estre ainsi subjuguée et soumise,
+en mode d'une triomphante conqueste ou esclavitude, mais vouloit
+toujours garder le dessus et la prééminence. Et ce qui faisoit bon pour
+elle en cela, c'est que jamais ne voulut s'adonner à un plus grand que
+soy, de peur qu'usant de son autorité et puissance, luy pust donner la
+loy et la pust tourner, virer et föuller, ainsi qu'il luy eust pleu;
+mais en cela, choisissoit ses égaux et inférieurs, auxquels elle
+ordonnoit leur rang, leur assiette, leur ordre, et forme de combat
+amoureux, ne plus ne moins qu'un sergent major à ses gens le jour d'une
+bataille; et leur commandoit de ne l'outrepasser, sur peine de perdre
+leurs pratiques, aux uns son amour, et aux autres la vie, si que debout,
+ou assis au conchés, jamais ne se purent prévaloir sur elle de la
+moindre humiliation, ni submission, ni inclination, qu'elle leur eust
+rendu et presté. Je m'en rapporte au dire et au songer de ceux et celles
+qui ont traité telles amours, telles postures, assiettes et formes.
+Cette dame pouvoit ordonner ainsi, sans qu'il y allast rien de son
+honneur prétendu, ni de son cœur généreux offensé: car à ce que j'ay
+ouy dire à aucuns praticqs, il y avoit assez de moyens pour faire telles
+ordonnances et pratiques. Voylà une terrible et plaisante humeur de
+femme, et bizarre scrupule de conscience généreuse. Si avoit-elle raison
+pourtant; car c'est une fascheuse souffrance que d'estre subjuguée,
+ployée, foullée, et mesme quand l'on pense quelquefois à part soy, et
+qu'on dit: «Un tel m'a mis sous luy et foullée, par maniere de dire,
+si-non aux pieds, mais autrement:» cela vaut autant à dire.
+
+Cette dame aussi ne voulut jamais permettre que ses inférieurs la
+baisassent jamais à la bouche, «d'autant, disoit elle, que le toucher et
+le tact de bouche à bouche est le plus sensible et précieux de tous les
+autres touchers, fust de la main et autres membres;» et pour ce ne
+vouloit estre alleinée ny sentir à la sienne une bouche salle, orde et
+non pareille à la sienne. Or, sur cecy, c'est une autre question que
+j'ay veu traitter à aucuns: quel advantage de gloire a plus grand sur
+son compagnon, ou l'homme ou la femme, quand ils sont en ces
+escarmouches ou victoires vénériennes. L'homme allegue pour soy la
+raison préédente, que la victoire est bien plus grande que l'on tient sa
+douce ennemie abattue sous soy, et qu'il la subjugue, la suppédite et la
+dompte à son aise et comme il luy plaist; car il n'y a si grande
+princesse ou dame, que, quand elle est là, fust-ce avec son inférieur ou
+inégal, qu'elle n'en souffre la loy et la domination qu'en a ordonné
+Vénus parmy ses statuts; et pour ce, la gloire et l'honneur en demeure
+très-grande à l'homme. La femme dit: «Ouy, je le confesse, que vous vous
+devez sentir glorieux quand vous me tenez sous vous et me suppeditez;
+mais aussi, quand il me plaist, s'il ne tient qu'à tenir le dessus, je
+le tiens par gayeté et une gentille volonté qui m'en prend, et non pour
+une contrainte. Davantage, quand ce dessus me déplaist, je me fais
+servir à vous comme d'un esclave ou forçat de gallere, ou, pour mieux
+dire, vous fais tirer au collier comme un vray cheval de charrette, en
+vous travaillant, peinant, suant, haletant, efforçant à faire les
+corvées et efforts que je veux tirer de vous. Cependant, moy, je suis
+couchée à mon aise, je vois venir vos coups, quelquefois j'en ris et en
+tire mon plaisir à vous voir en telles alteres; quelquefois aussi je
+vous plains selon ce qui me plaist ou que j'en ay de volonté ou de
+pitié; et après en avoir en cela très-bien passé ma fantaisie, je laisse
+là mon galant, las, recreu, débilité, énervé, qu'il n'en peut plus, et
+n'a besoin que d'un bon repos et de quelque bon repas, d'un coulis, d'un
+restaurant ou de quelque bon bouillon confortatif. Moy, pour telles
+courvées et tels efforts, je ne m'en sens nullement, si-non que
+très-bien servie à vos despens, monsieur le gallant, et n'ay autre mal
+si-non de souhaiter quelque autre qui m'en donnast autant, à peine le
+faire rendre comme vous: et, par ainsi, ne me rendant jamais, mais
+faisant rendre mon doux ennemy, je rapporte la vraye victoire et la
+vraye gloire, d'autant qu'en un duel celuy qui se rend est déshonoré, et
+non pas celuy qui combat jusques au dernier poinct de la mort.»
+
+--Ainsi que j'ay ouy compter d'une belle et honneste femme, qui une
+fois, son mary l'ayant esveillée d'un profond sommeil et repos qu'elle
+prenoit, pour faire cela, après qu'il eut fait elle luy dit: «Vous avez
+fait et moy non;» et, parce qu'elle estoit dessus luy, elle le lia si
+bien de bras, de mains, de pieds et de ses jambes entrelacées: «Je vous
+apprendray à ne m'esveiler une autre fois;» et, le demenant, secoüant et
+remuant à toute outrance son mary qui estoit dessous, qui ne s'en
+pouvoit defaire, et qui suoit, ahannoit et se lassoit, et crioit mercy,
+elle le luy fi faire une autre fois en dépit de luy, et le rendit si
+las, si atenu et flac, qu'il en devint hors d'aleine et luy jura un bon
+coup qu'une autre fois il la prendroit à son heur, humeur et appetit. Ce
+conte est meilleur à se l'imaginer et représenter qu'à l'escrire. Voilà
+donc les raisons de la dame avec plusieurs autres qu'elles ont alléguer.
+Encore l'homme réplique là-dessus: «Je n'ay point aucun vaisseau ny
+baschot comme vous avez le vostre, dans lequel je jette un gassouil de
+pollution et d'ordure (si ordure se doit appeler la semence humaine
+jettée par mariage et paillardise), qui vous salit et vous y pisse comme
+dans un pot.--Ouy, dit la dame, mais aussitost ce beau sperme, que vous
+autres dites estre le sang le plus pur et net que vous avez, je le vous
+vais pisser incontinent et jetter dans un pot ou bassin, ou en un
+retrait, et le mêler avec une autre ordure très-puante et sale et
+vilaine; car de cinq cents coups que l'on nous touchera, de mille, deux
+mille, trois mille, voire d'une infinité, voire de nul, nous
+n'engroissons que d'un coup, et la matrice ne retient qu'une fois; car
+si le sperme y entre bien et y est bien retenu, celuy-là est bien logé,
+mais les autres fort salaudement nous les logeons comme je viens de
+dire. Voilà pourquoy il ne faut se vanter de gasouiller de vos ordures
+de sperme, car, outre celuy-là, que nous concevons, nous le jettons et
+rendons pour n'en faire plus de cas aussitôt que l'avons receu et qu'il
+ne nous donne plus de plaisir, et en sommes quittes en disant: Monsieur
+le potagier, voilà vostre broüet que je vous rends, et le vous claque
+là; il a perdu le bon goust que vous m'en avez donné premierement. Et
+notez que la moindre bagasse en peut dire autant à un grand roy ou
+prince, s'il l'a repassée; qui est un grand mespris d'autant que l'on
+tient le sang royal pour le plus précieux qui soit point. Vrayment il
+est bien gardé et logé bien précieusement plus que d'un autre!» Voilà le
+dire des femmes, qui est un grand cas pourtant qu'un sang si précieux se
+pollue et se contamine ainsi salaudement et vilainement; ce qui estoit
+deffendu en la loy de Moyse, de ne le nullement prostituer en terre;
+mais on fait bien pis quand on le mesle avec de l'ordure très-orde et
+salle. Encore, si elles faisoyent comme un grand seigneur dont j'ay ouy
+parler, qui, en songeant la nuict, s'estant corrompu parmy ses linceuls,
+les fit enterrer, tant il estoit scrupuleux, disant que c'estoit un
+petit enfant provenu de là qui estoit mort, et que c'estoit dommage et
+une très-grande perte que ce sang n'eust esté mis dans la matrice de sa
+femme, dont possible l'enfant fust esté en vie. Il se pouvoit bien
+tromper par là, d'autant que de mille habitations que le mary fait avec
+la femme l'année, possible, comme j'ay dit, n'en devient-elle grosse,
+non pas une fois en la vie, voire jamais, pour aucunes femmes qui sont
+bréhaignes et stériles, et ne conçoivent jamais; d'où est venu l'erreur
+d'aucuns mescréants, que le mariage n'avoit esté institué tant pour la
+procréation que pour le plaisir; ce qui est mal creu et mal parlé, car
+encore qu'une femme n'engroisse toutes les fois qu'on l'entreprend,
+c'est pour quelque volonté de Dieu à nous occulte, et qu'il en veut
+punir et mary et femme, et d'autant que la plus grande bénédiction que
+Dieu nous puisse envoyer en mariage, c'est une bonne lignée, et non par
+concubinage; dont il y a plusieurs femmes qui prennent un grand plaisir
+d'en avoir de leurs amants, et d'autres non, lesquelles ne veulent
+permettre qu'on leur lasche rien dedans, tant pour ne supposer des
+enfants à leurs marys qui ne sont à eux, que pour leur sembler ne leur
+faire tort et ne les faire cocus si la rosée ne leur est entrée dedans,
+ny plus ny moins, qu'un estomach débile et mauvais ne peut estre offensé
+de sa personne pour prendre de mauvais et indigestifs morceaux, pour les
+mettre dans la bouche, les mascher et puis les crascher à terre. Aussi
+par le mot de cocu, porté par les oiseaux d'avril, qui sont ainsi
+appelez pour aller pondre au nid des autres, les hommes s'appellent
+cocus par antinomie[13], quand les autres viennent pondre dans leur nid,
+qui est dans le c.. de leurs femmes, qui est autant à dire leur jetter
+leur semence et leur faire des enfants. Voilà comme plusieurs femmes ne
+pensent faute à leurs marys pour mettre dedans et s'esbaudir leur saoul,
+mais qu'elles ne reçoivent point de leur semence; ainsi sont-elles
+conscientieuses de bonne façon: comme d'une grande dont j'ay ouy parler,
+qui disoit à son serviteur: «Esbattez-vous tant que vous voudrez, et
+donnez-moi du plaisir; mais sur vostre vie, donnez-vous garde de ne rien
+m'arrouser là dedans, non d'une seule goutte, autrement il vous y va de
+la vie.» Si bien qu'il falloit bien que l'austre fust sage, et qu'il
+espiast le temps du mascaret[14] quand il devoit venir.
+
+--J'ay ouy faire un pareil compte au chevalier de Sanzay, de Bretagne,
+un très-honneste et brave gentilhomme, lequel, si la mort n'eust
+entrepris sur son jeune age, fust esté un grand homme de mer, comme il
+avoit un très-bon commencement: aussi en portoit-il les marques et
+enseignes, car il avoit eu un bras emporté d'un coup de canon en un
+combat qu'il fit sur mer. Le malheur pour luy fut qu'il fut pris des
+corsaires, et mené en Alger. Son maistre, qui le tenoit esclave, estoit
+le grand-prestre de la mosquée de là, qui avoit une très-belle femme qui
+vint à s'amouracher si fort dudit Sanzay, qu'elle luy commanda de venir
+en amoureux plaisir avec elle, et qu'elle luy feroit très-bon
+traittement, meilleur qu'à aucun de ses autres esclaves, mais surtout
+elle lui commanda très-expressement, et sur la vie, ou une prison
+très-rigoureuse, de ne lancer en son corps une seule goutte de sa
+semence, d'autant, disoit-elle, qu'elle ne vouloit nullement estre
+polluée ny contaminée du sang chrestien, dont elle penseroit offenser
+grandement et sa loy et son grand prophète Mahomet; et de plus luy
+commanda qu'encore qu'elle fust en ses chauds plaisirs, quand bien elle
+luy commanderoit cent fois d'hasarder le pacquet tout à trac, qu'il n'en
+fist rien, d'autant que ce seroit le grand plaisir duquel elle estoit
+ravie qui luy feroit dire, et non pas la volonté de l'ame. Ledict
+Sanzay, pour avoir bon traittement et plus grande liberté, encor qu'il
+fust chrestien, ferma les yeux pour ce coup à sa loy; car un pauvre
+esclave rudement traitté et misérablement enchaisné peut s'oublier bien
+quelquefois. Il obéit à la dame, et fut si sage et si abstraint à son
+commandement, qu'il commanda fort bien à son plaisir, et moulloit au
+moulin de sa dame tousjours très-bien, sans y faire couller d'eau; car,
+quand l'escluse de l'eau vouloit se rompre et se déborder, aussitost il
+la retiroit, la resserroit et la faisoit escouler où il pouvoit; dont
+cette femme l'en ayma davantage, pour estre si abstraint à son estroit
+commandement, encor qu'elle luy criast: «Laschez, je vous en donne toute
+permission.» Mais il ne voulut onc, car il craignoit d'estre battu à la
+turque, comme il voyoit ses autres compagnons devant soy. Voilà une
+terrible humeur de femme; et pour ce il semble qu'elle faisoit beaucoup,
+et pour son ame qui estoit turque, et pour l'autre qui estoit chrestien,
+puisqu'il ne se deschargeoit nullement avec elle: si me jura-t-il qu'en
+sa vie il ne fut en telle peine. Il me fit un autre compte, le plus
+plaisant qui est possible, d'un trait qu'elle luy fit; mais d'autant
+qu'il est trop sallaud, je m'en tairay, de peur d'offenser les oreilles
+chastes. Du depuis ledict Sanzay fut achepté par les siens, qui sont
+gens d'honneur et de bonne maison en Bretagne, et qui appartiennent à
+beaucoup de grands, comme à monsieur le connestable, qui aymoit fort
+son frère aisné, et qui luy ayda beaucoup en cette délivrance, laquelle
+ayant eue, il vint à la cour, et nous en compta fort à monsieur
+d'Estrozze et à moy de plusieurs choses, et entr'autres il nous fit ces
+comptes.
+
+Que dirons-nous maintenant d'aucuns marys qui ne se contentent de se
+donner du contentement et du plaisir paillard de leurs femmes, mais en
+donnent de l'appetit, soit à leurs compagnons et amis, soit à d'autres,
+ainsi j'en ai cogneu plusieurs qui leur louent leurs femmes, leur disent
+leurs beautez, leur figurent leurs membres et parties du corps, leur
+représentent leurs plaisirs qu'ils ont avec elles, et leurs follatreries
+dont elles usent envers eux, les leur font baiser, toucher, taster,
+voire voir nues? Que méritent-ils ceux-là, sinon qu'on les face cocus
+bien à point, ainsi que fit Gygès, par le moyen de sa bague, au roy
+Candaule, roy des Lydiens, lequel, sot qu'il estoit, lui ayant loüé la
+rare beauté de sa femme, comme si le silence luy faisoit tort et
+dommage, et puis la luy ayant monstrée toute nue, en devint si amoureux
+qu'il en joüit tout à son gré et le fit mourir, et s'impatronisa de son
+royaume. On dit que la femme en fut si désespérée pour avoir esté
+représentée ainsi, qu'elle força Gygès à ce mauvais tour, en lui disant:
+«Ou celuy qui t'a pressé et conseillé de telle chose, faut qu'il meure
+de ta main, ou toy, qui m'as regardée toute nue, que tu meures de la
+main d'un autre.» Certes, ce roy estoit bien de loisir de donner ainsi
+appetit d'une viande nouvelle, si belle et bonne, qu'il devoit tenir si
+chere.
+
+--Louis, duc d'Orléans, tué à la porte Barbette[15] à Paris, fit bien au
+contraire, grand desbaucheur des dames de la Cour, et tousjours des plus
+grandes, car, ayant avec luy couché une fort belle et grande dame, ainsi
+que son mary vint en sa chambre pour luy donner le bon-jour, il alla
+couvrir la teste de sa dame, femme de l'autre, du linceul, et luy
+descouvrit tout le corps, luy faisant voir tout nud et toucher à son bel
+aise, avec desfense expresse sur la vie de n'oster le linge du visage ny
+la descouvrir aucunement, à quoy il n'osa contrevenir; luy demandant par
+plusieurs fois ce qui luy sembloit de ce beau corps tout nud: l'autre en
+demeura tout esperdu et grandement satisfait.
+
+Le duc luy bailla congé de sortir de la chambre, ce qu'il fit sans avoir
+jamais pu cognoistre que ce fust sa femme. S'il l'eust bien vue et
+recognue toute nue, comme plusieurs que j'ai veu, il l'eust cogneu à
+plusieurs signes possible, dont il fait bon le visiter quelquefois par
+le corps. Elle, après son mary party, fut interrogée de M. d'Orléans si
+elle avoit eu l'alarme et peur. Je vous laisse à penser ce qu'elle en
+dist, et la peine et l'altere en laquelle elle fut l'espace d'un
+quart-d'heure; car il ne falloit qu'une petite indiscrétion, ou la
+moindre désobéissance que son mary eust commis pour lever le linceul: il
+est vray, ce dist monsieur d'Orléans, mais qu'il l'eust tué aussi-tost
+pour l'empescher du mal qu'il eust fait à sa femme. Et le bon fut de ce
+mary, qu'estant la nuict d'amprès couché avec sa femme, il luy dit que
+M. d'Orléans lui avoit fait voir la plus belle femme nue qu'il vit
+jamais, mais, quant au visage, qu'il n'en sçavoit que rapporter,
+d'autant qu'il lui avait interdit. Je vous laisse à penser ce qu'en
+pouvoit dire sa femme dans sa pensée. Et de cette dame tant grande, et
+de M. d'Orléans, on dit que sortit ce brave et vaillant bastard
+d'Orléans, le soustien de la France et le fléau de l'Angleterre, et
+duquel est venue cette noble et généreuse race des comtes de Dunois.
+
+--Or, pour retourner encor à nos marys prodigues de la vue de leurs
+femmes nues, j'en sçay un qui, pour un matin un sien compagnon l'estant
+allé voir dans sa chambre ainsi qu'il s'habilloit, luy monstra sa femme
+toute nue, étendue tout de son long toute endormie; et s'estant
+elle-mesme osté ses linceuls de dessus elle, d'autant qu'il faisoit
+grand chaud, luy tira le rideau à demy, sy bien que le soleil levant
+donnant dessus elle, il eut loisir de la bien contempler à son aise, où
+il ne vid rien que tout beau en perfection, et y put paistre ses yeux,
+non tant qu'il eust voulu, mais tant qu'il put; et puis le mary et luy
+s'en allèrent chez le Roy. Le lendemain, le gentilhomme, qui estoit fort
+serviteur de cette dame honneste, luy raconta cette vision et mesmes lui
+figura beaucoup de choses qu'il avoit remarquées en ses beaux membres,
+jusques aux plus cachées; et si le mary le luy confirma, et que c'estoit
+luy-mesme qui en avoit tiré le rideau. La dame, de dépit qu'elle conceut
+contre son mary, se laissa aller et s'octroya à son amy par ce seul
+sujet; ce que tout son service n'avoit sceu gaigner.
+
+--J'ay cogneu un très-grand seigneur, qui, un matin, voulant aller à la
+chasse, et ses gentilshommes l'estant venu trouver à son lever, ainsi
+qu'on le chaussoit, et avoit sa femme couchée près de luy et qui luy
+tenoit son cas en pleine main, il leva si promptement la couverture
+qu'elle n'eut le loisir de lever la main où elle estoit posée, que l'on
+l'y vit à l'aise et la moitié de son corps; et en se riant, il dit à ces
+messieurs qui estoient présents: «Hé bien, messieurs, ne vous ay-je pas
+fait voir choses et autres de ma femme?» Laquelle fut si dépitée de ce
+trait, qu'elle lui en voulut un mal extrême, et mesme pour la surprise
+de cette main; et possible depuis elle le luy rendit bien.
+
+--J'en sçay un autre d'un grand seigneur, lequel, cognoissant qu'un sien
+amy et parent estoit amoureux de sa femme, fust ou pour luy en faire
+venir l'envie davantage, ou du dépit et désespoir qu'il pouvoit
+concevoir de quoy il avoit une si belle femme et luy n'en tastoit point,
+la lui monstra un matin, l'estant allé voir dans le lict tous deux
+couchez ensemble à demye nue: et si fit bien pis, car il luy fit cela
+devant luy-mesme, et la mit en besogne comme si elle eust été à part;
+encore prioit-il l'amy de bien voir le tout, et qu'il faisoit tout cela
+à sa bonne grace. Je vous laisse à penser si la dame, par une telle
+privauté de son mary, n'avoit pas occasion de faire à son amy l'autre
+toute entière, et à bon escient, et s'il n'est pas bien employé qu'il en
+portast les cornes.
+
+--J'ay ouy parler d'un autre et grand seigneur, qui le faisoit ainsi à
+sa femme devant un grand prince, son maistre, mais c'estoit par sa
+prière et commandement, qui se délectoit à tel plaisir. Ne sont-ils pas
+donc ceux-là coulpables, puis qu'ayant esté leurs propres maquereaux, en
+veulent estre les bourreaux? Il ne faut jamais monstrer sa femme nue, ny
+ses terres, pays et places, comme je tiens d'un grand capitaine, à
+propos de feu M. de Savoye, qui desconseilla et dissuada nostre roy
+Henry dernier, quand, à son retour de Pologne, il passa par la
+Lombardie, de n'aller ny entrer dans la ville de Milan, lui alléguant
+que le roy d'Espagne en pourroit prendre quelque ombre: mais ce ne fut
+pas cela; il craignoit que le roy y estant, et la visitant bien à point,
+et contemplant sa beauté, richesse et grandeur, qu'il ne fust tenté
+d'une extrême envie de la ravoir et reconquérir par bon et juste droit
+comme avoient fait ses prédécesseurs. Et voilà la vraye cause comme dit
+un grand prince, qui le tenoit du feu roy, qui cognoissoit cette
+encloëure: mais pour complaire à M. de Savoye, et ne rien altérer du
+costé du roy d'Espagne, il prit son chemin à costé, bien qu'il eust
+toutes les envies du monde d'y aller, à ce qu'il me fist cet honneur,
+quand il fut de retour à Lyon, de me le dire: en quoi ne faut douter que
+M. de Savoye ne fust plus Espagnol que François. J'estime les marys
+aussi condamnables, lesquels, après avoir receu la vie par la faveur de
+leurs femmes, en demeurent tellement ingrats, que, pour le soupçon
+qu'ils ont de leurs amours avec d'autres, les traittent très-rudement,
+jusques à attenter sur leurs vies.
+
+--J'ay ouy parler d'un seigneur sur la vie duquel aucuns conjurateurs
+ayant conjuré et conspiré, sa femme, par supplication, les en destourna,
+et le garantit d'estre massacré, dont depuis elle en a esté très-mal
+recogneue, et traittée très-rigoureusement.
+
+--J'ay veu aussi un gentilhomme, lequel ayant esté accusé et mis en
+justice pour avoir fait très-mal son devoir à secourir son général en
+une bataille, si bien qu'il le laissa tuer sans aucune assistance ni
+secours; estant près d'estre sentencié et condamné d'avoir la teste
+tranchée, nonobstant vingt mille escus qu'il présenta pour avoir la vie
+sauve; sa femme, ayant parlé à un grand seigneur de par le monde, et
+couché avec lui par la permission et supplication dudit mary, ce que
+l'argent n'avoit pu faire, sa beauté et son corps l'exécuta, et luy
+sauva la vie et la liberté. Du depuis il la traitta si mal que rien
+plus. Certes, tels marys, cruels et enragés, sont très-misérables.
+D'autres en ay-je cogneu qui n'ont pas fait de mesme, car ils ont bien
+sceu recognoistre le bien d'où il venoit, et honoroient ce bon trou
+toute leur vie, qui les avoit sauvez de mort.
+
+--Il y a encore une autre sorte de cocus, qui ne se sont contentés
+d'avoir esté ombrageux en leur vie, mais allans mourir et sur le poinct
+du trépas le sont encores: comme j'en ay cogneu un qui avoit une fort
+belle et honneste femme, mais pourtant qui ne s'estoit point toujours
+estudiée à luy seul. Ainsi qu'il vouloit mourir, il luy disoit: «Ah! ma
+mye, je m'en vais mourir, et plust à Dieu que vous me tinssiez
+compagnie, et que vous et moy allassions ensemble en l'autre monde! ma
+mort ne m'en seroit si odieuse, et la prendrois plus en gré.» Mais la
+femme qui estoit encore très-belle, et jeune de trente-sept ans, ne le
+voulut point suivre ny croire pour ce coup-là, et ne voulut faire la
+sotte, comme nous lisons de Evadné, fille de Mars et de Thébé, femme de
+Capanée, laquelle l'ayma si ardemment, que, lui estant mort, aussi-tost
+que son corps fut jetté dans le feu, elle s'y jetta après toute vive, et
+se brusla et se consuma avec luy, par une grande constance et force, et
+ainsi l'accompagna à sa mort.
+
+--Alceste fit bien mieux, car ayant sceu par l'oracle que son mary
+Admète, roy de Thessalie, devoit mourir bien-tost si sa vie n'estoit
+racheptée par la mort de quelque autre de ses amys, elle soudain se
+précipita à la mort, et ainsi sauva son mary. Il n'y a plus meshuy de
+ces femmes si charitables, qui veulent aller de leur gré dans la fosse
+avant leurs marys, ni les suivre. Non, il ne s'en trouve plus: les mères
+en sont mortes, comme disent les maquignons de paris des chevaux, quand
+on n'en trouve plus de bons. Et voilà pourquoi j'estimois ce mary, que
+je viens d'alléguer, mal-habile de tenir ces propos à sa femme, si
+fascheux pour la convier à la mort, comme si c'eust été quelque beau
+festin pour l'y convier. C'estoit une belle jalousie qui lui faisoit
+parler ainsi, qu'il concevoit en soy du déplaisir qu'il pouvoit avoir
+aux enfers là-bas, quand il verroit sa femme, qu'il avoit si bien
+dressée, entre les bras d'un sien amoureux, ou de quelque autre mary
+nouveau. Quelle forme de jalousie voilà, qu'il fallut que son mary en
+fust saisi alors, et qu'à tous les coups il luy disoit, que s'il en
+reschappoit, il n'endureroit plus d'elle ce qu'il avoit enduré: et, tant
+qu'il a vescu, il n'en avoit point esté atteint, et luy laissoit faire à
+son bon plaisir.
+
+--Ce brave Tancrede n'en fit pas de mesme, luy qui d'autres-fois se fit
+jadis tant signaler en la guerre sainte: estant sur le point de la mort,
+et sa femme près de luy dolente, avec le comte de Trypoly, il les pria
+tous deux après sa mort de s'espouser l'un l'autre, et le commanda à sa
+femme; ce qu'ils firent. Pensez qu'il en avoit vu quelques approches
+d'amour en son vivant; car elle pouvoit être aussi bonne vesse que sa
+mère, la comtesse d'Anjou, laquelle, après que le comte de Bretagne
+l'eut entretenuë longuement, elle vint trouver le roy de France
+Philippes, qui la mena de mesme, et luy fit cette fille bastarde qui
+s'appela Cicile, et puis la donna en mariage à ce valeureux Tancrede,
+qui certes, par ses beaux exploits, ne méritoit d'être cocu.
+
+--Un Albanois, ayant esté condamné de-là les Monts d'estre pendu pour
+quelque forfait, estant au service du roy de France, ainsi qu'on le
+vouloit mener au supplice, il demanda à voir sa femme et luy dire adieu,
+qui estoit une très-belle femme et très-agréable. Ainsi donc qu'il lui
+disoit adieu, en la baisant il luy tronçonna tout le nez avec belles
+dents, et le luy arracha de son beau visage. En quoy la justice l'ayant
+interrogé pourquoi il avoit fait cette vilainie à sa femme, il respondit
+qu'il l'avoit fait de belle jalousie, «d'autant, ce disoit-il, qu'elle
+est très-belle, et pour ce après ma mort je sais qu'elle sera aussi-tost
+recherchée et aussi-tost abandonnée à un autre de mes compagnons, car
+je la cognois fort paillarde, et qu'elle m'oublieroit incontinent. _Je
+veux donc qu'après ma mort elle ait de moy souvenance, qu'elle pleure et
+qu'elle soit affligée, si elle ne l'est par ma mort, au moins qu'elle le
+soit pour estre défigurée, et qu'aucun de mes compagnons n'en aye le
+plaisir que j'ay eu avec elle._» Voilà un terrible jaloux.
+
+--J'en ay ouy parler d'autres qui, se sentant vieux, caducs, blessés,
+attenuez et proches de la mort, de beau dépit et de jalousie secretement
+ont advancé les jours à leurs moitiés, mesmes quand elles ont esté
+belles.
+
+--Or, sur ces bizarres humeurs de ces marys tyrans et cruels, qui font
+mourir ainsi leurs femmes, j'ay ouy faire une dispute, sçavoir, s'il est
+permis aux femmes, quand elles s'apperçoivent ou se doutent de la
+cruauté et massacre que leurs marys veulent exercer envers elles, de
+gaigner le devant et de joüer à la prime, et, pour se sauver, les faire
+joüer les premiers, et les envoyer devant faire les logis en l'autre
+monde.
+
+J'ay ouy maintenir que ouy, et qu'elles le peuvent faire, non selon
+Dieu, car tout meurtre est défendu, ainsi que j'ay dit, mais selon le
+monde, prou: et ce fondent sur ce mot, qu'il vaut mieux prévenir que
+d'estre prévenu: car enfin chacun doit estre curieux de sa vie; et,
+puisque Dieu nous l'a donnée, la faut garder jusqu'à ce qu'il nous
+appelle par nostre mort. Autrement, sçachant bien leur mort, et s'y
+aller précipiter, et ne la fuir quand elles peuvent, c'est se tuer
+soy-même, chose que Dieu abhorre fort; parquoy c'est le meilleur de les
+envoyer en ambassade devant, et en parer le coup, ainsi que fit Blanche
+d'Anurbruckt à son mary le sieur de Flavy, capitaine de Compiegne et
+gouverneur, qui trahit et fut cause de la perte et de la mort de la
+Pucelle d'Orléans. Et cette dame Blanche, ayant sceu que son mary la
+vouloit faire noyer, le prévint, et, avec l'aide de son barbier,
+l'estouffa et l'estrangla, dont le roy Charles septième luy en donna
+aussi-tost sa grace, à quoy aussi ayda bien la trahison du mary pour
+l'obtenir, possible plus que toute autre chose. Cela se trouve aux
+annales de France, et principalement celles de Guyenne.
+
+De mesmes en fit une madame de la Borne, du regne du roy François
+premier, qui accusa et deffera son mary à la justice de quelques folies
+faites et crimes possible énormes qu'il avoit fait avec elle et autres,
+le fit constituer prisonnier, sollicita contre luy, et luy fit trancher
+la teste. J'ay ouy faire ce compte à ma grand-mère, qui a disoit de
+bonne maison et belle femme. Celle-là gaigna bien le devant.
+
+--La reyne Jeanne de Naples première en fit de mesmes à l'endroit de
+l'infant de Majorque, son tiers mary, à qui elle fit trancher la teste
+pour la raison que j'ay dit en son Discours; mais il pouvoit bien estre
+qu'elle se craignoit de luy, et le vouloit despescher le premier: à quoy
+elle avoit raison, et toutes ses semblables, de faire de mesme quand
+elles se doutent de leurs galants.
+
+J'ay ouy parler de beaucoup de dames qui bravement se sont acquittées de
+ce bon office, et sont eschappées par cette façon; et mesmes j'en ay
+cogneu une, laquelle, ayant esté trouvée avec son amy par son mary, il
+n'en dit rien ny à l'un ny à l'autre, mais s'en alla courroucé, et la
+laissa là-dedans avec son amy, fort panthoise et désolée et en grand
+alteration. Mais la dame fut résolüe jusques là de dire: «Il ne m'a rien
+dit ni fait pour ce coup, je crains qu'il me la garde bonne et sous
+mine; mais, si j'estois asseurée qu'il me deust faire mourir,
+j'adviserois à lui faire sentir la mort le premier.» La fortune fut si
+bonne pour elle au bout de quelque temps, qu'il mourut de soy-mesme;
+dont bien luy en prit, car oncques puis il ne luy avoit fait bonne
+chere, quelque recherche qu'elle luy fist.
+
+--Il y a encore une autre dispute et question sur ces fous et enragés
+marys, dangereux cocus, à sçavoir sur lesquels des deux ils se doivent
+prendre et venger, ou sur leurs femmes, ou sur leurs amants.
+
+Il y en a qui ont dit seulement sur la femme, se fondant sur ce proverbe
+italien qui dit que _morta la bestia, morta la rabbia ò veneno_[16]:
+pensans, ce leur semble, estre bien allégés de leur mal quand ils ont
+tué celle qui fait la douleur, ny plus ny moins que font ceux qui sont
+mordus et picqués de l'escorpion: le plus souverain remede qu'ils ont,
+c'est de le prendre, tuer ou l'escarbouiller, et l'appliquer sur la
+morsure ou playe qu'il a faite; et disent volontiers et coustumièrement
+que ce sont les femmes qui sont plus punissables. J'entends des grandes
+dames et de haute guise, et non des petites, communes et de basse
+marche; car ce sont elles, par leurs beaux attraits, privautez,
+commandements et paroles, qui attacquent les escarmouches, et que les
+hommes ne les font que soustenir; et que plus sont punissables ceux qui
+demandent et lèvent guerre, que ceux qui la deffendent; et que bien
+souvent les hommes ne se jettent en tels lieux périlleux et hauts, sans
+l'appel des dames, qui leur signifient en plusieurs façons leurs amours,
+ainsi qu'on voit qu'en une grande, bonne et forte ville de frontière il
+est fort mal-aisé d'y faire entreprise ni surprise, s'il n'y a quelque
+intelligence sourde parmy aucuns de ceux du dedans, ou qui ne vous y
+poussent, attirent, ou leur tiennent la main.
+
+Or, puisque les femmes sont un peu plus fragiles que les hommes, il leur
+faut pardonner, et croire que, quand elles se sont mises une fois à
+aymer et mettre l'amour dans l'ame, qu'elles l'exécutent à quelque prix
+que ce soit, ne se contentans, non pas toutes, de le couver là-dedans,
+et se consumer peu à peu, et en devenir seiches et allanguies, et pour
+ce en effacer leur beauté, qui est cause qu'elles désirent en guérir et
+en tirer du plaisir, et ne mourir du mal de la furette[17], comme on
+dit.
+
+Certes j'ai cogneu plusieurs belles dames de ce naturel, lesquelles les
+premières ont plustost recherché leur androgine que les hommes, et sur
+divers sujets; les unes pour les voir beaux, braves, vaillants et
+agréables; les autres pour en escroquer quelque somme de dinari;
+d'autres pour en tirer des perles, des pierreries, des robes de toille
+d'or et d'argent, ainsi que j'en ay veu qu'elles en faisoient autant de
+difficulté d'en tirer comme un marchand de sa denrée (aussi dit-on que
+femme qui prend se vend); d'autres pour avoir de la faveur en Cour;
+autres des gens de justice, comme plusieurs belles que j'ay cogneues
+qui, n'ayant pas bon droit, le faisoient bien venir par leur cas et par
+leurs beautez; et d'autres pour en tirer la suave substance de leur
+corps.
+
+--J'ay veu plusieurs femmes si amoureuses de leurs amants, que quasi
+elles les suivoient ou couroient à force, et dont le monde en portoit la
+honte pour elles.
+
+J'ay cogneu une fort belle dame si amoureuse d'un seigneur de par le
+monde, qu'au lieu que les serviteurs ordinairement portent les couleurs
+de leurs dames, cette-cy au contraire les portoit de son serviteur. J'en
+nommerois bien les couleurs, mais elles feroient une trop grande
+descouverte.
+
+J'en ay cogneu une autre de laquelle le mary ayant fait un affront à son
+serviteur en un tournoy qui fut fait à la Cour, cependant qu'il estoit
+en la salle du bal et en faisoit son triomphe, elle s'habilla de dépit,
+en homme, et alla trouver son amant et lui porter pour un moment son
+cas, tant elle en estoit si amoureuse qu'elle en mouroit.
+
+--J'ai cogneu un honneste gentilhomme, et des moins deschirez de la
+Cour, lequel ayant envie un jour de servir une fort belle et honneste
+dame s'il en fut oncques, parce qu'elle luy en donnoit beaucoup de
+sujets de son costé, et de l'autre il faisoit du retenu pour beaucoup de
+raisons et respects; cette dame pourtant y ayant mis son amour, et à
+quelque hasard que ce fust elle en avoit jetté le dé, ce disoit-elle;
+elle ne cessa jamais de l'attirer tout à soy par les plus belles paroles
+de l'amour qu'elle peut dire, dont entr'autres estoit celle-cy:
+«Permettez au moins que je vous ayme si vous ne me voulez aymer, et ne
+arregardez à mes mérites, mais a mes affections et passions,» encore
+certes qu'elle emportast le gentilhomme au poids en perfections.
+Là-dessus qu'eust pu faire le gentilhomme, sinon l'aymer puis qu'elle
+l'aymoit, et la servir, puis demander le salaire et récompense de son
+service, qu'il eut, comme la raison veut que quiconque sert faut qu'on
+le paye?
+
+J'alleguerois une infinité de telles dames plustost recherchantes que
+recherchées. Voilà donc pourquoy elles ont eu plus de coulpe que leurs
+amants; car si elles ont une fois entrepris leur homme, elles ne cessent
+jamais qu'elles n'en viennent au bout et ne l'attirent par leurs regards
+attirans, par leur beautez, par leurs gentilles graces qu'elle
+s'estudient à façonner en cent mille façons, par leurs fards
+subtillement appliqués sur leur visage si elles ne l'ont beau, par leurs
+beaux artiffets, leurs riches et gentilles coiffures et tant bien
+accommodées, et leurs pompeuses et superbes robes, et surtout par leurs
+paroles friandes et à demy lascives, et puis par leurs gentils et
+follastres gestes et privautez, et par présents et dons; et voilà
+comment ils sont pris, et estant ainsi pris, il faut qu'ils les
+prennent; et par ainsi dit-on que leurs marys doivent se venger sur
+elles.
+
+D'autres disent qu'il se faut prendre qui peut sur les hommes, ny plus
+ny moins que sur ceux qui assiégent une ville; car ce sont eux qui
+premiers font faire les chamades, les somment, qui premiers
+recognoissent, premiers font les approches, premiers dressent
+gabionnades et cavalliers et font les tranchées, premiers font les
+batteries ou premiers vont à l'assaut, premiers parlementent: ainsi
+dit-on des amants.
+
+Car comme les plus hardis, vaillants et résolus assaillent le fort de
+pudicité des dames, lesquelles, après toutes les formes d'assaillement
+observées par grandes importunités, sont contraintes de faire le signal
+et recevoir leurs doux ennemys dans leurs forteresses: en quoy me semble
+qu'elles ne sont si coulpables qu'on diroit bien; car se défaire d'un
+importun est bien mal aisé sans y laisser du sien; aussi que j'en ay veu
+plusieurs qui, par longs services et persévérances, ont jouy de leurs
+maistresses, qui dès le commencement ne leur eussent donné, pour manière
+de dire, leur cul à baiser; les contraignant jusques-là, au moins
+aucunes, que, la larme à l'œil, leur donnoient de cela ny plus ny
+moins comme l'on donne à Paris bien souvent l'aumosne aux gueux de
+l'hostière, plus par leur importunité que de dévotion ny pour l'amour de
+Dieu: ainsi font plusieurs femmes, plustost pour estre trop importunées
+que pour estre amoureuses, et mesmes à l'endroit d'aucuns grands,
+lesquels elles craignent et n'osent leur refuser à cause de leur
+autorité, de peur de leur desplaire et en recevoir puis après de
+l'escandale, ou un affront signalé, ou plus grand descriement de leur
+honneur, comme j'en ay veu arriver de grands inconvénients sur ces
+sujets.
+
+Voylà pourquoy les mauvais marys, qui se plaisent tant au sang et au
+meurtre et mauvais traitements de leurs femmes, n'y doivent estre si
+prompts, mais premièrement faire une enqueste sourde de toutes choses,
+encore que telle cognoissance leur soit fort fascheuse et fort sujette à
+s'en gratter la teste qui leur en demange, et mesmes qu'aucuns,
+misérables qu'ils sont, leur en donnent toutes les occasions du monde.
+
+--Ainsi que j'ai cogneu un grand prince estranger qui avoit espousé une
+fort belle et honneste dame; il en quitta l'entretien pour le mettre à
+une autre femme qu'on tenoit pour courtisane de réputation, d'autres que
+c'estoit une dame d'honneur qu'il avoit débauschée; et ne se contentant
+de cela, quand il la faisoit coucher avec luy, c'estoit en une chambre
+basse par dessous celle de sa femme et dessous son lict; et lorsqu'il
+vouloit monter sur sa maistresse, ne se contentant du tort qu'il luy
+faisoit, mais, par une risée et moquerie, avec une demye pique il
+frappoit deux ou trois coups sur le plancher, et s'escrioit à sa femme:
+«Brindes, ma femme.» Ce desdain et mespris dura quelques jours, et
+fascha fort à sa femme, qui, de desespoir et vengeance, s'accosta d'un
+fort honnête gentilhomme à qui elle dit un jour privement: «Un tel, je
+veux que vous joüissiez de moi, autrement, je scay un moyen pour vous
+ruiner.» L'autre, bien content d'une si belle adventure, ne la refusa
+pas. Parquoy, ainsi que son mary avoit sa mie entre les bras, et elle
+aussi son amy, ainsi qu'il lui crioit _brindes_, elle luy respondoit de
+mesmes, _et may à vous_, ou bien, _je m'en vais nous pleiger_. Ces
+_brindes_ et ces paroles et responses, de telle façon et mode qu'ils
+s'accommodoient en leurs montures, durèrent assez longtemps, jusques à
+ce que ce prince, fin et douteux, se douta de quelque chose; et y
+faisant faire le guet, trouva que sa femme le faisoit gentiment cocu, et
+faisoit _brindes_ aussi bien que luy par revange et vengeance. Ce
+qu'ayant bien au vray cogneu, tourna et changea sa comédie en tragédie;
+et l'ayant pour la dernière fois confiée à son _brindes_, et elle luy
+ayant rendu sa response et son change, monta soudain en haut, et ouvrant
+et faussant la porte, entre dedans et luy remonstre son tort; et elle de
+son costé luy dit: «Je sçay bien que je suis morte: tüe-moi hardiment;
+je ne crains point la mort, et la prens en gré puisque je me suis vengée
+de toy, et que je t'ay fait cocu et bec cornu, toy m'en ayant donné
+occasion, sans laquelle je ne me fusse jamais forfaitte, car je t'avois
+voüé toute fidélité, et je ne l'eusse jamais violée pour tous les beaux
+sujets du monde: tu n'estois pas digne d'une si honneste femme que moy.
+Or tüe-moi donc à st'heure; et, si tu as quelque pitié en ta main,
+pardonne, je te prie, à ce pauvre gentilhomme, qui de soy n'en peut
+mais, car je l'ay appelé à mon ayde pour ma vengeance.» Le prince par
+trop cruel, sans aucun respect les tue tous deux. Qu'eust fait là dessus
+cette pauvre princesse sur ces indignitez et mespriz de mary, si-non, à
+la desesperade pour le monde, faire ce qu'elle fit? D'aucuns
+l'excuseront, d'autres l'accuseront, et il y a beaucoup de pièces et
+raisons à rapporter là-dessus.
+
+--Dans les _Cent Nouvelles de la Reyne de Navarre_, y a celle et
+très-belle de la reyne de Naples, quasi pareille à celle-cy, qui de
+mesme se vengea du Roy son mary; mais la fin n'en fut si tragique.
+
+--Or laissons là ces diables et fols enragés cocus, et n'en parlons
+plus, car ils sont odieux et mal plaisants, d'autant que je n'aurois
+jamais fait si je voulois tous descrire, aussi que subject n'en est beau
+ny plaisant.
+
+Parlons un peu des gentils cocus, et qui sont bons compagnons de douce
+humeur, d'agréable fréquentation et de sainte patience, débonnaires,
+traittables, fermant les yeux, et bons hommenas.
+
+Or de ces cocus il y en a qui le sont en herbe, il y en a qui le sçavent
+avant se marier, c'est-à-dire que leurs dames, veufves et demoiselles,
+ont fait le sault; et d'autres n'en sçavent rien, mais les espousent sur
+leur foy, et de leurs pères et mères, et de leurs parents et amys.
+
+--J'en ay cogneu plusieurs qui ont espousé beaucoup de femmes et de
+filles qu'ils sçavoient bien avoir été repassées en la monstre d'aucuns
+rois, princes, seigneurs, gentilshommes et plusieurs autres; et
+pourtant, ravys de leurs amours, de leurs biens, de leurs joyaux, de
+leur argent, qu'elles avoient gaigné au mestier amoureux, n'ont aucun
+scrupule de les espouser. Je ne parleray point à st'heure que des
+filles.
+
+--J'ai ouy parler d'une fille d'un très-grand et souverain, laquelle
+estant amoureuse d'un gentilhomme, se laissant aller à luy de telle
+façon qu'ayant recueilli les premiers fruits de son amour, en fut si
+friande qu'elle le tint un mois entier dans son cabinet, le nourrissant
+de restaurents, de bouillons friands, de viandes délicates et
+rescaldatives, pour l'allambiquer mieux et en tirer sa substance; et
+ayant fait sous luy son premier apprentissage, continua ses leçons sous
+luy tant qu'il vesquit, et sous d'autres: et puis elle se maria en l'age
+de quarante-cinq ans à un seigneur[18] qui n'y trouva rien à dire, encor
+bien-aise pour le beau mariage qu'elle luy porta.
+
+--Bocace dit un proverbe qui couroit de son temps, que _bouche baisée_,
+d'autres disent _fille f...., ne perd jamais sa fortune, mais bien la
+renouvelle, ainsi que fait la lune_; et ce proverbe allegue-t-il sur un
+conte qu'il fait de cette fille si belle du sultan d'Égypte, laquelle
+passa et repassa par les piques de neuf divers amoureux, les uns après
+les autres, pour le moins plus de trois mille fois. Enfin elle fut
+rendue au roy Garbe toute vierge, cela s'entend prétendue, aussi bien
+que quand elle lui fut du commencement compromise, et n'y trouva rien à
+dire, encor bien aise: le conte en est très-beau.
+
+--J'ay ouy dire à un grand qu'entre aucuns grands, non pas tous
+volontiers, on n'arregarde à ces filles-là, bien que trois ou quatre
+les ayent passé par les mains et par les piques avant leur estre marys:
+et disoit cela sur un propos d'un seigneur qui estoit grandement
+amoureux d'une grande dame, et un peu plus qualifiée que lui, et elle
+l'aimoit aussi; mais il survint empeschement qu'ils ne s'espousèrent
+comme ils pensoient et l'un et l'autre, surquoy ce gentilhomme grand,
+que je viens de dire, demanda aussi-tost: «A-t-il monté au moins sur la
+petite bête?» Et ainsi qu'il lui fust respondu que non à son advis,
+encor qu'on le tinst: «Tant pis, répliqua-t-il, car au moins et l'un et
+l'autre eussent eu ce contentement, et n'en fust esté autre chose.» Car
+parmy les grands, on n'arregarde à ces reigles et scrupules de pucelage,
+d'autant que pour ces grandes alliances il faut que tout passe; encores
+trop heureux sont-ils les bons marys et gentils cocus en herbe.
+
+--Lorsque le roy Charles fit le tour de son royaume, il fut laissé en
+une bonne ville que je nommerois bien une fille dont venoit d'accoucher
+une fille de très-bonne maison; si fut donnée en garde à une pauvre
+femme de ville pour la nourrir et avoir soin d'elle, et luy fut avancé
+deux cents écus pour la nourriture. La pauvre femme la nourrit et la
+gouverna si bien, que dans quinze ans elle devint très-belle et
+s'abandonna; car sa mère oncques puis n'en fit cas, qui dans quatre mois
+se maria avec un très-grand. Ah! que j'en ai cogneu de tels et telles où
+l'on n'y a advisé en rien!
+
+--J'ouys une fois, estant en Espagne, conter qu'un grand seigneur
+d'Andalousie ayant marié une sienne sœur avec un autre fort grand
+seigneur aussi, au bout de trois jours que le mariage fut consomné il
+luy dit: «_Senor hermano, agora que soys cazado con my hermana, y
+l'haveys bien godida solo, jo le hago saber que siendo hija, tal y tal
+gozaron d'ella. De lo passado no tenga cuydado, que poca cosa es. Del
+futuro guardate, que mas y mucho a vos tota_[19].» Comme voulant dire
+que ce qui est fait est fait, il n'en faut plus parler, mais qu'il faut
+se garder de l'advenir, car il touche plus à l'honneur que le passé.
+
+Il y en a qui sont de cet humeur, ne pensans estre si bien cocus par
+herbe comme par la gerbe, en quoy il y a de l'apparence.
+
+--J'ay ouy aussi parler d'un grand seigneur estranger, lequel ayant une
+fille des plus belles du monde, et estant recherchée en mariage d'un
+autre grand seigneur qui la méritoit bien, luy fut accordée par le père;
+mais avant qu'il la laissast jamais sortir de la maison, il en voulut
+taster, disant qu'il ne vouloit laisser si aisément une si belle monture
+qu'il avoit si curieusement élevée, que premièrement il n'eust monté
+dessus et sceu ce qu'elle sçauroit faire à l'avenir. Je ne sçay s'il est
+vray, mais je l'ay ouy dire, et que non seulement luy en fit la preuve,
+mais bien un autre beau et brave gentilhomme; et pourtant le mary par
+après n'y trouva rien amer, sinon que tout sucre.
+
+--J'ay ouy parler de mesme de force autres pères, et sur-tout d'un
+très-grand, à l'endroit de leurs filles, n'en faisant non plus de
+conscience que le cocq de la fable d'Esope, qui ayant esté rencontré par
+le renard et menacé qu'il le vouloit faire mourir, donc sur ce le cocq,
+rapportant tous les biens qu'il faisoit au monde, et surtout de la belle
+et bonne poulaille qui sortoit de luy: «Ha! dit le renard, c'est-là où
+je vous veux, monsieur le gallant, car vous estes si paillard que vous
+ne faites difficulté de monter sur vos filles comme sur d'autres
+poules;» et pour ce le fit mourir. Voilà un grand justicier et plitiq.
+
+Je vous laisse donc à penser que peuveut faire aucunes filles avec leurs
+amants; car il n'y eut jamais fille sans avoir ou désirer un amy, et
+qu'il y en a que les pères, frères, cousins et parents ont fait de
+mesme.
+
+--De nos temps, Ferdinant, roy de Naples, cogneut ainsi par mariage sa
+tante, fille du roy de Castille, à l'age de treize à quatorze ans, mais
+ce fut par dispence du pape. On faisoit lors difficulté si elle se
+devoit ou pouvoit donner. Cela ressent pourtant son empereur Caligula,
+qui débauscha et repassa toutes ses sœurs les unes après les autres,
+par-dessus lesquelles et sur toutes il ayma extresmement la plus jeune,
+nommée Drusille, qu'estant petit garçon il avoit dépucellée; et puis
+estant mariée avec un Lucius Cassius Longinus, homme consulaire, il la
+luy enleva et l'entretint publiquement, comme si ce fust esté sa femme
+légitime; tellement qu'estant une fois tombé malade, il la fit héritière
+de tous ses biens, voire de l'empire. Mais elle vint à mourir, qu'il
+regretta si très-tant, qu'il en fit crier les vacations de la justice
+et cessation de tous autres œuvres, pour induire le peuple d'en faire
+avec luy un deuil public, et en porta long-temps longs cheveux et longue
+barbe; et quand il haranguoit le sénat, le peuple et ses genres de
+guerre, ne juroit jamais que par le nom de Drusille.
+
+Pour quant à ses autres sœurs, après qu'il en fut saoul, il les
+prostitua et abandonna à de grands pages qu'il avoit nourrys et cogneus
+fort vilainement: encor, s'il ne ne leur eust fait aucun mal, passe,
+puisqu'elles l'avoient accoustumé et que c'estoit un mal plaisant, ainsi
+que je l'ay veu appeler tel à aucunes filles estant dévirginées et à
+aucunes femmes prises à force; mais il leur fit mille indignités: il les
+envoya en exil, il leur osta toutes leurs bagues et joyaux pour en faire
+de l'argent, ayant brouillé et dépendu fort mal-à-propos tout le grand
+que Tibère lui avoit laissé; encor les pauvrettes, estants après sa mort
+retournées d'exil, voyant le corps de leur frère mal et fort pauvrement
+enterré sous quelques mottes, elles le firent désenterrer, le brusler et
+enterrer le plus honnestement qu'elles purent: bonté certes grande de
+sœurs à un frère si ingrat et dénaturé.
+
+L'Italien, pour excuser l'amour illicite de ses proches, dit que _quando
+messer Bernado el bacieco stà in colera, el in sua rabia non riceve
+lege, et non perdona a nissuna dama_.
+
+--Nous avons force exemples des anciens qui en ont fait de mesme. Mais
+pour revenir à nostre discours, j'ay ouy conter d'un qui ayant marié une
+belle et honneste demoselle à un sien amy, et se vantant qu'il lui avoit
+donné une belle et honneste monture, saine, nette, sans sur-ost et sans
+malandre, comme il dist, et d'autant plus luy estoit obligé, il luy fut
+respondu par un de la compagnie, qui dit à part à un de ses compagnons:
+«Tout cela est bon et vray si elle ne fust esté montée et chevauchée
+trop tost, dont pour cela elle est un peu foulée sur le devant.»
+
+Mais aussi je voudrois bien sçavoir à ces messieurs de marys, que si
+telles montures bien souvent, n'avoient un si, ou à dire quelque chose
+en elles, ou quelque deffectuosité ou deffaut ou tare, s'ils en auroient
+si bon marché, et si elles ne leur cousteroient davantage? Ou bien, si
+ce n'estoit pour eux, ou en accommoderoit bien d'autres qui le méritent
+mieux qu'eux, comme ces maquignons qui se défont de leurs chevaux tarez
+ainsi qu'ils peuvent; mais ceux qui en sçavent les sys, ne s'en pouvant
+deffaire autrement, les donnent à ces messieurs qui n'en sçavent rien,
+d'autant (ainsi que j'ay ouy dire à plusieurs pères) que c'est une fort
+belle défaite que d'une fille tarée, ou qui commence à l'estre, ou a
+envie et apparence de l'estre.
+
+Que je connois de filles de par le monde qui n'ont pas porté leur
+pucelage au lict hymenean, mais pourtant qui sont bien instruites de
+leurs mères, ou autres de leurs parentes et amies, très-sçavantes
+maquerelles de faire bonne mine à ce premier assaut, et s'aident de
+divers moyens et inventions avec des subtilitez, pour le faire trouver
+bon à leurs marys et leur monstrer que jamais il n'y avoit esté fait
+breche.
+
+La plus grande part s'aident à faire une grande résistance et défence à
+cette pointe d'assaut, et à faire des opiniastres jusques à l'extrémité,
+dont il y a aucuns marys qui en sont très-contents, et croyent fermement
+qu'ils en ont eu tout l'honneur et fait la première pointe, comme braves
+et déterminez soldats; et en font leurs contes lendemain matin, qu'ils
+sont crestez comme petits cocqs ou jolets qui ont mangé force millet le
+soir, à leurs compagnons et amys, et mesme possible à ceux qui ont les
+premiers entré en la forteresse sans leur sceu, qui en rient à part eux
+leur saoul, et avec les femmes leurs maistresses, qui se vantent d'avoir
+bien joué leur jeu et leur avoir donné belle.
+
+Il y a pourtant aucuns marys ombrageux qui prennent mauvais augures de
+ces résistances, et ne se contentent point de les voir si rebelles;
+comme un que je sçay, qui, demandant à sa femme pourquoy elle faisoit
+ainsy de la farouche et de la difficultueuse, et si elle le desdaignoit
+jusque-là, elle, luy pensant faire son excuse et ne donner la faute à
+aucun desdain, luy dit qu'elle avoit peur qu'il luy fist mal. Il lui
+respondit: «Vous l'avez donc esprouvé, car nul mal ne se peut connoistre
+sans l'avoir enduré?» Mais elle, subtile, le niant, répliqua qu'elle
+l'avoit ainsi ouy dire à aucunes de ses compagnes qui avoient esté
+mariées, et l'en avoient ainsi advisée: «Voilà de beaux advis et
+entretiens,» dit-il.
+
+--Il y a un autre remède que ces femmes s'advisent, qui est de monstrer
+le lendemain de leurs nopces leur linge teint de gouttes de sang
+qu'espandent ces pauvres filles à la charge dure de leur despucellement,
+ainsi que l'on fait en Espagne, qui en monstrent publiquement par la
+fenestre ledit linge, en criant tout haut: _Virgen la tenemos_. Nous la
+tenons pour vierge.
+
+Certes, encore ay-je ouy dire dans Viterbe cette coustume s'y observe
+tout de mesme: et d'autant que celles qui ont passé premièrement par les
+picques ne peuvent faire cette monstre par leur propre sang, elles se
+sont advisées, ainsi que j'ay ouy dire, et que plusieurs courtisanes
+jeunes à Rome me l'ont assuré elles-mesmes, pour mieux vendre leur
+virginité, de teindre ledit linge de gouttes de sang de pigeon, qui est
+le plus propre de tous: et le lendemain le mary le voit, qui en reçoit
+un extrême contentement, et croit fermement que ce soit du sang virginal
+de sa femme, et lui semble bien que c'est un gallant, mais il est bien
+trompé.
+
+Sur quoy je feray ce plaisant conte d'un gentilhomme, lequel ayant eu
+l'esguillette nouée la première nuict de ses nopces, et la mariée, qui
+n'estoit pas de ces pucelles très-belles et de bonne part, se doutant
+bien qu'il dust faire rage, ne faillit, par l'advis de ses bonnes
+compagnes, matrosnes, parentes et bonnes amies, d'avoir le petit linge
+teint: mais le malheur fut tel pour elle, que le mary fut tellement noué
+qu'il ne put rien faire, encore qu'il ne tinst pas à elle à luy en faire
+la monstre la plus belle et se parer au montoir le mieux qu'elle
+pouvoit, et au coucher beau jeu, sans faire de la farouche ny nullement
+de la diablesse, ainsi que les spectateurs, cachés à la mode
+accoustumée, rapportoient, afin de cacher mieux son pucellage dérobé
+d'ailleurs; mais il n'y eut rien d'exécuté.
+
+Le soir, à la mode accoustumée, le réveillon ayant esté porté, il y eut
+un quidam qui s'advisa, en faisant la guerre aux nopces, comme on fait
+communément, de dérober le linge qu'on trouva joliment teint de sang,
+lequel fust monstré soudain et crié haut en l'assistance qu'elle
+n'estoit plus vierge, et que c'estoit ce coup que sa membrane virginale
+avoit esté forcée et rompue: le mary, qui estoit assuré qu'il n'avoit
+rien fait, mais pourtant qui faisoit du gallant et vaillant champion,
+demeura fort estonné et ne sceut ce que vouloit dire ce linge teint,
+si-non qu'après avoir songé assez, se douta de quelque fourbe et astuce
+putanesques, mais pourtant n'en sonna jamais mot.
+
+La mariée et ses confidentes furent aussi-bien faschées et estournées de
+quoy le mary avoit fait faux-feu, et que leur affaire ne s'en portoit
+pas mieux. De rien pourtant n'en fut fait aucun semblant jusques au bout
+de huict jours, que le mary vint à avoir l'esguillette desnoüée, et fit
+rage et feu, dont d'aise ne se souvenant de rien, alla publier à toute
+la compagnie que c'estoit à bon escient qu'il avoit fait preuve de sa
+vaillance et fait sa femme vraye femme et bien damée; et confessa que
+jusques alors il avoit esté saisi de toute impuissance: de quoy
+l'assistance sur ce subject en fit divers discours, et jetta diverses
+sentences sur la mariée qu'on pensoit estre femme par son linge
+teinturé; et s'escandalisa ainsi d'elle-mesme, non qu'elle en fust bien
+cause proprement, mais son mary, qui par sa débolesse, flaquesse et
+mollitude, se gasta luy-mesme.
+
+--Il y a aucuns marys qui cognoissent aussi à leur première nuict le
+pucelage de leurs femmes s'ils l'ont conquis oui ou non par la trace
+qu'ils y trouvent; comme un que je cognois, lequel, ayant espousé une
+femme en secondes nopces, et luy ayant fait accroire que son premier
+mary n'y avoit jamais touché par son impuissance, et qu'elle estoit
+vierge et pucelle aussi bien qu'auparavant estre mariée, néanmoins il la
+trouva si vaste et si copieuse en amplitude, qu'il se mit à dire: «Hé
+comment! estes-vous cette pucelle de Marolle, si serrée et si estroite
+qu'on me disoit! Hé! vous avez un grand empand, et le chemin y est
+tellement grand et battu que je n'ay garde de m'esgarer.» Si fallut-il
+qu'il passât par-là et le beust doux comme laict; car si son premier
+mary n'y avoit point touché comme il estoit vray, il y en avoit bien eu
+d'autres.
+
+Que dirons-nous d'aucunes mères, qui, voyant l'impuissance de leurs
+gendres, ou qui ont l'esguillette noüée ou autre défectuosité, sont les
+maquerelles de leurs filles, et que, pour gaigner leur douaire, s'en
+font donner à d'autres, et bien souvent engroisser, afin d'avoir les
+enfants héritiers après la mort du père?
+
+J'en cognois une qui conseilla bien cela à sa fille, et de fait n'y
+espargna rien; mais le malheur pour elle fut que jamais n'en put avoir.
+Aussi je cognois un qui, ne pouvant rien faire à sa femme, attira un
+grand laquais qu'il avoit, beau fils, pour coucher et dépuceler sa femme
+en dormant, et sauver son honneur par-là; mais elle s'en aperçeut et le
+laquais n'y fit rien, qui fut cause qu'ils plaidèrent long-temps:
+finalement ils se démarièrent.
+
+--Le roy Henry de Castille en fit de mesme, lequel, ainsi que raconte
+Baptista Fulquosius[20], voyant qu'il ne pouvoit faire d'enfant à sa
+femme, il s'aida d'un beau et jeune gentilhomme de sa Cour pour lui en
+faire, ce qu'il fit; dont pour sa peine il lui fit de grands biens et
+l'advança en des honneurs, grandeurs et dignitez: ne faut douter si la
+femme ne l'en ayma et s'en trouva bien. Voilà un bon cocu.
+
+--Pour ces esguilletes noüées, en fut dernièrement un procès en la cour
+du parlement de Paris, entre le sieur de Bray, trésorier, et sa femme, à
+qui il ne pouvoit rien faire ayant eu l'esguillette noüée, ou autre
+défaut, dont la femme, bien marrie, l'en appela en jugement. Il fut
+ordonné par la Cour qu'ils seroient visitez eux deux par grands médecins
+experts. Le mary choisit les siens et la femme les siens, dont en fut
+fait un fort plaisant sonnet à la Cour, qu'une grande dame me list
+elle-mesme, et me donna ainsi que je disnois avec elle. On disoit qu'une
+dame l'avoit fait, d'autres un homme. Le sonnet est tel:
+
+
+SONNET.
+
+ Entre les médecins renommés à Paris
+ En sçavoir, en espreuve, en science, en doctrine,
+ Pour juger l'Imparfait de la coulpe androgyne,
+ Par de Bray et sa femme ont esté sept choisis.
+
+ De Bray a eu pour luy les trois de moindre prix,
+ Le Court, l'Endormy, Pietre; et sa femme, plus fine,
+ Les quatre plus experts en l'art de médecine,
+ Le Grand, le Gros, Duret et Vigoureux a pris.
+
+ On peut par-là juger qui des deux gaignera,
+ Et si le Grand du Court victorieux sera,
+ Vigoureux d'Endormy, le Gros, Duret de Pietre.
+
+ Et de Bray n'ayant point ces deux de son costé,
+ Estant tant imparfait que mary le peut estre,
+ A faute de bon droit en sera débouté.
+
+--J'ay ouy parler d'un autre mary, lequel la première nuict tenant
+embrassée sa nouvelle espouse, elle se ravit en telle joye et plaisir,
+que, s'oubliant en elle-mesme, ne se put engarder de faire un petit
+mobile tordion de remuement non accoustumé de faire aux nouvelles
+mariées; il ne dit autre chose sinon: «Ah! j'en ay!» et continua sa
+route. Et voilà nos cocus en herbe, dont j'en sçai une milliasse de
+contes; mais je n'aurois jamais fait; et le pis que je vois en eux,
+c'est quand ils espousent la vache et le veau, comme on dit, et qu'ils
+les prennent toutes grosses.
+
+Comme un que je sçay, qui, s'estant marié avec une fort belle et
+honneste demoiselle, par la faveur et volonté de leur prince et
+seigneur, qui aymoit fort ce gentilhomme et la luy avoit fait espouser,
+au bout de huit jours elle vint à estre cogneuë grosse, aussi elle le
+publia pour mieux couvrir son jeu. Le prince, qui s'estoit tousjours
+bien douté de quelques amours entre elle et un autre, lui dit: «Une
+telle, j'ay bien mis dans mes tablettes le jour et l'heure de vos
+nopces; quand on les affrontera à celuy et celle de vostre accouchement,
+vous aurez de la honte.» Mais elle, pour ce dire, n'en fit que rougir un
+peu, et n'en fut autre chose, si-non qu'elle tenoit toujours mine de
+_dona da ben_.
+
+Or il y a d'aucunes filles qui craignent si fort leur père et mère,
+qu'on leur arracheroit plustot la vie du corps que le boucon puceau, les
+craignant cent fois plus que leurs marys.
+
+--J'ay ouy parler d'une fort belle et honneste demoiselle, laquelle,
+estant fort pourchassée du plaisir d'amour de son serviteur, elle lui
+respondit: «Attendez un peu que je sois mariée, et vous verrez comme,
+sous cette courtine de mariage qui cache tout, et ventre enflé et
+descouvert, nous y ferons à bon escient.»
+
+--Un autre, estant fort recherchée d'un grand, elle luy dit: «Sollicitez
+un peu nostre prince qu'il me marie bien-tost avec celui qui me
+pourchasse, et me face vistement payer mon mariage qu'il m'a promis; le
+lendemain de mes nopces, si nous ne nous rencontrons, marché nul.»
+
+--Je sçai une dame qui, n'ayant esté recherchée d'amours que quatre
+jours avant ses nopces, par un gentilhomme parent de son mary, dans six
+après il en jouyt; pour le moins il s'en vanta, et estoit aisé de le
+croire; car, ils se monstroient telle privauté qu'on eust dit que toute
+leur vie ils avoient estés nourris ensemble; mesme il en dist des signes
+et marques qu'elle portoit sur son corps, et aussi qu'ils continuèrent
+leur jeu long-temps après. Le gentilhomme disoit que la privauté qui
+leur donna occasion de venir là, ce fut que, pour porter une mascarade,
+s'entrechangèrent leurs habillements; car il prit celui de sa
+maistresse, et elle celuy de son amy, dont le mary n'en fit que rire, et
+aucuns prindrent subject d'y redire et penser mal.
+
+Il fut fait une chanson à la Cour d'un mary qui fut marié le mardy et
+fut cocu le jeudy: c'est bien avancer le temps.
+
+--Que dirons-nous d'une fille ayant esté sollicitée longuement d'un
+gentilhomme de bonne maison et riche, mais pourtant nigaud et non digne
+d'elle, et par l'advis de ses parents, pressée de l'espouser, elle fit
+response qu'elle aymoit mieux mourir que de l'espouser, et qu'il se
+déportast de son amour, qu'on ne luy en parlast plus ny à ses parents;
+car, s'ils la forçoient de l'espouser, elle le feroit plustost cocu.
+Mais pourtant fallut qu'elle passast par-là, car la sentence luy fut
+donnée ainsi par ceux et celles des plus grands qui avoient sur elle
+puissance, et mesme de ses parents.
+
+La vigille des nopces, ainsi que son mary la voyoit triste et pensive,
+luy demanda ce qu'elle avoit, elle luy respondit toute en colère: «Vous
+ne m'avez voulu jamais croire à vous oster de me poursuivre; vous sçavez
+ce que je vous ay tousjours dit, que, si je venois par malheur à estre
+vostre femme, que je vous ferois cocu, et je vous jure que je le feray
+et vous tiendray parole.»
+
+Elle n'en faisoit point la petite bouche devant aucunes de ses compagnes
+et aucuns de ses serviteurs. Asseurez-vous que depuis elle n'y a pas
+failli; et luy monstra qu'elle estoit bien gentille femme, car elle tint
+bien sa parole.
+
+Je vous laisse à penser si elle en devoit avoir blasme, puis qu'un
+averty en vaut deux, et qu'elle l'advisoit de l'inconvénient où il
+tomberoit. Et pourquoi ne s'en donnoit-il garde? Mais pour cela, il ne
+s'en soucia pas beaucoup.
+
+--Ces filles qui s'abandonnent ainsi sitost après estre mariées font
+comme dit l'Italien: _Che la vacca, che e stata molto tempo ligata,
+corre più che quella che hà havuto sempre piena libertà_[21].
+
+Ainsi que fit la première femme de Baudoüin, roy de Jérusalem, que j'ay
+dit ci-devant, laquelle, ayant esté mise en religion de force par son
+mary, après avoir rompu le cloistre et en estre sortie, et tirant vers
+Constantinople, mena telle paillardise qu'elle en donnoit à tous
+passants, allants et venants, tant gens-d'armes que pellerins vers
+Jérusalem, sans esgard de sa royale condition; mais le grand jeûne
+qu'elle en avoit fait durant sa prison en estoit cause.
+
+J'en nommerois bien d'autres. Or, voilà donc de bonnes gens de cocus
+ceux-là, comme sont aussi ceux-là qui permettent à leurs femmes, quand
+elles sont belles et recherchées de leur beauté, et les abandonnent
+pour s'en ressentir et tirer de la faveur, du bien et des moyens.
+
+Il s'en voit fort de ceux-là aux cours des grands roys et princes,
+lesquels s'en trouvent très-bien, car, de pauvres qu'ils auront esté, ou
+pour engagement de leurs biens, ou pour procès, ou bien pour voyages de
+guerres sont au tapis, les voilà remontez et aggrandis en grandes
+charges par le trou de leurs femmes, où ils n'y trouvent nulle
+diminution, mais plustost augmentation; for en une belle dame que j'ay
+ouy dire, dont elle en avoit perdu la moitié par accident, qu'on disoit
+que son mary luy avoit donné la vérole ou quelques chancres qui la luy
+avoient mangée.
+
+Certes les faveurs et bienfaits des grands esbranlent fort un cœur
+chaste, et engendrent bien des cocus.
+
+--J'ay ouy dire et raconter d'un prince estranger[22], lequel, ayant
+esté fait général de son prince souverain et maistre en une grande
+expédition d'un voyage de guerre qu'il luy avoit commandé, et ayant
+laissé en la Cour de son maistre sa femme, l'une des belles de la
+chrestienté, se mit à luy faire si bien l'amour, qu'il l'esbranla, la
+terrassa et l'abbattit, si beau qu'il l'engrossa.
+
+Le mary, tournant au bout de treize ou quatorze mois, la trouva en tel
+estat, bien marry et fasché contr'elle. Ne faut point demander comment
+ce fut à elle, qui estoit fort habile, à faire ses excuses, et à un sien
+beau-frère.
+
+Enfin elles furent telles qu'elle luy dit: «Monsieur, l'événement de
+vostre voyage en est cause, qui a esté si mal receu de vostre maistre
+(car il n'y fit pas bien certes ses affaires), et en vostre absence l'on
+vous a tant prestez de charitez pour n'y avoir point fait ses besognes,
+que, sans que vostre seigneur se mist à m'aymer, vous estiez perdu; et,
+pour ne vous laisser perdre, je me suis perdüe: il y va autant et plus
+de mon honneur que du vostre; pour votre avancement, je ne me suis
+espargnée la plus précieuse chose de moy: jugez donc si j'ay tant failly
+comme vous diriez bien; car, autrement, vostre vie, vostre honneur et
+faveur y fust esté en bransle. Vous estes mieux que jamais; la chose
+n'est si divulguée que la tache vous en demeure trop apparente. Sur
+cela, excusez-moi et me pardonnez.»
+
+Le beau-frère, qui sçavoit dire des mieux, et qui possible avoit part à
+la groisse, y en adjousta autres belles paroles et prégnantes, si bien
+que tout servit, et par ainsi l'accord fut fait, et furent ensemble
+mieux que devant, vivants en toute franchise et bonne amitié; dont
+pourtant le prince leur maistre, qui avoit fait la débausche et le
+débat, ne l'estima jamais plus (ainsi que j'ay ouy dire) comme il en
+avoit fait, pour en avoir tenu si peu de compte à l'endroit de sa femme
+et pour l'avoir beu si doux, tellement qu'il ne l'estima depuis de si
+grand cœur comme il l'avoit tenu auparavant, encore que, dans son
+ame, il estoit bien aise que la pauvre dame ne patist point pour luy
+avoir fait plaisir. J'ay veu aucuns et aucunes excuser cette dame, et
+trouver qu'elle avoit bien fait de se perdre pour sauver son mary et le
+remettre en faveur.
+
+Oh! qu'il y a de pareils exemples à celuy-cy, et encore à un d'une
+grande dame qui sauva la vie à son mary, qui avoit esté jugé à mort en
+pleine cour, ayant esté convaincu de grandes concussions et malles
+versations en son gouvernement et en sa charge, dont le mary l'en ayma
+après toute sa vie.
+
+--J'ay ouy parler d'un grand seigneur aussi, qui, ayant esté jugé
+d'avoir la teste tranchée, si qu'estant déjà sur l'eschaffault sa grace
+survint, que sa fille, qui estoit des plus belles, avoit obtenue, et,
+descendant de l'eschaffault, il ne dit autre chose sinon: «Dieu sauve le
+bon c.. de ma fille, qui m'a si bien sauvé!»
+
+--Saint Augustin est en doute si un citoyen chrestien d'Antioche pécha
+quand, pour se délivrer d'une grosse somme d'argent pour laquelle il
+estoit estroitement prisonnier, permit à sa femme de coucher avec un
+gentilhomme fort riche qui lui promit de l'acquitter de son debte.
+
+Si saint Augustin est de cette opinion, que peut-il donc permettre à
+plusieurs femmes, veufves et filles, qui pour rachepter leurs pères,
+parents et marys voire mesmes, abandonnent leur gentil corps sur force
+inconvénients qui leur surviennent, comme de prison, d'esclavitude, de
+la vie, des assauts et prise de ville, bref une infinité d'autres,
+jusques à gaigner quelquesfois des capitaines et des soldats, pour les
+bien faire combattre et tenir leurs partis, ou pour soutenir un long
+siége et reprendre une place. J'en conterois cent sujets, pour ne
+craindre pour eux à prostituer leur chasteté; et quel mal en peut-il
+arriver ny escandale pour cela? mais un grand bien.
+
+Qui dira donc le contraire, qu'il ne face bon estre quelques fois cocu,
+puisque l'on en tire telles commoditez du salut de vies et de
+rembarquement de faveurs, grandeurs et dignitez et biens, que j'en
+cognois beaucoup, et en ay ouy parler de plusieurs, qui se sont bien
+avancés par la beauté et par le devant de leurs femmes?
+
+Je ne veux offenser personne; mais j'oserois bien dire que je tiens
+d'aucuns et d'aucunes que les dames leur ont bien servy, et que certes
+les valeurs d'aucuns ne les ont tant fait valoir qu'elles.
+
+--Je cognois une grande et habile dame, qui fit bailler l'ordre à son
+mary, et l'eut luy seul avec les deux plus grands princes de la
+chrestienté. Elle luy disoit souvent, et devant tout le monde (car elle
+estoit de plaisante compagnie, et rencontroit très-bien). «Ha! mon amy,
+que tu eusses couru long-temps fauvettes avant que tu eusses eu ce
+diable que tu portes au col.»
+
+--J'en ay ouy parler d'un grand du temps du roy François, lequel ayant
+receu l'ordre, et s'en voulant prévaloir un jour devant feu M. de la
+Chastaigneraye mon oncle, et luy dit: «Ha! que vous voudriez avoir cet
+ordre pendu au col aussi bien comme moy!» Mon oncle, qui estoit prompt,
+haut à la main, et scalabreux s'il en fut onc, lui respondit:
+«J'aymerois mieux estre mort que de l'avoir par le moyen du trou que
+vous l'avez eu.» L'autre ne luy dit rien, car il savoit bien à qui il
+avoit à faire.
+
+--J'ay ouy conter d'un grand seigneur, à qui sa femme ayant sollicité et
+porté en sa maison la patente d'une des grandes charges du pays où il
+estoit, que son prince lui avoit octroyée par la faveur de sa femme, il
+ne la voulut accepter nullement, d'autant qu'il avoit sceu que sa femme
+avoit demeuré trois mois avec le prince fort favorisée, et non sans
+soupçons. Il monstra bien par-là sa générosité, qu'il avoit toute sa vie
+manifestée: toutes fois il l'accepta, après avoir fait chose que je ne
+veux dire.
+
+Et voilà comme les dames ont bien fait autant ou plus de chevaliers que
+les batailles, que je nommerois, les cognoissant aussi bien qu'un autre;
+n'estoit que je ne veux mesdire, ny faire escandale. Et si elles leur
+ont donné des honneurs, elles leur donnent bien des richesses.
+
+J'en cognois un qui estoit pauvre haire lorsqu'il amena sa femme à la
+Cour, qui estoit très-belle; et, en moins de deux ans, ils se remirent
+et devinrent fort riches.
+
+--Encore faut-il estimer ces dames qui eslèvent ainsi leurs marys en
+biens, et ne les rendent coquins et cocus tout ensemble: ainsi que l'on
+dit de Marguerite de Namur, laquelle fut si sotte de s'engager et de
+donner tout ce qu'elle pouvoit à Loüis duc d'Orléans, luy qui estoit si
+grand et si puissant seigneur, et frère du Roy, et tirer de son mary
+tout ce qu'elle pouvoit, si bien qu'il en devint pauvre, et fut
+contraint de vendre sa comté de Bloys audit M. d'Orléans, lequel, pensez
+qu'il la luy paya de l'argent et de la substance mesmes que sa sotte
+femme luy avoit donnée. Sotte bien estoit-elle, puisqu'elle donnoit à
+plus grand que soy; et pensez qu'après il se moqua et de l'une et de
+l'autre; car il estoit bien homme pour le faire, tant il estoit volage
+et peu constant en amours.
+
+--Je cognois une grande dame, laquelle estant venuë fort amoureuse d'un
+gentilhomme de la Cour, et luy par conséquent joüissant d'elle, ne luy
+pouvant donner d'argent, d'autant que son mari luy tenoit son trésor
+caché comme un prestre, lui donna la plus grande partie de ses
+pierreries, qui montoient à plus de trente mille escus; si bien qu'à la
+Cour on disoit qu'il pouvoit bien bastir, puisqu'il avoit force pierres
+amassées et accumulées; et puis après, estant venue et escheue à elle
+une grande succession, et ayant mis la main sur quelques vingt mille
+escus, elle ne les garda guères que son gallant n'en eust sa bonne part.
+Et disoit-on que si cette succession ne luy fust eschuë, ne sçachant que
+luy pouvoir plus donner, luy eust donné jusques à sa robe et chemise; en
+quoy tels escroqueurs et escornifleurs sont grandement à blasmer,
+d'aller ainsi allambiquer et tirer toute la substance de ces pauvres
+diablesses martelées et encapriciées; car la bourse estant si souvent
+revisitée, ne peut demeurer toujours en son enfleure, ni en son estre,
+comme la bourse de devant, qui est toujours en son mesme estat, et
+preste à y pescher qui veut, sans y trouver à dire les prisonniers qui y
+sont entrés et sortis. Ce bon gentilhomme, que je dis si bien empierré,
+vint quelque temps après à mourir; et toutes ses hardes, à la mode de
+Paris, vindrent à estre criées et vendues à l'encan, qui furent
+appréciées à cela, et recognuës pour les avoir veuës à la dame par
+plusieurs personnes, non sans grande honte de la dame.
+
+--Il y eut un grand prince, qui aymant une fort honneste dame, fit
+achepter une douzaine de boutons de diamants très-brillants, et
+proprement mis en œuvre avec leurs lettres égyptiennes et
+hiéroglyfiques, qui contenoient leur sens caché, dont il en fit un
+présent à sadite maistresse, qui, après les avoir regardées fixement,
+lui dit qu'il n'en estoit meshuy plus besoin à elle de lettres
+hiéroglyfiques, puisque les escritures estoient des-jà accomplies entre
+eux deux, ainsi qu'elles avoient esté entre cette dame et le gentil
+homme de cy-dessus.
+
+J'ai cogneu une dame qui disoit souvent à son mary qu'elle l rendroit
+plustost coquin que cocu; mais ces deux mots tenant de l'équivoque, un
+peu de l'un de l'autre assemblèrent en elle et en son mary ces deux
+belles qualitez.
+
+--J'ai bien cogneu pourtant beaucoup et une infinité de dames qui n'ont
+pas ainsi fait: car elles ont plus tenu serré la bourse de leurs escus
+que de leur gentil corps: car, encor qu'elles fussent très-grandes
+dames, elles ne vouloient donner que quelques bagues, quelques faveurs,
+et quelques autres petites gentillesses, manchons ou escharpes, pour
+porter pour l'amour d'elles et les faire valoir.
+
+--J'en ay cogneu une grande qui a esté fort copieuse et liberale en
+cela; car la moindre de ses escharpes et faveurs qu'elle donnoit à ses
+serviteurs estoit de cinq cents escus, de mille et de trois mille, où il
+y avoit plus de broderies, plus de perles, plus d'enrichissements, de
+chiffres, de lettres hiérogiyfiques et belles inventions, que rien au
+monde n'estoit plus beau. Elle avoit raison, afin que ces présents,
+après les avoir faits, ne fussent cachés dans des coffres ni dans des
+bourses, comme ceux de plusieurs autres dames, mais qu'ils parussent
+devant tout le monde, et que son amy les fist valoir en les contemplant
+sur sa belle commémoration, et que tels présents en argent sentoient
+plustost leurs femmes communes qui donnent à leurs ruffians, que non pas
+leurs grandes et honnestes dames. Quelquefois aussi elle donnoit bien
+quelques belles bagues de riches pierreries; car ces faveurs et
+escharpes ne se portent pas communément, si-non en un beau et bon
+affaire; au lieu que la bague au doigt tient bien mieux et plus
+ordinairement compagnie à celuy qui la porte.
+
+--Certes un gentil cavalier et de noble cœur doit estre de cette
+généreuse complexion, de plustost bien servir sa dame pour les beautez
+qui la font reluire, que pour tout l'or et l'argent qui reluisent en
+elle.
+
+Quant à moy, je me puis vanter d'avoir servy en ma vie d'honnestes
+dames, et non des moindres; mais si j'eusse voulu prendre d'elles ce
+qu'elles m'ont présenté, et en arracher ce que j'eusse pu, je serois
+riche aujourd'huy, ou en bien, ou en argent, ou en meubles, de plus de
+trente mille escus que je ne suis; mais je me suis toujours contenté de
+faire paroistre mes affections, plus par ma générosité que par mon
+avarice.
+
+Certainement il est bien raison que, puisque l'homme donne du sien dans
+la bourse du devant de la femme, que la femme de mesme donne du sien
+aussi dans celle de l'homme, mais il faut en cela peser tout; car, tout
+ainsi que l'homme ne peut tant jetter et donner du sien dans la bourse
+de la femme comme elle voudroit, il faut aussi que l'homme soit si
+discret de ne tirer de la bourse de la femme tant comme il voudroit, et
+faut que la loy en soit égale et mesurée en cela.
+
+--J'ay bien veu aussi beaucoup de gentilshommes perdre l'amour de leurs
+maistresses par l'importunité de leurs demandes et avarices, et que les
+voyaus si grands demandeurs et si importuns d'en vouloir avoir, s'en
+défaisoient gentiment et les plantoient là, ainsi qu'il estoit très-bien
+employé.
+
+Voilà pourquoy tout noble amoureux doit plustost estre tenté de
+convoitise charnelle que pécuniaire; car quand la dame seroit par trop
+libérale de son bien, le mary, le trouvant se diminuer, en est plus
+marry cent fois que de dix mille libéralitez qu'elle feroit de son
+corps.
+
+Or, il y a des cocus qui se font par vengeance: cela s'entend que
+plusieurs qui haïssent quelques seigneurs, gentilshommes ou autres,
+desquels en ont receu quelques desplaisirs et affronts, se vangent d'eux
+en faisant l'amour à leurs femmes, et les corrompent en les rendant
+gallants cocus.
+
+--J'ai cogneu un grand prince, lequel ayant receu quelques traits de
+rébellion par un sien sujet grand seigneur, et ne se pouvant vanger de
+luy, d'autant qu'il le fuyoit tant qu'il pouvoit, de sorte qu'il ne le
+pouvoit aucunement attraper; sa femme estant un jour venue à sa Cour
+solliciter l'accord et les affaires de son mary, le prince luy donna une
+assignation pour en conférer un jour dans un jardin et une chambre là
+auprès; mais ce fut pour lui parler d'amours, desquels il jouit fort
+facilement sur l'heure sans grande résistance, car elle estoit de fort
+bonne composition: et ne se contenta de la repasser, mais à d'autres la
+prostitua, jusques aux valets-de-chambre; et par ainsi disoit le prince
+qu'il se sentoit bien vangé de son sujet, pour luy avoir ainsi repassé
+sa femme et couronné sa teste d'une belle couronne de cornes, puisqu'il
+vouloit faire du petit roy et du souverain; au lieu qu'il vouloit porter
+couronne de fleurs de lys[23], il lui en falloit bailler une belle de
+cornes.
+
+Ce mesme prince en fit de mesmes par la suasion de sa mère, qu'il joüist
+d'une fille et princesse; sçachant qu'elle devoit espouser un prince qui
+lui avoit fait desplaisir et troublé l'Estat de son frère bien fort, la
+dépucella et en joüit bravement, et puis dans deux mois fut livrée audit
+prince pour pucelle prétendue et pour femme, dont la vengeance en fit
+fort douce en attendant une autre plus rude, qui vint puis après[24].
+
+--J'ay cogneu un fort honneste gentilhomme qui, servant une belle dame
+et de bon lieu, lui demandant la récompense de ses services et amours,
+elle luy respondit franchement qu'elle ne luy en donneroit pas pour un
+double, d'autant qu'elle estoit très-asseurée qu'il ne l'aymoit tant
+pour cela, et ne luy portoit point tant d'affection pour sa beauté,
+comme il disoit, sinon qu'en joüissant d'elle il se vouloit vanger de
+son mary qui luy avoit fait quelque desplaisir, et pour ce il en vouloit
+avoir ce contentement dans son ame, et s'en prévaloir puis après; mais
+le gentilhomme, luy asseurant du contraire, continua à la servir plus de
+deux ans si fidèlement et de si ardent amour, qu'elle en prit
+cognoissance ample et si certaine, qu'elle luy octroya ce qu'elle lui
+avoit tousjours refusé, l'asseurant que si du commencement de leurs
+amours elle n'eust eu opinion de quelque vengeance projettée en luy par
+ce moyen, elle l'eust rendu aussi bien content comme elle fit à la fin;
+car son naturel estoit de l'aymer et favoriser. Voyez comme cette dame
+se sceut sagement commander, que l'amour ne la transporta point à faire
+ce qu'elle desiroit le plus, sans qu'elle vouloit qu'on l'aymast pour
+ses mérites et non pour le seul sujet de vindicte.
+
+--Feu M. de Gua, un des parfaits et gallants gentilshommes du monde en
+tout, me convia à la Cour un jour d'aller disner avec luy; il avoit
+assemblé une douzaine des plus sçavants de la Cour, entre autres M.
+l'esvesque de Dole, de la maison d'Espinay en Bretagne, MM. de Ronsard,
+de Baïf, Desportes, d'Aubigny (ces deux sont encore en vie, qui m'en
+pourroient démentir), et d'autres desquels ne me souviens, et n'y avoit
+homme d'espée que M. de Gua et moy. En devisant durant le disner de
+l'amour et des commoditez et incommoditez, plaisirs et desplaisirs, du
+bien et du mal qu'il apportoit en sa joüissance, après que chacun eut
+dit son opinion et de l'un et de l'autre, il conclud que le souverain
+bien de cette joüissance gisoit en cette vengeance, et pria un chacun de
+tous ces grands personnages d'en faire un quatrain _impromptu_; ce
+qu'ils firent. Je les voudrois avoir pour les insérer icy, sur lesquels
+M. de Dol, qui disoit et escrivoit d'or, emporta le prix.
+
+Et certes, M. de Gua avoit occasion de tenir cette proposition contre
+deux grands seigneurs que je sçay, leur faisant porter les cornes pour
+la haine qu'ils luy portoient; car leurs femmes estoient très-belles:
+mais en cela il en tiroit double plaisir, la vengeance et le
+contentement. J'ay cogneu force gens qui se sont revangez et délectez en
+cela, et si ont eu cette opinion.
+
+--J'ay cogneu aussi de belles et honnestes dames, disant et affirmant
+que quand leurs marys les avoient maltraitées et rudoyées et tansées ou
+censurées, ou battues ou fait autres mauvais tours et outrages, leur
+plus grande délectation estoit de les faire cornards, et en les faisant
+songer à eux, les brocarder, se moquer et rire d'eux avec leurs amis,
+jusques-là de dire qu'elles en entroient davantage en appétit et certain
+ravissement de plaisir qui ne se pouvoit dire.
+
+--J'ay ouy parler d'une belle et honneste femme, à laquelle estant
+demandé une fois si elle avoit jamais fait son mary cocu, elle
+respondit: «Et pourquoy l'aurois-je fait, puisqu'il ne m'a jamais battuë
+ny menacée?» Comme voulant dire que, s'il eust fait l'un des deux, son
+champion de devant en eust tost fait la vengeance.
+
+--Et quant à la mocquerie, j'ay cogneu une fort belle et honneste dame,
+laquelle estant en ces doux altères de plaisirs, e en ces doux bains de
+délices et d'aise avec son amy, il lui advint qu'ayant un pendant
+d'oreille d'une corne d'abondance qui n'estoit que de verre noir, comme
+on les portoit alors, il vint, par force de se remuer et entrelasser et
+follastrer, à se rompre. Elle dit à son amy soudain: «Voyez comme nature
+est très-bien prévoyante; car pour une corne que j'ai rompue, j'en fais
+icy une douzaine d'autres à mon pauvre cornard de mary, pour s'en parer
+un jour d'une bonne feste, s'il veut.»
+
+Une autre ayant laissé son mary couché et endormy dans le lict, vint
+voir son amy avant se coucher; et ainsi qu'il luy eut demandè où estoit
+son mary, elle luy respondit: «Il garde le lict et le nid du cocu, de
+peur qu'un autre n'y vienne pondre; mais ce n'est pas à son lict, ny à
+ses linceuls, ny à son nid que vous en voulez, c'est à moy qui vous suis
+venue voir, et l'ay laissé là en sentinelle, encore qu'il soit bien
+endormy.»
+
+--A propos de sentinelle, j'ay ouy faire un conte d'un gentilhomme de
+valeur, que j'ai cogneu, lequel un jour venant en question avec une fort
+honneste dame que j'ay aussi cogneue, il luy demanda, par manière
+d'injure, si elle avoit jamais fait de voyage à Saint-Mathurin[25].
+«Ouy, dit-elle; mais je ne pus jamais entrer dans l'église, car elle
+estoit si pleine et si bien gardée de cocus, qu'ils ne m'y laissèrent
+jamais entrer: et vous qui estiés des principaux, vous estiez au clocher
+pour faire la sentinelle et advertir les autres.»
+
+J'en conterois mille autres risées, mais je n'aurois jamais fait: si
+espère-je d'en dire pourtant en quelque coin de ce livre.
+
+--Il y a des cocus qui sont debonnaires, qui d'eux-mesmes se convient à
+cette feste de cocuage; comme j'en ai cogneu aucuns qui disoient à leurs
+femmes: «Un tel est amoureux de vous, je le cognois bien, il nous vient
+souvent visiter, mais c'est pour l'amour de vous, mamie. Faites-luy
+bonne chere; il nous peut faire beaucoup de plaisir; son accointance
+nous peut beaucoup servir.»
+
+D'autres disent à aucuns: «Ma femme est amoureuse de vous, elle vous
+ayme; venez la voir, vous lui ferez plaisir; vous causerez et deviserez
+ensemble, et passerez le temps.» Ainsi convient-ils les gens à leurs
+despens.
+
+Comme fit l'empereur Adrian, lequel estant un jour en Angleterre (ce dit
+sa vie) menant la guerre, eut plusieurs advis comme sa femme,
+l'imperatrice Sabine, faisoit l'amour, à toutes restes à Rome, avec
+force gallants gentilshommes romains. De cas de fortune, elle ayant
+escrit une lettre de Rome en hors à un gentilhomme romain qui estoit
+avec l'empereur en Angleterre, se complaignant qu'il l'avoit oubliée et
+qu'il ne faisoit plus compte d'elle, et qu'il n'estoit pas possible
+qu'il n'eust quelques amourettes par de-là, et que quelque mignone
+affettée ne l'eust espris dans les lacs de sa beauté; celle lettre
+d'avanture tomba entre les mains d'Adrian, et comme ce gentilhomme,
+quelques jours après, demanda congé à l'Empereur sous couleur de vouloir
+aller jusques à Rome promptement pour les affaires de sa maison, Adrian
+luy dit en se jouant: «Eh bien, jeune homme, allez-y hardiment, car
+l'impératrice ma femme vous y attend en bonne dévotion.» Quoy voyant le
+Romain, et que l'Empereur avoit descouvert le secret et luy en pourroit
+fort mauvais tour, sans dire adieu ny gare, partit la nuit après et
+s'enfuit en Irlande.
+
+Il ne devoit pas avoir grand peur pour cela, comme l'Empereur luy-mesme
+disoit souvent, estant abreuvé à toute heure des amours desbordés de sa
+femme: «Certainement si je n'estois empereur, je me serois bientost
+défait de ma femme, mais je ne veux monstrer mauvais exemple.» Comme
+voulant dire que n'importe aux grands qu'ils soient-là logés, aussi
+qu'ils ne se divulguent. Quelle sentence pourtant pour les grands!
+laquelle aucuns d'eux ont pratiquée, mais non pour ces raisons. Voilà
+comme ce bon empereur assistoit joliment à se faire cocu.
+
+--Le bon Marc Aurele, ayant sa femme Faustine une bonne vesse, et luy
+estant conseillé de la chasser, il respondit: «Si nous la quittons, il
+faut aussi quitter son douaire, qui est l'empire; et qui ne voudroit
+estre cocu de mesme pour un tel morceau, voire moindre?»
+
+Son fils Antoninus Verus, dit Commodus, encore qu'il devint fort cruel,
+en dit de mesme à ceux qui luy conseilloient de faire mourir ladite
+Faustine sa mère, qui fut tant amoureuse et chaude après un gladiateur,
+qu'on ne la put jamais guérir de ce chaud mal, jusques à ce qu'on
+s'advisast de faire mourir ce maraut gladiateur et luy faire boire son
+sang.
+
+--Force marys ont fait et font de mesme que ce bon Marc Aurele, qui
+craignent de faire mourir leurs femmes putains, de peur d en perdre les
+grands biens qui en procedent, et ayment mieux estre riches cocus à si
+bon marché qu'estre coquins.
+
+--Mon Dieu! que j'ay cogneu plusieurs cocus qui ne cessoient jamais de
+convier leurs parents, leurs amys, leurs compagnons, de venir voir leurs
+femmes, jusques à leur faire festins pour mieux les y attirer; et y
+estant, les laisser seuls avec elles dans leurs chambres, leurs
+cabinets, et puis s'en aller et leur dire: «Je vous laisse ma femme en
+garde.»
+
+--J'en ay cogneu un de par le monde, que vous eussiés dit que toute sa
+félicité et contentement gisoit à estre cocu, et s'estudioit d'en
+trouver les occasions, et surtout n'oublioit ce premier mot: «Ma femme
+est amoureuse de vous; l'aymez-vous autant qu'elle vous aime?» Et quand
+il voyoit sa femme avec son serviteur, bien souvent il emmenoit la
+compagnie hors de la chambre pour s'aller pourmener, les laissant tous
+deux ensemble, leur donnant beau loisir de traitter leurs amours; et si
+par cas il avoit à faire à tourner prestement en la chambre, dès le bas
+du degré il crioit haut, il demandoit quelqu'un, il crachoit ou il
+toussoit, afin qu'il ne trouvast les amants sur le fait; car volontiers,
+encore qu'on le sçache et qu'on s'en doute, ces vues et surprises ne
+sont guières agréables ny aux uns ny aux autres.
+
+Aussi ce seigneur faisant un jour bastir un beau logis, et le maistre
+masson luy ayant demandé s'il ne le vouloit pas illustrer de corniches,
+il respondit: «Je ne sçay que c'est que corniches; demandez-le à ma
+femme, qui le sçait et qui sçait l'art de géométrie; et ce qu'elle dira
+faites-le.»
+
+--Bien fit pis un que je sçay, qui, vendant un jour une de ses terres à
+un autre pour cinquante mille escus, il en prit quarante-cinq mille en
+or et argent, et pour les cinq restants il prit une corne de licorne;
+grande risée pour ceux qui le sceurent. «Comme, disoient-ils, s'il
+n'avoit assez de cornes chez soy sans y adjouster celle-là.»
+
+--J'ay cogneu un très-grand seigneur, brave et vaillant, lequel vint à
+dire à un honneste gentilhomme qui estoit fort son serviteur, en riant
+pourtant: «Monsieur un tel, je ne sçay ce que vous avez fait à ma femme,
+mais elle est si amoureuse de vous que jour et nuict elle ne me fait que
+parler de vous, et sans cesse me dit vos louanges. Pour toute response
+je luy dis que je vous connois plustost qu'elle, et sçay vos valeurs et
+vos mérites, qui sont grands.» Qui fut estonné, ce fut ce gentilhomme,
+car il ne venoit que de mener cette dame sous le bras à vespres, où la
+Reyne alloit. Toutes-fois le gentilhomme s'asseura tout d'un coup et luy
+dit: «Monsieur, je suis très-humble serviteur de madame vostre femme, et
+fort redevable de la bonne opinion qu'elle a de moi, et l'honore
+beaucoup; mais je ne luy fais pas l'amour (disoit-il en bouffonnant),
+mais je luy fais bien la cour par vostre bon advis que vous me donnastes
+dernierement; d'autant qu'elle peut beaucoup à l'endroit de ma
+maistresse, que je puis espouser par son moyen, et par ainsi j'espère
+qu'elle m'y sera aidante.»
+
+Ce prince n'en fit plus autre semblant, si-non que de rire et
+admonester le gentilhomme de courtiser sa femme plus que jamais, ce
+qu'il fit, estant bien-aise sous ce prétexte de servir une si belle dame
+de prince, laquelle luy faisoit bien oublier son autre maistresse qu'il
+vouloit espouser, et ne s'en soucier guières, si-non que ce masque
+bouchoit et déguisoit tout.
+
+Si ne put-il faire tant qu'il n'entrast un jour en jalousie, que voyant
+ce gentilhomme dans la chambre de la Reyne porter au bras un ruban
+incarnadin d'Espagne, qu'on avoit apporté par belle nouveauté à la Cour,
+et l'ayant tasté et manié en causant avec luy, alla trouver sa femme,
+qui estoit près du lict de la Reyne, qui en avoit un tout pareil, lequel
+il mania et toucha tout de mesme, et trouva qu'il estoit tout semblable
+et de la mesme pièce que l'autre: si n'en sonna-il pourtant jamais mot,
+et n'en fut autre chose. Et de telles amours il en faut couvrir si bien
+les feux par telles cendres de discrétion et de bons advis, qu'elles ne
+se puissent descouvrir; car bien souvent l'escandale ainsi descouvert
+dépite plus les marys contre leurs femmes, que quand le tout se fait à
+cachettes, pratiquant en cela le proverbe: _Si non caste, tamen
+caute_[26].
+
+--Que j'ay veu en mon temps de grands escandales et de grands
+inconvénients pour les indiscrétions et des dames et de leurs
+serviteurs! Que leurs marys s'en soucioient aussi peu que rien, mais
+qu'ils fissent bien leurs faits, _sotto coperte_[27], comme on dist, et
+ne fust point divulgué.
+
+--J'en ay cogneu une qui tout à trac faisoit paroistre ses amours et ses
+faveurs, qu'elle départoit comme si elle n'eust eu de mary et ne fust
+esté sous aucune puissance, n'en voulant rien croire l'advis de ses
+serviteurs et amys, qui lui en remonstroient les inconvénients: aussi
+bien mal luy en a-t-il pris.
+
+Cette dame n'a jamais fait ce que plusieurs autres dames ont fait: car
+elles ont gentiment traitté l'amour, et se sont données du bon temps
+sans en avoir donné grand connoissance au monde, sinon par quelques
+soupçons légers, qui n'eussent jamais pu monstrer la vérité aux plus
+clairvoyants; car elles accostoient leurs serviteurs devant le monde si
+dextrement, et les entretenoient si escortement[28] que ny leurs marys
+ny les espions de leur vie n'y eussent sceu que mordre; et quand ils
+alloient en quelque voyage, ou qu'ils vinssent à mourir, elles
+couvroient et cachoient leurs couleurs si sagement qu'on n'y connoissoit
+rien.
+
+--J'ay cogneu une dame belle et honneste, laquelle, le jour qu'un grand
+seigneur son serviteur mourut, elle parut en la chambre de la Reyne avec
+un visage aussi guay et riant que le jour paravant. D'aucuns l'en
+estimoient de cette discrétion, et qu'elle le faisoit de peur de
+desplaire et irriter le Roy, qui n'aymoit pas le trespassé. D'aucuns la
+blasmoient, attribuant ce geste plustost à manquement d'amour, comme
+l'on disoit qu'elle n'en estoit guières bien garnie, ainsi que sont
+toutes celles qui se meslent de cette vie.
+
+--J'ay cogneu deux belles et honnestes dames, lesquelles, ayant perdu
+leurs serviteurs en une fortune de guerre, firent de tels regrets et
+lamentations, et monstrèrent leur dueil par leurs habits bruns, plus
+d'eau-benistiers, d'aspergez d'or engravez, plus de testes de morts, et
+de toutes sortes de trophées de la mort en leurs affiquets, joyaux et
+bracelets qu'elles portoient, qui les escandalisèrent fort, et cela leur
+nuict grandement; mais leurs marys ne s'en soucioient autrement.
+
+Voilà en quoy ces dames se transportent en la publication de leurs
+amours, lesquelles pourtant on doit louer et priser en leurs constances,
+mais non en leur discrétion; car pour cela il leur en fait très-mal. Et
+si telles dames sont blasmables en cela, il y a beaucoup de leurs
+serviteurs qui en méritent bien la réprimande aussi bien qu'elles; car
+ils contrefont des transis comme une chevre qui est en gesine, et des
+langoureux; ils jettent leurs yeux sur elles et les envoyent en
+ambassade; ils font des gestes passionnés, des souspirs devant le monde;
+ils se parent des couleurs de leurs dames si apparemment; bref, ils se
+laissent aller à tant de sottes indiscrétions, que les aveugles s'en
+appercevroient: les uns aussi bien pour le faux que pour le vray, afin
+de donner à entendre à toute une Cour qu'ils sont amoureux en bon lieu,
+et qu'ils ont bonne fortune; et Dieu sçait, possible, on ne leur en
+donneroit pas l'aumosne pour un liard, quand bien on en devroit perdre
+les œuvres de charité.
+
+--Je cognois un gentilhomme et seigneur, lequel, voulant abrever le
+monde qu'il estoit venu amoureux d'une belle et honneste dame que je
+sçay, fit un jour tenir son petit mulet avec deux de ses pages et
+laquais au devant sa porte. Par cas, M. de Strozze et moy passasmes
+par-là et vismes ce mystere de ce mulet, ces pages et laquais. Il leur
+demanda soudain où estoit leur maistre; ils firent response qu'il estoit
+dans le logis de cette dame, à quoy M. de Strozze se mit à rire et me
+dire que sur sa vie il gaigeroit qu'il n'y estoit point, et soudain posa
+son page en sentinelle pour voir si ce faux amant sortiroit; et de-là
+nous en allasmes soudain en la chambre de la Reyne, où nous le
+trouvasmes, et non sans rire luy et moy: et sur le soir nous le vinsmes
+accoster, et en feignant de luy faire la guerre, nous luy demandasmes où
+il estoit à telle heure après-midy, et qu'il ne s'en sçauroit laver, car
+nous y avions veu le mulet et ses pages devant la porte de cette dame.
+Luy, faisant la mine d'estre fasché que nous avions veu cela, et de quoy
+nous luy en faisions la guerre de faire l'amour en ce bon lieu, il nous
+confessa vrayment qu'il y estoit; mais il nous pria de n'en sonner mot,
+autrement que nous le mettrions en peine, et cette pauvre dame qui en
+seroit escandalisée et mal venue de son mary, ce que nous luy promismes
+riants tousjours à pleine gorge et nous mocquant de luy, encor qu'il
+fust assez grand seigneur et qualifié, de n'en parler jamais et que cela
+ne sortiroit de nostre bouche. Si est-ce qu'au bout de quelques jours
+qu'il continuoit ses coups faux avec son mulet trop souvent, nous luy
+descouvrismes la fourbe et luy en fismes la guerre à bon escient et en
+bonne compagnie, dont de honte s'en desista; car la dame le sceut par
+nostre moyen, qui fit guetter un jour le mulet et les pages, les faisant
+chasser de devant sa porte comme gueux de l'hostiere: et si fismes bien
+mieux, car nous le dismes à son mary, et luy en fismes le conte si
+plaisamment, qu'il le trouva si bon qu'il en rit luy-mesmes à son aise,
+et dist qu'il n'avoit pas peur que cet homme le fist jamais cocu; et que
+s'il ne trouvoit ledit mulet et ses pages bien logés à la porte, qu'il
+la leur feroit ouvrir et entrer dedans, pour les mettre mieux à couvert
+et à leur aise, et se garder du chaud ou du froid, ou de la pluye.
+D'autres pourtant le faisoient bien cocu. Et voilà comme ce bon
+seigneur, aux despens de cette honneste dame, de laquelle en estant
+devenu amoureux, se vouloit prévaloir sans avoir respect d'aucun
+escandale.
+
+--J'ay cogneu un gentilhomme qui escandalisa par ses façons de faire une
+fort belle et honneste dame, de laquelle en estant devenu amoureux
+quelque temps, et la pressant d'en obtenir ce bon petit morceau gardé
+pour la bouche du mary, elle luy refusa tout à plat, et après plusieurs
+refus, il luy dit comme desespéré: «Hé bien! vous ne le voulez pas, et
+je vous jure que je vous ruinerai d'honneur.» Et pour ce faire s'advisa
+de faire tant d'allées et venues à cachettes, mais pourtant non si
+secrettes qu'il ne se montrast à plusieurs yeux exprès, et donnast moyen
+de s'en appercevoir de nuict et de jour, à la maison où elle se tenoit;
+braver et se vanter sous main de ses bonnes fausses fortunes, et devant
+le monde rechercher la dame avec plus de privautez qu'il n'avoit
+occasion de le faire, et parmy ses compagnons faire du gallant plus pour
+le faux que pour le vray; si bien qu'estant venu un soir fort tard en la
+chambre de cette dame tout bousché de son manteau, et se cachant de ceux
+de la maison, après avoir joué plusieurs de ces tours, fut soubçonné par
+le maistre d'hostel de la maison, qui fit faire le guet: et, ne l'ayant
+pu trouver, le mary pourtant battit sa femme et luy donna quelques
+soufflets, mais poussé après du maistre d'hostel, qui luy dit que ce
+n'estoit assez, la tua et la dagua, et en eut du Roy fort aisément sa
+grace. Ce fut grand dommage de cette dame, car elle estoit très-belle.
+Depuis, ce gentilhomme qui en avoit esté cause ne le porta guières loin,
+et fut tué en une rencontre de guerre par permission de Dieu, pour avoir
+si injustement osté l'honneur et la vie à cette honneste dame.
+
+Pour dire la vérité sur cet exemple et sur une infinité d'autres que
+j'ay veus, il y a aucunes dames qui ont grand tort d'elles-mesmes, et
+qui sont les vrayes causes de leurs escandales et deshonneur; car
+elles-mesmes vont attaquer les escarmouches, et attirent les gallants à
+elles, et du commencement leur font les plus belles caresses du monde,
+des privautez, des familiaritez, leur donnent par leurs doux attraits et
+belles paroles des espérances; mais quand il faut venir à ce point,
+elles le desnient tout à plat. De sorte que les honnestes hommes qui
+s'estoient proposez force choses plaisantes de leur corps, se
+desesperent et se despitent en prenant un congé rude d'elles, les vont
+deshonorant et les publient pour les plus grandes vesses du monde, et en
+content cent fois plus qu'il n'y en a.
+
+Donc voilà pourquoy il ne faut jamais qu'une honneste dame se mesle
+d'attirer à soy un gallant gentilhomme, et se laisse servir à luy, si
+elle ne le contenté[contente?] à la fin selon ses mérites et ses
+services.
+
+Il faut qu'elle se propose cela si elle ne veut estre perdue, mesme si
+elle a affaire à un honneste et gallant homme; autrement, dès le
+commencement, s'il la vient accoster, et qu'elle voye que ce soit pour
+ce point tant desiré à qui il adresse ses vœux, et qu'elle n'aye
+point envie de luy en donner, il faut qu'elle luy donne son congé dès
+l'entrée du logis; car, pour en parler franchement, toutes dames qui se
+laissent aymer et servir s'obligent tellement, qu'elles ne se peuvent
+dédire du combat; il faut qu'elles y viennent tost ou tard, quoy qu'il
+tarde.
+
+Mais il y a des dames qui se plaisent à se faire servir pour rien, sinon
+pour leurs beaux yeux, et disent qu'elles desirent estre servies, que
+c'est leur félicité, mais non de venir là, et disent qu'elles prennent
+plaisir à desirer, et non à exécuter. J'en ay veu aucunes qui me l'ont
+dit: toutesfois il ne faut pourtant qu'elles le prennent là, car si une
+fois elles se mettent à desirer, sans point de doute il faut qu'elles
+viennent à l'exécution; car ainsi la loy d'amour le veut, et que toute
+dame qui desire, ou souhaite, ou songe de vouloir desirer à soy un
+homme, cela est fait: si l'homme le connoist et qu'il poursuive
+fermement celle qu'il attaque, il en aura ou pied ou aile, ou plume ou
+poil, comme on dit.
+
+--Voilà donc comme les pauvres marys se font cocus par telles opinions
+de dames qui veulent desirer et non pas exécuter, mais, sans y penser,
+elles se vont brusler à la chandelle, ou bien au feu qu'elles ont basty
+d'elles-mesmes, ainsi que font ces pauvres simplettes bergères,
+lesquelles, pour se chauffer parmy les champs en gardant leurs moutons
+et brebis, allument un petit feu, sans songer à aucun mal ou
+inconvénient; mais elles ne se donnent de garde que ce petit feu s'en
+vient quelquesfois à allumer un si grand, qu'il brusle tout un pays de
+landes et de taillis.
+
+Il faudroit que telles dames prissent l'exemple, pour les faire sages,
+de la comtesse d'Escaldasor, demeurant à Pavie, à laquelle M. de Lescu,
+qui depuis fut appelé le mareschal de Foix, estudiant à Pavie (et pour
+lors le nommoit-on le protenotaire de Foix, d'autant qu'il estoit dédié
+à l'Église; mais depuis il quitta la robbe longue pour prendre les
+armes), faisant l'amour à cette belle dame, d'autant que pour lors elle
+emportoit le prix de la beauté sur les belles de Lombardie, et s'en
+voyant pressée, et ne le voulant rudement mecontenter, ny donner son
+congé, car il estoit proche parent de ce grand Gaston de Foix, M. de
+Nemours, sous le grand renom duquel alors toute l'Italie trembloit; et
+un jour d'une grande magnificence et de feste, qui se faisoit à Pavie,
+où toutes les grandes dames, et mesmes les plus belles de la ville et
+d'alentour, se trouvèrent ensemble, les honnestes gentilshommes ne
+manquèrent pas aussi de s'y trouver.
+
+Cette comtesse parut belle entre toutes les autres, pompeusement
+habillée d'une robbe de satin bleu céleste, toute couverte et semée,
+autant pleine que vuide, de flambeaux et papillons volletans à l'entour
+et s'y bruslans, le tout en broderie d'or et d'argent, ainsi que de tout
+temps les bons brodeurs de Milan ont sceu bien faire par-dessus les
+autres; si bien qu'elle emporta l'estime d'estre le mieux en point de
+toute la troupe et compagnie.
+
+M. le protenotaire de Foix, la menant danser, fut curieux de luy
+demander la signification des devises de sa robbe, se doutant bien qu'il
+y avoit là-dessous quelque sens caché qui ne luy plaisoit pas. Elle luy
+respondit: «Monsieur, j'ay fait faire ma robbe de la façon que les gens
+d'armes et cavaliers font à leurs chevaux rioteux et vitieux, qui ruent
+et qui tirent du pied; ils leur mettent sur leur crouppe une grosse
+sonnette d'argent, afin que, par ce signal, leurs compagnons, quand ils
+sont en compagnie et en foule, soient advertis de se donner garde de ce
+meschant cheval qui ruë, de peur qu'il ne les frappe. Pareillement, par
+les papillons volletans et se bruslans dans ces flambeaux, j'advertis
+les honnestes hommes qui me font ce bien de m'aymer et admirer ma
+beauté, de n'en approcher trop près, ny en desirer davantage autre chose
+que la veuë; car ils n'y gagneront rien, non plus que les papillons,
+sinon desirer et brusler, et n'en avoir rien plus.» Cette histoire est
+escritte dans les _Devises de Paolo Jovio_. Par ainsi, cette dame
+advertissoit son serviteur de prendre garde à soy de bonne heure. Je ne
+sçay s'il en approcha de plus près, ou comme il en fit; mais pourtant,
+luy, ayant été blessé à mort à la bataille de Pavie, et pris prisonnier,
+il pria d'estre porté chez cette comtesse, à son logis dans Pavie, où il
+fut très-bien receu et traitté d'elle. Au bout de trois jours, il y
+mourut, avec le grand regret de la dame, ainsi que j'ay ouy conter à M.
+de Monluc, une fois que nous estions dans la tranchée à La Rochelle, de
+nuict, qu'il estoit en ses causeries, et que je luy fis le conte de
+cette devise, qui m'asseura avoir veu cette comtesse très-belle, et qui
+aymoit fort ledit mareschal, et fut bien honnorablement traitté d'elle:
+du reste, il n'en sçavoit rien si d'autrefois ils avoient passé plus
+outre. Cet exemple devroit suffire pour plusieurs et aucunes dames que
+j'ay allegué.
+
+--Or, y a des cocus qui sont si bons, qu'ils font prescher et admonester
+leurs femmes, par gens de bien et religieux, sur leur conversion et
+corrections; lesquelles, par larmes feintes et paroles dissimulées, font
+de grands vœux, promettants monts et merveilles de repentance, et de
+n'y retourner jamais plus; mais leur serment ne dure guieres, car les
+vœux et les larmes de telles dames valent autant que jurements et
+reniements d'amoureux. Comme j'en ay veu et cogneu une dame à laquelle
+un grand prince, son souverain, fit cette escorne d'introduire et
+apposter un cordelier d'aller trouver son mary qui estoit en une
+province pour son service, comme de soy-mesme et venant de la Cour,
+l'advertir des amours folles de sa femme et du mauvais bruit qui couroit
+du tort qu'elle luy faisoit; et que, pour son devoir de son estat et
+vacation, il l'en advertissoit de bonne heure, afin qu'il mist ordre à
+cette ame pécheresse. Le mary fut bien esbahy d'une telle ambassade et
+doux office de charité: il n'en fit autre semblant pourtant, si-non de
+l'en remercier et luy donner espérance d'y pourvoir; mais il n'en
+traitta point sa femme plus mal à son retour: car qu'y eust-il gaigné?
+Quand une femme une fois s'est mise à ce train, elle ne s'en détraque
+non plus qu'un cheval de poste qui a accoustumé si fort le gallop, qu'il
+ne le sçauroit changer en un autre train d'aller.
+
+Hé! combien s'est-il veu d'honnestes dames qui, ayant été surprises sur
+ce fait, tancées, battues, persuadées et remonstrées, tant par force que
+par douceur, de n'y tourner jamais plus, elles promettent, jurent et
+protestent de se faire chastes, que puis après pratiquent ce proverbe,
+_Passato il pericolo, gabatto il santo_[29], et retournent plus que
+jamais en l'amoureuse guerre. Voire qu'il s'en est veu plusieurs
+d'elles, se sentant dans l'ame quelque ver rongeant, qui d'elles-mesmes
+faisoient des vœux bien saints et fort solennels, mais ne les
+gardoient guières, et se repentoient d'estre repenties, ainsi que dit M.
+du Bellay des courtisannes repenties[30]; et telles femmes affirment
+qu'il est bien mal-aisé de se défaire pour tout jamais d'une si douce
+habitude et coustume, puisqu'elles sont si peu en leur courte demeure
+qu'elles font en ce monde.
+
+Je m'en rapporterois volontiers à aucunes belles filles, jeunes,
+repenties, qui se sont voilées et recluses, si on leur demandoit et en
+foy et en conscience ce qu'elles en respondroient, et comme elles
+desireroient bien souvent leurs hautes murailles abbattues pour s'en
+sortir aussi-tost.
+
+Voilà pourquoy ne faut point que les marys pensent autrement réduire
+leurs femmes après qu'elles ont fait la première fausse pointe de leur
+honneur, si-non de leur lascher la bride, et leur recommander seulement
+la discrétion et tout guariment d'escandale; car on a beau porter tous
+les remèdes d'amour qu'Ovide a jamais appris, et une infinité qui se
+sont encore inventez sublins, ny mesmes les authentiques de maistre
+François Rabelais, qu'il apprit au vénérable Panurge, n'y serviront
+jamais rien; ou bien, pour le meilleur, pratiquer un refrain d'une
+vieille chanson qui fut faite du temps de François I, qui dit: «Qui
+voudroit garder qu'une femme n'aille du tout à l'abandon, il la faudrait
+fermer dans une pippe, et en joüir par le bondon.»
+
+--Du temps du roy Henry, il y eut un certain quincailleur qui apporta
+une douzaine de certains engins à la foire de Sainct Germain pour brider
+le cas des femmes[31], qui estoient faits de fer et ceinturoient comme
+une ceinture, et venoient à prendre par le bas et se fermer à clef; si
+subtilement faits, qu'il n'estoit pas possible que la femme, en estant
+bridée une fois, s'en peust jamais prévaloir pour ce doux plaisir,
+n'ayant que quelques petits trous menus pour servir à pisser.
+
+On dit qu'il y eut quelque cinq ou six marys jaloux fascheux qui en
+acheptèrent et en bridèrent leurs femmes de telle façon qu'elles purent
+bien dire: «Adieu bon temps.» Si y en eut-il une qui s'advisa de
+s'accoster d'un serrurier fort subtil en son art, à qui ayant monstré
+ledit engin, et le sien et tout, son mary estant allé dehors aux champs,
+il y appliqua si bien son esprit qu'il luy forgea une fausse clef, que
+la dame le fermoit et ouvroit à toute heure et quand elle vouloit. Le
+mary n'y trouva jamais rien à dire: et se donna son saoul de ce bon
+plaisir, en dépit du fat jaloux, cocu de mary, pensant vivre toujours en
+franchise de cocuage. Mais ce meschant serrurier, qui fit la fausse
+clef, gasta tout; et si fit mieux, à ce qu'on dit, car ce fut le
+premier qui en tasta et le fit cornard: aussi n'y avoit-il danger, car
+Vénus, qui fut la plus belle femme et putain du monde, avoit Vulcain,
+serrurier et forgeron, pour mary, lequel estoit un fort vilain, salle,
+boiteux et très-laid.
+
+On dit bien plus, qu'il y eut beaucoup de gallants honnestes gentihommes
+de la Cour qui menacèrent de telle façon le quinquaillier, que, s'il se
+mesloit jamais de porter telles ravauderies, qu'on le tueroit, et qu'il
+n'y retournast plus et jettast tous les autres qui estoient restez dans
+le retrait, ce qu'il fit; et depuis onc n'en fut parlé, dont il fut bien
+sage, car c'estoit assez pour faire perdre la moitié du monde, à faute
+de ne le peupler, par tels bridements, serrures et fermoirs de nature,
+abominables et détestables ennemis de la multiplication humaine.
+
+--Il y en a qui baillent leurs femmes à garder à des eunuques, que
+l'empereur Alexandre Severus rejetta fort, avec rude commandement de ne
+pratiquer jamais les dames romaines; mais ils y ont esté attrapés, non
+qu'ils engendrassent et les femmes conceussent d'eux, mais en recevoient
+quelques sentiments et superficies de plaisirs légers, quasi approchants
+du grand parfait: dont aucuns ne s'en soucient point, disants que leur
+principal marisson de l'adultere de leurs femmes ne procédoit pas de ce
+qu'elles s'en faisoient donner, mais qu'il leur faschoit grandement de
+nourrir et élever et tenir pour enfants ceux qu'ils n'avoient pas faits.
+Car sans cela ce fust esté le moindre de leurs soucis, ainsi que j'en ay
+cogneu aucuns et plusieurs, lesquels, quand ils trouvoient bons et
+faciles ceux qui les avoient faits à leurs femmes, à donner un bon
+revenu, à les entretenir, ne s'en donnoient aucunement soucy, ainsi
+qu'ils conseillent à leurs femmes de leur demander, et les prier de
+donner quelque pension pour nourrir et entretenir le petit qu'elles ont
+eu d'eux. Comme j'ay ouy conter d'une grande dame, laquelle eut
+Villecouvin, enfant du roi François I: elle le pria de lui donner ou
+assigner quelque peu de bien, avant qu'il mourust, pour l'enfant qu'il
+luy avoit fait; ce qu'il fit, et luy assigna deux cents mille escus en
+banque, qui luy profitèrent et coururent toujours d'intérêts et de
+change en change: en sorte qu'estant venu grand, il despensoit si
+magnifiquement et paroissoit en si belle despense et en jeux à la Cour,
+qu'un chacun s'en estonnoit, et présumoit-on qu'il joüissoit de quelque
+dame qu'on n'eusse point pensé, et ne croyoit-on sa mere nullement;
+mais d'autant qu'il ne bougeoit d'avec elle, un chacun jugeoit que la
+grande despense qu'il faisoit procédoit de la joüissance d'elle, et
+pourtant c'estoit le contraire, car elle estoit sa mere, et peu de gens
+le sçavoient, encore qu'on ne sceut bien sa lignée ni procréation, si ce
+n'est qu'il vint à mourir à Constantinople, et son aubene, comme
+bastard, fut donnée au mareschal de Retz, qui estoit fin et sublin à
+descouvrir tel pot aux roses, mesmes pour son profit, qu'il eust pris
+sur la glace, et vérifia la bastardise qui avoit esté si long-temps
+cachée, et emporta le don d'aubene pardessus M. de Teligny, qui avoit
+esté constitué héritier dudit Villecouvin.
+
+D'autres disoient pourtant que cette dame avoit eu cet enfant d'autres
+que du Roy, et qu'elle l'avoit ainsi enrichy du sien propre; mais M. de
+Retz esplucha et chercha tant parmy les banques, qu'il y trouva l'argent
+et les obligations du roy François. Les uns disoient pourtant d'un autre
+prince non si grand que le Roy, ou d'un autre moindre; mais, pour
+couvrir et cacher tout, et nourrir l'enfant, il n'estoit pas mauvais de
+supposer tout à la Majesté, comme cela se voit en d'autres.
+
+Je croy qu'il y a plusieurs femmes parmy le monde, et mesmes en France,
+que si elles pensoient produire des enfants à tel prix, que les roys et
+les grands monteroient aisément sur leurs ventres. Mais bien souvent ils
+y montent et n'en ont de grandes lippées; dont en ce elles sont bien
+trompées, car à tels grands volontiers ne s'adonnent-elles, sinon pour
+avoir le galardon[32], comme dit l'Espagnol.
+
+Il y a une fort belle question sur ces enfants putatifs et incertains, à
+sçavoir s'ils doivent succéder aux biens paternels et maternels, et que
+c'est un grand péché aux femmes de les y faire succéder; dont aucuns
+docteurs ont dit que la femme le doit révéler au mary, et en dire la
+vérité. Ainsi le refere le docteur subtil. Mais cette opinion n'est pas
+bonne, disent autres, parce que la femme se diffameroit soy-mesme en le
+révélant, et pour autant elle n'y est tenuë; car la bonne renommée est
+un plus grand bien que les biens temporels, dit Salomon.
+
+Il vaut donc mieux que les biens soient occupez par l'enfant, que la
+bonne renommée se perde; car, comme dit un ancien proverbe, _mieux vaut
+bonne renommée que ceinture dorée_.
+
+De là les théologiens tirent une maxime qui dit que quand deux préceptes
+et commandements nous obligent, le moindre doit céder au plus grand; or
+est-il que le commandement de garder sa bonne renommée est plus grand
+que celui qui concede de rendre le bien d'autruy; il faut donc qu'il
+soit préféré à celuy-là.
+
+De plus, si la femme révele cela à son mary, elle se met en danger
+d'estre tuée du mary mesme, ce qui est fort deffendu de se pourchasser
+la mort, non pas mesmes est permis à une femme de se tuer de peur
+d'estre violée ou après l'avoir esté; autrement elle pécheroit
+mortellement: si-bien qu'il vaut mieux permettre d'estre violée, si on
+n'y peut, en criant ou fuyant, remédier, que de se tuer soy-mesme; car
+le violement du corps n'est point péché, si-non du consentement de
+l'esprit. C'est la réponse que fit sainte Luce au tyran qui la menaçoit
+de la faire mener au bourdeau.»Si vous me faites, dit-elle, forcer, ma
+chasteté recevra double couronne.»
+
+Pour cette raison, Lucrece est taxée d'aucuns. Il est vray que sainte
+Sabine et sainte Sophonienne, avec d'autres pucelles chrestiennes,
+lesquelles se sont privées de vie afin de ne tomber entre les mains des
+barbares, sont excusées de nos pères et docteurs, disant qu'elles ont
+fait cela pour certain mouvement du Saint-Esprit.
+
+Par lequel Saint-Esprit, après la prise de Cypre, une damoiselle
+cypriotte nouvellement chrestienne, se voyant emmener esclave avec
+plusieurs autres pareilles dames, pour estre la proye des Turcs, mit le
+feu secretement dans les poudres de la gallere, si-bien qu'en un moment
+tout fut embrazé et consumé avec elle, disant: «A Dieu ne plaise que nos
+corps soient pollus et cogneus par ces vilains Turcs et Sarrasins!» Et
+Dieu sçait, possible, qu'il avoit esté desja pollu, et en voulut ainsi
+faire la pénitence; si ce n'est que son maistre ne l'avoit voulu
+toucher, afin d'en tirer plus d'argent la vendant vierge, comme l'on est
+friand de taster en ces pays, voire en tous autres, un morceau intact.
+
+Or, pour retourner encor à la garde noble de ces pauvres femmes, comme
+j'ay dit, les ennuques ne laissent à commettre adultere avec elles, et
+faire leurs marys cocus, réservé la procréation à part.
+
+--J'ay cogneu deux femmes en France qui se mirent à aymer deux chastrez
+gentilhommes, afin de n'engroisser point; et pourtant en avoient
+plaisir, et si ne se scandalisoient. Mais il y a eu des marys si jaloux
+en Turquie et en Barbarie, lesquels s'estants apperceus de cette fraude,
+ils se sont advisez de faire chastrer tout à trac leurs pauvres
+esclaves, et leur couper tout net, dont, à ce que disent et escrivent
+ceux qui ont pratiqué la Turquie, il n'en reschappe deux de douze
+ausquels ils exercent cette cruauté, qu'ils ne meurent; et ceux qui en
+eschappent, ils les ayment et adorent comme vrays, seurs et chastes
+gardiens de la chasteté de leurs femmes et garantisseurs de leur
+honneur.
+
+Nous autres Chrestiens n'usons point de ces vilaines rigueurs et par
+trop horribles; mais au lieu de ces chastrez, nous leur donnons des
+vieillards sexagénaires, comme l'on fait en Espagne et mesmes à la Cour
+des Reynes de-là, lesquels j'ay veu gardiens des filles de leur cour et
+de leur suite: et Dieu sçait, il y a des vieillards cent fois plus
+dangereux à perdre filles et femmes que les jeunes, et cent fois plus
+inventifs, plus chaleureux et industrieux à les gaigner et corrompre.
+
+Je croy que telles gardes, pour estre chenues et à la teste et au
+menton, ne sont pas plus seures que les jeunes, et les vieilles femmes
+non plus; ainsi comme une vieille gouvernante espagnole conduisant ses
+filles et passant par une grande salle et voyant des membres naturels
+peints à l'advantage, et fort gros et desmesurez, contre la muraille, se
+prit à dire: _Mira que tan bravos no los pintan estos hombres, como
+quien no los cognosciesse_. Et ses filles se tournèrent vers elles, et y
+prindrent avis, fors une que j'ay cogneu, qui, contrefaisant de la
+simple, demanda à une de ses compagnes quels oiseaux estoient ceux-là:
+car il y en avoit aucuns peints avec des ailes. Elle luy respondit que
+c'estoient oiseaux de Barbarie, plus beaux en leur naturel qu'en
+peinture; et Dieu sçait si elle n'en avoit point veu jamais; mais il
+falloit qu'elle en fist la mine.
+
+Beaucoup de marys se trompent bien souvent en ces gardes; car il leur
+semble que, pourveu que leurs femmes soient entre les mains des
+vieilles, que les unes et les autres appellent leurs meres pour titre
+d'honneur, qu'elles sont très-bien gardées sur le devant, et de belles
+il n'y en a point de plus aisées à suborner et gaigner qu'elles; car de
+leur nature, estant avaricieuses comme elles sont, en prennent de toutes
+mains pour vendre leurs prisonnieres.
+
+D'autres ne peuvent veiller tousjours ces jeunes femmes, qui sont
+tousjours en bonne cervelle, et mesmes quand elles sont en amours, que
+la pluspart du temps elles dorment en un coin de cheminée, qu'en leur
+présence les cocus se forgent sans qu'elles y prennent garde ny n'en
+sçachent rien.
+
+--J'ai cogneu une dame qui le fit une fois devant sa gouvernante si
+subtilement, qu'elle ne s'en apperçeut jamais.
+
+Une autre en fit de mesme devant son mary quasy visiblement, ainsi qu'il
+jouoit à la prime.
+
+D'autres vieilles ont mauvaises jambes, qui ne peuvent pas suivre au
+grand trot leurs dames, qu'avant qu'elles arrivent au bout d'une allée,
+ou d'un bois, ou d'un cabinet, leurs dames ont dérobé leur coup en
+robbe, sans qu'elles s'en soient apperceues, n'ayant rien veu, débiles
+de jambes et basses de la veuë.
+
+D'autres vieilles et gouvernantes y a-t-il qui, ayant pratiqué le
+mestier, ont pitié de voir jeusner les jeunes, et leur sont si
+débonnaires, que d'elles-mesmes elles leur en ouvrent le chemin, et les
+en persuadent de l'en suivre, et leur assistent de leur pouvoir.
+
+Aussi l'Aretin disoit que le plus grand plaisir d'une dame qui a passé
+par-là, et tout son plus grand contentement, est d'y faire passer une
+autre de mesme.
+
+Voilà pourquoy quand on se veut bien aider d'un bon ministre pour
+l'amour, on prend et s'adresse-t-on plustost à une vieille maquerelle
+qu'à une jeune femme. Aussi tiens-je d'un fort gallant homme qu'il ne
+prenoit nul plaisir, et le défendoit à sa femme expressément, de ne
+hanter jamais compagnies de vieilles, pour estre trop dangereuses, mais
+avec de jeunes tant qu'elle voudroit; et en alléguoit beaucoup de bonnes
+raisons que je laisse aux mieux discourans discourir.
+
+Et c'est pourquoy un seigneur de par le monde, que je sçay, confia sa
+femme, de laquelle il estoit jaloux, à une sienne cousine, fille
+pourtant, pour lui servir de surveillante; ce qu'elle fit très-bien,
+encor que de son costé elle retinst moitié du naturel du chien de
+l'ortollan, d'autant qu'il ne mange jamais des choux du jardin de son
+maistre, et si n'en veut laisser manger aux autres; mais celle-cy en
+mangeoit, et n'en vouloit point faire manger à sa cousine: si est-ce que
+l'autre pourtant lui desroboit tousjours quelque coup en cotte, dont
+elle ne s'en appercevoit, quelque fine qu'elle fust, ou feignoit de s'en
+appercevoir.
+
+--J'alléguerois une infinité de remedes dont usent les pauvres jaloux
+cocus, pour brider, serrer, gesner, et tenir de court leurs femmes
+qu'elles ne fassent le saut; mais ils ont beau pratiquer tous ces vieux
+moyens qu'ils ont ouy dire, et d'en excogiter de nouveaux, car ils y
+perdent leur escrime: car quand une fois les femmes ont mis ce
+ver-coquin amoureux dans leurs testes, les envoyent à toute heure chez
+Guillot le Songeur[33], ainsi que j'espere d'en discourir en un
+chapitre, que j'ay à demi fait, des ruses et astuces des femmes sur ce
+point, que je confere avec les stratagesmes et astuces militaires des
+hommes de guerre[34]. Et le plus beau remede, seure et douce garde, que
+le mary jaloux peut donner à sa femme, c'est de la laisser aller en son
+plein pouvoir, ainsi que j'ay ouy dire à un gallant homme marié, estant
+le naturel de la femme que, tant plus on luy défend une chose, tant plus
+elle desire le faire, et surtout en amours, où l'appetit s'eschauffe
+plus en le deffendant qu'au laisser courre.
+
+--Voicy une autre sorte de cocus, dont pourtant il y a question, à
+sçavoir mon, si l'on à joüi d'une femme à plein plaisir durant la vie de
+son mary cocu, et que le mary vienne à décéder, et que ce serviteur
+vienne après à espouser cette femme veufve, si, l'ayant espousée en
+secondes nopces, il doit porter le nom et titre de cocu, ainsi que j'ay
+cogneu et ouy parler de plusieurs, et de grands.
+
+Il y en a qui disent qu'il ne peut estre cocu, puisque c'est luy-mesme
+qui en a fait la faction, et qu'il n'y aye aucun qui l'aye fait cocu que
+lui-mesme, et que ses cornes sont faites de soy-mesme. Toutes fois, il y
+a bien des armuriers qui font des espées desquelles ils sont tuez où
+s'entretuent eux-mesmes.
+
+Il y en a d'autres qui disent l'estre réellement cocu, et de fait, en
+herbe pourtant, ils en alleguent force raisons; mais, d'autant que le
+procès en est indécis, je le laisse à vuider à la première audience
+qu'on voudra donner pour cette cause.
+
+Si diray-je encore cettuy-cy d'une bien grande, mariée encore, laquelle
+s'est compromise encore en mariage à celuy qui l'entretient encore, il y
+a quatorze ans, et depuis ce temps a toujours attendu et souhaitté que
+son mary mourust. Au diable s'il a jamais pu mourir encore à son
+souhait; si bien qu'elle pouvoit bien dire: «Maudit soit le mary et le
+compagnon, qui a plus vescu que je ne voulois!» De maladies et
+indispositions de son corps il en a eu prou, mais de mort point.
+
+Si bien que le roy Henry troisième, ayant donné la survivance de l'estat
+beau et grand qu'avoit ledict mary cocu, à un fort honneste et brave
+gentilhomme, disoit souvent: «Il y a deux personnes en ma Cour
+auxquelles moult tarde qu'un tel ne meure bientost: à l'une pour avoir
+son estat, et à l'autre pour espouser son amoureux: mais l'un et l'autre
+ont esté trompez jusques icy.»
+
+Voilà comme Dieu est sage et provident de n'envoyer point ce que l'on
+souhaitte de mauvais: toutesfois l'on m'a dit que depuis peu sont en
+mauvais ménage, et ont bruslé leur promesse de mariage de futur, et
+rompu le contrat, par grand dépit de la femme et joye du marié prétendu,
+d'autant qu'il se vouloit pourvoir ailleurs et ne vouloit plus tant
+attendre la mort de l'autre mary, qui, se mocquant des gens, donnoit
+assez souvent des allarmes qu'il s'en alloit mourir; mais enfin il a
+survescu le mary prétendu.
+
+Punition de Dieu, certes; car il ne s'ouyt jamais guères parler d'un
+mariage ainsi fait; qui est un grand cas, et énorme, de faire et
+accorder un second mariage, estant le premier encor en son entier.
+
+J'aymerois autant d'une, qui est grande, mais non tant que l'autre que
+je viens de dire, laquelle, estant pourchassée d'un gentilhomme par
+mariage, elle l'espousa, non pour l'amour qu'elle luy portoit, mais
+parce qu'elle le voyoit maladif, atténué et allanguy, et mal disposé
+ordinairement, et que les médecins lui disoient qu'il ne vivroit pas un
+an, et mesme après avoir cogneu cette belle femme par plusieurs fois
+dans son lict: et, pour ce, elle en esperoit bientost la mort, et
+s'accommoderoit tost après sa mort de ses biens et moyens, beaux meubles
+et grands advantages qu'il luy donnoit par mariage: car il estoit
+très-riche et bien-aisé gentilhomme. Elle fut bien trompée; car il vit
+encore, gaillard, et mieux disposé cent fois qu'avant qu'il l'espousast;
+depuis elle est morte. On dict que ledict gentilhomme contrefaisoit
+ainsi du maladif et marmiteux, afin que connoissant cette femme
+très-avare, elle fust émue à l'espouser sous esperance d'avoir tels
+grands biens: mais Dieu là-dessus disposa tout au contraire, et fit
+brouster la chevre là où elle estoit attachée en despit d'elle.
+
+Que dirons-nous d'aucuns qui espousent des putains et courtisannes qui
+ont esté très-fameuses, comme l'on fait assez coustumièrement en France
+mais, surtout en Espagne et en Italie, lesquels se persuadent de
+gaigner les œuvres de miséricorde, _por librar una anima christiana
+del infierno_[35], comme ils disent, en la sainte voye.
+
+Certainement, j'ai veu aucuns tenir cette opinion et maxime, que s'ils
+les espousoient pour ce saint et bon sujet, ils ne doivent tenir rang de
+cocus; car ce qui se fait pour l'honneur de Dieu ne doit pas estre
+converty en opprobre: moyennant aussi que leurs femmes, estant remises
+en la bonne voye, ne s'en ostent et retournent à l'autre; comme j'en ay
+veu aucunes en ces deux pays, qui ne se rendoient plus pécheresses après
+estre mariées, d'autres qui s'en pouvoient corriger, mais retournoient
+broncher dans la première fosse.
+
+--La première fois que je fus en Italie, je devins amoureux d'une fort
+belle courtisanne à Rome, qui s'appeloit Faustine; et d'autant que je
+n'avois pas grand argent, et qu'elle estoit en trop haut prix de dix ou
+douze escus pour nuict, fallut que je me contentasse de la parole et du
+regard. Au bout de quelque temps, j'y retourne pour la seconde fois, et
+mieux garny d'argent: je l'alloy voir en son logis par le moyen d'une
+seconde, et la trouvoy mariée avec un homme de justice, en son mesme
+logis, qui me recueillit de bon amour, et me contant la bonne fortune de
+son mariage, et me rejetant bien loin ses folies du temps passé,
+auxquelles elle avoit dit adieu pour jamais. Je luy monstroy de beaux
+escus françois, mourant pour l'amour d'elle plus que jamais. Elle en fut
+tentée et m'accorda ce que voulus, me disant qu'en mariage faisant elle
+avoit arresté et concerté avec son mary sa liberté entière, mais sans
+escandale pourtant ny déguisement, moyennant une grande somme, afin que
+tous deux se pussent entretenir en grandeur, et qu'elle estoit pour les
+grandes sommes, et s'y laissoit aller volontiers, mais non point pour
+les petites. Celuy-là estoit bien cocu en herbe et gerbe.
+
+--J'ai ouy parler d'une dame de parmy le monde qui, en mariage faisant,
+voulut et arresta que son mary la laissast à la Cour pour faire l'amour,
+se reservant l'usage de sa forest de Mort-Bois ou Bois-Mort, comme luy
+plairoit; aussi, en récompense, elle lui donnoit tous les mois mille
+francs pour ses menus plaisirs, et ne se soucioit d'autre chose qu'à se
+donner du bon temps.
+
+Par ainsi, telles femmes qui ont esté libres, volontiers ne se peuvent
+garder qu'elles ne rompent les serrures estroites de leurs portes,
+quelque contrainte qu'il y ait, mesme où l'or sonne et reluit: tesmoin
+cette belle fille du roy Acrise, qui, toute reserrée et renfermée dans
+sa grosse tour, se laissa à un doux aller à ces belles gouttes d'or de
+Jupiter.
+
+Ha! que mal-aisément se peut garder, disoit un gallant homme, une femme
+qui est belle, ambitieuse, avare, convoiteuse d'estre brave, bien
+habillée, bien diaprée, et bien en point, qu'elle ne donne non du nez,
+mais du cul en terre, quoy qu'elle porte son cas armé, comme l'on dit,
+et que son mary soit brave, vaillant, et qui porte bonne espée pour le
+défendre.
+
+J'en ay tant cogneu de ces braves et vaillants, qui ont passé par-là;
+dont certes estoit grand dommage de voir ces honnestes et vaillants
+hommes en venir-là, et qu'après tant de belles victoires gagnées par
+eux, tant de remarquables conquestes sur leurs ennemis, et beaux combats
+demeslez par leur valeur, qu'il faille que, parmy les belles feuilles et
+fleurs de leurs chapeaux triomphants qu'ils portent sur la teste, l'on y
+trouve des cornes entremeslées, qui les deshonorent du tout: lesquels
+néantmoins s'amusent plus à leurs belles ambitions par leurs beaux
+combats, honorables charges, vaillances et exploicts, qu'à surveiller
+leurs femmes et esclairer leur antre obscur; et, par ainsi, arrivent,
+sans y penser, à la cité et conqueste de Cornuaille, dont c'est grand
+dommage pourtant; comme j'en ay bien cogneu un brave et vaillant qui
+portoit le titre d'un fort grand, lequel un jour se plaisant à raconter
+ses vaillances et conquestes, il y eut un fort honneste gentilhomme et
+grand, son allié et famillier, qui dit à un autre: «Il nous raconte ici
+ses conquestes, dont je m'en estonne; car le cas de sa femme est plus
+grand que toutes celles qu'il a jamais fait, ny ne fera oncques.»
+
+--J'en ay bien cogneu plusieurs autres, lesquels, quelque belle grace,
+majesté et apparence qu'ils pussent monstrer, si avoient-ils pourtant
+cette encolure de cocu qui les effaçoit du tout; car, telle encolure et
+encloueure ne se peut cacher et feindre; quelque bonne mine et bon geste
+qu'on veuille faire, elle se connoist et s'aperçoit à clair; et, quant à
+moy, je n'en ay jamais veu en ma vie aucun de ceux-là qui n'en eust ses
+marques, gestes, postures, et encolures, et encloueures, fors seulement
+un que j'ay cogneu, que le plus clair-voyant n'y eust sceu rien voir ny
+mordre, sans connoistre sa femme, tant il avoit bonne grace, belle façon
+et apparence honnorable et grave.
+
+Je prierois volontiers les dames qui ont de ces marys si parfaits,
+qu'elles ne leur fissent de tels tours et affronts: mais elles me
+pourront dire aussi: «Et où sont-ils ces parfait, comme vous dites
+qu'estoit celuy-là que vous venez d'alléguer?»
+
+Certes, Mesdames, vous avez raison, car tous ne peuvent estre des
+Scipions et des Césars, et ne s'en trouve plus. Je suis d'advis doncques
+que vous ensuiviez en cela vos fantaisies; car, puisque nous parlons des
+Césars, les plus gallants y ont bien passé, et les plus vertueux et
+parfaits, comme j'ay dit, et comme nous lisons de cet accomply empereur
+Trajan, les perfections duquel ne purent engarder sa femme Plotine
+qu'elle s'abandonnast du tout au bon plaisir d'Adrian, qui fut empereur
+après, de laquelle il tira de grandes commoditez, profits et grandeurs,
+tellement qu'elle fut cause de son advancement; aussi n'en fut-il ingrat
+estant parvenu à sa grandeur, car il l'ayma et honnora toujours si bien,
+qu'elle estant morte, il en demena si grand deuil et en conceut une
+telle tristesse, qu'enfin il en perdit pour un temps le boire et le
+manger, et fut contraint de séjourner en la Gaule Narbonnoise, où il
+sceut ces tristes nouvelles trois ou quatre mois après, pendant lesquels
+il escrivit au sénat de colloquer Plotine au nombre des déesses, et
+commanda qu'en ses obseques on lui offrist des sacrifices très-riches et
+très-somptüeux; et cependant il employa le temps à faire bastir et
+édifier, à son honneur et mémoire, un très-beau temple près Nemause,
+ditte maintenant Nismes, orné de très-beaux et riches marbres et
+porfires, avec autres joyaux.
+
+--Voilà donc comment, en matière d'amours et de ses contentements, il ne
+faut aviser à rien: aussi Cupidon leur dieu est aveugle; comme il
+paroist en aucunes, lesquelles ont des marys des plus beaux, des plus
+honnestes et des plus accomplis qu'on sçauroit voir, et néantmoins se
+mettent à en aymer n'autres si laids et si salles, qu'il n'est possible
+de plus.
+
+J'en ay veu force desquelles on faisoit une question: Qui est la dame la
+plus putain, ou celle qui a un fort beau et honneste mary, et fait un
+amy laid, maussade et fort dissemblable à son mary; ou celle qui a un
+laid et fascheux mary, et fait un bel amy bien avenant, et ne laisse
+pourtant à bien aymer et caresser son mary, comme si c'estoit la beauté
+des hommes, ainsi que j'ay veu faire à beaucoup de femmes?
+
+Certainement la commune voix veut que celle qui a un beau mary et le
+laisse pour aymer un amy laid, est bien une grande putain, ny plus ny
+moins qu'une personne est bien gourmande qui laisse une bonne viande
+pour en manger une meschante; aussi cette femme quittant une beauté pour
+aymer une laideur, il y a bien de l'apparence qu'elle le fait pour la
+seule paillardise, d'autant qu'il n'y a rien plus paillard ni plus
+propre pour satisfaire à la paillardise, qu'un homme laid, sentant mieux
+son bouc puant, ord et lascif que son homme; et volontiers, les beaux et
+honnestes hommes sont un peu plus délicats et moins habiles à rassasier
+une luxure excessive et effrénée, qu'un grand et gros ribaut barbu,
+ruraud et satyre.
+
+D'autres disent que la femme qui ayme un bel amy et un laid mary, et les
+caresse tous les deux, est bien autant putain, pour ce qu'elle ne veut
+rien perdre de son ordinaire et pension.
+
+Telles femmes ressemblent à ceux qui vont par pays, et mesmes en France,
+qui, estant arrivés le soir à la souppée du logis, n'oublient jamais de
+demander à l'hoste la mesure du mallier, et faut qu'il l'aye, quand il
+seroit saoul à plein jusqu'à la gorge.
+
+Ces femmes de mesmes veulent toujours avoir à leur coucher, quoy qu'il
+soit, la mesure de leur mallier, comme j'en ay cogneu une qui avoit un
+mary très-bon embourreur de bas; encores la veulent-elles croistre et
+redoubler en quelque façon que ce soit, voulant que l'amy soit pour le
+jour qui esclaire sa beauté, et d'autant plus en fait venir l'envie à la
+dame, et s'en donne plus de plaisir et contentement par l'ayde de la
+belle lueur du jour; et monsieur laid pour la nuict, car, comme on dit
+que tous chats sont gris de nuict, et pourveu que cette dame rassasie
+ses appetits, elle ne songe point si son homme de mary est laid ou beau.
+
+Car, comme je tiens de plusieurs, quand on est en ces extases de
+plaisir, l'homme ny la femme ne songent point à autre sujet ny
+imagination, si-non à celuy qu'ils traittent pour l'heure présente:
+encore que je tienne de bon lieu que plusieurs dames ont fait accroire à
+leurs amys que quand elles estoient-là avec leurs marys, elles
+addonnoient leurs pensées à leurs amys, et ne songeoient à leurs marys,
+afin d'y prendre plus de plaisir; et à des marys, ay-je ouy dire ainsi
+qu'estant avec leurs femmes songeoient à leurs maistresses, pour cette
+mesme occasion: mais ce sont abus.
+
+Les philosophes naturels m'ont dit qu'il n'y a que le seul objet présent
+qui les domine alors, et nullement l'absent, et en alléguoient force
+raisons; mais je ne suis assez bon philosophe ny sçavant pour les
+déduire, et aussi qu'il y en a d'aucunes salles. Je veux observer la
+vérécondie, comme on dit. Mais pour parler de ces elections d'amours
+laides, j'en ay veu force en ma vie, dont je m'en suis estonné cent
+fois.
+
+--Retournant une fois d'un voyage de quelque province estrangere, que ne
+nommeray point de peur qu'on connoisse le sujet duquel je veux parler,
+et discourant avec une grande dame de par le monde, parlant d'une autre
+grande dame et princesse que j'avois veue-là, elle me demanda comment
+elle faisoit l'amour. Je lui nommoy le personnage lequel elle tenoit
+pour son favory, qui n'estoit ny beau ni de bonne grace, et de fort
+basse qualité. Elle me fit response: «Vrayment elle se fait fort grand
+tort, et à l'amour un très-mauvais tour, puis qu'elle est si belle et si
+honneste comme on la tient.»
+
+Cette dame avoit raison de me tenir ces propos, puis qu'elle n'y
+contrarioit point, et ne les dissimuloit par effet; car elle avoit un
+honneste amy et bien favory d'elle. Et quand tout est bien dit, une dame
+ne se fera jamais de reproche quand elle voudra aymer et faire election
+d'un bel object, ny de tort au mary non plus, quand ce ne seroit autre
+raison que pour l'amour de leur lignée; d'autant qu'il y a des marys qui
+sont si laids, si fats, si sots, si badauts, de si mauvaise grace, si
+poltrons, si coyons et de si peu de valeur, que leurs femmes venans à
+avoir des enfants d'eux, et les ressemblans, autant vaudroit n'en avoir
+point du tout, ainsy que j'ay cogneu plusieurs dames, lesquelles ayant
+eu des enfants de tels marys, ils ont esté tous tels que leurs peres;
+mais en ayant emprunté aucuns de leurs amys, ont surpassé leurs peres,
+freres et sœurs en toutes choses.
+
+--Aucuns aussi des philosophes qui ont traitté de ce sujet ont tenu
+toujours que les enfants ainsi empruntez ou derobbez, ou faits à
+cachettes et à l'improviste, sont bien plus gallants et tiennent bien
+plus de la façon gentille dont on use à les faire prestement et
+habillement, que non pas ceux qui se font dans un lict lourdement,
+fadement, pesamment, à loisir, et quasi à demy endormis, ne songeans
+qu'à ce plaisir en forme brutalle.
+
+Aussi ay-je ouy dire à ceux qui ont charge des harras des roys et grands
+seigneurs, qu'ils ont veu souvent sortir de meilleurs chevaux derobbez
+par leurs meres, que d'autres faits par la curiosité des maistres du
+haras et estallons donnez et appostez: ainsi est-il des personnes.
+
+Combien en ay-je veu de dames avoir produit des plus beaux et honnestes
+et braves enfants! Que si leurs pères putatifs les eussent faits, ils
+fussent esté vrays veaux et vrayes bestes.
+
+Voilà pourquoy les femmes sont bien advisées de s'ayder et accommoder de
+beaux et bons estallons, pour faire de bonnes races. Mais aussi en ay-je
+bien veu qui avoient de beaux marys, qui s'aidoient de quelques amys
+laids et vilains estallons, qui procréoyent de hideuses et mauvaises
+lignées.
+
+Voilà une des signalées commoditez et incommoditez de cocuage.
+
+--J'ay cogneu une dame de par le monde, qui avoit un mary fort laid et
+fort impertinent; mais, de quatre filles et deux garçons qu'elle eut, il
+n'y eut que deux qui valussent, estants venus et faits de son amy; et
+les autres venus de son chalant de mary (je dirois volontiers
+chat-huant, car il en avoit la mine), furent fort maussades.
+
+Les dames en cela y doivent estre bien advisées et habiles, car
+coustumièrement les enfants ressemblent à leurs pères, et touchent fort
+à leur honneur quand ils ne leur ressemblent. Ainsi que j'ay veu par
+expérience beaucoup de dames avoir cette curiosité de faire dire et
+accroire à tout le monde que leurs enfants ressemblent du tout à leur
+père et non à elles, encor qu'ils n'en tiennent rien; car c'est le plus
+grand plaisir qu'on leur sçauroit faire, d'autant qu'il y a apparence
+qu'elles ne l'ont emprunté d'autruy, encore qu'il soit le contraire.
+
+--Je me suis trouvé une fois en une grande compagnie de Cour où l'on
+advisoit le pourtrait de deux filles d'une très-grande reyne. Chacun se
+mit à dire son advis à qui elles ressembloient, de sorte que tous et
+toutes dirent qu'elles tenoient du tout de la mère; mais moy, qui estois
+très-humble serviteur de la mère, je pris l'affirmative, et dis qu'elles
+tenoient du tout du père, et que si l'on eust cogneu et veu le père
+comme moy, l'on me condescendroit. Sur quoy la sœur de cette mère
+m'en remercia et m'en sçeut très-bon gré, et bien fort, d'autant qu'il y
+avoit aucunes personnes qui le disoient à dessein, pour ce qu'on la
+soupçonnoit de faire l'amour, et qu'il y avoit quelque poussière dans sa
+fleute, comme l'on dit; et par ainsi mon opinion sur cette ressemblance
+du père rabilla tout. Donc sur ce point, qui aymera quelque dame et
+qu'on verra enfants de son sang et de ses os, qu'il dit tousjours qu'ils
+tiennent du père du tout, bien que non.
+
+Il est vray qu'en disant qu'ils ont de la mère un peu il n'y aura pas
+de mal, ainsi que dit un gentilhomme de la Cour, mon grand amy, parlant
+en compagnie de deux gentilshommes frères assez favoris du roy[36], à
+qui ils ressembloient, au père ou à la mère; il respondit que celui qui
+estoit froid ressembloit au père, et l'autre qui estoit chaud
+ressembloit à la mere; par ce brocard le donnant bon à la mère, qui
+estoit chaudasse; et de fait ces deux enfants participoient de ces deux
+humeurs froide et chaude.
+
+--Il y a une autre sorte de cocus qui se forme par le desdain qu'ils
+portent à leurs femmes, ainsi que j'en ay cogneu plusieurs qui, ayant de
+très-belles et honnestes femmes, n'en faisoient cas, les mesprisoient et
+desdaignoient, celles qui estoient habilles et pleines de courage, et de
+bonne maison, se sentants ainsi desdaignées, se revangeoient à leur en
+faire de mesme: et soudain après bel amour, et de là à l'effet; car,
+comme dit le refrain italien et napolitain, _amor non si vince con altro
+che con sdegno_[37].
+
+Car ainsi une femme belle, honneste, et qui se sent telle et se plaise,
+voyant que son mary la desdaigne, quand elle luy porteroit le plus grand
+amour marital du monde, mesme quand on la prescheroit et proposeroit les
+commandements de la loy pour l'aymer, si elle a le moindre cœur du
+monde, elle le plante là tout à plat et fait un amy ailleurs pour la
+secourir en ses petites nécessitez, et élit son contentement.
+
+--J'ay cogneu deux dames de la Cour, toutes deux belles-sœurs; l'une
+avoit espousé un mary favory, courtisan et fort habille, et qui pourtant
+ne faisoit cas de sa femme comme il devoit, veu le lieu d'où elle
+estoit, et parloit à elle devant le monde comme à une sauvage, et la
+rudoyoit fort. Elle, patiente, l'endura pour quelque temps, jusques à ce
+que son mary vint un peu défavorisé; elle, espiant et prenant l'occasion
+au poil et à propos, la luy ayant gardée bonne, luy rendit aussitost le
+desdain passé qu'il luy avoit donné, en le faisant gentil cocu: comme
+fit aussi sa belle-sœur, prenant exemple à elle, qui ayant esté
+mariée fort jeune et en tendre age, son mary n'en faisant cas comme
+d'une petite fillaude, ne l'aymoit comme il devoit; mais elle, se venant
+advancer sur l'age, et à sentir son cœur en reconnoissant sa beauté,
+le paya de mesme monnoye, et luy fit un présent de belles cornes pour
+l'intérest du passé.
+
+--D'autres-fois ay-je cogneu un grand seigneur, qui, ayant pris deux
+courtisannes, dont il y en avoit une more, pour ses plus grandes délices
+et amyes, ne faisant cas de sa femme, encore qu'elle le recherchast avec
+tous les honneurs, amitiez et révérances conjugales qu'elle pouvoit;
+mais il ne la pouvoit jamais voir de bon œil ny embrasser de bon
+cœur, et de cent nuicts il ne luy en départoit pas deux. Qu'eust-elle
+fait la pauvrette là-dessus, après tant d'indignitez, si-non de faire ce
+qu'elle fit, de choisir un autre lict vaccant, et s'accoupler avec une
+autre moitié, et prendre ce qu'elle en vouloit?
+
+Au moins si ce mary eust fait comme un autre que je sçay, qui estoit de
+telle humeur, qui, pressé de sa femme, qui estoit très-belle, et prenant
+plaisir ailleurs, lui dit franchement: «Prenez vos contentements
+ailleurs, je vous en donne congé. Faites de vostre costé ce que vous
+voudrez faire avec un autre: je vous laisse en vostre liberté; et ne
+vous donnez peine de mes amours, et laissez-moy faire ce qu'il me
+plaira. Je n'empescheray point vos aises et plaisirs: aussi ne
+m'empeschez les miens.» Ainsi, chacun quitte de-là, tous deux mirent la
+plume au vent; l'un alla à dextre et l'autre à senestre, sans se soucier
+l'un de l'autre; et voilà bonne vie.
+
+J'aymerois autant quelque vieillard impotent, maladif, gouteux, que j'ay
+cogneu, qui dist à sa femme, qui estoit très-belle, et ne la pouvant
+contenter comme elle le desiroit, un jour: «Je sçay bien, m'amie, que
+mon impuissance n'est bastante pour vostre gaillard age. Pour ce, je
+vous puis être beaucoup odieux, et qu'il n'est possible que vous me
+puissiez être affectionnée femme, comme si je vous faisois les offices
+ordinaires d'un mary fort et robuste. Mais j'ai advisé de vous permettre
+et de vous donner totale liberté de faire l'amour, et d'emprunter
+quelque autre qui vous puisse mieux contenter que moy. Mais, surtout,
+que vous en élisiés un qui soit discret, modeste, et qui ne vous
+escandalise point, et moy et tout, et qu'il vous puisse faire une couple
+de beaux enfants, lesquels j'aymeray et tiendray comme les miens
+propres; tellement que tout le monde pourra croire qu'ils sont vrays et
+légitimes enfants, veu que encore j'ay en moy quelques forces assez
+vigoureuses, et les apparences de mon corps suffisantes pour faire
+paroir qu'il sont miens.»
+
+Je vous laisse à penser si cette belle jeune femme fut aise d'avoir
+cette agréable, jolie petite remontrance, et licence de jouir de cette
+plaisante liberté, qu'elle pratiqua si bien, qu'en un rien elle peupla
+la maison de deux ou trois beaux petits enfants, où le mary, parce qu'il
+la touchoit quelquefois et couchoit avec elle, y pensoit avoir part, et
+le croyoit, et le monde et tout; et, par ainsi, le mary et la femme
+furent très-contents, et eurent belle famille.
+
+--Voici une autre sorte de cocus qui se fait par une plaisante opinion
+qu'ont aucunes femmes, c'est à sçavoir qu'il n'y a rien plus beau ny
+plus licite, ny plus recommandable que la charité, disant qu'elle ne
+s'estend pas seulement à donner aux pauvres qui ont besoin d'estre
+secourus et assistez des biens et moyens des riches, mais aussi d'ayder
+à esteindre le feu aux pauvres amants langoureux que l'on voit brusler
+d'un feu d'amour ardent: «Car, disent-elles, quelle chose peut-il estre
+plus charitable, que de rendre la vie à un que l'on voit se mourir, et
+raffraîchir du tout celui que l'on voit se brusler?» Ainsi, comme dit ce
+brave palladin, le seigneur de Montauban, soustenant la belle Geneviève
+dans l'Arioste, que celle justement doit mourir qui oste la vie à son
+serviteur, et non celle qui la luy donne. S'il disoit cela d'une fille,
+à plus forte raison telles charitez sont plus recommandées à l'endroit
+des femmes que des filles, d'autant qu'elles n'ont point leurs bourses
+déliées ny ouvertes encor comme les femmes, qui les ont, au moins
+aucunes, très-amples et propres pour en eslargir leurs charitez.
+
+Sur-quoy je me souviens d'un conte d'une fort belle dame de la Cour,
+laquelle pour un jour de Chandelleur s'estant habillée d'une robe de
+damas blanc, et avec toute la suitte de blanc, si bien que ce jour rien
+ne parut de plus beau et de plus blanc, son serviteur ayant gaigné une
+sienne compagne qui estoit belle dame aussi, mais un peu plus aagée et
+mieux parlante, et propre à intercéder pour luy; ainsi que tous trois
+regardoient un fort beau tableau où estoit peinte une Charité toute en
+candeur et voile blanc, icelle dit à sa compagne: «Vous portez
+aujourd'huy le mesme habit de cette Charité; mais, puisque la
+représentez en cela, il faut aussi la représenter en effet à l'endroit
+de vostre serviteur, n'estant rien si recommandable qu'une miséricorde
+et une charité, en quelque façon qu'elle se face, pourveu que ce soit en
+bonne intention, pour secourir son prochain. Usez-en donc: et si vous
+avez la crainte de vostre mary et du mariage devant les yeux, c'est une
+vaine superstition que nous autres ne devons avoir, puisque nature nous
+a donné des biens en plusieurs sortes, non pour s'en servir en espargne,
+comme une salle avare de son tresor, mais pour les distribuer
+honnorablement aux pauvres souffreteux et nécessiteux. Bien est-il vray
+que nostre chasteté est semblable à un tresor, lequel on doit espargner
+en choses basses: mais, pour choses hautes et grandes, il le faut
+despenser en largesse, et sans espargne. Tout de mesmes faut-il faire
+part de nostre chasteté, laquelle on doit eslargir aux personnes de
+mérite et vertu, et de souffrance, et la dénier à ceux qui sont viles,
+de nulle valeur, et de peu de besoin. Quant à nos marys, ce sont
+vrayement de belles idoles, pour ne donner qu'à eux seuls nos vœux et
+nos chandelles, et n'en départir point aux autres belles images! car
+c'est à Dieu seul à qui on doit un vœu unique, et non à d'autres.» Ce
+discours ne deplut point à la dame, et ne nuisit non plus nullement au
+serviteur, qui, par un peu de persévérance, s'en ressentit. Tels
+presches de charité pourtant sont dangereux pour les pauvres marys.
+
+--J'ay ouy conter (je ne sçay s'il est vray, aussi ne veux-je affirmer)
+qu'au commencement que les Huguenots plantèrent leur religion, faisoient
+leurs presches la nuict et en cachettes, de peur d'estre surpris,
+recherchés et mis en peine, ainsi qu'ils furent un jour en la rue
+Saint-Jacques à Paris, du temps du roy Henri second, où des grandes
+dames que je sçay, y allans pour recevoir cette charité, y cuidèrent
+estre surprises. Après que le ministre avoit fait son presche, sur la
+fin leur recommandoit la charité, et incontinent après on tuoit leurs
+chandelles, et là un chacun et chacune l'exerçoit envers son frère et sa
+sœur chrestienne, se la départans l'un à l'autre selon leur volonté
+et pouvoir; ce que je n'oserois bonnement asseurer, encore qu'on
+m'asseurast qu'il estoit vray; mais possible que cela est pur mensonge
+et imposture. Toutefois je sçay bien qu'à Poitiers pour lors il y avoit
+une femme d'un advocat, qu'on nommoit la belle Gotterelle[38], que j'ay
+veue, qui estoit des plus belles femmes, ayant la plus belle grace et
+façon, et des plus désirables qui fussent en la ville pour lors; et pour
+ce chacun lui jettoit les yeux et le cœur. Elle fut repassée au
+sortir du presche, par les mains de douze escoliers, l'un après l'autre,
+tant au lieu du consistoire que sous un auvent, encore ay-je ouy dire
+sous une potence du Marche Vieux, sans qu'elle en fist un seul bruit ny
+autre refus; mais, demandant seulement le mot du presche, les recevoit
+les uns après les autres courtoisement, comme ses vrays freres en
+Christ. Elle continua envers eux cette aumosne long temps, et jamais
+elle n'en voulut prester pour un double à un papiste: si en eut-ils
+néantmoins plusieurs papistes qui, empruntans de leurs compagnons
+huguenots le mot et le jargon de leur assemblée, en jouirent. D'autres
+alloient au presche exprès, et contrefaisoient les Réformez, pour
+l'apprendre, afin de joüir de cette belle femme. J'étois lors à Poitiers
+jeune garçon estudiant, que plusieurs bons compagnons, qui en avoient
+leur part, me le dirent et me le jurèrent: mesme le bruit estoit tel en
+la ville. Voilà une plaisante charité, et conscientieuse femme, faire
+ainsi choix de son semblable en la religion!
+
+Il y a une autre forme de charité qui se pratique, et s'est pratiquée
+souvent, à l'endroit des pauvres prisonniers qui sont ès prisons, et
+privez des plaisirs des dames, desquels les geollieres et les femmes qui
+en ont la garde, ou, les castellanes qui ont dans les chasteaux des
+prisonniers de guerre, en ayant pitié, leur font part de leur amour, et
+leur donnent de cela par charité et miséricorde; ainsi que dit une fois
+une courtisanne romaine à sa fille de laquelle un gallant estoit
+extresmement amoureux, et ne luy en vouloit pas donner pour un double.
+Elle luy dit: _E da gli al manco per misericordia_[39].
+
+Ainsi ces geollieres, castellanes et autres, traittent leurs
+prisonniers, lesquels, bien qu'ils soient captifs et misérables, ne
+laissent à sentir les picqueures de la chair, comme au meilleur temps
+qu'ils pourroient avoir. Aussi dit-on en vieil proverbe: «L'envie en
+vient de pauvreté;» et aussi bien sur la paille et sur la dure messer
+Priape hausse la teste, comme dans le lict du monde le meilleur et le
+plus doux. Voilà pourquoy les gueux et les prisonniers, parmi leurs
+hospitaux et prisons, sont aussi paillards que les roys, les princes et
+les grands, dans leurs beaux pallais et licts royaux et délicats.
+
+Pour en confirmer mon dire, j'allégueray un conte que me fit un jour le
+capitaine Beaulieu, capitaine de galleres, duquel j'ay parlé
+quelquefois. Il estoit à feu M. le grand-prieur de France, de la maison
+de Lorraine, et estoit fort aymé de luy: l'allant un jour trouver à
+Malthe dans une frégatte, il fut pris des galleres de Sicile, et mené
+prisonnier au Castel à Mare de Palerme, où il fut resserré en une prison
+fort estroite, obscure et misérable, et très-mal traité, l'espace de
+trois mois. Par cas, le castellan, qui estoit Espagnol, avoit deux fort
+belles filles, qui, l'oyant plaindre et attrister, demandèrent un jour
+congé au pere pour le visiter pour l'honneur de Dieu, qui leur permit
+librement. Et d'autant que le capitaine Beaulieu estoit fort gallant
+homme certes, et disoit des mieux, il les sceut si bien gagner dès
+l'abord de cette première visite, qu'elles obtinrent du pere qu'il
+sortist de cette meschante prison, et fust mis en une chambre assez
+honneste, et receust meilleur traitement. Ce ne fut pas tout, car elles
+obtindrent congé de l'aller voir librement tous les jours une fois et
+causer avec luy. Tout cela se demena si bien que toutes deux en furent
+amoureuses, bien qu'il ne fust pas beau et elles très-belles, que, sans
+respect aucun, ny de prison plus rigoureuse, ny d'hazard de mort, mais
+tenté de privautez, il se mit à joüir de toutes deux bien et beau tout à
+son aise; et dura ce plaisir sans escandale, et fut si heureux en cette
+conqueste l'espace de huict mois, qu'il n'en arriva nul escandale, mal,
+inconvénient, ni de ventre enflé, ny d'aucune surprise ny découverte:
+car ces deux sœurs s'entendoient et s'entredonnoient si bien la main,
+et se relevoient si gentiment de sentinelle, qu'il n'en fut jamais autre
+chose; et me jura, car il estoit fort mon amy, qu'en sa plus grande
+liberté il n'eut jamais si bon temps, ny plus grande ardeur, ny appetit
+à cela, qu'en cette prison, qui luy estoit très-belle, bien qu'on die
+n'y en avoir jamais aucunes belles. Et luy dura tout ce bon temps
+l'espace de huict mois, que la trève fut faite entre l'Empereur et le
+roi Henri second, que tous les prisonniers sortirent et furent
+relaschés: et me jura que jamais il ne se fascha tant que de sortir de
+cette si bonne prison; mais bien gasté laisser ces belles filles, tant
+favorisé d'elles, qui au départir en firent tous les regrets du monde.
+
+Je luy demanday si jamais il appréhenda inconvenient s'il fust esté
+découvert. Il me dit bien qu'ouy, mais non qu'il le craignist: car, au
+pis aller, on l'eust fait mourir; et il eust autant aymé mourir que
+rentrer en sa première prison. De plus, il craignoit que s'il n'eust
+contenté ces honnestes filles, puisqu'elles le recherchoient tant,
+qu'elles en eussent conceu un tel desdaing et dépit, qu'il en eust eu
+quelque pire traitement encore; et pour ce, bandant les yeux à tout, il
+se hasarda à cette belle fortune. Certes on ne sçauroit assez louer ces
+bonnes filles espagnoles si charitables: ce ne sont pas les premieres ny
+les dernieres.
+
+--On a dit d'autres fois en nostre France, que le duc d'Ascot,
+prisonnier au bois de Vincennes, se sauva de prison par le moyen d'une
+honneste dame, qui toutesfois s'en cuida trouver mal, car il y alloit du
+service du Roy[40]: et telles charitez sont réprouvables, qui touchent
+le party du général, mais fort bonnes et louables, quand il n'y va que
+du particulier, et que le seul joly corps s'y expose; peu de mal pour
+cela. J'alléguerois force braves exemples faisant à ce sujet, si j'en
+voulois faire un discours à part, qui n'en seroit pas trop mal plaisant.
+Je ne diray que cettuy-ci, et puis nul autre, pour estre plaisant et
+antique.
+
+Nous trouvons dans Tite-Live que les Romains, après qu'ils eurent mis la
+ville de Capoue à totale destruction, aucuns des habitants vindrent à
+Rome pour représenter au sénat leur misere, le prierent d'avoir pitié
+d'eux. La chose fut mise au conseil: entr'autres qui opinèrent fut M.
+Atilius Regulus, qui tint qu'il ne leur falloit faire aucune grace, «car
+il ne sauroit trouver en tout, disoit-il, aucun Capoüan, depuis la
+révolte de leur ville, qu'on pust dire avoir porté le moindre brin
+d'amitié et d'affection à la république romaine, que deux honnestes
+femmes: l'une, Vesta Opia, atellane, de la ville d'Atelle, demeurant à
+Capoüe pour lors; et l'autre, Francula Cluvia;» qui toutes deux avoient
+esté autresfois filles de joye et courtisannes, en faisant le mestier
+publiquement. L'une n'avoit laissé passer un seul jour sans faire
+prieres et sacrifices pour le salut et victoire du peuple romain; et
+l'autre, pour avoir secouru à cachettes de vivres les pauvres
+prisonniers de guerre mourants de faim et pauvreté.
+
+Certes voilà des charitez et piétez très-belles; dont sur ce un gentil
+cavalier, une honneste dame et moy, lisants un jour ce passage, nous
+nous entredismes soudain que, puisque ces deux honnestes dames
+s'estoient desjà avancées et estudiées à de si bons et pies offices,
+qu'elles avoient bien passé à d'autres, et à leur départir les charitez
+de leurs corps; car elles en avoient distribué d'autres fois à d'autres
+estans courtisannes, ou possible qu'elles l'estoyent encore; mais le
+livre ne le dit pas, et a laissé le doute-là; car il se peut présumer.
+Mais quand bien elles eussent continué le mestier et quitté pour quelque
+temps, elles le purent reprendre ce coup-là, n'estant rien si aisé et si
+facile à faire; et peut-estre aussi qu'elles y cogneurent et receurent
+encore quelques uns de leurs bons amoureux, de leurs vieilles
+connoissances, qui leur avoient autresfois sauté sur le corps, et leur
+en voulurent encor donner sur quelques vieilles erres, ou du tout: aussi
+que, parmi les prisonniers, elles y en purent voir aucuns incogneus
+qu'elles n'avoient jamais veu que cette fois, et les trouvoient beaux,
+braves et vaillants, de belles façons, qui méritoient bien la charité
+tout entière, et pour ce ne leur espargnant la belle joüissance de leur
+corps, il ne se peut faire autrement. Ainsi, en quelque façon que ce
+fust, ces honnestes dames méritoient bien la courtoisie que la
+république romaine leur fit et recogneut, car elle leur fit rentrer en
+tous leurs biens, et en joüirent aussi paisiblement que jamais; encor
+plus, leur firent à sçavoir qu'elles demandassent ce qu'elles
+voudroient, elles l'auroient; et pour en parler au vray, si Tite-Live ne
+fust esté si abstraint, comme il ne devoit, à la vérécondie et modestie,
+il devoit franchir le mot tout à trac d'elles, et dire qu'elles ne leur
+avoient espargné leur gent corps; et ainsi ce passage d'histoire fust
+esté plus beau et plaisant à lire, sans aller l'abbréger, et laisser au
+bout de la plume le plus beau de l'histoire. Voilà ce que nous en
+discourusmes pour lors.
+
+--Le roy Jean, prisonnier en Angleterre, receut de mesme plusieurs
+faveurs de la comtesse de Salsberiq, et si bonnes, que, ne la pouvant
+oublier, et les bons morceaux qu'elle luy avoit donnés, qu'il s'en
+retourna la revoir, ainsi qu'elle luy fit jurer et promettre.
+
+--D'autres dames y a-t-il qui sont plaisantes en cela pour certain
+poinct de conscientieuse charité; comme une qui ne vouloit permettre à
+son amant, tant qu'il couchoit avec elle, qu'il la baisast le moins du
+monde à la bouche, alléguant par ses raisons que sa bouche avoit fait le
+serment de foy et de fidélité à son mary, et ne la vouloit point
+souiller par la bouche qui l'avoit fait et presté; mais quant à celle du
+ventre, qui n'en avoit point parlé ni rien promis, lui laissoit faire à
+son bon plaisir, et ne faisoit point de scrupule de la prester, n'estant
+en puissance de la bouche du haut de s'obliger pour celle du bas, ny
+celle du bas pour celle du haut non plus; puisque la coustume du droit
+ordonnoit de ne s'obliger pour autruy sans consentement et parole de
+l'une et de l'autre, ny un seul pour le tout en cela.
+
+--Une autre conscentieuse et scrupuleuse, donnant à son amy joüissance
+de son corps, elle vouloit toujours faire le dessus, et sous-mettre à
+soy son homme, sans passer d'un seul iota cette regle; et, l'observant
+estroitement et ordinairement, disoit-elle que si son mary ou autre lui
+demandoit si un tel luy avoit fait cela, qu'elle pust jurer et renier,
+et seurement protester, sans offenser Dieu, que jamais il ne luy avoit
+fait ny monté sur elle. Ce serment sceut-elle si bien pratiquer, qu'elle
+contenta son mary et autres par ses jurements serrez en leurs demandes,
+et la creurent, veu ce qu'elle disoit, «mais n'eurent jamais l'advis de
+demander, ce disoit-elle, si jamais elle avoit fait le dessus, surquoy
+m'eussent bien mespris et donner à songer.» Je pense en avoir encor
+parlé cy-dessus; mais on ne se peut pas toujours souvenir de tout; et
+aussi il y en a cettuy-cy plus qu'en l'autre, s'il me semble.
+
+--Coustumièrement, les dames de ce mestier sont grandes menteuses, et ne
+disent mot de vérité; car elles ont tant appris et accoustumé à mentir
+(ou si elles font autrement sont des sottes, et mal leur en prend) à
+leurs marys et amants sur ces sujets et changements d'amour, et à jurer
+qu'elles ne s'adonnent à autres qu'à eux, que, quand elles viennent à
+tomber sur autres sujets de conséquence, ou d'affaires, ou discours,
+jamais ne font que mentir, et ne leur peut-on croire.
+
+D'autres femmes ay-je cogneu et ouy parler, qui ne donnoyent à leur
+amant leur joüissance, si-non quand elles estoient grosses, afin de
+n'engroisser de leur semence; en quoy elles faisoient grande conscience
+de supposer aux marys un fruit qui n'estoit pas à eux, et le nourrir,
+alimenter et élever comme le leur propre. J'en ay encore parlé
+cy-dessus. Mais, estant grosses une fois, elles ne pensoient point
+offenser le mary, ny le faire cocu, en se prostituant. Possible aucunes
+le faisoient pour les mesmes raisons que faisoit Julia, fille d'Auguste,
+et femme d'Agrippa, qui fut en son temps une insigne putain, dont son
+pere en enrageoit plus que le mary. Luy estant demandé une fois si elle
+n'avoit point de crainte d'engroisser de ses amys, et que son mary s'en
+aperceust et ne l'affolast, elle respondit: «J'y mets ordre, car je ne
+reçois jamais personne ny passager dans mon navire, si-non quand il est
+chargé et plein.»
+
+Voicy encore une autre sorte de cocus; mais ceux-là sont vrays martyrs,
+qui ont des femmes laides comme diables d'enfer, qui se veulent mesler
+de taster de ce doux plaisir aussi bien que les belles, ausquelles le
+seul privilége est deu, comme dit le proverbe: _Les beaux hommes au
+gibet, et les belles femmes au bourdeau_[41]: et, toutesfois, ces laides
+charbonnières font la folie comme les autres, lesquelles il faut
+excuser, car elles sont femmes comme les autres, et ont pareille nature,
+mais non si belle. Toutesfois, j'ai veu des laides, au moins en leur
+jeunesse, qui s'apprécient tant pourtant comme les belles, ayant opinion
+que femme ne vaut autant, si-non ce qu'elle se veut faire valloir et se
+vendre; aussi qu'en un bon marché toutes denrées se vendent et se
+dépositent[42], les unes plus, les autres moins, selon qu'on en a à
+faire, et selon l'heure tardive que l'on vient au marché après les
+autres, et selon le bon prix que l'on y trouve; car, comme l'on dit,
+l'on court toujours au meilleur marché, encore que l'estoffe ne soit la
+meilleure, mais selon la faculté du marchand et de la marchande. Ainsi
+est-il des femmes laides, dont j'en ay veu aucunes, qui, ma foy,
+estoient si chaudes et lubriques, et duites à l'amour aussi bien que les
+plus belles, et se mettoyent en place marchande, et vouloient s'avancer
+et se faire valloir tout de mesmes. Mais le pis que je vois en elles,
+c'est qu'au lieu que les marchands prient les plus belles, celles-cy
+laides prient les marchands de prendre et d'achepter de leurs denrées,
+qu'elles leur laissent pour rien et à vil prix: mesmes font-elles mieux;
+car le plus souvent leur donnent de l'argent pour s'accoster de leurs
+chalanderies et se faire fourbir à eux; dont voilà la pitié: car pour
+telle fourbissure, il n'y faut petite somme d'argent; si bien que la
+fourbissure couste plus que ne vaut la personne, et la lexive que l'on y
+met pour bien la fourbir, et cependant monsieur le mary demeure cocu et
+coquin tout ensemble d'une laide, dont le morceau est bien plus
+difficile à digérer que d'une belle; outre que c'est une misere extresme
+d'avoir à ses costez un diable d'enfer couché, au lieu d'un ange. Sur
+quoy j'ay ouy souhaitter à plusieurs galants hommes une femme belle et
+un peu putain, plustost qu'une femme laide et la plus chaste du monde;
+car en une laideur n'y loge que toute misere et desplaisir, et nul brin
+de félicité. En une belle, tout plaisir et félicité y abonde, et bien
+peu de misere, selon aucuns. Je m'en rapporte à ceux qui ont battu cette
+sente et chemin. A aucuns j'ay ouy dire que, quelques fois, pour les
+marys, il n'est si besoin aussi qu'ils ayent leurs femmes si chastes;
+car elles en sont si glorieuses, je dis celles qui ont ce don très-rare,
+que quasi vous diriez qu'elles veulent dominer, non leurs marys
+seulement, mais le ciel et les astres: voire qu'il leur semble, par
+telle orgueilleuse chasteté, que Dieu leur doive du retour. Mais elles
+sont bien trompées; car j'ay ouy dire à de grands docteurs que Dieu ayme
+plus une pauvre pécheresse, humiliante et contrite (comme il fit la
+Magdelaine), que non pas une orgueilleuse et superbe qui pense avoir
+gagné le paradis, sans autrement vous loir miséricorde ny sentence de
+Dieu.
+
+--J'ay ouy parler d'une dame si glorieuse pour sa chasteté qu'elle vint
+tellement à mépriser son mary, que, quand on lui demandoit si elle avoit
+couché avec son mary: «Non, disoit-elle, mais il a bien couché avec
+moy.» Quelle gloire! Je vous laisse donc à penser comme ces glorieuses
+sottes femmes chastes gourmandent leurs pauvres marys, d'ailleurs qui ne
+leur sçauroient rien reprocher, et comme font aussi celles qui sont
+chastes et riches, d'autant que cette-cy, chaste et riche du sien, fait
+de l'olimbrieuse, de l'altière, de la superbe et de l'audacieuse, à
+l'endroit de son mary: tellement que, pour la trop grande présomption
+qu'elle a de sa chasteté et de son devant tant bien gardé, ne la peut
+retenir qu'elle ne fasse de la femme emperiere, qu'elle ne gourmande son
+mary sur la moindre faute qu'il fera, comme j'en ay veu aucunes, et sur
+tout sur son mauvais menage. S'il joüe, s'il dépend, ou s'il dissipe,
+elle crie plus, elle tempeste, fait que sa maison paroist plus un enfer
+qu'une noble famille: et s'il faut vendre de son bien pour subvenir à un
+voyage de cour ou de guerre, ou à ses procès, nécessitez, ou à ses
+petites folies et despenses frivolles, il n'en faut pas parler; car la
+femme a pris telle impériosité sur lui, s'appuyant et se fortifiant sur
+sa pudicilé, qu'il faut que le mary passe par sa sentence, ainsi que dit
+fort bien Juvenal en ses satyres.
+
+ _Animus uxoris si deditus uni,_
+ _Nil unquam invitâ donabis conjuge vendes._
+ _Hac obstante nihil hæc si nolit emetur_[43].
+
+Il note bien par ces vers que telles humeurs des anciennes Romaines
+correspondoient à aucunes de nostre temps quant à ce poinct; mais, quand
+une femme est un peu putain, elle se rend bien plus aisée, plus sujette,
+plus docile, craintive, de plus douce et agréable humeur, plus humble et
+plus prompte à faire tout ce que le mary veut, et lui condescend en
+tout; comme j'en ay veu plusieurs telles, qui n'osent gronder, ny crier,
+ny faire des acariastres, de peur que le mary ne les menace de leur
+faute, et ne leur mette au devant leur adultere, et leur fasse sentir
+aux despens de leur vie; et si le galant veut vendre quelque bien du
+leur, les voilà plustost signées au contract que le mary ne l'a dit.
+J'en ay veu de celles-là force: bref, elles font ce que leurs marys
+veulent.
+
+Sont-ils bien gastez ceux-là donc d'estre cocus de si belles femmes, et
+d'en tirer de si belles denrées et commoditez que celles-là, outre le
+beau et délicieux plaisir qu'ils ont de paillarder avec de si belles
+femmes, et nager avec elles comme dans un beau et clair courant d'eau,
+et non dans un salle et laid bourbier? Et puisqu'il faut mourir, comme
+disoit un grand capitaine que je sçay, ne vaut-il pas mieux que ce soit
+par une belle jeune espée, claire, nette, luisante et bien tranchante,
+que par une lame vieille, rouillée et mal fourbie, là où il y faut plus
+d'émeric que tous les fourbisseurs de la ville de Paris ne sçauroient
+fournir?
+
+Et ce que je dis des jeunes laides, j'en dis autant d'aucunes vieilles
+femmes qui veulent estre fourbies et se faire tenir et nettes et claires
+comme les plus belles du monde (j'en fais ailleurs un discours à
+part[44] de cela): et voilà le mal; car, quand leurs marys n'y peuvent
+vacquer, les maraudes appellent des suppléments, et comme estants si
+chaudes, ou plus, que les jeunes: comme j'en ay veu qui ne sont pas sur
+le commencement et mitan prestes d'enrager, mais sur la fin. Et
+volontiers l'on dit que la fin en ces mestiers est plus enragée que les
+deux autres, le commencement et le mitan, pour le vouloir; car, la
+force et la disposition leur manquent, dont la douleur leur est
+très-griefve, d'autant que le vieil proverbe dit que c'est une grande
+douleur et dommage, quand un c... a très-bonne volonté, et que la force
+lui défaut. Si y en a-t-il toujours quelques-unes de ces pauvres
+vieilles haires qui passent par bardot[45], et departent leurs largesses
+aux despens de leurs deux bourses; mais celle de l'argent fait trouver
+bonne et estroite l'autre de leurs corps. Aussi dit-on que la libéralité
+en toutes chose est plus à estimer que l'avarice et la chicheté, fors
+aux femmes, lesquelles, tant plus sont libérales de leurs cas, tant
+moins sont estimées, et les avares et chiches tant plus. Cela disoit une
+fois un grand seigneur de deux grandes dames sœurs que je sçay, dont
+l'une estoit chiche de son honneur, et libérale de la bourse et
+despense, et l'autre fort escarce[46] de sa bourse et despense, et
+très-libérale de son devant.
+
+--Or, voici encore une autre race de cocus qui est certes par trop
+abominable et exécrable devant Dieu et les hommes, qui, amouraschés de
+quelque bel Adonis, leur abandonnent leurs femmes pour jouir d'eux. La
+première fois que je fus jamais en Italie, j'en ouys un exemple à
+Ferrare, par un conte qui m'y fut fait d'un qui, espris d'un jeune homme
+beau, persuada à sa femme d'octroyer sa joüissance audit jeune homme qui
+estoit amoureux d'elle, et qu'elle luy assignast jour, et qu'elle fist
+ce qu'il luy commanderoit. La dame le voulut très-bien, car elle ne
+desiroit manger autre venaison que de celle-là. Enfin le jour fut
+assigné, et l'heure estant venue que le jeune homme et la femme estoient
+en ces douces affaires et alteres, le mary, qui s'estoient caché, selon
+le concert d'entre luy et sa femme, voici qu'il entra; et les prenant
+sur le fait, approcha la dague à la gorge du jeune homme, le jugeant
+digne de mort sur tel forfait, selon les loix d'Italie, qui sont un peu
+plus rigoureuses qu'en France. Il fut contraint d'accorder au mary ce
+qu'il voulut, et firent eschange l'un de l'autre: le jeune homme se
+prostitua au mary, et le mary abandonna sa femme au jeune homme; et par
+ainsi, voilà un mary cocu d'une vilaine façon.
+
+--J'ai ouy conter qu'en quelque endroit du monde (je ne le veux pas
+nommer) il y eut un mary, et de qualité grande, qui estoit vilainement
+espris d'un jeune homme qui aimoit fort sa femme, et elle aussi luy:
+soit ou que le mary eust gaigné sa femme, ou que ce fust une surprise à
+l'improviste, les prenant tous deux couchés et accouplés ensemble,
+menaçant le jeune homme s'il ne luy complaisoit, l'investit tout couché,
+et joint et collé sur sa femme, et en joüit; dont sortit le problème,
+comme trois amants furent joüissants et contents tout à un mesme coup
+ensemble.
+
+--J'ay ouy conter d'une dame, laquelle esperdument amoureuse d'un
+honneste gentilhomme qu'elle avoit pris pour amy et favory, luy se
+craignant que le mary luy feroit et à elle quelque mauvais tour, elle le
+consola, lui disant: «N'ayez pas peur; car il n'oseroit rien faire,
+craignant que je l'accuse de m'avoir voulu user de l'arrière-Vénus, dont
+il en pourroit mourir si j'en disois le moindre mot et le déclarois à la
+justice. Mais je le tiens ainsi en eschec et en allarme; si bien que,
+craignant mon accusation, il ne m'ose pas rien dire.» Certes telle
+accusation n'eust pas porté moins de préjudice à ce pauvre mary que de
+la vie: car les légistes disent que la sodomie se punit pour la volonté;
+mais possible que la dame ne voulut pas franchir le mot tout à trac, et
+qu'il n'eust passé plus avant sans s'arrêter à la volonté.
+
+--Je me suis laissé conter qu'un de ces ans un jeune gentilhomme
+françois, l'un des beaux qui fust esté veu à la cour longtemps, estant
+allé à Rome pour y apprendre les exercices, comme autres ses pareils,
+fut arregardé de si bon œil, et par si grande admiration de sa
+beauté, tant des hommes que des femmes, que quasi on l'eust couru à
+force: et là où ils le sçavoient aller à la messe, ou autre lieu public
+et de congrégation, ne failloient, ny les uns, ny les autres, de s'y
+trouver pour le voir; si bien que plusieurs marys permirent à leurs
+femmes de lui donner assignation d'amours en leurs maisons, afin qu'y
+estant venu et surpris, fissent eschange, l'un de sa femme, et l'autre
+de luy: dont luy en fut donné advis de ne se laisser aller aux amours et
+volontez de ces dames, d'autant que le tout avoit esté fait et apposté
+pour l'attrapper; en quoy il se fit sage, et préféra son honneur et sa
+conscience à tous les plaisirs détestables, dont il en acquist une
+louange très-digne. Enfin, pourtant, son escuyer le tua. On en parle
+diversement pourquoy: dont ce fut très-grand dommage, car c'estoit un
+fort honneste jeune homme, de bon lieu, et qui promettoit beaucoup de
+luy, autant de sa physionomie, pour ses actions nobles, que pour ce
+beau et noble trait: car, ainsi que j'ay ouy dire à un fort gallant
+homme de mon temps, et qu'il est aussi vray, nul jamais b....., n'y
+bardasch, ne fut brave, vaillant et généreux, que le grand Jules César;
+aussi que par la grande permission divine telles gens abominables sont
+rédigés et mis à sens reprouvez: en quoy je m'estonne que plusieurs, que
+l'on a veu tachés de ce méchant vice, sont esté continuez du ciel en
+grands prospéritez; mais Dieu les attend, et à la fin on en voit ce que
+doit estre d'eux.
+
+Certes, de telle abomination, j'en ay ouy parler que plusieurs marys en
+sont esté atteints bien au vif; car, malheureux qu'ils sont et
+abominables, ils se sont accommodez de leurs femmes plus par le derriere
+que par le devant, et ne se sont servis du devant que pour avoir des
+enfants; et traittent ainsi leurs pauvres femmes, qui ont toute leur
+chaleur en leurs belles parties de la devantière. Sont-elles pas
+excusables si elles font leurs marys cocus, qui ayment leurs ordes et
+salles parties de derriere?
+
+Combien y a-t-il de femmes au monde, que si elles estoient visitées par
+des sages femmes, médecins et chirurgiens experts, ne se trouveroient
+non plus pucelles par le derrière que par le devant, et qui feroient le
+procès à leurs marys à l'instant; lesquelles le dissimulent, et ne
+l'osent découvrir, de peur d'escandaliser, et elles et leurs marys ou
+possible qu'elles y prennent quelque plaisir plus grand que nous ne
+pouvons penser; ou bien, pour le dessein que je viens de dire, pour
+tenir leurs maris en telle sujection, si elles font l'amour d'ailleurs,
+mesmes qu'aucuns marys leur permettent; mais pourtant tout cela ne vaut
+rien.
+
+--Summa Benedicti dit que si le mary veut recognoistre sa partie ainsi
+contre l'ordre de nature, qu'il offense mortellement; et s'il veut
+maintenir qu'il peut disposer de sa femme comme il luy plaist, il tombe
+en détestable et vilaine hérésie d'aucuns Juifs et mauvais rabins, dont
+on dit que _duabus mulieribus apud synagogam conquestis se fuisse à
+viris suis cognitu sodomiquo cognitis, responsum est ab illis rabinis,
+virum esse uxoris dominum, proinde posse uti ejus utcunque libuerit, non
+aliter quàm is qui piscem emit: ille enim, tam anterioribus quàm
+posterioribus partibus, ad arbitrium vesci potest_. J'ay mis cela en
+latin sans le traduire en françois, car il sonne très-mal à des oreilles
+bien honnestes et chastes. Abominables qu'ils sont! laisser une belle,
+pure et concédée partie, pour en prendre une villaine, salle, orde et
+défendue, et mise en sens réprouvé!
+
+Et si l'homme veut ainsi prendre la femme, il est permis à elle se
+séparer de luy, s'il n'y a autre moyen de le corriger: et pourtant,
+dit-il encore, celles qui craignent Dieu n'y doivent jamais consentir,
+ains plustost doivent crier à la force, nonobstant l'escandale qui
+pourroit arriver en cela, et le deshonneur ny la crainte de mort; car il
+vaut mieux mourir, dit la loy, que de consentir au mal. Et dit encor
+ledit livre une chose que je trouve fort estrange: qu'en quelque mode
+que le mary connoisse sa femme, mais qu'elle en puisse concevoir, ce
+n'est point péché mortel, combien qu'il puisse estre véniel: si y a-t-il
+pourtant des méthodes pour cela fort salles et villaines, selon que
+l'Arétin les représente en ses figures, et ne ressentent rien la
+chasteté maritale; bien que, comme j'ay dit, il soit permis à l'endroit
+des femmes grosses, et aussi de celles qui ont l'haleine forte et
+puante, tant de la bouche que du nez: comme j'en ay cogneu et ouy parler
+de plusieurs femmes, lesquelles baiser et alleiner autant vaudroit qu'un
+anneau de retrait; ou bien comme j'ai ouy parler d'une très-grande dame,
+mais je dis très-grande, qu'une de ses dames dit un jour que son
+halleine sentoit plus qu'un pot-à-pisser d'airain; ainsi m'usa-t-elle de
+ces mots: un de ses amis fort privé, et qui s'approchoit près d'elle, me
+le confirma aussi: si est-il vray qu'elle estoit un peu sur l'âge.
+
+Là-dessus que peut faire un mary ou un amant, s'il n'a recours à quelque
+forme extravagante, mais surtout qu'elle n'aille point à
+l'arrière-Vénus? J'en dirois davantage, mais j'ai horreur d'en parler:
+encore m'a-t-il fasché d'en avoir tant dit; mais si faut-il quelquefois
+descouvrir les vices du monde pour s'en corriger.
+
+--Or il faut que je die une mauvaise opinion que plusieurs ont eue et
+ont encores de la cour de nos roys, que les filles et femmes y bronchent
+fort, voire coustmièrement: en quoy bien souvent sont-il trompez, car il
+y en a de très-chastes, honnestes et vertueuses, voire plus qu'ailleurs,
+et la vertu y habite aussi-bien, voire mieux qu'en tous autres lieux,
+que l'on doit fort priser pour estre bien à preuve. Je n'allégueray que
+ce seul exemple de madame la grande duchesse de Florence d'aujourd'huy,
+de la maison de Lorraine, laquelle estant arrivé à Florence le soir que
+le grand-duc l'épousa, et qu'il voulut aller coucher avec elle pour la
+dépuceler, il la fit avant pisser dans un beau urinal de cristal, le
+plus beau et le plus clair qu'il put, et en ayant vue l'urine, il la
+consulta avec son médecin, qui estoit un très-grand et très-savant et
+expert personnage, pour savoir de luy par cette inspection si elle
+estoit pucelle, ouy ou non. Le médecin l'ayant bien fixement et
+doctement inspicée, il trouva qu'elle estoit telle comme quand sortit du
+ventre de sa mère, et qu'il y allast hardiement, et qu'il n'y trouveroit
+point le chemin nullement ouvert, frayé ni battu; ce qu'il fit, et en
+trouva la vérité telle; et puis, le lendemain en admiration, dit: «Voilà
+un grand miracle, que cette fille soit ainsi sortie pucelle de cette
+cour de France!» Quelle curiosité et quelle opinion! Je ne sçai s'il est
+vrai, mais il me l'a ainsi esté asseuré pour véritable. Voilà une belle
+opinion de nos cours; mais ce n'est d'aujourd'huy, ains de long-temps,
+qu'on tenoit que toutes les dames de Paris et de la cour n'estoient si
+sages de leur corps comme celles du plat pays, et qui ne bougeoient de
+leurs maisons, il y a eu des hommes qui estoient si consciencieux de
+n'espouser que des filles et femmes qui eussent fort paysé, et veu le
+monde tant soit peu. Si bien qu'en notre Guyenne, du temps de mon jeune
+aage, j'ay ouy dire à plusieurs gallants hommes et veu jurer qu'ils
+n'espouseroient jamais fille ou femme qui auroit passé le port de Pille,
+pour tirer de longue vers la France. Pauvres fats qu'ils estoient en
+cela, encor qu'ils fussent fort habiles et gallants en autres choses, de
+croire que le cocuage ne se logeast dans leurs maisons, dans leurs
+foyers, dans leurs chambres, dans leurs cabinets, aussi bien, ou
+possible mieux, selon la commodité, qu'aux palais royaux et grandes
+villes royales! car on leur alloit suborner, gagner, abattre et
+rechercher leurs femmes, ou quand ils alloient eux-mesmes à la Cour, à
+la guerre, à la chasse, à leurs procez ou à leurs promenoirs, si bien
+qu'ils ne s'en appercevoyent; et estoient si simples de penser qu'on ne
+leur osoit entamer aucun propos d'amour, si-non que de mesnageries, de
+leurs jardinages, de leurs chasses et oiseaux; et, sous cette opinion et
+legere creance, se faisoient mieux cocus qu'ailleurs; car, partout,
+toute femme belle et habile, et aussi tout homme honneste et gallant,
+sçait faire l'amour, et se sçait accommoder. Pauvres fats et idiots
+qu'ils estoient! Et ne pouvoient-ils pas penser que Vénus n'a nulle
+demeure prefisse, comme jadis en Cypre, en Paros et Amatonte, et qu'elle
+habite par-tout jusques dans les cabanes des pastres et girons des
+bergères, voire des plus simplettes?
+
+Depuis quelque temps en çà, ils ont commencé à perdre ces sottes
+opinions; car, s'estant apperceu que par-tout y avoit du danger pour ce
+triste cocuage, ils ont pris femmes partout où il leur a plu et ont pu;
+et si ont mieux fait: ils les ont envoyées ou menées à la Cour, pour les
+faire valoir ou parestre en leurs beautez, pour en faire venir l'envie
+aux uns ou aux autres, afin de s'engendrer des cornes. D'autres les ont
+envoyées, et menées playder et solliciter leurs procez, dont aucuns n'en
+avoient nullement, mais faisoient à croire qu'ils en avoient; ou bien
+s'ils en avoient, les allongeoient le plus qu'ils pouvoient, pour
+allonger mieux leurs amours. Voire quelquefois les marys laissoient
+leurs femmes à la garde du palais, et à la galerie et salle, puis s'en
+alloient en leurs maisons, ayant opinion qu'elles feroient mieux leurs
+besognes, et en gaigneroient mieux leurs causes: comme de vray, j'en
+sçay plusieurs qui les ont gaignées mieux par la dextérité et beauté de
+leur devant, que par leur bon droit, dont bien souvent en devenoient
+enceintes; et, pour n'estre escandalisées (si les drogues avoient failly
+de leur vertu pour les en garder), s'encouroient vistement en leurs
+maisons à leurs marys, feignant qu'elles alloient quérir des tiltres et
+piéces qui leur faisoient besoin, ou alloient faire quelque enqueste, ou
+que c'estoit pour attendre la Sainct Martin, et que, durant les
+vacations, n'y pouvant rien servir, alloient au bouc, et voir leurs
+mesnages et leurs marys. Elles y alloient de vray, mais bien enceintes.
+Je m'en rapporte à plusieurs conseillers, rapporteurs et présidents,
+pour les bons morceaux qu'ils en ont tastez des femmes des
+gentilshommes.
+
+--Il n'y a pas long-temps qu'une très-belle, honneste et grande dame que
+j'ay cogneue, allant ainsi solliciter son procez à Paris, il y eut
+quelqu'un qui dit: «Qu'y va-t-elle faire? Elle le perdra; elle n'a pas
+grand droit.--Et ne porte-t-elle pas son droit sur la beauté de son
+devant, comme César portoit le sien sur le pommeau et sur la pointe de
+son espée?» Ainsi se font les gentilshommes cocus au palais, en
+récompense de ceux que messieurs les gentilshommes font sur mesdames les
+présidentes et conseilleres: dont aussi aucunes de celles-là ay-je veu,
+qui ont bien vallu sur la monstre autant que plusieurs dames,
+damoiselles et femmes de seigneurs, chevaliers et grands gentilshommes
+de la Cour, et autres.
+
+--J'ay cogneu une dame grande, qui avoit esté très-belle, mais la
+vieillesse l'avoit effacée. Ayant un procez à Paris, et voyant que sa
+beauté n'estoit plus pour ayder à solliciter et gaigner sa cause, elle
+mena avec elle une sienne voisine, jeune et belle dame; et pour ce
+l'appointa d'une bonne somme d'argent, jusques à dix mille escus; et, ce
+qu'elle ne put ou eust bien voulu faire elle-mesme, elle se servit de
+cette dame, dont elle s'en trouva fort bien, et la jeune aussi; et tout
+en deux bonnes façons. N'y a pas long-temps que j'ay veu une dame mere y
+mener une de ses filles, bien qu'elle fust mariée, pour luy ayder à
+solliciter son procez, n'y ayant autre affaire; et de fait elle est
+très-belle, et vaut bien la sollicitation.
+
+Il est temps que je m'arreste dans ce grand discours de cocuage; car
+enfin mes longues paroles, tournoyées dans ces profondes eaux et ces
+grands torrents, seroient noyées, et n'aurois jamais fait, ny n'en
+sçaurois jamais sortir, non plus que d'un grand labyrinthe qui fust
+autresfois, encore que j'eusse le plus long et le plus fort fillet du
+monde pour guide et sage conduite. Pour fin je concluray que si nous
+faisons des maux, donnons des tourments, des martyres et des mauvais
+tours à ces pauvres cocus, nous en portons bien la folle enchere, comme
+l'on dit, et en payons les triples intérests; car la plupart de leurs
+persécuteurs et faiseurs d'amour, et de ces dameretz, en endurent bien
+autant de maux; car ils sont plus subjects à jalousies, mesmes qu'ils en
+ont des marys aussi bien que de leurs corrivals: ils portent des
+martels, des capriches, se mettent aux hazards en danger de mort,
+d'estropiements, de playes, d'affronts, d'offenses, de querelles, de
+craintes, peines et mort; endurent froidures, pluyes, vents et chaleurs.
+Je ne conte pas la vérole, les chancres, les maux et maladies qu'ils y
+gaignent, aussi bien avec les grandes que les petites; de sorte que bien
+souvent ils acheptent bien cher ce qu'on leur donne, et la chandelle
+n'en vaut pas le jeu. Tels y en avons-nous veu misérablement mourir,
+qu'ils estoient battants pour conquérir tout un royaume, tesmoin M. de
+Bussi, le nompair de son temps, et force autres. J'en alléguerois une
+infinité d'autres que je laisse en arrière, pour finir et dire, et
+admonester ces amoureux qu'ils pratiquent le proverbe de l'Italien qui
+dit: _Che molto guadagna chi putana perde_[47].
+
+--Le comte Amé second disoit souvent: «En jeu d'armes et d'amours, pour
+une joie cent doulours;» usant ainsi de ce mot anticq pour mieux faire
+sa rime. Disoit-il encore que la colere et l'amour avoient cela en soy
+fort dissemblable, que la colere passe tost, et se deffait fort aisément
+de sa personne quand elle y est entrée, mais mal-aisément l'amour. Voilà
+comment il se faut garder de cette amour, car elle nous couste bien
+autant qu'elle nous vaut, et bien souvent en arrive beaucoup de
+malheurs. Et pour parler au vray, la pluspart des cocus patients ont
+cent fois meilleur temps, s'ils se sçavoient connoistre et bien
+s'entendre avec leurs femmes, que les agents; et plusieurs en ay-je veu,
+qu'encor qu'il y allast de leurs cornes, se mocquoient de nous et se
+rioient de toutes les humeurs et façons de faire de nous autres qui
+traittons l'amour avec leurs femmes, et mesmes quand nous avions à faire
+à des femmes rusées, qui s'entendent avec leurs marys et nous vendent:
+comme j'ay cogneu un fort brave et honneste gentilhomme qui, ayant
+longuement aymé une belle et honneste dame, et eu d'elle la joüissance,
+ce qu'il en desiroit long-temps, s'estant un jour apperceu que le mary
+et elle se mocquoient de luy sur quelque trait, il en prit un si grand
+depit qu'il la quitta et fit bien; et, faisant un voyage lointain pour
+en divertir sa fantaisie, ne l'accosta jamais plus, ainsi qu'il me dit.
+Et de telles femmes rusées, fines et changeantes, il s'en faut donner
+garde comme d'une beste sauvage; car, pour contenter et appaiser leurs
+marys, quittent leurs anciens serviteurs, et en prennent puis après
+d'autres, car elles ne s'en peuvent passer.
+
+Si ay-je cogneu une fort honneste et grande dame, qui a eu cela en elle
+de malheur, que, de cinq ou six serviteurs que je luy ay veu de mon
+temps avoir, se sont morts tous les uns après les autres, non sans un
+grand regret qu'elle en portoit; de sorte qu'on eust dit d'elle que
+c'estoit le cheval de Séjan, d'autant que tous ceux qui montoient sur
+elle mouroient et ne vivoient guieres; mais elle avoit cela de bon en
+soy et cette vertu, que, quoy qui ait esté, n'a jamais changé ny
+abandonné aucun de ses amis vivants pour en prendre d'autres; mais, eux
+venans à mourir, elle s'est voulu tousjours remonter de nouveau pour
+n'aller à pied; et aussi, comme disent les légistes, qu'il est permis de
+faire valoir ses lieux et sa terre par quiconque soit, quand elle est
+déguerpie de son premier maistre. Telle constance a esté fort en cette
+dame recommandable; mais si celle-là a esté jusques-là ferme, il y en a
+eu une infinité qui ont bien branslé. Aussi, pour en parler
+franchement, il ne se faut jamais envieillir dans un seul trou, et
+jamais homme de cœur ne le fit: il faut estre aussi bien aventurier
+deçà et delà, en amour comme en guerre, et en autres choses; car si l'on
+ne s'asseure que d'une seule ancre en son navire, venant à se décrocher,
+aisément on le perd, et mesme quand l'on est en pleine mer et en une
+tempeste, qui est plus subjecte aux orages et vagues tempestueuses que
+non en une calme ou en un port. Et dans quelle plus grande et haute mer
+ne sçauroit-on mieux mettre et naviguer que de faire l'amour à une seule
+dame? Que si de soy elle n'a esté rusée du commencement, nous autres la
+dressons et l'affinons par tant de pratiques, que nous menons avec elle,
+dont bien souvent il nous en prend mal, en la rendant telle pour nous
+faire la guerre, l'ayant façonnée et aguerrie. Tant y a, comme disoit
+quelque galant homme, qu'il vaut mieux se marier avec quelque belle
+femme et honneste, encore qu'on soit en danger d'estre un peu touché de
+la corne et de ce mal de cocuage commun à plusieurs, que d'endurer tant
+de traverses à faire les autres cocus, contre l'opinion de M. du Gua
+pourtant, auquel moy ayant tenu propos un jour de la part d'une grande
+dame qui m'en avoit prié, pour le marier, me fit cette response
+seulement: qu'il me pensoit de ses plus grands amis, et que je luy en
+faisois perdre la créance par tel propos pour luy pourchasser la chose
+qu'il haïssoit plus, que le marier et faire cocu, au lieu qu'il faisoit
+les autres; et qu'il espousoit assez de femmes l'année, appelant le
+mariage un putanisme secret de réputation et de liberté, ordonné par une
+belle loy, et que le pis en cela, ainsi que je voy et ay noté, c'est que
+la pluspart, voire toute, de ceux qui se sont ainsi delectez à faire les
+autres cocus, quand ils viennent à se marier, infailliblement ils
+tombent en mariage, je dis en cocuage; et n'en ay jamais veu arriver
+autrement, selon le proverbe: _Ce que tu feras à autruy, il te sera
+fait_.
+
+--Avant que finir je diray encore ce mot: que j'ay veu faire une dispute
+qui n'est encore indécise, en quelles provinces et régions de nostre
+chrestienté et de nostre Europe il y a plus de cocus et de putains. L'on
+dit qu'en Italie les dames sont fort chaudes, et par ce, fort putains,
+ainsi que dit M. de Beze en une épigramme, d'autant qu'où le soleil, qui
+est chaud et donne le plus, y eschauffe davantage les femmes, en usant
+de ce vers:
+
+ _Credibile est ignes multiplicare suos_[48].
+
+L'Espagne est de mesme, encore qu'elle soit sur l'occident; mais le
+soleil y eschauffe bien les dames autant qu'en orient. Les Flamandes,
+les Suisses, les Allemandes, Anglaises et Escossaises, encore qu'elles
+tirent sur le midy, et septentrion, et soient régions froides, n'en
+participent pas moins de cette chaleur natule, comme je les ai cogneues
+aussi chaudes que toutes les autres nations. Les Grecques ont raison de
+l'estre, car elles sont fort sur le levant. Ainsi souhaitte-t-on en
+Italie _Greca in letto_: comme de vray elles ont beaucoup de choses et
+vertus attrayantes en elles, que, non sans cause, le temps passé elles
+ont esté les délices du monde, et en ont beaucoup appris aux dames
+italiennes et espagnolles, depuis le vieux temps jusques à ce nouveau;
+si bien qu'elles en surpassent quasi leurs anciennes et modernes
+maistresses aussi la reyne et impériere des putains, qui estoit Vénus,
+estoit Grecque.
+
+Quant à nos belles Françoises, on les a veues le temps passé fort
+grossieres, et qui se contentoient de le faire à la grosse mode; mais,
+depuis cinquante ans en ça, elles ont emprunté et appris des autres
+nations tant de gentillesses, de mignardises, d'attraits et de vertus,
+d'habits, de belles graces, lascivetez, ou d'elles-mesmes se sont si
+bien estudiées à se façonner, que maintenant il faut dire qu'elles
+surpassent toutes les autres en toutes façons; et, ainsi que j'ay ouy
+dire, mesme aux estrangers, elles valent beaucoup plus que les autres,
+outre que les mots de paillardise françoise en la bouche sont plus
+paillards, mieux sonnants et esmouvants que les autres. De plus, cette
+belle liberté françoise, qui est plus à estimer que tout, rend bien nos
+dames plus desirables, accostables, aimables et plus passables que
+toutes les autres: et aussi que tous les adulteres n'y sont si
+communément punis comme aux autres provinces, par la providence de nos
+grands sénats et législateurs françois, qui, voyant les abus en provenir
+par telles punitions, les ont un peu bridés, et un peu corrigé les loix
+rigoureuses du temps passé des hommes, qui s'estoient donnez en cela
+toute liberté de s'esbattre et l'ont ostée aux femmes; si bien qu'il
+n'estoit permis à la femme innocente d'accuser son mary d'adultere, par
+aucunes lois impériales et canon (ce dit Cajetan). Mais les hommes fins
+firent cette loy pour les raisons que dit cette stance italienne, qui
+est telle:
+
+ _Perche di quel che natura concede_
+ _Nel vieti tutan dura legge d'honore._
+ _Ella a noi liberal largo ne diede_
+ _Com' agli altri animai legge d'amore._
+ _Ma l'huomo fraudulento, e senza fede,_
+ _Che fu legislator di quest' errore,_
+ _Vedendo nostre forze e buona schiena ,_
+ _Copri la sua debolezza con la pena_[49].
+
+Pour fin, en France il fait bon faire l'amour. Je m'en rapporte à nos
+authentiques docteurs d'amour, et mesme à nos courtisans, qui sçauront
+mieux sophistiquer là-dessus que moi: et, pour en parler bien au vray,
+putains par-tout, et cocus par-tout, ainsi que je le puis bien tester,
+pour avoir veu toutes ces régions que j'ay nommées, et autres; et la
+chasteté n'habite pas en une région plus qu'en l'autre.
+
+Si feray-je encore cette question, et puis plus, qui possible n'a point
+esté recherchée de tout le monde, ny possible songée: à sçavoir mon, si
+deux dames amoureuses l'une de l'autre, comme il s'est veu et se voit
+souvent aujourd'huy, couchées ensemble, et faisant ce qu'on dit, _donna
+con donna_, en imitant la docte Sapho lesbienne, peuvent commettre
+adultere, et entre elles faire leurs maris cocus. Certainement, si l'on
+veut croire Martial en son Ier livre, épigram. CXIX, elles commettent
+adultere; où il introduit et parle à une femme nommée Bassa, tribade,
+luy faisant fort la guerre de ce qu'on ne voyoit jamais entrer d'hommes
+chez elle, de sorte qu'on la tenoit pour une seconde Lucrèce: mais elle
+vint à estre descouverte, en ce que l'on y voyoit aborder ordinairement
+force belles femmes et filles; et fut trouvé qu'elle-mesme leur servoit
+et contrefaisoit d'homme et d'adultere, et se conjoignoit avec elles, et
+use de ces mots: _geminos committere cunnos_. Et puis s'escriant, il
+dit et donne à songer et deviner cette énigme par ce vers latin:
+
+ _Hic ubi vir non est, ut sit adulterium_[50].
+
+Voilà un grand cas, dit-il, que, là où il n'y a point d'homme, il y ait
+de l'adultere.
+
+J'ai cogneu une courtisanne à Rome, vieille et rusée s'il en fust
+oncques, qui s'appeloit Isabelle de Lune, Espagnolle, laquelle prit en
+telle amitié une courtisanne qui s'appeloit la Pandore, l'une des belles
+pour lors de tout Rome, laquelle vint à estre mariée avec un sommeiller
+de M. le cardinal d'Armaignac, sans pourtant se distraire de son premier
+mestier: mais cette Isabelle l'entretenoit, et couchoit ordinairement
+avec elle; et, comme desbordée et désordonnée en paroles qu'elle estoit,
+je luy ay souvent ouy dire qu'elle la rendoit plus putain, et lui
+faisoit faire des cornes à son mary plus que tous les ruffiants que
+jamais elle avoit eus. Je ne sçay comment elle entendoit cela, si ce
+n'est qu'elle se fondast sur cette épigramme de Martial.
+
+On dit que Sapho de Lesbos a esté une fort bonne maistresse en ce
+mestier, voire, dit-on, qu'elle l'a inventé, et que depuis les dames
+lesbiennes l'ont imitée en cela et continué jusques aujourd'huy, ainsi
+que dit Lucian, que telles femmes sont les femmes de Lesbos, qui ne
+veulent pas souffrir les hommes, mais s'approchent des autres femmes,
+ainsi que les hommes mesmes; et telles femmes qui aiment cet exercice ne
+veulent souffrir les hommes, mais s'adonnent à d'autres femmes, ainsi
+que les hommes mesmes, s'appellent _tribades_, mot grec dérivé, ainsi
+que j'ai appris des Grecs, de τρἱβω, τρἱβειν, qui est autant à dire que
+_fricare_, frayer, ou friquer, ou s'entrefrotter; et tribades se disent
+_fricatrices_, en françois fricatrices, ou qui font la friquarelle en
+mestier de _donne con donne_, comme l'on l'a trouvé ainsi aujourd'huy.
+
+Juvenal parle aussi de ces femmes quand il dit: _frictum Grissantis
+adorat_, parlant d'une pareille tribade qui adoroit et aimoit la
+fricarelle d'une Grissante.
+
+Le bon compagnon Lucian en fait un chapitre, et dit ainsi que les femmes
+viennent mutuellement à conjoindre comme les hommes, conjoignants des
+instruments lascifs, obscurs et monstrueux, faits d'une forme stérile,
+et ce nom, qui rarement s'entend dire de ces fricarelles, vacque
+librement partout, et qu'il faille que le sexe féminin soit Filenes, qui
+faisoit l'action de certaines amours hommasses. Toutesfois il adjouste
+qu'il est bien meilleur qu'une femme soit adonnée à une libidineuse
+affection de faire le masle, que n'est à l'homme de s'efféminer; tant il
+se monstre peu courageux et noble. La femme donc, selon cela, qui
+contrefait ainsi l'homme, peut avoir réputation d'estre plus valeureuse
+et courageuse qu'une autre, ainsi que j'en ay cogneu aucunes, tant pour
+leurs corps que pour l'ame.
+
+En un autre endroit, Lucian introduit deux dames devisantes de cet
+amour; et une demande à l'autre si une telle avoit esté amoureuse
+d'elle, et si elle avoit couché avec elle, et ce qu'elle luy avoit fait.
+L'autre luy respondit librement. «Premièrement, elle me baisa ainsi que
+font les hommes, non pas seulement en joignant les levres, mais en
+ouvrant aussi la bouche, cela s'entend en pigeonne, la langue en bouche;
+et encore qu'elle n'eust point le membre viril, et qu'elle fust
+semblable à nous autres, si est-ce qu'elle disoit avoir le cœur,
+l'affection et tout le reste viril; et puis je l'embrassay comme un
+homme, et elle me le faisoit, me baisoit et allentoit[51] (je n'entends
+point bien ce mot), et me sembloit qu'elle y prit plaisir outre mesure,
+et cohabita d'une certaine façon beaucoup plus agréable que d'un homme.»
+Voilà ce qu'en dit Lucian.
+
+Or, à ce que j'ay ouy dire, il y a en plusieurs endroits et régions
+force telles dames lesbiennes, en France, en Italie et en Espagne,
+Turquie, Grèce et autres lieux; et où les femmes sont recluses et n'ont
+leur entière liberté, cet exercice s'y continue fort; car telles femmes
+bruslantes dans le corps, il faut bien, disent-elles, qu'elles s'aydent
+de ce remède, pour se rafraischir un peu ou du tout qu'elles bruslent.
+Les Turques vont aux bains plus pour cette paillardise que pour autre
+chose, et s'y adonnent fort: mesme les courtisannes qui ont les hommes à
+commandement et à toute heure, encore usent-elles de ces friquarelles,
+s'entre-cherchent et s'entr'aiment les unes les autres, comme je l'ay
+ouy dire à aucunes en Italie et en Espagne. En nostre France, telles
+femmes sont assez communes; et si dit-on pourtant qu'il n'y a pas
+long-temps qu'elles s'en sont meslées, mesme que la façon en a esté
+portée d'Italie par une dame de qualité que je ne nommeray point.
+
+--J'ay ouy conter à feu M. de Clermont-Tallard le jeune, qui mourut à La
+Rochelle, qu'estant petit garçon, et ayant l'honneur d'accompagner M.
+d'Anjou, depuis nostre roy Henry troisiesme, en son estude, et estudier
+avec lui ordinairement, duquel M. de Gournay estoit précepteur, un jour,
+estant à Thoulouse, estudiant avec son dit maistre dans son cabinet, et
+estant assis dans un coin à part, il vid, par une petite fente (d'autant
+que les cabinets et chambres estoient de bois, et avoient esté faits à
+l'improviste et à la haste, par la curiosité de M. le cardinal
+d'Armaignac, archevesque de là, pour mieux recevoir et accommoder le Roy
+et toute sa cour), dans un autre cabinet, deux fort grandes dames,
+toutes retroussées et leurs caleçons bas, se coucher l'une sur l'autre,
+s'entrebaiser en forme de colombe, se frotter, s'entrefriquer, bref, se
+remuer fort, paillarder, et imiter les hommes; et dura leur esbattement
+près d'une bonne heure, s'estant si très-fort eschauffées et lassées,
+qu'elles en demeurèrent si rouges et si en eau, bien qu'il fist grand
+froid, qu'elles n'en peurent plus et furent contraintes de se reposer
+autant; et disoit qu'il veid joüer ce jeu quelques autres jours, tant
+que la Cour fut là, de mesme façon; et oncques plus n'eut-il la
+commodité de voir cet esbattement, d'autant que ce lieu le favorisoit en
+cela, et aux autres il ne put. Il m'en contoit encore plus que je n'en
+ose escrire, et me nommoit les dames. Je ne sçay s'il est vray; mais il
+me l'a juré et affirmé cent fois par bons serments; et, de fait, cela
+est bien vray-semblable; car telles deux dames ont bien eu tousjours
+cette réputation de faire et continuer l'amour de cette façon et de
+passer ainsi leur temps.
+
+J'en ay cogneu plusieurs autres qui ont traité de mesmes amours, entre
+lesquelles j'en ay ouy conter d'une de par le monde, qui a esté fort
+superlative en cela, et qui aimoit aucunes dames, les honoroit et les
+servoit plus que les hommes, et leur faisoit l'amour comme un homme à sa
+maistresse; et si les prenoit avec elle, les entretenoit à pot et à feu,
+et leur donnoit ce qu'elles vouloient. Son mary en estoit très-aise et
+fort content; ainsi que beaucoup d'autres martyrs que j'ay eus, qui
+estoient fort aises que leurs femmes menassent ces amours plutost que
+celles des hommes (n'en pensant leurs femmes si folles ny putains).
+Mais je croy qu'ils sont bien trompez, car ce petit exercice, à ce que
+j'ay ouy dire, n'est qu'un apprentissage pour venir à celuy grand des
+hommes; car après qu'elles se son eschauffées et mises bien en rut les
+unes les autres, leur chaleur ne se diminuant pour cela, faut qu'elles
+se baignent par une eau vive et courante, qui raffraischist bien mieux
+qu'une eau dormante, ainsi que je tiens de bons chirurgiens, et veu que,
+qui veut bien panser et guérir une playe, il ne faut qu'il s'amuse à la
+médicamenter et nettoyer alentour ou sur le bord, mais il la faut sonder
+jusques au fond, et y mettre une sonde et une tente bien avant.
+
+Que j'en ay veu de ces Lesbiennes, qui, pour toutes leurs fricarelles et
+entre-frottements, n'en laissent d'aller aux hommes! mesme Sapho, qui en
+a esté la maistresse, ne se mit-elle pas à aymer son grand amy Phaon,
+après lequel elle mouroit? Car, enfin, comme j'ay ouy raconter à
+plusieurs dames, il n'y a que les hommes; et que de tout ce qu'elles
+prennent avec les autres femmes, ce ne sont que des tiroüers pour
+s'aller paistre de gorges-chaudes avec les hommes: et ces fricarelles ne
+leur servent qu'à faute des hommes; que si elles les trouvent à propos
+et sans escandale, elles lairroient bien leurs compagnes pour aller à
+eux et leur sauter au collet.
+
+J'ay cogneu de mon temps deux belles et honnestes damoiselles de bonnes
+maisons, toutes deux cousines, lesquelles ayant couché ensemble dans un
+mesme lit l'espace de trois ans, s'accoustumèrent si fort à cette
+fricarelle, qu'après s'estre imaginées que le plaisir estoit assez
+maigre et imparfait au prix de celuy des hommes, se mirent à le taster
+avec eux, et en devinrent très bonnes putains, et confessèrent après à
+leurs amoureux que rien ne les avoit tant desbauchées et esbranlées à
+cela que cette fricarelle, la détestant pour en avoir esté la seule
+cause de leur desbauche: et, nonobstant, quand elles se rencontroyent,
+ou avec d'autres, elles prenoient tousjours quelque repas de cette
+fricarelle, pour y prendre tousjours plus grand appetit de l'autre avec
+les hommes. Et c'est ce que dit une fois une honneste damoiselle que
+j'ay cogneue, à laquelle son serviteur demandoit un jour si elle ne
+faisoit point cette fricarelle avec sa compagne, avec qui elle couchoit
+ordinairement. «Ah! non, dit-elle en riant, j'ayme trop les hommes;»
+mais pourtant elle faisoit l'un et l'autre.
+
+Je sçay un honneste gentilhomme, lequel, désirant un jour à la Cour
+pourchasser en mariage une fort honneste damoiselle, en demanda l'advis
+à une sienne parente. Elle luy dit franchement qu'il y perdroit son
+temps; «d'autant, me dit-elle, qu'une telle dame, qu'elle me nomma, et
+de qui j'en savois des nouvelles, ne permettra jamais qu'elle se marie.»
+J'en cogneus soudain l'encloüeure, parce que je sçavois bien qu'elle
+tenoit cette damoiselle en ses délices à pot et à feu, et la gardoit
+précieusement pour sa bouche. Le gentilhomme en remercia sa dite cousine
+de ce bon advis, non sans lui faire la guerre en riant, qu'elle parloit
+ainsi en cela pour elle comme pour l'autre; car elle en tiroit quelques
+petits coups en robbe quelquesfois: ce qu'elle me nia pourtant. Ce trait
+me fait ressouvenir d'aucuns qui ont ainsi des putains à eux qu'ils
+ayment tant, qu'ils n'en feroient part pour tous les biens du monde,
+fust à un prince, à un grand, fust à leur compagnon, ni à leur amy, tant
+ils en sont jaloux, comme un ladre de son barillet; encore le
+présente-t-il à boire à qui en veut. Mais cette dame vouloit garder
+cette damoiselle toute pour soy, sans en départir à d'autres: pourtant
+si la faisoit-elle cocue à la dérobade avec aucunes de ses compagnes.
+
+On dit que les belettes sont touchées de cet amour, et se plaisent de
+femelle à femelle à s'entreconjoindre et habiter ensemble; si que par
+lettres hiéroglyfiques les femmes s'entr'aimantes de cet amour estoient
+jadis représentées par des belettes. J'ay ouy parler d'une dame qui en
+nourrissoit tousjours, et qui se mesloit de cet amour, et prenoit
+plaisir de voir ainsi ses petites bestioles s'entre-habiter.
+
+Voici un autre poinct, c'est que ces amours féminines se traittent en
+deux façons, les unes par friquarelle, et par, comme dit ce poëte,
+_geminos committere connos_.
+
+Cette façon n'apporte point de dommages, ce disent aucuns, comme quand
+on s'aide d'instruments façonnés de....., mais qu'on a voulu appeler des
+g........[52].
+
+J'ay ouy conter qu'un grand prince, se doutant de deux dames de sa cour
+qui s'en aydoient, leur fit faire le guet si bien qu'il les surprit,
+tellement que l'une se trouva saisie et accommodée d'un gros entre les
+jambes, gentiment attaché avec de petites bandelettes à l'entour du
+corps, qu'il sembloit un membre naturel. Elle en fut si surprise qu'elle
+n'eut loisir de l'oster; tellement que ce prince la contraignit de luy
+monstrer comment elles deux se le faisoient. On dit que plusieurs
+femmes en sont mortes, pour engendrer en leurs matrices des apostumes
+faites par mouvements et frottements point naturels. J'en sçay bien
+quelques-unes de ce nombre, dont ç'a esté grand dommage, car c'estoient
+de très-belles et honnestes dames et damoiselles, qu'il eust bien mieux
+vallu qu'elles eussent eu compagnie de quelques honnestes gentilshommes,
+qui pour cela ne les font mourir, mais vivre et ressusciter ainsi que
+j'espere le dire ailleurs; et mesmes, que, pour la guérison de tel mal,
+comme j'ay ouy conter à aucuns chirurgiens, qu'il n'y a rien plus propre
+que de les faire bien nettoyer là-dedans par ces membres naturels des
+hommes, qui sont meilleurs que des pesseres qu'usent les médecins et
+chirurgiens avec des eaux à ce composées; et toutesfois il y a plusieurs
+femmes, nonobstant les inconvénients qu'elles en voyent arriver souvent,
+si faut-il qu'elles en ayent de ces engins contrefaits.
+
+--J'ay ouy faire un conte, moy estant lors à la cour, que la Reyne-mere
+ayant fait commandement de visiter un jour les chambres et coffres de
+tous ceux qui estoient logés dans le Louvre, sans épargner dames et
+filles, pour voir s'il n'y avoit point d'armes cachées et mesmes des
+pistolets, durant nos troubles, il y en eut une qui fut trouvée saisie
+dans son coffre par le capitaine des gardes, non point de pistolets,
+mais de quatre gros g........ gentiment façonnez, qui donnèrent bien de
+la risée au monde, et à elle bien de l'estonnement. Je cognois la
+damoiselle: je croy qu'elle vit encores: mais elle n'eut jamais bon
+visage. Tels instruments enfin sont très dangereux. Je feray encore ce
+conte de deux dames de la cour qui s'entr'aimoient si fort, et estoient
+si chaudes à leur mestier, qu'en quelque endroit qu'elles fussent ne
+s'en pouvoient garder ny abstenir que pour le moins ne fissent quelques
+signes d'amourettes ou de baiser, qui les escandalisoient si fort, et
+donnoient à penser beaucoup aux hommes. Il y en avoit une veufve, et
+l'autre mariée; et comme la mariée, un jour d'une grand magnificence, se
+fust fort bien parée et habillée d'une robe de toile d'argent, ainsi que
+leur maistresse estoit allée à vespres, elles entrèrent dans son
+cabinet, et sur sa chaise percée se mirent à faire leur fricarelle si
+rudement et si impétueusement, qu'elle en rompit sous elles, et la dame
+mariée qui faisoit le dessous tomba avec sa belle robe de toille
+d'argent à la renverse tout à plat sur l'ordure du bassin, si bien
+qu'elle se gasta et souilla si fort, qu'elle ne sçeut que faire que
+s'essuyer le mieux qu'elle peut, se trousser, et s'en aller à grande
+haste changer de robbe dans sa chambre, non sans pourtant avoir esté
+apperceue et bien sentie à la trace, tant elle puoit: dont il en fut ryt
+assez par aucuns qui en sceurent le conte; mesme leur maistresse le
+sceut, qui s'en aidoit comme elles, et en rist son saoul. Aussi il
+falloit bien que cette ardeur les maistrisast fort, que de n'attendre un
+lieu et un temps à propos, sans s'escandaliser. Encore excuse-t-on les
+filles et femmes veufves pour aimer ces plaisirs frivoles et vains,
+aimans bien mieux s'y adonner et en passer leurs chaleurs, que d'aller
+aux hommes et de se faire engroisser et se deshonorer, ou de faire
+perdre leur fruict, comme plusieurs ont fait et font; et ont opinion
+qu'elles n'en offensent pas tant Dieu, et n'en sont pas tant putains
+comme avec les hommes: aussi y a-t-il bien de la différence de jeter de
+l'eau dans un vase, ou de l'arrouser seulement alentour et au bord. Je
+m'en rapporte à elles. Je ne suis pas leur censeur ny leur mary, s'ils
+le trouvent mauvais, encore que je n'en ay point veu qui ne fussent
+très-aises que leurs femmes s'amourachassent de leurs compagnes, et
+qu'ils voudroient qu'elles ne fussent jamais plus adultères qu'en cette
+façon; comme de vray telle cohabitation est bien différente de celle
+d'avec les hommes, et, quoy que die Martial, ils n'on sont pas cocus
+pour cela. Ce n'est pas texte d'Évangile, que celuy d'un poëte fol.
+Donc, comme dit Lucian, il est bien plus beau qu'une femme soit virile
+ou vraye amazone, ou soit ainsi lubrique, que non pas un homme soit
+féminin, comme un Sardanapale et Héliogabale, ou autres force leurs
+pareils; car d'autant plus qu'elle tient de l'homme, d'autant plus elle
+est courageuse: et de tout cecy je m'en rapporte à la décision du
+procès.
+
+M. du Gua et moy lisions une foi un petit livre italien, qui s'intitule
+_de la Beauté_, fait en dialogue par le seigneur Angello Fiorenzolle,
+Florentin, et tombasmes sur un passage où il dit qu'aucunes femelles qui
+furent faites par Jupiter au commencement, furent créées de cette
+nature, qu'aucunes se mirent à aymer les hommes, et les autres la beauté
+de l'une et de l'autre; mais aucunes purement et saintement, comme de ce
+genre s'est trouvée de notre temps, comme dit l'auteur, la très-illustre
+Marguerite d'Austriche, qui ayma la belle Laodamie, forte en guerre; les
+autres lascivement et paillardement, comme Sapho Lesbienne, et de nostre
+temps à Rome la grande courtisanne Cécile vénétienne; et icelles de
+nature haissent à se marier, et fuyent la conversation des hommes tant
+qu'elles peuvent. Là-dessus M. du Gua, reprit l'auteur, disant que cela
+estoit faux que cette belle Marguerite aimast cette belle dame de pur et
+saint amour; car puis qu'elle l'avoit mise plustost sur elle que sur
+d'autres qui pouvoient estre aussi belles et vertueuses qu'elle, il
+estoit à présumer que c'estoit pour s'en servir en délices, ne plus ne
+moins comme d'autres; et pour en couvrir sa lasciveté, elle disoit et
+publioit qu'elle l'aimoit saintement, ainsi que nous en voyons plusieurs
+ses semblables, qui ombragent leurs amours par pareils mots. Voilà ce
+qu'en disoit M. du Gua; et qui en voudra outre plus en discourir
+là-dessus, faire se peut. Cette belle Marguerite fust la plus belle
+princesse qui fust de son temps en la chrestienté. Ainsi, beautez et
+beautez s'entr-aiment de quelque amour que ce soit, mais du lascif plus
+que de l'autre. Elle fut remariée en tierces nopces, ayant en premieres
+espousé le roi Charles huitiesme, en secondes Jean, fils du roi
+d'Arragon, et le troisiesme avec le duc de Savoye qu'on appeloit le
+Beau; si que, de son temps, on les disoit le plus beau pair et le plus
+beau couple du monde; mais la princesse n'en joüit guierre de cette
+copulation, car il mourut fort jeune, et en sa plus grande beauté, dont
+elle en porta les regrets très-extrêmes, et pour ce ne se remaria
+jamais. Elle fit faire bastir cette belle église qui est vers Bourg en
+Bresse, l'un des plus beaux et plus susperbes bastiments de la
+chrestienté. Elle estoit tante de l'empereur Charles-Quint, et assista
+bien à son nepveu; car elle vouloit tout appaiser, ainsi qu'elle et
+madame la régente au traité de Cambray firent, où toutes à deux se
+virent et s'assemblèrent là, où j'ay ouy dire aux anciens et anciennes
+qu'il faisoit beau voir ces deux grandes princesses.
+
+--Corneille Agrippa a fait un petit traité _de la vertu des femmes_, et
+tout en la loüange de cette Marguerite. Le livre en est très-beau, qui
+ne peut estre autre pour le beau sujet, et pour l'auteur, qui a esté un
+très-grand personnage.
+
+--J'ay ouy parler d'une grande dame princesse, laquelle, parmi les
+filles de sa suite, elle en aimoit une par-dessus toutes et plus que les
+autres: en quoy on s'estonnoit, car il y en avoit d'autres qui la
+surpassoient en tout; mais enfin il fut trouvé et descouvert qu'elle
+estoit hermaphrodite, qui lui donnoit du passe-temps sans aucun
+inconvénient ni escandale. C'estoit bien autre chose qu'à ses tribades:
+le plaisir pénétroit un peu mieux. J'ay ouy nommer une grande qui est
+aussi hermaphrodite, et qui a ainsi un membre viril, mais fort petit,
+tenant pourtant plus de la femme, car je l'ay veu très-belle. J'ay
+entendu d'aucuns grands medecins qui en ont veu assez de telles, et
+surtout très-lascives. Voilà enfin ce que je diray du sujet de ce
+chapitre, lequel j'eusse pu allonger mille fois plus que je n'ay fait,
+ayant eu matière si ample et si longue, que si tous les cocus et leurs
+femmes qui les font se tenoient tous par la main, et qu'il s'en peust
+faire un cercle, je crois qu'il seroit assez bastant pour entourer et
+circuir la moitié de la terre.
+
+--Du temps du roy François fut une vieille chanson, que j'ay ouy conter
+à une fort honneste et ancienne dame, qui disoit:
+
+ Mais quand viendra la saison
+ Que les cocus s'assembleront,
+ Le mien ira devant, qui portera la bannière;
+ Les autres suivront après, le vostre sera au darrière,
+ La procession en sera grande,
+ L'on y verra une très-longue bande.
+
+Je ne veux pourtant taxer beaucoup d'honnestes et sages femmes mariées,
+qui se sont comportées vertueusement et constamment en la foy saintement
+promise à leurs marys; et en espere faire un chapitre à part à leur
+louange, et faire mentir maistre Jean de Mun[53], qui, en son _Roman de
+la Rose_, dit ces mots: «Toutes vous autres femmes estes ou fustes, de
+fait ou de volonté, putes;» dont il encourut une telle inimitié des
+dames de la cour pour lors, qu'elles par une arrestée conjuration et
+avis de la Reyne, entreprirent un jour de le foüetter, et le
+dépouillèrent tout nud; et estant prestes à donner le coup, il les pria
+qu'au moins celle qui estoit la plus grande putain de toutes commençast
+la première: chacune, de honte, n'osa commencer; et par ainsi il évita
+le fouet. J'en ay veu l'histoire représentée dans une vieille tapisserie
+des vieux meubles du Louvre. J'aimerois autant un prescheur qui,
+preschant un jour en bonne compagnie, ainsi qu'il reprenoit les mœurs
+d'aucunes femmes, et leurs marys qui enduroient estre cocus d'elles, il
+se mit à crier: «Oui, je les connois, je les vois, et m'en vais jetter
+ces deux pierres à la teste des deux plus grands cocus de la compagnie;»
+et, faisant semblant de les jetter, il n'y eut homme du sermon qui ne
+baissast la teste, ou mist son manteau, ou sa cape, ou son bras
+au-devant, pour se garder du coup. Mais luy, les retenant, leur dit: «Ne
+vous dis-je pas? je pensois qu'il n'y eust que deux ou trois cocus en
+mon sermon; mais, à ce que je voy, il n'y en a pas un qui ne le soit.»
+Or, quoy que disent ces fols, il y a de fort sages et honnestes femmes,
+ausquelles s'il falloit livrer bataille à leurs dissemblables, elles
+l'emporteroient, non pour le nombre, mais par la vertu, qui combat et
+abat son contraire aisément. Et si ledit maistre Jean de Mun blasme
+celles qui sont de volonté putes, je trouve qu'il les faut plustost
+loüer et exalter jusqu'au ciel, d'autant que si elles bruslent si
+ardemment dans le corps et dans l'ame, et, ne venant point aux effets,
+font parestre leur vertu, leur constance et la générosité de leur
+cœur, aymant plustost brusler et se consumer dans leurs propres feux
+et flammes, comme un phénix rare, que de forfaire ni souiller leur
+honneur, et comme la blanche hermine, qui aime mieux mourir que de se
+souiller (devise d'une très-grande dame que j'ay cogneue, mais mal
+d'elle pratiquée pourtant), puisqu'estant en leur puissance d'y pouvoir
+remédier, se commandent si généreusement, et puisqu'il n'y a plus belle
+vertu ny victoire que de se commander et vaincre soy-mesme. Nous en
+avons une histoire très-belle dans les _Cent Nouvelles de la Reyne de
+Navarre_, de cette honneste dame de Pampelune, qui, estant dans son ame
+et de volonté pute, et bruslant de l'amour de M. d'Avanes, si beau
+prince, elle ayma mieux mourir dans son feu que de chercher son remede,
+ainsi qu'elle luy sceut bien dire en ses derniers propos de sa mort.
+Cette honneste et belle dame se donnoit bien la mort très-iniquement et
+injustement; et, comme j'ouys dire sur ce passage à un honneste homme et
+honneste dame, cela ne fut point sans offenser Dieu, puisqu'elle se
+pouvoit délivrer de la mort; et se la pourchasser et avancer ainsi, cela
+s'appelle proprement se tuer soy-mesme; ainsi plusieurs de ses pareilles
+qui, par ces grandes continences et abstinences de ce plaisir, se
+procurent la mort, et pour l'ame et pour le corps.
+
+--Je tiens d'un très-grand médecin (et pense qu'il en a donné telle
+leçon et instruction à plusieurs honnestes dames) que les corps humains
+ne se peuvent jamais guieres bien porter, si tous leurs membres et
+parties, depuis les plus grandes jusqu'aux plus petites, ne font
+ensemblement leurs exercices et fonctions, que la sage nature leur a
+ordonné pour leur santé, et n'en fassent une commune accordance, comme
+d'un concert de musique, n'estant raison qu'aucunes desdites parties et
+membres travaillent, et les autres chaument. Ainsi qu'en une république
+il faut que tous officiers, artisans, manouvriers et autres, fassent
+leur besogne unanimement, sans se reposer ny se remettre les uns sur les
+autres, si l'on veut qu'elle aille bien, et que son corps demeure soin
+et entier: de mesme est le corps humain. Telles belles dames, putes dans
+l'ame et chastes du corps, méritent d'éternelles loüanges; mais non pas
+celles qui sont froides comme marbre, lasches et immobiles plus qu'un
+rocher, et ne tiennent de la chair, n'ayant aucuns sentiments (il n'y en
+a guieres pourtant), qui ne sont point ny belles ny recherchées, et,
+comme dit le poëte,
+
+ . . . . _casta quam nemo rogavit_,
+
+chaste qui n'a jamais été priée. Sur quoy je cognois une grande dame qui
+disoit à aucunes de ses compagnes qui estoient belles: «Dieu m'a fait
+une grande grace de quoy il ne m'a fait belle comme vous autres,
+mesdames; car aussi bien que vous j'eusse fait l'amour, et fusse esté
+pute comme vous.» A cause de quoy peut-on loüer ces belles ainsi
+chastes, puisqu'elles sont de telle nature. Bien souvent aussi
+sommes-nous trompez en telles dames; car aucunes y en a qu'à les voir
+mesme mineuses, piteuses, marmiteuses, froides, discrètes, serrées, et
+modestes en leurs paroles, et en leurs habits réformez, qu'on les
+prendroit pour des saintes et très-prudes femmes, qui sont au dedans et
+par volonté, et au dehors par bons effets, bonnes putains. D'autres en
+voyons-nous qui, par leur gentillesse et leurs paroles follastres, leurs
+gestes gays et leurs habits mondains et affectés, on les prendroit pour
+fort débauchées, et prestes pour s'adonner aussi-tost: mais pourtant de
+leurs corps sont fort femmes de bien devant le monde: en cachette, il
+s'en faut rapporter à la vérité aussi cachée. J'en alléguerois force
+exemples que j'ai veus et sceus; mais je me contenteray d'alleguer
+cettuy-ci, que Tite-Live allégue et Bocace encore mieux, d'une gentille
+dame romaine nommée Claudie Quintiene, laquelle, paroissant dans Rome
+par-dessus toutes les autres en ses habits pompeux et peu modestes, et
+en ses façons gayes et libres, mondaine plus qu'il ne le falloit,
+acquit très-mauvais bruit touchant son honneur; mais, le jour venu de la
+réception de la déesse Cybelle, elle l'esteignit du tout; car elle eut
+l'honneur et la gloire, pardessus toutes les autres, de la recevoir hors
+du bateau, la toucher et la transporter à la ville; dont tout le monde
+en demeura estonné; car il avoit esté dit que le plus homme de bien et
+la plus femme de bien estoient dignes de cette charge. Voilà comme le
+monde est fort trompé en plusieurs de nos dames. L'on doit premierement
+fort les cognoistre et examiner avant que de les juger, tant d'une que
+de l'autre sorte.
+
+Si faut-il, avant que fermer ce pas, que je die une autre belle vertu et
+propriété que porte le cocuage, que je tiens d'une fort honneste et
+belle dame de bonne part, au cabinet de laquelle estant un jour entré,
+je la trouvay sur le point qu'elle venoit d'achever d'escrire un conte
+de sa propre main, qu'elle me monstra fort librement, car j'estois de
+ses bons amis, et ne se cachoit point de moy: elle estoit fort
+spirituelle et bien disante, et fort bien duite à l'amour; et le
+commencement du conte estoit tel:»Il semble, dit-elle, qu'entr'autres
+belles propriétez que le cocuage peut apporter, c'est ce beau et bon
+sujet par lequel on peut bien connoistre combien gentiment l'esprit
+s'exerce pour le plaisir et contentement de la nature humaine, d'autant
+que c'est luy qui veille, et qui invente et façonne l'artifice
+nécessaire à y pourvoir sans que la nature y fournisse que le désir et
+l'appetit sensuel, comme l'on peut cacher par tant de ruses et astuces
+qui se pratiquent au mestier de l'amour, qui est celuy qui imprime les
+cornes; car il faut tromper un mary jaloux, soupçonneux et colere; il
+faut tromper et voiler les yeux des plus prompts à recevoir du mal, et
+pervertir les plus curieux de la connoissance de la vérité, faire croire
+de la fidélité là où il n'y a que toute déception; plus de franchise là
+où il n'y a que dissimulation et crainte, et plus de crainte là où il
+n'y a plus de licence: bref, par toutes ces difficultez, et pour venir
+dessus ces discours, ce ne sont pas actes à quoy la vertu naturelle
+puisse parvenir; il en faut donner l'advantage à l'esprit, lequel
+fournit le plaisir et bastit plus de cornes que le corps qui les plante
+et cheville.» Voilà les propres mots du discours de cette dame, sans les
+changer aucunement, qu'elle fait au commencement de son conte, qui se
+faisoit d'elle-mesme; mais elle l'adombroit par d'autres noms et puis,
+poursuivant les amours de la dame et du seigneur avec qui elle avoit à
+faire, et pour venir là et à la perfection, elle allégue que l'apparence
+de l'amour n'est qu'une apparence de consentement. Il est du tout sans
+forme jusqu'à son entière joüissance et possession, et bien souvent l'on
+croit qu'elle soit venue à cette extrémité, que l'on est bien loin de
+son compte, et, pour récompense, il ne reste rien que le temps perdu,
+duquel l'on porte un extrême regret (il faut bien peser et noter ces
+dernières paroles, car elles portent coup, et de quoy à blasonner).
+Pourtant il n'y a que la joüissance en amour et pour l'homme et pour la
+femme, pour ne regretter rien du temps passé. Et pour cette honneste
+dame, qui escrivoit ce conte, donna un rendez-vous à son serviteur dans
+un bois, où souvent s'alloit pourmener en une fort belle allée, à
+l'entrée de laquelle elle laissa ses femmes, et le va trouver sous un
+beau et large chesne ombrageux; car c'estoit en esté! «Là où, dit la
+dame en son conte par ces propres mots, il ne faut point douter la vie
+qu'ils demenèrent pour un peu, et le bel autel qu'ils dressèrent au
+pauvre mary au temple de Cératon, bien qu'ils ne fussent en Delos, qui
+estoit fait tout de cornes: pensez que quelque bon compagnon l'avoit
+fondé.» Voilà comment cette dame se moquoit de son mary, aussi bien en
+ses escrits comme en ses délices et effects: et qu'on note tous ses
+mots, ils portent de l'efficace, estans prononcés mesmes et escrits
+d'une si habile et honneste femme.
+
+Le conte en est très-beau, que j'eusse volontiers ici mis et inséré;
+mais il est trop long, car les pourparlers, avant que de venir là, sont
+fort beaux et longs aussi, reprochant à son serviteur, qui la loüoit
+extremement, qu'il y avoit en luy plus d'œuvre de naturelle et
+nouvelle passion qu'aucun bien qui fust en elle, bien qu'elle fust des
+belles et honnestes; et, pour vaincre cette opinion, il fallut au
+serviteur faire de grandes preuves de son amour, qui sont fort bien
+spécifiées en ce conte: et puis estant d'accord, l'on y voit des ruses,
+des finesses et tromperies d'amour en toutes sortes, et contre le mary
+et contre le monde, qui sont certes fort belles et très-fines. Je priay
+cette honneste dame de me donner le double de ce conte; ce qu'elle fist
+très-volontiers, et ne voulust qu'autre le doublast qu'elle, de peur de
+surprise. Cette dame avoit raison de donner cette vertu et propriété au
+cocuage; car avant que se mettre à l'amour, elle estoit fort peu habile;
+mais l'ayant traité, elle devint l'une des spirituelles et habiles
+femmes de France, tant pour ce sujet que pour d'autres. Et de fait, ce
+n'est pas la seule que j'ay veue qui s'est habilitée, pour avoir traité
+l'amour, car j'en ay veu une infinité très-sottes et mal-habiles à leur
+commencement; mais elles n'avoient demeuré un an à l'académie de Cupidon
+et Vénus madame sa mère, qu'elles en sortoient très-habiles et
+très-honnestes femmes en tout; et quant à moy je n'ay veu jamais putain
+qui ne fust très-habile et qui ne levast la paille.
+
+--Si feray-je encor cette question; en quelle saison de l'année se fait
+plus de cocus, et laquelle est plus propre à l'amour, et à esbranler une
+fille, une femme ou une veuve? Certainement la plus commune voix est
+qu'il n'y a pour cela que le printemps, qui esveille les corps et les
+esprits endormis de l'hyver fascheux et mélancolique; et puisque tous
+les oiseaux et animaux s'en réjoüissent et entrent tous en amours, les
+personnes qui ont autres sens et sentiment s'en ressentent bien
+davantage, et surtout les femmes (selon l'opinion de plusieurs
+philosophes et médecins), qui entrent lors en plus grande ardeur et
+amour qu'en tout autre temps, ainsi que je l'ay ouy dire à aucunes
+honnestes et belles dames, et mesmes à une grande qui ne failloit
+jamais, le printemps venu, en estre plus touchée et picquée qu'en autre
+saison; et disoit qu'elle sentoit la pointe de l'herbe et hannissoit
+après comme les juments et chevaux, et qu'il falloit qu'elle en tastast,
+autrement elle s'amaigriroit; ce qu'elle faisoit, je vous en asseure, et
+devenoit lors plus lubrique. Aussi, trois ou quatre amours nouvelles que
+je luy ay veu faire en sa vie, elle les a faites au printemps, et non
+sans cause; car de tous les mois de l'an, avril et may sont les plus
+consacrez, et dédiés à Vénus, où lors les belles dames s'accommencent,
+plus que devant, à s'accommoder, dorloter, et se parer gentiment, se
+coiffer follastrement, se vestir légèrement; qu'on dirait que tous ces
+nouveaux changements, et d'habits et de façons, tendent tous à la
+lubricité, et à peupler la terre de cocus, marchant dessus, aussi bien
+que le ciel et l'air en produisent de volants en avril et en may. De
+plus, ne pensez pas que les belles femmes, filles ou veuves, quand elles
+voient de toutes parts en leurs pourmenades de leurs bois, de leurs
+forests, garennes, parcs, prairies, jardins, bocages et autres lieux
+récréatifs, les animaux et les oiseaux s'entrefaire l'amour et
+lascivement paillarder, n'en ressentent d'estranges piqueures en leur
+chair, et n'y veulent soudain rapporter leurs remèdes; et c'est l'une
+des persuasives remonstrances qu'aucuns amants et aucunes amantes
+s'entrefont, s'entrevoyants sans chaleurs, ny flamme, ny amour, en leur
+remonstrant les animaux et oyseaux, tant des champs que des maisons,
+comme les passereaux et pigeons domestiques et lascifs, et ne faire que
+paillarder, germer, engendrer, et foissonner jusqu'aux arbres et
+plantes; et c'est ce que sceut dire un jour une gente dame espagnole à
+un cavalier froid ou trop respectueux: _Sa, gentil cavallero, mira como
+los amores de todas suertes se tratan y trionfan en este verano, y V.S.
+queda flaco y abatrido!_ C'est-à-dire: «Voici[54], gentil cavalier,
+comme sortes d'amours se mennent et triomphent en cette prime; et vous
+demeurez flac et abattu.» Le printemps passé fait place à l'esté, qui
+vient après et porte avec soy ses chaleurs: et ainsi qu'une chaleur
+amène l'autre, la dame par conséquent double la sienne; et nul
+rafraischissement ne la luy peut oster si bien qu'un bain chaud et
+trouble de sperme vénériq: ce n'est pas contraire par son contraire et
+guérir, ains semblable par son semblable; car, bien que tous les jours
+elle se baignast, se plongeast dans la plus claire et fraische fontaine
+de tout un pays, cela n'y sert, ny quelques légers habillements qu'elle
+puisse porter pour s'en donner fraischeur, et qu'elle les retrousse tant
+qu'elle voudra, jusques à laisser les calessons, ou mettre le vertugadin
+dessus eux, sans les mettre sur le cotillon, comme plusieurs le font; et
+là c'est le pis, car, en tel estat, elles s'arregardent, se ravissent,
+se contemplent à la belle clarté du soleil, que, se voyant ainsi belles,
+blanches, caillées, poupines et en bon point, entrent soudain en rut et
+tentation; et, sur ce, faut aller au masle ou de tout brusler toutes
+vives, dont on en a veu fort peu; aussi seroient-elles bien sottes: et
+si elles sont couchées dans leurs beaux lits ne pouvants endurer ny
+couvertes, ny linceux, se mettent en leurs chemises retroussées à demy
+nues, et le matin, le soleil levant donnant sur elles, et venants à se
+regarder encore mieux à leur aise de tous costez et toutes parts,
+souhaitent leurs amys, et les attendent: que si par cas ils arrivent sur
+ce point, sont aussitost les bien venus, pris et embrassés; «car lors,
+disent-elles, c'est la meilleure embrassade et joüissance d'aucune heure
+du jour; d'autant, disoit un jour une grande, que le c.. est bien
+confit, à cause du doux chaud et feu de la nuict, qui l'a ainsi cuit et
+confit, et qu'il en est beaucoup meilleur et savoureux.» L'on dit
+pourtant par un proverbe ancien: _Juin et juillet, la bouche mouillée et
+le v.. sec_; encor met-on le mois d'aoust: cela s'entend pour les
+hommes, qui sont en danger quand ils s'échauffent par trop en ces temps;
+et mesme quand la chaude canicule domine, à quoy ils y doivent adviser;
+mais s'ils se veulent brusler à leur chandelle, à leur dam. Les femmes
+ne courent jamais ceste fortune, car tous mois, toutes saisons, tous
+temps, tous signes leur sont bons. Or les bons fruits de l'esté
+surviennent, qui semblent devoir rafraischir ces honnestes et
+chaleureuses dames. A aucunes j'en ay veu manger peu, et à d'autres
+prou. Mais pourtant on ny a guieres veu de changement de leur chaleur ny
+aux unes ny aux autres, pour s'en abstenir ny pour en manger; car le pis
+est que, s'il y a aucuns fruits qui puissent rafraischir, il y a bien
+force autres qui reschauffent bien autant, auxquels les dames courent le
+plus souvent, comme à plusieurs simples qui sont en leur vertu et bons
+et plaisants à manger en leurs potages et salades, et comme aux
+asperges, aux artichaux, aux truffles, aux morilles, aux mousserons et
+potirons, et aux viandes nouvelles, que leurs cuisiniers, par leurs
+ordonnances, sçavent très-bien accoustrer et accoustumer à la friandise
+et lubricité, et que les médecins aussi leur sçavent bien ordonner. Que
+si quelqu'un bien expert et gallant entreprenoit à desduire ce passage,
+il s'en acquitteroit bien mieux que moy. Au partir de ces bons mangers,
+donnez-vous garde, pauvres amants et marys. Que si vous n'estes bien
+préparez, vous voilà déshonorez, et bien souvent on vous quitte pour
+aller au change. Ce n'est pas tout; car il faut avec ces fruits
+nouveaux, et fruits des jardins et des champs, y adjouter de bons grands
+pastez que l'on a inventez depuis quelques temps, avec force pistaches,
+pignons, et autres drogues d'apoticaires scaldives, mais sur-tout des
+crestes et c........ de cocq, que l'esté produit et donne plus en
+abondance que l'hyver et autres saisons; et se fait aussi plus grand
+massacre en général de ces jolets et petits cocqs qu'en hyver des grands
+cocqs, n'estant si bons et si propres que les petits, qui sont chauds
+ardents et plus gaillards que les autres. Voila un entr-autres, des bons
+plaisirs et commoditez que l'esté rapporte pour l'amour. Et de ces
+pastez ainsi composez de menusailles de ces petits cocqs et culs
+d'artichaux et truffles, ou autres friandises chaudes en usent souvent
+quelques dames que j'ai ouy dire; lesquelles, quand elles en mangent et
+y peschent, mettant la main dedans ou avec les fourchettes, et en
+rapportant et en remettant en la bouche ou l'artichault, ou la truffle,
+ou la pistache, ou la creste de cocq, ou autre morceau, elles disent
+avec une tristesse morne: _Blanque_; et quand elles rencontrent les
+gentils c........ de cocq, et les mettent sous la dent, elles disent
+d'une allégresse: _Bénéfice_; ainsi qu'on fait à la blanque en Italie,
+et comme si elles avaient rencontré et gagné quelque joyau très-précieux
+et riche. Elles en ont cette obligation à messieurs les petits cocqs et
+jolets, que l'esté produit avec la moitié de l'automne pourtant, que
+j'entremesle avec l'esté, qui nous donne force autres fruits et petits
+volatiles qui sont cent fois plus chaudes que celles de l'hyver et de
+l'autre moitié de l'automne prochaine et voisine de l'hyver, qui, bien
+qu'on les puisse et doive joindre ensemble, si n'y peut-on si bien
+recueillir tous ces bons simples en leur vigueur, ny autre chose comme
+en la saison chaude, encore l'hyver s'efforce de produire ce qu'il peut,
+comme les bonnes cardes qui engendrent bien de la bonne chaleur et de la
+concupiscence, soit qu'elles soient cuittes ou crues, jusques aux petits
+chardons chauds, dont les asnes vivent et en baudoüinent mieux, que
+l'esté rend durs, et l'hyver les rend tendres et délicats, dont l'on en
+fait de fort bonnes salades nouvellement inventées. Et outre tout cela,
+on fait tant d'autres recherches de bonnes drogues chez les apoticaires,
+drogueurs et parfumeurs, que rien n'y est oublié, soit pour ces pastez,
+soit pour les bouillons: et ne trouve-t-on à dire guieres de la chaleur
+en l'hyver par ce moyen et entretenement tant qu'elles peuvent; «car,
+disent-elles, puisque nous sommes curieuses de tenir chaud l'extérieur
+de nostre corps par des habits pesants et bonnes fourrures, pourquoy
+n'en ferons-nous de mesme à l'intérieur?» Les hommes disent aussi: «Et
+de quoy leur sert-il d'adjouster chaleur sur chaleur, comme soye sur
+soye, contre la Pragmatique, et que d'elles-mesmes elles sont assez
+chaleureuses, et qu'à toute heure qu'on les veut assaillir elles sont
+tousjours prestes de leur naturel, sans y apporter aucun artifice? Qu'y
+feriez-vous? Possible qu'elles craignent que leur sang chaud et
+bouillant se perde et se resserre dans les veines et devienne froid et
+glacé si on ne l'entretient, ny plus ny moins que celuy d'un hermite qui
+ne vit que de racines.»
+
+Or laissons-les faire: cela est bon pour les bons compagnons; car, elles
+estant en si fréquente ardeur, le moindre assaut d'amour qu'on leur
+donne, les voilà prises, et messieurs les pauvres marys cocus et cornus
+comme satyres. Encor font-elles mieux, les honnestes dames: elles font
+quelquesfois part de leurs bons pastez, bouillons et potages à leurs
+amants par miséricorde, afin d'estre plus braves et n'estre atténuez par
+trop quand ce vient à la besogne, et pour s'en ressentir mieux et
+prévaloir plus abondamment et leur en donnent aussi des receptes pour en
+faire faire en leur cuisine à part: dont aucuns y sont bien trompez,
+ainsi que j'ay ouy parler d'un galant gentilhomme, qui, ayant ainsi pris
+son bouillon, et venant tout gaillard aborder sa maîtresse, la menaça
+qu'il la meneroit beau et qu'il avoit pris son bouillon, et mangé son
+pasté. Elle lui respondit: «Vous ne me ferez que la raison; encore ne
+sçay-je:» et s'estant embrassez et investis, ces friandises ne luy
+servirent que pour deux opérations de deux coups seulement. Sur quoy
+elle luy dit ou que son cuisinier l'avoit mal servy ou y avoit espargné
+des drogues et compositions qu'il y falloit, ou qu'il n'avoit pas pris
+tous ses préparatifs pour la grande médecine, ou que son corps pour lors
+estoit mal disposé pour la prendre et la rendre: et ainsy elle se moqua
+de luy. Tous simples pourtant, toutes drogues, toutes viandes et
+médecines, ne sont propres à tous; aux uns elles opèrent, aux autres
+blanque, encore ay-je veu des femmes qui, mangeant ces viandes chaudes
+et qu'on leur en faisoit la guerre que par ce moyen il pourroit avoir du
+débordement ou de l'extraordinaire ou avec le mary ou l'amant, ou avec
+quelque pollution nocturne, elles disoient, juroient et affirmoient que,
+pour tel manger, la tentation ne leur en survenoit en aucune manière; et
+Dieu sait il falloit qu'elles fissent ainsi des rusées. Or les dames qui
+tiennent le party de l'hiver disent que, pour les bouillons et mangers
+chauds, elles en sçavent assez de receptes d'en faire d'aussi bons
+l'hyver qu'aux autres saisons: elles en font assez d'expérience, et pour
+faire l'amour le disent aussi très-propre; car, tout ainsi que l'hyver
+est sombre, ténébreux, quiete, coy, retiré de compagnies et caché, ainsi
+faut que soit l'amour et qu'il soit fait en cachette, en lieu retiré et
+obscur, soit en un cabinet à part, ou en un coin de cheminée près d'un
+bon feu qui engendre bien, s'y tenant de près et long-temps autant de
+chaleur vénéricque que le soleil d'esté. Comme aussi fait-il bon en la
+ruelle d'un lit sombre, que les yeux des autres personnes, cependant
+qu'elles sont près du feu à se chauffer, pénétrent fort mal-aisément, ou
+assises sur des coffres et lits à l'escart faisant aussi l'amour, ou
+les voyant se tenir près les unes des autres, et pensant que ce soit à
+cause du froid, et se tenir plus chaudement; cependant font de bonnes
+choses, les flambeaux à part bien loin reculez, ou sur la table, ou sur
+le buffet. De plus, qui est meilleur quand l'on est dans le lit? c'est
+tous les plaisirs du monde aux amants et amantes de s'entr'embrasser, de
+s'entreserrer et se baiser, s'entre-trousser l'un sur l'autre de peur de
+froid, non pour un peu, mais pour un long temps, et s'entre-eschauffer
+doucement, sans se sentir nullement du chaud démesuré que produit
+l'esté, et d'une sueur extrême, qui incommode grandement le déduit de
+l'amour; car, au lieu de s'entretenir au large et fort à l'escart: et
+qui est le meilleur, disent les dames, par l'advis des médecins, les
+hommes sont plus propres, ardants et déduits à cela l'hyver qu'en
+l'esté.
+
+--J'ay cogneu d'autres fois une très-grande princesse, qui avoit un
+très-grand esprit et parloit et escrivoit des mieux. Elle se mit un jour
+à faire des stances à la louange et faveur de l'hyver, et sa propriété
+pour l'amour. Pensez qu'elle l'avoit trouvé pour elle très-favorable et
+traitable en cela. Elles estoient très-bien faites, et les ay tenues
+long-temps en mon cabinet, et voudrois avoir donné beaucoup et les tenir
+pour les insérer ici; l'on y verroit et remarqueroit-on les grandes
+vertus de l'hyver, propriétés et singularitez pour l'amour.
+
+--J'ay cogueu une très-grande dame et des belles du monde, laquelle,
+veufve de frais, faisant semblant ne vouloir, pour son nouvel habit et
+estat, aller les après-soupers voir la Cour, ni le bal, ni le coucher de
+la Reine, et n'estre estimée trop mondaine, ne bougeoit de la chambre,
+laissoit aller ou renvoyoit un chacun ou une chacune à la danse, et son
+fils et tout, se retiroit en une ruelle; et là son amant, d'autres fois
+bien traité, aymé et favorisé d'elle estant en mariage, arrivoit, ou
+bien, ayant soupé avec elle, ne bougeoit, donnant le bonsoir à un sien
+beau-frère, qui estoit de grand garde, et là traitoit et renouvelloit
+ses amours anciennnes, et en pratiquoit de nouvelles pour secondes
+noces, qui furent accomplies en l'esté après. Ainsi que j'ay considéré
+depuis toutes ces circonstances, je croy que les autres saisons ne
+fussent esté si propres pour cet hyver, et comme je l'ay ouy dire à une
+de ses dariolettes. Or, pour faire fin, je dis et affirme que toutes
+saisons sont propres pour l'amour, quand elles sont prises à propos, et
+selon les caprices des hommes et des femmes qui les surprennent: car,
+tout ainsi que la guerre de Mars se fait en toutes saisons et tout
+temps, et qu'il donne ses victoires comme il luy plaît et comme aussi il
+trouve ses gens d'armes bien appareillés et encouragés de donner leur
+bataille, Vénus en fait de mesmes, selon qu'elle trouve ses troupes
+d'amants et d'amantes bien disposées au combat: et les saisons n'y font
+guères rien, ny leur acception ny élection n'y a pas grand lieu; non
+plus ne servent guères leurs simples, ny leur fruits, ny leurs drogues,
+ny drogueurs, ny quelque artifice que fassent ny les unes ny les autres,
+soit pour augmenter leur chaleur, soit pour la rafraischir. Car, pour le
+dernier exemple, je connois une grande dame à qui sa mère, dez son petit
+age, la voyant d'un sang chaud et bouillant qui la menoit un jour tout
+droit au chemin du bourdeau, luy fit user par l'espace de trente ans,
+ordinairement en tous ses repas, du jus de vinette, qu'on appelle en
+France ozeille, fust en ses viandes, fust en ses potages et avec
+bouillons, fust pour en boire de grandes escüelles à oreilles, sans
+autres choses entremeslées; bref, toutes ses sausses estoient jus de
+vinette. Elle eut beau faire tous ces mystères réfrigératifs, qu'enfin
+ç'a esté une très-grandissime et illustrissime putain, et qui n'avoit
+point besoin de ces pastés que j'ay dit pour luy donner de la chaleur,
+car elle en a assez; et si pourtant elle est aussi goulue à les manger
+que toute autre. Or je fais fin, bien que j'en eusse dit davantage et
+eusse rapporté davantage de raisons et exemples; mais il ne faut pas
+tant s'amuser à ronger un mesme os; et aussi que je donne la plume à un
+autre meilleur discoureur que moi, qui sçaura soustenir le party des
+unes et des autres raisons: me rapportant à un souhait et désir que
+fairoit une fois une honneste dame espagnole, qui souhaitoit et désiroit
+de devenir hyver, quand sa saison seroit, et son ami un feu, afin, quand
+elle viendroit s'eschauffer à luy par le grand froid qu'elle auroit,
+qu'il eust ce plaisir de la chauffer, et elle de prendre sa chaleur
+quand elle s'y chaufferoit, et de plus se présenter et se faire voir à
+luy souvent et à son aise, et se chauffant retroussée, escarquillée, et
+eslargie de cuisses et de jambes, pour participer à la vüe de ses beaux
+membres cachés sous son linge et habillements d'auparavant; aussi pour
+la reschauffer encore mieux et luy entretenir son autre feu du dedans et
+sa chaleur paillarde. Puis desiroit venir printemps, et son amy un
+jardin tout en fleurs, desquelles elle s'en ornast sa teste, sa belle
+gorge, son beau sein, voire s'y veautrant parmy elles son beau corps
+tout nud entre les draps. De mesmes après desiroit devenir esté, et par
+conséquent son amy une claire fontaine ou reluisant ruisseau, pour la
+recevoir en ses belles et fraisches eaux quand elle iroit s'y baigner et
+esgayer, et bien à plein se faire voir à luy, toucher, retoucher et
+manier tous ses membres beaux et lascifs. Et puis, pour la fin, desiroit
+pour son automne retourner en sa première forme et devenir femme et son
+mary homme, pour puis après tous deux avoir l'esprit le sens et la
+raison à contempler et rememorer tout le contentement passé, et vivre en
+ces belles imaginations et contemplations passées, et pour sçavoir et
+discourir entr'eux quelle saison leur avoit esté plus propre et
+delicieuse. Voilà comment ceste honneste dame départoit et compassoit
+les saisons; en quoy je me remets au jugement des mieux discourants,
+quelle des quatre en ces formes pouvoit estre à l'un et à l'autre plus
+douce et plus agréable.
+
+--Maintenant à bon escient je me départs de ce discours. Qui en voudra
+sçavoir davantage et des diverses humeurs des cocus, qu'il fasse une
+recherche d'une vieille chanson qui fut faite à la Cour, il y a quinze
+ou seize ans, des cocus, dont le refrain est
+
+ Un cocu meine l'autre, et toujours sont en peine,
+ Un cocu l'autre meine.
+
+Je prie toutes les honnestes dames qui liront dans ce chapitre aucuns
+contes, si par cas elles y passent dessus, me pardonner s'ils sont un
+peu gras en saupiquets, d'autant que je ne les eusse sceu plus
+modestement déguiser, veu la sauce qu'il leur faut; et diray bien plus,
+que j'en eusse allégué d'autres encore bien plus saugreneux et
+meilleurs, n'estoit que, ne les pouvant ombrager bien d'une belle
+modestie, j'eusse eu crainte d'offenser les honnestes dames qui
+prendront cette peine et me feront cet honneur de lire mes livres; et si
+vous diray de plus, que ces contes que j'ay faits icy ne sont point
+contes menus de villes ny villages, mais viennent de bons et hauts
+lieux; et si ce sont de viles et basses personnes, ne m'estant voulu
+mesler que de coucher les grands et hauts subjets, encore que j'aye le
+dire bas; et, en ne nommant rien, je ne pense pas scandaliser rien
+aussi.
+
+ Femmes, qui transformez vos marys en oiseaux,
+ Ne vous en lassez point, la forme en est très-belle;
+ Car si vous les laissez en leurs premières peaux,
+ Ils voudront vous tenir toujours en curatelle,
+ Et comme homme voudront user de leur puissance;
+ Au lieu qu'estants oiseaux ne vous feront d'offense.
+
+ AUTRE.
+
+ Ceux qui voudront blasmer les femmes amiables
+ Qui font secrètement leurs bons marys cornards,
+ Les blasment à grand tort et ne sont que bavards;
+ Car elles font l'aumosne et sont fort charitables
+ En gardant bien la loy à l'aumosne donner,
+ Ne faut en hypocrit la trompette sonner.
+
+_Vieille rime du jeu d'amours, que j'ay trouvée dans des vieux papiers._
+
+ Le jeu d'amours, ou jeunesse s'esbat,
+ A un tablier se peut comparer.
+ Sur un tablier les dames on abat,
+ Puis il convient le trictrac préparer.
+ Et en celui ne faut que se parer.
+ Plusieurs font Jean: n'est-ce pas jeu honneste,
+ Qui par nature un joüeur admoneste
+ Passer le temps de cœur joyeusement?
+ Mais en défaut de trouver la raye nette
+ Il s'en ensuit un grand jeu de torment.
+
+Ce mot _raye nette_ s'entend en deux façons: l'une, pour le jeu de la
+_raye nette_ du trictrac; et l'autre, que, pour ne trouver la _raye
+nette_ de la dame avec qui l'on s'esbat, on y gagne bonne vérole, de bon
+mal et du torment.
+
+
+
+
+DISCOURS SECOND
+
+ Sur le sujet qui contente le plus en amour, ou le toucher, ou la
+ veuë, ou la parole.
+
+INTRODUCTION.
+
+
+Voici une question en matière d'amours qui mériteroit un plus profond et
+meilleur discoureur que moy, sçavoir qui contente plus en la joüissance
+d'amour, ou le tact qui est l'attouchement, ou la parole, ou la veuë? M.
+Pasquier, très-grand personnage certes, en sa jurisprudence, qui est sa
+profession, comme en autres belles et humaines sciences, en fait un
+discours dans ses lettres qu'il nous a laissées par escrit; mais il a
+esté trop bref, et, pour estre si grand homme, il ne devoit tant
+là-dessus espargner sa belle parole comme il a fait; car, s'il l'eust
+voulue un peu eslargir et en dire bien au vray et au naturel ce qu'il en
+eust sceu dire, sa lettre qu'il en fait là-dessus en eust esté cent fois
+bien plus plaisante et agréable.
+
+Il en fonde son discours principal sur quelques rimes anciennes du comte
+Thibault de Champagne, lesquelles je n'avois jamais vues, sinon ce petit
+fragment que ce M. Pasquier produit là; et trouve que ce bon et brave et
+ancien chevalier dit très-bien, non en si bons termes que nos gallants
+poëtes d'aujourd'hui, mais pourtant en très-bon sens et bonnes raisons;
+aussi avoit-il un très-beau et digne sujet pourquoy il disoit si bien,
+qui estoit la reyne Blanche de Castille, mère de saint Louis, de
+laquelle il fut aucunement espris, voire beaucoup, et l'avoit prise pour
+maistresse. Mais, pour cela, quel mal? et quel reproche pour cette
+reyne? encore qu'elle fust esté très-sage et vertueuse, pouvoit-elle
+engarder le monde de l'aymer et brusler au feu de sa beauté et de ses
+vertus, puisque c'est le propre de la vertu et d'une perfection que de
+se faire aymer? Le tout est de ne se laisser aller à la volonté de celuy
+qui ayme.
+
+Voylà pourquoy il ne faut trouver estrange ny blasmer cette reyne si
+elle fut tant aimée, et que, durant son regne et son autorité, il y ait
+eu en France des divisions, séditions et querelles: car, comme j'ay ouy
+dire à un très-grand personnage, les divisions s'esmeuvent autant pour
+l'amour que pour les brigues de l'Estat; et, du temps de nos pères, il
+se disoit un proverbe ancien que tout le monde voloit du c.. de la reine
+folle.
+
+Je ne sçay pour quelle reyne ce proverbe se fit, comme possible, fit ce
+comte Thibault, qui, possible, ou pour n'estre bien traité d'elle comme
+il vouloit, ou qu'il en fust desdaigné, ou un autre mieux aimé que luy,
+conceut en soy ces dépits qui le précipitèrent et firent perdre en ces
+guerres et tumultes, ainsi qu'il arrive souvent quand une belle ou
+grande reyne ou dame, ou princesse, se met à régir un Estat: un chacun
+désire la servir, honorer et respecter, autant pour avoir l'heur d'estre
+bien venu d'elle et estre en ses bonnes graces, comme de se vanter de
+régir et gouverner l'Estat avec elle et en tirer du profit. J'en
+alléguerois quelques exemples, mais je m'en passeray bien.
+
+Tant y a, que ce comte Thibault prit sur ce beau sujet, que je viens de
+dire, à bien escrire, et possible à faire cette demande que nous
+représente M. Pasquier, auquel je renvoye le lecteur curieux, sans en
+toucher icy aucunes rimes; car ce ne seroit qu'une superflüité.
+Maintenant, il me suffira d'en dire ce qu'il m'en semble tant de moy que
+de l'avis des plus gallants que moy.
+
+ * * * * *
+
+ARTICLE PREMIER.
+
+ De l'attouchement en amour
+
+Or, quant à l'attouchement, certainement il faut avouer qu'il est très
+délectable, d'autant que la perfection de l'amour c'est de joüir, et ce
+joüir ne se peut faire sans l'attouchement; car, tout ainsi que la faim
+et la soif ne se peut soulager et appaiser, sinon par le manger et le
+boire, aussi l'amour ne se passe ny par l'ouye ny par la veuë, mais par
+le toucher, l'embrasser et par l'usage de Vénus: à quoi le badin fat
+Diogène cynique rencontra badinement, mais salaudement pourtant, quand
+il souhaitoit qu'il peust abattre sa faim en se frottant le ventre, tout
+ainsi qu'en se frottant la verge il passoit sa rage d'amour. J'eusse
+voulu mettre cecy en paroles plus nettes, il le faut passer fort
+légèrement; ou bien comme fit cet amoureux de Lamia, qui, ayant esté par
+trop excessivement rançonné d'elle pour joüir de son amour, n'y put ou
+n'y voulut entendre; et, pour ce, s'advisa, songeant en elle, se
+corrompre, se polluer, et passer son envie en son imagination: ce
+qu'elle ayant sceu, le fit convenir devant le juge qu'il eust à l'en
+satisfaire et la payer, lequel ordonna qu'au son et tintement de
+l'argent qu'il lui monstreroit, elle seroit payée, et en passeroit ainsi
+son envie, de mesme que l'autre par songe et imagination, avoit passé la
+sienne.
+
+Il est bien vray que l'on m'alléguera force especes de Vénus que les
+anciens philosophes deguisent; mais de ce, je m'en rapporte à eux et aux
+plus subtils qui en voudront discourir. Tant y a, puisque le fruit de
+l'amour mondain n'est autre chose que la joüissance, il ne faut point la
+penser bien avoir, qu'en touchant et embrassant. Si est-ce que plusieurs
+ont bien eu opinion que ce plaisir estoit fort maigre sans la veuë et la
+parole; et de ce nous en avons un bel exemple dans les _Cent Nouvelles
+de la Reyne de Navarre_, de cet honneste gentilhomme, lequel, ayant joüy
+plusieurs fois de cette honneste dame de nuict, bouchée avec son touret
+de nez (car les masques n'estoient encore en usage), en une galerie
+sombre et obscure, encore qu'il cogneust bien au toucher qu'il n'y avoit
+rien que de bon, friant et exquis, ne se contenta point de telle faveur,
+mais voulut savoir à qui il avoit à faire: par quoy, en l'embrassant et
+la tenant un jour, il la marqua d'une craye au derrière de sa robe, qui
+estoit de velours noir; et puis le soir après souper (car leurs
+assignations estoient à certaine heure assignée), ainsi que les dames
+entroient dans la salle du bal, il se mit derrière la porte; et, les
+espiant attentivement passer, il vient à voir entrer la sienne marquée
+sur l'espaule, qu'il n'eust jamais pensé, car, en ses façons,
+contenances et paroles, on l'eust prise pour la Sapience de Salomon, et
+telle que la Reyne la descrit. Qui fust esbahy, ce fut ce gentilhomme,
+pour sa fortune assise sur une femme qui n'eust jamais creu moins d'elle
+que de toutes les dames de la Cour; vray est qu'il voulut passer plus
+outre, et ne s'arrester là, car il luy voulut le tout descouvrir, et
+sçavoir d'elle pourquoy elle se cachoit ainsi de luy, et se faisoit
+ainsi servir à couvert et cachettes; mais elle, très-bien rusée, nia et
+renia tout, jusques à sa part de paradis et la damnation de son ame,
+comme est la coustume des dames, quand on leur va objecter des choses de
+leur cas qu'elles ne veulent qu'on les sache, encore qu'on en soit bien
+certain et qu'elles soient très-vrayes. Elle s'en dépita; et par ainsi
+ce gentilhomme perdit sa bonne fortune. Bonne, certes, elle estoit; car
+la dame estoit grande et valoit le faire, et, qui plus est, parce
+qu'elle faisoit de la sucrée, de la chaste, de la prude, de la feinte;
+en cela il pouvoit avoir double plaisir: l'un pour cette joüissance si
+douce, si bonne, si délicate; et le second, à la contempler souvent
+devant le monde en sa mixte cointe mine, froide et modeste, et sa parole
+toute chaste, rigoureuse et rechignarde, songeant en soy son geste
+lascif, folastre maniement et paillardise, quand ils estoient ensemble.
+Voilà pourquoy ce gentilhomme eut grand tort de luy en avoir parlé, mais
+devoit tousjours continuer ses coups et manger sa viande, aussi bien
+sans chandelle qu'avec tous les flambeaux de sa chambre. Bien devoit-il
+sçavoir qui elle estoit, et en faut loüer sa curiosité, d'autant que,
+comme dit le conte, il avoit peur avoir à faire avec quelque espèce de
+diable; car volontiers ces diables se transforment et prennent la forme
+des femmes pour habiter avec les hommes, et les trompent ainsi; auxquels
+pourtant, à ce que j'ay ouy dire à aucuns magiciens subtils, est plus
+aisé de s'accommoder de la forme et visage de femme, que non pas de la
+parole. Voilà pourquoy ce gentilhomme avoit raison de la vouloir voir et
+cognoistre; et, à ce qu'il disoit luy-même, l'abstinence de la parole
+lui faisoit plus d'appréhension que la veuë, et le mettoit en resverie
+de monsieur le diable; dont en cela il monstra qu'il craignoit Dieu.
+Mais, après avoir le tout descouvert, il ne devoit rien dire. Mais quoy!
+ce dira quelqu'un, l'amitié et l'amour n'est point bien parfaite, si on
+ne la déclare et du cœur et de la bouche; et pour ce, ce gentilhomme
+la luy vouloit faire bien entendre; mais il n'y gagna rien, car il y
+perdit tout. Aussi, qui eust cogneu l'humeur de ce gentilhomme, il sera
+pour excusé, car il n'estoit si froid ny discret pour joüer ce jeu, et
+se masquer d'une telle discrétion; et, à ce que j'ay ouy dire à ma mère,
+qui estoit à la Reyne de Navarre, et qui en sçavoit quelques secrets de
+ses Nouvelles, et qu'elle en estoit l'une des devisantes, c'estoit feu
+mon oncle de La Chastaigneraye, qui estoit brusq, prompt et un peu
+volage. Le conte est déguisé pourtant pour le cacher mieux, car mon dict
+oncle ne fut jamais au service de la grand princesse, maistresse de
+cette dame, ouy bien du roy son frère: et si n'en fut autre chose, car
+il estoit fort aymé et du Roy et de la princesse. La dame, je ne la
+nommeray point, mais elle estoit veufve et dame d'honneur d'une
+très-grande princesse, et qui sçavoit faire la mine de prude plus que
+dame de la Cour.
+
+--J'ay ouy conter d'une dame de la cour de nos derniers roys, que je
+cognois, laquelle, estant amoureuse d'un fort honneste gentilhomme de la
+Cour, vouloit imiter la façon d'amour de cette dame précédente: mais
+autant de fois qu'elle venoit de son assignation et de son rendez-vous,
+elle s'en alloit à sa chambre, et se faisoit regarder de tous costez à
+une de ses filles ou femmes de chambre si elle n'estoit point marquée;
+et, par ce moyen, se garda d'estre méprise et reconnue. Aussi ne
+fut-elle jamais marquée qu'à la neufiesme assignation, que la marque fut
+aussitost descouverte et recogneue de ses femmes; et pour ce, de peur
+d'estre scandalisée, et tomber en opprobre, elle brisa là, et oncques
+puis ne retourna à l'assignation. Il eust mieux valu, ce dit quelqu'un,
+qu'elle luy eust laissé faire ses marques tant qu'il eust voulu, et
+autant de faites les deffaire et effacer; et pour ce eust eu double
+plaisir, l'un de ce contentement amoureux, et l'autre de se mocquer de
+son homme, qui travailloit tant à cette pierre philosophale pour la
+descouvrir et cognoistre, et n'y pouvoit jamais parvenir.
+
+--J'en ay ouy conter d'un autre du temps du roy François, de ce beau
+escuyer Gruffy, qui estoit un escuyer de l'escurie du dit roy, et mourut
+à Naples au voyage de M. de Lautrec, et d'une très-grande dame de la
+Cour, dont en devint très-amoureuse: aussi estoit-il très-beau et ne
+l'appeloit-on ordinairement que le beau Gruffy, dont j'en ay veu le
+pourtrait qui le monstre tel. Elle attira un jour un sien
+vallet-de-chambre en qui elle se fioit, pourtant incogneu et non veu, en
+sa chambre, qui luy vint dire un jour, luy bien habillé, qu'il sentoit
+son gentilhomme, qu'une très-honneste et belle dame se recommandoit à
+luy, et qu'elle en estoit si amoureuse qu'elle en désiroit fort
+l'accointance plus que d'homme de la Cour, mais par tel si, qu'elle ne
+vouloit, pour tout le bien du monde, qu'il la vist ni la connust; mais
+qu'à l'heure du coucher, et qu'un chacun de la Cour seroit retiré, il le
+viendroit quérir et prendre en un certain lieu qu'il lui diroit, et de
+là il le meneroit coucher avec cette dame; mais par telle pache aussi,
+qu'il luy vouloit bouscher les yeux avec un beau mouchoir blanc, comme
+un trompette qu'on meine en ville ennemie, afin qu'il ne peust voir ny
+recognoistre le lieu ny la chambre là où il le meneroit, et le
+tiendroit tousjours par les mains afin de ne deffaire ledit mouchoir;
+car ainsi luy avoit commandé sa maistresse luy proposer ces conditions,
+pour ne vouloir estre connue de luy jusques à quelque temps certain et
+préfix qu'il luy dit, et lui promit; et pour ce qu'il y pensast et
+advisast bien s'il y vouloit venir à cette condition, afin qu'il luy
+sceut dire lendemain sa response; car il le viendroit quérir et prendre
+en un lieu qu'il luy dit, et surtout qu'il fust seul, et il le meneroit
+en une part si bonne, qu'il ne s'en repentiroit point d'y estre allé.
+Voilà une plaisante assignation et composée d'une estrange condition.
+J'aimerois autant celle-là d'une dame espagnole, qui manda à un une
+assignation, mais qu'il portast avec lui trois S. S. S., qui estoient à
+dire: _sabio_, _solo_, _segreto_; _sage_, _seul_, _secret_: l'autre luy
+manda qu'il iroit, mais qu'elle se garnist et fournist de trois F. F.
+F., qui sont qu'elle ne fust _fea_, _flaca_ n'y _fria_; qui ne fust n'y
+_laide_, _flaque_ n'y _froide_. Attant, le messager se départit d'avec
+Gruffy. Qui fut en peine et en songe, ce fut luy, ayant grand sujet de
+penser que ce fust quelque partie jouée de quelque ennemy de Cour, pour
+luy donner quelque venue, ou de mort ou de charité envers le Roy.
+Songeoit aussi quelle dame pouvoit-elle estre, ou grande, ou moyenne, ou
+petite, ou belle, ou laide, qui plus luy faschoit (encore que tous chats
+sont gris la nuict, ce dit-on, et tous c... sont c... sans clarté).
+Par-quoy, après en avoir conféré à un de ses compagnons les plus privez,
+il se résolut de tenter la risque, et que pour l'amour d'une grande,
+qu'il présumoit bien estre, il ne falloit rien craindre et appréhender.
+Par-quoy, le lendemain que le Roy, les Reynes, les dames et tous et
+toutes de la Cour se furent retirez pour se coucher, ne faillit de se
+trouver au lieu que le messager lui avoit assigné, qui ne faillit
+aussi-tost l'y venir trouver avec un second, pour luy aider à faire le
+guet si l'autre n'estoit point suivy de page ni de laquais, ny vallet,
+ny gentilhomme. Aussi-tost qu'il le vit, luy dit seulement: «Allons,
+monsieur, madame vous attend.» Soudain il le banda, et le mena par lieux
+obscurs, estroits, et traverses incogneues, de telle façon que l'autre
+luy dit franchement qu'il ne sçavoit là où il le menoit; puis il entra
+dans la chambre de la dame, qui estoit si sombre et si obscure qu'il ne
+pouvoit rien voir ni cognoistre, non plus que dans un four. Bien la
+trouva-t-il sentant à bon, et très-bien parfumée, qui luy fit esperer
+quelque chose de bon; parquoy le fit deshabiller aussi-tost, et luy-même
+le deshabilla, et après le mena par la main, luy ayant osté le
+mouchoir, au lict de la dame qui l'attendoit en bonne dévotion, et se
+mit auprès d'elle à la taster, l'embrasser, la carresser, où il n'y
+trouva rien que très-bon et exquis, tant à sa peau qu'à son linge et
+lict très-superbe, qu'il tastonnoit avec les mains; et ainsi passa
+joyeusement la nuict avec cette belle dame, que j'ay bien ouy nommer.
+Pour fin, tout lui contenta en toutes façons, et cogneut bien qu'il
+estoit très-bien hébergé pour cette nuict; mais rien ne lui faschoit,
+disoit-il, si-non que jamais il n'en sceut tirer aucune parole. Elle
+n'avoit garde, car il parloit assez souvent à elle le jour comme aux
+autres dames, et, pour ce, l'eust cogneue aussitost. De folatries, de
+mignardises, de carresses, d'attouchements et de toute autre sorte de
+démonstrations d'amour et paillardises, elle n'y espargnoit aucune: tant
+y a qu'il se trouva bien. Le lendemain, à la pointe du jour, le messager
+ne faillit de venir esveiller, et le lever et habiller, le bander et le
+retourner au lieu où il l'avoit pris, et recommander à Dieu jusques au
+retour, qui seroit bien-tost; et ne fut sans lui demander s'il luy avoit
+menty, et s'il se trouvoit bien de l'avoir creu, et ce qu'il luy en
+sembloit de luy avoir servi de fourrier, et s'il luy avoit donné bon
+logement. Le beau Gruffy, après l'avoir remercié cent fois, luy dit
+adieu, et qu'il seroit tousjours prest de retourner pour si bon marché,
+et revoler quand il voudroit; ce qu'il fit, et la feste en dura un bon
+mois, au bout duquel fallut à Gruffy partir pour son voyage de Naples,
+qui prit congé de sa dame et luy dit adieu à grand regret, sans en tirer
+d'elle un seul parler aucunement de sa bouche, sinon soupirs et larmes
+qu'il lui sentoit couler des yeux. Tant y a qu'il partit d'avec elle
+sans la cognoistre nullement ny s'en appercevoir. Depuis on dit que
+cette dame pratiqua cette vie avec deux ou trois autres de cette façon,
+se donnant ainsi du bon temps: et disoit-on qu'elle s'accommodoit de
+cette astuce, d'autant qu'elle estoit fort avare, et par ainsi elle
+espargnoit le sien et n'estoit sujette à faire présents à ses
+serviteurs; car enfin, toute grande dame pour son honneur doit donner,
+soit peu ou prou, soit argent, soit bagues ou joyaux, ou soyent riches
+faveurs: par ainsi la gallante se donnoit joye à son c.., et espargnoit
+sa bourse, en ne se manifestant seulement quelle estoit; et pour ce, ne
+se pouvoit estre reprise de ses deux bourses, ne se faisant jamais
+cognoistre. Voilà une terrible humeur de grand dame. Aucuns ne
+trouveront la façon bonne, autres la blasmeront, autres la tiendront
+pour très-excorte, aucuns l'estimeront bonne mesnagere; mais je m'en
+rapporte à ceux qui en discourront mieux que moy: si est-ce que cette
+dame ne peut encourir tel blasme que cette reyne qui se tenoit à
+l'hostel de Nesle à Paris, laquelle, faisant le guet aux passants, et
+ceux qui lui revenoyent et agréoient le plus, de quelques sortes de gens
+que ce fussent, les faisoit appeler et venir à soy; et, après en avoir
+tiré ce qu'elle en vouloit, les faisoit précipiter du haut de la tour,
+qui paroist encores, en bas en l'eau, et les faisoit noyer[55]. Je ne
+puis dire que cela soit vray; mais le vulgaire, au moins la pluspart de
+Paris, l'affirme; et n'y a si commun, qu'en luy monstrant la tour
+seulement, et en l'interrogeant, que de luy-mesme ne le die.
+
+Laissons ces amours, qui sont plustost des avortons que des amours,
+lesquelles plusieurs de nos dames d'aujourd'hui abhorrent, comme elles
+en ont raison, voulant communiquer avec leurs serviteurs, et non comme
+avec rochers ou marbres: mais après les avoir bien choisis, se sçavent
+bravement et gentiment faire servir et aimer d'eux. Et puis, en ayant
+cogneu leurs fidélitez et loyale persévérance, se prostituent avec eux
+par une fervente amour, et se donnent du plaisir avec eux, non en
+masques, ny en silence, ny muettes, ny parmi les nuicts et ténèbres,
+mais en beau plein jour se font voir, taster, toucher, embrasser, les
+entretiennent de beaux et lascifs discours, de mots folastres et paroles
+lubriques: quelques fois pourtant s'aident de masques, car il y a
+plusieurs dames qui quelques fois sont contraintes d'en prendre en le
+faisant, si c'est au hasle qu'elles le facent, de peur de se gaster le
+teint ou ailleurs, afin que, si elles s'échauffent par trop, et si sont
+surprises, qu'on ne cognoisse leur rougeur ny leur contenance estonnée,
+comme j'en ay veu: et le masque cache tout, et ainsi trompent le monde.
+
+ * * * * *
+
+ARTICLE II.
+
+ De la parole en amour.
+
+J'ay ouy dire à plusieurs dames et cavalliers qui ont mené l'amour, que,
+sans la veüe et la parole, elles aymeroient autant ressembler les bestes
+brutes, lesquelles, par un appétit naturel et sensuel, n'ont autres
+soucy ne amitié que de passer leur rage et chaleur. Aussi ay-je ouy dire
+à plusieurs seigneurs et gallants gentilshommes qui ont couché avec de
+grandes dames, ils les ont trouvées cent fois plus lascives et débordées
+en paroles, que les femmes communes et autres. Elles le peuvent faire à
+finesse, d'autant qu'il est impossible à l'homme, tant vigoureux
+soit-il, de tirer au collier et labourer tousjours; mais, quand il vient
+à la pose et au relasche, il trouve si bon et si appétissant quand sa
+dame l'entretient de propos lascifs et mots folastrement prononcés, que,
+quand Vénus seroit la plus endormie du monde, soudain elle est
+esveillée; mesmes que plusieurs dames, entretenant leurs amants devant
+le monde, fust aux chambres des reynes et princesses et ailleurs, les
+pipoient, car elles leur disoient des paroles si lascives et si friandes
+qu'elles et eux se corrompoient comme dedans un lict: nous, les
+arregardans, pensions qu'elles tinssent autres propos. C'est pourquoy
+Marc Antoine aima tant Cléopatre et la préféra à sa femme Octavia, qui
+estoit cent fois plus aimable et belle que la Cléopatre; mais cette
+Cléopatre avoit la parole si affettée, et le mot si à propos, avec ses
+façons et graces lascives, qu'Antoine oublia tout pour son amour.
+Plutarque nous en fait foy sur aucuns brocards ou sobriquets qu'elle
+disoit si gentiment, que Marc Antoine, la voulant imiter, ne ressembloit
+à ses devis (encore qu'il voulust faire du gallant) qu'un soldat et gros
+gendarme, au prix d'elle et de sa belle frase de parler. Pline fait un
+conte d'elle que je trouve fort beau, et, par ce, je le répéteray ici un
+peu. C'est qu'un jour, ainsi qu'elle estoit en ses plus gaillardes
+humeurs, et qu'elle s'estoit habillée à l'advenant et à l'advantage, et
+surtout de la teste d'une guirlande de diverses fleurs convenante à
+toute paillardise, ainsi qu'ils estoient à table, et que Marc Antoine
+voulut boire, elle l'amusa de quelque gentil discours, et cependant
+qu'elle parloit, à mesure elle arrachoit de ses belles fleurs de sa
+guirlande, qui néantmoins estoient toutes semées de poudre empoisonnée,
+et les jettoit peu à peu dans la coupe que tenoit Marc Antoine pour
+boire; et ayant achevé son discours, ainsi que Marc Antoine voulut
+porter la coupe au bec pour boire, Cléopatre luy arreste tout court la
+main, et ayant aposté un esclave ou criminel qui estoit là près, le fit
+venir à luy, et lui fit donner à boire ce que Marc Antoine alloit
+avaler, dont soudain il en mourut; et puis, se tournant vers Marc
+Antoine, lui dit: «Si je ne vous aimois comme je fais, je me fusse
+maintenant défaite de vous, et eusse fait le coup volontiers, sans que
+je vois bien que ma vie ne peut estre sans la vostre.» Cette invention
+et cette parole pouvoient bien confirmer Marc Antoine en son amitié,
+voire le faire croupir davantage aux costez de sa charnure. Voilà
+comment servit l'éloquence à Cléopatre, que les histoires nous ont
+escrite très-bien disante: aussi ne l'appeloit-il que simplement la
+Reyne, pour plus grand honneur, ainsi qu'il escrit à Octave César, avant
+qu'ils fussent déclarés ennemys. «Qui t'a changé, dit-il, pour ce que
+j'embrasse la Reyne? elle est ma femme. Ay-je commencé dès ast heure? Tu
+embrasses Drusille, Tortale, Leontile, ou Rufile, ou Salure Litiseme, ou
+toutes: que t'en chaut-il sur quelle tu donnes, quand l'envie t'en
+prend?» Par là Marc Antoine louoit sa constance et blasmoit la variété
+de l'autre d'en aimer tant au coup, et luy n'aimoit que sa Reyne, dont
+je m'estonne qu'Octave ne l'aima après la mort de Marc Antoine. Il se
+peut faire qu'il la vit quand il la vit et la fit venir seule en sa
+chambre, et qu'elle l'harangua: possible qu'il n'y trouva pas ce qu'il
+pensoit, ou la meprisa pour quelque autre raison, et en voulut faire son
+triomphe à Rome et la monstrer en parade; à quoi elle remédia par sa
+mort advancée.
+
+Certes, pour retourner à notre dire premier, quand une dame se veut
+mettre sur l'amour, ou qu'elle y est une fois bien engagée, il n'y a
+orateur au monde qui die mieux qu'elle. Voyez comme Sophonisba nous a
+esté descrite de Tite Live, d'Appian et d'autres, si bien disante à
+l'endroit de Massinissa, lorsqu'elle vint à luy pour l'aimer, gaigner et
+réclamer, et après quand il lui fallut avaller le poison. Bref, toute
+dame, pour estre bien aimée, doit bien parler, et volontiers on en voit
+peu qui ne parlent bien et n'ayent des mots pour esmouvoir le ciel et la
+terre, et fust-elle glacée en plein hyver. Celles surtout qui se mettent
+à l'amour, et si elles ne savent rien dire, elles sont si dessavourées,
+que le morceau qu'elles vous donnent n'a ny goust ny saveur: et quand M.
+du Bellay, parlant de sa courtisanne et déclarant ses mœurs, dit
+qu'elle estoit sage au parler et folastre à la couche[56], cela s'entend
+en parlant devant le monde et entretenant l'un et l'autre; mais lorsque
+l'on est à part avec son amy, toute gallante dame veut estre libre en sa
+parole et dire ce qu'il luy plaist, afin de tant plus esmouvoir Vénus.
+
+J'ay ouy faire des contes à plusieurs qui ont joüi de belles et grandes
+dames, ou qui ont esté curieux de les escouter parlant avec d'autres
+dedans le lict, qu'elles estoient aussi libres et folles en leur parler
+que courtisannes qu'on eust sceu connoistre: et qui est un cas
+admirable, est que, pour estre ainsi accoustumées à entretenir leurs
+marys, ou leurs amys, de mots, propos et discours sallaux et lascifs,
+mesmes nommer tout librement ce qu'elles portent au fond du sac sans
+farder, et pourtant, quand elles sont en leurs discours, jamais ne
+s'extravaguent, ni aucun de ces mots sallaux leur vient à la bouche: il
+faut bien dire qu'elles se savent bien commander et dissimuler; car il
+n'y a rien qui frétille tant que la langue d'une dame ou fille de joie.
+Sy ay-je cogneu une très-belle et honneste dame de par le monde, qui,
+devisant avec un honneste gentilhomme de la Cour des affaires de la
+guerre durant ces civiles, elle lui dit: «J'ay ouy dire que le Roy à
+fait rompre tous les c... de ce pays-là.» Elle vouloit dire _les ponts_.
+Pensez que, venant de coucher d'avec son mary, ou songeant à son amant,
+elle avoit encore ce nom frais en la bouche: et le gentilhomme s'en
+eschauffa en amours d'elle pour ce mot.
+
+--Une autre dame que j'ai cogneue, entretenant une autre grand dame plus
+qu'elle, et luy louant et exaltant ses beautez, elle lui dit après:
+«Non, madame, ce que je vous en dis, ce n'est point pour vous
+adultérer;» voulant dire _adulater_, comme elle le rhabilla ainsi:
+pensez qu'elle songeoit à l'adultère et à adultérer. Bref, la parole en
+jeu d'amours a une très-grande efficace; et où elle manque le plaisir en
+est imparfait: aussi, à la vérité, si un beau corps n'a une belle ame,
+il ressemble mieux son idole qu'un corps humain; et s'il se veut faire
+bien aimer, tant beau soit-il, il faut qu'il se fasse seconder d'une
+belle ame: que s'il ne l'a de nature, il la faut façonner par art.
+
+--Les courtisannes de Rome se moquent fort des gentilles dames de Rome,
+lesquelles ne sont apprises à la parole comme elles; et disent que
+_chiavano come cani, ma che sono quiete della bocca como sassi_[57].
+
+Et voilà pourquoy j'ai cogneu beaucoup d'honnestes gentilshommes qui ont
+refusé l'accointance de plusieurs dames, je vous dis très-belles, parce
+qu'elles estoient idiotes, sans ame, sans esprit et sans parole, et les
+ont quittées tout à plat: et disoient qu'ils aimoient autant avoir à
+faire avec une belle statue de quelque beau marbre blanc, comme celuy
+qui en aima une à Athenes jusques à en joüir.
+
+Et pour ce, les estrangers qui vont par pays ne se mettent à guières
+aymer les femmes estrangères, ny volontiers s'en caprichent pour elles,
+d'autant qu'ils ne s'entendent point, ny leur parole ne leur touche
+aucunement au cœur; j'entends ceux qui n'entendent leur langage: et
+s'ils s'accostent d'elles, ce n'est que pour contenter autant nature, et
+esteindre le feu naturel bestialement, et puis _andar in barca_[58];
+comme dist un Italien un jour desembarqué à Marseille, allant en
+Espagne, et demandant où il y avoit des femmes. On luy monstre un lieu
+où se faisoit le bal de quelques nopces. Ainsi qu'une dame le vint
+accoster et arraisonner, il lui dit: _V. S. mi perdonna, non voglio
+parlare, voglio solamente chiavare, e poi me n'andar in barca_[59].
+
+Le François ne prend grand plaisir avec une Allemande, une Suisse, une
+Flamande, une Angloise, Écossoise, une Esclavonne ou autre estrangère,
+encore qu'elle babillast le mieux du monde, s'il ne l'entend; mais il se
+plaist grandement avec sa dame françoise ou avec l'Italienne ou
+l'Espagnolle, car coustumièrement, la plus part des François
+aujourd'hui, au moins ceux qui ont veu un peu, sçavent parler ou
+entendent ce langage; et Dieu sait s'il est affetté et propre pour
+l'amour? Car quiconque aura à faire avec une dame françoise, italienne,
+espagnolle ou grecque, et qu'elle soit diserte, qu'il die hardiment
+qu'il est pris et vaincu.
+
+D'autres fois nostre langue françoise n'a esté si belle ny si enrichie
+comme elle l'est aujourd'hui; mais il y a long-temps que l'italienne,
+l'espagnolle et la grecque le sont: et volontiers n'ay-je guieres veu
+dame de cette langue, si elle a pratiqué tant soit peu le mestier de
+l'amour, qui ne sache très-bien dire. Je m'en rapporte à ceux qui ont
+traitté celles-là.
+
+Tant y a qu'une belle dame et remplie de belle parole contente
+doublement.
+
+ * * * * *
+
+ARTICLE III.
+
+ De la veuë en amour.
+
+Parlons maintenant de la veuë. Certainement, puisque les yeux sont les
+premiers qui attaquent le combat de l'amour, il faut advouer qu'ils
+donnent un très-grand contentement quand ils nous font voir quelque
+chose de rare en beauté.
+
+Hé, quelle est la chose au monde que l'on puisse voir plus belle qu'une
+belle femme, soit habillée ou bien parée, ou nue entre deux draps? Pour
+l'habillée, vous n'en voyez que le visage à nud; mais aussi, quand un
+beau corps, orné d'une riche et belle taille, d'un port et d'une grace,
+d'une apparence et superbe majesté, à nous se présente à plein, quelle
+plus belle monstre et agréable veuë peut-il estre au monde? Et puis,
+quand vous en venez à joüir tout ainsi couverte et superbement habillée,
+la convoitise et joüissance en redoublent, encore que l'on ne voye que
+le seul visage de tout le reste des autres parties du corps: car
+malaisément peut-on joüir d'une grande dame selon toutes les commoditez
+que l'on désireroit bien, si ce n'estoit dans une chambre bien à loisir
+et lieu secret, ou dans un lict bien à plaisir; car elle est tant
+éclairée.
+
+Et c'est pourquoy une grande dame, dont j'ay ouy parler, quand elle
+rencontroit son serviteur à propos, et hors de veuë et descouverte, elle
+prenoit l'occasion tout aussi-tost, pour s'en contenter le plus
+promptement et briefvement qu'elle pouvoit, en lui disant un jour:
+«C'estoient les sottes, le temps passé, qui, par trop se voulant
+délicater en leurs amours et plaisirs, se renfermoient, ou en leurs
+cabinets, ou autres lieux couverts, et là faisoient tant durer leurs
+jeux et esbats, qu'aussi-tost elles estoient descouvertes et divulguées.
+Aujourd'huy, il faut prendre le temps, et le plus bref que l'on pourra,
+et, aussi-tost assailly, aussi-tost investy et achevé; et par ainsi nous
+ne pouvons estre scandalisées.» Je trouve que cette dame avoit raison;
+car ceux qui se sont meslez de cet estat d'amour, ils ont toujours tenu
+cette maxime, qu'il n'y a que le coup en robbe.
+
+Aussi, quand l'on songe que l'on brave, l'on foule, presse et gourmande,
+abat et porte par terre les draps d'or, les toiles d'argent, les
+clinquants, les estoffes de soye, avec des perles et pierreries,
+l'ardeur, le contentement, s'en augmentent bien davantage, et certes,
+plus qu'en une bergere ou autre femme de pareille qualité, quelque belle
+qu'elle soit.
+
+Et pourquoy jadis Vénus fut trouvée si belle et tant désirée, sinon
+qu'avec sa beauté elle estoit toujours gentiment habillée, et
+ordinairement parfumée, qu'elle sentoit toujours bon de cent pas loin?
+Aussi tenoit-on que les parfums animent fort à l'amour.
+
+Voilà pourquoy les empérieres et grandes dames de Rome s'en
+accommodoient bien fort, comme font aussi nos grandes dames de France,
+et sur-tout aussi celles d'Espagne et d'Italie, qui, de tout temps, en
+sont esté plus curieuses et exquises que les nostres, tant en parfums
+qu'en parures de superbes habits, desquelles nos dames en ont pris
+depuis les patrons et belles inventions; aussi les autres les avoient
+apprises des médailles et statues antiques de ces dames romaines, que
+l'on voit encor parmy plusieurs antiquitez qui sont encore en Espagne et
+en Italie; lesquelles, qui les contemplera bien, trouvera leurs
+coiffures et leurs habits en perfection, et très-propres à se faire
+aimer. Mais aujourd'huy, nos dames françoises surpassent tout: à la
+reyne de Navarre elles en doivent ce grand-mercy.
+
+Voilà pourquoy il fait bon et beau d'avoir à faire à ces belles dames si
+bien en poinct, si richement et pompeusement parées.
+
+De sorte que j'ay ouy dire à aucuns courtisans, mes compagnons, ainsi
+que nous devisions ensemble, qu'ils les aimoient mieux ainsi que
+desacoustrées et couchées nues entre deux linceux, et dans un lict le
+plus enrichy de broderies que l'on sceut faire.
+
+D'autres disoient, qu'il n'y avoit que le naturel, sans aucun fard ny
+artifice, comme un grand prince que je sçay, lequel pourtant faisoit
+coucher ses courtisannes ou dames dans des draps de taffetas noir[60]
+bien tendus, toutes nues, afin que leur blancheur et délicatesse de
+chair parust bien mieux parmy ce noir, et donnast plus d'esbat.
+
+Il ne faut douter vrayment que la veuë ne soit plus agréable que toutes
+celles du monde d'une belle femme toute parfaite en beauté; mais
+mal-aisément se trouve-t-elle.
+
+Aussi on trouve par escrit que Zeuxis, cet excellent peintre, ayant este
+prié, par quelques honnestes dames et filles de sa connoissance, de leur
+donner le pourtrait de la belle Helaine et la leur représenter si belle
+comme l'on disoit qu'elle avoit esté, il ne leur en voulut point
+refuser; mais, avant qu'en faire le pourtrait, il les contempla toutes
+fixement, et en prenant de l'une et de l'autre ce qu'il y put trouver de
+plus beau, il en fit le tableau comme de belles pièces rapportées, et en
+représenta par icelles Helaine si belle, qu'il n'y avoit rien à dire, et
+qui fut tant admirable à toutes, mais, Dieu mercy, à elles, qui y
+avoient bien tant aidé par leurs beautez et parcelles, comme Zeuxis
+avoit fait par son pinceau. Cela vouloit dire, que de trouver sur
+Helaine toutes les perfections de beauté il n'estoit pas possible,
+encore qu'elle ait esté en extrémité très-belle.
+
+En cas qu'il ne soit vrai, l'Espagnol dit que pour rendre une femme
+toute parfaite et absolue en beauté, il lui faut trente beaux sis[61],
+qu'une dame espagnolle me dit une fois dans Tolede, là où il y en a de
+très-belles, bien gentilles et bien apprises. Les trente donc sont
+telles:
+
+ _Tres cosas blancas: el cuero, los dientes, y las manos._
+ _Tres negras: los ojos, las cejas, y las pestannas._
+ _Tres coloradas: los labios, las mexillas, y las unnas._
+ _Tres longas: el cuerpo, los cabellos, y las manos._
+ _Tres cortas: los dientes, las orejas, y los pies._
+ _Tres anchas: los pechos, la frente, y el entrejeco._
+ _Tres estrechas: la boca, l'una y otra, la cinta, y l'entrada del pie._
+ _Tres gruessas: el braço, el muslo, y la paniorilla._
+ _Tres delgaldas: los dedos, los cabellos, y los labios._
+ _Tres pequennas: las tetas, la naris, y la cabeça._
+
+Qui sont en françois, afin qu on l'entende:
+
+ Trois choses blanches: la peau, les dents et les mains.
+ Trois noires: les yeux, les sourcils et les paupières.
+ Trois rouges: les lèvres, les joues et les ongles.
+ Trois longues: le corps, les cheveux et les mains.
+ Trois courtes: les dents, les oreilles et les pieds.
+ Trois larges: la poitrine ou le sein, le front et l'entre-sourcil.
+ Trois estroites: la bouche, l'une et l'autre, la ceinture ou la taille,
+ et l'entrée du pied.
+ Trois grosses: le bras, la cuisse et le gros de la jambe.
+ Trois déliées: les doigts, les cheveux et les lèvres.
+ Trois petites: les tetins, le nez et la teste.
+ Sont trente en tout.
+
+Il n'est pas inconvénient, et se peut que tous ces sis en une dame
+peuvent estre tous ensemble; mais il faut qu'elle soit faite au moule de
+la perfection; car de les voir tous assemblez sans qu'il y en ait
+quelqu'un à redire et qu'il ne soit en défaut, il n'est possible.
+
+Je m'en rapporte à ceux qui ont veu de belles femmes, ou en verront, et
+qui voudront estre soigneux de les contempler et essayer ce qu'ils en
+sauront dire. Mais pourtant, encore qu'elles ne soient accomplies ny
+embellies de tous ces poincts, une belle femme sera tousjours belle,
+mais qu'elle en aye la moitié et en aye les points principaux que je
+viens de dire: car j'en ay veu force qui en avoient à dire plus de la
+moitié, qui estoient très-belles et fort aimables; ny plus ny moins
+qu'un bocage est trouvé tousjours beau en printemps, encore qu'il ne
+soit remply de tant de petits arbrisseaux qu'on voudroit bien; mais que
+les beaux et grands arbres touffus paroissent, c'est assez de ces grands
+qui peuvent estouffer la deffectuosité des autres petits.
+
+M. de Ronsard me pardonne, s'il lui plaist; jamais sa maistresse, qu'il
+a faite si belle, ne parvint à cette beauté, ny quelqu'autre dame qu'il
+ait veue de son temps ou en ait escrit: et fust sa belle Cassandre qui
+je sçay bien qu'elle a esté belle, mais il l'a déguisée d'un faux nom:
+ou bien sa Marie, qui n'a jamais autre nom porté que celuy-là, quant à
+celle-là; mais il est permis aux poëtes et peintres dire et faire ce
+qu'il leur plaist, ainsi que vous avez dans Roland le furieux de
+très-belles beautez, descrites par l'Arioste, d'Alcine et autres.
+
+Tout cela est bon; mais, comme je tiens d'un très-grand personnage,
+jamais nature ne sçauroit faire une femme si parfaite comme une ame vive
+et subtile de quelque bien-disant, ou le crayon et pinceau de quelque
+divin peintre la nous pourroient représenter. Baste, les yeux humains se
+contentent toujours de voir une belle femme de visage beau, blanc, bien
+fait: et encore qu'il soit brunet, c'est tout un; il vaut bien
+quelquefois le blanc, comme dit l'Espagnole: _Aunque io sia mormica, no
+soy da menos preciar_; «encor que je sois brunette, je ne suis à
+mépriser.» Aussi la belle Marfise _era brunetta alquanto_[62]. Mais que
+le brun n'efface le blanc par trop: un visage aussi beau, faut qu'il
+soit porté par un corps façonné et fait de mesme: je dis autant des
+grands que des petits; mais les grandes tailles passent tout.
+
+Or, d'aller chercher des points si exquis de beauté, comme je viens de
+dire ou qu'on nous les dépeint, nous nous en passerons bien, et nous
+resjoüirons à voir nos beautez communes: non que je les veuille dire
+communes autrement, car nous en avons de si rares, que, ma foy, elles
+valent bien plus que toutes celles que nos poëtes fantasques, nos
+quinteux peintres et nos pindariseurs de beautez, sçauroient
+représenter.
+
+Hélas! voicy le pis; telles beautez belles, tels beaux visages, en
+voyons-nous aucuns, admirons, desirons leur beau corps, pour l'amour de
+leurs belles faces, que néantmoins, quand elles viennent à estre
+descouvertes et mises à blanc, nous en font perdre le goust; car ils
+sont si laids, tarez, tachez, marquez et si hideux, qu'ils en démentent
+bien le visage; et voilà comme souvent nous y sommes trompez.
+
+Nous en avons un bel exemple d'un gentilhomme de l'isle de Mojorque, qui
+s'appelloit Raymond Lulle, de fort bonne, riche et ancienne maison, qui,
+pour sa noblesse, valeur et vertu, fut appelé en ses plus belles années
+au gouvernement de cette isle. Estant en cette charge, comment souvent
+arrive aux gouverneurs des provinces et places, il devint amoureux d'une
+belle dame de l'isle des plus habilles, belles et mieux disantes de-là.
+Il la servit longuement et fort bien; et luy demandant toujours ce bon
+point de joüissance, elle, après l'en avoir refusé tant qu'elle put, luy
+donna un jour assignation, où il ne manqua ny elle aussi, et comparut
+plus belle que jamais et mieux en point. Ainsi qu'il pensoit entrer en
+paradis, elle luy vint à descouvrir son sein et sa poitrine toute
+couverte d'une douzaine d'emplastres, et, les arrachant l'un après
+l'autre, et de dépit les jetant par terre, luy monstra un effroyable
+cancer, et, les larmes aux yeux, luy remonstra ses misères et son mal,
+luy disant et demandant s'il y avoit tant de quoy en elle qu'il en dust
+estre tant espris; et sur ce, lui en fit un si pitoyable discours, que
+luy, tout vaincu de pitié du mal de cette belle dame, la laissa; et
+l'ayant recommandée à Dieu pour sa santé, se défit de sa charge et se
+rendit hermite. Et estant de retour de la guerre sainte, où il avoit
+fait vœux, s'en alla estudier à Paris sous Arnaldus de Villanova,
+sçavant philosophe, et ayant fait son cours, se retira en Angleterre, où
+le Roy pour lors le receut avec tous les bons recueils du monde pour son
+grand sçavoir, et qu'il transmua plusieurs lingots et barres de fer, de
+cuivre et d'estain, mesprisant cette commune et triviale façon de
+transmuer le plomb et le fer en or, parce qu'il sçavoit que plusieurs de
+son temps sçavoient faire cette besogne aussi bien que luy, qui sçavoit
+faire l'un et l'autre: mais il vouloit faire un pardessus les autres.
+
+Je tiens ce conte d'un gallant homme qui m'a dit le tenir du
+jurisconsulte Oldrade, qui parle de Raymond Lulle au commentaire qu'il a
+fait sur le code _de falsa Moneta_. Aussi le tenoit-il, ce disoit-il, de
+Carolus Bovillus[63], Picard de nation, qui a composé un livre en latin
+de la _vie de Raymond de Lulle_[64].
+
+Voilà comment il passa sa fantaisie de l'amour de cette belle dame; si
+que possible d'autres n'eussent pas fait, et n'eussent laissé à l'aimer
+et fermer les yeux, mesme en tirer ce qu'il vouloit, puisqu'il estoit à
+mesme; car la partie où il tendoit n'estoit touchée d'un tel mal.
+
+J'ay cogneu un gentilhomme et une dame veufve de par le monde, qui ne
+firent pas ses scrupules; car la dame estant touchée d'un gros vilain
+cancer au tetin, il ne laissa de l'espouser, et elle aussi le prendre,
+contre l'advis de sa mère, et toute malade et maléficiée qu'elle estoit,
+et elle et luy s'esmeurent et se remuèrent tellement toute la nuict,
+qu'ils en rompirent et enfoncèrent le fond du chalit.
+
+J'ai cogneu aussi un fort honneste gentilhomme, mon grand amy, qui me
+dit qu'un jour estant à Rome, il luy advint d'aimer une dame espagnolle,
+et des belles qui fust en la ville jamais. Quand il l'accostoit, elle ne
+vouloit permettre qu'il la vist, ny qu'il la touchast par ses cuisses
+nues, si-non avec ses callesons; si bien que quand il la vouloit
+toucher, elle lui disoit en espagnol: _Ah! no me tocays, hareis me
+cosquillas_[65], qui est à dire: «Vous me chatouillez.» Un matin,
+passant devant sa maison, trouvant sa porte ouverte, il monte tout
+bellement, où estant entré sans rencontrer ny fantesque ny page, ny
+personne, et entrant dans sa chambre, la trouva qui dormoit si
+profondément, qu'il eut loisir de la voir toute nue sur le lict, et la
+contempler à son aise, car il faisoit très-grand chaud; et il dit qu'il
+ne vid jamais rien de si beau que ce corps, fors qu'il vit une cuisse
+belle, blanche, pollie et refaite, mais l'autre elle l'avoit toute
+seiche, atténuée et estiomenée, qui ne paroissoit pas plus grosse que le
+bras d'un petit enfant. Qui fust estonné? ce fut le gentilhomme, qui la
+plaignit fort, et oncques plus ne la tourna visiter ny avoir à faire
+avec elle.
+
+Il se voit force dames qui ne sont pas ainsi estiomenées de catherres;
+mais elles sont si maigres, dénuées, asséchées et descharnées, qu'elles
+n'en peuvent rien monstrer que le bastiment: comme j'ay cogneu une
+très-grande que M. l'evesque de Cisteron, qui disoit le mot mieux
+qu'homme de la Conr, en brocardant affermoit qu'il valoit mieux de
+coucher avec une ratoire de fil d'archal qu'avec elle; et, comme dit
+aussi un honneste gentilhomme de la Cour, auquel nous faisions la guerre
+qu'il avoit à faire avec une dame assez grande: «Vous vous trompez,
+dit-il, car j'aime trop la chair, et elle n'a que les os;» et pourtant,
+à voir ces deux dames, si belles par leurs beaux visages, on les eust
+jugées pour des morceaux très-charnus et bien friands.
+
+Un très-grand prince de par le monde vint une fois à estre amoureux de
+deux belles dames tout à coup, ainsi que cela arrive souvent aux grands,
+qui ayment les variétez. L'une estoit fort blanche, et l'autre brunette,
+mais toutes deux très-belles et fort aimables. Ainsi qu'il venoit un
+jour de voir la brunette, la blanche jalouse luy dit: «Vous venez de
+voller pour corneille.» A quoy lui respondit le prince un peu irrité, et
+fasché de ce mot: «Et quand je suis avec vous, pour qui volle-je?» La
+dame respondit: «Pour un phénix.» Le prince, qui disoit des mieux,
+répliqua: «Mais dites plustost pour l'oiseau de paradis, là où il y a
+plus de plume que de chair;» la taxant par là qu'elle estoit maigre
+aucunement: aussi estoit-elle fort jovanote pour estre grasse, ne se
+logeant coustumièrement que sur celles qui entrent dans l'aage, qu'elles
+commencent à se fortifier et renforcer de membres et autres choses.
+
+--Un gentilhomme la donna bonne à un grand seigneur que je sçay. Tous
+deux avoient belles femmes. Ce grand seigneur trouva celle du
+gentilhomme fort belle et bien advenante. Il luy dit un jour: «Un tel,
+il faut que je couche avec vostre femme.» Le gentilhomme, sans songer,
+car il disoit très-bien le mot, luy respondit: «Je le veux, mais je
+couche avec la vostre.» Le seigneur lui répliqua: «Qu'en ferois-tu? car
+la mienne est si maigre, que tu n'y prendrois nul goust.» Le gentilhomme
+respondit: «Je la larderay si menu, que je la rendray de bon goust.»
+
+--Il s'en voit tant d'autres que leurs visages poupins et gentils font
+desirer leurs corps; mais quand on y vient, on les trouve si décharnées,
+que le plaisir et la tentation en sont bien-tost passez. Entr'autres,
+l'on y trouve l'os _barré_ qu'on appelle, si sec et si décharné, qu'il
+foule et masche plus tout nud que le bast d'un mulet qu'il auroit sur
+luy. A quoy pour suppléer, telles dames sont coustumières de s'aider de
+petits coussins bien mollets et délicats à soutenir le coup et engarder
+de la mascheure; ainsi que j'ay ouy parler d'aucunes, qui s'en sont
+aidées souvent, voire de callesons gentiment rembourez et faits de
+satin, de sorte que les ignorants, les venants à toucher, n'y trouvent
+rien que tout bon, et croyent fermement que c'est leur embonpoint
+naturel; car par-dessus ce satin il y avoit des petits callesons de
+toile volante et blanche; si bien que l'amant, donnant le coup en robbe,
+s'en alloit de sa dame si content et satisfait, qu'il l'a tenoit pour
+très-bonne robbe.
+
+D'autres y a-t-il encore qui sont de la peau fort maléficiées et
+marquetées comme marbre, ou en œuvre à la mosaïque, tavellées comme
+faons de bische, gratteleuses, et subjectes à dartes farineuses et
+fascineuses; bref, gastées tellement, que la veuë n'en est pas guieres
+plaisante.
+
+--J'ay ouy parler d'une dame grande, et l'ay cogneue et cognois encore,
+qui est pelue, velue sur la poitrine, sur l'estomac, sur les espaules et
+le long de l'eschine, et à son bas, comme un sauvage.
+
+Je vous laisse à penser ce que veut dire cela: si le proverbe est vray,
+_que personne ainsi velue est ou riche, ou lubrique_, celle-là a l'un et
+l'autre, je vous en asseure, et s'en fait fort bien donner, se voir et
+desirer.
+
+D'autres ont la chair d'oison ou d'estourneau plumé, harée, brodequinée,
+et plus noire qu'un beau diable.
+
+D'autres sont opulentes en tetasses avalées, pendantes plus que d'une
+vache allaitant son veau.
+
+Je m'asseure que ce ne sont pas les beaux tetins d'Hélaine, laquelle,
+voulant un jour présenter au temple de Diane une coupe gentille par
+certain vœu, employant l'orfevre pour la luy faire, luy en fit
+prendre le modelle sur un de ses beaux tetins, et en fit la coupe d'or
+blanc, qu'on ne sçauroit qu'admirer de plus, ou la coupe ou la
+ressemblance du tetin sur quoy il avoit pris le patron, qui se monstroit
+si gentil et si poupin, que l'art en pouvoit faire desirer le naturel.
+Pline dit cecy par grande spéciauté, où il traite qu'il y a de l'or
+blanc. Ce qui est fort estrange est que cette coupe fut faite d'or
+blanc.
+
+Qui voudroit faire des coupes d'or sur ces grandes tetasses que je dis
+et que je cognois, il faudroit bien fournir de l'or à monsieur
+l'orfevre, et ne seroit après sans coust et grand risée, quand on
+diroit: «Voilà des coupes faites sur le modelle des testins de telles et
+telles dames.»
+
+Ces coupes ressembleroient, non pas coupes, mais de vrayes auges, qu'on
+voit de bois toutes rondes, dont on donne à manger aux pourceaux; et
+d'autres y a-t-il, que le bout de leur tetin ressemble à une vraye guine
+pourrie.
+
+D'autres y a-t-il, pour descendre plus bas, qui ont le ventre si mal
+poly et ridé, qu'on les prendroit pour de vieilles gibessières ridées de
+sergents ou d'hosteliers; ce qui advient aux femmes qui on eu des
+enfants, et qui ne sont esté bien secourues et graissées de graisse de
+baleine de leurs sages-femmes. Mais d'autres y a-t-il, qui les ont aussi
+beaux et polis, et le sein aussi follet, comme si elles estoient encore
+filles.
+
+D'autres il y en a, pour venir encore plus bas, qui ont leurs natures
+hideuses et peu agréables. Les unes y ont le poil nullement frisé, mais
+si long et pendant, que vous diriez que ce sont les moustaches d'un
+Sarrasin; et pourtant n'en ostent jamais la toison, et se plaisent à la
+porter telle, d'autant qu'on dit: _Chemin jonchu et c.. velu sont fort
+propres pour chevaucher_. J'ay ouy parler de quelqu'une très-grande qui
+les porte ainsi.
+
+J'ay ouy parler d'une autre belle et honneste dame qui les avoit ainsi
+longues, qu'elle les entortilloit avec des cordons ou rubans de soye
+cramoisie ou autre couleur, et se les frisonnoit ainsi comme des frisons
+de perruques, et puis se les attachoit à ses cuisses, et en tel estat
+quelquefois se les présentoit à son mary et à son amant, ou bien se les
+destortoit de son ruban et cordon, si qu'elles paroissoient frisonnées
+par après, et plus gentilles qu'elles n'eussent fait autrement.
+
+Il y avoit bien là de la curiosité, et de la paillardise et tout; car,
+ne pouvant d'elle-mesme faire et suivre ses frisons, il falloit qu'une
+de ses femmes, de ses plus favorites, la servît en cela; en quoy ne peut
+estre autrement qu'il n'y ayt de la lubricité en toutes façons qu'on la
+pourra imaginer.
+
+Aucunes, au contraire, se plaisent le tenir et porter raz, comme la
+barbe d'un prestre.
+
+D'autres femmes y a-t-il, qui n'ont de poil point du tout, ou peu, comme
+j'ay ouy parler d'une fort grande et belle dame que j'aye cogneue; ce
+qui n'est guières beau, et donne un mauvais soupçon: ainsi qu'il y a des
+hommes qui n'ont que de petits boucquets de barbe au menton, et n'en
+sont pas plus estimez de bon sang, ainsi que sont les blanquets et
+blanquettes[66].
+
+D'autres en ont l'entrée si grande, vague et large, qu'on la prendroit
+pour l'antre de la Sibylle.
+
+J'en ay ouy parler d'aucunes, et bien grandes, qui les ont telles qu'une
+jument ne les a si amples, encore qu'elles s'aident d'artifice le plus
+qu'elles peuvent pour estrecir la porte; mais, dans deux ou trois
+fréquentations, la mesme ouverture tourne: et, qui plus est, j'ay ouy
+dire que, quand bien on les arregarde le cas d'aucunes, il leur cloise
+comme celuy d'une jument quand elle est en chaleur. L'on m'en a conté
+trois qui monstrent telles cloyses quand on y prend garde de les voir.
+
+--J'ay ouy parler d'une dame grande, belle et de qualité, à qui un de
+nos roys avoit imposé le nom de _Pan de c.._, tant il estoit large et
+grand; et non sans raison, car elle se l'est fait en son vivant souvent
+mesurer à plusieurs merciers et arpenteurs, et que tant plus elle
+s'estudioit le jour de l'estrecir, la nuict en deux heures on le lui
+eslargissoit si bien, que ce qu'elle faisoit en une heure, on le
+défaisoit en l'autre, comme la toille de Penelope. Enfin, elle en
+quitta tous artifices, et en fut quitte pour faire élection des plus
+gros moules qu'elle pouvoit trouver.
+
+Tel remède fut très bon, ainsi que j'ay ouy dire d'une fort belle et
+honneste fille de la Cour, laquelle l'eut au contraire si petit et si
+estroit, qu'on en désespéroit à jamais le forcement du pucelage; mais
+par advis de quelques médecins ou de sages-femmes, ou de ses amys ou
+amyes, elle en fit tenter le gué ou le forcement par des plus menus et
+petits moules, puis vint aux moyens, puis aux grands, à mode des talus
+que l'on fait, ainsi que Rabelais ordonna les murailles de Paris
+imprenables; et puis, par tels essays les uns après les autres,
+s'accoustuma si bien à tous, que les plus grands ne luy faisoient la
+peur que les petits paravant faisoient si grande.
+
+Une grande princesse estrangere que j'ay cogneue, laquelle l'avoit si
+petit et estroit, qu'elle aima mieux de n'en taster jamais que de se
+faire inciser, comme les médecins le conseilloient. Grande vertu certes
+de continence, et rare!...
+
+D'autres en ont les labies longues et pendantes plus qu'une creste de
+coq d'Inde quand il est en colere; comme j'ay ouy dire que plusieurs
+dames ont, non-seulement elles, mais aussi des filles.
+
+--J'ay ouy faire ce conte à feu M. de Randan, qu'une fois estants de
+bons compagnons à la Cour ensemble, comme M. de Nemours, M. le vidame de
+Chartres, M. le comte de la Rochefoucault, MM. de Montpezaz, Givry,
+Genlis et autres, ne sachants que faire, allèrent voir pisser les filles
+un jour, cela s'entend cachés en bas et elles en haut. Il y en eut une
+qui pissa contre terre: je ne la nomme point; et d'autant que le
+plancher estoit de tables, elle avoit ses lendilles si grandes, qu'elles
+passèrent par la fente des tables si avant, qu'elle en monstra la
+longueur d'un doigt, si que M. de Randan, par cas fortuit, ayant un
+baston qu'il avoit pris à un laquais, où il y avoit un fiçon, en perça
+si dextrement ses lendilles, et les cousit si bien contre la table, que
+la fille, sentant la piqûre, tout à coup s'esleva si fort, qu'elle les
+escarta toutes, et de deux parts qu'il en avoit en fit quatre, et les
+dites lendilles en demeurerent decoupées en forme de barbe
+d'escrevisses, dont pourtant la fille s'en trouva très-mal, et la
+maistresse en fut fort en colere.
+
+M. de Randan et la compagnie en firent conte au roy Henry, qui estoit
+bon compagnon, qui en rit pour sa part son saoul, et en apaisa le tout
+envers la Reyne sans rien en déguiser.
+
+Ces grandes lendilles sont cause qu'une fois j'en demanday la raison à
+un médecin excellent, qui me dit que, quand les filles et femmes
+estoient en ruth, elles les touchoient, manioient, viroyent,
+contournoient, allongeoient et tiroient si souvent, qu'estants ensemble
+s'entredonnoient mieux du plaisir.
+
+Telles filles et femmes seroient bonnes en Perse, non en Turquie,
+d'autant qu'en Perse les femmes sont circoncises, parce que leur nature
+ressemble de je ne sçay quoy le membre viril (disent-ils): au contraire,
+en Turquie, les femmes ne le sont jamais, et pour ce les Perses les
+appellent hérétiques, pour n'estre circoncises, d'autant que leur cas,
+disent-ils, n'a nulle forme, et ne prennent plaisir de les regarder
+comme les Chrestiens. Voilà ce qu'en disent ceux qui ont voyagé en
+Levant.
+
+Telles femmes et filles, disoit ce médecin, sont fort sujettes à faire
+la fricarelle, _donna con donna_.
+
+J'ay ouy parler d'une très-belle dame, et des plus qui ait esté en la
+Cour, qui ne les a si longues; car elles luy sont accourcies pour un mal
+que son mary luy donna, voire qu'elle n'a de levre d'un costé pour avoir
+esté tout mangé de chancres; si bien qu'elle peut dire son cas estropié
+et à demy demembré; et néanmoins cette dame a esté fort recherchée de
+plusieurs, mesme elle a esté la moitié d'un grand quelques fois dans son
+lict.
+
+Un grand disoit à la Cour un jour qu'il voudroit que sa femme
+ressemblast à celle-là, et qu'elle n'en eust qu'à demy, tant elle en
+avoit trop.
+
+J'ay aussi ouy parler d'une autre bien plus grande qu'elle cent fois,
+qui avoit un boyau qui luy pendilloit long d'un grand doigt au dehors de
+sa nature, et, disoit-on, pour n'avoir pas esté bien servie en l'une de
+ses couches par sa sage-femme; ce qui arrive souvent aux filles et
+femmes qui ont fait des couches à la dérobade, ou qui par accident se
+sont gastées et grevées; comme une des belles femmes de par le monde que
+j'ay cogneue, qui, estant veufve, ne voulut jamais se remarier, pour
+estre descouverte d'un second mary de cecy, qui l'en eust peu prisée, et
+possible mal-traitée.
+
+Cette grande que je viens de dire, nonobstant son accident, enfantoit
+aussi aisément comme si elle eust pissé; car on disoit sa nature
+très-ample; et si pourtant elle a esté bien aimée et bien servie à
+couvert; mais mal-aisément se laissoit-elle voir là.
+
+Aussi volontiers, quand une belle et honneste femme se met à l'amour et
+à la privauté, si elle ne vous permet de voir ou taster cela, dites
+hardiment qu'elle y a quelque tare, ou si que la veue ni le toucher
+n'approuvera guières, ainsi que je tiens d'une honneste femme; car s'il
+n'y en a point, et qu'il soit beau (comme certes il y en a et de
+plaisants à voir et manier), elle est aussi curieuse et contente d'en
+faire la monstre et en prester l'attouchement, que de quelqu'autre de
+ses beautez qu'elle ait, autant pour son honneur à n'estre soupçonnée de
+quelque défaut ou laideur en cet endroit, que pour le plaisir qu'elle y
+prend elle-mesme à le contempler et mirer, et surtout aussi pour
+accroistre la passion et tentation davantage à son amant.
+
+De plus, les mains et les yeux ne sont pas membres virils pour rendre
+les femmes putains et leurs marys cocus, encore qu'après la bouche
+aident à faire de grands approches pour gaigner la place.
+
+D'autres femmes y a-t-il qui ont la bouche de là si pasle, qu'on diroit
+qu'elles y ont la fievre: et telles ressemblent aucuns yvrognes,
+lesquels, encor qu'ils boivent plus de vin qu'une truie de laict, ils
+sont pasles comme trespassez: aussi les appelle-t-on traistres au vin,
+non pas ceux qui sont rubiconds: aussi telles par ce costé-là on les
+peut dire traistraisses à Vénus, si ce n'est que l'on dit _pasle putain
+et rouge paillard_. Tant y a que cette partie ainsi pasle et transie
+n'est point plaisante à voir, et n'a garde de ressembler à celle d'une
+des plus belles dames que l'on voye, et qui tient grand rang, laquelle
+j'ay veu qu'on disoit qu'elle portoit là trois belles couleurs
+ordinairement ensemble, qui estoient incarnat, blanc et noir: car cette
+bouche de là estoit colorée et vermeille comme corail, le poil
+d'alentour gentiment frisonné et noir comme ébene; ainsi le faut-il, et
+c'est l'une des beautez: la peau estoit blanche comme albastre, qui
+estoit ombragée de ce poil noir. Cette veuë est belle de celle-là, et
+non des autres que je viens de dire.
+
+D'autres il y en a aussi qui sont si bas ennaturées et fendues jusques
+au cul, mesme les petites femmes, que l'on devroit faire scrupule de les
+toucher pour beaucoup d'ordes et salles raisons que je n'oserois dire;
+car on diroit que, les deux rivières s'assemblant et se touchant quasi
+ensemble, il est en danger de laisser l'une et naviguer à l'autre: ce
+qui est par trop vilain.
+
+J'ay ouy conter à madame de Fontaine-Chalandray, dite la belle Torcy,
+que la reyne Eléonor sa maistresse, estant habillée et vestue,
+paroissoit une très-belle princesse, comme il y en a encor plusieurs
+qui l'ont veue telle en nostre Cour, et de belle et riche taille; mais,
+estant déshabillée, elle paroissoit du corps une géante, tant elle
+l'avoit long et grand: mais tirant en bas, elle paroissoit une naine,
+tant elle avoit les cuisses et les jambes courtes avec le reste.
+
+D'une autre grande dame ay-je ouy parler qui estoit bien au contraire;
+car par le corps elle se monstroit une naine, tant elle l'avoit court et
+petit, et du reste en bas une géante ou colosse, tant elle avoit ses
+cuisses et jambes grandes, hautes et fendues et pourtant bien
+proportionnées et charnues, si qu'elle en couvroit son homme sous elle,
+mais qu'il fust petit, fort aisément, comme d'une tirasse de chien
+couchant.
+
+--Il y a force marys et amys parmi nos Chrestiens, qui voulans en tout
+differer des Turcs, ne prennent plaiser d'arregarder le cas des dames,
+d'autant, disent-ils, comme je viens de dire, qu'ils n'ont nulle forme:
+nos Chrestiens au contraire qui en ont, disent-ils, de grands
+contentements à les contempler fort et se délecter en telles visions, et
+non-seulement se plaisent à les voir, mais à les baiser, comme beaucoup
+de dames l'ont dit et descouvert à leurs amants, ainsi que dit une dame
+espagnole à son serviteur, qui, la saluant un jour, luy dit: _Bezo las
+manos y los pies, senora_[67]; elle luy dit: _Senor, en el medio esta la
+mejor station_[68]. Comme voulant dire qu'il pouvoit baiser le mitant
+aussi-bien que les pieds et mains. Et, pour ce, disent aucunes dames que
+leurs marys et serviteurs y prennent quelque délicatesse et plaisir, et
+en ardent davantage: ainsi que j'ay ouy dire d'un très-grand prince,
+fils d'un grand roy de par le monde, qui avoit pour maistresse une
+très-grande princesse. Jamais il ne la touchoit qu'il ne luy vist cela
+et ne le baisast plusieurs fois. Et la première fois qu'il le fit, ce
+fut par la persuasion d'une très-grande dame, favorite du roy; laquelle,
+tous trois un jour estants ensemble, ainsi que ce prince muguettoit sa
+dame, luy demanda s'il n'avoit jamais veu cette belle partie dont il
+jouissoit. Il respondit que non: «Vous n'avez donc rien fait, dit-elle,
+et ne sçavez ce que vous aimez; vostre plaisir est imparfait, il faut
+que vous le voyiés.» Par-quoy, ainsi qu'il s'en vouloit essayer et
+qu'elle en faisoit de la revesche, l'autre vint par derrière, et la prit
+et renversa sur un lict, et la tint tousjours jusques à ce que le
+prince l'eust contemplée à son aise et baisée son saoul, tant qu'il le
+trouvoit beau et gentil; et pour ce, continua tousjours.
+
+D'autres y a-t-il qui ont leurs cuisses si mal proportionnées, mal
+advenantes et si mal faites en olive, qu'elles ne méritent d'estre
+regardées et désirées, comme de leurs jambes, qui en sont de même, dont
+aucunes sont si grosses qu'on en diroit le gras estre le ventre d'une
+conille qui est pleine.
+
+D'autres les ont si gresles et menues, et si heronnières, qu'on les
+prendroit plustost pour des fleutes que pour cuisses et jambes; je vous
+laisse à penser que peut estre le reste.
+
+Elles ne ressemblent pas une belle et honneste dame dont j'ay ouy
+parler, laquelle estant en bon point; et non trop en extrémité (car en
+toutes choses il faut un _medium_), après avoir donné à coucher à son
+amy, elle lui demanda le lendemain au matin comment il s'en trouvoit. Il
+luy respondit que très-bien, et que sa bonne et grasse chair luy avoit
+fait grand bien. «Pour le moins, dit-elle, avez-vous couru la poste sans
+emprunter de coissinet.»
+
+D'autres dames y a-t-il qui ont tant d'autres vices cachés, ainsi que
+j'en ay ouy parler d'une qui estoit dame de réputation, qui faisoit ses
+affaires fécales par le devant; et de ce j'en demanday la raison à un
+médecin suffisant, qui me dit parce qu'elle avoit esté percée trop jeune
+et d'un homme trop fourny et robuste; dont ce fut grand dommage, car
+c'estoit une très-belle femme et veufve, qu'un honneste gentilhomme que
+je sçay la vouloit espouser; mais, en sachant tel vice, la quita
+soudain, et un autre après la prit aussi-tost.
+
+--J'ay ouy parler d'un gallant gentilhomme qui avoit une des belles
+femmes de la Cour et n'en faisoit cas. Un autre, n'estant si scrupuleux
+que luy, habitant avec elle, trouva que son cas puoit si fort qu'on ne
+pouvoit endurer cette senteur, et, par ainsi, cogneut l'encloüeure du
+mary.
+
+J'ay ouy parler d'une autre, laquelle estant l'une des filles d'une
+grande princesse, qui petoit de son devant: des médecins m'ont dit que
+cela se pouvoit faire à cause des vents et ventositez qui peuvent sortir
+par-là, et mesmes quand elles font la fricarelle.
+
+Cette fille estoit avec cette princesse lorsqu'elle vint à Moulins, la
+Cour y estant, du temps du roy Charles neuviesme, qui en fut abreuvé,
+dont on en rioit bien.
+
+D'autres y en a-t-il qui ne peuvent tenir leur urine, qu'il faut
+qu'elles ayent toujours la petite esponge entre les jambes, comme j'en
+ay cogneu deux grandes, et plus que dames, dont l'une estant fille, fit
+l'évasion tout à trac dans la salle du bal, du temps du roy Charles
+neuviesme, dont fut fort scandalisée.
+
+D'une autre grande dame ay-je ouy parler, que quand on lui faisoit cela,
+elle se compissoit à bon escient, ou sur le fait, ou après, comme une
+jument quand elle a esté saillie: à elle falloit-il jetter le seillaud
+d'eau comme à la jument, pour la faire retenir.
+
+Tant d'autres y a-t-il qui sont ordinairement en sang et leurs mois, et
+autres qui sont viciées, tarottées, marquetées et marquées, tant par
+accident de vérolle de leurs marys ou de leurs amys, que par leurs
+mauvaises habitudes et humeurs; comme celles qui ont les jambes
+louventines et autres fluxions et marques, que par les envies de leurs
+mères estant enceintes d'elles, portent sur elles, comme j'en ay ouy
+parler d'une qui est toute rouge par une moitié du corps, et l'autre
+non, comme un eschevin de ville.
+
+D'autres sont si sujettes à leurs flux menstruaux, que quasi
+ordinairement leur nature flue comme un mouton à qui on a coupé la gorge
+de frais; dont leurs marys ou amants ne s'en contentent guieres, pour
+l'assiduë fréquentation que Vénus ordonne et desire en ces jeux: car, si
+elles sont saines et nettes une semaine du mois, c'est tout, et leur
+font perdre le reste de l'année: si que des douze mois ils n'en ont cinq
+ou six francs, voire moins; c'est beaucoup, à la mode de nos soldats
+desbandez, auxquels à la monstre les commissaires et trésoriers font
+perdre, de douze mois de l'an, plus de quatre, en leur faisant monter
+les mois jusques à quarante et cinquante jours, si que les douze mois de
+l'an ne leur reviennent pas à huit. Ainsi s'en trouvent les marys et
+amants qui telles femmes ont et se servent, si ce n'est que, du tout,
+pour assoupir leur paillardise, se veulent souiller vilainement sans
+aucun respect d'impudicité; et leurs enfants qui en sortent s'en
+trouvent mal et s'en ressentent.
+
+Si j'en voulois raconter d'autres, je n'aurois jamais fait, et aussi que
+les discours en seroient trop sallauds et déplaisants: et ce que j'en
+dis et dirois ce ne seroit des femmes petites et communes, mais des
+grandes et moyennes dames qui de leurs visages beaux font mourir le
+monde, et point le couvert.
+
+Si feray-je encore ce petit conte, qui est plaisant, d'un gentilhomme
+qu'il me fit, qui est qu'en couchant avec une fort belle dame, et
+d'estoffe, en faisant sa besogne il luy trouva en cette partie quelques
+poils si piquants et si aigus, qu'avec toutes les incommodités il la put
+achever, tant cela le piquoit et le fiçonnoit. Enfin, ayant fait, il
+voulut taster avec la main: il trouva qu'alentour de sa motte il y avoit
+une demi-douzaine de certains fils garnis de ces poils si aigus, longs,
+roides et piquants, qu'ils en eussent servy aux cordonniers à faire des
+rivets comme de ceux de pourceaux, et les voulut voir; ce que la dame
+luy permit avec grande difficulté; et trouva que tels fils entournoient
+la pièce ny plus ny moins que vous voyez une médaille entournée de
+quelques diamants et rubis, pour servir et mettre en enseigne en un
+chapeau ou au bonnet.
+
+--Il n'y a pas long-temps qu'en une certaine contrée de Guyenne, une
+damoiselle mariée, de fort bon lieu et bonne part, ainsi qu'elle
+advisoit estudier ses enfants, leur précepteur, par une certaine manie
+et frénésie, ou possible pour rage d'amour qui luy vint soudain, il prit
+une espée qui estoit de son mary sur le lict, et luy en donna si bien,
+qu'il luy perça les deux cuisses et les deux labies de sa nature de part
+en part, dont depuis elle en cuida mourir, sans le secours d'un bon
+chirurgien. Son cas pouvoit bien dire qu'il avoit esté en deux diverses
+guerres et attaqué fort diversement. Je crois que la veuë après n'en
+estoit guères plaisante, pour estre ainsi balafré et ses aisles ainsi
+brisées: je les dis aisles, par ce que les Grecs appellent ces labies
+_hymenœa_; les Latins les nomment _alœ_, et les François, labies,
+lèvres, landrons, landilles et autres mots: mais je trouve qu'à bon
+droit les Latins les appellent aisles; car il n'y a ny animal ny oiseau,
+soit-il faucon, niais ou sor, comme celuy de nos fillaudes, soit-il de
+passage, ou hagard ou bien dressé, de nos femmes mariées ou veufves, qui
+aille mieux ny ait l'aisle si viste.
+
+Je le puis appeler aussi animal avec Rabelais, d'autant qu'il s'esmeut
+de soy-mesme; et, soit à le toucher ou à le voir, on le sent et le void
+s'esmouvoir et remuer de luy-mesme, quand il est en appetit.
+
+D'autres, de peur de rhumes et catheres, se couvrent dans le lict de
+couvre-chefs alentour de la teste, par Dieu, plus que sorcières: au
+partir de-là, bien habillées, elles sont saffrettes comme poupines, et
+d'autres fardées et peintrées comme images, belles au jour, et la nuict
+dépeintes et très-laides.
+
+Il faudroit visiter telles dames avant les aimer, espouser et en jouir,
+ainsi que faisoit Octave César avec ses amis, qui faisoit despouiller
+aucunes grandes dames et matrosnes romaines, voire des vierges mûres
+d'aage, et les visitoit d'un bout à l'autre, comme si ce fussent
+esclaves et serves vendues par un certain maquignon nommé Torane; et
+selon qu'il les trouvoit à son gré et son point, ny tarées, il en
+joüissoit.
+
+De mesme en font les Turcs en leur bazestan de Constantinople et autres
+grandes villes, quand ils achettent des esclaves de l'un et de l'autre
+sexe.
+
+Or je n'en parleray plus, encore pensé-je en avoir trop dit; et voilà
+comment nous sommes bien trompez en beaucoup de veuës que nous pensons
+et croyons très-belles. Mais, si nous y sommes bien autant édifiés et
+satisfaits en d'aucunes autres, lesquelles sont si belles, si nettes,
+propres, fraisches, caillées, si aimables et si en bon point, bref, si
+accomplies en toutes parties du corps, qu'après elles toutes veuës
+mondaines sont chétives et vaines; dont il y a des hommes qui, en telles
+contemplations, s'y perdent tellement, qu'ils ne songent qu'aux actions:
+aussi, bien souvent telles dames se plaisent à se monstrer sans nulle
+difficulté, pour ne se sentir taschées d'aucunes macules, pour nous
+faire plus entrer en tentation et concupiscence.
+
+Nous estans un jour au siége de La Rochelle, le pauvre feu M. de Guise,
+qui me faisoit l'honneur de m'aimer, s'en vint me monstrer des tablettes
+qu'il venoit de prendre à Monsieur, frère du Roy, nostre général, dans
+la poche de ses chausses, et me dit: «Monsieur me vient de faire un
+desplaisir et la guerre pour l'amour d'une dame; mais je veux avoir ma
+revanche; voyez ce que j'y ai mis dedans et lisez.» Me donnant les
+tablettes, je vis escrits de sa main ces quatre vers qu'il venoit de
+faire, mais le mot de f...... y estoit tout à trac.
+
+ Si vous ne m'avez coguue
+ Il n'a pas tenu à moy;
+ Car vous m'avez bien veu nue,
+ Et vous ay monstré de quoy.
+
+Puis, me nommant la dame, ou pour mieux dire fille, de laquelle je me
+doutois pourtant, je lui dis que je m'estonnois fort qu'il ne l'eust
+touchée et cogneue, d'autant que les approches en avoient esté grandes,
+et que le bruit en estoit par trop commun; mais il m'asseura que non, et
+que ce n'avoit esté que sa faute. Je luy replicquay: «Il falloit donc,
+Monsieur, ou qu'alors il fust si las et recreu d'ailleurs, qu'il n'y
+pust fournir, ou qu'il fust si ravi en la contemplation de cette beauté
+nue, qu'il ne se souciast de l'action!--Possible, me respondit ce
+prince, qu'il se pourroit faire; mais tant y a que ce coup il y faillit,
+et je luy en fais la guerre, et je luy vais remettre ces tablettes dans
+sa poche, qu'il visitera selon sa coustume, et y lira ce qu'il y faut;
+et, amprès, me voilà vengé.» Ce qu'il fit, et ne fut amprès sans en rire
+tous deux à bon escient, et s'en faire la guerre plaisamment; car, pour
+lors, c'estoit une très-grande amitié et privauté entr'eux deux, bien
+depuis estrangement changée.
+
+--Une dame de par le monde, ou plustost fille, estant fort aimée et
+privée d'une très-grande princesse, estoit dans le lict se
+rafraischissant, comme estoit la coutume: vint un gentilhomme la voir,
+qui pour elle brusloit d'amour; mais il n'en avoit autre chose. Cette
+dame fille estant ainsi aimée et privée de sa maistresse, s'approchant
+d'elle tout bellement, sans faire semblant de rien, tout-à-coup vint à
+tirer toute la couverture de dessus elle, si bien que le gentilhomme,
+point paresseux de ses yeux aucunement, les jetta aussi-tost, dessus qui
+vid, à ce que depuis il m'a fait le conte, la plus belle chose qu'il vid
+ny qu'il verra jamais, qui estoit ce beau corps nud, et ses belles
+parties, et cette blanche, jolie et belle charnure, qu'il pensa voir les
+beautez du paradis. Mais cela ne dura guieres; car, tout aussi-tost la
+couverture fut tournée prendre par la dame, la fille en estant partie de
+là, et de bonheur. Cette belle dame, tant plus elle se remuoit à
+reprendre la couverture, tant plus elle se faisoit paroistre; ce qui
+n'endommageoit nullement la veuë et le plaisir du gentilhomme, qui
+autrement ne s'empeschoit à la recouvrir, bien sot fust esté: pourtant,
+tellement quellement, elle recouvra sa couverture, se remit, en se
+courouçant assez doucement contre la fille, et luy disant qu'elle le
+payeroit. La demoiselle luy dit, qui estoit un petit à l'escart:
+«Madame, vous m'en aviez fait une; pardonnez-moy si je vous l'ay
+rendue;» et, passant la porte, s'en alla. Mais l'accord fut fait
+aussi-tost.
+
+Cependant le gentilhomme se trouva si bien de telle veuë, et en telle
+extase de plaisir et contentement, que je luy ay ouy dire cent fois
+qu'il n'en vouloit d'autre en sa vie, que de vivre au songer de cette
+ordinaire contemplation; et certes il avoit raison: car, selon la
+monstre de son beau visage, le non-pareil, et sa belle gorge, dont elle
+a tant repeu le monde, pouvoit assez monstrer que dessous il y avoit de
+caché de plus exquis; et me disoit qu'entre telles beautez, c'estoit la
+dame la mieux flanquée et le plus haut qu'il eust jamais veue: ainsi le
+pouvoit-elle estre, car elle estoit de très-riche taille; mesme entre
+les beautez il faut qu'elle le soit, ny plus ny moins qu'une forteresse
+de frontière.
+
+Amprès que ce gentilhomme m'eut tout conté, je ne lui peus que dire:
+«Vivez donc, vivez, mon grand amy, avec cette contemplation divine et
+cette beatitude que jamais ne puissiez-vous mourir; et moy au moins,
+avant mourir, puisse-je avoir une telle veuë!»
+
+Ledit gentilhomme en eut pour jamais cette obligation à la demoiselle,
+et tousjours depuis l'honora et l'aima de tout son cœur. Aussy luy
+estoit-il serviteur fort; mais il ne l'espousa, car un autre plus riche
+que luy la luy embla, ainsi qu'est la coustume à toutes de courir aux
+biens.
+
+Telles veuës sont belles et agréables; mais il se faut donner garde
+qu'elles ne nuisent, comme celle de la belle Diane nuë au pauvre Actéon,
+ou bien une que je vais dire.
+
+--Un Roy de par le monde aima fort en son temps une bien belle, honneste
+et grand dame veufve, si bien qu'on l'en tenoit charmé; car peu il se
+soucioit des autres, voire de sa femme, si non que par intervalles, car
+cette dame emportoit tousjours les plus belles fleurs de son jardin; ce
+qui faschoit fort à la Reyne, car elle se sentoit aussi belle et
+agréable que serviable, et digne d'avoir d'aussi friands morceaux, dont
+elle s'en esbahissoit fort; de quoy en ayant fait sa complainte à une
+sienne grand'dame favorite, elle complotta avec elle d'aviser s'il y
+avoit tant de quoy, mesmes espier par un trou le jeu que joüeroient son
+mary et la dame. Par quoy elle advisa de faire plusieurs trous au-dessus
+de la chambre de ladite dame, pour voir le tout et la vie qu'ils
+demeneroient tous deux ensemble: dont se mirent à tel spectacle; mais
+ils n'y virent rien que très-beau, car elles y apperceurent une femme
+très-belle, blanche, délicate et très-fraische, moitié en chemise et
+moitié nue, faire des caresses à son amant, des mignardises, des
+folastreries bien grandes, et son amant lui rendre la pareille, de sorte
+qu'ils sortoient du lict, et tout en chemise se couchoient et
+s'esbattoient sur le tapis velu qui estoit auprès du lict, affin
+d'éviter la chaleur du lict, et pour mieux en prendre le frais; car
+c'estoit aux plus grandes chaleurs.
+
+Ainsi que j'ay cogneu aussi un très-grand prince, qui prenoit de mesme
+son déduit avec sa femme, qui estoit la plus belle femme du monde, affin
+d'éviter le chaud que produisoient les grandes chaleurs de l'esté, ainsi
+que luy-mesme disoit.
+
+Cette princesse donc, ayant veu et apperceu le tout, de dépit s'en mit à
+plorer, gémir, souspirer et attrister, luy semblant, et aussi le disant,
+que son mary ne luy rendoit le semblable, et ne faisoit les folies
+qu'elle luy avoit veu faire avec l'autre.
+
+L'autre dame qui l'accompagnoit se mit à la consoler et luy remonstrer
+pourquoy elle s'attristoit ainsi, ou bien, puisqu'elle avoit esté si
+curieuse de voir telles choses, quil n'en falloit pas espérer de moins.
+
+La princesse ne respondit autre chose, si non: «Hélas, ouy! j'ay voulu
+voir chose que je ne devois avoir voulu voir, puisque la veuë m'en fait
+mal.»
+
+Toutesfois, après s'estre consolée et résolue, elle ne s'en soucia plus,
+et le plus qu'elle put, continua ce passe-temps de veuë, et le convertit
+en risée, et possible en autre chose.
+
+--J'ay ouy parler d'une grande dame de par le monde, mais grandissime,
+qui, ne se contentant de la lascivité naturelle, car elle estoit grand
+putain, et mariée et veufve, aussi estoit-elle fort belle: pour se
+provoquer et exciter davantage, elle faisoit despouiller ses dames et
+filles, je dis les plus belles, et se délicatoit fort à les voir; et
+puis elle les battoit du plat de la main sur les fesses avec de grandes
+claquades et plamussades assez rudes, et les filles qui avoient délinqué
+quelque chose, avec de bonnes verges; et alors son contentement estoit
+de les voir remüer et faire les mouvements et tordions de leur corps et
+fesses, lesquelles, selon les coups qu'elles recevoient, en monstroient
+de bien estranges et plaisantes.
+
+Aucunes fois, sans les despouiller, les faisoit trousser en robbe (car
+pour lors elles ne portoient pas de calsons), et les claquetoit et
+foüettoit sur les fesses, selon le sujet qu'elles luy donnoient, ou pour
+les faire rire, ou pour plorer: et, sur ces visions et contemplations, y
+aiguisoit si bien ses appetis, qu'après elle les alloit passer bien
+souvent à bon escient avec quelque gallant homme bien fort et robuste.
+
+Quelle humeur de femme! Si bien qu'on dit qu'ayant une fois veu par la
+fenestre de sont chasteau, qui visoit sur la rue, un grand cordonnier,
+estrangement proportionné, pisser contre la muraille dudit chasteau,
+elle eut envie d'une si belle et grande proportion; et de peur de
+gaster son fruit pour son envie, elle luy manda par un page de la venir
+trouver en une allée secrète de son parc, où elle s'estoit retirée, et
+là elle se prostitua à luy en telle façon qu'elle en engrossa. Voilà ce
+que servit la veuë à cette dame.
+
+Et de plus, j'ay ouy dire qu'outre ses femmes et filles ordinaires qui
+estoient à sa suite, les estrangeres qui la venoient voir, dans les deux
+ou trois jours, ou toutes les fois qu'elles y venoient, elle les
+apprivoisoit aussi-tost à ce jeu, faisant monstrer aux siennes
+premierement le chemin, et aller devant elles, et les autres après; si
+bien qu'elles estoient estonnées de ce jeu les unes, et les autres non.
+Vrayment, voilà un plaisant exercice!
+
+--J'ay ouy parler d'un grand aussi qui prenoit plaisir de voir ainsi sa
+femme nue ou habillée, et la fouetter de claquades, et la voir manier de
+son corps.
+
+--J'ay ouy dire à une honneste dame qu'estant fille sa mère la fouettoit
+tous les jours deux fois, non pour avoir forfait, mais parce qu'elle
+pensoit qu'elle prenoit plaisir à la voir ainsi remuer les fesses et le
+corps, pour autant d'en prendre d'appetit ailleurs: et tant plus elle
+alla sur l'age de quatorze ans, elle persista et s'y acharna de telle
+façon, qu'à mode qu'elle l'accostoit elle la contemploit encore plus.
+
+--J'ay bien ouy dire pis d'un grand seigneur et prince, il y a plus de
+quatre-vingts ans, qu'avant qu'aller habiter avec sa femme se faisoit
+fouetter, ne pouvant s'esmouvoir ny relever sa nature baissante sans ce
+sot remede. Je desirerois volontiers qu'un médecin excellent m'en dist
+la raison.
+
+Ce grand personnage, Picus Mirandula, raconte avoir veu un certain
+gallant en son temps, qui, d'autant plus qu'on l'estrilloit à grandes
+sanglades d'estrivieres, c'estoit lors qu'il estoit le plus enragé après
+les femmes; et n'estoit jamais si vaillant après elles s'il n'estoit
+ainsi estrillé: après il faisoit rage. Voilà de terribles humeurs de
+personnes!
+
+Encore celle de la veuë des autres est plus agréable que la derniere.
+
+--Moy estant à Milan, un jour on me fit un conte de bonne part, que feu
+M. le marquis de Pescaire, dernier mort, vice-roy en Sicile, vint
+grandement amoureux d'une fort belle dame; si-bien qu'un matin, pensant
+que son mary fust allé dehors, l'alla visiter qu'il la trouva encores au
+lict; et, en devisant avec elle, n'en obtint rien que la voir et la
+contempler à son aise sous le linge, et la toucher de la main.
+
+Sur ces entrefaites survint le mary, qui n'estoit du calibre du marquis
+en rien, et les surprit de telle sorte, que le marquis n'eut loisir de
+retirer son gand, qui s'estoit perdu, je ne sçai comment, parmy les
+draps, comme il arrive souvent. Puis, luy ayant dit quelques mots, il
+sortit de la chambre, conduit pourtant du gentilhomme, qui amprès estre
+retourné, par cas fortuit trouva le gand du marquis perdu dans les
+draps, dont la dame ne s'en estoit pas apperceue. Il le prit et le
+serra, et puis faisant la mine froide à sa femme, demeura long-temps
+sans coucher avec elle, ny la toucher: parquoy un jour elle seule dans
+sa chambre, mettant la main à la plume, se mit à faire ce quatrain:
+
+ _Vigna era, vigna son._
+ _Era podata, or più non son;_
+ _E son sò per qual cagion_
+ _Non mi poda il mio patron._
+
+Et puis laissant ce quatrain escrit sur la table, le mary vint, qui vid
+ces vers sur la table, prend la plume et fait response:
+
+ _Vigna eri, vigna sei,_
+ _Eri podata, e più non sei,_
+ _Per la granfa del leon,_
+ _Non ti poda il tuo patron._
+
+Et puis les laissa aussi sur la table. Le tout fut appporté au marquis,
+qui fit response:
+
+ _A la vigna che voi dicete_
+ _Io fui, e qui restete;_
+ _Alzai il pamparo, guardas la vite;_
+ _Mà non toccai, si Dio m' ajute._
+
+Cela fut rapporté au mary, qui, se contentant d'une si honorable réponse
+et juste satisfaction, reprit sa vigne et la cultiva aussi-bien que
+devant; et jamais mary et femme ne furent mieux.
+
+Je m'en vais les traduire en françois, afin que chacun l'entende.
+
+ Je suis esté une belle vigne et le suis encore,
+ Je suis esté d'autrefois très-bien cultivée;
+ Ast heure je ne le suis point; et si ne sçay
+ Pourquoi mon patron ne me cultive plus.
+
+_Response._
+
+ Ouy, vous avez esté vigne telle, et l'estes encore
+ Et d'autrefois bien cultivée, ast heure plus;
+ Pour l'amour de la griffe du lyon,
+ Vostre mary ne vous cultive plus.
+
+_Response du marquis._
+
+ A la vigne que vous autres dites
+ Je suis esté certes, et y restay un peu;
+ J'en haussay le pampre et en regardai la vis et le reasin.
+ Mais Dieu ne me puisse aider si jamais j'y ay touché!
+
+Par cette griffe de lion il veut dire le gand qu'il avoit trouvé esgare
+entre les linceuls. Voylà encor un bon mary qui ne sombragea pas trop,
+et se despouillant de soubçon, pardonna ainsi à sa femme: et certes il y
+a des dames, lesquelles se plaisent tant en elles-mesmes, qu'elles se
+contemplent et se regardent nues, de sorte qu'elles se ravissent se
+voyans si belles, comme Narcissus. Que pouvons-nous donc faire les
+voyant et arregardant?
+
+--Marianne, femme d'Hérode, belle et honneste femme, son mary voulant un
+jour coucher avec elle en plein midy et voir à plein ce qu'elle portoit,
+lui refusa à plat, ce dit Josephe. Il n'usa pas de puissance de mary,
+comme un grand seigneur que j'ay cogneu, à l'endroit de sa femme, qui
+estoit des belles, qu'il assaillit ainsi en plein jour, et la mit toute
+nue, elle le déniant fort. Après il luy renvoya ses femmes pour
+l'habiller, qui la trouverent toute honteuse et esplorée.
+
+--D'autres dames y a-t-il lesquelles à dessein ne font pas grand
+scrupule de faire à pleine veuë la monstre de leur beauté, et se
+descouvrir nues, afin de mieux encapricier et marteller leurs
+serviteurs, et les mieux attirer à elles; mais ne veulent permettre
+nullement la touche précieuse, au moins aucunes, pour quelque temps;
+car, ne se voulans arrester en si beau chemin, passent plus outre, comme
+j'en ay ouy parler de plusieurs, qui ont ainsi long-temps entretenu
+leurs serviteurs de si beaux aspects. Bien-heureux sont-ils ceux qui s'y
+arrestent aux patiences, sans se perdre par trop en tentation: et faut
+que celuy soit bien enchanté de vertu, qui, en voyant une belle femme,
+ne se gaste point les yeux; ainsi que disoit Alexandre quelquesfois à
+ses amis, que les filles des Perses faisoient grand mal aux yeux à ceux
+qui les regardoient; et, pour ce, tenant les filles du roy Darius ses
+prisonnieres, jamais ne les saluoit qu'avec les yeux baissez, et encor
+le moins qu'il pouvoit, de peur qu'il avoit d'estre surpris de leur
+excellente beauté. Ce n'est dès-lors seulement, mais d'aujourd'hui,
+qu'entre toutes les femmes d'Orient les Persiennes ont le los et le prix
+d'estre les plus belles et accomplies en proportions de leur corps et
+beauté naturelle, gentilles, propres en leurs habits et chaussures,
+mesmement, et sur toutes, celles de l'ancienne et royale ville de
+Seiras, lesquelles sont tellement loüées en leurs beautez, blancheurs et
+plaisantes civilitez et bonne grace, que les Mores, par un antique et
+commun proverbe, disent que leur prophete Mahomet ne voulut jamais aller
+à Seiras, de crainte que s'il y eust veu une fois ces belles femmes,
+jamais amprès sa mort son ame ne fust entrée en paradis. Ceux qui y ont
+esté et en ont escrit le disent ainsi; en quoy on notera l'hypocrite
+contenance de ce bon marault et rompu prophete, comme s'il ne se
+trouvoit pas escrit, ce dit Belon, en un livre arabe, intitulé _Des
+bonnes coustumes de Mahomet_, le loüant de ses forces corporelles, qui
+se vantoit de pratiquer et repasser ces unze femmes qu'il avoit en une
+mesme heure l'une après l'autre. Au diable soit le marault! n'en parlons
+plus: quand tout est dit, je suis bien à loisir d'en parler. J'ay veu
+faire cette question, sur ce trait d'Alexandre que je viens de dire, et
+de Scipion l'Afriquain, lequel des deux acquist plus grand louange de
+continence. Alexandre, se défiant des forces de sa chasteté, ne voulut
+point voir ces belles dames persiennes: Scipion, après la prise de
+Carthage la neufve, vid cette belle fille espagnole que ses soldats luy
+amenerent, et luy offrirent pour la part de son butin, laquelle estoit
+si excellente en beauté et en si bel aage de prise, que par-tout où elle
+passoit elle animoit et admiroit les yeux de tous à la regarder, et
+Scipion mesme; lequel, l'ayant saluée fort courtoisement, s'enquist de
+quelle ville d'Espagne elle estoit, et de ses parents. Il luy fut dit,
+entr'autres choses, qu'elle estoit accordée à un jeune homme nommé
+Alucius, prince des Celtibériens, à qui il la rendit, et à ses pere et
+mere, sans la toucher; dont il obligea la dame, les parents et le
+fiancé, si bien qu'ils se rendirent depuis très-affectionnez à la ville
+de Rome et à la République. Mais que sçait-on si dans son ame cette
+belle dame n'eust point desiré avoir esté un peu percée et entamée
+premièrement de Scipion, de luy, dis-je, qui estoit beau, jeune, brave,
+vaillant et victorieux? Possible que si quelque privé ou privée des
+siennes et des siens luy eust demandé en foy et conscience si elle ne
+l'eust pas voulu, je laisse à penser ce qu'elle eust respondu, ou fait
+quelque petite mine approchant de l'avoir desiré, et, s'il vous plaist,
+si son climat d'Espagne et son soleil couchant ne la sçavoit pas rendre,
+et plusieurs autres dames d'aujourd'huy et de cette contrée, belles et
+pareilles à elle, chaudes et aspres à cela, comme j'en ay veu quantité.
+Il ne faut donc point douter si cette belle et honneste fille fut esté
+requise et sollicitée de ce beau jeune homme Scipion, qu'elle ne l'eust
+pris au mot, voire sur l'autel de ses dieux prophanes. En cela ce
+Scipion a esté certes loüé d'aucuns de ce grand don de continence;
+d'autres il en a esté blasmé: car en quoy peut monstrer un brave et
+valleureux cavallier la générosité de son cœur, qu'envers une belle
+et honneste dame, si-non luy faire parestre par effet qu'il prise sa
+beauté et l'ayme beaucoup, sans luy user de ces respects, froideurs,
+modesties et discrétions, que j'ay veu souvent appeller, à plusieurs
+cavalliers et dames, plustost sottises et faillement de cœur que
+vertus. Non, ce n'est pas qu'une belle et honneste dame aime dans son
+cœur, mais une bonne joüissance, sage, discrete et secrete. Enfin,
+comme dist un jour une honneste dame lisant cette histoire, c'estoit un
+sot que Scipion, tout brave et généreux capitaine qu'il fust, d'aller
+obliger des personnes à soy et au party romain par un si sot moyen,
+qu'il eust pu faire par un autre plus convenable, et mesmes puis que
+c'estoit un butin de guerre, duquel en cela on doit triompher autant ou
+plus que de toute autre chose. Le grand fondateur de sa ville ne fit pas
+ainsi, quand les belles dames sabines furent ravies, à l'endroit de
+celle qu'il eust pour sa part, et en fit à son bon plaisir, sans aucun
+respect; dont elle s'en trouva bien, et ne s'en soucia guières, ny elle
+ny ses compagnes, qui firent leur accord aussi-tost avec leurs marys et
+ravisseurs, et ne s'en formalisèrent comme leurs peres et meres, qui en
+firent esmouvoir grosse guerre. Il est vray qu'il y a gens et gens,
+femmes et femmes, qui ne veulent accointance de tout le monde en cette
+façon: et toutes ne sont pareilles à la femme du roy Ortragon, l'un des
+roys gaulois d'Asie, qui fut belle en perfection; et, ayant esté prise
+en sa deffaite par un centenier romain, et sollicitée de son honneur, la
+trouvant ferme, elle qui eut horreur de se prostituer à luy, et à une
+personne si vile et basse, il la prit par force et violence, que la
+fortune et advanture de guerre lui avoit donné par droit d'esclavitude;
+dont bien-tost il s'en repentit et en eut la vengeance; car elle luy
+ayant promis une grande rançon pour sa liberté, et tous deux estants
+allez au lieu assigné pour en toucher l'argent, le fit tuer ainsi qu'il
+le contoit, et puis l'emporta et la teste à son mary, auquel confessa
+librement que celuy-là lui avoit violé véritablement sa chasteté, mais
+qu'elle en avoit eu la vengeance en cette façon: ce que son mary
+l'approuva et l'honora grandement. Et depuis ce temps-là, dit
+l'histoire, conserva son honneur jusques au dernier de sa vie avec toute
+sainteté et gravité: enfin elle en eut ce bon morceau, fust qu'il vint
+d'un homme de peu. Lucrèce n'en fit pas de mesme, car elle n'en tasta
+point, bien qu'elle fust sollicitée d'un brave roy: en quoy elle fit
+doublement de la sotte, de ne luy complaire sur-le-champ et pour un peu,
+et de se tuer.
+
+Pour tourner encore à Scipion, il ne sçavoit point encore bien le train
+de la guerre pour le butin et pour le pillage: car, à ce que je tiens
+d'un grand capitaine des nostres, il n'est telle viande au monde pour
+cela qu'une femme prise de guerre, et se mocquoit de plusieurs autres de
+ses compagnons, qui recommandoient sur toutes choses, aux assauts et
+surprises des villes, l'honneur des dames, mesmes aux autres lieux et
+rencontres: car elles aiment les hommes de guerre toujours plus que les
+autres, et leur violence leur en fait venir plus d'appetit et puis on
+n'y trouve rien à redire, le plaisir leur en demeure, l'honneur des
+marys et d'elles n'en est nullement honny; et puis les voilà bien
+gastées! et qui plus est, sauvent les biens et les vies de leurs marys,
+ainsi que la belle Eunoe, femme de Bogud ou Bocchus, roy de Mauritanie,
+à laquelle César fit de grands biens et à son mary, non tant, faut-il
+croire, pour avoir suivy son party, comme Juba, roy de Bithynie, celuy
+de Pompée, mais parce que c'estoit une belle femme, et que César en eut
+l'accointance et douce joüissance. Tant d'autres commoditez de ces
+amours y a-t-il que je passe: et toutesfois, ce disoit ce grand
+capitaine, ses autres grands compagnons pareils à luy, s'amusants à de
+vieilles routines et ordonnances de guerre, veulent qu'on garde
+l'honneur des femmes, desquelles il faudroit auparavant sçavoir en
+secret et en conscience l'advis, et puis en décider: ou possible
+sont-ils du naturel de notre Scipion, lequel, ne se contentant tenir de
+celuy du chien de l'ortolan, lequel, comme j'ay dit cy-devant, ne
+voulant manger des choux du jardin, empesche que les autres n'en
+mangent. Ainsi qu'il fit à l'endroit du pauvre Massinissa, lequel ayant
+tant de fois hazardé sa vie pour luy et pour le peuple romain, tant
+peiné, sué et travaillé pour lui acquérir gloire et victoire, il luy
+refusa et osta la belle reyne Sophonisba, qu'il avoit prise et choisie
+pour son principal et précieux butin: il la luy enleva pour l'envoyer à
+Rome à vivre le reste de ses jours en misérable esclave, si Massinissa
+n'y eust remedié. Sa gloire en fust esté plus belle et plus ample si
+elle eust comparu en glorieuse et superbe reyne, femme de Massinissa, et
+que l'on eust dit, la voyant passer: «Voilà l'une des belles vestiges
+des conquestes de Scipion;» car la gloire certes gist bien plus en
+l'apparence des choses grandes et hautes, que des basses. Pour fin,
+Scipion en tout ce discours fit de grandes fautes, ou bien il estoit
+ennemy du tout du sexe féminin, ou du tout impuissant de le contenter,
+bien qu'on die que sur ses vieux jours il se mit à faire l'amour à une
+des servantes de sa femme: ce qu'elle comporta fort patiemment pour des
+raisons qui se pourroient là-dessus alléguer. Or, pour sortir de la
+digression que je viens d'en faire, et pour rentrer au plain chemin que
+j'avois laissé, je dis, pour faire fin à ce discours, que rien au monde
+n'est si beau à voir et regarder qu'une belle femme pompeusement
+habillée, ou délicatement deshabillée et couchée, mais qu'elle soit
+saine, nette, sans tare, suros ny mallandre, comme j'ay dit. Le roy
+François disoit qu'un gentilhomme, tant superbe soit-il, ne sçauroit
+mieux recevoir un seigneur, tant grand soit-il, en sa maison ou
+chasteau, mais qu'il y opposast à sa vue et première rencontre une belle
+femme sienne, un beau cheval et un beau levrier: car, en jettant son
+œil tantost sur l'un, tantost sur l'autre, et tantost sur le tiers,
+il ne se sçauroit jamais fascher en cette maison; mettant ces trois
+choses belles pour très-plaisantes à voir et admirer, et en faisant cet
+exercice très-agréable. La reyne de Castille disoit qu'elle prenoit un
+très-grand plaisir de voir quatre choses: _Hombre d'armas en campo,
+obisbo puesto en pontifical linda dama en la cama, y ladron en la
+horca_. C'est-à-dire: «Un homme d'armes sur les champs, un évesque en
+son pontifical, une belle dame dans un lict, et un larron au gibet.»
+
+J'ay ouy raconter à feu M. le cardinal de Lorraine le Grand, dernier
+décédé, que, lorsqu'il alla à Rome vers le pape Paul IV, pour rompre la
+treve faite avec l'Empereur, il passa à Venise, où il fut
+très-honorablement receu. Il n'en faut point douter, puis qu'il estoit
+un si grand favory d'un si grand roy. Tout ce grand et magnifique sénat
+alla au-devant de luy; et, passant par le grand canal, où toutes les
+fenestres des maisons estoient bordées de toutes les femmes de la ville,
+et des plus belles, qui estoient là accourues pour voir cette entrée, il
+y en eut un des plus grands qui l'entretenoit sur les affaires de
+l'Estat, et luy en parloit fort: mais, ainsi qu'il jettoit fort les yeux
+fixement sur ces belles dames, il luy dit en son patois langage:
+«Monseigneur, je crois que vous ne m'entendez, et avez raison, car il y
+a bien plus de plaisir et difference de voir ces belles dames à ces
+fenestres, et se ravir en elles, que d'ouyr parler un fascheux vieillard
+comme moy, et parlast-il de quelque grande conqueste à vostre
+advantage.» M. le cardinal, qui n'avoit faute d'esprit et de mémoire,
+luy respondit de mot à mot à tout ce qu'il avoit dit; laissant ce bon
+vieillard fort satisfait de luy, et en admirable estime qu'il eut de luy
+qui, pour s'amuser à la veuë de ces belles dames, il n'avoit rien oublié
+ny obmis de ce qu'il luy avoit dit. Qui aura veu la Cour de nos roys
+François premier et Henry deuxiesme et autres roys ses enfants, advouera
+bien, quel qu'il soit, et eust-il veu tout le monde, n'avoir rien veu
+jamais de si beau que nos dames qui sont estées en leur Cour, et de nos
+reynes, leurs femmes, meres et sœurs; mais plus belle chose encore
+eust-il veu, ce dit quelqu'un, si le grand-pere de maistre Gonnin eust
+vescu, qui, par ses inventions, illusions et sorcelleries et
+enchantements, les eust peu représenter devestues et nues, comme l'on
+dit qu'il le fit une fois en quelque compagnie privée, que le roy
+François luy commanda; car il estoit un homme fort expert et subtil en
+son art; et son petit-fils, que nous avons veu, n'y entendoit rien au
+prix de luy. Je pense que cette veuë seroit aussi plaisante comme fut
+jadis celle des dames égyptiennes en Alexandrie à l'accueil et réception
+de leur grand dieu Apis, au devant duquel elles alloient en très-grande
+cérémonie, et levant leurs robbes, cottes et chemises, et les
+retroussant le plus haut qu'elles pouvoient, les jambes fort eslargies
+et escarquillées, leur montroient leur cas tout-à-fait; et puis, ne le
+revoyant plus, pensez qu'elles cuidoient l'avoir bien payé de cela. Qui
+en voudra voir le conte, pu'il lise _Alexand. ab Alexandra_, au sixiesme
+livre des _Jours jovials_. Je pense que telle veuë en estoit bien
+plaisante, car pour lors les dames d'Alexandrie estoient belles, comme
+encor sont aujourd'huy. Si les vieilles et laides faisoient de mesme
+passe, car la veuë ne se doit jamais estendre que sur le beau, et fuir
+le laid tant que l'on peut.
+
+En Suisse, les hommes et les femmes sont pesle mesle aux bains et
+estuves sans faire aucun acte deshonneste, et en sont quittes en mettant
+un linge devant: s'il est bien délié, encor peut-on voir chose qui
+plaist ou desplait, selon le beau ou le laid.
+
+Avant que finir ce discours, si diray-je encor ce mot. En quelles
+tentations et récréations de veuë pouvoient entrer aussi les jeunes
+seigneurs, chevaliers, gentilshommes, plébéans et autres Romains, le
+temps passé, le jour que se célébroit la feste de Flora à Rome, laquelle
+on dit avoir esté la plus gentille et la plus triomphante courtisanne
+qu'oncques exerça le putanisme dans Rome, voire ailleurs! et qui plus la
+recommandoit en cela, c'est qu'elle estoit de bonne maison et de grande
+lignée; et, pour ce, telles dames de si grande estoffe volontiers
+plaisent plus, et la rencontre en est plus excellente que des autres.
+Aussi cette dame Flora eut cela de bon et de meilleur que Lays, qui
+s'abandonnoit à tout le monde comme une bagasse, et Flora aux grands; si
+bien que sur le seuil de sa porte elle avoit mis cet escriteau: «Roys,
+princes, dictateurs, consuls, censeurs, pontifes, questeurs,
+ambassadeurs, et autres grands seigneurs, entrez, et non d'autres.» Lays
+se faisoit tousjours payer avant la main, et Flora point, disant qu'elle
+faisoit ainsi avec les grands, afin qu'ils fissent de mesme avec elle
+comme grands et illustres, et aussi qu'une femme d'une grande beauté et
+haut lignage sera tousjours autant estimee qu'elle se prise: et si ne
+prenoit si non ce qu'on luy donnoit, disant que toute dame gentille
+devoit faire plaisir à son amoureux pour amour, et non pour avarice,
+d'autant que toutes choses ont certain prix, fors l'amour. Pour fin, en
+son temps elle fit si gentiment l'amour, et se fit si bravement servir,
+que quand elle sortoit du logis quelquesfois pour se promener en ville,
+il y avoit assez à parler d'elle pour un mois, tant pour sa beauté, ses
+belles et riches parures, ses superbes façons, sa bonne grace, que pour
+la grande suite des courtisans et serviteurs, et grands seigneurs qui
+estoient avec elle, et qui la suivoient et accompagnoient comme vrays
+esclaves, ce qu'elle enduroit fort patiemment: et les ambassadeurs
+estrangers, quand ils s'en retournoient en leurs provinces, se
+plaisoient plus à faire des contes de la beauté et singularité de la
+belle Flora que de la grandeur de la république de Rome, et sur-tout de
+sa grande libéralité, contre le naturel pourtant de telles dames; mais
+aussi estoit-elle outre le commun, puisqu'elle estoit noble. Enfin elle
+mourut si riche et si opulente, que la valeur de son argent, meubles et
+joyaux, estoit suffisante pour refaire les murs de Rome, et encor pour
+desengager la République. Elle fit le peuple romain son héritier
+principal, et pour ce luy fut édifié dans Rome un temple très-somptueux,
+qui de Flora fut appelé Florian.
+
+La première feste que l'empereur Galba célébra jamais fut celle de
+l'amoureuse Flora, en laquelle estoit permis aux Romains et Romaines de
+faire toutes les desbauches, deshonnestetez, sallauderies et
+débordements à l'envy dont se pourroient adviser; en sorte que l'on
+estimoit la plus sainte et la plus gallante celle qui, ce jour-là,
+faisoit plus de la dissolue et de la deshonnestetez débordée. Pensez
+qu'il n'y avoit ny fiscaigne (que les chambrieres et esclaves mores
+dansent les dimanches à Malthe en pleine place devant le monde), ny
+sarabande qui en approchast, et qu'elles n'y oublioient ny mouvement ny
+remuements lascifs, ny gestes paillards, ny tordions bizarres; et qui en
+pouvoit escogiter de plus dissolus et débordez, tant plus gallante
+estoit la dame; d'autant que telle opinion estoit parmi les Romains,
+que, qui alloit au temple de cette déesse en habit et geste et façon
+plus lascive et paillarde, auroit mesme grace et opulents biens que
+Flora avoit eu. Vrayment voilà de belles opinions et belle solemnisation
+de festes; aussi estoient-ils payens: là-dessus ne faut douter si elles
+y oublioient nul genre de lasciveté, et si longtemps avant ces bonnes
+dames estudioient leurs leçons, ny plus ny moins que les nostres à
+apprendre un ballet, et si elles estoient affectionnées en cela. Les
+jeunes hommes, voire les vieux, y estoient bien autant empressez à voir
+et contempler telles lascives simagrées. Si telles se pouvoient
+représenter parmy nous, le monde en feroit bien son proffit en toutes
+sortes; et pour estre à telles veuës le monde se tueroit de la presse.
+Il y a assez-là à gloser qui voudra; je le laisse aux bons galands:
+qu'on lise Suetone, Pausanias grec et Manilius latin, aux livres qu'ils
+ont fait des dames illustres, fameuses et amoureuses, on verra tout. Ce
+conte encor, et puis plus.
+
+Il se lit que les Lacédémoniens allèrent une fois pour mettre le siége
+devant Messene, à quoy les Mecéniens les prévindrent, car ils sortirent
+d'abord sur eux les uns et les autres, tirerent et coururent à
+Lacédémone, pensant la surprendre et la piller cependant qu'ils
+s'amusoient devant leur ville; mais ils furent valeureusement repoussés
+et chassés par les femmes qui estoient demeurées: ce que sçachants, les
+Lacédémoniens rebroussèrent chemin et tournerent vers leur ville: mais
+de loin ils decouvrent leurs femmes toutes en armes, qui avoient donné
+la chasse, dont ils furent en alarme; mais elles se firent aussi-tost à
+eux recognoistre et leur racontèrent leur fortune, dont ils se mirent de
+joie à les baiser, embrasser et caresser, de telle sorte que, perdants
+toute honte, et sans avoir la patience d'oster leurs armes, ny eux ni
+elles, leur firent cela bravement en mesme place qu'ils les
+rencontrèrent, où l'on put voir choses et autres, et ouyr un plaisent
+son et cliquetis d'armes et d'autre chose; en mémoire de quoy ils firent
+bastir un temple et simulacre à la déesse Vénus, qu'ils appelèrent
+_Vénus l'armée_, au contraire de tous les autres, qui la peignent toute
+nue. Voilà une plaisante cohabitation, et un beau sujet de peindre Vénus
+armée, et l'appeler ainsi! Il se voit souvent parmi les gens de guerres,
+mesmes aux prises de villes par assauts, force soldats tous armés joüir
+des femmes, n'ayant le loisir et la patience de se désarmer pour passer
+leur rage et appetit, tant ils sont tentez; mais de voir le soldat armé
+habiter avec la femme armée, il s'en void peu. Il faut là-dessus songer
+le plaisir qui s'en peut ensuivre, et quel plus grand pouvoir estre en
+ce beau mystère, ou pour l'action ou pour la veuë, ou pour la sonnerie
+des armes. Cela gist en l'imagination qu'on en pourroit faire, tant pour
+les agents que pour les arregardants qui estoient là pour lors. Or c'est
+assez, faisons fin: j'eusse fait ce discours plus ample de plusieurs
+exemples, mais je craignois que, pour estre trop lascif, j'en eusse
+encouru mauvaise reputation.
+
+Si faut-il qu'après avoir tant loüé les belles femmes, que je fasse le
+conte d'un Espagnol qui, voulant mal à une femme, me le dépeignit un
+jour comme il falloit, et me dit: _Senor, vieja; es como la lampada
+azeintunada d'iglesia, y de hechura del armario larga y desvayada, el
+color y gesto como mascara mal pintada, et talle como una campana ò mola
+de molino, la vista como idolo del tiempo antiquo, el andar y vision
+d'una antigua fantasma de la noche, que tanto tuviesse encontrar la de
+noche, come ver una mandagora. Iesus, Iesus, Dios me libre de su
+malencuentro, no se contenta de tener en su casa por huesped al provisor
+de obisbo, ny se contenta con la demasia da conversacion del vicario, ny
+del guardian, ny de la amistad antigua del deen, sino que agora de
+nuevo atomado al que pide para las animas de purgatorio, paracabar su
+negra vida_. C'est-à-dire: «Voyez-la; elle est comme une lampe vieille
+et toute graisseuse d'huile d'église; de forme et façon, elle ressemble
+un armoire grand et vague et mal basti; la couleur et la grace comme
+d'un masque mal peint; la taille comme une cloche de monastère ou meule
+de moulin; le visage comme d'un idole du temps passé; le regard et
+l'aller comme un fantosme antique qui va de nuict: de sorte que je
+craindrois autant de la rencontrer de nuict comme de voir une
+mandragore. Jesus! Jesus! Dieu m'en garde de telle rencontre! Elle ne se
+contente pas d'avoir pour hoste ordinaire chez soy le proviseur de
+l'evesque, ny se contente de la demesurée conversation du vicaire, ny de
+la continuë visite du gardien, ny de l'ancienne amitié du doyen, sinon
+qu'à cette heure de nouveau elle a pris en main celui qui demande pour
+les ames du Purgatoire, et ce pour achever sa noire vie.» Voilà comment
+l'Espagnol, qui a si bien dépeint les trente beautez d'une dame, comme
+j'ay dit cy-dessus en ce discours, quand il veut, la sçait bien
+déprimer.
+
+
+
+
+DISCOURS TROISIEME.
+
+ Sur la beaute de la belle jambe et de la vertu qu'elle a.
+
+
+Entre plusieurs belles beautez que j'ay veu loüer quelques fois parmi
+nous autres courtisans, et autant propres à attirer à l'amour, c'est
+qu'on estime fort une belle jambe à une belle dame, dont j'ay veu
+plusieurs dames en avoir gloire, et soin de les avoir et entretenir
+belles. Entre autres, j'ay ouy raconter d'une très-grande princesse de
+par le monde, que j'ay cogneu, laquelle aimoit une de ses dames
+par-dessus toutes les siennes, et la favorisoit par-dessus les autres,
+seulement parce qu'elle luy tiroit ses chausses si bien tenduës, et en
+accommodoit la greve, et mettoit si proprement la jarretiere, et mieux
+que toute autre, de sorte qu'elle estoit fort avancée auprès d'elle,
+mesme luy fit de grands biens: et par ainsi, sur cette curiosité qu'elle
+avoit d'entretenir ainsi sa jambe belle, faut penser que ce n'estoit
+pour la cacher sous sa juppe, ny son cotillon ou sa robbe, mais pour en
+faire parade quelques fois avec de beaux calleçons de toille d'or et
+d'argent, ou d'autre estoffe, très-proprement et mignonnement faits,
+qu'elle portoit d'ordinaire: car l'on ne se plaist point tant en soy,
+que l'on n'en veuille faire part à d'autres de la veuë et du reste.
+Cette dame aussi ne se pouvoit pas excuser en disant que c'estoit pour
+plaire à son mary, comme la pluspart d'elles le disent, et mesmes les
+vieilles, quand elles se font si pimpantes et gorgiases, encores
+qu'elles soient vieilles; mais cette-cy estoit veufve: il est vray que
+du temps de son mary elle faisoit de mesme, et pour ce ne voulut
+discontinuer par amprès, l'ayant perdu. J'ay cogneu force belles,
+honnestes dames et filles, qui sont autant curieuses de tenir ainsi
+précieuses et propres et gentilles leurs belles jambes: aussi elles en
+ont raison, car il y gist plus de lasciveté qu'on ne pense. J'ay ouy
+parler d'une très-grande dame, du temps du roy François, et très-belle,
+laquelle, s'estant rompu une jambe, et se l'estant faitte rabiller, elle
+trouva qu'elle n'estoit pas bien, et estoit demeurée toute torte: elle
+fut si resolue, qu'elle se la fit rompre une autre fois au rabilleur,
+pour la remettre en son point, comme auparavant, et la rendre aussi
+belle et aussi droite. Il y en eut quelqu'une qui s'en esbahit fort;
+mais à celle une autre belle dame fort entendue fit response et lui dit:
+«A ce que je vois, vous ne savez pas quelle vertu amoureuse porte en soy
+une belle jambe.»
+
+--J'ay cogneu autresfois une fort belle et honneste fille de par le
+monde, laquelle estant fort amoureuse d'un grand seigneur, pour
+l'attirer à soy, et en escroquer quelque bonne pratique, et n'y pouvant
+parvenir, un jour, estant en une allée de parc, et le voyant venir, elle
+fit semblant que sa jarretiere lui tomboit; et, se mettant un peu à
+l'escart, haussa sa jambe, et se mit à tirer sa chausse et rabiller sa
+jarretiere. Ce grand seigneur l'advisa fort, et en trouva la jambe
+très-belle, et s'y perdit si bien, que cette jambe opéra en luy plus que
+n'avoit fait son beau visage; jugeant bien en soy que ces deux belles
+colonnes soustenoient un beau bastiment; et depuis l'advoua-t-il à sa
+maistresse, qui en disposa après comme elle voulut. Notez cette
+invention et gentille façon d'amour.
+
+--J'ay ouy parler aussi d'une belle et honneste dame, surtout fort
+spirituelle, de plaisante et bonne humeur, laquelle, se faisant un jour
+tirer sa chausse à son vallet-de-chambre, elle luy demanda s'il
+n'entroit point pour cela en ruth, tentation et concupiscence[69]:
+encore dit-elle et franchit le mot tout outre. Le vallet, pensant bien,
+pour le respect qu'il luy portoit, respondit que non. Elle soudain,
+haussant la main, luy donna un grand soufflet. «Allez, dit-elle, vous ne
+me servirez jamais plus; vous estes un sot, je vous donne vostre congé.»
+Il y a force vallets de filles aujourd'huy qui ne sont si continents, en
+levant, habillant et chaussant leurs maistresses: il y a aussi des
+gentilshommes qui n'eussent fait ce trait, voyant un si bel appas.
+
+Ce n'est d'aujourd'huy seulement que l'on a estimé la beauté des belles
+jambes et beaux pieds, car c'est une mesme chose; mais, du temps des
+Romains, nous lisons que Lucius Vitellius, pere de l'empereur Vitellius,
+estant fort amoureux de Messaline, et desirant estre en grace avec son
+mary par son moyen, la pria un jour de luy faire cet honneur de luy
+accorder un don. L'Emperiere luy demanda: «Et quoy?--C'est, madame,
+dit-il, qu'il vous plaise qu'un jour je vous deschausse vos escarpins.»
+Messaline, qui estoit toute courtoise pour ses sujets, ne luy voulut
+refuser cette grace; et l'ayant deschaussée, en garda un escarpin et le
+porta tousjours sur soy entre la chemise et la peau, le baisant le plus
+souvent qu'il pouvoit, adorant ainsi le beau pied de sa dame par
+l'escarpin, puisqu'il ne pouvoit avoir à sa disposition le pied naturel
+ny la belle jambe. Vous avez le Milord d'Angleterre des _Cent Nouvelles
+de la Reyne de Navarre_, qui porta de mesme le gand de sa maistresse à
+son costé, et si bien enrichy. J'ay cogneu force gentilshommes qui,
+premier que porter leurs bas de soye, prioient les dames et maistresses
+de les essayer et les porter devant eux quelques huict ou dix jours, du
+plus que du moins, et puis les portoient en très-grand vénération et
+contentement d'esprit et de corps.
+
+--J'ai cogneu un seigneur de par le monde, qui, estant sur la mer avec
+une grande dame des plus belles du monde, qui, voyageant par son pays,
+et d'autant que ses femmes estoient malades de la marette, et par ce
+très-mal disposées pour la servir, le bonheur fut pour luy qu'il fallut
+qu'il la couchast et levast; mais en la couchant et levant, la chaussant
+et deschaussant, il en devint si amoureux qu'il s'en cuida desespérer,
+encor qu'il luy fust proche: comme certes la tentation en est par trop
+extresme, et il n'y a nul si mortifié qui ne s'en esmeust. Nous lisons
+de Poppea Sabina, femme de Néron, qui estoit la plus favorite des
+siennes, laquelle, outre qu'elle fut la plus profuse en toutes sortes de
+superfluïtez, d'ornements, de parures, de pompes et de ses coustrements
+d'habits, elle portoit des escarpins et pianelles toutes d'or. Cette
+curiosité ne tendoit pas pour cacher sa jambe ny son pied à Néron, son
+cocu de mary: luy seul n'en avoit pas tout le plaisir ny la veuë, il y
+en avoit bien d'autres. Elle pouvoit bien avoir cette curiosité pour
+elle, puisqu'elle faisoit ferrer les pieds de ses juments qui
+traisnoient son coche de fers d'argent. M. Saint Jerosme reprend bien
+fort une dame de son temps qui estoit trop curieuse de la beauté de sa
+jambe, par ces propres mots: «Par la petite botine brunette, et bien
+tirée et luisante, elle sert d'appeau aux jeunes gens, et d'amorces par
+le son des bouclettes.» Pensez que c'estoit quelque façon de chaussure
+qui couroit de ce temps-là, qui estoit par trop affetée, et peu séante
+aux prudes femmes. La chaussure de ces botines est encore aujourd'huy en
+usage parmy les dames de Turquie, et des plus grandes et plus chastes.
+J'ay veu discourir et faire question quelle jambe estoit plus tentative
+et attrayante, ou la nue ou la couverte et chaussée. Plusieurs croyent
+qu'il n'y a que le naturel, mesme quand elle est bien faite au tour de
+la perfection et selon la beauté que dit l'Espagnol que j'ay dit
+cy-devant, et qu'elle est bien blanche, belle et bien polie, et monstrée
+à propos dans un beau lict; car autrement, si une dame la vouloit
+monstrer toute nue en marchant ou autrement, et des souliers aux pieds,
+quand bien elle seroit la plus pompeusement habillée du monde, elle ne
+seroit jamais trouvée bien décente ny belle; comme une qui seroit bien
+chaussée d'une belle chaussure de soye de couleur ou de fillet blanc,
+comme on fait à Fleurence pour porter l'esté, dont j'ay veu d'autresfois
+nos dames en porter avant le grand usage que nous avons eu depuis des
+chausses de soye; et après faudroit qu'elle fust tirée et tendue comme
+la peau d'un tabourin, et puis attachée ou avec esguillettes ou
+autrement, selon la volonté et l'humeur des dames: puis faut accompagner
+le pied d'un bel escarpin blanc, et d'une mule de velours noir ou
+d'autre couleur, ou bien d'un beau petit patin, tant bien fait que rien
+plus, comme j'en ay veu porter à une très-grande dame de par le monde,
+des mieux faits et plus mignonnement. En quoy faut adviser aussi la
+beauté du pied; car s'il est par trop grand il n'est plus beau; s'il est
+par trop petit, il donne mauvaise opinion et signifiance de sa dame,
+d'autant qu'on dit _petit pied grand c.._, ce qui est un peu odieux:
+mais il faut qu'il soit un peu mediocre, comme j'en ay veu plusieurs qui
+en ont porté grandes tentations, et mesmes quand leurs dames le
+faisoient sortir et paroistre à demy hors du cotillon, et le faisoient
+remüer et fretiller par certains petits tours et remuements lascifs,
+estant couverts d'un beau petit patin peu liégé, et d'un escarpin blanc,
+pointu et point quarré par le devant, et le blanc est le plus beau. Mais
+ces petits patins et escarpins sont pour les grandes et hautes femmes,
+non pour les courtaudes et nabottes, qui ont leurs grands chevaux de
+patins liégés de deux pieds: autant vaudroit voir remüer cela comme la
+massue d'un géant ou la marotte d'un fou. D'une autre chose aussi se
+doit bien garder la dame, de ne déguiser son sexe, et ne s'habiller en
+garçon, soit pour une mascarade ou autre chose: car encor qu'elle eust
+la plus belle jambe du monde, elle s'en monstre difforme, d'autant
+qu'il faut que toutes choses ayent leur propriété et leur séance;
+tellement qu'en dementant leur sexe, defigurent du tout leur beauté et
+gentillesse naturelle. Voylà pourquoy il n'est bien-séant qu'une femme
+se garçonne pour se faire monstrer plus belle, si ce n'est pour se
+gentiment adoniser d'un beau bonnet avec la plume à la Guelfe ou
+Gibeline attachée, ou bien au-devant du front, pour ne trancher ny de
+l'un ny de l'autre, comme depuis peu de temps nos dames d'aujourd'huy
+l'ont mis en vogue: mais pourtant à toutes il ne sied pas bien; il faut
+en avoir le visage poupin et fait exprès, ainsi que l'on a vu à nostre
+reyne de Navarre, qui s'en accommodoit si bien, qu'à voir le visage
+seulement adonisé, on n'eust sceu juger de quel sexe elle tranchoit, ou
+d'un beau jeune enfant, ou d'une très-belle dame qu'elle estoit.
+
+Dont il me souvient qu'une de par le monde que j'ay cogneue qui, la
+voulant imiter sur l'age de vingt-cinq ans, et de par trop haute et
+grande taille, hommasse et nouvellement venuë à la Cour, pensant faire
+de la galante, comparut un jour en la salle du bal, et ne fut sans estre
+fort regardée et assez brocardée, jusques au Roy qui en donna aussi-tost
+sa sentence, car il disoit des mieux de son royaume, et dit qu'elle
+ressembloit fort bien une batteleuse, ou, pour dire plus proprement, de
+ces femmes en peinture que l'on porte de Flandres, et que l'on met
+au-devant des cheminées d'hostellerie et cabarets avec des fleustes
+d'Allemant au bec; si bien qu'il luy fit dire, si elle comparessoit plus
+en cet habit et contenance, qu'il luy feroit signifier de porter sa
+fleuste pour donner l'aubade et récréation à la noble compagnie. Telle
+guerre lui fit-il, autant pour ce que cette coiffure lui séoit mal, que
+pour haine qu'il portoit à son mary. Voilà pourquoy tels déguisements ne
+siezent bien à toutes dames; car quand bien cette reyne de Navarre, qui
+est la plus belle du monde, se fust voulu autrement déguiser de son
+bonnet, elle n'eust jamais comparu si belle comme elle est, et n'eust
+peu: aussi, qu'auroit-elle sceu prendre forme plus belle que la sienne,
+car de plus belle n'en pouvoit-elle prendre n'y emprunter de tout le
+monde? Et si elle eust voulu monstrer sa jambe, que j'ay ouy dire à
+aucunes de ses femmes, et la peindre pour la plus belle et mieux faite
+du monde, autrement qu'en son naturel, ou bien estant chaussée
+proprement sous ses beaux habits, on ne l'eust jamais trouvée si belle.
+Ainsi faut-il que les belles dames comparoissent et fassent monstre de
+leurs beautez.
+
+--J'ay lu dans un livre espagnol, intitulé _el Viage del Principe_[70],
+qui fut celui que le roy d'Espagne fit en ses Pays-Bas du temps de
+l'empereur Charles son père, entr'autres beaux recueils qu'il receut
+parmi ses riches et opulentes villes, ce fut de la reyne d'Hongrie en sa
+belle ville de Bains, dont le proverbe dit: _Mas brava que las fiestas
+de Bains_[71]. Entre autres magnificences fut que, durant le siége d'un
+chasteau qui fut battu en feinte, et assiégé en forme de place de guerre
+(je le descris ailleurs), elle fit un jour un festin, sur tous autres, à
+l'Empereur son bon frère, à la reyne Eleonor sa sœur, au Roy son
+nepveu, et à tous les seigneurs, chevaliers et dames de la Cour. Sur la
+fin du festin comparut une dame, accompagnée de six nymphes Oréades,
+vestues à l'antique, à la nymphale et mode de la vierge chasseresse,
+toutes vestues d'une toille d'argent et vert, et un croissant au front,
+tout couvert de diamants, qu'ils sembloient imiter la lueur de la lune,
+portant chacune son arc et ses flèches en la main, et leurs carquois
+fort riches au costé, leurs botines de mesme toille d'argent, tant bien
+tirées que rien plus. Et ainsi entrèrent en la salle, menans leurs
+chiens après elles, et présentèrent à l'Empereur, et luy mirent sur sa
+table toute sorte de venaison en paste, qu'elles avoient prise en leur
+chasse. Et, après, vint Palès, la déesse des pasteurs, avec six nymphes
+Napées, vestues toutes de blanc de toille d'argent, avec les garnitures
+de mesme en la teste, toutes couvertes de perles; et avoient aussi des
+chausses de pareille toille avec l'escarpin blanc, qui portèrent de
+toute sorte de laitage, et le posèrent devant l'Empereur. Puis, pour la
+troisième bande, vint la déesse Pomona, avec ses nymphes Nayades, qui
+portèrent le dernier service du fruict. Cette déesse estoit la fille de
+donna Béatrix Pacheco, comtesse d'Autremont, dame d'honneur de la reyne
+Eleonor, laquelle pouvoit avoir alors que neuf ans. C'est celle qui est
+aujourd'huy madame l'admirale de Chastillon, que M. l'admiral espousa en
+secondes nopces; laquelle fille et déesse apporta, avec ses compagnes,
+toutes sortes de fruicts qui se pouvoient alors trouver, car c'estoit en
+esté, des plus beaux et plus exquis, et les présenta à l'Empereur avec
+une harangue si éloquente, si belle, et prononcée de si bonne grace,
+qu'elle s'en fit fort aimer et admirer de l'Empereur et de toute
+l'assemblée, veu son jeune age, que dès lors on présagea qu'elle seroit
+ce qu'elle est aujourd'huy, une belle, sage, honneste, vertueuse, habile
+et spirituelle dame. Elle estoit pareillement habillée à la nymphale
+comme les autres, vestue de toilles d'argent et blanc, chaussée de
+mesme, et garnie à la teste de force pierreries; mais c'estoient toutes
+esmeraudes, pour représenter en partie la couleur du fruict qu'elles
+apportoient; et outre le présent du fruict, elle en fit un à l'Empereur
+et au roy d'Espagne d'un rameau de victoire tout esmaillé de verd, les
+branches toutes chargées de grosses perles et pierreries, ce qui estoit
+fort riche à voir et inestimable; à la reyne Eleonor un esvantail, avec
+un mirouer dedans, tout garni de pierreries de grande valeur. Certes
+cette princesse et reyne d'Hongrie monstroit bien qu'elle estoit une
+honneste dame en tout, et qu'elle savoit son entregent aussi bien que le
+mestier de la guerre; et à ce que j'ay ouy dire, l'Empereur son frère
+avoit un grand contentement et soulagement d'avoir une si honneste
+sœur et digne de luy. Or, l'on me pourroit objecter pourquoy j'ay
+fait cette disgression en forme de discours. C'est pour dire que toutes
+ces filles, qui avoient joué ces personnages avoient esté choisies et
+prises pour les plus belles d'entre toutes celles des reynes de France
+et de Hongrie et madame de Lorraine, qui estoient françoises,
+italiennes, flamandes, allemandes et lorraines; parmy lesquelles n'y
+avoit faute de beauté; et Dieu sait si la reyne d'Hongrie avoit esté
+curieuse d'en choisir de plus belles et de meilleure grace. Madame de
+Fontaine-Chalandry, qui est encore en vie, en sauroit bien que dire, qui
+estoit lors fille de la reyne Eleonor, et des plus belles: on l'appeloit
+aussi la belle Torcy, qui m'en a bien conté. Tant il y a que je tiens
+d'elle et d'ailleurs, que les seigneurs, gentilshommes et cavaliers de
+cette cour, s'amusèrent à regarder et contempler les belles jambes,
+greves et beaux petits pieds de ces dames; car, vestues ainsi à la
+nymphale, elles estoient courtement habillées et en pouvoient faire une
+très belle monstre, plus que de leurs beaux visages qu'ils pouvoient
+voir tous les jours, mais non leurs belles jambes; dont aucuns en
+vindrent plus amoureux par la veuë et monstre d'icelles belles jambes,
+que non pas de leurs belles faces; d'autant qu'au dessus des belles
+colonnes, coustumièrement il y a de belles corniches de frize, de beaux
+architraves, riches chapiteaux, bien polis et entaillés. Si faut-il que
+je fasse encor cette digression et que j'en fasse ma fantaisie, puisque
+nous sommes sur les feintes et représentations. Quasi en mesme temps que
+ces belles festes se faisoient es Pays-Bas, et surtout à Bains, sur la
+réception du roy d'Espagne, se fit l'entrée du roy Henry, tournant de
+visiter son pays de Piedmond et ses garnisons à Lyon, qui certes fut des
+belles et plus triomphantes, ainsi que j'ay ouy dire à d'honnestes dames
+et gentilshommes de la Cour qui y estoient. Or, si cette feinte et
+représentation de Diane et de sa chasse fut trouvée belle en ce royal
+festin de la reyne d'Hongrie, il s'en fit une à Lyon, qui fut bien autre
+et mieux imitée; car, ainsi que le Roy marchoit, venant à rencontrer un
+grand obélisque à l'antique, à costé de la main droite, il rencontra de
+mesme un préau ceint, sur le grand chemin, d'une muraille de quelque peu
+plus de six pieds de hauteur, et ledit préau aussi haut de terre, lequel
+avoit esté distinctement remply d'arbres de moyenne fustaye,
+entreplantez de taillis espais et à force de touffes d'autres petits
+arbrisseaux, avec aussi force arbres fruitiers. Et en cette petite
+forest s'esbattoient force petits cerfs tous en vie, biches, chevreuils,
+toutefois privez. Et lors Sa Majesté entrouyt aucuns cornets et trompes
+sonner, et tout aussitost apperceut venir, au travers ladite forest,
+Diane chassant avec ses compagnes et vierges forestières, elle tenant à
+la main un riche arc turquois, avec sa trousse pendant au costé,
+accoutrée en atours de nymphe, à la mode que l'antiquité nous la
+représente encore; son corps estoit vestu avec un demy bas à six grands
+lambeaux ronds de toile d'or noire, semée d'estoiles d'argent, les
+manches et le demeurant de satin cramoisy, avec profilure d'or, troussée
+jusques à demy jambe, decouvrant sa belle jambe et greve, et ses botines
+à l'antique de satin cramoisy, couvertes de perles en broderie: ses
+cheveux estoient entrelacés de gros cordons de riches perles, avec
+quantité de pierreries et joyaux de grand valeur; et au dessus du front
+un petit croissant d'argent, brillant de menus petits diamants; car d'or
+ne fust esté si beau ny si bien représentant le croissant naturel, qui
+est clair et argentin.
+
+Ses compagnes estoient accoutrées de diverses façons d'habits et de
+taffetas rayez d'or, tant plein que vuide, le tout à l'antique, et de
+plusieurs autres couleurs à l'antique, entremeslées tant pour la
+bizarreté que pour la gayté; les chausses et botines de satin; leurs
+testes adornées de mesme à la nymphale, avec force perles et
+pierreries. Aucunes conduisoient des limiers et petits levriers,
+espaigneuls et autres chiens, en laisse avec des cordons de soye blanche
+et noire, couleurs du Roy pour l'amour d'une dame du nom de Diane qu'il
+aimoit: les autres accompagnoient et faisoient courre les chiens
+courants qui faisoient grand bruit. Les autres portoient de petits dards
+de bresil, le fer doré avec de petites et gentilles houppes pendantes,
+de soye blanche et noire, les cornets et trompes mornées d'or et
+d'argent pendantes en escharpes à cordons de fil d'argent et soye noire.
+Et ainsi qu'elles apperceurent le Roy, un lion sortit du bois, qui
+estoit privé et fait de longue main à cela, qui se vint jetter aux pieds
+de la dite déesse, lui faisant feste; laquelle, le voyant ainsi doux et
+privé, le prit avec un gros cordon d'argent et de soye noire, et sur
+l'heure le présenta au Roy; et s'approchant avec le lion jusque sur le
+bord du mur du préau joignant le chemin, et à un pas près de Sa Majesté,
+lui offrit ce lion par un dixain en rime, tel qu'il se faisoit de ce
+temps, mais non pourtant trop mal limée et sonnante; et par icelle rime,
+qu'elle prononça de fort bonne grace, sous ce lion doux et gracieux luy
+offroit sa ville de Lyon, toute douce, gracieuse, et humiliée à ses loix
+et commandements. Cela dit et fait de fort bonne grace, Diane et toutes
+ses compagnes lui firent une humble révérence, qui, les ayant toutes
+regardées et saluées de bon œil, monstrant qu'il avoit très-agréable
+leur chasse, et les en remerciant de bon cœur, se partit d'elles et
+suivit son chemin de son entrée. Or notez que cette Diane et toutes ses
+belles compagnes estoient les plus apparentes et belles femmes mariées,
+veufves et filles de Lyon, où il n'y en a point de faute, qui joüerent
+leurs mystères si bien et de si bonne sorte, que la pluspart des
+princes, seigneurs, gentilhommes et courtisans, en demeurèrent fort
+ravis. Je vous laisse à penser s'ils en avoient raison. Madame de
+Valentinois, dite Diane de Poictiers, que le Roy servoit, au nom de
+laquelle cette chasse se faisoit, n'en fut pas moins contente, et en
+aima toute sa vie fort la ville de Lyon; aussi estoit-elle leur voisine,
+à cause de la duché de Valentinois qui en est fort proche. Or, puis que
+nous sommes sur le plaisir qu'il y a de voir une belle jambe, il faut
+croire, comme j'ay ouy dire, que non le Roy seulement, mais tous ces
+gallants de la Cour, prirent un beau et merveilleux plaisir à contempler
+et mirer celles de ces belles nymphes si folastrement accoutrées et
+retroussées, qu'elles en donnoient autant ou plus de tentation pour
+monter au second estage, que d'admiration et de sujet à loüer une si
+gentille invention.
+
+Pour laisser donc notre digression et retourner où je l'avois prise, je
+dis que nous avons veu faire en nos Cours et représenter par nos Reynes,
+et principalement par la Reyne-mere, de fort gentils ballets; mais
+d'ordinaire, entre nous autres courtisans, nous jettions nos yeux sur
+les pieds et jambes des dames qui les représentoient, et prenions par
+dessus très-grand plaisir leur voir porter leurs jambes si gentiment, et
+demener et fretiller leurs pieds si affettement que rien plus; car leurs
+robbes et cottes estoient bien plus courtes que de l'ordinaire, mais non
+pourtant si bien à la nymphale que de l'ordinaire, ny si hautes comme il
+le falloit et qu'on eust desiré; néantmoins nos yeux s'y baissoient un
+peu, et mesme lorsqu'on dansoit la volte, qui, en faisant voleter la
+robbe, monstroit toujours quelque chose agréable à la veuë, dont j'en ay
+veu plusieurs s'y perdre et s'en ravir entr'eux-mesmes. Ces belles dames
+de Sienne, au commencement de la révolte de leur ville et république,
+firent trois bandes des plus belles et des plus grandes dames qui
+fussent; chacune bande montoit à mille, qui estoit en tout trois mille,
+l'une vestue de taffetas violet, l'autre de blanc, et l'autre incarnat;
+toutes habillées à la nymphale d'un fort court accoustrement, si-bien
+qu'à plein elles monstroient la belle jambe et belle greve; et firent
+ainsi leur monstre par la ville devant tout le monde, et mesme devant M.
+le cardinal de Ferrare et M. de Thermes, lieutenants-généraux de nostre
+roy Henry; toutes resolues, et promettant de mourir pour la république
+et pour la France, et toutes prestes de mettre la main à l'œuvre pour
+la fortification de la ville, comme desjà elles avoient la fascine sur
+l'espaule; ce qui rendit en admiration tout le monde. Je mets ce conte
+ailleurs, où je parle des femmes généreuses; car il touche l'un des plus
+beaux traits qui fut jamais fait parmy galantes dames. Pour ce coup je
+me contenteray de dire que j'ay ouy raconter à plusieurs gentilshommes
+et soldats, tant François qu'estrangers, mesmes à aucuns de la ville,
+que jamais chose du monde plus belle ne fut veuë, à cause qu'elles
+estoient toutes grandes dames, et principales citadines de ladite ville,
+les unes plus belles que les autres, comme l'on sçait qu'en cette ville
+la beauté n'y manque point parmy les dames, car elle y est très-commune;
+mais s'il faisoit beau voir leur beau visage, il faisoit bien autant
+beau voir et contempler leurs belles jambes et greves, par leurs
+gentilles chaussures tant bien tirées et accommodées, comme elles
+sçavent très-bien faire, et aussi qu'elles s'estoient fait faire leurs
+robbes fort courtes à la nymphale, afin de plus légèrement marcher, ce
+qui tentoit et eschauffoit les plus refroidis et mortifiés; et ce qui
+faisoit bien autant de plaisir aux regardants, estoit que les visages
+estoient bien veus toujours et se pouvoient voir, mais non pas ces
+belles jambes et greves. Et ne fut sans raison qui inventa cette forme
+d'habiller à la nymphale; car elle produisit beaucoup de bons aspects et
+belles œillades; car si l'accoustrement en est court, il est fendu
+par les costez, ainsi que nous voyons encor par ces belles antiquitez de
+Rome, qui en augmente davantage la veuë lascive. Mais aujourd'huy les
+belles dames et filles de l'isle de Sio, quoi et qui les rend aimables?
+Certes ce sont bien leurs beautez et leurs gentillesses, mais aussi
+leurs gorgiases façons de s'habiller, et surtout leurs robbes fort
+courtes, qui monstrent à plein leurs belles jambes et belles greves et
+leurs pieds affetiez et bien chaussés. Surquoy il me souvient qu'une
+fois à la Cour, une dame de fort belle et riche taille, contemplant une
+belle et magnifique tapisserie de chasse où Diane et toute sa bande de
+vierges chasseresses y estoient fort naifvement représentées, et toutes
+vestues montroient leurs beaux pieds et belles jambes, elle avoit une de
+ses compagnes auprès d'elle, qui estoit de fort basse et petite taille,
+qui s'amusoit aussi à regarder avec elle icelle tapisserie; elle luy
+dit: «Ha! petite, si nous nous habillions toutes de cette façon, vous le
+perdriez comptant, et n'auriez grand avantage, car vos gros patins vous
+decouvriroient, et n'auriez jamais telle grace en vostre marcher, ny à
+monstrer vostre jambe, comme nous autres qui avons la taille grande et
+haute: par quoy il vous faudroit cacher et ne paroistre guières.
+Remerciez donc la saison et les robbes longues que nous portons, qui
+vous favorisent beaucoup et qui vous couvrent vos jambes si dextrement,
+qu'elles ressemblent, avec vos grands et hauts patins d'un pied de
+hauteur, plustost une massuë qu'une jambe, car qui n'auroit de quoy se
+battre il ne faudroit que vous couper une jambe et la prendre par le
+bout, et du costé de vostre pied chaussé et enté dans vos patins, et on
+feroit rage de bien battre.» Cette dame avoit beaucoup de sujet de dire
+de telles paroles, car la plus belle jambe du monde, si elle est ainsi
+enchassée dans ces gros patins, elle perd du tout sa beauté, d'autant
+que ce gros pied bot luy rend une difformité par trop grande, car si le
+pied n'accompagne la jambe en belle chaussure et gentille forme, tout
+n'en vaut rien. Pourquoy les dames qui prennent ces gros et grands
+lourdauts de patins pensent embellir et enrichir leurs tailles et par
+elles s'en faire mieux aimer et paroistre; mais de leur costé elles
+appauvrissent leur belle jambe et belle greve, qui vaut bien autant en
+son naturel qu'une grande taille contrefaite. Aussi, le temps passé, le
+beau pied portoit une telle lasciveté en soy, que plusieurs dames
+romaines prudes et chastes, au moins qui le vouloient contrefaire, et
+encore aujourd'huy plusieurs autres en Italie, à l'imitation du vieux
+temps, font autant de scrupule de le monstrer au monde comme leur
+visage, et le cachent sous leurs grandes robbes le plus qu'elles peuvent
+afin qu'on ne le voye pas, et conduisent en leur marcher si sagement,
+discretement et compassément, qu'il ne passe jamais devant la robbe.
+Cela est bon pour celles qui sont confites en preud'hommie ou semblance,
+et qui ne veulent point donner de tentation; nous leur devons cette
+obligation, mais je croy que, si elles avoient la liberté, elles
+feroient monstre et du pied et de la jambe et d'autres choses. Aussi
+qu'elles veulent monstrer à leurs marys, par certaine hypocrisie et ce
+petit scrupule, qu'elles sont dames de bien: d'ailteurs je m'en rapporte
+à ce qui en est.
+
+Je sçay un gentilhomme fort galent et honneste, qui, pour avoir veu à
+Rheims, au sacre du roy dernier, la belle jambe, chaussée d'un bas de
+soie blanc, d'une belle et grande dame veufve et de haute taille, par
+dessous les eschaffaux que l'on fait pour les dames à voir le sacre, en
+devint si épris, que depuis il se cuida désespérer d'amour; et ce que
+n'avoit peu faire le beau visage, la belle jambe et la belle greve le
+firent: aussi cette dame méritoit bien en toutes ses belles parties de
+faire mourir un honneste gentilhomme. J'en ay tant cogneu d'autres
+pareils en ceste humeur. Tant y a, pour fin, ainsi que j'ay veu tenir
+par maxime à plusieurs gallants courtisans mes compagnons, la monstre
+d'une belle jambe et d'un beau pied estre fort dangereuse et ensorceler
+les yeux lascifs à l'amour; et je m'estonne que plusieurs bons
+escrivains, tant de nos poëtes qu'autres, n'en ont escrit des loüanges
+comme ils ont fait d'autres parties de leur corps. De moy, j'en eusse
+écrit davantage; mais j'aurois peur que, pour trop loüer ces parties du
+corps, l'on m'objectast que je ne me souciasse gueres des autres, et
+aussi qu'il me faut escrire d'autres sujets, et ne m'est permis de
+m'arrester tant sur un. Parquoy je fais fin en disant ce petit mot:
+«Pour Dieu, Mesdames ne soyez si curieuses à vous faire paroistre
+grandes de taille et vous monstrer autres, que vous n'advisiés à la
+beauté de vos jambes, lesquelles vous avez belles, au moins aucunes;
+mais vous en gastez le lustre par ces hauts patins et grands chevaux.
+Certes il vous en faut bien; mais si demesurément, vous en dégoustez le
+monde plus que vous ne pensez.»
+
+Sur ce discours loüera qui voudra les autres beautez de la dame, comme
+ont fait plusieurs poëtes; mais une belle jambe, une greve bien façonnée
+et un beau pied, ont une grande faveur et pouvoir à l'empire d'amour.
+
+
+
+
+DISCOURS QUATRIÈME.
+
+ Sur les femmes mariées, les veufves et les filles; sçavoir
+ desquelles les unes sont plus portées à l'amour que les autres.
+
+INTRODUCTION.
+
+
+Moy estant un jour à Madrid à la cour d'Espagne, et discourant avec une
+fort honneste dame, comme il arrive d'ordinaire, selon la coutume du
+pays, elle me vint faire cette demande: _Qual era mayor fuego d'amor, et
+de la biuda, et du la casada, o de la hija moça?_ c'est-à-dire, quel
+estoit le plus grand feu, ou celuy de la veufve, ou de la mariée, ou de
+la fille jeune. Après luy avoir dit mon advis, elle me dit le sien en
+telles paroles: _Lo que me parece desta cosa es, que aunque las moças
+con el hevor de la sangre se disponen a querer mucho, no deve ser tanto
+come lo que quieren las casadas y biudas, con la grand experiencia del
+negocio. Esta rason deve ser natural, como lo seria del que por haver
+nacido ciego, de la perfection de la luz, no puede judiciar de ella con
+tanto desseo come el que vido, y fue privado de la vista_; ce qui sonne
+en françois: «Ce qui me semble de cette chose est qu'encore que les
+filles, avec cette grande ferveur de sang, soient disposées d'aimer
+fort, toutefois elles n'aiment point tant comme les femmes mariées et
+les veufves, par une grande expérience de l'affaire; et la raison
+naturelle y est en cela, d'autant qu'un aveugle né, et qui dès sa
+naissance est privé de la veuë, il ne la peut tant desirer comme celuy
+qui en a jouï si doucement, et après l'a perdue.» Puis adjousta: _Que
+con menos pena se abstienne d'una cosa la persona que nunca supo, que
+aquella que vive enamorada degusto passado_; ce qui signifie: «D'autant
+qu'avec moins de peine on s'abstient d'une chose que l'on n'a jamais
+tasté, que de celle que l'on a aimé et esprouvé.» Voilà les raisons
+qu'en alléguoit cette dame sur ce sujet.
+
+Or le vénérable et docte Bocace, parmy ses questions de son
+_Philocoppe_[72], en la neufiesme, fait celle-là mesme: De laquelle de
+ces trois, de la mariée, de la veufve et de la fille, l'on se doit
+plutost rendre amoureux pour plus heureusement conduire son desir à
+effect. Bocace respond, par la bouche de la Reyne qu'il introduit
+parlante, que, combien que ce soit très-mal fait, et contre Dieu et sa
+conscience, de desirer la femme mariée, qui n'est nullement à soy, mais
+subjecte à son mary, il est fort aisé d'en venir à bout, et non pas de
+la fille et veufve, quoy que telle amour soit périlleuse, d'autant que
+plus on souffle le feu il s'allume davantage, autrement il s'esteint.
+Aussi toutes les choses faillent en les usant, fors la luxure, qui en
+augmente. Mais la veufve, qui a esté long-temps sans tel effect, ne le
+sent quasi point, et ne s'en soucie non plus que si jamais elle n'eust
+esté mariée, et est plus-tost reschauffée de la mémoire que de la
+concupiscence. Et la pucelle, qui ne sçait et ne connoist encore ce que
+c'est, si-non par imagination, le souhaite tièdement. Mais la mariée,
+eschauffée plus que les autres, desire souvent venir en ce point, dont
+quelquesfois elle en est outragée de paroles par son mary et bien
+battue; mais, desirant s'en venger (car il n'y a rien de si vindicatif
+que la femme, et mesme par cette chose), le fait cocu à bon escient, et
+en contente son esprit: et aussi que l'on s'ennuye à manger tousjours
+d'une mesme viande, mesme les grands seigneurs et dames bien souvent
+délaissent les bonnes et délicates viandes pour en prendre d'autres.
+Davantage, quant aux filles, il y a trop de peine et consommation de
+temps, pour les réduire et convertir à la volonté des hommes: et si
+elles aiment, elles ne sçavent qu'elles aiment. Mais, aux veufves,
+l'ancien feu aisément reprend sa force, leur faisant desirer aussi-tost
+ce que par longue discontinuation de temps elles avoient oublié, et leur
+tarde de retourner et parvenir à tel effect, regrettant le temps perdu
+et les longues nuicts passées froidement dans leurs licts de viduïté peu
+eschauffées.
+
+Sur ces raisons de cette reyne parlante, un certain gentilhomme, nommé
+Farrament, respondit à la Reyne, et laissant les femmes mariées à part,
+comme estant aisées a esbranler sans user de grands discours, pour dire
+le contraire, reprend celuy des filles et des veufves, et maintient la
+fille estre plus ferme en amour que non pas la veufve; car la veufve,
+qui a ressenty par le passé les secrets d'amour, n'aime jamais
+fermement, ains en doute et lentement, desirant promptement l'un, puis
+l'autre, ne sachant auquel elle se doive conjoindre pour son plus grand
+profit et honneur: et quelquesfois ne veut aucun des deux, ainsi vacille
+en sa délibération, et la passion amoureuse n'y peut prendre pied ny
+fermeté. Mais tout le contraire se rencontre en la pucelle, et toutes
+telles choses lui sont inconnues: laquelle ne tend seulement qu'à faire
+un amy et y mettre toute sa pensée, après l'avoir bien choisi, et luy
+complaire en tout, croyant que ce luy est un très-grand honneur d'estre
+ferme en son amour; et attend avec une ardeur plus grande les choses qui
+n'ont jamais esté ny veuës d'elle, ny ouyes, ny esprouvées, et souhaite
+beaucoup plus que les autres femmes expérimentées de voir, ouyr et
+esprouver toutes choses. Aussi le desir qu'elle a de voir choses
+nouvelles la maistrise fort: elle s'enquiert à celles qui sont
+expérimentées, lesquelles luy augmentent le feu davantage; et par ainsi
+elle desire la conjonction de celuy qu'elle a fait seigneur de sa
+pensée. Cette ardeur ne se rencontre pas en la veufve, d'autant qu'elle
+y a desjà passé.
+
+Or la reyne de Bocace, reprenant la parole, et voulant mettre fin à
+cette question, conclud que la veufve est plus soigneuse du plaisir
+d'amour cent fois que la pucelle, d'autant que la pucelle veut garder
+chèrement sa virginité et son pucelage, veu que tout son honneur y
+consiste: joint que les pucelles sont naturellement craintives, et
+mesmes en ce fait mal-habiles, et ne sont pas propres à trouver les
+inventions et commoditez aux occasions qu'il faut pour tels effects. Ce
+qui n'est pas ainsi en la veufve, qui est desjà fort exercée, hardie et
+rusée en cet art, ayant desjà donné et aliéné ce que la pucelle attend
+de donner: ce qui est occasion qu'elle ne craint d'estre visitée ou
+accusée par quelque signal de bresche: elle connoist mieux les secretes
+voyes pour parvenir à son attente. Au reste, la pucelle craint ce
+premier assaut de virginité, car il est à d'aucunes quelquesfois plus
+ennuyeux et cuisant que doux et plaisant; ce que les veufves ne
+craignent point, mais s'y laissent aller et couler très-doucement, quand
+bien l'assaillant seroit des plus rudes: et ce plaisir est contraire à
+plusieurs autres, duquel dès le premier coup on s'en rassasie le plus
+souvent, et se passe légèrement; mais en cettuy-cy l'affection du retour
+en croist tousjours. Parquoy la veufve, donnant le moins, et qui la
+donne souvent, est cent fois plus libérale que la pucelle, à qui il
+convient abandonner sa très-chère chose, à quoy elle songe mille fois.
+C'est pourquoy, conclud la Reyne, il vaut mieux s'adresser à la veufve
+qu'à la fille, estant plus aisée à gagner et corrompre.
+
+ * * * * *
+
+ARTICLE PREMIER.
+
+ De l'amour des femmes mariées.
+
+Or maintenant, pour prendre et déduire les raisons de Bocace, et les
+esplucher un peu, et discourir sur icelles, selon les discours que j'en
+ay veu faire aux honnestes gentilshommes et dames sur ce sujet, comme
+l'ayant bien expérimenté, je dis qu'il ne faut douter nullement que, qui
+veut tost avoir joüissance d'un amour, il se faut adresser aux dames
+mariées, sans que l'on s'en donne grande peine et que l'on consomme
+beaucoup de temps; d'autant que, comme dit Bocace, tant plus on attise
+un feu et plus il se fait ardent. Ainsi est-il de la femme mariée,
+laquelle s'eschauffe si fort avec son mary, que, luy manquant de quoy
+esteindre le feu qu'il donne à sa femme, il faut bien qu'elle emprunte
+d'ailleurs, ou qu'elle brusle toute vive. J'ay connu une dame assez
+grande, et de bonne sorte, qui disoit une fois à son amy, qui me l'a
+conté, que de son naturel elle n'estoit aspre à cette besogne tant que
+l'on diroit bien (mais qui sait?), et que volontiers aisément bien
+souvent elle s'en passeroit, n'estoit que son mary, la venant attiser,
+et n'estant assez suffisant et capable pour luy amortir sa chaleur,
+qu'il luy rendoit si grande et si chaude qu'il falloit qu'elle courust
+au secours à son amy: encore, ne se contentant de luy bien souvent, se
+retiroit seule, ou en son cabinet, ou en son lict, et là toute seule
+passoit sa rage tellement quellement, ou à la mode lesbienne, ou
+autrement par quelque autre artifice; voire jusques-là, disoit-elle,
+que, n'eust esté la honte, elle s'en fust fait donner par les premiers
+qu'elle eust trouvés dans une salle du bal, à l'escart ou sur des
+degrez, tant elle estoit toumentée de cette mauvaise ardeur. Semblable
+en cela aux juments qui sont sur les confins de l'Andalousie, lesquelles
+devenant si chaudes, et ne trouvant leurs estalons pour se faire
+saillir, se mettent leur nature contre le vent qui regne en ce temps-là,
+qui leur donne dedans, et par ce moyen passent leurs ardeurs et
+s'emplissent de la sorte: d'où viennent ces chevaux si vistes que nous
+voyons venir deçà, comme retenans la vitesse naturelle du vent leur
+pere. Je croy qu'il y a plusieurs marys qui desireroient fort que leurs
+femmes trouvassent un tel vent qui les rafraischist et leur fist passer
+leur chaleur, sans qu'elles allassent rechercher leurs amoureux et leur
+faire des cornes fort vilaines.
+
+Voilà un naturel de femme que je viens d'alléguer, qui est bien
+estrange, d'autant qu'il ne brusle si-non lorsqu'on l'attise. Il ne s'en
+faut pas estonner, car, comme disoit une dame espagnole: _Que quanto mas
+me quiero socao de la braza, tanto mas mi marido me abraza in et
+brazero_; c'est-à-dire: «Que tant plus je me veux oster des braises,
+tant plus mon mary me brusle en mon brasier.» Et certes elles y peuvent
+brusler, et de cette façon, veu que par les paroles, par les seuls
+attouchements et embrassements, voire par attraits, elles se laissent
+aller fort aisément, quand elles trouvent les occasions, sans aucun
+respect du mary.
+
+Car, pour dire le vray, ce qui empesche plus toute fille ou femme d'en
+venir là bien souvent, c'est la crainte qu'elles ont d'enfler par le
+ventre: ce que les mariées ne craignent nullement; car, si elles
+enflent, c'est le pauvre mary qui a tout fait, et porte toute la
+couverture. Et quant aux loix d'honneur qui leur défendent cela,
+qu'allègue Bocace, la pluspart des femmes s'en mocquent, disant pour
+leurs raisons valables que les loix de la nature vont devant, et que
+jamais elle ne fit rien en vain, et qu'elle leur a donné des membres et
+des parties tant nobles, pour en user et mettre en besogne, et non pour
+les laisser chomer oisivement, ne leur défendant ny imposant plus qu'aux
+autres aucune vacation. Disent plus (au moins aucunes de nos dames), que
+cette loy d'honneur n'est que pour celles qui n'aiment point et qui
+n'ont fait d'amys honnestes, ausquelles est très-mal-séant et blasmable,
+de s'aller abandonner et prostituer leur chasteté et leur corps, comme
+si elles estoient quelques courtisannes: mais celles qui aiment, et qui
+ont fait des amys, cette loy ne leur défend nullement qu'elles ne les
+assistent en leurs feux qui les bruslent, et ne leur donnent de quoy
+pour les esteindre; et que c'est proprement donner la vie à un qui la
+demande, se monstrant en cela benignes, et nullement barbares ny
+cruelles, comme disoit Regnaud sur le discours de la pauvre Geneviefve
+affligée. Sur quoy j'ai cogneu une fort honneste dame et grande,
+laquelle, un jour son amy l'ayant trouvée en son cabinet, qui traduisoit
+cette stance dudit Regnaud, _una dona deve donque morire_, en vers
+françois aussi beaux et bien faits que j'en vis jamais (car je les vis
+depuis), et ainsi qu'il luy demanda ce qu'elle avoit escrit: «Tenez,
+voilà une traduction que je viens de faire, qui sert d'autant de
+sentence par moy donnée, et arrest formé pour vous contenter en ce que
+vous desirez, dont il n'en reste que l'exécution;» laquelle, après la
+lecture, se fit aussitost. Lequel arrest fut bien meilleur que s'il eust
+esté rendu à la Tournelle; car, encore que l'Arioste ornast les paroles
+de Regnaud de très-belles raisons, je vous asseure qu'elle n'en oublia
+aucune à les très-bien traduire et représenter, bien que la traduction
+valoit bien autant pour esmouvoir que l'original; et donna bien à
+entendre à tel amy qu'elle lui vouloit donner la vie, et ne luy estre
+nullement inexorable, ainsi que l'autre en sceut bien prendre le temps.
+
+Pourquoy donc une dame, quand la nature la fait bonne et
+miséricordieuse, n'usera-t-elle librement des dons qu'elle lui a donnés,
+sans en estre ingrate, ou sans répugner et contredire du tout contre
+elle? Comme ne fit pas une dame dont j'ay ouy parler, laquelle, voyant
+un jour dans une salle son mary marcher et se pourmener, elle se peut
+empescher de dire à son amant: «Voyez, dit-elle, notre homme marcher;
+n'a-t-il pas la vraye encloüeure d'un cocu? N'eusse-je pas donc offensé
+grandement la nature, puis qu'elle l'avoit fait et destiné tel, si je
+l'eusse démentie et contrefaite?» J'ay ouy parler d'une autre dame,
+laquelle, se plaignant de son mary, qui ne la traitoit pas bien,
+l'espioit avec jalousie, et se doutoit qu'elle lui faisoit des cornes.
+«Mais il est bon! disoit-elle à son amy; il luy semble que son feu est
+pareil au mien: car je luy esteins le sien en un tournemain, et en
+quatre ou cinq gouttes d'eau; mais, au mien, qui a un braisier bien plus
+grand et une fournaise plus ardente, il y en faut davantage: car nous
+sommes du naturel des hydropiques ou d'une fosse de sable, qui d'autant
+plus qu'elle avale d'eau, et plus elle en veut avaler.»
+
+Une autre disoit bien mieux, qu'elles estoient semblables aux poules qui
+ont la pépie faute d'eau, et qui en peuvent mourir si elles ne boivent.
+L'on peut dire le mesme de ces femmes, que la soif engendre la pépie, et
+qu'elles en meurent bien souvent si on ne leur donne à boire souvent;
+mais il faut que ce soit d'autre eau que de fontaine. Une autre dame
+disoit qu'elle estoit du naturel du bon jardin, qui ne se contente pas
+de l'eau du ciel, mais en demande à son jardinier, pour en estre plus
+fructueux. Une dame disoit qu'elle vouloit ressembler aux bons
+œconomes et mesnagers, lesquels ne donnent tout leur bien à mesnager
+et faire valoir à un seul, mais le départent à plusieurs mains; car une
+seule n'y pourroit fournir pour le bien esvaluer. Semblablement
+vouloit-elle ainsi mesnager son cas, pour le méliorer, et elle s'en
+trouvoit mieux. J'ay ouy parler d'une honneste dame qui avoit un amy
+fort laid et un beau mary, et de bonne grace, aussi la dame estoit
+très-belle. Une sienne familière luy remonstrant pourquoy elle n'en
+choisissoit un plus beau: «Ne savons-nous pas, dit-elle, que pour bien
+cultiver une terre, il y faut plus d'un laboureur, et volontiers les
+plus beaux et les plus délicats n'y sont pas les plus propres, mais les
+plus ruraux et les plus robustes?» Une autre dame que j'ay cogneue, qui
+avoit un mary fort laid et de fort mauvaise grace, choisit un amy aussi
+laid que luy; et comme une sienne compagne luy demanda pourquoy: «C'est,
+dit-elle, pour mieux m'accoustumer à la laideur de mon mary.»
+
+Une autre dame discourant un jour de l'amour, tant à son esgard que des
+autres de ses compagnes, dit ces paroles: «Si les femmes estoient
+tousjours chastes, elles ne sçauroient ce que c'est de leur contraire,»
+se fondant en cela sur l'opinion d'Héliogabale, qui disoit que la moitié
+de la vie devoit estre employée à cultiver les vertus, et l'autre moitié
+dans les vices; autrement si l'on estoit toujours d'une mesme façon,
+tout bon ou tout mauvais, il seroit impossible de juger de son
+contraire, qui sert souvent de tempérament. J'ay veu de grands
+personnages appprouver cette maxime, et mesme pour les femmes. Aussi la
+femme de l'empereur Sigismond, qui s'appeloit Barbe, disoit qu'estre
+tousjours en un mesme estat de chasteté appartenoit aux sottes, et en
+reprenoit fort ses dames et damoiselles qui persistoient en cette sotte
+opinion; ainsi que de son costé elle la renvoya bien loin, car tout son
+plaisir fut en festes, danses, bals et amour, en se mocquant de celles
+qui ne faisoient pas de mesmes, ou qui jeusnoient pour macérer leur
+chair, et qui faisoient des retraites. Je vous laisse à penser s'il
+faisoit bon à la cour de cet empereur et impératrice, je dis pour ceux
+et celles qui se plaisoient à l'amour.
+
+--J'ay ouy parler d'une fort honneste dame et de réputation, laquelle
+venant à estre malade du mal d'amour qu'elle portoit à son serviteur,
+sans vouloir hazarder ce petit honneur qu'elle portoit entre ses jambes,
+à cause de cette rigoureuse loy d'honneur tant recommandée et preschées
+des marys; et d'autant que de jour en jour elle alloit bruslant et
+seichant, de sorte qu'en un instant elle se vid devenir seiche, maigre,
+allanguie, tellement que, comme auparavant, elle s'estoit veue fraische,
+grasse et en bon point, et puis toute changée par la connoissance
+qu'elle en eust dans son miroir: «Comment, dit-elle alors, seroit-il
+donc dit qu'à la fleur de mon aage, et qu'à l'appétit d'un léger point
+d'honneur et volage scrupule pour retenir par trop mon feu, je vinse
+ainsi peu à peu à me seicher, me consommer et devenir vieille et laide
+avant le temps, ou que j'en perdisse le lustre de ma beauté qui me
+faisoit estimer, priser et aimer, et qu'au lieu d'une dame de belle
+chair je devinsse une carcasse, ou plustost une anatomie, pour me faire
+chasser et bannir de toute bonne compagnie, et estre la risée d'un
+chacun? Non, je m'en garderay bien, mais je m'aidray des remedes que
+j'ay en ma puissance.» Et, par ainsi, elle exécuta tout ce qu'elle avoit
+dit, et, se donnant de la satisfaction et à son amy, reprit son
+embonpoint, et devint belle comme devant, sans que son mary sceust le
+remede dont elle avoit usé, mais l'attribuant aux médecins, qu'il
+remercioit et honoroit fort, pour l'avoir ainsi remise à son gré pour en
+faire mieux son profit.
+
+--J'ay ouy parler d'une autre bien grande, de fort bonne humeur, et qui
+disoit bien le mot, laquelle estant maladive, son médecin luy dit un
+jour qu'elle ne se trouveroit jamais bien si elle ne le faisoit; elle
+soudain respondit: «Eh bien! faisons-le donc.» Le médecin et elle s'en
+donnèrent au cœur joye, et se contentèrent admirablement bien. Un
+jour, entre autres, elle luy dit: «On dit partout que vous me le faites;
+mais c'est tout un, puisque je me porte bien;» et franchissoit tousjours
+le mot galant qui commence par f. «Et tant que je pourray je le feray,
+puis que ma santé en dépend.» Ces deux dames ne ressembloient pas à
+cette honneste dame de Pampelone que j'ay dit encore ci-devant, dans les
+_Cent Nouvelles de la Reyne de Navarre_, laquelle, estant devenue
+esperduement amoureuse de M. d'Avannes, aima mieux cacher son feu et le
+couver dans sa poictrine qui en brusloit, et mourir, que de faillir son
+honneur. C'est de quoy j'ay ouy discourir cy-dessus à quelques honnestes
+dames et seigneurs. C'estoit une sotte, et peu soigneuse du salut de son
+ame, d'autant qu'elle-mesme se donnoit la mort, estant en sa puissance
+de l'en chasser, et pour peu de chose. Car enfin, comme disoit un ancien
+proverbe françois, _d'une herbe de pré tondue, et d'un c.. f....., le
+dommage est bien-tost rendu_. Et qu'est-ce après que tout cela est fait?
+La besogne, comme d'autres, après qu'elle est faite, paroist-elle devant
+le monde? La dame en va-t-elle plus mal droit? y connoist-on rien? Cela
+s'entend quand on besogne à couvert, à huis clos, et que l'on n'en voit
+rien. Je voudrois bien sçavoir si beaucoup de grandes dames que je
+connois (car c'est en elles que l'amour va plustost loger, comme dit
+cette dame de Pampelone, c'est aux grands portaux que battent de grands
+vents) delaissent de marcher la teste haut eslevée, ou en cette Cour ou
+ailleurs, et de paroistre braves comme une Bradamante ou une Marfise. Et
+qui seroit celuy tant présompteux qui osast leur demander si elles en
+viennent? Leurs marys mesmes (vous dis-je) ne leur oseroient dire quoy
+que ce soit, tant elles savent si bien contrefaire les prudes et se
+tenir en leur marche altiere; et si quelqu'un de leurs marys pense leur
+en parler ou les menacer, ou outrager de paroles ou d'effet, les voilà
+perdus; car, encore qu'elles n'eussent songé aucun mal contre eux, elles
+se jettent aussi-tost à la vengeance, et la leur rendent bien; car il y
+a un proverbe ancien qui dit que, quand et aussi-tost que le mary bat sa
+femme, son cas en rit: cela s'appelle qu'il espere faire bonne chere,
+connoissant le naturel de sa maistresse qui le porte, et qui, ne pouvant
+se vanger d'autres armes, s'aide de luy pour son second et grand amy,
+pour donner la venuë au galant de son mary, quelque bonne garde et
+veille qu'il fasse auprès d'elle. Car, pour parvenir à leur but, le plus
+souverain remede qu'elles ont, c'est d'en faire leurs plaintes entre
+elles-mesmes, ou à leurs femmes et filles-de-chambre, et puis les
+gagner, ou à faire des amys nouveaux, si elles n'en ont point; ou, si
+elles en ont, pour les faire venir aux lieux assignez: elles font la
+garde que leurs marys n'entrent et ne les surprennent. Or ces dames
+gagent leurs filles et femmes, et les corrompent par argent, par
+présents, par promesses, et bien souvent aucunes composent et
+contractent avec elles, à sçavoir que leur dame et maistresse de trois
+venuës que l'amy leur donnera, la servante en aura la moitié ou au moins
+le tiers. Mais le pis est que bien souvent les maistresses trompent
+leurs servantes en prenant tout pour elles, s'excusant que l'amy ne leur
+en a pas plus donné, ains si petite portion, qu'elles-mesmes n'en ont
+pas eu assez pour elles; et paissent ainsi de bayes ces pauvres filles,
+femmes et servantes, pendant qu'elles sont en sentinelle et font bonne
+garde: en quoy il y a de l'injustice; et je croy que si cette cause
+estoit plaidée par des raisons alléguées d'un costé et d'autre, il y
+auroit bien à débattre et à rire; car enfin c'est un vray larcin de leur
+dérosber ainsi leur salaire et pension convenue. Il y a d'autres dames
+qui tiennent fort bien leur pact et promesse, et ne leur en desrobent
+rien, et sont comme les bons facteurs de boutique, qui font juste part
+de leur gain et profit du talent à leur maistre ou compagnon; et, par
+ainsi, telles dames méritent d'estre bien servies pour estre si bien
+reconnoissantes des peines qu'on a pris à les si bien veiller et garder.
+Car enfin, elles se mettent en danger et hazard. Ce qui est arrivé à une
+que je sçay, qui faisant un jour le guet pendant que sa maistresse
+estoit en sa chambre avec son amy et faisoit grande chere, et ne
+chaumoit point, le maistre d'hostel du mary la reprit et la tança
+aigrement de ce qu'elle faisoit, et qu'il valoit mieux qu'elle fust avec
+sa maistresse que d'estre ainsi maquerelle et faire la garde au dehors
+de sa chambre, et un si mauvais tour au mary de sa maistresse; et
+adjouta qu'il l'en advertiroit. Mais la dame le gagna par le moyen d'une
+autre de ses filles-de-chambre de laquelle il estoit amoureux, luy
+promettant quelque chose par les prières de la maistresse; et aussi
+qu'elle luy fit quelque présent, dont il fut appaisé. Toutefois, depuis
+elle ne l'ayma plus et luy garda bonne; car, espiant une occasion prise
+à la volée, le fit chasser par son mary.
+
+--Je sçay une belle et honneste dame, laquelle ayant une servante en qui
+elle avoit mis son amitié, luy faisoit beaucoup de bien, mesme usoit
+envers elle de grandes privautez et l'avoit très-bien dressée à telles
+menées; si bien que quelquefois, quand elle voyoit le mary de cette
+dame longuement absent de sa maison, empesché à la Cour et en autre
+voyage, bien souvent elle regardoit sa maistresse en l'habillant, qui
+estoit des plus belles et des plus aimables, et puis disoit: «Hé!
+n'est-il pas bien malheureux, ce mary, d'avoir une si belle femme et la
+laisser ainsi seule si long-temps sans la venir voir? ne mérite-t-il pas
+que vous le fassiez cocu tout à plat? Vous le devez; car si j'estois
+aussi belle que vous, j'en ferois autant à mon mary s'il demeuroit
+autant absent.» Je vous laisse à penser si la dame et maistresse de
+cette servante trouvoit goust à cette noix, mesme si elle n'avoit pas
+trouvé chaussure à son pied, et ce qu'elle pouvoit faire par après par
+le moyen d'un si bon instrument. Or, il y a des dames qui s'aydent de
+leurs servantes pour couvrir leurs amours, sans que leurs maris s'en
+apperçoivent, et leur mettent en main leurs amants, pour les entretenir
+et les tenir pour serviteurs, afin que, sous cette couverture, les
+marys, entrant dans la chambre de leurs femmes, croyent que ce sont les
+serviteurs de telles ou de telles damoiselles: et, sous ce prétexte, la
+dame a un beau moyen de jouer son jeu, et le mary n'en connoist rien.
+
+--J'ay connu un fort grand prince qui se mit à faire l'amour à une dame
+d'autour d'une grande princesse, seulement pour savoir les secrets des
+amours de sa maistresse, pour y mieux parvenir en après. J'ay veu joüer
+en ma vie quantité de ces traits, mais non pas de la façon que faisoit
+une honneste dame de par le monde, que j'ay connue, laquelle fut si
+heureuse d'estre servie de trois braves et galants gentilshommes, l'un
+après l'autre, lesquels, la laissant venoient à aimer et servir une
+très-grande princesse qui estoit sa dame, si bien qu'elle rencontra
+là-dessus gentiment qu'elle estoit reyne des Romains[73]. Ce qui lui
+estoit un honneur bien plus grand qu'à une que je sçay, laquelle, estant
+à la suite d'une grande dame mariée, ainsi que cette grande dame fut
+surprise dans sa chambre par son mary, lors qu'elle ne venoit que de
+recevoir un petit poulet de papier de son amy, vint à estre si bien
+secondée par cette dame qui estoit avec elle, qu'aussi-tost elle prit
+finement le poulet, et l'avala tout entier, sans en faire à deux fois ny
+que le mary s'en apperceust, qui l'en eust sans doute très-mal traitée
+s'il eust veu le dedans: ce qui fut une très-grande obligation de
+service, que la grande dame a tousjours reconnu. Je sçay bien bien des
+dames pourtant qui se sont trouvées mal pour s'estre trop fiées à leurs
+servantes, et d'autres aussi qui ont couru le mesme hazard pour ne s'y
+estre pas fiées. J'ay ouy parler d'une dame belle et honneste, qui avoit
+pris et choisi un gentilhomme des braves, vaillants et accomplis de la
+France, pour lui donner joüissance et plaisir de son gentil corps. Elle
+ne se voulut jamais fier à pas une de ses femmes, et le rendez-vous
+ayant esté donné en un logis autre que le sien, il fut dit et concerté
+qu'il n'y auroit qu'un lict en la chambre, et que ses femmes
+coucheroient à l'antichambre. Comme il fust arresté ainsi fut-il joüé;
+et d'autant qu'il se trouva une chatonnière à la porte, sans y penser et
+sans y avoir préveu que sur le coup, ils s'advisèrent de la boucher avec
+un ais, afin que, si l'on la venoit à pousser, qu'elle fist bruit, qu'on
+l'entendist, et qu'ils fissent silence et y pourveussent. Or, d'autant
+qu'il y avoit anguille sous roche, une de ses femmes, faschée et
+despitée de ce que sa maistresse se deffioit d'elle, qu'elle tenoit pour
+la plus confidente des siennes, ainsi qu'elle luy avoit souventes-fois
+monstré, elle s'advisa, quand sa maistresse fut couchée, de faire le
+guet et estre aux escoutes à la porte. Elle l'entendoit bien gazouiller
+tout bas; mais elle connut que ce n'estoit point la lecture qu'elle
+avoit accoustumé de faire en son lict, quelques jours auparavant, avec
+sa bougie, pour mieux colorer son fait. Sur cette curiosité qu'elle
+avoit de sçavoir mieux le tout, se présenta une occasion fort bonne et
+fort à propos: car, estant entré d'avanture un jeune chat dans la
+chambre, elle le prit avec ses compagnes, le fourra et le poussa par la
+chatonnière en la chambre de sa maistresse, non sans abattre l'ais qui
+l'avoit fermée, ny sans faire bruit. Si bien que l'amant et l'amante, en
+estant en cervelle, se mirent en sursaut sur le lict, et advisèrent, à
+la lueur de leur flambeau et bougie, que c'estoit un chat qui estoit
+entré et avoit fait tomber la trappe. Parquoy, sans autrement se donner
+de la peine, se recouchèrent, voyant qu'il estoit tard et qu'un chacun
+pouvoit dormir, et ne refermèrent pourtant la dite chatonnière, la
+laissant ouverte pour donner passage au retour du chat, qu'ils ne
+vouloient laisser là-dedans renfermé tout la nuict. Sur cette belle
+occasion, la dite dame suivante, avec ses compagnes, eut moyen de voir
+choses et autres de sa maistresse, lesquelles, depuis, déclarèrent le
+tout au mary, d'où s'ensuivit la mort de l'amant et le scandale de la
+dame. Voilà à quoy sert un despit et une mesfiance que l'on prend
+quelquefois des personnes, qui nuit aussi souvent que la trop grand
+confiance. Ainsi que je sçay d'un très-grand personnage, qui eut une
+fois dessein de prendre toutes les filles-de-chambre de sa femme, qui
+estoit une très-grande et belle dame, et les faire gesner, peur leur
+faire confesser tous les desportements de sa femme et les services
+qu'elles lui faisoient en ses amours. Mais cette partie pour ce coup fut
+rompue, pour éviter plus grand scandale. Le premier conseil vint d'une
+dame que je ne nommeray pas, qui vouloit mal à cette grande dame: Dieu
+l'en punit après.
+
+Pour venir à la fin de nos femmes, je conclus qu'il n'y a que les femmes
+mariées dont on puisse tirer de bonnes denrées, et prestement; car elles
+sçavent si bien leur mestier, que les plus fins et les plus haut hupez
+de marys y sont trompez. J'en ay dit assez au chapitre des cocus[74]
+sans en parler davantage.
+
+ * * * * *
+
+ARTICLE II.
+
+ De l'amour des filles.
+
+Partant, suivant l'ordre de Bocace, notre guide en ce discours, je viens
+aux filles, lesquelles, certes, il faut advoüer que de leur nature, pour
+le commencement, elles sont très-craintives et n'osent abandonner ce
+qu'elles tiennent si cher, à raison des continuelles persuasions et
+recommandations que leur font leurs pères et mères et maistresses, avec
+les menaces rigoureuses; si-bien que, quand elles en auraient toutes les
+envies du monde, elles s'en abstiennent le plus qu'elles peuvent: et
+aussi elles ont peur que ce meschant ventre les accuse aussi-tost, sans
+lequel elles mangeroient de bons morceaux. Mais toutes n'ont pas ce
+respect, car, fermant les yeux à toutes considérations, elles y vont
+hardiment non la teste baissée, mais très-bien renversée: en quoy elles
+errent grandement, d'autant que le scandale d'une fille desbauchée est
+très-grand, et d'importance mille fois plus que d'une femme mariée ny
+d'une veufve; car elle, ayant perdu ce beau trésor, en est scandalisée,
+vilipendée, monstrée au doigt de tout le monde, et perd de très-bons
+partis de mariage, quoy que j'en aye bien cogneu plusieurs qui ont eu
+tousjours quelque malotru, qui, ou volontairement, ou à l'improviste, ou
+sciemment, ou dans l'ignorance, ou bien par contrainte, s'est allé
+jetter entre leurs bras, et les espouser telles qu'elles estoient,
+encore bien-aises.
+
+J'en ay cogneu quantité des deux espèces qui ont passé par-là,
+entr'autres une servante qui se laissa fort scandaleusement engrosser et
+aller à un prince de par le monde, et sans cacher ny mettre ordre à ses
+couches; et estant descouverte, elle ne respondoit autre chose sinon:
+«Qu'y saurois-je faire? il ne m'en faut pas blasmer, ny ma faute, ny la
+pointe de ma chair, mais mon peu de prévoyance: car, si j'eusse esté
+bien fine et bien avisée, comme la plupart de mes compagnes, qui ont
+fait autant que moy, voire pis, mais qui ont très-bien sceu remédier à
+leurs grossesses et à leurs couches, je ne fusse pas maintenant mise en
+cette peine, et on n'y eust rien connu.» Ses compagnes, pour ce mot, luy
+en voulurent très-grand mal, et elle fut renvoyée hors de la troupe par
+sa maistresse, qu'on disoit pourtant luy avoir commandé d'obéir aux
+volontez du prince; car elle avoit affaire de luy et desiroit le gagner.
+Au bout de quelque temps, elle ne laissa pour cela de trouver un bon
+party et se marier richement; duquel mariage en estoit sorty une
+très-belle lignée. Voilà pourquoy, si cette pauvre fille eust été rusée
+comme ses compagnes et autres, cela ne luy fust arrivé; car, certes,
+j'ay veu en ma vie des filles aussi rusées et fines que les plus
+anciennes femmes mariées, voire jusqu'à estre très-bonnes et rusées
+maquerelles, ne se contentant de leur bien, mais en pourchassoient à
+autruy.
+
+--Ce fut une fille en nostre Cour qui inventa et fit joüer cette belle
+comédie intitulée _le Paradis d'Amour_, dans la salle de Bourbon, à huis
+clos, où il n'y avoit que les comédiens, qui servoient de joüeurs et de
+spectateurs tout ensemble. Ceux qui en sçavent l'histoire m'entendent
+bien. Elle fut joüée par six personnages de trois hommes et trois
+femmes; l'un estoit prince, qui avoit sa dame qui estoit grande, mais
+non pas trop aussi; toute-fois il l'aimoit fort: l'autre estoit un
+seigneur, et celui-là joüoit avec la grande dame, qui estoit de riche
+matière: le troisiesme estoit gentilhomme, qui s'apparioit avec la
+fille: car, la galante qu'elle estoit, elle vouloit joüer son personnage
+aussi bien que les autres. Aussi costumierement l'auteur d'une comédie
+joüe son personnage ou le prologue, comme fit celle-là, qui certes,
+toute fille qu'elle estoit, le joüa aussi bien, ou possible, mieux que
+les mariées. Aussi avoit-elle vu son monde ailleurs qu'en son pays, et,
+comme dit l'Espagnol, _raffinada en Secobia_, «raffiné en Ségovie,» qui
+est un proverbe en Espagne, d'autant que les bons draps se raffinent en
+Ségovie.
+
+--J'ay ouy parler et raconter de beaucoup de filles, qui, en servant
+leurs dames et maistresses de dariolettes[75], vouloient aussi taster de
+leurs morceaux. Telles dames aussi souvent sont esclaves de leurs
+damoiselles, craignants qu'elles ne les descouvrent et publient leurs
+amours. Ce fut une fille à qui j'ouys dire un jour que c'estoit une
+grande sottise aux filles de mettre leur honneur à leur devant, et que,
+si les unes, sottes, en faisoient scrupule, qu'elle n'en daignoit faire:
+et qu'à tout cela il n'y a que le scandale: mais la mode de tenir son
+cas secret et caché rabille tout; et ce sont des sottes et indignes de
+vivre au monde, qui ne s'en sçavent aider et la pratiquer. Une dame
+espagnole, pensant que sa fille appréhendast le forcement du premier
+lict nuptial, et y allant, se mit à l'exhorter et persuader que ce
+n'estoit rien, et qu'elle n'y auroit point de douleur, et que de bon
+cœur elle voudroit estre en sa place pour luy faire mieux à
+connoistre; la fille respondit: _Bezo las manos, senora madre, de tal
+merced, que bien la tomare yo por my_; c'est à dire: «Grand mercy, ma
+mère, d'un si bon office, que moy-mesme je me le feray bien.»
+
+--J'ay ouy raconter d'une fille de très-haut lignage, laquelle s'en
+estant aidée à se donner du plaisir, on parla de la marier vers
+l'Espagne. Il y eut quelqu'un de ses plus secrets amys qui luy dit un
+jour en joüant qu'ils s'estonnoit fort d'elle, qui avoit tant aimé le
+levant, de ce qu'elle alloit naviguer vers le couchant et occident,
+parce que l'Espagne est vers l'occident. La dame luy respondit: «Ouy,
+j'ay ouy dire aux mariniers qui ont beaucoup voyagé, que la navigation
+du levant est très-plaisante et agréable; ce que j'ay souvent pratiqué
+par la boussole que je porte ordinairement sur moy; mais je m'en
+aideray, quand je seray en l'occident, pour aller droit au levant.» Les
+bons interprétes sçauront bien interpréter cette allégorie et la deviner
+sans que je la glose. Je vous laisse à penser par ces mots si cette
+fille avoit tousjours dit ses heures de Nostre-Dame.
+
+--Une autre que j'ay ouy nommer, laquelle ayant ouy raconter des
+merveilles de la ville de Venise, de ses singularitez, et de la liberté
+qui regnoit pour toutes personnes, et mesme pour les putains et
+courtisannes: «Hélas! dit-elle à une de ses compagnes, si nous eussions
+fait porter tout nostre vaillant en ce lieu-là par lettre de banque, et
+que nous y fussions pour faire cette vie courtisanesque, plaisante et
+heureuse, à laquelle toute autre ne sçauroit approcher, quand bien nous
+serions emperieres de tout le monde!» Voilà un plaisant souhait, et bon;
+et de fait, je croy que celles qui veulent faire cette vie ne peuvent
+estre mieux que là.
+
+--J'aymerois autant un souhait que fit une dame du temps passé, laquelle
+se faisant raconter à un pauvre esclave eschapé de la main des Turcs des
+tourments et maux qu'ils luy faisoient et à tous les autres pauvres
+chrestiens, quand ils les tenoient, celuy qui avoit esté esclave luy en
+raconta assez, et de toutes sortes de cruautez. Elle s'advisa de lui
+demander ce qu'ils faisoient aux femmes. «Hélas! madame, dit-il, ils
+leur font tant cela qu'ils les en font»mourir.--Pleust-il doncques au
+ciel, respondit-elle, que je»mourusse pour la foy ainsi martyre!»
+
+--Trois grandes dames estoient ensemble un jour, que je sçay, qui se
+mirent sur des souhaits. L'une dit: «Je voudrois avoir un tel pommier
+qui produisist tous les ans autant de pommes d'or comme il produit de
+fruit naturel.» L'autre disoit: «Je voudrois qu'un tel pré me produisist
+autant de perles et pierreries comme il fait de fleurs.» La troisième,
+qui estoit fille, dit: «Je voudrois avoir une suye dont les trous me
+valussent autant que celuy d'une telle dame favorisée d'un tel roy que
+je ne nommeray point; mais je voudrois que mon trou fust visité de plus
+de pigeons que n'est le sien.» Ces dames ne ressembloient pas à une dame
+espagnolle dont la vie est escrite dans l'_Histoire d'Espagne_,
+laquelle, un jour que le grand Alphonse, roy d'Arragon, faisoit son
+entrée dans Sarragosse, se vint jetter à genoux devant luy et luy
+demander justice. Le Roy ainsi qu'il la vouloit ouyr, elle demanda de
+luy parler à part, ce qu'il luy octroya: et, s'estant plainte de son
+mary, qui couchoit avec elle trente-deux fois tant de jour que de nuict,
+qu'il ne luy donnoit patience, ny cesse, ny repos; le Roy, ayant envoyé
+querir le mary et sceu qu'il estoit vray, ne pensant point faillir puis
+qu'elle estoit sa femme; le conseil de Sa Majesté arresté sur ce fait,
+le Roy ordonna qu'il ne la toucheroit que six fois; non sans
+s'esmerveiller grandement (dit-il) de la grande chaleur et puissance de
+cet homme, et de la grande froideur et continence de cette femme, contre
+tout le naturel des autres (dit l'Histoire), qui vont à jointes mains
+requerir leurs marys et autres hommes pour en avoir, et se douloir quand
+ils donnent à d'autres ce qui leur appartient. Cette dame ne ressembloit
+pas à une fille, damoiselle de maison, laquelle, le lendemain de ses
+nopces, racontant à aucunes de ses compagnes ses adventures de la nuict
+passée: «Comment! dit-elle, et n'est-ce que cela? Comme j'avois entendu
+dire à aucunes de vous autres, et à d'autres femmes, et à d'autres
+hommes, qui font tant des braves et galants, et qui promettent monts et
+merveilles, ma foy, mes compagnes et amyes, cet homme (parlant de son
+mary), qui faisoit tant de l'eschauffé amoureux, et du vaillant, et d'un
+si bon coureur de bague, pour toute course n'en a fait que quatre, ainsi
+que l'on court ordinairement trois pour la bague, et l'autre pour les
+dames: encore entre les quatre y a-t-il fait plus de poses qu'il n'en
+fut fait hier au soir au grand bal.» Pensez que puis qu'elle se
+plaignoit de si peu, elle en vouloit avoir la douzaine: mais tout le
+monde ne ressemble pas au gentilhomme espagnol. Et voilà comme elles se
+moquent de leurs marys. Ainsi que fit une, laquelle, au commencement et
+premier soir de ses nopces, ainsi que son mary la vouloit charger, elle
+fit de la revesche et de l'opiniastre fort à la charge. Mais il s'advisa
+de luy dire que, s'il prenoit son grand poignard, il y auroit bien un
+autre jeu, et qu'il y auroit bien à crier; de quoy elle, craignant ce
+grand dont il la menaçoit, se laissa aller aussitost: mais ce fut elle
+qui le lendemain n'en eut plus peur, et, ne s'estant contentée du petit,
+luy demanda du premier abord où estoit ce grand dont il l'avoit menacée
+le soir avant. A quoy le mary respondit qu'il n'en avoit point, qu'il se
+moquoit; mais qu'il faloit qu'elle se contentast de si peu de provision
+qu'il avoit sur luy. Alors elle dit: «Est-ce bien fait cela, de se
+moquer ainsi des pauvres et simples filles?» Je ne sais si l'on doit
+appeler cette fille simple et niaise, ou bien fine et rusée, qui en
+avoit tasté auparavant. Je m'en rapporte aux diffiniteurs. Bien plus
+estoit simple une autre fille, laquelle s'estant plainte à la justice
+qu'un galant l'avoit prise par force, et luy enquis sur ce fait, il
+respondit: «Messieurs, je m'en rapporte à elle s'il est vray, et si
+elle-mesme n'a pris mon cas et l'a mis de la main propre dans le
+sien.--Hà! Messieurs, dit la fille, il est bien vray cela; mais qui ne
+l'eust fait? car, après qu'il m'eust couchée et troussée, il me mit son
+cas roide et pointu comme un baston contre le ventre, et m'en donnoit de
+si grands coups que j'eus peur qu'il ne me le perçast et n'y fist un
+trou. Dame, je le pris alors et le mis dans le trou qui estoit tout
+fait.» Si cette fille estoit simplette, ou le contrefaisoit, je m'en
+rapporte.
+
+--Je vous feray deux comptes de deux femmes mariées, simples comme
+celle-là, ou bien rusées, ainsi qu'on voudra. Ce fut d'une très-grande
+dame que j'ay connue, laquelle estoit très-belle, et pour cela fort
+désirée. Ainsi qu'un jour un très-grand prince a requit d'amour, voire
+l'en sollicitoit fort en luy promettant de très-belles et grandes
+conditions, tant de grandeurs que de richesses pour elle et pour son
+mary, tellement qu'elle, ayant de telles douces tentations, y presta
+assez doucement l'oreille; toute-fois du premier coup ne s'y voulut
+laisser aller, mais, comme simplette, nouvelle et jeune mariée, n'ayant
+encore veu son monde, vint descouvrir le tout à son mary et luy demander
+avis si elle le feroit. Le mary luy respondit soudain: «Nenny, m'amie.
+Hélas! que penseriez-vous faire, et de quoy parlez-vous? d'un infame
+trait à jamais irréparable pour vous et pour moy.--Hà! mais, Monsieur,
+répliqua la dame, vous serez aussi grand, et moi si grande qu'il n'y
+aura rien à redire.» Pour fin le mary ne voulut dire ouy; mais la dame,
+qui commença à prendre cœur par après et se faire habile, ne voulut
+perdre ce party, et le prit avec ce prince et avec d'autres encore, en
+renonçant à sa sotte simplicité. J'ay ouy faire ce conte à un qui le
+tenoit de ce grand prince et l'avoit ouy de la dame, à laquelle il en
+fit la réprimande, et qu'en telles choses il ne faloit jamais s'en
+conseiller au mary, et qu'il y avoit autre conseil en sa Cour. Cette
+dame estoit aussi simple, ou plus, qu'une autre que j'ay ouy dire, à
+laquelle un jour un honneste gentilhomme présentant son service amoureux
+assez près de son mary, qui entretenoit pour lors de devis une autre
+dame, il luy vint mettre son eprevier, ou, pour plus clairement parler,
+son instrument entre les mains. Elle le prit, et, le serrant fort
+estroitement et se tournant vers son mary, luy dit: «Mon mary, voyez le
+beau présent que me fait ce gentilhomme; le recevray-je? dites-le-moy.»
+Le pauvre gentilhomme, estonné, retire à soy son eprevier de si grande
+rudesse, que, rencontrant une pointe de diamant qu'elle avoit au doigt,
+le luy esserta de telle façon d'un bout à l'autre, qu'elle le cuida
+perdre du tout, et non sans grande douleur, voire en danger de la vie,
+ayant sorti de la porte assez hastivement, et arrousant la chambre du
+sang qui desgoutoit par-tout. Mais le mary ne courut après luy pour luy
+faire aucun outrage pour ce sujet; il s'en mit seulement fort à rire,
+tant pour la simplicité de sa pauvre femmelette, que pour le beau
+présent produit, joint qu'il en estoit assez puny. Voilà deux femmes
+fort simples, lesquelles, et quelques-unes de leurs semblables (car il y
+en a assez), ne ressemblent pas à plusieurs et à une infinité qui se
+rencontrent dans le monde, qui sont plus doubles et fines que celles-là,
+qui ne demandent conseil à leurs marys, ny qui leur montrent tels
+présents qu'on leur fait.
+
+J'ay ouy raconter en Espagne d'une fille, laquelle la premiere nuict de
+ses nopces, ainsi que son mary s'efforçoit et s'ahanoit[76] de forcer sa
+forteresse, non sans se faire mal, elle se mit à rire et lui dire:
+_Senor, bien es razon que seays martyr, pues que io soy virgen; mas,
+pues que io tomo la patientia, bien la podeys tomar_; c'est-à-dire:
+«Seigneur, c'est bien raison que vous soyez martyr, puis que je suis
+vierge; mais d'autant que je prends patience, vous la pouvez bien
+prendre.» Celle-là, en revanche de l'autre qui s'estoit moqué de sa
+femme, se moquoit bien de son mary. Comme certes plusieurs filles ont
+bien raison de se moquer à telle nuict, mesme quand elles ont sceu
+auparavant ce que c'est, ou l'ont appris d'autres, ou d'elles-mesmes
+s'en sont doutées et imaginées ce grand point de plaisir qu'elles
+estiment très-grand et perdurable. Une autre dame espagnole, qui, le
+lendemain de ses nopces, racontant les vertus de son mary, en dit
+plusieurs, _fors_, dit-elle, _que no era buen contador y arithmetico,
+porque no sapra multiplicar_; en françois, «qu'il n'estoit point bon
+compteur et arithméticien, parce qu'il ne sçavoit pas multiplier.»
+
+Une dame de bon lieu et de bonne maison, que j'ay connue et ouy parler,
+le soir de ses nopces, que chacun estoit aux escoutes à l'accoustumée,
+comme son mary luy eust livré le premier assaut, estant un peu sur son
+repos, non pas du dormir, luy demanda si elle en voudrait encore;
+gentiment elle luy respondit: «Ce qu'il vous plaira, monsieur.» Pensez
+qu'à telle response le galant mary devoit estre bien estonné. Telles
+filles qui disent de telles sornettes si promptement après les nopces,
+pourroient bien donner de bons martels à leurs pauvres marys et leur
+faire à croire qu'ils ne sont les premiers qui ont mouillé l'ancre dans
+leur fonds, ny les derniers qui le mouilleront; car il ne faut point
+douter que qui ne s'efforce et ne se tue à saper sa femme, qu'elle ne
+s'advise à luy faire porter les cornes, ce disoit un ancien proverbe
+françois: _Et qui ne la contente pas, va ailleurs chercher son repas_.
+Toutefois, quand une femme tire ce qu'elle peut de l'homme, elle
+l'assomme, c'est-à-dire qu'il en meurt; et c'est un dire ancien qu'il ne
+faut tirer de son amy ce qu'on voudrait bien, et qu'il le faut espargner
+tant que l'on peut; mais non pas le mary, duquel il en faut tirer ce
+qu'on peut. Voilà pourquoy, dit le refrain espagnol, _que el primero
+pensamiento de la muger, luego que es casada, es de embiudarse_;
+c'est-à-dire: «Le premier pensement de la femme mariée est de songer à
+se faire veufve.» Ce refrain n'est pas général, comme j'espere le dire
+ailleurs, mais il n'est que pour aucunes.
+
+--Il y a de certaines filles qui, ne pouvant tenir longuement leurs
+chaleurs, ne s'addonnent aisément qu'aux princes et aux seigneurs, qui
+sont gens fort propres pour les esbranler, tant pour leurs faveurs que
+pour leurs présents, et aussi pour l'amour de leurs gentillesses, car
+enfin tout est beau et parfait en eux, encore qu'ils fussent des fats.
+Au contraire, j'en ay veu d'autres qui ne les recherchent pas, mais les
+fuyent grandement, à cause qu'ils ont un peu la réputation d'estre
+scandaleux, grands vanteurs, causeurs et peu secrets; aimans mieux des
+gentilshommes sages et discrets, desquels pourtant le nombre est rare;
+et bien heureuse pourtant est celle-là qui en trouve. Mais, pour obvier
+à tout cela, elles choisissent (au moins aucunes) leurs valets, desquels
+aucuns sont beaux, d'autres non, comme j'en ay connu qui l'ont fait, et
+si n'en faut prier longuement leurs dits valets: car, les levant,
+couchant, deshabillant, chaussant, deschaussant et leur baillant leurs
+chemises, comme j'ay veu beaucoup de filles à la Cour et ailleurs qui
+n'en faisoient aucune difficulté ni scrupule, il n'est pas possible
+qu'eux, voyans beaucoup de belles choses en elles, n'en eussent des
+tentations, et plusieurs d'elles qu'elles ne le fissent exprès; si bien
+qu'après que les yeux avoient bien fait leur office, il falloit bien que
+d'autres membres du corps vinssent à faire le leur.
+
+--J'ay connu une fille de par le monde, belle s'il en fust jamais, qui
+rendit son valet compagnon d'un grand prince qui l'entretenoit, et qui
+pensoit estre le seul heureux jouissant; mais le valet en cela alloit du
+pair avec luy; aussi l'avoit-elle bien sceu choisir, car il estoit
+très-beau et de très-belle taille; si bien que, dans le lict ou bien à
+la besogne, on n'y eust connu aucune différence. Encor le valet en
+beaucoup de beautez emportoit le prince, auquel telles amours et telles
+privautez furent inconnues jusqu'à ce qu'il la quitta pour se marier; et
+pour cela il n'en traita plus mal le valet, mais se plaisoit fort de le
+voir; et quand il le voyoit en passant, il disoit seulement: «Est-il
+possible que cet homme ait esté mon corrival? ouy, je le voy, car, ostée
+ma grandeur, il m'enporte d'ailleurs.» Il avoit aussi mesme nom que le
+prince, et fut un très bon tailleur, et des renommez de la Cour; si bien
+qu'il n'y avoit guères de filles ou femmes qu'il n'habillast quand elles
+vouloient estre bien habillées. Je ne sçay s'il les habilloit de la
+mesme façon qu'il habilloit sa maistresse, mais elles n'estoient point
+mal.
+
+--J'ay cogneu une fille de bonne maison, qui, ayant un laquais de l'aage
+de quatorze ans, et en ayant fait son bouffon et plaisant, parmy ses
+bouffonneries et plaisanteries, elle faisoit autant de difficultés que
+rien à se laisser baiser, toucher et taster à luy, aussy privement que
+si c'eust esté une femme, et bien souvent devant le monde, excusant le
+tout, en disant qu'il estoit fol et plaisant bouffon. Je ne sçay s'il
+passoit outre, mais je sçay bien que depuis, estant mariée et veufve, et
+remariée, elle a este une très-insigne putain. Pensez qu'elle alluma sa
+mesche en ce premier tison; si bien qu'elle ne luy faillit jamais après
+entre ses autres plus grandes fougues et plus hauts feux. J'avois bien
+demeuré un an à voir cette fille; mais quand je les vis en ces privautez
+devant sa mere, qui avoit la réputation d'estre l'une des plus prudes
+femmes de son temps, qui en rioit et en estoit bien-aise, je présageay
+aussitost que de ce petit jeu l'on viendroit au grand, et à bon escient,
+et que la damoiselle seroit un jour quelque bonne fripesaulce, comme
+elle le fut.
+
+--J'ay cogneu deux sœurs d'une fort bonne maison de Poictou, filles
+desquelles on parloit estrangement, et d'un grand laquais basque qui
+estoit à leur pere, lequel, sous ombre qu'il dansoit très-bien, non
+seulement le bransle de son pays, mais tous autres, les menoit danser
+ordinairement, mesme les y apprenoit. Il les fit danser, et leur apprit
+la danse des putains à la fin, et en furent assez gentiment
+scandalisées: toutefois elles ne laissèrent à estre bien mariées, car
+elles estoient riches, et sur ce nom de richesses on n'y advise rien, on
+prend tout, et fust-il encore plus chaud et plus ardent. J'ay connu ce
+Basque depuis, gentil soldat et de brave façon, et qui monstroit bien
+avoir fait le coup. Il fut soldat des gardes de la coronelle de M. de
+Strozze.
+
+--J'ai cogneu aussi une maison de par le monde, et grande, d'où la dame
+faisoit profession de nourrir en sa compagnie des honnestes filles,
+entr'autres des parentes de son mary; et d'autant que la dame estoit
+fort maladive et sujette aux médecins et apothicaires, il y en abordoit
+ordinairement là-dedans, et par ce aussi que les filles sont sujettes à
+maladies comme à pasles couleurs, mal de la furette, fievres et autres.
+Il advint que deux entr'autres tombèrent en fievre-quarte: un
+apothicaire les eut en charge pour les penser. Certes il les pensoit de
+ses drogues, de la main et de médecines; mais la plus propre fut qu'il
+coucha avec une (maraud qu'il fut), car il eut affaire avec une fort
+belle et honneste fille de la France, de laquelle un très-grand roy s'en
+fust dignement contenté; et il fallut que ce M. l'apoticaire luy passast
+cette paille sur le ventre. J'ay cogneu la fille, qui certes méritoit
+d'autres assaillants, et après bien mariée, et telle qu'on la donna
+pucelle, telle la trouva-on. En quoy pourtant je trouve qu'elle fut bien
+fine; car, puisqu'elle ne pouvoit tenir son eau, elle s'adressa à celui
+qui donnoit des antidotes pour engarder d'engrosser, car c'est ce que
+les filles craignent le plus: dont en cela il y en a de si experts qui
+leur donnent des drogues qui les engardent très-bien d'engrosser; ou
+bien, si elles engrossent, leur font escouler leur grossesse si
+subtilement et si sagement, que jamais on ne s'en apperçoit, et n'en
+sent-on rien que le vent. Ainsi que j'en ay ouy parler d'une fille,
+laquelle avoit esté autrefois nourrie fille de la feue reyne de Navarre
+Marguerite. Elle vint par cas fortuit, ou à son escient, à engrosser
+sans qu'elle y pensast pourtant. Elle rencontra un sublin[77]
+apothicaire, qui, luy ayant donné un breuvage, luy fit évader son fruit,
+qui avoit déjà six mois, pièce par pièce, morceau par morceau, si
+aisément, qu'estant en ses affaires jamais elle n'en sentit ny mal ny
+douleur; et puis après se maria galamment, sans que le mary y connust
+aucune trace; car on leur donne des remedes pour se faire paroistre
+vierges et pucelles comme auparavant, ainsi que j'en ay allégué un au
+_Discours des Cocus_[78]. Et un que j'ay ouy dire à un empirique ces
+jours passez, qu'il faut avoir des sangsuës et les mettre à la nature,
+et faire par-là tirer et succer le sang: lesquelles sangsuës, en
+sucçant, laissent et engendrent de petites ampoules et fistules pleines
+de sang, si bien que le galant mary, qui vient le soir des nopces les
+assaillir, leur creve ces ampoulles d'où le sang en sort, et luy et elle
+s'ensanglantent, qui est une grande joie à l'un et à l'autre; et par
+ainsi, _l'honor della citella è salva_[79]. Je trouve ce remede plus
+souverain que l'autre, s'il est vray; et s'ils ne sont bons tous deux,
+il y en a cent autres qui sont meilleurs, ainsi que le savent très-bien
+ordonner, inventer et appliquer ces messieurs les médecins sçavants et
+experts apoticaires. Voilà pourquoy ces messieurs ont ordinairement de
+très-belles et bonnes fortunes, car ils sçavent blesser et remédier,
+ainsi que fit la lance de Pélias. J'ai cogneu cet apoticaire dont je
+viens de parler à cette heure, duquel faut que je die ce petit mot en
+passant, que je le vis à Geneve la première fois que je fus en Italie,
+par ce que pour lors ce chemin par-là estoit commun pour les François,
+et par les Suisses et Grisons, à cause des guerres. Il me vint voir à
+mon logis. Soudain je luy demanday ce qu'il faisoit en cette ville, et
+s'il estoit-là pour médeciner les filles, comme il avoit fait en France.
+Il me respondit qu'il estoit-là pour en faire pénitence. «Comment! ce
+dis-je, est-ce que vous n'y mangez de si bons morceaux comme là?--Hà!
+monsieur, me répliqua-il, c'est parce que Dieu m'a appellé, et que je
+suis illuminé de son Saint-Esprit, et que j'ay maintenant la
+connoissance de sa sainte parole.--Ouy, luy dis-je; et dès ce temps-là
+si estiés-vous de la religion, et si vous vous mesliez de médeciner les
+corps et les ames, et preschiés et instruisiés les filles.--Mais,
+monsieur, je reconnois à cette heure mieux mon Dieu, répliqua-il encore,
+qu'alors, et ne veux plus pécher.» Je tais plusieurs autres propos que
+nous eusmes sur ce sujet, tant serieusement qu'en riant. Mais ce maraud
+joüit de ce boucon, qui estoit bien plus digne d'un galant homme que de
+luy. Si est-ce que bien luy servit de vuider de cette maison de bonne
+heure, car mal luy en eust pris. Or laissons cela. Que maudit soit-il
+pour la haine et l'envie que je luy porte, ainsi que M. de Ronsard
+parloit à un médecin qui venoit voir sa maistresse soir et matin, plus
+pour luy taster son teton, son sein, son ventre, son flanc et son beau
+bras, que pour la médeciner de la fievre qu'elle avoit; dont il en fit
+un très-gentil sonnet, qui est dans son second livre des Amours, qui se
+commence:
+
+ Ha! que je porte et de haine et d'envie
+ Au médecin qui vient soir et matin,
+ Sans nul propos, tastonner le testin,
+ Le sein, le ventre et les flancs de m'amie!
+
+--Je porte de mesme une grande jalousie à un médecin qui faisoit traits
+pareils à une belle grande dame, que j'aymois, et de qui je n'avois
+telle et pareille privauté, et je l'eusse desirée plus qu'un petit
+royaume. Telles gens certes sont extrémement bienvenus des dames, et y
+acquièrent de belles adventures, quand ils les veulent rechercher. J'ay
+cogneu deux médecins à la Cour, qui s'appeloient, l'un M. Castelan,
+médecin de la Reyne-mère, et l'autre le seigneur Cabrion, médecin de M.
+de Nevers, et qui avoit esté à feu Ferdinand de Gonzague. Ils ont eu
+tous deux des rencontres d'amour, à ce qu'on disoit, que les plus grands
+de la Cour se fussent donnez au diable, par manière de parler, pour
+estre leurs corrivaux. Je devisois un jour, le feu baron de Vitaux et
+moy, avec M. Le Grand, un grand médecin de Paris, de bonne compagnie et
+de bon devis, luy estant venu voir le dit baron, qui estoit malade des
+affaires d'amour; et tous deux l'interrogeant sur plusieurs propos et
+négociations des dames, ma foy, il nous en conta bien, et nous en fit
+une douzaine de contes qui levoient la paille; et s'y enfonça si avant,
+que, l'heure de neuf venant à sonner, il nous dit, en se levant de la
+chaire où il estoit assis: «Vrayment, je suis plus grand fol que vous
+autres, qui m'avez retenu icy deux bonnes heures à baguenauder avec vous
+autres, et cependant j'ay oublié six ou sept malades qu'il faut que
+j'aille voir.» Et, nous disant adieu, part et s'en va, non sans nous
+dire, après que nous luy eusmes dit: «Vous avez, messieurs les médecins,
+vous en sçavez et en faites de bonnes, et mesmes vous, monsieur, qui en
+venez parler comme maistre.» Il respondit (en baissant la teste):
+«Semon, semon, ouy, ouy, nous en sçavons et faisons de bonnes, car nous
+sçavons des secrets que tout le monde ne sçait pas: mais à cette heure
+que je suis vieux, j'ay dit adieu à Vénus et à son enfant; je laisse
+cela à vous autres qui estes jeunes.» Une autre espèce de gens y a-t-il
+qui a bien gasté des filles quand on les met à apprendre les lettres,
+qui sont leurs précepteurs, et le font quand ils veulent estre
+meschants; car, leur faisants leçons, et estants seuls dans une chambre
+ou dans une estude, je vous laisse à penser quelles commoditez ils y
+ont, et quelles histoires, contes et fables ils leur peuvent alléguer à
+propos pour les mettre en chaleur; et, lorsqu'ils les voyent en telles
+altères et appetits, comme ils vous sçavent prendre l'occasion au poil.
+
+--J'ay cogneu une fille de fort bonne maison, et grande, vous dis-je,
+qui se perdit et se rendit putain pour avoir ouy raconter à son maistre
+d'escole l'histoire, ou plutost la fable de Tirésias; lequel, pour avoir
+essayé l'un et l'autre sexe, fut éleu juge par Jupiter et Junon, sur une
+question meue entr'eux deux, à sçavoir qui avoit et sentoit plus de
+plaisir au coït et acte vénérien, ou l'homme ou la femme. Le juge député
+jugea contre Junon que c'estoit la femme; dont elle, de dépit d'avoir
+esté jugée, rendit le pauvre juge aveugle et luy osta la veuë. Il ne se
+faut esbahyr si cette fille fut tentée par un tel conte; car, puis
+qu'elle oyoit souvent dire, ou à ses compagnes, ou à d'autres femmes,
+que les hommes estoient si ardents après cela, et y prenoient si grand
+plaisir, que les femmes, veue la sentence de Tirésias, en devoient bien
+prendre davantage; et, par conséquent, il le faut esprouver. Vrayment,
+telles leçons se devoient bien faire à ces filles; n'y en a-t-il pas
+d'autres? Mais leurs maistres diront qu'elles veulent tout sçavoir, et
+que, puis qu'elles sont à l'estude, si les passages et histoires se
+rencontrent qui ont besoin d'estre expliquées (ou que d'elles-mesmes
+s'expliquent), il faut bien leur expliquer et leur dire sans sauter ou
+tourner le feuillet. Combien de filles estudiantes se sont perdues
+lisant cette histoire que je viens de dire, et celle de Biblis, de
+Camus[80], et force autres pareilles, escrites dans la _Métamorphose_
+d'Ovide, jusques au livre de l'_Art d'aimer_ qu'il a fait; ensemble une
+infinité d'autres fables lascives, et propos lubrics d'autres poëtes,
+que nous avons en lumière, tant françois, latins, que grecs, italiens,
+espagnols! Aussi dit le refrain espagnol: _de una mula que haze hin, y
+de una hija que habla latin, libera nos, Domine_[81]. Et on sçait, quand
+leurs maistres veulent estre meschants, et qu'ils font de telles leçons
+à leurs disciples, comment ils les sçavent engraver et donner la saulce,
+que le plus pudique du monde s'y laisseroit aller. Saint Augustin
+mesmes, en lisant le quatrième livre de l'_Eneïde_, où sont contenus les
+amours et la mort de Didon, ne s'en esmeut-il pas de compassion, et ne
+s'en adolora? Je voudrois avoir autant de centaines d'escus comme il y a
+eu de filles, tant du monde que de religieuses, qui se sont emeues,
+pollues et despucelées, par la lecture d'_Amadis de Gaules_. Je vous
+laisse à penser que pouvoient faire des livres grecs, latins et autres,
+glosez, commentez et interprétez par leurs maistres, fins renards et
+corrompus, meschants garnements, dans leurs chambres secretes et parmy
+leurs oisivetez.
+
+--Nous lisons en la vie de saint Louis, dans l'_Histoire de Paul Emile_,
+d'une Marguerite, comtesse de Flandres, sœur de Jeanne, fille du
+premier Baudoüin, empereur de Grèce et qui luy succéda, d'autant qu'elle
+n'eut point d'enfants, dit l'histoire: on luy bailla en sa première
+jeunesse un précepteur appelé Guillaume, homme de sainte vie, estimé, et
+qui avoit déjà pris quelques ordres de prestrise, qui néanmoins ne
+l'empescha pas de faire deux enfants à sa disciple, qui furent appelés
+Jean et Beaudoüin, et si secretement que peu de gens s'en apperceurent,
+lesquels furent après pourtant approuvez légitimes du pape. Quelle
+sentence et quel pédagogue! Voyez l'histoire.
+
+--J'ay cogneu une grande dame à la Cour, qui avoit la réputation de se
+faire entretenir à son liseur et faiseur de leçons; si bien que Chicot,
+bouffon du Roy, luy en fit le reproche publiquement devant Sa Majesté et
+force autres personnes de sa Cour, luy disant si elle n'avoit pas de
+honte de se faire entretenir (disant le mot) à un si laid et si vilain
+masle que celuy-là, et si elle n'avoit pas l'esprit d'en choisir un plus
+beau. La compagnie s'en mit fort à rire et la dame à pleurer, ayant
+opinion que le Roy avoit fait joüer ce jeu; car il estoit coustumier de
+faire joüer ces esteufs. Cette dame, et les autres qui font telles
+élections de telles manieres de gens, ne sont nullement excusables, mais
+bien fort blasmables d'autant qu'elles ont leur libéral arbitre, et
+toutes franches sont pleines de leurs libertez et commoditez pour faire
+tel choix qu'il leur plaist. Mais les pauvres filles qui sont sujettes
+esclaves de leurs pères et mères, parents, tuteurs, maistresses, et
+craintives, sont contraintes de prendre toutes pierres quand elles les
+trouvent, pour mettre en œuvre, et n'aviser s'il est froid ou chaud,
+ou rosty ou bouilly: et par ce, selon que l'occasion se rencontre, tant
+qu'elles se servent le plus souvent de leurs valets, de leurs maistres
+d'escole et d'estude, des joueurs de luth, des violons, des appreneurs
+de danses, des peintres, bref, de ceux qui leur apprennent des exercices
+et sciences, voire d'aucuns prescheurs, comme en parle Bocace, et la
+Reyne de Navarre en ses _Nouvelles_; comme font aussi des pages comme
+j'en ay connus, et des laquais, enfin de ceux qu'elles trouvent à
+propos. Et voilà pourquoy le mesme Bocace, et autres avec luy, trouvent
+que les filles simples sont plus constantes en amours et plus fermes que
+les femmes et veufves; d'autant qu'elles ressemblent les personnes qui
+sont sur l'eau dans un bateau qui vient à s'enfoncer: ceux qui ne savent
+nager nullement se viennent à prendre aux premières branches qu'ils
+peuvent attraper, et les tiennent fermement et opiniastrement jusque ce
+que l'on les soit venu secourir; les autres, qui sçavent bien nager, se
+jettent dans l'eau, et bravement nagent jusques à ce qu'elles en ayent
+atteint la rive: tout de mesmes les filles, aussi-tost qu'elles ont
+attrapé un serviteur, lequel elles ont premier choisi, le tiennent et le
+gardent fermement, tellement qu'elles ne veulent désamparer et l'aiment
+constamment, de peur qu'elles ont de n'avoir la liberté et la commodité
+d'en pouvoir recouvrer un autre comme elles voudroient; au lieu que les
+femmes mariées ou veufves, qui sçavent les ruses d'amour et qui sont
+expertes, et en ont les libertez et commoditez de nager dans des eaux
+sans danger, prennent tel party qu'il leur plaist; et si elles se
+faschent d'un serviteur ou le perdent, en savent aussi-tost prendre un
+nouveau ou en recouvrent deux; car à elles, pour un perdu deux
+recouverts. Davantage, les pauvres filles n'ont pas les moyens, ny les
+biens, ny les escus, pour faire les acquiets tous les jours de nouveaux
+serviteurs; car, c'est tout ce qu'elles peuvent donner à leurs amoureux,
+que quelques petites faveurs de leurs cheveux, ou petites perles, ou
+grains, ou bracelets, quelques petites bagues ou escharpes et autres
+petits menus présents qui ne coustent guères; car, quelque fille, comme
+j'en ay veu, grande, de bonne maison et riche héritière qu'elle soit,
+elle est tenue si courte en ses moyens, ou de ses pere et mere, freres,
+parents et tuteurs; qu'elle n'a pas les moyens de les despartir à son
+serviteur ny deslier guère largement sa bourse, si ce n'est celle du
+devant: et aussi que d'elles-mesmes elles sont avares, quand ce ne
+seroit que cette seule raison qu'elles n'ont guères de quoy pour
+eslargir, car la libéralité consiste et dépend du tout des moyens. Au
+lieu que les femmes et veufves peuvent disposer de leurs moyens fort
+librement, quand elles en ont: et mesme quand elles ont envie d'un
+homme, et qu'elles s'en viennent enamouracher et encapricher, elles
+vendroient et donneroient jusqu'à leur chemise plustost qu'elles n'en
+tastassent; à la mode des friants et de ceux qui sont sujets à leur
+bouche, quand ils ont envie d'un bon morceau, il faut qu'ils en tastent,
+quoy qu'il leur couste au marché: Ces pauvres filles ne sont de mesme,
+lesquelles, selon qu'elles le rencontrent, ou bons ou mauvais, il faut
+qu'elles s'y arrestent. J'en alléguerois une infinité d'exemples de
+leurs amours et de leurs divers appetits et bizarres joüissances; mais
+je n'aurois jamais finy, et aussi que les contes n'en vaudraient rien si
+on ne les nommoit et par nom et par surnom, ce que je ne veux faire pour
+tout le bien du monde, car je ne les veux scandaliser, et j'ay protesté
+de fuyr en ce livre tout scandale, car on ne me sçauroit reprocher
+d'aucune médisance. Et pour alléguer des contes et oster les noms, il
+n'y a nul mal, et j'en laisse à deviner au monde les personnes dont il
+est question; et bien souvent en penseront une qui en sera l'autre.
+
+--Or, tout ainsi que l'on voit des bois de telles et diverses natures,
+que les uns bruslent tous verts, comme est le fresne, le fayan; et
+aussi-tost d'austres, qui auroient beau estre secs, vieux et taillez de
+long-temps, comme est l'hommeau, le vergne, et d'autres, ne bruslent
+qu'à toutes les longueurs du monde: force autres, comme est le général
+naturel de tous bois secs et vieux, bruslent en leurs seicheresses et
+vieillesse si soudainement, qu'il semble qu'il soit plustost consommé et
+mis en cendres que bruslé. De mesmes sont les filles, les femmes et les
+veufves: les unes, dès lors qu'elles sont en la verdeur de leur age,
+bruslent aisément et si bien, qu'on diroit que dès le ventre de leur
+mère elles en rapportent la chaleur amoureuse et le putanisme; et ainsi
+que fit la belle Laïs de la belle Timandre, sa putain de mère
+très-insigne, jusques là qu'elle n'attend pas seulement le temps de
+maturité, qui peut estre à douze ou treize ans, qu'elle monte en amour,
+mesme plustost, ainsi qu'il advint il n'y a pas douze ans à Paris, d'une
+fille d'un patissier, laquelle se trouva grosse en l'age de neuf
+ans[82]; si bien qu'estant fort malade de sa grossesse, son père en
+ayant porté de l'urine au médecin, ledit médecin dit aussi-tost qu'elle
+n'avoit autre maladie, sinon qu'elle estoit grosse. «Comment! respondit
+le père, monsieur, ma fille n'a que neuf ans.» Qui fut esbahy? ce fut le
+médecin. «C'est tout un, dit-il; pour le seur elle est grosse.» Et,
+l'ayant visitée de plus près, il la trouva ainsi; et ayant confessé avec
+qui elle avoit eu à faire, son galand fut puny de mort par la justice,
+pour avoir eu à faire à elle à un age si tendre, et l'avoir fait porter
+si jeunement. Je suis bien mary qu'il m'ait fallu apporter cet exemple
+et le mettre icy, d'autant qu'il est d'une personne privée et de basse
+condition, pour ce que j'ay délibéré de n'eschafourer mon papier de si
+petites personnes, mais de grandes et hautes. Je me suis un peu
+extravagué de mon dessein; mais, par ce que ce conte est rare et
+inusité, je seray excusé; et aussi que je ne sçache point tel miracle
+advenu à nos grandes dames d'estat, que j'aye bien sceu, ouy bien qu'en
+tel age de neuf, de dix, de douze et de treize ans, elles ayent porté et
+enduré fort aisément le masle, soit en fornication, soit en mariage,
+comme j'en alléguerois plusieurs exemples de plusieurs desvirginées en
+telles enfances, sans qu'elles en soient mortes, non pas seulement
+pasmées du mal, si-non du plaisir.
+
+Surquoy il me souvient d'un conte d'un galant et beau seigneur s'il en
+fut oncques, lequel est mort, et, se plaignant un jour de la capacité de
+la nature des filles et femmes avec lesquelles il avoit négocié, il
+disoit qu'à la fin il seroit contraint de rechercher les filles
+enfantines, et quasi sortantes hors du berceau, pour ny sentir tant de
+vagues en si pleine mer, comme il avoit fait avec les autres, et pour
+plus à plaisir nager à un destroit. S'il eust adressé ces paroles à une
+grande et honneste dame que je connois, elle lui eust fait la mesme
+response qu'elle fit à un gentilhomme de par le monde, qui, lui faisant
+une mesme complainte, elle luy respondit: «Je ne sçay qui se doit
+plustost plaindre, ou vous autres hommes de nos capacitez et amplitudes,
+ou nous autres femmes de vos petitesses ou menuises, ou plustost petites
+menuseries; car il y a autant à se plaindre en vous autres que vous en
+nous, que si vous portiez vos mesures pareilles à nos calibres, nous
+n'aurions rien à nous reprocher les uns aux autres.» Celle-là parloit
+par vraye raison; et c'est pourquoy une grande dame, un jour à la Cour
+regardant et contemplant ce grand Hercule de bronze qui est en la
+fontaine de Fontainebleau, elle estant tenue sous les bras par un
+gentilhomme qui la couduisoit, elle lui dit que cet Hercule, encore
+qu'il fust très-bien fait et représenté, n'estoit pas si bien
+proportionné de tous ses membres comme il falloit, d'autant que celuy du
+mitan estoit par trop petit et par trop inesgal, et peu correspondant à
+son grand colosse de corps. Le gentilhomme luy respondit qu'il n'y
+trouvoit rien à redire de ce qu'elle luy disoit, si-non qu'il falloit
+croire que de ce temps les dames ne l'avoient si grand comme du temps
+d'aujourd'huy.
+
+--Une très-grande dame et princesse[83], ayant sçeu que quelques-uns
+avoient imposé son nom à une grosse et grande colouvrine, elle demanda
+pourquoy. Il y eu eut un qui respondit: «C'est par ce, madame, qu'elle a
+le calibre plus grand et plus gros que les autres.» Si est-ce pourtant
+qu'elles y ont trouvé assez de remede, et en trouvent tous les jours
+assez pour rendre leurs portes plus estroites, quarrées et plus
+malaisées d'entrée; dont aucunes en usent, et d'autres non; mais
+nonobstant, quand le chemin y est bien battu et frayé souvent par
+continuelle habitation et fréquentation, ou passages d'enfants, les
+ouvertures de plusieurs en sont toujours plus grandes et plus larges. Je
+me suis là un peu perdu et desvoyé; mais puis que ça esté à propos il
+n'y a point de mal, et je retourne à mon chemin.
+
+--Plusieurs autres filles y a-t-il lesquelles laissent passer cette
+grande tendreur et verdeur de leurs ans, et en attendent les plus
+grandes maturitez et seicheresses, soit ou qu'elles sont de leur nature
+très-froides à leur commencement et à leur avenement, car il y en a et
+s'en trouve, soit ou qu'elles soient tenues de court, comme il est bien
+nécessaire à aucunes, comme dit le refrain esgnol, _vignas e hinas son
+muy malas à guardar_; c'est-à-dire: «Les vignes et les jeunes filles
+sont fort difficiles à garder,» que pour le moins quelque passant,
+paysant ou séjournant n'en taste aucunes. Il y en a aussi qui sont
+immobiles, que tous les aquilons et vents d'un hyver ne sçauraient
+esmouvoir ny esbranler. Il y a d'autres si sottes, si simples, si
+grossieres et si ignares, qu'elles ne voudroient pas ouyr nommer
+seulement ce nom d'amour. Comme j'ay ouy parler d'une femme qui faisoit
+de l'austère et réformée, que quand elle entendoit parler d'une putain
+elle en evanouissoit soudain; et ainsi qu'on faisoit ce conte à un grand
+seigneur devant sa femme, il disoit: «Que cette femme ne vienne donc pas
+céans; car si elle evanoüit pour ouyr parler des putains, elle mourra
+tout à trac céans pour en voir.» Il y a pourtant des filles que,
+lorsqu'elles commencent un peu à sentir leur cœur, elles s'y
+apprivoisent si bien, qu'elles viennent manger aussitost dans la main.
+D'autres sont si dévotes et consciencieuses, craignant tant les
+commandements de Dieu nostre souverain, qu'elles renvoyent bien loin
+celuy d'amour. Mais pourtant en ay-je veu force de ces dévotes
+patenostrieres, mangeuses d'images, et citadines ordinaires d'églises,
+qui, sous cette hypocrisie, couvoient et cachoient leurs feux, afin que
+par telles feintes et faux semblants, le monde ne s'en apperceust, et
+les estimast très-prudes, voire à demi saintes. Mais bien souvent elles
+ont trompé le monde et les hommes. Ainsy que j'ay ouy raconter d'une
+grande princesse, voire reyne, qui est morte, laquelle, quand elle
+vouloit attaquer quelqu'un d'amour (car elle y estoit fort sujette),
+commençoit tousjours ses propos par l'amour de Dieu que nous lui devons,
+et soudain les faisoit tomber sur l'amour mondain, et sur son intention
+qu'elle en vouloit à celuy auquel elle parloit, dont par après elle en
+venoit au grand œuvre, ou, pour le moins, à la quittessence. Et voilà
+comme nos dévotes, ou plustost bigotes, nous trompent; je dis ceux-là
+qui, peu rusez, ne connoissent leur vie.
+
+--J'ay ouy faire un conte, je ne sçay s'il est vray; mais un de ces ans,
+se faisant une procession générale à une ville de par le monde, se
+trouva une femme, soit grande ou petite, en pieds nuds et grande
+condition[84], faisant de la marmiteuse plus que dix, et c'estoit en
+caresme: au partir de là elle s'en alla disner avec son amant d'un
+quartier de chevreau et d'un jambon: la senteur en vint jusqu'à la ruë;
+on monta en haut, et on la trouva en telle magnificence, qu'elle fut
+prise et condamnée de la promener par la ville avec son quartier
+d'agneau à la broche sur l'espaule et le jambon pendu au col.
+N'estoit-ce pas bien employé de la punir de cette façon?
+
+--D'autres dames y en a qui sont superbes, orgueilleuses, qui
+dédaignent et le ciel et la terre par manière de dire, qui rabroüent les
+hommes et leurs propres amoureux, et les rechassent loin; mais à telles
+il faut user de temporisement seulement et de patience et de
+continuation, car avec tout cela et le temps vous les mettez et avez
+sous vous à l'humilité, estant le propre et superbe de la gloire, après
+avoir fait assez des siennes et monté bien haut, de descendre et venir
+au rabais: et mesmes de ces glorieuses en ay-je veu aucunes lesquelles
+bien souvent, après avoir bien desdaigné l'amour et ceux qui leur en
+parloient, s'y rangeoient, les aimoient, jusqu'à espouser aucuns qui
+estoient de basse condition et nullement à elles en rien pareils. Et
+ainsi se joue amour d'elles et les punit de leur outrecuidance, et se
+plaist de s'attaquer à elles plustost qu'à d'autres, car la victoire en
+est plus glorieuse, puis qu'elles surmontent la gloire. J'ay cogneu
+d'autrefois une fille à la Cour, si entiere et si desdaigneuse, que
+quand quelque habile et galant homme la venoit accoster et la taster
+d'amour, elle luy respondoit si orgueilleusement, en si grand mespris de
+l'amour, par paroles si rebelles et arrogantes (car elle disoit des
+mieux), que plus il n'y retournoit: et si, par cas fortuit, quelquefois
+on la vouloit accoster et s'y prendre, comment elle les renvoyoit et
+rabroüoit, et de paroles, et de gestes, avec mines desdaigneuses; car
+elle estoit très-habile. Enfin l'amour la punit, et se laissa si bien
+aller à un qu'il l'engrossa quelque vingt jours avant qu'elle se
+mariast; et si pourtant c'est un qui n'estoit nullement comparable à
+force autres honnestes gentilhommes qui l'avoient voulu servir. En cela
+il faut dire avec Horace, _sic placet Veneri_; c'est-à-dire, «c'est
+ainsi qu'il plaist à Vénus;» et ce sont de ses miracles.
+
+--Il me vint en fantaisie une fois à la comédie d'y servir une belle et
+honneste fille, habile s'il en fut oncques, de fort bonne maison, mais
+glorieuse et fort haute à la main, dont j'estois amoureux extrémement.
+Je m'advisois de la servir et arraisonner aussi arrogamment comme elle
+me pouvoit parler et respondre; car à brave brave et demy. Elle ne s'en
+sentit pour cela nullement intéressée, car, en la menant de telle façon,
+je la loüois extrémement, d'autant qu il n'y a rien qui amollisse plus
+un cœur dur d'une dame que la loüange, autant de ses beautez et
+perfections, que de sa superbité; voire luy disant qu'elle luy séoit
+très-bien, veu qu'elle ne tenoit rien du commun, et qu'une fille ou
+dame, se rendant par trop privée et commune, ne se tenant sur un port
+altier et sur une réputation hautaine, n'estoit bien digne d'estre
+ferme[85]; et pour ce, que je l'en honorois davantage, et que je ne la
+voulois jamais appeler autrement que ma _Gloire_. En quoy elle se pleut
+tant, qu'elle voulut aussi m'appeler son _Arrogant_. Continuant ainsi
+tousjours, je la servis longuement; et si me peux vanter que j'eus part
+en ses bonnes graces autant ou plus que grand seigneur de la Cour qui la
+voulut servir; mais un très-grand favory du Roy, brave certes et
+vaillant gentilhomme, me la ravit, et par la faveur de son Roy
+l'espousa. Et pourtant, tant qu'elle a vescu, telles alliances ont
+tousjours duré entre nous deux, et l'ay tousjours très-honorée. Je ne
+sçay si je seray repris d'avoir fait ce conte, car on dit volontiers que
+tout conte fait de soy n'est pas bon; mais je me suis esgaré à ce coup,
+encore que dans ce livre j'en aye fait plusieurs de moy-mesme en toutes
+façons, mais je tais le nom.
+
+--Il y a encore d'autres filles qui sont de si joyeuse complexion, et
+qui sont si folastres, si endemenées et si enjoüées, qui ne se mettent
+autres sujets en leurs pensées qu'à songer à rire, à passer leur temps
+et à folastrer, qu'elles n'ont pas l'arrest d'ouyr ny songer à autre
+chose, sinon à leurs petits esbattements. J'en ay connues plusieurs qui
+eussent mieux aimé ouyr un violon, ou danser, ou sauter, ou courir, que
+tous les propos d'amour: aucunes la chasse, si bien qu'elles se
+pouvoient plustost nommer sœurs de Diane que de Vénus. J'ay cogneu un
+brave et galant seigneur, mais il est mort, qui devint si fort perdu de
+l'amour d'une fille, et puis dame, qu'il en mouroit; «car, disoit-il,
+lorsque je luy veux remonstrer mes passions, elle ne me parle que de ses
+chiens et de sa chasse, si bien que je voudrois de bon cœur estre
+métamorphosé en quelque beau chien ou levrier, ou que mon ame fust
+entrée dans leur corps, selon l'opinion de Pythagore, afin qu'elle se
+pust arrester à mon amour, et mon ame guérir de ma play.» Mais après il
+la laissa, car il n'estoit pas bon laquais, et ne la pouvoit suivre ny
+accompagner partout où ses humeurs gaillardes, ses plaisirs et ses
+esbattements la conduisoient. Si faut-il noter une chose, que telles
+filles, après avoir laissé leur poulinage et jetté leur gourme (comme
+l'on dit des poulains), et après s'estre ainsi esbattues au petit jeu,
+veulent essayer le grand, quoy qu'il tarde; et telle jeunesse ressemble
+à celle de petits jeunes loups, lesquels sont tous jolis, gentils et
+enjoüez en leur poil follet; mais, venant sur l'aage, ils se
+convertissent en malice et à mal faire. Telles filles que je viens de
+dire font de mesme, lesquelles, après s'estre bien joüées et passé leurs
+fantaisies en leurs plaisirs, et jeunesses en chasses, en bals, en
+voltes, en courantes et en danses, ma foy, après elles se veulent mettre
+à la grande danse et à la douce carolle de la déesse d'amour. Bref, pour
+faire fin finale, il ne se voit guères de filles, femmes ou veufves qui
+tost ou tard ne bruslent, ou en leurs saisons ou hors de leurs saisons,
+comme tous bois, fors un qu'on nomme _larix_, duquel elles ne tiennent
+nullement. Ce larix donc est un bois qui ne brusle jamais, et ne fait
+feu, ny flamme, ny charbon, ainsi que Jules César en fit l'expérience
+retournant de la Gaule. Il avoit mandé à ceux du Piedmont de luy fournir
+vivres et dresser estappes sur son grand chemin du camp. Ils luy
+obéyrent, fors ceux d'un chasteau appelé Larignum, où s'estoient retirés
+quelques meschants garnements, qui firent des refusants et rebelles, si
+bien qu'il fallut à César rebrousser et les aller assiéger. Approchant
+de la forteresse, il vit qu'elle n'estoit fortifiée que de bois, dont il
+s'en moqua, disant que soudain il l'auroit. Parquoy commanda aussi-tost
+d'apporter force fagots et paille pour y mettre le feu, qui fut si grand
+et fit si grande flamme, que bien-tost on en espéroit voir la ruine et
+destruction; mais, après que le feu fut consommé et la flamme disparue,
+tous furent bien estonnez, car ils virent la forteresse en mesme estat
+qu'auparavant et en son entier, et point bruslée ny ruynée: dont il
+fallut à César qu'il s'aidast d'autre remede, qui fut par sappe, ce qui
+fut cause que ceux de dedans parlementerent et se rendirent; et d'eux
+apprit César la vertu de ce bois larix, duquel portoit nom ce chasteau
+Larignum, parce qu'il en estoit basti et fortifié. Il y a plusieurs
+peres, meres, parents et marys, qui voudroient que leurs filles et
+femmes participassent du naturel de ce bois, ils en auroient leur esprit
+plus content, et n'auroient si souvent la puce en l'oreille, et n'y
+auroit tant de putains ny de cocus. Mais il n'en est pas de besoin, car
+le monde en demeureroit plus despeuplé, et y vivroit-on comme marbres,
+sans aucuns plaisirs ny sentiments, ce disoit quelqu'un et quelqu'une
+que je sçay, et nature demeureroit imparfaite; au lieu qu'elle est
+très-parfaite, laquelle si nous suivons comme un bon capitaine, nous ne
+sortirons jamais du bon chemin.
+
+ * * * * *
+
+ARTICLE III.
+
+ De l'amour des veufves.
+
+Or, c'est assez parlé des filles, il est raison maintenant que nous
+parlions de mesdames les veufves à leur tour. L'amour des veufves est
+bon, aisé et profitable, d'autant qu'elles sont en leur pleine liberté,
+et nullement esclaves des peres, meres, freres, parents et marys, ny
+d'aucune justice, qui plus est. On a beau faire l'amour à une veufve et
+coucher avec, on n'en est point puny, comme l'on est des filles et des
+femmes. Mesmes les Romains, qui nous ont donné la pluspart des loix que
+nous avons, ne les ont jamais fait punir pour ce fait, ny en leur corps
+ny en leurs biens: ainsi que je tiens d'un grand jurisconsulte, qui
+m'alléguoit là-dessus Papinian, ce grand jurisconsulte aussi, lequel,
+traitant de la matiere des adulteres, dit que, si quelquefois par
+mesgarde on avoit compris sous ce nom d'adultere la honte de la fille ou
+de la veufve, c'estoit abusivement parler; et en autre passage il dit
+que l'héritier n'a nulle réprimende ou esgard sur les mœurs de la
+veufve du deffunt, n'estoit que le mary en son vivant eust fait appeler
+sa femme en justice pour cela, car lors ledit héritier en pouvoit
+prendre arrements de la poursuite, et non autrement. Et, de fait, on ne
+trouve point en tout le droit des Romains aucune peine ordonnée à la
+veufve, si-non à celle qui se remarieroit dans l'an de son deuil, ou
+qui, ne se remariant, avoit fait enfant après l'onsiesme mois d'un mesme
+an, estimant le premier an de son veufvage estre affecté à l'honneur de
+son premier lict. Et, quant à son douaire, l'héritier ne luy eust sceu
+faire perdre, quand bien elle eust fait toutes les folies du monde de
+son corps; et en alleguoit une belle raison (celuy de qui je tiens
+cecy); car si l'héritier qui n'a aucun pensement que le bien, en luy
+ouvrant la porte pour accuser la veufve de ce forfait et la priver de
+son dot, on l'ouvriroit tout d'une main à la calomnie; et n'y auroit
+veufve, si femme de bien fust-elle, qui pust se sauver des calomnieuses
+poursuites de ces galants héritiers, selon ces dires. Comme je voy, les
+veufves romaines avoient bon temps et bon sujet de s'esbattre: et ne se
+faut estonner si une, du temps de Marc Aurele, ainsi qu'il se trouve en
+sa vie, comme elle alloit au convoy des funérailles de son mary, parmy
+ses plus grands cris, sanglots, soupirs, pleurs et lamentations,
+serroit la main si estroitement à celuy qui la tenoit et conduisoit,
+faisant signal par-là que c'estoit en nom d'amour et de mariage, qu'au
+bout de l'an, ne le pouvoit espouser que par dispense (ainsi que fut
+dispensé Pompée quand il espousa la fille de César; mais elle ne se
+donnoit guéres qu'aux plus grands et grandes, comme j'ay ouy dire à un
+grand personnage), il l'espousa, et cependant en tiroit tousjours de
+bons brins, et empruntoit force pains sur la fournée, comme l'on dit.
+Cette dame ne vouloit rien perdre, mais se pourvoyoit de bonne heure;
+et, pour cela, ne perdoit rien de son bien ny de son douaire.
+
+Voilà comme les veufves romaines estoient heureuses, comme sont bien
+encore nos veufves françoises, lesquelles, pour se donner à leur cœur
+et gentil corps joye, ne perdent rien de leurs droits, bien que par les
+parlements il y en ait eu plusieurs causes débattues. Ainsi que je sçay
+un grand et riche seigneur de France, qui fit long-temps plaider sa
+belle-sœur sur son dot, luy imposant sa vie estre un peu lubrique, et
+quelque autre crime plus grief que celuy meslé parmy; mais, nonobstant,
+elle gagna son procès, et fallut que le beau-frere la dotast très-bien,
+et luy donnast ce qui luy appartenoit: mais pourtant l'administration de
+son fils et fille luy fut ostée, d'autant qu'elle se remaria; à quoy les
+juges et grands sénateurs des parlements ont esgard, ne permettant aux
+veufves qui convolent au second mariage, la tutelle de leurs enfants. Et
+encore il n'y a pas long-temps que je sçay deux veufves d'assez bonne
+qualité, qui ont emporté leurs filles mineures, s'estant remariées, par
+dessus leurs beaux-freres et autres de leurs parents; mais aussi elles
+furent grandement secourues des faveurs du prince qui les entretenoit.
+Mais de ces sujets, meshuy je m'en desparts d'en parler, d'autant que ce
+n'est pas ma profession, et que, pensant dire quelque chose de bon,
+possible ne dirois-je rien qui vaille: je m'en remets à nos grands
+législateurs.
+
+Or, de nos veufves, les unes se plaisent à tourner encore en mariage, et
+en resonder encore le guay, comme les mariniers qui, sauvez de deux,
+trois ou quatre naufrages, retournent encore à la mer, et comme font
+encore les femmes mariées, qui, en leur mal d'enfant, jurent, protestent
+de n'y retourner jamais, et que jamais homme ne leur fera rien; mais
+elles ne sont pas plustost purifiées, les voilà encore au premier
+branle. Ainsi qu'une dame espagnolle, laquelle, estant en mal d'enfant,
+se fit allumer une chandelle de Nostre-Dame de Montferrat qui aide fort
+à enfanter, pour la vertu de ladite Nostre-Dame. Toutefois, ne laissa
+d'avoir de grandes douleurs, et à jurer que plus jamais elle n'y
+retourneroit. Elle ne fut pas plustost accouchée, qu'elle dit à la femme
+qui la luy donnoit allumée: _Serra esto cabillo de candela para otra
+vez_; c'est-à-dire: «Serrez ce bout de chandelle pour une autre fois.»
+
+D'autres dames ne se veulent marier; et de celles qui n'en veulent
+point, plusieurs y en a, et y en a eu, lesquelles, venues en viduité sur
+le plus beau de leur age, s'y sont contenues. Nous avons veu la
+Reine-Mere, en l'age de trente-sept à trente-huit ans, estant tombée
+veufve, qui s'est tousjours contenue veufve; et, bien qu'elle fust
+belle, bien agréable et très-aimable, ne songea pas tant seulement à un
+seul pour l'espouser. Mais l'on me dira aussi, qui eust-elle sceu
+espouser qui eust esté sortable à sa grandeur, et pareil à ce grand roy
+Henry, son feu seigneur et mary, et qu'elle eust perdu le gouvernement
+du royaume, qui valoit mieux que cent marys, et dont l'entretien en
+estoit bien meilleur et plus plaisant. Toutefois, il n'y a rien que
+l'amour ne fasse oublier; et d'autant est-elle à loüer, et à estre
+recoudée au temple de la gloire et immortalité, de s'estre vaincue et
+commandée, et n'avoir fait comme une Reyne Blanche, laquelle, ne se
+pouvant contenir, vint à espouser son maistre d'hostel, qui s'appelloit
+le sieur de Rabaudange; ce que le roy son fils, pour le commencement,
+trouva fort estrange et amer; mais pourtant, parce qu'elle estoit sa
+mère, il excusa et pardonna audit Rabaudange, pour l'avoir espousée, en
+ce que, le jour, devant le monde, il la servoit tousjours de
+maistre-d'hostel, pour ne priver sa mere de sa grandeur et majesté; et
+la nuict elle en feroit ce qu'elle voudroit, s'en serviroit, ou de valet
+ou de maistre, remettant cela à leurs discrétions et volontez, et de
+l'un et de l'autre; mais pensez qu'il commandoit: car, quelque grande
+qu'elle soit, venant-là, elle est tousjours subjugué par le supérieur,
+selon le droit de la nature et de l'agent en cela. Je tiens ce conte du
+feu grand cardinal de Lorraine dernier, lequel le faisoit à Poissy au
+roy François second, lorsqu'il fit les dix-huit chevaliers de l'ordre de
+Saint-Michel, nombre très-grand, non encore veu, ny jamais ouy
+jusqu'alors; et, entre autres, il y eut le seigneur de Rabaudange, fort
+vieux, lequel on n'avoit veu de long-temps à la Cour, si-non à aucuns
+voyages de nos autres guerres, s'estant retiré dès la mort de M. de
+Lautrec, de tristesse et de despit, comme l'on voit souvent, pour avoir
+perdu son bon maistre, duquel il estoit capitaine de sa garde au voyage
+du royaume de Naples, où il mourut; et disoit encore monsieur le
+cardinal, qu'il pensoit que ce monsieur de Rabaudange estoit venu et
+descendu de ce mariage. Il y a quelque temps qu'une dame de France
+espousa son page aussi-tost qu'elle l'eust jeté hors de page, et qui
+s'estoit assez tenue en viduité.
+
+Or c'est assez parlé de ces veufves. Parlons maintenant d'autres, qui
+sont celles qui, abhorrans les vœux et réformations des secondes
+nopces, s'en accommodent, et réclament encore le doux et plaisant dieu
+Hymenée. Il y en a les unes qui, par trop amoureuses de leurs serviteurs
+durant la vie de leurs marys, y songent desjà avant qu'ils soient morts,
+et projettent entre elles et leurs serviteurs comment ils s'y
+comporteroient. «Ah! disent-elles, si mon mary estoit mort, nous ferions
+cecy, nous ferions cela; nous vivrions de cette façon, nous nous
+accommoderions de cette autre, et ainsi si accortement, que l'on ne se
+douteroit jamais de nos amours passez; nous ferions une vie si
+plaisante! après nous irions à Paris, à la Cour; nous nous
+entretiendrions si bien que rien ne nous sçauroit nuire: vous feriés la
+cour à une telle, et moy à un tel; nous aurions cecy du Roy, nous
+aurions cela. Nous ferions pourvoir nos enfants de tuteurs et curateurs:
+nous n'aurions à faire de leurs biens ny affaires, et ferions les
+nostres, ou bien nous joüirions de leurs biens en attendant leur
+majorité. Nous aurions les meubles et ceux de mon mary. Pour le moins,
+cela ne me sçauroit manquer, car je sçay où sont les titres et escrits
+(et force autres paroles). Bref, qui seroit plus heureux que nous?»
+
+Voilà les beaux desseins que font ces femmes mariées à leurs serviteurs
+avant le temps; dont aucunes y en a qui ne les font mourir que par
+souhaits, par paroles, que par espérance et attentes; et autres y en a
+qui les advancent de gagner le logis mortuaire s'ils tardent trop; de
+quoy nos cours de parlement en ont eu et en ont tous les jours tant de
+causes par-devant elles qu'on ne sçauroit dire. Mais le meilleur, et le
+plus, est qu'elles ne font pas comme une dame d'Espagne, laquelle,
+estant très-mal traitée de son mary, elle le tua, et puis après elle se
+tua, ayant fait avant cette épitaphe qu'elle laissa sur la table de son
+cabinet, escrite de sa main:
+
+ _Aqui jaze qui ha buscado una muger,_
+ _Y con ella casado, no l'a podidr hazer muger,_
+ _A las otras, no a my, cerca my, dona contentamiento._
+ _Y por este, y su flaquezza y atrevimiento,_
+ _Yo lo he matado,_
+ _Por le dar pena de su pecado._
+ _Y a my tan bien, por falta de my juyzio,_
+ _Y por da fin a la mal-adventura qu'io avio._
+
+C'est-à-dire.
+
+ «Icy gist qui a cherché une femme et ne l'a pu faire femme: aux
+ autres, et non à moy, près de moy, donnoit contentement, et, pour
+ cela et pour sa lascheté et outre-cuidance, je l'ay tué, pour lui
+ donner la peine de son péché; et à moi aussi je me suis donné la
+ mort, par faute d'entendement, et pour donner fin à la maladventure
+ que j'avais.»
+
+Cette dame se nommoit dona Magdalana de Soria, laquelle, selon aucuns,
+fit un beau coup de tuer son mary pour le sujet qu'il luy avoit donné;
+mais elle fit aussi bien de la sotte de se faire mourir: aussi
+l'advoue-elle bien, que pour faute de jugement elle se tua. Elle eust
+mieux fait de se donner du bon temps par après, si ce n'estoit qu'elle
+eust possible craint la justice, et avoit-elle peur d'en estre reprise,
+et pour ce ayma mieux triompher de soy-mesme que d'en bailler la gloire
+à l'authorité des juges. Je vous asseure qu'il y en a eu, et y en a, qui
+sont plus accortes que cela; car elles joüent leur jeu si finement, que
+voilà les marys trespassez et elles très-bien vivantes et fort
+accordantes à leurs galants serviteurs, pour faire avec eux non pas
+_gode mihi_, mais _gode chere_.
+
+Il y a d'autres veufves qui sont plus sages, vertueuses et plus aimantes
+leurs marys, et point envers eux cruelles; car elles les regrettent, les
+pleurent, les plaignent à telle extrémité, qu'à les voir on ne les
+jugeroit pas vives une heure après. «Hà! ne suis-je pas, disent-elles,
+la plus malheureuse du monde, la plus infortunée d'avoir perdu chose si
+prétieuse? Dieu! pourquoy ne m'envoyes-tu la mort à cette heure, pour le
+suivre de près! Non, je ne veux plus vivre après luy; car et que me
+peut-il jamais rester et advenir au monde qui me puisse donner
+allégement? Si ce n'estoient ses petits enfants qu'il m'a laissés pour
+gages, et qui ont besoin encore de quelque soustien, non, je me tueray
+toute à cette heure. Que maudite soit l'heure que je fus jamais née! Au
+moins si je le pouvois voir en phanstome, ou par vision, ou par songes,
+encore aurois-je trop d'heur. Ah! mon cœur, ah! mon ame, n'est-il pas
+possible que je te suive? Ouy, je te suivray quand, à part de tout le
+monde, je me defferois toute seule. Hé, qui seroit la chose qui me
+pourroit soutenir la vie, ayant fait la perte inestimable de toy, que,
+toy vivant, je n'aurois d'autre sujet que de vivre, et, toy mourant, que
+de mourir? Et quoy! ne vaut-il pas mieux que je meure maintenant en ton
+amour, en ta grace, et en ma gloire, et en mon contentement, que de
+traisner une vie si fascheuse et malheureuse, et nullement loüable? Hà!
+Dieu! que j'endure de maux et tourments pour une absence! et que j'en
+seray délivrée, si je te vais voir bien-tost, et comblée de grands
+plaisirs! Hélas! il estoit si beau, il estoit si aimable, il estoit si
+parfait en tout, il estoit si brave, si vaillant! C'estoit un second
+Mars, un second Adonis: qui plus est, il m'estoit si bon, il m'aimoit
+tant, il me traitoit si bien! Bref, le perdant, j'ay perdu tout mon
+heur.» Ainsi vont disant nos veufves desplorées telles et une infinité
+d'autres paroles après la mort de leurs marys, les unes d'une façon, les
+autres de l'autre; les unes déguisées d'une sorte, les autres d'une
+autre; mais pourtant tousjours approchantes de celles que je viens de
+produire; les unes despitent le ciel, les autres maugréent la terre; les
+unes blasphement contre Dieu, les autres maudissent le monde; les unes
+font des évanoüissements, les autres contrefont les mortes; les unes
+font des transies, les autres les folles, les forcenées et hors de leurs
+sens, qui ne connoissent personne, qui ne veulent manger, qui ne veulent
+parler. Bref, je n'aurois jamais fait, si je voulois spécifier toutes
+leurs méthodes hypocrites et dissimulées dont elles usent pour monstrer
+leur deuil et ennuy au monde. Je ne parle pas de toutes, mais d'aucunes,
+voire de plusieurs en pluriel et en nombre. Leurs consolants et
+consolantes, qui n'y pensent point en mal et y vont à la bonne routine,
+y perdent leur escrime et ne gagnent rien d'aucuns; et d'aucuns de
+ceux-là quand ils y voyent que leur patiente et leur dolente ne fait pas
+bien son jeu ni la grimacée, les instruisent. Comme une dame de par le
+monde que je sçay, qui disoit à une autre qui estoit sa fille: «Faites
+l'esvanouye, mamie; vous ne vous contraignez pas assez.» Or, après tous
+ces grands mystères joüez, et ainsi qu'un grand torrent, après avoir
+fait son cours et violent effort, se vient à remettre et retourner à son
+berceau, comme une rivière qui a aussi esté desbordée, ainsi aussi
+voyez-vous ces veufves se remettre et retourner à leur première nature,
+reprendre leurs esprits, peu à peu se hausser en joie, songer au monde.
+Au lieu de testes de mort qu'elles portoient, ou peintes, ou gravées et
+eslevées; au lieu d'os de trespassez mis en croix ou en lacs mortuaires,
+au lieu de larmes, ou de jayet ou d'or maillé, ou en peinture; vous les
+voyez convertir en peintures de leurs marys portées au col, accommodées
+pourtant de testes de mort et larmes peintes en chiffres, en petits
+lacs; bref, en petites gentillesses, desguisées pourtant si gentiment,
+que les contemplants pensent qu'elle les portent et prennent plus pour
+le deuil des marys que pour la mondanité. Puis, après tout, ainsi qu'on
+voit les petits oiseaux, quand ils sortent du nid, ne se mettre du
+premier coup à la grande volée, mais, volletant de branche en branche,
+apprennent peu à peu l'usage de bien voler; ainsi les veufves, sortant
+de leur grand deuil désespéré, ne le monstrent au monde si-tost qu'elles
+l'ont laissé, mais peu à peu s'esmancipent, et puis tout à coup jettent
+et le deuil et le froc de leur grand voile sur les orties, comme on dit,
+et mieux que devant reprennent l'amour en leur teste, et ne songent à
+rien tant qu'à un second mariage ou autre lasciveté: et voilà comment
+leurs grandes violences n'ont point de durée. Il vaudroit mieux qu'elles
+fussent plus posées en leurs tristesses.
+
+--J'ay cogneu une très-belle dame, laquelle, après la mort de son mary,
+vint à estre si esplorée et désespérée, qu'elle s'arrachoit les cheveux,
+se tiroit la peau du visage et de la gorge, l'allongeant tant qu'elle
+pouvoit; et, quand on lui remonstroit le tort qu'elle faisoit à son beau
+visage: «Hà Dieu! que me dites-vous? disoit-elle; que voulez-vous que je
+fasse de ce visage?» Au bout de huit mois après, ce fut elle qui
+s'accommoda de blanc et de rouge d'Espagne, les cheveux bien poudrez;
+qui fut un grand changement.
+
+--J'allégueray là-dessus un bel exemple, qui pourra servir à semblable,
+d'une belle et honneste dame d'Ephese, laquelle ayant perdu son mary, il
+fut impossible à ses parents et amys de luy trouver aucune consolation;
+si bien que, accompagnant son mary à ses funérailles, avec une infinité
+de regrets, de sanglots, de cris, de plaintes et de larmes, après qu'il
+fut mis et colloqué dans le charnier où il devoit reposer, elle, en
+despit de tout le monde, s'y jetta, jurant et protestant de n'en partir
+jamais, et que là elle se vouloit laisser aller à la faim, et là finir
+ses jours auprès du corps de son mary; et de fait fit cette vie l'espace
+de deux ou trois jours. La fortune sur ce voulut qu'il fust exécuté un
+homme de-là, et pendu, pour quelque forfait, dans la ville et après fut
+porté hors de la ville au gibet accoustumé, où faloit que tels corps
+pendus et exécutez fussent gardez quelques jours soigneusement par
+quelques soldats ou sergents, pour servir d'exemple, afin qu'ils ne
+fussent de enlevez. Ainsi donc qu'un soldat estoit à la garde de ce
+corps, et estoit en sentinelle et escoute, il ouyt-là-près une voix
+desplorante, et s'en approchant vid que c'estoit dans le charnier, où,
+estant descendu, il y apperceut cette dame belle comme le jour, toute
+esplorée et lamentante; et, s'advançant à elle, se mit à l'interroger de
+la cause de sa désolation, qu'elle luy déclara benignement; et se
+mettant à la consoler là-dessus, n'y pouvant rien gagner pour la
+première fois, y retourna pour la deuxiesme et troisiesme, et fit si
+bien qu'il la gagna, la remit peu à peu, luy fit essuyer ses larmes, et,
+entendant la raison, se laissa si bien aller qu'il en joüyt par deux
+fois, la tenant couchée sur le cercueil mesme du mary; puis après se
+jurèrent mariage: ce qu'ayant accomply très-heureusement, le soldat s'en
+retourna, par son congé, à la garde de son pendu; car il y alloit de la
+vie. Mais, tout ainsi qu'il avoit esté bienheureux en cette belle
+entreprise et exécution, le malheur fut tel pour luy, que, cependant
+qu'il s'y amusoit par trop, voicy venir les parents de ce pauvre corps
+au hazard, pour le despendre s'ils n'y eussent trouvé des gardes; et,
+n'y en ayant point trouvé, le despendirent aussi-tost et emportèrent de
+vitesse pour l'enterrer où ils pourroient, afin d'estre privez d'un tel
+deshonneur et spectacle ord et sale à leur parenté. Le soldat, ne voyant
+ny ne trouvant plus le corps, s'en vint courant desespéré à sa dame, luy
+annoncer son infortune, et comment il estoit perdu, d'autant que la loy
+de-là portoit que quiconque soldat s'endormoit en garde, et qui laissoit
+emporter le corps, devoit estre mis en sa place et estre pendu, et que
+pour ce il couroit cette fortune. La dame qui, auparavant avoit esté
+consolée de luy, et avoit besoin de consolation pour elle, s'en trouva
+garnie à propos pour luy et pour ce luy dit: «Ostez-vous de peine, et
+venez-moy seulement aider pour oster mon mary de son tombeau, et nous le
+mettrons et pendrons au lieu de l'autre, et par ainsi le prendra-on pour
+l'autre.» Tout ainsi qu'il fut dit, tout ainsi fut-il fait: encore
+dit-on que le pendu de devans avoit eu une oreille coupée, elle en fit
+de mesme pour représenter mieux l'autre. La justice vint le lendemain,
+qui n'y trouva rien à dire. Et par ainsi sauva son galand par un acte et
+opprobre fort vilain à son mary, elle, dis-je, qui l'avoit tant pleuré
+et regretté, qu'on n'eust jamais espéré si ignominieuse issue.
+
+La première fois que j'ouys cette histoire, ce fut M. d'Aurat qui la
+conta au brave M. du Gua et à quelques-uns qui disnoient avec luy;
+laquelle M. du Gua sceut très-bien relever et remarquer, car c'estoit
+l'homme du monde qui aimoit mieux un bon conte et le sçavoit mieux faire
+valoir. Et, sur ce point, estant allé à la chambre de la Reyne-mere, il
+vid une belle jeune veufve qui ne venoit que d'estre faite, et de frais
+esmoulue, et fort esplorée, son voile bas jusqu'au bout du nez, piteuse,
+marmiteuse, avare de paroles à un chacun. Soudain monsieur me dit: «Voy
+celle-là; avant qu'il soit un an, elle fera un jour de la dame
+d'Ephese.» Ce qu'elle fit, non pas si ignominieusement du tout, mais
+elle espousa un homme de peu, et comme M. du Gua le prophétisa. Et me
+dit de mesme M. de Beaujeux, valet-de-chambre de la Reyne-mere, et le
+meilleur violon de la chrétienté. Il n'estoit pas parfait seulement en
+son art et en la musique, mais il estoit de fort gentil esprit, et
+sçavoit beaucoup de fort belles histoires et beaux contes, et point
+communs, mais très-rares; et n'en estoit point chiche à ses plus privez
+amis; et en contoit quelques-uns des siens, car en son temps il avoit eu
+et veu de bonnes adventures d'amour; car avec son art excellent et son
+esprit bon et audacieux, deux instruments bons pour l'amour, il pouvoit
+faire beaucoup. M. le maréchal de Brissac l'avoit donné à la Reine-mere,
+estant reyne régente, et lui avoit envoyé de Piedmont avec sa bande de
+violons très-exquise, toute complette: et luy s'appeloit Baltazarin;
+depuis il changea de nom. C'est luy qui composoit ces beaux balets qui
+ont esté tousjours dansez à la Cour. Il estoit fort amy de M. du Gua et
+de moy, et souvent causions ensemble, et tousjours nous faisoit quelque
+beau conte, mesme de l'amour et des ruses des dames, dont il nous fit
+celuy-là de cette dame ephesienne que nous avions desjà sceu par M.
+d'Aurat, comme j'ay dit, qui disoit le tenir de Lempridius, et depuis je
+l'ay leu dans le livre des Funérailles, très-beau certes, dédié à feu M.
+de Savoye. Je me fusse passé, ce dira quelqu'un, d'avoir fait cette
+digression: ouy, mais je voulois parler de mon amy en cela, lequel
+souvent me faisoit souvenir, quand il voyoit quelques-unes de nos
+veufves esplorées: «Voilà, disoit-il, qui joüera un jour le rolle de
+«nostre dame d'Ephese, ou bien elle l'a desjà joüé.» Et certes ce fut
+une estrange tragi-comédie, pleine de grande inhumanité, d'offenser si
+cruellement son mary. Elle ne fit pas comme une dame de nostre temps,
+que j'ay ouy dire, laquelle, son mary mort, elle lui coupa ses parties
+du devant ou du mitan, jadis d'elle tant aimées, et les embauma,
+aromatisa et odorifera de parfums et poudres musquées et
+très-odoriférantes, et puis les enchassa dans une boëte d'argent doré,
+qu'elle garda et conserva comme une chose très-précieuse. Pensez qu'elle
+les visitoit quelquefois en commémoration éternelle. Je ne sçay s'il est
+vray, mais le conte en fut fait au Roy, qui le refit à plusieurs autres
+de ses plus privez; et j'ay ouy dire à luy qu'au massacre de la
+Saint-Barthelemy fut tué le seigneur de Pleuvian, qui en son temps avoit
+esté brave soldat, et en la guerre de Toscane sous M. de Soubise, et en
+la guerre civile comme il le fit bien paroître en la bataille de Jarnac,
+commandant à un régiment, et dans le siége de Niort. Quelque temps
+après, le soldat qui le tua dit et remonstra à sa femme, toute esperdue
+de pleurs et d'ennuys, qui estoit riche et belle, que, s'il ne
+l'espousoit, qu'il la tueroit, et luy feroit passer le pas de son mary;
+car, en cette feste, tout estoit de guerre et de couteau. La pauvre
+femme, qui estoit encore belle et jeune, pour se sauver la vie, fut
+contrainte faire et nopces et funérailles tout ensemble. Encore
+estoit-elle excusable; car qu'eust pu faire moins une pauvre femme,
+fragile et foible, si ce n'eust esté de se tuer elle-mesme, ou tendre sa
+belle poictrine à l'espée du meurtrier? Mais le temps n'est plus, belle
+bergeronnette; il ne se trouve plus de ces folles et sottes de jadis;
+aussi que nostre saint christianisme nous le deffend; ce qui sert
+beaucoup aujourd'huy à nos veufves d'excuse, qui disent, s'il n'estoit
+deffendu de Dieu, elles se tueroient, et par ainsi couvrent leur mommon.
+
+--Audit massacre de la Saint-Barthelemy fut faite une veufve par la mort
+de son mary, tué comme les autres. Elle en eut un tel extrême regret,
+que, quand elle voyoit un pauvre catholique, encore qu'il n'eust esté de
+la feste, elle se pasmoit quelquefois, ou le regardoit en horreur et
+haine comme la peste. D'entrer dans Paris, voire de deux lieues à la
+ronde, il n'en falloit point parler, car ses yeux ny son cœur ne le
+pouvoient souffrir; que dis-je de la voir? non pas d'en ouyr parler. Au
+bout de deux ans elle s'y résoud, vient saluer la bonne ville, et s'y
+pourmener et visiter le palais dans son coche; mais de passer par la ruë
+de la Huchette où son mary avoit esté tué, plustost la mort ou le feu,
+dans lequel elle se fust plustost jettée et précipitée que dans cette
+ruë: comme fait le serpent, qui abhorre si fort l'ombre d'un fresne,
+qu'il aime mieux se hazarder dans un feu bien ardent, comme dit Pline,
+que dans cette ombre tant odieuse à luy. Si bien que le feu Roy y
+estant, disoit à Monsieur qu'il n'avoit veu femme si hagarde en sa
+perte et en sa douleur que celle-là; et enfin il la faudroit abattre
+pour la chapperonner, comme les oiseaux hagards. Mais au bout de quelque
+temps, il dit que d'elle-mesme elle s'estoit assez gentiment
+apprivoisée, de sorte que d'elle-mesme elle se laissa fort bien et
+privément chapperonner, sans l'abattre que de soy-mesme. Que fit-elle
+dans peu de temps après? ce fut-elle qui voit Paris de très-bon œil,
+qui l'embrasse, qui s'y pourmene, qui l'arpente et deça et delà, et de
+longueur et de largeur, et de droit et de travers, sans respect d'aucun
+serment: et puis fiés-vous en elle! Un jour, moi, tournant d'un voyage,
+absent de la Cour huit mois, ayant fait la révérence au roy, je vis
+entrer dans la salle du Louvre cette veufve tant parée, tant attifée,
+accompagnée de ses parentes et amyes, comparoistre devant le Roy, les
+Reynes et toute la Cour, et là recevoir les premiers ordres de mariage,
+qui sont les fiançailles, des mains d'un évesque de Digne, grand
+aumosnier de la reyne de Navarre. Qui fust esbahi? ce fut moi; mais, à
+ce qu'elle me dit après, elle fut esbahye davantage quand, sans y
+penser, elle me vid en cette noble assistance des fiançailles, la
+regardant et roulant de mes yeux finement, me souvenant de ses serments
+et mines que je luy avois veu faire. Et elle de mesme regarda fort, car
+je luy avois esté serviteur, et pour mariage, pensant, ce luy sembloit,
+que j'estois là arrivé à propos, et avois pris la poste exprès pour me
+produire à jour nommé là, pour luy servir de tesmoin et juge, et la
+condamner en cette cause. Et me dit et jura qu'elle eust voulu avoir
+baillé dix mille escus de son bien, et que je ne fusse comparu là, qui
+luy aidois à juger sa conscience.
+
+--J'ay cogneu une grande dame, comtesse et veufve, de très-haut lieu,
+laquelle en fit de mesme: car, estant huguenotte fort et ferme, accorda
+mariage avec un fort honneste gentilhomme catholique; mais le malheur
+fut qu'avant l'accomplissement une fievre pestilente la saisit a Paris
+si contagieusement, qu'elle luy causa la mort. Et, estant sur ses
+arteres[86], se perdit fort en grands regrets, jusqu'à dire: «Hélas!
+faut-il qu'en une si grande ville, où toute science abonde, ne se puisse
+trouver un médecin qui me guérisse! Hé! qu'il ne tienne point à argent,
+car je luy en donneray prou. Au moins si ma mort se fust ensuivie après
+mon mariage accomply, et que mon mary m'eust connue avant combien je
+l'aimois et honorois!» Sofonisbe dit autrement, car elle se repentit
+d'avoir fiancé avant boire le poison. Et ainsi disant (cette comtesse)
+et plusieurs autres semblables paroles, se tourna de l'autre costé du
+lit et mourut. Que c'est de la ferveur d'amour, d'aller se ressouvenir,
+en un passage stygien et oublieux, des plaisirs et fruits amoureux dont
+elle en eust bien voulu taster encore avant que de sortir du jardin! Or
+si ces dames huguenotes ont fait tels traits, j'ay bien cogneu des dames
+catholiques qui en ont fait de pareils, et ont espousé des huguenots,
+après en avoir dit pis que pendre, et d'eux et de leur religion. Si je
+les voulois mettre en place je n'aurois jamais fait. Voilà pourquoy les
+veufves doivent estre sages, et ne braire tant au commencement de leur
+veufvage, de crier, de tourmenter, de faire tant d'éclairs, de
+tonnerres, pluyes de leurs larmes, pour après faire ces belles levées de
+boucliers, et s'en faire moquer: il vaut mieux en dire moins et en faire
+plus. Mais elles disent là-dessus: «Et bien, pour le commencement il
+faut faire de la résoluë comme un meurtrier, de l'effrontée, de
+l'asseurée à boire toute honte. Cela dure quelque peu, mais cela passe;
+après qu'on m'a mis sur le bureau, on me laisse et en prend-on une
+autre.»
+
+--J'ay leu dans un petit livre espagnol, de Victoria Colonne, fille de
+ce grand Fabrice Colonne, et femme de ce grand marquis de Pescaire, le
+non-pair de son temps. Après qu'elle eut perdu son mary, Dieu sçait
+qu'elle entra en tel désespoir de douleur, qu'il fut impossible de lui
+donner ni innover aucune consolation; et quand on luy en vouloit à sa
+douleur appliquer quelqu'une ou vieille ou nouvelle, elle leur disoit:
+«Et sur quoy me voulez-vous consoler? sur mon mary mort? vous vous
+trompez: il n'est pas mort, car il est encore tout vivant et tout
+grouillant dans mon ame. Je l'y sens tous les jours et toutes les nuicts
+revivre, remuer et renaistre.» Ces paroles certes eussent esté belles,
+si au bout de quelque temps, ayant pris congé de luy, et l'ayant envoyé
+pourmener par de-là l'Achéron, elle ne fust remariée avec l'abbé de
+Farfe, certes fort dissemblable à son grand Pescaire. Je ne veux point
+dire en race, car il estoit de la noble maison des Ursins, laquelle vaut
+bien autant, et est autant ancienne ou plu que celle d'Avalos. Mais les
+effets de l'un à l'autre n'alloient à la balance, car ceux de Pescaire
+estoient incomparables, et sa valeur inestimable: encore que le dit abbé
+fist de grandes preuves de sa personne en s'employant fort fidelement et
+vaillamment pour le service du roy François; mais c'estoit en forme de
+petites, couvertes et légères deffaites, et contraires à celles de
+l'autre, puisqu'il les avoit faites grandes, descouvertes, avec des
+victoires très-signalées: aussi la profession des armes de l'autre,
+accommencée et accoustumée dès le jeune aage et continuée ordinairement,
+devoit bien surpasser de bien loin celle d'un homme d'église, qui tard
+s'estoit mis au mestier: non que je veuille pour cela mal-dire d'aucuns
+voüez à Dieu et à son église, qu'ils ont rompu le vœu et quitté la
+profession pour empoigner les armes, car je ferois tort à tant de braves
+capitaines qui l'ont esté et ont passé par-là.
+
+César Borgia, duc de Valentinois, n'a-t-il pas esté auparavant cardinal,
+qui a esté un si grand capitaine, que Machiavel, le vénérable précepteur
+des princes et des grands, le met pour exemple et pour rare miroir à
+tous les autres pareils, de l'ensuivre et s'y mirer? Nous avons eu M. le
+mareschal de Foix, qui a esté d'église, et se nommoit avant le
+proto-notaire de Foix, qui a este un très-grand capitaine. M. le
+mareschal Strozzy estoit voüé à l'église; et pour un chapeau rouge qui
+luy fut desnié, quitta la robbe, et se mit aux armes. M. de Salvoison,
+dont j'ay parlé (qui l'a suivy de près, voire en titre de grand
+capitaine eust marché avec luy s'il eust esté d'aussi grande maison, et
+parent de la Reyne), fust, en sa première profession, traisnant la robbe
+longue; et pourtant quel capitaine a-t-il esté? Ce fust esté
+l'incomparable s'il eust plus vescu. Le mareschal de Bellegarde n'a-t-il
+pas porté le bonnet quarré, qu'un long temps on appelloit le Prevost
+d'Ours? Feu M. Danguien[87], qui mourut en la bataille de
+Sainct-Quentin, avoit esté évesque; M. le chevalier de Bonnivet de
+mesme. Et ce galant homme, M. de Martigues, avoit esté aussi d'église;
+bref, infinité d'autres, desquels je ne pourrois emplir ce papier. Si
+faut-il que je loue les miens, et non sans un très-grand sujet. Le
+capitaine Bourdeille, mon frere, le Rodomont jadis du Piedmont, en tout
+fut dédié à l'église aussi; mais n'y connoissant son naturel propre,
+changea sa grande robbe à une courte, et en un tournemain se rendit un
+des bons capitaines et vaillants du Piedmont, et s'en alloit très-grand
+et une très-belle vogue, sans qu'il mourut, hélas! en l'âge de
+vingt-cinq ans. De nostre temps, en nostre Cour, nous en avons tant
+veus, et mesme le petit monsieur de Clermont-Tallard, lequel j'ay veu
+abbé de Bon-Port, et depuis, ayant quitté l'abbaye, a esté veu parmy
+nos armées et en nostre Cour, un des braves, vaillants et honnestes
+hommes que nous eussions; ainsi qu'il le monstra très-bien à sa mort,
+qu'il acquit si glorieusement à la Rochelle, la première fois que nous
+entrasmes dans le fossé. J'en nommerois une milliasse; mais je n'aurois
+jamais fait. M. de Souillelas[88], dit le jeune Oraison, avoit esté
+évesque de Rieux, et depuis eust un régiment, servant le Roy fort
+fidèlement et vaillamment en Guyenne, sous le mareschal de Matignon.
+Bref, je n'aurois jamais fait si je voulois nombrer tous ces gens:
+parquoy je me tais pour la briefveté, et de peur aussi qu'on ne m'impute
+que je suis trop grand faiseur de digressions. Pourtant j'ay fait
+celle-cy à propos, en parlant de cette Victoria Colonna, qui espousa cet
+abbé. Si elle ne se fust remariée avec luy, elle eust mieux porté titre
+et nom de Victoria, pour avoir esté victorieuse sur soy-mesme; et que
+puis qu'elle ne pouvoit rencontrer un second pareil au premier, se
+devoit contenir.
+
+J'ay cogneu force dames qui ont imité cette précédente. J'en ay veu une
+qui avoit espousé un de mes oncles, le plus brave, le plus vaillant, le
+plus parfait qui fust de son temps. Après qu'il fust mort, elle en
+espousa un autre qui le ressembloit autant qu'un asne à un cheval
+d'Espagne; mais mon oncle estoit le cheval d'Espagne. Une autre dame
+ay-je cogneu, qui avoit espousé un mareschal de France, beau, honneste
+gentilhomme et vaillant: en secondes nopces, elle en alla prendre un
+tout contraire à celuy-là, et avoit esté aussi d'église. Une veufve
+ay-je cogneue, venant à mourir son mary, elle fit l'espace d'un an des
+lamentations si desespérées, qu'on la pensoit voir morte à toute heure
+de champ. Au bout de l'an qu'il faloit laisser son grand deuil, et
+prendre le petit, elle dit à une de ses femmes: «Serrez-moi bien ce
+crespe, car possible en auray-je affaire un autre coup;» et puis
+tout-à-coup se reprit: «Mais qu'ay-je? dit-elle. Je resve, plustost
+mourir que d'en avoir jamais affaire.» Au bout de son deuil, elle se
+remaria à un second, fort inesgal au premier. «Mais disent-elles, ces
+femmes, il estoit d'aussi bonne maison que le premier.» Ouy, je le
+confesse; mais aussi, où est la vertu et la valeur? ne sont-elles pas
+plus à priser que tout? Et le meilleur que je trouve eu cela, c'est que
+le coup fait, elles ne l'emportent guères loin; car Dieu permet qu'elles
+sont maltraitées et rossées comme il faut: après, les voilà aux
+repentailles; mais il n'est plus temps. Ces dames ainsi convolantes ont
+quelque opinion et humeur en leur teste, que nous ne savons pas bien:
+comme j'ai ouy parler d'une dame espagnole, qui se voulant remarier, et
+qu'on lui remonstroit que deviendroit l'amitié grande que son mary lui
+avoit porté, elle respondit: _La muerte del marido, y nuevo casamiento
+no han de romper el amor d'una casta muger_; c'est-à-dire: «La mort du
+mary et un nouveau mariage ne doivent point rompre l'amour d'une femme
+chaste.» Or accordez-moy ces deux contraires, s'il vous plaist. Une
+autre dame espagnole dit bien mieux, qu'on vouloit remarier: _Si hallo
+un marido bueno, no quiero tener el temor de perder lo; y si malo, que
+necessidad ay del_; c'est-à-dire: «Si je trouve un bon mary, je ne veux
+point estre en la crainte de le perdre; si un mauvais, quelle nécessité
+ai-je de l'avoir?
+
+--Valeria, dame romaine, ayant perdu son mary, et ainsi que la
+reconfortoient aucunes de ses compagnes sur sa perte et sa mort, elle
+leur dit: «Il est mort certes pour vous autres, mais il vit en moy
+éternellement.» Cette marquise, que je viens de dire, avoit emprunté
+d'elle pareil mot. Ces dires de ces honnestes dames sont bien contraires
+à un qui me dit, en parlant espagnol, _que la jornada de la biudez d'una
+muger es d'una dia_; c'est-à-dire: que la journée du veufvage d'une
+femme se fait tout en un jour.» Aucunes sont-là logées, d'autres non.
+Mais que dirons-nous des femmes veufves qui cachent leur mariage, et ne
+veulent qu'il soit publié? J'en ai cogneu une qui tint le sien sous la
+presse plus de sept ou huit ans, sans le vouloir jamais faire imprimer,
+ny le publier: et disoit-on qu'elle le faisoit de crainte qu'elle avoit
+de son jeune fils, qui estoit un de ses vaillants et honnestes hommes du
+monde, et qu'il ne fist du diable, et sur elle et sur l'homme, encore
+qu'il fust bien grand. Mais, aussi-tost qu'il vint à mourir à une
+rencontre de guerre qui le couronna de beaucoup de gloire, aussi-tost
+elle le fit imprimer et mettre en lumière. J'ay ouy parler d'une grande
+dame veufve, qui est mariée à un très-grand prince et seigneur, veuf il
+y a plus de quinze ans; mais le monde n'en sçait ny n'en connoist rien,
+tant cela est secret et discret: et disoit-on que le seigneur craignoit
+sa belle-mère, qui luy estoit fort impérieuse, et ne vouloit qu'il se
+remariast à cause de ses petits enfants.
+
+--J'ay ouy raconter à une dame de grande qualité et ancienne, que feu M.
+le cardinal du Bellay avoit espousé, estant évesque et cardinal, madame
+de Chastillon, et est mort marié: et le disoit sur un propos qu'elle
+tenoit à M. de Manne, Provençal, de la maison de Seulal et évesque de
+Frejus, lequel avoit suivy l'espace de quinze ans en la Cour de Rome
+ledit cardinal, et avoit esté de ses privez protonotaires: et, venant à
+parler dudit cardinal, elle lui demanda s'il ne luy avoit jamais dit et
+confessé qu'il eust esté marié. Qui fut estonné? ce fut M. de Manne de
+telle demande. Il est encore vivant, qui pourra dire si je mens; car j'y
+estois. Il respondit que jamais il n'en avoit ouy parler, ny à lui ny à
+d'autres. «Or, je vous l'apprens donc, dit-elle; car, il n'y a rien de
+si vray qu'il a esté marié:» et est mort marié réellement avec ladite
+dame de Chastillon. Je vous asseure que j'en ris bien, contemplant la
+contenance estonnée dudit M. de Manne, qui estoit fort conscientieux et
+religieux, qui pensoit savoir tous les secrets de son feu maistre; mais
+il estoit de Gallice pour celuy-là: aussi estoit-il scandaleux, pour le
+rang saint qu'il tenoit. Cette madame de Chastillon estoit la veufve de
+feu M. Chastillon, qu'on disoit qui gouvernoit le petit roy Charles
+huitiesme avec Bourdillon et Bonneval, qui gouvernoient le sang royal.
+Il mourut à Ferrare, ayant esté blessé au siége de Ravenne, et là fut
+porté pour se faire penser. Cette dame demeura veufve fort jeune et
+belle, sage et vertueuse, et pour cela fut eslue pour dame d'honneur de
+la feue reyne de Navarre. Ce fut celle-là qui bailla ce beau conseil à
+cette dame et grande princesse, qui est escrit dans les _Cent Nouvelles_
+de ladite Reyne, d'elle et d'un gentilhomme qui avoit coulé la nuict
+dans son lit par une trapelle dans la ruelle, et en vouloit joüir; mais
+il n'y gagna que de belles esgratigneures dans son beau visage; elle
+s'en voulant plaindre à son frère, elle luy fit cette belle remonstrance
+qu'on verra dans cette Nouvelle, et lui donna ce beau conseil, qui est
+un des beaux et des plus sages, et des plus propres pour fuyr scandale,
+qu'on eust sceu donner, et fust-ce esté un premier président de Paris,
+et qui monstroit bien pourtant que la dame estoit bien autant rusée et
+fine en tels mystères, que sage et advisée: et pour ce, ne faut douter
+si elle tint son cas secret avec son cardinal. Ma grande-mère, madame la
+séneschalle de Poitou, eut sa place après sa mort, par l'élection du roy
+François, qui la nomma et l'esleut, et l'envoya quérir jusques en sa
+maison, et la donna de sa main à la Reyne sa sœur, pour la
+connoistre très-sage et très-vertueuse dame, mais non si fine, ny
+rusée, ny accorte en telle chose que sa précédente, ny convolée en
+secondes nopces. Et si voulez sçavoir de qui la nouvelle s'entend,
+c'estoit de la reyne mesmes de Navarre, et de l'amiral de Bonnivet,
+ainsi que je tiens de ma feue grande-mère: dont pourtant me semble que
+ladite reyne n'en devoit céder son nom, puis que l'autre ne peut rien
+gagner sur sa chasteté, et s'en alla en confusion, et qui vouloit
+divulguer le fait, sans la belle et sage remonstrance que lui fit cette
+dite dame d'honneur madame de Chastillon; et quiconque l'a leue la
+trouvera telle; et je crois que M. le cardinal, son dit mary, qui estoit
+l'un des mieux disants, sçavants, éloquents, sages et advisez de son
+temps, luy avoit mis cette science dans le corps, pour dire et
+remonstrer si bien. Ce conte pourroit être un peu scandaleux, à cause de
+la sainte et religieuse profession de l'autre; mais, qui le voudra
+faire, il faut qu'il desguise le nom. Et si ce trait a esté tenu secret
+touchant ce mariage, celuy de M. le cardinal de Chastillon dernier n'a
+pas esté de même; car il le divulgua et publia luy-mesme assez, sans
+emprunter de trompette, et est mort marié sans laisser sa grande robbe
+et bonnet rouge. D'un costé, il s'excusoit sur la religion réformée,
+qu'il tenoit fermement; et de l'autre, sur ce qu'il vouloit tenir son
+rang tousjours et ne le quitter (ce qu'il n'eust fait autrement), et
+entrer en conseil, là où entrant il pouvoit beaucoup servir à sa
+religion et à son party, ainsi que certes il estoit très-capable,
+très-suffisant et très-grand personnage. Je pense que mondit sieur
+cardinal du Bellay en a peu faire de mesme; car, de ce temps-là, il
+penchoit fort à la religion et doctrine de Luther, ainsi que la cour de
+France en estoit un peu abreuvée: car toutes choses nouvelles plaisent,
+et aussi que ladite dame doctrine licentioit assez gentiment les
+personnes, et mesme les ecclésiastiques, au mariage. Or, ne parlons plus
+de ces gens d'honneur, pour la révérence grande que nous devons à leur
+ordre et à leurs saints grades.
+
+--Il faut un peu mettre sur les rangs nos vieilles veufves qui n'ont pas
+six dents en gueule, et qui se remarient. Il n'y a pas longtemps qu'une
+dame, veufve de trois marys, espousa en Guyenne pour le quatriesme un
+gentilhomme qui tient assez quelque grade, elle estant de l'age de
+quatre-vingts ans. Je ne sçay pas pourquoy elle le faisoit (car elle
+estoit très-riche et avoit force escus), dont pour ce le gentilhomme la
+pourchassa, si ce n'estoit qu'elle ne se vouloit encore rendre, et
+vouloit encore fringuer sur les lauriers[89], comme disoit mademoiselle
+Sevin, la folle de la reyne de Navarre.
+
+J'ay cogneu aussi une grande dame qui, en l'âge de soixante-seize ans,
+se remaria et espousa un gentilhomme qui n'estoit pas de la qualité de
+son premier, et vesquit cent ans, et pourtant s'y entretint belle; car
+elle avoit esté des belles femmes en son temps, et avoit bien fait
+valoir son jeune et gentil corps en toutes façons, et à marier, et
+mariée, et veufve, ce disoit-on. Voilà deux terribles humeurs de femmes!
+il falloit bien qu'elles eussent de la chaleur; aussi ay-je ouy dire aux
+bons et experts fourniers qu'un vieux four est plus aisé à s'eschauffer
+beaucoup qu'un neuf, et quand il est une fois eschauffé, il garde mieux
+sa chaleur et fait meilleur pain. Je ne sçay quels appétits savoureux y
+peuvent prendre leurs chalants et amoureux; mais j'ay veu beaucoup de
+galants et braves gentilshommes aussi affectionnez à l'amour des
+vieilles, voire plus que des jeunes, et si me disoit-on que c'estoit
+pour en tirer des commoditez. Aucuns en ay-je veu aussi qui les aimoient
+d'une très-ardente amour, sans en tirer rien de leur bourse, sinon de
+leur corps; ainsi que nous avons veu autrefois un très-grand prince
+souverain[90] qui aimoit si ardemment une grande dame veufve agée, qu'il
+quittoit sa femme et toutes autres, tant belles fussent-elles et jeunes,
+pour coucher avec elle. Mais en cela il avoit raison car c'estoit une
+des belles et aimables dames que l'on eust sceu voir; et son hyver
+valoit plus certes que les printemps, estez et automnes des autres. Ceux
+qui ont pratiqué les courtisannes d'Italie, aucuns a-t-on veu et voit-on
+choisir tousjours les plus fameuses et antiques et qui ont plus traisné
+le balet, pour y trouver quelque chose de plus gentil, tant au corps
+qu'en l'esprit. Voilà pourquoy cette gentille Cléopâtre, ayant esté
+mandée par Marc Antoine de le venir trouver, ne s'en esmeut autrement,
+s'asseurant bien que, puisqu'elle avoit sceu attraper Jules Cesar et
+Cnejus Pompejus, fils du grand Pompée, lorsqu'elle estoit encore
+jeunette fillette, et ne sçavoit encore bien que c'estoit de son monde
+ny de son mestier, qu'elle meneroit bien autrement son homme, qui estoit
+fort grossier, et sentant son gros gendarme, elle estant en la vigueur
+de son entendement et de son age, comme elle fit. Aussi, pour en parler
+au vray, si la jeunesse est propre pour l'amour à aucuns, à d'autres la
+maturité d'un age, d'un bon esprit et longue expérience, et d'un beau
+parler, de longue main pratiqués, servent beaucoup pour les suborner.
+
+Un doute y a-t-il que j'ay demandé autrefois à des médecins, d'un qui
+disoit pourquoy il ne vivoit plus longuement, puis qu'en sa vie il
+n'avoit tenu ny touché vieille, sur cet aphorisme des médecins qui
+disent: _vetulam non cognovi_[91], avec d'autres quolibets. Certes, ces
+médecins m'ont dit un proverbe ancien qui disoit: «qu'en vieille grange
+l'on bat bien; mais de vieux fleaux, on n'en fait rien de bon.» Aussi un
+autre: «Il n'en chaut quel age la beste ait, mais qu'elle porte.» Et
+aussi que par expérience ils ont connu des vieilles si ardentes et
+chaudasses, que, venant à habiter avec un jeune homme, elles en tirent
+ce qu'elles en peuvent, et l'alambiquent tant qu'il a de substance ou de
+suc dans le corps, afin de se humecter mieux: je dis celles qui, pour
+l'amour de l'age, sont asseichées et ont faute d'humeurs. Lesdits
+médecins me disoient autres raisons; mais aux plus curieux je les laisse
+à leur demander.
+
+--J'ay veu une vieille veufve, dame grande, qui mit sur les dents, en
+moins de quatre ans, et son troisiesme mary et un jeune gentilhomme
+qu'elle avoit pris pour son amy; et les renvoya dans la terre, non par
+assassinat ny poison, mais par attenuation et alambiquement de leur
+substance. Et, à voir celle dame, on n'eust jamais pensé qu'elle eust
+fait le coup; car elle faisoit devant les gens plus de la dévote, de la
+marmiteuse et de l'hypocrite, jusques-là qu'elle ne vouloit pas prendre
+sa chemise devant ses femmes, de peur de la voir nue; ny pisser devant
+elles: mais, comme disoit quelque dame de ses parentes, qu'elle faisoit
+ces difficultez à ces femmes et point à ses galands. Mais quoy, est-il
+plus deffensible et plus loisible à une femme d'avoir eu plusieurs marys
+en sa vie, comme il y en eu prou qui en ont eu trois, quatre et cinq, ou
+bien à une autre qui en sa vie n'aura eu que son mary et un amy, ou
+deux, ou trois? comme certes j'en ay cogneu aucunes continentes et
+loyales jusques-là? Et en cela j'ay ouy dire à une grande dame de par le
+monde, qu'elle ne mettoit aucune différence entre une dame qui avoit eu
+plusieurs marys et une qui n'avoit eu qu'un amy ou deux, avec son mary,
+si ce n'est que ce voile marital cache tout; mais, quant à la sensualité
+et lasciveté, il n'y a pas différence d'un double; et en cela pratiquent
+le refrain espagnol, qui dit que _algunas mugeres son de natura de
+anguillas en retener y de lobas en excoger_; c'est-à-dire: «de nature
+des anguilles à retenir, et des louves à choisir;» car l'anguille est
+fort glissante et mal tenable, et la louve choisit tousjours le loup le
+plus laid.
+
+--Il m'advint une fois à la Cour, qu'une dame assez grande, qui avoit
+esté mariée quatre fois, me vint dire qu'elle venoit de disner avec son
+beau-frère, et que je devinasse avec qui, et me le disoit naïvement sans
+y songer malice; et moy, un peu malicieusement, et riant pourtant, je
+luy respondis: «Et qui diable seroit le devin qui le pourroit deviner?
+Vous avez esté mariée quatre fois: je laisse à penser au monde la
+qualité des beaux-freres que vous pouvez avoir.» Alors elle me
+respondit, et répliqua: «Vous y songez en mal,» et me nomma le
+beau-frère. «C'est bien parlé, lui répliquay-je, cela; mais non comme
+vous parliez.»
+
+--Il y eut jadis à Rome[92] une dame qui avoit eu vingt-deux marys l'un
+après l'autre, et pareillement un homme qui avoit eu vingt-une femmes,
+dont ils s'advisèrent tous deux, pour faire un bon concert, de se
+remarier ensemble. Le mary à la fin survesquit sa femme: en quoy le mary
+fut tellement estimé et honoré dans Rome de tout le peuple, d'une si
+belle victoire, que comme victorieux, il fut mené et pourmené en un char
+triomphant, couronné de lauriers et la palme en main. Quelle victoire,
+et quel triomphe!
+
+--Du temps du roi Henry, en sa Cour fut le seigneur de Barbazan, dit
+Saint-Anian, qui se maria par trois fois l'une après l'autre. Sa
+troisiesme femme estoit fille de madame de Mouchy, gouvernante de madame
+de Lorraine, qui, plus brave que les deux premieres, eut raison de luy,
+car il mourut sous elle; et, ainsi qu'on le plaignoit à la Cour, et
+qu'elle de mesme se desconfortoit outrageusement de sa perte. M. de
+Montpesat, qui disoit très-bien le mot, alla rencontrer qu'au lieu de la
+plaindre on la devoit exalter et loüer beaucoup de sa victoire qu'elle
+avoit eu sur son homme, qu'on disoit qu'il estoit si vigoureux et si
+fort et envitaillé, qu'il avoit fait mourir ses deux premières femmes
+de force de leur faire; et cette-cy, ne s'estre rendue au combat, mais
+demeurée victorieuse, devoit estre loüée et admirée par la Cour, pour si
+belle victoire d'un si vaillant et robuste champion, et pour ce
+elle-mesme devoit s'en tenir très-glorieuse. Quelle gloire!
+
+--J'ay ony tenir cette mesme maxime de cy-devant d'un seigneur de
+France, qu'il ne mettoit pas plus de différence entre une femme qui
+avoit eu quatre ou cinq marys, et une putain qui a eu quatre serviteurs
+l'un après l'autre; si-non que l'une se colore par le mariage, et
+l'autre point. Aussi un galant homme que je sçay, ayant espousé une
+femme qui avoit été mariée trois fois, il y eut quelqu'un que je sçay,
+qui disoit bien: «Il a espousé, dit-il, enfin une putain sortant du
+bordel de réputation.» Ma foy, telles femmes qui se remarient
+ressemblent les chirurgiens avares, lesquels veulent tout à coup
+resserrer les plaies d'un pauvre blessé, afin d'allonger la guérison et
+en gagner tousjours mieux la petite pièce d'argent. Aussi, se disoit
+une: «Il n'est beau de s'arrêter au beau mitan de la carrière; mais il
+la faut achever, et aller jusques au bout.» Je m'estonne que ces femmes,
+qui sont si chaudes et promptes à se remarier, et mesme si surannées,
+n'usent pour leur honneur de quelques remèdes réfrigératifs et potions
+tempérées, pour expeller toutes ces chaleurs; mais tant s'en faut
+qu'elles en veulent user, qu'elles s'en aident du tout de leur
+contraire. J'ai veu et leu un petit livret d'autrefois, en italien, sot
+pourtant, qui s'est voulu mesler de donner des receptes contre la
+luxure, et en met trente-deux; mais elles sont si sottes que je ne
+conseille point aux femmes d'en user, pour ne mettre leur corps à trop
+fascheuse subjection. Voilà pourquoy je ne les ay mises icy par escrit.
+Pline en allègue une, de laquelle usoient le temps passé les vestales;
+et les dames d'Athènes s'en servoient aussi durant les fêtes de la
+déesse Cérès, dites _Themophoria_[93], pour se refroidir et oster tout
+appetit chaud de l'amour, et par ce vouloient celebrer cette feste en
+plus grande chasteté, qu'estoient des paillasses de feuilles d'arbre dit
+_agnus castus_. Mais pensez que durant la feste elles se chastroient de
+cette façon, et puis après elles jettoient bien la paillasse au vent.
+J'ay veu un pareil arbre en une maison en Guyenne, d'une grande,
+honneste et très-belle dame, et qui le monstroit souvent aux estrangers
+qui la venoient voir, par grande spéciauté, et leur en disoit la
+propriété: mais au diable si j'ay jamais veu ny ouy dire que femme ou
+dame en ait encore osé cueillir une seule branche, ny fait pas seulement
+un petit recoin de paillasse, non pas même la dame propriétaire de
+l'arbre et du lieu, qui n'en eust peu disposer comme il luy eust pleu.
+Ce fust esté aussi dommage, car son mary ne s'en fust pas mieux trouvé:
+aussi qu'elle valoit bien que l'on laissast se régler au cours de la
+nature, tant elle estoit belle et agréable, et aussi qu'elle a fait une
+très-belle lignée. Et pour dire vray, il faut laisser et ordonner telles
+receptes austéres et froides aux pauvres religieuses, lesquelles, encore
+qu'elles jeusnent et macérent leurs corps, si sont-elles souvent
+assaillies, les pauvrettes des tentations de la chair; et si elles
+avoient liberté au moins aucunes, elles se voudroient rafraischir comme
+les mondaines; et bien souvent pour s'estre repenties se repentent,
+ainsi qu'on voit les courtisannes de Rome, dont j'en allégueray un
+plaisant conte d'une, laquelle s'estant vouée au voile, avant qu'aller
+au monastère, un sieur ami, gentilhomme français, la vint voir pour luy
+dire adieu puisqu'elle s'en alloit estre recluse; et avant que s'en
+aller, la pria d'amour; et la prenant, elle luy dit: _Fate dunque
+presto; ch'adesso mi verrano cercar per far mi monaca, e menare al
+monasterio_[94]. Pensez qu'elle voulut faire ce coup pour prendre sa
+dernière main, et dire: _Tandem hæc olim meminisse juvabit_;
+c'est-à-dire: «Encore me fait-il grand bien de m'en ressouvenir pour la
+dernière fois.» Quelle repentance et quelle intrade de religion! Et
+quand une fois elles y ont esté professes, au moins les belles, je dis
+aucunes, je croy qu'elles vivent plus de repentance que de viandes
+corporelles ny spirituelles. Dont aucunes y a qui sçavent y remédier, ou
+par dispenses et par pleines libertez qu'elles prennent d'elles-mesmes;
+car on ne les traite icy comme les Romains le temps passé traitoient
+cruellement leurs vestales quand elles avoient forfait; ce qui estoit
+une chose horrible et abominable: aussi estoient-ils payens, et pleins
+d'horreurs et de cruautez; nous autres chrestiens, qui en suivons la
+douceur de nostre Christ, devons estre benins comme luy; et comme il
+nous pardonne, il faut que nous pardonnions. Je mettrois icy par escrit
+la façon de laquelle ils les traitoient; mais je la laisse au bout de la
+plume. Or laissons ces pauvres ames, que, ma foy, quand elles sont-là
+une fois renfermées, elles endurent assez de mal; ainsi que dit une
+fois une dame d'Espagne, voyant mettre en religion une fort belle et
+honneste damoiselle: _O tristezilla, y en que pecaste, que tum presto
+vienes à penitentia, y seys metida en sepultura viva!_ c'est-à-dire: «O
+pauvre misérable, en quoi avez-vous tant péché, que si prestement vous
+venez à pénitence, et estes mise toute vive en sépulture!» Et voyant que
+les religieuses luy faisoient toutes les bonnes cheres, recueils et
+honneurs du monde, elle dit _que todo le hedia, hasla el encensio de la
+yglesia_; c'est-à-dire: «que tout luy puoit, jusques à l'encens de
+l'église.»
+
+--Une question y a-t-il que je voudrois qui me fust dissolue, en toute
+vérité et sans dissimulation, par aucunes dames qui ont fait le voyage;
+à sçavoir, quand elles sont remariées, comment elles se comportent à
+l'endroit de la mémoire des premiers marys. En cela il y a une maxime:
+que les dernieres amitiez et inimitiez font oublier les premieres; aussi
+les secondes nopces ensevelissent les premieres. Sur quoy j'allégueray
+un exemple plaisant, non pour tant qu'il doive estre fort authorisable;
+si est-ce qu'on dit que sous un lieu obscur et vil encore la sapience et
+science s'y cache. Une grande dame de Poictou demandant une fois à une
+paysanne, sienne tenancière, combien de marys elle avoit eus, et comment
+elle s'en estoit trouvée, elle, faisant sa petite révérence à la
+pitaude, luy respondit de sang froid: «Je vous dirai, madame, j'ay eu
+deux marys, grâce à Dieu. L'un s'appeloit Guillaume, qui estoit le
+premier; et le second s'appeloit Colas. Guillaume estoit bon homme, aisé
+de moyens, et me traitoit fort bien; mais Dieu pardonne à Colas, car
+Colas me le faisoit bien.» Mais elle disoit tout à trac ce qui se
+commence par f., sans le déguiser ou farder comme je le déguise. Voyez,
+s'il vous plaist, comme cette maraude prioit Dieu pour l'ame du trépassé
+bon compagnon, et, s'il vous plaist, sur quel sujet, et du premier
+mérite. Je penserois que de mesmes en font plusieurs dames convolantes
+et revolantes; car, puisqu'elles en viennent là, c'est pour ce grand
+point; et, pour ce, qui le joüe le mieux est le plus aimé. Et volontiers
+croyent que le second doit faire rage; mais bien souvent aucunes sont
+trompées, car elles ne trouvent en leurs boutiques l'assortiment
+qu'elles y pensoient trouver, ou bien à d'aucunes, s'il y en a, il est
+si chetif et usé et gasté, flasque et foulé et lasche, qu'on se repend
+d'y avoir mis son denier; comme j'en ay veu force exemples que je ne
+veux alléguer, car il est temps, ce me semble, de faire fin ou jamais
+non.
+
+--D'autres dames y a-t-il qui disent qu'elles aiment mieux leurs
+derniers marys de beaucoup que les premiers: «D'autant, m'ont dit
+aucunes, que les premiers que nous espousons, le plus souvent nous les
+prenons par le commandement de nos roys et reynes maistresses, par la
+contrainte de nos peres et meres, parents, tuteurs, non par la volonté
+pure de nous autres: au lieu qu'en nos viduitez, comme très-bien
+émancipées, nous en faisons telle élection qui nous plaist, et ne les
+prenons que pour nos beaux et bons plaisirs, et par amourettes, et à
+nostre gentil contentement.» Certainement il peut y avoir de la raison,
+si ce n'estoit que bien souvent _les amours qui s'accommencent par
+anneaux se finissent par couteaux_, ce dit un vieux proverbe, ainsi que
+tous les jours nous en voyons les expériences et exemples d'aucunes, qui
+pensants estre bien traitées de leurs hommes, qu'elles avoient tirez de
+la justice et du gibet, de la pauvreté, de la chetiverie du bordel, et
+eslevez, les battoient, rossoient, les traitoient fort mal, et bien
+souvent leur ostoient la vie, dont en cela c'estoit juste punition
+divine, pour avoir esté par trop ingrates à leurs premiers marys, qui
+leur estoient par trop bons et en disoient pis que pendre. Et ne
+ressembloient pas à une que j'ay ouy raconter, laquelle la première
+nuict de ses nopces, ainsi que son mary la commençoit à assaillir, elle
+se mit à pleurer et souspirer bien fort, si bien que tout à un coup elle
+faisoit deux choses fort contraires. Son mary luy demandoit ce qu'elle
+avoit à s'attrister, et s'il ne s'acquittoit pas bien de son devoir.
+Elle luy respondit: «Hélas prou: mais je me ressouviens de mon mary, qui
+m'avoit tant priée et repriée de ne me remarier jamais après sa mort, et
+que j'eusse souvenance et pitié de ses petits enfants. Hélas! je voy
+bien que j'en auray encor tant de vous. Hé, que feray-je! Je croy que
+s'il me peut voir du lieu où il est maintenant, il me maudit bien.»
+Quelle humeur de n'avoir point songé à telles considérations, ny avoir
+esté sage, si-non après le coup! Mais le mary, l'ayant appaisée et fait
+souvent passer cette fantaisie par le trou lu milieu, le lendemain
+matin, ouvrant la fenestre de la chambre, envoya dehors toute la mémoire
+du mary premier; car se disoit un grand proverbe ancien, que _femme qui
+enterre un mary ne se soucie plus d'en enterrer un autre_: et aussi un
+autre qui dit: _Plus de mine en une femme perdant son mary, que de
+mélancolie_.
+
+--J'ay cogneu une autre veufve, grande dame, bien contraire à cette-cy,
+qui ne pleura ainsi; car, la première nuict et seconde de ses nopces,
+elle se conjoignit tellement avec son mary second, qu'ils enfoncèrent et
+rompirent le chaslis, encore qu'elle eust une espèce de cancre à un
+tétin; et nonobstant son mal, ne laissa d'un seul point son amoureux
+plaisir, l'entretenant par après souvent de la sottise et inhabilité de
+son premier mary. Aussi, à ce que j'ay ouy dire à aucuns et aucunes,
+c'est la chose que les seconds marys veulent le moins de leurs femmes,
+qu'elles les entretiennent de la vertu et valeurs de leurs premiers
+marys, comme estants jaloux des pauvres trépassez, qui y songent autant
+comme de revenir en ce monde: d'en dire mal tant que l'on voudra. Si en
+a-t-il force pourtant qui leur en demandent des nouvelles; mais, comme
+se sentant fort vigoureux et forts, et faisans comparaisons, les
+interrogent de leurs forces et vigueurs en ces douces charges, comme
+j'ay ouy dire à aucuns et aucunes, lesquelles, pour leur faire trouver
+meilleur, leur font accroire que les autres n'estoient qu'apprentifs,
+dont bien souvent elles s'en trouvent mieux. Autres disoient le
+contraire, et que les premiers faisoient rage, afin de faire efforcer
+les derniers à faire les asnes desbatez. Telles femmes veufves seroient
+bonnes à l'isle de Chio, la plus belle isle et gentille et plaisante du
+Levant, jadis possédée des Gennois, et depuis trente-cinq ans usurpée
+par les Turcs, dont c'est un grand dommage et perte pour la chrestienté.
+En ceste isle donc, comme je tiens d'aucuns marchands gennois, le
+coustume est que si une femme veut demeurer en viduïté, sans aucuns
+propos de se remarier, le seigneur la contraint de payer un certain prix
+d'argent, qu'ils appellent _argomoniatique_, qui vaut autant dire (sauf
+l'honneur des dames) _c.. reposé et inutile_. Je leur ay demandé sur
+quoy cette coutume pouvoit estre fondée: ils me respondirent que pour
+tousjours mieux repeupler l'isle. Je vous assure que nostre France ne
+demeurera donc indeserte ny infertile par faute de nos veufves qui ne se
+remarient point; car je pense qu'il y en a plus qui se remarient que
+d'autres, et par ce ne payeront de tribut du c.. inutile et reposé; que
+si ce n'est par le mariage, pour le moins autrement qu'ils le font
+travailler et fructifier, comme j'espère de dire. Non plus ne payeront
+aussi aucunes de nos filles de France que celles de Chio, lesquelles,
+soit des champs ou de ville, si elles laissent perdre leur pucelage
+avant que d'estre mariées, et qu'elles veulent continuer le mestier sont
+tenues de bailler pour une fois un ducat (dont c'est un très-bon marché
+pour faire cela toute leur vie) au capitaine de la nuict, afin de le
+pouvoir faire à leur plaisir, sans aucune crainte et danger; et en cela
+gist le plus grand et asseuré gain qu'ait le gentil capitaine en son
+Estat.
+
+--Il ne fut jamais que les Grecs n'eussent tousjours quelques inventions
+tendantes à la paillardise; comme le temps passé nous lisons de la
+coustume de l'isle de Cypre, qu'on dit que la bonne dame Vénus, patronne
+de-là, introduisit une loy que les filles de-là falloit qu'elles
+allassent se pourmenants le long des rivages, costes et orées de la mer,
+pour gagner leur mariage par la libéralité de leurs corps aux mariniers,
+passants et navigeants, qui descendoient exprès, voire bien souvent se
+destournoient de leur chemin droit de la boussole pour prendre la terre,
+et là, prenants leurs petits rafraischissements avec elles, les payoient
+très-bien, et puis s'en alloient les uns à regret pour laisser telles
+beautez; et par ainsi ces belles filles gagnoient leurs mariages, qui
+plus qui moins, qui bas qui haut, qui grand qui petit, selon les
+beautez, qualitez et tentations des filaudes.
+
+--Aujourd'huy aucunes de nos filles de nos nations chrestiennes ne vont
+point se pourmener, s'exposer ainsi aux vents, aux pluyes, aux froids,
+au soleil, aux chaleurs, car la peine est trop laborieuse et trop dure
+pour leurs tendres et délicates peaux et blanches charnures; mais elles
+se font venir trouver sous de riches pavillons et dans de pompeuses
+courtines, et là tirent leur solde amoureuse et maritale de leurs
+amoureux, sans payer aucun tribut. Je ne parle pas des courtisannes de
+Rome qui en payent, mais de plus grandes qu'elles: si bien qu'à aucunes,
+la plus part du temps, leurs peres, meres et freres n'ont pas grande
+peine de chercher argent ny leur en donner pour les marier; ains, au
+contraire, bien souvent aucunes y a-t-il qui en baillent aux leurs, et
+les advancent en biens et charges, en grades et dignitez, ainsi que j'en
+ay veu plusieurs. Aussi Lycurgus ordonna que les filles vierges fussent
+mariées sans doüaire d'argent, à ce que les hommes les espousassent pour
+leurs vertus, non pour l'avarice. Mais quelles vertus estoit-ce, qu'aux
+bonnes festes solemnelles elles chantoient, dansoient publiquement
+toutes nuës avec les garçons, voire luitoient en belle place marchande;
+ce qui se faisoit pourtant avec toute honnesteté, dit l'histoire: c'est
+à sçavoir, et quelle honnesteté en tel estat estoit-ce, les belles
+filles voir publiquement? D'honnesteté n'y en avoit-il point, mais ouy
+bien un plaisir pour la veuë, et mesme en leur mouvement de corps à
+danser, et encore plus à luiter: et puis quand ils venoient à tomber
+l'un sur l'autre, et, comme dit le latin, _Illa sub, ille super_, et
+_ille sub, illa super_, c'est-à-dire, «elle dessous, luy dessus, et elle
+dessus, luy dessous.» Et comment me pourroit-on desguiser cela, qu'il y
+eust là toute honnesteté? Je croy qu'il n'y a chasteté qui ne s'en
+esbranlast, et, que, se faisant là en public et de jour les petites
+attaques, qu'à couvert et de nuict et du rendez-vous les grands combats
+et camisades s'en ensuivissent. Tout cela se pouvoit faire sans aucun
+doute, veu que ledit Lycurgus permit à ceux qui estoient beaux et dispos
+d'emprunter les femmes des autres pour y labourer comme en terre grasse:
+et si n'estoit chose reprochable à un vieil et lassé de prester sa femme
+belle et jeune à un galant jeune homme qu'il choisissoit; mais il
+vouloit qu'il fust permis à la femme de choisir pour secours le plus
+proche parent de son mary, tel qu'il luy plairoit, pour se coupler avec
+luy, à ce que les enfants qu'ils pourroient engendrer fussent au moins
+du sang et de la race mesme du mary. Les Juifs avoient cette loy de la
+belle-sœur au beau-frère; mais nostre loy chrestienne a tout rabillé
+cela, encore que nostre Saint Pere en aye baillé plusieurs dispenses
+fondées sur plusieurs raisons.
+
+--Or, parlons un peu, et le plus sobrement que nous pourrons, d'aucunes
+autres veufves, et puis nous fairons la fin. Il y a une autre espèce de
+veufves dont il y en a qui ne se remarient point, mais fuyent le mariage
+comme peste: ainsi que me dit une, et de grande maison, et bien
+spirituelle, à laquelle ayant demandé si elle offriroit encore son
+vœu au dieu Hymenée, elle me respondit: «Par vostre foy, seroit-il
+pas fat et malhabile le forçat ou l'esclave, après avoir longuement tiré
+à la rame, attaché à la cadene, s'il venoit à recouvrer sa liberté, s'il
+s'en alloit de son bon gré encore s'assujettir sous les loix d'un
+orageux corsaire? Pareillement moy, après avoir assez esté sous
+l'esclavage d'un mary, et en reprendre un autre, que meriterois-je, puis
+que d'ailleurs, sans aucun hazard, je me puis donner du bon temps?» Et
+une autre dame grande, et ma parente (car je ne veux pas prendre le
+Turc), luy ayant demandé si elle n'avoit point envie de convoler,
+«nenny, me respondit-elle, mon cousin, mais bien de conjoüir:» faisant
+une allusion sur ce mot de _conjoüir_, comme voulant dire qu'elle
+vouloit bien faire à son c.. joüir d'autre chose qu'à un second mary,
+suivant le proverbe ancien qui dit qu'_il vaut mieux voler en amour
+qu'en mariage_: aussi que les femmes sont sottes par-tout.
+
+--J'ay ouy parler d'une autre à qui il fut demandé par un gentilhomme
+qui vouloit tenter le guay pour la pourchasser, et luy demandant si elle
+ne vouloit point un mary: «Hà! dit-elle, ne me parlez point de mary, je
+n'en auray jamais plus: mais avoir un amy, c'est une autre
+affaire.--Permettez donc, madame, que je sois cet amy, puisque mary je
+ne puis estre.» Elle luy repliqua: «Servez bien et perseverez; possible
+le serez-vous.»
+
+--J'ay cogneu une grande dame qui, durant qu'elle estoit fille et
+mariée, on ne parloit que de son embonpoint: elle vint à perdre son
+mary, et en faire un regret si extrême qu'elle en devint seiche comme
+bois[95]; pourtant ne delaissa de se donner au cœur joye d'ailleurs,
+jusqu'à emprunter l'aide d'un sien secretaire, voire de son cuisinier ce
+disoit-on; mais pour cela ne recouvroit son embonpoint, encore que le
+dit cuisinier, qui estoit tout gresseux et gras, ce me semble, la devoit
+rendre grasse. Et ainsi en prenoient et de l'un et de l'autre de ses
+valets, faisant, avec cela, la plus prude et chaste femme de la Cour,
+n'ayant que la vertu en la bouche, et mal-disante de toutes les autres
+femmes, et y trouvant à toutes à redire. Telle estoit cette grande dame
+de Dauphiné, dans les _Cent Nouvelles de la Reyne de Navarre_, qui fut
+trouvée couchée sur belle herbe avec son palefrenier ou muletier dessus
+elle, par un gentilhomme qui en estoit amoureux à se perdre; mais par
+ainsi guérit aisément son mal d'amour.
+
+--J'ay leu dans un vieux roman de Jean de Saintré, qui est imprimé en
+lettres gothiques, que le feu roy Jean le nourrit page. Par l'usance du
+temps passé les grands envoyoient leurs pages en message, comme on fait
+bien aujourd'huy; mais alors alloient partout et par pays à cheval;
+mesme que j'ay ouy dire à nos peres qu'on les envoyoit bien souvent en
+petites ambassades; car, en depeschant un page avec un cheval et une
+piece d'argent, on en estoit quitte, et autant espargné. Ce petit Jean
+de Saintré (car ainsi l'appeloit-on long-temps) estoit fort aimé de son
+maistre le roy Jean, car il estoit tout plein d'esprit, fut envoyé
+souvent porter de petits messages à sa sœur, qui estoit pour lors
+veufve (le livre ne dit pas de qui). Cette dame en devint amoureuse
+après plusieurs messages par luy faits; et un jour, le trouvant à propos
+et hors de compagnie, elle l'arraisonna, et se mit à demander s'il
+aimoit point aucune dame de la Cour, et laquelle luy revenoit le mieux;
+ainsi qu'est la coustume de plusieurs dames d'user de ces propos quand
+elles veulent donner à aucuns la première pointe ou attaque d'amour,
+comme j'ay veu pratiquer. Ce petit Jean de Saintré, qui n'avoit jamais
+songé rien moins qu'à l'amour, luy dit que non encore. Elle luy en alla
+descouvrir plusieurs, et ce qui luy en sembloit. «Encore moins,»
+respondit-il, après luy avoir presché des vertus et loüanges de l'amour.
+Car, aussi bien de ce temps vieux comme aujourd'huy, aucunes grandes
+dames y estoient sujettes; car le monde n'estoit pas fin comme il est:
+et les plus fines tant mieux pour elles, qui en faisoient passer de
+belles aux marys, mais avec leurs hypocrisies et naïvetez. Cette dame
+donc, voyant ce jeune garçon qui estoit de bonne prise, luy va dire
+qu'elle luy vouloit donner une maistresse qui l'aymeroit bien, mais
+qu'il la servist bien, et luy fit promettre, avec toutes les hontes du
+monde qu'il eust sur ce coup, et surtout qu'il fust secret: enfin elle
+se déclara à luy qu'elle vouloit estre sa dame et amoureuse; car de ce
+temps ce mot de _maistresse_ ne s'usoit. Ce jeune page fut fort estonné,
+pensant qu'elle se moquast ou le voulust faire atrapper ou le faire
+foüetter. Toutefois elle luy monstra aussitost tant de signes de feu et
+d'embrasement d'amour, qu'il connut que ce n'estoit pas moquerie; luy
+disant toujours qu'elle le vouloit dresser de sa main et le faire grand.
+Tant y a que leurs amours et jouissances durèrent longuement, et estant
+page et hors de page, jusques à ce qu'il luy fallut aller à un lointain
+voyage, qu'elle le changea en un gros, gras abbé; et c'est le conte que
+vous voyez en les _Nouvelles du monde advantureux_, d'un valet de
+chambre de la reyne de Navarre; là où vous voyez l'abbé faire un affront
+au dit Jean de Saintré, qui estoit si brave et si vaillant; aussi
+bien-tost après le rendit-il à M. l'abbé par bon eschange, et au triple.
+Ce conte est très-beau, et est pris de là où je vous dis. Voilà comme ce
+n'est d'aujourd'huy que les dames aiment les pages, et mesmes quand ils
+sont maillés comme perdreaux. Quelles humeurs de femmes, qui veulent
+avoir des amys prou, mais des marys point! Elles font cela pour l'amour
+de la liberté, qui est une si douce chose; et leur semble que quand
+elles sont hors de la domination de leurs marys, qu'elles sont en
+paradis; car elles ont leur doüaire très-beau, et le mesnagent; ont les
+affaires de la maison en maniement; elles touchent les deniers; tout
+passe par leurs mains: au lieu qu'elles estoient servantes, elles sont
+maistresses, font eslection de leurs plaisirs et de ceux qui leur en
+donnent à leur souhait. Aucunes il y a qui se faschent certes de ne
+rentrer en second mariage, soit pour les grandeurs, dignitez, biens et
+richesses, grades, bons et doux traitements, comme elles faisoient aux
+autres; ou pensant y trouver du pire, et par ce se contiennent: ainsi
+que j'ay cogneu et ouy parler de plusieurs grandes dames et princesses,
+lesquelles, de peur de ne rencontrer à leur souhait de la grandeur, et
+de perdre leurs rangs, n'ont jamais voulu se marier; mais ne laissent
+pour cela à faire bien l'amour, et le mettre et convertir en joüissance;
+et n'en perdoient pour cela ny leurs rangs, ny leurs tabourets, ny leurs
+siéges et séances. N'estoient-elles pas bienheureuses celles-là, jouyr
+de la grandeur, et de monter haut et s'abaisser bas tout ensemble? De
+leur en dire mot, ou leur en faire la remonstrance, n'en faloit point
+parler; autrement il y avoit plus de despits, plus de desmentis, de
+négatives, de contradictions et de vengeances.
+
+--J'ay ouy raconter d'une dame veufve et l'ay cogneue, qui s'estoit fait
+longuement servir à un honneste gentilhomme, sous prétexte de mariage;
+mais il ne se mettoit nullement en évidence. Une grande princesse, sa
+maistresse, luy en voulut faire la reprimande. Elle, rusée et corrompue,
+luy respondit: «Et quoy, madame, seroit deffendu de n'aimer d'amour
+honneste? ce seroit par trop grande cruauté.» Et on sçait que cet amour
+honneste s'appeloit un amour bien lascif, et composé de confitures
+spermatiques: comme certes sont toutes amours, qui naissent toutes
+pures, chastes et honnestes; mais après se dépucellent, et, par quelque
+certain attouchement d'une pierre philosophale, se convertissent et se
+rendent deshonnestes et lubriques.
+
+--Feu M. de Bussy, qui estoit l'homme de son temps qui disoit des mieux,
+et racontoit aussi plaisamment, un jour à la Cour, voyant une dame
+veufve, grande, qui continuoit toujours le mestier d'amour, «Et quoy,
+dit-il, cette jument va-elle encore à l'estallon?» Cela fut rapporté à
+la dame, qui luy en voulut mal mortel; ce que M. de Bussy sceut: «Et
+bien, dit-il, je sçay comme je feray mon accord et rabilleray cela.
+Dites-luy, je vous prie, que je n'ay pas parlé ainsi; mais bien j'ay
+dit: Cette poultre[96] va-elle encore au cheval? Car je sçay bien
+qu'elle n'est pas marrye de quoy je la tiens pour dame de joye, mais
+pour vieille; et lorsqu'elle sçaura que je l'ay nommée _poultre_, qui
+est une jeune cavalle, elle pensera que je l'ay encore en estime d'une
+jeune dame.» Par ainsi, la dame, ayant sceu cette satisfaction et
+rabillement de paroles, s'appaisa, et se remit en amitié avec M. de
+Bussy; dont nous en rismes bien. Toutefois elle avoit beau faire, car on
+la tenoit tousjours pour une jument vieille et réparée, qui, toute
+suragée qu'elle estoit, hannissoit encore aux chevaux. Cette dame ne
+ressembloit pas à une autre dont j'ay ouy parler, laquelle, ayant esté
+bonne compagne en son premier temps, et se jettant fort sur l'age, se
+mit à servir Dieu en jeusnes et oraisons. Un gentilhomme honneste luy
+remonstrant pourquoy elle faisoit tant de veilles à l'église, et tant de
+jeusnes à la table, et si c'estoit pour vaincre et matter les aiguillons
+de la chair, «Hélas! dit-elle, ils me sont tous passez;» proférant ces
+mots aussi piteusement que jamais fit Milo Crotoniates, ce fort et
+puissant luiteur; lequel un jour estant descendu dans l'arene, ou le
+champ des luiteurs, pour y voir l'esbat seulement, car il estoit devenu
+fort vieux, il y en eut un de la troupe qui luy vient dire s'il ne
+vouloit point faire encore un coup du vieux temps. Luy, se rebrassant et
+retroussant ses bras fort piteusement, regardant ses nerfs et muscles,
+il dit seulement: «Hélas! ils sont morts.» Si cette femme en eust fait
+de mesme et se fust retroussée, le trait estoit pareil à celuy de Milo;
+mais on n'y eust veu grand cas qui valust ny qui tentast. Un autre
+pareil trait et mot au précédent M. de Bussy fit un gentilhomme que je
+sçay. Venant à la Cour, d'où il avoit esté absent six mois, il vid une
+dame qui alloit à l'Académie, qui estoit alors introduite à la Cour par
+le feu Roy: «Comment, dit-il, l'Académie dure encore? on m'avoit dit
+qu'elle estoit abolie.--En doutez-vous, luy respondit un, si elle y va?
+son magister luy apprend la philosophie, qui parle et traite du
+mouvement perpétuel.»
+
+--Une dame de par le monde rencontra bien mieux d'une autre à laquelle
+on loüoit fort ses beautez, fors qu'elle avoit ses yeux immobiles,
+qu'elle ne remuoit nullement. «Pensez, dit-elle, que toute sa curiosité
+est à mettre son mouvement au reste de son corps, et mesme à celuy du
+mitan, sans le renvoyer à ses yeux.» Or, si je voulois mettre par escrit
+et tous les bons mots et bons contes que je sçay pour bien amplifier ce
+sujet, je n'aurois jamais fait, et d'autant que j'ay d'autres pas à
+faire je m'en désiste, et concluray avec Bocace, cy-dessus allégué, que,
+et filles, et mariées, et veufves, au moins la plus grande part, tendent
+toutes à l'amour.
+
+Je ne veux point parler des personnes viles, ny des champs, ny de ville,
+car telle n'a point esté mon intention d'en escrire, mais des grandes,
+pour lesquelles ma plume vole. Toutefois, si au vray on me demandoit mon
+opinion, je dirois volontiers qu'il n'y a que les mariées, tout hazard
+et danger des marys à part, pour estre propres à l'amour et en tirer
+prestement l'essence; car les marys les eschauffent tant, que, comme une
+fournaise qui est souvent bien embrasée, elles ne demandent que de la
+matiere et du bois pour entretenir tousjours leur chaleur; et aussi qui
+se veut bien servir de la lampe, il y faut mettre souvent de l'huile;
+mais aussi garde le jarret, et les embusches de ces marys jaloux, où les
+plus habiles bien souvent y sont attrapez! Toutefois il y faut aller le
+plus sagement que l'on peut et le plus hardiment, et faire comme un Roy,
+lequel, comme il estoit fort sujet à l'amour, et fort aussi respectueux
+aux dames, et discret, et par conséquent bien-aimé et receu d'elles,
+quand quelquefois il changeoit de lict et s'alloit coucher en celuy
+d'une autre dame qui l'attendoit, ainsi que je tiens de bon lieu, jamais
+il n'y alloit, et fust-ce en ses galeries cachées de Saint Germain,
+Bloys et Fontainebleau, et petits degrés eschapatoires, et recoins, et
+galletas de ses chasteaux, qu'il n'eust son valet-de-chambre favory, dit
+Griffon, qui portoit son espieu devant luy avec le flambeau, et luy
+après, son grand manteau devant les yeux ou sa robe de nuict, et son
+espée sous le bras; et estant couché avec la dame, se faisoit mettre son
+espieu et son espée auprès de son chevet, et Griffon à la porte bien
+fermée, qui quelquefois faisoit le guet et quelquefois dormoit. Je vous
+laisse à penser, si un grand roy prenoit si bien garde à soy (car il y
+en a eu d'atrapez, et des roys et de grands princes); ce que les petits
+compagnons auprès de ce grand doivent faire. Mais il y a de certains
+presomptueux qui desdaignent tout; aussi sont-ils bien atrappez souvent.
+
+--J'ay ouy conter que le roy François, ayant en main une fort belle dame
+qui luy a longtemps duré, allant un jour inopiné à ladite dame et en
+heure inopinée coucher avec elle, vint à frapper à la porte rudement,
+ainsi qu'il devoit et avoit pouvoir, car il estoit maistre. Elle qui
+estoit pour lors accompagnée du sieur de Bonnivet, n'osa pas dire le mot
+des courtisannes de Rome: _Non si parla, la signora è accompagnata_[97].
+Ce fut à s'adviser là où son galand se cacheroit pour plus grande
+seureté. Par cas c'estoit en esté, où l'on avoit mis des branches et
+feuilles dans la cheminée, ainsi qu'est la coustume de France. Parquoy
+elle luy conseille et l'advisa aussitost de se jeter dans la cheminée,
+et se cacher dans ces feuillages tout en chemise, que bien luy servit de
+quoy ce n'estoit en hyver. Après que le Roy eut fait sa besogne avec la
+dame, il voulut faire de l'eau; et se levant, la vint faire dans la
+cheminée, par faute d'autre commodité; dont il en eust si grande envie,
+qu'il en arrosa le pauvre amoureux plus que si l'on luy eust jetté un
+sceau d'eau, car il l'en arrousa, en forme de chantepleure de jardin, de
+tous costez, voire et sur le visage, par les yeux, par le nez, la
+bouche, et par tout; possible en eschappa-t-il quelque goutte dans la
+bouche. Je vous laisse à penser en quelle peine estoit ce gentilhomme,
+car il n'osoit se remuer, et quelle patience et constance tout ensemble!
+Le Roy, ayant fait, s'en alla, prit congé de la dame et sortit de la
+chambre. La dame fit fermer par derrière, et appella son serviteur dans
+son lict, l'eschauffa de son feu, et lui fit prendre chemise blanche: ce
+ne fust pas sans rire après la grande appréhension; car s'il eust esté
+descouvert, et luy et elle estoient en très-grand danger. Cette dame est
+celle-là mesme laquelle estant fort amoureuse de M. de Bonnivet, en
+voulant monstrer au Roy le contraire, qui en concevoit quelque petite
+jalousie, elle luy disoit: «Mais il est bon, Sire, de Bonnivet, qui
+pense estre beau; et tant plus je luy dis qu'il l'est, tant plus il se
+voit; et je me moque de luy, et par ainsi j'en passe mon temps, car il
+est fort plaisant et dit de très-bons mots, si bien qu'on ne sçauroit
+s'en garder de rire quand on est près de luy, tant il raconte bien.»
+Elle vouloit par là monstrer au Roy que sa conversation ordinaire
+qu'elle avoit avec luy n'estoit point l'aimer et en joüir, ny pour
+fausser compagnie au Roy. Ha! qu'il y a plusieurs dames qui usent de ces
+ruses pour couvrir leurs amours qu'elles ont avec quelques-uns; elles en
+disent du mal, s'en moquent devant le monde, et derrière n'en font pas
+ce beau semblant, et cela s'appellent ruses et astuces d'amour.
+
+--J'ay cogneu une très-grande dame, laquelle, ayant veu un jour sa
+fille, qui estoit l'une des belles du monde, estre en peine à cause de
+l'amour d'un gentilhomme dont son frere estoit estomaqué, entr'autres
+discours que la mère luy dit: «Hé! ma fille, n'aimez plus cet homme-là;
+il a si mauvaise grâce et façon! il est si laid! il ressemble à un vray
+pastissier de village.» La fille s'en mit à rire et moquer, et applaudir
+au dire de sa mère, et l'advoüer pour semblance de pastissier de
+village; mais qu'il eust un bonnet rouge, toutefois elle l'aimoit. Mais,
+quelque temps après, qui fut environ six mois, elle le quitta pour en
+avoir un autre. J'ay connu plusieurs dames qui ont dit pis que pendre
+des femmes qui aimoient en lieux bas, comme leurs secrétaires, valets de
+chambre et autres personnes basses, et détestoient devant le monde cet
+amour plus que poison; et toutefois elles s'y abandonnoient autant, ou
+plus qu'à d'autres. Et ce sont les finesses des dames, jusque là que,
+devant le monde, elles se courroucent contre eux, les menacent, les
+injurient; mais derrière elles s'en accommodent galamment. Ces femmes
+ont tant de ruses! car, comme dit l'Espagnol, _mucho sabe la sorra; pero
+sab mas la dama enamorada_; c'est à dire: «Le renard sait beaucoup, mais
+une dame amoureuse sait bien davantage.» Quoy que fist cette dame
+précédente pour oster martel au roy François, si ne peut-elle tant faire
+qu'il ne lui en restast quelques grains en teste: car, comme j'ay sceu,
+et surquoy il me souvient, qu'une fois m'estant allé pourmener à
+Chambord, un vieux concierge qui estoit céans, et avoit esté valet de
+chambre du Roy François m'y reçut fort honnestement; car il avoit dès ce
+temps-là connu les miens à la Cour et aux guerres, et luy-mesme me
+voulut monstrer tout; et m'ayant mené à la chambre du Roy, il me monstra
+un escrit au costé de la fenestre: «Tenez, dit-il, lisez cela,
+monsieur; si vous n'avez veu de l'escriture du Roy mon maistre, en
+voilà.» Et l'ayant leu en grandes lettres, il y avoit ce mot: «Toute
+femme varie.» J'avois avec moy un fort honneste gentilhomme de Périgord,
+mon amy, qui s'appeloit M. de Roche, qui me dit soudain: «Pensez que
+quelques-unes de ces dames qu'il aimoit le plus, et de la fidelité
+desquelles il s'assuroit le plus, il les avoit trouvées varier et luy
+faire faux-bons, et en elles avoit découvert quelque changement dont il
+n'estoit guères content, et, de despit, en avoit escrit ce mot.» Le
+concierge, qui nous ouyt, dit: «C'est mon, vrayment, ne vous en pensez
+pas moquer: car, de toutes celles que je luy ay jamais veues et
+cogneues, je n'en ay veu aucune qui n'allast au change plus que ses
+chiens de la meute à la chasse du cerf; mais c'estoit avec une voix fort
+basse, car s'il s'en fust apperçu, il les eust bien relevées.» Voyez,
+s'il vous plaist, de ces femmes qui ne se contentent ny de leurs marys,
+ny de leurs serviteurs, grands roys et princes et grands seigneurs; mais
+il faut qu'elles aillent au change et que ce grand roy les avoit bien
+connues et expérimentées pour telles, et pour les avoir desbauchées et
+tirées des mains de leurs marys, de leurs mères et de leurs libertez et
+viduitez.
+
+--J'ay cogneu une bien grande dame, veufve, qui en a fait de mesme: car,
+encore qu'elle fust quasi adorée d'un très-grand, si falloit-il avoir
+quelques menus autres serviteurs, afin de ne pas perdre toutes les
+heures du temps et demeurer en oisiveté; car un seul ne peut pas en ces
+choses y vaquer ny fournir toujours: aussi que telle est la règle de
+l'amour, que la dame d'amour n'est pas pour un temps préfix, n'y aussi
+pour une personne préfixe, ny seule arrestée. Je m'en rapporte à cette
+dame des _Cent Nouvelles de la Reyne de Navarre_, qui avoit trois
+serviteurs au coup, et estoit si habile qu'elle les sçavoit tous trois
+fort accortement entretenir.
+
+--J'ay cogneu une dame, laquelle ayant esté servie d'un fort honneste
+gentilhomme, et puis en ayant esté quittée au bout de quelque temps, se
+vinrent à raconter de leurs amours passez. Le gentilhomme, qui voulut
+faire du galant, lui dit: «Et quoy! penseriez vous que vous seule
+fussiez de ce temps ma maistresse? vous seriez bien estonnée si, avec
+vous, j'en avois eu deux autres?» Elle luy respondit aussi-tost: «Vous
+seriez bien plus estonné si vous eussiez pensé estre le seul mon
+serviteur, car j'en avois bien trois autres pour réserve.» Voilà
+comment un bon navire veut avoir tousjours deux ou trois ancres pour
+bien s'affermir. Pour faire fin, vive l'amour pour les femmes! et, comme
+j'ay trouvé une fois dans les tablettes d'une très-belle et honneste
+dame qui habloit un peu l'espagnol et l'entendoit très-bien, ce petit
+refrain escrit de sa propre main, car je la connois très-bien: _Hembra o
+dama sin campagnero, esperança sin trabajo, y navio sine timon, nunca
+pueden haser cosa que sea buena_; c'est-à-dire: «Jamais femme ou dame
+sans compagnon, ny espérance sans travail; ny navire sans gouvernail, ne
+pourroient faire chose qui vaille.» Ce refrain peut estre bon et pour la
+femme et pour la veufve, et pour la fille; car et l'une et l'autre ne
+peuvent rien faire de bon sans la compagnie de l'homme, ny l'espérance
+que l'on a de les avoir n'est point tant agréable à les attrapper
+aisément, comme avec un peu de peine et travail, rudesse et rigueur.
+Toutefois la femme et la veufve n'en donnent pas tant que la fille,
+d'autant que l'on dit qu'il est plus aisé et facile de vaincre et
+abattre une personne qui a esté vaincue, abattue et renversée, que celle
+qui ne le fust jamais; et qu'on ne prend point tant de travail et peine
+à marcher par un chemin desjà bien frayé et battu, que par celuy qui n'a
+jamais esté fait ny tracé: et de ces deux comparaisons je m'en rapporte
+aux voyageurs et guerriers. Ainsi est-il des filles; car mesme il y en a
+aucunes si capricieuses, qui jamais n'ont voulu se marier, ains vivre
+toujours en condition filiale; et si on leur demandoit pourquoy, «C'est
+ainsi, et telle est mon humeur,» disent-elles. Aussi que Cybele, Junon,
+Vénus, Thétis, Cérès et autres déesses du ciel, ont toutes méprisé ce
+nom de vierge, fors Pallas, qui prit du cerveau de Jupiter sa naissance,
+faisant voir par-là que la virginité n'est qu'une opinion conçue en la
+cervelle. Aussi demandez à nos filles qui ne se marient jamais, ou, si
+elles se marient, c'est le plus tard qu'elles peuvent, et fort
+surannées, pourquoy elles ne se marient. «Parce, disent-elles, que je ne
+le veux, et telle est mon humeur et mon opinion.» Nous en avons veu aux
+Cours de nos roys aucunes du temps du roy François. Madame la régente
+avoit une fille belle et honneste, qui s'appeloit Poupincourt, qui ne se
+maria jamais, et mourut vierge de l'âge de soixante ans, comme elle
+nasquit, car elle fut très-sage. La Brelaudière est morte fille et
+pucelle en l'âge de quatre-vingts ans, laquelle on a veu gouvernante de
+madame d'Angoulesme estant fille. Mademoiselle de Charansonne de Savoye
+mourut à Tours dernièrement fille, et fut enterrée avec son chapeau et
+son habit blanc virginal, très-solemnellement, en grande pompe,
+solemnité et compagnie, en l'âge de quarante-cinq ans ou plus: et ne
+faut point mettre en doute si c'estoit à faute de party, car, estant
+l'une des belles et honnestes filles et sages de la Cour, je luy en ay
+veu refuser de très-bons et très-grands. Ma sœur de Bourdeille, qui
+est à la Cour fille de la Reyne, a refusé de mesme de fort bons partis,
+et jamais n'a voulu se marier ny ne le fera, tant elle est résolue et
+opiniastre de vivre et mourir fille et bien agée; et s'est jusques ici
+laissée vaincre à cette opinion, et a un bon age. J'ai veu l'infante de
+Portugal, fille de la feue reyne Eleonor, en mesme résolution, et est
+morte fille et vierge en l'age de soixante ans ou plus. Ce n'est pas
+faute de grandeur, car elle estoit grande en tout, ny par faute de
+biens, car elle en avoit force, et mesme en France, où M. le général
+Gourgues a bien fait ses affaires; ny pour faute de dons de nature, car
+je l'ay veüe à Lisbonne, en l'age de quarante-cinq ans, une très-belle
+et agréable fille, de bonne grace, de belle apparence, douce, agréable,
+et qui méritoit bien un mary pareil à elle en tout, courtoise, et mesme
+à nous autres Français. Je le peux dire, pour avoir eu cet honneur
+d'avoir parlé à elle souvent et privement. Feu M. le grand prieur de
+Lorraine, lorsqu'il mena ses galères du levant en ponant pour aller en
+Écosse, du temps du petit roy François, passant et séjournant à Lisbonne
+quelques jours, la visita et vid tous les jours: elle le receut fort
+courtoisement et se pleust fort en sa compagnie, et luy fit tout plein
+de beaux présents. Entre autres, elle luy bailla une chaisne pour pendre
+sa croix, toute de diamants et rubis, et perles grosses proprement et
+richement élabourées; et pouvoit valoir de quatre à cinq mille escus, et
+luy faisoit trois tours; car je croy qu'elle pouvoit bien valoir cela:
+aussi l'engageoit-il toujours pour trois mille escus, ainsi qu'il fit
+une fois à Londres, lorsque nous tournions d'Écosse; mais aussitost en
+France il l'envoya desengager, car il l'aimoit pour l'amour de la dame
+de laquelle il estoit encapricié et fort pris: et croy qu'elle ne
+l'aimoit pas moins, et que volontiers elle eust rompu son nœud
+virginal pour luy; cela s'appelle par mariage, car c'estoit une
+très-sage et vertueuse princesse: et si diray-je bien plus, que, sans
+les troubles qui commencèrent en France, messieurs ses frères
+l'attiroient et l'y tenoient. Il vouloit luy-mesme retourner avec ses
+galères et reprendre mesme route, et revoir cette princesse, et luy
+parler de nopces: et croy qu'il n'en fust point esté esconduit, car il
+estoit d'aussi bonne maison qu'elle, et extrait de grands roys comme
+elle, et surtout l'un des beaux, des agréables, des honnestes et des
+meilleurs de la chrestienté; messieurs ses frères, principalement les
+deux aisnez, car ils estoient les oracles de tous et conduisoient la
+barque: je vis un jour qu'il leur en parloit, leur racontant son voyage
+et les plaisirs qu'il avoit receus là, et les faveurs: ils vouloient
+fort qu'il refist le voyage et y retournast encore, et luy conseilloient
+de donner là, car le Pape en eust aussitost donné la dispense de la
+croix: et, sans ces maudits troubles, il y alloit et en fust sorty, à
+mon advis, à son honneur et contentement. La dite princesse l'aimoit
+fort, et m'en parla en très-bonne part, et le regretta beaucoup,
+m'interrogeant de sa mort, et comme esprise, ainsi qu'il est aisé, en
+telle chose, à un homme un peu clairvoyant le connoistre.
+
+--J'ay ouy dire une autre raison encore à une personne fort habile, je
+ne dis fille ou femme, et possible avoit-elle expérimenté, pourquoy
+aucunes filles sont si tardives de se marier. Elles disent que c'est
+_propter mollitiem_; et ce mot _mollities_ s'interprète qu'elles sont si
+molles, c'est-à-dire tant amatrices d'elles-mesmes et tant soucieuses de
+se délicater et se plaire seules en elles-mesmes, ou bien avec d'aucunes
+de leur compagnie, à la mode lesbienne, et y prennent tel plaisir à part
+elles, qu'elles pensent et croyent fermement qu'avec les hommes elles
+n'en sçauroient jamais tant tirer de plaisir; et, pour ce, se
+contentent-elles en leur joye et savoureux plaisirs, sans se soucier des
+hommes, ny de leurs accointances, ny du mariage. Ces filles ainsi
+vierges et pucelles eussent esté à Rome fort honorées et fort
+privilégiées, jusques-là que la justice n'avoit pouvoir sur elles à les
+sentencier à la mort: si bien que nous lisons que, du temps du
+triumvirat, il y eut un sénateur romain parmy les proscrits, qui fut
+condamné à mourir, non luy seulement, mais toute sa lignée de luy
+procréée; et estant sur l'eschaffaut représentée une sienne fille fort
+belle et gentille, d'age pourtant non meure et encore trouvée pucelle,
+il fallut que le bourreau la dépucelast et la dévirginisast luy-mesme
+sur l'eschaffaut; et puis ainsi pollue la repassa par le cousteau:
+cruauté certes fort vilaine. Les vestales de mesme estoient
+très-honorées et respectées, autant pour leur virginité que pour leur
+religion: car si elles venoient le moins du monde à faillir de leurs
+corps, elles estoient cent fois plus punies rigoureusement que quand
+elles n'avoient pas bien gardé le feu sacré car on les enterroit toutes
+vives avec des pitiés effroyables. Il se lit d'un Albinus, Romain, qui,
+ayant rencontré hors de Rome quelques vestales qui s'en alloient à pied
+en quelque part, il commanda à sa femme de descendre avec ses enfants de
+son chariot, pour les y monter à parfaire leur chemin. Elles avoient
+aussi telle authorité, que bien souvent ont elles esté crues et
+moyenneresses à faire l'accord entre le peuple de Rome et les
+chevaliers, quand quelquefois ils avoient rumeur ensemble. L'empereur
+Théodose les chassa de Rome par le conseil des chrestiens, envers lequel
+empereur les Romains députèrent un Symmachus, pour le prier de les
+remettre avec leurs biens, rentes et facultez qu'elles avoient grandes,
+et telles, que tous les jours elles donnoient si grande quantité
+d'aumosnes, qu'elles n'ont jamais permis à nul Romain ny estranger,
+passant ou venant, de demander l'aumosne, tant leur pie charité
+s'estendoit sur les pauvres: et toutefois Théodose ne les y voulut
+jamais remettre. Elles s'appeloient vestales, de ce mot de _Vesta_, qui
+signifie feu, lequel a beau tourner, virer, mouvoir, flamber, jamais ne
+jette semence ny n'en reçoit: de mesme la vierge. Elles duroient trente
+ans ainsi vierges, au bout desquels se pouvoient marier; desquelles peu
+sortant de là se trouvoient plus heureuses, ny plus ny moins que nos
+religieuses qui se sont dévoilées et ont quitté leurs habits. Elles
+estoient fort pompeuses et superbement habillées, lesquelles le poëte
+Prudence descrit gentiment, telles comme peuvent estre les chanoinesses
+d'aujourd'huy de Mons en Hainault, et de Remiremont en Lorraine, qui se
+marient. Aussi ce poëte Prudence les blasme fort qu'elles alloient parmy
+la ville dans des coches fort superbes, et ainsi si bien vestues aux
+amphithéâtres, voir les jeux des gladiateurs et combattants à outrance
+entre eux et des bestes sauvages, comme prenant grand plaisir à voir
+ainsi les hommes s'entre tuer et répandre le sang; et pour ce il supplie
+l'Empereur d'abolir ces sanguinaires combats et si pitoyables
+spectacles. Ces vestales, certes, ne devoient voir tels jeux; mais
+pouvoient-elles dire aussi: «Par faute d'autres jeux plus plaisants, que
+les autres dames voyent et pratiquent, nous pouvons nous contenter en
+ceux-cy.»
+
+--Quant à la condition de plusieurs veufves, il y en a aussi plusieurs
+qui font l'amour de mesme que ces filles, ainsi que j'en ay cogneu
+aucunes, et autres qui aiment mieux s'esbattre avec les hommes en
+cachette, et en toute leur pleiniere volonté, que leur estant sujettes
+par mariage: pour ce, quand on en voit aucunes garder longement leurs
+viduïtez, il ne les en faut pas tant loüer, comme l'on diroit, jusqu'à
+ce que l'on sçache leur vie. C'est après, selon que l'on descouvre,
+qu'il les en faut louer ou mespriser; car une femme, quand elle veut
+desplier ses esprits, comme on dit, est terriblement fine, et mene
+l'homme vendre au marché sans qu'il s'en prenne garde; et, estant ainsi
+fine, elle sçait si bien ensorceller et esbloüer les yeux et les pensées
+des hommes, qu'ils ne peuvent jamais guères bien connoistre leur bien;
+car telle prendra-t-on pour une prude femme et confite en sapience, qui
+sera une bonne putain, et joüera son jeu si bien à point, et si à
+couvert, qu'on n'y connoistra rien. Je sçay bien que plusieurs me
+pourroient dire que j'ay obmis plusieurs bons mots et contes qui eussent
+mieux encore embelly et annobly ce sujet. Je le vois; mais, d'ici au
+bout du monde, je n'en eusse veu la fin; et, qui en voudra prendre la
+peine de faire mieux, l'on luy aura grande obligation.
+
+Or, mes dames, je fais fin, et m'excusez si j'ay dit quelque chose qui
+vous offense. Je ne fus jamais né ny dressé pour vous offenser ni
+desplaire. Si je parle d'aucunes, je ne parle pas de toutes; et de ces
+aucunes, je n'en parle que par noms couverts et point divulgués. Je les
+cache si bien, qu'on ne s'en peut apercevoir, et le scandale n'en peut
+tomber sur elles que par doutes et soupçons, et non par vraye
+apparence.
+
+
+
+
+DISCOURS CINQUIÈME.
+
+ Sur aucunes dames vieilles qui aiment autant à faire l'amour comme
+ les jeunes.
+
+
+Puisque j'ay parlé cy-devant des vieilles dames qui aiment à roussiner,
+je me suis mis à faire ce discours. Par quoy j'accommence, et dit qu'un
+jour moy, estant à la Cour d'Espagne, devisant avec une fort honneste et
+belle dame, mais pourtant un peu aagée, me dit ces mots: _Que ningunas
+damas lindas, o allo menos pocas, se hazen viejas de la cinta hasta a
+baxo_; «que nulles dames belles, ou au moins peu, se font vieilles de la
+ceinture jusques en bas.» Sur quoy je luy demanday comment elle
+l'entendoit, si c'estoit ou pour la beauté du corps de cette ceinture en
+bas, qu'elle n'en diminuast aucunement par la vieillesse, ou pour
+l'envie et l'appetit de la concupiscence qui vinssent à ne s'en
+estreindre ny s'en refroidir par le bas aucunement. Elle respondit
+qu'elle l'entendoit et pour l'un et pour l'autre; «car, quant à la
+picqueure de la chair, disoit-elle, ne faut pas penser que l'on s'en
+guérisse que par la mort, quoiqu'il semble que l'aage y vueille
+répugner; d'autant que toute femme belle s'aime extresmement, et en
+s'aimant ce n'est point pour elle, mais pour autruy; et nullement
+ressemble à Narcisus, qui, fat qu'il estoit, aimé de soy et de soy-mesme
+amoureux, abhorroit toutes autres amours.» La belle femme ne tient rien
+de cette humeur; ainsi que j'ay ouy raconter d'une très-belle dame,
+laquelle, s'aimant et se plaisant fort bien souvent seule et à part soy,
+dans son lit se mettoit toute nuë, et en toutes postures se contemploit,
+s'admiroit et s'arregardoit lascivement, en se maudissant d'estre voüée
+à un seul qui n'estoit digne d'un si beau corps, entendant son mary
+nullement égal à elle. Enfin elle s'enflamma tellement par telles
+contemplations et visions qu'elle dit adieu à sa chasteté et à son sot
+vœu marital, et fit amour et serviteur nouveau. Voilà donc comme la
+beauté allume le feu et la flamme d'une dame, qui la transporte à ceux
+qu'elle veut puis après, soit aux marys ou aux serviteurs, pour les
+mettre en usage; aussi qu'un amour en amene un autre. De plus, estant
+ainsi belle et recherchée de quelqu'un, et qu'elle ne dédaigne de
+respondre, la voilà troussée: ainsi que Lays disoit que toute femme qui
+ouvre la bouche pour dire quelque response douce à son amy, le cœur
+s'y en va et s'ouvre de mesme. Davantage, toute belle et honneste femme
+ne refuse jamais loüange qu'on lui donne; et si une fois elle se plaist
+ou permette d'estre loüée en sa beauté, bonnes graces et gentilles
+façons, ainsi que nous autres courtisans avons accoustumé de faire pour
+le premier assaut de l'amour, quoyqu'il tarde, avec la continuë nous
+l'emportons. Or est-il que toute belle femme s'estant une fois essayée
+au jeu d'amour ne le desapprend jamais, et la continuë luy est toujours
+très-douce et agréable; ny plus ny moins que, quand l'on a acoustumé une
+bonne viande, on se fasche fort de la laisser; et tant plus on va sur
+l'aage, tant meilleure est-elle pour la personne, ce disent les
+médecins: aussi, tant plus la femme va sur l'aage, tant plus est friande
+d'une bonne chair qu'elle a accoustumé; et si sa bouche d'en haut y
+prend de la saveur, sa bouche d'en bas aussi en prend bien autant; et la
+friandise ne s'en oublie jamais ny ne s'en lasse par la charge des ans,
+oui plustost bien par une longue maladie, ce disent les médecins, ou
+autres accidents: que si l'on s'en fasche pour quelque temps, pourtant
+on la reprend bien.
+
+L'on dit aussi que tous exercices décroissent et diminuent par l'aage,
+qui oste la force aux personnes pour les faire valoir, fors celui de
+Vénus, qui se pratique très-doucement, sans peine et sans travail dans
+un mol et beau lit, et très-bien à l'aise. Je parle pour la femme et non
+pour l'homme, à qui pour cela tout le travail et corvée eschoit en
+partage. Luy donc, privé de ce plaisir, s'en abstient de bonne heure,
+encor que ce soit en dépit de luy; mais la femme, en quelque aage
+qu'elle soit, reçoit en soy, comme une fournaise, tout feu et toute
+matière; j'entends si on lui en veut donner: mais il n'y a si vieille
+monture, si elle a désir d'aller et veuille estre picquée, qui ne trouve
+quelque chevaucheur malautru; et quand bien une femme aagée n'en
+sçauroit chevir bonnement, et n'en trouveroit à point comme en ses
+jeunes ans, elle a de l'argent et des moyens pour en avoir au prix du
+marché, en de bons, comme j'ai ouy dire. Toutes marchandises qui
+coustent faschent fort à la bourse, contre l'opinion d'Héliogabale, qui,
+tant plus il acheptoit les viandes cheres, tant meilleures les
+trouvoit-il; fors la marchandise de Vénus, laquelle tant plus couste,
+tant plus plaist, pour le grand désir que l'on a de bien faire valloir
+la besogne et denrée que l'on aura bien acheptée; et le tallent que l'on
+a en main, on le fait valloir au triple, voir au centuple, si l'on peut.
+Ce fust ce que dist une courtisanne espagnole à deux braves cavaliers
+espagnols qui prindrent querelle pour elle, et sortants de son logis
+mirent les espées aux mains et se commencèrent à battre: elle mit la
+tête à la fenestre, et s'escria à eux: _Senores, mis amores se gagnan
+con oro y plata, non con hierro_; c'est-à-dire: «Messieurs, mes amours
+se gagnent avec l'or et l'argent, et non avec le fer.» Voilà comme tout
+amour bien achepté est bon. Force dames et cavaliers qui ont trafiqué
+tels marché en sçavent bien que dire: d'alléguer des exemples de
+plusieurs dames qui ont bruslé en leur vieillesse aussi bien qu'en
+jeunesse, ou qui ont passé, ou, pour mieux dire, entretenu leurs feux
+par seconds et nouveaux marys et serviteurs, ce seroit à moi maintenant
+chose superfluë, puis qu'ailleurs j'en ay allégué plusieurs; ci en
+rapporteray-je icy aucuns, car la chose la requiert et sert à cette
+cause.
+
+--J'ai ouy parler d'une grande dame, qui rencontroit le mot aussi bien
+que dame de son temps, laquelle, voyant un jour un jeune gentilhomme qui
+avoit les mains très-blanches, elle luy demanda ce qu'il faisoit pour
+les avoir telles: il respondit en riant et gaussant, que le plus souvent
+qu'il pouvoit il les frottoit de sperme. «Voilà, dit-elle donc, un
+malheur pour moy, car il y a plus de soixante ans que j'en lave mon cas
+(le nommant tout à trac), il est aussi noir que le premier jour; et si
+je l'en lave encore tous les jours.»
+
+--J'ai ouy parler d'une dame d'assez bonnes années, laquelle se voulant
+remarier, en demanda un jour l'advis à un médecin, fondant ses raisons
+sur ce qu'elle estoit très-humide et remplie de toutes mauvaises
+humeurs, qui luy estoient venues et l'avoient entrenue depuis qu'elle
+estoient veufve, ce qui ne luy estoit arrivé du temps de son mary,
+d'autant que, par les assidus exercices qu'ils faisoient ensemble, ces
+humeurs s'asséchoient et consommoient. Le médecin, qui estoit bon
+compagnon, et qui luy voulut en cela complaire, luy conseilla de se
+remarier et de chasser les humeurs de son corps de cette façon, et qu'il
+valloit mieux estre séche qu'humide. La dame pratiqua ce conseil, et
+l'approuva très-bien, toute surannée qu'elle estoit; mais je dis avec un
+mary et un amoureux nouveau, qui l'aimoit bien autant pour l'amour du
+bon argent que du plaisir qu'il tiroit d'elle: encore qu'il y ait
+plusieurs dames aagées avec lesquelles on prend bien autant de plaisir,
+et y fait aussi bon et meilleur qu'avec les plus jeunes, pour en sçavoir
+mieux l'art et la façon, et en donner le goust aux amants. Les
+courtisannes de Rome et d'Italie, quand elles sont sur l'aage, tiennent
+cette maxime, que _una galina vecchia fà miglior brodo che
+un'altra_[98]. Horace fait mention d'une vieille, laquelle s'agitoit et
+se mouvoit, quand elle venoit là, de telle façon et si rudement et
+inquiétement, qu'elle faisoit trembler non-seulement le lit, mais toute
+la maison. Voilà une gente vieille! Les Latins appellent s'agiter ainsi
+et s'esmouvoir, _subare à sue_, qu'est à dire une porque, ou truye. Nous
+lisons de l'empereur Calicula, de toutes ses femmes qu'il eut il aima
+Cezonnia, non tant par sa beauté qu'elle eut, ni d'aage florissant, car
+elle estoit desja fort avancée, mais à cause de sa grande lascivité et
+palliardise qui estoit en elle, et la grande iudustrie qu'elle avoit
+pour l'exercer, que la vieille saison et pratique luy avoit apportée,
+laissant toutes les autres femmes, encor qu'elles fussent plus belles et
+jeunes que celle-là; et la menoit ordinairement aux armées avec luy,
+habillée et armée en garçon, et chevauchant de mesme costé à costé de
+luy, jusques à la montrer souventes fois à ses amys toute nuë, et leur
+faire voir ses tours de souplesse et de paillardise. Il falloit bien
+dire que l'aage n'eust rien diminué en cette femme de beau et de lascif,
+puis qu'il l'aimoit tant. Neantmoins, avec tout ce grand amour qu'il lui
+portoit, bien souvent, quand il l'embrassoit et touschoit à sa belle
+gorge, il ne se pouvoit empescher de luy dire, tant il estoit sanglant:
+«Voilà une belle gorge, mais aussi il est en mon pouvoir de la faire
+couper.» Hélas! la pauvre femme fut de mesme avec lui occise d'un coup
+d'espée à travers le corps par un centenier, et sa fille brisée et
+accravantée contre une muraille, qui ne pouvoit mais de la méchanceté de
+son père.
+
+--Il se lit encore de Julia, marastre de Caracalla, empereur, estant un
+jour quasi par négligence nue de la moitié du corps, et Caracalla la
+voyant, il ne dit que ces mots: «Ha! que j'en voudrois bien, s'il
+m'estoit permis!» Elle soudain respondit: «S'il vous plaist, ne
+savez-vous pas que vous estes empereur, et que vous donnez des loix et
+non pas les recevez?» Sur ce bon mot et bonne volonté, il l'espousa et
+se coupla avec elle. Pareilles quasi paroles furent données à l'un de
+nos trois roys derniers, que je ne nommeray point. Estant espris et
+devenu amoureux d'une fort belle et honneste dame, après lui avoir jetté
+des premières pointes et paroles d'amour, luy en fit un jour entendre sa
+volonté plus au long, par un honneste et très-habile gentilhomme que je
+sçay, qui, luy portant le petit poulet, se mit en son mieux dire pour la
+persuader de venir là. Elle, qui n'estoit point sotte, se défendit le
+mieux qu'elle put, par force belles raisons qu'elle sceut bien alléguer,
+sans oublier sur-tout le grand, ou, pour mieux dire, le petit point
+d'honneur. Somme, le gentilhomme, après force contestations, luy
+demanda, pour fin, ce qu'elle vouloit qu'il dist au Roy? Elle, ayant un
+peu songé, tout à coup, comme d'une désespérade, proféra ces mots: «Que
+vous luy direz? dit-elle; autre chose, si-non que je sçay bien qu'un
+refus ne fut jamais profitable à celuy ou à celle qui le fait à son Roy
+ou à son souverain, et que bien souvent, usant de sa puissance, il sçait
+plustost prendre et commander que requérir et prier.» Le gentilhomme, se
+contentant de cette response, la porte aussitost au Roy, qui prit
+l'occasion par le poil et va trouver la dame en sa chambre, laquelle,
+sans trop grand effort de lutte, fut abattue. Cette response fut
+d'esprit et d'envie d'avoir affaire à son Roy, encore qu'on die qu'il ne
+fait pas bon se joüer ni avoir affaire avec son Roy: il s'en faut ce
+point, dont on ne s'en trouve jamais mal si la femme s'y conduit
+sagement et constamment. Pour reprendre cette Julia, marastre de cet
+empereur, il falloit bien qu'elle fust putain, d'aimer et prendre à mary
+celui sur le sein de laquelle; quelque temps avant, il luy avoit tué son
+propre fils; elle estoit bien putain celle-là et de bas cœur.
+Toutesfois c'estoit grande chose que d'estre impératrice, et pour tel
+honneur tout s'oublie. Cette Julia fut fort aimée de son mary, encore
+qu'elle fust bien fort en l'aage, n'ayant pourtant rien abattu de sa
+beauté; car elle estoit très-belle et très-accorte, témoins ses paroles,
+qui lui haussèrent bien le chevet de sa grandeur.
+
+--Philippes-Maria, duc troisiesme de Milan, espousa en secondes nopces
+Beatricine, veuve de feu Facin Cane, estant fort vieille; mais elle luy
+porta en mariage quatre cents mille escus, sans les autres meubles,
+bagues et joyaux, qui montoient à un haut prix, et qui effaçoient sa
+vieillesse; nonobstant laquelle fut soupçonnée de son mary d'aller
+ribauder ailleurs, et pour tel soupçon la fit mourir. Vous voyez si la
+vieillesse luy fit perdre le goust du jeu d'amour; pensez que le grand
+usage qu'elle en avoit luy en donnoit encore l'envie.
+
+--Constance, reyne de Sicile, qui, dès sa jeunesse, et toute sa vie,
+n'avoit bougé vestale du cul d'un cloistre en chasteté, venant à
+s'emanciper au monde en l'aage de cinquante ans, qui n'estoit pas belle
+pourtant et toute décrépite, voulut taster de la douceur de la chair et
+se marier, et engrossa d'un enfant en l'aage de cinquante deux ans,
+duquel elle voulut enfanter publiquement dans les prairies de Palerme, y
+ayant fait dresser une tente et un pavillon exprès, afin que le monde
+n'entrast en doute que son fruit fut apposté: qui fust un des grands
+miracles que jamais on ait veu depuis sainte Elisabeth. L'histoire de
+Naples pourtant dit qu'on le reputa supposé. Si fut-il pourtant un grand
+personnage; mais ce sont-ils ceux-là, la pluspart, des braves, que les
+bastards, ainsi que me dit un jour un grand.
+
+--J'ay cogneu une abbesse de Tarascon, sœur de madame d'Usez, de la
+maison de Tallard, qui se deffroqua et sortit de religion en l'aage de
+plus de cinquante ans, et se maria avec le grand Chanay, qu'on a veu
+grand joüeur à la Cour. Force autres religieuses ont fait de tels tours,
+soit en mariage ou autrement, pour taster de la chair en leur aage
+très-meur. Si telles font cela, que doivent donc faire nos dames, qui y
+sont accoutumées dès leurs tendres ans? la vieillesse les doit-elle
+empescher qu'elles ne tastent ou mangent quelquefois de bons morceaux
+dont elles en ont pratiqué l'usance si longtemps? Et que deviendroient
+tant de bons potages restaurants, bouillons composez, tant d'ambresgris,
+et autres drogues escaldatives et confortatives pour eschauffer et
+conforter leur estomach, vieil et froid? Dont ne faut douter que telles
+compositions, en remettant et entrenant leur débile estomach, ne fassent
+encore autre seconde opération sous bourre, qui les eschauffent dans le
+corps et leur causent quelques chaleurs vénériennes; qu'il faut par
+après expulser par la cohabitation et copulation, qui est le plus
+souverain remède qui soit, et le plus ordinaire, sans y appeler
+autrement l'advis des médecins, dont je m'en rapporte à eux. Et qui
+meilleur est pour elles, est, qu'estant aagées et venues sur les
+cinquante ans, n'ont plus de crainte d'engrosser, et lors ont pleiniere
+et toute ample liberté de se joüer et recueillir les arrerages des
+plaisirs, que possible aucunes n'ont osé prendre de peur de l'enflure
+de leur traistre ventre: de sorte que plusieurs y en a-t-il qui se
+donnent plus de bon temps en leurs amours depuis cinquante ans en bas,
+que de cinquante ans en avant. De plusieurs grandes et moyennes dames en
+ay-je oy parler en telles complexions, jusques-là que plusieurs en ay-je
+cogneu et ouy parler qui ont souhaité plusieurs fois les cinquante ans
+chargés sur elles pour les empescher de la groisse, et pour le faire
+mieux sans aucune crainte ni escandale. Mais pouquoy s'en en
+garderoient-elles sur l'aage? vous diriez qu'après la mort aucunes ont
+quelque mouvement et sentiment de chair. Si faut-il que je fasse un
+conte que je vais faire.
+
+--J'ay eu d'autres fois un frere puisné qu'on appeloit le capitaine
+Bourdeille, l'un des braves et vaillants capitaines de son temps. Il
+faut que je die cela de luy, encore qu'il fust mon frère, sans offenser
+la loüange que je luy donne: les combats qu'il a faits aux guerres et
+aux estaquades en font foy; car c'estoit le gentilhomme de France qui
+avoit les armes mieux en la main: aussi l'appeloit-on en Piedmont l'un
+des Rodomonts de-là. Il fut tué à l'assaut de Hesdin, à la derniere
+reprise. Il fut dédié par ses pere et mere aux lettres, et pour ce il
+fut envoyé à l'aage de dix-huit ans en Italie pour estudier, et
+s'arresta à Ferrare, pour ce que madame Renée de France, duchesse de
+Ferrare, aimoit fort ma mere, et pour ce le retint là pour vaquer à ses
+études, car il y avoit université. Or, d'autant qu'il n'y estoit nay ny
+propre, il n'y vaquoit gueres, ains plutost s'amusa à faire la cour et
+l'amour: si bien qu'il s'amouracha fort d'une damoiselle française
+veufve, qui estoit à madame de Ferrare, qu'on appeloit mademoiselle de
+La Roche[99], et en tira de la joüissance, s'entr'aimant si fort l'un et
+l'autre, que mon frere, ayant esté rappelé de son pere, le voyant mal
+propre pour les lettres, fallust qu'il s'en retournast. Elle qui
+l'aimoit, et qui craignoit qu'il ne luy mesadvint, parce qu'elle sentoit
+fort de Luther, qui voguoit pour lors, pria mon frere de l'emmener avec
+luy en France, et en la cour de la reyne de Navarre, Marguerite, à qui
+elle avoit esté, et l'avoit donnée à madame Renée lorsqu'elle fut
+mariée, et s'en alla en Italie. Mon frère, qui estoit jeune et sans
+aucune considération, estant bien aise de cette bonne compagnie, la
+conduisit jusques à Paris, où estoit pour lors la Reyne, qui fut fort
+aise de la voir, car c'estoit la femme qui avoit le plus d'esprit et
+disoit des mieux, et estoit une veufve belle et accomplie en tout. Mon
+frère, après avoir demeuré quelques jours avec ma grand-mere et ma mere,
+qui estoient lors en sa Cour, s'en retourna voir son pere. Au bout de
+quelque temps, se dégoustant fort des lettres, et ne s'y voyant propre,
+les quitte tout à plat, et s'en va aux guerres de Piedmont et de Parme,
+où il acquit beaucoup d'honneur, et les pratiqua l'espace de cinq à six
+mois sans venir à sa maison; au bout desquels il vint voir sa mère, qui
+estoit lors à la Cour avec la reyne de Navarre, qui se tenoit lors à
+Pau, à laquelle il fit révérence ainsi qu'elle tournoit de vespres.
+Elle, qui estoit la meilleure princesse du monde, luy fit une fort bonne
+chere, et, le prenant par la main, le pourmena par l'église environ une
+heure ou deux, luy demandant force nouvelles des guerres de Piedmont et
+d'Italie, et plusieurs autres particularitez auxquelles mon frere
+respondit si bien, qu'elle en fut satisfaite (car il disoit des mieux),
+tant de son esprit que de son corps, car il estoit très-beau
+gentilhomme, et de l'aage de vingt-quatre ans. Enfin, après l'avoir
+entretenu assez de temps, et ainsi que la nature et la complexion de
+cette honorable princesse estoit de ne dédaigner les belles
+conversations et entretiens des honnestes gens, de propos en propos,
+tousjours en se pourmenant, vint précisément arrester coy mon frere sur
+la tombe de mademoiselle de La Roche, qui estoit morte il y avoit trois
+mois; puis le prit par la main et luy dit: «Mon cousin (car ainsi
+l'appeloit-elle, d'autant qu'une fille d'Albret avoit esté mariée en
+notre maison de Bourdeille; mais pour cela je n'en mets pas plus grand
+pot au feu, n'y n'en augmente davantage mon ambition), ne sentez-vous
+point rien mouvoir sous vous et sous vos pieds?--Non, madame,
+respondit-il.--Mais songez-y bien, mon cousin, lui répliqua-elle.» Mon
+frère lui respondit: «Madame, j'y ay bien songé, mais je ne sens rien
+mouvoir; car je marche sur une pierre bien ferme.--Or, je vous advise,
+dit lors la Reyne, sans le tenir plus en suspens, que vous estes sur la
+tombe et le corps de la pauvre mademoiselle de La Roche, qui est ici
+dessous vous enterrée, que vous avez tant aimée; et puis que les ames
+ont du sentiment après nostre mort, il ne faut pas douter que cette
+honneste créature, morte de frais, ne se soit esmue aussi-tost que vous
+avez esté sur elle; et si vous ne l'avez senty à cause de l'espaisseur
+de la tombe, ne faut douter qu'en soy ne se soit esmue et ressentie; et
+d'autant que c'est un pieux office d'avoir souvenance des trespassés,
+et mesme de ceux que l'on a aimez, je vous prie luy donner un _Pater
+noster_ et un _Ave Maria_, et un _De profundis_, et l'arrousez d'eau
+bénite; et vous acquerrez le nom de très-fidèle amant et d'un bon
+chrestien. Je vous lairray donc pour cela, et pars.» Et s'en va. Feu mon
+frere ne faillit à ce qu'elle avoit dit, et puis l'alla trouver, qui luy
+en fit un peu la guerre, car elle en estoit commune en tout bon propos
+et y avoit bonne grace. Voilà l'opinion de cette bonne princesse
+laquelle la tenoit plus par gentillesse et par forme de devis que par
+créance, à mon advis. Ces propos gentils me font souvenir d'une épitaphe
+d'une courtisanne qui est enterrée à Rome à Nostre-Dame _del Populo_, où
+il y a ces mots: _Quæso, viator, ne me diutius calcatam, amplius
+calces_: «Passant, m'ayant tant de fois foulée et trépée, je te prie ne
+me tréper ny ne me fouler plus.» Le mot latin a plus de grace. Je mets
+tout cecy plus pour risée que pour autre chose. Or, pour faire fin, ne
+se faut esbahir si cette dame espagnole tenoit cette maxime des belles
+dames qui se sont fort aimées, et ont aimé et aiment, et se plaisent à
+estre louées, bien qu'elles ne tiennent guieres du passé; mais pourtant
+c'est le plus grand plaisir que vous leur pouvez donner, et qu'elles
+aiment plus, quand vous leur dites que ce sont tousjours elles, et
+qu'elles ne sont nullement changées ny envieillies, et sur-tout qui ne
+deviennent point vieilles de la ceinture jusqu'au bas.
+
+J'ay ouy parler d'une fort belle et honneste dame qui disoit un jour à
+son serviteur: «Je ne sais que désormais la vieillesse m'apportera plus
+grande incommodité (car elle avoit cinquante-cinq ans); mais Dieu merci,
+je ne le fis jamais si bien comme je le fais, et n'y pris jamais tant de
+plaisir; que si cecy dure et continuë jusqu'à mon extreme vieillesse, je
+ne m'en soucie d'elle autrement, ny ne plains point le passé.» Or,
+touchant l'amour et la concupiscence, j'ay allégué ici et ailleurs assez
+d'exemples, sans en tirer davantage sur ce sujet. Venons maintenant à
+l'autre maxime, touchant cette beauté des belles femmes qui ne se
+diminue par vieillesse de la ceinture jusques en bas. Certes, sur cela,
+cette dame espagnole allégua plusieurs belles raisons et gentilles
+comparaisons, accomparant ces belles dames à ces beaux, vieux et
+superbes édifices qui ont esté, desquels la ruine en demeure encor
+belle; ainsi que l'on voit à Rome, en ces orgueilleuses antiquitez, les
+ruines de ces beaux palais, ces superbes colissées et grands termes,
+qui monstrent bien encore quels ont esté, donnent encore admiration et
+terreur à tout le monde, et la ruine en demeure admirable et
+espouvantable; si-bien que sur ces ruines ont y bastit encore de
+très-beaux édifices, monstrant que les fondements en sont meilleurs et
+plus beaux que sur d'autres nouveaux: ainsi que l'on voit souvent aux
+massonneries que nos bons architectes et massons entreprennent; et s'ils
+trouvent quelques vieilles ruines et fondements, ils bastissent
+aussi-tost dessus, et plus-tost que sur de nouveaux. J'ay bien veu aussi
+souvent de belles galleres et navires se bastir et se refaire sur de
+vieux corps et de vieilles carennes, lesquelles avoient demeuré
+long-temps dans un port sans rien faire, qui valloient bien autant que
+celles que l'on bastissoit et charpentoit tout à neuf, et de bois neuf
+venant de la forest. Davantage, disoit cette dame espagnole, ne void-on
+pas souvent les sommets des hautes tours par les vents, les orages, les
+tonnerres estre emportez, défraudez et gastez, et le bas demeurer sain
+et entier? car tousjours à telles hauteurs telles tempestes s'adressent;
+mesmes les vents marins minent et mangent les pierres d'enhaut, et les
+concavent plustost que celles du bas, pour n'y estre si exposées que
+celles d'enhaut. De mesme, plusieurs belles dames perdent le lustre et
+la beauté de leurs beaux visages par plusieurs accidents, ou de froid ou
+de chaud, ou de soleil et de lune, et autres, et, qui pis est, de
+plusieurs fards qu'elle y applicquent, pensans se rendre plus belles, et
+gastent tout; au lieu qu'aux partis d'enbas n'y applicquent autre fard
+que le naturel spermatic, n'y sentant ni froid, ny pluye, ny vent, ny
+soleil, ny lune, qui n'y touchent point. Si la chaleur les importune,
+elles s'en sçavent bien garantir et se raffraischir; de mesmes remédient
+au froid en plusieurs façons: tant d'incommoditez et peines y a-t-il à
+garder la beauté d'enhaut, et peu à garder celle d'enbas: si-bien
+qu'encore qu'on ayt veu une belle femme se perdre par le visage, ne faut
+présumer qu'elle soit perduë par le bas, et qu'il n'y reste encor
+quelque chose de beau et de bon, et qu'il n'y fait point mauvais bastir.
+
+--J'ay ouy conter d'une grande dame qui avoit esté très-belle et bien
+adonnée à l'amour: un de ses serviteurs anciens l'ayant perduë de veuë
+l'espace de quatre ans, pour quelque voyage qu'il entreprit, duquel
+retournant, et la trouvant fort changée de ce beau visage qu'il luy
+avoit veu autres fois, et par ce en devint fort dégousté et reffroidy,
+qu'il ne la voulut plus attaquer, ny renouveller avec elle le plaisir
+passé. Elle le recogneut bien, et fit tant qu'elle trouva moyen qu'il la
+vint voir dans son lict; et, pour ce, un jour elle contrefit de la
+malade, et lui l'estant venuë voir sur jour, elle luy dit: «Je sçay
+bien, monsieur, que vous me desdaignez à cause de mon visage changé par
+mon aage; mais tenez, voyez (et sur ce elle luy descouvrit toute la
+moitié du corps nud en bas) s'il y a rien de changé là; si mon visage
+vous a trompé, cela ne vous trompe pas.» Le gentilhomme la contemplant,
+et la trouvant par-là aussi belle et nette que jamais, entra aussitost
+en appétit, et mangea de la chair qu'il pensoit estre pourrie et gastée.
+«Et voilà, dit la dame, monsieur, voilà comme vous autres estes trompez.
+Une autre fois, n'adjoustez plus de foy aux menteries de nos faux
+visages; car le reste de nos corps ne les ressemble pas toujours. Je
+vous apprens cela.» Une dame comme celle-là, estant ainsi devenus
+changée de beau visage, fut en si grand colère et despit contre luy,
+qu'elle ne le voulut oncques plus jamais mirer dans son miroir, disant
+qu'il en estoit indigne; et se faisoit coiffer à ses femmes, et, pour
+récompense, se miroit et s'arregardoit par les parties d'en-bas, y
+prenant autant de délectation comme elle avoit fait par le visage
+autresfois.
+
+--J'ay ouy parler d'une autre dame, qui, tant qu'elle couchoit sur jour
+avec son amy, elle couvroit son visage d'un beau mouchoir blanc d'une
+fine toile d'Hollande, de peur que, la voyant au visage, le haut ne
+refroidist et empeschast la batterie du bas, et ne s'en degoustast; car
+il n'y avoit rien à dire au bas du beau passé. Sur quoy il y eut une
+fort honneste dame, dont j'ay ouy parler, qui rencontra plaisamment, à
+laquelle un jour son mary luy demandant «pourquoy son poil d'en-bas
+n'estoit pas devenu blanc et chenu comme celuy de la teste: Hà,
+dit-elle, le meschant traistre qu'il est, qui a fait la folie, ne s'en
+ressent point, ny ne la boit point. Il la fait sentir et boire à
+d'autres de mes membres et à ma teste; d'autant qu'il demeure toujours,
+sans changer, et en mesme estat et vigueur, en mesme disposition, et
+sur-tout en mesme chaud naturel, et a mesme appetit et santé, et non des
+autres membres, qui en ont pour luy des maux et des douleurs, et mes
+cheveux qui en sont devenus blancs et chenus.» Elle avoit raison de
+parler ainsi; car cette partie leur engendre bien des douleurs, des
+gouttes et des maux, sans que leur gallant du mitan s'en sente; et, pour
+trop estre chaudes à cela, ce disent les médecins, deviennent ainsi
+chenuës. Voilà pourquoy les belles dames ne vieillissent jamais par-là
+en toutes les deux façons.
+
+--J'ay ouy raconter à aucuns qui les ont pratiquées, jusques aux
+courtisannes, qui m'ont asseuré n'en avoir veu guères de belles estres
+venues vieilles par-là: car tout le bas et mitan, et cuisses et jambes,
+avoient le tout beau, et la volonté et la disposition pareille au passé.
+Mesmes j'en ay ouy parler à plusieurs marys qui trouvoient leurs
+vieilles (ainsi les appeloient-ils) aussi belles par le bas comme
+jamais, en vouloir, en gaillardise, en beauté, et aussi volontaires, et
+n'y trouvoient rien de changé que le visage; et aimoient autant coucher
+avec elles qu'en leurs jeunes ans. Au reste, combien y a-t-il d'hommes
+qui aiment autant de vieilles dames pour monter dessus plustost que sur
+des jeunes; tout ainsi comme plusieurs qui aiment mieux des vieux
+chevaux, soit pour le jour d'un bon affaire, soit pour le manége et pour
+le plaisir, qui ont esté si bien appris en leur jeunesse, qu'en leur
+vieillesse vous n'y trouverez rien à dire, tant ils ont esté bien
+dressés, et ont continué leur gentille addresse.
+
+--J'ay veu à l'escurie de nos roys le cheval qu'on appelloit _le
+Quadragant_, dressé du temps du roy Henry. Il avoit plus de vingt-deux
+ans; mais encore, tout vieux qu'il estoit, il faisoit très-bien et
+n'avoit rien oublié; si bien qu'il donnoit encore à son roy, et à tous
+ceux qui le voyoient manier, du plaisir bien grand. J'en ay veu faire de
+mesmes à un grand coursier qu'on appeloit _le Gonzague_, du haras de
+Mantouë, et estoit contemporain du Quadragant. J'ay veu _le Moreau
+superbe_, qui avoit esté mis pour estalon. Le seigneur M. Antonio, qui
+avoit la charge du haras du Roy, me le monstra à Mun, un jour que je
+passay par-là, aller à deux pas et un sault, et à voltes, aussi bien que
+lorsque M. de Carnavallet l'eut dressé, car il estoit à luy; et feu M.
+de Longueville luy en voulut donner trois mille livres de rente; mais le
+roy Charles ne le voulut pas, qui le prit pour luy, et le récompensa
+d'ailleurs. Une infinité d'autres en nommerois-je, mais je n'aurois
+jamais fait, m'en remettant aux braves escuyers, qui en ont prou veu. Le
+feu roy Henry, au camp d'Amiens, avoit choisi pour son jour de bataille
+_le Bay de la Pay_, un très-beau et fort courcier et vieux; et mourut de
+la fièvre, par le dire des plus experts mareschaux, au camp d'Amiens; ce
+qu'on trouva estrange. Feu M. de Guise envoya querir en son haras
+d'Esclairon _le Bay Samson_, qui servoit là d'estalon, pour le servir en
+la bataille de Dreux, où il le servit très-bien. Aux premieres guerres,
+feu M. le prince prit dans Mun vingt-deux chevaux qui servoient-là
+d'estalons, pour s'en servir en ses guerres, et les départit aux uns et
+aux autres des seigneurs qui estoient avec luy, s'en estant réservé sa
+part; dont le brave Avaret eut un courcier que M. le connestable avoit
+donné au roy Henry, et l'appeloit-on _le Compere_: tout vieux qu'il
+estoit, jamais n'en fut veu un meilleur, et son maistre le fit trouver
+en de bons combats, qui luy servit très-bien. Le capitaine Bourdet eut
+le Turc, sur lequel le feu roy Henry fut blessé et tué, que feu M. de
+Savoye luy avoit donné, et l'appelloit-on _le Malheureux_: et
+s'appelloit ainsi quand il fut donné au Roy, ce qui fut un très-mauvais
+présage pour le Roy. Jamais il ne fut si bon en sa jeunesse comme il fut
+en sa vieillesse: aussi son maistre, qui estoit un des vaillants
+gentilshommes de France, le faisoit bien valloir. Bref, tout tant qu'il
+en eust de ces estalons, jamais l'aage m'empescha qu'ils ne servissent
+bien à leurs maistres, à leur prince et à leur cause. Ainsi sont
+plusieurs chevaux vieux qui ne se rendent jamais: aussi dit-on que
+jamais bon cheval ne devint rosse. De mesme sont plusieurs dames, qui en
+leur vieillesse valent bien autant que d'autres en leur jeunesse, et
+donnent bien autant de plaisir, pour avoir esté en leur temps très-bien
+apprises et dressées; et volontiers telles leçons mal-aisément
+s'oublient: et ce qui est le meilleur, c'est qu'elles sont fort
+libérales et larges à donner pour entretenir leurs chevaliers et
+cavalcadours, qui prennent plus d'argent et veulent plus grand entretien
+pour monter sur une vieille monture que sur une jeune; qui est au
+contraire des escuyers, qui n'en prennent tant des chevaux dressés que
+des jeunes et à dresser: ainsi la raison en cela le veut.
+
+Une question sur le sujet des dames aagées ay-je veu faire, à savoir
+quelle gloire plus grande y a-t-il à desbaucher une dame aagée et en
+joüir, ou une jeune. A aucuns ay-je ouy dire que c'est pour la vieille,
+et disoient que la folie et la chaleur qui est en la jeunesse, sont de
+soy assez toutes desbauchées et aisées à perdre; mais la sagesse et la
+froideur qui semblent estre en la vieillesse, malaisément se
+peuvent-elles corrompre; et qui les corrompt en est en plus belle
+réputation. Aussi cette fameuse courtisanne Lays se vantoit et se
+glorifioit fort de quoy les philosophes alloient si souvent la voir et
+apprendre à son eschole, plus que de tous autres jeunes gens et fols qui
+allassent. De mesme Flora se glorifioit de voir venir à sa porte de
+grands sénateurs romains, plustost que de jeunes fols chevaliers. Ainsi
+me semble-t-il que c'est grand gloire de vaincre la sagesse qui pourroit
+estre aux vieilles personnes, pour le plaisir et contentement. Je m'en
+rapporte à ceux qui l'ont expérimenté, dont aucuns ont dit qu'une
+monture dressée est plus plaisante qu'une farouche et qui ne sçait pas
+seulement trotter. Davantage, quel plaisir et quel plus grand aise
+peut-on avoir en l'ame quand on voit entrer dans une salle du bal, dans
+des chambres de la Reyne, ou dans une église, ou une autre grande
+assemblée, une dame aagée de grande qualité et d'_alta guisa_[100],
+comme dit l'Italien, et mesmes une dame d'honneur de la Reyne ou d'une
+princesse, ou une gouvernante des damoiselles ou filles de la Cour, que
+l'on prend, et l'on met en cette digne charge pour la tenir sage? On la
+verra qui fait la mine de la prude, de la chaste, de la vertueuse, et
+que tout le monde la tient ainsi pour telle, à cause de son aage, et,
+quand on songe en soy, et qu'on le dit à quelque sien fidèle compagnon
+et confident: «La voyez-vous-là en sa façon grave, sa mine sage et
+dédaigneuse et froide, qu'on diroit qu'elle ne feroit pas mouvoir une
+seule goutte d'eau? Hélas! quand je la tiens couchée en son lict, il n'y
+a giroüette au monde qui se remüe et se revire si souvent et si
+agilement que font ses reins et ses fesses.» Quant à moi, je croy que
+celuy qui a passé par-là et le peut dire, qu'il est très-content en soy.
+Ha! que j'en ay cogneu plusieurs de ces dames en ce monde, qui
+contrefaisoient leurs dames sages, prudes et censoriennes, qui estoient
+très-débordées et vénériennes quand venoient-là, et que bien souvent on
+abattoit plustost qu'aucunes jeunes, qui par trop peu rusées, craignent
+la lutte! Aussi dit-on, qu'il n'y a chasse que de vieilles renardes pour
+chasser et porter à manger à leurs petits.
+
+Nous lisons que jadis plusieurs empereurs romains se sont fort délectez
+à débauscher et repasser ainsi ces grandes dames d'honneur et de
+réputation, autant pour le plaisir et contentement, comme certes il y en
+a plus qu'en des inférieures, que pour la gloire et honneur qu'il
+s'attribuoient de les avoir desbauchées et suppéditées: ainsi que j'en
+ay cogneu de mon temps plusieurs seigneurs, princes et gentilshommes,
+qui s'en sont sentis très-glorieux et très-contents dans leur ame, pour
+avoir fait de mesme. Jules César et Octave son successeur sont esté
+fort ardents à telles conquestes, ainsi que j'ay dit cy-devant; et après
+eux Calligula, lequel, conviant à ses festins les plus illutres dames
+romaines avec leurs marys, les contemplant et considérant fort fixement;
+mesmes avec la main leur levoit la face, si aucunes de honte la
+baissoient pour se sentir dames d'honneur et de réputation, ou bien
+d'autres qui voulussent les contrefaire, et des fort prudes et chastes,
+comme certainement y en pouvoit avoir peu ès temps de ces empereurs
+dissolus; mais il falloit faire la mine et en estre quitte pour cela,
+autrement le jeu ne fust esté bon, comme j'en ay veu faire de mesmes à
+plusieurs dames. Celles après qui plaisoient à ce monsieur l'Empereur,
+les prenoit privément et publiquement près de leurs marys, et, les
+sortant de la salle, les menoit en une chambre, où il en tiroit d'elles
+son plaisir ainsi qu'il luy plaisoit: et puis les retournoit en leur
+place se rasseoir, et devant toute l'assemblée loüoit leurs beautez et
+singularitez qui estoient en elles cachées, les spécifiant de part en
+part; et celles qui avoient quelques tares, laideurs et deffectuositez,
+ne les celoit nullement, ains les descrioit et les déclaroit, sans rien
+déguiser ni cacher. Néron fut aussi curieux, qui pis est encore, de voir
+sa mère morte, la contempler fixement, et manier tous ses membres,
+loüant les uns et vitupérant les autres. J'en ay ouy compter de mesme
+d'aucuns grands seigneurs chrétiens, qui ont bien cette mesme curiosité
+envers leurs meres mortes. Ce n'estoit pas tout de ce Calligula; car il
+racontoit leurs mouvements, leurs façons lubriques, leur maniements et
+leurs airs qu'elles observoient en leur manége, et surtout de celles qui
+avoient esté sages et modestes, ou qui les contrefaisoient ainsi à
+table: car, si à la couche elles en vouloient faire de mesme, il ne faut
+point douter si le cruel ne les menassoit de mort si elles ne faisoient
+tout ce qu'il vouloit pour le contenter, et crainte de mourir; et puis
+après les scandalisoit ainsi qu'il luy plaisoit, aux dépens et risée
+commune de ces pauvres dames, qui, pensans estre tenues fort chastes et
+sages, comme il y en pouvoit avoir, ou faire des hypocrites, et
+contrefaire les _donne da ben_, estoient tout à trac divulguées réputées
+bonnes vesses et ribaudes; ce qui n'estoit pas mal employé, de les
+découvrir pour telles qu'elles ne vouloient qu'on les cogneust. Et qui
+estoit le meilleur, c'estoient, comme j'ay dit, toutes grandes dames,
+comme femmes de consuls, dictateurs, préteurs, questeurs, sénateurs,
+censeurs, chevaliers, et d'autres de très-grands estats et dignitez;
+ainsi que nous pouvons dire aujourd'huy en notre chrestienté les reynes,
+qui se peuvent comparer aux femmes des consuls, puis qu'ils commandoient
+à tout le monde; les princesses grandes et moyennes, les duchesses
+grandes et petites, les marquises et marquisottes, les comtesses et
+contines, les baronnesses et chevaleresses, et autres dames de grand
+rang et riche étoffe: sur quoy il ne faut douter que, si plusieurs
+empereurs et roys en pouvoient faire de mesme envers telles grandes
+dames, comme cet empereur Calligula, ne le fissent; mais ils sont
+chrestiens, qui ont la crainte de Dieu devant les yeux, ses saints
+commandements, leur conscience, leur honneur, le diffame des hommes, et
+leurs marys; car la tyrannie seroit insupportable à des cœurs
+généreux. En quoy certes les roys chrestiens sont fort à estimer et
+loüer, de gaigner l'amour des belles dames plus par douceur et amitié
+que par force et rigueur; et la conqueste en est beaucoup plus belle.
+
+J'ai ouy parler de deux grands princes qui se sont fort pleus à
+descouvrir ainsi les beautez, gentillesses et singularitez de leurs
+dames, aussi leurs difformitez, tares et deffauts, ensemble leurs
+manéges, mouvements et lascivetez, non en public pourtant, comme
+Galligula, mais en privé avec leurs grands amys particuliers. Et voilà
+le gentil corps de ces pauvres dames bien employé; pensant bien faire et
+joüer pour complaire à leurs amants, sont décriées et brocardées.
+
+Or, afin de reprendre encore nostre comparaison, tout ainsi que l'on
+voit de beaux édifices bastis sur meilleurs fondements et de meilleures
+pierres et matière les uns plus que les autres, et pour ce durer plus
+longuement en leur beauté et gloire; aussi y a-t-il des corps de dames
+si bien complexionnez et composez, et empraints en beautez, qu'on void
+volontiers le temps n'y gagner tant comme sur d'autres, ny les miner
+aucunement.
+
+--Il se fit qu'Artaxerces, entre toutes ses femmes qu'il eut, celle
+qu'il aima le plus fut Astasia, qui estoit fort aagée, et toutesfois
+très-belle, qui avoit été putain de son feu frère Daire. Son fils en
+devint si fort amoureux, tant elle estoit belle nonobstant l'aage, qu'il
+la demanda à son père en partage, aussi-bien que la part du royaume. Le
+père, par jalousie qu'il en eut, et qu'il participast avec luy ce bon
+boucon, la fit prestresse du Soleil, d'autant qu'en Perse celles qui ont
+tel estat se voüent du tout à la chasteté.
+
+--Nous lisons dans l'histoire de Naples, que Ladislaüs Hongre et roy de
+Naples, assiégea dans Tarente la duchesse Marie, femme de feu Rammondelo
+de Balzo, et, après plusieurs assauts et faits d'armes, la prit par
+composition avec ses enfants, et l'espousa, bien qu'elle fust aagée,
+mais très-belle, et l'emmena avec soy à Naples; et fut appelée la reyne
+Marie, fort aimée de luy et chérie.
+
+--J'ay veu madame la duchesse de Valentinois, en l'aage de soixante-dix
+ans, aussi belle de face, aussi fraische et aussi aimable comme en
+l'aage de trente ans: aussi fut-elle fort aimée et servie d'un des
+grands roys et valeureux du monde. Je le peux dire franchement, sans
+faire tort à la beauté de cette dame, car toute dame aimée d'un grand
+roy, c'est signe que perfection habite et abonde en elle, qui la fait
+aimer: aussi la beauté donnée des cieux ne doit estre espargnée aux
+demy-dieux. Je vis cette dame, six mois avant qu'elle mourust, si belle
+encor, que je ne sçache cœur de rocher qui ne s'en fust émeu, encore
+qu'auparavant elle s'estoit rompue une jambe sur le pavé d'Orléans,
+allant et se tenant à cheval aussi dextrement et dispostement comme elle
+avoit fait jamais; mais le cheval tomba et glissa sous elle. Et, pour
+telle rupture et maux et douleurs qu'elle endura, il eust semblé que sa
+belle face s'en fust changée; mais rien moins que cela, car sa beauté,
+sa grâce, sa majesté, sa belle apparence, estoient toutes pareilles
+qu'elle avoit toujours eu: et surtout elle avoit une très-grande
+blancheur, et sans se farder aucunement: mais on dit bien que tous les
+matins elle usoit de quelques bouillons composez d'or potable et autres
+drogues que je ne sçay pas comme les bons médecins et subtils
+apoticaires. Je crois que si cette dame eust encor vescu cent ans,
+qu'elle n'eust jamais vieilly, fust du visage, tant il estoit bien
+composé, fust du corps, caché et couvert, tant il estoit de bonne trempe
+et belle habitude. C'est dommage que la terre couvre ces beaux corps!
+J'ai veu madame la marquise de Rothelin, mere à madame la douairiere,
+princesse de Condé et de feu M. de Longueville, nullement offensée en sa
+beauté ny du temps, ny de l'aage, et s'y entretenir en aussi belle fleur
+qu'en la première, fors que le visage luy rougissoit un peu sur la fin;
+mais pourtant ses beaux yeux, qui estoient des nompareils du monde, dont
+madame sa fille en a hérité, ne changèrent oncques, et aussi prests à
+blesser que jamais. J'ai veu madame de La Bourdesiere, depuis en
+secondes nopces mareschale d'Aumont, aussi belle sur ses vieux jours que
+l'on eust dit qu'elle estoit en ses plus jeunes ans; si-bien que ses
+cinq filles, qui ont esté des belles, ne l'effaçoient en rien: et
+volontiers, si le choix fust été à faire, eust-on laissé les filles pour
+prendre la mère; et si avoit eu plusieurs enfants: aussi estoit-ce la
+dame qui se contregardoit le mieux, car elle estoit ennemie mortelle du
+serain et de la lune, et les fuyoit le plus qu'elle pouvoit; le fard
+commun, pratiqué de plusieurs dames, luy estoit incogneu. J'ay veu, qui
+est bien plus, madame de Mareuil, mère de madame la marquise de
+Mezieres, et grand-mère de la princesse Dauphin, en l'aage de cent ans,
+auquel mourut, aussi dispote, fraische et belle et saine qu'en l'aage de
+cinquante ans: ç'avoit esté une très-belle femme en sa jeune saison. Sa
+fille, madame la dite marquise, avoit esté telle, et mourut ainsi, mais
+non si aagée de vingt ans, et la taille lui appetissa un peu. Elle
+estoit tante de madame de Bourdeille, femme à mon frère aisné, qui lui
+portoit pareille vertu; car, encore qu'elle eust passé cinquante-trois
+ans et ait eu quatorze enfants, on diroit, comme ceux qui la voyent sont
+de meilleur jugement que moy et l'asseurent, que ces quatre filles
+qu'elle a auprès d'elle se monstrent ses sœurs: aussi void-on souvent
+plusieurs fruits d'hyver et de la dernière saison, se parangonner à ceux
+d'esté et se garder, et estre aussi beaux et savoureux, voire plus.
+Madame l'admiralle de Brion, et sa fille, madame de Barbezieux, ont esté
+aussi très-belles en vieillesse. L'on me dit dernierement que la belle
+Paule de Toulouse, tant renommée de jadis, est aussi belle que jamais,
+bien qu'elle ait quatre-vingts ans, et n'y trouve-t-on rien changé, ny
+en sa haute taille ny en son beau visage. J'ai veu madame la présidente
+Comte de Bordeaux, tout de mesme et en pareil aage, et très-aimable et
+désirable: aussi avoit-elle beaucoup de perfections. J'en nommerois tant
+d'autres, mais je n'en pourrois faire la fin.
+
+--Un jeune cavalier espagnol parlant d'amour à une dame aagée, mais
+pourtant encore belle, elle luy respondit: _A mis completas pesta manera
+me habla V. M.?_ «Comment à mes complies me parlez vous ainsi?» Voulant
+signifier par les complies son aage et déclin de son beau jour, et
+l'approche de sa nuict. Le cavalier luy respondit: _Sus completas valen
+mas, y son mas graciosas, que las horas de prima de qualquier otra
+dama_. «Vos complies vallent plus, et sont plus belles et gracieuses que
+les heures de prime de quelque autre dame qu soit.» Cette allusion est
+gentille. Un autre parlant de mesme d'amour à une dame aagée, et l'autre
+luy remonstrant sa beauté flestrie, qui pourtant ne l'estoit trop, il
+luy respondit: _Alas visperas se cognosce la fiesta_: «A vespres la
+feste se connoist.» On voit encore aujourd'huy madame de Nemours, jadis
+en son avril la beauté du monde, faire affront au temps, encore qu'il
+efface tout. Je la puis dire telle, et ceux qui l'ont veuë avec moy, que
+ç'a esté la plus belle femme, en ses jours verdoyants, de la
+chrestienté. Je la vis un jour danser comme j'ay dit ailleurs, avec la
+reyne d'Escosse, elles deux toutes seules ensemble et sans autres dames
+de compagnie, et par ce caprice, que tous ceux et celles qui les
+advisoient danser ne sceurent juger qui l'emportoit en beauté, et
+eust-on dit, ce dit quelqu'un, que c'estoient les deux soleils assemblez
+qu'on lit dans Pline avoir apparu autrefois pour faire esbahir le monde.
+Madame de Nemours, pour lors madame de Guise, monstroit la taille la
+plus riche; et, s'il m'est loisible ainsi de dire, sans offenser la
+reyne d'Escosse, elle avoit la majesté plus grave et apparente, encor
+qu'elle ne fust reyne comme l'autre; mais elle estoit petite-fille de ce
+grand roy Pere du peuple, auquel elle ressembloit en beaucoup de traits
+du visage, comme je l'ay veu pourtrait dans le cabinet de la reyne de
+Navarre, qui monstroit bien en tout quel roy il estoit. Je pense avoir
+esté le premier qui l'ay appelée du nom de petite-fille du roy Pere du
+peuple, et ce fut à Lyon quand le Roy tourna de Pologne, et bien souvent
+l'y appelois-je: aussi me faisoit-elle cet honneur de le trouver bon, et
+l'aimer de moy. Elle estoit certes vraye petite-fille de ce grand roy,
+et sur-tout en bonté et beauté; car elle a esté très-bonne, et peu ou
+nul se trouve à qui elle ayt fait mal ny desplaisir, et si en a eu de
+grands moyens du temps de sa faveur, c'est-à-dire que celle de feu M. de
+Guise son mary, qui a eu grand crédit en France. Ce sont donc deux
+très-grandes perfections qui ont esté en cette dame, que bonté et
+beauté, et que toutes deux elle a très-bien entretenu jusques icy, et
+pour lesquelles elle a espousé deux honnestes marys, et deux que peu ou
+point en eust-on trouvé de pareils; et s'il s'en trouvoit encore un
+pareil et digne d'elle, et qu'elle le voulust pour le tiers, elle le
+pourroit encor user, tant elle est encor belle. Aussi qu'en Italie l'on
+tient les dames ferraroises pour de bons et friands morceaux, dont est
+venu le proverbe, _pota ferraresa_, comme l'on dit _cazzo mantouan_.
+Sur-quoy, un grand seigneur de ce pays-là pourchassant une fois une
+belle et grande princesse de nostre France, ainsi qu'on le loüoit à la
+cour de ses belles vertus, valeurs et perfection pour la mériter, il y
+eut feu M. Dau, capitaine des gardes escossaises, qui rentra mieux que
+tous, en disant. «Vous oubliez le meilleur, _cazzo mantuan_.» J'ay ouy
+dire un pareil mot une fois, c'est que le duc de Mantouë qu'on appeloit
+le Gobin[101], parce qu'il estoit fort bossu, vouloit espouser la
+sœur de l'empereur Maximilian, il fut dit à elle qu'il estoit ainsi
+fort bossu. Elle respondit, dit-on: _Non importa purche la campana
+habbia qualche diffetto, ma ch' el sonaglio sia buono_[102]; voulant
+entendre le _cazzo mantuan_. D'autres disent qu'elle ne profera le mot,
+car elle estoit trop sage et bien apprise; mais d'autres le dirent pour
+elle. Pour tourner encore à cette princesse ferraroise, je la vis, aux
+nopces de feu M. de Joyeuse, parestre vestue d'une mante à la mode
+d'Italie, et retroussée à demy sur le bras à la mode sienoise; mais il
+n'y eut point encore de dame qui l'effaçast, et n'y eut aucun qui ne
+dist: «Cette belle princesse ne se peut rendre encor, tant elle est
+belle; et est bien aisé à juger que ce beau visage couvre et cache
+d'autres grandes beautez et parties en elle que nous ne voyons point;
+tout ainsi qu'à voir le beau et superbe front d'un beau bastiment, il
+est à juger qu'au dedans il y a de belles chambres, anti-chambres,
+garde-robbes, beaux recoins et cabinets.» En tant de lieux encor
+a-t-elle fait paroistre sa beauté depuis peu, et en son arrière-saison,
+et mesme en Espagne aux nopces de M. et madame de Savoye, que
+l'admiration d'elle et de sa beauté, et de ses vertus, y en demeurera
+gravée pour tout jamais. Si les aisles de ma plume estoient assez fortes
+et simples pour la porter dans le ciel, je le ferois; mais elles sont
+trop foibles, si en parleray-je encore ailleurs; tant il y a que ce ç'a
+esté une très-belle femme en son printemps, son esté et son automne, et
+son hyver encor, quoy qu'elle ait eu grande quantité d'ennuys et
+d'enfants. Qui pis est, les Italiens, méprisants une femme qui a eu
+plusieurs enfants, l'appellent _scrofa_, qui est à dire _une truye_;
+mais celles qui en produisent de beaux, braves et généreux, comme cette
+princesse a fait, sont à loüer, et sont indignes de ce nom, mais de
+celuy des benistes de Dieu. Je puis faire cette exclamation: Quelle
+mondaine et merveilleuse inconstance, que la chose qui est la plus
+legere et inconstante fait la résistance au temps, qu'est la belle
+femme! Ce n'est pas moy qui le dit; j'en serois bien marry, car j'estime
+fort la constance d'aucunes femmes, et toutes ne sont inconstantes:
+c'est d'un autre de qui je tiens cette exclamation. J'alléguerois encore
+volontiers des dames estrangeres, aussi bien que de nos Françoises,
+belles en leur autonne et hyver, mais pour ce coup je ne mettray en ce
+rang que deux. L'une, la reyne Elisabeth d'Angleterre qui regne
+aujourd'huy, qu'on m'a dit estre encor aussi belle que jamais. Que si
+elle est telle, je la tiens pour une belle princesse; car je l'ay veuë
+en son esté et en son automne: quant à son hyver, elle y approche fort:
+si elle n'y est; car il y a long-temps que je ne l'ay veuë. La première
+fois que je la vis, je sçay l'aage qu'on luy donnoit alors. Je crois que
+ce qui l'a maintenue si long-temps en sa beauté, c'est qu'elle n'a
+jamais esté mariée, ny a supporté le faix du mariage, qui est fort
+onéreux, et mesmes quand l'on porte plusieurs enfants. Cette reyne est à
+loüer en toutes sortes de louanges, n'estoit la mort de cette brave,
+belle et rare reyne d'Escosse, qui a fort souillé ses vertus. L'autre
+princesse et dame estrangere est madame la marquise de Gouast, donne
+Marie d'Arragon, laquelle j'ay veue une très-belle dame sur sa derniere
+saison; et je vous le vais dire par un discours que j'abregeray le plus
+que je pourray. Lors que le roy Henry mourut, le pape Paul quatriesme,
+Caraffe, et pour l'élection d'un nouveau fallut que tous les cardinaux
+s'assemblassent. Entr'autres partit de France le cardinal de Guise, et
+alla à Rome par mer avec les galleres du Roy, desquelles estoit général
+M. le grand-prieur de France, frère dudit cardinal, lequel, comme bon
+frère, le conduisit avec seize galleres; et firent si bonne dilligence
+et avec si bon vent en poupe, qu'ils arrivèrent en deux jours et deux
+nuicts à Civita-Vecchia, et de-là à Rome; où estant, M. le grand-prieur
+voyant qu'on n'estoit pas encor prest de faire nouvelle élection (comme
+de vray elle demeura trois mois à faire), et par conséquent son frère ne
+pouvoit retourner, et que ses galleres ne faisoient rien au port, il
+s'advisa d'aller jusques à Naples voir la ville et y passer son temps. A
+son arrivée donc, le vice-roy, qui estoit lors le duc d'Alcala, le
+receut comme si ce fust esté un roy; mais avant que d'y arriver salua la
+ville d'une fort belle salüe qui dura long-temps, et la mesme luy fut
+rendue de la ville et des chasteaux, qu'on eust dit que le ciel tonnoit
+estrangement durant cette salüe; et tenant ses galleres en batailles et
+en loly, et assez loin, il envoya dans un esquif M. de l'Estrange, de
+Languedoc, fort habile et honneste gentilhomme, qui parloit fort bien,
+vers le vice-roy, pour ne luy donner l'allarme, et lui demander
+permission (encore que nous fussions en bonne paix, mais pourtant nous
+ne venions que de frais de la guerre) d'entrer dans le port pour voir la
+ville et visiter les sépulchres de ses prédécesseurs qui estoient là
+enterrez, et leur jetter de l'eau beniste et prier Dieu sur eux. Le
+vice-roy l'accorda très-librement. M. le grand-prieur donc s'advança et
+recommença la salüe aussi belle et aussi furieuse que devant, tant des
+canons de courcie des seize galleres, que des autres pièces et
+d'harquebusades, tellement que tout estoit en feu; et puis entra dans le
+mole fort superbement, avec plus d'estendarts, de banderolles, de
+flambants de taffetas cramoisi, et la sienne de damas, et tous les
+forçats vestus de velours cramoisi, et les soldats de sa garde de mesme,
+avec mandilles couvertes de passement d'argent, desquels estoit
+capitaine le capitaine Geoffroy, Provençal, brave et vaillant capitaine;
+et bien que l'on trouvast nos galleres françaises très-belles, lestes et
+bien espaverades, et sur-tout la Réalle, à laquelle n'y avoit rien à
+redire; car ce prince estoit en tout très-magnifique et libéral. Estant
+donc entré dans le monde en un si bel arroy, il prit terre, et tous nous
+autres avec luy, où le vice-roy avoit commandé de tenir prests des
+chevaux et des coches pour nous recueillir et nous conduire en la ville,
+comme de vray nous y trouvasmes cent chevaux, coursiers, genets, chevaux
+d'Espagne, barbes et autres, les uns plus beaux que les autres, avec des
+housses de velours toutes en broderies, les unes d'or, les autres
+d'argent. Qui vouloit montoit à cheval, montoit qui en coche vouloit,
+car il y en avoit une vingtaine des plus belles et riches et des mieux
+attelées, et traisnées par des coursiers des plus beaux qu'on eust sceu
+voir. Là se trouvèrent aussi force grands princes et seigneurs, tant du
+regne qu'espagnols, qui receurent M. le grand-prieur, de la part du
+vice-roy, très-honnorablement. Il monta sur un cheval d'Espagne, le plus
+beau que j'aye veu il a long-temps, que depuis le vice-roy luy donna, et
+se manioit très-bien, et faisoit de très-belles courbettes, ainsi qu'on
+parloit de ce temps. Luy, qui estoit un très-bon homme de cheval, et
+aussi bon que de mer, il le fit très-beau voir là-dessus: et il le
+faisoit très-bien valloir et aller, et de fort bonne grace, car il
+estoit l'un des plus beaux princes qui fust de ce temps-là et des plus
+agréables, des plus accomplis, et de fort haute et belle taille et bien
+dénoüée; ce qui n'advient guieres à ces grands hommes. Ainsi il fut
+conduit par tous ces seigneurs et tant d'autres gentilshommes chez le
+vice-roy, lequel l'attendoit, et luy fit tous les honneurs du monde, et
+logea en son palais, et le festoya fort sumptueusement, et luy et sa
+troupe: il le pouvoit bien faire, car il luy gaigna vingt mille escus à
+ce voyage.
+
+Nous pouvions bien estre avec lui deux cents gentilshommes, que
+capitaines des galleres et autres; nous fusmes logés chez la pluspart
+des grands seigneurs de la ville, et très-magnifiquement. Dès le matin,
+sortant de nos chambres, nous rencontrions des estaffiers si bien créez
+qui se venoient présenter aussi-tost et demander ce que nous voulions
+faire et où nous voulions aller et pourmener, et si nous voulions
+chevaux ou coches. Soudain, aussi-tost nostre volonté dite aussi-tost
+accomplie, et alloient quérir les montures que voulions, si belles, si
+riches et si superbes, qu'un roy s'en fust contenté; et puis
+accommencions et accomplissions nostre journée ainsi qu'il plaisoit à
+chacun. Enfin nous n'estions guieres gastez d'avoir faute de plaisirs et
+délices en cette ville: ne faut dire qu'il n'y en eust, car je n'ai
+jamais veu ville qui en fust plus remplie en toute sorte. Il n'y manque
+que la familiere, libre et franche conversation d'avec les dames
+d'honneur et réputation, car d'autres il y en a assez: à quoi pour ce
+coup sceut très-bien remédier madame la marquise de Gouast, pour l'amour
+de laquelle ce discours se fait; car, toute courtoise et pleine de toute
+honnesteté, et pour la grandeur de sa maison, ayant ouy renommer M. le
+grand-prieur des perfections qui estoient en luy, et l'ayant veu passer
+par la ville à cheval et recogneu, comme de grand à grand, cela est deu
+communément, elle qui estoit toute grande en tout, l'envoya visiter un
+jour par un gentilhomme fort honneste et bien créé, et lui manda que, si
+son sexe et la coustume du pays lui eussent permis de le visiter,
+volontiers elle y fust venue fort librement pour luy offrir sa
+puissance, comme avoient fait tous les grands seigneurs du royaume, mais
+le pria de prendre ses excuses en gré, en luy offrant et ses maisons, et
+ses chasteaux, et sa puissance. M. le grand-prieur, qui estoit la mesme
+courtoisie, la remercia fort comme il devoit, et luy manda qu'il luy
+iroit baiser les mains incontinent après disner; à quoi il ne faillit
+avec sa suite de tous nous autres qui estions avec luy. Nous trouvasmes
+la marquise dans sa salle avec ses deux filles, donne Antonine, et
+l'autre donne Hieronyme ou donne Joanne (je ne sçaurois bien le dire,
+car il ne m'en souvient plus), avec force belles dames et damoiselles,
+tant bien en point et de si belle et bonne grace, que, horsmis nos cours
+de France et d'Espagne, volontiers ailleurs n'ay-je point veu plus belle
+troupe de ames. Madame la marquise salua à la française et receut M. le
+grand-prieur avec un très-grand honneur; et luy en fit de mesmes, encore
+plus humble, _con mas gran sossiego_, comme dit l'Espagnol. Leurs devis
+furent pour ce coup de propos communs. Aucuns de nous autres, qui
+sçavions parler italien et espagnol, accostasmes les autres dames, que
+nous trouvasmes fort honnestes et gallantes, et de fort bon entretien.
+Au départir, madame la marquise, ayant sceu de M. le grand-prieur le
+séjour de quinze jours qu'il vouloit faire-là, lui dit: «Monsieur, quand
+vous ne saurez que faire et qu'aurez faute de passetemps, lorsqu'il vous
+plaira venir céans vous me ferez beaucoup d'honneur, et y serez le
+très-bien venu comme en la maison de madame vostre mére; vous priant de
+disposer cette-cy de mesme et ainsi que de la sienne, et y faire ny plus
+ny moins. J'ay ce bonheur d'estre aimée et visitée d'honnestes et belles
+dames de ce royaume et de cette ville, autant que dame qui soit; et
+d'autant que vostre jeunesse et vertu porte que vous aimez la
+conversation des honnestes dames, je les prieray de se rendre icy plus
+souvent que de coustume, pour vous tenir compagnie et à toute cette
+belle noblesse qui est avec vous. Voilà mes deux filles, auxquelles je
+commanderay, encores qu'elles ne soient si accomplies qu'on diroit bien,
+de vous tenir compagnie à la française, comme de rire, danser, joüer,
+causer librement, et modestement, honnestement, comme vous faites à la
+Cour de France, à quoy je m'offrirois volontiers; mais il fascheroit
+fort à un prince jeune, beau et honneste comme vous estes, d'entretenir
+une vieille surannée, fascheuse et peu aimable comme moy; car volontiers
+vieillesse et jeunesse ne s'accordent guieres bien ensemble.»
+
+M. le grand-prieur luy releva aussi-tost ces mots, en luy faisant
+entendre que la vieillesse n'avoit rien gaigné sur elle, et que
+mal-aisément il ne passeroit pas celuy-là, et que son automne surpassoit
+tous les printemps et estez qui estoient en cette salle. Comme de vray,
+elle se monstroit encor une très-belle dame et fort aimable, voire plus
+que ses deux filles, toutes belles et jeunes qu'elles estoient; si
+avoit-elle bien alors près de soixante bonnes années. Ces deux petits
+mots que M. le grand-prieur donna à madame la marquise luy plurent fort,
+selon que nous pusmes cognoistre à son visage riant, à sa parole et à sa
+façon. Nous partismes de-là extresmement bien édifiés de cette belle
+dame et surtout M. le grand-prieur, qui en fust aussi-tost espris, ainsi
+qu'il nous le dit. Il ne faut donc douter si cette belle dame et
+honneste, et sa belle troupe de dames, convia M. le grand-prieur tous
+les jours d'aller à son logis; car si on n'y alloit l'après-dinée on y
+alloit le soir. M. le grand-prieur prit pour sa maistresse sa fille
+aisnée, encore qu'il aimast mieux la mère; mais ce fut _per adumbrar la
+cosa_[103].
+
+Il se fit force courements de bague, où M. le grand-prieur emporta le
+prix, force ballets et danses. Bref, cette belle compagnie fut cause
+que, luy ne pensant séjourner que quinze jours, nous y fusmes pour nos
+six sepmaines, sans nous y fascher nullement, car nous y avions nous
+autres aussi bien fait des maistresses comme nostre général. Encore y
+eussions demeuré davantage, sans qu'un courrier vint du Roy son maistre,
+qui lui porta nouvelles de la guerre eslevée en Escosse; et pour ce
+falloit mener et faire passer ses galleres de levant en ponant, qui
+pourtant ne passèrent de huict mois après. Ce fut à ce départir de ces
+plaisirs délicieux, et de laisser la bonne et gentille ville de Naples:
+et ne fut à M. nostre général et à tous nous autres sans grandes
+tristesses et regrets, mais nous faschant fort de quitter un lieu où
+nous nous trouvions si bien.
+
+Au bout de six ans, ou plus, nous allasmes au secours de Malte. Moy
+estant à Naples, je m'enquis si madite dame la marquise estoit encor
+vivante; on me dit qu'ouy, et qu'elle estoit en la ville. Soudain je ne
+faillis de l'aller voir, et fus aussi-tost recogneu par un vieux maistre
+d'hostel de céans, qui l'alla dire à madite dame que je luy voulois
+baiser les mains. Elle, qui se ressouvint de mon nom de Bourdeille, me
+fit monter en sa chambre et la voir. Je la trouvay qui gardoit le lict,
+à cause d'un petit feu vollage qu'elle avoit d'un costé de jouë. Elle me
+fit, je vous jure, une très-bonne chere: je ne la trouvay que fort peu
+changée, et encore si belle, qu'elle eust bien fait commettre un péché
+mortel, fust de fait ou de volonté. Elle s'enquit fort à moy des
+nouvelles de M. le grand-prieur, et d'affection, et comme il estoit
+mort, et qu'on lui avoit dit qu'il avoit esté empoisonné, maudissant
+cent fois le malheureux qui avoit fait le coup. Je luy dis que non, et
+qu'elle otast cela de sa fantaisie, et qu'il estoit mort d'un purisy
+faux et sourd qu'il avoit gaigné à la bataille de Dreux, où il avoit
+combattu comme un César tout le jour; et le soir à la dernière charge,
+s'estant fort échauffé au combat, et suant, se retirant le soir qu'il
+geloit à pierre fendre, se morfondit, et se couva sa maladie, dont il
+mourut un mois ou six semaines après. Elle monstroit, par sa parole et
+sa façon, de le regretter fort: et notez que, deux ou trois ans
+auparavant, il avoit envoyé deux galleres en cours sous la charge du
+capitaine Beaulieu, l'un de ses lieutenants de galleres. Il avoit pris
+la bandiere de la reyne d'Escosse, qu'on n'avoit jamais veue vers les
+mers de levant, ny cogneuë, dont on estoit fort esbahy; car, de prendre
+celle de France, n'en falloit point parler, pour l'alliance entre le
+Turc.
+
+M. le grand-prieur avoit donné charge au dit capitaine Beaulieu de
+prendre terre à Naples, et de visiter de sa part madame la marquise et
+ses filles, auxquelles trois il envoyoit force présents de toutes les
+petites singularitez qui estoient lors à la Cour et au palais, à Paris
+et en France; car ledit sieur grand-prieur estoit la libéralité et
+magnificence mesme: à quoy ne faillit le capitaine Beaulieu, et de
+présenter le tout, qui fut très-bien receu, et pour ce fut récompensé
+d'un beau présent. Madame la marquise se ressentoit si fort obligée de
+ce présent, et de la souvenance qu'il avoit encor d'elle, qu'elle me le
+réïtera plusieurs fois, dont elle l'en aima encore plus. Pour l'amour de
+luy elle fit encore une courtoisie à un gentilhomme gascon, qui estoit
+lors aux galleres de M. le grand-prieur, lequel, quand nous partismes,
+demeura dans la ville, malade jusqu'à la mort. La fortune fut si bonne
+pour luy, que, s'addressant à la dite dame en son adversité, elle le fit
+si bien secourir qu'il eschappa, et le prit en sa maison, et s'en
+servit, que, venant à vacquer une capitainerie en un de ses chasteaux,
+elle la luy donna, et luy fit espouser une femme riche. Aucuns de nous
+autres ne sceusmes qu'estoit devenu le gentilhomme, et le pensions mort,
+si non lors que nous fismes ce voyage de Malte il se trouva un
+gentilhomme qui estoit cadet de celuy dont j'ay parlé, qui un jour, sans
+y penser, parlant à moy de la principale occasion de son voyage qui
+estoit pour chercher nouvelles d'un sien frère qui avoit esté à M. le
+grand-prieur, et estoit resté malade à Naples il y avoit plus de six
+ans, et que depuis il n'en avoit jamais sceu nouvelles, il m'en alla
+souvenir, et depuis m'enquis de ses nouvelles aux gens de madame la
+marquise, qui m'en contèrent, et de sa bonne fortune: soudain je le
+rapportay à son cadet, qui m'en remercia fort, et vint avec moi chez ma
+dite dame qui en prit encor plus de langue, et l'alla voir où il estoit.
+
+Voilà une belle obligation pour une souvenance d'amitié qu'elle avoit
+encore, comme j'ay dit; car elle m'en fit encore meilleure chere, et
+m'entretint fort du bon temps passé, et de force autres choses qui
+faisoient trouver sa compagnie très-belle et très-aimable; car elle
+estoit de très-beau et bon devis, et très-bien parlante. Elle me pria
+cent fois ne prendre autre logis ny repas que le sien, mais je ne le
+voulus jamais, n'ayant esté mon naturel d'estre importun ny coquin. Je
+l'allois voir tous les jours, pour sept ou huict jours que nous
+demeurasmes, et y estois très-bien venu, et sa chambre m'estoit toujours
+ouverte sans difficulté. Quand je luy dis adieu, elle me donna des
+lettres de faveur à son fils M. le marquis de Pescaire, général pour
+lors en l'armée espagnole: outre ce, elle me fit promettre qu'au retour
+je passerois pour la revoir, et de ne prendre autre logis que le sien.
+Le malheur fut tant pour moy, que les galleres qui nous tournèrent ne
+nous mirent à terre qu'à Terracine, d'où nous allasmes à Rome, et ne pus
+tourner en arrière; et aussi que je m'en voulois aller à la guerre
+d'Hongrie; mais, estans à Venise, nous sceusmes la mort du grand
+Soliman. Ce fut-là où je maudis cent fois mon malheur que je ne fusse
+retourné aussi bien à Naples, où j'eusse bien passé mon temps, et
+possible, par le moyen de ma dite dame la marquise, j'y eusse rencontré
+une bonne fortune, fust par mariage ou autrement; car elle me faisoit ce
+bien de m'aimer. Je croy que ma malheureuse destinée ne le voulut, et me
+voulut encore ramener en France pour y estre à jamais malheureux, et où
+jamais la bonne fortune ne m'a monstré bon visage, si-non par apparence
+et beau semblant; d'estre estimé gallant homme de bien et d'honneur
+prou, mais des moyens et des grades point, comme aucuns de mes
+compagnons, voire d'autres plus bas, lesquels j'ay veu qu'ils se fussent
+estimez heureux que j'eusse parlé à eux dans une Cour, dans une chambre
+de roy ou de reyne, ou une salle, encore à costé ou sur l'espaule,
+qu'aujourd'huy je les vois advancés comme potirons, et fort aggrandis,
+bien que je n'aye affaire d'eux et ne les tienne plus grands que moy,
+ny que je leur voulusse déférer en rien de la longueur d'un ongle. Or
+bien pour moy je peux en cela pratiquer le proverbe que nostre
+rédempteur Jésus-Christ a profféré de sa propre bouche, que _nul ne peut
+estre prophete en son pays_. Possible, si j'eusse servi des princes
+estrangers, aussi bien que les miens, et cherché l'adventure parmy eux
+comme j'ay fait parmy les nostres, je serois maintenant plus chargé de
+biens et dignitez que ne suis de douleurs et d'années. Patience: si ma
+parque m'a ainsi filé, je la maudis; s'il tient à mes princes, je les
+donne à tous les diables, s'ils n'y sont.
+
+Voilà mon conte achevé de cette honnorable dame. Elle est morte en une
+très-grande réputation d'avoir esté une très-belle et honneste dame, et
+d'avoir laissé après elle une belle et généreuse lignée, comme M. le
+marquis son aisné, don Juan, don Carlos, don Césare d'Avalos; que j'ay
+tous veus et desquels j'en ay parlé ailleurs: les filles de mesme ont
+ensuivy les frères.
+
+Or, je fais fin à mon principal discours.
+
+
+
+
+DISCOURS SIXIÈME
+
+ Sur ce que les belles et honnestes femmes aiment les vaillants
+ hommes, et les braves hommes aiment les dames courageuses.
+
+
+Il ne fut jamais que les belles et honnestes dames n'aimassent les gens
+braves et vaillants, encore que de ieur nature elles soyent poltronnes
+et timides; mais la vaillance a telle vertu à l'endroit d'elles,
+qu'elles l'aiment. Que c'est que de se faire aimer à son contraire,
+malgré son naturel! Et, qu'il ne soit vray, Vénus, qui fut jadis la
+déesse de beauté, de toute gentillesse et honnesteté, estant à mesme,
+dans les cieux et en la cour de Jupiter, pour choisir quelque amoureux
+gentil et beau, et pour faire cocu son bonhomme de mary Vulcain, n'en
+alla aucun choisir des plus mignons, des plus fringants ny des plus
+frisés, de tant qu'il y en avoit, mais choisit et s'amouracha du dieu
+Mars, dieu des armées et des vaillances, encore qu'il fust tout sallaud,
+tout suant de la guerre d'où il venoit, et tout noirci de poussière et
+malpropre ce qu'il se peut, centant mieux son soldat de guerre que son
+mignon de cour; et, qui pis est encore, bien souvent, possible, tout
+sanglant, revenant des batailles, couchoit-il avec elle sans autrement
+se nettoyer et parfumer.
+
+--La généreuse belle reyne Pantasilée, la renommée luy ayant fait à
+sçavoir les valeurs et vaillances du preux Hector, et ses merveilleux
+faits d'armes qu'il faisoit devant Troye sur les Grecs, au seul bruit
+s'amouracha de luy tant, que, par un désir d'avoir d'un si vaillant
+chevalier des enfants, c'est-à-dire filles qui succédassent a son
+royaume, s'en alla le trouver à Troye, et, le voyant, le contemplant et
+l'admirant, fit tout ce qu'elle peut pour se mettre en grâce avec luy,
+non moins par les armes qu'elle faisoit, que par sa beauté, qui estoit
+très-rare; et jamais Hector ne faisoit saillie sur ses ennemis qu'elle
+ne l'y accompagnast, et ne se meslast aussi avant que Hector là où il
+faisoit le plus chaud; si que l'on dit que plusieurs fois, faisant de si
+grandes proüesses, elle en faisoit esmerveiller Hector, tellement qu'il
+s'arrestoit tout court comme ravy souvent au milieu des combats les
+plus forts, et se mettoit un peu à l'escart pour voir et contempler
+mieux à son aise cette brave reyne à faire de si beaux coups. De-là en
+avant il est à penser au monde ce qu'ils firent de leurs amours, et
+s'ils les mirent à exécution: le jugement en peut estre bientost donné;
+mais tant y a que leur plaisir ne peut pas durer longuement; car elle,
+pour mieux complaire à son amoureux, se précipitoit ordinairement aux
+hasards, qu'elle fut tuée à la fin parmi la plus forte et plus cruelle
+meslée. Aucuns disent pourtant qu'elle ne vid pas Hector, et qu'il
+estoit mort devant qu'elle arrivast, dont arrivant et sçachant la mort,
+entra en un si grand dépit et tristesse, pour avoir perdu le bien de sa
+veuë qu'elle avoit tant desiré et pourchassé de si loingtain pays,
+qu'elle s'alla perdre volontairement dans les plus sanglantes batailles,
+et mourut, ne voulant plus vivre puisqu'elle n'avoit peu voir l'objet
+valeureux qu'elle avoit le mieux choisi et plus aimé. De mesmes en fit
+Tallestride, autre reyne des Amazones, laquelle traversa un grand pays,
+et fit je ne sçay combien de lieuës pour aller trouver Alexandre le
+Grand, luy demandant par mercy, ou à la pareille, de ce bon temps que
+l'on faisoit, et le donnoit-on pour la pareille; coucha avec luy pour
+avoir de la ligéne d'un si grand et généreux sang, l'ayant ouy tant
+estimer; ce que volontiers Alexandre luy accorda; mais bien gasté et
+dégousté s'il eust fait autrement, car la digne reyne estoit bien aussi
+belle que vaillante. Quinte Curce, Oroze et Justin l'asseurent, et
+qu'elle vint trouver Alexandre avec trois cents dames à sa suite, tant
+bien en point et de si bonne grace, portans leurs armes, que rien plus;
+et fit ainsi la révérence à Alexandre, qui la recueillit avec un
+très-grand honneur, et demeura l'espace de treize jours et treize nuicts
+avec luy, s'accommoda du tout à ses volontez et plaisirs, luy disant
+pourtant tousjours que si elle en avoit une fille, qu'elle la garderoit
+comme un très-précieux trésor: si elle en avoit un fils, qu'elle luy
+envoyeroit, pour la haine extreme qu'elle portoit au sexe masculin, en
+matiere de regner, et avoir aucun commandement parmy elles, selon les
+loix introduites en leurs compagnies depuis qu'elles tuèrent leurs
+marys. Ne faut douter là-dessus que les autres dames et sous-dames n'en
+firent de mesme et ne se firent couvrir aux autres capitaines et
+gendarmes du dit Alexandre; car, en cela, il falloit faire comme la
+dame.
+
+La belle vierge Camille, belle et généreuse, et qui servoit si
+fidellement Diane, sa maistresse, parmy les forests et les bois, en ses
+chasses, ayant senty le vent et la vaillance de Turnus, et qu'il avoit à
+faire avec un vaillant homme aussi, qui estoit Enée, et qui luy donnoit
+de la peine, choisit son parti et le vint trouver seulement avec trois
+fort honnestes et belles dames de ses compagnes, qu'elle avoit esleu
+pour ses grandes amies et fideles confidentes, et tribades pensez, et
+pour friquarelle; et pour l'honneur en tous lieux s'en servoit, comme
+dit Virgile en ses _Æneïdes_, et s'appeloit l'une Armie la vierge et la
+vaillante, et l'autre Iulle, et la troisiesme Tarpée, qui sçavoit bien
+bransler la pique et le dard, en deux façons diverses pensez, et toutes
+trois filles d'Italie. Camille donc vint ainsi avec sa belle petite
+bande (aussi dit-on petit et beau et bon) trouver Turnus, avec lequel
+elle fit de très-belles armes, et s'advança si souvent et se mesla parmy
+les vaillants Troyens, qu'elle fut tuée, avec très-grand regret de
+Turnus, qui l'honnoroit beaucoup, tant pour sa beauté que pour son bon
+secours. Ainsi ces dames belles et courageuses alloient rechercher les
+braves et vaillants, les secourans en leurs guerres et combats. Qui mit
+le feu d'amour si ardent dans la poitrine de la pauvre Didon, si-non la
+vaillance qu'elle sentit en son Enéas, si nous voulons croire Virgile?
+Car, après qu'elle l'eut prié de luy raconter les guerres, désolations
+et destruction de Troye, et qu'il l'en eut contenté, à son grand regret
+pourtant pour renouveller telles douleurs, et qu'en son discours il
+n'oublioit pas ses vaillantises, et les ayant Didon très-bien remarquées
+et considérées en soy, lorsqu'elle commença à déclarer à sa sœur Anne
+son amour, les plus prégnantes et principales paroles qu'elle luy dit,
+furent: «Hà! ma sœur, quel hoste est cettuy-cy qui est venu chez moy!
+la belle façon qu'il a, et combien se monstre-t-il en grace d'estre
+brave et vaillant, soit en armes et en courage! et croy fermement qu'il
+est extraict de quelque race des dieux; car les cœurs villains sont
+coüards de nature.» Telles furent ses paroles. Et croy qu'elle se mit à
+l'aimer, tant aussi parce qu'elle estoit brave et généreuse, et que son
+instinct a poussoit d'aimer son semblable, aussi pour s'en aider et
+servir en cas de nécessité. Mais le malheureux la trompa et l'abandonna
+misérablement; ce qu'il ne devoit faire à cette honneste dame qui luy
+avoit donné son cœur et son amour; à luy, dis-je, qui estoit un
+estranger et un forbanny[104].
+
+--Bocace, en son livre des _Illustres malheureux_, fait un conte d'une
+duchesse de Furly, nommée Romilde, laquelle, ayant perdu son mary, ses
+terres et son bien, que Caucan, roy des Avarois, luy avoit tout prit, et
+réduite à se retirer avec ses enfants dans son chasteau de Furly, là où
+il l'assiégea. Mais un jour qu'il s'en approchoit pour le recognoistre,
+Romilde, qui estoit sur le haut d'une tour, le vid, et se mit fort à le
+contempler et longuement; et le voyant si beau, estant à la fleur de son
+aage, monté sur un beau cheval, et armé d'un harnois très-superbe, et
+qu'il faisoit tant de beaux exploict d'armes, et ne s'espargnoit non
+plus que le moindre soldat des siens, en devint incontinent
+passionnément amoureuse; et, laissant arrière le deuil de son mary et
+les affaires de son chasteau et de son siége, luy manda par un messager
+que, s'il la vouloit prendre en mariage, qu'elle luy rendroit la place
+dès le jour que les nopces seroient célébrées. Le roy Cauean la prit au
+mot. Le jour donc compromis venu, elle s'habille pompeusement de ses
+plus beaux et superbes habits de duchesse, qui la rendirent d'autant
+plus belle, car elle l'estoit très-fort; et estant venue au camp du Roy
+pour consommer le mariage, afin qu'on ne le pust blasmer qu'il n'eust
+tenu sa foy, se mit toute la nuict à contenter la duchesse eschauffée.
+Puis lendemain au matin, estant levé, fit appeler douze soldats avarois
+des siens, qu'il estimoit les plus forts et roides compagnons, et mit
+Romilde entre leurs mains pour en faire leur plaisir l'un après l'autre;
+laquelle repassèrent tout une nuict tant qu'ils purent: et le jour venu,
+Caucan, l'ayant fait appeller, luy ayant fait forces reproches de sa
+lubricité et dit force injures, la fit empaler par sa nature, dont elle
+en mourut. Acte cruel et barbare certes, de traitter ainsi une si belle
+et honneste dame, au lieu de la reconnoistre, la récompenser et traitter
+en toute sorte de courtoisie, pour la bonne opinion qu'elle avoit eue de
+sa générosité, de sa valeur et de son noble courage, et l'avoir pour
+cela aimé! A quoy quelquefois les dames doivent bien regarder, car il y
+a de ces vaillants qui ont tant accoustumé à tuer, à manier et à battre
+le fer si rudement, que quelquefois il leur prend des humeurs d'en faire
+de mesme sur les dames. Mais tous ne sont pas de ces complexions; car,
+quand quelques honnestes dames leur font cet honneur de les aimer et
+avoir bonne opinion de leur valeur, laissent dans le camp leurs furies
+et leurs rages, et dans des cours et dans des chambres s'accommodent aux
+douceurs et à toutes les bonnestetez et courtoisies. Bandel, dans ses
+_Histoires tragiques_, en raconte une, qui est la plus belle que j'aye
+jamais leu, d'une duchesse de Savoye, laquelle un jour en sortant de sa
+ville de Thurin, et ayant ouy une pellerine espagnole, qui alloit à
+Lorette pour certain veu, s'escrier et admirer sa beauté, et dire tout
+haut que si une belle et parfaite dame estoit mariée avec son frere le
+seigneur de Mendozze, qui estoit si beau, si brave et si vaillant, qu'il
+se pourroit bien dire partout que les deux plus beaux pairs du monde
+estoient couplez ensemble. La duchesse, qui entendoit très-bien la
+langue espagnole, ayant en soy très-bien engravés et remarqués ces mots,
+et dans son ame s'y mit aussi à en graver l'amour, si bien que par un
+tel bruit elle devint tant passionnée du seigneur de Mendozze, qu'elle
+ne cessa jamais jusques à ce qu'elle eust projeté un feint pellerinage à
+Saint Jacques, pour voir son amoureux si-tost conceu; et, s'estant
+acheminée en Espagne, et pris le chemin par la maison du seigneur de
+Mendozze, eut temps et loisir de contenter et rassasier sa veuë de
+l'objet beau qu'elle avoit esleu; car la sœur du seigneur de
+Mendozze, qui accompagnoit la duchesse, avoit adverty son frère d'une
+telle et si noble et belle venue: à quoy il ne faillit d'aller au devant
+d'elle bien en point, monté sur un beau cheval d'Espagne, avec une si
+belle grace que la duchesse eut occasion de se contenter de la renommée
+qui luy avoit esté rapportée, et l'admira fort, tant pour sa beauté que
+pour sa belle façon, qui monstroit à plein la vaillance qui estoit en
+luy, qu'elle estimoit bien autant que les autres vertus et
+accomplissements et perfections; présageant dès lors qu'un jour elle en
+auroit bien affaire, ainsi que par après il luy servit grandement en
+l'accusation fausse que le comte Pancalier fit contre sa chasteté.
+Toutes fois, encore qu'elle le tint brave et courageux pour les armes,
+si fut-il pour ce coup coüard en amours; car il se monstra si froid et
+respectueux envers elle, qu'il ne luy fit nul assaut de paroles
+amoureuses; ce qu'elle aimoit le plus, et pourquoy elle avoit entrepris
+son voyage; et, pour ce, dépitée d'un tel froid respect ou plustost de
+telles coüardises d'amours, s'en partit le lendemain d'avec luy, non si
+contente qu'elle eust voulu. Voilà comment les dames quelquefois aiment
+bien autant les hommes hardis pour l'amour comme pour les armes, non
+qu'elles veuillent qu'ils soient effrontez et hardis, impudents et sots,
+comme j'en ay cogneu; mais il faut en cela qu'ils tiennent le _medium_.
+J'ay cogneu plusieurs qui ont perdu beaucoup de bonnes fortunes pour
+tels respects, dont j'en ferois de bons contes si je ne craignois
+m'esgarer trop de mon discours; mais j'espère les faire à part: si
+diray-je cettuy-cy. J'ay ouy conter d'autres fois d'une dame, et des
+très-belles du monde, laquelle, ayant de mesme ouy renommer un pour
+brave et vaillant, et qu'il avoit desjà en son aage fait et parfait de
+grands exploicts d'armes, et surtout gaignées deux grandes et signalées
+batailles contre ses ennemis[105], eut grand désir de le voir, et pour
+ce fit un voyage dans la province où pour lors il y faisoit séjour, sous
+quelque autre prétexte que je ne diray point. Enfin elle s'achemina;
+mais et qu'est-il impossible à un brave cœur amoureux? Elle le void
+et contemple à son aise, car il vint fort loing au-devant d'elle, et la
+reçoit avec tous les honneurs et respects du monde, ainsi qu'il devoit à
+une si grande, belle et magnanime princesse, et trop, comme dit l'autre,
+car il luy arriva de mesme comme au seigneur de Mendozze et à la
+duchesse de Savoye; et tels respects engendrerent pareils
+mescontentements et dépits, si bien qu'elle partit d'avec luy non si
+bien satisfaite comme elle y estoit venuë. Possible qu'il y eust perdu
+son temps et qu'elle n'eust obéy à ses volontez; mais pourtant l'essay
+n'en fust esté mauvais, ains fort honorable, et l'en eust-on estimé
+davantage. De quoy sert donc un courage hardy et généreux, s'il ne se
+monstre en toutes choses, et mesmes en amours comme aux armes, puisque
+armes et amours sont compagnes, marchent ensemble et ont une mesme
+sympathie: ainsi que dit le poëte, tout amant est gendarme, et Cupidon a
+son camp et ses armes aussi-bien que Mars. M. de Ronsard en a fait un
+beau sonnet dans ses premieres amours.
+
+Or, pour tourner encore aux curiositez qu'ont les dames de voir et aimer
+les gens généreux et vaillants, j'ay ouy raconter à la Reyne
+d'Angleterre Élisabeth, qui regne aujourd'huy, un jour, elle estant à
+table, faisant souper avec elle M. le grand-prieur de France, de la
+maison de Lorraine, et M. d'Anville, aujourd'huy M. de Montmorency et
+connestable, parmy ce devis de table et s'estant mis sur les loüanges du
+feu roy Henry deuxiesme le loua fort de ce qu'il estoit brave, vaillant
+et généreux, et, en usant de ce mot, fort martial, et qu'il l'avoit bien
+monstré en toutes ses actions; et que pour ce, s'il ne fust mort si
+tost, elle avoit résolu de l'aller voir en son royaume, et avoit fait
+accommoder et apprester ses galeres pour passer en France et toucher
+entre leurs deux mains la foi et leur paix. «Enfin c'estoit une de mes
+envies de le voir; je crois qu'il ne m'en eust refusée, car,
+disoit-elle, mon humeur est d'aymer les gens vaillants, et veux mal à la
+mort d'avoir ravy un si brave roy, au moins avant que je ne l'aye veu.»
+Cette mesme reyne, quelque temps après, ayant ouy tant renommer M. de
+Nemours des perfections et valleurs qui estoient en luy, fut curieuse
+d'en demander des nouvelles à feu M. de Rendan, lorsque le roy François
+second l'envoya en Escosse faire la paix devant le petit lict qui estoit
+assiégé; et ainsi qu'il luy en eust conté bien au long, et toutes les
+especes de ses grandes et belles vertus et vaillances, M. de Rendan, qui
+s'entendoit en amours aussi bien qu'en armes, cogneut en elle et son
+visage quelque estincelle d'amour ou d'affection, et puis en ses paroles
+une grande envie de le voir. Par quoy ne se voulant arrester en si beau
+chemin, fit tant envers elle de sçavoir, s'il la venoit voir, s'il
+seroit le bien venu et receu; ce qu'elle l'en asseura, et par là présuma
+qu'ils pourroient venir en mariage. Estant donc de retour de son
+ambassade à la Cour, en fit au Roy et à M. de Nemours tout le discours;
+à quoy le roy recommanda et persuada à M. de Nemours d'y entendre: ce
+qu'il fit avec une très-grande joye, s'il pouvoit parvenir à un si beau
+royaume par le moyen d'une si belle, si vertueuse et honneste Reyne.
+Pour fin, les fers se mirent au feu; par les beaux moyens que le roy lui
+donna, il fit de fort grands préparatifs, et très-superbes et beaux
+appareils, tant d'habillement, chevaux, armes, bref, de toutes choses
+exquises, sans y rien obmettre (car je vis tout cela), pour aller
+parestre devant cette belle princesse; n'oubliant surtout d'y mener
+toute la fleur de la jeunesse de la Cour; si bien que le fol Greffier,
+rencontrant là-dessus, disoit que c'estoit la fleur des febves, par-là
+brocardant la follastre jeunesse de la Cour. Cependant M. de
+Lignerolles, très-habile et accort gentilhomme, et lors fort favory de
+M. de Nemours son maistre, fut depesché vers la dite Reyne, qui s'en
+retourna avec une response belle et très-digne de s'en contenter et de
+presser et avancer son voyage; et me souvient que la Cour en tenoit le
+mariage pour quasi fait: mais nous nous donnasmes la garde que, tout à
+coup, ledit voyage se rompit et demeura court, et avec une très-grande
+despense, très-vaine et inutile pourtant. Je dirois, aussi bien qu'homme
+de France, à quoy il tint que cette rupture se fit si-non qu'en passant
+ce seul mot, que d'autres amours, possible, luy serroyent plus le
+cœur et le tenoient plus captif et arresté; car il estoit si accomply
+en toutes choses et si adroit aux armes et autres vertus, que les dames
+à l'envy volontiers l'eussent couru à force, ainsi que j'en ai vu de
+plus fringantes et plus chastes, qui rompoient bien leur jeusne de
+chasteté pour luy.
+
+--Nous avons, dans les _Cents Nouvelles de la reyne de Navarre
+Marguerite_, une très-belle histoire de cette dame de Milan, qui, ayant
+donné assignation à feu M. de Bonnivet, depuis amiral de France, une
+nuict attira ses femmes de chambre avec des espées nues pour faire bruit
+sur le degré ainsi qu'il seroit prest à se coucher: ce qu'elles firent
+très-bien, suivant en cela le commandement de leur maistresse, qui de
+son côté, fit de l'effrayée et craintive, disant que c'estoient ses
+beaux-frères qui s'estoient aperceus de quelque chose, et qu'elle estoit
+perdue, et qu'il se cachast sous le lict ou derrière la tapisserie. Mais
+M. de Bonnivet, sans s'effrayer, prenant sa cape à l'entour du bras et
+son espée de l'autre, il dit: «Et où sont-ils ces braves frères qui me
+voudroient faire peur ou mal? Quand ils me verront, ils n'oseront
+regarder seulement la pointe de mon espée.» Et, ouvrant la porte et
+sortant, ainsi qu'il vouloit commencer à charger sur ce degré, il trouva
+ces femmes avec leur tintamarre, qui eurent peur et se mirent à crier et
+confesser le tout. M. de Bonnivet, voyant que ce n'estoit que cela, les
+laissa et les recommanda au diable; et se rentra en la chambre, et ferma
+la porte sur lui, et vint trouver sa dame, qui se mit à rire et
+l'embrasser, et luy confesser que c'estoit un jeu aposté par elle, et
+l'asseurer que, s'il eust fait du poltron et n'eust monstré en cela sa
+vaillance, de laquelle il avoit le bruit, que jamais il n'eust couché
+avec elle; et pour s'estre monstré ainsi généreux et asseuré, elle
+l'embrassa et le coucha auprès d'elle; et toute la nuict ne faut point
+demander ce qu'ils firent; car c'estoit l'une des belles femmes de
+Milan, et après laquelle il avoit eu beaucoup de peine à la gaigner.
+
+--J'ay cogneu un brave gentilhomme, qui un jour estant à Rome couché
+avec une gentille dame romaine, son mary absent, luy donna une pareille
+allarme, et fit venir une de ses femmes en sursaut l'advertir que le
+mary tournoit des champs. La femme, faisant de l'estonnée, pria le
+gentilhomme de se cacher dans un cabinet, autrement elle estoit perdue.
+«Non, non, dit le gentilhomme, pour tout le bien du monde je ne ferois
+pas cela; mais s'il vient, je le tueray.» Ainsi qu'il avoit sauté à son
+espée, la dame se mit à rire et confesser avoir fait cela à poste pour
+l'esprouver, si son mary luy vouloit faire mal, ce qu'il feroit et la
+défendroit bien.
+
+--J'ay cogneu une très-belle dame qui quitta tout à trac un serviteur
+qu'elle avoit, pour ne le tenir vaillant, et le changea en un autre qui
+ne le ressembloit, mais estoit craint et redouté extresmement de son
+espée, qui estoit des meilleures qui se trouvassent pour lors.
+
+--J'ay ouy faire un conte à la Cour aux anciens, d'une dame qui estoit à
+la Cour, maistresse de feu M. de Lorge, le bonhomme, en ses jeunes ans
+l'un des vaillants et renommez capitaines des gens de pied de son temps.
+Elle, en ayant ouy dire tant de bien de sa vaillance, un jour que le roy
+François premier faisoit combattre des lions en sa Cour, voulut faire
+preuve s'il estoit tel qu'on luy avoit fait entendre, et pour ce laissa
+tomber un de ses gands dans le parc des lyons, estants en leur plus
+grande furie, et là-dessus pria M. de Lorge de l'aller quérir s'il
+l'aimoit tant comme il le disoit. Luy, sans s'estonner, met sa cape au
+poing et l'espée à l'autre main, et s'en va asseurément parmy ces lyons
+recouvrer le gand. En quoy la fortune luy fut si favorable, que, faisant
+toujours bonne mine, et monstrant d'une belle asseurance la pointe de
+son espée aux lyons, ils ne l'osèrent attaquer; et ayant recouru le
+gand, il s'en retourna devers sa maistresse et luy rendit; en quoy elle
+et tous les assistants l'en estimèrent bien fort. Mais on dit que, de
+beau dépit, M. de Lorge la quitta pour avoir voulu tirer son passe-temps
+de luy et de sa valeur de cette façon. Encores dit-on qu'il luy jeta par
+beau dépit le gand au nez; car il eust mieux voulu qu'elle luy eust
+commandé cent fois d'aller enfoncer un bataillon de gens de pied, où il
+s'estoit bien appris d'y aller, que non de combattre des bestes, dont le
+combat n'en est guères glorieux. Certes tels essais ne sont ny beaux, ny
+honnestes, et les personnes qui s'en aident sont fort à reprouver.
+J'aimerois autant un tour que fit une dame à son serviteur, lequel,
+ainsi qu'il luy présentoit son service, et l'asseuroit qu'il n'y auroit
+chose, tant hazardeuse fust-elle, qu'il ne la fist, elle, le voulant
+prendre au mot, luy dit: «Si vous m'aimez tant, et que vous soyez si
+courageux que vous le dites, donnez-vous de vostre dague dans le bras
+pour l'amour de moy.» L'autre, qui mouroit pour l'amour d'elle, la tira
+soudain, s'en voulant donner: je luy tins le bras et luy ostay la dague,
+luy remonstrant que ce seroit un grand fol d'aller faire ainsi et de
+telle façon preuve de son amour et de sa valeur. Je ne nommeray point
+la dame, mais le gentilhomme estoit feu M. de Clermont-Tallard l'aisné,
+qui mourut à la bataille de Moncontour, un des braves et vaillants
+gentilshommes de France, ainsi qu'il le monstra à sa mort, commandant à
+une compagnie de gens-d'armes, que j'aimois et honorois fort. J'ay ouy
+dire qu'il en arriva tout de mesme à feu de Genlis, qui mourut en
+Allemagne, menant les troupes huguenottes aux troisiesmes troubles: car,
+passant un jour la rivière devant le Louvre avec sa maistresse, elle
+laissa tomber son mouchoir dans l'eau, qui estoit beau et riche, exprès,
+et luy dit qu'il se jetast dedans pour luy recourre. Luy, qui ne sçavoit
+nager que comme une pierre, se voulut excuser; mais elle, luy reprochant
+que c'estoit un coüard amy, et nullement hardy, sans dire gare se jeta à
+corps perdu dedans, et, pensant avoir le mouchoir, se fust noyé s'il
+n'eust esté aussitost secouru d'un autre batteau. Je crois que telles
+femmes se veulent défaire par tels essays ainsi gentiment de leurs
+serviteurs, qui possible les ennuyent. Il vaudroit mieux qu'elles leur
+donnassent de belles faveurs, et les prier, pour l'amour d'elles, les
+porter aux lieux honorables de la guerre, et faire preuve de leur
+valeur, ou les y pousser davantage, que non pas faire de ces sottises
+que je viens de dire, et que j'en dirois une infinité.
+
+--Il me souvient que, lors que nous allasmes assiéger Roüen aux premiers
+troubles, mademoiselle de Piennes, l'une des honnestes filles de la
+Cour, estant en doute que feu M. de Gergeay ne fust esté assez vaillant
+pour avoir tué lui seul, et d'homme à homme, le feu baron d'Ingrande,
+qui estoit un des vaillants gentilshommes de la Cour, pour esprouver sa
+valeur, luy donna une faveur d'une escharpe qu'il mit à son habillement
+de teste: et, ainsi qu'on vint pour reconnoistre le fort de
+Sainte-Catherine, il donna si courageusement et vaillamment dans une
+troupe de chevaux qui estoient sortis hors de la ville, qu'en bien
+combattant il eut un coup de pistollet dans la teste, dont il mourut
+roide mort sur la place: en quoy ladite demoiselle fut satisfaite de sa
+valeur; et s'il ne fust mort ce coup, ayant si bien fait, elle l'eust
+espousé; mais, doutant un peu de son courage, et qu'il avoit mal tué
+ledit baron, ce luy sembloit, elle voulut voir cette expérience, ce
+disoit-elle. Et certes, encor qu'il y ait beaucoup d'hommes vaillants de
+leur nature, les dames les y poussent encore davantage; et, s'ils sont
+las et froids, elles les esmeuvent et eschauffent. Nous en avons un
+très-bel exemple de la belle Agnès, laquelle, voyant le roy Charles VII
+enamouraché d'elle et ne se soucier que de luy faire l'amour, et, mol et
+lasche, ne tenir compte de son royaume, luy dit un jour que, lorsqu'elle
+estoit encores jeune fille, un astrologue lui avoit prédit qu'elle
+seroit aimée et servie de l'un des plus vaillants et courageux roys de
+la chrestienté; que, quand le Roy lui fit cet honneur de l'aimer, elle
+pensoit que ce fust ce roy valleureux qui luy avoit esté prédit; mais le
+voyant si mol, avec si peu de soin de ses affaires, elle voyoit bien
+qu'elle estoit trompée, et que ce roy si courageux n'estoit pas luy,
+mais le roy d'Angleterre, qui faisoit de si belles armes, et luy prenoit
+tant de belles villes à sa barbe; «dont, dit-elle au Roy, je m'en vais
+le trouver, car c'est celuy duquel entendoit l'astrologue.» Ces paroles
+piquèrent si fort le cœur du Roy, qu'il se mit à plorer; et de-là en
+avant, prenant courage, et quittant sa chasse et ses jardins, prit le
+frein aux dents; si bien que par son bonheur et vaillance, chassa les
+Anglois de son royaume.
+
+--Bertrand du Guesclin, ayant espousé sa femme, madame Thiphanie, se mit
+du tout à la contenter et laisser le train de la guerre, luy qui l'avoit
+tant pratiquée auparavant, et qui avoit acquis tant de gloire et de
+loüange, mais elle luy en fit une réprimende et remonstrance, qu'avant
+leur mariage on ne parloit que de luy et de ses beaux faits, et que
+désormais on luy pourroit reprocher à elle-mesme une telle
+discontinuation de son mary; qui portoit un très-grand préjudice à elle
+et à son mary, d'estre devenu un si grand casannier, dont elle ne cessa
+jamais jusques à ce qu'elle lui eust remis son premier courage, et
+renvoyé à la guerre, où il fit encore mieux que devant. Voilà comment
+cette honneste dame n'aima point tant son plaisir de nuict comme elle
+faisoit l'honneur de son mary: et certes, nos femmes mesmes, encor
+qu'elles nous trouvent près de leurs costez, si nous ne sommes braves et
+vaillants, ne nous sçauroient aymer ny nous tenir auprès d'elles de bon
+cœur; mais, quand nous retournons des armées, et que nous avons fait
+quelque chose de bien et de beau, c'est alors qu'elles nous ayment et
+nous embrassent de bon cœur, et qu'elles le trouvent meilleur.
+
+--La quatriesme fille du comte de Provence, beau-pere de saint Louis, et
+femme à Charles, comte d'Anjou, frère dudit roy, magnanime et ambitieuse
+qu'elle estoit, se faschant de n'estre que simple comtesse de Provence
+et d'Anjou, et qu'elle seule de ses trois sœurs, dont les deux
+estoient reyne et l'autre impératrice, ne portoit autre titre que de
+dame et comtesse, ne cessa jamais, jusques à ce qu'elle eust prié,
+pressé et importuné son mary d'avoir et de conquester quelque royaume;
+et firent si bien qu'ils furent eslus par le pape Urbain roy et reyne
+des Deux-Siciles; et allèrent tous deux à Rome avec trente galleres se
+faire couronner par sa Sainteté, en grande magnificence, roy et reyne de
+Jérusalem et de Naples, qu'il conquesta après tant par ses armes
+valeureuses que par les moyens que sa femme luy donna, vendant toutes
+ses bagues et joyaux pour fournir aux frais de la guerre: et puis après
+régnèrent assez paisiblement et longuement en leurs beaux royaumes
+conquis. Longtemps après, une de leurs petites-filles, descendues d'eux
+et des leurs, Isabeau de Lorraine, fit, sans son mary René, semblable
+trait; car luy estant prisonnier entre les mains de Charles, duc de
+Bourgogne, elle estant princesse, sage et de grand magnanimité et
+courage, de Sicile et de Naples le royaume leur estant escheu par
+succession, assembla une armée de trente mille hommes, et elle-mesme la
+mena et conquesta le royaume, et se saisit de Naples. Je nommerois une
+infinité de dames qui ont servi de telles façons beaucoup à leurs marys,
+et qu'elles, estant hautes de cœur et d'ambition, ont poussé et
+encouragé leurs marys à se faire grands, acquerir des biens et des
+grandeurs et richesses: aussi est-ce le plus beau et le plus honorable
+que d'en avoir par la pointe de l'espée. J'en ay cogneu beaucoup en
+nostre France et en nos Cours, qui, plus poussez de leurs femmes, quasi
+que de leurs volontés, ont entrepris et parfait de belles choses. Force
+femme ay-je cogneu aussi, qui ne songeans qu'à leurs bons plaisirs, les
+ont empeschez et tenus tousjours auprès d'elles; les empeschant de faire
+de beaux faits, ne voulant qu'ils s'amusassent si-non à les contenter du
+jeu de Vénus, tant elles y estoient aspres. J'en ferois force contes,
+mais je m'extravaguerois trop de mon sujet, qui est plus beau certes,
+car il touche la vertu, que l'autre qui touche le vice, et contente plus
+d'ouyr parler de ces dames qui ont poussé les hommes à de beaux actes.
+Je ne parle pas seulement des femmes mariées, mais de plusieurs autres,
+qui, pour une seule petite faveur, ont fait faire à leurs serviteurs
+beaucoup de choses qu'ils n'eussent pas fait; car quel contentement leur
+est-ce, quelle ambition et eschauffement de cœur? Est-il plus grande
+que, quand on est en guerre, que l'on songe que l'on est bien aymé de sa
+maistresse, et que si l'on fait quelque belle chose pour l'amour
+d'elle, combien de bons visages, de beaux attrait, de belles
+œillades, d'embrassades, de plaisirs, de faveurs, qu'on espère après
+de recevoir d'elles.
+
+--Scipion, entre autres reprimendes qu'il fit à Massinissa lorsque,
+quasi tout sanglant, il espousa Sophonisba, luy dit qu'il n'estoit bien
+séant de songer aux dames et à l'amour lorsqu'on est à la guerre. Il me
+pardonnera s'il lui plaist; mais, quant à moy, je pense qu'il n'y a
+point si grand contentement, ny qui donne plus de courage ny d'ambition
+pour bien faire, qu'elles. J'en ay esté logé-là d'autresfois. Quant à
+pour moy, je croy que tous ceux qui se trouvent aux combats en sont de
+mesmes: je m'en rapporte à eux. Je crois qu'ils sont de mon opinion,
+tant qu'ils sont, et que, lorsqu'ils sont en quelque beau voyage de
+guerre et qu'ils sont parmy les plus chaudes presses de l'ennemy, le
+cœur leur double et accroist quand ils songent à leurs dames, à leurs
+faveurs qu'ils portent sur eux, et aux caresses et beaux recueils qu'ils
+recevront d'elles au partir de-là s'ils en eschapent, et, s'ils viennent
+à mourir, quels regrets elles feront pour l'amour de leurs trespas.
+Enfin, pour l'amour de leurs dames et pour songer en elles, toutes
+entreprises sont faciles et aisées, tous combats leur sont des tournois,
+et toute mort leur est un triomphe.
+
+--Je me souviens qu'à la bataille de Dreux feu M. des Bordes, brave et
+gentil cavalier s'il en fut de son temps, estant lieutenant de M. de
+Nevers, dit avant comte d'Eu, prince aussi très-accomply, ainsi qu'il
+fallut aller à la charge pour enfoncer un bataillon de gens de pied qui
+marchoit droit à l'avant-garde, où commandoit feu M. de Guise le Grand,
+et que le signal de la charge fut donné, ledict des Bordes, monté sur un
+turc gris, part tout aussi-tost, enrichy et garny d'une fort belle
+faveur que sa maistresse luy avoit donnée (je ne la nommeray point, mais
+c'estoit l'une des belles et honnestes filles, et des grandes de la
+Cour); et en partant, il dit: «Hà! je m'en vais combattre vaillamment
+pour l'amour de ma maistresse, ou mourir glorieusement.» A ce il ne
+faillit, car, ayant percé les six premiers rangs, mourut au septiesme,
+porté par terre. A vostre advis, si cette dame n'avoit pas bien employé
+sa belle faveur, et si elle s'en devoit desdire pour luy avoir donnée?
+
+--M. de Bussy a esté le jeune homme qui a aussi bien fait valoir les
+faveurs de ses maistresses que jeune homme de son temps, et mesmes de
+quelques-unes que je sçay, qui méritoient plus de combats, d'exploits
+de guerre, de coups d'espée, que ne fit jamais la belle Angélique des
+paladins et chevalliers de jadis, tant chrestiens que sarrazins; mais je
+luy ouy dire souvent qu'en tant de combats singuliers et guerres et
+rencontres générales (car il en a fait prou) où il s'est jamais trouvé,
+et qu'il a jamais entrepris, ce n'estoit point tant pour le service de
+son prince ny pour ambition, que pour la seule gloire de complaire à sa
+dame. Il avoit certes raison, car toutes les ambitions du monde ne
+vallent pas tant que l'amour et la bienveillance d'une belle et honneste
+dame et maistresse. Et pourquoy tant de braves chevalliers errants de la
+Table-Ronde, et de tant de valleureux paladins de France du temps passé,
+ont entrepris tant de guerres, tant de voyages lointains, tant fait de
+belles expéditions, si-non pour l'amour des belles dames qu'ils
+servoient ou vouloient servir? Je m'en rapporte à nos palladins de
+France, nos Rollands, nos Renauds, nos Ogiers, nos Olliviers, nos Yvons,
+nos Richards, et une infinité d'autres. Aussi c'estoit un bon temps et
+bien fortuné; car, s'ils faisoient quelque chose de beau pour l'amour de
+leurs dames, leurs dames, nullement ingrattes, les en sçavoient bien
+récompenser quand ils se venoient rencontrer, ou donner des rendez-vous
+dans des forests, dans les bois, auprès des fontaines ou en quelques
+belles prairies. Et voilà le guerdon des vaillantises que l'on desire
+des dames. Or il y a une demande: pour-quoi les femmes aiment tant ces
+vaillants hommes, et, comme j'ay dit au commencement, la vaillance a
+cette vertu et force de se faire aimer à son contraire? Davantage, c'est
+une certaine inclination naturelle qui pousse les dames pour aimer la
+générosité, qui est certainement cent fois plus aimable que la
+coüardise: aussi toute vertu se fait plus aimer que le vice. Il y a
+aucunes dames qui aiment ces gens ainsi pourvus de valeur, d'autant
+qu'il leur semble que, tout ainsi qu'ils sont braves et adroits aux
+armes et au mestier de Mars, qu'ils le sont de mesmes à celuy de Vénus.
+Cette regle ne faut en aucuns, et de fait ils le sont, comme fut jadis
+César, le vaillant du monde, et force autres braves que j'ay cogneus que
+je tais, et tels y ont bien toute autre force et grace que des ruraux et
+autres gens d'autre profession; si-bien qu'un coup de ces gens-là en
+vaut quatre des autres, je dis envers les dames qui sont modestement
+lubriques, mais non pas envers celles qui le sont sans mesure, car le
+nombre leur plaist. Et si cette regle est bonne quelques fois en aucuns
+de ses gens, et selon l'humeur d'aucunes femmes, elle faut en d'autres;
+car il se trouve de ces vaillants qui sont tant rompus de l'harnois et
+des grandes corvees de guerre, qu'ils n'en peuvent plus quand il faut
+venir à ce doux jeu, de sorte qu'ils ne peuvent contenter leurs dames;
+dont aucunes, et plusieurs y en a, qui aimeroient mieux un bon artisan
+de Vénus, frais et bien émoulu, que quatre de ceux de Mars, ainsi
+allebrenez. J'en ay cogneu force de ce sexe féminin et de cette humeur;
+car enfin, disent-elles, il n'y a que de bien passer son temps et en
+tirer la quintessence, sans avoir acception de personnes. Un bon homme
+de guerre est bon, et le fait beau voir à la guerre; mais s'il ne sçait
+rien faire au lict (disent-elles), un bon gros vallet bien à séjour vaut
+bien autant qu'un beau et vaillant gentilhomme lassé. Je m'en rapporte à
+celles qui en ont fait l'essay et le font tous les jours; car les reins
+du gentilhomme, tout gallant et brave soit-il, estans rompus et froissés
+de l'harnois qu'ils ont tant porté sur eux, ne peuvent fournir à
+l'appointement comme les autres qui n'ont jamais porté peine ni fatigue.
+D'autres dames y en a-t-il qui aiment les vaillants, soient pour marys,
+soient pour serviteurs, afin qu'il débattent et soustiennent mieux leurs
+honneurs et leurs chastetez, si aucuns médisants il y en a qui les
+veulent souiller de paroles; ainsi que j'en ay veu plusieurs à la Cour,
+où j'y ay cogneu d'autresfois une fort belle et grande dame, que je ne
+nommeray point, estant fort sujette aux médisances, quitta un serviteur
+fort favory qu'elle avoit, le voyant mol à départir de la main et ne
+braver et ne quereller, pour en prendre un autre qui estoit un
+escalabreux, brave et vaillant, qui portoit sur la pointe de son espée
+l'honneur de sa dame, sans qu'on y osast aucunement toucher. Force dames
+ay-je cogneu de cette humeur, qui ont voulu tousjours avoir un vaillant
+pour leur escorte et deffense; ce qui leur est très-bon et très-utile
+bien souvent: mais il faut bien qu'elles se donnent garde de broncher et
+varier devant eux si elles se sont une fois soumises sous leur
+domination; car, s'ils s'apperçoivent le moins du monde de leurs
+fredaines et mutations, il les mainent beau et les gourmandent
+terriblement, et elles et leurs gallants, si elles changent; ainsi que
+j'en ay veu plusieurs exemples en ma vie. Voilà donc, telles femmes qui
+se voudront mettre en possession de tels braves et scalabreux, faut
+qu'elles soient braves et très-constantes envers eux, ou bien qu'elles
+soient si fort secretes en leurs affaires, qu'elles ne se puissent
+évanter: si ce n'est qu'elles voulussent faire en composant, comme les
+courtisannes d'Italie et de Rome, qui veulent avoir un brave (ainsi le
+nomment-elles) pour les défendre et maintenir; mais elles mettent
+tousjours par le marché qu'elles auront d'autres concurrences, et que le
+brave n'en sonnera mot. Cela est fort bon pour les courtisannes de Rome
+et pour leurs braves, non pour les gallants gentilshommes de nostre
+France ou d'ailleurs. Biais si une honneste dame se veut maintenir en sa
+fermeté et constance, il faut que son serviteur n'espargne nullement sa
+vie pour la maintenir et défendre si elle court la moindre fortune du
+monde, soit, ou de sa vie, ou de son honneur, ou de quelque meschante
+parole; ainsi que j'en ay veu en nostre Cour plusieurs qui ont fait
+taire les médisants tout court, quand ils sont venus à détracter de
+leurs maistresses et dames; auxquelles, par devoir de chevallerie et par
+les lois, nous sommes tenus de servir de champions en leurs afflictions;
+ainsi que fit ce brave Renaud de la belle Genevre en Escosse, le
+seigneur de Mendozze à cette belle duchesse que j'ay dit, et le seigneur
+de Carouge à sa propre femme du temps du roy Charles sixiesme, comme
+nous lisons dans nos Croniques. J'en alléguerois une infinités d'autres,
+et du vieux et du nouveau temps, ainsi que j'ay veu en nostre Cour; mais
+je n'aurois jamais fait. D'autres dames ay-je cogneues qui ont quitté
+des hommes pusilanimes, encores qu'ils fussent bien riches, pour aimer
+et espouser des gentilshommes qui n'avoient que l'espée et la cappe,
+pour manière de dire; mais ils estoient valeureux et généreux, et
+avoient espérance, par leurs valeurs et générositez, de parvenir aux
+grandeurs et aux estats, encore certes que ne ne soient pas les plus
+vaillants qui le plus souvent y parviennent, en quoy on leur fait tort
+pourtant; et bien souvent voit-on les coüards et pusilanismes y
+parvenir; mais, quoy qu'il soit, telle marchandise ne paroist point sur
+eux comme quand elle est sur les vaillants. Or je n'aurois jamais fait
+si je voulois raconter les diverses causes et raisons pourquoy les dames
+aiment ainsi les hommes remplis de générosité. Je sçay bien que si je
+voulois amplifier ce discours d'une infinité de raisons et d'exemples,
+j'en pourrois faire un livre entier; mais ne me voulant amuser sur un
+seul sujet, ains en varier de plusieurs et divers, je me contenteray
+d'en avoir dit ce que j'ay dit, encore que plusieurs me pourront
+reprendre que cettuy-cy estoit bien assez digne pour estre enrichy de
+plusieurs exemples et prolixes raisons, qu'eux-mesmes pourront bien: «Il
+a oublié cettuy-cy, il a oublié cettuy-là.» Je le sçay bien, et en sçay
+possible plus qu'ils ne pourront alléguer, et des plus sublins et
+secrets; mais je veux les tous publier et nommer. Voilà pourquoy je me
+tais. Toutefois, avant que faire pose, je dirai ce mot en passant, que,
+tout ainsi que les dames aiment les hommes vaillants et hardis aux
+armes, elles aiment aussi ceux qui le sont en amours; et jamais homme
+coüard et par trop respectueux en icelles n'aura bonne fortune; non
+qu'elles les veuillent si outrecuidez, hardis et présomptueux, que de
+haute lutte les vinssent porter par terre; mais elles desirent en eux
+une certaine modestie hardie, ou hardiesse modeste; car d'elles-mesmes,
+si ce ne sont des louves, ne vont pas requerir ni se laisser aller, mais
+elles en sçavent si bien donner les appetits, les envies, et attirent si
+gentiment à l'escarmouche, que qui ne prend le temps à point et ne vient
+aux prises, sans aucun respect de majesté et de grandeur, ou de
+scrupule, ou de conscience, ou de crainte, ou de quelque autre sujet,
+celuy vrayement est un sot et sans cœur, et qui mérite à jamais estre
+abandonné de la bonne fortune.
+
+--Je sçay deux honnestes gentilshommes compagnons, pour lesquels deux
+fort honnestes dames, et non certes de petite qualité, ayant fait pour
+eux une partie un jour à Paris, et s'aller pourmener en un jardin,
+chacune, y estant, se separa à l'escart l'une de l'autre, avec un chacun
+son serviteur, en chacune son allée, qui estoit si couverte de belles
+treilles que le jour quasi ne s'y pouvoit voir, et la fraischeur y
+estoit gracieuse. Il y eut un des deux hardy, qui, cognoissant cette
+partie n'avoir esté faitte pour se pourmener et prendre le frais, et
+selon la contenance de sa dame qu'il voyoit brusler en feu, et d'autre
+envie que de manger des muscats qui estoient en la treille, et selon
+aussi les paroles eschauffées, affettées et folastres, ne perdit si
+belle occasion; mais, la prenant sans aucun respect, la mit sur un petit
+lict qui estoit fait de gazons et de mottes de terre; il en joüit fort
+doucement, sans qu'elle dist autre chose, si-non: «Mon Dieu! que
+voulez-vous faire? N'êtes-vous pas le plus grand fol et estrange du
+monde? et si quelqu'un vient, que dira-t-on? Mon Dieu, ostez-vous.» Mais
+le gentilhomme, sans s'estonner, continua si bien, qu'il en partit si
+content, et elle et tout, qu'ayant fait encor trois ou quatre tours
+d'allée, ils recommencèrent encore une seconde charge. Puis, sortant de
+là en autre allée couverte, ils virent d'autre costé l'autre gentilhomme
+et l'autre dame, qui se pourmenoient ainsi qu'ils les y avoient laissez
+auparavant. A quoy la dame contente dit au gentilhomme content: «Je
+croy qu'un tel aura fait du sot, et qu'il n'aura fait à sa dame autre
+entretien que de paroles, de discours et de pourmenades.» Donc, tous
+quatre s'assemblans, les deux dames se vindrent à demander de leurs
+fortunes. La contente respondit qu'elle se portoit fort bien elle, et
+que pour le coup elle ne se sauroit pas mieux porter. La mecontente de
+son costé dit qu'elle avoit eu affaire avec le plus grand sot et le plus
+coüard amant qui s'estoit jamais veu. Et surtout les deux gentilshommes
+les virent rire et crier entre elles deux en se pourmenant. «O le sot! ô
+le coüard! ô monsieur le respectueux!» Sur quoy le gentilhomme content
+dit à son compagnon: «Voilà nos dames qui parlent bien à vous, elles
+vous foüettent: vous trouverez que vous avez fait trop du respectueux et
+du badin.» Ce qu'il advoua: mais il n'estoit plus temps, car l'occasion
+n'avoit plus de poil pour la prendre. Toutesfois, ayant cogneu sa faute,
+au bout de quelque temps il la repara par quelque certain autre moyen
+que je dirois bien.
+
+--J'ay cogneu deux grands seigneurs et frères, et tous deux bien
+parfaits et bien accomplis, qui, aymans deux dames, mais il y en avoit
+une plus grande que l'autre en tout, et estant entrez en la chambre de
+cette grande qui gardoit pour lors le lict, chacun se mit à part pour
+entretenir sa dame. L'un entretient la grande avec tous les respects et
+tous les baisements humbles qu'il put, et paroles d'honneur et
+respectueuses, sans faire jamais aucun semblant de s'approcher de près
+ny vouloir forcer la roque. L'autre frère, sans cérémonie d'honneur ny
+de paroles, prit la dame à un coing de fenestre, et lui ayant tout d'un
+coup essarté ses caleçons qui estoient bridez (car il estoit bien fort),
+luy fit sentir qu'il n'aimoit point à l'espagnole, par les yeux, ny par
+les gestes de visage, ny par paroles, mais par le vray et propre point
+et effet qu'un vray amant doit souhaiter: et ayant achevé son prix-fait,
+s'en part de la chambre, et en partant dit à son frere, assez haut que
+sa dame l'ouyt: «Mon frere, si vous ne faites comme moy vous ne faites
+rien, et vous dis que vous pouvez estre tant brave et hardy ailleurs que
+vous voudrez; mais si en ce lieu vous ne monstrez votre hardiesse, vous
+estes deshonoré; car vous n'estes ici en lieu de respect, mais en lieu
+où vous voyez votre dame qui vous attend.» Et par ainsi laissa son
+frere, qui pourtant pour l'heure retint son coup et le remit à une autre
+fois: ce ne fut pourtant que la dame ne l'en estimast davantage, ou
+qu'elle luy attribuast une trop grande froideur d'amour, ou faute de
+courage, ou inhabileté de corps; si l'avoit monstré assez ailleurs, soit
+en guerre, soit en amours.
+
+--La feu reyne-mère fit une fois joüer une fort belle comédie en
+italien, pour un mardy gras, à l'hostel de Reims, que Cornelie Fiasco,
+capitaine des galleres, avoit inventée. Toute la Cour s'y trouva, tant
+hommes que dames, et force autres de la ville. Entre autres choses, il
+fut représenté un jeune homme qui avoit demeuré caché tout une nuict
+dans la chambre d'une très-belle dame et ne l'avoit nullement touchée;
+et ayant raconté cette fortune à son compagnon, il luy demanda:
+_Ch'avete fatto_[106]? L'autre respondit: _Niente_[107]. Sur cela son
+compagnon lui dit: _Ah! poltronazzo, senza cuore! non havete fatto
+niente! Che maldita sia la tua poltronneria[108]!_ Après que la dite
+comédie fut joüée, le soir, ainsi que nous estions en la chambre de la
+Reyne, et que nous discourions de cette comédie, je demanday à une fort
+belle et honneste dame, que je ne nommeray point, quels plus beaux
+traits elle avoit observés et remarqués en la comédie, qui luy eussent
+pleu le plus. Elle me dit tout naïvement: «Le plus beau trait que j'ay
+trouvé, c'est que l'autre a respondu au jeune homme qui s'appeloit
+Lucio, qui luy avoit dit _che non haveva fatto niente: Ah poltronazzo!
+non havete fatto niente! Che maldita sia la tua poltronneria!_» Voilà
+comme cette dame qui me parloit estoit de consente avec l'autre qui luy
+reprochoit sa poltronnerie, et qu'elle ne l'estimoit nullement d'avoir
+esté si mol et lasche; ainsi comme plus à plain elle et moy nous
+discourusmes des fautes que l'on fait sur le sujet de ne prendre le
+temps et le vent quand il vient à point, comme fait le bon marinier. Si
+faut-il que je fasse encore ce conte, et le mesle, tout plaisant et
+bouffon qu'il est, parmy les autres sérieux.
+
+--J'ay donc ouy conter à un honneste gentilhomme mien amy, qu'une dame
+de son pays, ayant plusieurs fois monstré de grandes familiaritez et
+privautez à un sien vallet-de-chambre, qui ne tendoient toutes qu'à
+venir à ce point, ledit vallet, point fat et sot, un jour d'esté
+trouvant sa maistresse par un matin à demi endormye dans son lict toute
+nue, tournée de l'autre costé de la ruelle, tenté d'un si grande
+beauté, et d'une fort propre posture, et aisée pour l'investir et s'en
+accommoder, estant elle sur le bord du lict, vint doucement et investit
+la dame, qui, se tournant, vid que c'estoit son vallet qu'elle desiroit;
+et, toute investie qu'elle estoit, sans autrement se desinvestir ny
+remüer, ny se defaire, ny depestrer de sa prise tant soit peu, ne fit
+que dire, tournant la teste, et se tenant ferme de peur de ne rien
+perdre: «Monsieur le sot, qui est-ce qui vous a fait si hardy de le
+mettre-là?» Le vallet luy respondit en toute révérence: «Madame,
+l'osteray-je?--Ce n'est pas ce que je vous dis, monsieur le sot, luy
+respondit la dame. Je vous dis: Qui vous a fait si hardy de le
+mettre-là»? L'autre retournoit toujours à dire: «Madame, l'osteray-je?
+et si vous voulez, je l'osteray:» et elle à redire: «Ce n'est pas ce que
+je vous dis encore, monsieur le sot.» Enfin, et l'un et l'autre firent
+ces mesmes repliques et dupliques par trois ou quatre fois, sans se
+desbauscher autrement de leur besogne, jusques à ce qu'elle fut achevée;
+dont la dame s'en trouva mieux que si elle eust commandé à son galland
+de l'oster, ainsi qu'il luy demandoit. Et bien servit à elle de
+persister en sa première demande sans varier, et au gallant en sa
+replique et duplique: et par ainsi continuèrent leurs coups et cette
+rubrique long-temps après ensemble; car il n'y a que la premiere fournée
+ou la premiere pinte chere, ce dit-on. Voilà un beau vallet et hardy! et
+à tels hardis, comme dit l'italien, il faut dire: _A bravo cazzo mai non
+manca favor_. Or, par ainsi vous voyez qu'il y en a plusieurs qui sont
+braves, hardis et vaillants, aussi bien pour les armes que pour les
+amours; d'autres qui le sont en armes et non en amours; d'autres qui le
+sont en amours et non aux armes, comme estoit ce marault de Paris, qui
+eut bien la hardiesse et vaillance de ravir Heleine à son pauvre cocu de
+mary Menelaüs, et coucher avec elle, et non de se battre avec luy devant
+Troyes. Voilà aussi pourquoy les dames n'aiment les vieillards ny ceux
+qui sont trop avancés sur l'aage, d'autant qu'ils sont forts timides en
+amours et vergogneux à demander; non qu'ils n'ayent des concupiscences
+aussi grandes que les jeunes, voire plus, mais non pas les puissances:
+et c'est ce que dit une fois une dame espagnole, que les vieillards
+ressembloient beaucoup de personnes que, quand elles voient les roys en
+leurs grandeurs, dominations et autoritez, ils souhaiteroient fort
+d'estre comme eux, non pas qu'ils osassent rien attenter contre eux pour
+les déposséder de leurs royaumes et prendre leurs places; et
+disoit-elle: _Y a pends es nascido et desseo, quando se muere luego_;
+c'est-à-dire «qu'à peine le desir est né qu'il meurt aussi-tost:» aussi
+les vieillards, quand ils voyent de beaux objets, ils les desirent fort,
+mais ils ne les osent attaquer, _por que los viejos naturalmente son
+temerosos; y amor y temor no se caben en un saco_; «car les vieillards
+sont craintifs fort naturellement; et l'amour et la crainte ne se
+trouvent jamais bien dans un sac.» Aussi ont-ils raison; car ils n'ont
+armes ny pour offencer ny pour défendre, comme des jeunes gens, qui ont
+la jeunesse et beauté: et aussi, comme dit le poëte, rien n'est mal
+séant à la jeunesse, quelque chose qu'elle fasse; aussi, dit un autre,
+il n'est point beau de voir un vieil gendarme ny un vieil amoureux. Or
+c'est assez parlé sur ce sujet; parquoy je fais fin et n'en dis plus,
+si-non que j'adjousteray un autre nouveau sujet faisant et approchant
+quasi à ce sujet, qui est que, tout ainsi que les dames aiment les
+hommes braves, vaillants et généreux, les hommes aiment pareillement les
+dames braves, de cœur et généreuses. Et comme tout homme généreux et
+courageux est plus aimable et admirable qu'un autre, aussi de mesme en
+est toute dame illustre, généreuse et courageuse; non que je veuille que
+cette dame fasse les actes d'un homme, ny qu'elle s'agendarme comme un
+homme, ainsi que j'en ay veu, cogneu et ouy parler d'aucunes qui
+montoient à cheval comme un homme, portoient le pistolet à l'arçon de la
+selle, et le tiroient, et faisoient la guerre comme un homme. J'en
+nommerais bien une qui durant ces guerres de la Ligue en a fait de
+mesme. Ce desguisement est dementir le sexe; outre qu'il n'est beau et
+bien séant, il n'est permis, et porte plus grand préjudice qu'on ne
+pense: ainsi que mal en prit à cette gente pucelle d'Orléans, laquelle
+en son procès fut calomniée de cela, et en partie cause de son sort et
+sa mort. Voilà pourquoi je ne veux ny estime trop tel garçonnement; mais
+je veux et aime une dame qui monstre son brave et valleureux courage,
+estant en adversité et en bon besoin, par de beaux actes feminins, qui
+approschent fort d'un cœur masle. Sans emprunter les exemples des
+généreuses dames de Rome et de Sparte de jadis, qui ont en cela excedé
+toutes autres, ils sont assez manifestes et exposez à nos yeux, j'en
+veux escrire de nouveaux et de nos temps. Pour le premier, et à mon gré
+le plus beau que je sçache, ce fut celuy de ces belles, honnestes et
+courageuses dames de Sienne, alors de la révolte de leur ville contre le
+joug insuportable des Impériaux; car, après que l'ordre y fut estably
+pour la garde, les dames, en estant mises à part pour n'estre propres à
+la guerre comme les hommes, voulurent monstrer un par-dessus, et
+qu'elles sçavoient faire autre chose que besogner à leurs ouvrages du
+jour et de la nuict; et, pour porter leur part du travail, se
+departirent d'elles-mesmes en trois bandes: et, un jour de Saint
+Anthoine, au mois de janvier, comparurent en public trois des plus
+belles, grandes et principales de la ville, en la grande place (qui est
+certes très-belle), avec leurs tambours et enseignes. La premiere estoit
+la signora Forteguerra, vestuë de violet, son enseigne et sa bande de
+mesme parure avec une devise de ces mots: _Purche sia il vero_. Et
+estoient toutes ces dames vestues à la nymphale, d'un court
+accoustrement qui en descouvroit et monstroit mieux la belle greve. La
+seconde estoit la signora Piccolomini, vestue d'incarnat, avec sa bande
+et enseigne de mesme, avec la croix blanche, et la devise en ces mots:
+_Purche no l'habbia tutto_. La troisiesme estoit la signora Livia
+Fausta, vestue toute à blanc, avec sa bande et enseigne blanche, en
+laquelle estoit une palme, et la devise en ces mots: _Purche l'habbia_.
+A l'entour et à la suite de ces trois dames, qui sembloient trois
+déesses, il y avoit bien trois mille dames, que gentilles-femmes,
+bourgeoises qu'autres, d'apparence toutes belles, ainsi bien parées de
+leurs robbes et livrées, toutes ou de satin ou de taffetas, de damas ou
+autres draps de soye, et toutes résoluës de vivre ou mourir pour la
+liberté; et chacune portoit une fascine sur l'espaule à un fort que l'on
+faisoit, criants: _France! France!_ Dont M. le cardinal de Ferrare et M.
+de Termes, lieutenants du Roy, en furent si ravis d'une chose si rare et
+belle, qu'ils ne s'amusèrent à autre chose qu'à voir, admirer,
+contempler et loüer ces belles et honnestes dames: comme de vray j'ay
+ouy dire à aucunes et aucuns qui y estoient, que jamais rien ne fut si
+beau; et Dieu sçait si les belles dames manquent en cette ville, et en
+abondance, sans spéciauté.
+
+Les hommes, qui, de leur bonne volonté, estoient fort enclins à leur
+liberté, en furent davantage poussez par ce beau trait, ne voulans en
+rien céder à leurs dames pour cela: tellement que tous à l'envy,
+gentilshommes, seigneurs, bourgeois, marchands, artisans, riches et
+pauvres, tous accoururent au fort à en faire de mesme que ces belles,
+vertueuses et honnestes dames; et en grande émulation, non-seulement les
+séculiers, mais les gens d'église poussèrent tous à cet œuvre, et au
+retour du fort, les hommes à part, et les femmes aussi rangées en
+bataille en la place auprès du palais de la Seigneurie, allèrent l'un
+après l'autre, de main en main, saluer l'image de la Vierge Marie,
+patronne de la ville, en chantant quelques hymnes et cantiques à son
+honneur par un si doux air et agréable armonie, que, partie d'aise,
+partie de pitié, les larmes tombaient des yeux à tout le peuple; lequel,
+après avoir receu la bénédiction de M. le révérendissime cardinal de
+Ferrare, chacun se retira en son logis, tous et toutes en résolution de
+faire mieux à l'advenir. Cette cérémonie sainte de dames me fait
+ressouvenir (sans comparaison) d'une profane, mais belle pourtant, qui
+fut faite à Rome du temps de la guerre punique, qu'on trouve dans
+Tite-Live. Ce fut une pompe et une procession qui s'y fit de trois fois
+neuf, qui sont vingt-sept jeunes belles filles romaines, et toutes
+pucelles, vestues de robettes assez longuettes (l'histoire n'en dit
+point les couleurs); lesquelles, après leur pompe et procession achevée,
+s'arrestèrent en une place, où elles dansèrent devant le peuple une
+danse en s'entredonnans une cordelette, rangée l'une après l'autre,
+faisant un tour de danse, et accommodant le mouvement et fretillement de
+leurs pieds en cadence de l'air et de la chanson qu'elles disoient: ce
+qui fut une chose très-belle à voir autant pour la beauté de ces belles
+filles que pour leur bonne grace, leur belle façon à la danse, et pour
+leur affetté mouvement de pieds, qui certes l'est d'une belle pucelle,
+quand elle les sçait gentiment et mignardement conduire et mener. Je me
+suis imaginé en moy cette forme de danse, et m'a fait souvenir d'une que
+j'ay veu de mon jeune temps danser les filles de mon pays, qu'on
+appeloit la _jarretierre_; lesquelles, prenans et s'entredonnans la
+jarretierre par la main, les passoient et repassoient par-dessus leur
+teste, puis les mesloient et entrelassoient entre leurs jambes en
+sautant dispostement par-dessus, et puis s'en desveloppoient et
+desengageoient si gentiment par de petits sauts, tousjours
+s'entresuivans les uns après les autres, sans jamais perdre la cadence
+de la chanson ou de l'instrument qui les guidoit; si que la chose estoit
+très-plaisante à voir, car les sauts, les entrelassements, les
+desgagements, le port de la jarretierre et la grace des filles,
+portoient je ne sçay quelque lasciveté mignarde, que je m'estonne que
+cette danse n'a esté pratiquée en nos cours de nostre temps, puis que
+les calleçons y sont fort propres, et qu'on y peut voir aisément la
+belle jambe, et qui a la chausse la mieux tirée, et qui a la plus belle
+disposition. Cette danse se peut mieux représenter par la veuë que par
+l'escriture.
+
+Pour retourner à nos dames siennoises: «Hà! belles et braves dames, vous
+ne deviez jamais mourir, non plus que vostre los, qui a jamais ira de
+conserve avec l'immortalité, non plus aussi que cette belle et gentille
+fille de vostre ville, laquelle, en vostre siége, voyant son frere un
+soir detenu malade en son lict, et fort mal disposé pour aller en garde,
+le laissant dans le lict, tout coyment se desrobe de luy, prend ses
+armes et ses habillements, et, comme la vraye effigie de son frère,
+paroist en garde; et fut prise pour son frere, ainsi incogneue par la
+faveur de la nuict.» Gentil trait, certes; car, bien qu'elle se fust
+garçonnée et gendarmée, ce n'estoit pourtant pour en faire une
+continuelle habitude, que pour cette fois faire un bon office à son
+frere. Aussi dit-on que nul amour est égal à la fraternelle, et
+qu'aussi, pour un bon besoin, il ne faut rien espargner pour monstrer
+une gente générosité du cœur, en quelque endroit que ce soit. Je croy
+que le corporal qui lors commandoit à l'esquade où estoit cette belle
+fille, quand il sceut ce trait, fut bien marry qu'il ne l'eust mieux
+recogneue, pour mieux publier sa loüange sur le coup, ou bien pour
+l'exempter de la sentinelle, ou du tout pour s'amuser d'en contempler la
+beauté, sa grace et sa façon militaire; car ne faut point douter qu'elle
+ne s'estudiast en tout à la contrefaire. Certes on ne sçauroit trop
+loüer ce beau trait, et mesme sur un si juste sujet pour le frere. Tel
+en fit ce gentil Richardet, mais pour divers sujets, quand, après avoir
+ouy le soir sa sœur Bradamente discourir des beautés de cette belle
+princesse d'Espagne, et de ses amours et desirs vains, après qu'elle fut
+couchée il prit ses armes et sa belle cotte, et s'en déguise pour
+paroistre sa sœur, tant ils estoient de semblance de visage et
+beauté; et après, sous telle forme, tira de cette belle princesse ce
+qu'à sa sœur son sexe luy avoit desnié; dont mal pourtant très-grand
+luy en fust arrivé sans la faveur de Roger, qui, le prenant pour sa
+maistresse Bradamente, le garantit de mort. Or j'ay ouy dire à M. de La
+Chapelle des Ursins, qui lors estoit en Italie, et qui fit le rapport de
+si beau trait de ces dames siennoises au feu roy Henry, il le trouva si
+beau, que la larme à l'œil il jura que, si Dieu luy donnoyt un jour
+la paix ou la trefve avec l'Empereur, qu'il iroit par ses galleres en la
+mer de Toscane, et de là à Sienne, pour voir cette ville si affectée à
+soy et à son party, et la remercier de cette brave et bonne volonté, et
+sur-tout pour voir ces belles et honnestes dames, et leur en rendre
+graces particulières. Je croy qu'il n'y eust pas failly, car il honoroit
+fort les belles et honnestes dames; et si leur escrivit, principalement
+aux trois principales, des lettres les plus honnestes du monde de
+remerciements et d'offres, qui les contentèrent et animèrent davantage.
+Hélas! il eut bien quelque temps après la trefve; mais, l'attendant à
+venir, la ville fut prise, comme j'ay dit ailleurs; qui fut une perte
+inestimable pour la France, d'avoir perdu une si noble et si chere
+alliance, laquelle, se ressouvenant et se ressentant de son ancienne
+origine, se voulut rejoindre et remettre parmy nous; car on dit que ces
+braves Siennois sont venus des peuples de France qu'en la Gaule on
+appeloit jadis Senonnes, que nous tenons aujourd'hui ceux de Sens; aussi
+en tiennent-ils encore de l'humeur de nous autres François, car ils ont
+la teste près du bonnet, et sont vifs, soudains et prompts comme nous.
+Les dames, pareillement aussi, se ressentent de ces gentilles,
+gracieuses façons, et familiaritez françaises.
+
+--J'ay leu dans une vieille chronique que j'ay allégué ailleurs, que le
+roy Charles huictiesme, en son voyage de Naples, lorsqu'il passa à
+Sienne, il y fut receu par une entrée si triomphante et si superbe,
+qu'elle passa toutes les autres qu'il fit en toute l'Italie; jusques à
+là que, pour plus grand respect et signe d'humilité, toutes les portes
+de la ville furent ostées de leurs gonds et portées par terre; et tant
+qu'il y demeura furent ainsi ouvertes et abandonnées à tous allants et
+venants, et puis après, venant son départ, remises. Je vous laisse à
+penser si le Roy, toute sa Cour et son armée, n'eurent pas grand sujet
+d'aymer et honorer cette ville (comme de vray il fit toujours), et en
+dire tous les biens du monde: aussi la demeure à luy et à tous en fut
+très-agréable, et sur la vie fut défendu de n'y faire aucune insolence,
+comme certes la moindre du monde ne s'ensuivit. Ha! braves Siennois,
+vivez pour jamais! Que pleust à Dieu fussiés-vous encore nostres en
+tout, comme possible vous l'estes en cœur et en ame! car la
+domination d'un roy de France est bien plus douce que celle d'un duc de
+Florence; et puis le sang ne peut mentir. Que si nous estions aussi
+voisins comme nous sommes reculez, possible, tous ensemble conformes de
+volontez, en ferions-nous-dire.
+
+--Les principaies dames de Pavie, en leur siége du roy François sous la
+conduite et exemple de la signora contessa Hippofita de Malespina, leur
+générale, se mirent de mesme à porter la hotte, remuer terre et remparer
+leurs bresches, faisant à l'envy des soldats. Un pareil trait de ces
+dames siennoises que je viens de raconter je vis faire à aucunes dames
+rocheloises au siége de leur ville dont il me souvient: que le premier
+dimanche de caresme que le siége y estoit, Monsieur, nostre général,
+manda sommer M. de La Nouë de sa parole, et venir parler à luy et luy
+rendre compte de sa négociation que luy avoit chargé pour cette ville;
+dont le discours en est long et fort bizarre, que j'espère ailleurs
+descrire. M. de La Nouë n'y faillit pas, et pour ce M. de Strozze fut
+donné en ostage dans la ville, et trefves furent faites pour ce jour et
+pour le lendemain. Ces trefves ainsi faittes, parurent aussi-tost comme
+nous hors des tranchées force gens de la ville sur les remparts et sur
+les murailles; et sur-tout parurent une centaine de dames et bourgeoises
+des plus grandes, plus riches et des plus belles, toutes vestues de
+blanc, tant de la teste que du corps, toutes de toile de Hollande fine,
+qu'il fit très-beau voir: et ainsi s'estoient-elles vestues à cause des
+fortifications des rempars où elles travailloient, fut ou à porter la
+hotte ou à remuer la terre; et d'autres habillements se fussent
+ensaloudis, et ces blancs en estoient quittes pour les mettre à la
+lessive; et aussi qu'avec cet habit blanc se fissent mieux remarquer
+parmy les autres. Nous autres fusmes fort ravis à voir ces belles dames,
+et vous asseure que plusieurs s'y amusèrent plus qu'à autre chose: aussi
+voulurent-elles bien se monstrer à nous, et ne furent à nous guières
+chiches de leur veuë, car elles se plantoient sur le bord du rampart
+d'une fort belle grace et démarche, qu'elles valoient bien le regarder
+et desirer. Nous fusmes curieux de demander quelles dames c'estoient.
+Ils nous respondirent que c'estoit une bande de dames ainsi jurée,
+associée et ainsi parée pour le travail des fortifications, et pour
+faire de tels services à leur ville; comme certes de vray elles en
+firent de bons, jusques-là que les plus viriles et robustes menoient les
+armes: si que j'ay ouy conter d'une, pour avoir souvent répoussé ses
+ennemis d'une pique, elle la garde encor si soigneusement comme sacrée
+relique, qu'elle ne la donneroit, ny ne voudroit pour beaucoup d'argent
+la bailler, tant elle la tient chere chez soy.
+
+--J'ay ouy raconter à aucuns vieux commandeurs de Rhodes, et mesmes je
+l'ay leu en un vieux livre, que lors que Rhodes fut assiégé par le
+sultan Soliman, les belles filles et dames de la ville ne pardonnèrent à
+leurs beaux visages et tendres et délicats corps, pour porter leur bonne
+part des peines et fatigues du siége, jusqu'à-là que bien souvent se
+présentoient aux plus pressés et dangereux assauts, et courageusement
+secondoient les chevaliers et soldats à les soutenir. Ah! belles
+Rhodiennes! vostre nom, vostre los a valu de tout temps et ne mériteriez
+d'estre sous la domination des barbares!
+
+--Du temps du roy François I, la ville de Saint-Riquier, en Picardie,
+fut entreprise et assaillie par un gentilhomme flamand, nommé Domrin,
+enseigne de M. du Ru, accompagné de cent hommes d'armes et de deux mille
+hommes de pied, et quelque artillerie. Dedans il n'y avoit seulement que
+cent hommes de pied, qui estoient fort peu, et estoit prise, ne fut que
+les dames de la ville se présentèrent à la muraille avec armes, eau et
+huile bouillante et pierres, et repoussérent bravement les ennemis, bien
+qu'ils fissent tous les efforts pour entrer. Encore deux desdites dames
+levèrent deux enseignes des mains des ennemis, et les tirérent de la
+muraille dans la ville; si bien que les assiégeants furent contraints
+d'abandonner la bresche qu'ils avoient faite et les murailles, et se
+retirer et s'en aller: dont la renommée fut par toute la France, la
+Flandre et la Bourgogne. Au bout de quelque temps le roy François
+passant par-là, en voulut voir les femmes, les loüa et les remercia. Les
+dames de Péronne en firent de mesme quand la ville fut assiégée du comte
+de Nassau, et assistèrent aux braves gens de guerre qui estoient dedans
+tout de mesme façon; qui en furent estimées, loüées et remerciées de
+leur roy. Les femmes de Sancerre, en ces guerres civiles et leur siége,
+furent recommandées et loüées des beaux effets qu'elles y firent en
+toutes sortes. Durant cette guerre de la Ligue, les dames de Vitré
+s'acquittérent de mesme en leur ville assiégée par M. de Mercœur.
+Elles y sont très-belles et tousjours fort proprement habillées de tout
+temps; et pour ce n'espargnoient leurs beautez à se monstrer viriles et
+courageuses: comme certes tous actes virils et généreux, à un tel
+besoin, sont autant à estimer en les femmes qu'en les hommes. Ainsi que
+de mesme furent jadis les gentiles femmes de Carthage, lesquelles, quand
+elles virent leurs marys, leurs freres, leurs peres, leurs parents et
+leurs soldats cesser de tirer à leurs ennemis, par faute de cordes en
+leurs arcs, qui estoient toutes usées de force de tirer par une si
+grande longueur de siége: et par ce, ne pouvans plus chevir de chanvre,
+de lin, ny de soie, ny d'autres choses pour faires cordes, s'advisérent
+de couper leurs belles tresses et blonds cheveux, et ne pardonner à ce
+bel honneur de leurs testes et parement de leurs beautez; si bien
+qu'elles-mêmes, de leurs belles, blanches et délicates mains, en
+retorsérent et en firent des cordes, et en fournirent à leurs gens de
+guerre: dont je vous laisse à penser de quels courages et de quels nerfs
+ils pouvoient tendre et bander leurs arcs, en tirer et en combattre,
+portans si belles faveurs des dames.
+
+--Nous lisons dans l'histoire de Naples que ce grand capitaine Sforce,
+sous la charge de la reyne Jeanne seconde, ayant esté pris par le mary
+de la reyne, Jacques, mis en estroite prison et en quelques traits de
+corde, sans doute il avoit la teste tranchée, sans que sa sœur
+Marguerite se mit en armes et aux champs, et fit si bien, elle en
+personne, qu'elle prit quatre gentilshommes napolitains principaux, et
+manda au roy que tel traittement il feroit à son frere, tel le
+feroit-elle à ses gens; si bien qu'il fut contraint de faire accord et
+le lascher sain et sauve. Ah! brave et généreuse sœur! ne tenant
+guiere en cela de son sexe. Je sçay aucunes sœurs et parentes que, si
+elles eussent fait traits pareil il y a quelque temps, possible
+eussent-elles sauvé un brave frere qu'elles avoient, qui fut perdu pour
+faute de secours et d'assistance pareille. Maintenant je veux laisser
+ces dames en général guerrieres et généreuses: parlons d'aucunes
+particulieres. Et pour la plus belle monstre de l'antiquitté, je
+n'allégueray que cette senle Zénobie pour toutes, laquelle, après la
+mort de mary, ne s'amusa, comme plusieurs, à perdre le temps à le plorer
+et regretter, mais à s'emparer de l'empire au nom de ses enfants, et
+faire la guerre aux Romains et à l'empereur Aurelian, qui en estoit lors
+empereur, en leur donnant de la peine beaucoup l'espace de huit ans,
+jusques à ce qu'estant descendüe en champ de bataille contre luy, fut
+vaincue et prise prisonniere, et menée devant l'Empereur; lequel, après
+lui avoir demandé comment elle avoit eu la hardiesse de faire la guerre
+aux Empereurs, elle luy respondit seulement: «Vrayment, je cognois bien
+que vous estes empereur, puisque vous m'avez vaincuë.» Il eut si grand
+aise de l'avoir vaincuë, et en tira une si grande ambition, qu'il en
+voulut triompher; et avec une très-grande pompe et magnificence elle
+marchoit devant son char triomphant, fort superbement habillée et
+accommodée d'une grande richesse de perles et pierreries, de grands
+joyaux et de chaisnes d'or, dont elle estoit enchaisnée au corps, aux
+pieds et aux mains, en signe de captive et d'esclave; si que, par la
+grande pesanteur de ses joyaux et chaisnes qu'elle portoit sur elle, fut
+contrainte de faire plusieurs pauses et se reposer souvent en ce
+triomphe. Grand cas, certes, et admirable, que, toute vaincue et
+prisonniere qu'elle estoit, encore donnoit-elle loy au vainqueur
+triompheur, et le faisoit arrester et attendre jusques à ce qu'elle eust
+repris son halleine! Grande aussi et honneste courtoisie estoit-ce à
+l'Empereur de luy permettre son aise et repos et endurer sa débilité, et
+ne la contraindre ny presser de se haster plus qu'elle ne pouvoit: de
+sorte que l'on ne sçait que plus loüer, ou l'honnesteté de l'Empereur,
+ou la façon de faire de la Reyne, qui possible pouvoit-elle joüer ce jeu
+exprès, non tant pour son imbécilité ou lassitude, que pour quelque
+ostentation de gloire, et monstrer au monde qu'elle en vouloit
+recueillir ce petit brin sur le soir de sa belle fortune, comme elle
+avoit fait sur le matin, et que monsieur l'Empereur luy cedoit ce
+coup-là pour l'attandre en ses pas lents et graves marchers. Elle se
+faisoit fort regarder et admirer autant des hommes que des dames,
+desquelles aucunes eussent fort voulu ressembler cette belle image; car
+elle estoit des plus belles, selon que disent ceux qui en ont escrit.
+Elle estoit d'une fort belle, haute et riche taille, son port très-beau,
+sa grace et sa majesté de mesmes, par conséquent son visage très-beau et
+fort agréable, les yeux noirs et fort brillants. Entre autres beautez,
+il luy donnoit les dents très-belles et fort blanches, l'esprit vif,
+fort modeste, sincere et clemente au besoin; la parole fort belle et
+prononcée d'une voix claire: aussi elle-mesme faisoit entendre toutes
+ses conceptions et volontez à ses gens de guerre, et les haranguoit
+souvent. Je pense certes qu'il la faisoit bien aussi beau voir ainsi
+vestue si superbement et gentiment en habit de femme, que quand elle
+estoit armée tout à blanc; car tousjours le sexe l'emporte: aussi est-il
+à présumer que l'Empereur ne la voulut exhiber en son triomphe qu'en son
+beau sexe féminin, qui la représenteroit mieux et la rendroit au peuple
+plus agréable en ses perfections de beauté. De plus, il est à présumer
+aussi qu'estant si belle, l'Empereur en avoit tasté, joüi et en
+jouissoit encore; et que s'il l'avoit vaincue d'une façon, il ou elle
+(les deux se peuvent entendre) l'avoit vaincu aussi de l'autre. Je
+m'estonne que, puisque cette Zénobie estoit si belle, l'Empereur ne la
+prist et entretinst pour l'une de ses garces, ou bien qu'elle n'ouvrist
+et dressast par sa permission, ou du sénat, boutique d'amour et de
+putanisme, comme fit Flora, afin de s'enrichir et accumuler force biens
+et bons moyens au travail de son corps et branslement de son lict; à
+laquelle boutique eussent pu venir les plus grands de Rome à l'envy tous
+les uns des autres; car enfin il n'y a tel contentement et félicité au
+monde, s'il semble, que se rüer sur la royauté et principauté, et de
+joüir d'une belle reyne, d'une princesse et grande dame. Je m'en
+rapporte à ceux qui ont esté en ces voyages, et y fait si belles
+factions. Et par ainsi cette reyne Zénobie se fust faite tost riche par
+la bourse de ces grands, ainsi que fit Flora, qui n'en recevoit point
+d'autres en sa boutique. N'eust-il pas mieux vallu pour elle de traitter
+cette vie en bombances, magnificences, chevances et honneurs, que de
+tomber en la nécessité et extrémité quelle tomba, à gaigner sa vie à
+filer parmy des femmes communes et mourir de faim, sans que le sénat,
+ayant pitié d'elle, veu sa grandeur passée, luy ordonna pour son vivre
+quelque pension, et quelques petites terres et possessions, que l'on
+appela long-temps les possessions zénobiennes; car enfin c'est un grand
+mal que la pauvreté, et qui la peut éviter, en quelque forme qu'on se
+puisse transmuer, fait bien, ce disoit quelqu'un que je sçai. Voilà
+pourquoi Zénobie ne mena son grand courage au bout de la carrière, comme
+elle devoit, et qu'il faut qu'on la persiste tousjours en toutes
+actions. On dit qu'elle avoit fait faire un charriot triomphant, le plus
+superbe qui fust jamais veu dans Rome, et ce, disoit-elle souvent durant
+ses grandes prosperitez et vanteries, pour triompher dans Rome, tant
+elle estoit présumptueuse de conquérir l'empire romain: mais tout cela
+au rebours, car l'Empereur l'ayant vaincuë le prit pour luy, et en
+triompha, et elle alla à pied, en faisant d'elle plus grand triomphe et
+pompe que s'il eust vaincu un puissant roy. Et dittes que la victoire
+qu'on emporte sur une dame, en quelque façon que ce soit, n'est pas
+grande et très-illustre! Ainsi désira Auguste de triompher de Cléopatre;
+mais il n'y procéda pas bien. Elle y pourveut de bonne heure, et de la
+façon que Paulus-Æmilius le dit à Perséus, qui, le priant en sa
+captivité d'avoir pitié de luy, il luy respondit que c'avoit esté à luy
+à y mettre ordre auparavant, voulant entendre qu'il se devoit estre tué.
+
+J'ay ouy dire que le feu roy Henry second ne désiroit rien tant que de
+faire prisonnière la reyne de Hongrie, non pour la traitter mal, encore
+qu'elle luy eust donné plusieurs sujets par ses bruslements, mais pour
+avoir cette gloire de tenir cette grande reyne prisonniere, et voir
+quelle mine et contenance elle tiendroit en sa prison, et si elle y
+seroit si brave et orgueilleuse qu'en ses armées: car enfin il n'y a
+rien si superbe et brave qu'une belle, brave et grande dame, quand elle
+veut et qu'elle a du courage, comme estoit celle-là, et qui se plaisoit
+fort au nom que luy avoient donné les soldats espagnols, qui, comme ils
+appeloient l'Empereur son frère _el Padre de los soldatos_[109], eux
+l'appeloient _la Madre_[110]: ainsi que Vittoria, ou Vittorina, jadis du
+temps des Romains, fut appelée en ses armées la mère du camp. Certes, si
+une dame grande et belle entreprend une charge de guerre, elle y sert de
+beaucoup, et anime fort ses gens: comme j'ay veu en nos guerres civiles
+la Reyne-Mère, qui bien souvent venoit en nos armées et les asseuroit
+tout plein et encourageoit fort; et comme fait aujourd'huy l'infante
+Isabelle, sa petite-fille, en Flandres, qui préside en son armée, et se
+fait paroistre à ses gens de guerre toute valeureuse, si que sans elle
+et sa belle et agréable présence, la Flandre n'auroit moyen de tenir, ce
+disent tous: et jamais la reyne de Hongrie, sa grande tante, ne parut
+telle en beauté, valeur et générosité et belle grace. Dans nos histoires
+de France, nous lisons combien servit la présence de cette généreuse
+comtesse de Montfort, estant assiégée dans Annebon; car, encore que ses
+gens de guerre fussent braves et vaillants, et qu'ils eussent combattu
+et soustenu des assauts et faits aussi bien que gens de monde, ils
+commencèrent à perdre cœur et vouloir se rendre; mais elle les
+harangua si bien, et anima de si belles et courageuses paroles, et les
+anima si beau et si bien, qu'ils attendirent le secours, qui leur vint à
+propos, tant désiré, et le siége fut levé; et fit bien mieux, car, ainsi
+que ses ennemis estoient amusez à l'assaut, et que tous y estoient, et
+vid les tentes qui en estoient toutes vides, elle, montée sur un bon
+cheval, et avec cinquante bons chevaux, fit une saillie, donne l'alarme,
+met le feu dans le camp, si-bien que Charles de Blois; cuidant estre
+trahy, fit aussi-tost cesser l'assaut. Sur ce sujet je feray ce petit
+conte. Durant ces dernières guerres de la Ligue, feu M. le prince de
+Condé, dernier mort, estant à Saint-Jean, envoya demander à madame de
+Bourdeille, veufve de l'aage de quarante ans, et très-belle, six ou sept
+des gens de sa terre, des plus riches, et qui s'estoient retirez en son
+chasteau de Mathas près elle. Elle les luy refusa tout à trac, et que
+jamais elle ne trahiroit ny ne livreroit ces pauvres gens, qui
+s'estoient allez couvrir et sauver sous sa foy. Il luy manda pour la
+derniere fois que, si elle ne les luy envoyoit, qu'il luy apprendroit de
+luy obéyr. Elle luy fit response (car j'estois avec elle pour
+l'assister) que, puisqu'il ne savoit obéyr, qu'elle trouvoit fort
+estrange de vouloir faire obéir les autres, et lorsqu'il auroit obéy à
+son Roy elle luy chéyroit; au reste que, pour toutes ses menaces, elle
+ne craignoit ny son canon, ny son siége, et qu'elle estoit descendue de
+la comtesse de Montfort, de laquelle les siens avoient hérité de cette
+place, et elle et tout de son courage; et qu'elle estoit résolue de la
+garder si-bien qu'il ne la prendroit point; et qu'elle feroit autant
+parler là d'elle léans que son ayeule, ladite comtesse, avoit fait dans
+Annebon. M. le prince songea long-temps sur cette response, et temporisa
+quelques jours sans la plus menacer. Pourtant s'il ne fust mort il
+l'eust assiégée; mais elle s'estoit bien préparée de cœur, de
+résolution, d'hommes et de tout, pour le bien recevoir; et croy qu'il y
+eust receu de la honte. Machiavel, en son livre _de la Guerre_, raconte
+que Catherine, comtesse de Furly, fut assiégée dans sa dite place par
+César Borgia, assisté de l'armée de France, qui luy résista fort
+valleurusement, mais enfin fut prise. La cause de sa perte fut que cette
+place estoit trop pleine de forteresses et lieux forts, pour retirer
+d'un lieu à l'autre; si-bien que, César ayant fait ses approches, le
+seigneur Jean de Casale (que ladite comtesse avoit pris pour sa garde et
+assistance) abandonna la brèche pour se retirer en ses forts; et par
+cette faute, Borgia faussa et prit la place: si-bien, dit l'auteur, que
+ces fautes firent tort au courage généreux et à la réputation de cette
+brave comtesse, laquelle avoit attendu une armée que le roy de Naples et
+le duc de Milan n'avoient osé attendre. Et bien que son issuë en fust
+malheureuse, elle emporta l'honneur que sa vertu méritoit; et pour ce en
+Italie se firent force vers et rimes en sa loüange. Ce passage est digne
+de lire pour ceux qui se meslent de fortifier des places et y bastir
+grande quantité de forts, chasteaux, roques et cittadelles. Pour
+retourner à nostre propos, nous avons eu le temps passé force princesses
+et grandes dames en nostre France, qui ont fait de belles marques de
+leurs proüesses: comme fit Paule, fille du comte de Penthièvre, laquelle
+fut assiégée dans Roy par le comte de Charoullois, et s'y monstra si
+brave et si généreuse, que la ville estant prise, le comte luy fit
+très-bonne guerre, et la fit conduire à Compiegne, seurement, ne
+permettant qu'il luy fust fait aucun tort; et l'honora fort pour sa
+vertu, encor qu'il voulust grand mal à son mary, qu'il chargeroit de
+l'avoir voulu faire mourir par sortilleges et charmes d'aucunes images
+et chandelles.
+
+--Richilde, fille unique et héritière de Monts, en Hainault, femme de
+Beaudoüin sixiesme, comte de Flandres, fit tous efforts contre Robert le
+Frizon son beau frere, institué tuteur des enfants de Flandres, pour luy
+en oster la connoissance et administration et se l'attribuer: quoy
+poursuivant à l'aide de Philippes roy de France, luy hazarda deux
+batailles; en la première elle fut prise, ce que fut aussi Robert son
+ennemy, et amprès furent rendus par eschange: luy en livra la seconde,
+laquelle elle perdit, et y perdit son fils Arnuphe, et chassée jusques à
+Monts.
+
+--Isabelle de France, fille du roy Philippes le Bel, et femme du roy
+Edouard II, duc de Guyenne, fut en mal-grace du Roy son mary, par de
+meschants rapports de Hue le despensier, dont fut contrainte de se
+retirer en France avec son fils Édouard; puis s'en retourna en
+Angleterre avec le chevalier de Hainaut son parent, et une armée qu'elle
+y mena, au moyen de laquelle elle prit son mary prisonnier, lequel elle
+délivra entre les mains de ceux avec lesquels il lui convint finir ses
+jours; ainsi qu'à elle-mesme il luy en prit, qui, pour traiter l'amour
+avec un seigneur de Mortemer, fut par son fils confinée en un chasteau à
+finir ses jours. C'est elle qui a baillé sujet aux Anglais de quereller
+à tort la France. Mais voilà une mauvaise reconnoissance pourtant, et
+grande ingratitude de fils, qui, oubliant un grand bienfait, traita
+ainsi sa mère pour un si petit forfait; petit l'appelle-je, puisqu'il
+est naturel et que mal-aisément ayant pratiqué les gens de guerre, et
+qu'elle s'estoit tant accoustumée à garçonner avec eux parmi les armées
+et tentes et pavillons, falloit bien qu'elle garçonnast aussi entre les
+courtines, comme cela se voit souvent. Je m'en rapporte à nostre reyne
+Léonor, duchesse de Guyenne, qui accompagna le Roy son mary outre mer et
+en la guerre sainte. Pour pratiquer si souvent la gendarmerie et la
+soudardaille, elle se laissa fort aller à son honneur, jusqu'à-là
+qu'elle eut affaire avec les Sarrazins, dont pour ce le Roy la répudia;
+ce qui nous cousta bon. Pensez qu'elle voulut esprouver si ces bons
+compagnons estoient aussi braves champions à couvert comme en pleine
+campagne, et que possible son honneur estoit d'aimer les gens vaillants,
+et qu'une vaillance attire l'autre, ainsi que la vertu; car jamais celuy
+ne dit mal qui dit que la vertu ressembloit la foudre qui perce tout.
+Cette reyne Léonor ne fut pas la seule qui accompagna en cette guerre
+sainte le roy son mary; mais avant elle, et avec elle, et après,
+plusieurs autres princesses et grandes dames avec leurs marys se
+croisèrent, mais non leurs jambes, qu'elles ouvrirent et eslargirent à
+bon escient, si qu'aucunes y demeurèrent, et les autres en retournèrent
+de très-bonnes vesses; et sous la couverture de visiter le saint
+supulcre, parmi tant d'armes, faisoient à bon escient l'amour: aussi,
+comme j'ay dit, les armes et l'amour conviennent bien ensemble, tant la
+sympathie en est bonne et bien conjointe. Encore telles dames sont-elles
+à estimer, d'aimer et traitter ainsi les hommes, non comme firent jadis
+les amazones, lesquelles, encore qu'elles se disent filles de Mars, se
+desfirent de leurs marys, disans que ce mariage estoit une vraye
+servitude: mais prou d'ambition avoient-elles avec d'autres hommes pour
+en avoir des filles, et faire mourir les enfants.
+
+Joanuclerus, en sa Cosmographie, récite que, l'an de Christ 1123, après
+la mort de Tibussa, reyne des Bohemes, et qui fit renfermer la ville de
+Prague de murailles, et qui abhorroit fort la domination des hommes, il
+y eut une de ses damoiselles de grand courage, nommée Valasca, qui
+gaigna si bien et filles et dames du pays, et leur proposa si bien et
+beau la liberté, et les dégousta si fort de la servitude des hommes,
+qu'elles tuerent chacune, qui son mary, qui son frere, qui son parent,
+qui son voisin, qu'en moins d'un rien elles furent maistresses; et ayant
+pris les armes de leurs hommes, s'en aidèrent si bien et se rendirent si
+braves et si adextres, à mode d'amazones, qu'elles eurent plusieurs
+victoires. Mais après, par les menées et finesses d'un Primislaüs, mary
+de Tibussa, homme qu'elle avoit pris de ville et basse condition,
+furent défaites et mises à mort. Ce fut par permission divine de l'acte
+énorme perpétré pour faire ainsi perdre le genre humain. Ces dames
+pouvoient bien montrer leurs beaux courages par d'autres actions
+courageuses et viriles, que par telles cruautez, ainsi que nous avons
+veu tant d'impérieres, de reynes, de princesses et grandes dames, par
+actes nobles, et aux gouvernements et maniements de leurs Estats, et
+autres sujets dont les histoires en sont assez pleines sans que je les
+raconte; car l'ambition de dominer, régner et impérier loge dans leurs
+ames aussi bien que des hommes, et en sont aussi friandes. Si en vays-je
+nommer une qui n'en fut tant atteinte, qui est Victoria Colonna, femme
+du marquis de Pescayre, de laquelle j'ay leu dans un livre espagnol que,
+lorsque ledit marquis entendit aux belles offres que luy fit Hieronimo
+Mouron de la part du pape (comme j'ay dit cy-devant) du royaume de
+Naples, s'il vouloit entrer en ligne avec luy, elle, en estant advertie
+par son mary mesme, qui ne luy céloit rien de ses plus privées affaires,
+ny grands ny petits, lui escrivit (car elle disoit des mieux), et luy
+demanda qu'il se souvinst de son ancienne valeur et vertu, qui luy avoit
+donné telle louange et réputation qu'elle excédoit la gloire et la
+fortune des plus grands roys de la terre, disant _que no con grandezza
+de los reynos, de Estados ny de hormosos titulos si no con fé illustre y
+clara virtud, se alcançava la honra, la qual con loor siempre vivo,
+llegava à los descendientes; y que no havia nigun grado tan alto que no
+fuesse vencido de una trahicion y mala fé, que por esto nigun desseo
+tenia de ser muguer de rey, queriendo antes ser muguer de tal capitan,
+que no solamente en guerra con valorosa mano, mas en pas con gran honra
+de animo no vencido avia sabido vencer reys, y grandissimos principes, y
+capitanes, y darlos triumphos, y imperiarlos_; disant «que non avec la
+grandeur des royaumes, des grands Estats ni hauts et beaux titres, sinon
+avec une foy illustre et claire vertu, l'honneur s'acqueroit, laquelle
+avec une louange tousjours vive alloit à nos descendants; et qu'il n'y
+avoit nul grade si haut qui ne fust vaincu ni gasté par une trahison
+commise et foy rompue; et que pour l'amour de cela elle n'avoit nul
+désir d'estre femme de roy, mais d'un tel capitaine, lequel nonseulement
+en guerre avec sa main valeureuse, mais en paix avec grand honneur d'un
+esprit non vaincu, avoit sceu vaincre les roys, les grands princes et
+capitaines, et les donner aux triomphes et les imperier.» Cette femme
+parloit d'un grand courage, d'une grande vertu, et de vérité et tout:
+car de regner par un vice est fort vilain, et de commander aux royaumes
+et aux roys par la vertu est très-beau. Fulvia, femme de P. Claudius, et
+en secondes nopces de Marc Antoine, ne s'amusant guières à faire les
+affaires de sa maison, se mit aux choses grandes, à traitter les
+affaires d'Estat jusque-là qu'on lui donnast la réputation de commander
+aux empereurs. Aussi Cleopatre l'en sçeut très-bien remercier, et luy
+avoir cette obligation, que d'avoir si bien instruit et discipliné Marc
+Antoine à obéyr et ployer sous les lois de submission. Nous lisons de ce
+grand prince françois Charles Martel qui onc ne voulut prendre et porter
+le titre de roy, qui estoit en sa puissance, mais ayma mieux régenter
+les roys et leur commander.
+
+--Parlons d'aucunes de nos dames. Nous avons eu en nostre guerre de la
+Ligue madame de Montpensier, sœur de feu M. de Guise, qui a esté une
+grande femme d'Estat, et qui a porté sa bonne part de matiere,
+d'inventions de son gentil esprit, et du travail de son corps, à bastir
+ladite Ligue; si qu'après avoir esté bien bastie, joüant aux cartes un
+jour et à la prime (car elle aime fort ce jeu), ainsi qu'on lui disoit
+qu'elle meslast bien les cartes, elle repondit devant beaucoup de gens:
+«Je les ay si bien meslées qu'elles ne se sçauroint mieux mesler ni
+demesler.» Cela fust esté bon si les siens ne fussent esté morts:
+desquels, sans perdre cœur d'une telle perte, en entreprit la
+vengeance; et en ayant sceu les nouvelles dans Paris, sans se tenir
+recluse en sa chambre à en faire les regrets à mode d'autres femmes,
+sort de son hostel avec les enfants de M. son frere, les tenant par les
+mains, les pourmeine par la ville, fait sa déploration devant le peuple,
+l'animant de pleurs, de cris, de pitié et de paroles qu'elle fit à tous,
+de prendre les armes et s'élever en furie, et faire les insolences sur
+la maison et le tableau du Roy, comme l'on a veu, et que j'espère de
+dire en sa vie; et à luy denier toute fidelité, ains au contraire toute
+rebellion: dont puis après son meurtre s'en ensuivit; duquel et à
+sçavoir qui sont ceux et celles qui en ont donné les conseils et en sont
+coupables. Certainement le cœur d'une sœur perdant tels freres ne
+pouvoit pas digérer tel venin sans venger ce meurtre. J'ay ouy conter
+qu'après qu'elle eut ainsi bien mis le peuple de Paris en besogne de
+telles animositez et insolences, elle partit vers le prince de Parme à
+luy demander secours et vengeance; et y va à si grandes et longues
+traittes, qu'il fallut un jour à ses chevaux de coche demeurer si las et
+recreus au beau mitan de la Picardie dans les fanges, qu'ils ne
+pouvoient aller ny en avant, ny en arrière, ny mettre un pied l'un
+devant l'autre. Par cas passa un fort honneste gentilhomme de ce pays,
+qui estoit de la religion, qui, encore qu'elle fust déguisée et de nom
+et d'habit, il la cogneut; et, ostant de devant les yeux les menées
+qu'elle avoit fait contre ceux de la religion, et l'animosité qu'elle
+leur portoit, luy, tout plein de courtoisie, il luy dit: «Madame, je
+vous connois bien; je vous suis serviteur: je vous vois en mauvais
+estat; vous viendrez, s'il vous plaist, en ma maison que voilà près,
+pour vous seicher et vous reposer. Je vous accommoderay de tout ce que
+je pourray au mieux qu'il me sera possible. Ne craignez point; car
+encore que je sois de la religion, que vous nous haïssiez fort, je ne
+voudrois me départir d'avec vous sans vous offrir une courtoisie qui
+vous est très-nécessaire.» A telle offre elle se laissa aller, et
+l'accepta fort librement: et, après l'avoir accommodée de ce qui lui
+estoit nécessaire, reprend son chemin et la conduit deux lieües, elle
+pourtant luy celant son voyage; dont depuis cette courtoisie, à ce que
+j'ay ouy dire, en cette guerre, elle s'en acquitta à l'endroit du
+gentilhomme par force autres courtoisies. Plusieurs se sont estonnez
+comment elle se fia à luy, estant huguenot. Mais quoy! la nécessité fait
+faire beaucoup de choses; et aussi qu'elle le vid si honneste, et parler
+si honnestement et franchement, qu'elle jugea qu'il estoit enclin à
+faire un trait honneste. Madame de Nemours, sa mère, ayant esté
+prisonnière après la mort de messieurs ses enfants, ne faut point douter
+si elle demeura désolée par une telle perte insupportable, jusques à là
+que de son naturel elle est dame de fort douce humeur et froide, et qui
+ne s'esmeut que bien à propos, elle vint à débagouller mille injures
+contre le Roy, et lui jeter autant de malédictions et d'exécrations
+(car, et qui n'est la chose, la parole qu'on ne fit et ne dit pour une
+relle véhémence de perte et de douleur?), jusques à ne nommer le Roy
+autrement et tousjours que _ce tyran_. «Non! je ne le veux plus appeler
+tel, mais roy très-bon et clément, s'il me donne la mort comme à mes
+enfants, pour m'oster de la misère où je suis, et me colloque en la
+béatitude de Dieu.» Puis après, appaisant ses paroles et cris, et y
+faisant quelque surcéance, elle ne disoit, si-non: «Ah! mes enfants! ah!
+mes enfants!» réitérant ordinairement ces paroles avec ses belles
+larmes, qui eussent amoly un cœur de rocher. Hélas! elle les pouvoit
+ainsi plorer et regretter, estant si bons, si généreux, si vertueux et
+valleureux, mais surtout ce grand duc de Guise, vray aisné et vray
+parangon de toute valeur et générosité. Aussi qu'elle aimoit si
+naturellement ses enfants, qu'un jour, moy discourant avec une grande
+dame de la Cour de maditte dame de Nemours, elle me dit que c'estoit la
+plus heureuse princesse du monde, pour plusieurs raisons qu'elle
+m'alléguoit, fors en une chose, qui estoit qu'elle aimoit messieurs ses
+enfants par trop; car elle les aimoit si très-tant, que l'appréhension
+ordinaire qu'elle avoit d'eux troubloit toute sa félicité, vivant
+ordinairement pour eux en inquiétude et alarme. Je vous laisse donc à
+penser combien elle sentit de maux, d'amertumes et de picqueures par la
+mort de ces deux, et par l'appréhension de l'autre, qui estoit vers
+Lyon, et M. de Nemours prisonnier: car de sa prison, disoit-elle, ne
+s'en soucioit point, ny de sa mort non plus, ainsi que je viens de dire.
+Lorsqu'on la sortit du chasteau de Blois pour la mener en celuy
+d'Amboise en plus estroite prison, ainsi qu'elle eut passé la porte elle
+haussa et tourna la teste en haut vers le portrait du roy Louis XII, son
+grand-pere, qui est là engravé en pierre au-dessus sur un cheval avec
+une fort belle grace et guerriere façon. Elle, s'arrestant là un peu et
+le contemplant, dit tout haut devant force monde là accouru, d'une belle
+et asseurée contenance, dont jamais n'en fut espourveue: «Si celuy qui
+est là représenté estoit en vie, il ne permettroit pas qu'on emmenast sa
+petite-fille ainsi prisonniere, et qu'on la traittast de cette sorte;»
+et puis suivit son chemin sans plus rien dire. Pensez que dans son ame
+elle imploroit et invoquoit les manes de ce généreux ayeul, pour estre
+justes vengeurs de sa prison: ny plus ny moins que firent jadis aucuns
+des conjurateurs de la mort de César, lesquels, ainsi qu'ils alloient
+faire leurs coups, se tournèrent vers l'estatuë de Pompée, et sourdement
+implorèrent et invoquèrent l'ombre de sa main, jadis si valleureuse,
+pour conduire leur entreprise à faire le coup qu'ils firent. Possible
+que l'invocation de cette princesse peut servir et avancer la mort du
+Roy, qui l'avoit ainsi oustragée. Une dame de grand cœur qui couve
+une vindicte est fort à craindre. Je me souviens que, quand feu monsieur
+son mary, M. de Guise, eut son coup dont il mourut, elle estoit pour
+alors au camp, qui estoit venue là pour le voir quelques jours avant.
+Ainsi qu'il entra en son logis blessé, elle vint à l'endevant de luy
+jusqu'à la porte de son logis toute esperdue et esplorée, et l'ayant
+salué s'escria soudain: «Est-il possible que le malheureux qui a fait le
+coup et celuy qui l'a fait faire (se doutant de M. l'admiral) en
+demeurent impunis? Dieu! si tu es juste, comme tu le dois estre, vange
+cecy; autrement......» et n'achevant le mot, M. son mary la reprit, et
+luy dit: «Mamie, n'offensez point Dieu en vos paroles. Si c'est luy qui
+m'a envoyé cecy pour mes fautes, sa volonté soit faite, et loüange luy
+en soit donnée. S'il vient d'ailleurs, puisque les vengeances luy sont
+réservées, il fera bien cette-cy sans vous.» Mais, luy mort, elle la
+poursuivit si bien, que le meurtrier fut tiré à quatre chevaux, et
+l'auteur prétendu d'elle fut massacré au bout de quelques années, comme
+j'espere dire en son lieu, par les instructions qu'elle donna à M. son
+fils, comme je l'ay veu, et les conseils et persuasions dont elle le
+nourrit dès sa tendre jeunesse jusques après que la vengeance en fut
+faite totale. Les advis et exhortations des femmes et meres généreuses
+peuvent beaucoup en cela: dont je me souviens que le roy Charles IX,
+faisant le tour de son royaume, estant à Bourdeaux, fut mis en prison le
+baron de Bournazel, un fort brave et honneste gentilhomme de Gascogne,
+pour avoir tué un autre gentilhomme de son pays mesme, qui s'appelloit
+La Tour: on disoit que c'estoit par grande supercherie. La veufve en
+poursuivit si vivement la punition, qu'on se donna la garde que les
+nouvelles vindrent en la chambre du Roy et de la Reyne, qu'on alloit
+trancher la teste au dit baron. Les gentilshommes et dames s'esmeurent
+soudain, et travailla-t-on fort pour luy sauver la vie. On en pria par
+deux fois le Roy et la Reyne de lui donner grace. M. le chancelier s'y
+porta fort, disant qu'il falloit que justice s'en fist. Le Roy le
+vouloit fort, qui estoit jeune et ne demandoit pas mieux que le sauver;
+car il estoit des gallants de la Cour; et M. de Cypierre l'y poussoit
+aussi fort. Cependant l'heure de l'exécution approchoit, ce qui
+estonnoit tout le monde. Sur quoy survient M. de Nemours (qui aimoit ce
+pauvre baron, lequel l'a voit suivy en de bons lieux aux guerres), qui
+s'alla jeter de genoux aux pieds de la Reyne, et la supplia de donner la
+vie à ce pauvre gentilhomme, et la pria et pressa tant de paroles
+qu'elle luy fut octroyée; dont sur le champ fut envoyé un capitaine des
+gardes, qui l'alla quérir et prendre en la prison, ainsi qu'il sortoit
+pour le mener au supplice. Par ainsi fut-il sauvé, mais avec une telle
+peur, qu'à jamais elle demeura empreinte sur son visage, et oncques puis
+ne peut recouvrer couleur, comme j'ay veu et comme j'ay ouy dire de M.
+de Saint-Vallier, qui l'eschappa belle à cause de M. de Bourbon.
+Cependant la veufve ne chauma pas, et vint trouver le Roy le lendemain,
+ainsi qu'il alloit à la messe, et se jetta à ses pieds. Elle luy
+présenta son fils, qui pouvoit avoir trois ou quatre ans, et luy dit:
+«Sire, au moins puis que vous avez donné la grace au meurtrier du père
+de cet enfant, je vous supplie de la luy donner aussi dès cette heure,
+pour quand il sera grand, il aura eu sa revenche et tué ce malheureux.»
+Du depuis, à ce que j'ay ouy dire, la mere tous les matins venoit
+esveiller son enfant; et, en luy monstrant la chemise sanglante qu'avoit
+son pere lorsqu'il fut tué, et luy disoit par trois fois: «Advise-la
+bien: et souviens-toi bien, quand tu seras grand, de venger cecy:
+autrement je te deshérite.» Quelle animosité!
+
+--Moy estant en Espagne, j'ouys conter qu'Antonio Roque, l'un des plus
+braves, vaillants, fins, cauts, habiles, fameux, et des plus courtois
+bandoulliers avec cela qui fut jamais en Espagne (ce tient-on), ayant eu
+envie de se faire prestre dès sa première profession, le jour venu qu'il
+lui falloit chanter sa premiere messe, ainsi qu'il sortoit du
+revestiaire et qu'il s'en alloit avec grande cérémonie au grand autel de
+sa paroisse, bien revestu et accommodé à faire son office, le calice à
+la main, il ouyt sa mere qui lui dit ainsi qu'il passoit: _Ah! vellaco,
+vellaco, mejor seria de vengar la muerte de tu padre, que de cantar
+missa_: «Ah! malheureux et meschant que tu es! il vaudroit mieux de
+venger la mort de ton pere que de chanter messe.» Cette voix lui toucha
+si bien au cœur, qu'il retourne froidement du my-chemin, et s'en va
+au revestitoire: là se dévestit, faisant acroire que le cœur lui
+avoit fait mal et que ce seroit pour une autre fois: et s'en va aux
+montagnes parmy les bandoulliers, s'y fist si fort estimer et renommer,
+qu'il en fut esleu chef, fait force maux et voleries, venge la mort de
+son pere, qu'on disoit avoir esté tué d'un autre; d'autres qu'il avoit
+esté exécuté par justice. Ce conte me fit un bandoullier mesme, qui
+avoit esté sous sa charge autrefois, et me le loüa jusques au tiers
+ciel, si que l'empereur Charles ne lui put jamais faire mal. Pour
+retourner encore à madame de Nemours, le roy ne la retint guieres en
+prison, et M. Descars en fut cause en partie; car il la fit sortir pour
+l'envoyer à Paris vers MM. du Mayne et de Nemours, et autres princes
+ligués, et leur porter à tous paroles de paix et oubliance de tout le
+passé; et qui estoit mort, et amys comme devant. De fait le Roy tira
+serment d'elle qu'elle feroit cette ambassade. Estant donc arrivée, au
+premier abord ce ne furent que pleurs, lamentations et regrets de leur
+perte; et puis fit le rapport de sa charge. M. du Maine lui fit la
+responce en luy demandant si elle luy conseilloit cela. Elle luy
+respondit seulement: «Mon fils, je ne suis pas venuë ici pour vous
+conseiller, si-non pour vous dire ce qu'on m'a dit et chargé. C'est à
+vous à songer si vous avez sujet et si le devez faire ce que je vous
+dis. Vostre cœur et vostre conscience vous en doivent donner bon
+conseil. Quant à moy, je me descharge de ce que j'ay promis.» Mais, sous
+main, elle en sceut très-bien attiser le feu, qui a duré longtemps. Il y
+a eu plusieurs personnes qui se sont fort estonnez comment le Roy, qui
+estoit si sage et des habiles de son royaume, s'aidoit de cette dame
+pour un tel ministere, l'ayant offensée, qu'elle n'eust eu cœur ny
+sentiment, si elle s'y fust employée le moins du monde: aussi se
+mocqua-t-elle bien de luy. On disoit que c'étoit le beau conseil du
+maréchal de Rhetz, qui en donna un pareil au roy Charles, pour envoyer
+M. de La Nouë dans La Rochelle à persuader les habitants à la paix et à
+leur obéyssance et devoir; jusque-là que, pour entrer en créance avec
+eux, il luy permit de faire de l'eschauffé et de l'animé pour eux et
+pour son party, à faire la guerre à outrance, et leur bailler advis et
+conseil contre le Roy; mais pourtant sous condition que, quand il seroit
+commandé et sommé par le Roy ou Monsieur, son lieutenant-général, de
+sortir, qu'il le feroit. Il fit et l'un et l'autre, et la guerre, et
+sortit; mais cependant il asseura si bien ses gens et les aguerrit, et
+leur fit de si bonnes leçons et les anima tellement, qu'ils nous firent
+ce coup la barbe. Force gens trouvoient qu'il n'y avoit là nulle
+finesse: j'ay veu tout cela, j'espère en faire tout le discours
+ailleurs. Mais ce mareschal valut cela à son roy et à la France: lequel
+mareschal tenoit-on mieux pour charlatan et cajoleur, que pour un bon
+conseiller et mareschal de France. Je diray encor ce petit mot de ma
+susdite dame de Nemours. J'ay ouy dire qu'ainsi qu'on bastissoit la
+Ligue, et qu'elle voyoit les cahiers et les listes des villes qui
+adhéroient, et n'y voyant point encore Paris, elle disoit toujours à M.
+son fils: «Mon fils, cela n'est rien, il faut encore Paris, et si vous
+ne l'avez, vous n'avez rien fait; pourquoy ayez Paris.» Et rien que
+Paris ne luy sonnoit à la bouche, si bien que les Barricades par après
+s'en ensuivirent. Voilà comme un cœur généreux tend toujours au plus
+haut: ce qui me fait souvenir d'un petit conte que j'ay lu dans un roman
+espagnol, qui s'intitule _La conquista di Navarra_. Ce royaume ayant
+esté pris et usurpé sur le roy Jean par le roy d'Aragon, le roy Loüis
+douziesme y envoya une armée, sous M. de La Palice, pour le reconquérir.
+Le Roy manda à la reyne donne Catherine, de par M. de La Palice, qui lui
+en porta la nouvelle, qu'elle s'en vinst à la Cour de France et y
+demeurer avec la reyne Anne sa femme, cependant que le roy son mary avec
+M. de La Palice attenteroient de recouvrer le royaume. La Reyne lui
+respondit généreusement: «Et comment, monsieur! je pensois que le roy
+vostre maistre vous eust ici envoyé pour m'amener avec vous en mon
+royaume et me remettre dans Pampelonne, et moy vous y accompagner, ainsi
+que je m'y estois résolue et préparée; et à cette heure vous me conviez
+de m'aller tenir à la Cour de France? Voilà un mauvais espoir et
+sinistre augure pour moi! je vois bien que je n'y entreray jamais plus.»
+Et ainsi qu'elle le présagea, ainsi il arriva.
+
+Il fut dit et commandé à madame la duchesse de Valentinois, sur
+l'approchement de la mort du roy Henry et le peu d'espoir de sa santé,
+de se retirer en son hostel de Paris et n'entrer plus en sa chambre,
+autant pour ne le perturber en ses cogitations à Dieu, que pour inimitié
+qu'aucuns lui portoient. Estant doncques retirée on luy envoya demander
+quelques bagues et joyaux qui appartenoient à la couronne, et les eust à
+rendre. Elle demanda soudain à M. l'harangueur: «Comment! le Roy est-il
+mort?--Non, madame, respondit l'autre, mais il ne peut guieres
+tarder.--Tant qu'il luy restera un doigt de vie donc, dit-elle, je veux
+que mes ennemys sachent que je ne les crains point, et que je ne leur
+obéyrai tant qu'il sera vivant. Je suis encore invincible de courage,
+mais lorsqu'il sera mort je ne veux plus vivre après luy; et toutes les
+amertumes qu'on me sauroit donner ne me seront que douceurs au prix de
+ma perte: et par ainsi, mon roy vif ou mort, je ne crains pas mes
+ennemis.» Cette dame monstra-là une grande générosité de cœur. Mais
+elle ne mourut pas, ce dira quelqu'un, comme elle avoit dit. Elle ne
+laissa pourtant à sentir plusieurs approches de la mort; et aussi que
+plustost que mourir, elle fit mieux de vouloir vivre, pour monstrer à
+ses ennemys qu'elle ne les craignoit point, et que, les ayant veus
+d'autresfois bransler et s'humilier sous elle, m en vouloit faire de
+mesme en leur endroit, et leur monstrer si bien teste et visage qu'ils
+n'osèrent jamais luy faire desplaisir, mais bien mieux, dans deux ans
+ils la recherchèrent plus que jamais et rentrèrent en amitié, comme je
+vis: ainsi qu'est la coutume des grands et grandes, qui ont peu de tenue
+en leurs amitiés, et s'accordent aisément en leurs différends comme
+larrons en foire, et s'aiment et se hayssent de mesme: ce que nous
+autres petits ne faisons; car, ou il se faut battre, venger et mourir,
+ou en sortir par des accords bien pointillez, bien tamisez et bien
+solemnisez; et si nous en trouvons mieux. Il faut certes admirer cette
+dame de ce trait, comme coustumièrement ces grandes qui traitent les
+affaires d'Estat, font tousjours quelque chose de plus que l'ordinaire
+des autres. Voilà pourquoy le feu roy Henry troisiesme dernier et la
+reyne sa mère n'aimoient nullement les dames de leur Cour qui missent
+tant leur esprit et leur nez sur les affaires d'Estat, ny s'en
+meslassent tant d'en parler, ny de ce qui touchoit de près en fait du
+royaume; comme (disoient Leurs Majestez) si elles y avoient grande part
+et qu'elles en dusset être héritières, ou du tout pour mieux qu'elles y
+rapportassent la sueur de leur corps ou y menassent les mains, comme les
+hommes, à le maintenir: mais elles, se donnans du bon temps, causans
+sous la cheminée, bien aises en leurs chaises, ou sur leurs oreillers ou
+sur leurs couchettes, devisoient bien à leur aise du monde et de l'Estat
+de la France, comme si elles faisoient tout. Sur quoy repartit une fois
+une dame de par le monde, que je ne nommeray point, qui, se meslant d'en
+dire sa ratelée aux premiers estats à Blois, Leurs Majestez luy en
+firent faire la petite réprimande, et qu'elle se meslast des affaires de
+sa maison et à prier Dieu. Elle, qui estoit un peu trop libre en
+paroles, respondit: «Du temps que les roys, princes et grands seigneurs
+se croisoient pour aller outre mer et faire de si beaux exploits en la
+Terre Sainte, certainement il n'estoit permis à nous autres femmes que
+de prier, orer, faire vœux et jeusnes, afin que Dieu leur donnast bon
+voyage et bon retour; mais depuis que nous les voyons aujourd'huy ne
+faire pas plus que nous, il nous est permis de parler de tout: car,
+prier Dieu pour eux, à cause de quoy, puisqu'ils ne font pas mieux que
+nous?» Cette parole, certes, fut par trop audacieuse, aussi luy
+cuida-t-elle couster bon, et eust une grande peine d'obtenir
+réconciliation et pardon, qu'il fallut qu'elle demandast; et, sans un
+sujet que je dirois bien, elle recevoit l'affletion et punition toute
+entière, et bien outrageuse. Il ne fait pas bon quelquefois dire un bon
+mot comme celuy, quand il vient à la bouche; ainsi que j'ay veu
+plusieurs personnes qui ne s'y sçauroient commander; car elles sont plus
+débordées qu'un cheval de Barbarie; et, trouvant un bon brocard dans
+leur bouche, il faut qu'ils les crachent, sans espargner ny parents, ny
+amis, ni grands. J'en ay cogneu force à nostre Cour de telle humeur, et
+les appeloit-on marquis ou marquises de Belle-Bouche: mais aussi bien
+souvent s'en trouvoient du guet.
+
+--Or, comme j'ai deduit la générosité d'aucunes dames en aucuns beaux
+faits de leurs vies, j'en veux descrire aucunes qu'elles ont montré en
+leur mort. Et, sans emprunter aucun exemple de l'antiquité, je ne veux
+alléguer que cettuy-cy de feue madama la Régente, mère du grand roy
+François. Ce fut en son temps, ainsi que j'ay ouy dire à aucuns et
+aucunes qui l'ont veue et cogneue, une très-belle dame, et fort mondaine
+aussi; et fut cela mesme en son aage décroissant, et, pour ce, quand on
+luy parloit de la mort, en haissoit fort le discours, jusqu'aux
+prescheurs qui en parloient en leurs sermons: «comme, ce disoit-elle,
+qu'on ne sceust pas assez qu'on devoit tous mourir un jour; et que tels
+prescheurs, quand ils ne sçauroient dire autre chose en leurs sermons,
+et qu'ils estoient au bout de leurs leçons, comme gens ignares, se
+mesloient sur cette mort.» La feuë reyne de Navarre, sa fille, n'aimoit
+non plus ces chansons et prédications mortuaires que sa mere. Estant
+donc venue la fin destinée, et gisant dans son lict, trois jours avant
+que mourir, elle vid la nuict sa chambre toute en clarté, qui estoit
+transpercée par la vitre: elle se courrouça à ses femmes-de-chambre qui
+la veilloient pourquoy elles faisoient un feu si ardent et esclairant.
+Elles luy respondirent qu'il n'y avoit qu'un peu de feu, et que c'estoit
+la lune qui ainsi esclairoit et donnoit telle lueur. «Comment, dit-elle,
+nous en sommes au bas; elle n'a garde d'esclairer à cette heure.» Et
+soudain, faisant ouvrir son rideau, elle vit une comette qui esclairoit
+ainsi droit sur son lict. «Hà! dit-elle, voilà un signe qui ne paroist
+pas pour personne de basse qualité. Dieu le fait paroistre pour nous
+autres grands et grandes. Refermez la fenestre; c'est une comette qui
+m'annonce la mort; il se faut donc préparer.» Et le lendemain au matin,
+ayant envoyé quérir son confesseur, fit tout le devoir de bonne
+chrestienne, encore que les médecins l'asseurassent qu'elle n'estoit
+pas-là. «Si je n'avois veu, dit-elle, le signe de ma mort, je le
+croirois, car je ne me sens point si bas;» et leur conta à tous
+l'apparition de sa comette. Et puis, au bout de trois jours, quittant
+les songes du monde, trépassa. Je ne sçaurois croire autrement que les
+grandes dames, et celles qui sont belles, jeunes et honnestes, n'ayent
+plus de grands regrets de laisser le monde que les autres: et
+toutesfois, j'en vois nommer aucunes qui ne s'en sont point souciées, et
+volontairement ont receu la mort, bien que sur le coup l'annonciation
+leur soit fort amere et odieuse.
+
+--La feuë comtesse de La Rochefoucault, de la maison de Roye à mon gré
+et à d'autres une des belles et agréables femmes de France, ainsi que
+son ministre (car elle estoit de la religion comme chacun sçait) lui
+annoncea qu'il ne falloit plus songer au monde, et que son heure estoit
+venue, et qu'il s'en falloit aller à Dieu qui l'appeloit, et qu'il
+falloit quitter les mondanitez, qui n'estoient rien aux prix de la
+béatitude du ciel, elle luy dit: «Cela est bon, monsieur le ministre, à
+dire à celles qui n'ont pas grand contentement et plaisir en cettuy-cy,
+et qui sont sur le bord de leur fosse; mais à moy, qui ne suis que sur
+la verdure de mon aage et de mon plaisir en cette-cy et de ma beauté,
+vostre sentence m'est fort amere; d'autant que j'ay plus de sujet de
+m'aimer en ce monde qu'en tout autre, et regretter à mourir, je vous
+veux monstrer en cela ma générosité, et vous asseurer que je prends la
+mort à gré, comme la plus vile, abjette, basse, laide et vieille qui
+fust au monde.» Et puis s'estant mis à chanter des pseaumes de grand
+dévotion, elle mourut.
+
+--Madame d'Espernon, de la maison de Candale, fut assaillie d'une
+maladie si soudaine qu'en moins de six ou sept jours elle fut emportée.
+Avant que mourir elle tenta tous les moyens qu'elle put pour se guérir,
+implorant le secours de Dieu et des hommes par ses prières très-dévotes,
+et de tous ses amis, serviteurs et servantes, luy faschant fort qu'elle
+vinst mourir en si jeune aage; mais, après qu'on luy eust remonstré
+qu'il falloit à bon escient s'en aller à Dieu, et qu'il n'y avoit plus
+aucun remede: «Est-il vray? dit-elle, laissez-moy faire; je vais donc
+bravement me résoudre.» Et usa de ces mesmes et propres mots; et,
+haussant ses beaux bras blancs, et en touchant ses deux mains l'une
+contre l'autre, et puis, d'un visage franc et d'un cœur asseuré se
+présenta à prendre la mort en patience, et de quitter le monde, qu'elle
+commença fort à abhorrer pas des paroles très-chrestiennes; et puis
+mourut en très-dévote et bonne chrestienne, en l'aage de vingt-six ans,
+et l'une des belles agréables dames de son temps.
+
+--On dit qu'il n'est pas beau de louer les siens, mais aussi une belle
+vérité ne se doit pas céler; et c'est pourquoy je veux ici loüer madame
+d'Aubeterre, ma niepce, fille de mon frere aisné, laquelle ceux qui
+l'ont veuë à la Cour ou ailleurs, diront bien avec moy avoir esté l'une
+des belles et accomplies dames qu'on eust sceu voir, autant pour le
+corps que pour l'ame. Le corps se monstroit fort à plain et
+extérieurement ce qu'il estoit, par son beau et agréable visage, sa
+taille, sa façon et sa grâce; pour l'esprit, il estoit fort divin et
+n'ignoroit rien; sa parole fort propre, naïve, sans fard, et qui couloit
+de sa bouche fort agréablement, fut pour la chose sérieuse, fut pour la
+rencontre joyeuse. Je n'ay jamais veu femme, selon mon opinion, plus
+ressemblante nostre reyne de France Marguerite, et d'air et de ses
+perfections, qu'elle; aussi l'ouis-je dire une fois à la Reyne-mere.
+C'est un mot assez suffisant pour ne la loüer davantage; aussi je n'en
+diray pas plus; ceux qui l'ont veuë ne me donneront, je m'asseure, nul
+démenty sur cette loüange. Elle vint à estre tout à coup assaillie d'une
+maladie qui ne se put point bien congnoistre des médecins, qui y
+perdirent leur latin; mais pourtant elle avoit opinion d'estre
+empoisonnée, je ne diray point de quel endroit; mais Dieu vengera tout,
+et possible les hommes. Elle fit tout ce qu'elle put pour se faire
+secourir, non qu'elle se souciast, disoit-elle, de mourir; car, dès la
+perte de son mary en avoit perdu toute crainte, encore qu'il ne fust
+certes nullement égal à elle, ny ne la méritast, ny les belles larmes
+non plus qu'elle jettoit de ses beaux yeux après sa mort; mais eust-elle
+fort désiré de vivre encore un peu pour l'amour de sa fille, qu'elle
+laissoit tendrette, tant cette occasion estoit belle et bonne: et les
+regrets d'un mary sot, fascheux, sont fort vains et légers. Elle, voyant
+donc qu'il n'y avoit plus de remede, et sentant son poulx, qu'elle mesme
+tastoit et connoissoit frigant (car elle s'entendoit à tout), deux jours
+avant qu'elle mourust envoya quérir sa fille, et luy fit une exhortation
+très-belle et sainte, et telle que possible ne sçay-je mère qui la pust
+faire plus belle ny mieux représentée, autant pour l'instruire à bien
+vivre au monde, que pour acquérir la grace de Dieu; et puis luy donna sa
+bénédiction, luy commandant de ne troubler plus par ses larmes son aise
+et repos qu'elle alloit prendre avec Dieu. Puis elle demanda son
+miroir, et s'y arregardant très-fixement: «Ah! dit-elle, traistre visage
+à ma maladie, pour laquelle tu n'as changé! (car elle le monstroit aussi
+beau que jamais) mais bientost la mort qui s'approche en aura raison,
+qui te rendra pourry et mangé des vers.» Elle avoit aussi mis la
+pluspart de ses bagues en ses doigts, et les regardant, et sa main et
+tout qui estoit très-belle: «Voilà, dit-elle, une mondanité que j'ay
+bien aimée d'autresfois; mais à cette heure de bon cœur je la laisse,
+pour me parer en l'autre monde d'une autre plus belle parure.» Et voyant
+ses sœurs qui pleuroient à toute outrance auprès d'elle, elle les
+consola et pria de vouloir prendre en gré avec elle ce qu'il plaisoit à
+Dieu de luy envoyer; et que, s'estants tousjours si fort aimées, elles
+n'eussent regret à ce qui luy apportoit de la joie et contentement; et
+que l'amitié qu'elle leur avoit tousjours portée dureroit éternellement
+avec elles; les priant d'en faire le semblable, et mesme à l'endroit de
+sa fille: et les voyant renforcer leurs pleurs, elle leur dit encore:
+«Mes sœurs si vous m'aimez, pourquoy ne vous réjouissez-vous avec moy
+de l'eschange que je fais d'une vie misérable avec un très-heureuse? Mon
+ame, lassée de tant de travaux, desire en estre deliée, et estre en lieu
+de repos avec Jésus-Christ mon sauveur; et vous la souhaitez encor
+attachée à ce chetif corps, qui n'est que sa prison et non son domicile.
+Je vous supplie donc, mes sœurs, ne vous affliger davantage.» Tant
+d'autres pareils propos beaux et chrestiens dit-elle, qu'il n'y a si
+grand docteur qui en eust pu proférer de plus beaux, lesquels je coule.
+Sur-tout elle demandoit à voir madame de Bourdeille sa mère, qu'elle
+avoit prié ses sœurs d'envoyer quérir, et souvent leur disoit: «Mon
+Dieu! mes sœurs, madame de Bourdeille ne vient-elle point? Ah! que
+vos courriers sont longs! ils ne sont pas guieres bons pour faire
+diligences grandes et postes.» Elle y alla, mais ne la put voir en vie,
+car elle estoit morte une heure devant. Elle me demanda fort aussi,
+qu'elle appeloit tousjours son cher oncle, et nous envoya le dernier
+adieu. Elle pria de faire ouvrir son corps après sa mort, ce qu'elle
+avoit tousjours fort détesté, afin, dit-elle à ses sœurs, que la
+cause de sa mort leur estant plus à plain découverte, cela leur fust une
+occasion, et à sa fille, de conserver et prendre garde à leurs vie;
+«car, dit-elle, il faut que j'advoue que je soupçonne d'avoir esté
+empoisonnée depuis cinq ans avec mon oncle de Branthome et ma sœur la
+comtesse de Durtal: mais je pris le plus gros morceau: non toutesfois
+que je veuille charger personne, craignant que ce soit à faux, et que
+mon ame en demeure chargée, laquelle je desire estre vuide de tout
+blasme, rancune, inimitié et péché, pour voler droit à Dieu son
+créateur.»
+
+Je n'aurois jamais fait si je disois tout; car ses devis furent grands
+et longs, et point se ressentant d'un corps fany, esprit foible et
+décadant. Sur ce, il y eut un gentilhomme son voisin qui disoit bien le
+mot, et avoit aimé à causer et bouffonner avec luy, qui se présenta.
+Elle luy dit: «Ah! mon amy! il se faut rendre à ce coup, et langue et
+dague, et tout à Dieu!» Son médecin et ses sœurs luy vouloient faire
+prendre quelque remede cordial: elle les pria de ne luy en donner point:
+«car ils ne serviroient rien plus, dit-elle, qu'à prolonger ma vie et
+retarder mon repos.» Et pria qu'on la laissast: et souvent l'oyoit-on
+dire: «Mon Dieu, que la mort est douce! et qui l'eust jamais pensé?» Et
+puis, peu à peu, rendant ses esprit fort doucement, ferma les yeux, sans
+faire aucuns signes hideux et affreux que la mort produit sur ce poinct
+à plusieurs. Madame de Bourdeille, sa mere, ne tarda guieres à la
+suivre; car la mélancolie qu'elle conceut de cette honneste fille
+l'emporta dans dix-huict mois, ayant esté malade sept mois, ores bien en
+espoir de guérir et ores en désespoir; et dez le commencement elle dit
+qu'elle n'en reschapperoit jamais, n'appréhendant nullement la mort, ne
+priant jamais Dieu de luy donner vie ne santé, mais patience en son mal,
+et sur-tout qu'il luy envoyast une mort douce et point aspre et
+langoureuse; ce qui fut, car, ainsi que nous ne la pensions
+qu'esvanoüie, elle rendit l'ame si doucement qu'on ne luy vit jamais
+remüer ny pieds, ny bras, ny jambes, ny faire aucun regard affreux ny
+hideux; mais, contournant ses yeux aussi beaux que jamais, trespassa, et
+resta morte aussi belle qu'elle avoit esté vivante en sa perfection.
+Grand dommage certes, d'elle et de ses belles dames qui meurent ainsi en
+leurs beaux ans! si ce n'est que je croy que le ciel, ne se contentant
+de ses beaux flambeaux qui dès la création du monde ornent sa voute,
+veut par elles avoir outre plus des astres nouveaux pour nous illuminer,
+comme elles ont fait estant vives, de leu beaux yeux. Cette-cy et non
+plus.
+
+--Vous avez eu ces jours passez madame de Balagny, vray sœur en tout
+de ce brave Bussy. Quand Cambray fut assiégé elle y fit tout ce qu'elle
+put, d'un cœur brave et généreux, pou en défendre la prise: mais
+après s'estre en vain évertuée pa toutes sortes de défenses qu'elle y
+put apporter, voyant que c'estoit fait, et que la ville estoit en la
+puissance de l'ennemy, et la citadelle s'en alloit de mesme; ne pouvant
+supporter ce grand creve-cœur de desloger de sa principauté (car son
+mary et elle se faisoient appeler prince et princesse de Cambray et
+Cambresis; titre qu'on trouvoit parmy plusieurs nations odieux et trop
+audacieux, veu leurs qualitez de simples gentilshommes), mourut et créva
+de tristesse dans la place d'honneur. Aucuns disent qu'elle mesme se
+donna la mort, qu'on trouvoit pourtant estre acte plustot payen que
+chrestien. Tant y a qu'il la faut loüer de la grande générosité en cela
+et de la remonstrance qu'elle fit à son mary à l'heure de sa mort, quand
+elle luy dit: «Que te reste-t-il, Balagny, de plus vivre après ta
+désolée infortune, pour servir de risée et de spectacle au monde, qui te
+monstrera au doigt, sortant d'une si grande gloire où tu t'es veu haut
+eslevé, en une basse fortune que je te voy préparée si tu ne fais comme
+moy? Apprens donc de moy à bien mourir et ne survivre ton malheur et ta
+dérision.» C'est un grand cas quand une femme nous apprend à vivre et
+mourir! A quoy il ne voulut obtempérer ny croire! car, au bout de sept
+ou huict mois, oubliant la mémoire prestement de cette brave femme, il
+se remaria avec la sœur de madame de Monceaux, belle certes et
+honneste demoiselle; monstrant à plusieurs qu'enfin il n'y a que vivre,
+en quelque façon que ce soit.
+
+--Certes la vie est bonne et douce; mais aussi une mort généreuse est
+fort à loüer, comme cette-cy de cette dame, laquelle, si elle est morte
+de tristesse, et bien contre le naturel d'aucunes dames, qu'on dit estre
+contraire au naturel des hommes; car elles meurent de joye et en joye.
+Je n'en alléguerai que ce seul conte de mademoiselle de Limeuil
+l'aisnée, qui mourut à la Cour estant l'une des filles de la Reyne.
+Durant sa maladie dont elle trespassa jamais le bec ne luy cessa, ains
+causa toujours; car elle estoit fort grand parleuse, brocardeuse et
+très-bien et fort à propos, et très-belle avec cela. Quand l'heure de sa
+mort fut venue, elle fit venir à soy son vallet (ainsi que les filles de
+la Cour en ont chacune le leur), et s'appeloit Julien, qui jouoit
+très-bien du violon: «Julien, luy dit-elle, prenez vostre violon et
+sonnez-moy tousjours, jusques à ce que me voyez morte (car je m'y en
+vois), la defaitte des Suisses, et le mieux que vous pourrez: et quand
+vous serez sur le mot, _tout est perdu_, sonnez-le par quatre ou cinq
+fois, le plus piteusement que vous pourrez;» ce que fit l'autre, et
+elle-mesme lui aidoit de la voix: et quand ce vint à _tout est perdu_,
+elle le récita par deux fois; et se tournant de l'autre costé du chevet,
+elle dit à ses compagnes: «Tout est perdu à ce coup, et à bon escient;»
+et ainsi décéda. Voilà une mort joyeuse et plaisante. Je tiens ce conte
+de deux de ses compagnes dignes de foy, qui virent joüer le mystere.
+S'il y a ainsi aucunes femmes qui meurent de joye ou joyeusement, il se
+trouve bien des hommes qui ont fait de mesme; comme nous lisons de ce
+grand pape Léon, qui mourut de joye et liesse, quand il vit nous autres
+François chassé du tout hors de l'Estat de Milan, tant il nous portoit
+de haine.
+
+--Feu M. le grand-prieur de Lorraine prit une fois envie d'envoyer en
+course vers le Levant, deux de ses galleres sous la charge du capitaine
+Beaulieu, l'un de ses lieutenants, dont je parle ailleurs, Ce Beaulieu y
+alla fort bien, car il estoit brave et vaillant: quand il fut vers
+l'Archipelage, il rencontra une grande nau vénitienne bien armée et bien
+riche: il la commença à la canonner; mais la nau luy rendit bien sa
+salue; car de la première volée elle luy emporta deux de ses bancs avec
+leurs forçats tout net, et son lieutenant qui s'appelloit le capitaine
+Panier, bon compagnon, qui pourtant eut le loisir de dire: «Adieu
+paniers, vendanges sont faites.» Sa mort fut plaisante par ce bon mot.
+Ce fut à M. de Beaulieu à se retirer, car cette nau estoit pour luy
+invincible.
+
+--La première année que le roy Charles neufiesme fut roy, lors de l'édit
+de juillet, qui se tenoit aux faux de Saint Germain, nous vismes pendre
+un enfant de la matte la mesme, qui avait dérobé six vaisselles d'argent
+de la cuisine de M. le prince de La Roche-sur-Yon. Quand il fut sur
+l'eschelle, il pria le bourreau de luy donner un peu de temps de parler,
+et se mit sur le devis en remonstrant au peuple qu'on le faisoit mourir
+à tort: «car, disoit-il, je n'ay point jamais exercé mes larcins sur des
+pauvres gens, gueux et malotrus, mais sur les princes et les grands, qui
+sont plus grands larrons que nous et qui nous pillent tous les jours; et
+n'est que bien fait de repeter d'eux ce qu'ils nous derrobent et nous
+prennent.» Tant d'autres sornettes plaisantes, dit-il, qui seroient
+superflues de raconter, si-non que le prestre qui estoit monté sur le
+haut de l'eschelle avec luy, et s'estoit tourné vers le peuple, comme
+on void, il luy escria: «Messieurs, ce pauvre patient se recommande à
+vos bonnes prières: nous dirons tous pour luy et son ame, un _Pater
+noster_ et un _Ave Maria_, et chanterons _Salve_,» et que le peuple luy
+respondoit, ledit patient baissa la teste, et regardant ledit prestre,
+commença à brailler comme un veau et se moqua du prestre fort
+plaisamment, puis luy donna du pied et l'envoya du haut de l'eschelle en
+bas, si grand sault qu'il s'en rompit une jambe. «Ah! monsieur le
+prestre, par Dieu, dit-il, je sçavois bien que je vous deslogerais de
+là. Il en a, le gallant,» l'oyant plaindre, et se mit à rire à belle
+gorge déployée, et puis luy-mesme se jetta au vent. Je vous jure qu'à la
+Cour on rit bien de ce trait, bien que le pauvre prestre se fust fait
+grand mal. Voilà une mort certes non guieres triste. Feu M. d'Etampes
+avoit un fou qui s'appeloit Colin, fort plaisant. Quant sa mort
+s'approcha, M. d'Estampes demanda comment se portoit Colin. On luy dit:
+«Pauvrement, monsieur, il s'en va mourir, car il ne veut rien
+prendre.--Tenez, dit M. d'Estampes, qui lors estoit à table, portez-lui
+ce potage, et dites-luy que, s'il ne prend quelque chose pour l'amour de
+moy, que je ne l'ameray jamais, car on m'a dit qu'il ne veut rien
+prendre.» L'on fit l'ambassade à Colin, qui, ayant la mort entre les
+dents, fit response: «Et qui sont-ils ceux-là qui ont dit à Monsieur que
+je ne voulois rien prendre?» Et estant entourné d'un million de mouches
+(car c'estoit en esté), il se mit à joüer de la main à l'entour d'elles,
+comme l'on voit les pages et laquais et autres jeunes enfants après
+elles; et en ayant pris deux au coup, et en faisant le petit tour de la
+main qu'on se peut mieux représenter que l'escrire, «Dittes à Monsieur,
+dit-il, voilà que j'ay pris pour l'amour de luy, et que je m'en vais au
+royaume des mouches.» Et se tournant de l'austre costé, le gallant
+trespassa. Sur ce j'ay ouy dire à aucuns philosophes, que volontiers
+aucunes personnes se souviennent à leur trespas des choses qu'ils ont
+plus aimées, et les recordent, comme les gentilshommes, les gens de
+guerre, les chasseurs et les artisans, bref de tous quasi en leur
+profession mourants ils en causent quelque mot: cela s'est veu et se
+voit souvent. Les femmes de mesmes en disent aussi quelque rattellée,
+jusques aux putains; ainsi que j'ay ouy parler d'une dame d'assez bonne
+qualité, qui à sa mort triompha de débagouler de ses amours,
+paillardises et gentillesses passées: si-bien qu'elle en dit plus que le
+monde n'en sçavoit, bien qu'on la soupconnast fort putain. Possible
+pouvoit-elle aire cette découverte, ou en resvant, ou que la vérité,
+qui ne se peut céler, l'y contraignist, ou qu'elle voulust en descharger
+sa conscience, comme de vray en saine conscience et repentance. Elle en
+confessa aucuns en demandant pardon, et les espécitioit et cottoit en
+marge que l'on y voyoit tout à clair. «Vrayment, ce dit quelqu'un, elle
+estoit bien à loisir d'aller sur cette heure nettoyer sa conscience d'un
+tel ballay d'escandale, par une si grande spéciauté!»
+
+--J'ay ouy parler d'une dame qui, fort sujette à songer et resver toutes
+les nuicts, qu'elle disoit la nuict tout ce qu'elle faisoit le jour; si
+bien qu'elle-mesme s'escandalisa à l'endroit de son mary, qui se mit à
+l'ouyr parler, gazouiller et prendre pied à ses songes et resveries,
+dont après mal en prit à elle. Il n'y a pas long-temps qu'un gentilhomme
+de par le monde, en une province que je ne nommeray point, en mourant en
+fist de mesme, et publia ses amours et paillardises, et spécifia les
+dames et damoiselles avec lesquelles il avoit eu à faire, et en quels
+lieux et rendez-vous, et de quelles façons, dont il s'en confessoit tout
+haut, et en demandoit pardon à Dieu devant tout le monde. Cettuy-là
+faisoit pis que la femme, car elle ne faisoit que s'escandaliser, et
+ledit gentilhomme escandalisoit plusieurs femmes. Voilà de bons gallants
+et gallantes!
+
+--On dit que les avaritieux et avaritieuses ont aussi cette humeur de
+songer fort à leur mort en leurs trésors d'escus, les ayant tousjours en
+la bouche. Il y a environ quarante ans qu'une dame de Mortemar, l'une
+des plus riches dames du Poictou, et des plus pécunieuses, et après
+venant à mourir, ne songeant qu'à ses escus qui estoient en son cabinet,
+et tant qu'elle fut malade se levoit vingt fois le jour à aller voir son
+trésor. Enfin, s'approchant fort de la mort, et que le prestre
+l'exhortoit fort à la vie éternelle, elle ne disoit autre chose et ne
+respondoit que: «Donnez-moi ma cotte, donnez-moi ma cotte; les méchants
+me des-robbent;» ne songeant qu'à se lever pour aller voir son cabinet,
+comme elle faisoit les efforts, si elle eust pu la bonne dame; et ainsi
+elle mourut.
+
+Je me suis sur la fin un peu entrelassé de mon premier discours; mais
+prenez le cas qu'après la moralité et la tragédie vient la farce. Sur ce
+je fais fin.
+
+
+
+
+DISCOURS SEPTIEME.
+
+ Sur ce qu'il ne faut jamais parler mal des dames, et de la
+ conséquence qui en vient.
+
+
+Un point y a-t-il à noter en ces belles et honnestes dames qui font
+l'amour, et qui, quelques esbats qu'elles se donnent, ne veulent estre
+offensées ny scandalisées des paroles de personne; et qui les offensent,
+s'en sçavent bien revancher, ou tost ou tard: bref, elles le veulent
+bien faire, mais non pas qu'on en parle. Aussi certes n'est-il pas beau
+d'escandaliser une honneste dame ny la divulguer; car qu'ont à faire
+plusieurs personnes, si elles se contentent et leurs amoureux aussi? Nos
+cours de France, aucunes, et mesme les dernieres, qui ont esté fort
+sujettes à blasonner de ces honnestes dames; et ay veu le temps qu'il
+n'estoit pas gallant homme qui ne controuvast quelque faux dire contre
+ces dames, ou bien qui n'en rapportast quelque vray: à quoy il y a un
+très-grand blasme; car on ne doit jamais offenser l'honneur des dames,
+et surtout les grandes. Je parle autant de ceux qui en reçoivent des
+joüissances comme de ceux qui ne peuvent taster de la venaison et la
+descrient.
+
+Nos cours dernieres de nos roys, comme j'ay dit, ont esté fort sujettes
+à ces médisances et pasquins, bien différentes à celles de nos autres
+roys leurs prédécesseurs, fors celle du roy Louis XI, ce bon rompu,
+duquel on dit que la pluspart du temps il mangeoit en commun, à pleine
+sale, avec force gentilshommes de ses plus privez, et autres et tout; et
+celuy qui luy faisoit le meilleur et plus lascif conte des dames de
+joye, il estoit le mieux venu et festoyé: et luy-mesme ne s'espargnoit à
+en faire, car il s'en enqueroit fort, et en vouloit souvent sçavoir, et
+puis en faisoit part aux autres, et publiquement[111]. C'estoit bien un
+scandale grand que celuy-là. Il avoit très-mauvaise opinion des femmes,
+et ne les croyoit toutes chastes. Quand il convia le roy d'Angleterre de
+venir à Paris faire bonne chère, et qu'il fut pris au mot, il s'en
+repentit aussitost e trouva un _alibi_ pour rompre le coup. «Ah! pasque
+Dieu! ce dit-il, je ne veux pas qu'il y vienne; il y trouveroit quelque
+petite affetee et saffrette de laquelle il s'amouracheroit, et elle luy
+feroit venir le goust d'y demeurer plus long-temps et d'y venir plus
+souvent que je ne voudrois.» Il eut pourtant très-bonne opinion de sa
+femme, qui estoit sage et vertueuse: aussi la luy falloit-il telle, car,
+estant ombrageux et soubçonneux prince s'il en fut onc, il luy eust
+bientost fait passer le pas des autres: et quand il mourut, il commanda
+à son fils d'aimer et honorer fort sa mère, mais non de se gouverner par
+elle; «non qu'elle ne fust fort sage et chaste, dit-il, mais qu'elle
+estoit plus bourguignone que françoise.» Aussi ne l'aima-t-il jamais que
+pour en avoir lignée, et, quand il en eust, il n'en faisoit guieres de
+cas: il la tenoit au chasteau d'Amboise comme une simple dame, portant
+fort petit estat et aussi mal habillée que simple damoiselle; et la
+laissoit là avec petite cour à faire ses prieres, et luy s'alloit
+pourmener et donner du bon temps. D'ailleurs je vous laisse à penser,
+puisque le Roy avoit opinion telle des dames et s'en plaisoit à mal
+dire, comment elles estoient repassées parmy toutes les bouches de la
+Cour; non qu'il leur voulust mal autrement pour ainsy s'esbattre, ny
+qu'il les voulust reprimer rien de leurs jeux, comme j'ay veu aucuns;
+mais son plus grand plaisir estoit de les gaudir; si bien que ces
+pauvres femmes, pressées de tel bast de médisances, ne pouvoient bien si
+souvent hausser la croupière si librement comme elles eussent voulu. Et
+toutesfois le putanisme regna fort de son temps, car le Roy luy-mesme
+aidoit fort a le faire et le maintenir avec les gentilshommes de sa
+Cour, et puis c'estoit à qui mieux en riroit, soit en public ou en
+cachette, et qui en feroit de meilleurs contes de leurs lascivitez et de
+leurs tordions (ainsi parloit-il) et de leur gaillardise. Il est vray
+que l'on couvroit le nom des grandes, que l'on ne jugeoit que par
+apparences et conjectures; je croy qu'elles avoient meilleur temps que
+plusieurs que j'ay veu du regne du feu roy, qui les tançoit et
+censuroit, et reprimoit estrangement. Voilà ce que j'ay ouy dire de ce
+bon roy à d'aucuns anciens. Or le roy Charles huictiesme son fils, qui
+luy succéda, ne fut de cette complexion; car on dit de luy que ç'a esté
+le plus sobre et honneste roy en paroles que l'on vid jamais, et n'a
+jamais offensé ny homme ny femme de la moindre parole du monde. Je vous
+laisse donc à penser si les belles dames de son regne, et qui se
+resjouissoient, n'avoient pas bon temps. Aussi les aima-t-il fort et les
+servit bien, voire trop; car, tournant de son voyage de Naples
+très-victorieux et glorieux, il s'amusa si fort à les servir, caresser,
+et leur donner tant de plaisirs à Lyon par les beaux combats et tournois
+qu'il fit pour l'amour d'elles, que, ne se souvenant point des siens
+qu'il avoit laissés en ce royaume, les laissa perdre, et villes et
+royaume et chasteaux qui tenoient encore et luy tendoient les bras pour
+avoir secours. On dit aussi que les dames furent cause de sa mort,
+auxquelles, pour s'estre trop abandonné, luy qui estoit de fort debile
+complexion, s'y énerva et débilita tant que cela luy aida à mourir.
+
+--Le roy Loüis douziesme fut fort respectueux aux dames; car, comme j'ay
+dit ailleurs, il pardonnoit à tous les comédians de son royaume, comme
+escoliers et clercs de palais en leurs basoches, de quiconque ils
+parleroient, fors de la reyne sa femme et de ses dames et damoiselles,
+encor qu'il fust bon compagnon en son temps et qu'il aimast bien les
+dames autant que les autres, tenant en cela, mais non de la mauvaise
+langue, ny de la grande présomption, ny vanterie du duc Loüis d'Orléans,
+son ayeul: aussi cela lui cousta-t-il la vie, car s'estant une fois
+vanté tout haut, en un banquet où estoit le duc Jean de Bourgogne son
+cousin, qu'il avoit en son cabinet le pourtrait des plus belles dames
+dont il avoit joüy, par cas fortuït, un jour le duc Jean entra dans ce
+cabinet; la première dame qu'il voit pourtraitte et se présente du
+premier aspect à ses yeux, ce fut sa noble dame espouse, qu'on tenoit de
+ce temps-là très-belle: elle s'appeloit Margueritte, fille d'Albert de
+Bavière, comte de Haynault et de Zelande. Qui fut esbahy? ce fut le bon
+espoux: pensez que tout bas il dit ce mot: «Ah! j'en ay.» Et ne faisant
+cas de la puce qui le piquoit autrement, dissimula tout, et, en couvant
+vengeance, le querella pour la régence et administration du royaume; et
+colorant son mal sur ce sujet et non sur sa femme, le fit assassiner à
+la porte Barbette à Paris, et sa femme première morte, pensez de poison:
+et après la vache morte, espousa en secondes noces la fille de Loüis
+troisiesme, duc de Bourbon. Possible qu'il n'empira le marché; car à
+tels gens sujets aux cornes ils ont beau changer de chambres et de
+repaires, ils y en trouvent toujours. Ce duc en cela fit très-sagement
+de se vanger de son adultère sans s'escandaliser ny lui ny sa femme; qui
+fut à luy une très-sage dissimulation. Aussi ay-je ouy dire à un
+très-grand capitaine qu'il y a trois choses lesquelles l'homme sage ne
+doit jamais publier s'il en est offensé, et en doit taire le sujet, et
+plustost en inventer un autre nouveau pour en avoir le combat et la
+veangeance, si ce n'est que la chose fust si évidente et claire devant
+plusieurs, qu'autrement il ne se pust desdire. L'une est quand on
+reproche à un autre qu'il est cocu et sa femme publique; l'autre, quand
+on le taxe de b........ et sodomie; la troisiesme, quand ou luy met à
+sus qu'il est un poltron, et qu'il a fuy vilainement d'un combat ou
+d'une bataille. Ces trois choses, disoit ce grand capitaine, sont fort
+escandaleuses quand on en publie le sujet de laquelle on combat, et
+pense-t-on quelquefois s'en bien nettoyer que l'on s'en sallist
+villainement; et le sujet en estant publié scandalise fort, et tant plus
+il est remué, tant plus mal il sent, ny plus ny moins qu'une grande
+puanteur quand plus on la remuë. Voilà pourquoy qui peut avoir son
+honneur caler c'est le meilleur, et excogiter et tenter un nouveau sujet
+pour avoir raison du vieux; et telles offenses, le plus tard que l'on
+peut, ne se doivent jamais mettre en cause, contestation ny combat.
+Force exemples alléguerois-je pour ce fait; mais il m'incommoderoit et
+allongeroit par trop mon discours. Voilà pourquoy ce duc Jean fut
+très-sage de dissimuler et cacher ses cornes, et se revanger d'ailleurs
+sur son cousin qui l'avoit hony; encor s'en mocquoit-il et le faisoit
+entendre: dont il ne faut point douter que telle dérision et escandale
+ne luy touchast autant au cœur que son ambition, et luy fit faire ce
+coup en fort habile et sage mondain.
+
+--Or, pour retourner de-là où j'estois demeuré, le roy François, qui a
+bien aimé les dames, et encore qu'il eust opinion qu'elles fussent fort
+inconstantes et variables, comme j'ay dit ailleurs, ne voulut point
+qu'on en médist en sa cour, et voulut qu'on leur portast un grand
+honneur et respect. J'ay ouy raconter qu'une fois, luy passant son
+caresme à Meudon près Paris, il y eut un sien gentilhomme servant, qui
+s'appelloit Busembourg de Xaintonge, lequel servant le Roy de la viande,
+dont il avoit dispense, le Roy lui commanda de porter le reste, comme
+l'on void quelquefois à la Cour, aux dames de la petite bande, que je ne
+veux nommer, de peur d'escandale. Ce gentilhomme se mit à dire, parmy
+ses compagnons et autres de la Cour, que ces dames ne se contentoient
+pas de manger de la chair cruë en caresme, mais en mangeoient de la
+cuitte, et leur benoist saoul. Les dames le sceurent, qui s'en
+plaignirent aussitost au Roy, qui entra en si grande collere, qu'à
+l'instant il commanda aux archers de la garde de son hostel de l'aller
+prendre et pendre sans autre delay. Par cas ce pauvre gentilhomme en
+sceut le vent par quelqu'un de ses amis, qui évada et se sauva
+bravement: que s'il eust été pris, pour le seur il estoit pendu, encor
+qu'il fust gentilhomme de bonne part, tant on vid le Roy cette fois en
+collere, ny faire plus de jurement. Je tiens ce conte d'une personne
+d'honneur qui y estoit, et lors le Roy dit tout haut que quiconque
+toucheroit à l'honneur des dames, sans remission il seroit pendu.
+
+--Un peu auparavant, le pape Paul Farnèse estant venu à Nice, le Roy le
+visitant en toute sa Cour, et de seigneurs et dames, il y en eut
+quelques-unes, qui n'étoient pas des plus laides, qui lui allèrent
+baiser la pantoufle; sur quoy un gentilhomme se mit à dire qu'elles
+estoient allées demander à Sa Sainteté dispense de taster de la chair
+cruë sans escandale toutesfois et quantes qu'elles voudroient. Le Roy le
+sceut; et bien servit au gentilhomme de se sauver, car il fut esté
+pendu, tant pour la révérence du Pape que du respect des dames. Ces
+gentilshommes ne furent si heureux en leurs rencontres et causeries
+comme feu M. d'Albanie. Lors que le pape Clément vint à Marseille faire
+les nopces de sa niepce avec M. d'Orléans, il y eut trois dames, belles
+et honnestes veufves, lesquelles, pour les douleurs, ennuys et
+tristesses qu'elles avoient de l'absence et des plaisirs passez de leurs
+marys, vindrent si bas et si fort atténuées, débiles et maladives,
+qu'elles priérent M. d'Albanie, son parent, qui avoit bonne part aux
+graces du Pape, de lui demander dispense pour elles trois de manger de
+la chair les jours deffendus. Le duc d'Albanie leur accorda, et les fit
+venir un jour fort familiérement au logis du Pape; et pour ce en
+advertit le Roy, et qu'il lui en donneroit du passe-temps, et luy ayant
+découvert la baye. Estant toutes trois à genoux devant Sa Sainteté, M.
+d'Albanie commença le premier, et dit assez bas en italien, que les
+dames ne l'entendoient point: «Père saint, voilà trois dames veufves,
+belles et bien honnestes, comme vous voyez, les-quelles pour la
+révérence qu'elles portent à leurs marys trespassez, et à l'amitié des
+enfants qu'elles ont eu d'eux, ne veulent pour rien du monde aller aux
+secondes nopces, pour faire tort à leurs marys et enfants; et, parce que
+quelquesfois elles sont tentées des aiguillons de la chair, elles
+supplient très-humblement Vostre Sainteté de pouvoir avoir approche des
+hommes hors mariage, si et quantes fois qu'elles seroient en cette
+tentation.--Comment, dit le Pape, mon cousin! ce seroit contre les
+commandements de Dieu, dont je ne puis dispenser. Les voilà, père saint,
+disoit le duc, s'il voust plaist les ouyr parler.» Alors l'une des
+trois, prenant la parole, dit: «Père saint, nous avons prié M. d'Albanie
+de vous faire une requeste très-humble pour nous autres trois, et vous
+remonstrer nos fragilitez et débiles complexions.--Mes filles, dit le
+Pape, la requeste n'est nullement raisonnable, car ce seroit contre les
+commandements de Dieu.» Les dites veufves, ignorantes de ce que luy
+avoit dit M. d'Albanie, luy répliquérent: «Père saint, au moins plaise
+nous en donner congé trois fois de la sepmaine, et sans
+escandale.--Comment! dit le Pape, de vous permettre _il peccato di
+lussaria_[112]? je me damnerois; aussi que je ne le puis faire.» Les
+dites dames, connoissant alors qu'il y avoit de la fourbe et raillerie,
+et que M. d'Albanie leur en avoit donné d'une, dirent: «Nous ne parlons
+pas de cela, père saint, mais nous demandons permission de manger de la
+chair les jours prohibés.» Là-dessus le duc d'Albanie leur dit: «Je
+pensois, mes dames, que ce fust de la chair vive.» Le Pape aussi-tost
+entendit la raillerie, et se prit à sourire, disant: «Mon cousin, vous
+avez fait rougir ces honnestes dames; la reyne s'en faschera quand elle
+le sçaura»: la-quelle le sceut et n'en fit autre semblant, mais trouva
+le conte bon; et le Roy puis après en rit bien fort avec le Pape,
+lequel, après leur avoir donné sa bénédiction, leur octroya le congé
+qu'elles demandoient, et s'en allèrent très-contentes. L'on m'a nommé
+les trois dames: madame de Chasteau-Briant ou madame de Canaples, madame
+de Chastillon, et madame la baillive de Caen, très-honnestes dames. Je
+tiens ce conte des anciens de la Cour[113].
+
+--Madame d'Uzez fit bien mieux du temps que le pape Paul troisiesme vint
+à Nice voir le roy François. Elle estant madame du Bellay, et qui dès sa
+jeunesse a tousjours eu de plaisants traits et dit de fort bons mots, un
+jour, se prosternant devant Sa Sainteté, le supplia de trois choses:
+l'une, qu'il luy donnast l'absolution, d'autant que, petite garce, fille
+à madame la régente, et qu'on la nommoit Tallard, elle perdit ses
+ciseaux en faisant son ouvrage; elle fit vœu à saint Alivergot de le
+luy accomplir si elle les trouvoit, ce qu'elle fit; mais elle ne
+l'accomplit ne sçachant où gisoit son corps saint. L'autre requeste fut
+qu'il lui donnast pardon de quoy, quand le pape Clément vint à
+Marseille, elle estant fille Tallard encore, elle prit un de ses
+oreillers en sa ruëlle de lict, et s'en torcha le devant et le derrière,
+dont après Sa Sainteté reposa dessus son digne chef et visage et bouche,
+qui le baisa. La troisiesme, qu'il excommuniast le sieur de Tays, par ce
+qu'elle l'aimoit et luy ne l'aimoit point, et qu'il est maudit et est
+celuy excommunié qui n'aime point s'il est aimé. Le Pape, estonné de ses
+demandes, et s'estant enquis au Roy qui elle estoit, sceut ses causeries
+et en rit son saoul avec le Roy. Je ne m'estonne pas si depuis elle a
+esté huguenotte et s'est bien mocquée des papes, puis que de si bonne
+heure elle commença: et de ce temps, toutes fois, tout a esté trouvé bon
+d'elle, tant elle avoit bonne grace en ses traits et bons mots. Or ne
+pensez pas que ce grand roy fust si abstraint et si réformé au respect
+des dames, qu'il n'en aimast de bons contes qu'on luy en faisoit, sans
+aucun escandale pourtant ny descriement, et qu'il n'en fist aussi; mais,
+comme grand roy qu'il estoit et bien privilégié, il ne vouloit pas qu'un
+chacun, ny le commun, usast de pareil privilege que luy.
+
+J'ay ouy conter à aucuns qu'il vouloit fort que les honnestes
+gentilshommes de sa cour ne fussent jamais des sans maistresses; et
+s'ils n'en faisoient il les estimoit des fats et des sots: et bien
+souvent aux uns et aux autres leur en demandoit les noms, et promettoit
+les y servir et leur en dire du bien, tant il estoit bon et familier: et
+souvent aussi quand il les voyoit en grand arraisonnement avec leurs
+maistresses, il les venoit accoster et leur demander quels bons propos
+ils avoient avec elles; et s'il ne les trouvoit bons, il les corrigeoit
+et leur en apprenoit d'autres. A ses plus familiers il n'estoit point
+avare ny chiche de leur en dire ny départir de ses contes, dont j'en ay
+ouy faire un plaisant qui luy advint, puis après le récita, d'une belle
+jeune dame venue à la Cour, laquelle, pour n'y estre bien rusée, se
+laissa aller fort doucement aux persuasions des grands, et sur-tout de
+ce grand roy; lequel un jour, ainsi qu'il voulut planter son estandart
+bien arboré dans son fort, elle qui avoit ouy dire, et qui commença
+desjà à le voir, que quand on donnoit quelque chose au Roy, ou que quand
+on le prenoit de luy et qu'on le touchoit, le faloit premièrement
+baiser, ou bien la main, pour le prendre et toucher; elle mesme, sans
+autre cérémonie, n'y faillit pas, et baisant très-humblement la main,
+prit l'estandart du Roy et le planta dans le fort avec une très-grande
+humilité; puis luy demanda de sang froid comment il vouloit qu'elle le
+servist ou en femme de bien et chaste, ou en desbauchée. Il ne faut
+point douter qu'il luy en demandast la desbauchée, puisqu'en cela elle y
+estoit plus agréable que la modeste; en quoy il trouva qu'elle n'y avoit
+perdu son temps, et après le coup et avant, et tout; puis luy faisoit
+une grande révérence en le remerciant humblement de l'honneur qu'il luy
+avoit fait, dont elle n'estoit pas digne, en luy recommandant souvent
+quelque avancement pour son mary. J'ay ouy nommer la dame, laquelle
+depuis n'a esté si sotte comme alors, mais bien habile et bien rusée.
+
+Ce roy n'en espargna pas le conte, qui courut à plusieurs oreilles. Il
+estoit fort curieux de sçavoir l'amour et des uns et des autres, et
+surtout des combats amoureux, et mesme de quels beaux airs se manioient
+les dames quand elles estoient en leur manége, et quelle contenance et
+posture elles y tenoient, et de quelles paroles elles usoient: et puis
+en rioit à pleine gorge, et après en défendoit la publication et
+l'escandale, et recommandoit le secret et l'honneur. Il avoit pour son
+bon second ce très-grand, très-magnifique et très-libéral cardinal de
+Lorraine: très-libéral le puis-je appeler, puis qu'il n'eut son pareil
+de son temps: ses despenses, ses dons, gracieusetez, en ont fait foy, et
+surtout la charité envers les pauvres. Il portoit ordinairement une
+grande gibecière, que son valet-de-chambre qui luy manioit son argent
+des menus plaisirs ne failoit d'emplir tous les matins, de trois ou
+quatre cents escus; et tant de pauvres qu'il trouvoit il mettoit la main
+à la gibeciere, et ce qu'il en tiroit sans considération il le donnoit,
+et sans rien trier. Ce fut de lui que dit un pauvre aveugle, ainsi qu'il
+passoit dans Rome et que l'aumosne lui fut demandée de luy, il luy jetta
+à son accoustumée une grande poignée d'or, et en s'escriant tout haut en
+italien: _O tu sei Christo, ò veramente el cardinal di Lorrena_;
+c'est-à-dire: «Ou tu es Christ, ou le cardinal de Lorraine.» S'il estoit
+aumosnier et charitable en cela, il estoit bien autant libéral és autres
+personnes, et principalement à l'endroit des dames, lesquelles il
+attrapoit aisément par cet appât; car l'argent n'estoit en si grande
+abondance de ce temps comme il est aujourd'huy; et pour ce en
+estoient-elles plus friandes, et des bombances et des parures. J'ay ouy
+conter que quand il arrivoit à la Cour quelque belle fille ou dame
+nouvelle qui fust belle, il la venoit aussitost accoster, et
+l'arraisonnant, il disoit qu'il la vouloit dresser de sa main. Quel
+dresseur! Je croy que la peine n'estoit pas si grande comme à dresser
+quelque poulain sauvage. Aussi pour lors disoit-on qu'il n'y avoit guère
+de dames ou filles résidentes à la Cour ou fraischement venues, qui ne
+fussent desbauchées ou attrappées par son avarice et par la largesse
+dudit M. le cardinal; et peu ou nulles sont-elles sorties de cette cour
+femmes et filles de bien. Aussi voyoit-on pour lors leurs coffres et
+grandes garde-robbes plus pleines de robbes, de cottes, et d'or et
+d'argent et de soye, que ne sont aujourd'huy celles de nos reynes et
+grandes princesses d'aujourd'huy. J'en ay fait l'expérience pour l'avoir
+veu en deux ou trois qui avoient gagné tout cela par leur devant; car
+leurs peres, meres et marys ne leur eussent peu donner en si grande
+quantité. Je me fusse bien passé, ce dira quelqu'un, de dire cecy de ce
+grand cardinal, veu son honorable habit et révérendissime estat; mais
+son roy le vouloit ainsi et y prenoit plaisir; et pour complaire à son
+roy l'on est dispensé de tout, et pour faire l'amour et d'autres choses,
+mais qu'elles ne soient point meschantes, comme alors d'aller à la
+guerre, à la chasse, aux danses, aux mascarades et autres exercices;
+aussi qu'il estoit un homme de chair comme un autre, et qu'il avoit
+plusieurs grandes vertus et perfections qui offusquoient cette petite
+imperfection, si imperfection se doit appeler faire l'amour.
+
+J'ay ouy faire un conte de luy à propos du respect deu aux dames: il
+leur en portoit de son naturel beaucoup: mais il l'oublia, et non sans
+sujet, à l'endroit de madame la duchesse de Savoye, donne Béatrix de
+Portugal. Luy, passant une fois par le Piedmond, allant à Rome pour le
+service du Roy son maistre, visita le duc et la duchesse. Après avoir
+assez entretenu M. le duc, il s'en alla trouver madame la duchesse en sa
+chambre pour la saluer, et s'approchant d'elle, elle, qui estoit la
+mesme arrogance du monde, luy présenta la main pour la baiser. M. le
+cardinal, impatient de cet affront, s'approcha pour la baiser à la
+bouche, et elle de se reculer. Luy, perdant patience et s'approchant de
+plus près encore d'elle, la prend par la teste, et en dépit d'elle la
+baisa deux ou trois fois. Et quoy qu'elle en fist ses cris et
+exclamations à la portugaise et espagnole, si fallut-il qu'elle passast
+par-là. «Comment, dit-il, est-ce à moi à qui il faut user de cette mine
+et façon? je baise bien la Reyne ma maistresse, qui est la plus grande
+reyne du monde, et vous je ne vous baiserois pas, qui n'estes qu'une
+petite duchesse crottée! Et si veux que vous sçachiés que j'ay couché
+avec des dames aussi belles et d'aussi bonne ou plus grande maison que
+vous.» Possible pouvoit-il dire vrai. Cette princesse eut tort de tenir
+cette grandeur à l'endroit d'un tel prince de si grande maison, et mesme
+cardinal, car il n'y a cardinal, veu ce grand rang d'Église qu'ils
+tiennent, qui ne s'accompare aux plus grands princes de la chrestienté.
+M. le cardinal aussi eut tort d'user de revanche si dure; mais il est
+bien fascheux à un noble et généreux cœur, de quelque profession
+qu'il soit, d'endurer un affront.
+
+Le cardinal de Grandvelle le sceut bien faire sentir au comte d'Egmont,
+et d'autres que je laisse au bout de ma plume, car je broüillerois par
+trop mes discours, auxquels je retourne; et le reprens au feu roy Henry
+II, qui a esté fort respectueux aux dames, et qu'il servoit avec de
+grands respects, qui detestoit fort les calomniateurs de l'honneur des
+dames: et lorsqu'un roy sert telles dames, de tel poids, et de telle
+complexion, mal-aisément la suite de la Cour ose ouvrir la bouche pour
+en parler mal. De plus la Reyne-mere y tenoit fort la main pour
+soustenir ses dames et filles, et le bien faire sentir à ces détracteurs
+et pasquineurs, quand ils estoient une fois descouverts, encore
+qu'elle-mesme n'y ait esté espargnée non plus que ses dames; mais ne
+s'en soucioit pas tant d'elle comme des autres, d'autant, disoit-elle,
+qu'elle sentoit son ame et sa conscience pure et nette, qui parloit
+assez pour soy; et la pluspart du temps se rioit et se mocquoit de ces
+mesdisants escrivains et pasquineurs. «Laissez-les tourmenter,
+disoit-elle, et se prendre de la peine pour rien;» mais quand elle les
+descouvroit elle leur faisoit bien sentir. Il escheut à l'aisnée
+Limeuil, à son commencement qu'elle vint à la Cour, de faire un pasquin
+(car elle disoit et escrivoit bien) de toute la Cour, mais non point
+scandaleux pourtant, sinon plaisant; mais asseurez-vous qu'elle la
+repassa par le foüet à bon escient, avec deux de ses compagnes qui en
+estoient de consente; et sans qu'elle avoit cet honneur de luy
+appartenir, à cause de la maison de Thurenne, alliée à celle de
+Boulogne, elle l'eust chastiée ignominieusement par le commandement
+exprès du Roy, qui détestoit estrangement tels escrits.
+
+--Je me souviens qu'une fois le sieur de Matha, qui estoit un brave et
+vaillant gentilhomme que le Roy aimoit, et estoit parent de madame de
+Valentinois; il avoit ordinairement quelque plaisante querelle contre
+les dames et les filles, tant il estoit fol. Un jour, s'estant attaqué à
+une de la Reyne, il y en avoit une qu'on nommoit la grande Meray, qui
+s'en voulut prendre pour sa compagne; luy ne fit que simplement
+respondre: «Hà! je ne m'attaque pas à vous, Meray, car vous estes une
+grande coursiere bardable.» Comme de vray c'estoit la plus grande fille
+et femme que je vis jamais. Elle s'en plaignit à la Reyne que l'autre
+l'avoit appelée jument et coursiere bardable. La Reyne fut en telle
+colere qu'il fallust que Matha vuidast de la Cour pour aucuns jours,
+quelque faveur qu'il eust de madame de Valentinois sa parente; et d'un
+mois après son retour n'entra en la chambre de la Reyne et des filles.
+
+Le sieur de Gersay fit bien pis à l'endroit d'une des filles de la Reyne
+à qui il vouloit mal pour s'en venger, encore que la parole ne luy
+manquast nullement; car il disoit et rencontroit des mieux, mais
+sur-tout quand il mesdisoit, dont il en estoit le maistre; mais la
+mesdisance estoit lors fort défendue. Un jour qu'elle estoit à
+l'après-dinée en la chambre de la Reyne avec ses compagnes et
+gentilshommes, comme alors la coustume estoit qu'on ne s'assioit
+autrement qu'en terre quand la Reyne y estoit, le dit sieur, ayant pris
+entre les mains des pages et laquais une c..... de bélier dont ils s'en
+joüoient à la basse-court (elle estoit fort grosse et enflée tout
+bellement), estant couché près d'elle, la coula entre la robbe et la
+juppe de cette fille, et si doucement qu'elle ne s'en advisa jamais,
+si-non que, lors que la Reyne se vint à se lever de sa chaise pour aller
+en son cabinet, cette fille, que je ne nommeray, se vint lever
+aussi-tost, et en se levant tout devant la Reyne, pousse si fort cette
+balle bellinière, pelue, velue, qu'elle fit six ou sept bonds joyeux,
+que vous eussiez dit qu'elle vouloit donner de soy-mesme du passe-temps
+à la compagnie sans qui'il luy coustast rien. Qui fut estonnée? ce fut
+la fille et la Reyne aussi, car c'étoit en belle place visible sans
+aucun obstacle. «Nostre-Dame! s'écria la Reyne, et qu'est cela, m'amie,
+et que voulez-vous faire de cela?» La pauvre fille, rougissant, à demy
+esplorée, se mit à dire qu'elle ne sçavoit que c'estoit, et que
+c'estoit, quelqu'un qui luy vouloit mal qui luy avoit fait ce meschant
+trait, et qu'elle pensoit que ce ne fust autre que Gersay. Luy, qui en
+avoit veu le commencement du jeu et des bonds, avoit passé la porte. On
+l'envoya quérir; mais il ne voulut jamais venir, voyant la Reyne si
+colère, et niant pourtant le tout fort ferme. Si fallut-il que pour
+quelques jours il fuyt sa colère et du Roy aussi: et sans qu'il estoit
+un des grands favoris du Roy-Dauphin avec Fontaine-Guerrin, il eust esté
+en peine, encore que rien ne se prouvast contre luy que par conjecture,
+nonobstant que le Roy fit ses courtisans et plusieurs dames ne s'en
+peussent engarder d'en rire, ne l'osant pourtant manifester, voyant la
+colère de la Reyne: car c'estoit la dame du monde qui sçavoit le mieux
+rabroüer et estonner les personnes.
+
+--Un honneste gentilhomme et une damoiselle de la Cour vindrent une
+fois, de bonne amitié qu'ils avoient ensemble, à tomber en haine et
+querelle, si-bien que la damoiselle luy dit tout haut dans la chambre de
+la Reyne, estant sur ce différent: «Laissez-moi, autrement je diray ce
+que vous m'avez dit:» Le gentilhomme, qui luy avoit rapporté quelque
+chose en fidélité d'une très-grande dame, et craignant que mal ne luy
+advinst, que pour le moins il ne fust banny de la Cour, sans s'estonner
+il respondit (car il disoit très-bien le mot): «Si vous dites ce que je
+vous ay dit, je diray ce que je vous ay fait.» Qui fust estonnée? ce
+fust la fille: toutesfois elle respondit: «Que m'avez-vous fait?»
+L'autre respondit; «Que vous ay-je dit?» La fille par après replique:
+«Je sçay bien ce que vous m'avez dit;» l'autre: «Je sais bien ce que je
+vous ay fait.» La fille duplique «Je prouveray fort bien ce que vous
+m'avez dit;» l'autre respondit: «Je prouveray encore mieux ce que je
+vous ay fait.» Enfin, après avoir demeuré assez de temps en telles
+contestations par dialogues et repliques et dupliques, et pareils et
+semblables mots, s'en séparèrent par ceux et celles qui se trouvèrent
+là, encore qu'ils en tirassent du plaisir.
+
+Tel débat parvint aux oreilles de la Reyne, qui en fut fort en colère,
+et en voulust aussitost sçavoir les paroles de l'un et les faits de
+l'autre, et les envoya quérir. Mais l'un et l'autre, voyant que cela
+tireroit à conséquence, advisèrent à s'accorder aussi-tost ensemble, et
+comparoissant devant la Reyne, de dire que ce n'estoit qu'un jeu qu'ils
+se contestoient ainsi, et que le gentilhomme ne luy avoit rien dit, ny
+luy rien fait à elle. Ainsi ils payèrent la Reyne, laquelle pourtant
+tança et blasma fort le gentilhomme, d'autant que ses paroles estoient
+trop scandaleuses. Le gentilhomme me jura vingt fois que, s'ils ne se
+fussent rapatriés et concertés ensemble, et que la damoiselle eust
+descouvert les paroles qu'il luy avoit dites, qui luy tournoient à
+grande conséquence, que résolument il eust maintenu son dire qu'il luy
+avoit fait, à peine qu'on la visitast, et qu'on ne la trouveroit point
+pucelle, et que c'estoit luy qui l'avoit dépucellée. «Oui, lui
+respondis-je: mais si l'on l'eust visitée et qu'on l'eust trouvée
+pucelle, car elle estoit fille, vous fussiez esté perdu, et vous y fust
+allé de la vie.--Hà! mort Dieu! me respondit-il, c'est ce que j'eus
+voulu le plus qu'on l'eust visitée: je n'avois point peur que la vie y
+eust couru; j'estois bien asseuré de mon baston; car je sçavois bien qui
+l'avoit dépucellée, et qu'un autre y avoit bien passé, mais non pas moy,
+dont j'en suis très-bien marry: et la trouvant entamée et tracée, elle
+estoit perdue et moy vengé, et elle scandalisée. Je fusse esté quitte
+pour l'espouser, et puis m'en défaire comme j'eusse peu.» Voilà comme
+les pauvres filles et femmes courent fortune, aussi bien à droit comme à
+tort.
+
+--J'en ay cogneu une de très-grande part, laquelle vint à estre grosse
+d'un très-brave et galland prince[114]: on disoit pourtant que c'estoit
+en nom de mariage, mais par après on sceut le contraire. Le roy Henry le
+sceut le premier qui en feust extresmement fasché, car elle luy en
+appartenoit un peu: toutesfois, sans faire plus grand bruit ny scandale,
+le soir au bal la voulut mener danser le bransle de la Torche[115] et
+puis la fit mener danser à un autre la gaillarde et les autres bransles,
+là où elle monstra sa disposition et sa dextérité mieux que jamais, avec
+sa taille qui estoit très-belle et qu'elle accommodoit si bien ce
+jour-là, qu'il ny avoit aucune apparence de grossesse: de sorte que le
+Roy, qui avoit ses yeux toujours fort fixement sur elle, ne s'en
+apperceust non plus que si elle ne fust esté grosse, et vint à dire à un
+très grand de ses plus familiers: «Ceux-là sont bien meschants et
+malheureux d'estre allés inventer que cette pauvre fille estoit grosse;
+jamais je ne luy ay veu meilleure grace. Ces meschants détracteurs qui
+en ont parlé ont menty et ont très-grand tort.» Et ainsi ce bon prince
+excusa cette fille et honneste damoiselle, et en dit de mesme à la Reyne
+estant couché le soir avec elle. Mais la Reyne, ne se fiant à cela, la
+fit visiter le lendemain au matin, elle estant présente, et se trouva
+grosse de six mois; laquelle luy advoüa et confessa le tout sous la
+courtine de mariage. Pourtant le Roy, qui estoit tout bon, fit tenir le
+mystère le plus secret qu'il put sans escandaliser la fille, encore que
+la Reine en fust fort en colere. Toutesfois ils l'envoyèrent tout coy
+chez ses plus proches parents, où elle accoucha d'un beau fils, qui
+pourtant fut si malheureux qu'il ne put jamais estre advoüé du pere
+putatif; et la cause en traîna longuement, mais la mere n'y put jamais
+rien gagner.
+
+--Or le roy Henry aimoit aussi-bien les bons contes que ses
+prédécesseurs; mais il ne vouloit point que les dames en fussent
+escandalisées ny divulguées: si bien que luy, qui estoit d'assez
+amoureuse complexion, quand il alloit voir les dames, y alloit le plus
+caché et le plus couvert qu'il pouvoit, afin qu'elles fussent hors de
+soupçon et diffame; et s'il en avoit aucunes qui fussent descouvertes,
+ce n'estoit pas sa faute ny de son consentement, mais plustost de la
+dame: comme une que j'ay ouy dire, de bonne maison, nommée madame
+Flamin, d'Escosse, laquelle, ayant été enceinte du fait du Roy, elle
+n'en faisoit point la petite bouche, mais très-hardiment disoit en son
+escossiment francisés «J'ay fait tant j'ay pu, que, Dieu merci, je suis
+enceinte du Roy, dont je m'en sens très-honorée et très-heureuse; et si
+je veux dire que le sang royal a je ne sais quoy de plus suave et
+friande liqueur que l'autre, tant que je m'en trouve bien, sans conter
+les bons brins de présents que l'on en tire.» Son fils, qu'elle en eust
+alors, fut le feu grand prieur de France, qui fut tué dernièrement à
+Marseille, qui fut un très-grand dommage, car c'estoit un très-honneste,
+brave et vaillant seigneur: il le monstra bien à sa mort. Et si estoit
+homme de bien et le moins tyran gouverneur de son temps ny depuis, et la
+Provence en sauroit bien que dire, et encore que ce fust un seigneur
+fort splendide et de grande despense; mais il estoit homme de bien et se
+contentoit de raison. Cette dame, avec d'autres que j'ay ouy dire,
+estoit en cette opinion, que, pour coucher avec son roy, ce n'estoit
+point diffame, et que putains sont celles qui s'adonnent aux petits,
+mais non pas aux grands roys et galants gentilshommes; comme cette reyne
+amazone que j'ai dit, qui vint de trois cent lieuës pour se faire
+engrosser à Alexandre, pour en avoir de la race: toutesfois l'on dit
+qu'autant vaut l'un que de l'autre.
+
+--Après le roy Henry vint le roy François second, duquel le règne fust
+si court que les mesdisants n'eurent loisir de se mettre en place pour
+mesdire des dames: encore que s'il eust régné longtemps, ne faut point
+croire qu'il les eust permis en sa Cour; car c'estoit un roy de très-bon
+et très-franc naturel, et qui ne se plaisoit point en medisances; outre
+qu'il estoit fort respectueux à l'endroit des dames et les honoroit
+fort: aussi avoit-il la reyne sa femme et la reyne sa mère, et messieurs
+ses oncles, qui rabroüoient fort ces causeurs et picqueurs de la langue.
+Il me souvient qu'une fois, luy estant à Saint Germain en Laye, sur le
+mois d'aoust et de septembre, il lui prit envie d'aller le soir voir les
+cerfs en leurs ruths, en cette belle forest de Saint Germain, et menoit
+des princes ses plus grands familiers et aucunes grandes dames et filles
+que je dirois bien. Il y en eut quelqu'un qui en voulut causer et dire
+que cela ne sentoit point sa femme-de-bien, ny chaste, d'aller voir de
+tels amours et tels ruths de bestes, d'autant que l'appétit de Vénus les
+en eschauffoit davantage à telle imitation et telle vueue, si bien que,
+quand elles s'en voudroient degouster, l'eau ou la salive leur en
+viendroit à la bouche du mitan, que par après il n'y auroit aucun remede
+de l'en oster, si-non par autre cause ou salive de sperme. Le Roy le
+sceut, et les princes et dames qui l'y avoient accompagné. Asseurez-vous
+que si le gentilhomme n'eust si-tost escampé, il estoit très-mal; et ne
+parut à la Cour qu'après sa mort et son regne. Il y eut force libelles
+diffamatoires contre ceux qui gouvernoient alors le royaume; mais il n'y
+eut aucun qui piquast et offensast plus qu'une invective intitulée _le
+Tigre_ (sur l'imitation de la première invective de Cicéron contre
+Catilina), d'autant qu'elle parloit des amours d'une très-grande et
+belle dame, et d'un grand son proche. Si le galant auteur fust esté
+apprehendé, quand il eust eu cent mille vies il les eust toutes perdues;
+car et le grand et la grande en furent si estommaqués qu'ils en
+cuidèrent desespérer. Ce roy François ne fut point sujet à l'amour comme
+ses prédécesseurs; aussi eust-il eu grand tort, car il avoit pour
+espouse la plus belle femme du monde et la plus aimable; et qui l'a
+telle ne va point au pourchas comme d'autres, autrement il est bien
+misérable; et qui n'y va peu se soucie-t-il de dire mal des dames, ny
+bien et tout, si-non que de la sienne. C'est une maxime que j'ay ouy
+tenir à une honneste personne; toutesfois je l'ay vue faillir plusieurs
+fois.
+
+Le roy Charles IX vint après, lequel, pour sa tendresse d'aage, ne se
+soucioit du commencement des dames, ains se soucioit plus-tost à passer
+son temps en exercice de jeunesse. Toutefois feu M. de Sipierre, son
+gouverneur, et qui estoit, à mon gré et de chacun aussi, le plus
+honneste et le plus gentil cavalier de son temps et le plus courtois et
+révérentieux aux dames, en apprit si bien la leçon au Roy son maistre et
+disciple, qu'il a esté autant à l'endroit des dames qu'aucuns roys ses
+prédécesseurs; car jamais et petit et grand, il n'a veu dames, fust-il
+le plus empesché du monde ailleurs, ou qu'il courust ou qu'il
+s'arrestast, ou à pied ou à cheval, qu'aussitost il ne la saluast et luy
+otast son bonnet fort reverentieusement. Quand il vint sur l'aage
+d'amour, il servit quelques honnestes dames et filles que je sçay, mais
+avec si grand honneur et respect que le moindre gentilhomme de sa Cour
+eust sceu faire. De son regne les grands pasquineurs commencèrent
+pourtant avoir vogue, et mesme aucuns gentilshommes bien gallants de la
+Cour, lesquels je ne nommeray point, qui détractoient estrangement des
+dames, et en général et en particulier, voire des plus grandes; dont
+aucuns en ont eu des querelles à bon escient, et s'en sont très-mal
+trouvez: non pourtant qu'ils advoüassent le fait, car ils nioient tout;
+aussi s'en fussent-ils trouvez de l'escot s'ils l'eussent advoüé, et le
+Roy leur eust bien fait sentir, car ils s'attaquoient a de trop grandes.
+D'autres faisoient bonne mine, et enduroient a leur barbe mille
+démentis qu'on disoit conditionels et en l'air, et mille injures qu'ils
+buvoient doux comme laict, et n'osoient nullement repartir; autrement il
+leur alloit de la vie: en quoy bien souvent me suis-je estonné de telles
+gens qui se mettoient ainsi à mesdire d'autruy, et permettre qu'on
+mesdist à leur nez tant et tant d'eux. Si avoient-ils pourtant la
+réputation d'estre vaillants; mais en cela ils enduroient le petit
+affront gallantement sans sonner mot.
+
+--Je me souviens d'un pasquin qui fust fait contre une très-grande dame
+veufve, belle et bien honneste, qui vouloit convoler avec un très-grand
+prince jeune et beau. Il y eut quelques-uns que je sçay bien, qui, ne
+voulants ce mariage, pour en destourner le prince, firent un pasquin
+d'elle, le plus scandaleux que j'aye point veu, là où ils
+l'accomparoient à cinq ou six grandes putains anciennes, fameuses, fort
+lubriques, et qu'elle les surpassoit toutes. Ceux-mesmes qui avoient
+fait le pasquin le luy présentèrent, disants pourtant qu'il venoit
+d'autres, et qu'on leur avoit baillé. Ce prince, l'ayant veu, donna des
+démentis et dit mille injures en l'air à ceux qui l'avoient fait; eux
+passèrent tout sous silence, encor qu'ils fussent des braves et
+vaillants. Cela donna pourtant pour le coup à songer au prince, car le
+pasquin portoit et monstroit au doigt plusieurs particularitez, mais au
+bout de deux ans le mariage s'accomplit.
+
+Le Roy estoit si généreux et bon, que nullement il favorisoit tels gens
+d'avoir de petits mots joyeux avec eux à part. Bien les aimoit-il, mais
+ne vouloit que le vulgaire en fust abreuvé, disant que sa Cour, qui
+estoit la plus noble et la plus illustre de grandes et belles dames de
+tout le monde, et pour telle réputée, ne vouloit qu'elle fust
+villipendée et mesestimée par la bouche de tels causeurs et galants: et
+c'estoit à parler ainsi des courtisannes de Rome, de Venise et d'autres
+lieux, et non de la Cour de France; et que, s'il estoit permis de le
+faire, il n'estoit permis de le dire. Voilà comment ce roy estoit
+respectueux aux dames, voire tellement qu'en ses derniers jours je sçay
+qu'on luy voulut donner quelque mauvaise impression de quelques
+très-grandes et très-belles et honnestes dames, pour estre broüillées en
+quelques très-grandes affaires qui luy touchoient; mais il n'en voulut
+jamais rien croire, ains leur fit aussi bonne chere que jamais et mourut
+avec leurs bonnes graces et grande quantité, de leurs larmes qu'elles
+espandirent sur son corps. Et le trouvèrent à dire puis après bien
+quand le roy Henry troisiesme vint à luy succéder, lequel, pour aucuns
+mauvais rapports qu'un luy avoit fait d'elles en Pologne, n'en fit à son
+retour si grand conte comme il avoit fait auparavant, et d'icelle et
+d'autres que je sçay s'en fit un très-rigoureux censeur, dont pour cela
+il n'en fut pas plus aimé; si que je croy qu'en partie elles ne luy ont
+point peu nuy, ny à sa malle fortune ny à sa ruyne. J'en diray bien
+quelques particularitez, mais je m'en passeray bien: si-non qu'il faut
+considérer que la femme est fort encline à la vengeance; car, quoy qu'il
+tarde, elle l'exécute: au contraire du naturel de la vengeance d'aucuns,
+laquelle du commencement est fort ardente et chaude à s'en faire
+accroire, mais par le temporisement et longueur elle s'attiédist et
+vient à néant. Voilà pourquoy il s'en faut garder du premier abord, et
+par le temps parer aux coups; mais la furie, l'abord et le temporisement
+durent toujours en la femme jüsqu'à la fin; je dis d'aucunes, mais peu.
+Aucuns ont voulu excuser le Roy de la guerre qu'il faisoit aux dames par
+descriements, que c'estoit pour refréner et corriger le vice, comme si
+la correction en cela luy servoit; veu que la femme est de tel naturel,
+que tant plus on luy défend cela, tant plus y est-elle ardente, et
+a-t-on beau luy faire le guet. Aussi, par expérience, ay-je veu que pour
+luy on ne se détournoit de son grand chemin. Aucunes dames a-t-il aimé,
+que je sçay bien, avec de très-grands respects, et servy avec très-grand
+honneur, et mesme une très-grande et belle princesse, dont il devint
+tant amoureux avant qu'aller en Poulogne, qu'après estre roy il se
+résolut de l'espouser, encor qu'elle fust mariée à un grand et brave
+prince, mais il estoit à luy rebelle et réfugié en pays estrange pour
+amasser gens et luy faire la guerre; mais à son retour en France la dame
+mourut en ses couches. La mort seule empescha ce mariage, car il y
+estoit résolu: par la faveur et dispense du Pape il l'espousoit; qui ne
+luy eust refusée, estant un si grand roy, et pour plusieurs autres
+raisons que l'on peut penser. A d'autres aussi a-t-il fait l'amour pour
+les descrier.
+
+J'en sçay une grande que, pour des desplaisirs que son mary luy avoit
+faits, et ne le pouvant atrapper, s'en vengea sur sa femme, qu'il
+divulgua en la présence de plusieurs: encore cette vengeance estoit-elle
+douce, car, au lieu de la faire mourir, il la faisoit vivre. J'en sçay
+une qui, faisant trop de la galante, et pour un desplaisir qu'elle luy
+fit, exprès luy fit l'amour, et sans grand peine de persuasion luy donna
+un rendez-vous en un jardin où ne faillit de se trouver; mais il ne la
+voulut toucher autrement (ce disent aucuns, mais il la toucha fort
+bien), ains la faire voir en place de marché, et puis la bannit de la
+Cour avec opprobre. Il désiroit et estoit fort curieux de sçavoir la vie
+des unes et des autres et en sonder leur vouloir. On dit qu'il faisoit
+quelquefois part de ses bonnes-fortunes à aucuns de ses plus privez.
+Bienheureux estoient-ils ceux-là; car les restes de ces grands roys ne
+sçauroient estre que très-bons. Les dames le craignoient fort, comme
+j'ay veu, et leur faisoit luy-mesme des reprimandes, ou en prioit la
+Reyne sa mere, qui de soy en estoit assez prompte, mais non pour aimer
+les mesdisans, ainsi que je l'ay monstré cy-devant par ces petits
+exemples que j'ay allégués, auxquels y prenant pied et altération, que
+pouvoit-elle faire aux autres quand ils touchoient au vif et à l'honneur
+des dames?
+
+Ce roy avoit tant accoustumé dès son jeune aage, comme j'ay veu, de
+sçavoir des contes de dames, voire moy-même luy en ay-je fait aussi
+quelqu'un: et en disoit aussi, mais fort secrètement, de peur que la
+Reyne sa mere le sceust, car elle ne vouloit qu'il le dist à d'autres
+qu'à elle, pour en faire la correction: tellement que, venant en aage et
+en liberté, n'en perdit la possession; et pour ce, sçavoit aussi-bien
+comme elles vivoient en sa cour et en son royaume, au moins aucunes, et
+mesmes les grandes, que s'il les eust toutes pratiquées; et si aucunes y
+en avoit qui vinssent à la Cour nouvellement, en les accostant fort
+courtoisement et honnestement pourtant, leur en contoit de telle façon
+qu'elles en demeuroient estonnées en leurs âmes d'où il avoit appris
+toutes ces nouvelles, luy niant et désadvoüant pourtant le tout. Et s'il
+s'amusoit en cela, il ne laissoit d'appliquer son esprit en autres et
+plus grandes choses, si hautement, qu'on l'a tenu pour le plus grand roy
+que de cent ans il y a eu en France, ainsi que j'en ay escrit ailleurs
+en un chapitre de luy fait à part[116]. Je n'en parle donc plus, encor
+qu'on me pust dire que je ne suis esté assez copieux d'exemples de luy
+pour ce sujet, et que j'en devois dire davantage si j'en sçavois. Ouy,
+j'en sçai prou, et des plus sublins; mais je ne veux pas tout à coup
+dire les nouvelles de la Cour ny du reste du monde; et aussi que je
+pourrois si bien pailler et couvrir mes contes, que l'on ne s'en
+apperceust sans escandale.
+
+Or il y a de ces détracteurs des dames de diverses sortes. Les uns en
+medisent d'aucunes pour quelque desplaisir qu'elles leur auront fait,
+encor qu'elles soient des plus chastes du monde, et les font, d'un ange
+beau et pur qu'elles sont, un diable tout infect de meschanceté: comme
+un honneste gentilhomme que j'ay veu et cogneu, lequel pour un léger
+desplaisir qu'une très-honneste et sage dame luy avoit fait, la descria
+fort vilainement; dont il en eut bonne querelle. Et disoit: «Je sçay
+bien que j'ay tort, et ne nie point que cette dame ne soit très-chaste
+et tres-vertueuse: mais quiconque sera telle, celle-là qui m'aura le
+moins du monde offensé, quand elle seroit aussi chaste et pudique que la
+vierge Marie, puis qu'autrement il ne m'est permis d'en avoir raison
+comme d'un homme, j'en dirai pis que pendre.» Mais Dieu pourtant s'en
+peut irriter. D'autres détracteurs y a-t-il qui, aimant des dames et ne
+pouvant rien tirer de leur chasteté, de dépit en causent comme de
+publiques; et si font pis: ils publient et disent qu'ils en ont tiré ce
+qu'ils vouloient, mais, les ayant connues et apperceues par trop
+lubriques, les ont quittées. J'en ay cogneu force en nos cours de ces
+humeurs. D'autres, qui à bon escient quittent leurs mignons et favoris
+de couchettes, et puis, suivant leurs légéretés et inconstances, s'en
+sont desgoustées et repris d'autres en leur place: sur ce, ces mignons,
+despitez et desespérez, vous peignent et descrient ces pauvres femmes,
+ne faut pas dire comment, jusques à raconter particulièrement leurs
+lascivetez et paillardises qu'ils ont ensemble exercées, et à descouvrir
+leurs sis qu'elles portent sur leur corps nud, afin que mieux ou les
+croye. D'autres y a-t-il qui, despitez qu'elles en donnent aux autres et
+non à eux, en mesdisent à toute oustrance, et les font guetter, espier
+et veiller, enfin qu'au monde ils donnent plus grande conjecture de
+leurs véritez. D'autres qui, espris de belle jalousie, sans aucun sujet
+que celuy-là, maldisent de ceux qu'elles aiment le plus, et
+qu'eux-mesmes aiment tant qu'ils ne les voyent pas à demy. Voilà l'un
+des plus grands effets de la jalousie: et tels détracteurs ne sont tant
+à blasmer qu'on le diroit bien; car il faut imputer cela à l'amour et à
+la jalousie, deux frère et sœur d'une mesme naissance. D'autres
+détracteurs y a-t-il qui sont si fort nez et accoutumez à la mesdisance,
+que plustost qu'ils ne mesdisent de quelque personne ils mesdiroient
+d'eux-mesmes. A votre advis, si l'honneur des dames est espargné en la
+bouche de tels gens? Plusieurs en nos cours en ay-je veu tels qui,
+craignant de parler des hommes de peur de la touche, se mettoient sur la
+draperie des pauvres dames, qui n'ont autre revanche que les larmes,
+regrets et paroles. Toutes-fois en ay-je cogneu plusieurs qui s'en sont
+très-mal trouvez: car il y a eu des parents, des freres, des amis de
+leurs serviteurs, voire des maris, qui en ont fait repentir plusieurs,
+et remascher et avaller leurs paroles. Enfin, si je voulois raconter
+toutes les diversitez des destracteurs des dames qu'il y en a, je
+n'aurois jamais fait. Une opinion en amour ay-je veu tenir à plusieurs,
+qu'un amour secret ne vaut rien s'il n'est pas un peu manifeste, si-non
+à tous, pour le moins à ses plus privez amis: et si à tous il ne se peut
+dire pour le moins que le manifeste s'en fasse, ou par monstre ou par
+faveurs, ou de livrées et couleurs, ou actes chevaleresques, comme
+courrements de bague, tournois, masquarades, combats à la barriere,
+voire à ceux de bon escient quant on est à la guerre; certes le
+contentement en est très-grand en soy. Comme de vray, de quoy serviroit
+à un grand capitaine d'avoir fait un beau et signalé exploit de guerre,
+et qu'il fust teu et nullement sceu? je croy que ce luy seroit un despit
+mortel. De mesme en doivent estre les amoureux qui aiment en bon lieu,
+ce disent aucuns: et de cette opinion en a esté le principal chef M. de
+Nemours, le parangon de toute chevalerie; car, si jamais prince,
+seigneur ou gentilhomme a esté heureux en amours, ç'a esté celuy-là. Il
+ne prenoit pas plaisirs à les cacher à ses plus privez amis; si est-ce
+qu'à plusieurs il les a tenues si secrettes qu'on ne les jugeoit que mal
+aisément. Certes pour les dames mariées la descouverte en est fort
+dangereuse: mais pour les filles et veufves qui sont à marier,
+n'importe; car la couleur et prétexte d'un mariage futur couvre tout.
+
+--J'ay cogneu un gentilhomme très-honneste à la Cour, qui, servant une
+très-grande dame, estant parmy ses compagnons un jour en devis de leurs
+maistresses, et se conjurans tous de les descouvrir entr'eux de leur
+faveur, ce gentilhomme ne voulut jamais décéler la sienne, ains en alla
+controuver une autre d'autre part, et leur donna ainsi le bigu, encore
+qu'il y eust un grand prince en la troupe qui l'en conjurast et se
+doutast pourtant de cet amour secret: mais luy et ses compagnons n'en
+tirèrent que cela de luy; et pourtant à part soy maudit cent fois sa
+destinée qui l'avoit là contraint de ne raconter, comme les autres, sa
+bonne fortune, qui est plus gracieuse à dire que sa male.
+
+--Un autre ay-je cogneu, bien galant cavalier, lequel, par sa
+présomption trop libre qu'il prit de descouvrir sa maistresse qu'il
+devoit taire, tant par signes que paroles et effets, en cuida estre tué
+par un assassinat qu'il faillit: mais pour un autre sujet il n'en
+faillit un autre, dont la mort s'ensuivit.
+
+--J'estois à la Cour du temps du roy François II, que le comte de
+Saint-Agnan espousa à Fontainebleau la jeune Bourdeziere. Le lendemain,
+le nouveau marié estant venu en la chambre du Roy, un chacun luy
+commença à faire la guerre, selon la coustume; dont il y eut un grand
+seigneur très-brave qui luy demanda combien de postes il avoit couru. Le
+marié respondit cinq. Par cas il y eut présent un honneste gentilhomme,
+secrétaire, qui estoit-là fort favory d'une très-grande princesse que je
+ne nommeray point, qui dit que ce n'estoit guères pour le beau chemin
+qu'il avoit battu et pour le beau temps qu'il faisoit, car c'estoit en
+esté. Ce grand seigneur lui dit: «Hà! mordieu! il vous faudroit des
+perdriaux à vous!» Le secrétaire répliqua: «Pourquoy non? Par Dieu! j'en
+ay pris une douzaine en vingt-quatre heures sur la plus belle motte qui
+soit ici à l'entour, ny qui soit possible en France.» Qui fust esbahy?
+ce fut ce seigneur; car par-là il apprit ce dont il se doutoit il y
+avoit long-temps: et d'autant qu'il estoit fort amoureux de cette
+princesse, fut fort marry de ce qu'il avoit longuement chassé en cet
+endroit et n'avoit jamais rien pris, et l'autre avoit esté si heureux en
+rencontre et en sa prise. Ce que le seigneur dissimula pour ce coup;
+mais depuis, en temporisant son martel, la luy cuida rendre chaud et
+couvert, sans une considération que je ne diray point: mais pourtant il
+luy porta tousjours quelque haine sourde; et si le secrétaire fust esté
+bien advisé, il n'eust vanté ainsi sa chasse, mais l'eust tenue
+très-secrète, et mesme en une si heureuse adventure, dont il en cuida
+arriver de la broüillerie et de l'escandale. Que diroit-on d'un
+gentilhomme de par le monde, que, pour quelque déplaisir que luy avoit
+fait sa maistresse, alla jouer et perdre son portrait qu'elle luy avoit
+donné, qu'il portoit au col, dont le mary fut fort estonné et moins
+aimant sa femme, qui en sceut colorer le fait ainsi qu'elle put? Que
+diroit-on d'un gentilhomme de par le monde, que, pour quelque desplaisir
+que luy avoit fait sa maistresse, alla joüer et perdre son portrait aux
+dez contre un de ses soldats, car il avoit grande charge en
+l'infanterie; ce qu'elle sceut, et en cuida crever de despit, et qui
+s'en fascha fort. La Reyne-mère sceut, qui luy en fit la réprimende,
+sur ce que le desdain en estoit par trop grand, que d'aller ainsi
+abandonner au sort de dez le portrait d'une belle et honneste dame. Mais
+ce seigneur en rabilla le fait, disant que de sa couche il avoit réservé
+le parchemin du dedans, et n'avoit que couché la boëte qui l'enserroit,
+qui estoit d'or et enrichie de pierreries. J'en ay veu souvent demener
+le conte entre la dame et le seigneur bien plaisamment, et en ay ry
+d'autrefois mon saoul. Si diray-je une chose, qu'il y a des dames, dont
+j'en ay veu aucunes, qui veulent estre en leurs amours bravées,
+menacées, voire gourmandées, et les a-t-on plustost de telle sorte que
+par douces compositions; ny plus ny moins qu'aucunes forteresses qu'on a
+par force, et d'autres par douceur; mais pourtant elles ne veulent estre
+injuriées ny descriées pour putains; car bien souvent les paroles
+offensent plus que les effects.
+
+--Sylla ne voulut jamais pardonner à la ville d'Athenes qu'il ne la
+ruinast de fond en comble, non pour opiniastreté d'avoir tenu contre
+luy, mais seulement par ce que dessus les murailles ceux de dedans en
+parlérent mal, et touchèrent l'honneur bien au vif de Metella, sa femme.
+
+--En quelques lieux de par le monde, que je ne nommeray point, les
+soldats aux escarmouches et aux siéges de places se reprochoient les uns
+aux autres l'honneur de deux de leurs princesses souveraines, jusques-là
+à s'entredire: «La tienne joue bien aux quilles;--la tienne rempelle
+aussi.» Par ces brocards et sobriquets, les princesses animoient bien
+autant les leurs à faire du mal et des cruautez, que d'autres sujets,
+ainsi que je l'ay veu.
+
+--J'ay ouy raconter que la principale occasion qui anima plus la reyne
+d'Hongrie à allumer ses beaux feux vers la Picardie et autres parts de
+France, ce fut à l'appétit de quelques insolents bavards et causeurs,
+qui parloient ordinairement de ses amours, et chantoient tout haut et
+par-tout an: _Au Barbanson et la reyne d'Hongrie_, chanson grossiere
+pourtant, et sentant à pleine gorge son avanturier ou villageois.
+
+--Caton ne peut jamais aimer César, depuis qu'estant au sénat qu'on
+délibéroit contre Catilina et sa conjuration, et qu'on en soupçonnoit
+César estant au conseil, fut apporté audit César, en cachette, un petit
+billet, ou, pour mieux dire, un poulet, que Servilia, sœur de Caton,
+lui envoyoit, qui portoit assignation ou rendez-vous pour coucher
+ensemble. Caton, ne s'en doutant point, ainsi de la consente dudit
+César avec Catilina, cria tout haut que le sénat luy fist commandement
+d'exhiber ce dont estoit question. César, à ce contraint, le monstra, où
+l'honneur de sa sœur se trouva fort escandalisé et divulgué. Je vous
+laisse à penser donc si Caton, quelque bonne mine qu'il fist d'haïr
+César à cause de la république, s'il le put jamais aimer, veu ce trait
+scandaleux. Ce n'estoit pas pourtant la faute de César, car il falloit
+nécessairement qu'il manifestast ce brevet; autrement il lui alloit de
+la vie. Et croy que Servilia ne luy en voulut point de mal autrement
+pour cela: comme de fait ne laissèrent à continuer leurs amours,
+desquelles vint Brutus, qu'on disoit César en estre pere; mais il luy
+rendit mal pour l'avoir mis au monde. Or les dames, pour s'abandonner
+aux grands, courent beaucoup de fortune; et si elles en en tirent des
+faveurs, des grandeurs et des moyens, elles les acheptent bien. J'ay ouy
+conter d'une dame belle, honneste et de bonne maison, mais non de si
+grande comme d'un grand seigneur qui en estoit très-fort amoureux; et
+l'ayant trouvée un jour en sa chambre, seule avec ses femmes, assise sur
+son lit, après quelques propos et devis tenus d'amour, ce seigneur vint
+à l'embrasser, et par douce force la coucha sur son lict; puis, venant
+au grand assaut, et elle l'endurant avec une petite et civile
+opiniastreté, elle luy dit: «C'est un grand cas que vous autres grands
+seigneurs ne vous pouvez engarder d'user de vos autoritez et libertez à
+l'endroit de nous autres inférieures. Au moins, si le silence vous
+estoit commun comme la liberté de parler, vous seriés par trop
+désirables et pardonnables. Je vous prie donc, monsieur, tenir secret
+cecy que vous faites, et garder mon honneur.» Ce sont les propos
+coustumiers dont usent les dames inférieures à leurs supérieurs: «Hà!
+monsieur, disent-elles, advisez au moins à mon honneur!» D'autres
+disent: «Ah! monsieur, si vous dites cecy, je suis perdue; gardez, pour
+Dieu, mon honneur.» D'autres disent: «Monsieur, mais que vous n'en
+sonniez mot, et mon honneur soit sauvé, je ne m'en soucie point.» Comme
+voulant arguer par-là qu'on en peut faire tant qu'on voudra en cachette,
+et mais que le monde n'en sçache rien, elles ne pensent point estre
+deshonorées. Les plus grandes et superbes dames disent à leurs galands
+inférieurs: «Donnez-vous bien de garde d'en dire un mot, tant seul
+soit-il; autrement il vous va de la vie; je vous feray jetter en sac
+dans l'eau, ou je vous feray couper les jarretz;» et autres tels et
+semblables propos prononcent-elles: si bien qu'il n'y a dame, de
+quelque qualité qui soit, qui veuille estre scandalisée ny pourmenée
+tant soit peu par le palais de la bouche des hommes. Si en a-t-il
+aucunes qui sont si mal-advisées, ou forcenées, ou transportées d'amour,
+que, sans que les hommes les accusent, d'elles-mesmes se descrient,
+comme fut, il n'y a pas long-temps, une très-belle et honneste dame, de
+bonne part, de laquelle un grand seigneur en estant devenu fort
+amoureux, et puis après en joüissant, et luy ayant donné un très-beau et
+riche bracelet, où luy et elle estoient très-bien pourtraits, elle fut
+si maladvisée de le porter ordinairement sur son bras tout nud
+par-dessus le coude; mais un jour son mary, estant couché avec elle, par
+cas il le trouva et le visita, et là-dessus trouva sujet de s'en défaire
+par la violence de la mort. Quelle maladvisée femme!
+
+--J'ay congneu d'autres fois un très-grand prince souverain, lequel,
+ayant gardé une maistresse des plus belles de la Cour l'espace de trois
+ans, au bout desquels il luy fallut faire un voyage pour quelque
+conqueste, avant qu'y aller vint tout à coup très-amoureux d'une
+très-belle et honneste princesse s'il en fut oncques: et pour luy
+monstrer qu'il avait quitté son ancienne maistresse pour elle, et la
+vouloit du tout honorer et servir sans plus se soucier de la mémoire de
+l'autre, il luy donna avant partir toutes les faveurs, joyaux, bagues,
+portraits, bracelets et toutes gentillesses que l'ancienne lui avait
+données, dont aucunes estant veues et apperceues d'elle, elle en cuida
+crever de despit, non pourtant sans le taire; mais en se scandalisant
+fut contente de scandaliser l'autre. Je croy que, si cette princesse ne
+fust morte par après, le prince, au retour de son voyage, l'eust
+espousée.
+
+--J'ay connu un autre prince, mais non si grand, lequel durant ses
+premières nopces et sa viduïté vint à aimer une fort belle et honneste
+damoiselle de par le monde, à qui il fit, durant leurs amours et soulas,
+de fort beaux présents de carcans, de bagues, de pierreries et force
+autres belles hardes, dont entr'autres il y avoit un fort beau et riche
+miroir où estait sa peinture. Or le prince vint à espouser une fort
+belle et très-honneste princesse de par le monde, qui lui fit perdre le
+goust de sa première maistresse, encore qu'elles ne se deussent rien
+l'une à l'autre de la beauté. Cette princesse sollicita et persuada tant
+M. son mary, qu'il envoya demander à sa première maistresse tout ce
+qu'il luy avoit jamais donné de plus exquis et de plus beau. Cette dame
+en eut un grand crévecœur, mais pourtant elle avoit le cœur si
+grand et si haut, encore qu'elle ne fust point princesse, mais pourtant
+d'une des meilleures maisons de France, qu'elle lui renvoya le tout du
+plus beau et du plus exquis, où estoit un beau miroir avec la peinture
+dudit prince; mais avant, pour le mieux décorer, elle prit une plume et
+de l'encre, et luy ficha dedans de grandes cornes au beau mitan du
+front; et délivrant le tout au gentilhomme, luy dit: «Tenez, mon amy,
+portez cela à vostre maistre, et que je luy envoye tout ainsi qu'il me
+le donna, et que je ne luy en ay rien osté ni adjouté, si ce n'est que
+de luy-mesme il y ait adjousté quelque chose du depuis; et dites à cette
+belle princesse sa femme qui l'a tant sollicité à me demander ce qu'il
+m'a donné, que si un seigneur de par le monde (le nommant par son nom
+comme je sçay) en eust fait de mesme à sa mère, et lui eust répété et
+osté ce qu'il luy avoit donné pour coucher souvent avec elle, par don
+d'amourette et joüissance, qu'elle seroit aussi pauvre d'affiquets et
+pierreries que damoiselle de la Cour; et que sa teste, qui en est si
+fort chargée aux dépens d'un tel seigneur et du devant de sa mère, que
+maintenant elle seroit tous les matins par les jardins à cueillir des
+fleurs pour s'en accommoder, au lieu de ces pierreries: or, qu'elle en
+fasse des pastez et des chevilles, je les luy quitte.» Qui a connu cette
+damoiselle la jugerait telle pour avoir fait ce coup, et ainsi
+elle-mesme me l'a-t-elle dit, et qui estoit très-libre en paroles: mais
+pourtant elle s'en cuida trouver mal, tant du mary que de la femme, pour
+se sentir ainsi descriée; à quoy on lui donna blasme, disant que
+c'estoit sa faute, pour avoir ainsi dépité et désespéré cette pauvre
+dame, qui avoit très-bien gagné tels présents par la sueur de son corps.
+Cette damoiselle, pour être l'une des belles et agréables de son temps,
+nonobstant l'abandon qu'elle avoit fait de son corps à ce prince, ne
+laissa à trouver party d'un très-riche homme, mais non semblable de
+maison, si bien que, venant un jour à se reprocher l'un à l'autre les
+honneurs qu'ils s'estoient fait de s'estre entre-mariez, elle qui estoit
+d'un si grand lieu, de l'avoir espousé, il luy fit response: «Et moi,
+j'ay fait plus pour vous que vous n'avez fait pour moy; car je me suis
+deshonnoré pour vous remettre vostre honneur.» Voulant inférer par-là
+que, puis qu'elle l'avoit perdu estant fille, le luy avoit remis l'ayant
+prise pour femme.
+
+--J'ay ouy conter, et le tiens de bon lieu, que, lorsque le roy François
+premier eut laissé madame de Chasteau-Briand, sa maistresse fort
+favorite, pour prendre madame d'Estampes, estant fille appellée Helly,
+que madame la Régente avoit prise avec elle pour l'une de ses filles, et
+la produisit au roy François à son retour d'Espagne à Bordeaux, laquelle
+il prit pour sa maistresse, et laissa ladite mademoiselle de
+Chasteau-Briand, ainsi qu'un cloud chasse l'autre; madame d'Estampes
+pria le Roy de retirer de ladite madame de Chasteau-Briand tous les plus
+beaux joyaux qu'il luy avoit donnez, non pour le prix et la valeur, car
+pour lors les perles et pierreries n'avoient la vogue qu'elles ont eu
+depuis, mais pour l'amour des belles devises qui estoient mises,
+engravées et empreintes, lesquelles la Reyne de Navarre, sa sœur,
+avoit faites et composées; car elle en estoit très-bonne maistresse. Le
+roy François lui accorda sa priere, et lui promit qu'il le feroit; ce
+qu'il fit: et, pour ce, ayant envoyé un gentilhomme vers elle pour les
+luy demander, elle fit de la malade sur le coup, et remit le gentilhomme
+dans trois jours à venir, et qu'il auroit ce qu'il demandoit. Cependant,
+de despit, elle envoya quérir un orfèvre, et luy fit fondre tous ses
+joyaux, sans avoir respect ni acception des belles devises qui y
+estoient engravées: et après, le gentilhomme tourné, elle luy donna tous
+les joyaux convertis et contournez en lingots d'or. «Allez, dit-elle,
+portez cela au Roy, et dites luy que, puis qu'il luy a pleu me révoquer
+ce qu'il m'avoit donné si libéralement, que je luy rends et renvoye en
+lingots d'or. Pour quant aux devises, je les ay si bien empreintes et
+colloquées en ma pensée, et les y tiens si cheres, que je n'ay peu
+permettre que personne en disposast, en joüist et en eust de plaisir,
+que moy-mesme.» Quand le Roy eut receu le tout, et lingots et propos de
+cette dame, il ne dit autre chose, si-non: «Retournez-luy le tout; ce
+que j'en faisois, ce n'estoit pour la valeur (car je luy eusse rendu
+deux fois plus), mais pour l'amour des devises; et puis qu'elle les a
+fait ainsi perdre, je ne veux point de l'or, et le luy renvoye: elle a
+monstré en cela plus de courage et générosité que n'eusse pensé pouvoir
+provenir d'une femme.» Un cœur de femme généreuse dépité, et ainsi
+desdaigné, fait de grandes choses.
+
+--Ces princes qui font ces révocations de présents, ne font pas comme
+fit une fois madame de Nevers, de la maison de Bourbon, fille de M. de
+Montpensier, qui a esté en son temps une très-sage, très-vertueuse et
+belle princesse, et pour telle tenue en France et en Espagne, où elle
+avoit esté nourrie quelque temps avec la reyne Elisabeth de France,
+estant sa coupiere, luy donnant à boire, d'autant que la reyne estoit
+servie de ses dames et filles, et chacunes avoit son estat, comme nous
+autres gentilshommes à l'entour de nos roys. Cette princesse fut mariée
+avec le comte d'Eu, fils aisné de M. de Nevers, elle digne de luy, et
+luy très-digne d'elle, car c'estoit un des beaux et agréables princes de
+son temps, et pour ce il fut aimé et recherché des belles et honnestes
+de la Cour, et entr'autres d'une qui estoit telle, et avec ce
+très-excorte et habile. Advint qu'il prit un jour à sa femme une bague
+dans son doigt fort belle, d'un diamant de quinze cents à deux mille
+escus, que la reyne d'Espagne luy avoit donnée à son départ. Ce prince,
+voyant que sa maistresse la luy loüoit fort et monstroit envie de la
+vouloir, luy, qui estoit très-magnanime et libéral, la luy donna
+librement, luy faisant accroire qu'il l'avoit gagnée à la paulme: elle
+ne la refusa point, et la prit fort privément, et, pour l'amour de luy,
+la portoit toujours au doigt; si bien que madame de Nevers (à qui
+monsieur son mary avoit fait accroire qu'il l'avoit perdue à la paulme,
+ou bien qu'elle demeuroit en gage) vint à voir la bague entre les mains
+de cette damoiselle, qu'elle sçavoit bien estre la maistresse de son
+mary. Elle fut si sage et si fort commandante à soy, que changeant
+seulement de couleur, et rongeant tout doucement son despit, sans faire
+autre semblant, tourna la teste de l'austre côté, et jamais n'en sonna
+mot à son mary ni à sa maistresse. En quoy elle fut fort à louer, pour
+ne contrefaire de l'accariastre, et se courroucer, et escandaliser la
+damoiselle, comme plusieurs autres que je sçay qui en eussent donné
+plaisir à la compagnie, et occasion d'en causer et en mesdire. Voilà
+comment la modestie en telles choses y est fort nécessaire et
+très-bonne, et aussi qu'il y a là de l'heur et du malheur aussi-bien
+qu'ailleurs; car telles dames y a-t-il qui ne sçauroient marcher ni
+broncher le moins du monde sur leur honneur, et en taster seulement du
+petit bout du doigt, que les voilà aussitost descriées, divulguées et
+pasquinées par-tout. D'autres y a-t-il, qui à pleines voiles voguent
+dans la mer et douces eaux de Vénus, et à corps nuds et estendus y
+nagent à nages estendues, et y folastrent leurs corps, et voyagent vers
+Cypre au temple de Vénus et ses jardins, et si délectent comme il leur
+plaist: au diable si l'on parle d'elles, ny plus ny moins que si jamais
+ne fussent esté nées. Ainsi la fortune favorise les unes et défavorise
+les autres en mesdisance; comme j'en ay veu plusieurs en mon temps, et y
+en a encore.
+
+--Du temps du roy Charles IX fut fait un pasquin à Fontainebleau, fort
+vilain et escandaleux, où il n'espargnoit les princesses et les plus
+grandes dames, ny autres. Que si l'on en eust sceu au vray l'auteur, il
+s'en fust trouvé très-mal. A Blois aussi, lorsque le mariage de la reyne
+de Navarre fut accordé avec le roy son mary, il s'en fit un autre, aussi
+fort escandaleux, contre une très-grande dame, dont on n'en peut sçavoir
+l'auteur; mais bien y eut-il de braves et vaillants gentilshommes qui y
+estoient compris, qui bravèrent fort et donnèrent force démentis en
+l'air. Tant d'autres se sont faits qu'on ne voyoit autre chose, ni de ce
+regne, ni de celuy du roy Henry troisiesme; dont entr'autres en fut fait
+un fort escandaleux en forme d'une chanson, et sur le chant d'une
+courante qui se dansoit pour lors à la Cour, et pour ce se chanta entre
+les pages et laquais en basse et haute note. Du temps du roy Henry III
+fut bien pis fait; car un gentilhomme, que j'ay ouy nommer et connu, fit
+un jour présent à sa maistresse d'un livre de peintures où il y avoit
+trente-deux dames grandes et moyennes de la Cour, peintes au naturel,
+couchées et se joüans avec leurs serviteurs peints de mesme et au naïf.
+Telles y avoit-il qui avoient deux ou trois serviteurs, telle plus,
+telle moins: et ces trente-deux dames représentoient plus de sept-vingts
+figures de celles de l'Aretin, toutes diverses. Les personnages estoient
+si bien représentez et au naturel, qu'il semblent qu'ils parlassent et
+le fissent; les unes déshabillées et nues, les autres vestues avec
+mesmes robes, coëffures, parements et habillements qu'elles portoient et
+qu'on les voyoit quelquefois. Les hommes tout de mesme. Bref, ce livre
+fut si curieusement peint et fait, qu'il n'y avoit rien que dire: aussi
+avoit-il cousté huit à neuf cents escus, et estoit tout enluminé. Cette
+dame le presta et monstra un jour à une autre sienne compagne et grande
+amie, laquelle estoit fort aimée et fort familière d'une grande dame qui
+estoit dans le livre, et des plus avant et au plus haut degré; ainsi que
+bien luy appartenoit, luy en fit cas. Elle, qui estoit curieuse du tout,
+voulut voir avec une grande dame sa cousine, qu'elle aymoit fort,
+laquelle l'avoit conviée au festin de cette veuë, et qui estoit aussi de
+la peinture comme d'autres. La visite en fut faite curieusement et avec
+grande peine, de feuillet à feuillet, sans en passer un à la légère:
+si-bien qu'elles y consumèrent deux bonnes heures de l'après disnée.
+Elles, au lieu de s'en estomaquer et de s'en fascher, ce fut à elles à
+en rire, et de les admirer et de les fixement considérer, et se ravir
+tellement en leurs sens sensuels et lubriques, qu'elles s'entremirent à
+s'entre-baiser à la colombine, et à s'entre-embrasser et passer plus
+outre, car elles avoient entre elles deux accoutumé ce jeu très-bien.
+Ces deux dames furent plus hardies et vaillantes et constantes qu'une
+qu'on m'a dit, qui, voyant un jour ce mesme livre avec deux autres de
+ses amyes, elle fut si ravie et entra en telle extase d'amour et
+d'ardent désir à l'imitation de ces lascives peintures, qu'elle ne peut
+voir qu'au quatriesme feuillet, et au cinquiesme elle tomba esvanouüie.
+Voilà un terrible évanoüissement! bien contraire à celuy d'Octavia,
+sœur de César Auguste, laquelle, oyant un jour réciter à Virgile les
+trois vers qu'il avoit faits de son fils Marcellus mort dont elle luy en
+donna trois mille escus pour les trois seulement, s'esvanoüit
+incontinent. Que c'est que d'amour, et d'une autre sorte!
+
+--J'ay ouy conter, et lors j'estois à la Cour, qu'un grand prince de par
+le monde, vieux et fort âgé, et qui, depuis sa femme perdue, s'estoit
+fort continemment porté en veufvage, comme sa grande profession de
+sainteté le portoit, il voulut revoler en secondes nopces avec une
+très-belle, vertueuse et jeune princesse. Et, d'autant que depuis dix
+ans qu'il avoit esté veuf n'avoit touché à femme, et craignant d'en
+avoir oublié l'usage (comme si c'estoit un art qui s'oublie) et de
+recevoir un affront la première nuict de ses nopces, et ne faire rien
+qui vallust, pour ce il se voulut essayer, et par argent fit gagner une
+belle jeune fille, pucelle comme la femme qu'il devoit espouser: encore
+dit-on qu'il la fit choisir qu'elle ressemblast un peu des traicts du
+visage de sa femme future. La fortune fut si bonne pour luy, qu'il
+monstra n'avoir point oublié encore ses vieilles leçons, et son essay
+luy fut si heureux que, hardi et joyeux, il alla à l'assault du fort de
+sa femme, dont il en rapporta bonne victoire et réputation. Cet essay
+fut plus heureux que celuy d'un gentilhomme que j'ay ouy nommer, lequel
+estant fort jeune et nigault, pourtant son père le voulut marier. Il
+voulut premierement faire l'essay, pour sçavoir s'il seroit gentil
+compagnon avec sa femme; et pour ce, quelques mois avant, il recouvra
+quelque fille de joye belle, qu'il faisoit venir toutes les après-dinées
+dans la garesne de son père, car c'estoit en esté, et là il
+s'esbaudissoit et se rigoloit, sous la fraischeur des arbres verds et
+d'une fontaine, avec sa damoiselle qu'il faisoit rage: de façon qu'il ne
+craignoit nul homme pour faire cette diantrerie à sa femme. Mais le pis
+fut que, la soir des nopces, venant à joindre sa femme, il ne peut rien
+faire. Qui fut esbahy; ce fut luy, et maugréer sa maudite pièce
+traistresse, qui luy avoit failly feu, ensemble le lieu où il estoit;
+puis, prenant courage, il dit à sa femme: «Mamye, je ne sçay que veut
+dire cecy, car tous les jours j'ay fait rage à la garesne de mon père;»
+et luy compta ses vaillances. «Dormons, et j'en suis d'avis, demain
+après disner je vous y meneray, et vous verrez autre jeu.» Ce qu'il fit,
+et sa femme s'en trouva bien; dont depuis à la Cour courut le proverbe:
+«Si je vous tenois à la garesne à mon pere, vous verriez ce que je
+sçaurois faire.» Pensez que le dieu des jardins, messer Priapus, les
+faunes et les satyres paillards, qui président aux bois, assistent-là
+aux bons compagnons, et leur favorisent leurs faits et exécutions. Tous
+essais pourtant ne sont pas pareils, ny ne portent pas coup tousjours,
+car, pour l'amour, j'y en ay veu et ouy dire plusieurs bons champions
+s'estre faillis à recorder leurs leçons et recoller leurs tesmoins quand
+ils venoient à la grande escole. Car les uns ou sont trop ardents et
+froids, ainsi que telles humeurs de glace et de chaud les y surprennent
+tout à coup; les autres ou sont perdus en extases d'un si souverain bien
+entre leurs bras; autres viennent appréhensifs; les autres tout à trac
+viennent flacqs, qu'ils ne sçauroient qu'en dire la cause; autres tout
+de vray ont l'esguillette noüée. Bref, il y a tant d'inconvénients
+inopinés qui là-dessus arrivent à l'improviste, que, si je les voulois
+raconter, je n'aurois fait de longtemps. Je m'en rapporte à plusieurs
+gens mariés et autres adventuriers d'amour, qui en sçauroient plus dire
+cent fois que moy. Tels essais sont bons pour les hommes, mais non pour
+les femmes; ainsi que j'ay ouy conter d'une mère et dame de qualite,
+laquelle, tenant une fille très-chère qu'elle avoit, et unique, l'ayant
+compromise à un honneste gentilhomme en mariage, avant que de l'y faire
+entrer, et craignant qu'elle ne peust souffrir ce premier et dur effort,
+à quoy on disoit le gentilhomme estre très-rude et fort proportionné,
+elle la fit essayer premièrement par un jeune page qu'elle avoit, assez
+grandet, une douzaine de fois, disant qu'il n'y avoit que la première
+ouverture fascheuse à faire, et que, se faisant un peu douce et petite
+au commencement, qu'elle endureroit la grande plus aisément; comme il
+advint, et qu'il y peut avoir de l'apparence. Cet essay est encore bien
+plus honneste et moins scandaleux qu'un qui me fut dit une fois en
+Italie, d'un pere qui avoit marié son fils, qui estoit encore un jeune
+sot, avec une fort belle fille, à laquelle, tant fat qu'il estoit, il
+n'avoit rien peu faire ny la premiere ny la seconde nuit de ses nopces;
+et, comme il eut demandé et au fils et à la nore comme ils se trouvoient
+en mariage, et s'ils avoient triomphé, ils respondirent l'un et l'autre
+«_Niente_.--A quoi a-t-il tenu?» demanda à son fils. Il respondit tout
+follement qu'il ne sçavoit comment il falloit faire. Sur quoi il prit
+son fils par une main et la nore par une autre, et les mena tous deux en
+une chambre, et leur dit: «Or je vous veux donc monstrer comme il faut
+faire.» Et fit coucher sa nore sur un bout du lit, et lui fit bien
+eslargir les jambes; et puis dit à son fils: «Or voy comment je fais;»
+et dit à sa nore: «Ne bougez; non importe, il n'y a point de mal.» Et en
+mettant son membre bien arboré dedans, dit: «Advise bien comme je fais,
+et comme je dis: _Dentro fuero, dentro fuero_;» et répliqua souvent ces
+deux mots en s'advançant dedans et reculant, non pourtant tout dehors.
+Et ainsi, après ces fréquentes agitations et paroles, _dentro_ et
+_fuero_, quand ce vint à la consommation, il se mit à dire brusquement
+et viste: _Dentro, dentro, dentro, dentro_, jusqu'à ce qu'il eust fait.
+Au diable le mot de _fuero_. Et par ainsi, pensant faire du magister, il
+fut tout à plat adultère de sa nore, laquelle, ou qu'elle fist de la
+niaise, ou, pour mieux dire, de la fine, s'en trouva très-bien pour ce
+coup, voire pour d'autres que luy donna le fils et le pere et tout,
+possible pour luy mieux apprendre sa leçon, laquelle il ne luy voulut
+pas apprendre à demy ni à moitié, mais à perfection. Aussi toute leçon
+ne vaut rien autrement. J'ay ouy dire et conter à plusieurs amants
+adventuriers et bien fortunez, qu'ils ont veu plusieurs dames demeurées
+ainsi esvanouyes et pasmées estans dans ces doux alteres de plaisir;
+mais assez aisément pourtant retournoient à soy-mesmes: que plusieurs,
+quand elles sont là, elles s'escrient: «Hélas! je me meurs!» Je croy que
+cette mort leur est très-douce. Il y en a d'autres qui contournent les
+yeux en la teste pour telle délectation, comme si elles devoient mourir
+de la grande mort, et se laissant aller comme du tout immobiles et
+insensibles. D'autres ay-je ouy dire qui roidissent et tendent si
+violemment leurs nerfs, arteres et membres, qu'ils engendrent la
+goutecrampe; comme d'une autre que j'ay ouy dire, qui estoit si sujette
+qu'elle n'y pouvoit remédier.
+
+D'autres font peter leurs os, comme si on leur rehabilloit de quelque
+rompure. J'ay ouy parler d'une, à propos de ses evanoüissements,
+qu'ainsi que son amoureux la manioit dessus un coffre, que, quand ce fut
+à la douce fin, elle se pasma de telle façon qu'elle se laissa tomber
+derrière le coffre à jambes ribaudaines, et s'engagea tellement entre le
+coffre et la tapisserie de la muraille, qu'ainsi qu'elle s'efforçoit à
+s'en dégager et que son amy lui aidoit, entra quelque compagnie qui la
+surprit faisant ainsi l'arbre fourchu, qui eut le loisir de voir un peu
+de ce qu'elle portoit, qui estoit tout très-beau pourtant; et fut à elle
+à couvrir le fait, en disant qu'un tel l'avoit poussée en se jouant
+ainsi derrière le coffre, et dire par beau semblant que jamais ne
+l'aymeroit. Cette dame courut bien plus grande fortune qu'une que j'ay
+ouy dire, laquelle, ainsi que son amy la tenoit embrassée et investie
+sur le bord de son lit, quand ce vint sur la douce fin qu'il eut achevé,
+et que par trop il s'estendoit, il avoit par cas des escarpins neufs qui
+avoient la semelle glissante, et s'appuyant sur des quarreaux plombez
+dont la chambre estoit pavée, qui sont fort sujets à faire glisser, il
+vint à se couler et glisser si bien sans se pouvoir arrester, que du
+pourpoint qu'il avoit, tout recouvert de clinquant, il en escorcha de
+telle façon le ventre, la motte, le cas et les cuisses de sa maistresse,
+que vous eussiez dit que les griffes d'un chat y avoient passé; ce qui
+cuisait si fort la dame qu'elle en fit un grand cri et ne s'en put
+engarder; mais le meilleur fut que la dame, parce que c'estoit en esté
+et faisoit grand chaud, s'estoit mise en appareil un peu plus lubrique
+que les autres fois, car elle n'avoit que sa chemise bien blanche et un
+manteau de satin blanc dessus, et les calleçons à part; si bien que le
+gentilhomme, après avoir fait sa glissade, fit précisément l'arrest du
+nez, de la bouche et du menton, sur le cas de sa maistresse, qui venoit
+fraischement d'estre barbouillé de son bouillon, que par deux fois desja
+il luy avoit versé dedans, et emply si fort qu'il en estoit sorty et
+regorgé la moitié sur les bords, dont par ainsi se barbouilla et nez, et
+bouche, et moustache, que vous eussiez dit qu'il venoit de frais de
+savoner sa barbe; dont la dame, oubliant son mal et son esgratigneure,
+s'en mit si fort à rire qu'elle luy dit: «Vous estes un beau fils, car
+vous avez bien lavé et nestoyé vostre barbe, d'autre chose pourtant que
+de savon de Naples.» La dame en fit le conte à une sienne compagne, et
+le gentilhomme à un sien compagnon. Voilà comment on l'a sçeu, pour
+avoir esté redit à d'autres; car le conte estoit bon et propre à faire
+rire. Et ne faut point douter que ces dames, quand elles sont à part,
+parmy leurs amies plus privées, qu'elles ne s'en fassent des contes
+aussi bons que nous autres et ne s'entredisent leurs amours et leurs
+tours les plus secrets, et puis en rient à pleine bouche, et se mocquent
+de leurs galands, quand ils font quelque faute ou quelque action de
+risée et mocquerie. Et si font bien mieux; car elles se dérobent les
+unes les autres leurs serviteurs, non tant quelquefois pour l'amour,
+mais pour en tirer d'eux tous les secrets, menées et folies qu'ils ont
+faites avec elles; et en font leur profit, soit pour en attiser
+davantage leurs feux, soit pour vengeance, soit pour s'entre-faire la
+guerre les unes aux autres en leurs privez devis, quand elles sont
+ensemble. Un pareil livre de figures à ce précédent que je viens de
+dire, fut fait à Rome du temps du pape Sixte dernier mort, ainsi que
+j'ai dit ailleurs. Or c'est assez sur ce sujet parlé. Je voudrois
+volontiers de bon cœur que plusieurs langues de notre France se
+fussent corrigées de ces mal-dires, et se comportassent comme celles
+d'Espagne; lesquelles, sur la vie, n'oseroient toucher tant soit peu
+l'honneur des dames de grandeur et réputation; voire les honorent-ils de
+telle façon, que, si on les rencontre en quelque lieu que ce soit, et
+que l'on crie tant soit peu _lugar a las damas_[117] tout le monde
+s'incline et leur porte-t-on tout honneur et révérence; et devant elles
+toutes insolences sont défendues sur la vie.
+
+--Quand l'Impératrice, femme de l'empereur Charles, fit son entrée à
+Tolède, j'ay ouy dire que le marquis de Villane, l'un des grands
+seigneurs d'Espagne, pour avoir menacé un argusil qui l'avoit pressé de
+marcher et de s'advancer, il cuida estre en grande peine, parce que
+cette menace se fit en la présence de la dite Impératrice; et si ce fust
+esté en celle de l'Empereur n'en fust esté si grand bruit.
+
+--Le duc de Féria estant en Flandre, et les reynes Eléonor et Marie
+marchans par pays, et leurs dames et filles après, et luy estant près de
+sa maistresse, et venant à prendre question contre un autre cavalier
+espagnol, tous deux cuidèrent perdre leurs vies, plus pour avoir fait
+tel scandale devant les Reynes et impératrices, que pour tout autre
+sujet. De mesmes don Carlos d'Avalos à Madrid, ainsi que la reyne
+Isabelle de France marchoit par la ville, s'il ne se fust soudain jetté
+dans une église qui sert là de refuge aux pauvres malheureux, il fust
+aussi-tost este exécuté à la mort; et luy fallut eschapper desguisé et
+s'enfuyr d'Espagne, dont il en a esté toute sa vie banny et confiné en
+la plus misérable isle de toute l'Italie, qui est Lipary.
+
+--Les boufons mesmes, qui ont tout privilege de parler, s'ils touchent
+les dames, en patissent; ainsi qu'il en arriva une fois à un qui
+s'appeloit Legat, que j'ai congneu. Un jour nostre reyne Elisabeth de
+France, en devisant et parlant des demeures de Madrid et Valladolid,
+combien elles étoient plaisantes et delectables, elle dit que de bon
+cœur elle voudroit que ces deux places fussent si proches qu'elle en
+pust toucher l'une d'un pied, et l'autre de l'autre; et ce disoit en
+eslargissant fort les jambes. Le dit boufon, qui ouyt cela, dit: «Et moy
+je voudrois être au beau mitan, _con un carrajo de bourrico, para
+encargar y plantar la raya_.» Il en fut bien foüetté à la cuisine; dont
+pourtant il n'avoit tort de faire ce souhait, car cette Reyne estoit
+l'une des belles, agréables et honnestes qui fust jamais en Espagne, et
+valoit bien estre désirée de cette façon, non pas de luy, mais de plus
+honnestes gens que luy cent mille fois. Je pense que ces messieurs les
+mesdisants et causeurs des dames voudroient bien avoir et joüir du
+privilege de liberté qu'ont les vendangeurs de la campagne de Naples au
+temps des vendanges, auxquels il est permis, tant qu'ils vendangent, de
+dire tous les mots, pouilles et injures à tous les passants qui vont et
+viennent sur les chemins; si-bien que vous les verriez crier, hurler
+après eux, et les arauder sans en espargner aucuns, et grands et moyens,
+et petits, de quelque estat qu'ils soyent; et, qui est le plaisir, n'en
+espargnent aussy les dames, princesses et grandes qu'elles soyent;
+si-bien que de mon temps j'ay ouy dire et vu que plusieurs d'entre
+elles, pour en avoir le plaisir, se donnoient des affaires et alloient
+exprès aux champs, et passoient par les chemins pour les ouyr gazouiller
+et entendre d'eux mille sallauderies et paroles lubriques qu'ils leur
+disoient et débagouloient, leur faisant la guerre de leurs paillardises
+et lubricitez, qu'elles exerçoient envers leurs maris et serviteurs,
+jusques à leur reprocher leurs amours et habitations avec leurs cochers,
+pages, laquais et estafiers qui les conduisoient; et, qui plus est, leur
+demandoient librement la courtoisie de leur compagnie, et qu'ils les
+assailleroient et traiteroient bien mieux que tous les autres; et ce
+disoient en franchissant naïvement et naturellement les mots sans
+autrement les déguiser. Elles en estoient quittes pour en rire leur
+saoul et en passer leur temps, et leur en faire rendre response à leurs
+gens qui les accompagnoient, ainsi qu'il est permis d'en rendre le
+change. Les vendanges faites, ils se font treves de tels mots jusques à
+l'autre année, autrement en seroient recherchés et bien punis. On m'a
+dit que cette coustume dure encore, que beaucoup de gens en France
+voudroient bien qu'elle fust observée en quelque saison de l'année, pour
+avoir le plaisir de leurs mesdisances en toute seureté, qu'ils aiment
+tant. Or, pour faire fin, les dames doivent estre respectées par tout le
+monde, leurs amours et leurs faveurs tenues secrettes. C'est pourquoy
+l'Aretin disoit que, quand on estoit à ce point, les langues, que les
+amants et amantes s'entredonnent les uns aux autres, n'estoient desdiées
+tant pour se délecter, ny pour le plaisir qu'on y prenoit, que pour
+s'entrelier de langues ensemble et s'entrefaire le signal que l'on
+tienne caché le secret de leurs escoles, mesmes qu'aucuns lubriques et
+paillards maris imprudents se trouvent si libres et desbordez en
+paroles, que, ne se contentant des paillardises et lascivetez qu'ils
+commettent avec leurs femmes, les déclarent et publient à leurs
+compagnons et en font leurs contes; si bien que j'ay cogneu aucunes
+femmes en hayr leurs maris de mal mortel, et se retirer bien souvent des
+plaisirs qu'elles leur donnoient, pour ce sujet, ne voulant estre
+scandalisées, encore que ce fust un fait de femme à mary. M. du Bellay,
+le poëte, en ses tombeaux latins qu'il a composez, qui sont très-beaux,
+en a fait un d'un chien, qui me semble qu'il est digne estre mis ici,
+car il est fait à notre matiere, qui dit ainsi.
+
+ _Latratu fures exceps, mutus amantes,
+ Sic placui domino, sic placui domina_
+
+C'est-à-dire:
+
+ Par mon japper, j'ay chassé les larrons, et, pour me tenir muet,
+ j'ay accule les amants: ainsi j'ay pleu à mon maistre, ainsi j'ai
+ pleu à ma maistresse.
+
+Si donc on doit aimer les animaux pour estre secrets, que doit-on faire
+des hommes pour se taire? Et s'il faut prendre advis pour ce sujet d'une
+courtisanne qui a esté des plus fameuses du temps passé, et de grande
+clergesse en son mestier qui estoit Lamïa, faire le peut-on; qui disoit
+de quoy une femme se contentoit le plus de son amant, c'estoit quand il
+estoit discret en propos et secret en ce qu'il faisoit; et surtout
+qu'elle hayssoit un vanteur qui se vantoit de ce qu'il ne faisoit pas et
+n'accomplissoit ce qu'il promettoit. Ce dernier s'entend en deux choses.
+De plus, disoit que la femme, bien qu'elle fist, ne vouloit jamais estre
+appelée putain n'y pour telle divulguée. Aussi dit-on d'elle que jamais
+elle ne se mocqua d'homme, ny homme oncques se mocqua d'elle ny mesdit.
+Telle dame savante en amour en peut bien donner leçon aux autres.
+
+Or, c'est assez parlé de ce sujet; un autre mieux disant que moy l'eust
+pu mieux agrandir et embellir, c'est pourquoy je luy en quitte les armes
+et la plume.
+
+
+
+
+TABLE DES MATIERES
+
+
+EPITRE DEDICATOIRE 1
+AU LECTEUR 3
+AVIS DE L'AUTEUR 4
+
+
+DISCOURS PREMIER.
+
+Sur les dames qui font l'amour et leurs maris cocus 5
+
+
+DISCOURS DEUXIÈME.
+
+Sur le sujet qui contente plus en amour, ou le toucher, ou la vue, ou la
+parole 139
+
+INTRODUCTION _ib._
+
+ARTICLE I.--De l'attouchement en amour 140
+
+ARTICLE II.--De la parole en amour 147
+
+ARTICLE III.--De la vue en amour 151
+
+
+DISCOURS TROISIÈME.
+
+Sur la beauté de la belle jambe, et de la vertu qu'elle a 184
+
+
+DISCOURS QUATRIÈME.
+
+Sur les femmes mariées, les veufves et les filles; sçavoir desquelles les
+unes sont plus portées à l'amour que les autres 197
+
+INTRODUCTION _ib._
+
+ARTICLE I.--De l'amour des femmes mariées 200
+
+ARTICLE II.--De l'amour des filles 209
+
+ARTICLE III.--De l'amour des veufves 231
+
+
+DISCOURS CINQUIÈME.
+
+Sur aucunes dames vieilles qui aiment autant à faire l'amour comme les
+jeunes 271
+
+
+DISCOURS SIXIÈME.
+
+Sur ce que les belles et honnêtes dames aiment les vaillants hommes, et
+les braves hommes aiment les dames courageuses 299
+
+
+DISCOURS SEPTIÈME.
+
+Sur ce qu'il ne faut jamais parler mal des dames, et de la conséquence
+qui en vient 351
+
+
+NOTES:
+
+[1] A la fin de son Discours XLI, _Des Capitaines étrangers_, il promet
+de même cette _comparaison_, augmentée du vieux Biron et du comte
+Maurice; mais elle manque.
+
+[2] Dans cet ouvrage, l'auteur qualifie telle dame de _belle et
+honneste_, dont pourtant il parle comme d'une fieffée p.....; mais
+lorsqu'il ajoute, comme il fait quelquefois _vertueuse_ à _belle et
+honneste_, il insinue par là que la dame étoit sage et ne faisoi point
+parler d'elle.
+
+[3] Le fameux Bussi d'Amboise, Louis de Clermont, massacré le 19 août
+1579, à un rendez-vous que lui avoit donné la comtesse de Monsoreau par
+le commandement de son mari. (De Thou. liv. LXVIII.)
+
+[4] René de Villequier, qui tua Françoise de La Marck, sa première
+femme.
+
+[5] Lisez _Melitene_; c'est comme les anciens appeloient cette ville,
+dont le nom moderne dans _Moreri_est _Meletin_, en latin _Malatia_, dans
+l'Arménie, sur l'Euphrate.
+
+[6] Ou plutôt _Thomyris_.
+
+[7] Sixte V
+
+[8] Le cardinal de Lorraine, du Perron et autres, avoient été
+représentés de même avec Catherine de Médicis, Marie Stuart et la
+duchesse de Guise, dans deux tableaux dont il est parlé dans la _Légende
+du cardinal de Lorraine_, folio 24, et dans le _Réveille-matin des
+Français_, pages 11 et 123. Voyez ci-dessous, à la fin du VIIe livre,
+la description d'un pareil livre de figures, et les mauvais effets qu'il
+produisit.
+
+[9] Bernardin Turisan, qui avoit pour enseigne la devise des Manuces,
+ses parents.
+
+[10] Ce livre, intitulé _la Somme des péchés et le remède d'iceux_,
+imprimé à Lyon, chez Charles Pesnot, dès 1584, in-4^o, et diverses
+autres fois depuis, est de la composition de Jean Benedicti, cordelier
+de Bretagne, qui ne l'a pas moins rempli d'ordures et de saletés, que le
+jésuite Sanchez en a rempli son traité _de Matrimonio_; et ce qu'il y a
+de fort singulier, c'est qu'un ouvrage si impur n'en est pas moins dédié
+à la sainte Vierge. Comme on voit, Brantôme et ses semblables savoient
+très-bien en faire leur profit, et y découvrir de nouveaux ragoûts de
+lubricité.
+
+[11] Ou Bonvisi.
+
+[12] Annius Verus: c'étoit le grand-père de cet empereur.
+
+[13] Antonomasie.
+
+[14] Voyez Ménage, _Dict. étym._, au mot MASCARET
+
+[15] Baudet ou Barbette, comme dit Mézeray.
+
+[16] C'est-à-dire, _morte la bête, morte la rage ou le venin_.
+
+[17] Dans ce proverbe, la furette est prise pour l'hermine, qui, dit-on,
+aime mieux se laisser prendre que de se salir.
+
+[18] Brantôme veut peut-être parler ici de Marguerite de France, sœur
+de Henri II, qui avait cet âge-là lorsqu'elle épousa le duc de Savoie.
+
+[19] C'est-à-dire: «Monsieur mon frère, présentement que vous êtes marié
+avec ma sœur et que vous en jouissez seul, il faut que vous sachiez
+qu'étant fille, tel et tel en ont joui. Ne vous inquiétez point du
+passé, parce que c'est peu de chose; mais gardez-vous de l'avenir, parce
+qu'il vous touche de bien plus près.»
+
+[20] Baptista Fulgosius, dont les _Factorum et Dictorum memorabilium
+libri IX_ ont été imprimés diverses fois. Ce fait particulier se trouve
+dans le chapitre 3 du IXe livre.
+
+[21] C'est-à-dire: «Que la vache, qui a longtemps été attachée, court
+plus que celle qui a toujours en pleine liberté.»
+
+[22] François de Lorraine, duc de Guise, tué par Poltrot. Voy. Rem. sur
+le mot ADULTÉRIN, page 547 du _Cath. d'Esp._, édit. de 1699.
+
+[23] Cela pourroit bien regarder Henri de Lorraine, duc de Guise, tué à
+Blois.
+
+[24] Ceci pourroit encore mieux regarder Marguerite de Valois, le roi de
+Navarre, le duc d'Anjou et la Saint-Barthélemy.
+
+[25] C'est-à-dire, fait folie de son corps, comme on parle, parce qu'on
+va en pèlerinage à l'église de ce saint pour être guéri de la folie.
+
+[26] C'est-à-dire, sinon chastement, du moins finement.
+
+[27] C'est-a-dire, sous les couvertes, ou en cachette.
+
+[28] Accortement.
+
+[29] C'est-à-dire: Le peril passé, l'on se moque du saint.
+
+[30] Joachim du Bellay, dans sa _Contre-Repentie_, f. 444, A. de ses
+Œuvres, 1576.
+
+ Mere d'amour, suivant mes premiers vœux,
+ Dessous tes loix remettre je me veux,
+ Dont je voudrois n'estre jamais sortie;
+ Et me repens de m'estre repentie.
+
+
+[31] Ces sortes de cadenas étoient déjà en usage à Venise.
+
+[32] _Guerdon, galardon, qui dardonne, premio, ricompensa_, dit le
+_Franciosini_.
+
+[33] On a appelé Guillot le Songeur tout homme songeard, du chevalier
+Juillan le Pensif, l'un des personnages de l'_Amadis_.
+
+[34] Ou n'a point ce discours ou chapitre.
+
+[35] C'est-à-dire: pour délivrer une âme chrétienne de l'enfer.
+
+[36] A qui on demandoit.
+
+[37] C'est-à-dire: l'amour ne se surmonte que par le dédain.
+
+[38] Cette femme ressemble assez à cette Godarde de Blois, huguenote,
+pendu pour adultère en 1563.
+
+[39] C'est-à-dire: Eh! fais-lui charité par pitié.
+
+[40] On accusa la comtesse de Senizon de l'avoir fait évader, et on lui
+en fit une affaire.
+
+[41] Proverbe qui marque le peu de liaison qu'il y a entre les dons de
+la nature et les qualités de l'âme.
+
+[42] De l'italien _dispositare_; c'est-à-dire qu'on dispose et trouve à
+se défaire des pierreries comme des meilleures denrées.
+
+[43] Tout cela est renversé et estropié. Il faut:
+
+ _Si tibi simplicitas uxoria deditus uni:_
+ _Est animus_. . . . . . . .
+ . . . . . . . . . . . .
+ _Nil unquam invitâ donabis conjuge: vendes_
+ _Hac obstante nihil; nihil, hæc si nolet, emetur._
+
+ JUVENAL. Sat. VI, 205 et 6, 211 et 12.
+
+C'est-à-dire: «Si vous vous attachez uniquement à votre femme....., vous
+ne pourrez rien donner, ni vendre, ni acheter, à moins qu'elle n'y
+consente.»
+
+[44] Le Ve discours suivant.
+
+[45] _Bardot_, synonyme d'_âne_. Ici, _passer par bardot_, se dit des
+vieilles qui son réduites à laisser passer pour _bardot_ l'amant qui les
+caresse.
+
+[46] Escharse.
+
+[47] Qui perd une putain gagne beaucoup.
+
+[48] Il est à croire qu'il multiplie leurs feux.
+
+[49] O trop dure loi de l'honneur, pourquoi nous interdis-tu ce à quoi
+nous excite la nature? Elle nous accorde aussi abondamment que
+libéralement, ainsi qu'a tous les animaux, l'usage de l'amour. Mais
+l'homme, trompeur et perfide, ne connaissant que trop bien la vigueur de
+nos reins, a établi cette loi pleine d'erreur pour cacher ainsi la
+faiblesse des siens.
+
+[50] Là où il n'y a point d'homme, on commet pourtant l'adultère.
+
+[51] C'est-à-dire: me baisait et me faisait pâmer de plaisir. _Alentir_,
+dans Nicot, se dit de la douleur, ou des forces qui diminuent ou se
+ralentissent.
+
+[52] Par corruption pour _gaude mihi_.
+
+[53] Mehun on Meun.
+
+[54] Voyez.
+
+[55] Voyez Bayle, _Dict. crit._, au mot BURIDAN. Villon, dans sa ballade
+des _Dames des temps jadis_:
+
+ Semblablement où est la reine,
+ Qui commanda que Buridan
+ Fust jeté en un sac en Seine?
+
+
+[56] La Vieille Courtisanne, fol. 449. B. des _OEuvres poét. de Joach.
+du Bellay_, édit. de 1597:
+
+ De la vertu je sçavois deviser,
+ Et je sçavois tellement eguiser,
+ Que rien qu'honneur ne sortoit de ma bouche;
+ Sage au parler et folastre à la couche.
+
+
+[57] Elles s'abandonnent comme chiennes, et sont muettes de la bouche
+comme pierres.
+
+[58] Se retirer à la barque.
+
+[59] Pardonnez-moi, madame; je ne veux point jaser, mais seulement agir
+et puis me retirer à la barque.
+
+[60] Le _Divorce satyrique_ attribue cette invention à la reine
+Marguerite, pour rendre le roi de Navarre, son mari, plus amoureux
+d'elle et plus lascif.
+
+[61] Ils sont pris d'un vieux livre français intitulé: _De la louange et
+beauté des Dames_. François Corniger les a mis en dix-huit vers latins.
+Vincentio Calmeta les a aussi mis en vers italiens, qui commencent par
+_Dolce Flaminia_.
+
+[62] C'est-à-dire, était un peu brunette.
+
+[63] En françois, Charles de Bouvelles. On a de lui plusieurs ouvrages.
+
+[64] C'est un in-4^o imprimé à Paris, chez Ascensius, le 3 des nones de
+décembre 1511.
+
+[65] Ah! ne me touchez pas.
+
+[66] Les ladres, les ladresses.
+
+[67] C'est-à-dire: Madame, je vous baise les pieds et les mains.
+
+[68] C'est-à-dire: Monsieur, la station du milieu est bien meilleure.
+
+[69] On en a dit autant de Mademoiselle, cousine germaine de Louis XIV,
+à cela pres qu'à ceux de ses pages à qui ses charmes donnaient de la
+tentation elle donnait quelques louis pour pouvoir se satisfaire
+ailleurs.
+
+[70] Le Voyage du Prince.
+
+[71] Plus magnifique que les fêtes de Bains.
+
+[72] Roman de Boccace traduit par Adrien Sevin.
+
+[73] Le titre de _Roi des Romains_ n'est proprement qu'une station pour
+parvenir à la dignité d'_Empereur_.
+
+[74] Discours I.
+
+[75] Confidentes.
+
+[76] _Ahanoit_: se fatiguait. De l'espagnol _afanar_, qui répond à notre
+_ahaner_.
+
+[77] _Sublin_: fin, rusé.
+
+[78] Discours I.
+
+[79] L'honneur de la citadelle est sauvé.
+
+[80] Caunus.
+
+[81] C'est-à-dire: D'une mule qui fait hin, et d'une fille qui parle
+latin, délivre nous, Seigneur.
+
+[82] _Alberic de Rosate_, au mot MATRIMONIUM de son _Dictionnaire_,
+rapporte un exemple tout pareil. _Barbatias_ dit même quelque chose de
+plus, qu'un garçon de sept ans engrossa sa nourrice.
+
+[83] La reine-mère _Catherine de Médicis_. L'auteur la nomme dans son
+discours des _Dames illustres_, où il fait le même conte.
+
+[84] _Apparemment_ contrition.
+
+[85] Servie.
+
+[86] Alteres.
+
+[87] D'Enghien.
+
+[88] _André de Soleillas_, évêque de _Riez_ en Provence, en 1576. Il
+avait une maitresse qui contrefaisoit la bigote, mais dont l'hypocrisie
+ne trompa pas le roi Henri IV. Ce prince reprochoit plaisamment à cette
+dame ses amours, en lui disant qu'elle ne se plaisait qu'au _jeûne et à
+l'oraison_.
+
+[89] _Fringuer_, dans Oudin, c'est ici _far l'atto venero_. Cette
+veufve, non contente d'avoir triomphé de trois maris, vouloit encore
+combattre sur cette même couche, déjà jonchée des lauriers qu'elle avoit
+remportés de ses victoires passées.
+
+[90] _Henri II_, qui préféroit à la reine sa femme, qui étoit jeune, la
+duchesse de Valentinois déjà vieille, et qui avait été la maîtresse du
+roi son père.
+
+[91] Je n'ai point connu la vieille.
+
+[92] Environ l'an 400 de l'ère chrétienne, saint Jérôme vit les
+funérailles de la femme, et c'est lui qui rapporte le fait en question.
+_Epist. XCI ad Ageruchiam, de Monogamid._
+
+[93] _Thesmophoria._
+
+[94] Dépêchez-vous donc, car ils vont me venir chercher pour me faire
+religieuse, et m'emmener au couvent.
+
+[95] Ce fut à elle que Henri IV dit au bal, qu'elle avoit employé le
+verd et le sec pour divertir la compagnie. Il lui fit cette raillerie,
+dit Le Laboureur, parce que cette femme n'épargnoit la réputation
+d'aucune dame.
+
+[96] Suivant Rabelais, on appelle _poultre_ une jument non encore
+saillie. Ainsi Bussy parloit incongrument.
+
+[97] On ne parle point, madame est en compagnie.
+
+[98] Que d'une vieille poule on fait un meilleur bouillon que d'une
+autre.
+
+[99] La Mothe.
+
+[100] De haute apparence.
+
+[101] De _cubinus_, diminutif de _cubus_, comme qui diroit _à quatre
+pointes_ ou bosses.
+
+[102] Il n'importe pas que la cloche ait quelque défaut, pourvu que son
+battant soit bon.
+
+[103] Pour voiler la chose.
+
+[104] Forbany.
+
+[105] Le duc d'Anjou, depuis Henri III.
+
+[106] Qu'avez-vous fait?
+
+[107] Rien.
+
+[108] Ah! poltron, sans cœur! vous n'avez rien fait! Que maudite soit
+votre poltronnerie.
+
+[109] Le père des soldats.
+
+[110] La mère.
+
+[111] Louis XI passe généralement, non-seulement pour avoir raconté
+beaucoup de contes, avec tout ce qu'il y avoit de jeunes seigneurs à la
+Cour de Philippe le Bon, duc de Bourgogne, où il s'étoit réfugié étant
+Dauphin, mais même pour avoir pris soin de faire recueillir et de
+publier ensuite, dans le même ordre où nous l'avons, le recueil
+intitulé: _Cent Nouvelles nouvelles, lequel en soy contient cent
+chapitres ou histoires, composées ou récitées par nouvelles gens depuis
+naguères_; et cela se trouve confirmé par ces mots de l'ancienne préface
+ou avertissement, qui paroît avoir été fait de son temps: «Et notez que
+par toutes les _Nouvelles_ où il est dit _par monseigneur_, il est
+entendu monseigneur le Dauphin, lequel depuis a succédé à la couronne et
+est le roy Loüis XI; car il estoit lors ès pays du duc de Bourgogne.»
+Mais comme il est bien certain que ce prince ne se retira en Brabant
+qu'à la fin de l'année 1456, et ne rentra en France qu'en août 1461, il
+est absolument impossible que ce recueil ait paru en France vers 1455,
+comme on le débite inconsidérément dans la préface de ses nouvelles
+éditions. On en a deux anciennes: l'une de Paris, en 1486, in-folio;
+l'autre encore de Paris, chez la veuve de Johan Trepere, sans date,
+aussi in-folio; et deux nouvelles, accompagnées de mauvaises figures, et
+imprimées à Cologne, chez Pierre Gaillard, en 1701 et 1736, en deux
+volumes in-8.
+
+[112] Le péché de luxure.
+
+[113] Ce conte, que Brantôme dit tenir des anciens de la Cour, est pris
+presque mot pour mot de J. Bouchet, dans ses _Annales d'Aquitaine_,
+édit. de 1644, pag. 473, au nom des trois dames près, qui est
+apparemment ce qu'il veut dire qu'il tenoit de bon lieu.
+
+[114] Françoise de Rohan, dame de La Garnache, si nous en croyons Bayle,
+_Dict. crit._, pag. 1317 de la deuxième édition. Mais je doute que
+lui-même en fût bien persuadé, puisque, dans la citation de ce passage
+de Brantôme, il n'a jugé à propos de marquer que par des points
+certaines paroles qui ne conviennent nullement à la dame de La Garnache;
+savoir, que d'abord on disoit que cette dame ne s'étoit laissé engrosse
+qu'en nom de mariage, et qu'après on sut le contraire.
+
+[115] Danse d'Allemagne; les Allemands appellent ce branle
+_Fackeldantz_.
+
+[116] On n'a point ce chapitre ou discours.
+
+[117] Honneur aux dames.
+
+
+
+
+
+
+
+
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+Pierre de Bourdeille Brantôme
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+Project Gutenberg's Vies des dames galantes, by Pierre de Bourdeille Brantme
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+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org/license
+
+
+Title: Vies des dames galantes
+
+Author: Pierre de Bourdeille Brantme
+
+Release Date: March 21, 2012 [EBook #39220]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK VIES DES DAMES GALANTES ***
+
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+
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+Produced by Chuck Greif and the Online Distributed
+Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was
+produced from images available at The Internet Archive)
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+ Au lecteur
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+ Cette version lectronique reproduit dans son intgralit la version
+ originale.
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+ La ponctuation n'a pas t modifie hormis quelques corrections
+ mineures.
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+ L'orthographe a t conserve. Seuls quelques mots ont t modifis.
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+
+
+
+
+VIES
+
+DES
+
+DAMES GALANTES
+
+PARIS. CHARLES BLOT, IMPRIMEUR, RUE BLEUE, 7.
+
+
+
+
+VIES
+
+DES
+
+DAMES GALANTES
+
+PAR
+
+LE SEIGNEUR DE BRANTOME
+
+NOUVELLE DITION
+
+REVUE ET CORRIGE SUR L'DITION DE 1740
+
+AVEC DES REMARQUES HISTORIQUES ET CRITIQUES
+
+[Illustration: colophon]
+
+PARIS
+
+GARNIER FRRES, LIBRAIRES-DITEURS
+
+6, RUE DES SAINTS-PRES, 6
+
+
+
+
+A MONSEIGNEUR
+
+LE DUC
+
+D'ALENON, DE BRABANT
+
+ET COMTE DE FLANDRES,
+
+FILS ET FRRE DE NOS ROYS.
+
+
+MONSEIGNEUR,
+
+D'autant que vous m'avez fait cet honneur souvent la Cour de causer
+avec moy fort privement de plusieurs bons mots et contes, qui vous sont
+si familiers et assidus qu'on diroit qu'ils vous naissent vee
+d'oeil dans la bouche, tant vous avez l'esprit grand, prompt et
+subtil, et le dire de mesme et trs-beau, je me suis mis composer ces
+Discours tels quels, et au mieux que j'ay pu, afin que si aucuns y en a
+qui vous plaisent, vous fassent autant passer le temps et vous
+ressouvenir de moy parmy vos causeries, desquelles m'avez honor autant
+que gentilhomme de la Cour.
+
+Je vous en ddie donc, Monseigneur, ce livre, et vous supplie le
+fortifier de vostre nom et autorit, en attendant que je me mette sur
+les discours srieux, et en voyez un part que j'ai quasi achev, o je
+deduis la comparaison de six grands princes et capitaines qui voguent
+aujourd'huy en ceste chrestient, qui sont le roy Henri III vostre
+frre, Vostre Altesse, le roy de Navarre vostre beau-frre, M. de Guise,
+M. du Maine et M. le prince de Parme[1], allguant de tous vous autres
+vos plus belles valeurs, suffisances, mrites et beaux faits, sur
+lesquels j'en remets la conclusion ceux qui la sauront mieux faire
+que moy.
+
+Cependant, Monseigneur, je supplie Dieu vous augmenter tousjours en
+vostre grandeur, prosprit et altesse, de laquelle je suis pour jamais,
+
+MONSEIGNEUR,
+
+Votre trs-humble et trs-obissant sujet
+et trs-affectionn serviteur,
+
+DE BOURDEILLE.
+
+
+
+
+AU LECTEUR.
+
+
+J'avois vo ce deuxiesme livre des Femmes mondit seigneur d'Alenon
+durant qu'il vivoit, d'autant qu'il me faisoit cet honneur de m'aimer et
+causer fort privement avec moy, et estoit curieux de savoir de bons
+contes. Ores, bien que son genereux et valheureux et noble corps gise
+sous sa lame honorable, je n'en ay voulu pourtant revoquer le voeu;
+ainsi je le redonne ses illustres cendres et divin esprit, de la
+valeur duquel, et de ses hauts faits et mrites je parle son tour,
+comme des autres grands princes et grands capitaines; car certes il l'a
+est s'il en fut onc, encor qu'il soit mort fort jeune.
+
+
+
+
+AVIS DE L'AUTEUR.
+
+
+Ce volume des Dames Galantes est ddi M. le duc d'Alenon, de
+Brabant, et comte de Flandres, qui contient plusieurs beaux discours.
+
+Le premier traite de l'amour de plusieurs femmes maries, et qu'elles
+n'en sont si blasmables comme l'on diroit pour le faire; le tout sans
+rien nommer, et mots couverts.
+
+Le deuxiesme, savoir qui est la plus belle chose en amour, la plus
+plaisante, et qui contente le plus, ou la vee, ou la parole, ou
+l'attouchement.
+
+Le troisiesme traite de la beaut d'une belle jambe, et comment elle est
+fort propre et a grand vertu pour attirer l'amour.
+
+Le quatriesme, quel amour est plus grand, plus ardent et plus ais, ou
+celuy de la fille, ou de la femme marie, ou de la veufve, et quelle des
+trois se laisse plus aisment vaincre et abattre.
+
+Le cinquiesme parle de l'amour d'aucunes femmes vieilles et comment
+aucunes y sont autant ou plus sujettes et chaudes que les jeunes, comme
+se peut parestre par plusieurs exemples, sans rien nommer ny
+escandalyser.
+
+Le sixiesme traite qu'il n'est bien seant de parler mal des honnestes
+dames, bien qu'elles fassent l'amour, et qu'il en est arriv, de grands
+inconvnients pour en mdire.
+
+Le septiesme est un recueil d'aucunes ruses et astuces d'amour, qu'ont
+invent et os aucunes femmes maries, veufves et filles l'endroit de
+leurs maris, amants et autres, ensemble d'aucunes de guerre de plusieurs
+capitaines l'endroit de leurs ennemis; le tout en comparaison:
+savoir lesquelles ont est les plus ruses, cautes, artificielles,
+sublimes et mieux inventes et pratiques, tant des uns que des autres
+Aussi Mars et l'Amour font leur guerre presque de mesme sorte, et l'un a
+son camp et ses armes comme l'autre.
+
+Discours sur ce que les belles et honnestes dames ayment les vaillants
+hommes, et les braves hommes ayment les dames courageuses.
+
+
+
+
+VIES
+
+DES
+
+DAMES GALANTES.
+
+
+
+
+DISCOURS PREMIER.
+
+ Sur les dames qui font l'amour et leurs maris cocus[2].
+
+
+D'autant que ce sont les dames qui ont fait la fondation du cocuage, et
+que ce sont elles qui font les hommes cocus, j'ay voulu mettre ce
+discours parmi ce livre des Dames, encore que je parleray autant des
+hommes que des femmes. Je say bien que j'entreprends une grande
+oeuvre, et que je n'aurois jamais fait si j'en voulois monstrer la
+fin, car tout le papier de la chambre des comptes de Paris n'en sauroit
+comprendre par escrit la moiti de leurs histoires, tant des femmes que
+des hommes; mais pourtant j'en escriray ce que je pourray, et quand je
+n'en pourray plus, je quitteray ma plume au diable, ou quelque bon
+compagnon qui la reprendra; m'excusant si je n'observe en ce discours
+ordre ny demy, car de telles gens et de telles femmes le nombre en est
+si grand, si confus et si divers, que je ne sache si bon sergent de
+bataille qui le puisse bien mettre en rang et ordonnance.
+
+Suivant donc ma fantaisie, j'en diray comme il me plaira, en ce mois
+d'avril qui en rameine la saison et venaison des cocus: je dis des
+branchiers, car d'autres il s'en fait et s'en voit assez tous les mois
+et saisons de l'an. Or de ce genre de cocus, il y en a force de
+diverses espces; mais de toutes la pire est, et que les dames craignent
+et doivent craindre autant, ce sont ces fols, dangereux, bizarres,
+mauvais, malicieux, cruels, sanglants et ombrageux, qui frappent,
+tourmentent, tuent, les uns pour le vray, les autres pour le faux, tant
+le moindre soupon du monde les rend enrags; et de tels la conversation
+est fort fuir, et pour leurs femmes et pour leurs serviteurs.
+Toutefois j'ay cogneu des dames et de leurs serviteurs qui ne s'en sont
+point souci; car ils estoient aussi mauvais que les autres, et les
+dames estoient courageuses, tellement que si le courage venoit manquer
+ leurs serviteurs, le leur remettoient; d'autant que tant plus toute
+entreprise est prilleuse et scabreuse, d'autant plus se doit-elle faire
+et excuter de grande gnrosit. D'autres telles dames ay-je cogneu qui
+n'avoient nul coeur ny ambition pour attenter choses hautes, et ne
+s'amusoient du tout qu' leurs choses basses: aussi dit-on _lasche de
+coeur comme une putain_.
+
+--J'ay cogneu une honneste dame, et non des moindres, laquelle, en une
+bonne occasion qui s'offrit pour recueillir la joissance de son amy, et
+luy remonstrant elle l'inconvnient qui en adviendroit si le mary qui
+n'estoit pas loin les surprenoit, n'en fit plus de cas, et le quitta l,
+ne l'estimant hardy amant, ou bien pour ce qu'il la ddit au besoin:
+d'autant qu'il n'y a rien que la dame amoureuse, lors que l'ardeur et la
+fantaisie de venir-l luy prend, et que son amy ne la peut ou veut
+contenter tout coup pour quelques divers empeschements, hasse plus et
+s'en dpite. Il faut bien loer cette dame de sa hardiesse, et d'autres
+aussi ses pareilles, qui ne craignent rien pour contenter leurs amours,
+bien qu'elles y courent plus de fortune et dangers que ne fait un soldat
+ou un marinier aux plus hasardeux prils de la guerre ou de la mer.
+
+--Une dame espagnole, conduite une fois par un gallant cavallier dans le
+logis du Roy, venant passer par un certain recoing cach et sombre, le
+cavallier, se mettant sur son respect et discrtion espagnole, luy dit:
+_Senora, buen lugar, si no fuera vuessa merced_. La dame luy respondit
+seulement: _Si buen lugar, si no fuera vuessa merced_; c'est--dire:
+Voici un beau lieu, si c'estoit une autre que vous.--Oy vraiment, si
+c'estoit aussi un autre que vous. Par-l l'argant et incolpant de
+coardise, pour n'avoir pas pris d'elle en si bon lieu ce qu'il vouloit
+et elle dsiroit; ce qu'eust fait un autre plus hardy; et, pour ce,
+oncques plus ne l'ayma et le quitta.
+
+--J'ay ouy parler d'une fort belle et honneste dame, qui donna
+assignation son amy de coucher avec elle, par tel si qu'il ne la
+toucheroit nullement et ne viendroit aux prises; ce que l'autre
+accomplit, demeurant toute la nuict en grand'stase, tentation et
+continence, dont elle lui en sceut si bon gr, que quelque temps aprs
+luy en donna joissance, disant pour ses raisons qu'elle avoit voulu
+esprouver son amour en accomplissant ce qu'elle luy avoit command: et,
+pour ce, l'en ayma puis aprs davantage, et qu'il pourroit faire toute
+autre chose une autre fois d'aussi grande adventure que celle-l, qui
+est des plus grandes. Aucuns pourront loer cette discretion ou
+laschet, autres non: je m'en rapporte aux humeurs et discours que
+peuvent tenir ceux de l'un et de l'autre party en cecy.
+
+--J'ay cogneu une dame assez grande qui, ayant donn une assignation
+son amy de venir coucher avec elle une nuict, il y vint tout apprest,
+en chemise, pour faire son devoir; mais, d'autant que c'estoit en hyver,
+il eut si grand froid en allant, qu'estant couch il ne put rien faire,
+et ne songea qu' se rchauffer: dont la dame l'en hat et n'en fit plus
+de cas.
+
+--Une autre dame devisant d'amour avec un gentilhomme, il luy dit, entre
+autres propos, que s'il estoit couch avec elle, qu'il entreprendroit
+faire six postes la nuict, tant sa beaut le feroit bien piquer. Vous
+vous vantez de beaucoup, dit-elle. Je vous assigne donc une telle
+nuict. A quoy il ne faillit de comparoistre; mais le malheur fut pour
+luy qu'il fut surpris, estant dans le lict, d'une telle convulsion,
+refroidissement et retirement de nerf, qu'il ne put pas faire une seule
+poste; si bien que la dame luy dit: Ne voulez-vous faire autre chose?
+or vuidez de mon lict, je ne le vous ay pas prest, comme un lict
+d'hostellerie, pour vous y mettre vostre aise et reposer. Parquoy
+vuidez. Et ainsi le renvoya, et se moqua bien aprs de luy, l'hassant
+plus que peste. Ce gentilhomme fust est fort heureux s'il fust est de
+la complexion du grand protenotaire Baraud, et aumosnier du roy
+Franois, que, quand il couchoit avec les dames de la Cour, du moins il
+alloit la douzaine, et au matin il disoit encore: Excusez-moi,
+madame, si je n'ay mieux fait, car je pris hier mdecine. Je l'ay veu
+depuis, et l'appeloit-on le capitaine Baraud, gascon, et avoit laiss la
+robbe, et m'en a bien cont, mon advis, nom par nom. Sur ses vieux
+ans, cette virile et vnreique vigueur luy dfaillit, et estoit pauvre,
+encore qu'il eust tir de bons brins que sa pice luy avoit valu; mais
+il avoit tout brouill, et se mit escouler et distiller des essences:
+Mais, disoit-il, si je pouvois, aussi bien que de mon jeune aage,
+distiller de l'essence spermatique, je ferois bien mieux mes affaires et
+m'y gouvernerois mieux.
+
+--Durant cette guerre de la ligue, un honneste gentilhomme, brave certes
+et vaillant, estant sorty de sa place dont il estoit gouverneur pour
+aller la guerre, au retour, ne pouvant arriver d'heur en sa garnison,
+il passa chez une belle et fort honneste et grande dame veufve, qui le
+convie de demeurer coucher cans; ce qu'il ne refusa, car il estoit
+las. Aprs l'avoir bien fait souper, elle lui donne sa chambre et son
+lict, d'autant que toutes ses autres chambres estoient dgarnies pour
+l'amour de la guerre, et ses meubles serrez, car elle en avoit de beaux.
+Elle se retire en son cabinet, o elle y avoit un lict d'ordinaire pour
+le jour. Le gentilhomme, aprs plusieurs refus de cette chambre et ce
+lict, fut contraint par la prire de la dame de le prendre: et, s'y
+estant couch et bien endormy d'un trs-profond sommeil, voicy la dame
+qui vient tout bellement se coucher auprs de luy sans qu'il en sentist
+rien ny de toute la nuict, tant il estoit las et assoupy de sommeil; et
+reposa jusques au lendemain matin grand jour, que la dame s'ostant prs
+de luy qui s'accommenoit esveiller, luy dit: Vous n'avez pas dormy
+sans compagnie, comme vous voyez, car je n'ay pas voulu vous quitter
+toute la part de mon lict, et par ce j'en ay joi de la moiti aussi
+bien que vous. Adieu: vous avez perdu une occasion que vous ne
+recouvrerez jamais. Le gentilhomme, maugrant et dtestant sa bonne
+fortune faillie (c'estoit bien pour se pendre), la voulut arrester et
+prier; mais rien de tout cela, et fort dpite contre luy pour ne
+l'avoir contente comme elle vouloit, car elle n'estoit l venu pour un
+coup, aussi qu'on dit: Un seul coup n'est que la salade du lict, et
+mesmes la nuict, et qu'elle n'estoit l venu pour le nombre singulier,
+mais pour le plurier, que plusieurs dames en cela ayment plus que
+l'autre. Bien contraires une trs-belle et honneste dame que j'ay
+cogneu, laquelle ayant donn assignation son amy de venir coucher avec
+elle, en un rien il fit trois bons assauts avec elle; et puis, voulant
+quarter et parachever et multiplier ses coups, elle luy dit, pria et
+commanda de se dcoucher et retirer. Luy, aussi frais que devant, luy
+reprsente le combat, et promet qu'il feroit rage toute cette nuict l
+avant le jour venu, et que pour si peu sa force n'estoit en rien
+diminue. Elle luy dit: Contentez-vous que j'ay recogneu vos forces,
+qui sont bonnes et belles, et qu'en temps et lieu je les sauray mieux
+employer qu' st'heure; car il ne faut qu'un malheur que vous et moy
+soyons descouverts; que mon mary le sache, me voil perdu. Adieu donc
+jusques une plus seure et meilleure commodit, et alors librement je
+vous employeray pour la grande bataille, et non pour si petite
+rencontre. Il y a force dames qui n'eussent eu cette considration,
+mais ennivres du plaisir, puisque tenoient dj dans le camp leur
+ennemy, l'eussent fait combattre jusques au clair jour.
+
+--Cette honneste dame que je dis de paravant celles cy, estoit de telle
+humeur, que quand le caprice lui prenoit, jamais elle n'avoit peur ny
+apprehension de son mary, encore qu'il eust bonne espe et fust
+ombrageux; et nonobstant elle y a est si heureuse, que ny elle ny ses
+amants n'ont pu guires courir fortune de vie, pour n'avoir jamais est
+surpris, pour avoir bien pos ses gardes et bonnes sentinelles et
+vigilantes: en quoy pourtant ne se doivent pas fier les dames, car il
+n'y faut qu'une heure malheureuse, ainsi qu'il arriva il y a quelque
+temps un gentilhomme brave et vaillant, qui fut massacr, allant voir
+sa matresse, par la trahison et mene d'elle mesme que le mary lui
+avoit fait faire[3]: que s'il n'eust eu si bonne prsomption de sa
+valeur comme il avoit, certes il eust bien pris garde soy et ne fust
+pas mort, dont ce fut grand dommage. Grand exemple, certes, pour ne se
+fier pas tant aux femmes amoureuses, lesquelles, pour s'eschapper de la
+cruelle main de leurs marys, joent tel jeu qu'ils veulent, comme fit
+cette-cy qui eut la vie sauve, et l'amy mourut.
+
+--Il y a d'autres marys qui tuent la dame et le serviteur tout ensemble,
+ainsi que j'ay oy dire d'une trs-grande dame de laquelle son mary
+estant jaloux, non pour aucun effet qu'il y eust certes, mais par
+jalousie et vaine apparence d'amour, il fit mourir sa femme de poison et
+langueur, dont fut un trs-grand dommage, ayant paravant fait mourir le
+serviteur, qui estoit un honneste homme, disant que le sacrifice estoit
+plus beau et plus plaisant de tuer le taureau devant et la vache aprs.
+Ce prince fut plus cruel l'endroit de sa femme qu'il ne fut aprs
+l'endroit d'une de ses filles qu'il avoit marie avec un grand prince,
+mais non si grand que luy qui estoit quasi un monarque. Il eschappa
+cette folle femme de se faire engrosser un autre qu' son mary, qui
+estoit empesch quelque guerre; et puis, ayant enfant d'un bel
+enfant, ne sceut quel sainct se voer, sinon son pre, qui elle
+dcela le tout par un gentilhomme en qui elle se fioit, qu'elle luy
+envoya. Duquel aussi-tost la creance ouye, il manda son mary que sur
+sa vie il se donnast bien garde de n'attenter sur celle de sa fille,
+autrement il attenteroit sur la sienne, et le rendroit le plus pauvre
+prince de la chrestient, comme estoit en son pouvoir; et envoya sa
+fille une galere avec une escorte querir l'enfant et la nourrice; et
+l'ayant fourny d'une bonne maison et entretien, il le fit trs-bien
+nourrir et lever. Mais au bout de quelque temps que le pre vint
+mourir, par consquent le mary la fit mourir.
+
+--J'ay ouy dire d'un autre qui fit mourir le serviteur de sa femme
+devant elle, et le fit fort languir, afin qu'elle mourust martyre de
+voir mourir en langueur celui qu'elle avoit tant aym et tenu entre ses
+bras.
+
+--Un autre de par le monde tua sa femme en pleine Cour[4], luy ayant
+donn l'espace de quinze ans toutes les liberts du monde, et qu'il
+estoit assez inform de sa vie, jusques luy remonstrer et
+l'admonester. Toutefois une verve luy prit (on dit que ce fut par la
+persuasion d'un grand son maistre), et par un matin la vint trouver dans
+son lict ainsi qu'elle vouloit se lever, et ayant couch avec elle,
+gauss et ryt bien ensemble, luy donna quatre ou cinq coups de dague,
+puis la fit achever un sien serviteur, et aprs la fit mettre en
+litire, et devant tout le monde fut emporte en sa maison pour la faire
+enterrer. Aprs s'en retourna, et se prsenta la Cour, comme s'il eust
+fait la plus belle chose du monde, et en triompha. Il eust bien fait de
+mesme ses amoureux; mais il eust eu trop d'affaires, car elle en avoit
+tant eu et fait, qu'elle en eust fait une petite arme.
+
+--J'ay ouy parler d'un brave et vaillant capitaine pourtant, qui, ayant
+eu quelque soupon de sa femme, qu'il avoit prise en trs-bon lieu, la
+vint trouver sans autre suite, et l'estrangla lui-mme de sa main de son
+escharpe blanche, puis la fit enterrer le plus honorablement qu'il peut,
+et assista aux obseques habill en deuil, fort triste, et le porta fort
+longtemps ainsi habill: et voil la pauvre femme bien satisfaite, et
+pour la bien resusciter par cette belle crmonie: il en fit de mesme
+une damoiselle de sa dite femme qui luy tenoit la main ses amours. Il
+ne mourut sans ligne de cette femme, car il en eut un brave fils, des
+vaillants et des premiers de sa patrie, et qui, par ses valeurs et
+mrites, vint de grands grades, pour avoir bien servy ses roys et
+maistres.
+
+--J'ay ouy parler aussi d'un grand en Italie qui tua aussi sa femme,
+n'ayant pu atrapper son galant pour s'estre sauv en France: mais on
+disoit qu'il ne la tua point tant pour le pch (car il y avoit assez de
+temps qu'il savoit qu'elle faisoit l'amour, et n'en faisoit point autre
+mine) que pour espouser une autre dame dont il estoit amoureux.
+
+--Voyla pourquoy il fait fort dangereux d'assaillir et attaquer un c..
+arm, encore qu'il y en ait d'assaillis aussi bien et autant que des
+dsarmez, voire vaincus, comme j'en say un qui estoit aussi bien arm
+qu'en tout le monde. Il y eut un gentilhomme, brave et vaillant certes,
+qui le voulut muguetter; encore ne s'en contentoit-il pas, il s'en
+voulut prvaloir et publier: il ne dura guires qu'il ne fust aussi-tost
+tu par gens appostez, sans autrement faire scandale, ny sans que la
+dame eu patist, qui demeura longuement pourtant en tremble et aux
+alertes, d'autant qu'estant grosse, et se fiant qu'aprs ses couches,
+qu'elle eust voulu estre allonges d'un sicle, elle auroit autant; mais
+le mary, bon et misricordieux, encore qu'il fust des meilleures espes
+du monde, luy pardonna, et n'en fut jamais autre chose, et non sans
+grande allarme de plusieurs autres des serviteurs qu'elle avoit eus; car
+l'autre paya pour tous. Aussi la dame, recognoissant le bienfait et la
+grace d'un tel mary, ne luy donna jamais que peu de soupon depuis, car
+elle fut des assez sages et vertueuses d'alors.
+
+--Il arriva tout autrement un de ces ans au royaume de Naples, donne
+Marie d'Avalos, l'une des belles princesses du pays, marie avec le
+prince de Venouse, laquelle s'estant enamourache du comte d'Andriane,
+l'un des beaux princes du pays aussi, et s'estans tous deux concertez
+la joissance (et le mary l'ayant descouverte par le moyen que je
+dirois, mais le conte en seroit trop long), voire couchez ensemble dans
+le lict, les fit tous deux massacrer par gens appostez; si que le
+lendemain on trouva ces deux belles cratures et moitis exposes
+tendus sur le pav devant la porte de la maison, toutes mortes et
+froides, la veue de tous les passants, qui les larmoyoient et
+plaignoient de leur misrable estat. Il y eut des parents de ladite dame
+morte qui en furent trs-dolents et trs-estomacqus, jusques s'en
+vouloir ressentir par la mort et le meurtre, ainsi que la loy du pays le
+porte, mais d'autant qu'elle avoit est tue par des marauts de valets
+et esclaves qui ne mritoient d'avoir leurs mains teintes d'un si beau
+et si noble sang, et sur ce seul sujet s'en vouloient ressentir et
+rechercher le mary, fust par justice ou autrement, et non s'il eust fait
+le coup luy-mesme de sa propre main; car n'en fust est autre chose, ny
+recherch.
+
+Voyla une sotte et bizarre opinion et formalisation, dont je m'en
+rapporte nos grands discoureurs et bons jurisconsultes, pour savoir
+quel acte est plus norme, de tuer sa femme de sa propre main qui l'a
+tant aim, ou de celle d'un maraut esclave. Il y a force raisons
+dduire l-dessus, dont je me passeray de les alleguer, craignant
+qu'elles soyent trop foibles au prix de celles de ces grands.
+
+J'ay ouy conter que le viceroy, en sachant la conjuration, en advertit
+l'amant, voire l'amante; mais telle estoit leur destine, qui se devoit
+ainsi finer par si belles amours.
+
+Cette dame estoit fille de dom Carlo d'Avalos, second frre du marquis
+de Pescayre, auquel, si on eust fait un pareil tour en aucunes de ses
+amours que je say, il y a long-temps qu'il fust est mort.
+
+--J'ay cogneu un mary, lequel, venant de dehors, et ayant est
+long-temps qu'il n'avoit couch avec sa femme, vint rsolu et bien
+joyeux pour le faire avec elle et s'en donner bon plaisir; mais arrivant
+de nuict, il entendit par le petit espion qu'elle estoit accompagne de
+son amy dans le lict: luy aussi-tost mit la main l'espe, et frappant
+ la porte, et estant ouverte, vint rsolu pour la tuer; mais
+premirement cherchant le gallant qui avoit saut par la fenestre, vint
+ elle pour la tuer; mais, par cas, elle s'estoit cette fois si bien
+atife, si bien pare pour sa coiffure de nuict, et de sa belle chemise
+blanche, et si bien orne (pensez qu'elle s'estoit ainsi dorlote pour
+mieux plaire son amy), qu'il ne l'avoit jamais trouve ainsi bien
+accommode pour luy ny son gr, qu'elle se jettant en chemise terre
+et ses genoux, luy demandant pardon par si belles et douces paroles
+qu'elle dit, comme de vray elle savoit trs-bien dire, que, la faisant
+relever, et la trouvant si belle et de bonne grce, le coeur lui
+flchit, et laissant tomber son espe, luy, qui n'avoit fait rien il y
+avoit si long-temps, et qui en estoit affam (dont possible bien en prit
+ la dame, et que la nature l'mouvoit), il luy pardonna et la prit et
+l'embrassa, et la remit au lict, et se deshabillant soudain, se coucha
+avec elle, referma la porte; et la femme le contenta si bien par ses
+doux attraits et mignardises (pensez qu'elle n'y oublia rien), qu'enfin
+le lendemain on les trouva meilleurs amis qu'auparavant, et jamais ne se
+firent tant de caresses: comme fit Mnlas, le pauvre cocu, lequel
+l'espace de dix ou douze ans menassant sa femme Heleine qu'il la tueroit
+s'il la tenoit jamais, et mesme luy disoit du bas de la muraille en
+haut; mais, Troy prise, et elle tombe entre ses mains, il fut si ravy
+de sa beaut qu'il luy pardonna tout, et l'ayma et caressa mieux que
+jamais. Tels marys furieux encor sont bons, qui de lions tournent ainsi
+en papillons; mais il est mal ais faire une telle rencontre que
+celle-cy.
+
+--Une grande, belle et jeune dame du regne du roy Franois I, marie
+avec un grand seigneur de France, et d'aussi grande maison qui y soit
+point, se sauva bien autrement, et mieux que la precedente; car, fust ou
+qu'elle eust donn quelque sujet d'amour son mary, ou qu'il fust
+surpris d'un ombrage ou d'une rage soudaine, et fust venu elle l'espe
+nu la main pour la tuer, desesperant de tout secours humain pour s'en
+sauver, s'advisa soudain de se voer la glorieuse Vierge Marie, et en
+aller accomplir son voeu sa chapelle de Lorette, si elle la sauvoit,
+ Sainct Jean de Mauverets, au pas d'Anjou. Et sitost qu'elle eut fait
+ce voeu mentalement, ledit seigneur tumba par terre, et luy faillit
+son espe du poing; puis tantost se releva, et, comme venant d'un songe,
+demanda sa femme quel sainct elle s'estoit recommande pour viter
+ce pril. Elle luy dit que c'estoit la Vierge Marie, en sa chapelle
+susdite, et avoit promis d'en visiter le saint lieu. Lors il luy dit:
+Allez y donc, et accomplissez votre voeu; ce qu'elle fit, et y
+appendit un tableau contenant l'histoire, ensemble plusieurs beaux et
+grands voeux de cire, ce jadis accoustumez, qui s'y sont veus
+long-temps aprs. Voyla un bon voeu, et belle escapade inopine. Voyez
+la cronique d'Anjou.
+
+--J'ay ouy parler que le roy Franois une fois voulut aller coucher avec
+une dame de sa Cour qu'il aymoit. Il trouva son mary l'espe au poing
+pour l'aller tuer; mais le Roy lui porta la sien ne la gorge, et luy
+commanda, sur sa vie, de ne luy faire aucun mal, et que s'il luy faisoit
+la moindre chose du monde, qu'il le tueroit, ou qu'il luy feroit
+trancher la teste; et pour ceste nuict l'envoya dehors, et prit sa
+place. Cette dame estoit bien heureuse d'avoir trouv un si bon
+champion et protecteur de son c..; car oncques depuis le mary ne luy osa
+sonner mot, ains luy laissa du tout faire sa guise. J'ai ouy dire que
+non seulement cette dame, mais plusieurs autres, obtindrent pareille
+sauve garde du Roy. Comme plusieurs font en guerre pour sauver leurs
+terres et y mettent les armoiries du Roy sur leurs portes, comme font
+ces femmes, celles de ces grands roys, au bord et au dedans de leur c..,
+si bien que leurs marys ne leur osoient dire mot, qui, sans cela, les
+eussent passez au fil de l'espe.
+
+--J'en ay cogneu d'autres dames, favorises ainsi des roys et des
+grands, qui portoyent ainsi leurs passeports partout: toutefois, si en
+avoit-il aucunes qui passoyent le pas, auxquelles leurs marys, n'osant y
+apporter le couteau, s'aydoient des poisons et morts caches et
+secrettes, faisant accroire que c'estoyent catherres, apoplexie et mort
+subite: et tels marys sont dtestables, de voir leurs costez coucher
+leurs belles femmes, languir et tirer la mort de jour en jour et
+mritent mieux la mort que leurs femmes; ou bien les font mourir entre
+deux murailles, en chartre perptuelle, comme nous en avons aucunes
+croniques anciennes de France et j'en ai oceu un grand de France, qui
+fit ainsi mourir sa femme, qui estoit une fort belle et honneste dame,
+et ce par arrest de la cour, prenant son petit plaisir par cette voye
+se faire dclarer cocu. De ces forcenez et furieux maris de cocus sont
+volontiers les vieillards, lesquels se deffiant de leurs forces et
+chaleurs, et s'asseurant de celles de leurs femmes, mesme quand ils ont
+est si sots de les espouser jeunes et belles, ils en sont si jaloux et
+si ombrageux, tant par leur naturel que leurs vieilles pratiques, qu'ils
+ont traittes eux-mmes autrefois ou veu traicter d'autres, qu'ils
+meinent si misrablement ces pauvres cratures, que leur purgatoire leur
+seroit plus doux que non pas leur autorit. L'Espagnol dit: _El diabolo
+sabe mucho, porque es viejo_, c'est--dire que le diable sait beaucoup
+parce qu'il est vieux: de mesmes ces vieillards, par leur aage et
+anciennes routines, savent force choses. Si sont ils grandement
+blasmer de ce poinct, que, puisqu'ils ne peuvent contenter les femmes,
+pourquoi les vont-ils pouser? et les femmes aussi belles et jeunes ont
+grand tort de les aller espouser, sous l'ombre des biens, en pensant
+joir aprs leur mort, qu'elles attendent d'heure autre; et cependant
+se donnent du bon temps avec des amis jeunes qu'elles font, dont aucunes
+d'elles en patissent griefvement.
+
+--J'ai ouy parler d'une, laquelle estant surprise sur le fait, son mari,
+vieillard, luy donna une poison de laquelle elle languit plus d'un an et
+vint seiche comme bois; et le mary l'alloit voir souvent, et se plaisoit
+en cette langueur, et en rioit, et disoit qu'elle n'avoit que ce qu'il
+luy falloit.
+
+--Une autre, son mary l'enferma dans une chambre et la mit au pain et
+l'eau, et bien souvent la faisoit despouiller toute nue et la fouettoit
+son saoul, n'ayant compassion de cette belle charnure nue, ni non plus
+d'motion. Voyla le pis d'eux, car, estant dgarnis de chaleur et
+dpourveus de tentation comme une statue de marbre, n'ont piti de nulle
+beaut, et passent leurs rages par de cruels martyres, au lieu qu'estans
+jeunes la passeroyent possible sur leur beau corps nud, comme j'ay dit
+cy devant. Voyla pourquoi il ne fait pas bon d'espouser de tels
+vieillards bizarres, car, encor que la veue leur baisse et vienne
+manquer par l'aage, si en ont ils toujours prou pour espier et voir les
+frasques que leurs jeunes femmes leur peuvent faire.
+
+--Aussy j'ay ouy parler d'une grande dame qui disoit que nul samedy fut
+sans soleil, nulle belle femme sans amours, et nul vieillard sans tre
+jaloux; et tout procede pour la dbolezze de ses forces. C'est pourquoy
+un grand prince que je say disoit qu'il voudroit ressembler le lion,
+qui, pour vieillir, ne blanchit jamais; le singe, qui tant plus il le
+fait tant plus il le veut faire; le chien tant plus il vieillit son cas
+se grossit; et le cerf, que tant plus il est vieux tant mieux il le
+fait, et les biches vont plustt luy qu'aux jeunes. Or, pour en parler
+franchement, ainsi que j'ay ouy dire un grand personnage, quelle
+raison y a-t-il, ni quelle puissance a-t-il le mary si grande, qu'il
+doive et puisse tuer sa femme, veu qu'il ne l'a point de Dieu, ny de sa
+loy, ny de son saint Evangile, sinon de la rpudier seulement? Il ne s'y
+parle point de meurtre, de sang, de mort, de tourments, de poison, de
+prisons ni de cruautez. Ah! que nostre Seigneur Jsus-Christ nous a bien
+remonstr qu'il y avoit de grands abus en ces faons de faire et en ces
+meurtres, et qu'il ne les approuvoit guires, lorsqu'on luy amena cette
+pauvre femme accuse d'adultere pour jeter sa sentence de punition; il
+leur dit en escrivant en terre de son doigt: Celui de vous autres qui
+sera le plus net et le plus simple, qu'il prenne la premiere pierre et
+commence la lapider; ce que nul n'osa faire, se sentans atteints par
+telle sage et douce reprhension. Nostre Crateur nous apprenoit tous
+de n'estre si lgers condamner et faire mourir les personnes, mesmes
+sur ce sujet, cognoissant les fragilitez de nostre nature et l'abus que
+plusieurs y commettent; car tel fait mourir sa femme qui est plus
+adultere qu'elle, et tels les font mourir bien souvent innocentes, se
+faschans d'elles pour en prendre d'autres nouvelles, et combien y en
+a-t-il! Sainct Augustin dit que l'homme adultere est aussi punissable
+que la femme.
+
+--J'ay ouy parler d'un trs-grand prince de par le monde, qui,
+soubonnant sa femme faire l'amour avec un galant cavallier, il le fit
+assassiner sortant un soir de son palais, et puis la dame, laquelle, un
+peu auparavant un tournoy qui se fit la Cour, et elle fixement
+arregardant son serviteur qui manioit bien son cheval, se mit dire:
+Mon Dieu! qu'un tel pique bien!--Oy, mais il pique trop haut; ce qui
+l'estonna, et aprs fut empoisonne par quelques parfums ou autrement
+par la bouche.
+
+--J'ay cogneu un seigneur de bonne maison qui fit mourir sa femme, qui
+estoit trs-belle et de bonne part et de bon lieu, en l'empoisonnant par
+sa nature, sans s'en ressentir, tant subtile et bien faite avoit est
+icelle poison, pour espouser une grande dame qui avoit espous un
+prince, dont en fut en peine, en prison et en danger sans ses amis: et
+le malheur voulut qu'il ne l'espousa pas, et en fut tromp et fort
+scandalis, et mal veu des hommes et des dames. J'ai veu de grands
+personnages blasmer grandement nos roys anciens, comme Louis Hutin et
+Charles le Bel, pour avoir fait mourir leurs femmes: l'une, Marguerite,
+fille de Robert, duc de Bourgogne; et l'autre, Blanche, fille d'Othelin,
+comte de Bourgogne: leur mettant sus leurs adulteres; et les firent
+mourir cruellement entre quatre murailles, au Chasteau Gaillard: et le
+comte de Foix en fit de mesme Jeanne d'Artoys. Surquoy il n'y avoit
+point tant de forfaits et de crimes comme ils le faisoient croire;
+mais messieurs se faschoient de leurs femmes, et leur mettoient sus
+ces belles besognes, et en espousrent d'autres.
+
+--Comme de frais, le roy Henry d'Angleterre fit mourir sa femme Anne de
+Boulan, et la dcapiter, pour en espouser une autre, ainsi qu'il estoit
+fort sujet au sang et au change de nouvelles femmes. Ne vaudroit-il pas
+mieux qu'ils les rpudiassent selon la parole de Dieu, que les faire
+ainsi cruellement mourir? Mais il leur en faut de la viande frache
+ces messieurs, qui veulent tenir table part, sans y convier personne,
+ou avoir nouvelles et secondes femmes qui leur apportent des biens aprs
+qu'ils ont mang ceux de leurs premires, ou n'en ont eu assez pour les
+rassasier, ainsi que fit Baudoin, second roi de Jerusalem, qui, faisant
+croire sa premire femme qu'elle avoit paillard, la rpudia pour
+prendre une fille du duc de Maliterne[5], parce qu'elle avoit une dot
+d'une grande somme d'argent, dont il estoit fort ncessiteux. Cela se
+trouve en l'histoire de la Terre Sainte. Il leur sied bien de corriger
+la loy de Dieu, et en faire une nouvelle, pour faire mourir ces pauvres
+femmes!
+
+--Le roy Lois le Jeune n'en fit pas de mesme l'endroit de Lonor,
+duchesse d'Aquitaine, qui, souponne d'adultere, possible faux, en
+son voyage de Syrie, fut rpudie de luy seulement, sans vouloir user de
+la loy des autres, invente et pratique plus par autorit que de droit
+et raison: dont sur ce il en acquist plus grande rputation que les
+autres roys, et titre de bon, et les autres de mauvais, cruels et
+tyrans; aussi que dans son ame il avoit quelques remords de conscience
+d'ailleurs: et c'est vivre en chrestien cela, voire que les payens
+romains la pluspart s'en sont acquitts de mesme plus chrestiennement
+que payennement, et principalement aucuns empereurs, desquels la plus
+grande part ont est sujets estre cocus, et leurs femmes
+trs-lubriques et fort putains: et, tels cruels qu'ils ont est, vous en
+lirez force qui se sont dfaits de leurs femmes, plus par rpudiations
+que par tueries de nous autres Chrestiens.
+
+--Jules Csar ne fit autre mal a sa femme Pompea, sinon la rpudier,
+laquelle avoit est adultere de Publius Claudius, beau gentilhomme
+romain, de laquelle estant perdument amoureux, et elle de luy, espia
+l'occasion qu'un jour elle faisoit un sacrifice en sa maison o il n'y
+entroit que des dames; il s'habilla en garce, luy qui n'avoit encore
+point de barbe au menton, qui se meslant de chanter et de joer des
+instruments, et par ainsi passant par cette monstre, eut loisir de faire
+avec sa maistresse ce qu'il voulut; mais estant recogneu, il fut chass
+et accus; et par moyen d'argent et de faveur il fut absous, et n'en fut
+autre chose. Cicron y perdit son latin par une belle oraison qu'il fit
+contre lui. Il est vrai que Csar, voulant faire croire au monde qui
+luy persuadoit sa femme innocente, il respondit qu'il ne vouloit pas que
+seulement son lict fust tach de ce crime, mais exempt de toute
+suspition. Cela estoit bon pour en abbreuver ainsi le monde; mais, dans
+son ame, il savoit bien que vouloit dire cela, sa femme avoit est
+ainsi trouve avec son amant; si que possible luy avoit-elle donn cette
+assignation et cette commodit; car, en cela, quand la femme veut et
+dsire, il ne faut point que l'amant se soucie d'excogiter des
+commoditez, car elle en trouvera plus en une heure que tous nous autres
+saurions faire en cent ans, ainsi que dit une dame de par le monde, que
+je say, qui dit son amant: Trouvez moyen seulement de m'en faire
+venir l'envie, car d'ailleurs, j'en trouveray prou pour en venir l.
+Csar aussi savoit bien combien vaut l'aune de ces choses-l, car il
+estoit un fort grand ruffian, et l'appeloit-on le coq toutes poules,
+et en fit force cocus en sa ville, tesmoing le sobriquet que luy
+donnoient ses soldats son triomphe: _Romani, servate uxores, moechum
+adducimus calvum_, c'est--dire, Romains, serrez bien vos femmes, car
+nous vous amenons ce grand paillard et adultere de Csar le chauve, qui
+vous les repassera toutes. Voil donc comme Csar, par cette sage
+response qu'il fit ainsi de sa femme, il s'exempta de porter le nom de
+cocu qu'il faisoit porter aux autres; mais, dans son ame, il se sentoit
+bien touch.
+
+--Octavie Csar rpudia aussi Scribonia pour l'amour de sa paillardise
+sans autre chose, et ne luy fit autre mal, bien qu'elle eust raison de
+le faire cocu, cause d'une infinit de dames qu'il entretenoit; et
+devant leurs marys publiquement les prenoit table aux festins qu'il
+leur faisoit, et les emmenoit en sa chambre, et, aprs en avoir fait,
+les renvoyoit, les cheveux dfaits un peu et destortillez, avec les
+oreilles rouges: grand signe qu'elles en venoient, lequel je n'avois ouy
+dire propre pour descouvrir que l'on en vient; ouy bien le visage, mais
+non l'oreille. Aussi luy donna-t-on la rputation d'estre fort paillard;
+mesmes Marc-Antoine le luy reprocha: mais il s'excusoit qu'il
+n'entretenoit point tant les dames pour la paillardise, que pour
+descouvrir plus facilement les secrets de leurs marys, desquels il se
+mesfioit. J'ai cogneu plusieurs grands et autres, qui en ont fait de
+mesme et ont recherch les dames pour ce mesme sujet, dont s'en sont
+bien trouvez; j'en nommerois bien aucuns: ce qui est une bonne finesse,
+car il en sort double plaisir. La conjuration de Catilina fut ainsi
+descouverte par une dame de joye.
+
+--Ce mesme Octavie, sa fille Julia, femme d'Agrippa, pour avoir est
+une trs-grande putain, et qui luy faisoit grande honte (car
+quelques-fois les filles font leurs peres plus de deshonneur que les
+femmes ne font leurs marys), fut une fois en dlibration de la faire
+mourir; mais il ne la fit que bannir, luy oster le vin et l'usage des
+beaux habillements, et d'user des parures, pour trs-grande punition, et
+la frquentation des hommes: grande punition pourtant pour les femmes de
+cette condition, de les priver de ces deux derniers points!
+
+--Csar Caligula, qui estoit un fort cruel tyran, ayant eu opinion que
+sa femme Livia Hostilia lui avoit drob quelques coups en robe, et
+donn son premier mary C. Piso, duquel il l'avoit oste par force, et
+ luy encore vivant, luy faisoit quelque plaisir et gracieuset de son
+gentil corps cependant qu'il estoit absent en quelque voyage, n'usa
+point en son endroit de sa cruaut accoustume, ains la bannit de soy
+seulement, au bout de deux ans qu'il l'eust oste son mary Piso et
+espouse. Il en fit de mesme Tullia Paulina, qu'il avoit oste son
+mary C. Memmius: il ne la fit que chasser, mais avec dfense expresse de
+n'user nullement de ce mestier doux, non pas seulement son mary:
+rigueur cruelle pourtant de n'en donner son mary! J'ay ouy parler d'un
+grand prince chrestien qui fit cette dfense une dame qu'il
+entretenoit, et son mary de n'y toucher, tant il estoit jaloux.
+
+Claudius, fils de Drusus Germanicus, rpudia tant seulement sa femme
+Plantia Herculalina, pour avoir est une signale putain, et, qui pis
+est, pour avoir entendu qu'elle avoit attent sur sa vie; et, tout cruel
+qu'il estoit, encor que ces deux raisons fussent assez bastantes pour la
+faire mourir, il se contenta du divorce. Davantage, combien de temps
+porta-t-il les fredaines et sales bourdelleries de Valeria Messalina,
+son autre femme, laquelle ne se contentoit pas de le faire avec l'un et
+l'autre, dissolument et indiscrtement, mais faisoit profession d'aller
+aux bourdeaux s'en faire donner, comme la plus grande bagasse de la
+ville, jusques-l, comme dit Juvenal, qu'ainsi que son mary estoit
+couch avec elle, se droboit tout bellement d'auprs de luy le voyant
+bien endormy et se dguisoit le mieux qu'elle pouvoit, et s'en alloit en
+plein bourdeau, et l s'en faisoit donner si trs-tant, et jusques
+qu'elle en partoit plustost lasse que saoule et rassasie, et faisoit
+encore pis: pour mieux se satisfaire et avoir cette rputation et
+contentement en soy d'estre une grande putain et bagasse, se faisoit
+payer, et taxoit ses coups et ses chevauches, comme un commissaire qui
+va par pays jusqu' la dernire maille.
+
+--J'ay ouy parler d'une dame de par le monde, d'assez chre toffe, qui
+quelque temps fit cette vie, et alla ainsi aux bourdeaux dguise, pour
+en essayer la vie et s'en faire donner; si que le guet de la ville, en
+faisant la ronde, l'y surprit une nuict. Il y en a d'autres qui font ces
+coups, que l'on sait bien.
+
+Bocace, en son livre des _Illustres Malheureux_, parle de cette
+Messaline gentiment, et la fait allguant ses excuses en cela, d'autant
+qu'elle estoit du tout ne cela, si que le jour qu'elle naquist ce fut
+en certains signes du ciel qui l'embraserent et elle et autres. Son mary
+le savoit, et l'endura long-temps, jusques ce qu'il sceut qu'elle
+s'estoit marie sous bourre avec un Caus Silius, l'un des beaux
+gentilshommes de Rome. Voyant que c'estoit une assignation sur sa vie,
+la fit mourir sur ce sujet, mais nullement pour sa paillardise, car il y
+estoit tout accoustum la voir, la savoir et l'endurer. Qui a veu la
+statue de ladite Messaline trouve ces jours passez en la ville de
+Bourdeaux, advouera qu'elle avoit bien la vraye mine de faire une telle
+vie. C'est une mdaille antique, trouve parmy aucunes ruines, qui est
+trs-belle, et digne de la garder pour la voir et bien contempler.
+C'estoit une fort grande femme, de trs-belle haute taille, les beaux
+traits de son visage, et sa coeffure tant gentille l'antique romaine,
+et sa taille trs-haute, dmonstrant bien qu'elle estoit ce qu'on a dit:
+car, ce que je tiens de plusieurs philosophes, mdecins et
+physionomistes, les grandes femmes sont cela volontiers inclines,
+d'autant qu'elles sont hommasses; et, estant ainsi, participent des
+chaleurs de l'homme et de la femme; et, jointes ensemble en un seul
+corps et sujet, sont plus violentes et ont plus de force qu'une seule;
+aussi qu' un grand navire, dit-on, il faut une grande eau pour le
+soutenir. Davantage, ce que disent les grands docteurs en l'art de
+Vnus, une grande femme y est plus propre et plus gente qu'une petite.
+Sur quoi il me souvient d'un trs-grand prince que j'ai cogneu: voulant
+loer une femme de laquelle il avoit eu joissance, il dit ces mots:
+C'est une trs-belle putain, grande comme madame ma mere. Dont ayant
+est surpris sur la promptitude de sa parole, il dit qu'il ne vouloit
+pas dire qu'elle fust une grande putain comme madame sa mere, mais
+qu'elle fust de la taille et grande comme madame sa mere.
+
+--Quelquesfois on dit des choses qu'on ne pense pas dire, quelquesfois
+aussi sans y penser l'on dit bien la vrit. Voil donc comme il fait
+meilleur avec les grandes et hautes femmes, quand ce ne seroit que pour
+la belle grace, la majest qui est en elles; car, en ces choses, elle y
+est aussi requise et autant aimable qu'en d'autres actions et exercices,
+ny plus ny moins que le mange d'un beau et grand coursier du rgne est
+bien cent fois plus agrable et plaisant que d'un petit bidet, et donne
+bien plus de plaisir son escuyer; mais aussi il faut bien que cet
+escuyer soit bon et se tienne bien, et monstre bien plus de force et
+d'adresse: de mesme se faut-il porter l'endroit des grandes et hautes
+femmes; car, de cette taille, elles sont sujettes d'aller d'un air plus
+haut que les autres, et bien souvent font perdre l'estrier, voire
+l'aron, si l'on n'a bonne tenu, comme j'ay ouy conter aucuns
+cavalcadours qui les ont montes; et lesquelles font gloire et grand
+mocquerie quand elles les font sauter et tomber tout plat: ainsi que
+j'en ay ouy parler d'une de cette ville, laquelle, la premire fois que
+son serviteur coucha avec elle, luy dit franchement: Embrassez-moy
+bien, et me liez vous de bras et de jambes le mieux que vous pourrez,
+et tenez-vous bien hardiment, car je vays haut, et gardez bien de
+tomber. Aussi, d'un cost, ne m'espargnez pas; je suis assez forte et
+habile pour soutenir vos coups, tant rudes soient ils; et si vous
+m'espargnez je ne vous espargneray point. C'est pourquoy beau jeu beau
+retour. Mais la femme le gaigna. Voil donc comme il faut bien adviser
+ se gouverner avec telles femmes hardies, joyeuses, renforces,
+charnus et proportionnes; et, bien que la chaleur surabondante en
+elles donne beaucoup de contentement, quelquesfois aussi sont-elles trop
+pressantes pour estre si chaleureuses. Toutesfois, comme l'on dit, de
+toutes tailles bons levriers: aussi y a-t-il de petites femmes nabottes
+qui ont le geste, la grace, la faon en ces choses un peu approchante
+des autres, ou les veulent imiter, et si sont aussi chaudes et aspres
+la cure, voire plus: je m'en rapporte aux maistres en ces arts. Ainsi
+qu'un petit cheval se remue aussi prestement qu'un grand, et, comme
+disoit un honneste homme, que la femme ressembloit plusieurs animaux,
+et principalement un singe, quand dans le lict elle ne fait que se
+mouvoir et remuer. J'ay fait cette digression; en me souvenant il faut
+retourner nostre premier texte.
+
+--Et ce cruel Nron ne fit aussi que rpudier sa femme Octavia, fille de
+Claudius et Messalina, pour adultre, et sa cruaut s'abstint
+jusques-l.
+
+--Domitian fit encore mieux, lequel rpudia sa femme Domitia Longina
+parce qu'elle estoit si amoureuse d'un certain comdien et basteleur
+nomm Pris, et ne faisoit tout le jour que paillarder avec luy, sans
+tenir compagnie son mary; mais, au bout de peu de temps, il la reprit
+encore et se repentit de sa sparation; pensez que ce basteleur luy
+avoit appris des tours de souplesse et de maniement dont il croyoit
+qu'il se trouveroit bien.
+
+--Pertinax en fit de mesme sa femme Flavia Sulpitiana, non qu'il la
+rpudiast ni qu'il la reprist, mais la sachant faire l'amour un
+chantre et joueur d'instruments, et s'adonner du tout luy, n'en fit
+autre compte sinon la laisser faire, et luy faire l'amour de son cost
+une Cornificia estant sa cousine germaine; suivant en cel a l'opinion
+d'Eliogabale, qui disoit qu'il n'y avoit rien au monde plus beau que la
+conversation de ses parents et parentes. Il y en a force qui ont fait
+tels eschanges que je say, se fondans sur ces opinions.
+
+--Aussi l'empereur Severus non plus se soucia de l'honneur de sa femme,
+laquelle estoit putain publique, sans qu'il se souciast jamais de l'en
+corriger, disant qu'elle se nommoit Jullia, et, pour ce, qu'il la
+falloit excuser, d'autant que toutes celles qui portoient ce nom de
+toute anciennet estoient sujettes d'estre trs-grandes putains et faire
+leurs marys cocus: ainsi que je connois beaucoup de dames portans
+certains noms de notre christianisme, que je ne veux dire pour la
+rvrence que je dois nostre saincte religion, qui sont
+coustumirement sujettes estre puttes et hausser le devant plus que
+d'autres portans autres noms, et n'en a-t-on veu gures qui s'en soient
+eschappes.
+
+Or je n'aurois jamais fait si je voulois allguer une infinit d'autres
+grandes dames et emperieres romaines de jadis, l'endroict desquelles
+leurs marys cocus, et trs-cruels, n'ont us de leurs cruautez,
+autoritez et privileges, encore qu'elles fussent trs-dbordes; et croy
+qu'il y en a peu de prudes de ce vieux temps, comme la description de
+leur vie le manifeste: mesmes, que l'on regarde bien leurs effigies et
+mdailles antiques, on y verra tout plain, dans leur beau visage, la
+mesme lubricit toute grave et peinte; et pourtant leurs marys cruels
+la leur pardonnoient, et ne les faisoient mourir, au moins aucuns: et
+qu'il faille qu'eux payens, ne connaissans Dieu, ayent est si doux et
+benings l'endroit de leurs femmes et du genre humain, et la pluspart
+de nos roys, princes, seigneurs et autres chrestiens, soyent si cruels
+envers elles par un tel forfait!
+
+--Encore faut-il loer ce brave Philippe Auguste, nostre roy de France,
+lequel, ayant rpudi sa femme Angerberge, soeur de Canut, roy de
+Danemarck, qui estoit sa seconde femme, sous prtexte qu'elle estoit sa
+cousine en troisiesme degr du cost de sa premiere femme Isabel (autres
+disent qu'il la soubonnoit de faire l'amour), nantmoins ce roy, forc
+par censures ecclsiastiques, quoy qu'il fust remari d'ailleurs, la
+reprit, et l'emmena derrire luy tout cheval, sans le sceu de
+l'assemble de Soissons faite pour cet effet, et trop sjournant pour en
+dcider. Aujourd'huy aucun de nos grands n'en font de mesmes; mais la
+moindre punition qu'ils font leurs femmes, c'est les mettre en chartre
+perptuelle, au pain et l'eau, et l les faire mourir, les
+empoisonnent, les tuent, soit de leur main ou de la justice. Et s'ils
+ont tant d'envie de s'en dfaire et espouser d'autres, comme cela
+advient souvent, que ne les rpudient-ils, et s'en separent
+honnestement, sans autre mal, et demandent puissance au pape d'en
+espouser une autre, encor que ce qui est conjoint l'homme ne le doit
+sparer? Toutesfois, nous en avons eu des exemples de frais, et du roy
+Charles huit et de Lois douze, nos roys; sur quoy j'ay ouy discourir un
+grand thologien, et c'estoit sur le feu roy d'Espagne Philippe, qui
+avoit espous sa niepce, mre du roy d'aujourd'huy, et ce par dispense,
+qui disoit: Ou du tout il faut advoer le Pape pour lieutenant gnral
+de Dieu en terre, et absolu, ou non: s'il l'est, comme nous autres
+catholiques le devons croire, il faut du tout confesser sa puissance
+bien absolue et infinie en terre, et sans bornes, et qu'il peut noer et
+desnoer comme il luy plaist; mais, si nous ne le tenons tel, je le
+quitte pour ceux qui sont en telle erreur, non pour les bons
+catholiques, et par ainsi nostre Pere sainct peut remdier ces
+dissolutions de mariages, et de grands inconvnients qui arrivent pour
+cela entre le mary et la femme, quand ils font tels mauvais mnages.
+Certainement les femmes sont fort blasmables de traitter ainsi leurs
+marys par leur foy viole, que Dieu leur a tant recommande mais
+pourtant de l'autre cost, il a bien dfendu le meurtre, et lui est
+grandement odieux de quelque cost que ce soit: et jamais guieres
+n'ay-je veu gens sanguinaires et meurtriers, mesmes de leurs femmes, qui
+n'en ayent pay le debte, et peu de gens aimant le sang ont bien finy;
+car plusieurs femmes pcheresses ont obtenu et gaign misricorde de
+Dieu, comme la Madelaine. Enfin, ces pauvres femmes sont cratures plus
+ressemblantes la Divinit que nous autres cause de leur beaut; car
+ce qui est beau est plus approchant de Dieu qui est tout beau, que le
+laid qui appartient au diable.
+
+--Ce grand Alphonse, roy de Naples, disoit que la beaut estoit une
+vraye signifiance de bonnes et douces moeurs, ainsi comme est la belle
+fleur d'un bon et beau fruit: comme de vray, en ma vie j'ay veu force
+belles femmes toutes bonnes; et, bien qu'elles fissent l'amour, ne
+faisoyent point de mal, ny autre qu' songer ce plaisir, et y
+mettoyent tout leur soucy sans l'applicquer ailleurs. D'autres aussi en
+ay-je veu trs-mauvaises, pernicieuses, dangereuses, crueles et fort
+malicieuses, nonobstant songer l'amour et au mal tout ensemble. Sera
+t-il doncques dit qu'estant ainsi sujettes l'humeur vollage et
+ombrageuse de leurs marys, qui mritent plus de punition cent fois
+envers Dieu, qu'elles soient ainsi punies? Or de telles gens la
+complexion est autant fascheuse comme est la peine d'en escrire.
+
+--J'en parle maintenant encore d'un autre, qui estoit un seigneur de
+Dalmatie, lequel ayant tu le paillard de sa femme, la contraignit de
+coucher ordinairement avec son tronc mort, charogneux et puant; de telle
+sorte que la pauvre femme fut suffoque de la mauvaise senteur qu'elle
+endura par plusieurs jours.
+
+--Vous avez, dans les _Cent Nouvelles de la Reyne de Navarre_, la plus
+belle et triste histoire que l'on sauroit voir pour ce sujet, de cette
+belle dame d'Allemagne que son mary contraignoit boire ordinairement
+dans le test de la teste de son amy qu'il y avoit tu; dont le seigneur
+Bernage, lors ambassadeur en ce pays pour le roy Charles huictiesme, en
+vit le pitoyable spectacle, et en fit l'accord.
+
+--La premire fois que je fus jamais en Italie, passant par Venise, il
+me fut fait un compte pour vray d'un certain chevalier albanais, lequel,
+ayant surpris sa femme en adultre, tua l'amoureux, et de despit qu'il
+eut que sa femme ne s'estoit contente de luy; car il estoit un gallant
+cavallier, et des propres pour Vnus, jusques entrer en jouxte dix ou
+douze fois pour une nuict: pour punition il fut curieux de rechercher
+par-tout une douzaine de bons compagnons, et fort ribauts, qui avoient
+la rputation d'estre bien et grandement proportionnez de leurs membres,
+et fort adroits et chauds l'excution; et les prit, les gagea, et loua
+pour argent, et les serra dans la chambre de sa femme, qui estoit
+trs-belle, et la leur abandonna, les priant tous d'y faire bien leur
+devoir, avec double paye s'ils s'en acquittoient bien: et se mirent tous
+aprs elle, les uns aprs les autres, et la menrent de telle faon
+qu'ils la rendirent morte, avec un trs-grand contentement du mary;
+laquelle il luy reprocha, tendante la mort, que, puis qu'elle avoit
+tant aym cette douce liqueur, qu'elle s'en saoulast, mode que dit
+Smiramis[6] Cyrus, luy mettant sa teste dans un vase plein de sang.
+Voila un terrible genre de mort! Cette pauvre dame ne fust ainsi morte,
+si elle eust est de la robuste complexion d'une garce qui fut au camp
+de Csar en la Gaule, sur laquelle on dit que deux lgions passrent par
+dessus en peu de temps, et au partir de l fit la gambade, ne s'en
+trouvant point mal.
+
+--J'ai ouy parler d'une dame franoise de ville, et damoiselle, et
+belle: en nos guerres civiles ayant est force, dans une ville prise
+d'assaut, par une infinit de soldats, et, en estant chappe, elle
+demanda un beau pre si elle avoit pch grandement: aprs luy avoir
+cont son histoire, il lui dit que non, puisqu'elle avoit ainsi t
+prise par force, et viole sans sa volont, mais y rpugnant du tout.
+Elle rpondit: Dieu donc soit lo, que je m'en suis une fois en ma vie
+saoule sans pcher ni offenser Dieu!
+
+--Une dame de bonne part, au massacre de la Sainct-Barthlemy, ayant t
+ainsi force, et son mary mort, elle demanda un homme de savoir et de
+conscience si elle avoit offens Dieu, et si elle n'en seroit point
+punie de sa rigueur, et si elle n'avoit point fait tort aux manes de son
+mary qui ne venoit que d'estre frais tu. Il lui respondit que, quand
+elle estoit en cette besogne, si elle y avoit pris plaisir, certainement
+elle avoit pch; mais si elle y avoit eu du dgoust, c'toit tout un.
+Voila une bonne sentence!
+
+--J'ay bien cogneu une dame qui estoit diffrente de cette opinion, qui
+disoit qu'il n'y avoit si grand plaisir en cette affaire que quand elle
+estoit demy force et abattue, et mesme d'un grand, d'autant que, tant
+plus on fait de la rebelle et de la refusante, d'autant plus on y prend
+d'ardeur et s'efforce-t-on: car, ayant une fois fauss sa breche, il
+jouit de sa victoire plus furieusement et rudement, et d'autant plus on
+donne d'appetit sa dame, qui contrefait pour tel plaisir la demi-morte
+et pasme, comme il semble, mais c'est de l'extrme plaisir qu'elle y
+prend: mesme ce disoit cette dame, que bien souvent elle donnoit de ces
+venues et alteres son mary, et faisoit de la farouche, de la bizarre
+et desdaigneuse, le mettant plus en rut; et, quand il venoit l, luy et
+elle s'en trouvoient cent fois mieux: car, comme plusieurs ont escrit,
+une dame plaist plus qui fait un peu de la difficile et resiste, que
+quand elle se laisse sitost porter par terre. Aussi en guerre, une
+victoire obtenue de force est plus signale, plus ardente et plaisante,
+que par la gratuit, et en triomphe-t-il mieux. Mais aussi ne faut que
+la dame fasse tant en cela la revesche ny terrible, car on la tiendroit
+plustost pour une putain ruse qui voudroit faire de la prude, dont bien
+souvent elle seroit escandalise; ainsi que j'ay ouy dire des plus
+savantes et habiles en ce fait, auxquelles je m'en rapporte, ne voulant
+estre si prsomptueux de leur en donner des prceptes qu'elles savent
+mieux que moy. Or j'ay veu plusieurs blasmer grandement aucun de ces
+marys jaloux et meurtriers, d'une chose, que, si leurs femmes sont
+putains, eux-mmes en sont cause. Car, comme dit saint Augustin, c'est
+une grande folie un mary de requrir chastet sa femme, luy estant
+plong au bourbier de paillardise; et en tel estat doit estre le mary
+qu'il veut trouver sa femme. Mesmes nous trouvons en nostre Sainte
+Escriture qu'il n'est pas besoin que le mary et la femme s'entr'ayment
+si fort; cela se veut entendre par des amours lascifs et paillards:
+d'autant que, mettant et occupant de tout leur coeur en ces plaisirs
+lubriques, y songent si fort et s'y adonnent si trs-tant, qu'ils en
+laissent l'amour qu'ils doivent Dieu; ainsi que moy-mesme j'ay veu
+beaucoup de femmes qui aymoient si trs-tant leurs marys, et eux elles,
+et en brusloient de telle ardeur, qu'elles et eux en oublioient du tout
+le service de Dieu, si que, le temps qu'il y falloit mettre, le
+mettoient et consommoient aprs leurs paillardises. De plus, ces marys,
+qui pis est, apprennent leurs femmes, dans leur lict propre, mille
+lubricitez, mille paillardises, mille tours contours, faons nouvelles,
+et leur pratiquent ces figures enormes de l'Aretin: de telle sorte que,
+pour un tison de feu qu'elles ont dans le corps, elles y en engendrent
+cent, et les rendent ainsi paillardes; si bien qu'estant de telle faon
+dresses, elles ne se peuvent engarder qu'elles ne quittent leurs marys,
+et aillent trouver autres chevaliers; et, sur ce, leurs marys en
+desesperent, et punissent leurs pauvres femmes, en quoy ils ont grand
+tort: car puis qu'elles sentent leur coeur pour estre si bien
+dresses, elles veulent monstrer d'autres ce qu'elles savent faire;
+et leurs marys voudroient qu'elles cachassent leur savoir, en quoy il
+n'y a apparence ny raison, non plus que si un bon escuyer avoit un
+cheval bien dress, allant de tous ayrs, et qu'il ne voulust permettre
+qu'on le vist aller, ny qu'on montast dessus, mais qu'on le creust sa
+simple parole, et qu'on l'acheptast ainsi.
+
+--J'ay ouy conter un honneste gentilhomme de par le monde, lequel
+estant devenu fort amoureux d'une belle dame, il luy fut dit par un sien
+amy qu'il y perdroit son temps, car elle aimoit trop son mary. Il se va
+adviser une fois de faire un trou qui arregardoit droit dans leur lict,
+si bien qu'estant couchs ensemble il ne faillit de les espier par ce
+trou, d'o il vit les plus grandes lubricitez, paillardises, postures
+sales, monstrueuses et normes, autant de la femme, voire plus que du
+mary, et avec des ardeurs trs-extrmes; si bien que le lendemain il
+vint trouver son compagnon et luy raconter la belle vision qu'il avoit
+eue, et luy dit: Cette femme est moy aussitost que son mary sera
+party pour tel voyage; car elle ne se pourra tenir longuement en sa
+chaleur que la nature et l'art luy ont donn, et faut qu'elle la passe,
+et par ainsi, par ma persvrance je l'auray.
+
+--Je cognois un autre honneste gentilhomme qui, estant bien amoureux
+d'une belle et honneste dame, sachant qu'elle avoit un Aretin en figure
+dans son cabinet, que son mary savoit et l'avoit veu et permis, augura
+aussi-tost par l qu'il l'attraperoit; et, sans perdre esprance, il la
+servit si bien et continua, qu'enfin il l'emporta; et cogneut en elle
+qu'elle y avoit appris de bonnes leons et pratiques, ou fust de son
+mary ou d'autres, niant pourtant que ny les uns ny les autres n'en
+avoient point est les premiers maistres, mais la dame nature, qui en
+estoit meilleure maistresse que tous les arts. Si est-ce que le livre et
+la pratique luy avoient beaucoup servy en cela, comme elle luy confessa
+puis aprs.
+
+--Il se lit d'une grande courtisane et maquerelle insigne du temps de
+l'ancienne Rome, qui s'appeloit Elefantina, qui fit et composa de telles
+figures de l'Aretin, encore pires, auxquelles les dames grandes et
+princesses faisant estat de putanisme estudioient comme un trs-beau
+livre; et cette bonne dame putain cyrniene, laquelle estoit surnomme
+aux douze Inventions, parce qu'elle avoit trouv douze manires pour
+rendre le plaisir plus voluptueux et lubrique.
+
+--Hliogabale gaigeoit et entretenoit, par grand argent et dons, ceux et
+celles qui luy inventoient et produisoient nouvelles et telles
+inventions pour mieux esveiller sa paillardise. J'en ay ouy parler
+d'autres pareils de par le monde.
+
+--Un de ces ans le pape Sixte[7] fit pendre Rome un secrtaire qui
+avoit est au cardinal d'Est, et s'appeloit Capella, pour beaucoup de
+forfaits, mais entre autres qu'il avoit compos un livre de ces belles
+figures, lesquelles estoient reprsentes par un grand que je ne
+nommeray point pour l'amour de sa robe, et par une grande, l'une des
+belles dames de Rome, et tous reprsents au vif, et peints au
+naturel[8].
+
+--J'ay cogneu un prince de par le monde qui fit bien mieux, car il
+achepta d'un orfevre une trs-belle coupe d'argent dor, comme pour un
+chef-d'oeuvre et grand spciaut, la mieux laboure, grave et
+sigille qu'il estoit possible de voir, o estoient tailles bien
+gentiment et subtillement au burin plusieurs figures de l'Aretin, de
+l'homme et de la femme; et ce au bas estage de la coupe, et au dessus et
+au haut plusieurs aussi de diverses manires de cohabitations de bestes,
+l o j'appris la premire fois (car j'ay veu souvent ladicte coupe et
+beu dedans, non sans rire) celle du lion et de la lionne, qui est toute
+contraire celle des autres animaux, que je n'avois jamais sceu, dont
+je m'en rapporte ceux qui le savent sans que je le die. Cette coupe
+estoit l'honneur du buffet de ce prince; car, comme j'ay dit, elle
+estoit trs-belle et riche d'art, et agrable voir au dedans et au
+dehors. Quand ce prince festinoit les dames et filles de la Cour, comme
+souvent il les convioit, ses sommeilliers ne failloient jamais, par son
+commandement, de leur bailler boire dedans; et celles qui ne l'avoient
+jamais veue, ou en beuvant ou aprs, les unes demeuroient estonnes et
+ne savoient que dire l-dessus: aucunes demeuroient honteuses, et la
+couleur leur sautoit au visage; aucunes s'entredisoient entr'elles:
+Qu'est-ce que cela qui est grav l-dedans? Je crois que ce sont des
+salauderies. Je n'y bois plus. J'aurois bien grand soif avant que j'y
+retournasse boire. Mais il falloit qu'elles beussent l, ou bien
+qu'elles esclatassent de soif; et, pour ce, aucunes fermoient les yeux
+en beuvant; les autres moins vergogneuses point; qui en avoient ouy
+parler du mestier, tant dames que filles, se mettoyent rire sous
+bourre; les autres en crevoient tout trac. Les unes disoient, quand on
+leur demandoit qu'elles avoient rire et ce qu'elles avoient veu,
+disoient qu'elles n'avoient rien veu que des peintures, et que pour cela
+elles n'y lairroient boire une autre fois. Les autres disoient: Quant
+ moy, je n'y songe point mal; la veue et la peinture ne souillent
+point l'ame. Les unes disoient: Le bon vin est aussi bon leans
+qu'ailleurs. Les autres affermoient qu'il y faisoit aussi bon boire
+qu'en une autre coupe, et que la soif s'y passoit aussi bien. Aux unes
+on faisoit la guerre pourquoy elles ne fermoient les yeux en beuvant;
+elles respondoient qu'elles vouloient voir ce qu'elles beuvoient,
+craignant que ce ne fust du vin, mais quelque mdecine ou poison. Aux
+autres on demandoit quoy elles prenoient plus de plaisir, ou voir ou
+ boire; elles respondoient: A tout. Les unes disoient: Voil de
+belles grotesques; les autres: Voil de plaisantes nommeries; les
+unes disoient: Voil de beaux images; les autres: Voil de beaux
+miroirs; les unes disoient: L'orfevre estoit bien loisir de s'amuser
+ faire ces fadezes; les autres disoient: Et vous, monsieur, encore
+plus d'avoir achept ce beau hanap. Aux unes on demandoit si elles
+sentoient rien qui les picquast au mitan du corps pour cela: elles
+respondoient que nulle de ces drolleries y avoit eu pouvoir pour les
+picquer: aux autres on demandoit si elles n'avoient point senty le vin
+chaut et qu'il les eust eschauffes, encore que ce fust en hyver; elles
+respondoient qu'elles n'avoient garde, car elles avoient beu bien froid,
+qui les avoit bien rafraischies: aux unes on demandoit quelles images de
+toutes celles elles voudroient tenir en leur lict; elles respondoient
+qu'elles ne se pouvoient oster de l pour les y transporter. Bref, cent
+mille brocards et sornettes sur ce sujet s'entre-donnoient les
+gentilshommes et dames ainsi table, comme j'ay veu que c'estoit une
+trs-plaisante gausserie, et chose voir et ouyr; mais surtout mon
+gr, le plus et le meilleur estoit contempler ces filles innocentes,
+ou qui feignoient l'estre, et autres dames nouvellement venues, tenir
+leur mine froide riante du bout du nez et des lvres, ou se
+contraindre et faire des hypocrites, comme plusieurs dames en faisoient
+de mesme. Et notez que, quand elles eussent deu mourir de soif, les
+sommelliers n'eussent os leur donner boire en une autre coupe ny
+verre. Et, qui plus est, aucunes juroient, pour faire bon minois,
+qu'elles ne tourneroient jamais ces festins; mais elles ne laissoient
+pour cela y tourner souvent, car ce prince estoit trs-splendide et
+friand. D'autres disoient, quand on les convioit: J'iray, mais en
+protestation qu'on ne nous baillera point boire dans la coupe; et
+quand elles y estoient, elles y beuvoient plus que jamais. Enfin elles
+s'y anezrent si bien, qu'elles ne firent plus de scrupule d'y boire; et
+si firent bien mieux aucunes, qu'elles se servirent de telles visions en
+temps et lieu, et, qui, plus est, aucunes s'en dbauscherent pour en
+faire l'essay; car toute personne d'esprit veut essayer tout. Voil les
+effets de cette belle coupe si bien historie. A quoy se faut imaginer
+les autres discours, les songes, les mines et les paroles que telles
+dames disoient et faisoient entr'elles, part ou en compagnie. Je pense
+que telle coupe estoit bien diffrente celle dont parle M. de Ronsard
+en l'une de ses premires odes, ddie au feu Roy Henry, qui se commence
+ainsi:
+
+ Comme un qui prend une couppe,
+ Seul honneur de son trsor,
+ Et de son rang verse la trouppe
+ Du vin qui rit dedans l'or.
+
+Mais en cette coupe le vin ne rioit pas aux personnes, mais les
+personnes au vin: car les unes beuvoient en riant, et les autres
+beuvoient en se ravissant; les unes se compissoient en beuvant, et les
+autres beuvoient en se compissant; je dis d'autre chose que du pissat.
+Bref, cette coupe faisoit de terribles effets, tant y estoient
+pntrantes ces visions, images et perspectives: dont je me souviens
+qu'une fois, en une gallerie du comte de Chasteauvilain, dit le seigneur
+Adjacet, une troupe de dames avec leurs serviteurs estant alls voir
+cette belle maison, leur veue s'addressa sur de beaux et rares tableaux
+qui estoient en ladite gallerie. A elles se prsenta un tableau beau, o
+estoient reprsentes force belles dames nues qui estoient aux bains,
+qui s'entre touchoient, se palpoient, se manioient et frottoient,
+s'entre-mesloient, se tastonnoient, et, qui plus est, se faisoient le
+poil tant gentiment et si proprement en monstrant tout, qu'une froide
+recluse ou hermite s'en fust eschauffe et esmeue; et c'est pourquoy une
+grande dame, dont j'ay ouy parler et cogneue, se perdant en ce tableau,
+dit son serviteur en se tournant vers luy, comme enrage de cette
+rage d'amour: C'est trop demeur icy: montons en carrosse promptement,
+et allons en mon logis, car je ne puis plus contenir cette ardeur; il la
+faut aller esteindre: c'est trop brusl. Et ainsi partit, et alla avec
+son serviteur prendre de cette bonne eau qui est si douce sans sucre,
+que son serviteur lui donna de sa petite burette.
+
+Telles peintures et tableaux portent plus de nuisance une ame fragile
+qu'on ne pense; comme en estoit un l mesme d'une Vnus toute nue,
+couche et regarde de son fils Cupidon; l'autre d'un Mars couch avec
+sa Vnus, l'autre d'une Lda couche avec son cygne. Tant d'autres y
+a-t-il, et l et ailleurs, qui sont un peu plus modestement peints et
+voilez mieux que les figures de l'Aretin; mais quasi tout vient un, et
+en approchant de nostre coupe dont je viens de parler, laquelle avoit
+quasi quelque sympathie, par antinomie, de la coupe que trouva Renault
+de Montauban en ce chasteau dont parle l'Arioste, laquelle plein
+descouvroit les pauvres cocus, et cette-cy les faisoit; mais l'une
+portoit un peu trop de scandale aux cocus et leurs femmes infidles, et
+cette-cy point. Aujourd'huy n'en est besoin de ces livres ni de ces
+peintures, car les marys leur en apprennent prou: et voil que servent
+telles escholes de marys.
+
+--J'ai cogneu un bon imprimeur vnitien Paris, qui s'appelloit messer
+Bernardo, parent de ce grand Aldus Manutius de Venise[9], qui tenoit sa
+boutique en la rue de Sainct-Jacques, qui me dit et jura une fois qu'en
+moins d'un an il avoit vendu plus de cinquante paires de livres de
+l'Aretin force gens maris et non maris, et des femmes, dont il me
+nomma trois de par le monde, grandes, que je ne nommeray point, et les
+leur bailla elles-mesmes, et trs-bien relis, sous serment prest
+qu'il n'en sonneroit pas mot, mais pourtant il me le dist, et me dist
+davantage qu'une autre dame lui en ayant demand au bout de quelque
+temps s'il en avoit point un pareil comme un qu'elle avoit veu entre les
+mains d'une de ces trois, il luy respondit: _Signora, si, et peggio_, et
+soudain argent en campagne, les acheptant tous au poids de l'or. Voil
+une folle curiosit pour envoyer son mari faire un voyage Cornette
+prs de Civita-Vecchia.
+
+Toutes ces formes et postures sont odieuses Dieu, si bien que sainct
+Hierosme dit: Qui se monstre plustost dbord amoureux de sa femme que
+mary, est adultre et pche. Et parce qu'aucuns docteurs
+ecclsiastiques en ont parl, je diray ce mot briefvement en mots
+latins, d'autant qu'eux-mesmes ne l'ont voulu dire en franois.
+_Excessus_, disent-ils, _conjugum fit, quando uxor cognoscitur ante
+retro stando, sedendo in latere, et mulier super virum_; comme un petit
+quolibet que j'ay leu d'autrefois, qui dit:
+
+ _In prato viridi monialem ludere vidi_
+ _Cum monacho leviter, ille sub, illa super._
+
+D'autres disent quand ils s'accommodent autrement que la femme ne puisse
+concevoir. Toutesfois il y a aucunes femmes qui disent qu'elles
+conoivent mieux par les postures monstrueuses et surnaturelles et
+estranges, que naturelles et communes, d'autant qu'elles y prennent
+plaisir davantage, et comme dit le pote, quand elles s'accommodent
+_more canino_, ce qui est odieux: toutes-fois les femmes grosses, au
+moins aucunes, en usent ainsi de peur de se gaster par le devant.
+D'autres docteurs disent que quelque forme que ce soit est bonne, mais
+que _semen ejaculetur in matricen mulieris, et quomodocunque uxor
+cognoscatur, si vir ejaculetur semen in matricem, non est peccatum
+mortale_. Vous trouverez ces disputes dans _Summa Benedicti_, qui est un
+cordelier docteur qui a trs-bien escrit de tous les pchs, et monstre
+qu'il a beaucoup leu et veu[10]. Qui voudra lire ce passage y verra
+beaucoup d'abus que commettent les marys l'endroit de leurs femmes.
+Aussi dit-il que, _quando mulier est ita pinguis ut non possit aliter
+core_, que par telles postures, _non est peccatum mortale, mod vir
+ejaculetur semen in vas naturale_. Dont disent aucuns qu'il vaudroit
+mieux que les marys s'abstinssent de leurs femmes quand elles sont
+pleines, comme font les animaux, que de souiller le mariage par telles
+vilainies.
+
+--J'ai cogneu une fameuse courtisane Rome, dite la Grecque, qu'un
+grand seigneur de France avoit l entretenue. Au bout de quelque temps,
+il luy prit envie de venir voir la France, par le moyen du seigneur
+Bonusi[11], banquier de Lyon, Lucquois trs-riche, de laquelle il estoit
+amoureux; o estant elle s'enquit fort de ce seigneur et de sa femme,
+et, entr'autres choses, si elle ne le faisoit point cocu, d'autant,
+disoit-elle, que j'ay dress son mary de si bel air, et luy ay appris de
+si bonnes leons, que les luy ayant monstres et pratiques avec sa
+femme, il n'est possible qu'elle ne les ait voulu monstrer d'autres;
+car nostre mestier est si chaud quand il est bien appris, qu'on prend
+cent fois plus de plaisir de le monstrer et pratiquer avec plusieurs
+qu'avec un. Et disoit bien plus, que cette dame luy devoit faire un
+beau prsent et condigne de sa peine et de son sallaire, parce que,
+quand son mary vint son eschole premirement, il n'y savoit rien, et
+estoit en cela le plus sot, neuf et apprentif qu'elle vist jamais; mais
+elle l'avoit si bien dress et faonn, que sa femme devoit s'en trouver
+cent fois mieux. Et de fait cette dame, la voulant voir, alla chez elle
+en habit dissimul, dont la courtisane s'en douta et luy tint tous les
+propos que je viens de dire, et pires encore et plus dbords, car elle
+estoit courtisane fort dborde. Et voil comment les marys se forgent
+les couteaux pour se couper la gorge; cela s'entend des cornes; par
+ainsi, abusant du saint mariage, Dieu les punit; et puis veulent avoir
+leurs revanches sur leurs femmes, en quoy ils sont cent fois plus
+punissables. Aussi ne m'estonne-je pas si ce sainct docteur disoit que
+le mariage estoit quasi une vraye espce d'adultre: cela vouloit-il
+entendre quand on en abusoit de cette sorte que je viens de dire. Aussi
+a-t-on deffendu le mariage nos prestres; car, venant de coucher avec
+leurs femmes, et s'estre bien souills avec elles, il n'y a point de
+propos de venir un sacr autel. Car, ma foy, ainsi que j'ay ouy dire,
+aucuns bourdellent plus avec leurs femmes que non pas les ruffiens avec
+les putains des bourdeaux, qui, craignant prendre mal, ne s'acharnent et
+ne s'eschauffent avec elles comme les marys avec leurs femmes, qui sont
+nettes et ne peuvent donner mal, au moins aucunes et non pas toutes; car
+j'en ai bien cogneu qui leur en donnent aussi bien que leurs marys
+elles. Les marys, abusans de leurs femmes, sont fort punissables, comme
+j'ay ouy dire de grands docteurs, que les marys, ne se gouvernans avec
+leurs femmes modestement dans leur lict comme ils doivent, paillardent
+avec elles comme avec concubines; n'estant le mariage introduit que pour
+la ncessit et procration, et non pour le plaisir dsordonn et
+paillardise. Ce que nous sceut trs-bien reprsenter l'empereur Cejonius
+Commodus, dit autrement Anchus Verus[12], lorsqu'il dit sa femme
+Domitia Calvilla, qui se plaignoit luy de quoy il portoit des
+putains et courtisanes et autres ce qu' elle appartenoit en son lict,
+et luy ostoit ses menues et petites pratiques: Supportez, ma femme, luy
+dit-il, qu'avec les autres je saoulle mes dsirs, d'autant que le nom de
+femme et de consorte est un nom de dignit et d'honneur, et non de
+plaisir et de paillardise. Je n'ay point encore leu ny trouv la
+response que luy fit l dessus madame sa femme l'impratrice; mais il ne
+faut douter que, ne se contentant de cette sentence dore, elle ne luy
+respondit de bon coeur, et par la voix de la plus part, voire de
+toutes les femmes maries: Fy de cet honneur, et vive le plaisir! Nous
+vivons mieux de l'un que de l'autre. Il ne faut non plus douter aussi
+que la plus part de nos maris aujourd'hui, et de tout temps, qui ont de
+belles femmes, ne disent pas ainsi; car ils ne se marient et lient, ny
+ne prennent leurs femmes, sinon pour bien passer leur temps et bien
+paillarder en toutes faons, et leur enseigner des prceptes, et pour le
+mouvement de leur corps, et pour les dbordes et lascives paroles de
+leurs bouches, afin que leur dormante Vnus en soit mieux esveille et
+excite; et, aprs les avoir bien ainsi instruites et dbausches, si
+elles vont ailleurs, ils les punissent, les battent, les assomment, et
+les font mourir. Il y a aussi un peu de raison en cela, comme si
+quelqu'un avoit dbausch une pauvre fille d'entre les bras de sa mre,
+et lui eust fait perdre l'honneur de sa virginit, et puis, aprs en
+avoir fait sa volont, la battre et la contraindre vivre autrement, en
+toute chastet: vrayment! car il en est bien temps, et bien propos,
+qui est celuy qui ne le condamne pour homme sans raison et digne d'estre
+chasti? L'on en deust dire de mesme de plusieurs marys, lesquels, quand
+tout est dit, dbauschent plus leurs femmes, et leur apprennent plus de
+prceptes pour tomber en paillardise, que ne font leur propres amoureux:
+car ils en ont plus de temps et loisir que es amans; et venans
+discontinuer leurs exercices, elles changent de main et de maistre,
+mode d'un bon cavalcadour, qui prend plus de plaisir cent fois de
+monter cheval, qu'un qui n'y entend rien.Et de malheur, ce disoit
+cette courtisane, il n'y a nul mestier au monde qui ne soit plus coquin,
+ny qui dsire tant de continue, que celuy de Vnus. En quoy ces marys
+doivent estre avertis de ne faire tels enseignements leurs femmes, car
+ils leur sont par trop prjudiciables; ou bien, s'ils voyent leurs
+femmes leur jouer un faux-bon, qu'ils ne les punissent point, puisque
+'ont est eux qui leur en ont ouvert le chemin.
+
+--Si faut-il que je fasse cette digression d'une femme marie, belle et
+honneste et d'estoffe, que je say, qui s'abandonna un honneste
+gentilhomme, aussi plus par jalousie qu'elle portoit une honneste dame
+que ce gentilhomme aymoit et entretenoit, que par amour. Pourquoy, ainsi
+qu'il en jouissoit, la dame luy dit: A cette heure, mon grand
+contentement, triomphe-je de vous et de l'amour que portez une telle.
+Le gentilhomme lui respondit: Une personne abattue, subjugue et
+foule, ne sauroit bien triompher. Elle prend pied cette rponse,
+comme touchant son honneur, et luy replique aussitt: Vous avez
+raison. Et tout--coup s'advise de dsaronner subitement son homme, et
+se drober de dessous luy; et changeant de forme, prestement et
+agilement monte sur luy et le met sous soy. Jamais jadis chevalier ou
+gendarme romain ne fut si prompt et adextre de monter et remonter sur
+ces chevaux dsultoires, comme fut ce coup cette dame avec son homme; et
+le manie de mesme en luy disant: A st'heure donc puis-je bien dire qu'
+bon escient je triomphe de vous, puisque je vous tiens abattu sous moy.
+Voil une dame d'une plaisante et paillarde ambition et d'une faon
+estrange, comment elle la traitta.
+
+--J'ay ouy parler d'une fort belle et honneste dame de par le monde,
+sujette fort l'amour et la lubricit, qui pourtant fut si arrogante
+et si fire, et si brave de coeur, que, quand ce venoit-l, ne vouloit
+jamais souffrir que son homme la montast et la mist sous soy et
+l'abattist, pensant faire un grand tort la gnrosit de son coeur,
+et attribuant une grande laschet d'estre ainsi subjugue et soumise,
+en mode d'une triomphante conqueste ou esclavitude, mais vouloit
+toujours garder le dessus et la prminence. Et ce qui faisoit bon pour
+elle en cela, c'est que jamais ne voulut s'adonner un plus grand que
+soy, de peur qu'usant de son autorit et puissance, luy pust donner la
+loy et la pust tourner, virer et fuller, ainsi qu'il luy eust pleu;
+mais en cela, choisissoit ses gaux et infrieurs, auxquels elle
+ordonnoit leur rang, leur assiette, leur ordre, et forme de combat
+amoureux, ne plus ne moins qu'un sergent major ses gens le jour d'une
+bataille; et leur commandoit de ne l'outrepasser, sur peine de perdre
+leurs pratiques, aux uns son amour, et aux autres la vie, si que debout,
+ou assis au conchs, jamais ne se purent prvaloir sur elle de la
+moindre humiliation, ni submission, ni inclination, qu'elle leur eust
+rendu et prest. Je m'en rapporte au dire et au songer de ceux et celles
+qui ont trait telles amours, telles postures, assiettes et formes.
+Cette dame pouvoit ordonner ainsi, sans qu'il y allast rien de son
+honneur prtendu, ni de son coeur gnreux offens: car ce que j'ay
+ouy dire aucuns praticqs, il y avoit assez de moyens pour faire telles
+ordonnances et pratiques. Voyl une terrible et plaisante humeur de
+femme, et bizarre scrupule de conscience gnreuse. Si avoit-elle raison
+pourtant; car c'est une fascheuse souffrance que d'estre subjugue,
+ploye, foulle, et mesme quand l'on pense quelquefois part soy, et
+qu'on dit: Un tel m'a mis sous luy et foulle, par maniere de dire,
+si-non aux pieds, mais autrement: cela vaut autant dire.
+
+Cette dame aussi ne voulut jamais permettre que ses infrieurs la
+baisassent jamais la bouche, d'autant, disoit elle, que le toucher et
+le tact de bouche bouche est le plus sensible et prcieux de tous les
+autres touchers, fust de la main et autres membres; et pour ce ne
+vouloit estre alleine ny sentir la sienne une bouche salle, orde et
+non pareille la sienne. Or, sur cecy, c'est une autre question que
+j'ay veu traitter aucuns: quel advantage de gloire a plus grand sur
+son compagnon, ou l'homme ou la femme, quand ils sont en ces
+escarmouches ou victoires vnriennes. L'homme allegue pour soy la
+raison prdente, que la victoire est bien plus grande que l'on tient sa
+douce ennemie abattue sous soy, et qu'il la subjugue, la suppdite et la
+dompte son aise et comme il luy plaist; car il n'y a si grande
+princesse ou dame, que, quand elle est l, fust-ce avec son infrieur ou
+ingal, qu'elle n'en souffre la loy et la domination qu'en a ordonn
+Vnus parmy ses statuts; et pour ce, la gloire et l'honneur en demeure
+trs-grande l'homme. La femme dit: Ouy, je le confesse, que vous vous
+devez sentir glorieux quand vous me tenez sous vous et me suppeditez;
+mais aussi, quand il me plaist, s'il ne tient qu' tenir le dessus, je
+le tiens par gayet et une gentille volont qui m'en prend, et non pour
+une contrainte. Davantage, quand ce dessus me dplaist, je me fais
+servir vous comme d'un esclave ou forat de gallere, ou, pour mieux
+dire, vous fais tirer au collier comme un vray cheval de charrette, en
+vous travaillant, peinant, suant, haletant, efforant faire les
+corves et efforts que je veux tirer de vous. Cependant, moy, je suis
+couche mon aise, je vois venir vos coups, quelquefois j'en ris et en
+tire mon plaisir vous voir en telles alteres; quelquefois aussi je
+vous plains selon ce qui me plaist ou que j'en ay de volont ou de
+piti; et aprs en avoir en cela trs-bien pass ma fantaisie, je laisse
+l mon galant, las, recreu, dbilit, nerv, qu'il n'en peut plus, et
+n'a besoin que d'un bon repos et de quelque bon repas, d'un coulis, d'un
+restaurant ou de quelque bon bouillon confortatif. Moy, pour telles
+courves et tels efforts, je ne m'en sens nullement, si-non que
+trs-bien servie vos despens, monsieur le gallant, et n'ay autre mal
+si-non de souhaiter quelque autre qui m'en donnast autant, peine le
+faire rendre comme vous: et, par ainsi, ne me rendant jamais, mais
+faisant rendre mon doux ennemy, je rapporte la vraye victoire et la
+vraye gloire, d'autant qu'en un duel celuy qui se rend est dshonor, et
+non pas celuy qui combat jusques au dernier poinct de la mort.
+
+--Ainsi que j'ay ouy compter d'une belle et honneste femme, qui une
+fois, son mary l'ayant esveille d'un profond sommeil et repos qu'elle
+prenoit, pour faire cela, aprs qu'il eut fait elle luy dit: Vous avez
+fait et moy non; et, parce qu'elle estoit dessus luy, elle le lia si
+bien de bras, de mains, de pieds et de ses jambes entrelaces: Je vous
+apprendray ne m'esveiler une autre fois; et, le demenant, secoant et
+remuant toute outrance son mary qui estoit dessous, qui ne s'en
+pouvoit defaire, et qui suoit, ahannoit et se lassoit, et crioit mercy,
+elle le luy fi faire une autre fois en dpit de luy, et le rendit si
+las, si atenu et flac, qu'il en devint hors d'aleine et luy jura un bon
+coup qu'une autre fois il la prendroit son heur, humeur et appetit. Ce
+conte est meilleur se l'imaginer et reprsenter qu' l'escrire. Voil
+donc les raisons de la dame avec plusieurs autres qu'elles ont allguer.
+Encore l'homme rplique l-dessus: Je n'ay point aucun vaisseau ny
+baschot comme vous avez le vostre, dans lequel je jette un gassouil de
+pollution et d'ordure (si ordure se doit appeler la semence humaine
+jette par mariage et paillardise), qui vous salit et vous y pisse comme
+dans un pot.--Ouy, dit la dame, mais aussitost ce beau sperme, que vous
+autres dites estre le sang le plus pur et net que vous avez, je le vous
+vais pisser incontinent et jetter dans un pot ou bassin, ou en un
+retrait, et le mler avec une autre ordure trs-puante et sale et
+vilaine; car de cinq cents coups que l'on nous touchera, de mille, deux
+mille, trois mille, voire d'une infinit, voire de nul, nous
+n'engroissons que d'un coup, et la matrice ne retient qu'une fois; car
+si le sperme y entre bien et y est bien retenu, celuy-l est bien log,
+mais les autres fort salaudement nous les logeons comme je viens de
+dire. Voil pourquoy il ne faut se vanter de gasouiller de vos ordures
+de sperme, car, outre celuy-l, que nous concevons, nous le jettons et
+rendons pour n'en faire plus de cas aussitt que l'avons receu et qu'il
+ne nous donne plus de plaisir, et en sommes quittes en disant: Monsieur
+le potagier, voil vostre broet que je vous rends, et le vous claque
+l; il a perdu le bon goust que vous m'en avez donn premierement. Et
+notez que la moindre bagasse en peut dire autant un grand roy ou
+prince, s'il l'a repasse; qui est un grand mespris d'autant que l'on
+tient le sang royal pour le plus prcieux qui soit point. Vrayment il
+est bien gard et log bien prcieusement plus que d'un autre! Voil le
+dire des femmes, qui est un grand cas pourtant qu'un sang si prcieux se
+pollue et se contamine ainsi salaudement et vilainement; ce qui estoit
+deffendu en la loy de Moyse, de ne le nullement prostituer en terre;
+mais on fait bien pis quand on le mesle avec de l'ordure trs-orde et
+salle. Encore, si elles faisoyent comme un grand seigneur dont j'ay ouy
+parler, qui, en songeant la nuict, s'estant corrompu parmy ses linceuls,
+les fit enterrer, tant il estoit scrupuleux, disant que c'estoit un
+petit enfant provenu de l qui estoit mort, et que c'estoit dommage et
+une trs-grande perte que ce sang n'eust est mis dans la matrice de sa
+femme, dont possible l'enfant fust est en vie. Il se pouvoit bien
+tromper par l, d'autant que de mille habitations que le mary fait avec
+la femme l'anne, possible, comme j'ay dit, n'en devient-elle grosse,
+non pas une fois en la vie, voire jamais, pour aucunes femmes qui sont
+brhaignes et striles, et ne conoivent jamais; d'o est venu l'erreur
+d'aucuns mescrants, que le mariage n'avoit est institu tant pour la
+procration que pour le plaisir; ce qui est mal creu et mal parl, car
+encore qu'une femme n'engroisse toutes les fois qu'on l'entreprend,
+c'est pour quelque volont de Dieu nous occulte, et qu'il en veut
+punir et mary et femme, et d'autant que la plus grande bndiction que
+Dieu nous puisse envoyer en mariage, c'est une bonne ligne, et non par
+concubinage; dont il y a plusieurs femmes qui prennent un grand plaisir
+d'en avoir de leurs amants, et d'autres non, lesquelles ne veulent
+permettre qu'on leur lasche rien dedans, tant pour ne supposer des
+enfants leurs marys qui ne sont eux, que pour leur sembler ne leur
+faire tort et ne les faire cocus si la rose ne leur est entre dedans,
+ny plus ny moins, qu'un estomach dbile et mauvais ne peut estre offens
+de sa personne pour prendre de mauvais et indigestifs morceaux, pour les
+mettre dans la bouche, les mascher et puis les crascher terre. Aussi
+par le mot de cocu, port par les oiseaux d'avril, qui sont ainsi
+appelez pour aller pondre au nid des autres, les hommes s'appellent
+cocus par antinomie[13], quand les autres viennent pondre dans leur nid,
+qui est dans le c.. de leurs femmes, qui est autant dire leur jetter
+leur semence et leur faire des enfants. Voil comme plusieurs femmes ne
+pensent faute leurs marys pour mettre dedans et s'esbaudir leur saoul,
+mais qu'elles ne reoivent point de leur semence; ainsi sont-elles
+conscientieuses de bonne faon: comme d'une grande dont j'ay ouy parler,
+qui disoit son serviteur: Esbattez-vous tant que vous voudrez, et
+donnez-moi du plaisir; mais sur vostre vie, donnez-vous garde de ne rien
+m'arrouser l dedans, non d'une seule goutte, autrement il vous y va de
+la vie. Si bien qu'il falloit bien que l'austre fust sage, et qu'il
+espiast le temps du mascaret[14] quand il devoit venir.
+
+--J'ay ouy faire un pareil compte au chevalier de Sanzay, de Bretagne,
+un trs-honneste et brave gentilhomme, lequel, si la mort n'eust
+entrepris sur son jeune age, fust est un grand homme de mer, comme il
+avoit un trs-bon commencement: aussi en portoit-il les marques et
+enseignes, car il avoit eu un bras emport d'un coup de canon en un
+combat qu'il fit sur mer. Le malheur pour luy fut qu'il fut pris des
+corsaires, et men en Alger. Son maistre, qui le tenoit esclave, estoit
+le grand-prestre de la mosque de l, qui avoit une trs-belle femme qui
+vint s'amouracher si fort dudit Sanzay, qu'elle luy commanda de venir
+en amoureux plaisir avec elle, et qu'elle luy feroit trs-bon
+traittement, meilleur qu' aucun de ses autres esclaves, mais surtout
+elle lui commanda trs-expressement, et sur la vie, ou une prison
+trs-rigoureuse, de ne lancer en son corps une seule goutte de sa
+semence, d'autant, disoit-elle, qu'elle ne vouloit nullement estre
+pollue ny contamine du sang chrestien, dont elle penseroit offenser
+grandement et sa loy et son grand prophte Mahomet; et de plus luy
+commanda qu'encore qu'elle fust en ses chauds plaisirs, quand bien elle
+luy commanderoit cent fois d'hasarder le pacquet tout trac, qu'il n'en
+fist rien, d'autant que ce seroit le grand plaisir duquel elle estoit
+ravie qui luy feroit dire, et non pas la volont de l'ame. Ledict
+Sanzay, pour avoir bon traittement et plus grande libert, encor qu'il
+fust chrestien, ferma les yeux pour ce coup sa loy; car un pauvre
+esclave rudement traitt et misrablement enchaisn peut s'oublier bien
+quelquefois. Il obit la dame, et fut si sage et si abstraint son
+commandement, qu'il commanda fort bien son plaisir, et moulloit au
+moulin de sa dame tousjours trs-bien, sans y faire couller d'eau; car,
+quand l'escluse de l'eau vouloit se rompre et se dborder, aussitost il
+la retiroit, la resserroit et la faisoit escouler o il pouvoit; dont
+cette femme l'en ayma davantage, pour estre si abstraint son estroit
+commandement, encor qu'elle luy criast: Laschez, je vous en donne toute
+permission. Mais il ne voulut onc, car il craignoit d'estre battu la
+turque, comme il voyoit ses autres compagnons devant soy. Voil une
+terrible humeur de femme; et pour ce il semble qu'elle faisoit beaucoup,
+et pour son ame qui estoit turque, et pour l'autre qui estoit chrestien,
+puisqu'il ne se deschargeoit nullement avec elle: si me jura-t-il qu'en
+sa vie il ne fut en telle peine. Il me fit un autre compte, le plus
+plaisant qui est possible, d'un trait qu'elle luy fit; mais d'autant
+qu'il est trop sallaud, je m'en tairay, de peur d'offenser les oreilles
+chastes. Du depuis ledict Sanzay fut achept par les siens, qui sont
+gens d'honneur et de bonne maison en Bretagne, et qui appartiennent
+beaucoup de grands, comme monsieur le connestable, qui aymoit fort
+son frre aisn, et qui luy ayda beaucoup en cette dlivrance, laquelle
+ayant eue, il vint la cour, et nous en compta fort monsieur
+d'Estrozze et moy de plusieurs choses, et entr'autres il nous fit ces
+comptes.
+
+Que dirons-nous maintenant d'aucuns marys qui ne se contentent de se
+donner du contentement et du plaisir paillard de leurs femmes, mais en
+donnent de l'appetit, soit leurs compagnons et amis, soit d'autres,
+ainsi j'en ai cogneu plusieurs qui leur louent leurs femmes, leur disent
+leurs beautez, leur figurent leurs membres et parties du corps, leur
+reprsentent leurs plaisirs qu'ils ont avec elles, et leurs follatreries
+dont elles usent envers eux, les leur font baiser, toucher, taster,
+voire voir nues? Que mritent-ils ceux-l, sinon qu'on les face cocus
+bien point, ainsi que fit Gygs, par le moyen de sa bague, au roy
+Candaule, roy des Lydiens, lequel, sot qu'il estoit, lui ayant lo la
+rare beaut de sa femme, comme si le silence luy faisoit tort et
+dommage, et puis la luy ayant monstre toute nue, en devint si amoureux
+qu'il en joit tout son gr et le fit mourir, et s'impatronisa de son
+royaume. On dit que la femme en fut si dsespre pour avoir est
+reprsente ainsi, qu'elle fora Gygs ce mauvais tour, en lui disant:
+Ou celuy qui t'a press et conseill de telle chose, faut qu'il meure
+de ta main, ou toy, qui m'as regarde toute nue, que tu meures de la
+main d'un autre. Certes, ce roy estoit bien de loisir de donner ainsi
+appetit d'une viande nouvelle, si belle et bonne, qu'il devoit tenir si
+chere.
+
+--Louis, duc d'Orlans, tu la porte Barbette[15] Paris, fit bien au
+contraire, grand desbaucheur des dames de la Cour, et tousjours des plus
+grandes, car, ayant avec luy couch une fort belle et grande dame, ainsi
+que son mary vint en sa chambre pour luy donner le bon-jour, il alla
+couvrir la teste de sa dame, femme de l'autre, du linceul, et luy
+descouvrit tout le corps, luy faisant voir tout nud et toucher son bel
+aise, avec desfense expresse sur la vie de n'oster le linge du visage ny
+la descouvrir aucunement, quoy il n'osa contrevenir; luy demandant par
+plusieurs fois ce qui luy sembloit de ce beau corps tout nud: l'autre en
+demeura tout esperdu et grandement satisfait.
+
+Le duc luy bailla cong de sortir de la chambre, ce qu'il fit sans avoir
+jamais pu cognoistre que ce fust sa femme. S'il l'eust bien vue et
+recognue toute nue, comme plusieurs que j'ai veu, il l'eust cogneu
+plusieurs signes possible, dont il fait bon le visiter quelquefois par
+le corps. Elle, aprs son mary party, fut interroge de M. d'Orlans si
+elle avoit eu l'alarme et peur. Je vous laisse penser ce qu'elle en
+dist, et la peine et l'altere en laquelle elle fut l'espace d'un
+quart-d'heure; car il ne falloit qu'une petite indiscrtion, ou la
+moindre dsobissance que son mary eust commis pour lever le linceul: il
+est vray, ce dist monsieur d'Orlans, mais qu'il l'eust tu aussi-tost
+pour l'empescher du mal qu'il eust fait sa femme. Et le bon fut de ce
+mary, qu'estant la nuict d'amprs couch avec sa femme, il luy dit que
+M. d'Orlans lui avoit fait voir la plus belle femme nue qu'il vit
+jamais, mais, quant au visage, qu'il n'en savoit que rapporter,
+d'autant qu'il lui avait interdit. Je vous laisse penser ce qu'en
+pouvoit dire sa femme dans sa pense. Et de cette dame tant grande, et
+de M. d'Orlans, on dit que sortit ce brave et vaillant bastard
+d'Orlans, le soustien de la France et le flau de l'Angleterre, et
+duquel est venue cette noble et gnreuse race des comtes de Dunois.
+
+--Or, pour retourner encor nos marys prodigues de la vue de leurs
+femmes nues, j'en say un qui, pour un matin un sien compagnon l'estant
+all voir dans sa chambre ainsi qu'il s'habilloit, luy monstra sa femme
+toute nue, tendue tout de son long toute endormie; et s'estant
+elle-mesme ost ses linceuls de dessus elle, d'autant qu'il faisoit
+grand chaud, luy tira le rideau demy, sy bien que le soleil levant
+donnant dessus elle, il eut loisir de la bien contempler son aise, o
+il ne vid rien que tout beau en perfection, et y put paistre ses yeux,
+non tant qu'il eust voulu, mais tant qu'il put; et puis le mary et luy
+s'en allrent chez le Roy. Le lendemain, le gentilhomme, qui estoit fort
+serviteur de cette dame honneste, luy raconta cette vision et mesmes lui
+figura beaucoup de choses qu'il avoit remarques en ses beaux membres,
+jusques aux plus caches; et si le mary le luy confirma, et que c'estoit
+luy-mesme qui en avoit tir le rideau. La dame, de dpit qu'elle conceut
+contre son mary, se laissa aller et s'octroya son amy par ce seul
+sujet; ce que tout son service n'avoit sceu gaigner.
+
+--J'ay cogneu un trs-grand seigneur, qui, un matin, voulant aller la
+chasse, et ses gentilshommes l'estant venu trouver son lever, ainsi
+qu'on le chaussoit, et avoit sa femme couche prs de luy et qui luy
+tenoit son cas en pleine main, il leva si promptement la couverture
+qu'elle n'eut le loisir de lever la main o elle estoit pose, que l'on
+l'y vit l'aise et la moiti de son corps; et en se riant, il dit ces
+messieurs qui estoient prsents: H bien, messieurs, ne vous ay-je pas
+fait voir choses et autres de ma femme? Laquelle fut si dpite de ce
+trait, qu'elle lui en voulut un mal extrme, et mesme pour la surprise
+de cette main; et possible depuis elle le luy rendit bien.
+
+--J'en say un autre d'un grand seigneur, lequel, cognoissant qu'un sien
+amy et parent estoit amoureux de sa femme, fust ou pour luy en faire
+venir l'envie davantage, ou du dpit et dsespoir qu'il pouvoit
+concevoir de quoy il avoit une si belle femme et luy n'en tastoit point,
+la lui monstra un matin, l'estant all voir dans le lict tous deux
+couchez ensemble demye nue: et si fit bien pis, car il luy fit cela
+devant luy-mesme, et la mit en besogne comme si elle eust t part;
+encore prioit-il l'amy de bien voir le tout, et qu'il faisoit tout cela
+ sa bonne grace. Je vous laisse penser si la dame, par une telle
+privaut de son mary, n'avoit pas occasion de faire son amy l'autre
+toute entire, et bon escient, et s'il n'est pas bien employ qu'il en
+portast les cornes.
+
+--J'ay ouy parler d'un autre et grand seigneur, qui le faisoit ainsi
+sa femme devant un grand prince, son maistre, mais c'estoit par sa
+prire et commandement, qui se dlectoit tel plaisir. Ne sont-ils pas
+donc ceux-l coulpables, puis qu'ayant est leurs propres maquereaux, en
+veulent estre les bourreaux? Il ne faut jamais monstrer sa femme nue, ny
+ses terres, pays et places, comme je tiens d'un grand capitaine,
+propos de feu M. de Savoye, qui desconseilla et dissuada nostre roy
+Henry dernier, quand, son retour de Pologne, il passa par la
+Lombardie, de n'aller ny entrer dans la ville de Milan, lui allguant
+que le roy d'Espagne en pourroit prendre quelque ombre: mais ce ne fut
+pas cela; il craignoit que le roy y estant, et la visitant bien point,
+et contemplant sa beaut, richesse et grandeur, qu'il ne fust tent
+d'une extrme envie de la ravoir et reconqurir par bon et juste droit
+comme avoient fait ses prdcesseurs. Et voil la vraye cause comme dit
+un grand prince, qui le tenoit du feu roy, qui cognoissoit cette
+encloure: mais pour complaire M. de Savoye, et ne rien altrer du
+cost du roy d'Espagne, il prit son chemin cost, bien qu'il eust
+toutes les envies du monde d'y aller, ce qu'il me fist cet honneur,
+quand il fut de retour Lyon, de me le dire: en quoi ne faut douter que
+M. de Savoye ne fust plus Espagnol que Franois. J'estime les marys
+aussi condamnables, lesquels, aprs avoir receu la vie par la faveur de
+leurs femmes, en demeurent tellement ingrats, que, pour le soupon
+qu'ils ont de leurs amours avec d'autres, les traittent trs-rudement,
+jusques attenter sur leurs vies.
+
+--J'ay ouy parler d'un seigneur sur la vie duquel aucuns conjurateurs
+ayant conjur et conspir, sa femme, par supplication, les en destourna,
+et le garantit d'estre massacr, dont depuis elle en a est trs-mal
+recogneue, et traitte trs-rigoureusement.
+
+--J'ay veu aussi un gentilhomme, lequel ayant est accus et mis en
+justice pour avoir fait trs-mal son devoir secourir son gnral en
+une bataille, si bien qu'il le laissa tuer sans aucune assistance ni
+secours; estant prs d'estre sentenci et condamn d'avoir la teste
+tranche, nonobstant vingt mille escus qu'il prsenta pour avoir la vie
+sauve; sa femme, ayant parl un grand seigneur de par le monde, et
+couch avec lui par la permission et supplication dudit mary, ce que
+l'argent n'avoit pu faire, sa beaut et son corps l'excuta, et luy
+sauva la vie et la libert. Du depuis il la traitta si mal que rien
+plus. Certes, tels marys, cruels et enrags, sont trs-misrables.
+D'autres en ay-je cogneu qui n'ont pas fait de mesme, car ils ont bien
+sceu recognoistre le bien d'o il venoit, et honoroient ce bon trou
+toute leur vie, qui les avoit sauvez de mort.
+
+--Il y a encore une autre sorte de cocus, qui ne se sont contents
+d'avoir est ombrageux en leur vie, mais allans mourir et sur le poinct
+du trpas le sont encores: comme j'en ay cogneu un qui avoit une fort
+belle et honneste femme, mais pourtant qui ne s'estoit point toujours
+estudie luy seul. Ainsi qu'il vouloit mourir, il luy disoit: Ah! ma
+mye, je m'en vais mourir, et plust Dieu que vous me tinssiez
+compagnie, et que vous et moy allassions ensemble en l'autre monde! ma
+mort ne m'en seroit si odieuse, et la prendrois plus en gr. Mais la
+femme qui estoit encore trs-belle, et jeune de trente-sept ans, ne le
+voulut point suivre ny croire pour ce coup-l, et ne voulut faire la
+sotte, comme nous lisons de Evadn, fille de Mars et de Thb, femme de
+Capane, laquelle l'ayma si ardemment, que, lui estant mort, aussi-tost
+que son corps fut jett dans le feu, elle s'y jetta aprs toute vive, et
+se brusla et se consuma avec luy, par une grande constance et force, et
+ainsi l'accompagna sa mort.
+
+--Alceste fit bien mieux, car ayant sceu par l'oracle que son mary
+Admte, roy de Thessalie, devoit mourir bien-tost si sa vie n'estoit
+rachepte par la mort de quelque autre de ses amys, elle soudain se
+prcipita la mort, et ainsi sauva son mary. Il n'y a plus meshuy de
+ces femmes si charitables, qui veulent aller de leur gr dans la fosse
+avant leurs marys, ni les suivre. Non, il ne s'en trouve plus: les mres
+en sont mortes, comme disent les maquignons de paris des chevaux, quand
+on n'en trouve plus de bons. Et voil pourquoi j'estimois ce mary, que
+je viens d'allguer, mal-habile de tenir ces propos sa femme, si
+fascheux pour la convier la mort, comme si c'eust t quelque beau
+festin pour l'y convier. C'estoit une belle jalousie qui lui faisoit
+parler ainsi, qu'il concevoit en soy du dplaisir qu'il pouvoit avoir
+aux enfers l-bas, quand il verroit sa femme, qu'il avoit si bien
+dresse, entre les bras d'un sien amoureux, ou de quelque autre mary
+nouveau. Quelle forme de jalousie voil, qu'il fallut que son mary en
+fust saisi alors, et qu' tous les coups il luy disoit, que s'il en
+reschappoit, il n'endureroit plus d'elle ce qu'il avoit endur: et, tant
+qu'il a vescu, il n'en avoit point est atteint, et luy laissoit faire
+son bon plaisir.
+
+--Ce brave Tancrede n'en fit pas de mesme, luy qui d'autres-fois se fit
+jadis tant signaler en la guerre sainte: estant sur le point de la mort,
+et sa femme prs de luy dolente, avec le comte de Trypoly, il les pria
+tous deux aprs sa mort de s'espouser l'un l'autre, et le commanda sa
+femme; ce qu'ils firent. Pensez qu'il en avoit vu quelques approches
+d'amour en son vivant; car elle pouvoit tre aussi bonne vesse que sa
+mre, la comtesse d'Anjou, laquelle, aprs que le comte de Bretagne
+l'eut entretenu longuement, elle vint trouver le roy de France
+Philippes, qui la mena de mesme, et luy fit cette fille bastarde qui
+s'appela Cicile, et puis la donna en mariage ce valeureux Tancrede,
+qui certes, par ses beaux exploits, ne mritoit d'tre cocu.
+
+--Un Albanois, ayant est condamn de-l les Monts d'estre pendu pour
+quelque forfait, estant au service du roy de France, ainsi qu'on le
+vouloit mener au supplice, il demanda voir sa femme et luy dire adieu,
+qui estoit une trs-belle femme et trs-agrable. Ainsi donc qu'il lui
+disoit adieu, en la baisant il luy trononna tout le nez avec belles
+dents, et le luy arracha de son beau visage. En quoy la justice l'ayant
+interrog pourquoi il avoit fait cette vilainie sa femme, il respondit
+qu'il l'avoit fait de belle jalousie, d'autant, ce disoit-il, qu'elle
+est trs-belle, et pour ce aprs ma mort je sais qu'elle sera aussi-tost
+recherche et aussi-tost abandonne un autre de mes compagnons, car
+je la cognois fort paillarde, et qu'elle m'oublieroit incontinent. _Je
+veux donc qu'aprs ma mort elle ait de moy souvenance, qu'elle pleure et
+qu'elle soit afflige, si elle ne l'est par ma mort, au moins qu'elle le
+soit pour estre dfigure, et qu'aucun de mes compagnons n'en aye le
+plaisir que j'ay eu avec elle._ Voil un terrible jaloux.
+
+--J'en ay ouy parler d'autres qui, se sentant vieux, caducs, blesss,
+attenuez et proches de la mort, de beau dpit et de jalousie secretement
+ont advanc les jours leurs moitis, mesmes quand elles ont est
+belles.
+
+--Or, sur ces bizarres humeurs de ces marys tyrans et cruels, qui font
+mourir ainsi leurs femmes, j'ay ouy faire une dispute, savoir, s'il est
+permis aux femmes, quand elles s'apperoivent ou se doutent de la
+cruaut et massacre que leurs marys veulent exercer envers elles, de
+gaigner le devant et de joer la prime, et, pour se sauver, les faire
+joer les premiers, et les envoyer devant faire les logis en l'autre
+monde.
+
+J'ay ouy maintenir que ouy, et qu'elles le peuvent faire, non selon
+Dieu, car tout meurtre est dfendu, ainsi que j'ay dit, mais selon le
+monde, prou: et ce fondent sur ce mot, qu'il vaut mieux prvenir que
+d'estre prvenu: car enfin chacun doit estre curieux de sa vie; et,
+puisque Dieu nous l'a donne, la faut garder jusqu' ce qu'il nous
+appelle par nostre mort. Autrement, sachant bien leur mort, et s'y
+aller prcipiter, et ne la fuir quand elles peuvent, c'est se tuer
+soy-mme, chose que Dieu abhorre fort; parquoy c'est le meilleur de les
+envoyer en ambassade devant, et en parer le coup, ainsi que fit Blanche
+d'Anurbruckt son mary le sieur de Flavy, capitaine de Compiegne et
+gouverneur, qui trahit et fut cause de la perte et de la mort de la
+Pucelle d'Orlans. Et cette dame Blanche, ayant sceu que son mary la
+vouloit faire noyer, le prvint, et, avec l'aide de son barbier,
+l'estouffa et l'estrangla, dont le roy Charles septime luy en donna
+aussi-tost sa grace, quoy aussi ayda bien la trahison du mary pour
+l'obtenir, possible plus que toute autre chose. Cela se trouve aux
+annales de France, et principalement celles de Guyenne.
+
+De mesmes en fit une madame de la Borne, du regne du roy Franois
+premier, qui accusa et deffera son mary la justice de quelques folies
+faites et crimes possible normes qu'il avoit fait avec elle et autres,
+le fit constituer prisonnier, sollicita contre luy, et luy fit trancher
+la teste. J'ay ouy faire ce compte ma grand-mre, qui a disoit de
+bonne maison et belle femme. Celle-l gaigna bien le devant.
+
+--La reyne Jeanne de Naples premire en fit de mesmes l'endroit de
+l'infant de Majorque, son tiers mary, qui elle fit trancher la teste
+pour la raison que j'ay dit en son Discours; mais il pouvoit bien estre
+qu'elle se craignoit de luy, et le vouloit despescher le premier: quoy
+elle avoit raison, et toutes ses semblables, de faire de mesme quand
+elles se doutent de leurs galants.
+
+J'ay ouy parler de beaucoup de dames qui bravement se sont acquittes de
+ce bon office, et sont eschappes par cette faon; et mesmes j'en ay
+cogneu une, laquelle, ayant est trouve avec son amy par son mary, il
+n'en dit rien ny l'un ny l'autre, mais s'en alla courrouc, et la
+laissa l-dedans avec son amy, fort panthoise et dsole et en grand
+alteration. Mais la dame fut rsole jusques l de dire: Il ne m'a rien
+dit ni fait pour ce coup, je crains qu'il me la garde bonne et sous
+mine; mais, si j'estois asseure qu'il me deust faire mourir,
+j'adviserois lui faire sentir la mort le premier. La fortune fut si
+bonne pour elle au bout de quelque temps, qu'il mourut de soy-mesme;
+dont bien luy en prit, car oncques puis il ne luy avoit fait bonne
+chere, quelque recherche qu'elle luy fist.
+
+--Il y a encore une autre dispute et question sur ces fous et enrags
+marys, dangereux cocus, savoir sur lesquels des deux ils se doivent
+prendre et venger, ou sur leurs femmes, ou sur leurs amants.
+
+Il y en a qui ont dit seulement sur la femme, se fondant sur ce proverbe
+italien qui dit que _morta la bestia, morta la rabbia veneno_[16]:
+pensans, ce leur semble, estre bien allgs de leur mal quand ils ont
+tu celle qui fait la douleur, ny plus ny moins que font ceux qui sont
+mordus et picqus de l'escorpion: le plus souverain remede qu'ils ont,
+c'est de le prendre, tuer ou l'escarbouiller, et l'appliquer sur la
+morsure ou playe qu'il a faite; et disent volontiers et coustumirement
+que ce sont les femmes qui sont plus punissables. J'entends des grandes
+dames et de haute guise, et non des petites, communes et de basse
+marche; car ce sont elles, par leurs beaux attraits, privautez,
+commandements et paroles, qui attacquent les escarmouches, et que les
+hommes ne les font que soustenir; et que plus sont punissables ceux qui
+demandent et lvent guerre, que ceux qui la deffendent; et que bien
+souvent les hommes ne se jettent en tels lieux prilleux et hauts, sans
+l'appel des dames, qui leur signifient en plusieurs faons leurs amours,
+ainsi qu'on voit qu'en une grande, bonne et forte ville de frontire il
+est fort mal-ais d'y faire entreprise ni surprise, s'il n'y a quelque
+intelligence sourde parmy aucuns de ceux du dedans, ou qui ne vous y
+poussent, attirent, ou leur tiennent la main.
+
+Or, puisque les femmes sont un peu plus fragiles que les hommes, il leur
+faut pardonner, et croire que, quand elles se sont mises une fois
+aymer et mettre l'amour dans l'ame, qu'elles l'excutent quelque prix
+que ce soit, ne se contentans, non pas toutes, de le couver l-dedans,
+et se consumer peu peu, et en devenir seiches et allanguies, et pour
+ce en effacer leur beaut, qui est cause qu'elles dsirent en gurir et
+en tirer du plaisir, et ne mourir du mal de la furette[17], comme on
+dit.
+
+Certes j'ai cogneu plusieurs belles dames de ce naturel, lesquelles les
+premires ont plustost recherch leur androgine que les hommes, et sur
+divers sujets; les unes pour les voir beaux, braves, vaillants et
+agrables; les autres pour en escroquer quelque somme de dinari;
+d'autres pour en tirer des perles, des pierreries, des robes de toille
+d'or et d'argent, ainsi que j'en ay veu qu'elles en faisoient autant de
+difficult d'en tirer comme un marchand de sa denre (aussi dit-on que
+femme qui prend se vend); d'autres pour avoir de la faveur en Cour;
+autres des gens de justice, comme plusieurs belles que j'ay cogneues
+qui, n'ayant pas bon droit, le faisoient bien venir par leur cas et par
+leurs beautez; et d'autres pour en tirer la suave substance de leur
+corps.
+
+--J'ay veu plusieurs femmes si amoureuses de leurs amants, que quasi
+elles les suivoient ou couroient force, et dont le monde en portoit la
+honte pour elles.
+
+J'ay cogneu une fort belle dame si amoureuse d'un seigneur de par le
+monde, qu'au lieu que les serviteurs ordinairement portent les couleurs
+de leurs dames, cette-cy au contraire les portoit de son serviteur. J'en
+nommerois bien les couleurs, mais elles feroient une trop grande
+descouverte.
+
+J'en ay cogneu une autre de laquelle le mary ayant fait un affront son
+serviteur en un tournoy qui fut fait la Cour, cependant qu'il estoit
+en la salle du bal et en faisoit son triomphe, elle s'habilla de dpit,
+en homme, et alla trouver son amant et lui porter pour un moment son
+cas, tant elle en estoit si amoureuse qu'elle en mouroit.
+
+--J'ai cogneu un honneste gentilhomme, et des moins deschirez de la
+Cour, lequel ayant envie un jour de servir une fort belle et honneste
+dame s'il en fut oncques, parce qu'elle luy en donnoit beaucoup de
+sujets de son cost, et de l'autre il faisoit du retenu pour beaucoup de
+raisons et respects; cette dame pourtant y ayant mis son amour, et
+quelque hasard que ce fust elle en avoit jett le d, ce disoit-elle;
+elle ne cessa jamais de l'attirer tout soy par les plus belles paroles
+de l'amour qu'elle peut dire, dont entr'autres estoit celle-cy:
+Permettez au moins que je vous ayme si vous ne me voulez aymer, et ne
+arregardez mes mrites, mais a mes affections et passions, encore
+certes qu'elle emportast le gentilhomme au poids en perfections.
+L-dessus qu'eust pu faire le gentilhomme, sinon l'aymer puis qu'elle
+l'aymoit, et la servir, puis demander le salaire et rcompense de son
+service, qu'il eut, comme la raison veut que quiconque sert faut qu'on
+le paye?
+
+J'alleguerois une infinit de telles dames plustost recherchantes que
+recherches. Voil donc pourquoy elles ont eu plus de coulpe que leurs
+amants; car si elles ont une fois entrepris leur homme, elles ne cessent
+jamais qu'elles n'en viennent au bout et ne l'attirent par leurs regards
+attirans, par leur beautez, par leurs gentilles graces qu'elle
+s'estudient faonner en cent mille faons, par leurs fards
+subtillement appliqus sur leur visage si elles ne l'ont beau, par leurs
+beaux artiffets, leurs riches et gentilles coiffures et tant bien
+accommodes, et leurs pompeuses et superbes robes, et surtout par leurs
+paroles friandes et demy lascives, et puis par leurs gentils et
+follastres gestes et privautez, et par prsents et dons; et voil
+comment ils sont pris, et estant ainsi pris, il faut qu'ils les
+prennent; et par ainsi dit-on que leurs marys doivent se venger sur
+elles.
+
+D'autres disent qu'il se faut prendre qui peut sur les hommes, ny plus
+ny moins que sur ceux qui assigent une ville; car ce sont eux qui
+premiers font faire les chamades, les somment, qui premiers
+recognoissent, premiers font les approches, premiers dressent
+gabionnades et cavalliers et font les tranches, premiers font les
+batteries ou premiers vont l'assaut, premiers parlementent: ainsi
+dit-on des amants.
+
+Car comme les plus hardis, vaillants et rsolus assaillent le fort de
+pudicit des dames, lesquelles, aprs toutes les formes d'assaillement
+observes par grandes importunits, sont contraintes de faire le signal
+et recevoir leurs doux ennemys dans leurs forteresses: en quoy me semble
+qu'elles ne sont si coulpables qu'on diroit bien; car se dfaire d'un
+importun est bien mal ais sans y laisser du sien; aussi que j'en ay veu
+plusieurs qui, par longs services et persvrances, ont jouy de leurs
+maistresses, qui ds le commencement ne leur eussent donn, pour manire
+de dire, leur cul baiser; les contraignant jusques-l, au moins
+aucunes, que, la larme l'oeil, leur donnoient de cela ny plus ny
+moins comme l'on donne Paris bien souvent l'aumosne aux gueux de
+l'hostire, plus par leur importunit que de dvotion ny pour l'amour de
+Dieu: ainsi font plusieurs femmes, plustost pour estre trop importunes
+que pour estre amoureuses, et mesmes l'endroit d'aucuns grands,
+lesquels elles craignent et n'osent leur refuser cause de leur
+autorit, de peur de leur desplaire et en recevoir puis aprs de
+l'escandale, ou un affront signal, ou plus grand descriement de leur
+honneur, comme j'en ay veu arriver de grands inconvnients sur ces
+sujets.
+
+Voyl pourquoy les mauvais marys, qui se plaisent tant au sang et au
+meurtre et mauvais traitements de leurs femmes, n'y doivent estre si
+prompts, mais premirement faire une enqueste sourde de toutes choses,
+encore que telle cognoissance leur soit fort fascheuse et fort sujette
+s'en gratter la teste qui leur en demange, et mesmes qu'aucuns,
+misrables qu'ils sont, leur en donnent toutes les occasions du monde.
+
+--Ainsi que j'ai cogneu un grand prince estranger qui avoit espous une
+fort belle et honneste dame; il en quitta l'entretien pour le mettre
+une autre femme qu'on tenoit pour courtisane de rputation, d'autres que
+c'estoit une dame d'honneur qu'il avoit dbausche; et ne se contentant
+de cela, quand il la faisoit coucher avec luy, c'estoit en une chambre
+basse par dessous celle de sa femme et dessous son lict; et lorsqu'il
+vouloit monter sur sa maistresse, ne se contentant du tort qu'il luy
+faisoit, mais, par une rise et moquerie, avec une demye pique il
+frappoit deux ou trois coups sur le plancher, et s'escrioit sa femme:
+Brindes, ma femme. Ce desdain et mespris dura quelques jours, et
+fascha fort sa femme, qui, de desespoir et vengeance, s'accosta d'un
+fort honnte gentilhomme qui elle dit un jour privement: Un tel, je
+veux que vous joissiez de moi, autrement, je scay un moyen pour vous
+ruiner. L'autre, bien content d'une si belle adventure, ne la refusa
+pas. Parquoy, ainsi que son mary avoit sa mie entre les bras, et elle
+aussi son amy, ainsi qu'il lui crioit _brindes_, elle luy respondoit de
+mesmes, _et may vous_, ou bien, _je m'en vais nous pleiger_. Ces
+_brindes_ et ces paroles et responses, de telle faon et mode qu'ils
+s'accommodoient en leurs montures, durrent assez longtemps, jusques
+ce que ce prince, fin et douteux, se douta de quelque chose; et y
+faisant faire le guet, trouva que sa femme le faisoit gentiment cocu, et
+faisoit _brindes_ aussi bien que luy par revange et vengeance. Ce
+qu'ayant bien au vray cogneu, tourna et changea sa comdie en tragdie;
+et l'ayant pour la dernire fois confie son _brindes_, et elle luy
+ayant rendu sa response et son change, monta soudain en haut, et ouvrant
+et faussant la porte, entre dedans et luy remonstre son tort; et elle de
+son cost luy dit: Je say bien que je suis morte: te-moi hardiment;
+je ne crains point la mort, et la prens en gr puisque je me suis venge
+de toy, et que je t'ay fait cocu et bec cornu, toy m'en ayant donn
+occasion, sans laquelle je ne me fusse jamais forfaitte, car je t'avois
+vo toute fidlit, et je ne l'eusse jamais viole pour tous les beaux
+sujets du monde: tu n'estois pas digne d'une si honneste femme que moy.
+Or te-moi donc st'heure; et, si tu as quelque piti en ta main,
+pardonne, je te prie, ce pauvre gentilhomme, qui de soy n'en peut
+mais, car je l'ay appel mon ayde pour ma vengeance. Le prince par
+trop cruel, sans aucun respect les tue tous deux. Qu'eust fait l dessus
+cette pauvre princesse sur ces indignitez et mespriz de mary, si-non,
+la desesperade pour le monde, faire ce qu'elle fit? D'aucuns
+l'excuseront, d'autres l'accuseront, et il y a beaucoup de pices et
+raisons rapporter l-dessus.
+
+--Dans les _Cent Nouvelles de la Reyne de Navarre_, y a celle et
+trs-belle de la reyne de Naples, quasi pareille celle-cy, qui de
+mesme se vengea du Roy son mary; mais la fin n'en fut si tragique.
+
+--Or laissons l ces diables et fols enrags cocus, et n'en parlons
+plus, car ils sont odieux et mal plaisants, d'autant que je n'aurois
+jamais fait si je voulois tous descrire, aussi que subject n'en est beau
+ny plaisant.
+
+Parlons un peu des gentils cocus, et qui sont bons compagnons de douce
+humeur, d'agrable frquentation et de sainte patience, dbonnaires,
+traittables, fermant les yeux, et bons hommenas.
+
+Or de ces cocus il y en a qui le sont en herbe, il y en a qui le savent
+avant se marier, c'est--dire que leurs dames, veufves et demoiselles,
+ont fait le sault; et d'autres n'en savent rien, mais les espousent sur
+leur foy, et de leurs pres et mres, et de leurs parents et amys.
+
+--J'en ay cogneu plusieurs qui ont espous beaucoup de femmes et de
+filles qu'ils savoient bien avoir t repasses en la monstre d'aucuns
+rois, princes, seigneurs, gentilshommes et plusieurs autres; et
+pourtant, ravys de leurs amours, de leurs biens, de leurs joyaux, de
+leur argent, qu'elles avoient gaign au mestier amoureux, n'ont aucun
+scrupule de les espouser. Je ne parleray point st'heure que des
+filles.
+
+--J'ai ouy parler d'une fille d'un trs-grand et souverain, laquelle
+estant amoureuse d'un gentilhomme, se laissant aller luy de telle
+faon qu'ayant recueilli les premiers fruits de son amour, en fut si
+friande qu'elle le tint un mois entier dans son cabinet, le nourrissant
+de restaurents, de bouillons friands, de viandes dlicates et
+rescaldatives, pour l'allambiquer mieux et en tirer sa substance; et
+ayant fait sous luy son premier apprentissage, continua ses leons sous
+luy tant qu'il vesquit, et sous d'autres: et puis elle se maria en l'age
+de quarante-cinq ans un seigneur[18] qui n'y trouva rien dire, encor
+bien-aise pour le beau mariage qu'elle luy porta.
+
+--Bocace dit un proverbe qui couroit de son temps, que _bouche baise_,
+d'autres disent _fille f...., ne perd jamais sa fortune, mais bien la
+renouvelle, ainsi que fait la lune_; et ce proverbe allegue-t-il sur un
+conte qu'il fait de cette fille si belle du sultan d'gypte, laquelle
+passa et repassa par les piques de neuf divers amoureux, les uns aprs
+les autres, pour le moins plus de trois mille fois. Enfin elle fut
+rendue au roy Garbe toute vierge, cela s'entend prtendue, aussi bien
+que quand elle lui fut du commencement compromise, et n'y trouva rien
+dire, encor bien aise: le conte en est trs-beau.
+
+--J'ay ouy dire un grand qu'entre aucuns grands, non pas tous
+volontiers, on n'arregarde ces filles-l, bien que trois ou quatre
+les ayent pass par les mains et par les piques avant leur estre marys:
+et disoit cela sur un propos d'un seigneur qui estoit grandement
+amoureux d'une grande dame, et un peu plus qualifie que lui, et elle
+l'aimoit aussi; mais il survint empeschement qu'ils ne s'espousrent
+comme ils pensoient et l'un et l'autre, surquoy ce gentilhomme grand,
+que je viens de dire, demanda aussi-tost: A-t-il mont au moins sur la
+petite bte? Et ainsi qu'il lui fust respondu que non son advis,
+encor qu'on le tinst: Tant pis, rpliqua-t-il, car au moins et l'un et
+l'autre eussent eu ce contentement, et n'en fust est autre chose. Car
+parmy les grands, on n'arregarde ces reigles et scrupules de pucelage,
+d'autant que pour ces grandes alliances il faut que tout passe; encores
+trop heureux sont-ils les bons marys et gentils cocus en herbe.
+
+--Lorsque le roy Charles fit le tour de son royaume, il fut laiss en
+une bonne ville que je nommerois bien une fille dont venoit d'accoucher
+une fille de trs-bonne maison; si fut donne en garde une pauvre
+femme de ville pour la nourrir et avoir soin d'elle, et luy fut avanc
+deux cents cus pour la nourriture. La pauvre femme la nourrit et la
+gouverna si bien, que dans quinze ans elle devint trs-belle et
+s'abandonna; car sa mre oncques puis n'en fit cas, qui dans quatre mois
+se maria avec un trs-grand. Ah! que j'en ai cogneu de tels et telles o
+l'on n'y a advis en rien!
+
+--J'ouys une fois, estant en Espagne, conter qu'un grand seigneur
+d'Andalousie ayant mari une sienne soeur avec un autre fort grand
+seigneur aussi, au bout de trois jours que le mariage fut consomn il
+luy dit: _Senor hermano, agora que soys cazado con my hermana, y
+l'haveys bien godida solo, jo le hago saber que siendo hija, tal y tal
+gozaron d'ella. De lo passado no tenga cuydado, que poca cosa es. Del
+futuro guardate, que mas y mucho a vos tota_[19]. Comme voulant dire
+que ce qui est fait est fait, il n'en faut plus parler, mais qu'il faut
+se garder de l'advenir, car il touche plus l'honneur que le pass.
+
+Il y en a qui sont de cet humeur, ne pensans estre si bien cocus par
+herbe comme par la gerbe, en quoy il y a de l'apparence.
+
+--J'ay ouy aussi parler d'un grand seigneur estranger, lequel ayant une
+fille des plus belles du monde, et estant recherche en mariage d'un
+autre grand seigneur qui la mritoit bien, luy fut accorde par le pre;
+mais avant qu'il la laissast jamais sortir de la maison, il en voulut
+taster, disant qu'il ne vouloit laisser si aisment une si belle monture
+qu'il avoit si curieusement leve, que premirement il n'eust mont
+dessus et sceu ce qu'elle sauroit faire l'avenir. Je ne say s'il est
+vray, mais je l'ay ouy dire, et que non seulement luy en fit la preuve,
+mais bien un autre beau et brave gentilhomme; et pourtant le mary par
+aprs n'y trouva rien amer, sinon que tout sucre.
+
+--J'ay ouy parler de mesme de force autres pres, et sur-tout d'un
+trs-grand, l'endroit de leurs filles, n'en faisant non plus de
+conscience que le cocq de la fable d'Esope, qui ayant est rencontr par
+le renard et menac qu'il le vouloit faire mourir, donc sur ce le cocq,
+rapportant tous les biens qu'il faisoit au monde, et surtout de la belle
+et bonne poulaille qui sortoit de luy: Ha! dit le renard, c'est-l o
+je vous veux, monsieur le gallant, car vous estes si paillard que vous
+ne faites difficult de monter sur vos filles comme sur d'autres
+poules; et pour ce le fit mourir. Voil un grand justicier et plitiq.
+
+Je vous laisse donc penser que peuveut faire aucunes filles avec leurs
+amants; car il n'y eut jamais fille sans avoir ou dsirer un amy, et
+qu'il y en a que les pres, frres, cousins et parents ont fait de
+mesme.
+
+--De nos temps, Ferdinant, roy de Naples, cogneut ainsi par mariage sa
+tante, fille du roy de Castille, l'age de treize quatorze ans, mais
+ce fut par dispence du pape. On faisoit lors difficult si elle se
+devoit ou pouvoit donner. Cela ressent pourtant son empereur Caligula,
+qui dbauscha et repassa toutes ses soeurs les unes aprs les autres,
+par-dessus lesquelles et sur toutes il ayma extresmement la plus jeune,
+nomme Drusille, qu'estant petit garon il avoit dpucelle; et puis
+estant marie avec un Lucius Cassius Longinus, homme consulaire, il la
+luy enleva et l'entretint publiquement, comme si ce fust est sa femme
+lgitime; tellement qu'estant une fois tomb malade, il la fit hritire
+de tous ses biens, voire de l'empire. Mais elle vint mourir, qu'il
+regretta si trs-tant, qu'il en fit crier les vacations de la justice
+et cessation de tous autres oeuvres, pour induire le peuple d'en faire
+avec luy un deuil public, et en porta long-temps longs cheveux et longue
+barbe; et quand il haranguoit le snat, le peuple et ses genres de
+guerre, ne juroit jamais que par le nom de Drusille.
+
+Pour quant ses autres soeurs, aprs qu'il en fut saoul, il les
+prostitua et abandonna de grands pages qu'il avoit nourrys et cogneus
+fort vilainement: encor, s'il ne ne leur eust fait aucun mal, passe,
+puisqu'elles l'avoient accoustum et que c'estoit un mal plaisant, ainsi
+que je l'ay veu appeler tel aucunes filles estant dvirgines et
+aucunes femmes prises force; mais il leur fit mille indignits: il les
+envoya en exil, il leur osta toutes leurs bagues et joyaux pour en faire
+de l'argent, ayant brouill et dpendu fort mal--propos tout le grand
+que Tibre lui avoit laiss; encor les pauvrettes, estants aprs sa mort
+retournes d'exil, voyant le corps de leur frre mal et fort pauvrement
+enterr sous quelques mottes, elles le firent dsenterrer, le brusler et
+enterrer le plus honnestement qu'elles purent: bont certes grande de
+soeurs un frre si ingrat et dnatur.
+
+L'Italien, pour excuser l'amour illicite de ses proches, dit que _quando
+messer Bernado el bacieco st in colera, el in sua rabia non riceve
+lege, et non perdona a nissuna dama_.
+
+--Nous avons force exemples des anciens qui en ont fait de mesme. Mais
+pour revenir nostre discours, j'ay ouy conter d'un qui ayant mari une
+belle et honneste demoselle un sien amy, et se vantant qu'il lui avoit
+donn une belle et honneste monture, saine, nette, sans sur-ost et sans
+malandre, comme il dist, et d'autant plus luy estoit oblig, il luy fut
+respondu par un de la compagnie, qui dit part un de ses compagnons:
+Tout cela est bon et vray si elle ne fust est monte et chevauche
+trop tost, dont pour cela elle est un peu foule sur le devant.
+
+Mais aussi je voudrois bien savoir ces messieurs de marys, que si
+telles montures bien souvent, n'avoient un si, ou dire quelque chose
+en elles, ou quelque deffectuosit ou deffaut ou tare, s'ils en auroient
+si bon march, et si elles ne leur cousteroient davantage? Ou bien, si
+ce n'estoit pour eux, ou en accommoderoit bien d'autres qui le mritent
+mieux qu'eux, comme ces maquignons qui se dfont de leurs chevaux tarez
+ainsi qu'ils peuvent; mais ceux qui en savent les sys, ne s'en pouvant
+deffaire autrement, les donnent ces messieurs qui n'en savent rien,
+d'autant (ainsi que j'ay ouy dire plusieurs pres) que c'est une fort
+belle dfaite que d'une fille tare, ou qui commence l'estre, ou a
+envie et apparence de l'estre.
+
+Que je connois de filles de par le monde qui n'ont pas port leur
+pucelage au lict hymenean, mais pourtant qui sont bien instruites de
+leurs mres, ou autres de leurs parentes et amies, trs-savantes
+maquerelles de faire bonne mine ce premier assaut, et s'aident de
+divers moyens et inventions avec des subtilitez, pour le faire trouver
+bon leurs marys et leur monstrer que jamais il n'y avoit est fait
+breche.
+
+La plus grande part s'aident faire une grande rsistance et dfence
+cette pointe d'assaut, et faire des opiniastres jusques l'extrmit,
+dont il y a aucuns marys qui en sont trs-contents, et croyent fermement
+qu'ils en ont eu tout l'honneur et fait la premire pointe, comme braves
+et dterminez soldats; et en font leurs contes lendemain matin, qu'ils
+sont crestez comme petits cocqs ou jolets qui ont mang force millet le
+soir, leurs compagnons et amys, et mesme possible ceux qui ont les
+premiers entr en la forteresse sans leur sceu, qui en rient part eux
+leur saoul, et avec les femmes leurs maistresses, qui se vantent d'avoir
+bien jou leur jeu et leur avoir donn belle.
+
+Il y a pourtant aucuns marys ombrageux qui prennent mauvais augures de
+ces rsistances, et ne se contentent point de les voir si rebelles;
+comme un que je say, qui, demandant sa femme pourquoy elle faisoit
+ainsy de la farouche et de la difficultueuse, et si elle le desdaignoit
+jusque-l, elle, luy pensant faire son excuse et ne donner la faute
+aucun desdain, luy dit qu'elle avoit peur qu'il luy fist mal. Il lui
+respondit: Vous l'avez donc esprouv, car nul mal ne se peut connoistre
+sans l'avoir endur? Mais elle, subtile, le niant, rpliqua qu'elle
+l'avoit ainsi ouy dire aucunes de ses compagnes qui avoient est
+maries, et l'en avoient ainsi advise: Voil de beaux advis et
+entretiens, dit-il.
+
+--Il y a un autre remde que ces femmes s'advisent, qui est de monstrer
+le lendemain de leurs nopces leur linge teint de gouttes de sang
+qu'espandent ces pauvres filles la charge dure de leur despucellement,
+ainsi que l'on fait en Espagne, qui en monstrent publiquement par la
+fenestre ledit linge, en criant tout haut: _Virgen la tenemos_. Nous la
+tenons pour vierge.
+
+Certes, encore ay-je ouy dire dans Viterbe cette coustume s'y observe
+tout de mesme: et d'autant que celles qui ont pass premirement par les
+picques ne peuvent faire cette monstre par leur propre sang, elles se
+sont advises, ainsi que j'ay ouy dire, et que plusieurs courtisanes
+jeunes Rome me l'ont assur elles-mesmes, pour mieux vendre leur
+virginit, de teindre ledit linge de gouttes de sang de pigeon, qui est
+le plus propre de tous: et le lendemain le mary le voit, qui en reoit
+un extrme contentement, et croit fermement que ce soit du sang virginal
+de sa femme, et lui semble bien que c'est un gallant, mais il est bien
+tromp.
+
+Sur quoy je feray ce plaisant conte d'un gentilhomme, lequel ayant eu
+l'esguillette noue la premire nuict de ses nopces, et la marie, qui
+n'estoit pas de ces pucelles trs-belles et de bonne part, se doutant
+bien qu'il dust faire rage, ne faillit, par l'advis de ses bonnes
+compagnes, matrosnes, parentes et bonnes amies, d'avoir le petit linge
+teint: mais le malheur fut tel pour elle, que le mary fut tellement nou
+qu'il ne put rien faire, encore qu'il ne tinst pas elle luy en faire
+la monstre la plus belle et se parer au montoir le mieux qu'elle
+pouvoit, et au coucher beau jeu, sans faire de la farouche ny nullement
+de la diablesse, ainsi que les spectateurs, cachs la mode
+accoustume, rapportoient, afin de cacher mieux son pucellage drob
+d'ailleurs; mais il n'y eut rien d'excut.
+
+Le soir, la mode accoustume, le rveillon ayant est port, il y eut
+un quidam qui s'advisa, en faisant la guerre aux nopces, comme on fait
+communment, de drober le linge qu'on trouva joliment teint de sang,
+lequel fust monstr soudain et cri haut en l'assistance qu'elle
+n'estoit plus vierge, et que c'estoit ce coup que sa membrane virginale
+avoit est force et rompue: le mary, qui estoit assur qu'il n'avoit
+rien fait, mais pourtant qui faisoit du gallant et vaillant champion,
+demeura fort estonn et ne sceut ce que vouloit dire ce linge teint,
+si-non qu'aprs avoir song assez, se douta de quelque fourbe et astuce
+putanesques, mais pourtant n'en sonna jamais mot.
+
+La marie et ses confidentes furent aussi-bien fasches et estournes de
+quoy le mary avoit fait faux-feu, et que leur affaire ne s'en portoit
+pas mieux. De rien pourtant n'en fut fait aucun semblant jusques au bout
+de huict jours, que le mary vint avoir l'esguillette desnoe, et fit
+rage et feu, dont d'aise ne se souvenant de rien, alla publier toute
+la compagnie que c'estoit bon escient qu'il avoit fait preuve de sa
+vaillance et fait sa femme vraye femme et bien dame; et confessa que
+jusques alors il avoit est saisi de toute impuissance: de quoy
+l'assistance sur ce subject en fit divers discours, et jetta diverses
+sentences sur la marie qu'on pensoit estre femme par son linge
+teintur; et s'escandalisa ainsi d'elle-mesme, non qu'elle en fust bien
+cause proprement, mais son mary, qui par sa dbolesse, flaquesse et
+mollitude, se gasta luy-mesme.
+
+--Il y a aucuns marys qui cognoissent aussi leur premire nuict le
+pucelage de leurs femmes s'ils l'ont conquis oui ou non par la trace
+qu'ils y trouvent; comme un que je cognois, lequel, ayant espous une
+femme en secondes nopces, et luy ayant fait accroire que son premier
+mary n'y avoit jamais touch par son impuissance, et qu'elle estoit
+vierge et pucelle aussi bien qu'auparavant estre marie, nanmoins il la
+trouva si vaste et si copieuse en amplitude, qu'il se mit dire: H
+comment! estes-vous cette pucelle de Marolle, si serre et si estroite
+qu'on me disoit! H! vous avez un grand empand, et le chemin y est
+tellement grand et battu que je n'ay garde de m'esgarer. Si fallut-il
+qu'il passt par-l et le beust doux comme laict; car si son premier
+mary n'y avoit point touch comme il estoit vray, il y en avoit bien eu
+d'autres.
+
+Que dirons-nous d'aucunes mres, qui, voyant l'impuissance de leurs
+gendres, ou qui ont l'esguillette noe ou autre dfectuosit, sont les
+maquerelles de leurs filles, et que, pour gaigner leur douaire, s'en
+font donner d'autres, et bien souvent engroisser, afin d'avoir les
+enfants hritiers aprs la mort du pre?
+
+J'en cognois une qui conseilla bien cela sa fille, et de fait n'y
+espargna rien; mais le malheur pour elle fut que jamais n'en put avoir.
+Aussi je cognois un qui, ne pouvant rien faire sa femme, attira un
+grand laquais qu'il avoit, beau fils, pour coucher et dpuceler sa femme
+en dormant, et sauver son honneur par-l; mais elle s'en apereut et le
+laquais n'y fit rien, qui fut cause qu'ils plaidrent long-temps:
+finalement ils se dmarirent.
+
+--Le roy Henry de Castille en fit de mesme, lequel, ainsi que raconte
+Baptista Fulquosius[20], voyant qu'il ne pouvoit faire d'enfant sa
+femme, il s'aida d'un beau et jeune gentilhomme de sa Cour pour lui en
+faire, ce qu'il fit; dont pour sa peine il lui fit de grands biens et
+l'advana en des honneurs, grandeurs et dignitez: ne faut douter si la
+femme ne l'en ayma et s'en trouva bien. Voil un bon cocu.
+
+--Pour ces esguilletes noes, en fut dernirement un procs en la cour
+du parlement de Paris, entre le sieur de Bray, trsorier, et sa femme,
+qui il ne pouvoit rien faire ayant eu l'esguillette noe, ou autre
+dfaut, dont la femme, bien marrie, l'en appela en jugement. Il fut
+ordonn par la Cour qu'ils seroient visitez eux deux par grands mdecins
+experts. Le mary choisit les siens et la femme les siens, dont en fut
+fait un fort plaisant sonnet la Cour, qu'une grande dame me list
+elle-mesme, et me donna ainsi que je disnois avec elle. On disoit qu'une
+dame l'avoit fait, d'autres un homme. Le sonnet est tel:
+
+
+SONNET.
+
+ Entre les mdecins renomms Paris
+ En savoir, en espreuve, en science, en doctrine,
+ Pour juger l'Imparfait de la coulpe androgyne,
+ Par de Bray et sa femme ont est sept choisis.
+
+ De Bray a eu pour luy les trois de moindre prix,
+ Le Court, l'Endormy, Pietre; et sa femme, plus fine,
+ Les quatre plus experts en l'art de mdecine,
+ Le Grand, le Gros, Duret et Vigoureux a pris.
+
+ On peut par-l juger qui des deux gaignera,
+ Et si le Grand du Court victorieux sera,
+ Vigoureux d'Endormy, le Gros, Duret de Pietre.
+
+ Et de Bray n'ayant point ces deux de son cost,
+ Estant tant imparfait que mary le peut estre,
+ A faute de bon droit en sera dbout.
+
+--J'ay ouy parler d'un autre mary, lequel la premire nuict tenant
+embrasse sa nouvelle espouse, elle se ravit en telle joye et plaisir,
+que, s'oubliant en elle-mesme, ne se put engarder de faire un petit
+mobile tordion de remuement non accoustum de faire aux nouvelles
+maries; il ne dit autre chose sinon: Ah! j'en ay! et continua sa
+route. Et voil nos cocus en herbe, dont j'en sai une milliasse de
+contes; mais je n'aurois jamais fait; et le pis que je vois en eux,
+c'est quand ils espousent la vache et le veau, comme on dit, et qu'ils
+les prennent toutes grosses.
+
+Comme un que je say, qui, s'estant mari avec une fort belle et
+honneste demoiselle, par la faveur et volont de leur prince et
+seigneur, qui aymoit fort ce gentilhomme et la luy avoit fait espouser,
+au bout de huit jours elle vint estre cogneu grosse, aussi elle le
+publia pour mieux couvrir son jeu. Le prince, qui s'estoit tousjours
+bien dout de quelques amours entre elle et un autre, lui dit: Une
+telle, j'ay bien mis dans mes tablettes le jour et l'heure de vos
+nopces; quand on les affrontera celuy et celle de vostre accouchement,
+vous aurez de la honte. Mais elle, pour ce dire, n'en fit que rougir un
+peu, et n'en fut autre chose, si-non qu'elle tenoit toujours mine de
+_dona da ben_.
+
+Or il y a d'aucunes filles qui craignent si fort leur pre et mre,
+qu'on leur arracheroit plustot la vie du corps que le boucon puceau, les
+craignant cent fois plus que leurs marys.
+
+--J'ay ouy parler d'une fort belle et honneste demoiselle, laquelle,
+estant fort pourchasse du plaisir d'amour de son serviteur, elle lui
+respondit: Attendez un peu que je sois marie, et vous verrez comme,
+sous cette courtine de mariage qui cache tout, et ventre enfl et
+descouvert, nous y ferons bon escient.
+
+--Un autre, estant fort recherche d'un grand, elle luy dit: Sollicitez
+un peu nostre prince qu'il me marie bien-tost avec celui qui me
+pourchasse, et me face vistement payer mon mariage qu'il m'a promis; le
+lendemain de mes nopces, si nous ne nous rencontrons, march nul.
+
+--Je sai une dame qui, n'ayant est recherche d'amours que quatre
+jours avant ses nopces, par un gentilhomme parent de son mary, dans six
+aprs il en jouyt; pour le moins il s'en vanta, et estoit ais de le
+croire; car, ils se monstroient telle privaut qu'on eust dit que toute
+leur vie ils avoient ests nourris ensemble; mesme il en dist des signes
+et marques qu'elle portoit sur son corps, et aussi qu'ils continurent
+leur jeu long-temps aprs. Le gentilhomme disoit que la privaut qui
+leur donna occasion de venir l, ce fut que, pour porter une mascarade,
+s'entrechangrent leurs habillements; car il prit celui de sa
+maistresse, et elle celuy de son amy, dont le mary n'en fit que rire, et
+aucuns prindrent subject d'y redire et penser mal.
+
+Il fut fait une chanson la Cour d'un mary qui fut mari le mardy et
+fut cocu le jeudy: c'est bien avancer le temps.
+
+--Que dirons-nous d'une fille ayant est sollicite longuement d'un
+gentilhomme de bonne maison et riche, mais pourtant nigaud et non digne
+d'elle, et par l'advis de ses parents, presse de l'espouser, elle fit
+response qu'elle aymoit mieux mourir que de l'espouser, et qu'il se
+dportast de son amour, qu'on ne luy en parlast plus ny ses parents;
+car, s'ils la foroient de l'espouser, elle le feroit plustost cocu.
+Mais pourtant fallut qu'elle passast par-l, car la sentence luy fut
+donne ainsi par ceux et celles des plus grands qui avoient sur elle
+puissance, et mesme de ses parents.
+
+La vigille des nopces, ainsi que son mary la voyoit triste et pensive,
+luy demanda ce qu'elle avoit, elle luy respondit toute en colre: Vous
+ne m'avez voulu jamais croire vous oster de me poursuivre; vous savez
+ce que je vous ay tousjours dit, que, si je venois par malheur estre
+vostre femme, que je vous ferois cocu, et je vous jure que je le feray
+et vous tiendray parole.
+
+Elle n'en faisoit point la petite bouche devant aucunes de ses compagnes
+et aucuns de ses serviteurs. Asseurez-vous que depuis elle n'y a pas
+failli; et luy monstra qu'elle estoit bien gentille femme, car elle tint
+bien sa parole.
+
+Je vous laisse penser si elle en devoit avoir blasme, puis qu'un
+averty en vaut deux, et qu'elle l'advisoit de l'inconvnient o il
+tomberoit. Et pourquoi ne s'en donnoit-il garde? Mais pour cela, il ne
+s'en soucia pas beaucoup.
+
+--Ces filles qui s'abandonnent ainsi sitost aprs estre maries font
+comme dit l'Italien: _Che la vacca, che e stata molto tempo ligata,
+corre pi che quella che h havuto sempre piena libert_[21].
+
+Ainsi que fit la premire femme de Baudoin, roy de Jrusalem, que j'ay
+dit ci-devant, laquelle, ayant est mise en religion de force par son
+mary, aprs avoir rompu le cloistre et en estre sortie, et tirant vers
+Constantinople, mena telle paillardise qu'elle en donnoit tous
+passants, allants et venants, tant gens-d'armes que pellerins vers
+Jrusalem, sans esgard de sa royale condition; mais le grand jene
+qu'elle en avoit fait durant sa prison en estoit cause.
+
+J'en nommerois bien d'autres. Or, voil donc de bonnes gens de cocus
+ceux-l, comme sont aussi ceux-l qui permettent leurs femmes, quand
+elles sont belles et recherches de leur beaut, et les abandonnent
+pour s'en ressentir et tirer de la faveur, du bien et des moyens.
+
+Il s'en voit fort de ceux-l aux cours des grands roys et princes,
+lesquels s'en trouvent trs-bien, car, de pauvres qu'ils auront est, ou
+pour engagement de leurs biens, ou pour procs, ou bien pour voyages de
+guerres sont au tapis, les voil remontez et aggrandis en grandes
+charges par le trou de leurs femmes, o ils n'y trouvent nulle
+diminution, mais plustost augmentation; for en une belle dame que j'ay
+ouy dire, dont elle en avoit perdu la moiti par accident, qu'on disoit
+que son mary luy avoit donn la vrole ou quelques chancres qui la luy
+avoient mange.
+
+Certes les faveurs et bienfaits des grands esbranlent fort un coeur
+chaste, et engendrent bien des cocus.
+
+--J'ay ouy dire et raconter d'un prince estranger[22], lequel, ayant
+est fait gnral de son prince souverain et maistre en une grande
+expdition d'un voyage de guerre qu'il luy avoit command, et ayant
+laiss en la Cour de son maistre sa femme, l'une des belles de la
+chrestient, se mit luy faire si bien l'amour, qu'il l'esbranla, la
+terrassa et l'abbattit, si beau qu'il l'engrossa.
+
+Le mary, tournant au bout de treize ou quatorze mois, la trouva en tel
+estat, bien marry et fasch contr'elle. Ne faut point demander comment
+ce fut elle, qui estoit fort habile, faire ses excuses, et un sien
+beau-frre.
+
+Enfin elles furent telles qu'elle luy dit: Monsieur, l'vnement de
+vostre voyage en est cause, qui a est si mal receu de vostre maistre
+(car il n'y fit pas bien certes ses affaires), et en vostre absence l'on
+vous a tant prestez de charitez pour n'y avoir point fait ses besognes,
+que, sans que vostre seigneur se mist m'aymer, vous estiez perdu; et,
+pour ne vous laisser perdre, je me suis perde: il y va autant et plus
+de mon honneur que du vostre; pour votre avancement, je ne me suis
+espargne la plus prcieuse chose de moy: jugez donc si j'ay tant failly
+comme vous diriez bien; car, autrement, vostre vie, vostre honneur et
+faveur y fust est en bransle. Vous estes mieux que jamais; la chose
+n'est si divulgue que la tache vous en demeure trop apparente. Sur
+cela, excusez-moi et me pardonnez.
+
+Le beau-frre, qui savoit dire des mieux, et qui possible avoit part
+la groisse, y en adjousta autres belles paroles et prgnantes, si bien
+que tout servit, et par ainsi l'accord fut fait, et furent ensemble
+mieux que devant, vivants en toute franchise et bonne amiti; dont
+pourtant le prince leur maistre, qui avoit fait la dbausche et le
+dbat, ne l'estima jamais plus (ainsi que j'ay ouy dire) comme il en
+avoit fait, pour en avoir tenu si peu de compte l'endroit de sa femme
+et pour l'avoir beu si doux, tellement qu'il ne l'estima depuis de si
+grand coeur comme il l'avoit tenu auparavant, encore que, dans son
+ame, il estoit bien aise que la pauvre dame ne patist point pour luy
+avoir fait plaisir. J'ay veu aucuns et aucunes excuser cette dame, et
+trouver qu'elle avoit bien fait de se perdre pour sauver son mary et le
+remettre en faveur.
+
+Oh! qu'il y a de pareils exemples celuy-cy, et encore un d'une
+grande dame qui sauva la vie son mary, qui avoit est jug mort en
+pleine cour, ayant est convaincu de grandes concussions et malles
+versations en son gouvernement et en sa charge, dont le mary l'en ayma
+aprs toute sa vie.
+
+--J'ay ouy parler d'un grand seigneur aussi, qui, ayant est jug
+d'avoir la teste tranche, si qu'estant dj sur l'eschaffault sa grace
+survint, que sa fille, qui estoit des plus belles, avoit obtenue, et,
+descendant de l'eschaffault, il ne dit autre chose sinon: Dieu sauve le
+bon c.. de ma fille, qui m'a si bien sauv!
+
+--Saint Augustin est en doute si un citoyen chrestien d'Antioche pcha
+quand, pour se dlivrer d'une grosse somme d'argent pour laquelle il
+estoit estroitement prisonnier, permit sa femme de coucher avec un
+gentilhomme fort riche qui lui promit de l'acquitter de son debte.
+
+Si saint Augustin est de cette opinion, que peut-il donc permettre
+plusieurs femmes, veufves et filles, qui pour rachepter leurs pres,
+parents et marys voire mesmes, abandonnent leur gentil corps sur force
+inconvnients qui leur surviennent, comme de prison, d'esclavitude, de
+la vie, des assauts et prise de ville, bref une infinit d'autres,
+jusques gaigner quelquesfois des capitaines et des soldats, pour les
+bien faire combattre et tenir leurs partis, ou pour soutenir un long
+sige et reprendre une place. J'en conterois cent sujets, pour ne
+craindre pour eux prostituer leur chastet; et quel mal en peut-il
+arriver ny escandale pour cela? mais un grand bien.
+
+Qui dira donc le contraire, qu'il ne face bon estre quelques fois cocu,
+puisque l'on en tire telles commoditez du salut de vies et de
+rembarquement de faveurs, grandeurs et dignitez et biens, que j'en
+cognois beaucoup, et en ay ouy parler de plusieurs, qui se sont bien
+avancs par la beaut et par le devant de leurs femmes?
+
+Je ne veux offenser personne; mais j'oserois bien dire que je tiens
+d'aucuns et d'aucunes que les dames leur ont bien servy, et que certes
+les valeurs d'aucuns ne les ont tant fait valoir qu'elles.
+
+--Je cognois une grande et habile dame, qui fit bailler l'ordre son
+mary, et l'eut luy seul avec les deux plus grands princes de la
+chrestient. Elle luy disoit souvent, et devant tout le monde (car elle
+estoit de plaisante compagnie, et rencontroit trs-bien). Ha! mon amy,
+que tu eusses couru long-temps fauvettes avant que tu eusses eu ce
+diable que tu portes au col.
+
+--J'en ay ouy parler d'un grand du temps du roy Franois, lequel ayant
+receu l'ordre, et s'en voulant prvaloir un jour devant feu M. de la
+Chastaigneraye mon oncle, et luy dit: Ha! que vous voudriez avoir cet
+ordre pendu au col aussi bien comme moy! Mon oncle, qui estoit prompt,
+haut la main, et scalabreux s'il en fut onc, lui respondit:
+J'aymerois mieux estre mort que de l'avoir par le moyen du trou que
+vous l'avez eu. L'autre ne luy dit rien, car il savoit bien qui il
+avoit faire.
+
+--J'ay ouy conter d'un grand seigneur, qui sa femme ayant sollicit et
+port en sa maison la patente d'une des grandes charges du pays o il
+estoit, que son prince lui avoit octroye par la faveur de sa femme, il
+ne la voulut accepter nullement, d'autant qu'il avoit sceu que sa femme
+avoit demeur trois mois avec le prince fort favorise, et non sans
+soupons. Il monstra bien par-l sa gnrosit, qu'il avoit toute sa vie
+manifeste: toutes fois il l'accepta, aprs avoir fait chose que je ne
+veux dire.
+
+Et voil comme les dames ont bien fait autant ou plus de chevaliers que
+les batailles, que je nommerois, les cognoissant aussi bien qu'un autre;
+n'estoit que je ne veux mesdire, ny faire escandale. Et si elles leur
+ont donn des honneurs, elles leur donnent bien des richesses.
+
+J'en cognois un qui estoit pauvre haire lorsqu'il amena sa femme la
+Cour, qui estoit trs-belle; et, en moins de deux ans, ils se remirent
+et devinrent fort riches.
+
+--Encore faut-il estimer ces dames qui eslvent ainsi leurs marys en
+biens, et ne les rendent coquins et cocus tout ensemble: ainsi que l'on
+dit de Marguerite de Namur, laquelle fut si sotte de s'engager et de
+donner tout ce qu'elle pouvoit Lois duc d'Orlans, luy qui estoit si
+grand et si puissant seigneur, et frre du Roy, et tirer de son mary
+tout ce qu'elle pouvoit, si bien qu'il en devint pauvre, et fut
+contraint de vendre sa comt de Bloys audit M. d'Orlans, lequel, pensez
+qu'il la luy paya de l'argent et de la substance mesmes que sa sotte
+femme luy avoit donne. Sotte bien estoit-elle, puisqu'elle donnoit
+plus grand que soy; et pensez qu'aprs il se moqua et de l'une et de
+l'autre; car il estoit bien homme pour le faire, tant il estoit volage
+et peu constant en amours.
+
+--Je cognois une grande dame, laquelle estant venu fort amoureuse d'un
+gentilhomme de la Cour, et luy par consquent joissant d'elle, ne luy
+pouvant donner d'argent, d'autant que son mari luy tenoit son trsor
+cach comme un prestre, lui donna la plus grande partie de ses
+pierreries, qui montoient plus de trente mille escus; si bien qu' la
+Cour on disoit qu'il pouvoit bien bastir, puisqu'il avoit force pierres
+amasses et accumules; et puis aprs, estant venue et escheue elle
+une grande succession, et ayant mis la main sur quelques vingt mille
+escus, elle ne les garda gures que son gallant n'en eust sa bonne part.
+Et disoit-on que si cette succession ne luy fust eschu, ne sachant que
+luy pouvoir plus donner, luy eust donn jusques sa robe et chemise; en
+quoy tels escroqueurs et escornifleurs sont grandement blasmer,
+d'aller ainsi allambiquer et tirer toute la substance de ces pauvres
+diablesses marteles et encapricies; car la bourse estant si souvent
+revisite, ne peut demeurer toujours en son enfleure, ni en son estre,
+comme la bourse de devant, qui est toujours en son mesme estat, et
+preste y pescher qui veut, sans y trouver dire les prisonniers qui y
+sont entrs et sortis. Ce bon gentilhomme, que je dis si bien empierr,
+vint quelque temps aprs mourir; et toutes ses hardes, la mode de
+Paris, vindrent estre cries et vendues l'encan, qui furent
+apprcies cela, et recognus pour les avoir veus la dame par
+plusieurs personnes, non sans grande honte de la dame.
+
+--Il y eut un grand prince, qui aymant une fort honneste dame, fit
+achepter une douzaine de boutons de diamants trs-brillants, et
+proprement mis en oeuvre avec leurs lettres gyptiennes et
+hiroglyfiques, qui contenoient leur sens cach, dont il en fit un
+prsent sadite maistresse, qui, aprs les avoir regardes fixement,
+lui dit qu'il n'en estoit meshuy plus besoin elle de lettres
+hiroglyfiques, puisque les escritures estoient des-j accomplies entre
+eux deux, ainsi qu'elles avoient est entre cette dame et le gentil
+homme de cy-dessus.
+
+J'ai cogneu une dame qui disoit souvent son mary qu'elle l rendroit
+plustost coquin que cocu; mais ces deux mots tenant de l'quivoque, un
+peu de l'un de l'autre assemblrent en elle et en son mary ces deux
+belles qualitez.
+
+--J'ai bien cogneu pourtant beaucoup et une infinit de dames qui n'ont
+pas ainsi fait: car elles ont plus tenu serr la bourse de leurs escus
+que de leur gentil corps: car, encor qu'elles fussent trs-grandes
+dames, elles ne vouloient donner que quelques bagues, quelques faveurs,
+et quelques autres petites gentillesses, manchons ou escharpes, pour
+porter pour l'amour d'elles et les faire valoir.
+
+--J'en ay cogneu une grande qui a est fort copieuse et liberale en
+cela; car la moindre de ses escharpes et faveurs qu'elle donnoit ses
+serviteurs estoit de cinq cents escus, de mille et de trois mille, o il
+y avoit plus de broderies, plus de perles, plus d'enrichissements, de
+chiffres, de lettres hirogiyfiques et belles inventions, que rien au
+monde n'estoit plus beau. Elle avoit raison, afin que ces prsents,
+aprs les avoir faits, ne fussent cachs dans des coffres ni dans des
+bourses, comme ceux de plusieurs autres dames, mais qu'ils parussent
+devant tout le monde, et que son amy les fist valoir en les contemplant
+sur sa belle commmoration, et que tels prsents en argent sentoient
+plustost leurs femmes communes qui donnent leurs ruffians, que non pas
+leurs grandes et honnestes dames. Quelquefois aussi elle donnoit bien
+quelques belles bagues de riches pierreries; car ces faveurs et
+escharpes ne se portent pas communment, si-non en un beau et bon
+affaire; au lieu que la bague au doigt tient bien mieux et plus
+ordinairement compagnie celuy qui la porte.
+
+--Certes un gentil cavalier et de noble coeur doit estre de cette
+gnreuse complexion, de plustost bien servir sa dame pour les beautez
+qui la font reluire, que pour tout l'or et l'argent qui reluisent en
+elle.
+
+Quant moy, je me puis vanter d'avoir servy en ma vie d'honnestes
+dames, et non des moindres; mais si j'eusse voulu prendre d'elles ce
+qu'elles m'ont prsent, et en arracher ce que j'eusse pu, je serois
+riche aujourd'huy, ou en bien, ou en argent, ou en meubles, de plus de
+trente mille escus que je ne suis; mais je me suis toujours content de
+faire paroistre mes affections, plus par ma gnrosit que par mon
+avarice.
+
+Certainement il est bien raison que, puisque l'homme donne du sien dans
+la bourse du devant de la femme, que la femme de mesme donne du sien
+aussi dans celle de l'homme, mais il faut en cela peser tout; car, tout
+ainsi que l'homme ne peut tant jetter et donner du sien dans la bourse
+de la femme comme elle voudroit, il faut aussi que l'homme soit si
+discret de ne tirer de la bourse de la femme tant comme il voudroit, et
+faut que la loy en soit gale et mesure en cela.
+
+--J'ay bien veu aussi beaucoup de gentilshommes perdre l'amour de leurs
+maistresses par l'importunit de leurs demandes et avarices, et que les
+voyaus si grands demandeurs et si importuns d'en vouloir avoir, s'en
+dfaisoient gentiment et les plantoient l, ainsi qu'il estoit trs-bien
+employ.
+
+Voil pourquoy tout noble amoureux doit plustost estre tent de
+convoitise charnelle que pcuniaire; car quand la dame seroit par trop
+librale de son bien, le mary, le trouvant se diminuer, en est plus
+marry cent fois que de dix mille libralitez qu'elle feroit de son
+corps.
+
+Or, il y a des cocus qui se font par vengeance: cela s'entend que
+plusieurs qui hassent quelques seigneurs, gentilshommes ou autres,
+desquels en ont receu quelques desplaisirs et affronts, se vangent d'eux
+en faisant l'amour leurs femmes, et les corrompent en les rendant
+gallants cocus.
+
+--J'ai cogneu un grand prince, lequel ayant receu quelques traits de
+rbellion par un sien sujet grand seigneur, et ne se pouvant vanger de
+luy, d'autant qu'il le fuyoit tant qu'il pouvoit, de sorte qu'il ne le
+pouvoit aucunement attraper; sa femme estant un jour venue sa Cour
+solliciter l'accord et les affaires de son mary, le prince luy donna une
+assignation pour en confrer un jour dans un jardin et une chambre l
+auprs; mais ce fut pour lui parler d'amours, desquels il jouit fort
+facilement sur l'heure sans grande rsistance, car elle estoit de fort
+bonne composition: et ne se contenta de la repasser, mais d'autres la
+prostitua, jusques aux valets-de-chambre; et par ainsi disoit le prince
+qu'il se sentoit bien vang de son sujet, pour luy avoir ainsi repass
+sa femme et couronn sa teste d'une belle couronne de cornes, puisqu'il
+vouloit faire du petit roy et du souverain; au lieu qu'il vouloit porter
+couronne de fleurs de lys[23], il lui en falloit bailler une belle de
+cornes.
+
+Ce mesme prince en fit de mesmes par la suasion de sa mre, qu'il joist
+d'une fille et princesse; sachant qu'elle devoit espouser un prince qui
+lui avoit fait desplaisir et troubl l'Estat de son frre bien fort, la
+dpucella et en joit bravement, et puis dans deux mois fut livre audit
+prince pour pucelle prtendue et pour femme, dont la vengeance en fit
+fort douce en attendant une autre plus rude, qui vint puis aprs[24].
+
+--J'ay cogneu un fort honneste gentilhomme qui, servant une belle dame
+et de bon lieu, lui demandant la rcompense de ses services et amours,
+elle luy respondit franchement qu'elle ne luy en donneroit pas pour un
+double, d'autant qu'elle estoit trs-asseure qu'il ne l'aymoit tant
+pour cela, et ne luy portoit point tant d'affection pour sa beaut,
+comme il disoit, sinon qu'en joissant d'elle il se vouloit vanger de
+son mary qui luy avoit fait quelque desplaisir, et pour ce il en vouloit
+avoir ce contentement dans son ame, et s'en prvaloir puis aprs; mais
+le gentilhomme, luy asseurant du contraire, continua la servir plus de
+deux ans si fidlement et de si ardent amour, qu'elle en prit
+cognoissance ample et si certaine, qu'elle luy octroya ce qu'elle lui
+avoit tousjours refus, l'asseurant que si du commencement de leurs
+amours elle n'eust eu opinion de quelque vengeance projette en luy par
+ce moyen, elle l'eust rendu aussi bien content comme elle fit la fin;
+car son naturel estoit de l'aymer et favoriser. Voyez comme cette dame
+se sceut sagement commander, que l'amour ne la transporta point faire
+ce qu'elle desiroit le plus, sans qu'elle vouloit qu'on l'aymast pour
+ses mrites et non pour le seul sujet de vindicte.
+
+--Feu M. de Gua, un des parfaits et gallants gentilshommes du monde en
+tout, me convia la Cour un jour d'aller disner avec luy; il avoit
+assembl une douzaine des plus savants de la Cour, entre autres M.
+l'esvesque de Dole, de la maison d'Espinay en Bretagne, MM. de Ronsard,
+de Baf, Desportes, d'Aubigny (ces deux sont encore en vie, qui m'en
+pourroient dmentir), et d'autres desquels ne me souviens, et n'y avoit
+homme d'espe que M. de Gua et moy. En devisant durant le disner de
+l'amour et des commoditez et incommoditez, plaisirs et desplaisirs, du
+bien et du mal qu'il apportoit en sa joissance, aprs que chacun eut
+dit son opinion et de l'un et de l'autre, il conclud que le souverain
+bien de cette joissance gisoit en cette vengeance, et pria un chacun de
+tous ces grands personnages d'en faire un quatrain _impromptu_; ce
+qu'ils firent. Je les voudrois avoir pour les insrer icy, sur lesquels
+M. de Dol, qui disoit et escrivoit d'or, emporta le prix.
+
+Et certes, M. de Gua avoit occasion de tenir cette proposition contre
+deux grands seigneurs que je say, leur faisant porter les cornes pour
+la haine qu'ils luy portoient; car leurs femmes estoient trs-belles:
+mais en cela il en tiroit double plaisir, la vengeance et le
+contentement. J'ay cogneu force gens qui se sont revangez et dlectez en
+cela, et si ont eu cette opinion.
+
+--J'ay cogneu aussi de belles et honnestes dames, disant et affirmant
+que quand leurs marys les avoient maltraites et rudoyes et tanses ou
+censures, ou battues ou fait autres mauvais tours et outrages, leur
+plus grande dlectation estoit de les faire cornards, et en les faisant
+songer eux, les brocarder, se moquer et rire d'eux avec leurs amis,
+jusques-l de dire qu'elles en entroient davantage en apptit et certain
+ravissement de plaisir qui ne se pouvoit dire.
+
+--J'ay ouy parler d'une belle et honneste femme, laquelle estant
+demand une fois si elle avoit jamais fait son mary cocu, elle
+respondit: Et pourquoy l'aurois-je fait, puisqu'il ne m'a jamais battu
+ny menace? Comme voulant dire que, s'il eust fait l'un des deux, son
+champion de devant en eust tost fait la vengeance.
+
+--Et quant la mocquerie, j'ay cogneu une fort belle et honneste dame,
+laquelle estant en ces doux altres de plaisirs, e en ces doux bains de
+dlices et d'aise avec son amy, il lui advint qu'ayant un pendant
+d'oreille d'une corne d'abondance qui n'estoit que de verre noir, comme
+on les portoit alors, il vint, par force de se remuer et entrelasser et
+follastrer, se rompre. Elle dit son amy soudain: Voyez comme nature
+est trs-bien prvoyante; car pour une corne que j'ai rompue, j'en fais
+icy une douzaine d'autres mon pauvre cornard de mary, pour s'en parer
+un jour d'une bonne feste, s'il veut.
+
+Une autre ayant laiss son mary couch et endormy dans le lict, vint
+voir son amy avant se coucher; et ainsi qu'il luy eut demand o estoit
+son mary, elle luy respondit: Il garde le lict et le nid du cocu, de
+peur qu'un autre n'y vienne pondre; mais ce n'est pas son lict, ny
+ses linceuls, ny son nid que vous en voulez, c'est moy qui vous suis
+venue voir, et l'ay laiss l en sentinelle, encore qu'il soit bien
+endormy.
+
+--A propos de sentinelle, j'ay ouy faire un conte d'un gentilhomme de
+valeur, que j'ai cogneu, lequel un jour venant en question avec une fort
+honneste dame que j'ay aussi cogneue, il luy demanda, par manire
+d'injure, si elle avoit jamais fait de voyage Saint-Mathurin[25].
+Ouy, dit-elle; mais je ne pus jamais entrer dans l'glise, car elle
+estoit si pleine et si bien garde de cocus, qu'ils ne m'y laissrent
+jamais entrer: et vous qui estis des principaux, vous estiez au clocher
+pour faire la sentinelle et advertir les autres.
+
+J'en conterois mille autres rises, mais je n'aurois jamais fait: si
+espre-je d'en dire pourtant en quelque coin de ce livre.
+
+--Il y a des cocus qui sont debonnaires, qui d'eux-mesmes se convient
+cette feste de cocuage; comme j'en ai cogneu aucuns qui disoient leurs
+femmes: Un tel est amoureux de vous, je le cognois bien, il nous vient
+souvent visiter, mais c'est pour l'amour de vous, mamie. Faites-luy
+bonne chere; il nous peut faire beaucoup de plaisir; son accointance
+nous peut beaucoup servir.
+
+D'autres disent aucuns: Ma femme est amoureuse de vous, elle vous
+ayme; venez la voir, vous lui ferez plaisir; vous causerez et deviserez
+ensemble, et passerez le temps. Ainsi convient-ils les gens leurs
+despens.
+
+Comme fit l'empereur Adrian, lequel estant un jour en Angleterre (ce dit
+sa vie) menant la guerre, eut plusieurs advis comme sa femme,
+l'imperatrice Sabine, faisoit l'amour, toutes restes Rome, avec
+force gallants gentilshommes romains. De cas de fortune, elle ayant
+escrit une lettre de Rome en hors un gentilhomme romain qui estoit
+avec l'empereur en Angleterre, se complaignant qu'il l'avoit oublie et
+qu'il ne faisoit plus compte d'elle, et qu'il n'estoit pas possible
+qu'il n'eust quelques amourettes par de-l, et que quelque mignone
+affette ne l'eust espris dans les lacs de sa beaut; celle lettre
+d'avanture tomba entre les mains d'Adrian, et comme ce gentilhomme,
+quelques jours aprs, demanda cong l'Empereur sous couleur de vouloir
+aller jusques Rome promptement pour les affaires de sa maison, Adrian
+luy dit en se jouant: Eh bien, jeune homme, allez-y hardiment, car
+l'impratrice ma femme vous y attend en bonne dvotion. Quoy voyant le
+Romain, et que l'Empereur avoit descouvert le secret et luy en pourroit
+fort mauvais tour, sans dire adieu ny gare, partit la nuit aprs et
+s'enfuit en Irlande.
+
+Il ne devoit pas avoir grand peur pour cela, comme l'Empereur luy-mesme
+disoit souvent, estant abreuv toute heure des amours desbords de sa
+femme: Certainement si je n'estois empereur, je me serois bientost
+dfait de ma femme, mais je ne veux monstrer mauvais exemple. Comme
+voulant dire que n'importe aux grands qu'ils soient-l logs, aussi
+qu'ils ne se divulguent. Quelle sentence pourtant pour les grands!
+laquelle aucuns d'eux ont pratique, mais non pour ces raisons. Voil
+comme ce bon empereur assistoit joliment se faire cocu.
+
+--Le bon Marc Aurele, ayant sa femme Faustine une bonne vesse, et luy
+estant conseill de la chasser, il respondit: Si nous la quittons, il
+faut aussi quitter son douaire, qui est l'empire; et qui ne voudroit
+estre cocu de mesme pour un tel morceau, voire moindre?
+
+Son fils Antoninus Verus, dit Commodus, encore qu'il devint fort cruel,
+en dit de mesme ceux qui luy conseilloient de faire mourir ladite
+Faustine sa mre, qui fut tant amoureuse et chaude aprs un gladiateur,
+qu'on ne la put jamais gurir de ce chaud mal, jusques ce qu'on
+s'advisast de faire mourir ce maraut gladiateur et luy faire boire son
+sang.
+
+--Force marys ont fait et font de mesme que ce bon Marc Aurele, qui
+craignent de faire mourir leurs femmes putains, de peur d en perdre les
+grands biens qui en procedent, et ayment mieux estre riches cocus si
+bon march qu'estre coquins.
+
+--Mon Dieu! que j'ay cogneu plusieurs cocus qui ne cessoient jamais de
+convier leurs parents, leurs amys, leurs compagnons, de venir voir leurs
+femmes, jusques leur faire festins pour mieux les y attirer; et y
+estant, les laisser seuls avec elles dans leurs chambres, leurs
+cabinets, et puis s'en aller et leur dire: Je vous laisse ma femme en
+garde.
+
+--J'en ay cogneu un de par le monde, que vous eussis dit que toute sa
+flicit et contentement gisoit estre cocu, et s'estudioit d'en
+trouver les occasions, et surtout n'oublioit ce premier mot: Ma femme
+est amoureuse de vous; l'aymez-vous autant qu'elle vous aime? Et quand
+il voyoit sa femme avec son serviteur, bien souvent il emmenoit la
+compagnie hors de la chambre pour s'aller pourmener, les laissant tous
+deux ensemble, leur donnant beau loisir de traitter leurs amours; et si
+par cas il avoit faire tourner prestement en la chambre, ds le bas
+du degr il crioit haut, il demandoit quelqu'un, il crachoit ou il
+toussoit, afin qu'il ne trouvast les amants sur le fait; car volontiers,
+encore qu'on le sache et qu'on s'en doute, ces vues et surprises ne
+sont guires agrables ny aux uns ny aux autres.
+
+Aussi ce seigneur faisant un jour bastir un beau logis, et le maistre
+masson luy ayant demand s'il ne le vouloit pas illustrer de corniches,
+il respondit: Je ne say que c'est que corniches; demandez-le ma
+femme, qui le sait et qui sait l'art de gomtrie; et ce qu'elle dira
+faites-le.
+
+--Bien fit pis un que je say, qui, vendant un jour une de ses terres
+un autre pour cinquante mille escus, il en prit quarante-cinq mille en
+or et argent, et pour les cinq restants il prit une corne de licorne;
+grande rise pour ceux qui le sceurent. Comme, disoient-ils, s'il
+n'avoit assez de cornes chez soy sans y adjouster celle-l.
+
+--J'ay cogneu un trs-grand seigneur, brave et vaillant, lequel vint
+dire un honneste gentilhomme qui estoit fort son serviteur, en riant
+pourtant: Monsieur un tel, je ne say ce que vous avez fait ma femme,
+mais elle est si amoureuse de vous que jour et nuict elle ne me fait que
+parler de vous, et sans cesse me dit vos louanges. Pour toute response
+je luy dis que je vous connois plustost qu'elle, et say vos valeurs et
+vos mrites, qui sont grands. Qui fut estonn, ce fut ce gentilhomme,
+car il ne venoit que de mener cette dame sous le bras vespres, o la
+Reyne alloit. Toutes-fois le gentilhomme s'asseura tout d'un coup et luy
+dit: Monsieur, je suis trs-humble serviteur de madame vostre femme, et
+fort redevable de la bonne opinion qu'elle a de moi, et l'honore
+beaucoup; mais je ne luy fais pas l'amour (disoit-il en bouffonnant),
+mais je luy fais bien la cour par vostre bon advis que vous me donnastes
+dernierement; d'autant qu'elle peut beaucoup l'endroit de ma
+maistresse, que je puis espouser par son moyen, et par ainsi j'espre
+qu'elle m'y sera aidante.
+
+Ce prince n'en fit plus autre semblant, si-non que de rire et
+admonester le gentilhomme de courtiser sa femme plus que jamais, ce
+qu'il fit, estant bien-aise sous ce prtexte de servir une si belle dame
+de prince, laquelle luy faisoit bien oublier son autre maistresse qu'il
+vouloit espouser, et ne s'en soucier guires, si-non que ce masque
+bouchoit et dguisoit tout.
+
+Si ne put-il faire tant qu'il n'entrast un jour en jalousie, que voyant
+ce gentilhomme dans la chambre de la Reyne porter au bras un ruban
+incarnadin d'Espagne, qu'on avoit apport par belle nouveaut la Cour,
+et l'ayant tast et mani en causant avec luy, alla trouver sa femme,
+qui estoit prs du lict de la Reyne, qui en avoit un tout pareil, lequel
+il mania et toucha tout de mesme, et trouva qu'il estoit tout semblable
+et de la mesme pice que l'autre: si n'en sonna-il pourtant jamais mot,
+et n'en fut autre chose. Et de telles amours il en faut couvrir si bien
+les feux par telles cendres de discrtion et de bons advis, qu'elles ne
+se puissent descouvrir; car bien souvent l'escandale ainsi descouvert
+dpite plus les marys contre leurs femmes, que quand le tout se fait
+cachettes, pratiquant en cela le proverbe: _Si non caste, tamen
+caute_[26].
+
+--Que j'ay veu en mon temps de grands escandales et de grands
+inconvnients pour les indiscrtions et des dames et de leurs
+serviteurs! Que leurs marys s'en soucioient aussi peu que rien, mais
+qu'ils fissent bien leurs faits, _sotto coperte_[27], comme on dist, et
+ne fust point divulgu.
+
+--J'en ay cogneu une qui tout trac faisoit paroistre ses amours et ses
+faveurs, qu'elle dpartoit comme si elle n'eust eu de mary et ne fust
+est sous aucune puissance, n'en voulant rien croire l'advis de ses
+serviteurs et amys, qui lui en remonstroient les inconvnients: aussi
+bien mal luy en a-t-il pris.
+
+Cette dame n'a jamais fait ce que plusieurs autres dames ont fait: car
+elles ont gentiment traitt l'amour, et se sont donnes du bon temps
+sans en avoir donn grand connoissance au monde, sinon par quelques
+soupons lgers, qui n'eussent jamais pu monstrer la vrit aux plus
+clairvoyants; car elles accostoient leurs serviteurs devant le monde si
+dextrement, et les entretenoient si escortement[28] que ny leurs marys
+ny les espions de leur vie n'y eussent sceu que mordre; et quand ils
+alloient en quelque voyage, ou qu'ils vinssent mourir, elles
+couvroient et cachoient leurs couleurs si sagement qu'on n'y connoissoit
+rien.
+
+--J'ay cogneu une dame belle et honneste, laquelle, le jour qu'un grand
+seigneur son serviteur mourut, elle parut en la chambre de la Reyne avec
+un visage aussi guay et riant que le jour paravant. D'aucuns l'en
+estimoient de cette discrtion, et qu'elle le faisoit de peur de
+desplaire et irriter le Roy, qui n'aymoit pas le trespass. D'aucuns la
+blasmoient, attribuant ce geste plustost manquement d'amour, comme
+l'on disoit qu'elle n'en estoit guires bien garnie, ainsi que sont
+toutes celles qui se meslent de cette vie.
+
+--J'ay cogneu deux belles et honnestes dames, lesquelles, ayant perdu
+leurs serviteurs en une fortune de guerre, firent de tels regrets et
+lamentations, et monstrrent leur dueil par leurs habits bruns, plus
+d'eau-benistiers, d'aspergez d'or engravez, plus de testes de morts, et
+de toutes sortes de trophes de la mort en leurs affiquets, joyaux et
+bracelets qu'elles portoient, qui les escandalisrent fort, et cela leur
+nuict grandement; mais leurs marys ne s'en soucioient autrement.
+
+Voil en quoy ces dames se transportent en la publication de leurs
+amours, lesquelles pourtant on doit louer et priser en leurs constances,
+mais non en leur discrtion; car pour cela il leur en fait trs-mal. Et
+si telles dames sont blasmables en cela, il y a beaucoup de leurs
+serviteurs qui en mritent bien la rprimande aussi bien qu'elles; car
+ils contrefont des transis comme une chevre qui est en gesine, et des
+langoureux; ils jettent leurs yeux sur elles et les envoyent en
+ambassade; ils font des gestes passionns, des souspirs devant le monde;
+ils se parent des couleurs de leurs dames si apparemment; bref, ils se
+laissent aller tant de sottes indiscrtions, que les aveugles s'en
+appercevroient: les uns aussi bien pour le faux que pour le vray, afin
+de donner entendre toute une Cour qu'ils sont amoureux en bon lieu,
+et qu'ils ont bonne fortune; et Dieu sait, possible, on ne leur en
+donneroit pas l'aumosne pour un liard, quand bien on en devroit perdre
+les oeuvres de charit.
+
+--Je cognois un gentilhomme et seigneur, lequel, voulant abrever le
+monde qu'il estoit venu amoureux d'une belle et honneste dame que je
+say, fit un jour tenir son petit mulet avec deux de ses pages et
+laquais au devant sa porte. Par cas, M. de Strozze et moy passasmes
+par-l et vismes ce mystere de ce mulet, ces pages et laquais. Il leur
+demanda soudain o estoit leur maistre; ils firent response qu'il estoit
+dans le logis de cette dame, quoy M. de Strozze se mit rire et me
+dire que sur sa vie il gaigeroit qu'il n'y estoit point, et soudain posa
+son page en sentinelle pour voir si ce faux amant sortiroit; et de-l
+nous en allasmes soudain en la chambre de la Reyne, o nous le
+trouvasmes, et non sans rire luy et moy: et sur le soir nous le vinsmes
+accoster, et en feignant de luy faire la guerre, nous luy demandasmes o
+il estoit telle heure aprs-midy, et qu'il ne s'en sauroit laver, car
+nous y avions veu le mulet et ses pages devant la porte de cette dame.
+Luy, faisant la mine d'estre fasch que nous avions veu cela, et de quoy
+nous luy en faisions la guerre de faire l'amour en ce bon lieu, il nous
+confessa vrayment qu'il y estoit; mais il nous pria de n'en sonner mot,
+autrement que nous le mettrions en peine, et cette pauvre dame qui en
+seroit escandalise et mal venue de son mary, ce que nous luy promismes
+riants tousjours pleine gorge et nous mocquant de luy, encor qu'il
+fust assez grand seigneur et qualifi, de n'en parler jamais et que cela
+ne sortiroit de nostre bouche. Si est-ce qu'au bout de quelques jours
+qu'il continuoit ses coups faux avec son mulet trop souvent, nous luy
+descouvrismes la fourbe et luy en fismes la guerre bon escient et en
+bonne compagnie, dont de honte s'en desista; car la dame le sceut par
+nostre moyen, qui fit guetter un jour le mulet et les pages, les faisant
+chasser de devant sa porte comme gueux de l'hostiere: et si fismes bien
+mieux, car nous le dismes son mary, et luy en fismes le conte si
+plaisamment, qu'il le trouva si bon qu'il en rit luy-mesmes son aise,
+et dist qu'il n'avoit pas peur que cet homme le fist jamais cocu; et que
+s'il ne trouvoit ledit mulet et ses pages bien logs la porte, qu'il
+la leur feroit ouvrir et entrer dedans, pour les mettre mieux couvert
+et leur aise, et se garder du chaud ou du froid, ou de la pluye.
+D'autres pourtant le faisoient bien cocu. Et voil comme ce bon
+seigneur, aux despens de cette honneste dame, de laquelle en estant
+devenu amoureux, se vouloit prvaloir sans avoir respect d'aucun
+escandale.
+
+--J'ay cogneu un gentilhomme qui escandalisa par ses faons de faire une
+fort belle et honneste dame, de laquelle en estant devenu amoureux
+quelque temps, et la pressant d'en obtenir ce bon petit morceau gard
+pour la bouche du mary, elle luy refusa tout plat, et aprs plusieurs
+refus, il luy dit comme desespr: H bien! vous ne le voulez pas, et
+je vous jure que je vous ruinerai d'honneur. Et pour ce faire s'advisa
+de faire tant d'alles et venues cachettes, mais pourtant non si
+secrettes qu'il ne se montrast plusieurs yeux exprs, et donnast moyen
+de s'en appercevoir de nuict et de jour, la maison o elle se tenoit;
+braver et se vanter sous main de ses bonnes fausses fortunes, et devant
+le monde rechercher la dame avec plus de privautez qu'il n'avoit
+occasion de le faire, et parmy ses compagnons faire du gallant plus pour
+le faux que pour le vray; si bien qu'estant venu un soir fort tard en la
+chambre de cette dame tout bousch de son manteau, et se cachant de ceux
+de la maison, aprs avoir jou plusieurs de ces tours, fut soubonn par
+le maistre d'hostel de la maison, qui fit faire le guet: et, ne l'ayant
+pu trouver, le mary pourtant battit sa femme et luy donna quelques
+soufflets, mais pouss aprs du maistre d'hostel, qui luy dit que ce
+n'estoit assez, la tua et la dagua, et en eut du Roy fort aisment sa
+grace. Ce fut grand dommage de cette dame, car elle estoit trs-belle.
+Depuis, ce gentilhomme qui en avoit est cause ne le porta guires loin,
+et fut tu en une rencontre de guerre par permission de Dieu, pour avoir
+si injustement ost l'honneur et la vie cette honneste dame.
+
+Pour dire la vrit sur cet exemple et sur une infinit d'autres que
+j'ay veus, il y a aucunes dames qui ont grand tort d'elles-mesmes, et
+qui sont les vrayes causes de leurs escandales et deshonneur; car
+elles-mesmes vont attaquer les escarmouches, et attirent les gallants
+elles, et du commencement leur font les plus belles caresses du monde,
+des privautez, des familiaritez, leur donnent par leurs doux attraits et
+belles paroles des esprances; mais quand il faut venir ce point,
+elles le desnient tout plat. De sorte que les honnestes hommes qui
+s'estoient proposez force choses plaisantes de leur corps, se
+desesperent et se despitent en prenant un cong rude d'elles, les vont
+deshonorant et les publient pour les plus grandes vesses du monde, et en
+content cent fois plus qu'il n'y en a.
+
+Donc voil pourquoy il ne faut jamais qu'une honneste dame se mesle
+d'attirer soy un gallant gentilhomme, et se laisse servir luy, si
+elle ne le content[contente?] la fin selon ses mrites et ses
+services.
+
+Il faut qu'elle se propose cela si elle ne veut estre perdue, mesme si
+elle a affaire un honneste et gallant homme; autrement, ds le
+commencement, s'il la vient accoster, et qu'elle voye que ce soit pour
+ce point tant desir qui il adresse ses voeux, et qu'elle n'aye
+point envie de luy en donner, il faut qu'elle luy donne son cong ds
+l'entre du logis; car, pour en parler franchement, toutes dames qui se
+laissent aymer et servir s'obligent tellement, qu'elles ne se peuvent
+ddire du combat; il faut qu'elles y viennent tost ou tard, quoy qu'il
+tarde.
+
+Mais il y a des dames qui se plaisent se faire servir pour rien, sinon
+pour leurs beaux yeux, et disent qu'elles desirent estre servies, que
+c'est leur flicit, mais non de venir l, et disent qu'elles prennent
+plaisir desirer, et non excuter. J'en ay veu aucunes qui me l'ont
+dit: toutesfois il ne faut pourtant qu'elles le prennent l, car si une
+fois elles se mettent desirer, sans point de doute il faut qu'elles
+viennent l'excution; car ainsi la loy d'amour le veut, et que toute
+dame qui desire, ou souhaite, ou songe de vouloir desirer soy un
+homme, cela est fait: si l'homme le connoist et qu'il poursuive
+fermement celle qu'il attaque, il en aura ou pied ou aile, ou plume ou
+poil, comme on dit.
+
+--Voil donc comme les pauvres marys se font cocus par telles opinions
+de dames qui veulent desirer et non pas excuter, mais, sans y penser,
+elles se vont brusler la chandelle, ou bien au feu qu'elles ont basty
+d'elles-mesmes, ainsi que font ces pauvres simplettes bergres,
+lesquelles, pour se chauffer parmy les champs en gardant leurs moutons
+et brebis, allument un petit feu, sans songer aucun mal ou
+inconvnient; mais elles ne se donnent de garde que ce petit feu s'en
+vient quelquesfois allumer un si grand, qu'il brusle tout un pays de
+landes et de taillis.
+
+Il faudroit que telles dames prissent l'exemple, pour les faire sages,
+de la comtesse d'Escaldasor, demeurant Pavie, laquelle M. de Lescu,
+qui depuis fut appel le mareschal de Foix, estudiant Pavie (et pour
+lors le nommoit-on le protenotaire de Foix, d'autant qu'il estoit ddi
+ l'glise; mais depuis il quitta la robbe longue pour prendre les
+armes), faisant l'amour cette belle dame, d'autant que pour lors elle
+emportoit le prix de la beaut sur les belles de Lombardie, et s'en
+voyant presse, et ne le voulant rudement mecontenter, ny donner son
+cong, car il estoit proche parent de ce grand Gaston de Foix, M. de
+Nemours, sous le grand renom duquel alors toute l'Italie trembloit; et
+un jour d'une grande magnificence et de feste, qui se faisoit Pavie,
+o toutes les grandes dames, et mesmes les plus belles de la ville et
+d'alentour, se trouvrent ensemble, les honnestes gentilshommes ne
+manqurent pas aussi de s'y trouver.
+
+Cette comtesse parut belle entre toutes les autres, pompeusement
+habille d'une robbe de satin bleu cleste, toute couverte et seme,
+autant pleine que vuide, de flambeaux et papillons volletans l'entour
+et s'y bruslans, le tout en broderie d'or et d'argent, ainsi que de tout
+temps les bons brodeurs de Milan ont sceu bien faire par-dessus les
+autres; si bien qu'elle emporta l'estime d'estre le mieux en point de
+toute la troupe et compagnie.
+
+M. le protenotaire de Foix, la menant danser, fut curieux de luy
+demander la signification des devises de sa robbe, se doutant bien qu'il
+y avoit l-dessous quelque sens cach qui ne luy plaisoit pas. Elle luy
+respondit: Monsieur, j'ay fait faire ma robbe de la faon que les gens
+d'armes et cavaliers font leurs chevaux rioteux et vitieux, qui ruent
+et qui tirent du pied; ils leur mettent sur leur crouppe une grosse
+sonnette d'argent, afin que, par ce signal, leurs compagnons, quand ils
+sont en compagnie et en foule, soient advertis de se donner garde de ce
+meschant cheval qui ru, de peur qu'il ne les frappe. Pareillement, par
+les papillons volletans et se bruslans dans ces flambeaux, j'advertis
+les honnestes hommes qui me font ce bien de m'aymer et admirer ma
+beaut, de n'en approcher trop prs, ny en desirer davantage autre chose
+que la veu; car ils n'y gagneront rien, non plus que les papillons,
+sinon desirer et brusler, et n'en avoir rien plus. Cette histoire est
+escritte dans les _Devises de Paolo Jovio_. Par ainsi, cette dame
+advertissoit son serviteur de prendre garde soy de bonne heure. Je ne
+say s'il en approcha de plus prs, ou comme il en fit; mais pourtant,
+luy, ayant t bless mort la bataille de Pavie, et pris prisonnier,
+il pria d'estre port chez cette comtesse, son logis dans Pavie, o il
+fut trs-bien receu et traitt d'elle. Au bout de trois jours, il y
+mourut, avec le grand regret de la dame, ainsi que j'ay ouy conter M.
+de Monluc, une fois que nous estions dans la tranche La Rochelle, de
+nuict, qu'il estoit en ses causeries, et que je luy fis le conte de
+cette devise, qui m'asseura avoir veu cette comtesse trs-belle, et qui
+aymoit fort ledit mareschal, et fut bien honnorablement traitt d'elle:
+du reste, il n'en savoit rien si d'autrefois ils avoient pass plus
+outre. Cet exemple devroit suffire pour plusieurs et aucunes dames que
+j'ay allegu.
+
+--Or, y a des cocus qui sont si bons, qu'ils font prescher et admonester
+leurs femmes, par gens de bien et religieux, sur leur conversion et
+corrections; lesquelles, par larmes feintes et paroles dissimules, font
+de grands voeux, promettants monts et merveilles de repentance, et de
+n'y retourner jamais plus; mais leur serment ne dure guieres, car les
+voeux et les larmes de telles dames valent autant que jurements et
+reniements d'amoureux. Comme j'en ay veu et cogneu une dame laquelle
+un grand prince, son souverain, fit cette escorne d'introduire et
+apposter un cordelier d'aller trouver son mary qui estoit en une
+province pour son service, comme de soy-mesme et venant de la Cour,
+l'advertir des amours folles de sa femme et du mauvais bruit qui couroit
+du tort qu'elle luy faisoit; et que, pour son devoir de son estat et
+vacation, il l'en advertissoit de bonne heure, afin qu'il mist ordre
+cette ame pcheresse. Le mary fut bien esbahy d'une telle ambassade et
+doux office de charit: il n'en fit autre semblant pourtant, si-non de
+l'en remercier et luy donner esprance d'y pourvoir; mais il n'en
+traitta point sa femme plus mal son retour: car qu'y eust-il gaign?
+Quand une femme une fois s'est mise ce train, elle ne s'en dtraque
+non plus qu'un cheval de poste qui a accoustum si fort le gallop, qu'il
+ne le sauroit changer en un autre train d'aller.
+
+H! combien s'est-il veu d'honnestes dames qui, ayant t surprises sur
+ce fait, tances, battues, persuades et remonstres, tant par force que
+par douceur, de n'y tourner jamais plus, elles promettent, jurent et
+protestent de se faire chastes, que puis aprs pratiquent ce proverbe,
+_Passato il pericolo, gabatto il santo_[29], et retournent plus que
+jamais en l'amoureuse guerre. Voire qu'il s'en est veu plusieurs
+d'elles, se sentant dans l'ame quelque ver rongeant, qui d'elles-mesmes
+faisoient des voeux bien saints et fort solennels, mais ne les
+gardoient guires, et se repentoient d'estre repenties, ainsi que dit M.
+du Bellay des courtisannes repenties[30]; et telles femmes affirment
+qu'il est bien mal-ais de se dfaire pour tout jamais d'une si douce
+habitude et coustume, puisqu'elles sont si peu en leur courte demeure
+qu'elles font en ce monde.
+
+Je m'en rapporterois volontiers aucunes belles filles, jeunes,
+repenties, qui se sont voiles et recluses, si on leur demandoit et en
+foy et en conscience ce qu'elles en respondroient, et comme elles
+desireroient bien souvent leurs hautes murailles abbattues pour s'en
+sortir aussi-tost.
+
+Voil pourquoy ne faut point que les marys pensent autrement rduire
+leurs femmes aprs qu'elles ont fait la premire fausse pointe de leur
+honneur, si-non de leur lascher la bride, et leur recommander seulement
+la discrtion et tout guariment d'escandale; car on a beau porter tous
+les remdes d'amour qu'Ovide a jamais appris, et une infinit qui se
+sont encore inventez sublins, ny mesmes les authentiques de maistre
+Franois Rabelais, qu'il apprit au vnrable Panurge, n'y serviront
+jamais rien; ou bien, pour le meilleur, pratiquer un refrain d'une
+vieille chanson qui fut faite du temps de Franois I, qui dit: Qui
+voudroit garder qu'une femme n'aille du tout l'abandon, il la faudrait
+fermer dans une pippe, et en joir par le bondon.
+
+--Du temps du roy Henry, il y eut un certain quincailleur qui apporta
+une douzaine de certains engins la foire de Sainct Germain pour brider
+le cas des femmes[31], qui estoient faits de fer et ceinturoient comme
+une ceinture, et venoient prendre par le bas et se fermer clef; si
+subtilement faits, qu'il n'estoit pas possible que la femme, en estant
+bride une fois, s'en peust jamais prvaloir pour ce doux plaisir,
+n'ayant que quelques petits trous menus pour servir pisser.
+
+On dit qu'il y eut quelque cinq ou six marys jaloux fascheux qui en
+acheptrent et en bridrent leurs femmes de telle faon qu'elles purent
+bien dire: Adieu bon temps. Si y en eut-il une qui s'advisa de
+s'accoster d'un serrurier fort subtil en son art, qui ayant monstr
+ledit engin, et le sien et tout, son mary estant all dehors aux champs,
+il y appliqua si bien son esprit qu'il luy forgea une fausse clef, que
+la dame le fermoit et ouvroit toute heure et quand elle vouloit. Le
+mary n'y trouva jamais rien dire: et se donna son saoul de ce bon
+plaisir, en dpit du fat jaloux, cocu de mary, pensant vivre toujours en
+franchise de cocuage. Mais ce meschant serrurier, qui fit la fausse
+clef, gasta tout; et si fit mieux, ce qu'on dit, car ce fut le
+premier qui en tasta et le fit cornard: aussi n'y avoit-il danger, car
+Vnus, qui fut la plus belle femme et putain du monde, avoit Vulcain,
+serrurier et forgeron, pour mary, lequel estoit un fort vilain, salle,
+boiteux et trs-laid.
+
+On dit bien plus, qu'il y eut beaucoup de gallants honnestes gentihommes
+de la Cour qui menacrent de telle faon le quinquaillier, que, s'il se
+mesloit jamais de porter telles ravauderies, qu'on le tueroit, et qu'il
+n'y retournast plus et jettast tous les autres qui estoient restez dans
+le retrait, ce qu'il fit; et depuis onc n'en fut parl, dont il fut bien
+sage, car c'estoit assez pour faire perdre la moiti du monde, faute
+de ne le peupler, par tels bridements, serrures et fermoirs de nature,
+abominables et dtestables ennemis de la multiplication humaine.
+
+--Il y en a qui baillent leurs femmes garder des eunuques, que
+l'empereur Alexandre Severus rejetta fort, avec rude commandement de ne
+pratiquer jamais les dames romaines; mais ils y ont est attraps, non
+qu'ils engendrassent et les femmes conceussent d'eux, mais en recevoient
+quelques sentiments et superficies de plaisirs lgers, quasi approchants
+du grand parfait: dont aucuns ne s'en soucient point, disants que leur
+principal marisson de l'adultere de leurs femmes ne procdoit pas de ce
+qu'elles s'en faisoient donner, mais qu'il leur faschoit grandement de
+nourrir et lever et tenir pour enfants ceux qu'ils n'avoient pas faits.
+Car sans cela ce fust est le moindre de leurs soucis, ainsi que j'en ay
+cogneu aucuns et plusieurs, lesquels, quand ils trouvoient bons et
+faciles ceux qui les avoient faits leurs femmes, donner un bon
+revenu, les entretenir, ne s'en donnoient aucunement soucy, ainsi
+qu'ils conseillent leurs femmes de leur demander, et les prier de
+donner quelque pension pour nourrir et entretenir le petit qu'elles ont
+eu d'eux. Comme j'ay ouy conter d'une grande dame, laquelle eut
+Villecouvin, enfant du roi Franois I: elle le pria de lui donner ou
+assigner quelque peu de bien, avant qu'il mourust, pour l'enfant qu'il
+luy avoit fait; ce qu'il fit, et luy assigna deux cents mille escus en
+banque, qui luy profitrent et coururent toujours d'intrts et de
+change en change: en sorte qu'estant venu grand, il despensoit si
+magnifiquement et paroissoit en si belle despense et en jeux la Cour,
+qu'un chacun s'en estonnoit, et prsumoit-on qu'il joissoit de quelque
+dame qu'on n'eusse point pens, et ne croyoit-on sa mere nullement;
+mais d'autant qu'il ne bougeoit d'avec elle, un chacun jugeoit que la
+grande despense qu'il faisoit procdoit de la joissance d'elle, et
+pourtant c'estoit le contraire, car elle estoit sa mere, et peu de gens
+le savoient, encore qu'on ne sceut bien sa ligne ni procration, si ce
+n'est qu'il vint mourir Constantinople, et son aubene, comme
+bastard, fut donne au mareschal de Retz, qui estoit fin et sublin
+descouvrir tel pot aux roses, mesmes pour son profit, qu'il eust pris
+sur la glace, et vrifia la bastardise qui avoit est si long-temps
+cache, et emporta le don d'aubene pardessus M. de Teligny, qui avoit
+est constitu hritier dudit Villecouvin.
+
+D'autres disoient pourtant que cette dame avoit eu cet enfant d'autres
+que du Roy, et qu'elle l'avoit ainsi enrichy du sien propre; mais M. de
+Retz esplucha et chercha tant parmy les banques, qu'il y trouva l'argent
+et les obligations du roy Franois. Les uns disoient pourtant d'un autre
+prince non si grand que le Roy, ou d'un autre moindre; mais, pour
+couvrir et cacher tout, et nourrir l'enfant, il n'estoit pas mauvais de
+supposer tout la Majest, comme cela se voit en d'autres.
+
+Je croy qu'il y a plusieurs femmes parmy le monde, et mesmes en France,
+que si elles pensoient produire des enfants tel prix, que les roys et
+les grands monteroient aisment sur leurs ventres. Mais bien souvent ils
+y montent et n'en ont de grandes lippes; dont en ce elles sont bien
+trompes, car tels grands volontiers ne s'adonnent-elles, sinon pour
+avoir le galardon[32], comme dit l'Espagnol.
+
+Il y a une fort belle question sur ces enfants putatifs et incertains,
+savoir s'ils doivent succder aux biens paternels et maternels, et que
+c'est un grand pch aux femmes de les y faire succder; dont aucuns
+docteurs ont dit que la femme le doit rvler au mary, et en dire la
+vrit. Ainsi le refere le docteur subtil. Mais cette opinion n'est pas
+bonne, disent autres, parce que la femme se diffameroit soy-mesme en le
+rvlant, et pour autant elle n'y est tenu; car la bonne renomme est
+un plus grand bien que les biens temporels, dit Salomon.
+
+Il vaut donc mieux que les biens soient occupez par l'enfant, que la
+bonne renomme se perde; car, comme dit un ancien proverbe, _mieux vaut
+bonne renomme que ceinture dore_.
+
+De l les thologiens tirent une maxime qui dit que quand deux prceptes
+et commandements nous obligent, le moindre doit cder au plus grand; or
+est-il que le commandement de garder sa bonne renomme est plus grand
+que celui qui concede de rendre le bien d'autruy; il faut donc qu'il
+soit prfr celuy-l.
+
+De plus, si la femme rvele cela son mary, elle se met en danger
+d'estre tue du mary mesme, ce qui est fort deffendu de se pourchasser
+la mort, non pas mesmes est permis une femme de se tuer de peur
+d'estre viole ou aprs l'avoir est; autrement elle pcheroit
+mortellement: si-bien qu'il vaut mieux permettre d'estre viole, si on
+n'y peut, en criant ou fuyant, remdier, que de se tuer soy-mesme; car
+le violement du corps n'est point pch, si-non du consentement de
+l'esprit. C'est la rponse que fit sainte Luce au tyran qui la menaoit
+de la faire mener au bourdeau.Si vous me faites, dit-elle, forcer, ma
+chastet recevra double couronne.
+
+Pour cette raison, Lucrece est taxe d'aucuns. Il est vray que sainte
+Sabine et sainte Sophonienne, avec d'autres pucelles chrestiennes,
+lesquelles se sont prives de vie afin de ne tomber entre les mains des
+barbares, sont excuses de nos pres et docteurs, disant qu'elles ont
+fait cela pour certain mouvement du Saint-Esprit.
+
+Par lequel Saint-Esprit, aprs la prise de Cypre, une damoiselle
+cypriotte nouvellement chrestienne, se voyant emmener esclave avec
+plusieurs autres pareilles dames, pour estre la proye des Turcs, mit le
+feu secretement dans les poudres de la gallere, si-bien qu'en un moment
+tout fut embraz et consum avec elle, disant: A Dieu ne plaise que nos
+corps soient pollus et cogneus par ces vilains Turcs et Sarrasins! Et
+Dieu sait, possible, qu'il avoit est desja pollu, et en voulut ainsi
+faire la pnitence; si ce n'est que son maistre ne l'avoit voulu
+toucher, afin d'en tirer plus d'argent la vendant vierge, comme l'on est
+friand de taster en ces pays, voire en tous autres, un morceau intact.
+
+Or, pour retourner encor la garde noble de ces pauvres femmes, comme
+j'ay dit, les ennuques ne laissent commettre adultere avec elles, et
+faire leurs marys cocus, rserv la procration part.
+
+--J'ay cogneu deux femmes en France qui se mirent aymer deux chastrez
+gentilhommes, afin de n'engroisser point; et pourtant en avoient
+plaisir, et si ne se scandalisoient. Mais il y a eu des marys si jaloux
+en Turquie et en Barbarie, lesquels s'estants apperceus de cette fraude,
+ils se sont advisez de faire chastrer tout trac leurs pauvres
+esclaves, et leur couper tout net, dont, ce que disent et escrivent
+ceux qui ont pratiqu la Turquie, il n'en reschappe deux de douze
+ausquels ils exercent cette cruaut, qu'ils ne meurent; et ceux qui en
+eschappent, ils les ayment et adorent comme vrays, seurs et chastes
+gardiens de la chastet de leurs femmes et garantisseurs de leur
+honneur.
+
+Nous autres Chrestiens n'usons point de ces vilaines rigueurs et par
+trop horribles; mais au lieu de ces chastrez, nous leur donnons des
+vieillards sexagnaires, comme l'on fait en Espagne et mesmes la Cour
+des Reynes de-l, lesquels j'ay veu gardiens des filles de leur cour et
+de leur suite: et Dieu sait, il y a des vieillards cent fois plus
+dangereux perdre filles et femmes que les jeunes, et cent fois plus
+inventifs, plus chaleureux et industrieux les gaigner et corrompre.
+
+Je croy que telles gardes, pour estre chenues et la teste et au
+menton, ne sont pas plus seures que les jeunes, et les vieilles femmes
+non plus; ainsi comme une vieille gouvernante espagnole conduisant ses
+filles et passant par une grande salle et voyant des membres naturels
+peints l'advantage, et fort gros et desmesurez, contre la muraille, se
+prit dire: _Mira que tan bravos no los pintan estos hombres, como
+quien no los cognosciesse_. Et ses filles se tournrent vers elles, et y
+prindrent avis, fors une que j'ay cogneu, qui, contrefaisant de la
+simple, demanda une de ses compagnes quels oiseaux estoient ceux-l:
+car il y en avoit aucuns peints avec des ailes. Elle luy respondit que
+c'estoient oiseaux de Barbarie, plus beaux en leur naturel qu'en
+peinture; et Dieu sait si elle n'en avoit point veu jamais; mais il
+falloit qu'elle en fist la mine.
+
+Beaucoup de marys se trompent bien souvent en ces gardes; car il leur
+semble que, pourveu que leurs femmes soient entre les mains des
+vieilles, que les unes et les autres appellent leurs meres pour titre
+d'honneur, qu'elles sont trs-bien gardes sur le devant, et de belles
+il n'y en a point de plus aises suborner et gaigner qu'elles; car de
+leur nature, estant avaricieuses comme elles sont, en prennent de toutes
+mains pour vendre leurs prisonnieres.
+
+D'autres ne peuvent veiller tousjours ces jeunes femmes, qui sont
+tousjours en bonne cervelle, et mesmes quand elles sont en amours, que
+la pluspart du temps elles dorment en un coin de chemine, qu'en leur
+prsence les cocus se forgent sans qu'elles y prennent garde ny n'en
+sachent rien.
+
+--J'ai cogneu une dame qui le fit une fois devant sa gouvernante si
+subtilement, qu'elle ne s'en appereut jamais.
+
+Une autre en fit de mesme devant son mary quasy visiblement, ainsi qu'il
+jouoit la prime.
+
+D'autres vieilles ont mauvaises jambes, qui ne peuvent pas suivre au
+grand trot leurs dames, qu'avant qu'elles arrivent au bout d'une alle,
+ou d'un bois, ou d'un cabinet, leurs dames ont drob leur coup en
+robbe, sans qu'elles s'en soient apperceues, n'ayant rien veu, dbiles
+de jambes et basses de la veu.
+
+D'autres vieilles et gouvernantes y a-t-il qui, ayant pratiqu le
+mestier, ont piti de voir jeusner les jeunes, et leur sont si
+dbonnaires, que d'elles-mesmes elles leur en ouvrent le chemin, et les
+en persuadent de l'en suivre, et leur assistent de leur pouvoir.
+
+Aussi l'Aretin disoit que le plus grand plaisir d'une dame qui a pass
+par-l, et tout son plus grand contentement, est d'y faire passer une
+autre de mesme.
+
+Voil pourquoy quand on se veut bien aider d'un bon ministre pour
+l'amour, on prend et s'adresse-t-on plustost une vieille maquerelle
+qu' une jeune femme. Aussi tiens-je d'un fort gallant homme qu'il ne
+prenoit nul plaisir, et le dfendoit sa femme expressment, de ne
+hanter jamais compagnies de vieilles, pour estre trop dangereuses, mais
+avec de jeunes tant qu'elle voudroit; et en allguoit beaucoup de bonnes
+raisons que je laisse aux mieux discourans discourir.
+
+Et c'est pourquoy un seigneur de par le monde, que je say, confia sa
+femme, de laquelle il estoit jaloux, une sienne cousine, fille
+pourtant, pour lui servir de surveillante; ce qu'elle fit trs-bien,
+encor que de son cost elle retinst moiti du naturel du chien de
+l'ortollan, d'autant qu'il ne mange jamais des choux du jardin de son
+maistre, et si n'en veut laisser manger aux autres; mais celle-cy en
+mangeoit, et n'en vouloit point faire manger sa cousine: si est-ce que
+l'autre pourtant lui desroboit tousjours quelque coup en cotte, dont
+elle ne s'en appercevoit, quelque fine qu'elle fust, ou feignoit de s'en
+appercevoir.
+
+--J'allguerois une infinit de remedes dont usent les pauvres jaloux
+cocus, pour brider, serrer, gesner, et tenir de court leurs femmes
+qu'elles ne fassent le saut; mais ils ont beau pratiquer tous ces vieux
+moyens qu'ils ont ouy dire, et d'en excogiter de nouveaux, car ils y
+perdent leur escrime: car quand une fois les femmes ont mis ce
+ver-coquin amoureux dans leurs testes, les envoyent toute heure chez
+Guillot le Songeur[33], ainsi que j'espere d'en discourir en un
+chapitre, que j'ay demi fait, des ruses et astuces des femmes sur ce
+point, que je confere avec les stratagesmes et astuces militaires des
+hommes de guerre[34]. Et le plus beau remede, seure et douce garde, que
+le mary jaloux peut donner sa femme, c'est de la laisser aller en son
+plein pouvoir, ainsi que j'ay ouy dire un gallant homme mari, estant
+le naturel de la femme que, tant plus on luy dfend une chose, tant plus
+elle desire le faire, et surtout en amours, o l'appetit s'eschauffe
+plus en le deffendant qu'au laisser courre.
+
+--Voicy une autre sorte de cocus, dont pourtant il y a question,
+savoir mon, si l'on joi d'une femme plein plaisir durant la vie de
+son mary cocu, et que le mary vienne dcder, et que ce serviteur
+vienne aprs espouser cette femme veufve, si, l'ayant espouse en
+secondes nopces, il doit porter le nom et titre de cocu, ainsi que j'ay
+cogneu et ouy parler de plusieurs, et de grands.
+
+Il y en a qui disent qu'il ne peut estre cocu, puisque c'est luy-mesme
+qui en a fait la faction, et qu'il n'y aye aucun qui l'aye fait cocu que
+lui-mesme, et que ses cornes sont faites de soy-mesme. Toutes fois, il y
+a bien des armuriers qui font des espes desquelles ils sont tuez o
+s'entretuent eux-mesmes.
+
+Il y en a d'autres qui disent l'estre rellement cocu, et de fait, en
+herbe pourtant, ils en alleguent force raisons; mais, d'autant que le
+procs en est indcis, je le laisse vuider la premire audience
+qu'on voudra donner pour cette cause.
+
+Si diray-je encore cettuy-cy d'une bien grande, marie encore, laquelle
+s'est compromise encore en mariage celuy qui l'entretient encore, il y
+a quatorze ans, et depuis ce temps a toujours attendu et souhaitt que
+son mary mourust. Au diable s'il a jamais pu mourir encore son
+souhait; si bien qu'elle pouvoit bien dire: Maudit soit le mary et le
+compagnon, qui a plus vescu que je ne voulois! De maladies et
+indispositions de son corps il en a eu prou, mais de mort point.
+
+Si bien que le roy Henry troisime, ayant donn la survivance de l'estat
+beau et grand qu'avoit ledict mary cocu, un fort honneste et brave
+gentilhomme, disoit souvent: Il y a deux personnes en ma Cour
+auxquelles moult tarde qu'un tel ne meure bientost: l'une pour avoir
+son estat, et l'autre pour espouser son amoureux: mais l'un et l'autre
+ont est trompez jusques icy.
+
+Voil comme Dieu est sage et provident de n'envoyer point ce que l'on
+souhaitte de mauvais: toutesfois l'on m'a dit que depuis peu sont en
+mauvais mnage, et ont brusl leur promesse de mariage de futur, et
+rompu le contrat, par grand dpit de la femme et joye du mari prtendu,
+d'autant qu'il se vouloit pourvoir ailleurs et ne vouloit plus tant
+attendre la mort de l'autre mary, qui, se mocquant des gens, donnoit
+assez souvent des allarmes qu'il s'en alloit mourir; mais enfin il a
+survescu le mary prtendu.
+
+Punition de Dieu, certes; car il ne s'ouyt jamais gures parler d'un
+mariage ainsi fait; qui est un grand cas, et norme, de faire et
+accorder un second mariage, estant le premier encor en son entier.
+
+J'aymerois autant d'une, qui est grande, mais non tant que l'autre que
+je viens de dire, laquelle, estant pourchasse d'un gentilhomme par
+mariage, elle l'espousa, non pour l'amour qu'elle luy portoit, mais
+parce qu'elle le voyoit maladif, attnu et allanguy, et mal dispos
+ordinairement, et que les mdecins lui disoient qu'il ne vivroit pas un
+an, et mesme aprs avoir cogneu cette belle femme par plusieurs fois
+dans son lict: et, pour ce, elle en esperoit bientost la mort, et
+s'accommoderoit tost aprs sa mort de ses biens et moyens, beaux meubles
+et grands advantages qu'il luy donnoit par mariage: car il estoit
+trs-riche et bien-ais gentilhomme. Elle fut bien trompe; car il vit
+encore, gaillard, et mieux dispos cent fois qu'avant qu'il l'espousast;
+depuis elle est morte. On dict que ledict gentilhomme contrefaisoit
+ainsi du maladif et marmiteux, afin que connoissant cette femme
+trs-avare, elle fust mue l'espouser sous esperance d'avoir tels
+grands biens: mais Dieu l-dessus disposa tout au contraire, et fit
+brouster la chevre l o elle estoit attache en despit d'elle.
+
+Que dirons-nous d'aucuns qui espousent des putains et courtisannes qui
+ont est trs-fameuses, comme l'on fait assez coustumirement en France
+mais, surtout en Espagne et en Italie, lesquels se persuadent de
+gaigner les oeuvres de misricorde, _por librar una anima christiana
+del infierno_[35], comme ils disent, en la sainte voye.
+
+Certainement, j'ai veu aucuns tenir cette opinion et maxime, que s'ils
+les espousoient pour ce saint et bon sujet, ils ne doivent tenir rang de
+cocus; car ce qui se fait pour l'honneur de Dieu ne doit pas estre
+converty en opprobre: moyennant aussi que leurs femmes, estant remises
+en la bonne voye, ne s'en ostent et retournent l'autre; comme j'en ay
+veu aucunes en ces deux pays, qui ne se rendoient plus pcheresses aprs
+estre maries, d'autres qui s'en pouvoient corriger, mais retournoient
+broncher dans la premire fosse.
+
+--La premire fois que je fus en Italie, je devins amoureux d'une fort
+belle courtisanne Rome, qui s'appeloit Faustine; et d'autant que je
+n'avois pas grand argent, et qu'elle estoit en trop haut prix de dix ou
+douze escus pour nuict, fallut que je me contentasse de la parole et du
+regard. Au bout de quelque temps, j'y retourne pour la seconde fois, et
+mieux garny d'argent: je l'alloy voir en son logis par le moyen d'une
+seconde, et la trouvoy marie avec un homme de justice, en son mesme
+logis, qui me recueillit de bon amour, et me contant la bonne fortune de
+son mariage, et me rejetant bien loin ses folies du temps pass,
+auxquelles elle avoit dit adieu pour jamais. Je luy monstroy de beaux
+escus franois, mourant pour l'amour d'elle plus que jamais. Elle en fut
+tente et m'accorda ce que voulus, me disant qu'en mariage faisant elle
+avoit arrest et concert avec son mary sa libert entire, mais sans
+escandale pourtant ny dguisement, moyennant une grande somme, afin que
+tous deux se pussent entretenir en grandeur, et qu'elle estoit pour les
+grandes sommes, et s'y laissoit aller volontiers, mais non point pour
+les petites. Celuy-l estoit bien cocu en herbe et gerbe.
+
+--J'ai ouy parler d'une dame de parmy le monde qui, en mariage faisant,
+voulut et arresta que son mary la laissast la Cour pour faire l'amour,
+se reservant l'usage de sa forest de Mort-Bois ou Bois-Mort, comme luy
+plairoit; aussi, en rcompense, elle lui donnoit tous les mois mille
+francs pour ses menus plaisirs, et ne se soucioit d'autre chose qu' se
+donner du bon temps.
+
+Par ainsi, telles femmes qui ont est libres, volontiers ne se peuvent
+garder qu'elles ne rompent les serrures estroites de leurs portes,
+quelque contrainte qu'il y ait, mesme o l'or sonne et reluit: tesmoin
+cette belle fille du roy Acrise, qui, toute reserre et renferme dans
+sa grosse tour, se laissa un doux aller ces belles gouttes d'or de
+Jupiter.
+
+Ha! que mal-aisment se peut garder, disoit un gallant homme, une femme
+qui est belle, ambitieuse, avare, convoiteuse d'estre brave, bien
+habille, bien diapre, et bien en point, qu'elle ne donne non du nez,
+mais du cul en terre, quoy qu'elle porte son cas arm, comme l'on dit,
+et que son mary soit brave, vaillant, et qui porte bonne espe pour le
+dfendre.
+
+J'en ay tant cogneu de ces braves et vaillants, qui ont pass par-l;
+dont certes estoit grand dommage de voir ces honnestes et vaillants
+hommes en venir-l, et qu'aprs tant de belles victoires gagnes par
+eux, tant de remarquables conquestes sur leurs ennemis, et beaux combats
+demeslez par leur valeur, qu'il faille que, parmy les belles feuilles et
+fleurs de leurs chapeaux triomphants qu'ils portent sur la teste, l'on y
+trouve des cornes entremesles, qui les deshonorent du tout: lesquels
+nantmoins s'amusent plus leurs belles ambitions par leurs beaux
+combats, honorables charges, vaillances et exploicts, qu' surveiller
+leurs femmes et esclairer leur antre obscur; et, par ainsi, arrivent,
+sans y penser, la cit et conqueste de Cornuaille, dont c'est grand
+dommage pourtant; comme j'en ay bien cogneu un brave et vaillant qui
+portoit le titre d'un fort grand, lequel un jour se plaisant raconter
+ses vaillances et conquestes, il y eut un fort honneste gentilhomme et
+grand, son alli et famillier, qui dit un autre: Il nous raconte ici
+ses conquestes, dont je m'en estonne; car le cas de sa femme est plus
+grand que toutes celles qu'il a jamais fait, ny ne fera oncques.
+
+--J'en ay bien cogneu plusieurs autres, lesquels, quelque belle grace,
+majest et apparence qu'ils pussent monstrer, si avoient-ils pourtant
+cette encolure de cocu qui les effaoit du tout; car, telle encolure et
+encloueure ne se peut cacher et feindre; quelque bonne mine et bon geste
+qu'on veuille faire, elle se connoist et s'aperoit clair; et, quant
+moy, je n'en ay jamais veu en ma vie aucun de ceux-l qui n'en eust ses
+marques, gestes, postures, et encolures, et encloueures, fors seulement
+un que j'ay cogneu, que le plus clair-voyant n'y eust sceu rien voir ny
+mordre, sans connoistre sa femme, tant il avoit bonne grace, belle faon
+et apparence honnorable et grave.
+
+Je prierois volontiers les dames qui ont de ces marys si parfaits,
+qu'elles ne leur fissent de tels tours et affronts: mais elles me
+pourront dire aussi: Et o sont-ils ces parfait, comme vous dites
+qu'estoit celuy-l que vous venez d'allguer?
+
+Certes, Mesdames, vous avez raison, car tous ne peuvent estre des
+Scipions et des Csars, et ne s'en trouve plus. Je suis d'advis doncques
+que vous ensuiviez en cela vos fantaisies; car, puisque nous parlons des
+Csars, les plus gallants y ont bien pass, et les plus vertueux et
+parfaits, comme j'ay dit, et comme nous lisons de cet accomply empereur
+Trajan, les perfections duquel ne purent engarder sa femme Plotine
+qu'elle s'abandonnast du tout au bon plaisir d'Adrian, qui fut empereur
+aprs, de laquelle il tira de grandes commoditez, profits et grandeurs,
+tellement qu'elle fut cause de son advancement; aussi n'en fut-il ingrat
+estant parvenu sa grandeur, car il l'ayma et honnora toujours si bien,
+qu'elle estant morte, il en demena si grand deuil et en conceut une
+telle tristesse, qu'enfin il en perdit pour un temps le boire et le
+manger, et fut contraint de sjourner en la Gaule Narbonnoise, o il
+sceut ces tristes nouvelles trois ou quatre mois aprs, pendant lesquels
+il escrivit au snat de colloquer Plotine au nombre des desses, et
+commanda qu'en ses obseques on lui offrist des sacrifices trs-riches et
+trs-sompteux; et cependant il employa le temps faire bastir et
+difier, son honneur et mmoire, un trs-beau temple prs Nemause,
+ditte maintenant Nismes, orn de trs-beaux et riches marbres et
+porfires, avec autres joyaux.
+
+--Voil donc comment, en matire d'amours et de ses contentements, il ne
+faut aviser rien: aussi Cupidon leur dieu est aveugle; comme il
+paroist en aucunes, lesquelles ont des marys des plus beaux, des plus
+honnestes et des plus accomplis qu'on sauroit voir, et nantmoins se
+mettent en aymer n'autres si laids et si salles, qu'il n'est possible
+de plus.
+
+J'en ay veu force desquelles on faisoit une question: Qui est la dame la
+plus putain, ou celle qui a un fort beau et honneste mary, et fait un
+amy laid, maussade et fort dissemblable son mary; ou celle qui a un
+laid et fascheux mary, et fait un bel amy bien avenant, et ne laisse
+pourtant bien aymer et caresser son mary, comme si c'estoit la beaut
+des hommes, ainsi que j'ay veu faire beaucoup de femmes?
+
+Certainement la commune voix veut que celle qui a un beau mary et le
+laisse pour aymer un amy laid, est bien une grande putain, ny plus ny
+moins qu'une personne est bien gourmande qui laisse une bonne viande
+pour en manger une meschante; aussi cette femme quittant une beaut pour
+aymer une laideur, il y a bien de l'apparence qu'elle le fait pour la
+seule paillardise, d'autant qu'il n'y a rien plus paillard ni plus
+propre pour satisfaire la paillardise, qu'un homme laid, sentant mieux
+son bouc puant, ord et lascif que son homme; et volontiers, les beaux et
+honnestes hommes sont un peu plus dlicats et moins habiles rassasier
+une luxure excessive et effrne, qu'un grand et gros ribaut barbu,
+ruraud et satyre.
+
+D'autres disent que la femme qui ayme un bel amy et un laid mary, et les
+caresse tous les deux, est bien autant putain, pour ce qu'elle ne veut
+rien perdre de son ordinaire et pension.
+
+Telles femmes ressemblent ceux qui vont par pays, et mesmes en France,
+qui, estant arrivs le soir la souppe du logis, n'oublient jamais de
+demander l'hoste la mesure du mallier, et faut qu'il l'aye, quand il
+seroit saoul plein jusqu' la gorge.
+
+Ces femmes de mesmes veulent toujours avoir leur coucher, quoy qu'il
+soit, la mesure de leur mallier, comme j'en ay cogneu une qui avoit un
+mary trs-bon embourreur de bas; encores la veulent-elles croistre et
+redoubler en quelque faon que ce soit, voulant que l'amy soit pour le
+jour qui esclaire sa beaut, et d'autant plus en fait venir l'envie la
+dame, et s'en donne plus de plaisir et contentement par l'ayde de la
+belle lueur du jour; et monsieur laid pour la nuict, car, comme on dit
+que tous chats sont gris de nuict, et pourveu que cette dame rassasie
+ses appetits, elle ne songe point si son homme de mary est laid ou beau.
+
+Car, comme je tiens de plusieurs, quand on est en ces extases de
+plaisir, l'homme ny la femme ne songent point autre sujet ny
+imagination, si-non celuy qu'ils traittent pour l'heure prsente:
+encore que je tienne de bon lieu que plusieurs dames ont fait accroire
+leurs amys que quand elles estoient-l avec leurs marys, elles
+addonnoient leurs penses leurs amys, et ne songeoient leurs marys,
+afin d'y prendre plus de plaisir; et des marys, ay-je ouy dire ainsi
+qu'estant avec leurs femmes songeoient leurs maistresses, pour cette
+mesme occasion: mais ce sont abus.
+
+Les philosophes naturels m'ont dit qu'il n'y a que le seul objet prsent
+qui les domine alors, et nullement l'absent, et en allguoient force
+raisons; mais je ne suis assez bon philosophe ny savant pour les
+dduire, et aussi qu'il y en a d'aucunes salles. Je veux observer la
+vrcondie, comme on dit. Mais pour parler de ces elections d'amours
+laides, j'en ay veu force en ma vie, dont je m'en suis estonn cent
+fois.
+
+--Retournant une fois d'un voyage de quelque province estrangere, que ne
+nommeray point de peur qu'on connoisse le sujet duquel je veux parler,
+et discourant avec une grande dame de par le monde, parlant d'une autre
+grande dame et princesse que j'avois veue-l, elle me demanda comment
+elle faisoit l'amour. Je lui nommoy le personnage lequel elle tenoit
+pour son favory, qui n'estoit ny beau ni de bonne grace, et de fort
+basse qualit. Elle me fit response: Vrayment elle se fait fort grand
+tort, et l'amour un trs-mauvais tour, puis qu'elle est si belle et si
+honneste comme on la tient.
+
+Cette dame avoit raison de me tenir ces propos, puis qu'elle n'y
+contrarioit point, et ne les dissimuloit par effet; car elle avoit un
+honneste amy et bien favory d'elle. Et quand tout est bien dit, une dame
+ne se fera jamais de reproche quand elle voudra aymer et faire election
+d'un bel object, ny de tort au mary non plus, quand ce ne seroit autre
+raison que pour l'amour de leur ligne; d'autant qu'il y a des marys qui
+sont si laids, si fats, si sots, si badauts, de si mauvaise grace, si
+poltrons, si coyons et de si peu de valeur, que leurs femmes venans
+avoir des enfants d'eux, et les ressemblans, autant vaudroit n'en avoir
+point du tout, ainsy que j'ay cogneu plusieurs dames, lesquelles ayant
+eu des enfants de tels marys, ils ont est tous tels que leurs peres;
+mais en ayant emprunt aucuns de leurs amys, ont surpass leurs peres,
+freres et soeurs en toutes choses.
+
+--Aucuns aussi des philosophes qui ont traitt de ce sujet ont tenu
+toujours que les enfants ainsi empruntez ou derobbez, ou faits
+cachettes et l'improviste, sont bien plus gallants et tiennent bien
+plus de la faon gentille dont on use les faire prestement et
+habillement, que non pas ceux qui se font dans un lict lourdement,
+fadement, pesamment, loisir, et quasi demy endormis, ne songeans
+qu' ce plaisir en forme brutalle.
+
+Aussi ay-je ouy dire ceux qui ont charge des harras des roys et grands
+seigneurs, qu'ils ont veu souvent sortir de meilleurs chevaux derobbez
+par leurs meres, que d'autres faits par la curiosit des maistres du
+haras et estallons donnez et appostez: ainsi est-il des personnes.
+
+Combien en ay-je veu de dames avoir produit des plus beaux et honnestes
+et braves enfants! Que si leurs pres putatifs les eussent faits, ils
+fussent est vrays veaux et vrayes bestes.
+
+Voil pourquoy les femmes sont bien advises de s'ayder et accommoder de
+beaux et bons estallons, pour faire de bonnes races. Mais aussi en ay-je
+bien veu qui avoient de beaux marys, qui s'aidoient de quelques amys
+laids et vilains estallons, qui procroyent de hideuses et mauvaises
+lignes.
+
+Voil une des signales commoditez et incommoditez de cocuage.
+
+--J'ay cogneu une dame de par le monde, qui avoit un mary fort laid et
+fort impertinent; mais, de quatre filles et deux garons qu'elle eut, il
+n'y eut que deux qui valussent, estants venus et faits de son amy; et
+les autres venus de son chalant de mary (je dirois volontiers
+chat-huant, car il en avoit la mine), furent fort maussades.
+
+Les dames en cela y doivent estre bien advises et habiles, car
+coustumirement les enfants ressemblent leurs pres, et touchent fort
+ leur honneur quand ils ne leur ressemblent. Ainsi que j'ay veu par
+exprience beaucoup de dames avoir cette curiosit de faire dire et
+accroire tout le monde que leurs enfants ressemblent du tout leur
+pre et non elles, encor qu'ils n'en tiennent rien; car c'est le plus
+grand plaisir qu'on leur sauroit faire, d'autant qu'il y a apparence
+qu'elles ne l'ont emprunt d'autruy, encore qu'il soit le contraire.
+
+--Je me suis trouv une fois en une grande compagnie de Cour o l'on
+advisoit le pourtrait de deux filles d'une trs-grande reyne. Chacun se
+mit dire son advis qui elles ressembloient, de sorte que tous et
+toutes dirent qu'elles tenoient du tout de la mre; mais moy, qui estois
+trs-humble serviteur de la mre, je pris l'affirmative, et dis qu'elles
+tenoient du tout du pre, et que si l'on eust cogneu et veu le pre
+comme moy, l'on me condescendroit. Sur quoy la soeur de cette mre
+m'en remercia et m'en seut trs-bon gr, et bien fort, d'autant qu'il y
+avoit aucunes personnes qui le disoient dessein, pour ce qu'on la
+souponnoit de faire l'amour, et qu'il y avoit quelque poussire dans sa
+fleute, comme l'on dit; et par ainsi mon opinion sur cette ressemblance
+du pre rabilla tout. Donc sur ce point, qui aymera quelque dame et
+qu'on verra enfants de son sang et de ses os, qu'il dit tousjours qu'ils
+tiennent du pre du tout, bien que non.
+
+Il est vray qu'en disant qu'ils ont de la mre un peu il n'y aura pas
+de mal, ainsi que dit un gentilhomme de la Cour, mon grand amy, parlant
+en compagnie de deux gentilshommes frres assez favoris du roy[36],
+qui ils ressembloient, au pre ou la mre; il respondit que celui qui
+estoit froid ressembloit au pre, et l'autre qui estoit chaud
+ressembloit la mere; par ce brocard le donnant bon la mre, qui
+estoit chaudasse; et de fait ces deux enfants participoient de ces deux
+humeurs froide et chaude.
+
+--Il y a une autre sorte de cocus qui se forme par le desdain qu'ils
+portent leurs femmes, ainsi que j'en ay cogneu plusieurs qui, ayant de
+trs-belles et honnestes femmes, n'en faisoient cas, les mesprisoient et
+desdaignoient, celles qui estoient habilles et pleines de courage, et de
+bonne maison, se sentants ainsi desdaignes, se revangeoient leur en
+faire de mesme: et soudain aprs bel amour, et de l l'effet; car,
+comme dit le refrain italien et napolitain, _amor non si vince con altro
+che con sdegno_[37].
+
+Car ainsi une femme belle, honneste, et qui se sent telle et se plaise,
+voyant que son mary la desdaigne, quand elle luy porteroit le plus grand
+amour marital du monde, mesme quand on la prescheroit et proposeroit les
+commandements de la loy pour l'aymer, si elle a le moindre coeur du
+monde, elle le plante l tout plat et fait un amy ailleurs pour la
+secourir en ses petites ncessitez, et lit son contentement.
+
+--J'ay cogneu deux dames de la Cour, toutes deux belles-soeurs; l'une
+avoit espous un mary favory, courtisan et fort habille, et qui pourtant
+ne faisoit cas de sa femme comme il devoit, veu le lieu d'o elle
+estoit, et parloit elle devant le monde comme une sauvage, et la
+rudoyoit fort. Elle, patiente, l'endura pour quelque temps, jusques ce
+que son mary vint un peu dfavoris; elle, espiant et prenant l'occasion
+au poil et propos, la luy ayant garde bonne, luy rendit aussitost le
+desdain pass qu'il luy avoit donn, en le faisant gentil cocu: comme
+fit aussi sa belle-soeur, prenant exemple elle, qui ayant est
+marie fort jeune et en tendre age, son mary n'en faisant cas comme
+d'une petite fillaude, ne l'aymoit comme il devoit; mais elle, se venant
+advancer sur l'age, et sentir son coeur en reconnoissant sa beaut,
+le paya de mesme monnoye, et luy fit un prsent de belles cornes pour
+l'intrest du pass.
+
+--D'autres-fois ay-je cogneu un grand seigneur, qui, ayant pris deux
+courtisannes, dont il y en avoit une more, pour ses plus grandes dlices
+et amyes, ne faisant cas de sa femme, encore qu'elle le recherchast avec
+tous les honneurs, amitiez et rvrances conjugales qu'elle pouvoit;
+mais il ne la pouvoit jamais voir de bon oeil ny embrasser de bon
+coeur, et de cent nuicts il ne luy en dpartoit pas deux. Qu'eust-elle
+fait la pauvrette l-dessus, aprs tant d'indignitez, si-non de faire ce
+qu'elle fit, de choisir un autre lict vaccant, et s'accoupler avec une
+autre moiti, et prendre ce qu'elle en vouloit?
+
+Au moins si ce mary eust fait comme un autre que je say, qui estoit de
+telle humeur, qui, press de sa femme, qui estoit trs-belle, et prenant
+plaisir ailleurs, lui dit franchement: Prenez vos contentements
+ailleurs, je vous en donne cong. Faites de vostre cost ce que vous
+voudrez faire avec un autre: je vous laisse en vostre libert; et ne
+vous donnez peine de mes amours, et laissez-moy faire ce qu'il me
+plaira. Je n'empescheray point vos aises et plaisirs: aussi ne
+m'empeschez les miens. Ainsi, chacun quitte de-l, tous deux mirent la
+plume au vent; l'un alla dextre et l'autre senestre, sans se soucier
+l'un de l'autre; et voil bonne vie.
+
+J'aymerois autant quelque vieillard impotent, maladif, gouteux, que j'ay
+cogneu, qui dist sa femme, qui estoit trs-belle, et ne la pouvant
+contenter comme elle le desiroit, un jour: Je say bien, m'amie, que
+mon impuissance n'est bastante pour vostre gaillard age. Pour ce, je
+vous puis tre beaucoup odieux, et qu'il n'est possible que vous me
+puissiez tre affectionne femme, comme si je vous faisois les offices
+ordinaires d'un mary fort et robuste. Mais j'ai advis de vous permettre
+et de vous donner totale libert de faire l'amour, et d'emprunter
+quelque autre qui vous puisse mieux contenter que moy. Mais, surtout,
+que vous en lisis un qui soit discret, modeste, et qui ne vous
+escandalise point, et moy et tout, et qu'il vous puisse faire une couple
+de beaux enfants, lesquels j'aymeray et tiendray comme les miens
+propres; tellement que tout le monde pourra croire qu'ils sont vrays et
+lgitimes enfants, veu que encore j'ay en moy quelques forces assez
+vigoureuses, et les apparences de mon corps suffisantes pour faire
+paroir qu'il sont miens.
+
+Je vous laisse penser si cette belle jeune femme fut aise d'avoir
+cette agrable, jolie petite remontrance, et licence de jouir de cette
+plaisante libert, qu'elle pratiqua si bien, qu'en un rien elle peupla
+la maison de deux ou trois beaux petits enfants, o le mary, parce qu'il
+la touchoit quelquefois et couchoit avec elle, y pensoit avoir part, et
+le croyoit, et le monde et tout; et, par ainsi, le mary et la femme
+furent trs-contents, et eurent belle famille.
+
+--Voici une autre sorte de cocus qui se fait par une plaisante opinion
+qu'ont aucunes femmes, c'est savoir qu'il n'y a rien plus beau ny
+plus licite, ny plus recommandable que la charit, disant qu'elle ne
+s'estend pas seulement donner aux pauvres qui ont besoin d'estre
+secourus et assistez des biens et moyens des riches, mais aussi d'ayder
+ esteindre le feu aux pauvres amants langoureux que l'on voit brusler
+d'un feu d'amour ardent: Car, disent-elles, quelle chose peut-il estre
+plus charitable, que de rendre la vie un que l'on voit se mourir, et
+raffrachir du tout celui que l'on voit se brusler? Ainsi, comme dit ce
+brave palladin, le seigneur de Montauban, soustenant la belle Genevive
+dans l'Arioste, que celle justement doit mourir qui oste la vie son
+serviteur, et non celle qui la luy donne. S'il disoit cela d'une fille,
+ plus forte raison telles charitez sont plus recommandes l'endroit
+des femmes que des filles, d'autant qu'elles n'ont point leurs bourses
+dlies ny ouvertes encor comme les femmes, qui les ont, au moins
+aucunes, trs-amples et propres pour en eslargir leurs charitez.
+
+Sur-quoy je me souviens d'un conte d'une fort belle dame de la Cour,
+laquelle pour un jour de Chandelleur s'estant habille d'une robe de
+damas blanc, et avec toute la suitte de blanc, si bien que ce jour rien
+ne parut de plus beau et de plus blanc, son serviteur ayant gaign une
+sienne compagne qui estoit belle dame aussi, mais un peu plus aage et
+mieux parlante, et propre intercder pour luy; ainsi que tous trois
+regardoient un fort beau tableau o estoit peinte une Charit toute en
+candeur et voile blanc, icelle dit sa compagne: Vous portez
+aujourd'huy le mesme habit de cette Charit; mais, puisque la
+reprsentez en cela, il faut aussi la reprsenter en effet l'endroit
+de vostre serviteur, n'estant rien si recommandable qu'une misricorde
+et une charit, en quelque faon qu'elle se face, pourveu que ce soit en
+bonne intention, pour secourir son prochain. Usez-en donc: et si vous
+avez la crainte de vostre mary et du mariage devant les yeux, c'est une
+vaine superstition que nous autres ne devons avoir, puisque nature nous
+a donn des biens en plusieurs sortes, non pour s'en servir en espargne,
+comme une salle avare de son tresor, mais pour les distribuer
+honnorablement aux pauvres souffreteux et ncessiteux. Bien est-il vray
+que nostre chastet est semblable un tresor, lequel on doit espargner
+en choses basses: mais, pour choses hautes et grandes, il le faut
+despenser en largesse, et sans espargne. Tout de mesmes faut-il faire
+part de nostre chastet, laquelle on doit eslargir aux personnes de
+mrite et vertu, et de souffrance, et la dnier ceux qui sont viles,
+de nulle valeur, et de peu de besoin. Quant nos marys, ce sont
+vrayement de belles idoles, pour ne donner qu' eux seuls nos voeux et
+nos chandelles, et n'en dpartir point aux autres belles images! car
+c'est Dieu seul qui on doit un voeu unique, et non d'autres. Ce
+discours ne deplut point la dame, et ne nuisit non plus nullement au
+serviteur, qui, par un peu de persvrance, s'en ressentit. Tels
+presches de charit pourtant sont dangereux pour les pauvres marys.
+
+--J'ay ouy conter (je ne say s'il est vray, aussi ne veux-je affirmer)
+qu'au commencement que les Huguenots plantrent leur religion, faisoient
+leurs presches la nuict et en cachettes, de peur d'estre surpris,
+recherchs et mis en peine, ainsi qu'ils furent un jour en la rue
+Saint-Jacques Paris, du temps du roy Henri second, o des grandes
+dames que je say, y allans pour recevoir cette charit, y cuidrent
+estre surprises. Aprs que le ministre avoit fait son presche, sur la
+fin leur recommandoit la charit, et incontinent aprs on tuoit leurs
+chandelles, et l un chacun et chacune l'exeroit envers son frre et sa
+soeur chrestienne, se la dpartans l'un l'autre selon leur volont
+et pouvoir; ce que je n'oserois bonnement asseurer, encore qu'on
+m'asseurast qu'il estoit vray; mais possible que cela est pur mensonge
+et imposture. Toutefois je say bien qu' Poitiers pour lors il y avoit
+une femme d'un advocat, qu'on nommoit la belle Gotterelle[38], que j'ay
+veue, qui estoit des plus belles femmes, ayant la plus belle grace et
+faon, et des plus dsirables qui fussent en la ville pour lors; et pour
+ce chacun lui jettoit les yeux et le coeur. Elle fut repasse au
+sortir du presche, par les mains de douze escoliers, l'un aprs l'autre,
+tant au lieu du consistoire que sous un auvent, encore ay-je ouy dire
+sous une potence du Marche Vieux, sans qu'elle en fist un seul bruit ny
+autre refus; mais, demandant seulement le mot du presche, les recevoit
+les uns aprs les autres courtoisement, comme ses vrays freres en
+Christ. Elle continua envers eux cette aumosne long temps, et jamais
+elle n'en voulut prester pour un double un papiste: si en eut-ils
+nantmoins plusieurs papistes qui, empruntans de leurs compagnons
+huguenots le mot et le jargon de leur assemble, en jouirent. D'autres
+alloient au presche exprs, et contrefaisoient les Rformez, pour
+l'apprendre, afin de joir de cette belle femme. J'tois lors Poitiers
+jeune garon estudiant, que plusieurs bons compagnons, qui en avoient
+leur part, me le dirent et me le jurrent: mesme le bruit estoit tel en
+la ville. Voil une plaisante charit, et conscientieuse femme, faire
+ainsi choix de son semblable en la religion!
+
+Il y a une autre forme de charit qui se pratique, et s'est pratique
+souvent, l'endroit des pauvres prisonniers qui sont s prisons, et
+privez des plaisirs des dames, desquels les geollieres et les femmes qui
+en ont la garde, ou, les castellanes qui ont dans les chasteaux des
+prisonniers de guerre, en ayant piti, leur font part de leur amour, et
+leur donnent de cela par charit et misricorde; ainsi que dit une fois
+une courtisanne romaine sa fille de laquelle un gallant estoit
+extresmement amoureux, et ne luy en vouloit pas donner pour un double.
+Elle luy dit: _E da gli al manco per misericordia_[39].
+
+Ainsi ces geollieres, castellanes et autres, traittent leurs
+prisonniers, lesquels, bien qu'ils soient captifs et misrables, ne
+laissent sentir les picqueures de la chair, comme au meilleur temps
+qu'ils pourroient avoir. Aussi dit-on en vieil proverbe: L'envie en
+vient de pauvret; et aussi bien sur la paille et sur la dure messer
+Priape hausse la teste, comme dans le lict du monde le meilleur et le
+plus doux. Voil pourquoy les gueux et les prisonniers, parmi leurs
+hospitaux et prisons, sont aussi paillards que les roys, les princes et
+les grands, dans leurs beaux pallais et licts royaux et dlicats.
+
+Pour en confirmer mon dire, j'allgueray un conte que me fit un jour le
+capitaine Beaulieu, capitaine de galleres, duquel j'ay parl
+quelquefois. Il estoit feu M. le grand-prieur de France, de la maison
+de Lorraine, et estoit fort aym de luy: l'allant un jour trouver
+Malthe dans une frgatte, il fut pris des galleres de Sicile, et men
+prisonnier au Castel Mare de Palerme, o il fut resserr en une prison
+fort estroite, obscure et misrable, et trs-mal trait, l'espace de
+trois mois. Par cas, le castellan, qui estoit Espagnol, avoit deux fort
+belles filles, qui, l'oyant plaindre et attrister, demandrent un jour
+cong au pere pour le visiter pour l'honneur de Dieu, qui leur permit
+librement. Et d'autant que le capitaine Beaulieu estoit fort gallant
+homme certes, et disoit des mieux, il les sceut si bien gagner ds
+l'abord de cette premire visite, qu'elles obtinrent du pere qu'il
+sortist de cette meschante prison, et fust mis en une chambre assez
+honneste, et receust meilleur traitement. Ce ne fut pas tout, car elles
+obtindrent cong de l'aller voir librement tous les jours une fois et
+causer avec luy. Tout cela se demena si bien que toutes deux en furent
+amoureuses, bien qu'il ne fust pas beau et elles trs-belles, que, sans
+respect aucun, ny de prison plus rigoureuse, ny d'hazard de mort, mais
+tent de privautez, il se mit joir de toutes deux bien et beau tout
+son aise; et dura ce plaisir sans escandale, et fut si heureux en cette
+conqueste l'espace de huict mois, qu'il n'en arriva nul escandale, mal,
+inconvnient, ni de ventre enfl, ny d'aucune surprise ny dcouverte:
+car ces deux soeurs s'entendoient et s'entredonnoient si bien la main,
+et se relevoient si gentiment de sentinelle, qu'il n'en fut jamais autre
+chose; et me jura, car il estoit fort mon amy, qu'en sa plus grande
+libert il n'eut jamais si bon temps, ny plus grande ardeur, ny appetit
+ cela, qu'en cette prison, qui luy estoit trs-belle, bien qu'on die
+n'y en avoir jamais aucunes belles. Et luy dura tout ce bon temps
+l'espace de huict mois, que la trve fut faite entre l'Empereur et le
+roi Henri second, que tous les prisonniers sortirent et furent
+relaschs: et me jura que jamais il ne se fascha tant que de sortir de
+cette si bonne prison; mais bien gast laisser ces belles filles, tant
+favoris d'elles, qui au dpartir en firent tous les regrets du monde.
+
+Je luy demanday si jamais il apprhenda inconvenient s'il fust est
+dcouvert. Il me dit bien qu'ouy, mais non qu'il le craignist: car, au
+pis aller, on l'eust fait mourir; et il eust autant aym mourir que
+rentrer en sa premire prison. De plus, il craignoit que s'il n'eust
+content ces honnestes filles, puisqu'elles le recherchoient tant,
+qu'elles en eussent conceu un tel desdaing et dpit, qu'il en eust eu
+quelque pire traitement encore; et pour ce, bandant les yeux tout, il
+se hasarda cette belle fortune. Certes on ne sauroit assez louer ces
+bonnes filles espagnoles si charitables: ce ne sont pas les premieres ny
+les dernieres.
+
+--On a dit d'autres fois en nostre France, que le duc d'Ascot,
+prisonnier au bois de Vincennes, se sauva de prison par le moyen d'une
+honneste dame, qui toutesfois s'en cuida trouver mal, car il y alloit du
+service du Roy[40]: et telles charitez sont rprouvables, qui touchent
+le party du gnral, mais fort bonnes et louables, quand il n'y va que
+du particulier, et que le seul joly corps s'y expose; peu de mal pour
+cela. J'allguerois force braves exemples faisant ce sujet, si j'en
+voulois faire un discours part, qui n'en seroit pas trop mal plaisant.
+Je ne diray que cettuy-ci, et puis nul autre, pour estre plaisant et
+antique.
+
+Nous trouvons dans Tite-Live que les Romains, aprs qu'ils eurent mis la
+ville de Capoue totale destruction, aucuns des habitants vindrent
+Rome pour reprsenter au snat leur misere, le prierent d'avoir piti
+d'eux. La chose fut mise au conseil: entr'autres qui opinrent fut M.
+Atilius Regulus, qui tint qu'il ne leur falloit faire aucune grace, car
+il ne sauroit trouver en tout, disoit-il, aucun Capoan, depuis la
+rvolte de leur ville, qu'on pust dire avoir port le moindre brin
+d'amiti et d'affection la rpublique romaine, que deux honnestes
+femmes: l'une, Vesta Opia, atellane, de la ville d'Atelle, demeurant
+Capoe pour lors; et l'autre, Francula Cluvia; qui toutes deux avoient
+est autresfois filles de joye et courtisannes, en faisant le mestier
+publiquement. L'une n'avoit laiss passer un seul jour sans faire
+prieres et sacrifices pour le salut et victoire du peuple romain; et
+l'autre, pour avoir secouru cachettes de vivres les pauvres
+prisonniers de guerre mourants de faim et pauvret.
+
+Certes voil des charitez et pitez trs-belles; dont sur ce un gentil
+cavalier, une honneste dame et moy, lisants un jour ce passage, nous
+nous entredismes soudain que, puisque ces deux honnestes dames
+s'estoient desj avances et estudies de si bons et pies offices,
+qu'elles avoient bien pass d'autres, et leur dpartir les charitez
+de leurs corps; car elles en avoient distribu d'autres fois d'autres
+estans courtisannes, ou possible qu'elles l'estoyent encore; mais le
+livre ne le dit pas, et a laiss le doute-l; car il se peut prsumer.
+Mais quand bien elles eussent continu le mestier et quitt pour quelque
+temps, elles le purent reprendre ce coup-l, n'estant rien si ais et si
+facile faire; et peut-estre aussi qu'elles y cogneurent et receurent
+encore quelques uns de leurs bons amoureux, de leurs vieilles
+connoissances, qui leur avoient autresfois saut sur le corps, et leur
+en voulurent encor donner sur quelques vieilles erres, ou du tout: aussi
+que, parmi les prisonniers, elles y en purent voir aucuns incogneus
+qu'elles n'avoient jamais veu que cette fois, et les trouvoient beaux,
+braves et vaillants, de belles faons, qui mritoient bien la charit
+tout entire, et pour ce ne leur espargnant la belle joissance de leur
+corps, il ne se peut faire autrement. Ainsi, en quelque faon que ce
+fust, ces honnestes dames mritoient bien la courtoisie que la
+rpublique romaine leur fit et recogneut, car elle leur fit rentrer en
+tous leurs biens, et en joirent aussi paisiblement que jamais; encor
+plus, leur firent savoir qu'elles demandassent ce qu'elles
+voudroient, elles l'auroient; et pour en parler au vray, si Tite-Live ne
+fust est si abstraint, comme il ne devoit, la vrcondie et modestie,
+il devoit franchir le mot tout trac d'elles, et dire qu'elles ne leur
+avoient espargn leur gent corps; et ainsi ce passage d'histoire fust
+est plus beau et plaisant lire, sans aller l'abbrger, et laisser au
+bout de la plume le plus beau de l'histoire. Voil ce que nous en
+discourusmes pour lors.
+
+--Le roy Jean, prisonnier en Angleterre, receut de mesme plusieurs
+faveurs de la comtesse de Salsberiq, et si bonnes, que, ne la pouvant
+oublier, et les bons morceaux qu'elle luy avoit donns, qu'il s'en
+retourna la revoir, ainsi qu'elle luy fit jurer et promettre.
+
+--D'autres dames y a-t-il qui sont plaisantes en cela pour certain
+poinct de conscientieuse charit; comme une qui ne vouloit permettre
+son amant, tant qu'il couchoit avec elle, qu'il la baisast le moins du
+monde la bouche, allguant par ses raisons que sa bouche avoit fait le
+serment de foy et de fidlit son mary, et ne la vouloit point
+souiller par la bouche qui l'avoit fait et prest; mais quant celle du
+ventre, qui n'en avoit point parl ni rien promis, lui laissoit faire
+son bon plaisir, et ne faisoit point de scrupule de la prester, n'estant
+en puissance de la bouche du haut de s'obliger pour celle du bas, ny
+celle du bas pour celle du haut non plus; puisque la coustume du droit
+ordonnoit de ne s'obliger pour autruy sans consentement et parole de
+l'une et de l'autre, ny un seul pour le tout en cela.
+
+--Une autre conscentieuse et scrupuleuse, donnant son amy joissance
+de son corps, elle vouloit toujours faire le dessus, et sous-mettre
+soy son homme, sans passer d'un seul iota cette regle; et, l'observant
+estroitement et ordinairement, disoit-elle que si son mary ou autre lui
+demandoit si un tel luy avoit fait cela, qu'elle pust jurer et renier,
+et seurement protester, sans offenser Dieu, que jamais il ne luy avoit
+fait ny mont sur elle. Ce serment sceut-elle si bien pratiquer, qu'elle
+contenta son mary et autres par ses jurements serrez en leurs demandes,
+et la creurent, veu ce qu'elle disoit, mais n'eurent jamais l'advis de
+demander, ce disoit-elle, si jamais elle avoit fait le dessus, surquoy
+m'eussent bien mespris et donner songer. Je pense en avoir encor
+parl cy-dessus; mais on ne se peut pas toujours souvenir de tout; et
+aussi il y en a cettuy-cy plus qu'en l'autre, s'il me semble.
+
+--Coustumirement, les dames de ce mestier sont grandes menteuses, et ne
+disent mot de vrit; car elles ont tant appris et accoustum mentir
+(ou si elles font autrement sont des sottes, et mal leur en prend)
+leurs marys et amants sur ces sujets et changements d'amour, et jurer
+qu'elles ne s'adonnent autres qu' eux, que, quand elles viennent
+tomber sur autres sujets de consquence, ou d'affaires, ou discours,
+jamais ne font que mentir, et ne leur peut-on croire.
+
+D'autres femmes ay-je cogneu et ouy parler, qui ne donnoyent leur
+amant leur joissance, si-non quand elles estoient grosses, afin de
+n'engroisser de leur semence; en quoy elles faisoient grande conscience
+de supposer aux marys un fruit qui n'estoit pas eux, et le nourrir,
+alimenter et lever comme le leur propre. J'en ay encore parl
+cy-dessus. Mais, estant grosses une fois, elles ne pensoient point
+offenser le mary, ny le faire cocu, en se prostituant. Possible aucunes
+le faisoient pour les mesmes raisons que faisoit Julia, fille d'Auguste,
+et femme d'Agrippa, qui fut en son temps une insigne putain, dont son
+pere en enrageoit plus que le mary. Luy estant demand une fois si elle
+n'avoit point de crainte d'engroisser de ses amys, et que son mary s'en
+aperceust et ne l'affolast, elle respondit: J'y mets ordre, car je ne
+reois jamais personne ny passager dans mon navire, si-non quand il est
+charg et plein.
+
+Voicy encore une autre sorte de cocus; mais ceux-l sont vrays martyrs,
+qui ont des femmes laides comme diables d'enfer, qui se veulent mesler
+de taster de ce doux plaisir aussi bien que les belles, ausquelles le
+seul privilge est deu, comme dit le proverbe: _Les beaux hommes au
+gibet, et les belles femmes au bourdeau_[41]: et, toutesfois, ces laides
+charbonnires font la folie comme les autres, lesquelles il faut
+excuser, car elles sont femmes comme les autres, et ont pareille nature,
+mais non si belle. Toutesfois, j'ai veu des laides, au moins en leur
+jeunesse, qui s'apprcient tant pourtant comme les belles, ayant opinion
+que femme ne vaut autant, si-non ce qu'elle se veut faire valloir et se
+vendre; aussi qu'en un bon march toutes denres se vendent et se
+dpositent[42], les unes plus, les autres moins, selon qu'on en a
+faire, et selon l'heure tardive que l'on vient au march aprs les
+autres, et selon le bon prix que l'on y trouve; car, comme l'on dit,
+l'on court toujours au meilleur march, encore que l'estoffe ne soit la
+meilleure, mais selon la facult du marchand et de la marchande. Ainsi
+est-il des femmes laides, dont j'en ay veu aucunes, qui, ma foy,
+estoient si chaudes et lubriques, et duites l'amour aussi bien que les
+plus belles, et se mettoyent en place marchande, et vouloient s'avancer
+et se faire valloir tout de mesmes. Mais le pis que je vois en elles,
+c'est qu'au lieu que les marchands prient les plus belles, celles-cy
+laides prient les marchands de prendre et d'achepter de leurs denres,
+qu'elles leur laissent pour rien et vil prix: mesmes font-elles mieux;
+car le plus souvent leur donnent de l'argent pour s'accoster de leurs
+chalanderies et se faire fourbir eux; dont voil la piti: car pour
+telle fourbissure, il n'y faut petite somme d'argent; si bien que la
+fourbissure couste plus que ne vaut la personne, et la lexive que l'on y
+met pour bien la fourbir, et cependant monsieur le mary demeure cocu et
+coquin tout ensemble d'une laide, dont le morceau est bien plus
+difficile digrer que d'une belle; outre que c'est une misere extresme
+d'avoir ses costez un diable d'enfer couch, au lieu d'un ange. Sur
+quoy j'ay ouy souhaitter plusieurs galants hommes une femme belle et
+un peu putain, plustost qu'une femme laide et la plus chaste du monde;
+car en une laideur n'y loge que toute misere et desplaisir, et nul brin
+de flicit. En une belle, tout plaisir et flicit y abonde, et bien
+peu de misere, selon aucuns. Je m'en rapporte ceux qui ont battu cette
+sente et chemin. A aucuns j'ay ouy dire que, quelques fois, pour les
+marys, il n'est si besoin aussi qu'ils ayent leurs femmes si chastes;
+car elles en sont si glorieuses, je dis celles qui ont ce don trs-rare,
+que quasi vous diriez qu'elles veulent dominer, non leurs marys
+seulement, mais le ciel et les astres: voire qu'il leur semble, par
+telle orgueilleuse chastet, que Dieu leur doive du retour. Mais elles
+sont bien trompes; car j'ay ouy dire de grands docteurs que Dieu ayme
+plus une pauvre pcheresse, humiliante et contrite (comme il fit la
+Magdelaine), que non pas une orgueilleuse et superbe qui pense avoir
+gagn le paradis, sans autrement vous loir misricorde ny sentence de
+Dieu.
+
+--J'ay ouy parler d'une dame si glorieuse pour sa chastet qu'elle vint
+tellement mpriser son mary, que, quand on lui demandoit si elle avoit
+couch avec son mary: Non, disoit-elle, mais il a bien couch avec
+moy. Quelle gloire! Je vous laisse donc penser comme ces glorieuses
+sottes femmes chastes gourmandent leurs pauvres marys, d'ailleurs qui ne
+leur sauroient rien reprocher, et comme font aussi celles qui sont
+chastes et riches, d'autant que cette-cy, chaste et riche du sien, fait
+de l'olimbrieuse, de l'altire, de la superbe et de l'audacieuse,
+l'endroit de son mary: tellement que, pour la trop grande prsomption
+qu'elle a de sa chastet et de son devant tant bien gard, ne la peut
+retenir qu'elle ne fasse de la femme emperiere, qu'elle ne gourmande son
+mary sur la moindre faute qu'il fera, comme j'en ay veu aucunes, et sur
+tout sur son mauvais menage. S'il joe, s'il dpend, ou s'il dissipe,
+elle crie plus, elle tempeste, fait que sa maison paroist plus un enfer
+qu'une noble famille: et s'il faut vendre de son bien pour subvenir un
+voyage de cour ou de guerre, ou ses procs, ncessitez, ou ses
+petites folies et despenses frivolles, il n'en faut pas parler; car la
+femme a pris telle impriosit sur lui, s'appuyant et se fortifiant sur
+sa pudicil, qu'il faut que le mary passe par sa sentence, ainsi que dit
+fort bien Juvenal en ses satyres.
+
+ _Animus uxoris si deditus uni,_
+ _Nil unquam invit donabis conjuge vendes._
+ _Hac obstante nihil hc si nolit emetur_[43].
+
+Il note bien par ces vers que telles humeurs des anciennes Romaines
+correspondoient aucunes de nostre temps quant ce poinct; mais, quand
+une femme est un peu putain, elle se rend bien plus aise, plus sujette,
+plus docile, craintive, de plus douce et agrable humeur, plus humble et
+plus prompte faire tout ce que le mary veut, et lui condescend en
+tout; comme j'en ay veu plusieurs telles, qui n'osent gronder, ny crier,
+ny faire des acariastres, de peur que le mary ne les menace de leur
+faute, et ne leur mette au devant leur adultere, et leur fasse sentir
+aux despens de leur vie; et si le galant veut vendre quelque bien du
+leur, les voil plustost signes au contract que le mary ne l'a dit.
+J'en ay veu de celles-l force: bref, elles font ce que leurs marys
+veulent.
+
+Sont-ils bien gastez ceux-l donc d'estre cocus de si belles femmes, et
+d'en tirer de si belles denres et commoditez que celles-l, outre le
+beau et dlicieux plaisir qu'ils ont de paillarder avec de si belles
+femmes, et nager avec elles comme dans un beau et clair courant d'eau,
+et non dans un salle et laid bourbier? Et puisqu'il faut mourir, comme
+disoit un grand capitaine que je say, ne vaut-il pas mieux que ce soit
+par une belle jeune espe, claire, nette, luisante et bien tranchante,
+que par une lame vieille, rouille et mal fourbie, l o il y faut plus
+d'meric que tous les fourbisseurs de la ville de Paris ne sauroient
+fournir?
+
+Et ce que je dis des jeunes laides, j'en dis autant d'aucunes vieilles
+femmes qui veulent estre fourbies et se faire tenir et nettes et claires
+comme les plus belles du monde (j'en fais ailleurs un discours
+part[44] de cela): et voil le mal; car, quand leurs marys n'y peuvent
+vacquer, les maraudes appellent des supplments, et comme estants si
+chaudes, ou plus, que les jeunes: comme j'en ay veu qui ne sont pas sur
+le commencement et mitan prestes d'enrager, mais sur la fin. Et
+volontiers l'on dit que la fin en ces mestiers est plus enrage que les
+deux autres, le commencement et le mitan, pour le vouloir; car, la
+force et la disposition leur manquent, dont la douleur leur est
+trs-griefve, d'autant que le vieil proverbe dit que c'est une grande
+douleur et dommage, quand un c... a trs-bonne volont, et que la force
+lui dfaut. Si y en a-t-il toujours quelques-unes de ces pauvres
+vieilles haires qui passent par bardot[45], et departent leurs largesses
+aux despens de leurs deux bourses; mais celle de l'argent fait trouver
+bonne et estroite l'autre de leurs corps. Aussi dit-on que la libralit
+en toutes chose est plus estimer que l'avarice et la chichet, fors
+aux femmes, lesquelles, tant plus sont librales de leurs cas, tant
+moins sont estimes, et les avares et chiches tant plus. Cela disoit une
+fois un grand seigneur de deux grandes dames soeurs que je say, dont
+l'une estoit chiche de son honneur, et librale de la bourse et
+despense, et l'autre fort escarce[46] de sa bourse et despense, et
+trs-librale de son devant.
+
+--Or, voici encore une autre race de cocus qui est certes par trop
+abominable et excrable devant Dieu et les hommes, qui, amouraschs de
+quelque bel Adonis, leur abandonnent leurs femmes pour jouir d'eux. La
+premire fois que je fus jamais en Italie, j'en ouys un exemple
+Ferrare, par un conte qui m'y fut fait d'un qui, espris d'un jeune homme
+beau, persuada sa femme d'octroyer sa joissance audit jeune homme qui
+estoit amoureux d'elle, et qu'elle luy assignast jour, et qu'elle fist
+ce qu'il luy commanderoit. La dame le voulut trs-bien, car elle ne
+desiroit manger autre venaison que de celle-l. Enfin le jour fut
+assign, et l'heure estant venue que le jeune homme et la femme estoient
+en ces douces affaires et alteres, le mary, qui s'estoient cach, selon
+le concert d'entre luy et sa femme, voici qu'il entra; et les prenant
+sur le fait, approcha la dague la gorge du jeune homme, le jugeant
+digne de mort sur tel forfait, selon les loix d'Italie, qui sont un peu
+plus rigoureuses qu'en France. Il fut contraint d'accorder au mary ce
+qu'il voulut, et firent eschange l'un de l'autre: le jeune homme se
+prostitua au mary, et le mary abandonna sa femme au jeune homme; et par
+ainsi, voil un mary cocu d'une vilaine faon.
+
+--J'ai ouy conter qu'en quelque endroit du monde (je ne le veux pas
+nommer) il y eut un mary, et de qualit grande, qui estoit vilainement
+espris d'un jeune homme qui aimoit fort sa femme, et elle aussi luy:
+soit ou que le mary eust gaign sa femme, ou que ce fust une surprise
+l'improviste, les prenant tous deux couchs et accoupls ensemble,
+menaant le jeune homme s'il ne luy complaisoit, l'investit tout couch,
+et joint et coll sur sa femme, et en joit; dont sortit le problme,
+comme trois amants furent joissants et contents tout un mesme coup
+ensemble.
+
+--J'ay ouy conter d'une dame, laquelle esperdument amoureuse d'un
+honneste gentilhomme qu'elle avoit pris pour amy et favory, luy se
+craignant que le mary luy feroit et elle quelque mauvais tour, elle le
+consola, lui disant: N'ayez pas peur; car il n'oseroit rien faire,
+craignant que je l'accuse de m'avoir voulu user de l'arrire-Vnus, dont
+il en pourroit mourir si j'en disois le moindre mot et le dclarois la
+justice. Mais je le tiens ainsi en eschec et en allarme; si bien que,
+craignant mon accusation, il ne m'ose pas rien dire. Certes telle
+accusation n'eust pas port moins de prjudice ce pauvre mary que de
+la vie: car les lgistes disent que la sodomie se punit pour la volont;
+mais possible que la dame ne voulut pas franchir le mot tout trac, et
+qu'il n'eust pass plus avant sans s'arrter la volont.
+
+--Je me suis laiss conter qu'un de ces ans un jeune gentilhomme
+franois, l'un des beaux qui fust est veu la cour longtemps, estant
+all Rome pour y apprendre les exercices, comme autres ses pareils,
+fut arregard de si bon oeil, et par si grande admiration de sa
+beaut, tant des hommes que des femmes, que quasi on l'eust couru
+force: et l o ils le savoient aller la messe, ou autre lieu public
+et de congrgation, ne failloient, ny les uns, ny les autres, de s'y
+trouver pour le voir; si bien que plusieurs marys permirent leurs
+femmes de lui donner assignation d'amours en leurs maisons, afin qu'y
+estant venu et surpris, fissent eschange, l'un de sa femme, et l'autre
+de luy: dont luy en fut donn advis de ne se laisser aller aux amours et
+volontez de ces dames, d'autant que le tout avoit est fait et appost
+pour l'attrapper; en quoy il se fit sage, et prfra son honneur et sa
+conscience tous les plaisirs dtestables, dont il en acquist une
+louange trs-digne. Enfin, pourtant, son escuyer le tua. On en parle
+diversement pourquoy: dont ce fut trs-grand dommage, car c'estoit un
+fort honneste jeune homme, de bon lieu, et qui promettoit beaucoup de
+luy, autant de sa physionomie, pour ses actions nobles, que pour ce
+beau et noble trait: car, ainsi que j'ay ouy dire un fort gallant
+homme de mon temps, et qu'il est aussi vray, nul jamais b....., n'y
+bardasch, ne fut brave, vaillant et gnreux, que le grand Jules Csar;
+aussi que par la grande permission divine telles gens abominables sont
+rdigs et mis sens reprouvez: en quoy je m'estonne que plusieurs, que
+l'on a veu tachs de ce mchant vice, sont est continuez du ciel en
+grands prospritez; mais Dieu les attend, et la fin on en voit ce que
+doit estre d'eux.
+
+Certes, de telle abomination, j'en ay ouy parler que plusieurs marys en
+sont est atteints bien au vif; car, malheureux qu'ils sont et
+abominables, ils se sont accommodez de leurs femmes plus par le derriere
+que par le devant, et ne se sont servis du devant que pour avoir des
+enfants; et traittent ainsi leurs pauvres femmes, qui ont toute leur
+chaleur en leurs belles parties de la devantire. Sont-elles pas
+excusables si elles font leurs marys cocus, qui ayment leurs ordes et
+salles parties de derriere?
+
+Combien y a-t-il de femmes au monde, que si elles estoient visites par
+des sages femmes, mdecins et chirurgiens experts, ne se trouveroient
+non plus pucelles par le derrire que par le devant, et qui feroient le
+procs leurs marys l'instant; lesquelles le dissimulent, et ne
+l'osent dcouvrir, de peur d'escandaliser, et elles et leurs marys ou
+possible qu'elles y prennent quelque plaisir plus grand que nous ne
+pouvons penser; ou bien, pour le dessein que je viens de dire, pour
+tenir leurs maris en telle sujection, si elles font l'amour d'ailleurs,
+mesmes qu'aucuns marys leur permettent; mais pourtant tout cela ne vaut
+rien.
+
+--Summa Benedicti dit que si le mary veut recognoistre sa partie ainsi
+contre l'ordre de nature, qu'il offense mortellement; et s'il veut
+maintenir qu'il peut disposer de sa femme comme il luy plaist, il tombe
+en dtestable et vilaine hrsie d'aucuns Juifs et mauvais rabins, dont
+on dit que _duabus mulieribus apud synagogam conquestis se fuisse
+viris suis cognitu sodomiquo cognitis, responsum est ab illis rabinis,
+virum esse uxoris dominum, proinde posse uti ejus utcunque libuerit, non
+aliter qum is qui piscem emit: ille enim, tam anterioribus qum
+posterioribus partibus, ad arbitrium vesci potest_. J'ay mis cela en
+latin sans le traduire en franois, car il sonne trs-mal des oreilles
+bien honnestes et chastes. Abominables qu'ils sont! laisser une belle,
+pure et concde partie, pour en prendre une villaine, salle, orde et
+dfendue, et mise en sens rprouv!
+
+Et si l'homme veut ainsi prendre la femme, il est permis elle se
+sparer de luy, s'il n'y a autre moyen de le corriger: et pourtant,
+dit-il encore, celles qui craignent Dieu n'y doivent jamais consentir,
+ains plustost doivent crier la force, nonobstant l'escandale qui
+pourroit arriver en cela, et le deshonneur ny la crainte de mort; car il
+vaut mieux mourir, dit la loy, que de consentir au mal. Et dit encor
+ledit livre une chose que je trouve fort estrange: qu'en quelque mode
+que le mary connoisse sa femme, mais qu'elle en puisse concevoir, ce
+n'est point pch mortel, combien qu'il puisse estre vniel: si y a-t-il
+pourtant des mthodes pour cela fort salles et villaines, selon que
+l'Artin les reprsente en ses figures, et ne ressentent rien la
+chastet maritale; bien que, comme j'ay dit, il soit permis l'endroit
+des femmes grosses, et aussi de celles qui ont l'haleine forte et
+puante, tant de la bouche que du nez: comme j'en ay cogneu et ouy parler
+de plusieurs femmes, lesquelles baiser et alleiner autant vaudroit qu'un
+anneau de retrait; ou bien comme j'ai ouy parler d'une trs-grande dame,
+mais je dis trs-grande, qu'une de ses dames dit un jour que son
+halleine sentoit plus qu'un pot--pisser d'airain; ainsi m'usa-t-elle de
+ces mots: un de ses amis fort priv, et qui s'approchoit prs d'elle, me
+le confirma aussi: si est-il vray qu'elle estoit un peu sur l'ge.
+
+L-dessus que peut faire un mary ou un amant, s'il n'a recours quelque
+forme extravagante, mais surtout qu'elle n'aille point
+l'arrire-Vnus? J'en dirois davantage, mais j'ai horreur d'en parler:
+encore m'a-t-il fasch d'en avoir tant dit; mais si faut-il quelquefois
+descouvrir les vices du monde pour s'en corriger.
+
+--Or il faut que je die une mauvaise opinion que plusieurs ont eue et
+ont encores de la cour de nos roys, que les filles et femmes y bronchent
+fort, voire coustmirement: en quoy bien souvent sont-il trompez, car il
+y en a de trs-chastes, honnestes et vertueuses, voire plus qu'ailleurs,
+et la vertu y habite aussi-bien, voire mieux qu'en tous autres lieux,
+que l'on doit fort priser pour estre bien preuve. Je n'allgueray que
+ce seul exemple de madame la grande duchesse de Florence d'aujourd'huy,
+de la maison de Lorraine, laquelle estant arriv Florence le soir que
+le grand-duc l'pousa, et qu'il voulut aller coucher avec elle pour la
+dpuceler, il la fit avant pisser dans un beau urinal de cristal, le
+plus beau et le plus clair qu'il put, et en ayant vue l'urine, il la
+consulta avec son mdecin, qui estoit un trs-grand et trs-savant et
+expert personnage, pour savoir de luy par cette inspection si elle
+estoit pucelle, ouy ou non. Le mdecin l'ayant bien fixement et
+doctement inspice, il trouva qu'elle estoit telle comme quand sortit du
+ventre de sa mre, et qu'il y allast hardiement, et qu'il n'y trouveroit
+point le chemin nullement ouvert, fray ni battu; ce qu'il fit, et en
+trouva la vrit telle; et puis, le lendemain en admiration, dit: Voil
+un grand miracle, que cette fille soit ainsi sortie pucelle de cette
+cour de France! Quelle curiosit et quelle opinion! Je ne sai s'il est
+vrai, mais il me l'a ainsi est asseur pour vritable. Voil une belle
+opinion de nos cours; mais ce n'est d'aujourd'huy, ains de long-temps,
+qu'on tenoit que toutes les dames de Paris et de la cour n'estoient si
+sages de leur corps comme celles du plat pays, et qui ne bougeoient de
+leurs maisons, il y a eu des hommes qui estoient si consciencieux de
+n'espouser que des filles et femmes qui eussent fort pays, et veu le
+monde tant soit peu. Si bien qu'en notre Guyenne, du temps de mon jeune
+aage, j'ay ouy dire plusieurs gallants hommes et veu jurer qu'ils
+n'espouseroient jamais fille ou femme qui auroit pass le port de Pille,
+pour tirer de longue vers la France. Pauvres fats qu'ils estoient en
+cela, encor qu'ils fussent fort habiles et gallants en autres choses, de
+croire que le cocuage ne se logeast dans leurs maisons, dans leurs
+foyers, dans leurs chambres, dans leurs cabinets, aussi bien, ou
+possible mieux, selon la commodit, qu'aux palais royaux et grandes
+villes royales! car on leur alloit suborner, gagner, abattre et
+rechercher leurs femmes, ou quand ils alloient eux-mesmes la Cour,
+la guerre, la chasse, leurs procez ou leurs promenoirs, si bien
+qu'ils ne s'en appercevoyent; et estoient si simples de penser qu'on ne
+leur osoit entamer aucun propos d'amour, si-non que de mesnageries, de
+leurs jardinages, de leurs chasses et oiseaux; et, sous cette opinion et
+legere creance, se faisoient mieux cocus qu'ailleurs; car, partout,
+toute femme belle et habile, et aussi tout homme honneste et gallant,
+sait faire l'amour, et se sait accommoder. Pauvres fats et idiots
+qu'ils estoient! Et ne pouvoient-ils pas penser que Vnus n'a nulle
+demeure prefisse, comme jadis en Cypre, en Paros et Amatonte, et qu'elle
+habite par-tout jusques dans les cabanes des pastres et girons des
+bergres, voire des plus simplettes?
+
+Depuis quelque temps en , ils ont commenc perdre ces sottes
+opinions; car, s'estant apperceu que par-tout y avoit du danger pour ce
+triste cocuage, ils ont pris femmes partout o il leur a plu et ont pu;
+et si ont mieux fait: ils les ont envoyes ou menes la Cour, pour les
+faire valoir ou parestre en leurs beautez, pour en faire venir l'envie
+aux uns ou aux autres, afin de s'engendrer des cornes. D'autres les ont
+envoyes, et menes playder et solliciter leurs procez, dont aucuns n'en
+avoient nullement, mais faisoient croire qu'ils en avoient; ou bien
+s'ils en avoient, les allongeoient le plus qu'ils pouvoient, pour
+allonger mieux leurs amours. Voire quelquefois les marys laissoient
+leurs femmes la garde du palais, et la galerie et salle, puis s'en
+alloient en leurs maisons, ayant opinion qu'elles feroient mieux leurs
+besognes, et en gaigneroient mieux leurs causes: comme de vray, j'en
+say plusieurs qui les ont gaignes mieux par la dextrit et beaut de
+leur devant, que par leur bon droit, dont bien souvent en devenoient
+enceintes; et, pour n'estre escandalises (si les drogues avoient failly
+de leur vertu pour les en garder), s'encouroient vistement en leurs
+maisons leurs marys, feignant qu'elles alloient qurir des tiltres et
+pices qui leur faisoient besoin, ou alloient faire quelque enqueste, ou
+que c'estoit pour attendre la Sainct Martin, et que, durant les
+vacations, n'y pouvant rien servir, alloient au bouc, et voir leurs
+mesnages et leurs marys. Elles y alloient de vray, mais bien enceintes.
+Je m'en rapporte plusieurs conseillers, rapporteurs et prsidents,
+pour les bons morceaux qu'ils en ont tastez des femmes des
+gentilshommes.
+
+--Il n'y a pas long-temps qu'une trs-belle, honneste et grande dame que
+j'ay cogneue, allant ainsi solliciter son procez Paris, il y eut
+quelqu'un qui dit: Qu'y va-t-elle faire? Elle le perdra; elle n'a pas
+grand droit.--Et ne porte-t-elle pas son droit sur la beaut de son
+devant, comme Csar portoit le sien sur le pommeau et sur la pointe de
+son espe? Ainsi se font les gentilshommes cocus au palais, en
+rcompense de ceux que messieurs les gentilshommes font sur mesdames les
+prsidentes et conseilleres: dont aussi aucunes de celles-l ay-je veu,
+qui ont bien vallu sur la monstre autant que plusieurs dames,
+damoiselles et femmes de seigneurs, chevaliers et grands gentilshommes
+de la Cour, et autres.
+
+--J'ay cogneu une dame grande, qui avoit est trs-belle, mais la
+vieillesse l'avoit efface. Ayant un procez Paris, et voyant que sa
+beaut n'estoit plus pour ayder solliciter et gaigner sa cause, elle
+mena avec elle une sienne voisine, jeune et belle dame; et pour ce
+l'appointa d'une bonne somme d'argent, jusques dix mille escus; et, ce
+qu'elle ne put ou eust bien voulu faire elle-mesme, elle se servit de
+cette dame, dont elle s'en trouva fort bien, et la jeune aussi; et tout
+en deux bonnes faons. N'y a pas long-temps que j'ay veu une dame mere y
+mener une de ses filles, bien qu'elle fust marie, pour luy ayder
+solliciter son procez, n'y ayant autre affaire; et de fait elle est
+trs-belle, et vaut bien la sollicitation.
+
+Il est temps que je m'arreste dans ce grand discours de cocuage; car
+enfin mes longues paroles, tournoyes dans ces profondes eaux et ces
+grands torrents, seroient noyes, et n'aurois jamais fait, ny n'en
+saurois jamais sortir, non plus que d'un grand labyrinthe qui fust
+autresfois, encore que j'eusse le plus long et le plus fort fillet du
+monde pour guide et sage conduite. Pour fin je concluray que si nous
+faisons des maux, donnons des tourments, des martyres et des mauvais
+tours ces pauvres cocus, nous en portons bien la folle enchere, comme
+l'on dit, et en payons les triples intrests; car la plupart de leurs
+perscuteurs et faiseurs d'amour, et de ces dameretz, en endurent bien
+autant de maux; car ils sont plus subjects jalousies, mesmes qu'ils en
+ont des marys aussi bien que de leurs corrivals: ils portent des
+martels, des capriches, se mettent aux hazards en danger de mort,
+d'estropiements, de playes, d'affronts, d'offenses, de querelles, de
+craintes, peines et mort; endurent froidures, pluyes, vents et chaleurs.
+Je ne conte pas la vrole, les chancres, les maux et maladies qu'ils y
+gaignent, aussi bien avec les grandes que les petites; de sorte que bien
+souvent ils acheptent bien cher ce qu'on leur donne, et la chandelle
+n'en vaut pas le jeu. Tels y en avons-nous veu misrablement mourir,
+qu'ils estoient battants pour conqurir tout un royaume, tesmoin M. de
+Bussi, le nompair de son temps, et force autres. J'en allguerois une
+infinit d'autres que je laisse en arrire, pour finir et dire, et
+admonester ces amoureux qu'ils pratiquent le proverbe de l'Italien qui
+dit: _Che molto guadagna chi putana perde_[47].
+
+--Le comte Am second disoit souvent: En jeu d'armes et d'amours, pour
+une joie cent doulours; usant ainsi de ce mot anticq pour mieux faire
+sa rime. Disoit-il encore que la colere et l'amour avoient cela en soy
+fort dissemblable, que la colere passe tost, et se deffait fort aisment
+de sa personne quand elle y est entre, mais mal-aisment l'amour. Voil
+comment il se faut garder de cette amour, car elle nous couste bien
+autant qu'elle nous vaut, et bien souvent en arrive beaucoup de
+malheurs. Et pour parler au vray, la pluspart des cocus patients ont
+cent fois meilleur temps, s'ils se savoient connoistre et bien
+s'entendre avec leurs femmes, que les agents; et plusieurs en ay-je veu,
+qu'encor qu'il y allast de leurs cornes, se mocquoient de nous et se
+rioient de toutes les humeurs et faons de faire de nous autres qui
+traittons l'amour avec leurs femmes, et mesmes quand nous avions faire
+ des femmes ruses, qui s'entendent avec leurs marys et nous vendent:
+comme j'ay cogneu un fort brave et honneste gentilhomme qui, ayant
+longuement aym une belle et honneste dame, et eu d'elle la joissance,
+ce qu'il en desiroit long-temps, s'estant un jour apperceu que le mary
+et elle se mocquoient de luy sur quelque trait, il en prit un si grand
+depit qu'il la quitta et fit bien; et, faisant un voyage lointain pour
+en divertir sa fantaisie, ne l'accosta jamais plus, ainsi qu'il me dit.
+Et de telles femmes ruses, fines et changeantes, il s'en faut donner
+garde comme d'une beste sauvage; car, pour contenter et appaiser leurs
+marys, quittent leurs anciens serviteurs, et en prennent puis aprs
+d'autres, car elles ne s'en peuvent passer.
+
+Si ay-je cogneu une fort honneste et grande dame, qui a eu cela en elle
+de malheur, que, de cinq ou six serviteurs que je luy ay veu de mon
+temps avoir, se sont morts tous les uns aprs les autres, non sans un
+grand regret qu'elle en portoit; de sorte qu'on eust dit d'elle que
+c'estoit le cheval de Sjan, d'autant que tous ceux qui montoient sur
+elle mouroient et ne vivoient guieres; mais elle avoit cela de bon en
+soy et cette vertu, que, quoy qui ait est, n'a jamais chang ny
+abandonn aucun de ses amis vivants pour en prendre d'autres; mais, eux
+venans mourir, elle s'est voulu tousjours remonter de nouveau pour
+n'aller pied; et aussi, comme disent les lgistes, qu'il est permis de
+faire valoir ses lieux et sa terre par quiconque soit, quand elle est
+dguerpie de son premier maistre. Telle constance a est fort en cette
+dame recommandable; mais si celle-l a est jusques-l ferme, il y en a
+eu une infinit qui ont bien bransl. Aussi, pour en parler
+franchement, il ne se faut jamais envieillir dans un seul trou, et
+jamais homme de coeur ne le fit: il faut estre aussi bien aventurier
+de et del, en amour comme en guerre, et en autres choses; car si l'on
+ne s'asseure que d'une seule ancre en son navire, venant se dcrocher,
+aisment on le perd, et mesme quand l'on est en pleine mer et en une
+tempeste, qui est plus subjecte aux orages et vagues tempestueuses que
+non en une calme ou en un port. Et dans quelle plus grande et haute mer
+ne sauroit-on mieux mettre et naviguer que de faire l'amour une seule
+dame? Que si de soy elle n'a est ruse du commencement, nous autres la
+dressons et l'affinons par tant de pratiques, que nous menons avec elle,
+dont bien souvent il nous en prend mal, en la rendant telle pour nous
+faire la guerre, l'ayant faonne et aguerrie. Tant y a, comme disoit
+quelque galant homme, qu'il vaut mieux se marier avec quelque belle
+femme et honneste, encore qu'on soit en danger d'estre un peu touch de
+la corne et de ce mal de cocuage commun plusieurs, que d'endurer tant
+de traverses faire les autres cocus, contre l'opinion de M. du Gua
+pourtant, auquel moy ayant tenu propos un jour de la part d'une grande
+dame qui m'en avoit pri, pour le marier, me fit cette response
+seulement: qu'il me pensoit de ses plus grands amis, et que je luy en
+faisois perdre la crance par tel propos pour luy pourchasser la chose
+qu'il hassoit plus, que le marier et faire cocu, au lieu qu'il faisoit
+les autres; et qu'il espousoit assez de femmes l'anne, appelant le
+mariage un putanisme secret de rputation et de libert, ordonn par une
+belle loy, et que le pis en cela, ainsi que je voy et ay not, c'est que
+la pluspart, voire toute, de ceux qui se sont ainsi delectez faire les
+autres cocus, quand ils viennent se marier, infailliblement ils
+tombent en mariage, je dis en cocuage; et n'en ay jamais veu arriver
+autrement, selon le proverbe: _Ce que tu feras autruy, il te sera
+fait_.
+
+--Avant que finir je diray encore ce mot: que j'ay veu faire une dispute
+qui n'est encore indcise, en quelles provinces et rgions de nostre
+chrestient et de nostre Europe il y a plus de cocus et de putains. L'on
+dit qu'en Italie les dames sont fort chaudes, et par ce, fort putains,
+ainsi que dit M. de Beze en une pigramme, d'autant qu'o le soleil, qui
+est chaud et donne le plus, y eschauffe davantage les femmes, en usant
+de ce vers:
+
+ _Credibile est ignes multiplicare suos_[48].
+
+L'Espagne est de mesme, encore qu'elle soit sur l'occident; mais le
+soleil y eschauffe bien les dames autant qu'en orient. Les Flamandes,
+les Suisses, les Allemandes, Anglaises et Escossaises, encore qu'elles
+tirent sur le midy, et septentrion, et soient rgions froides, n'en
+participent pas moins de cette chaleur natule, comme je les ai cogneues
+aussi chaudes que toutes les autres nations. Les Grecques ont raison de
+l'estre, car elles sont fort sur le levant. Ainsi souhaitte-t-on en
+Italie _Greca in letto_: comme de vray elles ont beaucoup de choses et
+vertus attrayantes en elles, que, non sans cause, le temps pass elles
+ont est les dlices du monde, et en ont beaucoup appris aux dames
+italiennes et espagnolles, depuis le vieux temps jusques ce nouveau;
+si bien qu'elles en surpassent quasi leurs anciennes et modernes
+maistresses aussi la reyne et impriere des putains, qui estoit Vnus,
+estoit Grecque.
+
+Quant nos belles Franoises, on les a veues le temps pass fort
+grossieres, et qui se contentoient de le faire la grosse mode; mais,
+depuis cinquante ans en a, elles ont emprunt et appris des autres
+nations tant de gentillesses, de mignardises, d'attraits et de vertus,
+d'habits, de belles graces, lascivetez, ou d'elles-mesmes se sont si
+bien estudies se faonner, que maintenant il faut dire qu'elles
+surpassent toutes les autres en toutes faons; et, ainsi que j'ay ouy
+dire, mesme aux estrangers, elles valent beaucoup plus que les autres,
+outre que les mots de paillardise franoise en la bouche sont plus
+paillards, mieux sonnants et esmouvants que les autres. De plus, cette
+belle libert franoise, qui est plus estimer que tout, rend bien nos
+dames plus desirables, accostables, aimables et plus passables que
+toutes les autres: et aussi que tous les adulteres n'y sont si
+communment punis comme aux autres provinces, par la providence de nos
+grands snats et lgislateurs franois, qui, voyant les abus en provenir
+par telles punitions, les ont un peu brids, et un peu corrig les loix
+rigoureuses du temps pass des hommes, qui s'estoient donnez en cela
+toute libert de s'esbattre et l'ont oste aux femmes; si bien qu'il
+n'estoit permis la femme innocente d'accuser son mary d'adultere, par
+aucunes lois impriales et canon (ce dit Cajetan). Mais les hommes fins
+firent cette loy pour les raisons que dit cette stance italienne, qui
+est telle:
+
+ _Perche di quel che natura concede_
+ _Nel vieti tutan dura legge d'honore._
+ _Ella a noi liberal largo ne diede_
+ _Com' agli altri animai legge d'amore._
+ _Ma l'huomo fraudulento, e senza fede,_
+ _Che fu legislator di quest' errore,_
+ _Vedendo nostre forze e buona schiena ,_
+ _Copri la sua debolezza con la pena_[49].
+
+Pour fin, en France il fait bon faire l'amour. Je m'en rapporte nos
+authentiques docteurs d'amour, et mesme nos courtisans, qui sauront
+mieux sophistiquer l-dessus que moi: et, pour en parler bien au vray,
+putains par-tout, et cocus par-tout, ainsi que je le puis bien tester,
+pour avoir veu toutes ces rgions que j'ay nommes, et autres; et la
+chastet n'habite pas en une rgion plus qu'en l'autre.
+
+Si feray-je encore cette question, et puis plus, qui possible n'a point
+est recherche de tout le monde, ny possible songe: savoir mon, si
+deux dames amoureuses l'une de l'autre, comme il s'est veu et se voit
+souvent aujourd'huy, couches ensemble, et faisant ce qu'on dit, _donna
+con donna_, en imitant la docte Sapho lesbienne, peuvent commettre
+adultere, et entre elles faire leurs maris cocus. Certainement, si l'on
+veut croire Martial en son Ier livre, pigram. CXIX, elles commettent
+adultere; o il introduit et parle une femme nomme Bassa, tribade,
+luy faisant fort la guerre de ce qu'on ne voyoit jamais entrer d'hommes
+chez elle, de sorte qu'on la tenoit pour une seconde Lucrce: mais elle
+vint estre descouverte, en ce que l'on y voyoit aborder ordinairement
+force belles femmes et filles; et fut trouv qu'elle-mesme leur servoit
+et contrefaisoit d'homme et d'adultere, et se conjoignoit avec elles, et
+use de ces mots: _geminos committere cunnos_. Et puis s'escriant, il
+dit et donne songer et deviner cette nigme par ce vers latin:
+
+ _Hic ubi vir non est, ut sit adulterium_[50].
+
+Voil un grand cas, dit-il, que, l o il n'y a point d'homme, il y ait
+de l'adultere.
+
+J'ai cogneu une courtisanne Rome, vieille et ruse s'il en fust
+oncques, qui s'appeloit Isabelle de Lune, Espagnolle, laquelle prit en
+telle amiti une courtisanne qui s'appeloit la Pandore, l'une des belles
+pour lors de tout Rome, laquelle vint estre marie avec un sommeiller
+de M. le cardinal d'Armaignac, sans pourtant se distraire de son premier
+mestier: mais cette Isabelle l'entretenoit, et couchoit ordinairement
+avec elle; et, comme desborde et dsordonne en paroles qu'elle estoit,
+je luy ay souvent ouy dire qu'elle la rendoit plus putain, et lui
+faisoit faire des cornes son mary plus que tous les ruffiants que
+jamais elle avoit eus. Je ne say comment elle entendoit cela, si ce
+n'est qu'elle se fondast sur cette pigramme de Martial.
+
+On dit que Sapho de Lesbos a est une fort bonne maistresse en ce
+mestier, voire, dit-on, qu'elle l'a invent, et que depuis les dames
+lesbiennes l'ont imite en cela et continu jusques aujourd'huy, ainsi
+que dit Lucian, que telles femmes sont les femmes de Lesbos, qui ne
+veulent pas souffrir les hommes, mais s'approchent des autres femmes,
+ainsi que les hommes mesmes; et telles femmes qui aiment cet exercice ne
+veulent souffrir les hommes, mais s'adonnent d'autres femmes, ainsi
+que les hommes mesmes, s'appellent _tribades_, mot grec driv, ainsi
+que j'ai appris des Grecs, de [Grec: trib, tribein], qui est autant
+dire que _fricare_, frayer, ou friquer, ou s'entrefrotter; et tribades
+se disent _fricatrices_, en franois fricatrices, ou qui font la
+friquarelle en mestier de _donne con donne_, comme l'on l'a trouv ainsi
+aujourd'huy.
+
+Juvenal parle aussi de ces femmes quand il dit: _frictum Grissantis
+adorat_, parlant d'une pareille tribade qui adoroit et aimoit la
+fricarelle d'une Grissante.
+
+Le bon compagnon Lucian en fait un chapitre, et dit ainsi que les femmes
+viennent mutuellement conjoindre comme les hommes, conjoignants des
+instruments lascifs, obscurs et monstrueux, faits d'une forme strile,
+et ce nom, qui rarement s'entend dire de ces fricarelles, vacque
+librement partout, et qu'il faille que le sexe fminin soit Filenes, qui
+faisoit l'action de certaines amours hommasses. Toutesfois il adjouste
+qu'il est bien meilleur qu'une femme soit adonne une libidineuse
+affection de faire le masle, que n'est l'homme de s'effminer; tant il
+se monstre peu courageux et noble. La femme donc, selon cela, qui
+contrefait ainsi l'homme, peut avoir rputation d'estre plus valeureuse
+et courageuse qu'une autre, ainsi que j'en ay cogneu aucunes, tant pour
+leurs corps que pour l'ame.
+
+En un autre endroit, Lucian introduit deux dames devisantes de cet
+amour; et une demande l'autre si une telle avoit est amoureuse
+d'elle, et si elle avoit couch avec elle, et ce qu'elle luy avoit fait.
+L'autre luy respondit librement. Premirement, elle me baisa ainsi que
+font les hommes, non pas seulement en joignant les levres, mais en
+ouvrant aussi la bouche, cela s'entend en pigeonne, la langue en bouche;
+et encore qu'elle n'eust point le membre viril, et qu'elle fust
+semblable nous autres, si est-ce qu'elle disoit avoir le coeur,
+l'affection et tout le reste viril; et puis je l'embrassay comme un
+homme, et elle me le faisoit, me baisoit et allentoit[51] (je n'entends
+point bien ce mot), et me sembloit qu'elle y prit plaisir outre mesure,
+et cohabita d'une certaine faon beaucoup plus agrable que d'un homme.
+Voil ce qu'en dit Lucian.
+
+Or, ce que j'ay ouy dire, il y a en plusieurs endroits et rgions
+force telles dames lesbiennes, en France, en Italie et en Espagne,
+Turquie, Grce et autres lieux; et o les femmes sont recluses et n'ont
+leur entire libert, cet exercice s'y continue fort; car telles femmes
+bruslantes dans le corps, il faut bien, disent-elles, qu'elles s'aydent
+de ce remde, pour se rafraischir un peu ou du tout qu'elles bruslent.
+Les Turques vont aux bains plus pour cette paillardise que pour autre
+chose, et s'y adonnent fort: mesme les courtisannes qui ont les hommes
+commandement et toute heure, encore usent-elles de ces friquarelles,
+s'entre-cherchent et s'entr'aiment les unes les autres, comme je l'ay
+ouy dire aucunes en Italie et en Espagne. En nostre France, telles
+femmes sont assez communes; et si dit-on pourtant qu'il n'y a pas
+long-temps qu'elles s'en sont mesles, mesme que la faon en a est
+porte d'Italie par une dame de qualit que je ne nommeray point.
+
+--J'ay ouy conter feu M. de Clermont-Tallard le jeune, qui mourut La
+Rochelle, qu'estant petit garon, et ayant l'honneur d'accompagner M.
+d'Anjou, depuis nostre roy Henry troisiesme, en son estude, et estudier
+avec lui ordinairement, duquel M. de Gournay estoit prcepteur, un jour,
+estant Thoulouse, estudiant avec son dit maistre dans son cabinet, et
+estant assis dans un coin part, il vid, par une petite fente (d'autant
+que les cabinets et chambres estoient de bois, et avoient est faits
+l'improviste et la haste, par la curiosit de M. le cardinal
+d'Armaignac, archevesque de l, pour mieux recevoir et accommoder le Roy
+et toute sa cour), dans un autre cabinet, deux fort grandes dames,
+toutes retrousses et leurs caleons bas, se coucher l'une sur l'autre,
+s'entrebaiser en forme de colombe, se frotter, s'entrefriquer, bref, se
+remuer fort, paillarder, et imiter les hommes; et dura leur esbattement
+prs d'une bonne heure, s'estant si trs-fort eschauffes et lasses,
+qu'elles en demeurrent si rouges et si en eau, bien qu'il fist grand
+froid, qu'elles n'en peurent plus et furent contraintes de se reposer
+autant; et disoit qu'il veid joer ce jeu quelques autres jours, tant
+que la Cour fut l, de mesme faon; et oncques plus n'eut-il la
+commodit de voir cet esbattement, d'autant que ce lieu le favorisoit en
+cela, et aux autres il ne put. Il m'en contoit encore plus que je n'en
+ose escrire, et me nommoit les dames. Je ne say s'il est vray; mais il
+me l'a jur et affirm cent fois par bons serments; et, de fait, cela
+est bien vray-semblable; car telles deux dames ont bien eu tousjours
+cette rputation de faire et continuer l'amour de cette faon et de
+passer ainsi leur temps.
+
+J'en ay cogneu plusieurs autres qui ont trait de mesmes amours, entre
+lesquelles j'en ay ouy conter d'une de par le monde, qui a est fort
+superlative en cela, et qui aimoit aucunes dames, les honoroit et les
+servoit plus que les hommes, et leur faisoit l'amour comme un homme sa
+maistresse; et si les prenoit avec elle, les entretenoit pot et feu,
+et leur donnoit ce qu'elles vouloient. Son mary en estoit trs-aise et
+fort content; ainsi que beaucoup d'autres martyrs que j'ay eus, qui
+estoient fort aises que leurs femmes menassent ces amours plutost que
+celles des hommes (n'en pensant leurs femmes si folles ny putains).
+Mais je croy qu'ils sont bien trompez, car ce petit exercice, ce que
+j'ay ouy dire, n'est qu'un apprentissage pour venir celuy grand des
+hommes; car aprs qu'elles se son eschauffes et mises bien en rut les
+unes les autres, leur chaleur ne se diminuant pour cela, faut qu'elles
+se baignent par une eau vive et courante, qui raffraischist bien mieux
+qu'une eau dormante, ainsi que je tiens de bons chirurgiens, et veu que,
+qui veut bien panser et gurir une playe, il ne faut qu'il s'amuse la
+mdicamenter et nettoyer alentour ou sur le bord, mais il la faut sonder
+jusques au fond, et y mettre une sonde et une tente bien avant.
+
+Que j'en ay veu de ces Lesbiennes, qui, pour toutes leurs fricarelles et
+entre-frottements, n'en laissent d'aller aux hommes! mesme Sapho, qui en
+a est la maistresse, ne se mit-elle pas aymer son grand amy Phaon,
+aprs lequel elle mouroit? Car, enfin, comme j'ay ouy raconter
+plusieurs dames, il n'y a que les hommes; et que de tout ce qu'elles
+prennent avec les autres femmes, ce ne sont que des tiroers pour
+s'aller paistre de gorges-chaudes avec les hommes: et ces fricarelles ne
+leur servent qu' faute des hommes; que si elles les trouvent propos
+et sans escandale, elles lairroient bien leurs compagnes pour aller
+eux et leur sauter au collet.
+
+J'ay cogneu de mon temps deux belles et honnestes damoiselles de bonnes
+maisons, toutes deux cousines, lesquelles ayant couch ensemble dans un
+mesme lit l'espace de trois ans, s'accoustumrent si fort cette
+fricarelle, qu'aprs s'estre imagines que le plaisir estoit assez
+maigre et imparfait au prix de celuy des hommes, se mirent le taster
+avec eux, et en devinrent trs bonnes putains, et confessrent aprs
+leurs amoureux que rien ne les avoit tant desbauches et esbranles
+cela que cette fricarelle, la dtestant pour en avoir est la seule
+cause de leur desbauche: et, nonobstant, quand elles se rencontroyent,
+ou avec d'autres, elles prenoient tousjours quelque repas de cette
+fricarelle, pour y prendre tousjours plus grand appetit de l'autre avec
+les hommes. Et c'est ce que dit une fois une honneste damoiselle que
+j'ay cogneue, laquelle son serviteur demandoit un jour si elle ne
+faisoit point cette fricarelle avec sa compagne, avec qui elle couchoit
+ordinairement. Ah! non, dit-elle en riant, j'ayme trop les hommes;
+mais pourtant elle faisoit l'un et l'autre.
+
+Je say un honneste gentilhomme, lequel, dsirant un jour la Cour
+pourchasser en mariage une fort honneste damoiselle, en demanda l'advis
+ une sienne parente. Elle luy dit franchement qu'il y perdroit son
+temps; d'autant, me dit-elle, qu'une telle dame, qu'elle me nomma, et
+de qui j'en savois des nouvelles, ne permettra jamais qu'elle se marie.
+J'en cogneus soudain l'encloeure, parce que je savois bien qu'elle
+tenoit cette damoiselle en ses dlices pot et feu, et la gardoit
+prcieusement pour sa bouche. Le gentilhomme en remercia sa dite cousine
+de ce bon advis, non sans lui faire la guerre en riant, qu'elle parloit
+ainsi en cela pour elle comme pour l'autre; car elle en tiroit quelques
+petits coups en robbe quelquesfois: ce qu'elle me nia pourtant. Ce trait
+me fait ressouvenir d'aucuns qui ont ainsi des putains eux qu'ils
+ayment tant, qu'ils n'en feroient part pour tous les biens du monde,
+fust un prince, un grand, fust leur compagnon, ni leur amy, tant
+ils en sont jaloux, comme un ladre de son barillet; encore le
+prsente-t-il boire qui en veut. Mais cette dame vouloit garder
+cette damoiselle toute pour soy, sans en dpartir d'autres: pourtant
+si la faisoit-elle cocue la drobade avec aucunes de ses compagnes.
+
+On dit que les belettes sont touches de cet amour, et se plaisent de
+femelle femelle s'entreconjoindre et habiter ensemble; si que par
+lettres hiroglyfiques les femmes s'entr'aimantes de cet amour estoient
+jadis reprsentes par des belettes. J'ay ouy parler d'une dame qui en
+nourrissoit tousjours, et qui se mesloit de cet amour, et prenoit
+plaisir de voir ainsi ses petites bestioles s'entre-habiter.
+
+Voici un autre poinct, c'est que ces amours fminines se traittent en
+deux faons, les unes par friquarelle, et par, comme dit ce pote,
+_geminos committere connos_.
+
+Cette faon n'apporte point de dommages, ce disent aucuns, comme quand
+on s'aide d'instruments faonns de....., mais qu'on a voulu appeler des
+g........[52].
+
+J'ay ouy conter qu'un grand prince, se doutant de deux dames de sa cour
+qui s'en aydoient, leur fit faire le guet si bien qu'il les surprit,
+tellement que l'une se trouva saisie et accommode d'un gros entre les
+jambes, gentiment attach avec de petites bandelettes l'entour du
+corps, qu'il sembloit un membre naturel. Elle en fut si surprise qu'elle
+n'eut loisir de l'oster; tellement que ce prince la contraignit de luy
+monstrer comment elles deux se le faisoient. On dit que plusieurs
+femmes en sont mortes, pour engendrer en leurs matrices des apostumes
+faites par mouvements et frottements point naturels. J'en say bien
+quelques-unes de ce nombre, dont 'a est grand dommage, car c'estoient
+de trs-belles et honnestes dames et damoiselles, qu'il eust bien mieux
+vallu qu'elles eussent eu compagnie de quelques honnestes gentilshommes,
+qui pour cela ne les font mourir, mais vivre et ressusciter ainsi que
+j'espere le dire ailleurs; et mesmes, que, pour la gurison de tel mal,
+comme j'ay ouy conter aucuns chirurgiens, qu'il n'y a rien plus propre
+que de les faire bien nettoyer l-dedans par ces membres naturels des
+hommes, qui sont meilleurs que des pesseres qu'usent les mdecins et
+chirurgiens avec des eaux ce composes; et toutesfois il y a plusieurs
+femmes, nonobstant les inconvnients qu'elles en voyent arriver souvent,
+si faut-il qu'elles en ayent de ces engins contrefaits.
+
+--J'ay ouy faire un conte, moy estant lors la cour, que la Reyne-mere
+ayant fait commandement de visiter un jour les chambres et coffres de
+tous ceux qui estoient logs dans le Louvre, sans pargner dames et
+filles, pour voir s'il n'y avoit point d'armes caches et mesmes des
+pistolets, durant nos troubles, il y en eut une qui fut trouve saisie
+dans son coffre par le capitaine des gardes, non point de pistolets,
+mais de quatre gros g........ gentiment faonnez, qui donnrent bien de
+la rise au monde, et elle bien de l'estonnement. Je cognois la
+damoiselle: je croy qu'elle vit encores: mais elle n'eut jamais bon
+visage. Tels instruments enfin sont trs dangereux. Je feray encore ce
+conte de deux dames de la cour qui s'entr'aimoient si fort, et estoient
+si chaudes leur mestier, qu'en quelque endroit qu'elles fussent ne
+s'en pouvoient garder ny abstenir que pour le moins ne fissent quelques
+signes d'amourettes ou de baiser, qui les escandalisoient si fort, et
+donnoient penser beaucoup aux hommes. Il y en avoit une veufve, et
+l'autre marie; et comme la marie, un jour d'une grand magnificence, se
+fust fort bien pare et habille d'une robe de toile d'argent, ainsi que
+leur maistresse estoit alle vespres, elles entrrent dans son
+cabinet, et sur sa chaise perce se mirent faire leur fricarelle si
+rudement et si imptueusement, qu'elle en rompit sous elles, et la dame
+marie qui faisoit le dessous tomba avec sa belle robe de toille
+d'argent la renverse tout plat sur l'ordure du bassin, si bien
+qu'elle se gasta et souilla si fort, qu'elle ne seut que faire que
+s'essuyer le mieux qu'elle peut, se trousser, et s'en aller grande
+haste changer de robbe dans sa chambre, non sans pourtant avoir est
+apperceue et bien sentie la trace, tant elle puoit: dont il en fut ryt
+assez par aucuns qui en sceurent le conte; mesme leur maistresse le
+sceut, qui s'en aidoit comme elles, et en rist son saoul. Aussi il
+falloit bien que cette ardeur les maistrisast fort, que de n'attendre un
+lieu et un temps propos, sans s'escandaliser. Encore excuse-t-on les
+filles et femmes veufves pour aimer ces plaisirs frivoles et vains,
+aimans bien mieux s'y adonner et en passer leurs chaleurs, que d'aller
+aux hommes et de se faire engroisser et se deshonorer, ou de faire
+perdre leur fruict, comme plusieurs ont fait et font; et ont opinion
+qu'elles n'en offensent pas tant Dieu, et n'en sont pas tant putains
+comme avec les hommes: aussi y a-t-il bien de la diffrence de jeter de
+l'eau dans un vase, ou de l'arrouser seulement alentour et au bord. Je
+m'en rapporte elles. Je ne suis pas leur censeur ny leur mary, s'ils
+le trouvent mauvais, encore que je n'en ay point veu qui ne fussent
+trs-aises que leurs femmes s'amourachassent de leurs compagnes, et
+qu'ils voudroient qu'elles ne fussent jamais plus adultres qu'en cette
+faon; comme de vray telle cohabitation est bien diffrente de celle
+d'avec les hommes, et, quoy que die Martial, ils n'on sont pas cocus
+pour cela. Ce n'est pas texte d'vangile, que celuy d'un pote fol.
+Donc, comme dit Lucian, il est bien plus beau qu'une femme soit virile
+ou vraye amazone, ou soit ainsi lubrique, que non pas un homme soit
+fminin, comme un Sardanapale et Hliogabale, ou autres force leurs
+pareils; car d'autant plus qu'elle tient de l'homme, d'autant plus elle
+est courageuse: et de tout cecy je m'en rapporte la dcision du
+procs.
+
+M. du Gua et moy lisions une foi un petit livre italien, qui s'intitule
+_de la Beaut_, fait en dialogue par le seigneur Angello Fiorenzolle,
+Florentin, et tombasmes sur un passage o il dit qu'aucunes femelles qui
+furent faites par Jupiter au commencement, furent cres de cette
+nature, qu'aucunes se mirent aymer les hommes, et les autres la beaut
+de l'une et de l'autre; mais aucunes purement et saintement, comme de ce
+genre s'est trouve de notre temps, comme dit l'auteur, la trs-illustre
+Marguerite d'Austriche, qui ayma la belle Laodamie, forte en guerre; les
+autres lascivement et paillardement, comme Sapho Lesbienne, et de nostre
+temps Rome la grande courtisanne Ccile vntienne; et icelles de
+nature haissent se marier, et fuyent la conversation des hommes tant
+qu'elles peuvent. L-dessus M. du Gua, reprit l'auteur, disant que cela
+estoit faux que cette belle Marguerite aimast cette belle dame de pur et
+saint amour; car puis qu'elle l'avoit mise plustost sur elle que sur
+d'autres qui pouvoient estre aussi belles et vertueuses qu'elle, il
+estoit prsumer que c'estoit pour s'en servir en dlices, ne plus ne
+moins comme d'autres; et pour en couvrir sa lascivet, elle disoit et
+publioit qu'elle l'aimoit saintement, ainsi que nous en voyons plusieurs
+ses semblables, qui ombragent leurs amours par pareils mots. Voil ce
+qu'en disoit M. du Gua; et qui en voudra outre plus en discourir
+l-dessus, faire se peut. Cette belle Marguerite fust la plus belle
+princesse qui fust de son temps en la chrestient. Ainsi, beautez et
+beautez s'entr-aiment de quelque amour que ce soit, mais du lascif plus
+que de l'autre. Elle fut remarie en tierces nopces, ayant en premieres
+espous le roi Charles huitiesme, en secondes Jean, fils du roi
+d'Arragon, et le troisiesme avec le duc de Savoye qu'on appeloit le
+Beau; si que, de son temps, on les disoit le plus beau pair et le plus
+beau couple du monde; mais la princesse n'en joit guierre de cette
+copulation, car il mourut fort jeune, et en sa plus grande beaut, dont
+elle en porta les regrets trs-extrmes, et pour ce ne se remaria
+jamais. Elle fit faire bastir cette belle glise qui est vers Bourg en
+Bresse, l'un des plus beaux et plus susperbes bastiments de la
+chrestient. Elle estoit tante de l'empereur Charles-Quint, et assista
+bien son nepveu; car elle vouloit tout appaiser, ainsi qu'elle et
+madame la rgente au trait de Cambray firent, o toutes deux se
+virent et s'assemblrent l, o j'ay ouy dire aux anciens et anciennes
+qu'il faisoit beau voir ces deux grandes princesses.
+
+--Corneille Agrippa a fait un petit trait _de la vertu des femmes_, et
+tout en la loange de cette Marguerite. Le livre en est trs-beau, qui
+ne peut estre autre pour le beau sujet, et pour l'auteur, qui a est un
+trs-grand personnage.
+
+--J'ay ouy parler d'une grande dame princesse, laquelle, parmi les
+filles de sa suite, elle en aimoit une par-dessus toutes et plus que les
+autres: en quoy on s'estonnoit, car il y en avoit d'autres qui la
+surpassoient en tout; mais enfin il fut trouv et descouvert qu'elle
+estoit hermaphrodite, qui lui donnoit du passe-temps sans aucun
+inconvnient ni escandale. C'estoit bien autre chose qu' ses tribades:
+le plaisir pntroit un peu mieux. J'ay ouy nommer une grande qui est
+aussi hermaphrodite, et qui a ainsi un membre viril, mais fort petit,
+tenant pourtant plus de la femme, car je l'ay veu trs-belle. J'ay
+entendu d'aucuns grands medecins qui en ont veu assez de telles, et
+surtout trs-lascives. Voil enfin ce que je diray du sujet de ce
+chapitre, lequel j'eusse pu allonger mille fois plus que je n'ay fait,
+ayant eu matire si ample et si longue, que si tous les cocus et leurs
+femmes qui les font se tenoient tous par la main, et qu'il s'en peust
+faire un cercle, je crois qu'il seroit assez bastant pour entourer et
+circuir la moiti de la terre.
+
+--Du temps du roy Franois fut une vieille chanson, que j'ay ouy conter
+ une fort honneste et ancienne dame, qui disoit:
+
+ Mais quand viendra la saison
+ Que les cocus s'assembleront,
+ Le mien ira devant, qui portera la bannire;
+ Les autres suivront aprs, le vostre sera au darrire,
+ La procession en sera grande,
+ L'on y verra une trs-longue bande.
+
+Je ne veux pourtant taxer beaucoup d'honnestes et sages femmes maries,
+qui se sont comportes vertueusement et constamment en la foy saintement
+promise leurs marys; et en espere faire un chapitre part leur
+louange, et faire mentir maistre Jean de Mun[53], qui, en son _Roman de
+la Rose_, dit ces mots: Toutes vous autres femmes estes ou fustes, de
+fait ou de volont, putes; dont il encourut une telle inimiti des
+dames de la cour pour lors, qu'elles par une arreste conjuration et
+avis de la Reyne, entreprirent un jour de le foetter, et le
+dpouillrent tout nud; et estant prestes donner le coup, il les pria
+qu'au moins celle qui estoit la plus grande putain de toutes commenast
+la premire: chacune, de honte, n'osa commencer; et par ainsi il vita
+le fouet. J'en ay veu l'histoire reprsente dans une vieille tapisserie
+des vieux meubles du Louvre. J'aimerois autant un prescheur qui,
+preschant un jour en bonne compagnie, ainsi qu'il reprenoit les moeurs
+d'aucunes femmes, et leurs marys qui enduroient estre cocus d'elles, il
+se mit crier: Oui, je les connois, je les vois, et m'en vais jetter
+ces deux pierres la teste des deux plus grands cocus de la compagnie;
+et, faisant semblant de les jetter, il n'y eut homme du sermon qui ne
+baissast la teste, ou mist son manteau, ou sa cape, ou son bras
+au-devant, pour se garder du coup. Mais luy, les retenant, leur dit: Ne
+vous dis-je pas? je pensois qu'il n'y eust que deux ou trois cocus en
+mon sermon; mais, ce que je voy, il n'y en a pas un qui ne le soit.
+Or, quoy que disent ces fols, il y a de fort sages et honnestes femmes,
+ausquelles s'il falloit livrer bataille leurs dissemblables, elles
+l'emporteroient, non pour le nombre, mais par la vertu, qui combat et
+abat son contraire aisment. Et si ledit maistre Jean de Mun blasme
+celles qui sont de volont putes, je trouve qu'il les faut plustost
+loer et exalter jusqu'au ciel, d'autant que si elles bruslent si
+ardemment dans le corps et dans l'ame, et, ne venant point aux effets,
+font parestre leur vertu, leur constance et la gnrosit de leur
+coeur, aymant plustost brusler et se consumer dans leurs propres feux
+et flammes, comme un phnix rare, que de forfaire ni souiller leur
+honneur, et comme la blanche hermine, qui aime mieux mourir que de se
+souiller (devise d'une trs-grande dame que j'ay cogneue, mais mal
+d'elle pratique pourtant), puisqu'estant en leur puissance d'y pouvoir
+remdier, se commandent si gnreusement, et puisqu'il n'y a plus belle
+vertu ny victoire que de se commander et vaincre soy-mesme. Nous en
+avons une histoire trs-belle dans les _Cent Nouvelles de la Reyne de
+Navarre_, de cette honneste dame de Pampelune, qui, estant dans son ame
+et de volont pute, et bruslant de l'amour de M. d'Avanes, si beau
+prince, elle ayma mieux mourir dans son feu que de chercher son remede,
+ainsi qu'elle luy sceut bien dire en ses derniers propos de sa mort.
+Cette honneste et belle dame se donnoit bien la mort trs-iniquement et
+injustement; et, comme j'ouys dire sur ce passage un honneste homme et
+honneste dame, cela ne fut point sans offenser Dieu, puisqu'elle se
+pouvoit dlivrer de la mort; et se la pourchasser et avancer ainsi, cela
+s'appelle proprement se tuer soy-mesme; ainsi plusieurs de ses pareilles
+qui, par ces grandes continences et abstinences de ce plaisir, se
+procurent la mort, et pour l'ame et pour le corps.
+
+--Je tiens d'un trs-grand mdecin (et pense qu'il en a donn telle
+leon et instruction plusieurs honnestes dames) que les corps humains
+ne se peuvent jamais guieres bien porter, si tous leurs membres et
+parties, depuis les plus grandes jusqu'aux plus petites, ne font
+ensemblement leurs exercices et fonctions, que la sage nature leur a
+ordonn pour leur sant, et n'en fassent une commune accordance, comme
+d'un concert de musique, n'estant raison qu'aucunes desdites parties et
+membres travaillent, et les autres chaument. Ainsi qu'en une rpublique
+il faut que tous officiers, artisans, manouvriers et autres, fassent
+leur besogne unanimement, sans se reposer ny se remettre les uns sur les
+autres, si l'on veut qu'elle aille bien, et que son corps demeure soin
+et entier: de mesme est le corps humain. Telles belles dames, putes dans
+l'ame et chastes du corps, mritent d'ternelles loanges; mais non pas
+celles qui sont froides comme marbre, lasches et immobiles plus qu'un
+rocher, et ne tiennent de la chair, n'ayant aucuns sentiments (il n'y en
+a guieres pourtant), qui ne sont point ny belles ny recherches, et,
+comme dit le pote,
+
+ . . . . _casta quam nemo rogavit_,
+
+chaste qui n'a jamais t prie. Sur quoy je cognois une grande dame qui
+disoit aucunes de ses compagnes qui estoient belles: Dieu m'a fait
+une grande grace de quoy il ne m'a fait belle comme vous autres,
+mesdames; car aussi bien que vous j'eusse fait l'amour, et fusse est
+pute comme vous. A cause de quoy peut-on loer ces belles ainsi
+chastes, puisqu'elles sont de telle nature. Bien souvent aussi
+sommes-nous trompez en telles dames; car aucunes y en a qu' les voir
+mesme mineuses, piteuses, marmiteuses, froides, discrtes, serres, et
+modestes en leurs paroles, et en leurs habits rformez, qu'on les
+prendroit pour des saintes et trs-prudes femmes, qui sont au dedans et
+par volont, et au dehors par bons effets, bonnes putains. D'autres en
+voyons-nous qui, par leur gentillesse et leurs paroles follastres, leurs
+gestes gays et leurs habits mondains et affects, on les prendroit pour
+fort dbauches, et prestes pour s'adonner aussi-tost: mais pourtant de
+leurs corps sont fort femmes de bien devant le monde: en cachette, il
+s'en faut rapporter la vrit aussi cache. J'en allguerois force
+exemples que j'ai veus et sceus; mais je me contenteray d'alleguer
+cettuy-ci, que Tite-Live allgue et Bocace encore mieux, d'une gentille
+dame romaine nomme Claudie Quintiene, laquelle, paroissant dans Rome
+par-dessus toutes les autres en ses habits pompeux et peu modestes, et
+en ses faons gayes et libres, mondaine plus qu'il ne le falloit,
+acquit trs-mauvais bruit touchant son honneur; mais, le jour venu de la
+rception de la desse Cybelle, elle l'esteignit du tout; car elle eut
+l'honneur et la gloire, pardessus toutes les autres, de la recevoir hors
+du bateau, la toucher et la transporter la ville; dont tout le monde
+en demeura estonn; car il avoit est dit que le plus homme de bien et
+la plus femme de bien estoient dignes de cette charge. Voil comme le
+monde est fort tromp en plusieurs de nos dames. L'on doit premierement
+fort les cognoistre et examiner avant que de les juger, tant d'une que
+de l'autre sorte.
+
+Si faut-il, avant que fermer ce pas, que je die une autre belle vertu et
+proprit que porte le cocuage, que je tiens d'une fort honneste et
+belle dame de bonne part, au cabinet de laquelle estant un jour entr,
+je la trouvay sur le point qu'elle venoit d'achever d'escrire un conte
+de sa propre main, qu'elle me monstra fort librement, car j'estois de
+ses bons amis, et ne se cachoit point de moy: elle estoit fort
+spirituelle et bien disante, et fort bien duite l'amour; et le
+commencement du conte estoit tel:Il semble, dit-elle, qu'entr'autres
+belles propritez que le cocuage peut apporter, c'est ce beau et bon
+sujet par lequel on peut bien connoistre combien gentiment l'esprit
+s'exerce pour le plaisir et contentement de la nature humaine, d'autant
+que c'est luy qui veille, et qui invente et faonne l'artifice
+ncessaire y pourvoir sans que la nature y fournisse que le dsir et
+l'appetit sensuel, comme l'on peut cacher par tant de ruses et astuces
+qui se pratiquent au mestier de l'amour, qui est celuy qui imprime les
+cornes; car il faut tromper un mary jaloux, souponneux et colere; il
+faut tromper et voiler les yeux des plus prompts recevoir du mal, et
+pervertir les plus curieux de la connoissance de la vrit, faire croire
+de la fidlit l o il n'y a que toute dception; plus de franchise l
+o il n'y a que dissimulation et crainte, et plus de crainte l o il
+n'y a plus de licence: bref, par toutes ces difficultez, et pour venir
+dessus ces discours, ce ne sont pas actes quoy la vertu naturelle
+puisse parvenir; il en faut donner l'advantage l'esprit, lequel
+fournit le plaisir et bastit plus de cornes que le corps qui les plante
+et cheville. Voil les propres mots du discours de cette dame, sans les
+changer aucunement, qu'elle fait au commencement de son conte, qui se
+faisoit d'elle-mesme; mais elle l'adombroit par d'autres noms et puis,
+poursuivant les amours de la dame et du seigneur avec qui elle avoit
+faire, et pour venir l et la perfection, elle allgue que l'apparence
+de l'amour n'est qu'une apparence de consentement. Il est du tout sans
+forme jusqu' son entire joissance et possession, et bien souvent l'on
+croit qu'elle soit venue cette extrmit, que l'on est bien loin de
+son compte, et, pour rcompense, il ne reste rien que le temps perdu,
+duquel l'on porte un extrme regret (il faut bien peser et noter ces
+dernires paroles, car elles portent coup, et de quoy blasonner).
+Pourtant il n'y a que la joissance en amour et pour l'homme et pour la
+femme, pour ne regretter rien du temps pass. Et pour cette honneste
+dame, qui escrivoit ce conte, donna un rendez-vous son serviteur dans
+un bois, o souvent s'alloit pourmener en une fort belle alle,
+l'entre de laquelle elle laissa ses femmes, et le va trouver sous un
+beau et large chesne ombrageux; car c'estoit en est! L o, dit la
+dame en son conte par ces propres mots, il ne faut point douter la vie
+qu'ils demenrent pour un peu, et le bel autel qu'ils dressrent au
+pauvre mary au temple de Craton, bien qu'ils ne fussent en Delos, qui
+estoit fait tout de cornes: pensez que quelque bon compagnon l'avoit
+fond. Voil comment cette dame se moquoit de son mary, aussi bien en
+ses escrits comme en ses dlices et effects: et qu'on note tous ses
+mots, ils portent de l'efficace, estans prononcs mesmes et escrits
+d'une si habile et honneste femme.
+
+Le conte en est trs-beau, que j'eusse volontiers ici mis et insr;
+mais il est trop long, car les pourparlers, avant que de venir l, sont
+fort beaux et longs aussi, reprochant son serviteur, qui la looit
+extremement, qu'il y avoit en luy plus d'oeuvre de naturelle et
+nouvelle passion qu'aucun bien qui fust en elle, bien qu'elle fust des
+belles et honnestes; et, pour vaincre cette opinion, il fallut au
+serviteur faire de grandes preuves de son amour, qui sont fort bien
+spcifies en ce conte: et puis estant d'accord, l'on y voit des ruses,
+des finesses et tromperies d'amour en toutes sortes, et contre le mary
+et contre le monde, qui sont certes fort belles et trs-fines. Je priay
+cette honneste dame de me donner le double de ce conte; ce qu'elle fist
+trs-volontiers, et ne voulust qu'autre le doublast qu'elle, de peur de
+surprise. Cette dame avoit raison de donner cette vertu et proprit au
+cocuage; car avant que se mettre l'amour, elle estoit fort peu habile;
+mais l'ayant trait, elle devint l'une des spirituelles et habiles
+femmes de France, tant pour ce sujet que pour d'autres. Et de fait, ce
+n'est pas la seule que j'ay veue qui s'est habilite, pour avoir trait
+l'amour, car j'en ay veu une infinit trs-sottes et mal-habiles leur
+commencement; mais elles n'avoient demeur un an l'acadmie de Cupidon
+et Vnus madame sa mre, qu'elles en sortoient trs-habiles et
+trs-honnestes femmes en tout; et quant moy je n'ay veu jamais putain
+qui ne fust trs-habile et qui ne levast la paille.
+
+--Si feray-je encor cette question; en quelle saison de l'anne se fait
+plus de cocus, et laquelle est plus propre l'amour, et esbranler une
+fille, une femme ou une veuve? Certainement la plus commune voix est
+qu'il n'y a pour cela que le printemps, qui esveille les corps et les
+esprits endormis de l'hyver fascheux et mlancolique; et puisque tous
+les oiseaux et animaux s'en rjoissent et entrent tous en amours, les
+personnes qui ont autres sens et sentiment s'en ressentent bien
+davantage, et surtout les femmes (selon l'opinion de plusieurs
+philosophes et mdecins), qui entrent lors en plus grande ardeur et
+amour qu'en tout autre temps, ainsi que je l'ay ouy dire aucunes
+honnestes et belles dames, et mesmes une grande qui ne failloit
+jamais, le printemps venu, en estre plus touche et picque qu'en autre
+saison; et disoit qu'elle sentoit la pointe de l'herbe et hannissoit
+aprs comme les juments et chevaux, et qu'il falloit qu'elle en tastast,
+autrement elle s'amaigriroit; ce qu'elle faisoit, je vous en asseure, et
+devenoit lors plus lubrique. Aussi, trois ou quatre amours nouvelles que
+je luy ay veu faire en sa vie, elle les a faites au printemps, et non
+sans cause; car de tous les mois de l'an, avril et may sont les plus
+consacrez, et ddis Vnus, o lors les belles dames s'accommencent,
+plus que devant, s'accommoder, dorloter, et se parer gentiment, se
+coiffer follastrement, se vestir lgrement; qu'on dirait que tous ces
+nouveaux changements, et d'habits et de faons, tendent tous la
+lubricit, et peupler la terre de cocus, marchant dessus, aussi bien
+que le ciel et l'air en produisent de volants en avril et en may. De
+plus, ne pensez pas que les belles femmes, filles ou veuves, quand elles
+voient de toutes parts en leurs pourmenades de leurs bois, de leurs
+forests, garennes, parcs, prairies, jardins, bocages et autres lieux
+rcratifs, les animaux et les oiseaux s'entrefaire l'amour et
+lascivement paillarder, n'en ressentent d'estranges piqueures en leur
+chair, et n'y veulent soudain rapporter leurs remdes; et c'est l'une
+des persuasives remonstrances qu'aucuns amants et aucunes amantes
+s'entrefont, s'entrevoyants sans chaleurs, ny flamme, ny amour, en leur
+remonstrant les animaux et oyseaux, tant des champs que des maisons,
+comme les passereaux et pigeons domestiques et lascifs, et ne faire que
+paillarder, germer, engendrer, et foissonner jusqu'aux arbres et
+plantes; et c'est ce que sceut dire un jour une gente dame espagnole
+un cavalier froid ou trop respectueux: _Sa, gentil cavallero, mira como
+los amores de todas suertes se tratan y trionfan en este verano, y V.S.
+queda flaco y abatrido!_ C'est--dire: Voici[54], gentil cavalier,
+comme sortes d'amours se mennent et triomphent en cette prime; et vous
+demeurez flac et abattu. Le printemps pass fait place l'est, qui
+vient aprs et porte avec soy ses chaleurs: et ainsi qu'une chaleur
+amne l'autre, la dame par consquent double la sienne; et nul
+rafraischissement ne la luy peut oster si bien qu'un bain chaud et
+trouble de sperme vnriq: ce n'est pas contraire par son contraire et
+gurir, ains semblable par son semblable; car, bien que tous les jours
+elle se baignast, se plongeast dans la plus claire et fraische fontaine
+de tout un pays, cela n'y sert, ny quelques lgers habillements qu'elle
+puisse porter pour s'en donner fraischeur, et qu'elle les retrousse tant
+qu'elle voudra, jusques laisser les calessons, ou mettre le vertugadin
+dessus eux, sans les mettre sur le cotillon, comme plusieurs le font; et
+l c'est le pis, car, en tel estat, elles s'arregardent, se ravissent,
+se contemplent la belle clart du soleil, que, se voyant ainsi belles,
+blanches, cailles, poupines et en bon point, entrent soudain en rut et
+tentation; et, sur ce, faut aller au masle ou de tout brusler toutes
+vives, dont on en a veu fort peu; aussi seroient-elles bien sottes: et
+si elles sont couches dans leurs beaux lits ne pouvants endurer ny
+couvertes, ny linceux, se mettent en leurs chemises retrousses demy
+nues, et le matin, le soleil levant donnant sur elles, et venants se
+regarder encore mieux leur aise de tous costez et toutes parts,
+souhaitent leurs amys, et les attendent: que si par cas ils arrivent sur
+ce point, sont aussitost les bien venus, pris et embrasss; car lors,
+disent-elles, c'est la meilleure embrassade et joissance d'aucune heure
+du jour; d'autant, disoit un jour une grande, que le c.. est bien
+confit, cause du doux chaud et feu de la nuict, qui l'a ainsi cuit et
+confit, et qu'il en est beaucoup meilleur et savoureux. L'on dit
+pourtant par un proverbe ancien: _Juin et juillet, la bouche mouille et
+le v.. sec_; encor met-on le mois d'aoust: cela s'entend pour les
+hommes, qui sont en danger quand ils s'chauffent par trop en ces temps;
+et mesme quand la chaude canicule domine, quoy ils y doivent adviser;
+mais s'ils se veulent brusler leur chandelle, leur dam. Les femmes
+ne courent jamais ceste fortune, car tous mois, toutes saisons, tous
+temps, tous signes leur sont bons. Or les bons fruits de l'est
+surviennent, qui semblent devoir rafraischir ces honnestes et
+chaleureuses dames. A aucunes j'en ay veu manger peu, et d'autres
+prou. Mais pourtant on ny a guieres veu de changement de leur chaleur ny
+aux unes ny aux autres, pour s'en abstenir ny pour en manger; car le pis
+est que, s'il y a aucuns fruits qui puissent rafraischir, il y a bien
+force autres qui reschauffent bien autant, auxquels les dames courent le
+plus souvent, comme plusieurs simples qui sont en leur vertu et bons
+et plaisants manger en leurs potages et salades, et comme aux
+asperges, aux artichaux, aux truffles, aux morilles, aux mousserons et
+potirons, et aux viandes nouvelles, que leurs cuisiniers, par leurs
+ordonnances, savent trs-bien accoustrer et accoustumer la friandise
+et lubricit, et que les mdecins aussi leur savent bien ordonner. Que
+si quelqu'un bien expert et gallant entreprenoit desduire ce passage,
+il s'en acquitteroit bien mieux que moy. Au partir de ces bons mangers,
+donnez-vous garde, pauvres amants et marys. Que si vous n'estes bien
+prparez, vous voil dshonorez, et bien souvent on vous quitte pour
+aller au change. Ce n'est pas tout; car il faut avec ces fruits
+nouveaux, et fruits des jardins et des champs, y adjouter de bons grands
+pastez que l'on a inventez depuis quelques temps, avec force pistaches,
+pignons, et autres drogues d'apoticaires scaldives, mais sur-tout des
+crestes et c........ de cocq, que l'est produit et donne plus en
+abondance que l'hyver et autres saisons; et se fait aussi plus grand
+massacre en gnral de ces jolets et petits cocqs qu'en hyver des grands
+cocqs, n'estant si bons et si propres que les petits, qui sont chauds
+ardents et plus gaillards que les autres. Voila un entr-autres, des bons
+plaisirs et commoditez que l'est rapporte pour l'amour. Et de ces
+pastez ainsi composez de menusailles de ces petits cocqs et culs
+d'artichaux et truffles, ou autres friandises chaudes en usent souvent
+quelques dames que j'ai ouy dire; lesquelles, quand elles en mangent et
+y peschent, mettant la main dedans ou avec les fourchettes, et en
+rapportant et en remettant en la bouche ou l'artichault, ou la truffle,
+ou la pistache, ou la creste de cocq, ou autre morceau, elles disent
+avec une tristesse morne: _Blanque_; et quand elles rencontrent les
+gentils c........ de cocq, et les mettent sous la dent, elles disent
+d'une allgresse: _Bnfice_; ainsi qu'on fait la blanque en Italie,
+et comme si elles avaient rencontr et gagn quelque joyau trs-prcieux
+et riche. Elles en ont cette obligation messieurs les petits cocqs et
+jolets, que l'est produit avec la moiti de l'automne pourtant, que
+j'entremesle avec l'est, qui nous donne force autres fruits et petits
+volatiles qui sont cent fois plus chaudes que celles de l'hyver et de
+l'autre moiti de l'automne prochaine et voisine de l'hyver, qui, bien
+qu'on les puisse et doive joindre ensemble, si n'y peut-on si bien
+recueillir tous ces bons simples en leur vigueur, ny autre chose comme
+en la saison chaude, encore l'hyver s'efforce de produire ce qu'il peut,
+comme les bonnes cardes qui engendrent bien de la bonne chaleur et de la
+concupiscence, soit qu'elles soient cuittes ou crues, jusques aux petits
+chardons chauds, dont les asnes vivent et en baudoinent mieux, que
+l'est rend durs, et l'hyver les rend tendres et dlicats, dont l'on en
+fait de fort bonnes salades nouvellement inventes. Et outre tout cela,
+on fait tant d'autres recherches de bonnes drogues chez les apoticaires,
+drogueurs et parfumeurs, que rien n'y est oubli, soit pour ces pastez,
+soit pour les bouillons: et ne trouve-t-on dire guieres de la chaleur
+en l'hyver par ce moyen et entretenement tant qu'elles peuvent; car,
+disent-elles, puisque nous sommes curieuses de tenir chaud l'extrieur
+de nostre corps par des habits pesants et bonnes fourrures, pourquoy
+n'en ferons-nous de mesme l'intrieur? Les hommes disent aussi: Et
+de quoy leur sert-il d'adjouster chaleur sur chaleur, comme soye sur
+soye, contre la Pragmatique, et que d'elles-mesmes elles sont assez
+chaleureuses, et qu' toute heure qu'on les veut assaillir elles sont
+tousjours prestes de leur naturel, sans y apporter aucun artifice? Qu'y
+feriez-vous? Possible qu'elles craignent que leur sang chaud et
+bouillant se perde et se resserre dans les veines et devienne froid et
+glac si on ne l'entretient, ny plus ny moins que celuy d'un hermite qui
+ne vit que de racines.
+
+Or laissons-les faire: cela est bon pour les bons compagnons; car, elles
+estant en si frquente ardeur, le moindre assaut d'amour qu'on leur
+donne, les voil prises, et messieurs les pauvres marys cocus et cornus
+comme satyres. Encor font-elles mieux, les honnestes dames: elles font
+quelquesfois part de leurs bons pastez, bouillons et potages leurs
+amants par misricorde, afin d'estre plus braves et n'estre attnuez par
+trop quand ce vient la besogne, et pour s'en ressentir mieux et
+prvaloir plus abondamment et leur en donnent aussi des receptes pour en
+faire faire en leur cuisine part: dont aucuns y sont bien trompez,
+ainsi que j'ay ouy parler d'un galant gentilhomme, qui, ayant ainsi pris
+son bouillon, et venant tout gaillard aborder sa matresse, la menaa
+qu'il la meneroit beau et qu'il avoit pris son bouillon, et mang son
+past. Elle lui respondit: Vous ne me ferez que la raison; encore ne
+say-je: et s'estant embrassez et investis, ces friandises ne luy
+servirent que pour deux oprations de deux coups seulement. Sur quoy
+elle luy dit ou que son cuisinier l'avoit mal servy ou y avoit espargn
+des drogues et compositions qu'il y falloit, ou qu'il n'avoit pas pris
+tous ses prparatifs pour la grande mdecine, ou que son corps pour lors
+estoit mal dispos pour la prendre et la rendre: et ainsy elle se moqua
+de luy. Tous simples pourtant, toutes drogues, toutes viandes et
+mdecines, ne sont propres tous; aux uns elles oprent, aux autres
+blanque, encore ay-je veu des femmes qui, mangeant ces viandes chaudes
+et qu'on leur en faisoit la guerre que par ce moyen il pourroit avoir du
+dbordement ou de l'extraordinaire ou avec le mary ou l'amant, ou avec
+quelque pollution nocturne, elles disoient, juroient et affirmoient que,
+pour tel manger, la tentation ne leur en survenoit en aucune manire; et
+Dieu sait il falloit qu'elles fissent ainsi des ruses. Or les dames qui
+tiennent le party de l'hiver disent que, pour les bouillons et mangers
+chauds, elles en savent assez de receptes d'en faire d'aussi bons
+l'hyver qu'aux autres saisons: elles en font assez d'exprience, et pour
+faire l'amour le disent aussi trs-propre; car, tout ainsi que l'hyver
+est sombre, tnbreux, quiete, coy, retir de compagnies et cach, ainsi
+faut que soit l'amour et qu'il soit fait en cachette, en lieu retir et
+obscur, soit en un cabinet part, ou en un coin de chemine prs d'un
+bon feu qui engendre bien, s'y tenant de prs et long-temps autant de
+chaleur vnricque que le soleil d'est. Comme aussi fait-il bon en la
+ruelle d'un lit sombre, que les yeux des autres personnes, cependant
+qu'elles sont prs du feu se chauffer, pntrent fort mal-aisment, ou
+assises sur des coffres et lits l'escart faisant aussi l'amour, ou
+les voyant se tenir prs les unes des autres, et pensant que ce soit
+cause du froid, et se tenir plus chaudement; cependant font de bonnes
+choses, les flambeaux part bien loin reculez, ou sur la table, ou sur
+le buffet. De plus, qui est meilleur quand l'on est dans le lit? c'est
+tous les plaisirs du monde aux amants et amantes de s'entr'embrasser, de
+s'entreserrer et se baiser, s'entre-trousser l'un sur l'autre de peur de
+froid, non pour un peu, mais pour un long temps, et s'entre-eschauffer
+doucement, sans se sentir nullement du chaud dmesur que produit
+l'est, et d'une sueur extrme, qui incommode grandement le dduit de
+l'amour; car, au lieu de s'entretenir au large et fort l'escart: et
+qui est le meilleur, disent les dames, par l'advis des mdecins, les
+hommes sont plus propres, ardants et dduits cela l'hyver qu'en
+l'est.
+
+--J'ay cogneu d'autres fois une trs-grande princesse, qui avoit un
+trs-grand esprit et parloit et escrivoit des mieux. Elle se mit un jour
+ faire des stances la louange et faveur de l'hyver, et sa proprit
+pour l'amour. Pensez qu'elle l'avoit trouv pour elle trs-favorable et
+traitable en cela. Elles estoient trs-bien faites, et les ay tenues
+long-temps en mon cabinet, et voudrois avoir donn beaucoup et les tenir
+pour les insrer ici; l'on y verroit et remarqueroit-on les grandes
+vertus de l'hyver, proprits et singularitez pour l'amour.
+
+--J'ay cogueu une trs-grande dame et des belles du monde, laquelle,
+veufve de frais, faisant semblant ne vouloir, pour son nouvel habit et
+estat, aller les aprs-soupers voir la Cour, ni le bal, ni le coucher de
+la Reine, et n'estre estime trop mondaine, ne bougeoit de la chambre,
+laissoit aller ou renvoyoit un chacun ou une chacune la danse, et son
+fils et tout, se retiroit en une ruelle; et l son amant, d'autres fois
+bien trait, aym et favoris d'elle estant en mariage, arrivoit, ou
+bien, ayant soup avec elle, ne bougeoit, donnant le bonsoir un sien
+beau-frre, qui estoit de grand garde, et l traitoit et renouvelloit
+ses amours anciennnes, et en pratiquoit de nouvelles pour secondes
+noces, qui furent accomplies en l'est aprs. Ainsi que j'ay considr
+depuis toutes ces circonstances, je croy que les autres saisons ne
+fussent est si propres pour cet hyver, et comme je l'ay ouy dire une
+de ses dariolettes. Or, pour faire fin, je dis et affirme que toutes
+saisons sont propres pour l'amour, quand elles sont prises propos, et
+selon les caprices des hommes et des femmes qui les surprennent: car,
+tout ainsi que la guerre de Mars se fait en toutes saisons et tout
+temps, et qu'il donne ses victoires comme il luy plat et comme aussi il
+trouve ses gens d'armes bien appareills et encourags de donner leur
+bataille, Vnus en fait de mesmes, selon qu'elle trouve ses troupes
+d'amants et d'amantes bien disposes au combat: et les saisons n'y font
+gures rien, ny leur acception ny lection n'y a pas grand lieu; non
+plus ne servent gures leurs simples, ny leur fruits, ny leurs drogues,
+ny drogueurs, ny quelque artifice que fassent ny les unes ny les autres,
+soit pour augmenter leur chaleur, soit pour la rafraischir. Car, pour le
+dernier exemple, je connois une grande dame qui sa mre, dez son petit
+age, la voyant d'un sang chaud et bouillant qui la menoit un jour tout
+droit au chemin du bourdeau, luy fit user par l'espace de trente ans,
+ordinairement en tous ses repas, du jus de vinette, qu'on appelle en
+France ozeille, fust en ses viandes, fust en ses potages et avec
+bouillons, fust pour en boire de grandes escelles oreilles, sans
+autres choses entremesles; bref, toutes ses sausses estoient jus de
+vinette. Elle eut beau faire tous ces mystres rfrigratifs, qu'enfin
+'a est une trs-grandissime et illustrissime putain, et qui n'avoit
+point besoin de ces pasts que j'ay dit pour luy donner de la chaleur,
+car elle en a assez; et si pourtant elle est aussi goulue les manger
+que toute autre. Or je fais fin, bien que j'en eusse dit davantage et
+eusse rapport davantage de raisons et exemples; mais il ne faut pas
+tant s'amuser ronger un mesme os; et aussi que je donne la plume un
+autre meilleur discoureur que moi, qui saura soustenir le party des
+unes et des autres raisons: me rapportant un souhait et dsir que
+fairoit une fois une honneste dame espagnole, qui souhaitoit et dsiroit
+de devenir hyver, quand sa saison seroit, et son ami un feu, afin, quand
+elle viendroit s'eschauffer luy par le grand froid qu'elle auroit,
+qu'il eust ce plaisir de la chauffer, et elle de prendre sa chaleur
+quand elle s'y chaufferoit, et de plus se prsenter et se faire voir
+luy souvent et son aise, et se chauffant retrousse, escarquille, et
+eslargie de cuisses et de jambes, pour participer la ve de ses beaux
+membres cachs sous son linge et habillements d'auparavant; aussi pour
+la reschauffer encore mieux et luy entretenir son autre feu du dedans et
+sa chaleur paillarde. Puis desiroit venir printemps, et son amy un
+jardin tout en fleurs, desquelles elle s'en ornast sa teste, sa belle
+gorge, son beau sein, voire s'y veautrant parmy elles son beau corps
+tout nud entre les draps. De mesmes aprs desiroit devenir est, et par
+consquent son amy une claire fontaine ou reluisant ruisseau, pour la
+recevoir en ses belles et fraisches eaux quand elle iroit s'y baigner et
+esgayer, et bien plein se faire voir luy, toucher, retoucher et
+manier tous ses membres beaux et lascifs. Et puis, pour la fin, desiroit
+pour son automne retourner en sa premire forme et devenir femme et son
+mary homme, pour puis aprs tous deux avoir l'esprit le sens et la
+raison contempler et rememorer tout le contentement pass, et vivre en
+ces belles imaginations et contemplations passes, et pour savoir et
+discourir entr'eux quelle saison leur avoit est plus propre et
+delicieuse. Voil comment ceste honneste dame dpartoit et compassoit
+les saisons; en quoy je me remets au jugement des mieux discourants,
+quelle des quatre en ces formes pouvoit estre l'un et l'autre plus
+douce et plus agrable.
+
+--Maintenant bon escient je me dparts de ce discours. Qui en voudra
+savoir davantage et des diverses humeurs des cocus, qu'il fasse une
+recherche d'une vieille chanson qui fut faite la Cour, il y a quinze
+ou seize ans, des cocus, dont le refrain est
+
+ Un cocu meine l'autre, et toujours sont en peine,
+ Un cocu l'autre meine.
+
+Je prie toutes les honnestes dames qui liront dans ce chapitre aucuns
+contes, si par cas elles y passent dessus, me pardonner s'ils sont un
+peu gras en saupiquets, d'autant que je ne les eusse sceu plus
+modestement dguiser, veu la sauce qu'il leur faut; et diray bien plus,
+que j'en eusse allgu d'autres encore bien plus saugreneux et
+meilleurs, n'estoit que, ne les pouvant ombrager bien d'une belle
+modestie, j'eusse eu crainte d'offenser les honnestes dames qui
+prendront cette peine et me feront cet honneur de lire mes livres; et si
+vous diray de plus, que ces contes que j'ay faits icy ne sont point
+contes menus de villes ny villages, mais viennent de bons et hauts
+lieux; et si ce sont de viles et basses personnes, ne m'estant voulu
+mesler que de coucher les grands et hauts subjets, encore que j'aye le
+dire bas; et, en ne nommant rien, je ne pense pas scandaliser rien
+aussi.
+
+ Femmes, qui transformez vos marys en oiseaux,
+ Ne vous en lassez point, la forme en est trs-belle;
+ Car si vous les laissez en leurs premires peaux,
+ Ils voudront vous tenir toujours en curatelle,
+ Et comme homme voudront user de leur puissance;
+ Au lieu qu'estants oiseaux ne vous feront d'offense.
+
+ AUTRE.
+
+ Ceux qui voudront blasmer les femmes amiables
+ Qui font secrtement leurs bons marys cornards,
+ Les blasment grand tort et ne sont que bavards;
+ Car elles font l'aumosne et sont fort charitables
+ En gardant bien la loy l'aumosne donner,
+ Ne faut en hypocrit la trompette sonner.
+
+_Vieille rime du jeu d'amours, que j'ay trouve dans des vieux papiers._
+
+ Le jeu d'amours, ou jeunesse s'esbat,
+ A un tablier se peut comparer.
+ Sur un tablier les dames on abat,
+ Puis il convient le trictrac prparer.
+ Et en celui ne faut que se parer.
+ Plusieurs font Jean: n'est-ce pas jeu honneste,
+ Qui par nature un joeur admoneste
+ Passer le temps de coeur joyeusement?
+ Mais en dfaut de trouver la raye nette
+ Il s'en ensuit un grand jeu de torment.
+
+Ce mot _raye nette_ s'entend en deux faons: l'une, pour le jeu de la
+_raye nette_ du trictrac; et l'autre, que, pour ne trouver la _raye
+nette_ de la dame avec qui l'on s'esbat, on y gagne bonne vrole, de bon
+mal et du torment.
+
+
+
+
+DISCOURS SECOND
+
+ Sur le sujet qui contente le plus en amour, ou le toucher, ou la
+ veu, ou la parole.
+
+INTRODUCTION.
+
+
+Voici une question en matire d'amours qui mriteroit un plus profond et
+meilleur discoureur que moy, savoir qui contente plus en la joissance
+d'amour, ou le tact qui est l'attouchement, ou la parole, ou la veu? M.
+Pasquier, trs-grand personnage certes, en sa jurisprudence, qui est sa
+profession, comme en autres belles et humaines sciences, en fait un
+discours dans ses lettres qu'il nous a laisses par escrit; mais il a
+est trop bref, et, pour estre si grand homme, il ne devoit tant
+l-dessus espargner sa belle parole comme il a fait; car, s'il l'eust
+voulue un peu eslargir et en dire bien au vray et au naturel ce qu'il en
+eust sceu dire, sa lettre qu'il en fait l-dessus en eust est cent fois
+bien plus plaisante et agrable.
+
+Il en fonde son discours principal sur quelques rimes anciennes du comte
+Thibault de Champagne, lesquelles je n'avois jamais vues, sinon ce petit
+fragment que ce M. Pasquier produit l; et trouve que ce bon et brave et
+ancien chevalier dit trs-bien, non en si bons termes que nos gallants
+potes d'aujourd'hui, mais pourtant en trs-bon sens et bonnes raisons;
+aussi avoit-il un trs-beau et digne sujet pourquoy il disoit si bien,
+qui estoit la reyne Blanche de Castille, mre de saint Louis, de
+laquelle il fut aucunement espris, voire beaucoup, et l'avoit prise pour
+maistresse. Mais, pour cela, quel mal? et quel reproche pour cette
+reyne? encore qu'elle fust est trs-sage et vertueuse, pouvoit-elle
+engarder le monde de l'aymer et brusler au feu de sa beaut et de ses
+vertus, puisque c'est le propre de la vertu et d'une perfection que de
+se faire aymer? Le tout est de ne se laisser aller la volont de celuy
+qui ayme.
+
+Voyl pourquoy il ne faut trouver estrange ny blasmer cette reyne si
+elle fut tant aime, et que, durant son regne et son autorit, il y ait
+eu en France des divisions, sditions et querelles: car, comme j'ay ouy
+dire un trs-grand personnage, les divisions s'esmeuvent autant pour
+l'amour que pour les brigues de l'Estat; et, du temps de nos pres, il
+se disoit un proverbe ancien que tout le monde voloit du c.. de la reine
+folle.
+
+Je ne say pour quelle reyne ce proverbe se fit, comme possible, fit ce
+comte Thibault, qui, possible, ou pour n'estre bien trait d'elle comme
+il vouloit, ou qu'il en fust desdaign, ou un autre mieux aim que luy,
+conceut en soy ces dpits qui le prcipitrent et firent perdre en ces
+guerres et tumultes, ainsi qu'il arrive souvent quand une belle ou
+grande reyne ou dame, ou princesse, se met rgir un Estat: un chacun
+dsire la servir, honorer et respecter, autant pour avoir l'heur d'estre
+bien venu d'elle et estre en ses bonnes graces, comme de se vanter de
+rgir et gouverner l'Estat avec elle et en tirer du profit. J'en
+allguerois quelques exemples, mais je m'en passeray bien.
+
+Tant y a, que ce comte Thibault prit sur ce beau sujet, que je viens de
+dire, bien escrire, et possible faire cette demande que nous
+reprsente M. Pasquier, auquel je renvoye le lecteur curieux, sans en
+toucher icy aucunes rimes; car ce ne seroit qu'une superflit.
+Maintenant, il me suffira d'en dire ce qu'il m'en semble tant de moy que
+de l'avis des plus gallants que moy.
+
+ * * * * *
+
+ARTICLE PREMIER.
+
+ De l'attouchement en amour
+
+Or, quant l'attouchement, certainement il faut avouer qu'il est trs
+dlectable, d'autant que la perfection de l'amour c'est de joir, et ce
+joir ne se peut faire sans l'attouchement; car, tout ainsi que la faim
+et la soif ne se peut soulager et appaiser, sinon par le manger et le
+boire, aussi l'amour ne se passe ny par l'ouye ny par la veu, mais par
+le toucher, l'embrasser et par l'usage de Vnus: quoi le badin fat
+Diogne cynique rencontra badinement, mais salaudement pourtant, quand
+il souhaitoit qu'il peust abattre sa faim en se frottant le ventre, tout
+ainsi qu'en se frottant la verge il passoit sa rage d'amour. J'eusse
+voulu mettre cecy en paroles plus nettes, il le faut passer fort
+lgrement; ou bien comme fit cet amoureux de Lamia, qui, ayant est par
+trop excessivement ranonn d'elle pour joir de son amour, n'y put ou
+n'y voulut entendre; et, pour ce, s'advisa, songeant en elle, se
+corrompre, se polluer, et passer son envie en son imagination: ce
+qu'elle ayant sceu, le fit convenir devant le juge qu'il eust l'en
+satisfaire et la payer, lequel ordonna qu'au son et tintement de
+l'argent qu'il lui monstreroit, elle seroit paye, et en passeroit ainsi
+son envie, de mesme que l'autre par songe et imagination, avoit pass la
+sienne.
+
+Il est bien vray que l'on m'allguera force especes de Vnus que les
+anciens philosophes deguisent; mais de ce, je m'en rapporte eux et aux
+plus subtils qui en voudront discourir. Tant y a, puisque le fruit de
+l'amour mondain n'est autre chose que la joissance, il ne faut point la
+penser bien avoir, qu'en touchant et embrassant. Si est-ce que plusieurs
+ont bien eu opinion que ce plaisir estoit fort maigre sans la veu et la
+parole; et de ce nous en avons un bel exemple dans les _Cent Nouvelles
+de la Reyne de Navarre_, de cet honneste gentilhomme, lequel, ayant joy
+plusieurs fois de cette honneste dame de nuict, bouche avec son touret
+de nez (car les masques n'estoient encore en usage), en une galerie
+sombre et obscure, encore qu'il cogneust bien au toucher qu'il n'y avoit
+rien que de bon, friant et exquis, ne se contenta point de telle faveur,
+mais voulut savoir qui il avoit faire: par quoy, en l'embrassant et
+la tenant un jour, il la marqua d'une craye au derrire de sa robe, qui
+estoit de velours noir; et puis le soir aprs souper (car leurs
+assignations estoient certaine heure assigne), ainsi que les dames
+entroient dans la salle du bal, il se mit derrire la porte; et, les
+espiant attentivement passer, il vient voir entrer la sienne marque
+sur l'espaule, qu'il n'eust jamais pens, car, en ses faons,
+contenances et paroles, on l'eust prise pour la Sapience de Salomon, et
+telle que la Reyne la descrit. Qui fust esbahy, ce fut ce gentilhomme,
+pour sa fortune assise sur une femme qui n'eust jamais creu moins d'elle
+que de toutes les dames de la Cour; vray est qu'il voulut passer plus
+outre, et ne s'arrester l, car il luy voulut le tout descouvrir, et
+savoir d'elle pourquoy elle se cachoit ainsi de luy, et se faisoit
+ainsi servir couvert et cachettes; mais elle, trs-bien ruse, nia et
+renia tout, jusques sa part de paradis et la damnation de son ame,
+comme est la coustume des dames, quand on leur va objecter des choses de
+leur cas qu'elles ne veulent qu'on les sache, encore qu'on en soit bien
+certain et qu'elles soient trs-vrayes. Elle s'en dpita; et par ainsi
+ce gentilhomme perdit sa bonne fortune. Bonne, certes, elle estoit; car
+la dame estoit grande et valoit le faire, et, qui plus est, parce
+qu'elle faisoit de la sucre, de la chaste, de la prude, de la feinte;
+en cela il pouvoit avoir double plaisir: l'un pour cette joissance si
+douce, si bonne, si dlicate; et le second, la contempler souvent
+devant le monde en sa mixte cointe mine, froide et modeste, et sa parole
+toute chaste, rigoureuse et rechignarde, songeant en soy son geste
+lascif, folastre maniement et paillardise, quand ils estoient ensemble.
+Voil pourquoy ce gentilhomme eut grand tort de luy en avoir parl, mais
+devoit tousjours continuer ses coups et manger sa viande, aussi bien
+sans chandelle qu'avec tous les flambeaux de sa chambre. Bien devoit-il
+savoir qui elle estoit, et en faut loer sa curiosit, d'autant que,
+comme dit le conte, il avoit peur avoir faire avec quelque espce de
+diable; car volontiers ces diables se transforment et prennent la forme
+des femmes pour habiter avec les hommes, et les trompent ainsi; auxquels
+pourtant, ce que j'ay ouy dire aucuns magiciens subtils, est plus
+ais de s'accommoder de la forme et visage de femme, que non pas de la
+parole. Voil pourquoy ce gentilhomme avoit raison de la vouloir voir et
+cognoistre; et, ce qu'il disoit luy-mme, l'abstinence de la parole
+lui faisoit plus d'apprhension que la veu, et le mettoit en resverie
+de monsieur le diable; dont en cela il monstra qu'il craignoit Dieu.
+Mais, aprs avoir le tout descouvert, il ne devoit rien dire. Mais quoy!
+ce dira quelqu'un, l'amiti et l'amour n'est point bien parfaite, si on
+ne la dclare et du coeur et de la bouche; et pour ce, ce gentilhomme
+la luy vouloit faire bien entendre; mais il n'y gagna rien, car il y
+perdit tout. Aussi, qui eust cogneu l'humeur de ce gentilhomme, il sera
+pour excus, car il n'estoit si froid ny discret pour joer ce jeu, et
+se masquer d'une telle discrtion; et, ce que j'ay ouy dire ma mre,
+qui estoit la Reyne de Navarre, et qui en savoit quelques secrets de
+ses Nouvelles, et qu'elle en estoit l'une des devisantes, c'estoit feu
+mon oncle de La Chastaigneraye, qui estoit brusq, prompt et un peu
+volage. Le conte est dguis pourtant pour le cacher mieux, car mon dict
+oncle ne fut jamais au service de la grand princesse, maistresse de
+cette dame, ouy bien du roy son frre: et si n'en fut autre chose, car
+il estoit fort aym et du Roy et de la princesse. La dame, je ne la
+nommeray point, mais elle estoit veufve et dame d'honneur d'une
+trs-grande princesse, et qui savoit faire la mine de prude plus que
+dame de la Cour.
+
+--J'ay ouy conter d'une dame de la cour de nos derniers roys, que je
+cognois, laquelle, estant amoureuse d'un fort honneste gentilhomme de la
+Cour, vouloit imiter la faon d'amour de cette dame prcdente: mais
+autant de fois qu'elle venoit de son assignation et de son rendez-vous,
+elle s'en alloit sa chambre, et se faisoit regarder de tous costez
+une de ses filles ou femmes de chambre si elle n'estoit point marque;
+et, par ce moyen, se garda d'estre mprise et reconnue. Aussi ne
+fut-elle jamais marque qu' la neufiesme assignation, que la marque fut
+aussitost descouverte et recogneue de ses femmes; et pour ce, de peur
+d'estre scandalise, et tomber en opprobre, elle brisa l, et oncques
+puis ne retourna l'assignation. Il eust mieux valu, ce dit quelqu'un,
+qu'elle luy eust laiss faire ses marques tant qu'il eust voulu, et
+autant de faites les deffaire et effacer; et pour ce eust eu double
+plaisir, l'un de ce contentement amoureux, et l'autre de se mocquer de
+son homme, qui travailloit tant cette pierre philosophale pour la
+descouvrir et cognoistre, et n'y pouvoit jamais parvenir.
+
+--J'en ay ouy conter d'un autre du temps du roy Franois, de ce beau
+escuyer Gruffy, qui estoit un escuyer de l'escurie du dit roy, et mourut
+ Naples au voyage de M. de Lautrec, et d'une trs-grande dame de la
+Cour, dont en devint trs-amoureuse: aussi estoit-il trs-beau et ne
+l'appeloit-on ordinairement que le beau Gruffy, dont j'en ay veu le
+pourtrait qui le monstre tel. Elle attira un jour un sien
+vallet-de-chambre en qui elle se fioit, pourtant incogneu et non veu, en
+sa chambre, qui luy vint dire un jour, luy bien habill, qu'il sentoit
+son gentilhomme, qu'une trs-honneste et belle dame se recommandoit
+luy, et qu'elle en estoit si amoureuse qu'elle en dsiroit fort
+l'accointance plus que d'homme de la Cour, mais par tel si, qu'elle ne
+vouloit, pour tout le bien du monde, qu'il la vist ni la connust; mais
+qu' l'heure du coucher, et qu'un chacun de la Cour seroit retir, il le
+viendroit qurir et prendre en un certain lieu qu'il lui diroit, et de
+l il le meneroit coucher avec cette dame; mais par telle pache aussi,
+qu'il luy vouloit bouscher les yeux avec un beau mouchoir blanc, comme
+un trompette qu'on meine en ville ennemie, afin qu'il ne peust voir ny
+recognoistre le lieu ny la chambre l o il le meneroit, et le
+tiendroit tousjours par les mains afin de ne deffaire ledit mouchoir;
+car ainsi luy avoit command sa maistresse luy proposer ces conditions,
+pour ne vouloir estre connue de luy jusques quelque temps certain et
+prfix qu'il luy dit, et lui promit; et pour ce qu'il y pensast et
+advisast bien s'il y vouloit venir cette condition, afin qu'il luy
+sceut dire lendemain sa response; car il le viendroit qurir et prendre
+en un lieu qu'il luy dit, et surtout qu'il fust seul, et il le meneroit
+en une part si bonne, qu'il ne s'en repentiroit point d'y estre all.
+Voil une plaisante assignation et compose d'une estrange condition.
+J'aimerois autant celle-l d'une dame espagnole, qui manda un une
+assignation, mais qu'il portast avec lui trois S. S. S., qui estoient
+dire: _sabio_, _solo_, _segreto_; _sage_, _seul_, _secret_: l'autre luy
+manda qu'il iroit, mais qu'elle se garnist et fournist de trois F. F.
+F., qui sont qu'elle ne fust _fea_, _flaca_ n'y _fria_; qui ne fust n'y
+_laide_, _flaque_ n'y _froide_. Attant, le messager se dpartit d'avec
+Gruffy. Qui fut en peine et en songe, ce fut luy, ayant grand sujet de
+penser que ce fust quelque partie joue de quelque ennemy de Cour, pour
+luy donner quelque venue, ou de mort ou de charit envers le Roy.
+Songeoit aussi quelle dame pouvoit-elle estre, ou grande, ou moyenne, ou
+petite, ou belle, ou laide, qui plus luy faschoit (encore que tous chats
+sont gris la nuict, ce dit-on, et tous c... sont c... sans clart).
+Par-quoy, aprs en avoir confr un de ses compagnons les plus privez,
+il se rsolut de tenter la risque, et que pour l'amour d'une grande,
+qu'il prsumoit bien estre, il ne falloit rien craindre et apprhender.
+Par-quoy, le lendemain que le Roy, les Reynes, les dames et tous et
+toutes de la Cour se furent retirez pour se coucher, ne faillit de se
+trouver au lieu que le messager lui avoit assign, qui ne faillit
+aussi-tost l'y venir trouver avec un second, pour luy aider faire le
+guet si l'autre n'estoit point suivy de page ni de laquais, ny vallet,
+ny gentilhomme. Aussi-tost qu'il le vit, luy dit seulement: Allons,
+monsieur, madame vous attend. Soudain il le banda, et le mena par lieux
+obscurs, estroits, et traverses incogneues, de telle faon que l'autre
+luy dit franchement qu'il ne savoit l o il le menoit; puis il entra
+dans la chambre de la dame, qui estoit si sombre et si obscure qu'il ne
+pouvoit rien voir ni cognoistre, non plus que dans un four. Bien la
+trouva-t-il sentant bon, et trs-bien parfume, qui luy fit esperer
+quelque chose de bon; parquoy le fit deshabiller aussi-tost, et luy-mme
+le deshabilla, et aprs le mena par la main, luy ayant ost le
+mouchoir, au lict de la dame qui l'attendoit en bonne dvotion, et se
+mit auprs d'elle la taster, l'embrasser, la carresser, o il n'y
+trouva rien que trs-bon et exquis, tant sa peau qu' son linge et
+lict trs-superbe, qu'il tastonnoit avec les mains; et ainsi passa
+joyeusement la nuict avec cette belle dame, que j'ay bien ouy nommer.
+Pour fin, tout lui contenta en toutes faons, et cogneut bien qu'il
+estoit trs-bien hberg pour cette nuict; mais rien ne lui faschoit,
+disoit-il, si-non que jamais il n'en sceut tirer aucune parole. Elle
+n'avoit garde, car il parloit assez souvent elle le jour comme aux
+autres dames, et, pour ce, l'eust cogneue aussitost. De folatries, de
+mignardises, de carresses, d'attouchements et de toute autre sorte de
+dmonstrations d'amour et paillardises, elle n'y espargnoit aucune: tant
+y a qu'il se trouva bien. Le lendemain, la pointe du jour, le messager
+ne faillit de venir esveiller, et le lever et habiller, le bander et le
+retourner au lieu o il l'avoit pris, et recommander Dieu jusques au
+retour, qui seroit bien-tost; et ne fut sans lui demander s'il luy avoit
+menty, et s'il se trouvoit bien de l'avoir creu, et ce qu'il luy en
+sembloit de luy avoir servi de fourrier, et s'il luy avoit donn bon
+logement. Le beau Gruffy, aprs l'avoir remerci cent fois, luy dit
+adieu, et qu'il seroit tousjours prest de retourner pour si bon march,
+et revoler quand il voudroit; ce qu'il fit, et la feste en dura un bon
+mois, au bout duquel fallut Gruffy partir pour son voyage de Naples,
+qui prit cong de sa dame et luy dit adieu grand regret, sans en tirer
+d'elle un seul parler aucunement de sa bouche, sinon soupirs et larmes
+qu'il lui sentoit couler des yeux. Tant y a qu'il partit d'avec elle
+sans la cognoistre nullement ny s'en appercevoir. Depuis on dit que
+cette dame pratiqua cette vie avec deux ou trois autres de cette faon,
+se donnant ainsi du bon temps: et disoit-on qu'elle s'accommodoit de
+cette astuce, d'autant qu'elle estoit fort avare, et par ainsi elle
+espargnoit le sien et n'estoit sujette faire prsents ses
+serviteurs; car enfin, toute grande dame pour son honneur doit donner,
+soit peu ou prou, soit argent, soit bagues ou joyaux, ou soyent riches
+faveurs: par ainsi la gallante se donnoit joye son c.., et espargnoit
+sa bourse, en ne se manifestant seulement quelle estoit; et pour ce, ne
+se pouvoit estre reprise de ses deux bourses, ne se faisant jamais
+cognoistre. Voil une terrible humeur de grand dame. Aucuns ne
+trouveront la faon bonne, autres la blasmeront, autres la tiendront
+pour trs-excorte, aucuns l'estimeront bonne mesnagere; mais je m'en
+rapporte ceux qui en discourront mieux que moy: si est-ce que cette
+dame ne peut encourir tel blasme que cette reyne qui se tenoit
+l'hostel de Nesle Paris, laquelle, faisant le guet aux passants, et
+ceux qui lui revenoyent et agroient le plus, de quelques sortes de gens
+que ce fussent, les faisoit appeler et venir soy; et, aprs en avoir
+tir ce qu'elle en vouloit, les faisoit prcipiter du haut de la tour,
+qui paroist encores, en bas en l'eau, et les faisoit noyer[55]. Je ne
+puis dire que cela soit vray; mais le vulgaire, au moins la pluspart de
+Paris, l'affirme; et n'y a si commun, qu'en luy monstrant la tour
+seulement, et en l'interrogeant, que de luy-mesme ne le die.
+
+Laissons ces amours, qui sont plustost des avortons que des amours,
+lesquelles plusieurs de nos dames d'aujourd'hui abhorrent, comme elles
+en ont raison, voulant communiquer avec leurs serviteurs, et non comme
+avec rochers ou marbres: mais aprs les avoir bien choisis, se savent
+bravement et gentiment faire servir et aimer d'eux. Et puis, en ayant
+cogneu leurs fidlitez et loyale persvrance, se prostituent avec eux
+par une fervente amour, et se donnent du plaisir avec eux, non en
+masques, ny en silence, ny muettes, ny parmi les nuicts et tnbres,
+mais en beau plein jour se font voir, taster, toucher, embrasser, les
+entretiennent de beaux et lascifs discours, de mots folastres et paroles
+lubriques: quelques fois pourtant s'aident de masques, car il y a
+plusieurs dames qui quelques fois sont contraintes d'en prendre en le
+faisant, si c'est au hasle qu'elles le facent, de peur de se gaster le
+teint ou ailleurs, afin que, si elles s'chauffent par trop, et si sont
+surprises, qu'on ne cognoisse leur rougeur ny leur contenance estonne,
+comme j'en ay veu: et le masque cache tout, et ainsi trompent le monde.
+
+ * * * * *
+
+ARTICLE II.
+
+ De la parole en amour.
+
+J'ay ouy dire plusieurs dames et cavalliers qui ont men l'amour, que,
+sans la vee et la parole, elles aymeroient autant ressembler les bestes
+brutes, lesquelles, par un apptit naturel et sensuel, n'ont autres
+soucy ne amiti que de passer leur rage et chaleur. Aussi ay-je ouy dire
+ plusieurs seigneurs et gallants gentilshommes qui ont couch avec de
+grandes dames, ils les ont trouves cent fois plus lascives et dbordes
+en paroles, que les femmes communes et autres. Elles le peuvent faire
+finesse, d'autant qu'il est impossible l'homme, tant vigoureux
+soit-il, de tirer au collier et labourer tousjours; mais, quand il vient
+ la pose et au relasche, il trouve si bon et si apptissant quand sa
+dame l'entretient de propos lascifs et mots folastrement prononcs, que,
+quand Vnus seroit la plus endormie du monde, soudain elle est
+esveille; mesmes que plusieurs dames, entretenant leurs amants devant
+le monde, fust aux chambres des reynes et princesses et ailleurs, les
+pipoient, car elles leur disoient des paroles si lascives et si friandes
+qu'elles et eux se corrompoient comme dedans un lict: nous, les
+arregardans, pensions qu'elles tinssent autres propos. C'est pourquoy
+Marc Antoine aima tant Clopatre et la prfra sa femme Octavia, qui
+estoit cent fois plus aimable et belle que la Clopatre; mais cette
+Clopatre avoit la parole si affette, et le mot si propos, avec ses
+faons et graces lascives, qu'Antoine oublia tout pour son amour.
+Plutarque nous en fait foy sur aucuns brocards ou sobriquets qu'elle
+disoit si gentiment, que Marc Antoine, la voulant imiter, ne ressembloit
+ ses devis (encore qu'il voulust faire du gallant) qu'un soldat et gros
+gendarme, au prix d'elle et de sa belle frase de parler. Pline fait un
+conte d'elle que je trouve fort beau, et, par ce, je le rpteray ici un
+peu. C'est qu'un jour, ainsi qu'elle estoit en ses plus gaillardes
+humeurs, et qu'elle s'estoit habille l'advenant et l'advantage, et
+surtout de la teste d'une guirlande de diverses fleurs convenante
+toute paillardise, ainsi qu'ils estoient table, et que Marc Antoine
+voulut boire, elle l'amusa de quelque gentil discours, et cependant
+qu'elle parloit, mesure elle arrachoit de ses belles fleurs de sa
+guirlande, qui nantmoins estoient toutes semes de poudre empoisonne,
+et les jettoit peu peu dans la coupe que tenoit Marc Antoine pour
+boire; et ayant achev son discours, ainsi que Marc Antoine voulut
+porter la coupe au bec pour boire, Clopatre luy arreste tout court la
+main, et ayant apost un esclave ou criminel qui estoit l prs, le fit
+venir luy, et lui fit donner boire ce que Marc Antoine alloit
+avaler, dont soudain il en mourut; et puis, se tournant vers Marc
+Antoine, lui dit: Si je ne vous aimois comme je fais, je me fusse
+maintenant dfaite de vous, et eusse fait le coup volontiers, sans que
+je vois bien que ma vie ne peut estre sans la vostre. Cette invention
+et cette parole pouvoient bien confirmer Marc Antoine en son amiti,
+voire le faire croupir davantage aux costez de sa charnure. Voil
+comment servit l'loquence Clopatre, que les histoires nous ont
+escrite trs-bien disante: aussi ne l'appeloit-il que simplement la
+Reyne, pour plus grand honneur, ainsi qu'il escrit Octave Csar, avant
+qu'ils fussent dclars ennemys. Qui t'a chang, dit-il, pour ce que
+j'embrasse la Reyne? elle est ma femme. Ay-je commenc ds ast heure? Tu
+embrasses Drusille, Tortale, Leontile, ou Rufile, ou Salure Litiseme, ou
+toutes: que t'en chaut-il sur quelle tu donnes, quand l'envie t'en
+prend? Par l Marc Antoine louoit sa constance et blasmoit la varit
+de l'autre d'en aimer tant au coup, et luy n'aimoit que sa Reyne, dont
+je m'estonne qu'Octave ne l'aima aprs la mort de Marc Antoine. Il se
+peut faire qu'il la vit quand il la vit et la fit venir seule en sa
+chambre, et qu'elle l'harangua: possible qu'il n'y trouva pas ce qu'il
+pensoit, ou la meprisa pour quelque autre raison, et en voulut faire son
+triomphe Rome et la monstrer en parade; quoi elle remdia par sa
+mort advance.
+
+Certes, pour retourner notre dire premier, quand une dame se veut
+mettre sur l'amour, ou qu'elle y est une fois bien engage, il n'y a
+orateur au monde qui die mieux qu'elle. Voyez comme Sophonisba nous a
+est descrite de Tite Live, d'Appian et d'autres, si bien disante
+l'endroit de Massinissa, lorsqu'elle vint luy pour l'aimer, gaigner et
+rclamer, et aprs quand il lui fallut avaller le poison. Bref, toute
+dame, pour estre bien aime, doit bien parler, et volontiers on en voit
+peu qui ne parlent bien et n'ayent des mots pour esmouvoir le ciel et la
+terre, et fust-elle glace en plein hyver. Celles surtout qui se mettent
+ l'amour, et si elles ne savent rien dire, elles sont si dessavoures,
+que le morceau qu'elles vous donnent n'a ny goust ny saveur: et quand M.
+du Bellay, parlant de sa courtisanne et dclarant ses moeurs, dit
+qu'elle estoit sage au parler et folastre la couche[56], cela s'entend
+en parlant devant le monde et entretenant l'un et l'autre; mais lorsque
+l'on est part avec son amy, toute gallante dame veut estre libre en sa
+parole et dire ce qu'il luy plaist, afin de tant plus esmouvoir Vnus.
+
+J'ay ouy faire des contes plusieurs qui ont joi de belles et grandes
+dames, ou qui ont est curieux de les escouter parlant avec d'autres
+dedans le lict, qu'elles estoient aussi libres et folles en leur parler
+que courtisannes qu'on eust sceu connoistre: et qui est un cas
+admirable, est que, pour estre ainsi accoustumes entretenir leurs
+marys, ou leurs amys, de mots, propos et discours sallaux et lascifs,
+mesmes nommer tout librement ce qu'elles portent au fond du sac sans
+farder, et pourtant, quand elles sont en leurs discours, jamais ne
+s'extravaguent, ni aucun de ces mots sallaux leur vient la bouche: il
+faut bien dire qu'elles se savent bien commander et dissimuler; car il
+n'y a rien qui frtille tant que la langue d'une dame ou fille de joie.
+Sy ay-je cogneu une trs-belle et honneste dame de par le monde, qui,
+devisant avec un honneste gentilhomme de la Cour des affaires de la
+guerre durant ces civiles, elle lui dit: J'ay ouy dire que le Roy
+fait rompre tous les c... de ce pays-l. Elle vouloit dire _les ponts_.
+Pensez que, venant de coucher d'avec son mary, ou songeant son amant,
+elle avoit encore ce nom frais en la bouche: et le gentilhomme s'en
+eschauffa en amours d'elle pour ce mot.
+
+--Une autre dame que j'ai cogneue, entretenant une autre grand dame plus
+qu'elle, et luy louant et exaltant ses beautez, elle lui dit aprs:
+Non, madame, ce que je vous en dis, ce n'est point pour vous
+adultrer; voulant dire _adulater_, comme elle le rhabilla ainsi:
+pensez qu'elle songeoit l'adultre et adultrer. Bref, la parole en
+jeu d'amours a une trs-grande efficace; et o elle manque le plaisir en
+est imparfait: aussi, la vrit, si un beau corps n'a une belle ame,
+il ressemble mieux son idole qu'un corps humain; et s'il se veut faire
+bien aimer, tant beau soit-il, il faut qu'il se fasse seconder d'une
+belle ame: que s'il ne l'a de nature, il la faut faonner par art.
+
+--Les courtisannes de Rome se moquent fort des gentilles dames de Rome,
+lesquelles ne sont apprises la parole comme elles; et disent que
+_chiavano come cani, ma che sono quiete della bocca como sassi_[57].
+
+Et voil pourquoy j'ai cogneu beaucoup d'honnestes gentilshommes qui ont
+refus l'accointance de plusieurs dames, je vous dis trs-belles, parce
+qu'elles estoient idiotes, sans ame, sans esprit et sans parole, et les
+ont quittes tout plat: et disoient qu'ils aimoient autant avoir
+faire avec une belle statue de quelque beau marbre blanc, comme celuy
+qui en aima une Athenes jusques en joir.
+
+Et pour ce, les estrangers qui vont par pays ne se mettent guires
+aymer les femmes estrangres, ny volontiers s'en caprichent pour elles,
+d'autant qu'ils ne s'entendent point, ny leur parole ne leur touche
+aucunement au coeur; j'entends ceux qui n'entendent leur langage: et
+s'ils s'accostent d'elles, ce n'est que pour contenter autant nature, et
+esteindre le feu naturel bestialement, et puis _andar in barca_[58];
+comme dist un Italien un jour desembarqu Marseille, allant en
+Espagne, et demandant o il y avoit des femmes. On luy monstre un lieu
+o se faisoit le bal de quelques nopces. Ainsi qu'une dame le vint
+accoster et arraisonner, il lui dit: _V. S. mi perdonna, non voglio
+parlare, voglio solamente chiavare, e poi me n'andar in barca_[59].
+
+Le Franois ne prend grand plaisir avec une Allemande, une Suisse, une
+Flamande, une Angloise, cossoise, une Esclavonne ou autre estrangre,
+encore qu'elle babillast le mieux du monde, s'il ne l'entend; mais il se
+plaist grandement avec sa dame franoise ou avec l'Italienne ou
+l'Espagnolle, car coustumirement, la plus part des Franois
+aujourd'hui, au moins ceux qui ont veu un peu, savent parler ou
+entendent ce langage; et Dieu sait s'il est affett et propre pour
+l'amour? Car quiconque aura faire avec une dame franoise, italienne,
+espagnolle ou grecque, et qu'elle soit diserte, qu'il die hardiment
+qu'il est pris et vaincu.
+
+D'autres fois nostre langue franoise n'a est si belle ny si enrichie
+comme elle l'est aujourd'hui; mais il y a long-temps que l'italienne,
+l'espagnolle et la grecque le sont: et volontiers n'ay-je guieres veu
+dame de cette langue, si elle a pratiqu tant soit peu le mestier de
+l'amour, qui ne sache trs-bien dire. Je m'en rapporte ceux qui ont
+traitt celles-l.
+
+Tant y a qu'une belle dame et remplie de belle parole contente
+doublement.
+
+ * * * * *
+
+ARTICLE III.
+
+ De la veu en amour.
+
+Parlons maintenant de la veu. Certainement, puisque les yeux sont les
+premiers qui attaquent le combat de l'amour, il faut advouer qu'ils
+donnent un trs-grand contentement quand ils nous font voir quelque
+chose de rare en beaut.
+
+H, quelle est la chose au monde que l'on puisse voir plus belle qu'une
+belle femme, soit habille ou bien pare, ou nue entre deux draps? Pour
+l'habille, vous n'en voyez que le visage nud; mais aussi, quand un
+beau corps, orn d'une riche et belle taille, d'un port et d'une grace,
+d'une apparence et superbe majest, nous se prsente plein, quelle
+plus belle monstre et agrable veu peut-il estre au monde? Et puis,
+quand vous en venez joir tout ainsi couverte et superbement habille,
+la convoitise et joissance en redoublent, encore que l'on ne voye que
+le seul visage de tout le reste des autres parties du corps: car
+malaisment peut-on joir d'une grande dame selon toutes les commoditez
+que l'on dsireroit bien, si ce n'estoit dans une chambre bien loisir
+et lieu secret, ou dans un lict bien plaisir; car elle est tant
+claire.
+
+Et c'est pourquoy une grande dame, dont j'ay ouy parler, quand elle
+rencontroit son serviteur propos, et hors de veu et descouverte, elle
+prenoit l'occasion tout aussi-tost, pour s'en contenter le plus
+promptement et briefvement qu'elle pouvoit, en lui disant un jour:
+C'estoient les sottes, le temps pass, qui, par trop se voulant
+dlicater en leurs amours et plaisirs, se renfermoient, ou en leurs
+cabinets, ou autres lieux couverts, et l faisoient tant durer leurs
+jeux et esbats, qu'aussi-tost elles estoient descouvertes et divulgues.
+Aujourd'huy, il faut prendre le temps, et le plus bref que l'on pourra,
+et, aussi-tost assailly, aussi-tost investy et achev; et par ainsi nous
+ne pouvons estre scandalises. Je trouve que cette dame avoit raison;
+car ceux qui se sont meslez de cet estat d'amour, ils ont toujours tenu
+cette maxime, qu'il n'y a que le coup en robbe.
+
+Aussi, quand l'on songe que l'on brave, l'on foule, presse et gourmande,
+abat et porte par terre les draps d'or, les toiles d'argent, les
+clinquants, les estoffes de soye, avec des perles et pierreries,
+l'ardeur, le contentement, s'en augmentent bien davantage, et certes,
+plus qu'en une bergere ou autre femme de pareille qualit, quelque belle
+qu'elle soit.
+
+Et pourquoy jadis Vnus fut trouve si belle et tant dsire, sinon
+qu'avec sa beaut elle estoit toujours gentiment habille, et
+ordinairement parfume, qu'elle sentoit toujours bon de cent pas loin?
+Aussi tenoit-on que les parfums animent fort l'amour.
+
+Voil pourquoy les emprieres et grandes dames de Rome s'en
+accommodoient bien fort, comme font aussi nos grandes dames de France,
+et sur-tout aussi celles d'Espagne et d'Italie, qui, de tout temps, en
+sont est plus curieuses et exquises que les nostres, tant en parfums
+qu'en parures de superbes habits, desquelles nos dames en ont pris
+depuis les patrons et belles inventions; aussi les autres les avoient
+apprises des mdailles et statues antiques de ces dames romaines, que
+l'on voit encor parmy plusieurs antiquitez qui sont encore en Espagne et
+en Italie; lesquelles, qui les contemplera bien, trouvera leurs
+coiffures et leurs habits en perfection, et trs-propres se faire
+aimer. Mais aujourd'huy, nos dames franoises surpassent tout: la
+reyne de Navarre elles en doivent ce grand-mercy.
+
+Voil pourquoy il fait bon et beau d'avoir faire ces belles dames si
+bien en poinct, si richement et pompeusement pares.
+
+De sorte que j'ay ouy dire aucuns courtisans, mes compagnons, ainsi
+que nous devisions ensemble, qu'ils les aimoient mieux ainsi que
+desacoustres et couches nues entre deux linceux, et dans un lict le
+plus enrichy de broderies que l'on sceut faire.
+
+D'autres disoient, qu'il n'y avoit que le naturel, sans aucun fard ny
+artifice, comme un grand prince que je say, lequel pourtant faisoit
+coucher ses courtisannes ou dames dans des draps de taffetas noir[60]
+bien tendus, toutes nues, afin que leur blancheur et dlicatesse de
+chair parust bien mieux parmy ce noir, et donnast plus d'esbat.
+
+Il ne faut douter vrayment que la veu ne soit plus agrable que toutes
+celles du monde d'une belle femme toute parfaite en beaut; mais
+mal-aisment se trouve-t-elle.
+
+Aussi on trouve par escrit que Zeuxis, cet excellent peintre, ayant este
+pri, par quelques honnestes dames et filles de sa connoissance, de leur
+donner le pourtrait de la belle Helaine et la leur reprsenter si belle
+comme l'on disoit qu'elle avoit est, il ne leur en voulut point
+refuser; mais, avant qu'en faire le pourtrait, il les contempla toutes
+fixement, et en prenant de l'une et de l'autre ce qu'il y put trouver de
+plus beau, il en fit le tableau comme de belles pices rapportes, et en
+reprsenta par icelles Helaine si belle, qu'il n'y avoit rien dire, et
+qui fut tant admirable toutes, mais, Dieu mercy, elles, qui y
+avoient bien tant aid par leurs beautez et parcelles, comme Zeuxis
+avoit fait par son pinceau. Cela vouloit dire, que de trouver sur
+Helaine toutes les perfections de beaut il n'estoit pas possible,
+encore qu'elle ait est en extrmit trs-belle.
+
+En cas qu'il ne soit vrai, l'Espagnol dit que pour rendre une femme
+toute parfaite et absolue en beaut, il lui faut trente beaux sis[61],
+qu'une dame espagnolle me dit une fois dans Tolede, l o il y en a de
+trs-belles, bien gentilles et bien apprises. Les trente donc sont
+telles:
+
+ _Tres cosas blancas: el cuero, los dientes, y las manos._
+ _Tres negras: los ojos, las cejas, y las pestannas._
+ _Tres coloradas: los labios, las mexillas, y las unnas._
+ _Tres longas: el cuerpo, los cabellos, y las manos._
+ _Tres cortas: los dientes, las orejas, y los pies._
+ _Tres anchas: los pechos, la frente, y el entrejeco._
+ _Tres estrechas: la boca, l'una y otra, la cinta, y l'entrada del pie._
+ _Tres gruessas: el brao, el muslo, y la paniorilla._
+ _Tres delgaldas: los dedos, los cabellos, y los labios._
+ _Tres pequennas: las tetas, la naris, y la cabea._
+
+Qui sont en franois, afin qu on l'entende:
+
+ Trois choses blanches: la peau, les dents et les mains.
+ Trois noires: les yeux, les sourcils et les paupires.
+ Trois rouges: les lvres, les joues et les ongles.
+ Trois longues: le corps, les cheveux et les mains.
+ Trois courtes: les dents, les oreilles et les pieds.
+ Trois larges: la poitrine ou le sein, le front et l'entre-sourcil.
+ Trois estroites: la bouche, l'une et l'autre, la ceinture ou la taille,
+ et l'entre du pied.
+ Trois grosses: le bras, la cuisse et le gros de la jambe.
+ Trois dlies: les doigts, les cheveux et les lvres.
+ Trois petites: les tetins, le nez et la teste.
+ Sont trente en tout.
+
+Il n'est pas inconvnient, et se peut que tous ces sis en une dame
+peuvent estre tous ensemble; mais il faut qu'elle soit faite au moule de
+la perfection; car de les voir tous assemblez sans qu'il y en ait
+quelqu'un redire et qu'il ne soit en dfaut, il n'est possible.
+
+Je m'en rapporte ceux qui ont veu de belles femmes, ou en verront, et
+qui voudront estre soigneux de les contempler et essayer ce qu'ils en
+sauront dire. Mais pourtant, encore qu'elles ne soient accomplies ny
+embellies de tous ces poincts, une belle femme sera tousjours belle,
+mais qu'elle en aye la moiti et en aye les points principaux que je
+viens de dire: car j'en ay veu force qui en avoient dire plus de la
+moiti, qui estoient trs-belles et fort aimables; ny plus ny moins
+qu'un bocage est trouv tousjours beau en printemps, encore qu'il ne
+soit remply de tant de petits arbrisseaux qu'on voudroit bien; mais que
+les beaux et grands arbres touffus paroissent, c'est assez de ces grands
+qui peuvent estouffer la deffectuosit des autres petits.
+
+M. de Ronsard me pardonne, s'il lui plaist; jamais sa maistresse, qu'il
+a faite si belle, ne parvint cette beaut, ny quelqu'autre dame qu'il
+ait veue de son temps ou en ait escrit: et fust sa belle Cassandre qui
+je say bien qu'elle a est belle, mais il l'a dguise d'un faux nom:
+ou bien sa Marie, qui n'a jamais autre nom port que celuy-l, quant
+celle-l; mais il est permis aux potes et peintres dire et faire ce
+qu'il leur plaist, ainsi que vous avez dans Roland le furieux de
+trs-belles beautez, descrites par l'Arioste, d'Alcine et autres.
+
+Tout cela est bon; mais, comme je tiens d'un trs-grand personnage,
+jamais nature ne sauroit faire une femme si parfaite comme une ame vive
+et subtile de quelque bien-disant, ou le crayon et pinceau de quelque
+divin peintre la nous pourroient reprsenter. Baste, les yeux humains se
+contentent toujours de voir une belle femme de visage beau, blanc, bien
+fait: et encore qu'il soit brunet, c'est tout un; il vaut bien
+quelquefois le blanc, comme dit l'Espagnole: _Aunque io sia mormica, no
+soy da menos preciar_; encor que je sois brunette, je ne suis
+mpriser. Aussi la belle Marfise _era brunetta alquanto_[62]. Mais que
+le brun n'efface le blanc par trop: un visage aussi beau, faut qu'il
+soit port par un corps faonn et fait de mesme: je dis autant des
+grands que des petits; mais les grandes tailles passent tout.
+
+Or, d'aller chercher des points si exquis de beaut, comme je viens de
+dire ou qu'on nous les dpeint, nous nous en passerons bien, et nous
+resjoirons voir nos beautez communes: non que je les veuille dire
+communes autrement, car nous en avons de si rares, que, ma foy, elles
+valent bien plus que toutes celles que nos potes fantasques, nos
+quinteux peintres et nos pindariseurs de beautez, sauroient
+reprsenter.
+
+Hlas! voicy le pis; telles beautez belles, tels beaux visages, en
+voyons-nous aucuns, admirons, desirons leur beau corps, pour l'amour de
+leurs belles faces, que nantmoins, quand elles viennent estre
+descouvertes et mises blanc, nous en font perdre le goust; car ils
+sont si laids, tarez, tachez, marquez et si hideux, qu'ils en dmentent
+bien le visage; et voil comme souvent nous y sommes trompez.
+
+Nous en avons un bel exemple d'un gentilhomme de l'isle de Mojorque, qui
+s'appelloit Raymond Lulle, de fort bonne, riche et ancienne maison, qui,
+pour sa noblesse, valeur et vertu, fut appel en ses plus belles annes
+au gouvernement de cette isle. Estant en cette charge, comment souvent
+arrive aux gouverneurs des provinces et places, il devint amoureux d'une
+belle dame de l'isle des plus habilles, belles et mieux disantes de-l.
+Il la servit longuement et fort bien; et luy demandant toujours ce bon
+point de joissance, elle, aprs l'en avoir refus tant qu'elle put, luy
+donna un jour assignation, o il ne manqua ny elle aussi, et comparut
+plus belle que jamais et mieux en point. Ainsi qu'il pensoit entrer en
+paradis, elle luy vint descouvrir son sein et sa poitrine toute
+couverte d'une douzaine d'emplastres, et, les arrachant l'un aprs
+l'autre, et de dpit les jetant par terre, luy monstra un effroyable
+cancer, et, les larmes aux yeux, luy remonstra ses misres et son mal,
+luy disant et demandant s'il y avoit tant de quoy en elle qu'il en dust
+estre tant espris; et sur ce, lui en fit un si pitoyable discours, que
+luy, tout vaincu de piti du mal de cette belle dame, la laissa; et
+l'ayant recommande Dieu pour sa sant, se dfit de sa charge et se
+rendit hermite. Et estant de retour de la guerre sainte, o il avoit
+fait voeux, s'en alla estudier Paris sous Arnaldus de Villanova,
+savant philosophe, et ayant fait son cours, se retira en Angleterre, o
+le Roy pour lors le receut avec tous les bons recueils du monde pour son
+grand savoir, et qu'il transmua plusieurs lingots et barres de fer, de
+cuivre et d'estain, mesprisant cette commune et triviale faon de
+transmuer le plomb et le fer en or, parce qu'il savoit que plusieurs de
+son temps savoient faire cette besogne aussi bien que luy, qui savoit
+faire l'un et l'autre: mais il vouloit faire un pardessus les autres.
+
+Je tiens ce conte d'un gallant homme qui m'a dit le tenir du
+jurisconsulte Oldrade, qui parle de Raymond Lulle au commentaire qu'il a
+fait sur le code _de falsa Moneta_. Aussi le tenoit-il, ce disoit-il, de
+Carolus Bovillus[63], Picard de nation, qui a compos un livre en latin
+de la _vie de Raymond de Lulle_[64].
+
+Voil comment il passa sa fantaisie de l'amour de cette belle dame; si
+que possible d'autres n'eussent pas fait, et n'eussent laiss l'aimer
+et fermer les yeux, mesme en tirer ce qu'il vouloit, puisqu'il estoit
+mesme; car la partie o il tendoit n'estoit touche d'un tel mal.
+
+J'ay cogneu un gentilhomme et une dame veufve de par le monde, qui ne
+firent pas ses scrupules; car la dame estant touche d'un gros vilain
+cancer au tetin, il ne laissa de l'espouser, et elle aussi le prendre,
+contre l'advis de sa mre, et toute malade et malficie qu'elle estoit,
+et elle et luy s'esmeurent et se remurent tellement toute la nuict,
+qu'ils en rompirent et enfoncrent le fond du chalit.
+
+J'ai cogneu aussi un fort honneste gentilhomme, mon grand amy, qui me
+dit qu'un jour estant Rome, il luy advint d'aimer une dame espagnolle,
+et des belles qui fust en la ville jamais. Quand il l'accostoit, elle ne
+vouloit permettre qu'il la vist, ny qu'il la touchast par ses cuisses
+nues, si-non avec ses callesons; si bien que quand il la vouloit
+toucher, elle lui disoit en espagnol: _Ah! no me tocays, hareis me
+cosquillas_[65], qui est dire: Vous me chatouillez. Un matin,
+passant devant sa maison, trouvant sa porte ouverte, il monte tout
+bellement, o estant entr sans rencontrer ny fantesque ny page, ny
+personne, et entrant dans sa chambre, la trouva qui dormoit si
+profondment, qu'il eut loisir de la voir toute nue sur le lict, et la
+contempler son aise, car il faisoit trs-grand chaud; et il dit qu'il
+ne vid jamais rien de si beau que ce corps, fors qu'il vit une cuisse
+belle, blanche, pollie et refaite, mais l'autre elle l'avoit toute
+seiche, attnue et estiomene, qui ne paroissoit pas plus grosse que le
+bras d'un petit enfant. Qui fust estonn? ce fut le gentilhomme, qui la
+plaignit fort, et oncques plus ne la tourna visiter ny avoir faire
+avec elle.
+
+Il se voit force dames qui ne sont pas ainsi estiomenes de catherres;
+mais elles sont si maigres, dnues, assches et descharnes, qu'elles
+n'en peuvent rien monstrer que le bastiment: comme j'ay cogneu une
+trs-grande que M. l'evesque de Cisteron, qui disoit le mot mieux
+qu'homme de la Conr, en brocardant affermoit qu'il valoit mieux de
+coucher avec une ratoire de fil d'archal qu'avec elle; et, comme dit
+aussi un honneste gentilhomme de la Cour, auquel nous faisions la guerre
+qu'il avoit faire avec une dame assez grande: Vous vous trompez,
+dit-il, car j'aime trop la chair, et elle n'a que les os; et pourtant,
+ voir ces deux dames, si belles par leurs beaux visages, on les eust
+juges pour des morceaux trs-charnus et bien friands.
+
+Un trs-grand prince de par le monde vint une fois estre amoureux de
+deux belles dames tout coup, ainsi que cela arrive souvent aux grands,
+qui ayment les varitez. L'une estoit fort blanche, et l'autre brunette,
+mais toutes deux trs-belles et fort aimables. Ainsi qu'il venoit un
+jour de voir la brunette, la blanche jalouse luy dit: Vous venez de
+voller pour corneille. A quoy lui respondit le prince un peu irrit, et
+fasch de ce mot: Et quand je suis avec vous, pour qui volle-je? La
+dame respondit: Pour un phnix. Le prince, qui disoit des mieux,
+rpliqua: Mais dites plustost pour l'oiseau de paradis, l o il y a
+plus de plume que de chair; la taxant par l qu'elle estoit maigre
+aucunement: aussi estoit-elle fort jovanote pour estre grasse, ne se
+logeant coustumirement que sur celles qui entrent dans l'aage, qu'elles
+commencent se fortifier et renforcer de membres et autres choses.
+
+--Un gentilhomme la donna bonne un grand seigneur que je say. Tous
+deux avoient belles femmes. Ce grand seigneur trouva celle du
+gentilhomme fort belle et bien advenante. Il luy dit un jour: Un tel,
+il faut que je couche avec vostre femme. Le gentilhomme, sans songer,
+car il disoit trs-bien le mot, luy respondit: Je le veux, mais je
+couche avec la vostre. Le seigneur lui rpliqua: Qu'en ferois-tu? car
+la mienne est si maigre, que tu n'y prendrois nul goust. Le gentilhomme
+respondit: Je la larderay si menu, que je la rendray de bon goust.
+
+--Il s'en voit tant d'autres que leurs visages poupins et gentils font
+desirer leurs corps; mais quand on y vient, on les trouve si dcharnes,
+que le plaisir et la tentation en sont bien-tost passez. Entr'autres,
+l'on y trouve l'os _barr_ qu'on appelle, si sec et si dcharn, qu'il
+foule et masche plus tout nud que le bast d'un mulet qu'il auroit sur
+luy. A quoy pour suppler, telles dames sont coustumires de s'aider de
+petits coussins bien mollets et dlicats soutenir le coup et engarder
+de la mascheure; ainsi que j'ay ouy parler d'aucunes, qui s'en sont
+aides souvent, voire de callesons gentiment rembourez et faits de
+satin, de sorte que les ignorants, les venants toucher, n'y trouvent
+rien que tout bon, et croyent fermement que c'est leur embonpoint
+naturel; car par-dessus ce satin il y avoit des petits callesons de
+toile volante et blanche; si bien que l'amant, donnant le coup en robbe,
+s'en alloit de sa dame si content et satisfait, qu'il l'a tenoit pour
+trs-bonne robbe.
+
+D'autres y a-t-il encore qui sont de la peau fort malficies et
+marquetes comme marbre, ou en oeuvre la mosaque, tavelles comme
+faons de bische, gratteleuses, et subjectes dartes farineuses et
+fascineuses; bref, gastes tellement, que la veu n'en est pas guieres
+plaisante.
+
+--J'ay ouy parler d'une dame grande, et l'ay cogneue et cognois encore,
+qui est pelue, velue sur la poitrine, sur l'estomac, sur les espaules et
+le long de l'eschine, et son bas, comme un sauvage.
+
+Je vous laisse penser ce que veut dire cela: si le proverbe est vray,
+_que personne ainsi velue est ou riche, ou lubrique_, celle-l a l'un et
+l'autre, je vous en asseure, et s'en fait fort bien donner, se voir et
+desirer.
+
+D'autres ont la chair d'oison ou d'estourneau plum, hare, brodequine,
+et plus noire qu'un beau diable.
+
+D'autres sont opulentes en tetasses avales, pendantes plus que d'une
+vache allaitant son veau.
+
+Je m'asseure que ce ne sont pas les beaux tetins d'Hlaine, laquelle,
+voulant un jour prsenter au temple de Diane une coupe gentille par
+certain voeu, employant l'orfevre pour la luy faire, luy en fit
+prendre le modelle sur un de ses beaux tetins, et en fit la coupe d'or
+blanc, qu'on ne sauroit qu'admirer de plus, ou la coupe ou la
+ressemblance du tetin sur quoy il avoit pris le patron, qui se monstroit
+si gentil et si poupin, que l'art en pouvoit faire desirer le naturel.
+Pline dit cecy par grande spciaut, o il traite qu'il y a de l'or
+blanc. Ce qui est fort estrange est que cette coupe fut faite d'or
+blanc.
+
+Qui voudroit faire des coupes d'or sur ces grandes tetasses que je dis
+et que je cognois, il faudroit bien fournir de l'or monsieur
+l'orfevre, et ne seroit aprs sans coust et grand rise, quand on
+diroit: Voil des coupes faites sur le modelle des testins de telles et
+telles dames.
+
+Ces coupes ressembleroient, non pas coupes, mais de vrayes auges, qu'on
+voit de bois toutes rondes, dont on donne manger aux pourceaux; et
+d'autres y a-t-il, que le bout de leur tetin ressemble une vraye guine
+pourrie.
+
+D'autres y a-t-il, pour descendre plus bas, qui ont le ventre si mal
+poly et rid, qu'on les prendroit pour de vieilles gibessires rides de
+sergents ou d'hosteliers; ce qui advient aux femmes qui on eu des
+enfants, et qui ne sont est bien secourues et graisses de graisse de
+baleine de leurs sages-femmes. Mais d'autres y a-t-il, qui les ont aussi
+beaux et polis, et le sein aussi follet, comme si elles estoient encore
+filles.
+
+D'autres il y en a, pour venir encore plus bas, qui ont leurs natures
+hideuses et peu agrables. Les unes y ont le poil nullement fris, mais
+si long et pendant, que vous diriez que ce sont les moustaches d'un
+Sarrasin; et pourtant n'en ostent jamais la toison, et se plaisent la
+porter telle, d'autant qu'on dit: _Chemin jonchu et c.. velu sont fort
+propres pour chevaucher_. J'ay ouy parler de quelqu'une trs-grande qui
+les porte ainsi.
+
+J'ay ouy parler d'une autre belle et honneste dame qui les avoit ainsi
+longues, qu'elle les entortilloit avec des cordons ou rubans de soye
+cramoisie ou autre couleur, et se les frisonnoit ainsi comme des frisons
+de perruques, et puis se les attachoit ses cuisses, et en tel estat
+quelquefois se les prsentoit son mary et son amant, ou bien se les
+destortoit de son ruban et cordon, si qu'elles paroissoient frisonnes
+par aprs, et plus gentilles qu'elles n'eussent fait autrement.
+
+Il y avoit bien l de la curiosit, et de la paillardise et tout; car,
+ne pouvant d'elle-mesme faire et suivre ses frisons, il falloit qu'une
+de ses femmes, de ses plus favorites, la servt en cela; en quoy ne peut
+estre autrement qu'il n'y ayt de la lubricit en toutes faons qu'on la
+pourra imaginer.
+
+Aucunes, au contraire, se plaisent le tenir et porter raz, comme la
+barbe d'un prestre.
+
+D'autres femmes y a-t-il, qui n'ont de poil point du tout, ou peu, comme
+j'ay ouy parler d'une fort grande et belle dame que j'aye cogneue; ce
+qui n'est guires beau, et donne un mauvais soupon: ainsi qu'il y a des
+hommes qui n'ont que de petits boucquets de barbe au menton, et n'en
+sont pas plus estimez de bon sang, ainsi que sont les blanquets et
+blanquettes[66].
+
+D'autres en ont l'entre si grande, vague et large, qu'on la prendroit
+pour l'antre de la Sibylle.
+
+J'en ay ouy parler d'aucunes, et bien grandes, qui les ont telles qu'une
+jument ne les a si amples, encore qu'elles s'aident d'artifice le plus
+qu'elles peuvent pour estrecir la porte; mais, dans deux ou trois
+frquentations, la mesme ouverture tourne: et, qui plus est, j'ay ouy
+dire que, quand bien on les arregarde le cas d'aucunes, il leur cloise
+comme celuy d'une jument quand elle est en chaleur. L'on m'en a cont
+trois qui monstrent telles cloyses quand on y prend garde de les voir.
+
+--J'ay ouy parler d'une dame grande, belle et de qualit, qui un de
+nos roys avoit impos le nom de _Pan de c.._, tant il estoit large et
+grand; et non sans raison, car elle se l'est fait en son vivant souvent
+mesurer plusieurs merciers et arpenteurs, et que tant plus elle
+s'estudioit le jour de l'estrecir, la nuict en deux heures on le lui
+eslargissoit si bien, que ce qu'elle faisoit en une heure, on le
+dfaisoit en l'autre, comme la toille de Penelope. Enfin, elle en
+quitta tous artifices, et en fut quitte pour faire lection des plus
+gros moules qu'elle pouvoit trouver.
+
+Tel remde fut trs bon, ainsi que j'ay ouy dire d'une fort belle et
+honneste fille de la Cour, laquelle l'eut au contraire si petit et si
+estroit, qu'on en dsesproit jamais le forcement du pucelage; mais
+par advis de quelques mdecins ou de sages-femmes, ou de ses amys ou
+amyes, elle en fit tenter le gu ou le forcement par des plus menus et
+petits moules, puis vint aux moyens, puis aux grands, mode des talus
+que l'on fait, ainsi que Rabelais ordonna les murailles de Paris
+imprenables; et puis, par tels essays les uns aprs les autres,
+s'accoustuma si bien tous, que les plus grands ne luy faisoient la
+peur que les petits paravant faisoient si grande.
+
+Une grande princesse estrangere que j'ay cogneue, laquelle l'avoit si
+petit et estroit, qu'elle aima mieux de n'en taster jamais que de se
+faire inciser, comme les mdecins le conseilloient. Grande vertu certes
+de continence, et rare!...
+
+D'autres en ont les labies longues et pendantes plus qu'une creste de
+coq d'Inde quand il est en colere; comme j'ay ouy dire que plusieurs
+dames ont, non-seulement elles, mais aussi des filles.
+
+--J'ay ouy faire ce conte feu M. de Randan, qu'une fois estants de
+bons compagnons la Cour ensemble, comme M. de Nemours, M. le vidame de
+Chartres, M. le comte de la Rochefoucault, MM. de Montpezaz, Givry,
+Genlis et autres, ne sachants que faire, allrent voir pisser les filles
+un jour, cela s'entend cachs en bas et elles en haut. Il y en eut une
+qui pissa contre terre: je ne la nomme point; et d'autant que le
+plancher estoit de tables, elle avoit ses lendilles si grandes, qu'elles
+passrent par la fente des tables si avant, qu'elle en monstra la
+longueur d'un doigt, si que M. de Randan, par cas fortuit, ayant un
+baston qu'il avoit pris un laquais, o il y avoit un fion, en pera
+si dextrement ses lendilles, et les cousit si bien contre la table, que
+la fille, sentant la piqre, tout coup s'esleva si fort, qu'elle les
+escarta toutes, et de deux parts qu'il en avoit en fit quatre, et les
+dites lendilles en demeurerent decoupes en forme de barbe
+d'escrevisses, dont pourtant la fille s'en trouva trs-mal, et la
+maistresse en fut fort en colere.
+
+M. de Randan et la compagnie en firent conte au roy Henry, qui estoit
+bon compagnon, qui en rit pour sa part son saoul, et en apaisa le tout
+envers la Reyne sans rien en dguiser.
+
+Ces grandes lendilles sont cause qu'une fois j'en demanday la raison
+un mdecin excellent, qui me dit que, quand les filles et femmes
+estoient en ruth, elles les touchoient, manioient, viroyent,
+contournoient, allongeoient et tiroient si souvent, qu'estants ensemble
+s'entredonnoient mieux du plaisir.
+
+Telles filles et femmes seroient bonnes en Perse, non en Turquie,
+d'autant qu'en Perse les femmes sont circoncises, parce que leur nature
+ressemble de je ne say quoy le membre viril (disent-ils): au contraire,
+en Turquie, les femmes ne le sont jamais, et pour ce les Perses les
+appellent hrtiques, pour n'estre circoncises, d'autant que leur cas,
+disent-ils, n'a nulle forme, et ne prennent plaisir de les regarder
+comme les Chrestiens. Voil ce qu'en disent ceux qui ont voyag en
+Levant.
+
+Telles femmes et filles, disoit ce mdecin, sont fort sujettes faire
+la fricarelle, _donna con donna_.
+
+J'ay ouy parler d'une trs-belle dame, et des plus qui ait est en la
+Cour, qui ne les a si longues; car elles luy sont accourcies pour un mal
+que son mary luy donna, voire qu'elle n'a de levre d'un cost pour avoir
+est tout mang de chancres; si bien qu'elle peut dire son cas estropi
+et demy demembr; et nanmoins cette dame a est fort recherche de
+plusieurs, mesme elle a est la moiti d'un grand quelques fois dans son
+lict.
+
+Un grand disoit la Cour un jour qu'il voudroit que sa femme
+ressemblast celle-l, et qu'elle n'en eust qu' demy, tant elle en
+avoit trop.
+
+J'ay aussi ouy parler d'une autre bien plus grande qu'elle cent fois,
+qui avoit un boyau qui luy pendilloit long d'un grand doigt au dehors de
+sa nature, et, disoit-on, pour n'avoir pas est bien servie en l'une de
+ses couches par sa sage-femme; ce qui arrive souvent aux filles et
+femmes qui ont fait des couches la drobade, ou qui par accident se
+sont gastes et greves; comme une des belles femmes de par le monde que
+j'ay cogneue, qui, estant veufve, ne voulut jamais se remarier, pour
+estre descouverte d'un second mary de cecy, qui l'en eust peu prise, et
+possible mal-traite.
+
+Cette grande que je viens de dire, nonobstant son accident, enfantoit
+aussi aisment comme si elle eust piss; car on disoit sa nature
+trs-ample; et si pourtant elle a est bien aime et bien servie
+couvert; mais mal-aisment se laissoit-elle voir l.
+
+Aussi volontiers, quand une belle et honneste femme se met l'amour et
+ la privaut, si elle ne vous permet de voir ou taster cela, dites
+hardiment qu'elle y a quelque tare, ou si que la veue ni le toucher
+n'approuvera guires, ainsi que je tiens d'une honneste femme; car s'il
+n'y en a point, et qu'il soit beau (comme certes il y en a et de
+plaisants voir et manier), elle est aussi curieuse et contente d'en
+faire la monstre et en prester l'attouchement, que de quelqu'autre de
+ses beautez qu'elle ait, autant pour son honneur n'estre souponne de
+quelque dfaut ou laideur en cet endroit, que pour le plaisir qu'elle y
+prend elle-mesme le contempler et mirer, et surtout aussi pour
+accroistre la passion et tentation davantage son amant.
+
+De plus, les mains et les yeux ne sont pas membres virils pour rendre
+les femmes putains et leurs marys cocus, encore qu'aprs la bouche
+aident faire de grands approches pour gaigner la place.
+
+D'autres femmes y a-t-il qui ont la bouche de l si pasle, qu'on diroit
+qu'elles y ont la fievre: et telles ressemblent aucuns yvrognes,
+lesquels, encor qu'ils boivent plus de vin qu'une truie de laict, ils
+sont pasles comme trespassez: aussi les appelle-t-on traistres au vin,
+non pas ceux qui sont rubiconds: aussi telles par ce cost-l on les
+peut dire traistraisses Vnus, si ce n'est que l'on dit _pasle putain
+et rouge paillard_. Tant y a que cette partie ainsi pasle et transie
+n'est point plaisante voir, et n'a garde de ressembler celle d'une
+des plus belles dames que l'on voye, et qui tient grand rang, laquelle
+j'ay veu qu'on disoit qu'elle portoit l trois belles couleurs
+ordinairement ensemble, qui estoient incarnat, blanc et noir: car cette
+bouche de l estoit colore et vermeille comme corail, le poil
+d'alentour gentiment frisonn et noir comme bene; ainsi le faut-il, et
+c'est l'une des beautez: la peau estoit blanche comme albastre, qui
+estoit ombrage de ce poil noir. Cette veu est belle de celle-l, et
+non des autres que je viens de dire.
+
+D'autres il y en a aussi qui sont si bas ennatures et fendues jusques
+au cul, mesme les petites femmes, que l'on devroit faire scrupule de les
+toucher pour beaucoup d'ordes et salles raisons que je n'oserois dire;
+car on diroit que, les deux rivires s'assemblant et se touchant quasi
+ensemble, il est en danger de laisser l'une et naviguer l'autre: ce
+qui est par trop vilain.
+
+J'ay ouy conter madame de Fontaine-Chalandray, dite la belle Torcy,
+que la reyne Elonor sa maistresse, estant habille et vestue,
+paroissoit une trs-belle princesse, comme il y en a encor plusieurs
+qui l'ont veue telle en nostre Cour, et de belle et riche taille; mais,
+estant dshabille, elle paroissoit du corps une gante, tant elle
+l'avoit long et grand: mais tirant en bas, elle paroissoit une naine,
+tant elle avoit les cuisses et les jambes courtes avec le reste.
+
+D'une autre grande dame ay-je ouy parler qui estoit bien au contraire;
+car par le corps elle se monstroit une naine, tant elle l'avoit court et
+petit, et du reste en bas une gante ou colosse, tant elle avoit ses
+cuisses et jambes grandes, hautes et fendues et pourtant bien
+proportionnes et charnues, si qu'elle en couvroit son homme sous elle,
+mais qu'il fust petit, fort aisment, comme d'une tirasse de chien
+couchant.
+
+--Il y a force marys et amys parmi nos Chrestiens, qui voulans en tout
+differer des Turcs, ne prennent plaiser d'arregarder le cas des dames,
+d'autant, disent-ils, comme je viens de dire, qu'ils n'ont nulle forme:
+nos Chrestiens au contraire qui en ont, disent-ils, de grands
+contentements les contempler fort et se dlecter en telles visions, et
+non-seulement se plaisent les voir, mais les baiser, comme beaucoup
+de dames l'ont dit et descouvert leurs amants, ainsi que dit une dame
+espagnole son serviteur, qui, la saluant un jour, luy dit: _Bezo las
+manos y los pies, senora_[67]; elle luy dit: _Senor, en el medio esta la
+mejor station_[68]. Comme voulant dire qu'il pouvoit baiser le mitant
+aussi-bien que les pieds et mains. Et, pour ce, disent aucunes dames que
+leurs marys et serviteurs y prennent quelque dlicatesse et plaisir, et
+en ardent davantage: ainsi que j'ay ouy dire d'un trs-grand prince,
+fils d'un grand roy de par le monde, qui avoit pour maistresse une
+trs-grande princesse. Jamais il ne la touchoit qu'il ne luy vist cela
+et ne le baisast plusieurs fois. Et la premire fois qu'il le fit, ce
+fut par la persuasion d'une trs-grande dame, favorite du roy; laquelle,
+tous trois un jour estants ensemble, ainsi que ce prince muguettoit sa
+dame, luy demanda s'il n'avoit jamais veu cette belle partie dont il
+jouissoit. Il respondit que non: Vous n'avez donc rien fait, dit-elle,
+et ne savez ce que vous aimez; vostre plaisir est imparfait, il faut
+que vous le voyis. Par-quoy, ainsi qu'il s'en vouloit essayer et
+qu'elle en faisoit de la revesche, l'autre vint par derrire, et la prit
+et renversa sur un lict, et la tint tousjours jusques ce que le
+prince l'eust contemple son aise et baise son saoul, tant qu'il le
+trouvoit beau et gentil; et pour ce, continua tousjours.
+
+D'autres y a-t-il qui ont leurs cuisses si mal proportionnes, mal
+advenantes et si mal faites en olive, qu'elles ne mritent d'estre
+regardes et dsires, comme de leurs jambes, qui en sont de mme, dont
+aucunes sont si grosses qu'on en diroit le gras estre le ventre d'une
+conille qui est pleine.
+
+D'autres les ont si gresles et menues, et si heronnires, qu'on les
+prendroit plustost pour des fleutes que pour cuisses et jambes; je vous
+laisse penser que peut estre le reste.
+
+Elles ne ressemblent pas une belle et honneste dame dont j'ay ouy
+parler, laquelle estant en bon point; et non trop en extrmit (car en
+toutes choses il faut un _medium_), aprs avoir donn coucher son
+amy, elle lui demanda le lendemain au matin comment il s'en trouvoit. Il
+luy respondit que trs-bien, et que sa bonne et grasse chair luy avoit
+fait grand bien. Pour le moins, dit-elle, avez-vous couru la poste sans
+emprunter de coissinet.
+
+D'autres dames y a-t-il qui ont tant d'autres vices cachs, ainsi que
+j'en ay ouy parler d'une qui estoit dame de rputation, qui faisoit ses
+affaires fcales par le devant; et de ce j'en demanday la raison un
+mdecin suffisant, qui me dit parce qu'elle avoit est perce trop jeune
+et d'un homme trop fourny et robuste; dont ce fut grand dommage, car
+c'estoit une trs-belle femme et veufve, qu'un honneste gentilhomme que
+je say la vouloit espouser; mais, en sachant tel vice, la quita
+soudain, et un autre aprs la prit aussi-tost.
+
+--J'ay ouy parler d'un gallant gentilhomme qui avoit une des belles
+femmes de la Cour et n'en faisoit cas. Un autre, n'estant si scrupuleux
+que luy, habitant avec elle, trouva que son cas puoit si fort qu'on ne
+pouvoit endurer cette senteur, et, par ainsi, cogneut l'encloeure du
+mary.
+
+J'ay ouy parler d'une autre, laquelle estant l'une des filles d'une
+grande princesse, qui petoit de son devant: des mdecins m'ont dit que
+cela se pouvoit faire cause des vents et ventositez qui peuvent sortir
+par-l, et mesmes quand elles font la fricarelle.
+
+Cette fille estoit avec cette princesse lorsqu'elle vint Moulins, la
+Cour y estant, du temps du roy Charles neuviesme, qui en fut abreuv,
+dont on en rioit bien.
+
+D'autres y en a-t-il qui ne peuvent tenir leur urine, qu'il faut
+qu'elles ayent toujours la petite esponge entre les jambes, comme j'en
+ay cogneu deux grandes, et plus que dames, dont l'une estant fille, fit
+l'vasion tout trac dans la salle du bal, du temps du roy Charles
+neuviesme, dont fut fort scandalise.
+
+D'une autre grande dame ay-je ouy parler, que quand on lui faisoit cela,
+elle se compissoit bon escient, ou sur le fait, ou aprs, comme une
+jument quand elle a est saillie: elle falloit-il jetter le seillaud
+d'eau comme la jument, pour la faire retenir.
+
+Tant d'autres y a-t-il qui sont ordinairement en sang et leurs mois, et
+autres qui sont vicies, tarottes, marquetes et marques, tant par
+accident de vrolle de leurs marys ou de leurs amys, que par leurs
+mauvaises habitudes et humeurs; comme celles qui ont les jambes
+louventines et autres fluxions et marques, que par les envies de leurs
+mres estant enceintes d'elles, portent sur elles, comme j'en ay ouy
+parler d'une qui est toute rouge par une moiti du corps, et l'autre
+non, comme un eschevin de ville.
+
+D'autres sont si sujettes leurs flux menstruaux, que quasi
+ordinairement leur nature flue comme un mouton qui on a coup la gorge
+de frais; dont leurs marys ou amants ne s'en contentent guieres, pour
+l'assidu frquentation que Vnus ordonne et desire en ces jeux: car, si
+elles sont saines et nettes une semaine du mois, c'est tout, et leur
+font perdre le reste de l'anne: si que des douze mois ils n'en ont cinq
+ou six francs, voire moins; c'est beaucoup, la mode de nos soldats
+desbandez, auxquels la monstre les commissaires et trsoriers font
+perdre, de douze mois de l'an, plus de quatre, en leur faisant monter
+les mois jusques quarante et cinquante jours, si que les douze mois de
+l'an ne leur reviennent pas huit. Ainsi s'en trouvent les marys et
+amants qui telles femmes ont et se servent, si ce n'est que, du tout,
+pour assoupir leur paillardise, se veulent souiller vilainement sans
+aucun respect d'impudicit; et leurs enfants qui en sortent s'en
+trouvent mal et s'en ressentent.
+
+Si j'en voulois raconter d'autres, je n'aurois jamais fait, et aussi que
+les discours en seroient trop sallauds et dplaisants: et ce que j'en
+dis et dirois ce ne seroit des femmes petites et communes, mais des
+grandes et moyennes dames qui de leurs visages beaux font mourir le
+monde, et point le couvert.
+
+Si feray-je encore ce petit conte, qui est plaisant, d'un gentilhomme
+qu'il me fit, qui est qu'en couchant avec une fort belle dame, et
+d'estoffe, en faisant sa besogne il luy trouva en cette partie quelques
+poils si piquants et si aigus, qu'avec toutes les incommodits il la put
+achever, tant cela le piquoit et le fionnoit. Enfin, ayant fait, il
+voulut taster avec la main: il trouva qu'alentour de sa motte il y avoit
+une demi-douzaine de certains fils garnis de ces poils si aigus, longs,
+roides et piquants, qu'ils en eussent servy aux cordonniers faire des
+rivets comme de ceux de pourceaux, et les voulut voir; ce que la dame
+luy permit avec grande difficult; et trouva que tels fils entournoient
+la pice ny plus ny moins que vous voyez une mdaille entourne de
+quelques diamants et rubis, pour servir et mettre en enseigne en un
+chapeau ou au bonnet.
+
+--Il n'y a pas long-temps qu'en une certaine contre de Guyenne, une
+damoiselle marie, de fort bon lieu et bonne part, ainsi qu'elle
+advisoit estudier ses enfants, leur prcepteur, par une certaine manie
+et frnsie, ou possible pour rage d'amour qui luy vint soudain, il prit
+une espe qui estoit de son mary sur le lict, et luy en donna si bien,
+qu'il luy pera les deux cuisses et les deux labies de sa nature de part
+en part, dont depuis elle en cuida mourir, sans le secours d'un bon
+chirurgien. Son cas pouvoit bien dire qu'il avoit est en deux diverses
+guerres et attaqu fort diversement. Je crois que la veu aprs n'en
+estoit gures plaisante, pour estre ainsi balafr et ses aisles ainsi
+brises: je les dis aisles, par ce que les Grecs appellent ces labies
+_hymenoea_; les Latins les nomment _aloe_, et les Franois, labies,
+lvres, landrons, landilles et autres mots: mais je trouve qu' bon
+droit les Latins les appellent aisles; car il n'y a ny animal ny oiseau,
+soit-il faucon, niais ou sor, comme celuy de nos fillaudes, soit-il de
+passage, ou hagard ou bien dress, de nos femmes maries ou veufves, qui
+aille mieux ny ait l'aisle si viste.
+
+Je le puis appeler aussi animal avec Rabelais, d'autant qu'il s'esmeut
+de soy-mesme; et, soit le toucher ou le voir, on le sent et le void
+s'esmouvoir et remuer de luy-mesme, quand il est en appetit.
+
+D'autres, de peur de rhumes et catheres, se couvrent dans le lict de
+couvre-chefs alentour de la teste, par Dieu, plus que sorcires: au
+partir de-l, bien habilles, elles sont saffrettes comme poupines, et
+d'autres fardes et peintres comme images, belles au jour, et la nuict
+dpeintes et trs-laides.
+
+Il faudroit visiter telles dames avant les aimer, espouser et en jouir,
+ainsi que faisoit Octave Csar avec ses amis, qui faisoit despouiller
+aucunes grandes dames et matrosnes romaines, voire des vierges mres
+d'aage, et les visitoit d'un bout l'autre, comme si ce fussent
+esclaves et serves vendues par un certain maquignon nomm Torane; et
+selon qu'il les trouvoit son gr et son point, ny tares, il en
+joissoit.
+
+De mesme en font les Turcs en leur bazestan de Constantinople et autres
+grandes villes, quand ils achettent des esclaves de l'un et de l'autre
+sexe.
+
+Or je n'en parleray plus, encore pens-je en avoir trop dit; et voil
+comment nous sommes bien trompez en beaucoup de veus que nous pensons
+et croyons trs-belles. Mais, si nous y sommes bien autant difis et
+satisfaits en d'aucunes autres, lesquelles sont si belles, si nettes,
+propres, fraisches, cailles, si aimables et si en bon point, bref, si
+accomplies en toutes parties du corps, qu'aprs elles toutes veus
+mondaines sont chtives et vaines; dont il y a des hommes qui, en telles
+contemplations, s'y perdent tellement, qu'ils ne songent qu'aux actions:
+aussi, bien souvent telles dames se plaisent se monstrer sans nulle
+difficult, pour ne se sentir tasches d'aucunes macules, pour nous
+faire plus entrer en tentation et concupiscence.
+
+Nous estans un jour au sige de La Rochelle, le pauvre feu M. de Guise,
+qui me faisoit l'honneur de m'aimer, s'en vint me monstrer des tablettes
+qu'il venoit de prendre Monsieur, frre du Roy, nostre gnral, dans
+la poche de ses chausses, et me dit: Monsieur me vient de faire un
+desplaisir et la guerre pour l'amour d'une dame; mais je veux avoir ma
+revanche; voyez ce que j'y ai mis dedans et lisez. Me donnant les
+tablettes, je vis escrits de sa main ces quatre vers qu'il venoit de
+faire, mais le mot de f...... y estoit tout trac.
+
+ Si vous ne m'avez coguue
+ Il n'a pas tenu moy;
+ Car vous m'avez bien veu nue,
+ Et vous ay monstr de quoy.
+
+Puis, me nommant la dame, ou pour mieux dire fille, de laquelle je me
+doutois pourtant, je lui dis que je m'estonnois fort qu'il ne l'eust
+touche et cogneue, d'autant que les approches en avoient est grandes,
+et que le bruit en estoit par trop commun; mais il m'asseura que non, et
+que ce n'avoit est que sa faute. Je luy replicquay: Il falloit donc,
+Monsieur, ou qu'alors il fust si las et recreu d'ailleurs, qu'il n'y
+pust fournir, ou qu'il fust si ravi en la contemplation de cette beaut
+nue, qu'il ne se souciast de l'action!--Possible, me respondit ce
+prince, qu'il se pourroit faire; mais tant y a que ce coup il y faillit,
+et je luy en fais la guerre, et je luy vais remettre ces tablettes dans
+sa poche, qu'il visitera selon sa coustume, et y lira ce qu'il y faut;
+et, amprs, me voil veng. Ce qu'il fit, et ne fut amprs sans en rire
+tous deux bon escient, et s'en faire la guerre plaisamment; car, pour
+lors, c'estoit une trs-grande amiti et privaut entr'eux deux, bien
+depuis estrangement change.
+
+--Une dame de par le monde, ou plustost fille, estant fort aime et
+prive d'une trs-grande princesse, estoit dans le lict se
+rafraischissant, comme estoit la coutume: vint un gentilhomme la voir,
+qui pour elle brusloit d'amour; mais il n'en avoit autre chose. Cette
+dame fille estant ainsi aime et prive de sa maistresse, s'approchant
+d'elle tout bellement, sans faire semblant de rien, tout--coup vint
+tirer toute la couverture de dessus elle, si bien que le gentilhomme,
+point paresseux de ses yeux aucunement, les jetta aussi-tost, dessus qui
+vid, ce que depuis il m'a fait le conte, la plus belle chose qu'il vid
+ny qu'il verra jamais, qui estoit ce beau corps nud, et ses belles
+parties, et cette blanche, jolie et belle charnure, qu'il pensa voir les
+beautez du paradis. Mais cela ne dura guieres; car, tout aussi-tost la
+couverture fut tourne prendre par la dame, la fille en estant partie de
+l, et de bonheur. Cette belle dame, tant plus elle se remuoit
+reprendre la couverture, tant plus elle se faisoit paroistre; ce qui
+n'endommageoit nullement la veu et le plaisir du gentilhomme, qui
+autrement ne s'empeschoit la recouvrir, bien sot fust est: pourtant,
+tellement quellement, elle recouvra sa couverture, se remit, en se
+courouant assez doucement contre la fille, et luy disant qu'elle le
+payeroit. La demoiselle luy dit, qui estoit un petit l'escart:
+Madame, vous m'en aviez fait une; pardonnez-moy si je vous l'ay
+rendue; et, passant la porte, s'en alla. Mais l'accord fut fait
+aussi-tost.
+
+Cependant le gentilhomme se trouva si bien de telle veu, et en telle
+extase de plaisir et contentement, que je luy ay ouy dire cent fois
+qu'il n'en vouloit d'autre en sa vie, que de vivre au songer de cette
+ordinaire contemplation; et certes il avoit raison: car, selon la
+monstre de son beau visage, le non-pareil, et sa belle gorge, dont elle
+a tant repeu le monde, pouvoit assez monstrer que dessous il y avoit de
+cach de plus exquis; et me disoit qu'entre telles beautez, c'estoit la
+dame la mieux flanque et le plus haut qu'il eust jamais veue: ainsi le
+pouvoit-elle estre, car elle estoit de trs-riche taille; mesme entre
+les beautez il faut qu'elle le soit, ny plus ny moins qu'une forteresse
+de frontire.
+
+Amprs que ce gentilhomme m'eut tout cont, je ne lui peus que dire:
+Vivez donc, vivez, mon grand amy, avec cette contemplation divine et
+cette beatitude que jamais ne puissiez-vous mourir; et moy au moins,
+avant mourir, puisse-je avoir une telle veu!
+
+Ledit gentilhomme en eut pour jamais cette obligation la demoiselle,
+et tousjours depuis l'honora et l'aima de tout son coeur. Aussy luy
+estoit-il serviteur fort; mais il ne l'espousa, car un autre plus riche
+que luy la luy embla, ainsi qu'est la coustume toutes de courir aux
+biens.
+
+Telles veus sont belles et agrables; mais il se faut donner garde
+qu'elles ne nuisent, comme celle de la belle Diane nu au pauvre Acton,
+ou bien une que je vais dire.
+
+--Un Roy de par le monde aima fort en son temps une bien belle, honneste
+et grand dame veufve, si bien qu'on l'en tenoit charm; car peu il se
+soucioit des autres, voire de sa femme, si non que par intervalles, car
+cette dame emportoit tousjours les plus belles fleurs de son jardin; ce
+qui faschoit fort la Reyne, car elle se sentoit aussi belle et
+agrable que serviable, et digne d'avoir d'aussi friands morceaux, dont
+elle s'en esbahissoit fort; de quoy en ayant fait sa complainte une
+sienne grand'dame favorite, elle complotta avec elle d'aviser s'il y
+avoit tant de quoy, mesmes espier par un trou le jeu que joeroient son
+mary et la dame. Par quoy elle advisa de faire plusieurs trous au-dessus
+de la chambre de ladite dame, pour voir le tout et la vie qu'ils
+demeneroient tous deux ensemble: dont se mirent tel spectacle; mais
+ils n'y virent rien que trs-beau, car elles y apperceurent une femme
+trs-belle, blanche, dlicate et trs-fraische, moiti en chemise et
+moiti nue, faire des caresses son amant, des mignardises, des
+folastreries bien grandes, et son amant lui rendre la pareille, de sorte
+qu'ils sortoient du lict, et tout en chemise se couchoient et
+s'esbattoient sur le tapis velu qui estoit auprs du lict, affin
+d'viter la chaleur du lict, et pour mieux en prendre le frais; car
+c'estoit aux plus grandes chaleurs.
+
+Ainsi que j'ay cogneu aussi un trs-grand prince, qui prenoit de mesme
+son dduit avec sa femme, qui estoit la plus belle femme du monde, affin
+d'viter le chaud que produisoient les grandes chaleurs de l'est, ainsi
+que luy-mesme disoit.
+
+Cette princesse donc, ayant veu et apperceu le tout, de dpit s'en mit
+plorer, gmir, souspirer et attrister, luy semblant, et aussi le disant,
+que son mary ne luy rendoit le semblable, et ne faisoit les folies
+qu'elle luy avoit veu faire avec l'autre.
+
+L'autre dame qui l'accompagnoit se mit la consoler et luy remonstrer
+pourquoy elle s'attristoit ainsi, ou bien, puisqu'elle avoit est si
+curieuse de voir telles choses, quil n'en falloit pas esprer de moins.
+
+La princesse ne respondit autre chose, si non: Hlas, ouy! j'ay voulu
+voir chose que je ne devois avoir voulu voir, puisque la veu m'en fait
+mal.
+
+Toutesfois, aprs s'estre console et rsolue, elle ne s'en soucia plus,
+et le plus qu'elle put, continua ce passe-temps de veu, et le convertit
+en rise, et possible en autre chose.
+
+--J'ay ouy parler d'une grande dame de par le monde, mais grandissime,
+qui, ne se contentant de la lascivit naturelle, car elle estoit grand
+putain, et marie et veufve, aussi estoit-elle fort belle: pour se
+provoquer et exciter davantage, elle faisoit despouiller ses dames et
+filles, je dis les plus belles, et se dlicatoit fort les voir; et
+puis elle les battoit du plat de la main sur les fesses avec de grandes
+claquades et plamussades assez rudes, et les filles qui avoient dlinqu
+quelque chose, avec de bonnes verges; et alors son contentement estoit
+de les voir remer et faire les mouvements et tordions de leur corps et
+fesses, lesquelles, selon les coups qu'elles recevoient, en monstroient
+de bien estranges et plaisantes.
+
+Aucunes fois, sans les despouiller, les faisoit trousser en robbe (car
+pour lors elles ne portoient pas de calsons), et les claquetoit et
+foettoit sur les fesses, selon le sujet qu'elles luy donnoient, ou pour
+les faire rire, ou pour plorer: et, sur ces visions et contemplations, y
+aiguisoit si bien ses appetis, qu'aprs elle les alloit passer bien
+souvent bon escient avec quelque gallant homme bien fort et robuste.
+
+Quelle humeur de femme! Si bien qu'on dit qu'ayant une fois veu par la
+fenestre de sont chasteau, qui visoit sur la rue, un grand cordonnier,
+estrangement proportionn, pisser contre la muraille dudit chasteau,
+elle eut envie d'une si belle et grande proportion; et de peur de
+gaster son fruit pour son envie, elle luy manda par un page de la venir
+trouver en une alle secrte de son parc, o elle s'estoit retire, et
+l elle se prostitua luy en telle faon qu'elle en engrossa. Voil ce
+que servit la veu cette dame.
+
+Et de plus, j'ay ouy dire qu'outre ses femmes et filles ordinaires qui
+estoient sa suite, les estrangeres qui la venoient voir, dans les deux
+ou trois jours, ou toutes les fois qu'elles y venoient, elle les
+apprivoisoit aussi-tost ce jeu, faisant monstrer aux siennes
+premierement le chemin, et aller devant elles, et les autres aprs; si
+bien qu'elles estoient estonnes de ce jeu les unes, et les autres non.
+Vrayment, voil un plaisant exercice!
+
+--J'ay ouy parler d'un grand aussi qui prenoit plaisir de voir ainsi sa
+femme nue ou habille, et la fouetter de claquades, et la voir manier de
+son corps.
+
+--J'ay ouy dire une honneste dame qu'estant fille sa mre la fouettoit
+tous les jours deux fois, non pour avoir forfait, mais parce qu'elle
+pensoit qu'elle prenoit plaisir la voir ainsi remuer les fesses et le
+corps, pour autant d'en prendre d'appetit ailleurs: et tant plus elle
+alla sur l'age de quatorze ans, elle persista et s'y acharna de telle
+faon, qu' mode qu'elle l'accostoit elle la contemploit encore plus.
+
+--J'ay bien ouy dire pis d'un grand seigneur et prince, il y a plus de
+quatre-vingts ans, qu'avant qu'aller habiter avec sa femme se faisoit
+fouetter, ne pouvant s'esmouvoir ny relever sa nature baissante sans ce
+sot remede. Je desirerois volontiers qu'un mdecin excellent m'en dist
+la raison.
+
+Ce grand personnage, Picus Mirandula, raconte avoir veu un certain
+gallant en son temps, qui, d'autant plus qu'on l'estrilloit grandes
+sanglades d'estrivieres, c'estoit lors qu'il estoit le plus enrag aprs
+les femmes; et n'estoit jamais si vaillant aprs elles s'il n'estoit
+ainsi estrill: aprs il faisoit rage. Voil de terribles humeurs de
+personnes!
+
+Encore celle de la veu des autres est plus agrable que la derniere.
+
+--Moy estant Milan, un jour on me fit un conte de bonne part, que feu
+M. le marquis de Pescaire, dernier mort, vice-roy en Sicile, vint
+grandement amoureux d'une fort belle dame; si-bien qu'un matin, pensant
+que son mary fust all dehors, l'alla visiter qu'il la trouva encores au
+lict; et, en devisant avec elle, n'en obtint rien que la voir et la
+contempler son aise sous le linge, et la toucher de la main.
+
+Sur ces entrefaites survint le mary, qui n'estoit du calibre du marquis
+en rien, et les surprit de telle sorte, que le marquis n'eut loisir de
+retirer son gand, qui s'estoit perdu, je ne sai comment, parmy les
+draps, comme il arrive souvent. Puis, luy ayant dit quelques mots, il
+sortit de la chambre, conduit pourtant du gentilhomme, qui amprs estre
+retourn, par cas fortuit trouva le gand du marquis perdu dans les
+draps, dont la dame ne s'en estoit pas apperceue. Il le prit et le
+serra, et puis faisant la mine froide sa femme, demeura long-temps
+sans coucher avec elle, ny la toucher: parquoy un jour elle seule dans
+sa chambre, mettant la main la plume, se mit faire ce quatrain:
+
+ _Vigna era, vigna son._
+ _Era podata, or pi non son;_
+ _E son s per qual cagion_
+ _Non mi poda il mio patron._
+
+Et puis laissant ce quatrain escrit sur la table, le mary vint, qui vid
+ces vers sur la table, prend la plume et fait response:
+
+ _Vigna eri, vigna sei,_
+ _Eri podata, e pi non sei,_
+ _Per la granfa del leon,_
+ _Non ti poda il tuo patron._
+
+Et puis les laissa aussi sur la table. Le tout fut appport au marquis,
+qui fit response:
+
+ _A la vigna che voi dicete_
+ _Io fui, e qui restete;_
+ _Alzai il pamparo, guardas la vite;_
+ _M non toccai, si Dio m' ajute._
+
+Cela fut rapport au mary, qui, se contentant d'une si honorable rponse
+et juste satisfaction, reprit sa vigne et la cultiva aussi-bien que
+devant; et jamais mary et femme ne furent mieux.
+
+Je m'en vais les traduire en franois, afin que chacun l'entende.
+
+ Je suis est une belle vigne et le suis encore,
+ Je suis est d'autrefois trs-bien cultive;
+ Ast heure je ne le suis point; et si ne say
+ Pourquoi mon patron ne me cultive plus.
+
+_Response._
+
+ Ouy, vous avez est vigne telle, et l'estes encore
+ Et d'autrefois bien cultive, ast heure plus;
+ Pour l'amour de la griffe du lyon,
+ Vostre mary ne vous cultive plus.
+
+_Response du marquis._
+
+ A la vigne que vous autres dites
+ Je suis est certes, et y restay un peu;
+ J'en haussay le pampre et en regardai la vis et le reasin.
+ Mais Dieu ne me puisse aider si jamais j'y ay touch!
+
+Par cette griffe de lion il veut dire le gand qu'il avoit trouv esgare
+entre les linceuls. Voyl encor un bon mary qui ne sombragea pas trop,
+et se despouillant de soubon, pardonna ainsi sa femme: et certes il y
+a des dames, lesquelles se plaisent tant en elles-mesmes, qu'elles se
+contemplent et se regardent nues, de sorte qu'elles se ravissent se
+voyans si belles, comme Narcissus. Que pouvons-nous donc faire les
+voyant et arregardant?
+
+--Marianne, femme d'Hrode, belle et honneste femme, son mary voulant un
+jour coucher avec elle en plein midy et voir plein ce qu'elle portoit,
+lui refusa plat, ce dit Josephe. Il n'usa pas de puissance de mary,
+comme un grand seigneur que j'ay cogneu, l'endroit de sa femme, qui
+estoit des belles, qu'il assaillit ainsi en plein jour, et la mit toute
+nue, elle le dniant fort. Aprs il luy renvoya ses femmes pour
+l'habiller, qui la trouverent toute honteuse et esplore.
+
+--D'autres dames y a-t-il lesquelles dessein ne font pas grand
+scrupule de faire pleine veu la monstre de leur beaut, et se
+descouvrir nues, afin de mieux encapricier et marteller leurs
+serviteurs, et les mieux attirer elles; mais ne veulent permettre
+nullement la touche prcieuse, au moins aucunes, pour quelque temps;
+car, ne se voulans arrester en si beau chemin, passent plus outre, comme
+j'en ay ouy parler de plusieurs, qui ont ainsi long-temps entretenu
+leurs serviteurs de si beaux aspects. Bien-heureux sont-ils ceux qui s'y
+arrestent aux patiences, sans se perdre par trop en tentation: et faut
+que celuy soit bien enchant de vertu, qui, en voyant une belle femme,
+ne se gaste point les yeux; ainsi que disoit Alexandre quelquesfois
+ses amis, que les filles des Perses faisoient grand mal aux yeux ceux
+qui les regardoient; et, pour ce, tenant les filles du roy Darius ses
+prisonnieres, jamais ne les saluoit qu'avec les yeux baissez, et encor
+le moins qu'il pouvoit, de peur qu'il avoit d'estre surpris de leur
+excellente beaut. Ce n'est ds-lors seulement, mais d'aujourd'hui,
+qu'entre toutes les femmes d'Orient les Persiennes ont le los et le prix
+d'estre les plus belles et accomplies en proportions de leur corps et
+beaut naturelle, gentilles, propres en leurs habits et chaussures,
+mesmement, et sur toutes, celles de l'ancienne et royale ville de
+Seiras, lesquelles sont tellement loes en leurs beautez, blancheurs et
+plaisantes civilitez et bonne grace, que les Mores, par un antique et
+commun proverbe, disent que leur prophete Mahomet ne voulut jamais aller
+ Seiras, de crainte que s'il y eust veu une fois ces belles femmes,
+jamais amprs sa mort son ame ne fust entre en paradis. Ceux qui y ont
+est et en ont escrit le disent ainsi; en quoy on notera l'hypocrite
+contenance de ce bon marault et rompu prophete, comme s'il ne se
+trouvoit pas escrit, ce dit Belon, en un livre arabe, intitul _Des
+bonnes coustumes de Mahomet_, le loant de ses forces corporelles, qui
+se vantoit de pratiquer et repasser ces unze femmes qu'il avoit en une
+mesme heure l'une aprs l'autre. Au diable soit le marault! n'en parlons
+plus: quand tout est dit, je suis bien loisir d'en parler. J'ay veu
+faire cette question, sur ce trait d'Alexandre que je viens de dire, et
+de Scipion l'Afriquain, lequel des deux acquist plus grand louange de
+continence. Alexandre, se dfiant des forces de sa chastet, ne voulut
+point voir ces belles dames persiennes: Scipion, aprs la prise de
+Carthage la neufve, vid cette belle fille espagnole que ses soldats luy
+amenerent, et luy offrirent pour la part de son butin, laquelle estoit
+si excellente en beaut et en si bel aage de prise, que par-tout o elle
+passoit elle animoit et admiroit les yeux de tous la regarder, et
+Scipion mesme; lequel, l'ayant salue fort courtoisement, s'enquist de
+quelle ville d'Espagne elle estoit, et de ses parents. Il luy fut dit,
+entr'autres choses, qu'elle estoit accorde un jeune homme nomm
+Alucius, prince des Celtibriens, qui il la rendit, et ses pere et
+mere, sans la toucher; dont il obligea la dame, les parents et le
+fianc, si bien qu'ils se rendirent depuis trs-affectionnez la ville
+de Rome et la Rpublique. Mais que sait-on si dans son ame cette
+belle dame n'eust point desir avoir est un peu perce et entame
+premirement de Scipion, de luy, dis-je, qui estoit beau, jeune, brave,
+vaillant et victorieux? Possible que si quelque priv ou prive des
+siennes et des siens luy eust demand en foy et conscience si elle ne
+l'eust pas voulu, je laisse penser ce qu'elle eust respondu, ou fait
+quelque petite mine approchant de l'avoir desir, et, s'il vous plaist,
+si son climat d'Espagne et son soleil couchant ne la savoit pas rendre,
+et plusieurs autres dames d'aujourd'huy et de cette contre, belles et
+pareilles elle, chaudes et aspres cela, comme j'en ay veu quantit.
+Il ne faut donc point douter si cette belle et honneste fille fut est
+requise et sollicite de ce beau jeune homme Scipion, qu'elle ne l'eust
+pris au mot, voire sur l'autel de ses dieux prophanes. En cela ce
+Scipion a est certes lo d'aucuns de ce grand don de continence;
+d'autres il en a est blasm: car en quoy peut monstrer un brave et
+valleureux cavallier la gnrosit de son coeur, qu'envers une belle
+et honneste dame, si-non luy faire parestre par effet qu'il prise sa
+beaut et l'ayme beaucoup, sans luy user de ces respects, froideurs,
+modesties et discrtions, que j'ay veu souvent appeller, plusieurs
+cavalliers et dames, plustost sottises et faillement de coeur que
+vertus. Non, ce n'est pas qu'une belle et honneste dame aime dans son
+coeur, mais une bonne joissance, sage, discrete et secrete. Enfin,
+comme dist un jour une honneste dame lisant cette histoire, c'estoit un
+sot que Scipion, tout brave et gnreux capitaine qu'il fust, d'aller
+obliger des personnes soy et au party romain par un si sot moyen,
+qu'il eust pu faire par un autre plus convenable, et mesmes puis que
+c'estoit un butin de guerre, duquel en cela on doit triompher autant ou
+plus que de toute autre chose. Le grand fondateur de sa ville ne fit pas
+ainsi, quand les belles dames sabines furent ravies, l'endroit de
+celle qu'il eust pour sa part, et en fit son bon plaisir, sans aucun
+respect; dont elle s'en trouva bien, et ne s'en soucia guires, ny elle
+ny ses compagnes, qui firent leur accord aussi-tost avec leurs marys et
+ravisseurs, et ne s'en formalisrent comme leurs peres et meres, qui en
+firent esmouvoir grosse guerre. Il est vray qu'il y a gens et gens,
+femmes et femmes, qui ne veulent accointance de tout le monde en cette
+faon: et toutes ne sont pareilles la femme du roy Ortragon, l'un des
+roys gaulois d'Asie, qui fut belle en perfection; et, ayant est prise
+en sa deffaite par un centenier romain, et sollicite de son honneur, la
+trouvant ferme, elle qui eut horreur de se prostituer luy, et une
+personne si vile et basse, il la prit par force et violence, que la
+fortune et advanture de guerre lui avoit donn par droit d'esclavitude;
+dont bien-tost il s'en repentit et en eut la vengeance; car elle luy
+ayant promis une grande ranon pour sa libert, et tous deux estants
+allez au lieu assign pour en toucher l'argent, le fit tuer ainsi qu'il
+le contoit, et puis l'emporta et la teste son mary, auquel confessa
+librement que celuy-l lui avoit viol vritablement sa chastet, mais
+qu'elle en avoit eu la vengeance en cette faon: ce que son mary
+l'approuva et l'honora grandement. Et depuis ce temps-l, dit
+l'histoire, conserva son honneur jusques au dernier de sa vie avec toute
+saintet et gravit: enfin elle en eut ce bon morceau, fust qu'il vint
+d'un homme de peu. Lucrce n'en fit pas de mesme, car elle n'en tasta
+point, bien qu'elle fust sollicite d'un brave roy: en quoy elle fit
+doublement de la sotte, de ne luy complaire sur-le-champ et pour un peu,
+et de se tuer.
+
+Pour tourner encore Scipion, il ne savoit point encore bien le train
+de la guerre pour le butin et pour le pillage: car, ce que je tiens
+d'un grand capitaine des nostres, il n'est telle viande au monde pour
+cela qu'une femme prise de guerre, et se mocquoit de plusieurs autres de
+ses compagnons, qui recommandoient sur toutes choses, aux assauts et
+surprises des villes, l'honneur des dames, mesmes aux autres lieux et
+rencontres: car elles aiment les hommes de guerre toujours plus que les
+autres, et leur violence leur en fait venir plus d'appetit et puis on
+n'y trouve rien redire, le plaisir leur en demeure, l'honneur des
+marys et d'elles n'en est nullement honny; et puis les voil bien
+gastes! et qui plus est, sauvent les biens et les vies de leurs marys,
+ainsi que la belle Eunoe, femme de Bogud ou Bocchus, roy de Mauritanie,
+ laquelle Csar fit de grands biens et son mary, non tant, faut-il
+croire, pour avoir suivy son party, comme Juba, roy de Bithynie, celuy
+de Pompe, mais parce que c'estoit une belle femme, et que Csar en eut
+l'accointance et douce joissance. Tant d'autres commoditez de ces
+amours y a-t-il que je passe: et toutesfois, ce disoit ce grand
+capitaine, ses autres grands compagnons pareils luy, s'amusants de
+vieilles routines et ordonnances de guerre, veulent qu'on garde
+l'honneur des femmes, desquelles il faudroit auparavant savoir en
+secret et en conscience l'advis, et puis en dcider: ou possible
+sont-ils du naturel de notre Scipion, lequel, ne se contentant tenir de
+celuy du chien de l'ortolan, lequel, comme j'ay dit cy-devant, ne
+voulant manger des choux du jardin, empesche que les autres n'en
+mangent. Ainsi qu'il fit l'endroit du pauvre Massinissa, lequel ayant
+tant de fois hazard sa vie pour luy et pour le peuple romain, tant
+pein, su et travaill pour lui acqurir gloire et victoire, il luy
+refusa et osta la belle reyne Sophonisba, qu'il avoit prise et choisie
+pour son principal et prcieux butin: il la luy enleva pour l'envoyer
+Rome vivre le reste de ses jours en misrable esclave, si Massinissa
+n'y eust remedi. Sa gloire en fust est plus belle et plus ample si
+elle eust comparu en glorieuse et superbe reyne, femme de Massinissa, et
+que l'on eust dit, la voyant passer: Voil l'une des belles vestiges
+des conquestes de Scipion; car la gloire certes gist bien plus en
+l'apparence des choses grandes et hautes, que des basses. Pour fin,
+Scipion en tout ce discours fit de grandes fautes, ou bien il estoit
+ennemy du tout du sexe fminin, ou du tout impuissant de le contenter,
+bien qu'on die que sur ses vieux jours il se mit faire l'amour une
+des servantes de sa femme: ce qu'elle comporta fort patiemment pour des
+raisons qui se pourroient l-dessus allguer. Or, pour sortir de la
+digression que je viens d'en faire, et pour rentrer au plain chemin que
+j'avois laiss, je dis, pour faire fin ce discours, que rien au monde
+n'est si beau voir et regarder qu'une belle femme pompeusement
+habille, ou dlicatement deshabille et couche, mais qu'elle soit
+saine, nette, sans tare, suros ny mallandre, comme j'ay dit. Le roy
+Franois disoit qu'un gentilhomme, tant superbe soit-il, ne sauroit
+mieux recevoir un seigneur, tant grand soit-il, en sa maison ou
+chasteau, mais qu'il y opposast sa vue et premire rencontre une belle
+femme sienne, un beau cheval et un beau levrier: car, en jettant son
+oeil tantost sur l'un, tantost sur l'autre, et tantost sur le tiers,
+il ne se sauroit jamais fascher en cette maison; mettant ces trois
+choses belles pour trs-plaisantes voir et admirer, et en faisant cet
+exercice trs-agrable. La reyne de Castille disoit qu'elle prenoit un
+trs-grand plaisir de voir quatre choses: _Hombre d'armas en campo,
+obisbo puesto en pontifical linda dama en la cama, y ladron en la
+horca_. C'est--dire: Un homme d'armes sur les champs, un vesque en
+son pontifical, une belle dame dans un lict, et un larron au gibet.
+
+J'ay ouy raconter feu M. le cardinal de Lorraine le Grand, dernier
+dcd, que, lorsqu'il alla Rome vers le pape Paul IV, pour rompre la
+treve faite avec l'Empereur, il passa Venise, o il fut
+trs-honorablement receu. Il n'en faut point douter, puis qu'il estoit
+un si grand favory d'un si grand roy. Tout ce grand et magnifique snat
+alla au-devant de luy; et, passant par le grand canal, o toutes les
+fenestres des maisons estoient bordes de toutes les femmes de la ville,
+et des plus belles, qui estoient l accourues pour voir cette entre, il
+y en eut un des plus grands qui l'entretenoit sur les affaires de
+l'Estat, et luy en parloit fort: mais, ainsi qu'il jettoit fort les yeux
+fixement sur ces belles dames, il luy dit en son patois langage:
+Monseigneur, je crois que vous ne m'entendez, et avez raison, car il y
+a bien plus de plaisir et difference de voir ces belles dames ces
+fenestres, et se ravir en elles, que d'ouyr parler un fascheux vieillard
+comme moy, et parlast-il de quelque grande conqueste vostre
+advantage. M. le cardinal, qui n'avoit faute d'esprit et de mmoire,
+luy respondit de mot mot tout ce qu'il avoit dit; laissant ce bon
+vieillard fort satisfait de luy, et en admirable estime qu'il eut de luy
+qui, pour s'amuser la veu de ces belles dames, il n'avoit rien oubli
+ny obmis de ce qu'il luy avoit dit. Qui aura veu la Cour de nos roys
+Franois premier et Henry deuxiesme et autres roys ses enfants, advouera
+bien, quel qu'il soit, et eust-il veu tout le monde, n'avoir rien veu
+jamais de si beau que nos dames qui sont estes en leur Cour, et de nos
+reynes, leurs femmes, meres et soeurs; mais plus belle chose encore
+eust-il veu, ce dit quelqu'un, si le grand-pere de maistre Gonnin eust
+vescu, qui, par ses inventions, illusions et sorcelleries et
+enchantements, les eust peu reprsenter devestues et nues, comme l'on
+dit qu'il le fit une fois en quelque compagnie prive, que le roy
+Franois luy commanda; car il estoit un homme fort expert et subtil en
+son art; et son petit-fils, que nous avons veu, n'y entendoit rien au
+prix de luy. Je pense que cette veu seroit aussi plaisante comme fut
+jadis celle des dames gyptiennes en Alexandrie l'accueil et rception
+de leur grand dieu Apis, au devant duquel elles alloient en trs-grande
+crmonie, et levant leurs robbes, cottes et chemises, et les
+retroussant le plus haut qu'elles pouvoient, les jambes fort eslargies
+et escarquilles, leur montroient leur cas tout--fait; et puis, ne le
+revoyant plus, pensez qu'elles cuidoient l'avoir bien pay de cela. Qui
+en voudra voir le conte, pu'il lise _Alexand. ab Alexandra_, au sixiesme
+livre des _Jours jovials_. Je pense que telle veu en estoit bien
+plaisante, car pour lors les dames d'Alexandrie estoient belles, comme
+encor sont aujourd'huy. Si les vieilles et laides faisoient de mesme
+passe, car la veu ne se doit jamais estendre que sur le beau, et fuir
+le laid tant que l'on peut.
+
+En Suisse, les hommes et les femmes sont pesle mesle aux bains et
+estuves sans faire aucun acte deshonneste, et en sont quittes en mettant
+un linge devant: s'il est bien dli, encor peut-on voir chose qui
+plaist ou desplait, selon le beau ou le laid.
+
+Avant que finir ce discours, si diray-je encor ce mot. En quelles
+tentations et rcrations de veu pouvoient entrer aussi les jeunes
+seigneurs, chevaliers, gentilshommes, plbans et autres Romains, le
+temps pass, le jour que se clbroit la feste de Flora Rome, laquelle
+on dit avoir est la plus gentille et la plus triomphante courtisanne
+qu'oncques exera le putanisme dans Rome, voire ailleurs! et qui plus la
+recommandoit en cela, c'est qu'elle estoit de bonne maison et de grande
+ligne; et, pour ce, telles dames de si grande estoffe volontiers
+plaisent plus, et la rencontre en est plus excellente que des autres.
+Aussi cette dame Flora eut cela de bon et de meilleur que Lays, qui
+s'abandonnoit tout le monde comme une bagasse, et Flora aux grands; si
+bien que sur le seuil de sa porte elle avoit mis cet escriteau: Roys,
+princes, dictateurs, consuls, censeurs, pontifes, questeurs,
+ambassadeurs, et autres grands seigneurs, entrez, et non d'autres. Lays
+se faisoit tousjours payer avant la main, et Flora point, disant qu'elle
+faisoit ainsi avec les grands, afin qu'ils fissent de mesme avec elle
+comme grands et illustres, et aussi qu'une femme d'une grande beaut et
+haut lignage sera tousjours autant estimee qu'elle se prise: et si ne
+prenoit si non ce qu'on luy donnoit, disant que toute dame gentille
+devoit faire plaisir son amoureux pour amour, et non pour avarice,
+d'autant que toutes choses ont certain prix, fors l'amour. Pour fin, en
+son temps elle fit si gentiment l'amour, et se fit si bravement servir,
+que quand elle sortoit du logis quelquesfois pour se promener en ville,
+il y avoit assez parler d'elle pour un mois, tant pour sa beaut, ses
+belles et riches parures, ses superbes faons, sa bonne grace, que pour
+la grande suite des courtisans et serviteurs, et grands seigneurs qui
+estoient avec elle, et qui la suivoient et accompagnoient comme vrays
+esclaves, ce qu'elle enduroit fort patiemment: et les ambassadeurs
+estrangers, quand ils s'en retournoient en leurs provinces, se
+plaisoient plus faire des contes de la beaut et singularit de la
+belle Flora que de la grandeur de la rpublique de Rome, et sur-tout de
+sa grande libralit, contre le naturel pourtant de telles dames; mais
+aussi estoit-elle outre le commun, puisqu'elle estoit noble. Enfin elle
+mourut si riche et si opulente, que la valeur de son argent, meubles et
+joyaux, estoit suffisante pour refaire les murs de Rome, et encor pour
+desengager la Rpublique. Elle fit le peuple romain son hritier
+principal, et pour ce luy fut difi dans Rome un temple trs-somptueux,
+qui de Flora fut appel Florian.
+
+La premire feste que l'empereur Galba clbra jamais fut celle de
+l'amoureuse Flora, en laquelle estoit permis aux Romains et Romaines de
+faire toutes les desbauches, deshonnestetez, sallauderies et
+dbordements l'envy dont se pourroient adviser; en sorte que l'on
+estimoit la plus sainte et la plus gallante celle qui, ce jour-l,
+faisoit plus de la dissolue et de la deshonnestetez dborde. Pensez
+qu'il n'y avoit ny fiscaigne (que les chambrieres et esclaves mores
+dansent les dimanches Malthe en pleine place devant le monde), ny
+sarabande qui en approchast, et qu'elles n'y oublioient ny mouvement ny
+remuements lascifs, ny gestes paillards, ny tordions bizarres; et qui en
+pouvoit escogiter de plus dissolus et dbordez, tant plus gallante
+estoit la dame; d'autant que telle opinion estoit parmi les Romains,
+que, qui alloit au temple de cette desse en habit et geste et faon
+plus lascive et paillarde, auroit mesme grace et opulents biens que
+Flora avoit eu. Vrayment voil de belles opinions et belle solemnisation
+de festes; aussi estoient-ils payens: l-dessus ne faut douter si elles
+y oublioient nul genre de lascivet, et si longtemps avant ces bonnes
+dames estudioient leurs leons, ny plus ny moins que les nostres
+apprendre un ballet, et si elles estoient affectionnes en cela. Les
+jeunes hommes, voire les vieux, y estoient bien autant empressez voir
+et contempler telles lascives simagres. Si telles se pouvoient
+reprsenter parmy nous, le monde en feroit bien son proffit en toutes
+sortes; et pour estre telles veus le monde se tueroit de la presse.
+Il y a assez-l gloser qui voudra; je le laisse aux bons galands:
+qu'on lise Suetone, Pausanias grec et Manilius latin, aux livres qu'ils
+ont fait des dames illustres, fameuses et amoureuses, on verra tout. Ce
+conte encor, et puis plus.
+
+Il se lit que les Lacdmoniens allrent une fois pour mettre le sige
+devant Messene, quoy les Mecniens les prvindrent, car ils sortirent
+d'abord sur eux les uns et les autres, tirerent et coururent
+Lacdmone, pensant la surprendre et la piller cependant qu'ils
+s'amusoient devant leur ville; mais ils furent valeureusement repousss
+et chasss par les femmes qui estoient demeures: ce que sachants, les
+Lacdmoniens rebroussrent chemin et tournerent vers leur ville: mais
+de loin ils decouvrent leurs femmes toutes en armes, qui avoient donn
+la chasse, dont ils furent en alarme; mais elles se firent aussi-tost
+eux recognoistre et leur racontrent leur fortune, dont ils se mirent de
+joie les baiser, embrasser et caresser, de telle sorte que, perdants
+toute honte, et sans avoir la patience d'oster leurs armes, ny eux ni
+elles, leur firent cela bravement en mesme place qu'ils les
+rencontrrent, o l'on put voir choses et autres, et ouyr un plaisent
+son et cliquetis d'armes et d'autre chose; en mmoire de quoy ils firent
+bastir un temple et simulacre la desse Vnus, qu'ils appelrent
+_Vnus l'arme_, au contraire de tous les autres, qui la peignent toute
+nue. Voil une plaisante cohabitation, et un beau sujet de peindre Vnus
+arme, et l'appeler ainsi! Il se voit souvent parmi les gens de guerres,
+mesmes aux prises de villes par assauts, force soldats tous arms joir
+des femmes, n'ayant le loisir et la patience de se dsarmer pour passer
+leur rage et appetit, tant ils sont tentez; mais de voir le soldat arm
+habiter avec la femme arme, il s'en void peu. Il faut l-dessus songer
+le plaisir qui s'en peut ensuivre, et quel plus grand pouvoir estre en
+ce beau mystre, ou pour l'action ou pour la veu, ou pour la sonnerie
+des armes. Cela gist en l'imagination qu'on en pourroit faire, tant pour
+les agents que pour les arregardants qui estoient l pour lors. Or c'est
+assez, faisons fin: j'eusse fait ce discours plus ample de plusieurs
+exemples, mais je craignois que, pour estre trop lascif, j'en eusse
+encouru mauvaise reputation.
+
+Si faut-il qu'aprs avoir tant lo les belles femmes, que je fasse le
+conte d'un Espagnol qui, voulant mal une femme, me le dpeignit un
+jour comme il falloit, et me dit: _Senor, vieja; es como la lampada
+azeintunada d'iglesia, y de hechura del armario larga y desvayada, el
+color y gesto como mascara mal pintada, et talle como una campana mola
+de molino, la vista como idolo del tiempo antiquo, el andar y vision
+d'una antigua fantasma de la noche, que tanto tuviesse encontrar la de
+noche, come ver una mandagora. Iesus, Iesus, Dios me libre de su
+malencuentro, no se contenta de tener en su casa por huesped al provisor
+de obisbo, ny se contenta con la demasia da conversacion del vicario, ny
+del guardian, ny de la amistad antigua del deen, sino que agora de
+nuevo atomado al que pide para las animas de purgatorio, paracabar su
+negra vida_. C'est--dire: Voyez-la; elle est comme une lampe vieille
+et toute graisseuse d'huile d'glise; de forme et faon, elle ressemble
+un armoire grand et vague et mal basti; la couleur et la grace comme
+d'un masque mal peint; la taille comme une cloche de monastre ou meule
+de moulin; le visage comme d'un idole du temps pass; le regard et
+l'aller comme un fantosme antique qui va de nuict: de sorte que je
+craindrois autant de la rencontrer de nuict comme de voir une
+mandragore. Jesus! Jesus! Dieu m'en garde de telle rencontre! Elle ne se
+contente pas d'avoir pour hoste ordinaire chez soy le proviseur de
+l'evesque, ny se contente de la demesure conversation du vicaire, ny de
+la continu visite du gardien, ny de l'ancienne amiti du doyen, sinon
+qu' cette heure de nouveau elle a pris en main celui qui demande pour
+les ames du Purgatoire, et ce pour achever sa noire vie. Voil comment
+l'Espagnol, qui a si bien dpeint les trente beautez d'une dame, comme
+j'ay dit cy-dessus en ce discours, quand il veut, la sait bien
+dprimer.
+
+
+
+
+DISCOURS TROISIEME.
+
+ Sur la beaute de la belle jambe et de la vertu qu'elle a.
+
+
+Entre plusieurs belles beautez que j'ay veu loer quelques fois parmi
+nous autres courtisans, et autant propres attirer l'amour, c'est
+qu'on estime fort une belle jambe une belle dame, dont j'ay veu
+plusieurs dames en avoir gloire, et soin de les avoir et entretenir
+belles. Entre autres, j'ay ouy raconter d'une trs-grande princesse de
+par le monde, que j'ay cogneu, laquelle aimoit une de ses dames
+par-dessus toutes les siennes, et la favorisoit par-dessus les autres,
+seulement parce qu'elle luy tiroit ses chausses si bien tendus, et en
+accommodoit la greve, et mettoit si proprement la jarretiere, et mieux
+que toute autre, de sorte qu'elle estoit fort avance auprs d'elle,
+mesme luy fit de grands biens: et par ainsi, sur cette curiosit qu'elle
+avoit d'entretenir ainsi sa jambe belle, faut penser que ce n'estoit
+pour la cacher sous sa juppe, ny son cotillon ou sa robbe, mais pour en
+faire parade quelques fois avec de beaux calleons de toille d'or et
+d'argent, ou d'autre estoffe, trs-proprement et mignonnement faits,
+qu'elle portoit d'ordinaire: car l'on ne se plaist point tant en soy,
+que l'on n'en veuille faire part d'autres de la veu et du reste.
+Cette dame aussi ne se pouvoit pas excuser en disant que c'estoit pour
+plaire son mary, comme la pluspart d'elles le disent, et mesmes les
+vieilles, quand elles se font si pimpantes et gorgiases, encores
+qu'elles soient vieilles; mais cette-cy estoit veufve: il est vray que
+du temps de son mary elle faisoit de mesme, et pour ce ne voulut
+discontinuer par amprs, l'ayant perdu. J'ay cogneu force belles,
+honnestes dames et filles, qui sont autant curieuses de tenir ainsi
+prcieuses et propres et gentilles leurs belles jambes: aussi elles en
+ont raison, car il y gist plus de lascivet qu'on ne pense. J'ay ouy
+parler d'une trs-grande dame, du temps du roy Franois, et trs-belle,
+laquelle, s'estant rompu une jambe, et se l'estant faitte rabiller, elle
+trouva qu'elle n'estoit pas bien, et estoit demeure toute torte: elle
+fut si resolue, qu'elle se la fit rompre une autre fois au rabilleur,
+pour la remettre en son point, comme auparavant, et la rendre aussi
+belle et aussi droite. Il y en eut quelqu'une qui s'en esbahit fort;
+mais celle une autre belle dame fort entendue fit response et lui dit:
+A ce que je vois, vous ne savez pas quelle vertu amoureuse porte en soy
+une belle jambe.
+
+--J'ay cogneu autresfois une fort belle et honneste fille de par le
+monde, laquelle estant fort amoureuse d'un grand seigneur, pour
+l'attirer soy, et en escroquer quelque bonne pratique, et n'y pouvant
+parvenir, un jour, estant en une alle de parc, et le voyant venir, elle
+fit semblant que sa jarretiere lui tomboit; et, se mettant un peu
+l'escart, haussa sa jambe, et se mit tirer sa chausse et rabiller sa
+jarretiere. Ce grand seigneur l'advisa fort, et en trouva la jambe
+trs-belle, et s'y perdit si bien, que cette jambe opra en luy plus que
+n'avoit fait son beau visage; jugeant bien en soy que ces deux belles
+colonnes soustenoient un beau bastiment; et depuis l'advoua-t-il sa
+maistresse, qui en disposa aprs comme elle voulut. Notez cette
+invention et gentille faon d'amour.
+
+--J'ay ouy parler aussi d'une belle et honneste dame, surtout fort
+spirituelle, de plaisante et bonne humeur, laquelle, se faisant un jour
+tirer sa chausse son vallet-de-chambre, elle luy demanda s'il
+n'entroit point pour cela en ruth, tentation et concupiscence[69]:
+encore dit-elle et franchit le mot tout outre. Le vallet, pensant bien,
+pour le respect qu'il luy portoit, respondit que non. Elle soudain,
+haussant la main, luy donna un grand soufflet. Allez, dit-elle, vous ne
+me servirez jamais plus; vous estes un sot, je vous donne vostre cong.
+Il y a force vallets de filles aujourd'huy qui ne sont si continents, en
+levant, habillant et chaussant leurs maistresses: il y a aussi des
+gentilshommes qui n'eussent fait ce trait, voyant un si bel appas.
+
+Ce n'est d'aujourd'huy seulement que l'on a estim la beaut des belles
+jambes et beaux pieds, car c'est une mesme chose; mais, du temps des
+Romains, nous lisons que Lucius Vitellius, pere de l'empereur Vitellius,
+estant fort amoureux de Messaline, et desirant estre en grace avec son
+mary par son moyen, la pria un jour de luy faire cet honneur de luy
+accorder un don. L'Emperiere luy demanda: Et quoy?--C'est, madame,
+dit-il, qu'il vous plaise qu'un jour je vous deschausse vos escarpins.
+Messaline, qui estoit toute courtoise pour ses sujets, ne luy voulut
+refuser cette grace; et l'ayant deschausse, en garda un escarpin et le
+porta tousjours sur soy entre la chemise et la peau, le baisant le plus
+souvent qu'il pouvoit, adorant ainsi le beau pied de sa dame par
+l'escarpin, puisqu'il ne pouvoit avoir sa disposition le pied naturel
+ny la belle jambe. Vous avez le Milord d'Angleterre des _Cent Nouvelles
+de la Reyne de Navarre_, qui porta de mesme le gand de sa maistresse
+son cost, et si bien enrichy. J'ay cogneu force gentilshommes qui,
+premier que porter leurs bas de soye, prioient les dames et maistresses
+de les essayer et les porter devant eux quelques huict ou dix jours, du
+plus que du moins, et puis les portoient en trs-grand vnration et
+contentement d'esprit et de corps.
+
+--J'ai cogneu un seigneur de par le monde, qui, estant sur la mer avec
+une grande dame des plus belles du monde, qui, voyageant par son pays,
+et d'autant que ses femmes estoient malades de la marette, et par ce
+trs-mal disposes pour la servir, le bonheur fut pour luy qu'il fallut
+qu'il la couchast et levast; mais en la couchant et levant, la chaussant
+et deschaussant, il en devint si amoureux qu'il s'en cuida desesprer,
+encor qu'il luy fust proche: comme certes la tentation en est par trop
+extresme, et il n'y a nul si mortifi qui ne s'en esmeust. Nous lisons
+de Poppea Sabina, femme de Nron, qui estoit la plus favorite des
+siennes, laquelle, outre qu'elle fut la plus profuse en toutes sortes de
+superflutez, d'ornements, de parures, de pompes et de ses coustrements
+d'habits, elle portoit des escarpins et pianelles toutes d'or. Cette
+curiosit ne tendoit pas pour cacher sa jambe ny son pied Nron, son
+cocu de mary: luy seul n'en avoit pas tout le plaisir ny la veu, il y
+en avoit bien d'autres. Elle pouvoit bien avoir cette curiosit pour
+elle, puisqu'elle faisoit ferrer les pieds de ses juments qui
+traisnoient son coche de fers d'argent. M. Saint Jerosme reprend bien
+fort une dame de son temps qui estoit trop curieuse de la beaut de sa
+jambe, par ces propres mots: Par la petite botine brunette, et bien
+tire et luisante, elle sert d'appeau aux jeunes gens, et d'amorces par
+le son des bouclettes. Pensez que c'estoit quelque faon de chaussure
+qui couroit de ce temps-l, qui estoit par trop affete, et peu sante
+aux prudes femmes. La chaussure de ces botines est encore aujourd'huy en
+usage parmy les dames de Turquie, et des plus grandes et plus chastes.
+J'ay veu discourir et faire question quelle jambe estoit plus tentative
+et attrayante, ou la nue ou la couverte et chausse. Plusieurs croyent
+qu'il n'y a que le naturel, mesme quand elle est bien faite au tour de
+la perfection et selon la beaut que dit l'Espagnol que j'ay dit
+cy-devant, et qu'elle est bien blanche, belle et bien polie, et monstre
+ propos dans un beau lict; car autrement, si une dame la vouloit
+monstrer toute nue en marchant ou autrement, et des souliers aux pieds,
+quand bien elle seroit la plus pompeusement habille du monde, elle ne
+seroit jamais trouve bien dcente ny belle; comme une qui seroit bien
+chausse d'une belle chaussure de soye de couleur ou de fillet blanc,
+comme on fait Fleurence pour porter l'est, dont j'ay veu d'autresfois
+nos dames en porter avant le grand usage que nous avons eu depuis des
+chausses de soye; et aprs faudroit qu'elle fust tire et tendue comme
+la peau d'un tabourin, et puis attache ou avec esguillettes ou
+autrement, selon la volont et l'humeur des dames: puis faut accompagner
+le pied d'un bel escarpin blanc, et d'une mule de velours noir ou
+d'autre couleur, ou bien d'un beau petit patin, tant bien fait que rien
+plus, comme j'en ay veu porter une trs-grande dame de par le monde,
+des mieux faits et plus mignonnement. En quoy faut adviser aussi la
+beaut du pied; car s'il est par trop grand il n'est plus beau; s'il est
+par trop petit, il donne mauvaise opinion et signifiance de sa dame,
+d'autant qu'on dit _petit pied grand c.._, ce qui est un peu odieux:
+mais il faut qu'il soit un peu mediocre, comme j'en ay veu plusieurs qui
+en ont port grandes tentations, et mesmes quand leurs dames le
+faisoient sortir et paroistre demy hors du cotillon, et le faisoient
+remer et fretiller par certains petits tours et remuements lascifs,
+estant couverts d'un beau petit patin peu lig, et d'un escarpin blanc,
+pointu et point quarr par le devant, et le blanc est le plus beau. Mais
+ces petits patins et escarpins sont pour les grandes et hautes femmes,
+non pour les courtaudes et nabottes, qui ont leurs grands chevaux de
+patins ligs de deux pieds: autant vaudroit voir remer cela comme la
+massue d'un gant ou la marotte d'un fou. D'une autre chose aussi se
+doit bien garder la dame, de ne dguiser son sexe, et ne s'habiller en
+garon, soit pour une mascarade ou autre chose: car encor qu'elle eust
+la plus belle jambe du monde, elle s'en monstre difforme, d'autant
+qu'il faut que toutes choses ayent leur proprit et leur sance;
+tellement qu'en dementant leur sexe, defigurent du tout leur beaut et
+gentillesse naturelle. Voyl pourquoy il n'est bien-sant qu'une femme
+se garonne pour se faire monstrer plus belle, si ce n'est pour se
+gentiment adoniser d'un beau bonnet avec la plume la Guelfe ou
+Gibeline attache, ou bien au-devant du front, pour ne trancher ny de
+l'un ny de l'autre, comme depuis peu de temps nos dames d'aujourd'huy
+l'ont mis en vogue: mais pourtant toutes il ne sied pas bien; il faut
+en avoir le visage poupin et fait exprs, ainsi que l'on a vu nostre
+reyne de Navarre, qui s'en accommodoit si bien, qu' voir le visage
+seulement adonis, on n'eust sceu juger de quel sexe elle tranchoit, ou
+d'un beau jeune enfant, ou d'une trs-belle dame qu'elle estoit.
+
+Dont il me souvient qu'une de par le monde que j'ay cogneue qui, la
+voulant imiter sur l'age de vingt-cinq ans, et de par trop haute et
+grande taille, hommasse et nouvellement venu la Cour, pensant faire
+de la galante, comparut un jour en la salle du bal, et ne fut sans estre
+fort regarde et assez brocarde, jusques au Roy qui en donna aussi-tost
+sa sentence, car il disoit des mieux de son royaume, et dit qu'elle
+ressembloit fort bien une batteleuse, ou, pour dire plus proprement, de
+ces femmes en peinture que l'on porte de Flandres, et que l'on met
+au-devant des chemines d'hostellerie et cabarets avec des fleustes
+d'Allemant au bec; si bien qu'il luy fit dire, si elle comparessoit plus
+en cet habit et contenance, qu'il luy feroit signifier de porter sa
+fleuste pour donner l'aubade et rcration la noble compagnie. Telle
+guerre lui fit-il, autant pour ce que cette coiffure lui soit mal, que
+pour haine qu'il portoit son mary. Voil pourquoy tels dguisements ne
+siezent bien toutes dames; car quand bien cette reyne de Navarre, qui
+est la plus belle du monde, se fust voulu autrement dguiser de son
+bonnet, elle n'eust jamais comparu si belle comme elle est, et n'eust
+peu: aussi, qu'auroit-elle sceu prendre forme plus belle que la sienne,
+car de plus belle n'en pouvoit-elle prendre n'y emprunter de tout le
+monde? Et si elle eust voulu monstrer sa jambe, que j'ay ouy dire
+aucunes de ses femmes, et la peindre pour la plus belle et mieux faite
+du monde, autrement qu'en son naturel, ou bien estant chausse
+proprement sous ses beaux habits, on ne l'eust jamais trouve si belle.
+Ainsi faut-il que les belles dames comparoissent et fassent monstre de
+leurs beautez.
+
+--J'ay lu dans un livre espagnol, intitul _el Viage del Principe_[70],
+qui fut celui que le roy d'Espagne fit en ses Pays-Bas du temps de
+l'empereur Charles son pre, entr'autres beaux recueils qu'il receut
+parmi ses riches et opulentes villes, ce fut de la reyne d'Hongrie en sa
+belle ville de Bains, dont le proverbe dit: _Mas brava que las fiestas
+de Bains_[71]. Entre autres magnificences fut que, durant le sige d'un
+chasteau qui fut battu en feinte, et assig en forme de place de guerre
+(je le descris ailleurs), elle fit un jour un festin, sur tous autres,
+l'Empereur son bon frre, la reyne Eleonor sa soeur, au Roy son
+nepveu, et tous les seigneurs, chevaliers et dames de la Cour. Sur la
+fin du festin comparut une dame, accompagne de six nymphes Orades,
+vestues l'antique, la nymphale et mode de la vierge chasseresse,
+toutes vestues d'une toille d'argent et vert, et un croissant au front,
+tout couvert de diamants, qu'ils sembloient imiter la lueur de la lune,
+portant chacune son arc et ses flches en la main, et leurs carquois
+fort riches au cost, leurs botines de mesme toille d'argent, tant bien
+tires que rien plus. Et ainsi entrrent en la salle, menans leurs
+chiens aprs elles, et prsentrent l'Empereur, et luy mirent sur sa
+table toute sorte de venaison en paste, qu'elles avoient prise en leur
+chasse. Et, aprs, vint Pals, la desse des pasteurs, avec six nymphes
+Napes, vestues toutes de blanc de toille d'argent, avec les garnitures
+de mesme en la teste, toutes couvertes de perles; et avoient aussi des
+chausses de pareille toille avec l'escarpin blanc, qui portrent de
+toute sorte de laitage, et le posrent devant l'Empereur. Puis, pour la
+troisime bande, vint la desse Pomona, avec ses nymphes Nayades, qui
+portrent le dernier service du fruict. Cette desse estoit la fille de
+donna Batrix Pacheco, comtesse d'Autremont, dame d'honneur de la reyne
+Eleonor, laquelle pouvoit avoir alors que neuf ans. C'est celle qui est
+aujourd'huy madame l'admirale de Chastillon, que M. l'admiral espousa en
+secondes nopces; laquelle fille et desse apporta, avec ses compagnes,
+toutes sortes de fruicts qui se pouvoient alors trouver, car c'estoit en
+est, des plus beaux et plus exquis, et les prsenta l'Empereur avec
+une harangue si loquente, si belle, et prononce de si bonne grace,
+qu'elle s'en fit fort aimer et admirer de l'Empereur et de toute
+l'assemble, veu son jeune age, que ds lors on prsagea qu'elle seroit
+ce qu'elle est aujourd'huy, une belle, sage, honneste, vertueuse, habile
+et spirituelle dame. Elle estoit pareillement habille la nymphale
+comme les autres, vestue de toilles d'argent et blanc, chausse de
+mesme, et garnie la teste de force pierreries; mais c'estoient toutes
+esmeraudes, pour reprsenter en partie la couleur du fruict qu'elles
+apportoient; et outre le prsent du fruict, elle en fit un l'Empereur
+et au roy d'Espagne d'un rameau de victoire tout esmaill de verd, les
+branches toutes charges de grosses perles et pierreries, ce qui estoit
+fort riche voir et inestimable; la reyne Eleonor un esvantail, avec
+un mirouer dedans, tout garni de pierreries de grande valeur. Certes
+cette princesse et reyne d'Hongrie monstroit bien qu'elle estoit une
+honneste dame en tout, et qu'elle savoit son entregent aussi bien que le
+mestier de la guerre; et ce que j'ay ouy dire, l'Empereur son frre
+avoit un grand contentement et soulagement d'avoir une si honneste
+soeur et digne de luy. Or, l'on me pourroit objecter pourquoy j'ay
+fait cette disgression en forme de discours. C'est pour dire que toutes
+ces filles, qui avoient jou ces personnages avoient est choisies et
+prises pour les plus belles d'entre toutes celles des reynes de France
+et de Hongrie et madame de Lorraine, qui estoient franoises,
+italiennes, flamandes, allemandes et lorraines; parmy lesquelles n'y
+avoit faute de beaut; et Dieu sait si la reyne d'Hongrie avoit est
+curieuse d'en choisir de plus belles et de meilleure grace. Madame de
+Fontaine-Chalandry, qui est encore en vie, en sauroit bien que dire, qui
+estoit lors fille de la reyne Eleonor, et des plus belles: on l'appeloit
+aussi la belle Torcy, qui m'en a bien cont. Tant il y a que je tiens
+d'elle et d'ailleurs, que les seigneurs, gentilshommes et cavaliers de
+cette cour, s'amusrent regarder et contempler les belles jambes,
+greves et beaux petits pieds de ces dames; car, vestues ainsi la
+nymphale, elles estoient courtement habilles et en pouvoient faire une
+trs belle monstre, plus que de leurs beaux visages qu'ils pouvoient
+voir tous les jours, mais non leurs belles jambes; dont aucuns en
+vindrent plus amoureux par la veu et monstre d'icelles belles jambes,
+que non pas de leurs belles faces; d'autant qu'au dessus des belles
+colonnes, coustumirement il y a de belles corniches de frize, de beaux
+architraves, riches chapiteaux, bien polis et entaills. Si faut-il que
+je fasse encor cette digression et que j'en fasse ma fantaisie, puisque
+nous sommes sur les feintes et reprsentations. Quasi en mesme temps que
+ces belles festes se faisoient es Pays-Bas, et surtout Bains, sur la
+rception du roy d'Espagne, se fit l'entre du roy Henry, tournant de
+visiter son pays de Piedmond et ses garnisons Lyon, qui certes fut des
+belles et plus triomphantes, ainsi que j'ay ouy dire d'honnestes dames
+et gentilshommes de la Cour qui y estoient. Or, si cette feinte et
+reprsentation de Diane et de sa chasse fut trouve belle en ce royal
+festin de la reyne d'Hongrie, il s'en fit une Lyon, qui fut bien autre
+et mieux imite; car, ainsi que le Roy marchoit, venant rencontrer un
+grand oblisque l'antique, cost de la main droite, il rencontra de
+mesme un prau ceint, sur le grand chemin, d'une muraille de quelque peu
+plus de six pieds de hauteur, et ledit prau aussi haut de terre, lequel
+avoit est distinctement remply d'arbres de moyenne fustaye,
+entreplantez de taillis espais et force de touffes d'autres petits
+arbrisseaux, avec aussi force arbres fruitiers. Et en cette petite
+forest s'esbattoient force petits cerfs tous en vie, biches, chevreuils,
+toutefois privez. Et lors Sa Majest entrouyt aucuns cornets et trompes
+sonner, et tout aussitost apperceut venir, au travers ladite forest,
+Diane chassant avec ses compagnes et vierges forestires, elle tenant
+la main un riche arc turquois, avec sa trousse pendant au cost,
+accoutre en atours de nymphe, la mode que l'antiquit nous la
+reprsente encore; son corps estoit vestu avec un demy bas six grands
+lambeaux ronds de toile d'or noire, seme d'estoiles d'argent, les
+manches et le demeurant de satin cramoisy, avec profilure d'or, trousse
+jusques demy jambe, decouvrant sa belle jambe et greve, et ses botines
+ l'antique de satin cramoisy, couvertes de perles en broderie: ses
+cheveux estoient entrelacs de gros cordons de riches perles, avec
+quantit de pierreries et joyaux de grand valeur; et au dessus du front
+un petit croissant d'argent, brillant de menus petits diamants; car d'or
+ne fust est si beau ny si bien reprsentant le croissant naturel, qui
+est clair et argentin.
+
+Ses compagnes estoient accoutres de diverses faons d'habits et de
+taffetas rayez d'or, tant plein que vuide, le tout l'antique, et de
+plusieurs autres couleurs l'antique, entremesles tant pour la
+bizarret que pour la gayt; les chausses et botines de satin; leurs
+testes adornes de mesme la nymphale, avec force perles et
+pierreries. Aucunes conduisoient des limiers et petits levriers,
+espaigneuls et autres chiens, en laisse avec des cordons de soye blanche
+et noire, couleurs du Roy pour l'amour d'une dame du nom de Diane qu'il
+aimoit: les autres accompagnoient et faisoient courre les chiens
+courants qui faisoient grand bruit. Les autres portoient de petits dards
+de bresil, le fer dor avec de petites et gentilles houppes pendantes,
+de soye blanche et noire, les cornets et trompes mornes d'or et
+d'argent pendantes en escharpes cordons de fil d'argent et soye noire.
+Et ainsi qu'elles apperceurent le Roy, un lion sortit du bois, qui
+estoit priv et fait de longue main cela, qui se vint jetter aux pieds
+de la dite desse, lui faisant feste; laquelle, le voyant ainsi doux et
+priv, le prit avec un gros cordon d'argent et de soye noire, et sur
+l'heure le prsenta au Roy; et s'approchant avec le lion jusque sur le
+bord du mur du prau joignant le chemin, et un pas prs de Sa Majest,
+lui offrit ce lion par un dixain en rime, tel qu'il se faisoit de ce
+temps, mais non pourtant trop mal lime et sonnante; et par icelle rime,
+qu'elle pronona de fort bonne grace, sous ce lion doux et gracieux luy
+offroit sa ville de Lyon, toute douce, gracieuse, et humilie ses loix
+et commandements. Cela dit et fait de fort bonne grace, Diane et toutes
+ses compagnes lui firent une humble rvrence, qui, les ayant toutes
+regardes et salues de bon oeil, monstrant qu'il avoit trs-agrable
+leur chasse, et les en remerciant de bon coeur, se partit d'elles et
+suivit son chemin de son entre. Or notez que cette Diane et toutes ses
+belles compagnes estoient les plus apparentes et belles femmes maries,
+veufves et filles de Lyon, o il n'y en a point de faute, qui joerent
+leurs mystres si bien et de si bonne sorte, que la pluspart des
+princes, seigneurs, gentilhommes et courtisans, en demeurrent fort
+ravis. Je vous laisse penser s'ils en avoient raison. Madame de
+Valentinois, dite Diane de Poictiers, que le Roy servoit, au nom de
+laquelle cette chasse se faisoit, n'en fut pas moins contente, et en
+aima toute sa vie fort la ville de Lyon; aussi estoit-elle leur voisine,
+ cause de la duch de Valentinois qui en est fort proche. Or, puis que
+nous sommes sur le plaisir qu'il y a de voir une belle jambe, il faut
+croire, comme j'ay ouy dire, que non le Roy seulement, mais tous ces
+gallants de la Cour, prirent un beau et merveilleux plaisir contempler
+et mirer celles de ces belles nymphes si folastrement accoutres et
+retrousses, qu'elles en donnoient autant ou plus de tentation pour
+monter au second estage, que d'admiration et de sujet loer une si
+gentille invention.
+
+Pour laisser donc notre digression et retourner o je l'avois prise, je
+dis que nous avons veu faire en nos Cours et reprsenter par nos Reynes,
+et principalement par la Reyne-mere, de fort gentils ballets; mais
+d'ordinaire, entre nous autres courtisans, nous jettions nos yeux sur
+les pieds et jambes des dames qui les reprsentoient, et prenions par
+dessus trs-grand plaisir leur voir porter leurs jambes si gentiment, et
+demener et fretiller leurs pieds si affettement que rien plus; car leurs
+robbes et cottes estoient bien plus courtes que de l'ordinaire, mais non
+pourtant si bien la nymphale que de l'ordinaire, ny si hautes comme il
+le falloit et qu'on eust desir; nantmoins nos yeux s'y baissoient un
+peu, et mesme lorsqu'on dansoit la volte, qui, en faisant voleter la
+robbe, monstroit toujours quelque chose agrable la veu, dont j'en ay
+veu plusieurs s'y perdre et s'en ravir entr'eux-mesmes. Ces belles dames
+de Sienne, au commencement de la rvolte de leur ville et rpublique,
+firent trois bandes des plus belles et des plus grandes dames qui
+fussent; chacune bande montoit mille, qui estoit en tout trois mille,
+l'une vestue de taffetas violet, l'autre de blanc, et l'autre incarnat;
+toutes habilles la nymphale d'un fort court accoustrement, si-bien
+qu' plein elles monstroient la belle jambe et belle greve; et firent
+ainsi leur monstre par la ville devant tout le monde, et mesme devant M.
+le cardinal de Ferrare et M. de Thermes, lieutenants-gnraux de nostre
+roy Henry; toutes resolues, et promettant de mourir pour la rpublique
+et pour la France, et toutes prestes de mettre la main l'oeuvre pour
+la fortification de la ville, comme desj elles avoient la fascine sur
+l'espaule; ce qui rendit en admiration tout le monde. Je mets ce conte
+ailleurs, o je parle des femmes gnreuses; car il touche l'un des plus
+beaux traits qui fut jamais fait parmy galantes dames. Pour ce coup je
+me contenteray de dire que j'ay ouy raconter plusieurs gentilshommes
+et soldats, tant Franois qu'estrangers, mesmes aucuns de la ville,
+que jamais chose du monde plus belle ne fut veu, cause qu'elles
+estoient toutes grandes dames, et principales citadines de ladite ville,
+les unes plus belles que les autres, comme l'on sait qu'en cette ville
+la beaut n'y manque point parmy les dames, car elle y est trs-commune;
+mais s'il faisoit beau voir leur beau visage, il faisoit bien autant
+beau voir et contempler leurs belles jambes et greves, par leurs
+gentilles chaussures tant bien tires et accommodes, comme elles
+savent trs-bien faire, et aussi qu'elles s'estoient fait faire leurs
+robbes fort courtes la nymphale, afin de plus lgrement marcher, ce
+qui tentoit et eschauffoit les plus refroidis et mortifis; et ce qui
+faisoit bien autant de plaisir aux regardants, estoit que les visages
+estoient bien veus toujours et se pouvoient voir, mais non pas ces
+belles jambes et greves. Et ne fut sans raison qui inventa cette forme
+d'habiller la nymphale; car elle produisit beaucoup de bons aspects et
+belles oeillades; car si l'accoustrement en est court, il est fendu
+par les costez, ainsi que nous voyons encor par ces belles antiquitez de
+Rome, qui en augmente davantage la veu lascive. Mais aujourd'huy les
+belles dames et filles de l'isle de Sio, quoi et qui les rend aimables?
+Certes ce sont bien leurs beautez et leurs gentillesses, mais aussi
+leurs gorgiases faons de s'habiller, et surtout leurs robbes fort
+courtes, qui monstrent plein leurs belles jambes et belles greves et
+leurs pieds affetiez et bien chausss. Surquoy il me souvient qu'une
+fois la Cour, une dame de fort belle et riche taille, contemplant une
+belle et magnifique tapisserie de chasse o Diane et toute sa bande de
+vierges chasseresses y estoient fort naifvement reprsentes, et toutes
+vestues montroient leurs beaux pieds et belles jambes, elle avoit une de
+ses compagnes auprs d'elle, qui estoit de fort basse et petite taille,
+qui s'amusoit aussi regarder avec elle icelle tapisserie; elle luy
+dit: Ha! petite, si nous nous habillions toutes de cette faon, vous le
+perdriez comptant, et n'auriez grand avantage, car vos gros patins vous
+decouvriroient, et n'auriez jamais telle grace en vostre marcher, ny
+monstrer vostre jambe, comme nous autres qui avons la taille grande et
+haute: par quoy il vous faudroit cacher et ne paroistre guires.
+Remerciez donc la saison et les robbes longues que nous portons, qui
+vous favorisent beaucoup et qui vous couvrent vos jambes si dextrement,
+qu'elles ressemblent, avec vos grands et hauts patins d'un pied de
+hauteur, plustost une massu qu'une jambe, car qui n'auroit de quoy se
+battre il ne faudroit que vous couper une jambe et la prendre par le
+bout, et du cost de vostre pied chauss et ent dans vos patins, et on
+feroit rage de bien battre. Cette dame avoit beaucoup de sujet de dire
+de telles paroles, car la plus belle jambe du monde, si elle est ainsi
+enchasse dans ces gros patins, elle perd du tout sa beaut, d'autant
+que ce gros pied bot luy rend une difformit par trop grande, car si le
+pied n'accompagne la jambe en belle chaussure et gentille forme, tout
+n'en vaut rien. Pourquoy les dames qui prennent ces gros et grands
+lourdauts de patins pensent embellir et enrichir leurs tailles et par
+elles s'en faire mieux aimer et paroistre; mais de leur cost elles
+appauvrissent leur belle jambe et belle greve, qui vaut bien autant en
+son naturel qu'une grande taille contrefaite. Aussi, le temps pass, le
+beau pied portoit une telle lascivet en soy, que plusieurs dames
+romaines prudes et chastes, au moins qui le vouloient contrefaire, et
+encore aujourd'huy plusieurs autres en Italie, l'imitation du vieux
+temps, font autant de scrupule de le monstrer au monde comme leur
+visage, et le cachent sous leurs grandes robbes le plus qu'elles peuvent
+afin qu'on ne le voye pas, et conduisent en leur marcher si sagement,
+discretement et compassment, qu'il ne passe jamais devant la robbe.
+Cela est bon pour celles qui sont confites en preud'hommie ou semblance,
+et qui ne veulent point donner de tentation; nous leur devons cette
+obligation, mais je croy que, si elles avoient la libert, elles
+feroient monstre et du pied et de la jambe et d'autres choses. Aussi
+qu'elles veulent monstrer leurs marys, par certaine hypocrisie et ce
+petit scrupule, qu'elles sont dames de bien: d'ailteurs je m'en rapporte
+ ce qui en est.
+
+Je say un gentilhomme fort galent et honneste, qui, pour avoir veu
+Rheims, au sacre du roy dernier, la belle jambe, chausse d'un bas de
+soie blanc, d'une belle et grande dame veufve et de haute taille, par
+dessous les eschaffaux que l'on fait pour les dames voir le sacre, en
+devint si pris, que depuis il se cuida dsesprer d'amour; et ce que
+n'avoit peu faire le beau visage, la belle jambe et la belle greve le
+firent: aussi cette dame mritoit bien en toutes ses belles parties de
+faire mourir un honneste gentilhomme. J'en ay tant cogneu d'autres
+pareils en ceste humeur. Tant y a, pour fin, ainsi que j'ay veu tenir
+par maxime plusieurs gallants courtisans mes compagnons, la monstre
+d'une belle jambe et d'un beau pied estre fort dangereuse et ensorceler
+les yeux lascifs l'amour; et je m'estonne que plusieurs bons
+escrivains, tant de nos potes qu'autres, n'en ont escrit des loanges
+comme ils ont fait d'autres parties de leur corps. De moy, j'en eusse
+crit davantage; mais j'aurois peur que, pour trop loer ces parties du
+corps, l'on m'objectast que je ne me souciasse gueres des autres, et
+aussi qu'il me faut escrire d'autres sujets, et ne m'est permis de
+m'arrester tant sur un. Parquoy je fais fin en disant ce petit mot:
+Pour Dieu, Mesdames ne soyez si curieuses vous faire paroistre
+grandes de taille et vous monstrer autres, que vous n'advisis la
+beaut de vos jambes, lesquelles vous avez belles, au moins aucunes;
+mais vous en gastez le lustre par ces hauts patins et grands chevaux.
+Certes il vous en faut bien; mais si demesurment, vous en dgoustez le
+monde plus que vous ne pensez.
+
+Sur ce discours loera qui voudra les autres beautez de la dame, comme
+ont fait plusieurs potes; mais une belle jambe, une greve bien faonne
+et un beau pied, ont une grande faveur et pouvoir l'empire d'amour.
+
+
+
+
+DISCOURS QUATRIME.
+
+ Sur les femmes maries, les veufves et les filles; savoir
+ desquelles les unes sont plus portes l'amour que les autres.
+
+INTRODUCTION.
+
+
+Moy estant un jour Madrid la cour d'Espagne, et discourant avec une
+fort honneste dame, comme il arrive d'ordinaire, selon la coutume du
+pays, elle me vint faire cette demande: _Qual era mayor fuego d'amor, et
+de la biuda, et du la casada, o de la hija moa?_ c'est--dire, quel
+estoit le plus grand feu, ou celuy de la veufve, ou de la marie, ou de
+la fille jeune. Aprs luy avoir dit mon advis, elle me dit le sien en
+telles paroles: _Lo que me parece desta cosa es, que aunque las moas
+con el hevor de la sangre se disponen a querer mucho, no deve ser tanto
+come lo que quieren las casadas y biudas, con la grand experiencia del
+negocio. Esta rason deve ser natural, como lo seria del que por haver
+nacido ciego, de la perfection de la luz, no puede judiciar de ella con
+tanto desseo come el que vido, y fue privado de la vista_; ce qui sonne
+en franois: Ce qui me semble de cette chose est qu'encore que les
+filles, avec cette grande ferveur de sang, soient disposes d'aimer
+fort, toutefois elles n'aiment point tant comme les femmes maries et
+les veufves, par une grande exprience de l'affaire; et la raison
+naturelle y est en cela, d'autant qu'un aveugle n, et qui ds sa
+naissance est priv de la veu, il ne la peut tant desirer comme celuy
+qui en a jou si doucement, et aprs l'a perdue. Puis adjousta: _Que
+con menos pena se abstienne d'una cosa la persona que nunca supo, que
+aquella que vive enamorada degusto passado_; ce qui signifie: D'autant
+qu'avec moins de peine on s'abstient d'une chose que l'on n'a jamais
+tast, que de celle que l'on a aim et esprouv. Voil les raisons
+qu'en allguoit cette dame sur ce sujet.
+
+Or le vnrable et docte Bocace, parmy ses questions de son
+_Philocoppe_[72], en la neufiesme, fait celle-l mesme: De laquelle de
+ces trois, de la marie, de la veufve et de la fille, l'on se doit
+plutost rendre amoureux pour plus heureusement conduire son desir
+effect. Bocace respond, par la bouche de la Reyne qu'il introduit
+parlante, que, combien que ce soit trs-mal fait, et contre Dieu et sa
+conscience, de desirer la femme marie, qui n'est nullement soy, mais
+subjecte son mary, il est fort ais d'en venir bout, et non pas de
+la fille et veufve, quoy que telle amour soit prilleuse, d'autant que
+plus on souffle le feu il s'allume davantage, autrement il s'esteint.
+Aussi toutes les choses faillent en les usant, fors la luxure, qui en
+augmente. Mais la veufve, qui a est long-temps sans tel effect, ne le
+sent quasi point, et ne s'en soucie non plus que si jamais elle n'eust
+est marie, et est plus-tost reschauffe de la mmoire que de la
+concupiscence. Et la pucelle, qui ne sait et ne connoist encore ce que
+c'est, si-non par imagination, le souhaite tidement. Mais la marie,
+eschauffe plus que les autres, desire souvent venir en ce point, dont
+quelquesfois elle en est outrage de paroles par son mary et bien
+battue; mais, desirant s'en venger (car il n'y a rien de si vindicatif
+que la femme, et mesme par cette chose), le fait cocu bon escient, et
+en contente son esprit: et aussi que l'on s'ennuye manger tousjours
+d'une mesme viande, mesme les grands seigneurs et dames bien souvent
+dlaissent les bonnes et dlicates viandes pour en prendre d'autres.
+Davantage, quant aux filles, il y a trop de peine et consommation de
+temps, pour les rduire et convertir la volont des hommes: et si
+elles aiment, elles ne savent qu'elles aiment. Mais, aux veufves,
+l'ancien feu aisment reprend sa force, leur faisant desirer aussi-tost
+ce que par longue discontinuation de temps elles avoient oubli, et leur
+tarde de retourner et parvenir tel effect, regrettant le temps perdu
+et les longues nuicts passes froidement dans leurs licts de vidut peu
+eschauffes.
+
+Sur ces raisons de cette reyne parlante, un certain gentilhomme, nomm
+Farrament, respondit la Reyne, et laissant les femmes maries part,
+comme estant aises a esbranler sans user de grands discours, pour dire
+le contraire, reprend celuy des filles et des veufves, et maintient la
+fille estre plus ferme en amour que non pas la veufve; car la veufve,
+qui a ressenty par le pass les secrets d'amour, n'aime jamais
+fermement, ains en doute et lentement, desirant promptement l'un, puis
+l'autre, ne sachant auquel elle se doive conjoindre pour son plus grand
+profit et honneur: et quelquesfois ne veut aucun des deux, ainsi vacille
+en sa dlibration, et la passion amoureuse n'y peut prendre pied ny
+fermet. Mais tout le contraire se rencontre en la pucelle, et toutes
+telles choses lui sont inconnues: laquelle ne tend seulement qu' faire
+un amy et y mettre toute sa pense, aprs l'avoir bien choisi, et luy
+complaire en tout, croyant que ce luy est un trs-grand honneur d'estre
+ferme en son amour; et attend avec une ardeur plus grande les choses qui
+n'ont jamais est ny veus d'elle, ny ouyes, ny esprouves, et souhaite
+beaucoup plus que les autres femmes exprimentes de voir, ouyr et
+esprouver toutes choses. Aussi le desir qu'elle a de voir choses
+nouvelles la maistrise fort: elle s'enquiert celles qui sont
+exprimentes, lesquelles luy augmentent le feu davantage; et par ainsi
+elle desire la conjonction de celuy qu'elle a fait seigneur de sa
+pense. Cette ardeur ne se rencontre pas en la veufve, d'autant qu'elle
+y a desj pass.
+
+Or la reyne de Bocace, reprenant la parole, et voulant mettre fin
+cette question, conclud que la veufve est plus soigneuse du plaisir
+d'amour cent fois que la pucelle, d'autant que la pucelle veut garder
+chrement sa virginit et son pucelage, veu que tout son honneur y
+consiste: joint que les pucelles sont naturellement craintives, et
+mesmes en ce fait mal-habiles, et ne sont pas propres trouver les
+inventions et commoditez aux occasions qu'il faut pour tels effects. Ce
+qui n'est pas ainsi en la veufve, qui est desj fort exerce, hardie et
+ruse en cet art, ayant desj donn et alin ce que la pucelle attend
+de donner: ce qui est occasion qu'elle ne craint d'estre visite ou
+accuse par quelque signal de bresche: elle connoist mieux les secretes
+voyes pour parvenir son attente. Au reste, la pucelle craint ce
+premier assaut de virginit, car il est d'aucunes quelquesfois plus
+ennuyeux et cuisant que doux et plaisant; ce que les veufves ne
+craignent point, mais s'y laissent aller et couler trs-doucement, quand
+bien l'assaillant seroit des plus rudes: et ce plaisir est contraire
+plusieurs autres, duquel ds le premier coup on s'en rassasie le plus
+souvent, et se passe lgrement; mais en cettuy-cy l'affection du retour
+en croist tousjours. Parquoy la veufve, donnant le moins, et qui la
+donne souvent, est cent fois plus librale que la pucelle, qui il
+convient abandonner sa trs-chre chose, quoy elle songe mille fois.
+C'est pourquoy, conclud la Reyne, il vaut mieux s'adresser la veufve
+qu' la fille, estant plus aise gagner et corrompre.
+
+ * * * * *
+
+ARTICLE PREMIER.
+
+ De l'amour des femmes maries.
+
+Or maintenant, pour prendre et dduire les raisons de Bocace, et les
+esplucher un peu, et discourir sur icelles, selon les discours que j'en
+ay veu faire aux honnestes gentilshommes et dames sur ce sujet, comme
+l'ayant bien expriment, je dis qu'il ne faut douter nullement que, qui
+veut tost avoir joissance d'un amour, il se faut adresser aux dames
+maries, sans que l'on s'en donne grande peine et que l'on consomme
+beaucoup de temps; d'autant que, comme dit Bocace, tant plus on attise
+un feu et plus il se fait ardent. Ainsi est-il de la femme marie,
+laquelle s'eschauffe si fort avec son mary, que, luy manquant de quoy
+esteindre le feu qu'il donne sa femme, il faut bien qu'elle emprunte
+d'ailleurs, ou qu'elle brusle toute vive. J'ay connu une dame assez
+grande, et de bonne sorte, qui disoit une fois son amy, qui me l'a
+cont, que de son naturel elle n'estoit aspre cette besogne tant que
+l'on diroit bien (mais qui sait?), et que volontiers aisment bien
+souvent elle s'en passeroit, n'estoit que son mary, la venant attiser,
+et n'estant assez suffisant et capable pour luy amortir sa chaleur,
+qu'il luy rendoit si grande et si chaude qu'il falloit qu'elle courust
+au secours son amy: encore, ne se contentant de luy bien souvent, se
+retiroit seule, ou en son cabinet, ou en son lict, et l toute seule
+passoit sa rage tellement quellement, ou la mode lesbienne, ou
+autrement par quelque autre artifice; voire jusques-l, disoit-elle,
+que, n'eust est la honte, elle s'en fust fait donner par les premiers
+qu'elle eust trouvs dans une salle du bal, l'escart ou sur des
+degrez, tant elle estoit toumente de cette mauvaise ardeur. Semblable
+en cela aux juments qui sont sur les confins de l'Andalousie, lesquelles
+devenant si chaudes, et ne trouvant leurs estalons pour se faire
+saillir, se mettent leur nature contre le vent qui regne en ce temps-l,
+qui leur donne dedans, et par ce moyen passent leurs ardeurs et
+s'emplissent de la sorte: d'o viennent ces chevaux si vistes que nous
+voyons venir de, comme retenans la vitesse naturelle du vent leur
+pere. Je croy qu'il y a plusieurs marys qui desireroient fort que leurs
+femmes trouvassent un tel vent qui les rafraischist et leur fist passer
+leur chaleur, sans qu'elles allassent rechercher leurs amoureux et leur
+faire des cornes fort vilaines.
+
+Voil un naturel de femme que je viens d'allguer, qui est bien
+estrange, d'autant qu'il ne brusle si-non lorsqu'on l'attise. Il ne s'en
+faut pas estonner, car, comme disoit une dame espagnole: _Que quanto mas
+me quiero socao de la braza, tanto mas mi marido me abraza in et
+brazero_; c'est--dire: Que tant plus je me veux oster des braises,
+tant plus mon mary me brusle en mon brasier. Et certes elles y peuvent
+brusler, et de cette faon, veu que par les paroles, par les seuls
+attouchements et embrassements, voire par attraits, elles se laissent
+aller fort aisment, quand elles trouvent les occasions, sans aucun
+respect du mary.
+
+Car, pour dire le vray, ce qui empesche plus toute fille ou femme d'en
+venir l bien souvent, c'est la crainte qu'elles ont d'enfler par le
+ventre: ce que les maries ne craignent nullement; car, si elles
+enflent, c'est le pauvre mary qui a tout fait, et porte toute la
+couverture. Et quant aux loix d'honneur qui leur dfendent cela,
+qu'allgue Bocace, la pluspart des femmes s'en mocquent, disant pour
+leurs raisons valables que les loix de la nature vont devant, et que
+jamais elle ne fit rien en vain, et qu'elle leur a donn des membres et
+des parties tant nobles, pour en user et mettre en besogne, et non pour
+les laisser chomer oisivement, ne leur dfendant ny imposant plus qu'aux
+autres aucune vacation. Disent plus (au moins aucunes de nos dames), que
+cette loy d'honneur n'est que pour celles qui n'aiment point et qui
+n'ont fait d'amys honnestes, ausquelles est trs-mal-sant et blasmable,
+de s'aller abandonner et prostituer leur chastet et leur corps, comme
+si elles estoient quelques courtisannes: mais celles qui aiment, et qui
+ont fait des amys, cette loy ne leur dfend nullement qu'elles ne les
+assistent en leurs feux qui les bruslent, et ne leur donnent de quoy
+pour les esteindre; et que c'est proprement donner la vie un qui la
+demande, se monstrant en cela benignes, et nullement barbares ny
+cruelles, comme disoit Regnaud sur le discours de la pauvre Geneviefve
+afflige. Sur quoy j'ai cogneu une fort honneste dame et grande,
+laquelle, un jour son amy l'ayant trouve en son cabinet, qui traduisoit
+cette stance dudit Regnaud, _una dona deve donque morire_, en vers
+franois aussi beaux et bien faits que j'en vis jamais (car je les vis
+depuis), et ainsi qu'il luy demanda ce qu'elle avoit escrit: Tenez,
+voil une traduction que je viens de faire, qui sert d'autant de
+sentence par moy donne, et arrest form pour vous contenter en ce que
+vous desirez, dont il n'en reste que l'excution; laquelle, aprs la
+lecture, se fit aussitost. Lequel arrest fut bien meilleur que s'il eust
+est rendu la Tournelle; car, encore que l'Arioste ornast les paroles
+de Regnaud de trs-belles raisons, je vous asseure qu'elle n'en oublia
+aucune les trs-bien traduire et reprsenter, bien que la traduction
+valoit bien autant pour esmouvoir que l'original; et donna bien
+entendre tel amy qu'elle lui vouloit donner la vie, et ne luy estre
+nullement inexorable, ainsi que l'autre en sceut bien prendre le temps.
+
+Pourquoy donc une dame, quand la nature la fait bonne et
+misricordieuse, n'usera-t-elle librement des dons qu'elle lui a donns,
+sans en estre ingrate, ou sans rpugner et contredire du tout contre
+elle? Comme ne fit pas une dame dont j'ay ouy parler, laquelle, voyant
+un jour dans une salle son mary marcher et se pourmener, elle se peut
+empescher de dire son amant: Voyez, dit-elle, notre homme marcher;
+n'a-t-il pas la vraye encloeure d'un cocu? N'eusse-je pas donc offens
+grandement la nature, puis qu'elle l'avoit fait et destin tel, si je
+l'eusse dmentie et contrefaite? J'ay ouy parler d'une autre dame,
+laquelle, se plaignant de son mary, qui ne la traitoit pas bien,
+l'espioit avec jalousie, et se doutoit qu'elle lui faisoit des cornes.
+Mais il est bon! disoit-elle son amy; il luy semble que son feu est
+pareil au mien: car je luy esteins le sien en un tournemain, et en
+quatre ou cinq gouttes d'eau; mais, au mien, qui a un braisier bien plus
+grand et une fournaise plus ardente, il y en faut davantage: car nous
+sommes du naturel des hydropiques ou d'une fosse de sable, qui d'autant
+plus qu'elle avale d'eau, et plus elle en veut avaler.
+
+Une autre disoit bien mieux, qu'elles estoient semblables aux poules qui
+ont la ppie faute d'eau, et qui en peuvent mourir si elles ne boivent.
+L'on peut dire le mesme de ces femmes, que la soif engendre la ppie, et
+qu'elles en meurent bien souvent si on ne leur donne boire souvent;
+mais il faut que ce soit d'autre eau que de fontaine. Une autre dame
+disoit qu'elle estoit du naturel du bon jardin, qui ne se contente pas
+de l'eau du ciel, mais en demande son jardinier, pour en estre plus
+fructueux. Une dame disoit qu'elle vouloit ressembler aux bons
+oeconomes et mesnagers, lesquels ne donnent tout leur bien mesnager
+et faire valoir un seul, mais le dpartent plusieurs mains; car une
+seule n'y pourroit fournir pour le bien esvaluer. Semblablement
+vouloit-elle ainsi mesnager son cas, pour le mliorer, et elle s'en
+trouvoit mieux. J'ay ouy parler d'une honneste dame qui avoit un amy
+fort laid et un beau mary, et de bonne grace, aussi la dame estoit
+trs-belle. Une sienne familire luy remonstrant pourquoy elle n'en
+choisissoit un plus beau: Ne savons-nous pas, dit-elle, que pour bien
+cultiver une terre, il y faut plus d'un laboureur, et volontiers les
+plus beaux et les plus dlicats n'y sont pas les plus propres, mais les
+plus ruraux et les plus robustes? Une autre dame que j'ay cogneue, qui
+avoit un mary fort laid et de fort mauvaise grace, choisit un amy aussi
+laid que luy; et comme une sienne compagne luy demanda pourquoy: C'est,
+dit-elle, pour mieux m'accoustumer la laideur de mon mary.
+
+Une autre dame discourant un jour de l'amour, tant son esgard que des
+autres de ses compagnes, dit ces paroles: Si les femmes estoient
+tousjours chastes, elles ne sauroient ce que c'est de leur contraire,
+se fondant en cela sur l'opinion d'Hliogabale, qui disoit que la moiti
+de la vie devoit estre employe cultiver les vertus, et l'autre moiti
+dans les vices; autrement si l'on estoit toujours d'une mesme faon,
+tout bon ou tout mauvais, il seroit impossible de juger de son
+contraire, qui sert souvent de temprament. J'ay veu de grands
+personnages appprouver cette maxime, et mesme pour les femmes. Aussi la
+femme de l'empereur Sigismond, qui s'appeloit Barbe, disoit qu'estre
+tousjours en un mesme estat de chastet appartenoit aux sottes, et en
+reprenoit fort ses dames et damoiselles qui persistoient en cette sotte
+opinion; ainsi que de son cost elle la renvoya bien loin, car tout son
+plaisir fut en festes, danses, bals et amour, en se mocquant de celles
+qui ne faisoient pas de mesmes, ou qui jeusnoient pour macrer leur
+chair, et qui faisoient des retraites. Je vous laisse penser s'il
+faisoit bon la cour de cet empereur et impratrice, je dis pour ceux
+et celles qui se plaisoient l'amour.
+
+--J'ay ouy parler d'une fort honneste dame et de rputation, laquelle
+venant estre malade du mal d'amour qu'elle portoit son serviteur,
+sans vouloir hazarder ce petit honneur qu'elle portoit entre ses jambes,
+ cause de cette rigoureuse loy d'honneur tant recommande et presches
+des marys; et d'autant que de jour en jour elle alloit bruslant et
+seichant, de sorte qu'en un instant elle se vid devenir seiche, maigre,
+allanguie, tellement que, comme auparavant, elle s'estoit veue fraische,
+grasse et en bon point, et puis toute change par la connoissance
+qu'elle en eust dans son miroir: Comment, dit-elle alors, seroit-il
+donc dit qu' la fleur de mon aage, et qu' l'apptit d'un lger point
+d'honneur et volage scrupule pour retenir par trop mon feu, je vinse
+ainsi peu peu me seicher, me consommer et devenir vieille et laide
+avant le temps, ou que j'en perdisse le lustre de ma beaut qui me
+faisoit estimer, priser et aimer, et qu'au lieu d'une dame de belle
+chair je devinsse une carcasse, ou plustost une anatomie, pour me faire
+chasser et bannir de toute bonne compagnie, et estre la rise d'un
+chacun? Non, je m'en garderay bien, mais je m'aidray des remedes que
+j'ay en ma puissance. Et, par ainsi, elle excuta tout ce qu'elle avoit
+dit, et, se donnant de la satisfaction et son amy, reprit son
+embonpoint, et devint belle comme devant, sans que son mary sceust le
+remede dont elle avoit us, mais l'attribuant aux mdecins, qu'il
+remercioit et honoroit fort, pour l'avoir ainsi remise son gr pour en
+faire mieux son profit.
+
+--J'ay ouy parler d'une autre bien grande, de fort bonne humeur, et qui
+disoit bien le mot, laquelle estant maladive, son mdecin luy dit un
+jour qu'elle ne se trouveroit jamais bien si elle ne le faisoit; elle
+soudain respondit: Eh bien! faisons-le donc. Le mdecin et elle s'en
+donnrent au coeur joye, et se contentrent admirablement bien. Un
+jour, entre autres, elle luy dit: On dit partout que vous me le faites;
+mais c'est tout un, puisque je me porte bien; et franchissoit tousjours
+le mot galant qui commence par f. Et tant que je pourray je le feray,
+puis que ma sant en dpend. Ces deux dames ne ressembloient pas
+cette honneste dame de Pampelone que j'ay dit encore ci-devant, dans les
+_Cent Nouvelles de la Reyne de Navarre_, laquelle, estant devenue
+esperduement amoureuse de M. d'Avannes, aima mieux cacher son feu et le
+couver dans sa poictrine qui en brusloit, et mourir, que de faillir son
+honneur. C'est de quoy j'ay ouy discourir cy-dessus quelques honnestes
+dames et seigneurs. C'estoit une sotte, et peu soigneuse du salut de son
+ame, d'autant qu'elle-mesme se donnoit la mort, estant en sa puissance
+de l'en chasser, et pour peu de chose. Car enfin, comme disoit un ancien
+proverbe franois, _d'une herbe de pr tondue, et d'un c.. f....., le
+dommage est bien-tost rendu_. Et qu'est-ce aprs que tout cela est fait?
+La besogne, comme d'autres, aprs qu'elle est faite, paroist-elle devant
+le monde? La dame en va-t-elle plus mal droit? y connoist-on rien? Cela
+s'entend quand on besogne couvert, huis clos, et que l'on n'en voit
+rien. Je voudrois bien savoir si beaucoup de grandes dames que je
+connois (car c'est en elles que l'amour va plustost loger, comme dit
+cette dame de Pampelone, c'est aux grands portaux que battent de grands
+vents) delaissent de marcher la teste haut esleve, ou en cette Cour ou
+ailleurs, et de paroistre braves comme une Bradamante ou une Marfise. Et
+qui seroit celuy tant prsompteux qui osast leur demander si elles en
+viennent? Leurs marys mesmes (vous dis-je) ne leur oseroient dire quoy
+que ce soit, tant elles savent si bien contrefaire les prudes et se
+tenir en leur marche altiere; et si quelqu'un de leurs marys pense leur
+en parler ou les menacer, ou outrager de paroles ou d'effet, les voil
+perdus; car, encore qu'elles n'eussent song aucun mal contre eux, elles
+se jettent aussi-tost la vengeance, et la leur rendent bien; car il y
+a un proverbe ancien qui dit que, quand et aussi-tost que le mary bat sa
+femme, son cas en rit: cela s'appelle qu'il espere faire bonne chere,
+connoissant le naturel de sa maistresse qui le porte, et qui, ne pouvant
+se vanger d'autres armes, s'aide de luy pour son second et grand amy,
+pour donner la venu au galant de son mary, quelque bonne garde et
+veille qu'il fasse auprs d'elle. Car, pour parvenir leur but, le plus
+souverain remede qu'elles ont, c'est d'en faire leurs plaintes entre
+elles-mesmes, ou leurs femmes et filles-de-chambre, et puis les
+gagner, ou faire des amys nouveaux, si elles n'en ont point; ou, si
+elles en ont, pour les faire venir aux lieux assignez: elles font la
+garde que leurs marys n'entrent et ne les surprennent. Or ces dames
+gagent leurs filles et femmes, et les corrompent par argent, par
+prsents, par promesses, et bien souvent aucunes composent et
+contractent avec elles, savoir que leur dame et maistresse de trois
+venus que l'amy leur donnera, la servante en aura la moiti ou au moins
+le tiers. Mais le pis est que bien souvent les maistresses trompent
+leurs servantes en prenant tout pour elles, s'excusant que l'amy ne leur
+en a pas plus donn, ains si petite portion, qu'elles-mesmes n'en ont
+pas eu assez pour elles; et paissent ainsi de bayes ces pauvres filles,
+femmes et servantes, pendant qu'elles sont en sentinelle et font bonne
+garde: en quoy il y a de l'injustice; et je croy que si cette cause
+estoit plaide par des raisons allgues d'un cost et d'autre, il y
+auroit bien dbattre et rire; car enfin c'est un vray larcin de leur
+drosber ainsi leur salaire et pension convenue. Il y a d'autres dames
+qui tiennent fort bien leur pact et promesse, et ne leur en desrobent
+rien, et sont comme les bons facteurs de boutique, qui font juste part
+de leur gain et profit du talent leur maistre ou compagnon; et, par
+ainsi, telles dames mritent d'estre bien servies pour estre si bien
+reconnoissantes des peines qu'on a pris les si bien veiller et garder.
+Car enfin, elles se mettent en danger et hazard. Ce qui est arriv une
+que je say, qui faisant un jour le guet pendant que sa maistresse
+estoit en sa chambre avec son amy et faisoit grande chere, et ne
+chaumoit point, le maistre d'hostel du mary la reprit et la tana
+aigrement de ce qu'elle faisoit, et qu'il valoit mieux qu'elle fust avec
+sa maistresse que d'estre ainsi maquerelle et faire la garde au dehors
+de sa chambre, et un si mauvais tour au mary de sa maistresse; et
+adjouta qu'il l'en advertiroit. Mais la dame le gagna par le moyen d'une
+autre de ses filles-de-chambre de laquelle il estoit amoureux, luy
+promettant quelque chose par les prires de la maistresse; et aussi
+qu'elle luy fit quelque prsent, dont il fut appais. Toutefois, depuis
+elle ne l'ayma plus et luy garda bonne; car, espiant une occasion prise
+ la vole, le fit chasser par son mary.
+
+--Je say une belle et honneste dame, laquelle ayant une servante en qui
+elle avoit mis son amiti, luy faisoit beaucoup de bien, mesme usoit
+envers elle de grandes privautez et l'avoit trs-bien dresse telles
+menes; si bien que quelquefois, quand elle voyoit le mary de cette
+dame longuement absent de sa maison, empesch la Cour et en autre
+voyage, bien souvent elle regardoit sa maistresse en l'habillant, qui
+estoit des plus belles et des plus aimables, et puis disoit: H!
+n'est-il pas bien malheureux, ce mary, d'avoir une si belle femme et la
+laisser ainsi seule si long-temps sans la venir voir? ne mrite-t-il pas
+que vous le fassiez cocu tout plat? Vous le devez; car si j'estois
+aussi belle que vous, j'en ferois autant mon mary s'il demeuroit
+autant absent. Je vous laisse penser si la dame et maistresse de
+cette servante trouvoit goust cette noix, mesme si elle n'avoit pas
+trouv chaussure son pied, et ce qu'elle pouvoit faire par aprs par
+le moyen d'un si bon instrument. Or, il y a des dames qui s'aydent de
+leurs servantes pour couvrir leurs amours, sans que leurs maris s'en
+apperoivent, et leur mettent en main leurs amants, pour les entretenir
+et les tenir pour serviteurs, afin que, sous cette couverture, les
+marys, entrant dans la chambre de leurs femmes, croyent que ce sont les
+serviteurs de telles ou de telles damoiselles: et, sous ce prtexte, la
+dame a un beau moyen de jouer son jeu, et le mary n'en connoist rien.
+
+--J'ay connu un fort grand prince qui se mit faire l'amour une dame
+d'autour d'une grande princesse, seulement pour savoir les secrets des
+amours de sa maistresse, pour y mieux parvenir en aprs. J'ay veu joer
+en ma vie quantit de ces traits, mais non pas de la faon que faisoit
+une honneste dame de par le monde, que j'ay connue, laquelle fut si
+heureuse d'estre servie de trois braves et galants gentilshommes, l'un
+aprs l'autre, lesquels, la laissant venoient aimer et servir une
+trs-grande princesse qui estoit sa dame, si bien qu'elle rencontra
+l-dessus gentiment qu'elle estoit reyne des Romains[73]. Ce qui lui
+estoit un honneur bien plus grand qu' une que je say, laquelle, estant
+ la suite d'une grande dame marie, ainsi que cette grande dame fut
+surprise dans sa chambre par son mary, lors qu'elle ne venoit que de
+recevoir un petit poulet de papier de son amy, vint estre si bien
+seconde par cette dame qui estoit avec elle, qu'aussi-tost elle prit
+finement le poulet, et l'avala tout entier, sans en faire deux fois ny
+que le mary s'en apperceust, qui l'en eust sans doute trs-mal traite
+s'il eust veu le dedans: ce qui fut une trs-grande obligation de
+service, que la grande dame a tousjours reconnu. Je say bien bien des
+dames pourtant qui se sont trouves mal pour s'estre trop fies leurs
+servantes, et d'autres aussi qui ont couru le mesme hazard pour ne s'y
+estre pas fies. J'ay ouy parler d'une dame belle et honneste, qui avoit
+pris et choisi un gentilhomme des braves, vaillants et accomplis de la
+France, pour lui donner joissance et plaisir de son gentil corps. Elle
+ne se voulut jamais fier pas une de ses femmes, et le rendez-vous
+ayant est donn en un logis autre que le sien, il fut dit et concert
+qu'il n'y auroit qu'un lict en la chambre, et que ses femmes
+coucheroient l'antichambre. Comme il fust arrest ainsi fut-il jo;
+et d'autant qu'il se trouva une chatonnire la porte, sans y penser et
+sans y avoir prveu que sur le coup, ils s'advisrent de la boucher avec
+un ais, afin que, si l'on la venoit pousser, qu'elle fist bruit, qu'on
+l'entendist, et qu'ils fissent silence et y pourveussent. Or, d'autant
+qu'il y avoit anguille sous roche, une de ses femmes, fasche et
+despite de ce que sa maistresse se deffioit d'elle, qu'elle tenoit pour
+la plus confidente des siennes, ainsi qu'elle luy avoit souventes-fois
+monstr, elle s'advisa, quand sa maistresse fut couche, de faire le
+guet et estre aux escoutes la porte. Elle l'entendoit bien gazouiller
+tout bas; mais elle connut que ce n'estoit point la lecture qu'elle
+avoit accoustum de faire en son lict, quelques jours auparavant, avec
+sa bougie, pour mieux colorer son fait. Sur cette curiosit qu'elle
+avoit de savoir mieux le tout, se prsenta une occasion fort bonne et
+fort propos: car, estant entr d'avanture un jeune chat dans la
+chambre, elle le prit avec ses compagnes, le fourra et le poussa par la
+chatonnire en la chambre de sa maistresse, non sans abattre l'ais qui
+l'avoit ferme, ny sans faire bruit. Si bien que l'amant et l'amante, en
+estant en cervelle, se mirent en sursaut sur le lict, et advisrent,
+la lueur de leur flambeau et bougie, que c'estoit un chat qui estoit
+entr et avoit fait tomber la trappe. Parquoy, sans autrement se donner
+de la peine, se recouchrent, voyant qu'il estoit tard et qu'un chacun
+pouvoit dormir, et ne refermrent pourtant la dite chatonnire, la
+laissant ouverte pour donner passage au retour du chat, qu'ils ne
+vouloient laisser l-dedans renferm tout la nuict. Sur cette belle
+occasion, la dite dame suivante, avec ses compagnes, eut moyen de voir
+choses et autres de sa maistresse, lesquelles, depuis, dclarrent le
+tout au mary, d'o s'ensuivit la mort de l'amant et le scandale de la
+dame. Voil quoy sert un despit et une mesfiance que l'on prend
+quelquefois des personnes, qui nuit aussi souvent que la trop grand
+confiance. Ainsi que je say d'un trs-grand personnage, qui eut une
+fois dessein de prendre toutes les filles-de-chambre de sa femme, qui
+estoit une trs-grande et belle dame, et les faire gesner, peur leur
+faire confesser tous les desportements de sa femme et les services
+qu'elles lui faisoient en ses amours. Mais cette partie pour ce coup fut
+rompue, pour viter plus grand scandale. Le premier conseil vint d'une
+dame que je ne nommeray pas, qui vouloit mal cette grande dame: Dieu
+l'en punit aprs.
+
+Pour venir la fin de nos femmes, je conclus qu'il n'y a que les femmes
+maries dont on puisse tirer de bonnes denres, et prestement; car elles
+savent si bien leur mestier, que les plus fins et les plus haut hupez
+de marys y sont trompez. J'en ay dit assez au chapitre des cocus[74]
+sans en parler davantage.
+
+ * * * * *
+
+ARTICLE II.
+
+ De l'amour des filles.
+
+Partant, suivant l'ordre de Bocace, notre guide en ce discours, je viens
+aux filles, lesquelles, certes, il faut advoer que de leur nature, pour
+le commencement, elles sont trs-craintives et n'osent abandonner ce
+qu'elles tiennent si cher, raison des continuelles persuasions et
+recommandations que leur font leurs pres et mres et maistresses, avec
+les menaces rigoureuses; si-bien que, quand elles en auraient toutes les
+envies du monde, elles s'en abstiennent le plus qu'elles peuvent: et
+aussi elles ont peur que ce meschant ventre les accuse aussi-tost, sans
+lequel elles mangeroient de bons morceaux. Mais toutes n'ont pas ce
+respect, car, fermant les yeux toutes considrations, elles y vont
+hardiment non la teste baisse, mais trs-bien renverse: en quoy elles
+errent grandement, d'autant que le scandale d'une fille desbauche est
+trs-grand, et d'importance mille fois plus que d'une femme marie ny
+d'une veufve; car elle, ayant perdu ce beau trsor, en est scandalise,
+vilipende, monstre au doigt de tout le monde, et perd de trs-bons
+partis de mariage, quoy que j'en aye bien cogneu plusieurs qui ont eu
+tousjours quelque malotru, qui, ou volontairement, ou l'improviste, ou
+sciemment, ou dans l'ignorance, ou bien par contrainte, s'est all
+jetter entre leurs bras, et les espouser telles qu'elles estoient,
+encore bien-aises.
+
+J'en ay cogneu quantit des deux espces qui ont pass par-l,
+entr'autres une servante qui se laissa fort scandaleusement engrosser et
+aller un prince de par le monde, et sans cacher ny mettre ordre ses
+couches; et estant descouverte, elle ne respondoit autre chose sinon:
+Qu'y saurois-je faire? il ne m'en faut pas blasmer, ny ma faute, ny la
+pointe de ma chair, mais mon peu de prvoyance: car, si j'eusse est
+bien fine et bien avise, comme la plupart de mes compagnes, qui ont
+fait autant que moy, voire pis, mais qui ont trs-bien sceu remdier
+leurs grossesses et leurs couches, je ne fusse pas maintenant mise en
+cette peine, et on n'y eust rien connu. Ses compagnes, pour ce mot, luy
+en voulurent trs-grand mal, et elle fut renvoye hors de la troupe par
+sa maistresse, qu'on disoit pourtant luy avoir command d'obir aux
+volontez du prince; car elle avoit affaire de luy et desiroit le gagner.
+Au bout de quelque temps, elle ne laissa pour cela de trouver un bon
+party et se marier richement; duquel mariage en estoit sorty une
+trs-belle ligne. Voil pourquoy, si cette pauvre fille eust t ruse
+comme ses compagnes et autres, cela ne luy fust arriv; car, certes,
+j'ay veu en ma vie des filles aussi ruses et fines que les plus
+anciennes femmes maries, voire jusqu' estre trs-bonnes et ruses
+maquerelles, ne se contentant de leur bien, mais en pourchassoient
+autruy.
+
+--Ce fut une fille en nostre Cour qui inventa et fit joer cette belle
+comdie intitule _le Paradis d'Amour_, dans la salle de Bourbon, huis
+clos, o il n'y avoit que les comdiens, qui servoient de joeurs et de
+spectateurs tout ensemble. Ceux qui en savent l'histoire m'entendent
+bien. Elle fut joe par six personnages de trois hommes et trois
+femmes; l'un estoit prince, qui avoit sa dame qui estoit grande, mais
+non pas trop aussi; toute-fois il l'aimoit fort: l'autre estoit un
+seigneur, et celui-l jooit avec la grande dame, qui estoit de riche
+matire: le troisiesme estoit gentilhomme, qui s'apparioit avec la
+fille: car, la galante qu'elle estoit, elle vouloit joer son personnage
+aussi bien que les autres. Aussi costumierement l'auteur d'une comdie
+joe son personnage ou le prologue, comme fit celle-l, qui certes,
+toute fille qu'elle estoit, le joa aussi bien, ou possible, mieux que
+les maries. Aussi avoit-elle vu son monde ailleurs qu'en son pays, et,
+comme dit l'Espagnol, _raffinada en Secobia_, raffin en Sgovie, qui
+est un proverbe en Espagne, d'autant que les bons draps se raffinent en
+Sgovie.
+
+--J'ay ouy parler et raconter de beaucoup de filles, qui, en servant
+leurs dames et maistresses de dariolettes[75], vouloient aussi taster de
+leurs morceaux. Telles dames aussi souvent sont esclaves de leurs
+damoiselles, craignants qu'elles ne les descouvrent et publient leurs
+amours. Ce fut une fille qui j'ouys dire un jour que c'estoit une
+grande sottise aux filles de mettre leur honneur leur devant, et que,
+si les unes, sottes, en faisoient scrupule, qu'elle n'en daignoit faire:
+et qu' tout cela il n'y a que le scandale: mais la mode de tenir son
+cas secret et cach rabille tout; et ce sont des sottes et indignes de
+vivre au monde, qui ne s'en savent aider et la pratiquer. Une dame
+espagnole, pensant que sa fille apprhendast le forcement du premier
+lict nuptial, et y allant, se mit l'exhorter et persuader que ce
+n'estoit rien, et qu'elle n'y auroit point de douleur, et que de bon
+coeur elle voudroit estre en sa place pour luy faire mieux
+connoistre; la fille respondit: _Bezo las manos, senora madre, de tal
+merced, que bien la tomare yo por my_; c'est dire: Grand mercy, ma
+mre, d'un si bon office, que moy-mesme je me le feray bien.
+
+--J'ay ouy raconter d'une fille de trs-haut lignage, laquelle s'en
+estant aide se donner du plaisir, on parla de la marier vers
+l'Espagne. Il y eut quelqu'un de ses plus secrets amys qui luy dit un
+jour en joant qu'ils s'estonnoit fort d'elle, qui avoit tant aim le
+levant, de ce qu'elle alloit naviguer vers le couchant et occident,
+parce que l'Espagne est vers l'occident. La dame luy respondit: Ouy,
+j'ay ouy dire aux mariniers qui ont beaucoup voyag, que la navigation
+du levant est trs-plaisante et agrable; ce que j'ay souvent pratiqu
+par la boussole que je porte ordinairement sur moy; mais je m'en
+aideray, quand je seray en l'occident, pour aller droit au levant. Les
+bons interprtes sauront bien interprter cette allgorie et la deviner
+sans que je la glose. Je vous laisse penser par ces mots si cette
+fille avoit tousjours dit ses heures de Nostre-Dame.
+
+--Une autre que j'ay ouy nommer, laquelle ayant ouy raconter des
+merveilles de la ville de Venise, de ses singularitez, et de la libert
+qui regnoit pour toutes personnes, et mesme pour les putains et
+courtisannes: Hlas! dit-elle une de ses compagnes, si nous eussions
+fait porter tout nostre vaillant en ce lieu-l par lettre de banque, et
+que nous y fussions pour faire cette vie courtisanesque, plaisante et
+heureuse, laquelle toute autre ne sauroit approcher, quand bien nous
+serions emperieres de tout le monde! Voil un plaisant souhait, et bon;
+et de fait, je croy que celles qui veulent faire cette vie ne peuvent
+estre mieux que l.
+
+--J'aymerois autant un souhait que fit une dame du temps pass, laquelle
+se faisant raconter un pauvre esclave eschap de la main des Turcs des
+tourments et maux qu'ils luy faisoient et tous les autres pauvres
+chrestiens, quand ils les tenoient, celuy qui avoit est esclave luy en
+raconta assez, et de toutes sortes de cruautez. Elle s'advisa de lui
+demander ce qu'ils faisoient aux femmes. Hlas! madame, dit-il, ils
+leur font tant cela qu'ils les en fontmourir.--Pleust-il doncques au
+ciel, respondit-elle, que jemourusse pour la foy ainsi martyre!
+
+--Trois grandes dames estoient ensemble un jour, que je say, qui se
+mirent sur des souhaits. L'une dit: Je voudrois avoir un tel pommier
+qui produisist tous les ans autant de pommes d'or comme il produit de
+fruit naturel. L'autre disoit: Je voudrois qu'un tel pr me produisist
+autant de perles et pierreries comme il fait de fleurs. La troisime,
+qui estoit fille, dit: Je voudrois avoir une suye dont les trous me
+valussent autant que celuy d'une telle dame favorise d'un tel roy que
+je ne nommeray point; mais je voudrois que mon trou fust visit de plus
+de pigeons que n'est le sien. Ces dames ne ressembloient pas une dame
+espagnolle dont la vie est escrite dans l'_Histoire d'Espagne_,
+laquelle, un jour que le grand Alphonse, roy d'Arragon, faisoit son
+entre dans Sarragosse, se vint jetter genoux devant luy et luy
+demander justice. Le Roy ainsi qu'il la vouloit ouyr, elle demanda de
+luy parler part, ce qu'il luy octroya: et, s'estant plainte de son
+mary, qui couchoit avec elle trente-deux fois tant de jour que de nuict,
+qu'il ne luy donnoit patience, ny cesse, ny repos; le Roy, ayant envoy
+querir le mary et sceu qu'il estoit vray, ne pensant point faillir puis
+qu'elle estoit sa femme; le conseil de Sa Majest arrest sur ce fait,
+le Roy ordonna qu'il ne la toucheroit que six fois; non sans
+s'esmerveiller grandement (dit-il) de la grande chaleur et puissance de
+cet homme, et de la grande froideur et continence de cette femme, contre
+tout le naturel des autres (dit l'Histoire), qui vont jointes mains
+requerir leurs marys et autres hommes pour en avoir, et se douloir quand
+ils donnent d'autres ce qui leur appartient. Cette dame ne ressembloit
+pas une fille, damoiselle de maison, laquelle, le lendemain de ses
+nopces, racontant aucunes de ses compagnes ses adventures de la nuict
+passe: Comment! dit-elle, et n'est-ce que cela? Comme j'avois entendu
+dire aucunes de vous autres, et d'autres femmes, et d'autres
+hommes, qui font tant des braves et galants, et qui promettent monts et
+merveilles, ma foy, mes compagnes et amyes, cet homme (parlant de son
+mary), qui faisoit tant de l'eschauff amoureux, et du vaillant, et d'un
+si bon coureur de bague, pour toute course n'en a fait que quatre, ainsi
+que l'on court ordinairement trois pour la bague, et l'autre pour les
+dames: encore entre les quatre y a-t-il fait plus de poses qu'il n'en
+fut fait hier au soir au grand bal. Pensez que puis qu'elle se
+plaignoit de si peu, elle en vouloit avoir la douzaine: mais tout le
+monde ne ressemble pas au gentilhomme espagnol. Et voil comme elles se
+moquent de leurs marys. Ainsi que fit une, laquelle, au commencement et
+premier soir de ses nopces, ainsi que son mary la vouloit charger, elle
+fit de la revesche et de l'opiniastre fort la charge. Mais il s'advisa
+de luy dire que, s'il prenoit son grand poignard, il y auroit bien un
+autre jeu, et qu'il y auroit bien crier; de quoy elle, craignant ce
+grand dont il la menaoit, se laissa aller aussitost: mais ce fut elle
+qui le lendemain n'en eut plus peur, et, ne s'estant contente du petit,
+luy demanda du premier abord o estoit ce grand dont il l'avoit menace
+le soir avant. A quoy le mary respondit qu'il n'en avoit point, qu'il se
+moquoit; mais qu'il faloit qu'elle se contentast de si peu de provision
+qu'il avoit sur luy. Alors elle dit: Est-ce bien fait cela, de se
+moquer ainsi des pauvres et simples filles? Je ne sais si l'on doit
+appeler cette fille simple et niaise, ou bien fine et ruse, qui en
+avoit tast auparavant. Je m'en rapporte aux diffiniteurs. Bien plus
+estoit simple une autre fille, laquelle s'estant plainte la justice
+qu'un galant l'avoit prise par force, et luy enquis sur ce fait, il
+respondit: Messieurs, je m'en rapporte elle s'il est vray, et si
+elle-mesme n'a pris mon cas et l'a mis de la main propre dans le
+sien.--H! Messieurs, dit la fille, il est bien vray cela; mais qui ne
+l'eust fait? car, aprs qu'il m'eust couche et trousse, il me mit son
+cas roide et pointu comme un baston contre le ventre, et m'en donnoit de
+si grands coups que j'eus peur qu'il ne me le perast et n'y fist un
+trou. Dame, je le pris alors et le mis dans le trou qui estoit tout
+fait. Si cette fille estoit simplette, ou le contrefaisoit, je m'en
+rapporte.
+
+--Je vous feray deux comptes de deux femmes maries, simples comme
+celle-l, ou bien ruses, ainsi qu'on voudra. Ce fut d'une trs-grande
+dame que j'ay connue, laquelle estoit trs-belle, et pour cela fort
+dsire. Ainsi qu'un jour un trs-grand prince a requit d'amour, voire
+l'en sollicitoit fort en luy promettant de trs-belles et grandes
+conditions, tant de grandeurs que de richesses pour elle et pour son
+mary, tellement qu'elle, ayant de telles douces tentations, y presta
+assez doucement l'oreille; toute-fois du premier coup ne s'y voulut
+laisser aller, mais, comme simplette, nouvelle et jeune marie, n'ayant
+encore veu son monde, vint descouvrir le tout son mary et luy demander
+avis si elle le feroit. Le mary luy respondit soudain: Nenny, m'amie.
+Hlas! que penseriez-vous faire, et de quoy parlez-vous? d'un infame
+trait jamais irrparable pour vous et pour moy.--H! mais, Monsieur,
+rpliqua la dame, vous serez aussi grand, et moi si grande qu'il n'y
+aura rien redire. Pour fin le mary ne voulut dire ouy; mais la dame,
+qui commena prendre coeur par aprs et se faire habile, ne voulut
+perdre ce party, et le prit avec ce prince et avec d'autres encore, en
+renonant sa sotte simplicit. J'ay ouy faire ce conte un qui le
+tenoit de ce grand prince et l'avoit ouy de la dame, laquelle il en
+fit la rprimande, et qu'en telles choses il ne faloit jamais s'en
+conseiller au mary, et qu'il y avoit autre conseil en sa Cour. Cette
+dame estoit aussi simple, ou plus, qu'une autre que j'ay ouy dire,
+laquelle un jour un honneste gentilhomme prsentant son service amoureux
+assez prs de son mary, qui entretenoit pour lors de devis une autre
+dame, il luy vint mettre son eprevier, ou, pour plus clairement parler,
+son instrument entre les mains. Elle le prit, et, le serrant fort
+estroitement et se tournant vers son mary, luy dit: Mon mary, voyez le
+beau prsent que me fait ce gentilhomme; le recevray-je? dites-le-moy.
+Le pauvre gentilhomme, estonn, retire soy son eprevier de si grande
+rudesse, que, rencontrant une pointe de diamant qu'elle avoit au doigt,
+le luy esserta de telle faon d'un bout l'autre, qu'elle le cuida
+perdre du tout, et non sans grande douleur, voire en danger de la vie,
+ayant sorti de la porte assez hastivement, et arrousant la chambre du
+sang qui desgoutoit par-tout. Mais le mary ne courut aprs luy pour luy
+faire aucun outrage pour ce sujet; il s'en mit seulement fort rire,
+tant pour la simplicit de sa pauvre femmelette, que pour le beau
+prsent produit, joint qu'il en estoit assez puny. Voil deux femmes
+fort simples, lesquelles, et quelques-unes de leurs semblables (car il y
+en a assez), ne ressemblent pas plusieurs et une infinit qui se
+rencontrent dans le monde, qui sont plus doubles et fines que celles-l,
+qui ne demandent conseil leurs marys, ny qui leur montrent tels
+prsents qu'on leur fait.
+
+J'ay ouy raconter en Espagne d'une fille, laquelle la premiere nuict de
+ses nopces, ainsi que son mary s'efforoit et s'ahanoit[76] de forcer sa
+forteresse, non sans se faire mal, elle se mit rire et lui dire:
+_Senor, bien es razon que seays martyr, pues que io soy virgen; mas,
+pues que io tomo la patientia, bien la podeys tomar_; c'est--dire:
+Seigneur, c'est bien raison que vous soyez martyr, puis que je suis
+vierge; mais d'autant que je prends patience, vous la pouvez bien
+prendre. Celle-l, en revanche de l'autre qui s'estoit moqu de sa
+femme, se moquoit bien de son mary. Comme certes plusieurs filles ont
+bien raison de se moquer telle nuict, mesme quand elles ont sceu
+auparavant ce que c'est, ou l'ont appris d'autres, ou d'elles-mesmes
+s'en sont doutes et imagines ce grand point de plaisir qu'elles
+estiment trs-grand et perdurable. Une autre dame espagnole, qui, le
+lendemain de ses nopces, racontant les vertus de son mary, en dit
+plusieurs, _fors_, dit-elle, _que no era buen contador y arithmetico,
+porque no sapra multiplicar_; en franois, qu'il n'estoit point bon
+compteur et arithmticien, parce qu'il ne savoit pas multiplier.
+
+Une dame de bon lieu et de bonne maison, que j'ay connue et ouy parler,
+le soir de ses nopces, que chacun estoit aux escoutes l'accoustume,
+comme son mary luy eust livr le premier assaut, estant un peu sur son
+repos, non pas du dormir, luy demanda si elle en voudrait encore;
+gentiment elle luy respondit: Ce qu'il vous plaira, monsieur. Pensez
+qu' telle response le galant mary devoit estre bien estonn. Telles
+filles qui disent de telles sornettes si promptement aprs les nopces,
+pourroient bien donner de bons martels leurs pauvres marys et leur
+faire croire qu'ils ne sont les premiers qui ont mouill l'ancre dans
+leur fonds, ny les derniers qui le mouilleront; car il ne faut point
+douter que qui ne s'efforce et ne se tue saper sa femme, qu'elle ne
+s'advise luy faire porter les cornes, ce disoit un ancien proverbe
+franois: _Et qui ne la contente pas, va ailleurs chercher son repas_.
+Toutefois, quand une femme tire ce qu'elle peut de l'homme, elle
+l'assomme, c'est--dire qu'il en meurt; et c'est un dire ancien qu'il ne
+faut tirer de son amy ce qu'on voudrait bien, et qu'il le faut espargner
+tant que l'on peut; mais non pas le mary, duquel il en faut tirer ce
+qu'on peut. Voil pourquoy, dit le refrain espagnol, _que el primero
+pensamiento de la muger, luego que es casada, es de embiudarse_;
+c'est--dire: Le premier pensement de la femme marie est de songer
+se faire veufve. Ce refrain n'est pas gnral, comme j'espere le dire
+ailleurs, mais il n'est que pour aucunes.
+
+--Il y a de certaines filles qui, ne pouvant tenir longuement leurs
+chaleurs, ne s'addonnent aisment qu'aux princes et aux seigneurs, qui
+sont gens fort propres pour les esbranler, tant pour leurs faveurs que
+pour leurs prsents, et aussi pour l'amour de leurs gentillesses, car
+enfin tout est beau et parfait en eux, encore qu'ils fussent des fats.
+Au contraire, j'en ay veu d'autres qui ne les recherchent pas, mais les
+fuyent grandement, cause qu'ils ont un peu la rputation d'estre
+scandaleux, grands vanteurs, causeurs et peu secrets; aimans mieux des
+gentilshommes sages et discrets, desquels pourtant le nombre est rare;
+et bien heureuse pourtant est celle-l qui en trouve. Mais, pour obvier
+ tout cela, elles choisissent (au moins aucunes) leurs valets, desquels
+aucuns sont beaux, d'autres non, comme j'en ay connu qui l'ont fait, et
+si n'en faut prier longuement leurs dits valets: car, les levant,
+couchant, deshabillant, chaussant, deschaussant et leur baillant leurs
+chemises, comme j'ay veu beaucoup de filles la Cour et ailleurs qui
+n'en faisoient aucune difficult ni scrupule, il n'est pas possible
+qu'eux, voyans beaucoup de belles choses en elles, n'en eussent des
+tentations, et plusieurs d'elles qu'elles ne le fissent exprs; si bien
+qu'aprs que les yeux avoient bien fait leur office, il falloit bien que
+d'autres membres du corps vinssent faire le leur.
+
+--J'ay connu une fille de par le monde, belle s'il en fust jamais, qui
+rendit son valet compagnon d'un grand prince qui l'entretenoit, et qui
+pensoit estre le seul heureux jouissant; mais le valet en cela alloit du
+pair avec luy; aussi l'avoit-elle bien sceu choisir, car il estoit
+trs-beau et de trs-belle taille; si bien que, dans le lict ou bien
+la besogne, on n'y eust connu aucune diffrence. Encor le valet en
+beaucoup de beautez emportoit le prince, auquel telles amours et telles
+privautez furent inconnues jusqu' ce qu'il la quitta pour se marier; et
+pour cela il n'en traita plus mal le valet, mais se plaisoit fort de le
+voir; et quand il le voyoit en passant, il disoit seulement: Est-il
+possible que cet homme ait est mon corrival? ouy, je le voy, car, oste
+ma grandeur, il m'enporte d'ailleurs. Il avoit aussi mesme nom que le
+prince, et fut un trs bon tailleur, et des renommez de la Cour; si bien
+qu'il n'y avoit gures de filles ou femmes qu'il n'habillast quand elles
+vouloient estre bien habilles. Je ne say s'il les habilloit de la
+mesme faon qu'il habilloit sa maistresse, mais elles n'estoient point
+mal.
+
+--J'ay cogneu une fille de bonne maison, qui, ayant un laquais de l'aage
+de quatorze ans, et en ayant fait son bouffon et plaisant, parmy ses
+bouffonneries et plaisanteries, elle faisoit autant de difficults que
+rien se laisser baiser, toucher et taster luy, aussy privement que
+si c'eust est une femme, et bien souvent devant le monde, excusant le
+tout, en disant qu'il estoit fol et plaisant bouffon. Je ne say s'il
+passoit outre, mais je say bien que depuis, estant marie et veufve, et
+remarie, elle a este une trs-insigne putain. Pensez qu'elle alluma sa
+mesche en ce premier tison; si bien qu'elle ne luy faillit jamais aprs
+entre ses autres plus grandes fougues et plus hauts feux. J'avois bien
+demeur un an voir cette fille; mais quand je les vis en ces privautez
+devant sa mere, qui avoit la rputation d'estre l'une des plus prudes
+femmes de son temps, qui en rioit et en estoit bien-aise, je prsageay
+aussitost que de ce petit jeu l'on viendroit au grand, et bon escient,
+et que la damoiselle seroit un jour quelque bonne fripesaulce, comme
+elle le fut.
+
+--J'ay cogneu deux soeurs d'une fort bonne maison de Poictou, filles
+desquelles on parloit estrangement, et d'un grand laquais basque qui
+estoit leur pere, lequel, sous ombre qu'il dansoit trs-bien, non
+seulement le bransle de son pays, mais tous autres, les menoit danser
+ordinairement, mesme les y apprenoit. Il les fit danser, et leur apprit
+la danse des putains la fin, et en furent assez gentiment
+scandalises: toutefois elles ne laissrent estre bien maries, car
+elles estoient riches, et sur ce nom de richesses on n'y advise rien, on
+prend tout, et fust-il encore plus chaud et plus ardent. J'ay connu ce
+Basque depuis, gentil soldat et de brave faon, et qui monstroit bien
+avoir fait le coup. Il fut soldat des gardes de la coronelle de M. de
+Strozze.
+
+--J'ai cogneu aussi une maison de par le monde, et grande, d'o la dame
+faisoit profession de nourrir en sa compagnie des honnestes filles,
+entr'autres des parentes de son mary; et d'autant que la dame estoit
+fort maladive et sujette aux mdecins et apothicaires, il y en abordoit
+ordinairement l-dedans, et par ce aussi que les filles sont sujettes
+maladies comme pasles couleurs, mal de la furette, fievres et autres.
+Il advint que deux entr'autres tombrent en fievre-quarte: un
+apothicaire les eut en charge pour les penser. Certes il les pensoit de
+ses drogues, de la main et de mdecines; mais la plus propre fut qu'il
+coucha avec une (maraud qu'il fut), car il eut affaire avec une fort
+belle et honneste fille de la France, de laquelle un trs-grand roy s'en
+fust dignement content; et il fallut que ce M. l'apoticaire luy passast
+cette paille sur le ventre. J'ay cogneu la fille, qui certes mritoit
+d'autres assaillants, et aprs bien marie, et telle qu'on la donna
+pucelle, telle la trouva-on. En quoy pourtant je trouve qu'elle fut bien
+fine; car, puisqu'elle ne pouvoit tenir son eau, elle s'adressa celui
+qui donnoit des antidotes pour engarder d'engrosser, car c'est ce que
+les filles craignent le plus: dont en cela il y en a de si experts qui
+leur donnent des drogues qui les engardent trs-bien d'engrosser; ou
+bien, si elles engrossent, leur font escouler leur grossesse si
+subtilement et si sagement, que jamais on ne s'en apperoit, et n'en
+sent-on rien que le vent. Ainsi que j'en ay ouy parler d'une fille,
+laquelle avoit est autrefois nourrie fille de la feue reyne de Navarre
+Marguerite. Elle vint par cas fortuit, ou son escient, engrosser
+sans qu'elle y pensast pourtant. Elle rencontra un sublin[77]
+apothicaire, qui, luy ayant donn un breuvage, luy fit vader son fruit,
+qui avoit dj six mois, pice par pice, morceau par morceau, si
+aisment, qu'estant en ses affaires jamais elle n'en sentit ny mal ny
+douleur; et puis aprs se maria galamment, sans que le mary y connust
+aucune trace; car on leur donne des remedes pour se faire paroistre
+vierges et pucelles comme auparavant, ainsi que j'en ay allgu un au
+_Discours des Cocus_[78]. Et un que j'ay ouy dire un empirique ces
+jours passez, qu'il faut avoir des sangsus et les mettre la nature,
+et faire par-l tirer et succer le sang: lesquelles sangsus, en
+sucant, laissent et engendrent de petites ampoules et fistules pleines
+de sang, si bien que le galant mary, qui vient le soir des nopces les
+assaillir, leur creve ces ampoulles d'o le sang en sort, et luy et elle
+s'ensanglantent, qui est une grande joie l'un et l'autre; et par
+ainsi, _l'honor della citella salva_[79]. Je trouve ce remede plus
+souverain que l'autre, s'il est vray; et s'ils ne sont bons tous deux,
+il y en a cent autres qui sont meilleurs, ainsi que le savent trs-bien
+ordonner, inventer et appliquer ces messieurs les mdecins savants et
+experts apoticaires. Voil pourquoy ces messieurs ont ordinairement de
+trs-belles et bonnes fortunes, car ils savent blesser et remdier,
+ainsi que fit la lance de Plias. J'ai cogneu cet apoticaire dont je
+viens de parler cette heure, duquel faut que je die ce petit mot en
+passant, que je le vis Geneve la premire fois que je fus en Italie,
+par ce que pour lors ce chemin par-l estoit commun pour les Franois,
+et par les Suisses et Grisons, cause des guerres. Il me vint voir
+mon logis. Soudain je luy demanday ce qu'il faisoit en cette ville, et
+s'il estoit-l pour mdeciner les filles, comme il avoit fait en France.
+Il me respondit qu'il estoit-l pour en faire pnitence. Comment! ce
+dis-je, est-ce que vous n'y mangez de si bons morceaux comme l?--H!
+monsieur, me rpliqua-il, c'est parce que Dieu m'a appell, et que je
+suis illumin de son Saint-Esprit, et que j'ay maintenant la
+connoissance de sa sainte parole.--Ouy, luy dis-je; et ds ce temps-l
+si estis-vous de la religion, et si vous vous mesliez de mdeciner les
+corps et les ames, et preschis et instruisis les filles.--Mais,
+monsieur, je reconnois cette heure mieux mon Dieu, rpliqua-il encore,
+qu'alors, et ne veux plus pcher. Je tais plusieurs autres propos que
+nous eusmes sur ce sujet, tant serieusement qu'en riant. Mais ce maraud
+joit de ce boucon, qui estoit bien plus digne d'un galant homme que de
+luy. Si est-ce que bien luy servit de vuider de cette maison de bonne
+heure, car mal luy en eust pris. Or laissons cela. Que maudit soit-il
+pour la haine et l'envie que je luy porte, ainsi que M. de Ronsard
+parloit un mdecin qui venoit voir sa maistresse soir et matin, plus
+pour luy taster son teton, son sein, son ventre, son flanc et son beau
+bras, que pour la mdeciner de la fievre qu'elle avoit; dont il en fit
+un trs-gentil sonnet, qui est dans son second livre des Amours, qui se
+commence:
+
+ Ha! que je porte et de haine et d'envie
+ Au mdecin qui vient soir et matin,
+ Sans nul propos, tastonner le testin,
+ Le sein, le ventre et les flancs de m'amie!
+
+--Je porte de mesme une grande jalousie un mdecin qui faisoit traits
+pareils une belle grande dame, que j'aymois, et de qui je n'avois
+telle et pareille privaut, et je l'eusse desire plus qu'un petit
+royaume. Telles gens certes sont extrmement bienvenus des dames, et y
+acquirent de belles adventures, quand ils les veulent rechercher. J'ay
+cogneu deux mdecins la Cour, qui s'appeloient, l'un M. Castelan,
+mdecin de la Reyne-mre, et l'autre le seigneur Cabrion, mdecin de M.
+de Nevers, et qui avoit est feu Ferdinand de Gonzague. Ils ont eu
+tous deux des rencontres d'amour, ce qu'on disoit, que les plus grands
+de la Cour se fussent donnez au diable, par manire de parler, pour
+estre leurs corrivaux. Je devisois un jour, le feu baron de Vitaux et
+moy, avec M. Le Grand, un grand mdecin de Paris, de bonne compagnie et
+de bon devis, luy estant venu voir le dit baron, qui estoit malade des
+affaires d'amour; et tous deux l'interrogeant sur plusieurs propos et
+ngociations des dames, ma foy, il nous en conta bien, et nous en fit
+une douzaine de contes qui levoient la paille; et s'y enfona si avant,
+que, l'heure de neuf venant sonner, il nous dit, en se levant de la
+chaire o il estoit assis: Vrayment, je suis plus grand fol que vous
+autres, qui m'avez retenu icy deux bonnes heures baguenauder avec vous
+autres, et cependant j'ay oubli six ou sept malades qu'il faut que
+j'aille voir. Et, nous disant adieu, part et s'en va, non sans nous
+dire, aprs que nous luy eusmes dit: Vous avez, messieurs les mdecins,
+vous en savez et en faites de bonnes, et mesmes vous, monsieur, qui en
+venez parler comme maistre. Il respondit (en baissant la teste):
+Semon, semon, ouy, ouy, nous en savons et faisons de bonnes, car nous
+savons des secrets que tout le monde ne sait pas: mais cette heure
+que je suis vieux, j'ay dit adieu Vnus et son enfant; je laisse
+cela vous autres qui estes jeunes. Une autre espce de gens y a-t-il
+qui a bien gast des filles quand on les met apprendre les lettres,
+qui sont leurs prcepteurs, et le font quand ils veulent estre
+meschants; car, leur faisants leons, et estants seuls dans une chambre
+ou dans une estude, je vous laisse penser quelles commoditez ils y
+ont, et quelles histoires, contes et fables ils leur peuvent allguer
+propos pour les mettre en chaleur; et, lorsqu'ils les voyent en telles
+altres et appetits, comme ils vous savent prendre l'occasion au poil.
+
+--J'ay cogneu une fille de fort bonne maison, et grande, vous dis-je,
+qui se perdit et se rendit putain pour avoir ouy raconter son maistre
+d'escole l'histoire, ou plutost la fable de Tirsias; lequel, pour avoir
+essay l'un et l'autre sexe, fut leu juge par Jupiter et Junon, sur une
+question meue entr'eux deux, savoir qui avoit et sentoit plus de
+plaisir au cot et acte vnrien, ou l'homme ou la femme. Le juge dput
+jugea contre Junon que c'estoit la femme; dont elle, de dpit d'avoir
+est juge, rendit le pauvre juge aveugle et luy osta la veu. Il ne se
+faut esbahyr si cette fille fut tente par un tel conte; car, puis
+qu'elle oyoit souvent dire, ou ses compagnes, ou d'autres femmes,
+que les hommes estoient si ardents aprs cela, et y prenoient si grand
+plaisir, que les femmes, veue la sentence de Tirsias, en devoient bien
+prendre davantage; et, par consquent, il le faut esprouver. Vrayment,
+telles leons se devoient bien faire ces filles; n'y en a-t-il pas
+d'autres? Mais leurs maistres diront qu'elles veulent tout savoir, et
+que, puis qu'elles sont l'estude, si les passages et histoires se
+rencontrent qui ont besoin d'estre expliques (ou que d'elles-mesmes
+s'expliquent), il faut bien leur expliquer et leur dire sans sauter ou
+tourner le feuillet. Combien de filles estudiantes se sont perdues
+lisant cette histoire que je viens de dire, et celle de Biblis, de
+Camus[80], et force autres pareilles, escrites dans la _Mtamorphose_
+d'Ovide, jusques au livre de l'_Art d'aimer_ qu'il a fait; ensemble une
+infinit d'autres fables lascives, et propos lubrics d'autres potes,
+que nous avons en lumire, tant franois, latins, que grecs, italiens,
+espagnols! Aussi dit le refrain espagnol: _de una mula que haze hin, y
+de una hija que habla latin, libera nos, Domine_[81]. Et on sait, quand
+leurs maistres veulent estre meschants, et qu'ils font de telles leons
+ leurs disciples, comment ils les savent engraver et donner la saulce,
+que le plus pudique du monde s'y laisseroit aller. Saint Augustin
+mesmes, en lisant le quatrime livre de l'_Enede_, o sont contenus les
+amours et la mort de Didon, ne s'en esmeut-il pas de compassion, et ne
+s'en adolora? Je voudrois avoir autant de centaines d'escus comme il y a
+eu de filles, tant du monde que de religieuses, qui se sont emeues,
+pollues et despuceles, par la lecture d'_Amadis de Gaules_. Je vous
+laisse penser que pouvoient faire des livres grecs, latins et autres,
+glosez, commentez et interprtez par leurs maistres, fins renards et
+corrompus, meschants garnements, dans leurs chambres secretes et parmy
+leurs oisivetez.
+
+--Nous lisons en la vie de saint Louis, dans l'_Histoire de Paul Emile_,
+d'une Marguerite, comtesse de Flandres, soeur de Jeanne, fille du
+premier Baudoin, empereur de Grce et qui luy succda, d'autant qu'elle
+n'eut point d'enfants, dit l'histoire: on luy bailla en sa premire
+jeunesse un prcepteur appel Guillaume, homme de sainte vie, estim, et
+qui avoit dj pris quelques ordres de prestrise, qui nanmoins ne
+l'empescha pas de faire deux enfants sa disciple, qui furent appels
+Jean et Beaudoin, et si secretement que peu de gens s'en apperceurent,
+lesquels furent aprs pourtant approuvez lgitimes du pape. Quelle
+sentence et quel pdagogue! Voyez l'histoire.
+
+--J'ay cogneu une grande dame la Cour, qui avoit la rputation de se
+faire entretenir son liseur et faiseur de leons; si bien que Chicot,
+bouffon du Roy, luy en fit le reproche publiquement devant Sa Majest et
+force autres personnes de sa Cour, luy disant si elle n'avoit pas de
+honte de se faire entretenir (disant le mot) un si laid et si vilain
+masle que celuy-l, et si elle n'avoit pas l'esprit d'en choisir un plus
+beau. La compagnie s'en mit fort rire et la dame pleurer, ayant
+opinion que le Roy avoit fait joer ce jeu; car il estoit coustumier de
+faire joer ces esteufs. Cette dame, et les autres qui font telles
+lections de telles manieres de gens, ne sont nullement excusables, mais
+bien fort blasmables d'autant qu'elles ont leur libral arbitre, et
+toutes franches sont pleines de leurs libertez et commoditez pour faire
+tel choix qu'il leur plaist. Mais les pauvres filles qui sont sujettes
+esclaves de leurs pres et mres, parents, tuteurs, maistresses, et
+craintives, sont contraintes de prendre toutes pierres quand elles les
+trouvent, pour mettre en oeuvre, et n'aviser s'il est froid ou chaud,
+ou rosty ou bouilly: et par ce, selon que l'occasion se rencontre, tant
+qu'elles se servent le plus souvent de leurs valets, de leurs maistres
+d'escole et d'estude, des joueurs de luth, des violons, des appreneurs
+de danses, des peintres, bref, de ceux qui leur apprennent des exercices
+et sciences, voire d'aucuns prescheurs, comme en parle Bocace, et la
+Reyne de Navarre en ses _Nouvelles_; comme font aussi des pages comme
+j'en ay connus, et des laquais, enfin de ceux qu'elles trouvent
+propos. Et voil pourquoy le mesme Bocace, et autres avec luy, trouvent
+que les filles simples sont plus constantes en amours et plus fermes que
+les femmes et veufves; d'autant qu'elles ressemblent les personnes qui
+sont sur l'eau dans un bateau qui vient s'enfoncer: ceux qui ne savent
+nager nullement se viennent prendre aux premires branches qu'ils
+peuvent attraper, et les tiennent fermement et opiniastrement jusque ce
+que l'on les soit venu secourir; les autres, qui savent bien nager, se
+jettent dans l'eau, et bravement nagent jusques ce qu'elles en ayent
+atteint la rive: tout de mesmes les filles, aussi-tost qu'elles ont
+attrap un serviteur, lequel elles ont premier choisi, le tiennent et le
+gardent fermement, tellement qu'elles ne veulent dsamparer et l'aiment
+constamment, de peur qu'elles ont de n'avoir la libert et la commodit
+d'en pouvoir recouvrer un autre comme elles voudroient; au lieu que les
+femmes maries ou veufves, qui savent les ruses d'amour et qui sont
+expertes, et en ont les libertez et commoditez de nager dans des eaux
+sans danger, prennent tel party qu'il leur plaist; et si elles se
+faschent d'un serviteur ou le perdent, en savent aussi-tost prendre un
+nouveau ou en recouvrent deux; car elles, pour un perdu deux
+recouverts. Davantage, les pauvres filles n'ont pas les moyens, ny les
+biens, ny les escus, pour faire les acquiets tous les jours de nouveaux
+serviteurs; car, c'est tout ce qu'elles peuvent donner leurs amoureux,
+que quelques petites faveurs de leurs cheveux, ou petites perles, ou
+grains, ou bracelets, quelques petites bagues ou escharpes et autres
+petits menus prsents qui ne coustent gures; car, quelque fille, comme
+j'en ay veu, grande, de bonne maison et riche hritire qu'elle soit,
+elle est tenue si courte en ses moyens, ou de ses pere et mere, freres,
+parents et tuteurs; qu'elle n'a pas les moyens de les despartir son
+serviteur ny deslier gure largement sa bourse, si ce n'est celle du
+devant: et aussi que d'elles-mesmes elles sont avares, quand ce ne
+seroit que cette seule raison qu'elles n'ont gures de quoy pour
+eslargir, car la libralit consiste et dpend du tout des moyens. Au
+lieu que les femmes et veufves peuvent disposer de leurs moyens fort
+librement, quand elles en ont: et mesme quand elles ont envie d'un
+homme, et qu'elles s'en viennent enamouracher et encapricher, elles
+vendroient et donneroient jusqu' leur chemise plustost qu'elles n'en
+tastassent; la mode des friants et de ceux qui sont sujets leur
+bouche, quand ils ont envie d'un bon morceau, il faut qu'ils en tastent,
+quoy qu'il leur couste au march: Ces pauvres filles ne sont de mesme,
+lesquelles, selon qu'elles le rencontrent, ou bons ou mauvais, il faut
+qu'elles s'y arrestent. J'en allguerois une infinit d'exemples de
+leurs amours et de leurs divers appetits et bizarres joissances; mais
+je n'aurois jamais finy, et aussi que les contes n'en vaudraient rien si
+on ne les nommoit et par nom et par surnom, ce que je ne veux faire pour
+tout le bien du monde, car je ne les veux scandaliser, et j'ay protest
+de fuyr en ce livre tout scandale, car on ne me sauroit reprocher
+d'aucune mdisance. Et pour allguer des contes et oster les noms, il
+n'y a nul mal, et j'en laisse deviner au monde les personnes dont il
+est question; et bien souvent en penseront une qui en sera l'autre.
+
+--Or, tout ainsi que l'on voit des bois de telles et diverses natures,
+que les uns bruslent tous verts, comme est le fresne, le fayan; et
+aussi-tost d'austres, qui auroient beau estre secs, vieux et taillez de
+long-temps, comme est l'hommeau, le vergne, et d'autres, ne bruslent
+qu' toutes les longueurs du monde: force autres, comme est le gnral
+naturel de tous bois secs et vieux, bruslent en leurs seicheresses et
+vieillesse si soudainement, qu'il semble qu'il soit plustost consomm et
+mis en cendres que brusl. De mesmes sont les filles, les femmes et les
+veufves: les unes, ds lors qu'elles sont en la verdeur de leur age,
+bruslent aisment et si bien, qu'on diroit que ds le ventre de leur
+mre elles en rapportent la chaleur amoureuse et le putanisme; et ainsi
+que fit la belle Las de la belle Timandre, sa putain de mre
+trs-insigne, jusques l qu'elle n'attend pas seulement le temps de
+maturit, qui peut estre douze ou treize ans, qu'elle monte en amour,
+mesme plustost, ainsi qu'il advint il n'y a pas douze ans Paris, d'une
+fille d'un patissier, laquelle se trouva grosse en l'age de neuf
+ans[82]; si bien qu'estant fort malade de sa grossesse, son pre en
+ayant port de l'urine au mdecin, ledit mdecin dit aussi-tost qu'elle
+n'avoit autre maladie, sinon qu'elle estoit grosse. Comment! respondit
+le pre, monsieur, ma fille n'a que neuf ans. Qui fut esbahy? ce fut le
+mdecin. C'est tout un, dit-il; pour le seur elle est grosse. Et,
+l'ayant visite de plus prs, il la trouva ainsi; et ayant confess avec
+qui elle avoit eu faire, son galand fut puny de mort par la justice,
+pour avoir eu faire elle un age si tendre, et l'avoir fait porter
+si jeunement. Je suis bien mary qu'il m'ait fallu apporter cet exemple
+et le mettre icy, d'autant qu'il est d'une personne prive et de basse
+condition, pour ce que j'ay dlibr de n'eschafourer mon papier de si
+petites personnes, mais de grandes et hautes. Je me suis un peu
+extravagu de mon dessein; mais, par ce que ce conte est rare et
+inusit, je seray excus; et aussi que je ne sache point tel miracle
+advenu nos grandes dames d'estat, que j'aye bien sceu, ouy bien qu'en
+tel age de neuf, de dix, de douze et de treize ans, elles ayent port et
+endur fort aisment le masle, soit en fornication, soit en mariage,
+comme j'en allguerois plusieurs exemples de plusieurs desvirgines en
+telles enfances, sans qu'elles en soient mortes, non pas seulement
+pasmes du mal, si-non du plaisir.
+
+Surquoy il me souvient d'un conte d'un galant et beau seigneur s'il en
+fut oncques, lequel est mort, et, se plaignant un jour de la capacit de
+la nature des filles et femmes avec lesquelles il avoit ngoci, il
+disoit qu' la fin il seroit contraint de rechercher les filles
+enfantines, et quasi sortantes hors du berceau, pour ny sentir tant de
+vagues en si pleine mer, comme il avoit fait avec les autres, et pour
+plus plaisir nager un destroit. S'il eust adress ces paroles une
+grande et honneste dame que je connois, elle lui eust fait la mesme
+response qu'elle fit un gentilhomme de par le monde, qui, lui faisant
+une mesme complainte, elle luy respondit: Je ne say qui se doit
+plustost plaindre, ou vous autres hommes de nos capacitez et amplitudes,
+ou nous autres femmes de vos petitesses ou menuises, ou plustost petites
+menuseries; car il y a autant se plaindre en vous autres que vous en
+nous, que si vous portiez vos mesures pareilles nos calibres, nous
+n'aurions rien nous reprocher les uns aux autres. Celle-l parloit
+par vraye raison; et c'est pourquoy une grande dame, un jour la Cour
+regardant et contemplant ce grand Hercule de bronze qui est en la
+fontaine de Fontainebleau, elle estant tenue sous les bras par un
+gentilhomme qui la couduisoit, elle lui dit que cet Hercule, encore
+qu'il fust trs-bien fait et reprsent, n'estoit pas si bien
+proportionn de tous ses membres comme il falloit, d'autant que celuy du
+mitan estoit par trop petit et par trop inesgal, et peu correspondant
+son grand colosse de corps. Le gentilhomme luy respondit qu'il n'y
+trouvoit rien redire de ce qu'elle luy disoit, si-non qu'il falloit
+croire que de ce temps les dames ne l'avoient si grand comme du temps
+d'aujourd'huy.
+
+--Une trs-grande dame et princesse[83], ayant seu que quelques-uns
+avoient impos son nom une grosse et grande colouvrine, elle demanda
+pourquoy. Il y eu eut un qui respondit: C'est par ce, madame, qu'elle a
+le calibre plus grand et plus gros que les autres. Si est-ce pourtant
+qu'elles y ont trouv assez de remede, et en trouvent tous les jours
+assez pour rendre leurs portes plus estroites, quarres et plus
+malaises d'entre; dont aucunes en usent, et d'autres non; mais
+nonobstant, quand le chemin y est bien battu et fray souvent par
+continuelle habitation et frquentation, ou passages d'enfants, les
+ouvertures de plusieurs en sont toujours plus grandes et plus larges. Je
+me suis l un peu perdu et desvoy; mais puis que a est propos il
+n'y a point de mal, et je retourne mon chemin.
+
+--Plusieurs autres filles y a-t-il lesquelles laissent passer cette
+grande tendreur et verdeur de leurs ans, et en attendent les plus
+grandes maturitez et seicheresses, soit ou qu'elles sont de leur nature
+trs-froides leur commencement et leur avenement, car il y en a et
+s'en trouve, soit ou qu'elles soient tenues de court, comme il est bien
+ncessaire aucunes, comme dit le refrain esgnol, _vignas e hinas son
+muy malas guardar_; c'est--dire: Les vignes et les jeunes filles
+sont fort difficiles garder, que pour le moins quelque passant,
+paysant ou sjournant n'en taste aucunes. Il y en a aussi qui sont
+immobiles, que tous les aquilons et vents d'un hyver ne sauraient
+esmouvoir ny esbranler. Il y a d'autres si sottes, si simples, si
+grossieres et si ignares, qu'elles ne voudroient pas ouyr nommer
+seulement ce nom d'amour. Comme j'ay ouy parler d'une femme qui faisoit
+de l'austre et rforme, que quand elle entendoit parler d'une putain
+elle en evanouissoit soudain; et ainsi qu'on faisoit ce conte un grand
+seigneur devant sa femme, il disoit: Que cette femme ne vienne donc pas
+cans; car si elle evanoit pour ouyr parler des putains, elle mourra
+tout trac cans pour en voir. Il y a pourtant des filles que,
+lorsqu'elles commencent un peu sentir leur coeur, elles s'y
+apprivoisent si bien, qu'elles viennent manger aussitost dans la main.
+D'autres sont si dvotes et consciencieuses, craignant tant les
+commandements de Dieu nostre souverain, qu'elles renvoyent bien loin
+celuy d'amour. Mais pourtant en ay-je veu force de ces dvotes
+patenostrieres, mangeuses d'images, et citadines ordinaires d'glises,
+qui, sous cette hypocrisie, couvoient et cachoient leurs feux, afin que
+par telles feintes et faux semblants, le monde ne s'en apperceust, et
+les estimast trs-prudes, voire demi saintes. Mais bien souvent elles
+ont tromp le monde et les hommes. Ainsy que j'ay ouy raconter d'une
+grande princesse, voire reyne, qui est morte, laquelle, quand elle
+vouloit attaquer quelqu'un d'amour (car elle y estoit fort sujette),
+commenoit tousjours ses propos par l'amour de Dieu que nous lui devons,
+et soudain les faisoit tomber sur l'amour mondain, et sur son intention
+qu'elle en vouloit celuy auquel elle parloit, dont par aprs elle en
+venoit au grand oeuvre, ou, pour le moins, la quittessence. Et voil
+comme nos dvotes, ou plustost bigotes, nous trompent; je dis ceux-l
+qui, peu rusez, ne connoissent leur vie.
+
+--J'ay ouy faire un conte, je ne say s'il est vray; mais un de ces ans,
+se faisant une procession gnrale une ville de par le monde, se
+trouva une femme, soit grande ou petite, en pieds nuds et grande
+condition[84], faisant de la marmiteuse plus que dix, et c'estoit en
+caresme: au partir de l elle s'en alla disner avec son amant d'un
+quartier de chevreau et d'un jambon: la senteur en vint jusqu' la ru;
+on monta en haut, et on la trouva en telle magnificence, qu'elle fut
+prise et condamne de la promener par la ville avec son quartier
+d'agneau la broche sur l'espaule et le jambon pendu au col.
+N'estoit-ce pas bien employ de la punir de cette faon?
+
+--D'autres dames y en a qui sont superbes, orgueilleuses, qui
+ddaignent et le ciel et la terre par manire de dire, qui rabroent les
+hommes et leurs propres amoureux, et les rechassent loin; mais telles
+il faut user de temporisement seulement et de patience et de
+continuation, car avec tout cela et le temps vous les mettez et avez
+sous vous l'humilit, estant le propre et superbe de la gloire, aprs
+avoir fait assez des siennes et mont bien haut, de descendre et venir
+au rabais: et mesmes de ces glorieuses en ay-je veu aucunes lesquelles
+bien souvent, aprs avoir bien desdaign l'amour et ceux qui leur en
+parloient, s'y rangeoient, les aimoient, jusqu' espouser aucuns qui
+estoient de basse condition et nullement elles en rien pareils. Et
+ainsi se joue amour d'elles et les punit de leur outrecuidance, et se
+plaist de s'attaquer elles plustost qu' d'autres, car la victoire en
+est plus glorieuse, puis qu'elles surmontent la gloire. J'ay cogneu
+d'autrefois une fille la Cour, si entiere et si desdaigneuse, que
+quand quelque habile et galant homme la venoit accoster et la taster
+d'amour, elle luy respondoit si orgueilleusement, en si grand mespris de
+l'amour, par paroles si rebelles et arrogantes (car elle disoit des
+mieux), que plus il n'y retournoit: et si, par cas fortuit, quelquefois
+on la vouloit accoster et s'y prendre, comment elle les renvoyoit et
+rabrooit, et de paroles, et de gestes, avec mines desdaigneuses; car
+elle estoit trs-habile. Enfin l'amour la punit, et se laissa si bien
+aller un qu'il l'engrossa quelque vingt jours avant qu'elle se
+mariast; et si pourtant c'est un qui n'estoit nullement comparable
+force autres honnestes gentilhommes qui l'avoient voulu servir. En cela
+il faut dire avec Horace, _sic placet Veneri_; c'est--dire, c'est
+ainsi qu'il plaist Vnus; et ce sont de ses miracles.
+
+--Il me vint en fantaisie une fois la comdie d'y servir une belle et
+honneste fille, habile s'il en fut oncques, de fort bonne maison, mais
+glorieuse et fort haute la main, dont j'estois amoureux extrmement.
+Je m'advisois de la servir et arraisonner aussi arrogamment comme elle
+me pouvoit parler et respondre; car brave brave et demy. Elle ne s'en
+sentit pour cela nullement intresse, car, en la menant de telle faon,
+je la loois extrmement, d'autant qu il n'y a rien qui amollisse plus
+un coeur dur d'une dame que la loange, autant de ses beautez et
+perfections, que de sa superbit; voire luy disant qu'elle luy soit
+trs-bien, veu qu'elle ne tenoit rien du commun, et qu'une fille ou
+dame, se rendant par trop prive et commune, ne se tenant sur un port
+altier et sur une rputation hautaine, n'estoit bien digne d'estre
+ferme[85]; et pour ce, que je l'en honorois davantage, et que je ne la
+voulois jamais appeler autrement que ma _Gloire_. En quoy elle se pleut
+tant, qu'elle voulut aussi m'appeler son _Arrogant_. Continuant ainsi
+tousjours, je la servis longuement; et si me peux vanter que j'eus part
+en ses bonnes graces autant ou plus que grand seigneur de la Cour qui la
+voulut servir; mais un trs-grand favory du Roy, brave certes et
+vaillant gentilhomme, me la ravit, et par la faveur de son Roy
+l'espousa. Et pourtant, tant qu'elle a vescu, telles alliances ont
+tousjours dur entre nous deux, et l'ay tousjours trs-honore. Je ne
+say si je seray repris d'avoir fait ce conte, car on dit volontiers que
+tout conte fait de soy n'est pas bon; mais je me suis esgar ce coup,
+encore que dans ce livre j'en aye fait plusieurs de moy-mesme en toutes
+faons, mais je tais le nom.
+
+--Il y a encore d'autres filles qui sont de si joyeuse complexion, et
+qui sont si folastres, si endemenes et si enjoes, qui ne se mettent
+autres sujets en leurs penses qu' songer rire, passer leur temps
+et folastrer, qu'elles n'ont pas l'arrest d'ouyr ny songer autre
+chose, sinon leurs petits esbattements. J'en ay connues plusieurs qui
+eussent mieux aim ouyr un violon, ou danser, ou sauter, ou courir, que
+tous les propos d'amour: aucunes la chasse, si bien qu'elles se
+pouvoient plustost nommer soeurs de Diane que de Vnus. J'ay cogneu un
+brave et galant seigneur, mais il est mort, qui devint si fort perdu de
+l'amour d'une fille, et puis dame, qu'il en mouroit; car, disoit-il,
+lorsque je luy veux remonstrer mes passions, elle ne me parle que de ses
+chiens et de sa chasse, si bien que je voudrois de bon coeur estre
+mtamorphos en quelque beau chien ou levrier, ou que mon ame fust
+entre dans leur corps, selon l'opinion de Pythagore, afin qu'elle se
+pust arrester mon amour, et mon ame gurir de ma play. Mais aprs il
+la laissa, car il n'estoit pas bon laquais, et ne la pouvoit suivre ny
+accompagner partout o ses humeurs gaillardes, ses plaisirs et ses
+esbattements la conduisoient. Si faut-il noter une chose, que telles
+filles, aprs avoir laiss leur poulinage et jett leur gourme (comme
+l'on dit des poulains), et aprs s'estre ainsi esbattues au petit jeu,
+veulent essayer le grand, quoy qu'il tarde; et telle jeunesse ressemble
+ celle de petits jeunes loups, lesquels sont tous jolis, gentils et
+enjoez en leur poil follet; mais, venant sur l'aage, ils se
+convertissent en malice et mal faire. Telles filles que je viens de
+dire font de mesme, lesquelles, aprs s'estre bien joes et pass leurs
+fantaisies en leurs plaisirs, et jeunesses en chasses, en bals, en
+voltes, en courantes et en danses, ma foy, aprs elles se veulent mettre
+ la grande danse et la douce carolle de la desse d'amour. Bref, pour
+faire fin finale, il ne se voit gures de filles, femmes ou veufves qui
+tost ou tard ne bruslent, ou en leurs saisons ou hors de leurs saisons,
+comme tous bois, fors un qu'on nomme _larix_, duquel elles ne tiennent
+nullement. Ce larix donc est un bois qui ne brusle jamais, et ne fait
+feu, ny flamme, ny charbon, ainsi que Jules Csar en fit l'exprience
+retournant de la Gaule. Il avoit mand ceux du Piedmont de luy fournir
+vivres et dresser estappes sur son grand chemin du camp. Ils luy
+obyrent, fors ceux d'un chasteau appel Larignum, o s'estoient retirs
+quelques meschants garnements, qui firent des refusants et rebelles, si
+bien qu'il fallut Csar rebrousser et les aller assiger. Approchant
+de la forteresse, il vit qu'elle n'estoit fortifie que de bois, dont il
+s'en moqua, disant que soudain il l'auroit. Parquoy commanda aussi-tost
+d'apporter force fagots et paille pour y mettre le feu, qui fut si grand
+et fit si grande flamme, que bien-tost on en esproit voir la ruine et
+destruction; mais, aprs que le feu fut consomm et la flamme disparue,
+tous furent bien estonnez, car ils virent la forteresse en mesme estat
+qu'auparavant et en son entier, et point brusle ny ruyne: dont il
+fallut Csar qu'il s'aidast d'autre remede, qui fut par sappe, ce qui
+fut cause que ceux de dedans parlementerent et se rendirent; et d'eux
+apprit Csar la vertu de ce bois larix, duquel portoit nom ce chasteau
+Larignum, parce qu'il en estoit basti et fortifi. Il y a plusieurs
+peres, meres, parents et marys, qui voudroient que leurs filles et
+femmes participassent du naturel de ce bois, ils en auroient leur esprit
+plus content, et n'auroient si souvent la puce en l'oreille, et n'y
+auroit tant de putains ny de cocus. Mais il n'en est pas de besoin, car
+le monde en demeureroit plus despeupl, et y vivroit-on comme marbres,
+sans aucuns plaisirs ny sentiments, ce disoit quelqu'un et quelqu'une
+que je say, et nature demeureroit imparfaite; au lieu qu'elle est
+trs-parfaite, laquelle si nous suivons comme un bon capitaine, nous ne
+sortirons jamais du bon chemin.
+
+ * * * * *
+
+ARTICLE III.
+
+ De l'amour des veufves.
+
+Or, c'est assez parl des filles, il est raison maintenant que nous
+parlions de mesdames les veufves leur tour. L'amour des veufves est
+bon, ais et profitable, d'autant qu'elles sont en leur pleine libert,
+et nullement esclaves des peres, meres, freres, parents et marys, ny
+d'aucune justice, qui plus est. On a beau faire l'amour une veufve et
+coucher avec, on n'en est point puny, comme l'on est des filles et des
+femmes. Mesmes les Romains, qui nous ont donn la pluspart des loix que
+nous avons, ne les ont jamais fait punir pour ce fait, ny en leur corps
+ny en leurs biens: ainsi que je tiens d'un grand jurisconsulte, qui
+m'allguoit l-dessus Papinian, ce grand jurisconsulte aussi, lequel,
+traitant de la matiere des adulteres, dit que, si quelquefois par
+mesgarde on avoit compris sous ce nom d'adultere la honte de la fille ou
+de la veufve, c'estoit abusivement parler; et en autre passage il dit
+que l'hritier n'a nulle rprimende ou esgard sur les moeurs de la
+veufve du deffunt, n'estoit que le mary en son vivant eust fait appeler
+sa femme en justice pour cela, car lors ledit hritier en pouvoit
+prendre arrements de la poursuite, et non autrement. Et, de fait, on ne
+trouve point en tout le droit des Romains aucune peine ordonne la
+veufve, si-non celle qui se remarieroit dans l'an de son deuil, ou
+qui, ne se remariant, avoit fait enfant aprs l'onsiesme mois d'un mesme
+an, estimant le premier an de son veufvage estre affect l'honneur de
+son premier lict. Et, quant son douaire, l'hritier ne luy eust sceu
+faire perdre, quand bien elle eust fait toutes les folies du monde de
+son corps; et en alleguoit une belle raison (celuy de qui je tiens
+cecy); car si l'hritier qui n'a aucun pensement que le bien, en luy
+ouvrant la porte pour accuser la veufve de ce forfait et la priver de
+son dot, on l'ouvriroit tout d'une main la calomnie; et n'y auroit
+veufve, si femme de bien fust-elle, qui pust se sauver des calomnieuses
+poursuites de ces galants hritiers, selon ces dires. Comme je voy, les
+veufves romaines avoient bon temps et bon sujet de s'esbattre: et ne se
+faut estonner si une, du temps de Marc Aurele, ainsi qu'il se trouve en
+sa vie, comme elle alloit au convoy des funrailles de son mary, parmy
+ses plus grands cris, sanglots, soupirs, pleurs et lamentations,
+serroit la main si estroitement celuy qui la tenoit et conduisoit,
+faisant signal par-l que c'estoit en nom d'amour et de mariage, qu'au
+bout de l'an, ne le pouvoit espouser que par dispense (ainsi que fut
+dispens Pompe quand il espousa la fille de Csar; mais elle ne se
+donnoit gures qu'aux plus grands et grandes, comme j'ay ouy dire un
+grand personnage), il l'espousa, et cependant en tiroit tousjours de
+bons brins, et empruntoit force pains sur la fourne, comme l'on dit.
+Cette dame ne vouloit rien perdre, mais se pourvoyoit de bonne heure;
+et, pour cela, ne perdoit rien de son bien ny de son douaire.
+
+Voil comme les veufves romaines estoient heureuses, comme sont bien
+encore nos veufves franoises, lesquelles, pour se donner leur coeur
+et gentil corps joye, ne perdent rien de leurs droits, bien que par les
+parlements il y en ait eu plusieurs causes dbattues. Ainsi que je say
+un grand et riche seigneur de France, qui fit long-temps plaider sa
+belle-soeur sur son dot, luy imposant sa vie estre un peu lubrique, et
+quelque autre crime plus grief que celuy mesl parmy; mais, nonobstant,
+elle gagna son procs, et fallut que le beau-frere la dotast trs-bien,
+et luy donnast ce qui luy appartenoit: mais pourtant l'administration de
+son fils et fille luy fut oste, d'autant qu'elle se remaria; quoy les
+juges et grands snateurs des parlements ont esgard, ne permettant aux
+veufves qui convolent au second mariage, la tutelle de leurs enfants. Et
+encore il n'y a pas long-temps que je say deux veufves d'assez bonne
+qualit, qui ont emport leurs filles mineures, s'estant remaries, par
+dessus leurs beaux-freres et autres de leurs parents; mais aussi elles
+furent grandement secourues des faveurs du prince qui les entretenoit.
+Mais de ces sujets, meshuy je m'en desparts d'en parler, d'autant que ce
+n'est pas ma profession, et que, pensant dire quelque chose de bon,
+possible ne dirois-je rien qui vaille: je m'en remets nos grands
+lgislateurs.
+
+Or, de nos veufves, les unes se plaisent tourner encore en mariage, et
+en resonder encore le guay, comme les mariniers qui, sauvez de deux,
+trois ou quatre naufrages, retournent encore la mer, et comme font
+encore les femmes maries, qui, en leur mal d'enfant, jurent, protestent
+de n'y retourner jamais, et que jamais homme ne leur fera rien; mais
+elles ne sont pas plustost purifies, les voil encore au premier
+branle. Ainsi qu'une dame espagnolle, laquelle, estant en mal d'enfant,
+se fit allumer une chandelle de Nostre-Dame de Montferrat qui aide fort
+ enfanter, pour la vertu de ladite Nostre-Dame. Toutefois, ne laissa
+d'avoir de grandes douleurs, et jurer que plus jamais elle n'y
+retourneroit. Elle ne fut pas plustost accouche, qu'elle dit la femme
+qui la luy donnoit allume: _Serra esto cabillo de candela para otra
+vez_; c'est--dire: Serrez ce bout de chandelle pour une autre fois.
+
+D'autres dames ne se veulent marier; et de celles qui n'en veulent
+point, plusieurs y en a, et y en a eu, lesquelles, venues en viduit sur
+le plus beau de leur age, s'y sont contenues. Nous avons veu la
+Reine-Mere, en l'age de trente-sept trente-huit ans, estant tombe
+veufve, qui s'est tousjours contenue veufve; et, bien qu'elle fust
+belle, bien agrable et trs-aimable, ne songea pas tant seulement un
+seul pour l'espouser. Mais l'on me dira aussi, qui eust-elle sceu
+espouser qui eust est sortable sa grandeur, et pareil ce grand roy
+Henry, son feu seigneur et mary, et qu'elle eust perdu le gouvernement
+du royaume, qui valoit mieux que cent marys, et dont l'entretien en
+estoit bien meilleur et plus plaisant. Toutefois, il n'y a rien que
+l'amour ne fasse oublier; et d'autant est-elle loer, et estre
+recoude au temple de la gloire et immortalit, de s'estre vaincue et
+commande, et n'avoir fait comme une Reyne Blanche, laquelle, ne se
+pouvant contenir, vint espouser son maistre d'hostel, qui s'appelloit
+le sieur de Rabaudange; ce que le roy son fils, pour le commencement,
+trouva fort estrange et amer; mais pourtant, parce qu'elle estoit sa
+mre, il excusa et pardonna audit Rabaudange, pour l'avoir espouse, en
+ce que, le jour, devant le monde, il la servoit tousjours de
+maistre-d'hostel, pour ne priver sa mere de sa grandeur et majest; et
+la nuict elle en feroit ce qu'elle voudroit, s'en serviroit, ou de valet
+ou de maistre, remettant cela leurs discrtions et volontez, et de
+l'un et de l'autre; mais pensez qu'il commandoit: car, quelque grande
+qu'elle soit, venant-l, elle est tousjours subjugu par le suprieur,
+selon le droit de la nature et de l'agent en cela. Je tiens ce conte du
+feu grand cardinal de Lorraine dernier, lequel le faisoit Poissy au
+roy Franois second, lorsqu'il fit les dix-huit chevaliers de l'ordre de
+Saint-Michel, nombre trs-grand, non encore veu, ny jamais ouy
+jusqu'alors; et, entre autres, il y eut le seigneur de Rabaudange, fort
+vieux, lequel on n'avoit veu de long-temps la Cour, si-non aucuns
+voyages de nos autres guerres, s'estant retir ds la mort de M. de
+Lautrec, de tristesse et de despit, comme l'on voit souvent, pour avoir
+perdu son bon maistre, duquel il estoit capitaine de sa garde au voyage
+du royaume de Naples, o il mourut; et disoit encore monsieur le
+cardinal, qu'il pensoit que ce monsieur de Rabaudange estoit venu et
+descendu de ce mariage. Il y a quelque temps qu'une dame de France
+espousa son page aussi-tost qu'elle l'eust jet hors de page, et qui
+s'estoit assez tenue en viduit.
+
+Or c'est assez parl de ces veufves. Parlons maintenant d'autres, qui
+sont celles qui, abhorrans les voeux et rformations des secondes
+nopces, s'en accommodent, et rclament encore le doux et plaisant dieu
+Hymene. Il y en a les unes qui, par trop amoureuses de leurs serviteurs
+durant la vie de leurs marys, y songent desj avant qu'ils soient morts,
+et projettent entre elles et leurs serviteurs comment ils s'y
+comporteroient. Ah! disent-elles, si mon mary estoit mort, nous ferions
+cecy, nous ferions cela; nous vivrions de cette faon, nous nous
+accommoderions de cette autre, et ainsi si accortement, que l'on ne se
+douteroit jamais de nos amours passez; nous ferions une vie si
+plaisante! aprs nous irions Paris, la Cour; nous nous
+entretiendrions si bien que rien ne nous sauroit nuire: vous feris la
+cour une telle, et moy un tel; nous aurions cecy du Roy, nous
+aurions cela. Nous ferions pourvoir nos enfants de tuteurs et curateurs:
+nous n'aurions faire de leurs biens ny affaires, et ferions les
+nostres, ou bien nous joirions de leurs biens en attendant leur
+majorit. Nous aurions les meubles et ceux de mon mary. Pour le moins,
+cela ne me sauroit manquer, car je say o sont les titres et escrits
+(et force autres paroles). Bref, qui seroit plus heureux que nous?
+
+Voil les beaux desseins que font ces femmes maries leurs serviteurs
+avant le temps; dont aucunes y en a qui ne les font mourir que par
+souhaits, par paroles, que par esprance et attentes; et autres y en a
+qui les advancent de gagner le logis mortuaire s'ils tardent trop; de
+quoy nos cours de parlement en ont eu et en ont tous les jours tant de
+causes par-devant elles qu'on ne sauroit dire. Mais le meilleur, et le
+plus, est qu'elles ne font pas comme une dame d'Espagne, laquelle,
+estant trs-mal traite de son mary, elle le tua, et puis aprs elle se
+tua, ayant fait avant cette pitaphe qu'elle laissa sur la table de son
+cabinet, escrite de sa main:
+
+ _Aqui jaze qui ha buscado una muger,_
+ _Y con ella casado, no l'a podidr hazer muger,_
+ _A las otras, no a my, cerca my, dona contentamiento._
+ _Y por este, y su flaquezza y atrevimiento,_
+ _Yo lo he matado,_
+ _Por le dar pena de su pecado._
+ _Y a my tan bien, por falta de my juyzio,_
+ _Y por da fin a la mal-adventura qu'io avio._
+
+C'est--dire.
+
+ Icy gist qui a cherch une femme et ne l'a pu faire femme: aux
+ autres, et non moy, prs de moy, donnoit contentement, et, pour
+ cela et pour sa laschet et outre-cuidance, je l'ay tu, pour lui
+ donner la peine de son pch; et moi aussi je me suis donn la
+ mort, par faute d'entendement, et pour donner fin la maladventure
+ que j'avais.
+
+Cette dame se nommoit dona Magdalana de Soria, laquelle, selon aucuns,
+fit un beau coup de tuer son mary pour le sujet qu'il luy avoit donn;
+mais elle fit aussi bien de la sotte de se faire mourir: aussi
+l'advoue-elle bien, que pour faute de jugement elle se tua. Elle eust
+mieux fait de se donner du bon temps par aprs, si ce n'estoit qu'elle
+eust possible craint la justice, et avoit-elle peur d'en estre reprise,
+et pour ce ayma mieux triompher de soy-mesme que d'en bailler la gloire
+ l'authorit des juges. Je vous asseure qu'il y en a eu, et y en a, qui
+sont plus accortes que cela; car elles joent leur jeu si finement, que
+voil les marys trespassez et elles trs-bien vivantes et fort
+accordantes leurs galants serviteurs, pour faire avec eux non pas
+_gode mihi_, mais _gode chere_.
+
+Il y a d'autres veufves qui sont plus sages, vertueuses et plus aimantes
+leurs marys, et point envers eux cruelles; car elles les regrettent, les
+pleurent, les plaignent telle extrmit, qu' les voir on ne les
+jugeroit pas vives une heure aprs. H! ne suis-je pas, disent-elles,
+la plus malheureuse du monde, la plus infortune d'avoir perdu chose si
+prtieuse? Dieu! pourquoy ne m'envoyes-tu la mort cette heure, pour le
+suivre de prs! Non, je ne veux plus vivre aprs luy; car et que me
+peut-il jamais rester et advenir au monde qui me puisse donner
+allgement? Si ce n'estoient ses petits enfants qu'il m'a laisss pour
+gages, et qui ont besoin encore de quelque soustien, non, je me tueray
+toute cette heure. Que maudite soit l'heure que je fus jamais ne! Au
+moins si je le pouvois voir en phanstome, ou par vision, ou par songes,
+encore aurois-je trop d'heur. Ah! mon coeur, ah! mon ame, n'est-il pas
+possible que je te suive? Ouy, je te suivray quand, part de tout le
+monde, je me defferois toute seule. H, qui seroit la chose qui me
+pourroit soutenir la vie, ayant fait la perte inestimable de toy, que,
+toy vivant, je n'aurois d'autre sujet que de vivre, et, toy mourant, que
+de mourir? Et quoy! ne vaut-il pas mieux que je meure maintenant en ton
+amour, en ta grace, et en ma gloire, et en mon contentement, que de
+traisner une vie si fascheuse et malheureuse, et nullement loable? H!
+Dieu! que j'endure de maux et tourments pour une absence! et que j'en
+seray dlivre, si je te vais voir bien-tost, et comble de grands
+plaisirs! Hlas! il estoit si beau, il estoit si aimable, il estoit si
+parfait en tout, il estoit si brave, si vaillant! C'estoit un second
+Mars, un second Adonis: qui plus est, il m'estoit si bon, il m'aimoit
+tant, il me traitoit si bien! Bref, le perdant, j'ay perdu tout mon
+heur. Ainsi vont disant nos veufves desplores telles et une infinit
+d'autres paroles aprs la mort de leurs marys, les unes d'une faon, les
+autres de l'autre; les unes dguises d'une sorte, les autres d'une
+autre; mais pourtant tousjours approchantes de celles que je viens de
+produire; les unes despitent le ciel, les autres maugrent la terre; les
+unes blasphement contre Dieu, les autres maudissent le monde; les unes
+font des vanoissements, les autres contrefont les mortes; les unes
+font des transies, les autres les folles, les forcenes et hors de leurs
+sens, qui ne connoissent personne, qui ne veulent manger, qui ne veulent
+parler. Bref, je n'aurois jamais fait, si je voulois spcifier toutes
+leurs mthodes hypocrites et dissimules dont elles usent pour monstrer
+leur deuil et ennuy au monde. Je ne parle pas de toutes, mais d'aucunes,
+voire de plusieurs en pluriel et en nombre. Leurs consolants et
+consolantes, qui n'y pensent point en mal et y vont la bonne routine,
+y perdent leur escrime et ne gagnent rien d'aucuns; et d'aucuns de
+ceux-l quand ils y voyent que leur patiente et leur dolente ne fait pas
+bien son jeu ni la grimace, les instruisent. Comme une dame de par le
+monde que je say, qui disoit une autre qui estoit sa fille: Faites
+l'esvanouye, mamie; vous ne vous contraignez pas assez. Or, aprs tous
+ces grands mystres joez, et ainsi qu'un grand torrent, aprs avoir
+fait son cours et violent effort, se vient remettre et retourner son
+berceau, comme une rivire qui a aussi est desborde, ainsi aussi
+voyez-vous ces veufves se remettre et retourner leur premire nature,
+reprendre leurs esprits, peu peu se hausser en joie, songer au monde.
+Au lieu de testes de mort qu'elles portoient, ou peintes, ou graves et
+esleves; au lieu d'os de trespassez mis en croix ou en lacs mortuaires,
+au lieu de larmes, ou de jayet ou d'or maill, ou en peinture; vous les
+voyez convertir en peintures de leurs marys portes au col, accommodes
+pourtant de testes de mort et larmes peintes en chiffres, en petits
+lacs; bref, en petites gentillesses, desguises pourtant si gentiment,
+que les contemplants pensent qu'elle les portent et prennent plus pour
+le deuil des marys que pour la mondanit. Puis, aprs tout, ainsi qu'on
+voit les petits oiseaux, quand ils sortent du nid, ne se mettre du
+premier coup la grande vole, mais, volletant de branche en branche,
+apprennent peu peu l'usage de bien voler; ainsi les veufves, sortant
+de leur grand deuil dsespr, ne le monstrent au monde si-tost qu'elles
+l'ont laiss, mais peu peu s'esmancipent, et puis tout coup jettent
+et le deuil et le froc de leur grand voile sur les orties, comme on dit,
+et mieux que devant reprennent l'amour en leur teste, et ne songent
+rien tant qu' un second mariage ou autre lascivet: et voil comment
+leurs grandes violences n'ont point de dure. Il vaudroit mieux qu'elles
+fussent plus poses en leurs tristesses.
+
+--J'ay cogneu une trs-belle dame, laquelle, aprs la mort de son mary,
+vint estre si esplore et dsespre, qu'elle s'arrachoit les cheveux,
+se tiroit la peau du visage et de la gorge, l'allongeant tant qu'elle
+pouvoit; et, quand on lui remonstroit le tort qu'elle faisoit son beau
+visage: H Dieu! que me dites-vous? disoit-elle; que voulez-vous que je
+fasse de ce visage? Au bout de huit mois aprs, ce fut elle qui
+s'accommoda de blanc et de rouge d'Espagne, les cheveux bien poudrez;
+qui fut un grand changement.
+
+--J'allgueray l-dessus un bel exemple, qui pourra servir semblable,
+d'une belle et honneste dame d'Ephese, laquelle ayant perdu son mary, il
+fut impossible ses parents et amys de luy trouver aucune consolation;
+si bien que, accompagnant son mary ses funrailles, avec une infinit
+de regrets, de sanglots, de cris, de plaintes et de larmes, aprs qu'il
+fut mis et colloqu dans le charnier o il devoit reposer, elle, en
+despit de tout le monde, s'y jetta, jurant et protestant de n'en partir
+jamais, et que l elle se vouloit laisser aller la faim, et l finir
+ses jours auprs du corps de son mary; et de fait fit cette vie l'espace
+de deux ou trois jours. La fortune sur ce voulut qu'il fust excut un
+homme de-l, et pendu, pour quelque forfait, dans la ville et aprs fut
+port hors de la ville au gibet accoustum, o faloit que tels corps
+pendus et excutez fussent gardez quelques jours soigneusement par
+quelques soldats ou sergents, pour servir d'exemple, afin qu'ils ne
+fussent de enlevez. Ainsi donc qu'un soldat estoit la garde de ce
+corps, et estoit en sentinelle et escoute, il ouyt-l-prs une voix
+desplorante, et s'en approchant vid que c'estoit dans le charnier, o,
+estant descendu, il y apperceut cette dame belle comme le jour, toute
+esplore et lamentante; et, s'advanant elle, se mit l'interroger de
+la cause de sa dsolation, qu'elle luy dclara benignement; et se
+mettant la consoler l-dessus, n'y pouvant rien gagner pour la
+premire fois, y retourna pour la deuxiesme et troisiesme, et fit si
+bien qu'il la gagna, la remit peu peu, luy fit essuyer ses larmes, et,
+entendant la raison, se laissa si bien aller qu'il en joyt par deux
+fois, la tenant couche sur le cercueil mesme du mary; puis aprs se
+jurrent mariage: ce qu'ayant accomply trs-heureusement, le soldat s'en
+retourna, par son cong, la garde de son pendu; car il y alloit de la
+vie. Mais, tout ainsi qu'il avoit est bienheureux en cette belle
+entreprise et excution, le malheur fut tel pour luy, que, cependant
+qu'il s'y amusoit par trop, voicy venir les parents de ce pauvre corps
+au hazard, pour le despendre s'ils n'y eussent trouv des gardes; et,
+n'y en ayant point trouv, le despendirent aussi-tost et emportrent de
+vitesse pour l'enterrer o ils pourroient, afin d'estre privez d'un tel
+deshonneur et spectacle ord et sale leur parent. Le soldat, ne voyant
+ny ne trouvant plus le corps, s'en vint courant desespr sa dame, luy
+annoncer son infortune, et comment il estoit perdu, d'autant que la loy
+de-l portoit que quiconque soldat s'endormoit en garde, et qui laissoit
+emporter le corps, devoit estre mis en sa place et estre pendu, et que
+pour ce il couroit cette fortune. La dame qui, auparavant avoit est
+console de luy, et avoit besoin de consolation pour elle, s'en trouva
+garnie propos pour luy et pour ce luy dit: Ostez-vous de peine, et
+venez-moy seulement aider pour oster mon mary de son tombeau, et nous le
+mettrons et pendrons au lieu de l'autre, et par ainsi le prendra-on pour
+l'autre. Tout ainsi qu'il fut dit, tout ainsi fut-il fait: encore
+dit-on que le pendu de devans avoit eu une oreille coupe, elle en fit
+de mesme pour reprsenter mieux l'autre. La justice vint le lendemain,
+qui n'y trouva rien dire. Et par ainsi sauva son galand par un acte et
+opprobre fort vilain son mary, elle, dis-je, qui l'avoit tant pleur
+et regrett, qu'on n'eust jamais espr si ignominieuse issue.
+
+La premire fois que j'ouys cette histoire, ce fut M. d'Aurat qui la
+conta au brave M. du Gua et quelques-uns qui disnoient avec luy;
+laquelle M. du Gua sceut trs-bien relever et remarquer, car c'estoit
+l'homme du monde qui aimoit mieux un bon conte et le savoit mieux faire
+valoir. Et, sur ce point, estant all la chambre de la Reyne-mere, il
+vid une belle jeune veufve qui ne venoit que d'estre faite, et de frais
+esmoulue, et fort esplore, son voile bas jusqu'au bout du nez, piteuse,
+marmiteuse, avare de paroles un chacun. Soudain monsieur me dit: Voy
+celle-l; avant qu'il soit un an, elle fera un jour de la dame
+d'Ephese. Ce qu'elle fit, non pas si ignominieusement du tout, mais
+elle espousa un homme de peu, et comme M. du Gua le prophtisa. Et me
+dit de mesme M. de Beaujeux, valet-de-chambre de la Reyne-mere, et le
+meilleur violon de la chrtient. Il n'estoit pas parfait seulement en
+son art et en la musique, mais il estoit de fort gentil esprit, et
+savoit beaucoup de fort belles histoires et beaux contes, et point
+communs, mais trs-rares; et n'en estoit point chiche ses plus privez
+amis; et en contoit quelques-uns des siens, car en son temps il avoit eu
+et veu de bonnes adventures d'amour; car avec son art excellent et son
+esprit bon et audacieux, deux instruments bons pour l'amour, il pouvoit
+faire beaucoup. M. le marchal de Brissac l'avoit donn la Reine-mere,
+estant reyne rgente, et lui avoit envoy de Piedmont avec sa bande de
+violons trs-exquise, toute complette: et luy s'appeloit Baltazarin;
+depuis il changea de nom. C'est luy qui composoit ces beaux balets qui
+ont est tousjours dansez la Cour. Il estoit fort amy de M. du Gua et
+de moy, et souvent causions ensemble, et tousjours nous faisoit quelque
+beau conte, mesme de l'amour et des ruses des dames, dont il nous fit
+celuy-l de cette dame ephesienne que nous avions desj sceu par M.
+d'Aurat, comme j'ay dit, qui disoit le tenir de Lempridius, et depuis je
+l'ay leu dans le livre des Funrailles, trs-beau certes, ddi feu M.
+de Savoye. Je me fusse pass, ce dira quelqu'un, d'avoir fait cette
+digression: ouy, mais je voulois parler de mon amy en cela, lequel
+souvent me faisoit souvenir, quand il voyoit quelques-unes de nos
+veufves esplores: Voil, disoit-il, qui joera un jour le rolle de
+nostre dame d'Ephese, ou bien elle l'a desj jo. Et certes ce fut
+une estrange tragi-comdie, pleine de grande inhumanit, d'offenser si
+cruellement son mary. Elle ne fit pas comme une dame de nostre temps,
+que j'ay ouy dire, laquelle, son mary mort, elle lui coupa ses parties
+du devant ou du mitan, jadis d'elle tant aimes, et les embauma,
+aromatisa et odorifera de parfums et poudres musques et
+trs-odorifrantes, et puis les enchassa dans une bote d'argent dor,
+qu'elle garda et conserva comme une chose trs-prcieuse. Pensez qu'elle
+les visitoit quelquefois en commmoration ternelle. Je ne say s'il est
+vray, mais le conte en fut fait au Roy, qui le refit plusieurs autres
+de ses plus privez; et j'ay ouy dire luy qu'au massacre de la
+Saint-Barthelemy fut tu le seigneur de Pleuvian, qui en son temps avoit
+est brave soldat, et en la guerre de Toscane sous M. de Soubise, et en
+la guerre civile comme il le fit bien parotre en la bataille de Jarnac,
+commandant un rgiment, et dans le sige de Niort. Quelque temps
+aprs, le soldat qui le tua dit et remonstra sa femme, toute esperdue
+de pleurs et d'ennuys, qui estoit riche et belle, que, s'il ne
+l'espousoit, qu'il la tueroit, et luy feroit passer le pas de son mary;
+car, en cette feste, tout estoit de guerre et de couteau. La pauvre
+femme, qui estoit encore belle et jeune, pour se sauver la vie, fut
+contrainte faire et nopces et funrailles tout ensemble. Encore
+estoit-elle excusable; car qu'eust pu faire moins une pauvre femme,
+fragile et foible, si ce n'eust est de se tuer elle-mesme, ou tendre sa
+belle poictrine l'espe du meurtrier? Mais le temps n'est plus, belle
+bergeronnette; il ne se trouve plus de ces folles et sottes de jadis;
+aussi que nostre saint christianisme nous le deffend; ce qui sert
+beaucoup aujourd'huy nos veufves d'excuse, qui disent, s'il n'estoit
+deffendu de Dieu, elles se tueroient, et par ainsi couvrent leur mommon.
+
+--Audit massacre de la Saint-Barthelemy fut faite une veufve par la mort
+de son mary, tu comme les autres. Elle en eut un tel extrme regret,
+que, quand elle voyoit un pauvre catholique, encore qu'il n'eust est de
+la feste, elle se pasmoit quelquefois, ou le regardoit en horreur et
+haine comme la peste. D'entrer dans Paris, voire de deux lieues la
+ronde, il n'en falloit point parler, car ses yeux ny son coeur ne le
+pouvoient souffrir; que dis-je de la voir? non pas d'en ouyr parler. Au
+bout de deux ans elle s'y rsoud, vient saluer la bonne ville, et s'y
+pourmener et visiter le palais dans son coche; mais de passer par la ru
+de la Huchette o son mary avoit est tu, plustost la mort ou le feu,
+dans lequel elle se fust plustost jette et prcipite que dans cette
+ru: comme fait le serpent, qui abhorre si fort l'ombre d'un fresne,
+qu'il aime mieux se hazarder dans un feu bien ardent, comme dit Pline,
+que dans cette ombre tant odieuse luy. Si bien que le feu Roy y
+estant, disoit Monsieur qu'il n'avoit veu femme si hagarde en sa
+perte et en sa douleur que celle-l; et enfin il la faudroit abattre
+pour la chapperonner, comme les oiseaux hagards. Mais au bout de quelque
+temps, il dit que d'elle-mesme elle s'estoit assez gentiment
+apprivoise, de sorte que d'elle-mesme elle se laissa fort bien et
+privment chapperonner, sans l'abattre que de soy-mesme. Que fit-elle
+dans peu de temps aprs? ce fut-elle qui voit Paris de trs-bon oeil,
+qui l'embrasse, qui s'y pourmene, qui l'arpente et dea et del, et de
+longueur et de largeur, et de droit et de travers, sans respect d'aucun
+serment: et puis fis-vous en elle! Un jour, moi, tournant d'un voyage,
+absent de la Cour huit mois, ayant fait la rvrence au roy, je vis
+entrer dans la salle du Louvre cette veufve tant pare, tant attife,
+accompagne de ses parentes et amyes, comparoistre devant le Roy, les
+Reynes et toute la Cour, et l recevoir les premiers ordres de mariage,
+qui sont les fianailles, des mains d'un vesque de Digne, grand
+aumosnier de la reyne de Navarre. Qui fust esbahi? ce fut moi; mais,
+ce qu'elle me dit aprs, elle fut esbahye davantage quand, sans y
+penser, elle me vid en cette noble assistance des fianailles, la
+regardant et roulant de mes yeux finement, me souvenant de ses serments
+et mines que je luy avois veu faire. Et elle de mesme regarda fort, car
+je luy avois est serviteur, et pour mariage, pensant, ce luy sembloit,
+que j'estois l arriv propos, et avois pris la poste exprs pour me
+produire jour nomm l, pour luy servir de tesmoin et juge, et la
+condamner en cette cause. Et me dit et jura qu'elle eust voulu avoir
+baill dix mille escus de son bien, et que je ne fusse comparu l, qui
+luy aidois juger sa conscience.
+
+--J'ay cogneu une grande dame, comtesse et veufve, de trs-haut lieu,
+laquelle en fit de mesme: car, estant huguenotte fort et ferme, accorda
+mariage avec un fort honneste gentilhomme catholique; mais le malheur
+fut qu'avant l'accomplissement une fievre pestilente la saisit a Paris
+si contagieusement, qu'elle luy causa la mort. Et, estant sur ses
+arteres[86], se perdit fort en grands regrets, jusqu' dire: Hlas!
+faut-il qu'en une si grande ville, o toute science abonde, ne se puisse
+trouver un mdecin qui me gurisse! H! qu'il ne tienne point argent,
+car je luy en donneray prou. Au moins si ma mort se fust ensuivie aprs
+mon mariage accomply, et que mon mary m'eust connue avant combien je
+l'aimois et honorois! Sofonisbe dit autrement, car elle se repentit
+d'avoir fianc avant boire le poison. Et ainsi disant (cette comtesse)
+et plusieurs autres semblables paroles, se tourna de l'autre cost du
+lit et mourut. Que c'est de la ferveur d'amour, d'aller se ressouvenir,
+en un passage stygien et oublieux, des plaisirs et fruits amoureux dont
+elle en eust bien voulu taster encore avant que de sortir du jardin! Or
+si ces dames huguenotes ont fait tels traits, j'ay bien cogneu des dames
+catholiques qui en ont fait de pareils, et ont espous des huguenots,
+aprs en avoir dit pis que pendre, et d'eux et de leur religion. Si je
+les voulois mettre en place je n'aurois jamais fait. Voil pourquoy les
+veufves doivent estre sages, et ne braire tant au commencement de leur
+veufvage, de crier, de tourmenter, de faire tant d'clairs, de
+tonnerres, pluyes de leurs larmes, pour aprs faire ces belles leves de
+boucliers, et s'en faire moquer: il vaut mieux en dire moins et en faire
+plus. Mais elles disent l-dessus: Et bien, pour le commencement il
+faut faire de la rsolu comme un meurtrier, de l'effronte, de
+l'asseure boire toute honte. Cela dure quelque peu, mais cela passe;
+aprs qu'on m'a mis sur le bureau, on me laisse et en prend-on une
+autre.
+
+--J'ay leu dans un petit livre espagnol, de Victoria Colonne, fille de
+ce grand Fabrice Colonne, et femme de ce grand marquis de Pescaire, le
+non-pair de son temps. Aprs qu'elle eut perdu son mary, Dieu sait
+qu'elle entra en tel dsespoir de douleur, qu'il fut impossible de lui
+donner ni innover aucune consolation; et quand on luy en vouloit sa
+douleur appliquer quelqu'une ou vieille ou nouvelle, elle leur disoit:
+Et sur quoy me voulez-vous consoler? sur mon mary mort? vous vous
+trompez: il n'est pas mort, car il est encore tout vivant et tout
+grouillant dans mon ame. Je l'y sens tous les jours et toutes les nuicts
+revivre, remuer et renaistre. Ces paroles certes eussent est belles,
+si au bout de quelque temps, ayant pris cong de luy, et l'ayant envoy
+pourmener par de-l l'Achron, elle ne fust remarie avec l'abb de
+Farfe, certes fort dissemblable son grand Pescaire. Je ne veux point
+dire en race, car il estoit de la noble maison des Ursins, laquelle vaut
+bien autant, et est autant ancienne ou plu que celle d'Avalos. Mais les
+effets de l'un l'autre n'alloient la balance, car ceux de Pescaire
+estoient incomparables, et sa valeur inestimable: encore que le dit abb
+fist de grandes preuves de sa personne en s'employant fort fidelement et
+vaillamment pour le service du roy Franois; mais c'estoit en forme de
+petites, couvertes et lgres deffaites, et contraires celles de
+l'autre, puisqu'il les avoit faites grandes, descouvertes, avec des
+victoires trs-signales: aussi la profession des armes de l'autre,
+accommence et accoustume ds le jeune aage et continue ordinairement,
+devoit bien surpasser de bien loin celle d'un homme d'glise, qui tard
+s'estoit mis au mestier: non que je veuille pour cela mal-dire d'aucuns
+voez Dieu et son glise, qu'ils ont rompu le voeu et quitt la
+profession pour empoigner les armes, car je ferois tort tant de braves
+capitaines qui l'ont est et ont pass par-l.
+
+Csar Borgia, duc de Valentinois, n'a-t-il pas est auparavant cardinal,
+qui a est un si grand capitaine, que Machiavel, le vnrable prcepteur
+des princes et des grands, le met pour exemple et pour rare miroir
+tous les autres pareils, de l'ensuivre et s'y mirer? Nous avons eu M. le
+mareschal de Foix, qui a est d'glise, et se nommoit avant le
+proto-notaire de Foix, qui a este un trs-grand capitaine. M. le
+mareschal Strozzy estoit vo l'glise; et pour un chapeau rouge qui
+luy fut desni, quitta la robbe, et se mit aux armes. M. de Salvoison,
+dont j'ay parl (qui l'a suivy de prs, voire en titre de grand
+capitaine eust march avec luy s'il eust est d'aussi grande maison, et
+parent de la Reyne), fust, en sa premire profession, traisnant la robbe
+longue; et pourtant quel capitaine a-t-il est? Ce fust est
+l'incomparable s'il eust plus vescu. Le mareschal de Bellegarde n'a-t-il
+pas port le bonnet quarr, qu'un long temps on appelloit le Prevost
+d'Ours? Feu M. Danguien[87], qui mourut en la bataille de
+Sainct-Quentin, avoit est vesque; M. le chevalier de Bonnivet de
+mesme. Et ce galant homme, M. de Martigues, avoit est aussi d'glise;
+bref, infinit d'autres, desquels je ne pourrois emplir ce papier. Si
+faut-il que je loue les miens, et non sans un trs-grand sujet. Le
+capitaine Bourdeille, mon frere, le Rodomont jadis du Piedmont, en tout
+fut ddi l'glise aussi; mais n'y connoissant son naturel propre,
+changea sa grande robbe une courte, et en un tournemain se rendit un
+des bons capitaines et vaillants du Piedmont, et s'en alloit trs-grand
+et une trs-belle vogue, sans qu'il mourut, hlas! en l'ge de
+vingt-cinq ans. De nostre temps, en nostre Cour, nous en avons tant
+veus, et mesme le petit monsieur de Clermont-Tallard, lequel j'ay veu
+abb de Bon-Port, et depuis, ayant quitt l'abbaye, a est veu parmy
+nos armes et en nostre Cour, un des braves, vaillants et honnestes
+hommes que nous eussions; ainsi qu'il le monstra trs-bien sa mort,
+qu'il acquit si glorieusement la Rochelle, la premire fois que nous
+entrasmes dans le foss. J'en nommerois une milliasse; mais je n'aurois
+jamais fait. M. de Souillelas[88], dit le jeune Oraison, avoit est
+vesque de Rieux, et depuis eust un rgiment, servant le Roy fort
+fidlement et vaillamment en Guyenne, sous le mareschal de Matignon.
+Bref, je n'aurois jamais fait si je voulois nombrer tous ces gens:
+parquoy je me tais pour la briefvet, et de peur aussi qu'on ne m'impute
+que je suis trop grand faiseur de digressions. Pourtant j'ay fait
+celle-cy propos, en parlant de cette Victoria Colonna, qui espousa cet
+abb. Si elle ne se fust remarie avec luy, elle eust mieux port titre
+et nom de Victoria, pour avoir est victorieuse sur soy-mesme; et que
+puis qu'elle ne pouvoit rencontrer un second pareil au premier, se
+devoit contenir.
+
+J'ay cogneu force dames qui ont imit cette prcdente. J'en ay veu une
+qui avoit espous un de mes oncles, le plus brave, le plus vaillant, le
+plus parfait qui fust de son temps. Aprs qu'il fust mort, elle en
+espousa un autre qui le ressembloit autant qu'un asne un cheval
+d'Espagne; mais mon oncle estoit le cheval d'Espagne. Une autre dame
+ay-je cogneu, qui avoit espous un mareschal de France, beau, honneste
+gentilhomme et vaillant: en secondes nopces, elle en alla prendre un
+tout contraire celuy-l, et avoit est aussi d'glise. Une veufve
+ay-je cogneue, venant mourir son mary, elle fit l'espace d'un an des
+lamentations si desespres, qu'on la pensoit voir morte toute heure
+de champ. Au bout de l'an qu'il faloit laisser son grand deuil, et
+prendre le petit, elle dit une de ses femmes: Serrez-moi bien ce
+crespe, car possible en auray-je affaire un autre coup; et puis
+tout--coup se reprit: Mais qu'ay-je? dit-elle. Je resve, plustost
+mourir que d'en avoir jamais affaire. Au bout de son deuil, elle se
+remaria un second, fort inesgal au premier. Mais disent-elles, ces
+femmes, il estoit d'aussi bonne maison que le premier. Ouy, je le
+confesse; mais aussi, o est la vertu et la valeur? ne sont-elles pas
+plus priser que tout? Et le meilleur que je trouve eu cela, c'est que
+le coup fait, elles ne l'emportent gures loin; car Dieu permet qu'elles
+sont maltraites et rosses comme il faut: aprs, les voil aux
+repentailles; mais il n'est plus temps. Ces dames ainsi convolantes ont
+quelque opinion et humeur en leur teste, que nous ne savons pas bien:
+comme j'ai ouy parler d'une dame espagnole, qui se voulant remarier, et
+qu'on lui remonstroit que deviendroit l'amiti grande que son mary lui
+avoit port, elle respondit: _La muerte del marido, y nuevo casamiento
+no han de romper el amor d'una casta muger_; c'est--dire: La mort du
+mary et un nouveau mariage ne doivent point rompre l'amour d'une femme
+chaste. Or accordez-moy ces deux contraires, s'il vous plaist. Une
+autre dame espagnole dit bien mieux, qu'on vouloit remarier: _Si hallo
+un marido bueno, no quiero tener el temor de perder lo; y si malo, que
+necessidad ay del_; c'est--dire: Si je trouve un bon mary, je ne veux
+point estre en la crainte de le perdre; si un mauvais, quelle ncessit
+ai-je de l'avoir?
+
+--Valeria, dame romaine, ayant perdu son mary, et ainsi que la
+reconfortoient aucunes de ses compagnes sur sa perte et sa mort, elle
+leur dit: Il est mort certes pour vous autres, mais il vit en moy
+ternellement. Cette marquise, que je viens de dire, avoit emprunt
+d'elle pareil mot. Ces dires de ces honnestes dames sont bien contraires
+ un qui me dit, en parlant espagnol, _que la jornada de la biudez d'una
+muger es d'una dia_; c'est--dire: que la journe du veufvage d'une
+femme se fait tout en un jour. Aucunes sont-l loges, d'autres non.
+Mais que dirons-nous des femmes veufves qui cachent leur mariage, et ne
+veulent qu'il soit publi? J'en ai cogneu une qui tint le sien sous la
+presse plus de sept ou huit ans, sans le vouloir jamais faire imprimer,
+ny le publier: et disoit-on qu'elle le faisoit de crainte qu'elle avoit
+de son jeune fils, qui estoit un de ses vaillants et honnestes hommes du
+monde, et qu'il ne fist du diable, et sur elle et sur l'homme, encore
+qu'il fust bien grand. Mais, aussi-tost qu'il vint mourir une
+rencontre de guerre qui le couronna de beaucoup de gloire, aussi-tost
+elle le fit imprimer et mettre en lumire. J'ay ouy parler d'une grande
+dame veufve, qui est marie un trs-grand prince et seigneur, veuf il
+y a plus de quinze ans; mais le monde n'en sait ny n'en connoist rien,
+tant cela est secret et discret: et disoit-on que le seigneur craignoit
+sa belle-mre, qui luy estoit fort imprieuse, et ne vouloit qu'il se
+remariast cause de ses petits enfants.
+
+--J'ay ouy raconter une dame de grande qualit et ancienne, que feu M.
+le cardinal du Bellay avoit espous, estant vesque et cardinal, madame
+de Chastillon, et est mort mari: et le disoit sur un propos qu'elle
+tenoit M. de Manne, Provenal, de la maison de Seulal et vesque de
+Frejus, lequel avoit suivy l'espace de quinze ans en la Cour de Rome
+ledit cardinal, et avoit est de ses privez protonotaires: et, venant
+parler dudit cardinal, elle lui demanda s'il ne luy avoit jamais dit et
+confess qu'il eust est mari. Qui fut estonn? ce fut M. de Manne de
+telle demande. Il est encore vivant, qui pourra dire si je mens; car j'y
+estois. Il respondit que jamais il n'en avoit ouy parler, ny lui ny
+d'autres. Or, je vous l'apprens donc, dit-elle; car, il n'y a rien de
+si vray qu'il a est mari: et est mort mari rellement avec ladite
+dame de Chastillon. Je vous asseure que j'en ris bien, contemplant la
+contenance estonne dudit M. de Manne, qui estoit fort conscientieux et
+religieux, qui pensoit savoir tous les secrets de son feu maistre; mais
+il estoit de Gallice pour celuy-l: aussi estoit-il scandaleux, pour le
+rang saint qu'il tenoit. Cette madame de Chastillon estoit la veufve de
+feu M. Chastillon, qu'on disoit qui gouvernoit le petit roy Charles
+huitiesme avec Bourdillon et Bonneval, qui gouvernoient le sang royal.
+Il mourut Ferrare, ayant est bless au sige de Ravenne, et l fut
+port pour se faire penser. Cette dame demeura veufve fort jeune et
+belle, sage et vertueuse, et pour cela fut eslue pour dame d'honneur de
+la feue reyne de Navarre. Ce fut celle-l qui bailla ce beau conseil
+cette dame et grande princesse, qui est escrit dans les _Cent Nouvelles_
+de ladite Reyne, d'elle et d'un gentilhomme qui avoit coul la nuict
+dans son lit par une trapelle dans la ruelle, et en vouloit joir; mais
+il n'y gagna que de belles esgratigneures dans son beau visage; elle
+s'en voulant plaindre son frre, elle luy fit cette belle remonstrance
+qu'on verra dans cette Nouvelle, et lui donna ce beau conseil, qui est
+un des beaux et des plus sages, et des plus propres pour fuyr scandale,
+qu'on eust sceu donner, et fust-ce est un premier prsident de Paris,
+et qui monstroit bien pourtant que la dame estoit bien autant ruse et
+fine en tels mystres, que sage et advise: et pour ce, ne faut douter
+si elle tint son cas secret avec son cardinal. Ma grande-mre, madame la
+sneschalle de Poitou, eut sa place aprs sa mort, par l'lection du roy
+Franois, qui la nomma et l'esleut, et l'envoya qurir jusques en sa
+maison, et la donna de sa main la Reyne sa soeur, pour la
+connoistre trs-sage et trs-vertueuse dame, mais non si fine, ny
+ruse, ny accorte en telle chose que sa prcdente, ny convole en
+secondes nopces. Et si voulez savoir de qui la nouvelle s'entend,
+c'estoit de la reyne mesmes de Navarre, et de l'amiral de Bonnivet,
+ainsi que je tiens de ma feue grande-mre: dont pourtant me semble que
+ladite reyne n'en devoit cder son nom, puis que l'autre ne peut rien
+gagner sur sa chastet, et s'en alla en confusion, et qui vouloit
+divulguer le fait, sans la belle et sage remonstrance que lui fit cette
+dite dame d'honneur madame de Chastillon; et quiconque l'a leue la
+trouvera telle; et je crois que M. le cardinal, son dit mary, qui estoit
+l'un des mieux disants, savants, loquents, sages et advisez de son
+temps, luy avoit mis cette science dans le corps, pour dire et
+remonstrer si bien. Ce conte pourroit tre un peu scandaleux, cause de
+la sainte et religieuse profession de l'autre; mais, qui le voudra
+faire, il faut qu'il desguise le nom. Et si ce trait a est tenu secret
+touchant ce mariage, celuy de M. le cardinal de Chastillon dernier n'a
+pas est de mme; car il le divulgua et publia luy-mesme assez, sans
+emprunter de trompette, et est mort mari sans laisser sa grande robbe
+et bonnet rouge. D'un cost, il s'excusoit sur la religion rforme,
+qu'il tenoit fermement; et de l'autre, sur ce qu'il vouloit tenir son
+rang tousjours et ne le quitter (ce qu'il n'eust fait autrement), et
+entrer en conseil, l o entrant il pouvoit beaucoup servir sa
+religion et son party, ainsi que certes il estoit trs-capable,
+trs-suffisant et trs-grand personnage. Je pense que mondit sieur
+cardinal du Bellay en a peu faire de mesme; car, de ce temps-l, il
+penchoit fort la religion et doctrine de Luther, ainsi que la cour de
+France en estoit un peu abreuve: car toutes choses nouvelles plaisent,
+et aussi que ladite dame doctrine licentioit assez gentiment les
+personnes, et mesme les ecclsiastiques, au mariage. Or, ne parlons plus
+de ces gens d'honneur, pour la rvrence grande que nous devons leur
+ordre et leurs saints grades.
+
+--Il faut un peu mettre sur les rangs nos vieilles veufves qui n'ont pas
+six dents en gueule, et qui se remarient. Il n'y a pas longtemps qu'une
+dame, veufve de trois marys, espousa en Guyenne pour le quatriesme un
+gentilhomme qui tient assez quelque grade, elle estant de l'age de
+quatre-vingts ans. Je ne say pas pourquoy elle le faisoit (car elle
+estoit trs-riche et avoit force escus), dont pour ce le gentilhomme la
+pourchassa, si ce n'estoit qu'elle ne se vouloit encore rendre, et
+vouloit encore fringuer sur les lauriers[89], comme disoit mademoiselle
+Sevin, la folle de la reyne de Navarre.
+
+J'ay cogneu aussi une grande dame qui, en l'ge de soixante-seize ans,
+se remaria et espousa un gentilhomme qui n'estoit pas de la qualit de
+son premier, et vesquit cent ans, et pourtant s'y entretint belle; car
+elle avoit est des belles femmes en son temps, et avoit bien fait
+valoir son jeune et gentil corps en toutes faons, et marier, et
+marie, et veufve, ce disoit-on. Voil deux terribles humeurs de femmes!
+il falloit bien qu'elles eussent de la chaleur; aussi ay-je ouy dire aux
+bons et experts fourniers qu'un vieux four est plus ais s'eschauffer
+beaucoup qu'un neuf, et quand il est une fois eschauff, il garde mieux
+sa chaleur et fait meilleur pain. Je ne say quels apptits savoureux y
+peuvent prendre leurs chalants et amoureux; mais j'ay veu beaucoup de
+galants et braves gentilshommes aussi affectionnez l'amour des
+vieilles, voire plus que des jeunes, et si me disoit-on que c'estoit
+pour en tirer des commoditez. Aucuns en ay-je veu aussi qui les aimoient
+d'une trs-ardente amour, sans en tirer rien de leur bourse, sinon de
+leur corps; ainsi que nous avons veu autrefois un trs-grand prince
+souverain[90] qui aimoit si ardemment une grande dame veufve age, qu'il
+quittoit sa femme et toutes autres, tant belles fussent-elles et jeunes,
+pour coucher avec elle. Mais en cela il avoit raison car c'estoit une
+des belles et aimables dames que l'on eust sceu voir; et son hyver
+valoit plus certes que les printemps, estez et automnes des autres. Ceux
+qui ont pratiqu les courtisannes d'Italie, aucuns a-t-on veu et voit-on
+choisir tousjours les plus fameuses et antiques et qui ont plus traisn
+le balet, pour y trouver quelque chose de plus gentil, tant au corps
+qu'en l'esprit. Voil pourquoy cette gentille Cloptre, ayant est
+mande par Marc Antoine de le venir trouver, ne s'en esmeut autrement,
+s'asseurant bien que, puisqu'elle avoit sceu attraper Jules Cesar et
+Cnejus Pompejus, fils du grand Pompe, lorsqu'elle estoit encore
+jeunette fillette, et ne savoit encore bien que c'estoit de son monde
+ny de son mestier, qu'elle meneroit bien autrement son homme, qui estoit
+fort grossier, et sentant son gros gendarme, elle estant en la vigueur
+de son entendement et de son age, comme elle fit. Aussi, pour en parler
+au vray, si la jeunesse est propre pour l'amour aucuns, d'autres la
+maturit d'un age, d'un bon esprit et longue exprience, et d'un beau
+parler, de longue main pratiqus, servent beaucoup pour les suborner.
+
+Un doute y a-t-il que j'ay demand autrefois des mdecins, d'un qui
+disoit pourquoy il ne vivoit plus longuement, puis qu'en sa vie il
+n'avoit tenu ny touch vieille, sur cet aphorisme des mdecins qui
+disent: _vetulam non cognovi_[91], avec d'autres quolibets. Certes, ces
+mdecins m'ont dit un proverbe ancien qui disoit: qu'en vieille grange
+l'on bat bien; mais de vieux fleaux, on n'en fait rien de bon. Aussi un
+autre: Il n'en chaut quel age la beste ait, mais qu'elle porte. Et
+aussi que par exprience ils ont connu des vieilles si ardentes et
+chaudasses, que, venant habiter avec un jeune homme, elles en tirent
+ce qu'elles en peuvent, et l'alambiquent tant qu'il a de substance ou de
+suc dans le corps, afin de se humecter mieux: je dis celles qui, pour
+l'amour de l'age, sont asseiches et ont faute d'humeurs. Lesdits
+mdecins me disoient autres raisons; mais aux plus curieux je les laisse
+ leur demander.
+
+--J'ay veu une vieille veufve, dame grande, qui mit sur les dents, en
+moins de quatre ans, et son troisiesme mary et un jeune gentilhomme
+qu'elle avoit pris pour son amy; et les renvoya dans la terre, non par
+assassinat ny poison, mais par attenuation et alambiquement de leur
+substance. Et, voir celle dame, on n'eust jamais pens qu'elle eust
+fait le coup; car elle faisoit devant les gens plus de la dvote, de la
+marmiteuse et de l'hypocrite, jusques-l qu'elle ne vouloit pas prendre
+sa chemise devant ses femmes, de peur de la voir nue; ny pisser devant
+elles: mais, comme disoit quelque dame de ses parentes, qu'elle faisoit
+ces difficultez ces femmes et point ses galands. Mais quoy, est-il
+plus deffensible et plus loisible une femme d'avoir eu plusieurs marys
+en sa vie, comme il y en eu prou qui en ont eu trois, quatre et cinq, ou
+bien une autre qui en sa vie n'aura eu que son mary et un amy, ou
+deux, ou trois? comme certes j'en ay cogneu aucunes continentes et
+loyales jusques-l? Et en cela j'ay ouy dire une grande dame de par le
+monde, qu'elle ne mettoit aucune diffrence entre une dame qui avoit eu
+plusieurs marys et une qui n'avoit eu qu'un amy ou deux, avec son mary,
+si ce n'est que ce voile marital cache tout; mais, quant la sensualit
+et lascivet, il n'y a pas diffrence d'un double; et en cela pratiquent
+le refrain espagnol, qui dit que _algunas mugeres son de natura de
+anguillas en retener y de lobas en excoger_; c'est--dire: de nature
+des anguilles retenir, et des louves choisir; car l'anguille est
+fort glissante et mal tenable, et la louve choisit tousjours le loup le
+plus laid.
+
+--Il m'advint une fois la Cour, qu'une dame assez grande, qui avoit
+est marie quatre fois, me vint dire qu'elle venoit de disner avec son
+beau-frre, et que je devinasse avec qui, et me le disoit navement sans
+y songer malice; et moy, un peu malicieusement, et riant pourtant, je
+luy respondis: Et qui diable seroit le devin qui le pourroit deviner?
+Vous avez est marie quatre fois: je laisse penser au monde la
+qualit des beaux-freres que vous pouvez avoir. Alors elle me
+respondit, et rpliqua: Vous y songez en mal, et me nomma le
+beau-frre. C'est bien parl, lui rpliquay-je, cela; mais non comme
+vous parliez.
+
+--Il y eut jadis Rome[92] une dame qui avoit eu vingt-deux marys l'un
+aprs l'autre, et pareillement un homme qui avoit eu vingt-une femmes,
+dont ils s'advisrent tous deux, pour faire un bon concert, de se
+remarier ensemble. Le mary la fin survesquit sa femme: en quoy le mary
+fut tellement estim et honor dans Rome de tout le peuple, d'une si
+belle victoire, que comme victorieux, il fut men et pourmen en un char
+triomphant, couronn de lauriers et la palme en main. Quelle victoire,
+et quel triomphe!
+
+--Du temps du roi Henry, en sa Cour fut le seigneur de Barbazan, dit
+Saint-Anian, qui se maria par trois fois l'une aprs l'autre. Sa
+troisiesme femme estoit fille de madame de Mouchy, gouvernante de madame
+de Lorraine, qui, plus brave que les deux premieres, eut raison de luy,
+car il mourut sous elle; et, ainsi qu'on le plaignoit la Cour, et
+qu'elle de mesme se desconfortoit outrageusement de sa perte. M. de
+Montpesat, qui disoit trs-bien le mot, alla rencontrer qu'au lieu de la
+plaindre on la devoit exalter et loer beaucoup de sa victoire qu'elle
+avoit eu sur son homme, qu'on disoit qu'il estoit si vigoureux et si
+fort et envitaill, qu'il avoit fait mourir ses deux premires femmes
+de force de leur faire; et cette-cy, ne s'estre rendue au combat, mais
+demeure victorieuse, devoit estre loe et admire par la Cour, pour si
+belle victoire d'un si vaillant et robuste champion, et pour ce
+elle-mesme devoit s'en tenir trs-glorieuse. Quelle gloire!
+
+--J'ay ony tenir cette mesme maxime de cy-devant d'un seigneur de
+France, qu'il ne mettoit pas plus de diffrence entre une femme qui
+avoit eu quatre ou cinq marys, et une putain qui a eu quatre serviteurs
+l'un aprs l'autre; si-non que l'une se colore par le mariage, et
+l'autre point. Aussi un galant homme que je say, ayant espous une
+femme qui avoit t marie trois fois, il y eut quelqu'un que je say,
+qui disoit bien: Il a espous, dit-il, enfin une putain sortant du
+bordel de rputation. Ma foy, telles femmes qui se remarient
+ressemblent les chirurgiens avares, lesquels veulent tout coup
+resserrer les plaies d'un pauvre bless, afin d'allonger la gurison et
+en gagner tousjours mieux la petite pice d'argent. Aussi, se disoit
+une: Il n'est beau de s'arrter au beau mitan de la carrire; mais il
+la faut achever, et aller jusques au bout. Je m'estonne que ces femmes,
+qui sont si chaudes et promptes se remarier, et mesme si surannes,
+n'usent pour leur honneur de quelques remdes rfrigratifs et potions
+tempres, pour expeller toutes ces chaleurs; mais tant s'en faut
+qu'elles en veulent user, qu'elles s'en aident du tout de leur
+contraire. J'ai veu et leu un petit livret d'autrefois, en italien, sot
+pourtant, qui s'est voulu mesler de donner des receptes contre la
+luxure, et en met trente-deux; mais elles sont si sottes que je ne
+conseille point aux femmes d'en user, pour ne mettre leur corps trop
+fascheuse subjection. Voil pourquoy je ne les ay mises icy par escrit.
+Pline en allgue une, de laquelle usoient le temps pass les vestales;
+et les dames d'Athnes s'en servoient aussi durant les ftes de la
+desse Crs, dites _Themophoria_[93], pour se refroidir et oster tout
+appetit chaud de l'amour, et par ce vouloient celebrer cette feste en
+plus grande chastet, qu'estoient des paillasses de feuilles d'arbre dit
+_agnus castus_. Mais pensez que durant la feste elles se chastroient de
+cette faon, et puis aprs elles jettoient bien la paillasse au vent.
+J'ay veu un pareil arbre en une maison en Guyenne, d'une grande,
+honneste et trs-belle dame, et qui le monstroit souvent aux estrangers
+qui la venoient voir, par grande spciaut, et leur en disoit la
+proprit: mais au diable si j'ay jamais veu ny ouy dire que femme ou
+dame en ait encore os cueillir une seule branche, ny fait pas seulement
+un petit recoin de paillasse, non pas mme la dame propritaire de
+l'arbre et du lieu, qui n'en eust peu disposer comme il luy eust pleu.
+Ce fust est aussi dommage, car son mary ne s'en fust pas mieux trouv:
+aussi qu'elle valoit bien que l'on laissast se rgler au cours de la
+nature, tant elle estoit belle et agrable, et aussi qu'elle a fait une
+trs-belle ligne. Et pour dire vray, il faut laisser et ordonner telles
+receptes austres et froides aux pauvres religieuses, lesquelles, encore
+qu'elles jeusnent et macrent leurs corps, si sont-elles souvent
+assaillies, les pauvrettes des tentations de la chair; et si elles
+avoient libert au moins aucunes, elles se voudroient rafraischir comme
+les mondaines; et bien souvent pour s'estre repenties se repentent,
+ainsi qu'on voit les courtisannes de Rome, dont j'en allgueray un
+plaisant conte d'une, laquelle s'estant voue au voile, avant qu'aller
+au monastre, un sieur ami, gentilhomme franais, la vint voir pour luy
+dire adieu puisqu'elle s'en alloit estre recluse; et avant que s'en
+aller, la pria d'amour; et la prenant, elle luy dit: _Fate dunque
+presto; ch'adesso mi verrano cercar per far mi monaca, e menare al
+monasterio_[94]. Pensez qu'elle voulut faire ce coup pour prendre sa
+dernire main, et dire: _Tandem hc olim meminisse juvabit_;
+c'est--dire: Encore me fait-il grand bien de m'en ressouvenir pour la
+dernire fois. Quelle repentance et quelle intrade de religion! Et
+quand une fois elles y ont est professes, au moins les belles, je dis
+aucunes, je croy qu'elles vivent plus de repentance que de viandes
+corporelles ny spirituelles. Dont aucunes y a qui savent y remdier, ou
+par dispenses et par pleines libertez qu'elles prennent d'elles-mesmes;
+car on ne les traite icy comme les Romains le temps pass traitoient
+cruellement leurs vestales quand elles avoient forfait; ce qui estoit
+une chose horrible et abominable: aussi estoient-ils payens, et pleins
+d'horreurs et de cruautez; nous autres chrestiens, qui en suivons la
+douceur de nostre Christ, devons estre benins comme luy; et comme il
+nous pardonne, il faut que nous pardonnions. Je mettrois icy par escrit
+la faon de laquelle ils les traitoient; mais je la laisse au bout de la
+plume. Or laissons ces pauvres ames, que, ma foy, quand elles sont-l
+une fois renfermes, elles endurent assez de mal; ainsi que dit une
+fois une dame d'Espagne, voyant mettre en religion une fort belle et
+honneste damoiselle: _O tristezilla, y en que pecaste, que tum presto
+vienes penitentia, y seys metida en sepultura viva!_ c'est--dire: O
+pauvre misrable, en quoi avez-vous tant pch, que si prestement vous
+venez pnitence, et estes mise toute vive en spulture! Et voyant que
+les religieuses luy faisoient toutes les bonnes cheres, recueils et
+honneurs du monde, elle dit _que todo le hedia, hasla el encensio de la
+yglesia_; c'est--dire: que tout luy puoit, jusques l'encens de
+l'glise.
+
+--Une question y a-t-il que je voudrois qui me fust dissolue, en toute
+vrit et sans dissimulation, par aucunes dames qui ont fait le voyage;
+ savoir, quand elles sont remaries, comment elles se comportent
+l'endroit de la mmoire des premiers marys. En cela il y a une maxime:
+que les dernieres amitiez et inimitiez font oublier les premieres; aussi
+les secondes nopces ensevelissent les premieres. Sur quoy j'allgueray
+un exemple plaisant, non pour tant qu'il doive estre fort authorisable;
+si est-ce qu'on dit que sous un lieu obscur et vil encore la sapience et
+science s'y cache. Une grande dame de Poictou demandant une fois une
+paysanne, sienne tenancire, combien de marys elle avoit eus, et comment
+elle s'en estoit trouve, elle, faisant sa petite rvrence la
+pitaude, luy respondit de sang froid: Je vous dirai, madame, j'ay eu
+deux marys, grce Dieu. L'un s'appeloit Guillaume, qui estoit le
+premier; et le second s'appeloit Colas. Guillaume estoit bon homme, ais
+de moyens, et me traitoit fort bien; mais Dieu pardonne Colas, car
+Colas me le faisoit bien. Mais elle disoit tout trac ce qui se
+commence par f., sans le dguiser ou farder comme je le dguise. Voyez,
+s'il vous plaist, comme cette maraude prioit Dieu pour l'ame du trpass
+bon compagnon, et, s'il vous plaist, sur quel sujet, et du premier
+mrite. Je penserois que de mesmes en font plusieurs dames convolantes
+et revolantes; car, puisqu'elles en viennent l, c'est pour ce grand
+point; et, pour ce, qui le joe le mieux est le plus aim. Et volontiers
+croyent que le second doit faire rage; mais bien souvent aucunes sont
+trompes, car elles ne trouvent en leurs boutiques l'assortiment
+qu'elles y pensoient trouver, ou bien d'aucunes, s'il y en a, il est
+si chetif et us et gast, flasque et foul et lasche, qu'on se repend
+d'y avoir mis son denier; comme j'en ay veu force exemples que je ne
+veux allguer, car il est temps, ce me semble, de faire fin ou jamais
+non.
+
+--D'autres dames y a-t-il qui disent qu'elles aiment mieux leurs
+derniers marys de beaucoup que les premiers: D'autant, m'ont dit
+aucunes, que les premiers que nous espousons, le plus souvent nous les
+prenons par le commandement de nos roys et reynes maistresses, par la
+contrainte de nos peres et meres, parents, tuteurs, non par la volont
+pure de nous autres: au lieu qu'en nos viduitez, comme trs-bien
+mancipes, nous en faisons telle lection qui nous plaist, et ne les
+prenons que pour nos beaux et bons plaisirs, et par amourettes, et
+nostre gentil contentement. Certainement il peut y avoir de la raison,
+si ce n'estoit que bien souvent _les amours qui s'accommencent par
+anneaux se finissent par couteaux_, ce dit un vieux proverbe, ainsi que
+tous les jours nous en voyons les expriences et exemples d'aucunes, qui
+pensants estre bien traites de leurs hommes, qu'elles avoient tirez de
+la justice et du gibet, de la pauvret, de la chetiverie du bordel, et
+eslevez, les battoient, rossoient, les traitoient fort mal, et bien
+souvent leur ostoient la vie, dont en cela c'estoit juste punition
+divine, pour avoir est par trop ingrates leurs premiers marys, qui
+leur estoient par trop bons et en disoient pis que pendre. Et ne
+ressembloient pas une que j'ay ouy raconter, laquelle la premire
+nuict de ses nopces, ainsi que son mary la commenoit assaillir, elle
+se mit pleurer et souspirer bien fort, si bien que tout un coup elle
+faisoit deux choses fort contraires. Son mary luy demandoit ce qu'elle
+avoit s'attrister, et s'il ne s'acquittoit pas bien de son devoir.
+Elle luy respondit: Hlas prou: mais je me ressouviens de mon mary, qui
+m'avoit tant prie et reprie de ne me remarier jamais aprs sa mort, et
+que j'eusse souvenance et piti de ses petits enfants. Hlas! je voy
+bien que j'en auray encor tant de vous. H, que feray-je! Je croy que
+s'il me peut voir du lieu o il est maintenant, il me maudit bien.
+Quelle humeur de n'avoir point song telles considrations, ny avoir
+est sage, si-non aprs le coup! Mais le mary, l'ayant appaise et fait
+souvent passer cette fantaisie par le trou lu milieu, le lendemain
+matin, ouvrant la fenestre de la chambre, envoya dehors toute la mmoire
+du mary premier; car se disoit un grand proverbe ancien, que _femme qui
+enterre un mary ne se soucie plus d'en enterrer un autre_: et aussi un
+autre qui dit: _Plus de mine en une femme perdant son mary, que de
+mlancolie_.
+
+--J'ay cogneu une autre veufve, grande dame, bien contraire cette-cy,
+qui ne pleura ainsi; car, la premire nuict et seconde de ses nopces,
+elle se conjoignit tellement avec son mary second, qu'ils enfoncrent et
+rompirent le chaslis, encore qu'elle eust une espce de cancre un
+ttin; et nonobstant son mal, ne laissa d'un seul point son amoureux
+plaisir, l'entretenant par aprs souvent de la sottise et inhabilit de
+son premier mary. Aussi, ce que j'ay ouy dire aucuns et aucunes,
+c'est la chose que les seconds marys veulent le moins de leurs femmes,
+qu'elles les entretiennent de la vertu et valeurs de leurs premiers
+marys, comme estants jaloux des pauvres trpassez, qui y songent autant
+comme de revenir en ce monde: d'en dire mal tant que l'on voudra. Si en
+a-t-il force pourtant qui leur en demandent des nouvelles; mais, comme
+se sentant fort vigoureux et forts, et faisans comparaisons, les
+interrogent de leurs forces et vigueurs en ces douces charges, comme
+j'ay ouy dire aucuns et aucunes, lesquelles, pour leur faire trouver
+meilleur, leur font accroire que les autres n'estoient qu'apprentifs,
+dont bien souvent elles s'en trouvent mieux. Autres disoient le
+contraire, et que les premiers faisoient rage, afin de faire efforcer
+les derniers faire les asnes desbatez. Telles femmes veufves seroient
+bonnes l'isle de Chio, la plus belle isle et gentille et plaisante du
+Levant, jadis possde des Gennois, et depuis trente-cinq ans usurpe
+par les Turcs, dont c'est un grand dommage et perte pour la chrestient.
+En ceste isle donc, comme je tiens d'aucuns marchands gennois, le
+coustume est que si une femme veut demeurer en vidut, sans aucuns
+propos de se remarier, le seigneur la contraint de payer un certain prix
+d'argent, qu'ils appellent _argomoniatique_, qui vaut autant dire (sauf
+l'honneur des dames) _c.. repos et inutile_. Je leur ay demand sur
+quoy cette coutume pouvoit estre fonde: ils me respondirent que pour
+tousjours mieux repeupler l'isle. Je vous assure que nostre France ne
+demeurera donc indeserte ny infertile par faute de nos veufves qui ne se
+remarient point; car je pense qu'il y en a plus qui se remarient que
+d'autres, et par ce ne payeront de tribut du c.. inutile et repos; que
+si ce n'est par le mariage, pour le moins autrement qu'ils le font
+travailler et fructifier, comme j'espre de dire. Non plus ne payeront
+aussi aucunes de nos filles de France que celles de Chio, lesquelles,
+soit des champs ou de ville, si elles laissent perdre leur pucelage
+avant que d'estre maries, et qu'elles veulent continuer le mestier sont
+tenues de bailler pour une fois un ducat (dont c'est un trs-bon march
+pour faire cela toute leur vie) au capitaine de la nuict, afin de le
+pouvoir faire leur plaisir, sans aucune crainte et danger; et en cela
+gist le plus grand et asseur gain qu'ait le gentil capitaine en son
+Estat.
+
+--Il ne fut jamais que les Grecs n'eussent tousjours quelques inventions
+tendantes la paillardise; comme le temps pass nous lisons de la
+coustume de l'isle de Cypre, qu'on dit que la bonne dame Vnus, patronne
+de-l, introduisit une loy que les filles de-l falloit qu'elles
+allassent se pourmenants le long des rivages, costes et ores de la mer,
+pour gagner leur mariage par la libralit de leurs corps aux mariniers,
+passants et navigeants, qui descendoient exprs, voire bien souvent se
+destournoient de leur chemin droit de la boussole pour prendre la terre,
+et l, prenants leurs petits rafraischissements avec elles, les payoient
+trs-bien, et puis s'en alloient les uns regret pour laisser telles
+beautez; et par ainsi ces belles filles gagnoient leurs mariages, qui
+plus qui moins, qui bas qui haut, qui grand qui petit, selon les
+beautez, qualitez et tentations des filaudes.
+
+--Aujourd'huy aucunes de nos filles de nos nations chrestiennes ne vont
+point se pourmener, s'exposer ainsi aux vents, aux pluyes, aux froids,
+au soleil, aux chaleurs, car la peine est trop laborieuse et trop dure
+pour leurs tendres et dlicates peaux et blanches charnures; mais elles
+se font venir trouver sous de riches pavillons et dans de pompeuses
+courtines, et l tirent leur solde amoureuse et maritale de leurs
+amoureux, sans payer aucun tribut. Je ne parle pas des courtisannes de
+Rome qui en payent, mais de plus grandes qu'elles: si bien qu' aucunes,
+la plus part du temps, leurs peres, meres et freres n'ont pas grande
+peine de chercher argent ny leur en donner pour les marier; ains, au
+contraire, bien souvent aucunes y a-t-il qui en baillent aux leurs, et
+les advancent en biens et charges, en grades et dignitez, ainsi que j'en
+ay veu plusieurs. Aussi Lycurgus ordonna que les filles vierges fussent
+maries sans doaire d'argent, ce que les hommes les espousassent pour
+leurs vertus, non pour l'avarice. Mais quelles vertus estoit-ce, qu'aux
+bonnes festes solemnelles elles chantoient, dansoient publiquement
+toutes nus avec les garons, voire luitoient en belle place marchande;
+ce qui se faisoit pourtant avec toute honnestet, dit l'histoire: c'est
+ savoir, et quelle honnestet en tel estat estoit-ce, les belles
+filles voir publiquement? D'honnestet n'y en avoit-il point, mais ouy
+bien un plaisir pour la veu, et mesme en leur mouvement de corps
+danser, et encore plus luiter: et puis quand ils venoient tomber
+l'un sur l'autre, et, comme dit le latin, _Illa sub, ille super_, et
+_ille sub, illa super_, c'est--dire, elle dessous, luy dessus, et elle
+dessus, luy dessous. Et comment me pourroit-on desguiser cela, qu'il y
+eust l toute honnestet? Je croy qu'il n'y a chastet qui ne s'en
+esbranlast, et, que, se faisant l en public et de jour les petites
+attaques, qu' couvert et de nuict et du rendez-vous les grands combats
+et camisades s'en ensuivissent. Tout cela se pouvoit faire sans aucun
+doute, veu que ledit Lycurgus permit ceux qui estoient beaux et dispos
+d'emprunter les femmes des autres pour y labourer comme en terre grasse:
+et si n'estoit chose reprochable un vieil et lass de prester sa femme
+belle et jeune un galant jeune homme qu'il choisissoit; mais il
+vouloit qu'il fust permis la femme de choisir pour secours le plus
+proche parent de son mary, tel qu'il luy plairoit, pour se coupler avec
+luy, ce que les enfants qu'ils pourroient engendrer fussent au moins
+du sang et de la race mesme du mary. Les Juifs avoient cette loy de la
+belle-soeur au beau-frre; mais nostre loy chrestienne a tout rabill
+cela, encore que nostre Saint Pere en aye baill plusieurs dispenses
+fondes sur plusieurs raisons.
+
+--Or, parlons un peu, et le plus sobrement que nous pourrons, d'aucunes
+autres veufves, et puis nous fairons la fin. Il y a une autre espce de
+veufves dont il y en a qui ne se remarient point, mais fuyent le mariage
+comme peste: ainsi que me dit une, et de grande maison, et bien
+spirituelle, laquelle ayant demand si elle offriroit encore son
+voeu au dieu Hymene, elle me respondit: Par vostre foy, seroit-il
+pas fat et malhabile le forat ou l'esclave, aprs avoir longuement tir
+ la rame, attach la cadene, s'il venoit recouvrer sa libert, s'il
+s'en alloit de son bon gr encore s'assujettir sous les loix d'un
+orageux corsaire? Pareillement moy, aprs avoir assez est sous
+l'esclavage d'un mary, et en reprendre un autre, que meriterois-je, puis
+que d'ailleurs, sans aucun hazard, je me puis donner du bon temps? Et
+une autre dame grande, et ma parente (car je ne veux pas prendre le
+Turc), luy ayant demand si elle n'avoit point envie de convoler,
+nenny, me respondit-elle, mon cousin, mais bien de conjoir: faisant
+une allusion sur ce mot de _conjoir_, comme voulant dire qu'elle
+vouloit bien faire son c.. joir d'autre chose qu' un second mary,
+suivant le proverbe ancien qui dit qu'_il vaut mieux voler en amour
+qu'en mariage_: aussi que les femmes sont sottes par-tout.
+
+--J'ay ouy parler d'une autre qui il fut demand par un gentilhomme
+qui vouloit tenter le guay pour la pourchasser, et luy demandant si elle
+ne vouloit point un mary: H! dit-elle, ne me parlez point de mary, je
+n'en auray jamais plus: mais avoir un amy, c'est une autre
+affaire.--Permettez donc, madame, que je sois cet amy, puisque mary je
+ne puis estre. Elle luy repliqua: Servez bien et perseverez; possible
+le serez-vous.
+
+--J'ay cogneu une grande dame qui, durant qu'elle estoit fille et
+marie, on ne parloit que de son embonpoint: elle vint perdre son
+mary, et en faire un regret si extrme qu'elle en devint seiche comme
+bois[95]; pourtant ne delaissa de se donner au coeur joye d'ailleurs,
+jusqu' emprunter l'aide d'un sien secretaire, voire de son cuisinier ce
+disoit-on; mais pour cela ne recouvroit son embonpoint, encore que le
+dit cuisinier, qui estoit tout gresseux et gras, ce me semble, la devoit
+rendre grasse. Et ainsi en prenoient et de l'un et de l'autre de ses
+valets, faisant, avec cela, la plus prude et chaste femme de la Cour,
+n'ayant que la vertu en la bouche, et mal-disante de toutes les autres
+femmes, et y trouvant toutes redire. Telle estoit cette grande dame
+de Dauphin, dans les _Cent Nouvelles de la Reyne de Navarre_, qui fut
+trouve couche sur belle herbe avec son palefrenier ou muletier dessus
+elle, par un gentilhomme qui en estoit amoureux se perdre; mais par
+ainsi gurit aisment son mal d'amour.
+
+--J'ay leu dans un vieux roman de Jean de Saintr, qui est imprim en
+lettres gothiques, que le feu roy Jean le nourrit page. Par l'usance du
+temps pass les grands envoyoient leurs pages en message, comme on fait
+bien aujourd'huy; mais alors alloient partout et par pays cheval;
+mesme que j'ay ouy dire nos peres qu'on les envoyoit bien souvent en
+petites ambassades; car, en depeschant un page avec un cheval et une
+piece d'argent, on en estoit quitte, et autant espargn. Ce petit Jean
+de Saintr (car ainsi l'appeloit-on long-temps) estoit fort aim de son
+maistre le roy Jean, car il estoit tout plein d'esprit, fut envoy
+souvent porter de petits messages sa soeur, qui estoit pour lors
+veufve (le livre ne dit pas de qui). Cette dame en devint amoureuse
+aprs plusieurs messages par luy faits; et un jour, le trouvant propos
+et hors de compagnie, elle l'arraisonna, et se mit demander s'il
+aimoit point aucune dame de la Cour, et laquelle luy revenoit le mieux;
+ainsi qu'est la coustume de plusieurs dames d'user de ces propos quand
+elles veulent donner aucuns la premire pointe ou attaque d'amour,
+comme j'ay veu pratiquer. Ce petit Jean de Saintr, qui n'avoit jamais
+song rien moins qu' l'amour, luy dit que non encore. Elle luy en alla
+descouvrir plusieurs, et ce qui luy en sembloit. Encore moins,
+respondit-il, aprs luy avoir presch des vertus et loanges de l'amour.
+Car, aussi bien de ce temps vieux comme aujourd'huy, aucunes grandes
+dames y estoient sujettes; car le monde n'estoit pas fin comme il est:
+et les plus fines tant mieux pour elles, qui en faisoient passer de
+belles aux marys, mais avec leurs hypocrisies et navetez. Cette dame
+donc, voyant ce jeune garon qui estoit de bonne prise, luy va dire
+qu'elle luy vouloit donner une maistresse qui l'aymeroit bien, mais
+qu'il la servist bien, et luy fit promettre, avec toutes les hontes du
+monde qu'il eust sur ce coup, et surtout qu'il fust secret: enfin elle
+se dclara luy qu'elle vouloit estre sa dame et amoureuse; car de ce
+temps ce mot de _maistresse_ ne s'usoit. Ce jeune page fut fort estonn,
+pensant qu'elle se moquast ou le voulust faire atrapper ou le faire
+foetter. Toutefois elle luy monstra aussitost tant de signes de feu et
+d'embrasement d'amour, qu'il connut que ce n'estoit pas moquerie; luy
+disant toujours qu'elle le vouloit dresser de sa main et le faire grand.
+Tant y a que leurs amours et jouissances durrent longuement, et estant
+page et hors de page, jusques ce qu'il luy fallut aller un lointain
+voyage, qu'elle le changea en un gros, gras abb; et c'est le conte que
+vous voyez en les _Nouvelles du monde advantureux_, d'un valet de
+chambre de la reyne de Navarre; l o vous voyez l'abb faire un affront
+au dit Jean de Saintr, qui estoit si brave et si vaillant; aussi
+bien-tost aprs le rendit-il M. l'abb par bon eschange, et au triple.
+Ce conte est trs-beau, et est pris de l o je vous dis. Voil comme ce
+n'est d'aujourd'huy que les dames aiment les pages, et mesmes quand ils
+sont maills comme perdreaux. Quelles humeurs de femmes, qui veulent
+avoir des amys prou, mais des marys point! Elles font cela pour l'amour
+de la libert, qui est une si douce chose; et leur semble que quand
+elles sont hors de la domination de leurs marys, qu'elles sont en
+paradis; car elles ont leur doaire trs-beau, et le mesnagent; ont les
+affaires de la maison en maniement; elles touchent les deniers; tout
+passe par leurs mains: au lieu qu'elles estoient servantes, elles sont
+maistresses, font eslection de leurs plaisirs et de ceux qui leur en
+donnent leur souhait. Aucunes il y a qui se faschent certes de ne
+rentrer en second mariage, soit pour les grandeurs, dignitez, biens et
+richesses, grades, bons et doux traitements, comme elles faisoient aux
+autres; ou pensant y trouver du pire, et par ce se contiennent: ainsi
+que j'ay cogneu et ouy parler de plusieurs grandes dames et princesses,
+lesquelles, de peur de ne rencontrer leur souhait de la grandeur, et
+de perdre leurs rangs, n'ont jamais voulu se marier; mais ne laissent
+pour cela faire bien l'amour, et le mettre et convertir en joissance;
+et n'en perdoient pour cela ny leurs rangs, ny leurs tabourets, ny leurs
+siges et sances. N'estoient-elles pas bienheureuses celles-l, jouyr
+de la grandeur, et de monter haut et s'abaisser bas tout ensemble? De
+leur en dire mot, ou leur en faire la remonstrance, n'en faloit point
+parler; autrement il y avoit plus de despits, plus de desmentis, de
+ngatives, de contradictions et de vengeances.
+
+--J'ay ouy raconter d'une dame veufve et l'ay cogneue, qui s'estoit fait
+longuement servir un honneste gentilhomme, sous prtexte de mariage;
+mais il ne se mettoit nullement en vidence. Une grande princesse, sa
+maistresse, luy en voulut faire la reprimande. Elle, ruse et corrompue,
+luy respondit: Et quoy, madame, seroit deffendu de n'aimer d'amour
+honneste? ce seroit par trop grande cruaut. Et on sait que cet amour
+honneste s'appeloit un amour bien lascif, et compos de confitures
+spermatiques: comme certes sont toutes amours, qui naissent toutes
+pures, chastes et honnestes; mais aprs se dpucellent, et, par quelque
+certain attouchement d'une pierre philosophale, se convertissent et se
+rendent deshonnestes et lubriques.
+
+--Feu M. de Bussy, qui estoit l'homme de son temps qui disoit des mieux,
+et racontoit aussi plaisamment, un jour la Cour, voyant une dame
+veufve, grande, qui continuoit toujours le mestier d'amour, Et quoy,
+dit-il, cette jument va-elle encore l'estallon? Cela fut rapport
+la dame, qui luy en voulut mal mortel; ce que M. de Bussy sceut: Et
+bien, dit-il, je say comme je feray mon accord et rabilleray cela.
+Dites-luy, je vous prie, que je n'ay pas parl ainsi; mais bien j'ay
+dit: Cette poultre[96] va-elle encore au cheval? Car je say bien
+qu'elle n'est pas marrye de quoy je la tiens pour dame de joye, mais
+pour vieille; et lorsqu'elle saura que je l'ay nomme _poultre_, qui
+est une jeune cavalle, elle pensera que je l'ay encore en estime d'une
+jeune dame. Par ainsi, la dame, ayant sceu cette satisfaction et
+rabillement de paroles, s'appaisa, et se remit en amiti avec M. de
+Bussy; dont nous en rismes bien. Toutefois elle avoit beau faire, car on
+la tenoit tousjours pour une jument vieille et rpare, qui, toute
+surage qu'elle estoit, hannissoit encore aux chevaux. Cette dame ne
+ressembloit pas une autre dont j'ay ouy parler, laquelle, ayant est
+bonne compagne en son premier temps, et se jettant fort sur l'age, se
+mit servir Dieu en jeusnes et oraisons. Un gentilhomme honneste luy
+remonstrant pourquoy elle faisoit tant de veilles l'glise, et tant de
+jeusnes la table, et si c'estoit pour vaincre et matter les aiguillons
+de la chair, Hlas! dit-elle, ils me sont tous passez; profrant ces
+mots aussi piteusement que jamais fit Milo Crotoniates, ce fort et
+puissant luiteur; lequel un jour estant descendu dans l'arene, ou le
+champ des luiteurs, pour y voir l'esbat seulement, car il estoit devenu
+fort vieux, il y en eut un de la troupe qui luy vient dire s'il ne
+vouloit point faire encore un coup du vieux temps. Luy, se rebrassant et
+retroussant ses bras fort piteusement, regardant ses nerfs et muscles,
+il dit seulement: Hlas! ils sont morts. Si cette femme en eust fait
+de mesme et se fust retrousse, le trait estoit pareil celuy de Milo;
+mais on n'y eust veu grand cas qui valust ny qui tentast. Un autre
+pareil trait et mot au prcdent M. de Bussy fit un gentilhomme que je
+say. Venant la Cour, d'o il avoit est absent six mois, il vid une
+dame qui alloit l'Acadmie, qui estoit alors introduite la Cour par
+le feu Roy: Comment, dit-il, l'Acadmie dure encore? on m'avoit dit
+qu'elle estoit abolie.--En doutez-vous, luy respondit un, si elle y va?
+son magister luy apprend la philosophie, qui parle et traite du
+mouvement perptuel.
+
+--Une dame de par le monde rencontra bien mieux d'une autre laquelle
+on looit fort ses beautez, fors qu'elle avoit ses yeux immobiles,
+qu'elle ne remuoit nullement. Pensez, dit-elle, que toute sa curiosit
+est mettre son mouvement au reste de son corps, et mesme celuy du
+mitan, sans le renvoyer ses yeux. Or, si je voulois mettre par escrit
+et tous les bons mots et bons contes que je say pour bien amplifier ce
+sujet, je n'aurois jamais fait, et d'autant que j'ay d'autres pas
+faire je m'en dsiste, et concluray avec Bocace, cy-dessus allgu, que,
+et filles, et maries, et veufves, au moins la plus grande part, tendent
+toutes l'amour.
+
+Je ne veux point parler des personnes viles, ny des champs, ny de ville,
+car telle n'a point est mon intention d'en escrire, mais des grandes,
+pour lesquelles ma plume vole. Toutefois, si au vray on me demandoit mon
+opinion, je dirois volontiers qu'il n'y a que les maries, tout hazard
+et danger des marys part, pour estre propres l'amour et en tirer
+prestement l'essence; car les marys les eschauffent tant, que, comme une
+fournaise qui est souvent bien embrase, elles ne demandent que de la
+matiere et du bois pour entretenir tousjours leur chaleur; et aussi qui
+se veut bien servir de la lampe, il y faut mettre souvent de l'huile;
+mais aussi garde le jarret, et les embusches de ces marys jaloux, o les
+plus habiles bien souvent y sont attrapez! Toutefois il y faut aller le
+plus sagement que l'on peut et le plus hardiment, et faire comme un Roy,
+lequel, comme il estoit fort sujet l'amour, et fort aussi respectueux
+aux dames, et discret, et par consquent bien-aim et receu d'elles,
+quand quelquefois il changeoit de lict et s'alloit coucher en celuy
+d'une autre dame qui l'attendoit, ainsi que je tiens de bon lieu, jamais
+il n'y alloit, et fust-ce en ses galeries caches de Saint Germain,
+Bloys et Fontainebleau, et petits degrs eschapatoires, et recoins, et
+galletas de ses chasteaux, qu'il n'eust son valet-de-chambre favory, dit
+Griffon, qui portoit son espieu devant luy avec le flambeau, et luy
+aprs, son grand manteau devant les yeux ou sa robe de nuict, et son
+espe sous le bras; et estant couch avec la dame, se faisoit mettre son
+espieu et son espe auprs de son chevet, et Griffon la porte bien
+ferme, qui quelquefois faisoit le guet et quelquefois dormoit. Je vous
+laisse penser, si un grand roy prenoit si bien garde soy (car il y
+en a eu d'atrapez, et des roys et de grands princes); ce que les petits
+compagnons auprs de ce grand doivent faire. Mais il y a de certains
+presomptueux qui desdaignent tout; aussi sont-ils bien atrappez souvent.
+
+--J'ay ouy conter que le roy Franois, ayant en main une fort belle dame
+qui luy a longtemps dur, allant un jour inopin ladite dame et en
+heure inopine coucher avec elle, vint frapper la porte rudement,
+ainsi qu'il devoit et avoit pouvoir, car il estoit maistre. Elle qui
+estoit pour lors accompagne du sieur de Bonnivet, n'osa pas dire le mot
+des courtisannes de Rome: _Non si parla, la signora accompagnata_[97].
+Ce fut s'adviser l o son galand se cacheroit pour plus grande
+seuret. Par cas c'estoit en est, o l'on avoit mis des branches et
+feuilles dans la chemine, ainsi qu'est la coustume de France. Parquoy
+elle luy conseille et l'advisa aussitost de se jeter dans la chemine,
+et se cacher dans ces feuillages tout en chemise, que bien luy servit de
+quoy ce n'estoit en hyver. Aprs que le Roy eut fait sa besogne avec la
+dame, il voulut faire de l'eau; et se levant, la vint faire dans la
+chemine, par faute d'autre commodit; dont il en eust si grande envie,
+qu'il en arrosa le pauvre amoureux plus que si l'on luy eust jett un
+sceau d'eau, car il l'en arrousa, en forme de chantepleure de jardin, de
+tous costez, voire et sur le visage, par les yeux, par le nez, la
+bouche, et par tout; possible en eschappa-t-il quelque goutte dans la
+bouche. Je vous laisse penser en quelle peine estoit ce gentilhomme,
+car il n'osoit se remuer, et quelle patience et constance tout ensemble!
+Le Roy, ayant fait, s'en alla, prit cong de la dame et sortit de la
+chambre. La dame fit fermer par derrire, et appella son serviteur dans
+son lict, l'eschauffa de son feu, et lui fit prendre chemise blanche: ce
+ne fust pas sans rire aprs la grande apprhension; car s'il eust est
+descouvert, et luy et elle estoient en trs-grand danger. Cette dame est
+celle-l mesme laquelle estant fort amoureuse de M. de Bonnivet, en
+voulant monstrer au Roy le contraire, qui en concevoit quelque petite
+jalousie, elle luy disoit: Mais il est bon, Sire, de Bonnivet, qui
+pense estre beau; et tant plus je luy dis qu'il l'est, tant plus il se
+voit; et je me moque de luy, et par ainsi j'en passe mon temps, car il
+est fort plaisant et dit de trs-bons mots, si bien qu'on ne sauroit
+s'en garder de rire quand on est prs de luy, tant il raconte bien.
+Elle vouloit par l monstrer au Roy que sa conversation ordinaire
+qu'elle avoit avec luy n'estoit point l'aimer et en joir, ny pour
+fausser compagnie au Roy. Ha! qu'il y a plusieurs dames qui usent de ces
+ruses pour couvrir leurs amours qu'elles ont avec quelques-uns; elles en
+disent du mal, s'en moquent devant le monde, et derrire n'en font pas
+ce beau semblant, et cela s'appellent ruses et astuces d'amour.
+
+--J'ay cogneu une trs-grande dame, laquelle, ayant veu un jour sa
+fille, qui estoit l'une des belles du monde, estre en peine cause de
+l'amour d'un gentilhomme dont son frere estoit estomaqu, entr'autres
+discours que la mre luy dit: H! ma fille, n'aimez plus cet homme-l;
+il a si mauvaise grce et faon! il est si laid! il ressemble un vray
+pastissier de village. La fille s'en mit rire et moquer, et applaudir
+au dire de sa mre, et l'advoer pour semblance de pastissier de
+village; mais qu'il eust un bonnet rouge, toutefois elle l'aimoit. Mais,
+quelque temps aprs, qui fut environ six mois, elle le quitta pour en
+avoir un autre. J'ay connu plusieurs dames qui ont dit pis que pendre
+des femmes qui aimoient en lieux bas, comme leurs secrtaires, valets de
+chambre et autres personnes basses, et dtestoient devant le monde cet
+amour plus que poison; et toutefois elles s'y abandonnoient autant, ou
+plus qu' d'autres. Et ce sont les finesses des dames, jusque l que,
+devant le monde, elles se courroucent contre eux, les menacent, les
+injurient; mais derrire elles s'en accommodent galamment. Ces femmes
+ont tant de ruses! car, comme dit l'Espagnol, _mucho sabe la sorra; pero
+sab mas la dama enamorada_; c'est dire: Le renard sait beaucoup, mais
+une dame amoureuse sait bien davantage. Quoy que fist cette dame
+prcdente pour oster martel au roy Franois, si ne peut-elle tant faire
+qu'il ne lui en restast quelques grains en teste: car, comme j'ay sceu,
+et surquoy il me souvient, qu'une fois m'estant all pourmener
+Chambord, un vieux concierge qui estoit cans, et avoit est valet de
+chambre du Roy Franois m'y reut fort honnestement; car il avoit ds ce
+temps-l connu les miens la Cour et aux guerres, et luy-mesme me
+voulut monstrer tout; et m'ayant men la chambre du Roy, il me monstra
+un escrit au cost de la fenestre: Tenez, dit-il, lisez cela,
+monsieur; si vous n'avez veu de l'escriture du Roy mon maistre, en
+voil. Et l'ayant leu en grandes lettres, il y avoit ce mot: Toute
+femme varie. J'avois avec moy un fort honneste gentilhomme de Prigord,
+mon amy, qui s'appeloit M. de Roche, qui me dit soudain: Pensez que
+quelques-unes de ces dames qu'il aimoit le plus, et de la fidelit
+desquelles il s'assuroit le plus, il les avoit trouves varier et luy
+faire faux-bons, et en elles avoit dcouvert quelque changement dont il
+n'estoit gures content, et, de despit, en avoit escrit ce mot. Le
+concierge, qui nous ouyt, dit: C'est mon, vrayment, ne vous en pensez
+pas moquer: car, de toutes celles que je luy ay jamais veues et
+cogneues, je n'en ay veu aucune qui n'allast au change plus que ses
+chiens de la meute la chasse du cerf; mais c'estoit avec une voix fort
+basse, car s'il s'en fust apperu, il les eust bien releves. Voyez,
+s'il vous plaist, de ces femmes qui ne se contentent ny de leurs marys,
+ny de leurs serviteurs, grands roys et princes et grands seigneurs; mais
+il faut qu'elles aillent au change et que ce grand roy les avoit bien
+connues et exprimentes pour telles, et pour les avoir desbauches et
+tires des mains de leurs marys, de leurs mres et de leurs libertez et
+viduitez.
+
+--J'ay cogneu une bien grande dame, veufve, qui en a fait de mesme: car,
+encore qu'elle fust quasi adore d'un trs-grand, si falloit-il avoir
+quelques menus autres serviteurs, afin de ne pas perdre toutes les
+heures du temps et demeurer en oisivet; car un seul ne peut pas en ces
+choses y vaquer ny fournir toujours: aussi que telle est la rgle de
+l'amour, que la dame d'amour n'est pas pour un temps prfix, n'y aussi
+pour une personne prfixe, ny seule arreste. Je m'en rapporte cette
+dame des _Cent Nouvelles de la Reyne de Navarre_, qui avoit trois
+serviteurs au coup, et estoit si habile qu'elle les savoit tous trois
+fort accortement entretenir.
+
+--J'ay cogneu une dame, laquelle ayant est servie d'un fort honneste
+gentilhomme, et puis en ayant est quitte au bout de quelque temps, se
+vinrent raconter de leurs amours passez. Le gentilhomme, qui voulut
+faire du galant, lui dit: Et quoy! penseriez vous que vous seule
+fussiez de ce temps ma maistresse? vous seriez bien estonne si, avec
+vous, j'en avois eu deux autres? Elle luy respondit aussi-tost: Vous
+seriez bien plus estonn si vous eussiez pens estre le seul mon
+serviteur, car j'en avois bien trois autres pour rserve. Voil
+comment un bon navire veut avoir tousjours deux ou trois ancres pour
+bien s'affermir. Pour faire fin, vive l'amour pour les femmes! et, comme
+j'ay trouv une fois dans les tablettes d'une trs-belle et honneste
+dame qui habloit un peu l'espagnol et l'entendoit trs-bien, ce petit
+refrain escrit de sa propre main, car je la connois trs-bien: _Hembra o
+dama sin campagnero, esperana sin trabajo, y navio sine timon, nunca
+pueden haser cosa que sea buena_; c'est--dire: Jamais femme ou dame
+sans compagnon, ny esprance sans travail; ny navire sans gouvernail, ne
+pourroient faire chose qui vaille. Ce refrain peut estre bon et pour la
+femme et pour la veufve, et pour la fille; car et l'une et l'autre ne
+peuvent rien faire de bon sans la compagnie de l'homme, ny l'esprance
+que l'on a de les avoir n'est point tant agrable les attrapper
+aisment, comme avec un peu de peine et travail, rudesse et rigueur.
+Toutefois la femme et la veufve n'en donnent pas tant que la fille,
+d'autant que l'on dit qu'il est plus ais et facile de vaincre et
+abattre une personne qui a est vaincue, abattue et renverse, que celle
+qui ne le fust jamais; et qu'on ne prend point tant de travail et peine
+ marcher par un chemin desj bien fray et battu, que par celuy qui n'a
+jamais est fait ny trac: et de ces deux comparaisons je m'en rapporte
+aux voyageurs et guerriers. Ainsi est-il des filles; car mesme il y en a
+aucunes si capricieuses, qui jamais n'ont voulu se marier, ains vivre
+toujours en condition filiale; et si on leur demandoit pourquoy, C'est
+ainsi, et telle est mon humeur, disent-elles. Aussi que Cybele, Junon,
+Vnus, Thtis, Crs et autres desses du ciel, ont toutes mpris ce
+nom de vierge, fors Pallas, qui prit du cerveau de Jupiter sa naissance,
+faisant voir par-l que la virginit n'est qu'une opinion conue en la
+cervelle. Aussi demandez nos filles qui ne se marient jamais, ou, si
+elles se marient, c'est le plus tard qu'elles peuvent, et fort
+surannes, pourquoy elles ne se marient. Parce, disent-elles, que je ne
+le veux, et telle est mon humeur et mon opinion. Nous en avons veu aux
+Cours de nos roys aucunes du temps du roy Franois. Madame la rgente
+avoit une fille belle et honneste, qui s'appeloit Poupincourt, qui ne se
+maria jamais, et mourut vierge de l'ge de soixante ans, comme elle
+nasquit, car elle fut trs-sage. La Brelaudire est morte fille et
+pucelle en l'ge de quatre-vingts ans, laquelle on a veu gouvernante de
+madame d'Angoulesme estant fille. Mademoiselle de Charansonne de Savoye
+mourut Tours dernirement fille, et fut enterre avec son chapeau et
+son habit blanc virginal, trs-solemnellement, en grande pompe,
+solemnit et compagnie, en l'ge de quarante-cinq ans ou plus: et ne
+faut point mettre en doute si c'estoit faute de party, car, estant
+l'une des belles et honnestes filles et sages de la Cour, je luy en ay
+veu refuser de trs-bons et trs-grands. Ma soeur de Bourdeille, qui
+est la Cour fille de la Reyne, a refus de mesme de fort bons partis,
+et jamais n'a voulu se marier ny ne le fera, tant elle est rsolue et
+opiniastre de vivre et mourir fille et bien age; et s'est jusques ici
+laisse vaincre cette opinion, et a un bon age. J'ai veu l'infante de
+Portugal, fille de la feue reyne Eleonor, en mesme rsolution, et est
+morte fille et vierge en l'age de soixante ans ou plus. Ce n'est pas
+faute de grandeur, car elle estoit grande en tout, ny par faute de
+biens, car elle en avoit force, et mesme en France, o M. le gnral
+Gourgues a bien fait ses affaires; ny pour faute de dons de nature, car
+je l'ay vee Lisbonne, en l'age de quarante-cinq ans, une trs-belle
+et agrable fille, de bonne grace, de belle apparence, douce, agrable,
+et qui mritoit bien un mary pareil elle en tout, courtoise, et mesme
+ nous autres Franais. Je le peux dire, pour avoir eu cet honneur
+d'avoir parl elle souvent et privement. Feu M. le grand prieur de
+Lorraine, lorsqu'il mena ses galres du levant en ponant pour aller en
+cosse, du temps du petit roy Franois, passant et sjournant Lisbonne
+quelques jours, la visita et vid tous les jours: elle le receut fort
+courtoisement et se pleust fort en sa compagnie, et luy fit tout plein
+de beaux prsents. Entre autres, elle luy bailla une chaisne pour pendre
+sa croix, toute de diamants et rubis, et perles grosses proprement et
+richement laboures; et pouvoit valoir de quatre cinq mille escus, et
+luy faisoit trois tours; car je croy qu'elle pouvoit bien valoir cela:
+aussi l'engageoit-il toujours pour trois mille escus, ainsi qu'il fit
+une fois Londres, lorsque nous tournions d'cosse; mais aussitost en
+France il l'envoya desengager, car il l'aimoit pour l'amour de la dame
+de laquelle il estoit encaprici et fort pris: et croy qu'elle ne
+l'aimoit pas moins, et que volontiers elle eust rompu son noeud
+virginal pour luy; cela s'appelle par mariage, car c'estoit une
+trs-sage et vertueuse princesse: et si diray-je bien plus, que, sans
+les troubles qui commencrent en France, messieurs ses frres
+l'attiroient et l'y tenoient. Il vouloit luy-mesme retourner avec ses
+galres et reprendre mesme route, et revoir cette princesse, et luy
+parler de nopces: et croy qu'il n'en fust point est esconduit, car il
+estoit d'aussi bonne maison qu'elle, et extrait de grands roys comme
+elle, et surtout l'un des beaux, des agrables, des honnestes et des
+meilleurs de la chrestient; messieurs ses frres, principalement les
+deux aisnez, car ils estoient les oracles de tous et conduisoient la
+barque: je vis un jour qu'il leur en parloit, leur racontant son voyage
+et les plaisirs qu'il avoit receus l, et les faveurs: ils vouloient
+fort qu'il refist le voyage et y retournast encore, et luy conseilloient
+de donner l, car le Pape en eust aussitost donn la dispense de la
+croix: et, sans ces maudits troubles, il y alloit et en fust sorty,
+mon advis, son honneur et contentement. La dite princesse l'aimoit
+fort, et m'en parla en trs-bonne part, et le regretta beaucoup,
+m'interrogeant de sa mort, et comme esprise, ainsi qu'il est ais, en
+telle chose, un homme un peu clairvoyant le connoistre.
+
+--J'ay ouy dire une autre raison encore une personne fort habile, je
+ne dis fille ou femme, et possible avoit-elle expriment, pourquoy
+aucunes filles sont si tardives de se marier. Elles disent que c'est
+_propter mollitiem_; et ce mot _mollities_ s'interprte qu'elles sont si
+molles, c'est--dire tant amatrices d'elles-mesmes et tant soucieuses de
+se dlicater et se plaire seules en elles-mesmes, ou bien avec d'aucunes
+de leur compagnie, la mode lesbienne, et y prennent tel plaisir part
+elles, qu'elles pensent et croyent fermement qu'avec les hommes elles
+n'en sauroient jamais tant tirer de plaisir; et, pour ce, se
+contentent-elles en leur joye et savoureux plaisirs, sans se soucier des
+hommes, ny de leurs accointances, ny du mariage. Ces filles ainsi
+vierges et pucelles eussent est Rome fort honores et fort
+privilgies, jusques-l que la justice n'avoit pouvoir sur elles les
+sentencier la mort: si bien que nous lisons que, du temps du
+triumvirat, il y eut un snateur romain parmy les proscrits, qui fut
+condamn mourir, non luy seulement, mais toute sa ligne de luy
+procre; et estant sur l'eschaffaut reprsente une sienne fille fort
+belle et gentille, d'age pourtant non meure et encore trouve pucelle,
+il fallut que le bourreau la dpucelast et la dvirginisast luy-mesme
+sur l'eschaffaut; et puis ainsi pollue la repassa par le cousteau:
+cruaut certes fort vilaine. Les vestales de mesme estoient
+trs-honores et respectes, autant pour leur virginit que pour leur
+religion: car si elles venoient le moins du monde faillir de leurs
+corps, elles estoient cent fois plus punies rigoureusement que quand
+elles n'avoient pas bien gard le feu sacr car on les enterroit toutes
+vives avec des pitis effroyables. Il se lit d'un Albinus, Romain, qui,
+ayant rencontr hors de Rome quelques vestales qui s'en alloient pied
+en quelque part, il commanda sa femme de descendre avec ses enfants de
+son chariot, pour les y monter parfaire leur chemin. Elles avoient
+aussi telle authorit, que bien souvent ont elles est crues et
+moyenneresses faire l'accord entre le peuple de Rome et les
+chevaliers, quand quelquefois ils avoient rumeur ensemble. L'empereur
+Thodose les chassa de Rome par le conseil des chrestiens, envers lequel
+empereur les Romains dputrent un Symmachus, pour le prier de les
+remettre avec leurs biens, rentes et facultez qu'elles avoient grandes,
+et telles, que tous les jours elles donnoient si grande quantit
+d'aumosnes, qu'elles n'ont jamais permis nul Romain ny estranger,
+passant ou venant, de demander l'aumosne, tant leur pie charit
+s'estendoit sur les pauvres: et toutefois Thodose ne les y voulut
+jamais remettre. Elles s'appeloient vestales, de ce mot de _Vesta_, qui
+signifie feu, lequel a beau tourner, virer, mouvoir, flamber, jamais ne
+jette semence ny n'en reoit: de mesme la vierge. Elles duroient trente
+ans ainsi vierges, au bout desquels se pouvoient marier; desquelles peu
+sortant de l se trouvoient plus heureuses, ny plus ny moins que nos
+religieuses qui se sont dvoiles et ont quitt leurs habits. Elles
+estoient fort pompeuses et superbement habilles, lesquelles le pote
+Prudence descrit gentiment, telles comme peuvent estre les chanoinesses
+d'aujourd'huy de Mons en Hainault, et de Remiremont en Lorraine, qui se
+marient. Aussi ce pote Prudence les blasme fort qu'elles alloient parmy
+la ville dans des coches fort superbes, et ainsi si bien vestues aux
+amphithtres, voir les jeux des gladiateurs et combattants outrance
+entre eux et des bestes sauvages, comme prenant grand plaisir voir
+ainsi les hommes s'entre tuer et rpandre le sang; et pour ce il supplie
+l'Empereur d'abolir ces sanguinaires combats et si pitoyables
+spectacles. Ces vestales, certes, ne devoient voir tels jeux; mais
+pouvoient-elles dire aussi: Par faute d'autres jeux plus plaisants, que
+les autres dames voyent et pratiquent, nous pouvons nous contenter en
+ceux-cy.
+
+--Quant la condition de plusieurs veufves, il y en a aussi plusieurs
+qui font l'amour de mesme que ces filles, ainsi que j'en ay cogneu
+aucunes, et autres qui aiment mieux s'esbattre avec les hommes en
+cachette, et en toute leur pleiniere volont, que leur estant sujettes
+par mariage: pour ce, quand on en voit aucunes garder longement leurs
+vidutez, il ne les en faut pas tant loer, comme l'on diroit, jusqu'
+ce que l'on sache leur vie. C'est aprs, selon que l'on descouvre,
+qu'il les en faut louer ou mespriser; car une femme, quand elle veut
+desplier ses esprits, comme on dit, est terriblement fine, et mene
+l'homme vendre au march sans qu'il s'en prenne garde; et, estant ainsi
+fine, elle sait si bien ensorceller et esbloer les yeux et les penses
+des hommes, qu'ils ne peuvent jamais gures bien connoistre leur bien;
+car telle prendra-t-on pour une prude femme et confite en sapience, qui
+sera une bonne putain, et joera son jeu si bien point, et si
+couvert, qu'on n'y connoistra rien. Je say bien que plusieurs me
+pourroient dire que j'ay obmis plusieurs bons mots et contes qui eussent
+mieux encore embelly et annobly ce sujet. Je le vois; mais, d'ici au
+bout du monde, je n'en eusse veu la fin; et, qui en voudra prendre la
+peine de faire mieux, l'on luy aura grande obligation.
+
+Or, mes dames, je fais fin, et m'excusez si j'ay dit quelque chose qui
+vous offense. Je ne fus jamais n ny dress pour vous offenser ni
+desplaire. Si je parle d'aucunes, je ne parle pas de toutes; et de ces
+aucunes, je n'en parle que par noms couverts et point divulgus. Je les
+cache si bien, qu'on ne s'en peut apercevoir, et le scandale n'en peut
+tomber sur elles que par doutes et soupons, et non par vraye
+apparence.
+
+
+
+
+DISCOURS CINQUIME.
+
+ Sur aucunes dames vieilles qui aiment autant faire l'amour comme
+ les jeunes.
+
+
+Puisque j'ay parl cy-devant des vieilles dames qui aiment roussiner,
+je me suis mis faire ce discours. Par quoy j'accommence, et dit qu'un
+jour moy, estant la Cour d'Espagne, devisant avec une fort honneste et
+belle dame, mais pourtant un peu aage, me dit ces mots: _Que ningunas
+damas lindas, o allo menos pocas, se hazen viejas de la cinta hasta a
+baxo_; que nulles dames belles, ou au moins peu, se font vieilles de la
+ceinture jusques en bas. Sur quoy je luy demanday comment elle
+l'entendoit, si c'estoit ou pour la beaut du corps de cette ceinture en
+bas, qu'elle n'en diminuast aucunement par la vieillesse, ou pour
+l'envie et l'appetit de la concupiscence qui vinssent ne s'en
+estreindre ny s'en refroidir par le bas aucunement. Elle respondit
+qu'elle l'entendoit et pour l'un et pour l'autre; car, quant la
+picqueure de la chair, disoit-elle, ne faut pas penser que l'on s'en
+gurisse que par la mort, quoiqu'il semble que l'aage y vueille
+rpugner; d'autant que toute femme belle s'aime extresmement, et en
+s'aimant ce n'est point pour elle, mais pour autruy; et nullement
+ressemble Narcisus, qui, fat qu'il estoit, aim de soy et de soy-mesme
+amoureux, abhorroit toutes autres amours. La belle femme ne tient rien
+de cette humeur; ainsi que j'ay ouy raconter d'une trs-belle dame,
+laquelle, s'aimant et se plaisant fort bien souvent seule et part soy,
+dans son lit se mettoit toute nu, et en toutes postures se contemploit,
+s'admiroit et s'arregardoit lascivement, en se maudissant d'estre voe
+ un seul qui n'estoit digne d'un si beau corps, entendant son mary
+nullement gal elle. Enfin elle s'enflamma tellement par telles
+contemplations et visions qu'elle dit adieu sa chastet et son sot
+voeu marital, et fit amour et serviteur nouveau. Voil donc comme la
+beaut allume le feu et la flamme d'une dame, qui la transporte ceux
+qu'elle veut puis aprs, soit aux marys ou aux serviteurs, pour les
+mettre en usage; aussi qu'un amour en amene un autre. De plus, estant
+ainsi belle et recherche de quelqu'un, et qu'elle ne ddaigne de
+respondre, la voil trousse: ainsi que Lays disoit que toute femme qui
+ouvre la bouche pour dire quelque response douce son amy, le coeur
+s'y en va et s'ouvre de mesme. Davantage, toute belle et honneste femme
+ne refuse jamais loange qu'on lui donne; et si une fois elle se plaist
+ou permette d'estre loe en sa beaut, bonnes graces et gentilles
+faons, ainsi que nous autres courtisans avons accoustum de faire pour
+le premier assaut de l'amour, quoyqu'il tarde, avec la continu nous
+l'emportons. Or est-il que toute belle femme s'estant une fois essaye
+au jeu d'amour ne le desapprend jamais, et la continu luy est toujours
+trs-douce et agrable; ny plus ny moins que, quand l'on a acoustum une
+bonne viande, on se fasche fort de la laisser; et tant plus on va sur
+l'aage, tant meilleure est-elle pour la personne, ce disent les
+mdecins: aussi, tant plus la femme va sur l'aage, tant plus est friande
+d'une bonne chair qu'elle a accoustum; et si sa bouche d'en haut y
+prend de la saveur, sa bouche d'en bas aussi en prend bien autant; et la
+friandise ne s'en oublie jamais ny ne s'en lasse par la charge des ans,
+oui plustost bien par une longue maladie, ce disent les mdecins, ou
+autres accidents: que si l'on s'en fasche pour quelque temps, pourtant
+on la reprend bien.
+
+L'on dit aussi que tous exercices dcroissent et diminuent par l'aage,
+qui oste la force aux personnes pour les faire valoir, fors celui de
+Vnus, qui se pratique trs-doucement, sans peine et sans travail dans
+un mol et beau lit, et trs-bien l'aise. Je parle pour la femme et non
+pour l'homme, qui pour cela tout le travail et corve eschoit en
+partage. Luy donc, priv de ce plaisir, s'en abstient de bonne heure,
+encor que ce soit en dpit de luy; mais la femme, en quelque aage
+qu'elle soit, reoit en soy, comme une fournaise, tout feu et toute
+matire; j'entends si on lui en veut donner: mais il n'y a si vieille
+monture, si elle a dsir d'aller et veuille estre picque, qui ne trouve
+quelque chevaucheur malautru; et quand bien une femme aage n'en
+sauroit chevir bonnement, et n'en trouveroit point comme en ses
+jeunes ans, elle a de l'argent et des moyens pour en avoir au prix du
+march, en de bons, comme j'ai ouy dire. Toutes marchandises qui
+coustent faschent fort la bourse, contre l'opinion d'Hliogabale, qui,
+tant plus il acheptoit les viandes cheres, tant meilleures les
+trouvoit-il; fors la marchandise de Vnus, laquelle tant plus couste,
+tant plus plaist, pour le grand dsir que l'on a de bien faire valloir
+la besogne et denre que l'on aura bien achepte; et le tallent que l'on
+a en main, on le fait valloir au triple, voir au centuple, si l'on peut.
+Ce fust ce que dist une courtisanne espagnole deux braves cavaliers
+espagnols qui prindrent querelle pour elle, et sortants de son logis
+mirent les espes aux mains et se commencrent battre: elle mit la
+tte la fenestre, et s'escria eux: _Senores, mis amores se gagnan
+con oro y plata, non con hierro_; c'est--dire: Messieurs, mes amours
+se gagnent avec l'or et l'argent, et non avec le fer. Voil comme tout
+amour bien achept est bon. Force dames et cavaliers qui ont trafiqu
+tels march en savent bien que dire: d'allguer des exemples de
+plusieurs dames qui ont brusl en leur vieillesse aussi bien qu'en
+jeunesse, ou qui ont pass, ou, pour mieux dire, entretenu leurs feux
+par seconds et nouveaux marys et serviteurs, ce seroit moi maintenant
+chose superflu, puis qu'ailleurs j'en ay allgu plusieurs; ci en
+rapporteray-je icy aucuns, car la chose la requiert et sert cette
+cause.
+
+--J'ai ouy parler d'une grande dame, qui rencontroit le mot aussi bien
+que dame de son temps, laquelle, voyant un jour un jeune gentilhomme qui
+avoit les mains trs-blanches, elle luy demanda ce qu'il faisoit pour
+les avoir telles: il respondit en riant et gaussant, que le plus souvent
+qu'il pouvoit il les frottoit de sperme. Voil, dit-elle donc, un
+malheur pour moy, car il y a plus de soixante ans que j'en lave mon cas
+(le nommant tout trac), il est aussi noir que le premier jour; et si
+je l'en lave encore tous les jours.
+
+--J'ai ouy parler d'une dame d'assez bonnes annes, laquelle se voulant
+remarier, en demanda un jour l'advis un mdecin, fondant ses raisons
+sur ce qu'elle estoit trs-humide et remplie de toutes mauvaises
+humeurs, qui luy estoient venues et l'avoient entrenue depuis qu'elle
+estoient veufve, ce qui ne luy estoit arriv du temps de son mary,
+d'autant que, par les assidus exercices qu'ils faisoient ensemble, ces
+humeurs s'asschoient et consommoient. Le mdecin, qui estoit bon
+compagnon, et qui luy voulut en cela complaire, luy conseilla de se
+remarier et de chasser les humeurs de son corps de cette faon, et qu'il
+valloit mieux estre sche qu'humide. La dame pratiqua ce conseil, et
+l'approuva trs-bien, toute suranne qu'elle estoit; mais je dis avec un
+mary et un amoureux nouveau, qui l'aimoit bien autant pour l'amour du
+bon argent que du plaisir qu'il tiroit d'elle: encore qu'il y ait
+plusieurs dames aages avec lesquelles on prend bien autant de plaisir,
+et y fait aussi bon et meilleur qu'avec les plus jeunes, pour en savoir
+mieux l'art et la faon, et en donner le goust aux amants. Les
+courtisannes de Rome et d'Italie, quand elles sont sur l'aage, tiennent
+cette maxime, que _una galina vecchia f miglior brodo che
+un'altra_[98]. Horace fait mention d'une vieille, laquelle s'agitoit et
+se mouvoit, quand elle venoit l, de telle faon et si rudement et
+inquitement, qu'elle faisoit trembler non-seulement le lit, mais toute
+la maison. Voil une gente vieille! Les Latins appellent s'agiter ainsi
+et s'esmouvoir, _subare sue_, qu'est dire une porque, ou truye. Nous
+lisons de l'empereur Calicula, de toutes ses femmes qu'il eut il aima
+Cezonnia, non tant par sa beaut qu'elle eut, ni d'aage florissant, car
+elle estoit desja fort avance, mais cause de sa grande lascivit et
+palliardise qui estoit en elle, et la grande iudustrie qu'elle avoit
+pour l'exercer, que la vieille saison et pratique luy avoit apporte,
+laissant toutes les autres femmes, encor qu'elles fussent plus belles et
+jeunes que celle-l; et la menoit ordinairement aux armes avec luy,
+habille et arme en garon, et chevauchant de mesme cost cost de
+luy, jusques la montrer souventes fois ses amys toute nu, et leur
+faire voir ses tours de souplesse et de paillardise. Il falloit bien
+dire que l'aage n'eust rien diminu en cette femme de beau et de lascif,
+puis qu'il l'aimoit tant. Neantmoins, avec tout ce grand amour qu'il lui
+portoit, bien souvent, quand il l'embrassoit et touschoit sa belle
+gorge, il ne se pouvoit empescher de luy dire, tant il estoit sanglant:
+Voil une belle gorge, mais aussi il est en mon pouvoir de la faire
+couper. Hlas! la pauvre femme fut de mesme avec lui occise d'un coup
+d'espe travers le corps par un centenier, et sa fille brise et
+accravante contre une muraille, qui ne pouvoit mais de la mchancet de
+son pre.
+
+--Il se lit encore de Julia, marastre de Caracalla, empereur, estant un
+jour quasi par ngligence nue de la moiti du corps, et Caracalla la
+voyant, il ne dit que ces mots: Ha! que j'en voudrois bien, s'il
+m'estoit permis! Elle soudain respondit: S'il vous plaist, ne
+savez-vous pas que vous estes empereur, et que vous donnez des loix et
+non pas les recevez? Sur ce bon mot et bonne volont, il l'espousa et
+se coupla avec elle. Pareilles quasi paroles furent donnes l'un de
+nos trois roys derniers, que je ne nommeray point. Estant espris et
+devenu amoureux d'une fort belle et honneste dame, aprs lui avoir jett
+des premires pointes et paroles d'amour, luy en fit un jour entendre sa
+volont plus au long, par un honneste et trs-habile gentilhomme que je
+say, qui, luy portant le petit poulet, se mit en son mieux dire pour la
+persuader de venir l. Elle, qui n'estoit point sotte, se dfendit le
+mieux qu'elle put, par force belles raisons qu'elle sceut bien allguer,
+sans oublier sur-tout le grand, ou, pour mieux dire, le petit point
+d'honneur. Somme, le gentilhomme, aprs force contestations, luy
+demanda, pour fin, ce qu'elle vouloit qu'il dist au Roy? Elle, ayant un
+peu song, tout coup, comme d'une dsesprade, profra ces mots: Que
+vous luy direz? dit-elle; autre chose, si-non que je say bien qu'un
+refus ne fut jamais profitable celuy ou celle qui le fait son Roy
+ou son souverain, et que bien souvent, usant de sa puissance, il sait
+plustost prendre et commander que requrir et prier. Le gentilhomme, se
+contentant de cette response, la porte aussitost au Roy, qui prit
+l'occasion par le poil et va trouver la dame en sa chambre, laquelle,
+sans trop grand effort de lutte, fut abattue. Cette response fut
+d'esprit et d'envie d'avoir affaire son Roy, encore qu'on die qu'il ne
+fait pas bon se joer ni avoir affaire avec son Roy: il s'en faut ce
+point, dont on ne s'en trouve jamais mal si la femme s'y conduit
+sagement et constamment. Pour reprendre cette Julia, marastre de cet
+empereur, il falloit bien qu'elle fust putain, d'aimer et prendre mary
+celui sur le sein de laquelle; quelque temps avant, il luy avoit tu son
+propre fils; elle estoit bien putain celle-l et de bas coeur.
+Toutesfois c'estoit grande chose que d'estre impratrice, et pour tel
+honneur tout s'oublie. Cette Julia fut fort aime de son mary, encore
+qu'elle fust bien fort en l'aage, n'ayant pourtant rien abattu de sa
+beaut; car elle estoit trs-belle et trs-accorte, tmoins ses paroles,
+qui lui haussrent bien le chevet de sa grandeur.
+
+--Philippes-Maria, duc troisiesme de Milan, espousa en secondes nopces
+Beatricine, veuve de feu Facin Cane, estant fort vieille; mais elle luy
+porta en mariage quatre cents mille escus, sans les autres meubles,
+bagues et joyaux, qui montoient un haut prix, et qui effaoient sa
+vieillesse; nonobstant laquelle fut souponne de son mary d'aller
+ribauder ailleurs, et pour tel soupon la fit mourir. Vous voyez si la
+vieillesse luy fit perdre le goust du jeu d'amour; pensez que le grand
+usage qu'elle en avoit luy en donnoit encore l'envie.
+
+--Constance, reyne de Sicile, qui, ds sa jeunesse, et toute sa vie,
+n'avoit boug vestale du cul d'un cloistre en chastet, venant
+s'emanciper au monde en l'aage de cinquante ans, qui n'estoit pas belle
+pourtant et toute dcrpite, voulut taster de la douceur de la chair et
+se marier, et engrossa d'un enfant en l'aage de cinquante deux ans,
+duquel elle voulut enfanter publiquement dans les prairies de Palerme, y
+ayant fait dresser une tente et un pavillon exprs, afin que le monde
+n'entrast en doute que son fruit fut appost: qui fust un des grands
+miracles que jamais on ait veu depuis sainte Elisabeth. L'histoire de
+Naples pourtant dit qu'on le reputa suppos. Si fut-il pourtant un grand
+personnage; mais ce sont-ils ceux-l, la pluspart, des braves, que les
+bastards, ainsi que me dit un jour un grand.
+
+--J'ay cogneu une abbesse de Tarascon, soeur de madame d'Usez, de la
+maison de Tallard, qui se deffroqua et sortit de religion en l'aage de
+plus de cinquante ans, et se maria avec le grand Chanay, qu'on a veu
+grand joeur la Cour. Force autres religieuses ont fait de tels tours,
+soit en mariage ou autrement, pour taster de la chair en leur aage
+trs-meur. Si telles font cela, que doivent donc faire nos dames, qui y
+sont accoutumes ds leurs tendres ans? la vieillesse les doit-elle
+empescher qu'elles ne tastent ou mangent quelquefois de bons morceaux
+dont elles en ont pratiqu l'usance si longtemps? Et que deviendroient
+tant de bons potages restaurants, bouillons composez, tant d'ambresgris,
+et autres drogues escaldatives et confortatives pour eschauffer et
+conforter leur estomach, vieil et froid? Dont ne faut douter que telles
+compositions, en remettant et entrenant leur dbile estomach, ne fassent
+encore autre seconde opration sous bourre, qui les eschauffent dans le
+corps et leur causent quelques chaleurs vnriennes; qu'il faut par
+aprs expulser par la cohabitation et copulation, qui est le plus
+souverain remde qui soit, et le plus ordinaire, sans y appeler
+autrement l'advis des mdecins, dont je m'en rapporte eux. Et qui
+meilleur est pour elles, est, qu'estant aages et venues sur les
+cinquante ans, n'ont plus de crainte d'engrosser, et lors ont pleiniere
+et toute ample libert de se joer et recueillir les arrerages des
+plaisirs, que possible aucunes n'ont os prendre de peur de l'enflure
+de leur traistre ventre: de sorte que plusieurs y en a-t-il qui se
+donnent plus de bon temps en leurs amours depuis cinquante ans en bas,
+que de cinquante ans en avant. De plusieurs grandes et moyennes dames en
+ay-je oy parler en telles complexions, jusques-l que plusieurs en ay-je
+cogneu et ouy parler qui ont souhait plusieurs fois les cinquante ans
+chargs sur elles pour les empescher de la groisse, et pour le faire
+mieux sans aucune crainte ni escandale. Mais pouquoy s'en en
+garderoient-elles sur l'aage? vous diriez qu'aprs la mort aucunes ont
+quelque mouvement et sentiment de chair. Si faut-il que je fasse un
+conte que je vais faire.
+
+--J'ay eu d'autres fois un frere puisn qu'on appeloit le capitaine
+Bourdeille, l'un des braves et vaillants capitaines de son temps. Il
+faut que je die cela de luy, encore qu'il fust mon frre, sans offenser
+la loange que je luy donne: les combats qu'il a faits aux guerres et
+aux estaquades en font foy; car c'estoit le gentilhomme de France qui
+avoit les armes mieux en la main: aussi l'appeloit-on en Piedmont l'un
+des Rodomonts de-l. Il fut tu l'assaut de Hesdin, la derniere
+reprise. Il fut ddi par ses pere et mere aux lettres, et pour ce il
+fut envoy l'aage de dix-huit ans en Italie pour estudier, et
+s'arresta Ferrare, pour ce que madame Rene de France, duchesse de
+Ferrare, aimoit fort ma mere, et pour ce le retint l pour vaquer ses
+tudes, car il y avoit universit. Or, d'autant qu'il n'y estoit nay ny
+propre, il n'y vaquoit gueres, ains plutost s'amusa faire la cour et
+l'amour: si bien qu'il s'amouracha fort d'une damoiselle franaise
+veufve, qui estoit madame de Ferrare, qu'on appeloit mademoiselle de
+La Roche[99], et en tira de la joissance, s'entr'aimant si fort l'un et
+l'autre, que mon frere, ayant est rappel de son pere, le voyant mal
+propre pour les lettres, fallust qu'il s'en retournast. Elle qui
+l'aimoit, et qui craignoit qu'il ne luy mesadvint, parce qu'elle sentoit
+fort de Luther, qui voguoit pour lors, pria mon frere de l'emmener avec
+luy en France, et en la cour de la reyne de Navarre, Marguerite, qui
+elle avoit est, et l'avoit donne madame Rene lorsqu'elle fut
+marie, et s'en alla en Italie. Mon frre, qui estoit jeune et sans
+aucune considration, estant bien aise de cette bonne compagnie, la
+conduisit jusques Paris, o estoit pour lors la Reyne, qui fut fort
+aise de la voir, car c'estoit la femme qui avoit le plus d'esprit et
+disoit des mieux, et estoit une veufve belle et accomplie en tout. Mon
+frre, aprs avoir demeur quelques jours avec ma grand-mere et ma mere,
+qui estoient lors en sa Cour, s'en retourna voir son pere. Au bout de
+quelque temps, se dgoustant fort des lettres, et ne s'y voyant propre,
+les quitte tout plat, et s'en va aux guerres de Piedmont et de Parme,
+o il acquit beaucoup d'honneur, et les pratiqua l'espace de cinq six
+mois sans venir sa maison; au bout desquels il vint voir sa mre, qui
+estoit lors la Cour avec la reyne de Navarre, qui se tenoit lors
+Pau, laquelle il fit rvrence ainsi qu'elle tournoit de vespres.
+Elle, qui estoit la meilleure princesse du monde, luy fit une fort bonne
+chere, et, le prenant par la main, le pourmena par l'glise environ une
+heure ou deux, luy demandant force nouvelles des guerres de Piedmont et
+d'Italie, et plusieurs autres particularitez auxquelles mon frere
+respondit si bien, qu'elle en fut satisfaite (car il disoit des mieux),
+tant de son esprit que de son corps, car il estoit trs-beau
+gentilhomme, et de l'aage de vingt-quatre ans. Enfin, aprs l'avoir
+entretenu assez de temps, et ainsi que la nature et la complexion de
+cette honorable princesse estoit de ne ddaigner les belles
+conversations et entretiens des honnestes gens, de propos en propos,
+tousjours en se pourmenant, vint prcisment arrester coy mon frere sur
+la tombe de mademoiselle de La Roche, qui estoit morte il y avoit trois
+mois; puis le prit par la main et luy dit: Mon cousin (car ainsi
+l'appeloit-elle, d'autant qu'une fille d'Albret avoit est marie en
+notre maison de Bourdeille; mais pour cela je n'en mets pas plus grand
+pot au feu, n'y n'en augmente davantage mon ambition), ne sentez-vous
+point rien mouvoir sous vous et sous vos pieds?--Non, madame,
+respondit-il.--Mais songez-y bien, mon cousin, lui rpliqua-elle. Mon
+frre lui respondit: Madame, j'y ay bien song, mais je ne sens rien
+mouvoir; car je marche sur une pierre bien ferme.--Or, je vous advise,
+dit lors la Reyne, sans le tenir plus en suspens, que vous estes sur la
+tombe et le corps de la pauvre mademoiselle de La Roche, qui est ici
+dessous vous enterre, que vous avez tant aime; et puis que les ames
+ont du sentiment aprs nostre mort, il ne faut pas douter que cette
+honneste crature, morte de frais, ne se soit esmue aussi-tost que vous
+avez est sur elle; et si vous ne l'avez senty cause de l'espaisseur
+de la tombe, ne faut douter qu'en soy ne se soit esmue et ressentie; et
+d'autant que c'est un pieux office d'avoir souvenance des trespasss,
+et mesme de ceux que l'on a aimez, je vous prie luy donner un _Pater
+noster_ et un _Ave Maria_, et un _De profundis_, et l'arrousez d'eau
+bnite; et vous acquerrez le nom de trs-fidle amant et d'un bon
+chrestien. Je vous lairray donc pour cela, et pars. Et s'en va. Feu mon
+frere ne faillit ce qu'elle avoit dit, et puis l'alla trouver, qui luy
+en fit un peu la guerre, car elle en estoit commune en tout bon propos
+et y avoit bonne grace. Voil l'opinion de cette bonne princesse
+laquelle la tenoit plus par gentillesse et par forme de devis que par
+crance, mon advis. Ces propos gentils me font souvenir d'une pitaphe
+d'une courtisanne qui est enterre Rome Nostre-Dame _del Populo_, o
+il y a ces mots: _Quso, viator, ne me diutius calcatam, amplius
+calces_: Passant, m'ayant tant de fois foule et trpe, je te prie ne
+me trper ny ne me fouler plus. Le mot latin a plus de grace. Je mets
+tout cecy plus pour rise que pour autre chose. Or, pour faire fin, ne
+se faut esbahir si cette dame espagnole tenoit cette maxime des belles
+dames qui se sont fort aimes, et ont aim et aiment, et se plaisent
+estre loues, bien qu'elles ne tiennent guieres du pass; mais pourtant
+c'est le plus grand plaisir que vous leur pouvez donner, et qu'elles
+aiment plus, quand vous leur dites que ce sont tousjours elles, et
+qu'elles ne sont nullement changes ny envieillies, et sur-tout qui ne
+deviennent point vieilles de la ceinture jusqu'au bas.
+
+J'ay ouy parler d'une fort belle et honneste dame qui disoit un jour
+son serviteur: Je ne sais que dsormais la vieillesse m'apportera plus
+grande incommodit (car elle avoit cinquante-cinq ans); mais Dieu merci,
+je ne le fis jamais si bien comme je le fais, et n'y pris jamais tant de
+plaisir; que si cecy dure et continu jusqu' mon extreme vieillesse, je
+ne m'en soucie d'elle autrement, ny ne plains point le pass. Or,
+touchant l'amour et la concupiscence, j'ay allgu ici et ailleurs assez
+d'exemples, sans en tirer davantage sur ce sujet. Venons maintenant
+l'autre maxime, touchant cette beaut des belles femmes qui ne se
+diminue par vieillesse de la ceinture jusques en bas. Certes, sur cela,
+cette dame espagnole allgua plusieurs belles raisons et gentilles
+comparaisons, accomparant ces belles dames ces beaux, vieux et
+superbes difices qui ont est, desquels la ruine en demeure encor
+belle; ainsi que l'on voit Rome, en ces orgueilleuses antiquitez, les
+ruines de ces beaux palais, ces superbes colisses et grands termes,
+qui monstrent bien encore quels ont est, donnent encore admiration et
+terreur tout le monde, et la ruine en demeure admirable et
+espouvantable; si-bien que sur ces ruines ont y bastit encore de
+trs-beaux difices, monstrant que les fondements en sont meilleurs et
+plus beaux que sur d'autres nouveaux: ainsi que l'on voit souvent aux
+massonneries que nos bons architectes et massons entreprennent; et s'ils
+trouvent quelques vieilles ruines et fondements, ils bastissent
+aussi-tost dessus, et plus-tost que sur de nouveaux. J'ay bien veu aussi
+souvent de belles galleres et navires se bastir et se refaire sur de
+vieux corps et de vieilles carennes, lesquelles avoient demeur
+long-temps dans un port sans rien faire, qui valloient bien autant que
+celles que l'on bastissoit et charpentoit tout neuf, et de bois neuf
+venant de la forest. Davantage, disoit cette dame espagnole, ne void-on
+pas souvent les sommets des hautes tours par les vents, les orages, les
+tonnerres estre emportez, dfraudez et gastez, et le bas demeurer sain
+et entier? car tousjours telles hauteurs telles tempestes s'adressent;
+mesmes les vents marins minent et mangent les pierres d'enhaut, et les
+concavent plustost que celles du bas, pour n'y estre si exposes que
+celles d'enhaut. De mesme, plusieurs belles dames perdent le lustre et
+la beaut de leurs beaux visages par plusieurs accidents, ou de froid ou
+de chaud, ou de soleil et de lune, et autres, et, qui pis est, de
+plusieurs fards qu'elle y applicquent, pensans se rendre plus belles, et
+gastent tout; au lieu qu'aux partis d'enbas n'y applicquent autre fard
+que le naturel spermatic, n'y sentant ni froid, ny pluye, ny vent, ny
+soleil, ny lune, qui n'y touchent point. Si la chaleur les importune,
+elles s'en savent bien garantir et se raffraischir; de mesmes remdient
+au froid en plusieurs faons: tant d'incommoditez et peines y a-t-il
+garder la beaut d'enhaut, et peu garder celle d'enbas: si-bien
+qu'encore qu'on ayt veu une belle femme se perdre par le visage, ne faut
+prsumer qu'elle soit perdu par le bas, et qu'il n'y reste encor
+quelque chose de beau et de bon, et qu'il n'y fait point mauvais bastir.
+
+--J'ay ouy conter d'une grande dame qui avoit est trs-belle et bien
+adonne l'amour: un de ses serviteurs anciens l'ayant perdu de veu
+l'espace de quatre ans, pour quelque voyage qu'il entreprit, duquel
+retournant, et la trouvant fort change de ce beau visage qu'il luy
+avoit veu autres fois, et par ce en devint fort dgoust et reffroidy,
+qu'il ne la voulut plus attaquer, ny renouveller avec elle le plaisir
+pass. Elle le recogneut bien, et fit tant qu'elle trouva moyen qu'il la
+vint voir dans son lict; et, pour ce, un jour elle contrefit de la
+malade, et lui l'estant venu voir sur jour, elle luy dit: Je say
+bien, monsieur, que vous me desdaignez cause de mon visage chang par
+mon aage; mais tenez, voyez (et sur ce elle luy descouvrit toute la
+moiti du corps nud en bas) s'il y a rien de chang l; si mon visage
+vous a tromp, cela ne vous trompe pas. Le gentilhomme la contemplant,
+et la trouvant par-l aussi belle et nette que jamais, entra aussitost
+en apptit, et mangea de la chair qu'il pensoit estre pourrie et gaste.
+Et voil, dit la dame, monsieur, voil comme vous autres estes trompez.
+Une autre fois, n'adjoustez plus de foy aux menteries de nos faux
+visages; car le reste de nos corps ne les ressemble pas toujours. Je
+vous apprens cela. Une dame comme celle-l, estant ainsi devenus
+change de beau visage, fut en si grand colre et despit contre luy,
+qu'elle ne le voulut oncques plus jamais mirer dans son miroir, disant
+qu'il en estoit indigne; et se faisoit coiffer ses femmes, et, pour
+rcompense, se miroit et s'arregardoit par les parties d'en-bas, y
+prenant autant de dlectation comme elle avoit fait par le visage
+autresfois.
+
+--J'ay ouy parler d'une autre dame, qui, tant qu'elle couchoit sur jour
+avec son amy, elle couvroit son visage d'un beau mouchoir blanc d'une
+fine toile d'Hollande, de peur que, la voyant au visage, le haut ne
+refroidist et empeschast la batterie du bas, et ne s'en degoustast; car
+il n'y avoit rien dire au bas du beau pass. Sur quoy il y eut une
+fort honneste dame, dont j'ay ouy parler, qui rencontra plaisamment,
+laquelle un jour son mary luy demandant pourquoy son poil d'en-bas
+n'estoit pas devenu blanc et chenu comme celuy de la teste: H,
+dit-elle, le meschant traistre qu'il est, qui a fait la folie, ne s'en
+ressent point, ny ne la boit point. Il la fait sentir et boire
+d'autres de mes membres et ma teste; d'autant qu'il demeure toujours,
+sans changer, et en mesme estat et vigueur, en mesme disposition, et
+sur-tout en mesme chaud naturel, et a mesme appetit et sant, et non des
+autres membres, qui en ont pour luy des maux et des douleurs, et mes
+cheveux qui en sont devenus blancs et chenus. Elle avoit raison de
+parler ainsi; car cette partie leur engendre bien des douleurs, des
+gouttes et des maux, sans que leur gallant du mitan s'en sente; et, pour
+trop estre chaudes cela, ce disent les mdecins, deviennent ainsi
+chenus. Voil pourquoy les belles dames ne vieillissent jamais par-l
+en toutes les deux faons.
+
+--J'ay ouy raconter aucuns qui les ont pratiques, jusques aux
+courtisannes, qui m'ont asseur n'en avoir veu gures de belles estres
+venues vieilles par-l: car tout le bas et mitan, et cuisses et jambes,
+avoient le tout beau, et la volont et la disposition pareille au pass.
+Mesmes j'en ay ouy parler plusieurs marys qui trouvoient leurs
+vieilles (ainsi les appeloient-ils) aussi belles par le bas comme
+jamais, en vouloir, en gaillardise, en beaut, et aussi volontaires, et
+n'y trouvoient rien de chang que le visage; et aimoient autant coucher
+avec elles qu'en leurs jeunes ans. Au reste, combien y a-t-il d'hommes
+qui aiment autant de vieilles dames pour monter dessus plustost que sur
+des jeunes; tout ainsi comme plusieurs qui aiment mieux des vieux
+chevaux, soit pour le jour d'un bon affaire, soit pour le mange et pour
+le plaisir, qui ont est si bien appris en leur jeunesse, qu'en leur
+vieillesse vous n'y trouverez rien dire, tant ils ont est bien
+dresss, et ont continu leur gentille addresse.
+
+--J'ay veu l'escurie de nos roys le cheval qu'on appelloit _le
+Quadragant_, dress du temps du roy Henry. Il avoit plus de vingt-deux
+ans; mais encore, tout vieux qu'il estoit, il faisoit trs-bien et
+n'avoit rien oubli; si bien qu'il donnoit encore son roy, et tous
+ceux qui le voyoient manier, du plaisir bien grand. J'en ay veu faire de
+mesmes un grand coursier qu'on appeloit _le Gonzague_, du haras de
+Mantou, et estoit contemporain du Quadragant. J'ay veu _le Moreau
+superbe_, qui avoit est mis pour estalon. Le seigneur M. Antonio, qui
+avoit la charge du haras du Roy, me le monstra Mun, un jour que je
+passay par-l, aller deux pas et un sault, et voltes, aussi bien que
+lorsque M. de Carnavallet l'eut dress, car il estoit luy; et feu M.
+de Longueville luy en voulut donner trois mille livres de rente; mais le
+roy Charles ne le voulut pas, qui le prit pour luy, et le rcompensa
+d'ailleurs. Une infinit d'autres en nommerois-je, mais je n'aurois
+jamais fait, m'en remettant aux braves escuyers, qui en ont prou veu. Le
+feu roy Henry, au camp d'Amiens, avoit choisi pour son jour de bataille
+_le Bay de la Pay_, un trs-beau et fort courcier et vieux; et mourut de
+la fivre, par le dire des plus experts mareschaux, au camp d'Amiens; ce
+qu'on trouva estrange. Feu M. de Guise envoya querir en son haras
+d'Esclairon _le Bay Samson_, qui servoit l d'estalon, pour le servir en
+la bataille de Dreux, o il le servit trs-bien. Aux premieres guerres,
+feu M. le prince prit dans Mun vingt-deux chevaux qui servoient-l
+d'estalons, pour s'en servir en ses guerres, et les dpartit aux uns et
+aux autres des seigneurs qui estoient avec luy, s'en estant rserv sa
+part; dont le brave Avaret eut un courcier que M. le connestable avoit
+donn au roy Henry, et l'appeloit-on _le Compere_: tout vieux qu'il
+estoit, jamais n'en fut veu un meilleur, et son maistre le fit trouver
+en de bons combats, qui luy servit trs-bien. Le capitaine Bourdet eut
+le Turc, sur lequel le feu roy Henry fut bless et tu, que feu M. de
+Savoye luy avoit donn, et l'appelloit-on _le Malheureux_: et
+s'appelloit ainsi quand il fut donn au Roy, ce qui fut un trs-mauvais
+prsage pour le Roy. Jamais il ne fut si bon en sa jeunesse comme il fut
+en sa vieillesse: aussi son maistre, qui estoit un des vaillants
+gentilshommes de France, le faisoit bien valloir. Bref, tout tant qu'il
+en eust de ces estalons, jamais l'aage m'empescha qu'ils ne servissent
+bien leurs maistres, leur prince et leur cause. Ainsi sont
+plusieurs chevaux vieux qui ne se rendent jamais: aussi dit-on que
+jamais bon cheval ne devint rosse. De mesme sont plusieurs dames, qui en
+leur vieillesse valent bien autant que d'autres en leur jeunesse, et
+donnent bien autant de plaisir, pour avoir est en leur temps trs-bien
+apprises et dresses; et volontiers telles leons mal-aisment
+s'oublient: et ce qui est le meilleur, c'est qu'elles sont fort
+librales et larges donner pour entretenir leurs chevaliers et
+cavalcadours, qui prennent plus d'argent et veulent plus grand entretien
+pour monter sur une vieille monture que sur une jeune; qui est au
+contraire des escuyers, qui n'en prennent tant des chevaux dresss que
+des jeunes et dresser: ainsi la raison en cela le veut.
+
+Une question sur le sujet des dames aages ay-je veu faire, savoir
+quelle gloire plus grande y a-t-il desbaucher une dame aage et en
+joir, ou une jeune. A aucuns ay-je ouy dire que c'est pour la vieille,
+et disoient que la folie et la chaleur qui est en la jeunesse, sont de
+soy assez toutes desbauches et aises perdre; mais la sagesse et la
+froideur qui semblent estre en la vieillesse, malaisment se
+peuvent-elles corrompre; et qui les corrompt en est en plus belle
+rputation. Aussi cette fameuse courtisanne Lays se vantoit et se
+glorifioit fort de quoy les philosophes alloient si souvent la voir et
+apprendre son eschole, plus que de tous autres jeunes gens et fols qui
+allassent. De mesme Flora se glorifioit de voir venir sa porte de
+grands snateurs romains, plustost que de jeunes fols chevaliers. Ainsi
+me semble-t-il que c'est grand gloire de vaincre la sagesse qui pourroit
+estre aux vieilles personnes, pour le plaisir et contentement. Je m'en
+rapporte ceux qui l'ont expriment, dont aucuns ont dit qu'une
+monture dresse est plus plaisante qu'une farouche et qui ne sait pas
+seulement trotter. Davantage, quel plaisir et quel plus grand aise
+peut-on avoir en l'ame quand on voit entrer dans une salle du bal, dans
+des chambres de la Reyne, ou dans une glise, ou une autre grande
+assemble, une dame aage de grande qualit et d'_alta guisa_[100],
+comme dit l'Italien, et mesmes une dame d'honneur de la Reyne ou d'une
+princesse, ou une gouvernante des damoiselles ou filles de la Cour, que
+l'on prend, et l'on met en cette digne charge pour la tenir sage? On la
+verra qui fait la mine de la prude, de la chaste, de la vertueuse, et
+que tout le monde la tient ainsi pour telle, cause de son aage, et,
+quand on songe en soy, et qu'on le dit quelque sien fidle compagnon
+et confident: La voyez-vous-l en sa faon grave, sa mine sage et
+ddaigneuse et froide, qu'on diroit qu'elle ne feroit pas mouvoir une
+seule goutte d'eau? Hlas! quand je la tiens couche en son lict, il n'y
+a giroette au monde qui se reme et se revire si souvent et si
+agilement que font ses reins et ses fesses. Quant moi, je croy que
+celuy qui a pass par-l et le peut dire, qu'il est trs-content en soy.
+Ha! que j'en ay cogneu plusieurs de ces dames en ce monde, qui
+contrefaisoient leurs dames sages, prudes et censoriennes, qui estoient
+trs-dbordes et vnriennes quand venoient-l, et que bien souvent on
+abattoit plustost qu'aucunes jeunes, qui par trop peu ruses, craignent
+la lutte! Aussi dit-on, qu'il n'y a chasse que de vieilles renardes pour
+chasser et porter manger leurs petits.
+
+Nous lisons que jadis plusieurs empereurs romains se sont fort dlectez
+ dbauscher et repasser ainsi ces grandes dames d'honneur et de
+rputation, autant pour le plaisir et contentement, comme certes il y en
+a plus qu'en des infrieures, que pour la gloire et honneur qu'il
+s'attribuoient de les avoir desbauches et suppdites: ainsi que j'en
+ay cogneu de mon temps plusieurs seigneurs, princes et gentilshommes,
+qui s'en sont sentis trs-glorieux et trs-contents dans leur ame, pour
+avoir fait de mesme. Jules Csar et Octave son successeur sont est
+fort ardents telles conquestes, ainsi que j'ay dit cy-devant; et aprs
+eux Calligula, lequel, conviant ses festins les plus illutres dames
+romaines avec leurs marys, les contemplant et considrant fort fixement;
+mesmes avec la main leur levoit la face, si aucunes de honte la
+baissoient pour se sentir dames d'honneur et de rputation, ou bien
+d'autres qui voulussent les contrefaire, et des fort prudes et chastes,
+comme certainement y en pouvoit avoir peu s temps de ces empereurs
+dissolus; mais il falloit faire la mine et en estre quitte pour cela,
+autrement le jeu ne fust est bon, comme j'en ay veu faire de mesmes
+plusieurs dames. Celles aprs qui plaisoient ce monsieur l'Empereur,
+les prenoit privment et publiquement prs de leurs marys, et, les
+sortant de la salle, les menoit en une chambre, o il en tiroit d'elles
+son plaisir ainsi qu'il luy plaisoit: et puis les retournoit en leur
+place se rasseoir, et devant toute l'assemble looit leurs beautez et
+singularitez qui estoient en elles caches, les spcifiant de part en
+part; et celles qui avoient quelques tares, laideurs et deffectuositez,
+ne les celoit nullement, ains les descrioit et les dclaroit, sans rien
+dguiser ni cacher. Nron fut aussi curieux, qui pis est encore, de voir
+sa mre morte, la contempler fixement, et manier tous ses membres,
+loant les uns et vituprant les autres. J'en ay ouy compter de mesme
+d'aucuns grands seigneurs chrtiens, qui ont bien cette mesme curiosit
+envers leurs meres mortes. Ce n'estoit pas tout de ce Calligula; car il
+racontoit leurs mouvements, leurs faons lubriques, leur maniements et
+leurs airs qu'elles observoient en leur mange, et surtout de celles qui
+avoient est sages et modestes, ou qui les contrefaisoient ainsi
+table: car, si la couche elles en vouloient faire de mesme, il ne faut
+point douter si le cruel ne les menassoit de mort si elles ne faisoient
+tout ce qu'il vouloit pour le contenter, et crainte de mourir; et puis
+aprs les scandalisoit ainsi qu'il luy plaisoit, aux dpens et rise
+commune de ces pauvres dames, qui, pensans estre tenues fort chastes et
+sages, comme il y en pouvoit avoir, ou faire des hypocrites, et
+contrefaire les _donne da ben_, estoient tout trac divulgues rputes
+bonnes vesses et ribaudes; ce qui n'estoit pas mal employ, de les
+dcouvrir pour telles qu'elles ne vouloient qu'on les cogneust. Et qui
+estoit le meilleur, c'estoient, comme j'ay dit, toutes grandes dames,
+comme femmes de consuls, dictateurs, prteurs, questeurs, snateurs,
+censeurs, chevaliers, et d'autres de trs-grands estats et dignitez;
+ainsi que nous pouvons dire aujourd'huy en notre chrestient les reynes,
+qui se peuvent comparer aux femmes des consuls, puis qu'ils commandoient
+ tout le monde; les princesses grandes et moyennes, les duchesses
+grandes et petites, les marquises et marquisottes, les comtesses et
+contines, les baronnesses et chevaleresses, et autres dames de grand
+rang et riche toffe: sur quoy il ne faut douter que, si plusieurs
+empereurs et roys en pouvoient faire de mesme envers telles grandes
+dames, comme cet empereur Calligula, ne le fissent; mais ils sont
+chrestiens, qui ont la crainte de Dieu devant les yeux, ses saints
+commandements, leur conscience, leur honneur, le diffame des hommes, et
+leurs marys; car la tyrannie seroit insupportable des coeurs
+gnreux. En quoy certes les roys chrestiens sont fort estimer et
+loer, de gaigner l'amour des belles dames plus par douceur et amiti
+que par force et rigueur; et la conqueste en est beaucoup plus belle.
+
+J'ai ouy parler de deux grands princes qui se sont fort pleus
+descouvrir ainsi les beautez, gentillesses et singularitez de leurs
+dames, aussi leurs difformitez, tares et deffauts, ensemble leurs
+manges, mouvements et lascivetez, non en public pourtant, comme
+Galligula, mais en priv avec leurs grands amys particuliers. Et voil
+le gentil corps de ces pauvres dames bien employ; pensant bien faire et
+joer pour complaire leurs amants, sont dcries et brocardes.
+
+Or, afin de reprendre encore nostre comparaison, tout ainsi que l'on
+voit de beaux difices bastis sur meilleurs fondements et de meilleures
+pierres et matire les uns plus que les autres, et pour ce durer plus
+longuement en leur beaut et gloire; aussi y a-t-il des corps de dames
+si bien complexionnez et composez, et empraints en beautez, qu'on void
+volontiers le temps n'y gagner tant comme sur d'autres, ny les miner
+aucunement.
+
+--Il se fit qu'Artaxerces, entre toutes ses femmes qu'il eut, celle
+qu'il aima le plus fut Astasia, qui estoit fort aage, et toutesfois
+trs-belle, qui avoit t putain de son feu frre Daire. Son fils en
+devint si fort amoureux, tant elle estoit belle nonobstant l'aage, qu'il
+la demanda son pre en partage, aussi-bien que la part du royaume. Le
+pre, par jalousie qu'il en eut, et qu'il participast avec luy ce bon
+boucon, la fit prestresse du Soleil, d'autant qu'en Perse celles qui ont
+tel estat se voent du tout la chastet.
+
+--Nous lisons dans l'histoire de Naples, que Ladislas Hongre et roy de
+Naples, assigea dans Tarente la duchesse Marie, femme de feu Rammondelo
+de Balzo, et, aprs plusieurs assauts et faits d'armes, la prit par
+composition avec ses enfants, et l'espousa, bien qu'elle fust aage,
+mais trs-belle, et l'emmena avec soy Naples; et fut appele la reyne
+Marie, fort aime de luy et chrie.
+
+--J'ay veu madame la duchesse de Valentinois, en l'aage de soixante-dix
+ans, aussi belle de face, aussi fraische et aussi aimable comme en
+l'aage de trente ans: aussi fut-elle fort aime et servie d'un des
+grands roys et valeureux du monde. Je le peux dire franchement, sans
+faire tort la beaut de cette dame, car toute dame aime d'un grand
+roy, c'est signe que perfection habite et abonde en elle, qui la fait
+aimer: aussi la beaut donne des cieux ne doit estre espargne aux
+demy-dieux. Je vis cette dame, six mois avant qu'elle mourust, si belle
+encor, que je ne sache coeur de rocher qui ne s'en fust meu, encore
+qu'auparavant elle s'estoit rompue une jambe sur le pav d'Orlans,
+allant et se tenant cheval aussi dextrement et dispostement comme elle
+avoit fait jamais; mais le cheval tomba et glissa sous elle. Et, pour
+telle rupture et maux et douleurs qu'elle endura, il eust sembl que sa
+belle face s'en fust change; mais rien moins que cela, car sa beaut,
+sa grce, sa majest, sa belle apparence, estoient toutes pareilles
+qu'elle avoit toujours eu: et surtout elle avoit une trs-grande
+blancheur, et sans se farder aucunement: mais on dit bien que tous les
+matins elle usoit de quelques bouillons composez d'or potable et autres
+drogues que je ne say pas comme les bons mdecins et subtils
+apoticaires. Je crois que si cette dame eust encor vescu cent ans,
+qu'elle n'eust jamais vieilly, fust du visage, tant il estoit bien
+compos, fust du corps, cach et couvert, tant il estoit de bonne trempe
+et belle habitude. C'est dommage que la terre couvre ces beaux corps!
+J'ai veu madame la marquise de Rothelin, mere madame la douairiere,
+princesse de Cond et de feu M. de Longueville, nullement offense en sa
+beaut ny du temps, ny de l'aage, et s'y entretenir en aussi belle fleur
+qu'en la premire, fors que le visage luy rougissoit un peu sur la fin;
+mais pourtant ses beaux yeux, qui estoient des nompareils du monde, dont
+madame sa fille en a hrit, ne changrent oncques, et aussi prests
+blesser que jamais. J'ai veu madame de La Bourdesiere, depuis en
+secondes nopces mareschale d'Aumont, aussi belle sur ses vieux jours que
+l'on eust dit qu'elle estoit en ses plus jeunes ans; si-bien que ses
+cinq filles, qui ont est des belles, ne l'effaoient en rien: et
+volontiers, si le choix fust t faire, eust-on laiss les filles pour
+prendre la mre; et si avoit eu plusieurs enfants: aussi estoit-ce la
+dame qui se contregardoit le mieux, car elle estoit ennemie mortelle du
+serain et de la lune, et les fuyoit le plus qu'elle pouvoit; le fard
+commun, pratiqu de plusieurs dames, luy estoit incogneu. J'ay veu, qui
+est bien plus, madame de Mareuil, mre de madame la marquise de
+Mezieres, et grand-mre de la princesse Dauphin, en l'aage de cent ans,
+auquel mourut, aussi dispote, fraische et belle et saine qu'en l'aage de
+cinquante ans: 'avoit est une trs-belle femme en sa jeune saison. Sa
+fille, madame la dite marquise, avoit est telle, et mourut ainsi, mais
+non si aage de vingt ans, et la taille lui appetissa un peu. Elle
+estoit tante de madame de Bourdeille, femme mon frre aisn, qui lui
+portoit pareille vertu; car, encore qu'elle eust pass cinquante-trois
+ans et ait eu quatorze enfants, on diroit, comme ceux qui la voyent sont
+de meilleur jugement que moy et l'asseurent, que ces quatre filles
+qu'elle a auprs d'elle se monstrent ses soeurs: aussi void-on souvent
+plusieurs fruits d'hyver et de la dernire saison, se parangonner ceux
+d'est et se garder, et estre aussi beaux et savoureux, voire plus.
+Madame l'admiralle de Brion, et sa fille, madame de Barbezieux, ont est
+aussi trs-belles en vieillesse. L'on me dit dernierement que la belle
+Paule de Toulouse, tant renomme de jadis, est aussi belle que jamais,
+bien qu'elle ait quatre-vingts ans, et n'y trouve-t-on rien chang, ny
+en sa haute taille ny en son beau visage. J'ai veu madame la prsidente
+Comte de Bordeaux, tout de mesme et en pareil aage, et trs-aimable et
+dsirable: aussi avoit-elle beaucoup de perfections. J'en nommerois tant
+d'autres, mais je n'en pourrois faire la fin.
+
+--Un jeune cavalier espagnol parlant d'amour une dame aage, mais
+pourtant encore belle, elle luy respondit: _A mis completas pesta manera
+me habla V. M.?_ Comment mes complies me parlez vous ainsi? Voulant
+signifier par les complies son aage et dclin de son beau jour, et
+l'approche de sa nuict. Le cavalier luy respondit: _Sus completas valen
+mas, y son mas graciosas, que las horas de prima de qualquier otra
+dama_. Vos complies vallent plus, et sont plus belles et gracieuses que
+les heures de prime de quelque autre dame qu soit. Cette allusion est
+gentille. Un autre parlant de mesme d'amour une dame aage, et l'autre
+luy remonstrant sa beaut flestrie, qui pourtant ne l'estoit trop, il
+luy respondit: _Alas visperas se cognosce la fiesta_: A vespres la
+feste se connoist. On voit encore aujourd'huy madame de Nemours, jadis
+en son avril la beaut du monde, faire affront au temps, encore qu'il
+efface tout. Je la puis dire telle, et ceux qui l'ont veu avec moy, que
+'a est la plus belle femme, en ses jours verdoyants, de la
+chrestient. Je la vis un jour danser comme j'ay dit ailleurs, avec la
+reyne d'Escosse, elles deux toutes seules ensemble et sans autres dames
+de compagnie, et par ce caprice, que tous ceux et celles qui les
+advisoient danser ne sceurent juger qui l'emportoit en beaut, et
+eust-on dit, ce dit quelqu'un, que c'estoient les deux soleils assemblez
+qu'on lit dans Pline avoir apparu autrefois pour faire esbahir le monde.
+Madame de Nemours, pour lors madame de Guise, monstroit la taille la
+plus riche; et, s'il m'est loisible ainsi de dire, sans offenser la
+reyne d'Escosse, elle avoit la majest plus grave et apparente, encor
+qu'elle ne fust reyne comme l'autre; mais elle estoit petite-fille de ce
+grand roy Pere du peuple, auquel elle ressembloit en beaucoup de traits
+du visage, comme je l'ay veu pourtrait dans le cabinet de la reyne de
+Navarre, qui monstroit bien en tout quel roy il estoit. Je pense avoir
+est le premier qui l'ay appele du nom de petite-fille du roy Pere du
+peuple, et ce fut Lyon quand le Roy tourna de Pologne, et bien souvent
+l'y appelois-je: aussi me faisoit-elle cet honneur de le trouver bon, et
+l'aimer de moy. Elle estoit certes vraye petite-fille de ce grand roy,
+et sur-tout en bont et beaut; car elle a est trs-bonne, et peu ou
+nul se trouve qui elle ayt fait mal ny desplaisir, et si en a eu de
+grands moyens du temps de sa faveur, c'est--dire que celle de feu M. de
+Guise son mary, qui a eu grand crdit en France. Ce sont donc deux
+trs-grandes perfections qui ont est en cette dame, que bont et
+beaut, et que toutes deux elle a trs-bien entretenu jusques icy, et
+pour lesquelles elle a espous deux honnestes marys, et deux que peu ou
+point en eust-on trouv de pareils; et s'il s'en trouvoit encore un
+pareil et digne d'elle, et qu'elle le voulust pour le tiers, elle le
+pourroit encor user, tant elle est encor belle. Aussi qu'en Italie l'on
+tient les dames ferraroises pour de bons et friands morceaux, dont est
+venu le proverbe, _pota ferraresa_, comme l'on dit _cazzo mantouan_.
+Sur-quoy, un grand seigneur de ce pays-l pourchassant une fois une
+belle et grande princesse de nostre France, ainsi qu'on le looit la
+cour de ses belles vertus, valeurs et perfection pour la mriter, il y
+eut feu M. Dau, capitaine des gardes escossaises, qui rentra mieux que
+tous, en disant. Vous oubliez le meilleur, _cazzo mantuan_. J'ay ouy
+dire un pareil mot une fois, c'est que le duc de Mantou qu'on appeloit
+le Gobin[101], parce qu'il estoit fort bossu, vouloit espouser la
+soeur de l'empereur Maximilian, il fut dit elle qu'il estoit ainsi
+fort bossu. Elle respondit, dit-on: _Non importa purche la campana
+habbia qualche diffetto, ma ch' el sonaglio sia buono_[102]; voulant
+entendre le _cazzo mantuan_. D'autres disent qu'elle ne profera le mot,
+car elle estoit trop sage et bien apprise; mais d'autres le dirent pour
+elle. Pour tourner encore cette princesse ferraroise, je la vis, aux
+nopces de feu M. de Joyeuse, parestre vestue d'une mante la mode
+d'Italie, et retrousse demy sur le bras la mode sienoise; mais il
+n'y eut point encore de dame qui l'effaast, et n'y eut aucun qui ne
+dist: Cette belle princesse ne se peut rendre encor, tant elle est
+belle; et est bien ais juger que ce beau visage couvre et cache
+d'autres grandes beautez et parties en elle que nous ne voyons point;
+tout ainsi qu' voir le beau et superbe front d'un beau bastiment, il
+est juger qu'au dedans il y a de belles chambres, anti-chambres,
+garde-robbes, beaux recoins et cabinets. En tant de lieux encor
+a-t-elle fait paroistre sa beaut depuis peu, et en son arrire-saison,
+et mesme en Espagne aux nopces de M. et madame de Savoye, que
+l'admiration d'elle et de sa beaut, et de ses vertus, y en demeurera
+grave pour tout jamais. Si les aisles de ma plume estoient assez fortes
+et simples pour la porter dans le ciel, je le ferois; mais elles sont
+trop foibles, si en parleray-je encore ailleurs; tant il y a que ce 'a
+est une trs-belle femme en son printemps, son est et son automne, et
+son hyver encor, quoy qu'elle ait eu grande quantit d'ennuys et
+d'enfants. Qui pis est, les Italiens, mprisants une femme qui a eu
+plusieurs enfants, l'appellent _scrofa_, qui est dire _une truye_;
+mais celles qui en produisent de beaux, braves et gnreux, comme cette
+princesse a fait, sont loer, et sont indignes de ce nom, mais de
+celuy des benistes de Dieu. Je puis faire cette exclamation: Quelle
+mondaine et merveilleuse inconstance, que la chose qui est la plus
+legere et inconstante fait la rsistance au temps, qu'est la belle
+femme! Ce n'est pas moy qui le dit; j'en serois bien marry, car j'estime
+fort la constance d'aucunes femmes, et toutes ne sont inconstantes:
+c'est d'un autre de qui je tiens cette exclamation. J'allguerois encore
+volontiers des dames estrangeres, aussi bien que de nos Franoises,
+belles en leur autonne et hyver, mais pour ce coup je ne mettray en ce
+rang que deux. L'une, la reyne Elisabeth d'Angleterre qui regne
+aujourd'huy, qu'on m'a dit estre encor aussi belle que jamais. Que si
+elle est telle, je la tiens pour une belle princesse; car je l'ay veu
+en son est et en son automne: quant son hyver, elle y approche fort:
+si elle n'y est; car il y a long-temps que je ne l'ay veu. La premire
+fois que je la vis, je say l'aage qu'on luy donnoit alors. Je crois que
+ce qui l'a maintenue si long-temps en sa beaut, c'est qu'elle n'a
+jamais est marie, ny a support le faix du mariage, qui est fort
+onreux, et mesmes quand l'on porte plusieurs enfants. Cette reyne est
+loer en toutes sortes de louanges, n'estoit la mort de cette brave,
+belle et rare reyne d'Escosse, qui a fort souill ses vertus. L'autre
+princesse et dame estrangere est madame la marquise de Gouast, donne
+Marie d'Arragon, laquelle j'ay veue une trs-belle dame sur sa derniere
+saison; et je vous le vais dire par un discours que j'abregeray le plus
+que je pourray. Lors que le roy Henry mourut, le pape Paul quatriesme,
+Caraffe, et pour l'lection d'un nouveau fallut que tous les cardinaux
+s'assemblassent. Entr'autres partit de France le cardinal de Guise, et
+alla Rome par mer avec les galleres du Roy, desquelles estoit gnral
+M. le grand-prieur de France, frre dudit cardinal, lequel, comme bon
+frre, le conduisit avec seize galleres; et firent si bonne dilligence
+et avec si bon vent en poupe, qu'ils arrivrent en deux jours et deux
+nuicts Civita-Vecchia, et de-l Rome; o estant, M. le grand-prieur
+voyant qu'on n'estoit pas encor prest de faire nouvelle lection (comme
+de vray elle demeura trois mois faire), et par consquent son frre ne
+pouvoit retourner, et que ses galleres ne faisoient rien au port, il
+s'advisa d'aller jusques Naples voir la ville et y passer son temps. A
+son arrive donc, le vice-roy, qui estoit lors le duc d'Alcala, le
+receut comme si ce fust est un roy; mais avant que d'y arriver salua la
+ville d'une fort belle sale qui dura long-temps, et la mesme luy fut
+rendue de la ville et des chasteaux, qu'on eust dit que le ciel tonnoit
+estrangement durant cette sale; et tenant ses galleres en batailles et
+en loly, et assez loin, il envoya dans un esquif M. de l'Estrange, de
+Languedoc, fort habile et honneste gentilhomme, qui parloit fort bien,
+vers le vice-roy, pour ne luy donner l'allarme, et lui demander
+permission (encore que nous fussions en bonne paix, mais pourtant nous
+ne venions que de frais de la guerre) d'entrer dans le port pour voir la
+ville et visiter les spulchres de ses prdcesseurs qui estoient l
+enterrez, et leur jetter de l'eau beniste et prier Dieu sur eux. Le
+vice-roy l'accorda trs-librement. M. le grand-prieur donc s'advana et
+recommena la sale aussi belle et aussi furieuse que devant, tant des
+canons de courcie des seize galleres, que des autres pices et
+d'harquebusades, tellement que tout estoit en feu; et puis entra dans le
+mole fort superbement, avec plus d'estendarts, de banderolles, de
+flambants de taffetas cramoisi, et la sienne de damas, et tous les
+forats vestus de velours cramoisi, et les soldats de sa garde de mesme,
+avec mandilles couvertes de passement d'argent, desquels estoit
+capitaine le capitaine Geoffroy, Provenal, brave et vaillant capitaine;
+et bien que l'on trouvast nos galleres franaises trs-belles, lestes et
+bien espaverades, et sur-tout la Ralle, laquelle n'y avoit rien
+redire; car ce prince estoit en tout trs-magnifique et libral. Estant
+donc entr dans le monde en un si bel arroy, il prit terre, et tous nous
+autres avec luy, o le vice-roy avoit command de tenir prests des
+chevaux et des coches pour nous recueillir et nous conduire en la ville,
+comme de vray nous y trouvasmes cent chevaux, coursiers, genets, chevaux
+d'Espagne, barbes et autres, les uns plus beaux que les autres, avec des
+housses de velours toutes en broderies, les unes d'or, les autres
+d'argent. Qui vouloit montoit cheval, montoit qui en coche vouloit,
+car il y en avoit une vingtaine des plus belles et riches et des mieux
+atteles, et traisnes par des coursiers des plus beaux qu'on eust sceu
+voir. L se trouvrent aussi force grands princes et seigneurs, tant du
+regne qu'espagnols, qui receurent M. le grand-prieur, de la part du
+vice-roy, trs-honnorablement. Il monta sur un cheval d'Espagne, le plus
+beau que j'aye veu il a long-temps, que depuis le vice-roy luy donna, et
+se manioit trs-bien, et faisoit de trs-belles courbettes, ainsi qu'on
+parloit de ce temps. Luy, qui estoit un trs-bon homme de cheval, et
+aussi bon que de mer, il le fit trs-beau voir l-dessus: et il le
+faisoit trs-bien valloir et aller, et de fort bonne grace, car il
+estoit l'un des plus beaux princes qui fust de ce temps-l et des plus
+agrables, des plus accomplis, et de fort haute et belle taille et bien
+dnoe; ce qui n'advient guieres ces grands hommes. Ainsi il fut
+conduit par tous ces seigneurs et tant d'autres gentilshommes chez le
+vice-roy, lequel l'attendoit, et luy fit tous les honneurs du monde, et
+logea en son palais, et le festoya fort sumptueusement, et luy et sa
+troupe: il le pouvoit bien faire, car il luy gaigna vingt mille escus
+ce voyage.
+
+Nous pouvions bien estre avec lui deux cents gentilshommes, que
+capitaines des galleres et autres; nous fusmes logs chez la pluspart
+des grands seigneurs de la ville, et trs-magnifiquement. Ds le matin,
+sortant de nos chambres, nous rencontrions des estaffiers si bien crez
+qui se venoient prsenter aussi-tost et demander ce que nous voulions
+faire et o nous voulions aller et pourmener, et si nous voulions
+chevaux ou coches. Soudain, aussi-tost nostre volont dite aussi-tost
+accomplie, et alloient qurir les montures que voulions, si belles, si
+riches et si superbes, qu'un roy s'en fust content; et puis
+accommencions et accomplissions nostre journe ainsi qu'il plaisoit
+chacun. Enfin nous n'estions guieres gastez d'avoir faute de plaisirs et
+dlices en cette ville: ne faut dire qu'il n'y en eust, car je n'ai
+jamais veu ville qui en fust plus remplie en toute sorte. Il n'y manque
+que la familiere, libre et franche conversation d'avec les dames
+d'honneur et rputation, car d'autres il y en a assez: quoi pour ce
+coup sceut trs-bien remdier madame la marquise de Gouast, pour l'amour
+de laquelle ce discours se fait; car, toute courtoise et pleine de toute
+honnestet, et pour la grandeur de sa maison, ayant ouy renommer M. le
+grand-prieur des perfections qui estoient en luy, et l'ayant veu passer
+par la ville cheval et recogneu, comme de grand grand, cela est deu
+communment, elle qui estoit toute grande en tout, l'envoya visiter un
+jour par un gentilhomme fort honneste et bien cr, et lui manda que, si
+son sexe et la coustume du pays lui eussent permis de le visiter,
+volontiers elle y fust venue fort librement pour luy offrir sa
+puissance, comme avoient fait tous les grands seigneurs du royaume, mais
+le pria de prendre ses excuses en gr, en luy offrant et ses maisons, et
+ses chasteaux, et sa puissance. M. le grand-prieur, qui estoit la mesme
+courtoisie, la remercia fort comme il devoit, et luy manda qu'il luy
+iroit baiser les mains incontinent aprs disner; quoi il ne faillit
+avec sa suite de tous nous autres qui estions avec luy. Nous trouvasmes
+la marquise dans sa salle avec ses deux filles, donne Antonine, et
+l'autre donne Hieronyme ou donne Joanne (je ne saurois bien le dire,
+car il ne m'en souvient plus), avec force belles dames et damoiselles,
+tant bien en point et de si belle et bonne grace, que, horsmis nos cours
+de France et d'Espagne, volontiers ailleurs n'ay-je point veu plus belle
+troupe de ames. Madame la marquise salua la franaise et receut M. le
+grand-prieur avec un trs-grand honneur; et luy en fit de mesmes, encore
+plus humble, _con mas gran sossiego_, comme dit l'Espagnol. Leurs devis
+furent pour ce coup de propos communs. Aucuns de nous autres, qui
+savions parler italien et espagnol, accostasmes les autres dames, que
+nous trouvasmes fort honnestes et gallantes, et de fort bon entretien.
+Au dpartir, madame la marquise, ayant sceu de M. le grand-prieur le
+sjour de quinze jours qu'il vouloit faire-l, lui dit: Monsieur, quand
+vous ne saurez que faire et qu'aurez faute de passetemps, lorsqu'il vous
+plaira venir cans vous me ferez beaucoup d'honneur, et y serez le
+trs-bien venu comme en la maison de madame vostre mre; vous priant de
+disposer cette-cy de mesme et ainsi que de la sienne, et y faire ny plus
+ny moins. J'ay ce bonheur d'estre aime et visite d'honnestes et belles
+dames de ce royaume et de cette ville, autant que dame qui soit; et
+d'autant que vostre jeunesse et vertu porte que vous aimez la
+conversation des honnestes dames, je les prieray de se rendre icy plus
+souvent que de coustume, pour vous tenir compagnie et toute cette
+belle noblesse qui est avec vous. Voil mes deux filles, auxquelles je
+commanderay, encores qu'elles ne soient si accomplies qu'on diroit bien,
+de vous tenir compagnie la franaise, comme de rire, danser, joer,
+causer librement, et modestement, honnestement, comme vous faites la
+Cour de France, quoy je m'offrirois volontiers; mais il fascheroit
+fort un prince jeune, beau et honneste comme vous estes, d'entretenir
+une vieille suranne, fascheuse et peu aimable comme moy; car volontiers
+vieillesse et jeunesse ne s'accordent guieres bien ensemble.
+
+M. le grand-prieur luy releva aussi-tost ces mots, en luy faisant
+entendre que la vieillesse n'avoit rien gaign sur elle, et que
+mal-aisment il ne passeroit pas celuy-l, et que son automne surpassoit
+tous les printemps et estez qui estoient en cette salle. Comme de vray,
+elle se monstroit encor une trs-belle dame et fort aimable, voire plus
+que ses deux filles, toutes belles et jeunes qu'elles estoient; si
+avoit-elle bien alors prs de soixante bonnes annes. Ces deux petits
+mots que M. le grand-prieur donna madame la marquise luy plurent fort,
+selon que nous pusmes cognoistre son visage riant, sa parole et sa
+faon. Nous partismes de-l extresmement bien difis de cette belle
+dame et surtout M. le grand-prieur, qui en fust aussi-tost espris, ainsi
+qu'il nous le dit. Il ne faut donc douter si cette belle dame et
+honneste, et sa belle troupe de dames, convia M. le grand-prieur tous
+les jours d'aller son logis; car si on n'y alloit l'aprs-dine on y
+alloit le soir. M. le grand-prieur prit pour sa maistresse sa fille
+aisne, encore qu'il aimast mieux la mre; mais ce fut _per adumbrar la
+cosa_[103].
+
+Il se fit force courements de bague, o M. le grand-prieur emporta le
+prix, force ballets et danses. Bref, cette belle compagnie fut cause
+que, luy ne pensant sjourner que quinze jours, nous y fusmes pour nos
+six sepmaines, sans nous y fascher nullement, car nous y avions nous
+autres aussi bien fait des maistresses comme nostre gnral. Encore y
+eussions demeur davantage, sans qu'un courrier vint du Roy son maistre,
+qui lui porta nouvelles de la guerre esleve en Escosse; et pour ce
+falloit mener et faire passer ses galleres de levant en ponant, qui
+pourtant ne passrent de huict mois aprs. Ce fut ce dpartir de ces
+plaisirs dlicieux, et de laisser la bonne et gentille ville de Naples:
+et ne fut M. nostre gnral et tous nous autres sans grandes
+tristesses et regrets, mais nous faschant fort de quitter un lieu o
+nous nous trouvions si bien.
+
+Au bout de six ans, ou plus, nous allasmes au secours de Malte. Moy
+estant Naples, je m'enquis si madite dame la marquise estoit encor
+vivante; on me dit qu'ouy, et qu'elle estoit en la ville. Soudain je ne
+faillis de l'aller voir, et fus aussi-tost recogneu par un vieux maistre
+d'hostel de cans, qui l'alla dire madite dame que je luy voulois
+baiser les mains. Elle, qui se ressouvint de mon nom de Bourdeille, me
+fit monter en sa chambre et la voir. Je la trouvay qui gardoit le lict,
+ cause d'un petit feu vollage qu'elle avoit d'un cost de jou. Elle me
+fit, je vous jure, une trs-bonne chere: je ne la trouvay que fort peu
+change, et encore si belle, qu'elle eust bien fait commettre un pch
+mortel, fust de fait ou de volont. Elle s'enquit fort moy des
+nouvelles de M. le grand-prieur, et d'affection, et comme il estoit
+mort, et qu'on lui avoit dit qu'il avoit est empoisonn, maudissant
+cent fois le malheureux qui avoit fait le coup. Je luy dis que non, et
+qu'elle otast cela de sa fantaisie, et qu'il estoit mort d'un purisy
+faux et sourd qu'il avoit gaign la bataille de Dreux, o il avoit
+combattu comme un Csar tout le jour; et le soir la dernire charge,
+s'estant fort chauff au combat, et suant, se retirant le soir qu'il
+geloit pierre fendre, se morfondit, et se couva sa maladie, dont il
+mourut un mois ou six semaines aprs. Elle monstroit, par sa parole et
+sa faon, de le regretter fort: et notez que, deux ou trois ans
+auparavant, il avoit envoy deux galleres en cours sous la charge du
+capitaine Beaulieu, l'un de ses lieutenants de galleres. Il avoit pris
+la bandiere de la reyne d'Escosse, qu'on n'avoit jamais veue vers les
+mers de levant, ny cogneu, dont on estoit fort esbahy; car, de prendre
+celle de France, n'en falloit point parler, pour l'alliance entre le
+Turc.
+
+M. le grand-prieur avoit donn charge au dit capitaine Beaulieu de
+prendre terre Naples, et de visiter de sa part madame la marquise et
+ses filles, auxquelles trois il envoyoit force prsents de toutes les
+petites singularitez qui estoient lors la Cour et au palais, Paris
+et en France; car ledit sieur grand-prieur estoit la libralit et
+magnificence mesme: quoy ne faillit le capitaine Beaulieu, et de
+prsenter le tout, qui fut trs-bien receu, et pour ce fut rcompens
+d'un beau prsent. Madame la marquise se ressentoit si fort oblige de
+ce prsent, et de la souvenance qu'il avoit encor d'elle, qu'elle me le
+rtera plusieurs fois, dont elle l'en aima encore plus. Pour l'amour de
+luy elle fit encore une courtoisie un gentilhomme gascon, qui estoit
+lors aux galleres de M. le grand-prieur, lequel, quand nous partismes,
+demeura dans la ville, malade jusqu' la mort. La fortune fut si bonne
+pour luy, que, s'addressant la dite dame en son adversit, elle le fit
+si bien secourir qu'il eschappa, et le prit en sa maison, et s'en
+servit, que, venant vacquer une capitainerie en un de ses chasteaux,
+elle la luy donna, et luy fit espouser une femme riche. Aucuns de nous
+autres ne sceusmes qu'estoit devenu le gentilhomme, et le pensions mort,
+si non lors que nous fismes ce voyage de Malte il se trouva un
+gentilhomme qui estoit cadet de celuy dont j'ay parl, qui un jour, sans
+y penser, parlant moy de la principale occasion de son voyage qui
+estoit pour chercher nouvelles d'un sien frre qui avoit est M. le
+grand-prieur, et estoit rest malade Naples il y avoit plus de six
+ans, et que depuis il n'en avoit jamais sceu nouvelles, il m'en alla
+souvenir, et depuis m'enquis de ses nouvelles aux gens de madame la
+marquise, qui m'en contrent, et de sa bonne fortune: soudain je le
+rapportay son cadet, qui m'en remercia fort, et vint avec moi chez ma
+dite dame qui en prit encor plus de langue, et l'alla voir o il estoit.
+
+Voil une belle obligation pour une souvenance d'amiti qu'elle avoit
+encore, comme j'ay dit; car elle m'en fit encore meilleure chere, et
+m'entretint fort du bon temps pass, et de force autres choses qui
+faisoient trouver sa compagnie trs-belle et trs-aimable; car elle
+estoit de trs-beau et bon devis, et trs-bien parlante. Elle me pria
+cent fois ne prendre autre logis ny repas que le sien, mais je ne le
+voulus jamais, n'ayant est mon naturel d'estre importun ny coquin. Je
+l'allois voir tous les jours, pour sept ou huict jours que nous
+demeurasmes, et y estois trs-bien venu, et sa chambre m'estoit toujours
+ouverte sans difficult. Quand je luy dis adieu, elle me donna des
+lettres de faveur son fils M. le marquis de Pescaire, gnral pour
+lors en l'arme espagnole: outre ce, elle me fit promettre qu'au retour
+je passerois pour la revoir, et de ne prendre autre logis que le sien.
+Le malheur fut tant pour moy, que les galleres qui nous tournrent ne
+nous mirent terre qu' Terracine, d'o nous allasmes Rome, et ne pus
+tourner en arrire; et aussi que je m'en voulois aller la guerre
+d'Hongrie; mais, estans Venise, nous sceusmes la mort du grand
+Soliman. Ce fut-l o je maudis cent fois mon malheur que je ne fusse
+retourn aussi bien Naples, o j'eusse bien pass mon temps, et
+possible, par le moyen de ma dite dame la marquise, j'y eusse rencontr
+une bonne fortune, fust par mariage ou autrement; car elle me faisoit ce
+bien de m'aimer. Je croy que ma malheureuse destine ne le voulut, et me
+voulut encore ramener en France pour y estre jamais malheureux, et o
+jamais la bonne fortune ne m'a monstr bon visage, si-non par apparence
+et beau semblant; d'estre estim gallant homme de bien et d'honneur
+prou, mais des moyens et des grades point, comme aucuns de mes
+compagnons, voire d'autres plus bas, lesquels j'ay veu qu'ils se fussent
+estimez heureux que j'eusse parl eux dans une Cour, dans une chambre
+de roy ou de reyne, ou une salle, encore cost ou sur l'espaule,
+qu'aujourd'huy je les vois advancs comme potirons, et fort aggrandis,
+bien que je n'aye affaire d'eux et ne les tienne plus grands que moy,
+ny que je leur voulusse dfrer en rien de la longueur d'un ongle. Or
+bien pour moy je peux en cela pratiquer le proverbe que nostre
+rdempteur Jsus-Christ a proffr de sa propre bouche, que _nul ne peut
+estre prophete en son pays_. Possible, si j'eusse servi des princes
+estrangers, aussi bien que les miens, et cherch l'adventure parmy eux
+comme j'ay fait parmy les nostres, je serois maintenant plus charg de
+biens et dignitez que ne suis de douleurs et d'annes. Patience: si ma
+parque m'a ainsi fil, je la maudis; s'il tient mes princes, je les
+donne tous les diables, s'ils n'y sont.
+
+Voil mon conte achev de cette honnorable dame. Elle est morte en une
+trs-grande rputation d'avoir est une trs-belle et honneste dame, et
+d'avoir laiss aprs elle une belle et gnreuse ligne, comme M. le
+marquis son aisn, don Juan, don Carlos, don Csare d'Avalos; que j'ay
+tous veus et desquels j'en ay parl ailleurs: les filles de mesme ont
+ensuivy les frres.
+
+Or, je fais fin mon principal discours.
+
+
+
+
+DISCOURS SIXIME
+
+ Sur ce que les belles et honnestes femmes aiment les vaillants
+ hommes, et les braves hommes aiment les dames courageuses.
+
+
+Il ne fut jamais que les belles et honnestes dames n'aimassent les gens
+braves et vaillants, encore que de ieur nature elles soyent poltronnes
+et timides; mais la vaillance a telle vertu l'endroit d'elles,
+qu'elles l'aiment. Que c'est que de se faire aimer son contraire,
+malgr son naturel! Et, qu'il ne soit vray, Vnus, qui fut jadis la
+desse de beaut, de toute gentillesse et honnestet, estant mesme,
+dans les cieux et en la cour de Jupiter, pour choisir quelque amoureux
+gentil et beau, et pour faire cocu son bonhomme de mary Vulcain, n'en
+alla aucun choisir des plus mignons, des plus fringants ny des plus
+friss, de tant qu'il y en avoit, mais choisit et s'amouracha du dieu
+Mars, dieu des armes et des vaillances, encore qu'il fust tout sallaud,
+tout suant de la guerre d'o il venoit, et tout noirci de poussire et
+malpropre ce qu'il se peut, centant mieux son soldat de guerre que son
+mignon de cour; et, qui pis est encore, bien souvent, possible, tout
+sanglant, revenant des batailles, couchoit-il avec elle sans autrement
+se nettoyer et parfumer.
+
+--La gnreuse belle reyne Pantasile, la renomme luy ayant fait
+savoir les valeurs et vaillances du preux Hector, et ses merveilleux
+faits d'armes qu'il faisoit devant Troye sur les Grecs, au seul bruit
+s'amouracha de luy tant, que, par un dsir d'avoir d'un si vaillant
+chevalier des enfants, c'est--dire filles qui succdassent a son
+royaume, s'en alla le trouver Troye, et, le voyant, le contemplant et
+l'admirant, fit tout ce qu'elle peut pour se mettre en grce avec luy,
+non moins par les armes qu'elle faisoit, que par sa beaut, qui estoit
+trs-rare; et jamais Hector ne faisoit saillie sur ses ennemis qu'elle
+ne l'y accompagnast, et ne se meslast aussi avant que Hector l o il
+faisoit le plus chaud; si que l'on dit que plusieurs fois, faisant de si
+grandes proesses, elle en faisoit esmerveiller Hector, tellement qu'il
+s'arrestoit tout court comme ravy souvent au milieu des combats les
+plus forts, et se mettoit un peu l'escart pour voir et contempler
+mieux son aise cette brave reyne faire de si beaux coups. De-l en
+avant il est penser au monde ce qu'ils firent de leurs amours, et
+s'ils les mirent excution: le jugement en peut estre bientost donn;
+mais tant y a que leur plaisir ne peut pas durer longuement; car elle,
+pour mieux complaire son amoureux, se prcipitoit ordinairement aux
+hasards, qu'elle fut tue la fin parmi la plus forte et plus cruelle
+mesle. Aucuns disent pourtant qu'elle ne vid pas Hector, et qu'il
+estoit mort devant qu'elle arrivast, dont arrivant et sachant la mort,
+entra en un si grand dpit et tristesse, pour avoir perdu le bien de sa
+veu qu'elle avoit tant desir et pourchass de si loingtain pays,
+qu'elle s'alla perdre volontairement dans les plus sanglantes batailles,
+et mourut, ne voulant plus vivre puisqu'elle n'avoit peu voir l'objet
+valeureux qu'elle avoit le mieux choisi et plus aim. De mesmes en fit
+Tallestride, autre reyne des Amazones, laquelle traversa un grand pays,
+et fit je ne say combien de lieus pour aller trouver Alexandre le
+Grand, luy demandant par mercy, ou la pareille, de ce bon temps que
+l'on faisoit, et le donnoit-on pour la pareille; coucha avec luy pour
+avoir de la ligne d'un si grand et gnreux sang, l'ayant ouy tant
+estimer; ce que volontiers Alexandre luy accorda; mais bien gast et
+dgoust s'il eust fait autrement, car la digne reyne estoit bien aussi
+belle que vaillante. Quinte Curce, Oroze et Justin l'asseurent, et
+qu'elle vint trouver Alexandre avec trois cents dames sa suite, tant
+bien en point et de si bonne grace, portans leurs armes, que rien plus;
+et fit ainsi la rvrence Alexandre, qui la recueillit avec un
+trs-grand honneur, et demeura l'espace de treize jours et treize nuicts
+avec luy, s'accommoda du tout ses volontez et plaisirs, luy disant
+pourtant tousjours que si elle en avoit une fille, qu'elle la garderoit
+comme un trs-prcieux trsor: si elle en avoit un fils, qu'elle luy
+envoyeroit, pour la haine extreme qu'elle portoit au sexe masculin, en
+matiere de regner, et avoir aucun commandement parmy elles, selon les
+loix introduites en leurs compagnies depuis qu'elles turent leurs
+marys. Ne faut douter l-dessus que les autres dames et sous-dames n'en
+firent de mesme et ne se firent couvrir aux autres capitaines et
+gendarmes du dit Alexandre; car, en cela, il falloit faire comme la
+dame.
+
+La belle vierge Camille, belle et gnreuse, et qui servoit si
+fidellement Diane, sa maistresse, parmy les forests et les bois, en ses
+chasses, ayant senty le vent et la vaillance de Turnus, et qu'il avoit
+faire avec un vaillant homme aussi, qui estoit Ene, et qui luy donnoit
+de la peine, choisit son parti et le vint trouver seulement avec trois
+fort honnestes et belles dames de ses compagnes, qu'elle avoit esleu
+pour ses grandes amies et fideles confidentes, et tribades pensez, et
+pour friquarelle; et pour l'honneur en tous lieux s'en servoit, comme
+dit Virgile en ses _nedes_, et s'appeloit l'une Armie la vierge et la
+vaillante, et l'autre Iulle, et la troisiesme Tarpe, qui savoit bien
+bransler la pique et le dard, en deux faons diverses pensez, et toutes
+trois filles d'Italie. Camille donc vint ainsi avec sa belle petite
+bande (aussi dit-on petit et beau et bon) trouver Turnus, avec lequel
+elle fit de trs-belles armes, et s'advana si souvent et se mesla parmy
+les vaillants Troyens, qu'elle fut tue, avec trs-grand regret de
+Turnus, qui l'honnoroit beaucoup, tant pour sa beaut que pour son bon
+secours. Ainsi ces dames belles et courageuses alloient rechercher les
+braves et vaillants, les secourans en leurs guerres et combats. Qui mit
+le feu d'amour si ardent dans la poitrine de la pauvre Didon, si-non la
+vaillance qu'elle sentit en son Enas, si nous voulons croire Virgile?
+Car, aprs qu'elle l'eut pri de luy raconter les guerres, dsolations
+et destruction de Troye, et qu'il l'en eut content, son grand regret
+pourtant pour renouveller telles douleurs, et qu'en son discours il
+n'oublioit pas ses vaillantises, et les ayant Didon trs-bien remarques
+et considres en soy, lorsqu'elle commena dclarer sa soeur Anne
+son amour, les plus prgnantes et principales paroles qu'elle luy dit,
+furent: H! ma soeur, quel hoste est cettuy-cy qui est venu chez moy!
+la belle faon qu'il a, et combien se monstre-t-il en grace d'estre
+brave et vaillant, soit en armes et en courage! et croy fermement qu'il
+est extraict de quelque race des dieux; car les coeurs villains sont
+coards de nature. Telles furent ses paroles. Et croy qu'elle se mit
+l'aimer, tant aussi parce qu'elle estoit brave et gnreuse, et que son
+instinct a poussoit d'aimer son semblable, aussi pour s'en aider et
+servir en cas de ncessit. Mais le malheureux la trompa et l'abandonna
+misrablement; ce qu'il ne devoit faire cette honneste dame qui luy
+avoit donn son coeur et son amour; luy, dis-je, qui estoit un
+estranger et un forbanny[104].
+
+--Bocace, en son livre des _Illustres malheureux_, fait un conte d'une
+duchesse de Furly, nomme Romilde, laquelle, ayant perdu son mary, ses
+terres et son bien, que Caucan, roy des Avarois, luy avoit tout prit, et
+rduite se retirer avec ses enfants dans son chasteau de Furly, l o
+il l'assigea. Mais un jour qu'il s'en approchoit pour le recognoistre,
+Romilde, qui estoit sur le haut d'une tour, le vid, et se mit fort le
+contempler et longuement; et le voyant si beau, estant la fleur de son
+aage, mont sur un beau cheval, et arm d'un harnois trs-superbe, et
+qu'il faisoit tant de beaux exploict d'armes, et ne s'espargnoit non
+plus que le moindre soldat des siens, en devint incontinent
+passionnment amoureuse; et, laissant arrire le deuil de son mary et
+les affaires de son chasteau et de son sige, luy manda par un messager
+que, s'il la vouloit prendre en mariage, qu'elle luy rendroit la place
+ds le jour que les nopces seroient clbres. Le roy Cauean la prit au
+mot. Le jour donc compromis venu, elle s'habille pompeusement de ses
+plus beaux et superbes habits de duchesse, qui la rendirent d'autant
+plus belle, car elle l'estoit trs-fort; et estant venue au camp du Roy
+pour consommer le mariage, afin qu'on ne le pust blasmer qu'il n'eust
+tenu sa foy, se mit toute la nuict contenter la duchesse eschauffe.
+Puis lendemain au matin, estant lev, fit appeler douze soldats avarois
+des siens, qu'il estimoit les plus forts et roides compagnons, et mit
+Romilde entre leurs mains pour en faire leur plaisir l'un aprs l'autre;
+laquelle repassrent tout une nuict tant qu'ils purent: et le jour venu,
+Caucan, l'ayant fait appeller, luy ayant fait forces reproches de sa
+lubricit et dit force injures, la fit empaler par sa nature, dont elle
+en mourut. Acte cruel et barbare certes, de traitter ainsi une si belle
+et honneste dame, au lieu de la reconnoistre, la rcompenser et traitter
+en toute sorte de courtoisie, pour la bonne opinion qu'elle avoit eue de
+sa gnrosit, de sa valeur et de son noble courage, et l'avoir pour
+cela aim! A quoy quelquefois les dames doivent bien regarder, car il y
+a de ces vaillants qui ont tant accoustum tuer, manier et battre
+le fer si rudement, que quelquefois il leur prend des humeurs d'en faire
+de mesme sur les dames. Mais tous ne sont pas de ces complexions; car,
+quand quelques honnestes dames leur font cet honneur de les aimer et
+avoir bonne opinion de leur valeur, laissent dans le camp leurs furies
+et leurs rages, et dans des cours et dans des chambres s'accommodent aux
+douceurs et toutes les bonnestetez et courtoisies. Bandel, dans ses
+_Histoires tragiques_, en raconte une, qui est la plus belle que j'aye
+jamais leu, d'une duchesse de Savoye, laquelle un jour en sortant de sa
+ville de Thurin, et ayant ouy une pellerine espagnole, qui alloit
+Lorette pour certain veu, s'escrier et admirer sa beaut, et dire tout
+haut que si une belle et parfaite dame estoit marie avec son frere le
+seigneur de Mendozze, qui estoit si beau, si brave et si vaillant, qu'il
+se pourroit bien dire partout que les deux plus beaux pairs du monde
+estoient couplez ensemble. La duchesse, qui entendoit trs-bien la
+langue espagnole, ayant en soy trs-bien engravs et remarqus ces mots,
+et dans son ame s'y mit aussi en graver l'amour, si bien que par un
+tel bruit elle devint tant passionne du seigneur de Mendozze, qu'elle
+ne cessa jamais jusques ce qu'elle eust projet un feint pellerinage
+Saint Jacques, pour voir son amoureux si-tost conceu; et, s'estant
+achemine en Espagne, et pris le chemin par la maison du seigneur de
+Mendozze, eut temps et loisir de contenter et rassasier sa veu de
+l'objet beau qu'elle avoit esleu; car la soeur du seigneur de
+Mendozze, qui accompagnoit la duchesse, avoit adverty son frre d'une
+telle et si noble et belle venue: quoy il ne faillit d'aller au devant
+d'elle bien en point, mont sur un beau cheval d'Espagne, avec une si
+belle grace que la duchesse eut occasion de se contenter de la renomme
+qui luy avoit est rapporte, et l'admira fort, tant pour sa beaut que
+pour sa belle faon, qui monstroit plein la vaillance qui estoit en
+luy, qu'elle estimoit bien autant que les autres vertus et
+accomplissements et perfections; prsageant ds lors qu'un jour elle en
+auroit bien affaire, ainsi que par aprs il luy servit grandement en
+l'accusation fausse que le comte Pancalier fit contre sa chastet.
+Toutes fois, encore qu'elle le tint brave et courageux pour les armes,
+si fut-il pour ce coup coard en amours; car il se monstra si froid et
+respectueux envers elle, qu'il ne luy fit nul assaut de paroles
+amoureuses; ce qu'elle aimoit le plus, et pourquoy elle avoit entrepris
+son voyage; et, pour ce, dpite d'un tel froid respect ou plustost de
+telles coardises d'amours, s'en partit le lendemain d'avec luy, non si
+contente qu'elle eust voulu. Voil comment les dames quelquefois aiment
+bien autant les hommes hardis pour l'amour comme pour les armes, non
+qu'elles veuillent qu'ils soient effrontez et hardis, impudents et sots,
+comme j'en ay cogneu; mais il faut en cela qu'ils tiennent le _medium_.
+J'ay cogneu plusieurs qui ont perdu beaucoup de bonnes fortunes pour
+tels respects, dont j'en ferois de bons contes si je ne craignois
+m'esgarer trop de mon discours; mais j'espre les faire part: si
+diray-je cettuy-cy. J'ay ouy conter d'autres fois d'une dame, et des
+trs-belles du monde, laquelle, ayant de mesme ouy renommer un pour
+brave et vaillant, et qu'il avoit desj en son aage fait et parfait de
+grands exploicts d'armes, et surtout gaignes deux grandes et signales
+batailles contre ses ennemis[105], eut grand dsir de le voir, et pour
+ce fit un voyage dans la province o pour lors il y faisoit sjour, sous
+quelque autre prtexte que je ne diray point. Enfin elle s'achemina;
+mais et qu'est-il impossible un brave coeur amoureux? Elle le void
+et contemple son aise, car il vint fort loing au-devant d'elle, et la
+reoit avec tous les honneurs et respects du monde, ainsi qu'il devoit
+une si grande, belle et magnanime princesse, et trop, comme dit l'autre,
+car il luy arriva de mesme comme au seigneur de Mendozze et la
+duchesse de Savoye; et tels respects engendrerent pareils
+mescontentements et dpits, si bien qu'elle partit d'avec luy non si
+bien satisfaite comme elle y estoit venu. Possible qu'il y eust perdu
+son temps et qu'elle n'eust oby ses volontez; mais pourtant l'essay
+n'en fust est mauvais, ains fort honorable, et l'en eust-on estim
+davantage. De quoy sert donc un courage hardy et gnreux, s'il ne se
+monstre en toutes choses, et mesmes en amours comme aux armes, puisque
+armes et amours sont compagnes, marchent ensemble et ont une mesme
+sympathie: ainsi que dit le pote, tout amant est gendarme, et Cupidon a
+son camp et ses armes aussi-bien que Mars. M. de Ronsard en a fait un
+beau sonnet dans ses premieres amours.
+
+Or, pour tourner encore aux curiositez qu'ont les dames de voir et aimer
+les gens gnreux et vaillants, j'ay ouy raconter la Reyne
+d'Angleterre lisabeth, qui regne aujourd'huy, un jour, elle estant
+table, faisant souper avec elle M. le grand-prieur de France, de la
+maison de Lorraine, et M. d'Anville, aujourd'huy M. de Montmorency et
+connestable, parmy ce devis de table et s'estant mis sur les loanges du
+feu roy Henry deuxiesme le loua fort de ce qu'il estoit brave, vaillant
+et gnreux, et, en usant de ce mot, fort martial, et qu'il l'avoit bien
+monstr en toutes ses actions; et que pour ce, s'il ne fust mort si
+tost, elle avoit rsolu de l'aller voir en son royaume, et avoit fait
+accommoder et apprester ses galeres pour passer en France et toucher
+entre leurs deux mains la foi et leur paix. Enfin c'estoit une de mes
+envies de le voir; je crois qu'il ne m'en eust refuse, car,
+disoit-elle, mon humeur est d'aymer les gens vaillants, et veux mal la
+mort d'avoir ravy un si brave roy, au moins avant que je ne l'aye veu.
+Cette mesme reyne, quelque temps aprs, ayant ouy tant renommer M. de
+Nemours des perfections et valleurs qui estoient en luy, fut curieuse
+d'en demander des nouvelles feu M. de Rendan, lorsque le roy Franois
+second l'envoya en Escosse faire la paix devant le petit lict qui estoit
+assig; et ainsi qu'il luy en eust cont bien au long, et toutes les
+especes de ses grandes et belles vertus et vaillances, M. de Rendan, qui
+s'entendoit en amours aussi bien qu'en armes, cogneut en elle et son
+visage quelque estincelle d'amour ou d'affection, et puis en ses paroles
+une grande envie de le voir. Par quoy ne se voulant arrester en si beau
+chemin, fit tant envers elle de savoir, s'il la venoit voir, s'il
+seroit le bien venu et receu; ce qu'elle l'en asseura, et par l prsuma
+qu'ils pourroient venir en mariage. Estant donc de retour de son
+ambassade la Cour, en fit au Roy et M. de Nemours tout le discours;
+ quoy le roy recommanda et persuada M. de Nemours d'y entendre: ce
+qu'il fit avec une trs-grande joye, s'il pouvoit parvenir un si beau
+royaume par le moyen d'une si belle, si vertueuse et honneste Reyne.
+Pour fin, les fers se mirent au feu; par les beaux moyens que le roy lui
+donna, il fit de fort grands prparatifs, et trs-superbes et beaux
+appareils, tant d'habillement, chevaux, armes, bref, de toutes choses
+exquises, sans y rien obmettre (car je vis tout cela), pour aller
+parestre devant cette belle princesse; n'oubliant surtout d'y mener
+toute la fleur de la jeunesse de la Cour; si bien que le fol Greffier,
+rencontrant l-dessus, disoit que c'estoit la fleur des febves, par-l
+brocardant la follastre jeunesse de la Cour. Cependant M. de
+Lignerolles, trs-habile et accort gentilhomme, et lors fort favory de
+M. de Nemours son maistre, fut depesch vers la dite Reyne, qui s'en
+retourna avec une response belle et trs-digne de s'en contenter et de
+presser et avancer son voyage; et me souvient que la Cour en tenoit le
+mariage pour quasi fait: mais nous nous donnasmes la garde que, tout
+coup, ledit voyage se rompit et demeura court, et avec une trs-grande
+despense, trs-vaine et inutile pourtant. Je dirois, aussi bien qu'homme
+de France, quoy il tint que cette rupture se fit si-non qu'en passant
+ce seul mot, que d'autres amours, possible, luy serroyent plus le
+coeur et le tenoient plus captif et arrest; car il estoit si accomply
+en toutes choses et si adroit aux armes et autres vertus, que les dames
+ l'envy volontiers l'eussent couru force, ainsi que j'en ai vu de
+plus fringantes et plus chastes, qui rompoient bien leur jeusne de
+chastet pour luy.
+
+--Nous avons, dans les _Cents Nouvelles de la reyne de Navarre
+Marguerite_, une trs-belle histoire de cette dame de Milan, qui, ayant
+donn assignation feu M. de Bonnivet, depuis amiral de France, une
+nuict attira ses femmes de chambre avec des espes nues pour faire bruit
+sur le degr ainsi qu'il seroit prest se coucher: ce qu'elles firent
+trs-bien, suivant en cela le commandement de leur maistresse, qui de
+son ct, fit de l'effraye et craintive, disant que c'estoient ses
+beaux-frres qui s'estoient aperceus de quelque chose, et qu'elle estoit
+perdue, et qu'il se cachast sous le lict ou derrire la tapisserie. Mais
+M. de Bonnivet, sans s'effrayer, prenant sa cape l'entour du bras et
+son espe de l'autre, il dit: Et o sont-ils ces braves frres qui me
+voudroient faire peur ou mal? Quand ils me verront, ils n'oseront
+regarder seulement la pointe de mon espe. Et, ouvrant la porte et
+sortant, ainsi qu'il vouloit commencer charger sur ce degr, il trouva
+ces femmes avec leur tintamarre, qui eurent peur et se mirent crier et
+confesser le tout. M. de Bonnivet, voyant que ce n'estoit que cela, les
+laissa et les recommanda au diable; et se rentra en la chambre, et ferma
+la porte sur lui, et vint trouver sa dame, qui se mit rire et
+l'embrasser, et luy confesser que c'estoit un jeu apost par elle, et
+l'asseurer que, s'il eust fait du poltron et n'eust monstr en cela sa
+vaillance, de laquelle il avoit le bruit, que jamais il n'eust couch
+avec elle; et pour s'estre monstr ainsi gnreux et asseur, elle
+l'embrassa et le coucha auprs d'elle; et toute la nuict ne faut point
+demander ce qu'ils firent; car c'estoit l'une des belles femmes de
+Milan, et aprs laquelle il avoit eu beaucoup de peine la gaigner.
+
+--J'ay cogneu un brave gentilhomme, qui un jour estant Rome couch
+avec une gentille dame romaine, son mary absent, luy donna une pareille
+allarme, et fit venir une de ses femmes en sursaut l'advertir que le
+mary tournoit des champs. La femme, faisant de l'estonne, pria le
+gentilhomme de se cacher dans un cabinet, autrement elle estoit perdue.
+Non, non, dit le gentilhomme, pour tout le bien du monde je ne ferois
+pas cela; mais s'il vient, je le tueray. Ainsi qu'il avoit saut son
+espe, la dame se mit rire et confesser avoir fait cela poste pour
+l'esprouver, si son mary luy vouloit faire mal, ce qu'il feroit et la
+dfendroit bien.
+
+--J'ay cogneu une trs-belle dame qui quitta tout trac un serviteur
+qu'elle avoit, pour ne le tenir vaillant, et le changea en un autre qui
+ne le ressembloit, mais estoit craint et redout extresmement de son
+espe, qui estoit des meilleures qui se trouvassent pour lors.
+
+--J'ay ouy faire un conte la Cour aux anciens, d'une dame qui estoit
+la Cour, maistresse de feu M. de Lorge, le bonhomme, en ses jeunes ans
+l'un des vaillants et renommez capitaines des gens de pied de son temps.
+Elle, en ayant ouy dire tant de bien de sa vaillance, un jour que le roy
+Franois premier faisoit combattre des lions en sa Cour, voulut faire
+preuve s'il estoit tel qu'on luy avoit fait entendre, et pour ce laissa
+tomber un de ses gands dans le parc des lyons, estants en leur plus
+grande furie, et l-dessus pria M. de Lorge de l'aller qurir s'il
+l'aimoit tant comme il le disoit. Luy, sans s'estonner, met sa cape au
+poing et l'espe l'autre main, et s'en va asseurment parmy ces lyons
+recouvrer le gand. En quoy la fortune luy fut si favorable, que, faisant
+toujours bonne mine, et monstrant d'une belle asseurance la pointe de
+son espe aux lyons, ils ne l'osrent attaquer; et ayant recouru le
+gand, il s'en retourna devers sa maistresse et luy rendit; en quoy elle
+et tous les assistants l'en estimrent bien fort. Mais on dit que, de
+beau dpit, M. de Lorge la quitta pour avoir voulu tirer son passe-temps
+de luy et de sa valeur de cette faon. Encores dit-on qu'il luy jeta par
+beau dpit le gand au nez; car il eust mieux voulu qu'elle luy eust
+command cent fois d'aller enfoncer un bataillon de gens de pied, o il
+s'estoit bien appris d'y aller, que non de combattre des bestes, dont le
+combat n'en est gures glorieux. Certes tels essais ne sont ny beaux, ny
+honnestes, et les personnes qui s'en aident sont fort reprouver.
+J'aimerois autant un tour que fit une dame son serviteur, lequel,
+ainsi qu'il luy prsentoit son service, et l'asseuroit qu'il n'y auroit
+chose, tant hazardeuse fust-elle, qu'il ne la fist, elle, le voulant
+prendre au mot, luy dit: Si vous m'aimez tant, et que vous soyez si
+courageux que vous le dites, donnez-vous de vostre dague dans le bras
+pour l'amour de moy. L'autre, qui mouroit pour l'amour d'elle, la tira
+soudain, s'en voulant donner: je luy tins le bras et luy ostay la dague,
+luy remonstrant que ce seroit un grand fol d'aller faire ainsi et de
+telle faon preuve de son amour et de sa valeur. Je ne nommeray point
+la dame, mais le gentilhomme estoit feu M. de Clermont-Tallard l'aisn,
+qui mourut la bataille de Moncontour, un des braves et vaillants
+gentilshommes de France, ainsi qu'il le monstra sa mort, commandant
+une compagnie de gens-d'armes, que j'aimois et honorois fort. J'ay ouy
+dire qu'il en arriva tout de mesme feu de Genlis, qui mourut en
+Allemagne, menant les troupes huguenottes aux troisiesmes troubles: car,
+passant un jour la rivire devant le Louvre avec sa maistresse, elle
+laissa tomber son mouchoir dans l'eau, qui estoit beau et riche, exprs,
+et luy dit qu'il se jetast dedans pour luy recourre. Luy, qui ne savoit
+nager que comme une pierre, se voulut excuser; mais elle, luy reprochant
+que c'estoit un coard amy, et nullement hardy, sans dire gare se jeta
+corps perdu dedans, et, pensant avoir le mouchoir, se fust noy s'il
+n'eust est aussitost secouru d'un autre batteau. Je crois que telles
+femmes se veulent dfaire par tels essays ainsi gentiment de leurs
+serviteurs, qui possible les ennuyent. Il vaudroit mieux qu'elles leur
+donnassent de belles faveurs, et les prier, pour l'amour d'elles, les
+porter aux lieux honorables de la guerre, et faire preuve de leur
+valeur, ou les y pousser davantage, que non pas faire de ces sottises
+que je viens de dire, et que j'en dirois une infinit.
+
+--Il me souvient que, lors que nous allasmes assiger Roen aux premiers
+troubles, mademoiselle de Piennes, l'une des honnestes filles de la
+Cour, estant en doute que feu M. de Gergeay ne fust est assez vaillant
+pour avoir tu lui seul, et d'homme homme, le feu baron d'Ingrande,
+qui estoit un des vaillants gentilshommes de la Cour, pour esprouver sa
+valeur, luy donna une faveur d'une escharpe qu'il mit son habillement
+de teste: et, ainsi qu'on vint pour reconnoistre le fort de
+Sainte-Catherine, il donna si courageusement et vaillamment dans une
+troupe de chevaux qui estoient sortis hors de la ville, qu'en bien
+combattant il eut un coup de pistollet dans la teste, dont il mourut
+roide mort sur la place: en quoy ladite demoiselle fut satisfaite de sa
+valeur; et s'il ne fust mort ce coup, ayant si bien fait, elle l'eust
+espous; mais, doutant un peu de son courage, et qu'il avoit mal tu
+ledit baron, ce luy sembloit, elle voulut voir cette exprience, ce
+disoit-elle. Et certes, encor qu'il y ait beaucoup d'hommes vaillants de
+leur nature, les dames les y poussent encore davantage; et, s'ils sont
+las et froids, elles les esmeuvent et eschauffent. Nous en avons un
+trs-bel exemple de la belle Agns, laquelle, voyant le roy Charles VII
+enamourach d'elle et ne se soucier que de luy faire l'amour, et, mol et
+lasche, ne tenir compte de son royaume, luy dit un jour que, lorsqu'elle
+estoit encores jeune fille, un astrologue lui avoit prdit qu'elle
+seroit aime et servie de l'un des plus vaillants et courageux roys de
+la chrestient; que, quand le Roy lui fit cet honneur de l'aimer, elle
+pensoit que ce fust ce roy valleureux qui luy avoit est prdit; mais le
+voyant si mol, avec si peu de soin de ses affaires, elle voyoit bien
+qu'elle estoit trompe, et que ce roy si courageux n'estoit pas luy,
+mais le roy d'Angleterre, qui faisoit de si belles armes, et luy prenoit
+tant de belles villes sa barbe; dont, dit-elle au Roy, je m'en vais
+le trouver, car c'est celuy duquel entendoit l'astrologue. Ces paroles
+piqurent si fort le coeur du Roy, qu'il se mit plorer; et de-l en
+avant, prenant courage, et quittant sa chasse et ses jardins, prit le
+frein aux dents; si bien que par son bonheur et vaillance, chassa les
+Anglois de son royaume.
+
+--Bertrand du Guesclin, ayant espous sa femme, madame Thiphanie, se mit
+du tout la contenter et laisser le train de la guerre, luy qui l'avoit
+tant pratique auparavant, et qui avoit acquis tant de gloire et de
+loange, mais elle luy en fit une rprimende et remonstrance, qu'avant
+leur mariage on ne parloit que de luy et de ses beaux faits, et que
+dsormais on luy pourroit reprocher elle-mesme une telle
+discontinuation de son mary; qui portoit un trs-grand prjudice elle
+et son mary, d'estre devenu un si grand casannier, dont elle ne cessa
+jamais jusques ce qu'elle lui eust remis son premier courage, et
+renvoy la guerre, o il fit encore mieux que devant. Voil comment
+cette honneste dame n'aima point tant son plaisir de nuict comme elle
+faisoit l'honneur de son mary: et certes, nos femmes mesmes, encor
+qu'elles nous trouvent prs de leurs costez, si nous ne sommes braves et
+vaillants, ne nous sauroient aymer ny nous tenir auprs d'elles de bon
+coeur; mais, quand nous retournons des armes, et que nous avons fait
+quelque chose de bien et de beau, c'est alors qu'elles nous ayment et
+nous embrassent de bon coeur, et qu'elles le trouvent meilleur.
+
+--La quatriesme fille du comte de Provence, beau-pere de saint Louis, et
+femme Charles, comte d'Anjou, frre dudit roy, magnanime et ambitieuse
+qu'elle estoit, se faschant de n'estre que simple comtesse de Provence
+et d'Anjou, et qu'elle seule de ses trois soeurs, dont les deux
+estoient reyne et l'autre impratrice, ne portoit autre titre que de
+dame et comtesse, ne cessa jamais, jusques ce qu'elle eust pri,
+press et importun son mary d'avoir et de conquester quelque royaume;
+et firent si bien qu'ils furent eslus par le pape Urbain roy et reyne
+des Deux-Siciles; et allrent tous deux Rome avec trente galleres se
+faire couronner par sa Saintet, en grande magnificence, roy et reyne de
+Jrusalem et de Naples, qu'il conquesta aprs tant par ses armes
+valeureuses que par les moyens que sa femme luy donna, vendant toutes
+ses bagues et joyaux pour fournir aux frais de la guerre: et puis aprs
+rgnrent assez paisiblement et longuement en leurs beaux royaumes
+conquis. Longtemps aprs, une de leurs petites-filles, descendues d'eux
+et des leurs, Isabeau de Lorraine, fit, sans son mary Ren, semblable
+trait; car luy estant prisonnier entre les mains de Charles, duc de
+Bourgogne, elle estant princesse, sage et de grand magnanimit et
+courage, de Sicile et de Naples le royaume leur estant escheu par
+succession, assembla une arme de trente mille hommes, et elle-mesme la
+mena et conquesta le royaume, et se saisit de Naples. Je nommerois une
+infinit de dames qui ont servi de telles faons beaucoup leurs marys,
+et qu'elles, estant hautes de coeur et d'ambition, ont pouss et
+encourag leurs marys se faire grands, acquerir des biens et des
+grandeurs et richesses: aussi est-ce le plus beau et le plus honorable
+que d'en avoir par la pointe de l'espe. J'en ay cogneu beaucoup en
+nostre France et en nos Cours, qui, plus poussez de leurs femmes, quasi
+que de leurs volonts, ont entrepris et parfait de belles choses. Force
+femme ay-je cogneu aussi, qui ne songeans qu' leurs bons plaisirs, les
+ont empeschez et tenus tousjours auprs d'elles; les empeschant de faire
+de beaux faits, ne voulant qu'ils s'amusassent si-non les contenter du
+jeu de Vnus, tant elles y estoient aspres. J'en ferois force contes,
+mais je m'extravaguerois trop de mon sujet, qui est plus beau certes,
+car il touche la vertu, que l'autre qui touche le vice, et contente plus
+d'ouyr parler de ces dames qui ont pouss les hommes de beaux actes.
+Je ne parle pas seulement des femmes maries, mais de plusieurs autres,
+qui, pour une seule petite faveur, ont fait faire leurs serviteurs
+beaucoup de choses qu'ils n'eussent pas fait; car quel contentement leur
+est-ce, quelle ambition et eschauffement de coeur? Est-il plus grande
+que, quand on est en guerre, que l'on songe que l'on est bien aym de sa
+maistresse, et que si l'on fait quelque belle chose pour l'amour
+d'elle, combien de bons visages, de beaux attrait, de belles
+oeillades, d'embrassades, de plaisirs, de faveurs, qu'on espre aprs
+de recevoir d'elles.
+
+--Scipion, entre autres reprimendes qu'il fit Massinissa lorsque,
+quasi tout sanglant, il espousa Sophonisba, luy dit qu'il n'estoit bien
+sant de songer aux dames et l'amour lorsqu'on est la guerre. Il me
+pardonnera s'il lui plaist; mais, quant moy, je pense qu'il n'y a
+point si grand contentement, ny qui donne plus de courage ny d'ambition
+pour bien faire, qu'elles. J'en ay est log-l d'autresfois. Quant
+pour moy, je croy que tous ceux qui se trouvent aux combats en sont de
+mesmes: je m'en rapporte eux. Je crois qu'ils sont de mon opinion,
+tant qu'ils sont, et que, lorsqu'ils sont en quelque beau voyage de
+guerre et qu'ils sont parmy les plus chaudes presses de l'ennemy, le
+coeur leur double et accroist quand ils songent leurs dames, leurs
+faveurs qu'ils portent sur eux, et aux caresses et beaux recueils qu'ils
+recevront d'elles au partir de-l s'ils en eschapent, et, s'ils viennent
+ mourir, quels regrets elles feront pour l'amour de leurs trespas.
+Enfin, pour l'amour de leurs dames et pour songer en elles, toutes
+entreprises sont faciles et aises, tous combats leur sont des tournois,
+et toute mort leur est un triomphe.
+
+--Je me souviens qu' la bataille de Dreux feu M. des Bordes, brave et
+gentil cavalier s'il en fut de son temps, estant lieutenant de M. de
+Nevers, dit avant comte d'Eu, prince aussi trs-accomply, ainsi qu'il
+fallut aller la charge pour enfoncer un bataillon de gens de pied qui
+marchoit droit l'avant-garde, o commandoit feu M. de Guise le Grand,
+et que le signal de la charge fut donn, ledict des Bordes, mont sur un
+turc gris, part tout aussi-tost, enrichy et garny d'une fort belle
+faveur que sa maistresse luy avoit donne (je ne la nommeray point, mais
+c'estoit l'une des belles et honnestes filles, et des grandes de la
+Cour); et en partant, il dit: H! je m'en vais combattre vaillamment
+pour l'amour de ma maistresse, ou mourir glorieusement. A ce il ne
+faillit, car, ayant perc les six premiers rangs, mourut au septiesme,
+port par terre. A vostre advis, si cette dame n'avoit pas bien employ
+sa belle faveur, et si elle s'en devoit desdire pour luy avoir donne?
+
+--M. de Bussy a est le jeune homme qui a aussi bien fait valoir les
+faveurs de ses maistresses que jeune homme de son temps, et mesmes de
+quelques-unes que je say, qui mritoient plus de combats, d'exploits
+de guerre, de coups d'espe, que ne fit jamais la belle Anglique des
+paladins et chevalliers de jadis, tant chrestiens que sarrazins; mais je
+luy ouy dire souvent qu'en tant de combats singuliers et guerres et
+rencontres gnrales (car il en a fait prou) o il s'est jamais trouv,
+et qu'il a jamais entrepris, ce n'estoit point tant pour le service de
+son prince ny pour ambition, que pour la seule gloire de complaire sa
+dame. Il avoit certes raison, car toutes les ambitions du monde ne
+vallent pas tant que l'amour et la bienveillance d'une belle et honneste
+dame et maistresse. Et pourquoy tant de braves chevalliers errants de la
+Table-Ronde, et de tant de valleureux paladins de France du temps pass,
+ont entrepris tant de guerres, tant de voyages lointains, tant fait de
+belles expditions, si-non pour l'amour des belles dames qu'ils
+servoient ou vouloient servir? Je m'en rapporte nos palladins de
+France, nos Rollands, nos Renauds, nos Ogiers, nos Olliviers, nos Yvons,
+nos Richards, et une infinit d'autres. Aussi c'estoit un bon temps et
+bien fortun; car, s'ils faisoient quelque chose de beau pour l'amour de
+leurs dames, leurs dames, nullement ingrattes, les en savoient bien
+rcompenser quand ils se venoient rencontrer, ou donner des rendez-vous
+dans des forests, dans les bois, auprs des fontaines ou en quelques
+belles prairies. Et voil le guerdon des vaillantises que l'on desire
+des dames. Or il y a une demande: pour-quoi les femmes aiment tant ces
+vaillants hommes, et, comme j'ay dit au commencement, la vaillance a
+cette vertu et force de se faire aimer son contraire? Davantage, c'est
+une certaine inclination naturelle qui pousse les dames pour aimer la
+gnrosit, qui est certainement cent fois plus aimable que la
+coardise: aussi toute vertu se fait plus aimer que le vice. Il y a
+aucunes dames qui aiment ces gens ainsi pourvus de valeur, d'autant
+qu'il leur semble que, tout ainsi qu'ils sont braves et adroits aux
+armes et au mestier de Mars, qu'ils le sont de mesmes celuy de Vnus.
+Cette regle ne faut en aucuns, et de fait ils le sont, comme fut jadis
+Csar, le vaillant du monde, et force autres braves que j'ay cogneus que
+je tais, et tels y ont bien toute autre force et grace que des ruraux et
+autres gens d'autre profession; si-bien qu'un coup de ces gens-l en
+vaut quatre des autres, je dis envers les dames qui sont modestement
+lubriques, mais non pas envers celles qui le sont sans mesure, car le
+nombre leur plaist. Et si cette regle est bonne quelques fois en aucuns
+de ses gens, et selon l'humeur d'aucunes femmes, elle faut en d'autres;
+car il se trouve de ces vaillants qui sont tant rompus de l'harnois et
+des grandes corvees de guerre, qu'ils n'en peuvent plus quand il faut
+venir ce doux jeu, de sorte qu'ils ne peuvent contenter leurs dames;
+dont aucunes, et plusieurs y en a, qui aimeroient mieux un bon artisan
+de Vnus, frais et bien moulu, que quatre de ceux de Mars, ainsi
+allebrenez. J'en ay cogneu force de ce sexe fminin et de cette humeur;
+car enfin, disent-elles, il n'y a que de bien passer son temps et en
+tirer la quintessence, sans avoir acception de personnes. Un bon homme
+de guerre est bon, et le fait beau voir la guerre; mais s'il ne sait
+rien faire au lict (disent-elles), un bon gros vallet bien sjour vaut
+bien autant qu'un beau et vaillant gentilhomme lass. Je m'en rapporte
+celles qui en ont fait l'essay et le font tous les jours; car les reins
+du gentilhomme, tout gallant et brave soit-il, estans rompus et froisss
+de l'harnois qu'ils ont tant port sur eux, ne peuvent fournir
+l'appointement comme les autres qui n'ont jamais port peine ni fatigue.
+D'autres dames y en a-t-il qui aiment les vaillants, soient pour marys,
+soient pour serviteurs, afin qu'il dbattent et soustiennent mieux leurs
+honneurs et leurs chastetez, si aucuns mdisants il y en a qui les
+veulent souiller de paroles; ainsi que j'en ay veu plusieurs la Cour,
+o j'y ay cogneu d'autresfois une fort belle et grande dame, que je ne
+nommeray point, estant fort sujette aux mdisances, quitta un serviteur
+fort favory qu'elle avoit, le voyant mol dpartir de la main et ne
+braver et ne quereller, pour en prendre un autre qui estoit un
+escalabreux, brave et vaillant, qui portoit sur la pointe de son espe
+l'honneur de sa dame, sans qu'on y osast aucunement toucher. Force dames
+ay-je cogneu de cette humeur, qui ont voulu tousjours avoir un vaillant
+pour leur escorte et deffense; ce qui leur est trs-bon et trs-utile
+bien souvent: mais il faut bien qu'elles se donnent garde de broncher et
+varier devant eux si elles se sont une fois soumises sous leur
+domination; car, s'ils s'apperoivent le moins du monde de leurs
+fredaines et mutations, il les mainent beau et les gourmandent
+terriblement, et elles et leurs gallants, si elles changent; ainsi que
+j'en ay veu plusieurs exemples en ma vie. Voil donc, telles femmes qui
+se voudront mettre en possession de tels braves et scalabreux, faut
+qu'elles soient braves et trs-constantes envers eux, ou bien qu'elles
+soient si fort secretes en leurs affaires, qu'elles ne se puissent
+vanter: si ce n'est qu'elles voulussent faire en composant, comme les
+courtisannes d'Italie et de Rome, qui veulent avoir un brave (ainsi le
+nomment-elles) pour les dfendre et maintenir; mais elles mettent
+tousjours par le march qu'elles auront d'autres concurrences, et que le
+brave n'en sonnera mot. Cela est fort bon pour les courtisannes de Rome
+et pour leurs braves, non pour les gallants gentilshommes de nostre
+France ou d'ailleurs. Biais si une honneste dame se veut maintenir en sa
+fermet et constance, il faut que son serviteur n'espargne nullement sa
+vie pour la maintenir et dfendre si elle court la moindre fortune du
+monde, soit, ou de sa vie, ou de son honneur, ou de quelque meschante
+parole; ainsi que j'en ay veu en nostre Cour plusieurs qui ont fait
+taire les mdisants tout court, quand ils sont venus dtracter de
+leurs maistresses et dames; auxquelles, par devoir de chevallerie et par
+les lois, nous sommes tenus de servir de champions en leurs afflictions;
+ainsi que fit ce brave Renaud de la belle Genevre en Escosse, le
+seigneur de Mendozze cette belle duchesse que j'ay dit, et le seigneur
+de Carouge sa propre femme du temps du roy Charles sixiesme, comme
+nous lisons dans nos Croniques. J'en allguerois une infinits d'autres,
+et du vieux et du nouveau temps, ainsi que j'ay veu en nostre Cour; mais
+je n'aurois jamais fait. D'autres dames ay-je cogneues qui ont quitt
+des hommes pusilanimes, encores qu'ils fussent bien riches, pour aimer
+et espouser des gentilshommes qui n'avoient que l'espe et la cappe,
+pour manire de dire; mais ils estoient valeureux et gnreux, et
+avoient esprance, par leurs valeurs et gnrositez, de parvenir aux
+grandeurs et aux estats, encore certes que ne ne soient pas les plus
+vaillants qui le plus souvent y parviennent, en quoy on leur fait tort
+pourtant; et bien souvent voit-on les coards et pusilanismes y
+parvenir; mais, quoy qu'il soit, telle marchandise ne paroist point sur
+eux comme quand elle est sur les vaillants. Or je n'aurois jamais fait
+si je voulois raconter les diverses causes et raisons pourquoy les dames
+aiment ainsi les hommes remplis de gnrosit. Je say bien que si je
+voulois amplifier ce discours d'une infinit de raisons et d'exemples,
+j'en pourrois faire un livre entier; mais ne me voulant amuser sur un
+seul sujet, ains en varier de plusieurs et divers, je me contenteray
+d'en avoir dit ce que j'ay dit, encore que plusieurs me pourront
+reprendre que cettuy-cy estoit bien assez digne pour estre enrichy de
+plusieurs exemples et prolixes raisons, qu'eux-mesmes pourront bien: Il
+a oubli cettuy-cy, il a oubli cettuy-l. Je le say bien, et en say
+possible plus qu'ils ne pourront allguer, et des plus sublins et
+secrets; mais je veux les tous publier et nommer. Voil pourquoy je me
+tais. Toutefois, avant que faire pose, je dirai ce mot en passant, que,
+tout ainsi que les dames aiment les hommes vaillants et hardis aux
+armes, elles aiment aussi ceux qui le sont en amours; et jamais homme
+coard et par trop respectueux en icelles n'aura bonne fortune; non
+qu'elles les veuillent si outrecuidez, hardis et prsomptueux, que de
+haute lutte les vinssent porter par terre; mais elles desirent en eux
+une certaine modestie hardie, ou hardiesse modeste; car d'elles-mesmes,
+si ce ne sont des louves, ne vont pas requerir ni se laisser aller, mais
+elles en savent si bien donner les appetits, les envies, et attirent si
+gentiment l'escarmouche, que qui ne prend le temps point et ne vient
+aux prises, sans aucun respect de majest et de grandeur, ou de
+scrupule, ou de conscience, ou de crainte, ou de quelque autre sujet,
+celuy vrayement est un sot et sans coeur, et qui mrite jamais estre
+abandonn de la bonne fortune.
+
+--Je say deux honnestes gentilshommes compagnons, pour lesquels deux
+fort honnestes dames, et non certes de petite qualit, ayant fait pour
+eux une partie un jour Paris, et s'aller pourmener en un jardin,
+chacune, y estant, se separa l'escart l'une de l'autre, avec un chacun
+son serviteur, en chacune son alle, qui estoit si couverte de belles
+treilles que le jour quasi ne s'y pouvoit voir, et la fraischeur y
+estoit gracieuse. Il y eut un des deux hardy, qui, cognoissant cette
+partie n'avoir est faitte pour se pourmener et prendre le frais, et
+selon la contenance de sa dame qu'il voyoit brusler en feu, et d'autre
+envie que de manger des muscats qui estoient en la treille, et selon
+aussi les paroles eschauffes, affettes et folastres, ne perdit si
+belle occasion; mais, la prenant sans aucun respect, la mit sur un petit
+lict qui estoit fait de gazons et de mottes de terre; il en joit fort
+doucement, sans qu'elle dist autre chose, si-non: Mon Dieu! que
+voulez-vous faire? N'tes-vous pas le plus grand fol et estrange du
+monde? et si quelqu'un vient, que dira-t-on? Mon Dieu, ostez-vous. Mais
+le gentilhomme, sans s'estonner, continua si bien, qu'il en partit si
+content, et elle et tout, qu'ayant fait encor trois ou quatre tours
+d'alle, ils recommencrent encore une seconde charge. Puis, sortant de
+l en autre alle couverte, ils virent d'autre cost l'autre gentilhomme
+et l'autre dame, qui se pourmenoient ainsi qu'ils les y avoient laissez
+auparavant. A quoy la dame contente dit au gentilhomme content: Je
+croy qu'un tel aura fait du sot, et qu'il n'aura fait sa dame autre
+entretien que de paroles, de discours et de pourmenades. Donc, tous
+quatre s'assemblans, les deux dames se vindrent demander de leurs
+fortunes. La contente respondit qu'elle se portoit fort bien elle, et
+que pour le coup elle ne se sauroit pas mieux porter. La mecontente de
+son cost dit qu'elle avoit eu affaire avec le plus grand sot et le plus
+coard amant qui s'estoit jamais veu. Et surtout les deux gentilshommes
+les virent rire et crier entre elles deux en se pourmenant. O le sot!
+le coard! monsieur le respectueux! Sur quoy le gentilhomme content
+dit son compagnon: Voil nos dames qui parlent bien vous, elles
+vous foettent: vous trouverez que vous avez fait trop du respectueux et
+du badin. Ce qu'il advoua: mais il n'estoit plus temps, car l'occasion
+n'avoit plus de poil pour la prendre. Toutesfois, ayant cogneu sa faute,
+au bout de quelque temps il la repara par quelque certain autre moyen
+que je dirois bien.
+
+--J'ay cogneu deux grands seigneurs et frres, et tous deux bien
+parfaits et bien accomplis, qui, aymans deux dames, mais il y en avoit
+une plus grande que l'autre en tout, et estant entrez en la chambre de
+cette grande qui gardoit pour lors le lict, chacun se mit part pour
+entretenir sa dame. L'un entretient la grande avec tous les respects et
+tous les baisements humbles qu'il put, et paroles d'honneur et
+respectueuses, sans faire jamais aucun semblant de s'approcher de prs
+ny vouloir forcer la roque. L'autre frre, sans crmonie d'honneur ny
+de paroles, prit la dame un coing de fenestre, et lui ayant tout d'un
+coup essart ses caleons qui estoient bridez (car il estoit bien fort),
+luy fit sentir qu'il n'aimoit point l'espagnole, par les yeux, ny par
+les gestes de visage, ny par paroles, mais par le vray et propre point
+et effet qu'un vray amant doit souhaiter: et ayant achev son prix-fait,
+s'en part de la chambre, et en partant dit son frere, assez haut que
+sa dame l'ouyt: Mon frere, si vous ne faites comme moy vous ne faites
+rien, et vous dis que vous pouvez estre tant brave et hardy ailleurs que
+vous voudrez; mais si en ce lieu vous ne monstrez votre hardiesse, vous
+estes deshonor; car vous n'estes ici en lieu de respect, mais en lieu
+o vous voyez votre dame qui vous attend. Et par ainsi laissa son
+frere, qui pourtant pour l'heure retint son coup et le remit une autre
+fois: ce ne fut pourtant que la dame ne l'en estimast davantage, ou
+qu'elle luy attribuast une trop grande froideur d'amour, ou faute de
+courage, ou inhabilet de corps; si l'avoit monstr assez ailleurs, soit
+en guerre, soit en amours.
+
+--La feu reyne-mre fit une fois joer une fort belle comdie en
+italien, pour un mardy gras, l'hostel de Reims, que Cornelie Fiasco,
+capitaine des galleres, avoit invente. Toute la Cour s'y trouva, tant
+hommes que dames, et force autres de la ville. Entre autres choses, il
+fut reprsent un jeune homme qui avoit demeur cach tout une nuict
+dans la chambre d'une trs-belle dame et ne l'avoit nullement touche;
+et ayant racont cette fortune son compagnon, il luy demanda:
+_Ch'avete fatto_[106]? L'autre respondit: _Niente_[107]. Sur cela son
+compagnon lui dit: _Ah! poltronazzo, senza cuore! non havete fatto
+niente! Che maldita sia la tua poltronneria[108]!_ Aprs que la dite
+comdie fut joe, le soir, ainsi que nous estions en la chambre de la
+Reyne, et que nous discourions de cette comdie, je demanday une fort
+belle et honneste dame, que je ne nommeray point, quels plus beaux
+traits elle avoit observs et remarqus en la comdie, qui luy eussent
+pleu le plus. Elle me dit tout navement: Le plus beau trait que j'ay
+trouv, c'est que l'autre a respondu au jeune homme qui s'appeloit
+Lucio, qui luy avoit dit _che non haveva fatto niente: Ah poltronazzo!
+non havete fatto niente! Che maldita sia la tua poltronneria!_ Voil
+comme cette dame qui me parloit estoit de consente avec l'autre qui luy
+reprochoit sa poltronnerie, et qu'elle ne l'estimoit nullement d'avoir
+est si mol et lasche; ainsi comme plus plain elle et moy nous
+discourusmes des fautes que l'on fait sur le sujet de ne prendre le
+temps et le vent quand il vient point, comme fait le bon marinier. Si
+faut-il que je fasse encore ce conte, et le mesle, tout plaisant et
+bouffon qu'il est, parmy les autres srieux.
+
+--J'ay donc ouy conter un honneste gentilhomme mien amy, qu'une dame
+de son pays, ayant plusieurs fois monstr de grandes familiaritez et
+privautez un sien vallet-de-chambre, qui ne tendoient toutes qu'
+venir ce point, ledit vallet, point fat et sot, un jour d'est
+trouvant sa maistresse par un matin demi endormye dans son lict toute
+nue, tourne de l'autre cost de la ruelle, tent d'un si grande
+beaut, et d'une fort propre posture, et aise pour l'investir et s'en
+accommoder, estant elle sur le bord du lict, vint doucement et investit
+la dame, qui, se tournant, vid que c'estoit son vallet qu'elle desiroit;
+et, toute investie qu'elle estoit, sans autrement se desinvestir ny
+remer, ny se defaire, ny depestrer de sa prise tant soit peu, ne fit
+que dire, tournant la teste, et se tenant ferme de peur de ne rien
+perdre: Monsieur le sot, qui est-ce qui vous a fait si hardy de le
+mettre-l? Le vallet luy respondit en toute rvrence: Madame,
+l'osteray-je?--Ce n'est pas ce que je vous dis, monsieur le sot, luy
+respondit la dame. Je vous dis: Qui vous a fait si hardy de le
+mettre-l? L'autre retournoit toujours dire: Madame, l'osteray-je?
+et si vous voulez, je l'osteray: et elle redire: Ce n'est pas ce que
+je vous dis encore, monsieur le sot. Enfin, et l'un et l'autre firent
+ces mesmes repliques et dupliques par trois ou quatre fois, sans se
+desbauscher autrement de leur besogne, jusques ce qu'elle fut acheve;
+dont la dame s'en trouva mieux que si elle eust command son galland
+de l'oster, ainsi qu'il luy demandoit. Et bien servit elle de
+persister en sa premire demande sans varier, et au gallant en sa
+replique et duplique: et par ainsi continurent leurs coups et cette
+rubrique long-temps aprs ensemble; car il n'y a que la premiere fourne
+ou la premiere pinte chere, ce dit-on. Voil un beau vallet et hardy! et
+ tels hardis, comme dit l'italien, il faut dire: _A bravo cazzo mai non
+manca favor_. Or, par ainsi vous voyez qu'il y en a plusieurs qui sont
+braves, hardis et vaillants, aussi bien pour les armes que pour les
+amours; d'autres qui le sont en armes et non en amours; d'autres qui le
+sont en amours et non aux armes, comme estoit ce marault de Paris, qui
+eut bien la hardiesse et vaillance de ravir Heleine son pauvre cocu de
+mary Menelas, et coucher avec elle, et non de se battre avec luy devant
+Troyes. Voil aussi pourquoy les dames n'aiment les vieillards ny ceux
+qui sont trop avancs sur l'aage, d'autant qu'ils sont forts timides en
+amours et vergogneux demander; non qu'ils n'ayent des concupiscences
+aussi grandes que les jeunes, voire plus, mais non pas les puissances:
+et c'est ce que dit une fois une dame espagnole, que les vieillards
+ressembloient beaucoup de personnes que, quand elles voient les roys en
+leurs grandeurs, dominations et autoritez, ils souhaiteroient fort
+d'estre comme eux, non pas qu'ils osassent rien attenter contre eux pour
+les dpossder de leurs royaumes et prendre leurs places; et
+disoit-elle: _Y a pends es nascido et desseo, quando se muere luego_;
+c'est--dire qu' peine le desir est n qu'il meurt aussi-tost: aussi
+les vieillards, quand ils voyent de beaux objets, ils les desirent fort,
+mais ils ne les osent attaquer, _por que los viejos naturalmente son
+temerosos; y amor y temor no se caben en un saco_; car les vieillards
+sont craintifs fort naturellement; et l'amour et la crainte ne se
+trouvent jamais bien dans un sac. Aussi ont-ils raison; car ils n'ont
+armes ny pour offencer ny pour dfendre, comme des jeunes gens, qui ont
+la jeunesse et beaut: et aussi, comme dit le pote, rien n'est mal
+sant la jeunesse, quelque chose qu'elle fasse; aussi, dit un autre,
+il n'est point beau de voir un vieil gendarme ny un vieil amoureux. Or
+c'est assez parl sur ce sujet; parquoy je fais fin et n'en dis plus,
+si-non que j'adjousteray un autre nouveau sujet faisant et approchant
+quasi ce sujet, qui est que, tout ainsi que les dames aiment les
+hommes braves, vaillants et gnreux, les hommes aiment pareillement les
+dames braves, de coeur et gnreuses. Et comme tout homme gnreux et
+courageux est plus aimable et admirable qu'un autre, aussi de mesme en
+est toute dame illustre, gnreuse et courageuse; non que je veuille que
+cette dame fasse les actes d'un homme, ny qu'elle s'agendarme comme un
+homme, ainsi que j'en ay veu, cogneu et ouy parler d'aucunes qui
+montoient cheval comme un homme, portoient le pistolet l'aron de la
+selle, et le tiroient, et faisoient la guerre comme un homme. J'en
+nommerais bien une qui durant ces guerres de la Ligue en a fait de
+mesme. Ce desguisement est dementir le sexe; outre qu'il n'est beau et
+bien sant, il n'est permis, et porte plus grand prjudice qu'on ne
+pense: ainsi que mal en prit cette gente pucelle d'Orlans, laquelle
+en son procs fut calomnie de cela, et en partie cause de son sort et
+sa mort. Voil pourquoi je ne veux ny estime trop tel garonnement; mais
+je veux et aime une dame qui monstre son brave et valleureux courage,
+estant en adversit et en bon besoin, par de beaux actes feminins, qui
+approschent fort d'un coeur masle. Sans emprunter les exemples des
+gnreuses dames de Rome et de Sparte de jadis, qui ont en cela exced
+toutes autres, ils sont assez manifestes et exposez nos yeux, j'en
+veux escrire de nouveaux et de nos temps. Pour le premier, et mon gr
+le plus beau que je sache, ce fut celuy de ces belles, honnestes et
+courageuses dames de Sienne, alors de la rvolte de leur ville contre le
+joug insuportable des Impriaux; car, aprs que l'ordre y fut estably
+pour la garde, les dames, en estant mises part pour n'estre propres
+la guerre comme les hommes, voulurent monstrer un par-dessus, et
+qu'elles savoient faire autre chose que besogner leurs ouvrages du
+jour et de la nuict; et, pour porter leur part du travail, se
+departirent d'elles-mesmes en trois bandes: et, un jour de Saint
+Anthoine, au mois de janvier, comparurent en public trois des plus
+belles, grandes et principales de la ville, en la grande place (qui est
+certes trs-belle), avec leurs tambours et enseignes. La premiere estoit
+la signora Forteguerra, vestu de violet, son enseigne et sa bande de
+mesme parure avec une devise de ces mots: _Purche sia il vero_. Et
+estoient toutes ces dames vestues la nymphale, d'un court
+accoustrement qui en descouvroit et monstroit mieux la belle greve. La
+seconde estoit la signora Piccolomini, vestue d'incarnat, avec sa bande
+et enseigne de mesme, avec la croix blanche, et la devise en ces mots:
+_Purche no l'habbia tutto_. La troisiesme estoit la signora Livia
+Fausta, vestue toute blanc, avec sa bande et enseigne blanche, en
+laquelle estoit une palme, et la devise en ces mots: _Purche l'habbia_.
+A l'entour et la suite de ces trois dames, qui sembloient trois
+desses, il y avoit bien trois mille dames, que gentilles-femmes,
+bourgeoises qu'autres, d'apparence toutes belles, ainsi bien pares de
+leurs robbes et livres, toutes ou de satin ou de taffetas, de damas ou
+autres draps de soye, et toutes rsolus de vivre ou mourir pour la
+libert; et chacune portoit une fascine sur l'espaule un fort que l'on
+faisoit, criants: _France! France!_ Dont M. le cardinal de Ferrare et M.
+de Termes, lieutenants du Roy, en furent si ravis d'une chose si rare et
+belle, qu'ils ne s'amusrent autre chose qu' voir, admirer,
+contempler et loer ces belles et honnestes dames: comme de vray j'ay
+ouy dire aucunes et aucuns qui y estoient, que jamais rien ne fut si
+beau; et Dieu sait si les belles dames manquent en cette ville, et en
+abondance, sans spciaut.
+
+Les hommes, qui, de leur bonne volont, estoient fort enclins leur
+libert, en furent davantage poussez par ce beau trait, ne voulans en
+rien cder leurs dames pour cela: tellement que tous l'envy,
+gentilshommes, seigneurs, bourgeois, marchands, artisans, riches et
+pauvres, tous accoururent au fort en faire de mesme que ces belles,
+vertueuses et honnestes dames; et en grande mulation, non-seulement les
+sculiers, mais les gens d'glise poussrent tous cet oeuvre, et au
+retour du fort, les hommes part, et les femmes aussi ranges en
+bataille en la place auprs du palais de la Seigneurie, allrent l'un
+aprs l'autre, de main en main, saluer l'image de la Vierge Marie,
+patronne de la ville, en chantant quelques hymnes et cantiques son
+honneur par un si doux air et agrable armonie, que, partie d'aise,
+partie de piti, les larmes tombaient des yeux tout le peuple; lequel,
+aprs avoir receu la bndiction de M. le rvrendissime cardinal de
+Ferrare, chacun se retira en son logis, tous et toutes en rsolution de
+faire mieux l'advenir. Cette crmonie sainte de dames me fait
+ressouvenir (sans comparaison) d'une profane, mais belle pourtant, qui
+fut faite Rome du temps de la guerre punique, qu'on trouve dans
+Tite-Live. Ce fut une pompe et une procession qui s'y fit de trois fois
+neuf, qui sont vingt-sept jeunes belles filles romaines, et toutes
+pucelles, vestues de robettes assez longuettes (l'histoire n'en dit
+point les couleurs); lesquelles, aprs leur pompe et procession acheve,
+s'arrestrent en une place, o elles dansrent devant le peuple une
+danse en s'entredonnans une cordelette, range l'une aprs l'autre,
+faisant un tour de danse, et accommodant le mouvement et fretillement de
+leurs pieds en cadence de l'air et de la chanson qu'elles disoient: ce
+qui fut une chose trs-belle voir autant pour la beaut de ces belles
+filles que pour leur bonne grace, leur belle faon la danse, et pour
+leur affett mouvement de pieds, qui certes l'est d'une belle pucelle,
+quand elle les sait gentiment et mignardement conduire et mener. Je me
+suis imagin en moy cette forme de danse, et m'a fait souvenir d'une que
+j'ay veu de mon jeune temps danser les filles de mon pays, qu'on
+appeloit la _jarretierre_; lesquelles, prenans et s'entredonnans la
+jarretierre par la main, les passoient et repassoient par-dessus leur
+teste, puis les mesloient et entrelassoient entre leurs jambes en
+sautant dispostement par-dessus, et puis s'en desveloppoient et
+desengageoient si gentiment par de petits sauts, tousjours
+s'entresuivans les uns aprs les autres, sans jamais perdre la cadence
+de la chanson ou de l'instrument qui les guidoit; si que la chose estoit
+trs-plaisante voir, car les sauts, les entrelassements, les
+desgagements, le port de la jarretierre et la grace des filles,
+portoient je ne say quelque lascivet mignarde, que je m'estonne que
+cette danse n'a est pratique en nos cours de nostre temps, puis que
+les calleons y sont fort propres, et qu'on y peut voir aisment la
+belle jambe, et qui a la chausse la mieux tire, et qui a la plus belle
+disposition. Cette danse se peut mieux reprsenter par la veu que par
+l'escriture.
+
+Pour retourner nos dames siennoises: H! belles et braves dames, vous
+ne deviez jamais mourir, non plus que vostre los, qui a jamais ira de
+conserve avec l'immortalit, non plus aussi que cette belle et gentille
+fille de vostre ville, laquelle, en vostre sige, voyant son frere un
+soir detenu malade en son lict, et fort mal dispos pour aller en garde,
+le laissant dans le lict, tout coyment se desrobe de luy, prend ses
+armes et ses habillements, et, comme la vraye effigie de son frre,
+paroist en garde; et fut prise pour son frere, ainsi incogneue par la
+faveur de la nuict. Gentil trait, certes; car, bien qu'elle se fust
+garonne et gendarme, ce n'estoit pourtant pour en faire une
+continuelle habitude, que pour cette fois faire un bon office son
+frere. Aussi dit-on que nul amour est gal la fraternelle, et
+qu'aussi, pour un bon besoin, il ne faut rien espargner pour monstrer
+une gente gnrosit du coeur, en quelque endroit que ce soit. Je croy
+que le corporal qui lors commandoit l'esquade o estoit cette belle
+fille, quand il sceut ce trait, fut bien marry qu'il ne l'eust mieux
+recogneue, pour mieux publier sa loange sur le coup, ou bien pour
+l'exempter de la sentinelle, ou du tout pour s'amuser d'en contempler la
+beaut, sa grace et sa faon militaire; car ne faut point douter qu'elle
+ne s'estudiast en tout la contrefaire. Certes on ne sauroit trop
+loer ce beau trait, et mesme sur un si juste sujet pour le frere. Tel
+en fit ce gentil Richardet, mais pour divers sujets, quand, aprs avoir
+ouy le soir sa soeur Bradamente discourir des beauts de cette belle
+princesse d'Espagne, et de ses amours et desirs vains, aprs qu'elle fut
+couche il prit ses armes et sa belle cotte, et s'en dguise pour
+paroistre sa soeur, tant ils estoient de semblance de visage et
+beaut; et aprs, sous telle forme, tira de cette belle princesse ce
+qu' sa soeur son sexe luy avoit desni; dont mal pourtant trs-grand
+luy en fust arriv sans la faveur de Roger, qui, le prenant pour sa
+maistresse Bradamente, le garantit de mort. Or j'ay ouy dire M. de La
+Chapelle des Ursins, qui lors estoit en Italie, et qui fit le rapport de
+si beau trait de ces dames siennoises au feu roy Henry, il le trouva si
+beau, que la larme l'oeil il jura que, si Dieu luy donnoyt un jour
+la paix ou la trefve avec l'Empereur, qu'il iroit par ses galleres en la
+mer de Toscane, et de l Sienne, pour voir cette ville si affecte
+soy et son party, et la remercier de cette brave et bonne volont, et
+sur-tout pour voir ces belles et honnestes dames, et leur en rendre
+graces particulires. Je croy qu'il n'y eust pas failly, car il honoroit
+fort les belles et honnestes dames; et si leur escrivit, principalement
+aux trois principales, des lettres les plus honnestes du monde de
+remerciements et d'offres, qui les contentrent et animrent davantage.
+Hlas! il eut bien quelque temps aprs la trefve; mais, l'attendant
+venir, la ville fut prise, comme j'ay dit ailleurs; qui fut une perte
+inestimable pour la France, d'avoir perdu une si noble et si chere
+alliance, laquelle, se ressouvenant et se ressentant de son ancienne
+origine, se voulut rejoindre et remettre parmy nous; car on dit que ces
+braves Siennois sont venus des peuples de France qu'en la Gaule on
+appeloit jadis Senonnes, que nous tenons aujourd'hui ceux de Sens; aussi
+en tiennent-ils encore de l'humeur de nous autres Franois, car ils ont
+la teste prs du bonnet, et sont vifs, soudains et prompts comme nous.
+Les dames, pareillement aussi, se ressentent de ces gentilles,
+gracieuses faons, et familiaritez franaises.
+
+--J'ay leu dans une vieille chronique que j'ay allgu ailleurs, que le
+roy Charles huictiesme, en son voyage de Naples, lorsqu'il passa
+Sienne, il y fut receu par une entre si triomphante et si superbe,
+qu'elle passa toutes les autres qu'il fit en toute l'Italie; jusques
+l que, pour plus grand respect et signe d'humilit, toutes les portes
+de la ville furent ostes de leurs gonds et portes par terre; et tant
+qu'il y demeura furent ainsi ouvertes et abandonnes tous allants et
+venants, et puis aprs, venant son dpart, remises. Je vous laisse
+penser si le Roy, toute sa Cour et son arme, n'eurent pas grand sujet
+d'aymer et honorer cette ville (comme de vray il fit toujours), et en
+dire tous les biens du monde: aussi la demeure luy et tous en fut
+trs-agrable, et sur la vie fut dfendu de n'y faire aucune insolence,
+comme certes la moindre du monde ne s'ensuivit. Ha! braves Siennois,
+vivez pour jamais! Que pleust Dieu fussis-vous encore nostres en
+tout, comme possible vous l'estes en coeur et en ame! car la
+domination d'un roy de France est bien plus douce que celle d'un duc de
+Florence; et puis le sang ne peut mentir. Que si nous estions aussi
+voisins comme nous sommes reculez, possible, tous ensemble conformes de
+volontez, en ferions-nous-dire.
+
+--Les principaies dames de Pavie, en leur sige du roy Franois sous la
+conduite et exemple de la signora contessa Hippofita de Malespina, leur
+gnrale, se mirent de mesme porter la hotte, remuer terre et remparer
+leurs bresches, faisant l'envy des soldats. Un pareil trait de ces
+dames siennoises que je viens de raconter je vis faire aucunes dames
+rocheloises au sige de leur ville dont il me souvient: que le premier
+dimanche de caresme que le sige y estoit, Monsieur, nostre gnral,
+manda sommer M. de La Nou de sa parole, et venir parler luy et luy
+rendre compte de sa ngociation que luy avoit charg pour cette ville;
+dont le discours en est long et fort bizarre, que j'espre ailleurs
+descrire. M. de La Nou n'y faillit pas, et pour ce M. de Strozze fut
+donn en ostage dans la ville, et trefves furent faites pour ce jour et
+pour le lendemain. Ces trefves ainsi faittes, parurent aussi-tost comme
+nous hors des tranches force gens de la ville sur les remparts et sur
+les murailles; et sur-tout parurent une centaine de dames et bourgeoises
+des plus grandes, plus riches et des plus belles, toutes vestues de
+blanc, tant de la teste que du corps, toutes de toile de Hollande fine,
+qu'il fit trs-beau voir: et ainsi s'estoient-elles vestues cause des
+fortifications des rempars o elles travailloient, fut ou porter la
+hotte ou remuer la terre; et d'autres habillements se fussent
+ensaloudis, et ces blancs en estoient quittes pour les mettre la
+lessive; et aussi qu'avec cet habit blanc se fissent mieux remarquer
+parmy les autres. Nous autres fusmes fort ravis voir ces belles dames,
+et vous asseure que plusieurs s'y amusrent plus qu' autre chose: aussi
+voulurent-elles bien se monstrer nous, et ne furent nous guires
+chiches de leur veu, car elles se plantoient sur le bord du rampart
+d'une fort belle grace et dmarche, qu'elles valoient bien le regarder
+et desirer. Nous fusmes curieux de demander quelles dames c'estoient.
+Ils nous respondirent que c'estoit une bande de dames ainsi jure,
+associe et ainsi pare pour le travail des fortifications, et pour
+faire de tels services leur ville; comme certes de vray elles en
+firent de bons, jusques-l que les plus viriles et robustes menoient les
+armes: si que j'ay ouy conter d'une, pour avoir souvent rpouss ses
+ennemis d'une pique, elle la garde encor si soigneusement comme sacre
+relique, qu'elle ne la donneroit, ny ne voudroit pour beaucoup d'argent
+la bailler, tant elle la tient chere chez soy.
+
+--J'ay ouy raconter aucuns vieux commandeurs de Rhodes, et mesmes je
+l'ay leu en un vieux livre, que lors que Rhodes fut assig par le
+sultan Soliman, les belles filles et dames de la ville ne pardonnrent
+leurs beaux visages et tendres et dlicats corps, pour porter leur bonne
+part des peines et fatigues du sige, jusqu'-l que bien souvent se
+prsentoient aux plus presss et dangereux assauts, et courageusement
+secondoient les chevaliers et soldats les soutenir. Ah! belles
+Rhodiennes! vostre nom, vostre los a valu de tout temps et ne mriteriez
+d'estre sous la domination des barbares!
+
+--Du temps du roy Franois I, la ville de Saint-Riquier, en Picardie,
+fut entreprise et assaillie par un gentilhomme flamand, nomm Domrin,
+enseigne de M. du Ru, accompagn de cent hommes d'armes et de deux mille
+hommes de pied, et quelque artillerie. Dedans il n'y avoit seulement que
+cent hommes de pied, qui estoient fort peu, et estoit prise, ne fut que
+les dames de la ville se prsentrent la muraille avec armes, eau et
+huile bouillante et pierres, et repoussrent bravement les ennemis, bien
+qu'ils fissent tous les efforts pour entrer. Encore deux desdites dames
+levrent deux enseignes des mains des ennemis, et les tirrent de la
+muraille dans la ville; si bien que les assigeants furent contraints
+d'abandonner la bresche qu'ils avoient faite et les murailles, et se
+retirer et s'en aller: dont la renomme fut par toute la France, la
+Flandre et la Bourgogne. Au bout de quelque temps le roy Franois
+passant par-l, en voulut voir les femmes, les loa et les remercia. Les
+dames de Pronne en firent de mesme quand la ville fut assige du comte
+de Nassau, et assistrent aux braves gens de guerre qui estoient dedans
+tout de mesme faon; qui en furent estimes, loes et remercies de
+leur roy. Les femmes de Sancerre, en ces guerres civiles et leur sige,
+furent recommandes et loes des beaux effets qu'elles y firent en
+toutes sortes. Durant cette guerre de la Ligue, les dames de Vitr
+s'acquittrent de mesme en leur ville assige par M. de Mercoeur.
+Elles y sont trs-belles et tousjours fort proprement habilles de tout
+temps; et pour ce n'espargnoient leurs beautez se monstrer viriles et
+courageuses: comme certes tous actes virils et gnreux, un tel
+besoin, sont autant estimer en les femmes qu'en les hommes. Ainsi que
+de mesme furent jadis les gentiles femmes de Carthage, lesquelles, quand
+elles virent leurs marys, leurs freres, leurs peres, leurs parents et
+leurs soldats cesser de tirer leurs ennemis, par faute de cordes en
+leurs arcs, qui estoient toutes uses de force de tirer par une si
+grande longueur de sige: et par ce, ne pouvans plus chevir de chanvre,
+de lin, ny de soie, ny d'autres choses pour faires cordes, s'advisrent
+de couper leurs belles tresses et blonds cheveux, et ne pardonner ce
+bel honneur de leurs testes et parement de leurs beautez; si bien
+qu'elles-mmes, de leurs belles, blanches et dlicates mains, en
+retorsrent et en firent des cordes, et en fournirent leurs gens de
+guerre: dont je vous laisse penser de quels courages et de quels nerfs
+ils pouvoient tendre et bander leurs arcs, en tirer et en combattre,
+portans si belles faveurs des dames.
+
+--Nous lisons dans l'histoire de Naples que ce grand capitaine Sforce,
+sous la charge de la reyne Jeanne seconde, ayant est pris par le mary
+de la reyne, Jacques, mis en estroite prison et en quelques traits de
+corde, sans doute il avoit la teste tranche, sans que sa soeur
+Marguerite se mit en armes et aux champs, et fit si bien, elle en
+personne, qu'elle prit quatre gentilshommes napolitains principaux, et
+manda au roy que tel traittement il feroit son frere, tel le
+feroit-elle ses gens; si bien qu'il fut contraint de faire accord et
+le lascher sain et sauve. Ah! brave et gnreuse soeur! ne tenant
+guiere en cela de son sexe. Je say aucunes soeurs et parentes que, si
+elles eussent fait traits pareil il y a quelque temps, possible
+eussent-elles sauv un brave frere qu'elles avoient, qui fut perdu pour
+faute de secours et d'assistance pareille. Maintenant je veux laisser
+ces dames en gnral guerrieres et gnreuses: parlons d'aucunes
+particulieres. Et pour la plus belle monstre de l'antiquitt, je
+n'allgueray que cette senle Znobie pour toutes, laquelle, aprs la
+mort de mary, ne s'amusa, comme plusieurs, perdre le temps le plorer
+et regretter, mais s'emparer de l'empire au nom de ses enfants, et
+faire la guerre aux Romains et l'empereur Aurelian, qui en estoit lors
+empereur, en leur donnant de la peine beaucoup l'espace de huit ans,
+jusques ce qu'estant descende en champ de bataille contre luy, fut
+vaincue et prise prisonniere, et mene devant l'Empereur; lequel, aprs
+lui avoir demand comment elle avoit eu la hardiesse de faire la guerre
+aux Empereurs, elle luy respondit seulement: Vrayment, je cognois bien
+que vous estes empereur, puisque vous m'avez vaincu. Il eut si grand
+aise de l'avoir vaincu, et en tira une si grande ambition, qu'il en
+voulut triompher; et avec une trs-grande pompe et magnificence elle
+marchoit devant son char triomphant, fort superbement habille et
+accommode d'une grande richesse de perles et pierreries, de grands
+joyaux et de chaisnes d'or, dont elle estoit enchaisne au corps, aux
+pieds et aux mains, en signe de captive et d'esclave; si que, par la
+grande pesanteur de ses joyaux et chaisnes qu'elle portoit sur elle, fut
+contrainte de faire plusieurs pauses et se reposer souvent en ce
+triomphe. Grand cas, certes, et admirable, que, toute vaincue et
+prisonniere qu'elle estoit, encore donnoit-elle loy au vainqueur
+triompheur, et le faisoit arrester et attendre jusques ce qu'elle eust
+repris son halleine! Grande aussi et honneste courtoisie estoit-ce
+l'Empereur de luy permettre son aise et repos et endurer sa dbilit, et
+ne la contraindre ny presser de se haster plus qu'elle ne pouvoit: de
+sorte que l'on ne sait que plus loer, ou l'honnestet de l'Empereur,
+ou la faon de faire de la Reyne, qui possible pouvoit-elle joer ce jeu
+exprs, non tant pour son imbcilit ou lassitude, que pour quelque
+ostentation de gloire, et monstrer au monde qu'elle en vouloit
+recueillir ce petit brin sur le soir de sa belle fortune, comme elle
+avoit fait sur le matin, et que monsieur l'Empereur luy cedoit ce
+coup-l pour l'attandre en ses pas lents et graves marchers. Elle se
+faisoit fort regarder et admirer autant des hommes que des dames,
+desquelles aucunes eussent fort voulu ressembler cette belle image; car
+elle estoit des plus belles, selon que disent ceux qui en ont escrit.
+Elle estoit d'une fort belle, haute et riche taille, son port trs-beau,
+sa grace et sa majest de mesmes, par consquent son visage trs-beau et
+fort agrable, les yeux noirs et fort brillants. Entre autres beautez,
+il luy donnoit les dents trs-belles et fort blanches, l'esprit vif,
+fort modeste, sincere et clemente au besoin; la parole fort belle et
+prononce d'une voix claire: aussi elle-mesme faisoit entendre toutes
+ses conceptions et volontez ses gens de guerre, et les haranguoit
+souvent. Je pense certes qu'il la faisoit bien aussi beau voir ainsi
+vestue si superbement et gentiment en habit de femme, que quand elle
+estoit arme tout blanc; car tousjours le sexe l'emporte: aussi est-il
+ prsumer que l'Empereur ne la voulut exhiber en son triomphe qu'en son
+beau sexe fminin, qui la reprsenteroit mieux et la rendroit au peuple
+plus agrable en ses perfections de beaut. De plus, il est prsumer
+aussi qu'estant si belle, l'Empereur en avoit tast, joi et en
+jouissoit encore; et que s'il l'avoit vaincue d'une faon, il ou elle
+(les deux se peuvent entendre) l'avoit vaincu aussi de l'autre. Je
+m'estonne que, puisque cette Znobie estoit si belle, l'Empereur ne la
+prist et entretinst pour l'une de ses garces, ou bien qu'elle n'ouvrist
+et dressast par sa permission, ou du snat, boutique d'amour et de
+putanisme, comme fit Flora, afin de s'enrichir et accumuler force biens
+et bons moyens au travail de son corps et branslement de son lict;
+laquelle boutique eussent pu venir les plus grands de Rome l'envy tous
+les uns des autres; car enfin il n'y a tel contentement et flicit au
+monde, s'il semble, que se rer sur la royaut et principaut, et de
+joir d'une belle reyne, d'une princesse et grande dame. Je m'en
+rapporte ceux qui ont est en ces voyages, et y fait si belles
+factions. Et par ainsi cette reyne Znobie se fust faite tost riche par
+la bourse de ces grands, ainsi que fit Flora, qui n'en recevoit point
+d'autres en sa boutique. N'eust-il pas mieux vallu pour elle de traitter
+cette vie en bombances, magnificences, chevances et honneurs, que de
+tomber en la ncessit et extrmit quelle tomba, gaigner sa vie
+filer parmy des femmes communes et mourir de faim, sans que le snat,
+ayant piti d'elle, veu sa grandeur passe, luy ordonna pour son vivre
+quelque pension, et quelques petites terres et possessions, que l'on
+appela long-temps les possessions znobiennes; car enfin c'est un grand
+mal que la pauvret, et qui la peut viter, en quelque forme qu'on se
+puisse transmuer, fait bien, ce disoit quelqu'un que je sai. Voil
+pourquoi Znobie ne mena son grand courage au bout de la carrire, comme
+elle devoit, et qu'il faut qu'on la persiste tousjours en toutes
+actions. On dit qu'elle avoit fait faire un charriot triomphant, le plus
+superbe qui fust jamais veu dans Rome, et ce, disoit-elle souvent durant
+ses grandes prosperitez et vanteries, pour triompher dans Rome, tant
+elle estoit prsumptueuse de conqurir l'empire romain: mais tout cela
+au rebours, car l'Empereur l'ayant vaincu le prit pour luy, et en
+triompha, et elle alla pied, en faisant d'elle plus grand triomphe et
+pompe que s'il eust vaincu un puissant roy. Et dittes que la victoire
+qu'on emporte sur une dame, en quelque faon que ce soit, n'est pas
+grande et trs-illustre! Ainsi dsira Auguste de triompher de Clopatre;
+mais il n'y procda pas bien. Elle y pourveut de bonne heure, et de la
+faon que Paulus-milius le dit Persus, qui, le priant en sa
+captivit d'avoir piti de luy, il luy respondit que c'avoit est luy
+ y mettre ordre auparavant, voulant entendre qu'il se devoit estre tu.
+
+J'ay ouy dire que le feu roy Henry second ne dsiroit rien tant que de
+faire prisonnire la reyne de Hongrie, non pour la traitter mal, encore
+qu'elle luy eust donn plusieurs sujets par ses bruslements, mais pour
+avoir cette gloire de tenir cette grande reyne prisonniere, et voir
+quelle mine et contenance elle tiendroit en sa prison, et si elle y
+seroit si brave et orgueilleuse qu'en ses armes: car enfin il n'y a
+rien si superbe et brave qu'une belle, brave et grande dame, quand elle
+veut et qu'elle a du courage, comme estoit celle-l, et qui se plaisoit
+fort au nom que luy avoient donn les soldats espagnols, qui, comme ils
+appeloient l'Empereur son frre _el Padre de los soldatos_[109], eux
+l'appeloient _la Madre_[110]: ainsi que Vittoria, ou Vittorina, jadis du
+temps des Romains, fut appele en ses armes la mre du camp. Certes, si
+une dame grande et belle entreprend une charge de guerre, elle y sert de
+beaucoup, et anime fort ses gens: comme j'ay veu en nos guerres civiles
+la Reyne-Mre, qui bien souvent venoit en nos armes et les asseuroit
+tout plein et encourageoit fort; et comme fait aujourd'huy l'infante
+Isabelle, sa petite-fille, en Flandres, qui prside en son arme, et se
+fait paroistre ses gens de guerre toute valeureuse, si que sans elle
+et sa belle et agrable prsence, la Flandre n'auroit moyen de tenir, ce
+disent tous: et jamais la reyne de Hongrie, sa grande tante, ne parut
+telle en beaut, valeur et gnrosit et belle grace. Dans nos histoires
+de France, nous lisons combien servit la prsence de cette gnreuse
+comtesse de Montfort, estant assige dans Annebon; car, encore que ses
+gens de guerre fussent braves et vaillants, et qu'ils eussent combattu
+et soustenu des assauts et faits aussi bien que gens de monde, ils
+commencrent perdre coeur et vouloir se rendre; mais elle les
+harangua si bien, et anima de si belles et courageuses paroles, et les
+anima si beau et si bien, qu'ils attendirent le secours, qui leur vint
+propos, tant dsir, et le sige fut lev; et fit bien mieux, car, ainsi
+que ses ennemis estoient amusez l'assaut, et que tous y estoient, et
+vid les tentes qui en estoient toutes vides, elle, monte sur un bon
+cheval, et avec cinquante bons chevaux, fit une saillie, donne l'alarme,
+met le feu dans le camp, si-bien que Charles de Blois; cuidant estre
+trahy, fit aussi-tost cesser l'assaut. Sur ce sujet je feray ce petit
+conte. Durant ces dernires guerres de la Ligue, feu M. le prince de
+Cond, dernier mort, estant Saint-Jean, envoya demander madame de
+Bourdeille, veufve de l'aage de quarante ans, et trs-belle, six ou sept
+des gens de sa terre, des plus riches, et qui s'estoient retirez en son
+chasteau de Mathas prs elle. Elle les luy refusa tout trac, et que
+jamais elle ne trahiroit ny ne livreroit ces pauvres gens, qui
+s'estoient allez couvrir et sauver sous sa foy. Il luy manda pour la
+derniere fois que, si elle ne les luy envoyoit, qu'il luy apprendroit de
+luy obyr. Elle luy fit response (car j'estois avec elle pour
+l'assister) que, puisqu'il ne savoit obyr, qu'elle trouvoit fort
+estrange de vouloir faire obir les autres, et lorsqu'il auroit oby
+son Roy elle luy chyroit; au reste que, pour toutes ses menaces, elle
+ne craignoit ny son canon, ny son sige, et qu'elle estoit descendue de
+la comtesse de Montfort, de laquelle les siens avoient hrit de cette
+place, et elle et tout de son courage; et qu'elle estoit rsolue de la
+garder si-bien qu'il ne la prendroit point; et qu'elle feroit autant
+parler l d'elle lans que son ayeule, ladite comtesse, avoit fait dans
+Annebon. M. le prince songea long-temps sur cette response, et temporisa
+quelques jours sans la plus menacer. Pourtant s'il ne fust mort il
+l'eust assige; mais elle s'estoit bien prpare de coeur, de
+rsolution, d'hommes et de tout, pour le bien recevoir; et croy qu'il y
+eust receu de la honte. Machiavel, en son livre _de la Guerre_, raconte
+que Catherine, comtesse de Furly, fut assige dans sa dite place par
+Csar Borgia, assist de l'arme de France, qui luy rsista fort
+valleurusement, mais enfin fut prise. La cause de sa perte fut que cette
+place estoit trop pleine de forteresses et lieux forts, pour retirer
+d'un lieu l'autre; si-bien que, Csar ayant fait ses approches, le
+seigneur Jean de Casale (que ladite comtesse avoit pris pour sa garde et
+assistance) abandonna la brche pour se retirer en ses forts; et par
+cette faute, Borgia faussa et prit la place: si-bien, dit l'auteur, que
+ces fautes firent tort au courage gnreux et la rputation de cette
+brave comtesse, laquelle avoit attendu une arme que le roy de Naples et
+le duc de Milan n'avoient os attendre. Et bien que son issu en fust
+malheureuse, elle emporta l'honneur que sa vertu mritoit; et pour ce en
+Italie se firent force vers et rimes en sa loange. Ce passage est digne
+de lire pour ceux qui se meslent de fortifier des places et y bastir
+grande quantit de forts, chasteaux, roques et cittadelles. Pour
+retourner nostre propos, nous avons eu le temps pass force princesses
+et grandes dames en nostre France, qui ont fait de belles marques de
+leurs proesses: comme fit Paule, fille du comte de Penthivre, laquelle
+fut assige dans Roy par le comte de Charoullois, et s'y monstra si
+brave et si gnreuse, que la ville estant prise, le comte luy fit
+trs-bonne guerre, et la fit conduire Compiegne, seurement, ne
+permettant qu'il luy fust fait aucun tort; et l'honora fort pour sa
+vertu, encor qu'il voulust grand mal son mary, qu'il chargeroit de
+l'avoir voulu faire mourir par sortilleges et charmes d'aucunes images
+et chandelles.
+
+--Richilde, fille unique et hritire de Monts, en Hainault, femme de
+Beaudoin sixiesme, comte de Flandres, fit tous efforts contre Robert le
+Frizon son beau frere, institu tuteur des enfants de Flandres, pour luy
+en oster la connoissance et administration et se l'attribuer: quoy
+poursuivant l'aide de Philippes roy de France, luy hazarda deux
+batailles; en la premire elle fut prise, ce que fut aussi Robert son
+ennemy, et amprs furent rendus par eschange: luy en livra la seconde,
+laquelle elle perdit, et y perdit son fils Arnuphe, et chasse jusques
+Monts.
+
+--Isabelle de France, fille du roy Philippes le Bel, et femme du roy
+Edouard II, duc de Guyenne, fut en mal-grace du Roy son mary, par de
+meschants rapports de Hue le despensier, dont fut contrainte de se
+retirer en France avec son fils douard; puis s'en retourna en
+Angleterre avec le chevalier de Hainaut son parent, et une arme qu'elle
+y mena, au moyen de laquelle elle prit son mary prisonnier, lequel elle
+dlivra entre les mains de ceux avec lesquels il lui convint finir ses
+jours; ainsi qu' elle-mesme il luy en prit, qui, pour traiter l'amour
+avec un seigneur de Mortemer, fut par son fils confine en un chasteau
+finir ses jours. C'est elle qui a baill sujet aux Anglais de quereller
+ tort la France. Mais voil une mauvaise reconnoissance pourtant, et
+grande ingratitude de fils, qui, oubliant un grand bienfait, traita
+ainsi sa mre pour un si petit forfait; petit l'appelle-je, puisqu'il
+est naturel et que mal-aisment ayant pratiqu les gens de guerre, et
+qu'elle s'estoit tant accoustume garonner avec eux parmi les armes
+et tentes et pavillons, falloit bien qu'elle garonnast aussi entre les
+courtines, comme cela se voit souvent. Je m'en rapporte nostre reyne
+Lonor, duchesse de Guyenne, qui accompagna le Roy son mary outre mer et
+en la guerre sainte. Pour pratiquer si souvent la gendarmerie et la
+soudardaille, elle se laissa fort aller son honneur, jusqu'-l
+qu'elle eut affaire avec les Sarrazins, dont pour ce le Roy la rpudia;
+ce qui nous cousta bon. Pensez qu'elle voulut esprouver si ces bons
+compagnons estoient aussi braves champions couvert comme en pleine
+campagne, et que possible son honneur estoit d'aimer les gens vaillants,
+et qu'une vaillance attire l'autre, ainsi que la vertu; car jamais celuy
+ne dit mal qui dit que la vertu ressembloit la foudre qui perce tout.
+Cette reyne Lonor ne fut pas la seule qui accompagna en cette guerre
+sainte le roy son mary; mais avant elle, et avec elle, et aprs,
+plusieurs autres princesses et grandes dames avec leurs marys se
+croisrent, mais non leurs jambes, qu'elles ouvrirent et eslargirent
+bon escient, si qu'aucunes y demeurrent, et les autres en retournrent
+de trs-bonnes vesses; et sous la couverture de visiter le saint
+supulcre, parmi tant d'armes, faisoient bon escient l'amour: aussi,
+comme j'ay dit, les armes et l'amour conviennent bien ensemble, tant la
+sympathie en est bonne et bien conjointe. Encore telles dames sont-elles
+ estimer, d'aimer et traitter ainsi les hommes, non comme firent jadis
+les amazones, lesquelles, encore qu'elles se disent filles de Mars, se
+desfirent de leurs marys, disans que ce mariage estoit une vraye
+servitude: mais prou d'ambition avoient-elles avec d'autres hommes pour
+en avoir des filles, et faire mourir les enfants.
+
+Joanuclerus, en sa Cosmographie, rcite que, l'an de Christ 1123, aprs
+la mort de Tibussa, reyne des Bohemes, et qui fit renfermer la ville de
+Prague de murailles, et qui abhorroit fort la domination des hommes, il
+y eut une de ses damoiselles de grand courage, nomme Valasca, qui
+gaigna si bien et filles et dames du pays, et leur proposa si bien et
+beau la libert, et les dgousta si fort de la servitude des hommes,
+qu'elles tuerent chacune, qui son mary, qui son frere, qui son parent,
+qui son voisin, qu'en moins d'un rien elles furent maistresses; et ayant
+pris les armes de leurs hommes, s'en aidrent si bien et se rendirent si
+braves et si adextres, mode d'amazones, qu'elles eurent plusieurs
+victoires. Mais aprs, par les menes et finesses d'un Primislas, mary
+de Tibussa, homme qu'elle avoit pris de ville et basse condition,
+furent dfaites et mises mort. Ce fut par permission divine de l'acte
+norme perptr pour faire ainsi perdre le genre humain. Ces dames
+pouvoient bien montrer leurs beaux courages par d'autres actions
+courageuses et viriles, que par telles cruautez, ainsi que nous avons
+veu tant d'imprieres, de reynes, de princesses et grandes dames, par
+actes nobles, et aux gouvernements et maniements de leurs Estats, et
+autres sujets dont les histoires en sont assez pleines sans que je les
+raconte; car l'ambition de dominer, rgner et imprier loge dans leurs
+ames aussi bien que des hommes, et en sont aussi friandes. Si en vays-je
+nommer une qui n'en fut tant atteinte, qui est Victoria Colonna, femme
+du marquis de Pescayre, de laquelle j'ay leu dans un livre espagnol que,
+lorsque ledit marquis entendit aux belles offres que luy fit Hieronimo
+Mouron de la part du pape (comme j'ay dit cy-devant) du royaume de
+Naples, s'il vouloit entrer en ligne avec luy, elle, en estant advertie
+par son mary mesme, qui ne luy cloit rien de ses plus prives affaires,
+ny grands ny petits, lui escrivit (car elle disoit des mieux), et luy
+demanda qu'il se souvinst de son ancienne valeur et vertu, qui luy avoit
+donn telle louange et rputation qu'elle excdoit la gloire et la
+fortune des plus grands roys de la terre, disant _que no con grandezza
+de los reynos, de Estados ny de hormosos titulos si no con f illustre y
+clara virtud, se alcanava la honra, la qual con loor siempre vivo,
+llegava los descendientes; y que no havia nigun grado tan alto que no
+fuesse vencido de una trahicion y mala f, que por esto nigun desseo
+tenia de ser muguer de rey, queriendo antes ser muguer de tal capitan,
+que no solamente en guerra con valorosa mano, mas en pas con gran honra
+de animo no vencido avia sabido vencer reys, y grandissimos principes, y
+capitanes, y darlos triumphos, y imperiarlos_; disant que non avec la
+grandeur des royaumes, des grands Estats ni hauts et beaux titres, sinon
+avec une foy illustre et claire vertu, l'honneur s'acqueroit, laquelle
+avec une louange tousjours vive alloit nos descendants; et qu'il n'y
+avoit nul grade si haut qui ne fust vaincu ni gast par une trahison
+commise et foy rompue; et que pour l'amour de cela elle n'avoit nul
+dsir d'estre femme de roy, mais d'un tel capitaine, lequel nonseulement
+en guerre avec sa main valeureuse, mais en paix avec grand honneur d'un
+esprit non vaincu, avoit sceu vaincre les roys, les grands princes et
+capitaines, et les donner aux triomphes et les imperier. Cette femme
+parloit d'un grand courage, d'une grande vertu, et de vrit et tout:
+car de regner par un vice est fort vilain, et de commander aux royaumes
+et aux roys par la vertu est trs-beau. Fulvia, femme de P. Claudius, et
+en secondes nopces de Marc Antoine, ne s'amusant guires faire les
+affaires de sa maison, se mit aux choses grandes, traitter les
+affaires d'Estat jusque-l qu'on lui donnast la rputation de commander
+aux empereurs. Aussi Cleopatre l'en seut trs-bien remercier, et luy
+avoir cette obligation, que d'avoir si bien instruit et disciplin Marc
+Antoine obyr et ployer sous les lois de submission. Nous lisons de ce
+grand prince franois Charles Martel qui onc ne voulut prendre et porter
+le titre de roy, qui estoit en sa puissance, mais ayma mieux rgenter
+les roys et leur commander.
+
+--Parlons d'aucunes de nos dames. Nous avons eu en nostre guerre de la
+Ligue madame de Montpensier, soeur de feu M. de Guise, qui a est une
+grande femme d'Estat, et qui a port sa bonne part de matiere,
+d'inventions de son gentil esprit, et du travail de son corps, bastir
+ladite Ligue; si qu'aprs avoir est bien bastie, joant aux cartes un
+jour et la prime (car elle aime fort ce jeu), ainsi qu'on lui disoit
+qu'elle meslast bien les cartes, elle repondit devant beaucoup de gens:
+Je les ay si bien mesles qu'elles ne se sauroint mieux mesler ni
+demesler. Cela fust est bon si les siens ne fussent est morts:
+desquels, sans perdre coeur d'une telle perte, en entreprit la
+vengeance; et en ayant sceu les nouvelles dans Paris, sans se tenir
+recluse en sa chambre en faire les regrets mode d'autres femmes,
+sort de son hostel avec les enfants de M. son frere, les tenant par les
+mains, les pourmeine par la ville, fait sa dploration devant le peuple,
+l'animant de pleurs, de cris, de piti et de paroles qu'elle fit tous,
+de prendre les armes et s'lever en furie, et faire les insolences sur
+la maison et le tableau du Roy, comme l'on a veu, et que j'espre de
+dire en sa vie; et luy denier toute fidelit, ains au contraire toute
+rebellion: dont puis aprs son meurtre s'en ensuivit; duquel et
+savoir qui sont ceux et celles qui en ont donn les conseils et en sont
+coupables. Certainement le coeur d'une soeur perdant tels freres ne
+pouvoit pas digrer tel venin sans venger ce meurtre. J'ay ouy conter
+qu'aprs qu'elle eut ainsi bien mis le peuple de Paris en besogne de
+telles animositez et insolences, elle partit vers le prince de Parme
+luy demander secours et vengeance; et y va si grandes et longues
+traittes, qu'il fallut un jour ses chevaux de coche demeurer si las et
+recreus au beau mitan de la Picardie dans les fanges, qu'ils ne
+pouvoient aller ny en avant, ny en arrire, ny mettre un pied l'un
+devant l'autre. Par cas passa un fort honneste gentilhomme de ce pays,
+qui estoit de la religion, qui, encore qu'elle fust dguise et de nom
+et d'habit, il la cogneut; et, ostant de devant les yeux les menes
+qu'elle avoit fait contre ceux de la religion, et l'animosit qu'elle
+leur portoit, luy, tout plein de courtoisie, il luy dit: Madame, je
+vous connois bien; je vous suis serviteur: je vous vois en mauvais
+estat; vous viendrez, s'il vous plaist, en ma maison que voil prs,
+pour vous seicher et vous reposer. Je vous accommoderay de tout ce que
+je pourray au mieux qu'il me sera possible. Ne craignez point; car
+encore que je sois de la religion, que vous nous hassiez fort, je ne
+voudrois me dpartir d'avec vous sans vous offrir une courtoisie qui
+vous est trs-ncessaire. A telle offre elle se laissa aller, et
+l'accepta fort librement: et, aprs l'avoir accommode de ce qui lui
+estoit ncessaire, reprend son chemin et la conduit deux liees, elle
+pourtant luy celant son voyage; dont depuis cette courtoisie, ce que
+j'ay ouy dire, en cette guerre, elle s'en acquitta l'endroit du
+gentilhomme par force autres courtoisies. Plusieurs se sont estonnez
+comment elle se fia luy, estant huguenot. Mais quoy! la ncessit fait
+faire beaucoup de choses; et aussi qu'elle le vid si honneste, et parler
+si honnestement et franchement, qu'elle jugea qu'il estoit enclin
+faire un trait honneste. Madame de Nemours, sa mre, ayant est
+prisonnire aprs la mort de messieurs ses enfants, ne faut point douter
+si elle demeura dsole par une telle perte insupportable, jusques l
+que de son naturel elle est dame de fort douce humeur et froide, et qui
+ne s'esmeut que bien propos, elle vint dbagouller mille injures
+contre le Roy, et lui jeter autant de maldictions et d'excrations
+(car, et qui n'est la chose, la parole qu'on ne fit et ne dit pour une
+relle vhmence de perte et de douleur?), jusques ne nommer le Roy
+autrement et tousjours que _ce tyran_. Non! je ne le veux plus appeler
+tel, mais roy trs-bon et clment, s'il me donne la mort comme mes
+enfants, pour m'oster de la misre o je suis, et me colloque en la
+batitude de Dieu. Puis aprs, appaisant ses paroles et cris, et y
+faisant quelque surcance, elle ne disoit, si-non: Ah! mes enfants! ah!
+mes enfants! ritrant ordinairement ces paroles avec ses belles
+larmes, qui eussent amoly un coeur de rocher. Hlas! elle les pouvoit
+ainsi plorer et regretter, estant si bons, si gnreux, si vertueux et
+valleureux, mais surtout ce grand duc de Guise, vray aisn et vray
+parangon de toute valeur et gnrosit. Aussi qu'elle aimoit si
+naturellement ses enfants, qu'un jour, moy discourant avec une grande
+dame de la Cour de maditte dame de Nemours, elle me dit que c'estoit la
+plus heureuse princesse du monde, pour plusieurs raisons qu'elle
+m'allguoit, fors en une chose, qui estoit qu'elle aimoit messieurs ses
+enfants par trop; car elle les aimoit si trs-tant, que l'apprhension
+ordinaire qu'elle avoit d'eux troubloit toute sa flicit, vivant
+ordinairement pour eux en inquitude et alarme. Je vous laisse donc
+penser combien elle sentit de maux, d'amertumes et de picqueures par la
+mort de ces deux, et par l'apprhension de l'autre, qui estoit vers
+Lyon, et M. de Nemours prisonnier: car de sa prison, disoit-elle, ne
+s'en soucioit point, ny de sa mort non plus, ainsi que je viens de dire.
+Lorsqu'on la sortit du chasteau de Blois pour la mener en celuy
+d'Amboise en plus estroite prison, ainsi qu'elle eut pass la porte elle
+haussa et tourna la teste en haut vers le portrait du roy Louis XII, son
+grand-pere, qui est l engrav en pierre au-dessus sur un cheval avec
+une fort belle grace et guerriere faon. Elle, s'arrestant l un peu et
+le contemplant, dit tout haut devant force monde l accouru, d'une belle
+et asseure contenance, dont jamais n'en fut espourveue: Si celuy qui
+est l reprsent estoit en vie, il ne permettroit pas qu'on emmenast sa
+petite-fille ainsi prisonniere, et qu'on la traittast de cette sorte;
+et puis suivit son chemin sans plus rien dire. Pensez que dans son ame
+elle imploroit et invoquoit les manes de ce gnreux ayeul, pour estre
+justes vengeurs de sa prison: ny plus ny moins que firent jadis aucuns
+des conjurateurs de la mort de Csar, lesquels, ainsi qu'ils alloient
+faire leurs coups, se tournrent vers l'estatu de Pompe, et sourdement
+implorrent et invoqurent l'ombre de sa main, jadis si valleureuse,
+pour conduire leur entreprise faire le coup qu'ils firent. Possible
+que l'invocation de cette princesse peut servir et avancer la mort du
+Roy, qui l'avoit ainsi oustrage. Une dame de grand coeur qui couve
+une vindicte est fort craindre. Je me souviens que, quand feu monsieur
+son mary, M. de Guise, eut son coup dont il mourut, elle estoit pour
+alors au camp, qui estoit venue l pour le voir quelques jours avant.
+Ainsi qu'il entra en son logis bless, elle vint l'endevant de luy
+jusqu' la porte de son logis toute esperdue et esplore, et l'ayant
+salu s'escria soudain: Est-il possible que le malheureux qui a fait le
+coup et celuy qui l'a fait faire (se doutant de M. l'admiral) en
+demeurent impunis? Dieu! si tu es juste, comme tu le dois estre, vange
+cecy; autrement...... et n'achevant le mot, M. son mary la reprit, et
+luy dit: Mamie, n'offensez point Dieu en vos paroles. Si c'est luy qui
+m'a envoy cecy pour mes fautes, sa volont soit faite, et loange luy
+en soit donne. S'il vient d'ailleurs, puisque les vengeances luy sont
+rserves, il fera bien cette-cy sans vous. Mais, luy mort, elle la
+poursuivit si bien, que le meurtrier fut tir quatre chevaux, et
+l'auteur prtendu d'elle fut massacr au bout de quelques annes, comme
+j'espere dire en son lieu, par les instructions qu'elle donna M. son
+fils, comme je l'ay veu, et les conseils et persuasions dont elle le
+nourrit ds sa tendre jeunesse jusques aprs que la vengeance en fut
+faite totale. Les advis et exhortations des femmes et meres gnreuses
+peuvent beaucoup en cela: dont je me souviens que le roy Charles IX,
+faisant le tour de son royaume, estant Bourdeaux, fut mis en prison le
+baron de Bournazel, un fort brave et honneste gentilhomme de Gascogne,
+pour avoir tu un autre gentilhomme de son pays mesme, qui s'appelloit
+La Tour: on disoit que c'estoit par grande supercherie. La veufve en
+poursuivit si vivement la punition, qu'on se donna la garde que les
+nouvelles vindrent en la chambre du Roy et de la Reyne, qu'on alloit
+trancher la teste au dit baron. Les gentilshommes et dames s'esmeurent
+soudain, et travailla-t-on fort pour luy sauver la vie. On en pria par
+deux fois le Roy et la Reyne de lui donner grace. M. le chancelier s'y
+porta fort, disant qu'il falloit que justice s'en fist. Le Roy le
+vouloit fort, qui estoit jeune et ne demandoit pas mieux que le sauver;
+car il estoit des gallants de la Cour; et M. de Cypierre l'y poussoit
+aussi fort. Cependant l'heure de l'excution approchoit, ce qui
+estonnoit tout le monde. Sur quoy survient M. de Nemours (qui aimoit ce
+pauvre baron, lequel l'a voit suivy en de bons lieux aux guerres), qui
+s'alla jeter de genoux aux pieds de la Reyne, et la supplia de donner la
+vie ce pauvre gentilhomme, et la pria et pressa tant de paroles
+qu'elle luy fut octroye; dont sur le champ fut envoy un capitaine des
+gardes, qui l'alla qurir et prendre en la prison, ainsi qu'il sortoit
+pour le mener au supplice. Par ainsi fut-il sauv, mais avec une telle
+peur, qu' jamais elle demeura empreinte sur son visage, et oncques puis
+ne peut recouvrer couleur, comme j'ay veu et comme j'ay ouy dire de M.
+de Saint-Vallier, qui l'eschappa belle cause de M. de Bourbon.
+Cependant la veufve ne chauma pas, et vint trouver le Roy le lendemain,
+ainsi qu'il alloit la messe, et se jetta ses pieds. Elle luy
+prsenta son fils, qui pouvoit avoir trois ou quatre ans, et luy dit:
+Sire, au moins puis que vous avez donn la grace au meurtrier du pre
+de cet enfant, je vous supplie de la luy donner aussi ds cette heure,
+pour quand il sera grand, il aura eu sa revenche et tu ce malheureux.
+Du depuis, ce que j'ay ouy dire, la mere tous les matins venoit
+esveiller son enfant; et, en luy monstrant la chemise sanglante qu'avoit
+son pere lorsqu'il fut tu, et luy disoit par trois fois: Advise-la
+bien: et souviens-toi bien, quand tu seras grand, de venger cecy:
+autrement je te deshrite. Quelle animosit!
+
+--Moy estant en Espagne, j'ouys conter qu'Antonio Roque, l'un des plus
+braves, vaillants, fins, cauts, habiles, fameux, et des plus courtois
+bandoulliers avec cela qui fut jamais en Espagne (ce tient-on), ayant eu
+envie de se faire prestre ds sa premire profession, le jour venu qu'il
+lui falloit chanter sa premiere messe, ainsi qu'il sortoit du
+revestiaire et qu'il s'en alloit avec grande crmonie au grand autel de
+sa paroisse, bien revestu et accommod faire son office, le calice
+la main, il ouyt sa mere qui lui dit ainsi qu'il passoit: _Ah! vellaco,
+vellaco, mejor seria de vengar la muerte de tu padre, que de cantar
+missa_: Ah! malheureux et meschant que tu es! il vaudroit mieux de
+venger la mort de ton pere que de chanter messe. Cette voix lui toucha
+si bien au coeur, qu'il retourne froidement du my-chemin, et s'en va
+au revestitoire: l se dvestit, faisant acroire que le coeur lui
+avoit fait mal et que ce seroit pour une autre fois: et s'en va aux
+montagnes parmy les bandoulliers, s'y fist si fort estimer et renommer,
+qu'il en fut esleu chef, fait force maux et voleries, venge la mort de
+son pere, qu'on disoit avoir est tu d'un autre; d'autres qu'il avoit
+est excut par justice. Ce conte me fit un bandoullier mesme, qui
+avoit est sous sa charge autrefois, et me le loa jusques au tiers
+ciel, si que l'empereur Charles ne lui put jamais faire mal. Pour
+retourner encore madame de Nemours, le roy ne la retint guieres en
+prison, et M. Descars en fut cause en partie; car il la fit sortir pour
+l'envoyer Paris vers MM. du Mayne et de Nemours, et autres princes
+ligus, et leur porter tous paroles de paix et oubliance de tout le
+pass; et qui estoit mort, et amys comme devant. De fait le Roy tira
+serment d'elle qu'elle feroit cette ambassade. Estant donc arrive, au
+premier abord ce ne furent que pleurs, lamentations et regrets de leur
+perte; et puis fit le rapport de sa charge. M. du Maine lui fit la
+responce en luy demandant si elle luy conseilloit cela. Elle luy
+respondit seulement: Mon fils, je ne suis pas venu ici pour vous
+conseiller, si-non pour vous dire ce qu'on m'a dit et charg. C'est
+vous songer si vous avez sujet et si le devez faire ce que je vous
+dis. Vostre coeur et vostre conscience vous en doivent donner bon
+conseil. Quant moy, je me descharge de ce que j'ay promis. Mais, sous
+main, elle en sceut trs-bien attiser le feu, qui a dur longtemps. Il y
+a eu plusieurs personnes qui se sont fort estonnez comment le Roy, qui
+estoit si sage et des habiles de son royaume, s'aidoit de cette dame
+pour un tel ministere, l'ayant offense, qu'elle n'eust eu coeur ny
+sentiment, si elle s'y fust employe le moins du monde: aussi se
+mocqua-t-elle bien de luy. On disoit que c'toit le beau conseil du
+marchal de Rhetz, qui en donna un pareil au roy Charles, pour envoyer
+M. de La Nou dans La Rochelle persuader les habitants la paix et
+leur obyssance et devoir; jusque-l que, pour entrer en crance avec
+eux, il luy permit de faire de l'eschauff et de l'anim pour eux et
+pour son party, faire la guerre outrance, et leur bailler advis et
+conseil contre le Roy; mais pourtant sous condition que, quand il seroit
+command et somm par le Roy ou Monsieur, son lieutenant-gnral, de
+sortir, qu'il le feroit. Il fit et l'un et l'autre, et la guerre, et
+sortit; mais cependant il asseura si bien ses gens et les aguerrit, et
+leur fit de si bonnes leons et les anima tellement, qu'ils nous firent
+ce coup la barbe. Force gens trouvoient qu'il n'y avoit l nulle
+finesse: j'ay veu tout cela, j'espre en faire tout le discours
+ailleurs. Mais ce mareschal valut cela son roy et la France: lequel
+mareschal tenoit-on mieux pour charlatan et cajoleur, que pour un bon
+conseiller et mareschal de France. Je diray encor ce petit mot de ma
+susdite dame de Nemours. J'ay ouy dire qu'ainsi qu'on bastissoit la
+Ligue, et qu'elle voyoit les cahiers et les listes des villes qui
+adhroient, et n'y voyant point encore Paris, elle disoit toujours M.
+son fils: Mon fils, cela n'est rien, il faut encore Paris, et si vous
+ne l'avez, vous n'avez rien fait; pourquoy ayez Paris. Et rien que
+Paris ne luy sonnoit la bouche, si bien que les Barricades par aprs
+s'en ensuivirent. Voil comme un coeur gnreux tend toujours au plus
+haut: ce qui me fait souvenir d'un petit conte que j'ay lu dans un roman
+espagnol, qui s'intitule _La conquista di Navarra_. Ce royaume ayant
+est pris et usurp sur le roy Jean par le roy d'Aragon, le roy Lois
+douziesme y envoya une arme, sous M. de La Palice, pour le reconqurir.
+Le Roy manda la reyne donne Catherine, de par M. de La Palice, qui lui
+en porta la nouvelle, qu'elle s'en vinst la Cour de France et y
+demeurer avec la reyne Anne sa femme, cependant que le roy son mary avec
+M. de La Palice attenteroient de recouvrer le royaume. La Reyne lui
+respondit gnreusement: Et comment, monsieur! je pensois que le roy
+vostre maistre vous eust ici envoy pour m'amener avec vous en mon
+royaume et me remettre dans Pampelonne, et moy vous y accompagner, ainsi
+que je m'y estois rsolue et prpare; et cette heure vous me conviez
+de m'aller tenir la Cour de France? Voil un mauvais espoir et
+sinistre augure pour moi! je vois bien que je n'y entreray jamais plus.
+Et ainsi qu'elle le prsagea, ainsi il arriva.
+
+Il fut dit et command madame la duchesse de Valentinois, sur
+l'approchement de la mort du roy Henry et le peu d'espoir de sa sant,
+de se retirer en son hostel de Paris et n'entrer plus en sa chambre,
+autant pour ne le perturber en ses cogitations Dieu, que pour inimiti
+qu'aucuns lui portoient. Estant doncques retire on luy envoya demander
+quelques bagues et joyaux qui appartenoient la couronne, et les eust
+rendre. Elle demanda soudain M. l'harangueur: Comment! le Roy est-il
+mort?--Non, madame, respondit l'autre, mais il ne peut guieres
+tarder.--Tant qu'il luy restera un doigt de vie donc, dit-elle, je veux
+que mes ennemys sachent que je ne les crains point, et que je ne leur
+obyrai tant qu'il sera vivant. Je suis encore invincible de courage,
+mais lorsqu'il sera mort je ne veux plus vivre aprs luy; et toutes les
+amertumes qu'on me sauroit donner ne me seront que douceurs au prix de
+ma perte: et par ainsi, mon roy vif ou mort, je ne crains pas mes
+ennemis. Cette dame monstra-l une grande gnrosit de coeur. Mais
+elle ne mourut pas, ce dira quelqu'un, comme elle avoit dit. Elle ne
+laissa pourtant sentir plusieurs approches de la mort; et aussi que
+plustost que mourir, elle fit mieux de vouloir vivre, pour monstrer
+ses ennemys qu'elle ne les craignoit point, et que, les ayant veus
+d'autresfois bransler et s'humilier sous elle, m en vouloit faire de
+mesme en leur endroit, et leur monstrer si bien teste et visage qu'ils
+n'osrent jamais luy faire desplaisir, mais bien mieux, dans deux ans
+ils la recherchrent plus que jamais et rentrrent en amiti, comme je
+vis: ainsi qu'est la coutume des grands et grandes, qui ont peu de tenue
+en leurs amitis, et s'accordent aisment en leurs diffrends comme
+larrons en foire, et s'aiment et se hayssent de mesme: ce que nous
+autres petits ne faisons; car, ou il se faut battre, venger et mourir,
+ou en sortir par des accords bien pointillez, bien tamisez et bien
+solemnisez; et si nous en trouvons mieux. Il faut certes admirer cette
+dame de ce trait, comme coustumirement ces grandes qui traitent les
+affaires d'Estat, font tousjours quelque chose de plus que l'ordinaire
+des autres. Voil pourquoy le feu roy Henry troisiesme dernier et la
+reyne sa mre n'aimoient nullement les dames de leur Cour qui missent
+tant leur esprit et leur nez sur les affaires d'Estat, ny s'en
+meslassent tant d'en parler, ny de ce qui touchoit de prs en fait du
+royaume; comme (disoient Leurs Majestez) si elles y avoient grande part
+et qu'elles en dusset tre hritires, ou du tout pour mieux qu'elles y
+rapportassent la sueur de leur corps ou y menassent les mains, comme les
+hommes, le maintenir: mais elles, se donnans du bon temps, causans
+sous la chemine, bien aises en leurs chaises, ou sur leurs oreillers ou
+sur leurs couchettes, devisoient bien leur aise du monde et de l'Estat
+de la France, comme si elles faisoient tout. Sur quoy repartit une fois
+une dame de par le monde, que je ne nommeray point, qui, se meslant d'en
+dire sa ratele aux premiers estats Blois, Leurs Majestez luy en
+firent faire la petite rprimande, et qu'elle se meslast des affaires de
+sa maison et prier Dieu. Elle, qui estoit un peu trop libre en
+paroles, respondit: Du temps que les roys, princes et grands seigneurs
+se croisoient pour aller outre mer et faire de si beaux exploits en la
+Terre Sainte, certainement il n'estoit permis nous autres femmes que
+de prier, orer, faire voeux et jeusnes, afin que Dieu leur donnast bon
+voyage et bon retour; mais depuis que nous les voyons aujourd'huy ne
+faire pas plus que nous, il nous est permis de parler de tout: car,
+prier Dieu pour eux, cause de quoy, puisqu'ils ne font pas mieux que
+nous? Cette parole, certes, fut par trop audacieuse, aussi luy
+cuida-t-elle couster bon, et eust une grande peine d'obtenir
+rconciliation et pardon, qu'il fallut qu'elle demandast; et, sans un
+sujet que je dirois bien, elle recevoit l'affletion et punition toute
+entire, et bien outrageuse. Il ne fait pas bon quelquefois dire un bon
+mot comme celuy, quand il vient la bouche; ainsi que j'ay veu
+plusieurs personnes qui ne s'y sauroient commander; car elles sont plus
+dbordes qu'un cheval de Barbarie; et, trouvant un bon brocard dans
+leur bouche, il faut qu'ils les crachent, sans espargner ny parents, ny
+amis, ni grands. J'en ay cogneu force nostre Cour de telle humeur, et
+les appeloit-on marquis ou marquises de Belle-Bouche: mais aussi bien
+souvent s'en trouvoient du guet.
+
+--Or, comme j'ai deduit la gnrosit d'aucunes dames en aucuns beaux
+faits de leurs vies, j'en veux descrire aucunes qu'elles ont montr en
+leur mort. Et, sans emprunter aucun exemple de l'antiquit, je ne veux
+allguer que cettuy-cy de feue madama la Rgente, mre du grand roy
+Franois. Ce fut en son temps, ainsi que j'ay ouy dire aucuns et
+aucunes qui l'ont veue et cogneue, une trs-belle dame, et fort mondaine
+aussi; et fut cela mesme en son aage dcroissant, et, pour ce, quand on
+luy parloit de la mort, en haissoit fort le discours, jusqu'aux
+prescheurs qui en parloient en leurs sermons: comme, ce disoit-elle,
+qu'on ne sceust pas assez qu'on devoit tous mourir un jour; et que tels
+prescheurs, quand ils ne sauroient dire autre chose en leurs sermons,
+et qu'ils estoient au bout de leurs leons, comme gens ignares, se
+mesloient sur cette mort. La feu reyne de Navarre, sa fille, n'aimoit
+non plus ces chansons et prdications mortuaires que sa mere. Estant
+donc venue la fin destine, et gisant dans son lict, trois jours avant
+que mourir, elle vid la nuict sa chambre toute en clart, qui estoit
+transperce par la vitre: elle se courroua ses femmes-de-chambre qui
+la veilloient pourquoy elles faisoient un feu si ardent et esclairant.
+Elles luy respondirent qu'il n'y avoit qu'un peu de feu, et que c'estoit
+la lune qui ainsi esclairoit et donnoit telle lueur. Comment, dit-elle,
+nous en sommes au bas; elle n'a garde d'esclairer cette heure. Et
+soudain, faisant ouvrir son rideau, elle vit une comette qui esclairoit
+ainsi droit sur son lict. H! dit-elle, voil un signe qui ne paroist
+pas pour personne de basse qualit. Dieu le fait paroistre pour nous
+autres grands et grandes. Refermez la fenestre; c'est une comette qui
+m'annonce la mort; il se faut donc prparer. Et le lendemain au matin,
+ayant envoy qurir son confesseur, fit tout le devoir de bonne
+chrestienne, encore que les mdecins l'asseurassent qu'elle n'estoit
+pas-l. Si je n'avois veu, dit-elle, le signe de ma mort, je le
+croirois, car je ne me sens point si bas; et leur conta tous
+l'apparition de sa comette. Et puis, au bout de trois jours, quittant
+les songes du monde, trpassa. Je ne saurois croire autrement que les
+grandes dames, et celles qui sont belles, jeunes et honnestes, n'ayent
+plus de grands regrets de laisser le monde que les autres: et
+toutesfois, j'en vois nommer aucunes qui ne s'en sont point soucies, et
+volontairement ont receu la mort, bien que sur le coup l'annonciation
+leur soit fort amere et odieuse.
+
+--La feu comtesse de La Rochefoucault, de la maison de Roye mon gr
+et d'autres une des belles et agrables femmes de France, ainsi que
+son ministre (car elle estoit de la religion comme chacun sait) lui
+annoncea qu'il ne falloit plus songer au monde, et que son heure estoit
+venue, et qu'il s'en falloit aller Dieu qui l'appeloit, et qu'il
+falloit quitter les mondanitez, qui n'estoient rien aux prix de la
+batitude du ciel, elle luy dit: Cela est bon, monsieur le ministre,
+dire celles qui n'ont pas grand contentement et plaisir en cettuy-cy,
+et qui sont sur le bord de leur fosse; mais moy, qui ne suis que sur
+la verdure de mon aage et de mon plaisir en cette-cy et de ma beaut,
+vostre sentence m'est fort amere; d'autant que j'ay plus de sujet de
+m'aimer en ce monde qu'en tout autre, et regretter mourir, je vous
+veux monstrer en cela ma gnrosit, et vous asseurer que je prends la
+mort gr, comme la plus vile, abjette, basse, laide et vieille qui
+fust au monde. Et puis s'estant mis chanter des pseaumes de grand
+dvotion, elle mourut.
+
+--Madame d'Espernon, de la maison de Candale, fut assaillie d'une
+maladie si soudaine qu'en moins de six ou sept jours elle fut emporte.
+Avant que mourir elle tenta tous les moyens qu'elle put pour se gurir,
+implorant le secours de Dieu et des hommes par ses prires trs-dvotes,
+et de tous ses amis, serviteurs et servantes, luy faschant fort qu'elle
+vinst mourir en si jeune aage; mais, aprs qu'on luy eust remonstr
+qu'il falloit bon escient s'en aller Dieu, et qu'il n'y avoit plus
+aucun remede: Est-il vray? dit-elle, laissez-moy faire; je vais donc
+bravement me rsoudre. Et usa de ces mesmes et propres mots; et,
+haussant ses beaux bras blancs, et en touchant ses deux mains l'une
+contre l'autre, et puis, d'un visage franc et d'un coeur asseur se
+prsenta prendre la mort en patience, et de quitter le monde, qu'elle
+commena fort abhorrer pas des paroles trs-chrestiennes; et puis
+mourut en trs-dvote et bonne chrestienne, en l'aage de vingt-six ans,
+et l'une des belles agrables dames de son temps.
+
+--On dit qu'il n'est pas beau de louer les siens, mais aussi une belle
+vrit ne se doit pas cler; et c'est pourquoy je veux ici loer madame
+d'Aubeterre, ma niepce, fille de mon frere aisn, laquelle ceux qui
+l'ont veu la Cour ou ailleurs, diront bien avec moy avoir est l'une
+des belles et accomplies dames qu'on eust sceu voir, autant pour le
+corps que pour l'ame. Le corps se monstroit fort plain et
+extrieurement ce qu'il estoit, par son beau et agrable visage, sa
+taille, sa faon et sa grce; pour l'esprit, il estoit fort divin et
+n'ignoroit rien; sa parole fort propre, nave, sans fard, et qui couloit
+de sa bouche fort agrablement, fut pour la chose srieuse, fut pour la
+rencontre joyeuse. Je n'ay jamais veu femme, selon mon opinion, plus
+ressemblante nostre reyne de France Marguerite, et d'air et de ses
+perfections, qu'elle; aussi l'ouis-je dire une fois la Reyne-mere.
+C'est un mot assez suffisant pour ne la loer davantage; aussi je n'en
+diray pas plus; ceux qui l'ont veu ne me donneront, je m'asseure, nul
+dmenty sur cette loange. Elle vint estre tout coup assaillie d'une
+maladie qui ne se put point bien congnoistre des mdecins, qui y
+perdirent leur latin; mais pourtant elle avoit opinion d'estre
+empoisonne, je ne diray point de quel endroit; mais Dieu vengera tout,
+et possible les hommes. Elle fit tout ce qu'elle put pour se faire
+secourir, non qu'elle se souciast, disoit-elle, de mourir; car, ds la
+perte de son mary en avoit perdu toute crainte, encore qu'il ne fust
+certes nullement gal elle, ny ne la mritast, ny les belles larmes
+non plus qu'elle jettoit de ses beaux yeux aprs sa mort; mais eust-elle
+fort dsir de vivre encore un peu pour l'amour de sa fille, qu'elle
+laissoit tendrette, tant cette occasion estoit belle et bonne: et les
+regrets d'un mary sot, fascheux, sont fort vains et lgers. Elle, voyant
+donc qu'il n'y avoit plus de remede, et sentant son poulx, qu'elle mesme
+tastoit et connoissoit frigant (car elle s'entendoit tout), deux jours
+avant qu'elle mourust envoya qurir sa fille, et luy fit une exhortation
+trs-belle et sainte, et telle que possible ne say-je mre qui la pust
+faire plus belle ny mieux reprsente, autant pour l'instruire bien
+vivre au monde, que pour acqurir la grace de Dieu; et puis luy donna sa
+bndiction, luy commandant de ne troubler plus par ses larmes son aise
+et repos qu'elle alloit prendre avec Dieu. Puis elle demanda son
+miroir, et s'y arregardant trs-fixement: Ah! dit-elle, traistre visage
+ ma maladie, pour laquelle tu n'as chang! (car elle le monstroit aussi
+beau que jamais) mais bientost la mort qui s'approche en aura raison,
+qui te rendra pourry et mang des vers. Elle avoit aussi mis la
+pluspart de ses bagues en ses doigts, et les regardant, et sa main et
+tout qui estoit trs-belle: Voil, dit-elle, une mondanit que j'ay
+bien aime d'autresfois; mais cette heure de bon coeur je la laisse,
+pour me parer en l'autre monde d'une autre plus belle parure. Et voyant
+ses soeurs qui pleuroient toute outrance auprs d'elle, elle les
+consola et pria de vouloir prendre en gr avec elle ce qu'il plaisoit
+Dieu de luy envoyer; et que, s'estants tousjours si fort aimes, elles
+n'eussent regret ce qui luy apportoit de la joie et contentement; et
+que l'amiti qu'elle leur avoit tousjours porte dureroit ternellement
+avec elles; les priant d'en faire le semblable, et mesme l'endroit de
+sa fille: et les voyant renforcer leurs pleurs, elle leur dit encore:
+Mes soeurs si vous m'aimez, pourquoy ne vous rjouissez-vous avec moy
+de l'eschange que je fais d'une vie misrable avec un trs-heureuse? Mon
+ame, lasse de tant de travaux, desire en estre delie, et estre en lieu
+de repos avec Jsus-Christ mon sauveur; et vous la souhaitez encor
+attache ce chetif corps, qui n'est que sa prison et non son domicile.
+Je vous supplie donc, mes soeurs, ne vous affliger davantage. Tant
+d'autres pareils propos beaux et chrestiens dit-elle, qu'il n'y a si
+grand docteur qui en eust pu profrer de plus beaux, lesquels je coule.
+Sur-tout elle demandoit voir madame de Bourdeille sa mre, qu'elle
+avoit pri ses soeurs d'envoyer qurir, et souvent leur disoit: Mon
+Dieu! mes soeurs, madame de Bourdeille ne vient-elle point? Ah! que
+vos courriers sont longs! ils ne sont pas guieres bons pour faire
+diligences grandes et postes. Elle y alla, mais ne la put voir en vie,
+car elle estoit morte une heure devant. Elle me demanda fort aussi,
+qu'elle appeloit tousjours son cher oncle, et nous envoya le dernier
+adieu. Elle pria de faire ouvrir son corps aprs sa mort, ce qu'elle
+avoit tousjours fort dtest, afin, dit-elle ses soeurs, que la
+cause de sa mort leur estant plus plain dcouverte, cela leur fust une
+occasion, et sa fille, de conserver et prendre garde leurs vie;
+car, dit-elle, il faut que j'advoue que je souponne d'avoir est
+empoisonne depuis cinq ans avec mon oncle de Branthome et ma soeur la
+comtesse de Durtal: mais je pris le plus gros morceau: non toutesfois
+que je veuille charger personne, craignant que ce soit faux, et que
+mon ame en demeure charge, laquelle je desire estre vuide de tout
+blasme, rancune, inimiti et pch, pour voler droit Dieu son
+crateur.
+
+Je n'aurois jamais fait si je disois tout; car ses devis furent grands
+et longs, et point se ressentant d'un corps fany, esprit foible et
+dcadant. Sur ce, il y eut un gentilhomme son voisin qui disoit bien le
+mot, et avoit aim causer et bouffonner avec luy, qui se prsenta.
+Elle luy dit: Ah! mon amy! il se faut rendre ce coup, et langue et
+dague, et tout Dieu! Son mdecin et ses soeurs luy vouloient faire
+prendre quelque remede cordial: elle les pria de ne luy en donner point:
+car ils ne serviroient rien plus, dit-elle, qu' prolonger ma vie et
+retarder mon repos. Et pria qu'on la laissast: et souvent l'oyoit-on
+dire: Mon Dieu, que la mort est douce! et qui l'eust jamais pens? Et
+puis, peu peu, rendant ses esprit fort doucement, ferma les yeux, sans
+faire aucuns signes hideux et affreux que la mort produit sur ce poinct
+ plusieurs. Madame de Bourdeille, sa mere, ne tarda guieres la
+suivre; car la mlancolie qu'elle conceut de cette honneste fille
+l'emporta dans dix-huict mois, ayant est malade sept mois, ores bien en
+espoir de gurir et ores en dsespoir; et dez le commencement elle dit
+qu'elle n'en reschapperoit jamais, n'apprhendant nullement la mort, ne
+priant jamais Dieu de luy donner vie ne sant, mais patience en son mal,
+et sur-tout qu'il luy envoyast une mort douce et point aspre et
+langoureuse; ce qui fut, car, ainsi que nous ne la pensions
+qu'esvanoie, elle rendit l'ame si doucement qu'on ne luy vit jamais
+remer ny pieds, ny bras, ny jambes, ny faire aucun regard affreux ny
+hideux; mais, contournant ses yeux aussi beaux que jamais, trespassa, et
+resta morte aussi belle qu'elle avoit est vivante en sa perfection.
+Grand dommage certes, d'elle et de ses belles dames qui meurent ainsi en
+leurs beaux ans! si ce n'est que je croy que le ciel, ne se contentant
+de ses beaux flambeaux qui ds la cration du monde ornent sa voute,
+veut par elles avoir outre plus des astres nouveaux pour nous illuminer,
+comme elles ont fait estant vives, de leu beaux yeux. Cette-cy et non
+plus.
+
+--Vous avez eu ces jours passez madame de Balagny, vray soeur en tout
+de ce brave Bussy. Quand Cambray fut assig elle y fit tout ce qu'elle
+put, d'un coeur brave et gnreux, pou en dfendre la prise: mais
+aprs s'estre en vain vertue pa toutes sortes de dfenses qu'elle y
+put apporter, voyant que c'estoit fait, et que la ville estoit en la
+puissance de l'ennemy, et la citadelle s'en alloit de mesme; ne pouvant
+supporter ce grand creve-coeur de desloger de sa principaut (car son
+mary et elle se faisoient appeler prince et princesse de Cambray et
+Cambresis; titre qu'on trouvoit parmy plusieurs nations odieux et trop
+audacieux, veu leurs qualitez de simples gentilshommes), mourut et crva
+de tristesse dans la place d'honneur. Aucuns disent qu'elle mesme se
+donna la mort, qu'on trouvoit pourtant estre acte plustot payen que
+chrestien. Tant y a qu'il la faut loer de la grande gnrosit en cela
+et de la remonstrance qu'elle fit son mary l'heure de sa mort, quand
+elle luy dit: Que te reste-t-il, Balagny, de plus vivre aprs ta
+dsole infortune, pour servir de rise et de spectacle au monde, qui te
+monstrera au doigt, sortant d'une si grande gloire o tu t'es veu haut
+eslev, en une basse fortune que je te voy prpare si tu ne fais comme
+moy? Apprens donc de moy bien mourir et ne survivre ton malheur et ta
+drision. C'est un grand cas quand une femme nous apprend vivre et
+mourir! A quoy il ne voulut obtemprer ny croire! car, au bout de sept
+ou huict mois, oubliant la mmoire prestement de cette brave femme, il
+se remaria avec la soeur de madame de Monceaux, belle certes et
+honneste demoiselle; monstrant plusieurs qu'enfin il n'y a que vivre,
+en quelque faon que ce soit.
+
+--Certes la vie est bonne et douce; mais aussi une mort gnreuse est
+fort loer, comme cette-cy de cette dame, laquelle, si elle est morte
+de tristesse, et bien contre le naturel d'aucunes dames, qu'on dit estre
+contraire au naturel des hommes; car elles meurent de joye et en joye.
+Je n'en allguerai que ce seul conte de mademoiselle de Limeuil
+l'aisne, qui mourut la Cour estant l'une des filles de la Reyne.
+Durant sa maladie dont elle trespassa jamais le bec ne luy cessa, ains
+causa toujours; car elle estoit fort grand parleuse, brocardeuse et
+trs-bien et fort propos, et trs-belle avec cela. Quand l'heure de sa
+mort fut venue, elle fit venir soy son vallet (ainsi que les filles de
+la Cour en ont chacune le leur), et s'appeloit Julien, qui jouoit
+trs-bien du violon: Julien, luy dit-elle, prenez vostre violon et
+sonnez-moy tousjours, jusques ce que me voyez morte (car je m'y en
+vois), la defaitte des Suisses, et le mieux que vous pourrez: et quand
+vous serez sur le mot, _tout est perdu_, sonnez-le par quatre ou cinq
+fois, le plus piteusement que vous pourrez; ce que fit l'autre, et
+elle-mesme lui aidoit de la voix: et quand ce vint _tout est perdu_,
+elle le rcita par deux fois; et se tournant de l'autre cost du chevet,
+elle dit ses compagnes: Tout est perdu ce coup, et bon escient;
+et ainsi dcda. Voil une mort joyeuse et plaisante. Je tiens ce conte
+de deux de ses compagnes dignes de foy, qui virent joer le mystere.
+S'il y a ainsi aucunes femmes qui meurent de joye ou joyeusement, il se
+trouve bien des hommes qui ont fait de mesme; comme nous lisons de ce
+grand pape Lon, qui mourut de joye et liesse, quand il vit nous autres
+Franois chass du tout hors de l'Estat de Milan, tant il nous portoit
+de haine.
+
+--Feu M. le grand-prieur de Lorraine prit une fois envie d'envoyer en
+course vers le Levant, deux de ses galleres sous la charge du capitaine
+Beaulieu, l'un de ses lieutenants, dont je parle ailleurs, Ce Beaulieu y
+alla fort bien, car il estoit brave et vaillant: quand il fut vers
+l'Archipelage, il rencontra une grande nau vnitienne bien arme et bien
+riche: il la commena la canonner; mais la nau luy rendit bien sa
+salue; car de la premire vole elle luy emporta deux de ses bancs avec
+leurs forats tout net, et son lieutenant qui s'appelloit le capitaine
+Panier, bon compagnon, qui pourtant eut le loisir de dire: Adieu
+paniers, vendanges sont faites. Sa mort fut plaisante par ce bon mot.
+Ce fut M. de Beaulieu se retirer, car cette nau estoit pour luy
+invincible.
+
+--La premire anne que le roy Charles neufiesme fut roy, lors de l'dit
+de juillet, qui se tenoit aux faux de Saint Germain, nous vismes pendre
+un enfant de la matte la mesme, qui avait drob six vaisselles d'argent
+de la cuisine de M. le prince de La Roche-sur-Yon. Quand il fut sur
+l'eschelle, il pria le bourreau de luy donner un peu de temps de parler,
+et se mit sur le devis en remonstrant au peuple qu'on le faisoit mourir
+ tort: car, disoit-il, je n'ay point jamais exerc mes larcins sur des
+pauvres gens, gueux et malotrus, mais sur les princes et les grands, qui
+sont plus grands larrons que nous et qui nous pillent tous les jours; et
+n'est que bien fait de repeter d'eux ce qu'ils nous derrobent et nous
+prennent. Tant d'autres sornettes plaisantes, dit-il, qui seroient
+superflues de raconter, si-non que le prestre qui estoit mont sur le
+haut de l'eschelle avec luy, et s'estoit tourn vers le peuple, comme
+on void, il luy escria: Messieurs, ce pauvre patient se recommande
+vos bonnes prires: nous dirons tous pour luy et son ame, un _Pater
+noster_ et un _Ave Maria_, et chanterons _Salve_, et que le peuple luy
+respondoit, ledit patient baissa la teste, et regardant ledit prestre,
+commena brailler comme un veau et se moqua du prestre fort
+plaisamment, puis luy donna du pied et l'envoya du haut de l'eschelle en
+bas, si grand sault qu'il s'en rompit une jambe. Ah! monsieur le
+prestre, par Dieu, dit-il, je savois bien que je vous deslogerais de
+l. Il en a, le gallant, l'oyant plaindre, et se mit rire belle
+gorge dploye, et puis luy-mesme se jetta au vent. Je vous jure qu' la
+Cour on rit bien de ce trait, bien que le pauvre prestre se fust fait
+grand mal. Voil une mort certes non guieres triste. Feu M. d'Etampes
+avoit un fou qui s'appeloit Colin, fort plaisant. Quant sa mort
+s'approcha, M. d'Estampes demanda comment se portoit Colin. On luy dit:
+Pauvrement, monsieur, il s'en va mourir, car il ne veut rien
+prendre.--Tenez, dit M. d'Estampes, qui lors estoit table, portez-lui
+ce potage, et dites-luy que, s'il ne prend quelque chose pour l'amour de
+moy, que je ne l'ameray jamais, car on m'a dit qu'il ne veut rien
+prendre. L'on fit l'ambassade Colin, qui, ayant la mort entre les
+dents, fit response: Et qui sont-ils ceux-l qui ont dit Monsieur que
+je ne voulois rien prendre? Et estant entourn d'un million de mouches
+(car c'estoit en est), il se mit joer de la main l'entour d'elles,
+comme l'on voit les pages et laquais et autres jeunes enfants aprs
+elles; et en ayant pris deux au coup, et en faisant le petit tour de la
+main qu'on se peut mieux reprsenter que l'escrire, Dittes Monsieur,
+dit-il, voil que j'ay pris pour l'amour de luy, et que je m'en vais au
+royaume des mouches. Et se tournant de l'austre cost, le gallant
+trespassa. Sur ce j'ay ouy dire aucuns philosophes, que volontiers
+aucunes personnes se souviennent leur trespas des choses qu'ils ont
+plus aimes, et les recordent, comme les gentilshommes, les gens de
+guerre, les chasseurs et les artisans, bref de tous quasi en leur
+profession mourants ils en causent quelque mot: cela s'est veu et se
+voit souvent. Les femmes de mesmes en disent aussi quelque rattelle,
+jusques aux putains; ainsi que j'ay ouy parler d'une dame d'assez bonne
+qualit, qui sa mort triompha de dbagouler de ses amours,
+paillardises et gentillesses passes: si-bien qu'elle en dit plus que le
+monde n'en savoit, bien qu'on la soupconnast fort putain. Possible
+pouvoit-elle aire cette dcouverte, ou en resvant, ou que la vrit,
+qui ne se peut cler, l'y contraignist, ou qu'elle voulust en descharger
+sa conscience, comme de vray en saine conscience et repentance. Elle en
+confessa aucuns en demandant pardon, et les espcitioit et cottoit en
+marge que l'on y voyoit tout clair. Vrayment, ce dit quelqu'un, elle
+estoit bien loisir d'aller sur cette heure nettoyer sa conscience d'un
+tel ballay d'escandale, par une si grande spciaut!
+
+--J'ay ouy parler d'une dame qui, fort sujette songer et resver toutes
+les nuicts, qu'elle disoit la nuict tout ce qu'elle faisoit le jour; si
+bien qu'elle-mesme s'escandalisa l'endroit de son mary, qui se mit
+l'ouyr parler, gazouiller et prendre pied ses songes et resveries,
+dont aprs mal en prit elle. Il n'y a pas long-temps qu'un gentilhomme
+de par le monde, en une province que je ne nommeray point, en mourant en
+fist de mesme, et publia ses amours et paillardises, et spcifia les
+dames et damoiselles avec lesquelles il avoit eu faire, et en quels
+lieux et rendez-vous, et de quelles faons, dont il s'en confessoit tout
+haut, et en demandoit pardon Dieu devant tout le monde. Cettuy-l
+faisoit pis que la femme, car elle ne faisoit que s'escandaliser, et
+ledit gentilhomme escandalisoit plusieurs femmes. Voil de bons gallants
+et gallantes!
+
+--On dit que les avaritieux et avaritieuses ont aussi cette humeur de
+songer fort leur mort en leurs trsors d'escus, les ayant tousjours en
+la bouche. Il y a environ quarante ans qu'une dame de Mortemar, l'une
+des plus riches dames du Poictou, et des plus pcunieuses, et aprs
+venant mourir, ne songeant qu' ses escus qui estoient en son cabinet,
+et tant qu'elle fut malade se levoit vingt fois le jour aller voir son
+trsor. Enfin, s'approchant fort de la mort, et que le prestre
+l'exhortoit fort la vie ternelle, elle ne disoit autre chose et ne
+respondoit que: Donnez-moi ma cotte, donnez-moi ma cotte; les mchants
+me des-robbent; ne songeant qu' se lever pour aller voir son cabinet,
+comme elle faisoit les efforts, si elle eust pu la bonne dame; et ainsi
+elle mourut.
+
+Je me suis sur la fin un peu entrelass de mon premier discours; mais
+prenez le cas qu'aprs la moralit et la tragdie vient la farce. Sur ce
+je fais fin.
+
+
+
+
+DISCOURS SEPTIEME.
+
+ Sur ce qu'il ne faut jamais parler mal des dames, et de la
+ consquence qui en vient.
+
+
+Un point y a-t-il noter en ces belles et honnestes dames qui font
+l'amour, et qui, quelques esbats qu'elles se donnent, ne veulent estre
+offenses ny scandalises des paroles de personne; et qui les offensent,
+s'en savent bien revancher, ou tost ou tard: bref, elles le veulent
+bien faire, mais non pas qu'on en parle. Aussi certes n'est-il pas beau
+d'escandaliser une honneste dame ny la divulguer; car qu'ont faire
+plusieurs personnes, si elles se contentent et leurs amoureux aussi? Nos
+cours de France, aucunes, et mesme les dernieres, qui ont est fort
+sujettes blasonner de ces honnestes dames; et ay veu le temps qu'il
+n'estoit pas gallant homme qui ne controuvast quelque faux dire contre
+ces dames, ou bien qui n'en rapportast quelque vray: quoy il y a un
+trs-grand blasme; car on ne doit jamais offenser l'honneur des dames,
+et surtout les grandes. Je parle autant de ceux qui en reoivent des
+joissances comme de ceux qui ne peuvent taster de la venaison et la
+descrient.
+
+Nos cours dernieres de nos roys, comme j'ay dit, ont est fort sujettes
+ ces mdisances et pasquins, bien diffrentes celles de nos autres
+roys leurs prdcesseurs, fors celle du roy Louis XI, ce bon rompu,
+duquel on dit que la pluspart du temps il mangeoit en commun, pleine
+sale, avec force gentilshommes de ses plus privez, et autres et tout; et
+celuy qui luy faisoit le meilleur et plus lascif conte des dames de
+joye, il estoit le mieux venu et festoy: et luy-mesme ne s'espargnoit
+en faire, car il s'en enqueroit fort, et en vouloit souvent savoir, et
+puis en faisoit part aux autres, et publiquement[111]. C'estoit bien un
+scandale grand que celuy-l. Il avoit trs-mauvaise opinion des femmes,
+et ne les croyoit toutes chastes. Quand il convia le roy d'Angleterre de
+venir Paris faire bonne chre, et qu'il fut pris au mot, il s'en
+repentit aussitost e trouva un _alibi_ pour rompre le coup. Ah! pasque
+Dieu! ce dit-il, je ne veux pas qu'il y vienne; il y trouveroit quelque
+petite affetee et saffrette de laquelle il s'amouracheroit, et elle luy
+feroit venir le goust d'y demeurer plus long-temps et d'y venir plus
+souvent que je ne voudrois. Il eut pourtant trs-bonne opinion de sa
+femme, qui estoit sage et vertueuse: aussi la luy falloit-il telle, car,
+estant ombrageux et soubonneux prince s'il en fut onc, il luy eust
+bientost fait passer le pas des autres: et quand il mourut, il commanda
+ son fils d'aimer et honorer fort sa mre, mais non de se gouverner par
+elle; non qu'elle ne fust fort sage et chaste, dit-il, mais qu'elle
+estoit plus bourguignone que franoise. Aussi ne l'aima-t-il jamais que
+pour en avoir ligne, et, quand il en eust, il n'en faisoit guieres de
+cas: il la tenoit au chasteau d'Amboise comme une simple dame, portant
+fort petit estat et aussi mal habille que simple damoiselle; et la
+laissoit l avec petite cour faire ses prieres, et luy s'alloit
+pourmener et donner du bon temps. D'ailleurs je vous laisse penser,
+puisque le Roy avoit opinion telle des dames et s'en plaisoit mal
+dire, comment elles estoient repasses parmy toutes les bouches de la
+Cour; non qu'il leur voulust mal autrement pour ainsy s'esbattre, ny
+qu'il les voulust reprimer rien de leurs jeux, comme j'ay veu aucuns;
+mais son plus grand plaisir estoit de les gaudir; si bien que ces
+pauvres femmes, presses de tel bast de mdisances, ne pouvoient bien si
+souvent hausser la croupire si librement comme elles eussent voulu. Et
+toutesfois le putanisme regna fort de son temps, car le Roy luy-mesme
+aidoit fort a le faire et le maintenir avec les gentilshommes de sa
+Cour, et puis c'estoit qui mieux en riroit, soit en public ou en
+cachette, et qui en feroit de meilleurs contes de leurs lascivitez et de
+leurs tordions (ainsi parloit-il) et de leur gaillardise. Il est vray
+que l'on couvroit le nom des grandes, que l'on ne jugeoit que par
+apparences et conjectures; je croy qu'elles avoient meilleur temps que
+plusieurs que j'ay veu du regne du feu roy, qui les tanoit et
+censuroit, et reprimoit estrangement. Voil ce que j'ay ouy dire de ce
+bon roy d'aucuns anciens. Or le roy Charles huictiesme son fils, qui
+luy succda, ne fut de cette complexion; car on dit de luy que 'a est
+le plus sobre et honneste roy en paroles que l'on vid jamais, et n'a
+jamais offens ny homme ny femme de la moindre parole du monde. Je vous
+laisse donc penser si les belles dames de son regne, et qui se
+resjouissoient, n'avoient pas bon temps. Aussi les aima-t-il fort et les
+servit bien, voire trop; car, tournant de son voyage de Naples
+trs-victorieux et glorieux, il s'amusa si fort les servir, caresser,
+et leur donner tant de plaisirs Lyon par les beaux combats et tournois
+qu'il fit pour l'amour d'elles, que, ne se souvenant point des siens
+qu'il avoit laisss en ce royaume, les laissa perdre, et villes et
+royaume et chasteaux qui tenoient encore et luy tendoient les bras pour
+avoir secours. On dit aussi que les dames furent cause de sa mort,
+auxquelles, pour s'estre trop abandonn, luy qui estoit de fort debile
+complexion, s'y nerva et dbilita tant que cela luy aida mourir.
+
+--Le roy Lois douziesme fut fort respectueux aux dames; car, comme j'ay
+dit ailleurs, il pardonnoit tous les comdians de son royaume, comme
+escoliers et clercs de palais en leurs basoches, de quiconque ils
+parleroient, fors de la reyne sa femme et de ses dames et damoiselles,
+encor qu'il fust bon compagnon en son temps et qu'il aimast bien les
+dames autant que les autres, tenant en cela, mais non de la mauvaise
+langue, ny de la grande prsomption, ny vanterie du duc Lois d'Orlans,
+son ayeul: aussi cela lui cousta-t-il la vie, car s'estant une fois
+vant tout haut, en un banquet o estoit le duc Jean de Bourgogne son
+cousin, qu'il avoit en son cabinet le pourtrait des plus belles dames
+dont il avoit joy, par cas fortut, un jour le duc Jean entra dans ce
+cabinet; la premire dame qu'il voit pourtraitte et se prsente du
+premier aspect ses yeux, ce fut sa noble dame espouse, qu'on tenoit de
+ce temps-l trs-belle: elle s'appeloit Margueritte, fille d'Albert de
+Bavire, comte de Haynault et de Zelande. Qui fut esbahy? ce fut le bon
+espoux: pensez que tout bas il dit ce mot: Ah! j'en ay. Et ne faisant
+cas de la puce qui le piquoit autrement, dissimula tout, et, en couvant
+vengeance, le querella pour la rgence et administration du royaume; et
+colorant son mal sur ce sujet et non sur sa femme, le fit assassiner
+la porte Barbette Paris, et sa femme premire morte, pensez de poison:
+et aprs la vache morte, espousa en secondes noces la fille de Lois
+troisiesme, duc de Bourbon. Possible qu'il n'empira le march; car
+tels gens sujets aux cornes ils ont beau changer de chambres et de
+repaires, ils y en trouvent toujours. Ce duc en cela fit trs-sagement
+de se vanger de son adultre sans s'escandaliser ny lui ny sa femme; qui
+fut luy une trs-sage dissimulation. Aussi ay-je ouy dire un
+trs-grand capitaine qu'il y a trois choses lesquelles l'homme sage ne
+doit jamais publier s'il en est offens, et en doit taire le sujet, et
+plustost en inventer un autre nouveau pour en avoir le combat et la
+veangeance, si ce n'est que la chose fust si vidente et claire devant
+plusieurs, qu'autrement il ne se pust desdire. L'une est quand on
+reproche un autre qu'il est cocu et sa femme publique; l'autre, quand
+on le taxe de b........ et sodomie; la troisiesme, quand ou luy met
+sus qu'il est un poltron, et qu'il a fuy vilainement d'un combat ou
+d'une bataille. Ces trois choses, disoit ce grand capitaine, sont fort
+escandaleuses quand on en publie le sujet de laquelle on combat, et
+pense-t-on quelquefois s'en bien nettoyer que l'on s'en sallist
+villainement; et le sujet en estant publi scandalise fort, et tant plus
+il est remu, tant plus mal il sent, ny plus ny moins qu'une grande
+puanteur quand plus on la remu. Voil pourquoy qui peut avoir son
+honneur caler c'est le meilleur, et excogiter et tenter un nouveau sujet
+pour avoir raison du vieux; et telles offenses, le plus tard que l'on
+peut, ne se doivent jamais mettre en cause, contestation ny combat.
+Force exemples allguerois-je pour ce fait; mais il m'incommoderoit et
+allongeroit par trop mon discours. Voil pourquoy ce duc Jean fut
+trs-sage de dissimuler et cacher ses cornes, et se revanger d'ailleurs
+sur son cousin qui l'avoit hony; encor s'en mocquoit-il et le faisoit
+entendre: dont il ne faut point douter que telle drision et escandale
+ne luy touchast autant au coeur que son ambition, et luy fit faire ce
+coup en fort habile et sage mondain.
+
+--Or, pour retourner de-l o j'estois demeur, le roy Franois, qui a
+bien aim les dames, et encore qu'il eust opinion qu'elles fussent fort
+inconstantes et variables, comme j'ay dit ailleurs, ne voulut point
+qu'on en mdist en sa cour, et voulut qu'on leur portast un grand
+honneur et respect. J'ay ouy raconter qu'une fois, luy passant son
+caresme Meudon prs Paris, il y eut un sien gentilhomme servant, qui
+s'appelloit Busembourg de Xaintonge, lequel servant le Roy de la viande,
+dont il avoit dispense, le Roy lui commanda de porter le reste, comme
+l'on void quelquefois la Cour, aux dames de la petite bande, que je ne
+veux nommer, de peur d'escandale. Ce gentilhomme se mit dire, parmy
+ses compagnons et autres de la Cour, que ces dames ne se contentoient
+pas de manger de la chair cru en caresme, mais en mangeoient de la
+cuitte, et leur benoist saoul. Les dames le sceurent, qui s'en
+plaignirent aussitost au Roy, qui entra en si grande collere, qu'
+l'instant il commanda aux archers de la garde de son hostel de l'aller
+prendre et pendre sans autre delay. Par cas ce pauvre gentilhomme en
+sceut le vent par quelqu'un de ses amis, qui vada et se sauva
+bravement: que s'il eust t pris, pour le seur il estoit pendu, encor
+qu'il fust gentilhomme de bonne part, tant on vid le Roy cette fois en
+collere, ny faire plus de jurement. Je tiens ce conte d'une personne
+d'honneur qui y estoit, et lors le Roy dit tout haut que quiconque
+toucheroit l'honneur des dames, sans remission il seroit pendu.
+
+--Un peu auparavant, le pape Paul Farnse estant venu Nice, le Roy le
+visitant en toute sa Cour, et de seigneurs et dames, il y en eut
+quelques-unes, qui n'toient pas des plus laides, qui lui allrent
+baiser la pantoufle; sur quoy un gentilhomme se mit dire qu'elles
+estoient alles demander Sa Saintet dispense de taster de la chair
+cru sans escandale toutesfois et quantes qu'elles voudroient. Le Roy le
+sceut; et bien servit au gentilhomme de se sauver, car il fut est
+pendu, tant pour la rvrence du Pape que du respect des dames. Ces
+gentilshommes ne furent si heureux en leurs rencontres et causeries
+comme feu M. d'Albanie. Lors que le pape Clment vint Marseille faire
+les nopces de sa niepce avec M. d'Orlans, il y eut trois dames, belles
+et honnestes veufves, lesquelles, pour les douleurs, ennuys et
+tristesses qu'elles avoient de l'absence et des plaisirs passez de leurs
+marys, vindrent si bas et si fort attnues, dbiles et maladives,
+qu'elles prirent M. d'Albanie, son parent, qui avoit bonne part aux
+graces du Pape, de lui demander dispense pour elles trois de manger de
+la chair les jours deffendus. Le duc d'Albanie leur accorda, et les fit
+venir un jour fort familirement au logis du Pape; et pour ce en
+advertit le Roy, et qu'il lui en donneroit du passe-temps, et luy ayant
+dcouvert la baye. Estant toutes trois genoux devant Sa Saintet, M.
+d'Albanie commena le premier, et dit assez bas en italien, que les
+dames ne l'entendoient point: Pre saint, voil trois dames veufves,
+belles et bien honnestes, comme vous voyez, les-quelles pour la
+rvrence qu'elles portent leurs marys trespassez, et l'amiti des
+enfants qu'elles ont eu d'eux, ne veulent pour rien du monde aller aux
+secondes nopces, pour faire tort leurs marys et enfants; et, parce que
+quelquesfois elles sont tentes des aiguillons de la chair, elles
+supplient trs-humblement Vostre Saintet de pouvoir avoir approche des
+hommes hors mariage, si et quantes fois qu'elles seroient en cette
+tentation.--Comment, dit le Pape, mon cousin! ce seroit contre les
+commandements de Dieu, dont je ne puis dispenser. Les voil, pre saint,
+disoit le duc, s'il voust plaist les ouyr parler. Alors l'une des
+trois, prenant la parole, dit: Pre saint, nous avons pri M. d'Albanie
+de vous faire une requeste trs-humble pour nous autres trois, et vous
+remonstrer nos fragilitez et dbiles complexions.--Mes filles, dit le
+Pape, la requeste n'est nullement raisonnable, car ce seroit contre les
+commandements de Dieu. Les dites veufves, ignorantes de ce que luy
+avoit dit M. d'Albanie, luy rpliqurent: Pre saint, au moins plaise
+nous en donner cong trois fois de la sepmaine, et sans
+escandale.--Comment! dit le Pape, de vous permettre _il peccato di
+lussaria_[112]? je me damnerois; aussi que je ne le puis faire. Les
+dites dames, connoissant alors qu'il y avoit de la fourbe et raillerie,
+et que M. d'Albanie leur en avoit donn d'une, dirent: Nous ne parlons
+pas de cela, pre saint, mais nous demandons permission de manger de la
+chair les jours prohibs. L-dessus le duc d'Albanie leur dit: Je
+pensois, mes dames, que ce fust de la chair vive. Le Pape aussi-tost
+entendit la raillerie, et se prit sourire, disant: Mon cousin, vous
+avez fait rougir ces honnestes dames; la reyne s'en faschera quand elle
+le saura: la-quelle le sceut et n'en fit autre semblant, mais trouva
+le conte bon; et le Roy puis aprs en rit bien fort avec le Pape,
+lequel, aprs leur avoir donn sa bndiction, leur octroya le cong
+qu'elles demandoient, et s'en allrent trs-contentes. L'on m'a nomm
+les trois dames: madame de Chasteau-Briant ou madame de Canaples, madame
+de Chastillon, et madame la baillive de Caen, trs-honnestes dames. Je
+tiens ce conte des anciens de la Cour[113].
+
+--Madame d'Uzez fit bien mieux du temps que le pape Paul troisiesme vint
+ Nice voir le roy Franois. Elle estant madame du Bellay, et qui ds sa
+jeunesse a tousjours eu de plaisants traits et dit de fort bons mots, un
+jour, se prosternant devant Sa Saintet, le supplia de trois choses:
+l'une, qu'il luy donnast l'absolution, d'autant que, petite garce, fille
+ madame la rgente, et qu'on la nommoit Tallard, elle perdit ses
+ciseaux en faisant son ouvrage; elle fit voeu saint Alivergot de le
+luy accomplir si elle les trouvoit, ce qu'elle fit; mais elle ne
+l'accomplit ne sachant o gisoit son corps saint. L'autre requeste fut
+qu'il lui donnast pardon de quoy, quand le pape Clment vint
+Marseille, elle estant fille Tallard encore, elle prit un de ses
+oreillers en sa rulle de lict, et s'en torcha le devant et le derrire,
+dont aprs Sa Saintet reposa dessus son digne chef et visage et bouche,
+qui le baisa. La troisiesme, qu'il excommuniast le sieur de Tays, par ce
+qu'elle l'aimoit et luy ne l'aimoit point, et qu'il est maudit et est
+celuy excommuni qui n'aime point s'il est aim. Le Pape, estonn de ses
+demandes, et s'estant enquis au Roy qui elle estoit, sceut ses causeries
+et en rit son saoul avec le Roy. Je ne m'estonne pas si depuis elle a
+est huguenotte et s'est bien mocque des papes, puis que de si bonne
+heure elle commena: et de ce temps, toutes fois, tout a est trouv bon
+d'elle, tant elle avoit bonne grace en ses traits et bons mots. Or ne
+pensez pas que ce grand roy fust si abstraint et si rform au respect
+des dames, qu'il n'en aimast de bons contes qu'on luy en faisoit, sans
+aucun escandale pourtant ny descriement, et qu'il n'en fist aussi; mais,
+comme grand roy qu'il estoit et bien privilgi, il ne vouloit pas qu'un
+chacun, ny le commun, usast de pareil privilege que luy.
+
+J'ay ouy conter aucuns qu'il vouloit fort que les honnestes
+gentilshommes de sa cour ne fussent jamais des sans maistresses; et
+s'ils n'en faisoient il les estimoit des fats et des sots: et bien
+souvent aux uns et aux autres leur en demandoit les noms, et promettoit
+les y servir et leur en dire du bien, tant il estoit bon et familier: et
+souvent aussi quand il les voyoit en grand arraisonnement avec leurs
+maistresses, il les venoit accoster et leur demander quels bons propos
+ils avoient avec elles; et s'il ne les trouvoit bons, il les corrigeoit
+et leur en apprenoit d'autres. A ses plus familiers il n'estoit point
+avare ny chiche de leur en dire ny dpartir de ses contes, dont j'en ay
+ouy faire un plaisant qui luy advint, puis aprs le rcita, d'une belle
+jeune dame venue la Cour, laquelle, pour n'y estre bien ruse, se
+laissa aller fort doucement aux persuasions des grands, et sur-tout de
+ce grand roy; lequel un jour, ainsi qu'il voulut planter son estandart
+bien arbor dans son fort, elle qui avoit ouy dire, et qui commena
+desj le voir, que quand on donnoit quelque chose au Roy, ou que quand
+on le prenoit de luy et qu'on le touchoit, le faloit premirement
+baiser, ou bien la main, pour le prendre et toucher; elle mesme, sans
+autre crmonie, n'y faillit pas, et baisant trs-humblement la main,
+prit l'estandart du Roy et le planta dans le fort avec une trs-grande
+humilit; puis luy demanda de sang froid comment il vouloit qu'elle le
+servist ou en femme de bien et chaste, ou en desbauche. Il ne faut
+point douter qu'il luy en demandast la desbauche, puisqu'en cela elle y
+estoit plus agrable que la modeste; en quoy il trouva qu'elle n'y avoit
+perdu son temps, et aprs le coup et avant, et tout; puis luy faisoit
+une grande rvrence en le remerciant humblement de l'honneur qu'il luy
+avoit fait, dont elle n'estoit pas digne, en luy recommandant souvent
+quelque avancement pour son mary. J'ay ouy nommer la dame, laquelle
+depuis n'a est si sotte comme alors, mais bien habile et bien ruse.
+
+Ce roy n'en espargna pas le conte, qui courut plusieurs oreilles. Il
+estoit fort curieux de savoir l'amour et des uns et des autres, et
+surtout des combats amoureux, et mesme de quels beaux airs se manioient
+les dames quand elles estoient en leur mange, et quelle contenance et
+posture elles y tenoient, et de quelles paroles elles usoient: et puis
+en rioit pleine gorge, et aprs en dfendoit la publication et
+l'escandale, et recommandoit le secret et l'honneur. Il avoit pour son
+bon second ce trs-grand, trs-magnifique et trs-libral cardinal de
+Lorraine: trs-libral le puis-je appeler, puis qu'il n'eut son pareil
+de son temps: ses despenses, ses dons, gracieusetez, en ont fait foy, et
+surtout la charit envers les pauvres. Il portoit ordinairement une
+grande gibecire, que son valet-de-chambre qui luy manioit son argent
+des menus plaisirs ne failoit d'emplir tous les matins, de trois ou
+quatre cents escus; et tant de pauvres qu'il trouvoit il mettoit la main
+ la gibeciere, et ce qu'il en tiroit sans considration il le donnoit,
+et sans rien trier. Ce fut de lui que dit un pauvre aveugle, ainsi qu'il
+passoit dans Rome et que l'aumosne lui fut demande de luy, il luy jetta
+ son accoustume une grande poigne d'or, et en s'escriant tout haut en
+italien: _O tu sei Christo, veramente el cardinal di Lorrena_;
+c'est--dire: Ou tu es Christ, ou le cardinal de Lorraine. S'il estoit
+aumosnier et charitable en cela, il estoit bien autant libral s autres
+personnes, et principalement l'endroit des dames, lesquelles il
+attrapoit aisment par cet appt; car l'argent n'estoit en si grande
+abondance de ce temps comme il est aujourd'huy; et pour ce en
+estoient-elles plus friandes, et des bombances et des parures. J'ay ouy
+conter que quand il arrivoit la Cour quelque belle fille ou dame
+nouvelle qui fust belle, il la venoit aussitost accoster, et
+l'arraisonnant, il disoit qu'il la vouloit dresser de sa main. Quel
+dresseur! Je croy que la peine n'estoit pas si grande comme dresser
+quelque poulain sauvage. Aussi pour lors disoit-on qu'il n'y avoit gure
+de dames ou filles rsidentes la Cour ou fraischement venues, qui ne
+fussent desbauches ou attrappes par son avarice et par la largesse
+dudit M. le cardinal; et peu ou nulles sont-elles sorties de cette cour
+femmes et filles de bien. Aussi voyoit-on pour lors leurs coffres et
+grandes garde-robbes plus pleines de robbes, de cottes, et d'or et
+d'argent et de soye, que ne sont aujourd'huy celles de nos reynes et
+grandes princesses d'aujourd'huy. J'en ay fait l'exprience pour l'avoir
+veu en deux ou trois qui avoient gagn tout cela par leur devant; car
+leurs peres, meres et marys ne leur eussent peu donner en si grande
+quantit. Je me fusse bien pass, ce dira quelqu'un, de dire cecy de ce
+grand cardinal, veu son honorable habit et rvrendissime estat; mais
+son roy le vouloit ainsi et y prenoit plaisir; et pour complaire son
+roy l'on est dispens de tout, et pour faire l'amour et d'autres choses,
+mais qu'elles ne soient point meschantes, comme alors d'aller la
+guerre, la chasse, aux danses, aux mascarades et autres exercices;
+aussi qu'il estoit un homme de chair comme un autre, et qu'il avoit
+plusieurs grandes vertus et perfections qui offusquoient cette petite
+imperfection, si imperfection se doit appeler faire l'amour.
+
+J'ay ouy faire un conte de luy propos du respect deu aux dames: il
+leur en portoit de son naturel beaucoup: mais il l'oublia, et non sans
+sujet, l'endroit de madame la duchesse de Savoye, donne Batrix de
+Portugal. Luy, passant une fois par le Piedmond, allant Rome pour le
+service du Roy son maistre, visita le duc et la duchesse. Aprs avoir
+assez entretenu M. le duc, il s'en alla trouver madame la duchesse en sa
+chambre pour la saluer, et s'approchant d'elle, elle, qui estoit la
+mesme arrogance du monde, luy prsenta la main pour la baiser. M. le
+cardinal, impatient de cet affront, s'approcha pour la baiser la
+bouche, et elle de se reculer. Luy, perdant patience et s'approchant de
+plus prs encore d'elle, la prend par la teste, et en dpit d'elle la
+baisa deux ou trois fois. Et quoy qu'elle en fist ses cris et
+exclamations la portugaise et espagnole, si fallut-il qu'elle passast
+par-l. Comment, dit-il, est-ce moi qui il faut user de cette mine
+et faon? je baise bien la Reyne ma maistresse, qui est la plus grande
+reyne du monde, et vous je ne vous baiserois pas, qui n'estes qu'une
+petite duchesse crotte! Et si veux que vous sachis que j'ay couch
+avec des dames aussi belles et d'aussi bonne ou plus grande maison que
+vous. Possible pouvoit-il dire vrai. Cette princesse eut tort de tenir
+cette grandeur l'endroit d'un tel prince de si grande maison, et mesme
+cardinal, car il n'y a cardinal, veu ce grand rang d'glise qu'ils
+tiennent, qui ne s'accompare aux plus grands princes de la chrestient.
+M. le cardinal aussi eut tort d'user de revanche si dure; mais il est
+bien fascheux un noble et gnreux coeur, de quelque profession
+qu'il soit, d'endurer un affront.
+
+Le cardinal de Grandvelle le sceut bien faire sentir au comte d'Egmont,
+et d'autres que je laisse au bout de ma plume, car je broillerois par
+trop mes discours, auxquels je retourne; et le reprens au feu roy Henry
+II, qui a est fort respectueux aux dames, et qu'il servoit avec de
+grands respects, qui detestoit fort les calomniateurs de l'honneur des
+dames: et lorsqu'un roy sert telles dames, de tel poids, et de telle
+complexion, mal-aisment la suite de la Cour ose ouvrir la bouche pour
+en parler mal. De plus la Reyne-mere y tenoit fort la main pour
+soustenir ses dames et filles, et le bien faire sentir ces dtracteurs
+et pasquineurs, quand ils estoient une fois descouverts, encore
+qu'elle-mesme n'y ait est espargne non plus que ses dames; mais ne
+s'en soucioit pas tant d'elle comme des autres, d'autant, disoit-elle,
+qu'elle sentoit son ame et sa conscience pure et nette, qui parloit
+assez pour soy; et la pluspart du temps se rioit et se mocquoit de ces
+mesdisants escrivains et pasquineurs. Laissez-les tourmenter,
+disoit-elle, et se prendre de la peine pour rien; mais quand elle les
+descouvroit elle leur faisoit bien sentir. Il escheut l'aisne
+Limeuil, son commencement qu'elle vint la Cour, de faire un pasquin
+(car elle disoit et escrivoit bien) de toute la Cour, mais non point
+scandaleux pourtant, sinon plaisant; mais asseurez-vous qu'elle la
+repassa par le foet bon escient, avec deux de ses compagnes qui en
+estoient de consente; et sans qu'elle avoit cet honneur de luy
+appartenir, cause de la maison de Thurenne, allie celle de
+Boulogne, elle l'eust chastie ignominieusement par le commandement
+exprs du Roy, qui dtestoit estrangement tels escrits.
+
+--Je me souviens qu'une fois le sieur de Matha, qui estoit un brave et
+vaillant gentilhomme que le Roy aimoit, et estoit parent de madame de
+Valentinois; il avoit ordinairement quelque plaisante querelle contre
+les dames et les filles, tant il estoit fol. Un jour, s'estant attaqu
+une de la Reyne, il y en avoit une qu'on nommoit la grande Meray, qui
+s'en voulut prendre pour sa compagne; luy ne fit que simplement
+respondre: H! je ne m'attaque pas vous, Meray, car vous estes une
+grande coursiere bardable. Comme de vray c'estoit la plus grande fille
+et femme que je vis jamais. Elle s'en plaignit la Reyne que l'autre
+l'avoit appele jument et coursiere bardable. La Reyne fut en telle
+colere qu'il fallust que Matha vuidast de la Cour pour aucuns jours,
+quelque faveur qu'il eust de madame de Valentinois sa parente; et d'un
+mois aprs son retour n'entra en la chambre de la Reyne et des filles.
+
+Le sieur de Gersay fit bien pis l'endroit d'une des filles de la Reyne
+ qui il vouloit mal pour s'en venger, encore que la parole ne luy
+manquast nullement; car il disoit et rencontroit des mieux, mais
+sur-tout quand il mesdisoit, dont il en estoit le maistre; mais la
+mesdisance estoit lors fort dfendue. Un jour qu'elle estoit
+l'aprs-dine en la chambre de la Reyne avec ses compagnes et
+gentilshommes, comme alors la coustume estoit qu'on ne s'assioit
+autrement qu'en terre quand la Reyne y estoit, le dit sieur, ayant pris
+entre les mains des pages et laquais une c..... de blier dont ils s'en
+jooient la basse-court (elle estoit fort grosse et enfle tout
+bellement), estant couch prs d'elle, la coula entre la robbe et la
+juppe de cette fille, et si doucement qu'elle ne s'en advisa jamais,
+si-non que, lors que la Reyne se vint se lever de sa chaise pour aller
+en son cabinet, cette fille, que je ne nommeray, se vint lever
+aussi-tost, et en se levant tout devant la Reyne, pousse si fort cette
+balle bellinire, pelue, velue, qu'elle fit six ou sept bonds joyeux,
+que vous eussiez dit qu'elle vouloit donner de soy-mesme du passe-temps
+ la compagnie sans qui'il luy coustast rien. Qui fut estonne? ce fut
+la fille et la Reyne aussi, car c'toit en belle place visible sans
+aucun obstacle. Nostre-Dame! s'cria la Reyne, et qu'est cela, m'amie,
+et que voulez-vous faire de cela? La pauvre fille, rougissant, demy
+esplore, se mit dire qu'elle ne savoit que c'estoit, et que
+c'estoit, quelqu'un qui luy vouloit mal qui luy avoit fait ce meschant
+trait, et qu'elle pensoit que ce ne fust autre que Gersay. Luy, qui en
+avoit veu le commencement du jeu et des bonds, avoit pass la porte. On
+l'envoya qurir; mais il ne voulut jamais venir, voyant la Reyne si
+colre, et niant pourtant le tout fort ferme. Si fallut-il que pour
+quelques jours il fuyt sa colre et du Roy aussi: et sans qu'il estoit
+un des grands favoris du Roy-Dauphin avec Fontaine-Guerrin, il eust est
+en peine, encore que rien ne se prouvast contre luy que par conjecture,
+nonobstant que le Roy fit ses courtisans et plusieurs dames ne s'en
+peussent engarder d'en rire, ne l'osant pourtant manifester, voyant la
+colre de la Reyne: car c'estoit la dame du monde qui savoit le mieux
+rabroer et estonner les personnes.
+
+--Un honneste gentilhomme et une damoiselle de la Cour vindrent une
+fois, de bonne amiti qu'ils avoient ensemble, tomber en haine et
+querelle, si-bien que la damoiselle luy dit tout haut dans la chambre de
+la Reyne, estant sur ce diffrent: Laissez-moi, autrement je diray ce
+que vous m'avez dit: Le gentilhomme, qui luy avoit rapport quelque
+chose en fidlit d'une trs-grande dame, et craignant que mal ne luy
+advinst, que pour le moins il ne fust banny de la Cour, sans s'estonner
+il respondit (car il disoit trs-bien le mot): Si vous dites ce que je
+vous ay dit, je diray ce que je vous ay fait. Qui fust estonne? ce
+fust la fille: toutesfois elle respondit: Que m'avez-vous fait?
+L'autre respondit; Que vous ay-je dit? La fille par aprs replique:
+Je say bien ce que vous m'avez dit; l'autre: Je sais bien ce que je
+vous ay fait. La fille duplique Je prouveray fort bien ce que vous
+m'avez dit; l'autre respondit: Je prouveray encore mieux ce que je
+vous ay fait. Enfin, aprs avoir demeur assez de temps en telles
+contestations par dialogues et repliques et dupliques, et pareils et
+semblables mots, s'en sparrent par ceux et celles qui se trouvrent
+l, encore qu'ils en tirassent du plaisir.
+
+Tel dbat parvint aux oreilles de la Reyne, qui en fut fort en colre,
+et en voulust aussitost savoir les paroles de l'un et les faits de
+l'autre, et les envoya qurir. Mais l'un et l'autre, voyant que cela
+tireroit consquence, advisrent s'accorder aussi-tost ensemble, et
+comparoissant devant la Reyne, de dire que ce n'estoit qu'un jeu qu'ils
+se contestoient ainsi, et que le gentilhomme ne luy avoit rien dit, ny
+luy rien fait elle. Ainsi ils payrent la Reyne, laquelle pourtant
+tana et blasma fort le gentilhomme, d'autant que ses paroles estoient
+trop scandaleuses. Le gentilhomme me jura vingt fois que, s'ils ne se
+fussent rapatris et concerts ensemble, et que la damoiselle eust
+descouvert les paroles qu'il luy avoit dites, qui luy tournoient
+grande consquence, que rsolument il eust maintenu son dire qu'il luy
+avoit fait, peine qu'on la visitast, et qu'on ne la trouveroit point
+pucelle, et que c'estoit luy qui l'avoit dpucelle. Oui, lui
+respondis-je: mais si l'on l'eust visite et qu'on l'eust trouve
+pucelle, car elle estoit fille, vous fussiez est perdu, et vous y fust
+all de la vie.--H! mort Dieu! me respondit-il, c'est ce que j'eus
+voulu le plus qu'on l'eust visite: je n'avois point peur que la vie y
+eust couru; j'estois bien asseur de mon baston; car je savois bien qui
+l'avoit dpucelle, et qu'un autre y avoit bien pass, mais non pas moy,
+dont j'en suis trs-bien marry: et la trouvant entame et trace, elle
+estoit perdue et moy veng, et elle scandalise. Je fusse est quitte
+pour l'espouser, et puis m'en dfaire comme j'eusse peu. Voil comme
+les pauvres filles et femmes courent fortune, aussi bien droit comme
+tort.
+
+--J'en ay cogneu une de trs-grande part, laquelle vint estre grosse
+d'un trs-brave et galland prince[114]: on disoit pourtant que c'estoit
+en nom de mariage, mais par aprs on sceut le contraire. Le roy Henry le
+sceut le premier qui en feust extresmement fasch, car elle luy en
+appartenoit un peu: toutesfois, sans faire plus grand bruit ny scandale,
+le soir au bal la voulut mener danser le bransle de la Torche[115] et
+puis la fit mener danser un autre la gaillarde et les autres bransles,
+l o elle monstra sa disposition et sa dextrit mieux que jamais, avec
+sa taille qui estoit trs-belle et qu'elle accommodoit si bien ce
+jour-l, qu'il ny avoit aucune apparence de grossesse: de sorte que le
+Roy, qui avoit ses yeux toujours fort fixement sur elle, ne s'en
+apperceust non plus que si elle ne fust est grosse, et vint dire un
+trs grand de ses plus familiers: Ceux-l sont bien meschants et
+malheureux d'estre alls inventer que cette pauvre fille estoit grosse;
+jamais je ne luy ay veu meilleure grace. Ces meschants dtracteurs qui
+en ont parl ont menty et ont trs-grand tort. Et ainsi ce bon prince
+excusa cette fille et honneste damoiselle, et en dit de mesme la Reyne
+estant couch le soir avec elle. Mais la Reyne, ne se fiant cela, la
+fit visiter le lendemain au matin, elle estant prsente, et se trouva
+grosse de six mois; laquelle luy advoa et confessa le tout sous la
+courtine de mariage. Pourtant le Roy, qui estoit tout bon, fit tenir le
+mystre le plus secret qu'il put sans escandaliser la fille, encore que
+la Reine en fust fort en colere. Toutesfois ils l'envoyrent tout coy
+chez ses plus proches parents, o elle accoucha d'un beau fils, qui
+pourtant fut si malheureux qu'il ne put jamais estre advo du pere
+putatif; et la cause en trana longuement, mais la mere n'y put jamais
+rien gagner.
+
+--Or le roy Henry aimoit aussi-bien les bons contes que ses
+prdcesseurs; mais il ne vouloit point que les dames en fussent
+escandalises ny divulgues: si bien que luy, qui estoit d'assez
+amoureuse complexion, quand il alloit voir les dames, y alloit le plus
+cach et le plus couvert qu'il pouvoit, afin qu'elles fussent hors de
+soupon et diffame; et s'il en avoit aucunes qui fussent descouvertes,
+ce n'estoit pas sa faute ny de son consentement, mais plustost de la
+dame: comme une que j'ay ouy dire, de bonne maison, nomme madame
+Flamin, d'Escosse, laquelle, ayant t enceinte du fait du Roy, elle
+n'en faisoit point la petite bouche, mais trs-hardiment disoit en son
+escossiment franciss J'ay fait tant j'ay pu, que, Dieu merci, je suis
+enceinte du Roy, dont je m'en sens trs-honore et trs-heureuse; et si
+je veux dire que le sang royal a je ne sais quoy de plus suave et
+friande liqueur que l'autre, tant que je m'en trouve bien, sans conter
+les bons brins de prsents que l'on en tire. Son fils, qu'elle en eust
+alors, fut le feu grand prieur de France, qui fut tu dernirement
+Marseille, qui fut un trs-grand dommage, car c'estoit un trs-honneste,
+brave et vaillant seigneur: il le monstra bien sa mort. Et si estoit
+homme de bien et le moins tyran gouverneur de son temps ny depuis, et la
+Provence en sauroit bien que dire, et encore que ce fust un seigneur
+fort splendide et de grande despense; mais il estoit homme de bien et se
+contentoit de raison. Cette dame, avec d'autres que j'ay ouy dire,
+estoit en cette opinion, que, pour coucher avec son roy, ce n'estoit
+point diffame, et que putains sont celles qui s'adonnent aux petits,
+mais non pas aux grands roys et galants gentilshommes; comme cette reyne
+amazone que j'ai dit, qui vint de trois cent lieus pour se faire
+engrosser Alexandre, pour en avoir de la race: toutesfois l'on dit
+qu'autant vaut l'un que de l'autre.
+
+--Aprs le roy Henry vint le roy Franois second, duquel le rgne fust
+si court que les mesdisants n'eurent loisir de se mettre en place pour
+mesdire des dames: encore que s'il eust rgn longtemps, ne faut point
+croire qu'il les eust permis en sa Cour; car c'estoit un roy de trs-bon
+et trs-franc naturel, et qui ne se plaisoit point en medisances; outre
+qu'il estoit fort respectueux l'endroit des dames et les honoroit
+fort: aussi avoit-il la reyne sa femme et la reyne sa mre, et messieurs
+ses oncles, qui rabrooient fort ces causeurs et picqueurs de la langue.
+Il me souvient qu'une fois, luy estant Saint Germain en Laye, sur le
+mois d'aoust et de septembre, il lui prit envie d'aller le soir voir les
+cerfs en leurs ruths, en cette belle forest de Saint Germain, et menoit
+des princes ses plus grands familiers et aucunes grandes dames et filles
+que je dirois bien. Il y en eut quelqu'un qui en voulut causer et dire
+que cela ne sentoit point sa femme-de-bien, ny chaste, d'aller voir de
+tels amours et tels ruths de bestes, d'autant que l'apptit de Vnus les
+en eschauffoit davantage telle imitation et telle vueue, si bien que,
+quand elles s'en voudroient degouster, l'eau ou la salive leur en
+viendroit la bouche du mitan, que par aprs il n'y auroit aucun remede
+de l'en oster, si-non par autre cause ou salive de sperme. Le Roy le
+sceut, et les princes et dames qui l'y avoient accompagn. Asseurez-vous
+que si le gentilhomme n'eust si-tost escamp, il estoit trs-mal; et ne
+parut la Cour qu'aprs sa mort et son regne. Il y eut force libelles
+diffamatoires contre ceux qui gouvernoient alors le royaume; mais il n'y
+eut aucun qui piquast et offensast plus qu'une invective intitule _le
+Tigre_ (sur l'imitation de la premire invective de Cicron contre
+Catilina), d'autant qu'elle parloit des amours d'une trs-grande et
+belle dame, et d'un grand son proche. Si le galant auteur fust est
+apprehend, quand il eust eu cent mille vies il les eust toutes perdues;
+car et le grand et la grande en furent si estommaqus qu'ils en
+cuidrent desesprer. Ce roy Franois ne fut point sujet l'amour comme
+ses prdcesseurs; aussi eust-il eu grand tort, car il avoit pour
+espouse la plus belle femme du monde et la plus aimable; et qui l'a
+telle ne va point au pourchas comme d'autres, autrement il est bien
+misrable; et qui n'y va peu se soucie-t-il de dire mal des dames, ny
+bien et tout, si-non que de la sienne. C'est une maxime que j'ay ouy
+tenir une honneste personne; toutesfois je l'ay vue faillir plusieurs
+fois.
+
+Le roy Charles IX vint aprs, lequel, pour sa tendresse d'aage, ne se
+soucioit du commencement des dames, ains se soucioit plus-tost passer
+son temps en exercice de jeunesse. Toutefois feu M. de Sipierre, son
+gouverneur, et qui estoit, mon gr et de chacun aussi, le plus
+honneste et le plus gentil cavalier de son temps et le plus courtois et
+rvrentieux aux dames, en apprit si bien la leon au Roy son maistre et
+disciple, qu'il a est autant l'endroit des dames qu'aucuns roys ses
+prdcesseurs; car jamais et petit et grand, il n'a veu dames, fust-il
+le plus empesch du monde ailleurs, ou qu'il courust ou qu'il
+s'arrestast, ou pied ou cheval, qu'aussitost il ne la saluast et luy
+otast son bonnet fort reverentieusement. Quand il vint sur l'aage
+d'amour, il servit quelques honnestes dames et filles que je say, mais
+avec si grand honneur et respect que le moindre gentilhomme de sa Cour
+eust sceu faire. De son regne les grands pasquineurs commencrent
+pourtant avoir vogue, et mesme aucuns gentilshommes bien gallants de la
+Cour, lesquels je ne nommeray point, qui dtractoient estrangement des
+dames, et en gnral et en particulier, voire des plus grandes; dont
+aucuns en ont eu des querelles bon escient, et s'en sont trs-mal
+trouvez: non pourtant qu'ils advoassent le fait, car ils nioient tout;
+aussi s'en fussent-ils trouvez de l'escot s'ils l'eussent advo, et le
+Roy leur eust bien fait sentir, car ils s'attaquoient a de trop grandes.
+D'autres faisoient bonne mine, et enduroient a leur barbe mille
+dmentis qu'on disoit conditionels et en l'air, et mille injures qu'ils
+buvoient doux comme laict, et n'osoient nullement repartir; autrement il
+leur alloit de la vie: en quoy bien souvent me suis-je estonn de telles
+gens qui se mettoient ainsi mesdire d'autruy, et permettre qu'on
+mesdist leur nez tant et tant d'eux. Si avoient-ils pourtant la
+rputation d'estre vaillants; mais en cela ils enduroient le petit
+affront gallantement sans sonner mot.
+
+--Je me souviens d'un pasquin qui fust fait contre une trs-grande dame
+veufve, belle et bien honneste, qui vouloit convoler avec un trs-grand
+prince jeune et beau. Il y eut quelques-uns que je say bien, qui, ne
+voulants ce mariage, pour en destourner le prince, firent un pasquin
+d'elle, le plus scandaleux que j'aye point veu, l o ils
+l'accomparoient cinq ou six grandes putains anciennes, fameuses, fort
+lubriques, et qu'elle les surpassoit toutes. Ceux-mesmes qui avoient
+fait le pasquin le luy prsentrent, disants pourtant qu'il venoit
+d'autres, et qu'on leur avoit baill. Ce prince, l'ayant veu, donna des
+dmentis et dit mille injures en l'air ceux qui l'avoient fait; eux
+passrent tout sous silence, encor qu'ils fussent des braves et
+vaillants. Cela donna pourtant pour le coup songer au prince, car le
+pasquin portoit et monstroit au doigt plusieurs particularitez, mais au
+bout de deux ans le mariage s'accomplit.
+
+Le Roy estoit si gnreux et bon, que nullement il favorisoit tels gens
+d'avoir de petits mots joyeux avec eux part. Bien les aimoit-il, mais
+ne vouloit que le vulgaire en fust abreuv, disant que sa Cour, qui
+estoit la plus noble et la plus illustre de grandes et belles dames de
+tout le monde, et pour telle rpute, ne vouloit qu'elle fust
+villipende et mesestime par la bouche de tels causeurs et galants: et
+c'estoit parler ainsi des courtisannes de Rome, de Venise et d'autres
+lieux, et non de la Cour de France; et que, s'il estoit permis de le
+faire, il n'estoit permis de le dire. Voil comment ce roy estoit
+respectueux aux dames, voire tellement qu'en ses derniers jours je say
+qu'on luy voulut donner quelque mauvaise impression de quelques
+trs-grandes et trs-belles et honnestes dames, pour estre broilles en
+quelques trs-grandes affaires qui luy touchoient; mais il n'en voulut
+jamais rien croire, ains leur fit aussi bonne chere que jamais et mourut
+avec leurs bonnes graces et grande quantit, de leurs larmes qu'elles
+espandirent sur son corps. Et le trouvrent dire puis aprs bien
+quand le roy Henry troisiesme vint luy succder, lequel, pour aucuns
+mauvais rapports qu'un luy avoit fait d'elles en Pologne, n'en fit son
+retour si grand conte comme il avoit fait auparavant, et d'icelle et
+d'autres que je say s'en fit un trs-rigoureux censeur, dont pour cela
+il n'en fut pas plus aim; si que je croy qu'en partie elles ne luy ont
+point peu nuy, ny sa malle fortune ny sa ruyne. J'en diray bien
+quelques particularitez, mais je m'en passeray bien: si-non qu'il faut
+considrer que la femme est fort encline la vengeance; car, quoy qu'il
+tarde, elle l'excute: au contraire du naturel de la vengeance d'aucuns,
+laquelle du commencement est fort ardente et chaude s'en faire
+accroire, mais par le temporisement et longueur elle s'attidist et
+vient nant. Voil pourquoy il s'en faut garder du premier abord, et
+par le temps parer aux coups; mais la furie, l'abord et le temporisement
+durent toujours en la femme jsqu' la fin; je dis d'aucunes, mais peu.
+Aucuns ont voulu excuser le Roy de la guerre qu'il faisoit aux dames par
+descriements, que c'estoit pour refrner et corriger le vice, comme si
+la correction en cela luy servoit; veu que la femme est de tel naturel,
+que tant plus on luy dfend cela, tant plus y est-elle ardente, et
+a-t-on beau luy faire le guet. Aussi, par exprience, ay-je veu que pour
+luy on ne se dtournoit de son grand chemin. Aucunes dames a-t-il aim,
+que je say bien, avec de trs-grands respects, et servy avec trs-grand
+honneur, et mesme une trs-grande et belle princesse, dont il devint
+tant amoureux avant qu'aller en Poulogne, qu'aprs estre roy il se
+rsolut de l'espouser, encor qu'elle fust marie un grand et brave
+prince, mais il estoit luy rebelle et rfugi en pays estrange pour
+amasser gens et luy faire la guerre; mais son retour en France la dame
+mourut en ses couches. La mort seule empescha ce mariage, car il y
+estoit rsolu: par la faveur et dispense du Pape il l'espousoit; qui ne
+luy eust refuse, estant un si grand roy, et pour plusieurs autres
+raisons que l'on peut penser. A d'autres aussi a-t-il fait l'amour pour
+les descrier.
+
+J'en say une grande que, pour des desplaisirs que son mary luy avoit
+faits, et ne le pouvant atrapper, s'en vengea sur sa femme, qu'il
+divulgua en la prsence de plusieurs: encore cette vengeance estoit-elle
+douce, car, au lieu de la faire mourir, il la faisoit vivre. J'en say
+une qui, faisant trop de la galante, et pour un desplaisir qu'elle luy
+fit, exprs luy fit l'amour, et sans grand peine de persuasion luy donna
+un rendez-vous en un jardin o ne faillit de se trouver; mais il ne la
+voulut toucher autrement (ce disent aucuns, mais il la toucha fort
+bien), ains la faire voir en place de march, et puis la bannit de la
+Cour avec opprobre. Il dsiroit et estoit fort curieux de savoir la vie
+des unes et des autres et en sonder leur vouloir. On dit qu'il faisoit
+quelquefois part de ses bonnes-fortunes aucuns de ses plus privez.
+Bienheureux estoient-ils ceux-l; car les restes de ces grands roys ne
+sauroient estre que trs-bons. Les dames le craignoient fort, comme
+j'ay veu, et leur faisoit luy-mesme des reprimandes, ou en prioit la
+Reyne sa mere, qui de soy en estoit assez prompte, mais non pour aimer
+les mesdisans, ainsi que je l'ay monstr cy-devant par ces petits
+exemples que j'ay allgus, auxquels y prenant pied et altration, que
+pouvoit-elle faire aux autres quand ils touchoient au vif et l'honneur
+des dames?
+
+Ce roy avoit tant accoustum ds son jeune aage, comme j'ay veu, de
+savoir des contes de dames, voire moy-mme luy en ay-je fait aussi
+quelqu'un: et en disoit aussi, mais fort secrtement, de peur que la
+Reyne sa mere le sceust, car elle ne vouloit qu'il le dist d'autres
+qu' elle, pour en faire la correction: tellement que, venant en aage et
+en libert, n'en perdit la possession; et pour ce, savoit aussi-bien
+comme elles vivoient en sa cour et en son royaume, au moins aucunes, et
+mesmes les grandes, que s'il les eust toutes pratiques; et si aucunes y
+en avoit qui vinssent la Cour nouvellement, en les accostant fort
+courtoisement et honnestement pourtant, leur en contoit de telle faon
+qu'elles en demeuroient estonnes en leurs mes d'o il avoit appris
+toutes ces nouvelles, luy niant et dsadvoant pourtant le tout. Et s'il
+s'amusoit en cela, il ne laissoit d'appliquer son esprit en autres et
+plus grandes choses, si hautement, qu'on l'a tenu pour le plus grand roy
+que de cent ans il y a eu en France, ainsi que j'en ay escrit ailleurs
+en un chapitre de luy fait part[116]. Je n'en parle donc plus, encor
+qu'on me pust dire que je ne suis est assez copieux d'exemples de luy
+pour ce sujet, et que j'en devois dire davantage si j'en savois. Ouy,
+j'en sai prou, et des plus sublins; mais je ne veux pas tout coup
+dire les nouvelles de la Cour ny du reste du monde; et aussi que je
+pourrois si bien pailler et couvrir mes contes, que l'on ne s'en
+apperceust sans escandale.
+
+Or il y a de ces dtracteurs des dames de diverses sortes. Les uns en
+medisent d'aucunes pour quelque desplaisir qu'elles leur auront fait,
+encor qu'elles soient des plus chastes du monde, et les font, d'un ange
+beau et pur qu'elles sont, un diable tout infect de meschancet: comme
+un honneste gentilhomme que j'ay veu et cogneu, lequel pour un lger
+desplaisir qu'une trs-honneste et sage dame luy avoit fait, la descria
+fort vilainement; dont il en eut bonne querelle. Et disoit: Je say
+bien que j'ay tort, et ne nie point que cette dame ne soit trs-chaste
+et tres-vertueuse: mais quiconque sera telle, celle-l qui m'aura le
+moins du monde offens, quand elle seroit aussi chaste et pudique que la
+vierge Marie, puis qu'autrement il ne m'est permis d'en avoir raison
+comme d'un homme, j'en dirai pis que pendre. Mais Dieu pourtant s'en
+peut irriter. D'autres dtracteurs y a-t-il qui, aimant des dames et ne
+pouvant rien tirer de leur chastet, de dpit en causent comme de
+publiques; et si font pis: ils publient et disent qu'ils en ont tir ce
+qu'ils vouloient, mais, les ayant connues et apperceues par trop
+lubriques, les ont quittes. J'en ay cogneu force en nos cours de ces
+humeurs. D'autres, qui bon escient quittent leurs mignons et favoris
+de couchettes, et puis, suivant leurs lgrets et inconstances, s'en
+sont desgoustes et repris d'autres en leur place: sur ce, ces mignons,
+despitez et desesprez, vous peignent et descrient ces pauvres femmes,
+ne faut pas dire comment, jusques raconter particulirement leurs
+lascivetez et paillardises qu'ils ont ensemble exerces, et descouvrir
+leurs sis qu'elles portent sur leur corps nud, afin que mieux ou les
+croye. D'autres y a-t-il qui, despitez qu'elles en donnent aux autres et
+non eux, en mesdisent toute oustrance, et les font guetter, espier
+et veiller, enfin qu'au monde ils donnent plus grande conjecture de
+leurs vritez. D'autres qui, espris de belle jalousie, sans aucun sujet
+que celuy-l, maldisent de ceux qu'elles aiment le plus, et
+qu'eux-mesmes aiment tant qu'ils ne les voyent pas demy. Voil l'un
+des plus grands effets de la jalousie: et tels dtracteurs ne sont tant
+ blasmer qu'on le diroit bien; car il faut imputer cela l'amour et
+la jalousie, deux frre et soeur d'une mesme naissance. D'autres
+dtracteurs y a-t-il qui sont si fort nez et accoutumez la mesdisance,
+que plustost qu'ils ne mesdisent de quelque personne ils mesdiroient
+d'eux-mesmes. A votre advis, si l'honneur des dames est espargn en la
+bouche de tels gens? Plusieurs en nos cours en ay-je veu tels qui,
+craignant de parler des hommes de peur de la touche, se mettoient sur la
+draperie des pauvres dames, qui n'ont autre revanche que les larmes,
+regrets et paroles. Toutes-fois en ay-je cogneu plusieurs qui s'en sont
+trs-mal trouvez: car il y a eu des parents, des freres, des amis de
+leurs serviteurs, voire des maris, qui en ont fait repentir plusieurs,
+et remascher et avaller leurs paroles. Enfin, si je voulois raconter
+toutes les diversitez des destracteurs des dames qu'il y en a, je
+n'aurois jamais fait. Une opinion en amour ay-je veu tenir plusieurs,
+qu'un amour secret ne vaut rien s'il n'est pas un peu manifeste, si-non
+ tous, pour le moins ses plus privez amis: et si tous il ne se peut
+dire pour le moins que le manifeste s'en fasse, ou par monstre ou par
+faveurs, ou de livres et couleurs, ou actes chevaleresques, comme
+courrements de bague, tournois, masquarades, combats la barriere,
+voire ceux de bon escient quant on est la guerre; certes le
+contentement en est trs-grand en soy. Comme de vray, de quoy serviroit
+ un grand capitaine d'avoir fait un beau et signal exploit de guerre,
+et qu'il fust teu et nullement sceu? je croy que ce luy seroit un despit
+mortel. De mesme en doivent estre les amoureux qui aiment en bon lieu,
+ce disent aucuns: et de cette opinion en a est le principal chef M. de
+Nemours, le parangon de toute chevalerie; car, si jamais prince,
+seigneur ou gentilhomme a est heureux en amours, 'a est celuy-l. Il
+ne prenoit pas plaisirs les cacher ses plus privez amis; si est-ce
+qu' plusieurs il les a tenues si secrettes qu'on ne les jugeoit que mal
+aisment. Certes pour les dames maries la descouverte en est fort
+dangereuse: mais pour les filles et veufves qui sont marier,
+n'importe; car la couleur et prtexte d'un mariage futur couvre tout.
+
+--J'ay cogneu un gentilhomme trs-honneste la Cour, qui, servant une
+trs-grande dame, estant parmy ses compagnons un jour en devis de leurs
+maistresses, et se conjurans tous de les descouvrir entr'eux de leur
+faveur, ce gentilhomme ne voulut jamais dcler la sienne, ains en alla
+controuver une autre d'autre part, et leur donna ainsi le bigu, encore
+qu'il y eust un grand prince en la troupe qui l'en conjurast et se
+doutast pourtant de cet amour secret: mais luy et ses compagnons n'en
+tirrent que cela de luy; et pourtant part soy maudit cent fois sa
+destine qui l'avoit l contraint de ne raconter, comme les autres, sa
+bonne fortune, qui est plus gracieuse dire que sa male.
+
+--Un autre ay-je cogneu, bien galant cavalier, lequel, par sa
+prsomption trop libre qu'il prit de descouvrir sa maistresse qu'il
+devoit taire, tant par signes que paroles et effets, en cuida estre tu
+par un assassinat qu'il faillit: mais pour un autre sujet il n'en
+faillit un autre, dont la mort s'ensuivit.
+
+--J'estois la Cour du temps du roy Franois II, que le comte de
+Saint-Agnan espousa Fontainebleau la jeune Bourdeziere. Le lendemain,
+le nouveau mari estant venu en la chambre du Roy, un chacun luy
+commena faire la guerre, selon la coustume; dont il y eut un grand
+seigneur trs-brave qui luy demanda combien de postes il avoit couru. Le
+mari respondit cinq. Par cas il y eut prsent un honneste gentilhomme,
+secrtaire, qui estoit-l fort favory d'une trs-grande princesse que je
+ne nommeray point, qui dit que ce n'estoit gures pour le beau chemin
+qu'il avoit battu et pour le beau temps qu'il faisoit, car c'estoit en
+est. Ce grand seigneur lui dit: H! mordieu! il vous faudroit des
+perdriaux vous! Le secrtaire rpliqua: Pourquoy non? Par Dieu! j'en
+ay pris une douzaine en vingt-quatre heures sur la plus belle motte qui
+soit ici l'entour, ny qui soit possible en France. Qui fust esbahy?
+ce fut ce seigneur; car par-l il apprit ce dont il se doutoit il y
+avoit long-temps: et d'autant qu'il estoit fort amoureux de cette
+princesse, fut fort marry de ce qu'il avoit longuement chass en cet
+endroit et n'avoit jamais rien pris, et l'autre avoit est si heureux en
+rencontre et en sa prise. Ce que le seigneur dissimula pour ce coup;
+mais depuis, en temporisant son martel, la luy cuida rendre chaud et
+couvert, sans une considration que je ne diray point: mais pourtant il
+luy porta tousjours quelque haine sourde; et si le secrtaire fust est
+bien advis, il n'eust vant ainsi sa chasse, mais l'eust tenue
+trs-secrte, et mesme en une si heureuse adventure, dont il en cuida
+arriver de la broillerie et de l'escandale. Que diroit-on d'un
+gentilhomme de par le monde, que, pour quelque dplaisir que luy avoit
+fait sa maistresse, alla jouer et perdre son portrait qu'elle luy avoit
+donn, qu'il portoit au col, dont le mary fut fort estonn et moins
+aimant sa femme, qui en sceut colorer le fait ainsi qu'elle put? Que
+diroit-on d'un gentilhomme de par le monde, que, pour quelque desplaisir
+que luy avoit fait sa maistresse, alla joer et perdre son portrait aux
+dez contre un de ses soldats, car il avoit grande charge en
+l'infanterie; ce qu'elle sceut, et en cuida crever de despit, et qui
+s'en fascha fort. La Reyne-mre sceut, qui luy en fit la rprimende,
+sur ce que le desdain en estoit par trop grand, que d'aller ainsi
+abandonner au sort de dez le portrait d'une belle et honneste dame. Mais
+ce seigneur en rabilla le fait, disant que de sa couche il avoit rserv
+le parchemin du dedans, et n'avoit que couch la bote qui l'enserroit,
+qui estoit d'or et enrichie de pierreries. J'en ay veu souvent demener
+le conte entre la dame et le seigneur bien plaisamment, et en ay ry
+d'autrefois mon saoul. Si diray-je une chose, qu'il y a des dames, dont
+j'en ay veu aucunes, qui veulent estre en leurs amours braves,
+menaces, voire gourmandes, et les a-t-on plustost de telle sorte que
+par douces compositions; ny plus ny moins qu'aucunes forteresses qu'on a
+par force, et d'autres par douceur; mais pourtant elles ne veulent estre
+injuries ny descries pour putains; car bien souvent les paroles
+offensent plus que les effects.
+
+--Sylla ne voulut jamais pardonner la ville d'Athenes qu'il ne la
+ruinast de fond en comble, non pour opiniastret d'avoir tenu contre
+luy, mais seulement par ce que dessus les murailles ceux de dedans en
+parlrent mal, et touchrent l'honneur bien au vif de Metella, sa femme.
+
+--En quelques lieux de par le monde, que je ne nommeray point, les
+soldats aux escarmouches et aux siges de places se reprochoient les uns
+aux autres l'honneur de deux de leurs princesses souveraines, jusques-l
+ s'entredire: La tienne joue bien aux quilles;--la tienne rempelle
+aussi. Par ces brocards et sobriquets, les princesses animoient bien
+autant les leurs faire du mal et des cruautez, que d'autres sujets,
+ainsi que je l'ay veu.
+
+--J'ay ouy raconter que la principale occasion qui anima plus la reyne
+d'Hongrie allumer ses beaux feux vers la Picardie et autres parts de
+France, ce fut l'apptit de quelques insolents bavards et causeurs,
+qui parloient ordinairement de ses amours, et chantoient tout haut et
+par-tout an: _Au Barbanson et la reyne d'Hongrie_, chanson grossiere
+pourtant, et sentant pleine gorge son avanturier ou villageois.
+
+--Caton ne peut jamais aimer Csar, depuis qu'estant au snat qu'on
+dlibroit contre Catilina et sa conjuration, et qu'on en souponnoit
+Csar estant au conseil, fut apport audit Csar, en cachette, un petit
+billet, ou, pour mieux dire, un poulet, que Servilia, soeur de Caton,
+lui envoyoit, qui portoit assignation ou rendez-vous pour coucher
+ensemble. Caton, ne s'en doutant point, ainsi de la consente dudit
+Csar avec Catilina, cria tout haut que le snat luy fist commandement
+d'exhiber ce dont estoit question. Csar, ce contraint, le monstra, o
+l'honneur de sa soeur se trouva fort escandalis et divulgu. Je vous
+laisse penser donc si Caton, quelque bonne mine qu'il fist d'har
+Csar cause de la rpublique, s'il le put jamais aimer, veu ce trait
+scandaleux. Ce n'estoit pas pourtant la faute de Csar, car il falloit
+ncessairement qu'il manifestast ce brevet; autrement il lui alloit de
+la vie. Et croy que Servilia ne luy en voulut point de mal autrement
+pour cela: comme de fait ne laissrent continuer leurs amours,
+desquelles vint Brutus, qu'on disoit Csar en estre pere; mais il luy
+rendit mal pour l'avoir mis au monde. Or les dames, pour s'abandonner
+aux grands, courent beaucoup de fortune; et si elles en en tirent des
+faveurs, des grandeurs et des moyens, elles les acheptent bien. J'ay ouy
+conter d'une dame belle, honneste et de bonne maison, mais non de si
+grande comme d'un grand seigneur qui en estoit trs-fort amoureux; et
+l'ayant trouve un jour en sa chambre, seule avec ses femmes, assise sur
+son lit, aprs quelques propos et devis tenus d'amour, ce seigneur vint
+ l'embrasser, et par douce force la coucha sur son lict; puis, venant
+au grand assaut, et elle l'endurant avec une petite et civile
+opiniastret, elle luy dit: C'est un grand cas que vous autres grands
+seigneurs ne vous pouvez engarder d'user de vos autoritez et libertez
+l'endroit de nous autres infrieures. Au moins, si le silence vous
+estoit commun comme la libert de parler, vous seris par trop
+dsirables et pardonnables. Je vous prie donc, monsieur, tenir secret
+cecy que vous faites, et garder mon honneur. Ce sont les propos
+coustumiers dont usent les dames infrieures leurs suprieurs: H!
+monsieur, disent-elles, advisez au moins mon honneur! D'autres
+disent: Ah! monsieur, si vous dites cecy, je suis perdue; gardez, pour
+Dieu, mon honneur. D'autres disent: Monsieur, mais que vous n'en
+sonniez mot, et mon honneur soit sauv, je ne m'en soucie point. Comme
+voulant arguer par-l qu'on en peut faire tant qu'on voudra en cachette,
+et mais que le monde n'en sache rien, elles ne pensent point estre
+deshonores. Les plus grandes et superbes dames disent leurs galands
+infrieurs: Donnez-vous bien de garde d'en dire un mot, tant seul
+soit-il; autrement il vous va de la vie; je vous feray jetter en sac
+dans l'eau, ou je vous feray couper les jarretz; et autres tels et
+semblables propos prononcent-elles: si bien qu'il n'y a dame, de
+quelque qualit qui soit, qui veuille estre scandalise ny pourmene
+tant soit peu par le palais de la bouche des hommes. Si en a-t-il
+aucunes qui sont si mal-advises, ou forcenes, ou transportes d'amour,
+que, sans que les hommes les accusent, d'elles-mesmes se descrient,
+comme fut, il n'y a pas long-temps, une trs-belle et honneste dame, de
+bonne part, de laquelle un grand seigneur en estant devenu fort
+amoureux, et puis aprs en joissant, et luy ayant donn un trs-beau et
+riche bracelet, o luy et elle estoient trs-bien pourtraits, elle fut
+si maladvise de le porter ordinairement sur son bras tout nud
+par-dessus le coude; mais un jour son mary, estant couch avec elle, par
+cas il le trouva et le visita, et l-dessus trouva sujet de s'en dfaire
+par la violence de la mort. Quelle maladvise femme!
+
+--J'ay congneu d'autres fois un trs-grand prince souverain, lequel,
+ayant gard une maistresse des plus belles de la Cour l'espace de trois
+ans, au bout desquels il luy fallut faire un voyage pour quelque
+conqueste, avant qu'y aller vint tout coup trs-amoureux d'une
+trs-belle et honneste princesse s'il en fut oncques: et pour luy
+monstrer qu'il avait quitt son ancienne maistresse pour elle, et la
+vouloit du tout honorer et servir sans plus se soucier de la mmoire de
+l'autre, il luy donna avant partir toutes les faveurs, joyaux, bagues,
+portraits, bracelets et toutes gentillesses que l'ancienne lui avait
+donnes, dont aucunes estant veues et apperceues d'elle, elle en cuida
+crever de despit, non pourtant sans le taire; mais en se scandalisant
+fut contente de scandaliser l'autre. Je croy que, si cette princesse ne
+fust morte par aprs, le prince, au retour de son voyage, l'eust
+espouse.
+
+--J'ay connu un autre prince, mais non si grand, lequel durant ses
+premires nopces et sa vidut vint aimer une fort belle et honneste
+damoiselle de par le monde, qui il fit, durant leurs amours et soulas,
+de fort beaux prsents de carcans, de bagues, de pierreries et force
+autres belles hardes, dont entr'autres il y avoit un fort beau et riche
+miroir o estait sa peinture. Or le prince vint espouser une fort
+belle et trs-honneste princesse de par le monde, qui lui fit perdre le
+goust de sa premire maistresse, encore qu'elles ne se deussent rien
+l'une l'autre de la beaut. Cette princesse sollicita et persuada tant
+M. son mary, qu'il envoya demander sa premire maistresse tout ce
+qu'il luy avoit jamais donn de plus exquis et de plus beau. Cette dame
+en eut un grand crvecoeur, mais pourtant elle avoit le coeur si
+grand et si haut, encore qu'elle ne fust point princesse, mais pourtant
+d'une des meilleures maisons de France, qu'elle lui renvoya le tout du
+plus beau et du plus exquis, o estoit un beau miroir avec la peinture
+dudit prince; mais avant, pour le mieux dcorer, elle prit une plume et
+de l'encre, et luy ficha dedans de grandes cornes au beau mitan du
+front; et dlivrant le tout au gentilhomme, luy dit: Tenez, mon amy,
+portez cela vostre maistre, et que je luy envoye tout ainsi qu'il me
+le donna, et que je ne luy en ay rien ost ni adjout, si ce n'est que
+de luy-mesme il y ait adjoust quelque chose du depuis; et dites cette
+belle princesse sa femme qui l'a tant sollicit me demander ce qu'il
+m'a donn, que si un seigneur de par le monde (le nommant par son nom
+comme je say) en eust fait de mesme sa mre, et lui eust rpt et
+ost ce qu'il luy avoit donn pour coucher souvent avec elle, par don
+d'amourette et joissance, qu'elle seroit aussi pauvre d'affiquets et
+pierreries que damoiselle de la Cour; et que sa teste, qui en est si
+fort charge aux dpens d'un tel seigneur et du devant de sa mre, que
+maintenant elle seroit tous les matins par les jardins cueillir des
+fleurs pour s'en accommoder, au lieu de ces pierreries: or, qu'elle en
+fasse des pastez et des chevilles, je les luy quitte. Qui a connu cette
+damoiselle la jugerait telle pour avoir fait ce coup, et ainsi
+elle-mesme me l'a-t-elle dit, et qui estoit trs-libre en paroles: mais
+pourtant elle s'en cuida trouver mal, tant du mary que de la femme, pour
+se sentir ainsi descrie; quoy on lui donna blasme, disant que
+c'estoit sa faute, pour avoir ainsi dpit et dsespr cette pauvre
+dame, qui avoit trs-bien gagn tels prsents par la sueur de son corps.
+Cette damoiselle, pour tre l'une des belles et agrables de son temps,
+nonobstant l'abandon qu'elle avoit fait de son corps ce prince, ne
+laissa trouver party d'un trs-riche homme, mais non semblable de
+maison, si bien que, venant un jour se reprocher l'un l'autre les
+honneurs qu'ils s'estoient fait de s'estre entre-mariez, elle qui estoit
+d'un si grand lieu, de l'avoir espous, il luy fit response: Et moi,
+j'ay fait plus pour vous que vous n'avez fait pour moy; car je me suis
+deshonnor pour vous remettre vostre honneur. Voulant infrer par-l
+que, puis qu'elle l'avoit perdu estant fille, le luy avoit remis l'ayant
+prise pour femme.
+
+--J'ay ouy conter, et le tiens de bon lieu, que, lorsque le roy Franois
+premier eut laiss madame de Chasteau-Briand, sa maistresse fort
+favorite, pour prendre madame d'Estampes, estant fille appelle Helly,
+que madame la Rgente avoit prise avec elle pour l'une de ses filles, et
+la produisit au roy Franois son retour d'Espagne Bordeaux, laquelle
+il prit pour sa maistresse, et laissa ladite mademoiselle de
+Chasteau-Briand, ainsi qu'un cloud chasse l'autre; madame d'Estampes
+pria le Roy de retirer de ladite madame de Chasteau-Briand tous les plus
+beaux joyaux qu'il luy avoit donnez, non pour le prix et la valeur, car
+pour lors les perles et pierreries n'avoient la vogue qu'elles ont eu
+depuis, mais pour l'amour des belles devises qui estoient mises,
+engraves et empreintes, lesquelles la Reyne de Navarre, sa soeur,
+avoit faites et composes; car elle en estoit trs-bonne maistresse. Le
+roy Franois lui accorda sa priere, et lui promit qu'il le feroit; ce
+qu'il fit: et, pour ce, ayant envoy un gentilhomme vers elle pour les
+luy demander, elle fit de la malade sur le coup, et remit le gentilhomme
+dans trois jours venir, et qu'il auroit ce qu'il demandoit. Cependant,
+de despit, elle envoya qurir un orfvre, et luy fit fondre tous ses
+joyaux, sans avoir respect ni acception des belles devises qui y
+estoient engraves: et aprs, le gentilhomme tourn, elle luy donna tous
+les joyaux convertis et contournez en lingots d'or. Allez, dit-elle,
+portez cela au Roy, et dites luy que, puis qu'il luy a pleu me rvoquer
+ce qu'il m'avoit donn si libralement, que je luy rends et renvoye en
+lingots d'or. Pour quant aux devises, je les ay si bien empreintes et
+colloques en ma pense, et les y tiens si cheres, que je n'ay peu
+permettre que personne en disposast, en joist et en eust de plaisir,
+que moy-mesme. Quand le Roy eut receu le tout, et lingots et propos de
+cette dame, il ne dit autre chose, si-non: Retournez-luy le tout; ce
+que j'en faisois, ce n'estoit pour la valeur (car je luy eusse rendu
+deux fois plus), mais pour l'amour des devises; et puis qu'elle les a
+fait ainsi perdre, je ne veux point de l'or, et le luy renvoye: elle a
+monstr en cela plus de courage et gnrosit que n'eusse pens pouvoir
+provenir d'une femme. Un coeur de femme gnreuse dpit, et ainsi
+desdaign, fait de grandes choses.
+
+--Ces princes qui font ces rvocations de prsents, ne font pas comme
+fit une fois madame de Nevers, de la maison de Bourbon, fille de M. de
+Montpensier, qui a est en son temps une trs-sage, trs-vertueuse et
+belle princesse, et pour telle tenue en France et en Espagne, o elle
+avoit est nourrie quelque temps avec la reyne Elisabeth de France,
+estant sa coupiere, luy donnant boire, d'autant que la reyne estoit
+servie de ses dames et filles, et chacunes avoit son estat, comme nous
+autres gentilshommes l'entour de nos roys. Cette princesse fut marie
+avec le comte d'Eu, fils aisn de M. de Nevers, elle digne de luy, et
+luy trs-digne d'elle, car c'estoit un des beaux et agrables princes de
+son temps, et pour ce il fut aim et recherch des belles et honnestes
+de la Cour, et entr'autres d'une qui estoit telle, et avec ce
+trs-excorte et habile. Advint qu'il prit un jour sa femme une bague
+dans son doigt fort belle, d'un diamant de quinze cents deux mille
+escus, que la reyne d'Espagne luy avoit donne son dpart. Ce prince,
+voyant que sa maistresse la luy looit fort et monstroit envie de la
+vouloir, luy, qui estoit trs-magnanime et libral, la luy donna
+librement, luy faisant accroire qu'il l'avoit gagne la paulme: elle
+ne la refusa point, et la prit fort privment, et, pour l'amour de luy,
+la portoit toujours au doigt; si bien que madame de Nevers ( qui
+monsieur son mary avoit fait accroire qu'il l'avoit perdue la paulme,
+ou bien qu'elle demeuroit en gage) vint voir la bague entre les mains
+de cette damoiselle, qu'elle savoit bien estre la maistresse de son
+mary. Elle fut si sage et si fort commandante soy, que changeant
+seulement de couleur, et rongeant tout doucement son despit, sans faire
+autre semblant, tourna la teste de l'austre ct, et jamais n'en sonna
+mot son mary ni sa maistresse. En quoy elle fut fort louer, pour
+ne contrefaire de l'accariastre, et se courroucer, et escandaliser la
+damoiselle, comme plusieurs autres que je say qui en eussent donn
+plaisir la compagnie, et occasion d'en causer et en mesdire. Voil
+comment la modestie en telles choses y est fort ncessaire et
+trs-bonne, et aussi qu'il y a l de l'heur et du malheur aussi-bien
+qu'ailleurs; car telles dames y a-t-il qui ne sauroient marcher ni
+broncher le moins du monde sur leur honneur, et en taster seulement du
+petit bout du doigt, que les voil aussitost descries, divulgues et
+pasquines par-tout. D'autres y a-t-il, qui pleines voiles voguent
+dans la mer et douces eaux de Vnus, et corps nuds et estendus y
+nagent nages estendues, et y folastrent leurs corps, et voyagent vers
+Cypre au temple de Vnus et ses jardins, et si dlectent comme il leur
+plaist: au diable si l'on parle d'elles, ny plus ny moins que si jamais
+ne fussent est nes. Ainsi la fortune favorise les unes et dfavorise
+les autres en mesdisance; comme j'en ay veu plusieurs en mon temps, et y
+en a encore.
+
+--Du temps du roy Charles IX fut fait un pasquin Fontainebleau, fort
+vilain et escandaleux, o il n'espargnoit les princesses et les plus
+grandes dames, ny autres. Que si l'on en eust sceu au vray l'auteur, il
+s'en fust trouv trs-mal. A Blois aussi, lorsque le mariage de la reyne
+de Navarre fut accord avec le roy son mary, il s'en fit un autre, aussi
+fort escandaleux, contre une trs-grande dame, dont on n'en peut savoir
+l'auteur; mais bien y eut-il de braves et vaillants gentilshommes qui y
+estoient compris, qui bravrent fort et donnrent force dmentis en
+l'air. Tant d'autres se sont faits qu'on ne voyoit autre chose, ni de ce
+regne, ni de celuy du roy Henry troisiesme; dont entr'autres en fut fait
+un fort escandaleux en forme d'une chanson, et sur le chant d'une
+courante qui se dansoit pour lors la Cour, et pour ce se chanta entre
+les pages et laquais en basse et haute note. Du temps du roy Henry III
+fut bien pis fait; car un gentilhomme, que j'ay ouy nommer et connu, fit
+un jour prsent sa maistresse d'un livre de peintures o il y avoit
+trente-deux dames grandes et moyennes de la Cour, peintes au naturel,
+couches et se joans avec leurs serviteurs peints de mesme et au naf.
+Telles y avoit-il qui avoient deux ou trois serviteurs, telle plus,
+telle moins: et ces trente-deux dames reprsentoient plus de sept-vingts
+figures de celles de l'Aretin, toutes diverses. Les personnages estoient
+si bien reprsentez et au naturel, qu'il semblent qu'ils parlassent et
+le fissent; les unes dshabilles et nues, les autres vestues avec
+mesmes robes, coffures, parements et habillements qu'elles portoient et
+qu'on les voyoit quelquefois. Les hommes tout de mesme. Bref, ce livre
+fut si curieusement peint et fait, qu'il n'y avoit rien que dire: aussi
+avoit-il coust huit neuf cents escus, et estoit tout enlumin. Cette
+dame le presta et monstra un jour une autre sienne compagne et grande
+amie, laquelle estoit fort aime et fort familire d'une grande dame qui
+estoit dans le livre, et des plus avant et au plus haut degr; ainsi que
+bien luy appartenoit, luy en fit cas. Elle, qui estoit curieuse du tout,
+voulut voir avec une grande dame sa cousine, qu'elle aymoit fort,
+laquelle l'avoit convie au festin de cette veu, et qui estoit aussi de
+la peinture comme d'autres. La visite en fut faite curieusement et avec
+grande peine, de feuillet feuillet, sans en passer un la lgre:
+si-bien qu'elles y consumrent deux bonnes heures de l'aprs disne.
+Elles, au lieu de s'en estomaquer et de s'en fascher, ce fut elles
+en rire, et de les admirer et de les fixement considrer, et se ravir
+tellement en leurs sens sensuels et lubriques, qu'elles s'entremirent
+s'entre-baiser la colombine, et s'entre-embrasser et passer plus
+outre, car elles avoient entre elles deux accoutum ce jeu trs-bien.
+Ces deux dames furent plus hardies et vaillantes et constantes qu'une
+qu'on m'a dit, qui, voyant un jour ce mesme livre avec deux autres de
+ses amyes, elle fut si ravie et entra en telle extase d'amour et
+d'ardent dsir l'imitation de ces lascives peintures, qu'elle ne peut
+voir qu'au quatriesme feuillet, et au cinquiesme elle tomba esvanouie.
+Voil un terrible vanoissement! bien contraire celuy d'Octavia,
+soeur de Csar Auguste, laquelle, oyant un jour rciter Virgile les
+trois vers qu'il avoit faits de son fils Marcellus mort dont elle luy en
+donna trois mille escus pour les trois seulement, s'esvanoit
+incontinent. Que c'est que d'amour, et d'une autre sorte!
+
+--J'ay ouy conter, et lors j'estois la Cour, qu'un grand prince de par
+le monde, vieux et fort g, et qui, depuis sa femme perdue, s'estoit
+fort continemment port en veufvage, comme sa grande profession de
+saintet le portoit, il voulut revoler en secondes nopces avec une
+trs-belle, vertueuse et jeune princesse. Et, d'autant que depuis dix
+ans qu'il avoit est veuf n'avoit touch femme, et craignant d'en
+avoir oubli l'usage (comme si c'estoit un art qui s'oublie) et de
+recevoir un affront la premire nuict de ses nopces, et ne faire rien
+qui vallust, pour ce il se voulut essayer, et par argent fit gagner une
+belle jeune fille, pucelle comme la femme qu'il devoit espouser: encore
+dit-on qu'il la fit choisir qu'elle ressemblast un peu des traicts du
+visage de sa femme future. La fortune fut si bonne pour luy, qu'il
+monstra n'avoir point oubli encore ses vieilles leons, et son essay
+luy fut si heureux que, hardi et joyeux, il alla l'assault du fort de
+sa femme, dont il en rapporta bonne victoire et rputation. Cet essay
+fut plus heureux que celuy d'un gentilhomme que j'ay ouy nommer, lequel
+estant fort jeune et nigault, pourtant son pre le voulut marier. Il
+voulut premierement faire l'essay, pour savoir s'il seroit gentil
+compagnon avec sa femme; et pour ce, quelques mois avant, il recouvra
+quelque fille de joye belle, qu'il faisoit venir toutes les aprs-dines
+dans la garesne de son pre, car c'estoit en est, et l il
+s'esbaudissoit et se rigoloit, sous la fraischeur des arbres verds et
+d'une fontaine, avec sa damoiselle qu'il faisoit rage: de faon qu'il ne
+craignoit nul homme pour faire cette diantrerie sa femme. Mais le pis
+fut que, la soir des nopces, venant joindre sa femme, il ne peut rien
+faire. Qui fut esbahy; ce fut luy, et maugrer sa maudite pice
+traistresse, qui luy avoit failly feu, ensemble le lieu o il estoit;
+puis, prenant courage, il dit sa femme: Mamye, je ne say que veut
+dire cecy, car tous les jours j'ay fait rage la garesne de mon pre;
+et luy compta ses vaillances. Dormons, et j'en suis d'avis, demain
+aprs disner je vous y meneray, et vous verrez autre jeu. Ce qu'il fit,
+et sa femme s'en trouva bien; dont depuis la Cour courut le proverbe:
+Si je vous tenois la garesne mon pere, vous verriez ce que je
+saurois faire. Pensez que le dieu des jardins, messer Priapus, les
+faunes et les satyres paillards, qui prsident aux bois, assistent-l
+aux bons compagnons, et leur favorisent leurs faits et excutions. Tous
+essais pourtant ne sont pas pareils, ny ne portent pas coup tousjours,
+car, pour l'amour, j'y en ay veu et ouy dire plusieurs bons champions
+s'estre faillis recorder leurs leons et recoller leurs tesmoins quand
+ils venoient la grande escole. Car les uns ou sont trop ardents et
+froids, ainsi que telles humeurs de glace et de chaud les y surprennent
+tout coup; les autres ou sont perdus en extases d'un si souverain bien
+entre leurs bras; autres viennent apprhensifs; les autres tout trac
+viennent flacqs, qu'ils ne sauroient qu'en dire la cause; autres tout
+de vray ont l'esguillette noe. Bref, il y a tant d'inconvnients
+inopins qui l-dessus arrivent l'improviste, que, si je les voulois
+raconter, je n'aurois fait de longtemps. Je m'en rapporte plusieurs
+gens maris et autres adventuriers d'amour, qui en sauroient plus dire
+cent fois que moy. Tels essais sont bons pour les hommes, mais non pour
+les femmes; ainsi que j'ay ouy conter d'une mre et dame de qualite,
+laquelle, tenant une fille trs-chre qu'elle avoit, et unique, l'ayant
+compromise un honneste gentilhomme en mariage, avant que de l'y faire
+entrer, et craignant qu'elle ne peust souffrir ce premier et dur effort,
+ quoy on disoit le gentilhomme estre trs-rude et fort proportionn,
+elle la fit essayer premirement par un jeune page qu'elle avoit, assez
+grandet, une douzaine de fois, disant qu'il n'y avoit que la premire
+ouverture fascheuse faire, et que, se faisant un peu douce et petite
+au commencement, qu'elle endureroit la grande plus aisment; comme il
+advint, et qu'il y peut avoir de l'apparence. Cet essay est encore bien
+plus honneste et moins scandaleux qu'un qui me fut dit une fois en
+Italie, d'un pere qui avoit mari son fils, qui estoit encore un jeune
+sot, avec une fort belle fille, laquelle, tant fat qu'il estoit, il
+n'avoit rien peu faire ny la premiere ny la seconde nuit de ses nopces;
+et, comme il eut demand et au fils et la nore comme ils se trouvoient
+en mariage, et s'ils avoient triomph, ils respondirent l'un et l'autre
+_Niente_.--A quoi a-t-il tenu? demanda son fils. Il respondit tout
+follement qu'il ne savoit comment il falloit faire. Sur quoi il prit
+son fils par une main et la nore par une autre, et les mena tous deux en
+une chambre, et leur dit: Or je vous veux donc monstrer comme il faut
+faire. Et fit coucher sa nore sur un bout du lit, et lui fit bien
+eslargir les jambes; et puis dit son fils: Or voy comment je fais;
+et dit sa nore: Ne bougez; non importe, il n'y a point de mal. Et en
+mettant son membre bien arbor dedans, dit: Advise bien comme je fais,
+et comme je dis: _Dentro fuero, dentro fuero_; et rpliqua souvent ces
+deux mots en s'advanant dedans et reculant, non pourtant tout dehors.
+Et ainsi, aprs ces frquentes agitations et paroles, _dentro_ et
+_fuero_, quand ce vint la consommation, il se mit dire brusquement
+et viste: _Dentro, dentro, dentro, dentro_, jusqu' ce qu'il eust fait.
+Au diable le mot de _fuero_. Et par ainsi, pensant faire du magister, il
+fut tout plat adultre de sa nore, laquelle, ou qu'elle fist de la
+niaise, ou, pour mieux dire, de la fine, s'en trouva trs-bien pour ce
+coup, voire pour d'autres que luy donna le fils et le pere et tout,
+possible pour luy mieux apprendre sa leon, laquelle il ne luy voulut
+pas apprendre demy ni moiti, mais perfection. Aussi toute leon
+ne vaut rien autrement. J'ay ouy dire et conter plusieurs amants
+adventuriers et bien fortunez, qu'ils ont veu plusieurs dames demeures
+ainsi esvanouyes et pasmes estans dans ces doux alteres de plaisir;
+mais assez aisment pourtant retournoient soy-mesmes: que plusieurs,
+quand elles sont l, elles s'escrient: Hlas! je me meurs! Je croy que
+cette mort leur est trs-douce. Il y en a d'autres qui contournent les
+yeux en la teste pour telle dlectation, comme si elles devoient mourir
+de la grande mort, et se laissant aller comme du tout immobiles et
+insensibles. D'autres ay-je ouy dire qui roidissent et tendent si
+violemment leurs nerfs, arteres et membres, qu'ils engendrent la
+goutecrampe; comme d'une autre que j'ay ouy dire, qui estoit si sujette
+qu'elle n'y pouvoit remdier.
+
+D'autres font peter leurs os, comme si on leur rehabilloit de quelque
+rompure. J'ay ouy parler d'une, propos de ses evanoissements,
+qu'ainsi que son amoureux la manioit dessus un coffre, que, quand ce fut
+ la douce fin, elle se pasma de telle faon qu'elle se laissa tomber
+derrire le coffre jambes ribaudaines, et s'engagea tellement entre le
+coffre et la tapisserie de la muraille, qu'ainsi qu'elle s'efforoit
+s'en dgager et que son amy lui aidoit, entra quelque compagnie qui la
+surprit faisant ainsi l'arbre fourchu, qui eut le loisir de voir un peu
+de ce qu'elle portoit, qui estoit tout trs-beau pourtant; et fut elle
+ couvrir le fait, en disant qu'un tel l'avoit pousse en se jouant
+ainsi derrire le coffre, et dire par beau semblant que jamais ne
+l'aymeroit. Cette dame courut bien plus grande fortune qu'une que j'ay
+ouy dire, laquelle, ainsi que son amy la tenoit embrasse et investie
+sur le bord de son lit, quand ce vint sur la douce fin qu'il eut achev,
+et que par trop il s'estendoit, il avoit par cas des escarpins neufs qui
+avoient la semelle glissante, et s'appuyant sur des quarreaux plombez
+dont la chambre estoit pave, qui sont fort sujets faire glisser, il
+vint se couler et glisser si bien sans se pouvoir arrester, que du
+pourpoint qu'il avoit, tout recouvert de clinquant, il en escorcha de
+telle faon le ventre, la motte, le cas et les cuisses de sa maistresse,
+que vous eussiez dit que les griffes d'un chat y avoient pass; ce qui
+cuisait si fort la dame qu'elle en fit un grand cri et ne s'en put
+engarder; mais le meilleur fut que la dame, parce que c'estoit en est
+et faisoit grand chaud, s'estoit mise en appareil un peu plus lubrique
+que les autres fois, car elle n'avoit que sa chemise bien blanche et un
+manteau de satin blanc dessus, et les calleons part; si bien que le
+gentilhomme, aprs avoir fait sa glissade, fit prcisment l'arrest du
+nez, de la bouche et du menton, sur le cas de sa maistresse, qui venoit
+fraischement d'estre barbouill de son bouillon, que par deux fois desja
+il luy avoit vers dedans, et emply si fort qu'il en estoit sorty et
+regorg la moiti sur les bords, dont par ainsi se barbouilla et nez, et
+bouche, et moustache, que vous eussiez dit qu'il venoit de frais de
+savoner sa barbe; dont la dame, oubliant son mal et son esgratigneure,
+s'en mit si fort rire qu'elle luy dit: Vous estes un beau fils, car
+vous avez bien lav et nestoy vostre barbe, d'autre chose pourtant que
+de savon de Naples. La dame en fit le conte une sienne compagne, et
+le gentilhomme un sien compagnon. Voil comment on l'a seu, pour
+avoir est redit d'autres; car le conte estoit bon et propre faire
+rire. Et ne faut point douter que ces dames, quand elles sont part,
+parmy leurs amies plus prives, qu'elles ne s'en fassent des contes
+aussi bons que nous autres et ne s'entredisent leurs amours et leurs
+tours les plus secrets, et puis en rient pleine bouche, et se mocquent
+de leurs galands, quand ils font quelque faute ou quelque action de
+rise et mocquerie. Et si font bien mieux; car elles se drobent les
+unes les autres leurs serviteurs, non tant quelquefois pour l'amour,
+mais pour en tirer d'eux tous les secrets, menes et folies qu'ils ont
+faites avec elles; et en font leur profit, soit pour en attiser
+davantage leurs feux, soit pour vengeance, soit pour s'entre-faire la
+guerre les unes aux autres en leurs privez devis, quand elles sont
+ensemble. Un pareil livre de figures ce prcdent que je viens de
+dire, fut fait Rome du temps du pape Sixte dernier mort, ainsi que
+j'ai dit ailleurs. Or c'est assez sur ce sujet parl. Je voudrois
+volontiers de bon coeur que plusieurs langues de notre France se
+fussent corriges de ces mal-dires, et se comportassent comme celles
+d'Espagne; lesquelles, sur la vie, n'oseroient toucher tant soit peu
+l'honneur des dames de grandeur et rputation; voire les honorent-ils de
+telle faon, que, si on les rencontre en quelque lieu que ce soit, et
+que l'on crie tant soit peu _lugar a las damas_[117] tout le monde
+s'incline et leur porte-t-on tout honneur et rvrence; et devant elles
+toutes insolences sont dfendues sur la vie.
+
+--Quand l'Impratrice, femme de l'empereur Charles, fit son entre
+Tolde, j'ay ouy dire que le marquis de Villane, l'un des grands
+seigneurs d'Espagne, pour avoir menac un argusil qui l'avoit press de
+marcher et de s'advancer, il cuida estre en grande peine, parce que
+cette menace se fit en la prsence de la dite Impratrice; et si ce fust
+est en celle de l'Empereur n'en fust est si grand bruit.
+
+--Le duc de Fria estant en Flandre, et les reynes Elonor et Marie
+marchans par pays, et leurs dames et filles aprs, et luy estant prs de
+sa maistresse, et venant prendre question contre un autre cavalier
+espagnol, tous deux cuidrent perdre leurs vies, plus pour avoir fait
+tel scandale devant les Reynes et impratrices, que pour tout autre
+sujet. De mesmes don Carlos d'Avalos Madrid, ainsi que la reyne
+Isabelle de France marchoit par la ville, s'il ne se fust soudain jett
+dans une glise qui sert l de refuge aux pauvres malheureux, il fust
+aussi-tost este excut la mort; et luy fallut eschapper desguis et
+s'enfuyr d'Espagne, dont il en a est toute sa vie banny et confin en
+la plus misrable isle de toute l'Italie, qui est Lipary.
+
+--Les boufons mesmes, qui ont tout privilege de parler, s'ils touchent
+les dames, en patissent; ainsi qu'il en arriva une fois un qui
+s'appeloit Legat, que j'ai congneu. Un jour nostre reyne Elisabeth de
+France, en devisant et parlant des demeures de Madrid et Valladolid,
+combien elles toient plaisantes et delectables, elle dit que de bon
+coeur elle voudroit que ces deux places fussent si proches qu'elle en
+pust toucher l'une d'un pied, et l'autre de l'autre; et ce disoit en
+eslargissant fort les jambes. Le dit boufon, qui ouyt cela, dit: Et moy
+je voudrois tre au beau mitan, _con un carrajo de bourrico, para
+encargar y plantar la raya_. Il en fut bien foett la cuisine; dont
+pourtant il n'avoit tort de faire ce souhait, car cette Reyne estoit
+l'une des belles, agrables et honnestes qui fust jamais en Espagne, et
+valoit bien estre dsire de cette faon, non pas de luy, mais de plus
+honnestes gens que luy cent mille fois. Je pense que ces messieurs les
+mesdisants et causeurs des dames voudroient bien avoir et joir du
+privilege de libert qu'ont les vendangeurs de la campagne de Naples au
+temps des vendanges, auxquels il est permis, tant qu'ils vendangent, de
+dire tous les mots, pouilles et injures tous les passants qui vont et
+viennent sur les chemins; si-bien que vous les verriez crier, hurler
+aprs eux, et les arauder sans en espargner aucuns, et grands et moyens,
+et petits, de quelque estat qu'ils soyent; et, qui est le plaisir, n'en
+espargnent aussy les dames, princesses et grandes qu'elles soyent;
+si-bien que de mon temps j'ay ouy dire et vu que plusieurs d'entre
+elles, pour en avoir le plaisir, se donnoient des affaires et alloient
+exprs aux champs, et passoient par les chemins pour les ouyr gazouiller
+et entendre d'eux mille sallauderies et paroles lubriques qu'ils leur
+disoient et dbagouloient, leur faisant la guerre de leurs paillardises
+et lubricitez, qu'elles exeroient envers leurs maris et serviteurs,
+jusques leur reprocher leurs amours et habitations avec leurs cochers,
+pages, laquais et estafiers qui les conduisoient; et, qui plus est, leur
+demandoient librement la courtoisie de leur compagnie, et qu'ils les
+assailleroient et traiteroient bien mieux que tous les autres; et ce
+disoient en franchissant navement et naturellement les mots sans
+autrement les dguiser. Elles en estoient quittes pour en rire leur
+saoul et en passer leur temps, et leur en faire rendre response leurs
+gens qui les accompagnoient, ainsi qu'il est permis d'en rendre le
+change. Les vendanges faites, ils se font treves de tels mots jusques
+l'autre anne, autrement en seroient recherchs et bien punis. On m'a
+dit que cette coustume dure encore, que beaucoup de gens en France
+voudroient bien qu'elle fust observe en quelque saison de l'anne, pour
+avoir le plaisir de leurs mesdisances en toute seuret, qu'ils aiment
+tant. Or, pour faire fin, les dames doivent estre respectes par tout le
+monde, leurs amours et leurs faveurs tenues secrettes. C'est pourquoy
+l'Aretin disoit que, quand on estoit ce point, les langues, que les
+amants et amantes s'entredonnent les uns aux autres, n'estoient desdies
+tant pour se dlecter, ny pour le plaisir qu'on y prenoit, que pour
+s'entrelier de langues ensemble et s'entrefaire le signal que l'on
+tienne cach le secret de leurs escoles, mesmes qu'aucuns lubriques et
+paillards maris imprudents se trouvent si libres et desbordez en
+paroles, que, ne se contentant des paillardises et lascivetez qu'ils
+commettent avec leurs femmes, les dclarent et publient leurs
+compagnons et en font leurs contes; si bien que j'ay cogneu aucunes
+femmes en hayr leurs maris de mal mortel, et se retirer bien souvent des
+plaisirs qu'elles leur donnoient, pour ce sujet, ne voulant estre
+scandalises, encore que ce fust un fait de femme mary. M. du Bellay,
+le pote, en ses tombeaux latins qu'il a composez, qui sont trs-beaux,
+en a fait un d'un chien, qui me semble qu'il est digne estre mis ici,
+car il est fait notre matiere, qui dit ainsi.
+
+ _Latratu fures exceps, mutus amantes,
+ Sic placui domino, sic placui domina_
+
+C'est--dire:
+
+ Par mon japper, j'ay chass les larrons, et, pour me tenir muet,
+ j'ay accule les amants: ainsi j'ay pleu mon maistre, ainsi j'ai
+ pleu ma maistresse.
+
+Si donc on doit aimer les animaux pour estre secrets, que doit-on faire
+des hommes pour se taire? Et s'il faut prendre advis pour ce sujet d'une
+courtisanne qui a est des plus fameuses du temps pass, et de grande
+clergesse en son mestier qui estoit Lama, faire le peut-on; qui disoit
+de quoy une femme se contentoit le plus de son amant, c'estoit quand il
+estoit discret en propos et secret en ce qu'il faisoit; et surtout
+qu'elle hayssoit un vanteur qui se vantoit de ce qu'il ne faisoit pas et
+n'accomplissoit ce qu'il promettoit. Ce dernier s'entend en deux choses.
+De plus, disoit que la femme, bien qu'elle fist, ne vouloit jamais estre
+appele putain n'y pour telle divulgue. Aussi dit-on d'elle que jamais
+elle ne se mocqua d'homme, ny homme oncques se mocqua d'elle ny mesdit.
+Telle dame savante en amour en peut bien donner leon aux autres.
+
+Or, c'est assez parl de ce sujet; un autre mieux disant que moy l'eust
+pu mieux agrandir et embellir, c'est pourquoy je luy en quitte les armes
+et la plume.
+
+
+
+
+TABLE DES MATIERES
+
+
+EPITRE DEDICATOIRE 1
+AU LECTEUR 3
+AVIS DE L'AUTEUR 4
+
+
+DISCOURS PREMIER.
+
+Sur les dames qui font l'amour et leurs maris cocus 5
+
+
+DISCOURS DEUXIME.
+
+Sur le sujet qui contente plus en amour, ou le toucher, ou la vue, ou la
+parole 139
+
+INTRODUCTION _ib._
+
+ARTICLE I.--De l'attouchement en amour 140
+
+ARTICLE II.--De la parole en amour 147
+
+ARTICLE III.--De la vue en amour 151
+
+
+DISCOURS TROISIME.
+
+Sur la beaut de la belle jambe, et de la vertu qu'elle a 184
+
+
+DISCOURS QUATRIME.
+
+Sur les femmes maries, les veufves et les filles; savoir desquelles les
+unes sont plus portes l'amour que les autres 197
+
+INTRODUCTION _ib._
+
+ARTICLE I.--De l'amour des femmes maries 200
+
+ARTICLE II.--De l'amour des filles 209
+
+ARTICLE III.--De l'amour des veufves 231
+
+
+DISCOURS CINQUIME.
+
+Sur aucunes dames vieilles qui aiment autant faire l'amour comme les
+jeunes 271
+
+
+DISCOURS SIXIME.
+
+Sur ce que les belles et honntes dames aiment les vaillants hommes, et
+les braves hommes aiment les dames courageuses 299
+
+
+DISCOURS SEPTIME.
+
+Sur ce qu'il ne faut jamais parler mal des dames, et de la consquence
+qui en vient 351
+
+
+NOTES:
+
+[1] A la fin de son Discours XLI, _Des Capitaines trangers_, il promet
+de mme cette _comparaison_, augmente du vieux Biron et du comte
+Maurice; mais elle manque.
+
+[2] Dans cet ouvrage, l'auteur qualifie telle dame de _belle et
+honneste_, dont pourtant il parle comme d'une fieffe p.....; mais
+lorsqu'il ajoute, comme il fait quelquefois _vertueuse_ _belle et
+honneste_, il insinue par l que la dame toit sage et ne faisoi point
+parler d'elle.
+
+[3] Le fameux Bussi d'Amboise, Louis de Clermont, massacr le 19 aot
+1579, un rendez-vous que lui avoit donn la comtesse de Monsoreau par
+le commandement de son mari. (De Thou. liv. LXVIII.)
+
+[4] Ren de Villequier, qui tua Franoise de La Marck, sa premire
+femme.
+
+[5] Lisez _Melitene_; c'est comme les anciens appeloient cette ville,
+dont le nom moderne dans _Moreri_est _Meletin_, en latin _Malatia_, dans
+l'Armnie, sur l'Euphrate.
+
+[6] Ou plutt _Thomyris_.
+
+[7] Sixte V
+
+[8] Le cardinal de Lorraine, du Perron et autres, avoient t
+reprsents de mme avec Catherine de Mdicis, Marie Stuart et la
+duchesse de Guise, dans deux tableaux dont il est parl dans la _Lgende
+du cardinal de Lorraine_, folio 24, et dans le _Rveille-matin des
+Franais_, pages 11 et 123. Voyez ci-dessous, la fin du VIIe livre,
+la description d'un pareil livre de figures, et les mauvais effets qu'il
+produisit.
+
+[9] Bernardin Turisan, qui avoit pour enseigne la devise des Manuces,
+ses parents.
+
+[10] Ce livre, intitul _la Somme des pchs et le remde d'iceux_,
+imprim Lyon, chez Charles Pesnot, ds 1584, in-4^o, et diverses
+autres fois depuis, est de la composition de Jean Benedicti, cordelier
+de Bretagne, qui ne l'a pas moins rempli d'ordures et de salets, que le
+jsuite Sanchez en a rempli son trait _de Matrimonio_; et ce qu'il y a
+de fort singulier, c'est qu'un ouvrage si impur n'en est pas moins ddi
+ la sainte Vierge. Comme on voit, Brantme et ses semblables savoient
+trs-bien en faire leur profit, et y dcouvrir de nouveaux ragots de
+lubricit.
+
+[11] Ou Bonvisi.
+
+[12] Annius Verus: c'toit le grand-pre de cet empereur.
+
+[13] Antonomasie.
+
+[14] Voyez Mnage, _Dict. tym._, au mot MASCARET
+
+[15] Baudet ou Barbette, comme dit Mzeray.
+
+[16] C'est--dire, _morte la bte, morte la rage ou le venin_.
+
+[17] Dans ce proverbe, la furette est prise pour l'hermine, qui, dit-on,
+aime mieux se laisser prendre que de se salir.
+
+[18] Brantme veut peut-tre parler ici de Marguerite de France, soeur
+de Henri II, qui avait cet ge-l lorsqu'elle pousa le duc de Savoie.
+
+[19] C'est--dire: Monsieur mon frre, prsentement que vous tes mari
+avec ma soeur et que vous en jouissez seul, il faut que vous sachiez
+qu'tant fille, tel et tel en ont joui. Ne vous inquitez point du
+pass, parce que c'est peu de chose; mais gardez-vous de l'avenir, parce
+qu'il vous touche de bien plus prs.
+
+[20] Baptista Fulgosius, dont les _Factorum et Dictorum memorabilium
+libri IX_ ont t imprims diverses fois. Ce fait particulier se trouve
+dans le chapitre 3 du IXe livre.
+
+[21] C'est--dire: Que la vache, qui a longtemps t attache, court
+plus que celle qui a toujours en pleine libert.
+
+[22] Franois de Lorraine, duc de Guise, tu par Poltrot. Voy. Rem. sur
+le mot ADULTRIN, page 547 du _Cath. d'Esp._, dit. de 1699.
+
+[23] Cela pourroit bien regarder Henri de Lorraine, duc de Guise, tu
+Blois.
+
+[24] Ceci pourroit encore mieux regarder Marguerite de Valois, le roi de
+Navarre, le duc d'Anjou et la Saint-Barthlemy.
+
+[25] C'est--dire, fait folie de son corps, comme on parle, parce qu'on
+va en plerinage l'glise de ce saint pour tre guri de la folie.
+
+[26] C'est--dire, sinon chastement, du moins finement.
+
+[27] C'est-a-dire, sous les couvertes, ou en cachette.
+
+[28] Accortement.
+
+[29] C'est--dire: Le peril pass, l'on se moque du saint.
+
+[30] Joachim du Bellay, dans sa _Contre-Repentie_, f. 444, A. de ses
+OEuvres, 1576.
+
+ Mere d'amour, suivant mes premiers voeux,
+ Dessous tes loix remettre je me veux,
+ Dont je voudrois n'estre jamais sortie;
+ Et me repens de m'estre repentie.
+
+
+[31] Ces sortes de cadenas toient dj en usage Venise.
+
+[32] _Guerdon, galardon, qui dardonne, premio, ricompensa_, dit le
+_Franciosini_.
+
+[33] On a appel Guillot le Songeur tout homme songeard, du chevalier
+Juillan le Pensif, l'un des personnages de l'_Amadis_.
+
+[34] Ou n'a point ce discours ou chapitre.
+
+[35] C'est--dire: pour dlivrer une me chrtienne de l'enfer.
+
+[36] A qui on demandoit.
+
+[37] C'est--dire: l'amour ne se surmonte que par le ddain.
+
+[38] Cette femme ressemble assez cette Godarde de Blois, huguenote,
+pendu pour adultre en 1563.
+
+[39] C'est--dire: Eh! fais-lui charit par piti.
+
+[40] On accusa la comtesse de Senizon de l'avoir fait vader, et on lui
+en fit une affaire.
+
+[41] Proverbe qui marque le peu de liaison qu'il y a entre les dons de
+la nature et les qualits de l'me.
+
+[42] De l'italien _dispositare_; c'est--dire qu'on dispose et trouve
+se dfaire des pierreries comme des meilleures denres.
+
+[43] Tout cela est renvers et estropi. Il faut:
+
+ _Si tibi simplicitas uxoria deditus uni:_
+ _Est animus_. . . . . . . .
+ . . . . . . . . . . . .
+ _Nil unquam invit donabis conjuge: vendes_
+ _Hac obstante nihil; nihil, hc si nolet, emetur._
+
+ JUVENAL. Sat. VI, 205 et 6, 211 et 12.
+
+C'est--dire: Si vous vous attachez uniquement votre femme....., vous
+ne pourrez rien donner, ni vendre, ni acheter, moins qu'elle n'y
+consente.
+
+[44] Le Ve discours suivant.
+
+[45] _Bardot_, synonyme d'_ne_. Ici, _passer par bardot_, se dit des
+vieilles qui son rduites laisser passer pour _bardot_ l'amant qui les
+caresse.
+
+[46] Escharse.
+
+[47] Qui perd une putain gagne beaucoup.
+
+[48] Il est croire qu'il multiplie leurs feux.
+
+[49] O trop dure loi de l'honneur, pourquoi nous interdis-tu ce quoi
+nous excite la nature? Elle nous accorde aussi abondamment que
+libralement, ainsi qu'a tous les animaux, l'usage de l'amour. Mais
+l'homme, trompeur et perfide, ne connaissant que trop bien la vigueur de
+nos reins, a tabli cette loi pleine d'erreur pour cacher ainsi la
+faiblesse des siens.
+
+[50] L o il n'y a point d'homme, on commet pourtant l'adultre.
+
+[51] C'est--dire: me baisait et me faisait pmer de plaisir. _Alentir_,
+dans Nicot, se dit de la douleur, ou des forces qui diminuent ou se
+ralentissent.
+
+[52] Par corruption pour _gaude mihi_.
+
+[53] Mehun on Meun.
+
+[54] Voyez.
+
+[55] Voyez Bayle, _Dict. crit._, au mot BURIDAN. Villon, dans sa ballade
+des _Dames des temps jadis_:
+
+ Semblablement o est la reine,
+ Qui commanda que Buridan
+ Fust jet en un sac en Seine?
+
+
+[56] La Vieille Courtisanne, fol. 449. B. des _OEuvres pot. de Joach.
+du Bellay_, dit. de 1597:
+
+ De la vertu je savois deviser,
+ Et je savois tellement eguiser,
+ Que rien qu'honneur ne sortoit de ma bouche;
+ Sage au parler et folastre la couche.
+
+
+[57] Elles s'abandonnent comme chiennes, et sont muettes de la bouche
+comme pierres.
+
+[58] Se retirer la barque.
+
+[59] Pardonnez-moi, madame; je ne veux point jaser, mais seulement agir
+et puis me retirer la barque.
+
+[60] Le _Divorce satyrique_ attribue cette invention la reine
+Marguerite, pour rendre le roi de Navarre, son mari, plus amoureux
+d'elle et plus lascif.
+
+[61] Ils sont pris d'un vieux livre franais intitul: _De la louange et
+beaut des Dames_. Franois Corniger les a mis en dix-huit vers latins.
+Vincentio Calmeta les a aussi mis en vers italiens, qui commencent par
+_Dolce Flaminia_.
+
+[62] C'est--dire, tait un peu brunette.
+
+[63] En franois, Charles de Bouvelles. On a de lui plusieurs ouvrages.
+
+[64] C'est un in-4^o imprim Paris, chez Ascensius, le 3 des nones de
+dcembre 1511.
+
+[65] Ah! ne me touchez pas.
+
+[66] Les ladres, les ladresses.
+
+[67] C'est--dire: Madame, je vous baise les pieds et les mains.
+
+[68] C'est--dire: Monsieur, la station du milieu est bien meilleure.
+
+[69] On en a dit autant de Mademoiselle, cousine germaine de Louis XIV,
+ cela pres qu' ceux de ses pages qui ses charmes donnaient de la
+tentation elle donnait quelques louis pour pouvoir se satisfaire
+ailleurs.
+
+[70] Le Voyage du Prince.
+
+[71] Plus magnifique que les ftes de Bains.
+
+[72] Roman de Boccace traduit par Adrien Sevin.
+
+[73] Le titre de _Roi des Romains_ n'est proprement qu'une station pour
+parvenir la dignit d'_Empereur_.
+
+[74] Discours I.
+
+[75] Confidentes.
+
+[76] _Ahanoit_: se fatiguait. De l'espagnol _afanar_, qui rpond notre
+_ahaner_.
+
+[77] _Sublin_: fin, rus.
+
+[78] Discours I.
+
+[79] L'honneur de la citadelle est sauv.
+
+[80] Caunus.
+
+[81] C'est--dire: D'une mule qui fait hin, et d'une fille qui parle
+latin, dlivre nous, Seigneur.
+
+[82] _Alberic de Rosate_, au mot MATRIMONIUM de son _Dictionnaire_,
+rapporte un exemple tout pareil. _Barbatias_ dit mme quelque chose de
+plus, qu'un garon de sept ans engrossa sa nourrice.
+
+[83] La reine-mre _Catherine de Mdicis_. L'auteur la nomme dans son
+discours des _Dames illustres_, o il fait le mme conte.
+
+[84] _Apparemment_ contrition.
+
+[85] Servie.
+
+[86] Alteres.
+
+[87] D'Enghien.
+
+[88] _Andr de Soleillas_, vque de _Riez_ en Provence, en 1576. Il
+avait une maitresse qui contrefaisoit la bigote, mais dont l'hypocrisie
+ne trompa pas le roi Henri IV. Ce prince reprochoit plaisamment cette
+dame ses amours, en lui disant qu'elle ne se plaisait qu'au _jene et
+l'oraison_.
+
+[89] _Fringuer_, dans Oudin, c'est ici _far l'atto venero_. Cette
+veufve, non contente d'avoir triomph de trois maris, vouloit encore
+combattre sur cette mme couche, dj jonche des lauriers qu'elle avoit
+remports de ses victoires passes.
+
+[90] _Henri II_, qui prfroit la reine sa femme, qui toit jeune, la
+duchesse de Valentinois dj vieille, et qui avait t la matresse du
+roi son pre.
+
+[91] Je n'ai point connu la vieille.
+
+[92] Environ l'an 400 de l're chrtienne, saint Jrme vit les
+funrailles de la femme, et c'est lui qui rapporte le fait en question.
+_Epist. XCI ad Ageruchiam, de Monogamid._
+
+[93] _Thesmophoria._
+
+[94] Dpchez-vous donc, car ils vont me venir chercher pour me faire
+religieuse, et m'emmener au couvent.
+
+[95] Ce fut elle que Henri IV dit au bal, qu'elle avoit employ le
+verd et le sec pour divertir la compagnie. Il lui fit cette raillerie,
+dit Le Laboureur, parce que cette femme n'pargnoit la rputation
+d'aucune dame.
+
+[96] Suivant Rabelais, on appelle _poultre_ une jument non encore
+saillie. Ainsi Bussy parloit incongrument.
+
+[97] On ne parle point, madame est en compagnie.
+
+[98] Que d'une vieille poule on fait un meilleur bouillon que d'une
+autre.
+
+[99] La Mothe.
+
+[100] De haute apparence.
+
+[101] De _cubinus_, diminutif de _cubus_, comme qui diroit _ quatre
+pointes_ ou bosses.
+
+[102] Il n'importe pas que la cloche ait quelque dfaut, pourvu que son
+battant soit bon.
+
+[103] Pour voiler la chose.
+
+[104] Forbany.
+
+[105] Le duc d'Anjou, depuis Henri III.
+
+[106] Qu'avez-vous fait?
+
+[107] Rien.
+
+[108] Ah! poltron, sans coeur! vous n'avez rien fait! Que maudite soit
+votre poltronnerie.
+
+[109] Le pre des soldats.
+
+[110] La mre.
+
+[111] Louis XI passe gnralement, non-seulement pour avoir racont
+beaucoup de contes, avec tout ce qu'il y avoit de jeunes seigneurs la
+Cour de Philippe le Bon, duc de Bourgogne, o il s'toit rfugi tant
+Dauphin, mais mme pour avoir pris soin de faire recueillir et de
+publier ensuite, dans le mme ordre o nous l'avons, le recueil
+intitul: _Cent Nouvelles nouvelles, lequel en soy contient cent
+chapitres ou histoires, composes ou rcites par nouvelles gens depuis
+nagures_; et cela se trouve confirm par ces mots de l'ancienne prface
+ou avertissement, qui parot avoir t fait de son temps: Et notez que
+par toutes les _Nouvelles_ o il est dit _par monseigneur_, il est
+entendu monseigneur le Dauphin, lequel depuis a succd la couronne et
+est le roy Lois XI; car il estoit lors s pays du duc de Bourgogne.
+Mais comme il est bien certain que ce prince ne se retira en Brabant
+qu' la fin de l'anne 1456, et ne rentra en France qu'en aot 1461, il
+est absolument impossible que ce recueil ait paru en France vers 1455,
+comme on le dbite inconsidrment dans la prface de ses nouvelles
+ditions. On en a deux anciennes: l'une de Paris, en 1486, in-folio;
+l'autre encore de Paris, chez la veuve de Johan Trepere, sans date,
+aussi in-folio; et deux nouvelles, accompagnes de mauvaises figures, et
+imprimes Cologne, chez Pierre Gaillard, en 1701 et 1736, en deux
+volumes in-8.
+
+[112] Le pch de luxure.
+
+[113] Ce conte, que Brantme dit tenir des anciens de la Cour, est pris
+presque mot pour mot de J. Bouchet, dans ses _Annales d'Aquitaine_,
+dit. de 1644, pag. 473, au nom des trois dames prs, qui est
+apparemment ce qu'il veut dire qu'il tenoit de bon lieu.
+
+[114] Franoise de Rohan, dame de La Garnache, si nous en croyons Bayle,
+_Dict. crit._, pag. 1317 de la deuxime dition. Mais je doute que
+lui-mme en ft bien persuad, puisque, dans la citation de ce passage
+de Brantme, il n'a jug propos de marquer que par des points
+certaines paroles qui ne conviennent nullement la dame de La Garnache;
+savoir, que d'abord on disoit que cette dame ne s'toit laiss engrosse
+qu'en nom de mariage, et qu'aprs on sut le contraire.
+
+[115] Danse d'Allemagne; les Allemands appellent ce branle
+_Fackeldantz_.
+
+[116] On n'a point ce chapitre ou discours.
+
+[117] Honneur aux dames.
+
+
+
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Vies des dames galantes, by
+Pierre de Bourdeille Brantme
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK VIES DES DAMES GALANTES ***
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+set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to
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+Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you
+charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you
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+rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose
+such as creation of derivative works, reports, performances and
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+things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works
+even without complying with the full terms of this agreement. See
+paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project
+Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
+works. See paragraph 1.E below.
+
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+or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
+Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the
+collection are in the public domain in the United States. If an
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+ has agreed to donate royalties under this paragraph to the
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+ returns. Royalty payments should be clearly marked as such and
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+ address specified in Section 4, "Information about donations to
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+electronic work or group of works on different terms than are set
+forth in this agreement, you must obtain permission in writing from
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+Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the
+Foundation as set forth in Section 3 below.
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+trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
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+promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works,
+harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
+that arise directly or indirectly from any of the following which you do
+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
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+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
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+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at http://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit http://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
+To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ http://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
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+Project Gutenberg's Vies des dames galantes, by Pierre de Bourdeille Brantme
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+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
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+with this eBook or online at www.gutenberg.org/license
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+Title: Vies des dames galantes
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+Author: Pierre de Bourdeille Brantme
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+Release Date: March 21, 2012 [EBook #39220]
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+Language: French
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+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK VIES DES DAMES GALANTES ***
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+Produced by Chuck Greif and the Online Distributed
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+<hr class="full" />
+
+<p class="cb">VIES<br />
+<br />
+<small>DES</small><br />
+<br />
+<big>DAMES GALANTES</big></p>
+
+<p>&nbsp;</p>
+<p>&nbsp;</p>
+
+<div class="boxx">
+<p class="nind">Au lecteur</p>
+
+<p class="nind">Cette version lectronique reproduit dans son intgralit
+la version originale.</p>
+
+<p class="nind">La ponctuation n'a pas t modifie hormis quelques corrections
+mineures.</p>
+
+<p class="nind">L'orthographe a t conserve. Seuls quelques mots ont t modifis.
+La liste des modifications se trouve la fin du texte.
+</p>
+</div>
+
+<p>&nbsp;</p>
+<p>&nbsp;</p>
+
+<p class="c">PARIS. CHARLES BLOT, IMPRIMEUR, RUE BLEUE, 7.</p>
+
+<p>&nbsp;</p>
+<p>&nbsp;</p>
+
+<h1>
+VIES<br />
+<br />
+<small>DES</small><br />
+<br />
+<big>DAMES &nbsp; GALANTES</big></h1>
+
+<p class="c"><small>P A R</small><br /><br />
+LE &nbsp; SEIGNEUR &nbsp; &nbsp;DE &nbsp; BRANTOME<br />
+<br /><br /><br />
+&mdash;&mdash;&mdash;
+<br /><br /><br />
+<b>NOUVELLE DITION</b><br />
+<br />
+<small>REVUE &nbsp; ET &nbsp; CORRIGE &nbsp; SUR &nbsp; L'DITION &nbsp; DE &nbsp; 1740<br />
+<br />
+AVEC DES REMARQUES HISTORIQUES ET CRITIQUES</small><br />
+<br /><a href="images/colophon_lg.png">
+<img src="images/colophon.png"
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+width="120"
+height="95"
+/></a>
+<br /><br />
+PARIS<br />
+<br />
+GARNIER FRRES, LIBRAIRES-DITEURS<br />
+<br />
+<small>6, RUE DES SAINTS-PRES, 6</small></p>
+
+<p>&nbsp;</p>
+
+<table border="3" cellpadding="3" cellspacing="0" summary="">
+<tr><td align="center"><a href="#TABLE_DES_MATIERES">TABLE DES MATIERES</a></td></tr>
+</table>
+
+<p>&nbsp;</p>
+
+<p><a name="page_001" id="page_001"></a></p>
+
+<h2><a name="A_MONSEIGNEUR" id="A_MONSEIGNEUR"></a>A MONSEIGNEUR<br /><br />
+<small>LE DUC</small><br /><br />
+<big>D'ALENON, DE BRABANT</big><br /><br />
+ET COMTE DE FLANDRES,<br /><br />
+<small>FILS ET FRRE DE NOS ROYS.</small></h2>
+
+<p class="innd">M<small>ONSEIGNEUR</small></p>
+
+<p>D'autant que vous m'avez fait cet honneur souvent la Cour de causer
+avec moy fort privement de plusieurs bons mots et contes, qui vous sont
+si familiers et assidus qu'on diroit qu'ils vous naissent vee
+d'&oelig;il dans la bouche, tant vous avez l'esprit grand, prompt et
+subtil, et le dire de mesme et trs-beau, je me suis mis composer ces
+Discours tels quels, et au mieux que j'ay pu, afin que si aucuns y en a
+qui vous plaisent, vous fassent autant passer le temps et vous
+ressouvenir de moy parmy vos causeries, desquelles m'avez honor autant
+que gentilhomme de la Cour.</p>
+
+<p>Je vous en ddie donc, Monseigneur, ce livre, et vous supplie le
+fortifier de vostre nom et autorit, en attendant<a name="page_002" id="page_002"></a> que je me mette sur
+les discours srieux, et en voyez un part que j'ai quasi achev, o je
+deduis la comparaison de six grands princes et capitaines qui voguent
+aujourd'huy en ceste chrestient, qui sont le roy Henri III vostre
+frre, Vostre Altesse, le roy de Navarre vostre beau-frre, M. de Guise,
+M. du Maine et M. le prince de Parme<a name="FNanchor_1_1" id="FNanchor_1_1"></a><a href="#Footnote_1_1" class="fnanchor">[1]</a>, allguant de tous vous autres
+vos plus belles valeurs, suffisances, mrites et beaux faits, sur
+lesquels j'en remets la conclusion ceux qui la sauront mieux faire
+que moy.</p>
+
+<p>Cependant, Monseigneur, je supplie Dieu vous augmenter tousjours en
+vostre grandeur, prosprit et altesse, de laquelle je suis pour jamais,</p>
+
+<p class="r"><span style="margin-right: 30%;">M<small>ONSEIGNEUR</small>,</span><br />
+<br />
+Votre trs-humble et trs-obissant sujet<br />
+et trs-affectionn serviteur,<br />
+<br />
+<small>DE</small> BOURDEILLE.</p>
+
+<p><a name="page_003" id="page_003"></a></p>
+
+<h2><a name="AU_LECTEUR" id="AU_LECTEUR"></a>AU LECTEUR.</h2>
+
+<p>J'avois vo ce deuxiesme livre des Femmes mondit seigneur d'Alenon
+durant qu'il vivoit, d'autant qu'il me faisoit cet honneur de m'aimer et
+causer fort privement avec moy, et estoit curieux de savoir de bons
+contes. Ores, bien que son genereux et valheureux et noble corps gise
+sous sa lame honorable, je n'en ay voulu pourtant revoquer le v&oelig;u;
+ainsi je le redonne ses illustres cendres et divin esprit, de la
+valeur duquel, et de ses hauts faits et mrites je parle son tour,
+comme des autres grands princes et grands capitaines; car certes il l'a
+est s'il en fut onc, encor qu'il soit mort fort jeune.<a
+name="page_004" id="page_004"></a></p>
+
+<h2><a name="AVIS_DE_LAUTEUR" id="AVIS_DE_LAUTEUR"></a>AVIS DE L'AUTEUR.</h2>
+
+<p>Ce volume des Dames Galantes est ddi M. le duc d'Alenon, de
+Brabant, et comte de Flandres, qui contient plusieurs beaux discours.</p>
+
+<p>Le premier traite de l'amour de plusieurs femmes maries, et qu'elles
+n'en sont si blasmables comme l'on diroit pour le faire; le tout sans
+rien nommer, et mots couverts.</p>
+
+<p>Le deuxiesme, savoir qui est la plus belle chose en amour, la plus
+plaisante, et qui contente le plus, ou la vee, ou la parole, ou
+l'attouchement.</p>
+
+<p>Le troisiesme traite de la beaut d'une belle jambe, et comment elle est
+fort propre et a grand vertu pour attirer l'amour.</p>
+
+<p>Le quatriesme, quel amour est plus grand, plus ardent et plus ais, ou
+celuy de la fille, ou de la femme marie, ou de la veufve, et quelle des
+trois se laisse plus aisment vaincre et abattre.</p>
+
+<p>Le cinquiesme parle de l'amour d'aucunes femmes vieilles et comment
+aucunes y sont autant ou plus sujettes et chaudes que les jeunes, comme
+se peut parestre par plusieurs exemples, sans rien nommer ny
+escandalyser.</p>
+
+<p>Le sixiesme traite qu'il n'est bien seant de parler mal des honnestes
+dames, bien qu'elles fassent l'amour, et qu'il en est arriv, de grands
+inconvnients pour en mdire.</p>
+
+<p>Le septiesme est un recueil d'aucunes ruses et astuces d'amour, qu'ont
+invent et os aucunes femmes maries, veufves et filles l'endroit de
+leurs maris, amants et autres, ensemble d'aucunes de guerre de plusieurs
+capitaines l'endroit de leurs ennemis; le tout en comparaison:
+savoir lesquelles ont est les plus ruses, cautes, artificielles,
+sublimes et mieux inventes et pratiques, tant des uns que des autres
+Aussi Mars et l'Amour font leur guerre presque de mesme sorte, et l'un a
+son camp et ses armes comme l'autre.</p>
+
+<p>Discours sur ce que les belles et honnestes dames ayment les vaillants
+hommes, et les braves hommes ayment les dames courageuses.<a
+name="page_005" id="page_005"></a></p>
+
+<h1>VIES<br /><br />
+<small>DES</small><br /><br />
+<big>DAMES GALANTES.</big></h1>
+
+<h2><a name="DISCOURS_PREMIER" id="DISCOURS_PREMIER"></a>DISCOURS PREMIER.</h2>
+
+<p class="c">Sur les dames qui font l'amour et leurs maris cocus<a name="FNanchor_2_2" id="FNanchor_2_2"></a><a href="#Footnote_2_2" class="fnanchor">[2]</a>. </p>
+
+<p>D'autant que ce sont les dames qui ont fait la fondation du cocuage, et
+que ce sont elles qui font les hommes cocus, j'ay voulu mettre ce
+discours parmi ce livre des Dames, encore que je parleray autant des
+hommes que des femmes. Je say bien que j'entreprends une grande
+&oelig;uvre, et que je n'aurois jamais fait si j'en voulois monstrer la
+fin, car tout le papier de la chambre des comptes de Paris n'en sauroit
+comprendre par escrit la moiti de leurs histoires, tant des femmes que
+des hommes; mais pourtant j'en escriray ce que je pourray, et quand je
+n'en pourray plus, je quitteray ma plume au diable, ou quelque bon
+compagnon qui la reprendra; m'excusant si je n'observe en ce discours
+ordre ny demy, car de telles gens et de telles femmes le nombre en est
+si grand, si confus et si divers, que je ne sache si bon sergent de
+bataille qui le puisse bien mettre en rang et ordonnance.</p>
+
+<p>Suivant donc ma fantaisie, j'en diray comme il me plaira, en ce mois
+d'avril qui en rameine la saison et venaison des cocus: je dis des
+branchiers, car d'autres il s'en fait et s'en voit assez tous les mois
+et saisons de l'an. Or de ce genre de cocus, il y en a force de<a
+name="page_006" id="page_006"></a> diverses espces; mais de toutes la pire
+est, et que les dames craignent et doivent craindre autant, ce sont ces
+fols, dangereux, bizarres, mauvais, malicieux, cruels, sanglants et
+ombrageux, qui frappent, tourmentent, tuent, les uns pour le vray, les
+autres pour le faux, tant le moindre soupon du monde les rend enrags;
+et de tels la conversation est fort fuir, et pour leurs femmes et pour
+leurs serviteurs. Toutefois j'ay cogneu des dames et de leurs serviteurs
+qui ne s'en sont point souci; car ils estoient aussi mauvais que les
+autres, et les dames estoient courageuses, tellement que si le courage
+venoit manquer leurs serviteurs, le leur remettoient; d'autant que
+tant plus toute entreprise est prilleuse et scabreuse, d'autant plus se
+doit-elle faire et excuter de grande gnrosit. D'autres telles dames
+ay-je cogneu qui n'avoient nul c&oelig;ur ny ambition pour attenter choses
+hautes, et ne s'amusoient du tout qu' leurs choses basses: aussi dit-on
+<i>lasche de c&oelig;ur comme une putain</i>.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay cogneu une honneste dame, et non des moindres, laquelle, en une
+bonne occasion qui s'offrit pour recueillir la joissance de son amy, et
+luy remonstrant elle l'inconvnient qui en adviendroit si le mary qui
+n'estoit pas loin les surprenoit, n'en fit plus de cas, et le quitta l,
+ne l'estimant hardy amant, ou bien pour ce qu'il la ddit au besoin:
+d'autant qu'il n'y a rien que la dame amoureuse, lors que l'ardeur et la
+fantaisie de venir-l luy prend, et que son amy ne la peut ou veut
+contenter tout coup pour quelques divers empeschements, hasse plus et
+s'en dpite. Il faut bien loer cette dame de sa hardiesse, et d'autres
+aussi ses pareilles, qui ne craignent rien pour contenter leurs amours,
+bien qu'elles y courent plus de fortune et dangers que ne fait un soldat
+ou un marinier aux plus hasardeux prils de la guerre ou de la mer.</p>
+
+<p>&mdash;Une dame espagnole, conduite une fois par un gallant cavallier dans le
+logis du Roy, venant passer par un certain recoing cach et sombre, le
+cavallier, se mettant sur son respect et discrtion espagnole, luy dit:
+<i>Senora, buen lugar, si no fuera vuessa merced</i>. La dame luy respondit
+seulement: <i>Si buen lugar, si no fuera vuessa merced</i>; c'est--dire:
+Voici un beau lieu, si c'estoit une autre que vous.&mdash;Oy vraiment, si
+c'estoit aussi un autre que vous. Par-l l'argant et incolpant de
+coardise, pour n'avoir pas pris d'elle en si bon lieu ce qu'il vouloit
+et elle dsiroit; ce qu'eust fait un autre plus hardy; et, pour ce,
+oncques plus ne l'ayma et le quitta.<a name="page_007" id="page_007"></a></p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy parler d'une fort belle et honneste dame, qui donna
+assignation son amy de coucher avec elle, par tel si qu'il ne la
+toucheroit nullement et ne viendroit aux prises; ce que l'autre
+accomplit, demeurant toute la nuict en grand'stase, tentation et
+continence, dont elle lui en sceut si bon gr, que quelque temps aprs
+luy en donna joissance, disant pour ses raisons qu'elle avoit voulu
+esprouver son amour en accomplissant ce qu'elle luy avoit command: et,
+pour ce, l'en ayma puis aprs davantage, et qu'il pourroit faire toute
+autre chose une autre fois d'aussi grande adventure que celle-l, qui
+est des plus grandes. Aucuns pourront loer cette discretion ou
+laschet, autres non: je m'en rapporte aux humeurs et discours que
+peuvent tenir ceux de l'un et de l'autre party en cecy.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay cogneu une dame assez grande qui, ayant donn une assignation
+son amy de venir coucher avec elle une nuict, il y vint tout apprest,
+en chemise, pour faire son devoir; mais, d'autant que c'estoit en hyver,
+il eut si grand froid en allant, qu'estant couch il ne put rien faire,
+et ne songea qu' se rchauffer: dont la dame l'en hat et n'en fit plus
+de cas.</p>
+
+<p>&mdash;Une autre dame devisant d'amour avec un gentilhomme, il luy dit, entre
+autres propos, que s'il estoit couch avec elle, qu'il entreprendroit
+faire six postes la nuict, tant sa beaut le feroit bien piquer. Vous
+vous vantez de beaucoup, dit-elle. Je vous assigne donc une telle
+nuict. A quoy il ne faillit de comparoistre; mais le malheur fut pour
+luy qu'il fut surpris, estant dans le lict, d'une telle convulsion,
+refroidissement et retirement de nerf, qu'il ne put pas faire une seule
+poste; si bien que la dame luy dit: Ne voulez-vous faire autre chose?
+or vuidez de mon lict, je ne le vous ay pas prest, comme un lict
+d'hostellerie, pour vous y mettre vostre aise et reposer. Parquoy
+vuidez. Et ainsi le renvoya, et se moqua bien aprs de luy, l'hassant
+plus que peste. Ce gentilhomme fust est fort heureux s'il fust est de
+la complexion du grand protenotaire Baraud, et aumosnier du roy
+Franois, que, quand il couchoit avec les dames de la Cour, du moins il
+alloit la douzaine, et au matin il disoit encore: Excusez-moi,
+madame, si je n'ay mieux fait, car je pris hier mdecine. Je l'ay veu
+depuis, et l'appeloit-on le capitaine Baraud, gascon, et avoit laiss la
+robbe, et m'en a bien cont, mon advis, nom par nom. Sur ses vieux
+ans, cette virile et vnreique vigueur luy dfaillit, et estoit pauvre,
+encore qu'il eust tir de bons brins que sa pice luy avoit<a
+name="page_008" id="page_008"></a> valu; mais il avoit tout brouill, et se
+mit escouler et distiller des essences: Mais, disoit-il, si je
+pouvois, aussi bien que de mon jeune aage, distiller de l'essence
+spermatique, je ferois bien mieux mes affaires et m'y gouvernerois
+mieux.</p>
+
+<p>&mdash;Durant cette guerre de la ligue, un honneste gentilhomme, brave certes
+et vaillant, estant sorty de sa place dont il estoit gouverneur pour
+aller la guerre, au retour, ne pouvant arriver d'heur en sa garnison,
+il passa chez une belle et fort honneste et grande dame veufve, qui le
+convie de demeurer coucher cans; ce qu'il ne refusa, car il estoit
+las. Aprs l'avoir bien fait souper, elle lui donne sa chambre et son
+lict, d'autant que toutes ses autres chambres estoient dgarnies pour
+l'amour de la guerre, et ses meubles serrez, car elle en avoit de beaux.
+Elle se retire en son cabinet, o elle y avoit un lict d'ordinaire pour
+le jour. Le gentilhomme, aprs plusieurs refus de cette chambre et ce
+lict, fut contraint par la prire de la dame de le prendre: et, s'y
+estant couch et bien endormy d'un trs-profond sommeil, voicy la dame
+qui vient tout bellement se coucher auprs de luy sans qu'il en sentist
+rien ny de toute la nuict, tant il estoit las et assoupy de sommeil; et
+reposa jusques au lendemain matin grand jour, que la dame s'ostant prs
+de luy qui s'accommenoit esveiller, luy dit: Vous n'avez pas dormy
+sans compagnie, comme vous voyez, car je n'ay pas voulu vous quitter
+toute la part de mon lict, et par ce j'en ay joi de la moiti aussi
+bien que vous. Adieu: vous avez perdu une occasion que vous ne
+recouvrerez jamais. Le gentilhomme, maugrant et dtestant sa bonne
+fortune faillie (c'estoit bien pour se pendre), la voulut arrester et
+prier; mais rien de tout cela, et fort dpite contre luy pour ne
+l'avoir contente comme elle vouloit, car elle n'estoit l venu pour un
+coup, aussi qu'on dit: Un seul coup n'est que la salade du lict, et
+mesmes la nuict, et qu'elle n'estoit l venu pour le nombre singulier,
+mais pour le plurier, que plusieurs dames en cela ayment plus que
+l'autre. Bien contraires une trs-belle et honneste dame que j'ay
+cogneu, laquelle ayant donn assignation son amy de venir coucher avec
+elle, en un rien il fit trois bons assauts avec elle; et puis, voulant
+quarter et parachever et multiplier ses coups, elle luy dit, pria et
+commanda de se dcoucher et retirer. Luy, aussi frais que devant, luy
+reprsente le combat, et promet qu'il feroit rage toute cette nuict l
+avant le jour venu, et que pour si peu sa force n'estoit en rien
+diminue. Elle luy dit: Contentez-vous que j'ay recogneu vos forces,
+qui<a name="page_009" id="page_009"></a> sont bonnes et belles, et qu'en temps et lieu je les sauray mieux
+employer qu' st'heure; car il ne faut qu'un malheur que vous et moy
+soyons descouverts; que mon mary le sache, me voil perdu. Adieu donc
+jusques une plus seure et meilleure commodit, et alors librement je
+vous employeray pour la grande bataille, et non pour si petite
+rencontre. Il y a force dames qui n'eussent eu cette considration,
+mais ennivres du plaisir, puisque tenoient dj dans le camp leur
+ennemy, l'eussent fait combattre jusques au clair jour.</p>
+
+<p>&mdash;Cette honneste dame que je dis de paravant celles cy, estoit de telle
+humeur, que quand le caprice lui prenoit, jamais elle n'avoit peur ny
+apprehension de son mary, encore qu'il eust bonne espe et fust
+ombrageux; et nonobstant elle y a est si heureuse, que ny elle ny ses
+amants n'ont pu guires courir fortune de vie, pour n'avoir jamais est
+surpris, pour avoir bien pos ses gardes et bonnes sentinelles et
+vigilantes: en quoy pourtant ne se doivent pas fier les dames, car il
+n'y faut qu'une heure malheureuse, ainsi qu'il arriva il y a quelque
+temps un gentilhomme brave et vaillant, qui fut massacr, allant voir
+sa matresse, par la trahison et mene d'elle mesme que le mary lui
+avoit fait faire<a name="FNanchor_3_3" id="FNanchor_3_3"></a><a href="#Footnote_3_3" class="fnanchor">[3]</a>: que s'il n'eust eu si bonne prsomption de sa
+valeur comme il avoit, certes il eust bien pris garde soy et ne fust
+pas mort, dont ce fut grand dommage. Grand exemple, certes, pour ne se
+fier pas tant aux femmes amoureuses, lesquelles, pour s'eschapper de la
+cruelle main de leurs marys, joent tel jeu qu'ils veulent, comme fit
+cette-cy qui eut la vie sauve, et l'amy mourut.</p>
+
+<p>&mdash;Il y a d'autres marys qui tuent la dame et le serviteur tout ensemble,
+ainsi que j'ay oy dire d'une trs-grande dame de laquelle son mary
+estant jaloux, non pour aucun effet qu'il y eust certes, mais par
+jalousie et vaine apparence d'amour, il fit mourir sa femme de poison et
+langueur, dont fut un trs-grand dommage, ayant paravant fait mourir le
+serviteur, qui estoit un honneste homme, disant que le sacrifice estoit
+plus beau et plus plaisant de tuer le taureau devant et la vache aprs.
+Ce prince fut plus cruel l'endroit de sa femme qu'il ne fut aprs
+l'endroit d'une de ses filles qu'il avoit marie avec un grand prince,
+mais non si grand<a name="page_010" id="page_010"></a> que luy qui estoit quasi un monarque. Il eschappa
+cette folle femme de se faire engrosser un autre qu' son mary, qui
+estoit empesch quelque guerre; et puis, ayant enfant d'un bel
+enfant, ne sceut quel sainct se voer, sinon son pre, qui elle
+dcela le tout par un gentilhomme en qui elle se fioit, qu'elle luy
+envoya. Duquel aussi-tost la creance ouye, il manda son mary que sur
+sa vie il se donnast bien garde de n'attenter sur celle de sa fille,
+autrement il attenteroit sur la sienne, et le rendroit le plus pauvre
+prince de la chrestient, comme estoit en son pouvoir; et envoya sa
+fille une galere avec une escorte querir l'enfant et la nourrice; et
+l'ayant fourny d'une bonne maison et entretien, il le fit trs-bien
+nourrir et lever. Mais au bout de quelque temps que le pre vint
+mourir, par consquent le mary la fit mourir.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy dire d'un autre qui fit mourir le serviteur de sa femme
+devant elle, et le fit fort languir, afin qu'elle mourust martyre de
+voir mourir en langueur celui qu'elle avoit tant aym et tenu entre ses
+bras.</p>
+
+<p>&mdash;Un autre de par le monde tua sa femme en pleine Cour<a name="FNanchor_4_4" id="FNanchor_4_4"></a><a href="#Footnote_4_4" class="fnanchor">[4]</a>, luy ayant
+donn l'espace de quinze ans toutes les liberts du monde, et qu'il
+estoit assez inform de sa vie, jusques luy remonstrer et
+l'admonester. Toutefois une verve luy prit (on dit que ce fut par la
+persuasion d'un grand son maistre), et par un matin la vint trouver dans
+son lict ainsi qu'elle vouloit se lever, et ayant couch avec elle,
+gauss et ryt bien ensemble, luy donna quatre ou cinq coups de dague,
+puis la fit achever un sien serviteur, et aprs la fit mettre en
+litire, et devant tout le monde fut emporte en sa maison pour la faire
+enterrer. Aprs s'en retourna, et se prsenta la Cour, comme s'il eust
+fait la plus belle chose du monde, et en triompha. Il eust bien fait de
+mesme ses amoureux; mais il eust eu trop d'affaires, car elle en avoit
+tant eu et fait, qu'elle en eust fait une petite arme.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy parler d'un brave et vaillant capitaine pourtant, qui, ayant
+eu quelque soupon de sa femme, qu'il avoit prise en trs-bon lieu, la
+vint trouver sans autre suite, et l'estrangla lui-mme de sa main de son
+escharpe blanche, puis la fit enterrer le plus honorablement qu'il peut,
+et assista aux obseques habill en deuil, fort triste, et le porta fort
+longtemps ainsi habill: et voil<a name="page_011" id="page_011"></a> la pauvre femme bien satisfaite, et
+pour la bien resusciter par cette belle crmonie: il en fit de mesme
+une damoiselle de sa dite femme qui luy tenoit la main ses amours. Il
+ne mourut sans ligne de cette femme, car il en eut un brave fils, des
+vaillants et des premiers de sa patrie, et qui, par ses valeurs et
+mrites, vint de grands grades, pour avoir bien servy ses roys et
+maistres.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy parler aussi d'un grand en Italie qui tua aussi sa femme,
+n'ayant pu atrapper son galant pour s'estre sauv en France: mais on
+disoit qu'il ne la tua point tant pour le pch (car il y avoit assez de
+temps qu'il savoit qu'elle faisoit l'amour, et n'en faisoit point autre
+mine) que pour espouser une autre dame dont il estoit amoureux.</p>
+
+<p>&mdash;Voyla pourquoy il fait fort dangereux d'assaillir et attaquer un c..
+arm, encore qu'il y en ait d'assaillis aussi bien et autant que des
+dsarmez, voire vaincus, comme j'en say un qui estoit aussi bien arm
+qu'en tout le monde. Il y eut un gentilhomme, brave et vaillant certes,
+qui le voulut muguetter; encore ne s'en contentoit-il pas, il s'en
+voulut prvaloir et publier: il ne dura guires qu'il ne fust aussi-tost
+tu par gens appostez, sans autrement faire scandale, ny sans que la
+dame eu patist, qui demeura longuement pourtant en tremble et aux
+alertes, d'autant qu'estant grosse, et se fiant qu'aprs ses couches,
+qu'elle eust voulu estre allonges d'un sicle, elle auroit autant; mais
+le mary, bon et misricordieux, encore qu'il fust des meilleures espes
+du monde, luy pardonna, et n'en fut jamais autre chose, et non sans
+grande allarme de plusieurs autres des serviteurs qu'elle avoit eus; car
+l'autre paya pour tous. Aussi la dame, recognoissant le bienfait et la
+grace d'un tel mary, ne luy donna jamais que peu de soupon depuis, car
+elle fut des assez sages et vertueuses d'alors.</p>
+
+<p>&mdash;Il arriva tout autrement un de ces ans au royaume de Naples, donne
+Marie d'Avalos, l'une des belles princesses du pays, marie avec le
+prince de Venouse, laquelle s'estant enamourache du comte d'Andriane,
+l'un des beaux princes du pays aussi, et s'estans tous deux concertez
+la joissance (et le mary l'ayant descouverte par le moyen que je
+dirois, mais le conte en seroit trop long), voire couchez ensemble dans
+le lict, les fit tous deux massacrer par gens appostez; si que le
+lendemain on trouva ces deux belles cratures et moitis exposes
+tendus sur le pav devant la porte de la maison, toutes mortes et
+froides, la veue de tous les passants, qui les larmoyoient<a
+name="page_012" id="page_012"></a> et plaignoient de leur misrable estat.
+Il y eut des parents de ladite dame morte qui en furent trs-dolents et
+trs-estomacqus, jusques s'en vouloir ressentir par la mort et le
+meurtre, ainsi que la loy du pays le porte, mais d'autant qu'elle avoit
+est tue par des marauts de valets et esclaves qui ne mritoient
+d'avoir leurs mains teintes d'un si beau et si noble sang, et sur ce
+seul sujet s'en vouloient ressentir et rechercher le mary, fust par
+justice ou autrement, et non s'il eust fait le coup luy-mesme de sa
+propre main; car n'en fust est autre chose, ny recherch.</p>
+
+<p>Voyla une sotte et bizarre opinion et formalisation, dont je m'en
+rapporte nos grands discoureurs et bons jurisconsultes, pour savoir
+quel acte est plus norme, de tuer sa femme de sa propre main qui l'a
+tant aim, ou de celle d'un maraut esclave. Il y a force raisons
+dduire l-dessus, dont je me passeray de les alleguer, craignant
+qu'elles soyent trop foibles au prix de celles de ces grands.</p>
+
+<p>J'ay ouy conter que le viceroy, en sachant la conjuration, en advertit
+l'amant, voire l'amante; mais telle estoit leur destine, qui se devoit
+ainsi finer par si belles amours.</p>
+
+<p>Cette dame estoit fille de dom Carlo d'Avalos, second frre du marquis
+de Pescayre, auquel, si on eust fait un pareil tour en aucunes de ses
+amours que je say, il y a long-temps qu'il fust est mort.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay cogneu un mary, lequel, venant de dehors, et ayant est
+long-temps qu'il n'avoit couch avec sa femme, vint rsolu et bien
+joyeux pour le faire avec elle et s'en donner bon plaisir; mais arrivant
+de nuict, il entendit par le petit espion qu'elle estoit accompagne de
+son amy dans le lict: luy aussi-tost mit la main l'espe, et frappant
+ la porte, et estant ouverte, vint rsolu pour la tuer; mais
+premirement cherchant le gallant qui avoit saut par la fenestre, vint
+ elle pour la tuer; mais, par cas, elle s'estoit cette fois si bien
+atife, si bien pare pour sa coiffure de nuict, et de sa belle chemise
+blanche, et si bien orne (pensez qu'elle s'estoit ainsi dorlote pour
+mieux plaire son amy), qu'il ne l'avoit jamais trouve ainsi bien
+accommode pour luy ny son gr, qu'elle se jettant en chemise terre
+et ses genoux, luy demandant pardon par si belles et douces paroles
+qu'elle dit, comme de vray elle savoit trs-bien dire, que, la faisant
+relever, et la trouvant si belle et de bonne grce, le c&oelig;ur lui
+flchit, et laissant tomber son espe, luy, qui n'avoit fait rien il y
+avoit si long-temps, et qui en estoit affam (dont possible bien en prit
+ la dame, et que la nature l'mouvoit),<a name="page_013" id="page_013"></a> il luy pardonna et la prit et
+l'embrassa, et la remit au lict, et se deshabillant soudain, se coucha
+avec elle, referma la porte; et la femme le contenta si bien par ses
+doux attraits et mignardises (pensez qu'elle n'y oublia rien), qu'enfin
+le lendemain on les trouva meilleurs amis qu'auparavant, et jamais ne se
+firent tant de caresses: comme fit Mnlas, le pauvre cocu, lequel
+l'espace de dix ou douze ans menassant sa femme Heleine qu'il la tueroit
+s'il la tenoit jamais, et mesme luy disoit du bas de la muraille en
+haut; mais, Troy prise, et elle tombe entre ses mains, il fut si ravy
+de sa beaut qu'il luy pardonna tout, et l'ayma et caressa mieux que
+jamais. Tels marys furieux encor sont bons, qui de lions tournent ainsi
+en papillons; mais il est mal ais faire une telle rencontre que
+celle-cy.</p>
+
+<p>&mdash;Une grande, belle et jeune dame du regne du roy Franois I, marie
+avec un grand seigneur de France, et d'aussi grande maison qui y soit
+point, se sauva bien autrement, et mieux que la precedente; car, fust ou
+qu'elle eust donn quelque sujet d'amour son mary, ou qu'il fust
+surpris d'un ombrage ou d'une rage soudaine, et fust venu elle l'espe
+nu la main pour la tuer, desesperant de tout secours humain pour s'en
+sauver, s'advisa soudain de se voer la glorieuse Vierge Marie, et en
+aller accomplir son v&oelig;u sa chapelle de Lorette, si elle la sauvoit,
+ Sainct Jean de Mauverets, au pas d'Anjou. Et sitost qu'elle eut fait
+ce v&oelig;u mentalement, ledit seigneur tumba par terre, et luy faillit
+son espe du poing; puis tantost se releva, et, comme venant d'un songe,
+demanda sa femme quel sainct elle s'estoit recommande pour viter
+ce pril. Elle luy dit que c'estoit la Vierge Marie, en sa chapelle
+susdite, et avoit promis d'en visiter le saint lieu. Lors il luy dit:
+Allez y donc, et accomplissez votre v&oelig;u; ce qu'elle fit, et y
+appendit un tableau contenant l'histoire, ensemble plusieurs beaux et
+grands v&oelig;ux de cire, ce jadis accoustumez, qui s'y sont veus
+long-temps aprs. Voyla un bon v&oelig;u, et belle escapade inopine. Voyez
+la cronique d'Anjou.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy parler que le roy Franois une fois voulut aller coucher avec
+une dame de sa Cour qu'il aymoit. Il trouva son mary l'espe au poing
+pour l'aller tuer; mais le Roy lui porta la sien ne la gorge, et luy
+commanda, sur sa vie, de ne luy faire aucun mal, et que s'il luy faisoit
+la moindre chose du monde, qu'il le tueroit, ou qu'il luy feroit
+trancher la teste; et pour ceste nuict l'envoya dehors, et prit sa
+place. Cette dame estoit bien heureuse d'avoir<a name="page_014" id="page_014"></a> trouv un si bon
+champion et protecteur de son c..; car oncques depuis le mary ne luy osa
+sonner mot, ains luy laissa du tout faire sa guise. J'ai ouy dire que
+non seulement cette dame, mais plusieurs autres, obtindrent pareille
+sauve garde du Roy. Comme plusieurs font en guerre pour sauver leurs
+terres et y mettent les armoiries du Roy sur leurs portes, comme font
+ces femmes, celles de ces grands roys, au bord et au dedans de leur c..,
+si bien que leurs marys ne leur osoient dire mot, qui, sans cela, les
+eussent passez au fil de l'espe.</p>
+
+<p>&mdash;J'en ay cogneu d'autres dames, favorises ainsi des roys et des
+grands, qui portoyent ainsi leurs passeports partout: toutefois, si en
+avoit-il aucunes qui passoyent le pas, auxquelles leurs marys, n'osant y
+apporter le couteau, s'aydoient des poisons et morts caches et
+secrettes, faisant accroire que c'estoyent catherres, apoplexie et mort
+subite: et tels marys sont dtestables, de voir leurs costez coucher
+leurs belles femmes, languir et tirer la mort de jour en jour et
+mritent mieux la mort que leurs femmes; ou bien les font mourir entre
+deux murailles, en chartre perptuelle, comme nous en avons aucunes
+croniques anciennes de France et j'en ai oceu un grand de France, qui
+fit ainsi mourir sa femme, qui estoit une fort belle et honneste dame,
+et ce par arrest de la cour, prenant son petit plaisir par cette voye
+se faire dclarer cocu. De ces forcenez et furieux maris de cocus sont
+volontiers les vieillards, lesquels se deffiant de leurs forces et
+chaleurs, et s'asseurant de celles de leurs femmes, mesme quand ils ont
+est si sots de les espouser jeunes et belles, ils en sont si jaloux et
+si ombrageux, tant par leur naturel que leurs vieilles pratiques, qu'ils
+ont traittes eux-mmes autrefois ou veu traicter d'autres, qu'ils
+meinent si misrablement ces pauvres cratures, que leur purgatoire leur
+seroit plus doux que non pas leur autorit. L'Espagnol dit: <i>El diabolo
+sabe mucho, porque es viejo</i>, c'est--dire que le diable sait beaucoup
+parce qu'il est vieux: de mesmes ces vieillards, par leur aage et
+anciennes routines, savent force choses. Si sont ils grandement
+blasmer de ce poinct, que, puisqu'ils ne peuvent contenter les femmes,
+pourquoi les vont-ils pouser? et les femmes aussi belles et jeunes ont
+grand tort de les aller espouser, sous l'ombre des biens, en pensant
+joir aprs leur mort, qu'elles attendent d'heure autre; et cependant
+se donnent du bon temps avec des amis jeunes qu'elles font, dont aucunes
+d'elles en patissent griefvement.<a name="page_015" id="page_015"></a></p>
+
+<p>&mdash;J'ai ouy parler d'une, laquelle estant surprise sur le fait, son mari,
+vieillard, luy donna une poison de laquelle elle languit plus d'un an et
+vint seiche comme bois; et le mary l'alloit voir souvent, et se plaisoit
+en cette langueur, et en rioit, et disoit qu'elle n'avoit que ce qu'il
+luy falloit.</p>
+
+<p>&mdash;Une autre, son mary l'enferma dans une chambre et la mit au pain et
+l'eau, et bien souvent la faisoit despouiller toute nue et la fouettoit
+son saoul, n'ayant compassion de cette belle charnure nue, ni non plus
+d'motion. Voyla le pis d'eux, car, estant dgarnis de chaleur et
+dpourveus de tentation comme une statue de marbre, n'ont piti de nulle
+beaut, et passent leurs rages par de cruels martyres, au lieu qu'estans
+jeunes la passeroyent possible sur leur beau corps nud, comme j'ay dit
+cy devant. Voyla pourquoi il ne fait pas bon d'espouser de tels
+vieillards bizarres, car, encor que la veue leur baisse et vienne
+manquer par l'aage, si en ont ils toujours prou pour espier et voir les
+frasques que leurs jeunes femmes leur peuvent faire.</p>
+
+<p>&mdash;Aussy j'ay ouy parler d'une grande dame qui disoit que nul samedy fut
+sans soleil, nulle belle femme sans amours, et nul vieillard sans tre
+jaloux; et tout procede pour la dbolezze de ses forces. C'est pourquoy
+un grand prince que je say disoit qu'il voudroit ressembler le lion,
+qui, pour vieillir, ne blanchit jamais; le singe, qui tant plus il le
+fait tant plus il le veut faire; le chien tant plus il vieillit son cas
+se grossit; et le cerf, que tant plus il est vieux tant mieux il le
+fait, et les biches vont plustt luy qu'aux jeunes. Or, pour en parler
+franchement, ainsi que j'ay ouy dire un grand personnage, quelle
+raison y a-t-il, ni quelle puissance a-t-il le mary si grande, qu'il
+doive et puisse tuer sa femme, veu qu'il ne l'a point de Dieu, ny de sa
+loy, ny de son saint Evangile, sinon de la rpudier seulement? Il ne s'y
+parle point de meurtre, de sang, de mort, de tourments, de poison, de
+prisons ni de cruautez. Ah! que nostre Seigneur Jsus-Christ nous a bien
+remonstr qu'il y avoit de grands abus en ces faons de faire et en ces
+meurtres, et qu'il ne les approuvoit guires, lorsqu'on luy amena cette
+pauvre femme accuse d'adultere pour jeter sa sentence de punition; il
+leur dit en escrivant en terre de son doigt: Celui de vous autres qui
+sera le plus net et le plus simple, qu'il prenne la premiere pierre et
+commence la lapider; ce que nul n'osa faire, se sentans atteints par
+telle sage et douce reprhension. Nostre Crateur nous apprenoit tous
+de n'estre si<a name="page_016" id="page_016"></a> lgers condamner et faire mourir les personnes, mesmes
+sur ce sujet, cognoissant les fragilitez de nostre nature et l'abus que
+plusieurs y commettent; car tel fait mourir sa femme qui est plus
+adultere qu'elle, et tels les font mourir bien souvent innocentes, se
+faschans d'elles pour en prendre d'autres nouvelles, et combien y en
+a-t-il! Sainct Augustin dit que l'homme adultere est aussi punissable
+que la femme.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy parler d'un trs-grand prince de par le monde, qui,
+soubonnant sa femme faire l'amour avec un galant cavallier, il le fit
+assassiner sortant un soir de son palais, et puis la dame, laquelle, un
+peu auparavant un tournoy qui se fit la Cour, et elle fixement
+arregardant son serviteur qui manioit bien son cheval, se mit dire:
+Mon Dieu! qu'un tel pique bien!&mdash;Oy, mais il pique trop haut; ce qui
+l'estonna, et aprs fut empoisonne par quelques parfums ou autrement
+par la bouche.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay cogneu un seigneur de bonne maison qui fit mourir sa femme, qui
+estoit trs-belle et de bonne part et de bon lieu, en l'empoisonnant par
+sa nature, sans s'en ressentir, tant subtile et bien faite avoit est
+icelle poison, pour espouser une grande dame qui avoit espous un
+prince, dont en fut en peine, en prison et en danger sans ses amis: et
+le malheur voulut qu'il ne l'espousa pas, et en fut tromp et fort
+scandalis, et mal veu des hommes et des dames. J'ai veu de grands
+personnages blasmer grandement nos roys anciens, comme Louis Hutin et
+Charles le Bel, pour avoir fait mourir leurs femmes: l'une, Marguerite,
+fille de Robert, duc de Bourgogne; et l'autre, Blanche, fille d'Othelin,
+comte de Bourgogne: leur mettant sus leurs adulteres; et les firent
+mourir cruellement entre quatre murailles, au Chasteau Gaillard: et le
+comte de Foix en fit de mesme Jeanne d'Artoys. Surquoy il n'y avoit
+point tant de forfaits et de crimes comme ils le faisoient croire;
+mais messieurs se faschoient de leurs femmes, et leur mettoient sus
+ces belles besognes, et en espousrent d'autres.</p>
+
+<p>&mdash;Comme de frais, le roy Henry d'Angleterre fit mourir sa femme Anne de
+Boulan, et la dcapiter, pour en espouser une autre, ainsi qu'il estoit
+fort sujet au sang et au change de nouvelles femmes. Ne vaudroit-il pas
+mieux qu'ils les rpudiassent selon la parole de Dieu, que les faire
+ainsi cruellement mourir? Mais il leur en faut de la viande frache
+ces messieurs, qui veulent tenir table part, sans y convier personne,
+ou avoir nouvelles et secondes femmes qui leur apportent des biens aprs
+qu'ils ont mang ceux de<a name="page_017" id="page_017"></a> leurs premires, ou n'en ont eu assez pour les
+rassasier, ainsi que fit Baudoin, second roi de Jerusalem, qui, faisant
+croire sa premire femme qu'elle avoit paillard, la rpudia pour
+prendre une fille du duc de Maliterne<a name="FNanchor_5_5" id="FNanchor_5_5"></a><a href="#Footnote_5_5" class="fnanchor">[5]</a>, parce qu'elle avoit une dot
+d'une grande somme d'argent, dont il estoit fort ncessiteux. Cela se
+trouve en l'histoire de la Terre Sainte. Il leur sied bien de corriger
+la loy de Dieu, et en faire une nouvelle, pour faire mourir ces pauvres
+femmes!</p>
+
+<p>&mdash;Le roy Lois le Jeune n'en fit pas de mesme l'endroit de Lonor,
+duchesse d'Aquitaine, qui, souponne d'adultere, possible faux, en
+son voyage de Syrie, fut rpudie de luy seulement, sans vouloir user de
+la loy des autres, invente et pratique plus par autorit que de droit
+et raison: dont sur ce il en acquist plus grande rputation que les
+autres roys, et titre de bon, et les autres de mauvais, cruels et
+tyrans; aussi que dans son ame il avoit quelques remords de conscience
+d'ailleurs: et c'est vivre en chrestien cela, voire que les payens
+romains la pluspart s'en sont acquitts de mesme plus chrestiennement
+que payennement, et principalement aucuns empereurs, desquels la plus
+grande part ont est sujets estre cocus, et leurs femmes
+trs-lubriques et fort putains: et, tels cruels qu'ils ont est, vous en
+lirez force qui se sont dfaits de leurs femmes, plus par rpudiations
+que par tueries de nous autres Chrestiens.</p>
+
+<p>&mdash;Jules Csar ne fit autre mal a sa femme Pompea, sinon la rpudier,
+laquelle avoit est adultere de Publius Claudius, beau gentilhomme
+romain, de laquelle estant perdument amoureux, et elle de luy, espia
+l'occasion qu'un jour elle faisoit un sacrifice en sa maison o il n'y
+entroit que des dames; il s'habilla en garce, luy qui n'avoit encore
+point de barbe au menton, qui se meslant de chanter et de joer des
+instruments, et par ainsi passant par cette monstre, eut loisir de faire
+avec sa maistresse ce qu'il voulut; mais estant recogneu, il fut chass
+et accus; et par moyen d'argent et de faveur il fut absous, et n'en fut
+autre chose. Cicron y perdit son latin par une belle oraison qu'il fit
+contre lui. Il est vrai que Csar, voulant faire croire au monde qui
+luy persuadoit sa femme innocente, il respondit qu'il ne vouloit pas que
+seulement son lict fust tach de ce crime, mais exempt de toute
+suspition. Cela estoit bon<a name="page_018" id="page_018"></a> pour en abbreuver ainsi le monde; mais, dans
+son ame, il savoit bien que vouloit dire cela, sa femme avoit est
+ainsi trouve avec son amant; si que possible luy avoit-elle donn cette
+assignation et cette commodit; car, en cela, quand la femme veut et
+dsire, il ne faut point que l'amant se soucie d'excogiter des
+commoditez, car elle en trouvera plus en une heure que tous nous autres
+saurions faire en cent ans, ainsi que dit une dame de par le monde, que
+je say, qui dit son amant: Trouvez moyen seulement de m'en faire
+venir l'envie, car d'ailleurs, j'en trouveray prou pour en venir l.
+Csar aussi savoit bien combien vaut l'aune de ces choses-l, car il
+estoit un fort grand ruffian, et l'appeloit-on le coq toutes poules,
+et en fit force cocus en sa ville, tesmoing le sobriquet que luy
+donnoient ses soldats son triomphe: <i>Romani, servate uxores, m&oelig;chum
+adducimus calvum</i>, c'est--dire, Romains, serrez bien vos femmes, car
+nous vous amenons ce grand paillard et adultere de Csar le chauve, qui
+vous les repassera toutes. Voil donc comme Csar, par cette sage
+response qu'il fit ainsi de sa femme, il s'exempta de porter le nom de
+cocu qu'il faisoit porter aux autres; mais, dans son ame, il se sentoit
+bien touch.</p>
+
+<p>&mdash;Octavie Csar rpudia aussi Scribonia pour l'amour de sa paillardise
+sans autre chose, et ne luy fit autre mal, bien qu'elle eust raison de
+le faire cocu, cause d'une infinit de dames qu'il entretenoit; et
+devant leurs marys publiquement les prenoit table aux festins qu'il
+leur faisoit, et les emmenoit en sa chambre, et, aprs en avoir fait,
+les renvoyoit, les cheveux dfaits un peu et destortillez, avec les
+oreilles rouges: grand signe qu'elles en venoient, lequel je n'avois ouy
+dire propre pour descouvrir que l'on en vient; ouy bien le visage, mais
+non l'oreille. Aussi luy donna-t-on la rputation d'estre fort paillard;
+mesmes Marc-Antoine le luy reprocha: mais il s'excusoit qu'il
+n'entretenoit point tant les dames pour la paillardise, que pour
+descouvrir plus facilement les secrets de leurs marys, desquels il se
+mesfioit. J'ai cogneu plusieurs grands et autres, qui en ont fait de
+mesme et ont recherch les dames pour ce mesme sujet, dont s'en sont
+bien trouvez; j'en nommerois bien aucuns: ce qui est une bonne finesse,
+car il en sort double plaisir. La conjuration de Catilina fut ainsi
+descouverte par une dame de joye.</p>
+
+<p>&mdash;Ce mesme Octavie, sa fille Julia, femme d'Agrippa, pour avoir est
+une trs-grande putain, et qui luy faisoit grande honte<a
+name="page_019" id="page_019"></a> (car quelques-fois les filles font
+leurs peres plus de deshonneur que les femmes ne font leurs marys),
+fut une fois en dlibration de la faire mourir; mais il ne la fit que
+bannir, luy oster le vin et l'usage des beaux habillements, et d'user
+des parures, pour trs-grande punition, et la frquentation des hommes:
+grande punition pourtant pour les femmes de cette condition, de les
+priver de ces deux derniers points!</p>
+
+<p>&mdash;Csar Caligula, qui estoit un fort cruel tyran, ayant eu opinion que
+sa femme Livia Hostilia lui avoit drob quelques coups en robe, et
+donn son premier mary C. Piso, duquel il l'avoit oste par force, et
+ luy encore vivant, luy faisoit quelque plaisir et gracieuset de son
+gentil corps cependant qu'il estoit absent en quelque voyage, n'usa
+point en son endroit de sa cruaut accoustume, ains la bannit de soy
+seulement, au bout de deux ans qu'il l'eust oste son mary Piso et
+espouse. Il en fit de mesme Tullia Paulina, qu'il avoit oste son
+mary C. Memmius: il ne la fit que chasser, mais avec dfense expresse de
+n'user nullement de ce mestier doux, non pas seulement son mary:
+rigueur cruelle pourtant de n'en donner son mary! J'ay ouy parler d'un
+grand prince chrestien qui fit cette dfense une dame qu'il
+entretenoit, et son mary de n'y toucher, tant il estoit jaloux.</p>
+
+<p>Claudius, fils de Drusus Germanicus, rpudia tant seulement sa femme
+Plantia Herculalina, pour avoir est une signale putain, et, qui pis
+est, pour avoir entendu qu'elle avoit attent sur sa vie; et, tout cruel
+qu'il estoit, encor que ces deux raisons fussent assez bastantes pour la
+faire mourir, il se contenta du divorce. Davantage, combien de temps
+porta-t-il les fredaines et sales bourdelleries de Valeria Messalina,
+son autre femme, laquelle ne se contentoit pas de le faire avec l'un et
+l'autre, dissolument et indiscrtement, mais faisoit profession d'aller
+aux bourdeaux s'en faire donner, comme la plus grande bagasse de la
+ville, jusques-l, comme dit Juvenal, qu'ainsi que son mary estoit
+couch avec elle, se droboit tout bellement d'auprs de luy le voyant
+bien endormy et se dguisoit le mieux qu'elle pouvoit, et s'en alloit en
+plein bourdeau, et l s'en faisoit donner si trs-tant, et jusques
+qu'elle en partoit plustost lasse que saoule et rassasie, et faisoit
+encore pis: pour mieux se satisfaire et avoir cette rputation et
+contentement en soy d'estre une grande putain et bagasse, se faisoit
+payer, et taxoit ses coups et ses chevauches, comme un commissaire qui
+va par pays jusqu' la dernire maille.<a name="page_020" id="page_020"></a></p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy parler d'une dame de par le monde, d'assez chre toffe, qui
+quelque temps fit cette vie, et alla ainsi aux bourdeaux dguise, pour
+en essayer la vie et s'en faire donner; si que le guet de la ville, en
+faisant la ronde, l'y surprit une nuict. Il y en a d'autres qui font ces
+coups, que l'on sait bien.</p>
+
+<p>Bocace, en son livre des <i>Illustres Malheureux</i>, parle de cette
+Messaline gentiment, et la fait allguant ses excuses en cela, d'autant
+qu'elle estoit du tout ne cela, si que le jour qu'elle naquist ce fut
+en certains signes du ciel qui l'embraserent et elle et autres. Son mary
+le savoit, et l'endura long-temps, jusques ce qu'il sceut qu'elle
+s'estoit marie sous bourre avec un Caus Silius, l'un des beaux
+gentilshommes de Rome. Voyant que c'estoit une assignation sur sa vie,
+la fit mourir sur ce sujet, mais nullement pour sa paillardise, car il y
+estoit tout accoustum la voir, la savoir et l'endurer. Qui a veu la
+statue de ladite Messaline trouve ces jours passez en la ville de
+Bourdeaux, advouera qu'elle avoit bien la vraye mine de faire une telle
+vie. C'est une mdaille antique, trouve parmy aucunes ruines, qui est
+trs-belle, et digne de la garder pour la voir et bien contempler.
+C'estoit une fort grande femme, de trs-belle haute taille, les beaux
+traits de son visage, et sa coeffure tant gentille l'antique romaine,
+et sa taille trs-haute, dmonstrant bien qu'elle estoit ce qu'on a dit:
+car, ce que je tiens de plusieurs philosophes, mdecins et
+physionomistes, les grandes femmes sont cela volontiers inclines,
+d'autant qu'elles sont hommasses; et, estant ainsi, participent des
+chaleurs de l'homme et de la femme; et, jointes ensemble en un seul
+corps et sujet, sont plus violentes et ont plus de force qu'une seule;
+aussi qu' un grand navire, dit-on, il faut une grande eau pour le
+soutenir. Davantage, ce que disent les grands docteurs en l'art de
+Vnus, une grande femme y est plus propre et plus gente qu'une petite.
+Sur quoi il me souvient d'un trs-grand prince que j'ai cogneu: voulant
+loer une femme de laquelle il avoit eu joissance, il dit ces mots:
+C'est une trs-belle putain, grande comme madame ma mere. Dont ayant
+est surpris sur la promptitude de sa parole, il dit qu'il ne vouloit
+pas dire qu'elle fust une grande putain comme madame sa mere, mais
+qu'elle fust de la taille et grande comme madame sa mere.</p>
+
+<p>&mdash;Quelquesfois on dit des choses qu'on ne pense pas dire, quelquesfois
+aussi sans y penser l'on dit bien la vrit. Voil donc comme il fait
+meilleur avec les grandes et hautes femmes, quand ce<a name="page_021" id="page_021"></a> ne seroit que pour
+la belle grace, la majest qui est en elles; car, en ces choses, elle y
+est aussi requise et autant aimable qu'en d'autres actions et exercices,
+ny plus ny moins que le mange d'un beau et grand coursier du rgne est
+bien cent fois plus agrable et plaisant que d'un petit bidet, et donne
+bien plus de plaisir son escuyer; mais aussi il faut bien que cet
+escuyer soit bon et se tienne bien, et monstre bien plus de force et
+d'adresse: de mesme se faut-il porter l'endroit des grandes et hautes
+femmes; car, de cette taille, elles sont sujettes d'aller d'un air plus
+haut que les autres, et bien souvent font perdre l'estrier, voire
+l'aron, si l'on n'a bonne tenu, comme j'ay ouy conter aucuns
+cavalcadours qui les ont montes; et lesquelles font gloire et grand
+mocquerie quand elles les font sauter et tomber tout plat: ainsi que
+j'en ay ouy parler d'une de cette ville, laquelle, la premire fois que
+son serviteur coucha avec elle, luy dit franchement: Embrassez-moy
+bien, et me liez vous de bras et de jambes le mieux que vous pourrez,
+et tenez-vous bien hardiment, car je vays haut, et gardez bien de
+tomber. Aussi, d'un cost, ne m'espargnez pas; je suis assez forte et
+habile pour soutenir vos coups, tant rudes soient ils; et si vous
+m'espargnez je ne vous espargneray point. C'est pourquoy beau jeu beau
+retour. Mais la femme le gaigna. Voil donc comme il faut bien adviser
+ se gouverner avec telles femmes hardies, joyeuses, renforces,
+charnus et proportionnes; et, bien que la chaleur surabondante en
+elles donne beaucoup de contentement, quelquesfois aussi sont-elles trop
+pressantes pour estre si chaleureuses. Toutesfois, comme l'on dit, de
+toutes tailles bons levriers: aussi y a-t-il de petites femmes nabottes
+qui ont le geste, la grace, la faon en ces choses un peu approchante
+des autres, ou les veulent imiter, et si sont aussi chaudes et aspres
+la cure, voire plus: je m'en rapporte aux maistres en ces arts. Ainsi
+qu'un petit cheval se remue aussi prestement qu'un grand, et, comme
+disoit un honneste homme, que la femme ressembloit plusieurs animaux,
+et principalement un singe, quand dans le lict elle ne fait que se
+mouvoir et remuer. J'ay fait cette digression; en me souvenant il faut
+retourner nostre premier texte.</p>
+
+<p>&mdash;Et ce cruel Nron ne fit aussi que rpudier sa femme Octavia, fille de
+Claudius et Messalina, pour adultre, et sa cruaut s'abstint
+jusques-l.</p>
+
+<p>&mdash;Domitian fit encore mieux, lequel rpudia sa femme Domitia Longina
+parce qu'elle estoit si amoureuse d'un certain comdien et<a
+name="page_022" id="page_022"></a> basteleur nomm Pris, et ne faisoit tout
+le jour que paillarder avec luy, sans tenir compagnie son mary; mais,
+au bout de peu de temps, il la reprit encore et se repentit de sa
+sparation; pensez que ce basteleur luy avoit appris des tours de
+souplesse et de maniement dont il croyoit qu'il se trouveroit bien.</p>
+
+<p>&mdash;Pertinax en fit de mesme sa femme Flavia Sulpitiana, non qu'il la
+rpudiast ni qu'il la reprist, mais la sachant faire l'amour un
+chantre et joueur d'instruments, et s'adonner du tout luy, n'en fit
+autre compte sinon la laisser faire, et luy faire l'amour de son cost
+une Cornificia estant sa cousine germaine; suivant en cel a l'opinion
+d'Eliogabale, qui disoit qu'il n'y avoit rien au monde plus beau que la
+conversation de ses parents et parentes. Il y en a force qui ont fait
+tels eschanges que je say, se fondans sur ces opinions.</p>
+
+<p>&mdash;Aussi l'empereur Severus non plus se soucia de l'honneur de sa femme,
+laquelle estoit putain publique, sans qu'il se souciast jamais de l'en
+corriger, disant qu'elle se nommoit Jullia, et, pour ce, qu'il la
+falloit excuser, d'autant que toutes celles qui portoient ce nom de
+toute anciennet estoient sujettes d'estre trs-grandes putains et faire
+leurs marys cocus: ainsi que je connois beaucoup de dames portans
+certains noms de notre christianisme, que je ne veux dire pour la
+rvrence que je dois nostre saincte religion, qui sont
+coustumirement sujettes estre puttes et hausser le devant plus que
+d'autres portans autres noms, et n'en a-t-on veu gures qui s'en soient
+eschappes.</p>
+
+<p>Or je n'aurois jamais fait si je voulois allguer une infinit d'autres
+grandes dames et emperieres romaines de jadis, l'endroict desquelles
+leurs marys cocus, et trs-cruels, n'ont us de leurs cruautez,
+autoritez et privileges, encore qu'elles fussent trs-dbordes; et croy
+qu'il y en a peu de prudes de ce vieux temps, comme la description de
+leur vie le manifeste: mesmes, que l'on regarde bien leurs effigies et
+mdailles antiques, on y verra tout plain, dans leur beau visage, la
+mesme lubricit toute grave et peinte; et pourtant leurs marys cruels
+la leur pardonnoient, et ne les faisoient mourir, au moins aucuns: et
+qu'il faille qu'eux payens, ne connaissans Dieu, ayent est si doux et
+benings l'endroit de leurs femmes et du genre humain, et la pluspart
+de nos roys, princes, seigneurs et autres chrestiens, soyent si cruels
+envers elles par un tel forfait!</p>
+
+<p>&mdash;Encore faut-il loer ce brave Philippe Auguste, nostre roy<a
+name="page_023" id="page_023"></a> de France, lequel, ayant rpudi sa femme
+Angerberge, s&oelig;ur de Canut, roy de Danemarck, qui estoit sa seconde
+femme, sous prtexte qu'elle estoit sa cousine en troisiesme degr du
+cost de sa premiere femme Isabel (autres disent qu'il la soubonnoit de
+faire l'amour), nantmoins ce roy, forc par censures ecclsiastiques,
+quoy qu'il fust remari d'ailleurs, la reprit, et l'emmena derrire luy
+tout cheval, sans le sceu de l'assemble de Soissons faite pour cet
+effet, et trop sjournant pour en dcider. Aujourd'huy aucun de nos
+grands n'en font de mesmes; mais la moindre punition qu'ils font leurs
+femmes, c'est les mettre en chartre perptuelle, au pain et l'eau, et
+l les faire mourir, les empoisonnent, les tuent, soit de leur main ou
+de la justice. Et s'ils ont tant d'envie de s'en dfaire et espouser
+d'autres, comme cela advient souvent, que ne les rpudient-ils, et s'en
+separent honnestement, sans autre mal, et demandent puissance au pape
+d'en espouser une autre, encor que ce qui est conjoint l'homme ne le
+doit sparer? Toutesfois, nous en avons eu des exemples de frais, et du
+roy Charles huit et de Lois douze, nos roys; sur quoy j'ay ouy
+discourir un grand thologien, et c'estoit sur le feu roy d'Espagne
+Philippe, qui avoit espous sa niepce, mre du roy d'aujourd'huy, et ce
+par dispense, qui disoit: Ou du tout il faut advoer le Pape pour
+lieutenant gnral de Dieu en terre, et absolu, ou non: s'il l'est,
+comme nous autres catholiques le devons croire, il faut du tout
+confesser sa puissance bien absolue et infinie en terre, et sans bornes,
+et qu'il peut noer et desnoer comme il luy plaist; mais, si nous ne le
+tenons tel, je le quitte pour ceux qui sont en telle erreur, non pour
+les bons catholiques, et par ainsi nostre Pere sainct peut remdier
+ces dissolutions de mariages, et de grands inconvnients qui arrivent
+pour cela entre le mary et la femme, quand ils font tels mauvais
+mnages. Certainement les femmes sont fort blasmables de traitter ainsi
+leurs marys par leur foy viole, que Dieu leur a tant recommande mais
+pourtant de l'autre cost, il a bien dfendu le meurtre, et lui est
+grandement odieux de quelque cost que ce soit: et jamais guieres
+n'ay-je veu gens sanguinaires et meurtriers, mesmes de leurs femmes, qui
+n'en ayent pay le debte, et peu de gens aimant le sang ont bien finy;
+car plusieurs femmes pcheresses ont obtenu et gaign misricorde de
+Dieu, comme la Madelaine. Enfin, ces pauvres femmes sont cratures plus
+ressemblantes la Divinit que nous autres cause de leur beaut; car
+ce qui est beau est plus<a name="page_024" id="page_024"></a> approchant de Dieu qui est tout beau, que le
+laid qui appartient au diable.</p>
+
+<p>&mdash;Ce grand Alphonse, roy de Naples, disoit que la beaut estoit une
+vraye signifiance de bonnes et douces m&oelig;urs, ainsi comme est la belle
+fleur d'un bon et beau fruit: comme de vray, en ma vie j'ay veu force
+belles femmes toutes bonnes; et, bien qu'elles fissent l'amour, ne
+faisoyent point de mal, ny autre qu' songer ce plaisir, et y
+mettoyent tout leur soucy sans l'applicquer ailleurs. D'autres aussi en
+ay-je veu trs-mauvaises, pernicieuses, dangereuses, crueles et fort
+malicieuses, nonobstant songer l'amour et au mal tout ensemble. Sera
+t-il doncques dit qu'estant ainsi sujettes l'humeur vollage et
+ombrageuse de leurs marys, qui mritent plus de punition cent fois
+envers Dieu, qu'elles soient ainsi punies? Or de telles gens la
+complexion est autant fascheuse comme est la peine d'en escrire.</p>
+
+<p>&mdash;J'en parle maintenant encore d'un autre, qui estoit un seigneur de
+Dalmatie, lequel ayant tu le paillard de sa femme, la contraignit de
+coucher ordinairement avec son tronc mort, charogneux et puant; de telle
+sorte que la pauvre femme fut suffoque de la mauvaise senteur qu'elle
+endura par plusieurs jours.</p>
+
+<p>&mdash;Vous avez, dans les <i>Cent Nouvelles de la Reyne de Navarre</i>, la plus
+belle et triste histoire que l'on sauroit voir pour ce sujet, de cette
+belle dame d'Allemagne que son mary contraignoit boire ordinairement
+dans le test de la teste de son amy qu'il y avoit tu; dont le seigneur
+Bernage, lors ambassadeur en ce pays pour le roy Charles huictiesme, en
+vit le pitoyable spectacle, et en fit l'accord.</p>
+
+<p>&mdash;La premire fois que je fus jamais en Italie, passant par Venise, il
+me fut fait un compte pour vray d'un certain chevalier albanais, lequel,
+ayant surpris sa femme en adultre, tua l'amoureux, et de despit qu'il
+eut que sa femme ne s'estoit contente de luy; car il estoit un gallant
+cavallier, et des propres pour Vnus, jusques entrer en jouxte dix ou
+douze fois pour une nuict: pour punition il fut curieux de rechercher
+par-tout une douzaine de bons compagnons, et fort ribauts, qui avoient
+la rputation d'estre bien et grandement proportionnez de leurs membres,
+et fort adroits et chauds l'excution; et les prit, les gagea, et loua
+pour argent, et les serra dans la chambre de sa femme, qui estoit
+trs-belle, et la leur abandonna, les priant tous d'y faire bien leur
+devoir, avec double paye s'ils s'en acquittoient bien: et se mirent tous
+aprs elle, les<a name="page_025" id="page_025"></a> uns aprs les autres, et la menrent de telle faon
+qu'ils la rendirent morte, avec un trs-grand contentement du mary;
+laquelle il luy reprocha, tendante la mort, que, puis qu'elle avoit
+tant aym cette douce liqueur, qu'elle s'en saoulast, mode que dit
+Smiramis<a name="FNanchor_6_6" id="FNanchor_6_6"></a><a href="#Footnote_6_6" class="fnanchor">[6]</a> Cyrus, luy mettant sa teste dans un vase plein de sang.
+Voila un terrible genre de mort! Cette pauvre dame ne fust ainsi morte,
+si elle eust est de la robuste complexion d'une garce qui fut au camp
+de Csar en la Gaule, sur laquelle on dit que deux lgions passrent par
+dessus en peu de temps, et au partir de l fit la gambade, ne s'en
+trouvant point mal.</p>
+
+<p>&mdash;J'ai ouy parler d'une dame franoise de ville, et damoiselle, et
+belle: en nos guerres civiles ayant est force, dans une ville prise
+d'assaut, par une infinit de soldats, et, en estant chappe, elle
+demanda un beau pre si elle avoit pch grandement: aprs luy avoir
+cont son histoire, il lui dit que non, puisqu'elle avoit ainsi t
+prise par force, et viole sans sa volont, mais y rpugnant du tout.
+Elle rpondit: Dieu donc soit lo, que je m'en suis une fois en ma vie
+saoule sans pcher ni offenser Dieu!</p>
+
+<p>&mdash;Une dame de bonne part, au massacre de la Sainct-Barthlemy, ayant t
+ainsi force, et son mary mort, elle demanda un homme de savoir et de
+conscience si elle avoit offens Dieu, et si elle n'en seroit point
+punie de sa rigueur, et si elle n'avoit point fait tort aux manes de son
+mary qui ne venoit que d'estre frais tu. Il lui respondit que, quand
+elle estoit en cette besogne, si elle y avoit pris plaisir, certainement
+elle avoit pch; mais si elle y avoit eu du dgoust, c'toit tout un.
+Voila une bonne sentence!</p>
+
+<p>&mdash;J'ay bien cogneu une dame qui estoit diffrente de cette opinion, qui
+disoit qu'il n'y avoit si grand plaisir en cette affaire que quand elle
+estoit demy force et abattue, et mesme d'un grand, d'autant que, tant
+plus on fait de la rebelle et de la refusante, d'autant plus on y prend
+d'ardeur et s'efforce-t-on: car, ayant une fois fauss sa breche, il
+jouit de sa victoire plus furieusement et rudement, et d'autant plus on
+donne d'appetit sa dame, qui contrefait pour tel plaisir la demi-morte
+et pasme, comme il semble, mais c'est de l'extrme plaisir qu'elle y
+prend: mesme ce disoit cette dame, que bien souvent elle donnoit de ces
+venues et alteres<a name="page_026" id="page_026"></a> son mary, et faisoit de la farouche, de la bizarre
+et desdaigneuse, le mettant plus en rut; et, quand il venoit l, luy et
+elle s'en trouvoient cent fois mieux: car, comme plusieurs ont escrit,
+une dame plaist plus qui fait un peu de la difficile et resiste, que
+quand elle se laisse sitost porter par terre. Aussi en guerre, une
+victoire obtenue de force est plus signale, plus ardente et plaisante,
+que par la gratuit, et en triomphe-t-il mieux. Mais aussi ne faut que
+la dame fasse tant en cela la revesche ny terrible, car on la tiendroit
+plustost pour une putain ruse qui voudroit faire de la prude, dont bien
+souvent elle seroit escandalise; ainsi que j'ay ouy dire des plus
+savantes et habiles en ce fait, auxquelles je m'en rapporte, ne voulant
+estre si prsomptueux de leur en donner des prceptes qu'elles savent
+mieux que moy. Or j'ay veu plusieurs blasmer grandement aucun de ces
+marys jaloux et meurtriers, d'une chose, que, si leurs femmes sont
+putains, eux-mmes en sont cause. Car, comme dit saint Augustin, c'est
+une grande folie un mary de requrir chastet sa femme, luy estant
+plong au bourbier de paillardise; et en tel estat doit estre le mary
+qu'il veut trouver sa femme. Mesmes nous trouvons en nostre Sainte
+Escriture qu'il n'est pas besoin que le mary et la femme s'entr'ayment
+si fort; cela se veut entendre par des amours lascifs et paillards:
+d'autant que, mettant et occupant de tout leur c&oelig;ur en ces plaisirs
+lubriques, y songent si fort et s'y adonnent si trs-tant, qu'ils en
+laissent l'amour qu'ils doivent Dieu; ainsi que moy-mesme j'ay veu
+beaucoup de femmes qui aymoient si trs-tant leurs marys, et eux elles,
+et en brusloient de telle ardeur, qu'elles et eux en oublioient du tout
+le service de Dieu, si que, le temps qu'il y falloit mettre, le
+mettoient et consommoient aprs leurs paillardises. De plus, ces marys,
+qui pis est, apprennent leurs femmes, dans leur lict propre, mille
+lubricitez, mille paillardises, mille tours contours, faons nouvelles,
+et leur pratiquent ces figures enormes de l'Aretin: de telle sorte que,
+pour un tison de feu qu'elles ont dans le corps, elles y en engendrent
+cent, et les rendent ainsi paillardes; si bien qu'estant de telle faon
+dresses, elles ne se peuvent engarder qu'elles ne quittent leurs marys,
+et aillent trouver autres chevaliers; et, sur ce, leurs marys en
+desesperent, et punissent leurs pauvres femmes, en quoy ils ont grand
+tort: car puis qu'elles sentent leur c&oelig;ur pour estre si bien
+dresses, elles veulent monstrer d'autres ce qu'elles savent faire;
+et leurs marys voudroient qu'elles cachassent leur savoir, en quoy il
+n'y a apparence<a name="page_027" id="page_027"></a> ny raison, non plus que si un bon escuyer avoit un
+cheval bien dress, allant de tous ayrs, et qu'il ne voulust permettre
+qu'on le vist aller, ny qu'on montast dessus, mais qu'on le creust sa
+simple parole, et qu'on l'acheptast ainsi.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy conter un honneste gentilhomme de par le monde, lequel
+estant devenu fort amoureux d'une belle dame, il luy fut dit par un sien
+amy qu'il y perdroit son temps, car elle aimoit trop son mary. Il se va
+adviser une fois de faire un trou qui arregardoit droit dans leur lict,
+si bien qu'estant couchs ensemble il ne faillit de les espier par ce
+trou, d'o il vit les plus grandes lubricitez, paillardises, postures
+sales, monstrueuses et normes, autant de la femme, voire plus que du
+mary, et avec des ardeurs trs-extrmes; si bien que le lendemain il
+vint trouver son compagnon et luy raconter la belle vision qu'il avoit
+eue, et luy dit: Cette femme est moy aussitost que son mary sera
+party pour tel voyage; car elle ne se pourra tenir longuement en sa
+chaleur que la nature et l'art luy ont donn, et faut qu'elle la passe,
+et par ainsi, par ma persvrance je l'auray.</p>
+
+<p>&mdash;Je cognois un autre honneste gentilhomme qui, estant bien amoureux
+d'une belle et honneste dame, sachant qu'elle avoit un Aretin en figure
+dans son cabinet, que son mary savoit et l'avoit veu et permis, augura
+aussi-tost par l qu'il l'attraperoit; et, sans perdre esprance, il la
+servit si bien et continua, qu'enfin il l'emporta; et cogneut en elle
+qu'elle y avoit appris de bonnes leons et pratiques, ou fust de son
+mary ou d'autres, niant pourtant que ny les uns ny les autres n'en
+avoient point est les premiers maistres, mais la dame nature, qui en
+estoit meilleure maistresse que tous les arts. Si est-ce que le livre et
+la pratique luy avoient beaucoup servy en cela, comme elle luy confessa
+puis aprs.</p>
+
+<p>&mdash;Il se lit d'une grande courtisane et maquerelle insigne du temps de
+l'ancienne Rome, qui s'appeloit Elefantina, qui fit et composa de telles
+figures de l'Aretin, encore pires, auxquelles les dames grandes et
+princesses faisant estat de putanisme estudioient comme un trs-beau
+livre; et cette bonne dame putain cyrniene, laquelle estoit surnomme
+aux douze Inventions, parce qu'elle avoit trouv douze manires pour
+rendre le plaisir plus voluptueux et lubrique.</p>
+
+<p>&mdash;Hliogabale gaigeoit et entretenoit, par grand argent et dons, ceux et
+celles qui luy inventoient et produisoient nouvelles et<a
+name="page_028" id="page_028"></a> telles inventions pour mieux esveiller sa
+paillardise. J'en ay ouy parler d'autres pareils de par le monde.</p>
+
+<p>&mdash;Un de ces ans le pape Sixte<a name="FNanchor_7_7" id="FNanchor_7_7"></a><a href="#Footnote_7_7" class="fnanchor">[7]</a> fit pendre Rome un secrtaire qui
+avoit est au cardinal d'Est, et s'appeloit Capella, pour beaucoup de
+forfaits, mais entre autres qu'il avoit compos un livre de ces belles
+figures, lesquelles estoient reprsentes par un grand que je ne
+nommeray point pour l'amour de sa robe, et par une grande, l'une des
+belles dames de Rome, et tous reprsents au vif, et peints au
+naturel<a name="FNanchor_8_8" id="FNanchor_8_8"></a><a href="#Footnote_8_8" class="fnanchor">[8]</a>.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay cogneu un prince de par le monde qui fit bien mieux, car il
+achepta d'un orfevre une trs-belle coupe d'argent dor, comme pour un
+chef-d'&oelig;uvre et grand spciaut, la mieux laboure, grave et
+sigille qu'il estoit possible de voir, o estoient tailles bien
+gentiment et subtillement au burin plusieurs figures de l'Aretin, de
+l'homme et de la femme; et ce au bas estage de la coupe, et au dessus et
+au haut plusieurs aussi de diverses manires de cohabitations de bestes,
+l o j'appris la premire fois (car j'ay veu souvent ladicte coupe et
+beu dedans, non sans rire) celle du lion et de la lionne, qui est toute
+contraire celle des autres animaux, que je n'avois jamais sceu, dont
+je m'en rapporte ceux qui le savent sans que je le die. Cette coupe
+estoit l'honneur du buffet de ce prince; car, comme j'ay dit, elle
+estoit trs-belle et riche d'art, et agrable voir au dedans et au
+dehors. Quand ce prince festinoit les dames et filles de la Cour, comme
+souvent il les convioit, ses sommeilliers ne failloient jamais, par son
+commandement, de leur bailler boire dedans; et celles qui ne l'avoient
+jamais veue, ou en beuvant ou aprs, les unes demeuroient estonnes et
+ne savoient que dire l-dessus: aucunes demeuroient honteuses, et la
+couleur leur sautoit au visage; aucunes s'entredisoient entr'elles:
+Qu'est-ce que cela qui est grav l-dedans? Je crois que ce sont des
+salauderies. Je n'y bois plus. J'aurois bien grand soif avant que j'y
+retournasse boire. Mais il falloit qu'elles beussent l, ou bien
+qu'elles esclatassent de soif; et, pour<a name="page_029" id="page_029"></a> ce, aucunes fermoient les yeux
+en beuvant; les autres moins vergogneuses point; qui en avoient ouy
+parler du mestier, tant dames que filles, se mettoyent rire sous
+bourre; les autres en crevoient tout trac. Les unes disoient, quand on
+leur demandoit qu'elles avoient rire et ce qu'elles avoient veu,
+disoient qu'elles n'avoient rien veu que des peintures, et que pour cela
+elles n'y lairroient boire une autre fois. Les autres disoient: Quant
+ moy, je n'y songe point mal; la veue et la peinture ne souillent
+point l'ame. Les unes disoient: Le bon vin est aussi bon leans
+qu'ailleurs. Les autres affermoient qu'il y faisoit aussi bon boire
+qu'en une autre coupe, et que la soif s'y passoit aussi bien. Aux unes
+on faisoit la guerre pourquoy elles ne fermoient les yeux en beuvant;
+elles respondoient qu'elles vouloient voir ce qu'elles beuvoient,
+craignant que ce ne fust du vin, mais quelque mdecine ou poison. Aux
+autres on demandoit quoy elles prenoient plus de plaisir, ou voir ou
+ boire; elles respondoient: A tout. Les unes disoient: Voil de
+belles grotesques; les autres: Voil de plaisantes nommeries; les
+unes disoient: Voil de beaux images; les autres: Voil de beaux
+miroirs; les unes disoient: L'orfevre estoit bien loisir de s'amuser
+ faire ces fadezes; les autres disoient: Et vous, monsieur, encore
+plus d'avoir achept ce beau hanap. Aux unes on demandoit si elles
+sentoient rien qui les picquast au mitan du corps pour cela: elles
+respondoient que nulle de ces drolleries y avoit eu pouvoir pour les
+picquer: aux autres on demandoit si elles n'avoient point senty le vin
+chaut et qu'il les eust eschauffes, encore que ce fust en hyver; elles
+respondoient qu'elles n'avoient garde, car elles avoient beu bien froid,
+qui les avoit bien rafraischies: aux unes on demandoit quelles images de
+toutes celles elles voudroient tenir en leur lict; elles respondoient
+qu'elles ne se pouvoient oster de l pour les y transporter. Bref, cent
+mille brocards et sornettes sur ce sujet s'entre-donnoient les
+gentilshommes et dames ainsi table, comme j'ay veu que c'estoit une
+trs-plaisante gausserie, et chose voir et ouyr; mais surtout mon
+gr, le plus et le meilleur estoit contempler ces filles innocentes,
+ou qui feignoient l'estre, et autres dames nouvellement venues, tenir
+leur mine froide riante du bout du nez et des lvres, ou se
+contraindre et faire des hypocrites, comme plusieurs dames en faisoient
+de mesme. Et notez que, quand elles eussent deu mourir de soif, les
+sommelliers n'eussent os leur donner boire en une autre<a
+name="page_030" id="page_030"></a> coupe ny verre. Et, qui plus est, aucunes
+juroient, pour faire bon minois, qu'elles ne tourneroient jamais ces
+festins; mais elles ne laissoient pour cela y tourner souvent, car ce
+prince estoit trs-splendide et friand. D'autres disoient, quand on les
+convioit: J'iray, mais en protestation qu'on ne nous baillera point
+boire dans la coupe; et quand elles y estoient, elles y beuvoient plus
+que jamais. Enfin elles s'y anezrent si bien, qu'elles ne firent plus
+de scrupule d'y boire; et si firent bien mieux aucunes, qu'elles se
+servirent de telles visions en temps et lieu, et, qui, plus est, aucunes
+s'en dbauscherent pour en faire l'essay; car toute personne d'esprit
+veut essayer tout. Voil les effets de cette belle coupe si bien
+historie. A quoy se faut imaginer les autres discours, les songes, les
+mines et les paroles que telles dames disoient et faisoient entr'elles,
+ part ou en compagnie. Je pense que telle coupe estoit bien diffrente
+ celle dont parle M. de Ronsard en l'une de ses premires odes, ddie
+au feu Roy Henry, qui se commence ainsi:</p>
+
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="poesie">
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Comme un qui prend une couppe,</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Seul honneur de son trsor,</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Et de son rang verse la trouppe</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Du vin qui rit dedans l'or.</span></td></tr>
+</table>
+
+<p>Mais en cette coupe le vin ne rioit pas aux personnes, mais les
+personnes au vin: car les unes beuvoient en riant, et les autres
+beuvoient en se ravissant; les unes se compissoient en beuvant, et les
+autres beuvoient en se compissant; je dis d'autre chose que du pissat.
+Bref, cette coupe faisoit de terribles effets, tant y estoient
+pntrantes ces visions, images et perspectives: dont je me souviens
+qu'une fois, en une gallerie du comte de Chasteauvilain, dit le seigneur
+Adjacet, une troupe de dames avec leurs serviteurs estant alls voir
+cette belle maison, leur veue s'addressa sur de beaux et rares tableaux
+qui estoient en ladite gallerie. A elles se prsenta un tableau beau, o
+estoient reprsentes force belles dames nues qui estoient aux bains,
+qui s'entre touchoient, se palpoient, se manioient et frottoient,
+s'entre-mesloient, se tastonnoient, et, qui plus est, se faisoient le
+poil tant gentiment et si proprement en monstrant tout, qu'une froide
+recluse ou hermite s'en fust eschauffe et esmeue; et c'est pourquoy une
+grande dame, dont j'ay ouy parler et cogneue, se perdant en ce tableau,
+dit son serviteur en se<a name="page_031" id="page_031"></a> tournant vers luy, comme enrage de cette
+rage d'amour: C'est trop demeur icy: montons en carrosse promptement,
+et allons en mon logis, car je ne puis plus contenir cette ardeur; il la
+faut aller esteindre: c'est trop brusl. Et ainsi partit, et alla avec
+son serviteur prendre de cette bonne eau qui est si douce sans sucre,
+que son serviteur lui donna de sa petite burette.</p>
+
+<p>Telles peintures et tableaux portent plus de nuisance une ame fragile
+qu'on ne pense; comme en estoit un l mesme d'une Vnus toute nue,
+couche et regarde de son fils Cupidon; l'autre d'un Mars couch avec
+sa Vnus, l'autre d'une Lda couche avec son cygne. Tant d'autres y
+a-t-il, et l et ailleurs, qui sont un peu plus modestement peints et
+voilez mieux que les figures de l'Aretin; mais quasi tout vient un, et
+en approchant de nostre coupe dont je viens de parler, laquelle avoit
+quasi quelque sympathie, par antinomie, de la coupe que trouva Renault
+de Montauban en ce chasteau dont parle l'Arioste, laquelle plein
+descouvroit les pauvres cocus, et cette-cy les faisoit; mais l'une
+portoit un peu trop de scandale aux cocus et leurs femmes infidles, et
+cette-cy point. Aujourd'huy n'en est besoin de ces livres ni de ces
+peintures, car les marys leur en apprennent prou: et voil que servent
+telles escholes de marys.</p>
+
+<p>&mdash;J'ai cogneu un bon imprimeur vnitien Paris, qui s'appelloit messer
+Bernardo, parent de ce grand Aldus Manutius de Venise<a name="FNanchor_9_9" id="FNanchor_9_9"></a><a href="#Footnote_9_9" class="fnanchor">[9]</a>, qui tenoit sa
+boutique en la rue de Sainct-Jacques, qui me dit et jura une fois qu'en
+moins d'un an il avoit vendu plus de cinquante paires de livres de
+l'Aretin force gens maris et non maris, et des femmes, dont il me
+nomma trois de par le monde, grandes, que je ne nommeray point, et les
+leur bailla elles-mesmes, et trs-bien relis, sous serment prest
+qu'il n'en sonneroit pas mot, mais pourtant il me le dist, et me dist
+davantage qu'une autre dame lui en ayant demand au bout de quelque
+temps s'il en avoit point un pareil comme un qu'elle avoit veu entre les
+mains d'une de ces trois, il luy respondit: <i>Signora, si, et peggio</i>, et
+soudain argent en campagne, les acheptant tous au poids de l'or. Voil
+une folle curiosit pour envoyer son mari faire un voyage Cornette
+prs de Civita-Vecchia.</p>
+
+<p>Toutes ces formes et postures sont odieuses Dieu, si bien que sainct
+Hierosme dit: Qui se monstre plustost dbord amoureux<a
+name="page_032" id="page_032"></a> de sa femme que mary, est adultre et
+pche. Et parce qu'aucuns docteurs ecclsiastiques en ont parl, je
+diray ce mot briefvement en mots latins, d'autant qu'eux-mesmes ne l'ont
+voulu dire en franois. <i>Excessus</i>, disent-ils, <i>conjugum fit, quando
+uxor cognoscitur ante retro stando, sedendo in latere, et mulier super
+virum</i>; comme un petit quolibet que j'ay leu d'autrefois, qui dit:</p>
+
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="poesie">
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>In prato viridi monialem ludere vidi</i></span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 1em;"><i>Cum monacho leviter, ille sub, illa super.</i></span></td></tr>
+</table>
+
+<p>D'autres disent quand ils s'accommodent autrement que la femme ne puisse
+concevoir. Toutesfois il y a aucunes femmes qui disent qu'elles
+conoivent mieux par les postures monstrueuses et surnaturelles et
+estranges, que naturelles et communes, d'autant qu'elles y prennent
+plaisir davantage, et comme dit le pote, quand elles s'accommodent
+<i>more canino</i>, ce qui est odieux: toutes-fois les femmes grosses, au
+moins aucunes, en usent ainsi de peur de se gaster par le devant.
+D'autres docteurs disent que quelque forme que ce soit est bonne, mais
+que <i>semen ejaculetur in matricen mulieris, et quomodocunque uxor
+cognoscatur, si vir ejaculetur semen in matricem, non est peccatum
+mortale</i>. Vous trouverez ces disputes dans <i>Summa Benedicti</i>, qui est un
+cordelier docteur qui a trs-bien escrit de tous les pchs, et monstre
+qu'il a beaucoup leu et veu<a name="FNanchor_10_10" id="FNanchor_10_10"></a><a href="#Footnote_10_10" class="fnanchor">[10]</a>. Qui voudra lire ce passage y verra
+beaucoup d'abus que commettent les marys l'endroit de leurs femmes.
+Aussi dit-il que, <i>quando mulier est ita pinguis ut non possit aliter
+core</i>, que par telles postures, <i>non est peccatum mortale, mod vir
+ejaculetur semen in vas naturale</i>. Dont disent aucuns qu'il vaudroit
+mieux que les marys s'abstinssent de leurs femmes quand elles sont
+pleines, comme font les animaux, que de souiller le mariage par telles
+vilainies.</p>
+
+<p>&mdash;J'ai cogneu une fameuse courtisane Rome, dite la Grecque,<a
+name="page_033" id="page_033"></a> qu'un grand seigneur de France avoit l
+entretenue. Au bout de quelque temps, il luy prit envie de venir voir la
+France, par le moyen du seigneur Bonusi<a name="FNanchor_11_11" id="FNanchor_11_11"></a><a href="#Footnote_11_11" class="fnanchor">[11]</a>, banquier de Lyon, Lucquois
+trs-riche, de laquelle il estoit amoureux; o estant elle s'enquit fort
+de ce seigneur et de sa femme, et, entr'autres choses, si elle ne le
+faisoit point cocu, d'autant, disoit-elle, que j'ay dress son mary de
+si bel air, et luy ay appris de si bonnes leons, que les luy ayant
+monstres et pratiques avec sa femme, il n'est possible qu'elle ne les
+ait voulu monstrer d'autres; car nostre mestier est si chaud quand il
+est bien appris, qu'on prend cent fois plus de plaisir de le monstrer et
+pratiquer avec plusieurs qu'avec un. Et disoit bien plus, que cette
+dame luy devoit faire un beau prsent et condigne de sa peine et de son
+sallaire, parce que, quand son mary vint son eschole premirement, il
+n'y savoit rien, et estoit en cela le plus sot, neuf et apprentif
+qu'elle vist jamais; mais elle l'avoit si bien dress et faonn, que sa
+femme devoit s'en trouver cent fois mieux. Et de fait cette dame, la
+voulant voir, alla chez elle en habit dissimul, dont la courtisane s'en
+douta et luy tint tous les propos que je viens de dire, et pires encore
+et plus dbords, car elle estoit courtisane fort dborde. Et voil
+comment les marys se forgent les couteaux pour se couper la gorge; cela
+s'entend des cornes; par ainsi, abusant du saint mariage, Dieu les
+punit; et puis veulent avoir leurs revanches sur leurs femmes, en quoy
+ils sont cent fois plus punissables. Aussi ne m'estonne-je pas si ce
+sainct docteur disoit que le mariage estoit quasi une vraye espce
+d'adultre: cela vouloit-il entendre quand on en abusoit de cette sorte
+que je viens de dire. Aussi a-t-on deffendu le mariage nos prestres;
+car, venant de coucher avec leurs femmes, et s'estre bien souills avec
+elles, il n'y a point de propos de venir un sacr autel. Car, ma foy,
+ainsi que j'ay ouy dire, aucuns bourdellent plus avec leurs femmes que
+non pas les ruffiens avec les putains des bourdeaux, qui, craignant
+prendre mal, ne s'acharnent et ne s'eschauffent avec elles comme les
+marys avec leurs femmes, qui sont nettes et ne peuvent donner mal, au
+moins aucunes et non pas toutes; car j'en ai bien cogneu qui leur en
+donnent aussi bien que leurs marys elles. Les marys, abusans de leurs
+femmes, sont fort punissables, comme j'ay ouy dire de grands docteurs,
+que les marys, ne se gouvernans avec leurs femmes<a name="page_034" id="page_034"></a> modestement dans leur
+lict comme ils doivent, paillardent avec elles comme avec concubines;
+n'estant le mariage introduit que pour la ncessit et procration, et
+non pour le plaisir dsordonn et paillardise. Ce que nous sceut
+trs-bien reprsenter l'empereur Cejonius Commodus, dit autrement Anchus
+Verus<a name="FNanchor_12_12" id="FNanchor_12_12"></a><a href="#Footnote_12_12" class="fnanchor">[12]</a>, lorsqu'il dit sa femme Domitia Calvilla, qui se plaignoit
+luy de quoy il portoit des putains et courtisanes et autres ce qu'
+elle appartenoit en son lict, et luy ostoit ses menues et petites
+pratiques: Supportez, ma femme, luy dit-il, qu'avec les autres je
+saoulle mes dsirs, d'autant que le nom de femme et de consorte est un
+nom de dignit et d'honneur, et non de plaisir et de paillardise. Je
+n'ay point encore leu ny trouv la response que luy fit l dessus madame
+sa femme l'impratrice; mais il ne faut douter que, ne se contentant de
+cette sentence dore, elle ne luy respondit de bon c&oelig;ur, et par la
+voix de la plus part, voire de toutes les femmes maries: Fy de cet
+honneur, et vive le plaisir! Nous vivons mieux de l'un que de l'autre.
+Il ne faut non plus douter aussi que la plus part de nos maris
+aujourd'hui, et de tout temps, qui ont de belles femmes, ne disent pas
+ainsi; car ils ne se marient et lient, ny ne prennent leurs femmes,
+sinon pour bien passer leur temps et bien paillarder en toutes faons,
+et leur enseigner des prceptes, et pour le mouvement de leur corps, et
+pour les dbordes et lascives paroles de leurs bouches, afin que leur
+dormante Vnus en soit mieux esveille et excite; et, aprs les avoir
+bien ainsi instruites et dbausches, si elles vont ailleurs, ils les
+punissent, les battent, les assomment, et les font mourir. Il y a aussi
+un peu de raison en cela, comme si quelqu'un avoit dbausch une pauvre
+fille d'entre les bras de sa mre, et lui eust fait perdre l'honneur de
+sa virginit, et puis, aprs en avoir fait sa volont, la battre et la
+contraindre vivre autrement, en toute chastet: vrayment! car il en
+est bien temps, et bien propos, qui est celuy qui ne le condamne pour
+homme sans raison et digne d'estre chasti? L'on en deust dire de mesme
+de plusieurs marys, lesquels, quand tout est dit, dbauschent plus leurs
+femmes, et leur apprennent plus de prceptes pour tomber en paillardise,
+que ne font leur propres amoureux: car ils en ont plus de temps et
+loisir que es amans; et venans discontinuer leurs exercices, elles
+changent de main et de maistre, mode d'un bon cavalcadour, qui prend
+plus de<a name="page_035" id="page_035"></a> plaisir cent fois de monter cheval, qu'un qui n'y entend
+rien. Et de malheur, ce disoit cette courtisane, il n'y a nul mestier
+au monde qui ne soit plus coquin, ny qui dsire tant de continue, que
+celuy de Vnus. En quoy ces marys doivent estre avertis de ne faire
+tels enseignements leurs femmes, car ils leur sont par trop
+prjudiciables; ou bien, s'ils voyent leurs femmes leur jouer un
+faux-bon, qu'ils ne les punissent point, puisque 'ont est eux qui leur
+en ont ouvert le chemin.</p>
+
+<p>&mdash;Si faut-il que je fasse cette digression d'une femme marie, belle et
+honneste et d'estoffe, que je say, qui s'abandonna un honneste
+gentilhomme, aussi plus par jalousie qu'elle portoit une honneste dame
+que ce gentilhomme aymoit et entretenoit, que par amour. Pourquoy, ainsi
+qu'il en jouissoit, la dame luy dit: A cette heure, mon grand
+contentement, triomphe-je de vous et de l'amour que portez une telle.
+Le gentilhomme lui respondit: Une personne abattue, subjugue et
+foule, ne sauroit bien triompher. Elle prend pied cette rponse,
+comme touchant son honneur, et luy replique aussitt: Vous avez
+raison. Et tout--coup s'advise de dsaronner subitement son homme, et
+se drober de dessous luy; et changeant de forme, prestement et
+agilement monte sur luy et le met sous soy. Jamais jadis chevalier ou
+gendarme romain ne fut si prompt et adextre de monter et remonter sur
+ces chevaux dsultoires, comme fut ce coup cette dame avec son homme; et
+le manie de mesme en luy disant: A st'heure donc puis-je bien dire qu'
+bon escient je triomphe de vous, puisque je vous tiens abattu sous moy.
+Voil une dame d'une plaisante et paillarde ambition et d'une faon
+estrange, comment elle la traitta.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy parler d'une fort belle et honneste dame de par le monde,
+sujette fort l'amour et la lubricit, qui pourtant fut si arrogante
+et si fire, et si brave de c&oelig;ur, que, quand ce venoit-l, ne vouloit
+jamais souffrir que son homme la montast et la mist sous soy et
+l'abattist, pensant faire un grand tort la gnrosit de son c&oelig;ur,
+et attribuant une grande laschet d'estre ainsi subjugue et soumise,
+en mode d'une triomphante conqueste ou esclavitude, mais vouloit
+toujours garder le dessus et la prminence. Et ce qui faisoit bon pour
+elle en cela, c'est que jamais ne voulut s'adonner un plus grand que
+soy, de peur qu'usant de son autorit et puissance, luy pust<a
+name="page_036" id="page_036"></a> donner la loy et la pust tourner, virer
+et fuller, ainsi qu'il luy eust pleu; mais en cela, choisissoit ses
+gaux et infrieurs, auxquels elle ordonnoit leur rang, leur assiette,
+leur ordre, et forme de combat amoureux, ne plus ne moins qu'un sergent
+major ses gens le jour d'une bataille; et leur commandoit de ne
+l'outrepasser, sur peine de perdre leurs pratiques, aux uns son amour,
+et aux autres la vie, si que debout, ou assis au conchs, jamais ne se
+purent prvaloir sur elle de la moindre humiliation, ni submission, ni
+inclination, qu'elle leur eust rendu et prest. Je m'en rapporte au dire
+et au songer de ceux et celles qui ont trait telles amours, telles
+postures, assiettes et formes. Cette dame pouvoit ordonner ainsi, sans
+qu'il y allast rien de son honneur prtendu, ni de son c&oelig;ur gnreux
+offens: car ce que j'ay ouy dire aucuns praticqs, il y avoit assez
+de moyens pour faire telles ordonnances et pratiques. Voyl une terrible
+et plaisante humeur de femme, et bizarre scrupule de conscience
+gnreuse. Si avoit-elle raison pourtant; car c'est une fascheuse
+souffrance que d'estre subjugue, ploye, foulle, et mesme quand l'on
+pense quelquefois part soy, et qu'on dit: Un tel m'a mis sous luy et
+foulle, par maniere de dire, si-non aux pieds, mais autrement: cela
+vaut autant dire.</p>
+
+<p>Cette dame aussi ne voulut jamais permettre que ses infrieurs la
+baisassent jamais la bouche, d'autant, disoit elle, que le toucher et
+le tact de bouche bouche est le plus sensible et prcieux de tous les
+autres touchers, fust de la main et autres membres; et pour ce ne
+vouloit estre alleine ny sentir la sienne une bouche salle, orde et
+non pareille la sienne. Or, sur cecy, c'est une autre question que
+j'ay veu traitter aucuns: quel advantage de gloire a plus grand sur
+son compagnon, ou l'homme ou la femme, quand ils sont en ces
+escarmouches ou victoires vnriennes. L'homme allegue pour soy la
+raison prdente, que la victoire est bien plus grande que l'on tient sa
+douce ennemie abattue sous soy, et qu'il la subjugue, la suppdite et la
+dompte son aise et comme il luy plaist; car il n'y a si grande
+princesse ou dame, que, quand elle est l, fust-ce avec son infrieur ou
+ingal, qu'elle n'en souffre la loy et la domination qu'en a ordonn
+Vnus parmy ses statuts; et pour ce, la gloire et l'honneur en demeure
+trs-grande l'homme. La femme dit: Ouy, je le confesse, que vous vous
+devez sentir glorieux<a name="page_037" id="page_037"></a> quand vous me tenez sous vous et me suppeditez;
+mais aussi, quand il me plaist, s'il ne tient qu' tenir le dessus, je
+le tiens par gayet et une gentille volont qui m'en prend, et non pour
+une contrainte. Davantage, quand ce dessus me dplaist, je me fais
+servir vous comme d'un esclave ou forat de gallere, ou, pour mieux
+dire, vous fais tirer au collier comme un vray cheval de charrette, en
+vous travaillant, peinant, suant, haletant, efforant faire les
+corves et efforts que je veux tirer de vous. Cependant, moy, je suis
+couche mon aise, je vois venir vos coups, quelquefois j'en ris et en
+tire mon plaisir vous voir en telles alteres; quelquefois aussi je
+vous plains selon ce qui me plaist ou que j'en ay de volont ou de
+piti; et aprs en avoir en cela trs-bien pass ma fantaisie, je laisse
+l mon galant, las, recreu, dbilit, nerv, qu'il n'en peut plus, et
+n'a besoin que d'un bon repos et de quelque bon repas, d'un coulis, d'un
+restaurant ou de quelque bon bouillon confortatif. Moy, pour telles
+courves et tels efforts, je ne m'en sens nullement, si-non que
+trs-bien servie vos despens, monsieur le gallant, et n'ay autre mal
+si-non de souhaiter quelque autre qui m'en donnast autant, peine le
+faire rendre comme vous: et, par ainsi, ne me rendant jamais, mais
+faisant rendre mon doux ennemy, je rapporte la vraye victoire et la
+vraye gloire, d'autant qu'en un duel celuy qui se rend est dshonor, et
+non pas celuy qui combat jusques au dernier poinct de la mort.</p>
+
+<p>&mdash;Ainsi que j'ay ouy compter d'une belle et honneste femme, qui une
+fois, son mary l'ayant esveille d'un profond sommeil et repos qu'elle
+prenoit, pour faire cela, aprs qu'il eut fait elle luy dit: Vous avez
+fait et moy non; et, parce qu'elle estoit dessus luy, elle le lia si
+bien de bras, de mains, de pieds et de ses jambes entrelaces: Je vous
+apprendray ne m'esveiler une autre fois; et, le demenant, secoant et
+remuant toute outrance son mary qui estoit dessous, qui ne s'en
+pouvoit defaire, et qui suoit, ahannoit et se lassoit, et crioit mercy,
+elle le luy fi faire une autre fois en dpit de luy, et le rendit si
+las, si atenu et flac, qu'il en devint hors d'aleine et luy jura un bon
+coup qu'une autre fois il la prendroit son heur, humeur et appetit. Ce
+conte est meilleur se l'imaginer et reprsenter qu' l'escrire. Voil
+donc les raisons de la dame avec plusieurs autres qu'elles ont allguer.
+Encore l'homme rplique l-dessus: Je n'ay point<a name="page_038" id="page_038"></a> aucun vaisseau ny
+baschot comme vous avez le vostre, dans lequel je jette un gassouil de
+pollution et d'ordure (si ordure se doit appeler la semence humaine
+jette par mariage et paillardise), qui vous salit et vous y pisse comme
+dans un pot.&mdash;Ouy, dit la dame, mais aussitost ce beau sperme, que vous
+autres dites estre le sang le plus pur et net que vous avez, je le vous
+vais pisser incontinent et jetter dans un pot ou bassin, ou en un
+retrait, et le mler avec une autre ordure trs-puante et sale et
+vilaine; car de cinq cents coups que l'on nous touchera, de mille, deux
+mille, trois mille, voire d'une infinit, voire de nul, nous
+n'engroissons que d'un coup, et la matrice ne retient qu'une fois; car
+si le sperme y entre bien et y est bien retenu, celuy-l est bien log,
+mais les autres fort salaudement nous les logeons comme je viens de
+dire. Voil pourquoy il ne faut se vanter de gasouiller de vos ordures
+de sperme, car, outre celuy-l, que nous concevons, nous le jettons et
+rendons pour n'en faire plus de cas aussitt que l'avons receu et qu'il
+ne nous donne plus de plaisir, et en sommes quittes en disant: Monsieur
+le potagier, voil vostre broet que je vous rends, et le vous claque
+l; il a perdu le bon goust que vous m'en avez donn premierement. Et
+notez que la moindre bagasse en peut dire autant un grand roy ou
+prince, s'il l'a repasse; qui est un grand mespris d'autant que l'on
+tient le sang royal pour le plus prcieux qui soit point. Vrayment il
+est bien gard et log bien prcieusement plus que d'un autre! Voil le
+dire des femmes, qui est un grand cas pourtant qu'un sang si prcieux se
+pollue et se contamine ainsi salaudement et vilainement; ce qui estoit
+deffendu en la loy de Moyse, de ne le nullement prostituer en terre;
+mais on fait bien pis quand on le mesle avec de l'ordure trs-orde et
+salle. Encore, si elles faisoyent comme un grand seigneur dont j'ay ouy
+parler, qui, en songeant la nuict, s'estant corrompu parmy ses linceuls,
+les fit enterrer, tant il estoit scrupuleux, disant que c'estoit un
+petit enfant provenu de l qui estoit mort, et que c'estoit dommage et
+une trs-grande perte que ce sang n'eust est mis dans la matrice de sa
+femme, dont possible l'enfant fust est en vie. Il se pouvoit bien
+tromper par l, d'autant que de mille habitations que le mary fait avec
+la femme l'anne, possible, comme j'ay dit, n'en devient-elle grosse,
+non pas une fois en la vie, voire jamais, pour aucunes femmes qui
+sont<a name="page_039" id="page_039"></a> brhaignes et striles, et ne conoivent jamais; d'o est venu
+l'erreur d'aucuns mescrants, que le mariage n'avoit est institu tant
+pour la procration que pour le plaisir; ce qui est mal creu et mal
+parl, car encore qu'une femme n'engroisse toutes les fois qu'on
+l'entreprend, c'est pour quelque volont de Dieu nous occulte, et
+qu'il en veut punir et mary et femme, et d'autant que la plus grande
+bndiction que Dieu nous puisse envoyer en mariage, c'est une bonne
+ligne, et non par concubinage; dont il y a plusieurs femmes qui
+prennent un grand plaisir d'en avoir de leurs amants, et d'autres non,
+lesquelles ne veulent permettre qu'on leur lasche rien dedans, tant pour
+ne supposer des enfants leurs marys qui ne sont eux, que pour leur
+sembler ne leur faire tort et ne les faire cocus si la rose ne leur est
+entre dedans, ny plus ny moins, qu'un estomach dbile et mauvais ne
+peut estre offens de sa personne pour prendre de mauvais et indigestifs
+morceaux, pour les mettre dans la bouche, les mascher et puis les
+crascher terre. Aussi par le mot de cocu, port par les oiseaux
+d'avril, qui sont ainsi appelez pour aller pondre au nid des autres, les
+hommes s'appellent cocus par antinomie<a name="FNanchor_13_13" id="FNanchor_13_13"></a><a href="#Footnote_13_13" class="fnanchor">[13]</a>, quand les autres viennent
+pondre dans leur nid, qui est dans le c.. de leurs femmes, qui est
+autant dire leur jetter leur semence et leur faire des enfants. Voil
+comme plusieurs femmes ne pensent faute leurs marys pour mettre dedans
+et s'esbaudir leur saoul, mais qu'elles ne reoivent point de leur
+semence; ainsi sont-elles conscientieuses de bonne faon: comme d'une
+grande dont j'ay ouy parler, qui disoit son serviteur: Esbattez-vous
+tant que vous voudrez, et donnez-moi du plaisir; mais sur vostre vie,
+donnez-vous garde de ne rien m'arrouser l dedans, non d'une seule
+goutte, autrement il vous y va de la vie. Si bien qu'il falloit bien
+que l'austre fust sage, et qu'il espiast le temps du mascaret<a name="FNanchor_14_14" id="FNanchor_14_14"></a><a href="#Footnote_14_14" class="fnanchor">[14]</a> quand
+il devoit venir.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy faire un pareil compte au chevalier de Sanzay, de Bretagne,
+un trs-honneste et brave gentilhomme, lequel, si la mort n'eust
+entrepris sur son jeune age, fust est un grand homme de mer, comme il
+avoit un trs-bon commencement: aussi en portoit-il les marques et
+enseignes, car il avoit eu un<a name="page_040" id="page_040"></a> bras emport d'un coup de canon en un
+combat qu'il fit sur mer. Le malheur pour luy fut qu'il fut pris des
+corsaires, et men en Alger. Son maistre, qui le tenoit esclave, estoit
+le grand-prestre de la mosque de l, qui avoit une trs-belle femme qui
+vint s'amouracher si fort dudit Sanzay, qu'elle luy commanda de venir
+en amoureux plaisir avec elle, et qu'elle luy feroit trs-bon
+traittement, meilleur qu' aucun de ses autres esclaves, mais surtout
+elle lui commanda trs-expressement, et sur la vie, ou une prison
+trs-rigoureuse, de ne lancer en son corps une seule goutte de sa
+semence, d'autant, disoit-elle, qu'elle ne vouloit nullement estre
+pollue ny contamine du sang chrestien, dont elle penseroit offenser
+grandement et sa loy et son grand prophte Mahomet; et de plus luy
+commanda qu'encore qu'elle fust en ses chauds plaisirs, quand bien elle
+luy commanderoit cent fois d'hasarder le pacquet tout trac, qu'il n'en
+fist rien, d'autant que ce seroit le grand plaisir duquel elle estoit
+ravie qui luy feroit dire, et non pas la volont de l'ame. Ledict
+Sanzay, pour avoir bon traittement et plus grande libert, encor qu'il
+fust chrestien, ferma les yeux pour ce coup sa loy; car un pauvre
+esclave rudement traitt et misrablement enchaisn peut s'oublier bien
+quelquefois. Il obit la dame, et fut si sage et si abstraint son
+commandement, qu'il commanda fort bien son plaisir, et moulloit au
+moulin de sa dame tousjours trs-bien, sans y faire couller d'eau; car,
+quand l'escluse de l'eau vouloit se rompre et se dborder, aussitost il
+la retiroit, la resserroit et la faisoit escouler o il pouvoit; dont
+cette femme l'en ayma davantage, pour estre si abstraint son estroit
+commandement, encor qu'elle luy criast: Laschez, je vous en donne toute
+permission. Mais il ne voulut onc, car il craignoit d'estre battu la
+turque, comme il voyoit ses autres compagnons devant soy. Voil une
+terrible humeur de femme; et pour ce il semble qu'elle faisoit beaucoup,
+et pour son ame qui estoit turque, et pour l'autre qui estoit chrestien,
+puisqu'il ne se deschargeoit nullement avec elle: si me jura-t-il qu'en
+sa vie il ne fut en telle peine. Il me fit un autre compte, le plus
+plaisant qui est possible, d'un trait qu'elle luy fit; mais d'autant
+qu'il est trop sallaud, je m'en tairay, de peur d'offenser les oreilles
+chastes. Du depuis ledict Sanzay fut achept par les siens, qui sont
+gens d'honneur et de bonne maison en Bretagne, et qui appartiennent
+beaucoup de grands, comme monsieur le connestable, qui<a
+name="page_041" id="page_041"></a> aymoit fort son frre aisn, et qui luy
+ayda beaucoup en cette dlivrance, laquelle ayant eue, il vint la
+cour, et nous en compta fort monsieur d'Estrozze et moy de plusieurs
+choses, et entr'autres il nous fit ces comptes.</p>
+
+<p>Que dirons-nous maintenant d'aucuns marys qui ne se contentent de se
+donner du contentement et du plaisir paillard de leurs femmes, mais en
+donnent de l'appetit, soit leurs compagnons et amis, soit d'autres,
+ainsi j'en ai cogneu plusieurs qui leur louent leurs femmes, leur disent
+leurs beautez, leur figurent leurs membres et parties du corps, leur
+reprsentent leurs plaisirs qu'ils ont avec elles, et leurs follatreries
+dont elles usent envers eux, les leur font baiser, toucher, taster,
+voire voir nues? Que mritent-ils ceux-l, sinon qu'on les face cocus
+bien point, ainsi que fit Gygs, par le moyen de sa bague, au roy
+Candaule, roy des Lydiens, lequel, sot qu'il estoit, lui ayant lo la
+rare beaut de sa femme, comme si le silence luy faisoit tort et
+dommage, et puis la luy ayant monstre toute nue, en devint si amoureux
+qu'il en joit tout son gr et le fit mourir, et s'impatronisa de son
+royaume. On dit que la femme en fut si dsespre pour avoir est
+reprsente ainsi, qu'elle fora Gygs ce mauvais tour, en lui disant:
+Ou celuy qui t'a press et conseill de telle chose, faut qu'il meure
+de ta main, ou toy, qui m'as regarde toute nue, que tu meures de la
+main d'un autre. Certes, ce roy estoit bien de loisir de donner ainsi
+appetit d'une viande nouvelle, si belle et bonne, qu'il devoit tenir si
+chere.</p>
+
+<p>&mdash;Louis, duc d'Orlans, tu la porte Barbette<a name="FNanchor_15_15" id="FNanchor_15_15"></a><a href="#Footnote_15_15" class="fnanchor">[15]</a> Paris, fit bien au
+contraire, grand desbaucheur des dames de la Cour, et tousjours des plus
+grandes, car, ayant avec luy couch une fort belle et grande dame, ainsi
+que son mary vint en sa chambre pour luy donner le bon-jour, il alla
+couvrir la teste de sa dame, femme de l'autre, du linceul, et luy
+descouvrit tout le corps, luy faisant voir tout nud et toucher son bel
+aise, avec desfense expresse sur la vie de n'oster le linge du visage ny
+la descouvrir aucunement, quoy il n'osa contrevenir; luy demandant par
+plusieurs fois ce qui luy sembloit de ce beau corps tout nud: l'autre en
+demeura tout esperdu et grandement satisfait.</p>
+
+<p>Le duc luy bailla cong de sortir de la chambre, ce qu'il fit sans avoir
+jamais pu cognoistre que ce fust sa femme. S'il l'eust bien<a
+name="page_042" id="page_042"></a> vue et recognue toute nue, comme
+plusieurs que j'ai veu, il l'eust cogneu plusieurs signes possible,
+dont il fait bon le visiter quelquefois par le corps. Elle, aprs son
+mary party, fut interroge de M. d'Orlans si elle avoit eu l'alarme et
+peur. Je vous laisse penser ce qu'elle en dist, et la peine et
+l'altere en laquelle elle fut l'espace d'un quart-d'heure; car il ne
+falloit qu'une petite indiscrtion, ou la moindre dsobissance que son
+mary eust commis pour lever le linceul: il est vray, ce dist monsieur
+d'Orlans, mais qu'il l'eust tu aussi-tost pour l'empescher du mal
+qu'il eust fait sa femme. Et le bon fut de ce mary, qu'estant la nuict
+d'amprs couch avec sa femme, il luy dit que M. d'Orlans lui avoit
+fait voir la plus belle femme nue qu'il vit jamais, mais, quant au
+visage, qu'il n'en savoit que rapporter, d'autant qu'il lui avait
+interdit. Je vous laisse penser ce qu'en pouvoit dire sa femme dans sa
+pense. Et de cette dame tant grande, et de M. d'Orlans, on dit que
+sortit ce brave et vaillant bastard d'Orlans, le soustien de la France
+et le flau de l'Angleterre, et duquel est venue cette noble et
+gnreuse race des comtes de Dunois.</p>
+
+<p>&mdash;Or, pour retourner encor nos marys prodigues de la vue de leurs
+femmes nues, j'en say un qui, pour un matin un sien compagnon l'estant
+all voir dans sa chambre ainsi qu'il s'habilloit, luy monstra sa femme
+toute nue, tendue tout de son long toute endormie; et s'estant
+elle-mesme ost ses linceuls de dessus elle, d'autant qu'il faisoit
+grand chaud, luy tira le rideau demy, sy bien que le soleil levant
+donnant dessus elle, il eut loisir de la bien contempler son aise, o
+il ne vid rien que tout beau en perfection, et y put paistre ses yeux,
+non tant qu'il eust voulu, mais tant qu'il put; et puis le mary et luy
+s'en allrent chez le Roy. Le lendemain, le gentilhomme, qui estoit fort
+serviteur de cette dame honneste, luy raconta cette vision et mesmes lui
+figura beaucoup de choses qu'il avoit remarques en ses beaux membres,
+jusques aux plus caches; et si le mary le luy confirma, et que c'estoit
+luy-mesme qui en avoit tir le rideau. La dame, de dpit qu'elle conceut
+contre son mary, se laissa aller et s'octroya son amy par ce seul
+sujet; ce que tout son service n'avoit sceu gaigner.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay cogneu un trs-grand seigneur, qui, un matin, voulant aller la
+chasse, et ses gentilshommes l'estant venu trouver son lever, ainsi
+qu'on le chaussoit, et avoit sa femme couche prs de luy et qui luy
+tenoit son cas en pleine main, il leva si promptement la couverture
+qu'elle n'eut le loisir de lever la<a name="page_043" id="page_043"></a> main o elle estoit pose, que l'on
+l'y vit l'aise et la moiti de son corps; et en se riant, il dit ces
+messieurs qui estoient prsents: H bien, messieurs, ne vous ay-je pas
+fait voir choses et autres de ma femme? Laquelle fut si dpite de ce
+trait, qu'elle lui en voulut un mal extrme, et mesme pour la surprise
+de cette main; et possible depuis elle le luy rendit bien.</p>
+
+<p>&mdash;J'en say un autre d'un grand seigneur, lequel, cognoissant qu'un sien
+amy et parent estoit amoureux de sa femme, fust ou pour luy en faire
+venir l'envie davantage, ou du dpit et dsespoir qu'il pouvoit
+concevoir de quoy il avoit une si belle femme et luy n'en tastoit point,
+la lui monstra un matin, l'estant all voir dans le lict tous deux
+couchez ensemble demye nue: et si fit bien pis, car il luy fit cela
+devant luy-mesme, et la mit en besogne comme si elle eust t part;
+encore prioit-il l'amy de bien voir le tout, et qu'il faisoit tout cela
+ sa bonne grace. Je vous laisse penser si la dame, par une telle
+privaut de son mary, n'avoit pas occasion de faire son amy l'autre
+toute entire, et bon escient, et s'il n'est pas bien employ qu'il en
+portast les cornes.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy parler d'un autre et grand seigneur, qui le faisoit ainsi
+sa femme devant un grand prince, son maistre, mais c'estoit par sa
+prire et commandement, qui se dlectoit tel plaisir. Ne sont-ils pas
+donc ceux-l coulpables, puis qu'ayant est leurs propres maquereaux, en
+veulent estre les bourreaux? Il ne faut jamais monstrer sa femme nue, ny
+ses terres, pays et places, comme je tiens d'un grand capitaine,
+propos de feu M. de Savoye, qui desconseilla et dissuada nostre roy
+Henry dernier, quand, son retour de Pologne, il passa par la
+Lombardie, de n'aller ny entrer dans la ville de Milan, lui allguant
+que le roy d'Espagne en pourroit prendre quelque ombre: mais ce ne fut
+pas cela; il craignoit que le roy y estant, et la visitant bien point,
+et contemplant sa beaut, richesse et grandeur, qu'il ne fust tent
+d'une extrme envie de la ravoir et reconqurir par bon et juste droit
+comme avoient fait ses prdcesseurs. Et voil la vraye cause comme dit
+un grand prince, qui le tenoit du feu roy, qui cognoissoit cette
+encloure: mais pour complaire M. de Savoye, et ne rien altrer du
+cost du roy d'Espagne, il prit son chemin cost, bien qu'il eust
+toutes les envies du monde d'y aller, ce qu'il me fist cet honneur,
+quand il fut de retour Lyon, de me le dire: en quoi ne faut douter que
+M. de Savoye ne fust plus Espagnol<a name="page_044" id="page_044"></a> que Franois. J'estime les marys
+aussi condamnables, lesquels, aprs avoir receu la vie par la faveur de
+leurs femmes, en demeurent tellement ingrats, que, pour le soupon
+qu'ils ont de leurs amours avec d'autres, les traittent trs-rudement,
+jusques attenter sur leurs vies.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy parler d'un seigneur sur la vie duquel aucuns conjurateurs
+ayant conjur et conspir, sa femme, par supplication, les en destourna,
+et le garantit d'estre massacr, dont depuis elle en a est trs-mal
+recogneue, et traitte trs-rigoureusement.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay veu aussi un gentilhomme, lequel ayant est accus et mis en
+justice pour avoir fait trs-mal son devoir secourir son gnral en
+une bataille, si bien qu'il le laissa tuer sans aucune assistance ni
+secours; estant prs d'estre sentenci et condamn d'avoir la teste
+tranche, nonobstant vingt mille escus qu'il prsenta pour avoir la vie
+sauve; sa femme, ayant parl un grand seigneur de par le monde, et
+couch avec lui par la permission et supplication dudit mary, ce que
+l'argent n'avoit pu faire, sa beaut et son corps l'excuta, et luy
+sauva la vie et la libert. Du depuis il la traitta si mal que rien
+plus. Certes, tels marys, cruels et enrags, sont trs-misrables.
+D'autres en ay-je cogneu qui n'ont pas fait de mesme, car ils ont bien
+sceu recognoistre le bien d'o il venoit, et honoroient ce bon trou
+toute leur vie, qui les avoit sauvez de mort.</p>
+
+<p>&mdash;Il y a encore une autre sorte de cocus, qui ne se sont contents
+d'avoir est ombrageux en leur vie, mais allans mourir et sur le poinct
+du trpas le sont encores: comme j'en ay cogneu un qui avoit une fort
+belle et honneste femme, mais pourtant qui ne s'estoit point toujours
+estudie luy seul. Ainsi qu'il vouloit mourir, il luy disoit: Ah! ma
+mye, je m'en vais mourir, et plust Dieu que vous me tinssiez
+compagnie, et que vous et moy allassions ensemble en l'autre monde! ma
+mort ne m'en seroit si odieuse, et la prendrois plus en gr. Mais la
+femme qui estoit encore trs-belle, et jeune de trente-sept ans, ne le
+voulut point suivre ny croire pour ce coup-l, et ne voulut faire la
+sotte, comme nous lisons de Evadn, fille de Mars et de Thb, femme de
+Capane, laquelle l'ayma si ardemment, que, lui estant mort, aussi-tost
+que son corps fut jett dans le feu, elle s'y jetta aprs toute vive, et
+se brusla et se consuma avec luy, par une grande constance et force, et
+ainsi l'accompagna sa mort.</p>
+
+<p>&mdash;Alceste fit bien mieux, car ayant sceu par l'oracle que son<a
+name="page_045" id="page_045"></a> mary Admte, roy de Thessalie, devoit
+mourir bien-tost si sa vie n'estoit rachepte par la mort de quelque
+autre de ses amys, elle soudain se prcipita la mort, et ainsi sauva
+son mary. Il n'y a plus meshuy de ces femmes si charitables, qui veulent
+aller de leur gr dans la fosse avant leurs marys, ni les suivre. Non,
+il ne s'en trouve plus: les mres en sont mortes, comme disent les
+maquignons de paris des chevaux, quand on n'en trouve plus de bons. Et
+voil pourquoi j'estimois ce mary, que je viens d'allguer, mal-habile
+de tenir ces propos sa femme, si fascheux pour la convier la mort,
+comme si c'eust t quelque beau festin pour l'y convier. C'estoit une
+belle jalousie qui lui faisoit parler ainsi, qu'il concevoit en soy du
+dplaisir qu'il pouvoit avoir aux enfers l-bas, quand il verroit sa
+femme, qu'il avoit si bien dresse, entre les bras d'un sien amoureux,
+ou de quelque autre mary nouveau. Quelle forme de jalousie voil, qu'il
+fallut que son mary en fust saisi alors, et qu' tous les coups il luy
+disoit, que s'il en reschappoit, il n'endureroit plus d'elle ce qu'il
+avoit endur: et, tant qu'il a vescu, il n'en avoit point est atteint,
+et luy laissoit faire son bon plaisir.</p>
+
+<p>&mdash;Ce brave Tancrede n'en fit pas de mesme, luy qui d'autres-fois se fit
+jadis tant signaler en la guerre sainte: estant sur le point de la mort,
+et sa femme prs de luy dolente, avec le comte de Trypoly, il les pria
+tous deux aprs sa mort de s'espouser l'un l'autre, et le commanda sa
+femme; ce qu'ils firent. Pensez qu'il en avoit vu quelques approches
+d'amour en son vivant; car elle pouvoit tre aussi bonne vesse que sa
+mre, la comtesse d'Anjou, laquelle, aprs que le comte de Bretagne
+l'eut entretenu longuement, elle vint trouver le roy de France
+Philippes, qui la mena de mesme, et luy fit cette fille bastarde qui
+s'appela Cicile, et puis la donna en mariage ce valeureux Tancrede,
+qui certes, par ses beaux exploits, ne mritoit d'tre cocu.</p>
+
+<p>&mdash;Un Albanois, ayant est condamn de-l les Monts d'estre pendu pour
+quelque forfait, estant au service du roy de France, ainsi qu'on le
+vouloit mener au supplice, il demanda voir sa femme et luy dire adieu,
+qui estoit une trs-belle femme et trs-agrable. Ainsi donc qu'il lui
+disoit adieu, en la baisant il luy trononna tout le nez avec belles
+dents, et le luy arracha de son beau visage. En quoy la justice l'ayant
+interrog pourquoi il avoit fait cette vilainie sa femme, il respondit
+qu'il l'avoit fait de belle jalousie, d'autant, ce disoit-il, qu'elle
+est trs-belle, et pour ce aprs ma mort je sais qu'elle sera aussi-tost
+recherche et aussi-tost abandonne<a name="page_046" id="page_046"></a> un autre de mes compagnons, car
+je la cognois fort paillarde, et qu'elle m'oublieroit incontinent. <i>Je
+veux donc qu'aprs ma mort elle ait de moy souvenance, qu'elle pleure et
+qu'elle soit afflige, si elle ne l'est par ma mort, au moins qu'elle le
+soit pour estre dfigure, et qu'aucun de mes compagnons n'en aye le
+plaisir que j'ay eu avec elle.</i> Voil un terrible jaloux.</p>
+
+<p>&mdash;J'en ay ouy parler d'autres qui, se sentant vieux, caducs, blesss,
+attenuez et proches de la mort, de beau dpit et de jalousie secretement
+ont advanc les jours leurs moitis, mesmes quand elles ont est
+belles.</p>
+
+<p>&mdash;Or, sur ces bizarres humeurs de ces marys tyrans et cruels, qui font
+mourir ainsi leurs femmes, j'ay ouy faire une dispute, savoir, s'il est
+permis aux femmes, quand elles s'apperoivent ou se doutent de la
+cruaut et massacre que leurs marys veulent exercer envers elles, de
+gaigner le devant et de joer la prime, et, pour se sauver, les faire
+joer les premiers, et les envoyer devant faire les logis en l'autre
+monde.</p>
+
+<p>J'ay ouy maintenir que ouy, et qu'elles le peuvent faire, non selon
+Dieu, car tout meurtre est dfendu, ainsi que j'ay dit, mais selon le
+monde, prou: et ce fondent sur ce mot, qu'il vaut mieux prvenir que
+d'estre prvenu: car enfin chacun doit estre curieux de sa vie; et,
+puisque Dieu nous l'a donne, la faut garder jusqu' ce qu'il nous
+appelle par nostre mort. Autrement, sachant bien leur mort, et s'y
+aller prcipiter, et ne la fuir quand elles peuvent, c'est se tuer
+soy-mme, chose que Dieu abhorre fort; parquoy c'est le meilleur de les
+envoyer en ambassade devant, et en parer le coup, ainsi que fit Blanche
+d'Anurbruckt son mary le sieur de Flavy, capitaine de Compiegne et
+gouverneur, qui trahit et fut cause de la perte et de la mort de la
+Pucelle d'Orlans. Et cette dame Blanche, ayant sceu que son mary la
+vouloit faire noyer, le prvint, et, avec l'aide de son barbier,
+l'estouffa et l'estrangla, dont le roy Charles septime luy en donna
+aussi-tost sa grace, quoy aussi ayda bien la trahison du mary pour
+l'obtenir, possible plus que toute autre chose. Cela se trouve aux
+annales de France, et principalement celles de Guyenne.</p>
+
+<p>De mesmes en fit une madame de la Borne, du regne du roy Franois
+premier, qui accusa et deffera son mary la justice de quelques folies
+faites et crimes possible normes qu'il avoit fait avec elle et autres,
+le fit constituer prisonnier, sollicita contre luy, et luy fit trancher
+la teste. J'ay ouy faire ce compte ma grand-mre,<a name="page_047" id="page_047"></a> qui a disoit de
+bonne maison et belle femme. Celle-l gaigna bien le devant.</p>
+
+<p>&mdash;La reyne Jeanne de Naples premire en fit de mesmes l'endroit de
+l'infant de Majorque, son tiers mary, qui elle fit trancher la teste
+pour la raison que j'ay dit en son Discours; mais il pouvoit bien estre
+qu'elle se craignoit de luy, et le vouloit despescher le premier: quoy
+elle avoit raison, et toutes ses semblables, de faire de mesme quand
+elles se doutent de leurs galants.</p>
+
+<p>J'ay ouy parler de beaucoup de dames qui bravement se sont acquittes de
+ce bon office, et sont eschappes par cette faon; et mesmes j'en ay
+cogneu une, laquelle, ayant est trouve avec son amy par son mary, il
+n'en dit rien ny l'un ny l'autre, mais s'en alla courrouc, et la
+laissa l-dedans avec son amy, fort panthoise et dsole et en grand
+alteration. Mais la dame fut rsole jusques l de dire: Il ne m'a rien
+dit ni fait pour ce coup, je crains qu'il me la garde bonne et sous
+mine; mais, si j'estois asseure qu'il me deust faire mourir,
+j'adviserois lui faire sentir la mort le premier. La fortune fut si
+bonne pour elle au bout de quelque temps, qu'il mourut de soy-mesme;
+dont bien luy en prit, car oncques puis il ne luy avoit fait bonne
+chere, quelque recherche qu'elle luy fist.</p>
+
+<p>&mdash;Il y a encore une autre dispute et question sur ces fous et enrags
+marys, dangereux cocus, savoir sur lesquels des deux ils se doivent
+prendre et venger, ou sur leurs femmes, ou sur leurs amants.</p>
+
+<p>Il y en a qui ont dit seulement sur la femme, se fondant sur ce proverbe
+italien qui dit que <i>morta la bestia, morta la rabbia veneno</i><a name="FNanchor_16_16" id="FNanchor_16_16"></a><a href="#Footnote_16_16" class="fnanchor">[16]</a>:
+pensans, ce leur semble, estre bien allgs de leur mal quand ils ont
+tu celle qui fait la douleur, ny plus ny moins que font ceux qui sont
+mordus et picqus de l'escorpion: le plus souverain remede qu'ils ont,
+c'est de le prendre, tuer ou l'escarbouiller, et l'appliquer sur la
+morsure ou playe qu'il a faite; et disent volontiers et coustumirement
+que ce sont les femmes qui sont plus punissables. J'entends des grandes
+dames et de haute guise, et non des petites, communes et de basse
+marche; car ce sont elles, par leurs beaux attraits, privautez,
+commandements et paroles, qui attacquent les escarmouches, et que les
+hommes ne les font que soustenir; et que plus sont punissables ceux qui
+demandent et lvent<a name="page_048" id="page_048"></a> guerre, que ceux qui la deffendent; et que bien
+souvent les hommes ne se jettent en tels lieux prilleux et hauts, sans
+l'appel des dames, qui leur signifient en plusieurs faons leurs amours,
+ainsi qu'on voit qu'en une grande, bonne et forte ville de frontire il
+est fort mal-ais d'y faire entreprise ni surprise, s'il n'y a quelque
+intelligence sourde parmy aucuns de ceux du dedans, ou qui ne vous y
+poussent, attirent, ou leur tiennent la main.</p>
+
+<p>Or, puisque les femmes sont un peu plus fragiles que les hommes, il leur
+faut pardonner, et croire que, quand elles se sont mises une fois
+aymer et mettre l'amour dans l'ame, qu'elles l'excutent quelque prix
+que ce soit, ne se contentans, non pas toutes, de le couver l-dedans,
+et se consumer peu peu, et en devenir seiches et allanguies, et pour
+ce en effacer leur beaut, qui est cause qu'elles dsirent en gurir et
+en tirer du plaisir, et ne mourir du mal de la furette<a name="FNanchor_17_17" id="FNanchor_17_17"></a><a href="#Footnote_17_17" class="fnanchor">[17]</a>, comme on
+dit.</p>
+
+<p>Certes j'ai cogneu plusieurs belles dames de ce naturel, lesquelles les
+premires ont plustost recherch leur androgine que les hommes, et sur
+divers sujets; les unes pour les voir beaux, braves, vaillants et
+agrables; les autres pour en escroquer quelque somme de dinari;
+d'autres pour en tirer des perles, des pierreries, des robes de toille
+d'or et d'argent, ainsi que j'en ay veu qu'elles en faisoient autant de
+difficult d'en tirer comme un marchand de sa denre (aussi dit-on que
+femme qui prend se vend); d'autres pour avoir de la faveur en Cour;
+autres des gens de justice, comme plusieurs belles que j'ay cogneues
+qui, n'ayant pas bon droit, le faisoient bien venir par leur cas et par
+leurs beautez; et d'autres pour en tirer la suave substance de leur
+corps.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay veu plusieurs femmes si amoureuses de leurs amants, que quasi
+elles les suivoient ou couroient force, et dont le monde en portoit la
+honte pour elles.</p>
+
+<p>J'ay cogneu une fort belle dame si amoureuse d'un seigneur de par le
+monde, qu'au lieu que les serviteurs ordinairement portent les couleurs
+de leurs dames, cette-cy au contraire les portoit de son serviteur. J'en
+nommerois bien les couleurs, mais elles feroient une trop grande
+descouverte.</p>
+
+<p>J'en ay cogneu une autre de laquelle le mary ayant fait un affront son
+serviteur en un tournoy qui fut fait la Cour, cependant<a
+name="page_049" id="page_049"></a> qu'il estoit en la salle du bal et en
+faisoit son triomphe, elle s'habilla de dpit, en homme, et alla trouver
+son amant et lui porter pour un moment son cas, tant elle en estoit si
+amoureuse qu'elle en mouroit.</p>
+
+<p>&mdash;J'ai cogneu un honneste gentilhomme, et des moins deschirez de la
+Cour, lequel ayant envie un jour de servir une fort belle et honneste
+dame s'il en fut oncques, parce qu'elle luy en donnoit beaucoup de
+sujets de son cost, et de l'autre il faisoit du retenu pour beaucoup de
+raisons et respects; cette dame pourtant y ayant mis son amour, et
+quelque hasard que ce fust elle en avoit jett le d, ce disoit-elle;
+elle ne cessa jamais de l'attirer tout soy par les plus belles paroles
+de l'amour qu'elle peut dire, dont entr'autres estoit celle-cy:
+Permettez au moins que je vous ayme si vous ne me voulez aymer, et ne
+arregardez mes mrites, mais a mes affections et passions, encore
+certes qu'elle emportast le gentilhomme au poids en perfections.
+L-dessus qu'eust pu faire le gentilhomme, sinon l'aymer puis qu'elle
+l'aymoit, et la servir, puis demander le salaire et rcompense de son
+service, qu'il eut, comme la raison veut que quiconque sert faut qu'on
+le paye?</p>
+
+<p>J'alleguerois une infinit de telles dames plustost recherchantes que
+recherches. Voil donc pourquoy elles ont eu plus de coulpe que leurs
+amants; car si elles ont une fois entrepris leur homme, elles ne cessent
+jamais qu'elles n'en viennent au bout et ne l'attirent par leurs regards
+attirans, par leur beautez, par leurs gentilles graces qu'elle
+s'estudient faonner en cent mille faons, par leurs fards
+subtillement appliqus sur leur visage si elles ne l'ont beau, par leurs
+beaux artiffets, leurs riches et gentilles coiffures et tant bien
+accommodes, et leurs pompeuses et superbes robes, et surtout par leurs
+paroles friandes et demy lascives, et puis par leurs gentils et
+follastres gestes et privautez, et par prsents et dons; et voil
+comment ils sont pris, et estant ainsi pris, il faut qu'ils les
+prennent; et par ainsi dit-on que leurs marys doivent se venger sur
+elles.</p>
+
+<p>D'autres disent qu'il se faut prendre qui peut sur les hommes, ny plus
+ny moins que sur ceux qui assigent une ville; car ce sont eux qui
+premiers font faire les chamades, les somment, qui premiers
+recognoissent, premiers font les approches, premiers dressent
+gabionnades et cavalliers et font les tranches, premiers font les
+batteries ou premiers vont l'assaut, premiers parlementent: ainsi
+dit-on des amants.<a name="page_050" id="page_050"></a></p>
+
+<p>Car comme les plus hardis, vaillants et rsolus assaillent le fort de
+pudicit des dames, lesquelles, aprs toutes les formes d'assaillement
+observes par grandes importunits, sont contraintes de faire le signal
+et recevoir leurs doux ennemys dans leurs forteresses: en quoy me semble
+qu'elles ne sont si coulpables qu'on diroit bien; car se dfaire d'un
+importun est bien mal ais sans y laisser du sien; aussi que j'en ay veu
+plusieurs qui, par longs services et persvrances, ont jouy de leurs
+maistresses, qui ds le commencement ne leur eussent donn, pour manire
+de dire, leur cul baiser; les contraignant jusques-l, au moins
+aucunes, que, la larme l'&oelig;il, leur donnoient de cela ny plus ny
+moins comme l'on donne Paris bien souvent l'aumosne aux gueux de
+l'hostire, plus par leur importunit que de dvotion ny pour l'amour de
+Dieu: ainsi font plusieurs femmes, plustost pour estre trop importunes
+que pour estre amoureuses, et mesmes l'endroit d'aucuns grands,
+lesquels elles craignent et n'osent leur refuser cause de leur
+autorit, de peur de leur desplaire et en recevoir puis aprs de
+l'escandale, ou un affront signal, ou plus grand descriement de leur
+honneur, comme j'en ay veu arriver de grands inconvnients sur ces
+sujets.</p>
+
+<p>Voyl pourquoy les mauvais marys, qui se plaisent tant au sang et au
+meurtre et mauvais traitements de leurs femmes, n'y doivent estre si
+prompts, mais premirement faire une enqueste sourde de toutes choses,
+encore que telle cognoissance leur soit fort fascheuse et fort sujette
+s'en gratter la teste qui leur en demange, et mesmes qu'aucuns,
+misrables qu'ils sont, leur en donnent toutes les occasions du monde.</p>
+
+<p>&mdash;Ainsi que j'ai cogneu un grand prince estranger qui avoit espous une
+fort belle et honneste dame; il en quitta l'entretien pour le mettre
+une autre femme qu'on tenoit pour courtisane de rputation, d'autres que
+c'estoit une dame d'honneur qu'il avoit dbausche; et ne se contentant
+de cela, quand il la faisoit coucher avec luy, c'estoit en une chambre
+basse par dessous celle de sa femme et dessous son lict; et lorsqu'il
+vouloit monter sur sa maistresse, ne se contentant du tort qu'il luy
+faisoit, mais, par une rise et moquerie, avec une demye pique il
+frappoit deux ou trois coups sur le plancher, et s'escrioit sa femme:
+Brindes, ma femme. Ce desdain et mespris dura quelques jours, et
+fascha fort sa femme, qui, de desespoir et vengeance, s'accosta d'un
+fort honnte gentilhomme qui elle dit un jour privement:<a
+name="page_051" id="page_051"></a> Un tel, je veux que vous joissiez de
+moi, autrement, je scay un moyen pour vous ruiner. L'autre, bien
+content d'une si belle adventure, ne la refusa pas. Parquoy, ainsi que
+son mary avoit sa mie entre les bras, et elle aussi son amy, ainsi qu'il
+lui crioit <i>brindes</i>, elle luy respondoit de mesmes, <i>et may vous</i>, ou
+bien, <i>je m'en vais nous pleiger</i>. Ces <i>brindes</i> et ces paroles et
+responses, de telle faon et mode qu'ils s'accommodoient en leurs
+montures, durrent assez longtemps, jusques ce que ce prince, fin et
+douteux, se douta de quelque chose; et y faisant faire le guet, trouva
+que sa femme le faisoit gentiment cocu, et faisoit <i>brindes</i> aussi bien
+que luy par revange et vengeance. Ce qu'ayant bien au vray cogneu,
+tourna et changea sa comdie en tragdie; et l'ayant pour la dernire
+fois confie son <i>brindes</i>, et elle luy ayant rendu sa response et son
+change, monta soudain en haut, et ouvrant et faussant la porte, entre
+dedans et luy remonstre son tort; et elle de son cost luy dit: Je say
+bien que je suis morte: te-moi hardiment; je ne crains point la mort,
+et la prens en gr puisque je me suis venge de toy, et que je t'ay fait
+cocu et bec cornu, toy m'en ayant donn occasion, sans laquelle je ne me
+fusse jamais forfaitte, car je t'avois vo toute fidlit, et je ne
+l'eusse jamais viole pour tous les beaux sujets du monde: tu n'estois
+pas digne d'une si honneste femme que moy. Or te-moi donc st'heure;
+et, si tu as quelque piti en ta main, pardonne, je te prie, ce pauvre
+gentilhomme, qui de soy n'en peut mais, car je l'ay appel mon ayde
+pour ma vengeance. Le prince par trop cruel, sans aucun respect les tue
+tous deux. Qu'eust fait l dessus cette pauvre princesse sur ces
+indignitez et mespriz de mary, si-non, la desesperade pour le monde,
+faire ce qu'elle fit? D'aucuns l'excuseront, d'autres l'accuseront, et
+il y a beaucoup de pices et raisons rapporter l-dessus.</p>
+
+<p>&mdash;Dans les <i>Cent Nouvelles de la Reyne de Navarre</i>, y a celle et
+trs-belle de la reyne de Naples, quasi pareille celle-cy, qui de
+mesme se vengea du Roy son mary; mais la fin n'en fut si tragique.</p>
+
+<p>&mdash;Or laissons l ces diables et fols enrags cocus, et n'en parlons
+plus, car ils sont odieux et mal plaisants, d'autant que je n'aurois
+jamais fait si je voulois tous descrire, aussi que subject n'en est beau
+ny plaisant.</p>
+
+<p>Parlons un peu des gentils cocus, et qui sont bons compagnons<a
+name="page_052" id="page_052"></a> de douce humeur, d'agrable frquentation
+et de sainte patience, dbonnaires, traittables, fermant les yeux, et
+bons hommenas.</p>
+
+<p>Or de ces cocus il y en a qui le sont en herbe, il y en a qui le savent
+avant se marier, c'est--dire que leurs dames, veufves et demoiselles,
+ont fait le sault; et d'autres n'en savent rien, mais les espousent sur
+leur foy, et de leurs pres et mres, et de leurs parents et amys.</p>
+
+<p>&mdash;J'en ay cogneu plusieurs qui ont espous beaucoup de femmes et de
+filles qu'ils savoient bien avoir t repasses en la monstre d'aucuns
+rois, princes, seigneurs, gentilshommes et plusieurs autres; et
+pourtant, ravys de leurs amours, de leurs biens, de leurs joyaux, de
+leur argent, qu'elles avoient gaign au mestier amoureux, n'ont aucun
+scrupule de les espouser. Je ne parleray point st'heure que des
+filles.</p>
+
+<p>&mdash;J'ai ouy parler d'une fille d'un trs-grand et souverain, laquelle
+estant amoureuse d'un gentilhomme, se laissant aller luy de telle
+faon qu'ayant recueilli les premiers fruits de son amour, en fut si
+friande qu'elle le tint un mois entier dans son cabinet, le nourrissant
+de restaurents, de bouillons friands, de viandes dlicates et
+rescaldatives, pour l'allambiquer mieux et en tirer sa substance; et
+ayant fait sous luy son premier apprentissage, continua ses leons sous
+luy tant qu'il vesquit, et sous d'autres: et puis elle se maria en l'age
+de quarante-cinq ans un seigneur<a name="FNanchor_18_18" id="FNanchor_18_18"></a><a href="#Footnote_18_18" class="fnanchor">[18]</a> qui n'y trouva rien dire, encor
+bien-aise pour le beau mariage qu'elle luy porta.</p>
+
+<p>&mdash;Bocace dit un proverbe qui couroit de son temps, que <i>bouche baise</i>,
+d'autres disent <i>fille f...., ne perd jamais sa fortune, mais bien la
+renouvelle, ainsi que fait la lune</i>; et ce proverbe allegue-t-il sur un
+conte qu'il fait de cette fille si belle du sultan d'gypte, laquelle
+passa et repassa par les piques de neuf divers amoureux, les uns aprs
+les autres, pour le moins plus de trois mille fois. Enfin elle fut
+rendue au roy Garbe toute vierge, cela s'entend prtendue, aussi bien
+que quand elle lui fut du commencement compromise, et n'y trouva rien
+dire, encor bien aise: le conte en est trs-beau.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy dire un grand qu'entre aucuns grands, non pas tous
+volontiers, on n'arregarde ces filles-l, bien que trois ou quatre<a
+name="page_053" id="page_053"></a> les ayent pass par les mains et par les
+piques avant leur estre marys: et disoit cela sur un propos d'un
+seigneur qui estoit grandement amoureux d'une grande dame, et un peu
+plus qualifie que lui, et elle l'aimoit aussi; mais il survint
+empeschement qu'ils ne s'espousrent comme ils pensoient et l'un et
+l'autre, surquoy ce gentilhomme grand, que je viens de dire, demanda
+aussi-tost: A-t-il mont au moins sur la petite bte? Et ainsi qu'il
+lui fust respondu que non son advis, encor qu'on le tinst: Tant pis,
+rpliqua-t-il, car au moins et l'un et l'autre eussent eu ce
+contentement, et n'en fust est autre chose. Car parmy les grands, on
+n'arregarde ces reigles et scrupules de pucelage, d'autant que pour
+ces grandes alliances il faut que tout passe; encores trop heureux
+sont-ils les bons marys et gentils cocus en herbe.</p>
+
+<p>&mdash;Lorsque le roy Charles fit le tour de son royaume, il fut laiss en
+une bonne ville que je nommerois bien une fille dont venoit d'accoucher
+une fille de trs-bonne maison; si fut donne en garde une pauvre
+femme de ville pour la nourrir et avoir soin d'elle, et luy fut avanc
+deux cents cus pour la nourriture. La pauvre femme la nourrit et la
+gouverna si bien, que dans quinze ans elle devint trs-belle et
+s'abandonna; car sa mre oncques puis n'en fit cas, qui dans quatre mois
+se maria avec un trs-grand. Ah! que j'en ai cogneu de tels et telles o
+l'on n'y a advis en rien!</p>
+
+<p>&mdash;J'ouys une fois, estant en Espagne, conter qu'un grand seigneur
+d'Andalousie ayant mari une sienne s&oelig;ur avec un autre fort grand
+seigneur aussi, au bout de trois jours que le mariage fut consomn il
+luy dit: <i>Senor hermano, agora que soys cazado con my hermana, y
+l'haveys bien godida solo, jo le hago saber que siendo hija, tal y tal
+gozaron d'ella. De lo passado no tenga cuydado, que poca cosa es. Del
+futuro guardate, que mas y mucho a vos tota</i><a name="FNanchor_19_19" id="FNanchor_19_19"></a><a href="#Footnote_19_19" class="fnanchor">[19]</a>. Comme voulant dire
+que ce qui est fait est fait, il n'en faut plus parler, mais qu'il faut
+se garder de l'advenir, car il touche plus l'honneur que le pass.</p>
+
+<p>Il y en a qui sont de cet humeur, ne pensans estre si bien<a
+name="page_054" id="page_054"></a> cocus par herbe comme par la gerbe, en
+quoy il y a de l'apparence.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy aussi parler d'un grand seigneur estranger, lequel ayant une
+fille des plus belles du monde, et estant recherche en mariage d'un
+autre grand seigneur qui la mritoit bien, luy fut accorde par le pre;
+mais avant qu'il la laissast jamais sortir de la maison, il en voulut
+taster, disant qu'il ne vouloit laisser si aisment une si belle monture
+qu'il avoit si curieusement leve, que premirement il n'eust mont
+dessus et sceu ce qu'elle sauroit faire l'avenir. Je ne say s'il est
+vray, mais je l'ay ouy dire, et que non seulement luy en fit la preuve,
+mais bien un autre beau et brave gentilhomme; et pourtant le mary par
+aprs n'y trouva rien amer, sinon que tout sucre.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy parler de mesme de force autres pres, et sur-tout d'un
+trs-grand, l'endroit de leurs filles, n'en faisant non plus de
+conscience que le cocq de la fable d'Esope, qui ayant est rencontr par
+le renard et menac qu'il le vouloit faire mourir, donc sur ce le cocq,
+rapportant tous les biens qu'il faisoit au monde, et surtout de la belle
+et bonne poulaille qui sortoit de luy: Ha! dit le renard, c'est-l o
+je vous veux, monsieur le gallant, car vous estes si paillard que vous
+ne faites difficult de monter sur vos filles comme sur d'autres
+poules; et pour ce le fit mourir. Voil un grand justicier et plitiq.</p>
+
+<p>Je vous laisse donc penser que peuveut faire aucunes filles avec leurs
+amants; car il n'y eut jamais fille sans avoir ou dsirer un amy, et
+qu'il y en a que les pres, frres, cousins et parents ont fait de
+mesme.</p>
+
+<p>&mdash;De nos temps, Ferdinant, roy de Naples, cogneut ainsi par mariage sa
+tante, fille du roy de Castille, l'age de treize quatorze ans, mais
+ce fut par dispence du pape. On faisoit lors difficult si elle se
+devoit ou pouvoit donner. Cela ressent pourtant son empereur Caligula,
+qui dbauscha et repassa toutes ses s&oelig;urs les unes aprs les autres,
+par-dessus lesquelles et sur toutes il ayma extresmement la plus jeune,
+nomme Drusille, qu'estant petit garon il avoit dpucelle; et puis
+estant marie avec un Lucius Cassius Longinus, homme consulaire, il la
+luy enleva et l'entretint publiquement, comme si ce fust est sa femme
+lgitime; tellement qu'estant une fois tomb malade, il la fit hritire
+de tous ses biens, voire de l'empire. Mais elle vint mourir, qu'il
+regretta si trs-tant, qu'il en fit crier les vacations de<a
+name="page_055" id="page_055"></a> la justice et cessation de tous autres
+&oelig;uvres, pour induire le peuple d'en faire avec luy un deuil public,
+et en porta long-temps longs cheveux et longue barbe; et quand il
+haranguoit le snat, le peuple et ses genres de guerre, ne juroit jamais
+que par le nom de Drusille.</p>
+
+<p>Pour quant ses autres s&oelig;urs, aprs qu'il en fut saoul, il les
+prostitua et abandonna de grands pages qu'il avoit nourrys et cogneus
+fort vilainement: encor, s'il ne ne leur eust fait aucun mal, passe,
+puisqu'elles l'avoient accoustum et que c'estoit un mal plaisant, ainsi
+que je l'ay veu appeler tel aucunes filles estant dvirgines et
+aucunes femmes prises force; mais il leur fit mille indignits: il les
+envoya en exil, il leur osta toutes leurs bagues et joyaux pour en faire
+de l'argent, ayant brouill et dpendu fort mal--propos tout le grand
+que Tibre lui avoit laiss; encor les pauvrettes, estants aprs sa mort
+retournes d'exil, voyant le corps de leur frre mal et fort pauvrement
+enterr sous quelques mottes, elles le firent dsenterrer, le brusler et
+enterrer le plus honnestement qu'elles purent: bont certes grande de
+s&oelig;urs un frre si ingrat et dnatur.</p>
+
+<p>L'Italien, pour excuser l'amour illicite de ses proches, dit que <i>quando
+messer Bernado el bacieco st in colera, el in sua rabia non riceve
+lege, et non perdona a nissuna dama</i>.</p>
+
+<p>&mdash;Nous avons force exemples des anciens qui en ont fait de mesme. Mais
+pour revenir nostre discours, j'ay ouy conter d'un qui ayant mari une
+belle et honneste demoselle un sien amy, et se vantant qu'il lui avoit
+donn une belle et honneste monture, saine, nette, sans sur-ost et sans
+malandre, comme il dist, et d'autant plus luy estoit oblig, il luy fut
+respondu par un de la compagnie, qui dit part un de ses compagnons:
+Tout cela est bon et vray si elle ne fust est monte et chevauche
+trop tost, dont pour cela elle est un peu foule sur le devant.</p>
+
+<p>Mais aussi je voudrois bien savoir ces messieurs de marys, que si
+telles montures bien souvent, n'avoient un si, ou dire quelque chose
+en elles, ou quelque deffectuosit ou deffaut ou tare, s'ils en auroient
+si bon march, et si elles ne leur cousteroient davantage? Ou bien, si
+ce n'estoit pour eux, ou en accommoderoit bien d'autres qui le mritent
+mieux qu'eux, comme ces maquignons qui se dfont de leurs chevaux tarez
+ainsi qu'ils peuvent; mais ceux qui en savent les sys, ne s'en pouvant
+deffaire autrement, les donnent ces messieurs qui n'en savent<a
+name="page_056" id="page_056"></a> rien, d'autant (ainsi que j'ay ouy dire
+plusieurs pres) que c'est une fort belle dfaite que d'une fille tare,
+ou qui commence l'estre, ou a envie et apparence de l'estre.</p>
+
+<p>Que je connois de filles de par le monde qui n'ont pas port leur
+pucelage au lict hymenean, mais pourtant qui sont bien instruites de
+leurs mres, ou autres de leurs parentes et amies, trs-savantes
+maquerelles de faire bonne mine ce premier assaut, et s'aident de
+divers moyens et inventions avec des subtilitez, pour le faire trouver
+bon leurs marys et leur monstrer que jamais il n'y avoit est fait
+breche.</p>
+
+<p>La plus grande part s'aident faire une grande rsistance et dfence
+cette pointe d'assaut, et faire des opiniastres jusques l'extrmit,
+dont il y a aucuns marys qui en sont trs-contents, et croyent fermement
+qu'ils en ont eu tout l'honneur et fait la premire pointe, comme braves
+et dterminez soldats; et en font leurs contes lendemain matin, qu'ils
+sont crestez comme petits cocqs ou jolets qui ont mang force millet le
+soir, leurs compagnons et amys, et mesme possible ceux qui ont les
+premiers entr en la forteresse sans leur sceu, qui en rient part eux
+leur saoul, et avec les femmes leurs maistresses, qui se vantent d'avoir
+bien jou leur jeu et leur avoir donn belle.</p>
+
+<p>Il y a pourtant aucuns marys ombrageux qui prennent mauvais augures de
+ces rsistances, et ne se contentent point de les voir si rebelles;
+comme un que je say, qui, demandant sa femme pourquoy elle faisoit
+ainsy de la farouche et de la difficultueuse, et si elle le desdaignoit
+jusque-l, elle, luy pensant faire son excuse et ne donner la faute
+aucun desdain, luy dit qu'elle avoit peur qu'il luy fist mal. Il lui
+respondit: Vous l'avez donc esprouv, car nul mal ne se peut connoistre
+sans l'avoir endur? Mais elle, subtile, le niant, rpliqua qu'elle
+l'avoit ainsi ouy dire aucunes de ses compagnes qui avoient est
+maries, et l'en avoient ainsi advise: Voil de beaux advis et
+entretiens, dit-il.</p>
+
+<p>&mdash;Il y a un autre remde que ces femmes s'advisent, qui est de monstrer
+le lendemain de leurs nopces leur linge teint de gouttes de sang
+qu'espandent ces pauvres filles la charge dure de leur despucellement,
+ainsi que l'on fait en Espagne, qui en monstrent publiquement par la
+fenestre ledit linge, en criant tout haut: <i>Virgen la tenemos</i>. Nous la
+tenons pour vierge.<a name="page_057" id="page_057"></a></p>
+
+<p>Certes, encore ay-je ouy dire dans Viterbe cette coustume s'y observe
+tout de mesme: et d'autant que celles qui ont pass premirement par les
+picques ne peuvent faire cette monstre par leur propre sang, elles se
+sont advises, ainsi que j'ay ouy dire, et que plusieurs courtisanes
+jeunes Rome me l'ont assur elles-mesmes, pour mieux vendre leur
+virginit, de teindre ledit linge de gouttes de sang de pigeon, qui est
+le plus propre de tous: et le lendemain le mary le voit, qui en reoit
+un extrme contentement, et croit fermement que ce soit du sang virginal
+de sa femme, et lui semble bien que c'est un gallant, mais il est bien
+tromp.</p>
+
+<p>Sur quoy je feray ce plaisant conte d'un gentilhomme, lequel ayant eu
+l'esguillette noue la premire nuict de ses nopces, et la marie, qui
+n'estoit pas de ces pucelles trs-belles et de bonne part, se doutant
+bien qu'il dust faire rage, ne faillit, par l'advis de ses bonnes
+compagnes, matrosnes, parentes et bonnes amies, d'avoir le petit linge
+teint: mais le malheur fut tel pour elle, que le mary fut tellement nou
+qu'il ne put rien faire, encore qu'il ne tinst pas elle luy en faire
+la monstre la plus belle et se parer au montoir le mieux qu'elle
+pouvoit, et au coucher beau jeu, sans faire de la farouche ny nullement
+de la diablesse, ainsi que les spectateurs, cachs la mode
+accoustume, rapportoient, afin de cacher mieux son pucellage drob
+d'ailleurs; mais il n'y eut rien d'excut.</p>
+
+<p>Le soir, la mode accoustume, le rveillon ayant est port, il y eut
+un quidam qui s'advisa, en faisant la guerre aux nopces, comme on fait
+communment, de drober le linge qu'on trouva joliment teint de sang,
+lequel fust monstr soudain et cri haut en l'assistance qu'elle
+n'estoit plus vierge, et que c'estoit ce coup que sa membrane virginale
+avoit est force et rompue: le mary, qui estoit assur qu'il n'avoit
+rien fait, mais pourtant qui faisoit du gallant et vaillant champion,
+demeura fort estonn et ne sceut ce que vouloit dire ce linge teint,
+si-non qu'aprs avoir song assez, se douta de quelque fourbe et astuce
+putanesques, mais pourtant n'en sonna jamais mot.</p>
+
+<p>La marie et ses confidentes furent aussi-bien fasches et estournes de
+quoy le mary avoit fait faux-feu, et que leur affaire ne s'en portoit
+pas mieux. De rien pourtant n'en fut fait aucun semblant jusques au bout
+de huict jours, que le mary vint avoir l'esguillette desnoe, et fit
+rage et feu, dont d'aise ne se souvenant de rien, alla publier toute
+la compagnie que c'estoit <a name="page_058" id="page_058"></a> bon escient qu'il avoit fait preuve de sa
+vaillance et fait sa femme vraye femme et bien dame; et confessa que
+jusques alors il avoit est saisi de toute impuissance: de quoy
+l'assistance sur ce subject en fit divers discours, et jetta diverses
+sentences sur la marie qu'on pensoit estre femme par son linge
+teintur; et s'escandalisa ainsi d'elle-mesme, non qu'elle en fust bien
+cause proprement, mais son mary, qui par sa dbolesse, flaquesse et
+mollitude, se gasta luy-mesme.</p>
+
+<p>&mdash;Il y a aucuns marys qui cognoissent aussi leur premire nuict le
+pucelage de leurs femmes s'ils l'ont conquis oui ou non par la trace
+qu'ils y trouvent; comme un que je cognois, lequel, ayant espous une
+femme en secondes nopces, et luy ayant fait accroire que son premier
+mary n'y avoit jamais touch par son impuissance, et qu'elle estoit
+vierge et pucelle aussi bien qu'auparavant estre marie, nanmoins il la
+trouva si vaste et si copieuse en amplitude, qu'il se mit dire: H
+comment! estes-vous cette pucelle de Marolle, si serre et si estroite
+qu'on me disoit! H! vous avez un grand empand, et le chemin y est
+tellement grand et battu que je n'ay garde de m'esgarer. Si fallut-il
+qu'il passt par-l et le beust doux comme laict; car si son premier
+mary n'y avoit point touch comme il estoit vray, il y en avoit bien eu
+d'autres.</p>
+
+<p>Que dirons-nous d'aucunes mres, qui, voyant l'impuissance de leurs
+gendres, ou qui ont l'esguillette noe ou autre dfectuosit, sont les
+maquerelles de leurs filles, et que, pour gaigner leur douaire, s'en
+font donner d'autres, et bien souvent engroisser, afin d'avoir les
+enfants hritiers aprs la mort du pre?</p>
+
+<p>J'en cognois une qui conseilla bien cela sa fille, et de fait n'y
+espargna rien; mais le malheur pour elle fut que jamais n'en put avoir.
+Aussi je cognois un qui, ne pouvant rien faire sa femme, attira un
+grand laquais qu'il avoit, beau fils, pour coucher et dpuceler sa femme
+en dormant, et sauver son honneur par-l; mais elle s'en apereut et le
+laquais n'y fit rien, qui fut cause qu'ils plaidrent long-temps:
+finalement ils se dmarirent.</p>
+
+<p>&mdash;Le roy Henry de Castille en fit de mesme, lequel, ainsi que raconte
+Baptista Fulquosius<a name="FNanchor_20_20" id="FNanchor_20_20"></a><a href="#Footnote_20_20" class="fnanchor">[20]</a>, voyant qu'il ne pouvoit<a name="page_059" id="page_059"></a> faire d'enfant sa
+femme, il s'aida d'un beau et jeune gentilhomme de sa Cour pour lui en
+faire, ce qu'il fit; dont pour sa peine il lui fit de grands biens et
+l'advana en des honneurs, grandeurs et dignitez: ne faut douter si la
+femme ne l'en ayma et s'en trouva bien. Voil un bon cocu.</p>
+
+<p>&mdash;Pour ces esguilletes noes, en fut dernirement un procs en la cour
+du parlement de Paris, entre le sieur de Bray, trsorier, et sa femme,
+qui il ne pouvoit rien faire ayant eu l'esguillette noe, ou autre
+dfaut, dont la femme, bien marrie, l'en appela en jugement. Il fut
+ordonn par la Cour qu'ils seroient visitez eux deux par grands mdecins
+experts. Le mary choisit les siens et la femme les siens, dont en fut
+fait un fort plaisant sonnet la Cour, qu'une grande dame me list
+elle-mesme, et me donna ainsi que je disnois avec elle. On disoit qu'une
+dame l'avoit fait, d'autres un homme. Le sonnet est tel:</p>
+
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="poesie">
+
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 4em;">SONNET.</span></td></tr>
+
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Entre les mdecins renomms Paris</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">En savoir, en espreuve, en science, en doctrine,</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Pour juger l'Imparfait de la coulpe androgyne,</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Par de Bray et sa femme ont est sept choisis.</span></td></tr>
+<tr><td align="left">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">De Bray a eu pour luy les trois de moindre prix,</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Le Court, l'Endormy, Pietre; et sa femme, plus fine,</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Les quatre plus experts en l'art de mdecine,</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Le Grand, le Gros, Duret et Vigoureux a pris.</span></td></tr>
+<tr><td align="left">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">On peut par-l juger qui des deux gaignera,</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Et si le Grand du Court victorieux sera,</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Vigoureux d'Endormy, le Gros, Duret de Pietre.</span></td></tr>
+<tr><td align="left">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Et de Bray n'ayant point ces deux de son cost,</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Estant tant imparfait que mary le peut estre,</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">A faute de bon droit en sera dbout.</span></td></tr>
+</table>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy parler d'un autre mary, lequel la premire nuict tenant
+embrasse sa nouvelle espouse, elle se ravit en telle joye et plaisir,
+que, s'oubliant en elle-mesme, ne se put engarder de faire un petit
+mobile tordion de remuement non accoustum de faire aux nouvelles
+maries; il ne dit autre chose sinon: Ah! j'en ay! et continua sa
+route. Et voil nos cocus en herbe, dont j'en sai une milliasse de
+contes; mais je n'aurois jamais fait; et le pis que je vois en eux,
+c'est quand ils espousent la vache et le veau, comme on dit, et qu'ils
+les prennent toutes grosses.<a name="page_060" id="page_060"></a></p>
+
+<p>Comme un que je say, qui, s'estant mari avec une fort belle et
+honneste demoiselle, par la faveur et volont de leur prince et
+seigneur, qui aymoit fort ce gentilhomme et la luy avoit fait espouser,
+au bout de huit jours elle vint estre cogneu grosse, aussi elle le
+publia pour mieux couvrir son jeu. Le prince, qui s'estoit tousjours
+bien dout de quelques amours entre elle et un autre, lui dit: Une
+telle, j'ay bien mis dans mes tablettes le jour et l'heure de vos
+nopces; quand on les affrontera celuy et celle de vostre accouchement,
+vous aurez de la honte. Mais elle, pour ce dire, n'en fit que rougir un
+peu, et n'en fut autre chose, si-non qu'elle tenoit toujours mine de
+<i>dona da ben</i>.</p>
+
+<p>Or il y a d'aucunes filles qui craignent si fort leur pre et mre,
+qu'on leur arracheroit plustot la vie du corps que le boucon puceau, les
+craignant cent fois plus que leurs marys.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy parler d'une fort belle et honneste demoiselle, laquelle,
+estant fort pourchasse du plaisir d'amour de son serviteur, elle lui
+respondit: Attendez un peu que je sois marie, et vous verrez comme,
+sous cette courtine de mariage qui cache tout, et ventre enfl et
+descouvert, nous y ferons bon escient.</p>
+
+<p>&mdash;Un autre, estant fort recherche d'un grand, elle luy dit: Sollicitez
+un peu nostre prince qu'il me marie bien-tost avec celui qui me
+pourchasse, et me face vistement payer mon mariage qu'il m'a promis; le
+lendemain de mes nopces, si nous ne nous rencontrons, march nul.</p>
+
+<p>&mdash;Je sai une dame qui, n'ayant est recherche d'amours que quatre
+jours avant ses nopces, par un gentilhomme parent de son mary, dans six
+aprs il en jouyt; pour le moins il s'en vanta, et estoit ais de le
+croire; car, ils se monstroient telle privaut qu'on eust dit que toute
+leur vie ils avoient ests nourris ensemble; mesme il en dist des signes
+et marques qu'elle portoit sur son corps, et aussi qu'ils continurent
+leur jeu long-temps aprs. Le gentilhomme disoit que la privaut qui
+leur donna occasion de venir l, ce fut que, pour porter une mascarade,
+s'entrechangrent leurs habillements; car il prit celui de sa
+maistresse, et elle celuy de son amy, dont le mary n'en fit que rire, et
+aucuns prindrent subject d'y redire et penser mal.</p>
+
+<p>Il fut fait une chanson la Cour d'un mary qui fut mari le mardy et
+fut cocu le jeudy: c'est bien avancer le temps.</p>
+
+<p>&mdash;Que dirons-nous d'une fille ayant est sollicite longuement d'un
+gentilhomme de bonne maison et riche, mais pourtant<a name="page_061" id="page_061"></a> nigaud et non digne
+d'elle, et par l'advis de ses parents, presse de l'espouser, elle fit
+response qu'elle aymoit mieux mourir que de l'espouser, et qu'il se
+dportast de son amour, qu'on ne luy en parlast plus ny ses parents;
+car, s'ils la foroient de l'espouser, elle le feroit plustost cocu.
+Mais pourtant fallut qu'elle passast par-l, car la sentence luy fut
+donne ainsi par ceux et celles des plus grands qui avoient sur elle
+puissance, et mesme de ses parents.</p>
+
+<p>La vigille des nopces, ainsi que son mary la voyoit triste et pensive,
+luy demanda ce qu'elle avoit, elle luy respondit toute en colre: Vous
+ne m'avez voulu jamais croire vous oster de me poursuivre; vous savez
+ce que je vous ay tousjours dit, que, si je venois par malheur estre
+vostre femme, que je vous ferois cocu, et je vous jure que je le feray
+et vous tiendray parole.</p>
+
+<p>Elle n'en faisoit point la petite bouche devant aucunes de ses compagnes
+et aucuns de ses serviteurs. Asseurez-vous que depuis elle n'y a pas
+failli; et luy monstra qu'elle estoit bien gentille femme, car elle tint
+bien sa parole.</p>
+
+<p>Je vous laisse penser si elle en devoit avoir blasme, puis qu'un
+averty en vaut deux, et qu'elle l'advisoit de l'inconvnient o il
+tomberoit. Et pourquoi ne s'en donnoit-il garde? Mais pour cela, il ne
+s'en soucia pas beaucoup.</p>
+
+<p>&mdash;Ces filles qui s'abandonnent ainsi sitost aprs estre maries font
+comme dit l'Italien: <i>Che la vacca, che e stata molto tempo ligata,
+corre pi che quella che h havuto sempre piena libert</i><a name="FNanchor_21_21" id="FNanchor_21_21"></a><a href="#Footnote_21_21" class="fnanchor">[21]</a>.</p>
+
+<p>Ainsi que fit la premire femme de Baudoin, roy de Jrusalem, que j'ay
+dit ci-devant, laquelle, ayant est mise en religion de force par son
+mary, aprs avoir rompu le cloistre et en estre sortie, et tirant vers
+Constantinople, mena telle paillardise qu'elle en donnoit tous
+passants, allants et venants, tant gens-d'armes que pellerins vers
+Jrusalem, sans esgard de sa royale condition; mais le grand jene
+qu'elle en avoit fait durant sa prison en estoit cause.</p>
+
+<p>J'en nommerois bien d'autres. Or, voil donc de bonnes gens de cocus
+ceux-l, comme sont aussi ceux-l qui permettent leurs femmes, quand
+elles sont belles et recherches de leur<a name="page_062" id="page_062"></a> beaut, et les abandonnent
+pour s'en ressentir et tirer de la faveur, du bien et des moyens.</p>
+
+<p>Il s'en voit fort de ceux-l aux cours des grands roys et princes,
+lesquels s'en trouvent trs-bien, car, de pauvres qu'ils auront est, ou
+pour engagement de leurs biens, ou pour procs, ou bien pour voyages de
+guerres sont au tapis, les voil remontez et aggrandis en grandes
+charges par le trou de leurs femmes, o ils n'y trouvent nulle
+diminution, mais plustost augmentation; for en une belle dame que j'ay
+ouy dire, dont elle en avoit perdu la moiti par accident, qu'on disoit
+que son mary luy avoit donn la vrole ou quelques chancres qui la luy
+avoient mange.</p>
+
+<p>Certes les faveurs et bienfaits des grands esbranlent fort un c&oelig;ur
+chaste, et engendrent bien des cocus.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy dire et raconter d'un prince estranger<a name="FNanchor_22_22" id="FNanchor_22_22"></a><a href="#Footnote_22_22" class="fnanchor">[22]</a>, lequel, ayant
+est fait gnral de son prince souverain et maistre en une grande
+expdition d'un voyage de guerre qu'il luy avoit command, et ayant
+laiss en la Cour de son maistre sa femme, l'une des belles de la
+chrestient, se mit luy faire si bien l'amour, qu'il l'esbranla, la
+terrassa et l'abbattit, si beau qu'il l'engrossa.</p>
+
+<p>Le mary, tournant au bout de treize ou quatorze mois, la trouva en tel
+estat, bien marry et fasch contr'elle. Ne faut point demander comment
+ce fut elle, qui estoit fort habile, faire ses excuses, et un sien
+beau-frre.</p>
+
+<p>Enfin elles furent telles qu'elle luy dit: Monsieur, l'vnement de
+vostre voyage en est cause, qui a est si mal receu de vostre maistre
+(car il n'y fit pas bien certes ses affaires), et en vostre absence l'on
+vous a tant prestez de charitez pour n'y avoir point fait ses besognes,
+que, sans que vostre seigneur se mist m'aymer, vous estiez perdu; et,
+pour ne vous laisser perdre, je me suis perde: il y va autant et plus
+de mon honneur que du vostre; pour votre avancement, je ne me suis
+espargne la plus prcieuse chose de moy: jugez donc si j'ay tant failly
+comme vous diriez bien; car, autrement, vostre vie, vostre honneur et
+faveur y fust est en bransle. Vous estes mieux que jamais; la chose
+n'est si divulgue que la tache vous en demeure trop apparente. Sur
+cela, excusez-moi et me pardonnez.<a name="page_063" id="page_063"></a></p>
+
+<p>Le beau-frre, qui savoit dire des mieux, et qui possible avoit part
+la groisse, y en adjousta autres belles paroles et prgnantes, si bien
+que tout servit, et par ainsi l'accord fut fait, et furent ensemble
+mieux que devant, vivants en toute franchise et bonne amiti; dont
+pourtant le prince leur maistre, qui avoit fait la dbausche et le
+dbat, ne l'estima jamais plus (ainsi que j'ay ouy dire) comme il en
+avoit fait, pour en avoir tenu si peu de compte l'endroit de sa femme
+et pour l'avoir beu si doux, tellement qu'il ne l'estima depuis de si
+grand c&oelig;ur comme il l'avoit tenu auparavant, encore que, dans son
+ame, il estoit bien aise que la pauvre dame ne patist point pour luy
+avoir fait plaisir. J'ay veu aucuns et aucunes excuser cette dame, et
+trouver qu'elle avoit bien fait de se perdre pour sauver son mary et le
+remettre en faveur.</p>
+
+<p>Oh! qu'il y a de pareils exemples celuy-cy, et encore un d'une
+grande dame qui sauva la vie son mary, qui avoit est jug mort en
+pleine cour, ayant est convaincu de grandes concussions et malles
+versations en son gouvernement et en sa charge, dont le mary l'en ayma
+aprs toute sa vie.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy parler d'un grand seigneur aussi, qui, ayant est jug
+d'avoir la teste tranche, si qu'estant dj sur l'eschaffault sa grace
+survint, que sa fille, qui estoit des plus belles, avoit obtenue, et,
+descendant de l'eschaffault, il ne dit autre chose sinon: Dieu sauve le
+bon c.. de ma fille, qui m'a si bien sauv!</p>
+
+<p>&mdash;Saint Augustin est en doute si un citoyen chrestien d'Antioche pcha
+quand, pour se dlivrer d'une grosse somme d'argent pour laquelle il
+estoit estroitement prisonnier, permit sa femme de coucher avec un
+gentilhomme fort riche qui lui promit de l'acquitter de son debte.</p>
+
+<p>Si saint Augustin est de cette opinion, que peut-il donc permettre
+plusieurs femmes, veufves et filles, qui pour rachepter leurs pres,
+parents et marys voire mesmes, abandonnent leur gentil corps sur force
+inconvnients qui leur surviennent, comme de prison, d'esclavitude, de
+la vie, des assauts et prise de ville, bref une infinit d'autres,
+jusques gaigner quelquesfois des capitaines et des soldats, pour les
+bien faire combattre et tenir leurs partis, ou pour soutenir un long
+sige et reprendre une place. J'en conterois cent sujets, pour ne
+craindre pour eux prostituer leur chastet; et quel mal en peut-il
+arriver ny escandale pour cela? mais un grand bien.<a name="page_064" id="page_064"></a></p>
+
+<p>Qui dira donc le contraire, qu'il ne face bon estre quelques fois cocu,
+puisque l'on en tire telles commoditez du salut de vies et de
+rembarquement de faveurs, grandeurs et dignitez et biens, que j'en
+cognois beaucoup, et en ay ouy parler de plusieurs, qui se sont bien
+avancs par la beaut et par le devant de leurs femmes?</p>
+
+<p>Je ne veux offenser personne; mais j'oserois bien dire que je tiens
+d'aucuns et d'aucunes que les dames leur ont bien servy, et que certes
+les valeurs d'aucuns ne les ont tant fait valoir qu'elles.</p>
+
+<p>&mdash;Je cognois une grande et habile dame, qui fit bailler l'ordre son
+mary, et l'eut luy seul avec les deux plus grands princes de la
+chrestient. Elle luy disoit souvent, et devant tout le monde (car elle
+estoit de plaisante compagnie, et rencontroit trs-bien). Ha! mon amy,
+que tu eusses couru long-temps fauvettes avant que tu eusses eu ce
+diable que tu portes au col.</p>
+
+<p>&mdash;J'en ay ouy parler d'un grand du temps du roy Franois, lequel ayant
+receu l'ordre, et s'en voulant prvaloir un jour devant feu M. de la
+Chastaigneraye mon oncle, et luy dit: Ha! que vous voudriez avoir cet
+ordre pendu au col aussi bien comme moy! Mon oncle, qui estoit prompt,
+haut la main, et scalabreux s'il en fut onc, lui respondit:
+J'aymerois mieux estre mort que de l'avoir par le moyen du trou que
+vous l'avez eu. L'autre ne luy dit rien, car il savoit bien qui il
+avoit faire.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy conter d'un grand seigneur, qui sa femme ayant sollicit et
+port en sa maison la patente d'une des grandes charges du pays o il
+estoit, que son prince lui avoit octroye par la faveur de sa femme, il
+ne la voulut accepter nullement, d'autant qu'il avoit sceu que sa femme
+avoit demeur trois mois avec le prince fort favorise, et non sans
+soupons. Il monstra bien par-l sa gnrosit, qu'il avoit toute sa vie
+manifeste: toutes fois il l'accepta, aprs avoir fait chose que je ne
+veux dire.</p>
+
+<p>Et voil comme les dames ont bien fait autant ou plus de chevaliers que
+les batailles, que je nommerois, les cognoissant aussi bien qu'un autre;
+n'estoit que je ne veux mesdire, ny faire escandale. Et si elles leur
+ont donn des honneurs, elles leur donnent bien des richesses.</p>
+
+<p>J'en cognois un qui estoit pauvre haire lorsqu'il amena sa femme la
+Cour, qui estoit trs-belle; et, en moins de deux ans, ils se remirent
+et devinrent fort riches.<a name="page_065" id="page_065"></a></p>
+
+<p>&mdash;Encore faut-il estimer ces dames qui eslvent ainsi leurs marys en
+biens, et ne les rendent coquins et cocus tout ensemble: ainsi que l'on
+dit de Marguerite de Namur, laquelle fut si sotte de s'engager et de
+donner tout ce qu'elle pouvoit Lois duc d'Orlans, luy qui estoit si
+grand et si puissant seigneur, et frre du Roy, et tirer de son mary
+tout ce qu'elle pouvoit, si bien qu'il en devint pauvre, et fut
+contraint de vendre sa comt de Bloys audit M. d'Orlans, lequel, pensez
+qu'il la luy paya de l'argent et de la substance mesmes que sa sotte
+femme luy avoit donne. Sotte bien estoit-elle, puisqu'elle donnoit
+plus grand que soy; et pensez qu'aprs il se moqua et de l'une et de
+l'autre; car il estoit bien homme pour le faire, tant il estoit volage
+et peu constant en amours.</p>
+
+<p>&mdash;Je cognois une grande dame, laquelle estant venu fort amoureuse d'un
+gentilhomme de la Cour, et luy par consquent joissant d'elle, ne luy
+pouvant donner d'argent, d'autant que son mari luy tenoit son trsor
+cach comme un prestre, lui donna la plus grande partie de ses
+pierreries, qui montoient plus de trente mille escus; si bien qu' la
+Cour on disoit qu'il pouvoit bien bastir, puisqu'il avoit force pierres
+amasses et accumules; et puis aprs, estant venue et escheue elle
+une grande succession, et ayant mis la main sur quelques vingt mille
+escus, elle ne les garda gures que son gallant n'en eust sa bonne part.
+Et disoit-on que si cette succession ne luy fust eschu, ne sachant que
+luy pouvoir plus donner, luy eust donn jusques sa robe et chemise; en
+quoy tels escroqueurs et escornifleurs sont grandement blasmer,
+d'aller ainsi allambiquer et tirer toute la substance de ces pauvres
+diablesses marteles et encapricies; car la bourse estant si souvent
+revisite, ne peut demeurer toujours en son enfleure, ni en son estre,
+comme la bourse de devant, qui est toujours en son mesme estat, et
+preste y pescher qui veut, sans y trouver dire les prisonniers qui y
+sont entrs et sortis. Ce bon gentilhomme, que je dis si bien empierr,
+vint quelque temps aprs mourir; et toutes ses hardes, la mode de
+Paris, vindrent estre cries et vendues l'encan, qui furent
+apprcies cela, et recognus pour les avoir veus la dame par
+plusieurs personnes, non sans grande honte de la dame.</p>
+
+<p>&mdash;Il y eut un grand prince, qui aymant une fort honneste dame, fit
+achepter une douzaine de boutons de diamants trs-brillants, et
+proprement mis en &oelig;uvre avec leurs lettres gyptiennes<a
+name="page_066" id="page_066"></a> et hiroglyfiques, qui contenoient leur
+sens cach, dont il en fit un prsent sadite maistresse, qui, aprs
+les avoir regardes fixement, lui dit qu'il n'en estoit meshuy plus
+besoin elle de lettres hiroglyfiques, puisque les escritures estoient
+des-j accomplies entre eux deux, ainsi qu'elles avoient est entre
+cette dame et le gentil homme de cy-dessus.</p>
+
+<p>J'ai cogneu une dame qui disoit souvent son mary qu'elle l rendroit
+plustost coquin que cocu; mais ces deux mots tenant de l'quivoque, un
+peu de l'un de l'autre assemblrent en elle et en son mary ces deux
+belles qualitez.</p>
+
+<p>&mdash;J'ai bien cogneu pourtant beaucoup et une infinit de dames qui n'ont
+pas ainsi fait: car elles ont plus tenu serr la bourse de leurs escus
+que de leur gentil corps: car, encor qu'elles fussent trs-grandes
+dames, elles ne vouloient donner que quelques bagues, quelques faveurs,
+et quelques autres petites gentillesses, manchons ou escharpes, pour
+porter pour l'amour d'elles et les faire valoir.</p>
+
+<p>&mdash;J'en ay cogneu une grande qui a est fort copieuse et liberale en
+cela; car la moindre de ses escharpes et faveurs qu'elle donnoit ses
+serviteurs estoit de cinq cents escus, de mille et de trois mille, o il
+y avoit plus de broderies, plus de perles, plus d'enrichissements, de
+chiffres, de lettres hirogiyfiques et belles inventions, que rien au
+monde n'estoit plus beau. Elle avoit raison, afin que ces prsents,
+aprs les avoir faits, ne fussent cachs dans des coffres ni dans des
+bourses, comme ceux de plusieurs autres dames, mais qu'ils parussent
+devant tout le monde, et que son amy les fist valoir en les contemplant
+sur sa belle commmoration, et que tels prsents en argent sentoient
+plustost leurs femmes communes qui donnent leurs ruffians, que non pas
+leurs grandes et honnestes dames. Quelquefois aussi elle donnoit bien
+quelques belles bagues de riches pierreries; car ces faveurs et
+escharpes ne se portent pas communment, si-non en un beau et bon
+affaire; au lieu que la bague au doigt tient bien mieux et plus
+ordinairement compagnie celuy qui la porte.</p>
+
+<p>&mdash;Certes un gentil cavalier et de noble c&oelig;ur doit estre de cette
+gnreuse complexion, de plustost bien servir sa dame pour les beautez
+qui la font reluire, que pour tout l'or et l'argent qui reluisent en
+elle.</p>
+
+<p>Quant moy, je me puis vanter d'avoir servy en ma vie d'honnestes
+dames, et non des moindres; mais si j'eusse voulu prendre<a
+name="page_067" id="page_067"></a> d'elles ce qu'elles m'ont prsent, et en
+arracher ce que j'eusse pu, je serois riche aujourd'huy, ou en bien, ou
+en argent, ou en meubles, de plus de trente mille escus que je ne suis;
+mais je me suis toujours content de faire paroistre mes affections,
+plus par ma gnrosit que par mon avarice.</p>
+
+<p>Certainement il est bien raison que, puisque l'homme donne du sien dans
+la bourse du devant de la femme, que la femme de mesme donne du sien
+aussi dans celle de l'homme, mais il faut en cela peser tout; car, tout
+ainsi que l'homme ne peut tant jetter et donner du sien dans la bourse
+de la femme comme elle voudroit, il faut aussi que l'homme soit si
+discret de ne tirer de la bourse de la femme tant comme il voudroit, et
+faut que la loy en soit gale et mesure en cela.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay bien veu aussi beaucoup de gentilshommes perdre l'amour de leurs
+maistresses par l'importunit de leurs demandes et avarices, et que les
+voyaus si grands demandeurs et si importuns d'en vouloir avoir, s'en
+dfaisoient gentiment et les plantoient l, ainsi qu'il estoit trs-bien
+employ.</p>
+
+<p>Voil pourquoy tout noble amoureux doit plustost estre tent de
+convoitise charnelle que pcuniaire; car quand la dame seroit par trop
+librale de son bien, le mary, le trouvant se diminuer, en est plus
+marry cent fois que de dix mille libralitez qu'elle feroit de son
+corps.</p>
+
+<p>Or, il y a des cocus qui se font par vengeance: cela s'entend que
+plusieurs qui hassent quelques seigneurs, gentilshommes ou autres,
+desquels en ont receu quelques desplaisirs et affronts, se vangent d'eux
+en faisant l'amour leurs femmes, et les corrompent en les rendant
+gallants cocus.</p>
+
+<p>&mdash;J'ai cogneu un grand prince, lequel ayant receu quelques traits de
+rbellion par un sien sujet grand seigneur, et ne se pouvant vanger de
+luy, d'autant qu'il le fuyoit tant qu'il pouvoit, de sorte qu'il ne le
+pouvoit aucunement attraper; sa femme estant un jour venue sa Cour
+solliciter l'accord et les affaires de son mary, le prince luy donna une
+assignation pour en confrer un jour dans un jardin et une chambre l
+auprs; mais ce fut pour lui parler d'amours, desquels il jouit fort
+facilement sur l'heure sans grande rsistance, car elle estoit de fort
+bonne composition: et ne se contenta de la repasser, mais d'autres la
+prostitua, jusques aux valets-de-chambre; et par ainsi disoit le prince
+qu'il se sentoit bien vang de son sujet, pour luy avoir ainsi
+repass<a name="page_068" id="page_068"></a> sa femme et couronn sa teste d'une belle couronne de cornes,
+puisqu'il vouloit faire du petit roy et du souverain; au lieu qu'il
+vouloit porter couronne de fleurs de lys<a name="FNanchor_23_23" id="FNanchor_23_23"></a><a href="#Footnote_23_23" class="fnanchor">[23]</a>, il lui en falloit bailler
+une belle de cornes.</p>
+
+<p>Ce mesme prince en fit de mesmes par la suasion de sa mre, qu'il joist
+d'une fille et princesse; sachant qu'elle devoit espouser un prince qui
+lui avoit fait desplaisir et troubl l'Estat de son frre bien fort, la
+dpucella et en joit bravement, et puis dans deux mois fut livre audit
+prince pour pucelle prtendue et pour femme, dont la vengeance en fit
+fort douce en attendant une autre plus rude, qui vint puis aprs<a name="FNanchor_24_24" id="FNanchor_24_24"></a><a href="#Footnote_24_24" class="fnanchor">[24]</a>.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay cogneu un fort honneste gentilhomme qui, servant une belle dame
+et de bon lieu, lui demandant la rcompense de ses services et amours,
+elle luy respondit franchement qu'elle ne luy en donneroit pas pour un
+double, d'autant qu'elle estoit trs-asseure qu'il ne l'aymoit tant
+pour cela, et ne luy portoit point tant d'affection pour sa beaut,
+comme il disoit, sinon qu'en joissant d'elle il se vouloit vanger de
+son mary qui luy avoit fait quelque desplaisir, et pour ce il en vouloit
+avoir ce contentement dans son ame, et s'en prvaloir puis aprs; mais
+le gentilhomme, luy asseurant du contraire, continua la servir plus de
+deux ans si fidlement et de si ardent amour, qu'elle en prit
+cognoissance ample et si certaine, qu'elle luy octroya ce qu'elle lui
+avoit tousjours refus, l'asseurant que si du commencement de leurs
+amours elle n'eust eu opinion de quelque vengeance projette en luy par
+ce moyen, elle l'eust rendu aussi bien content comme elle fit la fin;
+car son naturel estoit de l'aymer et favoriser. Voyez comme cette dame
+se sceut sagement commander, que l'amour ne la transporta point faire
+ce qu'elle desiroit le plus, sans qu'elle vouloit qu'on l'aymast pour
+ses mrites et non pour le seul sujet de vindicte.</p>
+
+<p>&mdash;Feu M. de Gua, un des parfaits et gallants gentilshommes du monde en
+tout, me convia la Cour un jour d'aller disner avec luy; il avoit
+assembl une douzaine des plus savants de la Cour, entre autres M.
+l'esvesque de Dole, de la maison d'Espinay en Bretagne, MM. de Ronsard,
+de Baf, Desportes, d'Aubigny (ces deux sont encore en vie, qui m'en
+pourroient dmentir), et d'autres<a name="page_069" id="page_069"></a> desquels ne me souviens, et n'y avoit
+homme d'espe que M. de Gua et moy. En devisant durant le disner de
+l'amour et des commoditez et incommoditez, plaisirs et desplaisirs, du
+bien et du mal qu'il apportoit en sa joissance, aprs que chacun eut
+dit son opinion et de l'un et de l'autre, il conclud que le souverain
+bien de cette joissance gisoit en cette vengeance, et pria un chacun de
+tous ces grands personnages d'en faire un quatrain <i>impromptu</i>; ce
+qu'ils firent. Je les voudrois avoir pour les insrer icy, sur lesquels
+M. de Dol, qui disoit et escrivoit d'or, emporta le prix.</p>
+
+<p>Et certes, M. de Gua avoit occasion de tenir cette proposition contre
+deux grands seigneurs que je say, leur faisant porter les cornes pour
+la haine qu'ils luy portoient; car leurs femmes estoient trs-belles:
+mais en cela il en tiroit double plaisir, la vengeance et le
+contentement. J'ay cogneu force gens qui se sont revangez et dlectez en
+cela, et si ont eu cette opinion.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay cogneu aussi de belles et honnestes dames, disant et affirmant
+que quand leurs marys les avoient maltraites et rudoyes et tanses ou
+censures, ou battues ou fait autres mauvais tours et outrages, leur
+plus grande dlectation estoit de les faire cornards, et en les faisant
+songer eux, les brocarder, se moquer et rire d'eux avec leurs amis,
+jusques-l de dire qu'elles en entroient davantage en apptit et certain
+ravissement de plaisir qui ne se pouvoit dire.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy parler d'une belle et honneste femme, laquelle estant
+demand une fois si elle avoit jamais fait son mary cocu, elle
+respondit: Et pourquoy l'aurois-je fait, puisqu'il ne m'a jamais battu
+ny menace? Comme voulant dire que, s'il eust fait l'un des deux, son
+champion de devant en eust tost fait la vengeance.</p>
+
+<p>&mdash;Et quant la mocquerie, j'ay cogneu une fort belle et honneste dame,
+laquelle estant en ces doux altres de plaisirs, e en ces doux bains de
+dlices et d'aise avec son amy, il lui advint qu'ayant un pendant
+d'oreille d'une corne d'abondance qui n'estoit que de verre noir, comme
+on les portoit alors, il vint, par force de se remuer et entrelasser et
+follastrer, se rompre. Elle dit son amy soudain: Voyez comme nature
+est trs-bien prvoyante; car pour une corne que j'ai rompue, j'en fais
+icy une douzaine d'autres mon pauvre cornard de mary, pour s'en parer
+un jour d'une bonne feste, s'il veut.</p>
+
+<p>Une autre ayant laiss son mary couch et endormy dans le lict,<a
+name="page_070" id="page_070"></a> vint voir son amy avant se coucher; et
+ainsi qu'il luy eut demand o estoit son mary, elle luy respondit: Il
+garde le lict et le nid du cocu, de peur qu'un autre n'y vienne pondre;
+mais ce n'est pas son lict, ny ses linceuls, ny son nid que vous
+en voulez, c'est moy qui vous suis venue voir, et l'ay laiss l en
+sentinelle, encore qu'il soit bien endormy.</p>
+
+<p>&mdash;A propos de sentinelle, j'ay ouy faire un conte d'un gentilhomme de
+valeur, que j'ai cogneu, lequel un jour venant en question avec une fort
+honneste dame que j'ay aussi cogneue, il luy demanda, par manire
+d'injure, si elle avoit jamais fait de voyage Saint-Mathurin<a name="FNanchor_25_25" id="FNanchor_25_25"></a><a href="#Footnote_25_25" class="fnanchor">[25]</a>.
+Ouy, dit-elle; mais je ne pus jamais entrer dans l'glise, car elle
+estoit si pleine et si bien garde de cocus, qu'ils ne m'y laissrent
+jamais entrer: et vous qui estis des principaux, vous estiez au clocher
+pour faire la sentinelle et advertir les autres.</p>
+
+<p>J'en conterois mille autres rises, mais je n'aurois jamais fait: si
+espre-je d'en dire pourtant en quelque coin de ce livre.</p>
+
+<p>&mdash;Il y a des cocus qui sont debonnaires, qui d'eux-mesmes se convient
+cette feste de cocuage; comme j'en ai cogneu aucuns qui disoient leurs
+femmes: Un tel est amoureux de vous, je le cognois bien, il nous vient
+souvent visiter, mais c'est pour l'amour de vous, mamie. Faites-luy
+bonne chere; il nous peut faire beaucoup de plaisir; son accointance
+nous peut beaucoup servir.</p>
+
+<p>D'autres disent aucuns: Ma femme est amoureuse de vous, elle vous
+ayme; venez la voir, vous lui ferez plaisir; vous causerez et deviserez
+ensemble, et passerez le temps. Ainsi convient-ils les gens leurs
+despens.</p>
+
+<p>Comme fit l'empereur Adrian, lequel estant un jour en Angleterre (ce dit
+sa vie) menant la guerre, eut plusieurs advis comme sa femme,
+l'imperatrice Sabine, faisoit l'amour, toutes restes Rome, avec
+force gallants gentilshommes romains. De cas de fortune, elle ayant
+escrit une lettre de Rome en hors un gentilhomme romain qui estoit
+avec l'empereur en Angleterre, se complaignant qu'il l'avoit oublie et
+qu'il ne faisoit plus compte d'elle, et qu'il n'estoit pas possible
+qu'il n'eust quelques amourettes par de-l, et que quelque mignone
+affette ne l'eust espris dans les lacs de sa beaut; celle lettre
+d'avanture tomba entre les mains<a name="page_071" id="page_071"></a> d'Adrian, et comme ce gentilhomme,
+quelques jours aprs, demanda cong l'Empereur sous couleur de vouloir
+aller jusques Rome promptement pour les affaires de sa maison, Adrian
+luy dit en se jouant: Eh bien, jeune homme, allez-y hardiment, car
+l'impratrice ma femme vous y attend en bonne dvotion. Quoy voyant le
+Romain, et que l'Empereur avoit descouvert le secret et luy en pourroit
+fort mauvais tour, sans dire adieu ny gare, partit la nuit aprs et
+s'enfuit en Irlande.</p>
+
+<p>Il ne devoit pas avoir grand peur pour cela, comme l'Empereur luy-mesme
+disoit souvent, estant abreuv toute heure des amours desbords de sa
+femme: Certainement si je n'estois empereur, je me serois bientost
+dfait de ma femme, mais je ne veux monstrer mauvais exemple. Comme
+voulant dire que n'importe aux grands qu'ils soient-l logs, aussi
+qu'ils ne se divulguent. Quelle sentence pourtant pour les grands!
+laquelle aucuns d'eux ont pratique, mais non pour ces raisons. Voil
+comme ce bon empereur assistoit joliment se faire cocu.</p>
+
+<p>&mdash;Le bon Marc Aurele, ayant sa femme Faustine une bonne vesse, et luy
+estant conseill de la chasser, il respondit: Si nous la quittons, il
+faut aussi quitter son douaire, qui est l'empire; et qui ne voudroit
+estre cocu de mesme pour un tel morceau, voire moindre?</p>
+
+<p>Son fils Antoninus Verus, dit Commodus, encore qu'il devint fort cruel,
+en dit de mesme ceux qui luy conseilloient de faire mourir ladite
+Faustine sa mre, qui fut tant amoureuse et chaude aprs un gladiateur,
+qu'on ne la put jamais gurir de ce chaud mal, jusques ce qu'on
+s'advisast de faire mourir ce maraut gladiateur et luy faire boire son
+sang.</p>
+
+<p>&mdash;Force marys ont fait et font de mesme que ce bon Marc Aurele, qui
+craignent de faire mourir leurs femmes putains, de peur d en perdre les
+grands biens qui en procedent, et ayment mieux estre riches cocus si
+bon march qu'estre coquins.</p>
+
+<p>&mdash;Mon Dieu! que j'ay cogneu plusieurs cocus qui ne cessoient jamais de
+convier leurs parents, leurs amys, leurs compagnons, de venir voir leurs
+femmes, jusques leur faire festins pour mieux les y attirer; et y
+estant, les laisser seuls avec elles dans leurs chambres, leurs
+cabinets, et puis s'en aller et leur dire: Je vous laisse ma femme en
+garde.</p>
+
+<p>&mdash;J'en ay cogneu un de par le monde, que vous eussis dit que toute sa
+flicit et contentement gisoit estre cocu, et s'estudioit<a
+name="page_072" id="page_072"></a> d'en trouver les occasions, et surtout
+n'oublioit ce premier mot: Ma femme est amoureuse de vous; l'aymez-vous
+autant qu'elle vous aime? Et quand il voyoit sa femme avec son
+serviteur, bien souvent il emmenoit la compagnie hors de la chambre pour
+s'aller pourmener, les laissant tous deux ensemble, leur donnant beau
+loisir de traitter leurs amours; et si par cas il avoit faire
+tourner prestement en la chambre, ds le bas du degr il crioit haut, il
+demandoit quelqu'un, il crachoit ou il toussoit, afin qu'il ne trouvast
+les amants sur le fait; car volontiers, encore qu'on le sache et qu'on
+s'en doute, ces vues et surprises ne sont guires agrables ny aux uns
+ny aux autres.</p>
+
+<p>Aussi ce seigneur faisant un jour bastir un beau logis, et le maistre
+masson luy ayant demand s'il ne le vouloit pas illustrer de corniches,
+il respondit: Je ne say que c'est que corniches; demandez-le ma
+femme, qui le sait et qui sait l'art de gomtrie; et ce qu'elle dira
+faites-le.</p>
+
+<p>&mdash;Bien fit pis un que je say, qui, vendant un jour une de ses terres
+un autre pour cinquante mille escus, il en prit quarante-cinq mille en
+or et argent, et pour les cinq restants il prit une corne de licorne;
+grande rise pour ceux qui le sceurent. Comme, disoient-ils, s'il
+n'avoit assez de cornes chez soy sans y adjouster celle-l.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay cogneu un trs-grand seigneur, brave et vaillant, lequel vint
+dire un honneste gentilhomme qui estoit fort son serviteur, en riant
+pourtant: Monsieur un tel, je ne say ce que vous avez fait ma femme,
+mais elle est si amoureuse de vous que jour et nuict elle ne me fait que
+parler de vous, et sans cesse me dit vos louanges. Pour toute response
+je luy dis que je vous connois plustost qu'elle, et say vos valeurs et
+vos mrites, qui sont grands. Qui fut estonn, ce fut ce gentilhomme,
+car il ne venoit que de mener cette dame sous le bras vespres, o la
+Reyne alloit. Toutes-fois le gentilhomme s'asseura tout d'un coup et luy
+dit: Monsieur, je suis trs-humble serviteur de madame vostre femme, et
+fort redevable de la bonne opinion qu'elle a de moi, et l'honore
+beaucoup; mais je ne luy fais pas l'amour (disoit-il en bouffonnant),
+mais je luy fais bien la cour par vostre bon advis que vous me donnastes
+dernierement; d'autant qu'elle peut beaucoup l'endroit de ma
+maistresse, que je puis espouser par son moyen, et par ainsi j'espre
+qu'elle m'y sera aidante.</p>
+
+<p>Ce prince n'en fit plus autre semblant, si-non que de rire et<a
+name="page_073" id="page_073"></a> admonester le gentilhomme de courtiser sa
+femme plus que jamais, ce qu'il fit, estant bien-aise sous ce prtexte
+de servir une si belle dame de prince, laquelle luy faisoit bien oublier
+son autre maistresse qu'il vouloit espouser, et ne s'en soucier guires,
+si-non que ce masque bouchoit et dguisoit tout.</p>
+
+<p>Si ne put-il faire tant qu'il n'entrast un jour en jalousie, que voyant
+ce gentilhomme dans la chambre de la Reyne porter au bras un ruban
+incarnadin d'Espagne, qu'on avoit apport par belle nouveaut la Cour,
+et l'ayant tast et mani en causant avec luy, alla trouver sa femme,
+qui estoit prs du lict de la Reyne, qui en avoit un tout pareil, lequel
+il mania et toucha tout de mesme, et trouva qu'il estoit tout semblable
+et de la mesme pice que l'autre: si n'en sonna-il pourtant jamais mot,
+et n'en fut autre chose. Et de telles amours il en faut couvrir si bien
+les feux par telles cendres de discrtion et de bons advis, qu'elles ne
+se puissent descouvrir; car bien souvent l'escandale ainsi descouvert
+dpite plus les marys contre leurs femmes, que quand le tout se fait
+cachettes, pratiquant en cela le proverbe: <i>Si non caste, tamen
+caute</i><a name="FNanchor_26_26" id="FNanchor_26_26"></a><a href="#Footnote_26_26" class="fnanchor">[26]</a>.</p>
+
+<p>&mdash;Que j'ay veu en mon temps de grands escandales et de grands
+inconvnients pour les indiscrtions et des dames et de leurs
+serviteurs! Que leurs marys s'en soucioient aussi peu que rien, mais
+qu'ils fissent bien leurs faits, <i>sotto coperte</i><a name="FNanchor_27_27" id="FNanchor_27_27"></a><a href="#Footnote_27_27" class="fnanchor">[27]</a>, comme on dist, et
+ne fust point divulgu.</p>
+
+<p>&mdash;J'en ay cogneu une qui tout trac faisoit paroistre ses amours et ses
+faveurs, qu'elle dpartoit comme si elle n'eust eu de mary et ne fust
+est sous aucune puissance, n'en voulant rien croire l'advis de ses
+serviteurs et amys, qui lui en remonstroient les inconvnients: aussi
+bien mal luy en a-t-il pris.</p>
+
+<p>Cette dame n'a jamais fait ce que plusieurs autres dames ont fait: car
+elles ont gentiment traitt l'amour, et se sont donnes du bon temps
+sans en avoir donn grand connoissance au monde, sinon par quelques
+soupons lgers, qui n'eussent jamais pu monstrer la vrit aux plus
+clairvoyants; car elles accostoient leurs serviteurs devant le monde si
+dextrement, et les entretenoient si escortement<a name="FNanchor_28_28" id="FNanchor_28_28"></a><a href="#Footnote_28_28" class="fnanchor">[28]</a> que ny leurs marys
+ny les espions de leur vie n'y<a name="page_074" id="page_074"></a> eussent sceu que mordre; et quand ils
+alloient en quelque voyage, ou qu'ils vinssent mourir, elles
+couvroient et cachoient leurs couleurs si sagement qu'on n'y connoissoit
+rien.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay cogneu une dame belle et honneste, laquelle, le jour qu'un grand
+seigneur son serviteur mourut, elle parut en la chambre de la Reyne avec
+un visage aussi guay et riant que le jour paravant. D'aucuns l'en
+estimoient de cette discrtion, et qu'elle le faisoit de peur de
+desplaire et irriter le Roy, qui n'aymoit pas le trespass. D'aucuns la
+blasmoient, attribuant ce geste plustost manquement d'amour, comme
+l'on disoit qu'elle n'en estoit guires bien garnie, ainsi que sont
+toutes celles qui se meslent de cette vie.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay cogneu deux belles et honnestes dames, lesquelles, ayant perdu
+leurs serviteurs en une fortune de guerre, firent de tels regrets et
+lamentations, et monstrrent leur dueil par leurs habits bruns, plus
+d'eau-benistiers, d'aspergez d'or engravez, plus de testes de morts, et
+de toutes sortes de trophes de la mort en leurs affiquets, joyaux et
+bracelets qu'elles portoient, qui les escandalisrent fort, et cela leur
+nuict grandement; mais leurs marys ne s'en soucioient autrement.</p>
+
+<p>Voil en quoy ces dames se transportent en la publication de leurs
+amours, lesquelles pourtant on doit louer et priser en leurs constances,
+mais non en leur discrtion; car pour cela il leur en fait trs-mal. Et
+si telles dames sont blasmables en cela, il y a beaucoup de leurs
+serviteurs qui en mritent bien la rprimande aussi bien qu'elles; car
+ils contrefont des transis comme une chevre qui est en gesine, et des
+langoureux; ils jettent leurs yeux sur elles et les envoyent en
+ambassade; ils font des gestes passionns, des souspirs devant le monde;
+ils se parent des couleurs de leurs dames si apparemment; bref, ils se
+laissent aller tant de sottes indiscrtions, que les aveugles s'en
+appercevroient: les uns aussi bien pour le faux que pour le vray, afin
+de donner entendre toute une Cour qu'ils sont amoureux en bon lieu,
+et qu'ils ont bonne fortune; et Dieu sait, possible, on ne leur en
+donneroit pas l'aumosne pour un liard, quand bien on en devroit perdre
+les &oelig;uvres de charit.</p>
+
+<p>&mdash;Je cognois un gentilhomme et seigneur, lequel, voulant abrever le
+monde qu'il estoit venu amoureux d'une belle et honneste dame que je
+say, fit un jour tenir son petit mulet avec deux de ses pages et
+laquais au devant sa porte. Par cas, M. de<a name="page_075" id="page_075"></a> Strozze et moy passasmes
+par-l et vismes ce mystere de ce mulet, ces pages et laquais. Il leur
+demanda soudain o estoit leur maistre; ils firent response qu'il estoit
+dans le logis de cette dame, quoy M. de Strozze se mit rire et me
+dire que sur sa vie il gaigeroit qu'il n'y estoit point, et soudain posa
+son page en sentinelle pour voir si ce faux amant sortiroit; et de-l
+nous en allasmes soudain en la chambre de la Reyne, o nous le
+trouvasmes, et non sans rire luy et moy: et sur le soir nous le vinsmes
+accoster, et en feignant de luy faire la guerre, nous luy demandasmes o
+il estoit telle heure aprs-midy, et qu'il ne s'en sauroit laver, car
+nous y avions veu le mulet et ses pages devant la porte de cette dame.
+Luy, faisant la mine d'estre fasch que nous avions veu cela, et de quoy
+nous luy en faisions la guerre de faire l'amour en ce bon lieu, il nous
+confessa vrayment qu'il y estoit; mais il nous pria de n'en sonner mot,
+autrement que nous le mettrions en peine, et cette pauvre dame qui en
+seroit escandalise et mal venue de son mary, ce que nous luy promismes
+riants tousjours pleine gorge et nous mocquant de luy, encor qu'il
+fust assez grand seigneur et qualifi, de n'en parler jamais et que cela
+ne sortiroit de nostre bouche. Si est-ce qu'au bout de quelques jours
+qu'il continuoit ses coups faux avec son mulet trop souvent, nous luy
+descouvrismes la fourbe et luy en fismes la guerre bon escient et en
+bonne compagnie, dont de honte s'en desista; car la dame le sceut par
+nostre moyen, qui fit guetter un jour le mulet et les pages, les faisant
+chasser de devant sa porte comme gueux de l'hostiere: et si fismes bien
+mieux, car nous le dismes son mary, et luy en fismes le conte si
+plaisamment, qu'il le trouva si bon qu'il en rit luy-mesmes son aise,
+et dist qu'il n'avoit pas peur que cet homme le fist jamais cocu; et que
+s'il ne trouvoit ledit mulet et ses pages bien logs la porte, qu'il
+la leur feroit ouvrir et entrer dedans, pour les mettre mieux couvert
+et leur aise, et se garder du chaud ou du froid, ou de la pluye.
+D'autres pourtant le faisoient bien cocu. Et voil comme ce bon
+seigneur, aux despens de cette honneste dame, de laquelle en estant
+devenu amoureux, se vouloit prvaloir sans avoir respect d'aucun
+escandale.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay cogneu un gentilhomme qui escandalisa par ses faons de faire une
+fort belle et honneste dame, de laquelle en estant devenu amoureux
+quelque temps, et la pressant d'en obtenir ce bon petit morceau gard
+pour la bouche du mary, elle luy refusa tout plat, et aprs plusieurs
+refus, il luy dit comme desespr:<a name="page_076" id="page_076"></a> H bien! vous ne le voulez pas, et
+je vous jure que je vous ruinerai d'honneur. Et pour ce faire s'advisa
+de faire tant d'alles et venues cachettes, mais pourtant non si
+secrettes qu'il ne se montrast plusieurs yeux exprs, et donnast moyen
+de s'en appercevoir de nuict et de jour, la maison o elle se tenoit;
+braver et se vanter sous main de ses bonnes fausses fortunes, et devant
+le monde rechercher la dame avec plus de privautez qu'il n'avoit
+occasion de le faire, et parmy ses compagnons faire du gallant plus pour
+le faux que pour le vray; si bien qu'estant venu un soir fort tard en la
+chambre de cette dame tout bousch de son manteau, et se cachant de ceux
+de la maison, aprs avoir jou plusieurs de ces tours, fut soubonn par
+le maistre d'hostel de la maison, qui fit faire le guet: et, ne l'ayant
+pu trouver, le mary pourtant battit sa femme et luy donna quelques
+soufflets, mais pouss aprs du maistre d'hostel, qui luy dit que ce
+n'estoit assez, la tua et la dagua, et en eut du Roy fort aisment sa
+grace. Ce fut grand dommage de cette dame, car elle estoit trs-belle.
+Depuis, ce gentilhomme qui en avoit est cause ne le porta guires loin,
+et fut tu en une rencontre de guerre par permission de Dieu, pour avoir
+si injustement ost l'honneur et la vie cette honneste dame.</p>
+
+<p>Pour dire la vrit sur cet exemple et sur une infinit d'autres que
+j'ay veus, il y a aucunes dames qui ont grand tort d'elles-mesmes, et
+qui sont les vrayes causes de leurs escandales et deshonneur; car
+elles-mesmes vont attaquer les escarmouches, et attirent les gallants
+elles, et du commencement leur font les plus belles caresses du monde,
+des privautez, des familiaritez, leur donnent par leurs doux attraits et
+belles paroles des esprances; mais quand il faut venir ce point,
+elles le desnient tout plat. De sorte que les honnestes hommes qui
+s'estoient proposez force choses plaisantes de leur corps, se
+desesperent et se despitent en prenant un cong rude d'elles, les vont
+deshonorant et les publient pour les plus grandes vesses du monde, et en
+content cent fois plus qu'il n'y en a.</p>
+
+<p>Donc voil pourquoy il ne faut jamais qu'une honneste dame se mesle
+d'attirer soy un gallant gentilhomme, et se laisse servir luy, si
+elle ne le content[contente?] la fin selon ses mrites et ses
+services.</p>
+
+<p>Il faut qu'elle se propose cela si elle ne veut estre perdue, mesme si
+elle a affaire un honneste et gallant homme; autrement,<a
+name="page_077" id="page_077"></a> ds le commencement, s'il la vient
+accoster, et qu'elle voye que ce soit pour ce point tant desir qui il
+adresse ses v&oelig;ux, et qu'elle n'aye point envie de luy en donner, il
+faut qu'elle luy donne son cong ds l'entre du logis; car, pour en
+parler franchement, toutes dames qui se laissent aymer et servir
+s'obligent tellement, qu'elles ne se peuvent ddire du combat; il faut
+qu'elles y viennent tost ou tard, quoy qu'il tarde.</p>
+
+<p>Mais il y a des dames qui se plaisent se faire servir pour rien, sinon
+pour leurs beaux yeux, et disent qu'elles desirent estre servies, que
+c'est leur flicit, mais non de venir l, et disent qu'elles prennent
+plaisir desirer, et non excuter. J'en ay veu aucunes qui me l'ont
+dit: toutesfois il ne faut pourtant qu'elles le prennent l, car si une
+fois elles se mettent desirer, sans point de doute il faut qu'elles
+viennent l'excution; car ainsi la loy d'amour le veut, et que toute
+dame qui desire, ou souhaite, ou songe de vouloir desirer soy un
+homme, cela est fait: si l'homme le connoist et qu'il poursuive
+fermement celle qu'il attaque, il en aura ou pied ou aile, ou plume ou
+poil, comme on dit.</p>
+
+<p>&mdash;Voil donc comme les pauvres marys se font cocus par telles opinions
+de dames qui veulent desirer et non pas excuter, mais, sans y penser,
+elles se vont brusler la chandelle, ou bien au feu qu'elles ont basty
+d'elles-mesmes, ainsi que font ces pauvres simplettes bergres,
+lesquelles, pour se chauffer parmy les champs en gardant leurs moutons
+et brebis, allument un petit feu, sans songer aucun mal ou
+inconvnient; mais elles ne se donnent de garde que ce petit feu s'en
+vient quelquesfois allumer un si grand, qu'il brusle tout un pays de
+landes et de taillis.</p>
+
+<p>Il faudroit que telles dames prissent l'exemple, pour les faire sages,
+de la comtesse d'Escaldasor, demeurant Pavie, laquelle M. de Lescu,
+qui depuis fut appel le mareschal de Foix, estudiant Pavie (et pour
+lors le nommoit-on le protenotaire de Foix, d'autant qu'il estoit ddi
+ l'glise; mais depuis il quitta la robbe longue pour prendre les
+armes), faisant l'amour cette belle dame, d'autant que pour lors elle
+emportoit le prix de la beaut sur les belles de Lombardie, et s'en
+voyant presse, et ne le voulant rudement mecontenter, ny donner son
+cong, car il estoit proche parent de ce grand Gaston de Foix, M. de
+Nemours, sous le grand renom duquel alors toute l'Italie trembloit; et
+un jour d'une grande magnificence et de feste, qui se faisoit Pavie,
+o toutes les grandes dames, et mesmes les plus belles de la ville et
+d'alentour, se trouvrent<a name="page_078" id="page_078"></a> ensemble, les honnestes gentilshommes ne
+manqurent pas aussi de s'y trouver.</p>
+
+<p>Cette comtesse parut belle entre toutes les autres, pompeusement
+habille d'une robbe de satin bleu cleste, toute couverte et seme,
+autant pleine que vuide, de flambeaux et papillons volletans l'entour
+et s'y bruslans, le tout en broderie d'or et d'argent, ainsi que de tout
+temps les bons brodeurs de Milan ont sceu bien faire par-dessus les
+autres; si bien qu'elle emporta l'estime d'estre le mieux en point de
+toute la troupe et compagnie.</p>
+
+<p>M. le protenotaire de Foix, la menant danser, fut curieux de luy
+demander la signification des devises de sa robbe, se doutant bien qu'il
+y avoit l-dessous quelque sens cach qui ne luy plaisoit pas. Elle luy
+respondit: Monsieur, j'ay fait faire ma robbe de la faon que les gens
+d'armes et cavaliers font leurs chevaux rioteux et vitieux, qui ruent
+et qui tirent du pied; ils leur mettent sur leur crouppe une grosse
+sonnette d'argent, afin que, par ce signal, leurs compagnons, quand ils
+sont en compagnie et en foule, soient advertis de se donner garde de ce
+meschant cheval qui ru, de peur qu'il ne les frappe. Pareillement, par
+les papillons volletans et se bruslans dans ces flambeaux, j'advertis
+les honnestes hommes qui me font ce bien de m'aymer et admirer ma
+beaut, de n'en approcher trop prs, ny en desirer davantage autre chose
+que la veu; car ils n'y gagneront rien, non plus que les papillons,
+sinon desirer et brusler, et n'en avoir rien plus. Cette histoire est
+escritte dans les <i>Devises de Paolo Jovio</i>. Par ainsi, cette dame
+advertissoit son serviteur de prendre garde soy de bonne heure. Je ne
+say s'il en approcha de plus prs, ou comme il en fit; mais pourtant,
+luy, ayant t bless mort la bataille de Pavie, et pris prisonnier,
+il pria d'estre port chez cette comtesse, son logis dans Pavie, o il
+fut trs-bien receu et traitt d'elle. Au bout de trois jours, il y
+mourut, avec le grand regret de la dame, ainsi que j'ay ouy conter M.
+de Monluc, une fois que nous estions dans la tranche La Rochelle, de
+nuict, qu'il estoit en ses causeries, et que je luy fis le conte de
+cette devise, qui m'asseura avoir veu cette comtesse trs-belle, et qui
+aymoit fort ledit mareschal, et fut bien honnorablement traitt d'elle:
+du reste, il n'en savoit rien si d'autrefois ils avoient pass plus
+outre. Cet exemple devroit suffire pour plusieurs et aucunes dames que
+j'ay allegu.<a name="page_079" id="page_079"></a></p>
+
+<p>&mdash;Or, y a des cocus qui sont si bons, qu'ils font prescher et admonester
+leurs femmes, par gens de bien et religieux, sur leur conversion et
+corrections; lesquelles, par larmes feintes et paroles dissimules, font
+de grands v&oelig;ux, promettants monts et merveilles de repentance, et de
+n'y retourner jamais plus; mais leur serment ne dure guieres, car les
+v&oelig;ux et les larmes de telles dames valent autant que jurements et
+reniements d'amoureux. Comme j'en ay veu et cogneu une dame laquelle
+un grand prince, son souverain, fit cette escorne d'introduire et
+apposter un cordelier d'aller trouver son mary qui estoit en une
+province pour son service, comme de soy-mesme et venant de la Cour,
+l'advertir des amours folles de sa femme et du mauvais bruit qui couroit
+du tort qu'elle luy faisoit; et que, pour son devoir de son estat et
+vacation, il l'en advertissoit de bonne heure, afin qu'il mist ordre
+cette ame pcheresse. Le mary fut bien esbahy d'une telle ambassade et
+doux office de charit: il n'en fit autre semblant pourtant, si-non de
+l'en remercier et luy donner esprance d'y pourvoir; mais il n'en
+traitta point sa femme plus mal son retour: car qu'y eust-il gaign?
+Quand une femme une fois s'est mise ce train, elle ne s'en dtraque
+non plus qu'un cheval de poste qui a accoustum si fort le gallop, qu'il
+ne le sauroit changer en un autre train d'aller.</p>
+
+<p>H! combien s'est-il veu d'honnestes dames qui, ayant t surprises sur
+ce fait, tances, battues, persuades et remonstres, tant par force que
+par douceur, de n'y tourner jamais plus, elles promettent, jurent et
+protestent de se faire chastes, que puis aprs pratiquent ce proverbe,
+<i>Passato il pericolo, gabatto il santo</i><a name="FNanchor_29_29" id="FNanchor_29_29"></a><a href="#Footnote_29_29" class="fnanchor">[29]</a>, et retournent plus que
+jamais en l'amoureuse guerre. Voire qu'il s'en est veu plusieurs
+d'elles, se sentant dans l'ame quelque ver rongeant, qui d'elles-mesmes
+faisoient des v&oelig;ux bien saints et fort solennels, mais ne les
+gardoient guires, et se repentoient d'estre repenties, ainsi que dit M.
+du Bellay des courtisannes repenties<a name="FNanchor_30_30" id="FNanchor_30_30"></a><a href="#Footnote_30_30" class="fnanchor">[30]</a>; et telles femmes affirment
+qu'il est bien mal-ais de se dfaire<a name="page_080" id="page_080"></a> pour tout jamais d'une si douce
+habitude et coustume, puisqu'elles sont si peu en leur courte demeure
+qu'elles font en ce monde.</p>
+
+<p>Je m'en rapporterois volontiers aucunes belles filles, jeunes,
+repenties, qui se sont voiles et recluses, si on leur demandoit et en
+foy et en conscience ce qu'elles en respondroient, et comme elles
+desireroient bien souvent leurs hautes murailles abbattues pour s'en
+sortir aussi-tost.</p>
+
+<p>Voil pourquoy ne faut point que les marys pensent autrement rduire
+leurs femmes aprs qu'elles ont fait la premire fausse pointe de leur
+honneur, si-non de leur lascher la bride, et leur recommander seulement
+la discrtion et tout guariment d'escandale; car on a beau porter tous
+les remdes d'amour qu'Ovide a jamais appris, et une infinit qui se
+sont encore inventez sublins, ny mesmes les authentiques de maistre
+Franois Rabelais, qu'il apprit au vnrable Panurge, n'y serviront
+jamais rien; ou bien, pour le meilleur, pratiquer un refrain d'une
+vieille chanson qui fut faite du temps de Franois I, qui dit: Qui
+voudroit garder qu'une femme n'aille du tout l'abandon, il la faudrait
+fermer dans une pippe, et en joir par le bondon.</p>
+
+<p>&mdash;Du temps du roy Henry, il y eut un certain quincailleur qui apporta
+une douzaine de certains engins la foire de Sainct Germain pour brider
+le cas des femmes<a name="FNanchor_31_31" id="FNanchor_31_31"></a><a href="#Footnote_31_31" class="fnanchor">[31]</a>, qui estoient faits de fer et ceinturoient comme
+une ceinture, et venoient prendre par le bas et se fermer clef; si
+subtilement faits, qu'il n'estoit pas possible que la femme, en estant
+bride une fois, s'en peust jamais prvaloir pour ce doux plaisir,
+n'ayant que quelques petits trous menus pour servir pisser.</p>
+
+<p>On dit qu'il y eut quelque cinq ou six marys jaloux fascheux qui en
+acheptrent et en bridrent leurs femmes de telle faon qu'elles purent
+bien dire: Adieu bon temps. Si y en eut-il une qui s'advisa de
+s'accoster d'un serrurier fort subtil en son art, qui ayant monstr
+ledit engin, et le sien et tout, son mary estant all dehors aux champs,
+il y appliqua si bien son esprit qu'il luy forgea une fausse clef, que
+la dame le fermoit et ouvroit toute heure et quand elle vouloit. Le
+mary n'y trouva jamais rien dire: et se donna son saoul de ce bon
+plaisir, en dpit du fat jaloux, cocu de mary, pensant vivre toujours en
+franchise de cocuage. Mais ce meschant serrurier, qui fit la fausse
+clef, gasta tout; et si<a name="page_081" id="page_081"></a> fit mieux, ce qu'on dit, car ce fut le
+premier qui en tasta et le fit cornard: aussi n'y avoit-il danger, car
+Vnus, qui fut la plus belle femme et putain du monde, avoit Vulcain,
+serrurier et forgeron, pour mary, lequel estoit un fort vilain, salle,
+boiteux et trs-laid.</p>
+
+<p>On dit bien plus, qu'il y eut beaucoup de gallants honnestes gentihommes
+de la Cour qui menacrent de telle faon le quinquaillier, que, s'il se
+mesloit jamais de porter telles ravauderies, qu'on le tueroit, et qu'il
+n'y retournast plus et jettast tous les autres qui estoient restez dans
+le retrait, ce qu'il fit; et depuis onc n'en fut parl, dont il fut bien
+sage, car c'estoit assez pour faire perdre la moiti du monde, faute
+de ne le peupler, par tels bridements, serrures et fermoirs de nature,
+abominables et dtestables ennemis de la multiplication humaine.</p>
+
+<p>&mdash;Il y en a qui baillent leurs femmes garder des eunuques, que
+l'empereur Alexandre Severus rejetta fort, avec rude commandement de ne
+pratiquer jamais les dames romaines; mais ils y ont est attraps, non
+qu'ils engendrassent et les femmes conceussent d'eux, mais en recevoient
+quelques sentiments et superficies de plaisirs lgers, quasi approchants
+du grand parfait: dont aucuns ne s'en soucient point, disants que leur
+principal marisson de l'adultere de leurs femmes ne procdoit pas de ce
+qu'elles s'en faisoient donner, mais qu'il leur faschoit grandement de
+nourrir et lever et tenir pour enfants ceux qu'ils n'avoient pas faits.
+Car sans cela ce fust est le moindre de leurs soucis, ainsi que j'en ay
+cogneu aucuns et plusieurs, lesquels, quand ils trouvoient bons et
+faciles ceux qui les avoient faits leurs femmes, donner un bon
+revenu, les entretenir, ne s'en donnoient aucunement soucy, ainsi
+qu'ils conseillent leurs femmes de leur demander, et les prier de
+donner quelque pension pour nourrir et entretenir le petit qu'elles ont
+eu d'eux. Comme j'ay ouy conter d'une grande dame, laquelle eut
+Villecouvin, enfant du roi Franois I: elle le pria de lui donner ou
+assigner quelque peu de bien, avant qu'il mourust, pour l'enfant qu'il
+luy avoit fait; ce qu'il fit, et luy assigna deux cents mille escus en
+banque, qui luy profitrent et coururent toujours d'intrts et de
+change en change: en sorte qu'estant venu grand, il despensoit si
+magnifiquement et paroissoit en si belle despense et en jeux la Cour,
+qu'un chacun s'en estonnoit, et prsumoit-on qu'il joissoit de quelque
+dame qu'on n'eusse point pens, et ne croyoit-on sa mere<a
+name="page_082" id="page_082"></a> nullement; mais d'autant qu'il ne
+bougeoit d'avec elle, un chacun jugeoit que la grande despense qu'il
+faisoit procdoit de la joissance d'elle, et pourtant c'estoit le
+contraire, car elle estoit sa mere, et peu de gens le savoient, encore
+qu'on ne sceut bien sa ligne ni procration, si ce n'est qu'il vint
+mourir Constantinople, et son aubene, comme bastard, fut donne au
+mareschal de Retz, qui estoit fin et sublin descouvrir tel pot aux
+roses, mesmes pour son profit, qu'il eust pris sur la glace, et vrifia
+la bastardise qui avoit est si long-temps cache, et emporta le don
+d'aubene pardessus M. de Teligny, qui avoit est constitu hritier
+dudit Villecouvin.</p>
+
+<p>D'autres disoient pourtant que cette dame avoit eu cet enfant d'autres
+que du Roy, et qu'elle l'avoit ainsi enrichy du sien propre; mais M. de
+Retz esplucha et chercha tant parmy les banques, qu'il y trouva l'argent
+et les obligations du roy Franois. Les uns disoient pourtant d'un autre
+prince non si grand que le Roy, ou d'un autre moindre; mais, pour
+couvrir et cacher tout, et nourrir l'enfant, il n'estoit pas mauvais de
+supposer tout la Majest, comme cela se voit en d'autres.</p>
+
+<p>Je croy qu'il y a plusieurs femmes parmy le monde, et mesmes en France,
+que si elles pensoient produire des enfants tel prix, que les roys et
+les grands monteroient aisment sur leurs ventres. Mais bien souvent ils
+y montent et n'en ont de grandes lippes; dont en ce elles sont bien
+trompes, car tels grands volontiers ne s'adonnent-elles, sinon pour
+avoir le galardon<a name="FNanchor_32_32" id="FNanchor_32_32"></a><a href="#Footnote_32_32" class="fnanchor">[32]</a>, comme dit l'Espagnol.</p>
+
+<p>Il y a une fort belle question sur ces enfants putatifs et incertains,
+savoir s'ils doivent succder aux biens paternels et maternels, et que
+c'est un grand pch aux femmes de les y faire succder; dont aucuns
+docteurs ont dit que la femme le doit rvler au mary, et en dire la
+vrit. Ainsi le refere le docteur subtil. Mais cette opinion n'est pas
+bonne, disent autres, parce que la femme se diffameroit soy-mesme en le
+rvlant, et pour autant elle n'y est tenu; car la bonne renomme est
+un plus grand bien que les biens temporels, dit Salomon.</p>
+
+<p>Il vaut donc mieux que les biens soient occupez par l'enfant, que la
+bonne renomme se perde; car, comme dit un ancien proverbe, <i>mieux vaut
+bonne renomme que ceinture dore</i>.<a name="page_083" id="page_083"></a></p>
+
+<p>De l les thologiens tirent une maxime qui dit que quand deux prceptes
+et commandements nous obligent, le moindre doit cder au plus grand; or
+est-il que le commandement de garder sa bonne renomme est plus grand
+que celui qui concede de rendre le bien d'autruy; il faut donc qu'il
+soit prfr celuy-l.</p>
+
+<p>De plus, si la femme rvele cela son mary, elle se met en danger
+d'estre tue du mary mesme, ce qui est fort deffendu de se pourchasser
+la mort, non pas mesmes est permis une femme de se tuer de peur
+d'estre viole ou aprs l'avoir est; autrement elle pcheroit
+mortellement: si-bien qu'il vaut mieux permettre d'estre viole, si on
+n'y peut, en criant ou fuyant, remdier, que de se tuer soy-mesme; car
+le violement du corps n'est point pch, si-non du consentement de
+l'esprit. C'est la rponse que fit sainte Luce au tyran qui la menaoit
+de la faire mener au bourdeau. Si vous me faites, dit-elle, forcer, ma
+chastet recevra double couronne.</p>
+
+<p>Pour cette raison, Lucrece est taxe d'aucuns. Il est vray que sainte
+Sabine et sainte Sophonienne, avec d'autres pucelles chrestiennes,
+lesquelles se sont prives de vie afin de ne tomber entre les mains des
+barbares, sont excuses de nos pres et docteurs, disant qu'elles ont
+fait cela pour certain mouvement du Saint-Esprit.</p>
+
+<p>Par lequel Saint-Esprit, aprs la prise de Cypre, une damoiselle
+cypriotte nouvellement chrestienne, se voyant emmener esclave avec
+plusieurs autres pareilles dames, pour estre la proye des Turcs, mit le
+feu secretement dans les poudres de la gallere, si-bien qu'en un moment
+tout fut embraz et consum avec elle, disant: A Dieu ne plaise que nos
+corps soient pollus et cogneus par ces vilains Turcs et Sarrasins! Et
+Dieu sait, possible, qu'il avoit est desja pollu, et en voulut ainsi
+faire la pnitence; si ce n'est que son maistre ne l'avoit voulu
+toucher, afin d'en tirer plus d'argent la vendant vierge, comme l'on est
+friand de taster en ces pays, voire en tous autres, un morceau intact.</p>
+
+<p>Or, pour retourner encor la garde noble de ces pauvres femmes, comme
+j'ay dit, les ennuques ne laissent commettre adultere avec elles, et
+faire leurs marys cocus, rserv la procration part.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay cogneu deux femmes en France qui se mirent aymer deux chastrez
+gentilhommes, afin de n'engroisser point; et pourtant en avoient
+plaisir, et si ne se scandalisoient. Mais il y a eu des marys<a
+name="page_084" id="page_084"></a> si jaloux en Turquie et en Barbarie,
+lesquels s'estants apperceus de cette fraude, ils se sont advisez de
+faire chastrer tout trac leurs pauvres esclaves, et leur couper tout
+net, dont, ce que disent et escrivent ceux qui ont pratiqu la
+Turquie, il n'en reschappe deux de douze ausquels ils exercent cette
+cruaut, qu'ils ne meurent; et ceux qui en eschappent, ils les ayment et
+adorent comme vrays, seurs et chastes gardiens de la chastet de leurs
+femmes et garantisseurs de leur honneur.</p>
+
+<p>Nous autres Chrestiens n'usons point de ces vilaines rigueurs et par
+trop horribles; mais au lieu de ces chastrez, nous leur donnons des
+vieillards sexagnaires, comme l'on fait en Espagne et mesmes la Cour
+des Reynes de-l, lesquels j'ay veu gardiens des filles de leur cour et
+de leur suite: et Dieu sait, il y a des vieillards cent fois plus
+dangereux perdre filles et femmes que les jeunes, et cent fois plus
+inventifs, plus chaleureux et industrieux les gaigner et corrompre.</p>
+
+<p>Je croy que telles gardes, pour estre chenues et la teste et au
+menton, ne sont pas plus seures que les jeunes, et les vieilles femmes
+non plus; ainsi comme une vieille gouvernante espagnole conduisant ses
+filles et passant par une grande salle et voyant des membres naturels
+peints l'advantage, et fort gros et desmesurez, contre la muraille, se
+prit dire: <i>Mira que tan bravos no los pintan estos hombres, como
+quien no los cognosciesse</i>. Et ses filles se tournrent vers elles, et y
+prindrent avis, fors une que j'ay cogneu, qui, contrefaisant de la
+simple, demanda une de ses compagnes quels oiseaux estoient ceux-l:
+car il y en avoit aucuns peints avec des ailes. Elle luy respondit que
+c'estoient oiseaux de Barbarie, plus beaux en leur naturel qu'en
+peinture; et Dieu sait si elle n'en avoit point veu jamais; mais il
+falloit qu'elle en fist la mine.</p>
+
+<p>Beaucoup de marys se trompent bien souvent en ces gardes; car il leur
+semble que, pourveu que leurs femmes soient entre les mains des
+vieilles, que les unes et les autres appellent leurs meres pour titre
+d'honneur, qu'elles sont trs-bien gardes sur le devant, et de belles
+il n'y en a point de plus aises suborner et gaigner qu'elles; car de
+leur nature, estant avaricieuses comme elles sont, en prennent de toutes
+mains pour vendre leurs prisonnieres.</p>
+
+<p>D'autres ne peuvent veiller tousjours ces jeunes femmes, qui sont
+tousjours en bonne cervelle, et mesmes quand elles sont en amours, que
+la pluspart du temps elles dorment en un coin de chemine,<a
+name="page_085" id="page_085"></a> qu'en leur prsence les cocus se forgent
+sans qu'elles y prennent garde ny n'en sachent rien.</p>
+
+<p>&mdash;J'ai cogneu une dame qui le fit une fois devant sa gouvernante si
+subtilement, qu'elle ne s'en appereut jamais.</p>
+
+<p>Une autre en fit de mesme devant son mary quasy visiblement, ainsi qu'il
+jouoit la prime.</p>
+
+<p>D'autres vieilles ont mauvaises jambes, qui ne peuvent pas suivre au
+grand trot leurs dames, qu'avant qu'elles arrivent au bout d'une alle,
+ou d'un bois, ou d'un cabinet, leurs dames ont drob leur coup en
+robbe, sans qu'elles s'en soient apperceues, n'ayant rien veu, dbiles
+de jambes et basses de la veu.</p>
+
+<p>D'autres vieilles et gouvernantes y a-t-il qui, ayant pratiqu le
+mestier, ont piti de voir jeusner les jeunes, et leur sont si
+dbonnaires, que d'elles-mesmes elles leur en ouvrent le chemin, et les
+en persuadent de l'en suivre, et leur assistent de leur pouvoir.</p>
+
+<p>Aussi l'Aretin disoit que le plus grand plaisir d'une dame qui a pass
+par-l, et tout son plus grand contentement, est d'y faire passer une
+autre de mesme.</p>
+
+<p>Voil pourquoy quand on se veut bien aider d'un bon ministre pour
+l'amour, on prend et s'adresse-t-on plustost une vieille maquerelle
+qu' une jeune femme. Aussi tiens-je d'un fort gallant homme qu'il ne
+prenoit nul plaisir, et le dfendoit sa femme expressment, de ne
+hanter jamais compagnies de vieilles, pour estre trop dangereuses, mais
+avec de jeunes tant qu'elle voudroit; et en allguoit beaucoup de bonnes
+raisons que je laisse aux mieux discourans discourir.</p>
+
+<p>Et c'est pourquoy un seigneur de par le monde, que je say, confia sa
+femme, de laquelle il estoit jaloux, une sienne cousine, fille
+pourtant, pour lui servir de surveillante; ce qu'elle fit trs-bien,
+encor que de son cost elle retinst moiti du naturel du chien de
+l'ortollan, d'autant qu'il ne mange jamais des choux du jardin de son
+maistre, et si n'en veut laisser manger aux autres; mais celle-cy en
+mangeoit, et n'en vouloit point faire manger sa cousine: si est-ce que
+l'autre pourtant lui desroboit tousjours quelque coup en cotte, dont
+elle ne s'en appercevoit, quelque fine qu'elle fust, ou feignoit de s'en
+appercevoir.</p>
+
+<p>&mdash;J'allguerois une infinit de remedes dont usent les pauvres jaloux
+cocus, pour brider, serrer, gesner, et tenir de court leurs femmes
+qu'elles ne fassent le saut; mais ils ont beau pratiquer tous ces vieux
+moyens qu'ils ont ouy dire, et d'en excogiter<a name="page_086" id="page_086"></a> de nouveaux, car ils y
+perdent leur escrime: car quand une fois les femmes ont mis ce
+ver-coquin amoureux dans leurs testes, les envoyent toute heure chez
+Guillot le Songeur<a name="FNanchor_33_33" id="FNanchor_33_33"></a><a href="#Footnote_33_33" class="fnanchor">[33]</a>, ainsi que j'espere d'en discourir en un
+chapitre, que j'ay demi fait, des ruses et astuces des femmes sur ce
+point, que je confere avec les stratagesmes et astuces militaires des
+hommes de guerre<a name="FNanchor_34_34" id="FNanchor_34_34"></a><a href="#Footnote_34_34" class="fnanchor">[34]</a>. Et le plus beau remede, seure et douce garde, que
+le mary jaloux peut donner sa femme, c'est de la laisser aller en son
+plein pouvoir, ainsi que j'ay ouy dire un gallant homme mari, estant
+le naturel de la femme que, tant plus on luy dfend une chose, tant plus
+elle desire le faire, et surtout en amours, o l'appetit s'eschauffe
+plus en le deffendant qu'au laisser courre.</p>
+
+<p>&mdash;Voicy une autre sorte de cocus, dont pourtant il y a question,
+savoir mon, si l'on joi d'une femme plein plaisir durant la vie de
+son mary cocu, et que le mary vienne dcder, et que ce serviteur
+vienne aprs espouser cette femme veufve, si, l'ayant espouse en
+secondes nopces, il doit porter le nom et titre de cocu, ainsi que j'ay
+cogneu et ouy parler de plusieurs, et de grands.</p>
+
+<p>Il y en a qui disent qu'il ne peut estre cocu, puisque c'est luy-mesme
+qui en a fait la faction, et qu'il n'y aye aucun qui l'aye fait cocu que
+lui-mesme, et que ses cornes sont faites de soy-mesme. Toutes fois, il y
+a bien des armuriers qui font des espes desquelles ils sont tuez o
+s'entretuent eux-mesmes.</p>
+
+<p>Il y en a d'autres qui disent l'estre rellement cocu, et de fait, en
+herbe pourtant, ils en alleguent force raisons; mais, d'autant que le
+procs en est indcis, je le laisse vuider la premire audience
+qu'on voudra donner pour cette cause.</p>
+
+<p>Si diray-je encore cettuy-cy d'une bien grande, marie encore, laquelle
+s'est compromise encore en mariage celuy qui l'entretient encore, il y
+a quatorze ans, et depuis ce temps a toujours attendu et souhaitt que
+son mary mourust. Au diable s'il a jamais pu mourir encore son
+souhait; si bien qu'elle pouvoit bien dire: Maudit soit le mary et le
+compagnon, qui a plus vescu que je ne voulois! De maladies et
+indispositions de son corps il en a eu prou, mais de mort point.<a
+name="page_087" id="page_087"></a></p>
+
+<p>Si bien que le roy Henry troisime, ayant donn la survivance de l'estat
+beau et grand qu'avoit ledict mary cocu, un fort honneste et brave
+gentilhomme, disoit souvent: Il y a deux personnes en ma Cour
+auxquelles moult tarde qu'un tel ne meure bientost: l'une pour avoir
+son estat, et l'autre pour espouser son amoureux: mais l'un et l'autre
+ont est trompez jusques icy.</p>
+
+<p>Voil comme Dieu est sage et provident de n'envoyer point ce que l'on
+souhaitte de mauvais: toutesfois l'on m'a dit que depuis peu sont en
+mauvais mnage, et ont brusl leur promesse de mariage de futur, et
+rompu le contrat, par grand dpit de la femme et joye du mari prtendu,
+d'autant qu'il se vouloit pourvoir ailleurs et ne vouloit plus tant
+attendre la mort de l'autre mary, qui, se mocquant des gens, donnoit
+assez souvent des allarmes qu'il s'en alloit mourir; mais enfin il a
+survescu le mary prtendu.</p>
+
+<p>Punition de Dieu, certes; car il ne s'ouyt jamais gures parler d'un
+mariage ainsi fait; qui est un grand cas, et norme, de faire et
+accorder un second mariage, estant le premier encor en son entier.</p>
+
+<p>J'aymerois autant d'une, qui est grande, mais non tant que l'autre que
+je viens de dire, laquelle, estant pourchasse d'un gentilhomme par
+mariage, elle l'espousa, non pour l'amour qu'elle luy portoit, mais
+parce qu'elle le voyoit maladif, attnu et allanguy, et mal dispos
+ordinairement, et que les mdecins lui disoient qu'il ne vivroit pas un
+an, et mesme aprs avoir cogneu cette belle femme par plusieurs fois
+dans son lict: et, pour ce, elle en esperoit bientost la mort, et
+s'accommoderoit tost aprs sa mort de ses biens et moyens, beaux meubles
+et grands advantages qu'il luy donnoit par mariage: car il estoit
+trs-riche et bien-ais gentilhomme. Elle fut bien trompe; car il vit
+encore, gaillard, et mieux dispos cent fois qu'avant qu'il l'espousast;
+depuis elle est morte. On dict que ledict gentilhomme contrefaisoit
+ainsi du maladif et marmiteux, afin que connoissant cette femme
+trs-avare, elle fust mue l'espouser sous esperance d'avoir tels
+grands biens: mais Dieu l-dessus disposa tout au contraire, et fit
+brouster la chevre l o elle estoit attache en despit d'elle.</p>
+
+<p>Que dirons-nous d'aucuns qui espousent des putains et courtisannes qui
+ont est trs-fameuses, comme l'on fait assez coustumirement en France
+mais, surtout en Espagne et en Italie, lesquels<a name="page_088" id="page_088"></a> se persuadent de
+gaigner les &oelig;uvres de misricorde, <i>por librar una anima christiana
+del infierno</i><a name="FNanchor_35_35" id="FNanchor_35_35"></a><a href="#Footnote_35_35" class="fnanchor">[35]</a>, comme ils disent, en la sainte voye.</p>
+
+<p>Certainement, j'ai veu aucuns tenir cette opinion et maxime, que s'ils
+les espousoient pour ce saint et bon sujet, ils ne doivent tenir rang de
+cocus; car ce qui se fait pour l'honneur de Dieu ne doit pas estre
+converty en opprobre: moyennant aussi que leurs femmes, estant remises
+en la bonne voye, ne s'en ostent et retournent l'autre; comme j'en ay
+veu aucunes en ces deux pays, qui ne se rendoient plus pcheresses aprs
+estre maries, d'autres qui s'en pouvoient corriger, mais retournoient
+broncher dans la premire fosse.</p>
+
+<p>&mdash;La premire fois que je fus en Italie, je devins amoureux d'une fort
+belle courtisanne Rome, qui s'appeloit Faustine; et d'autant que je
+n'avois pas grand argent, et qu'elle estoit en trop haut prix de dix ou
+douze escus pour nuict, fallut que je me contentasse de la parole et du
+regard. Au bout de quelque temps, j'y retourne pour la seconde fois, et
+mieux garny d'argent: je l'alloy voir en son logis par le moyen d'une
+seconde, et la trouvoy marie avec un homme de justice, en son mesme
+logis, qui me recueillit de bon amour, et me contant la bonne fortune de
+son mariage, et me rejetant bien loin ses folies du temps pass,
+auxquelles elle avoit dit adieu pour jamais. Je luy monstroy de beaux
+escus franois, mourant pour l'amour d'elle plus que jamais. Elle en fut
+tente et m'accorda ce que voulus, me disant qu'en mariage faisant elle
+avoit arrest et concert avec son mary sa libert entire, mais sans
+escandale pourtant ny dguisement, moyennant une grande somme, afin que
+tous deux se pussent entretenir en grandeur, et qu'elle estoit pour les
+grandes sommes, et s'y laissoit aller volontiers, mais non point pour
+les petites. Celuy-l estoit bien cocu en herbe et gerbe.</p>
+
+<p>&mdash;J'ai ouy parler d'une dame de parmy le monde qui, en mariage faisant,
+voulut et arresta que son mary la laissast la Cour pour faire l'amour,
+se reservant l'usage de sa forest de Mort-Bois ou Bois-Mort, comme luy
+plairoit; aussi, en rcompense, elle lui donnoit tous les mois mille
+francs pour ses menus plaisirs, et ne se soucioit d'autre chose qu' se
+donner du bon temps.</p>
+
+<p>Par ainsi, telles femmes qui ont est libres, volontiers ne se
+peuvent<a name="page_089" id="page_089"></a> garder qu'elles ne rompent les serrures estroites de leurs
+portes, quelque contrainte qu'il y ait, mesme o l'or sonne et reluit:
+tesmoin cette belle fille du roy Acrise, qui, toute reserre et
+renferme dans sa grosse tour, se laissa un doux aller ces belles
+gouttes d'or de Jupiter.</p>
+
+<p>Ha! que mal-aisment se peut garder, disoit un gallant homme, une femme
+qui est belle, ambitieuse, avare, convoiteuse d'estre brave, bien
+habille, bien diapre, et bien en point, qu'elle ne donne non du nez,
+mais du cul en terre, quoy qu'elle porte son cas arm, comme l'on dit,
+et que son mary soit brave, vaillant, et qui porte bonne espe pour le
+dfendre.</p>
+
+<p>J'en ay tant cogneu de ces braves et vaillants, qui ont pass par-l;
+dont certes estoit grand dommage de voir ces honnestes et vaillants
+hommes en venir-l, et qu'aprs tant de belles victoires gagnes par
+eux, tant de remarquables conquestes sur leurs ennemis, et beaux combats
+demeslez par leur valeur, qu'il faille que, parmy les belles feuilles et
+fleurs de leurs chapeaux triomphants qu'ils portent sur la teste, l'on y
+trouve des cornes entremesles, qui les deshonorent du tout: lesquels
+nantmoins s'amusent plus leurs belles ambitions par leurs beaux
+combats, honorables charges, vaillances et exploicts, qu' surveiller
+leurs femmes et esclairer leur antre obscur; et, par ainsi, arrivent,
+sans y penser, la cit et conqueste de Cornuaille, dont c'est grand
+dommage pourtant; comme j'en ay bien cogneu un brave et vaillant qui
+portoit le titre d'un fort grand, lequel un jour se plaisant raconter
+ses vaillances et conquestes, il y eut un fort honneste gentilhomme et
+grand, son alli et famillier, qui dit un autre: Il nous raconte ici
+ses conquestes, dont je m'en estonne; car le cas de sa femme est plus
+grand que toutes celles qu'il a jamais fait, ny ne fera oncques.</p>
+
+<p>&mdash;J'en ay bien cogneu plusieurs autres, lesquels, quelque belle grace,
+majest et apparence qu'ils pussent monstrer, si avoient-ils pourtant
+cette encolure de cocu qui les effaoit du tout; car, telle encolure et
+encloueure ne se peut cacher et feindre; quelque bonne mine et bon geste
+qu'on veuille faire, elle se connoist et s'aperoit clair; et, quant
+moy, je n'en ay jamais veu en ma vie aucun de ceux-l qui n'en eust ses
+marques, gestes, postures, et encolures, et encloueures, fors seulement
+un que j'ay cogneu, que le plus clair-voyant n'y eust sceu rien voir ny
+mordre, sans connoistre sa femme, tant il avoit bonne grace, belle faon
+et apparence honnorable et grave.<a name="page_090" id="page_090"></a></p>
+
+<p>Je prierois volontiers les dames qui ont de ces marys si parfaits,
+qu'elles ne leur fissent de tels tours et affronts: mais elles me
+pourront dire aussi: Et o sont-ils ces parfait, comme vous dites
+qu'estoit celuy-l que vous venez d'allguer?</p>
+
+<p>Certes, Mesdames, vous avez raison, car tous ne peuvent estre des
+Scipions et des Csars, et ne s'en trouve plus. Je suis d'advis doncques
+que vous ensuiviez en cela vos fantaisies; car, puisque nous parlons des
+Csars, les plus gallants y ont bien pass, et les plus vertueux et
+parfaits, comme j'ay dit, et comme nous lisons de cet accomply empereur
+Trajan, les perfections duquel ne purent engarder sa femme Plotine
+qu'elle s'abandonnast du tout au bon plaisir d'Adrian, qui fut empereur
+aprs, de laquelle il tira de grandes commoditez, profits et grandeurs,
+tellement qu'elle fut cause de son advancement; aussi n'en fut-il ingrat
+estant parvenu sa grandeur, car il l'ayma et honnora toujours si bien,
+qu'elle estant morte, il en demena si grand deuil et en conceut une
+telle tristesse, qu'enfin il en perdit pour un temps le boire et le
+manger, et fut contraint de sjourner en la Gaule Narbonnoise, o il
+sceut ces tristes nouvelles trois ou quatre mois aprs, pendant lesquels
+il escrivit au snat de colloquer Plotine au nombre des desses, et
+commanda qu'en ses obseques on lui offrist des sacrifices trs-riches et
+trs-sompteux; et cependant il employa le temps faire bastir et
+difier, son honneur et mmoire, un trs-beau temple prs Nemause,
+ditte maintenant Nismes, orn de trs-beaux et riches marbres et
+porfires, avec autres joyaux.</p>
+
+<p>&mdash;Voil donc comment, en matire d'amours et de ses contentements, il ne
+faut aviser rien: aussi Cupidon leur dieu est aveugle; comme il
+paroist en aucunes, lesquelles ont des marys des plus beaux, des plus
+honnestes et des plus accomplis qu'on sauroit voir, et nantmoins se
+mettent en aymer n'autres si laids et si salles, qu'il n'est possible
+de plus.</p>
+
+<p>J'en ay veu force desquelles on faisoit une question: Qui est la dame la
+plus putain, ou celle qui a un fort beau et honneste mary, et fait un
+amy laid, maussade et fort dissemblable son mary; ou celle qui a un
+laid et fascheux mary, et fait un bel amy bien avenant, et ne laisse
+pourtant bien aymer et caresser son mary, comme si c'estoit la beaut
+des hommes, ainsi que j'ay veu faire beaucoup de femmes?</p>
+
+<p>Certainement la commune voix veut que celle qui a un beau mary et le
+laisse pour aymer un amy laid, est bien une grande<a name="page_091" id="page_091"></a> putain, ny plus ny
+moins qu'une personne est bien gourmande qui laisse une bonne viande
+pour en manger une meschante; aussi cette femme quittant une beaut pour
+aymer une laideur, il y a bien de l'apparence qu'elle le fait pour la
+seule paillardise, d'autant qu'il n'y a rien plus paillard ni plus
+propre pour satisfaire la paillardise, qu'un homme laid, sentant mieux
+son bouc puant, ord et lascif que son homme; et volontiers, les beaux et
+honnestes hommes sont un peu plus dlicats et moins habiles rassasier
+une luxure excessive et effrne, qu'un grand et gros ribaut barbu,
+ruraud et satyre.</p>
+
+<p>D'autres disent que la femme qui ayme un bel amy et un laid mary, et les
+caresse tous les deux, est bien autant putain, pour ce qu'elle ne veut
+rien perdre de son ordinaire et pension.</p>
+
+<p>Telles femmes ressemblent ceux qui vont par pays, et mesmes en France,
+qui, estant arrivs le soir la souppe du logis, n'oublient jamais de
+demander l'hoste la mesure du mallier, et faut qu'il l'aye, quand il
+seroit saoul plein jusqu' la gorge.</p>
+
+<p>Ces femmes de mesmes veulent toujours avoir leur coucher, quoy qu'il
+soit, la mesure de leur mallier, comme j'en ay cogneu une qui avoit un
+mary trs-bon embourreur de bas; encores la veulent-elles croistre et
+redoubler en quelque faon que ce soit, voulant que l'amy soit pour le
+jour qui esclaire sa beaut, et d'autant plus en fait venir l'envie la
+dame, et s'en donne plus de plaisir et contentement par l'ayde de la
+belle lueur du jour; et monsieur laid pour la nuict, car, comme on dit
+que tous chats sont gris de nuict, et pourveu que cette dame rassasie
+ses appetits, elle ne songe point si son homme de mary est laid ou beau.</p>
+
+<p>Car, comme je tiens de plusieurs, quand on est en ces extases de
+plaisir, l'homme ny la femme ne songent point autre sujet ny
+imagination, si-non celuy qu'ils traittent pour l'heure prsente:
+encore que je tienne de bon lieu que plusieurs dames ont fait accroire
+leurs amys que quand elles estoient-l avec leurs marys, elles
+addonnoient leurs penses leurs amys, et ne songeoient leurs marys,
+afin d'y prendre plus de plaisir; et des marys, ay-je ouy dire ainsi
+qu'estant avec leurs femmes songeoient leurs maistresses, pour cette
+mesme occasion: mais ce sont abus.</p>
+
+<p>Les philosophes naturels m'ont dit qu'il n'y a que le seul objet prsent
+qui les domine alors, et nullement l'absent, et en allguoient force
+raisons; mais je ne suis assez bon philosophe ny savant pour les
+dduire, et aussi qu'il y en a d'aucunes salles. Je<a name="page_092" id="page_092"></a> veux observer la
+vrcondie, comme on dit. Mais pour parler de ces elections d'amours
+laides, j'en ay veu force en ma vie, dont je m'en suis estonn cent
+fois.</p>
+
+<p>&mdash;Retournant une fois d'un voyage de quelque province estrangere, que ne
+nommeray point de peur qu'on connoisse le sujet duquel je veux parler,
+et discourant avec une grande dame de par le monde, parlant d'une autre
+grande dame et princesse que j'avois veue-l, elle me demanda comment
+elle faisoit l'amour. Je lui nommoy le personnage lequel elle tenoit
+pour son favory, qui n'estoit ny beau ni de bonne grace, et de fort
+basse qualit. Elle me fit response: Vrayment elle se fait fort grand
+tort, et l'amour un trs-mauvais tour, puis qu'elle est si belle et si
+honneste comme on la tient.</p>
+
+<p>Cette dame avoit raison de me tenir ces propos, puis qu'elle n'y
+contrarioit point, et ne les dissimuloit par effet; car elle avoit un
+honneste amy et bien favory d'elle. Et quand tout est bien dit, une dame
+ne se fera jamais de reproche quand elle voudra aymer et faire election
+d'un bel object, ny de tort au mary non plus, quand ce ne seroit autre
+raison que pour l'amour de leur ligne; d'autant qu'il y a des marys qui
+sont si laids, si fats, si sots, si badauts, de si mauvaise grace, si
+poltrons, si coyons et de si peu de valeur, que leurs femmes venans
+avoir des enfants d'eux, et les ressemblans, autant vaudroit n'en avoir
+point du tout, ainsy que j'ay cogneu plusieurs dames, lesquelles ayant
+eu des enfants de tels marys, ils ont est tous tels que leurs peres;
+mais en ayant emprunt aucuns de leurs amys, ont surpass leurs peres,
+freres et s&oelig;urs en toutes choses.</p>
+
+<p>&mdash;Aucuns aussi des philosophes qui ont traitt de ce sujet ont tenu
+toujours que les enfants ainsi empruntez ou derobbez, ou faits
+cachettes et l'improviste, sont bien plus gallants et tiennent bien
+plus de la faon gentille dont on use les faire prestement et
+habillement, que non pas ceux qui se font dans un lict lourdement,
+fadement, pesamment, loisir, et quasi demy endormis, ne songeans
+qu' ce plaisir en forme brutalle.</p>
+
+<p>Aussi ay-je ouy dire ceux qui ont charge des harras des roys et grands
+seigneurs, qu'ils ont veu souvent sortir de meilleurs chevaux derobbez
+par leurs meres, que d'autres faits par la curiosit des maistres du
+haras et estallons donnez et appostez: ainsi est-il des personnes.</p>
+
+<p>Combien en ay-je veu de dames avoir produit des plus beaux et<a
+name="page_093" id="page_093"></a> honnestes et braves enfants! Que si leurs
+pres putatifs les eussent faits, ils fussent est vrays veaux et vrayes
+bestes.</p>
+
+<p>Voil pourquoy les femmes sont bien advises de s'ayder et accommoder de
+beaux et bons estallons, pour faire de bonnes races. Mais aussi en ay-je
+bien veu qui avoient de beaux marys, qui s'aidoient de quelques amys
+laids et vilains estallons, qui procroyent de hideuses et mauvaises
+lignes.</p>
+
+<p>Voil une des signales commoditez et incommoditez de cocuage.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay cogneu une dame de par le monde, qui avoit un mary fort laid et
+fort impertinent; mais, de quatre filles et deux garons qu'elle eut, il
+n'y eut que deux qui valussent, estants venus et faits de son amy; et
+les autres venus de son chalant de mary (je dirois volontiers
+chat-huant, car il en avoit la mine), furent fort maussades.</p>
+
+<p>Les dames en cela y doivent estre bien advises et habiles, car
+coustumirement les enfants ressemblent leurs pres, et touchent fort
+ leur honneur quand ils ne leur ressemblent. Ainsi que j'ay veu par
+exprience beaucoup de dames avoir cette curiosit de faire dire et
+accroire tout le monde que leurs enfants ressemblent du tout leur
+pre et non elles, encor qu'ils n'en tiennent rien; car c'est le plus
+grand plaisir qu'on leur sauroit faire, d'autant qu'il y a apparence
+qu'elles ne l'ont emprunt d'autruy, encore qu'il soit le contraire.</p>
+
+<p>&mdash;Je me suis trouv une fois en une grande compagnie de Cour o l'on
+advisoit le pourtrait de deux filles d'une trs-grande reyne. Chacun se
+mit dire son advis qui elles ressembloient, de sorte que tous et
+toutes dirent qu'elles tenoient du tout de la mre; mais moy, qui estois
+trs-humble serviteur de la mre, je pris l'affirmative, et dis qu'elles
+tenoient du tout du pre, et que si l'on eust cogneu et veu le pre
+comme moy, l'on me condescendroit. Sur quoy la s&oelig;ur de cette mre
+m'en remercia et m'en seut trs-bon gr, et bien fort, d'autant qu'il y
+avoit aucunes personnes qui le disoient dessein, pour ce qu'on la
+souponnoit de faire l'amour, et qu'il y avoit quelque poussire dans sa
+fleute, comme l'on dit; et par ainsi mon opinion sur cette ressemblance
+du pre rabilla tout. Donc sur ce point, qui aymera quelque dame et
+qu'on verra enfants de son sang et de ses os, qu'il dit tousjours qu'ils
+tiennent du pre du tout, bien que non.</p>
+
+<p>Il est vray qu'en disant qu'ils ont de la mre un peu il n'y aura<a
+name="page_094" id="page_094"></a> pas de mal, ainsi que dit un gentilhomme
+de la Cour, mon grand amy, parlant en compagnie de deux gentilshommes
+frres assez favoris du roy<a name="FNanchor_36_36" id="FNanchor_36_36"></a><a href="#Footnote_36_36" class="fnanchor">[36]</a>, qui ils ressembloient, au pre ou
+la mre; il respondit que celui qui estoit froid ressembloit au pre, et
+l'autre qui estoit chaud ressembloit la mere; par ce brocard le
+donnant bon la mre, qui estoit chaudasse; et de fait ces deux enfants
+participoient de ces deux humeurs froide et chaude.</p>
+
+<p>&mdash;Il y a une autre sorte de cocus qui se forme par le desdain qu'ils
+portent leurs femmes, ainsi que j'en ay cogneu plusieurs qui, ayant de
+trs-belles et honnestes femmes, n'en faisoient cas, les mesprisoient et
+desdaignoient, celles qui estoient habilles et pleines de courage, et de
+bonne maison, se sentants ainsi desdaignes, se revangeoient leur en
+faire de mesme: et soudain aprs bel amour, et de l l'effet; car,
+comme dit le refrain italien et napolitain, <i>amor non si vince con altro
+che con sdegno</i><a name="FNanchor_37_37" id="FNanchor_37_37"></a><a href="#Footnote_37_37" class="fnanchor">[37]</a>.</p>
+
+<p>Car ainsi une femme belle, honneste, et qui se sent telle et se plaise,
+voyant que son mary la desdaigne, quand elle luy porteroit le plus grand
+amour marital du monde, mesme quand on la prescheroit et proposeroit les
+commandements de la loy pour l'aymer, si elle a le moindre c&oelig;ur du
+monde, elle le plante l tout plat et fait un amy ailleurs pour la
+secourir en ses petites ncessitez, et lit son contentement.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay cogneu deux dames de la Cour, toutes deux belles-s&oelig;urs; l'une
+avoit espous un mary favory, courtisan et fort habille, et qui pourtant
+ne faisoit cas de sa femme comme il devoit, veu le lieu d'o elle
+estoit, et parloit elle devant le monde comme une sauvage, et la
+rudoyoit fort. Elle, patiente, l'endura pour quelque temps, jusques ce
+que son mary vint un peu dfavoris; elle, espiant et prenant l'occasion
+au poil et propos, la luy ayant garde bonne, luy rendit aussitost le
+desdain pass qu'il luy avoit donn, en le faisant gentil cocu: comme
+fit aussi sa belle-s&oelig;ur, prenant exemple elle, qui ayant est
+marie fort jeune et en tendre age, son mary n'en faisant cas comme
+d'une petite fillaude, ne l'aymoit comme il devoit; mais elle, se venant
+advancer sur l'age, et sentir son c&oelig;ur en reconnoissant sa beaut,
+le paya de mesme monnoye, et luy fit un prsent de belles cornes pour
+l'intrest du pass.</p>
+
+<p>&mdash;D'autres-fois ay-je cogneu un grand seigneur, qui, ayant pris<a
+name="page_095" id="page_095"></a> deux courtisannes, dont il y en avoit une
+more, pour ses plus grandes dlices et amyes, ne faisant cas de sa
+femme, encore qu'elle le recherchast avec tous les honneurs, amitiez et
+rvrances conjugales qu'elle pouvoit; mais il ne la pouvoit jamais voir
+de bon &oelig;il ny embrasser de bon c&oelig;ur, et de cent nuicts il ne luy
+en dpartoit pas deux. Qu'eust-elle fait la pauvrette l-dessus, aprs
+tant d'indignitez, si-non de faire ce qu'elle fit, de choisir un autre
+lict vaccant, et s'accoupler avec une autre moiti, et prendre ce
+qu'elle en vouloit?</p>
+
+<p>Au moins si ce mary eust fait comme un autre que je say, qui estoit de
+telle humeur, qui, press de sa femme, qui estoit trs-belle, et prenant
+plaisir ailleurs, lui dit franchement: Prenez vos contentements
+ailleurs, je vous en donne cong. Faites de vostre cost ce que vous
+voudrez faire avec un autre: je vous laisse en vostre libert; et ne
+vous donnez peine de mes amours, et laissez-moy faire ce qu'il me
+plaira. Je n'empescheray point vos aises et plaisirs: aussi ne
+m'empeschez les miens. Ainsi, chacun quitte de-l, tous deux mirent la
+plume au vent; l'un alla dextre et l'autre senestre, sans se soucier
+l'un de l'autre; et voil bonne vie.</p>
+
+<p>J'aymerois autant quelque vieillard impotent, maladif, gouteux, que j'ay
+cogneu, qui dist sa femme, qui estoit trs-belle, et ne la pouvant
+contenter comme elle le desiroit, un jour: Je say bien, m'amie, que
+mon impuissance n'est bastante pour vostre gaillard age. Pour ce, je
+vous puis tre beaucoup odieux, et qu'il n'est possible que vous me
+puissiez tre affectionne femme, comme si je vous faisois les offices
+ordinaires d'un mary fort et robuste. Mais j'ai advis de vous permettre
+et de vous donner totale libert de faire l'amour, et d'emprunter
+quelque autre qui vous puisse mieux contenter que moy. Mais, surtout,
+que vous en lisis un qui soit discret, modeste, et qui ne vous
+escandalise point, et moy et tout, et qu'il vous puisse faire une couple
+de beaux enfants, lesquels j'aymeray et tiendray comme les miens
+propres; tellement que tout le monde pourra croire qu'ils sont vrays et
+lgitimes enfants, veu que encore j'ay en moy quelques forces assez
+vigoureuses, et les apparences de mon corps suffisantes pour faire
+paroir qu'il sont miens.</p>
+
+<p>Je vous laisse penser si cette belle jeune femme fut aise d'avoir
+cette agrable, jolie petite remontrance, et licence de jouir de cette
+plaisante libert, qu'elle pratiqua si bien, qu'en<a name="page_096" id="page_096"></a> un rien elle peupla
+la maison de deux ou trois beaux petits enfants, o le mary, parce qu'il
+la touchoit quelquefois et couchoit avec elle, y pensoit avoir part, et
+le croyoit, et le monde et tout; et, par ainsi, le mary et la femme
+furent trs-contents, et eurent belle famille.</p>
+
+<p>&mdash;Voici une autre sorte de cocus qui se fait par une plaisante opinion
+qu'ont aucunes femmes, c'est savoir qu'il n'y a rien plus beau ny
+plus licite, ny plus recommandable que la charit, disant qu'elle ne
+s'estend pas seulement donner aux pauvres qui ont besoin d'estre
+secourus et assistez des biens et moyens des riches, mais aussi d'ayder
+ esteindre le feu aux pauvres amants langoureux que l'on voit brusler
+d'un feu d'amour ardent: Car, disent-elles, quelle chose peut-il estre
+plus charitable, que de rendre la vie un que l'on voit se mourir, et
+raffrachir du tout celui que l'on voit se brusler? Ainsi, comme dit ce
+brave palladin, le seigneur de Montauban, soustenant la belle Genevive
+dans l'Arioste, que celle justement doit mourir qui oste la vie son
+serviteur, et non celle qui la luy donne. S'il disoit cela d'une fille,
+ plus forte raison telles charitez sont plus recommandes l'endroit
+des femmes que des filles, d'autant qu'elles n'ont point leurs bourses
+dlies ny ouvertes encor comme les femmes, qui les ont, au moins
+aucunes, trs-amples et propres pour en eslargir leurs charitez.</p>
+
+<p>Sur-quoy je me souviens d'un conte d'une fort belle dame de la Cour,
+laquelle pour un jour de Chandelleur s'estant habille d'une robe de
+damas blanc, et avec toute la suitte de blanc, si bien que ce jour rien
+ne parut de plus beau et de plus blanc, son serviteur ayant gaign une
+sienne compagne qui estoit belle dame aussi, mais un peu plus aage et
+mieux parlante, et propre intercder pour luy; ainsi que tous trois
+regardoient un fort beau tableau o estoit peinte une Charit toute en
+candeur et voile blanc, icelle dit sa compagne: Vous portez
+aujourd'huy le mesme habit de cette Charit; mais, puisque la
+reprsentez en cela, il faut aussi la reprsenter en effet l'endroit
+de vostre serviteur, n'estant rien si recommandable qu'une misricorde
+et une charit, en quelque faon qu'elle se face, pourveu que ce soit en
+bonne intention, pour secourir son prochain. Usez-en donc: et si vous
+avez la crainte de vostre mary et du mariage devant les yeux, c'est une
+vaine superstition que nous autres ne devons avoir, puisque nature
+nous<a name="page_097" id="page_097"></a> a donn des biens en plusieurs sortes, non pour s'en servir en
+espargne, comme une salle avare de son tresor, mais pour les distribuer
+honnorablement aux pauvres souffreteux et ncessiteux. Bien est-il vray
+que nostre chastet est semblable un tresor, lequel on doit espargner
+en choses basses: mais, pour choses hautes et grandes, il le faut
+despenser en largesse, et sans espargne. Tout de mesmes faut-il faire
+part de nostre chastet, laquelle on doit eslargir aux personnes de
+mrite et vertu, et de souffrance, et la dnier ceux qui sont viles,
+de nulle valeur, et de peu de besoin. Quant nos marys, ce sont
+vrayement de belles idoles, pour ne donner qu' eux seuls nos v&oelig;ux et
+nos chandelles, et n'en dpartir point aux autres belles images! car
+c'est Dieu seul qui on doit un v&oelig;u unique, et non d'autres. Ce
+discours ne deplut point la dame, et ne nuisit non plus nullement au
+serviteur, qui, par un peu de persvrance, s'en ressentit. Tels
+presches de charit pourtant sont dangereux pour les pauvres marys.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy conter (je ne say s'il est vray, aussi ne veux-je affirmer)
+qu'au commencement que les Huguenots plantrent leur religion, faisoient
+leurs presches la nuict et en cachettes, de peur d'estre surpris,
+recherchs et mis en peine, ainsi qu'ils furent un jour en la rue
+Saint-Jacques Paris, du temps du roy Henri second, o des grandes
+dames que je say, y allans pour recevoir cette charit, y cuidrent
+estre surprises. Aprs que le ministre avoit fait son presche, sur la
+fin leur recommandoit la charit, et incontinent aprs on tuoit leurs
+chandelles, et l un chacun et chacune l'exeroit envers son frre et sa
+s&oelig;ur chrestienne, se la dpartans l'un l'autre selon leur volont
+et pouvoir; ce que je n'oserois bonnement asseurer, encore qu'on
+m'asseurast qu'il estoit vray; mais possible que cela est pur mensonge
+et imposture. Toutefois je say bien qu' Poitiers pour lors il y avoit
+une femme d'un advocat, qu'on nommoit la belle Gotterelle<a name="FNanchor_38_38" id="FNanchor_38_38"></a><a href="#Footnote_38_38" class="fnanchor">[38]</a>, que j'ay
+veue, qui estoit des plus belles femmes, ayant la plus belle grace et
+faon, et des plus dsirables qui fussent en la ville pour lors; et pour
+ce chacun lui jettoit les yeux et le c&oelig;ur. Elle fut repasse au
+sortir du presche, par les mains de douze escoliers, l'un aprs l'autre,
+tant au lieu du consistoire que sous un auvent, encore ay-je ouy<a
+name="page_098" id="page_098"></a> dire sous une potence du Marche Vieux,
+sans qu'elle en fist un seul bruit ny autre refus; mais, demandant
+seulement le mot du presche, les recevoit les uns aprs les autres
+courtoisement, comme ses vrays freres en Christ. Elle continua envers
+eux cette aumosne long temps, et jamais elle n'en voulut prester pour un
+double un papiste: si en eut-ils nantmoins plusieurs papistes qui,
+empruntans de leurs compagnons huguenots le mot et le jargon de leur
+assemble, en jouirent. D'autres alloient au presche exprs, et
+contrefaisoient les Rformez, pour l'apprendre, afin de joir de cette
+belle femme. J'tois lors Poitiers jeune garon estudiant, que
+plusieurs bons compagnons, qui en avoient leur part, me le dirent et me
+le jurrent: mesme le bruit estoit tel en la ville. Voil une plaisante
+charit, et conscientieuse femme, faire ainsi choix de son semblable en
+la religion!</p>
+
+<p>Il y a une autre forme de charit qui se pratique, et s'est pratique
+souvent, l'endroit des pauvres prisonniers qui sont s prisons, et
+privez des plaisirs des dames, desquels les geollieres et les femmes qui
+en ont la garde, ou, les castellanes qui ont dans les chasteaux des
+prisonniers de guerre, en ayant piti, leur font part de leur amour, et
+leur donnent de cela par charit et misricorde; ainsi que dit une fois
+une courtisanne romaine sa fille de laquelle un gallant estoit
+extresmement amoureux, et ne luy en vouloit pas donner pour un double.
+Elle luy dit: <i>E da gli al manco per misericordia</i><a name="FNanchor_39_39" id="FNanchor_39_39"></a><a href="#Footnote_39_39" class="fnanchor">[39]</a>.</p>
+
+<p>Ainsi ces geollieres, castellanes et autres, traittent leurs
+prisonniers, lesquels, bien qu'ils soient captifs et misrables, ne
+laissent sentir les picqueures de la chair, comme au meilleur temps
+qu'ils pourroient avoir. Aussi dit-on en vieil proverbe: L'envie en
+vient de pauvret; et aussi bien sur la paille et sur la dure messer
+Priape hausse la teste, comme dans le lict du monde le meilleur et le
+plus doux. Voil pourquoy les gueux et les prisonniers, parmi leurs
+hospitaux et prisons, sont aussi paillards que les roys, les princes et
+les grands, dans leurs beaux pallais et licts royaux et dlicats.</p>
+
+<p>Pour en confirmer mon dire, j'allgueray un conte que me fit un jour le
+capitaine Beaulieu, capitaine de galleres, duquel j'ay parl
+quelquefois. Il estoit feu M. le grand-prieur de France, de la maison
+de Lorraine, et estoit fort aym de luy: l'allant un<a name="page_099" id="page_099"></a> jour trouver
+Malthe dans une frgatte, il fut pris des galleres de Sicile, et men
+prisonnier au Castel Mare de Palerme, o il fut resserr en une prison
+fort estroite, obscure et misrable, et trs-mal trait, l'espace de
+trois mois. Par cas, le castellan, qui estoit Espagnol, avoit deux fort
+belles filles, qui, l'oyant plaindre et attrister, demandrent un jour
+cong au pere pour le visiter pour l'honneur de Dieu, qui leur permit
+librement. Et d'autant que le capitaine Beaulieu estoit fort gallant
+homme certes, et disoit des mieux, il les sceut si bien gagner ds
+l'abord de cette premire visite, qu'elles obtinrent du pere qu'il
+sortist de cette meschante prison, et fust mis en une chambre assez
+honneste, et receust meilleur traitement. Ce ne fut pas tout, car elles
+obtindrent cong de l'aller voir librement tous les jours une fois et
+causer avec luy. Tout cela se demena si bien que toutes deux en furent
+amoureuses, bien qu'il ne fust pas beau et elles trs-belles, que, sans
+respect aucun, ny de prison plus rigoureuse, ny d'hazard de mort, mais
+tent de privautez, il se mit joir de toutes deux bien et beau tout
+son aise; et dura ce plaisir sans escandale, et fut si heureux en cette
+conqueste l'espace de huict mois, qu'il n'en arriva nul escandale, mal,
+inconvnient, ni de ventre enfl, ny d'aucune surprise ny dcouverte:
+car ces deux s&oelig;urs s'entendoient et s'entredonnoient si bien la main,
+et se relevoient si gentiment de sentinelle, qu'il n'en fut jamais autre
+chose; et me jura, car il estoit fort mon amy, qu'en sa plus grande
+libert il n'eut jamais si bon temps, ny plus grande ardeur, ny appetit
+ cela, qu'en cette prison, qui luy estoit trs-belle, bien qu'on die
+n'y en avoir jamais aucunes belles. Et luy dura tout ce bon temps
+l'espace de huict mois, que la trve fut faite entre l'Empereur et le
+roi Henri second, que tous les prisonniers sortirent et furent
+relaschs: et me jura que jamais il ne se fascha tant que de sortir de
+cette si bonne prison; mais bien gast laisser ces belles filles, tant
+favoris d'elles, qui au dpartir en firent tous les regrets du monde.</p>
+
+<p>Je luy demanday si jamais il apprhenda inconvenient s'il fust est
+dcouvert. Il me dit bien qu'ouy, mais non qu'il le craignist: car, au
+pis aller, on l'eust fait mourir; et il eust autant aym mourir que
+rentrer en sa premire prison. De plus, il craignoit que s'il n'eust
+content ces honnestes filles, puisqu'elles le recherchoient tant,
+qu'elles en eussent conceu un tel desdaing et dpit, qu'il en eust eu
+quelque pire traitement encore; et pour ce, bandant les yeux tout, il
+se hasarda cette<a name="page_100" id="page_100"></a> belle fortune. Certes on ne sauroit assez louer ces
+bonnes filles espagnoles si charitables: ce ne sont pas les premieres ny
+les dernieres.</p>
+
+<p>&mdash;On a dit d'autres fois en nostre France, que le duc d'Ascot,
+prisonnier au bois de Vincennes, se sauva de prison par le moyen d'une
+honneste dame, qui toutesfois s'en cuida trouver mal, car il y alloit du
+service du Roy<a name="FNanchor_40_40" id="FNanchor_40_40"></a><a href="#Footnote_40_40" class="fnanchor">[40]</a>: et telles charitez sont rprouvables, qui touchent
+le party du gnral, mais fort bonnes et louables, quand il n'y va que
+du particulier, et que le seul joly corps s'y expose; peu de mal pour
+cela. J'allguerois force braves exemples faisant ce sujet, si j'en
+voulois faire un discours part, qui n'en seroit pas trop mal plaisant.
+Je ne diray que cettuy-ci, et puis nul autre, pour estre plaisant et
+antique.</p>
+
+<p>Nous trouvons dans Tite-Live que les Romains, aprs qu'ils eurent mis la
+ville de Capoue totale destruction, aucuns des habitants vindrent
+Rome pour reprsenter au snat leur misere, le prierent d'avoir piti
+d'eux. La chose fut mise au conseil: entr'autres qui opinrent fut M.
+Atilius Regulus, qui tint qu'il ne leur falloit faire aucune grace, car
+il ne sauroit trouver en tout, disoit-il, aucun Capoan, depuis la
+rvolte de leur ville, qu'on pust dire avoir port le moindre brin
+d'amiti et d'affection la rpublique romaine, que deux honnestes
+femmes: l'une, Vesta Opia, atellane, de la ville d'Atelle, demeurant
+Capoe pour lors; et l'autre, Francula Cluvia; qui toutes deux avoient
+est autresfois filles de joye et courtisannes, en faisant le mestier
+publiquement. L'une n'avoit laiss passer un seul jour sans faire
+prieres et sacrifices pour le salut et victoire du peuple romain; et
+l'autre, pour avoir secouru cachettes de vivres les pauvres
+prisonniers de guerre mourants de faim et pauvret.</p>
+
+<p>Certes voil des charitez et pitez trs-belles; dont sur ce un gentil
+cavalier, une honneste dame et moy, lisants un jour ce passage, nous
+nous entredismes soudain que, puisque ces deux honnestes dames
+s'estoient desj avances et estudies de si bons et pies offices,
+qu'elles avoient bien pass d'autres, et leur dpartir les charitez
+de leurs corps; car elles en avoient distribu d'autres fois d'autres
+estans courtisannes, ou possible qu'elles l'estoyent encore; mais le
+livre ne le dit pas, et a laiss le<a name="page_101" id="page_101"></a> doute-l; car il se peut prsumer.
+Mais quand bien elles eussent continu le mestier et quitt pour quelque
+temps, elles le purent reprendre ce coup-l, n'estant rien si ais et si
+facile faire; et peut-estre aussi qu'elles y cogneurent et receurent
+encore quelques uns de leurs bons amoureux, de leurs vieilles
+connoissances, qui leur avoient autresfois saut sur le corps, et leur
+en voulurent encor donner sur quelques vieilles erres, ou du tout: aussi
+que, parmi les prisonniers, elles y en purent voir aucuns incogneus
+qu'elles n'avoient jamais veu que cette fois, et les trouvoient beaux,
+braves et vaillants, de belles faons, qui mritoient bien la charit
+tout entire, et pour ce ne leur espargnant la belle joissance de leur
+corps, il ne se peut faire autrement. Ainsi, en quelque faon que ce
+fust, ces honnestes dames mritoient bien la courtoisie que la
+rpublique romaine leur fit et recogneut, car elle leur fit rentrer en
+tous leurs biens, et en joirent aussi paisiblement que jamais; encor
+plus, leur firent savoir qu'elles demandassent ce qu'elles
+voudroient, elles l'auroient; et pour en parler au vray, si Tite-Live ne
+fust est si abstraint, comme il ne devoit, la vrcondie et modestie,
+il devoit franchir le mot tout trac d'elles, et dire qu'elles ne leur
+avoient espargn leur gent corps; et ainsi ce passage d'histoire fust
+est plus beau et plaisant lire, sans aller l'abbrger, et laisser au
+bout de la plume le plus beau de l'histoire. Voil ce que nous en
+discourusmes pour lors.</p>
+
+<p>&mdash;Le roy Jean, prisonnier en Angleterre, receut de mesme plusieurs
+faveurs de la comtesse de Salsberiq, et si bonnes, que, ne la pouvant
+oublier, et les bons morceaux qu'elle luy avoit donns, qu'il s'en
+retourna la revoir, ainsi qu'elle luy fit jurer et promettre.</p>
+
+<p>&mdash;D'autres dames y a-t-il qui sont plaisantes en cela pour certain
+poinct de conscientieuse charit; comme une qui ne vouloit permettre
+son amant, tant qu'il couchoit avec elle, qu'il la baisast le moins du
+monde la bouche, allguant par ses raisons que sa bouche avoit fait le
+serment de foy et de fidlit son mary, et ne la vouloit point
+souiller par la bouche qui l'avoit fait et prest; mais quant celle du
+ventre, qui n'en avoit point parl ni rien promis, lui laissoit faire
+son bon plaisir, et ne faisoit point de scrupule de la prester, n'estant
+en puissance de la bouche du haut de s'obliger pour celle du bas, ny
+celle du bas pour celle du haut non plus; puisque la coustume du droit
+ordonnoit de ne s'obliger pour autruy sans consentement et parole de
+l'une et de l'autre, ny un seul pour le tout en cela.<a name="page_102" id="page_102"></a></p>
+
+<p>&mdash;Une autre conscentieuse et scrupuleuse, donnant son amy joissance
+de son corps, elle vouloit toujours faire le dessus, et sous-mettre
+soy son homme, sans passer d'un seul iota cette regle; et, l'observant
+estroitement et ordinairement, disoit-elle que si son mary ou autre lui
+demandoit si un tel luy avoit fait cela, qu'elle pust jurer et renier,
+et seurement protester, sans offenser Dieu, que jamais il ne luy avoit
+fait ny mont sur elle. Ce serment sceut-elle si bien pratiquer, qu'elle
+contenta son mary et autres par ses jurements serrez en leurs demandes,
+et la creurent, veu ce qu'elle disoit, mais n'eurent jamais l'advis de
+demander, ce disoit-elle, si jamais elle avoit fait le dessus, surquoy
+m'eussent bien mespris et donner songer. Je pense en avoir encor
+parl cy-dessus; mais on ne se peut pas toujours souvenir de tout; et
+aussi il y en a cettuy-cy plus qu'en l'autre, s'il me semble.</p>
+
+<p>&mdash;Coustumirement, les dames de ce mestier sont grandes menteuses, et ne
+disent mot de vrit; car elles ont tant appris et accoustum mentir
+(ou si elles font autrement sont des sottes, et mal leur en prend)
+leurs marys et amants sur ces sujets et changements d'amour, et jurer
+qu'elles ne s'adonnent autres qu' eux, que, quand elles viennent
+tomber sur autres sujets de consquence, ou d'affaires, ou discours,
+jamais ne font que mentir, et ne leur peut-on croire.</p>
+
+<p>D'autres femmes ay-je cogneu et ouy parler, qui ne donnoyent leur
+amant leur joissance, si-non quand elles estoient grosses, afin de
+n'engroisser de leur semence; en quoy elles faisoient grande conscience
+de supposer aux marys un fruit qui n'estoit pas eux, et le nourrir,
+alimenter et lever comme le leur propre. J'en ay encore parl
+cy-dessus. Mais, estant grosses une fois, elles ne pensoient point
+offenser le mary, ny le faire cocu, en se prostituant. Possible aucunes
+le faisoient pour les mesmes raisons que faisoit Julia, fille d'Auguste,
+et femme d'Agrippa, qui fut en son temps une insigne putain, dont son
+pere en enrageoit plus que le mary. Luy estant demand une fois si elle
+n'avoit point de crainte d'engroisser de ses amys, et que son mary s'en
+aperceust et ne l'affolast, elle respondit: J'y mets ordre, car je ne
+reois jamais personne ny passager dans mon navire, si-non quand il est
+charg et plein.</p>
+
+<p>Voicy encore une autre sorte de cocus; mais ceux-l sont vrays martyrs,
+qui ont des femmes laides comme diables d'enfer, qui se veulent mesler
+de taster de ce doux plaisir aussi bien que<a name="page_103" id="page_103"></a> les belles, ausquelles le
+seul privilge est deu, comme dit le proverbe: <i>Les beaux hommes au
+gibet, et les belles femmes au bourdeau</i><a name="FNanchor_41_41" id="FNanchor_41_41"></a><a href="#Footnote_41_41" class="fnanchor">[41]</a>: et, toutesfois, ces laides
+charbonnires font la folie comme les autres, lesquelles il faut
+excuser, car elles sont femmes comme les autres, et ont pareille nature,
+mais non si belle. Toutesfois, j'ai veu des laides, au moins en leur
+jeunesse, qui s'apprcient tant pourtant comme les belles, ayant opinion
+que femme ne vaut autant, si-non ce qu'elle se veut faire valloir et se
+vendre; aussi qu'en un bon march toutes denres se vendent et se
+dpositent<a name="FNanchor_42_42" id="FNanchor_42_42"></a><a href="#Footnote_42_42" class="fnanchor">[42]</a>, les unes plus, les autres moins, selon qu'on en a
+faire, et selon l'heure tardive que l'on vient au march aprs les
+autres, et selon le bon prix que l'on y trouve; car, comme l'on dit,
+l'on court toujours au meilleur march, encore que l'estoffe ne soit la
+meilleure, mais selon la facult du marchand et de la marchande. Ainsi
+est-il des femmes laides, dont j'en ay veu aucunes, qui, ma foy,
+estoient si chaudes et lubriques, et duites l'amour aussi bien que les
+plus belles, et se mettoyent en place marchande, et vouloient s'avancer
+et se faire valloir tout de mesmes. Mais le pis que je vois en elles,
+c'est qu'au lieu que les marchands prient les plus belles, celles-cy
+laides prient les marchands de prendre et d'achepter de leurs denres,
+qu'elles leur laissent pour rien et vil prix: mesmes font-elles mieux;
+car le plus souvent leur donnent de l'argent pour s'accoster de leurs
+chalanderies et se faire fourbir eux; dont voil la piti: car pour
+telle fourbissure, il n'y faut petite somme d'argent; si bien que la
+fourbissure couste plus que ne vaut la personne, et la lexive que l'on y
+met pour bien la fourbir, et cependant monsieur le mary demeure cocu et
+coquin tout ensemble d'une laide, dont le morceau est bien plus
+difficile digrer que d'une belle; outre que c'est une misere extresme
+d'avoir ses costez un diable d'enfer couch, au lieu d'un ange. Sur
+quoy j'ay ouy souhaitter plusieurs galants hommes une femme belle et
+un peu putain, plustost qu'une femme laide et la plus chaste du monde;
+car en une laideur n'y loge que toute misere et desplaisir, et nul brin
+de flicit. En une belle, tout plaisir et flicit y abonde, et bien
+peu de misere, selon aucuns. Je m'en rapporte ceux qui ont battu cette
+sente et chemin. A aucuns j'ay ouy dire que, quelques<a name="page_104" id="page_104"></a> fois, pour les
+marys, il n'est si besoin aussi qu'ils ayent leurs femmes si chastes;
+car elles en sont si glorieuses, je dis celles qui ont ce don trs-rare,
+que quasi vous diriez qu'elles veulent dominer, non leurs marys
+seulement, mais le ciel et les astres: voire qu'il leur semble, par
+telle orgueilleuse chastet, que Dieu leur doive du retour. Mais elles
+sont bien trompes; car j'ay ouy dire de grands docteurs que Dieu ayme
+plus une pauvre pcheresse, humiliante et contrite (comme il fit la
+Magdelaine), que non pas une orgueilleuse et superbe qui pense avoir
+gagn le paradis, sans autrement vous loir misricorde ny sentence de
+Dieu.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy parler d'une dame si glorieuse pour sa chastet qu'elle vint
+tellement mpriser son mary, que, quand on lui demandoit si elle avoit
+couch avec son mary: Non, disoit-elle, mais il a bien couch avec
+moy. Quelle gloire! Je vous laisse donc penser comme ces glorieuses
+sottes femmes chastes gourmandent leurs pauvres marys, d'ailleurs qui ne
+leur sauroient rien reprocher, et comme font aussi celles qui sont
+chastes et riches, d'autant que cette-cy, chaste et riche du sien, fait
+de l'olimbrieuse, de l'altire, de la superbe et de l'audacieuse,
+l'endroit de son mary: tellement que, pour la trop grande prsomption
+qu'elle a de sa chastet et de son devant tant bien gard, ne la peut
+retenir qu'elle ne fasse de la femme emperiere, qu'elle ne gourmande son
+mary sur la moindre faute qu'il fera, comme j'en ay veu aucunes, et sur
+tout sur son mauvais menage. S'il joe, s'il dpend, ou s'il dissipe,
+elle crie plus, elle tempeste, fait que sa maison paroist plus un enfer
+qu'une noble famille: et s'il faut vendre de son bien pour subvenir un
+voyage de cour ou de guerre, ou ses procs, ncessitez, ou ses
+petites folies et despenses frivolles, il n'en faut pas parler; car la
+femme a pris telle impriosit sur lui, s'appuyant et se fortifiant sur
+sa pudicil, qu'il faut que le mary passe par sa sentence, ainsi que dit
+fort bien Juvenal en ses satyres.</p>
+
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="poesie">
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Animus uxoris si deditus uni,</i></span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Nil unquam invit donabis conjuge vendes.</i></span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Hac obstante nihil hc&nbsp; si nolit emetur</i><a name="FNanchor_43_43" id="FNanchor_43_43"></a><a href="#Footnote_43_43" class="fnanchor">[43]</a>.</span></td></tr>
+</table>
+
+<p><a name="page_105" id="page_105"></a></p>
+
+<p>Il note bien par ces vers que telles humeurs des anciennes Romaines
+correspondoient aucunes de nostre temps quant ce poinct; mais, quand
+une femme est un peu putain, elle se rend bien plus aise, plus sujette,
+plus docile, craintive, de plus douce et agrable humeur, plus humble et
+plus prompte faire tout ce que le mary veut, et lui condescend en
+tout; comme j'en ay veu plusieurs telles, qui n'osent gronder, ny crier,
+ny faire des acariastres, de peur que le mary ne les menace de leur
+faute, et ne leur mette au devant leur adultere, et leur fasse sentir
+aux despens de leur vie; et si le galant veut vendre quelque bien du
+leur, les voil plustost signes au contract que le mary ne l'a dit.
+J'en ay veu de celles-l force: bref, elles font ce que leurs marys
+veulent.</p>
+
+<p>Sont-ils bien gastez ceux-l donc d'estre cocus de si belles femmes, et
+d'en tirer de si belles denres et commoditez que celles-l, outre le
+beau et dlicieux plaisir qu'ils ont de paillarder avec de si belles
+femmes, et nager avec elles comme dans un beau et clair courant d'eau,
+et non dans un salle et laid bourbier? Et puisqu'il faut mourir, comme
+disoit un grand capitaine que je say, ne vaut-il pas mieux que ce soit
+par une belle jeune espe, claire, nette, luisante et bien tranchante,
+que par une lame vieille, rouille et mal fourbie, l o il y faut plus
+d'meric que tous les fourbisseurs de la ville de Paris ne sauroient
+fournir?</p>
+
+<p>Et ce que je dis des jeunes laides, j'en dis autant d'aucunes vieilles
+femmes qui veulent estre fourbies et se faire tenir et nettes et claires
+comme les plus belles du monde (j'en fais ailleurs un discours
+part<a name="FNanchor_44_44" id="FNanchor_44_44"></a><a href="#Footnote_44_44" class="fnanchor">[44]</a> de cela): et voil le mal; car, quand leurs marys n'y peuvent
+vacquer, les maraudes appellent des supplments, et comme estants si
+chaudes, ou plus, que les jeunes: comme j'en ay veu qui ne sont pas sur
+le commencement et mitan prestes d'enrager, mais sur la fin. Et
+volontiers l'on dit que la fin en ces mestiers est plus enrage que les
+deux autres, le commencement et le<a name="page_106" id="page_106"></a> mitan, pour le vouloir; car, la
+force et la disposition leur manquent, dont la douleur leur est
+trs-griefve, d'autant que le vieil proverbe dit que c'est une grande
+douleur et dommage, quand un c... a trs-bonne volont, et que la force
+lui dfaut. Si y en a-t-il toujours quelques-unes de ces pauvres
+vieilles haires qui passent par bardot<a name="FNanchor_45_45" id="FNanchor_45_45"></a><a href="#Footnote_45_45" class="fnanchor">[45]</a>, et departent leurs largesses
+aux despens de leurs deux bourses; mais celle de l'argent fait trouver
+bonne et estroite l'autre de leurs corps. Aussi dit-on que la libralit
+en toutes chose est plus estimer que l'avarice et la chichet, fors
+aux femmes, lesquelles, tant plus sont librales de leurs cas, tant
+moins sont estimes, et les avares et chiches tant plus. Cela disoit une
+fois un grand seigneur de deux grandes dames s&oelig;urs que je say, dont
+l'une estoit chiche de son honneur, et librale de la bourse et
+despense, et l'autre fort escarce<a name="FNanchor_46_46" id="FNanchor_46_46"></a><a href="#Footnote_46_46" class="fnanchor">[46]</a> de sa bourse et despense, et
+trs-librale de son devant.</p>
+
+<p>&mdash;Or, voici encore une autre race de cocus qui est certes par trop
+abominable et excrable devant Dieu et les hommes, qui, amouraschs de
+quelque bel Adonis, leur abandonnent leurs femmes pour jouir d'eux. La
+premire fois que je fus jamais en Italie, j'en ouys un exemple
+Ferrare, par un conte qui m'y fut fait d'un qui, espris d'un jeune homme
+beau, persuada sa femme d'octroyer sa joissance audit jeune homme qui
+estoit amoureux d'elle, et qu'elle luy assignast jour, et qu'elle fist
+ce qu'il luy commanderoit. La dame le voulut trs-bien, car elle ne
+desiroit manger autre venaison que de celle-l. Enfin le jour fut
+assign, et l'heure estant venue que le jeune homme et la femme estoient
+en ces douces affaires et alteres, le mary, qui s'estoient cach, selon
+le concert d'entre luy et sa femme, voici qu'il entra; et les prenant
+sur le fait, approcha la dague la gorge du jeune homme, le jugeant
+digne de mort sur tel forfait, selon les loix d'Italie, qui sont un peu
+plus rigoureuses qu'en France. Il fut contraint d'accorder au mary ce
+qu'il voulut, et firent eschange l'un de l'autre: le jeune homme se
+prostitua au mary, et le mary abandonna sa femme au jeune homme; et par
+ainsi, voil un mary cocu d'une vilaine faon.</p>
+
+<p>&mdash;J'ai ouy conter qu'en quelque endroit du monde (je ne le veux<a
+name="page_107" id="page_107"></a> pas nommer) il y eut un mary, et de
+qualit grande, qui estoit vilainement espris d'un jeune homme qui
+aimoit fort sa femme, et elle aussi luy: soit ou que le mary eust gaign
+sa femme, ou que ce fust une surprise l'improviste, les prenant tous
+deux couchs et accoupls ensemble, menaant le jeune homme s'il ne luy
+complaisoit, l'investit tout couch, et joint et coll sur sa femme, et
+en joit; dont sortit le problme, comme trois amants furent joissants
+et contents tout un mesme coup ensemble.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy conter d'une dame, laquelle esperdument amoureuse d'un
+honneste gentilhomme qu'elle avoit pris pour amy et favory, luy se
+craignant que le mary luy feroit et elle quelque mauvais tour, elle le
+consola, lui disant: N'ayez pas peur; car il n'oseroit rien faire,
+craignant que je l'accuse de m'avoir voulu user de l'arrire-Vnus, dont
+il en pourroit mourir si j'en disois le moindre mot et le dclarois la
+justice. Mais je le tiens ainsi en eschec et en allarme; si bien que,
+craignant mon accusation, il ne m'ose pas rien dire. Certes telle
+accusation n'eust pas port moins de prjudice ce pauvre mary que de
+la vie: car les lgistes disent que la sodomie se punit pour la volont;
+mais possible que la dame ne voulut pas franchir le mot tout trac, et
+qu'il n'eust pass plus avant sans s'arrter la volont.</p>
+
+<p>&mdash;Je me suis laiss conter qu'un de ces ans un jeune gentilhomme
+franois, l'un des beaux qui fust est veu la cour longtemps, estant
+all Rome pour y apprendre les exercices, comme autres ses pareils,
+fut arregard de si bon &oelig;il, et par si grande admiration de sa
+beaut, tant des hommes que des femmes, que quasi on l'eust couru
+force: et l o ils le savoient aller la messe, ou autre lieu public
+et de congrgation, ne failloient, ny les uns, ny les autres, de s'y
+trouver pour le voir; si bien que plusieurs marys permirent leurs
+femmes de lui donner assignation d'amours en leurs maisons, afin qu'y
+estant venu et surpris, fissent eschange, l'un de sa femme, et l'autre
+de luy: dont luy en fut donn advis de ne se laisser aller aux amours et
+volontez de ces dames, d'autant que le tout avoit est fait et appost
+pour l'attrapper; en quoy il se fit sage, et prfra son honneur et sa
+conscience tous les plaisirs dtestables, dont il en acquist une
+louange trs-digne. Enfin, pourtant, son escuyer le tua. On en parle
+diversement pourquoy: dont ce fut trs-grand dommage, car c'estoit un
+fort honneste jeune homme, de bon lieu, et qui promettoit beaucoup de
+luy, autant de sa<a name="page_108" id="page_108"></a> physionomie, pour ses actions nobles, que pour ce
+beau et noble trait: car, ainsi que j'ay ouy dire un fort gallant
+homme de mon temps, et qu'il est aussi vray, nul jamais b....., n'y
+bardasch, ne fut brave, vaillant et gnreux, que le grand Jules Csar;
+aussi que par la grande permission divine telles gens abominables sont
+rdigs et mis sens reprouvez: en quoy je m'estonne que plusieurs, que
+l'on a veu tachs de ce mchant vice, sont est continuez du ciel en
+grands prospritez; mais Dieu les attend, et la fin on en voit ce que
+doit estre d'eux.</p>
+
+<p>Certes, de telle abomination, j'en ay ouy parler que plusieurs marys en
+sont est atteints bien au vif; car, malheureux qu'ils sont et
+abominables, ils se sont accommodez de leurs femmes plus par le derriere
+que par le devant, et ne se sont servis du devant que pour avoir des
+enfants; et traittent ainsi leurs pauvres femmes, qui ont toute leur
+chaleur en leurs belles parties de la devantire. Sont-elles pas
+excusables si elles font leurs marys cocus, qui ayment leurs ordes et
+salles parties de derriere?</p>
+
+<p>Combien y a-t-il de femmes au monde, que si elles estoient visites par
+des sages femmes, mdecins et chirurgiens experts, ne se trouveroient
+non plus pucelles par le derrire que par le devant, et qui feroient le
+procs leurs marys l'instant; lesquelles le dissimulent, et ne
+l'osent dcouvrir, de peur d'escandaliser, et elles et leurs marys ou
+possible qu'elles y prennent quelque plaisir plus grand que nous ne
+pouvons penser; ou bien, pour le dessein que je viens de dire, pour
+tenir leurs maris en telle sujection, si elles font l'amour d'ailleurs,
+mesmes qu'aucuns marys leur permettent; mais pourtant tout cela ne vaut
+rien.</p>
+
+<p>&mdash;Summa Benedicti dit que si le mary veut recognoistre sa partie ainsi
+contre l'ordre de nature, qu'il offense mortellement; et s'il veut
+maintenir qu'il peut disposer de sa femme comme il luy plaist, il tombe
+en dtestable et vilaine hrsie d'aucuns Juifs et mauvais rabins, dont
+on dit que <i>duabus mulieribus apud synagogam conquestis se fuisse
+viris suis cognitu sodomiquo cognitis, responsum est ab illis rabinis,
+virum esse uxoris dominum, proinde posse uti ejus utcunque libuerit, non
+aliter qum is qui piscem emit: ille enim, tam anterioribus qum
+posterioribus partibus, ad arbitrium vesci potest</i>. J'ay mis cela en
+latin sans le traduire en franois, car il sonne trs-mal des oreilles
+bien honnestes et chastes. Abominables qu'ils sont! laisser<a
+name="page_109" id="page_109"></a> une belle, pure et concde partie, pour
+en prendre une villaine, salle, orde et dfendue, et mise en sens
+rprouv!</p>
+
+<p>Et si l'homme veut ainsi prendre la femme, il est permis elle se
+sparer de luy, s'il n'y a autre moyen de le corriger: et pourtant,
+dit-il encore, celles qui craignent Dieu n'y doivent jamais consentir,
+ains plustost doivent crier la force, nonobstant l'escandale qui
+pourroit arriver en cela, et le deshonneur ny la crainte de mort; car il
+vaut mieux mourir, dit la loy, que de consentir au mal. Et dit encor
+ledit livre une chose que je trouve fort estrange: qu'en quelque mode
+que le mary connoisse sa femme, mais qu'elle en puisse concevoir, ce
+n'est point pch mortel, combien qu'il puisse estre vniel: si y a-t-il
+pourtant des mthodes pour cela fort salles et villaines, selon que
+l'Artin les reprsente en ses figures, et ne ressentent rien la
+chastet maritale; bien que, comme j'ay dit, il soit permis l'endroit
+des femmes grosses, et aussi de celles qui ont l'haleine forte et
+puante, tant de la bouche que du nez: comme j'en ay cogneu et ouy parler
+de plusieurs femmes, lesquelles baiser et alleiner autant vaudroit qu'un
+anneau de retrait; ou bien comme j'ai ouy parler d'une trs-grande dame,
+mais je dis trs-grande, qu'une de ses dames dit un jour que son
+halleine sentoit plus qu'un pot--pisser d'airain; ainsi m'usa-t-elle de
+ces mots: un de ses amis fort priv, et qui s'approchoit prs d'elle, me
+le confirma aussi: si est-il vray qu'elle estoit un peu sur l'ge.</p>
+
+<p>L-dessus que peut faire un mary ou un amant, s'il n'a recours quelque
+forme extravagante, mais surtout qu'elle n'aille point
+l'arrire-Vnus? J'en dirois davantage, mais j'ai horreur d'en parler:
+encore m'a-t-il fasch d'en avoir tant dit; mais si faut-il quelquefois
+descouvrir les vices du monde pour s'en corriger.</p>
+
+<p>&mdash;Or il faut que je die une mauvaise opinion que plusieurs ont eue et
+ont encores de la cour de nos roys, que les filles et femmes y bronchent
+fort, voire coustmirement: en quoy bien souvent sont-il trompez, car il
+y en a de trs-chastes, honnestes et vertueuses, voire plus qu'ailleurs,
+et la vertu y habite aussi-bien, voire mieux qu'en tous autres lieux,
+que l'on doit fort priser pour estre bien preuve. Je n'allgueray que
+ce seul exemple de madame la grande duchesse de Florence d'aujourd'huy,
+de la maison de Lorraine, laquelle estant arriv Florence le soir que
+le grand-duc l'pousa, et qu'il voulut aller coucher avec elle pour la
+dpuceler, il la fit avant pisser dans<a name="page_110" id="page_110"></a> un beau urinal de cristal, le
+plus beau et le plus clair qu'il put, et en ayant vue l'urine, il la
+consulta avec son mdecin, qui estoit un trs-grand et trs-savant et
+expert personnage, pour savoir de luy par cette inspection si elle
+estoit pucelle, ouy ou non. Le mdecin l'ayant bien fixement et
+doctement inspice, il trouva qu'elle estoit telle comme quand sortit du
+ventre de sa mre, et qu'il y allast hardiement, et qu'il n'y trouveroit
+point le chemin nullement ouvert, fray ni battu; ce qu'il fit, et en
+trouva la vrit telle; et puis, le lendemain en admiration, dit: Voil
+un grand miracle, que cette fille soit ainsi sortie pucelle de cette
+cour de France! Quelle curiosit et quelle opinion! Je ne sai s'il est
+vrai, mais il me l'a ainsi est asseur pour vritable. Voil une belle
+opinion de nos cours; mais ce n'est d'aujourd'huy, ains de long-temps,
+qu'on tenoit que toutes les dames de Paris et de la cour n'estoient si
+sages de leur corps comme celles du plat pays, et qui ne bougeoient de
+leurs maisons, il y a eu des hommes qui estoient si consciencieux de
+n'espouser que des filles et femmes qui eussent fort pays, et veu le
+monde tant soit peu. Si bien qu'en notre Guyenne, du temps de mon jeune
+aage, j'ay ouy dire plusieurs gallants hommes et veu jurer qu'ils
+n'espouseroient jamais fille ou femme qui auroit pass le port de Pille,
+pour tirer de longue vers la France. Pauvres fats qu'ils estoient en
+cela, encor qu'ils fussent fort habiles et gallants en autres choses, de
+croire que le cocuage ne se logeast dans leurs maisons, dans leurs
+foyers, dans leurs chambres, dans leurs cabinets, aussi bien, ou
+possible mieux, selon la commodit, qu'aux palais royaux et grandes
+villes royales! car on leur alloit suborner, gagner, abattre et
+rechercher leurs femmes, ou quand ils alloient eux-mesmes la Cour,
+la guerre, la chasse, leurs procez ou leurs promenoirs, si bien
+qu'ils ne s'en appercevoyent; et estoient si simples de penser qu'on ne
+leur osoit entamer aucun propos d'amour, si-non que de mesnageries, de
+leurs jardinages, de leurs chasses et oiseaux; et, sous cette opinion et
+legere creance, se faisoient mieux cocus qu'ailleurs; car, partout,
+toute femme belle et habile, et aussi tout homme honneste et gallant,
+sait faire l'amour, et se sait accommoder. Pauvres fats et idiots
+qu'ils estoient! Et ne pouvoient-ils pas penser que Vnus n'a nulle
+demeure prefisse, comme jadis en Cypre, en Paros et Amatonte, et qu'elle
+habite par-tout jusques dans les cabanes des pastres et girons des
+bergres, voire des plus simplettes?<a name="page_111" id="page_111"></a></p>
+
+<p>Depuis quelque temps en , ils ont commenc perdre ces sottes
+opinions; car, s'estant apperceu que par-tout y avoit du danger pour ce
+triste cocuage, ils ont pris femmes partout o il leur a plu et ont pu;
+et si ont mieux fait: ils les ont envoyes ou menes la Cour, pour les
+faire valoir ou parestre en leurs beautez, pour en faire venir l'envie
+aux uns ou aux autres, afin de s'engendrer des cornes. D'autres les ont
+envoyes, et menes playder et solliciter leurs procez, dont aucuns n'en
+avoient nullement, mais faisoient croire qu'ils en avoient; ou bien
+s'ils en avoient, les allongeoient le plus qu'ils pouvoient, pour
+allonger mieux leurs amours. Voire quelquefois les marys laissoient
+leurs femmes la garde du palais, et la galerie et salle, puis s'en
+alloient en leurs maisons, ayant opinion qu'elles feroient mieux leurs
+besognes, et en gaigneroient mieux leurs causes: comme de vray, j'en
+say plusieurs qui les ont gaignes mieux par la dextrit et beaut de
+leur devant, que par leur bon droit, dont bien souvent en devenoient
+enceintes; et, pour n'estre escandalises (si les drogues avoient failly
+de leur vertu pour les en garder), s'encouroient vistement en leurs
+maisons leurs marys, feignant qu'elles alloient qurir des tiltres et
+pices qui leur faisoient besoin, ou alloient faire quelque enqueste, ou
+que c'estoit pour attendre la Sainct Martin, et que, durant les
+vacations, n'y pouvant rien servir, alloient au bouc, et voir leurs
+mesnages et leurs marys. Elles y alloient de vray, mais bien enceintes.
+Je m'en rapporte plusieurs conseillers, rapporteurs et prsidents,
+pour les bons morceaux qu'ils en ont tastez des femmes des
+gentilshommes.</p>
+
+<p>&mdash;Il n'y a pas long-temps qu'une trs-belle, honneste et grande dame que
+j'ay cogneue, allant ainsi solliciter son procez Paris, il y eut
+quelqu'un qui dit: Qu'y va-t-elle faire? Elle le perdra; elle n'a pas
+grand droit.&mdash;Et ne porte-t-elle pas son droit sur la beaut de son
+devant, comme Csar portoit le sien sur le pommeau et sur la pointe de
+son espe? Ainsi se font les gentilshommes cocus au palais, en
+rcompense de ceux que messieurs les gentilshommes font sur mesdames les
+prsidentes et conseilleres: dont aussi aucunes de celles-l ay-je veu,
+qui ont bien vallu sur la monstre autant que plusieurs dames,
+damoiselles et femmes de seigneurs, chevaliers et grands gentilshommes
+de la Cour, et autres.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay cogneu une dame grande, qui avoit est trs-belle,<a
+name="page_112" id="page_112"></a> mais la vieillesse l'avoit efface. Ayant
+un procez Paris, et voyant que sa beaut n'estoit plus pour ayder
+solliciter et gaigner sa cause, elle mena avec elle une sienne voisine,
+jeune et belle dame; et pour ce l'appointa d'une bonne somme d'argent,
+jusques dix mille escus; et, ce qu'elle ne put ou eust bien voulu
+faire elle-mesme, elle se servit de cette dame, dont elle s'en trouva
+fort bien, et la jeune aussi; et tout en deux bonnes faons. N'y a pas
+long-temps que j'ay veu une dame mere y mener une de ses filles, bien
+qu'elle fust marie, pour luy ayder solliciter son procez, n'y ayant
+autre affaire; et de fait elle est trs-belle, et vaut bien la
+sollicitation.</p>
+
+<p>Il est temps que je m'arreste dans ce grand discours de cocuage; car
+enfin mes longues paroles, tournoyes dans ces profondes eaux et ces
+grands torrents, seroient noyes, et n'aurois jamais fait, ny n'en
+saurois jamais sortir, non plus que d'un grand labyrinthe qui fust
+autresfois, encore que j'eusse le plus long et le plus fort fillet du
+monde pour guide et sage conduite. Pour fin je concluray que si nous
+faisons des maux, donnons des tourments, des martyres et des mauvais
+tours ces pauvres cocus, nous en portons bien la folle enchere, comme
+l'on dit, et en payons les triples intrests; car la plupart de leurs
+perscuteurs et faiseurs d'amour, et de ces dameretz, en endurent bien
+autant de maux; car ils sont plus subjects jalousies, mesmes qu'ils en
+ont des marys aussi bien que de leurs corrivals: ils portent des
+martels, des capriches, se mettent aux hazards en danger de mort,
+d'estropiements, de playes, d'affronts, d'offenses, de querelles, de
+craintes, peines et mort; endurent froidures, pluyes, vents et chaleurs.
+Je ne conte pas la vrole, les chancres, les maux et maladies qu'ils y
+gaignent, aussi bien avec les grandes que les petites; de sorte que bien
+souvent ils acheptent bien cher ce qu'on leur donne, et la chandelle
+n'en vaut pas le jeu. Tels y en avons-nous veu misrablement mourir,
+qu'ils estoient battants pour conqurir tout un royaume, tesmoin M. de
+Bussi, le nompair de son temps, et force autres. J'en allguerois une
+infinit d'autres que je laisse en arrire, pour finir et dire, et
+admonester ces amoureux qu'ils pratiquent le proverbe de l'Italien qui
+dit: <i>Che molto guadagna chi putana perde</i><a name="FNanchor_47_47" id="FNanchor_47_47"></a><a href="#Footnote_47_47" class="fnanchor">[47]</a>.</p>
+
+<p>&mdash;Le comte Am second disoit souvent: En jeu d'armes et d'amours, pour
+une joie cent doulours; usant ainsi de ce<a name="page_113" id="page_113"></a> mot anticq pour mieux faire
+sa rime. Disoit-il encore que la colere et l'amour avoient cela en soy
+fort dissemblable, que la colere passe tost, et se deffait fort aisment
+de sa personne quand elle y est entre, mais mal-aisment l'amour. Voil
+comment il se faut garder de cette amour, car elle nous couste bien
+autant qu'elle nous vaut, et bien souvent en arrive beaucoup de
+malheurs. Et pour parler au vray, la pluspart des cocus patients ont
+cent fois meilleur temps, s'ils se savoient connoistre et bien
+s'entendre avec leurs femmes, que les agents; et plusieurs en ay-je veu,
+qu'encor qu'il y allast de leurs cornes, se mocquoient de nous et se
+rioient de toutes les humeurs et faons de faire de nous autres qui
+traittons l'amour avec leurs femmes, et mesmes quand nous avions faire
+ des femmes ruses, qui s'entendent avec leurs marys et nous vendent:
+comme j'ay cogneu un fort brave et honneste gentilhomme qui, ayant
+longuement aym une belle et honneste dame, et eu d'elle la joissance,
+ce qu'il en desiroit long-temps, s'estant un jour apperceu que le mary
+et elle se mocquoient de luy sur quelque trait, il en prit un si grand
+depit qu'il la quitta et fit bien; et, faisant un voyage lointain pour
+en divertir sa fantaisie, ne l'accosta jamais plus, ainsi qu'il me dit.
+Et de telles femmes ruses, fines et changeantes, il s'en faut donner
+garde comme d'une beste sauvage; car, pour contenter et appaiser leurs
+marys, quittent leurs anciens serviteurs, et en prennent puis aprs
+d'autres, car elles ne s'en peuvent passer.</p>
+
+<p>Si ay-je cogneu une fort honneste et grande dame, qui a eu cela en elle
+de malheur, que, de cinq ou six serviteurs que je luy ay veu de mon
+temps avoir, se sont morts tous les uns aprs les autres, non sans un
+grand regret qu'elle en portoit; de sorte qu'on eust dit d'elle que
+c'estoit le cheval de Sjan, d'autant que tous ceux qui montoient sur
+elle mouroient et ne vivoient guieres; mais elle avoit cela de bon en
+soy et cette vertu, que, quoy qui ait est, n'a jamais chang ny
+abandonn aucun de ses amis vivants pour en prendre d'autres; mais, eux
+venans mourir, elle s'est voulu tousjours remonter de nouveau pour
+n'aller pied; et aussi, comme disent les lgistes, qu'il est permis de
+faire valoir ses lieux et sa terre par quiconque soit, quand elle est
+dguerpie de son premier maistre. Telle constance a est fort en cette
+dame recommandable; mais si celle-l a est jusques-l ferme, il y en a
+eu une infinit qui ont<a name="page_114" id="page_114"></a> bien bransl. Aussi, pour en parler
+franchement, il ne se faut jamais envieillir dans un seul trou, et
+jamais homme de c&oelig;ur ne le fit: il faut estre aussi bien aventurier
+de et del, en amour comme en guerre, et en autres choses; car si l'on
+ne s'asseure que d'une seule ancre en son navire, venant se dcrocher,
+aisment on le perd, et mesme quand l'on est en pleine mer et en une
+tempeste, qui est plus subjecte aux orages et vagues tempestueuses que
+non en une calme ou en un port. Et dans quelle plus grande et haute mer
+ne sauroit-on mieux mettre et naviguer que de faire l'amour une seule
+dame? Que si de soy elle n'a est ruse du commencement, nous autres la
+dressons et l'affinons par tant de pratiques, que nous menons avec elle,
+dont bien souvent il nous en prend mal, en la rendant telle pour nous
+faire la guerre, l'ayant faonne et aguerrie. Tant y a, comme disoit
+quelque galant homme, qu'il vaut mieux se marier avec quelque belle
+femme et honneste, encore qu'on soit en danger d'estre un peu touch de
+la corne et de ce mal de cocuage commun plusieurs, que d'endurer tant
+de traverses faire les autres cocus, contre l'opinion de M. du Gua
+pourtant, auquel moy ayant tenu propos un jour de la part d'une grande
+dame qui m'en avoit pri, pour le marier, me fit cette response
+seulement: qu'il me pensoit de ses plus grands amis, et que je luy en
+faisois perdre la crance par tel propos pour luy pourchasser la chose
+qu'il hassoit plus, que le marier et faire cocu, au lieu qu'il faisoit
+les autres; et qu'il espousoit assez de femmes l'anne, appelant le
+mariage un putanisme secret de rputation et de libert, ordonn par une
+belle loy, et que le pis en cela, ainsi que je voy et ay not, c'est que
+la pluspart, voire toute, de ceux qui se sont ainsi delectez faire les
+autres cocus, quand ils viennent se marier, infailliblement ils
+tombent en mariage, je dis en cocuage; et n'en ay jamais veu arriver
+autrement, selon le proverbe: <i>Ce que tu feras autruy, il te sera
+fait</i>.</p>
+
+<p>&mdash;Avant que finir je diray encore ce mot: que j'ay veu faire une dispute
+qui n'est encore indcise, en quelles provinces et rgions de nostre
+chrestient et de nostre Europe il y a plus de cocus et de putains. L'on
+dit qu'en Italie les dames sont fort chaudes, et par ce, fort putains,
+ainsi que dit M. de Beze en une pigramme, d'autant qu'o le soleil, qui
+est chaud et donne le plus, y eschauffe davantage les femmes, en usant
+de ce vers:<a name="page_115" id="page_115"></a></p>
+
+<p class="c"><i>Credibile est ignes multiplicare suos</i><a name="FNanchor_48_48" id="FNanchor_48_48"></a><a href="#Footnote_48_48" class="fnanchor">[48]</a>.</p>
+
+<p>L'Espagne est de mesme, encore qu'elle soit sur l'occident; mais le
+soleil y eschauffe bien les dames autant qu'en orient. Les Flamandes,
+les Suisses, les Allemandes, Anglaises et Escossaises, encore qu'elles
+tirent sur le midy, et septentrion, et soient rgions froides, n'en
+participent pas moins de cette chaleur natule, comme je les ai cogneues
+aussi chaudes que toutes les autres nations. Les Grecques ont raison de
+l'estre, car elles sont fort sur le levant. Ainsi souhaitte-t-on en
+Italie <i>Greca in letto</i>: comme de vray elles ont beaucoup de choses et
+vertus attrayantes en elles, que, non sans cause, le temps pass elles
+ont est les dlices du monde, et en ont beaucoup appris aux dames
+italiennes et espagnolles, depuis le vieux temps jusques ce nouveau;
+si bien qu'elles en surpassent quasi leurs anciennes et modernes
+maistresses aussi la reyne et impriere des putains, qui estoit Vnus,
+estoit Grecque.</p>
+
+<p>Quant nos belles Franoises, on les a veues le temps pass fort
+grossieres, et qui se contentoient de le faire la grosse mode; mais,
+depuis cinquante ans en a, elles ont emprunt et appris des autres
+nations tant de gentillesses, de mignardises, d'attraits et de vertus,
+d'habits, de belles graces, lascivetez, ou d'elles-mesmes se sont si
+bien estudies se faonner, que maintenant il faut dire qu'elles
+surpassent toutes les autres en toutes faons; et, ainsi que j'ay ouy
+dire, mesme aux estrangers, elles valent beaucoup plus que les autres,
+outre que les mots de paillardise franoise en la bouche sont plus
+paillards, mieux sonnants et esmouvants que les autres. De plus, cette
+belle libert franoise, qui est plus estimer que tout, rend bien nos
+dames plus desirables, accostables, aimables et plus passables que
+toutes les autres: et aussi que tous les adulteres n'y sont si
+communment punis comme aux autres provinces, par la providence de nos
+grands snats et lgislateurs franois, qui, voyant les abus en provenir
+par telles punitions, les ont un peu brids, et un peu corrig les loix
+rigoureuses du temps pass des hommes, qui s'estoient donnez en cela
+toute libert de s'esbattre et l'ont oste aux femmes; si bien qu'il
+n'estoit permis la femme innocente<a name="page_116" id="page_116"></a> d'accuser son mary d'adultere, par
+aucunes lois impriales et canon (ce dit Cajetan). Mais les hommes fins
+firent cette loy pour les raisons que dit cette stance italienne, qui
+est telle:</p>
+
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="poesie">
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Perche di quel che natura concede</i></span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Nel vieti tutan dura legge d'honore.</i></span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Ella a noi liberal largo ne diede</i></span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Com' agli altri animai legge d'amore.</i></span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Ma l'huomo fraudulento, e senza fede,</i></span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Che fu legislator di quest' errore,</i></span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Vedendo nostre forze e buona schiena ,</i></span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Copri la sua debolezza con la pena</i><a name="FNanchor_49_49" id="FNanchor_49_49"></a><a href="#Footnote_49_49" class="fnanchor">[49]</a>.</span></td></tr>
+</table>
+
+<p>Pour fin, en France il fait bon faire l'amour. Je m'en rapporte nos
+authentiques docteurs d'amour, et mesme nos courtisans, qui sauront
+mieux sophistiquer l-dessus que moi: et, pour en parler bien au vray,
+putains par-tout, et cocus par-tout, ainsi que je le puis bien tester,
+pour avoir veu toutes ces rgions que j'ay nommes, et autres; et la
+chastet n'habite pas en une rgion plus qu'en l'autre.</p>
+
+<p>Si feray-je encore cette question, et puis plus, qui possible n'a point
+est recherche de tout le monde, ny possible songe: savoir mon, si
+deux dames amoureuses l'une de l'autre, comme il s'est veu et se voit
+souvent aujourd'huy, couches ensemble, et faisant ce qu'on dit, <i>donna
+con donna</i>, en imitant la docte Sapho lesbienne, peuvent commettre
+adultere, et entre elles faire leurs maris cocus. Certainement, si l'on
+veut croire Martial en son I<sup>er</sup> livre, pigram. C<small>XIX</small>, elles commettent
+adultere; o il introduit et parle une femme nomme Bassa, tribade,
+luy faisant fort la guerre de ce qu'on ne voyoit jamais entrer d'hommes
+chez elle, de sorte qu'on la tenoit pour une seconde Lucrce: mais elle
+vint estre descouverte, en ce que l'on y voyoit aborder ordinairement
+force belles femmes et filles; et fut trouv qu'elle-mesme leur servoit
+et contrefaisoit d'homme et d'adultere, et se conjoignoit avec elles, et
+use de<a name="page_117" id="page_117"></a> ces mots: <i>geminos committere cunnos</i>. Et puis s'escriant, il
+dit et donne songer et deviner cette nigme par ce vers latin:</p>
+
+<p class="c"><i>Hic ubi vir non est, ut sit adulterium</i><a name="FNanchor_50_50" id="FNanchor_50_50"></a><a href="#Footnote_50_50" class="fnanchor">[50]</a>.</p>
+
+<p>Voil un grand cas, dit-il, que, l o il n'y a point d'homme, il y ait
+de l'adultere.</p>
+
+<p>J'ai cogneu une courtisanne Rome, vieille et ruse s'il en fust
+oncques, qui s'appeloit Isabelle de Lune, Espagnolle, laquelle prit en
+telle amiti une courtisanne qui s'appeloit la Pandore, l'une des belles
+pour lors de tout Rome, laquelle vint estre marie avec un sommeiller
+de M. le cardinal d'Armaignac, sans pourtant se distraire de son premier
+mestier: mais cette Isabelle l'entretenoit, et couchoit ordinairement
+avec elle; et, comme desborde et dsordonne en paroles qu'elle estoit,
+je luy ay souvent ouy dire qu'elle la rendoit plus putain, et lui
+faisoit faire des cornes son mary plus que tous les ruffiants que
+jamais elle avoit eus. Je ne say comment elle entendoit cela, si ce
+n'est qu'elle se fondast sur cette pigramme de Martial.</p>
+
+<p>On dit que Sapho de Lesbos a est une fort bonne maistresse en ce
+mestier, voire, dit-on, qu'elle l'a invent, et que depuis les dames
+lesbiennes l'ont imite en cela et continu jusques aujourd'huy, ainsi
+que dit Lucian, que telles femmes sont les femmes de Lesbos, qui ne
+veulent pas souffrir les hommes, mais s'approchent des autres femmes,
+ainsi que les hommes mesmes; et telles femmes qui aiment cet exercice ne
+veulent souffrir les hommes, mais s'adonnent d'autres femmes, ainsi
+que les hommes mesmes, s'appellent <i>tribades</i>, mot grec driv, ainsi
+que j'ai appris des Grecs, de <span title="Grec trib, tribein"> &#964;&#961;&#7985;&#946;&#969;, &#964;&#961;&#7985;&#946;&#949;&#953;&#957;</span>,
+qui est autant dire que <i>fricare</i>, frayer, ou friquer, ou
+s'entrefrotter; et tribades se disent <i>fricatrices</i>, en franois
+fricatrices, ou qui font la friquarelle en mestier de <i>donne con donne</i>,
+comme l'on l'a trouv ainsi aujourd'huy.</p>
+
+<p>Juvenal parle aussi de ces femmes quand il dit: <i>frictum Grissantis
+adorat</i>, parlant d'une pareille tribade qui adoroit et aimoit la
+fricarelle d'une Grissante.</p>
+
+<p>Le bon compagnon Lucian en fait un chapitre, et dit ainsi que les femmes
+viennent mutuellement conjoindre comme les<a name="page_118" id="page_118"></a> hommes, conjoignants des
+instruments lascifs, obscurs et monstrueux, faits d'une forme strile,
+et ce nom, qui rarement s'entend dire de ces fricarelles, vacque
+librement partout, et qu'il faille que le sexe fminin soit Filenes, qui
+faisoit l'action de certaines amours hommasses. Toutesfois il adjouste
+qu'il est bien meilleur qu'une femme soit adonne une libidineuse
+affection de faire le masle, que n'est l'homme de s'effminer; tant il
+se monstre peu courageux et noble. La femme donc, selon cela, qui
+contrefait ainsi l'homme, peut avoir rputation d'estre plus valeureuse
+et courageuse qu'une autre, ainsi que j'en ay cogneu aucunes, tant pour
+leurs corps que pour l'ame.</p>
+
+<p>En un autre endroit, Lucian introduit deux dames devisantes de cet
+amour; et une demande l'autre si une telle avoit est amoureuse
+d'elle, et si elle avoit couch avec elle, et ce qu'elle luy avoit fait.
+L'autre luy respondit librement. Premirement, elle me baisa ainsi que
+font les hommes, non pas seulement en joignant les levres, mais en
+ouvrant aussi la bouche, cela s'entend en pigeonne, la langue en bouche;
+et encore qu'elle n'eust point le membre viril, et qu'elle fust
+semblable nous autres, si est-ce qu'elle disoit avoir le c&oelig;ur,
+l'affection et tout le reste viril; et puis je l'embrassay comme un
+homme, et elle me le faisoit, me baisoit et allentoit<a name="FNanchor_51_51" id="FNanchor_51_51"></a><a href="#Footnote_51_51" class="fnanchor">[51]</a> (je n'entends
+point bien ce mot), et me sembloit qu'elle y prit plaisir outre mesure,
+et cohabita d'une certaine faon beaucoup plus agrable que d'un homme.
+Voil ce qu'en dit Lucian.</p>
+
+<p>Or, ce que j'ay ouy dire, il y a en plusieurs endroits et rgions
+force telles dames lesbiennes, en France, en Italie et en Espagne,
+Turquie, Grce et autres lieux; et o les femmes sont recluses et n'ont
+leur entire libert, cet exercice s'y continue fort; car telles femmes
+bruslantes dans le corps, il faut bien, disent-elles, qu'elles s'aydent
+de ce remde, pour se rafraischir un peu ou du tout qu'elles bruslent.
+Les Turques vont aux bains plus pour cette paillardise que pour autre
+chose, et s'y adonnent fort: mesme les courtisannes qui ont les hommes
+commandement et toute heure, encore usent-elles de ces friquarelles,
+s'entre-cherchent et s'entr'aiment les unes les autres, comme je l'ay
+ouy dire aucunes en Italie et en Espagne. En nostre France, telles
+femmes sont assez<a name="page_119" id="page_119"></a> communes; et si dit-on pourtant qu'il n'y a pas
+long-temps qu'elles s'en sont mesles, mesme que la faon en a est
+porte d'Italie par une dame de qualit que je ne nommeray point.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy conter feu M. de Clermont-Tallard le jeune, qui mourut La
+Rochelle, qu'estant petit garon, et ayant l'honneur d'accompagner M.
+d'Anjou, depuis nostre roy Henry troisiesme, en son estude, et estudier
+avec lui ordinairement, duquel M. de Gournay estoit prcepteur, un jour,
+estant Thoulouse, estudiant avec son dit maistre dans son cabinet, et
+estant assis dans un coin part, il vid, par une petite fente (d'autant
+que les cabinets et chambres estoient de bois, et avoient est faits
+l'improviste et la haste, par la curiosit de M. le cardinal
+d'Armaignac, archevesque de l, pour mieux recevoir et accommoder le Roy
+et toute sa cour), dans un autre cabinet, deux fort grandes dames,
+toutes retrousses et leurs caleons bas, se coucher l'une sur l'autre,
+s'entrebaiser en forme de colombe, se frotter, s'entrefriquer, bref, se
+remuer fort, paillarder, et imiter les hommes; et dura leur esbattement
+prs d'une bonne heure, s'estant si trs-fort eschauffes et lasses,
+qu'elles en demeurrent si rouges et si en eau, bien qu'il fist grand
+froid, qu'elles n'en peurent plus et furent contraintes de se reposer
+autant; et disoit qu'il veid joer ce jeu quelques autres jours, tant
+que la Cour fut l, de mesme faon; et oncques plus n'eut-il la
+commodit de voir cet esbattement, d'autant que ce lieu le favorisoit en
+cela, et aux autres il ne put. Il m'en contoit encore plus que je n'en
+ose escrire, et me nommoit les dames. Je ne say s'il est vray; mais il
+me l'a jur et affirm cent fois par bons serments; et, de fait, cela
+est bien vray-semblable; car telles deux dames ont bien eu tousjours
+cette rputation de faire et continuer l'amour de cette faon et de
+passer ainsi leur temps.</p>
+
+<p>J'en ay cogneu plusieurs autres qui ont trait de mesmes amours, entre
+lesquelles j'en ay ouy conter d'une de par le monde, qui a est fort
+superlative en cela, et qui aimoit aucunes dames, les honoroit et les
+servoit plus que les hommes, et leur faisoit l'amour comme un homme sa
+maistresse; et si les prenoit avec elle, les entretenoit pot et feu,
+et leur donnoit ce qu'elles vouloient. Son mary en estoit trs-aise et
+fort content; ainsi que beaucoup d'autres martyrs que j'ay eus, qui
+estoient fort aises que leurs femmes menassent ces amours plutost que
+celles des hommes (n'en pensant leurs femmes si folles ny putains<a
+name="page_120" id="page_120"></a>). Mais je croy qu'ils sont bien trompez,
+car ce petit exercice, ce que j'ay ouy dire, n'est qu'un apprentissage
+pour venir celuy grand des hommes; car aprs qu'elles se son
+eschauffes et mises bien en rut les unes les autres, leur chaleur ne se
+diminuant pour cela, faut qu'elles se baignent par une eau vive et
+courante, qui raffraischist bien mieux qu'une eau dormante, ainsi que je
+tiens de bons chirurgiens, et veu que, qui veut bien panser et gurir
+une playe, il ne faut qu'il s'amuse la mdicamenter et nettoyer
+alentour ou sur le bord, mais il la faut sonder jusques au fond, et y
+mettre une sonde et une tente bien avant.</p>
+
+<p>Que j'en ay veu de ces Lesbiennes, qui, pour toutes leurs fricarelles et
+entre-frottements, n'en laissent d'aller aux hommes! mesme Sapho, qui en
+a est la maistresse, ne se mit-elle pas aymer son grand amy Phaon,
+aprs lequel elle mouroit? Car, enfin, comme j'ay ouy raconter
+plusieurs dames, il n'y a que les hommes; et que de tout ce qu'elles
+prennent avec les autres femmes, ce ne sont que des tiroers pour
+s'aller paistre de gorges-chaudes avec les hommes: et ces fricarelles ne
+leur servent qu' faute des hommes; que si elles les trouvent propos
+et sans escandale, elles lairroient bien leurs compagnes pour aller
+eux et leur sauter au collet.</p>
+
+<p>J'ay cogneu de mon temps deux belles et honnestes damoiselles de bonnes
+maisons, toutes deux cousines, lesquelles ayant couch ensemble dans un
+mesme lit l'espace de trois ans, s'accoustumrent si fort cette
+fricarelle, qu'aprs s'estre imagines que le plaisir estoit assez
+maigre et imparfait au prix de celuy des hommes, se mirent le taster
+avec eux, et en devinrent trs bonnes putains, et confessrent aprs
+leurs amoureux que rien ne les avoit tant desbauches et esbranles
+cela que cette fricarelle, la dtestant pour en avoir est la seule
+cause de leur desbauche: et, nonobstant, quand elles se rencontroyent,
+ou avec d'autres, elles prenoient tousjours quelque repas de cette
+fricarelle, pour y prendre tousjours plus grand appetit de l'autre avec
+les hommes. Et c'est ce que dit une fois une honneste damoiselle que
+j'ay cogneue, laquelle son serviteur demandoit un jour si elle ne
+faisoit point cette fricarelle avec sa compagne, avec qui elle couchoit
+ordinairement. Ah! non, dit-elle en riant, j'ayme trop les hommes;
+mais pourtant elle faisoit l'un et l'autre.</p>
+
+<p>Je say un honneste gentilhomme, lequel, dsirant un jour la Cour
+pourchasser en mariage une fort honneste damoiselle, en demanda<a
+name="page_121" id="page_121"></a> l'advis une sienne parente. Elle luy
+dit franchement qu'il y perdroit son temps; d'autant, me dit-elle,
+qu'une telle dame, qu'elle me nomma, et de qui j'en savois des
+nouvelles, ne permettra jamais qu'elle se marie. J'en cogneus soudain
+l'encloeure, parce que je savois bien qu'elle tenoit cette damoiselle
+en ses dlices pot et feu, et la gardoit prcieusement pour sa
+bouche. Le gentilhomme en remercia sa dite cousine de ce bon advis, non
+sans lui faire la guerre en riant, qu'elle parloit ainsi en cela pour
+elle comme pour l'autre; car elle en tiroit quelques petits coups en
+robbe quelquesfois: ce qu'elle me nia pourtant. Ce trait me fait
+ressouvenir d'aucuns qui ont ainsi des putains eux qu'ils ayment tant,
+qu'ils n'en feroient part pour tous les biens du monde, fust un
+prince, un grand, fust leur compagnon, ni leur amy, tant ils en
+sont jaloux, comme un ladre de son barillet; encore le prsente-t-il
+boire qui en veut. Mais cette dame vouloit garder cette damoiselle
+toute pour soy, sans en dpartir d'autres: pourtant si la faisoit-elle
+cocue la drobade avec aucunes de ses compagnes.</p>
+
+<p>On dit que les belettes sont touches de cet amour, et se plaisent de
+femelle femelle s'entreconjoindre et habiter ensemble; si que par
+lettres hiroglyfiques les femmes s'entr'aimantes de cet amour estoient
+jadis reprsentes par des belettes. J'ay ouy parler d'une dame qui en
+nourrissoit tousjours, et qui se mesloit de cet amour, et prenoit
+plaisir de voir ainsi ses petites bestioles s'entre-habiter.</p>
+
+<p>Voici un autre poinct, c'est que ces amours fminines se traittent en
+deux faons, les unes par friquarelle, et par, comme dit ce pote,
+<i>geminos committere connos</i>.</p>
+
+<p>Cette faon n'apporte point de dommages, ce disent aucuns, comme quand
+on s'aide d'instruments faonns de....., mais qu'on a voulu appeler des
+g........<a name="FNanchor_52_52" id="FNanchor_52_52"></a><a href="#Footnote_52_52" class="fnanchor">[52]</a>.</p>
+
+<p>J'ay ouy conter qu'un grand prince, se doutant de deux dames de sa cour
+qui s'en aydoient, leur fit faire le guet si bien qu'il les surprit,
+tellement que l'une se trouva saisie et accommode d'un gros entre les
+jambes, gentiment attach avec de petites bandelettes l'entour du
+corps, qu'il sembloit un membre naturel. Elle en fut si surprise qu'elle
+n'eut loisir de l'oster; tellement que ce prince la contraignit de luy
+monstrer comment elles deux se le<a name="page_122" id="page_122"></a> faisoient. On dit que plusieurs
+femmes en sont mortes, pour engendrer en leurs matrices des apostumes
+faites par mouvements et frottements point naturels. J'en say bien
+quelques-unes de ce nombre, dont 'a est grand dommage, car c'estoient
+de trs-belles et honnestes dames et damoiselles, qu'il eust bien mieux
+vallu qu'elles eussent eu compagnie de quelques honnestes gentilshommes,
+qui pour cela ne les font mourir, mais vivre et ressusciter ainsi que
+j'espere le dire ailleurs; et mesmes, que, pour la gurison de tel mal,
+comme j'ay ouy conter aucuns chirurgiens, qu'il n'y a rien plus propre
+que de les faire bien nettoyer l-dedans par ces membres naturels des
+hommes, qui sont meilleurs que des pesseres qu'usent les mdecins et
+chirurgiens avec des eaux ce composes; et toutesfois il y a plusieurs
+femmes, nonobstant les inconvnients qu'elles en voyent arriver souvent,
+si faut-il qu'elles en ayent de ces engins contrefaits.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy faire un conte, moy estant lors la cour, que la Reyne-mere
+ayant fait commandement de visiter un jour les chambres et coffres de
+tous ceux qui estoient logs dans le Louvre, sans pargner dames et
+filles, pour voir s'il n'y avoit point d'armes caches et mesmes des
+pistolets, durant nos troubles, il y en eut une qui fut trouve saisie
+dans son coffre par le capitaine des gardes, non point de pistolets,
+mais de quatre gros g........ gentiment faonnez, qui donnrent bien de
+la rise au monde, et elle bien de l'estonnement. Je cognois la
+damoiselle: je croy qu'elle vit encores: mais elle n'eut jamais bon
+visage. Tels instruments enfin sont trs dangereux. Je feray encore ce
+conte de deux dames de la cour qui s'entr'aimoient si fort, et estoient
+si chaudes leur mestier, qu'en quelque endroit qu'elles fussent ne
+s'en pouvoient garder ny abstenir que pour le moins ne fissent quelques
+signes d'amourettes ou de baiser, qui les escandalisoient si fort, et
+donnoient penser beaucoup aux hommes. Il y en avoit une veufve, et
+l'autre marie; et comme la marie, un jour d'une grand magnificence, se
+fust fort bien pare et habille d'une robe de toile d'argent, ainsi que
+leur maistresse estoit alle vespres, elles entrrent dans son
+cabinet, et sur sa chaise perce se mirent faire leur fricarelle si
+rudement et si imptueusement, qu'elle en rompit sous elles, et la dame
+marie qui faisoit le dessous tomba avec sa belle robe de toille
+d'argent la renverse tout plat sur l'ordure du bassin, si bien
+qu'elle se gasta et souilla si fort, qu'elle ne seut que faire que<a
+name="page_123" id="page_123"></a> s'essuyer le mieux qu'elle peut, se
+trousser, et s'en aller grande haste changer de robbe dans sa chambre,
+non sans pourtant avoir est apperceue et bien sentie la trace, tant
+elle puoit: dont il en fut ryt assez par aucuns qui en sceurent le
+conte; mesme leur maistresse le sceut, qui s'en aidoit comme elles, et
+en rist son saoul. Aussi il falloit bien que cette ardeur les
+maistrisast fort, que de n'attendre un lieu et un temps propos, sans
+s'escandaliser. Encore excuse-t-on les filles et femmes veufves pour
+aimer ces plaisirs frivoles et vains, aimans bien mieux s'y adonner et
+en passer leurs chaleurs, que d'aller aux hommes et de se faire
+engroisser et se deshonorer, ou de faire perdre leur fruict, comme
+plusieurs ont fait et font; et ont opinion qu'elles n'en offensent pas
+tant Dieu, et n'en sont pas tant putains comme avec les hommes: aussi y
+a-t-il bien de la diffrence de jeter de l'eau dans un vase, ou de
+l'arrouser seulement alentour et au bord. Je m'en rapporte elles. Je
+ne suis pas leur censeur ny leur mary, s'ils le trouvent mauvais, encore
+que je n'en ay point veu qui ne fussent trs-aises que leurs femmes
+s'amourachassent de leurs compagnes, et qu'ils voudroient qu'elles ne
+fussent jamais plus adultres qu'en cette faon; comme de vray telle
+cohabitation est bien diffrente de celle d'avec les hommes, et, quoy
+que die Martial, ils n'on sont pas cocus pour cela. Ce n'est pas texte
+d'vangile, que celuy d'un pote fol. Donc, comme dit Lucian, il est
+bien plus beau qu'une femme soit virile ou vraye amazone, ou soit ainsi
+lubrique, que non pas un homme soit fminin, comme un Sardanapale et
+Hliogabale, ou autres force leurs pareils; car d'autant plus qu'elle
+tient de l'homme, d'autant plus elle est courageuse: et de tout cecy je
+m'en rapporte la dcision du procs.</p>
+
+<p>M. du Gua et moy lisions une foi un petit livre italien, qui s'intitule
+<i>de la Beaut</i>, fait en dialogue par le seigneur Angello Fiorenzolle,
+Florentin, et tombasmes sur un passage o il dit qu'aucunes femelles qui
+furent faites par Jupiter au commencement, furent cres de cette
+nature, qu'aucunes se mirent aymer les hommes, et les autres la beaut
+de l'une et de l'autre; mais aucunes purement et saintement, comme de ce
+genre s'est trouve de notre temps, comme dit l'auteur, la trs-illustre
+Marguerite d'Austriche, qui ayma la belle Laodamie, forte en guerre; les
+autres lascivement et paillardement, comme Sapho Lesbienne, et de nostre
+temps Rome la grande courtisanne Ccile vntienne;<a name="page_124" id="page_124"></a> et icelles de
+nature haissent se marier, et fuyent la conversation des hommes tant
+qu'elles peuvent. L-dessus M. du Gua, reprit l'auteur, disant que cela
+estoit faux que cette belle Marguerite aimast cette belle dame de pur et
+saint amour; car puis qu'elle l'avoit mise plustost sur elle que sur
+d'autres qui pouvoient estre aussi belles et vertueuses qu'elle, il
+estoit prsumer que c'estoit pour s'en servir en dlices, ne plus ne
+moins comme d'autres; et pour en couvrir sa lascivet, elle disoit et
+publioit qu'elle l'aimoit saintement, ainsi que nous en voyons plusieurs
+ses semblables, qui ombragent leurs amours par pareils mots. Voil ce
+qu'en disoit M. du Gua; et qui en voudra outre plus en discourir
+l-dessus, faire se peut. Cette belle Marguerite fust la plus belle
+princesse qui fust de son temps en la chrestient. Ainsi, beautez et
+beautez s'entr-aiment de quelque amour que ce soit, mais du lascif plus
+que de l'autre. Elle fut remarie en tierces nopces, ayant en premieres
+espous le roi Charles huitiesme, en secondes Jean, fils du roi
+d'Arragon, et le troisiesme avec le duc de Savoye qu'on appeloit le
+Beau; si que, de son temps, on les disoit le plus beau pair et le plus
+beau couple du monde; mais la princesse n'en joit guierre de cette
+copulation, car il mourut fort jeune, et en sa plus grande beaut, dont
+elle en porta les regrets trs-extrmes, et pour ce ne se remaria
+jamais. Elle fit faire bastir cette belle glise qui est vers Bourg en
+Bresse, l'un des plus beaux et plus susperbes bastiments de la
+chrestient. Elle estoit tante de l'empereur Charles-Quint, et assista
+bien son nepveu; car elle vouloit tout appaiser, ainsi qu'elle et
+madame la rgente au trait de Cambray firent, o toutes deux se
+virent et s'assemblrent l, o j'ay ouy dire aux anciens et anciennes
+qu'il faisoit beau voir ces deux grandes princesses.</p>
+
+<p>&mdash;Corneille Agrippa a fait un petit trait <i>de la vertu des femmes</i>, et
+tout en la loange de cette Marguerite. Le livre en est trs-beau, qui
+ne peut estre autre pour le beau sujet, et pour l'auteur, qui a est un
+trs-grand personnage.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy parler d'une grande dame princesse, laquelle, parmi les
+filles de sa suite, elle en aimoit une par-dessus toutes et plus que les
+autres: en quoy on s'estonnoit, car il y en avoit d'autres qui la
+surpassoient en tout; mais enfin il fut trouv et descouvert qu'elle
+estoit hermaphrodite, qui lui donnoit du passe-temps sans aucun
+inconvnient ni escandale. C'estoit bien autre chose qu' ses tribades:
+le plaisir pntroit un peu mieux. J'ay<a name="page_125" id="page_125"></a> ouy nommer une grande qui est
+aussi hermaphrodite, et qui a ainsi un membre viril, mais fort petit,
+tenant pourtant plus de la femme, car je l'ay veu trs-belle. J'ay
+entendu d'aucuns grands medecins qui en ont veu assez de telles, et
+surtout trs-lascives. Voil enfin ce que je diray du sujet de ce
+chapitre, lequel j'eusse pu allonger mille fois plus que je n'ay fait,
+ayant eu matire si ample et si longue, que si tous les cocus et leurs
+femmes qui les font se tenoient tous par la main, et qu'il s'en peust
+faire un cercle, je crois qu'il seroit assez bastant pour entourer et
+circuir la moiti de la terre.</p>
+
+<p>&mdash;Du temps du roy Franois fut une vieille chanson, que j'ay ouy conter
+ une fort honneste et ancienne dame, qui disoit:</p>
+
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="poesie">
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 3em;">Mais quand viendra la saison</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 3em;">Que les cocus s'assembleront,</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Le mien ira devant, qui portera la bannire;</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Les autres suivront aprs, le vostre sera au darrire,</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 3em;">La procession en sera grande,</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 2em;">L'on y verra une trs-longue bande.</span></td></tr>
+</table>
+
+<p>Je ne veux pourtant taxer beaucoup d'honnestes et sages femmes maries,
+qui se sont comportes vertueusement et constamment en la foy saintement
+promise leurs marys; et en espere faire un chapitre part leur
+louange, et faire mentir maistre Jean de Mun<a name="FNanchor_53_53" id="FNanchor_53_53"></a><a href="#Footnote_53_53" class="fnanchor">[53]</a>, qui, en son <i>Roman de
+la Rose</i>, dit ces mots: Toutes vous autres femmes estes ou fustes, de
+fait ou de volont, putes; dont il encourut une telle inimiti des
+dames de la cour pour lors, qu'elles par une arreste conjuration et
+avis de la Reyne, entreprirent un jour de le foetter, et le
+dpouillrent tout nud; et estant prestes donner le coup, il les pria
+qu'au moins celle qui estoit la plus grande putain de toutes commenast
+la premire: chacune, de honte, n'osa commencer; et par ainsi il vita
+le fouet. J'en ay veu l'histoire reprsente dans une vieille tapisserie
+des vieux meubles du Louvre. J'aimerois autant un prescheur qui,
+preschant un jour en bonne compagnie, ainsi qu'il reprenoit les m&oelig;urs
+d'aucunes femmes, et leurs marys qui enduroient estre cocus d'elles, il
+se mit crier: Oui, je les connois, je les vois, et m'en vais jetter
+ces deux pierres la teste des deux plus grands cocus de la compagnie;
+et, faisant semblant<a name="page_126" id="page_126"></a> de les jetter, il n'y eut homme du sermon qui ne
+baissast la teste, ou mist son manteau, ou sa cape, ou son bras
+au-devant, pour se garder du coup. Mais luy, les retenant, leur dit: Ne
+vous dis-je pas? je pensois qu'il n'y eust que deux ou trois cocus en
+mon sermon; mais, ce que je voy, il n'y en a pas un qui ne le soit.
+Or, quoy que disent ces fols, il y a de fort sages et honnestes femmes,
+ausquelles s'il falloit livrer bataille leurs dissemblables, elles
+l'emporteroient, non pour le nombre, mais par la vertu, qui combat et
+abat son contraire aisment. Et si ledit maistre Jean de Mun blasme
+celles qui sont de volont putes, je trouve qu'il les faut plustost
+loer et exalter jusqu'au ciel, d'autant que si elles bruslent si
+ardemment dans le corps et dans l'ame, et, ne venant point aux effets,
+font parestre leur vertu, leur constance et la gnrosit de leur
+c&oelig;ur, aymant plustost brusler et se consumer dans leurs propres feux
+et flammes, comme un phnix rare, que de forfaire ni souiller leur
+honneur, et comme la blanche hermine, qui aime mieux mourir que de se
+souiller (devise d'une trs-grande dame que j'ay cogneue, mais mal
+d'elle pratique pourtant), puisqu'estant en leur puissance d'y pouvoir
+remdier, se commandent si gnreusement, et puisqu'il n'y a plus belle
+vertu ny victoire que de se commander et vaincre soy-mesme. Nous en
+avons une histoire trs-belle dans les <i>Cent Nouvelles de la Reyne de
+Navarre</i>, de cette honneste dame de Pampelune, qui, estant dans son ame
+et de volont pute, et bruslant de l'amour de M. d'Avanes, si beau
+prince, elle ayma mieux mourir dans son feu que de chercher son remede,
+ainsi qu'elle luy sceut bien dire en ses derniers propos de sa mort.
+Cette honneste et belle dame se donnoit bien la mort trs-iniquement et
+injustement; et, comme j'ouys dire sur ce passage un honneste homme et
+honneste dame, cela ne fut point sans offenser Dieu, puisqu'elle se
+pouvoit dlivrer de la mort; et se la pourchasser et avancer ainsi, cela
+s'appelle proprement se tuer soy-mesme; ainsi plusieurs de ses pareilles
+qui, par ces grandes continences et abstinences de ce plaisir, se
+procurent la mort, et pour l'ame et pour le corps.</p>
+
+<p>&mdash;Je tiens d'un trs-grand mdecin (et pense qu'il en a donn telle
+leon et instruction plusieurs honnestes dames) que les corps humains
+ne se peuvent jamais guieres bien porter, si tous leurs membres et
+parties, depuis les plus grandes jusqu'aux plus petites, ne font
+ensemblement leurs exercices et fonctions, que<a name="page_127" id="page_127"></a> la sage nature leur a
+ordonn pour leur sant, et n'en fassent une commune accordance, comme
+d'un concert de musique, n'estant raison qu'aucunes desdites parties et
+membres travaillent, et les autres chaument. Ainsi qu'en une rpublique
+il faut que tous officiers, artisans, manouvriers et autres, fassent
+leur besogne unanimement, sans se reposer ny se remettre les uns sur les
+autres, si l'on veut qu'elle aille bien, et que son corps demeure soin
+et entier: de mesme est le corps humain. Telles belles dames, putes dans
+l'ame et chastes du corps, mritent d'ternelles loanges; mais non pas
+celles qui sont froides comme marbre, lasches et immobiles plus qu'un
+rocher, et ne tiennent de la chair, n'ayant aucuns sentiments (il n'y en
+a guieres pourtant), qui ne sont point ny belles ny recherches, et,
+comme dit le pote,</p>
+
+<p class="c">. . . . <i>casta quam nemo rogavit</i>,</p>
+
+<p class="nind">chaste qui n'a jamais t prie. Sur quoy je cognois une grande dame qui
+disoit aucunes de ses compagnes qui estoient belles: Dieu m'a fait
+une grande grace de quoy il ne m'a fait belle comme vous autres,
+mesdames; car aussi bien que vous j'eusse fait l'amour, et fusse est
+pute comme vous. A cause de quoy peut-on loer ces belles ainsi
+chastes, puisqu'elles sont de telle nature. Bien souvent aussi
+sommes-nous trompez en telles dames; car aucunes y en a qu' les voir
+mesme mineuses, piteuses, marmiteuses, froides, discrtes, serres, et
+modestes en leurs paroles, et en leurs habits rformez, qu'on les
+prendroit pour des saintes et trs-prudes femmes, qui sont au dedans et
+par volont, et au dehors par bons effets, bonnes putains. D'autres en
+voyons-nous qui, par leur gentillesse et leurs paroles follastres, leurs
+gestes gays et leurs habits mondains et affects, on les prendroit pour
+fort dbauches, et prestes pour s'adonner aussi-tost: mais pourtant de
+leurs corps sont fort femmes de bien devant le monde: en cachette, il
+s'en faut rapporter la vrit aussi cache. J'en allguerois force
+exemples que j'ai veus et sceus; mais je me contenteray d'alleguer
+cettuy-ci, que Tite-Live allgue et Bocace encore mieux, d'une gentille
+dame romaine nomme Claudie Quintiene, laquelle, paroissant dans Rome
+par-dessus toutes les autres en ses habits pompeux et peu modestes, et
+en ses faons gayes et libres,<a name="page_128" id="page_128"></a> mondaine plus qu'il ne le falloit,
+acquit trs-mauvais bruit touchant son honneur; mais, le jour venu de la
+rception de la desse Cybelle, elle l'esteignit du tout; car elle eut
+l'honneur et la gloire, pardessus toutes les autres, de la recevoir hors
+du bateau, la toucher et la transporter la ville; dont tout le monde
+en demeura estonn; car il avoit est dit que le plus homme de bien et
+la plus femme de bien estoient dignes de cette charge. Voil comme le
+monde est fort tromp en plusieurs de nos dames. L'on doit premierement
+fort les cognoistre et examiner avant que de les juger, tant d'une que
+de l'autre sorte.</p>
+
+<p>Si faut-il, avant que fermer ce pas, que je die une autre belle vertu et
+proprit que porte le cocuage, que je tiens d'une fort honneste et
+belle dame de bonne part, au cabinet de laquelle estant un jour entr,
+je la trouvay sur le point qu'elle venoit d'achever d'escrire un conte
+de sa propre main, qu'elle me monstra fort librement, car j'estois de
+ses bons amis, et ne se cachoit point de moy: elle estoit fort
+spirituelle et bien disante, et fort bien duite l'amour; et le
+commencement du conte estoit tel: Il semble, dit-elle, qu'entr'autres
+belles propritez que le cocuage peut apporter, c'est ce beau et bon
+sujet par lequel on peut bien connoistre combien gentiment l'esprit
+s'exerce pour le plaisir et contentement de la nature humaine, d'autant
+que c'est luy qui veille, et qui invente et faonne l'artifice
+ncessaire y pourvoir sans que la nature y fournisse que le dsir et
+l'appetit sensuel, comme l'on peut cacher par tant de ruses et astuces
+qui se pratiquent au mestier de l'amour, qui est celuy qui imprime les
+cornes; car il faut tromper un mary jaloux, souponneux et colere; il
+faut tromper et voiler les yeux des plus prompts recevoir du mal, et
+pervertir les plus curieux de la connoissance de la vrit, faire croire
+de la fidlit l o il n'y a que toute dception; plus de franchise l
+o il n'y a que dissimulation et crainte, et plus de crainte l o il
+n'y a plus de licence: bref, par toutes ces difficultez, et pour venir
+dessus ces discours, ce ne sont pas actes quoy la vertu naturelle
+puisse parvenir; il en faut donner l'advantage l'esprit, lequel
+fournit le plaisir et bastit plus de cornes que le corps qui les plante
+et cheville. Voil les propres mots du discours de cette dame, sans les
+changer aucunement, qu'elle fait au commencement de son conte, qui se
+faisoit d'elle-mesme; mais elle l'adombroit par d'autres noms et puis,
+poursuivant<a name="page_129" id="page_129"></a> les amours de la dame et du seigneur avec qui elle avoit
+faire, et pour venir l et la perfection, elle allgue que l'apparence
+de l'amour n'est qu'une apparence de consentement. Il est du tout sans
+forme jusqu' son entire joissance et possession, et bien souvent l'on
+croit qu'elle soit venue cette extrmit, que l'on est bien loin de
+son compte, et, pour rcompense, il ne reste rien que le temps perdu,
+duquel l'on porte un extrme regret (il faut bien peser et noter ces
+dernires paroles, car elles portent coup, et de quoy blasonner).
+Pourtant il n'y a que la joissance en amour et pour l'homme et pour la
+femme, pour ne regretter rien du temps pass. Et pour cette honneste
+dame, qui escrivoit ce conte, donna un rendez-vous son serviteur dans
+un bois, o souvent s'alloit pourmener en une fort belle alle,
+l'entre de laquelle elle laissa ses femmes, et le va trouver sous un
+beau et large chesne ombrageux; car c'estoit en est! L o, dit la
+dame en son conte par ces propres mots, il ne faut point douter la vie
+qu'ils demenrent pour un peu, et le bel autel qu'ils dressrent au
+pauvre mary au temple de Craton, bien qu'ils ne fussent en Delos, qui
+estoit fait tout de cornes: pensez que quelque bon compagnon l'avoit
+fond. Voil comment cette dame se moquoit de son mary, aussi bien en
+ses escrits comme en ses dlices et effects: et qu'on note tous ses
+mots, ils portent de l'efficace, estans prononcs mesmes et escrits
+d'une si habile et honneste femme.</p>
+
+<p>Le conte en est trs-beau, que j'eusse volontiers ici mis et insr;
+mais il est trop long, car les pourparlers, avant que de venir l, sont
+fort beaux et longs aussi, reprochant son serviteur, qui la looit
+extremement, qu'il y avoit en luy plus d'&oelig;uvre de naturelle et
+nouvelle passion qu'aucun bien qui fust en elle, bien qu'elle fust des
+belles et honnestes; et, pour vaincre cette opinion, il fallut au
+serviteur faire de grandes preuves de son amour, qui sont fort bien
+spcifies en ce conte: et puis estant d'accord, l'on y voit des ruses,
+des finesses et tromperies d'amour en toutes sortes, et contre le mary
+et contre le monde, qui sont certes fort belles et trs-fines. Je priay
+cette honneste dame de me donner le double de ce conte; ce qu'elle fist
+trs-volontiers, et ne voulust qu'autre le doublast qu'elle, de peur de
+surprise. Cette dame avoit raison de donner cette vertu et proprit au
+cocuage; car avant que se mettre l'amour, elle estoit fort peu habile;
+mais l'ayant trait, elle devint l'une des spirituelles et habiles
+femmes de<a name="page_130" id="page_130"></a> France, tant pour ce sujet que pour d'autres. Et de fait, ce
+n'est pas la seule que j'ay veue qui s'est habilite, pour avoir trait
+l'amour, car j'en ay veu une infinit trs-sottes et mal-habiles leur
+commencement; mais elles n'avoient demeur un an l'acadmie de Cupidon
+et Vnus madame sa mre, qu'elles en sortoient trs-habiles et
+trs-honnestes femmes en tout; et quant moy je n'ay veu jamais putain
+qui ne fust trs-habile et qui ne levast la paille.</p>
+
+<p>&mdash;Si feray-je encor cette question; en quelle saison de l'anne se fait
+plus de cocus, et laquelle est plus propre l'amour, et esbranler une
+fille, une femme ou une veuve? Certainement la plus commune voix est
+qu'il n'y a pour cela que le printemps, qui esveille les corps et les
+esprits endormis de l'hyver fascheux et mlancolique; et puisque tous
+les oiseaux et animaux s'en rjoissent et entrent tous en amours, les
+personnes qui ont autres sens et sentiment s'en ressentent bien
+davantage, et surtout les femmes (selon l'opinion de plusieurs
+philosophes et mdecins), qui entrent lors en plus grande ardeur et
+amour qu'en tout autre temps, ainsi que je l'ay ouy dire aucunes
+honnestes et belles dames, et mesmes une grande qui ne failloit
+jamais, le printemps venu, en estre plus touche et picque qu'en autre
+saison; et disoit qu'elle sentoit la pointe de l'herbe et hannissoit
+aprs comme les juments et chevaux, et qu'il falloit qu'elle en tastast,
+autrement elle s'amaigriroit; ce qu'elle faisoit, je vous en asseure, et
+devenoit lors plus lubrique. Aussi, trois ou quatre amours nouvelles que
+je luy ay veu faire en sa vie, elle les a faites au printemps, et non
+sans cause; car de tous les mois de l'an, avril et may sont les plus
+consacrez, et ddis Vnus, o lors les belles dames s'accommencent,
+plus que devant, s'accommoder, dorloter, et se parer gentiment, se
+coiffer follastrement, se vestir lgrement; qu'on dirait que tous ces
+nouveaux changements, et d'habits et de faons, tendent tous la
+lubricit, et peupler la terre de cocus, marchant dessus, aussi bien
+que le ciel et l'air en produisent de volants en avril et en may. De
+plus, ne pensez pas que les belles femmes, filles ou veuves, quand elles
+voient de toutes parts en leurs pourmenades de leurs bois, de leurs
+forests, garennes, parcs, prairies, jardins, bocages et autres lieux
+rcratifs, les animaux et les oiseaux s'entrefaire l'amour et
+lascivement paillarder, n'en ressentent d'estranges piqueures en leur
+chair, et n'y veulent soudain rapporter leurs remdes; et c'est l'une
+des persuasives remonstrances<a name="page_131" id="page_131"></a> qu'aucuns amants et aucunes amantes
+s'entrefont, s'entrevoyants sans chaleurs, ny flamme, ny amour, en leur
+remonstrant les animaux et oyseaux, tant des champs que des maisons,
+comme les passereaux et pigeons domestiques et lascifs, et ne faire que
+paillarder, germer, engendrer, et foissonner jusqu'aux arbres et
+plantes; et c'est ce que sceut dire un jour une gente dame espagnole
+un cavalier froid ou trop respectueux: <i>Sa, gentil cavallero, mira como
+los amores de todas suertes se tratan y trionfan en este verano, y V.S.
+queda flaco y abatrido!</i> C'est--dire: Voici<a name="FNanchor_54_54" id="FNanchor_54_54"></a><a href="#Footnote_54_54" class="fnanchor">[54]</a>, gentil cavalier,
+comme sortes d'amours se mennent et triomphent en cette prime; et vous
+demeurez flac et abattu. Le printemps pass fait place l'est, qui
+vient aprs et porte avec soy ses chaleurs: et ainsi qu'une chaleur
+amne l'autre, la dame par consquent double la sienne; et nul
+rafraischissement ne la luy peut oster si bien qu'un bain chaud et
+trouble de sperme vnriq: ce n'est pas contraire par son contraire et
+gurir, ains semblable par son semblable; car, bien que tous les jours
+elle se baignast, se plongeast dans la plus claire et fraische fontaine
+de tout un pays, cela n'y sert, ny quelques lgers habillements qu'elle
+puisse porter pour s'en donner fraischeur, et qu'elle les retrousse tant
+qu'elle voudra, jusques laisser les calessons, ou mettre le vertugadin
+dessus eux, sans les mettre sur le cotillon, comme plusieurs le font; et
+l c'est le pis, car, en tel estat, elles s'arregardent, se ravissent,
+se contemplent la belle clart du soleil, que, se voyant ainsi belles,
+blanches, cailles, poupines et en bon point, entrent soudain en rut et
+tentation; et, sur ce, faut aller au masle ou de tout brusler toutes
+vives, dont on en a veu fort peu; aussi seroient-elles bien sottes: et
+si elles sont couches dans leurs beaux lits ne pouvants endurer ny
+couvertes, ny linceux, se mettent en leurs chemises retrousses demy
+nues, et le matin, le soleil levant donnant sur elles, et venants se
+regarder encore mieux leur aise de tous costez et toutes parts,
+souhaitent leurs amys, et les attendent: que si par cas ils arrivent sur
+ce point, sont aussitost les bien venus, pris et embrasss; car lors,
+disent-elles, c'est la meilleure embrassade et joissance d'aucune heure
+du jour; d'autant, disoit un jour une grande, que le c.. est bien
+confit, cause du doux chaud et feu de la nuict, qui l'a ainsi cuit et
+confit, et qu'il en est beaucoup<a name="page_132" id="page_132"></a> meilleur et savoureux. L'on dit
+pourtant par un proverbe ancien: <i>Juin et juillet, la bouche mouille et
+le v.. sec</i>; encor met-on le mois d'aoust: cela s'entend pour les
+hommes, qui sont en danger quand ils s'chauffent par trop en ces temps;
+et mesme quand la chaude canicule domine, quoy ils y doivent adviser;
+mais s'ils se veulent brusler leur chandelle, leur dam. Les femmes
+ne courent jamais ceste fortune, car tous mois, toutes saisons, tous
+temps, tous signes leur sont bons. Or les bons fruits de l'est
+surviennent, qui semblent devoir rafraischir ces honnestes et
+chaleureuses dames. A aucunes j'en ay veu manger peu, et d'autres
+prou. Mais pourtant on ny a guieres veu de changement de leur chaleur ny
+aux unes ny aux autres, pour s'en abstenir ny pour en manger; car le pis
+est que, s'il y a aucuns fruits qui puissent rafraischir, il y a bien
+force autres qui reschauffent bien autant, auxquels les dames courent le
+plus souvent, comme plusieurs simples qui sont en leur vertu et bons
+et plaisants manger en leurs potages et salades, et comme aux
+asperges, aux artichaux, aux truffles, aux morilles, aux mousserons et
+potirons, et aux viandes nouvelles, que leurs cuisiniers, par leurs
+ordonnances, savent trs-bien accoustrer et accoustumer la friandise
+et lubricit, et que les mdecins aussi leur savent bien ordonner. Que
+si quelqu'un bien expert et gallant entreprenoit desduire ce passage,
+il s'en acquitteroit bien mieux que moy. Au partir de ces bons mangers,
+donnez-vous garde, pauvres amants et marys. Que si vous n'estes bien
+prparez, vous voil dshonorez, et bien souvent on vous quitte pour
+aller au change. Ce n'est pas tout; car il faut avec ces fruits
+nouveaux, et fruits des jardins et des champs, y adjouter de bons grands
+pastez que l'on a inventez depuis quelques temps, avec force pistaches,
+pignons, et autres drogues d'apoticaires scaldives, mais sur-tout des
+crestes et c........ de cocq, que l'est produit et donne plus en
+abondance que l'hyver et autres saisons; et se fait aussi plus grand
+massacre en gnral de ces jolets et petits cocqs qu'en hyver des grands
+cocqs, n'estant si bons et si propres que les petits, qui sont chauds
+ardents et plus gaillards que les autres. Voila un entr-autres, des bons
+plaisirs et commoditez que l'est rapporte pour l'amour. Et de ces
+pastez ainsi composez de menusailles de ces petits cocqs et culs
+d'artichaux et truffles, ou autres friandises chaudes en usent souvent
+quelques dames que j'ai ouy dire; lesquelles, quand elles en mangent et
+y peschent, mettant la main dedans ou avec<a name="page_133" id="page_133"></a> les fourchettes, et en
+rapportant et en remettant en la bouche ou l'artichault, ou la truffle,
+ou la pistache, ou la creste de cocq, ou autre morceau, elles disent
+avec une tristesse morne: <i>Blanque</i>; et quand elles rencontrent les
+gentils c........ de cocq, et les mettent sous la dent, elles disent
+d'une allgresse: <i>Bnfice</i>; ainsi qu'on fait la blanque en Italie,
+et comme si elles avaient rencontr et gagn quelque joyau trs-prcieux
+et riche. Elles en ont cette obligation messieurs les petits cocqs et
+jolets, que l'est produit avec la moiti de l'automne pourtant, que
+j'entremesle avec l'est, qui nous donne force autres fruits et petits
+volatiles qui sont cent fois plus chaudes que celles de l'hyver et de
+l'autre moiti de l'automne prochaine et voisine de l'hyver, qui, bien
+qu'on les puisse et doive joindre ensemble, si n'y peut-on si bien
+recueillir tous ces bons simples en leur vigueur, ny autre chose comme
+en la saison chaude, encore l'hyver s'efforce de produire ce qu'il peut,
+comme les bonnes cardes qui engendrent bien de la bonne chaleur et de la
+concupiscence, soit qu'elles soient cuittes ou crues, jusques aux petits
+chardons chauds, dont les asnes vivent et en baudoinent mieux, que
+l'est rend durs, et l'hyver les rend tendres et dlicats, dont l'on en
+fait de fort bonnes salades nouvellement inventes. Et outre tout cela,
+on fait tant d'autres recherches de bonnes drogues chez les apoticaires,
+drogueurs et parfumeurs, que rien n'y est oubli, soit pour ces pastez,
+soit pour les bouillons: et ne trouve-t-on dire guieres de la chaleur
+en l'hyver par ce moyen et entretenement tant qu'elles peuvent; car,
+disent-elles, puisque nous sommes curieuses de tenir chaud l'extrieur
+de nostre corps par des habits pesants et bonnes fourrures, pourquoy
+n'en ferons-nous de mesme l'intrieur? Les hommes disent aussi: Et
+de quoy leur sert-il d'adjouster chaleur sur chaleur, comme soye sur
+soye, contre la Pragmatique, et que d'elles-mesmes elles sont assez
+chaleureuses, et qu' toute heure qu'on les veut assaillir elles sont
+tousjours prestes de leur naturel, sans y apporter aucun artifice? Qu'y
+feriez-vous? Possible qu'elles craignent que leur sang chaud et
+bouillant se perde et se resserre dans les veines et devienne froid et
+glac si on ne l'entretient, ny plus ny moins que celuy d'un hermite qui
+ne vit que de racines.</p>
+
+<p>Or laissons-les faire: cela est bon pour les bons compagnons; car, elles
+estant en si frquente ardeur, le moindre assaut d'amour qu'on leur
+donne, les voil prises, et messieurs les pauvres<a name="page_134" id="page_134"></a> marys cocus et cornus
+comme satyres. Encor font-elles mieux, les honnestes dames: elles font
+quelquesfois part de leurs bons pastez, bouillons et potages leurs
+amants par misricorde, afin d'estre plus braves et n'estre attnuez par
+trop quand ce vient la besogne, et pour s'en ressentir mieux et
+prvaloir plus abondamment et leur en donnent aussi des receptes pour en
+faire faire en leur cuisine part: dont aucuns y sont bien trompez,
+ainsi que j'ay ouy parler d'un galant gentilhomme, qui, ayant ainsi pris
+son bouillon, et venant tout gaillard aborder sa matresse, la menaa
+qu'il la meneroit beau et qu'il avoit pris son bouillon, et mang son
+past. Elle lui respondit: Vous ne me ferez que la raison; encore ne
+say-je: et s'estant embrassez et investis, ces friandises ne luy
+servirent que pour deux oprations de deux coups seulement. Sur quoy
+elle luy dit ou que son cuisinier l'avoit mal servy ou y avoit espargn
+des drogues et compositions qu'il y falloit, ou qu'il n'avoit pas pris
+tous ses prparatifs pour la grande mdecine, ou que son corps pour lors
+estoit mal dispos pour la prendre et la rendre: et ainsy elle se moqua
+de luy. Tous simples pourtant, toutes drogues, toutes viandes et
+mdecines, ne sont propres tous; aux uns elles oprent, aux autres
+blanque, encore ay-je veu des femmes qui, mangeant ces viandes chaudes
+et qu'on leur en faisoit la guerre que par ce moyen il pourroit avoir du
+dbordement ou de l'extraordinaire ou avec le mary ou l'amant, ou avec
+quelque pollution nocturne, elles disoient, juroient et affirmoient que,
+pour tel manger, la tentation ne leur en survenoit en aucune manire; et
+Dieu sait il falloit qu'elles fissent ainsi des ruses. Or les dames qui
+tiennent le party de l'hiver disent que, pour les bouillons et mangers
+chauds, elles en savent assez de receptes d'en faire d'aussi bons
+l'hyver qu'aux autres saisons: elles en font assez d'exprience, et pour
+faire l'amour le disent aussi trs-propre; car, tout ainsi que l'hyver
+est sombre, tnbreux, quiete, coy, retir de compagnies et cach, ainsi
+faut que soit l'amour et qu'il soit fait en cachette, en lieu retir et
+obscur, soit en un cabinet part, ou en un coin de chemine prs d'un
+bon feu qui engendre bien, s'y tenant de prs et long-temps autant de
+chaleur vnricque que le soleil d'est. Comme aussi fait-il bon en la
+ruelle d'un lit sombre, que les yeux des autres personnes, cependant
+qu'elles sont prs du feu se chauffer, pntrent fort mal-aisment, ou
+assises sur des coffres et lits <a name="page_135" id="page_135"></a> l'escart faisant aussi l'amour, ou
+les voyant se tenir prs les unes des autres, et pensant que ce soit
+cause du froid, et se tenir plus chaudement; cependant font de bonnes
+choses, les flambeaux part bien loin reculez, ou sur la table, ou sur
+le buffet. De plus, qui est meilleur quand l'on est dans le lit? c'est
+tous les plaisirs du monde aux amants et amantes de s'entr'embrasser, de
+s'entreserrer et se baiser, s'entre-trousser l'un sur l'autre de peur de
+froid, non pour un peu, mais pour un long temps, et s'entre-eschauffer
+doucement, sans se sentir nullement du chaud dmesur que produit
+l'est, et d'une sueur extrme, qui incommode grandement le dduit de
+l'amour; car, au lieu de s'entretenir au large et fort l'escart: et
+qui est le meilleur, disent les dames, par l'advis des mdecins, les
+hommes sont plus propres, ardants et dduits cela l'hyver qu'en
+l'est.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay cogneu d'autres fois une trs-grande princesse, qui avoit un
+trs-grand esprit et parloit et escrivoit des mieux. Elle se mit un jour
+ faire des stances la louange et faveur de l'hyver, et sa proprit
+pour l'amour. Pensez qu'elle l'avoit trouv pour elle trs-favorable et
+traitable en cela. Elles estoient trs-bien faites, et les ay tenues
+long-temps en mon cabinet, et voudrois avoir donn beaucoup et les tenir
+pour les insrer ici; l'on y verroit et remarqueroit-on les grandes
+vertus de l'hyver, proprits et singularitez pour l'amour.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay cogueu une trs-grande dame et des belles du monde, laquelle,
+veufve de frais, faisant semblant ne vouloir, pour son nouvel habit et
+estat, aller les aprs-soupers voir la Cour, ni le bal, ni le coucher de
+la Reine, et n'estre estime trop mondaine, ne bougeoit de la chambre,
+laissoit aller ou renvoyoit un chacun ou une chacune la danse, et son
+fils et tout, se retiroit en une ruelle; et l son amant, d'autres fois
+bien trait, aym et favoris d'elle estant en mariage, arrivoit, ou
+bien, ayant soup avec elle, ne bougeoit, donnant le bonsoir un sien
+beau-frre, qui estoit de grand garde, et l traitoit et renouvelloit
+ses amours anciennnes, et en pratiquoit de nouvelles pour secondes
+noces, qui furent accomplies en l'est aprs. Ainsi que j'ay considr
+depuis toutes ces circonstances, je croy que les autres saisons ne
+fussent est si propres pour cet hyver, et comme je l'ay ouy dire une
+de ses dariolettes. Or, pour faire fin, je dis et affirme que toutes
+saisons sont propres pour l'amour, quand elles sont prises propos, et
+selon les caprices des hommes et des femmes<a name="page_136" id="page_136"></a> qui les surprennent: car,
+tout ainsi que la guerre de Mars se fait en toutes saisons et tout
+temps, et qu'il donne ses victoires comme il luy plat et comme aussi il
+trouve ses gens d'armes bien appareills et encourags de donner leur
+bataille, Vnus en fait de mesmes, selon qu'elle trouve ses troupes
+d'amants et d'amantes bien disposes au combat: et les saisons n'y font
+gures rien, ny leur acception ny lection n'y a pas grand lieu; non
+plus ne servent gures leurs simples, ny leur fruits, ny leurs drogues,
+ny drogueurs, ny quelque artifice que fassent ny les unes ny les autres,
+soit pour augmenter leur chaleur, soit pour la rafraischir. Car, pour le
+dernier exemple, je connois une grande dame qui sa mre, dez son petit
+age, la voyant d'un sang chaud et bouillant qui la menoit un jour tout
+droit au chemin du bourdeau, luy fit user par l'espace de trente ans,
+ordinairement en tous ses repas, du jus de vinette, qu'on appelle en
+France ozeille, fust en ses viandes, fust en ses potages et avec
+bouillons, fust pour en boire de grandes escelles oreilles, sans
+autres choses entremesles; bref, toutes ses sausses estoient jus de
+vinette. Elle eut beau faire tous ces mystres rfrigratifs, qu'enfin
+'a est une trs-grandissime et illustrissime putain, et qui n'avoit
+point besoin de ces pasts que j'ay dit pour luy donner de la chaleur,
+car elle en a assez; et si pourtant elle est aussi goulue les manger
+que toute autre. Or je fais fin, bien que j'en eusse dit davantage et
+eusse rapport davantage de raisons et exemples; mais il ne faut pas
+tant s'amuser ronger un mesme os; et aussi que je donne la plume un
+autre meilleur discoureur que moi, qui saura soustenir le party des
+unes et des autres raisons: me rapportant un souhait et dsir que
+fairoit une fois une honneste dame espagnole, qui souhaitoit et dsiroit
+de devenir hyver, quand sa saison seroit, et son ami un feu, afin, quand
+elle viendroit s'eschauffer luy par le grand froid qu'elle auroit,
+qu'il eust ce plaisir de la chauffer, et elle de prendre sa chaleur
+quand elle s'y chaufferoit, et de plus se prsenter et se faire voir
+luy souvent et son aise, et se chauffant retrousse, escarquille, et
+eslargie de cuisses et de jambes, pour participer la ve de ses beaux
+membres cachs sous son linge et habillements d'auparavant; aussi pour
+la reschauffer encore mieux et luy entretenir son autre feu du dedans et
+sa chaleur paillarde. Puis desiroit venir printemps, et son amy un
+jardin tout en fleurs, desquelles elle s'en ornast sa teste, sa belle<a
+name="page_137" id="page_137"></a> gorge, son beau sein, voire s'y veautrant
+parmy elles son beau corps tout nud entre les draps. De mesmes aprs
+desiroit devenir est, et par consquent son amy une claire fontaine ou
+reluisant ruisseau, pour la recevoir en ses belles et fraisches eaux
+quand elle iroit s'y baigner et esgayer, et bien plein se faire voir
+luy, toucher, retoucher et manier tous ses membres beaux et lascifs. Et
+puis, pour la fin, desiroit pour son automne retourner en sa premire
+forme et devenir femme et son mary homme, pour puis aprs tous deux
+avoir l'esprit le sens et la raison contempler et rememorer tout le
+contentement pass, et vivre en ces belles imaginations et
+contemplations passes, et pour savoir et discourir entr'eux quelle
+saison leur avoit est plus propre et delicieuse. Voil comment ceste
+honneste dame dpartoit et compassoit les saisons; en quoy je me remets
+au jugement des mieux discourants, quelle des quatre en ces formes
+pouvoit estre l'un et l'autre plus douce et plus agrable.</p>
+
+<p>&mdash;Maintenant bon escient je me dparts de ce discours. Qui en voudra
+savoir davantage et des diverses humeurs des cocus, qu'il fasse une
+recherche d'une vieille chanson qui fut faite la Cour, il y a quinze
+ou seize ans, des cocus, dont le refrain est</p>
+
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="poesie">
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Un cocu meine l'autre, et toujours sont en peine,</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 3em;">Un cocu l'autre meine.</span></td></tr>
+</table>
+
+<p>Je prie toutes les honnestes dames qui liront dans ce chapitre aucuns
+contes, si par cas elles y passent dessus, me pardonner s'ils sont un
+peu gras en saupiquets, d'autant que je ne les eusse sceu plus
+modestement dguiser, veu la sauce qu'il leur faut; et diray bien plus,
+que j'en eusse allgu d'autres encore bien plus saugreneux et
+meilleurs, n'estoit que, ne les pouvant ombrager bien d'une belle
+modestie, j'eusse eu crainte d'offenser les honnestes dames qui
+prendront cette peine et me feront cet honneur de lire mes livres; et si
+vous diray de plus, que ces contes que j'ay faits icy ne sont point
+contes menus de villes ny villages, mais viennent de bons et hauts
+lieux; et si ce sont de viles et basses personnes, ne m'estant voulu
+mesler que de coucher les grands et hauts subjets, encore que j'aye le
+dire bas; et, en ne nommant rien, je ne pense pas scandaliser rien
+aussi.<a name="page_138" id="page_138"></a></p>
+
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="poesie">
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Femmes, qui transformez vos marys en oiseaux,</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Ne vous en lassez point, la forme en est trs-belle;</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Car si vous les laissez en leurs premires peaux,</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Ils voudront vous tenir toujours en curatelle,</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Et comme homme voudront user de leur puissance;</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Au lieu qu'estants oiseaux ne vous feront d'offense.</span></td></tr>
+<tr><td align="left">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 5em;">AUTRE.</span></td></tr>
+<tr><td align="left">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Ceux qui voudront blasmer les femmes amiables</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Qui font secrtement leurs bons marys cornards,</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Les blasment grand tort et ne sont que bavards;</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Car elles font l'aumosne et sont fort charitables</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">En gardant bien la loy l'aumosne donner,</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Ne faut en hypocrit la trompette sonner.</span></td></tr>
+</table>
+<p><i>Vieille rime du jeu d'amours, que j'ay trouve dans des vieux papiers.</i></p>
+
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="poesie">
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Le jeu d'amours, ou jeunesse s'esbat,</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">A un tablier se peut comparer.</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Sur un tablier les dames on abat,</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Puis il convient le trictrac prparer.</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Et en celui ne faut que se parer.</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Plusieurs font Jean: n'est-ce pas jeu honneste,</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Qui par nature un joeur admoneste</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Passer le temps de c&oelig;ur joyeusement?</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Mais en dfaut de trouver la raye nette</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Il s'en ensuit un grand jeu de torment.</span></td></tr>
+</table>
+
+<p>Ce mot <i>raye nette</i> s'entend en deux faons: l'une, pour le jeu de la
+<i>raye nette</i> du trictrac; et l'autre, que, pour ne trouver la <i>raye
+nette</i> de la dame avec qui l'on s'esbat, on y gagne bonne vrole, de bon
+mal et du torment.<a name="page_139" id="page_139"></a></p>
+
+<h2><a name="DISCOURS_SECOND" id="DISCOURS_SECOND"></a>DISCOURS SECOND</h2>
+
+<p class="c">Sur le sujet qui contente le plus en amour, ou le toucher, ou la
+veu, ou la parole. </p>
+
+<p class="c">INTRODUCTION.</p>
+
+<p>Voici une question en matire d'amours qui mriteroit un plus profond et
+meilleur discoureur que moy, savoir qui contente plus en la joissance
+d'amour, ou le tact qui est l'attouchement, ou la parole, ou la veu? M.
+Pasquier, trs-grand personnage certes, en sa jurisprudence, qui est sa
+profession, comme en autres belles et humaines sciences, en fait un
+discours dans ses lettres qu'il nous a laisses par escrit; mais il a
+est trop bref, et, pour estre si grand homme, il ne devoit tant
+l-dessus espargner sa belle parole comme il a fait; car, s'il l'eust
+voulue un peu eslargir et en dire bien au vray et au naturel ce qu'il en
+eust sceu dire, sa lettre qu'il en fait l-dessus en eust est cent fois
+bien plus plaisante et agrable.</p>
+
+<p>Il en fonde son discours principal sur quelques rimes anciennes du comte
+Thibault de Champagne, lesquelles je n'avois jamais vues, sinon ce petit
+fragment que ce M. Pasquier produit l; et trouve que ce bon et brave et
+ancien chevalier dit trs-bien, non en si bons termes que nos gallants
+potes d'aujourd'hui, mais pourtant en trs-bon sens et bonnes raisons;
+aussi avoit-il un trs-beau et digne sujet pourquoy il disoit si bien,
+qui estoit la reyne Blanche de Castille, mre de saint Louis, de
+laquelle il fut aucunement espris, voire beaucoup, et l'avoit prise pour
+maistresse. Mais, pour cela, quel mal? et quel reproche pour cette
+reyne? encore qu'elle fust est trs-sage et vertueuse, pouvoit-elle
+engarder le monde de l'aymer et brusler au feu de sa beaut et de ses
+vertus, puisque c'est le propre de la vertu et d'une perfection que
+de<a name="page_140" id="page_140"></a> se faire aymer? Le tout est de ne se laisser aller la volont de
+celuy qui ayme.</p>
+
+<p>Voyl pourquoy il ne faut trouver estrange ny blasmer cette reyne si
+elle fut tant aime, et que, durant son regne et son autorit, il y ait
+eu en France des divisions, sditions et querelles: car, comme j'ay ouy
+dire un trs-grand personnage, les divisions s'esmeuvent autant pour
+l'amour que pour les brigues de l'Estat; et, du temps de nos pres, il
+se disoit un proverbe ancien que tout le monde voloit du c.. de la reine
+folle.</p>
+
+<p>Je ne say pour quelle reyne ce proverbe se fit, comme possible, fit ce
+comte Thibault, qui, possible, ou pour n'estre bien trait d'elle comme
+il vouloit, ou qu'il en fust desdaign, ou un autre mieux aim que luy,
+conceut en soy ces dpits qui le prcipitrent et firent perdre en ces
+guerres et tumultes, ainsi qu'il arrive souvent quand une belle ou
+grande reyne ou dame, ou princesse, se met rgir un Estat: un chacun
+dsire la servir, honorer et respecter, autant pour avoir l'heur d'estre
+bien venu d'elle et estre en ses bonnes graces, comme de se vanter de
+rgir et gouverner l'Estat avec elle et en tirer du profit. J'en
+allguerois quelques exemples, mais je m'en passeray bien.</p>
+
+<p>Tant y a, que ce comte Thibault prit sur ce beau sujet, que je viens de
+dire, bien escrire, et possible faire cette demande que nous
+reprsente M. Pasquier, auquel je renvoye le lecteur curieux, sans en
+toucher icy aucunes rimes; car ce ne seroit qu'une superflit.
+Maintenant, il me suffira d'en dire ce qu'il m'en semble tant de moy que
+de l'avis des plus gallants que moy.</p>
+
+<hr style="width: 15%;" />
+
+<h3>ARTICLE PREMIER.</h3>
+
+<p class="c">De l'attouchement en amour </p>
+
+<p>Or, quant l'attouchement, certainement il faut avouer qu'il est trs
+dlectable, d'autant que la perfection de l'amour c'est de joir, et ce
+joir ne se peut faire sans l'attouchement; car, tout ainsi que la faim
+et la soif ne se peut soulager et appaiser, sinon par le manger et le
+boire, aussi l'amour ne se passe ny par l'ouye ny par la veu, mais par
+le toucher, l'embrasser et par l'usage de Vnus: quoi le badin fat
+Diogne cynique rencontra badinement, mais<a name="page_141" id="page_141"></a> salaudement pourtant, quand
+il souhaitoit qu'il peust abattre sa faim en se frottant le ventre, tout
+ainsi qu'en se frottant la verge il passoit sa rage d'amour. J'eusse
+voulu mettre cecy en paroles plus nettes, il le faut passer fort
+lgrement; ou bien comme fit cet amoureux de Lamia, qui, ayant est par
+trop excessivement ranonn d'elle pour joir de son amour, n'y put ou
+n'y voulut entendre; et, pour ce, s'advisa, songeant en elle, se
+corrompre, se polluer, et passer son envie en son imagination: ce
+qu'elle ayant sceu, le fit convenir devant le juge qu'il eust l'en
+satisfaire et la payer, lequel ordonna qu'au son et tintement de
+l'argent qu'il lui monstreroit, elle seroit paye, et en passeroit ainsi
+son envie, de mesme que l'autre par songe et imagination, avoit pass la
+sienne.</p>
+
+<p>Il est bien vray que l'on m'allguera force especes de Vnus que les
+anciens philosophes deguisent; mais de ce, je m'en rapporte eux et aux
+plus subtils qui en voudront discourir. Tant y a, puisque le fruit de
+l'amour mondain n'est autre chose que la joissance, il ne faut point la
+penser bien avoir, qu'en touchant et embrassant. Si est-ce que plusieurs
+ont bien eu opinion que ce plaisir estoit fort maigre sans la veu et la
+parole; et de ce nous en avons un bel exemple dans les <i>Cent Nouvelles
+de la Reyne de Navarre</i>, de cet honneste gentilhomme, lequel, ayant joy
+plusieurs fois de cette honneste dame de nuict, bouche avec son touret
+de nez (car les masques n'estoient encore en usage), en une galerie
+sombre et obscure, encore qu'il cogneust bien au toucher qu'il n'y avoit
+rien que de bon, friant et exquis, ne se contenta point de telle faveur,
+mais voulut savoir qui il avoit faire: par quoy, en l'embrassant et
+la tenant un jour, il la marqua d'une craye au derrire de sa robe, qui
+estoit de velours noir; et puis le soir aprs souper (car leurs
+assignations estoient certaine heure assigne), ainsi que les dames
+entroient dans la salle du bal, il se mit derrire la porte; et, les
+espiant attentivement passer, il vient voir entrer la sienne marque
+sur l'espaule, qu'il n'eust jamais pens, car, en ses faons,
+contenances et paroles, on l'eust prise pour la Sapience de Salomon, et
+telle que la Reyne la descrit. Qui fust esbahy, ce fut ce gentilhomme,
+pour sa fortune assise sur une femme qui n'eust jamais creu moins d'elle
+que de toutes les dames de la Cour; vray est qu'il voulut passer plus
+outre, et ne s'arrester l, car il luy voulut le tout descouvrir, et
+savoir d'elle pourquoy elle se cachoit ainsi de luy, et se faisoit
+ainsi servir couvert et cachettes;<a name="page_142" id="page_142"></a> mais elle, trs-bien ruse, nia et
+renia tout, jusques sa part de paradis et la damnation de son ame,
+comme est la coustume des dames, quand on leur va objecter des choses de
+leur cas qu'elles ne veulent qu'on les sache, encore qu'on en soit bien
+certain et qu'elles soient trs-vrayes. Elle s'en dpita; et par ainsi
+ce gentilhomme perdit sa bonne fortune. Bonne, certes, elle estoit; car
+la dame estoit grande et valoit le faire, et, qui plus est, parce
+qu'elle faisoit de la sucre, de la chaste, de la prude, de la feinte;
+en cela il pouvoit avoir double plaisir: l'un pour cette joissance si
+douce, si bonne, si dlicate; et le second, la contempler souvent
+devant le monde en sa mixte cointe mine, froide et modeste, et sa parole
+toute chaste, rigoureuse et rechignarde, songeant en soy son geste
+lascif, folastre maniement et paillardise, quand ils estoient ensemble.
+Voil pourquoy ce gentilhomme eut grand tort de luy en avoir parl, mais
+devoit tousjours continuer ses coups et manger sa viande, aussi bien
+sans chandelle qu'avec tous les flambeaux de sa chambre. Bien devoit-il
+savoir qui elle estoit, et en faut loer sa curiosit, d'autant que,
+comme dit le conte, il avoit peur avoir faire avec quelque espce de
+diable; car volontiers ces diables se transforment et prennent la forme
+des femmes pour habiter avec les hommes, et les trompent ainsi; auxquels
+pourtant, ce que j'ay ouy dire aucuns magiciens subtils, est plus
+ais de s'accommoder de la forme et visage de femme, que non pas de la
+parole. Voil pourquoy ce gentilhomme avoit raison de la vouloir voir et
+cognoistre; et, ce qu'il disoit luy-mme, l'abstinence de la parole
+lui faisoit plus d'apprhension que la veu, et le mettoit en resverie
+de monsieur le diable; dont en cela il monstra qu'il craignoit Dieu.
+Mais, aprs avoir le tout descouvert, il ne devoit rien dire. Mais quoy!
+ce dira quelqu'un, l'amiti et l'amour n'est point bien parfaite, si on
+ne la dclare et du c&oelig;ur et de la bouche; et pour ce, ce gentilhomme
+la luy vouloit faire bien entendre; mais il n'y gagna rien, car il y
+perdit tout. Aussi, qui eust cogneu l'humeur de ce gentilhomme, il sera
+pour excus, car il n'estoit si froid ny discret pour joer ce jeu, et
+se masquer d'une telle discrtion; et, ce que j'ay ouy dire ma mre,
+qui estoit la Reyne de Navarre, et qui en savoit quelques secrets de
+ses Nouvelles, et qu'elle en estoit l'une des devisantes, c'estoit feu
+mon oncle de La Chastaigneraye, qui estoit brusq, prompt et un peu
+volage. Le conte est dguis pourtant pour le cacher mieux, car mon dict
+oncle ne fut jamais au service de la grand princesse,<a name="page_143" id="page_143"></a> maistresse de
+cette dame, ouy bien du roy son frre: et si n'en fut autre chose, car
+il estoit fort aym et du Roy et de la princesse. La dame, je ne la
+nommeray point, mais elle estoit veufve et dame d'honneur d'une
+trs-grande princesse, et qui savoit faire la mine de prude plus que
+dame de la Cour.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy conter d'une dame de la cour de nos derniers roys, que je
+cognois, laquelle, estant amoureuse d'un fort honneste gentilhomme de la
+Cour, vouloit imiter la faon d'amour de cette dame prcdente: mais
+autant de fois qu'elle venoit de son assignation et de son rendez-vous,
+elle s'en alloit sa chambre, et se faisoit regarder de tous costez
+une de ses filles ou femmes de chambre si elle n'estoit point marque;
+et, par ce moyen, se garda d'estre mprise et reconnue. Aussi ne
+fut-elle jamais marque qu' la neufiesme assignation, que la marque fut
+aussitost descouverte et recogneue de ses femmes; et pour ce, de peur
+d'estre scandalise, et tomber en opprobre, elle brisa l, et oncques
+puis ne retourna l'assignation. Il eust mieux valu, ce dit quelqu'un,
+qu'elle luy eust laiss faire ses marques tant qu'il eust voulu, et
+autant de faites les deffaire et effacer; et pour ce eust eu double
+plaisir, l'un de ce contentement amoureux, et l'autre de se mocquer de
+son homme, qui travailloit tant cette pierre philosophale pour la
+descouvrir et cognoistre, et n'y pouvoit jamais parvenir.</p>
+
+<p>&mdash;J'en ay ouy conter d'un autre du temps du roy Franois, de ce beau
+escuyer Gruffy, qui estoit un escuyer de l'escurie du dit roy, et mourut
+ Naples au voyage de M. de Lautrec, et d'une trs-grande dame de la
+Cour, dont en devint trs-amoureuse: aussi estoit-il trs-beau et ne
+l'appeloit-on ordinairement que le beau Gruffy, dont j'en ay veu le
+pourtrait qui le monstre tel. Elle attira un jour un sien
+vallet-de-chambre en qui elle se fioit, pourtant incogneu et non veu, en
+sa chambre, qui luy vint dire un jour, luy bien habill, qu'il sentoit
+son gentilhomme, qu'une trs-honneste et belle dame se recommandoit
+luy, et qu'elle en estoit si amoureuse qu'elle en dsiroit fort
+l'accointance plus que d'homme de la Cour, mais par tel si, qu'elle ne
+vouloit, pour tout le bien du monde, qu'il la vist ni la connust; mais
+qu' l'heure du coucher, et qu'un chacun de la Cour seroit retir, il le
+viendroit qurir et prendre en un certain lieu qu'il lui diroit, et de
+l il le meneroit coucher avec cette dame; mais par telle pache aussi,
+qu'il luy vouloit bouscher les yeux avec un beau mouchoir blanc, comme
+un trompette qu'on meine en ville ennemie, afin qu'il ne peust voir ny
+recognoistre le<a name="page_144" id="page_144"></a> lieu ny la chambre l o il le meneroit, et le
+tiendroit tousjours par les mains afin de ne deffaire ledit mouchoir;
+car ainsi luy avoit command sa maistresse luy proposer ces conditions,
+pour ne vouloir estre connue de luy jusques quelque temps certain et
+prfix qu'il luy dit, et lui promit; et pour ce qu'il y pensast et
+advisast bien s'il y vouloit venir cette condition, afin qu'il luy
+sceut dire lendemain sa response; car il le viendroit qurir et prendre
+en un lieu qu'il luy dit, et surtout qu'il fust seul, et il le meneroit
+en une part si bonne, qu'il ne s'en repentiroit point d'y estre all.
+Voil une plaisante assignation et compose d'une estrange condition.
+J'aimerois autant celle-l d'une dame espagnole, qui manda un une
+assignation, mais qu'il portast avec lui trois S. S. S., qui estoient
+dire: <i>sabio</i>, <i>solo</i>, <i>segreto</i>; <i>sage</i>, <i>seul</i>, <i>secret</i>: l'autre luy
+manda qu'il iroit, mais qu'elle se garnist et fournist de trois F. F.
+F., qui sont qu'elle ne fust <i>fea</i>, <i>flaca</i> n'y <i>fria</i>; qui ne fust n'y
+<i>laide</i>, <i>flaque</i> n'y <i>froide</i>. Attant, le messager se dpartit d'avec
+Gruffy. Qui fut en peine et en songe, ce fut luy, ayant grand sujet de
+penser que ce fust quelque partie joue de quelque ennemy de Cour, pour
+luy donner quelque venue, ou de mort ou de charit envers le Roy.
+Songeoit aussi quelle dame pouvoit-elle estre, ou grande, ou moyenne, ou
+petite, ou belle, ou laide, qui plus luy faschoit (encore que tous chats
+sont gris la nuict, ce dit-on, et tous c... sont c... sans clart).
+Par-quoy, aprs en avoir confr un de ses compagnons les plus privez,
+il se rsolut de tenter la risque, et que pour l'amour d'une grande,
+qu'il prsumoit bien estre, il ne falloit rien craindre et apprhender.
+Par-quoy, le lendemain que le Roy, les Reynes, les dames et tous et
+toutes de la Cour se furent retirez pour se coucher, ne faillit de se
+trouver au lieu que le messager lui avoit assign, qui ne faillit
+aussi-tost l'y venir trouver avec un second, pour luy aider faire le
+guet si l'autre n'estoit point suivy de page ni de laquais, ny vallet,
+ny gentilhomme. Aussi-tost qu'il le vit, luy dit seulement: Allons,
+monsieur, madame vous attend. Soudain il le banda, et le mena par lieux
+obscurs, estroits, et traverses incogneues, de telle faon que l'autre
+luy dit franchement qu'il ne savoit l o il le menoit; puis il entra
+dans la chambre de la dame, qui estoit si sombre et si obscure qu'il ne
+pouvoit rien voir ni cognoistre, non plus que dans un four. Bien la
+trouva-t-il sentant bon, et trs-bien parfume, qui luy fit esperer
+quelque chose de bon; parquoy le fit deshabiller aussi-tost, et luy-mme
+le deshabilla, et aprs le mena par la main, luy ayant ost le
+mouchoir,<a name="page_145" id="page_145"></a> au lict de la dame qui l'attendoit en bonne dvotion, et se
+mit auprs d'elle la taster, l'embrasser, la carresser, o il n'y
+trouva rien que trs-bon et exquis, tant sa peau qu' son linge et
+lict trs-superbe, qu'il tastonnoit avec les mains; et ainsi passa
+joyeusement la nuict avec cette belle dame, que j'ay bien ouy nommer.
+Pour fin, tout lui contenta en toutes faons, et cogneut bien qu'il
+estoit trs-bien hberg pour cette nuict; mais rien ne lui faschoit,
+disoit-il, si-non que jamais il n'en sceut tirer aucune parole. Elle
+n'avoit garde, car il parloit assez souvent elle le jour comme aux
+autres dames, et, pour ce, l'eust cogneue aussitost. De folatries, de
+mignardises, de carresses, d'attouchements et de toute autre sorte de
+dmonstrations d'amour et paillardises, elle n'y espargnoit aucune: tant
+y a qu'il se trouva bien. Le lendemain, la pointe du jour, le messager
+ne faillit de venir esveiller, et le lever et habiller, le bander et le
+retourner au lieu o il l'avoit pris, et recommander Dieu jusques au
+retour, qui seroit bien-tost; et ne fut sans lui demander s'il luy avoit
+menty, et s'il se trouvoit bien de l'avoir creu, et ce qu'il luy en
+sembloit de luy avoir servi de fourrier, et s'il luy avoit donn bon
+logement. Le beau Gruffy, aprs l'avoir remerci cent fois, luy dit
+adieu, et qu'il seroit tousjours prest de retourner pour si bon march,
+et revoler quand il voudroit; ce qu'il fit, et la feste en dura un bon
+mois, au bout duquel fallut Gruffy partir pour son voyage de Naples,
+qui prit cong de sa dame et luy dit adieu grand regret, sans en tirer
+d'elle un seul parler aucunement de sa bouche, sinon soupirs et larmes
+qu'il lui sentoit couler des yeux. Tant y a qu'il partit d'avec elle
+sans la cognoistre nullement ny s'en appercevoir. Depuis on dit que
+cette dame pratiqua cette vie avec deux ou trois autres de cette faon,
+se donnant ainsi du bon temps: et disoit-on qu'elle s'accommodoit de
+cette astuce, d'autant qu'elle estoit fort avare, et par ainsi elle
+espargnoit le sien et n'estoit sujette faire prsents ses
+serviteurs; car enfin, toute grande dame pour son honneur doit donner,
+soit peu ou prou, soit argent, soit bagues ou joyaux, ou soyent riches
+faveurs: par ainsi la gallante se donnoit joye son c.., et espargnoit
+sa bourse, en ne se manifestant seulement quelle estoit; et pour ce, ne
+se pouvoit estre reprise de ses deux bourses, ne se faisant jamais
+cognoistre. Voil une terrible humeur de grand dame. Aucuns ne
+trouveront la faon bonne, autres la blasmeront, autres la tiendront
+pour trs-excorte, aucuns l'estimeront bonne mesnagere; mais je m'en
+rapporte ceux qui en discourront mieux que moy: si est-ce que cette<a
+name="page_146" id="page_146"></a> dame ne peut encourir tel blasme que
+cette reyne qui se tenoit l'hostel de Nesle Paris, laquelle, faisant
+le guet aux passants, et ceux qui lui revenoyent et agroient le plus,
+de quelques sortes de gens que ce fussent, les faisoit appeler et venir
+ soy; et, aprs en avoir tir ce qu'elle en vouloit, les faisoit
+prcipiter du haut de la tour, qui paroist encores, en bas en l'eau, et
+les faisoit noyer<a name="FNanchor_55_55" id="FNanchor_55_55"></a><a href="#Footnote_55_55" class="fnanchor">[55]</a>. Je ne puis dire que cela soit vray; mais le
+vulgaire, au moins la pluspart de Paris, l'affirme; et n'y a si commun,
+qu'en luy monstrant la tour seulement, et en l'interrogeant, que de
+luy-mesme ne le die.</p>
+
+<p>Laissons ces amours, qui sont plustost des avortons que des amours,
+lesquelles plusieurs de nos dames d'aujourd'hui abhorrent, comme elles
+en ont raison, voulant communiquer avec leurs serviteurs, et non comme
+avec rochers ou marbres: mais aprs les avoir bien choisis, se savent
+bravement et gentiment faire servir et aimer d'eux. Et puis, en ayant
+cogneu leurs fidlitez et loyale persvrance, se prostituent avec eux
+par une fervente amour, et se donnent du plaisir avec eux, non en
+masques, ny en silence, ny muettes, ny parmi les nuicts et tnbres,
+mais en beau plein jour se font voir, taster, toucher, embrasser, les
+entretiennent de beaux et lascifs discours, de mots folastres et paroles
+lubriques: quelques fois pourtant s'aident de masques, car il y a
+plusieurs dames qui quelques fois sont contraintes d'en prendre en le
+faisant, si c'est au hasle qu'elles le facent, de peur de se gaster le
+teint ou ailleurs, afin que, si elles s'chauffent par trop, et si sont
+surprises, qu'on ne cognoisse leur rougeur ny leur contenance estonne,
+comme j'en ay veu: et le masque cache tout, et ainsi trompent le
+monde.<a name="page_147" id="page_147"></a></p>
+
+<hr style="width: 15%;" />
+
+<h3>ARTICLE II.</h3>
+
+<p class="c">De la parole en amour. </p>
+
+<p>J'ay ouy dire plusieurs dames et cavalliers qui ont men l'amour, que,
+sans la vee et la parole, elles aymeroient autant ressembler les bestes
+brutes, lesquelles, par un apptit naturel et sensuel, n'ont autres
+soucy ne amiti que de passer leur rage et chaleur. Aussi ay-je ouy dire
+ plusieurs seigneurs et gallants gentilshommes qui ont couch avec de
+grandes dames, ils les ont trouves cent fois plus lascives et dbordes
+en paroles, que les femmes communes et autres. Elles le peuvent faire
+finesse, d'autant qu'il est impossible l'homme, tant vigoureux
+soit-il, de tirer au collier et labourer tousjours; mais, quand il vient
+ la pose et au relasche, il trouve si bon et si apptissant quand sa
+dame l'entretient de propos lascifs et mots folastrement prononcs, que,
+quand Vnus seroit la plus endormie du monde, soudain elle est
+esveille; mesmes que plusieurs dames, entretenant leurs amants devant
+le monde, fust aux chambres des reynes et princesses et ailleurs, les
+pipoient, car elles leur disoient des paroles si lascives et si friandes
+qu'elles et eux se corrompoient comme dedans un lict: nous, les
+arregardans, pensions qu'elles tinssent autres propos. C'est pourquoy
+Marc Antoine aima tant Clopatre et la prfra sa femme Octavia, qui
+estoit cent fois plus aimable et belle que la Clopatre; mais cette
+Clopatre avoit la parole si affette, et le mot si propos, avec ses
+faons et graces lascives, qu'Antoine oublia tout pour son amour.
+Plutarque nous en fait foy sur aucuns brocards ou sobriquets qu'elle
+disoit si gentiment, que Marc Antoine, la voulant imiter, ne ressembloit
+ ses devis (encore qu'il voulust faire du gallant) qu'un soldat et gros
+gendarme, au prix d'elle et de sa belle frase de parler. Pline fait un
+conte d'elle que je trouve fort beau, et, par ce, je le rpteray ici un
+peu. C'est qu'un jour, ainsi qu'elle estoit en ses plus gaillardes
+humeurs, et qu'elle s'estoit habille l'advenant et l'advantage, et
+surtout de la teste d'une guirlande de diverses fleurs convenante
+toute paillardise, ainsi qu'ils estoient table, et que Marc Antoine
+voulut boire, elle l'amusa de quelque gentil discours, et cependant
+qu'elle parloit, mesure elle arrachoit de<a name="page_148" id="page_148"></a> ses belles fleurs de sa
+guirlande, qui nantmoins estoient toutes semes de poudre empoisonne,
+et les jettoit peu peu dans la coupe que tenoit Marc Antoine pour
+boire; et ayant achev son discours, ainsi que Marc Antoine voulut
+porter la coupe au bec pour boire, Clopatre luy arreste tout court la
+main, et ayant apost un esclave ou criminel qui estoit l prs, le fit
+venir luy, et lui fit donner boire ce que Marc Antoine alloit
+avaler, dont soudain il en mourut; et puis, se tournant vers Marc
+Antoine, lui dit: Si je ne vous aimois comme je fais, je me fusse
+maintenant dfaite de vous, et eusse fait le coup volontiers, sans que
+je vois bien que ma vie ne peut estre sans la vostre. Cette invention
+et cette parole pouvoient bien confirmer Marc Antoine en son amiti,
+voire le faire croupir davantage aux costez de sa charnure. Voil
+comment servit l'loquence Clopatre, que les histoires nous ont
+escrite trs-bien disante: aussi ne l'appeloit-il que simplement la
+Reyne, pour plus grand honneur, ainsi qu'il escrit Octave Csar, avant
+qu'ils fussent dclars ennemys. Qui t'a chang, dit-il, pour ce que
+j'embrasse la Reyne? elle est ma femme. Ay-je commenc ds ast heure? Tu
+embrasses Drusille, Tortale, Leontile, ou Rufile, ou Salure Litiseme, ou
+toutes: que t'en chaut-il sur quelle tu donnes, quand l'envie t'en
+prend? Par l Marc Antoine louoit sa constance et blasmoit la varit
+de l'autre d'en aimer tant au coup, et luy n'aimoit que sa Reyne, dont
+je m'estonne qu'Octave ne l'aima aprs la mort de Marc Antoine. Il se
+peut faire qu'il la vit quand il la vit et la fit venir seule en sa
+chambre, et qu'elle l'harangua: possible qu'il n'y trouva pas ce qu'il
+pensoit, ou la meprisa pour quelque autre raison, et en voulut faire son
+triomphe Rome et la monstrer en parade; quoi elle remdia par sa
+mort advance.</p>
+
+<p>Certes, pour retourner notre dire premier, quand une dame se veut
+mettre sur l'amour, ou qu'elle y est une fois bien engage, il n'y a
+orateur au monde qui die mieux qu'elle. Voyez comme Sophonisba nous a
+est descrite de Tite Live, d'Appian et d'autres, si bien disante
+l'endroit de Massinissa, lorsqu'elle vint luy pour l'aimer, gaigner et
+rclamer, et aprs quand il lui fallut avaller le poison. Bref, toute
+dame, pour estre bien aime, doit bien parler, et volontiers on en voit
+peu qui ne parlent bien et n'ayent des mots pour esmouvoir le ciel et la
+terre, et fust-elle glace en plein hyver. Celles surtout qui se mettent
+ l'amour, et si elles ne savent rien dire, elles sont si
+dessavoures,<a name="page_149" id="page_149"></a> que le morceau qu'elles vous donnent n'a ny goust ny
+saveur: et quand M. du Bellay, parlant de sa courtisanne et dclarant
+ses m&oelig;urs, dit qu'elle estoit sage au parler et folastre la
+couche<a name="FNanchor_56_56" id="FNanchor_56_56"></a><a href="#Footnote_56_56" class="fnanchor">[56]</a>, cela s'entend en parlant devant le monde et entretenant l'un
+et l'autre; mais lorsque l'on est part avec son amy, toute gallante
+dame veut estre libre en sa parole et dire ce qu'il luy plaist, afin de
+tant plus esmouvoir Vnus.</p>
+
+<p>J'ay ouy faire des contes plusieurs qui ont joi de belles et grandes
+dames, ou qui ont est curieux de les escouter parlant avec d'autres
+dedans le lict, qu'elles estoient aussi libres et folles en leur parler
+que courtisannes qu'on eust sceu connoistre: et qui est un cas
+admirable, est que, pour estre ainsi accoustumes entretenir leurs
+marys, ou leurs amys, de mots, propos et discours sallaux et lascifs,
+mesmes nommer tout librement ce qu'elles portent au fond du sac sans
+farder, et pourtant, quand elles sont en leurs discours, jamais ne
+s'extravaguent, ni aucun de ces mots sallaux leur vient la bouche: il
+faut bien dire qu'elles se savent bien commander et dissimuler; car il
+n'y a rien qui frtille tant que la langue d'une dame ou fille de joie.
+Sy ay-je cogneu une trs-belle et honneste dame de par le monde, qui,
+devisant avec un honneste gentilhomme de la Cour des affaires de la
+guerre durant ces civiles, elle lui dit: J'ay ouy dire que le Roy
+fait rompre tous les c... de ce pays-l. Elle vouloit dire <i>les ponts</i>.
+Pensez que, venant de coucher d'avec son mary, ou songeant son amant,
+elle avoit encore ce nom frais en la bouche: et le gentilhomme s'en
+eschauffa en amours d'elle pour ce mot.</p>
+
+<p>&mdash;Une autre dame que j'ai cogneue, entretenant une autre grand dame plus
+qu'elle, et luy louant et exaltant ses beautez, elle lui dit aprs:
+Non, madame, ce que je vous en dis, ce n'est point pour vous
+adultrer; voulant dire <i>adulater</i>, comme elle le rhabilla ainsi:
+pensez qu'elle songeoit l'adultre et adultrer. Bref, la parole en
+jeu d'amours a une trs-grande efficace; et o elle manque le plaisir en
+est imparfait: aussi, la<a name="page_150" id="page_150"></a> vrit, si un beau corps n'a une belle ame,
+il ressemble mieux son idole qu'un corps humain; et s'il se veut faire
+bien aimer, tant beau soit-il, il faut qu'il se fasse seconder d'une
+belle ame: que s'il ne l'a de nature, il la faut faonner par art.</p>
+
+<p>&mdash;Les courtisannes de Rome se moquent fort des gentilles dames de Rome,
+lesquelles ne sont apprises la parole comme elles; et disent que
+<i>chiavano come cani, ma che sono quiete della bocca como sassi</i><a name="FNanchor_57_57" id="FNanchor_57_57"></a><a href="#Footnote_57_57" class="fnanchor">[57]</a>.</p>
+
+<p>Et voil pourquoy j'ai cogneu beaucoup d'honnestes gentilshommes qui ont
+refus l'accointance de plusieurs dames, je vous dis trs-belles, parce
+qu'elles estoient idiotes, sans ame, sans esprit et sans parole, et les
+ont quittes tout plat: et disoient qu'ils aimoient autant avoir
+faire avec une belle statue de quelque beau marbre blanc, comme celuy
+qui en aima une Athenes jusques en joir.</p>
+
+<p>Et pour ce, les estrangers qui vont par pays ne se mettent guires
+aymer les femmes estrangres, ny volontiers s'en caprichent pour elles,
+d'autant qu'ils ne s'entendent point, ny leur parole ne leur touche
+aucunement au c&oelig;ur; j'entends ceux qui n'entendent leur langage: et
+s'ils s'accostent d'elles, ce n'est que pour contenter autant nature, et
+esteindre le feu naturel bestialement, et puis <i>andar in barca</i><a name="FNanchor_58_58" id="FNanchor_58_58"></a><a href="#Footnote_58_58" class="fnanchor">[58]</a>;
+comme dist un Italien un jour desembarqu Marseille, allant en
+Espagne, et demandant o il y avoit des femmes. On luy monstre un lieu
+o se faisoit le bal de quelques nopces. Ainsi qu'une dame le vint
+accoster et arraisonner, il lui dit: <i>V. S. mi perdonna, non voglio
+parlare, voglio solamente chiavare, e poi me n'andar in barca</i><a name="FNanchor_59_59" id="FNanchor_59_59"></a><a href="#Footnote_59_59" class="fnanchor">[59]</a>.</p>
+
+<p>Le Franois ne prend grand plaisir avec une Allemande, une Suisse, une
+Flamande, une Angloise, cossoise, une Esclavonne ou autre estrangre,
+encore qu'elle babillast le mieux du monde, s'il ne l'entend; mais il se
+plaist grandement avec sa dame franoise ou avec l'Italienne ou
+l'Espagnolle, car coustumirement, la plus part des Franois
+aujourd'hui, au moins ceux qui ont veu un peu, savent parler ou
+entendent ce langage; et Dieu sait s'il est affett et propre pour
+l'amour? Car quiconque aura faire avec<a name="page_151" id="page_151"></a> une dame franoise, italienne,
+espagnolle ou grecque, et qu'elle soit diserte, qu'il die hardiment
+qu'il est pris et vaincu.</p>
+
+<p>D'autres fois nostre langue franoise n'a est si belle ny si enrichie
+comme elle l'est aujourd'hui; mais il y a long-temps que l'italienne,
+l'espagnolle et la grecque le sont: et volontiers n'ay-je guieres veu
+dame de cette langue, si elle a pratiqu tant soit peu le mestier de
+l'amour, qui ne sache trs-bien dire. Je m'en rapporte ceux qui ont
+traitt celles-l.</p>
+
+<p>Tant y a qu'une belle dame et remplie de belle parole contente
+doublement.</p>
+
+<hr style="width: 15%;" />
+
+<h3>ARTICLE III.</h3>
+
+<p class="c">De la veu en amour. </p>
+
+<p>Parlons maintenant de la veu. Certainement, puisque les yeux sont les
+premiers qui attaquent le combat de l'amour, il faut advouer qu'ils
+donnent un trs-grand contentement quand ils nous font voir quelque
+chose de rare en beaut.</p>
+
+<p>H, quelle est la chose au monde que l'on puisse voir plus belle qu'une
+belle femme, soit habille ou bien pare, ou nue entre deux draps? Pour
+l'habille, vous n'en voyez que le visage nud; mais aussi, quand un
+beau corps, orn d'une riche et belle taille, d'un port et d'une grace,
+d'une apparence et superbe majest, nous se prsente plein, quelle
+plus belle monstre et agrable veu peut-il estre au monde? Et puis,
+quand vous en venez joir tout ainsi couverte et superbement habille,
+la convoitise et joissance en redoublent, encore que l'on ne voye que
+le seul visage de tout le reste des autres parties du corps: car
+malaisment peut-on joir d'une grande dame selon toutes les commoditez
+que l'on dsireroit bien, si ce n'estoit dans une chambre bien loisir
+et lieu secret, ou dans un lict bien plaisir; car elle est tant
+claire.</p>
+
+<p>Et c'est pourquoy une grande dame, dont j'ay ouy parler, quand elle
+rencontroit son serviteur propos, et hors de veu et descouverte, elle
+prenoit l'occasion tout aussi-tost, pour s'en contenter le<a
+name="page_152" id="page_152"></a> plus promptement et briefvement qu'elle
+pouvoit, en lui disant un jour: C'estoient les sottes, le temps pass,
+qui, par trop se voulant dlicater en leurs amours et plaisirs, se
+renfermoient, ou en leurs cabinets, ou autres lieux couverts, et l
+faisoient tant durer leurs jeux et esbats, qu'aussi-tost elles estoient
+descouvertes et divulgues. Aujourd'huy, il faut prendre le temps, et le
+plus bref que l'on pourra, et, aussi-tost assailly, aussi-tost investy
+et achev; et par ainsi nous ne pouvons estre scandalises. Je trouve
+que cette dame avoit raison; car ceux qui se sont meslez de cet estat
+d'amour, ils ont toujours tenu cette maxime, qu'il n'y a que le coup en
+robbe.</p>
+
+<p>Aussi, quand l'on songe que l'on brave, l'on foule, presse et gourmande,
+abat et porte par terre les draps d'or, les toiles d'argent, les
+clinquants, les estoffes de soye, avec des perles et pierreries,
+l'ardeur, le contentement, s'en augmentent bien davantage, et certes,
+plus qu'en une bergere ou autre femme de pareille qualit, quelque belle
+qu'elle soit.</p>
+
+<p>Et pourquoy jadis Vnus fut trouve si belle et tant dsire, sinon
+qu'avec sa beaut elle estoit toujours gentiment habille, et
+ordinairement parfume, qu'elle sentoit toujours bon de cent pas loin?
+Aussi tenoit-on que les parfums animent fort l'amour.</p>
+
+<p>Voil pourquoy les emprieres et grandes dames de Rome s'en
+accommodoient bien fort, comme font aussi nos grandes dames de France,
+et sur-tout aussi celles d'Espagne et d'Italie, qui, de tout temps, en
+sont est plus curieuses et exquises que les nostres, tant en parfums
+qu'en parures de superbes habits, desquelles nos dames en ont pris
+depuis les patrons et belles inventions; aussi les autres les avoient
+apprises des mdailles et statues antiques de ces dames romaines, que
+l'on voit encor parmy plusieurs antiquitez qui sont encore en Espagne et
+en Italie; lesquelles, qui les contemplera bien, trouvera leurs
+coiffures et leurs habits en perfection, et trs-propres se faire
+aimer. Mais aujourd'huy, nos dames franoises surpassent tout: la
+reyne de Navarre elles en doivent ce grand-mercy.</p>
+
+<p>Voil pourquoy il fait bon et beau d'avoir faire ces belles dames si
+bien en poinct, si richement et pompeusement pares.</p>
+
+<p>De sorte que j'ay ouy dire aucuns courtisans, mes compagnons, ainsi
+que nous devisions ensemble, qu'ils les aimoient mieux ainsi que
+desacoustres et couches nues entre deux linceux, et dans un lict le
+plus enrichy de broderies que l'on sceut faire.<a name="page_153" id="page_153"></a></p>
+
+<p>D'autres disoient, qu'il n'y avoit que le naturel, sans aucun fard ny
+artifice, comme un grand prince que je say, lequel pourtant faisoit
+coucher ses courtisannes ou dames dans des draps de taffetas noir<a name="FNanchor_60_60" id="FNanchor_60_60"></a><a href="#Footnote_60_60" class="fnanchor">[60]</a>
+bien tendus, toutes nues, afin que leur blancheur et dlicatesse de
+chair parust bien mieux parmy ce noir, et donnast plus d'esbat.</p>
+
+<p>Il ne faut douter vrayment que la veu ne soit plus agrable que toutes
+celles du monde d'une belle femme toute parfaite en beaut; mais
+mal-aisment se trouve-t-elle.</p>
+
+<p>Aussi on trouve par escrit que Zeuxis, cet excellent peintre, ayant este
+pri, par quelques honnestes dames et filles de sa connoissance, de leur
+donner le pourtrait de la belle Helaine et la leur reprsenter si belle
+comme l'on disoit qu'elle avoit est, il ne leur en voulut point
+refuser; mais, avant qu'en faire le pourtrait, il les contempla toutes
+fixement, et en prenant de l'une et de l'autre ce qu'il y put trouver de
+plus beau, il en fit le tableau comme de belles pices rapportes, et en
+reprsenta par icelles Helaine si belle, qu'il n'y avoit rien dire, et
+qui fut tant admirable toutes, mais, Dieu mercy, elles, qui y
+avoient bien tant aid par leurs beautez et parcelles, comme Zeuxis
+avoit fait par son pinceau. Cela vouloit dire, que de trouver sur
+Helaine toutes les perfections de beaut il n'estoit pas possible,
+encore qu'elle ait est en extrmit trs-belle.</p>
+
+<p>En cas qu'il ne soit vrai, l'Espagnol dit que pour rendre une femme
+toute parfaite et absolue en beaut, il lui faut trente beaux sis<a name="FNanchor_61_61" id="FNanchor_61_61"></a><a href="#Footnote_61_61" class="fnanchor">[61]</a>,
+qu'une dame espagnolle me dit une fois dans Tolede, l o il y en a de
+trs-belles, bien gentilles et bien apprises. Les trente donc sont
+telles:</p>
+
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="poesie">
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Tres cosas blancas: el cuero, los dientes, y las manos.</i></span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Tres negras: los ojos, las cejas, y las pestannas.</i></span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Tres coloradas: los labios, las mexillas, y las unnas.</i></span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Tres longas: el cuerpo, los cabellos, y las manos.</i></span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Tres cortas: los dientes, las orejas, y los pies.</i></span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Tres anchas: los pechos, la frente, y el entrejeco.</i></span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Tres estrechas: la boca, l'una y otra, la cinta, y l'entrada del pie.</i></span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Tres gruessas: el brao, el muslo, y la paniorilla.</i><a name="page_154" id="page_154"></a></span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Tres delgaldas: los dedos, los cabellos, y los labios.</i></span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Tres pequennas: las tetas, la naris, y la cabea.</i></span></td></tr>
+</table>
+
+<p>Qui sont en franois, afin qu on l'entende:</p>
+
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="poesie">
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Trois choses blanches: la peau, les dents et les mains.</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Trois noires: les yeux, les sourcils et les paupires.</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Trois rouges: les lvres, les joues et les ongles.</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Trois longues: le corps, les cheveux et les mains.</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Trois courtes: les dents, les oreilles et les pieds.</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Trois larges: la poitrine ou le sein, le front et l'entre-sourcil.</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Trois estroites: la bouche, l'une et l'autre,&nbsp; la ceinture ou la taille, et l'entre du pied.</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Trois grosses: le bras, la cuisse et le gros de la jambe.</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Trois dlies: les doigts, les cheveux et les lvres.</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Trois petites: les tetins, le nez et la teste.</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 1em;">Sont trente en tout.</span></td></tr>
+</table>
+
+<p>Il n'est pas inconvnient, et se peut que tous ces sis en une dame
+peuvent estre tous ensemble; mais il faut qu'elle soit faite au moule de
+la perfection; car de les voir tous assemblez sans qu'il y en ait
+quelqu'un redire et qu'il ne soit en dfaut, il n'est possible.</p>
+
+<p>Je m'en rapporte ceux qui ont veu de belles femmes, ou en verront, et
+qui voudront estre soigneux de les contempler et essayer ce qu'ils en
+sauront dire. Mais pourtant, encore qu'elles ne soient accomplies ny
+embellies de tous ces poincts, une belle femme sera tousjours belle,
+mais qu'elle en aye la moiti et en aye les points principaux que je
+viens de dire: car j'en ay veu force qui en avoient dire plus de la
+moiti, qui estoient trs-belles et fort aimables; ny plus ny moins
+qu'un bocage est trouv tousjours beau en printemps, encore qu'il ne
+soit remply de tant de petits arbrisseaux qu'on voudroit bien; mais que
+les beaux et grands arbres touffus paroissent, c'est assez de ces grands
+qui peuvent estouffer la deffectuosit des autres petits.</p>
+
+<p>M. de Ronsard me pardonne, s'il lui plaist; jamais sa maistresse, qu'il
+a faite si belle, ne parvint cette beaut, ny quelqu'autre dame qu'il
+ait veue de son temps ou en ait escrit: et fust sa belle Cassandre qui
+je say bien qu'elle a est belle, mais il l'a dguise d'un faux nom:
+ou bien sa Marie, qui n'a jamais autre nom port que celuy-l, quant
+celle-l; mais il est permis aux potes et peintres dire et faire ce
+qu'il leur plaist, ainsi que vous avez dans Roland le furieux de
+trs-belles beautez, descrites par l'Arioste, d'Alcine et autres.<a
+name="page_155" id="page_155"></a></p>
+
+<p>Tout cela est bon; mais, comme je tiens d'un trs-grand personnage,
+jamais nature ne sauroit faire une femme si parfaite comme une ame vive
+et subtile de quelque bien-disant, ou le crayon et pinceau de quelque
+divin peintre la nous pourroient reprsenter. Baste, les yeux humains se
+contentent toujours de voir une belle femme de visage beau, blanc, bien
+fait: et encore qu'il soit brunet, c'est tout un; il vaut bien
+quelquefois le blanc, comme dit l'Espagnole: <i>Aunque io sia mormica, no
+soy da menos preciar</i>; encor que je sois brunette, je ne suis
+mpriser. Aussi la belle Marfise <i>era brunetta alquanto</i><a name="FNanchor_62_62" id="FNanchor_62_62"></a><a href="#Footnote_62_62" class="fnanchor">[62]</a>. Mais que
+le brun n'efface le blanc par trop: un visage aussi beau, faut qu'il
+soit port par un corps faonn et fait de mesme: je dis autant des
+grands que des petits; mais les grandes tailles passent tout.</p>
+
+<p>Or, d'aller chercher des points si exquis de beaut, comme je viens de
+dire ou qu'on nous les dpeint, nous nous en passerons bien, et nous
+resjoirons voir nos beautez communes: non que je les veuille dire
+communes autrement, car nous en avons de si rares, que, ma foy, elles
+valent bien plus que toutes celles que nos potes fantasques, nos
+quinteux peintres et nos pindariseurs de beautez, sauroient
+reprsenter.</p>
+
+<p>Hlas! voicy le pis; telles beautez belles, tels beaux visages, en
+voyons-nous aucuns, admirons, desirons leur beau corps, pour l'amour de
+leurs belles faces, que nantmoins, quand elles viennent estre
+descouvertes et mises blanc, nous en font perdre le goust; car ils
+sont si laids, tarez, tachez, marquez et si hideux, qu'ils en dmentent
+bien le visage; et voil comme souvent nous y sommes trompez.</p>
+
+<p>Nous en avons un bel exemple d'un gentilhomme de l'isle de Mojorque, qui
+s'appelloit Raymond Lulle, de fort bonne, riche et ancienne maison, qui,
+pour sa noblesse, valeur et vertu, fut appel en ses plus belles annes
+au gouvernement de cette isle. Estant en cette charge, comment souvent
+arrive aux gouverneurs des provinces et places, il devint amoureux d'une
+belle dame de l'isle des plus habilles, belles et mieux disantes de-l.
+Il la servit longuement et fort bien; et luy demandant toujours ce bon
+point de joissance, elle, aprs l'en avoir refus tant qu'elle put, luy
+donna un jour assignation, o il ne manqua ny elle aussi, et comparut
+plus belle que jamais et mieux en point. Ainsi qu'il pensoit entrer<a
+name="page_156" id="page_156"></a> en paradis, elle luy vint descouvrir
+son sein et sa poitrine toute couverte d'une douzaine d'emplastres, et,
+les arrachant l'un aprs l'autre, et de dpit les jetant par terre, luy
+monstra un effroyable cancer, et, les larmes aux yeux, luy remonstra ses
+misres et son mal, luy disant et demandant s'il y avoit tant de quoy en
+elle qu'il en dust estre tant espris; et sur ce, lui en fit un si
+pitoyable discours, que luy, tout vaincu de piti du mal de cette belle
+dame, la laissa; et l'ayant recommande Dieu pour sa sant, se dfit
+de sa charge et se rendit hermite. Et estant de retour de la guerre
+sainte, o il avoit fait v&oelig;ux, s'en alla estudier Paris sous
+Arnaldus de Villanova, savant philosophe, et ayant fait son cours, se
+retira en Angleterre, o le Roy pour lors le receut avec tous les bons
+recueils du monde pour son grand savoir, et qu'il transmua plusieurs
+lingots et barres de fer, de cuivre et d'estain, mesprisant cette
+commune et triviale faon de transmuer le plomb et le fer en or, parce
+qu'il savoit que plusieurs de son temps savoient faire cette besogne
+aussi bien que luy, qui savoit faire l'un et l'autre: mais il vouloit
+faire un pardessus les autres.</p>
+
+<p>Je tiens ce conte d'un gallant homme qui m'a dit le tenir du
+jurisconsulte Oldrade, qui parle de Raymond Lulle au commentaire qu'il a
+fait sur le code <i>de falsa Moneta</i>. Aussi le tenoit-il, ce disoit-il, de
+Carolus Bovillus<a name="FNanchor_63_63" id="FNanchor_63_63"></a><a href="#Footnote_63_63" class="fnanchor">[63]</a>, Picard de nation, qui a compos un livre en latin
+de la <i>vie de Raymond de Lulle</i><a name="FNanchor_64_64" id="FNanchor_64_64"></a><a href="#Footnote_64_64" class="fnanchor">[64]</a>.</p>
+
+<p>Voil comment il passa sa fantaisie de l'amour de cette belle dame; si
+que possible d'autres n'eussent pas fait, et n'eussent laiss l'aimer
+et fermer les yeux, mesme en tirer ce qu'il vouloit, puisqu'il estoit
+mesme; car la partie o il tendoit n'estoit touche d'un tel mal.</p>
+
+<p>J'ay cogneu un gentilhomme et une dame veufve de par le monde, qui ne
+firent pas ses scrupules; car la dame estant touche d'un gros vilain
+cancer au tetin, il ne laissa de l'espouser, et elle aussi le prendre,
+contre l'advis de sa mre, et toute malade et malficie qu'elle estoit,
+et elle et luy s'esmeurent et se remurent tellement toute la nuict,
+qu'ils en rompirent et enfoncrent le fond du chalit.</p>
+
+<p>J'ai cogneu aussi un fort honneste gentilhomme, mon grand<a
+name="page_157" id="page_157"></a> amy, qui me dit qu'un jour estant Rome,
+il luy advint d'aimer une dame espagnolle, et des belles qui fust en la
+ville jamais. Quand il l'accostoit, elle ne vouloit permettre qu'il la
+vist, ny qu'il la touchast par ses cuisses nues, si-non avec ses
+callesons; si bien que quand il la vouloit toucher, elle lui disoit en
+espagnol: <i>Ah! no me tocays, hareis me cosquillas</i><a name="FNanchor_65_65" id="FNanchor_65_65"></a><a href="#Footnote_65_65" class="fnanchor">[65]</a>, qui est dire:
+Vous me chatouillez. Un matin, passant devant sa maison, trouvant sa
+porte ouverte, il monte tout bellement, o estant entr sans rencontrer
+ny fantesque ny page, ny personne, et entrant dans sa chambre, la trouva
+qui dormoit si profondment, qu'il eut loisir de la voir toute nue sur
+le lict, et la contempler son aise, car il faisoit trs-grand chaud;
+et il dit qu'il ne vid jamais rien de si beau que ce corps, fors qu'il
+vit une cuisse belle, blanche, pollie et refaite, mais l'autre elle
+l'avoit toute seiche, attnue et estiomene, qui ne paroissoit pas plus
+grosse que le bras d'un petit enfant. Qui fust estonn? ce fut le
+gentilhomme, qui la plaignit fort, et oncques plus ne la tourna visiter
+ny avoir faire avec elle.</p>
+
+<p>Il se voit force dames qui ne sont pas ainsi estiomenes de catherres;
+mais elles sont si maigres, dnues, assches et descharnes, qu'elles
+n'en peuvent rien monstrer que le bastiment: comme j'ay cogneu une
+trs-grande que M. l'evesque de Cisteron, qui disoit le mot mieux
+qu'homme de la Conr, en brocardant affermoit qu'il valoit mieux de
+coucher avec une ratoire de fil d'archal qu'avec elle; et, comme dit
+aussi un honneste gentilhomme de la Cour, auquel nous faisions la guerre
+qu'il avoit faire avec une dame assez grande: Vous vous trompez,
+dit-il, car j'aime trop la chair, et elle n'a que les os; et pourtant,
+ voir ces deux dames, si belles par leurs beaux visages, on les eust
+juges pour des morceaux trs-charnus et bien friands.</p>
+
+<p>Un trs-grand prince de par le monde vint une fois estre amoureux de
+deux belles dames tout coup, ainsi que cela arrive souvent aux grands,
+qui ayment les varitez. L'une estoit fort blanche, et l'autre brunette,
+mais toutes deux trs-belles et fort aimables. Ainsi qu'il venoit un
+jour de voir la brunette, la blanche jalouse luy dit: Vous venez de
+voller pour corneille. A quoy lui respondit le prince un peu irrit, et
+fasch de ce mot: Et quand je suis avec vous, pour qui volle-je? La
+dame respondit: Pour un phnix. Le prince, qui disoit des<a
+name="page_158" id="page_158"></a> mieux, rpliqua: Mais dites plustost
+pour l'oiseau de paradis, l o il y a plus de plume que de chair; la
+taxant par l qu'elle estoit maigre aucunement: aussi estoit-elle fort
+jovanote pour estre grasse, ne se logeant coustumirement que sur celles
+qui entrent dans l'aage, qu'elles commencent se fortifier et renforcer
+de membres et autres choses.</p>
+
+<p>&mdash;Un gentilhomme la donna bonne un grand seigneur que je say. Tous
+deux avoient belles femmes. Ce grand seigneur trouva celle du
+gentilhomme fort belle et bien advenante. Il luy dit un jour: Un tel,
+il faut que je couche avec vostre femme. Le gentilhomme, sans songer,
+car il disoit trs-bien le mot, luy respondit: Je le veux, mais je
+couche avec la vostre. Le seigneur lui rpliqua: Qu'en ferois-tu? car
+la mienne est si maigre, que tu n'y prendrois nul goust. Le gentilhomme
+respondit: Je la larderay si menu, que je la rendray de bon goust.</p>
+
+<p>&mdash;Il s'en voit tant d'autres que leurs visages poupins et gentils font
+desirer leurs corps; mais quand on y vient, on les trouve si dcharnes,
+que le plaisir et la tentation en sont bien-tost passez. Entr'autres,
+l'on y trouve l'os <i>barr</i> qu'on appelle, si sec et si dcharn, qu'il
+foule et masche plus tout nud que le bast d'un mulet qu'il auroit sur
+luy. A quoy pour suppler, telles dames sont coustumires de s'aider de
+petits coussins bien mollets et dlicats soutenir le coup et engarder
+de la mascheure; ainsi que j'ay ouy parler d'aucunes, qui s'en sont
+aides souvent, voire de callesons gentiment rembourez et faits de
+satin, de sorte que les ignorants, les venants toucher, n'y trouvent
+rien que tout bon, et croyent fermement que c'est leur embonpoint
+naturel; car par-dessus ce satin il y avoit des petits callesons de
+toile volante et blanche; si bien que l'amant, donnant le coup en robbe,
+s'en alloit de sa dame si content et satisfait, qu'il l'a tenoit pour
+trs-bonne robbe.</p>
+
+<p>D'autres y a-t-il encore qui sont de la peau fort malficies et
+marquetes comme marbre, ou en &oelig;uvre la mosaque, tavelles comme
+faons de bische, gratteleuses, et subjectes dartes farineuses et
+fascineuses; bref, gastes tellement, que la veu n'en est pas guieres
+plaisante.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy parler d'une dame grande, et l'ay cogneue et cognois encore,
+qui est pelue, velue sur la poitrine, sur l'estomac, sur les espaules et
+le long de l'eschine, et son bas, comme un sauvage.</p>
+
+<p>Je vous laisse penser ce que veut dire cela: si le proverbe est<a
+name="page_159" id="page_159"></a> vray, <i>que personne ainsi velue est ou
+riche, ou lubrique</i>, celle-l a l'un et l'autre, je vous en asseure, et
+s'en fait fort bien donner, se voir et desirer.</p>
+
+<p>D'autres ont la chair d'oison ou d'estourneau plum, hare, brodequine,
+et plus noire qu'un beau diable.</p>
+
+<p>D'autres sont opulentes en tetasses avales, pendantes plus que d'une
+vache allaitant son veau.</p>
+
+<p>Je m'asseure que ce ne sont pas les beaux tetins d'Hlaine, laquelle,
+voulant un jour prsenter au temple de Diane une coupe gentille par
+certain v&oelig;u, employant l'orfevre pour la luy faire, luy en fit
+prendre le modelle sur un de ses beaux tetins, et en fit la coupe d'or
+blanc, qu'on ne sauroit qu'admirer de plus, ou la coupe ou la
+ressemblance du tetin sur quoy il avoit pris le patron, qui se monstroit
+si gentil et si poupin, que l'art en pouvoit faire desirer le naturel.
+Pline dit cecy par grande spciaut, o il traite qu'il y a de l'or
+blanc. Ce qui est fort estrange est que cette coupe fut faite d'or
+blanc.</p>
+
+<p>Qui voudroit faire des coupes d'or sur ces grandes tetasses que je dis
+et que je cognois, il faudroit bien fournir de l'or monsieur
+l'orfevre, et ne seroit aprs sans coust et grand rise, quand on
+diroit: Voil des coupes faites sur le modelle des testins de telles et
+telles dames.</p>
+
+<p>Ces coupes ressembleroient, non pas coupes, mais de vrayes auges, qu'on
+voit de bois toutes rondes, dont on donne manger aux pourceaux; et
+d'autres y a-t-il, que le bout de leur tetin ressemble une vraye guine
+pourrie.</p>
+
+<p>D'autres y a-t-il, pour descendre plus bas, qui ont le ventre si mal
+poly et rid, qu'on les prendroit pour de vieilles gibessires rides de
+sergents ou d'hosteliers; ce qui advient aux femmes qui on eu des
+enfants, et qui ne sont est bien secourues et graisses de graisse de
+baleine de leurs sages-femmes. Mais d'autres y a-t-il, qui les ont aussi
+beaux et polis, et le sein aussi follet, comme si elles estoient encore
+filles.</p>
+
+<p>D'autres il y en a, pour venir encore plus bas, qui ont leurs natures
+hideuses et peu agrables. Les unes y ont le poil nullement fris, mais
+si long et pendant, que vous diriez que ce sont les moustaches d'un
+Sarrasin; et pourtant n'en ostent jamais la toison, et se plaisent la
+porter telle, d'autant qu'on dit: <i>Chemin jonchu et c.. velu sont fort
+propres pour chevaucher</i>. J'ay ouy parler de quelqu'une trs-grande qui
+les porte ainsi.<a name="page_160" id="page_160"></a></p>
+
+<p>J'ay ouy parler d'une autre belle et honneste dame qui les avoit ainsi
+longues, qu'elle les entortilloit avec des cordons ou rubans de soye
+cramoisie ou autre couleur, et se les frisonnoit ainsi comme des frisons
+de perruques, et puis se les attachoit ses cuisses, et en tel estat
+quelquefois se les prsentoit son mary et son amant, ou bien se les
+destortoit de son ruban et cordon, si qu'elles paroissoient frisonnes
+par aprs, et plus gentilles qu'elles n'eussent fait autrement.</p>
+
+<p>Il y avoit bien l de la curiosit, et de la paillardise et tout; car,
+ne pouvant d'elle-mesme faire et suivre ses frisons, il falloit qu'une
+de ses femmes, de ses plus favorites, la servt en cela; en quoy ne peut
+estre autrement qu'il n'y ayt de la lubricit en toutes faons qu'on la
+pourra imaginer.</p>
+
+<p>Aucunes, au contraire, se plaisent le tenir et porter raz, comme la
+barbe d'un prestre.</p>
+
+<p>D'autres femmes y a-t-il, qui n'ont de poil point du tout, ou peu, comme
+j'ay ouy parler d'une fort grande et belle dame que j'aye cogneue; ce
+qui n'est guires beau, et donne un mauvais soupon: ainsi qu'il y a des
+hommes qui n'ont que de petits boucquets de barbe au menton, et n'en
+sont pas plus estimez de bon sang, ainsi que sont les blanquets et
+blanquettes<a name="FNanchor_66_66" id="FNanchor_66_66"></a><a href="#Footnote_66_66" class="fnanchor">[66]</a>.</p>
+
+<p>D'autres en ont l'entre si grande, vague et large, qu'on la prendroit
+pour l'antre de la Sibylle.</p>
+
+<p>J'en ay ouy parler d'aucunes, et bien grandes, qui les ont telles qu'une
+jument ne les a si amples, encore qu'elles s'aident d'artifice le plus
+qu'elles peuvent pour estrecir la porte; mais, dans deux ou trois
+frquentations, la mesme ouverture tourne: et, qui plus est, j'ay ouy
+dire que, quand bien on les arregarde le cas d'aucunes, il leur cloise
+comme celuy d'une jument quand elle est en chaleur. L'on m'en a cont
+trois qui monstrent telles cloyses quand on y prend garde de les voir.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy parler d'une dame grande, belle et de qualit, qui un de
+nos roys avoit impos le nom de <i>Pan de c..</i>, tant il estoit large et
+grand; et non sans raison, car elle se l'est fait en son vivant souvent
+mesurer plusieurs merciers et arpenteurs, et que tant plus elle
+s'estudioit le jour de l'estrecir, la nuict en deux heures on le lui
+eslargissoit si bien, que ce qu'elle faisoit en une heure, on le
+dfaisoit en l'autre, comme la toille de Penelope. Enfin,<a
+name="page_161" id="page_161"></a> elle en quitta tous artifices, et en fut
+quitte pour faire lection des plus gros moules qu'elle pouvoit trouver.</p>
+
+<p>Tel remde fut trs bon, ainsi que j'ay ouy dire d'une fort belle et
+honneste fille de la Cour, laquelle l'eut au contraire si petit et si
+estroit, qu'on en dsesproit jamais le forcement du pucelage; mais
+par advis de quelques mdecins ou de sages-femmes, ou de ses amys ou
+amyes, elle en fit tenter le gu ou le forcement par des plus menus et
+petits moules, puis vint aux moyens, puis aux grands, mode des talus
+que l'on fait, ainsi que Rabelais ordonna les murailles de Paris
+imprenables; et puis, par tels essays les uns aprs les autres,
+s'accoustuma si bien tous, que les plus grands ne luy faisoient la
+peur que les petits paravant faisoient si grande.</p>
+
+<p>Une grande princesse estrangere que j'ay cogneue, laquelle l'avoit si
+petit et estroit, qu'elle aima mieux de n'en taster jamais que de se
+faire inciser, comme les mdecins le conseilloient. Grande vertu certes
+de continence, et rare!...</p>
+
+<p>D'autres en ont les labies longues et pendantes plus qu'une creste de
+coq d'Inde quand il est en colere; comme j'ay ouy dire que plusieurs
+dames ont, non-seulement elles, mais aussi des filles.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy faire ce conte feu M. de Randan, qu'une fois estants de
+bons compagnons la Cour ensemble, comme M. de Nemours, M. le vidame de
+Chartres, M. le comte de la Rochefoucault, MM. de Montpezaz, Givry,
+Genlis et autres, ne sachants que faire, allrent voir pisser les filles
+un jour, cela s'entend cachs en bas et elles en haut. Il y en eut une
+qui pissa contre terre: je ne la nomme point; et d'autant que le
+plancher estoit de tables, elle avoit ses lendilles si grandes, qu'elles
+passrent par la fente des tables si avant, qu'elle en monstra la
+longueur d'un doigt, si que M. de Randan, par cas fortuit, ayant un
+baston qu'il avoit pris un laquais, o il y avoit un fion, en pera
+si dextrement ses lendilles, et les cousit si bien contre la table, que
+la fille, sentant la piqre, tout coup s'esleva si fort, qu'elle les
+escarta toutes, et de deux parts qu'il en avoit en fit quatre, et les
+dites lendilles en demeurerent decoupes en forme de barbe
+d'escrevisses, dont pourtant la fille s'en trouva trs-mal, et la
+maistresse en fut fort en colere.</p>
+
+<p>M. de Randan et la compagnie en firent conte au roy Henry, qui estoit
+bon compagnon, qui en rit pour sa part son saoul, et en apaisa le tout
+envers la Reyne sans rien en dguiser.<a name="page_162" id="page_162"></a></p>
+
+<p>Ces grandes lendilles sont cause qu'une fois j'en demanday la raison
+un mdecin excellent, qui me dit que, quand les filles et femmes
+estoient en ruth, elles les touchoient, manioient, viroyent,
+contournoient, allongeoient et tiroient si souvent, qu'estants ensemble
+s'entredonnoient mieux du plaisir.</p>
+
+<p>Telles filles et femmes seroient bonnes en Perse, non en Turquie,
+d'autant qu'en Perse les femmes sont circoncises, parce que leur nature
+ressemble de je ne say quoy le membre viril (disent-ils): au contraire,
+en Turquie, les femmes ne le sont jamais, et pour ce les Perses les
+appellent hrtiques, pour n'estre circoncises, d'autant que leur cas,
+disent-ils, n'a nulle forme, et ne prennent plaisir de les regarder
+comme les Chrestiens. Voil ce qu'en disent ceux qui ont voyag en
+Levant.</p>
+
+<p>Telles femmes et filles, disoit ce mdecin, sont fort sujettes faire
+la fricarelle, <i>donna con donna</i>.</p>
+
+<p>J'ay ouy parler d'une trs-belle dame, et des plus qui ait est en la
+Cour, qui ne les a si longues; car elles luy sont accourcies pour un mal
+que son mary luy donna, voire qu'elle n'a de levre d'un cost pour avoir
+est tout mang de chancres; si bien qu'elle peut dire son cas estropi
+et demy demembr; et nanmoins cette dame a est fort recherche de
+plusieurs, mesme elle a est la moiti d'un grand quelques fois dans son
+lict.</p>
+
+<p>Un grand disoit la Cour un jour qu'il voudroit que sa femme
+ressemblast celle-l, et qu'elle n'en eust qu' demy, tant elle en
+avoit trop.</p>
+
+<p>J'ay aussi ouy parler d'une autre bien plus grande qu'elle cent fois,
+qui avoit un boyau qui luy pendilloit long d'un grand doigt au dehors de
+sa nature, et, disoit-on, pour n'avoir pas est bien servie en l'une de
+ses couches par sa sage-femme; ce qui arrive souvent aux filles et
+femmes qui ont fait des couches la drobade, ou qui par accident se
+sont gastes et greves; comme une des belles femmes de par le monde que
+j'ay cogneue, qui, estant veufve, ne voulut jamais se remarier, pour
+estre descouverte d'un second mary de cecy, qui l'en eust peu prise, et
+possible mal-traite.</p>
+
+<p>Cette grande que je viens de dire, nonobstant son accident, enfantoit
+aussi aisment comme si elle eust piss; car on disoit sa nature
+trs-ample; et si pourtant elle a est bien aime et bien servie
+couvert; mais mal-aisment se laissoit-elle voir l.</p>
+
+<p>Aussi volontiers, quand une belle et honneste femme se met <a
+name="page_163" id="page_163"></a> l'amour et la privaut, si elle ne vous
+permet de voir ou taster cela, dites hardiment qu'elle y a quelque tare,
+ou si que la veue ni le toucher n'approuvera guires, ainsi que je tiens
+d'une honneste femme; car s'il n'y en a point, et qu'il soit beau (comme
+certes il y en a et de plaisants voir et manier), elle est aussi
+curieuse et contente d'en faire la monstre et en prester l'attouchement,
+que de quelqu'autre de ses beautez qu'elle ait, autant pour son honneur
+ n'estre souponne de quelque dfaut ou laideur en cet endroit, que
+pour le plaisir qu'elle y prend elle-mesme le contempler et mirer, et
+surtout aussi pour accroistre la passion et tentation davantage son
+amant.</p>
+
+<p>De plus, les mains et les yeux ne sont pas membres virils pour rendre
+les femmes putains et leurs marys cocus, encore qu'aprs la bouche
+aident faire de grands approches pour gaigner la place.</p>
+
+<p>D'autres femmes y a-t-il qui ont la bouche de l si pasle, qu'on diroit
+qu'elles y ont la fievre: et telles ressemblent aucuns yvrognes,
+lesquels, encor qu'ils boivent plus de vin qu'une truie de laict, ils
+sont pasles comme trespassez: aussi les appelle-t-on traistres au vin,
+non pas ceux qui sont rubiconds: aussi telles par ce cost-l on les
+peut dire traistraisses Vnus, si ce n'est que l'on dit <i>pasle putain
+et rouge paillard</i>. Tant y a que cette partie ainsi pasle et transie
+n'est point plaisante voir, et n'a garde de ressembler celle d'une
+des plus belles dames que l'on voye, et qui tient grand rang, laquelle
+j'ay veu qu'on disoit qu'elle portoit l trois belles couleurs
+ordinairement ensemble, qui estoient incarnat, blanc et noir: car cette
+bouche de l estoit colore et vermeille comme corail, le poil
+d'alentour gentiment frisonn et noir comme bene; ainsi le faut-il, et
+c'est l'une des beautez: la peau estoit blanche comme albastre, qui
+estoit ombrage de ce poil noir. Cette veu est belle de celle-l, et
+non des autres que je viens de dire.</p>
+
+<p>D'autres il y en a aussi qui sont si bas ennatures et fendues jusques
+au cul, mesme les petites femmes, que l'on devroit faire scrupule de les
+toucher pour beaucoup d'ordes et salles raisons que je n'oserois dire;
+car on diroit que, les deux rivires s'assemblant et se touchant quasi
+ensemble, il est en danger de laisser l'une et naviguer l'autre: ce
+qui est par trop vilain.</p>
+
+<p>J'ay ouy conter madame de Fontaine-Chalandray, dite la belle Torcy,
+que la reyne Elonor sa maistresse, estant habille et vestue,
+paroissoit une trs-belle princesse, comme il y en a encor<a
+name="page_164" id="page_164"></a> plusieurs qui l'ont veue telle en nostre
+Cour, et de belle et riche taille; mais, estant dshabille, elle
+paroissoit du corps une gante, tant elle l'avoit long et grand: mais
+tirant en bas, elle paroissoit une naine, tant elle avoit les cuisses et
+les jambes courtes avec le reste.</p>
+
+<p>D'une autre grande dame ay-je ouy parler qui estoit bien au contraire;
+car par le corps elle se monstroit une naine, tant elle l'avoit court et
+petit, et du reste en bas une gante ou colosse, tant elle avoit ses
+cuisses et jambes grandes, hautes et fendues et pourtant bien
+proportionnes et charnues, si qu'elle en couvroit son homme sous elle,
+mais qu'il fust petit, fort aisment, comme d'une tirasse de chien
+couchant.</p>
+
+<p>&mdash;Il y a force marys et amys parmi nos Chrestiens, qui voulans en tout
+differer des Turcs, ne prennent plaiser d'arregarder le cas des dames,
+d'autant, disent-ils, comme je viens de dire, qu'ils n'ont nulle forme:
+nos Chrestiens au contraire qui en ont, disent-ils, de grands
+contentements les contempler fort et se dlecter en telles visions, et
+non-seulement se plaisent les voir, mais les baiser, comme beaucoup
+de dames l'ont dit et descouvert leurs amants, ainsi que dit une dame
+espagnole son serviteur, qui, la saluant un jour, luy dit: <i>Bezo las
+manos y los pies, senora</i><a name="FNanchor_67_67" id="FNanchor_67_67"></a><a href="#Footnote_67_67" class="fnanchor">[67]</a>; elle luy dit: <i>Senor, en el medio esta la
+mejor station</i><a name="FNanchor_68_68" id="FNanchor_68_68"></a><a href="#Footnote_68_68" class="fnanchor">[68]</a>. Comme voulant dire qu'il pouvoit baiser le mitant
+aussi-bien que les pieds et mains. Et, pour ce, disent aucunes dames que
+leurs marys et serviteurs y prennent quelque dlicatesse et plaisir, et
+en ardent davantage: ainsi que j'ay ouy dire d'un trs-grand prince,
+fils d'un grand roy de par le monde, qui avoit pour maistresse une
+trs-grande princesse. Jamais il ne la touchoit qu'il ne luy vist cela
+et ne le baisast plusieurs fois. Et la premire fois qu'il le fit, ce
+fut par la persuasion d'une trs-grande dame, favorite du roy; laquelle,
+tous trois un jour estants ensemble, ainsi que ce prince muguettoit sa
+dame, luy demanda s'il n'avoit jamais veu cette belle partie dont il
+jouissoit. Il respondit que non: Vous n'avez donc rien fait, dit-elle,
+et ne savez ce que vous aimez; vostre plaisir est imparfait, il faut
+que vous le voyis. Par-quoy, ainsi qu'il s'en vouloit essayer et
+qu'elle en faisoit de la revesche, l'autre vint par derrire, et la prit
+et renversa sur un lict, et la tint tousjours jusques ce que le
+prince<a name="page_165" id="page_165"></a> l'eust contemple son aise et baise son saoul, tant qu'il le
+trouvoit beau et gentil; et pour ce, continua tousjours.</p>
+
+<p>D'autres y a-t-il qui ont leurs cuisses si mal proportionnes, mal
+advenantes et si mal faites en olive, qu'elles ne mritent d'estre
+regardes et dsires, comme de leurs jambes, qui en sont de mme, dont
+aucunes sont si grosses qu'on en diroit le gras estre le ventre d'une
+conille qui est pleine.</p>
+
+<p>D'autres les ont si gresles et menues, et si heronnires, qu'on les
+prendroit plustost pour des fleutes que pour cuisses et jambes; je vous
+laisse penser que peut estre le reste.</p>
+
+<p>Elles ne ressemblent pas une belle et honneste dame dont j'ay ouy
+parler, laquelle estant en bon point; et non trop en extrmit (car en
+toutes choses il faut un <i>medium</i>), aprs avoir donn coucher son
+amy, elle lui demanda le lendemain au matin comment il s'en trouvoit. Il
+luy respondit que trs-bien, et que sa bonne et grasse chair luy avoit
+fait grand bien. Pour le moins, dit-elle, avez-vous couru la poste sans
+emprunter de coissinet.</p>
+
+<p>D'autres dames y a-t-il qui ont tant d'autres vices cachs, ainsi que
+j'en ay ouy parler d'une qui estoit dame de rputation, qui faisoit ses
+affaires fcales par le devant; et de ce j'en demanday la raison un
+mdecin suffisant, qui me dit parce qu'elle avoit est perce trop jeune
+et d'un homme trop fourny et robuste; dont ce fut grand dommage, car
+c'estoit une trs-belle femme et veufve, qu'un honneste gentilhomme que
+je say la vouloit espouser; mais, en sachant tel vice, la quita
+soudain, et un autre aprs la prit aussi-tost.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy parler d'un gallant gentilhomme qui avoit une des belles
+femmes de la Cour et n'en faisoit cas. Un autre, n'estant si scrupuleux
+que luy, habitant avec elle, trouva que son cas puoit si fort qu'on ne
+pouvoit endurer cette senteur, et, par ainsi, cogneut l'encloeure du
+mary.</p>
+
+<p>J'ay ouy parler d'une autre, laquelle estant l'une des filles d'une
+grande princesse, qui petoit de son devant: des mdecins m'ont dit que
+cela se pouvoit faire cause des vents et ventositez qui peuvent sortir
+par-l, et mesmes quand elles font la fricarelle.</p>
+
+<p>Cette fille estoit avec cette princesse lorsqu'elle vint Moulins, la
+Cour y estant, du temps du roy Charles neuviesme, qui en fut abreuv,
+dont on en rioit bien.</p>
+
+<p>D'autres y en a-t-il qui ne peuvent tenir leur urine, qu'il faut<a
+name="page_166" id="page_166"></a> qu'elles ayent toujours la petite esponge
+entre les jambes, comme j'en ay cogneu deux grandes, et plus que dames,
+dont l'une estant fille, fit l'vasion tout trac dans la salle du bal,
+du temps du roy Charles neuviesme, dont fut fort scandalise.</p>
+
+<p>D'une autre grande dame ay-je ouy parler, que quand on lui faisoit cela,
+elle se compissoit bon escient, ou sur le fait, ou aprs, comme une
+jument quand elle a est saillie: elle falloit-il jetter le seillaud
+d'eau comme la jument, pour la faire retenir.</p>
+
+<p>Tant d'autres y a-t-il qui sont ordinairement en sang et leurs mois, et
+autres qui sont vicies, tarottes, marquetes et marques, tant par
+accident de vrolle de leurs marys ou de leurs amys, que par leurs
+mauvaises habitudes et humeurs; comme celles qui ont les jambes
+louventines et autres fluxions et marques, que par les envies de leurs
+mres estant enceintes d'elles, portent sur elles, comme j'en ay ouy
+parler d'une qui est toute rouge par une moiti du corps, et l'autre
+non, comme un eschevin de ville.</p>
+
+<p>D'autres sont si sujettes leurs flux menstruaux, que quasi
+ordinairement leur nature flue comme un mouton qui on a coup la gorge
+de frais; dont leurs marys ou amants ne s'en contentent guieres, pour
+l'assidu frquentation que Vnus ordonne et desire en ces jeux: car, si
+elles sont saines et nettes une semaine du mois, c'est tout, et leur
+font perdre le reste de l'anne: si que des douze mois ils n'en ont cinq
+ou six francs, voire moins; c'est beaucoup, la mode de nos soldats
+desbandez, auxquels la monstre les commissaires et trsoriers font
+perdre, de douze mois de l'an, plus de quatre, en leur faisant monter
+les mois jusques quarante et cinquante jours, si que les douze mois de
+l'an ne leur reviennent pas huit. Ainsi s'en trouvent les marys et
+amants qui telles femmes ont et se servent, si ce n'est que, du tout,
+pour assoupir leur paillardise, se veulent souiller vilainement sans
+aucun respect d'impudicit; et leurs enfants qui en sortent s'en
+trouvent mal et s'en ressentent.</p>
+
+<p>Si j'en voulois raconter d'autres, je n'aurois jamais fait, et aussi que
+les discours en seroient trop sallauds et dplaisants: et ce que j'en
+dis et dirois ce ne seroit des femmes petites et communes, mais des
+grandes et moyennes dames qui de leurs visages beaux font mourir le
+monde, et point le couvert.</p>
+
+<p>Si feray-je encore ce petit conte, qui est plaisant, d'un gentilhomme
+qu'il me fit, qui est qu'en couchant avec une fort belle dame, et
+d'estoffe, en faisant sa besogne il luy trouva en cette partie<a
+name="page_167" id="page_167"></a> quelques poils si piquants et si aigus,
+qu'avec toutes les incommodits il la put achever, tant cela le piquoit
+et le fionnoit. Enfin, ayant fait, il voulut taster avec la main: il
+trouva qu'alentour de sa motte il y avoit une demi-douzaine de certains
+fils garnis de ces poils si aigus, longs, roides et piquants, qu'ils en
+eussent servy aux cordonniers faire des rivets comme de ceux de
+pourceaux, et les voulut voir; ce que la dame luy permit avec grande
+difficult; et trouva que tels fils entournoient la pice ny plus ny
+moins que vous voyez une mdaille entourne de quelques diamants et
+rubis, pour servir et mettre en enseigne en un chapeau ou au bonnet.</p>
+
+<p>&mdash;Il n'y a pas long-temps qu'en une certaine contre de Guyenne, une
+damoiselle marie, de fort bon lieu et bonne part, ainsi qu'elle
+advisoit estudier ses enfants, leur prcepteur, par une certaine manie
+et frnsie, ou possible pour rage d'amour qui luy vint soudain, il prit
+une espe qui estoit de son mary sur le lict, et luy en donna si bien,
+qu'il luy pera les deux cuisses et les deux labies de sa nature de part
+en part, dont depuis elle en cuida mourir, sans le secours d'un bon
+chirurgien. Son cas pouvoit bien dire qu'il avoit est en deux diverses
+guerres et attaqu fort diversement. Je crois que la veu aprs n'en
+estoit gures plaisante, pour estre ainsi balafr et ses aisles ainsi
+brises: je les dis aisles, par ce que les Grecs appellent ces labies
+<i>hymen&oelig;a</i>; les Latins les nomment <i>al&oelig;</i>, et les Franois, labies,
+lvres, landrons, landilles et autres mots: mais je trouve qu' bon
+droit les Latins les appellent aisles; car il n'y a ny animal ny oiseau,
+soit-il faucon, niais ou sor, comme celuy de nos fillaudes, soit-il de
+passage, ou hagard ou bien dress, de nos femmes maries ou veufves, qui
+aille mieux ny ait l'aisle si viste.</p>
+
+<p>Je le puis appeler aussi animal avec Rabelais, d'autant qu'il s'esmeut
+de soy-mesme; et, soit le toucher ou le voir, on le sent et le void
+s'esmouvoir et remuer de luy-mesme, quand il est en appetit.</p>
+
+<p>D'autres, de peur de rhumes et catheres, se couvrent dans le lict de
+couvre-chefs alentour de la teste, par Dieu, plus que sorcires: au
+partir de-l, bien habilles, elles sont saffrettes comme poupines, et
+d'autres fardes et peintres comme images, belles au jour, et la nuict
+dpeintes et trs-laides.</p>
+
+<p>Il faudroit visiter telles dames avant les aimer, espouser et en jouir,
+ainsi que faisoit Octave Csar avec ses amis, qui faisoit despouiller
+aucunes grandes dames et matrosnes romaines, voire<a name="page_168" id="page_168"></a> des vierges mres
+d'aage, et les visitoit d'un bout l'autre, comme si ce fussent
+esclaves et serves vendues par un certain maquignon nomm Torane; et
+selon qu'il les trouvoit son gr et son point, ny tares, il en
+joissoit.</p>
+
+<p>De mesme en font les Turcs en leur bazestan de Constantinople et autres
+grandes villes, quand ils achettent des esclaves de l'un et de l'autre
+sexe.</p>
+
+<p>Or je n'en parleray plus, encore pens-je en avoir trop dit; et voil
+comment nous sommes bien trompez en beaucoup de veus que nous pensons
+et croyons trs-belles. Mais, si nous y sommes bien autant difis et
+satisfaits en d'aucunes autres, lesquelles sont si belles, si nettes,
+propres, fraisches, cailles, si aimables et si en bon point, bref, si
+accomplies en toutes parties du corps, qu'aprs elles toutes veus
+mondaines sont chtives et vaines; dont il y a des hommes qui, en telles
+contemplations, s'y perdent tellement, qu'ils ne songent qu'aux actions:
+aussi, bien souvent telles dames se plaisent se monstrer sans nulle
+difficult, pour ne se sentir tasches d'aucunes macules, pour nous
+faire plus entrer en tentation et concupiscence.</p>
+
+<p>Nous estans un jour au sige de La Rochelle, le pauvre feu M. de Guise,
+qui me faisoit l'honneur de m'aimer, s'en vint me monstrer des tablettes
+qu'il venoit de prendre Monsieur, frre du Roy, nostre gnral, dans
+la poche de ses chausses, et me dit: Monsieur me vient de faire un
+desplaisir et la guerre pour l'amour d'une dame; mais je veux avoir ma
+revanche; voyez ce que j'y ai mis dedans et lisez. Me donnant les
+tablettes, je vis escrits de sa main ces quatre vers qu'il venoit de
+faire, mais le mot de f...... y estoit tout trac.</p>
+
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="poesie">
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Si vous ne m'avez coguue</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Il n'a pas tenu moy;</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Car vous m'avez bien veu nue,</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Et vous ay monstr de quoy.</span></td></tr>
+</table>
+
+<p>Puis, me nommant la dame, ou pour mieux dire fille, de laquelle je me
+doutois pourtant, je lui dis que je m'estonnois fort qu'il ne l'eust
+touche et cogneue, d'autant que les approches en avoient est grandes,
+et que le bruit en estoit par trop commun; mais il m'asseura que non, et
+que ce n'avoit est que sa faute. Je luy replicquay: Il falloit donc,
+Monsieur, ou qu'alors<a name="page_169" id="page_169"></a> il fust si las et recreu d'ailleurs, qu'il n'y
+pust fournir, ou qu'il fust si ravi en la contemplation de cette beaut
+nue, qu'il ne se souciast de l'action!&mdash;Possible, me respondit ce
+prince, qu'il se pourroit faire; mais tant y a que ce coup il y faillit,
+et je luy en fais la guerre, et je luy vais remettre ces tablettes dans
+sa poche, qu'il visitera selon sa coustume, et y lira ce qu'il y faut;
+et, amprs, me voil veng. Ce qu'il fit, et ne fut amprs sans en rire
+tous deux bon escient, et s'en faire la guerre plaisamment; car, pour
+lors, c'estoit une trs-grande amiti et privaut entr'eux deux, bien
+depuis estrangement change.</p>
+
+<p>&mdash;Une dame de par le monde, ou plustost fille, estant fort aime et
+prive d'une trs-grande princesse, estoit dans le lict se
+rafraischissant, comme estoit la coutume: vint un gentilhomme la voir,
+qui pour elle brusloit d'amour; mais il n'en avoit autre chose. Cette
+dame fille estant ainsi aime et prive de sa maistresse, s'approchant
+d'elle tout bellement, sans faire semblant de rien, tout--coup vint
+tirer toute la couverture de dessus elle, si bien que le gentilhomme,
+point paresseux de ses yeux aucunement, les jetta aussi-tost, dessus qui
+vid, ce que depuis il m'a fait le conte, la plus belle chose qu'il vid
+ny qu'il verra jamais, qui estoit ce beau corps nud, et ses belles
+parties, et cette blanche, jolie et belle charnure, qu'il pensa voir les
+beautez du paradis. Mais cela ne dura guieres; car, tout aussi-tost la
+couverture fut tourne prendre par la dame, la fille en estant partie de
+l, et de bonheur. Cette belle dame, tant plus elle se remuoit
+reprendre la couverture, tant plus elle se faisoit paroistre; ce qui
+n'endommageoit nullement la veu et le plaisir du gentilhomme, qui
+autrement ne s'empeschoit la recouvrir, bien sot fust est: pourtant,
+tellement quellement, elle recouvra sa couverture, se remit, en se
+courouant assez doucement contre la fille, et luy disant qu'elle le
+payeroit. La demoiselle luy dit, qui estoit un petit l'escart:
+Madame, vous m'en aviez fait une; pardonnez-moy si je vous l'ay
+rendue; et, passant la porte, s'en alla. Mais l'accord fut fait
+aussi-tost.</p>
+
+<p>Cependant le gentilhomme se trouva si bien de telle veu, et en telle
+extase de plaisir et contentement, que je luy ay ouy dire cent fois
+qu'il n'en vouloit d'autre en sa vie, que de vivre au songer de cette
+ordinaire contemplation; et certes il avoit raison: car, selon la
+monstre de son beau visage, le non-pareil, et sa belle gorge, dont elle
+a tant repeu le monde, pouvoit assez monstrer<a name="page_170" id="page_170"></a> que dessous il y avoit de
+cach de plus exquis; et me disoit qu'entre telles beautez, c'estoit la
+dame la mieux flanque et le plus haut qu'il eust jamais veue: ainsi le
+pouvoit-elle estre, car elle estoit de trs-riche taille; mesme entre
+les beautez il faut qu'elle le soit, ny plus ny moins qu'une forteresse
+de frontire.</p>
+
+<p>Amprs que ce gentilhomme m'eut tout cont, je ne lui peus que dire:
+Vivez donc, vivez, mon grand amy, avec cette contemplation divine et
+cette beatitude que jamais ne puissiez-vous mourir; et moy au moins,
+avant mourir, puisse-je avoir une telle veu!</p>
+
+<p>Ledit gentilhomme en eut pour jamais cette obligation la demoiselle,
+et tousjours depuis l'honora et l'aima de tout son c&oelig;ur. Aussy luy
+estoit-il serviteur fort; mais il ne l'espousa, car un autre plus riche
+que luy la luy embla, ainsi qu'est la coustume toutes de courir aux
+biens.</p>
+
+<p>Telles veus sont belles et agrables; mais il se faut donner garde
+qu'elles ne nuisent, comme celle de la belle Diane nu au pauvre Acton,
+ou bien une que je vais dire.</p>
+
+<p>&mdash;Un Roy de par le monde aima fort en son temps une bien belle, honneste
+et grand dame veufve, si bien qu'on l'en tenoit charm; car peu il se
+soucioit des autres, voire de sa femme, si non que par intervalles, car
+cette dame emportoit tousjours les plus belles fleurs de son jardin; ce
+qui faschoit fort la Reyne, car elle se sentoit aussi belle et
+agrable que serviable, et digne d'avoir d'aussi friands morceaux, dont
+elle s'en esbahissoit fort; de quoy en ayant fait sa complainte une
+sienne grand'dame favorite, elle complotta avec elle d'aviser s'il y
+avoit tant de quoy, mesmes espier par un trou le jeu que joeroient son
+mary et la dame. Par quoy elle advisa de faire plusieurs trous au-dessus
+de la chambre de ladite dame, pour voir le tout et la vie qu'ils
+demeneroient tous deux ensemble: dont se mirent tel spectacle; mais
+ils n'y virent rien que trs-beau, car elles y apperceurent une femme
+trs-belle, blanche, dlicate et trs-fraische, moiti en chemise et
+moiti nue, faire des caresses son amant, des mignardises, des
+folastreries bien grandes, et son amant lui rendre la pareille, de sorte
+qu'ils sortoient du lict, et tout en chemise se couchoient et
+s'esbattoient sur le tapis velu qui estoit auprs du lict, affin
+d'viter la chaleur du lict, et pour mieux en prendre le frais; car
+c'estoit aux plus grandes chaleurs.</p>
+
+<p>Ainsi que j'ay cogneu aussi un trs-grand prince, qui prenoit de<a
+name="page_171" id="page_171"></a> mesme son dduit avec sa femme, qui
+estoit la plus belle femme du monde, affin d'viter le chaud que
+produisoient les grandes chaleurs de l'est, ainsi que luy-mesme disoit.</p>
+
+<p>Cette princesse donc, ayant veu et apperceu le tout, de dpit s'en mit
+plorer, gmir, souspirer et attrister, luy semblant, et aussi le disant,
+que son mary ne luy rendoit le semblable, et ne faisoit les folies
+qu'elle luy avoit veu faire avec l'autre.</p>
+
+<p>L'autre dame qui l'accompagnoit se mit la consoler et luy remonstrer
+pourquoy elle s'attristoit ainsi, ou bien, puisqu'elle avoit est si
+curieuse de voir telles choses, quil n'en falloit pas esprer de moins.</p>
+
+<p>La princesse ne respondit autre chose, si non: Hlas, ouy! j'ay voulu
+voir chose que je ne devois avoir voulu voir, puisque la veu m'en fait
+mal.</p>
+
+<p>Toutesfois, aprs s'estre console et rsolue, elle ne s'en soucia plus,
+et le plus qu'elle put, continua ce passe-temps de veu, et le convertit
+en rise, et possible en autre chose.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy parler d'une grande dame de par le monde, mais grandissime,
+qui, ne se contentant de la lascivit naturelle, car elle estoit grand
+putain, et marie et veufve, aussi estoit-elle fort belle: pour se
+provoquer et exciter davantage, elle faisoit despouiller ses dames et
+filles, je dis les plus belles, et se dlicatoit fort les voir; et
+puis elle les battoit du plat de la main sur les fesses avec de grandes
+claquades et plamussades assez rudes, et les filles qui avoient dlinqu
+quelque chose, avec de bonnes verges; et alors son contentement estoit
+de les voir remer et faire les mouvements et tordions de leur corps et
+fesses, lesquelles, selon les coups qu'elles recevoient, en monstroient
+de bien estranges et plaisantes.</p>
+
+<p>Aucunes fois, sans les despouiller, les faisoit trousser en robbe (car
+pour lors elles ne portoient pas de calsons), et les claquetoit et
+foettoit sur les fesses, selon le sujet qu'elles luy donnoient, ou pour
+les faire rire, ou pour plorer: et, sur ces visions et contemplations, y
+aiguisoit si bien ses appetis, qu'aprs elle les alloit passer bien
+souvent bon escient avec quelque gallant homme bien fort et robuste.</p>
+
+<p>Quelle humeur de femme! Si bien qu'on dit qu'ayant une fois veu par la
+fenestre de sont chasteau, qui visoit sur la rue, un grand cordonnier,
+estrangement proportionn, pisser contre la muraille dudit chasteau,
+elle eut envie d'une si belle et grande proportion;<a name="page_172" id="page_172"></a> et de peur de
+gaster son fruit pour son envie, elle luy manda par un page de la venir
+trouver en une alle secrte de son parc, o elle s'estoit retire, et
+l elle se prostitua luy en telle faon qu'elle en engrossa. Voil ce
+que servit la veu cette dame.</p>
+
+<p>Et de plus, j'ay ouy dire qu'outre ses femmes et filles ordinaires qui
+estoient sa suite, les estrangeres qui la venoient voir, dans les deux
+ou trois jours, ou toutes les fois qu'elles y venoient, elle les
+apprivoisoit aussi-tost ce jeu, faisant monstrer aux siennes
+premierement le chemin, et aller devant elles, et les autres aprs; si
+bien qu'elles estoient estonnes de ce jeu les unes, et les autres non.
+Vrayment, voil un plaisant exercice!</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy parler d'un grand aussi qui prenoit plaisir de voir ainsi sa
+femme nue ou habille, et la fouetter de claquades, et la voir manier de
+son corps.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy dire une honneste dame qu'estant fille sa mre la fouettoit
+tous les jours deux fois, non pour avoir forfait, mais parce qu'elle
+pensoit qu'elle prenoit plaisir la voir ainsi remuer les fesses et le
+corps, pour autant d'en prendre d'appetit ailleurs: et tant plus elle
+alla sur l'age de quatorze ans, elle persista et s'y acharna de telle
+faon, qu' mode qu'elle l'accostoit elle la contemploit encore plus.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay bien ouy dire pis d'un grand seigneur et prince, il y a plus de
+quatre-vingts ans, qu'avant qu'aller habiter avec sa femme se faisoit
+fouetter, ne pouvant s'esmouvoir ny relever sa nature baissante sans ce
+sot remede. Je desirerois volontiers qu'un mdecin excellent m'en dist
+la raison.</p>
+
+<p>Ce grand personnage, Picus Mirandula, raconte avoir veu un certain
+gallant en son temps, qui, d'autant plus qu'on l'estrilloit grandes
+sanglades d'estrivieres, c'estoit lors qu'il estoit le plus enrag aprs
+les femmes; et n'estoit jamais si vaillant aprs elles s'il n'estoit
+ainsi estrill: aprs il faisoit rage. Voil de terribles humeurs de
+personnes!</p>
+
+<p>Encore celle de la veu des autres est plus agrable que la derniere.</p>
+
+<p>&mdash;Moy estant Milan, un jour on me fit un conte de bonne part, que feu
+M. le marquis de Pescaire, dernier mort, vice-roy en Sicile, vint
+grandement amoureux d'une fort belle dame; si-bien qu'un matin, pensant
+que son mary fust all dehors, l'alla visiter qu'il la trouva encores au
+lict; et, en devisant avec elle, n'en obtint rien que la voir et la
+contempler son aise sous le linge, et la toucher de la main.<a
+name="page_173" id="page_173"></a></p>
+
+<p>Sur ces entrefaites survint le mary, qui n'estoit du calibre du marquis
+en rien, et les surprit de telle sorte, que le marquis n'eut loisir de
+retirer son gand, qui s'estoit perdu, je ne sai comment, parmy les
+draps, comme il arrive souvent. Puis, luy ayant dit quelques mots, il
+sortit de la chambre, conduit pourtant du gentilhomme, qui amprs estre
+retourn, par cas fortuit trouva le gand du marquis perdu dans les
+draps, dont la dame ne s'en estoit pas apperceue. Il le prit et le
+serra, et puis faisant la mine froide sa femme, demeura long-temps
+sans coucher avec elle, ny la toucher: parquoy un jour elle seule dans
+sa chambre, mettant la main la plume, se mit faire ce quatrain:</p>
+
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="poesie">
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Vigna era, vigna son.</i></span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Era podata, or pi non son;</i></span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>E son s per qual cagion</i></span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Non mi poda il mio patron.</i></span></td></tr>
+</table>
+<p>Et puis laissant ce quatrain escrit sur la table, le mary vint, qui vid
+ces vers sur la table, prend la plume et fait response:</p>
+
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="poesie">
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Vigna eri, vigna sei,</i></span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Eri podata, e pi non sei,</i></span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Per la granfa del leon,</i></span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Non ti poda il tuo patron.</i></span></td></tr>
+</table>
+
+<p>Et puis les laissa aussi sur la table. Le tout fut appport au marquis,
+qui fit response:</p>
+
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="poesie">
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>A la vigna che voi dicete</i></span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Io fui, e qui restete;</i></span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Alzai il pamparo, guardas la vite;</i></span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>M non toccai, si Dio m' ajute.</i></span></td></tr>
+</table>
+
+<p>Cela fut rapport au mary, qui, se contentant d'une si honorable rponse
+et juste satisfaction, reprit sa vigne et la cultiva aussi-bien que
+devant; et jamais mary et femme ne furent mieux.</p>
+
+<p>Je m'en vais les traduire en franois, afin que chacun l'entende.</p>
+
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="poesie">
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Je suis est une belle vigne et le suis encore,</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Je suis est d'autrefois trs-bien cultive;</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Ast heure je ne le suis point; et si ne say</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Pourquoi mon patron ne me cultive plus.</span></td></tr>
+</table>
+
+<p><a name="page_174" id="page_174"></a></p>
+
+<p class="c"><i>Response.</i></p>
+
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="poesie">
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Ouy, vous avez est vigne telle, et l'estes encore</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Et d'autrefois bien cultive, ast heure plus;</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Pour l'amour de la griffe du lyon,</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Vostre mary ne vous cultive plus.</span></td></tr>
+</table>
+
+<p class="c"><i>Response du marquis.</i></p>
+
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="poesie">
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">A la vigne que vous autres dites</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Je suis est certes, et y restay un peu;</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">J'en haussay le pampre et en regardai la vis et le reasin.</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Mais Dieu ne me puisse aider si jamais j'y ay touch!</span></td></tr>
+</table>
+
+<p>Par cette griffe de lion il veut dire le gand qu'il avoit trouv esgare
+entre les linceuls. Voyl encor un bon mary qui ne sombragea pas trop,
+et se despouillant de soubon, pardonna ainsi sa femme: et certes il y
+a des dames, lesquelles se plaisent tant en elles-mesmes, qu'elles se
+contemplent et se regardent nues, de sorte qu'elles se ravissent se
+voyans si belles, comme Narcissus. Que pouvons-nous donc faire les
+voyant et arregardant?</p>
+
+<p>&mdash;Marianne, femme d'Hrode, belle et honneste femme, son mary voulant un
+jour coucher avec elle en plein midy et voir plein ce qu'elle portoit,
+lui refusa plat, ce dit Josephe. Il n'usa pas de puissance de mary,
+comme un grand seigneur que j'ay cogneu, l'endroit de sa femme, qui
+estoit des belles, qu'il assaillit ainsi en plein jour, et la mit toute
+nue, elle le dniant fort. Aprs il luy renvoya ses femmes pour
+l'habiller, qui la trouverent toute honteuse et esplore.</p>
+
+<p>&mdash;D'autres dames y a-t-il lesquelles dessein ne font pas grand
+scrupule de faire pleine veu la monstre de leur beaut, et se
+descouvrir nues, afin de mieux encapricier et marteller leurs
+serviteurs, et les mieux attirer elles; mais ne veulent permettre
+nullement la touche prcieuse, au moins aucunes, pour quelque temps;
+car, ne se voulans arrester en si beau chemin, passent plus outre, comme
+j'en ay ouy parler de plusieurs, qui ont ainsi long-temps entretenu
+leurs serviteurs de si beaux aspects. Bien-heureux sont-ils ceux qui s'y
+arrestent aux patiences, sans se perdre par trop en tentation: et faut
+que celuy soit bien enchant de vertu, qui, en voyant une belle femme,
+ne se gaste point les yeux; ainsi que disoit Alexandre quelquesfois
+ses amis, que les filles des Perses faisoient grand mal<a
+name="page_175" id="page_175"></a> aux yeux ceux qui les regardoient; et,
+pour ce, tenant les filles du roy Darius ses prisonnieres, jamais ne les
+saluoit qu'avec les yeux baissez, et encor le moins qu'il pouvoit, de
+peur qu'il avoit d'estre surpris de leur excellente beaut. Ce n'est
+ds-lors seulement, mais d'aujourd'hui, qu'entre toutes les femmes
+d'Orient les Persiennes ont le los et le prix d'estre les plus belles et
+accomplies en proportions de leur corps et beaut naturelle, gentilles,
+propres en leurs habits et chaussures, mesmement, et sur toutes, celles
+de l'ancienne et royale ville de Seiras, lesquelles sont tellement
+loes en leurs beautez, blancheurs et plaisantes civilitez et bonne
+grace, que les Mores, par un antique et commun proverbe, disent que leur
+prophete Mahomet ne voulut jamais aller Seiras, de crainte que s'il y
+eust veu une fois ces belles femmes, jamais amprs sa mort son ame ne
+fust entre en paradis. Ceux qui y ont est et en ont escrit le disent
+ainsi; en quoy on notera l'hypocrite contenance de ce bon marault et
+rompu prophete, comme s'il ne se trouvoit pas escrit, ce dit Belon, en
+un livre arabe, intitul <i>Des bonnes coustumes de Mahomet</i>, le loant de
+ses forces corporelles, qui se vantoit de pratiquer et repasser ces unze
+femmes qu'il avoit en une mesme heure l'une aprs l'autre. Au diable
+soit le marault! n'en parlons plus: quand tout est dit, je suis bien
+loisir d'en parler. J'ay veu faire cette question, sur ce trait
+d'Alexandre que je viens de dire, et de Scipion l'Afriquain, lequel des
+deux acquist plus grand louange de continence. Alexandre, se dfiant des
+forces de sa chastet, ne voulut point voir ces belles dames persiennes:
+Scipion, aprs la prise de Carthage la neufve, vid cette belle fille
+espagnole que ses soldats luy amenerent, et luy offrirent pour la part
+de son butin, laquelle estoit si excellente en beaut et en si bel aage
+de prise, que par-tout o elle passoit elle animoit et admiroit les yeux
+de tous la regarder, et Scipion mesme; lequel, l'ayant salue fort
+courtoisement, s'enquist de quelle ville d'Espagne elle estoit, et de
+ses parents. Il luy fut dit, entr'autres choses, qu'elle estoit accorde
+ un jeune homme nomm Alucius, prince des Celtibriens, qui il la
+rendit, et ses pere et mere, sans la toucher; dont il obligea la dame,
+les parents et le fianc, si bien qu'ils se rendirent depuis
+trs-affectionnez la ville de Rome et la Rpublique. Mais que
+sait-on si dans son ame cette belle dame n'eust point desir avoir est
+un peu perce et entame premirement de Scipion,<a name="page_176" id="page_176"></a> de luy, dis-je, qui
+estoit beau, jeune, brave, vaillant et victorieux? Possible que si
+quelque priv ou prive des siennes et des siens luy eust demand en foy
+et conscience si elle ne l'eust pas voulu, je laisse penser ce qu'elle
+eust respondu, ou fait quelque petite mine approchant de l'avoir desir,
+et, s'il vous plaist, si son climat d'Espagne et son soleil couchant ne
+la savoit pas rendre, et plusieurs autres dames d'aujourd'huy et de
+cette contre, belles et pareilles elle, chaudes et aspres cela,
+comme j'en ay veu quantit. Il ne faut donc point douter si cette belle
+et honneste fille fut est requise et sollicite de ce beau jeune homme
+Scipion, qu'elle ne l'eust pris au mot, voire sur l'autel de ses dieux
+prophanes. En cela ce Scipion a est certes lo d'aucuns de ce grand
+don de continence; d'autres il en a est blasm: car en quoy peut
+monstrer un brave et valleureux cavallier la gnrosit de son c&oelig;ur,
+qu'envers une belle et honneste dame, si-non luy faire parestre par
+effet qu'il prise sa beaut et l'ayme beaucoup, sans luy user de ces
+respects, froideurs, modesties et discrtions, que j'ay veu souvent
+appeller, plusieurs cavalliers et dames, plustost sottises et
+faillement de c&oelig;ur que vertus. Non, ce n'est pas qu'une belle et
+honneste dame aime dans son c&oelig;ur, mais une bonne joissance, sage,
+discrete et secrete. Enfin, comme dist un jour une honneste dame lisant
+cette histoire, c'estoit un sot que Scipion, tout brave et gnreux
+capitaine qu'il fust, d'aller obliger des personnes soy et au party
+romain par un si sot moyen, qu'il eust pu faire par un autre plus
+convenable, et mesmes puis que c'estoit un butin de guerre, duquel en
+cela on doit triompher autant ou plus que de toute autre chose. Le grand
+fondateur de sa ville ne fit pas ainsi, quand les belles dames sabines
+furent ravies, l'endroit de celle qu'il eust pour sa part, et en fit
+son bon plaisir, sans aucun respect; dont elle s'en trouva bien, et ne
+s'en soucia guires, ny elle ny ses compagnes, qui firent leur accord
+aussi-tost avec leurs marys et ravisseurs, et ne s'en formalisrent
+comme leurs peres et meres, qui en firent esmouvoir grosse guerre. Il
+est vray qu'il y a gens et gens, femmes et femmes, qui ne veulent
+accointance de tout le monde en cette faon: et toutes ne sont pareilles
+ la femme du roy Ortragon, l'un des roys gaulois d'Asie, qui fut belle
+en perfection; et, ayant est prise en sa deffaite par un centenier
+romain, et sollicite de son honneur, la trouvant ferme, elle qui eut
+horreur<a name="page_177" id="page_177"></a> de se prostituer luy, et une personne si vile et basse, il
+la prit par force et violence, que la fortune et advanture de guerre lui
+avoit donn par droit d'esclavitude; dont bien-tost il s'en repentit et
+en eut la vengeance; car elle luy ayant promis une grande ranon pour sa
+libert, et tous deux estants allez au lieu assign pour en toucher
+l'argent, le fit tuer ainsi qu'il le contoit, et puis l'emporta et la
+teste son mary, auquel confessa librement que celuy-l lui avoit viol
+vritablement sa chastet, mais qu'elle en avoit eu la vengeance en
+cette faon: ce que son mary l'approuva et l'honora grandement. Et
+depuis ce temps-l, dit l'histoire, conserva son honneur jusques au
+dernier de sa vie avec toute saintet et gravit: enfin elle en eut ce
+bon morceau, fust qu'il vint d'un homme de peu. Lucrce n'en fit pas de
+mesme, car elle n'en tasta point, bien qu'elle fust sollicite d'un
+brave roy: en quoy elle fit doublement de la sotte, de ne luy complaire
+sur-le-champ et pour un peu, et de se tuer.</p>
+
+<p>Pour tourner encore Scipion, il ne savoit point encore bien le train
+de la guerre pour le butin et pour le pillage: car, ce que je tiens
+d'un grand capitaine des nostres, il n'est telle viande au monde pour
+cela qu'une femme prise de guerre, et se mocquoit de plusieurs autres de
+ses compagnons, qui recommandoient sur toutes choses, aux assauts et
+surprises des villes, l'honneur des dames, mesmes aux autres lieux et
+rencontres: car elles aiment les hommes de guerre toujours plus que les
+autres, et leur violence leur en fait venir plus d'appetit et puis on
+n'y trouve rien redire, le plaisir leur en demeure, l'honneur des
+marys et d'elles n'en est nullement honny; et puis les voil bien
+gastes! et qui plus est, sauvent les biens et les vies de leurs marys,
+ainsi que la belle Eunoe, femme de Bogud ou Bocchus, roy de Mauritanie,
+ laquelle Csar fit de grands biens et son mary, non tant, faut-il
+croire, pour avoir suivy son party, comme Juba, roy de Bithynie, celuy
+de Pompe, mais parce que c'estoit une belle femme, et que Csar en eut
+l'accointance et douce joissance. Tant d'autres commoditez de ces
+amours y a-t-il que je passe: et toutesfois, ce disoit ce grand
+capitaine, ses autres grands compagnons pareils luy, s'amusants de
+vieilles routines et ordonnances de guerre, veulent qu'on garde
+l'honneur des femmes, desquelles il faudroit auparavant savoir en
+secret et en conscience l'advis, et puis en dcider: ou possible
+sont-ils du naturel de notre Scipion, lequel, ne se contentant tenir de
+celuy du chien de l'ortolan, lequel, comme<a name="page_178" id="page_178"></a> j'ay dit cy-devant, ne
+voulant manger des choux du jardin, empesche que les autres n'en
+mangent. Ainsi qu'il fit l'endroit du pauvre Massinissa, lequel ayant
+tant de fois hazard sa vie pour luy et pour le peuple romain, tant
+pein, su et travaill pour lui acqurir gloire et victoire, il luy
+refusa et osta la belle reyne Sophonisba, qu'il avoit prise et choisie
+pour son principal et prcieux butin: il la luy enleva pour l'envoyer
+Rome vivre le reste de ses jours en misrable esclave, si Massinissa
+n'y eust remedi. Sa gloire en fust est plus belle et plus ample si
+elle eust comparu en glorieuse et superbe reyne, femme de Massinissa, et
+que l'on eust dit, la voyant passer: Voil l'une des belles vestiges
+des conquestes de Scipion; car la gloire certes gist bien plus en
+l'apparence des choses grandes et hautes, que des basses. Pour fin,
+Scipion en tout ce discours fit de grandes fautes, ou bien il estoit
+ennemy du tout du sexe fminin, ou du tout impuissant de le contenter,
+bien qu'on die que sur ses vieux jours il se mit faire l'amour une
+des servantes de sa femme: ce qu'elle comporta fort patiemment pour des
+raisons qui se pourroient l-dessus allguer. Or, pour sortir de la
+digression que je viens d'en faire, et pour rentrer au plain chemin que
+j'avois laiss, je dis, pour faire fin ce discours, que rien au monde
+n'est si beau voir et regarder qu'une belle femme pompeusement
+habille, ou dlicatement deshabille et couche, mais qu'elle soit
+saine, nette, sans tare, suros ny mallandre, comme j'ay dit. Le roy
+Franois disoit qu'un gentilhomme, tant superbe soit-il, ne sauroit
+mieux recevoir un seigneur, tant grand soit-il, en sa maison ou
+chasteau, mais qu'il y opposast sa vue et premire rencontre une belle
+femme sienne, un beau cheval et un beau levrier: car, en jettant son
+&oelig;il tantost sur l'un, tantost sur l'autre, et tantost sur le tiers,
+il ne se sauroit jamais fascher en cette maison; mettant ces trois
+choses belles pour trs-plaisantes voir et admirer, et en faisant cet
+exercice trs-agrable. La reyne de Castille disoit qu'elle prenoit un
+trs-grand plaisir de voir quatre choses: <i>Hombre d'armas en campo,
+obisbo puesto en pontifical linda dama en la cama, y ladron en la
+horca</i>. C'est--dire: Un homme d'armes sur les champs, un vesque en
+son pontifical, une belle dame dans un lict, et un larron au gibet.</p>
+
+<p>J'ay ouy raconter feu M. le cardinal de Lorraine le Grand, dernier
+dcd, que, lorsqu'il alla Rome vers le pape Paul IV, pour rompre la
+treve faite avec l'Empereur, il passa Venise, o il fut
+trs-honorablement receu. Il n'en faut point douter,<a name="page_179" id="page_179"></a> puis qu'il estoit
+un si grand favory d'un si grand roy. Tout ce grand et magnifique snat
+alla au-devant de luy; et, passant par le grand canal, o toutes les
+fenestres des maisons estoient bordes de toutes les femmes de la ville,
+et des plus belles, qui estoient l accourues pour voir cette entre, il
+y en eut un des plus grands qui l'entretenoit sur les affaires de
+l'Estat, et luy en parloit fort: mais, ainsi qu'il jettoit fort les yeux
+fixement sur ces belles dames, il luy dit en son patois langage:
+Monseigneur, je crois que vous ne m'entendez, et avez raison, car il y
+a bien plus de plaisir et difference de voir ces belles dames ces
+fenestres, et se ravir en elles, que d'ouyr parler un fascheux vieillard
+comme moy, et parlast-il de quelque grande conqueste vostre
+advantage. M. le cardinal, qui n'avoit faute d'esprit et de mmoire,
+luy respondit de mot mot tout ce qu'il avoit dit; laissant ce bon
+vieillard fort satisfait de luy, et en admirable estime qu'il eut de luy
+qui, pour s'amuser la veu de ces belles dames, il n'avoit rien oubli
+ny obmis de ce qu'il luy avoit dit. Qui aura veu la Cour de nos roys
+Franois premier et Henry deuxiesme et autres roys ses enfants, advouera
+bien, quel qu'il soit, et eust-il veu tout le monde, n'avoir rien veu
+jamais de si beau que nos dames qui sont estes en leur Cour, et de nos
+reynes, leurs femmes, meres et s&oelig;urs; mais plus belle chose encore
+eust-il veu, ce dit quelqu'un, si le grand-pere de maistre Gonnin eust
+vescu, qui, par ses inventions, illusions et sorcelleries et
+enchantements, les eust peu reprsenter devestues et nues, comme l'on
+dit qu'il le fit une fois en quelque compagnie prive, que le roy
+Franois luy commanda; car il estoit un homme fort expert et subtil en
+son art; et son petit-fils, que nous avons veu, n'y entendoit rien au
+prix de luy. Je pense que cette veu seroit aussi plaisante comme fut
+jadis celle des dames gyptiennes en Alexandrie l'accueil et rception
+de leur grand dieu Apis, au devant duquel elles alloient en trs-grande
+crmonie, et levant leurs robbes, cottes et chemises, et les
+retroussant le plus haut qu'elles pouvoient, les jambes fort eslargies
+et escarquilles, leur montroient leur cas tout--fait; et puis, ne le
+revoyant plus, pensez qu'elles cuidoient l'avoir bien pay de cela. Qui
+en voudra voir le conte, pu'il lise <i>Alexand. ab Alexandra</i>, au sixiesme
+livre des <i>Jours jovials</i>. Je pense que telle veu en estoit bien
+plaisante, car pour lors les dames d'Alexandrie estoient belles, comme
+encor sont aujourd'huy. Si les vieilles et laides faisoient de mesme<a
+name="page_180" id="page_180"></a> passe, car la veu ne se doit jamais
+estendre que sur le beau, et fuir le laid tant que l'on peut.</p>
+
+<p>En Suisse, les hommes et les femmes sont pesle mesle aux bains et
+estuves sans faire aucun acte deshonneste, et en sont quittes en mettant
+un linge devant: s'il est bien dli, encor peut-on voir chose qui
+plaist ou desplait, selon le beau ou le laid.</p>
+
+<p>Avant que finir ce discours, si diray-je encor ce mot. En quelles
+tentations et rcrations de veu pouvoient entrer aussi les jeunes
+seigneurs, chevaliers, gentilshommes, plbans et autres Romains, le
+temps pass, le jour que se clbroit la feste de Flora Rome, laquelle
+on dit avoir est la plus gentille et la plus triomphante courtisanne
+qu'oncques exera le putanisme dans Rome, voire ailleurs! et qui plus la
+recommandoit en cela, c'est qu'elle estoit de bonne maison et de grande
+ligne; et, pour ce, telles dames de si grande estoffe volontiers
+plaisent plus, et la rencontre en est plus excellente que des autres.
+Aussi cette dame Flora eut cela de bon et de meilleur que Lays, qui
+s'abandonnoit tout le monde comme une bagasse, et Flora aux grands; si
+bien que sur le seuil de sa porte elle avoit mis cet escriteau: Roys,
+princes, dictateurs, consuls, censeurs, pontifes, questeurs,
+ambassadeurs, et autres grands seigneurs, entrez, et non d'autres. Lays
+se faisoit tousjours payer avant la main, et Flora point, disant qu'elle
+faisoit ainsi avec les grands, afin qu'ils fissent de mesme avec elle
+comme grands et illustres, et aussi qu'une femme d'une grande beaut et
+haut lignage sera tousjours autant estimee qu'elle se prise: et si ne
+prenoit si non ce qu'on luy donnoit, disant que toute dame gentille
+devoit faire plaisir son amoureux pour amour, et non pour avarice,
+d'autant que toutes choses ont certain prix, fors l'amour. Pour fin, en
+son temps elle fit si gentiment l'amour, et se fit si bravement servir,
+que quand elle sortoit du logis quelquesfois pour se promener en ville,
+il y avoit assez parler d'elle pour un mois, tant pour sa beaut, ses
+belles et riches parures, ses superbes faons, sa bonne grace, que pour
+la grande suite des courtisans et serviteurs, et grands seigneurs qui
+estoient avec elle, et qui la suivoient et accompagnoient comme vrays
+esclaves, ce qu'elle enduroit fort patiemment: et les ambassadeurs
+estrangers, quand ils s'en retournoient en leurs provinces, se
+plaisoient plus faire des contes de la beaut et singularit de la
+belle Flora que de la grandeur de la rpublique de Rome, et sur-tout de
+sa grande libralit, contre le naturel pourtant<a name="page_181" id="page_181"></a> de telles dames; mais
+aussi estoit-elle outre le commun, puisqu'elle estoit noble. Enfin elle
+mourut si riche et si opulente, que la valeur de son argent, meubles et
+joyaux, estoit suffisante pour refaire les murs de Rome, et encor pour
+desengager la Rpublique. Elle fit le peuple romain son hritier
+principal, et pour ce luy fut difi dans Rome un temple trs-somptueux,
+qui de Flora fut appel Florian.</p>
+
+<p>La premire feste que l'empereur Galba clbra jamais fut celle de
+l'amoureuse Flora, en laquelle estoit permis aux Romains et Romaines de
+faire toutes les desbauches, deshonnestetez, sallauderies et
+dbordements l'envy dont se pourroient adviser; en sorte que l'on
+estimoit la plus sainte et la plus gallante celle qui, ce jour-l,
+faisoit plus de la dissolue et de la deshonnestetez dborde. Pensez
+qu'il n'y avoit ny fiscaigne (que les chambrieres et esclaves mores
+dansent les dimanches Malthe en pleine place devant le monde), ny
+sarabande qui en approchast, et qu'elles n'y oublioient ny mouvement ny
+remuements lascifs, ny gestes paillards, ny tordions bizarres; et qui en
+pouvoit escogiter de plus dissolus et dbordez, tant plus gallante
+estoit la dame; d'autant que telle opinion estoit parmi les Romains,
+que, qui alloit au temple de cette desse en habit et geste et faon
+plus lascive et paillarde, auroit mesme grace et opulents biens que
+Flora avoit eu. Vrayment voil de belles opinions et belle solemnisation
+de festes; aussi estoient-ils payens: l-dessus ne faut douter si elles
+y oublioient nul genre de lascivet, et si longtemps avant ces bonnes
+dames estudioient leurs leons, ny plus ny moins que les nostres
+apprendre un ballet, et si elles estoient affectionnes en cela. Les
+jeunes hommes, voire les vieux, y estoient bien autant empressez voir
+et contempler telles lascives simagres. Si telles se pouvoient
+reprsenter parmy nous, le monde en feroit bien son proffit en toutes
+sortes; et pour estre telles veus le monde se tueroit de la presse.
+Il y a assez-l gloser qui voudra; je le laisse aux bons galands:
+qu'on lise Suetone, Pausanias grec et Manilius latin, aux livres qu'ils
+ont fait des dames illustres, fameuses et amoureuses, on verra tout. Ce
+conte encor, et puis plus.</p>
+
+<p>Il se lit que les Lacdmoniens allrent une fois pour mettre le sige
+devant Messene, quoy les Mecniens les prvindrent, car ils sortirent
+d'abord sur eux les uns et les autres, tirerent et coururent
+Lacdmone, pensant la surprendre et la piller cependant<a
+name="page_182" id="page_182"></a> qu'ils s'amusoient devant leur ville;
+mais ils furent valeureusement repousss et chasss par les femmes qui
+estoient demeures: ce que sachants, les Lacdmoniens rebroussrent
+chemin et tournerent vers leur ville: mais de loin ils decouvrent leurs
+femmes toutes en armes, qui avoient donn la chasse, dont ils furent en
+alarme; mais elles se firent aussi-tost eux recognoistre et leur
+racontrent leur fortune, dont ils se mirent de joie les baiser,
+embrasser et caresser, de telle sorte que, perdants toute honte, et sans
+avoir la patience d'oster leurs armes, ny eux ni elles, leur firent cela
+bravement en mesme place qu'ils les rencontrrent, o l'on put voir
+choses et autres, et ouyr un plaisent son et cliquetis d'armes et
+d'autre chose; en mmoire de quoy ils firent bastir un temple et
+simulacre la desse Vnus, qu'ils appelrent <i>Vnus l'arme</i>, au
+contraire de tous les autres, qui la peignent toute nue. Voil une
+plaisante cohabitation, et un beau sujet de peindre Vnus arme, et
+l'appeler ainsi! Il se voit souvent parmi les gens de guerres, mesmes
+aux prises de villes par assauts, force soldats tous arms joir des
+femmes, n'ayant le loisir et la patience de se dsarmer pour passer leur
+rage et appetit, tant ils sont tentez; mais de voir le soldat arm
+habiter avec la femme arme, il s'en void peu. Il faut l-dessus songer
+le plaisir qui s'en peut ensuivre, et quel plus grand pouvoir estre en
+ce beau mystre, ou pour l'action ou pour la veu, ou pour la sonnerie
+des armes. Cela gist en l'imagination qu'on en pourroit faire, tant pour
+les agents que pour les arregardants qui estoient l pour lors. Or c'est
+assez, faisons fin: j'eusse fait ce discours plus ample de plusieurs
+exemples, mais je craignois que, pour estre trop lascif, j'en eusse
+encouru mauvaise reputation.</p>
+
+<p>Si faut-il qu'aprs avoir tant lo les belles femmes, que je fasse le
+conte d'un Espagnol qui, voulant mal une femme, me le dpeignit un
+jour comme il falloit, et me dit: <i>Senor, vieja; es como la lampada
+azeintunada d'iglesia, y de hechura del armario larga y desvayada, el
+color y gesto como mascara mal pintada, et talle como una campana mola
+de molino, la vista como idolo del tiempo antiquo, el andar y vision
+d'una antigua fantasma de la noche, que tanto tuviesse encontrar la de
+noche, come ver una mandagora. Iesus, Iesus, Dios me libre de su
+malencuentro, no se contenta de tener en su casa por huesped al provisor
+de obisbo, ny se contenta con la demasia da conversacion del vicario, ny
+del guardian, ny de la<a name="page_183" id="page_183"></a> amistad antigua del deen, sino que agora de
+nuevo atomado al que pide para las animas de purgatorio, paracabar su
+negra vida</i>. C'est--dire: Voyez-la; elle est comme une lampe vieille
+et toute graisseuse d'huile d'glise; de forme et faon, elle ressemble
+un armoire grand et vague et mal basti; la couleur et la grace comme
+d'un masque mal peint; la taille comme une cloche de monastre ou meule
+de moulin; le visage comme d'un idole du temps pass; le regard et
+l'aller comme un fantosme antique qui va de nuict: de sorte que je
+craindrois autant de la rencontrer de nuict comme de voir une
+mandragore. Jesus! Jesus! Dieu m'en garde de telle rencontre! Elle ne se
+contente pas d'avoir pour hoste ordinaire chez soy le proviseur de
+l'evesque, ny se contente de la demesure conversation du vicaire, ny de
+la continu visite du gardien, ny de l'ancienne amiti du doyen, sinon
+qu' cette heure de nouveau elle a pris en main celui qui demande pour
+les ames du Purgatoire, et ce pour achever sa noire vie. Voil comment
+l'Espagnol, qui a si bien dpeint les trente beautez d'une dame, comme
+j'ay dit cy-dessus en ce discours, quand il veut, la sait bien
+dprimer.<a name="page_184" id="page_184"></a></p>
+
+<h2><a name="DISCOURS_TROISIEME" id="DISCOURS_TROISIEME"></a>DISCOURS TROISIEME.</h2>
+
+<p class="c">Sur la beaute de la belle jambe et de la vertu qu'elle a. </p>
+
+<p>Entre plusieurs belles beautez que j'ay veu loer quelques fois parmi
+nous autres courtisans, et autant propres attirer l'amour, c'est
+qu'on estime fort une belle jambe une belle dame, dont j'ay veu
+plusieurs dames en avoir gloire, et soin de les avoir et entretenir
+belles. Entre autres, j'ay ouy raconter d'une trs-grande princesse de
+par le monde, que j'ay cogneu, laquelle aimoit une de ses dames
+par-dessus toutes les siennes, et la favorisoit par-dessus les autres,
+seulement parce qu'elle luy tiroit ses chausses si bien tendus, et en
+accommodoit la greve, et mettoit si proprement la jarretiere, et mieux
+que toute autre, de sorte qu'elle estoit fort avance auprs d'elle,
+mesme luy fit de grands biens: et par ainsi, sur cette curiosit qu'elle
+avoit d'entretenir ainsi sa jambe belle, faut penser que ce n'estoit
+pour la cacher sous sa juppe, ny son cotillon ou sa robbe, mais pour en
+faire parade quelques fois avec de beaux calleons de toille d'or et
+d'argent, ou d'autre estoffe, trs-proprement et mignonnement faits,
+qu'elle portoit d'ordinaire: car l'on ne se plaist point tant en soy,
+que l'on n'en veuille faire part d'autres de la veu et du reste.
+Cette dame aussi ne se pouvoit pas excuser en disant que c'estoit pour
+plaire son mary, comme la pluspart d'elles le disent, et mesmes les
+vieilles, quand elles se font si pimpantes et gorgiases, encores
+qu'elles soient vieilles; mais cette-cy estoit veufve: il est vray que
+du temps de son mary elle faisoit de mesme, et pour ce ne voulut
+discontinuer par amprs, l'ayant perdu. J'ay cogneu force belles,
+honnestes dames et filles, qui sont autant curieuses de tenir ainsi
+prcieuses et propres et gentilles leurs belles jambes: aussi elles en
+ont raison, car il y gist plus de lascivet qu'on ne pense. J'ay ouy
+parler d'une trs-grande dame, du temps du roy Franois, et trs-belle,
+laquelle, s'estant rompu une jambe, et se l'estant faitte rabiller, elle
+trouva qu'elle n'estoit pas bien, et estoit demeure toute torte:
+elle<a name="page_185" id="page_185"></a> fut si resolue, qu'elle se la fit rompre une autre fois au
+rabilleur, pour la remettre en son point, comme auparavant, et la rendre
+aussi belle et aussi droite. Il y en eut quelqu'une qui s'en esbahit
+fort; mais celle une autre belle dame fort entendue fit response et
+lui dit: A ce que je vois, vous ne savez pas quelle vertu amoureuse
+porte en soy une belle jambe.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay cogneu autresfois une fort belle et honneste fille de par le
+monde, laquelle estant fort amoureuse d'un grand seigneur, pour
+l'attirer soy, et en escroquer quelque bonne pratique, et n'y pouvant
+parvenir, un jour, estant en une alle de parc, et le voyant venir, elle
+fit semblant que sa jarretiere lui tomboit; et, se mettant un peu
+l'escart, haussa sa jambe, et se mit tirer sa chausse et rabiller sa
+jarretiere. Ce grand seigneur l'advisa fort, et en trouva la jambe
+trs-belle, et s'y perdit si bien, que cette jambe opra en luy plus que
+n'avoit fait son beau visage; jugeant bien en soy que ces deux belles
+colonnes soustenoient un beau bastiment; et depuis l'advoua-t-il sa
+maistresse, qui en disposa aprs comme elle voulut. Notez cette
+invention et gentille faon d'amour.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy parler aussi d'une belle et honneste dame, surtout fort
+spirituelle, de plaisante et bonne humeur, laquelle, se faisant un jour
+tirer sa chausse son vallet-de-chambre, elle luy demanda s'il
+n'entroit point pour cela en ruth, tentation et concupiscence<a name="FNanchor_69_69" id="FNanchor_69_69"></a><a href="#Footnote_69_69" class="fnanchor">[69]</a>:
+encore dit-elle et franchit le mot tout outre. Le vallet, pensant bien,
+pour le respect qu'il luy portoit, respondit que non. Elle soudain,
+haussant la main, luy donna un grand soufflet. Allez, dit-elle, vous ne
+me servirez jamais plus; vous estes un sot, je vous donne vostre cong.
+Il y a force vallets de filles aujourd'huy qui ne sont si continents, en
+levant, habillant et chaussant leurs maistresses: il y a aussi des
+gentilshommes qui n'eussent fait ce trait, voyant un si bel appas.</p>
+
+<p>Ce n'est d'aujourd'huy seulement que l'on a estim la beaut des belles
+jambes et beaux pieds, car c'est une mesme chose; mais, du temps des
+Romains, nous lisons que Lucius Vitellius, pere de l'empereur Vitellius,
+estant fort amoureux de Messaline, et desirant estre en grace avec son
+mary par son moyen, la pria<a name="page_186" id="page_186"></a> un jour de luy faire cet honneur de luy
+accorder un don. L'Emperiere luy demanda: Et quoy?&mdash;C'est, madame,
+dit-il, qu'il vous plaise qu'un jour je vous deschausse vos escarpins.
+Messaline, qui estoit toute courtoise pour ses sujets, ne luy voulut
+refuser cette grace; et l'ayant deschausse, en garda un escarpin et le
+porta tousjours sur soy entre la chemise et la peau, le baisant le plus
+souvent qu'il pouvoit, adorant ainsi le beau pied de sa dame par
+l'escarpin, puisqu'il ne pouvoit avoir sa disposition le pied naturel
+ny la belle jambe. Vous avez le Milord d'Angleterre des <i>Cent Nouvelles
+de la Reyne de Navarre</i>, qui porta de mesme le gand de sa maistresse
+son cost, et si bien enrichy. J'ay cogneu force gentilshommes qui,
+premier que porter leurs bas de soye, prioient les dames et maistresses
+de les essayer et les porter devant eux quelques huict ou dix jours, du
+plus que du moins, et puis les portoient en trs-grand vnration et
+contentement d'esprit et de corps.</p>
+
+<p>&mdash;J'ai cogneu un seigneur de par le monde, qui, estant sur la mer avec
+une grande dame des plus belles du monde, qui, voyageant par son pays,
+et d'autant que ses femmes estoient malades de la marette, et par ce
+trs-mal disposes pour la servir, le bonheur fut pour luy qu'il fallut
+qu'il la couchast et levast; mais en la couchant et levant, la chaussant
+et deschaussant, il en devint si amoureux qu'il s'en cuida desesprer,
+encor qu'il luy fust proche: comme certes la tentation en est par trop
+extresme, et il n'y a nul si mortifi qui ne s'en esmeust. Nous lisons
+de Poppea Sabina, femme de Nron, qui estoit la plus favorite des
+siennes, laquelle, outre qu'elle fut la plus profuse en toutes sortes de
+superflutez, d'ornements, de parures, de pompes et de ses coustrements
+d'habits, elle portoit des escarpins et pianelles toutes d'or. Cette
+curiosit ne tendoit pas pour cacher sa jambe ny son pied Nron, son
+cocu de mary: luy seul n'en avoit pas tout le plaisir ny la veu, il y
+en avoit bien d'autres. Elle pouvoit bien avoir cette curiosit pour
+elle, puisqu'elle faisoit ferrer les pieds de ses juments qui
+traisnoient son coche de fers d'argent. M. Saint Jerosme reprend bien
+fort une dame de son temps qui estoit trop curieuse de la beaut de sa
+jambe, par ces propres mots: Par la petite botine brunette, et bien
+tire et luisante, elle sert d'appeau aux jeunes gens, et d'amorces par
+le son des bouclettes. Pensez que c'estoit quelque faon de chaussure
+qui couroit de ce temps-l, qui estoit par trop affete,<a
+name="page_187" id="page_187"></a> et peu sante aux prudes femmes. La
+chaussure de ces botines est encore aujourd'huy en usage parmy les dames
+de Turquie, et des plus grandes et plus chastes. J'ay veu discourir et
+faire question quelle jambe estoit plus tentative et attrayante, ou la
+nue ou la couverte et chausse. Plusieurs croyent qu'il n'y a que le
+naturel, mesme quand elle est bien faite au tour de la perfection et
+selon la beaut que dit l'Espagnol que j'ay dit cy-devant, et qu'elle
+est bien blanche, belle et bien polie, et monstre propos dans un beau
+lict; car autrement, si une dame la vouloit monstrer toute nue en
+marchant ou autrement, et des souliers aux pieds, quand bien elle seroit
+la plus pompeusement habille du monde, elle ne seroit jamais trouve
+bien dcente ny belle; comme une qui seroit bien chausse d'une belle
+chaussure de soye de couleur ou de fillet blanc, comme on fait
+Fleurence pour porter l'est, dont j'ay veu d'autresfois nos dames en
+porter avant le grand usage que nous avons eu depuis des chausses de
+soye; et aprs faudroit qu'elle fust tire et tendue comme la peau d'un
+tabourin, et puis attache ou avec esguillettes ou autrement, selon la
+volont et l'humeur des dames: puis faut accompagner le pied d'un bel
+escarpin blanc, et d'une mule de velours noir ou d'autre couleur, ou
+bien d'un beau petit patin, tant bien fait que rien plus, comme j'en ay
+veu porter une trs-grande dame de par le monde, des mieux faits et
+plus mignonnement. En quoy faut adviser aussi la beaut du pied; car
+s'il est par trop grand il n'est plus beau; s'il est par trop petit, il
+donne mauvaise opinion et signifiance de sa dame, d'autant qu'on dit
+<i>petit pied grand c..</i>, ce qui est un peu odieux: mais il faut qu'il
+soit un peu mediocre, comme j'en ay veu plusieurs qui en ont port
+grandes tentations, et mesmes quand leurs dames le faisoient sortir et
+paroistre demy hors du cotillon, et le faisoient remer et fretiller
+par certains petits tours et remuements lascifs, estant couverts d'un
+beau petit patin peu lig, et d'un escarpin blanc, pointu et point
+quarr par le devant, et le blanc est le plus beau. Mais ces petits
+patins et escarpins sont pour les grandes et hautes femmes, non pour les
+courtaudes et nabottes, qui ont leurs grands chevaux de patins ligs de
+deux pieds: autant vaudroit voir remer cela comme la massue d'un gant
+ou la marotte d'un fou. D'une autre chose aussi se doit bien garder la
+dame, de ne dguiser son sexe, et ne s'habiller en garon, soit pour une
+mascarade ou autre chose: car encor qu'elle eust la plus belle jambe<a
+name="page_188" id="page_188"></a> du monde, elle s'en monstre difforme,
+d'autant qu'il faut que toutes choses ayent leur proprit et leur
+sance; tellement qu'en dementant leur sexe, defigurent du tout leur
+beaut et gentillesse naturelle. Voyl pourquoy il n'est bien-sant
+qu'une femme se garonne pour se faire monstrer plus belle, si ce n'est
+pour se gentiment adoniser d'un beau bonnet avec la plume la Guelfe ou
+Gibeline attache, ou bien au-devant du front, pour ne trancher ny de
+l'un ny de l'autre, comme depuis peu de temps nos dames d'aujourd'huy
+l'ont mis en vogue: mais pourtant toutes il ne sied pas bien; il faut
+en avoir le visage poupin et fait exprs, ainsi que l'on a vu nostre
+reyne de Navarre, qui s'en accommodoit si bien, qu' voir le visage
+seulement adonis, on n'eust sceu juger de quel sexe elle tranchoit, ou
+d'un beau jeune enfant, ou d'une trs-belle dame qu'elle estoit.</p>
+
+<p>Dont il me souvient qu'une de par le monde que j'ay cogneue qui, la
+voulant imiter sur l'age de vingt-cinq ans, et de par trop haute et
+grande taille, hommasse et nouvellement venu la Cour, pensant faire
+de la galante, comparut un jour en la salle du bal, et ne fut sans estre
+fort regarde et assez brocarde, jusques au Roy qui en donna aussi-tost
+sa sentence, car il disoit des mieux de son royaume, et dit qu'elle
+ressembloit fort bien une batteleuse, ou, pour dire plus proprement, de
+ces femmes en peinture que l'on porte de Flandres, et que l'on met
+au-devant des chemines d'hostellerie et cabarets avec des fleustes
+d'Allemant au bec; si bien qu'il luy fit dire, si elle comparessoit plus
+en cet habit et contenance, qu'il luy feroit signifier de porter sa
+fleuste pour donner l'aubade et rcration la noble compagnie. Telle
+guerre lui fit-il, autant pour ce que cette coiffure lui soit mal, que
+pour haine qu'il portoit son mary. Voil pourquoy tels dguisements ne
+siezent bien toutes dames; car quand bien cette reyne de Navarre, qui
+est la plus belle du monde, se fust voulu autrement dguiser de son
+bonnet, elle n'eust jamais comparu si belle comme elle est, et n'eust
+peu: aussi, qu'auroit-elle sceu prendre forme plus belle que la sienne,
+car de plus belle n'en pouvoit-elle prendre n'y emprunter de tout le
+monde? Et si elle eust voulu monstrer sa jambe, que j'ay ouy dire
+aucunes de ses femmes, et la peindre pour la plus belle et mieux faite
+du monde, autrement qu'en son naturel, ou bien estant chausse
+proprement sous ses beaux habits, on ne l'eust jamais trouve si belle.
+Ainsi faut-il que les belles dames comparoissent et fassent monstre de
+leurs beautez.<a name="page_189" id="page_189"></a></p>
+
+<p>&mdash;J'ay lu dans un livre espagnol, intitul <i>el Viage del Principe</i><a name="FNanchor_70_70" id="FNanchor_70_70"></a><a href="#Footnote_70_70" class="fnanchor">[70]</a>,
+qui fut celui que le roy d'Espagne fit en ses Pays-Bas du temps de
+l'empereur Charles son pre, entr'autres beaux recueils qu'il receut
+parmi ses riches et opulentes villes, ce fut de la reyne d'Hongrie en sa
+belle ville de Bains, dont le proverbe dit: <i>Mas brava que las fiestas
+de Bains</i><a name="FNanchor_71_71" id="FNanchor_71_71"></a><a href="#Footnote_71_71" class="fnanchor">[71]</a>. Entre autres magnificences fut que, durant le sige d'un
+chasteau qui fut battu en feinte, et assig en forme de place de guerre
+(je le descris ailleurs), elle fit un jour un festin, sur tous autres,
+l'Empereur son bon frre, la reyne Eleonor sa s&oelig;ur, au Roy son
+nepveu, et tous les seigneurs, chevaliers et dames de la Cour. Sur la
+fin du festin comparut une dame, accompagne de six nymphes Orades,
+vestues l'antique, la nymphale et mode de la vierge chasseresse,
+toutes vestues d'une toille d'argent et vert, et un croissant au front,
+tout couvert de diamants, qu'ils sembloient imiter la lueur de la lune,
+portant chacune son arc et ses flches en la main, et leurs carquois
+fort riches au cost, leurs botines de mesme toille d'argent, tant bien
+tires que rien plus. Et ainsi entrrent en la salle, menans leurs
+chiens aprs elles, et prsentrent l'Empereur, et luy mirent sur sa
+table toute sorte de venaison en paste, qu'elles avoient prise en leur
+chasse. Et, aprs, vint Pals, la desse des pasteurs, avec six nymphes
+Napes, vestues toutes de blanc de toille d'argent, avec les garnitures
+de mesme en la teste, toutes couvertes de perles; et avoient aussi des
+chausses de pareille toille avec l'escarpin blanc, qui portrent de
+toute sorte de laitage, et le posrent devant l'Empereur. Puis, pour la
+troisime bande, vint la desse Pomona, avec ses nymphes Nayades, qui
+portrent le dernier service du fruict. Cette desse estoit la fille de
+donna Batrix Pacheco, comtesse d'Autremont, dame d'honneur de la reyne
+Eleonor, laquelle pouvoit avoir alors que neuf ans. C'est celle qui est
+aujourd'huy madame l'admirale de Chastillon, que M. l'admiral espousa en
+secondes nopces; laquelle fille et desse apporta, avec ses compagnes,
+toutes sortes de fruicts qui se pouvoient alors trouver, car c'estoit en
+est, des plus beaux et plus exquis, et les prsenta l'Empereur avec
+une harangue si loquente, si belle, et prononce de si bonne grace,
+qu'elle s'en fit fort aimer et admirer<a name="page_190" id="page_190"></a> de l'Empereur et de toute
+l'assemble, veu son jeune age, que ds lors on prsagea qu'elle seroit
+ce qu'elle est aujourd'huy, une belle, sage, honneste, vertueuse, habile
+et spirituelle dame. Elle estoit pareillement habille la nymphale
+comme les autres, vestue de toilles d'argent et blanc, chausse de
+mesme, et garnie la teste de force pierreries; mais c'estoient toutes
+esmeraudes, pour reprsenter en partie la couleur du fruict qu'elles
+apportoient; et outre le prsent du fruict, elle en fit un l'Empereur
+et au roy d'Espagne d'un rameau de victoire tout esmaill de verd, les
+branches toutes charges de grosses perles et pierreries, ce qui estoit
+fort riche voir et inestimable; la reyne Eleonor un esvantail, avec
+un mirouer dedans, tout garni de pierreries de grande valeur. Certes
+cette princesse et reyne d'Hongrie monstroit bien qu'elle estoit une
+honneste dame en tout, et qu'elle savoit son entregent aussi bien que le
+mestier de la guerre; et ce que j'ay ouy dire, l'Empereur son frre
+avoit un grand contentement et soulagement d'avoir une si honneste
+s&oelig;ur et digne de luy. Or, l'on me pourroit objecter pourquoy j'ay
+fait cette disgression en forme de discours. C'est pour dire que toutes
+ces filles, qui avoient jou ces personnages avoient est choisies et
+prises pour les plus belles d'entre toutes celles des reynes de France
+et de Hongrie et madame de Lorraine, qui estoient franoises,
+italiennes, flamandes, allemandes et lorraines; parmy lesquelles n'y
+avoit faute de beaut; et Dieu sait si la reyne d'Hongrie avoit est
+curieuse d'en choisir de plus belles et de meilleure grace. Madame de
+Fontaine-Chalandry, qui est encore en vie, en sauroit bien que dire, qui
+estoit lors fille de la reyne Eleonor, et des plus belles: on l'appeloit
+aussi la belle Torcy, qui m'en a bien cont. Tant il y a que je tiens
+d'elle et d'ailleurs, que les seigneurs, gentilshommes et cavaliers de
+cette cour, s'amusrent regarder et contempler les belles jambes,
+greves et beaux petits pieds de ces dames; car, vestues ainsi la
+nymphale, elles estoient courtement habilles et en pouvoient faire une
+trs belle monstre, plus que de leurs beaux visages qu'ils pouvoient
+voir tous les jours, mais non leurs belles jambes; dont aucuns en
+vindrent plus amoureux par la veu et monstre d'icelles belles jambes,
+que non pas de leurs belles faces; d'autant qu'au dessus des belles
+colonnes, coustumirement il y a de belles corniches de frize, de beaux
+architraves, riches chapiteaux, bien polis et entaills. Si faut-il que
+je fasse<a name="page_191" id="page_191"></a> encor cette digression et que j'en fasse ma fantaisie, puisque
+nous sommes sur les feintes et reprsentations. Quasi en mesme temps que
+ces belles festes se faisoient es Pays-Bas, et surtout Bains, sur la
+rception du roy d'Espagne, se fit l'entre du roy Henry, tournant de
+visiter son pays de Piedmond et ses garnisons Lyon, qui certes fut des
+belles et plus triomphantes, ainsi que j'ay ouy dire d'honnestes dames
+et gentilshommes de la Cour qui y estoient. Or, si cette feinte et
+reprsentation de Diane et de sa chasse fut trouve belle en ce royal
+festin de la reyne d'Hongrie, il s'en fit une Lyon, qui fut bien autre
+et mieux imite; car, ainsi que le Roy marchoit, venant rencontrer un
+grand oblisque l'antique, cost de la main droite, il rencontra de
+mesme un prau ceint, sur le grand chemin, d'une muraille de quelque peu
+plus de six pieds de hauteur, et ledit prau aussi haut de terre, lequel
+avoit est distinctement remply d'arbres de moyenne fustaye,
+entreplantez de taillis espais et force de touffes d'autres petits
+arbrisseaux, avec aussi force arbres fruitiers. Et en cette petite
+forest s'esbattoient force petits cerfs tous en vie, biches, chevreuils,
+toutefois privez. Et lors Sa Majest entrouyt aucuns cornets et trompes
+sonner, et tout aussitost apperceut venir, au travers ladite forest,
+Diane chassant avec ses compagnes et vierges forestires, elle tenant
+la main un riche arc turquois, avec sa trousse pendant au cost,
+accoutre en atours de nymphe, la mode que l'antiquit nous la
+reprsente encore; son corps estoit vestu avec un demy bas six grands
+lambeaux ronds de toile d'or noire, seme d'estoiles d'argent, les
+manches et le demeurant de satin cramoisy, avec profilure d'or, trousse
+jusques demy jambe, decouvrant sa belle jambe et greve, et ses botines
+ l'antique de satin cramoisy, couvertes de perles en broderie: ses
+cheveux estoient entrelacs de gros cordons de riches perles, avec
+quantit de pierreries et joyaux de grand valeur; et au dessus du front
+un petit croissant d'argent, brillant de menus petits diamants; car d'or
+ne fust est si beau ny si bien reprsentant le croissant naturel, qui
+est clair et argentin.</p>
+
+<p>Ses compagnes estoient accoutres de diverses faons d'habits et de
+taffetas rayez d'or, tant plein que vuide, le tout l'antique, et de
+plusieurs autres couleurs l'antique, entremesles tant pour la
+bizarret que pour la gayt; les chausses et botines de satin; leurs
+testes adornes de mesme la nymphale, avec force perles<a
+name="page_192" id="page_192"></a> et pierreries. Aucunes conduisoient des
+limiers et petits levriers, espaigneuls et autres chiens, en laisse avec
+des cordons de soye blanche et noire, couleurs du Roy pour l'amour d'une
+dame du nom de Diane qu'il aimoit: les autres accompagnoient et
+faisoient courre les chiens courants qui faisoient grand bruit. Les
+autres portoient de petits dards de bresil, le fer dor avec de petites
+et gentilles houppes pendantes, de soye blanche et noire, les cornets et
+trompes mornes d'or et d'argent pendantes en escharpes cordons de fil
+d'argent et soye noire. Et ainsi qu'elles apperceurent le Roy, un lion
+sortit du bois, qui estoit priv et fait de longue main cela, qui se
+vint jetter aux pieds de la dite desse, lui faisant feste; laquelle, le
+voyant ainsi doux et priv, le prit avec un gros cordon d'argent et de
+soye noire, et sur l'heure le prsenta au Roy; et s'approchant avec le
+lion jusque sur le bord du mur du prau joignant le chemin, et un pas
+prs de Sa Majest, lui offrit ce lion par un dixain en rime, tel qu'il
+se faisoit de ce temps, mais non pourtant trop mal lime et sonnante; et
+par icelle rime, qu'elle pronona de fort bonne grace, sous ce lion doux
+et gracieux luy offroit sa ville de Lyon, toute douce, gracieuse, et
+humilie ses loix et commandements. Cela dit et fait de fort bonne
+grace, Diane et toutes ses compagnes lui firent une humble rvrence,
+qui, les ayant toutes regardes et salues de bon &oelig;il, monstrant
+qu'il avoit trs-agrable leur chasse, et les en remerciant de bon
+c&oelig;ur, se partit d'elles et suivit son chemin de son entre. Or notez
+que cette Diane et toutes ses belles compagnes estoient les plus
+apparentes et belles femmes maries, veufves et filles de Lyon, o il
+n'y en a point de faute, qui joerent leurs mystres si bien et de si
+bonne sorte, que la pluspart des princes, seigneurs, gentilhommes et
+courtisans, en demeurrent fort ravis. Je vous laisse penser s'ils en
+avoient raison. Madame de Valentinois, dite Diane de Poictiers, que le
+Roy servoit, au nom de laquelle cette chasse se faisoit, n'en fut pas
+moins contente, et en aima toute sa vie fort la ville de Lyon; aussi
+estoit-elle leur voisine, cause de la duch de Valentinois qui en est
+fort proche. Or, puis que nous sommes sur le plaisir qu'il y a de voir
+une belle jambe, il faut croire, comme j'ay ouy dire, que non le Roy
+seulement, mais tous ces gallants de la Cour, prirent un beau et
+merveilleux plaisir contempler et mirer celles de ces belles nymphes
+si folastrement accoutres et retrousses, qu'elles en donnoient autant
+ou plus de tentation pour monter<a name="page_193" id="page_193"></a> au second estage, que d'admiration et
+de sujet loer une si gentille invention.</p>
+
+<p>Pour laisser donc notre digression et retourner o je l'avois prise, je
+dis que nous avons veu faire en nos Cours et reprsenter par nos Reynes,
+et principalement par la Reyne-mere, de fort gentils ballets; mais
+d'ordinaire, entre nous autres courtisans, nous jettions nos yeux sur
+les pieds et jambes des dames qui les reprsentoient, et prenions par
+dessus trs-grand plaisir leur voir porter leurs jambes si gentiment, et
+demener et fretiller leurs pieds si affettement que rien plus; car leurs
+robbes et cottes estoient bien plus courtes que de l'ordinaire, mais non
+pourtant si bien la nymphale que de l'ordinaire, ny si hautes comme il
+le falloit et qu'on eust desir; nantmoins nos yeux s'y baissoient un
+peu, et mesme lorsqu'on dansoit la volte, qui, en faisant voleter la
+robbe, monstroit toujours quelque chose agrable la veu, dont j'en ay
+veu plusieurs s'y perdre et s'en ravir entr'eux-mesmes. Ces belles dames
+de Sienne, au commencement de la rvolte de leur ville et rpublique,
+firent trois bandes des plus belles et des plus grandes dames qui
+fussent; chacune bande montoit mille, qui estoit en tout trois mille,
+l'une vestue de taffetas violet, l'autre de blanc, et l'autre incarnat;
+toutes habilles la nymphale d'un fort court accoustrement, si-bien
+qu' plein elles monstroient la belle jambe et belle greve; et firent
+ainsi leur monstre par la ville devant tout le monde, et mesme devant M.
+le cardinal de Ferrare et M. de Thermes, lieutenants-gnraux de nostre
+roy Henry; toutes resolues, et promettant de mourir pour la rpublique
+et pour la France, et toutes prestes de mettre la main l'&oelig;uvre pour
+la fortification de la ville, comme desj elles avoient la fascine sur
+l'espaule; ce qui rendit en admiration tout le monde. Je mets ce conte
+ailleurs, o je parle des femmes gnreuses; car il touche l'un des plus
+beaux traits qui fut jamais fait parmy galantes dames. Pour ce coup je
+me contenteray de dire que j'ay ouy raconter plusieurs gentilshommes
+et soldats, tant Franois qu'estrangers, mesmes aucuns de la ville,
+que jamais chose du monde plus belle ne fut veu, cause qu'elles
+estoient toutes grandes dames, et principales citadines de ladite ville,
+les unes plus belles que les autres, comme l'on sait qu'en cette ville
+la beaut n'y manque point parmy les dames, car elle y est trs-commune;
+mais s'il faisoit beau voir leur beau visage, il faisoit bien autant
+beau voir et contempler<a name="page_194" id="page_194"></a> leurs belles jambes et greves, par leurs
+gentilles chaussures tant bien tires et accommodes, comme elles
+savent trs-bien faire, et aussi qu'elles s'estoient fait faire leurs
+robbes fort courtes la nymphale, afin de plus lgrement marcher, ce
+qui tentoit et eschauffoit les plus refroidis et mortifis; et ce qui
+faisoit bien autant de plaisir aux regardants, estoit que les visages
+estoient bien veus toujours et se pouvoient voir, mais non pas ces
+belles jambes et greves. Et ne fut sans raison qui inventa cette forme
+d'habiller la nymphale; car elle produisit beaucoup de bons aspects et
+belles &oelig;illades; car si l'accoustrement en est court, il est fendu
+par les costez, ainsi que nous voyons encor par ces belles antiquitez de
+Rome, qui en augmente davantage la veu lascive. Mais aujourd'huy les
+belles dames et filles de l'isle de Sio, quoi et qui les rend aimables?
+Certes ce sont bien leurs beautez et leurs gentillesses, mais aussi
+leurs gorgiases faons de s'habiller, et surtout leurs robbes fort
+courtes, qui monstrent plein leurs belles jambes et belles greves et
+leurs pieds affetiez et bien chausss. Surquoy il me souvient qu'une
+fois la Cour, une dame de fort belle et riche taille, contemplant une
+belle et magnifique tapisserie de chasse o Diane et toute sa bande de
+vierges chasseresses y estoient fort naifvement reprsentes, et toutes
+vestues montroient leurs beaux pieds et belles jambes, elle avoit une de
+ses compagnes auprs d'elle, qui estoit de fort basse et petite taille,
+qui s'amusoit aussi regarder avec elle icelle tapisserie; elle luy
+dit: Ha! petite, si nous nous habillions toutes de cette faon, vous le
+perdriez comptant, et n'auriez grand avantage, car vos gros patins vous
+decouvriroient, et n'auriez jamais telle grace en vostre marcher, ny
+monstrer vostre jambe, comme nous autres qui avons la taille grande et
+haute: par quoy il vous faudroit cacher et ne paroistre guires.
+Remerciez donc la saison et les robbes longues que nous portons, qui
+vous favorisent beaucoup et qui vous couvrent vos jambes si dextrement,
+qu'elles ressemblent, avec vos grands et hauts patins d'un pied de
+hauteur, plustost une massu qu'une jambe, car qui n'auroit de quoy se
+battre il ne faudroit que vous couper une jambe et la prendre par le
+bout, et du cost de vostre pied chauss et ent dans vos patins, et on
+feroit rage de bien battre. Cette dame avoit beaucoup de sujet de dire
+de telles paroles, car la plus belle jambe du monde, si elle est ainsi
+enchasse dans ces gros patins, elle perd du tout sa beaut, d'autant<a
+name="page_195" id="page_195"></a> que ce gros pied bot luy rend une
+difformit par trop grande, car si le pied n'accompagne la jambe en
+belle chaussure et gentille forme, tout n'en vaut rien. Pourquoy les
+dames qui prennent ces gros et grands lourdauts de patins pensent
+embellir et enrichir leurs tailles et par elles s'en faire mieux aimer
+et paroistre; mais de leur cost elles appauvrissent leur belle jambe et
+belle greve, qui vaut bien autant en son naturel qu'une grande taille
+contrefaite. Aussi, le temps pass, le beau pied portoit une telle
+lascivet en soy, que plusieurs dames romaines prudes et chastes, au
+moins qui le vouloient contrefaire, et encore aujourd'huy plusieurs
+autres en Italie, l'imitation du vieux temps, font autant de scrupule
+de le monstrer au monde comme leur visage, et le cachent sous leurs
+grandes robbes le plus qu'elles peuvent afin qu'on ne le voye pas, et
+conduisent en leur marcher si sagement, discretement et compassment,
+qu'il ne passe jamais devant la robbe. Cela est bon pour celles qui sont
+confites en preud'hommie ou semblance, et qui ne veulent point donner de
+tentation; nous leur devons cette obligation, mais je croy que, si elles
+avoient la libert, elles feroient monstre et du pied et de la jambe et
+d'autres choses. Aussi qu'elles veulent monstrer leurs marys, par
+certaine hypocrisie et ce petit scrupule, qu'elles sont dames de bien:
+d'ailteurs je m'en rapporte ce qui en est.</p>
+
+<p>Je say un gentilhomme fort galent et honneste, qui, pour avoir veu
+Rheims, au sacre du roy dernier, la belle jambe, chausse d'un bas de
+soie blanc, d'une belle et grande dame veufve et de haute taille, par
+dessous les eschaffaux que l'on fait pour les dames voir le sacre, en
+devint si pris, que depuis il se cuida dsesprer d'amour; et ce que
+n'avoit peu faire le beau visage, la belle jambe et la belle greve le
+firent: aussi cette dame mritoit bien en toutes ses belles parties de
+faire mourir un honneste gentilhomme. J'en ay tant cogneu d'autres
+pareils en ceste humeur. Tant y a, pour fin, ainsi que j'ay veu tenir
+par maxime plusieurs gallants courtisans mes compagnons, la monstre
+d'une belle jambe et d'un beau pied estre fort dangereuse et ensorceler
+les yeux lascifs l'amour; et je m'estonne que plusieurs bons
+escrivains, tant de nos potes qu'autres, n'en ont escrit des loanges
+comme ils ont fait d'autres parties de leur corps. De moy, j'en eusse
+crit davantage; mais j'aurois peur que, pour trop loer ces parties du
+corps, l'on m'objectast que je ne me souciasse gueres des autres, et
+aussi qu'il me faut escrire d'autres<a name="page_196" id="page_196"></a> sujets, et ne m'est permis de
+m'arrester tant sur un. Parquoy je fais fin en disant ce petit mot:
+Pour Dieu, Mesdames ne soyez si curieuses vous faire paroistre
+grandes de taille et vous monstrer autres, que vous n'advisis la
+beaut de vos jambes, lesquelles vous avez belles, au moins aucunes;
+mais vous en gastez le lustre par ces hauts patins et grands chevaux.
+Certes il vous en faut bien; mais si demesurment, vous en dgoustez le
+monde plus que vous ne pensez.</p>
+
+<p>Sur ce discours loera qui voudra les autres beautez de la dame, comme
+ont fait plusieurs potes; mais une belle jambe, une greve bien faonne
+et un beau pied, ont une grande faveur et pouvoir l'empire d'amour.<a
+name="page_197" id="page_197"></a></p>
+
+<h2><a name="DISCOURS_QUATRIEME" id="DISCOURS_QUATRIEME"></a>DISCOURS QUATRIME.</h2>
+
+<p class="c">Sur les femmes maries, les veufves et les filles; savoir
+desquelles les unes sont plus portes l'amour que les autres. </p>
+
+<p class="c">INTRODUCTION.</p>
+
+<p>Moy estant un jour Madrid la cour d'Espagne, et discourant avec une
+fort honneste dame, comme il arrive d'ordinaire, selon la coutume du
+pays, elle me vint faire cette demande: <i>Qual era mayor fuego d'amor, et
+de la biuda, et du la casada, o de la hija moa?</i> c'est--dire, quel
+estoit le plus grand feu, ou celuy de la veufve, ou de la marie, ou de
+la fille jeune. Aprs luy avoir dit mon advis, elle me dit le sien en
+telles paroles: <i>Lo que me parece desta cosa es, que aunque las moas
+con el hevor de la sangre se disponen a querer mucho, no deve ser tanto
+come lo que quieren las casadas y biudas, con la grand experiencia del
+negocio. Esta rason deve ser natural, como lo seria del que por haver
+nacido ciego, de la perfection de la luz, no puede judiciar de ella con
+tanto desseo come el que vido, y fue privado de la vista</i>; ce qui sonne
+en franois: Ce qui me semble de cette chose est qu'encore que les
+filles, avec cette grande ferveur de sang, soient disposes d'aimer
+fort, toutefois elles n'aiment point tant comme les femmes maries et
+les veufves, par une grande exprience de l'affaire; et la raison
+naturelle y est en cela, d'autant qu'un aveugle n, et qui ds sa
+naissance est priv de la veu, il ne la peut tant desirer comme celuy
+qui en a jou si doucement, et aprs l'a perdue. Puis adjousta: <i>Que
+con menos pena se abstienne d'una cosa la persona que nunca supo, que
+aquella que vive enamorada degusto passado</i>; ce qui signifie: D'autant
+qu'avec moins de peine on s'abstient d'une chose que l'on n'a jamais
+tast, que<a name="page_198" id="page_198"></a> de celle que l'on a aim et esprouv. Voil les raisons
+qu'en allguoit cette dame sur ce sujet.</p>
+
+<p>Or le vnrable et docte Bocace, parmy ses questions de son
+<i>Philocoppe</i><a name="FNanchor_72_72" id="FNanchor_72_72"></a><a href="#Footnote_72_72" class="fnanchor">[72]</a>, en la neufiesme, fait celle-l mesme: De laquelle de
+ces trois, de la marie, de la veufve et de la fille, l'on se doit
+plutost rendre amoureux pour plus heureusement conduire son desir
+effect. Bocace respond, par la bouche de la Reyne qu'il introduit
+parlante, que, combien que ce soit trs-mal fait, et contre Dieu et sa
+conscience, de desirer la femme marie, qui n'est nullement soy, mais
+subjecte son mary, il est fort ais d'en venir bout, et non pas de
+la fille et veufve, quoy que telle amour soit prilleuse, d'autant que
+plus on souffle le feu il s'allume davantage, autrement il s'esteint.
+Aussi toutes les choses faillent en les usant, fors la luxure, qui en
+augmente. Mais la veufve, qui a est long-temps sans tel effect, ne le
+sent quasi point, et ne s'en soucie non plus que si jamais elle n'eust
+est marie, et est plus-tost reschauffe de la mmoire que de la
+concupiscence. Et la pucelle, qui ne sait et ne connoist encore ce que
+c'est, si-non par imagination, le souhaite tidement. Mais la marie,
+eschauffe plus que les autres, desire souvent venir en ce point, dont
+quelquesfois elle en est outrage de paroles par son mary et bien
+battue; mais, desirant s'en venger (car il n'y a rien de si vindicatif
+que la femme, et mesme par cette chose), le fait cocu bon escient, et
+en contente son esprit: et aussi que l'on s'ennuye manger tousjours
+d'une mesme viande, mesme les grands seigneurs et dames bien souvent
+dlaissent les bonnes et dlicates viandes pour en prendre d'autres.
+Davantage, quant aux filles, il y a trop de peine et consommation de
+temps, pour les rduire et convertir la volont des hommes: et si
+elles aiment, elles ne savent qu'elles aiment. Mais, aux veufves,
+l'ancien feu aisment reprend sa force, leur faisant desirer aussi-tost
+ce que par longue discontinuation de temps elles avoient oubli, et leur
+tarde de retourner et parvenir tel effect, regrettant le temps perdu
+et les longues nuicts passes froidement dans leurs licts de vidut peu
+eschauffes.</p>
+
+<p>Sur ces raisons de cette reyne parlante, un certain gentilhomme, nomm
+Farrament, respondit la Reyne, et laissant les femmes maries part,
+comme estant aises a esbranler sans<a name="page_199" id="page_199"></a> user de grands discours, pour dire
+le contraire, reprend celuy des filles et des veufves, et maintient la
+fille estre plus ferme en amour que non pas la veufve; car la veufve,
+qui a ressenty par le pass les secrets d'amour, n'aime jamais
+fermement, ains en doute et lentement, desirant promptement l'un, puis
+l'autre, ne sachant auquel elle se doive conjoindre pour son plus grand
+profit et honneur: et quelquesfois ne veut aucun des deux, ainsi vacille
+en sa dlibration, et la passion amoureuse n'y peut prendre pied ny
+fermet. Mais tout le contraire se rencontre en la pucelle, et toutes
+telles choses lui sont inconnues: laquelle ne tend seulement qu' faire
+un amy et y mettre toute sa pense, aprs l'avoir bien choisi, et luy
+complaire en tout, croyant que ce luy est un trs-grand honneur d'estre
+ferme en son amour; et attend avec une ardeur plus grande les choses qui
+n'ont jamais est ny veus d'elle, ny ouyes, ny esprouves, et souhaite
+beaucoup plus que les autres femmes exprimentes de voir, ouyr et
+esprouver toutes choses. Aussi le desir qu'elle a de voir choses
+nouvelles la maistrise fort: elle s'enquiert celles qui sont
+exprimentes, lesquelles luy augmentent le feu davantage; et par ainsi
+elle desire la conjonction de celuy qu'elle a fait seigneur de sa
+pense. Cette ardeur ne se rencontre pas en la veufve, d'autant qu'elle
+y a desj pass.</p>
+
+<p>Or la reyne de Bocace, reprenant la parole, et voulant mettre fin
+cette question, conclud que la veufve est plus soigneuse du plaisir
+d'amour cent fois que la pucelle, d'autant que la pucelle veut garder
+chrement sa virginit et son pucelage, veu que tout son honneur y
+consiste: joint que les pucelles sont naturellement craintives, et
+mesmes en ce fait mal-habiles, et ne sont pas propres trouver les
+inventions et commoditez aux occasions qu'il faut pour tels effects. Ce
+qui n'est pas ainsi en la veufve, qui est desj fort exerce, hardie et
+ruse en cet art, ayant desj donn et alin ce que la pucelle attend
+de donner: ce qui est occasion qu'elle ne craint d'estre visite ou
+accuse par quelque signal de bresche: elle connoist mieux les secretes
+voyes pour parvenir son attente. Au reste, la pucelle craint ce
+premier assaut de virginit, car il est d'aucunes quelquesfois plus
+ennuyeux et cuisant que doux et plaisant; ce que les veufves ne
+craignent point, mais s'y laissent aller et couler trs-doucement, quand
+bien l'assaillant seroit des plus rudes: et ce plaisir est contraire
+plusieurs autres, duquel ds le premier<a name="page_200" id="page_200"></a> coup on s'en rassasie le plus
+souvent, et se passe lgrement; mais en cettuy-cy l'affection du retour
+en croist tousjours. Parquoy la veufve, donnant le moins, et qui la
+donne souvent, est cent fois plus librale que la pucelle, qui il
+convient abandonner sa trs-chre chose, quoy elle songe mille fois.
+C'est pourquoy, conclud la Reyne, il vaut mieux s'adresser la veufve
+qu' la fille, estant plus aise gagner et corrompre.</p>
+
+<hr style="width: 15%;" />
+
+<h3>ARTICLE PREMIER.</h3>
+
+<p class="c">De l'amour des femmes maries. </p>
+
+<p>Or maintenant, pour prendre et dduire les raisons de Bocace, et les
+esplucher un peu, et discourir sur icelles, selon les discours que j'en
+ay veu faire aux honnestes gentilshommes et dames sur ce sujet, comme
+l'ayant bien expriment, je dis qu'il ne faut douter nullement que, qui
+veut tost avoir joissance d'un amour, il se faut adresser aux dames
+maries, sans que l'on s'en donne grande peine et que l'on consomme
+beaucoup de temps; d'autant que, comme dit Bocace, tant plus on attise
+un feu et plus il se fait ardent. Ainsi est-il de la femme marie,
+laquelle s'eschauffe si fort avec son mary, que, luy manquant de quoy
+esteindre le feu qu'il donne sa femme, il faut bien qu'elle emprunte
+d'ailleurs, ou qu'elle brusle toute vive. J'ay connu une dame assez
+grande, et de bonne sorte, qui disoit une fois son amy, qui me l'a
+cont, que de son naturel elle n'estoit aspre cette besogne tant que
+l'on diroit bien (mais qui sait?), et que volontiers aisment bien
+souvent elle s'en passeroit, n'estoit que son mary, la venant attiser,
+et n'estant assez suffisant et capable pour luy amortir sa chaleur,
+qu'il luy rendoit si grande et si chaude qu'il falloit qu'elle courust
+au secours son amy: encore, ne se contentant de luy bien souvent, se
+retiroit seule, ou en son cabinet, ou en son lict, et l toute seule
+passoit sa rage tellement quellement, ou la mode lesbienne, ou
+autrement par quelque autre artifice; voire jusques-l, disoit-elle,<a
+name="page_201" id="page_201"></a> que, n'eust est la honte, elle s'en fust
+fait donner par les premiers qu'elle eust trouvs dans une salle du bal,
+ l'escart ou sur des degrez, tant elle estoit toumente de cette
+mauvaise ardeur. Semblable en cela aux juments qui sont sur les confins
+de l'Andalousie, lesquelles devenant si chaudes, et ne trouvant leurs
+estalons pour se faire saillir, se mettent leur nature contre le vent
+qui regne en ce temps-l, qui leur donne dedans, et par ce moyen passent
+leurs ardeurs et s'emplissent de la sorte: d'o viennent ces chevaux si
+vistes que nous voyons venir de, comme retenans la vitesse naturelle
+du vent leur pere. Je croy qu'il y a plusieurs marys qui desireroient
+fort que leurs femmes trouvassent un tel vent qui les rafraischist et
+leur fist passer leur chaleur, sans qu'elles allassent rechercher leurs
+amoureux et leur faire des cornes fort vilaines.</p>
+
+<p>Voil un naturel de femme que je viens d'allguer, qui est bien
+estrange, d'autant qu'il ne brusle si-non lorsqu'on l'attise. Il ne s'en
+faut pas estonner, car, comme disoit une dame espagnole: <i>Que quanto mas
+me quiero socao de la braza, tanto mas mi marido me abraza in et
+brazero</i>; c'est--dire: Que tant plus je me veux oster des braises,
+tant plus mon mary me brusle en mon brasier. Et certes elles y peuvent
+brusler, et de cette faon, veu que par les paroles, par les seuls
+attouchements et embrassements, voire par attraits, elles se laissent
+aller fort aisment, quand elles trouvent les occasions, sans aucun
+respect du mary.</p>
+
+<p>Car, pour dire le vray, ce qui empesche plus toute fille ou femme d'en
+venir l bien souvent, c'est la crainte qu'elles ont d'enfler par le
+ventre: ce que les maries ne craignent nullement; car, si elles
+enflent, c'est le pauvre mary qui a tout fait, et porte toute la
+couverture. Et quant aux loix d'honneur qui leur dfendent cela,
+qu'allgue Bocace, la pluspart des femmes s'en mocquent, disant pour
+leurs raisons valables que les loix de la nature vont devant, et que
+jamais elle ne fit rien en vain, et qu'elle leur a donn des membres et
+des parties tant nobles, pour en user et mettre en besogne, et non pour
+les laisser chomer oisivement, ne leur dfendant ny imposant plus qu'aux
+autres aucune vacation. Disent plus (au moins aucunes de nos dames), que
+cette loy d'honneur n'est que pour celles qui n'aiment point et qui
+n'ont fait d'amys honnestes, ausquelles est trs-mal-sant et blasmable,
+de s'aller abandonner et prostituer<a name="page_202" id="page_202"></a> leur chastet et leur corps, comme
+si elles estoient quelques courtisannes: mais celles qui aiment, et qui
+ont fait des amys, cette loy ne leur dfend nullement qu'elles ne les
+assistent en leurs feux qui les bruslent, et ne leur donnent de quoy
+pour les esteindre; et que c'est proprement donner la vie un qui la
+demande, se monstrant en cela benignes, et nullement barbares ny
+cruelles, comme disoit Regnaud sur le discours de la pauvre Geneviefve
+afflige. Sur quoy j'ai cogneu une fort honneste dame et grande,
+laquelle, un jour son amy l'ayant trouve en son cabinet, qui traduisoit
+cette stance dudit Regnaud, <i>una dona deve donque morire</i>, en vers
+franois aussi beaux et bien faits que j'en vis jamais (car je les vis
+depuis), et ainsi qu'il luy demanda ce qu'elle avoit escrit: Tenez,
+voil une traduction que je viens de faire, qui sert d'autant de
+sentence par moy donne, et arrest form pour vous contenter en ce que
+vous desirez, dont il n'en reste que l'excution; laquelle, aprs la
+lecture, se fit aussitost. Lequel arrest fut bien meilleur que s'il eust
+est rendu la Tournelle; car, encore que l'Arioste ornast les paroles
+de Regnaud de trs-belles raisons, je vous asseure qu'elle n'en oublia
+aucune les trs-bien traduire et reprsenter, bien que la traduction
+valoit bien autant pour esmouvoir que l'original; et donna bien
+entendre tel amy qu'elle lui vouloit donner la vie, et ne luy estre
+nullement inexorable, ainsi que l'autre en sceut bien prendre le temps.</p>
+
+<p>Pourquoy donc une dame, quand la nature la fait bonne et
+misricordieuse, n'usera-t-elle librement des dons qu'elle lui a donns,
+sans en estre ingrate, ou sans rpugner et contredire du tout contre
+elle? Comme ne fit pas une dame dont j'ay ouy parler, laquelle, voyant
+un jour dans une salle son mary marcher et se pourmener, elle se peut
+empescher de dire son amant: Voyez, dit-elle, notre homme marcher;
+n'a-t-il pas la vraye encloeure d'un cocu? N'eusse-je pas donc offens
+grandement la nature, puis qu'elle l'avoit fait et destin tel, si je
+l'eusse dmentie et contrefaite? J'ay ouy parler d'une autre dame,
+laquelle, se plaignant de son mary, qui ne la traitoit pas bien,
+l'espioit avec jalousie, et se doutoit qu'elle lui faisoit des cornes.
+Mais il est bon! disoit-elle son amy; il luy semble que son feu est
+pareil au mien: car je luy esteins le sien en un tournemain, et en
+quatre ou cinq gouttes d'eau; mais, au mien, qui a un braisier bien plus
+grand et une fournaise plus ardente,<a name="page_203" id="page_203"></a> il y en faut davantage: car nous
+sommes du naturel des hydropiques ou d'une fosse de sable, qui d'autant
+plus qu'elle avale d'eau, et plus elle en veut avaler.</p>
+
+<p>Une autre disoit bien mieux, qu'elles estoient semblables aux poules qui
+ont la ppie faute d'eau, et qui en peuvent mourir si elles ne boivent.
+L'on peut dire le mesme de ces femmes, que la soif engendre la ppie, et
+qu'elles en meurent bien souvent si on ne leur donne boire souvent;
+mais il faut que ce soit d'autre eau que de fontaine. Une autre dame
+disoit qu'elle estoit du naturel du bon jardin, qui ne se contente pas
+de l'eau du ciel, mais en demande son jardinier, pour en estre plus
+fructueux. Une dame disoit qu'elle vouloit ressembler aux bons
+&oelig;conomes et mesnagers, lesquels ne donnent tout leur bien mesnager
+et faire valoir un seul, mais le dpartent plusieurs mains; car une
+seule n'y pourroit fournir pour le bien esvaluer. Semblablement
+vouloit-elle ainsi mesnager son cas, pour le mliorer, et elle s'en
+trouvoit mieux. J'ay ouy parler d'une honneste dame qui avoit un amy
+fort laid et un beau mary, et de bonne grace, aussi la dame estoit
+trs-belle. Une sienne familire luy remonstrant pourquoy elle n'en
+choisissoit un plus beau: Ne savons-nous pas, dit-elle, que pour bien
+cultiver une terre, il y faut plus d'un laboureur, et volontiers les
+plus beaux et les plus dlicats n'y sont pas les plus propres, mais les
+plus ruraux et les plus robustes? Une autre dame que j'ay cogneue, qui
+avoit un mary fort laid et de fort mauvaise grace, choisit un amy aussi
+laid que luy; et comme une sienne compagne luy demanda pourquoy: C'est,
+dit-elle, pour mieux m'accoustumer la laideur de mon mary.</p>
+
+<p>Une autre dame discourant un jour de l'amour, tant son esgard que des
+autres de ses compagnes, dit ces paroles: Si les femmes estoient
+tousjours chastes, elles ne sauroient ce que c'est de leur contraire,
+se fondant en cela sur l'opinion d'Hliogabale, qui disoit que la moiti
+de la vie devoit estre employe cultiver les vertus, et l'autre moiti
+dans les vices; autrement si l'on estoit toujours d'une mesme faon,
+tout bon ou tout mauvais, il seroit impossible de juger de son
+contraire, qui sert souvent de temprament. J'ay veu de grands
+personnages appprouver cette maxime, et mesme pour les femmes. Aussi la
+femme de l'empereur Sigismond, qui s'appeloit Barbe, disoit qu'estre
+tousjours en un mesme estat de chastet appartenoit aux<a
+name="page_204" id="page_204"></a> sottes, et en reprenoit fort ses dames et
+damoiselles qui persistoient en cette sotte opinion; ainsi que de son
+cost elle la renvoya bien loin, car tout son plaisir fut en festes,
+danses, bals et amour, en se mocquant de celles qui ne faisoient pas de
+mesmes, ou qui jeusnoient pour macrer leur chair, et qui faisoient des
+retraites. Je vous laisse penser s'il faisoit bon la cour de cet
+empereur et impratrice, je dis pour ceux et celles qui se plaisoient
+l'amour.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy parler d'une fort honneste dame et de rputation, laquelle
+venant estre malade du mal d'amour qu'elle portoit son serviteur,
+sans vouloir hazarder ce petit honneur qu'elle portoit entre ses jambes,
+ cause de cette rigoureuse loy d'honneur tant recommande et presches
+des marys; et d'autant que de jour en jour elle alloit bruslant et
+seichant, de sorte qu'en un instant elle se vid devenir seiche, maigre,
+allanguie, tellement que, comme auparavant, elle s'estoit veue fraische,
+grasse et en bon point, et puis toute change par la connoissance
+qu'elle en eust dans son miroir: Comment, dit-elle alors, seroit-il
+donc dit qu' la fleur de mon aage, et qu' l'apptit d'un lger point
+d'honneur et volage scrupule pour retenir par trop mon feu, je vinse
+ainsi peu peu me seicher, me consommer et devenir vieille et laide
+avant le temps, ou que j'en perdisse le lustre de ma beaut qui me
+faisoit estimer, priser et aimer, et qu'au lieu d'une dame de belle
+chair je devinsse une carcasse, ou plustost une anatomie, pour me faire
+chasser et bannir de toute bonne compagnie, et estre la rise d'un
+chacun? Non, je m'en garderay bien, mais je m'aidray des remedes que
+j'ay en ma puissance. Et, par ainsi, elle excuta tout ce qu'elle avoit
+dit, et, se donnant de la satisfaction et son amy, reprit son
+embonpoint, et devint belle comme devant, sans que son mary sceust le
+remede dont elle avoit us, mais l'attribuant aux mdecins, qu'il
+remercioit et honoroit fort, pour l'avoir ainsi remise son gr pour en
+faire mieux son profit.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy parler d'une autre bien grande, de fort bonne humeur, et qui
+disoit bien le mot, laquelle estant maladive, son mdecin luy dit un
+jour qu'elle ne se trouveroit jamais bien si elle ne le faisoit; elle
+soudain respondit: Eh bien! faisons-le donc. Le mdecin et elle s'en
+donnrent au c&oelig;ur joye, et se contentrent admirablement bien. Un
+jour, entre autres, elle luy dit: On dit partout que vous me le faites;
+mais c'est tout un, puisque je me porte bien; et franchissoit tousjours
+le mot<a name="page_205" id="page_205"></a> galant qui commence par f. Et tant que je pourray je le feray,
+puis que ma sant en dpend. Ces deux dames ne ressembloient pas
+cette honneste dame de Pampelone que j'ay dit encore ci-devant, dans les
+<i>Cent Nouvelles de la Reyne de Navarre</i>, laquelle, estant devenue
+esperduement amoureuse de M. d'Avannes, aima mieux cacher son feu et le
+couver dans sa poictrine qui en brusloit, et mourir, que de faillir son
+honneur. C'est de quoy j'ay ouy discourir cy-dessus quelques honnestes
+dames et seigneurs. C'estoit une sotte, et peu soigneuse du salut de son
+ame, d'autant qu'elle-mesme se donnoit la mort, estant en sa puissance
+de l'en chasser, et pour peu de chose. Car enfin, comme disoit un ancien
+proverbe franois, <i>d'une herbe de pr tondue, et d'un c.. f....., le
+dommage est bien-tost rendu</i>. Et qu'est-ce aprs que tout cela est fait?
+La besogne, comme d'autres, aprs qu'elle est faite, paroist-elle devant
+le monde? La dame en va-t-elle plus mal droit? y connoist-on rien? Cela
+s'entend quand on besogne couvert, huis clos, et que l'on n'en voit
+rien. Je voudrois bien savoir si beaucoup de grandes dames que je
+connois (car c'est en elles que l'amour va plustost loger, comme dit
+cette dame de Pampelone, c'est aux grands portaux que battent de grands
+vents) delaissent de marcher la teste haut esleve, ou en cette Cour ou
+ailleurs, et de paroistre braves comme une Bradamante ou une Marfise. Et
+qui seroit celuy tant prsompteux qui osast leur demander si elles en
+viennent? Leurs marys mesmes (vous dis-je) ne leur oseroient dire quoy
+que ce soit, tant elles savent si bien contrefaire les prudes et se
+tenir en leur marche altiere; et si quelqu'un de leurs marys pense leur
+en parler ou les menacer, ou outrager de paroles ou d'effet, les voil
+perdus; car, encore qu'elles n'eussent song aucun mal contre eux, elles
+se jettent aussi-tost la vengeance, et la leur rendent bien; car il y
+a un proverbe ancien qui dit que, quand et aussi-tost que le mary bat sa
+femme, son cas en rit: cela s'appelle qu'il espere faire bonne chere,
+connoissant le naturel de sa maistresse qui le porte, et qui, ne pouvant
+se vanger d'autres armes, s'aide de luy pour son second et grand amy,
+pour donner la venu au galant de son mary, quelque bonne garde et
+veille qu'il fasse auprs d'elle. Car, pour parvenir leur but, le plus
+souverain remede qu'elles ont, c'est d'en faire leurs plaintes entre
+elles-mesmes, ou leurs femmes et filles-de-chambre, et puis les
+gagner, ou faire des amys nouveaux,<a name="page_206" id="page_206"></a> si elles n'en ont point; ou, si
+elles en ont, pour les faire venir aux lieux assignez: elles font la
+garde que leurs marys n'entrent et ne les surprennent. Or ces dames
+gagent leurs filles et femmes, et les corrompent par argent, par
+prsents, par promesses, et bien souvent aucunes composent et
+contractent avec elles, savoir que leur dame et maistresse de trois
+venus que l'amy leur donnera, la servante en aura la moiti ou au moins
+le tiers. Mais le pis est que bien souvent les maistresses trompent
+leurs servantes en prenant tout pour elles, s'excusant que l'amy ne leur
+en a pas plus donn, ains si petite portion, qu'elles-mesmes n'en ont
+pas eu assez pour elles; et paissent ainsi de bayes ces pauvres filles,
+femmes et servantes, pendant qu'elles sont en sentinelle et font bonne
+garde: en quoy il y a de l'injustice; et je croy que si cette cause
+estoit plaide par des raisons allgues d'un cost et d'autre, il y
+auroit bien dbattre et rire; car enfin c'est un vray larcin de leur
+drosber ainsi leur salaire et pension convenue. Il y a d'autres dames
+qui tiennent fort bien leur pact et promesse, et ne leur en desrobent
+rien, et sont comme les bons facteurs de boutique, qui font juste part
+de leur gain et profit du talent leur maistre ou compagnon; et, par
+ainsi, telles dames mritent d'estre bien servies pour estre si bien
+reconnoissantes des peines qu'on a pris les si bien veiller et garder.
+Car enfin, elles se mettent en danger et hazard. Ce qui est arriv une
+que je say, qui faisant un jour le guet pendant que sa maistresse
+estoit en sa chambre avec son amy et faisoit grande chere, et ne
+chaumoit point, le maistre d'hostel du mary la reprit et la tana
+aigrement de ce qu'elle faisoit, et qu'il valoit mieux qu'elle fust avec
+sa maistresse que d'estre ainsi maquerelle et faire la garde au dehors
+de sa chambre, et un si mauvais tour au mary de sa maistresse; et
+adjouta qu'il l'en advertiroit. Mais la dame le gagna par le moyen d'une
+autre de ses filles-de-chambre de laquelle il estoit amoureux, luy
+promettant quelque chose par les prires de la maistresse; et aussi
+qu'elle luy fit quelque prsent, dont il fut appais. Toutefois, depuis
+elle ne l'ayma plus et luy garda bonne; car, espiant une occasion prise
+ la vole, le fit chasser par son mary.</p>
+
+<p>&mdash;Je say une belle et honneste dame, laquelle ayant une servante en qui
+elle avoit mis son amiti, luy faisoit beaucoup de bien, mesme usoit
+envers elle de grandes privautez et l'avoit trs-bien dresse telles
+menes; si bien que quelquefois,<a name="page_207" id="page_207"></a> quand elle voyoit le mary de cette
+dame longuement absent de sa maison, empesch la Cour et en autre
+voyage, bien souvent elle regardoit sa maistresse en l'habillant, qui
+estoit des plus belles et des plus aimables, et puis disoit: H!
+n'est-il pas bien malheureux, ce mary, d'avoir une si belle femme et la
+laisser ainsi seule si long-temps sans la venir voir? ne mrite-t-il pas
+que vous le fassiez cocu tout plat? Vous le devez; car si j'estois
+aussi belle que vous, j'en ferois autant mon mary s'il demeuroit
+autant absent. Je vous laisse penser si la dame et maistresse de
+cette servante trouvoit goust cette noix, mesme si elle n'avoit pas
+trouv chaussure son pied, et ce qu'elle pouvoit faire par aprs par
+le moyen d'un si bon instrument. Or, il y a des dames qui s'aydent de
+leurs servantes pour couvrir leurs amours, sans que leurs maris s'en
+apperoivent, et leur mettent en main leurs amants, pour les entretenir
+et les tenir pour serviteurs, afin que, sous cette couverture, les
+marys, entrant dans la chambre de leurs femmes, croyent que ce sont les
+serviteurs de telles ou de telles damoiselles: et, sous ce prtexte, la
+dame a un beau moyen de jouer son jeu, et le mary n'en connoist rien.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay connu un fort grand prince qui se mit faire l'amour une dame
+d'autour d'une grande princesse, seulement pour savoir les secrets des
+amours de sa maistresse, pour y mieux parvenir en aprs. J'ay veu joer
+en ma vie quantit de ces traits, mais non pas de la faon que faisoit
+une honneste dame de par le monde, que j'ay connue, laquelle fut si
+heureuse d'estre servie de trois braves et galants gentilshommes, l'un
+aprs l'autre, lesquels, la laissant venoient aimer et servir une
+trs-grande princesse qui estoit sa dame, si bien qu'elle rencontra
+l-dessus gentiment qu'elle estoit reyne des Romains<a name="FNanchor_73_73" id="FNanchor_73_73"></a><a href="#Footnote_73_73" class="fnanchor">[73]</a>. Ce qui lui
+estoit un honneur bien plus grand qu' une que je say, laquelle, estant
+ la suite d'une grande dame marie, ainsi que cette grande dame fut
+surprise dans sa chambre par son mary, lors qu'elle ne venoit que de
+recevoir un petit poulet de papier de son amy, vint estre si bien
+seconde par cette dame qui estoit avec elle, qu'aussi-tost elle prit
+finement le poulet, et l'avala tout entier, sans en faire deux fois ny
+que le mary s'en apperceust, qui l'en<a name="page_208" id="page_208"></a> eust sans doute trs-mal traite
+s'il eust veu le dedans: ce qui fut une trs-grande obligation de
+service, que la grande dame a tousjours reconnu. Je say bien bien des
+dames pourtant qui se sont trouves mal pour s'estre trop fies leurs
+servantes, et d'autres aussi qui ont couru le mesme hazard pour ne s'y
+estre pas fies. J'ay ouy parler d'une dame belle et honneste, qui avoit
+pris et choisi un gentilhomme des braves, vaillants et accomplis de la
+France, pour lui donner joissance et plaisir de son gentil corps. Elle
+ne se voulut jamais fier pas une de ses femmes, et le rendez-vous
+ayant est donn en un logis autre que le sien, il fut dit et concert
+qu'il n'y auroit qu'un lict en la chambre, et que ses femmes
+coucheroient l'antichambre. Comme il fust arrest ainsi fut-il jo;
+et d'autant qu'il se trouva une chatonnire la porte, sans y penser et
+sans y avoir prveu que sur le coup, ils s'advisrent de la boucher avec
+un ais, afin que, si l'on la venoit pousser, qu'elle fist bruit, qu'on
+l'entendist, et qu'ils fissent silence et y pourveussent. Or, d'autant
+qu'il y avoit anguille sous roche, une de ses femmes, fasche et
+despite de ce que sa maistresse se deffioit d'elle, qu'elle tenoit pour
+la plus confidente des siennes, ainsi qu'elle luy avoit souventes-fois
+monstr, elle s'advisa, quand sa maistresse fut couche, de faire le
+guet et estre aux escoutes la porte. Elle l'entendoit bien gazouiller
+tout bas; mais elle connut que ce n'estoit point la lecture qu'elle
+avoit accoustum de faire en son lict, quelques jours auparavant, avec
+sa bougie, pour mieux colorer son fait. Sur cette curiosit qu'elle
+avoit de savoir mieux le tout, se prsenta une occasion fort bonne et
+fort propos: car, estant entr d'avanture un jeune chat dans la
+chambre, elle le prit avec ses compagnes, le fourra et le poussa par la
+chatonnire en la chambre de sa maistresse, non sans abattre l'ais qui
+l'avoit ferme, ny sans faire bruit. Si bien que l'amant et l'amante, en
+estant en cervelle, se mirent en sursaut sur le lict, et advisrent,
+la lueur de leur flambeau et bougie, que c'estoit un chat qui estoit
+entr et avoit fait tomber la trappe. Parquoy, sans autrement se donner
+de la peine, se recouchrent, voyant qu'il estoit tard et qu'un chacun
+pouvoit dormir, et ne refermrent pourtant la dite chatonnire, la
+laissant ouverte pour donner passage au retour du chat, qu'ils ne
+vouloient laisser l-dedans renferm tout la nuict. Sur cette belle
+occasion, la dite dame suivante, avec ses compagnes, eut moyen de voir
+choses et autres de sa<a name="page_209" id="page_209"></a> maistresse, lesquelles, depuis, dclarrent le
+tout au mary, d'o s'ensuivit la mort de l'amant et le scandale de la
+dame. Voil quoy sert un despit et une mesfiance que l'on prend
+quelquefois des personnes, qui nuit aussi souvent que la trop grand
+confiance. Ainsi que je say d'un trs-grand personnage, qui eut une
+fois dessein de prendre toutes les filles-de-chambre de sa femme, qui
+estoit une trs-grande et belle dame, et les faire gesner, peur leur
+faire confesser tous les desportements de sa femme et les services
+qu'elles lui faisoient en ses amours. Mais cette partie pour ce coup fut
+rompue, pour viter plus grand scandale. Le premier conseil vint d'une
+dame que je ne nommeray pas, qui vouloit mal cette grande dame: Dieu
+l'en punit aprs.</p>
+
+<p>Pour venir la fin de nos femmes, je conclus qu'il n'y a que les femmes
+maries dont on puisse tirer de bonnes denres, et prestement; car elles
+savent si bien leur mestier, que les plus fins et les plus haut hupez
+de marys y sont trompez. J'en ay dit assez au chapitre des cocus<a name="FNanchor_74_74" id="FNanchor_74_74"></a><a href="#Footnote_74_74" class="fnanchor">[74]</a>
+sans en parler davantage.</p>
+
+<hr style="width: 15%;" />
+
+<h3>ARTICLE II.</h3>
+
+<p class="c">De l'amour des filles. </p>
+
+<p>Partant, suivant l'ordre de Bocace, notre guide en ce discours, je viens
+aux filles, lesquelles, certes, il faut advoer que de leur nature, pour
+le commencement, elles sont trs-craintives et n'osent abandonner ce
+qu'elles tiennent si cher, raison des continuelles persuasions et
+recommandations que leur font leurs pres et mres et maistresses, avec
+les menaces rigoureuses; si-bien que, quand elles en auraient toutes les
+envies du monde, elles s'en abstiennent le plus qu'elles peuvent: et
+aussi elles ont peur que ce meschant ventre les accuse aussi-tost, sans
+lequel elles mangeroient de bons morceaux. Mais toutes n'ont pas ce
+respect, car, fermant les yeux toutes considrations, elles y vont
+hardiment non la teste baisse, mais trs-bien renverse: en quoy elles
+errent grandement, d'autant que le scandale d'une fille desbauche est
+trs-grand, et d'importance mille fois plus que<a name="page_210" id="page_210"></a> d'une femme marie ny
+d'une veufve; car elle, ayant perdu ce beau trsor, en est scandalise,
+vilipende, monstre au doigt de tout le monde, et perd de trs-bons
+partis de mariage, quoy que j'en aye bien cogneu plusieurs qui ont eu
+tousjours quelque malotru, qui, ou volontairement, ou l'improviste, ou
+sciemment, ou dans l'ignorance, ou bien par contrainte, s'est all
+jetter entre leurs bras, et les espouser telles qu'elles estoient,
+encore bien-aises.</p>
+
+<p>J'en ay cogneu quantit des deux espces qui ont pass par-l,
+entr'autres une servante qui se laissa fort scandaleusement engrosser et
+aller un prince de par le monde, et sans cacher ny mettre ordre ses
+couches; et estant descouverte, elle ne respondoit autre chose sinon:
+Qu'y saurois-je faire? il ne m'en faut pas blasmer, ny ma faute, ny la
+pointe de ma chair, mais mon peu de prvoyance: car, si j'eusse est
+bien fine et bien avise, comme la plupart de mes compagnes, qui ont
+fait autant que moy, voire pis, mais qui ont trs-bien sceu remdier
+leurs grossesses et leurs couches, je ne fusse pas maintenant mise en
+cette peine, et on n'y eust rien connu. Ses compagnes, pour ce mot, luy
+en voulurent trs-grand mal, et elle fut renvoye hors de la troupe par
+sa maistresse, qu'on disoit pourtant luy avoir command d'obir aux
+volontez du prince; car elle avoit affaire de luy et desiroit le gagner.
+Au bout de quelque temps, elle ne laissa pour cela de trouver un bon
+party et se marier richement; duquel mariage en estoit sorty une
+trs-belle ligne. Voil pourquoy, si cette pauvre fille eust t ruse
+comme ses compagnes et autres, cela ne luy fust arriv; car, certes,
+j'ay veu en ma vie des filles aussi ruses et fines que les plus
+anciennes femmes maries, voire jusqu' estre trs-bonnes et ruses
+maquerelles, ne se contentant de leur bien, mais en pourchassoient
+autruy.</p>
+
+<p>&mdash;Ce fut une fille en nostre Cour qui inventa et fit joer cette belle
+comdie intitule <i>le Paradis d'Amour</i>, dans la salle de Bourbon, huis
+clos, o il n'y avoit que les comdiens, qui servoient de joeurs et de
+spectateurs tout ensemble. Ceux qui en savent l'histoire m'entendent
+bien. Elle fut joe par six personnages de trois hommes et trois
+femmes; l'un estoit prince, qui avoit sa dame qui estoit grande, mais
+non pas trop aussi; toute-fois il l'aimoit fort: l'autre estoit un
+seigneur, et celui-l jooit avec la grande dame, qui estoit de riche
+matire: le troisiesme estoit gentilhomme, qui s'apparioit avec la
+fille: car, la galante qu'elle estoit, elle vouloit joer son personnage
+aussi bien que les<a name="page_211" id="page_211"></a> autres. Aussi costumierement l'auteur d'une comdie
+joe son personnage ou le prologue, comme fit celle-l, qui certes,
+toute fille qu'elle estoit, le joa aussi bien, ou possible, mieux que
+les maries. Aussi avoit-elle vu son monde ailleurs qu'en son pays, et,
+comme dit l'Espagnol, <i>raffinada en Secobia</i>, raffin en Sgovie, qui
+est un proverbe en Espagne, d'autant que les bons draps se raffinent en
+Sgovie.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy parler et raconter de beaucoup de filles, qui, en servant
+leurs dames et maistresses de dariolettes<a name="FNanchor_75_75" id="FNanchor_75_75"></a><a href="#Footnote_75_75" class="fnanchor">[75]</a>, vouloient aussi taster de
+leurs morceaux. Telles dames aussi souvent sont esclaves de leurs
+damoiselles, craignants qu'elles ne les descouvrent et publient leurs
+amours. Ce fut une fille qui j'ouys dire un jour que c'estoit une
+grande sottise aux filles de mettre leur honneur leur devant, et que,
+si les unes, sottes, en faisoient scrupule, qu'elle n'en daignoit faire:
+et qu' tout cela il n'y a que le scandale: mais la mode de tenir son
+cas secret et cach rabille tout; et ce sont des sottes et indignes de
+vivre au monde, qui ne s'en savent aider et la pratiquer. Une dame
+espagnole, pensant que sa fille apprhendast le forcement du premier
+lict nuptial, et y allant, se mit l'exhorter et persuader que ce
+n'estoit rien, et qu'elle n'y auroit point de douleur, et que de bon
+c&oelig;ur elle voudroit estre en sa place pour luy faire mieux
+connoistre; la fille respondit: <i>Bezo las manos, senora madre, de tal
+merced, que bien la tomare yo por my</i>; c'est dire: Grand mercy, ma
+mre, d'un si bon office, que moy-mesme je me le feray bien.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy raconter d'une fille de trs-haut lignage, laquelle s'en
+estant aide se donner du plaisir, on parla de la marier vers
+l'Espagne. Il y eut quelqu'un de ses plus secrets amys qui luy dit un
+jour en joant qu'ils s'estonnoit fort d'elle, qui avoit tant aim le
+levant, de ce qu'elle alloit naviguer vers le couchant et occident,
+parce que l'Espagne est vers l'occident. La dame luy respondit: Ouy,
+j'ay ouy dire aux mariniers qui ont beaucoup voyag, que la navigation
+du levant est trs-plaisante et agrable; ce que j'ay souvent pratiqu
+par la boussole que je porte ordinairement sur moy; mais je m'en
+aideray, quand je seray en l'occident, pour aller droit au levant. Les
+bons interprtes sauront bien interprter cette allgorie et la deviner
+sans que je<a name="page_212" id="page_212"></a> la glose. Je vous laisse penser par ces mots si cette
+fille avoit tousjours dit ses heures de Nostre-Dame.</p>
+
+<p>&mdash;Une autre que j'ay ouy nommer, laquelle ayant ouy raconter des
+merveilles de la ville de Venise, de ses singularitez, et de la libert
+qui regnoit pour toutes personnes, et mesme pour les putains et
+courtisannes: Hlas! dit-elle une de ses compagnes, si nous eussions
+fait porter tout nostre vaillant en ce lieu-l par lettre de banque, et
+que nous y fussions pour faire cette vie courtisanesque, plaisante et
+heureuse, laquelle toute autre ne sauroit approcher, quand bien nous
+serions emperieres de tout le monde! Voil un plaisant souhait, et bon;
+et de fait, je croy que celles qui veulent faire cette vie ne peuvent
+estre mieux que l.</p>
+
+<p>&mdash;J'aymerois autant un souhait que fit une dame du temps pass, laquelle
+se faisant raconter un pauvre esclave eschap de la main des Turcs des
+tourments et maux qu'ils luy faisoient et tous les autres pauvres
+chrestiens, quand ils les tenoient, celuy qui avoit est esclave luy en
+raconta assez, et de toutes sortes de cruautez. Elle s'advisa de lui
+demander ce qu'ils faisoient aux femmes. Hlas! madame, dit-il, ils
+leur font tant cela qu'ils les en font mourir.&mdash;Pleust-il doncques au
+ciel, respondit-elle, que je mourusse pour la foy ainsi martyre!</p>
+
+<p>&mdash;Trois grandes dames estoient ensemble un jour, que je say, qui se
+mirent sur des souhaits. L'une dit: Je voudrois avoir un tel pommier
+qui produisist tous les ans autant de pommes d'or comme il produit de
+fruit naturel. L'autre disoit: Je voudrois qu'un tel pr me produisist
+autant de perles et pierreries comme il fait de fleurs. La troisime,
+qui estoit fille, dit: Je voudrois avoir une suye dont les trous me
+valussent autant que celuy d'une telle dame favorise d'un tel roy que
+je ne nommeray point; mais je voudrois que mon trou fust visit de plus
+de pigeons que n'est le sien. Ces dames ne ressembloient pas une dame
+espagnolle dont la vie est escrite dans l'<i>Histoire d'Espagne</i>,
+laquelle, un jour que le grand Alphonse, roy d'Arragon, faisoit son
+entre dans Sarragosse, se vint jetter genoux devant luy et luy
+demander justice. Le Roy ainsi qu'il la vouloit ouyr, elle demanda de
+luy parler part, ce qu'il luy octroya: et, s'estant plainte de son
+mary, qui couchoit avec elle trente-deux fois tant de jour que de nuict,
+qu'il ne luy donnoit patience, ny cesse, ny repos; le Roy, ayant envoy
+querir le mary et sceu qu'il estoit vray, ne pensant point faillir<a
+name="page_213" id="page_213"></a> puis qu'elle estoit sa femme; le conseil
+de Sa Majest arrest sur ce fait, le Roy ordonna qu'il ne la toucheroit
+que six fois; non sans s'esmerveiller grandement (dit-il) de la grande
+chaleur et puissance de cet homme, et de la grande froideur et
+continence de cette femme, contre tout le naturel des autres (dit
+l'Histoire), qui vont jointes mains requerir leurs marys et autres
+hommes pour en avoir, et se douloir quand ils donnent d'autres ce qui
+leur appartient. Cette dame ne ressembloit pas une fille, damoiselle
+de maison, laquelle, le lendemain de ses nopces, racontant aucunes de
+ses compagnes ses adventures de la nuict passe: Comment! dit-elle, et
+n'est-ce que cela? Comme j'avois entendu dire aucunes de vous autres,
+et d'autres femmes, et d'autres hommes, qui font tant des braves et
+galants, et qui promettent monts et merveilles, ma foy, mes compagnes et
+amyes, cet homme (parlant de son mary), qui faisoit tant de l'eschauff
+amoureux, et du vaillant, et d'un si bon coureur de bague, pour toute
+course n'en a fait que quatre, ainsi que l'on court ordinairement trois
+pour la bague, et l'autre pour les dames: encore entre les quatre y
+a-t-il fait plus de poses qu'il n'en fut fait hier au soir au grand
+bal. Pensez que puis qu'elle se plaignoit de si peu, elle en vouloit
+avoir la douzaine: mais tout le monde ne ressemble pas au gentilhomme
+espagnol. Et voil comme elles se moquent de leurs marys. Ainsi que fit
+une, laquelle, au commencement et premier soir de ses nopces, ainsi que
+son mary la vouloit charger, elle fit de la revesche et de l'opiniastre
+fort la charge. Mais il s'advisa de luy dire que, s'il prenoit son
+grand poignard, il y auroit bien un autre jeu, et qu'il y auroit bien
+crier; de quoy elle, craignant ce grand dont il la menaoit, se laissa
+aller aussitost: mais ce fut elle qui le lendemain n'en eut plus peur,
+et, ne s'estant contente du petit, luy demanda du premier abord o
+estoit ce grand dont il l'avoit menace le soir avant. A quoy le mary
+respondit qu'il n'en avoit point, qu'il se moquoit; mais qu'il faloit
+qu'elle se contentast de si peu de provision qu'il avoit sur luy. Alors
+elle dit: Est-ce bien fait cela, de se moquer ainsi des pauvres et
+simples filles? Je ne sais si l'on doit appeler cette fille simple et
+niaise, ou bien fine et ruse, qui en avoit tast auparavant. Je m'en
+rapporte aux diffiniteurs. Bien plus estoit simple une autre fille,
+laquelle s'estant plainte la justice qu'un galant l'avoit prise par
+force, et luy enquis sur ce <a name="page_214" id="page_214"></a>fait, il respondit: Messieurs, je m'en
+rapporte elle s'il est vray, et si elle-mesme n'a pris mon cas et l'a
+mis de la main propre dans le sien.&mdash;H! Messieurs, dit la fille, il est
+bien vray cela; mais qui ne l'eust fait? car, aprs qu'il m'eust couche
+et trousse, il me mit son cas roide et pointu comme un baston contre le
+ventre, et m'en donnoit de si grands coups que j'eus peur qu'il ne me le
+perast et n'y fist un trou. Dame, je le pris alors et le mis dans le
+trou qui estoit tout fait. Si cette fille estoit simplette, ou le
+contrefaisoit, je m'en rapporte.</p>
+
+<p>&mdash;Je vous feray deux comptes de deux femmes maries, simples comme
+celle-l, ou bien ruses, ainsi qu'on voudra. Ce fut d'une trs-grande
+dame que j'ay connue, laquelle estoit trs-belle, et pour cela fort
+dsire. Ainsi qu'un jour un trs-grand prince a requit d'amour, voire
+l'en sollicitoit fort en luy promettant de trs-belles et grandes
+conditions, tant de grandeurs que de richesses pour elle et pour son
+mary, tellement qu'elle, ayant de telles douces tentations, y presta
+assez doucement l'oreille; toute-fois du premier coup ne s'y voulut
+laisser aller, mais, comme simplette, nouvelle et jeune marie, n'ayant
+encore veu son monde, vint descouvrir le tout son mary et luy demander
+avis si elle le feroit. Le mary luy respondit soudain: Nenny, m'amie.
+Hlas! que penseriez-vous faire, et de quoy parlez-vous? d'un infame
+trait jamais irrparable pour vous et pour moy.&mdash;H! mais, Monsieur,
+rpliqua la dame, vous serez aussi grand, et moi si grande qu'il n'y
+aura rien redire. Pour fin le mary ne voulut dire ouy; mais la dame,
+qui commena prendre c&oelig;ur par aprs et se faire habile, ne voulut
+perdre ce party, et le prit avec ce prince et avec d'autres encore, en
+renonant sa sotte simplicit. J'ay ouy faire ce conte un qui le
+tenoit de ce grand prince et l'avoit ouy de la dame, laquelle il en
+fit la rprimande, et qu'en telles choses il ne faloit jamais s'en
+conseiller au mary, et qu'il y avoit autre conseil en sa Cour. Cette
+dame estoit aussi simple, ou plus, qu'une autre que j'ay ouy dire,
+laquelle un jour un honneste gentilhomme prsentant son service amoureux
+assez prs de son mary, qui entretenoit pour lors de devis une autre
+dame, il luy vint mettre son eprevier, ou, pour plus clairement parler,
+son instrument entre les mains. Elle le prit, et, le serrant fort
+estroitement et se tournant vers son mary, luy dit: Mon mary, voyez le
+beau prsent que me fait ce gentilhomme; le recevray-je? dites-le-moy.
+Le pauvre gentilhomme, estonn, retire soy son eprevier de si
+grande<a name="page_215" id="page_215"></a> rudesse, que, rencontrant une pointe de diamant qu'elle avoit au
+doigt, le luy esserta de telle faon d'un bout l'autre, qu'elle le
+cuida perdre du tout, et non sans grande douleur, voire en danger de la
+vie, ayant sorti de la porte assez hastivement, et arrousant la chambre
+du sang qui desgoutoit par-tout. Mais le mary ne courut aprs luy pour
+luy faire aucun outrage pour ce sujet; il s'en mit seulement fort
+rire, tant pour la simplicit de sa pauvre femmelette, que pour le beau
+prsent produit, joint qu'il en estoit assez puny. Voil deux femmes
+fort simples, lesquelles, et quelques-unes de leurs semblables (car il y
+en a assez), ne ressemblent pas plusieurs et une infinit qui se
+rencontrent dans le monde, qui sont plus doubles et fines que celles-l,
+qui ne demandent conseil leurs marys, ny qui leur montrent tels
+prsents qu'on leur fait.</p>
+
+<p>J'ay ouy raconter en Espagne d'une fille, laquelle la premiere nuict de
+ses nopces, ainsi que son mary s'efforoit et s'ahanoit<a name="FNanchor_76_76" id="FNanchor_76_76"></a><a href="#Footnote_76_76" class="fnanchor">[76]</a> de forcer sa
+forteresse, non sans se faire mal, elle se mit rire et lui dire:
+<i>Senor, bien es razon que seays martyr, pues que io soy virgen; mas,
+pues que io tomo la patientia, bien la podeys tomar</i>; c'est--dire:
+Seigneur, c'est bien raison que vous soyez martyr, puis que je suis
+vierge; mais d'autant que je prends patience, vous la pouvez bien
+prendre. Celle-l, en revanche de l'autre qui s'estoit moqu de sa
+femme, se moquoit bien de son mary. Comme certes plusieurs filles ont
+bien raison de se moquer telle nuict, mesme quand elles ont sceu
+auparavant ce que c'est, ou l'ont appris d'autres, ou d'elles-mesmes
+s'en sont doutes et imagines ce grand point de plaisir qu'elles
+estiment trs-grand et perdurable. Une autre dame espagnole, qui, le
+lendemain de ses nopces, racontant les vertus de son mary, en dit
+plusieurs, <i>fors</i>, dit-elle, <i>que no era buen contador y arithmetico,
+porque no sapra multiplicar</i>; en franois, qu'il n'estoit point bon
+compteur et arithmticien, parce qu'il ne savoit pas multiplier.</p>
+
+<p>Une dame de bon lieu et de bonne maison, que j'ay connue et ouy parler,
+le soir de ses nopces, que chacun estoit aux escoutes l'accoustume,
+comme son mary luy eust livr le premier assaut, estant un peu sur son
+repos, non pas du dormir, luy demanda si elle en voudrait encore;
+gentiment elle luy respondit: Ce qu'il vous plaira, monsieur. Pensez
+qu' telle response le galant mary<a name="page_216" id="page_216"></a> devoit estre bien estonn. Telles
+filles qui disent de telles sornettes si promptement aprs les nopces,
+pourroient bien donner de bons martels leurs pauvres marys et leur
+faire croire qu'ils ne sont les premiers qui ont mouill l'ancre dans
+leur fonds, ny les derniers qui le mouilleront; car il ne faut point
+douter que qui ne s'efforce et ne se tue saper sa femme, qu'elle ne
+s'advise luy faire porter les cornes, ce disoit un ancien proverbe
+franois: <i>Et qui ne la contente pas, va ailleurs chercher son repas</i>.
+Toutefois, quand une femme tire ce qu'elle peut de l'homme, elle
+l'assomme, c'est--dire qu'il en meurt; et c'est un dire ancien qu'il ne
+faut tirer de son amy ce qu'on voudrait bien, et qu'il le faut espargner
+tant que l'on peut; mais non pas le mary, duquel il en faut tirer ce
+qu'on peut. Voil pourquoy, dit le refrain espagnol, <i>que el primero
+pensamiento de la muger, luego que es casada, es de embiudarse</i>;
+c'est--dire: Le premier pensement de la femme marie est de songer
+se faire veufve. Ce refrain n'est pas gnral, comme j'espere le dire
+ailleurs, mais il n'est que pour aucunes.</p>
+
+<p>&mdash;Il y a de certaines filles qui, ne pouvant tenir longuement leurs
+chaleurs, ne s'addonnent aisment qu'aux princes et aux seigneurs, qui
+sont gens fort propres pour les esbranler, tant pour leurs faveurs que
+pour leurs prsents, et aussi pour l'amour de leurs gentillesses, car
+enfin tout est beau et parfait en eux, encore qu'ils fussent des fats.
+Au contraire, j'en ay veu d'autres qui ne les recherchent pas, mais les
+fuyent grandement, cause qu'ils ont un peu la rputation d'estre
+scandaleux, grands vanteurs, causeurs et peu secrets; aimans mieux des
+gentilshommes sages et discrets, desquels pourtant le nombre est rare;
+et bien heureuse pourtant est celle-l qui en trouve. Mais, pour obvier
+ tout cela, elles choisissent (au moins aucunes) leurs valets, desquels
+aucuns sont beaux, d'autres non, comme j'en ay connu qui l'ont fait, et
+si n'en faut prier longuement leurs dits valets: car, les levant,
+couchant, deshabillant, chaussant, deschaussant et leur baillant leurs
+chemises, comme j'ay veu beaucoup de filles la Cour et ailleurs qui
+n'en faisoient aucune difficult ni scrupule, il n'est pas possible
+qu'eux, voyans beaucoup de belles choses en elles, n'en eussent des
+tentations, et plusieurs d'elles qu'elles ne le fissent exprs; si bien
+qu'aprs que les yeux avoient bien fait leur office, il falloit bien que
+d'autres membres du corps vinssent faire le leur.<a name="page_217" id="page_217"></a></p>
+
+<p>&mdash;J'ay connu une fille de par le monde, belle s'il en fust jamais, qui
+rendit son valet compagnon d'un grand prince qui l'entretenoit, et qui
+pensoit estre le seul heureux jouissant; mais le valet en cela alloit du
+pair avec luy; aussi l'avoit-elle bien sceu choisir, car il estoit
+trs-beau et de trs-belle taille; si bien que, dans le lict ou bien
+la besogne, on n'y eust connu aucune diffrence. Encor le valet en
+beaucoup de beautez emportoit le prince, auquel telles amours et telles
+privautez furent inconnues jusqu' ce qu'il la quitta pour se marier; et
+pour cela il n'en traita plus mal le valet, mais se plaisoit fort de le
+voir; et quand il le voyoit en passant, il disoit seulement: Est-il
+possible que cet homme ait est mon corrival? ouy, je le voy, car, oste
+ma grandeur, il m'enporte d'ailleurs. Il avoit aussi mesme nom que le
+prince, et fut un trs bon tailleur, et des renommez de la Cour; si bien
+qu'il n'y avoit gures de filles ou femmes qu'il n'habillast quand elles
+vouloient estre bien habilles. Je ne say s'il les habilloit de la
+mesme faon qu'il habilloit sa maistresse, mais elles n'estoient point
+mal.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay cogneu une fille de bonne maison, qui, ayant un laquais de l'aage
+de quatorze ans, et en ayant fait son bouffon et plaisant, parmy ses
+bouffonneries et plaisanteries, elle faisoit autant de difficults que
+rien se laisser baiser, toucher et taster luy, aussy privement que
+si c'eust est une femme, et bien souvent devant le monde, excusant le
+tout, en disant qu'il estoit fol et plaisant bouffon. Je ne say s'il
+passoit outre, mais je say bien que depuis, estant marie et veufve, et
+remarie, elle a este une trs-insigne putain. Pensez qu'elle alluma sa
+mesche en ce premier tison; si bien qu'elle ne luy faillit jamais aprs
+entre ses autres plus grandes fougues et plus hauts feux. J'avois bien
+demeur un an voir cette fille; mais quand je les vis en ces privautez
+devant sa mere, qui avoit la rputation d'estre l'une des plus prudes
+femmes de son temps, qui en rioit et en estoit bien-aise, je prsageay
+aussitost que de ce petit jeu l'on viendroit au grand, et bon escient,
+et que la damoiselle seroit un jour quelque bonne fripesaulce, comme
+elle le fut.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay cogneu deux s&oelig;urs d'une fort bonne maison de Poictou, filles
+desquelles on parloit estrangement, et d'un grand laquais basque qui
+estoit leur pere, lequel, sous ombre qu'il dansoit trs-bien, non
+seulement le bransle de son pays, mais tous autres, les menoit danser
+ordinairement, mesme les y apprenoit.<a name="page_218" id="page_218"></a> Il les fit danser, et leur apprit
+la danse des putains la fin, et en furent assez gentiment
+scandalises: toutefois elles ne laissrent estre bien maries, car
+elles estoient riches, et sur ce nom de richesses on n'y advise rien, on
+prend tout, et fust-il encore plus chaud et plus ardent. J'ay connu ce
+Basque depuis, gentil soldat et de brave faon, et qui monstroit bien
+avoir fait le coup. Il fut soldat des gardes de la coronelle de M. de
+Strozze.</p>
+
+<p>&mdash;J'ai cogneu aussi une maison de par le monde, et grande, d'o la dame
+faisoit profession de nourrir en sa compagnie des honnestes filles,
+entr'autres des parentes de son mary; et d'autant que la dame estoit
+fort maladive et sujette aux mdecins et apothicaires, il y en abordoit
+ordinairement l-dedans, et par ce aussi que les filles sont sujettes
+maladies comme pasles couleurs, mal de la furette, fievres et autres.
+Il advint que deux entr'autres tombrent en fievre-quarte: un
+apothicaire les eut en charge pour les penser. Certes il les pensoit de
+ses drogues, de la main et de mdecines; mais la plus propre fut qu'il
+coucha avec une (maraud qu'il fut), car il eut affaire avec une fort
+belle et honneste fille de la France, de laquelle un trs-grand roy s'en
+fust dignement content; et il fallut que ce M. l'apoticaire luy passast
+cette paille sur le ventre. J'ay cogneu la fille, qui certes mritoit
+d'autres assaillants, et aprs bien marie, et telle qu'on la donna
+pucelle, telle la trouva-on. En quoy pourtant je trouve qu'elle fut bien
+fine; car, puisqu'elle ne pouvoit tenir son eau, elle s'adressa celui
+qui donnoit des antidotes pour engarder d'engrosser, car c'est ce que
+les filles craignent le plus: dont en cela il y en a de si experts qui
+leur donnent des drogues qui les engardent trs-bien d'engrosser; ou
+bien, si elles engrossent, leur font escouler leur grossesse si
+subtilement et si sagement, que jamais on ne s'en apperoit, et n'en
+sent-on rien que le vent. Ainsi que j'en ay ouy parler d'une fille,
+laquelle avoit est autrefois nourrie fille de la feue reyne de Navarre
+Marguerite. Elle vint par cas fortuit, ou son escient, engrosser
+sans qu'elle y pensast pourtant. Elle rencontra un sublin<a name="FNanchor_77_77" id="FNanchor_77_77"></a><a href="#Footnote_77_77" class="fnanchor">[77]</a>
+apothicaire, qui, luy ayant donn un breuvage, luy fit vader son fruit,
+qui avoit dj six mois, pice par pice, morceau par morceau, si
+aisment, qu'estant en ses affaires jamais elle n'en sentit ny mal ny
+douleur; et puis aprs se maria galamment, sans que le mary y connust
+aucune trace; car on leur donne des remedes<a name="page_219" id="page_219"></a> pour se faire paroistre
+vierges et pucelles comme auparavant, ainsi que j'en ay allgu un au
+<i>Discours des Cocus</i><a name="FNanchor_78_78" id="FNanchor_78_78"></a><a href="#Footnote_78_78" class="fnanchor">[78]</a>. Et un que j'ay ouy dire un empirique ces
+jours passez, qu'il faut avoir des sangsus et les mettre la nature,
+et faire par-l tirer et succer le sang: lesquelles sangsus, en
+sucant, laissent et engendrent de petites ampoules et fistules pleines
+de sang, si bien que le galant mary, qui vient le soir des nopces les
+assaillir, leur creve ces ampoulles d'o le sang en sort, et luy et elle
+s'ensanglantent, qui est une grande joie l'un et l'autre; et par
+ainsi, <i>l'honor della citella salva</i><a name="FNanchor_79_79" id="FNanchor_79_79"></a><a href="#Footnote_79_79" class="fnanchor">[79]</a>. Je trouve ce remede plus
+souverain que l'autre, s'il est vray; et s'ils ne sont bons tous deux,
+il y en a cent autres qui sont meilleurs, ainsi que le savent trs-bien
+ordonner, inventer et appliquer ces messieurs les mdecins savants et
+experts apoticaires. Voil pourquoy ces messieurs ont ordinairement de
+trs-belles et bonnes fortunes, car ils savent blesser et remdier,
+ainsi que fit la lance de Plias. J'ai cogneu cet apoticaire dont je
+viens de parler cette heure, duquel faut que je die ce petit mot en
+passant, que je le vis Geneve la premire fois que je fus en Italie,
+par ce que pour lors ce chemin par-l estoit commun pour les Franois,
+et par les Suisses et Grisons, cause des guerres. Il me vint voir
+mon logis. Soudain je luy demanday ce qu'il faisoit en cette ville, et
+s'il estoit-l pour mdeciner les filles, comme il avoit fait en France.
+Il me respondit qu'il estoit-l pour en faire pnitence. Comment! ce
+dis-je, est-ce que vous n'y mangez de si bons morceaux comme l?&mdash;H!
+monsieur, me rpliqua-il, c'est parce que Dieu m'a appell, et que je
+suis illumin de son Saint-Esprit, et que j'ay maintenant la
+connoissance de sa sainte parole.&mdash;Ouy, luy dis-je; et ds ce temps-l
+si estis-vous de la religion, et si vous vous mesliez de mdeciner les
+corps et les ames, et preschis et instruisis les filles.&mdash;Mais,
+monsieur, je reconnois cette heure mieux mon Dieu, rpliqua-il encore,
+qu'alors, et ne veux plus pcher. Je tais plusieurs autres propos que
+nous eusmes sur ce sujet, tant serieusement qu'en riant. Mais ce maraud
+joit de ce boucon, qui estoit bien plus digne d'un galant homme que de
+luy. Si est-ce que bien luy servit de vuider de cette maison de bonne
+heure, car mal luy en eust pris. Or laissons cela. Que maudit soit-il<a
+name="page_220" id="page_220"></a> pour la haine et l'envie que je luy
+porte, ainsi que M. de Ronsard parloit un mdecin qui venoit voir sa
+maistresse soir et matin, plus pour luy taster son teton, son sein, son
+ventre, son flanc et son beau bras, que pour la mdeciner de la fievre
+qu'elle avoit; dont il en fit un trs-gentil sonnet, qui est dans son
+second livre des Amours, qui se commence:</p>
+
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="poesie">
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Ha! que je porte et de haine et d'envie</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Au mdecin qui vient soir et matin,</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Sans nul propos, tastonner le testin,</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Le sein, le ventre et les flancs de m'amie!</span></td></tr>
+</table>
+
+<p>&mdash;Je porte de mesme une grande jalousie un mdecin qui faisoit traits
+pareils une belle grande dame, que j'aymois, et de qui je n'avois
+telle et pareille privaut, et je l'eusse desire plus qu'un petit
+royaume. Telles gens certes sont extrmement bienvenus des dames, et y
+acquirent de belles adventures, quand ils les veulent rechercher. J'ay
+cogneu deux mdecins la Cour, qui s'appeloient, l'un M. Castelan,
+mdecin de la Reyne-mre, et l'autre le seigneur Cabrion, mdecin de M.
+de Nevers, et qui avoit est feu Ferdinand de Gonzague. Ils ont eu
+tous deux des rencontres d'amour, ce qu'on disoit, que les plus grands
+de la Cour se fussent donnez au diable, par manire de parler, pour
+estre leurs corrivaux. Je devisois un jour, le feu baron de Vitaux et
+moy, avec M. Le Grand, un grand mdecin de Paris, de bonne compagnie et
+de bon devis, luy estant venu voir le dit baron, qui estoit malade des
+affaires d'amour; et tous deux l'interrogeant sur plusieurs propos et
+ngociations des dames, ma foy, il nous en conta bien, et nous en fit
+une douzaine de contes qui levoient la paille; et s'y enfona si avant,
+que, l'heure de neuf venant sonner, il nous dit, en se levant de la
+chaire o il estoit assis: Vrayment, je suis plus grand fol que vous
+autres, qui m'avez retenu icy deux bonnes heures baguenauder avec vous
+autres, et cependant j'ay oubli six ou sept malades qu'il faut que
+j'aille voir. Et, nous disant adieu, part et s'en va, non sans nous
+dire, aprs que nous luy eusmes dit: Vous avez, messieurs les mdecins,
+vous en savez et en faites de bonnes, et mesmes vous, monsieur, qui en
+venez parler comme maistre. Il respondit (en baissant la teste):
+Semon, semon, ouy, ouy, nous en savons et faisons de bonnes, car nous
+savons des secrets que tout le monde ne sait pas: mais cette heure
+que je suis vieux, j'ay<a name="page_221" id="page_221"></a> dit adieu Vnus et son enfant; je laisse
+cela vous autres qui estes jeunes. Une autre espce de gens y a-t-il
+qui a bien gast des filles quand on les met apprendre les lettres,
+qui sont leurs prcepteurs, et le font quand ils veulent estre
+meschants; car, leur faisants leons, et estants seuls dans une chambre
+ou dans une estude, je vous laisse penser quelles commoditez ils y
+ont, et quelles histoires, contes et fables ils leur peuvent allguer
+propos pour les mettre en chaleur; et, lorsqu'ils les voyent en telles
+altres et appetits, comme ils vous savent prendre l'occasion au poil.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay cogneu une fille de fort bonne maison, et grande, vous dis-je,
+qui se perdit et se rendit putain pour avoir ouy raconter son maistre
+d'escole l'histoire, ou plutost la fable de Tirsias; lequel, pour avoir
+essay l'un et l'autre sexe, fut leu juge par Jupiter et Junon, sur une
+question meue entr'eux deux, savoir qui avoit et sentoit plus de
+plaisir au cot et acte vnrien, ou l'homme ou la femme. Le juge dput
+jugea contre Junon que c'estoit la femme; dont elle, de dpit d'avoir
+est juge, rendit le pauvre juge aveugle et luy osta la veu. Il ne se
+faut esbahyr si cette fille fut tente par un tel conte; car, puis
+qu'elle oyoit souvent dire, ou ses compagnes, ou d'autres femmes,
+que les hommes estoient si ardents aprs cela, et y prenoient si grand
+plaisir, que les femmes, veue la sentence de Tirsias, en devoient bien
+prendre davantage; et, par consquent, il le faut esprouver. Vrayment,
+telles leons se devoient bien faire ces filles; n'y en a-t-il pas
+d'autres? Mais leurs maistres diront qu'elles veulent tout savoir, et
+que, puis qu'elles sont l'estude, si les passages et histoires se
+rencontrent qui ont besoin d'estre expliques (ou que d'elles-mesmes
+s'expliquent), il faut bien leur expliquer et leur dire sans sauter ou
+tourner le feuillet. Combien de filles estudiantes se sont perdues
+lisant cette histoire que je viens de dire, et celle de Biblis, de
+Camus<a name="FNanchor_80_80" id="FNanchor_80_80"></a><a href="#Footnote_80_80" class="fnanchor">[80]</a>, et force autres pareilles, escrites dans la <i>Mtamorphose</i>
+d'Ovide, jusques au livre de l'<i>Art d'aimer</i> qu'il a fait; ensemble une
+infinit d'autres fables lascives, et propos lubrics d'autres potes,
+que nous avons en lumire, tant franois, latins, que grecs, italiens,
+espagnols! Aussi dit le refrain espagnol: <i>de una mula que haze hin, y
+de una hija que habla latin, libera nos, Domine</i><a name="FNanchor_81_81" id="FNanchor_81_81"></a><a href="#Footnote_81_81" class="fnanchor">[81]</a>. Et on sait, quand
+leurs<a name="page_222" id="page_222"></a> maistres veulent estre meschants, et qu'ils font de telles leons
+ leurs disciples, comment ils les savent engraver et donner la saulce,
+que le plus pudique du monde s'y laisseroit aller. Saint Augustin
+mesmes, en lisant le quatrime livre de l'<i>Enede</i>, o sont contenus les
+amours et la mort de Didon, ne s'en esmeut-il pas de compassion, et ne
+s'en adolora? Je voudrois avoir autant de centaines d'escus comme il y a
+eu de filles, tant du monde que de religieuses, qui se sont emeues,
+pollues et despuceles, par la lecture d'<i>Amadis de Gaules</i>. Je vous
+laisse penser que pouvoient faire des livres grecs, latins et autres,
+glosez, commentez et interprtez par leurs maistres, fins renards et
+corrompus, meschants garnements, dans leurs chambres secretes et parmy
+leurs oisivetez.</p>
+
+<p>&mdash;Nous lisons en la vie de saint Louis, dans l'<i>Histoire de Paul Emile</i>,
+d'une Marguerite, comtesse de Flandres, s&oelig;ur de Jeanne, fille du
+premier Baudoin, empereur de Grce et qui luy succda, d'autant qu'elle
+n'eut point d'enfants, dit l'histoire: on luy bailla en sa premire
+jeunesse un prcepteur appel Guillaume, homme de sainte vie, estim, et
+qui avoit dj pris quelques ordres de prestrise, qui nanmoins ne
+l'empescha pas de faire deux enfants sa disciple, qui furent appels
+Jean et Beaudoin, et si secretement que peu de gens s'en apperceurent,
+lesquels furent aprs pourtant approuvez lgitimes du pape. Quelle
+sentence et quel pdagogue! Voyez l'histoire.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay cogneu une grande dame la Cour, qui avoit la rputation de se
+faire entretenir son liseur et faiseur de leons; si bien que Chicot,
+bouffon du Roy, luy en fit le reproche publiquement devant Sa Majest et
+force autres personnes de sa Cour, luy disant si elle n'avoit pas de
+honte de se faire entretenir (disant le mot) un si laid et si vilain
+masle que celuy-l, et si elle n'avoit pas l'esprit d'en choisir un plus
+beau. La compagnie s'en mit fort rire et la dame pleurer, ayant
+opinion que le Roy avoit fait joer ce jeu; car il estoit coustumier de
+faire joer ces esteufs. Cette dame, et les autres qui font telles
+lections de telles manieres de gens, ne sont nullement excusables, mais
+bien fort blasmables d'autant qu'elles ont leur libral arbitre, et
+toutes franches sont pleines de leurs libertez et commoditez pour faire
+tel choix qu'il leur plaist. Mais les pauvres filles qui sont sujettes
+esclaves de leurs pres et mres, parents, tuteurs, maistresses, et
+craintives, sont contraintes de prendre<a name="page_223" id="page_223"></a> toutes pierres quand elles les
+trouvent, pour mettre en &oelig;uvre, et n'aviser s'il est froid ou chaud,
+ou rosty ou bouilly: et par ce, selon que l'occasion se rencontre, tant
+qu'elles se servent le plus souvent de leurs valets, de leurs maistres
+d'escole et d'estude, des joueurs de luth, des violons, des appreneurs
+de danses, des peintres, bref, de ceux qui leur apprennent des exercices
+et sciences, voire d'aucuns prescheurs, comme en parle Bocace, et la
+Reyne de Navarre en ses <i>Nouvelles</i>; comme font aussi des pages comme
+j'en ay connus, et des laquais, enfin de ceux qu'elles trouvent
+propos. Et voil pourquoy le mesme Bocace, et autres avec luy, trouvent
+que les filles simples sont plus constantes en amours et plus fermes que
+les femmes et veufves; d'autant qu'elles ressemblent les personnes qui
+sont sur l'eau dans un bateau qui vient s'enfoncer: ceux qui ne savent
+nager nullement se viennent prendre aux premires branches qu'ils
+peuvent attraper, et les tiennent fermement et opiniastrement jusque ce
+que l'on les soit venu secourir; les autres, qui savent bien nager, se
+jettent dans l'eau, et bravement nagent jusques ce qu'elles en ayent
+atteint la rive: tout de mesmes les filles, aussi-tost qu'elles ont
+attrap un serviteur, lequel elles ont premier choisi, le tiennent et le
+gardent fermement, tellement qu'elles ne veulent dsamparer et l'aiment
+constamment, de peur qu'elles ont de n'avoir la libert et la commodit
+d'en pouvoir recouvrer un autre comme elles voudroient; au lieu que les
+femmes maries ou veufves, qui savent les ruses d'amour et qui sont
+expertes, et en ont les libertez et commoditez de nager dans des eaux
+sans danger, prennent tel party qu'il leur plaist; et si elles se
+faschent d'un serviteur ou le perdent, en savent aussi-tost prendre un
+nouveau ou en recouvrent deux; car elles, pour un perdu deux
+recouverts. Davantage, les pauvres filles n'ont pas les moyens, ny les
+biens, ny les escus, pour faire les acquiets tous les jours de nouveaux
+serviteurs; car, c'est tout ce qu'elles peuvent donner leurs amoureux,
+que quelques petites faveurs de leurs cheveux, ou petites perles, ou
+grains, ou bracelets, quelques petites bagues ou escharpes et autres
+petits menus prsents qui ne coustent gures; car, quelque fille, comme
+j'en ay veu, grande, de bonne maison et riche hritire qu'elle soit,
+elle est tenue si courte en ses moyens, ou de ses pere et mere, freres,
+parents et tuteurs; qu'elle n'a pas les moyens de les despartir son
+serviteur ny<a name="page_224" id="page_224"></a> deslier gure largement sa bourse, si ce n'est celle du
+devant: et aussi que d'elles-mesmes elles sont avares, quand ce ne
+seroit que cette seule raison qu'elles n'ont gures de quoy pour
+eslargir, car la libralit consiste et dpend du tout des moyens. Au
+lieu que les femmes et veufves peuvent disposer de leurs moyens fort
+librement, quand elles en ont: et mesme quand elles ont envie d'un
+homme, et qu'elles s'en viennent enamouracher et encapricher, elles
+vendroient et donneroient jusqu' leur chemise plustost qu'elles n'en
+tastassent; la mode des friants et de ceux qui sont sujets leur
+bouche, quand ils ont envie d'un bon morceau, il faut qu'ils en tastent,
+quoy qu'il leur couste au march: Ces pauvres filles ne sont de mesme,
+lesquelles, selon qu'elles le rencontrent, ou bons ou mauvais, il faut
+qu'elles s'y arrestent. J'en allguerois une infinit d'exemples de
+leurs amours et de leurs divers appetits et bizarres joissances; mais
+je n'aurois jamais finy, et aussi que les contes n'en vaudraient rien si
+on ne les nommoit et par nom et par surnom, ce que je ne veux faire pour
+tout le bien du monde, car je ne les veux scandaliser, et j'ay protest
+de fuyr en ce livre tout scandale, car on ne me sauroit reprocher
+d'aucune mdisance. Et pour allguer des contes et oster les noms, il
+n'y a nul mal, et j'en laisse deviner au monde les personnes dont il
+est question; et bien souvent en penseront une qui en sera l'autre.</p>
+
+<p>&mdash;Or, tout ainsi que l'on voit des bois de telles et diverses natures,
+que les uns bruslent tous verts, comme est le fresne, le fayan; et
+aussi-tost d'austres, qui auroient beau estre secs, vieux et taillez de
+long-temps, comme est l'hommeau, le vergne, et d'autres, ne bruslent
+qu' toutes les longueurs du monde: force autres, comme est le gnral
+naturel de tous bois secs et vieux, bruslent en leurs seicheresses et
+vieillesse si soudainement, qu'il semble qu'il soit plustost consomm et
+mis en cendres que brusl. De mesmes sont les filles, les femmes et les
+veufves: les unes, ds lors qu'elles sont en la verdeur de leur age,
+bruslent aisment et si bien, qu'on diroit que ds le ventre de leur
+mre elles en rapportent la chaleur amoureuse et le putanisme; et ainsi
+que fit la belle Las de la belle Timandre, sa putain de mre
+trs-insigne, jusques l qu'elle n'attend pas seulement le temps de
+maturit, qui peut estre douze ou treize ans, qu'elle monte en amour,
+mesme plustost, ainsi qu'il advint il n'y a pas douze ans Paris, d'une
+fille d'un patissier, laquelle se trouva grosse en l'age de neuf<a
+name="page_225" id="page_225"></a> ans<a name="FNanchor_82_82" id="FNanchor_82_82"></a><a href="#Footnote_82_82" class="fnanchor">[82]</a>; si bien qu'estant fort malade de
+sa grossesse, son pre en ayant port de l'urine au mdecin, ledit
+mdecin dit aussi-tost qu'elle n'avoit autre maladie, sinon qu'elle
+estoit grosse. Comment! respondit le pre, monsieur, ma fille n'a que
+neuf ans. Qui fut esbahy? ce fut le mdecin. C'est tout un, dit-il;
+pour le seur elle est grosse. Et, l'ayant visite de plus prs, il la
+trouva ainsi; et ayant confess avec qui elle avoit eu faire, son
+galand fut puny de mort par la justice, pour avoir eu faire elle
+un age si tendre, et l'avoir fait porter si jeunement. Je suis bien mary
+qu'il m'ait fallu apporter cet exemple et le mettre icy, d'autant qu'il
+est d'une personne prive et de basse condition, pour ce que j'ay
+dlibr de n'eschafourer mon papier de si petites personnes, mais de
+grandes et hautes. Je me suis un peu extravagu de mon dessein; mais,
+par ce que ce conte est rare et inusit, je seray excus; et aussi que
+je ne sache point tel miracle advenu nos grandes dames d'estat, que
+j'aye bien sceu, ouy bien qu'en tel age de neuf, de dix, de douze et de
+treize ans, elles ayent port et endur fort aisment le masle, soit en
+fornication, soit en mariage, comme j'en allguerois plusieurs exemples
+de plusieurs desvirgines en telles enfances, sans qu'elles en soient
+mortes, non pas seulement pasmes du mal, si-non du plaisir.</p>
+
+<p>Surquoy il me souvient d'un conte d'un galant et beau seigneur s'il en
+fut oncques, lequel est mort, et, se plaignant un jour de la capacit de
+la nature des filles et femmes avec lesquelles il avoit ngoci, il
+disoit qu' la fin il seroit contraint de rechercher les filles
+enfantines, et quasi sortantes hors du berceau, pour ny sentir tant de
+vagues en si pleine mer, comme il avoit fait avec les autres, et pour
+plus plaisir nager un destroit. S'il eust adress ces paroles une
+grande et honneste dame que je connois, elle lui eust fait la mesme
+response qu'elle fit un gentilhomme de par le monde, qui, lui faisant
+une mesme complainte, elle luy respondit: Je ne say qui se doit
+plustost plaindre, ou vous autres hommes de nos capacitez et amplitudes,
+ou nous autres femmes de vos petitesses ou menuises, ou plustost petites
+menuseries; car il y a autant se plaindre en vous autres que vous en
+nous, que si vous portiez vos mesures pareilles nos calibres,<a
+name="page_226" id="page_226"></a> nous n'aurions rien nous reprocher les
+uns aux autres. Celle-l parloit par vraye raison; et c'est pourquoy
+une grande dame, un jour la Cour regardant et contemplant ce grand
+Hercule de bronze qui est en la fontaine de Fontainebleau, elle estant
+tenue sous les bras par un gentilhomme qui la couduisoit, elle lui dit
+que cet Hercule, encore qu'il fust trs-bien fait et reprsent,
+n'estoit pas si bien proportionn de tous ses membres comme il falloit,
+d'autant que celuy du mitan estoit par trop petit et par trop inesgal,
+et peu correspondant son grand colosse de corps. Le gentilhomme luy
+respondit qu'il n'y trouvoit rien redire de ce qu'elle luy disoit,
+si-non qu'il falloit croire que de ce temps les dames ne l'avoient si
+grand comme du temps d'aujourd'huy.</p>
+
+<p>&mdash;Une trs-grande dame et princesse<a name="FNanchor_83_83" id="FNanchor_83_83"></a><a href="#Footnote_83_83" class="fnanchor">[83]</a>, ayant seu que quelques-uns
+avoient impos son nom une grosse et grande colouvrine, elle demanda
+pourquoy. Il y eu eut un qui respondit: C'est par ce, madame, qu'elle a
+le calibre plus grand et plus gros que les autres. Si est-ce pourtant
+qu'elles y ont trouv assez de remede, et en trouvent tous les jours
+assez pour rendre leurs portes plus estroites, quarres et plus
+malaises d'entre; dont aucunes en usent, et d'autres non; mais
+nonobstant, quand le chemin y est bien battu et fray souvent par
+continuelle habitation et frquentation, ou passages d'enfants, les
+ouvertures de plusieurs en sont toujours plus grandes et plus larges. Je
+me suis l un peu perdu et desvoy; mais puis que a est propos il
+n'y a point de mal, et je retourne mon chemin.</p>
+
+<p>&mdash;Plusieurs autres filles y a-t-il lesquelles laissent passer cette
+grande tendreur et verdeur de leurs ans, et en attendent les plus
+grandes maturitez et seicheresses, soit ou qu'elles sont de leur nature
+trs-froides leur commencement et leur avenement, car il y en a et
+s'en trouve, soit ou qu'elles soient tenues de court, comme il est bien
+ncessaire aucunes, comme dit le refrain esgnol, <i>vignas e hinas son
+muy malas guardar</i>; c'est--dire: Les vignes et les jeunes filles
+sont fort difficiles garder, que pour le moins quelque passant,
+paysant ou sjournant n'en taste aucunes. Il y en a aussi qui sont
+immobiles, que tous les aquilons et vents d'un hyver ne sauraient
+esmouvoir ny esbranler. Il y a d'autres si sottes, si simples, si
+grossieres et si ignares, qu'elles<a name="page_227" id="page_227"></a> ne voudroient pas ouyr nommer
+seulement ce nom d'amour. Comme j'ay ouy parler d'une femme qui faisoit
+de l'austre et rforme, que quand elle entendoit parler d'une putain
+elle en evanouissoit soudain; et ainsi qu'on faisoit ce conte un grand
+seigneur devant sa femme, il disoit: Que cette femme ne vienne donc pas
+cans; car si elle evanoit pour ouyr parler des putains, elle mourra
+tout trac cans pour en voir. Il y a pourtant des filles que,
+lorsqu'elles commencent un peu sentir leur c&oelig;ur, elles s'y
+apprivoisent si bien, qu'elles viennent manger aussitost dans la main.
+D'autres sont si dvotes et consciencieuses, craignant tant les
+commandements de Dieu nostre souverain, qu'elles renvoyent bien loin
+celuy d'amour. Mais pourtant en ay-je veu force de ces dvotes
+patenostrieres, mangeuses d'images, et citadines ordinaires d'glises,
+qui, sous cette hypocrisie, couvoient et cachoient leurs feux, afin que
+par telles feintes et faux semblants, le monde ne s'en apperceust, et
+les estimast trs-prudes, voire demi saintes. Mais bien souvent elles
+ont tromp le monde et les hommes. Ainsy que j'ay ouy raconter d'une
+grande princesse, voire reyne, qui est morte, laquelle, quand elle
+vouloit attaquer quelqu'un d'amour (car elle y estoit fort sujette),
+commenoit tousjours ses propos par l'amour de Dieu que nous lui devons,
+et soudain les faisoit tomber sur l'amour mondain, et sur son intention
+qu'elle en vouloit celuy auquel elle parloit, dont par aprs elle en
+venoit au grand &oelig;uvre, ou, pour le moins, la quittessence. Et voil
+comme nos dvotes, ou plustost bigotes, nous trompent; je dis ceux-l
+qui, peu rusez, ne connoissent leur vie.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy faire un conte, je ne say s'il est vray; mais un de ces ans,
+se faisant une procession gnrale une ville de par le monde, se
+trouva une femme, soit grande ou petite, en pieds nuds et grande
+condition<a name="FNanchor_84_84" id="FNanchor_84_84"></a><a href="#Footnote_84_84" class="fnanchor">[84]</a>, faisant de la marmiteuse plus que dix, et c'estoit en
+caresme: au partir de l elle s'en alla disner avec son amant d'un
+quartier de chevreau et d'un jambon: la senteur en vint jusqu' la ru;
+on monta en haut, et on la trouva en telle magnificence, qu'elle fut
+prise et condamne de la promener par la ville avec son quartier
+d'agneau la broche sur l'espaule et le jambon pendu au col.
+N'estoit-ce pas bien employ de la punir de cette faon?</p>
+
+<p>&mdash;D'autres dames y en a qui sont superbes, orgueilleuses, qui<a
+name="page_228" id="page_228"></a> ddaignent et le ciel et la terre par
+manire de dire, qui rabroent les hommes et leurs propres amoureux, et
+les rechassent loin; mais telles il faut user de temporisement
+seulement et de patience et de continuation, car avec tout cela et le
+temps vous les mettez et avez sous vous l'humilit, estant le propre
+et superbe de la gloire, aprs avoir fait assez des siennes et mont
+bien haut, de descendre et venir au rabais: et mesmes de ces glorieuses
+en ay-je veu aucunes lesquelles bien souvent, aprs avoir bien desdaign
+l'amour et ceux qui leur en parloient, s'y rangeoient, les aimoient,
+jusqu' espouser aucuns qui estoient de basse condition et nullement
+elles en rien pareils. Et ainsi se joue amour d'elles et les punit de
+leur outrecuidance, et se plaist de s'attaquer elles plustost qu'
+d'autres, car la victoire en est plus glorieuse, puis qu'elles
+surmontent la gloire. J'ay cogneu d'autrefois une fille la Cour, si
+entiere et si desdaigneuse, que quand quelque habile et galant homme la
+venoit accoster et la taster d'amour, elle luy respondoit si
+orgueilleusement, en si grand mespris de l'amour, par paroles si
+rebelles et arrogantes (car elle disoit des mieux), que plus il n'y
+retournoit: et si, par cas fortuit, quelquefois on la vouloit accoster
+et s'y prendre, comment elle les renvoyoit et rabrooit, et de paroles,
+et de gestes, avec mines desdaigneuses; car elle estoit trs-habile.
+Enfin l'amour la punit, et se laissa si bien aller un qu'il l'engrossa
+quelque vingt jours avant qu'elle se mariast; et si pourtant c'est un
+qui n'estoit nullement comparable force autres honnestes gentilhommes
+qui l'avoient voulu servir. En cela il faut dire avec Horace, <i>sic
+placet Veneri</i>; c'est--dire, c'est ainsi qu'il plaist Vnus; et ce
+sont de ses miracles.</p>
+
+<p>&mdash;Il me vint en fantaisie une fois la comdie d'y servir une belle et
+honneste fille, habile s'il en fut oncques, de fort bonne maison, mais
+glorieuse et fort haute la main, dont j'estois amoureux extrmement.
+Je m'advisois de la servir et arraisonner aussi arrogamment comme elle
+me pouvoit parler et respondre; car brave brave et demy. Elle ne s'en
+sentit pour cela nullement intresse, car, en la menant de telle faon,
+je la loois extrmement, d'autant qu il n'y a rien qui amollisse plus
+un c&oelig;ur dur d'une dame que la loange, autant de ses beautez et
+perfections, que de sa superbit; voire luy disant qu'elle luy soit
+trs-bien, veu qu'elle ne tenoit rien du commun, et qu'une fille ou
+dame, se rendant par trop prive et commune, ne se tenant sur un port
+altier et sur<a name="page_229" id="page_229"></a> une rputation hautaine, n'estoit bien digne d'estre
+ferme<a name="FNanchor_85_85" id="FNanchor_85_85"></a><a href="#Footnote_85_85" class="fnanchor">[85]</a>; et pour ce, que je l'en honorois davantage, et que je ne la
+voulois jamais appeler autrement que ma <i>Gloire</i>. En quoy elle se pleut
+tant, qu'elle voulut aussi m'appeler son <i>Arrogant</i>. Continuant ainsi
+tousjours, je la servis longuement; et si me peux vanter que j'eus part
+en ses bonnes graces autant ou plus que grand seigneur de la Cour qui la
+voulut servir; mais un trs-grand favory du Roy, brave certes et
+vaillant gentilhomme, me la ravit, et par la faveur de son Roy
+l'espousa. Et pourtant, tant qu'elle a vescu, telles alliances ont
+tousjours dur entre nous deux, et l'ay tousjours trs-honore. Je ne
+say si je seray repris d'avoir fait ce conte, car on dit volontiers que
+tout conte fait de soy n'est pas bon; mais je me suis esgar ce coup,
+encore que dans ce livre j'en aye fait plusieurs de moy-mesme en toutes
+faons, mais je tais le nom.</p>
+
+<p>&mdash;Il y a encore d'autres filles qui sont de si joyeuse complexion, et
+qui sont si folastres, si endemenes et si enjoes, qui ne se mettent
+autres sujets en leurs penses qu' songer rire, passer leur temps
+et folastrer, qu'elles n'ont pas l'arrest d'ouyr ny songer autre
+chose, sinon leurs petits esbattements. J'en ay connues plusieurs qui
+eussent mieux aim ouyr un violon, ou danser, ou sauter, ou courir, que
+tous les propos d'amour: aucunes la chasse, si bien qu'elles se
+pouvoient plustost nommer s&oelig;urs de Diane que de Vnus. J'ay cogneu un
+brave et galant seigneur, mais il est mort, qui devint si fort perdu de
+l'amour d'une fille, et puis dame, qu'il en mouroit; car, disoit-il,
+lorsque je luy veux remonstrer mes passions, elle ne me parle que de ses
+chiens et de sa chasse, si bien que je voudrois de bon c&oelig;ur estre
+mtamorphos en quelque beau chien ou levrier, ou que mon ame fust
+entre dans leur corps, selon l'opinion de Pythagore, afin qu'elle se
+pust arrester mon amour, et mon ame gurir de ma play. Mais aprs il
+la laissa, car il n'estoit pas bon laquais, et ne la pouvoit suivre ny
+accompagner partout o ses humeurs gaillardes, ses plaisirs et ses
+esbattements la conduisoient. Si faut-il noter une chose, que telles
+filles, aprs avoir laiss leur poulinage et jett leur gourme (comme
+l'on dit des poulains), et aprs s'estre ainsi esbattues au petit jeu,
+veulent essayer le grand, quoy qu'il tarde; et telle jeunesse ressemble
+ celle de petits jeunes loups, lesquels sont tous<a name="page_230" id="page_230"></a> jolis, gentils et
+enjoez en leur poil follet; mais, venant sur l'aage, ils se
+convertissent en malice et mal faire. Telles filles que je viens de
+dire font de mesme, lesquelles, aprs s'estre bien joes et pass leurs
+fantaisies en leurs plaisirs, et jeunesses en chasses, en bals, en
+voltes, en courantes et en danses, ma foy, aprs elles se veulent mettre
+ la grande danse et la douce carolle de la desse d'amour. Bref, pour
+faire fin finale, il ne se voit gures de filles, femmes ou veufves qui
+tost ou tard ne bruslent, ou en leurs saisons ou hors de leurs saisons,
+comme tous bois, fors un qu'on nomme <i>larix</i>, duquel elles ne tiennent
+nullement. Ce larix donc est un bois qui ne brusle jamais, et ne fait
+feu, ny flamme, ny charbon, ainsi que Jules Csar en fit l'exprience
+retournant de la Gaule. Il avoit mand ceux du Piedmont de luy fournir
+vivres et dresser estappes sur son grand chemin du camp. Ils luy
+obyrent, fors ceux d'un chasteau appel Larignum, o s'estoient retirs
+quelques meschants garnements, qui firent des refusants et rebelles, si
+bien qu'il fallut Csar rebrousser et les aller assiger. Approchant
+de la forteresse, il vit qu'elle n'estoit fortifie que de bois, dont il
+s'en moqua, disant que soudain il l'auroit. Parquoy commanda aussi-tost
+d'apporter force fagots et paille pour y mettre le feu, qui fut si grand
+et fit si grande flamme, que bien-tost on en esproit voir la ruine et
+destruction; mais, aprs que le feu fut consomm et la flamme disparue,
+tous furent bien estonnez, car ils virent la forteresse en mesme estat
+qu'auparavant et en son entier, et point brusle ny ruyne: dont il
+fallut Csar qu'il s'aidast d'autre remede, qui fut par sappe, ce qui
+fut cause que ceux de dedans parlementerent et se rendirent; et d'eux
+apprit Csar la vertu de ce bois larix, duquel portoit nom ce chasteau
+Larignum, parce qu'il en estoit basti et fortifi. Il y a plusieurs
+peres, meres, parents et marys, qui voudroient que leurs filles et
+femmes participassent du naturel de ce bois, ils en auroient leur esprit
+plus content, et n'auroient si souvent la puce en l'oreille, et n'y
+auroit tant de putains ny de cocus. Mais il n'en est pas de besoin, car
+le monde en demeureroit plus despeupl, et y vivroit-on comme marbres,
+sans aucuns plaisirs ny sentiments, ce disoit quelqu'un et quelqu'une
+que je say, et nature demeureroit imparfaite; au lieu qu'elle est
+trs-parfaite, laquelle si nous suivons comme un bon capitaine, nous ne
+sortirons jamais du bon chemin.<a name="page_231" id="page_231"></a></p>
+
+<hr style="width: 15%;" />
+
+<h3>ARTICLE III.</h3>
+
+<p class="c">De l'amour des veufves. </p>
+
+<p>Or, c'est assez parl des filles, il est raison maintenant que nous
+parlions de mesdames les veufves leur tour. L'amour des veufves est
+bon, ais et profitable, d'autant qu'elles sont en leur pleine libert,
+et nullement esclaves des peres, meres, freres, parents et marys, ny
+d'aucune justice, qui plus est. On a beau faire l'amour une veufve et
+coucher avec, on n'en est point puny, comme l'on est des filles et des
+femmes. Mesmes les Romains, qui nous ont donn la pluspart des loix que
+nous avons, ne les ont jamais fait punir pour ce fait, ny en leur corps
+ny en leurs biens: ainsi que je tiens d'un grand jurisconsulte, qui
+m'allguoit l-dessus Papinian, ce grand jurisconsulte aussi, lequel,
+traitant de la matiere des adulteres, dit que, si quelquefois par
+mesgarde on avoit compris sous ce nom d'adultere la honte de la fille ou
+de la veufve, c'estoit abusivement parler; et en autre passage il dit
+que l'hritier n'a nulle rprimende ou esgard sur les m&oelig;urs de la
+veufve du deffunt, n'estoit que le mary en son vivant eust fait appeler
+sa femme en justice pour cela, car lors ledit hritier en pouvoit
+prendre arrements de la poursuite, et non autrement. Et, de fait, on ne
+trouve point en tout le droit des Romains aucune peine ordonne la
+veufve, si-non celle qui se remarieroit dans l'an de son deuil, ou
+qui, ne se remariant, avoit fait enfant aprs l'onsiesme mois d'un mesme
+an, estimant le premier an de son veufvage estre affect l'honneur de
+son premier lict. Et, quant son douaire, l'hritier ne luy eust sceu
+faire perdre, quand bien elle eust fait toutes les folies du monde de
+son corps; et en alleguoit une belle raison (celuy de qui je tiens
+cecy); car si l'hritier qui n'a aucun pensement que le bien, en luy
+ouvrant la porte pour accuser la veufve de ce forfait et la priver de
+son dot, on l'ouvriroit tout d'une main la calomnie; et n'y auroit
+veufve, si femme de bien fust-elle, qui pust se sauver des calomnieuses
+poursuites de ces galants hritiers, selon ces dires. Comme je voy, les
+veufves romaines avoient bon temps et bon sujet de s'esbattre: et ne se
+faut estonner si une, du temps de Marc Aurele, ainsi qu'il se trouve en
+sa vie, comme elle alloit au convoy des funrailles de son mary, parmy
+ses plus grands cris, sanglots,<a name="page_232" id="page_232"></a> soupirs, pleurs et lamentations,
+serroit la main si estroitement celuy qui la tenoit et conduisoit,
+faisant signal par-l que c'estoit en nom d'amour et de mariage, qu'au
+bout de l'an, ne le pouvoit espouser que par dispense (ainsi que fut
+dispens Pompe quand il espousa la fille de Csar; mais elle ne se
+donnoit gures qu'aux plus grands et grandes, comme j'ay ouy dire un
+grand personnage), il l'espousa, et cependant en tiroit tousjours de
+bons brins, et empruntoit force pains sur la fourne, comme l'on dit.
+Cette dame ne vouloit rien perdre, mais se pourvoyoit de bonne heure;
+et, pour cela, ne perdoit rien de son bien ny de son douaire.</p>
+
+<p>Voil comme les veufves romaines estoient heureuses, comme sont bien
+encore nos veufves franoises, lesquelles, pour se donner leur c&oelig;ur
+et gentil corps joye, ne perdent rien de leurs droits, bien que par les
+parlements il y en ait eu plusieurs causes dbattues. Ainsi que je say
+un grand et riche seigneur de France, qui fit long-temps plaider sa
+belle-s&oelig;ur sur son dot, luy imposant sa vie estre un peu lubrique, et
+quelque autre crime plus grief que celuy mesl parmy; mais, nonobstant,
+elle gagna son procs, et fallut que le beau-frere la dotast trs-bien,
+et luy donnast ce qui luy appartenoit: mais pourtant l'administration de
+son fils et fille luy fut oste, d'autant qu'elle se remaria; quoy les
+juges et grands snateurs des parlements ont esgard, ne permettant aux
+veufves qui convolent au second mariage, la tutelle de leurs enfants. Et
+encore il n'y a pas long-temps que je say deux veufves d'assez bonne
+qualit, qui ont emport leurs filles mineures, s'estant remaries, par
+dessus leurs beaux-freres et autres de leurs parents; mais aussi elles
+furent grandement secourues des faveurs du prince qui les entretenoit.
+Mais de ces sujets, meshuy je m'en desparts d'en parler, d'autant que ce
+n'est pas ma profession, et que, pensant dire quelque chose de bon,
+possible ne dirois-je rien qui vaille: je m'en remets nos grands
+lgislateurs.</p>
+
+<p>Or, de nos veufves, les unes se plaisent tourner encore en mariage, et
+en resonder encore le guay, comme les mariniers qui, sauvez de deux,
+trois ou quatre naufrages, retournent encore la mer, et comme font
+encore les femmes maries, qui, en leur mal d'enfant, jurent, protestent
+de n'y retourner jamais, et que jamais homme ne leur fera rien; mais
+elles ne sont pas plustost purifies, les voil encore au premier
+branle. Ainsi qu'une dame espagnolle, laquelle, estant en mal d'enfant,
+se fit allumer une chandelle de Nostre-Dame de Montferrat qui aide fort
+ enfanter,<a name="page_233" id="page_233"></a> pour la vertu de ladite Nostre-Dame. Toutefois, ne laissa
+d'avoir de grandes douleurs, et jurer que plus jamais elle n'y
+retourneroit. Elle ne fut pas plustost accouche, qu'elle dit la femme
+qui la luy donnoit allume: <i>Serra esto cabillo de candela para otra
+vez</i>; c'est--dire: Serrez ce bout de chandelle pour une autre fois.</p>
+
+<p>D'autres dames ne se veulent marier; et de celles qui n'en veulent
+point, plusieurs y en a, et y en a eu, lesquelles, venues en viduit sur
+le plus beau de leur age, s'y sont contenues. Nous avons veu la
+Reine-Mere, en l'age de trente-sept trente-huit ans, estant tombe
+veufve, qui s'est tousjours contenue veufve; et, bien qu'elle fust
+belle, bien agrable et trs-aimable, ne songea pas tant seulement un
+seul pour l'espouser. Mais l'on me dira aussi, qui eust-elle sceu
+espouser qui eust est sortable sa grandeur, et pareil ce grand roy
+Henry, son feu seigneur et mary, et qu'elle eust perdu le gouvernement
+du royaume, qui valoit mieux que cent marys, et dont l'entretien en
+estoit bien meilleur et plus plaisant. Toutefois, il n'y a rien que
+l'amour ne fasse oublier; et d'autant est-elle loer, et estre
+recoude au temple de la gloire et immortalit, de s'estre vaincue et
+commande, et n'avoir fait comme une Reyne Blanche, laquelle, ne se
+pouvant contenir, vint espouser son maistre d'hostel, qui s'appelloit
+le sieur de Rabaudange; ce que le roy son fils, pour le commencement,
+trouva fort estrange et amer; mais pourtant, parce qu'elle estoit sa
+mre, il excusa et pardonna audit Rabaudange, pour l'avoir espouse, en
+ce que, le jour, devant le monde, il la servoit tousjours de
+maistre-d'hostel, pour ne priver sa mere de sa grandeur et majest; et
+la nuict elle en feroit ce qu'elle voudroit, s'en serviroit, ou de valet
+ou de maistre, remettant cela leurs discrtions et volontez, et de
+l'un et de l'autre; mais pensez qu'il commandoit: car, quelque grande
+qu'elle soit, venant-l, elle est tousjours subjugu par le suprieur,
+selon le droit de la nature et de l'agent en cela. Je tiens ce conte du
+feu grand cardinal de Lorraine dernier, lequel le faisoit Poissy au
+roy Franois second, lorsqu'il fit les dix-huit chevaliers de l'ordre de
+Saint-Michel, nombre trs-grand, non encore veu, ny jamais ouy
+jusqu'alors; et, entre autres, il y eut le seigneur de Rabaudange, fort
+vieux, lequel on n'avoit veu de long-temps la Cour, si-non aucuns
+voyages de nos autres guerres, s'estant retir ds la mort de M. de
+Lautrec, de tristesse et de despit, comme l'on voit souvent, pour avoir
+perdu son bon maistre,<a name="page_234" id="page_234"></a> duquel il estoit capitaine de sa garde au voyage
+du royaume de Naples, o il mourut; et disoit encore monsieur le
+cardinal, qu'il pensoit que ce monsieur de Rabaudange estoit venu et
+descendu de ce mariage. Il y a quelque temps qu'une dame de France
+espousa son page aussi-tost qu'elle l'eust jet hors de page, et qui
+s'estoit assez tenue en viduit.</p>
+
+<p>Or c'est assez parl de ces veufves. Parlons maintenant d'autres, qui
+sont celles qui, abhorrans les v&oelig;ux et rformations des secondes
+nopces, s'en accommodent, et rclament encore le doux et plaisant dieu
+Hymene. Il y en a les unes qui, par trop amoureuses de leurs serviteurs
+durant la vie de leurs marys, y songent desj avant qu'ils soient morts,
+et projettent entre elles et leurs serviteurs comment ils s'y
+comporteroient. Ah! disent-elles, si mon mary estoit mort, nous ferions
+cecy, nous ferions cela; nous vivrions de cette faon, nous nous
+accommoderions de cette autre, et ainsi si accortement, que l'on ne se
+douteroit jamais de nos amours passez; nous ferions une vie si
+plaisante! aprs nous irions Paris, la Cour; nous nous
+entretiendrions si bien que rien ne nous sauroit nuire: vous feris la
+cour une telle, et moy un tel; nous aurions cecy du Roy, nous
+aurions cela. Nous ferions pourvoir nos enfants de tuteurs et curateurs:
+nous n'aurions faire de leurs biens ny affaires, et ferions les
+nostres, ou bien nous joirions de leurs biens en attendant leur
+majorit. Nous aurions les meubles et ceux de mon mary. Pour le moins,
+cela ne me sauroit manquer, car je say o sont les titres et escrits
+(et force autres paroles). Bref, qui seroit plus heureux que nous?</p>
+
+<p>Voil les beaux desseins que font ces femmes maries leurs serviteurs
+avant le temps; dont aucunes y en a qui ne les font mourir que par
+souhaits, par paroles, que par esprance et attentes; et autres y en a
+qui les advancent de gagner le logis mortuaire s'ils tardent trop; de
+quoy nos cours de parlement en ont eu et en ont tous les jours tant de
+causes par-devant elles qu'on ne sauroit dire. Mais le meilleur, et le
+plus, est qu'elles ne font pas comme une dame d'Espagne, laquelle,
+estant trs-mal traite de son mary, elle le tua, et puis aprs elle se
+tua, ayant fait avant cette pitaphe qu'elle laissa sur la table de son
+cabinet, escrite de sa main:</p>
+
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="poesie">
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Aqui jaze qui ha buscado una muger,</i></span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Y con ella casado, no l'a podidr hazer muger,</i><a name="page_235" id="page_235"></a></span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>A las otras, no a my, cerca my, dona contentamiento.</i></span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Y por este, y su flaquezza y atrevimiento,</i></span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 4em;"><i>Yo lo he matado,</i></span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Por le dar pena de su pecado.</i></span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Y a my tan bien, por falta de my juyzio,</i></span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Y por da fin a la mal-adventura qu'io avio.</i></span></td></tr>
+</table>
+
+<p>C'est--dire.</p>
+
+<div class="blockquott"><p>Icy gist qui a cherch une femme et ne l'a pu faire femme: aux
+autres, et non moy, prs de moy, donnoit contentement, et, pour
+cela et pour sa laschet et outre-cuidance, je l'ay tu, pour lui
+donner la peine de son pch; et moi aussi je me suis donn la
+mort, par faute d'entendement, et pour donner fin la maladventure
+que j'avais. </p></div>
+
+<p>Cette dame se nommoit dona Magdalana de Soria, laquelle, selon aucuns,
+fit un beau coup de tuer son mary pour le sujet qu'il luy avoit donn;
+mais elle fit aussi bien de la sotte de se faire mourir: aussi
+l'advoue-elle bien, que pour faute de jugement elle se tua. Elle eust
+mieux fait de se donner du bon temps par aprs, si ce n'estoit qu'elle
+eust possible craint la justice, et avoit-elle peur d'en estre reprise,
+et pour ce ayma mieux triompher de soy-mesme que d'en bailler la gloire
+ l'authorit des juges. Je vous asseure qu'il y en a eu, et y en a, qui
+sont plus accortes que cela; car elles joent leur jeu si finement, que
+voil les marys trespassez et elles trs-bien vivantes et fort
+accordantes leurs galants serviteurs, pour faire avec eux non pas
+<i>gode mihi</i>, mais <i>gode chere</i>.</p>
+
+<p>Il y a d'autres veufves qui sont plus sages, vertueuses et plus aimantes
+leurs marys, et point envers eux cruelles; car elles les regrettent, les
+pleurent, les plaignent telle extrmit, qu' les voir on ne les
+jugeroit pas vives une heure aprs. H! ne suis-je pas, disent-elles,
+la plus malheureuse du monde, la plus infortune d'avoir perdu chose si
+prtieuse? Dieu! pourquoy ne m'envoyes-tu la mort cette heure, pour le
+suivre de prs! Non, je ne veux plus vivre aprs luy; car et que me
+peut-il jamais rester et advenir au monde qui me puisse donner
+allgement? Si ce n'estoient ses petits enfants qu'il m'a laisss pour
+gages, et qui ont besoin encore de quelque soustien, non, je me tueray
+toute cette heure. Que maudite soit l'heure que je fus jamais ne! Au
+moins si je le pouvois voir en phanstome, ou par vision, ou par songes,
+encore aurois-je trop d'heur. Ah! mon c&oelig;ur, ah! mon ame, n'est-il pas
+possible que je te suive? Ouy, je te suivray<a name="page_236" id="page_236"></a> quand, part de tout le
+monde, je me defferois toute seule. H, qui seroit la chose qui me
+pourroit soutenir la vie, ayant fait la perte inestimable de toy, que,
+toy vivant, je n'aurois d'autre sujet que de vivre, et, toy mourant, que
+de mourir? Et quoy! ne vaut-il pas mieux que je meure maintenant en ton
+amour, en ta grace, et en ma gloire, et en mon contentement, que de
+traisner une vie si fascheuse et malheureuse, et nullement loable? H!
+Dieu! que j'endure de maux et tourments pour une absence! et que j'en
+seray dlivre, si je te vais voir bien-tost, et comble de grands
+plaisirs! Hlas! il estoit si beau, il estoit si aimable, il estoit si
+parfait en tout, il estoit si brave, si vaillant! C'estoit un second
+Mars, un second Adonis: qui plus est, il m'estoit si bon, il m'aimoit
+tant, il me traitoit si bien! Bref, le perdant, j'ay perdu tout mon
+heur. Ainsi vont disant nos veufves desplores telles et une infinit
+d'autres paroles aprs la mort de leurs marys, les unes d'une faon, les
+autres de l'autre; les unes dguises d'une sorte, les autres d'une
+autre; mais pourtant tousjours approchantes de celles que je viens de
+produire; les unes despitent le ciel, les autres maugrent la terre; les
+unes blasphement contre Dieu, les autres maudissent le monde; les unes
+font des vanoissements, les autres contrefont les mortes; les unes
+font des transies, les autres les folles, les forcenes et hors de leurs
+sens, qui ne connoissent personne, qui ne veulent manger, qui ne veulent
+parler. Bref, je n'aurois jamais fait, si je voulois spcifier toutes
+leurs mthodes hypocrites et dissimules dont elles usent pour monstrer
+leur deuil et ennuy au monde. Je ne parle pas de toutes, mais d'aucunes,
+voire de plusieurs en pluriel et en nombre. Leurs consolants et
+consolantes, qui n'y pensent point en mal et y vont la bonne routine,
+y perdent leur escrime et ne gagnent rien d'aucuns; et d'aucuns de
+ceux-l quand ils y voyent que leur patiente et leur dolente ne fait pas
+bien son jeu ni la grimace, les instruisent. Comme une dame de par le
+monde que je say, qui disoit une autre qui estoit sa fille: Faites
+l'esvanouye, mamie; vous ne vous contraignez pas assez. Or, aprs tous
+ces grands mystres joez, et ainsi qu'un grand torrent, aprs avoir
+fait son cours et violent effort, se vient remettre et retourner son
+berceau, comme une rivire qui a aussi est desborde, ainsi aussi
+voyez-vous ces veufves se remettre et retourner leur premire nature,
+reprendre leurs esprits, peu peu se hausser en joie, songer au monde.
+Au lieu de testes de mort qu'elles portoient, ou peintes, ou graves<a
+name="page_237" id="page_237"></a> et esleves; au lieu d'os de trespassez
+mis en croix ou en lacs mortuaires, au lieu de larmes, ou de jayet ou
+d'or maill, ou en peinture; vous les voyez convertir en peintures de
+leurs marys portes au col, accommodes pourtant de testes de mort et
+larmes peintes en chiffres, en petits lacs; bref, en petites
+gentillesses, desguises pourtant si gentiment, que les contemplants
+pensent qu'elle les portent et prennent plus pour le deuil des marys que
+pour la mondanit. Puis, aprs tout, ainsi qu'on voit les petits
+oiseaux, quand ils sortent du nid, ne se mettre du premier coup la
+grande vole, mais, volletant de branche en branche, apprennent peu
+peu l'usage de bien voler; ainsi les veufves, sortant de leur grand
+deuil dsespr, ne le monstrent au monde si-tost qu'elles l'ont laiss,
+mais peu peu s'esmancipent, et puis tout coup jettent et le deuil et
+le froc de leur grand voile sur les orties, comme on dit, et mieux que
+devant reprennent l'amour en leur teste, et ne songent rien tant qu'
+un second mariage ou autre lascivet: et voil comment leurs grandes
+violences n'ont point de dure. Il vaudroit mieux qu'elles fussent plus
+poses en leurs tristesses.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay cogneu une trs-belle dame, laquelle, aprs la mort de son mary,
+vint estre si esplore et dsespre, qu'elle s'arrachoit les cheveux,
+se tiroit la peau du visage et de la gorge, l'allongeant tant qu'elle
+pouvoit; et, quand on lui remonstroit le tort qu'elle faisoit son beau
+visage: H Dieu! que me dites-vous? disoit-elle; que voulez-vous que je
+fasse de ce visage? Au bout de huit mois aprs, ce fut elle qui
+s'accommoda de blanc et de rouge d'Espagne, les cheveux bien poudrez;
+qui fut un grand changement.</p>
+
+<p>&mdash;J'allgueray l-dessus un bel exemple, qui pourra servir semblable,
+d'une belle et honneste dame d'Ephese, laquelle ayant perdu son mary, il
+fut impossible ses parents et amys de luy trouver aucune consolation;
+si bien que, accompagnant son mary ses funrailles, avec une infinit
+de regrets, de sanglots, de cris, de plaintes et de larmes, aprs qu'il
+fut mis et colloqu dans le charnier o il devoit reposer, elle, en
+despit de tout le monde, s'y jetta, jurant et protestant de n'en partir
+jamais, et que l elle se vouloit laisser aller la faim, et l finir
+ses jours auprs du corps de son mary; et de fait fit cette vie l'espace
+de deux ou trois jours. La fortune sur ce voulut qu'il fust excut un
+homme de-l, et pendu, pour quelque forfait, dans la ville et aprs fut
+port hors de la ville au gibet accoustum, o faloit que tels corps
+pendus et excutez<a name="page_238" id="page_238"></a> fussent gardez quelques jours soigneusement par
+quelques soldats ou sergents, pour servir d'exemple, afin qu'ils ne
+fussent de enlevez. Ainsi donc qu'un soldat estoit la garde de ce
+corps, et estoit en sentinelle et escoute, il ouyt-l-prs une voix
+desplorante, et s'en approchant vid que c'estoit dans le charnier, o,
+estant descendu, il y apperceut cette dame belle comme le jour, toute
+esplore et lamentante; et, s'advanant elle, se mit l'interroger de
+la cause de sa dsolation, qu'elle luy dclara benignement; et se
+mettant la consoler l-dessus, n'y pouvant rien gagner pour la
+premire fois, y retourna pour la deuxiesme et troisiesme, et fit si
+bien qu'il la gagna, la remit peu peu, luy fit essuyer ses larmes, et,
+entendant la raison, se laissa si bien aller qu'il en joyt par deux
+fois, la tenant couche sur le cercueil mesme du mary; puis aprs se
+jurrent mariage: ce qu'ayant accomply trs-heureusement, le soldat s'en
+retourna, par son cong, la garde de son pendu; car il y alloit de la
+vie. Mais, tout ainsi qu'il avoit est bienheureux en cette belle
+entreprise et excution, le malheur fut tel pour luy, que, cependant
+qu'il s'y amusoit par trop, voicy venir les parents de ce pauvre corps
+au hazard, pour le despendre s'ils n'y eussent trouv des gardes; et,
+n'y en ayant point trouv, le despendirent aussi-tost et emportrent de
+vitesse pour l'enterrer o ils pourroient, afin d'estre privez d'un tel
+deshonneur et spectacle ord et sale leur parent. Le soldat, ne voyant
+ny ne trouvant plus le corps, s'en vint courant desespr sa dame, luy
+annoncer son infortune, et comment il estoit perdu, d'autant que la loy
+de-l portoit que quiconque soldat s'endormoit en garde, et qui laissoit
+emporter le corps, devoit estre mis en sa place et estre pendu, et que
+pour ce il couroit cette fortune. La dame qui, auparavant avoit est
+console de luy, et avoit besoin de consolation pour elle, s'en trouva
+garnie propos pour luy et pour ce luy dit: Ostez-vous de peine, et
+venez-moy seulement aider pour oster mon mary de son tombeau, et nous le
+mettrons et pendrons au lieu de l'autre, et par ainsi le prendra-on pour
+l'autre. Tout ainsi qu'il fut dit, tout ainsi fut-il fait: encore
+dit-on que le pendu de devans avoit eu une oreille coupe, elle en fit
+de mesme pour reprsenter mieux l'autre. La justice vint le lendemain,
+qui n'y trouva rien dire. Et par ainsi sauva son galand par un acte et
+opprobre fort vilain son mary, elle, dis-je, qui l'avoit tant pleur
+et regrett, qu'on n'eust jamais espr si ignominieuse issue.<a
+name="page_239" id="page_239"></a></p>
+
+<p>La premire fois que j'ouys cette histoire, ce fut M. d'Aurat qui la
+conta au brave M. du Gua et quelques-uns qui disnoient avec luy;
+laquelle M. du Gua sceut trs-bien relever et remarquer, car c'estoit
+l'homme du monde qui aimoit mieux un bon conte et le savoit mieux faire
+valoir. Et, sur ce point, estant all la chambre de la Reyne-mere, il
+vid une belle jeune veufve qui ne venoit que d'estre faite, et de frais
+esmoulue, et fort esplore, son voile bas jusqu'au bout du nez, piteuse,
+marmiteuse, avare de paroles un chacun. Soudain monsieur me dit: Voy
+celle-l; avant qu'il soit un an, elle fera un jour de la dame
+d'Ephese. Ce qu'elle fit, non pas si ignominieusement du tout, mais
+elle espousa un homme de peu, et comme M. du Gua le prophtisa. Et me
+dit de mesme M. de Beaujeux, valet-de-chambre de la Reyne-mere, et le
+meilleur violon de la chrtient. Il n'estoit pas parfait seulement en
+son art et en la musique, mais il estoit de fort gentil esprit, et
+savoit beaucoup de fort belles histoires et beaux contes, et point
+communs, mais trs-rares; et n'en estoit point chiche ses plus privez
+amis; et en contoit quelques-uns des siens, car en son temps il avoit eu
+et veu de bonnes adventures d'amour; car avec son art excellent et son
+esprit bon et audacieux, deux instruments bons pour l'amour, il pouvoit
+faire beaucoup. M. le marchal de Brissac l'avoit donn la Reine-mere,
+estant reyne rgente, et lui avoit envoy de Piedmont avec sa bande de
+violons trs-exquise, toute complette: et luy s'appeloit Baltazarin;
+depuis il changea de nom. C'est luy qui composoit ces beaux balets qui
+ont est tousjours dansez la Cour. Il estoit fort amy de M. du Gua et
+de moy, et souvent causions ensemble, et tousjours nous faisoit quelque
+beau conte, mesme de l'amour et des ruses des dames, dont il nous fit
+celuy-l de cette dame ephesienne que nous avions desj sceu par M.
+d'Aurat, comme j'ay dit, qui disoit le tenir de Lempridius, et depuis je
+l'ay leu dans le livre des Funrailles, trs-beau certes, ddi feu M.
+de Savoye. Je me fusse pass, ce dira quelqu'un, d'avoir fait cette
+digression: ouy, mais je voulois parler de mon amy en cela, lequel
+souvent me faisoit souvenir, quand il voyoit quelques-unes de nos
+veufves esplores: Voil, disoit-il, qui joera un jour le rolle de
+nostre dame d'Ephese, ou bien elle l'a desj jo. Et certes ce fut
+une estrange tragi-comdie, pleine de grande inhumanit, d'offenser si
+cruellement son mary. Elle ne fit pas comme une dame de nostre temps,
+que j'ay ouy dire, laquelle, son mary mort, elle lui coupa ses parties
+du devant ou du<a name="page_240" id="page_240"></a> mitan, jadis d'elle tant aimes, et les embauma,
+aromatisa et odorifera de parfums et poudres musques et
+trs-odorifrantes, et puis les enchassa dans une bote d'argent dor,
+qu'elle garda et conserva comme une chose trs-prcieuse. Pensez qu'elle
+les visitoit quelquefois en commmoration ternelle. Je ne say s'il est
+vray, mais le conte en fut fait au Roy, qui le refit plusieurs autres
+de ses plus privez; et j'ay ouy dire luy qu'au massacre de la
+Saint-Barthelemy fut tu le seigneur de Pleuvian, qui en son temps avoit
+est brave soldat, et en la guerre de Toscane sous M. de Soubise, et en
+la guerre civile comme il le fit bien parotre en la bataille de Jarnac,
+commandant un rgiment, et dans le sige de Niort. Quelque temps
+aprs, le soldat qui le tua dit et remonstra sa femme, toute esperdue
+de pleurs et d'ennuys, qui estoit riche et belle, que, s'il ne
+l'espousoit, qu'il la tueroit, et luy feroit passer le pas de son mary;
+car, en cette feste, tout estoit de guerre et de couteau. La pauvre
+femme, qui estoit encore belle et jeune, pour se sauver la vie, fut
+contrainte faire et nopces et funrailles tout ensemble. Encore
+estoit-elle excusable; car qu'eust pu faire moins une pauvre femme,
+fragile et foible, si ce n'eust est de se tuer elle-mesme, ou tendre sa
+belle poictrine l'espe du meurtrier? Mais le temps n'est plus, belle
+bergeronnette; il ne se trouve plus de ces folles et sottes de jadis;
+aussi que nostre saint christianisme nous le deffend; ce qui sert
+beaucoup aujourd'huy nos veufves d'excuse, qui disent, s'il n'estoit
+deffendu de Dieu, elles se tueroient, et par ainsi couvrent leur mommon.</p>
+
+<p>&mdash;Audit massacre de la Saint-Barthelemy fut faite une veufve par la mort
+de son mary, tu comme les autres. Elle en eut un tel extrme regret,
+que, quand elle voyoit un pauvre catholique, encore qu'il n'eust est de
+la feste, elle se pasmoit quelquefois, ou le regardoit en horreur et
+haine comme la peste. D'entrer dans Paris, voire de deux lieues la
+ronde, il n'en falloit point parler, car ses yeux ny son c&oelig;ur ne le
+pouvoient souffrir; que dis-je de la voir? non pas d'en ouyr parler. Au
+bout de deux ans elle s'y rsoud, vient saluer la bonne ville, et s'y
+pourmener et visiter le palais dans son coche; mais de passer par la ru
+de la Huchette o son mary avoit est tu, plustost la mort ou le feu,
+dans lequel elle se fust plustost jette et prcipite que dans cette
+ru: comme fait le serpent, qui abhorre si fort l'ombre d'un fresne,
+qu'il aime mieux se hazarder dans un feu bien ardent, comme dit Pline,
+que dans cette ombre tant odieuse luy. Si bien que le feu Roy y
+estant,<a name="page_241" id="page_241"></a> disoit Monsieur qu'il n'avoit veu femme si hagarde en sa
+perte et en sa douleur que celle-l; et enfin il la faudroit abattre
+pour la chapperonner, comme les oiseaux hagards. Mais au bout de quelque
+temps, il dit que d'elle-mesme elle s'estoit assez gentiment
+apprivoise, de sorte que d'elle-mesme elle se laissa fort bien et
+privment chapperonner, sans l'abattre que de soy-mesme. Que fit-elle
+dans peu de temps aprs? ce fut-elle qui voit Paris de trs-bon &oelig;il,
+qui l'embrasse, qui s'y pourmene, qui l'arpente et dea et del, et de
+longueur et de largeur, et de droit et de travers, sans respect d'aucun
+serment: et puis fis-vous en elle! Un jour, moi, tournant d'un voyage,
+absent de la Cour huit mois, ayant fait la rvrence au roy, je vis
+entrer dans la salle du Louvre cette veufve tant pare, tant attife,
+accompagne de ses parentes et amyes, comparoistre devant le Roy, les
+Reynes et toute la Cour, et l recevoir les premiers ordres de mariage,
+qui sont les fianailles, des mains d'un vesque de Digne, grand
+aumosnier de la reyne de Navarre. Qui fust esbahi? ce fut moi; mais,
+ce qu'elle me dit aprs, elle fut esbahye davantage quand, sans y
+penser, elle me vid en cette noble assistance des fianailles, la
+regardant et roulant de mes yeux finement, me souvenant de ses serments
+et mines que je luy avois veu faire. Et elle de mesme regarda fort, car
+je luy avois est serviteur, et pour mariage, pensant, ce luy sembloit,
+que j'estois l arriv propos, et avois pris la poste exprs pour me
+produire jour nomm l, pour luy servir de tesmoin et juge, et la
+condamner en cette cause. Et me dit et jura qu'elle eust voulu avoir
+baill dix mille escus de son bien, et que je ne fusse comparu l, qui
+luy aidois juger sa conscience.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay cogneu une grande dame, comtesse et veufve, de trs-haut lieu,
+laquelle en fit de mesme: car, estant huguenotte fort et ferme, accorda
+mariage avec un fort honneste gentilhomme catholique; mais le malheur
+fut qu'avant l'accomplissement une fievre pestilente la saisit a Paris
+si contagieusement, qu'elle luy causa la mort. Et, estant sur ses
+arteres<a name="FNanchor_86_86" id="FNanchor_86_86"></a><a href="#Footnote_86_86" class="fnanchor">[86]</a>, se perdit fort en grands regrets, jusqu' dire: Hlas!
+faut-il qu'en une si grande ville, o toute science abonde, ne se puisse
+trouver un mdecin qui me gurisse! H! qu'il ne tienne point argent,
+car je luy en donneray prou. Au moins si ma mort se fust ensuivie aprs
+mon mariage accomply, et que mon mary m'eust connue avant combien<a
+name="page_242" id="page_242"></a> je l'aimois et honorois! Sofonisbe dit
+autrement, car elle se repentit d'avoir fianc avant boire le poison. Et
+ainsi disant (cette comtesse) et plusieurs autres semblables paroles, se
+tourna de l'autre cost du lit et mourut. Que c'est de la ferveur
+d'amour, d'aller se ressouvenir, en un passage stygien et oublieux, des
+plaisirs et fruits amoureux dont elle en eust bien voulu taster encore
+avant que de sortir du jardin! Or si ces dames huguenotes ont fait tels
+traits, j'ay bien cogneu des dames catholiques qui en ont fait de
+pareils, et ont espous des huguenots, aprs en avoir dit pis que
+pendre, et d'eux et de leur religion. Si je les voulois mettre en place
+je n'aurois jamais fait. Voil pourquoy les veufves doivent estre sages,
+et ne braire tant au commencement de leur veufvage, de crier, de
+tourmenter, de faire tant d'clairs, de tonnerres, pluyes de leurs
+larmes, pour aprs faire ces belles leves de boucliers, et s'en faire
+moquer: il vaut mieux en dire moins et en faire plus. Mais elles disent
+l-dessus: Et bien, pour le commencement il faut faire de la rsolu
+comme un meurtrier, de l'effronte, de l'asseure boire toute honte.
+Cela dure quelque peu, mais cela passe; aprs qu'on m'a mis sur le
+bureau, on me laisse et en prend-on une autre.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay leu dans un petit livre espagnol, de Victoria Colonne, fille de
+ce grand Fabrice Colonne, et femme de ce grand marquis de Pescaire, le
+non-pair de son temps. Aprs qu'elle eut perdu son mary, Dieu sait
+qu'elle entra en tel dsespoir de douleur, qu'il fut impossible de lui
+donner ni innover aucune consolation; et quand on luy en vouloit sa
+douleur appliquer quelqu'une ou vieille ou nouvelle, elle leur disoit:
+Et sur quoy me voulez-vous consoler? sur mon mary mort? vous vous
+trompez: il n'est pas mort, car il est encore tout vivant et tout
+grouillant dans mon ame. Je l'y sens tous les jours et toutes les nuicts
+revivre, remuer et renaistre. Ces paroles certes eussent est belles,
+si au bout de quelque temps, ayant pris cong de luy, et l'ayant envoy
+pourmener par de-l l'Achron, elle ne fust remarie avec l'abb de
+Farfe, certes fort dissemblable son grand Pescaire. Je ne veux point
+dire en race, car il estoit de la noble maison des Ursins, laquelle vaut
+bien autant, et est autant ancienne ou plu que celle d'Avalos. Mais les
+effets de l'un l'autre n'alloient la balance, car ceux de Pescaire
+estoient incomparables, et sa valeur inestimable: encore que le dit abb
+fist de grandes preuves de sa personne en s'employant fort fidelement et
+vaillamment pour le<a name="page_243" id="page_243"></a> service du roy Franois; mais c'estoit en forme de
+petites, couvertes et lgres deffaites, et contraires celles de
+l'autre, puisqu'il les avoit faites grandes, descouvertes, avec des
+victoires trs-signales: aussi la profession des armes de l'autre,
+accommence et accoustume ds le jeune aage et continue ordinairement,
+devoit bien surpasser de bien loin celle d'un homme d'glise, qui tard
+s'estoit mis au mestier: non que je veuille pour cela mal-dire d'aucuns
+voez Dieu et son glise, qu'ils ont rompu le v&oelig;u et quitt la
+profession pour empoigner les armes, car je ferois tort tant de braves
+capitaines qui l'ont est et ont pass par-l.</p>
+
+<p>Csar Borgia, duc de Valentinois, n'a-t-il pas est auparavant cardinal,
+qui a est un si grand capitaine, que Machiavel, le vnrable prcepteur
+des princes et des grands, le met pour exemple et pour rare miroir
+tous les autres pareils, de l'ensuivre et s'y mirer? Nous avons eu M. le
+mareschal de Foix, qui a est d'glise, et se nommoit avant le
+proto-notaire de Foix, qui a este un trs-grand capitaine. M. le
+mareschal Strozzy estoit vo l'glise; et pour un chapeau rouge qui
+luy fut desni, quitta la robbe, et se mit aux armes. M. de Salvoison,
+dont j'ay parl (qui l'a suivy de prs, voire en titre de grand
+capitaine eust march avec luy s'il eust est d'aussi grande maison, et
+parent de la Reyne), fust, en sa premire profession, traisnant la robbe
+longue; et pourtant quel capitaine a-t-il est? Ce fust est
+l'incomparable s'il eust plus vescu. Le mareschal de Bellegarde n'a-t-il
+pas port le bonnet quarr, qu'un long temps on appelloit le Prevost
+d'Ours? Feu M. Danguien<a name="FNanchor_87_87" id="FNanchor_87_87"></a><a href="#Footnote_87_87" class="fnanchor">[87]</a>, qui mourut en la bataille de
+Sainct-Quentin, avoit est vesque; M. le chevalier de Bonnivet de
+mesme. Et ce galant homme, M. de Martigues, avoit est aussi d'glise;
+bref, infinit d'autres, desquels je ne pourrois emplir ce papier. Si
+faut-il que je loue les miens, et non sans un trs-grand sujet. Le
+capitaine Bourdeille, mon frere, le Rodomont jadis du Piedmont, en tout
+fut ddi l'glise aussi; mais n'y connoissant son naturel propre,
+changea sa grande robbe une courte, et en un tournemain se rendit un
+des bons capitaines et vaillants du Piedmont, et s'en alloit trs-grand
+et une trs-belle vogue, sans qu'il mourut, hlas! en l'ge de
+vingt-cinq ans. De nostre temps, en nostre Cour, nous en avons tant
+veus, et mesme le petit monsieur de Clermont-Tallard, lequel j'ay veu
+abb de Bon-Port, et depuis, ayant quitt<a name="page_244" id="page_244"></a> l'abbaye, a est veu parmy
+nos armes et en nostre Cour, un des braves, vaillants et honnestes
+hommes que nous eussions; ainsi qu'il le monstra trs-bien sa mort,
+qu'il acquit si glorieusement la Rochelle, la premire fois que nous
+entrasmes dans le foss. J'en nommerois une milliasse; mais je n'aurois
+jamais fait. M. de Souillelas<a name="FNanchor_88_88" id="FNanchor_88_88"></a><a href="#Footnote_88_88" class="fnanchor">[88]</a>, dit le jeune Oraison, avoit est
+vesque de Rieux, et depuis eust un rgiment, servant le Roy fort
+fidlement et vaillamment en Guyenne, sous le mareschal de Matignon.
+Bref, je n'aurois jamais fait si je voulois nombrer tous ces gens:
+parquoy je me tais pour la briefvet, et de peur aussi qu'on ne m'impute
+que je suis trop grand faiseur de digressions. Pourtant j'ay fait
+celle-cy propos, en parlant de cette Victoria Colonna, qui espousa cet
+abb. Si elle ne se fust remarie avec luy, elle eust mieux port titre
+et nom de Victoria, pour avoir est victorieuse sur soy-mesme; et que
+puis qu'elle ne pouvoit rencontrer un second pareil au premier, se
+devoit contenir.</p>
+
+<p>J'ay cogneu force dames qui ont imit cette prcdente. J'en ay veu une
+qui avoit espous un de mes oncles, le plus brave, le plus vaillant, le
+plus parfait qui fust de son temps. Aprs qu'il fust mort, elle en
+espousa un autre qui le ressembloit autant qu'un asne un cheval
+d'Espagne; mais mon oncle estoit le cheval d'Espagne. Une autre dame
+ay-je cogneu, qui avoit espous un mareschal de France, beau, honneste
+gentilhomme et vaillant: en secondes nopces, elle en alla prendre un
+tout contraire celuy-l, et avoit est aussi d'glise. Une veufve
+ay-je cogneue, venant mourir son mary, elle fit l'espace d'un an des
+lamentations si desespres, qu'on la pensoit voir morte toute heure
+de champ. Au bout de l'an qu'il faloit laisser son grand deuil, et
+prendre le petit, elle dit une de ses femmes: Serrez-moi bien ce
+crespe, car possible en auray-je affaire un autre coup; et puis
+tout--coup se reprit: Mais qu'ay-je? dit-elle. Je resve, plustost
+mourir que d'en avoir jamais affaire. Au bout de son deuil, elle se
+remaria un second, fort inesgal au premier. Mais disent-elles, ces
+femmes, il estoit d'aussi bonne maison que le premier. Ouy, je le
+confesse; mais aussi, o est la vertu et la valeur? ne sont-elles pas
+plus priser que tout? Et le meilleur que je trouve<a name="page_245" id="page_245"></a> eu cela, c'est que
+le coup fait, elles ne l'emportent gures loin; car Dieu permet qu'elles
+sont maltraites et rosses comme il faut: aprs, les voil aux
+repentailles; mais il n'est plus temps. Ces dames ainsi convolantes ont
+quelque opinion et humeur en leur teste, que nous ne savons pas bien:
+comme j'ai ouy parler d'une dame espagnole, qui se voulant remarier, et
+qu'on lui remonstroit que deviendroit l'amiti grande que son mary lui
+avoit port, elle respondit: <i>La muerte del marido, y nuevo casamiento
+no han de romper el amor d'una casta muger</i>; c'est--dire: La mort du
+mary et un nouveau mariage ne doivent point rompre l'amour d'une femme
+chaste. Or accordez-moy ces deux contraires, s'il vous plaist. Une
+autre dame espagnole dit bien mieux, qu'on vouloit remarier: <i>Si hallo
+un marido bueno, no quiero tener el temor de perder lo; y si malo, que
+necessidad ay del</i>; c'est--dire: Si je trouve un bon mary, je ne veux
+point estre en la crainte de le perdre; si un mauvais, quelle ncessit
+ai-je de l'avoir?</p>
+
+<p>&mdash;Valeria, dame romaine, ayant perdu son mary, et ainsi que la
+reconfortoient aucunes de ses compagnes sur sa perte et sa mort, elle
+leur dit: Il est mort certes pour vous autres, mais il vit en moy
+ternellement. Cette marquise, que je viens de dire, avoit emprunt
+d'elle pareil mot. Ces dires de ces honnestes dames sont bien contraires
+ un qui me dit, en parlant espagnol, <i>que la jornada de la biudez d'una
+muger es d'una dia</i>; c'est--dire: que la journe du veufvage d'une
+femme se fait tout en un jour. Aucunes sont-l loges, d'autres non.
+Mais que dirons-nous des femmes veufves qui cachent leur mariage, et ne
+veulent qu'il soit publi? J'en ai cogneu une qui tint le sien sous la
+presse plus de sept ou huit ans, sans le vouloir jamais faire imprimer,
+ny le publier: et disoit-on qu'elle le faisoit de crainte qu'elle avoit
+de son jeune fils, qui estoit un de ses vaillants et honnestes hommes du
+monde, et qu'il ne fist du diable, et sur elle et sur l'homme, encore
+qu'il fust bien grand. Mais, aussi-tost qu'il vint mourir une
+rencontre de guerre qui le couronna de beaucoup de gloire, aussi-tost
+elle le fit imprimer et mettre en lumire. J'ay ouy parler d'une grande
+dame veufve, qui est marie un trs-grand prince et seigneur, veuf il
+y a plus de quinze ans; mais le monde n'en sait ny n'en connoist rien,
+tant cela est secret et discret: et disoit-on que le seigneur craignoit
+sa belle-mre, qui luy estoit fort imprieuse, et ne vouloit qu'il se
+remariast cause de ses petits enfants.<a name="page_246" id="page_246"></a></p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy raconter une dame de grande qualit et ancienne, que feu M.
+le cardinal du Bellay avoit espous, estant vesque et cardinal, madame
+de Chastillon, et est mort mari: et le disoit sur un propos qu'elle
+tenoit M. de Manne, Provenal, de la maison de Seulal et vesque de
+Frejus, lequel avoit suivy l'espace de quinze ans en la Cour de Rome
+ledit cardinal, et avoit est de ses privez protonotaires: et, venant
+parler dudit cardinal, elle lui demanda s'il ne luy avoit jamais dit et
+confess qu'il eust est mari. Qui fut estonn? ce fut M. de Manne de
+telle demande. Il est encore vivant, qui pourra dire si je mens; car j'y
+estois. Il respondit que jamais il n'en avoit ouy parler, ny lui ny
+d'autres. Or, je vous l'apprens donc, dit-elle; car, il n'y a rien de
+si vray qu'il a est mari: et est mort mari rellement avec ladite
+dame de Chastillon. Je vous asseure que j'en ris bien, contemplant la
+contenance estonne dudit M. de Manne, qui estoit fort conscientieux et
+religieux, qui pensoit savoir tous les secrets de son feu maistre; mais
+il estoit de Gallice pour celuy-l: aussi estoit-il scandaleux, pour le
+rang saint qu'il tenoit. Cette madame de Chastillon estoit la veufve de
+feu M. Chastillon, qu'on disoit qui gouvernoit le petit roy Charles
+huitiesme avec Bourdillon et Bonneval, qui gouvernoient le sang royal.
+Il mourut Ferrare, ayant est bless au sige de Ravenne, et l fut
+port pour se faire penser. Cette dame demeura veufve fort jeune et
+belle, sage et vertueuse, et pour cela fut eslue pour dame d'honneur de
+la feue reyne de Navarre. Ce fut celle-l qui bailla ce beau conseil
+cette dame et grande princesse, qui est escrit dans les <i>Cent Nouvelles</i>
+de ladite Reyne, d'elle et d'un gentilhomme qui avoit coul la nuict
+dans son lit par une trapelle dans la ruelle, et en vouloit joir; mais
+il n'y gagna que de belles esgratigneures dans son beau visage; elle
+s'en voulant plaindre son frre, elle luy fit cette belle remonstrance
+qu'on verra dans cette Nouvelle, et lui donna ce beau conseil, qui est
+un des beaux et des plus sages, et des plus propres pour fuyr scandale,
+qu'on eust sceu donner, et fust-ce est un premier prsident de Paris,
+et qui monstroit bien pourtant que la dame estoit bien autant ruse et
+fine en tels mystres, que sage et advise: et pour ce, ne faut douter
+si elle tint son cas secret avec son cardinal. Ma grande-mre, madame la
+sneschalle de Poitou, eut sa place aprs sa mort, par l'lection du roy
+Franois, qui la nomma et l'esleut, et l'envoya qurir jusques en sa
+maison, et la donna de sa main la Reyne sa s&oelig;ur, pour la
+connoistre<a name="page_247" id="page_247"></a> trs-sage et trs-vertueuse dame, mais non si fine, ny
+ruse, ny accorte en telle chose que sa prcdente, ny convole en
+secondes nopces. Et si voulez savoir de qui la nouvelle s'entend,
+c'estoit de la reyne mesmes de Navarre, et de l'amiral de Bonnivet,
+ainsi que je tiens de ma feue grande-mre: dont pourtant me semble que
+ladite reyne n'en devoit cder son nom, puis que l'autre ne peut rien
+gagner sur sa chastet, et s'en alla en confusion, et qui vouloit
+divulguer le fait, sans la belle et sage remonstrance que lui fit cette
+dite dame d'honneur madame de Chastillon; et quiconque l'a leue la
+trouvera telle; et je crois que M. le cardinal, son dit mary, qui estoit
+l'un des mieux disants, savants, loquents, sages et advisez de son
+temps, luy avoit mis cette science dans le corps, pour dire et
+remonstrer si bien. Ce conte pourroit tre un peu scandaleux, cause de
+la sainte et religieuse profession de l'autre; mais, qui le voudra
+faire, il faut qu'il desguise le nom. Et si ce trait a est tenu secret
+touchant ce mariage, celuy de M. le cardinal de Chastillon dernier n'a
+pas est de mme; car il le divulgua et publia luy-mesme assez, sans
+emprunter de trompette, et est mort mari sans laisser sa grande robbe
+et bonnet rouge. D'un cost, il s'excusoit sur la religion rforme,
+qu'il tenoit fermement; et de l'autre, sur ce qu'il vouloit tenir son
+rang tousjours et ne le quitter (ce qu'il n'eust fait autrement), et
+entrer en conseil, l o entrant il pouvoit beaucoup servir sa
+religion et son party, ainsi que certes il estoit trs-capable,
+trs-suffisant et trs-grand personnage. Je pense que mondit sieur
+cardinal du Bellay en a peu faire de mesme; car, de ce temps-l, il
+penchoit fort la religion et doctrine de Luther, ainsi que la cour de
+France en estoit un peu abreuve: car toutes choses nouvelles plaisent,
+et aussi que ladite dame doctrine licentioit assez gentiment les
+personnes, et mesme les ecclsiastiques, au mariage. Or, ne parlons plus
+de ces gens d'honneur, pour la rvrence grande que nous devons leur
+ordre et leurs saints grades.</p>
+
+<p>&mdash;Il faut un peu mettre sur les rangs nos vieilles veufves qui n'ont pas
+six dents en gueule, et qui se remarient. Il n'y a pas longtemps qu'une
+dame, veufve de trois marys, espousa en Guyenne pour le quatriesme un
+gentilhomme qui tient assez quelque grade, elle estant de l'age de
+quatre-vingts ans. Je ne say pas pourquoy elle le faisoit (car elle
+estoit trs-riche et avoit force escus), dont pour ce le gentilhomme la
+pourchassa, si ce n'estoit qu'elle ne se<a name="page_248" id="page_248"></a> vouloit encore rendre, et
+vouloit encore fringuer sur les lauriers<a name="FNanchor_89_89" id="FNanchor_89_89"></a><a href="#Footnote_89_89" class="fnanchor">[89]</a>, comme disoit mademoiselle
+Sevin, la folle de la reyne de Navarre.</p>
+
+<p>J'ay cogneu aussi une grande dame qui, en l'ge de soixante-seize ans,
+se remaria et espousa un gentilhomme qui n'estoit pas de la qualit de
+son premier, et vesquit cent ans, et pourtant s'y entretint belle; car
+elle avoit est des belles femmes en son temps, et avoit bien fait
+valoir son jeune et gentil corps en toutes faons, et marier, et
+marie, et veufve, ce disoit-on. Voil deux terribles humeurs de femmes!
+il falloit bien qu'elles eussent de la chaleur; aussi ay-je ouy dire aux
+bons et experts fourniers qu'un vieux four est plus ais s'eschauffer
+beaucoup qu'un neuf, et quand il est une fois eschauff, il garde mieux
+sa chaleur et fait meilleur pain. Je ne say quels apptits savoureux y
+peuvent prendre leurs chalants et amoureux; mais j'ay veu beaucoup de
+galants et braves gentilshommes aussi affectionnez l'amour des
+vieilles, voire plus que des jeunes, et si me disoit-on que c'estoit
+pour en tirer des commoditez. Aucuns en ay-je veu aussi qui les aimoient
+d'une trs-ardente amour, sans en tirer rien de leur bourse, sinon de
+leur corps; ainsi que nous avons veu autrefois un trs-grand prince
+souverain<a name="FNanchor_90_90" id="FNanchor_90_90"></a><a href="#Footnote_90_90" class="fnanchor">[90]</a> qui aimoit si ardemment une grande dame veufve age, qu'il
+quittoit sa femme et toutes autres, tant belles fussent-elles et jeunes,
+pour coucher avec elle. Mais en cela il avoit raison car c'estoit une
+des belles et aimables dames que l'on eust sceu voir; et son hyver
+valoit plus certes que les printemps, estez et automnes des autres. Ceux
+qui ont pratiqu les courtisannes d'Italie, aucuns a-t-on veu et voit-on
+choisir tousjours les plus fameuses et antiques et qui ont plus traisn
+le balet, pour y trouver quelque chose de plus gentil, tant au corps
+qu'en l'esprit. Voil pourquoy cette gentille Cloptre, ayant est
+mande par Marc Antoine de le venir trouver, ne s'en esmeut autrement,
+s'asseurant bien que, puisqu'elle avoit sceu attraper Jules Cesar et
+Cnejus Pompejus, fils du grand Pompe, lorsqu'elle estoit encore
+jeunette fillette, et ne savoit encore bien que c'estoit de son monde
+ny de son mestier, qu'elle meneroit bien autrement son homme, qui estoit
+fort grossier, et sentant son gros gendarme, elle estant en la<a
+name="page_249" id="page_249"></a> vigueur de son entendement et de son age,
+comme elle fit. Aussi, pour en parler au vray, si la jeunesse est propre
+pour l'amour aucuns, d'autres la maturit d'un age, d'un bon esprit
+et longue exprience, et d'un beau parler, de longue main pratiqus,
+servent beaucoup pour les suborner.</p>
+
+<p>Un doute y a-t-il que j'ay demand autrefois des mdecins, d'un qui
+disoit pourquoy il ne vivoit plus longuement, puis qu'en sa vie il
+n'avoit tenu ny touch vieille, sur cet aphorisme des mdecins qui
+disent: <i>vetulam non cognovi</i><a name="FNanchor_91_91" id="FNanchor_91_91"></a><a href="#Footnote_91_91" class="fnanchor">[91]</a>, avec d'autres quolibets. Certes, ces
+mdecins m'ont dit un proverbe ancien qui disoit: qu'en vieille grange
+l'on bat bien; mais de vieux fleaux, on n'en fait rien de bon. Aussi un
+autre: Il n'en chaut quel age la beste ait, mais qu'elle porte. Et
+aussi que par exprience ils ont connu des vieilles si ardentes et
+chaudasses, que, venant habiter avec un jeune homme, elles en tirent
+ce qu'elles en peuvent, et l'alambiquent tant qu'il a de substance ou de
+suc dans le corps, afin de se humecter mieux: je dis celles qui, pour
+l'amour de l'age, sont asseiches et ont faute d'humeurs. Lesdits
+mdecins me disoient autres raisons; mais aux plus curieux je les laisse
+ leur demander.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay veu une vieille veufve, dame grande, qui mit sur les dents, en
+moins de quatre ans, et son troisiesme mary et un jeune gentilhomme
+qu'elle avoit pris pour son amy; et les renvoya dans la terre, non par
+assassinat ny poison, mais par attenuation et alambiquement de leur
+substance. Et, voir celle dame, on n'eust jamais pens qu'elle eust
+fait le coup; car elle faisoit devant les gens plus de la dvote, de la
+marmiteuse et de l'hypocrite, jusques-l qu'elle ne vouloit pas prendre
+sa chemise devant ses femmes, de peur de la voir nue; ny pisser devant
+elles: mais, comme disoit quelque dame de ses parentes, qu'elle faisoit
+ces difficultez ces femmes et point ses galands. Mais quoy, est-il
+plus deffensible et plus loisible une femme d'avoir eu plusieurs marys
+en sa vie, comme il y en eu prou qui en ont eu trois, quatre et cinq, ou
+bien une autre qui en sa vie n'aura eu que son mary et un amy, ou
+deux, ou trois? comme certes j'en ay cogneu aucunes continentes et
+loyales jusques-l? Et en cela j'ay ouy dire une grande dame de par le
+monde, qu'elle ne mettoit aucune diffrence entre une dame qui avoit eu
+plusieurs marys et une qui n'avoit eu<a name="page_250" id="page_250"></a> qu'un amy ou deux, avec son mary,
+si ce n'est que ce voile marital cache tout; mais, quant la sensualit
+et lascivet, il n'y a pas diffrence d'un double; et en cela pratiquent
+le refrain espagnol, qui dit que <i>algunas mugeres son de natura de
+anguillas en retener y de lobas en excoger</i>; c'est--dire: de nature
+des anguilles retenir, et des louves choisir; car l'anguille est
+fort glissante et mal tenable, et la louve choisit tousjours le loup le
+plus laid.</p>
+
+<p>&mdash;Il m'advint une fois la Cour, qu'une dame assez grande, qui avoit
+est marie quatre fois, me vint dire qu'elle venoit de disner avec son
+beau-frre, et que je devinasse avec qui, et me le disoit navement sans
+y songer malice; et moy, un peu malicieusement, et riant pourtant, je
+luy respondis: Et qui diable seroit le devin qui le pourroit deviner?
+Vous avez est marie quatre fois: je laisse penser au monde la
+qualit des beaux-freres que vous pouvez avoir. Alors elle me
+respondit, et rpliqua: Vous y songez en mal, et me nomma le
+beau-frre. C'est bien parl, lui rpliquay-je, cela; mais non comme
+vous parliez.</p>
+
+<p>&mdash;Il y eut jadis Rome<a name="FNanchor_92_92" id="FNanchor_92_92"></a><a href="#Footnote_92_92" class="fnanchor">[92]</a> une dame qui avoit eu vingt-deux marys l'un
+aprs l'autre, et pareillement un homme qui avoit eu vingt-une femmes,
+dont ils s'advisrent tous deux, pour faire un bon concert, de se
+remarier ensemble. Le mary la fin survesquit sa femme: en quoy le mary
+fut tellement estim et honor dans Rome de tout le peuple, d'une si
+belle victoire, que comme victorieux, il fut men et pourmen en un char
+triomphant, couronn de lauriers et la palme en main. Quelle victoire,
+et quel triomphe!</p>
+
+<p>&mdash;Du temps du roi Henry, en sa Cour fut le seigneur de Barbazan, dit
+Saint-Anian, qui se maria par trois fois l'une aprs l'autre. Sa
+troisiesme femme estoit fille de madame de Mouchy, gouvernante de madame
+de Lorraine, qui, plus brave que les deux premieres, eut raison de luy,
+car il mourut sous elle; et, ainsi qu'on le plaignoit la Cour, et
+qu'elle de mesme se desconfortoit outrageusement de sa perte. M. de
+Montpesat, qui disoit trs-bien le mot, alla rencontrer qu'au lieu de la
+plaindre on la devoit exalter et loer beaucoup de sa victoire qu'elle
+avoit eu sur son homme, qu'on disoit qu'il estoit si vigoureux et si
+fort et envitaill, qu'il avoit fait mourir ses deux premires femmes
+de<a name="page_251" id="page_251"></a> force de leur faire; et cette-cy, ne s'estre rendue au combat, mais
+demeure victorieuse, devoit estre loe et admire par la Cour, pour si
+belle victoire d'un si vaillant et robuste champion, et pour ce
+elle-mesme devoit s'en tenir trs-glorieuse. Quelle gloire!</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ony tenir cette mesme maxime de cy-devant d'un seigneur de
+France, qu'il ne mettoit pas plus de diffrence entre une femme qui
+avoit eu quatre ou cinq marys, et une putain qui a eu quatre serviteurs
+l'un aprs l'autre; si-non que l'une se colore par le mariage, et
+l'autre point. Aussi un galant homme que je say, ayant espous une
+femme qui avoit t marie trois fois, il y eut quelqu'un que je say,
+qui disoit bien: Il a espous, dit-il, enfin une putain sortant du
+bordel de rputation. Ma foy, telles femmes qui se remarient
+ressemblent les chirurgiens avares, lesquels veulent tout coup
+resserrer les plaies d'un pauvre bless, afin d'allonger la gurison et
+en gagner tousjours mieux la petite pice d'argent. Aussi, se disoit
+une: Il n'est beau de s'arrter au beau mitan de la carrire; mais il
+la faut achever, et aller jusques au bout. Je m'estonne que ces femmes,
+qui sont si chaudes et promptes se remarier, et mesme si surannes,
+n'usent pour leur honneur de quelques remdes rfrigratifs et potions
+tempres, pour expeller toutes ces chaleurs; mais tant s'en faut
+qu'elles en veulent user, qu'elles s'en aident du tout de leur
+contraire. J'ai veu et leu un petit livret d'autrefois, en italien, sot
+pourtant, qui s'est voulu mesler de donner des receptes contre la
+luxure, et en met trente-deux; mais elles sont si sottes que je ne
+conseille point aux femmes d'en user, pour ne mettre leur corps trop
+fascheuse subjection. Voil pourquoy je ne les ay mises icy par escrit.
+Pline en allgue une, de laquelle usoient le temps pass les vestales;
+et les dames d'Athnes s'en servoient aussi durant les ftes de la
+desse Crs, dites <i>Themophoria</i><a name="FNanchor_93_93" id="FNanchor_93_93"></a><a href="#Footnote_93_93" class="fnanchor">[93]</a>, pour se refroidir et oster tout
+appetit chaud de l'amour, et par ce vouloient celebrer cette feste en
+plus grande chastet, qu'estoient des paillasses de feuilles d'arbre dit
+<i>agnus castus</i>. Mais pensez que durant la feste elles se chastroient de
+cette faon, et puis aprs elles jettoient bien la paillasse au vent.
+J'ay veu un pareil arbre en une maison en Guyenne, d'une grande,
+honneste et trs-belle dame, et qui le monstroit souvent aux estrangers
+qui la venoient voir, par grande spciaut, et leur en disoit la
+proprit: mais au diable<a name="page_252" id="page_252"></a> si j'ay jamais veu ny ouy dire que femme ou
+dame en ait encore os cueillir une seule branche, ny fait pas seulement
+un petit recoin de paillasse, non pas mme la dame propritaire de
+l'arbre et du lieu, qui n'en eust peu disposer comme il luy eust pleu.
+Ce fust est aussi dommage, car son mary ne s'en fust pas mieux trouv:
+aussi qu'elle valoit bien que l'on laissast se rgler au cours de la
+nature, tant elle estoit belle et agrable, et aussi qu'elle a fait une
+trs-belle ligne. Et pour dire vray, il faut laisser et ordonner telles
+receptes austres et froides aux pauvres religieuses, lesquelles, encore
+qu'elles jeusnent et macrent leurs corps, si sont-elles souvent
+assaillies, les pauvrettes des tentations de la chair; et si elles
+avoient libert au moins aucunes, elles se voudroient rafraischir comme
+les mondaines; et bien souvent pour s'estre repenties se repentent,
+ainsi qu'on voit les courtisannes de Rome, dont j'en allgueray un
+plaisant conte d'une, laquelle s'estant voue au voile, avant qu'aller
+au monastre, un sieur ami, gentilhomme franais, la vint voir pour luy
+dire adieu puisqu'elle s'en alloit estre recluse; et avant que s'en
+aller, la pria d'amour; et la prenant, elle luy dit: <i>Fate dunque
+presto; ch'adesso mi verrano cercar per far mi monaca, e menare al
+monasterio</i><a name="FNanchor_94_94" id="FNanchor_94_94"></a><a href="#Footnote_94_94" class="fnanchor">[94]</a>. Pensez qu'elle voulut faire ce coup pour prendre sa
+dernire main, et dire: <i>Tandem hc olim meminisse juvabit</i>;
+c'est--dire: Encore me fait-il grand bien de m'en ressouvenir pour la
+dernire fois. Quelle repentance et quelle intrade de religion! Et
+quand une fois elles y ont est professes, au moins les belles, je dis
+aucunes, je croy qu'elles vivent plus de repentance que de viandes
+corporelles ny spirituelles. Dont aucunes y a qui savent y remdier, ou
+par dispenses et par pleines libertez qu'elles prennent d'elles-mesmes;
+car on ne les traite icy comme les Romains le temps pass traitoient
+cruellement leurs vestales quand elles avoient forfait; ce qui estoit
+une chose horrible et abominable: aussi estoient-ils payens, et pleins
+d'horreurs et de cruautez; nous autres chrestiens, qui en suivons la
+douceur de nostre Christ, devons estre benins comme luy; et comme il
+nous pardonne, il faut que nous pardonnions. Je mettrois icy par escrit
+la faon de laquelle ils les traitoient; mais je la laisse au bout de la
+plume. Or laissons ces pauvres ames, que, ma foy, quand elles sont-l
+une fois renfermes,<a name="page_253" id="page_253"></a> elles endurent assez de mal; ainsi que dit une
+fois une dame d'Espagne, voyant mettre en religion une fort belle et
+honneste damoiselle: <i>O tristezilla, y en que pecaste, que tum presto
+vienes penitentia, y seys metida en sepultura viva!</i> c'est--dire: O
+pauvre misrable, en quoi avez-vous tant pch, que si prestement vous
+venez pnitence, et estes mise toute vive en spulture! Et voyant que
+les religieuses luy faisoient toutes les bonnes cheres, recueils et
+honneurs du monde, elle dit <i>que todo le hedia, hasla el encensio de la
+yglesia</i>; c'est--dire: que tout luy puoit, jusques l'encens de
+l'glise.</p>
+
+<p>&mdash;Une question y a-t-il que je voudrois qui me fust dissolue, en toute
+vrit et sans dissimulation, par aucunes dames qui ont fait le voyage;
+ savoir, quand elles sont remaries, comment elles se comportent
+l'endroit de la mmoire des premiers marys. En cela il y a une maxime:
+que les dernieres amitiez et inimitiez font oublier les premieres; aussi
+les secondes nopces ensevelissent les premieres. Sur quoy j'allgueray
+un exemple plaisant, non pour tant qu'il doive estre fort authorisable;
+si est-ce qu'on dit que sous un lieu obscur et vil encore la sapience et
+science s'y cache. Une grande dame de Poictou demandant une fois une
+paysanne, sienne tenancire, combien de marys elle avoit eus, et comment
+elle s'en estoit trouve, elle, faisant sa petite rvrence la
+pitaude, luy respondit de sang froid: Je vous dirai, madame, j'ay eu
+deux marys, grce Dieu. L'un s'appeloit Guillaume, qui estoit le
+premier; et le second s'appeloit Colas. Guillaume estoit bon homme, ais
+de moyens, et me traitoit fort bien; mais Dieu pardonne Colas, car
+Colas me le faisoit bien. Mais elle disoit tout trac ce qui se
+commence par f., sans le dguiser ou farder comme je le dguise. Voyez,
+s'il vous plaist, comme cette maraude prioit Dieu pour l'ame du trpass
+bon compagnon, et, s'il vous plaist, sur quel sujet, et du premier
+mrite. Je penserois que de mesmes en font plusieurs dames convolantes
+et revolantes; car, puisqu'elles en viennent l, c'est pour ce grand
+point; et, pour ce, qui le joe le mieux est le plus aim. Et volontiers
+croyent que le second doit faire rage; mais bien souvent aucunes sont
+trompes, car elles ne trouvent en leurs boutiques l'assortiment
+qu'elles y pensoient trouver, ou bien d'aucunes, s'il y en a, il est
+si chetif et us et gast, flasque et foul et lasche, qu'on se repend
+d'y avoir mis son denier; comme j'en ay veu force exemples que je ne
+veux allguer, car il est temps, ce me semble, de faire fin ou jamais
+non.<a name="page_254" id="page_254"></a></p>
+
+<p>&mdash;D'autres dames y a-t-il qui disent qu'elles aiment mieux leurs
+derniers marys de beaucoup que les premiers: D'autant, m'ont dit
+aucunes, que les premiers que nous espousons, le plus souvent nous les
+prenons par le commandement de nos roys et reynes maistresses, par la
+contrainte de nos peres et meres, parents, tuteurs, non par la volont
+pure de nous autres: au lieu qu'en nos viduitez, comme trs-bien
+mancipes, nous en faisons telle lection qui nous plaist, et ne les
+prenons que pour nos beaux et bons plaisirs, et par amourettes, et
+nostre gentil contentement. Certainement il peut y avoir de la raison,
+si ce n'estoit que bien souvent <i>les amours qui s'accommencent par
+anneaux se finissent par couteaux</i>, ce dit un vieux proverbe, ainsi que
+tous les jours nous en voyons les expriences et exemples d'aucunes, qui
+pensants estre bien traites de leurs hommes, qu'elles avoient tirez de
+la justice et du gibet, de la pauvret, de la chetiverie du bordel, et
+eslevez, les battoient, rossoient, les traitoient fort mal, et bien
+souvent leur ostoient la vie, dont en cela c'estoit juste punition
+divine, pour avoir est par trop ingrates leurs premiers marys, qui
+leur estoient par trop bons et en disoient pis que pendre. Et ne
+ressembloient pas une que j'ay ouy raconter, laquelle la premire
+nuict de ses nopces, ainsi que son mary la commenoit assaillir, elle
+se mit pleurer et souspirer bien fort, si bien que tout un coup elle
+faisoit deux choses fort contraires. Son mary luy demandoit ce qu'elle
+avoit s'attrister, et s'il ne s'acquittoit pas bien de son devoir.
+Elle luy respondit: Hlas prou: mais je me ressouviens de mon mary, qui
+m'avoit tant prie et reprie de ne me remarier jamais aprs sa mort, et
+que j'eusse souvenance et piti de ses petits enfants. Hlas! je voy
+bien que j'en auray encor tant de vous. H, que feray-je! Je croy que
+s'il me peut voir du lieu o il est maintenant, il me maudit bien.
+Quelle humeur de n'avoir point song telles considrations, ny avoir
+est sage, si-non aprs le coup! Mais le mary, l'ayant appaise et fait
+souvent passer cette fantaisie par le trou lu milieu, le lendemain
+matin, ouvrant la fenestre de la chambre, envoya dehors toute la mmoire
+du mary premier; car se disoit un grand proverbe ancien, que <i>femme qui
+enterre un mary ne se soucie plus d'en enterrer un autre</i>: et aussi un
+autre qui dit: <i>Plus de mine en une femme perdant son mary, que de
+mlancolie</i>.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay cogneu une autre veufve, grande dame, bien contraire<a
+name="page_255" id="page_255"></a> cette-cy, qui ne pleura ainsi; car, la
+premire nuict et seconde de ses nopces, elle se conjoignit tellement
+avec son mary second, qu'ils enfoncrent et rompirent le chaslis, encore
+qu'elle eust une espce de cancre un ttin; et nonobstant son mal, ne
+laissa d'un seul point son amoureux plaisir, l'entretenant par aprs
+souvent de la sottise et inhabilit de son premier mary. Aussi, ce que
+j'ay ouy dire aucuns et aucunes, c'est la chose que les seconds marys
+veulent le moins de leurs femmes, qu'elles les entretiennent de la vertu
+et valeurs de leurs premiers marys, comme estants jaloux des pauvres
+trpassez, qui y songent autant comme de revenir en ce monde: d'en dire
+mal tant que l'on voudra. Si en a-t-il force pourtant qui leur en
+demandent des nouvelles; mais, comme se sentant fort vigoureux et forts,
+et faisans comparaisons, les interrogent de leurs forces et vigueurs en
+ces douces charges, comme j'ay ouy dire aucuns et aucunes, lesquelles,
+pour leur faire trouver meilleur, leur font accroire que les autres
+n'estoient qu'apprentifs, dont bien souvent elles s'en trouvent mieux.
+Autres disoient le contraire, et que les premiers faisoient rage, afin
+de faire efforcer les derniers faire les asnes desbatez. Telles femmes
+veufves seroient bonnes l'isle de Chio, la plus belle isle et gentille
+et plaisante du Levant, jadis possde des Gennois, et depuis
+trente-cinq ans usurpe par les Turcs, dont c'est un grand dommage et
+perte pour la chrestient. En ceste isle donc, comme je tiens d'aucuns
+marchands gennois, le coustume est que si une femme veut demeurer en
+vidut, sans aucuns propos de se remarier, le seigneur la contraint de
+payer un certain prix d'argent, qu'ils appellent <i>argomoniatique</i>, qui
+vaut autant dire (sauf l'honneur des dames) <i>c.. repos et inutile</i>. Je
+leur ay demand sur quoy cette coutume pouvoit estre fonde: ils me
+respondirent que pour tousjours mieux repeupler l'isle. Je vous assure
+que nostre France ne demeurera donc indeserte ny infertile par faute de
+nos veufves qui ne se remarient point; car je pense qu'il y en a plus
+qui se remarient que d'autres, et par ce ne payeront de tribut du c..
+inutile et repos; que si ce n'est par le mariage, pour le moins
+autrement qu'ils le font travailler et fructifier, comme j'espre de
+dire. Non plus ne payeront aussi aucunes de nos filles de France que
+celles de Chio, lesquelles, soit des champs ou de ville, si elles
+laissent perdre leur pucelage avant que d'estre maries, et qu'elles
+veulent continuer le mestier sont tenues de bailler pour une fois un
+ducat (dont c'est un trs-bon march pour faire cela toute leur vie)<a
+name="page_256" id="page_256"></a> au capitaine de la nuict, afin de le
+pouvoir faire leur plaisir, sans aucune crainte et danger; et en cela
+gist le plus grand et asseur gain qu'ait le gentil capitaine en son
+Estat.</p>
+
+<p>&mdash;Il ne fut jamais que les Grecs n'eussent tousjours quelques inventions
+tendantes la paillardise; comme le temps pass nous lisons de la
+coustume de l'isle de Cypre, qu'on dit que la bonne dame Vnus, patronne
+de-l, introduisit une loy que les filles de-l falloit qu'elles
+allassent se pourmenants le long des rivages, costes et ores de la mer,
+pour gagner leur mariage par la libralit de leurs corps aux mariniers,
+passants et navigeants, qui descendoient exprs, voire bien souvent se
+destournoient de leur chemin droit de la boussole pour prendre la terre,
+et l, prenants leurs petits rafraischissements avec elles, les payoient
+trs-bien, et puis s'en alloient les uns regret pour laisser telles
+beautez; et par ainsi ces belles filles gagnoient leurs mariages, qui
+plus qui moins, qui bas qui haut, qui grand qui petit, selon les
+beautez, qualitez et tentations des filaudes.</p>
+
+<p>&mdash;Aujourd'huy aucunes de nos filles de nos nations chrestiennes ne vont
+point se pourmener, s'exposer ainsi aux vents, aux pluyes, aux froids,
+au soleil, aux chaleurs, car la peine est trop laborieuse et trop dure
+pour leurs tendres et dlicates peaux et blanches charnures; mais elles
+se font venir trouver sous de riches pavillons et dans de pompeuses
+courtines, et l tirent leur solde amoureuse et maritale de leurs
+amoureux, sans payer aucun tribut. Je ne parle pas des courtisannes de
+Rome qui en payent, mais de plus grandes qu'elles: si bien qu' aucunes,
+la plus part du temps, leurs peres, meres et freres n'ont pas grande
+peine de chercher argent ny leur en donner pour les marier; ains, au
+contraire, bien souvent aucunes y a-t-il qui en baillent aux leurs, et
+les advancent en biens et charges, en grades et dignitez, ainsi que j'en
+ay veu plusieurs. Aussi Lycurgus ordonna que les filles vierges fussent
+maries sans doaire d'argent, ce que les hommes les espousassent pour
+leurs vertus, non pour l'avarice. Mais quelles vertus estoit-ce, qu'aux
+bonnes festes solemnelles elles chantoient, dansoient publiquement
+toutes nus avec les garons, voire luitoient en belle place marchande;
+ce qui se faisoit pourtant avec toute honnestet, dit l'histoire: c'est
+ savoir, et quelle honnestet en tel estat estoit-ce, les belles
+filles voir publiquement? D'honnestet n'y en avoit-il point,<a
+name="page_257" id="page_257"></a> mais ouy bien un plaisir pour la veu, et
+mesme en leur mouvement de corps danser, et encore plus luiter: et
+puis quand ils venoient tomber l'un sur l'autre, et, comme dit le
+latin, <i>Illa sub, ille super</i>, et <i>ille sub, illa super</i>, c'est--dire,
+elle dessous, luy dessus, et elle dessus, luy dessous. Et comment me
+pourroit-on desguiser cela, qu'il y eust l toute honnestet? Je croy
+qu'il n'y a chastet qui ne s'en esbranlast, et, que, se faisant l en
+public et de jour les petites attaques, qu' couvert et de nuict et du
+rendez-vous les grands combats et camisades s'en ensuivissent. Tout cela
+se pouvoit faire sans aucun doute, veu que ledit Lycurgus permit ceux
+qui estoient beaux et dispos d'emprunter les femmes des autres pour y
+labourer comme en terre grasse: et si n'estoit chose reprochable un
+vieil et lass de prester sa femme belle et jeune un galant jeune
+homme qu'il choisissoit; mais il vouloit qu'il fust permis la femme de
+choisir pour secours le plus proche parent de son mary, tel qu'il luy
+plairoit, pour se coupler avec luy, ce que les enfants qu'ils
+pourroient engendrer fussent au moins du sang et de la race mesme du
+mary. Les Juifs avoient cette loy de la belle-s&oelig;ur au beau-frre;
+mais nostre loy chrestienne a tout rabill cela, encore que nostre Saint
+Pere en aye baill plusieurs dispenses fondes sur plusieurs raisons.</p>
+
+<p>&mdash;Or, parlons un peu, et le plus sobrement que nous pourrons, d'aucunes
+autres veufves, et puis nous fairons la fin. Il y a une autre espce de
+veufves dont il y en a qui ne se remarient point, mais fuyent le mariage
+comme peste: ainsi que me dit une, et de grande maison, et bien
+spirituelle, laquelle ayant demand si elle offriroit encore son
+v&oelig;u au dieu Hymene, elle me respondit: Par vostre foy, seroit-il
+pas fat et malhabile le forat ou l'esclave, aprs avoir longuement tir
+ la rame, attach la cadene, s'il venoit recouvrer sa libert, s'il
+s'en alloit de son bon gr encore s'assujettir sous les loix d'un
+orageux corsaire? Pareillement moy, aprs avoir assez est sous
+l'esclavage d'un mary, et en reprendre un autre, que meriterois-je, puis
+que d'ailleurs, sans aucun hazard, je me puis donner du bon temps? Et
+une autre dame grande, et ma parente (car je ne veux pas prendre le
+Turc), luy ayant demand si elle n'avoit point envie de convoler,
+nenny, me respondit-elle, mon cousin, mais bien de conjoir: faisant
+une allusion sur ce mot de <i>conjoir</i>, comme voulant dire qu'elle
+vouloit<a name="page_258" id="page_258"></a> bien faire son c.. joir d'autre chose qu' un second mary,
+suivant le proverbe ancien qui dit qu'<i>il vaut mieux voler en amour
+qu'en mariage</i>: aussi que les femmes sont sottes par-tout.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy parler d'une autre qui il fut demand par un gentilhomme
+qui vouloit tenter le guay pour la pourchasser, et luy demandant si elle
+ne vouloit point un mary: H! dit-elle, ne me parlez point de mary, je
+n'en auray jamais plus: mais avoir un amy, c'est une autre
+affaire.&mdash;Permettez donc, madame, que je sois cet amy, puisque mary je
+ne puis estre. Elle luy repliqua: Servez bien et perseverez; possible
+le serez-vous.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay cogneu une grande dame qui, durant qu'elle estoit fille et
+marie, on ne parloit que de son embonpoint: elle vint perdre son
+mary, et en faire un regret si extrme qu'elle en devint seiche comme
+bois<a name="FNanchor_95_95" id="FNanchor_95_95"></a><a href="#Footnote_95_95" class="fnanchor">[95]</a>; pourtant ne delaissa de se donner au c&oelig;ur joye d'ailleurs,
+jusqu' emprunter l'aide d'un sien secretaire, voire de son cuisinier ce
+disoit-on; mais pour cela ne recouvroit son embonpoint, encore que le
+dit cuisinier, qui estoit tout gresseux et gras, ce me semble, la devoit
+rendre grasse. Et ainsi en prenoient et de l'un et de l'autre de ses
+valets, faisant, avec cela, la plus prude et chaste femme de la Cour,
+n'ayant que la vertu en la bouche, et mal-disante de toutes les autres
+femmes, et y trouvant toutes redire. Telle estoit cette grande dame
+de Dauphin, dans les <i>Cent Nouvelles de la Reyne de Navarre</i>, qui fut
+trouve couche sur belle herbe avec son palefrenier ou muletier dessus
+elle, par un gentilhomme qui en estoit amoureux se perdre; mais par
+ainsi gurit aisment son mal d'amour.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay leu dans un vieux roman de Jean de Saintr, qui est imprim en
+lettres gothiques, que le feu roy Jean le nourrit page. Par l'usance du
+temps pass les grands envoyoient leurs pages en message, comme on fait
+bien aujourd'huy; mais alors alloient partout et par pays cheval;
+mesme que j'ay ouy dire nos peres qu'on les envoyoit bien souvent en
+petites ambassades; car, en depeschant un page avec un cheval et une
+piece d'argent, on en estoit quitte, et autant espargn. Ce petit Jean
+de<a name="page_259" id="page_259"></a> Saintr (car ainsi l'appeloit-on long-temps) estoit fort aim de son
+maistre le roy Jean, car il estoit tout plein d'esprit, fut envoy
+souvent porter de petits messages sa s&oelig;ur, qui estoit pour lors
+veufve (le livre ne dit pas de qui). Cette dame en devint amoureuse
+aprs plusieurs messages par luy faits; et un jour, le trouvant propos
+et hors de compagnie, elle l'arraisonna, et se mit demander s'il
+aimoit point aucune dame de la Cour, et laquelle luy revenoit le mieux;
+ainsi qu'est la coustume de plusieurs dames d'user de ces propos quand
+elles veulent donner aucuns la premire pointe ou attaque d'amour,
+comme j'ay veu pratiquer. Ce petit Jean de Saintr, qui n'avoit jamais
+song rien moins qu' l'amour, luy dit que non encore. Elle luy en alla
+descouvrir plusieurs, et ce qui luy en sembloit. Encore moins,
+respondit-il, aprs luy avoir presch des vertus et loanges de l'amour.
+Car, aussi bien de ce temps vieux comme aujourd'huy, aucunes grandes
+dames y estoient sujettes; car le monde n'estoit pas fin comme il est:
+et les plus fines tant mieux pour elles, qui en faisoient passer de
+belles aux marys, mais avec leurs hypocrisies et navetez. Cette dame
+donc, voyant ce jeune garon qui estoit de bonne prise, luy va dire
+qu'elle luy vouloit donner une maistresse qui l'aymeroit bien, mais
+qu'il la servist bien, et luy fit promettre, avec toutes les hontes du
+monde qu'il eust sur ce coup, et surtout qu'il fust secret: enfin elle
+se dclara luy qu'elle vouloit estre sa dame et amoureuse; car de ce
+temps ce mot de <i>maistresse</i> ne s'usoit. Ce jeune page fut fort estonn,
+pensant qu'elle se moquast ou le voulust faire atrapper ou le faire
+foetter. Toutefois elle luy monstra aussitost tant de signes de feu et
+d'embrasement d'amour, qu'il connut que ce n'estoit pas moquerie; luy
+disant toujours qu'elle le vouloit dresser de sa main et le faire grand.
+Tant y a que leurs amours et jouissances durrent longuement, et estant
+page et hors de page, jusques ce qu'il luy fallut aller un lointain
+voyage, qu'elle le changea en un gros, gras abb; et c'est le conte que
+vous voyez en les <i>Nouvelles du monde advantureux</i>, d'un valet de
+chambre de la reyne de Navarre; l o vous voyez l'abb faire un affront
+au dit Jean de Saintr, qui estoit si brave et si vaillant; aussi
+bien-tost aprs le rendit-il M. l'abb par bon eschange, et au triple.
+Ce conte est trs-beau, et est pris de l o je vous dis. Voil comme ce
+n'est d'aujourd'huy que les dames aiment les pages, et mesmes quand ils
+sont maills<a name="page_260" id="page_260"></a> comme perdreaux. Quelles humeurs de femmes, qui veulent
+avoir des amys prou, mais des marys point! Elles font cela pour l'amour
+de la libert, qui est une si douce chose; et leur semble que quand
+elles sont hors de la domination de leurs marys, qu'elles sont en
+paradis; car elles ont leur doaire trs-beau, et le mesnagent; ont les
+affaires de la maison en maniement; elles touchent les deniers; tout
+passe par leurs mains: au lieu qu'elles estoient servantes, elles sont
+maistresses, font eslection de leurs plaisirs et de ceux qui leur en
+donnent leur souhait. Aucunes il y a qui se faschent certes de ne
+rentrer en second mariage, soit pour les grandeurs, dignitez, biens et
+richesses, grades, bons et doux traitements, comme elles faisoient aux
+autres; ou pensant y trouver du pire, et par ce se contiennent: ainsi
+que j'ay cogneu et ouy parler de plusieurs grandes dames et princesses,
+lesquelles, de peur de ne rencontrer leur souhait de la grandeur, et
+de perdre leurs rangs, n'ont jamais voulu se marier; mais ne laissent
+pour cela faire bien l'amour, et le mettre et convertir en joissance;
+et n'en perdoient pour cela ny leurs rangs, ny leurs tabourets, ny leurs
+siges et sances. N'estoient-elles pas bienheureuses celles-l, jouyr
+de la grandeur, et de monter haut et s'abaisser bas tout ensemble? De
+leur en dire mot, ou leur en faire la remonstrance, n'en faloit point
+parler; autrement il y avoit plus de despits, plus de desmentis, de
+ngatives, de contradictions et de vengeances.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy raconter d'une dame veufve et l'ay cogneue, qui s'estoit fait
+longuement servir un honneste gentilhomme, sous prtexte de mariage;
+mais il ne se mettoit nullement en vidence. Une grande princesse, sa
+maistresse, luy en voulut faire la reprimande. Elle, ruse et corrompue,
+luy respondit: Et quoy, madame, seroit deffendu de n'aimer d'amour
+honneste? ce seroit par trop grande cruaut. Et on sait que cet amour
+honneste s'appeloit un amour bien lascif, et compos de confitures
+spermatiques: comme certes sont toutes amours, qui naissent toutes
+pures, chastes et honnestes; mais aprs se dpucellent, et, par quelque
+certain attouchement d'une pierre philosophale, se convertissent et se
+rendent deshonnestes et lubriques.</p>
+
+<p>&mdash;Feu M. de Bussy, qui estoit l'homme de son temps qui disoit des mieux,
+et racontoit aussi plaisamment, un jour la Cour, voyant une dame
+veufve, grande, qui continuoit toujours<a name="page_261" id="page_261"></a> le mestier d'amour, Et quoy,
+dit-il, cette jument va-elle encore l'estallon? Cela fut rapport
+la dame, qui luy en voulut mal mortel; ce que M. de Bussy sceut: Et
+bien, dit-il, je say comme je feray mon accord et rabilleray cela.
+Dites-luy, je vous prie, que je n'ay pas parl ainsi; mais bien j'ay
+dit: Cette poultre<a name="FNanchor_96_96" id="FNanchor_96_96"></a><a href="#Footnote_96_96" class="fnanchor">[96]</a> va-elle encore au cheval? Car je say bien
+qu'elle n'est pas marrye de quoy je la tiens pour dame de joye, mais
+pour vieille; et lorsqu'elle saura que je l'ay nomme <i>poultre</i>, qui
+est une jeune cavalle, elle pensera que je l'ay encore en estime d'une
+jeune dame. Par ainsi, la dame, ayant sceu cette satisfaction et
+rabillement de paroles, s'appaisa, et se remit en amiti avec M. de
+Bussy; dont nous en rismes bien. Toutefois elle avoit beau faire, car on
+la tenoit tousjours pour une jument vieille et rpare, qui, toute
+surage qu'elle estoit, hannissoit encore aux chevaux. Cette dame ne
+ressembloit pas une autre dont j'ay ouy parler, laquelle, ayant est
+bonne compagne en son premier temps, et se jettant fort sur l'age, se
+mit servir Dieu en jeusnes et oraisons. Un gentilhomme honneste luy
+remonstrant pourquoy elle faisoit tant de veilles l'glise, et tant de
+jeusnes la table, et si c'estoit pour vaincre et matter les aiguillons
+de la chair, Hlas! dit-elle, ils me sont tous passez; profrant ces
+mots aussi piteusement que jamais fit Milo Crotoniates, ce fort et
+puissant luiteur; lequel un jour estant descendu dans l'arene, ou le
+champ des luiteurs, pour y voir l'esbat seulement, car il estoit devenu
+fort vieux, il y en eut un de la troupe qui luy vient dire s'il ne
+vouloit point faire encore un coup du vieux temps. Luy, se rebrassant et
+retroussant ses bras fort piteusement, regardant ses nerfs et muscles,
+il dit seulement: Hlas! ils sont morts. Si cette femme en eust fait
+de mesme et se fust retrousse, le trait estoit pareil celuy de Milo;
+mais on n'y eust veu grand cas qui valust ny qui tentast. Un autre
+pareil trait et mot au prcdent M. de Bussy fit un gentilhomme que je
+say. Venant la Cour, d'o il avoit est absent six mois, il vid une
+dame qui alloit l'Acadmie, qui estoit alors introduite la Cour par
+le feu Roy: Comment, dit-il, l'Acadmie dure encore? on m'avoit dit
+qu'elle estoit abolie.&mdash;En doutez-vous, luy respondit un, si elle y va?
+son magister<a name="page_262" id="page_262"></a> luy apprend la philosophie, qui parle et traite du
+mouvement perptuel.</p>
+
+<p>&mdash;Une dame de par le monde rencontra bien mieux d'une autre laquelle
+on looit fort ses beautez, fors qu'elle avoit ses yeux immobiles,
+qu'elle ne remuoit nullement. Pensez, dit-elle, que toute sa curiosit
+est mettre son mouvement au reste de son corps, et mesme celuy du
+mitan, sans le renvoyer ses yeux. Or, si je voulois mettre par escrit
+et tous les bons mots et bons contes que je say pour bien amplifier ce
+sujet, je n'aurois jamais fait, et d'autant que j'ay d'autres pas
+faire je m'en dsiste, et concluray avec Bocace, cy-dessus allgu, que,
+et filles, et maries, et veufves, au moins la plus grande part, tendent
+toutes l'amour.</p>
+
+<p>Je ne veux point parler des personnes viles, ny des champs, ny de ville,
+car telle n'a point est mon intention d'en escrire, mais des grandes,
+pour lesquelles ma plume vole. Toutefois, si au vray on me demandoit mon
+opinion, je dirois volontiers qu'il n'y a que les maries, tout hazard
+et danger des marys part, pour estre propres l'amour et en tirer
+prestement l'essence; car les marys les eschauffent tant, que, comme une
+fournaise qui est souvent bien embrase, elles ne demandent que de la
+matiere et du bois pour entretenir tousjours leur chaleur; et aussi qui
+se veut bien servir de la lampe, il y faut mettre souvent de l'huile;
+mais aussi garde le jarret, et les embusches de ces marys jaloux, o les
+plus habiles bien souvent y sont attrapez! Toutefois il y faut aller le
+plus sagement que l'on peut et le plus hardiment, et faire comme un Roy,
+lequel, comme il estoit fort sujet l'amour, et fort aussi respectueux
+aux dames, et discret, et par consquent bien-aim et receu d'elles,
+quand quelquefois il changeoit de lict et s'alloit coucher en celuy
+d'une autre dame qui l'attendoit, ainsi que je tiens de bon lieu, jamais
+il n'y alloit, et fust-ce en ses galeries caches de Saint Germain,
+Bloys et Fontainebleau, et petits degrs eschapatoires, et recoins, et
+galletas de ses chasteaux, qu'il n'eust son valet-de-chambre favory, dit
+Griffon, qui portoit son espieu devant luy avec le flambeau, et luy
+aprs, son grand manteau devant les yeux ou sa robe de nuict, et son
+espe sous le bras; et estant couch avec la dame, se faisoit mettre son
+espieu et son espe auprs de son chevet, et Griffon la porte bien
+ferme, qui quelquefois faisoit le guet et quelquefois dormoit. Je vous
+laisse penser, si un grand<a name="page_263" id="page_263"></a> roy prenoit si bien garde soy (car il y
+en a eu d'atrapez, et des roys et de grands princes); ce que les petits
+compagnons auprs de ce grand doivent faire. Mais il y a de certains
+presomptueux qui desdaignent tout; aussi sont-ils bien atrappez souvent.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy conter que le roy Franois, ayant en main une fort belle dame
+qui luy a longtemps dur, allant un jour inopin ladite dame et en
+heure inopine coucher avec elle, vint frapper la porte rudement,
+ainsi qu'il devoit et avoit pouvoir, car il estoit maistre. Elle qui
+estoit pour lors accompagne du sieur de Bonnivet, n'osa pas dire le mot
+des courtisannes de Rome: <i>Non si parla, la signora accompagnata</i><a name="FNanchor_97_97" id="FNanchor_97_97"></a><a href="#Footnote_97_97" class="fnanchor">[97]</a>.
+Ce fut s'adviser l o son galand se cacheroit pour plus grande
+seuret. Par cas c'estoit en est, o l'on avoit mis des branches et
+feuilles dans la chemine, ainsi qu'est la coustume de France. Parquoy
+elle luy conseille et l'advisa aussitost de se jeter dans la chemine,
+et se cacher dans ces feuillages tout en chemise, que bien luy servit de
+quoy ce n'estoit en hyver. Aprs que le Roy eut fait sa besogne avec la
+dame, il voulut faire de l'eau; et se levant, la vint faire dans la
+chemine, par faute d'autre commodit; dont il en eust si grande envie,
+qu'il en arrosa le pauvre amoureux plus que si l'on luy eust jett un
+sceau d'eau, car il l'en arrousa, en forme de chantepleure de jardin, de
+tous costez, voire et sur le visage, par les yeux, par le nez, la
+bouche, et par tout; possible en eschappa-t-il quelque goutte dans la
+bouche. Je vous laisse penser en quelle peine estoit ce gentilhomme,
+car il n'osoit se remuer, et quelle patience et constance tout ensemble!
+Le Roy, ayant fait, s'en alla, prit cong de la dame et sortit de la
+chambre. La dame fit fermer par derrire, et appella son serviteur dans
+son lict, l'eschauffa de son feu, et lui fit prendre chemise blanche: ce
+ne fust pas sans rire aprs la grande apprhension; car s'il eust est
+descouvert, et luy et elle estoient en trs-grand danger. Cette dame est
+celle-l mesme laquelle estant fort amoureuse de M. de Bonnivet, en
+voulant monstrer au Roy le contraire, qui en concevoit quelque petite
+jalousie, elle luy disoit: Mais il est bon, Sire, de Bonnivet, qui
+pense estre beau; et tant plus je luy dis qu'il l'est, tant plus il se
+voit; et je me moque de luy, et par ainsi j'en<a name="page_264" id="page_264"></a> passe mon temps, car il
+est fort plaisant et dit de trs-bons mots, si bien qu'on ne sauroit
+s'en garder de rire quand on est prs de luy, tant il raconte bien.
+Elle vouloit par l monstrer au Roy que sa conversation ordinaire
+qu'elle avoit avec luy n'estoit point l'aimer et en joir, ny pour
+fausser compagnie au Roy. Ha! qu'il y a plusieurs dames qui usent de ces
+ruses pour couvrir leurs amours qu'elles ont avec quelques-uns; elles en
+disent du mal, s'en moquent devant le monde, et derrire n'en font pas
+ce beau semblant, et cela s'appellent ruses et astuces d'amour.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay cogneu une trs-grande dame, laquelle, ayant veu un jour sa
+fille, qui estoit l'une des belles du monde, estre en peine cause de
+l'amour d'un gentilhomme dont son frere estoit estomaqu, entr'autres
+discours que la mre luy dit: H! ma fille, n'aimez plus cet homme-l;
+il a si mauvaise grce et faon! il est si laid! il ressemble un vray
+pastissier de village. La fille s'en mit rire et moquer, et applaudir
+au dire de sa mre, et l'advoer pour semblance de pastissier de
+village; mais qu'il eust un bonnet rouge, toutefois elle l'aimoit. Mais,
+quelque temps aprs, qui fut environ six mois, elle le quitta pour en
+avoir un autre. J'ay connu plusieurs dames qui ont dit pis que pendre
+des femmes qui aimoient en lieux bas, comme leurs secrtaires, valets de
+chambre et autres personnes basses, et dtestoient devant le monde cet
+amour plus que poison; et toutefois elles s'y abandonnoient autant, ou
+plus qu' d'autres. Et ce sont les finesses des dames, jusque l que,
+devant le monde, elles se courroucent contre eux, les menacent, les
+injurient; mais derrire elles s'en accommodent galamment. Ces femmes
+ont tant de ruses! car, comme dit l'Espagnol, <i>mucho sabe la sorra; pero
+sab mas la dama enamorada</i>; c'est dire: Le renard sait beaucoup, mais
+une dame amoureuse sait bien davantage. Quoy que fist cette dame
+prcdente pour oster martel au roy Franois, si ne peut-elle tant faire
+qu'il ne lui en restast quelques grains en teste: car, comme j'ay sceu,
+et surquoy il me souvient, qu'une fois m'estant all pourmener
+Chambord, un vieux concierge qui estoit cans, et avoit est valet de
+chambre du Roy Franois m'y reut fort honnestement; car il avoit ds ce
+temps-l connu les miens la Cour et aux guerres, et luy-mesme me
+voulut monstrer tout; et m'ayant men la chambre du Roy, il me monstra
+un escrit au cost de la fenestre:<a name="page_265" id="page_265"></a> Tenez, dit-il, lisez cela,
+monsieur; si vous n'avez veu de l'escriture du Roy mon maistre, en
+voil. Et l'ayant leu en grandes lettres, il y avoit ce mot: Toute
+femme varie. J'avois avec moy un fort honneste gentilhomme de Prigord,
+mon amy, qui s'appeloit M. de Roche, qui me dit soudain: Pensez que
+quelques-unes de ces dames qu'il aimoit le plus, et de la fidelit
+desquelles il s'assuroit le plus, il les avoit trouves varier et luy
+faire faux-bons, et en elles avoit dcouvert quelque changement dont il
+n'estoit gures content, et, de despit, en avoit escrit ce mot. Le
+concierge, qui nous ouyt, dit: C'est mon, vrayment, ne vous en pensez
+pas moquer: car, de toutes celles que je luy ay jamais veues et
+cogneues, je n'en ay veu aucune qui n'allast au change plus que ses
+chiens de la meute la chasse du cerf; mais c'estoit avec une voix fort
+basse, car s'il s'en fust apperu, il les eust bien releves. Voyez,
+s'il vous plaist, de ces femmes qui ne se contentent ny de leurs marys,
+ny de leurs serviteurs, grands roys et princes et grands seigneurs; mais
+il faut qu'elles aillent au change et que ce grand roy les avoit bien
+connues et exprimentes pour telles, et pour les avoir desbauches et
+tires des mains de leurs marys, de leurs mres et de leurs libertez et
+viduitez.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay cogneu une bien grande dame, veufve, qui en a fait de mesme: car,
+encore qu'elle fust quasi adore d'un trs-grand, si falloit-il avoir
+quelques menus autres serviteurs, afin de ne pas perdre toutes les
+heures du temps et demeurer en oisivet; car un seul ne peut pas en ces
+choses y vaquer ny fournir toujours: aussi que telle est la rgle de
+l'amour, que la dame d'amour n'est pas pour un temps prfix, n'y aussi
+pour une personne prfixe, ny seule arreste. Je m'en rapporte cette
+dame des <i>Cent Nouvelles de la Reyne de Navarre</i>, qui avoit trois
+serviteurs au coup, et estoit si habile qu'elle les savoit tous trois
+fort accortement entretenir.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay cogneu une dame, laquelle ayant est servie d'un fort honneste
+gentilhomme, et puis en ayant est quitte au bout de quelque temps, se
+vinrent raconter de leurs amours passez. Le gentilhomme, qui voulut
+faire du galant, lui dit: Et quoy! penseriez vous que vous seule
+fussiez de ce temps ma maistresse? vous seriez bien estonne si, avec
+vous, j'en avois eu deux autres? Elle luy respondit aussi-tost: Vous
+seriez bien plus estonn si vous eussiez pens estre le seul mon
+serviteur,<a name="page_266" id="page_266"></a> car j'en avois bien trois autres pour rserve. Voil
+comment un bon navire veut avoir tousjours deux ou trois ancres pour
+bien s'affermir. Pour faire fin, vive l'amour pour les femmes! et, comme
+j'ay trouv une fois dans les tablettes d'une trs-belle et honneste
+dame qui habloit un peu l'espagnol et l'entendoit trs-bien, ce petit
+refrain escrit de sa propre main, car je la connois trs-bien: <i>Hembra o
+dama sin campagnero, esperana sin trabajo, y navio sine timon, nunca
+pueden haser cosa que sea buena</i>; c'est--dire: Jamais femme ou dame
+sans compagnon, ny esprance sans travail; ny navire sans gouvernail, ne
+pourroient faire chose qui vaille. Ce refrain peut estre bon et pour la
+femme et pour la veufve, et pour la fille; car et l'une et l'autre ne
+peuvent rien faire de bon sans la compagnie de l'homme, ny l'esprance
+que l'on a de les avoir n'est point tant agrable les attrapper
+aisment, comme avec un peu de peine et travail, rudesse et rigueur.
+Toutefois la femme et la veufve n'en donnent pas tant que la fille,
+d'autant que l'on dit qu'il est plus ais et facile de vaincre et
+abattre une personne qui a est vaincue, abattue et renverse, que celle
+qui ne le fust jamais; et qu'on ne prend point tant de travail et peine
+ marcher par un chemin desj bien fray et battu, que par celuy qui n'a
+jamais est fait ny trac: et de ces deux comparaisons je m'en rapporte
+aux voyageurs et guerriers. Ainsi est-il des filles; car mesme il y en a
+aucunes si capricieuses, qui jamais n'ont voulu se marier, ains vivre
+toujours en condition filiale; et si on leur demandoit pourquoy, C'est
+ainsi, et telle est mon humeur, disent-elles. Aussi que Cybele, Junon,
+Vnus, Thtis, Crs et autres desses du ciel, ont toutes mpris ce
+nom de vierge, fors Pallas, qui prit du cerveau de Jupiter sa naissance,
+faisant voir par-l que la virginit n'est qu'une opinion conue en la
+cervelle. Aussi demandez nos filles qui ne se marient jamais, ou, si
+elles se marient, c'est le plus tard qu'elles peuvent, et fort
+surannes, pourquoy elles ne se marient. Parce, disent-elles, que je ne
+le veux, et telle est mon humeur et mon opinion. Nous en avons veu aux
+Cours de nos roys aucunes du temps du roy Franois. Madame la rgente
+avoit une fille belle et honneste, qui s'appeloit Poupincourt, qui ne se
+maria jamais, et mourut vierge de l'ge de soixante ans, comme elle
+nasquit, car elle fut trs-sage. La Brelaudire est morte fille et
+pucelle en l'ge de quatre-vingts ans, laquelle on a veu gouvernante de
+madame<a name="page_267" id="page_267"></a> d'Angoulesme estant fille. Mademoiselle de Charansonne de Savoye
+mourut Tours dernirement fille, et fut enterre avec son chapeau et
+son habit blanc virginal, trs-solemnellement, en grande pompe,
+solemnit et compagnie, en l'ge de quarante-cinq ans ou plus: et ne
+faut point mettre en doute si c'estoit faute de party, car, estant
+l'une des belles et honnestes filles et sages de la Cour, je luy en ay
+veu refuser de trs-bons et trs-grands. Ma s&oelig;ur de Bourdeille, qui
+est la Cour fille de la Reyne, a refus de mesme de fort bons partis,
+et jamais n'a voulu se marier ny ne le fera, tant elle est rsolue et
+opiniastre de vivre et mourir fille et bien age; et s'est jusques ici
+laisse vaincre cette opinion, et a un bon age. J'ai veu l'infante de
+Portugal, fille de la feue reyne Eleonor, en mesme rsolution, et est
+morte fille et vierge en l'age de soixante ans ou plus. Ce n'est pas
+faute de grandeur, car elle estoit grande en tout, ny par faute de
+biens, car elle en avoit force, et mesme en France, o M. le gnral
+Gourgues a bien fait ses affaires; ny pour faute de dons de nature, car
+je l'ay vee Lisbonne, en l'age de quarante-cinq ans, une trs-belle
+et agrable fille, de bonne grace, de belle apparence, douce, agrable,
+et qui mritoit bien un mary pareil elle en tout, courtoise, et mesme
+ nous autres Franais. Je le peux dire, pour avoir eu cet honneur
+d'avoir parl elle souvent et privement. Feu M. le grand prieur de
+Lorraine, lorsqu'il mena ses galres du levant en ponant pour aller en
+cosse, du temps du petit roy Franois, passant et sjournant Lisbonne
+quelques jours, la visita et vid tous les jours: elle le receut fort
+courtoisement et se pleust fort en sa compagnie, et luy fit tout plein
+de beaux prsents. Entre autres, elle luy bailla une chaisne pour pendre
+sa croix, toute de diamants et rubis, et perles grosses proprement et
+richement laboures; et pouvoit valoir de quatre cinq mille escus, et
+luy faisoit trois tours; car je croy qu'elle pouvoit bien valoir cela:
+aussi l'engageoit-il toujours pour trois mille escus, ainsi qu'il fit
+une fois Londres, lorsque nous tournions d'cosse; mais aussitost en
+France il l'envoya desengager, car il l'aimoit pour l'amour de la dame
+de laquelle il estoit encaprici et fort pris: et croy qu'elle ne
+l'aimoit pas moins, et que volontiers elle eust rompu son n&oelig;ud
+virginal pour luy; cela s'appelle par mariage, car c'estoit une
+trs-sage et vertueuse princesse: et si diray-je bien plus, que, sans
+les troubles qui commencrent en France, messieurs ses frres
+l'attiroient et l'y tenoient. Il vouloit luy-mesme retourner avec ses<a
+name="page_268" id="page_268"></a> galres et reprendre mesme route, et
+revoir cette princesse, et luy parler de nopces: et croy qu'il n'en fust
+point est esconduit, car il estoit d'aussi bonne maison qu'elle, et
+extrait de grands roys comme elle, et surtout l'un des beaux, des
+agrables, des honnestes et des meilleurs de la chrestient; messieurs
+ses frres, principalement les deux aisnez, car ils estoient les oracles
+de tous et conduisoient la barque: je vis un jour qu'il leur en parloit,
+leur racontant son voyage et les plaisirs qu'il avoit receus l, et les
+faveurs: ils vouloient fort qu'il refist le voyage et y retournast
+encore, et luy conseilloient de donner l, car le Pape en eust aussitost
+donn la dispense de la croix: et, sans ces maudits troubles, il y
+alloit et en fust sorty, mon advis, son honneur et contentement. La
+dite princesse l'aimoit fort, et m'en parla en trs-bonne part, et le
+regretta beaucoup, m'interrogeant de sa mort, et comme esprise, ainsi
+qu'il est ais, en telle chose, un homme un peu clairvoyant le
+connoistre.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy dire une autre raison encore une personne fort habile, je
+ne dis fille ou femme, et possible avoit-elle expriment, pourquoy
+aucunes filles sont si tardives de se marier. Elles disent que c'est
+<i>propter mollitiem</i>; et ce mot <i>mollities</i> s'interprte qu'elles sont si
+molles, c'est--dire tant amatrices d'elles-mesmes et tant soucieuses de
+se dlicater et se plaire seules en elles-mesmes, ou bien avec d'aucunes
+de leur compagnie, la mode lesbienne, et y prennent tel plaisir part
+elles, qu'elles pensent et croyent fermement qu'avec les hommes elles
+n'en sauroient jamais tant tirer de plaisir; et, pour ce, se
+contentent-elles en leur joye et savoureux plaisirs, sans se soucier des
+hommes, ny de leurs accointances, ny du mariage. Ces filles ainsi
+vierges et pucelles eussent est Rome fort honores et fort
+privilgies, jusques-l que la justice n'avoit pouvoir sur elles les
+sentencier la mort: si bien que nous lisons que, du temps du
+triumvirat, il y eut un snateur romain parmy les proscrits, qui fut
+condamn mourir, non luy seulement, mais toute sa ligne de luy
+procre; et estant sur l'eschaffaut reprsente une sienne fille fort
+belle et gentille, d'age pourtant non meure et encore trouve pucelle,
+il fallut que le bourreau la dpucelast et la dvirginisast luy-mesme
+sur l'eschaffaut; et puis ainsi pollue la repassa par le cousteau:
+cruaut certes fort vilaine. Les vestales de mesme estoient
+trs-honores et respectes, autant pour leur virginit que pour leur
+religion: car si elles venoient le moins du monde faillir de leurs
+corps,<a name="page_269" id="page_269"></a> elles estoient cent fois plus punies rigoureusement que quand
+elles n'avoient pas bien gard le feu sacr car on les enterroit toutes
+vives avec des pitis effroyables. Il se lit d'un Albinus, Romain, qui,
+ayant rencontr hors de Rome quelques vestales qui s'en alloient pied
+en quelque part, il commanda sa femme de descendre avec ses enfants de
+son chariot, pour les y monter parfaire leur chemin. Elles avoient
+aussi telle authorit, que bien souvent ont elles est crues et
+moyenneresses faire l'accord entre le peuple de Rome et les
+chevaliers, quand quelquefois ils avoient rumeur ensemble. L'empereur
+Thodose les chassa de Rome par le conseil des chrestiens, envers lequel
+empereur les Romains dputrent un Symmachus, pour le prier de les
+remettre avec leurs biens, rentes et facultez qu'elles avoient grandes,
+et telles, que tous les jours elles donnoient si grande quantit
+d'aumosnes, qu'elles n'ont jamais permis nul Romain ny estranger,
+passant ou venant, de demander l'aumosne, tant leur pie charit
+s'estendoit sur les pauvres: et toutefois Thodose ne les y voulut
+jamais remettre. Elles s'appeloient vestales, de ce mot de <i>Vesta</i>, qui
+signifie feu, lequel a beau tourner, virer, mouvoir, flamber, jamais ne
+jette semence ny n'en reoit: de mesme la vierge. Elles duroient trente
+ans ainsi vierges, au bout desquels se pouvoient marier; desquelles peu
+sortant de l se trouvoient plus heureuses, ny plus ny moins que nos
+religieuses qui se sont dvoiles et ont quitt leurs habits. Elles
+estoient fort pompeuses et superbement habilles, lesquelles le pote
+Prudence descrit gentiment, telles comme peuvent estre les chanoinesses
+d'aujourd'huy de Mons en Hainault, et de Remiremont en Lorraine, qui se
+marient. Aussi ce pote Prudence les blasme fort qu'elles alloient parmy
+la ville dans des coches fort superbes, et ainsi si bien vestues aux
+amphithtres, voir les jeux des gladiateurs et combattants outrance
+entre eux et des bestes sauvages, comme prenant grand plaisir voir
+ainsi les hommes s'entre tuer et rpandre le sang; et pour ce il supplie
+l'Empereur d'abolir ces sanguinaires combats et si pitoyables
+spectacles. Ces vestales, certes, ne devoient voir tels jeux; mais
+pouvoient-elles dire aussi: Par faute d'autres jeux plus plaisants, que
+les autres dames voyent et pratiquent, nous pouvons nous contenter en
+ceux-cy.</p>
+
+<p>&mdash;Quant la condition de plusieurs veufves, il y en a aussi plusieurs
+qui font l'amour de mesme que ces filles, ainsi que<a name="page_270" id="page_270"></a> j'en ay cogneu
+aucunes, et autres qui aiment mieux s'esbattre avec les hommes en
+cachette, et en toute leur pleiniere volont, que leur estant sujettes
+par mariage: pour ce, quand on en voit aucunes garder longement leurs
+vidutez, il ne les en faut pas tant loer, comme l'on diroit, jusqu'
+ce que l'on sache leur vie. C'est aprs, selon que l'on descouvre,
+qu'il les en faut louer ou mespriser; car une femme, quand elle veut
+desplier ses esprits, comme on dit, est terriblement fine, et mene
+l'homme vendre au march sans qu'il s'en prenne garde; et, estant ainsi
+fine, elle sait si bien ensorceller et esbloer les yeux et les penses
+des hommes, qu'ils ne peuvent jamais gures bien connoistre leur bien;
+car telle prendra-t-on pour une prude femme et confite en sapience, qui
+sera une bonne putain, et joera son jeu si bien point, et si
+couvert, qu'on n'y connoistra rien. Je say bien que plusieurs me
+pourroient dire que j'ay obmis plusieurs bons mots et contes qui eussent
+mieux encore embelly et annobly ce sujet. Je le vois; mais, d'ici au
+bout du monde, je n'en eusse veu la fin; et, qui en voudra prendre la
+peine de faire mieux, l'on luy aura grande obligation.</p>
+
+<p>Or, mes dames, je fais fin, et m'excusez si j'ay dit quelque chose qui
+vous offense. Je ne fus jamais n ny dress pour vous offenser ni
+desplaire. Si je parle d'aucunes, je ne parle pas de toutes; et de ces
+aucunes, je n'en parle que par noms couverts et point divulgus. Je les
+cache si bien, qu'on ne s'en peut apercevoir, et le scandale n'en peut
+tomber sur elles que par doutes et soupons, et non par vraye
+apparence.<a name="page_271" id="page_271"></a></p>
+
+<h2><a name="DISCOURS_CINQUIEME" id="DISCOURS_CINQUIEME"></a>DISCOURS CINQUIME.</h2>
+
+<p class="c">Sur aucunes dames vieilles qui aiment autant faire l'amour comme
+les jeunes. </p>
+
+<p>Puisque j'ay parl cy-devant des vieilles dames qui aiment roussiner,
+je me suis mis faire ce discours. Par quoy j'accommence, et dit qu'un
+jour moy, estant la Cour d'Espagne, devisant avec une fort honneste et
+belle dame, mais pourtant un peu aage, me dit ces mots: <i>Que ningunas
+damas lindas, o allo menos pocas, se hazen viejas de la cinta hasta a
+baxo</i>; que nulles dames belles, ou au moins peu, se font vieilles de la
+ceinture jusques en bas. Sur quoy je luy demanday comment elle
+l'entendoit, si c'estoit ou pour la beaut du corps de cette ceinture en
+bas, qu'elle n'en diminuast aucunement par la vieillesse, ou pour
+l'envie et l'appetit de la concupiscence qui vinssent ne s'en
+estreindre ny s'en refroidir par le bas aucunement. Elle respondit
+qu'elle l'entendoit et pour l'un et pour l'autre; car, quant la
+picqueure de la chair, disoit-elle, ne faut pas penser que l'on s'en
+gurisse que par la mort, quoiqu'il semble que l'aage y vueille
+rpugner; d'autant que toute femme belle s'aime extresmement, et en
+s'aimant ce n'est point pour elle, mais pour autruy; et nullement
+ressemble Narcisus, qui, fat qu'il estoit, aim de soy et de soy-mesme
+amoureux, abhorroit toutes autres amours. La belle femme ne tient rien
+de cette humeur; ainsi que j'ay ouy raconter d'une trs-belle dame,
+laquelle, s'aimant et se plaisant fort bien souvent seule et part soy,
+dans son lit se mettoit toute nu, et en toutes postures se contemploit,
+s'admiroit et s'arregardoit lascivement, en se maudissant d'estre voe
+ un seul qui n'estoit digne d'un si beau corps, entendant son mary
+nullement gal elle. Enfin elle s'enflamma tellement par telles
+contemplations et visions qu'elle dit adieu sa chastet et son sot
+v&oelig;u marital, et fit amour et serviteur nouveau. Voil donc comme la
+beaut allume le feu et la flamme d'une dame, qui la transporte ceux
+qu'elle veut puis aprs, soit aux<a name="page_272" id="page_272"></a> marys ou aux serviteurs, pour les
+mettre en usage; aussi qu'un amour en amene un autre. De plus, estant
+ainsi belle et recherche de quelqu'un, et qu'elle ne ddaigne de
+respondre, la voil trousse: ainsi que Lays disoit que toute femme qui
+ouvre la bouche pour dire quelque response douce son amy, le c&oelig;ur
+s'y en va et s'ouvre de mesme. Davantage, toute belle et honneste femme
+ne refuse jamais loange qu'on lui donne; et si une fois elle se plaist
+ou permette d'estre loe en sa beaut, bonnes graces et gentilles
+faons, ainsi que nous autres courtisans avons accoustum de faire pour
+le premier assaut de l'amour, quoyqu'il tarde, avec la continu nous
+l'emportons. Or est-il que toute belle femme s'estant une fois essaye
+au jeu d'amour ne le desapprend jamais, et la continu luy est toujours
+trs-douce et agrable; ny plus ny moins que, quand l'on a acoustum une
+bonne viande, on se fasche fort de la laisser; et tant plus on va sur
+l'aage, tant meilleure est-elle pour la personne, ce disent les
+mdecins: aussi, tant plus la femme va sur l'aage, tant plus est friande
+d'une bonne chair qu'elle a accoustum; et si sa bouche d'en haut y
+prend de la saveur, sa bouche d'en bas aussi en prend bien autant; et la
+friandise ne s'en oublie jamais ny ne s'en lasse par la charge des ans,
+oui plustost bien par une longue maladie, ce disent les mdecins, ou
+autres accidents: que si l'on s'en fasche pour quelque temps, pourtant
+on la reprend bien.</p>
+
+<p>L'on dit aussi que tous exercices dcroissent et diminuent par l'aage,
+qui oste la force aux personnes pour les faire valoir, fors celui de
+Vnus, qui se pratique trs-doucement, sans peine et sans travail dans
+un mol et beau lit, et trs-bien l'aise. Je parle pour la femme et non
+pour l'homme, qui pour cela tout le travail et corve eschoit en
+partage. Luy donc, priv de ce plaisir, s'en abstient de bonne heure,
+encor que ce soit en dpit de luy; mais la femme, en quelque aage
+qu'elle soit, reoit en soy, comme une fournaise, tout feu et toute
+matire; j'entends si on lui en veut donner: mais il n'y a si vieille
+monture, si elle a dsir d'aller et veuille estre picque, qui ne trouve
+quelque chevaucheur malautru; et quand bien une femme aage n'en
+sauroit chevir bonnement, et n'en trouveroit point comme en ses
+jeunes ans, elle a de l'argent et des moyens pour en avoir au prix du
+march, en de bons, comme j'ai ouy dire. Toutes marchandises qui
+coustent faschent fort la bourse, contre l'opinion d'Hliogabale, qui,
+tant plus il acheptoit les viandes cheres, tant<a name="page_273" id="page_273"></a> meilleures les
+trouvoit-il; fors la marchandise de Vnus, laquelle tant plus couste,
+tant plus plaist, pour le grand dsir que l'on a de bien faire valloir
+la besogne et denre que l'on aura bien achepte; et le tallent que l'on
+a en main, on le fait valloir au triple, voir au centuple, si l'on peut.
+Ce fust ce que dist une courtisanne espagnole deux braves cavaliers
+espagnols qui prindrent querelle pour elle, et sortants de son logis
+mirent les espes aux mains et se commencrent battre: elle mit la
+tte la fenestre, et s'escria eux: <i>Senores, mis amores se gagnan
+con oro y plata, non con hierro</i>; c'est--dire: Messieurs, mes amours
+se gagnent avec l'or et l'argent, et non avec le fer. Voil comme tout
+amour bien achept est bon. Force dames et cavaliers qui ont trafiqu
+tels march en savent bien que dire: d'allguer des exemples de
+plusieurs dames qui ont brusl en leur vieillesse aussi bien qu'en
+jeunesse, ou qui ont pass, ou, pour mieux dire, entretenu leurs feux
+par seconds et nouveaux marys et serviteurs, ce seroit moi maintenant
+chose superflu, puis qu'ailleurs j'en ay allgu plusieurs; ci en
+rapporteray-je icy aucuns, car la chose la requiert et sert cette
+cause.</p>
+
+<p>&mdash;J'ai ouy parler d'une grande dame, qui rencontroit le mot aussi bien
+que dame de son temps, laquelle, voyant un jour un jeune gentilhomme qui
+avoit les mains trs-blanches, elle luy demanda ce qu'il faisoit pour
+les avoir telles: il respondit en riant et gaussant, que le plus souvent
+qu'il pouvoit il les frottoit de sperme. Voil, dit-elle donc, un
+malheur pour moy, car il y a plus de soixante ans que j'en lave mon cas
+(le nommant tout trac), il est aussi noir que le premier jour; et si
+je l'en lave encore tous les jours.</p>
+
+<p>&mdash;J'ai ouy parler d'une dame d'assez bonnes annes, laquelle se voulant
+remarier, en demanda un jour l'advis un mdecin, fondant ses raisons
+sur ce qu'elle estoit trs-humide et remplie de toutes mauvaises
+humeurs, qui luy estoient venues et l'avoient entrenue depuis qu'elle
+estoient veufve, ce qui ne luy estoit arriv du temps de son mary,
+d'autant que, par les assidus exercices qu'ils faisoient ensemble, ces
+humeurs s'asschoient et consommoient. Le mdecin, qui estoit bon
+compagnon, et qui luy voulut en cela complaire, luy conseilla de se
+remarier et de chasser les humeurs de son corps de cette faon, et qu'il
+valloit mieux estre sche qu'humide. La dame pratiqua ce conseil, et
+l'approuva trs-bien, toute suranne qu'elle estoit; mais je dis avec un
+mary<a name="page_274" id="page_274"></a> et un amoureux nouveau, qui l'aimoit bien autant pour l'amour du
+bon argent que du plaisir qu'il tiroit d'elle: encore qu'il y ait
+plusieurs dames aages avec lesquelles on prend bien autant de plaisir,
+et y fait aussi bon et meilleur qu'avec les plus jeunes, pour en savoir
+mieux l'art et la faon, et en donner le goust aux amants. Les
+courtisannes de Rome et d'Italie, quand elles sont sur l'aage, tiennent
+cette maxime, que <i>una galina vecchia f miglior brodo che
+un'altra</i><a name="FNanchor_98_98" id="FNanchor_98_98"></a><a href="#Footnote_98_98" class="fnanchor">[98]</a>. Horace fait mention d'une vieille, laquelle s'agitoit et
+se mouvoit, quand elle venoit l, de telle faon et si rudement et
+inquitement, qu'elle faisoit trembler non-seulement le lit, mais toute
+la maison. Voil une gente vieille! Les Latins appellent s'agiter ainsi
+et s'esmouvoir, <i>subare sue</i>, qu'est dire une porque, ou truye. Nous
+lisons de l'empereur Calicula, de toutes ses femmes qu'il eut il aima
+Cezonnia, non tant par sa beaut qu'elle eut, ni d'aage florissant, car
+elle estoit desja fort avance, mais cause de sa grande lascivit et
+palliardise qui estoit en elle, et la grande iudustrie qu'elle avoit
+pour l'exercer, que la vieille saison et pratique luy avoit apporte,
+laissant toutes les autres femmes, encor qu'elles fussent plus belles et
+jeunes que celle-l; et la menoit ordinairement aux armes avec luy,
+habille et arme en garon, et chevauchant de mesme cost cost de
+luy, jusques la montrer souventes fois ses amys toute nu, et leur
+faire voir ses tours de souplesse et de paillardise. Il falloit bien
+dire que l'aage n'eust rien diminu en cette femme de beau et de lascif,
+puis qu'il l'aimoit tant. Neantmoins, avec tout ce grand amour qu'il lui
+portoit, bien souvent, quand il l'embrassoit et touschoit sa belle
+gorge, il ne se pouvoit empescher de luy dire, tant il estoit sanglant:
+Voil une belle gorge, mais aussi il est en mon pouvoir de la faire
+couper. Hlas! la pauvre femme fut de mesme avec lui occise d'un coup
+d'espe travers le corps par un centenier, et sa fille brise et
+accravante contre une muraille, qui ne pouvoit mais de la mchancet de
+son pre.</p>
+
+<p>&mdash;Il se lit encore de Julia, marastre de Caracalla, empereur, estant un
+jour quasi par ngligence nue de la moiti du corps, et Caracalla la
+voyant, il ne dit que ces mots: Ha! que j'en voudrois bien, s'il
+m'estoit permis! Elle soudain respondit: S'il vous plaist, ne
+savez-vous pas que vous estes empereur, et que vous donnez des loix et
+non pas les recevez? Sur ce<a name="page_275" id="page_275"></a> bon mot et bonne volont, il l'espousa et
+se coupla avec elle. Pareilles quasi paroles furent donnes l'un de
+nos trois roys derniers, que je ne nommeray point. Estant espris et
+devenu amoureux d'une fort belle et honneste dame, aprs lui avoir jett
+des premires pointes et paroles d'amour, luy en fit un jour entendre sa
+volont plus au long, par un honneste et trs-habile gentilhomme que je
+say, qui, luy portant le petit poulet, se mit en son mieux dire pour la
+persuader de venir l. Elle, qui n'estoit point sotte, se dfendit le
+mieux qu'elle put, par force belles raisons qu'elle sceut bien allguer,
+sans oublier sur-tout le grand, ou, pour mieux dire, le petit point
+d'honneur. Somme, le gentilhomme, aprs force contestations, luy
+demanda, pour fin, ce qu'elle vouloit qu'il dist au Roy? Elle, ayant un
+peu song, tout coup, comme d'une dsesprade, profra ces mots: Que
+vous luy direz? dit-elle; autre chose, si-non que je say bien qu'un
+refus ne fut jamais profitable celuy ou celle qui le fait son Roy
+ou son souverain, et que bien souvent, usant de sa puissance, il sait
+plustost prendre et commander que requrir et prier. Le gentilhomme, se
+contentant de cette response, la porte aussitost au Roy, qui prit
+l'occasion par le poil et va trouver la dame en sa chambre, laquelle,
+sans trop grand effort de lutte, fut abattue. Cette response fut
+d'esprit et d'envie d'avoir affaire son Roy, encore qu'on die qu'il ne
+fait pas bon se joer ni avoir affaire avec son Roy: il s'en faut ce
+point, dont on ne s'en trouve jamais mal si la femme s'y conduit
+sagement et constamment. Pour reprendre cette Julia, marastre de cet
+empereur, il falloit bien qu'elle fust putain, d'aimer et prendre mary
+celui sur le sein de laquelle; quelque temps avant, il luy avoit tu son
+propre fils; elle estoit bien putain celle-l et de bas c&oelig;ur.
+Toutesfois c'estoit grande chose que d'estre impratrice, et pour tel
+honneur tout s'oublie. Cette Julia fut fort aime de son mary, encore
+qu'elle fust bien fort en l'aage, n'ayant pourtant rien abattu de sa
+beaut; car elle estoit trs-belle et trs-accorte, tmoins ses paroles,
+qui lui haussrent bien le chevet de sa grandeur.</p>
+
+<p>&mdash;Philippes-Maria, duc troisiesme de Milan, espousa en secondes nopces
+Beatricine, veuve de feu Facin Cane, estant fort vieille; mais elle luy
+porta en mariage quatre cents mille escus, sans les autres meubles,
+bagues et joyaux, qui montoient un haut prix, et qui effaoient sa
+vieillesse; nonobstant laquelle fut souponne de son mary d'aller
+ribauder ailleurs, et pour tel<a name="page_276" id="page_276"></a> soupon la fit mourir. Vous voyez si la
+vieillesse luy fit perdre le goust du jeu d'amour; pensez que le grand
+usage qu'elle en avoit luy en donnoit encore l'envie.</p>
+
+<p>&mdash;Constance, reyne de Sicile, qui, ds sa jeunesse, et toute sa vie,
+n'avoit boug vestale du cul d'un cloistre en chastet, venant
+s'emanciper au monde en l'aage de cinquante ans, qui n'estoit pas belle
+pourtant et toute dcrpite, voulut taster de la douceur de la chair et
+se marier, et engrossa d'un enfant en l'aage de cinquante deux ans,
+duquel elle voulut enfanter publiquement dans les prairies de Palerme, y
+ayant fait dresser une tente et un pavillon exprs, afin que le monde
+n'entrast en doute que son fruit fut appost: qui fust un des grands
+miracles que jamais on ait veu depuis sainte Elisabeth. L'histoire de
+Naples pourtant dit qu'on le reputa suppos. Si fut-il pourtant un grand
+personnage; mais ce sont-ils ceux-l, la pluspart, des braves, que les
+bastards, ainsi que me dit un jour un grand.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay cogneu une abbesse de Tarascon, s&oelig;ur de madame d'Usez, de la
+maison de Tallard, qui se deffroqua et sortit de religion en l'aage de
+plus de cinquante ans, et se maria avec le grand Chanay, qu'on a veu
+grand joeur la Cour. Force autres religieuses ont fait de tels tours,
+soit en mariage ou autrement, pour taster de la chair en leur aage
+trs-meur. Si telles font cela, que doivent donc faire nos dames, qui y
+sont accoutumes ds leurs tendres ans? la vieillesse les doit-elle
+empescher qu'elles ne tastent ou mangent quelquefois de bons morceaux
+dont elles en ont pratiqu l'usance si longtemps? Et que deviendroient
+tant de bons potages restaurants, bouillons composez, tant d'ambresgris,
+et autres drogues escaldatives et confortatives pour eschauffer et
+conforter leur estomach, vieil et froid? Dont ne faut douter que telles
+compositions, en remettant et entrenant leur dbile estomach, ne fassent
+encore autre seconde opration sous bourre, qui les eschauffent dans le
+corps et leur causent quelques chaleurs vnriennes; qu'il faut par
+aprs expulser par la cohabitation et copulation, qui est le plus
+souverain remde qui soit, et le plus ordinaire, sans y appeler
+autrement l'advis des mdecins, dont je m'en rapporte eux. Et qui
+meilleur est pour elles, est, qu'estant aages et venues sur les
+cinquante ans, n'ont plus de crainte d'engrosser, et lors ont pleiniere
+et toute ample libert de se joer et recueillir les arrerages des
+plaisirs, que possible aucunes n'ont os prendre de peur de l'enflure<a
+name="page_277" id="page_277"></a> de leur traistre ventre: de sorte que
+plusieurs y en a-t-il qui se donnent plus de bon temps en leurs amours
+depuis cinquante ans en bas, que de cinquante ans en avant. De plusieurs
+grandes et moyennes dames en ay-je oy parler en telles complexions,
+jusques-l que plusieurs en ay-je cogneu et ouy parler qui ont souhait
+plusieurs fois les cinquante ans chargs sur elles pour les empescher de
+la groisse, et pour le faire mieux sans aucune crainte ni escandale.
+Mais pouquoy s'en en garderoient-elles sur l'aage? vous diriez qu'aprs
+la mort aucunes ont quelque mouvement et sentiment de chair. Si faut-il
+que je fasse un conte que je vais faire.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay eu d'autres fois un frere puisn qu'on appeloit le capitaine
+Bourdeille, l'un des braves et vaillants capitaines de son temps. Il
+faut que je die cela de luy, encore qu'il fust mon frre, sans offenser
+la loange que je luy donne: les combats qu'il a faits aux guerres et
+aux estaquades en font foy; car c'estoit le gentilhomme de France qui
+avoit les armes mieux en la main: aussi l'appeloit-on en Piedmont l'un
+des Rodomonts de-l. Il fut tu l'assaut de Hesdin, la derniere
+reprise. Il fut ddi par ses pere et mere aux lettres, et pour ce il
+fut envoy l'aage de dix-huit ans en Italie pour estudier, et
+s'arresta Ferrare, pour ce que madame Rene de France, duchesse de
+Ferrare, aimoit fort ma mere, et pour ce le retint l pour vaquer ses
+tudes, car il y avoit universit. Or, d'autant qu'il n'y estoit nay ny
+propre, il n'y vaquoit gueres, ains plutost s'amusa faire la cour et
+l'amour: si bien qu'il s'amouracha fort d'une damoiselle franaise
+veufve, qui estoit madame de Ferrare, qu'on appeloit mademoiselle de
+La Roche<a name="FNanchor_99_99" id="FNanchor_99_99"></a><a href="#Footnote_99_99" class="fnanchor">[99]</a>, et en tira de la joissance, s'entr'aimant si fort l'un et
+l'autre, que mon frere, ayant est rappel de son pere, le voyant mal
+propre pour les lettres, fallust qu'il s'en retournast. Elle qui
+l'aimoit, et qui craignoit qu'il ne luy mesadvint, parce qu'elle sentoit
+fort de Luther, qui voguoit pour lors, pria mon frere de l'emmener avec
+luy en France, et en la cour de la reyne de Navarre, Marguerite, qui
+elle avoit est, et l'avoit donne madame Rene lorsqu'elle fut
+marie, et s'en alla en Italie. Mon frre, qui estoit jeune et sans
+aucune considration, estant bien aise de cette bonne compagnie, la
+conduisit jusques Paris, o estoit pour lors la Reyne, qui fut fort
+aise de la voir, car c'estoit la femme qui avoit le plus<a
+name="page_278" id="page_278"></a> d'esprit et disoit des mieux, et estoit
+une veufve belle et accomplie en tout. Mon frre, aprs avoir demeur
+quelques jours avec ma grand-mere et ma mere, qui estoient lors en sa
+Cour, s'en retourna voir son pere. Au bout de quelque temps, se
+dgoustant fort des lettres, et ne s'y voyant propre, les quitte tout
+plat, et s'en va aux guerres de Piedmont et de Parme, o il acquit
+beaucoup d'honneur, et les pratiqua l'espace de cinq six mois sans
+venir sa maison; au bout desquels il vint voir sa mre, qui estoit
+lors la Cour avec la reyne de Navarre, qui se tenoit lors Pau,
+laquelle il fit rvrence ainsi qu'elle tournoit de vespres. Elle, qui
+estoit la meilleure princesse du monde, luy fit une fort bonne chere,
+et, le prenant par la main, le pourmena par l'glise environ une heure
+ou deux, luy demandant force nouvelles des guerres de Piedmont et
+d'Italie, et plusieurs autres particularitez auxquelles mon frere
+respondit si bien, qu'elle en fut satisfaite (car il disoit des mieux),
+tant de son esprit que de son corps, car il estoit trs-beau
+gentilhomme, et de l'aage de vingt-quatre ans. Enfin, aprs l'avoir
+entretenu assez de temps, et ainsi que la nature et la complexion de
+cette honorable princesse estoit de ne ddaigner les belles
+conversations et entretiens des honnestes gens, de propos en propos,
+tousjours en se pourmenant, vint prcisment arrester coy mon frere sur
+la tombe de mademoiselle de La Roche, qui estoit morte il y avoit trois
+mois; puis le prit par la main et luy dit: Mon cousin (car ainsi
+l'appeloit-elle, d'autant qu'une fille d'Albret avoit est marie en
+notre maison de Bourdeille; mais pour cela je n'en mets pas plus grand
+pot au feu, n'y n'en augmente davantage mon ambition), ne sentez-vous
+point rien mouvoir sous vous et sous vos pieds?&mdash;Non, madame,
+respondit-il.&mdash;Mais songez-y bien, mon cousin, lui rpliqua-elle. Mon
+frre lui respondit: Madame, j'y ay bien song, mais je ne sens rien
+mouvoir; car je marche sur une pierre bien ferme.&mdash;Or, je vous advise,
+dit lors la Reyne, sans le tenir plus en suspens, que vous estes sur la
+tombe et le corps de la pauvre mademoiselle de La Roche, qui est ici
+dessous vous enterre, que vous avez tant aime; et puis que les ames
+ont du sentiment aprs nostre mort, il ne faut pas douter que cette
+honneste crature, morte de frais, ne se soit esmue aussi-tost que vous
+avez est sur elle; et si vous ne l'avez senty cause de l'espaisseur
+de la tombe, ne faut douter qu'en soy ne se soit esmue et ressentie; et
+d'autant que c'est un pieux office d'avoir souvenance des trespasss,<a
+name="page_279" id="page_279"></a> et mesme de ceux que l'on a aimez, je
+vous prie luy donner un <i>Pater noster</i> et un <i>Ave Maria</i>, et un <i>De
+profundis</i>, et l'arrousez d'eau bnite; et vous acquerrez le nom de
+trs-fidle amant et d'un bon chrestien. Je vous lairray donc pour cela,
+et pars. Et s'en va. Feu mon frere ne faillit ce qu'elle avoit dit,
+et puis l'alla trouver, qui luy en fit un peu la guerre, car elle en
+estoit commune en tout bon propos et y avoit bonne grace. Voil
+l'opinion de cette bonne princesse laquelle la tenoit plus par
+gentillesse et par forme de devis que par crance, mon advis. Ces
+propos gentils me font souvenir d'une pitaphe d'une courtisanne qui est
+enterre Rome Nostre-Dame <i>del Populo</i>, o il y a ces mots: <i>Quso,
+viator, ne me diutius calcatam, amplius calces</i>: Passant, m'ayant tant
+de fois foule et trpe, je te prie ne me trper ny ne me fouler plus.
+Le mot latin a plus de grace. Je mets tout cecy plus pour rise que pour
+autre chose. Or, pour faire fin, ne se faut esbahir si cette dame
+espagnole tenoit cette maxime des belles dames qui se sont fort aimes,
+et ont aim et aiment, et se plaisent estre loues, bien qu'elles ne
+tiennent guieres du pass; mais pourtant c'est le plus grand plaisir que
+vous leur pouvez donner, et qu'elles aiment plus, quand vous leur dites
+que ce sont tousjours elles, et qu'elles ne sont nullement changes ny
+envieillies, et sur-tout qui ne deviennent point vieilles de la ceinture
+jusqu'au bas.</p>
+
+<p>J'ay ouy parler d'une fort belle et honneste dame qui disoit un jour
+son serviteur: Je ne sais que dsormais la vieillesse m'apportera plus
+grande incommodit (car elle avoit cinquante-cinq ans); mais Dieu merci,
+je ne le fis jamais si bien comme je le fais, et n'y pris jamais tant de
+plaisir; que si cecy dure et continu jusqu' mon extreme vieillesse, je
+ne m'en soucie d'elle autrement, ny ne plains point le pass. Or,
+touchant l'amour et la concupiscence, j'ay allgu ici et ailleurs assez
+d'exemples, sans en tirer davantage sur ce sujet. Venons maintenant
+l'autre maxime, touchant cette beaut des belles femmes qui ne se
+diminue par vieillesse de la ceinture jusques en bas. Certes, sur cela,
+cette dame espagnole allgua plusieurs belles raisons et gentilles
+comparaisons, accomparant ces belles dames ces beaux, vieux et
+superbes difices qui ont est, desquels la ruine en demeure encor
+belle; ainsi que l'on voit Rome, en ces orgueilleuses antiquitez, les
+ruines de ces beaux palais, ces superbes<a name="page_280" id="page_280"></a> colisses et grands termes,
+qui monstrent bien encore quels ont est, donnent encore admiration et
+terreur tout le monde, et la ruine en demeure admirable et
+espouvantable; si-bien que sur ces ruines ont y bastit encore de
+trs-beaux difices, monstrant que les fondements en sont meilleurs et
+plus beaux que sur d'autres nouveaux: ainsi que l'on voit souvent aux
+massonneries que nos bons architectes et massons entreprennent; et s'ils
+trouvent quelques vieilles ruines et fondements, ils bastissent
+aussi-tost dessus, et plus-tost que sur de nouveaux. J'ay bien veu aussi
+souvent de belles galleres et navires se bastir et se refaire sur de
+vieux corps et de vieilles carennes, lesquelles avoient demeur
+long-temps dans un port sans rien faire, qui valloient bien autant que
+celles que l'on bastissoit et charpentoit tout neuf, et de bois neuf
+venant de la forest. Davantage, disoit cette dame espagnole, ne void-on
+pas souvent les sommets des hautes tours par les vents, les orages, les
+tonnerres estre emportez, dfraudez et gastez, et le bas demeurer sain
+et entier? car tousjours telles hauteurs telles tempestes s'adressent;
+mesmes les vents marins minent et mangent les pierres d'enhaut, et les
+concavent plustost que celles du bas, pour n'y estre si exposes que
+celles d'enhaut. De mesme, plusieurs belles dames perdent le lustre et
+la beaut de leurs beaux visages par plusieurs accidents, ou de froid ou
+de chaud, ou de soleil et de lune, et autres, et, qui pis est, de
+plusieurs fards qu'elle y applicquent, pensans se rendre plus belles, et
+gastent tout; au lieu qu'aux partis d'enbas n'y applicquent autre fard
+que le naturel spermatic, n'y sentant ni froid, ny pluye, ny vent, ny
+soleil, ny lune, qui n'y touchent point. Si la chaleur les importune,
+elles s'en savent bien garantir et se raffraischir; de mesmes remdient
+au froid en plusieurs faons: tant d'incommoditez et peines y a-t-il
+garder la beaut d'enhaut, et peu garder celle d'enbas: si-bien
+qu'encore qu'on ayt veu une belle femme se perdre par le visage, ne faut
+prsumer qu'elle soit perdu par le bas, et qu'il n'y reste encor
+quelque chose de beau et de bon, et qu'il n'y fait point mauvais bastir.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy conter d'une grande dame qui avoit est trs-belle et bien
+adonne l'amour: un de ses serviteurs anciens l'ayant perdu de veu
+l'espace de quatre ans, pour quelque voyage qu'il entreprit, duquel
+retournant, et la trouvant fort change de ce beau visage qu'il luy
+avoit veu autres fois, et par ce en devint fort dgoust et reffroidy,
+qu'il ne la voulut plus attaquer, ny<a name="page_281" id="page_281"></a> renouveller avec elle le plaisir
+pass. Elle le recogneut bien, et fit tant qu'elle trouva moyen qu'il la
+vint voir dans son lict; et, pour ce, un jour elle contrefit de la
+malade, et lui l'estant venu voir sur jour, elle luy dit: Je say
+bien, monsieur, que vous me desdaignez cause de mon visage chang par
+mon aage; mais tenez, voyez (et sur ce elle luy descouvrit toute la
+moiti du corps nud en bas) s'il y a rien de chang l; si mon visage
+vous a tromp, cela ne vous trompe pas. Le gentilhomme la contemplant,
+et la trouvant par-l aussi belle et nette que jamais, entra aussitost
+en apptit, et mangea de la chair qu'il pensoit estre pourrie et gaste.
+Et voil, dit la dame, monsieur, voil comme vous autres estes trompez.
+Une autre fois, n'adjoustez plus de foy aux menteries de nos faux
+visages; car le reste de nos corps ne les ressemble pas toujours. Je
+vous apprens cela. Une dame comme celle-l, estant ainsi devenus
+change de beau visage, fut en si grand colre et despit contre luy,
+qu'elle ne le voulut oncques plus jamais mirer dans son miroir, disant
+qu'il en estoit indigne; et se faisoit coiffer ses femmes, et, pour
+rcompense, se miroit et s'arregardoit par les parties d'en-bas, y
+prenant autant de dlectation comme elle avoit fait par le visage
+autresfois.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy parler d'une autre dame, qui, tant qu'elle couchoit sur jour
+avec son amy, elle couvroit son visage d'un beau mouchoir blanc d'une
+fine toile d'Hollande, de peur que, la voyant au visage, le haut ne
+refroidist et empeschast la batterie du bas, et ne s'en degoustast; car
+il n'y avoit rien dire au bas du beau pass. Sur quoy il y eut une
+fort honneste dame, dont j'ay ouy parler, qui rencontra plaisamment,
+laquelle un jour son mary luy demandant pourquoy son poil d'en-bas
+n'estoit pas devenu blanc et chenu comme celuy de la teste: H,
+dit-elle, le meschant traistre qu'il est, qui a fait la folie, ne s'en
+ressent point, ny ne la boit point. Il la fait sentir et boire
+d'autres de mes membres et ma teste; d'autant qu'il demeure toujours,
+sans changer, et en mesme estat et vigueur, en mesme disposition, et
+sur-tout en mesme chaud naturel, et a mesme appetit et sant, et non des
+autres membres, qui en ont pour luy des maux et des douleurs, et mes
+cheveux qui en sont devenus blancs et chenus. Elle avoit raison de
+parler ainsi; car cette partie leur engendre bien des douleurs, des
+gouttes et des maux, sans que leur gallant du mitan s'en sente; et, pour
+trop estre chaudes<a name="page_282" id="page_282"></a> cela, ce disent les mdecins, deviennent ainsi
+chenus. Voil pourquoy les belles dames ne vieillissent jamais par-l
+en toutes les deux faons.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy raconter aucuns qui les ont pratiques, jusques aux
+courtisannes, qui m'ont asseur n'en avoir veu gures de belles estres
+venues vieilles par-l: car tout le bas et mitan, et cuisses et jambes,
+avoient le tout beau, et la volont et la disposition pareille au pass.
+Mesmes j'en ay ouy parler plusieurs marys qui trouvoient leurs
+vieilles (ainsi les appeloient-ils) aussi belles par le bas comme
+jamais, en vouloir, en gaillardise, en beaut, et aussi volontaires, et
+n'y trouvoient rien de chang que le visage; et aimoient autant coucher
+avec elles qu'en leurs jeunes ans. Au reste, combien y a-t-il d'hommes
+qui aiment autant de vieilles dames pour monter dessus plustost que sur
+des jeunes; tout ainsi comme plusieurs qui aiment mieux des vieux
+chevaux, soit pour le jour d'un bon affaire, soit pour le mange et pour
+le plaisir, qui ont est si bien appris en leur jeunesse, qu'en leur
+vieillesse vous n'y trouverez rien dire, tant ils ont est bien
+dresss, et ont continu leur gentille addresse.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay veu l'escurie de nos roys le cheval qu'on appelloit <i>le
+Quadragant</i>, dress du temps du roy Henry. Il avoit plus de vingt-deux
+ans; mais encore, tout vieux qu'il estoit, il faisoit trs-bien et
+n'avoit rien oubli; si bien qu'il donnoit encore son roy, et tous
+ceux qui le voyoient manier, du plaisir bien grand. J'en ay veu faire de
+mesmes un grand coursier qu'on appeloit <i>le Gonzague</i>, du haras de
+Mantou, et estoit contemporain du Quadragant. J'ay veu <i>le Moreau
+superbe</i>, qui avoit est mis pour estalon. Le seigneur M. Antonio, qui
+avoit la charge du haras du Roy, me le monstra Mun, un jour que je
+passay par-l, aller deux pas et un sault, et voltes, aussi bien que
+lorsque M. de Carnavallet l'eut dress, car il estoit luy; et feu M.
+de Longueville luy en voulut donner trois mille livres de rente; mais le
+roy Charles ne le voulut pas, qui le prit pour luy, et le rcompensa
+d'ailleurs. Une infinit d'autres en nommerois-je, mais je n'aurois
+jamais fait, m'en remettant aux braves escuyers, qui en ont prou veu. Le
+feu roy Henry, au camp d'Amiens, avoit choisi pour son jour de bataille
+<i>le Bay de la Pay</i>, un trs-beau et fort courcier et vieux; et mourut de
+la fivre, par le dire des plus experts mareschaux, au camp d'Amiens; ce
+qu'on trouva estrange. Feu M. de Guise envoya querir<a name="page_283" id="page_283"></a> en son haras
+d'Esclairon <i>le Bay Samson</i>, qui servoit l d'estalon, pour le servir en
+la bataille de Dreux, o il le servit trs-bien. Aux premieres guerres,
+feu M. le prince prit dans Mun vingt-deux chevaux qui servoient-l
+d'estalons, pour s'en servir en ses guerres, et les dpartit aux uns et
+aux autres des seigneurs qui estoient avec luy, s'en estant rserv sa
+part; dont le brave Avaret eut un courcier que M. le connestable avoit
+donn au roy Henry, et l'appeloit-on <i>le Compere</i>: tout vieux qu'il
+estoit, jamais n'en fut veu un meilleur, et son maistre le fit trouver
+en de bons combats, qui luy servit trs-bien. Le capitaine Bourdet eut
+le Turc, sur lequel le feu roy Henry fut bless et tu, que feu M. de
+Savoye luy avoit donn, et l'appelloit-on <i>le Malheureux</i>: et
+s'appelloit ainsi quand il fut donn au Roy, ce qui fut un trs-mauvais
+prsage pour le Roy. Jamais il ne fut si bon en sa jeunesse comme il fut
+en sa vieillesse: aussi son maistre, qui estoit un des vaillants
+gentilshommes de France, le faisoit bien valloir. Bref, tout tant qu'il
+en eust de ces estalons, jamais l'aage m'empescha qu'ils ne servissent
+bien leurs maistres, leur prince et leur cause. Ainsi sont
+plusieurs chevaux vieux qui ne se rendent jamais: aussi dit-on que
+jamais bon cheval ne devint rosse. De mesme sont plusieurs dames, qui en
+leur vieillesse valent bien autant que d'autres en leur jeunesse, et
+donnent bien autant de plaisir, pour avoir est en leur temps trs-bien
+apprises et dresses; et volontiers telles leons mal-aisment
+s'oublient: et ce qui est le meilleur, c'est qu'elles sont fort
+librales et larges donner pour entretenir leurs chevaliers et
+cavalcadours, qui prennent plus d'argent et veulent plus grand entretien
+pour monter sur une vieille monture que sur une jeune; qui est au
+contraire des escuyers, qui n'en prennent tant des chevaux dresss que
+des jeunes et dresser: ainsi la raison en cela le veut.</p>
+
+<p>Une question sur le sujet des dames aages ay-je veu faire, savoir
+quelle gloire plus grande y a-t-il desbaucher une dame aage et en
+joir, ou une jeune. A aucuns ay-je ouy dire que c'est pour la vieille,
+et disoient que la folie et la chaleur qui est en la jeunesse, sont de
+soy assez toutes desbauches et aises perdre; mais la sagesse et la
+froideur qui semblent estre en la vieillesse, malaisment se
+peuvent-elles corrompre; et qui les corrompt en est en plus belle
+rputation. Aussi cette fameuse courtisanne Lays se vantoit et se
+glorifioit fort de quoy les philosophes alloient si souvent la voir et
+apprendre son eschole, plus que de tous autres jeunes gens et fols qui
+allassent. De mesme Flora se<a name="page_284" id="page_284"></a> glorifioit de voir venir sa porte de
+grands snateurs romains, plustost que de jeunes fols chevaliers. Ainsi
+me semble-t-il que c'est grand gloire de vaincre la sagesse qui pourroit
+estre aux vieilles personnes, pour le plaisir et contentement. Je m'en
+rapporte ceux qui l'ont expriment, dont aucuns ont dit qu'une
+monture dresse est plus plaisante qu'une farouche et qui ne sait pas
+seulement trotter. Davantage, quel plaisir et quel plus grand aise
+peut-on avoir en l'ame quand on voit entrer dans une salle du bal, dans
+des chambres de la Reyne, ou dans une glise, ou une autre grande
+assemble, une dame aage de grande qualit et d'<i>alta guisa</i><a name="FNanchor_100_100" id="FNanchor_100_100"></a><a href="#Footnote_100_100" class="fnanchor">[100]</a>,
+comme dit l'Italien, et mesmes une dame d'honneur de la Reyne ou d'une
+princesse, ou une gouvernante des damoiselles ou filles de la Cour, que
+l'on prend, et l'on met en cette digne charge pour la tenir sage? On la
+verra qui fait la mine de la prude, de la chaste, de la vertueuse, et
+que tout le monde la tient ainsi pour telle, cause de son aage, et,
+quand on songe en soy, et qu'on le dit quelque sien fidle compagnon
+et confident: La voyez-vous-l en sa faon grave, sa mine sage et
+ddaigneuse et froide, qu'on diroit qu'elle ne feroit pas mouvoir une
+seule goutte d'eau? Hlas! quand je la tiens couche en son lict, il n'y
+a giroette au monde qui se reme et se revire si souvent et si
+agilement que font ses reins et ses fesses. Quant moi, je croy que
+celuy qui a pass par-l et le peut dire, qu'il est trs-content en soy.
+Ha! que j'en ay cogneu plusieurs de ces dames en ce monde, qui
+contrefaisoient leurs dames sages, prudes et censoriennes, qui estoient
+trs-dbordes et vnriennes quand venoient-l, et que bien souvent on
+abattoit plustost qu'aucunes jeunes, qui par trop peu ruses, craignent
+la lutte! Aussi dit-on, qu'il n'y a chasse que de vieilles renardes pour
+chasser et porter manger leurs petits.</p>
+
+<p>Nous lisons que jadis plusieurs empereurs romains se sont fort dlectez
+ dbauscher et repasser ainsi ces grandes dames d'honneur et de
+rputation, autant pour le plaisir et contentement, comme certes il y en
+a plus qu'en des infrieures, que pour la gloire et honneur qu'il
+s'attribuoient de les avoir desbauches et suppdites: ainsi que j'en
+ay cogneu de mon temps plusieurs seigneurs, princes et gentilshommes,
+qui s'en sont sentis trs-glorieux et trs-contents dans leur ame, pour
+avoir fait de<a name="page_285" id="page_285"></a> mesme. Jules Csar et Octave son successeur sont est
+fort ardents telles conquestes, ainsi que j'ay dit cy-devant; et aprs
+eux Calligula, lequel, conviant ses festins les plus illutres dames
+romaines avec leurs marys, les contemplant et considrant fort fixement;
+mesmes avec la main leur levoit la face, si aucunes de honte la
+baissoient pour se sentir dames d'honneur et de rputation, ou bien
+d'autres qui voulussent les contrefaire, et des fort prudes et chastes,
+comme certainement y en pouvoit avoir peu s temps de ces empereurs
+dissolus; mais il falloit faire la mine et en estre quitte pour cela,
+autrement le jeu ne fust est bon, comme j'en ay veu faire de mesmes
+plusieurs dames. Celles aprs qui plaisoient ce monsieur l'Empereur,
+les prenoit privment et publiquement prs de leurs marys, et, les
+sortant de la salle, les menoit en une chambre, o il en tiroit d'elles
+son plaisir ainsi qu'il luy plaisoit: et puis les retournoit en leur
+place se rasseoir, et devant toute l'assemble looit leurs beautez et
+singularitez qui estoient en elles caches, les spcifiant de part en
+part; et celles qui avoient quelques tares, laideurs et deffectuositez,
+ne les celoit nullement, ains les descrioit et les dclaroit, sans rien
+dguiser ni cacher. Nron fut aussi curieux, qui pis est encore, de voir
+sa mre morte, la contempler fixement, et manier tous ses membres,
+loant les uns et vituprant les autres. J'en ay ouy compter de mesme
+d'aucuns grands seigneurs chrtiens, qui ont bien cette mesme curiosit
+envers leurs meres mortes. Ce n'estoit pas tout de ce Calligula; car il
+racontoit leurs mouvements, leurs faons lubriques, leur maniements et
+leurs airs qu'elles observoient en leur mange, et surtout de celles qui
+avoient est sages et modestes, ou qui les contrefaisoient ainsi
+table: car, si la couche elles en vouloient faire de mesme, il ne faut
+point douter si le cruel ne les menassoit de mort si elles ne faisoient
+tout ce qu'il vouloit pour le contenter, et crainte de mourir; et puis
+aprs les scandalisoit ainsi qu'il luy plaisoit, aux dpens et rise
+commune de ces pauvres dames, qui, pensans estre tenues fort chastes et
+sages, comme il y en pouvoit avoir, ou faire des hypocrites, et
+contrefaire les <i>donne da ben</i>, estoient tout trac divulgues rputes
+bonnes vesses et ribaudes; ce qui n'estoit pas mal employ, de les
+dcouvrir pour telles qu'elles ne vouloient qu'on les cogneust. Et qui
+estoit le meilleur, c'estoient, comme j'ay dit, toutes grandes dames,
+comme femmes de consuls, dictateurs, prteurs,<a name="page_286" id="page_286"></a> questeurs, snateurs,
+censeurs, chevaliers, et d'autres de trs-grands estats et dignitez;
+ainsi que nous pouvons dire aujourd'huy en notre chrestient les reynes,
+qui se peuvent comparer aux femmes des consuls, puis qu'ils commandoient
+ tout le monde; les princesses grandes et moyennes, les duchesses
+grandes et petites, les marquises et marquisottes, les comtesses et
+contines, les baronnesses et chevaleresses, et autres dames de grand
+rang et riche toffe: sur quoy il ne faut douter que, si plusieurs
+empereurs et roys en pouvoient faire de mesme envers telles grandes
+dames, comme cet empereur Calligula, ne le fissent; mais ils sont
+chrestiens, qui ont la crainte de Dieu devant les yeux, ses saints
+commandements, leur conscience, leur honneur, le diffame des hommes, et
+leurs marys; car la tyrannie seroit insupportable des c&oelig;urs
+gnreux. En quoy certes les roys chrestiens sont fort estimer et
+loer, de gaigner l'amour des belles dames plus par douceur et amiti
+que par force et rigueur; et la conqueste en est beaucoup plus belle.</p>
+
+<p>J'ai ouy parler de deux grands princes qui se sont fort pleus
+descouvrir ainsi les beautez, gentillesses et singularitez de leurs
+dames, aussi leurs difformitez, tares et deffauts, ensemble leurs
+manges, mouvements et lascivetez, non en public pourtant, comme
+Galligula, mais en priv avec leurs grands amys particuliers. Et voil
+le gentil corps de ces pauvres dames bien employ; pensant bien faire et
+joer pour complaire leurs amants, sont dcries et brocardes.</p>
+
+<p>Or, afin de reprendre encore nostre comparaison, tout ainsi que l'on
+voit de beaux difices bastis sur meilleurs fondements et de meilleures
+pierres et matire les uns plus que les autres, et pour ce durer plus
+longuement en leur beaut et gloire; aussi y a-t-il des corps de dames
+si bien complexionnez et composez, et empraints en beautez, qu'on void
+volontiers le temps n'y gagner tant comme sur d'autres, ny les miner
+aucunement.</p>
+
+<p>&mdash;Il se fit qu'Artaxerces, entre toutes ses femmes qu'il eut, celle
+qu'il aima le plus fut Astasia, qui estoit fort aage, et toutesfois
+trs-belle, qui avoit t putain de son feu frre Daire. Son fils en
+devint si fort amoureux, tant elle estoit belle nonobstant l'aage, qu'il
+la demanda son pre en partage, aussi-bien que la part du royaume. Le
+pre, par jalousie qu'il en eut, et qu'il participast avec luy ce bon
+boucon, la fit prestresse du Soleil, d'autant qu'en Perse celles qui ont
+tel estat se voent du tout la chastet.</p>
+
+<p>&mdash;Nous lisons dans l'histoire de Naples, que Ladislas Hongre<a
+name="page_287" id="page_287"></a> et roy de Naples, assigea dans Tarente
+la duchesse Marie, femme de feu Rammondelo de Balzo, et, aprs plusieurs
+assauts et faits d'armes, la prit par composition avec ses enfants, et
+l'espousa, bien qu'elle fust aage, mais trs-belle, et l'emmena avec
+soy Naples; et fut appele la reyne Marie, fort aime de luy et
+chrie.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay veu madame la duchesse de Valentinois, en l'aage de soixante-dix
+ans, aussi belle de face, aussi fraische et aussi aimable comme en
+l'aage de trente ans: aussi fut-elle fort aime et servie d'un des
+grands roys et valeureux du monde. Je le peux dire franchement, sans
+faire tort la beaut de cette dame, car toute dame aime d'un grand
+roy, c'est signe que perfection habite et abonde en elle, qui la fait
+aimer: aussi la beaut donne des cieux ne doit estre espargne aux
+demy-dieux. Je vis cette dame, six mois avant qu'elle mourust, si belle
+encor, que je ne sache c&oelig;ur de rocher qui ne s'en fust meu, encore
+qu'auparavant elle s'estoit rompue une jambe sur le pav d'Orlans,
+allant et se tenant cheval aussi dextrement et dispostement comme elle
+avoit fait jamais; mais le cheval tomba et glissa sous elle. Et, pour
+telle rupture et maux et douleurs qu'elle endura, il eust sembl que sa
+belle face s'en fust change; mais rien moins que cela, car sa beaut,
+sa grce, sa majest, sa belle apparence, estoient toutes pareilles
+qu'elle avoit toujours eu: et surtout elle avoit une trs-grande
+blancheur, et sans se farder aucunement: mais on dit bien que tous les
+matins elle usoit de quelques bouillons composez d'or potable et autres
+drogues que je ne say pas comme les bons mdecins et subtils
+apoticaires. Je crois que si cette dame eust encor vescu cent ans,
+qu'elle n'eust jamais vieilly, fust du visage, tant il estoit bien
+compos, fust du corps, cach et couvert, tant il estoit de bonne trempe
+et belle habitude. C'est dommage que la terre couvre ces beaux corps!
+J'ai veu madame la marquise de Rothelin, mere madame la douairiere,
+princesse de Cond et de feu M. de Longueville, nullement offense en sa
+beaut ny du temps, ny de l'aage, et s'y entretenir en aussi belle fleur
+qu'en la premire, fors que le visage luy rougissoit un peu sur la fin;
+mais pourtant ses beaux yeux, qui estoient des nompareils du monde, dont
+madame sa fille en a hrit, ne changrent oncques, et aussi prests
+blesser que jamais. J'ai veu madame de La Bourdesiere, depuis en
+secondes nopces mareschale d'Aumont, aussi belle sur ses vieux jours que
+l'on eust dit qu'elle estoit en ses<a name="page_288" id="page_288"></a> plus jeunes ans; si-bien que ses
+cinq filles, qui ont est des belles, ne l'effaoient en rien: et
+volontiers, si le choix fust t faire, eust-on laiss les filles pour
+prendre la mre; et si avoit eu plusieurs enfants: aussi estoit-ce la
+dame qui se contregardoit le mieux, car elle estoit ennemie mortelle du
+serain et de la lune, et les fuyoit le plus qu'elle pouvoit; le fard
+commun, pratiqu de plusieurs dames, luy estoit incogneu. J'ay veu, qui
+est bien plus, madame de Mareuil, mre de madame la marquise de
+Mezieres, et grand-mre de la princesse Dauphin, en l'aage de cent ans,
+auquel mourut, aussi dispote, fraische et belle et saine qu'en l'aage de
+cinquante ans: 'avoit est une trs-belle femme en sa jeune saison. Sa
+fille, madame la dite marquise, avoit est telle, et mourut ainsi, mais
+non si aage de vingt ans, et la taille lui appetissa un peu. Elle
+estoit tante de madame de Bourdeille, femme mon frre aisn, qui lui
+portoit pareille vertu; car, encore qu'elle eust pass cinquante-trois
+ans et ait eu quatorze enfants, on diroit, comme ceux qui la voyent sont
+de meilleur jugement que moy et l'asseurent, que ces quatre filles
+qu'elle a auprs d'elle se monstrent ses s&oelig;urs: aussi void-on souvent
+plusieurs fruits d'hyver et de la dernire saison, se parangonner ceux
+d'est et se garder, et estre aussi beaux et savoureux, voire plus.
+Madame l'admiralle de Brion, et sa fille, madame de Barbezieux, ont est
+aussi trs-belles en vieillesse. L'on me dit dernierement que la belle
+Paule de Toulouse, tant renomme de jadis, est aussi belle que jamais,
+bien qu'elle ait quatre-vingts ans, et n'y trouve-t-on rien chang, ny
+en sa haute taille ny en son beau visage. J'ai veu madame la prsidente
+Comte de Bordeaux, tout de mesme et en pareil aage, et trs-aimable et
+dsirable: aussi avoit-elle beaucoup de perfections. J'en nommerois tant
+d'autres, mais je n'en pourrois faire la fin.</p>
+
+<p>&mdash;Un jeune cavalier espagnol parlant d'amour une dame aage, mais
+pourtant encore belle, elle luy respondit: <i>A mis completas pesta manera
+me habla V. M.?</i> Comment mes complies me parlez vous ainsi? Voulant
+signifier par les complies son aage et dclin de son beau jour, et
+l'approche de sa nuict. Le cavalier luy respondit: <i>Sus completas valen
+mas, y son mas graciosas, que las horas de prima de qualquier otra
+dama</i>. Vos complies vallent plus, et sont plus belles et gracieuses que
+les heures de prime de quelque autre dame qu soit. Cette allusion est
+gentille. Un autre parlant de mesme d'amour une dame aage, et l'autre
+luy remonstrant sa beaut<a name="page_289" id="page_289"></a> flestrie, qui pourtant ne l'estoit trop, il
+luy respondit: <i>Alas visperas se cognosce la fiesta</i>: A vespres la
+feste se connoist. On voit encore aujourd'huy madame de Nemours, jadis
+en son avril la beaut du monde, faire affront au temps, encore qu'il
+efface tout. Je la puis dire telle, et ceux qui l'ont veu avec moy, que
+'a est la plus belle femme, en ses jours verdoyants, de la
+chrestient. Je la vis un jour danser comme j'ay dit ailleurs, avec la
+reyne d'Escosse, elles deux toutes seules ensemble et sans autres dames
+de compagnie, et par ce caprice, que tous ceux et celles qui les
+advisoient danser ne sceurent juger qui l'emportoit en beaut, et
+eust-on dit, ce dit quelqu'un, que c'estoient les deux soleils assemblez
+qu'on lit dans Pline avoir apparu autrefois pour faire esbahir le monde.
+Madame de Nemours, pour lors madame de Guise, monstroit la taille la
+plus riche; et, s'il m'est loisible ainsi de dire, sans offenser la
+reyne d'Escosse, elle avoit la majest plus grave et apparente, encor
+qu'elle ne fust reyne comme l'autre; mais elle estoit petite-fille de ce
+grand roy Pere du peuple, auquel elle ressembloit en beaucoup de traits
+du visage, comme je l'ay veu pourtrait dans le cabinet de la reyne de
+Navarre, qui monstroit bien en tout quel roy il estoit. Je pense avoir
+est le premier qui l'ay appele du nom de petite-fille du roy Pere du
+peuple, et ce fut Lyon quand le Roy tourna de Pologne, et bien souvent
+l'y appelois-je: aussi me faisoit-elle cet honneur de le trouver bon, et
+l'aimer de moy. Elle estoit certes vraye petite-fille de ce grand roy,
+et sur-tout en bont et beaut; car elle a est trs-bonne, et peu ou
+nul se trouve qui elle ayt fait mal ny desplaisir, et si en a eu de
+grands moyens du temps de sa faveur, c'est--dire que celle de feu M. de
+Guise son mary, qui a eu grand crdit en France. Ce sont donc deux
+trs-grandes perfections qui ont est en cette dame, que bont et
+beaut, et que toutes deux elle a trs-bien entretenu jusques icy, et
+pour lesquelles elle a espous deux honnestes marys, et deux que peu ou
+point en eust-on trouv de pareils; et s'il s'en trouvoit encore un
+pareil et digne d'elle, et qu'elle le voulust pour le tiers, elle le
+pourroit encor user, tant elle est encor belle. Aussi qu'en Italie l'on
+tient les dames ferraroises pour de bons et friands morceaux, dont est
+venu le proverbe, <i>pota ferraresa</i>, comme l'on dit <i>cazzo mantouan</i>.
+Sur-quoy, un grand seigneur de ce pays-l pourchassant une fois une
+belle et grande princesse de nostre France, ainsi qu'on le looit la
+cour de ses<a name="page_290" id="page_290"></a> belles vertus, valeurs et perfection pour la mriter, il y
+eut feu M. Dau, capitaine des gardes escossaises, qui rentra mieux que
+tous, en disant. Vous oubliez le meilleur, <i>cazzo mantuan</i>. J'ay ouy
+dire un pareil mot une fois, c'est que le duc de Mantou qu'on appeloit
+le Gobin<a name="FNanchor_101_101" id="FNanchor_101_101"></a><a href="#Footnote_101_101" class="fnanchor">[101]</a>, parce qu'il estoit fort bossu, vouloit espouser la
+s&oelig;ur de l'empereur Maximilian, il fut dit elle qu'il estoit ainsi
+fort bossu. Elle respondit, dit-on: <i>Non importa purche la campana
+habbia qualche diffetto, ma ch' el sonaglio sia buono</i><a name="FNanchor_102_102" id="FNanchor_102_102"></a><a href="#Footnote_102_102" class="fnanchor">[102]</a>; voulant
+entendre le <i>cazzo mantuan</i>. D'autres disent qu'elle ne profera le mot,
+car elle estoit trop sage et bien apprise; mais d'autres le dirent pour
+elle. Pour tourner encore cette princesse ferraroise, je la vis, aux
+nopces de feu M. de Joyeuse, parestre vestue d'une mante la mode
+d'Italie, et retrousse demy sur le bras la mode sienoise; mais il
+n'y eut point encore de dame qui l'effaast, et n'y eut aucun qui ne
+dist: Cette belle princesse ne se peut rendre encor, tant elle est
+belle; et est bien ais juger que ce beau visage couvre et cache
+d'autres grandes beautez et parties en elle que nous ne voyons point;
+tout ainsi qu' voir le beau et superbe front d'un beau bastiment, il
+est juger qu'au dedans il y a de belles chambres, anti-chambres,
+garde-robbes, beaux recoins et cabinets. En tant de lieux encor
+a-t-elle fait paroistre sa beaut depuis peu, et en son arrire-saison,
+et mesme en Espagne aux nopces de M. et madame de Savoye, que
+l'admiration d'elle et de sa beaut, et de ses vertus, y en demeurera
+grave pour tout jamais. Si les aisles de ma plume estoient assez fortes
+et simples pour la porter dans le ciel, je le ferois; mais elles sont
+trop foibles, si en parleray-je encore ailleurs; tant il y a que ce 'a
+est une trs-belle femme en son printemps, son est et son automne, et
+son hyver encor, quoy qu'elle ait eu grande quantit d'ennuys et
+d'enfants. Qui pis est, les Italiens, mprisants une femme qui a eu
+plusieurs enfants, l'appellent <i>scrofa</i>, qui est dire <i>une truye</i>;
+mais celles qui en produisent de beaux, braves et gnreux, comme cette
+princesse a fait, sont loer, et sont indignes de ce nom, mais de
+celuy des benistes de Dieu. Je puis faire cette exclamation: Quelle
+mondaine et merveilleuse<a name="page_291" id="page_291"></a> inconstance, que la chose qui est la plus
+legere et inconstante fait la rsistance au temps, qu'est la belle
+femme! Ce n'est pas moy qui le dit; j'en serois bien marry, car j'estime
+fort la constance d'aucunes femmes, et toutes ne sont inconstantes:
+c'est d'un autre de qui je tiens cette exclamation. J'allguerois encore
+volontiers des dames estrangeres, aussi bien que de nos Franoises,
+belles en leur autonne et hyver, mais pour ce coup je ne mettray en ce
+rang que deux. L'une, la reyne Elisabeth d'Angleterre qui regne
+aujourd'huy, qu'on m'a dit estre encor aussi belle que jamais. Que si
+elle est telle, je la tiens pour une belle princesse; car je l'ay veu
+en son est et en son automne: quant son hyver, elle y approche fort:
+si elle n'y est; car il y a long-temps que je ne l'ay veu. La premire
+fois que je la vis, je say l'aage qu'on luy donnoit alors. Je crois que
+ce qui l'a maintenue si long-temps en sa beaut, c'est qu'elle n'a
+jamais est marie, ny a support le faix du mariage, qui est fort
+onreux, et mesmes quand l'on porte plusieurs enfants. Cette reyne est
+loer en toutes sortes de louanges, n'estoit la mort de cette brave,
+belle et rare reyne d'Escosse, qui a fort souill ses vertus. L'autre
+princesse et dame estrangere est madame la marquise de Gouast, donne
+Marie d'Arragon, laquelle j'ay veue une trs-belle dame sur sa derniere
+saison; et je vous le vais dire par un discours que j'abregeray le plus
+que je pourray. Lors que le roy Henry mourut, le pape Paul quatriesme,
+Caraffe, et pour l'lection d'un nouveau fallut que tous les cardinaux
+s'assemblassent. Entr'autres partit de France le cardinal de Guise, et
+alla Rome par mer avec les galleres du Roy, desquelles estoit gnral
+M. le grand-prieur de France, frre dudit cardinal, lequel, comme bon
+frre, le conduisit avec seize galleres; et firent si bonne dilligence
+et avec si bon vent en poupe, qu'ils arrivrent en deux jours et deux
+nuicts Civita-Vecchia, et de-l Rome; o estant, M. le grand-prieur
+voyant qu'on n'estoit pas encor prest de faire nouvelle lection (comme
+de vray elle demeura trois mois faire), et par consquent son frre ne
+pouvoit retourner, et que ses galleres ne faisoient rien au port, il
+s'advisa d'aller jusques Naples voir la ville et y passer son temps. A
+son arrive donc, le vice-roy, qui estoit lors le duc d'Alcala, le
+receut comme si ce fust est un roy; mais avant que d'y arriver salua la
+ville d'une fort belle sale qui dura long-temps, et la mesme luy fut
+rendue de la ville et des chasteaux, qu'on eust dit que le ciel tonnoit
+estrangement<a name="page_292" id="page_292"></a> durant cette sale; et tenant ses galleres en batailles et
+en loly, et assez loin, il envoya dans un esquif M. de l'Estrange, de
+Languedoc, fort habile et honneste gentilhomme, qui parloit fort bien,
+vers le vice-roy, pour ne luy donner l'allarme, et lui demander
+permission (encore que nous fussions en bonne paix, mais pourtant nous
+ne venions que de frais de la guerre) d'entrer dans le port pour voir la
+ville et visiter les spulchres de ses prdcesseurs qui estoient l
+enterrez, et leur jetter de l'eau beniste et prier Dieu sur eux. Le
+vice-roy l'accorda trs-librement. M. le grand-prieur donc s'advana et
+recommena la sale aussi belle et aussi furieuse que devant, tant des
+canons de courcie des seize galleres, que des autres pices et
+d'harquebusades, tellement que tout estoit en feu; et puis entra dans le
+mole fort superbement, avec plus d'estendarts, de banderolles, de
+flambants de taffetas cramoisi, et la sienne de damas, et tous les
+forats vestus de velours cramoisi, et les soldats de sa garde de mesme,
+avec mandilles couvertes de passement d'argent, desquels estoit
+capitaine le capitaine Geoffroy, Provenal, brave et vaillant capitaine;
+et bien que l'on trouvast nos galleres franaises trs-belles, lestes et
+bien espaverades, et sur-tout la Ralle, laquelle n'y avoit rien
+redire; car ce prince estoit en tout trs-magnifique et libral. Estant
+donc entr dans le monde en un si bel arroy, il prit terre, et tous nous
+autres avec luy, o le vice-roy avoit command de tenir prests des
+chevaux et des coches pour nous recueillir et nous conduire en la ville,
+comme de vray nous y trouvasmes cent chevaux, coursiers, genets, chevaux
+d'Espagne, barbes et autres, les uns plus beaux que les autres, avec des
+housses de velours toutes en broderies, les unes d'or, les autres
+d'argent. Qui vouloit montoit cheval, montoit qui en coche vouloit,
+car il y en avoit une vingtaine des plus belles et riches et des mieux
+atteles, et traisnes par des coursiers des plus beaux qu'on eust sceu
+voir. L se trouvrent aussi force grands princes et seigneurs, tant du
+regne qu'espagnols, qui receurent M. le grand-prieur, de la part du
+vice-roy, trs-honnorablement. Il monta sur un cheval d'Espagne, le plus
+beau que j'aye veu il a long-temps, que depuis le vice-roy luy donna, et
+se manioit trs-bien, et faisoit de trs-belles courbettes, ainsi qu'on
+parloit de ce temps. Luy, qui estoit un trs-bon homme de cheval, et
+aussi bon que de mer, il le fit trs-beau voir l-dessus: et il le
+faisoit trs-bien valloir et<a name="page_293" id="page_293"></a> aller, et de fort bonne grace, car il
+estoit l'un des plus beaux princes qui fust de ce temps-l et des plus
+agrables, des plus accomplis, et de fort haute et belle taille et bien
+dnoe; ce qui n'advient guieres ces grands hommes. Ainsi il fut
+conduit par tous ces seigneurs et tant d'autres gentilshommes chez le
+vice-roy, lequel l'attendoit, et luy fit tous les honneurs du monde, et
+logea en son palais, et le festoya fort sumptueusement, et luy et sa
+troupe: il le pouvoit bien faire, car il luy gaigna vingt mille escus
+ce voyage.</p>
+
+<p>Nous pouvions bien estre avec lui deux cents gentilshommes, que
+capitaines des galleres et autres; nous fusmes logs chez la pluspart
+des grands seigneurs de la ville, et trs-magnifiquement. Ds le matin,
+sortant de nos chambres, nous rencontrions des estaffiers si bien crez
+qui se venoient prsenter aussi-tost et demander ce que nous voulions
+faire et o nous voulions aller et pourmener, et si nous voulions
+chevaux ou coches. Soudain, aussi-tost nostre volont dite aussi-tost
+accomplie, et alloient qurir les montures que voulions, si belles, si
+riches et si superbes, qu'un roy s'en fust content; et puis
+accommencions et accomplissions nostre journe ainsi qu'il plaisoit
+chacun. Enfin nous n'estions guieres gastez d'avoir faute de plaisirs et
+dlices en cette ville: ne faut dire qu'il n'y en eust, car je n'ai
+jamais veu ville qui en fust plus remplie en toute sorte. Il n'y manque
+que la familiere, libre et franche conversation d'avec les dames
+d'honneur et rputation, car d'autres il y en a assez: quoi pour ce
+coup sceut trs-bien remdier madame la marquise de Gouast, pour l'amour
+de laquelle ce discours se fait; car, toute courtoise et pleine de toute
+honnestet, et pour la grandeur de sa maison, ayant ouy renommer M. le
+grand-prieur des perfections qui estoient en luy, et l'ayant veu passer
+par la ville cheval et recogneu, comme de grand grand, cela est deu
+communment, elle qui estoit toute grande en tout, l'envoya visiter un
+jour par un gentilhomme fort honneste et bien cr, et lui manda que, si
+son sexe et la coustume du pays lui eussent permis de le visiter,
+volontiers elle y fust venue fort librement pour luy offrir sa
+puissance, comme avoient fait tous les grands seigneurs du royaume, mais
+le pria de prendre ses excuses en gr, en luy offrant et ses maisons, et
+ses chasteaux, et sa puissance. M. le grand-prieur, qui estoit la mesme
+courtoisie, la remercia fort comme il devoit, et luy manda qu'il luy
+iroit baiser les mains incontinent aprs disner;<a name="page_294" id="page_294"></a> quoi il ne faillit
+avec sa suite de tous nous autres qui estions avec luy. Nous trouvasmes
+la marquise dans sa salle avec ses deux filles, donne Antonine, et
+l'autre donne Hieronyme ou donne Joanne (je ne saurois bien le dire,
+car il ne m'en souvient plus), avec force belles dames et damoiselles,
+tant bien en point et de si belle et bonne grace, que, horsmis nos cours
+de France et d'Espagne, volontiers ailleurs n'ay-je point veu plus belle
+troupe de ames. Madame la marquise salua la franaise et receut M. le
+grand-prieur avec un trs-grand honneur; et luy en fit de mesmes, encore
+plus humble, <i>con mas gran sossiego</i>, comme dit l'Espagnol. Leurs devis
+furent pour ce coup de propos communs. Aucuns de nous autres, qui
+savions parler italien et espagnol, accostasmes les autres dames, que
+nous trouvasmes fort honnestes et gallantes, et de fort bon entretien.
+Au dpartir, madame la marquise, ayant sceu de M. le grand-prieur le
+sjour de quinze jours qu'il vouloit faire-l, lui dit: Monsieur, quand
+vous ne saurez que faire et qu'aurez faute de passetemps, lorsqu'il vous
+plaira venir cans vous me ferez beaucoup d'honneur, et y serez le
+trs-bien venu comme en la maison de madame vostre mre; vous priant de
+disposer cette-cy de mesme et ainsi que de la sienne, et y faire ny plus
+ny moins. J'ay ce bonheur d'estre aime et visite d'honnestes et belles
+dames de ce royaume et de cette ville, autant que dame qui soit; et
+d'autant que vostre jeunesse et vertu porte que vous aimez la
+conversation des honnestes dames, je les prieray de se rendre icy plus
+souvent que de coustume, pour vous tenir compagnie et toute cette
+belle noblesse qui est avec vous. Voil mes deux filles, auxquelles je
+commanderay, encores qu'elles ne soient si accomplies qu'on diroit bien,
+de vous tenir compagnie la franaise, comme de rire, danser, joer,
+causer librement, et modestement, honnestement, comme vous faites la
+Cour de France, quoy je m'offrirois volontiers; mais il fascheroit
+fort un prince jeune, beau et honneste comme vous estes, d'entretenir
+une vieille suranne, fascheuse et peu aimable comme moy; car volontiers
+vieillesse et jeunesse ne s'accordent guieres bien ensemble.</p>
+
+<p>M. le grand-prieur luy releva aussi-tost ces mots, en luy faisant
+entendre que la vieillesse n'avoit rien gaign sur elle, et que
+mal-aisment il ne passeroit pas celuy-l, et que son automne surpassoit
+tous les printemps et estez qui estoient en cette salle. Comme de vray,
+elle se monstroit encor une trs-belle<a name="page_295" id="page_295"></a> dame et fort aimable, voire plus
+que ses deux filles, toutes belles et jeunes qu'elles estoient; si
+avoit-elle bien alors prs de soixante bonnes annes. Ces deux petits
+mots que M. le grand-prieur donna madame la marquise luy plurent fort,
+selon que nous pusmes cognoistre son visage riant, sa parole et sa
+faon. Nous partismes de-l extresmement bien difis de cette belle
+dame et surtout M. le grand-prieur, qui en fust aussi-tost espris, ainsi
+qu'il nous le dit. Il ne faut donc douter si cette belle dame et
+honneste, et sa belle troupe de dames, convia M. le grand-prieur tous
+les jours d'aller son logis; car si on n'y alloit l'aprs-dine on y
+alloit le soir. M. le grand-prieur prit pour sa maistresse sa fille
+aisne, encore qu'il aimast mieux la mre; mais ce fut <i>per adumbrar la
+cosa</i><a name="FNanchor_103_103" id="FNanchor_103_103"></a><a href="#Footnote_103_103" class="fnanchor">[103]</a>.</p>
+
+<p>Il se fit force courements de bague, o M. le grand-prieur emporta le
+prix, force ballets et danses. Bref, cette belle compagnie fut cause
+que, luy ne pensant sjourner que quinze jours, nous y fusmes pour nos
+six sepmaines, sans nous y fascher nullement, car nous y avions nous
+autres aussi bien fait des maistresses comme nostre gnral. Encore y
+eussions demeur davantage, sans qu'un courrier vint du Roy son maistre,
+qui lui porta nouvelles de la guerre esleve en Escosse; et pour ce
+falloit mener et faire passer ses galleres de levant en ponant, qui
+pourtant ne passrent de huict mois aprs. Ce fut ce dpartir de ces
+plaisirs dlicieux, et de laisser la bonne et gentille ville de Naples:
+et ne fut M. nostre gnral et tous nous autres sans grandes
+tristesses et regrets, mais nous faschant fort de quitter un lieu o
+nous nous trouvions si bien.</p>
+
+<p>Au bout de six ans, ou plus, nous allasmes au secours de Malte. Moy
+estant Naples, je m'enquis si madite dame la marquise estoit encor
+vivante; on me dit qu'ouy, et qu'elle estoit en la ville. Soudain je ne
+faillis de l'aller voir, et fus aussi-tost recogneu par un vieux maistre
+d'hostel de cans, qui l'alla dire madite dame que je luy voulois
+baiser les mains. Elle, qui se ressouvint de mon nom de Bourdeille, me
+fit monter en sa chambre et la voir. Je la trouvay qui gardoit le lict,
+ cause d'un petit feu vollage qu'elle avoit d'un cost de jou. Elle me
+fit, je vous jure, une trs-bonne chere: je ne la trouvay que fort peu
+change, et encore si belle, qu'elle eust bien fait commettre un pch
+mortel, fust de fait ou de<a name="page_296" id="page_296"></a> volont. Elle s'enquit fort moy des
+nouvelles de M. le grand-prieur, et d'affection, et comme il estoit
+mort, et qu'on lui avoit dit qu'il avoit est empoisonn, maudissant
+cent fois le malheureux qui avoit fait le coup. Je luy dis que non, et
+qu'elle otast cela de sa fantaisie, et qu'il estoit mort d'un purisy
+faux et sourd qu'il avoit gaign la bataille de Dreux, o il avoit
+combattu comme un Csar tout le jour; et le soir la dernire charge,
+s'estant fort chauff au combat, et suant, se retirant le soir qu'il
+geloit pierre fendre, se morfondit, et se couva sa maladie, dont il
+mourut un mois ou six semaines aprs. Elle monstroit, par sa parole et
+sa faon, de le regretter fort: et notez que, deux ou trois ans
+auparavant, il avoit envoy deux galleres en cours sous la charge du
+capitaine Beaulieu, l'un de ses lieutenants de galleres. Il avoit pris
+la bandiere de la reyne d'Escosse, qu'on n'avoit jamais veue vers les
+mers de levant, ny cogneu, dont on estoit fort esbahy; car, de prendre
+celle de France, n'en falloit point parler, pour l'alliance entre le
+Turc.</p>
+
+<p>M. le grand-prieur avoit donn charge au dit capitaine Beaulieu de
+prendre terre Naples, et de visiter de sa part madame la marquise et
+ses filles, auxquelles trois il envoyoit force prsents de toutes les
+petites singularitez qui estoient lors la Cour et au palais, Paris
+et en France; car ledit sieur grand-prieur estoit la libralit et
+magnificence mesme: quoy ne faillit le capitaine Beaulieu, et de
+prsenter le tout, qui fut trs-bien receu, et pour ce fut rcompens
+d'un beau prsent. Madame la marquise se ressentoit si fort oblige de
+ce prsent, et de la souvenance qu'il avoit encor d'elle, qu'elle me le
+rtera plusieurs fois, dont elle l'en aima encore plus. Pour l'amour de
+luy elle fit encore une courtoisie un gentilhomme gascon, qui estoit
+lors aux galleres de M. le grand-prieur, lequel, quand nous partismes,
+demeura dans la ville, malade jusqu' la mort. La fortune fut si bonne
+pour luy, que, s'addressant la dite dame en son adversit, elle le fit
+si bien secourir qu'il eschappa, et le prit en sa maison, et s'en
+servit, que, venant vacquer une capitainerie en un de ses chasteaux,
+elle la luy donna, et luy fit espouser une femme riche. Aucuns de nous
+autres ne sceusmes qu'estoit devenu le gentilhomme, et le pensions mort,
+si non lors que nous fismes ce voyage de Malte il se trouva un
+gentilhomme qui estoit cadet de celuy dont j'ay parl, qui un jour, sans
+y penser, parlant moy de la principale occasion de son voyage qui
+estoit pour chercher nouvelles d'un sien frre qui avoit<a
+name="page_297" id="page_297"></a> est M. le grand-prieur, et estoit
+rest malade Naples il y avoit plus de six ans, et que depuis il n'en
+avoit jamais sceu nouvelles, il m'en alla souvenir, et depuis m'enquis
+de ses nouvelles aux gens de madame la marquise, qui m'en contrent, et
+de sa bonne fortune: soudain je le rapportay son cadet, qui m'en
+remercia fort, et vint avec moi chez ma dite dame qui en prit encor plus
+de langue, et l'alla voir o il estoit.</p>
+
+<p>Voil une belle obligation pour une souvenance d'amiti qu'elle avoit
+encore, comme j'ay dit; car elle m'en fit encore meilleure chere, et
+m'entretint fort du bon temps pass, et de force autres choses qui
+faisoient trouver sa compagnie trs-belle et trs-aimable; car elle
+estoit de trs-beau et bon devis, et trs-bien parlante. Elle me pria
+cent fois ne prendre autre logis ny repas que le sien, mais je ne le
+voulus jamais, n'ayant est mon naturel d'estre importun ny coquin. Je
+l'allois voir tous les jours, pour sept ou huict jours que nous
+demeurasmes, et y estois trs-bien venu, et sa chambre m'estoit toujours
+ouverte sans difficult. Quand je luy dis adieu, elle me donna des
+lettres de faveur son fils M. le marquis de Pescaire, gnral pour
+lors en l'arme espagnole: outre ce, elle me fit promettre qu'au retour
+je passerois pour la revoir, et de ne prendre autre logis que le sien.
+Le malheur fut tant pour moy, que les galleres qui nous tournrent ne
+nous mirent terre qu' Terracine, d'o nous allasmes Rome, et ne pus
+tourner en arrire; et aussi que je m'en voulois aller la guerre
+d'Hongrie; mais, estans Venise, nous sceusmes la mort du grand
+Soliman. Ce fut-l o je maudis cent fois mon malheur que je ne fusse
+retourn aussi bien Naples, o j'eusse bien pass mon temps, et
+possible, par le moyen de ma dite dame la marquise, j'y eusse rencontr
+une bonne fortune, fust par mariage ou autrement; car elle me faisoit ce
+bien de m'aimer. Je croy que ma malheureuse destine ne le voulut, et me
+voulut encore ramener en France pour y estre jamais malheureux, et o
+jamais la bonne fortune ne m'a monstr bon visage, si-non par apparence
+et beau semblant; d'estre estim gallant homme de bien et d'honneur
+prou, mais des moyens et des grades point, comme aucuns de mes
+compagnons, voire d'autres plus bas, lesquels j'ay veu qu'ils se fussent
+estimez heureux que j'eusse parl eux dans une Cour, dans une chambre
+de roy ou de reyne, ou une salle, encore cost ou sur l'espaule,
+qu'aujourd'huy je les vois advancs comme potirons, et fort aggrandis,
+bien que je n'aye affaire d'eux et ne les tienne plus grands que moy,
+ny<a name="page_298" id="page_298"></a> que je leur voulusse dfrer en rien de la longueur d'un ongle. Or
+bien pour moy je peux en cela pratiquer le proverbe que nostre
+rdempteur Jsus-Christ a proffr de sa propre bouche, que <i>nul ne peut
+estre prophete en son pays</i>. Possible, si j'eusse servi des princes
+estrangers, aussi bien que les miens, et cherch l'adventure parmy eux
+comme j'ay fait parmy les nostres, je serois maintenant plus charg de
+biens et dignitez que ne suis de douleurs et d'annes. Patience: si ma
+parque m'a ainsi fil, je la maudis; s'il tient mes princes, je les
+donne tous les diables, s'ils n'y sont.</p>
+
+<p>Voil mon conte achev de cette honnorable dame. Elle est morte en une
+trs-grande rputation d'avoir est une trs-belle et honneste dame, et
+d'avoir laiss aprs elle une belle et gnreuse ligne, comme M. le
+marquis son aisn, don Juan, don Carlos, don Csare d'Avalos; que j'ay
+tous veus et desquels j'en ay parl ailleurs: les filles de mesme ont
+ensuivy les frres.</p>
+
+<p>Or, je fais fin mon principal discours.<a name="page_299" id="page_299"></a></p>
+
+<h2><a name="DISCOURS_SIXIEME" id="DISCOURS_SIXIEME"></a>DISCOURS SIXIME</h2>
+
+<p class="c">Sur ce que les belles et honnestes femmes aiment les vaillants
+hommes, et les braves hommes aiment les dames courageuses. </p>
+
+<p>Il ne fut jamais que les belles et honnestes dames n'aimassent les gens
+braves et vaillants, encore que de ieur nature elles soyent poltronnes
+et timides; mais la vaillance a telle vertu l'endroit d'elles,
+qu'elles l'aiment. Que c'est que de se faire aimer son contraire,
+malgr son naturel! Et, qu'il ne soit vray, Vnus, qui fut jadis la
+desse de beaut, de toute gentillesse et honnestet, estant mesme,
+dans les cieux et en la cour de Jupiter, pour choisir quelque amoureux
+gentil et beau, et pour faire cocu son bonhomme de mary Vulcain, n'en
+alla aucun choisir des plus mignons, des plus fringants ny des plus
+friss, de tant qu'il y en avoit, mais choisit et s'amouracha du dieu
+Mars, dieu des armes et des vaillances, encore qu'il fust tout sallaud,
+tout suant de la guerre d'o il venoit, et tout noirci de poussire et
+malpropre ce qu'il se peut, centant mieux son soldat de guerre que son
+mignon de cour; et, qui pis est encore, bien souvent, possible, tout
+sanglant, revenant des batailles, couchoit-il avec elle sans autrement
+se nettoyer et parfumer.</p>
+
+<p>&mdash;La gnreuse belle reyne Pantasile, la renomme luy ayant fait
+savoir les valeurs et vaillances du preux Hector, et ses merveilleux
+faits d'armes qu'il faisoit devant Troye sur les Grecs, au seul bruit
+s'amouracha de luy tant, que, par un dsir d'avoir d'un si vaillant
+chevalier des enfants, c'est--dire filles qui succdassent a son
+royaume, s'en alla le trouver Troye, et, le voyant, le contemplant et
+l'admirant, fit tout ce qu'elle peut pour se mettre en grce avec luy,
+non moins par les armes qu'elle faisoit, que par sa beaut, qui estoit
+trs-rare; et jamais Hector ne faisoit saillie sur ses ennemis qu'elle
+ne l'y accompagnast, et ne se meslast aussi avant que Hector l o il
+faisoit le plus chaud; si que l'on dit que plusieurs fois, faisant de si
+grandes proesses, elle en faisoit esmerveiller Hector, tellement qu'il
+s'arrestoit tout court comme<a name="page_300" id="page_300"></a> ravy souvent au milieu des combats les
+plus forts, et se mettoit un peu l'escart pour voir et contempler
+mieux son aise cette brave reyne faire de si beaux coups. De-l en
+avant il est penser au monde ce qu'ils firent de leurs amours, et
+s'ils les mirent excution: le jugement en peut estre bientost donn;
+mais tant y a que leur plaisir ne peut pas durer longuement; car elle,
+pour mieux complaire son amoureux, se prcipitoit ordinairement aux
+hasards, qu'elle fut tue la fin parmi la plus forte et plus cruelle
+mesle. Aucuns disent pourtant qu'elle ne vid pas Hector, et qu'il
+estoit mort devant qu'elle arrivast, dont arrivant et sachant la mort,
+entra en un si grand dpit et tristesse, pour avoir perdu le bien de sa
+veu qu'elle avoit tant desir et pourchass de si loingtain pays,
+qu'elle s'alla perdre volontairement dans les plus sanglantes batailles,
+et mourut, ne voulant plus vivre puisqu'elle n'avoit peu voir l'objet
+valeureux qu'elle avoit le mieux choisi et plus aim. De mesmes en fit
+Tallestride, autre reyne des Amazones, laquelle traversa un grand pays,
+et fit je ne say combien de lieus pour aller trouver Alexandre le
+Grand, luy demandant par mercy, ou la pareille, de ce bon temps que
+l'on faisoit, et le donnoit-on pour la pareille; coucha avec luy pour
+avoir de la ligne d'un si grand et gnreux sang, l'ayant ouy tant
+estimer; ce que volontiers Alexandre luy accorda; mais bien gast et
+dgoust s'il eust fait autrement, car la digne reyne estoit bien aussi
+belle que vaillante. Quinte Curce, Oroze et Justin l'asseurent, et
+qu'elle vint trouver Alexandre avec trois cents dames sa suite, tant
+bien en point et de si bonne grace, portans leurs armes, que rien plus;
+et fit ainsi la rvrence Alexandre, qui la recueillit avec un
+trs-grand honneur, et demeura l'espace de treize jours et treize nuicts
+avec luy, s'accommoda du tout ses volontez et plaisirs, luy disant
+pourtant tousjours que si elle en avoit une fille, qu'elle la garderoit
+comme un trs-prcieux trsor: si elle en avoit un fils, qu'elle luy
+envoyeroit, pour la haine extreme qu'elle portoit au sexe masculin, en
+matiere de regner, et avoir aucun commandement parmy elles, selon les
+loix introduites en leurs compagnies depuis qu'elles turent leurs
+marys. Ne faut douter l-dessus que les autres dames et sous-dames n'en
+firent de mesme et ne se firent couvrir aux autres capitaines et
+gendarmes du dit Alexandre; car, en cela, il falloit faire comme la
+dame.</p>
+
+<p>La belle vierge Camille, belle et gnreuse, et qui servoit si
+fidellement Diane, sa maistresse, parmy les forests et les bois, en<a
+name="page_301" id="page_301"></a> ses chasses, ayant senty le vent et la
+vaillance de Turnus, et qu'il avoit faire avec un vaillant homme
+aussi, qui estoit Ene, et qui luy donnoit de la peine, choisit son
+parti et le vint trouver seulement avec trois fort honnestes et belles
+dames de ses compagnes, qu'elle avoit esleu pour ses grandes amies et
+fideles confidentes, et tribades pensez, et pour friquarelle; et pour
+l'honneur en tous lieux s'en servoit, comme dit Virgile en ses
+<i>nedes</i>, et s'appeloit l'une Armie la vierge et la vaillante, et
+l'autre Iulle, et la troisiesme Tarpe, qui savoit bien bransler la
+pique et le dard, en deux faons diverses pensez, et toutes trois filles
+d'Italie. Camille donc vint ainsi avec sa belle petite bande (aussi
+dit-on petit et beau et bon) trouver Turnus, avec lequel elle fit de
+trs-belles armes, et s'advana si souvent et se mesla parmy les
+vaillants Troyens, qu'elle fut tue, avec trs-grand regret de Turnus,
+qui l'honnoroit beaucoup, tant pour sa beaut que pour son bon secours.
+Ainsi ces dames belles et courageuses alloient rechercher les braves et
+vaillants, les secourans en leurs guerres et combats. Qui mit le feu
+d'amour si ardent dans la poitrine de la pauvre Didon, si-non la
+vaillance qu'elle sentit en son Enas, si nous voulons croire Virgile?
+Car, aprs qu'elle l'eut pri de luy raconter les guerres, dsolations
+et destruction de Troye, et qu'il l'en eut content, son grand regret
+pourtant pour renouveller telles douleurs, et qu'en son discours il
+n'oublioit pas ses vaillantises, et les ayant Didon trs-bien remarques
+et considres en soy, lorsqu'elle commena dclarer sa s&oelig;ur Anne
+son amour, les plus prgnantes et principales paroles qu'elle luy dit,
+furent: H! ma s&oelig;ur, quel hoste est cettuy-cy qui est venu chez moy!
+la belle faon qu'il a, et combien se monstre-t-il en grace d'estre
+brave et vaillant, soit en armes et en courage! et croy fermement qu'il
+est extraict de quelque race des dieux; car les c&oelig;urs villains sont
+coards de nature. Telles furent ses paroles. Et croy qu'elle se mit
+l'aimer, tant aussi parce qu'elle estoit brave et gnreuse, et que son
+instinct a poussoit d'aimer son semblable, aussi pour s'en aider et
+servir en cas de ncessit. Mais le malheureux la trompa et l'abandonna
+misrablement; ce qu'il ne devoit faire cette honneste dame qui luy
+avoit donn son c&oelig;ur et son amour; luy, dis-je, qui estoit un
+estranger et un forbanny<a name="FNanchor_104_104" id="FNanchor_104_104"></a><a href="#Footnote_104_104" class="fnanchor">[104]</a>.</p>
+
+<p>&mdash;Bocace, en son livre des <i>Illustres malheureux</i>, fait un conte<a
+name="page_302" id="page_302"></a> d'une duchesse de Furly, nomme Romilde,
+laquelle, ayant perdu son mary, ses terres et son bien, que Caucan, roy
+des Avarois, luy avoit tout prit, et rduite se retirer avec ses
+enfants dans son chasteau de Furly, l o il l'assigea. Mais un jour
+qu'il s'en approchoit pour le recognoistre, Romilde, qui estoit sur le
+haut d'une tour, le vid, et se mit fort le contempler et longuement;
+et le voyant si beau, estant la fleur de son aage, mont sur un beau
+cheval, et arm d'un harnois trs-superbe, et qu'il faisoit tant de
+beaux exploict d'armes, et ne s'espargnoit non plus que le moindre
+soldat des siens, en devint incontinent passionnment amoureuse; et,
+laissant arrire le deuil de son mary et les affaires de son chasteau et
+de son sige, luy manda par un messager que, s'il la vouloit prendre en
+mariage, qu'elle luy rendroit la place ds le jour que les nopces
+seroient clbres. Le roy Cauean la prit au mot. Le jour donc compromis
+venu, elle s'habille pompeusement de ses plus beaux et superbes habits
+de duchesse, qui la rendirent d'autant plus belle, car elle l'estoit
+trs-fort; et estant venue au camp du Roy pour consommer le mariage,
+afin qu'on ne le pust blasmer qu'il n'eust tenu sa foy, se mit toute la
+nuict contenter la duchesse eschauffe. Puis lendemain au matin,
+estant lev, fit appeler douze soldats avarois des siens, qu'il estimoit
+les plus forts et roides compagnons, et mit Romilde entre leurs mains
+pour en faire leur plaisir l'un aprs l'autre; laquelle repassrent tout
+une nuict tant qu'ils purent: et le jour venu, Caucan, l'ayant fait
+appeller, luy ayant fait forces reproches de sa lubricit et dit force
+injures, la fit empaler par sa nature, dont elle en mourut. Acte cruel
+et barbare certes, de traitter ainsi une si belle et honneste dame, au
+lieu de la reconnoistre, la rcompenser et traitter en toute sorte de
+courtoisie, pour la bonne opinion qu'elle avoit eue de sa gnrosit, de
+sa valeur et de son noble courage, et l'avoir pour cela aim! A quoy
+quelquefois les dames doivent bien regarder, car il y a de ces vaillants
+qui ont tant accoustum tuer, manier et battre le fer si rudement,
+que quelquefois il leur prend des humeurs d'en faire de mesme sur les
+dames. Mais tous ne sont pas de ces complexions; car, quand quelques
+honnestes dames leur font cet honneur de les aimer et avoir bonne
+opinion de leur valeur, laissent dans le camp leurs furies et leurs
+rages, et dans des cours et dans des chambres s'accommodent aux douceurs
+et toutes les bonnestetez et courtoisies. Bandel, dans ses <i>Histoires
+tragiques</i>, en raconte une, qui est la plus belle que j'aye jamais
+leu,<a name="page_303" id="page_303"></a> d'une duchesse de Savoye, laquelle un jour en sortant de sa ville
+de Thurin, et ayant ouy une pellerine espagnole, qui alloit Lorette
+pour certain veu, s'escrier et admirer sa beaut, et dire tout haut que
+si une belle et parfaite dame estoit marie avec son frere le seigneur
+de Mendozze, qui estoit si beau, si brave et si vaillant, qu'il se
+pourroit bien dire partout que les deux plus beaux pairs du monde
+estoient couplez ensemble. La duchesse, qui entendoit trs-bien la
+langue espagnole, ayant en soy trs-bien engravs et remarqus ces mots,
+et dans son ame s'y mit aussi en graver l'amour, si bien que par un
+tel bruit elle devint tant passionne du seigneur de Mendozze, qu'elle
+ne cessa jamais jusques ce qu'elle eust projet un feint pellerinage
+Saint Jacques, pour voir son amoureux si-tost conceu; et, s'estant
+achemine en Espagne, et pris le chemin par la maison du seigneur de
+Mendozze, eut temps et loisir de contenter et rassasier sa veu de
+l'objet beau qu'elle avoit esleu; car la s&oelig;ur du seigneur de
+Mendozze, qui accompagnoit la duchesse, avoit adverty son frre d'une
+telle et si noble et belle venue: quoy il ne faillit d'aller au devant
+d'elle bien en point, mont sur un beau cheval d'Espagne, avec une si
+belle grace que la duchesse eut occasion de se contenter de la renomme
+qui luy avoit est rapporte, et l'admira fort, tant pour sa beaut que
+pour sa belle faon, qui monstroit plein la vaillance qui estoit en
+luy, qu'elle estimoit bien autant que les autres vertus et
+accomplissements et perfections; prsageant ds lors qu'un jour elle en
+auroit bien affaire, ainsi que par aprs il luy servit grandement en
+l'accusation fausse que le comte Pancalier fit contre sa chastet.
+Toutes fois, encore qu'elle le tint brave et courageux pour les armes,
+si fut-il pour ce coup coard en amours; car il se monstra si froid et
+respectueux envers elle, qu'il ne luy fit nul assaut de paroles
+amoureuses; ce qu'elle aimoit le plus, et pourquoy elle avoit entrepris
+son voyage; et, pour ce, dpite d'un tel froid respect ou plustost de
+telles coardises d'amours, s'en partit le lendemain d'avec luy, non si
+contente qu'elle eust voulu. Voil comment les dames quelquefois aiment
+bien autant les hommes hardis pour l'amour comme pour les armes, non
+qu'elles veuillent qu'ils soient effrontez et hardis, impudents et sots,
+comme j'en ay cogneu; mais il faut en cela qu'ils tiennent le <i>medium</i>.
+J'ay cogneu plusieurs qui ont perdu beaucoup de bonnes fortunes pour
+tels respects, dont j'en ferois de bons contes si je ne craignois
+m'esgarer trop de mon discours; mais j'espre les faire part: si<a
+name="page_304" id="page_304"></a> diray-je cettuy-cy. J'ay ouy conter
+d'autres fois d'une dame, et des trs-belles du monde, laquelle, ayant
+de mesme ouy renommer un pour brave et vaillant, et qu'il avoit desj en
+son aage fait et parfait de grands exploicts d'armes, et surtout
+gaignes deux grandes et signales batailles contre ses ennemis<a name="FNanchor_105_105" id="FNanchor_105_105"></a><a href="#Footnote_105_105" class="fnanchor">[105]</a>,
+eut grand dsir de le voir, et pour ce fit un voyage dans la province o
+pour lors il y faisoit sjour, sous quelque autre prtexte que je ne
+diray point. Enfin elle s'achemina; mais et qu'est-il impossible un
+brave c&oelig;ur amoureux? Elle le void et contemple son aise, car il
+vint fort loing au-devant d'elle, et la reoit avec tous les honneurs et
+respects du monde, ainsi qu'il devoit une si grande, belle et
+magnanime princesse, et trop, comme dit l'autre, car il luy arriva de
+mesme comme au seigneur de Mendozze et la duchesse de Savoye; et tels
+respects engendrerent pareils mescontentements et dpits, si bien
+qu'elle partit d'avec luy non si bien satisfaite comme elle y estoit
+venu. Possible qu'il y eust perdu son temps et qu'elle n'eust oby
+ses volontez; mais pourtant l'essay n'en fust est mauvais, ains fort
+honorable, et l'en eust-on estim davantage. De quoy sert donc un
+courage hardy et gnreux, s'il ne se monstre en toutes choses, et
+mesmes en amours comme aux armes, puisque armes et amours sont
+compagnes, marchent ensemble et ont une mesme sympathie: ainsi que dit
+le pote, tout amant est gendarme, et Cupidon a son camp et ses armes
+aussi-bien que Mars. M. de Ronsard en a fait un beau sonnet dans ses
+premieres amours.</p>
+
+<p>Or, pour tourner encore aux curiositez qu'ont les dames de voir et aimer
+les gens gnreux et vaillants, j'ay ouy raconter la Reyne
+d'Angleterre lisabeth, qui regne aujourd'huy, un jour, elle estant
+table, faisant souper avec elle M. le grand-prieur de France, de la
+maison de Lorraine, et M. d'Anville, aujourd'huy M. de Montmorency et
+connestable, parmy ce devis de table et s'estant mis sur les loanges du
+feu roy Henry deuxiesme le loua fort de ce qu'il estoit brave, vaillant
+et gnreux, et, en usant de ce mot, fort martial, et qu'il l'avoit bien
+monstr en toutes ses actions; et que pour ce, s'il ne fust mort si
+tost, elle avoit rsolu de l'aller voir en son royaume, et avoit fait
+accommoder et apprester ses galeres pour passer en France et toucher
+entre leurs deux mains la foi et leur paix. Enfin c'estoit une de<a
+name="page_305" id="page_305"></a> mes envies de le voir; je crois qu'il ne
+m'en eust refuse, car, disoit-elle, mon humeur est d'aymer les gens
+vaillants, et veux mal la mort d'avoir ravy un si brave roy, au moins
+avant que je ne l'aye veu. Cette mesme reyne, quelque temps aprs,
+ayant ouy tant renommer M. de Nemours des perfections et valleurs qui
+estoient en luy, fut curieuse d'en demander des nouvelles feu M. de
+Rendan, lorsque le roy Franois second l'envoya en Escosse faire la paix
+devant le petit lict qui estoit assig; et ainsi qu'il luy en eust
+cont bien au long, et toutes les especes de ses grandes et belles
+vertus et vaillances, M. de Rendan, qui s'entendoit en amours aussi bien
+qu'en armes, cogneut en elle et son visage quelque estincelle d'amour ou
+d'affection, et puis en ses paroles une grande envie de le voir. Par
+quoy ne se voulant arrester en si beau chemin, fit tant envers elle de
+savoir, s'il la venoit voir, s'il seroit le bien venu et receu; ce
+qu'elle l'en asseura, et par l prsuma qu'ils pourroient venir en
+mariage. Estant donc de retour de son ambassade la Cour, en fit au Roy
+et M. de Nemours tout le discours; quoy le roy recommanda et
+persuada M. de Nemours d'y entendre: ce qu'il fit avec une trs-grande
+joye, s'il pouvoit parvenir un si beau royaume par le moyen d'une si
+belle, si vertueuse et honneste Reyne. Pour fin, les fers se mirent au
+feu; par les beaux moyens que le roy lui donna, il fit de fort grands
+prparatifs, et trs-superbes et beaux appareils, tant d'habillement,
+chevaux, armes, bref, de toutes choses exquises, sans y rien obmettre
+(car je vis tout cela), pour aller parestre devant cette belle
+princesse; n'oubliant surtout d'y mener toute la fleur de la jeunesse de
+la Cour; si bien que le fol Greffier, rencontrant l-dessus, disoit que
+c'estoit la fleur des febves, par-l brocardant la follastre jeunesse de
+la Cour. Cependant M. de Lignerolles, trs-habile et accort gentilhomme,
+et lors fort favory de M. de Nemours son maistre, fut depesch vers la
+dite Reyne, qui s'en retourna avec une response belle et trs-digne de
+s'en contenter et de presser et avancer son voyage; et me souvient que
+la Cour en tenoit le mariage pour quasi fait: mais nous nous donnasmes
+la garde que, tout coup, ledit voyage se rompit et demeura court, et
+avec une trs-grande despense, trs-vaine et inutile pourtant. Je
+dirois, aussi bien qu'homme de France, quoy il tint que cette rupture
+se fit si-non qu'en passant ce seul mot, que d'autres amours, possible,
+luy serroyent plus le c&oelig;ur et le tenoient plus captif et arrest; car
+il estoit si accomply en toutes choses et si adroit aux armes et
+autres<a name="page_306" id="page_306"></a> vertus, que les dames l'envy volontiers l'eussent couru
+force, ainsi que j'en ai vu de plus fringantes et plus chastes, qui
+rompoient bien leur jeusne de chastet pour luy.</p>
+
+<p>&mdash;Nous avons, dans les <i>Cents Nouvelles de la reyne de Navarre
+Marguerite</i>, une trs-belle histoire de cette dame de Milan, qui, ayant
+donn assignation feu M. de Bonnivet, depuis amiral de France, une
+nuict attira ses femmes de chambre avec des espes nues pour faire bruit
+sur le degr ainsi qu'il seroit prest se coucher: ce qu'elles firent
+trs-bien, suivant en cela le commandement de leur maistresse, qui de
+son ct, fit de l'effraye et craintive, disant que c'estoient ses
+beaux-frres qui s'estoient aperceus de quelque chose, et qu'elle estoit
+perdue, et qu'il se cachast sous le lict ou derrire la tapisserie. Mais
+M. de Bonnivet, sans s'effrayer, prenant sa cape l'entour du bras et
+son espe de l'autre, il dit: Et o sont-ils ces braves frres qui me
+voudroient faire peur ou mal? Quand ils me verront, ils n'oseront
+regarder seulement la pointe de mon espe. Et, ouvrant la porte et
+sortant, ainsi qu'il vouloit commencer charger sur ce degr, il trouva
+ces femmes avec leur tintamarre, qui eurent peur et se mirent crier et
+confesser le tout. M. de Bonnivet, voyant que ce n'estoit que cela, les
+laissa et les recommanda au diable; et se rentra en la chambre, et ferma
+la porte sur lui, et vint trouver sa dame, qui se mit rire et
+l'embrasser, et luy confesser que c'estoit un jeu apost par elle, et
+l'asseurer que, s'il eust fait du poltron et n'eust monstr en cela sa
+vaillance, de laquelle il avoit le bruit, que jamais il n'eust couch
+avec elle; et pour s'estre monstr ainsi gnreux et asseur, elle
+l'embrassa et le coucha auprs d'elle; et toute la nuict ne faut point
+demander ce qu'ils firent; car c'estoit l'une des belles femmes de
+Milan, et aprs laquelle il avoit eu beaucoup de peine la gaigner.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay cogneu un brave gentilhomme, qui un jour estant Rome couch
+avec une gentille dame romaine, son mary absent, luy donna une pareille
+allarme, et fit venir une de ses femmes en sursaut l'advertir que le
+mary tournoit des champs. La femme, faisant de l'estonne, pria le
+gentilhomme de se cacher dans un cabinet, autrement elle estoit perdue.
+Non, non, dit le gentilhomme, pour tout le bien du monde je ne ferois
+pas cela; mais s'il vient, je le tueray. Ainsi qu'il avoit saut son
+espe, la dame se mit rire et confesser avoir fait cela poste<a
+name="page_307" id="page_307"></a> pour l'esprouver, si son mary luy vouloit
+faire mal, ce qu'il feroit et la dfendroit bien.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay cogneu une trs-belle dame qui quitta tout trac un serviteur
+qu'elle avoit, pour ne le tenir vaillant, et le changea en un autre qui
+ne le ressembloit, mais estoit craint et redout extresmement de son
+espe, qui estoit des meilleures qui se trouvassent pour lors.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy faire un conte la Cour aux anciens, d'une dame qui estoit
+la Cour, maistresse de feu M. de Lorge, le bonhomme, en ses jeunes ans
+l'un des vaillants et renommez capitaines des gens de pied de son temps.
+Elle, en ayant ouy dire tant de bien de sa vaillance, un jour que le roy
+Franois premier faisoit combattre des lions en sa Cour, voulut faire
+preuve s'il estoit tel qu'on luy avoit fait entendre, et pour ce laissa
+tomber un de ses gands dans le parc des lyons, estants en leur plus
+grande furie, et l-dessus pria M. de Lorge de l'aller qurir s'il
+l'aimoit tant comme il le disoit. Luy, sans s'estonner, met sa cape au
+poing et l'espe l'autre main, et s'en va asseurment parmy ces lyons
+recouvrer le gand. En quoy la fortune luy fut si favorable, que, faisant
+toujours bonne mine, et monstrant d'une belle asseurance la pointe de
+son espe aux lyons, ils ne l'osrent attaquer; et ayant recouru le
+gand, il s'en retourna devers sa maistresse et luy rendit; en quoy elle
+et tous les assistants l'en estimrent bien fort. Mais on dit que, de
+beau dpit, M. de Lorge la quitta pour avoir voulu tirer son passe-temps
+de luy et de sa valeur de cette faon. Encores dit-on qu'il luy jeta par
+beau dpit le gand au nez; car il eust mieux voulu qu'elle luy eust
+command cent fois d'aller enfoncer un bataillon de gens de pied, o il
+s'estoit bien appris d'y aller, que non de combattre des bestes, dont le
+combat n'en est gures glorieux. Certes tels essais ne sont ny beaux, ny
+honnestes, et les personnes qui s'en aident sont fort reprouver.
+J'aimerois autant un tour que fit une dame son serviteur, lequel,
+ainsi qu'il luy prsentoit son service, et l'asseuroit qu'il n'y auroit
+chose, tant hazardeuse fust-elle, qu'il ne la fist, elle, le voulant
+prendre au mot, luy dit: Si vous m'aimez tant, et que vous soyez si
+courageux que vous le dites, donnez-vous de vostre dague dans le bras
+pour l'amour de moy. L'autre, qui mouroit pour l'amour d'elle, la tira
+soudain, s'en voulant donner: je luy tins le bras et luy ostay la dague,
+luy remonstrant que ce seroit un grand fol d'aller faire ainsi et de
+telle faon preuve de son amour et de sa<a name="page_308" id="page_308"></a> valeur. Je ne nommeray point
+la dame, mais le gentilhomme estoit feu M. de Clermont-Tallard l'aisn,
+qui mourut la bataille de Moncontour, un des braves et vaillants
+gentilshommes de France, ainsi qu'il le monstra sa mort, commandant
+une compagnie de gens-d'armes, que j'aimois et honorois fort. J'ay ouy
+dire qu'il en arriva tout de mesme feu de Genlis, qui mourut en
+Allemagne, menant les troupes huguenottes aux troisiesmes troubles: car,
+passant un jour la rivire devant le Louvre avec sa maistresse, elle
+laissa tomber son mouchoir dans l'eau, qui estoit beau et riche, exprs,
+et luy dit qu'il se jetast dedans pour luy recourre. Luy, qui ne savoit
+nager que comme une pierre, se voulut excuser; mais elle, luy reprochant
+que c'estoit un coard amy, et nullement hardy, sans dire gare se jeta
+corps perdu dedans, et, pensant avoir le mouchoir, se fust noy s'il
+n'eust est aussitost secouru d'un autre batteau. Je crois que telles
+femmes se veulent dfaire par tels essays ainsi gentiment de leurs
+serviteurs, qui possible les ennuyent. Il vaudroit mieux qu'elles leur
+donnassent de belles faveurs, et les prier, pour l'amour d'elles, les
+porter aux lieux honorables de la guerre, et faire preuve de leur
+valeur, ou les y pousser davantage, que non pas faire de ces sottises
+que je viens de dire, et que j'en dirois une infinit.</p>
+
+<p>&mdash;Il me souvient que, lors que nous allasmes assiger Roen aux premiers
+troubles, mademoiselle de Piennes, l'une des honnestes filles de la
+Cour, estant en doute que feu M. de Gergeay ne fust est assez vaillant
+pour avoir tu lui seul, et d'homme homme, le feu baron d'Ingrande,
+qui estoit un des vaillants gentilshommes de la Cour, pour esprouver sa
+valeur, luy donna une faveur d'une escharpe qu'il mit son habillement
+de teste: et, ainsi qu'on vint pour reconnoistre le fort de
+Sainte-Catherine, il donna si courageusement et vaillamment dans une
+troupe de chevaux qui estoient sortis hors de la ville, qu'en bien
+combattant il eut un coup de pistollet dans la teste, dont il mourut
+roide mort sur la place: en quoy ladite demoiselle fut satisfaite de sa
+valeur; et s'il ne fust mort ce coup, ayant si bien fait, elle l'eust
+espous; mais, doutant un peu de son courage, et qu'il avoit mal tu
+ledit baron, ce luy sembloit, elle voulut voir cette exprience, ce
+disoit-elle. Et certes, encor qu'il y ait beaucoup d'hommes vaillants de
+leur nature, les dames les y poussent encore davantage; et, s'ils sont
+las et froids, elles les esmeuvent et eschauffent. Nous en avons un
+trs-bel exemple de la belle Agns, laquelle, voyant le roy Charles
+VII<a name="page_309" id="page_309"></a> enamourach d'elle et ne se soucier que de luy faire l'amour, et,
+mol et lasche, ne tenir compte de son royaume, luy dit un jour que,
+lorsqu'elle estoit encores jeune fille, un astrologue lui avoit prdit
+qu'elle seroit aime et servie de l'un des plus vaillants et courageux
+roys de la chrestient; que, quand le Roy lui fit cet honneur de
+l'aimer, elle pensoit que ce fust ce roy valleureux qui luy avoit est
+prdit; mais le voyant si mol, avec si peu de soin de ses affaires, elle
+voyoit bien qu'elle estoit trompe, et que ce roy si courageux n'estoit
+pas luy, mais le roy d'Angleterre, qui faisoit de si belles armes, et
+luy prenoit tant de belles villes sa barbe; dont, dit-elle au Roy, je
+m'en vais le trouver, car c'est celuy duquel entendoit l'astrologue.
+Ces paroles piqurent si fort le c&oelig;ur du Roy, qu'il se mit plorer;
+et de-l en avant, prenant courage, et quittant sa chasse et ses
+jardins, prit le frein aux dents; si bien que par son bonheur et
+vaillance, chassa les Anglois de son royaume.</p>
+
+<p>&mdash;Bertrand du Guesclin, ayant espous sa femme, madame Thiphanie, se mit
+du tout la contenter et laisser le train de la guerre, luy qui l'avoit
+tant pratique auparavant, et qui avoit acquis tant de gloire et de
+loange, mais elle luy en fit une rprimende et remonstrance, qu'avant
+leur mariage on ne parloit que de luy et de ses beaux faits, et que
+dsormais on luy pourroit reprocher elle-mesme une telle
+discontinuation de son mary; qui portoit un trs-grand prjudice elle
+et son mary, d'estre devenu un si grand casannier, dont elle ne cessa
+jamais jusques ce qu'elle lui eust remis son premier courage, et
+renvoy la guerre, o il fit encore mieux que devant. Voil comment
+cette honneste dame n'aima point tant son plaisir de nuict comme elle
+faisoit l'honneur de son mary: et certes, nos femmes mesmes, encor
+qu'elles nous trouvent prs de leurs costez, si nous ne sommes braves et
+vaillants, ne nous sauroient aymer ny nous tenir auprs d'elles de bon
+c&oelig;ur; mais, quand nous retournons des armes, et que nous avons fait
+quelque chose de bien et de beau, c'est alors qu'elles nous ayment et
+nous embrassent de bon c&oelig;ur, et qu'elles le trouvent meilleur.</p>
+
+<p>&mdash;La quatriesme fille du comte de Provence, beau-pere de saint Louis, et
+femme Charles, comte d'Anjou, frre dudit roy, magnanime et ambitieuse
+qu'elle estoit, se faschant de n'estre que simple comtesse de Provence
+et d'Anjou, et qu'elle seule de ses trois s&oelig;urs, dont les deux
+estoient reyne et l'autre impratrice,<a name="page_310" id="page_310"></a> ne portoit autre titre que de
+dame et comtesse, ne cessa jamais, jusques ce qu'elle eust pri,
+press et importun son mary d'avoir et de conquester quelque royaume;
+et firent si bien qu'ils furent eslus par le pape Urbain roy et reyne
+des Deux-Siciles; et allrent tous deux Rome avec trente galleres se
+faire couronner par sa Saintet, en grande magnificence, roy et reyne de
+Jrusalem et de Naples, qu'il conquesta aprs tant par ses armes
+valeureuses que par les moyens que sa femme luy donna, vendant toutes
+ses bagues et joyaux pour fournir aux frais de la guerre: et puis aprs
+rgnrent assez paisiblement et longuement en leurs beaux royaumes
+conquis. Longtemps aprs, une de leurs petites-filles, descendues d'eux
+et des leurs, Isabeau de Lorraine, fit, sans son mary Ren, semblable
+trait; car luy estant prisonnier entre les mains de Charles, duc de
+Bourgogne, elle estant princesse, sage et de grand magnanimit et
+courage, de Sicile et de Naples le royaume leur estant escheu par
+succession, assembla une arme de trente mille hommes, et elle-mesme la
+mena et conquesta le royaume, et se saisit de Naples. Je nommerois une
+infinit de dames qui ont servi de telles faons beaucoup leurs marys,
+et qu'elles, estant hautes de c&oelig;ur et d'ambition, ont pouss et
+encourag leurs marys se faire grands, acquerir des biens et des
+grandeurs et richesses: aussi est-ce le plus beau et le plus honorable
+que d'en avoir par la pointe de l'espe. J'en ay cogneu beaucoup en
+nostre France et en nos Cours, qui, plus poussez de leurs femmes, quasi
+que de leurs volonts, ont entrepris et parfait de belles choses. Force
+femme ay-je cogneu aussi, qui ne songeans qu' leurs bons plaisirs, les
+ont empeschez et tenus tousjours auprs d'elles; les empeschant de faire
+de beaux faits, ne voulant qu'ils s'amusassent si-non les contenter du
+jeu de Vnus, tant elles y estoient aspres. J'en ferois force contes,
+mais je m'extravaguerois trop de mon sujet, qui est plus beau certes,
+car il touche la vertu, que l'autre qui touche le vice, et contente plus
+d'ouyr parler de ces dames qui ont pouss les hommes de beaux actes.
+Je ne parle pas seulement des femmes maries, mais de plusieurs autres,
+qui, pour une seule petite faveur, ont fait faire leurs serviteurs
+beaucoup de choses qu'ils n'eussent pas fait; car quel contentement leur
+est-ce, quelle ambition et eschauffement de c&oelig;ur? Est-il plus grande
+que, quand on est en guerre, que l'on songe que l'on est bien aym de sa
+maistresse, et que si l'on fait quelque belle chose pour l'amour<a
+name="page_311" id="page_311"></a> d'elle, combien de bons visages, de beaux
+attrait, de belles &oelig;illades, d'embrassades, de plaisirs, de faveurs,
+qu'on espre aprs de recevoir d'elles.</p>
+
+<p>&mdash;Scipion, entre autres reprimendes qu'il fit Massinissa lorsque,
+quasi tout sanglant, il espousa Sophonisba, luy dit qu'il n'estoit bien
+sant de songer aux dames et l'amour lorsqu'on est la guerre. Il me
+pardonnera s'il lui plaist; mais, quant moy, je pense qu'il n'y a
+point si grand contentement, ny qui donne plus de courage ny d'ambition
+pour bien faire, qu'elles. J'en ay est log-l d'autresfois. Quant
+pour moy, je croy que tous ceux qui se trouvent aux combats en sont de
+mesmes: je m'en rapporte eux. Je crois qu'ils sont de mon opinion,
+tant qu'ils sont, et que, lorsqu'ils sont en quelque beau voyage de
+guerre et qu'ils sont parmy les plus chaudes presses de l'ennemy, le
+c&oelig;ur leur double et accroist quand ils songent leurs dames, leurs
+faveurs qu'ils portent sur eux, et aux caresses et beaux recueils qu'ils
+recevront d'elles au partir de-l s'ils en eschapent, et, s'ils viennent
+ mourir, quels regrets elles feront pour l'amour de leurs trespas.
+Enfin, pour l'amour de leurs dames et pour songer en elles, toutes
+entreprises sont faciles et aises, tous combats leur sont des tournois,
+et toute mort leur est un triomphe.</p>
+
+<p>&mdash;Je me souviens qu' la bataille de Dreux feu M. des Bordes, brave et
+gentil cavalier s'il en fut de son temps, estant lieutenant de M. de
+Nevers, dit avant comte d'Eu, prince aussi trs-accomply, ainsi qu'il
+fallut aller la charge pour enfoncer un bataillon de gens de pied qui
+marchoit droit l'avant-garde, o commandoit feu M. de Guise le Grand,
+et que le signal de la charge fut donn, ledict des Bordes, mont sur un
+turc gris, part tout aussi-tost, enrichy et garny d'une fort belle
+faveur que sa maistresse luy avoit donne (je ne la nommeray point, mais
+c'estoit l'une des belles et honnestes filles, et des grandes de la
+Cour); et en partant, il dit: H! je m'en vais combattre vaillamment
+pour l'amour de ma maistresse, ou mourir glorieusement. A ce il ne
+faillit, car, ayant perc les six premiers rangs, mourut au septiesme,
+port par terre. A vostre advis, si cette dame n'avoit pas bien employ
+sa belle faveur, et si elle s'en devoit desdire pour luy avoir donne?</p>
+
+<p>&mdash;M. de Bussy a est le jeune homme qui a aussi bien fait valoir les
+faveurs de ses maistresses que jeune homme de son temps, et mesmes de
+quelques-unes que je say, qui mritoient plus de<a name="page_312" id="page_312"></a> combats, d'exploits
+de guerre, de coups d'espe, que ne fit jamais la belle Anglique des
+paladins et chevalliers de jadis, tant chrestiens que sarrazins; mais je
+luy ouy dire souvent qu'en tant de combats singuliers et guerres et
+rencontres gnrales (car il en a fait prou) o il s'est jamais trouv,
+et qu'il a jamais entrepris, ce n'estoit point tant pour le service de
+son prince ny pour ambition, que pour la seule gloire de complaire sa
+dame. Il avoit certes raison, car toutes les ambitions du monde ne
+vallent pas tant que l'amour et la bienveillance d'une belle et honneste
+dame et maistresse. Et pourquoy tant de braves chevalliers errants de la
+Table-Ronde, et de tant de valleureux paladins de France du temps pass,
+ont entrepris tant de guerres, tant de voyages lointains, tant fait de
+belles expditions, si-non pour l'amour des belles dames qu'ils
+servoient ou vouloient servir? Je m'en rapporte nos palladins de
+France, nos Rollands, nos Renauds, nos Ogiers, nos Olliviers, nos Yvons,
+nos Richards, et une infinit d'autres. Aussi c'estoit un bon temps et
+bien fortun; car, s'ils faisoient quelque chose de beau pour l'amour de
+leurs dames, leurs dames, nullement ingrattes, les en savoient bien
+rcompenser quand ils se venoient rencontrer, ou donner des rendez-vous
+dans des forests, dans les bois, auprs des fontaines ou en quelques
+belles prairies. Et voil le guerdon des vaillantises que l'on desire
+des dames. Or il y a une demande: pour-quoi les femmes aiment tant ces
+vaillants hommes, et, comme j'ay dit au commencement, la vaillance a
+cette vertu et force de se faire aimer son contraire? Davantage, c'est
+une certaine inclination naturelle qui pousse les dames pour aimer la
+gnrosit, qui est certainement cent fois plus aimable que la
+coardise: aussi toute vertu se fait plus aimer que le vice. Il y a
+aucunes dames qui aiment ces gens ainsi pourvus de valeur, d'autant
+qu'il leur semble que, tout ainsi qu'ils sont braves et adroits aux
+armes et au mestier de Mars, qu'ils le sont de mesmes celuy de Vnus.
+Cette regle ne faut en aucuns, et de fait ils le sont, comme fut jadis
+Csar, le vaillant du monde, et force autres braves que j'ay cogneus que
+je tais, et tels y ont bien toute autre force et grace que des ruraux et
+autres gens d'autre profession; si-bien qu'un coup de ces gens-l en
+vaut quatre des autres, je dis envers les dames qui sont modestement
+lubriques, mais non pas envers celles qui le sont sans mesure, car le
+nombre leur plaist. Et si cette regle est bonne quelques fois en aucuns
+de ses gens, et selon l'humeur d'aucunes femmes, elle faut en d'autres;
+car il se trouve de ces vaillants<a name="page_313" id="page_313"></a> qui sont tant rompus de l'harnois et
+des grandes corvees de guerre, qu'ils n'en peuvent plus quand il faut
+venir ce doux jeu, de sorte qu'ils ne peuvent contenter leurs dames;
+dont aucunes, et plusieurs y en a, qui aimeroient mieux un bon artisan
+de Vnus, frais et bien moulu, que quatre de ceux de Mars, ainsi
+allebrenez. J'en ay cogneu force de ce sexe fminin et de cette humeur;
+car enfin, disent-elles, il n'y a que de bien passer son temps et en
+tirer la quintessence, sans avoir acception de personnes. Un bon homme
+de guerre est bon, et le fait beau voir la guerre; mais s'il ne sait
+rien faire au lict (disent-elles), un bon gros vallet bien sjour vaut
+bien autant qu'un beau et vaillant gentilhomme lass. Je m'en rapporte
+celles qui en ont fait l'essay et le font tous les jours; car les reins
+du gentilhomme, tout gallant et brave soit-il, estans rompus et froisss
+de l'harnois qu'ils ont tant port sur eux, ne peuvent fournir
+l'appointement comme les autres qui n'ont jamais port peine ni fatigue.
+D'autres dames y en a-t-il qui aiment les vaillants, soient pour marys,
+soient pour serviteurs, afin qu'il dbattent et soustiennent mieux leurs
+honneurs et leurs chastetez, si aucuns mdisants il y en a qui les
+veulent souiller de paroles; ainsi que j'en ay veu plusieurs la Cour,
+o j'y ay cogneu d'autresfois une fort belle et grande dame, que je ne
+nommeray point, estant fort sujette aux mdisances, quitta un serviteur
+fort favory qu'elle avoit, le voyant mol dpartir de la main et ne
+braver et ne quereller, pour en prendre un autre qui estoit un
+escalabreux, brave et vaillant, qui portoit sur la pointe de son espe
+l'honneur de sa dame, sans qu'on y osast aucunement toucher. Force dames
+ay-je cogneu de cette humeur, qui ont voulu tousjours avoir un vaillant
+pour leur escorte et deffense; ce qui leur est trs-bon et trs-utile
+bien souvent: mais il faut bien qu'elles se donnent garde de broncher et
+varier devant eux si elles se sont une fois soumises sous leur
+domination; car, s'ils s'apperoivent le moins du monde de leurs
+fredaines et mutations, il les mainent beau et les gourmandent
+terriblement, et elles et leurs gallants, si elles changent; ainsi que
+j'en ay veu plusieurs exemples en ma vie. Voil donc, telles femmes qui
+se voudront mettre en possession de tels braves et scalabreux, faut
+qu'elles soient braves et trs-constantes envers eux, ou bien qu'elles
+soient si fort secretes en leurs affaires, qu'elles ne se puissent
+vanter: si ce n'est qu'elles voulussent faire en composant, comme les
+courtisannes d'Italie et de Rome, qui veulent avoir un brave (ainsi le
+nomment-elles)<a name="page_314" id="page_314"></a> pour les dfendre et maintenir; mais elles mettent
+tousjours par le march qu'elles auront d'autres concurrences, et que le
+brave n'en sonnera mot. Cela est fort bon pour les courtisannes de Rome
+et pour leurs braves, non pour les gallants gentilshommes de nostre
+France ou d'ailleurs. Biais si une honneste dame se veut maintenir en sa
+fermet et constance, il faut que son serviteur n'espargne nullement sa
+vie pour la maintenir et dfendre si elle court la moindre fortune du
+monde, soit, ou de sa vie, ou de son honneur, ou de quelque meschante
+parole; ainsi que j'en ay veu en nostre Cour plusieurs qui ont fait
+taire les mdisants tout court, quand ils sont venus dtracter de
+leurs maistresses et dames; auxquelles, par devoir de chevallerie et par
+les lois, nous sommes tenus de servir de champions en leurs afflictions;
+ainsi que fit ce brave Renaud de la belle Genevre en Escosse, le
+seigneur de Mendozze cette belle duchesse que j'ay dit, et le seigneur
+de Carouge sa propre femme du temps du roy Charles sixiesme, comme
+nous lisons dans nos Croniques. J'en allguerois une infinits d'autres,
+et du vieux et du nouveau temps, ainsi que j'ay veu en nostre Cour; mais
+je n'aurois jamais fait. D'autres dames ay-je cogneues qui ont quitt
+des hommes pusilanimes, encores qu'ils fussent bien riches, pour aimer
+et espouser des gentilshommes qui n'avoient que l'espe et la cappe,
+pour manire de dire; mais ils estoient valeureux et gnreux, et
+avoient esprance, par leurs valeurs et gnrositez, de parvenir aux
+grandeurs et aux estats, encore certes que ne ne soient pas les plus
+vaillants qui le plus souvent y parviennent, en quoy on leur fait tort
+pourtant; et bien souvent voit-on les coards et pusilanismes y
+parvenir; mais, quoy qu'il soit, telle marchandise ne paroist point sur
+eux comme quand elle est sur les vaillants. Or je n'aurois jamais fait
+si je voulois raconter les diverses causes et raisons pourquoy les dames
+aiment ainsi les hommes remplis de gnrosit. Je say bien que si je
+voulois amplifier ce discours d'une infinit de raisons et d'exemples,
+j'en pourrois faire un livre entier; mais ne me voulant amuser sur un
+seul sujet, ains en varier de plusieurs et divers, je me contenteray
+d'en avoir dit ce que j'ay dit, encore que plusieurs me pourront
+reprendre que cettuy-cy estoit bien assez digne pour estre enrichy de
+plusieurs exemples et prolixes raisons, qu'eux-mesmes pourront bien: Il
+a oubli cettuy-cy, il a oubli cettuy-l. Je le say bien, et en say
+possible plus qu'ils ne pourront allguer, et des<a name="page_315" id="page_315"></a> plus sublins et
+secrets; mais je veux les tous publier et nommer. Voil pourquoy je me
+tais. Toutefois, avant que faire pose, je dirai ce mot en passant, que,
+tout ainsi que les dames aiment les hommes vaillants et hardis aux
+armes, elles aiment aussi ceux qui le sont en amours; et jamais homme
+coard et par trop respectueux en icelles n'aura bonne fortune; non
+qu'elles les veuillent si outrecuidez, hardis et prsomptueux, que de
+haute lutte les vinssent porter par terre; mais elles desirent en eux
+une certaine modestie hardie, ou hardiesse modeste; car d'elles-mesmes,
+si ce ne sont des louves, ne vont pas requerir ni se laisser aller, mais
+elles en savent si bien donner les appetits, les envies, et attirent si
+gentiment l'escarmouche, que qui ne prend le temps point et ne vient
+aux prises, sans aucun respect de majest et de grandeur, ou de
+scrupule, ou de conscience, ou de crainte, ou de quelque autre sujet,
+celuy vrayement est un sot et sans c&oelig;ur, et qui mrite jamais estre
+abandonn de la bonne fortune.</p>
+
+<p>&mdash;Je say deux honnestes gentilshommes compagnons, pour lesquels deux
+fort honnestes dames, et non certes de petite qualit, ayant fait pour
+eux une partie un jour Paris, et s'aller pourmener en un jardin,
+chacune, y estant, se separa l'escart l'une de l'autre, avec un chacun
+son serviteur, en chacune son alle, qui estoit si couverte de belles
+treilles que le jour quasi ne s'y pouvoit voir, et la fraischeur y
+estoit gracieuse. Il y eut un des deux hardy, qui, cognoissant cette
+partie n'avoir est faitte pour se pourmener et prendre le frais, et
+selon la contenance de sa dame qu'il voyoit brusler en feu, et d'autre
+envie que de manger des muscats qui estoient en la treille, et selon
+aussi les paroles eschauffes, affettes et folastres, ne perdit si
+belle occasion; mais, la prenant sans aucun respect, la mit sur un petit
+lict qui estoit fait de gazons et de mottes de terre; il en joit fort
+doucement, sans qu'elle dist autre chose, si-non: Mon Dieu! que
+voulez-vous faire? N'tes-vous pas le plus grand fol et estrange du
+monde? et si quelqu'un vient, que dira-t-on? Mon Dieu, ostez-vous. Mais
+le gentilhomme, sans s'estonner, continua si bien, qu'il en partit si
+content, et elle et tout, qu'ayant fait encor trois ou quatre tours
+d'alle, ils recommencrent encore une seconde charge. Puis, sortant de
+l en autre alle couverte, ils virent d'autre cost l'autre gentilhomme
+et l'autre dame, qui se pourmenoient ainsi qu'ils les y avoient laissez
+auparavant. A quoy la dame contente dit au gentilhomme<a
+name="page_316" id="page_316"></a> content: Je croy qu'un tel aura fait du
+sot, et qu'il n'aura fait sa dame autre entretien que de paroles, de
+discours et de pourmenades. Donc, tous quatre s'assemblans, les deux
+dames se vindrent demander de leurs fortunes. La contente respondit
+qu'elle se portoit fort bien elle, et que pour le coup elle ne se
+sauroit pas mieux porter. La mecontente de son cost dit qu'elle avoit
+eu affaire avec le plus grand sot et le plus coard amant qui s'estoit
+jamais veu. Et surtout les deux gentilshommes les virent rire et crier
+entre elles deux en se pourmenant. O le sot! le coard! monsieur le
+respectueux! Sur quoy le gentilhomme content dit son compagnon:
+Voil nos dames qui parlent bien vous, elles vous foettent: vous
+trouverez que vous avez fait trop du respectueux et du badin. Ce qu'il
+advoua: mais il n'estoit plus temps, car l'occasion n'avoit plus de poil
+pour la prendre. Toutesfois, ayant cogneu sa faute, au bout de quelque
+temps il la repara par quelque certain autre moyen que je dirois bien.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay cogneu deux grands seigneurs et frres, et tous deux bien
+parfaits et bien accomplis, qui, aymans deux dames, mais il y en avoit
+une plus grande que l'autre en tout, et estant entrez en la chambre de
+cette grande qui gardoit pour lors le lict, chacun se mit part pour
+entretenir sa dame. L'un entretient la grande avec tous les respects et
+tous les baisements humbles qu'il put, et paroles d'honneur et
+respectueuses, sans faire jamais aucun semblant de s'approcher de prs
+ny vouloir forcer la roque. L'autre frre, sans crmonie d'honneur ny
+de paroles, prit la dame un coing de fenestre, et lui ayant tout d'un
+coup essart ses caleons qui estoient bridez (car il estoit bien fort),
+luy fit sentir qu'il n'aimoit point l'espagnole, par les yeux, ny par
+les gestes de visage, ny par paroles, mais par le vray et propre point
+et effet qu'un vray amant doit souhaiter: et ayant achev son prix-fait,
+s'en part de la chambre, et en partant dit son frere, assez haut que
+sa dame l'ouyt: Mon frere, si vous ne faites comme moy vous ne faites
+rien, et vous dis que vous pouvez estre tant brave et hardy ailleurs que
+vous voudrez; mais si en ce lieu vous ne monstrez votre hardiesse, vous
+estes deshonor; car vous n'estes ici en lieu de respect, mais en lieu
+o vous voyez votre dame qui vous attend. Et par ainsi laissa son
+frere, qui pourtant pour l'heure retint son coup et le remit une autre
+fois: ce ne fut pourtant que la dame ne l'en estimast<a name="page_317" id="page_317"></a> davantage, ou
+qu'elle luy attribuast une trop grande froideur d'amour, ou faute de
+courage, ou inhabilet de corps; si l'avoit monstr assez ailleurs, soit
+en guerre, soit en amours.</p>
+
+<p>&mdash;La feu reyne-mre fit une fois joer une fort belle comdie en
+italien, pour un mardy gras, l'hostel de Reims, que Cornelie Fiasco,
+capitaine des galleres, avoit invente. Toute la Cour s'y trouva, tant
+hommes que dames, et force autres de la ville. Entre autres choses, il
+fut reprsent un jeune homme qui avoit demeur cach tout une nuict
+dans la chambre d'une trs-belle dame et ne l'avoit nullement touche;
+et ayant racont cette fortune son compagnon, il luy demanda:
+<i>Ch'avete fatto</i><a name="FNanchor_106_106" id="FNanchor_106_106"></a><a href="#Footnote_106_106" class="fnanchor">[106]</a>? L'autre respondit: <i>Niente</i><a name="FNanchor_107_107" id="FNanchor_107_107"></a><a href="#Footnote_107_107" class="fnanchor">[107]</a>. Sur cela son
+compagnon lui dit: <i>Ah! poltronazzo, senza cuore! non havete fatto
+niente! Che maldita sia la tua poltronneria<a name="FNanchor_108_108" id="FNanchor_108_108"></a><a href="#Footnote_108_108" class="fnanchor">[108]</a>!</i> Aprs que la dite
+comdie fut joe, le soir, ainsi que nous estions en la chambre de la
+Reyne, et que nous discourions de cette comdie, je demanday une fort
+belle et honneste dame, que je ne nommeray point, quels plus beaux
+traits elle avoit observs et remarqus en la comdie, qui luy eussent
+pleu le plus. Elle me dit tout navement: Le plus beau trait que j'ay
+trouv, c'est que l'autre a respondu au jeune homme qui s'appeloit
+Lucio, qui luy avoit dit <i>che non haveva fatto niente: Ah poltronazzo!
+non havete fatto niente! Che maldita sia la tua poltronneria!</i> Voil
+comme cette dame qui me parloit estoit de consente avec l'autre qui luy
+reprochoit sa poltronnerie, et qu'elle ne l'estimoit nullement d'avoir
+est si mol et lasche; ainsi comme plus plain elle et moy nous
+discourusmes des fautes que l'on fait sur le sujet de ne prendre le
+temps et le vent quand il vient point, comme fait le bon marinier. Si
+faut-il que je fasse encore ce conte, et le mesle, tout plaisant et
+bouffon qu'il est, parmy les autres srieux.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay donc ouy conter un honneste gentilhomme mien amy, qu'une dame
+de son pays, ayant plusieurs fois monstr de grandes familiaritez et
+privautez un sien vallet-de-chambre, qui ne tendoient toutes qu'
+venir ce point, ledit vallet, point fat et sot, un jour d'est
+trouvant sa maistresse par un matin demi endormye dans son lict toute
+nue, tourne de l'autre cost de la ruelle,<a name="page_318" id="page_318"></a> tent d'un si grande
+beaut, et d'une fort propre posture, et aise pour l'investir et s'en
+accommoder, estant elle sur le bord du lict, vint doucement et investit
+la dame, qui, se tournant, vid que c'estoit son vallet qu'elle desiroit;
+et, toute investie qu'elle estoit, sans autrement se desinvestir ny
+remer, ny se defaire, ny depestrer de sa prise tant soit peu, ne fit
+que dire, tournant la teste, et se tenant ferme de peur de ne rien
+perdre: Monsieur le sot, qui est-ce qui vous a fait si hardy de le
+mettre-l? Le vallet luy respondit en toute rvrence: Madame,
+l'osteray-je?&mdash;Ce n'est pas ce que je vous dis, monsieur le sot, luy
+respondit la dame. Je vous dis: Qui vous a fait si hardy de le
+mettre-l? L'autre retournoit toujours dire: Madame, l'osteray-je?
+et si vous voulez, je l'osteray: et elle redire: Ce n'est pas ce que
+je vous dis encore, monsieur le sot. Enfin, et l'un et l'autre firent
+ces mesmes repliques et dupliques par trois ou quatre fois, sans se
+desbauscher autrement de leur besogne, jusques ce qu'elle fut acheve;
+dont la dame s'en trouva mieux que si elle eust command son galland
+de l'oster, ainsi qu'il luy demandoit. Et bien servit elle de
+persister en sa premire demande sans varier, et au gallant en sa
+replique et duplique: et par ainsi continurent leurs coups et cette
+rubrique long-temps aprs ensemble; car il n'y a que la premiere fourne
+ou la premiere pinte chere, ce dit-on. Voil un beau vallet et hardy! et
+ tels hardis, comme dit l'italien, il faut dire: <i>A bravo cazzo mai non
+manca favor</i>. Or, par ainsi vous voyez qu'il y en a plusieurs qui sont
+braves, hardis et vaillants, aussi bien pour les armes que pour les
+amours; d'autres qui le sont en armes et non en amours; d'autres qui le
+sont en amours et non aux armes, comme estoit ce marault de Paris, qui
+eut bien la hardiesse et vaillance de ravir Heleine son pauvre cocu de
+mary Menelas, et coucher avec elle, et non de se battre avec luy devant
+Troyes. Voil aussi pourquoy les dames n'aiment les vieillards ny ceux
+qui sont trop avancs sur l'aage, d'autant qu'ils sont forts timides en
+amours et vergogneux demander; non qu'ils n'ayent des concupiscences
+aussi grandes que les jeunes, voire plus, mais non pas les puissances:
+et c'est ce que dit une fois une dame espagnole, que les vieillards
+ressembloient beaucoup de personnes que, quand elles voient les roys en
+leurs grandeurs, dominations et autoritez, ils souhaiteroient fort
+d'estre comme eux, non pas qu'ils osassent rien attenter contre eux pour
+les dpossder de leurs royaumes et prendre<a name="page_319" id="page_319"></a> leurs places; et
+disoit-elle: <i>Y a pends es nascido et desseo, quando se muere luego</i>;
+c'est--dire qu' peine le desir est n qu'il meurt aussi-tost: aussi
+les vieillards, quand ils voyent de beaux objets, ils les desirent fort,
+mais ils ne les osent attaquer, <i>por que los viejos naturalmente son
+temerosos; y amor y temor no se caben en un saco</i>; car les vieillards
+sont craintifs fort naturellement; et l'amour et la crainte ne se
+trouvent jamais bien dans un sac. Aussi ont-ils raison; car ils n'ont
+armes ny pour offencer ny pour dfendre, comme des jeunes gens, qui ont
+la jeunesse et beaut: et aussi, comme dit le pote, rien n'est mal
+sant la jeunesse, quelque chose qu'elle fasse; aussi, dit un autre,
+il n'est point beau de voir un vieil gendarme ny un vieil amoureux. Or
+c'est assez parl sur ce sujet; parquoy je fais fin et n'en dis plus,
+si-non que j'adjousteray un autre nouveau sujet faisant et approchant
+quasi ce sujet, qui est que, tout ainsi que les dames aiment les
+hommes braves, vaillants et gnreux, les hommes aiment pareillement les
+dames braves, de c&oelig;ur et gnreuses. Et comme tout homme gnreux et
+courageux est plus aimable et admirable qu'un autre, aussi de mesme en
+est toute dame illustre, gnreuse et courageuse; non que je veuille que
+cette dame fasse les actes d'un homme, ny qu'elle s'agendarme comme un
+homme, ainsi que j'en ay veu, cogneu et ouy parler d'aucunes qui
+montoient cheval comme un homme, portoient le pistolet l'aron de la
+selle, et le tiroient, et faisoient la guerre comme un homme. J'en
+nommerais bien une qui durant ces guerres de la Ligue en a fait de
+mesme. Ce desguisement est dementir le sexe; outre qu'il n'est beau et
+bien sant, il n'est permis, et porte plus grand prjudice qu'on ne
+pense: ainsi que mal en prit cette gente pucelle d'Orlans, laquelle
+en son procs fut calomnie de cela, et en partie cause de son sort et
+sa mort. Voil pourquoi je ne veux ny estime trop tel garonnement; mais
+je veux et aime une dame qui monstre son brave et valleureux courage,
+estant en adversit et en bon besoin, par de beaux actes feminins, qui
+approschent fort d'un c&oelig;ur masle. Sans emprunter les exemples des
+gnreuses dames de Rome et de Sparte de jadis, qui ont en cela exced
+toutes autres, ils sont assez manifestes et exposez nos yeux, j'en
+veux escrire de nouveaux et de nos temps. Pour le premier, et mon gr
+le plus beau que je sache, ce fut celuy de ces belles, honnestes et
+courageuses dames de Sienne, alors de la rvolte de leur ville contre le
+joug insuportable des Impriaux;<a name="page_320" id="page_320"></a> car, aprs que l'ordre y fut estably
+pour la garde, les dames, en estant mises part pour n'estre propres
+la guerre comme les hommes, voulurent monstrer un par-dessus, et
+qu'elles savoient faire autre chose que besogner leurs ouvrages du
+jour et de la nuict; et, pour porter leur part du travail, se
+departirent d'elles-mesmes en trois bandes: et, un jour de Saint
+Anthoine, au mois de janvier, comparurent en public trois des plus
+belles, grandes et principales de la ville, en la grande place (qui est
+certes trs-belle), avec leurs tambours et enseignes. La premiere estoit
+la signora Forteguerra, vestu de violet, son enseigne et sa bande de
+mesme parure avec une devise de ces mots: <i>Purche sia il vero</i>. Et
+estoient toutes ces dames vestues la nymphale, d'un court
+accoustrement qui en descouvroit et monstroit mieux la belle greve. La
+seconde estoit la signora Piccolomini, vestue d'incarnat, avec sa bande
+et enseigne de mesme, avec la croix blanche, et la devise en ces mots:
+<i>Purche no l'habbia tutto</i>. La troisiesme estoit la signora Livia
+Fausta, vestue toute blanc, avec sa bande et enseigne blanche, en
+laquelle estoit une palme, et la devise en ces mots: <i>Purche l'habbia</i>.
+A l'entour et la suite de ces trois dames, qui sembloient trois
+desses, il y avoit bien trois mille dames, que gentilles-femmes,
+bourgeoises qu'autres, d'apparence toutes belles, ainsi bien pares de
+leurs robbes et livres, toutes ou de satin ou de taffetas, de damas ou
+autres draps de soye, et toutes rsolus de vivre ou mourir pour la
+libert; et chacune portoit une fascine sur l'espaule un fort que l'on
+faisoit, criants: <i>France! France!</i> Dont M. le cardinal de Ferrare et M.
+de Termes, lieutenants du Roy, en furent si ravis d'une chose si rare et
+belle, qu'ils ne s'amusrent autre chose qu' voir, admirer,
+contempler et loer ces belles et honnestes dames: comme de vray j'ay
+ouy dire aucunes et aucuns qui y estoient, que jamais rien ne fut si
+beau; et Dieu sait si les belles dames manquent en cette ville, et en
+abondance, sans spciaut.</p>
+
+<p>Les hommes, qui, de leur bonne volont, estoient fort enclins leur
+libert, en furent davantage poussez par ce beau trait, ne voulans en
+rien cder leurs dames pour cela: tellement que tous l'envy,
+gentilshommes, seigneurs, bourgeois, marchands, artisans, riches et
+pauvres, tous accoururent au fort en faire de mesme que ces belles,
+vertueuses et honnestes dames; et en grande mulation, non-seulement les
+sculiers, mais les gens d'glise poussrent tous cet &oelig;uvre, et au
+retour du fort, les<a name="page_321" id="page_321"></a> hommes part, et les femmes aussi ranges en
+bataille en la place auprs du palais de la Seigneurie, allrent l'un
+aprs l'autre, de main en main, saluer l'image de la Vierge Marie,
+patronne de la ville, en chantant quelques hymnes et cantiques son
+honneur par un si doux air et agrable armonie, que, partie d'aise,
+partie de piti, les larmes tombaient des yeux tout le peuple; lequel,
+aprs avoir receu la bndiction de M. le rvrendissime cardinal de
+Ferrare, chacun se retira en son logis, tous et toutes en rsolution de
+faire mieux l'advenir. Cette crmonie sainte de dames me fait
+ressouvenir (sans comparaison) d'une profane, mais belle pourtant, qui
+fut faite Rome du temps de la guerre punique, qu'on trouve dans
+Tite-Live. Ce fut une pompe et une procession qui s'y fit de trois fois
+neuf, qui sont vingt-sept jeunes belles filles romaines, et toutes
+pucelles, vestues de robettes assez longuettes (l'histoire n'en dit
+point les couleurs); lesquelles, aprs leur pompe et procession acheve,
+s'arrestrent en une place, o elles dansrent devant le peuple une
+danse en s'entredonnans une cordelette, range l'une aprs l'autre,
+faisant un tour de danse, et accommodant le mouvement et fretillement de
+leurs pieds en cadence de l'air et de la chanson qu'elles disoient: ce
+qui fut une chose trs-belle voir autant pour la beaut de ces belles
+filles que pour leur bonne grace, leur belle faon la danse, et pour
+leur affett mouvement de pieds, qui certes l'est d'une belle pucelle,
+quand elle les sait gentiment et mignardement conduire et mener. Je me
+suis imagin en moy cette forme de danse, et m'a fait souvenir d'une que
+j'ay veu de mon jeune temps danser les filles de mon pays, qu'on
+appeloit la <i>jarretierre</i>; lesquelles, prenans et s'entredonnans la
+jarretierre par la main, les passoient et repassoient par-dessus leur
+teste, puis les mesloient et entrelassoient entre leurs jambes en
+sautant dispostement par-dessus, et puis s'en desveloppoient et
+desengageoient si gentiment par de petits sauts, tousjours
+s'entresuivans les uns aprs les autres, sans jamais perdre la cadence
+de la chanson ou de l'instrument qui les guidoit; si que la chose estoit
+trs-plaisante voir, car les sauts, les entrelassements, les
+desgagements, le port de la jarretierre et la grace des filles,
+portoient je ne say quelque lascivet mignarde, que je m'estonne que
+cette danse n'a est pratique en nos cours de nostre temps, puis que
+les calleons y sont fort propres, et qu'on y peut voir aisment la
+belle jambe, et qui a la chausse la mieux tire, et qui a la plus<a
+name="page_322" id="page_322"></a> belle disposition. Cette danse se peut
+mieux reprsenter par la veu que par l'escriture.</p>
+
+<p>Pour retourner nos dames siennoises: H! belles et braves dames, vous
+ne deviez jamais mourir, non plus que vostre los, qui a jamais ira de
+conserve avec l'immortalit, non plus aussi que cette belle et gentille
+fille de vostre ville, laquelle, en vostre sige, voyant son frere un
+soir detenu malade en son lict, et fort mal dispos pour aller en garde,
+le laissant dans le lict, tout coyment se desrobe de luy, prend ses
+armes et ses habillements, et, comme la vraye effigie de son frre,
+paroist en garde; et fut prise pour son frere, ainsi incogneue par la
+faveur de la nuict. Gentil trait, certes; car, bien qu'elle se fust
+garonne et gendarme, ce n'estoit pourtant pour en faire une
+continuelle habitude, que pour cette fois faire un bon office son
+frere. Aussi dit-on que nul amour est gal la fraternelle, et
+qu'aussi, pour un bon besoin, il ne faut rien espargner pour monstrer
+une gente gnrosit du c&oelig;ur, en quelque endroit que ce soit. Je croy
+que le corporal qui lors commandoit l'esquade o estoit cette belle
+fille, quand il sceut ce trait, fut bien marry qu'il ne l'eust mieux
+recogneue, pour mieux publier sa loange sur le coup, ou bien pour
+l'exempter de la sentinelle, ou du tout pour s'amuser d'en contempler la
+beaut, sa grace et sa faon militaire; car ne faut point douter qu'elle
+ne s'estudiast en tout la contrefaire. Certes on ne sauroit trop
+loer ce beau trait, et mesme sur un si juste sujet pour le frere. Tel
+en fit ce gentil Richardet, mais pour divers sujets, quand, aprs avoir
+ouy le soir sa s&oelig;ur Bradamente discourir des beauts de cette belle
+princesse d'Espagne, et de ses amours et desirs vains, aprs qu'elle fut
+couche il prit ses armes et sa belle cotte, et s'en dguise pour
+paroistre sa s&oelig;ur, tant ils estoient de semblance de visage et
+beaut; et aprs, sous telle forme, tira de cette belle princesse ce
+qu' sa s&oelig;ur son sexe luy avoit desni; dont mal pourtant trs-grand
+luy en fust arriv sans la faveur de Roger, qui, le prenant pour sa
+maistresse Bradamente, le garantit de mort. Or j'ay ouy dire M. de La
+Chapelle des Ursins, qui lors estoit en Italie, et qui fit le rapport de
+si beau trait de ces dames siennoises au feu roy Henry, il le trouva si
+beau, que la larme l'&oelig;il il jura que, si Dieu luy donnoyt un jour
+la paix ou la trefve avec l'Empereur, qu'il iroit par ses galleres en la
+mer de Toscane, et de l Sienne, pour voir cette ville si affecte
+soy<a name="page_323" id="page_323"></a> et son party, et la remercier de cette brave et bonne volont, et
+sur-tout pour voir ces belles et honnestes dames, et leur en rendre
+graces particulires. Je croy qu'il n'y eust pas failly, car il honoroit
+fort les belles et honnestes dames; et si leur escrivit, principalement
+aux trois principales, des lettres les plus honnestes du monde de
+remerciements et d'offres, qui les contentrent et animrent davantage.
+Hlas! il eut bien quelque temps aprs la trefve; mais, l'attendant
+venir, la ville fut prise, comme j'ay dit ailleurs; qui fut une perte
+inestimable pour la France, d'avoir perdu une si noble et si chere
+alliance, laquelle, se ressouvenant et se ressentant de son ancienne
+origine, se voulut rejoindre et remettre parmy nous; car on dit que ces
+braves Siennois sont venus des peuples de France qu'en la Gaule on
+appeloit jadis Senonnes, que nous tenons aujourd'hui ceux de Sens; aussi
+en tiennent-ils encore de l'humeur de nous autres Franois, car ils ont
+la teste prs du bonnet, et sont vifs, soudains et prompts comme nous.
+Les dames, pareillement aussi, se ressentent de ces gentilles,
+gracieuses faons, et familiaritez franaises.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay leu dans une vieille chronique que j'ay allgu ailleurs, que le
+roy Charles huictiesme, en son voyage de Naples, lorsqu'il passa
+Sienne, il y fut receu par une entre si triomphante et si superbe,
+qu'elle passa toutes les autres qu'il fit en toute l'Italie; jusques
+l que, pour plus grand respect et signe d'humilit, toutes les portes
+de la ville furent ostes de leurs gonds et portes par terre; et tant
+qu'il y demeura furent ainsi ouvertes et abandonnes tous allants et
+venants, et puis aprs, venant son dpart, remises. Je vous laisse
+penser si le Roy, toute sa Cour et son arme, n'eurent pas grand sujet
+d'aymer et honorer cette ville (comme de vray il fit toujours), et en
+dire tous les biens du monde: aussi la demeure luy et tous en fut
+trs-agrable, et sur la vie fut dfendu de n'y faire aucune insolence,
+comme certes la moindre du monde ne s'ensuivit. Ha! braves Siennois,
+vivez pour jamais! Que pleust Dieu fussis-vous encore nostres en
+tout, comme possible vous l'estes en c&oelig;ur et en ame! car la
+domination d'un roy de France est bien plus douce que celle d'un duc de
+Florence; et puis le sang ne peut mentir. Que si nous estions aussi
+voisins comme nous sommes reculez, possible, tous ensemble conformes de
+volontez, en ferions-nous-dire.<a name="page_324" id="page_324"></a></p>
+
+<p>&mdash;Les principaies dames de Pavie, en leur sige du roy Franois sous la
+conduite et exemple de la signora contessa Hippofita de Malespina, leur
+gnrale, se mirent de mesme porter la hotte, remuer terre et remparer
+leurs bresches, faisant l'envy des soldats. Un pareil trait de ces
+dames siennoises que je viens de raconter je vis faire aucunes dames
+rocheloises au sige de leur ville dont il me souvient: que le premier
+dimanche de caresme que le sige y estoit, Monsieur, nostre gnral,
+manda sommer M. de La Nou de sa parole, et venir parler luy et luy
+rendre compte de sa ngociation que luy avoit charg pour cette ville;
+dont le discours en est long et fort bizarre, que j'espre ailleurs
+descrire. M. de La Nou n'y faillit pas, et pour ce M. de Strozze fut
+donn en ostage dans la ville, et trefves furent faites pour ce jour et
+pour le lendemain. Ces trefves ainsi faittes, parurent aussi-tost comme
+nous hors des tranches force gens de la ville sur les remparts et sur
+les murailles; et sur-tout parurent une centaine de dames et bourgeoises
+des plus grandes, plus riches et des plus belles, toutes vestues de
+blanc, tant de la teste que du corps, toutes de toile de Hollande fine,
+qu'il fit trs-beau voir: et ainsi s'estoient-elles vestues cause des
+fortifications des rempars o elles travailloient, fut ou porter la
+hotte ou remuer la terre; et d'autres habillements se fussent
+ensaloudis, et ces blancs en estoient quittes pour les mettre la
+lessive; et aussi qu'avec cet habit blanc se fissent mieux remarquer
+parmy les autres. Nous autres fusmes fort ravis voir ces belles dames,
+et vous asseure que plusieurs s'y amusrent plus qu' autre chose: aussi
+voulurent-elles bien se monstrer nous, et ne furent nous guires
+chiches de leur veu, car elles se plantoient sur le bord du rampart
+d'une fort belle grace et dmarche, qu'elles valoient bien le regarder
+et desirer. Nous fusmes curieux de demander quelles dames c'estoient.
+Ils nous respondirent que c'estoit une bande de dames ainsi jure,
+associe et ainsi pare pour le travail des fortifications, et pour
+faire de tels services leur ville; comme certes de vray elles en
+firent de bons, jusques-l que les plus viriles et robustes menoient les
+armes: si que j'ay ouy conter d'une, pour avoir souvent rpouss ses
+ennemis d'une pique, elle la garde encor si soigneusement comme sacre
+relique, qu'elle ne la donneroit, ny ne voudroit pour beaucoup d'argent
+la bailler, tant elle la tient chere chez soy.<a name="page_325" id="page_325"></a></p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy raconter aucuns vieux commandeurs de Rhodes, et mesmes je
+l'ay leu en un vieux livre, que lors que Rhodes fut assig par le
+sultan Soliman, les belles filles et dames de la ville ne pardonnrent
+leurs beaux visages et tendres et dlicats corps, pour porter leur bonne
+part des peines et fatigues du sige, jusqu'-l que bien souvent se
+prsentoient aux plus presss et dangereux assauts, et courageusement
+secondoient les chevaliers et soldats les soutenir. Ah! belles
+Rhodiennes! vostre nom, vostre los a valu de tout temps et ne mriteriez
+d'estre sous la domination des barbares!</p>
+
+<p>&mdash;Du temps du roy Franois I, la ville de Saint-Riquier, en Picardie,
+fut entreprise et assaillie par un gentilhomme flamand, nomm Domrin,
+enseigne de M. du Ru, accompagn de cent hommes d'armes et de deux mille
+hommes de pied, et quelque artillerie. Dedans il n'y avoit seulement que
+cent hommes de pied, qui estoient fort peu, et estoit prise, ne fut que
+les dames de la ville se prsentrent la muraille avec armes, eau et
+huile bouillante et pierres, et repoussrent bravement les ennemis, bien
+qu'ils fissent tous les efforts pour entrer. Encore deux desdites dames
+levrent deux enseignes des mains des ennemis, et les tirrent de la
+muraille dans la ville; si bien que les assigeants furent contraints
+d'abandonner la bresche qu'ils avoient faite et les murailles, et se
+retirer et s'en aller: dont la renomme fut par toute la France, la
+Flandre et la Bourgogne. Au bout de quelque temps le roy Franois
+passant par-l, en voulut voir les femmes, les loa et les remercia. Les
+dames de Pronne en firent de mesme quand la ville fut assige du comte
+de Nassau, et assistrent aux braves gens de guerre qui estoient dedans
+tout de mesme faon; qui en furent estimes, loes et remercies de
+leur roy. Les femmes de Sancerre, en ces guerres civiles et leur sige,
+furent recommandes et loes des beaux effets qu'elles y firent en
+toutes sortes. Durant cette guerre de la Ligue, les dames de Vitr
+s'acquittrent de mesme en leur ville assige par M. de Merc&oelig;ur.
+Elles y sont trs-belles et tousjours fort proprement habilles de tout
+temps; et pour ce n'espargnoient leurs beautez se monstrer viriles et
+courageuses: comme certes tous actes virils et gnreux, un tel
+besoin, sont autant estimer en les femmes qu'en les hommes. Ainsi que
+de mesme furent jadis les gentiles femmes de Carthage, lesquelles, quand
+elles virent leurs marys, leurs freres, leurs peres, leurs<a
+name="page_326" id="page_326"></a> parents et leurs soldats cesser de tirer
+ leurs ennemis, par faute de cordes en leurs arcs, qui estoient toutes
+uses de force de tirer par une si grande longueur de sige: et par ce,
+ne pouvans plus chevir de chanvre, de lin, ny de soie, ny d'autres
+choses pour faires cordes, s'advisrent de couper leurs belles tresses
+et blonds cheveux, et ne pardonner ce bel honneur de leurs testes et
+parement de leurs beautez; si bien qu'elles-mmes, de leurs belles,
+blanches et dlicates mains, en retorsrent et en firent des cordes, et
+en fournirent leurs gens de guerre: dont je vous laisse penser de
+quels courages et de quels nerfs ils pouvoient tendre et bander leurs
+arcs, en tirer et en combattre, portans si belles faveurs des dames.</p>
+
+<p>&mdash;Nous lisons dans l'histoire de Naples que ce grand capitaine Sforce,
+sous la charge de la reyne Jeanne seconde, ayant est pris par le mary
+de la reyne, Jacques, mis en estroite prison et en quelques traits de
+corde, sans doute il avoit la teste tranche, sans que sa s&oelig;ur
+Marguerite se mit en armes et aux champs, et fit si bien, elle en
+personne, qu'elle prit quatre gentilshommes napolitains principaux, et
+manda au roy que tel traittement il feroit son frere, tel le
+feroit-elle ses gens; si bien qu'il fut contraint de faire accord et
+le lascher sain et sauve. Ah! brave et gnreuse s&oelig;ur! ne tenant
+guiere en cela de son sexe. Je say aucunes s&oelig;urs et parentes que, si
+elles eussent fait traits pareil il y a quelque temps, possible
+eussent-elles sauv un brave frere qu'elles avoient, qui fut perdu pour
+faute de secours et d'assistance pareille. Maintenant je veux laisser
+ces dames en gnral guerrieres et gnreuses: parlons d'aucunes
+particulieres. Et pour la plus belle monstre de l'antiquitt, je
+n'allgueray que cette senle Znobie pour toutes, laquelle, aprs la
+mort de mary, ne s'amusa, comme plusieurs, perdre le temps le plorer
+et regretter, mais s'emparer de l'empire au nom de ses enfants, et
+faire la guerre aux Romains et l'empereur Aurelian, qui en estoit lors
+empereur, en leur donnant de la peine beaucoup l'espace de huit ans,
+jusques ce qu'estant descende en champ de bataille contre luy, fut
+vaincue et prise prisonniere, et mene devant l'Empereur; lequel, aprs
+lui avoir demand comment elle avoit eu la hardiesse de faire la guerre
+aux Empereurs, elle luy respondit seulement: Vrayment, je cognois bien
+que vous estes empereur, puisque vous m'avez vaincu. Il eut si grand
+aise de l'avoir vaincu,<a name="page_327" id="page_327"></a> et en tira une si grande ambition, qu'il en
+voulut triompher; et avec une trs-grande pompe et magnificence elle
+marchoit devant son char triomphant, fort superbement habille et
+accommode d'une grande richesse de perles et pierreries, de grands
+joyaux et de chaisnes d'or, dont elle estoit enchaisne au corps, aux
+pieds et aux mains, en signe de captive et d'esclave; si que, par la
+grande pesanteur de ses joyaux et chaisnes qu'elle portoit sur elle, fut
+contrainte de faire plusieurs pauses et se reposer souvent en ce
+triomphe. Grand cas, certes, et admirable, que, toute vaincue et
+prisonniere qu'elle estoit, encore donnoit-elle loy au vainqueur
+triompheur, et le faisoit arrester et attendre jusques ce qu'elle eust
+repris son halleine! Grande aussi et honneste courtoisie estoit-ce
+l'Empereur de luy permettre son aise et repos et endurer sa dbilit, et
+ne la contraindre ny presser de se haster plus qu'elle ne pouvoit: de
+sorte que l'on ne sait que plus loer, ou l'honnestet de l'Empereur,
+ou la faon de faire de la Reyne, qui possible pouvoit-elle joer ce jeu
+exprs, non tant pour son imbcilit ou lassitude, que pour quelque
+ostentation de gloire, et monstrer au monde qu'elle en vouloit
+recueillir ce petit brin sur le soir de sa belle fortune, comme elle
+avoit fait sur le matin, et que monsieur l'Empereur luy cedoit ce
+coup-l pour l'attandre en ses pas lents et graves marchers. Elle se
+faisoit fort regarder et admirer autant des hommes que des dames,
+desquelles aucunes eussent fort voulu ressembler cette belle image; car
+elle estoit des plus belles, selon que disent ceux qui en ont escrit.
+Elle estoit d'une fort belle, haute et riche taille, son port trs-beau,
+sa grace et sa majest de mesmes, par consquent son visage trs-beau et
+fort agrable, les yeux noirs et fort brillants. Entre autres beautez,
+il luy donnoit les dents trs-belles et fort blanches, l'esprit vif,
+fort modeste, sincere et clemente au besoin; la parole fort belle et
+prononce d'une voix claire: aussi elle-mesme faisoit entendre toutes
+ses conceptions et volontez ses gens de guerre, et les haranguoit
+souvent. Je pense certes qu'il la faisoit bien aussi beau voir ainsi
+vestue si superbement et gentiment en habit de femme, que quand elle
+estoit arme tout blanc; car tousjours le sexe l'emporte: aussi est-il
+ prsumer que l'Empereur ne la voulut exhiber en son triomphe qu'en son
+beau sexe fminin, qui la reprsenteroit mieux et la rendroit au peuple
+plus agrable en ses perfections de beaut. De plus, il est prsumer
+aussi qu'estant si belle, l'Empereur en avoit tast, joi et en
+jouissoit<a name="page_328" id="page_328"></a> encore; et que s'il l'avoit vaincue d'une faon, il ou elle
+(les deux se peuvent entendre) l'avoit vaincu aussi de l'autre. Je
+m'estonne que, puisque cette Znobie estoit si belle, l'Empereur ne la
+prist et entretinst pour l'une de ses garces, ou bien qu'elle n'ouvrist
+et dressast par sa permission, ou du snat, boutique d'amour et de
+putanisme, comme fit Flora, afin de s'enrichir et accumuler force biens
+et bons moyens au travail de son corps et branslement de son lict;
+laquelle boutique eussent pu venir les plus grands de Rome l'envy tous
+les uns des autres; car enfin il n'y a tel contentement et flicit au
+monde, s'il semble, que se rer sur la royaut et principaut, et de
+joir d'une belle reyne, d'une princesse et grande dame. Je m'en
+rapporte ceux qui ont est en ces voyages, et y fait si belles
+factions. Et par ainsi cette reyne Znobie se fust faite tost riche par
+la bourse de ces grands, ainsi que fit Flora, qui n'en recevoit point
+d'autres en sa boutique. N'eust-il pas mieux vallu pour elle de traitter
+cette vie en bombances, magnificences, chevances et honneurs, que de
+tomber en la ncessit et extrmit quelle tomba, gaigner sa vie
+filer parmy des femmes communes et mourir de faim, sans que le snat,
+ayant piti d'elle, veu sa grandeur passe, luy ordonna pour son vivre
+quelque pension, et quelques petites terres et possessions, que l'on
+appela long-temps les possessions znobiennes; car enfin c'est un grand
+mal que la pauvret, et qui la peut viter, en quelque forme qu'on se
+puisse transmuer, fait bien, ce disoit quelqu'un que je sai. Voil
+pourquoi Znobie ne mena son grand courage au bout de la carrire, comme
+elle devoit, et qu'il faut qu'on la persiste tousjours en toutes
+actions. On dit qu'elle avoit fait faire un charriot triomphant, le plus
+superbe qui fust jamais veu dans Rome, et ce, disoit-elle souvent durant
+ses grandes prosperitez et vanteries, pour triompher dans Rome, tant
+elle estoit prsumptueuse de conqurir l'empire romain: mais tout cela
+au rebours, car l'Empereur l'ayant vaincu le prit pour luy, et en
+triompha, et elle alla pied, en faisant d'elle plus grand triomphe et
+pompe que s'il eust vaincu un puissant roy. Et dittes que la victoire
+qu'on emporte sur une dame, en quelque faon que ce soit, n'est pas
+grande et trs-illustre! Ainsi dsira Auguste de triompher de Clopatre;
+mais il n'y procda pas bien. Elle y pourveut de bonne heure, et de la
+faon que Paulus-milius le dit Persus, qui, le priant en sa
+captivit d'avoir piti de luy, il luy respondit que c'avoit est
+luy<a name="page_329" id="page_329"></a> y mettre ordre auparavant, voulant entendre qu'il se devoit estre
+tu.</p>
+
+<p>J'ay ouy dire que le feu roy Henry second ne dsiroit rien tant que de
+faire prisonnire la reyne de Hongrie, non pour la traitter mal, encore
+qu'elle luy eust donn plusieurs sujets par ses bruslements, mais pour
+avoir cette gloire de tenir cette grande reyne prisonniere, et voir
+quelle mine et contenance elle tiendroit en sa prison, et si elle y
+seroit si brave et orgueilleuse qu'en ses armes: car enfin il n'y a
+rien si superbe et brave qu'une belle, brave et grande dame, quand elle
+veut et qu'elle a du courage, comme estoit celle-l, et qui se plaisoit
+fort au nom que luy avoient donn les soldats espagnols, qui, comme ils
+appeloient l'Empereur son frre <i>el Padre de los soldatos</i><a name="FNanchor_109_109" id="FNanchor_109_109"></a><a href="#Footnote_109_109" class="fnanchor">[109]</a>, eux
+l'appeloient <i>la Madre</i><a name="FNanchor_110_110" id="FNanchor_110_110"></a><a href="#Footnote_110_110" class="fnanchor">[110]</a>: ainsi que Vittoria, ou Vittorina, jadis du
+temps des Romains, fut appele en ses armes la mre du camp. Certes, si
+une dame grande et belle entreprend une charge de guerre, elle y sert de
+beaucoup, et anime fort ses gens: comme j'ay veu en nos guerres civiles
+la Reyne-Mre, qui bien souvent venoit en nos armes et les asseuroit
+tout plein et encourageoit fort; et comme fait aujourd'huy l'infante
+Isabelle, sa petite-fille, en Flandres, qui prside en son arme, et se
+fait paroistre ses gens de guerre toute valeureuse, si que sans elle
+et sa belle et agrable prsence, la Flandre n'auroit moyen de tenir, ce
+disent tous: et jamais la reyne de Hongrie, sa grande tante, ne parut
+telle en beaut, valeur et gnrosit et belle grace. Dans nos histoires
+de France, nous lisons combien servit la prsence de cette gnreuse
+comtesse de Montfort, estant assige dans Annebon; car, encore que ses
+gens de guerre fussent braves et vaillants, et qu'ils eussent combattu
+et soustenu des assauts et faits aussi bien que gens de monde, ils
+commencrent perdre c&oelig;ur et vouloir se rendre; mais elle les
+harangua si bien, et anima de si belles et courageuses paroles, et les
+anima si beau et si bien, qu'ils attendirent le secours, qui leur vint
+propos, tant dsir, et le sige fut lev; et fit bien mieux, car, ainsi
+que ses ennemis estoient amusez l'assaut, et que tous y estoient, et
+vid les tentes qui en estoient toutes vides, elle, monte sur un bon
+cheval, et avec cinquante bons chevaux, fit une saillie, donne l'alarme,
+met le feu dans le camp,<a name="page_330" id="page_330"></a> si-bien que Charles de Blois; cuidant estre
+trahy, fit aussi-tost cesser l'assaut. Sur ce sujet je feray ce petit
+conte. Durant ces dernires guerres de la Ligue, feu M. le prince de
+Cond, dernier mort, estant Saint-Jean, envoya demander madame de
+Bourdeille, veufve de l'aage de quarante ans, et trs-belle, six ou sept
+des gens de sa terre, des plus riches, et qui s'estoient retirez en son
+chasteau de Mathas prs elle. Elle les luy refusa tout trac, et que
+jamais elle ne trahiroit ny ne livreroit ces pauvres gens, qui
+s'estoient allez couvrir et sauver sous sa foy. Il luy manda pour la
+derniere fois que, si elle ne les luy envoyoit, qu'il luy apprendroit de
+luy obyr. Elle luy fit response (car j'estois avec elle pour
+l'assister) que, puisqu'il ne savoit obyr, qu'elle trouvoit fort
+estrange de vouloir faire obir les autres, et lorsqu'il auroit oby
+son Roy elle luy chyroit; au reste que, pour toutes ses menaces, elle
+ne craignoit ny son canon, ny son sige, et qu'elle estoit descendue de
+la comtesse de Montfort, de laquelle les siens avoient hrit de cette
+place, et elle et tout de son courage; et qu'elle estoit rsolue de la
+garder si-bien qu'il ne la prendroit point; et qu'elle feroit autant
+parler l d'elle lans que son ayeule, ladite comtesse, avoit fait dans
+Annebon. M. le prince songea long-temps sur cette response, et temporisa
+quelques jours sans la plus menacer. Pourtant s'il ne fust mort il
+l'eust assige; mais elle s'estoit bien prpare de c&oelig;ur, de
+rsolution, d'hommes et de tout, pour le bien recevoir; et croy qu'il y
+eust receu de la honte. Machiavel, en son livre <i>de la Guerre</i>, raconte
+que Catherine, comtesse de Furly, fut assige dans sa dite place par
+Csar Borgia, assist de l'arme de France, qui luy rsista fort
+valleurusement, mais enfin fut prise. La cause de sa perte fut que cette
+place estoit trop pleine de forteresses et lieux forts, pour retirer
+d'un lieu l'autre; si-bien que, Csar ayant fait ses approches, le
+seigneur Jean de Casale (que ladite comtesse avoit pris pour sa garde et
+assistance) abandonna la brche pour se retirer en ses forts; et par
+cette faute, Borgia faussa et prit la place: si-bien, dit l'auteur, que
+ces fautes firent tort au courage gnreux et la rputation de cette
+brave comtesse, laquelle avoit attendu une arme que le roy de Naples et
+le duc de Milan n'avoient os attendre. Et bien que son issu en fust
+malheureuse, elle emporta l'honneur que sa vertu mritoit; et pour ce en
+Italie se firent force vers et rimes en sa loange. Ce passage est digne
+de lire pour ceux qui se meslent de fortifier des<a name="page_331" id="page_331"></a> places et y bastir
+grande quantit de forts, chasteaux, roques et cittadelles. Pour
+retourner nostre propos, nous avons eu le temps pass force princesses
+et grandes dames en nostre France, qui ont fait de belles marques de
+leurs proesses: comme fit Paule, fille du comte de Penthivre, laquelle
+fut assige dans Roy par le comte de Charoullois, et s'y monstra si
+brave et si gnreuse, que la ville estant prise, le comte luy fit
+trs-bonne guerre, et la fit conduire Compiegne, seurement, ne
+permettant qu'il luy fust fait aucun tort; et l'honora fort pour sa
+vertu, encor qu'il voulust grand mal son mary, qu'il chargeroit de
+l'avoir voulu faire mourir par sortilleges et charmes d'aucunes images
+et chandelles.</p>
+
+<p>&mdash;Richilde, fille unique et hritire de Monts, en Hainault, femme de
+Beaudoin sixiesme, comte de Flandres, fit tous efforts contre Robert le
+Frizon son beau frere, institu tuteur des enfants de Flandres, pour luy
+en oster la connoissance et administration et se l'attribuer: quoy
+poursuivant l'aide de Philippes roy de France, luy hazarda deux
+batailles; en la premire elle fut prise, ce que fut aussi Robert son
+ennemy, et amprs furent rendus par eschange: luy en livra la seconde,
+laquelle elle perdit, et y perdit son fils Arnuphe, et chasse jusques
+Monts.</p>
+
+<p>&mdash;Isabelle de France, fille du roy Philippes le Bel, et femme du roy
+Edouard II, duc de Guyenne, fut en mal-grace du Roy son mary, par de
+meschants rapports de Hue le despensier, dont fut contrainte de se
+retirer en France avec son fils douard; puis s'en retourna en
+Angleterre avec le chevalier de Hainaut son parent, et une arme qu'elle
+y mena, au moyen de laquelle elle prit son mary prisonnier, lequel elle
+dlivra entre les mains de ceux avec lesquels il lui convint finir ses
+jours; ainsi qu' elle-mesme il luy en prit, qui, pour traiter l'amour
+avec un seigneur de Mortemer, fut par son fils confine en un chasteau
+finir ses jours. C'est elle qui a baill sujet aux Anglais de quereller
+ tort la France. Mais voil une mauvaise reconnoissance pourtant, et
+grande ingratitude de fils, qui, oubliant un grand bienfait, traita
+ainsi sa mre pour un si petit forfait; petit l'appelle-je, puisqu'il
+est naturel et que mal-aisment ayant pratiqu les gens de guerre, et
+qu'elle s'estoit tant accoustume garonner avec eux parmi les armes
+et tentes et pavillons, falloit bien qu'elle garonnast aussi entre les
+courtines, comme<a name="page_332" id="page_332"></a> cela se voit souvent. Je m'en rapporte nostre reyne
+Lonor, duchesse de Guyenne, qui accompagna le Roy son mary outre mer et
+en la guerre sainte. Pour pratiquer si souvent la gendarmerie et la
+soudardaille, elle se laissa fort aller son honneur, jusqu'-l
+qu'elle eut affaire avec les Sarrazins, dont pour ce le Roy la rpudia;
+ce qui nous cousta bon. Pensez qu'elle voulut esprouver si ces bons
+compagnons estoient aussi braves champions couvert comme en pleine
+campagne, et que possible son honneur estoit d'aimer les gens vaillants,
+et qu'une vaillance attire l'autre, ainsi que la vertu; car jamais celuy
+ne dit mal qui dit que la vertu ressembloit la foudre qui perce tout.
+Cette reyne Lonor ne fut pas la seule qui accompagna en cette guerre
+sainte le roy son mary; mais avant elle, et avec elle, et aprs,
+plusieurs autres princesses et grandes dames avec leurs marys se
+croisrent, mais non leurs jambes, qu'elles ouvrirent et eslargirent
+bon escient, si qu'aucunes y demeurrent, et les autres en retournrent
+de trs-bonnes vesses; et sous la couverture de visiter le saint
+supulcre, parmi tant d'armes, faisoient bon escient l'amour: aussi,
+comme j'ay dit, les armes et l'amour conviennent bien ensemble, tant la
+sympathie en est bonne et bien conjointe. Encore telles dames sont-elles
+ estimer, d'aimer et traitter ainsi les hommes, non comme firent jadis
+les amazones, lesquelles, encore qu'elles se disent filles de Mars, se
+desfirent de leurs marys, disans que ce mariage estoit une vraye
+servitude: mais prou d'ambition avoient-elles avec d'autres hommes pour
+en avoir des filles, et faire mourir les enfants.</p>
+
+<p>Joanuclerus, en sa Cosmographie, rcite que, l'an de Christ 1123, aprs
+la mort de Tibussa, reyne des Bohemes, et qui fit renfermer la ville de
+Prague de murailles, et qui abhorroit fort la domination des hommes, il
+y eut une de ses damoiselles de grand courage, nomme Valasca, qui
+gaigna si bien et filles et dames du pays, et leur proposa si bien et
+beau la libert, et les dgousta si fort de la servitude des hommes,
+qu'elles tuerent chacune, qui son mary, qui son frere, qui son parent,
+qui son voisin, qu'en moins d'un rien elles furent maistresses; et ayant
+pris les armes de leurs hommes, s'en aidrent si bien et se rendirent si
+braves et si adextres, mode d'amazones, qu'elles eurent plusieurs
+victoires. Mais aprs, par les menes et finesses d'un Primislas, mary
+de Tibussa, homme qu'elle avoit pris de<a name="page_333" id="page_333"></a> ville et basse condition,
+furent dfaites et mises mort. Ce fut par permission divine de l'acte
+norme perptr pour faire ainsi perdre le genre humain. Ces dames
+pouvoient bien montrer leurs beaux courages par d'autres actions
+courageuses et viriles, que par telles cruautez, ainsi que nous avons
+veu tant d'imprieres, de reynes, de princesses et grandes dames, par
+actes nobles, et aux gouvernements et maniements de leurs Estats, et
+autres sujets dont les histoires en sont assez pleines sans que je les
+raconte; car l'ambition de dominer, rgner et imprier loge dans leurs
+ames aussi bien que des hommes, et en sont aussi friandes. Si en vays-je
+nommer une qui n'en fut tant atteinte, qui est Victoria Colonna, femme
+du marquis de Pescayre, de laquelle j'ay leu dans un livre espagnol que,
+lorsque ledit marquis entendit aux belles offres que luy fit Hieronimo
+Mouron de la part du pape (comme j'ay dit cy-devant) du royaume de
+Naples, s'il vouloit entrer en ligne avec luy, elle, en estant advertie
+par son mary mesme, qui ne luy cloit rien de ses plus prives affaires,
+ny grands ny petits, lui escrivit (car elle disoit des mieux), et luy
+demanda qu'il se souvinst de son ancienne valeur et vertu, qui luy avoit
+donn telle louange et rputation qu'elle excdoit la gloire et la
+fortune des plus grands roys de la terre, disant <i>que no con grandezza
+de los reynos, de Estados ny de hormosos titulos si no con f illustre y
+clara virtud, se alcanava la honra, la qual con loor siempre vivo,
+llegava los descendientes; y que no havia nigun grado tan alto que no
+fuesse vencido de una trahicion y mala f, que por esto nigun desseo
+tenia de ser muguer de rey, queriendo antes ser muguer de tal capitan,
+que no solamente en guerra con valorosa mano, mas en pas con gran honra
+de animo no vencido avia sabido vencer reys, y grandissimos principes, y
+capitanes, y darlos triumphos, y imperiarlos</i>; disant que non avec la
+grandeur des royaumes, des grands Estats ni hauts et beaux titres, sinon
+avec une foy illustre et claire vertu, l'honneur s'acqueroit, laquelle
+avec une louange tousjours vive alloit nos descendants; et qu'il n'y
+avoit nul grade si haut qui ne fust vaincu ni gast par une trahison
+commise et foy rompue; et que pour l'amour de cela elle n'avoit nul
+dsir d'estre femme de roy, mais d'un tel capitaine, lequel nonseulement
+en guerre avec sa main valeureuse, mais en paix avec grand honneur d'un
+esprit non vaincu, avoit sceu vaincre les roys, les grands princes et
+capitaines, et les donner aux<a name="page_334" id="page_334"></a> triomphes et les imperier. Cette femme
+parloit d'un grand courage, d'une grande vertu, et de vrit et tout:
+car de regner par un vice est fort vilain, et de commander aux royaumes
+et aux roys par la vertu est trs-beau. Fulvia, femme de P. Claudius, et
+en secondes nopces de Marc Antoine, ne s'amusant guires faire les
+affaires de sa maison, se mit aux choses grandes, traitter les
+affaires d'Estat jusque-l qu'on lui donnast la rputation de commander
+aux empereurs. Aussi Cleopatre l'en seut trs-bien remercier, et luy
+avoir cette obligation, que d'avoir si bien instruit et disciplin Marc
+Antoine obyr et ployer sous les lois de submission. Nous lisons de ce
+grand prince franois Charles Martel qui onc ne voulut prendre et porter
+le titre de roy, qui estoit en sa puissance, mais ayma mieux rgenter
+les roys et leur commander.</p>
+
+<p>&mdash;Parlons d'aucunes de nos dames. Nous avons eu en nostre guerre de la
+Ligue madame de Montpensier, s&oelig;ur de feu M. de Guise, qui a est une
+grande femme d'Estat, et qui a port sa bonne part de matiere,
+d'inventions de son gentil esprit, et du travail de son corps, bastir
+ladite Ligue; si qu'aprs avoir est bien bastie, joant aux cartes un
+jour et la prime (car elle aime fort ce jeu), ainsi qu'on lui disoit
+qu'elle meslast bien les cartes, elle repondit devant beaucoup de gens:
+Je les ay si bien mesles qu'elles ne se sauroint mieux mesler ni
+demesler. Cela fust est bon si les siens ne fussent est morts:
+desquels, sans perdre c&oelig;ur d'une telle perte, en entreprit la
+vengeance; et en ayant sceu les nouvelles dans Paris, sans se tenir
+recluse en sa chambre en faire les regrets mode d'autres femmes,
+sort de son hostel avec les enfants de M. son frere, les tenant par les
+mains, les pourmeine par la ville, fait sa dploration devant le peuple,
+l'animant de pleurs, de cris, de piti et de paroles qu'elle fit tous,
+de prendre les armes et s'lever en furie, et faire les insolences sur
+la maison et le tableau du Roy, comme l'on a veu, et que j'espre de
+dire en sa vie; et luy denier toute fidelit, ains au contraire toute
+rebellion: dont puis aprs son meurtre s'en ensuivit; duquel et
+savoir qui sont ceux et celles qui en ont donn les conseils et en sont
+coupables. Certainement le c&oelig;ur d'une s&oelig;ur perdant tels freres ne
+pouvoit pas digrer tel venin sans venger ce meurtre. J'ay ouy conter
+qu'aprs qu'elle eut ainsi bien mis le peuple de Paris en besogne de
+telles animositez et insolences, elle partit vers le prince de Parme
+luy demander secours et vengeance; et y va si<a name="page_335" id="page_335"></a> grandes et longues
+traittes, qu'il fallut un jour ses chevaux de coche demeurer si las et
+recreus au beau mitan de la Picardie dans les fanges, qu'ils ne
+pouvoient aller ny en avant, ny en arrire, ny mettre un pied l'un
+devant l'autre. Par cas passa un fort honneste gentilhomme de ce pays,
+qui estoit de la religion, qui, encore qu'elle fust dguise et de nom
+et d'habit, il la cogneut; et, ostant de devant les yeux les menes
+qu'elle avoit fait contre ceux de la religion, et l'animosit qu'elle
+leur portoit, luy, tout plein de courtoisie, il luy dit: Madame, je
+vous connois bien; je vous suis serviteur: je vous vois en mauvais
+estat; vous viendrez, s'il vous plaist, en ma maison que voil prs,
+pour vous seicher et vous reposer. Je vous accommoderay de tout ce que
+je pourray au mieux qu'il me sera possible. Ne craignez point; car
+encore que je sois de la religion, que vous nous hassiez fort, je ne
+voudrois me dpartir d'avec vous sans vous offrir une courtoisie qui
+vous est trs-ncessaire. A telle offre elle se laissa aller, et
+l'accepta fort librement: et, aprs l'avoir accommode de ce qui lui
+estoit ncessaire, reprend son chemin et la conduit deux liees, elle
+pourtant luy celant son voyage; dont depuis cette courtoisie, ce que
+j'ay ouy dire, en cette guerre, elle s'en acquitta l'endroit du
+gentilhomme par force autres courtoisies. Plusieurs se sont estonnez
+comment elle se fia luy, estant huguenot. Mais quoy! la ncessit fait
+faire beaucoup de choses; et aussi qu'elle le vid si honneste, et parler
+si honnestement et franchement, qu'elle jugea qu'il estoit enclin
+faire un trait honneste. Madame de Nemours, sa mre, ayant est
+prisonnire aprs la mort de messieurs ses enfants, ne faut point douter
+si elle demeura dsole par une telle perte insupportable, jusques l
+que de son naturel elle est dame de fort douce humeur et froide, et qui
+ne s'esmeut que bien propos, elle vint dbagouller mille injures
+contre le Roy, et lui jeter autant de maldictions et d'excrations
+(car, et qui n'est la chose, la parole qu'on ne fit et ne dit pour une
+relle vhmence de perte et de douleur?), jusques ne nommer le Roy
+autrement et tousjours que <i>ce tyran</i>. Non! je ne le veux plus appeler
+tel, mais roy trs-bon et clment, s'il me donne la mort comme mes
+enfants, pour m'oster de la misre o je suis, et me colloque en la
+batitude de Dieu. Puis aprs, appaisant ses paroles et cris, et y
+faisant quelque surcance, elle ne disoit, si-non: Ah! mes enfants! ah!
+mes enfants! ritrant ordinairement ces<a name="page_336" id="page_336"></a> paroles avec ses belles
+larmes, qui eussent amoly un c&oelig;ur de rocher. Hlas! elle les pouvoit
+ainsi plorer et regretter, estant si bons, si gnreux, si vertueux et
+valleureux, mais surtout ce grand duc de Guise, vray aisn et vray
+parangon de toute valeur et gnrosit. Aussi qu'elle aimoit si
+naturellement ses enfants, qu'un jour, moy discourant avec une grande
+dame de la Cour de maditte dame de Nemours, elle me dit que c'estoit la
+plus heureuse princesse du monde, pour plusieurs raisons qu'elle
+m'allguoit, fors en une chose, qui estoit qu'elle aimoit messieurs ses
+enfants par trop; car elle les aimoit si trs-tant, que l'apprhension
+ordinaire qu'elle avoit d'eux troubloit toute sa flicit, vivant
+ordinairement pour eux en inquitude et alarme. Je vous laisse donc
+penser combien elle sentit de maux, d'amertumes et de picqueures par la
+mort de ces deux, et par l'apprhension de l'autre, qui estoit vers
+Lyon, et M. de Nemours prisonnier: car de sa prison, disoit-elle, ne
+s'en soucioit point, ny de sa mort non plus, ainsi que je viens de dire.
+Lorsqu'on la sortit du chasteau de Blois pour la mener en celuy
+d'Amboise en plus estroite prison, ainsi qu'elle eut pass la porte elle
+haussa et tourna la teste en haut vers le portrait du roy Louis XII, son
+grand-pere, qui est l engrav en pierre au-dessus sur un cheval avec
+une fort belle grace et guerriere faon. Elle, s'arrestant l un peu et
+le contemplant, dit tout haut devant force monde l accouru, d'une belle
+et asseure contenance, dont jamais n'en fut espourveue: Si celuy qui
+est l reprsent estoit en vie, il ne permettroit pas qu'on emmenast sa
+petite-fille ainsi prisonniere, et qu'on la traittast de cette sorte;
+et puis suivit son chemin sans plus rien dire. Pensez que dans son ame
+elle imploroit et invoquoit les manes de ce gnreux ayeul, pour estre
+justes vengeurs de sa prison: ny plus ny moins que firent jadis aucuns
+des conjurateurs de la mort de Csar, lesquels, ainsi qu'ils alloient
+faire leurs coups, se tournrent vers l'estatu de Pompe, et sourdement
+implorrent et invoqurent l'ombre de sa main, jadis si valleureuse,
+pour conduire leur entreprise faire le coup qu'ils firent. Possible
+que l'invocation de cette princesse peut servir et avancer la mort du
+Roy, qui l'avoit ainsi oustrage. Une dame de grand c&oelig;ur qui couve
+une vindicte est fort craindre. Je me souviens que, quand feu monsieur
+son mary, M. de Guise, eut son coup dont il mourut, elle estoit pour
+alors au camp, qui estoit venue l pour le voir quelques jours avant.
+Ainsi qu'il entra en son logis bless, elle vint l'endevant de<a
+name="page_337" id="page_337"></a> luy jusqu' la porte de son logis toute
+esperdue et esplore, et l'ayant salu s'escria soudain: Est-il
+possible que le malheureux qui a fait le coup et celuy qui l'a fait
+faire (se doutant de M. l'admiral) en demeurent impunis? Dieu! si tu es
+juste, comme tu le dois estre, vange cecy; autrement...... et
+n'achevant le mot, M. son mary la reprit, et luy dit: Mamie, n'offensez
+point Dieu en vos paroles. Si c'est luy qui m'a envoy cecy pour mes
+fautes, sa volont soit faite, et loange luy en soit donne. S'il vient
+d'ailleurs, puisque les vengeances luy sont rserves, il fera bien
+cette-cy sans vous. Mais, luy mort, elle la poursuivit si bien, que le
+meurtrier fut tir quatre chevaux, et l'auteur prtendu d'elle fut
+massacr au bout de quelques annes, comme j'espere dire en son lieu,
+par les instructions qu'elle donna M. son fils, comme je l'ay veu, et
+les conseils et persuasions dont elle le nourrit ds sa tendre jeunesse
+jusques aprs que la vengeance en fut faite totale. Les advis et
+exhortations des femmes et meres gnreuses peuvent beaucoup en cela:
+dont je me souviens que le roy Charles IX, faisant le tour de son
+royaume, estant Bourdeaux, fut mis en prison le baron de Bournazel, un
+fort brave et honneste gentilhomme de Gascogne, pour avoir tu un autre
+gentilhomme de son pays mesme, qui s'appelloit La Tour: on disoit que
+c'estoit par grande supercherie. La veufve en poursuivit si vivement la
+punition, qu'on se donna la garde que les nouvelles vindrent en la
+chambre du Roy et de la Reyne, qu'on alloit trancher la teste au dit
+baron. Les gentilshommes et dames s'esmeurent soudain, et travailla-t-on
+fort pour luy sauver la vie. On en pria par deux fois le Roy et la Reyne
+de lui donner grace. M. le chancelier s'y porta fort, disant qu'il
+falloit que justice s'en fist. Le Roy le vouloit fort, qui estoit jeune
+et ne demandoit pas mieux que le sauver; car il estoit des gallants de
+la Cour; et M. de Cypierre l'y poussoit aussi fort. Cependant l'heure de
+l'excution approchoit, ce qui estonnoit tout le monde. Sur quoy
+survient M. de Nemours (qui aimoit ce pauvre baron, lequel l'a voit
+suivy en de bons lieux aux guerres), qui s'alla jeter de genoux aux
+pieds de la Reyne, et la supplia de donner la vie ce pauvre
+gentilhomme, et la pria et pressa tant de paroles qu'elle luy fut
+octroye; dont sur le champ fut envoy un capitaine des gardes, qui
+l'alla qurir et prendre en la prison, ainsi qu'il sortoit pour le mener
+au supplice. Par ainsi fut-il sauv, mais avec une telle peur, qu'
+jamais elle demeura empreinte sur son visage, et oncques puis ne peut
+recouvrer<a name="page_338" id="page_338"></a> couleur, comme j'ay veu et comme j'ay ouy dire de M. de
+Saint-Vallier, qui l'eschappa belle cause de M. de Bourbon. Cependant
+la veufve ne chauma pas, et vint trouver le Roy le lendemain, ainsi
+qu'il alloit la messe, et se jetta ses pieds. Elle luy prsenta son
+fils, qui pouvoit avoir trois ou quatre ans, et luy dit: Sire, au moins
+puis que vous avez donn la grace au meurtrier du pre de cet enfant, je
+vous supplie de la luy donner aussi ds cette heure, pour quand il sera
+grand, il aura eu sa revenche et tu ce malheureux. Du depuis, ce que
+j'ay ouy dire, la mere tous les matins venoit esveiller son enfant; et,
+en luy monstrant la chemise sanglante qu'avoit son pere lorsqu'il fut
+tu, et luy disoit par trois fois: Advise-la bien: et souviens-toi
+bien, quand tu seras grand, de venger cecy: autrement je te deshrite.
+Quelle animosit!</p>
+
+<p>&mdash;Moy estant en Espagne, j'ouys conter qu'Antonio Roque, l'un des plus
+braves, vaillants, fins, cauts, habiles, fameux, et des plus courtois
+bandoulliers avec cela qui fut jamais en Espagne (ce tient-on), ayant eu
+envie de se faire prestre ds sa premire profession, le jour venu qu'il
+lui falloit chanter sa premiere messe, ainsi qu'il sortoit du
+revestiaire et qu'il s'en alloit avec grande crmonie au grand autel de
+sa paroisse, bien revestu et accommod faire son office, le calice
+la main, il ouyt sa mere qui lui dit ainsi qu'il passoit: <i>Ah! vellaco,
+vellaco, mejor seria de vengar la muerte de tu padre, que de cantar
+missa</i>: Ah! malheureux et meschant que tu es! il vaudroit mieux de
+venger la mort de ton pere que de chanter messe. Cette voix lui toucha
+si bien au c&oelig;ur, qu'il retourne froidement du my-chemin, et s'en va
+au revestitoire: l se dvestit, faisant acroire que le c&oelig;ur lui
+avoit fait mal et que ce seroit pour une autre fois: et s'en va aux
+montagnes parmy les bandoulliers, s'y fist si fort estimer et renommer,
+qu'il en fut esleu chef, fait force maux et voleries, venge la mort de
+son pere, qu'on disoit avoir est tu d'un autre; d'autres qu'il avoit
+est excut par justice. Ce conte me fit un bandoullier mesme, qui
+avoit est sous sa charge autrefois, et me le loa jusques au tiers
+ciel, si que l'empereur Charles ne lui put jamais faire mal. Pour
+retourner encore madame de Nemours, le roy ne la retint guieres en
+prison, et M. Descars en fut cause en partie; car il la fit sortir pour
+l'envoyer Paris vers MM. du Mayne et de Nemours, et autres princes
+ligus, et leur porter tous paroles<a name="page_339" id="page_339"></a> de paix et oubliance de tout le
+pass; et qui estoit mort, et amys comme devant. De fait le Roy tira
+serment d'elle qu'elle feroit cette ambassade. Estant donc arrive, au
+premier abord ce ne furent que pleurs, lamentations et regrets de leur
+perte; et puis fit le rapport de sa charge. M. du Maine lui fit la
+responce en luy demandant si elle luy conseilloit cela. Elle luy
+respondit seulement: Mon fils, je ne suis pas venu ici pour vous
+conseiller, si-non pour vous dire ce qu'on m'a dit et charg. C'est
+vous songer si vous avez sujet et si le devez faire ce que je vous
+dis. Vostre c&oelig;ur et vostre conscience vous en doivent donner bon
+conseil. Quant moy, je me descharge de ce que j'ay promis. Mais, sous
+main, elle en sceut trs-bien attiser le feu, qui a dur longtemps. Il y
+a eu plusieurs personnes qui se sont fort estonnez comment le Roy, qui
+estoit si sage et des habiles de son royaume, s'aidoit de cette dame
+pour un tel ministere, l'ayant offense, qu'elle n'eust eu c&oelig;ur ny
+sentiment, si elle s'y fust employe le moins du monde: aussi se
+mocqua-t-elle bien de luy. On disoit que c'toit le beau conseil du
+marchal de Rhetz, qui en donna un pareil au roy Charles, pour envoyer
+M. de La Nou dans La Rochelle persuader les habitants la paix et
+leur obyssance et devoir; jusque-l que, pour entrer en crance avec
+eux, il luy permit de faire de l'eschauff et de l'anim pour eux et
+pour son party, faire la guerre outrance, et leur bailler advis et
+conseil contre le Roy; mais pourtant sous condition que, quand il seroit
+command et somm par le Roy ou Monsieur, son lieutenant-gnral, de
+sortir, qu'il le feroit. Il fit et l'un et l'autre, et la guerre, et
+sortit; mais cependant il asseura si bien ses gens et les aguerrit, et
+leur fit de si bonnes leons et les anima tellement, qu'ils nous firent
+ce coup la barbe. Force gens trouvoient qu'il n'y avoit l nulle
+finesse: j'ay veu tout cela, j'espre en faire tout le discours
+ailleurs. Mais ce mareschal valut cela son roy et la France: lequel
+mareschal tenoit-on mieux pour charlatan et cajoleur, que pour un bon
+conseiller et mareschal de France. Je diray encor ce petit mot de ma
+susdite dame de Nemours. J'ay ouy dire qu'ainsi qu'on bastissoit la
+Ligue, et qu'elle voyoit les cahiers et les listes des villes qui
+adhroient, et n'y voyant point encore Paris, elle disoit toujours M.
+son fils: Mon fils, cela n'est rien, il faut encore Paris, et si vous
+ne l'avez, vous n'avez rien fait; pourquoy ayez Paris. Et rien que
+Paris ne luy sonnoit la bouche, si bien que les Barricades par
+aprs<a name="page_340" id="page_340"></a> s'en ensuivirent. Voil comme un c&oelig;ur gnreux tend toujours
+au plus haut: ce qui me fait souvenir d'un petit conte que j'ay lu dans
+un roman espagnol, qui s'intitule <i>La conquista di Navarra</i>. Ce royaume
+ayant est pris et usurp sur le roy Jean par le roy d'Aragon, le roy
+Lois douziesme y envoya une arme, sous M. de La Palice, pour le
+reconqurir. Le Roy manda la reyne donne Catherine, de par M. de La
+Palice, qui lui en porta la nouvelle, qu'elle s'en vinst la Cour de
+France et y demeurer avec la reyne Anne sa femme, cependant que le roy
+son mary avec M. de La Palice attenteroient de recouvrer le royaume. La
+Reyne lui respondit gnreusement: Et comment, monsieur! je pensois que
+le roy vostre maistre vous eust ici envoy pour m'amener avec vous en
+mon royaume et me remettre dans Pampelonne, et moy vous y accompagner,
+ainsi que je m'y estois rsolue et prpare; et cette heure vous me
+conviez de m'aller tenir la Cour de France? Voil un mauvais espoir et
+sinistre augure pour moi! je vois bien que je n'y entreray jamais plus.
+Et ainsi qu'elle le prsagea, ainsi il arriva.</p>
+
+<p>Il fut dit et command madame la duchesse de Valentinois, sur
+l'approchement de la mort du roy Henry et le peu d'espoir de sa sant,
+de se retirer en son hostel de Paris et n'entrer plus en sa chambre,
+autant pour ne le perturber en ses cogitations Dieu, que pour inimiti
+qu'aucuns lui portoient. Estant doncques retire on luy envoya demander
+quelques bagues et joyaux qui appartenoient la couronne, et les eust
+rendre. Elle demanda soudain M. l'harangueur: Comment! le Roy est-il
+mort?&mdash;Non, madame, respondit l'autre, mais il ne peut guieres
+tarder.&mdash;Tant qu'il luy restera un doigt de vie donc, dit-elle, je veux
+que mes ennemys sachent que je ne les crains point, et que je ne leur
+obyrai tant qu'il sera vivant. Je suis encore invincible de courage,
+mais lorsqu'il sera mort je ne veux plus vivre aprs luy; et toutes les
+amertumes qu'on me sauroit donner ne me seront que douceurs au prix de
+ma perte: et par ainsi, mon roy vif ou mort, je ne crains pas mes
+ennemis. Cette dame monstra-l une grande gnrosit de c&oelig;ur. Mais
+elle ne mourut pas, ce dira quelqu'un, comme elle avoit dit. Elle ne
+laissa pourtant sentir plusieurs approches de la mort; et aussi que
+plustost que mourir, elle fit mieux de vouloir vivre, pour monstrer
+ses ennemys qu'elle ne les craignoit point, et que, les ayant veus
+d'autresfois bransler et s'humilier<a name="page_341" id="page_341"></a> sous elle, m en vouloit faire de
+mesme en leur endroit, et leur monstrer si bien teste et visage qu'ils
+n'osrent jamais luy faire desplaisir, mais bien mieux, dans deux ans
+ils la recherchrent plus que jamais et rentrrent en amiti, comme je
+vis: ainsi qu'est la coutume des grands et grandes, qui ont peu de tenue
+en leurs amitis, et s'accordent aisment en leurs diffrends comme
+larrons en foire, et s'aiment et se hayssent de mesme: ce que nous
+autres petits ne faisons; car, ou il se faut battre, venger et mourir,
+ou en sortir par des accords bien pointillez, bien tamisez et bien
+solemnisez; et si nous en trouvons mieux. Il faut certes admirer cette
+dame de ce trait, comme coustumirement ces grandes qui traitent les
+affaires d'Estat, font tousjours quelque chose de plus que l'ordinaire
+des autres. Voil pourquoy le feu roy Henry troisiesme dernier et la
+reyne sa mre n'aimoient nullement les dames de leur Cour qui missent
+tant leur esprit et leur nez sur les affaires d'Estat, ny s'en
+meslassent tant d'en parler, ny de ce qui touchoit de prs en fait du
+royaume; comme (disoient Leurs Majestez) si elles y avoient grande part
+et qu'elles en dusset tre hritires, ou du tout pour mieux qu'elles y
+rapportassent la sueur de leur corps ou y menassent les mains, comme les
+hommes, le maintenir: mais elles, se donnans du bon temps, causans
+sous la chemine, bien aises en leurs chaises, ou sur leurs oreillers ou
+sur leurs couchettes, devisoient bien leur aise du monde et de l'Estat
+de la France, comme si elles faisoient tout. Sur quoy repartit une fois
+une dame de par le monde, que je ne nommeray point, qui, se meslant d'en
+dire sa ratele aux premiers estats Blois, Leurs Majestez luy en
+firent faire la petite rprimande, et qu'elle se meslast des affaires de
+sa maison et prier Dieu. Elle, qui estoit un peu trop libre en
+paroles, respondit: Du temps que les roys, princes et grands seigneurs
+se croisoient pour aller outre mer et faire de si beaux exploits en la
+Terre Sainte, certainement il n'estoit permis nous autres femmes que
+de prier, orer, faire v&oelig;ux et jeusnes, afin que Dieu leur donnast bon
+voyage et bon retour; mais depuis que nous les voyons aujourd'huy ne
+faire pas plus que nous, il nous est permis de parler de tout: car,
+prier Dieu pour eux, cause de quoy, puisqu'ils ne font pas mieux que
+nous? Cette parole, certes, fut par trop audacieuse, aussi luy
+cuida-t-elle couster bon, et eust une grande peine d'obtenir
+rconciliation et pardon, qu'il fallut qu'elle demandast; et, sans un
+sujet que je dirois bien, elle<a name="page_342" id="page_342"></a> recevoit l'affletion et punition toute
+entire, et bien outrageuse. Il ne fait pas bon quelquefois dire un bon
+mot comme celuy, quand il vient la bouche; ainsi que j'ay veu
+plusieurs personnes qui ne s'y sauroient commander; car elles sont plus
+dbordes qu'un cheval de Barbarie; et, trouvant un bon brocard dans
+leur bouche, il faut qu'ils les crachent, sans espargner ny parents, ny
+amis, ni grands. J'en ay cogneu force nostre Cour de telle humeur, et
+les appeloit-on marquis ou marquises de Belle-Bouche: mais aussi bien
+souvent s'en trouvoient du guet.</p>
+
+<p>&mdash;Or, comme j'ai deduit la gnrosit d'aucunes dames en aucuns beaux
+faits de leurs vies, j'en veux descrire aucunes qu'elles ont montr en
+leur mort. Et, sans emprunter aucun exemple de l'antiquit, je ne veux
+allguer que cettuy-cy de feue madama la Rgente, mre du grand roy
+Franois. Ce fut en son temps, ainsi que j'ay ouy dire aucuns et
+aucunes qui l'ont veue et cogneue, une trs-belle dame, et fort mondaine
+aussi; et fut cela mesme en son aage dcroissant, et, pour ce, quand on
+luy parloit de la mort, en haissoit fort le discours, jusqu'aux
+prescheurs qui en parloient en leurs sermons: comme, ce disoit-elle,
+qu'on ne sceust pas assez qu'on devoit tous mourir un jour; et que tels
+prescheurs, quand ils ne sauroient dire autre chose en leurs sermons,
+et qu'ils estoient au bout de leurs leons, comme gens ignares, se
+mesloient sur cette mort. La feu reyne de Navarre, sa fille, n'aimoit
+non plus ces chansons et prdications mortuaires que sa mere. Estant
+donc venue la fin destine, et gisant dans son lict, trois jours avant
+que mourir, elle vid la nuict sa chambre toute en clart, qui estoit
+transperce par la vitre: elle se courroua ses femmes-de-chambre qui
+la veilloient pourquoy elles faisoient un feu si ardent et esclairant.
+Elles luy respondirent qu'il n'y avoit qu'un peu de feu, et que c'estoit
+la lune qui ainsi esclairoit et donnoit telle lueur. Comment, dit-elle,
+nous en sommes au bas; elle n'a garde d'esclairer cette heure. Et
+soudain, faisant ouvrir son rideau, elle vit une comette qui esclairoit
+ainsi droit sur son lict. H! dit-elle, voil un signe qui ne paroist
+pas pour personne de basse qualit. Dieu le fait paroistre pour nous
+autres grands et grandes. Refermez la fenestre; c'est une comette qui
+m'annonce la mort; il se faut donc prparer. Et le lendemain au matin,
+ayant envoy qurir son confesseur, fit tout le devoir de bonne
+chrestienne, encore que les mdecins l'asseurassent qu'elle n'estoit
+pas-l. Si je n'avois<a name="page_343" id="page_343"></a> veu, dit-elle, le signe de ma mort, je le
+croirois, car je ne me sens point si bas; et leur conta tous
+l'apparition de sa comette. Et puis, au bout de trois jours, quittant
+les songes du monde, trpassa. Je ne saurois croire autrement que les
+grandes dames, et celles qui sont belles, jeunes et honnestes, n'ayent
+plus de grands regrets de laisser le monde que les autres: et
+toutesfois, j'en vois nommer aucunes qui ne s'en sont point soucies, et
+volontairement ont receu la mort, bien que sur le coup l'annonciation
+leur soit fort amere et odieuse.</p>
+
+<p>&mdash;La feu comtesse de La Rochefoucault, de la maison de Roye mon gr
+et d'autres une des belles et agrables femmes de France, ainsi que
+son ministre (car elle estoit de la religion comme chacun sait) lui
+annoncea qu'il ne falloit plus songer au monde, et que son heure estoit
+venue, et qu'il s'en falloit aller Dieu qui l'appeloit, et qu'il
+falloit quitter les mondanitez, qui n'estoient rien aux prix de la
+batitude du ciel, elle luy dit: Cela est bon, monsieur le ministre,
+dire celles qui n'ont pas grand contentement et plaisir en cettuy-cy,
+et qui sont sur le bord de leur fosse; mais moy, qui ne suis que sur
+la verdure de mon aage et de mon plaisir en cette-cy et de ma beaut,
+vostre sentence m'est fort amere; d'autant que j'ay plus de sujet de
+m'aimer en ce monde qu'en tout autre, et regretter mourir, je vous
+veux monstrer en cela ma gnrosit, et vous asseurer que je prends la
+mort gr, comme la plus vile, abjette, basse, laide et vieille qui
+fust au monde. Et puis s'estant mis chanter des pseaumes de grand
+dvotion, elle mourut.</p>
+
+<p>&mdash;Madame d'Espernon, de la maison de Candale, fut assaillie d'une
+maladie si soudaine qu'en moins de six ou sept jours elle fut emporte.
+Avant que mourir elle tenta tous les moyens qu'elle put pour se gurir,
+implorant le secours de Dieu et des hommes par ses prires trs-dvotes,
+et de tous ses amis, serviteurs et servantes, luy faschant fort qu'elle
+vinst mourir en si jeune aage; mais, aprs qu'on luy eust remonstr
+qu'il falloit bon escient s'en aller Dieu, et qu'il n'y avoit plus
+aucun remede: Est-il vray? dit-elle, laissez-moy faire; je vais donc
+bravement me rsoudre. Et usa de ces mesmes et propres mots; et,
+haussant ses beaux bras blancs, et en touchant ses deux mains l'une
+contre l'autre, et puis, d'un visage franc et d'un c&oelig;ur asseur se
+prsenta prendre la mort en patience, et de quitter le monde, qu'elle
+commena fort abhorrer pas<a name="page_344" id="page_344"></a> des paroles trs-chrestiennes; et puis
+mourut en trs-dvote et bonne chrestienne, en l'aage de vingt-six ans,
+et l'une des belles agrables dames de son temps.</p>
+
+<p>&mdash;On dit qu'il n'est pas beau de louer les siens, mais aussi une belle
+vrit ne se doit pas cler; et c'est pourquoy je veux ici loer madame
+d'Aubeterre, ma niepce, fille de mon frere aisn, laquelle ceux qui
+l'ont veu la Cour ou ailleurs, diront bien avec moy avoir est l'une
+des belles et accomplies dames qu'on eust sceu voir, autant pour le
+corps que pour l'ame. Le corps se monstroit fort plain et
+extrieurement ce qu'il estoit, par son beau et agrable visage, sa
+taille, sa faon et sa grce; pour l'esprit, il estoit fort divin et
+n'ignoroit rien; sa parole fort propre, nave, sans fard, et qui couloit
+de sa bouche fort agrablement, fut pour la chose srieuse, fut pour la
+rencontre joyeuse. Je n'ay jamais veu femme, selon mon opinion, plus
+ressemblante nostre reyne de France Marguerite, et d'air et de ses
+perfections, qu'elle; aussi l'ouis-je dire une fois la Reyne-mere.
+C'est un mot assez suffisant pour ne la loer davantage; aussi je n'en
+diray pas plus; ceux qui l'ont veu ne me donneront, je m'asseure, nul
+dmenty sur cette loange. Elle vint estre tout coup assaillie d'une
+maladie qui ne se put point bien congnoistre des mdecins, qui y
+perdirent leur latin; mais pourtant elle avoit opinion d'estre
+empoisonne, je ne diray point de quel endroit; mais Dieu vengera tout,
+et possible les hommes. Elle fit tout ce qu'elle put pour se faire
+secourir, non qu'elle se souciast, disoit-elle, de mourir; car, ds la
+perte de son mary en avoit perdu toute crainte, encore qu'il ne fust
+certes nullement gal elle, ny ne la mritast, ny les belles larmes
+non plus qu'elle jettoit de ses beaux yeux aprs sa mort; mais eust-elle
+fort dsir de vivre encore un peu pour l'amour de sa fille, qu'elle
+laissoit tendrette, tant cette occasion estoit belle et bonne: et les
+regrets d'un mary sot, fascheux, sont fort vains et lgers. Elle, voyant
+donc qu'il n'y avoit plus de remede, et sentant son poulx, qu'elle mesme
+tastoit et connoissoit frigant (car elle s'entendoit tout), deux jours
+avant qu'elle mourust envoya qurir sa fille, et luy fit une exhortation
+trs-belle et sainte, et telle que possible ne say-je mre qui la pust
+faire plus belle ny mieux reprsente, autant pour l'instruire bien
+vivre au monde, que pour acqurir la grace de Dieu; et puis luy donna sa
+bndiction, luy commandant de ne troubler plus par ses larmes son aise
+et repos qu'elle alloit prendre avec Dieu.<a name="page_345" id="page_345"></a> Puis elle demanda son
+miroir, et s'y arregardant trs-fixement: Ah! dit-elle, traistre visage
+ ma maladie, pour laquelle tu n'as chang! (car elle le monstroit aussi
+beau que jamais) mais bientost la mort qui s'approche en aura raison,
+qui te rendra pourry et mang des vers. Elle avoit aussi mis la
+pluspart de ses bagues en ses doigts, et les regardant, et sa main et
+tout qui estoit trs-belle: Voil, dit-elle, une mondanit que j'ay
+bien aime d'autresfois; mais cette heure de bon c&oelig;ur je la laisse,
+pour me parer en l'autre monde d'une autre plus belle parure. Et voyant
+ses s&oelig;urs qui pleuroient toute outrance auprs d'elle, elle les
+consola et pria de vouloir prendre en gr avec elle ce qu'il plaisoit
+Dieu de luy envoyer; et que, s'estants tousjours si fort aimes, elles
+n'eussent regret ce qui luy apportoit de la joie et contentement; et
+que l'amiti qu'elle leur avoit tousjours porte dureroit ternellement
+avec elles; les priant d'en faire le semblable, et mesme l'endroit de
+sa fille: et les voyant renforcer leurs pleurs, elle leur dit encore:
+Mes s&oelig;urs si vous m'aimez, pourquoy ne vous rjouissez-vous avec moy
+de l'eschange que je fais d'une vie misrable avec un trs-heureuse? Mon
+ame, lasse de tant de travaux, desire en estre delie, et estre en lieu
+de repos avec Jsus-Christ mon sauveur; et vous la souhaitez encor
+attache ce chetif corps, qui n'est que sa prison et non son domicile.
+Je vous supplie donc, mes s&oelig;urs, ne vous affliger davantage. Tant
+d'autres pareils propos beaux et chrestiens dit-elle, qu'il n'y a si
+grand docteur qui en eust pu profrer de plus beaux, lesquels je coule.
+Sur-tout elle demandoit voir madame de Bourdeille sa mre, qu'elle
+avoit pri ses s&oelig;urs d'envoyer qurir, et souvent leur disoit: Mon
+Dieu! mes s&oelig;urs, madame de Bourdeille ne vient-elle point? Ah! que
+vos courriers sont longs! ils ne sont pas guieres bons pour faire
+diligences grandes et postes. Elle y alla, mais ne la put voir en vie,
+car elle estoit morte une heure devant. Elle me demanda fort aussi,
+qu'elle appeloit tousjours son cher oncle, et nous envoya le dernier
+adieu. Elle pria de faire ouvrir son corps aprs sa mort, ce qu'elle
+avoit tousjours fort dtest, afin, dit-elle ses s&oelig;urs, que la
+cause de sa mort leur estant plus plain dcouverte, cela leur fust une
+occasion, et sa fille, de conserver et prendre garde leurs vie;
+car, dit-elle, il faut que j'advoue que je souponne d'avoir est
+empoisonne depuis cinq ans avec mon oncle de Branthome et ma s&oelig;ur la
+comtesse de Durtal: mais je pris le plus gros morceau:<a
+name="page_346" id="page_346"></a> non toutesfois que je veuille charger
+personne, craignant que ce soit faux, et que mon ame en demeure
+charge, laquelle je desire estre vuide de tout blasme, rancune,
+inimiti et pch, pour voler droit Dieu son crateur.</p>
+
+<p>Je n'aurois jamais fait si je disois tout; car ses devis furent grands
+et longs, et point se ressentant d'un corps fany, esprit foible et
+dcadant. Sur ce, il y eut un gentilhomme son voisin qui disoit bien le
+mot, et avoit aim causer et bouffonner avec luy, qui se prsenta.
+Elle luy dit: Ah! mon amy! il se faut rendre ce coup, et langue et
+dague, et tout Dieu! Son mdecin et ses s&oelig;urs luy vouloient faire
+prendre quelque remede cordial: elle les pria de ne luy en donner point:
+car ils ne serviroient rien plus, dit-elle, qu' prolonger ma vie et
+retarder mon repos. Et pria qu'on la laissast: et souvent l'oyoit-on
+dire: Mon Dieu, que la mort est douce! et qui l'eust jamais pens? Et
+puis, peu peu, rendant ses esprit fort doucement, ferma les yeux, sans
+faire aucuns signes hideux et affreux que la mort produit sur ce poinct
+ plusieurs. Madame de Bourdeille, sa mere, ne tarda guieres la
+suivre; car la mlancolie qu'elle conceut de cette honneste fille
+l'emporta dans dix-huict mois, ayant est malade sept mois, ores bien en
+espoir de gurir et ores en dsespoir; et dez le commencement elle dit
+qu'elle n'en reschapperoit jamais, n'apprhendant nullement la mort, ne
+priant jamais Dieu de luy donner vie ne sant, mais patience en son mal,
+et sur-tout qu'il luy envoyast une mort douce et point aspre et
+langoureuse; ce qui fut, car, ainsi que nous ne la pensions
+qu'esvanoie, elle rendit l'ame si doucement qu'on ne luy vit jamais
+remer ny pieds, ny bras, ny jambes, ny faire aucun regard affreux ny
+hideux; mais, contournant ses yeux aussi beaux que jamais, trespassa, et
+resta morte aussi belle qu'elle avoit est vivante en sa perfection.
+Grand dommage certes, d'elle et de ses belles dames qui meurent ainsi en
+leurs beaux ans! si ce n'est que je croy que le ciel, ne se contentant
+de ses beaux flambeaux qui ds la cration du monde ornent sa voute,
+veut par elles avoir outre plus des astres nouveaux pour nous illuminer,
+comme elles ont fait estant vives, de leu beaux yeux. Cette-cy et non
+plus.</p>
+
+<p>&mdash;Vous avez eu ces jours passez madame de Balagny, vray s&oelig;ur en tout
+de ce brave Bussy. Quand Cambray fut assig elle y fit tout ce qu'elle
+put, d'un c&oelig;ur brave et gnreux, pou en dfendre la prise: mais
+aprs s'estre en vain vertue pa<a name="page_347" id="page_347"></a> toutes sortes de dfenses qu'elle y
+put apporter, voyant que c'estoit fait, et que la ville estoit en la
+puissance de l'ennemy, et la citadelle s'en alloit de mesme; ne pouvant
+supporter ce grand creve-c&oelig;ur de desloger de sa principaut (car son
+mary et elle se faisoient appeler prince et princesse de Cambray et
+Cambresis; titre qu'on trouvoit parmy plusieurs nations odieux et trop
+audacieux, veu leurs qualitez de simples gentilshommes), mourut et crva
+de tristesse dans la place d'honneur. Aucuns disent qu'elle mesme se
+donna la mort, qu'on trouvoit pourtant estre acte plustot payen que
+chrestien. Tant y a qu'il la faut loer de la grande gnrosit en cela
+et de la remonstrance qu'elle fit son mary l'heure de sa mort, quand
+elle luy dit: Que te reste-t-il, Balagny, de plus vivre aprs ta
+dsole infortune, pour servir de rise et de spectacle au monde, qui te
+monstrera au doigt, sortant d'une si grande gloire o tu t'es veu haut
+eslev, en une basse fortune que je te voy prpare si tu ne fais comme
+moy? Apprens donc de moy bien mourir et ne survivre ton malheur et ta
+drision. C'est un grand cas quand une femme nous apprend vivre et
+mourir! A quoy il ne voulut obtemprer ny croire! car, au bout de sept
+ou huict mois, oubliant la mmoire prestement de cette brave femme, il
+se remaria avec la s&oelig;ur de madame de Monceaux, belle certes et
+honneste demoiselle; monstrant plusieurs qu'enfin il n'y a que vivre,
+en quelque faon que ce soit.</p>
+
+<p>&mdash;Certes la vie est bonne et douce; mais aussi une mort gnreuse est
+fort loer, comme cette-cy de cette dame, laquelle, si elle est morte
+de tristesse, et bien contre le naturel d'aucunes dames, qu'on dit estre
+contraire au naturel des hommes; car elles meurent de joye et en joye.
+Je n'en allguerai que ce seul conte de mademoiselle de Limeuil
+l'aisne, qui mourut la Cour estant l'une des filles de la Reyne.
+Durant sa maladie dont elle trespassa jamais le bec ne luy cessa, ains
+causa toujours; car elle estoit fort grand parleuse, brocardeuse et
+trs-bien et fort propos, et trs-belle avec cela. Quand l'heure de sa
+mort fut venue, elle fit venir soy son vallet (ainsi que les filles de
+la Cour en ont chacune le leur), et s'appeloit Julien, qui jouoit
+trs-bien du violon: Julien, luy dit-elle, prenez vostre violon et
+sonnez-moy tousjours, jusques ce que me voyez morte (car je m'y en
+vois), la defaitte des Suisses, et le mieux que vous pourrez: et quand
+vous serez sur le mot, <i>tout est perdu</i>, sonnez-le par quatre ou cinq<a
+name="page_348" id="page_348"></a> fois, le plus piteusement que vous
+pourrez; ce que fit l'autre, et elle-mesme lui aidoit de la voix: et
+quand ce vint <i>tout est perdu</i>, elle le rcita par deux fois; et se
+tournant de l'autre cost du chevet, elle dit ses compagnes: Tout est
+perdu ce coup, et bon escient; et ainsi dcda. Voil une mort
+joyeuse et plaisante. Je tiens ce conte de deux de ses compagnes dignes
+de foy, qui virent joer le mystere. S'il y a ainsi aucunes femmes qui
+meurent de joye ou joyeusement, il se trouve bien des hommes qui ont
+fait de mesme; comme nous lisons de ce grand pape Lon, qui mourut de
+joye et liesse, quand il vit nous autres Franois chass du tout hors de
+l'Estat de Milan, tant il nous portoit de haine.</p>
+
+<p>&mdash;Feu M. le grand-prieur de Lorraine prit une fois envie d'envoyer en
+course vers le Levant, deux de ses galleres sous la charge du capitaine
+Beaulieu, l'un de ses lieutenants, dont je parle ailleurs, Ce Beaulieu y
+alla fort bien, car il estoit brave et vaillant: quand il fut vers
+l'Archipelage, il rencontra une grande nau vnitienne bien arme et bien
+riche: il la commena la canonner; mais la nau luy rendit bien sa
+salue; car de la premire vole elle luy emporta deux de ses bancs avec
+leurs forats tout net, et son lieutenant qui s'appelloit le capitaine
+Panier, bon compagnon, qui pourtant eut le loisir de dire: Adieu
+paniers, vendanges sont faites. Sa mort fut plaisante par ce bon mot.
+Ce fut M. de Beaulieu se retirer, car cette nau estoit pour luy
+invincible.</p>
+
+<p>&mdash;La premire anne que le roy Charles neufiesme fut roy, lors de l'dit
+de juillet, qui se tenoit aux faux de Saint Germain, nous vismes pendre
+un enfant de la matte la mesme, qui avait drob six vaisselles d'argent
+de la cuisine de M. le prince de La Roche-sur-Yon. Quand il fut sur
+l'eschelle, il pria le bourreau de luy donner un peu de temps de parler,
+et se mit sur le devis en remonstrant au peuple qu'on le faisoit mourir
+ tort: car, disoit-il, je n'ay point jamais exerc mes larcins sur des
+pauvres gens, gueux et malotrus, mais sur les princes et les grands, qui
+sont plus grands larrons que nous et qui nous pillent tous les jours; et
+n'est que bien fait de repeter d'eux ce qu'ils nous derrobent et nous
+prennent. Tant d'autres sornettes plaisantes, dit-il, qui seroient
+superflues de raconter, si-non que le prestre qui estoit mont sur le
+haut de l'eschelle avec luy, et s'estoit tourn vers le peuple, comme
+on<a name="page_349" id="page_349"></a> void, il luy escria: Messieurs, ce pauvre patient se recommande
+vos bonnes prires: nous dirons tous pour luy et son ame, un <i>Pater
+noster</i> et un <i>Ave Maria</i>, et chanterons <i>Salve</i>, et que le peuple luy
+respondoit, ledit patient baissa la teste, et regardant ledit prestre,
+commena brailler comme un veau et se moqua du prestre fort
+plaisamment, puis luy donna du pied et l'envoya du haut de l'eschelle en
+bas, si grand sault qu'il s'en rompit une jambe. Ah! monsieur le
+prestre, par Dieu, dit-il, je savois bien que je vous deslogerais de
+l. Il en a, le gallant, l'oyant plaindre, et se mit rire belle
+gorge dploye, et puis luy-mesme se jetta au vent. Je vous jure qu' la
+Cour on rit bien de ce trait, bien que le pauvre prestre se fust fait
+grand mal. Voil une mort certes non guieres triste. Feu M. d'Etampes
+avoit un fou qui s'appeloit Colin, fort plaisant. Quant sa mort
+s'approcha, M. d'Estampes demanda comment se portoit Colin. On luy dit:
+Pauvrement, monsieur, il s'en va mourir, car il ne veut rien
+prendre.&mdash;Tenez, dit M. d'Estampes, qui lors estoit table, portez-lui
+ce potage, et dites-luy que, s'il ne prend quelque chose pour l'amour de
+moy, que je ne l'ameray jamais, car on m'a dit qu'il ne veut rien
+prendre. L'on fit l'ambassade Colin, qui, ayant la mort entre les
+dents, fit response: Et qui sont-ils ceux-l qui ont dit Monsieur que
+je ne voulois rien prendre? Et estant entourn d'un million de mouches
+(car c'estoit en est), il se mit joer de la main l'entour d'elles,
+comme l'on voit les pages et laquais et autres jeunes enfants aprs
+elles; et en ayant pris deux au coup, et en faisant le petit tour de la
+main qu'on se peut mieux reprsenter que l'escrire, Dittes Monsieur,
+dit-il, voil que j'ay pris pour l'amour de luy, et que je m'en vais au
+royaume des mouches. Et se tournant de l'austre cost, le gallant
+trespassa. Sur ce j'ay ouy dire aucuns philosophes, que volontiers
+aucunes personnes se souviennent leur trespas des choses qu'ils ont
+plus aimes, et les recordent, comme les gentilshommes, les gens de
+guerre, les chasseurs et les artisans, bref de tous quasi en leur
+profession mourants ils en causent quelque mot: cela s'est veu et se
+voit souvent. Les femmes de mesmes en disent aussi quelque rattelle,
+jusques aux putains; ainsi que j'ay ouy parler d'une dame d'assez bonne
+qualit, qui sa mort triompha de dbagouler de ses amours,
+paillardises et gentillesses passes: si-bien qu'elle en dit plus que le
+monde n'en savoit, bien qu'on la soupconnast fort putain. Possible
+pouvoit-elle<a name="page_350" id="page_350"></a> aire cette dcouverte, ou en resvant, ou que la vrit,
+qui ne se peut cler, l'y contraignist, ou qu'elle voulust en descharger
+sa conscience, comme de vray en saine conscience et repentance. Elle en
+confessa aucuns en demandant pardon, et les espcitioit et cottoit en
+marge que l'on y voyoit tout clair. Vrayment, ce dit quelqu'un, elle
+estoit bien loisir d'aller sur cette heure nettoyer sa conscience d'un
+tel ballay d'escandale, par une si grande spciaut!</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy parler d'une dame qui, fort sujette songer et resver toutes
+les nuicts, qu'elle disoit la nuict tout ce qu'elle faisoit le jour; si
+bien qu'elle-mesme s'escandalisa l'endroit de son mary, qui se mit
+l'ouyr parler, gazouiller et prendre pied ses songes et resveries,
+dont aprs mal en prit elle. Il n'y a pas long-temps qu'un gentilhomme
+de par le monde, en une province que je ne nommeray point, en mourant en
+fist de mesme, et publia ses amours et paillardises, et spcifia les
+dames et damoiselles avec lesquelles il avoit eu faire, et en quels
+lieux et rendez-vous, et de quelles faons, dont il s'en confessoit tout
+haut, et en demandoit pardon Dieu devant tout le monde. Cettuy-l
+faisoit pis que la femme, car elle ne faisoit que s'escandaliser, et
+ledit gentilhomme escandalisoit plusieurs femmes. Voil de bons gallants
+et gallantes!</p>
+
+<p>&mdash;On dit que les avaritieux et avaritieuses ont aussi cette humeur de
+songer fort leur mort en leurs trsors d'escus, les ayant tousjours en
+la bouche. Il y a environ quarante ans qu'une dame de Mortemar, l'une
+des plus riches dames du Poictou, et des plus pcunieuses, et aprs
+venant mourir, ne songeant qu' ses escus qui estoient en son cabinet,
+et tant qu'elle fut malade se levoit vingt fois le jour aller voir son
+trsor. Enfin, s'approchant fort de la mort, et que le prestre
+l'exhortoit fort la vie ternelle, elle ne disoit autre chose et ne
+respondoit que: Donnez-moi ma cotte, donnez-moi ma cotte; les mchants
+me des-robbent; ne songeant qu' se lever pour aller voir son cabinet,
+comme elle faisoit les efforts, si elle eust pu la bonne dame; et ainsi
+elle mourut.</p>
+
+<p>Je me suis sur la fin un peu entrelass de mon premier discours; mais
+prenez le cas qu'aprs la moralit et la tragdie vient la farce. Sur ce
+je fais fin.<a name="page_351" id="page_351"></a></p>
+
+<h2><a name="DISCOURS_SEPTIEME" id="DISCOURS_SEPTIEME"></a>DISCOURS SEPTIEME.</h2>
+
+<p class="c">Sur ce qu'il ne faut jamais parler mal des dames, et de la
+consquence qui en vient. </p>
+
+<p>Un point y a-t-il noter en ces belles et honnestes dames qui font
+l'amour, et qui, quelques esbats qu'elles se donnent, ne veulent estre
+offenses ny scandalises des paroles de personne; et qui les offensent,
+s'en savent bien revancher, ou tost ou tard: bref, elles le veulent
+bien faire, mais non pas qu'on en parle. Aussi certes n'est-il pas beau
+d'escandaliser une honneste dame ny la divulguer; car qu'ont faire
+plusieurs personnes, si elles se contentent et leurs amoureux aussi? Nos
+cours de France, aucunes, et mesme les dernieres, qui ont est fort
+sujettes blasonner de ces honnestes dames; et ay veu le temps qu'il
+n'estoit pas gallant homme qui ne controuvast quelque faux dire contre
+ces dames, ou bien qui n'en rapportast quelque vray: quoy il y a un
+trs-grand blasme; car on ne doit jamais offenser l'honneur des dames,
+et surtout les grandes. Je parle autant de ceux qui en reoivent des
+joissances comme de ceux qui ne peuvent taster de la venaison et la
+descrient.</p>
+
+<p>Nos cours dernieres de nos roys, comme j'ay dit, ont est fort sujettes
+ ces mdisances et pasquins, bien diffrentes celles de nos autres
+roys leurs prdcesseurs, fors celle du roy Louis XI, ce bon rompu,
+duquel on dit que la pluspart du temps il mangeoit en commun, pleine
+sale, avec force gentilshommes de ses plus privez, et autres et tout; et
+celuy qui luy faisoit le meilleur et plus lascif conte des dames de
+joye, il estoit le mieux venu et festoy: et luy-mesme ne s'espargnoit
+en faire, car il s'en enqueroit fort, et en vouloit souvent savoir, et
+puis en faisoit part aux autres, et publiquement<a name="FNanchor_111_111" id="FNanchor_111_111"></a><a href="#Footnote_111_111" class="fnanchor">[111]</a>. C'estoit bien un
+scandale grand que celuy-l.<a name="page_352" id="page_352"></a> Il avoit trs-mauvaise opinion des femmes,
+et ne les croyoit toutes chastes. Quand il convia le roy d'Angleterre de
+venir Paris faire bonne chre, et qu'il fut pris au mot, il s'en
+repentit aussitost e trouva un <i>alibi</i> pour rompre le coup. Ah! pasque
+Dieu! ce dit-il, je ne veux pas qu'il y vienne; il y trouveroit quelque
+petite affetee et saffrette de laquelle il s'amouracheroit, et elle luy
+feroit venir le goust d'y demeurer plus long-temps et d'y venir plus
+souvent que je ne voudrois. Il eut pourtant trs-bonne opinion de sa
+femme, qui estoit sage et vertueuse: aussi la luy falloit-il telle, car,
+estant ombrageux et soubonneux prince s'il en fut onc, il luy eust
+bientost fait passer le pas des autres: et quand il mourut, il commanda
+ son fils d'aimer et honorer fort sa mre, mais non de se gouverner par
+elle; non qu'elle ne fust fort sage et chaste, dit-il, mais qu'elle
+estoit plus bourguignone que franoise. Aussi ne l'aima-t-il jamais que
+pour en avoir ligne, et, quand il en eust, il n'en faisoit guieres de
+cas: il la tenoit au chasteau d'Amboise comme une simple dame, portant
+fort petit estat et aussi mal habille que simple damoiselle; et la
+laissoit l avec petite cour faire ses prieres, et luy s'alloit
+pourmener et donner du bon temps. D'ailleurs je vous laisse penser,
+puisque le Roy avoit opinion telle des dames et s'en plaisoit mal
+dire, comment elles estoient repasses parmy toutes les bouches de la
+Cour; non qu'il leur voulust mal autrement pour ainsy s'esbattre, ny
+qu'il les voulust reprimer rien de leurs jeux, comme j'ay veu aucuns;
+mais son plus grand plaisir estoit de les gaudir; si bien que ces
+pauvres femmes, presses de tel bast de mdisances, ne pouvoient bien si
+souvent hausser la croupire si librement comme elles eussent voulu. Et
+toutesfois le putanisme regna fort de son<a name="page_353" id="page_353"></a> temps, car le Roy luy-mesme
+aidoit fort a le faire et le maintenir avec les gentilshommes de sa
+Cour, et puis c'estoit qui mieux en riroit, soit en public ou en
+cachette, et qui en feroit de meilleurs contes de leurs lascivitez et de
+leurs tordions (ainsi parloit-il) et de leur gaillardise. Il est vray
+que l'on couvroit le nom des grandes, que l'on ne jugeoit que par
+apparences et conjectures; je croy qu'elles avoient meilleur temps que
+plusieurs que j'ay veu du regne du feu roy, qui les tanoit et
+censuroit, et reprimoit estrangement. Voil ce que j'ay ouy dire de ce
+bon roy d'aucuns anciens. Or le roy Charles huictiesme son fils, qui
+luy succda, ne fut de cette complexion; car on dit de luy que 'a est
+le plus sobre et honneste roy en paroles que l'on vid jamais, et n'a
+jamais offens ny homme ny femme de la moindre parole du monde. Je vous
+laisse donc penser si les belles dames de son regne, et qui se
+resjouissoient, n'avoient pas bon temps. Aussi les aima-t-il fort et les
+servit bien, voire trop; car, tournant de son voyage de Naples
+trs-victorieux et glorieux, il s'amusa si fort les servir, caresser,
+et leur donner tant de plaisirs Lyon par les beaux combats et tournois
+qu'il fit pour l'amour d'elles, que, ne se souvenant point des siens
+qu'il avoit laisss en ce royaume, les laissa perdre, et villes et
+royaume et chasteaux qui tenoient encore et luy tendoient les bras pour
+avoir secours. On dit aussi que les dames furent cause de sa mort,
+auxquelles, pour s'estre trop abandonn, luy qui estoit de fort debile
+complexion, s'y nerva et dbilita tant que cela luy aida mourir.</p>
+
+<p>&mdash;Le roy Lois douziesme fut fort respectueux aux dames; car, comme j'ay
+dit ailleurs, il pardonnoit tous les comdians de son royaume, comme
+escoliers et clercs de palais en leurs basoches, de quiconque ils
+parleroient, fors de la reyne sa femme et de ses dames et damoiselles,
+encor qu'il fust bon compagnon en son temps et qu'il aimast bien les
+dames autant que les autres, tenant en cela, mais non de la mauvaise
+langue, ny de la grande prsomption, ny vanterie du duc Lois d'Orlans,
+son ayeul: aussi cela lui cousta-t-il la vie, car s'estant une fois
+vant tout haut, en un banquet o estoit le duc Jean de Bourgogne son
+cousin, qu'il avoit en son cabinet le pourtrait des plus belles dames
+dont il avoit joy, par cas fortut, un jour le duc Jean entra dans ce
+cabinet; la premire dame qu'il voit pourtraitte et se prsente du
+premier aspect ses yeux, ce fut sa noble dame espouse, qu'on tenoit de
+ce temps-l trs-belle: elle s'appeloit Margueritte, fille d'Albert<a
+name="page_354" id="page_354"></a> de Bavire, comte de Haynault et de
+Zelande. Qui fut esbahy? ce fut le bon espoux: pensez que tout bas il
+dit ce mot: Ah! j'en ay. Et ne faisant cas de la puce qui le piquoit
+autrement, dissimula tout, et, en couvant vengeance, le querella pour la
+rgence et administration du royaume; et colorant son mal sur ce sujet
+et non sur sa femme, le fit assassiner la porte Barbette Paris, et
+sa femme premire morte, pensez de poison: et aprs la vache morte,
+espousa en secondes noces la fille de Lois troisiesme, duc de Bourbon.
+Possible qu'il n'empira le march; car tels gens sujets aux cornes ils
+ont beau changer de chambres et de repaires, ils y en trouvent toujours.
+Ce duc en cela fit trs-sagement de se vanger de son adultre sans
+s'escandaliser ny lui ny sa femme; qui fut luy une trs-sage
+dissimulation. Aussi ay-je ouy dire un trs-grand capitaine qu'il y a
+trois choses lesquelles l'homme sage ne doit jamais publier s'il en est
+offens, et en doit taire le sujet, et plustost en inventer un autre
+nouveau pour en avoir le combat et la veangeance, si ce n'est que la
+chose fust si vidente et claire devant plusieurs, qu'autrement il ne se
+pust desdire. L'une est quand on reproche un autre qu'il est cocu et
+sa femme publique; l'autre, quand on le taxe de b........ et sodomie; la
+troisiesme, quand ou luy met sus qu'il est un poltron, et qu'il a fuy
+vilainement d'un combat ou d'une bataille. Ces trois choses, disoit ce
+grand capitaine, sont fort escandaleuses quand on en publie le sujet de
+laquelle on combat, et pense-t-on quelquefois s'en bien nettoyer que
+l'on s'en sallist villainement; et le sujet en estant publi scandalise
+fort, et tant plus il est remu, tant plus mal il sent, ny plus ny moins
+qu'une grande puanteur quand plus on la remu. Voil pourquoy qui peut
+avoir son honneur caler c'est le meilleur, et excogiter et tenter un
+nouveau sujet pour avoir raison du vieux; et telles offenses, le plus
+tard que l'on peut, ne se doivent jamais mettre en cause, contestation
+ny combat. Force exemples allguerois-je pour ce fait; mais il
+m'incommoderoit et allongeroit par trop mon discours. Voil pourquoy ce
+duc Jean fut trs-sage de dissimuler et cacher ses cornes, et se
+revanger d'ailleurs sur son cousin qui l'avoit hony; encor s'en
+mocquoit-il et le faisoit entendre: dont il ne faut point douter que
+telle drision et escandale ne luy touchast autant au c&oelig;ur que son
+ambition, et luy fit faire ce coup en fort habile et sage mondain.</p>
+
+<p>&mdash;Or, pour retourner de-l o j'estois demeur, le roy Franois,<a
+name="page_355" id="page_355"></a> qui a bien aim les dames, et encore
+qu'il eust opinion qu'elles fussent fort inconstantes et variables,
+comme j'ay dit ailleurs, ne voulut point qu'on en mdist en sa cour, et
+voulut qu'on leur portast un grand honneur et respect. J'ay ouy raconter
+qu'une fois, luy passant son caresme Meudon prs Paris, il y eut un
+sien gentilhomme servant, qui s'appelloit Busembourg de Xaintonge,
+lequel servant le Roy de la viande, dont il avoit dispense, le Roy lui
+commanda de porter le reste, comme l'on void quelquefois la Cour, aux
+dames de la petite bande, que je ne veux nommer, de peur d'escandale. Ce
+gentilhomme se mit dire, parmy ses compagnons et autres de la Cour,
+que ces dames ne se contentoient pas de manger de la chair cru en
+caresme, mais en mangeoient de la cuitte, et leur benoist saoul. Les
+dames le sceurent, qui s'en plaignirent aussitost au Roy, qui entra en
+si grande collere, qu' l'instant il commanda aux archers de la garde de
+son hostel de l'aller prendre et pendre sans autre delay. Par cas ce
+pauvre gentilhomme en sceut le vent par quelqu'un de ses amis, qui vada
+et se sauva bravement: que s'il eust t pris, pour le seur il estoit
+pendu, encor qu'il fust gentilhomme de bonne part, tant on vid le Roy
+cette fois en collere, ny faire plus de jurement. Je tiens ce conte
+d'une personne d'honneur qui y estoit, et lors le Roy dit tout haut que
+quiconque toucheroit l'honneur des dames, sans remission il seroit
+pendu.</p>
+
+<p>&mdash;Un peu auparavant, le pape Paul Farnse estant venu Nice, le Roy le
+visitant en toute sa Cour, et de seigneurs et dames, il y en eut
+quelques-unes, qui n'toient pas des plus laides, qui lui allrent
+baiser la pantoufle; sur quoy un gentilhomme se mit dire qu'elles
+estoient alles demander Sa Saintet dispense de taster de la chair
+cru sans escandale toutesfois et quantes qu'elles voudroient. Le Roy le
+sceut; et bien servit au gentilhomme de se sauver, car il fut est
+pendu, tant pour la rvrence du Pape que du respect des dames. Ces
+gentilshommes ne furent si heureux en leurs rencontres et causeries
+comme feu M. d'Albanie. Lors que le pape Clment vint Marseille faire
+les nopces de sa niepce avec M. d'Orlans, il y eut trois dames, belles
+et honnestes veufves, lesquelles, pour les douleurs, ennuys et
+tristesses qu'elles avoient de l'absence et des plaisirs passez de leurs
+marys, vindrent si bas et si fort attnues, dbiles et maladives,
+qu'elles prirent M. d'Albanie, son parent, qui avoit bonne part aux
+graces du Pape, de lui demander dispense pour elles trois de manger de
+la chair<a name="page_356" id="page_356"></a> les jours deffendus. Le duc d'Albanie leur accorda, et les fit
+venir un jour fort familirement au logis du Pape; et pour ce en
+advertit le Roy, et qu'il lui en donneroit du passe-temps, et luy ayant
+dcouvert la baye. Estant toutes trois genoux devant Sa Saintet, M.
+d'Albanie commena le premier, et dit assez bas en italien, que les
+dames ne l'entendoient point: Pre saint, voil trois dames veufves,
+belles et bien honnestes, comme vous voyez, les-quelles pour la
+rvrence qu'elles portent leurs marys trespassez, et l'amiti des
+enfants qu'elles ont eu d'eux, ne veulent pour rien du monde aller aux
+secondes nopces, pour faire tort leurs marys et enfants; et, parce que
+quelquesfois elles sont tentes des aiguillons de la chair, elles
+supplient trs-humblement Vostre Saintet de pouvoir avoir approche des
+hommes hors mariage, si et quantes fois qu'elles seroient en cette
+tentation.&mdash;Comment, dit le Pape, mon cousin! ce seroit contre les
+commandements de Dieu, dont je ne puis dispenser. Les voil, pre saint,
+disoit le duc, s'il voust plaist les ouyr parler. Alors l'une des
+trois, prenant la parole, dit: Pre saint, nous avons pri M. d'Albanie
+de vous faire une requeste trs-humble pour nous autres trois, et vous
+remonstrer nos fragilitez et dbiles complexions.&mdash;Mes filles, dit le
+Pape, la requeste n'est nullement raisonnable, car ce seroit contre les
+commandements de Dieu. Les dites veufves, ignorantes de ce que luy
+avoit dit M. d'Albanie, luy rpliqurent: Pre saint, au moins plaise
+nous en donner cong trois fois de la sepmaine, et sans
+escandale.&mdash;Comment! dit le Pape, de vous permettre <i>il peccato di
+lussaria</i><a name="FNanchor_112_112" id="FNanchor_112_112"></a><a href="#Footnote_112_112" class="fnanchor">[112]</a>? je me damnerois; aussi que je ne le puis faire. Les
+dites dames, connoissant alors qu'il y avoit de la fourbe et raillerie,
+et que M. d'Albanie leur en avoit donn d'une, dirent: Nous ne parlons
+pas de cela, pre saint, mais nous demandons permission de manger de la
+chair les jours prohibs. L-dessus le duc d'Albanie leur dit: Je
+pensois, mes dames, que ce fust de la chair vive. Le Pape aussi-tost
+entendit la raillerie, et se prit sourire, disant: Mon cousin, vous
+avez fait rougir ces honnestes dames; la reyne s'en faschera quand elle
+le saura: la-quelle le sceut et n'en fit autre semblant, mais trouva
+le conte bon; et le Roy puis aprs en rit bien fort avec le Pape,
+lequel, aprs leur avoir donn sa bndiction, leur octroya le cong
+qu'elles<a name="page_357" id="page_357"></a> demandoient, et s'en allrent trs-contentes. L'on m'a nomm
+les trois dames: madame de Chasteau-Briant ou madame de Canaples, madame
+de Chastillon, et madame la baillive de Caen, trs-honnestes dames. Je
+tiens ce conte des anciens de la Cour<a name="FNanchor_113_113" id="FNanchor_113_113"></a><a href="#Footnote_113_113" class="fnanchor">[113]</a>.</p>
+
+<p>&mdash;Madame d'Uzez fit bien mieux du temps que le pape Paul troisiesme vint
+ Nice voir le roy Franois. Elle estant madame du Bellay, et qui ds sa
+jeunesse a tousjours eu de plaisants traits et dit de fort bons mots, un
+jour, se prosternant devant Sa Saintet, le supplia de trois choses:
+l'une, qu'il luy donnast l'absolution, d'autant que, petite garce, fille
+ madame la rgente, et qu'on la nommoit Tallard, elle perdit ses
+ciseaux en faisant son ouvrage; elle fit v&oelig;u saint Alivergot de le
+luy accomplir si elle les trouvoit, ce qu'elle fit; mais elle ne
+l'accomplit ne sachant o gisoit son corps saint. L'autre requeste fut
+qu'il lui donnast pardon de quoy, quand le pape Clment vint
+Marseille, elle estant fille Tallard encore, elle prit un de ses
+oreillers en sa rulle de lict, et s'en torcha le devant et le derrire,
+dont aprs Sa Saintet reposa dessus son digne chef et visage et bouche,
+qui le baisa. La troisiesme, qu'il excommuniast le sieur de Tays, par ce
+qu'elle l'aimoit et luy ne l'aimoit point, et qu'il est maudit et est
+celuy excommuni qui n'aime point s'il est aim. Le Pape, estonn de ses
+demandes, et s'estant enquis au Roy qui elle estoit, sceut ses causeries
+et en rit son saoul avec le Roy. Je ne m'estonne pas si depuis elle a
+est huguenotte et s'est bien mocque des papes, puis que de si bonne
+heure elle commena: et de ce temps, toutes fois, tout a est trouv bon
+d'elle, tant elle avoit bonne grace en ses traits et bons mots. Or ne
+pensez pas que ce grand roy fust si abstraint et si rform au respect
+des dames, qu'il n'en aimast de bons contes qu'on luy en faisoit, sans
+aucun escandale pourtant ny descriement, et qu'il n'en fist aussi; mais,
+comme grand roy qu'il estoit et bien privilgi, il ne vouloit pas qu'un
+chacun, ny le commun, usast de pareil privilege que luy.</p>
+
+<p>J'ay ouy conter aucuns qu'il vouloit fort que les honnestes
+gentilshommes de sa cour ne fussent jamais des sans maistresses; et
+s'ils n'en faisoient il les estimoit des fats et des sots: et bien
+souvent aux uns et aux autres leur en demandoit les noms, et<a
+name="page_358" id="page_358"></a> promettoit les y servir et leur en dire
+du bien, tant il estoit bon et familier: et souvent aussi quand il les
+voyoit en grand arraisonnement avec leurs maistresses, il les venoit
+accoster et leur demander quels bons propos ils avoient avec elles; et
+s'il ne les trouvoit bons, il les corrigeoit et leur en apprenoit
+d'autres. A ses plus familiers il n'estoit point avare ny chiche de leur
+en dire ny dpartir de ses contes, dont j'en ay ouy faire un plaisant
+qui luy advint, puis aprs le rcita, d'une belle jeune dame venue la
+Cour, laquelle, pour n'y estre bien ruse, se laissa aller fort
+doucement aux persuasions des grands, et sur-tout de ce grand roy;
+lequel un jour, ainsi qu'il voulut planter son estandart bien arbor
+dans son fort, elle qui avoit ouy dire, et qui commena desj le voir,
+que quand on donnoit quelque chose au Roy, ou que quand on le prenoit de
+luy et qu'on le touchoit, le faloit premirement baiser, ou bien la
+main, pour le prendre et toucher; elle mesme, sans autre crmonie, n'y
+faillit pas, et baisant trs-humblement la main, prit l'estandart du Roy
+et le planta dans le fort avec une trs-grande humilit; puis luy
+demanda de sang froid comment il vouloit qu'elle le servist ou en femme
+de bien et chaste, ou en desbauche. Il ne faut point douter qu'il luy
+en demandast la desbauche, puisqu'en cela elle y estoit plus agrable
+que la modeste; en quoy il trouva qu'elle n'y avoit perdu son temps, et
+aprs le coup et avant, et tout; puis luy faisoit une grande rvrence
+en le remerciant humblement de l'honneur qu'il luy avoit fait, dont elle
+n'estoit pas digne, en luy recommandant souvent quelque avancement pour
+son mary. J'ay ouy nommer la dame, laquelle depuis n'a est si sotte
+comme alors, mais bien habile et bien ruse.</p>
+
+<p>Ce roy n'en espargna pas le conte, qui courut plusieurs oreilles. Il
+estoit fort curieux de savoir l'amour et des uns et des autres, et
+surtout des combats amoureux, et mesme de quels beaux airs se manioient
+les dames quand elles estoient en leur mange, et quelle contenance et
+posture elles y tenoient, et de quelles paroles elles usoient: et puis
+en rioit pleine gorge, et aprs en dfendoit la publication et
+l'escandale, et recommandoit le secret et l'honneur. Il avoit pour son
+bon second ce trs-grand, trs-magnifique et trs-libral cardinal de
+Lorraine: trs-libral le puis-je appeler, puis qu'il n'eut son pareil
+de son temps: ses despenses, ses dons, gracieusetez, en ont fait foy, et
+surtout la charit envers les pauvres. Il portoit ordinairement une<a
+name="page_359" id="page_359"></a> grande gibecire, que son
+valet-de-chambre qui luy manioit son argent des menus plaisirs ne
+failoit d'emplir tous les matins, de trois ou quatre cents escus; et
+tant de pauvres qu'il trouvoit il mettoit la main la gibeciere, et ce
+qu'il en tiroit sans considration il le donnoit, et sans rien trier. Ce
+fut de lui que dit un pauvre aveugle, ainsi qu'il passoit dans Rome et
+que l'aumosne lui fut demande de luy, il luy jetta son accoustume
+une grande poigne d'or, et en s'escriant tout haut en italien: <i>O tu
+sei Christo, veramente el cardinal di Lorrena</i>; c'est--dire: Ou tu
+es Christ, ou le cardinal de Lorraine. S'il estoit aumosnier et
+charitable en cela, il estoit bien autant libral s autres personnes,
+et principalement l'endroit des dames, lesquelles il attrapoit
+aisment par cet appt; car l'argent n'estoit en si grande abondance de
+ce temps comme il est aujourd'huy; et pour ce en estoient-elles plus
+friandes, et des bombances et des parures. J'ay ouy conter que quand il
+arrivoit la Cour quelque belle fille ou dame nouvelle qui fust belle,
+il la venoit aussitost accoster, et l'arraisonnant, il disoit qu'il la
+vouloit dresser de sa main. Quel dresseur! Je croy que la peine n'estoit
+pas si grande comme dresser quelque poulain sauvage. Aussi pour lors
+disoit-on qu'il n'y avoit gure de dames ou filles rsidentes la Cour
+ou fraischement venues, qui ne fussent desbauches ou attrappes par son
+avarice et par la largesse dudit M. le cardinal; et peu ou nulles
+sont-elles sorties de cette cour femmes et filles de bien. Aussi
+voyoit-on pour lors leurs coffres et grandes garde-robbes plus pleines
+de robbes, de cottes, et d'or et d'argent et de soye, que ne sont
+aujourd'huy celles de nos reynes et grandes princesses d'aujourd'huy.
+J'en ay fait l'exprience pour l'avoir veu en deux ou trois qui avoient
+gagn tout cela par leur devant; car leurs peres, meres et marys ne leur
+eussent peu donner en si grande quantit. Je me fusse bien pass, ce
+dira quelqu'un, de dire cecy de ce grand cardinal, veu son honorable
+habit et rvrendissime estat; mais son roy le vouloit ainsi et y
+prenoit plaisir; et pour complaire son roy l'on est dispens de tout,
+et pour faire l'amour et d'autres choses, mais qu'elles ne soient point
+meschantes, comme alors d'aller la guerre, la chasse, aux danses,
+aux mascarades et autres exercices; aussi qu'il estoit un homme de chair
+comme un autre, et qu'il avoit plusieurs grandes vertus et perfections
+qui offusquoient cette petite imperfection, si imperfection se doit
+appeler faire l'amour.<a name="page_360" id="page_360"></a></p>
+
+<p>J'ay ouy faire un conte de luy propos du respect deu aux dames: il
+leur en portoit de son naturel beaucoup: mais il l'oublia, et non sans
+sujet, l'endroit de madame la duchesse de Savoye, donne Batrix de
+Portugal. Luy, passant une fois par le Piedmond, allant Rome pour le
+service du Roy son maistre, visita le duc et la duchesse. Aprs avoir
+assez entretenu M. le duc, il s'en alla trouver madame la duchesse en sa
+chambre pour la saluer, et s'approchant d'elle, elle, qui estoit la
+mesme arrogance du monde, luy prsenta la main pour la baiser. M. le
+cardinal, impatient de cet affront, s'approcha pour la baiser la
+bouche, et elle de se reculer. Luy, perdant patience et s'approchant de
+plus prs encore d'elle, la prend par la teste, et en dpit d'elle la
+baisa deux ou trois fois. Et quoy qu'elle en fist ses cris et
+exclamations la portugaise et espagnole, si fallut-il qu'elle passast
+par-l. Comment, dit-il, est-ce moi qui il faut user de cette mine
+et faon? je baise bien la Reyne ma maistresse, qui est la plus grande
+reyne du monde, et vous je ne vous baiserois pas, qui n'estes qu'une
+petite duchesse crotte! Et si veux que vous sachis que j'ay couch
+avec des dames aussi belles et d'aussi bonne ou plus grande maison que
+vous. Possible pouvoit-il dire vrai. Cette princesse eut tort de tenir
+cette grandeur l'endroit d'un tel prince de si grande maison, et mesme
+cardinal, car il n'y a cardinal, veu ce grand rang d'glise qu'ils
+tiennent, qui ne s'accompare aux plus grands princes de la chrestient.
+M. le cardinal aussi eut tort d'user de revanche si dure; mais il est
+bien fascheux un noble et gnreux c&oelig;ur, de quelque profession
+qu'il soit, d'endurer un affront.</p>
+
+<p>Le cardinal de Grandvelle le sceut bien faire sentir au comte d'Egmont,
+et d'autres que je laisse au bout de ma plume, car je broillerois par
+trop mes discours, auxquels je retourne; et le reprens au feu roy Henry
+II, qui a est fort respectueux aux dames, et qu'il servoit avec de
+grands respects, qui detestoit fort les calomniateurs de l'honneur des
+dames: et lorsqu'un roy sert telles dames, de tel poids, et de telle
+complexion, mal-aisment la suite de la Cour ose ouvrir la bouche pour
+en parler mal. De plus la Reyne-mere y tenoit fort la main pour
+soustenir ses dames et filles, et le bien faire sentir ces dtracteurs
+et pasquineurs, quand ils estoient une fois descouverts, encore
+qu'elle-mesme n'y ait est espargne non plus que ses dames; mais ne
+s'en soucioit pas tant<a name="page_361" id="page_361"></a> d'elle comme des autres, d'autant, disoit-elle,
+qu'elle sentoit son ame et sa conscience pure et nette, qui parloit
+assez pour soy; et la pluspart du temps se rioit et se mocquoit de ces
+mesdisants escrivains et pasquineurs. Laissez-les tourmenter,
+disoit-elle, et se prendre de la peine pour rien; mais quand elle les
+descouvroit elle leur faisoit bien sentir. Il escheut l'aisne
+Limeuil, son commencement qu'elle vint la Cour, de faire un pasquin
+(car elle disoit et escrivoit bien) de toute la Cour, mais non point
+scandaleux pourtant, sinon plaisant; mais asseurez-vous qu'elle la
+repassa par le foet bon escient, avec deux de ses compagnes qui en
+estoient de consente; et sans qu'elle avoit cet honneur de luy
+appartenir, cause de la maison de Thurenne, allie celle de
+Boulogne, elle l'eust chastie ignominieusement par le commandement
+exprs du Roy, qui dtestoit estrangement tels escrits.</p>
+
+<p>&mdash;Je me souviens qu'une fois le sieur de Matha, qui estoit un brave et
+vaillant gentilhomme que le Roy aimoit, et estoit parent de madame de
+Valentinois; il avoit ordinairement quelque plaisante querelle contre
+les dames et les filles, tant il estoit fol. Un jour, s'estant attaqu
+une de la Reyne, il y en avoit une qu'on nommoit la grande Meray, qui
+s'en voulut prendre pour sa compagne; luy ne fit que simplement
+respondre: H! je ne m'attaque pas vous, Meray, car vous estes une
+grande coursiere bardable. Comme de vray c'estoit la plus grande fille
+et femme que je vis jamais. Elle s'en plaignit la Reyne que l'autre
+l'avoit appele jument et coursiere bardable. La Reyne fut en telle
+colere qu'il fallust que Matha vuidast de la Cour pour aucuns jours,
+quelque faveur qu'il eust de madame de Valentinois sa parente; et d'un
+mois aprs son retour n'entra en la chambre de la Reyne et des filles.</p>
+
+<p>Le sieur de Gersay fit bien pis l'endroit d'une des filles de la Reyne
+ qui il vouloit mal pour s'en venger, encore que la parole ne luy
+manquast nullement; car il disoit et rencontroit des mieux, mais
+sur-tout quand il mesdisoit, dont il en estoit le maistre; mais la
+mesdisance estoit lors fort dfendue. Un jour qu'elle estoit
+l'aprs-dine en la chambre de la Reyne avec ses compagnes et
+gentilshommes, comme alors la coustume estoit qu'on ne s'assioit
+autrement qu'en terre quand la Reyne y estoit, le dit sieur, ayant pris
+entre les mains des pages et laquais une c..... de blier dont ils s'en
+jooient la basse-court (elle estoit fort grosse<a name="page_362" id="page_362"></a> et enfle tout
+bellement), estant couch prs d'elle, la coula entre la robbe et la
+juppe de cette fille, et si doucement qu'elle ne s'en advisa jamais,
+si-non que, lors que la Reyne se vint se lever de sa chaise pour aller
+en son cabinet, cette fille, que je ne nommeray, se vint lever
+aussi-tost, et en se levant tout devant la Reyne, pousse si fort cette
+balle bellinire, pelue, velue, qu'elle fit six ou sept bonds joyeux,
+que vous eussiez dit qu'elle vouloit donner de soy-mesme du passe-temps
+ la compagnie sans qui'il luy coustast rien. Qui fut estonne? ce fut
+la fille et la Reyne aussi, car c'toit en belle place visible sans
+aucun obstacle. Nostre-Dame! s'cria la Reyne, et qu'est cela, m'amie,
+et que voulez-vous faire de cela? La pauvre fille, rougissant, demy
+esplore, se mit dire qu'elle ne savoit que c'estoit, et que
+c'estoit, quelqu'un qui luy vouloit mal qui luy avoit fait ce meschant
+trait, et qu'elle pensoit que ce ne fust autre que Gersay. Luy, qui en
+avoit veu le commencement du jeu et des bonds, avoit pass la porte. On
+l'envoya qurir; mais il ne voulut jamais venir, voyant la Reyne si
+colre, et niant pourtant le tout fort ferme. Si fallut-il que pour
+quelques jours il fuyt sa colre et du Roy aussi: et sans qu'il estoit
+un des grands favoris du Roy-Dauphin avec Fontaine-Guerrin, il eust est
+en peine, encore que rien ne se prouvast contre luy que par conjecture,
+nonobstant que le Roy fit ses courtisans et plusieurs dames ne s'en
+peussent engarder d'en rire, ne l'osant pourtant manifester, voyant la
+colre de la Reyne: car c'estoit la dame du monde qui savoit le mieux
+rabroer et estonner les personnes.</p>
+
+<p>&mdash;Un honneste gentilhomme et une damoiselle de la Cour vindrent une
+fois, de bonne amiti qu'ils avoient ensemble, tomber en haine et
+querelle, si-bien que la damoiselle luy dit tout haut dans la chambre de
+la Reyne, estant sur ce diffrent: Laissez-moi, autrement je diray ce
+que vous m'avez dit: Le gentilhomme, qui luy avoit rapport quelque
+chose en fidlit d'une trs-grande dame, et craignant que mal ne luy
+advinst, que pour le moins il ne fust banny de la Cour, sans s'estonner
+il respondit (car il disoit trs-bien le mot): Si vous dites ce que je
+vous ay dit, je diray ce que je vous ay fait. Qui fust estonne? ce
+fust la fille: toutesfois elle respondit: Que m'avez-vous fait?
+L'autre respondit; Que vous ay-je dit? La fille par aprs replique:
+Je say bien ce que vous m'avez dit; l'autre: Je sais bien ce que je
+vous ay fait. La fille duplique<a name="page_363" id="page_363"></a> Je prouveray fort bien ce que vous
+m'avez dit; l'autre respondit: Je prouveray encore mieux ce que je
+vous ay fait. Enfin, aprs avoir demeur assez de temps en telles
+contestations par dialogues et repliques et dupliques, et pareils et
+semblables mots, s'en sparrent par ceux et celles qui se trouvrent
+l, encore qu'ils en tirassent du plaisir.</p>
+
+<p>Tel dbat parvint aux oreilles de la Reyne, qui en fut fort en colre,
+et en voulust aussitost savoir les paroles de l'un et les faits de
+l'autre, et les envoya qurir. Mais l'un et l'autre, voyant que cela
+tireroit consquence, advisrent s'accorder aussi-tost ensemble, et
+comparoissant devant la Reyne, de dire que ce n'estoit qu'un jeu qu'ils
+se contestoient ainsi, et que le gentilhomme ne luy avoit rien dit, ny
+luy rien fait elle. Ainsi ils payrent la Reyne, laquelle pourtant
+tana et blasma fort le gentilhomme, d'autant que ses paroles estoient
+trop scandaleuses. Le gentilhomme me jura vingt fois que, s'ils ne se
+fussent rapatris et concerts ensemble, et que la damoiselle eust
+descouvert les paroles qu'il luy avoit dites, qui luy tournoient
+grande consquence, que rsolument il eust maintenu son dire qu'il luy
+avoit fait, peine qu'on la visitast, et qu'on ne la trouveroit point
+pucelle, et que c'estoit luy qui l'avoit dpucelle. Oui, lui
+respondis-je: mais si l'on l'eust visite et qu'on l'eust trouve
+pucelle, car elle estoit fille, vous fussiez est perdu, et vous y fust
+all de la vie.&mdash;H! mort Dieu! me respondit-il, c'est ce que j'eus
+voulu le plus qu'on l'eust visite: je n'avois point peur que la vie y
+eust couru; j'estois bien asseur de mon baston; car je savois bien qui
+l'avoit dpucelle, et qu'un autre y avoit bien pass, mais non pas moy,
+dont j'en suis trs-bien marry: et la trouvant entame et trace, elle
+estoit perdue et moy veng, et elle scandalise. Je fusse est quitte
+pour l'espouser, et puis m'en dfaire comme j'eusse peu. Voil comme
+les pauvres filles et femmes courent fortune, aussi bien droit comme
+tort.</p>
+
+<p>&mdash;J'en ay cogneu une de trs-grande part, laquelle vint estre grosse
+d'un trs-brave et galland prince<a name="FNanchor_114_114" id="FNanchor_114_114"></a><a href="#Footnote_114_114" class="fnanchor">[114]</a>: on disoit pourtant<a
+name="page_364" id="page_364"></a> que c'estoit en nom de mariage, mais par
+aprs on sceut le contraire. Le roy Henry le sceut le premier qui en
+feust extresmement fasch, car elle luy en appartenoit un peu:
+toutesfois, sans faire plus grand bruit ny scandale, le soir au bal la
+voulut mener danser le bransle de la Torche<a name="FNanchor_115_115" id="FNanchor_115_115"></a><a href="#Footnote_115_115" class="fnanchor">[115]</a> et puis la fit mener
+danser un autre la gaillarde et les autres bransles, l o elle
+monstra sa disposition et sa dextrit mieux que jamais, avec sa taille
+qui estoit trs-belle et qu'elle accommodoit si bien ce jour-l, qu'il
+ny avoit aucune apparence de grossesse: de sorte que le Roy, qui avoit
+ses yeux toujours fort fixement sur elle, ne s'en apperceust non plus
+que si elle ne fust est grosse, et vint dire un trs grand de ses
+plus familiers: Ceux-l sont bien meschants et malheureux d'estre alls
+inventer que cette pauvre fille estoit grosse; jamais je ne luy ay veu
+meilleure grace. Ces meschants dtracteurs qui en ont parl ont menty et
+ont trs-grand tort. Et ainsi ce bon prince excusa cette fille et
+honneste damoiselle, et en dit de mesme la Reyne estant couch le soir
+avec elle. Mais la Reyne, ne se fiant cela, la fit visiter le
+lendemain au matin, elle estant prsente, et se trouva grosse de six
+mois; laquelle luy advoa et confessa le tout sous la courtine de
+mariage. Pourtant le Roy, qui estoit tout bon, fit tenir le mystre le
+plus secret qu'il put sans escandaliser la fille, encore que la Reine en
+fust fort en colere. Toutesfois ils l'envoyrent tout coy chez ses plus
+proches parents, o elle accoucha d'un beau fils, qui pourtant fut si
+malheureux qu'il ne put jamais estre advo du pere putatif; et la cause
+en trana longuement, mais la mere n'y put jamais rien gagner.</p>
+
+<p>&mdash;Or le roy Henry aimoit aussi-bien les bons contes que ses
+prdcesseurs; mais il ne vouloit point que les dames en fussent
+escandalises ny divulgues: si bien que luy, qui estoit d'assez
+amoureuse complexion, quand il alloit voir les dames, y alloit le plus
+cach et le plus couvert qu'il pouvoit, afin qu'elles fussent hors de
+soupon et diffame; et s'il en avoit aucunes qui fussent descouvertes,
+ce n'estoit pas sa faute ny de son consentement, mais plustost de la
+dame: comme une que j'ay ouy dire, de bonne maison, nomme madame
+Flamin, d'Escosse, laquelle, ayant t enceinte du fait du Roy, elle
+n'en faisoit point la petite bouche, mais trs-hardiment disoit en son
+escossiment franciss J'ay fait tant j'ay pu, que, Dieu merci, je suis
+enceinte du Roy,<a name="page_365" id="page_365"></a> dont je m'en sens trs-honore et trs-heureuse; et si
+je veux dire que le sang royal a je ne sais quoy de plus suave et
+friande liqueur que l'autre, tant que je m'en trouve bien, sans conter
+les bons brins de prsents que l'on en tire. Son fils, qu'elle en eust
+alors, fut le feu grand prieur de France, qui fut tu dernirement
+Marseille, qui fut un trs-grand dommage, car c'estoit un trs-honneste,
+brave et vaillant seigneur: il le monstra bien sa mort. Et si estoit
+homme de bien et le moins tyran gouverneur de son temps ny depuis, et la
+Provence en sauroit bien que dire, et encore que ce fust un seigneur
+fort splendide et de grande despense; mais il estoit homme de bien et se
+contentoit de raison. Cette dame, avec d'autres que j'ay ouy dire,
+estoit en cette opinion, que, pour coucher avec son roy, ce n'estoit
+point diffame, et que putains sont celles qui s'adonnent aux petits,
+mais non pas aux grands roys et galants gentilshommes; comme cette reyne
+amazone que j'ai dit, qui vint de trois cent lieus pour se faire
+engrosser Alexandre, pour en avoir de la race: toutesfois l'on dit
+qu'autant vaut l'un que de l'autre.</p>
+
+<p>&mdash;Aprs le roy Henry vint le roy Franois second, duquel le rgne fust
+si court que les mesdisants n'eurent loisir de se mettre en place pour
+mesdire des dames: encore que s'il eust rgn longtemps, ne faut point
+croire qu'il les eust permis en sa Cour; car c'estoit un roy de trs-bon
+et trs-franc naturel, et qui ne se plaisoit point en medisances; outre
+qu'il estoit fort respectueux l'endroit des dames et les honoroit
+fort: aussi avoit-il la reyne sa femme et la reyne sa mre, et messieurs
+ses oncles, qui rabrooient fort ces causeurs et picqueurs de la langue.
+Il me souvient qu'une fois, luy estant Saint Germain en Laye, sur le
+mois d'aoust et de septembre, il lui prit envie d'aller le soir voir les
+cerfs en leurs ruths, en cette belle forest de Saint Germain, et menoit
+des princes ses plus grands familiers et aucunes grandes dames et filles
+que je dirois bien. Il y en eut quelqu'un qui en voulut causer et dire
+que cela ne sentoit point sa femme-de-bien, ny chaste, d'aller voir de
+tels amours et tels ruths de bestes, d'autant que l'apptit de Vnus les
+en eschauffoit davantage telle imitation et telle vueue, si bien que,
+quand elles s'en voudroient degouster, l'eau ou la salive leur en
+viendroit la bouche du mitan, que par aprs il n'y auroit aucun remede
+de l'en oster, si-non par autre cause ou salive de sperme. Le Roy le
+sceut, et les princes et dames qui l'y avoient accompagn. Asseurez-vous
+que si le gentilhomme n'eust si-tost<a name="page_366" id="page_366"></a> escamp, il estoit trs-mal; et ne
+parut la Cour qu'aprs sa mort et son regne. Il y eut force libelles
+diffamatoires contre ceux qui gouvernoient alors le royaume; mais il n'y
+eut aucun qui piquast et offensast plus qu'une invective intitule <i>le
+Tigre</i> (sur l'imitation de la premire invective de Cicron contre
+Catilina), d'autant qu'elle parloit des amours d'une trs-grande et
+belle dame, et d'un grand son proche. Si le galant auteur fust est
+apprehend, quand il eust eu cent mille vies il les eust toutes perdues;
+car et le grand et la grande en furent si estommaqus qu'ils en
+cuidrent desesprer. Ce roy Franois ne fut point sujet l'amour comme
+ses prdcesseurs; aussi eust-il eu grand tort, car il avoit pour
+espouse la plus belle femme du monde et la plus aimable; et qui l'a
+telle ne va point au pourchas comme d'autres, autrement il est bien
+misrable; et qui n'y va peu se soucie-t-il de dire mal des dames, ny
+bien et tout, si-non que de la sienne. C'est une maxime que j'ay ouy
+tenir une honneste personne; toutesfois je l'ay vue faillir plusieurs
+fois.</p>
+
+<p>Le roy Charles IX vint aprs, lequel, pour sa tendresse d'aage, ne se
+soucioit du commencement des dames, ains se soucioit plus-tost passer
+son temps en exercice de jeunesse. Toutefois feu M. de Sipierre, son
+gouverneur, et qui estoit, mon gr et de chacun aussi, le plus
+honneste et le plus gentil cavalier de son temps et le plus courtois et
+rvrentieux aux dames, en apprit si bien la leon au Roy son maistre et
+disciple, qu'il a est autant l'endroit des dames qu'aucuns roys ses
+prdcesseurs; car jamais et petit et grand, il n'a veu dames, fust-il
+le plus empesch du monde ailleurs, ou qu'il courust ou qu'il
+s'arrestast, ou pied ou cheval, qu'aussitost il ne la saluast et luy
+otast son bonnet fort reverentieusement. Quand il vint sur l'aage
+d'amour, il servit quelques honnestes dames et filles que je say, mais
+avec si grand honneur et respect que le moindre gentilhomme de sa Cour
+eust sceu faire. De son regne les grands pasquineurs commencrent
+pourtant avoir vogue, et mesme aucuns gentilshommes bien gallants de la
+Cour, lesquels je ne nommeray point, qui dtractoient estrangement des
+dames, et en gnral et en particulier, voire des plus grandes; dont
+aucuns en ont eu des querelles bon escient, et s'en sont trs-mal
+trouvez: non pourtant qu'ils advoassent le fait, car ils nioient tout;
+aussi s'en fussent-ils trouvez de l'escot s'ils l'eussent advo, et le
+Roy leur eust bien fait sentir, car ils s'attaquoient a de trop grandes.
+D'autres faisoient bonne mine, et enduroient a<a name="page_367" id="page_367"></a> leur barbe mille
+dmentis qu'on disoit conditionels et en l'air, et mille injures qu'ils
+buvoient doux comme laict, et n'osoient nullement repartir; autrement il
+leur alloit de la vie: en quoy bien souvent me suis-je estonn de telles
+gens qui se mettoient ainsi mesdire d'autruy, et permettre qu'on
+mesdist leur nez tant et tant d'eux. Si avoient-ils pourtant la
+rputation d'estre vaillants; mais en cela ils enduroient le petit
+affront gallantement sans sonner mot.</p>
+
+<p>&mdash;Je me souviens d'un pasquin qui fust fait contre une trs-grande dame
+veufve, belle et bien honneste, qui vouloit convoler avec un trs-grand
+prince jeune et beau. Il y eut quelques-uns que je say bien, qui, ne
+voulants ce mariage, pour en destourner le prince, firent un pasquin
+d'elle, le plus scandaleux que j'aye point veu, l o ils
+l'accomparoient cinq ou six grandes putains anciennes, fameuses, fort
+lubriques, et qu'elle les surpassoit toutes. Ceux-mesmes qui avoient
+fait le pasquin le luy prsentrent, disants pourtant qu'il venoit
+d'autres, et qu'on leur avoit baill. Ce prince, l'ayant veu, donna des
+dmentis et dit mille injures en l'air ceux qui l'avoient fait; eux
+passrent tout sous silence, encor qu'ils fussent des braves et
+vaillants. Cela donna pourtant pour le coup songer au prince, car le
+pasquin portoit et monstroit au doigt plusieurs particularitez, mais au
+bout de deux ans le mariage s'accomplit.</p>
+
+<p>Le Roy estoit si gnreux et bon, que nullement il favorisoit tels gens
+d'avoir de petits mots joyeux avec eux part. Bien les aimoit-il, mais
+ne vouloit que le vulgaire en fust abreuv, disant que sa Cour, qui
+estoit la plus noble et la plus illustre de grandes et belles dames de
+tout le monde, et pour telle rpute, ne vouloit qu'elle fust
+villipende et mesestime par la bouche de tels causeurs et galants: et
+c'estoit parler ainsi des courtisannes de Rome, de Venise et d'autres
+lieux, et non de la Cour de France; et que, s'il estoit permis de le
+faire, il n'estoit permis de le dire. Voil comment ce roy estoit
+respectueux aux dames, voire tellement qu'en ses derniers jours je say
+qu'on luy voulut donner quelque mauvaise impression de quelques
+trs-grandes et trs-belles et honnestes dames, pour estre broilles en
+quelques trs-grandes affaires qui luy touchoient; mais il n'en voulut
+jamais rien croire, ains leur fit aussi bonne chere que jamais et mourut
+avec leurs bonnes graces et grande quantit, de leurs larmes qu'elles
+espandirent sur son corps. Et le trouvrent dire puis aprs bien<a
+name="page_368" id="page_368"></a> quand le roy Henry troisiesme vint luy
+succder, lequel, pour aucuns mauvais rapports qu'un luy avoit fait
+d'elles en Pologne, n'en fit son retour si grand conte comme il avoit
+fait auparavant, et d'icelle et d'autres que je say s'en fit un
+trs-rigoureux censeur, dont pour cela il n'en fut pas plus aim; si que
+je croy qu'en partie elles ne luy ont point peu nuy, ny sa malle
+fortune ny sa ruyne. J'en diray bien quelques particularitez, mais je
+m'en passeray bien: si-non qu'il faut considrer que la femme est fort
+encline la vengeance; car, quoy qu'il tarde, elle l'excute: au
+contraire du naturel de la vengeance d'aucuns, laquelle du commencement
+est fort ardente et chaude s'en faire accroire, mais par le
+temporisement et longueur elle s'attidist et vient nant. Voil
+pourquoy il s'en faut garder du premier abord, et par le temps parer aux
+coups; mais la furie, l'abord et le temporisement durent toujours en la
+femme jsqu' la fin; je dis d'aucunes, mais peu. Aucuns ont voulu
+excuser le Roy de la guerre qu'il faisoit aux dames par descriements,
+que c'estoit pour refrner et corriger le vice, comme si la correction
+en cela luy servoit; veu que la femme est de tel naturel, que tant plus
+on luy dfend cela, tant plus y est-elle ardente, et a-t-on beau luy
+faire le guet. Aussi, par exprience, ay-je veu que pour luy on ne se
+dtournoit de son grand chemin. Aucunes dames a-t-il aim, que je say
+bien, avec de trs-grands respects, et servy avec trs-grand honneur, et
+mesme une trs-grande et belle princesse, dont il devint tant amoureux
+avant qu'aller en Poulogne, qu'aprs estre roy il se rsolut de
+l'espouser, encor qu'elle fust marie un grand et brave prince, mais
+il estoit luy rebelle et rfugi en pays estrange pour amasser gens et
+luy faire la guerre; mais son retour en France la dame mourut en ses
+couches. La mort seule empescha ce mariage, car il y estoit rsolu: par
+la faveur et dispense du Pape il l'espousoit; qui ne luy eust refuse,
+estant un si grand roy, et pour plusieurs autres raisons que l'on peut
+penser. A d'autres aussi a-t-il fait l'amour pour les descrier.</p>
+
+<p>J'en say une grande que, pour des desplaisirs que son mary luy avoit
+faits, et ne le pouvant atrapper, s'en vengea sur sa femme, qu'il
+divulgua en la prsence de plusieurs: encore cette vengeance estoit-elle
+douce, car, au lieu de la faire mourir, il la faisoit vivre. J'en say
+une qui, faisant trop de la galante, et pour un desplaisir qu'elle luy
+fit, exprs luy fit l'amour, et sans grand peine de persuasion luy donna
+un rendez-vous en un jardin<a name="page_369" id="page_369"></a> o ne faillit de se trouver; mais il ne la
+voulut toucher autrement (ce disent aucuns, mais il la toucha fort
+bien), ains la faire voir en place de march, et puis la bannit de la
+Cour avec opprobre. Il dsiroit et estoit fort curieux de savoir la vie
+des unes et des autres et en sonder leur vouloir. On dit qu'il faisoit
+quelquefois part de ses bonnes-fortunes aucuns de ses plus privez.
+Bienheureux estoient-ils ceux-l; car les restes de ces grands roys ne
+sauroient estre que trs-bons. Les dames le craignoient fort, comme
+j'ay veu, et leur faisoit luy-mesme des reprimandes, ou en prioit la
+Reyne sa mere, qui de soy en estoit assez prompte, mais non pour aimer
+les mesdisans, ainsi que je l'ay monstr cy-devant par ces petits
+exemples que j'ay allgus, auxquels y prenant pied et altration, que
+pouvoit-elle faire aux autres quand ils touchoient au vif et l'honneur
+des dames?</p>
+
+<p>Ce roy avoit tant accoustum ds son jeune aage, comme j'ay veu, de
+savoir des contes de dames, voire moy-mme luy en ay-je fait aussi
+quelqu'un: et en disoit aussi, mais fort secrtement, de peur que la
+Reyne sa mere le sceust, car elle ne vouloit qu'il le dist d'autres
+qu' elle, pour en faire la correction: tellement que, venant en aage et
+en libert, n'en perdit la possession; et pour ce, savoit aussi-bien
+comme elles vivoient en sa cour et en son royaume, au moins aucunes, et
+mesmes les grandes, que s'il les eust toutes pratiques; et si aucunes y
+en avoit qui vinssent la Cour nouvellement, en les accostant fort
+courtoisement et honnestement pourtant, leur en contoit de telle faon
+qu'elles en demeuroient estonnes en leurs mes d'o il avoit appris
+toutes ces nouvelles, luy niant et dsadvoant pourtant le tout. Et s'il
+s'amusoit en cela, il ne laissoit d'appliquer son esprit en autres et
+plus grandes choses, si hautement, qu'on l'a tenu pour le plus grand roy
+que de cent ans il y a eu en France, ainsi que j'en ay escrit ailleurs
+en un chapitre de luy fait part<a name="FNanchor_116_116" id="FNanchor_116_116"></a><a href="#Footnote_116_116" class="fnanchor">[116]</a>. Je n'en parle donc plus, encor
+qu'on me pust dire que je ne suis est assez copieux d'exemples de luy
+pour ce sujet, et que j'en devois dire davantage si j'en savois. Ouy,
+j'en sai prou, et des plus sublins; mais je ne veux pas tout coup
+dire les nouvelles de la Cour ny du reste du monde; et aussi que je
+pourrois si bien pailler et couvrir mes contes, que l'on ne s'en
+apperceust sans escandale.<a name="page_370" id="page_370"></a></p>
+
+<p>Or il y a de ces dtracteurs des dames de diverses sortes. Les uns en
+medisent d'aucunes pour quelque desplaisir qu'elles leur auront fait,
+encor qu'elles soient des plus chastes du monde, et les font, d'un ange
+beau et pur qu'elles sont, un diable tout infect de meschancet: comme
+un honneste gentilhomme que j'ay veu et cogneu, lequel pour un lger
+desplaisir qu'une trs-honneste et sage dame luy avoit fait, la descria
+fort vilainement; dont il en eut bonne querelle. Et disoit: Je say
+bien que j'ay tort, et ne nie point que cette dame ne soit trs-chaste
+et tres-vertueuse: mais quiconque sera telle, celle-l qui m'aura le
+moins du monde offens, quand elle seroit aussi chaste et pudique que la
+vierge Marie, puis qu'autrement il ne m'est permis d'en avoir raison
+comme d'un homme, j'en dirai pis que pendre. Mais Dieu pourtant s'en
+peut irriter. D'autres dtracteurs y a-t-il qui, aimant des dames et ne
+pouvant rien tirer de leur chastet, de dpit en causent comme de
+publiques; et si font pis: ils publient et disent qu'ils en ont tir ce
+qu'ils vouloient, mais, les ayant connues et apperceues par trop
+lubriques, les ont quittes. J'en ay cogneu force en nos cours de ces
+humeurs. D'autres, qui bon escient quittent leurs mignons et favoris
+de couchettes, et puis, suivant leurs lgrets et inconstances, s'en
+sont desgoustes et repris d'autres en leur place: sur ce, ces mignons,
+despitez et desesprez, vous peignent et descrient ces pauvres femmes,
+ne faut pas dire comment, jusques raconter particulirement leurs
+lascivetez et paillardises qu'ils ont ensemble exerces, et descouvrir
+leurs sis qu'elles portent sur leur corps nud, afin que mieux ou les
+croye. D'autres y a-t-il qui, despitez qu'elles en donnent aux autres et
+non eux, en mesdisent toute oustrance, et les font guetter, espier
+et veiller, enfin qu'au monde ils donnent plus grande conjecture de
+leurs vritez. D'autres qui, espris de belle jalousie, sans aucun sujet
+que celuy-l, maldisent de ceux qu'elles aiment le plus, et
+qu'eux-mesmes aiment tant qu'ils ne les voyent pas demy. Voil l'un
+des plus grands effets de la jalousie: et tels dtracteurs ne sont tant
+ blasmer qu'on le diroit bien; car il faut imputer cela l'amour et
+la jalousie, deux frre et s&oelig;ur d'une mesme naissance. D'autres
+dtracteurs y a-t-il qui sont si fort nez et accoutumez la mesdisance,
+que plustost qu'ils ne mesdisent de quelque personne ils mesdiroient
+d'eux-mesmes. A votre advis, si l'honneur des dames est espargn en la
+bouche de tels<a name="page_371" id="page_371"></a> gens? Plusieurs en nos cours en ay-je veu tels qui,
+craignant de parler des hommes de peur de la touche, se mettoient sur la
+draperie des pauvres dames, qui n'ont autre revanche que les larmes,
+regrets et paroles. Toutes-fois en ay-je cogneu plusieurs qui s'en sont
+trs-mal trouvez: car il y a eu des parents, des freres, des amis de
+leurs serviteurs, voire des maris, qui en ont fait repentir plusieurs,
+et remascher et avaller leurs paroles. Enfin, si je voulois raconter
+toutes les diversitez des destracteurs des dames qu'il y en a, je
+n'aurois jamais fait. Une opinion en amour ay-je veu tenir plusieurs,
+qu'un amour secret ne vaut rien s'il n'est pas un peu manifeste, si-non
+ tous, pour le moins ses plus privez amis: et si tous il ne se peut
+dire pour le moins que le manifeste s'en fasse, ou par monstre ou par
+faveurs, ou de livres et couleurs, ou actes chevaleresques, comme
+courrements de bague, tournois, masquarades, combats la barriere,
+voire ceux de bon escient quant on est la guerre; certes le
+contentement en est trs-grand en soy. Comme de vray, de quoy serviroit
+ un grand capitaine d'avoir fait un beau et signal exploit de guerre,
+et qu'il fust teu et nullement sceu? je croy que ce luy seroit un despit
+mortel. De mesme en doivent estre les amoureux qui aiment en bon lieu,
+ce disent aucuns: et de cette opinion en a est le principal chef M. de
+Nemours, le parangon de toute chevalerie; car, si jamais prince,
+seigneur ou gentilhomme a est heureux en amours, 'a est celuy-l. Il
+ne prenoit pas plaisirs les cacher ses plus privez amis; si est-ce
+qu' plusieurs il les a tenues si secrettes qu'on ne les jugeoit que mal
+aisment. Certes pour les dames maries la descouverte en est fort
+dangereuse: mais pour les filles et veufves qui sont marier,
+n'importe; car la couleur et prtexte d'un mariage futur couvre tout.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay cogneu un gentilhomme trs-honneste la Cour, qui, servant une
+trs-grande dame, estant parmy ses compagnons un jour en devis de leurs
+maistresses, et se conjurans tous de les descouvrir entr'eux de leur
+faveur, ce gentilhomme ne voulut jamais dcler la sienne, ains en alla
+controuver une autre d'autre part, et leur donna ainsi le bigu, encore
+qu'il y eust un grand prince en la troupe qui l'en conjurast et se
+doutast pourtant de cet amour secret: mais luy et ses compagnons n'en
+tirrent que cela de luy; et pourtant part soy maudit cent fois sa
+destine qui l'avoit l contraint de ne raconter, comme les autres, sa
+bonne fortune, qui est plus gracieuse dire que sa male.<a
+name="page_372" id="page_372"></a></p>
+
+<p>&mdash;Un autre ay-je cogneu, bien galant cavalier, lequel, par sa
+prsomption trop libre qu'il prit de descouvrir sa maistresse qu'il
+devoit taire, tant par signes que paroles et effets, en cuida estre tu
+par un assassinat qu'il faillit: mais pour un autre sujet il n'en
+faillit un autre, dont la mort s'ensuivit.</p>
+
+<p>&mdash;J'estois la Cour du temps du roy Franois II, que le comte de
+Saint-Agnan espousa Fontainebleau la jeune Bourdeziere. Le lendemain,
+le nouveau mari estant venu en la chambre du Roy, un chacun luy
+commena faire la guerre, selon la coustume; dont il y eut un grand
+seigneur trs-brave qui luy demanda combien de postes il avoit couru. Le
+mari respondit cinq. Par cas il y eut prsent un honneste gentilhomme,
+secrtaire, qui estoit-l fort favory d'une trs-grande princesse que je
+ne nommeray point, qui dit que ce n'estoit gures pour le beau chemin
+qu'il avoit battu et pour le beau temps qu'il faisoit, car c'estoit en
+est. Ce grand seigneur lui dit: H! mordieu! il vous faudroit des
+perdriaux vous! Le secrtaire rpliqua: Pourquoy non? Par Dieu! j'en
+ay pris une douzaine en vingt-quatre heures sur la plus belle motte qui
+soit ici l'entour, ny qui soit possible en France. Qui fust esbahy?
+ce fut ce seigneur; car par-l il apprit ce dont il se doutoit il y
+avoit long-temps: et d'autant qu'il estoit fort amoureux de cette
+princesse, fut fort marry de ce qu'il avoit longuement chass en cet
+endroit et n'avoit jamais rien pris, et l'autre avoit est si heureux en
+rencontre et en sa prise. Ce que le seigneur dissimula pour ce coup;
+mais depuis, en temporisant son martel, la luy cuida rendre chaud et
+couvert, sans une considration que je ne diray point: mais pourtant il
+luy porta tousjours quelque haine sourde; et si le secrtaire fust est
+bien advis, il n'eust vant ainsi sa chasse, mais l'eust tenue
+trs-secrte, et mesme en une si heureuse adventure, dont il en cuida
+arriver de la broillerie et de l'escandale. Que diroit-on d'un
+gentilhomme de par le monde, que, pour quelque dplaisir que luy avoit
+fait sa maistresse, alla jouer et perdre son portrait qu'elle luy avoit
+donn, qu'il portoit au col, dont le mary fut fort estonn et moins
+aimant sa femme, qui en sceut colorer le fait ainsi qu'elle put? Que
+diroit-on d'un gentilhomme de par le monde, que, pour quelque desplaisir
+que luy avoit fait sa maistresse, alla joer et perdre son portrait aux
+dez contre un de ses soldats, car il avoit grande charge en
+l'infanterie; ce qu'elle sceut, et en cuida crever de despit, et qui
+s'en fascha fort. La<a name="page_373" id="page_373"></a> Reyne-mre sceut, qui luy en fit la rprimende,
+sur ce que le desdain en estoit par trop grand, que d'aller ainsi
+abandonner au sort de dez le portrait d'une belle et honneste dame. Mais
+ce seigneur en rabilla le fait, disant que de sa couche il avoit rserv
+le parchemin du dedans, et n'avoit que couch la bote qui l'enserroit,
+qui estoit d'or et enrichie de pierreries. J'en ay veu souvent demener
+le conte entre la dame et le seigneur bien plaisamment, et en ay ry
+d'autrefois mon saoul. Si diray-je une chose, qu'il y a des dames, dont
+j'en ay veu aucunes, qui veulent estre en leurs amours braves,
+menaces, voire gourmandes, et les a-t-on plustost de telle sorte que
+par douces compositions; ny plus ny moins qu'aucunes forteresses qu'on a
+par force, et d'autres par douceur; mais pourtant elles ne veulent estre
+injuries ny descries pour putains; car bien souvent les paroles
+offensent plus que les effects.</p>
+
+<p>&mdash;Sylla ne voulut jamais pardonner la ville d'Athenes qu'il ne la
+ruinast de fond en comble, non pour opiniastret d'avoir tenu contre
+luy, mais seulement par ce que dessus les murailles ceux de dedans en
+parlrent mal, et touchrent l'honneur bien au vif de Metella, sa femme.</p>
+
+<p>&mdash;En quelques lieux de par le monde, que je ne nommeray point, les
+soldats aux escarmouches et aux siges de places se reprochoient les uns
+aux autres l'honneur de deux de leurs princesses souveraines, jusques-l
+ s'entredire: La tienne joue bien aux quilles;&mdash;la tienne rempelle
+aussi. Par ces brocards et sobriquets, les princesses animoient bien
+autant les leurs faire du mal et des cruautez, que d'autres sujets,
+ainsi que je l'ay veu.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy raconter que la principale occasion qui anima plus la reyne
+d'Hongrie allumer ses beaux feux vers la Picardie et autres parts de
+France, ce fut l'apptit de quelques insolents bavards et causeurs,
+qui parloient ordinairement de ses amours, et chantoient tout haut et
+par-tout an: <i>Au Barbanson et la reyne d'Hongrie</i>, chanson grossiere
+pourtant, et sentant pleine gorge son avanturier ou villageois.</p>
+
+<p>&mdash;Caton ne peut jamais aimer Csar, depuis qu'estant au snat qu'on
+dlibroit contre Catilina et sa conjuration, et qu'on en souponnoit
+Csar estant au conseil, fut apport audit Csar, en cachette, un petit
+billet, ou, pour mieux dire, un poulet, que Servilia, s&oelig;ur de Caton,
+lui envoyoit, qui portoit assignation ou rendez-vous pour coucher
+ensemble. Caton, ne s'en doutant point,<a name="page_374" id="page_374"></a> ainsi de la consente dudit
+Csar avec Catilina, cria tout haut que le snat luy fist commandement
+d'exhiber ce dont estoit question. Csar, ce contraint, le monstra, o
+l'honneur de sa s&oelig;ur se trouva fort escandalis et divulgu. Je vous
+laisse penser donc si Caton, quelque bonne mine qu'il fist d'har
+Csar cause de la rpublique, s'il le put jamais aimer, veu ce trait
+scandaleux. Ce n'estoit pas pourtant la faute de Csar, car il falloit
+ncessairement qu'il manifestast ce brevet; autrement il lui alloit de
+la vie. Et croy que Servilia ne luy en voulut point de mal autrement
+pour cela: comme de fait ne laissrent continuer leurs amours,
+desquelles vint Brutus, qu'on disoit Csar en estre pere; mais il luy
+rendit mal pour l'avoir mis au monde. Or les dames, pour s'abandonner
+aux grands, courent beaucoup de fortune; et si elles en en tirent des
+faveurs, des grandeurs et des moyens, elles les acheptent bien. J'ay ouy
+conter d'une dame belle, honneste et de bonne maison, mais non de si
+grande comme d'un grand seigneur qui en estoit trs-fort amoureux; et
+l'ayant trouve un jour en sa chambre, seule avec ses femmes, assise sur
+son lit, aprs quelques propos et devis tenus d'amour, ce seigneur vint
+ l'embrasser, et par douce force la coucha sur son lict; puis, venant
+au grand assaut, et elle l'endurant avec une petite et civile
+opiniastret, elle luy dit: C'est un grand cas que vous autres grands
+seigneurs ne vous pouvez engarder d'user de vos autoritez et libertez
+l'endroit de nous autres infrieures. Au moins, si le silence vous
+estoit commun comme la libert de parler, vous seris par trop
+dsirables et pardonnables. Je vous prie donc, monsieur, tenir secret
+cecy que vous faites, et garder mon honneur. Ce sont les propos
+coustumiers dont usent les dames infrieures leurs suprieurs: H!
+monsieur, disent-elles, advisez au moins mon honneur! D'autres
+disent: Ah! monsieur, si vous dites cecy, je suis perdue; gardez, pour
+Dieu, mon honneur. D'autres disent: Monsieur, mais que vous n'en
+sonniez mot, et mon honneur soit sauv, je ne m'en soucie point. Comme
+voulant arguer par-l qu'on en peut faire tant qu'on voudra en cachette,
+et mais que le monde n'en sache rien, elles ne pensent point estre
+deshonores. Les plus grandes et superbes dames disent leurs galands
+infrieurs: Donnez-vous bien de garde d'en dire un mot, tant seul
+soit-il; autrement il vous va de la vie; je vous feray jetter en sac
+dans l'eau, ou je vous feray couper les jarretz; et autres tels et
+semblables<a name="page_375" id="page_375"></a> propos prononcent-elles: si bien qu'il n'y a dame, de
+quelque qualit qui soit, qui veuille estre scandalise ny pourmene
+tant soit peu par le palais de la bouche des hommes. Si en a-t-il
+aucunes qui sont si mal-advises, ou forcenes, ou transportes d'amour,
+que, sans que les hommes les accusent, d'elles-mesmes se descrient,
+comme fut, il n'y a pas long-temps, une trs-belle et honneste dame, de
+bonne part, de laquelle un grand seigneur en estant devenu fort
+amoureux, et puis aprs en joissant, et luy ayant donn un trs-beau et
+riche bracelet, o luy et elle estoient trs-bien pourtraits, elle fut
+si maladvise de le porter ordinairement sur son bras tout nud
+par-dessus le coude; mais un jour son mary, estant couch avec elle, par
+cas il le trouva et le visita, et l-dessus trouva sujet de s'en dfaire
+par la violence de la mort. Quelle maladvise femme!</p>
+
+<p>&mdash;J'ay congneu d'autres fois un trs-grand prince souverain, lequel,
+ayant gard une maistresse des plus belles de la Cour l'espace de trois
+ans, au bout desquels il luy fallut faire un voyage pour quelque
+conqueste, avant qu'y aller vint tout coup trs-amoureux d'une
+trs-belle et honneste princesse s'il en fut oncques: et pour luy
+monstrer qu'il avait quitt son ancienne maistresse pour elle, et la
+vouloit du tout honorer et servir sans plus se soucier de la mmoire de
+l'autre, il luy donna avant partir toutes les faveurs, joyaux, bagues,
+portraits, bracelets et toutes gentillesses que l'ancienne lui avait
+donnes, dont aucunes estant veues et apperceues d'elle, elle en cuida
+crever de despit, non pourtant sans le taire; mais en se scandalisant
+fut contente de scandaliser l'autre. Je croy que, si cette princesse ne
+fust morte par aprs, le prince, au retour de son voyage, l'eust
+espouse.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay connu un autre prince, mais non si grand, lequel durant ses
+premires nopces et sa vidut vint aimer une fort belle et honneste
+damoiselle de par le monde, qui il fit, durant leurs amours et soulas,
+de fort beaux prsents de carcans, de bagues, de pierreries et force
+autres belles hardes, dont entr'autres il y avoit un fort beau et riche
+miroir o estait sa peinture. Or le prince vint espouser une fort
+belle et trs-honneste princesse de par le monde, qui lui fit perdre le
+goust de sa premire maistresse, encore qu'elles ne se deussent rien
+l'une l'autre de la beaut. Cette princesse sollicita et persuada tant
+M. son mary, qu'il envoya demander sa premire maistresse tout ce
+qu'il luy avoit jamais donn de plus exquis et de plus beau. Cette dame
+en eut un grand<a name="page_376" id="page_376"></a> crvec&oelig;ur, mais pourtant elle avoit le c&oelig;ur si
+grand et si haut, encore qu'elle ne fust point princesse, mais pourtant
+d'une des meilleures maisons de France, qu'elle lui renvoya le tout du
+plus beau et du plus exquis, o estoit un beau miroir avec la peinture
+dudit prince; mais avant, pour le mieux dcorer, elle prit une plume et
+de l'encre, et luy ficha dedans de grandes cornes au beau mitan du
+front; et dlivrant le tout au gentilhomme, luy dit: Tenez, mon amy,
+portez cela vostre maistre, et que je luy envoye tout ainsi qu'il me
+le donna, et que je ne luy en ay rien ost ni adjout, si ce n'est que
+de luy-mesme il y ait adjoust quelque chose du depuis; et dites cette
+belle princesse sa femme qui l'a tant sollicit me demander ce qu'il
+m'a donn, que si un seigneur de par le monde (le nommant par son nom
+comme je say) en eust fait de mesme sa mre, et lui eust rpt et
+ost ce qu'il luy avoit donn pour coucher souvent avec elle, par don
+d'amourette et joissance, qu'elle seroit aussi pauvre d'affiquets et
+pierreries que damoiselle de la Cour; et que sa teste, qui en est si
+fort charge aux dpens d'un tel seigneur et du devant de sa mre, que
+maintenant elle seroit tous les matins par les jardins cueillir des
+fleurs pour s'en accommoder, au lieu de ces pierreries: or, qu'elle en
+fasse des pastez et des chevilles, je les luy quitte. Qui a connu cette
+damoiselle la jugerait telle pour avoir fait ce coup, et ainsi
+elle-mesme me l'a-t-elle dit, et qui estoit trs-libre en paroles: mais
+pourtant elle s'en cuida trouver mal, tant du mary que de la femme, pour
+se sentir ainsi descrie; quoy on lui donna blasme, disant que
+c'estoit sa faute, pour avoir ainsi dpit et dsespr cette pauvre
+dame, qui avoit trs-bien gagn tels prsents par la sueur de son corps.
+Cette damoiselle, pour tre l'une des belles et agrables de son temps,
+nonobstant l'abandon qu'elle avoit fait de son corps ce prince, ne
+laissa trouver party d'un trs-riche homme, mais non semblable de
+maison, si bien que, venant un jour se reprocher l'un l'autre les
+honneurs qu'ils s'estoient fait de s'estre entre-mariez, elle qui estoit
+d'un si grand lieu, de l'avoir espous, il luy fit response: Et moi,
+j'ay fait plus pour vous que vous n'avez fait pour moy; car je me suis
+deshonnor pour vous remettre vostre honneur. Voulant infrer par-l
+que, puis qu'elle l'avoit perdu estant fille, le luy avoit remis l'ayant
+prise pour femme.</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy conter, et le tiens de bon lieu, que, lorsque le roy Franois
+premier eut laiss madame de Chasteau-Briand, sa maistresse<a
+name="page_377" id="page_377"></a> fort favorite, pour prendre madame
+d'Estampes, estant fille appelle Helly, que madame la Rgente avoit
+prise avec elle pour l'une de ses filles, et la produisit au roy
+Franois son retour d'Espagne Bordeaux, laquelle il prit pour sa
+maistresse, et laissa ladite mademoiselle de Chasteau-Briand, ainsi
+qu'un cloud chasse l'autre; madame d'Estampes pria le Roy de retirer de
+ladite madame de Chasteau-Briand tous les plus beaux joyaux qu'il luy
+avoit donnez, non pour le prix et la valeur, car pour lors les perles et
+pierreries n'avoient la vogue qu'elles ont eu depuis, mais pour l'amour
+des belles devises qui estoient mises, engraves et empreintes,
+lesquelles la Reyne de Navarre, sa s&oelig;ur, avoit faites et composes;
+car elle en estoit trs-bonne maistresse. Le roy Franois lui accorda sa
+priere, et lui promit qu'il le feroit; ce qu'il fit: et, pour ce, ayant
+envoy un gentilhomme vers elle pour les luy demander, elle fit de la
+malade sur le coup, et remit le gentilhomme dans trois jours venir, et
+qu'il auroit ce qu'il demandoit. Cependant, de despit, elle envoya
+qurir un orfvre, et luy fit fondre tous ses joyaux, sans avoir respect
+ni acception des belles devises qui y estoient engraves: et aprs, le
+gentilhomme tourn, elle luy donna tous les joyaux convertis et
+contournez en lingots d'or. Allez, dit-elle, portez cela au Roy, et
+dites luy que, puis qu'il luy a pleu me rvoquer ce qu'il m'avoit donn
+si libralement, que je luy rends et renvoye en lingots d'or. Pour quant
+aux devises, je les ay si bien empreintes et colloques en ma pense, et
+les y tiens si cheres, que je n'ay peu permettre que personne en
+disposast, en joist et en eust de plaisir, que moy-mesme. Quand le Roy
+eut receu le tout, et lingots et propos de cette dame, il ne dit autre
+chose, si-non: Retournez-luy le tout; ce que j'en faisois, ce n'estoit
+pour la valeur (car je luy eusse rendu deux fois plus), mais pour
+l'amour des devises; et puis qu'elle les a fait ainsi perdre, je ne veux
+point de l'or, et le luy renvoye: elle a monstr en cela plus de courage
+et gnrosit que n'eusse pens pouvoir provenir d'une femme. Un
+c&oelig;ur de femme gnreuse dpit, et ainsi desdaign, fait de grandes
+choses.</p>
+
+<p>&mdash;Ces princes qui font ces rvocations de prsents, ne font pas comme
+fit une fois madame de Nevers, de la maison de Bourbon, fille de M. de
+Montpensier, qui a est en son temps une trs-sage, trs-vertueuse et
+belle princesse, et pour telle tenue en France et en Espagne, o elle
+avoit est nourrie quelque temps avec la reyne<a name="page_378" id="page_378"></a> Elisabeth de France,
+estant sa coupiere, luy donnant boire, d'autant que la reyne estoit
+servie de ses dames et filles, et chacunes avoit son estat, comme nous
+autres gentilshommes l'entour de nos roys. Cette princesse fut marie
+avec le comte d'Eu, fils aisn de M. de Nevers, elle digne de luy, et
+luy trs-digne d'elle, car c'estoit un des beaux et agrables princes de
+son temps, et pour ce il fut aim et recherch des belles et honnestes
+de la Cour, et entr'autres d'une qui estoit telle, et avec ce
+trs-excorte et habile. Advint qu'il prit un jour sa femme une bague
+dans son doigt fort belle, d'un diamant de quinze cents deux mille
+escus, que la reyne d'Espagne luy avoit donne son dpart. Ce prince,
+voyant que sa maistresse la luy looit fort et monstroit envie de la
+vouloir, luy, qui estoit trs-magnanime et libral, la luy donna
+librement, luy faisant accroire qu'il l'avoit gagne la paulme: elle
+ne la refusa point, et la prit fort privment, et, pour l'amour de luy,
+la portoit toujours au doigt; si bien que madame de Nevers ( qui
+monsieur son mary avoit fait accroire qu'il l'avoit perdue la paulme,
+ou bien qu'elle demeuroit en gage) vint voir la bague entre les mains
+de cette damoiselle, qu'elle savoit bien estre la maistresse de son
+mary. Elle fut si sage et si fort commandante soy, que changeant
+seulement de couleur, et rongeant tout doucement son despit, sans faire
+autre semblant, tourna la teste de l'austre ct, et jamais n'en sonna
+mot son mary ni sa maistresse. En quoy elle fut fort louer, pour
+ne contrefaire de l'accariastre, et se courroucer, et escandaliser la
+damoiselle, comme plusieurs autres que je say qui en eussent donn
+plaisir la compagnie, et occasion d'en causer et en mesdire. Voil
+comment la modestie en telles choses y est fort ncessaire et
+trs-bonne, et aussi qu'il y a l de l'heur et du malheur aussi-bien
+qu'ailleurs; car telles dames y a-t-il qui ne sauroient marcher ni
+broncher le moins du monde sur leur honneur, et en taster seulement du
+petit bout du doigt, que les voil aussitost descries, divulgues et
+pasquines par-tout. D'autres y a-t-il, qui pleines voiles voguent
+dans la mer et douces eaux de Vnus, et corps nuds et estendus y
+nagent nages estendues, et y folastrent leurs corps, et voyagent vers
+Cypre au temple de Vnus et ses jardins, et si dlectent comme il leur
+plaist: au diable si l'on parle d'elles, ny plus ny moins que si jamais
+ne fussent est nes. Ainsi la fortune favorise les unes et dfavorise
+les autres en mesdisance; comme j'en ay veu plusieurs en mon temps, et y
+en a encore.<a name="page_379" id="page_379"></a></p>
+
+<p>&mdash;Du temps du roy Charles IX fut fait un pasquin Fontainebleau, fort
+vilain et escandaleux, o il n'espargnoit les princesses et les plus
+grandes dames, ny autres. Que si l'on en eust sceu au vray l'auteur, il
+s'en fust trouv trs-mal. A Blois aussi, lorsque le mariage de la reyne
+de Navarre fut accord avec le roy son mary, il s'en fit un autre, aussi
+fort escandaleux, contre une trs-grande dame, dont on n'en peut savoir
+l'auteur; mais bien y eut-il de braves et vaillants gentilshommes qui y
+estoient compris, qui bravrent fort et donnrent force dmentis en
+l'air. Tant d'autres se sont faits qu'on ne voyoit autre chose, ni de ce
+regne, ni de celuy du roy Henry troisiesme; dont entr'autres en fut fait
+un fort escandaleux en forme d'une chanson, et sur le chant d'une
+courante qui se dansoit pour lors la Cour, et pour ce se chanta entre
+les pages et laquais en basse et haute note. Du temps du roy Henry III
+fut bien pis fait; car un gentilhomme, que j'ay ouy nommer et connu, fit
+un jour prsent sa maistresse d'un livre de peintures o il y avoit
+trente-deux dames grandes et moyennes de la Cour, peintes au naturel,
+couches et se joans avec leurs serviteurs peints de mesme et au naf.
+Telles y avoit-il qui avoient deux ou trois serviteurs, telle plus,
+telle moins: et ces trente-deux dames reprsentoient plus de sept-vingts
+figures de celles de l'Aretin, toutes diverses. Les personnages estoient
+si bien reprsentez et au naturel, qu'il semblent qu'ils parlassent et
+le fissent; les unes dshabilles et nues, les autres vestues avec
+mesmes robes, coffures, parements et habillements qu'elles portoient et
+qu'on les voyoit quelquefois. Les hommes tout de mesme. Bref, ce livre
+fut si curieusement peint et fait, qu'il n'y avoit rien que dire: aussi
+avoit-il coust huit neuf cents escus, et estoit tout enlumin. Cette
+dame le presta et monstra un jour une autre sienne compagne et grande
+amie, laquelle estoit fort aime et fort familire d'une grande dame qui
+estoit dans le livre, et des plus avant et au plus haut degr; ainsi que
+bien luy appartenoit, luy en fit cas. Elle, qui estoit curieuse du tout,
+voulut voir avec une grande dame sa cousine, qu'elle aymoit fort,
+laquelle l'avoit convie au festin de cette veu, et qui estoit aussi de
+la peinture comme d'autres. La visite en fut faite curieusement et avec
+grande peine, de feuillet feuillet, sans en passer un la lgre:
+si-bien qu'elles y consumrent deux bonnes heures de l'aprs disne.
+Elles, au lieu de s'en estomaquer et de s'en fascher, ce fut elles
+en rire, et de les admirer et de les fixement considrer, et se ravir
+tellement<a name="page_380" id="page_380"></a> en leurs sens sensuels et lubriques, qu'elles s'entremirent
+s'entre-baiser la colombine, et s'entre-embrasser et passer plus
+outre, car elles avoient entre elles deux accoutum ce jeu trs-bien.
+Ces deux dames furent plus hardies et vaillantes et constantes qu'une
+qu'on m'a dit, qui, voyant un jour ce mesme livre avec deux autres de
+ses amyes, elle fut si ravie et entra en telle extase d'amour et
+d'ardent dsir l'imitation de ces lascives peintures, qu'elle ne peut
+voir qu'au quatriesme feuillet, et au cinquiesme elle tomba esvanouie.
+Voil un terrible vanoissement! bien contraire celuy d'Octavia,
+s&oelig;ur de Csar Auguste, laquelle, oyant un jour rciter Virgile les
+trois vers qu'il avoit faits de son fils Marcellus mort dont elle luy en
+donna trois mille escus pour les trois seulement, s'esvanoit
+incontinent. Que c'est que d'amour, et d'une autre sorte!</p>
+
+<p>&mdash;J'ay ouy conter, et lors j'estois la Cour, qu'un grand prince de par
+le monde, vieux et fort g, et qui, depuis sa femme perdue, s'estoit
+fort continemment port en veufvage, comme sa grande profession de
+saintet le portoit, il voulut revoler en secondes nopces avec une
+trs-belle, vertueuse et jeune princesse. Et, d'autant que depuis dix
+ans qu'il avoit est veuf n'avoit touch femme, et craignant d'en
+avoir oubli l'usage (comme si c'estoit un art qui s'oublie) et de
+recevoir un affront la premire nuict de ses nopces, et ne faire rien
+qui vallust, pour ce il se voulut essayer, et par argent fit gagner une
+belle jeune fille, pucelle comme la femme qu'il devoit espouser: encore
+dit-on qu'il la fit choisir qu'elle ressemblast un peu des traicts du
+visage de sa femme future. La fortune fut si bonne pour luy, qu'il
+monstra n'avoir point oubli encore ses vieilles leons, et son essay
+luy fut si heureux que, hardi et joyeux, il alla l'assault du fort de
+sa femme, dont il en rapporta bonne victoire et rputation. Cet essay
+fut plus heureux que celuy d'un gentilhomme que j'ay ouy nommer, lequel
+estant fort jeune et nigault, pourtant son pre le voulut marier. Il
+voulut premierement faire l'essay, pour savoir s'il seroit gentil
+compagnon avec sa femme; et pour ce, quelques mois avant, il recouvra
+quelque fille de joye belle, qu'il faisoit venir toutes les aprs-dines
+dans la garesne de son pre, car c'estoit en est, et l il
+s'esbaudissoit et se rigoloit, sous la fraischeur des arbres verds et
+d'une fontaine, avec sa damoiselle qu'il faisoit rage: de faon qu'il ne
+craignoit nul homme pour faire cette diantrerie sa femme. Mais le pis
+fut que, la soir des nopces, venant joindre<a name="page_381" id="page_381"></a> sa femme, il ne peut rien
+faire. Qui fut esbahy; ce fut luy, et maugrer sa maudite pice
+traistresse, qui luy avoit failly feu, ensemble le lieu o il estoit;
+puis, prenant courage, il dit sa femme: Mamye, je ne say que veut
+dire cecy, car tous les jours j'ay fait rage la garesne de mon pre;
+et luy compta ses vaillances. Dormons, et j'en suis d'avis, demain
+aprs disner je vous y meneray, et vous verrez autre jeu. Ce qu'il fit,
+et sa femme s'en trouva bien; dont depuis la Cour courut le proverbe:
+Si je vous tenois la garesne mon pere, vous verriez ce que je
+saurois faire. Pensez que le dieu des jardins, messer Priapus, les
+faunes et les satyres paillards, qui prsident aux bois, assistent-l
+aux bons compagnons, et leur favorisent leurs faits et excutions. Tous
+essais pourtant ne sont pas pareils, ny ne portent pas coup tousjours,
+car, pour l'amour, j'y en ay veu et ouy dire plusieurs bons champions
+s'estre faillis recorder leurs leons et recoller leurs tesmoins quand
+ils venoient la grande escole. Car les uns ou sont trop ardents et
+froids, ainsi que telles humeurs de glace et de chaud les y surprennent
+tout coup; les autres ou sont perdus en extases d'un si souverain bien
+entre leurs bras; autres viennent apprhensifs; les autres tout trac
+viennent flacqs, qu'ils ne sauroient qu'en dire la cause; autres tout
+de vray ont l'esguillette noe. Bref, il y a tant d'inconvnients
+inopins qui l-dessus arrivent l'improviste, que, si je les voulois
+raconter, je n'aurois fait de longtemps. Je m'en rapporte plusieurs
+gens maris et autres adventuriers d'amour, qui en sauroient plus dire
+cent fois que moy. Tels essais sont bons pour les hommes, mais non pour
+les femmes; ainsi que j'ay ouy conter d'une mre et dame de qualite,
+laquelle, tenant une fille trs-chre qu'elle avoit, et unique, l'ayant
+compromise un honneste gentilhomme en mariage, avant que de l'y faire
+entrer, et craignant qu'elle ne peust souffrir ce premier et dur effort,
+ quoy on disoit le gentilhomme estre trs-rude et fort proportionn,
+elle la fit essayer premirement par un jeune page qu'elle avoit, assez
+grandet, une douzaine de fois, disant qu'il n'y avoit que la premire
+ouverture fascheuse faire, et que, se faisant un peu douce et petite
+au commencement, qu'elle endureroit la grande plus aisment; comme il
+advint, et qu'il y peut avoir de l'apparence. Cet essay est encore bien
+plus honneste et moins scandaleux qu'un qui me fut dit une fois en
+Italie, d'un pere qui avoit mari<a name="page_382" id="page_382"></a> son fils, qui estoit encore un jeune
+sot, avec une fort belle fille, laquelle, tant fat qu'il estoit, il
+n'avoit rien peu faire ny la premiere ny la seconde nuit de ses nopces;
+et, comme il eut demand et au fils et la nore comme ils se trouvoient
+en mariage, et s'ils avoient triomph, ils respondirent l'un et l'autre
+<i>Niente</i>.&mdash;A quoi a-t-il tenu? demanda son fils. Il respondit tout
+follement qu'il ne savoit comment il falloit faire. Sur quoi il prit
+son fils par une main et la nore par une autre, et les mena tous deux en
+une chambre, et leur dit: Or je vous veux donc monstrer comme il faut
+faire. Et fit coucher sa nore sur un bout du lit, et lui fit bien
+eslargir les jambes; et puis dit son fils: Or voy comment je fais;
+et dit sa nore: Ne bougez; non importe, il n'y a point de mal. Et en
+mettant son membre bien arbor dedans, dit: Advise bien comme je fais,
+et comme je dis: <i>Dentro fuero, dentro fuero</i>; et rpliqua souvent ces
+deux mots en s'advanant dedans et reculant, non pourtant tout dehors.
+Et ainsi, aprs ces frquentes agitations et paroles, <i>dentro</i> et
+<i>fuero</i>, quand ce vint la consommation, il se mit dire brusquement
+et viste: <i>Dentro, dentro, dentro, dentro</i>, jusqu' ce qu'il eust fait.
+Au diable le mot de <i>fuero</i>. Et par ainsi, pensant faire du magister, il
+fut tout plat adultre de sa nore, laquelle, ou qu'elle fist de la
+niaise, ou, pour mieux dire, de la fine, s'en trouva trs-bien pour ce
+coup, voire pour d'autres que luy donna le fils et le pere et tout,
+possible pour luy mieux apprendre sa leon, laquelle il ne luy voulut
+pas apprendre demy ni moiti, mais perfection. Aussi toute leon
+ne vaut rien autrement. J'ay ouy dire et conter plusieurs amants
+adventuriers et bien fortunez, qu'ils ont veu plusieurs dames demeures
+ainsi esvanouyes et pasmes estans dans ces doux alteres de plaisir;
+mais assez aisment pourtant retournoient soy-mesmes: que plusieurs,
+quand elles sont l, elles s'escrient: Hlas! je me meurs! Je croy que
+cette mort leur est trs-douce. Il y en a d'autres qui contournent les
+yeux en la teste pour telle dlectation, comme si elles devoient mourir
+de la grande mort, et se laissant aller comme du tout immobiles et
+insensibles. D'autres ay-je ouy dire qui roidissent et tendent si
+violemment leurs nerfs, arteres et membres, qu'ils engendrent la
+goutecrampe; comme d'une autre que j'ay ouy dire, qui estoit si sujette
+qu'elle n'y pouvoit remdier.<a name="page_383" id="page_383"></a></p>
+
+<p>D'autres font peter leurs os, comme si on leur rehabilloit de quelque
+rompure. J'ay ouy parler d'une, propos de ses evanoissements,
+qu'ainsi que son amoureux la manioit dessus un coffre, que, quand ce fut
+ la douce fin, elle se pasma de telle faon qu'elle se laissa tomber
+derrire le coffre jambes ribaudaines, et s'engagea tellement entre le
+coffre et la tapisserie de la muraille, qu'ainsi qu'elle s'efforoit
+s'en dgager et que son amy lui aidoit, entra quelque compagnie qui la
+surprit faisant ainsi l'arbre fourchu, qui eut le loisir de voir un peu
+de ce qu'elle portoit, qui estoit tout trs-beau pourtant; et fut elle
+ couvrir le fait, en disant qu'un tel l'avoit pousse en se jouant
+ainsi derrire le coffre, et dire par beau semblant que jamais ne
+l'aymeroit. Cette dame courut bien plus grande fortune qu'une que j'ay
+ouy dire, laquelle, ainsi que son amy la tenoit embrasse et investie
+sur le bord de son lit, quand ce vint sur la douce fin qu'il eut achev,
+et que par trop il s'estendoit, il avoit par cas des escarpins neufs qui
+avoient la semelle glissante, et s'appuyant sur des quarreaux plombez
+dont la chambre estoit pave, qui sont fort sujets faire glisser, il
+vint se couler et glisser si bien sans se pouvoir arrester, que du
+pourpoint qu'il avoit, tout recouvert de clinquant, il en escorcha de
+telle faon le ventre, la motte, le cas et les cuisses de sa maistresse,
+que vous eussiez dit que les griffes d'un chat y avoient pass; ce qui
+cuisait si fort la dame qu'elle en fit un grand cri et ne s'en put
+engarder; mais le meilleur fut que la dame, parce que c'estoit en est
+et faisoit grand chaud, s'estoit mise en appareil un peu plus lubrique
+que les autres fois, car elle n'avoit que sa chemise bien blanche et un
+manteau de satin blanc dessus, et les calleons part; si bien que le
+gentilhomme, aprs avoir fait sa glissade, fit prcisment l'arrest du
+nez, de la bouche et du menton, sur le cas de sa maistresse, qui venoit
+fraischement d'estre barbouill de son bouillon, que par deux fois desja
+il luy avoit vers dedans, et emply si fort qu'il en estoit sorty et
+regorg la moiti sur les bords, dont par ainsi se barbouilla et nez, et
+bouche, et moustache, que vous eussiez dit qu'il venoit de frais de
+savoner sa barbe; dont la dame, oubliant son mal et son esgratigneure,
+s'en mit si fort rire qu'elle luy dit: Vous estes un beau fils, car
+vous avez bien lav et nestoy vostre barbe, d'autre chose pourtant que
+de savon de Naples. La dame en fit le conte une sienne compagne, et
+le gentilhomme un sien compagnon. Voil comment on l'a seu, pour
+avoir est redit d'autres; car le conte estoit bon et propre faire
+rire. Et<a name="page_384" id="page_384"></a> ne faut point douter que ces dames, quand elles sont part,
+parmy leurs amies plus prives, qu'elles ne s'en fassent des contes
+aussi bons que nous autres et ne s'entredisent leurs amours et leurs
+tours les plus secrets, et puis en rient pleine bouche, et se mocquent
+de leurs galands, quand ils font quelque faute ou quelque action de
+rise et mocquerie. Et si font bien mieux; car elles se drobent les
+unes les autres leurs serviteurs, non tant quelquefois pour l'amour,
+mais pour en tirer d'eux tous les secrets, menes et folies qu'ils ont
+faites avec elles; et en font leur profit, soit pour en attiser
+davantage leurs feux, soit pour vengeance, soit pour s'entre-faire la
+guerre les unes aux autres en leurs privez devis, quand elles sont
+ensemble. Un pareil livre de figures ce prcdent que je viens de
+dire, fut fait Rome du temps du pape Sixte dernier mort, ainsi que
+j'ai dit ailleurs. Or c'est assez sur ce sujet parl. Je voudrois
+volontiers de bon c&oelig;ur que plusieurs langues de notre France se
+fussent corriges de ces mal-dires, et se comportassent comme celles
+d'Espagne; lesquelles, sur la vie, n'oseroient toucher tant soit peu
+l'honneur des dames de grandeur et rputation; voire les honorent-ils de
+telle faon, que, si on les rencontre en quelque lieu que ce soit, et
+que l'on crie tant soit peu <i>lugar a las damas</i><a name="FNanchor_117_117" id="FNanchor_117_117"></a><a href="#Footnote_117_117" class="fnanchor">[117]</a> tout le monde
+s'incline et leur porte-t-on tout honneur et rvrence; et devant elles
+toutes insolences sont dfendues sur la vie.</p>
+
+<p>&mdash;Quand l'Impratrice, femme de l'empereur Charles, fit son entre
+Tolde, j'ay ouy dire que le marquis de Villane, l'un des grands
+seigneurs d'Espagne, pour avoir menac un argusil qui l'avoit press de
+marcher et de s'advancer, il cuida estre en grande peine, parce que
+cette menace se fit en la prsence de la dite Impratrice; et si ce fust
+est en celle de l'Empereur n'en fust est si grand bruit.</p>
+
+<p>&mdash;Le duc de Fria estant en Flandre, et les reynes Elonor et Marie
+marchans par pays, et leurs dames et filles aprs, et luy estant prs de
+sa maistresse, et venant prendre question contre un autre cavalier
+espagnol, tous deux cuidrent perdre leurs vies, plus pour avoir fait
+tel scandale devant les Reynes et impratrices, que pour tout autre
+sujet. De mesmes don Carlos d'Avalos Madrid, ainsi que la reyne
+Isabelle de France marchoit par la ville, s'il ne se fust soudain jett
+dans une glise qui sert l de refuge aux pauvres malheureux, il fust
+aussi-tost<a name="page_385" id="page_385"></a> este excut la mort; et luy fallut eschapper desguis et
+s'enfuyr d'Espagne, dont il en a est toute sa vie banny et confin en
+la plus misrable isle de toute l'Italie, qui est Lipary.</p>
+
+<p>&mdash;Les boufons mesmes, qui ont tout privilege de parler, s'ils touchent
+les dames, en patissent; ainsi qu'il en arriva une fois un qui
+s'appeloit Legat, que j'ai congneu. Un jour nostre reyne Elisabeth de
+France, en devisant et parlant des demeures de Madrid et Valladolid,
+combien elles toient plaisantes et delectables, elle dit que de bon
+c&oelig;ur elle voudroit que ces deux places fussent si proches qu'elle en
+pust toucher l'une d'un pied, et l'autre de l'autre; et ce disoit en
+eslargissant fort les jambes. Le dit boufon, qui ouyt cela, dit: Et moy
+je voudrois tre au beau mitan, <i>con un carrajo de bourrico, para
+encargar y plantar la raya</i>. Il en fut bien foett la cuisine; dont
+pourtant il n'avoit tort de faire ce souhait, car cette Reyne estoit
+l'une des belles, agrables et honnestes qui fust jamais en Espagne, et
+valoit bien estre dsire de cette faon, non pas de luy, mais de plus
+honnestes gens que luy cent mille fois. Je pense que ces messieurs les
+mesdisants et causeurs des dames voudroient bien avoir et joir du
+privilege de libert qu'ont les vendangeurs de la campagne de Naples au
+temps des vendanges, auxquels il est permis, tant qu'ils vendangent, de
+dire tous les mots, pouilles et injures tous les passants qui vont et
+viennent sur les chemins; si-bien que vous les verriez crier, hurler
+aprs eux, et les arauder sans en espargner aucuns, et grands et moyens,
+et petits, de quelque estat qu'ils soyent; et, qui est le plaisir, n'en
+espargnent aussy les dames, princesses et grandes qu'elles soyent;
+si-bien que de mon temps j'ay ouy dire et vu que plusieurs d'entre
+elles, pour en avoir le plaisir, se donnoient des affaires et alloient
+exprs aux champs, et passoient par les chemins pour les ouyr gazouiller
+et entendre d'eux mille sallauderies et paroles lubriques qu'ils leur
+disoient et dbagouloient, leur faisant la guerre de leurs paillardises
+et lubricitez, qu'elles exeroient envers leurs maris et serviteurs,
+jusques leur reprocher leurs amours et habitations avec leurs cochers,
+pages, laquais et estafiers qui les conduisoient; et, qui plus est, leur
+demandoient librement la courtoisie de leur compagnie, et qu'ils les
+assailleroient et traiteroient bien mieux que tous les autres; et ce
+disoient en franchissant navement et naturellement les mots sans
+autrement les dguiser. Elles en estoient quittes pour en rire leur
+saoul et en<a name="page_386" id="page_386"></a> passer leur temps, et leur en faire rendre response leurs
+gens qui les accompagnoient, ainsi qu'il est permis d'en rendre le
+change. Les vendanges faites, ils se font treves de tels mots jusques
+l'autre anne, autrement en seroient recherchs et bien punis. On m'a
+dit que cette coustume dure encore, que beaucoup de gens en France
+voudroient bien qu'elle fust observe en quelque saison de l'anne, pour
+avoir le plaisir de leurs mesdisances en toute seuret, qu'ils aiment
+tant. Or, pour faire fin, les dames doivent estre respectes par tout le
+monde, leurs amours et leurs faveurs tenues secrettes. C'est pourquoy
+l'Aretin disoit que, quand on estoit ce point, les langues, que les
+amants et amantes s'entredonnent les uns aux autres, n'estoient desdies
+tant pour se dlecter, ny pour le plaisir qu'on y prenoit, que pour
+s'entrelier de langues ensemble et s'entrefaire le signal que l'on
+tienne cach le secret de leurs escoles, mesmes qu'aucuns lubriques et
+paillards maris imprudents se trouvent si libres et desbordez en
+paroles, que, ne se contentant des paillardises et lascivetez qu'ils
+commettent avec leurs femmes, les dclarent et publient leurs
+compagnons et en font leurs contes; si bien que j'ay cogneu aucunes
+femmes en hayr leurs maris de mal mortel, et se retirer bien souvent des
+plaisirs qu'elles leur donnoient, pour ce sujet, ne voulant estre
+scandalises, encore que ce fust un fait de femme mary. M. du Bellay,
+le pote, en ses tombeaux latins qu'il a composez, qui sont trs-beaux,
+en a fait un d'un chien, qui me semble qu'il est digne estre mis ici,
+car il est fait notre matiere, qui dit ainsi.</p>
+
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="poesie">
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Latratu fures exceps, mutus amantes,</i></span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 3em;"><i>Sic placui domino, sic placui domina</i></span></td></tr>
+</table>
+
+<p>C'est--dire:</p>
+
+<div class="blockquott"><p>Par mon japper, j'ay chass les larrons, et, pour me tenir muet,
+j'ay accule les amants: ainsi j'ay pleu mon maistre, ainsi j'ai
+pleu ma maistresse. </p></div>
+
+<p>Si donc on doit aimer les animaux pour estre secrets, que doit-on faire
+des hommes pour se taire? Et s'il faut prendre advis pour ce sujet d'une
+courtisanne qui a est des plus fameuses du temps pass, et de grande
+clergesse en son mestier qui estoit Lama, faire le peut-on; qui disoit
+de quoy une femme se contentoit le<a name="page_387" id="page_387"></a> plus de son amant, c'estoit quand il
+estoit discret en propos et secret en ce qu'il faisoit; et surtout
+qu'elle hayssoit un vanteur qui se vantoit de ce qu'il ne faisoit pas et
+n'accomplissoit ce qu'il promettoit. Ce dernier s'entend en deux choses.
+De plus, disoit que la femme, bien qu'elle fist, ne vouloit jamais estre
+appele putain n'y pour telle divulgue. Aussi dit-on d'elle que jamais
+elle ne se mocqua d'homme, ny homme oncques se mocqua d'elle ny mesdit.
+Telle dame savante en amour en peut bien donner leon aux autres.</p>
+
+<p>Or, c'est assez parl de ce sujet; un autre mieux disant que moy l'eust
+pu mieux agrandir et embellir, c'est pourquoy je luy en quitte les armes
+et la plume.</p>
+
+<p><a name="page_388" id="page_388"></a></p>
+
+<p><a name="page_389" id="page_389"></a></p>
+
+<h2><a name="TABLE_DES_MATIERES" id="TABLE_DES_MATIERES"></a>TABLE DES MATIERES</h2>
+
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="">
+
+<tr><td><span class="smcap">Epitre dedicatoire</span></td><td align="right" valign="bottom"><a href="#page_001">1</a></td></tr>
+<tr><td><span class="smcap">Au Lecteur</span></td><td align="right" valign="bottom"><a href="#page_003">3</a></td></tr>
+<tr><td><span class="smcap">Avis de l'Auteur</span></td><td align="right" valign="bottom"><a href="#page_004">4</a></td></tr>
+
+<tr><td>&nbsp;</td></tr>
+<tr><th colspan="2" align="center"><a href="#DISCOURS_PREMIER">DISCOURS PREMIER.</a></th></tr>
+
+<tr><td>Sur les dames qui font l'amour et leurs maris cocus</td><td align="right" valign="bottom"><a href="#page_005">5</a></td></tr>
+<tr><td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr><th colspan="2" align="center"><a href="#DISCOURS_SECOND">DISCOURS DEUXIME.</a></th></tr>
+
+<tr><td>Sur le sujet qui contente plus en amour, ou le toucher, ou la vue, ou la
+parole</td><td align="right" valign="bottom"><a href="#page_139">139</a></td></tr>
+
+<tr><td><span class="smcap">Introduction </span></td><td align="center" valign="bottom"><a href="#page_139"><i>ib.</i></a></td></tr>
+<tr><td><span class="smcap">Article I.</span>&mdash;De l'attouchement en amour</td><td align="right" valign="bottom"><a href="#page_140">140</a></td></tr>
+<tr><td><span class="smcap">Article II.</span>&mdash;De la parole en amour</td><td align="right" valign="bottom"><a href="#page_147">147</a></td></tr>
+<tr><td><span class="smcap">Article III.</span>&mdash;De la vue en amour</td><td align="right" valign="bottom"><a href="#page_151">151</a></td></tr>
+
+<tr><td>&nbsp;</td></tr>
+<tr><th colspan="2" align="center"><a href="#DISCOURS_TROISIEME">DISCOURS TROISIME.</a></th></tr>
+
+<tr><td>Sur la beaut de la belle jambe, et de la vertu qu'elle a</td><td align="right" valign="bottom"><a href="#page_184">184</a></td></tr>
+<tr><td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr><th colspan="2" align="center"><a href="#DISCOURS_QUATRIEME">DISCOURS QUATRIME.</a></th></tr>
+
+<tr><td>Sur les femmes maries, les veufves et les filles; savoir desquelles les
+unes sont plus portes l'amour que les autres</td><td align="right" valign="bottom"><a href="#page_197">197</a></td></tr>
+
+<tr><td><span class="smcap">Introduction </span></td><td align="center" valign="bottom"><a href="#page_197"><i>ib.</i></a></td></tr>
+<tr><td><span class="smcap">Article I.</span>&mdash;De l'amour des femmes maries</td><td align="right" valign="bottom"><a href="#page_200">200</a></td></tr>
+<tr><td><span class="smcap">Article II.</span>&mdash;De l'amour des filles</td><td align="right" valign="bottom"><a href="#page_209">209</a></td></tr>
+<tr><td><span class="smcap">Article III.</span>&mdash;De l'amour des veufves</td><td align="right" valign="bottom"><a href="#page_231">231</a><a name="page_390" id="page_390"></a></td></tr>
+<tr><td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr><th colspan="2" align="center"><a href="#DISCOURS_CINQUIEME">DISCOURS CINQUIME.</a></th></tr>
+
+<tr><td>Sur aucunes dames vieilles qui aiment autant faire l'amour comme les
+jeunes</td><td align="right" valign="bottom"><a href="#page_271">271</a></td></tr>
+
+<tr><td>&nbsp;</td></tr>
+<tr><th colspan="2" align="center"><a href="#DISCOURS_SIXIEME">DISCOURS SIXIME.</a></th></tr>
+
+<tr><td>Sur ce que les belles et honntes dames aiment les vaillants hommes, et
+les braves hommes aiment les dames courageuses&nbsp; &nbsp; &nbsp; </td><td align="right" valign="bottom"><a href="#page_299">299</a></td></tr>
+
+<tr><td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr><th colspan="2" align="center"><a href="#DISCOURS_SEPTIEME">DISCOURS SEPTIME.</a></th></tr>
+
+<tr><td>Sur ce qu'il ne faut jamais parler mal des dames, et de la consquence
+qui en vient</td><td align="right" valign="bottom"><a href="#page_351">351</a></td></tr>
+</table>
+
+<p><a name="page_391" id="page_391"></a></p>
+
+<div class="footnotes"><p class="cb">NOTES:</p>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_1_1" id="Footnote_1_1"></a><a href="#FNanchor_1_1"><span class="label">[1]</span></a> A la fin de son Discours XLI, <i>Des Capitaines trangers</i>,
+il promet de mme cette <i>comparaison</i>, augmente du vieux Biron et du
+comte Maurice; mais elle manque.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_2_2" id="Footnote_2_2"></a><a href="#FNanchor_2_2"><span class="label">[2]</span></a> Dans cet ouvrage, l'auteur qualifie telle dame de <i>belle et
+honneste</i>, dont pourtant il parle comme d'une fieffe p.....; mais
+lorsqu'il ajoute, comme il fait quelquefois <i>vertueuse</i> <i>belle et
+honneste</i>, il insinue par l que la dame toit sage et ne faisoi point
+parler d'elle.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_3_3" id="Footnote_3_3"></a><a href="#FNanchor_3_3"><span class="label">[3]</span></a> Le fameux Bussi d'Amboise, Louis de Clermont, massacr le
+19 aot 1579, un rendez-vous que lui avoit donn la comtesse de
+Monsoreau par le commandement de son mari. (De Thou. liv. L<small>XVIII</small>.)</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_4_4" id="Footnote_4_4"></a><a href="#FNanchor_4_4"><span class="label">[4]</span></a> Ren de Villequier, qui tua Franoise de La Marck, sa
+premire femme.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_5_5" id="Footnote_5_5"></a><a href="#FNanchor_5_5"><span class="label">[5]</span></a> Lisez <i>Melitene</i>; c'est comme les anciens appeloient cette
+ville, dont le nom moderne dans <i>Moreri</i>est <i>Meletin</i>, en latin
+<i>Malatia</i>, dans l'Armnie, sur l'Euphrate.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_6_6" id="Footnote_6_6"></a><a href="#FNanchor_6_6"><span class="label">[6]</span></a> Ou plutt <i>Thomyris</i>.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_7_7" id="Footnote_7_7"></a><a href="#FNanchor_7_7"><span class="label">[7]</span></a> Sixte V</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_8_8" id="Footnote_8_8"></a><a href="#FNanchor_8_8"><span class="label">[8]</span></a> Le cardinal de Lorraine, du Perron et autres, avoient t
+reprsents de mme avec Catherine de Mdicis, Marie Stuart et la
+duchesse de Guise, dans deux tableaux dont il est parl dans la <i>Lgende
+du cardinal de Lorraine</i>, folio 24, et dans le <i>Rveille-matin des
+Franais</i>, pages 11 et 123. Voyez ci-dessous, la fin du VII<sup>e</sup> livre,
+la description d'un pareil livre de figures, et les mauvais effets qu'il
+produisit.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_9_9" id="Footnote_9_9"></a><a href="#FNanchor_9_9"><span class="label">[9]</span></a> Bernardin Turisan, qui avoit pour enseigne la devise des
+Manuces, ses parents.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_10_10" id="Footnote_10_10"></a><a href="#FNanchor_10_10"><span class="label">[10]</span></a> Ce livre, intitul <i>la Somme des pchs et le remde
+d'iceux</i>, imprim Lyon, chez Charles Pesnot, ds 1584, in-4^o, et
+diverses autres fois depuis, est de la composition de Jean Benedicti,
+cordelier de Bretagne, qui ne l'a pas moins rempli d'ordures et de
+salets, que le jsuite Sanchez en a rempli son trait <i>de Matrimonio</i>;
+et ce qu'il y a de fort singulier, c'est qu'un ouvrage si impur n'en est
+pas moins ddi la sainte Vierge. Comme on voit, Brantme et ses
+semblables savoient trs-bien en faire leur profit, et y dcouvrir de
+nouveaux ragots de lubricit.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_11_11" id="Footnote_11_11"></a><a href="#FNanchor_11_11"><span class="label">[11]</span></a> Ou Bonvisi.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_12_12" id="Footnote_12_12"></a><a href="#FNanchor_12_12"><span class="label">[12]</span></a> Annius Verus: c'toit le grand-pre de cet empereur.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_13_13" id="Footnote_13_13"></a><a href="#FNanchor_13_13"><span class="label">[13]</span></a> Antonomasie.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_14_14" id="Footnote_14_14"></a><a href="#FNanchor_14_14"><span class="label">[14]</span></a> Voyez Mnage, <i>Dict. tym.</i>, au mot <span class="smcap">Mascaret</span></p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_15_15" id="Footnote_15_15"></a><a href="#FNanchor_15_15"><span class="label">[15]</span></a> Baudet ou Barbette, comme dit Mzeray.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_16_16" id="Footnote_16_16"></a><a href="#FNanchor_16_16"><span class="label">[16]</span></a> C'est--dire, <i>morte la bte, morte la rage ou le venin</i>.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_17_17" id="Footnote_17_17"></a><a href="#FNanchor_17_17"><span class="label">[17]</span></a> Dans ce proverbe, la furette est prise pour l'hermine,
+qui, dit-on, aime mieux se laisser prendre que de se salir.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_18_18" id="Footnote_18_18"></a><a href="#FNanchor_18_18"><span class="label">[18]</span></a> Brantme veut peut-tre parler ici de Marguerite de
+France, s&oelig;ur de Henri II, qui avait cet ge-l lorsqu'elle pousa le
+duc de Savoie.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_19_19" id="Footnote_19_19"></a><a href="#FNanchor_19_19"><span class="label">[19]</span></a> C'est--dire: Monsieur mon frre, prsentement que vous
+tes mari avec ma s&oelig;ur et que vous en jouissez seul, il faut que
+vous sachiez qu'tant fille, tel et tel en ont joui. Ne vous inquitez
+point du pass, parce que c'est peu de chose; mais gardez-vous de
+l'avenir, parce qu'il vous touche de bien plus prs.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_20_20" id="Footnote_20_20"></a><a href="#FNanchor_20_20"><span class="label">[20]</span></a> Baptista Fulgosius, dont les <i>Factorum et Dictorum
+memorabilium libri IX</i> ont t imprims diverses fois. Ce fait
+particulier se trouve dans le chapitre 3 du IX<sup>e</sup> livre.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_21_21" id="Footnote_21_21"></a><a href="#FNanchor_21_21"><span class="label">[21]</span></a> C'est--dire: Que la vache, qui a longtemps t attache,
+court plus que celle qui a toujours en pleine libert.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_22_22" id="Footnote_22_22"></a><a href="#FNanchor_22_22"><span class="label">[22]</span></a> Franois de Lorraine, duc de Guise, tu par Poltrot. Voy.
+Rem. sur le mot <span class="smcap">Adultrin</span>, page 547 du <i>Cath. d'Esp.</i>, dit. de 1699.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_23_23" id="Footnote_23_23"></a><a href="#FNanchor_23_23"><span class="label">[23]</span></a> Cela pourroit bien regarder Henri de Lorraine, duc de
+Guise, tu Blois.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_24_24" id="Footnote_24_24"></a><a href="#FNanchor_24_24"><span class="label">[24]</span></a> Ceci pourroit encore mieux regarder Marguerite de Valois,
+le roi de Navarre, le duc d'Anjou et la Saint-Barthlemy.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_25_25" id="Footnote_25_25"></a><a href="#FNanchor_25_25"><span class="label">[25]</span></a> C'est--dire, fait folie de son corps, comme on parle,
+parce qu'on va en plerinage l'glise de ce saint pour tre guri de
+la folie.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_26_26" id="Footnote_26_26"></a><a href="#FNanchor_26_26"><span class="label">[26]</span></a> C'est--dire, sinon chastement, du moins finement.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_27_27" id="Footnote_27_27"></a><a href="#FNanchor_27_27"><span class="label">[27]</span></a> C'est-a-dire, sous les couvertes, ou en cachette.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_28_28" id="Footnote_28_28"></a><a href="#FNanchor_28_28"><span class="label">[28]</span></a> Accortement.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_29_29" id="Footnote_29_29"></a><a href="#FNanchor_29_29"><span class="label">[29]</span></a> C'est--dire: Le peril pass, l'on se moque du saint.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_30_30" id="Footnote_30_30"></a><a href="#FNanchor_30_30"><span class="label">[30]</span></a> Joachim du Bellay, dans sa <i>Contre-Repentie</i>, f. 444, A.
+de ses &OElig;uvres, 1576.
+</p>
+
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="">
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Mere d'amour, suivant mes premiers v&oelig;ux,</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Dessous tes loix remettre je me veux,</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Dont je voudrois n'estre jamais sortie;</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Et me repens de m'estre repentie.</span></td></tr>
+</table>
+</div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_31_31" id="Footnote_31_31"></a><a href="#FNanchor_31_31"><span class="label">[31]</span></a> Ces sortes de cadenas toient dj en usage Venise.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_32_32" id="Footnote_32_32"></a><a href="#FNanchor_32_32"><span class="label">[32]</span></a> <i>Guerdon, galardon, qui dardonne, premio, ricompensa</i>, dit
+le <i>Franciosini</i>.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_33_33" id="Footnote_33_33"></a><a href="#FNanchor_33_33"><span class="label">[33]</span></a> On a appel Guillot le Songeur tout homme songeard, du
+chevalier Juillan le Pensif, l'un des personnages de l'<i>Amadis</i>.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_34_34" id="Footnote_34_34"></a><a href="#FNanchor_34_34"><span class="label">[34]</span></a> Ou n'a point ce discours ou chapitre.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_35_35" id="Footnote_35_35"></a><a href="#FNanchor_35_35"><span class="label">[35]</span></a> C'est--dire: pour dlivrer une me chrtienne de
+l'enfer.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_36_36" id="Footnote_36_36"></a><a href="#FNanchor_36_36"><span class="label">[36]</span></a> A qui on demandoit.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_37_37" id="Footnote_37_37"></a><a href="#FNanchor_37_37"><span class="label">[37]</span></a> C'est--dire: l'amour ne se surmonte que par le ddain.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_38_38" id="Footnote_38_38"></a><a href="#FNanchor_38_38"><span class="label">[38]</span></a> Cette femme ressemble assez cette Godarde de Blois,
+huguenote, pendu pour adultre en 1563.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_39_39" id="Footnote_39_39"></a><a href="#FNanchor_39_39"><span class="label">[39]</span></a> C'est--dire: Eh! fais-lui charit par piti.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_40_40" id="Footnote_40_40"></a><a href="#FNanchor_40_40"><span class="label">[40]</span></a> On accusa la comtesse de Senizon de l'avoir fait vader,
+et on lui en fit une affaire.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_41_41" id="Footnote_41_41"></a><a href="#FNanchor_41_41"><span class="label">[41]</span></a> Proverbe qui marque le peu de liaison qu'il y a entre les
+dons de la nature et les qualits de l'me.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_42_42" id="Footnote_42_42"></a><a href="#FNanchor_42_42"><span class="label">[42]</span></a> De l'italien <i>dispositare</i>; c'est--dire qu'on dispose et
+trouve se dfaire des pierreries comme des meilleures denres.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_43_43" id="Footnote_43_43"></a><a href="#FNanchor_43_43"><span class="label">[43]</span></a> Tout cela est renvers et estropi. Il faut:
+</p>
+
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="">
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Si tibi simplicitas uxoria deditus uni:</i></span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Est animus</i>. . . . . . . .</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 4em;">. . . . . . . . . . . .</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Nil unquam invit donabis conjuge: vendes</i></span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;"><i>Hac obstante nihil; nihil, hc si nolet, emetur.</i></span></td></tr>
+<tr><td align="left">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td align="right"><span style="margin-left: 0em;">J<small>UVENAL</small>. Sat. VI, 205 et 6, 211 et 12.</span></td></tr>
+</table>
+<p>
+C'est--dire: Si vous vous attachez uniquement votre femme....., vous
+ne pourrez rien donner, ni vendre, ni acheter, moins qu'elle n'y
+consente.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_44_44" id="Footnote_44_44"></a><a href="#FNanchor_44_44"><span class="label">[44]</span></a> Le V<sup>e</sup> discours suivant.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_45_45" id="Footnote_45_45"></a><a href="#FNanchor_45_45"><span class="label">[45]</span></a> <i>Bardot</i>, synonyme d'<i>ne</i>. Ici, <i>passer par bardot</i>, se
+dit des vieilles qui son rduites laisser passer pour <i>bardot</i> l'amant
+qui les caresse.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_46_46" id="Footnote_46_46"></a><a href="#FNanchor_46_46"><span class="label">[46]</span></a> Escharse.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_47_47" id="Footnote_47_47"></a><a href="#FNanchor_47_47"><span class="label">[47]</span></a> Qui perd une putain gagne beaucoup.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_48_48" id="Footnote_48_48"></a><a href="#FNanchor_48_48"><span class="label">[48]</span></a> Il est croire qu'il multiplie leurs feux.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_49_49" id="Footnote_49_49"></a><a href="#FNanchor_49_49"><span class="label">[49]</span></a> O trop dure loi de l'honneur, pourquoi nous interdis-tu ce
+ quoi nous excite la nature? Elle nous accorde aussi abondamment que
+libralement, ainsi qu'a tous les animaux, l'usage de l'amour. Mais
+l'homme, trompeur et perfide, ne connaissant que trop bien la vigueur de
+nos reins, a tabli cette loi pleine d'erreur pour cacher ainsi la
+faiblesse des siens.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_50_50" id="Footnote_50_50"></a><a href="#FNanchor_50_50"><span class="label">[50]</span></a> L o il n'y a point d'homme, on commet pourtant
+l'adultre.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_51_51" id="Footnote_51_51"></a><a href="#FNanchor_51_51"><span class="label">[51]</span></a> C'est--dire: me baisait et me faisait pmer de plaisir.
+<i>Alentir</i>, dans Nicot, se dit de la douleur, ou des forces qui diminuent
+ou se ralentissent.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_52_52" id="Footnote_52_52"></a><a href="#FNanchor_52_52"><span class="label">[52]</span></a> Par corruption pour <i>gaude mihi</i>.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_53_53" id="Footnote_53_53"></a><a href="#FNanchor_53_53"><span class="label">[53]</span></a> Mehun on Meun.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_54_54" id="Footnote_54_54"></a><a href="#FNanchor_54_54"><span class="label">[54]</span></a> Voyez.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_55_55" id="Footnote_55_55"></a><a href="#FNanchor_55_55"><span class="label">[55]</span></a> Voyez Bayle, <i>Dict. crit.</i>, au mot <span class="smcap">Buridan</span>. Villon, dans
+sa ballade des <i>Dames des temps jadis</i>:
+</p>
+
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="">
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Semblablement o est la reine,</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Qui commanda que Buridan</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Fust jet en un sac en Seine?</span></td></tr>
+</table>
+</div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_56_56" id="Footnote_56_56"></a><a href="#FNanchor_56_56"><span class="label">[56]</span></a> La Vieille Courtisanne, fol. 449. B. des <i>OEuvres pot. de
+Joach. du Bellay</i>, dit. de 1597:
+</p>
+
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="">
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">De la vertu je savois deviser,</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Et je savois tellement eguiser,</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Que rien qu'honneur ne sortoit de ma bouche;</span></td></tr>
+<tr><td align="left"><span style="margin-left: 0em;">Sage au parler et folastre la couche.</span></td></tr>
+</table>
+</div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_57_57" id="Footnote_57_57"></a><a href="#FNanchor_57_57"><span class="label">[57]</span></a> Elles s'abandonnent comme chiennes, et sont muettes de la
+bouche comme pierres.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_58_58" id="Footnote_58_58"></a><a href="#FNanchor_58_58"><span class="label">[58]</span></a> Se retirer la barque.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_59_59" id="Footnote_59_59"></a><a href="#FNanchor_59_59"><span class="label">[59]</span></a> Pardonnez-moi, madame; je ne veux point jaser, mais
+seulement agir et puis me retirer la barque.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_60_60" id="Footnote_60_60"></a><a href="#FNanchor_60_60"><span class="label">[60]</span></a> Le <i>Divorce satyrique</i> attribue cette invention la reine
+Marguerite, pour rendre le roi de Navarre, son mari, plus amoureux
+d'elle et plus lascif.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_61_61" id="Footnote_61_61"></a><a href="#FNanchor_61_61"><span class="label">[61]</span></a> Ils sont pris d'un vieux livre franais intitul: <i>De la
+louange et beaut des Dames</i>. Franois Corniger les a mis en dix-huit
+vers latins. Vincentio Calmeta les a aussi mis en vers italiens, qui
+commencent par <i>Dolce Flaminia</i>.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_62_62" id="Footnote_62_62"></a><a href="#FNanchor_62_62"><span class="label">[62]</span></a> C'est--dire, tait un peu brunette.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_63_63" id="Footnote_63_63"></a><a href="#FNanchor_63_63"><span class="label">[63]</span></a> En franois, Charles de Bouvelles. On a de lui plusieurs
+ouvrages.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_64_64" id="Footnote_64_64"></a><a href="#FNanchor_64_64"><span class="label">[64]</span></a> C'est un in-4^o imprim Paris, chez Ascensius, le 3 des
+nones de dcembre 1511.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_65_65" id="Footnote_65_65"></a><a href="#FNanchor_65_65"><span class="label">[65]</span></a> Ah! ne me touchez pas.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_66_66" id="Footnote_66_66"></a><a href="#FNanchor_66_66"><span class="label">[66]</span></a> Les ladres, les ladresses.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_67_67" id="Footnote_67_67"></a><a href="#FNanchor_67_67"><span class="label">[67]</span></a> C'est--dire: Madame, je vous baise les pieds et les
+mains.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_68_68" id="Footnote_68_68"></a><a href="#FNanchor_68_68"><span class="label">[68]</span></a> C'est--dire: Monsieur, la station du milieu est bien
+meilleure.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_69_69" id="Footnote_69_69"></a><a href="#FNanchor_69_69"><span class="label">[69]</span></a> On en a dit autant de Mademoiselle, cousine germaine de
+Louis XIV, cela pres qu' ceux de ses pages qui ses charmes
+donnaient de la tentation elle donnait quelques louis pour pouvoir se
+satisfaire ailleurs.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_70_70" id="Footnote_70_70"></a><a href="#FNanchor_70_70"><span class="label">[70]</span></a> Le Voyage du Prince.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_71_71" id="Footnote_71_71"></a><a href="#FNanchor_71_71"><span class="label">[71]</span></a> Plus magnifique que les ftes de Bains.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_72_72" id="Footnote_72_72"></a><a href="#FNanchor_72_72"><span class="label">[72]</span></a> Roman de Boccace traduit par Adrien Sevin.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_73_73" id="Footnote_73_73"></a><a href="#FNanchor_73_73"><span class="label">[73]</span></a> Le titre de <i>Roi des Romains</i> n'est proprement qu'une
+station pour parvenir la dignit d'<i>Empereur</i>.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_74_74" id="Footnote_74_74"></a><a href="#FNanchor_74_74"><span class="label">[74]</span></a> Discours I.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_75_75" id="Footnote_75_75"></a><a href="#FNanchor_75_75"><span class="label">[75]</span></a> Confidentes.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_76_76" id="Footnote_76_76"></a><a href="#FNanchor_76_76"><span class="label">[76]</span></a> <i>Ahanoit</i>: se fatiguait. De l'espagnol <i>afanar</i>, qui
+rpond notre <i>ahaner</i>.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_77_77" id="Footnote_77_77"></a><a href="#FNanchor_77_77"><span class="label">[77]</span></a> <i>Sublin</i>: fin, rus.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_78_78" id="Footnote_78_78"></a><a href="#FNanchor_78_78"><span class="label">[78]</span></a> Discours I.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_79_79" id="Footnote_79_79"></a><a href="#FNanchor_79_79"><span class="label">[79]</span></a> L'honneur de la citadelle est sauv.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_80_80" id="Footnote_80_80"></a><a href="#FNanchor_80_80"><span class="label">[80]</span></a> Caunus.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_81_81" id="Footnote_81_81"></a><a href="#FNanchor_81_81"><span class="label">[81]</span></a> C'est--dire: D'une mule qui fait hin, et d'une fille qui
+parle latin, dlivre nous, Seigneur.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_82_82" id="Footnote_82_82"></a><a href="#FNanchor_82_82"><span class="label">[82]</span></a> <i>Alberic de Rosate</i>, au mot <span class="smcap">Matrimonium</span> de son
+<i>Dictionnaire</i>, rapporte un exemple tout pareil. <i>Barbatias</i> dit mme
+quelque chose de plus, qu'un garon de sept ans engrossa sa nourrice.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_83_83" id="Footnote_83_83"></a><a href="#FNanchor_83_83"><span class="label">[83]</span></a> La reine-mre <i>Catherine de Mdicis</i>. L'auteur la nomme
+dans son discours des <i>Dames illustres</i>, o il fait le mme conte.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_84_84" id="Footnote_84_84"></a><a href="#FNanchor_84_84"><span class="label">[84]</span></a> <i>Apparemment</i> contrition.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_85_85" id="Footnote_85_85"></a><a href="#FNanchor_85_85"><span class="label">[85]</span></a> Servie.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_86_86" id="Footnote_86_86"></a><a href="#FNanchor_86_86"><span class="label">[86]</span></a> Alteres.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_87_87" id="Footnote_87_87"></a><a href="#FNanchor_87_87"><span class="label">[87]</span></a> D'Enghien.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_88_88" id="Footnote_88_88"></a><a href="#FNanchor_88_88"><span class="label">[88]</span></a> <i>Andr de Soleillas</i>, vque de <i>Riez</i> en Provence, en
+1576. Il avait une maitresse qui contrefaisoit la bigote, mais dont
+l'hypocrisie ne trompa pas le roi Henri IV. Ce prince reprochoit
+plaisamment cette dame ses amours, en lui disant qu'elle ne se
+plaisait qu'au <i>jene et l'oraison</i>.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_89_89" id="Footnote_89_89"></a><a href="#FNanchor_89_89"><span class="label">[89]</span></a> <i>Fringuer</i>, dans Oudin, c'est ici <i>far l'atto venero</i>.
+Cette veufve, non contente d'avoir triomph de trois maris, vouloit
+encore combattre sur cette mme couche, dj jonche des lauriers
+qu'elle avoit remports de ses victoires passes.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_90_90" id="Footnote_90_90"></a><a href="#FNanchor_90_90"><span class="label">[90]</span></a> <i>Henri II</i>, qui prfroit la reine sa femme, qui toit
+jeune, la duchesse de Valentinois dj vieille, et qui avait t la
+matresse du roi son pre.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_91_91" id="Footnote_91_91"></a><a href="#FNanchor_91_91"><span class="label">[91]</span></a> Je n'ai point connu la vieille.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_92_92" id="Footnote_92_92"></a><a href="#FNanchor_92_92"><span class="label">[92]</span></a> Environ l'an 400 de l're chrtienne, saint Jrme vit les
+funrailles de la femme, et c'est lui qui rapporte le fait en question.
+<i>Epist. XCI ad Ageruchiam, de Monogamid.</i></p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_93_93" id="Footnote_93_93"></a><a href="#FNanchor_93_93"><span class="label">[93]</span></a> <i>Thesmophoria.</i></p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_94_94" id="Footnote_94_94"></a><a href="#FNanchor_94_94"><span class="label">[94]</span></a> Dpchez-vous donc, car ils vont me venir chercher pour me
+faire religieuse, et m'emmener au couvent.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_95_95" id="Footnote_95_95"></a><a href="#FNanchor_95_95"><span class="label">[95]</span></a> Ce fut elle que Henri IV dit au bal, qu'elle avoit
+employ le verd et le sec pour divertir la compagnie. Il lui fit cette
+raillerie, dit Le Laboureur, parce que cette femme n'pargnoit la
+rputation d'aucune dame.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_96_96" id="Footnote_96_96"></a><a href="#FNanchor_96_96"><span class="label">[96]</span></a> Suivant Rabelais, on appelle <i>poultre</i> une jument non
+encore saillie. Ainsi Bussy parloit incongrument.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_97_97" id="Footnote_97_97"></a><a href="#FNanchor_97_97"><span class="label">[97]</span></a> On ne parle point, madame est en compagnie.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_98_98" id="Footnote_98_98"></a><a href="#FNanchor_98_98"><span class="label">[98]</span></a> Que d'une vieille poule on fait un meilleur bouillon que
+d'une autre.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_99_99" id="Footnote_99_99"></a><a href="#FNanchor_99_99"><span class="label">[99]</span></a> La Mothe.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_100_100" id="Footnote_100_100"></a><a href="#FNanchor_100_100"><span class="label">[100]</span></a> De haute apparence.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_101_101" id="Footnote_101_101"></a><a href="#FNanchor_101_101"><span class="label">[101]</span></a> De <i>cubinus</i>, diminutif de <i>cubus</i>, comme qui diroit <i>
+quatre pointes</i> ou bosses.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_102_102" id="Footnote_102_102"></a><a href="#FNanchor_102_102"><span class="label">[102]</span></a> Il n'importe pas que la cloche ait quelque dfaut, pourvu
+que son battant soit bon.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_103_103" id="Footnote_103_103"></a><a href="#FNanchor_103_103"><span class="label">[103]</span></a> Pour voiler la chose.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_104_104" id="Footnote_104_104"></a><a href="#FNanchor_104_104"><span class="label">[104]</span></a> Forbany.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_105_105" id="Footnote_105_105"></a><a href="#FNanchor_105_105"><span class="label">[105]</span></a> Le duc d'Anjou, depuis Henri III.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_106_106" id="Footnote_106_106"></a><a href="#FNanchor_106_106"><span class="label">[106]</span></a> Qu'avez-vous fait?</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_107_107" id="Footnote_107_107"></a><a href="#FNanchor_107_107"><span class="label">[107]</span></a> Rien.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_108_108" id="Footnote_108_108"></a><a href="#FNanchor_108_108"><span class="label">[108]</span></a> Ah! poltron, sans c&oelig;ur! vous n'avez rien fait! Que
+maudite soit votre poltronnerie.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_109_109" id="Footnote_109_109"></a><a href="#FNanchor_109_109"><span class="label">[109]</span></a> Le pre des soldats.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_110_110" id="Footnote_110_110"></a><a href="#FNanchor_110_110"><span class="label">[110]</span></a> La mre.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_111_111" id="Footnote_111_111"></a><a href="#FNanchor_111_111"><span class="label">[111]</span></a> Louis XI passe gnralement, non-seulement pour avoir
+racont beaucoup de contes, avec tout ce qu'il y avoit de jeunes
+seigneurs la Cour de Philippe le Bon, duc de Bourgogne, o il s'toit
+rfugi tant Dauphin, mais mme pour avoir pris soin de faire
+recueillir et de publier ensuite, dans le mme ordre o nous l'avons, le
+recueil intitul: <i>Cent Nouvelles nouvelles, lequel en soy contient cent
+chapitres ou histoires, composes ou rcites par nouvelles gens depuis
+nagures</i>; et cela se trouve confirm par ces mots de l'ancienne prface
+ou avertissement, qui parot avoir t fait de son temps: Et notez que
+par toutes les <i>Nouvelles</i> o il est dit <i>par monseigneur</i>, il est
+entendu monseigneur le Dauphin, lequel depuis a succd la couronne et
+est le roy Lois XI; car il estoit lors s pays du duc de Bourgogne.
+Mais comme il est bien certain que ce prince ne se retira en Brabant
+qu' la fin de l'anne 1456, et ne rentra en France qu'en aot 1461, il
+est absolument impossible que ce recueil ait paru en France vers 1455,
+comme on le dbite inconsidrment dans la prface de ses nouvelles
+ditions. On en a deux anciennes: l'une de Paris, en 1486, in-folio;
+l'autre encore de Paris, chez la veuve de Johan Trepere, sans date,
+aussi in-folio; et deux nouvelles, accompagnes de mauvaises figures, et
+imprimes Cologne, chez Pierre Gaillard, en 1701 et 1736, en deux
+volumes in-8.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_112_112" id="Footnote_112_112"></a><a href="#FNanchor_112_112"><span class="label">[112]</span></a> Le pch de luxure.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_113_113" id="Footnote_113_113"></a><a href="#FNanchor_113_113"><span class="label">[113]</span></a> Ce conte, que Brantme dit tenir des anciens de la Cour,
+est pris presque mot pour mot de J. Bouchet, dans ses <i>Annales
+d'Aquitaine</i>, dit. de 1644, pag. 473, au nom des trois dames prs, qui
+est apparemment ce qu'il veut dire qu'il tenoit de bon lieu.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_114_114" id="Footnote_114_114"></a><a href="#FNanchor_114_114"><span class="label">[114]</span></a> Franoise de Rohan, dame de La Garnache, si nous en
+croyons Bayle, <i>Dict. crit.</i>, pag. 1317 de la deuxime dition. Mais je
+doute que lui-mme en ft bien persuad, puisque, dans la citation de ce
+passage de Brantme, il n'a jug propos de marquer que par des points
+certaines paroles qui ne conviennent nullement la dame de La Garnache;
+savoir, que d'abord on disoit que cette dame ne s'toit laiss engrosse
+qu'en nom de mariage, et qu'aprs on sut le contraire.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_115_115" id="Footnote_115_115"></a><a href="#FNanchor_115_115"><span class="label">[115]</span></a> Danse d'Allemagne; les Allemands appellent ce branle
+<i>Fackeldantz</i>.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_116_116" id="Footnote_116_116"></a><a href="#FNanchor_116_116"><span class="label">[116]</span></a> On n'a point ce chapitre ou discours.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_117_117" id="Footnote_117_117"></a><a href="#FNanchor_117_117"><span class="label">[117]</span></a> Honneur aux dames.</p></div>
+
+</div>
+<hr class="full" />
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Vies des dames galantes, by
+Pierre de Bourdeille Brantme
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK VIES DES DAMES GALANTES ***
+
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+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
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+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
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+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
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+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
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+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
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+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
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+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
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+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
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+
+
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+works.
+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
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+
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